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La commune de Za-Kpota n’échappe pas à ce phénomène Les variables indépendantes étaient les facteurs :
et se révèle être, en particulier, une zone de grande produc- - démographiques (âge, sexe, statut matrimonial) ;
tion de sodabi. Quelle est alors la situation du mésusage - culturels (niveau d’étude, connaissance des conséquen-
– ou consommation régulière et excessive – d’alcool dans ces du mésusage d’alcool, religion, ethnie) ;
cette localité ? Pour répondre à cette question, le présent - économiques (niveau de revenu) ;
travail s’est donné comme objectif d’étudier la prévalence et - professionnels (artisan, artiste, chômeur, commerçant/re-
les facteurs associés au mésusage d’alcool dans cette com- vendeur, conducteur/chauffeur, cultivateur, élève/étudiant,
mune en octobre 2008 chez des sujets âgés de 12 à 64 ans. enseignant, femme au foyer, fonctionnaire, pêcheur) ;
- environnementaux (publicités, disponibilité de l’alcool
au lieu de résidence).
Méthodologie
Les données ont été collectées via un questionnaire admi-
L’étude s’est déroulée dans la commune de Za-Kpota, dans nistré par un enquêteur, puis traitées avec le logiciel
le département du Zou au centre du Bénin, qui couvre Epi-InfoTM 2000 version 3.4.3. Le test du χ2 a été utilisé
une superficie d’environ 600 km2 (6). Le Bénin est divisé pour la comparaison des proportions, celui de Student
en 12 départements, et chaque département est subdivisé pour la comparaison de deux moyennes, et l’analyse de la
en communes. Celles-ci comportent les arrondissements variance (ANOVA) pour la comparaison de plus de deux
qui ont en leur sein les villages ou les quartiers de ville. moyennes. Nous avons eu recours aux analyses bivariée
Sur la base du recensement général de la population et et multivariée (régression logistique) avec un intervalle
un taux d’accroissement de 2,17 % (6), la population de confiance (IC) fixé à 95 % et un risque à 5 %. Nous
était estimée à 100 652 habitants en 2008. La végétation avons également procédé à la recherche des facteurs de
faite de forêt claire est fortement détruite par la poussée confusion et des facteurs modificateurs d’effet.
démographique (7). Parmi les cultures pérennes, on note
le palmier à huile à partir duquel se fait la fabrication du
Résultats
sodabi dans tous les arrondissements où des ateliers de
fabrication locale de cette boisson alcoolisée sont installés.
La plus grande partie de ce vin de palme distillé est desti- Présentation des caractéristiques
née à la consommation sur place, et le reste est vendu aux de la population étudiée
grossistes venant des autres départements du pays.
Notre échantillon était constitué de 280 sujets âgés de 12
Notre étude transversale, à visée descriptive et analytique, à 64 ans avec une moyenne d’âge de 36,53 ± 14,78 ans.
a porté sur les sujets âgés de 12 à 64 ans résidant dans la Les sujets de sexe masculin représentaient 62,5 %, pour
commune depuis trois mois au moins. Ainsi, 280 sujets un sex-ratio de 1,66. L’étude de l’environnement des en-
ont été recrutés à partir d’un sondage aléatoire simple quêtés permet de constater que 91,4 % d’entre eux avaient
pour le choix des villages et un sondage aléatoire systé- un site de préparation de sodabi proche de leur domicile,
matique pour le choix des concessions dans ces villages. et la quasi-totalité des sujets (99 %) vivaient à proximité
Sur les 56 villages de la commune, sur la base du poids d’un lieu de vente de boissons alcoolisées. Enfin, la majo-
rité des enquêtés (65,4 %) ont un revenu mensuel faible les sujets du secteur primaire (53,8 %) sont statistique-
(≤ 27 500 FCFA, soit ≤ 41,92 € ; un pain de 200 grammes ment plus élevées que celle parmi les sujets du secteur
coûte 150 FCFA, soit 0,23 €). secondaire (18,5 % ; p < 0,01).
Facteurs culturels
La consommation régulière et excessive d’alcool
Le tableau I montre qu’il n’y a pas de différence statistique-
134 sujets (47,9 %) ont affirmé avoir consommé de ment significative entre la proportion de consommateurs
l’alcool de manière excessive au moins trois fois par réguliers et excessifs qui n’ont jamais fréquenté une école
semaine depuis au moins trois mois avant le début de (49,7 %) et celle de consommateurs qui en ont fréquenté
l’étude. La prévalence du mésusage d’alcool était donc de une (44,3 % ; p > 0,05). Aussi, il n’y a pas d’association
47,9 %, IC = [41,9-53,9]. significative entre le niveau d’étude des sujets enquêtés et
leur statut de consommateurs réguliers et excessifs. Sur
le plan de la religion, le pourcentage de consommateurs
Quels facteurs associés au mésusage d’alcool ? réguliers et excessifs parmi les sujets de religion tradition-
nelle (62,8 %) est significativement plus élevé que celui
Facteurs démographiques parmi les sujets des autres religions (36,5 % ; p < 0,001).
