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ÉTUDE ORIGINALE

Pr Michel Makoutodé*, Dr Edgard-Marius Ouendo**, Dr Noël Moussiliou Paraiso**, Dr Joachim Aïfa***,


Pr Dismand Houinato****
* Professeur agrégé de santé publique, ** Enseignant chercheur, Institut régional de santé publique de Ouidah, Bénin
*** Médecin, Ministère de la santé, Bénin
**** Professeur agrégé de neurologie, Faculté des sciences de la santé de Cotonou, Bénin
Correspondance : Dr Edgard-Marius Ouendo, 03 BP 1715, Cotonou, Bénin. Courriel : eouendo@yahoo.fr
Reçu novembre 2009, accepté avril 2010

Facteurs associés au mésusage


d’alcool à Za-Kpota, Bénin, 2008
Résumé Summary
L’objectif de l’étude était de déterminer la prévalence et les Risk factors associated with alcohol abuse in Za-Kpota, Benin,
facteurs associés au mésusage d’alcool dans la commune de 2008
Za-Kpota, Bénin, en 2008. Méthode : il s’était agi d’une étude The purpose of this study was to determine the prevalence and
de type transversal évaluant 280 habitants de Za-Kpota âgés risk factors associated with alcohol abuse in Za-Kpota, Benin,
de 12 à 64 ans, sélectionnés par sondage aléatoire simple. in 2008. Method: cross-sectional study evaluating 280 Za-Kpota
Résultats : la prévalence du mésusage d’alcool était de 47,9 % inhabitants between the ages of 12 and 64 years, selected by
(hommes : 60,0 % ; femmes : 27,6 % ; p < 0,001). La moyenne simple random sampling. Results: the prevalence of alcohol
d’âge des consommateurs réguliers et excessifs était de 40,32 ± abuse was 47.9% (men: 60.0%; women: 27.6%; p< 0.001). The
13,93 ans. L’âge moyen au début de la consommation d’alcool mean age of regular and excessive drinkers was 40.32 ± 13.93
était 20,26 ± 8,48 ans. Les facteurs associés au mésusage d’al- years. The mean age of onset of alcohol consumption was
cool étaient : l’âge, le sexe, le statut matrimonial, la religion, 20.26 ± 8.48 years. Risk factors associated with alcohol abuse
la connaissance des conséquences de l’alcool, le revenu men- were: age, gender, marital status, religion, awareness of the
suel et la disponibilité de l’alcool au lieu de résidence. Le type consequences of alcohol, monthly income and availability of
d’alcool le plus consommé était le “sodabi”, boisson alcoolisée alcohol at the place of residence. The type of alcohol most
traditionnelle (57,1 %), suivi de la bière (29,7 %). Discussion : commonly consumed was “sodabi”, a traditional alcoholic
ces résultats montrent que le mésusage d’alcool est un pro- beverage (57.1%), followed by beer (29.7%). Discussion: these
blème de santé publique préoccupant dans le département du results show that alcohol abuse is a disturbing public health
Zou, et des interventions de communication pour un change- problem in the Zou department, and communication actions
ment de comportement devraient être entreprises. must be taken to change this behaviour.

Mots-clés Key words


Bénin – Alcool – Mésusage d’alcool – Facteur associé. Benin – Alcohol – Alcohol abuse – Risk factor.

L ’alcool est une substance naturelle ou synthétique qui


modifie l’activité mentale, les sensations et le com-
portement. Il influe sur la perception de la réalité et sur
nombreux pays des problèmes de santé publique, consti-
tuant même dans certaines régions une entrave majeure au
développement socio-économique (3, 4). L’augmentation
la façon de réagir face à cette réalité. Son usage régulier de la consommation de l’alcool dans les pays en voie de
et excessif présente des dangers pour la santé physique et développement ces dernières années est de plus en plus
psychique et peut perturber gravement le comportement marquée, en particulier en Afrique où l’on constate que
social. Dans certains cas, il conduit à la dépendance (1, 2). l’alcool traditionnel est commercialisé suivant le mode
Le phénomène de consommation d’alcool génère dans de occidental (5). Au Bénin, la production et la commerciali-

