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Bray Francesca. Essence et utilité: la classification des plantes cultivées en Chine. In: Extrême-Orient, Extrême-
Occident, 1988, n°10. Effets d'ordre dans la civilisation chinoise (rangements à l'œuvre, classifications implicites) pp. 13-
26.
doi : 10.3406/oroc.1988.869
http://www.persee.fr/doc/oroc_0754-5010_1988_num_10_10_869
Essence et utilité : .
la classification des plantes cultivées en Chine *
Francesca Bray
(*) Je remercie Karine Chemla et Georges Métailié pour les suggestions qu'ils
m'ont faites à propos de cet article. .
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Classification des plantes cultivées en Chine
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tiques qui s'appliquent à chaque cas clinique" (6). Rien qu'à voir la parenté
étroite entre médecine et pharmacopée, nous nous doutons que la "science" des
plantes en Chine a aussi affaire à des "relations polyvalentes".
Dans la tradition d'Aristote, la classification des espèces sert d'instrument
d'analyse de leur nature essentielle et de la causalité des relations entre les
espèces ainsi identifiées. Cette optique a nécessité, à travers les siècles,
l'élaboration de systèmes d'identification et de differentiation de plus en plus
précis: la taxonomie a été suppléée par la physiologie puis par la génétique.
Zoologie et botanique sont devenues de plus en plus "objectives" ou
"objectivistes" (le deuxième qualificatif indiquant certaines réserves relatives
aux prétentions du premier) au fur et à mesure que les catégories fondées sur
des critères physiques ont supplanté les catégories fondées sur l'utilité. C'est
de ce souci d'objectivité qu'est née la botanique systématique occidentale et ses
catégories qui se veulent à la fois exhaustives et exclusives (7).
En Europe, donc, la classification des plantes a évolué en quelque sorte en
parallèle avec un savoir non-systématique pharmacologique qui ne se
préoccupait guère que des usages des plantes, et qui était un savoir encyclopédique
plutôt que définitionnel. Cette séparation se manifeste dès l'époque de
Théophraste: les écrivains hippocratiques qui étaient ses contemporains ne se
souciaient nullement des relations botaniques entre les plantes qu'ils
décrivaient mais seulement de leur utilité en tant que drogue ou aliment (8).
Les botanistes, pour leur part, ne tenaient pas compte dans leurs
classifications des qualités pharmacodynamiques, si difficiles à définir. Il est à noter
aussi que les classifications scientifiques européennes des espèces et variétés
prennent comme point de départ les ressemblances physiques et les
compatibilités correspondantes de croisement qui préoccuppent davantage les
cultivateurs (ayant affaire aux plantes vivantes) que les apothicaires.
Needham note qu'en Europe la distinction entre attitudes philosophiques et
utilitaires dans l'étude des plantes se fait très nette à partir de la Renaissance,
tandis que "l'histoire naturelle en tant que telle se trouvait toujours emmêlée
en Chine à des besoins pratiques pharmaceutiques"; mais il prétend qu'en
Chine également l'étude des plantes se libère petit à petit de ces aspects
pratiques (9). Cela semble loin d'être justifié, pourtant, par les configurations
classificatoires des ouvrages traitant des plantes. En Chine les savants qui
s'occupaient de la classification des plantes n'ont jamais eu l'idée d'éliminer
les critères utilitaires, et peut-être cela tient-il au fait justement que ces
savants appartenaient à une classe bureaucratique, classe pour laquelle l'utilité
et le service du peuple étaient un souci prédominant
D'autre part, comme nous venons plus bas, la taxonomie d'une plante, c'est-
à-dire par définition ses caractéristiques "objectives" physiques, était
considérée comme la phase yin complémentaire à ses aspects yang, c'est-à-dire
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ses principes actifs, qui sont définis eux à partir de concepts utilitaires (10). Il
aurait été difficile pour un lettré chinois d'admettre la valeur d'une exploration
de la nature qui négligeât une phase de sa réalité au profit de l'autre.
Si les naturalistes dans la tradition d'Aristote cherchaient à identifier comme
point de départ l'essence d'une espèce, il n'en était pas de même pour les
savants chinois. Pour eux la notion d'essence ne correspondait que très
superficiellement à celle des occidentaux: s'ils parlaient d'essence, ils
entendaient par là un état virtuel plutôt qu'une vérité sous-jacente permanente.
C'étaient les correspondances, transformations et résonances qui figuraient au
premier plan de leurs raisonnements (11), raisonnements qui devaient prendre
en considération le jeu entre caractères contraires comme le yin et le yang, les
phases correspondant aux wu xing (12), et aussi le lien entre le savoir
théorique et ce que nous traduisons par "l'expérience", yan ou jingyan.
Il est rare de trouver un texte chinois suffisamment explicite et détaillé qui
puisse servir à la façon d'un plan d'architecte. C'est l'expérience qui permet à
l'individu chinois face à un texte de le concrétiser, de passer à l'action. Le
terme jingyan, "expérience", ne signifie pas seulement l'acquis de cet individu
qui se trouve face au texte; il faut plutôt considérer celle-ci comme un acquis
collectif: de l'individu lui-même, de ses enseignants et de ses collègues, et des
grands maîtres de la tradition qu'il suit (13). Dans un sens, elle représente la
dimension invisible, le principe actif qui permet aux initiés de compléter le
contenu de textes hermétiques (ouvrages d'alchimie, par exemple) (14) ou
d'ouvrages destinés à des professionnels pour qui une communication sténo-
graphique suffit (comme les mathématiques ou l'architecture). En médecine
chinoise l'expérience permet de faire le bond inspiré ou intuitif entre diagnose
et formulaire (15). En pharmacopée et en agriculture également, il semble
(comme nous aurons l'occasion de voir) que l'expérience soit généralement un
élément indispensable pour comprendre les textes tels qu'ils sont présentés.