La proportion de consommateurs réguliers et excessifs par- Par ailleurs, la proportion de consommateurs réguliers
mi les sujets âgés de 19 à 30 ans (43,3 %) et celle parmi les et excessifs parmi les sujets ignorant les conséquences
sujets âgés de 31 à 64 ans (56,2 %) sont significativement du mésusage d’alcool (83,3 %) est significativement plus
plus élevées que celle parmi les sujets de la tranche d’âge élevée que celle parmi les sujets ayant connaissance des
12-18 ans (14,3 % ; p < 0,001) (tableau I). La proportion conséquences du mésusage d’alcool (41,6 % ; p < 0,001).
de consommateurs réguliers et excessifs de sexe masculin Enfin, il n’y a pas d’association significative entre l’ethnie
(60,0 %) est aussi significativement plus élevée que celle des enquêtés et leur statut de consommateurs réguliers et
de sexe féminin (27,6 % ; p < 0,001). Le pourcentage excessifs.
de consommateurs réguliers et excessifs mariés (53,0 %)
est significativement plus élevé que celui des non-mariés Facteurs économiques
(29,5 % ; p < 0,01). Le pourcentage de consommateurs réguliers et excessifs
parmi les sujets ayant un revenu mensuel supérieur à
Facteurs professionnels 27 500 FCFA (67,0 %) est significativement plus élevé
La proportion des consommateurs réguliers et excessifs que celui parmi les sujets au revenu mensuel inférieur ou
parmi les sujets du secteur tertiaire (46,4 %) et celle parmi égal à 27 500 FCFA (37,7 % ; p < 0,001).
Tableau I : Fréquence du mésusage d’alcool selon les caractéristiques sociodémographiques et la connaissance des conséquences de l’alcool des enquêtés
(n = 280) dans la commune de Za-Kpota, Bénin, octobre 2008
Mésusage d’alcool
Facteurs Oui (%) Non (%) OR IC à 95 % p
2-18 ans 4 (14,3) 24 (85,7) 1 –
Âge 19-30 ans 39 (43,3) 51 (56,7) 4,58 1,47-14,31 < 0,001
31-64 ans 91 (56,2) 71 (43,8) 7,69 2,55-23,16
Féminin 29 (27,6) 76 (72,4) 1 –
Sexe < 0,001
Masculin 105 (60,0) 70 (40,0) 4 2,32-6,63
Non marié 18 (29,5) 43 (70,5) 1 –
Statut matrimonial < 0,001
Marié 116 (53,0) 103 (47,0) 2,29 1,46-4,95
Instruit 43 (44,3) 54 (55,7) 1 –
Instruction > 0,05
Non instruit 91 (49,7) 92 (50,3) 1,24 0,75-2,03
Autres 58 (36,5) 101 (63,5) 1 –
Religion < 0,001
Traditionnelle 76 (62,8) 45 (37,2) 2,94 1,80-4,80
Oui 99 (41,6) 139 (58,4) 1 –
Connaissance des conséquences < 0,001
Non 35 (83,3) 7 (16,7) 7,02 2,99-16,44
Dans les colonnes relatives au mésusage d’alcool, les chiffres correspondent au nombre de personnes de chaque catégorie et les pourcentages sont
mis entre parenthèses.
