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Des généalogies jusqu'à l'Antiquité ?


Par Pierre-Valéry Archassal | 11.05.2021 | Questions actuelles

Quand on parle de généalogies qui remontent très loin dans le temps, certaines personnes sont dubitatives et
préfèrent en sourire. Que leur répondez-vous ?
Nous savons tous que les généalogies remontent dans le temps sans limitation. Le scepticisme ne devrait donc porter que
sur notre capacité à en fournir le détail. Et il est vrai que certaines tentatives prêtent à sourire… ou à s’agacer. Dans mes
travaux, j’ai tenté de mettre en évidence d’une part une stratégie de recherche et d’autre part des hypothèses de filiations.
On peut donc être sceptique et, faute d’apporter des preuves, je ne saurais le reprocher. Je regrette évidemment l’aspect
caricatural de certaines adulations ou critiques. Mais quant aux résultats, ils ne sont en rien risibles.
Via l’aristocratie carolingienne, quoi de plus naturel que de supposer un lien vers les familles gallo-romaines et de là vers
les familles romaines ? Via les croisés, quoi de plus naturel que de trouver un lien avec Byzance et, de là, avec la frange
arménienne de son aristocratie dont on peut prouver qu’elle remontait à l’Antiquité ? Ceux qui me reprochent de
« fantasmer » des généalogies à partir de spéculations onomastiques illicites ne m’ont pas lu, ou pas compris. Il existe des
liens absolument certains entre des familles occidentales du Moyen Âge et des dynasties royales du IIIe siècle avant notre
ère. Par ailleurs, dire qu’une généalogie reconstituée est sans valeur parce que reposant « sur un simple rapprochement de
noms », c’est manquer un fait essentiel de la parenté ancienne : la transmission exclusive des noms au sein de la parenté
par le sang, ce qui dans le cas d’une classe sociale extrêmement réduite comme la haute aristocratie, limite le champ des
possibilités.

En utilisant certains de vos précédents travaux et d’autres, quelques généalogistes ont mis en ligne leur arbre
remontant jusqu’au pharaon Ramsès Ier qui régnait sur l’Égypte treize siècles avant Jésus-Christ. Qu’en pensez-vous ?
Il y a longtemps que j’ai renoncé à la proposition que j’avais faite en 1985 et publiée en 1991 sur une filiation permettant de
remonter à l’Égypte antique. Déjà à ce moment, j’incitais les lecteurs à la plus grande prudence. Il faut croire que je n’ai pas
été entendu hélas. Ce n’est pas le principe que je remets en cause aujourd’hui. Très certainement, certains parmi les élites
égyptiennes jusqu’à l’époque perse (VIe siècle avant Jésus-Christ) devaient pouvoir se rattacher aux Ramessides. Le
problème, c’est qu’en l’état des connaissances, on ne sait pas trouver de lien entre ces nobles égyptiens et leurs
contemporains perses ou grecs. Donc, il faut pour l’instant rayer Ramsès de nos arbres généalogiques.
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Comment travaillez-vous pour consolider les filiations et recréer les familles sur plusieurs générations ?
Contrairement à ce que croient certains, mon travail ne consiste en aucune façon à dessiner de « jolis » tableaux. Le travail
de l’historien consiste à rassembler toutes les sources dont nous disposons, de les dater, d’estimer leur valeur, de les
confronter au besoin et de faire le tri entre elles afin d’en extraire le contenu généalogique adéquat. Cela suppose aussi de
compléter une inscription fragmentaire, corriger un manuscrit défectueux, redater un acte, etc. Donc, première étape, se
familiariser avec les sources. Seconde étape, se familiariser avec les indices potentiels qui permettent d’assembler les
fragments de filiation pour constituer des généalogies : les termes de parenté et leur usage, les coutumes de l’alliance, les
règles de dévolution des noms.
Depuis trente ans, je travaille au sein de l’équipe du CNRS qui recense l’ensemble des inscriptions romaines éditées ou
commentées dans l’année. J’ai participé à de nombreux séminaires ou colloques internationaux sur les élites médiévales
et j’en ai organisé moi-même. Enfin, j’appartiens à une autre unité du CNRS consacrée au monde byzantin
(https://www.orient-mediterranee.com/spip.php?rubrique474). Je suis donc en contact avec de très nombreux historiens
au cœur de la recherche et des découvertes sur les aristocraties anciennes ou médiévales.

"Dans mes travaux, j’ai tenté de mettre en évidence d’une part une stratégie de recherche et d’autre
part des hypothèses de filiations."

