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i LEBULLETIN
CÉLINIEN
:r Périodique mensuel, 31'année, n° 341, mai 2012

« Peut-être faudrait-il relire Céline, sans bruit et sans fureur


pour tâcher de le comprendre ? » '
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B.OEEB.T ~-~ li Claude Duneton
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Chronologiebiographique
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,w Témoignages
L'assassinat
de Denoël
L'enquêteet le procès
Documents et presse
SOMMAIIlE
LEBULLETIN
CÉLINIEN
- M. L. : Bloc-notes (p. 3)
- *** : Hommages à Claude Duneton
(pp. 4-8)
- Benoît Le Roux Céline vu de
N OTRE ami Claude Duneton nous a quittés le 21 mars. Coïncidence: c'est un
22 mars (1997) qu'il fut l'invité d'honneur de la « Journée Céline » organisée
par le BC 1 . On lira dans ces pages un bouquet d'hommages rendus par ses
confrères au chroniqueur de la langue française, à l'homme de théâtre et à !'écrivain.
Rennes, en mars 1939 (pp. 9-10) Il me revient peut-être de saluer ici le célinien émérite et pionnier. Sait-on qu'il fut
B. P. 70
- Louis La Motte-Meurdel : Bagatelles l'un des premiers à adapter Céline au théâtre? Cela se passait en novembre 1970 à
Gare centrale
1000 Bruxelles pendant un massacre ou Céline à Paris et il s'agissait - belle audace - d'une adaptation des Beaux draps 2 • Éric Mazet
Belgique Rennes [1939] (pp. 11-12) s'en souvient : « Nous n'étions guère nombreux ! On avait l'air de conspirateurs. » Et
- Paul Werrie : Entre Céline et Robert d'ajouter : « Claude Duneton était un homme libre. D'une vive intelligence curieuse
Adresse pour les retours postaux : Poulet (pp. 13-17) de tous les chemins de traverse, d'une grande culture voyageuse sans frontières et
- Bruno Curatolo Une version d'une malice dans le regard inoubliable 3 . » Je souscris entièrement à ce point de vue
B.P. 90015
F 59331 Tourcoing Cedex célinienne du mythe de Babel [2] (pp. en ajoutant, parmi d'autres qualités, sa grande modestie et ce courage tranquille qui
18-23) lui faisait écrire.des choses que la doxa feint d'ignorer. Ainsi rappelait-il volontiers
Périodique mensuel [unencartfigureentrelespages10 et 11] que c'est l'anticommunisme, bien davantage que l'antisémitisme, que les épurateurs
Directeur : Marc Laudelout