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sation des boissons alcoolisées ont pris un essor inquiétant démographique, 11 ont été choisis au hasard, à raison
du fait : de un village dans chacun des arrondissements suivants :
- de la fabrication et de la vente plus importante sur toute Allahé, Assanlin, Houngomey, Kpakpamè et Zèko ; puis de
l’étendue du territoire national de boissons fortement deux villages dans chacun des arrondissements suivants :
alcoolisées, dont le “sodabi” (vin de palme distillé, de Kpozoun, Za-Tanta et Za-Kpota.
fabrication locale un peu partout dans le pays) ;
- de l’installation et de la prolifération des magasins et La variable dépendante de l’étude était le mésusage
étalages de boissons alcoolisées importées (gin, whisky, d’alcool qui correspond, dans le cadre de notre étude,
rhum, vin et autres) au bord des routes, dans les villes, les à une consommation régulière et excessive de boissons
villages et sur tous les marchés béninois ; alcoolisées au moins trois fois par semaine, à raison de
- de l’ouverture des hôtels, restaurants et buvettes dans les quatre verres standard ou plus chez l’homme et de trois
villes et campagnes où la bière de brasserie est fortement verres standard ou plus chez la femme au cours d’un épi-
commercialisée et consommée. sode de consommation.

La commune de Za-Kpota n’échappe pas à ce phénomène Les variables indépendantes étaient les facteurs :
et se révèle être, en particulier, une zone de grande produc- - démographiques (âge, sexe, statut matrimonial) ;
tion de sodabi. Quelle est alors la situation du mésusage - culturels (niveau d’étude, connaissance des conséquen-
– ou consommation régulière et excessive – d’alcool dans ces du mésusage d’alcool, religion, ethnie) ;
cette localité ? Pour répondre à cette question, le présent - économiques (niveau de revenu) ;
travail s’est donné comme objectif d’étudier la prévalence et - professionnels (artisan, artiste, chômeur, commerçant/re-
les facteurs associés au mésusage d’alcool dans cette com- vendeur, conducteur/chauffeur, cultivateur, élève/étudiant,
mune en octobre 2008 chez des sujets âgés de 12 à 64 ans. enseignant, femme au foyer, fonctionnaire, pêcheur) ;
- environnementaux (publicités, disponibilité de l’alcool
au lieu de résidence).
Méthodologie
Les données ont été collectées via un questionnaire admi-
L’étude s’est déroulée dans la commune de Za-Kpota, dans nistré par un enquêteur, puis traitées avec le logiciel
le département du Zou au centre du Bénin, qui couvre Epi-InfoTM 2000 version 3.4.3. Le test du χ2 a été utilisé
une superficie d’environ 600 km2 (6). Le Bénin est divisé pour la comparaison des proportions, celui de Student
en 12 départements, et chaque département est subdivisé pour la comparaison de deux moyennes, et l’analyse de la
en communes. Celles-ci comportent les arrondissements variance (ANOVA) pour la comparaison de plus de deux
qui ont en leur sein les villages ou les quartiers de ville. moyennes. Nous avons eu recours aux analyses bivariée
Sur la base du recensement général de la population et et multivariée (régression logistique) avec un intervalle
un taux d’accroissement de 2,17 % (6), la population de confiance (IC) fixé à 95 % et un risque à 5 %. Nous
était estimée à 100 652 habitants en 2008. La végétation avons également procédé à la recherche des facteurs de
faite de forêt claire est fortement détruite par la poussée confusion et des facteurs modificateurs d’effet.
démographique (7). Parmi les cultures pérennes, on note
le palmier à huile à partir duquel se fait la fabrication du
Résultats
sodabi dans tous les arrondissements où des ateliers de
fabrication locale de cette boisson alcoolisée sont installés.
La plus grande partie de ce vin de palme distillé est desti- Présentation des caractéristiques
née à la consommation sur place, et le reste est vendu aux de la population étudiée
grossistes venant des autres départements du pays.
Notre échantillon était constitué de 280 sujets âgés de 12
Notre étude transversale, à visée descriptive et analytique, à 64 ans avec une moyenne d’âge de 36,53 ± 14,78 ans.
a porté sur les sujets âgés de 12 à 64 ans résidant dans la Les sujets de sexe masculin représentaient 62,5 %, pour
commune depuis trois mois au moins. Ainsi, 280 sujets un sex-ratio de 1,66. L’étude de l’environnement des en-
ont été recrutés à partir d’un sondage aléatoire simple quêtés permet de constater que 91,4 % d’entre eux avaient
pour le choix des villages et un sondage aléatoire systé- un site de préparation de sodabi proche de leur domicile,
matique pour le choix des concessions dans ces villages. et la quasi-totalité des sujets (99 %) vivaient à proximité
Sur les 56 villages de la commune, sur la base du poids d’un lieu de vente de boissons alcoolisées. Enfin, la majo-