Le rôle de l'expérience en Chine semble, encore à l'heure actuelle, aller bien
au-delà de ce qu'il est en Europe, même de ce qu'il fut dans l'Europe
"préscientifique", dans le domaine des confréries et des corporations de métiers.
L'expérience commune à laquelle les savants chinois faisaient appel dans
leurs ouvrages était de nature diverse et sophistiquée, beaucoup plus complexe
que celle des artisans européens pour qui l'écrit servait surtout d'aide-mémoire.
Mais en même temps la plupart de ces savants, qui étaient avant tout des
bureaucrates, ressentaient comme les artisans la nécessité de rester en contact
avec la pratique. Certes, les mandarins qui considéraient qu'il fallait avoir soi-
même labouré un champ pour pouvoir écrire un traité d'agriculture étaient
rarissimes, mais tous s'affrontaient quotidiennement à des problèmes concrets
d'administration et d'organisation. Les érudits chinois réfléchissaient forcément
aux techniques efficaces de gestion, et prisaient le pragmatisme. Comprendre
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classification des plantes, surtout à partir des Song, sont des compilations
rédigées par des équipes sur ordre impérial.
Parlons d'abord des points communs à nos quatre genres. On trouve
généralement dans les préfaces des ouvrages traitant des plantes, et surtout
dans les préfaces des bencao, des idées développées et apparemment
systématiques sur les procédures de classification, et des explications sur les
avantages que présentent ces procédures par rapport aux ouvrages précédents;
mais lorsqu'on passe au contenu on se trouve déçu. Car, malgré l'application
que mettaient la plupart des auteurs à établir au préalable un système de
classification praticable, de nombreux obstacles inhérents s'opposaient à
l'établissement d'un système qui semble vraiment rationel à un occidental
habitué aux catégories essentiellement morphologiques. Plusieurs de ces
obstacles avaient leur origine dans la difficulté de séparer le savoir populaire
du savoir érudit dans des ouvrages qui tiraient leurs informations de base d'une
variété de sources. D'autres naissaient de la multiplicité de critères de
classification.
Il est évident qu'en principe rien n'empêche le compilateur d'identifier lui-
même et si nécessaire de reclasser tous ses éléments, quelles que soient ses
sources, de façon cohérente selon ses propres critères classificatoires. Mais
cela suppose qu'il possède des données analogues pour chaque élément
La grande réussite des botanistes en Europe a été de laisser tomber les
critères utilitaires pour étudier de près les caractéristiques physiques des
plantes - d'abord la taxonomie, et plus tard la physiologie - de façon à ce qu'à
chaque plante corresponde une liste descriptive complète, de la tige, des
feuilles, des fleurs, des fruits... Bien qu'un vocabulaire taxonomique analogue
se soit développé en Chine, sa fonction était bien autre, car l'aspect physique
d'une plante ou d'une drogue n'était que le figement, c'est-à-dire la phase yin,
de ses propriétés invisibles ou principes actifs qi, sa phase yang (22). Dans
les bencao il est supposé que pour la plupart des cas le lecteur possède déjà
une certaine familiarité avec la drogue, sinon avec la plante dont elle est
extraite, et la fonction de la description physique est tout d'abord d'éviter la
confusion avec plantes ou produits semblables. Il est donc rare de trouver une
description taxonomique complète des plantes qu'on estime bien connues
(23). Quant aux ouvrages agricoles, les nongshu, il est considéré comme
acquis que sauf dans le cas d'introduction d'espèces nouvelles ou exotiques il
est plus nécessaire d'énumérer les différences entre variétés d'une même espèce
que les caractéristiques générales de l'espèce.
Dans tous les ouvrages considérés ici, on trouve plusieurs systèmes de
groupement coexistants (24). Ainsi, dans les pharmacopées, qui ne traitent que des
drogues et dont la première considération est l'efficacité et les propriétés
pharmaceutiques des plantes décrites, ces plantes se trouvent néanmoins
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Par exemple, pour les Chinois le terme "céréale", généralement rendu par le
mot gu (26), désignait toute plante à graine qui servait de nourriture de base;
cette catégorie comprenait donc non seulement des herbacées mais aussi
plusieurs légumineuses, entre autres le soja. Citons les définitions données
par Li Shizhen (27):
Dans l'antiquité le peuple n'avait pas de graines comme nourriture; les gens
"mangeaient le poil et buvaient le sang". Puis apparut Shen Nong [le
Cultivateur divin], qui le premier goûta les herbes et en sépara les céréales,
et ainsi il enseigna au peuple l'art du labourage...
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Mashou nongyan de 1836, qui décrit les conditions très dures de la province
de Shanxi, accorde une importance supérieure aux espèces plus robustes
comme le panicum (36).
A supposer que les savants chinois chargés de la rédaction des bencao
eussent cherché à établir un ordre dans chaque rubrique basé uniquement sur le
critère des qualités pharmacodynamiques, aurait-ce été possible? Non. Ce
système n'était pas praticable, du fait même que dans la conception
philosophique des Chinois, les propriétés d'un même objet naturel ne
pouvaient pas être les mêmes si les conditions environnantes changeaient. Il
n'était pas possible d'attribuer à une plante donnée des caractéristiques
immuables, et il n'était pas raisonnable de supposer que les produits dérivés
d'une même plante puissent partager les mêmes qualités. Voyons ce que Li
Shizhen nous dit à propos du blé (37):
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NOTES
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