de 71,1 %, 74,7 % et 84,3 % respectivement (10), pré- qui avait trouvé que 93,1 % des hommes consommaient
valences supérieures à celle que nous avons trouvée. Pour de l’alcool contre 6,9 % des femmes à Banikoara en 1996
ces enquêtes STEPS, la technique utilisée était le sondage (5). Mais le grand écart entre les prévalences dans les
aléatoire stratifié à deux degrés, différente de la nôtre au deux sexes retrouvé à Banikoara est dû au fait que peu de
cours de cette étude. De plus, il s’agissait d’une enquête femmes avaient accepté de se soumettre au questionnaire
qui a fait ses preuves. Par ailleurs, une étude réalisée en sans l’avis de leurs époux qui ont certainement induit un
France en 2006 a permis d’obtenir une prévalence de biais dans la réponse des femmes. En Afrique, l’alcool est
7,8 % pour la consommation régulière d’alcool (11). Cette plus facilement toléré chez les hommes que chez les fem-
différence s’expliquerait par le fait, d’une part, qu’il s’agit mes. Une femme africaine qui consomme régulièrement
là d’une prévalence nationale et, d’autre part, que des de l’alcool est considérée comme une “femme de mœurs
mesures conséquentes ont été prises en France, suite aux légères”. En France, en 2005, un peu plus de 31 % des
études ayant révélé une prévalence élevée du mésusage hommes buvaient tous les jours de l’alcool contre environ
d’alcool, afin de contrôler ce phénomène. 12 % des femmes (1). En 2006, Anderson a rapporté que
dans la plupart des pays d’Europe, les hommes consom-
maient plus l’alcool que les femmes. En fonction des pays,
Facteurs associés au mésusage d’alcool cette prévalence variait de 18 % à 90 % chez les hommes
chez les sujets âgés de 12 à 64 ans et de 1 % à 81 % chez les femmes (13). Le même constat
avait été fait au Nigeria où, chez les jeunes de 21 à 24 ans,
Les sujets âgés de 31 à 64 ans consommaient plus d’alcool 65 % des hommes faisaient usage de boissons alcoolisées
que ceux de la tranche d’âge 19-30 ans, ces derniers contre 30 % des femmes (14). Les résultats obtenus au
consommant plus que les sujets âgés de 12 à 18 ans. Nigeria chez les hommes et les femmes sont très proches
L’avancée en âge est corrélée à une augmentation de la de ceux de la présente étude. Le Nigeria et le Bénin sont
probabilité d’être un consommateur régulier et excessif. des pays voisins, et le constat d’une consommation rela-
Ce fait a été révélé par la plupart des auteurs ayant tra- tivement importante chez les femmes mérite que d’autres
vaillé sur la consommation d’alcool (5, 9, 11). En général, recherches explorent la question.
l’alcoolisation est essentiellement aiguë en ce qui concerne
les jeunes, mais au fur et à mesure que l’âge augmente et Notre étude a permis de constater que les croyants de
que le statut d’adulte se confirme, l’alcoolisation devient toutes les obédiences religieuses boivent. En 1998 à
chronique dans certains cas. En effet, au Bénin, en de- Cotonou, Yèvidé avait fait ce constat et trouvé 86 % de
hors du contexte de cérémonies et rituels traditionnels, consommateurs parmi les chrétiens et animistes et 65 %
la consommation des boissons alcoolisées par les jeunes parmi les musulmans (9). Mais dans notre étude, les sujets
personnes n’est pas socialement acceptée. La plupart des de religion traditionnelle consommaient plus l’alcool que
jeunes qui consomment des boissons alcoolisées le font ceux des autres religions. Cela peut s’expliquer par le fait
de façon assez discrète et occasionnelle. Différentes études que la doctrine de cette religion traditionnelle prône les
montrent que la prise d’alcool par les adolescents est très avantages de l’alcool qui sert à rapprocher les individus
fréquente, mais qu’elle n’est pas pour autant prédictive des divinités. Lors des cérémonies et des enterrements, le
d’un alcoolisme à l’âge adulte. En revanche, le jeune issu sodabi se distribue gratuitement à longueur de journée à
d’une famille à tendance alcoolique voit son risque de toutes les personnes qui le désirent.
devenir un adulte alcoolique augmenter considérablement
s’il boit beaucoup dès son adolescence (12). Dans notre Les sujets ayant de l’alcool à disposition dans leur rési-
étude, le plus jeune consommateur d’alcool avait 12 ans, dence en consommaient plus que les sujets n’en ayant
le plus âgé 64 ans. En France, une étude réalisée en 2005, pas. Si l’alcool est disponible et facilement accessible, sa
et publiée par l’Observatoire français des drogues et des consommation devient plus fréquente. C’est ce qui expli-
toxicomanies en 2007, montrait que l’âge de la première que cette grande différence entre les prévalences révélées
consommation régulière d’alcool était de 12 ans et que la par notre étude. Cette disponibilité diminue aussi l’âge de
fréquence de consommation augmentait avec l’âge : 8,9 % début de consommation d’alcool chez les jeunes.
chez les 18-25 ans, 13,6 % chez les 26-44 ans, 29,8 %
chez les 45-64 ans et 45,1 % chez les 65-75 ans (1). Cette étude a également montré que les sujets qui ont
un revenu mensuel moyen ou élevé consommaient plus
Les sujets de sexe masculin consommaient plus d’alcool d’alcool que ceux ayant un revenu mensuel faible. De
que ceux de sexe féminin. Ce constat avait été fait par Ali plus, ces sujets consommaient des boissons alcoolisées