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rité des enquêtés (65,4 %) ont un revenu mensuel faible les sujets du secteur primaire (53,8 %) sont statistique-
(≤ 27 500 FCFA, soit ≤ 41,92 € ; un pain de 200 grammes ment plus élevées que celle parmi les sujets du secteur
coûte 150 FCFA, soit 0,23 €). secondaire (18,5 % ; p < 0,01).

Facteurs culturels
La consommation régulière et excessive d’alcool
Le tableau I montre qu’il n’y a pas de différence statistique-
134 sujets (47,9 %) ont affirmé avoir consommé de ment significative entre la proportion de consommateurs
l’alcool de manière excessive au moins trois fois par réguliers et excessifs qui n’ont jamais fréquenté une école
semaine depuis au moins trois mois avant le début de (49,7 %) et celle de consommateurs qui en ont fréquenté
l’étude. La prévalence du mésusage d’alcool était donc de une (44,3 % ; p > 0,05). Aussi, il n’y a pas d’association
47,9 %, IC = [41,9-53,9]. significative entre le niveau d’étude des sujets enquêtés et
leur statut de consommateurs réguliers et excessifs. Sur
le plan de la religion, le pourcentage de consommateurs
Quels facteurs associés au mésusage d’alcool ? réguliers et excessifs parmi les sujets de religion tradition-
nelle (62,8 %) est significativement plus élevé que celui
Facteurs démographiques parmi les sujets des autres religions (36,5 % ; p < 0,001).
La proportion de consommateurs réguliers et excessifs par- Par ailleurs, la proportion de consommateurs réguliers
mi les sujets âgés de 19 à 30 ans (43,3 %) et celle parmi les et excessifs parmi les sujets ignorant les conséquences
sujets âgés de 31 à 64 ans (56,2 %) sont significativement du mésusage d’alcool (83,3 %) est significativement plus
plus élevées que celle parmi les sujets de la tranche d’âge élevée que celle parmi les sujets ayant connaissance des
12-18 ans (14,3 % ; p < 0,001) (tableau I). La proportion conséquences du mésusage d’alcool (41,6 % ; p < 0,001).
de consommateurs réguliers et excessifs de sexe masculin Enfin, il n’y a pas d’association significative entre l’ethnie
(60,0 %) est aussi significativement plus élevée que celle des enquêtés et leur statut de consommateurs réguliers et
de sexe féminin (27,6 % ; p < 0,001). Le pourcentage excessifs.
de consommateurs réguliers et excessifs mariés (53,0 %)
est significativement plus élevé que celui des non-mariés Facteurs économiques
(29,5 % ; p < 0,01). Le pourcentage de consommateurs réguliers et excessifs
parmi les sujets ayant un revenu mensuel supérieur à
Facteurs professionnels 27 500 FCFA (67,0 %) est significativement plus élevé
La proportion des consommateurs réguliers et excessifs que celui parmi les sujets au revenu mensuel inférieur ou
parmi les sujets du secteur tertiaire (46,4 %) et celle parmi égal à 27 500 FCFA (37,7 % ; p < 0,001).

