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Troy, un monde hétéroclite.


Troy est un monde fascinant. La diversité de peuples, de coutumes, et de caractères fait de ce
monde un endroit toujours extraordinaire à étudier et à observer. Nous découvrirons dans ce volume
ses différentes facettes. Nous analyserons toutes ses peuplades. Nous vous narrerons moultes
anecdotes.
Quand vous aurez fini de lire ces pages, vous connaîtrez un condensé des longues études et
recherches qui ont été entreprises par les sages d’Eckmül depuis la création du Conservatoire. Les
sages ont, au fil des siècles, répertorié les grands événements, les différents animaux et Trolls, les
plantes typiques ou extraordinaires, les us et coutumes, et toutes les autres choses qui se rapportent à
ce merveilleux monde. Le Conservatoire d’Eckmül déborde aujourd’hui de notes, parchemins,
journaux de bord, et autres carnets de route contenant des dessins et descriptions diverses. Chaque
jour, de nouvelles informations arrivent aux oreilles ou aux yeux des sages. D’abord ils les classent,
tant bien que mal, par type d’information, puis ils comparent cette information avec d’anciennes
similaires, puis enfin ils émettent de multiples hypothèses pour expliquer l’information. C’est là que
les affaires se corsent : dix sages peuvent émettre une hypothèse différente, chacun campant sur ses
positions et n’en démordant pas. Alors, comment savoir quel sage a raison ? Comment savoir
comment se reproduit le Triphyon Rosé, nouvelle espèce animale découverte au plus profond des
forêts de la Questie, sans aller l’observer sur place ? Mais comme les sages sont bien trop occupés à
leurs affaires courantes, et qu’ils n’oseraient pas déléguer la responsabilité de recherches à une autre
personne qu’un sage, ce genre d’expédition ne s’organise jamais. Et les sages continuent à déblatérer
des hypothèses, sans qu’aucun ne puisse jamais y apporter une preuve irréfutable. En vérité, les sages
d’Eckmül sont peut-être très intelligents et sont peut-être très érudits, mais tout ce qu’ils savent faire
est formuler des conclusions vides de sens qui ne font pas avancer d’un pouce les connaissances
générales.

Nous allons néanmoins essayer de vous expliquer les tenants et les aboutissants principaux de
Troy. Nous nous sommes basés sur des faits vérifiés (c’est à dire des informations récoltées de
plusieurs sources, puis recoupées) ou inscrits dans les grimoires d’histoire ne faisant plus aucun doute.

A. La géographie, l’histoire et les gens de Troy.


Bien que Troy soit un monde des plus complexe, ses étendues connues ne sont divisées qu’en trois
zones distinctes ; chacune étant elle-même divisée soit géographiquement, soit par rapport aux
peuplades habitant l’endroit, ou encore par rapport aux coutumes ou à la hiérarchie. Ces trois grandes
parties sont les Baronnies d’Hédulie, le Darshan et la zone d’influence d’Eckmül.

Ces trois grandes parties de Troy, bien que différentes sur bien des aspects, peuvent néanmoins
avoir certains point communs.

La langue :
Pour des raisons évidentes de communication facilitant les commerces en tous genres entre les
différents points de Troy, tous les peuples ont adopté, petit à petit, une langue commune appelée
aujourd’hui le Troin. Ce langage est composé de mots et tournures de phrases tirés des anciens
langages des Baronnies, du Darshan et d’Eckmül, et est en application partout, sauf dans la région du
Triban, comme langue maternelle depuis plus de 5000 ans (du calendrier d’Eckmül).
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Ce sont les marchands qui sont à l’origine du Troin. En voyageant d’un bout à l’autre des contrées
connues, ils ont mélangé les mots des langues de chaque endroit. Au bout de 500 ans, le Troin
naissait. Mais, comme les marchands continuent de sillonner le continent, il reste en constante
évolution , si bien que le Troin parlé dans un village du Darshan peut différer, même si il reste
compréhensible, de celui parlé dans un village de Questie.
Bien sûr, chaque ville et village, même si il a adopté le Troin comme langue officielle, a aussi
gardé son patois d’antan qui n’est compréhensible qu’à l’endroit où il est utilisé. Ces patois sont de
moins en moins parlés car les jeunes les trouvent de plus en plus superflus et obsolètes. Ils ne
comprennent pas l’utilité de les maîtriser. C’est pourquoi ils sont promis à disparaître à plus ou moins
brève échéance. Ces patois sont encore un peu parlés par les anciens des villages, et seulement pour
certaines cérémonies officielles, comme le mariage par exemple.

Le seul endroit où le Troin n’est pas la langue principale est la région de Triban. Mais il faut bien
dire que le peuple vivant dans cette région est tout à fait particulier, comme nous le verrons dans le
chapitre qui y est consacré. Les Tribans parlent le Triban et n’utilisent le Troin que lors des
transactions commerciales qu’ils font avec les étrangers. Il est d’ailleurs toujours assez pittoresque
d’entendre un Triban parler le Troin, tellement sont accent est à couper au couteau. Mais personne n’a
jamais osé faire une réflexion désobligeante à ce sujet à un Triban. Ou alors il n’est plus là pour en
parler. Leur non maîtrise du Troin laisse supposer qu’il n’est pas enseigné dans leurs écoles, mais
qu’il est appris plus tard quand le Triban, adulte, accède à un poste relationnel avec les étrangers.

Le monde connu :
Les contrées de Troy qui ont été répertoriées jusqu'à présent s’étendent de la Vaste Banquise du
Septentrion Virginal à l’Equateur. Nul ne sait si d’autres terres existent au-delà du Grand Océan
Austral.
Pourtant, les expéditions en ce sens n’ont pas manqué. De nombreux explorateurs ont pris la mer,
sponsorisés par l’une ou l’autre ville, marchand ou mécène, promettant de revenir avec des richesses
insoupçonnées. Très peu sont revenus, mais tous parmi eux étaient unanimes : rien de rien n’apparaît
au sud. Il faut bien admettre que ces expéditions sont périlleuses. Le Grand Océan Austral est truffé
de Dragons Furieux qui ne se gênent pas pour taquiner le navire qui passe. Maintes expéditions
préparées de longue date se sont retrouvées écourtées par leur faute. Et comme la chair du Dragon
Furieux est trop coriace pour être mangée, personne n’a jamais soulevé l’idée de les exterminer une
bonne fois pour toutes.
Les expéditions ont été abandonnées depuis longtemps. Elles coûtaient trop cher, sans aucun espoir
d’une quelconque retombée financière. Les plus grands érudits de Troy ont pris le relais et se creusent
la tête pour savoir si oui ou non d’autres terres habitées existent. De nombreuses hypothèses ont été
levées. Les Darshanides prétendent qu’il n’y a rien. Si il y avait quelque chose, un Dieu pour ce
quelque chose résiderait à Khore. Des érudits d’Eckmül, ayant étudié le contour des terres, prétendent
qu’il existe bel et bien d’autres continents et que ceux-ci ont été séparés de Troy lors de la création du
monde. Les trois lunes engendrant des marées particulièrement fortes au niveau de l’Equateur, ces
autres terres se sont éloignées au-delà de toute atteinte. D’autres prétendent encore que les Tribans
feraient partie d’un peuple beaucoup plus vaste qui ne peut venir que de terres très lointaines. En effet,
« ils ne sont pas comme nous, ces gens-là ».
Quant aux barons héduls, ils s’en foutent royalement, ils ont d’autres chats à fouetter.

L’origine de Troy :
L’origine des terres connues est des plus incertaine. Chaque peuple a sa théorie et n’en démord pas.
Les Darshanides sont certains que Troy a été créé par le Dieu Troy. La preuve, il habite Khore ; ce qui
est quand même irréfutable comme preuve. Les Delpontais assurent que le monde était autrefois un
grand désert qui a été fertilisé, au fur et à mesure que le temps a passé, par l’eau apportée par les vents
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des océans. Les habitants des Cent Mille Lacs Gelés prétendent que Troy était une immense
banquise, mais que les hommes l’ont fait fondre à force de marcher dessus. Les sages d’Eckmül,
toujours prêts à se faire péter quelles neurones, ont élaboré, après de longues études des sols et des
climats, une hypothèse très évoluée. D’après eux, Troy n’était rien d’autre qu’une étendue volcanique
qui s’est refroidie pendant des milliers d’années. La nature étant décidément trop bien faite, la vie est
arrivée et s’est développée aussi pendant des milliers d’années. Les hommes ont évolués (certains
sages affirment que les hommes ressemblaient vaguement aux trolls, autrefois) pour devenir ce qu’ils
sont. Quelle imagination, quand même, ces sages !
Quant aux barons héduls, ils s’en foutent royalement, ils ont d’autres chats à fouetter.

Les trois lunes :


Les lunes éclairant les nuits de Troy sont au nombre de trois : Hélann, la plus grande ; Arsel, la
moyenne ; et Ferrar, la plus petite. Hélann est pleine une fois tous les deux mois (du calendrier
d’Eckmül), Arsel une fois par mois, et Ferrar une fois toutes les deux semaines.
Bien que chaque lune soit régulièrement pleine, le cycle complet des trois lunes dure six siècles. La
fin du cycle est appelée « la dizaine furieuse » car elle correspond au moment où les trois lunes sont
pleines en même temps, ce qui n’arrive qu’une fois tous les six siècles. Ce qui reste encore inexpliqué,
c’est pourquoi, lors de la dizaine furieuse, elles restent pleines dix jours. C’est comme si le temps
s’arrêtait pour elles lors de cette période. Quand les lunes sont pleines, les mers et océans sont
littéralement déchaînés, particulièrement au niveau de l’équateur. Pendant dix jours, il est impossible
de mettre le moindre bateau à l’eau. Les villes et villages portuaires se préparent à cet événement et
mettent tous les navires en cale sèche, puis les habitants se retirent dans les terres, les projections
d’eau sur les côtes étant des plus violentes. Il est même arrivé que des villages entiers soient rayés de
la carte après une dizaine furieuse. Pendant cette période, le commerce maritime est au point mort et
les pêcheurs en profitent pour se reposer. Et quand elle se termine, Troy répare les pots cassés et est
tranquille pour six siècles.
Il est bien entendu que l’influence des lunes sur les océans ne se remarque pas seulement lors de la
dizaine furieuse. Les marées quotidiennes sont sous l’influence des trois astres, mais d’une façon
« normale » permettant le bon déroulement de la vie maritime. Quand deux des lunes sont pleines en
même temps, les marées sont un peu plus importantes mais elles permettent pourtant de naviguer.
Outre sur les marées, la dizaine furieuse exerce aussi son influence sur les Trolls, qu’ils soient
d’Armalie ou du Darshan. Pendant cette période, ceux-ci sont psychologiquement changés. Ils perdent
leur agressivité, leur crainte de l’eau et leur appétit féroce. Ils deviennent des êtres charmants et
accueillants, mangent des plantes, et se lavent abondamment. Les Darshanides et les Armalites en
profitent toujours pour effectuer des raids afin d’éliminer un maximum de Trolls, sûr du peu de
résistance de leur part en cette période. Mais dès la fin de la dizaine furieuse, les Trolls retrouvent leur
instinct dévastateur et se vengent lourdement des raids subis. Il a été prouvé que les Trolls se
souviennent de leur « absence », et en ont grande honte. C’est pourquoi il est tabou pour eux d’en
parler, et il nieront en bloc tout ce que quiconque pourrait raconter là-dessus, affirmant que ce n’est
qu’une légende humaine stupide.
L’autre influence notable qu’ont les lunes se porte sur le caractère de la gent féminine. Il est de
notoriété publique que les Armalites et les Souardes ont un caractère de chien, mais c’est encore pire
quand Ferrar et Hélann sont pleines en même temps. Elles deviennent beaucoup plus irritables et
autoritaires ; elles chicanent sur tout et râlent à tout bout de champ. Beaucoup d’hommes en profitent
pour aller à la chasse ou rendre visite à un lointain cousin.
Quand Hélann et Arsel sont pleines en même temps, la libido des femmes des Marches Levantines
devient incontrôlable. Elles se jettent sur le premier mâle venu, et les maris ont un mal fou à surveiller
leur compagne. Certains marchand Darshanides organisent même, moyennant une participation plus
que substantielle, des voyages de groupe lors de cette période. Les clients reviennent tous avec un
large sourire au visage.
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Les femmes Darshanides sont, quant à elles, influencées par Arsel et Ferrar. Quand elles sont
pleines, elles s’endorment et ne se réveillent que quelques jours plus tard. Les hommes en profitent
allègrement pour boire entre amis et jouer leur paie du mois écoulé. Les femmes, au réveil, sont
souvent de mauvaise humeur en constatant l’état du domicile conjugal ou des finances du ménage.
Personne n’a pu démontrer si cette mauvaise humeur est due aux lunes ou non.