L'abonnement coûte 50 €.
• reprochaient à Céline après la guerre : « Jusqu'au milieu des années 1950, le sort
des Juifs n'était pas vraiment détaché de celui des déportés de toutes catégories
dans l'opinion des Français. Ce fut plus tard, presque dix ans après la défaite de
Vente exclusive par abonnement La citation du mois l'Allemagne, qu'on se rendit compte, dans la foulée, du massacre distinctif- ethnique
comprenant les 11 numéros de Aujourd'hui, les Français gardent à si l'on veut. (. . .) Céline est parti, in extremis, parce que les communistes étaient sur
l'année en cours. Céline un enfant de leur chienne pour le point de lui faire la peau - et sans procès encore ! (. . .) Voilà la tare, la faute
avoir tenté de leur dessiller les yeux sur inexpiable : Céline était anticommuniste militant, et pire, antistalinien farouche,
France : par chèque (bancaire ou le fond méchant de la nature humaine. exactement, il l'avait crié à tous les échos. Mea culpa, Bagatelles, Les Beaux
postal) à l'ordre de M. Laudelout. draps ... 4 ». Outre ses préfaces pertinentes 5 , on retiendra aussi de Duneton son
Et encore, question rancœur on n'a rien
vu. Attendons les republications au « ode à Célne », Bal à Kors0r 6 , publié en 1994 « à l'occasion de ses cent
Belgique : par virement au compte
soufre pour être fixés. Oh les beaux bougies ». Moins connu : son montage de textes, Appelez-moi Ferdinand, qu'il
1BAN : BE 11 3850 1628 4848
du Bulletin célinien flots d'invectives au tombeau ! Voltaire réalisa en 1980 pour la télévis[on française 7 . Et il faudrait également citer ses
sera battu d'une belle longueur de chroniques langagières du Figaro qui firent souvent la part belle à Céline. Ainsi
Pays hors Europe : 70 € suaire ... Claude Duneton n'a-t-il jamais cessé de se livrer à une défense et illustration de
(envoi par avion). Que voulez-vous, les Français ont l'œuvre célinienne. Grâces lui en soient rendues.
toujours préféré Jean-Jacques M.L.
CPPAP : 0715U86934
l'opportuniste, le brillant
ISSN: 0252-1121 1. LesautresinvitésétaientJean-Claude Albert-Weil,ÉlianeBonabel,NicoleDebrie-Le Goullonet la Compagnie
« maquereau ». Il faut sans cesse dire
aux gens qu'ils sont bons et honnêtes, CatherineSorbaquiprésenta desextraitsde sonadaptation de Guignol's
band.
Depôt légal à parution 2. LesBeauxdraps.Adaptation scéniquede ClaudeDuneton.Librairie-galerie « LesAnamorphoses », 68 ruede
ça les flatte. Les assurer qu'ils ne
Vaugirard,Paris6ème_ Miseen scènede Jean-Paul Wenzel.L'affichedu spectacle est reproduite
dansle Catalogue
Imprimerie Copy@ peuvent jamais devenir des tueurs, eux, del'exposition
Céline- Muséedel'AncienEvêchédeLausanne, Edita,1977.
31 avenue Maréchal Ney ni des bourreaux, et que leurs voisins
1420 Braine l'Alleud 3. Commentaire d'ÉricMazetau lendemain de la mortde ClaudeDunetonsur le blog« Le PetitCélinien», 22 mars
sont bien pareils, doux, inoffensifs, 2012[http://www.lepetitcelinien.com]
courriel : celinebc@skynet.be pétris de songes... Par le même 4. Préfacede ClaudeDunetonà Célineau Danemark, 1945-1951 de DavidAlliot& FrançoisMarchetti, éditionsdu
http://www.lfceline.fr.st principe rousseauiste ceux d'à côté Rocher,2008,pp.9-13.
sont tous gens de cœur et de tendresse 5. Signalonsaussises préfacesau livred'ÉricMazet& PierrePécastaing, Imagesd'exil.Louis-Ferdinand Céline
- la crème de la Création. 1945-1951 (Copenhague-Korser (DuLérotet La Sirène,2004)et à la biographie de GenPaul,un peintremaudit
ClaudeDUNETON parmilessiensparJacquesLambert(LaTableronde,2007).
Ce numéro est dédié 6. Balà Korsôr.Surlestracesde Louis-Ferdinand Céline,Grasset,Paris1994,122p. Unedeuxième éditiona paru
à la mémoire de (Imagesd'exil,2004)
en 1996dans« LeLivrede Poche» et faitl'objet,en 1999,d'unetraduction danoisedueà SvendMogensen.
Hervé Coutau-Bégarie 7. « Appelez-moiFerdinand»,montageillustréde textesde Céline(Guignol's bandet Nord)parClaudeDunetonet
Couverture
: ClaudeDunetonà la « JournéeCéline»
(1956- 2012) GérardFolin.Voix: GeorgesMordilla!et Jean-Pierre Sentier.Comédien : JulesFirminWaroux.Antenne2, 16avril
organisée
parLeBulletincélinien(22mars1997).
1980.