Tableau I : Fréquence du mésusage d’alcool selon les caractéristiques sociodémographiques et la connaissance des conséquences de l’alcool des enquêtés
(n = 280) dans la commune de Za-Kpota, Bénin, octobre 2008

Mésusage d’alcool
Facteurs Oui (%) Non (%) OR IC à 95 % p
2-18 ans 4 (14,3) 24 (85,7) 1 –
Âge 19-30 ans 39 (43,3) 51 (56,7) 4,58 1,47-14,31 < 0,001
31-64 ans 91 (56,2) 71 (43,8) 7,69 2,55-23,16
Féminin 29 (27,6) 76 (72,4) 1 –
Sexe < 0,001
Masculin 105 (60,0) 70 (40,0) 4 2,32-6,63
Non marié 18 (29,5) 43 (70,5) 1 –
Statut matrimonial < 0,001
Marié 116 (53,0) 103 (47,0) 2,29 1,46-4,95
Instruit 43 (44,3) 54 (55,7) 1 –
Instruction > 0,05
Non instruit 91 (49,7) 92 (50,3) 1,24 0,75-2,03
Autres 58 (36,5) 101 (63,5) 1 –
Religion < 0,001
Traditionnelle 76 (62,8) 45 (37,2) 2,94 1,80-4,80
Oui 99 (41,6) 139 (58,4) 1 –
Connaissance des conséquences < 0,001
Non 35 (83,3) 7 (16,7) 7,02 2,99-16,44

Dans les colonnes relatives au mésusage d’alcool, les chiffres correspondent au nombre de personnes de chaque catégorie et les pourcentages sont
mis entre parenthèses.

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Facteurs environnementaux Les enquêteurs recrutés étaient pour la plupart des agents
La proportion de consommateurs réguliers et excessifs communautaires résidant dans la commune et bien con-
parmi les sujets qui ont de l’alcool disponible dans leur nus pour avoir l’habitude de ce type d’investigation. Ils
résidence (50,8 %) est significativement plus élevée que maîtrisent bien le français et les langues locales, ce qui
celle parmi les sujets qui n’ont pas d’alcool à disposition rassurait les enquêtés et les mettait en confiance pour
(16,7 % ; p < 0,001). répondre aisément et franchement. Cependant, le mésu-
sage d’alcool étant un phénomène rejeté par la société
Analyse multivariée en Afrique, certains enquêtés peuvent avoir introduit un
biais d’information en voulant probablement masquer la
Le modèle global de départ a inclus l’ensemble des varia-
réalité.
bles explicatives dont la valeur p est inférieure ou égale à
0,20, soit : l’âge, le sexe, le statut matrimonial, la profes-
sion, la religion, le revenu mensuel, la connaissance des
De la prévalence du mésusage d’alcool
conséquences du mésusage d’alcool, la disponibilité de
chez les sujets âgés de 12 à 64 ans
l’alcool au lieu de résidence et l’ethnie. La variable “statut
matrimonial” est un facteur de confusion pour l’âge. La
Notre étude a révélé que la prévalence du mésusage
variable “revenu mensuel” est également un facteur de
d’alcool chez les sujets âgés de 12 à 64 ans était de 47,9 %
confusion pour les variables “âge” et “disponibilité de l’al-
en 2008 dans la commune de Za-Kpota. En 1985, Assogba
cool au lieu de résidence”. Enfin, la variable “âge” est un
a trouvé une prévalence de dépendance alcoolique de 21 %
facteur de confusion pour la variable “sexe”. Nous avons
dans les garnisons et deux sociétés d’État à Cotonou (8).
gardé toutes ces variables pour le modèle final qui est
Cette prévalence inférieure à celle de notre étude s’explique
présenté dans le tableau II.
probablement par le fait, d’une part, qu’il s’agit de dépen-
dance alcoolique et, d’autre part, que l’étude n’a pas été
Discussion réalisée en population générale. En 1998, Yèvidé a obtenu
une prévalence de consommation régulière d’alcool de
La technique d’échantillonnage utilisée dans cette étude 25 % chez les sujets âgés de dix ans et plus dans la ville
est le sondage aléatoire simple avec probabilité propor- de Cotonou (9). Cette prévalence est également inférieure
tionnelle à la taille de la population. Notre échantillon est à celle de notre recherche, ce qui pourrait s’expliquer par
représentatif de la population cible. Les résultats de cette le fait que l’étude de 1998 concernait une échelle des âges
étude peuvent être extrapolés à toute la population de la plus large que la nôtre, incluant ainsi des tranches d’âge
commune de Za-Kpota âgée de 12 à 64 ans. extrêmes moins enclines à la consommation d’alcool. De
plus, Yèvidé évoquait que la prévalence allait augmenter au
fil des années si des mesures adéquates n’étaient pas prises
Tableau II : Analyse multivariée des facteurs associés au mésusage pour maîtriser le phénomène.
d’alcool dans la commune de Za-Kpota, Bénin, octobre 2008 (n = 280).
Modèle final retenu
En 1996, Ali a trouvé une prévalence de consommation
Facteurs OR IC à 95 % p régulière d’alcool de 67,2 % chez les adolescents et jeu-
2-18 ans 1 – nes adultes dans la commune de Banikoara au nord du
Âge 19-30 ans 3,13 0,84-11,70 > 0,05 Bénin (5). Cette prévalence plus élevée que celle de notre
31-64 ans 2,90 0,76-11,05 étude peut s’expliquer par le fait que Banikoara se trouve
Religion
Autres 1 –
0,005 dans une région de forte production locale de bière de
Traditionnelle 2,31 1,27-4,21
mil, le “tchoukoutou”, dont la consommation par la po-
Féminin 1 –
Sexe < 0,001 pulation est de coutume. Par ailleurs, la vente du coton
Masculin 3,70 1,96-7,14
procure aux habitants de Banikoara des moyens financiers
Connaissance Oui 1 –
des conséquences Non 8,33 3,03-25,00
< 0,001 leur permettant des fastes qui induisent une accentuation
Disponibilité Non 1 –
de la consommation des boissons alcoolisées lors des
0,01
de l’alcool Oui 5,14 1,46-18,09 fêtes.
Revenu mensuel < 27 500 1 –
0,21
(FCFA) > 27 500 1,48 0,79-2,77 Les enquêtes STEPS réalisées en 2005 en Côte d’Ivoire et
Statut matrimonial
Non marié 1 –
0,15
au Zimbabwe, et en 2004 au Cameroun, ont révélé des
Marié 1,78 0,80-4,00 prévalences de consommation d’alcool au cours de l’année