Une profession universelle : médecin.


On trouve généralement deux types de médecins : les charlatans et les escrocs. Les escrocs sont de
loin les moins dangereux : ils se contentent de laisser la maladie suivre son cours, jusqu'à sa
conclusion naturelle, et ils obtiennent des taux de guérison assez satisfaisants. Leur pharmacopée est
constituée de petites boules de sucre aux couleurs vives et au goûts toujours déplaisants : plus un
remède est mauvais à avaler, plus il peut être vendu cher.
Le charlatan est beaucoup plus dangereux : il cherche à soigner son malade. Le patient doit donc
absorber des médicaments actifs, généralement des poisons violents destinés à tuer les démons qu’il a
dans le corps. D’un point de vue médical, le taux de réussite est élevé : les démons trépassent la
plupart du temps. Du point de vue du malade, le bilan est plus contestable. Nombre d’entre eux
refusent de se réjouir à l’idée que leur mort entraînera celle du démon, et que c’est guéris qu’il
atteindront l’autre monde. Il arrive parfois que les démons résistent aux poisons. Le médecin doit
alors faire appel à la chirurgie pour les extraire. Le plus souvent, ils se logent sous le cœur ou entre les
poumons. Après avoir ouvert la cage thoracique, c’est à la main que le praticien doit traquer le mal. Il
arrive assez souvent qu’avant même l’intervention, à la simple vue du matériel chirurgical, le patient
meure d’autre chose.
Le plus inquiétant, en ce qui concerne la médecine, c’est qu’elle remet en cause les plus précieuses
de nos valeurs, comme par exemple l’amitié. Il n’est pas rare, en effet, qu’un ami vous glisse dans la
conversation : « Ah, j’ai vu le Docteur Gragnure, il est foooormidable. Tu devrais aller le voir pour tes
problèmes de dos. » Laissez-le tomber, ce n’est pas un ami mais juste un type qui a l’intention
d’épouser votre veuve et de boire votre cave.

Comme nous l’avons vu plus haut, les contrées connues de Troy sont divisées en trois grandes
zones. Il est maintenant temps de faire plus ample connaissance avec elles.

1. Les Baronnies d’Hédulie.


Avant-propos :
Bordée de trois mers, l’Hédulie est une grande excroissance du principal continent de Troy, sorte
de bubon brumeux et baronneux. La terre d’Hédulie est caillouteuse, venteuse, propice aux animaux
laineux, aux murets de pierre sèche, aux manoirs hantés, aux instruments de musique assimilables à
des armes cruelles, aux parapluies et à l’alcoolisme rampant. Le Nord de l’Hédulie est glacé, le Sud
est frisquet. Sa surface est divisée en 77 baronnies aux frontières sans cesse en mouvement. L’Hédul
est un homme de caractère fier et ombrageux, noble et sans reproche, à l’exception bien sûr des
médecins, des chevaliers félons aux moustaches fines et pointues et des grands vizirs. Mais les grands
vizirs sont généralement des darshanides en visite officielle, ils n’ont donc rien à faire dans un
chapitre consacré aux Héduls. Nous nous occuperons de leur cas plus tard.

Le paysan hédul est un brave homme, la paysanne hédule est une brave femme. Leurs enfants sont
de braves garçons ou de braves filles. Les Héduls sont bien braves. Ils travaillent dur pour nourrir leur
baron et leur baronne, leurs chevaliers et leurs demoiselles, leurs sous-officiers et leurs bonnes
femmes, leurs soldats et leurs bordels de campagne, ainsi que leur famille quand il reste quelque
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chose. Le plus souvent la dite famille se résume à sa plus simple expression. En effet, les garçons de
plus de treize ans sont soldats, et les filles de plus de treize ans sont dans les bordels militaires de
campagne. Des filles tentent parfois de se déguiser en garçons pour devenir soldats, mais elles sont
généralement démasquées au cours de la visite du régiment au bordel militaire de campagne, auquel
cas, contrairement à leur équipement réglementaire, elles n’en ressortent pas.

Contrairement aux autres habitants du continent, les Héduls refusent la magie. Elle peut parfois
être tolérée dans certaines baronnies mais le plus souvent, les objets associés à la magie sont des
fagots de petit bois bien sec surmontés de bûches, un poteau, des cordes, et une torche. Pourtant, les
Héduls, comme tous les habitants de Troy, possèdent à l’état latent un pouvoir. Mais la magie ne fait
plus partie de leur culture : il ne leur vient pas l’idée de développer ce pouvoir ni de l’utiliser, même
lorsqu’ils sont en présence d’un sage d’Eckmül. De leur point de vue, le sage n’est rien d’autre qu’un
excellent combustible.

Les barons d’Hédulie ne se font pas la guerre par plaisir, mais pour maintenir les traditions et
préserver un équilibre social qui a fait ses preuves. Toute la difficulté de l’exercice consiste à ne pas
vaincre trop vite ses voisins. Comme disait Aulin-Flamboyant, 87ème baron du même nom et fin
stratège, c’est pas rigolo de jouer tout seul. Les barons se réunissent parfois pour s’affronter lors de
grands tournois. C’est alors l’occasion de trêves, personne ne se bat, excepté sur les pelouses. Certains
barons peuvent lancer des défis personnels, mettant en jeu leurs terres et leurs châteaux. Dans ce cas,
ils s’affrontent à mort, sous l’œil attentif des soldats heureux de voir le patron faire le boulot lui-
même.

Un conseil des baronnies existe en théorie, mais les barons ont rarement eu à faire face à un ennemi
commun, et, avant l’affaire Averroës, le conseil ne s’était pas réuni depuis le jour lointain où le baron
Brahuin avait proposé une expédition de toutes les forces disponibles contre les dieux darshanides
responsables du mauvais temps. Sa motion avait d’ailleurs été rejetée, et Brahuin fut retrouvé
assassiné quelques temps plus tard, sans doute par des adorateurs du dieu de la pluie. Il existe parfois
des alliances entre barons, dans le but de terrasser un adversaire commun, mais en raison du caractère
ombrageux des intéressés, elles ne durent jamais très longtemps.

77 Baronnies en Hédulie :
Longtemps, les barons d’Hédulie se sont affrontés dans le sang pour savoir dans quel ordre
devaient être classées et présentées les Baronnies. Plusieurs nomenclatures furent proposées,
notamment par le sage Vice-Duc Slopaïa des Ardeurs. Il avait conçu un système complètement
novateur, d’une incroyable modernité : l’ordre alphabétique. Hélas, il ne fut pas écouté, l’usage
courant voulant qu’on se concentre rarement sur le discours d’un bègue un peu gâteux. Certains
voulaient classer les Baronnies suivant leur superficie. D’autres préféraient l’ordre décroissant de leur
sommet le plus haut : les barons des contrées planes se mirent à construire des tours démesurées. On
envisagea alors le nombre d’habitants : certains dirigeants rendirent la fornication quotidienne
obligatoire. Finalement, le critère qui fit l’unanimité fut la production annuelle, en bocaux de six
pintes, de fruits à l’eau de vie. Depuis, les barons ne se battent plus au sujet du classement. Ils ont
trouvé d’autres motifs pour se massacrer.

Voici donc la nomenclature des 77 Baronnies d’Hédulie :

1. Basse Hédulie 12. Chestre 23. Caim 34. Stronze


2. Smotere 13. Drônes 24. Danahan 35. Gulvain
3. Pics 14. Aghalee 25. Ghuryock 36. Ossian
4. Tualeure 15. Lusk 26. Cingle 37. Braere
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5. Porgle 16. Armoy 27. Bugrenne 38. Urquarth
6. Tierce 17. Mornay 28. Skaronte 39. Aulin-Flamboyant
7. Alomime 18. Ardlamont 29. Gris-Vermeil 40. Miroirs
8. Calire 19. Ardrishaig 30. Bleu-Cotte 41. Randoche
9. Or-Azur 20. Innelan 31. Roc-Blême 42. Clynnog
10. Averroës 21. Mordhu 32. Brahuin 43. Fauvefe
11. Keirane 22. Culhaig 33. Ardivule 44. Ocre-Jade

45. Nuit-Safran 56. Groag-Jubal 67. Folie-Flèche


46. Cahore 57. Vonce-Jubal 68. Bastillach
47. Luxone 58. Donge 69. Caledone
48. Shanne 59. Hulotte 70. Glenchoe
49. Muinerte 60. Champ-Rougi 71. Mort-Curieuse
50. Annagh 61. Haut-Beffroy 72. Aulay
51. Cloghan 62. Cœur-Couillu 73. Eilane
52. Rive-Dure 63. Massif-Ardent 74. Müll
53. Omagh 64. Bois-Perdu 75. Cromlech
54. Tusquare 65. Foudre-Hardi 76. Banf
55. Tronmore 66. Tour-Morne 77. Roc-Fleuri

En des temps reculés, l’Hédulie comptait sept Baronnies supplémentaires : Court-Cocu,


Hurlesource, Momortepierre, Glands-Fournis, Grotte-Etroite, Collines-Laiteuses et Moite-Broussaille.
Mais elles furent prises d’assaut et occupées par des barons sans scrupules.

Un petit bout d’histoire : pourquoi 77 Baronnies ?


Au début, c’est à dire quelques siècles après la création du Conservatoire d’Eckmül, les Baronnies
n’existaient pas. Un roi régnait autrefois sur la péninsule qui compose aujourd’hui les Baronnies, et ce
royaume accueillait des sages d’Eckmül dans ses villes et villages ou régnaient une paix ancestrale. A
sa mort, et allant à l’encontre de ses dernières volontés qui voulaient que le royaume revienne à son
fils aîné, les cinq fils légitimes du roi se déchirèrent le royaume. Chacun aillant ses fidèles, des
factions se créèrent et les princes levèrent des armées les unes contre les autres.
Si cela ne suffisait pas, six des quinze fils illégitimes du bon roi se mêlèrent à la querelle, exhortant
le petit peuple à se rebeller après leur avoir promis monts et merveilles. La paix avait disparu à jamais.
De jacqueries en rebellions, en passant par des batailles rangées, la contrée baigna bientôt dans le
sang. Cette situation inquiéta au plus haut point le Conseil Restreint du Conservatoire d’Eckmül qui
dépêcha quelques uns de ses meilleurs diplomates. Ils furent mal accueillis. Le Conseil Restreint
récupéra les têtes des infortunés diplomates accompagnées d’un message lui signifiant de se mêler de
ce qui le regardait. Eckmül décida alors de rappeler tous ses sages, privant de magie le feu royaume
d’Hédulie. Fous de rage, les habitants de l’Hédulie, sous les ordres de ses différents prétendants au
trône, pourchassèrent les sages qui n’avaient pas fui et les mirent à mort sans autre forme de procès.
Un bateau entier de têtes arriva peu après à Eckmül, qui décida de laisser les Héduls sans magie
jusqu'à ce que les conflits qui les déchiraient cessent.
D’abord décontenancés par la perte de leur magie, les Héduls se reprirent rapidement et
continuèrent à se massacrer au nom de leurs chefs qui s’abrogeaient tous le titre de roi. Ce conflit dura
plus de dix ans. En fin de compte, les onze prétendants se rendirent à l’évidence : aucun ne pourrait
remporter de victoire définitive sur un autre. Enclins à une grande sagesse, ils décidèrent de se
partager le royaume en onze parties. D’accord sur ce principe, les désaccords resurgirent quant à la
superficie des terres attribuées à chacun. Bien que des frontières aient été convenues, aucun d’entre
eux n’était pleinement satisfait du traité. Les combats reprirent de plus belle, officiellement sous des
prétextes autres.
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Les pauvres Héduls n’étaient pas sortis de l’auberge. Ces petites guerres s’éternisèrent et entrèrent
dans la vie de tous les jours. Les années passèrent, et les onze princes moururent de mort naturelle les
uns après les autres, chacun laissant plusieurs héritiers qui, forts de l’éducation que leur avait laissé
leur géniteur, se déchirèrent à leur tour les différentes principautés.
C’est ainsi que le royaume d’Hédulie se morcela petit à petit ; passant de royaume à principautés,
de principautés à duchés, et enfin de duchés à baronnies. D’anciens écrits certifient qu’il y a eu jusqu'à
113 baronnies, mais certaines disparurent suite à des annexions de barons plus puissants, ou plus
simplement plus fins stratèges.
Ces conflits s’éternisèrent, et les véritables causes en furent progressivement oubliées. Les barons
se battaient pour un oui et pour un non ; juste pour perpétuer la coutume. Les Héduls allèrent jusqu'à
oublier qu’ils avaient eu, jadis, de la magie ; mais leur haine pour celle-ci reste encore aujourd’hui
bien ancrée dans leurs coeurs et leurs esprits. Il ne fait pas bon voyager dans les Baronnies pour un
sage d’Eckmül.
Aujourd’hui, les combats continuent toujours, sans que personne ne puisse prendre le pas sur
l’autre. Ces guerres étant devenues si vitales pour tout le monde - tout le monde en vivant - aucun
baron ne laissera un autre développer une quelconque technologie permettant de mettre à bas ses
adversaires. Dans des cas comme celui-là, tous les barons peuvent s’allier afin de ne pas
compromettre la guerre... et leur victoire certaine, même si elle ne doit pas arriver avant plusieurs
décennies.