Quel est le taux de fiabilité que vous pouvez donner à vos propres travaux ?
Je suis mauvais juge pour cela. Certains sont assez fiables, d’autres plus hasardeux. Toutefois, je fournis toujours mes
sources et le cheminement de mon raisonnement, ce qui permet au lecteur de se faire son opinion. Si j’ai pu décevoir
certains lecteurs en disant que ces généalogies sont toutes hypothétiques, il faut qu’ils se consolent en concevant que les
généalogies qu’ils reconstituent à partir d’actes notariés ou de recherche ADN le sont également. Le taux d’enfants
illégitimes n’est jamais négligeable et l’ADN est affaire de probabilités. La généalogie reste avant tout un fait social.

Y a-t-il des lignées, des familles byzantines, qui sont plus à même d’avoir une descendance en France ? Pourquoi ?
Il y a de nombreuses familles byzantines qui ont laissé des descendants en Occident. En premier lieu, sont concernées les
familles impériales à partir d’alliances dynastiques. En second lieu, viennent certains mariages particuliers entre familles
aristocratiques occidentales et byzantines. Il est relativement facile de trouver un lien avec les dynasties des Anges, des
Doucas ou des Comnènes. C’est plus rare avec les Paléologues ou les Cantacuzènes. À partir de celles-ci on accède à des
familles plus anciennes, comme les Phocas, les Sklèros, les Lécapènes ou les Macédoniens. Ainsi, les mariages d’Henri II
de Champagne avec Isabelle de Jérusalem, fille d’une Comnène, ou d’Isnard de Sabran avec Marguerite de Villehardouin,
elle aussi fille d’une Comnène, pourvoient une ascendance byzantine à un grand nombre de familles occidentales.

Votre thème de prédilection est la continuité des élites du Haut Moyen Âge et de l’Antiquité. Est-ce à dire que tous
ceux qui ont dirigé le monde hier étaient parents entre eux ?
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services personnalisés. Ce que sous-tend mon programme de recherche, c’est que les élites cherchent, évidemment, à perdurer. Mais pour des
raisons multiples, elles ne peuvent y parvenir très longtemps. Le pourraient-elles d’ailleurs que nous ne le saurions
probablement pas, faute de source. Mais, de façon naturelle aussi, les nouvelles élites qui prennent la place des
précédentes, cherchent à s’allier avec celles-ci. C’est la trace de ces alliances et de ces stratégies que je recherche. De fait,
on pourrait construire un immense tableau généalogique où l’on pourrait placer une grande partie des empereurs romains
d’Auguste à la chute de Byzance. Ce serait juste un jeu évidemment.

Pour conclure, quelle serait, selon vous, la dernière barrière infranchissable pour remonter une généalogie ?
Il n’y a aucune barrière autre que l’absence de document. Donc, en l’état actuel des connaissances, aucun espoir de
remontée avant les premiers écrits historiques. Mais nous en sommes encore loin, donc la marge de progression
potentielle reste élevée pour les générations futures. D’autres outils, méthodes ou sources peuvent venir changer la donne.
Si la somme des connaissances progresse autant dans le prochain demi-siècle que dans le précédent, sans doute
arriverons-nous à des connaissances à la fois largement plus assurées et plus étendues.

A lire
Christian Settipani vient de publier un ouvrage centré sur Byzance issu de sa thèse d’habilitation soutenue à
la Sorbonne en 2019. Il montre dans cette étude que la politique d’ouverture aux alliances extérieures
entamée au Xe siècle par l’Empire byzantin a tissé des liens entre diverses familles d’un vaste territoire
méditerranéen.
C’est ainsi que, selon ses analyses, les origines byzantines concernent de nombreux généalogistes
européens et notamment français. Ceux qui descendent, par exemple, du couple formé par Henri de
Champagne et Isabelle de Jérusalem font partie de ces familles qui ont connu autrefois plusieurs alliances
entre Orient et Occident. C’est aussi le cas des seigneurs de Montpellier et de bien d’autres familles de
notre pays. Et comme chacun le sait, la plupart de ces lignées nobles se sont ensuite fondues dans des
classes plus modestes dont nous descendons tous.
Les liens dynastiques entre Byzance et l’étranger à l’époque des Comnènes et des Paléologues, Éditions de
Boccard, mars 2021, 89 €, ISBN : 978-2-7018-0633-4
Les prétentions généalogiques à Athènes sous l’Empire romain, Thèse de doctorat, Université de Lorraine,
2013, www.theses.fr/2013LORR0304 (http://www.theses.fr/2013LORR0304)

Retrouvez ce dossier dans nos publications : Magazine n°254.

Mots-clés : Arbres généalogiques, CNRS.

Document issu du site de la Revue française de Généalogie - https://www.rfgenealogie.com


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