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Mésusage d’alcool. Bénin

de 71,1 %, 74,7 % et 84,3 % respectivement (10), pré- qui avait trouvé que 93,1 % des hommes consommaient
valences supérieures à celle que nous avons trouvée. Pour de l’alcool contre 6,9 % des femmes à Banikoara en 1996
ces enquêtes STEPS, la technique utilisée était le sondage (5). Mais le grand écart entre les prévalences dans les
aléatoire stratifié à deux degrés, différente de la nôtre au deux sexes retrouvé à Banikoara est dû au fait que peu de
cours de cette étude. De plus, il s’agissait d’une enquête femmes avaient accepté de se soumettre au questionnaire
qui a fait ses preuves. Par ailleurs, une étude réalisée en sans l’avis de leurs époux qui ont certainement induit un
France en 2006 a permis d’obtenir une prévalence de biais dans la réponse des femmes. En Afrique, l’alcool est
7,8 % pour la consommation régulière d’alcool (11). Cette plus facilement toléré chez les hommes que chez les fem-
différence s’expliquerait par le fait, d’une part, qu’il s’agit mes. Une femme africaine qui consomme régulièrement
là d’une prévalence nationale et, d’autre part, que des de l’alcool est considérée comme une “femme de mœurs
mesures conséquentes ont été prises en France, suite aux légères”. En France, en 2005, un peu plus de 31 % des
études ayant révélé une prévalence élevée du mésusage hommes buvaient tous les jours de l’alcool contre environ
d’alcool, afin de contrôler ce phénomène. 12 % des femmes (1). En 2006, Anderson a rapporté que
dans la plupart des pays d’Europe, les hommes consom-
maient plus l’alcool que les femmes. En fonction des pays,
Facteurs associés au mésusage d’alcool cette prévalence variait de 18 % à 90 % chez les hommes
chez les sujets âgés de 12 à 64 ans et de 1 % à 81 % chez les femmes (13). Le même constat
avait été fait au Nigeria où, chez les jeunes de 21 à 24 ans,
Les sujets âgés de 31 à 64 ans consommaient plus d’alcool 65 % des hommes faisaient usage de boissons alcoolisées
que ceux de la tranche d’âge 19-30 ans, ces derniers contre 30 % des femmes (14). Les résultats obtenus au
consommant plus que les sujets âgés de 12 à 18 ans. Nigeria chez les hommes et les femmes sont très proches
L’avancée en âge est corrélée à une augmentation de la de ceux de la présente étude. Le Nigeria et le Bénin sont
probabilité d’être un consommateur régulier et excessif. des pays voisins, et le constat d’une consommation rela-
Ce fait a été révélé par la plupart des auteurs ayant tra- tivement importante chez les femmes mérite que d’autres
vaillé sur la consommation d’alcool (5, 9, 11). En général, recherches explorent la question.
l’alcoolisation est essentiellement aiguë en ce qui concerne
les jeunes, mais au fur et à mesure que l’âge augmente et Notre étude a permis de constater que les croyants de
que le statut d’adulte se confirme, l’alcoolisation devient toutes les obédiences religieuses boivent. En 1998 à
chronique dans certains cas. En effet, au Bénin, en de- Cotonou, Yèvidé avait fait ce constat et trouvé 86 % de
hors du contexte de cérémonies et rituels traditionnels, consommateurs parmi les chrétiens et animistes et 65 %
la consommation des boissons alcoolisées par les jeunes parmi les musulmans (9). Mais dans notre étude, les sujets