Les Baronnies aujourd’hui :


De par leur éducation, les Héduls sont les maîtres de guerre du continent. Leurs armées sont les
mieux équipées de toutes celles de Troy, et leurs tactiques de combat sont à la pointe du progrès.
Personne n’oserait venir envahir leurs territoires. D’abord parce qu’ils sont les meilleurs guerriers,
mais aussi parce qu’une telle invasion les ferait s’allier pour la contrer. Les autres contrées de Troy
ont donc décidé de tirer profit autrement de ces guerres interminables : en approvisionnant les barons
en denrées introuvables chez eux.
Bien que les barons héduls soient brutaux, ce sont aussi des hommes d’honneur qui suivent un code
éthique strict et commun à tous, ou presque. Ce code les oblige à se battre de façon chevaleresque, à
faire la guerre entre eux en suivant certaines règles de bienséance. Tous les combats sont réglés
comme du papier à musique , les forces en présence devant être à peu près équivalentes. Si d’aventure
un baron ne devait pas suivre ces règles, les autres s’allieraient pour les lui rappeler. Même les grands
tournois du printemps sont régis par un code. Celui de Culhaig, le plus réputé de tous, comprend sept
épreuves strictement codifiées :
1. L’épreuve de la lance : Les deux chevaliers s’élancent sur leur monture et essaient de mettre à
bas, à l’aide de leur lance, leur adversaire. Si aucun des deux adversaires ne tombe, ils
recommencent. Si les deux adversaires tombent, c’est un ex-aequo. Si un seul tombe, l’autre
remporte l’épreuve.
2. L’épreuve de la masse d’armes : Dès qu’un des deux chevaliers est tombé de monture suite à
l’épreuve de la lance, l’autre met pied à terre et tous deux s’arment d’une masse. Ils combattent
jusqu'à ce qu’un d’eux meurent ou abandonne ; tout dépendant des enjeux de l’épreuve ou du
tournoi.
3. L’épreuve de l’épée : Elle est très proche de l’épreuve de la masse d’armes. Si les deux
adversaires sont encore en état de combattre, ils passent de la masse d’armes à l’épée et
continuent à se frapper dessus.
4. L’épreuve de la hache : Elle est très proche des deux épreuves ci-dessus. Si les deux adversaires
sont encore en état de combattre, ils passent de l’épée à la hache et continuent à se frapper
dessus.
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5. L’épreuve du char : Chaque participant, armé d’une faux de guerre, pilote un char de combat.
En se déplaçant dans l’arène, ils doivent faire tomber leur adversaire de son char. La faux de
guerre étant des plus meurtrière, rares sont les perdants qui s’en sortent.
6. L’épreuve de poésie : Les participants doivent déclamer un poème à une belle jeune fille. Le
thème du poème est dévoilé au dernier moment, évitant toute tricheries (sauf si un chevalier peu
scrupuleux a versé des pots de vin au juges). Le chevalier doit alors improviser le meilleur
poème possible. Le gagnant est celui qui a le plus ému la jeune fille.
7. L’épreuve de l’arc : Situés à vingt pas l’un de l’autre, les deux chevaliers tirent, à tour de rôle,
trois flèches sur leur adversaire. Bien sûr, l’ordre de tir est défini aléatoirement. Il n’est jamais
arrivé que les deux chevaliers manquent leurs trois flèches. L’infirmerie regorge toujours, à la
fin des tournois, de blessés à cette épreuve.

Si la piétaille hédule n’est que de la chair à pâté en première ligne des combats, les chevaliers sont
beaucoup plus entraînés. La majorité d’entre eux sont de souche noble, mais il peut arriver qu’un
roturier soit adoubé par le baron après avoir fait un acte de guerre extraordinaire. Sinon, tous les
chevaliers nobles ont suivi une éducation très stricte afin de devenir un bon chevalier servant bien son
baron. Un noble passe d’abord ses premières années à apprendre à lire, puis à monter le Glalup. Il est
ensuite confié à un chevalier pour être son écuyer, bien que tous les écuyers ne soient pas nobles. Les
chevaliers leurs en font voir de toutes les couleurs. Les écuyers sont purement et simplement les
serviteurs des chevaliers. Ils doivent les laver, les habiller, les nourrir, bichonner leur monture,
nettoyer leurs armes et leur armure, s’occuper de la fosse d’aisance et encore d’autres joyeusetés du
style. Après trois ans de ce dur labeur, le chevalier estime si l’écuyer est digne de recevoir son
enseignement ou non. S’il ne l’est pas, il est renvoyé chez son père qui, furieux, le fait immédiatement
incorporer à la piétaille. Il faut bien faire disparaître la honte de la famille. S’il est digne d’être
enseigné, le chevalier va lui apprendre toutes les tactiques de guerre qu’il connaît, allant du
maniement des armes aux tactiques de siège de castel les plus poussées. Bien sûr, l’écuyer n’est pas
privé des bonnes vieilles corvées d’antan. C’est alors qu’à 22 ans, si il a résisté au climat et aux
combats, l’écuyer est adoubé et devient lui-même chevalier. Généralement, les chevaliers sont
adoubés par le baron et lui prêtent immédiatement allégeance. Le Baron évite ainsi de se retrouver
avec une épée plantée dans le ventre par un chevalier félon. Parfois, certains chevaliers sont adoubés
par d’autres chevaliers et se vendent alors au plus offrant ; mais cette pratique est peu appréciée dans
nombre de Baronnies car jugée contraire au code de chevalerie.
Il y a bien sûr des exceptions aux règles. Il peut arriver qu’un chevalier se lie d’amitié avec son
écuyer et le garde à son service même si il n’est pas digne de devenir chevalier. Le meilleur exemple
est le fidèle « Créfieu » du Chevalier Or Azur. L’écuyer reste alors écuyer jusqu'à la fin de ses jours.
Le premier fils du Baron, quant à lui, est adoubé à la naissance. Comme seul un héritier adoubé
peut succéder au baron, il vaut mieux prendre les devants : si le Baron venait à mourir avant que son
héritier ne soit en âge d’être adoubé, celui-ci ne pourrait pas accéder au trône et la Baronnie serait
livrée aux conflits de succession. Tous ces tracas sont évités en adoubant l’héritier à la naissance.
Mais d’autres tracas apparaissent alors : si l’héritier accède au trône alors qu’il n’est encore qu’un
enfant, il sera facilement manipulé par des personnes sans scrupules. Mais au moins le patrimoine
restera dans la famille.

Les Héduls ne connaissent pas de villes telles qu’il en existe dans la région d’Eckmül ou au
Darshan. Une immense capitale trônait au centre de la péninsule au temps du royaume unique. A force
d’être assiégée et pillée au fil des siècles, elle a aujourd’hui disparu. Les Baronnies portent maintenant
des castels ou autres forteresses. Le baron et sa suite y vit, ainsi que les hommes travaillant
directement pour lui : des chevaliers, un forgeron, un boulanger, etc. Le reste de la population vit dans
des cabanons encerclant ces châteaux. En cas de siège, la populace se masse entre les murs de la place
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forte, à concurrence de la contenance de celle-ci. Dès que sa capacité a atteint son maximum, on
ferme les portes, livrant les infortunés au bon vouloir des assiégeants.

Qui es-tu, Hédul ?


Les Héduls sont des gens simples et ont très peu d’éducation. Seuls les chevaliers en ont un brin,
mais elle est principalement axée sur la guerre et les combats. Les rares érudits entreprennent des
recherches en vue d’améliorer les techniques de combat. Bref, l’histoire hédule se perd petit à petit ; et
presque personne ne sait ce qui se passe en dehors de la Baronnie où il vit. Pour résumer, les Héduls
sont limités intellectuellement.
Par contre, ils sont très développés physiquement. Les mâles travaillant dur toute leur vie, que ce
soit à la forge, au fournil, ou sur le champ de bataille ; ils ont une musculature très développée. De
plus, ils doivent faire face au climat maussade. Les Héduls sont donc devenus des grands gaillards
robustes. Leur taille moyenne est de 1m75, et ils ont une carrure imposante.
Les femmes ne sont pas en reste. Elle doivent faire face au même climat. De plus, même si elles ne
guerroient pas, elles travaillent aussi durement que les hommes. Au champ, au castel, à la maisonnée,
etc. Elles ont donc aussi acquis une bonne constitution pour affronter les années qui passent. Plus
petite que l’homme, sa taille moyenne est quand même de 1m65.
Malheureusement, la guerre, le climat et le dur labeur use prématurément l’Hédul. Son espérance
de vie excède rarement 40 ans. Surtout en ce qui concerne les soldats.
Les Héduls sont méfiants vis-à-vis des étrangers. Il est vrais qu’ils sont rares : pourquoi venir dans
une contrée vivant dans la guerre depuis des siècles ? La première idée qui vient à l’esprit d’un hédul
en voyant un étranger est de se dire qu’il vient espionner son Baron. Il s’empresse alors d’en avertir
celui-ci qui prend les dispositions nécessaires, qui sont généralement radicales : emprisonnement et
torture pour faire avouer l’espion. Il arrive que le Baron se rende compte de son erreur, mais un peu
tard.

Le commerce dans les Baronnies :


Les Baronnies vivent en presque totale autarcie. Les gens en bas de l’échelle sociale travaillent
pour faire vivre ceux qui se trouvent en haut, c’est-à-dire les barons. Tous travaillent dans un sens :
gagner la guerre. Les paysans nourrissent les troupes, les artisans arment les troupes, les femmes
soulagent les troupes, les troupes se font trucider au combat. Telle est la vie dans les Baronnies.
Pourtant, même si les sols des Baronnies sont riches, que ce soit pour les cultures ou les métaux ;
certaines denrées ne sont pas disponibles. C’est là qu’être en bordure des Baronnies peut s’avérer
essentiel. Celles en bordure de mer ont creusé dans les falaises des ports permettant d’accueillir les
navires marchands - osant s’aventurer dans les récifs - venus vendre les produits les plus demandés
par les barons ; la Basse Hédulie, frontalière de la Souardie, a établi un comptoir commercial pour
acheter les biens en provenance du continent.
Les Baronnies du centre de l’Hédulie, quant à elles, sont les plus mal loties. N’ayant aucun contact
avec l’extérieur, elles ne peuvent pas faire de commerce avec celui-ci. Et comme les autres Baronnies
exercent un blocus, aucune caravane n’oserait s’aventurer si loin dans les terres péninsulaires.
Les Baronnies frontalières achètent donc en grandes quantités certains biens de première
consommation venant de l’extérieur, mais il leur faut faire suivre la trésorerie. Les mines de métaux
tournent à plein rendement, et seuls les sols agricoles et de pâture ne sont pas exploités. Il n’est pas
rare de voir des paysages ravagés après des siècles de forages en tous genres un peu partout.
Si les barons achètent en grande quantité, ils ne vendent pratiquement rien. L’Hédulie n’a aucune
ressource introuvable ailleurs. De plus, rien ne se perd, tout s’utilise pour guerroyer.
En général, les Baronnies frontalières utilisent leur monnaie pour commercer avec l’étranger.
Sinon, elle est très peu utilisée, puisque toute la production part pour les troupes. Le commerce entre
Héduls est principalement constitué de troc.
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La monnaie des Baronnies est donc très peu demandée, où que ce soit. Pourtant, sa valeur est,
comparée aux autres monnaies, très haute car elle a une forte teneur en métal. Les pièces sont grandes
et lourdes. Cela permet aux barons de débourser moins de pièces, même si la valeur des biens achetés
reste la même. Il ont l’impression de payer moins, alors que c’est totalement faux. Mais n’oublions
pas que les Héduls sont bas de plafond. Ceci explique cela.

