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Fous et folie en France autrefois

Dossier Folie et fous de la fin de l’époque médiévale au 17e siècle

patois « bredin » désigne le fou). L’hydro- Les personnes dites possédées par le
thérapie aurait été pratiquée un temps à démon constituaient une large part des
Saint-Menoux. L’abbé Moret, auteur d’une pèlerins amenés auprès de tous ces
monographie sur la paroisse, rapporte saints guérisseurs. Pour les esprits très
ainsi que les fous étaient plongés et main- religieux de l’époque médiévale, la pos-
tenus dans l’eau au moyen de corde dans session, d’essence surnaturelle, ne pou-
un bassin nommé « la piscine aux fous ». vait être guérie par les moyens médicaux
L’eau de la fontaine située tout près était traditionnels. Le recours au spirituel, en
d’ailleurs célèbre pour ses bienfaits. particulier à l’exorcisme, leur paraissait
Dédié à Saint-Mathurin, le sanctuaire Lar- logique et naturel. Les fous « ordinaires »,
chant en Gâtinais, d’abord lieu de pèleri- pour leur part, faisaient surtout appel au
nage pour les possédés de démon, attira pouvoir thaumaturgique des reliques.
par la suite les fous en mal de guérison. L’arrivée des fous au sanctuaire ne se
Selon la légende, Mathurin, prêtre origi- faisait certes pas dans le silence et le
naire de Larchant, aurait exorcisé la fille recueillement. Les rituels religieux, diffé-
d’un empereur romain, sans doute à la rents d’un lieu à l’autre, n’étaient pas tou-
fin du 3e siècle de notre ère. Quand les jours acceptés par tous. Les récalcitrants
Saint Mathurin, invoqué pour guérir chanoines de l’hôtel-Dieu de Paris prirent étaient donc souvent attachés voire ligo-
la folie, statue du 14e siècle de l’église l’habitude d’y envoyer leurs fous entre tés. Les accompagnateurs étaient nom-
de Bininville (Manche). « Il faut le deux crises, le lieu se spécialisa dans breux et attentifs au bon déroulement
conduire à saint Mathurin » l’accueil des malades mentaux. Face à des choses. Pour maintenir la discipline,
disait-on souvent d’un fou. l’afflux de pèlerins, une vaste cathédrale le recours au fouet n’était pas rare. Tantôt
fut construite vers le 13e siècle. La renom- hébétés, tantôt agités, tantôt furieux, ges-
mée du pèlerinage était telle que plusieurs ticulant en tous sens, criant et poussant
souverains le firent au Moyen Âge et à la force jurons et blasphèmes, ces pèlerins
Renaissance. Les pèlerins, venus parfois d’un genre particulier fascinaient la popu-
par paroisses entières, arrivaient de Nor- lation locale qui venait les voir passer.
mandie, du Maine, d’Anjou voire du centre Les processions dansantes, apparues
la France. Le pèlerinage perdit de son dans les villes rhénanes au 14e siècle,
importance après les pillages survenus s’apparentaient aux pèlerinages théra-
durant les Guerres de Religion de la fin du peutiques bien que le mode d’expres-
16e siècle. sion n’ait pas été le même. Les danseurs
Le culte de Mathurin ne se limita pas, étaient semble-t-il surtout des personnes
loin de là, à Larchant. De nombreuses atteintes de manie dansante mais aussi
églises se dotèrent d’une statue du saint des hystériques et des épileptiques. Le
et devinrent à leur tour un but de pèle- nom de Chorea Sancti Witti ou danse de
rinage pour ceux qui n’avaient pas les Saint-Guy s’imposa peu à peu pour dési-
moyens de se rendre dans le Gâtinais. gner nombre de ces manifestations. La
Un érudit du 19e siècle, Eugène Thoison a « Procession des Saints Dansants » d’Ech-
établi, au terme d’une patiente enquête, ternach, qui se tenait chaque mardi de la
Pentecôte, était la plus célèbre d’entre
une recension de tous ces lieux dédiés
elles. Pratiquée en l’honneur de saint Wil-
à Saint-Mathurin. Ils étaient surtout nom-
lebrod, religieux venu d’Angleterre à la fin
breux dans l’ouest de la France, de la Nor-
du 7e siècle, elle a d’ailleurs toujours lieu
mandie au Limousin. Cette coutume de
de nos jours, même si les danseurs ne sont
conduire les fous auprès du saint fit naître
plus des malades en quête de guérison
l’expression familière « il faut le conduire à
mais des professionnels.
Saint Mathurin » équivalent de la formule
Selon Muriel Laharie, coauteur d’une his-
actuelle « il est bon pour Sainte-Anne ».
toire de la psychiatrie, la folie et la pos-
Outre ces célèbres lieux, des dizaines de
session auraient été concernées par
sanctuaires disséminés un peu partout
8 à 10 % des guérisons miraculeuses de
en France pourraient être cités : Haspres
l’époque médiévale, derrière les paralysies
en l’honneur de saint Acaire (Nord),
et épilepsies, les maladies contagieuses et
Saint-Dizier (Haute-Marne), Bonnet où se
les infirmités comme la cécité et la sur-
trouve le tombeau de saint Florentin…
dité. L’historienne souligne d’ailleurs que
Saint Hildevelt, réputé guérir épileptiques
ce taux pourrait être relevé en raison de
et déments, était pour sa part vénéré en
l’origine hystérique de nombre de cas de
plusieurs endroits. Pour finir, citons Saint- paralysie ou de cécité. n
Méen et Locminé en Bretagne et Saint-
© Archives Daniel Boucard Front près de Périgueux.

38 Nos ancêtres • Vie & métiers - N° 68 - juillet/août 2014

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