personnes n’est pas socialement acceptée. La plupart des de religion traditionnelle consommaient plus l’alcool que
jeunes qui consomment des boissons alcoolisées le font ceux des autres religions. Cela peut s’expliquer par le fait
de façon assez discrète et occasionnelle. Différentes études que la doctrine de cette religion traditionnelle prône les
montrent que la prise d’alcool par les adolescents est très avantages de l’alcool qui sert à rapprocher les individus
fréquente, mais qu’elle n’est pas pour autant prédictive des divinités. Lors des cérémonies et des enterrements, le
d’un alcoolisme à l’âge adulte. En revanche, le jeune issu sodabi se distribue gratuitement à longueur de journée à
d’une famille à tendance alcoolique voit son risque de toutes les personnes qui le désirent.
devenir un adulte alcoolique augmenter considérablement
s’il boit beaucoup dès son adolescence (12). Dans notre Les sujets ayant de l’alcool à disposition dans leur rési-
étude, le plus jeune consommateur d’alcool avait 12 ans, dence en consommaient plus que les sujets n’en ayant
le plus âgé 64 ans. En France, une étude réalisée en 2005, pas. Si l’alcool est disponible et facilement accessible, sa
et publiée par l’Observatoire français des drogues et des consommation devient plus fréquente. C’est ce qui expli-
toxicomanies en 2007, montrait que l’âge de la première que cette grande différence entre les prévalences révélées
consommation régulière d’alcool était de 12 ans et que la par notre étude. Cette disponibilité diminue aussi l’âge de
fréquence de consommation augmentait avec l’âge : 8,9 % début de consommation d’alcool chez les jeunes.
chez les 18-25 ans, 13,6 % chez les 26-44 ans, 29,8 %
chez les 45-64 ans et 45,1 % chez les 65-75 ans (1). Cette étude a également montré que les sujets qui ont
un revenu mensuel moyen ou élevé consommaient plus
Les sujets de sexe masculin consommaient plus d’alcool d’alcool que ceux ayant un revenu mensuel faible. De
que ceux de sexe féminin. Ce constat avait été fait par Ali plus, ces sujets consommaient des boissons alcoolisées

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dites de “classe”, à savoir les bières, les liqueurs et les vins. M. Makoutodé, E.-M. Ouendo, N.M. Paraiso, J. Aïfa, D. Houinato
Facteurs associés au mésusage d’alcool à Za-Kpota, Bénin, 2008
Ce même constat avait été fait en 2004 au Congo et au
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Cameroun (10), puis en 2005 en France (1).

Enfin, les sujets des secteurs primaire et tertiaire con-


sommaient plus d’alcool que ceux du secteur secondaire.
Références bibliographiques
La prévalence élevée du mésusage d’alcool parmi les tra-
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commune de Za-Kpota en 2008 permet de conclure que 9 - Yèvidé D. La consommation d’alcool et autres drogues à Coto-
nou [Mémoire Santé publique]. Cotonou : IRSP, 1998.
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un changement de comportement au sein de la population 14 - Organisation Mondiale de la Santé. La santé des jeunes : un
de la commune de Za-Kpota. ■ défi, un espoir. Genève : OMS, 1994.

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