Le climat des Baronnies est aussi morose que son ambiance.


Outre les guerres, il ne fait pas bon vivre en Hédulie. Le temps y est rébarbatif. L’été y est inconnu,
le vent y est violent, la pluie y est incessante.
Perchées sur des falaises, les Baronnies sont sans cesse balayées par les vents violents venus des
mers. Ce vent accentue la sensation de froid due à la situation assez nordique de la péninsule. Et la
pluie n’arrange rien à l’histoire. D’ailleurs, les Héduls ne connaissent que trois saisons : l’automne,
qui dure 7 mois ; l’hiver qui en dure 3 ; et un timide printemps qui n’en dure que 2. Certaines années,
le printemps ne montre même pas le bout de son nez.
Il est d’ailleurs un moment de fête dans les Baronnies. Les tournois se déroulent pendant cette
saison ; les champs donnent le meilleur d’eux-mêmes ; les jeunes filles s’habillent plus légèrement.
Les troupes se reposent quelque peu et festoient ; la bière coule à flot.
Mais cette période est de courte durée. Bientôt revient la pluie, annonçant la reprise des combats.

En raison des vents violents qui balayent sans cesse les côtes hédules, et aussi à cause des récifs
encerclant ces mêmes côtes, les barons héduls n’ont pas de flotte. Par le passé, un Baron avait essayé
d’envahir par mer une Baronnie voisine. Le vent fracassa sa flotte contre les récifs, précipitant tous les
soldats dans l’eau. Très peu survécurent, nager en armure étant un exercice périlleux. Seuls
maintenant quelques bateaux marchands appartenant au Baron (pour aller chercher des biens
extérieurs à la source) sont encore en circulation.

Le calendrier des Baronnies : un sacré bordel pour les néophytes.


Les Baronnies n’ont pas de calendrier commun mais ont le leur propre, bien que le système de
comptabilité du temps soit le même pour tous : une année commence le 1er janvier et se termine le 31
décembre.
Chaque calendrier hédul commence à la naissance du nouveau baron et est remis à zéro à sa mort.
On ajoute avant ce chiffre le numéro du baron depuis la création de la Baronnie. Le Baron Foudre-
Hardi, 109ème du nom, a 36ans. Pour les habitants de Foudre-Hardi, nous sommes en l’an 10936 ; ce
qui correspond à l’an 13219 de Cœur-Couillu. C’est vraiment un casse tête, mais les Héduls y sont
habitués. De plus, un des moyens utilisés par les barons pour démasquer les espions venus d’une
Baronnie ennemie est de faire dire l’année au suspect. Si c’est un espion, il se trompe toujours et
donne l’année de sa Baronnie d’origine.

La hiérarchie d’une Baronnie :


Nous avons vu que la hiérarchie est délimitée entre le Baron, les chevaliers, les hommes libres et
les serfs. Mais il existe néanmoins quelques nuances.
Au niveau du Baron : il ne sait pas diriger son fief tout seul. Il est entouré d’une multitude d’hommes
aux responsabilités diverses.
a) Le Baron est responsable de son fief et a tous pouvoirs au sein de celui-ci. Il prend les décisions
importantes et est constamment informé du reste par ses différents délégués. Il est le chef de ses
armées et de ses terres. Il prend les décisions de justice et tranche les litiges. Il adoube les chevaliers
et libère parfois des serfs. Il mène les troupes au combat et choisit les stratégies de guerre à adopter.
En temps de paix, il représente son fief aux tournois et autres rencontres inter-Baronnies.
- Le Chambellan est le bras droit du Baron. Il s’occupe de toutes les affaires courantes de la
Baronnie, et du castel en particulier. Il est responsable de la bonne tenue et de la propreté du castel, de
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son approvisionnement en biens divers (métaux, animaux, vivres, etc.), de son personnel. Mais il
prend aussi la place du Baron quand celui-ci est parti en campagne ou est dans l’incapacité de régner
(maladie, blessure, ou mort. Dans ce cas, il gardera cette place jusqu'à ce que le successeur du Baron
entre en fonction). Il peut alors rendre justice à sa place, mais pas adouber ni libérer. Il ne s’occupe
pas non plus des affaires militaires. Il est le lien entre le Baron et le Système d’Information Baronnial
(S.I.B., nom de code pour désigner le réseau d’espionnage). Il a des yeux et des oreilles partout et est,
bien sûr, totalement dévoué au Baron. Bref, il le soulage des besognes quotidiennes et est
indispensable au bon déroulement de la vie de la Baronnie. Le Chambellan quitte très rarement le
castel, car il en est responsable. Il ne part donc jamais en campagne avec son maître, mais il peut
parfois l’accompagner aux tournois ou rencontres entre barons afin de s’occuper de la logistique de ce
genre de déplacement.
- Le Conseiller Militaire du Baron est son autre homme de confiance. C’est généralement le
premier écuyer que le Baron ait jamais eu, et il a aussi été adoubé par lui. Ils se connaissent depuis de
longues années et sont amis. Le Conseiller Militaire est un chevalier émérite et reconnu qui est
responsable de la garde personnelle du Baron, mais aussi son conseiller pour les questions militaires.
C’est bien connu qu’il y a plus dans deux têtes que dans une. Il prend aussi la place du Baron à la tête
des armées quand celui-ci est dans l’incapacité de le faire (maladie, blessure, ou... mort. Dans ce cas,
le Conseiller Militaire mènera les batailles jusqu'à ce que le successeur au Baron entre en fonction). Il
est l’ombre du Baron, son garde du corps, son confident.
- La Garde Personnelle du Baron est composée de minimum dix et maximum vingt chevaliers
qui ont fait leurs preuves en combat. Ils sont connus pour leurs faits d’armes et le Baron les a nommés
membres de sa garde personnelle à cause de cela. Ils sont ses gardes du corps et l’accompagnent lors
de tous ses déplacements. Sur un champ de bataille, ils ne s’éloignent jamais de lui et se sacrifieront
pour le sauver s’il le faut.
- Le Baron a aussi une myriade d’employés à son service au castel. Ces employés sont des
hommes libres, mais leurs biens servants à leur fonction appartiennent au seigneur. Ils ne sont donc
libres qu’en théorie, car ils se retrouveraient sans rien si ils venaient à perdre leur emploi. Ils sont
logés et nourris au castel (une partie de leur paie repart directement vers le Baron). Leurs économies
sont très maigres, car un Baron ne paie pas bien ; la sécurité (relative) de l’emploi suffit à satisfaire les
employés. Ceux-ci sont les serviteurs et servantes, hommes d’armes du castel et leur capitaine,
quelques chevaliers, palefreniers, forgeron, boulanger, cuisiniers, ouvriers divers qui réparent ci et là
les dégâts au castel, médecin, etc.
b) Les hommes libres hors castel : Ils vivent dans les rares villages existant sur les Baronnies. C’est
la population ne vivant pas sous le régime du servage. Pour ainsi dire, tout le monde sauf les mineurs
et les cultivateurs ; ce y compris les soldats stationnés en dehors du castel. Les soldats et percepteurs
d’impôts sont directement payés par le Baron, mais sont en première ligne en cas d’invasion. Les
autres se débrouillent comme ils peuvent pour survivre : petits commerce, artisanat, etc. C’est la plus
petite partie de la population, car il est très difficile de survivre sous ce régime. Le moindre imprévu et
c’est la mort de faim assurée. C’est pour cela que les gens préfèrent travailler pour le Baron : ils sont
sûrs de manger et dormir sous un toit.
c) Les serfs constituent une partie non négligeable de la population. Ce sont les mineurs, les
agriculteurs, les transporteurs, etc. Ceux qui fournissent les matières premières nécessaires à la bonne
marche de la guerre. Ils appartiennent directement au Baron, qui a droit de vie et de mort sur eux. Ils
ne sont bien sûr pas rémunérés, mais ils disposent de cabanons (appartenant aussi au Baron) où ils
logent et ils peuvent prélever une infime partie des récoltes pour survivre. Les enfants engendrés par
des serfs sont considérés eux aussi comme serfs et appartiennent au Baron dès leur naissance. Il ne se
passent pas beaucoup de saisons avant qu’ils ne commencent à travailler, que ce soit au semis des
graines ou à l’exploitation de galeries minières étroites.
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2. Le Darshan.
Géographie :
Le Darshan est un grand continent à l’ouest des Baronnies. Il est divisé en deux par la passe de
Tsyne-Broal, aussi appelé Roulage des Navires. A cet endroit, les terres entre la Mer d’Hédulie et
l’Océan Darshanide ne font que 5 kilomètres de large. Pour éviter aux navires de devoir contourner le
continent pour rallier la Mer ou l’Océan, les Darshanides ont élaboré un système très astucieux :
d’immenses animaux tirent les bateaux, qui sont posés sur des rondins, d’un bout à l’autre de Tsyne-
Broal. L’endroit est aussi un grand centre commercial et d’activités en tous genres.
Au nord de Tsyne-Broal se trouve le Haut Darshan. Plutôt montagneux et aride, il est peu peuplé.
Les récoltes sont rarement bonnes, et les Trolls Blancs du Darshan sont nombreux. Les Darshanides
n’aiment pas y vivre. Le relief y est très accidenté, des montagnes recouvrant plus de la moitié de ces
terres. Seuls les Dieux, les mineurs (ces montagnes sont très riches en minerais de toutes sortes) et des
moines reclus continuent à braver les dangers offerts par ces contrées.
Le Bas Darshan se trouve, quant à lui, au sud de Tsyne-Broal. C’est le grenier à blé du Darshan.
Seul l’extrême sud, volcanique, est peu peuplé. L’ouest est composé de terres d’élevages, l’est de
cultures. Le relief y est principalement assez plat. Les grandes villes du Darshan se trouvent aussi sur
ces terres. Xingdu, la capitale, abrite plus de 350.000 personnes. Les 16 familles impériales habitent
en retrait de la capitale, dans leur palais resplendissant.

Les climats du Darshan :


Le climat du Haut Darshan est très proche de celui des Baronnies d’Hédulie. Du fait de sa position
nordique, il y fait souvent froid, et le vent y est glacial. Mais, contrairement aux Baronnies, il n’y
pleut que rarement. Le Haut Darshan est un continent montagneux, sec, aride et froid. C’est pour cela
que peu de Darshanides y vivent.
Le Bas Darshan, quant à lui, est beaucoup plus agréable. Les cycles des saisons sont réguliers
(automne, hiver, printemps et été), et le climat y est doux, même en hiver. Les pluies sont plus
fréquentes que dans le Haut Darshan, favorisant les cultures de toutes sortes. Le printemps est
agréable et voit s’ouvrir les millions de fleurs multicolores des arbres des jardins du Darshan. L’été y
est radieux, mais jamais torride. Le Darshan ne connaît pas la sécheresse. Il faut dire que le Dieu de la
pluie est là pour entrer en action quand le besoin s’en fait sentir. L’automne voit brunir les feuilles des
arbres, et l’hiver est doux comparé au Haut Darshan. Bref, il fait bon vivre au Bas Darshan.

Un petit bout d’histoire :


Les Darshanides ont toujours connu un Empire, mais il n’y avait qu’un Empereur auparavant.
Chaque Empereur était le fils unique du précédent. Pendant des millénaires, il a régné sur un Darshan
paisible. Il a toujours été aimé de tous, et ne s’occupait pas des affaires religieuses. Ses tâches se
bornaient à maintenir l’intégrité du territoire du Darshan, régir les lois commerciales, et faire en sorte
que le peuple soit heureux.
Il y avait pourtant une ombre au tableau : Manth-Godon, un malandrin notoire. Ce brigand aimait
s’attaquer aux biens de l’empereur. Il cambriola plusieurs de ses demeures, lui déroba de grosses
sommes d’argent qu’il distribuait ensuite à la population, l’humilia en public, etc. Bref, Manth-Godon
ne s’en prenait qu’à l’Empereur, et ce plus par plaisir que pour l’argent. Leh-Shoump, l’Empereur de
l’époque, mit tout en œuvre pour mettre la main sur le bandit. En vain.
C’est alors que, il y a 6523 ans (du nouveau calendrier Darshanide), Manth-Godon s’introduisit à la
faveur de la nuit dans le palais de Xingu, demeure principale de Leh-Shoump. Il pénétra dans son
harem et honora consécutivement les seize concubines du vieil Empereur. Toutes donnèrent
naissance, neuf mois plus tard, à un fils. Normalement, l’Empereur ne devait avoir qu’un seul héritier.
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Leh-Shoump, qui était un brave homme, reconnut les seize enfants et décréta que, à partir de ce
moment, il n’y aurait non plus un seul Empereur, mais bien seize. Cette date marqua le début du
nouveau calendrier Darshanide.
Ce système vivota tant bien que mal pendant quelques siècles, mais il s’avéra bientôt qu’il n’était
pas viable, les seize Empereurs étant rarement d’accord sur les décisions à prendre à propos de la
bonne marche de l’Empire. Après de longues concertations, ils décidèrent d’élire l’un d’entre eux
comme unique Empereur. Pour les générations futures, l’Empereur choisirait son successeur parmi les
membres mâles des seize familles impériales.
Depuis ce jour, ça marche très bien.

L’histoire religieuse du Darshan est assez nébuleuse. Le premier Dieu répertorié se faisait appeler
Sharin-Dam. En fait, ils s’agissait d’un homme ordinaire qui avait un charisme certain et un brin de
mégalomanie. De sa voix suave, il séduisit les foules et les convainquit qu’il était réellement un Dieu.
Un phénomène bizarre se produisit : au plus les gens le croyaient, au plus il avait de nouveaux
pouvoirs inexpliqués. Au bout de quelques années, de nombreuses personnes croyaient à la véracité de
son statut de Dieu de la Terre. Ses adorateurs lui construisirent une immense demeure, Khore, où il
s’installa.
Peu après, un autre illuminé se proclama lui aussi Dieu. Il convainquit d’autres personnes, et chez
lui aussi se développèrent des pouvoirs bizarres. Il expliqua à ses adorateurs qu’il n’y avait non pas
deux Dieux, mais des milliers. Ils étaient invisibles, mais ils existaient pourtant. Il suffisait de croire
en quelque chose pour que le Dieu de ce quelque chose se manifeste. Les gens, heureux de pouvoir
croire à ce qu’ils voulaient, commencèrent à adorer tout et n’importe quoi. Quand le nombre des
adorateurs d’une même chose arrivait à un certain stade, le Dieu de cette chose se manifestait. C’est
ainsi qu’une multitude de Dieux apparurent, pour le plus grand plaisir des Darshanides. Ils avaient
enfin quelque chose d’autre que l’Empereur à quoi se raccrocher.
Les deux premiers Dieux, qui avaient décidé de demeurer ensemble à Khore, furent bientôt rejoints
par une multitude d’autres divinités. C’est ainsi que, depuis, les Dieux habitent à Khore et que des
milliers de pèlerins viennent chaque jour leur rendre hommage et leur remettre des offrandes. Ces
pèlerins se construisirent les Monastères Perchés d’Oxbere afin d’avoir une retraite calme pour prier
et communier avec leur Dieu.

Les cultes du Darshan :


Comme nous venons de le voir, de nombreux Dieux demeurent à Khore. Leur nombre exact n’est
pas connu, car de nouveaux Dieux peuvent apparaître à tout moment. Il suffit que quelques personnes
croient à une nouvelle chose, et le Dieu de cette chose apparaît.
Ce qui est certain, c’est qu’il y en a plusieurs centaines. Certains sont puissants, d’autres moins.
D’autres encore n’ont de Dieu que le nom. En fait, au plus un Dieu a d’adorateurs, au plus il est
puissant. Au plus il est puissant, au plus il peut conférer de pouvoirs aux prêtres prêchant la bonne
parole pour lui. C’est pourquoi certains prêtres sont craints, alors que d’autres n’ont aucune influence.
Ces centaines de cultes peuvent décontenancer quelqu’un extérieur au Darshan. Pourtant, les
Darshanides s’en accommodent parfaitement. Ils ont appris à vivre avec. Il faut bien dire que chaque
prêtre porte des vêtements propres à sa religion, ce qui facilite grandement les choses.
Chaque Darshanide croit à un Dieu. Personne n’est athée, et encore moins iconoclaste. Même
l’Empereur croit, mais il garde ses convictions religieuses pour lui. Ca évite de se mettre certains
cultes à dos, et de mélanger politique et religion.
Car les pouvoirs politiques et religieux sont séparés. Même si les différents conseillers et
diplomates impériaux sont de fervents croyants, il ne leur est pas permis de faire du prosélytisme dans
l’exercice de leur fonction. L’Empereur s’occupe de la politique, des lois et de l’armée. Les religieux
s’occupent de matières plus proches de la population : l’éducation, les coutumes et fêtes locales, la
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manière « bien pensante » qu’il faut adopter, etc. La seule matière à ne pas tomber sous une de ces
deux entités est le commerce.

Les pouvoirs des Dieux sont aussi divers que les Dieux eux-mêmes. Pourtant, ces pouvoirs sont
souvent en relation avec la chose que personnifie le Dieu. Le Dieu de la pluie fait pleuvoir et peut
contrôler l’eau ; celui du feu boute aisément le feu et est chaud au toucher ; celui de la mort peut faire
cesser de vivre d’un claquement de doigts et ressemble à un cadavre momifié ; etc.
Pourtant, outre ces pouvoirs spécifiques au Dieu, chacun a des pouvoirs communs : être immortel,
pouvoir changer de forme, connaître l’avenir de Troy (ils en profitent pour révéler des prophéties, très
écoutées mais aussi très peu comprises).

Qui est le Darshanide type ?


Le Darshanide est très différent des hommes vivants à l’est de la Mer du Ponant. Petit à la peau
cuivrée et à la face carrée, sa philosophie de la vie est aussi très différente. Il se complaît dans le luxe
et adopte une attitude des plus hautaine vis-à-vis des étrangers, sauf quand de bonnes affaires sont en
vue. Pour lui, la suprématie de sa race est incontestable. Les guerres hédules le font rire, la magie
d’Eckmül est ridicule, et les Tribans sont bizarres. Bref, les Darshanides n’aiment les étrangers que
pour une chose : leur argent. Et les Darshanides en profitent. Ils achètent des biens étrangers à bas
prix, et vendent leur vendent les leurs à des prix bien plus élevés que si ils étaient vendus à un autre
Darshanide. Les étrangers sont des pigeons, c’est bien connu. Seuls les Tribans ne se laissent pas
faire, c’est bien pour ça que le commerce avec eux est au point mort depuis longtemps.
Le Darshanide aime vivre dans le luxe. Même le plus petit paysan s’arrange pour avoir un certain
luxe, même si celui-ci n’arrivera jamais à celui d’un marchand. Tous les Darshanides tendent à cela :
gagner de l’argent pour pouvoir s’offrir du luxe.
Le Darshanide, même simple paysan, est bien éduqué. Il connaît l’histoire de son empire et de ses
religions. Il a suivi un minimum les études offertes par les prêtres. Il sait compter, presque toujours
lire et écrire, et écoute avec attention les nouvelles du monde extérieur.
La vie du Darshan étant paisible et plaisante, le Darshanide n’est pas physiquement très développé.
Il est petit et mince. En cas de guerre, il serait en position de faiblesse. Mais il n’existe aucune
menace. Le Darshanide ne mesure, en moyenne, que 1m60 ; et les femmes 1m50. Mais comme ils ont
un mode de vie agréable, comparé à d’autres contrées, leur espérance de vie est assez élevée. Il n’est
pas rare de voir des Darshanides âgés de 80 ans, et le plus vieux répertorié en avait 138.

Le commerce Darshanide : une activité inscrite dans les gènes.


Les Darshanides ont le commerce dans le sang. Si de nombreux en ont fait leur métier, tous savent
commercer, discuter les prix, flairer les bonnes affaires, etc.
Depuis de nombreux siècles, les Darshanides sont leaders sur le marché du commerce. Pour eux,
tout peut s’acheter et se vendre, tout a un prix. Ils sont passés maîtres dans l’import-export, et
innovent sans cesse dans les affaires. Qui d’autres qu’eux auraient pensé à organiser des voyages vers
les Marches Levantines quand Hélann et Arsel sont pleines ?
Pour améliorer encore leur pouvoir commercial, les Darshanides ont axé la plupart de leurs
recherches dans les systèmes de communication : ils ont les bateaux les plus rapides, les routes les
mieux entretenues et les plus praticables. Ils ont même élaboré une bourse commerciale à Tsyne-
Broal. Cette bourse répertorie les biens venant et partant de l’endroit, et indiquent les différentes
fluctuations de prix des produits. Les marchands l’ont pris comme critère pour acheter et vendre,
même si son système n’est pas encore totalement au point : un marchand peut très bien partir chercher
un bien alors que son cours est au plus haut, et revenir les cales pleines de ce produit alors que son
cours s’est effondré. Certains marchands peuvent avoir été ruinés à cause de cette bourse, mais
d’autres - ayant le nez plus fin - ont amassé des fortunes rien qu’en spéculant.
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Les Darshanides sont les maîtres des océans - sur le plan commercial - et en sont fiers. Ils
parcourent tout Troy, partant du Darshan avec des produits, puis les vendant au plus offrant dans la
zone d’Eckmül, pour enfin revenir vers le Darshan avec des produits étrangers et, si possible, de luxe.
La seule zone maritime où le Darshan n’est pas maître est la région du Triban. Il est vrai que les
Triban ne vendent rien, et n’achètent qu’à bas prix. Ce n’est pas un marché intéressant pour le
Darshan, qui le laisse aux autres contrées.
Le plus grand centre commercial de tout Troy est Tsyne-Broal. Outre le fait d’être la jonction entre
les deux océans et le géniteur de la bourse commerciale, l’endroit est aussi une ville en soit. Sa
population s’élève à plus de 100.000 âmes entassées dans des tentes et dans quelques cabanons (ceux-
ci abritent le représentant impérial et les comptoirs commerciaux permanents des plus grands
marchands. Tsyne-Broal voit passer des spécimens de toutes les peuplades, ou presque. Tous les
marchands dignes de ce nom se doivent d’y apparaître au moins une fois l’an. Les biens se vendent et
s’échangent, les rumeurs sur le monde aussi. Tsyne-Broal devient, petit à petit, un centre encore plus
névralgique que Xingdu.
Car Xingdu, la capitale impériale, est aussi un grand centre commercial. Presque tous les biens de
luxe y sont acheminés pour satisfaire les riches marchands, les familles impériales et les autres
personnes pouvant s’offrir ce genre de folie. Ces biens sont les plus courus en ville.

La monnaie Darshanite circule beaucoup. Les Darshanites étant leader dans le domaine du
commerce et offrant certains biens introuvables chez d'autres marchands, ils ont le pouvoir d’exiger
que les biens qu’ils vendent soient achetés dans les devises. Si l’acheteur n’en a pas, le marchand
Darshanite augmentera ses prix afin de récupérer sur le change, bénéfices compris. C’est pour cela
que la monnaie darshanite est tant recherchée par les marchands étrangers. Sa valeur est donc élevée
et cette monnaie n’en a plus perdu depuis des siècles. Elle est une valeur sûre : il n’existe aucun
endroit où elle ne sera pas acceptée, sauf au Triban. Mais cette contrée est décidément une exception
sur bien des points.

Le Troll blanc du Darshan : une bestiole bien sympathique.


Il n’y a pas qu’en Armalie et en Souardie qu’il y a des Trolls. Ils vivent aussi au Darshan. Mais
ceux-ci sont bien différents de leurs cousins de l’est. Le Troll blanc du Darshan est recouvert d’une
fourrure en majorité blanche, d’où son nom. Certains ont des taches brunâtres, d’autres noires. Des
totalement blancs ont été répertoriés, mais les observateurs ne se sont jamais approchés d’assez près
pour vérifier si la créature était albinos ou pas. Comme ce Troll-ci est muni d’une fourrure, les puces
et autres vermines du style remplacent les mouches. Il n’est pas rare de voir un Troll blanc se gratter
vigoureusement, dérangés par les démangeaisons des parasites. Et il est bien sûr impensable de voir
un Troll blanc se baigner pour les éliminer. Si c’était le cas, ce ne serait plus un Troll.
La fourrure n’est pas la seule différence entre lui et le Troll armalite. Le Troll blanc est aussi plus
petit, plus trapu et affiche toujours un regard vide de toute intelligence : il mesure, en moyenne,
1m75 ; est assez gros pour sa taille et est très bête (ce qui est encore plus perceptible quand il est
enchanté).
Son agressivité est aussi plus limitée. En effet, le Troll blanc est omnivore. Il mange aussi bien des
racines et de jeunes arbres que de la viande. Il chasse moins, et empiète donc moins sur le territoire
des Darshanides. Il est rare qu’un Troll blanc s’attaque à l’homme, mais il peut se montrer
extrêmement agressif si il est dérangé pendant son repas. Nanti d’une dentition impressionnante, il
peut quand même arracher un bras sans trop d’effort.
Sinon, le Troll blanc vit en tribu, et principalement dans le Haut Darshan. Contrairement aux Trolls
armalites, il ne connaît pas les villages, mais il occupe généralement des grottes ou autre abri naturel.
Il mène une vie paisible partagée entre la recherche de racines et de petits animaux et la reproduction.
Il craint l’homme, car il sait que celui-ci essaiera de l’éliminer, et se garde de l’approcher.
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Comme la magie telle qu’elle est connue à Eckmül n’existe pas au Darshan (nous savons que le
Troll blanc enchanté est très bête car Shel-Dhar, XXIIIème Empereur, en avait offert un au Conseil
Restreint et que celui-ci s’était empressé de l’enchanter, puis de faire des expériences dessus), le Troll
blanc ne porte pas de gris-gris. Il ne connaît pas la religion et n’a donc jamais cherché, bête comme il
est, à s’en protéger. Il se promène nu comme un ver (il ne porte même pas de pagne, laissant ses
attributs virils virevolter au grand air).
Pour tout dire, le Troll blanc est une créature primitive, recluse et stupide qui peut quand même
s’avérer être un adversaire redoutable si poussé dans ses derniers retranchements.

Les hiérarchies du Darshan :


Il existe deux pouvoirs principaux au Darshan : le pouvoir impérial et le pouvoir polythéiste
clérical. Chacun a des prérogatives et des fonctions spécifiques.
1) Le pouvoir impérial : il est exercé par l’empereur, aidé par les seize familles impériales. En
théorie, l’Empereur a tout pouvoir dans les matières qui l’incombent. La pratique est bien différente.
En effet, l’Empereur prend les décisions importantes pour le royaume. Il le fait soit seul, en son âme
et conscience ; soit en demandant l’avis des seize familles. Dans ce cas, chaque dirigeant des familles
vote, et la majorité des voix l’emporte. Le choix reste néanmoins à la discrétion de l’Empereur.
L’inconvénient, c’est que chaque fois que l’Empereur prend seul une décision, il s’attire la colère des
familles. Afin de garder une atmosphère sereine, il demande de plus en plus souvent leur avis.
Le pouvoir impérial statue sur beaucoup de choses. L’armée est dirigée par l’Empereur, mais il
édicte aussi les lois civiles, pénales et commerciales. l’Empereur est toujours à l’écoute des
revendications des marchands influents. Il vaut mieux ne pas les contrarier, ils pourraient ruiner
l’économie du Darshan ! Pour ce faire, l’Empereur est en relation avec les guildes marchandes.
Celles-ci sont dirigées par les marchands les plus puissants et sont très influentes. Elles usent et
abusent de cette influence pour manipuler l’Empereur pour tout ce qui concerne le commerce. Ainsi,
par exemple, les taxes sur les biens importés qui pourraient être produits au Darshan sont exorbitantes
(une partie de ces taxes est d’ailleurs reversée aux guildes). Les procès commerciaux sont aussi
organisés et dirigés par les guildes. Si un litige commercial éclate entre un Darshanide et un étranger,
celui-ci est presque certain de perdre.
Les juges de loi civile et pénale sont aussi sous le contrôle - indirect - de l’Empereur. Il est en
relation directe avec les Exécuteurs Cantonaux, qui chacun font appliquer les lois édictées par
l’Empereur dans le canton qui leur est assigné. Les juges, quant à eux, rendent des comptes aux
Exécuteurs Cantonaux. Comme il n’y a pas de lien direct entre l’Empereur et les juges, la corruption
bat son plein. Mais, l’Empire étant tellement grand, il n’y a pas grand chose à faire pour y remédier.
L’armée suit un peu le même régime. L’Empire est beaucoup trop grand pour que l’Empereur
puisse contrôler directement l’armée. Il décide de sa structure et nomme les principaux hauts
fonctionnaires, mais ce sont ceux-ci qui ont le réel contrôle de l’armée. Ces hauts fonctionnaires sont
aussi responsable du canton qu’ils dirigent ; les cantons étant les mêmes que pour la justice. Les hauts
fonctionnaires rencontrent l’Empereur tous les trois mois afin de le tenir au courant de ce qui se passe.
Mais comme le Darshan est calme, ces réunions sont expéditives. L’Empereur est vieux et a besoin de
repos.

L’Empereur est bien entouré. Il vit dans un palais somptueux situé en périphérie de la capitale
impériale. Ce palais est énorme et merveilleux. De nombreuses parties sont couvertes de feuilles d’or,
d’autres de pierres précieuses. Et l’intérieur est encore plus luxueux.
La grandeur du palais n’a rien de futile. En effet, nombreux sont ceux qui gravitent autour de
l’Empereur. Les seize familles impériales au grand complet y résident. A cela vient s’ajouter les
centaines de serviteurs et servantes, les cuisiniers, tailleurs, etc. Et aussi les 42 jeunes femmes qui
composent le harem impérial. Certaines coutumes ont la vie dure. Mais l’Empereur ne tient pas à se
retrouver, comme son illustre ancêtre, avec 42 fils sur le dos. Dès qu’il a eu un fils, il a mandé un
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médecin de renom qui devait l’empêcher d’avoir d’autres enfants. La renommée du médecin devait
être plus grande que ses réelles capacités, car il loupa superbement son coup : le membre viril impérial
ne montre plus aucun signe de vigueur. Il est certain que le procédé a porté ses fruits : il n’aura plus
jamais d’enfants. Mais ses jeux érotiques n’auraient plus court non plus. Pour la première fois depuis
le début de son règne, l’Empereur fit mettre quelqu’un à mort : le maladroit médecin.
L’Empereur accueille aussi en son palais une pléthore d’amuseurs et de bouffons, et de marchands
qui viennent sans cesse lui présenter des nouveaux biens tous aussi luxueux les uns que les autres. Ils
sont inutiles, donc rigoureusement indispensables au vieillard.

Les autres endroits dignes d’être signalés :


1) Les Iles du Sel : Ces îles sont arides. Rien n’y pousse car la teneur en sel du sol y est beaucoup
trop importante. Pourtant, des gens vivent sur ces îles : les bagnards du Darshan. Le sel étant un
produit qui se vend très bien et dont le cours est stable depuis des lustres, certains marchands ont
creusés des mines pour le récolter. Comme la main d’œuvre est chère et peu encline à venir s’enterrer
sur ces bouts de terre inhospitaliers, les marchands sont arrivés à un accord avec l’Empereur. Les
bagnards purgeant une lourde peine pour méfait grave sont envoyés comme main d’œuvre dans les
mines, et l’Empereur reçoit en retour des dividendes sur les bénéfices des mines. Tout le monde y
gagne : le bénéfice des marchands a fait un bond en avant, et l’Empereur éloigne les malfrats (très peu
survivent à la dureté de la tâche dans les mines) et reçoit en plus de l’argent qu’il peu dépenser en
produits de luxe.
2) Execre, sa ville, ses volcans : Execre est une enclave tout à fait particulière. Il y a environ 300
ans, des forçats des Iles du Sel s’évadèrent et s’emparèrent d’un navire. Il accostèrent sur le cap
Calbot et s’y installèrent. D’abord, l’Empereur dépêcha des troupes pour récupérer les malandrins,
mais ceux-ci étaient mieux armés que prévu. Il repoussèrent les troupes impériales. Des escarmouches
s’ensuivirent, mais Execre résistait toujours. Apparemment, ils étaient approvisionnés en armes de
l’extérieur. Cette gue-guerre dura plusieurs années, puis l’Empereur, las de devoir renoncer à ses
plaisirs pour s’occuper de ce problème si loin de Xingdu, leur proposa la paix. Les délinquants
seraient libres de vivre à Execre, tant qu’ils ne quittaient pas la ville. Execre accepta, et la vie devint
normale. Le sol volcanique était peu propice aux cultures, et la ville était entourée de volcans,
l’isolant totalement. L’Empereur laissa des navires en patrouille près d’Execre pour empêcher tout
navire d’en sortir. Les habitants de la ville creusèrent quelques maigres mines, mais c’était insuffisant
pour survivre et se développer. Vivre en autarcie était impossible. Les marchands se ruèrent sur ce
nouveau marché et vendirent des biens de première nécessité. Bizarrement, Execre avait les
ressources pour payer ces biens achetés. Des rumeurs circulèrent, affirmant qu’un riche marchand,
resté anonyme, se prenait pour un mécène et donnait énormément d’argent à la ville. C’était aussi lui
qui l’avait approvisionné en armes lors des conflits avec les troupes impériales. Aujourd’hui encore,
ces fonds dont la provenance est inconnue continuent à affluer vers Execre.

3. La zone d’influence d’Eckmül.


La zone d’influence d’Eckmül est la plus grande partie de Troy et est divisée en plusieurs régions
en fonction du climat et des populations y habitant. Ces différentes régions sont l’Armalie, la
Souardie, le Delpont, la Questie, les Marches Levantines et la Forêt Glaciale. Pour des raisons de
facilité, nous y avons adjoint l’archipel Hagatoe. Celui-ci est loin de tomber - en pratique - sous
l’influence d’Eckmül, mais en fait partie sur le plan géographique.
Il est à noter que cette influence s’amenuise au fur et à mesure que l’on s’éloigne d’Eckmül. En
effet, les voyages étant longs et dangereux, les sages d’Eckmül sont plus présents à proximité de la
ville. Ils se font de plus en plus rares quand on s’en éloigne, la magie étant alors aussi plus rare.
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Certains villages du grand nord ou de la Questie profonde n’ont même jamais vu de sage et certains
habitants n’ont même pas conscience de leur pouvoir magique.

A) Eckmül, ville de lumières :


Notre structure politico-sociale semble souvent étrange aux visiteurs venus des autres continents.
C’est vrai qu’il existe, de fait, une unité des territoires magiques. Bien entendu, il convient de rappeler
que ce n’est pas le territoire qui engendre la magie, mais le fait que des sages y aient élu domicile. Il
existe, dans ce que nous appellerons la zone d’influence d’Eckmül, divers pouvoirs politiques locaux :
chefs de village, bourgmestres, conseils auto-gestionnaires, etc... En revanche, on ne trouve pas
d’institution politique régionale : pas de roi, d’empereur ou de tsar. C’est en réalité le Conservatoire
d’Eckmül qui assume de façon détournée la charge politique. La pratique est assez simple : le
Conservatoire se contente de maintenir la paix dans sa zone d’influence en menaçant de retirer ses
sages de tout village ayant des intentions belliqueuses ou conquérantes. Ainsi privés de magie, les
agresseurs ont peu de chance de nuire beaucoup à des voisins encore capables d’utiliser leurs
pouvoirs.
Bien entendu, des individus ou des groupes mal intentionnés tentent parfois de retenir des sages
contre leur gré pour pouvoir à loisir exercer leur magie. La consigne des sages est alors de tout faire
pour mettre fin à leurs jours. En pratique, ils l’exécutent rarement et tentent plutôt de raisonner les
agresseurs. Ceux-ci comprennent rapidement que le Conservatoire a tout à fait les moyens de dépasser
sa vocation purement culturelle et spirituelle et de s’impliquer un peu plus dans les réalités du siècle,
en particulier lorsqu’arrivent d’Eckmül des émissaires dont les pouvoirs peuvent être de rendre leurs
interlocuteurs impuissants ou de leur provoquer des rages de dents.

En dehors même de la présence du Conservatoire, Eckmül est une agglomération de toute première
importance. On y compte près de deux cent mille habitants humains, ce qui en fait la cité la plus
peuplée du continent. Son port est le point d’attache de la plupart des navires commerçant sur la mer
du Ponant, et les équipages trouvent de quoi réconforter leur foie et leurs passions charnelles dans les
nombreuses tavernes enfouies au cœur des étroites ruelles de la vieille ville. Partout, des étalages de
poissons fumés ou salés, de viande fraîche ou avariée, de fruits ou de légumes, des échoppes
d’artisans, des bijoutiers, des ferronniers, des cordonniers, des verriers, des potiers, des tonneliers, des
barbiers, des selliers, des chapeliers, des armuriers, des médecins, des assassins, des nécromanciens,
des sculpteurs, des tatoueurs, des dresseurs (d’animaux ou de femmes), des brasseurs, des brocanteurs,
des embaumeurs, des apiculteurs, des fourreurs (d’animaux ou de femmes), des fleuristes, des
harpistes, des philologues, et des agences d’intérim matrimonial. Les dames se promènent entre les
boutiques de tissus et de fanfreluches, près du marché aux animaux de compagnie, et tout ce monde
attire un grand nombre de mendiants et de coupeurs de bourses.
Le plus important des commerces reste celui de l’alcool. Des dizaines de chariots chargés de fûts et
de barriques en provenance de l’arrière-pays franchissent tous les matins les portes de la ville pour
alimenter les tavernes et les boutiques. Les débardeurs extraient des cales des navires les tonneaux
remplis de vins exotiques ramenés de l’autre bout du monde. On trouve à Eckmül tout ce que
l’homme a réussi à faire fermenter depuis l’aube des temps, des liqueurs des Monts Locaces aux vins
bleus du Darshan, en passant par les bières lourdes et noires des campagnes souardes. Le vin
ordinaire, le plus courant, est le Gris de Klostope. Les taverniers disent en riant que si un fleuve de vin
Gris partait de Klostope, il serait asséché bien avant d’arriver à la mer.

Le Conservatoire d’Eckmül, temple de la sagesse :


Le Conservatoire existe depuis des millénaires, et la plomberie des sanitaires a rarement été refaite.
Quoi qu’il en soit, c’est sans aucun doute l’institution la plus respectée de Troy.
On y enseigne de nombreuses disciplines, mais son objet premier est bien sûr de former les sages
qui iront relayer les champs de magie jusque dans les plus lointains villages. Ils passent plusieurs
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années à l’internat du Conservatoire, durant lesquels ils s’initient à l’histoire, à la cartographie, aux
lettres, aux sciences, aux langues mystiques, à la biologie, et parfois aux jeux de hasard. Ils
apprennent à canaliser leur énergie, à élargir les champs de leur conscience, à maîtriser les flux
magiques, et à détester la nourriture de la cantine. Le Conservatoire est également un lieu de
recherche et les plus grands spécialistes de sujets aussi différents que l’adduction d’eau dans les
métropoles ou la sexualité des moustiques dans les environs de Jaclare y poursuivent leurs travaux.
C’est évidemment au Conservatoire que se trouvent les plus belles bibliothèques de la planète. Il
faut avouer que bon nombre d’érudits prennent un grand plaisir à la publication de leurs travaux, et les
sept presses de l’Imprimerie Universitaire tournent jour et nuit, les deux cents employés du
département reliure travaillent suivant le système des quarts. Un directeur administratif épris
d’économies décida un beau jour de limiter le nombre de publications officielles, mais il n’eut jamais
l’occasion de faire appliquer sa circulaire. Il trouva la mort lors d’une chute malencontreuse dans le
grand escalier de la section scientifique. Quelques témoins affirmèrent avoir vu s’éloigner rapidement
un petit groupe d’érudits ricanant dans le col relevé de leur cape, mais l’enquête, elle, ne fut pas
poussée plus loin.

Le Conservatoire est née de l’idée du Vénérable Angremol-le-Tremblotant. Ayant fait de longues


recherches pendant de longues années, il avait enfin réussi à trouver la bonne manière de canaliser le
flux magique ; ce qui, jusque là, était resté empirique. Il décida donc de bâtir, en collaboration avec
les autorités locales, le Conservatoire où s’enseignerait le savoir. C’était il y a 7817 ans (du calendrier
d’Eckmül), date qui marqua le début de ce calendrier, le jour où la première pierre du Conservatoire
tomba sur le pied d’Angremol, premier véritable sage d’Eckmül. Le Conservatoire se construisit alors
petit à petit, au fil des siècles. D’abord une simple maison où une trentaine de sages étudiaient, des
extensions et autres ailes furent ajoutées au bâtiment pour qu’il arrive, il y a 150, au Conservatoire
que nous connaissons aujourd’hui.
A l’inauguration du Conservatoire, Angremol dévoila la charte qui contenait les lignes directrices
de l’école. Cette Charte d’Eckmül, encore utilisée aujourd’hui dans son intégralité, est un gros volume
de plus de 700 pages où sont consignés en détail les objectifs du Conservatoire (tout mettre en œuvre
pour permettre à tous d’utiliser son pouvoir magique), les idéaux philosophiques et politiques (ce sont
des chapitres assez verbeux et confus écrits par Angremol et les autorités locales. Celles-ci ont été
habilement manipulées afin de donner les pouvoirs au Conservatoire tels que nous les connaissons
aujourd’hui), les règles de vie du sage, les études à suivre, et les recettes de la cantine. On murmure
dans les classes que le choix de cuisiniers aptes à rendre infect n’importe quel matériau comestible est
une des obligations inscrite dans la Charte.

La hiérarchie à Eckmül :
Le Conservatoire possède également des prérogatives politiques. Il existe en théorie un Conseil des
Erudits, mais il se réunit extrêmement rarement. En pratique, le pouvoir est laissé entre les mains d’un
Conseil Restreint, formé de trois individus. Le Grand Conseil ne délibère que lorsqu’il s’agit de
remplacer l’un des trois. A l’époque actuelle, le Conseil Restreint est composé des Erudits Lignole le
Vénérable, Bascréan le Fougueux et Plomynthe l’Irrésolu.
Lignole, vieillard d’une culture et d’une intelligence remarquables, aime à se faire passer pour un
gâteux inoffensif. Pourtant, ses petits yeux ne perdent rien de ce qui se passe autour de lui, et son ouïe
est beaucoup plus fine qu’il ne le laisse paraître. Il a fait toute sa carrière de sage à Eckmül même,
conformant des modèles d’analyse historico-politique, et en a déduit que le meilleur moyen de
protéger Eckmül des divers dangers qui pouvaient la menacer est de prendre discrètement le pouvoir.
Bien entendu, il n’est qu’un des trois membres du Conseil Restreint, mais son âge et son art de la
duplicité lui ont longtemps permis de manoeuvrer ses deux condisciples.
Plomynthe est le modèle même de l’homme inutile, parvenu à obtenir un poste important parce que
deux factions désiraient chacune imposer un candidat, et que tout compromis était impossible. Le
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Grand Conseil avait décidé d’élire un individu neutre qui ne dérangerait aucun des deux partis en
présence, un homme sans grande envergure qui pourrait facilement être démis de ses fonctions dès
que l’accord se serait fait sur un candidat plus sérieux. Le choix se porta sans hésitation sur
Plomynthe, un petit responsable de la comptabilité devenu miraculeusement directeur administratif
grâce à la chute dans un escalier de son prédécesseur. Connu pour sa haute opinion de lui-même et sa
mollesse en toutes choses, il semblait faire l’affaire. Mais les deux factions ne parvinrent jamais à
trouver un accord, et comme rien d’important ne se passait à Eckmül, les érudits se désintéressèrent de
l’élection et retournèrent à leurs chers travaux. Dans l’indifférence générale, Plomynthe put conserver
une fonction qui n’aurait dû être que temporaire, malgré un incident concernant sa santé que nous
évoquerons plu bas.
Bascréan, l’élément le plus inattendu du trio, est un érudit encore assez jeune, fougueux et
impétueux, et parfois d’une vue assez courte sur les événements du monde. Excellent élève, plutôt du
genre qui retient bien que du genre qui imagine beaucoup, il a rédigé une thèse remarquée sur la
nécessité de convertir à l’usage de la magie tous les continents de Troy. Il fait partie de la faction des
Théologiens, qui considèrent que la magie est un don divin, et qu’il est du devoir d’Eckmül de la
partager avec tous, quitte à l’imposer par la force si nécessaire. Face à eux, les Pragmatiques, dont
Lignole est le chef de file, récusent la mystique des Théologiens, et soutiennent que tant que tout va
bien, il n’y a pas de raison d’aller embêter ses voisins. Bascréan occupe à ce poste le fauteuil laissé
vacant par son frère, l’incongru Thanos. Ce brillant érudit, dévoré par la soif de puissance et de
pouvoir, avait tenté de renverser le Conseil afin d’y imposer son autorité unique. La manoeuvre avait
été déjouée par Lignole qui, fin psychologue, se méfiait des gens qui aiment les beaux vêtements.
Employant, en toute illégalité, les services d’un télépathe, Lignole avait pu percer à jour les plans de
Thanos : l’ambitieux érudit avait l’intention d’assassiner ses deux compagnons du Conseil Restreint.
Il évita donc le verre de vin empoisonné que Thanos lui servit et laissa Plomynthe boire le sien, afin
d’avoir une preuve de la traîtrise de Thanos. Plomynthe s’écroula, visage dans son assiette, au beau
milieu du réfectoire. Lignole put faire accuser officiellement Thanos. Le hasard voulut que Plomynthe
ne mourut point, grâce à l’intervention d’un médecin de l’est qui connaissait tout des techniques
vomitives. Il resta cependant de longues semaines éloigné de toute activité suivie, sa diarrhée lui
interdisant de trop s’écarter des lieux où elle pouvait en toute quiétude s’exprimer. Thanos confondu
fut déclaré traître à Eckmül mais parvint à échapper à la garde du Conservatoire, grâce à son pouvoir
de délocalisation. C’est alors qu’il commença la carrière de forban que l’on sait, avec le but avoué de
se venger d’Eckmül.

Un petit bout d’histoire :


On se souvient de la grande révolte de Klostope, une ville importante au sud des Monts Locaces.
Plusieurs sages de la région, dévoyés par un potentat local du nom de Grunde, étaient ouvertement
entrés en rébellion contre Eckmül. Ils revendiquaient, au nom de Grunde, une totale autonomie de la
ville et de ses armées afin d’être autorisés à incendier, piller et violer dans les bourgades voisines.
Eckmül refusa de transiger et une terrible guerre s’engagea. Grunde s’empara d’un territoire assez
important et y appliqua son programme avant qu’un des sages du Conservatoire parvienne à mettre la
main sur un paysan souard dont le pouvoir était de faire disparaître les sons. Le paysan fut invité à
s’engager dans l’armée de Grunde afin de s’en approcher. Il parvint jusqu'à la tente de
commandement et entoura le roitelet d’une bulle de silence. Grunde ne pouvait plus entendre ses
lieutenants ni leur transmettre des ordres autrement que par écrit. Il s’affola et l’organisation de son
armée en souffrit rapidement. Après quelques semaines de silence, Grunde dut capituler, regagner
Klostope et livrer à Eckmül les neuf sages corrompus. Habituellement, les Erudits répugnent à la
violence. Ils firent pourtant une exception. Les neuf traîtres furent traînés devant les étudiants,
enchaînés dans les amphithéâtres du Conservatoire et torturés durant de longues semaines. Dans un
but purement pédagogique, bien entendu.
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La Souardie :
Bien peu de nos contemporains connaissent réellement la Souardie. Contrée un poil rébarbative et
essentiellement agricole, elle n’est guère l’objet de ruées touristiques, contrairement à la côte de
Rierdale ou aux îles du Ponant. Le paysage souard est assez plat, principalement composé de champs
de céréales et de quelques forêts de feuillus. Les jeunes citadins désignent habituellement les habitants
de la Souardie sous le vocable de « ploucs », mais l’appellation correcte est « Souards ».
Le Souard est de caractère aimable, il aime sa famille, ses troupeaux, et ses aubergistes. Il s’habille
de toile grise ou beige, et se met au travail dès le lever du soleil. Lorsqu’avec son épouse il rentre des
champs à la tombée de la nuit, il se campe au comptoir de la taverne pour laisser à sa femme le temps
de filer à la maison préparer le repas : en effet, le Souard est un galant homme. S’il titube à la sortie de
l’estaminet, on sait qu’il est l’heure pour les enfants d’aller au lit. Tous savent qu’il faut aller se
coucher quand tombe le Souard. Sinon, le climat de la Souardie est tempéré : chaud l’été, froid
l’hiver, et tiède entre les deux.

Le village de Glinin est situé dans la partie orientale de la Souardie. Ici les champs de blé font
souvent place à une agriculture plus diversifiée, de type bocage pré-montagnard. Plusieurs légendes
locales expliquent l’origine du village. La plus communément admise raconte l’histoire du maraîcher
Glin, chassé de chez lui par sa femme pour avoir été trop galant. En effet, Glin, campé au comptoir de
la taverne, avait surestimé le temps nécessaire à la préparation d’un repas. Il était arrivé chez lui au
milieu de la nuit, soutenu par trois amis encore assoiffés. Sa femme, d’humeur certaine, s’était
emparée d’un balai et avait poursuivi le pauvre homme jusqu'à ce qu’il ne soit plus qu’une silhouette
se découpant sur la lune, loin au delà des collines.
L’exilé erra quelques temps, puis s’installa près d’une petite rivière ombragée pour y planter de
l’orge, du houblon, et ériger une cuve à fermentation. Il fraya avec une nymphe de la rivière ; chacun
sait que les nymphe sont d’un caractère exquis. Leur union engendra une fille. L’année suivante, une
seconde fille naquit. La troisième année également, la quatrième aussi. A l’âge de 70 ans, Glin se
retrouva père de 29 filles, toutes aussi charmantes que douces et aimantes. Il vendit les plus jeunes et
avec l’argent obtenu, paya des messagers pour annoncer dans tous les villages que des belles
cherchaient un mari. Quelques centaines d’hommes se présentèrent, chacune des filles se choisit sept
maris, un pour chaque jour de la semaine, et le village de Glinin prit réellement naissance.
On raconte que les hommes qui n’avaient pas été choisis se tournèrent vers la rivière afin d’y
trouver d’autres nymphes. Certaines, curieuses des choses de la nature humaine, se laissèrent capturer
et engrosser, mais la plupart préférèrent fuir devant cette horde de mâles en état d’intense excitation
érotique. C’est une des raisons pour lesquelles il n’y a plus aujourd’hui de nymphes dans la région de
Glinin.
Dans les villages comme Glinin, l’atelier du forgeron est un point central, un lieu de passage pour
tous : le paysan vient faire ferrer ses bêtes, le mari jaloux vient faire ferrer l’intimité de sa femme, la
femme vient faire réparer ses lourdes marmites de cuivre ou demander discrètement un double des
clés de son ferrage, le guerrier vient affûter son épée, le bûcheron y achète ses haches et le pêcheur ses
hameçons.
Jusqu'à la venue du chevalier Or-Azur, l’événement le plus étrange survenu dans la forge de Maître
Gramblot fut l’arrivée d’un garde du port de Gemman en armure de parade. L’homme avait depuis
longtemps négligé l’entretien et le graissage quotidien de son armure, et les plaques de métal
articulées avaient rouillé sous la fine pluie d’automne. Après une longue journée de voyage, le garde
s’était retrouvé coincé dans sa carapace de métal, et avait mis trois jours à atteindre Glinin, sans
pouvoir faire un mouvement ni changer de pose. L’arrivée de cette statue bringuebalante sur sa selle
avait amusé les gamins du village. L’aubergiste, toujours à l’affût d’un bon client, avait eu la bonté
d’âme d’arrêter la monture et de faire porter le chevalier chez Gramblot. Celui-ci dut découper chaque
pièce pour libérer l’infortuné garde, sous les quolibets de tout le village venu assister au spectacle.
Affamé et épuisé, le malheureux garde resta trois jours à l’auberge où il se prélassa dans des bains aux
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huiles parfumées, mangeant de la volaille rôtie, commandant les meilleurs chapons, et vidant de
grandes carafes de vin pour se remonter de son aventure. Lorsque Gramblot vint lui présenter sa note
pour son intervention salvatrice, l’homme avait déjà dépensé tout le contenu de sa bourse, et
l’aubergiste affichait un large sourire. C’est depuis ce jour que Maître Gramblot et Maître Panyce,
l’aubergiste, ne s’adressent plus la parole.

La magie, phénomène remarquable :


Il est bon de rappeler que chacun de nous possède des pouvoirs magiques. Mais connaissez-vous
bien l’étendue de certains pouvoirs ?
Les pouvoirs peuvent être simples, c’est à dire utilisables n’importe où et n’importe quand, ou
sujets à condition. Le pouvoir de guérison que possède C’ian, par exemple, ne fonctionne que la nuit.
Son père, le sage Nicolède, a tenté l’expérience consistant à l’enfermer dans une cave hermétique à
toute lumière, mais le pouvoir ne s’est pas laissé abuser par la supercherie et a refusé de produire le
moindre effet. Certains pouvoirs ne se déclenchent que périodiquement, au printemps, ou lorsque le
sujet a les cheveux courts ou lorsqu’il se tient à cloche pied. Il n’y a pas de règles précises. On raconte
qu’un petit garçon avait une force extraordinaire, mais qu’elle le quittait dès qu’il était enrhumé.
Dans tous les cas, l’utilisation d’un pouvoir a deux effets secondaires : on constate l’apparition
d’un phénomène lumineux de couleur variable, et les cheveux du sujet se dressent bizarrement sur sa
tête. Les jeunes femmes aux longs cheveux doivent toujours faire attention à ce qui se trouve au
dessus d’elles avant d’avoir recours à la magie. Cet effet secondaire a en revanche un aspect pratique
lorsque la chevelure est envahie de parasites : on demande alors aux personnes infestées de se
concentrer sur leur pouvoir, les cheveux prennent la position verticale et l’épouillage se passe tout à
fait proprement.
Généralement, les sages d’Eckmül ne possèdent pas d’autre pouvoir que celui de relayer les
champs magiques vers leurs concitoyens. On a cependant vu des exceptions et on parle encore au
conservatoire d’Eckmül d’un enseignant qui obtenait des résultats exceptionnels : il avait le don de
paralyser son auditoire pour la durée de ses cours, sans pour autant l’endormir. Il était fort peu
chahuté. Quoi qu’il en soit attention ! N’oubliez jamais la plus importante des règles : si vous vous
éloignez à plus de quelques lieues d’un sage, vous perdez tous vos pouvoirs !

La piraterie en mer du Ponant :


Les pirates ne sont pas très nombreux dans les eaux proches d’Eckmül. A dire vrai, Thanos est le
premier pirate à travailler en mer du Ponant depuis le fameux flibustier Kraham, deux siècles plus tôt.
Kraham fut un redoutable adversaire pour les navires marchands, les caboteurs de Rierdale ou les
transocéaniques commerçant avec le continent du Darshan. Son rapide trimaran géant pouvait courser
n’importe quel brick lourdement chargé, et son équipage était célèbre pour sa cruauté et sa rapacité.
Tous les capitaines craignaient alors de rencontrer ce géant rouquin, que l’on disait fruit des amours
coupables entre un troll et une humaine à l’intimité particulièrement accueillante. La vérité sur les
origines de Kraham, nous le savons aujourd’hui, était toute autre. Son père, un authentique baron
d’Hédulie, menait une guerre contre son voisin de Chestre, lorsqu’il perdit dans un bois touffu le
contact avec ses troupes. C’était un petit homme grassouillet mais un excellent combattant, un baron
courageux et sûr de lui. Il ne perdit pas confiance, et certain de son invulnérabilité, se proposait de
partir seul à l’assaut de Chestre. Il ne lui restait qu’à retrouver sa route. Il chevaucha plusieurs heures
dans les forêts profondes avant d’apercevoir une grotte qui semblait habitée. Sans doute un ermite,
pensa-t-il. Si la nourriture risque d’être frugale, au moins pourrai-je me réchauffer auprès d’une bonne
flambée ! Il s’avança sans crainte jusqu’au centre de la caverne avant d’entendre, provenant d’un coin
sombre, des gémissements aussi inquiétants qu’étranges. On eût dit le lancinant crissement d’une
marmite en cuivre frottée contre les écailles d’un dragon, entrecoupé de fortes respirations. Ses yeux
s’habituant à l’obscurité, il distingua, assise contre une paroi, une forme rousse et velue, munie de
deux jambes entrouvertes et dodues entre lesquelles fourrageait une patte rageuse. Le baron, sentant
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qu’il allait bientôt atteindre les limites de sa bravoure, recula doucement vers l’ouverture. Mais son
armure laissa échapper un grincement de métal corrodé et la femelle troll interrompit ses exercices de
plaisir égoïste pour se relever brusquement. En deux enjambées, elle avait saisi le petit baron et
épluchait soigneusement les diverses pièces de son armure en couvrant de baisers les parties
dénudées. Et là, le hasard intervint d’une façon biologiquement surprenante : il se révéla que le petit
baron grassouillet était doté d’organes reproducteurs d’une ampleur qui l’avait fait considérer comme
un monstre par toutes les femmes qu’il avait approchées (et qui avaient remis aussitôt leur robe en
hurlant). Il n’y avait tout de même pas de quoi faire grosse impression face à une trolle, mais la
voluptueuse créature décida qu’elle se contenterait de ce que le petit homme avait à offrir. Profitant de
l’obscurité de la grotte, la femelle troll se livra sur le baron à des pratiques stimulantes, prenant bien
garde à ne pas refermer les dents. Puis elle le plaqua contre elle et se mit à remuer lascivement le
bassin, cassant trois côtes au baron. Celui-ci fermait les yeux, en proie à des sentiments
contradictoires. Il réalisait l’horreur de la situation mais ne pouvait s’empêcher de prendre plaisir à
sentir pour la première fois de sa vie l’ensemble de virilité convenablement entourée.
Au petit matin, le baron à demi nu se glissa loin de la caverne où ronflait encore la trolle, sans
même laisser un mot d’adieu. Treize mois plus tard, Kraham voyait le jour sur un lit de feuilles
putrides. Il quitta la grotte maternelle à l’âge de trois ans, rendu méfiant par les regards affamés que
lui lançait sa mère. Sa partie troll lui rappelait que sa partie humaine devait sembler comestible à ses
congénères. Recueilli dans un village de pêcheurs, il y vécut jusqu'à sa seizième année et apprit les
manières des hommes. Puis il assassina ses parents adoptifs, vendit ses soeurs à des marchands
d’esclaves et acheta son premier trimaran. Il mourut le jour où Eckmül dépêcha contre lui une corvette
à bord de laquelle se trouvait un sage et un maraîcher dont le pouvoir était de faire des trous dans la
coque des bateaux.

Pour des raisons assez mystérieuses, les pirates prennent grand plaisir à effrayer les honnêtes
navires marchands. Afin d’être rapidement reconnus et identifiés, ils respectent presque toujours une
vieille tradition de la flibuste : remplacer la traditionnelle voile de toile par une aile de dragon. Celle-
ci, d’une robustesse et d’une solidité sans égales, se replie facilement le long du mât, directement
taillé dans l’os principal. Pour garder toute sa souplesse et ne pas être fragilisée par le sel marin, l’aile
de dragon doit être régulièrement graissée avec du lard de chapon pansu. C’est une raison pour
lesquelles les pirates effectuent parfois des raids terrestres en direction des poulaillers.

L’Haruspice, devin des entrailles :


Les véritables haruspices sont assez peu nombreux, et leurs pouvoirs sont souvent mis en doute. En
effet, il n’est pas rare qu’un quelconque employé des abattoirs municipaux, fatigué d’un travail
harassant et doué de quelques dons de comédien, décide d’améliorer son revenu en abusant de la
crédulité des femmes abandonnées. On trouve fréquemment sur des panneaux des réclames du type
« si ton mari, ta femme, t’a quitté, chance amour et examens, virilité, retour de l’être aimé, Monsieur
Endwyn, grand haruspice voyant, paiement en plusieurs fois ». Le stratagème peut sembler grossier,
mais les escrocs trouvent toujours des clients.
Cependant, il existe aussi des haruspices consciencieux et capables de prédire les fragments
d’avenir inscrits dans les entrailles de divers êtres vivants. Notons à ce propos que la lecture d’enfants
de moins de cinq ans, si elle est instructive, est dans tous les cas réprouvée par la morale. Un bon
haruspice sait ouvrir son sujet de façon à ne pas tronçonner d’un coup de couteau les séquences
d’événements, et il peut souvent prédire des choses surprenantes. Notons pour exemple la
mésaventure survenue à un cordonnier d’Eckmül qui accepta de se faire prédire l’avenir par une
lecture de ses propres entrailles. L’haruspice l’ouvrit, et vit, clairement inscrit sur le foie, que le
pauvre homme allait prochainement mourir des suites d’un coup de couteau dans le ventre. Le
cordonnier eut un dernier spasme alors que l’haruspice cherchait à saisir la rate pour voir s’il pouvait
y trouver une information complémentaire, et la prédiction s’accomplit.

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