2 3
Hommages à Claude Duneton
d'un psychanalyste. « Le moteur
chauffait. J'étais comme une bagnole qui
avance avec les freins bloqués. » Il lâche
C
'était un homme d'une humanité
singulière. Un être humain qui aimait
la vie et la littérature, les mots et les
l'enseignement. Les livres, les rôles, les autres. Un grave accident cérébral l'avait
traductions s'enchaînent. Le personnage cloué dans le silence il y a plusieurs mois.
La presse française a salué avec respect et émotion la disparition de Duneton se détache du paysage littéraire, Il s'est éteint cette nuit. Le Figaro et les
Claude Duneton. Florilège. avec sa silhouette trapue, ses fripes pages lettres lui rendront hommage. Mais
d'occasion, sa tignasse en râteau, son comment ne pas saluer ici l'homme de

I L espérait que la mort viendrait le


saisir chez lui, à Lagleygeolle, son
village natal de Corrèze, « le plus tard
De la rudesse de ses ongines, Claude
Duneton écrivait : « Le quotidien de
l'époque possédait au plus haut point la
style poétique et gouailleur,
encyclopédiste truculent, avide de
théâtre, traducteur et comédien.
Parce qu'il était cloué par l'accident
cérébral qui l'avait frappé, après bien
précision. Et sa voix au grain rauque.
possible » . Claude Duneton, 77 ans, a torture du tout-à-bras baignant dans Alchimiste de la mélancolie, Claude d'autres ennuis de santé, on ne croisait
rendu son dernier soupir, mercredi 21, l'huile de coude. » Né le dimanche de Duneton aura toujours su transformer le plus Claude Duneton dans les couloirs du
sur un lit d'hôpital, à Lille. Follement Pâques 1935, fils de paysans, apprenti plomb de sa tristesse en or de la rigolade, Figaro. Mais on avait des nouvelles par
attachant, Claude Duneton était la voix ajusteur à Brive, retiré de l'école par muer sa détresse et sa neurasthénie en ses amis du service lettres et par Jean-
rocailleuse, sourde, au rire clair, d'un manque d'argent, il entre en pension, en occasions de se boyauter, Paul Wenzel qui allait le voir à Lille.
peuple négligé et d'une classe méprisée cinquième, à l'âge de ... 16 ans. « J'ai métamorphoser la dèche en traits Ensemble, ils se promenaient parfois, lui
dont il avait voulu s'extraire sans jamais commencé mes études comme on prend d'esprit. Derrière sa langue canaille et poussant la chaise roulante, et Claude
les renier. Ses livres l'avaient rendu l'autobus, racontait-il. Prêt à apprendre son humour abrasif perçait Duneton, humant l'air du dehors ...
sa
populaire : Parler croquant, Je suis tout ce qu'on voudrait. Je me sentais compassion pour l'humanité. Passer du Ses chroniques sur la langue française,
comme une truie qui doute, L 'Anti-Manuel comme un évadé qui trace. J'avais fui temps, se promener avec lui sur les en dernière page du Figaro Littéraire
de français, La Puce à l'oreille, Petit mon destin. Je n'avais qu'une trouille : hauteurs de Lagleygeolle, l'écouter nous manquaient bien. Et ses
Louis dit XIV, Le Diable sans porte, Rires celle de me faire rattraper. » raconter sa vie dans la maison modeste conversations aussi.
d'homme entre deux pluies, Le Bouquet Il saute directement en troisième, finit de ses grands-parents, face à la Quel homme que celui qui était né en
des expressions imagées, une premier de la classe. Passe brillamment cheminée où mijotait en permanence une 1935 en Corrèze, à Lagleygeolle et s'est
volumineuse Histoire de la chanson le concours de la SNCF pour devenir soupe à partager, ou dans le réduit de éteint cette nuit du 22 mars. Quelle
française, une quinzaine de pièces de agent d'exploitation dans les bureaux à son appartement parisien érudition et quelles curiosités diverses !
du
théâtre (certaines écrites en anglais). Rocamadour. Son professeur de français XV" arrondissement, était un plaisir On le connut par l'extraordinaire Je suis
Acteur, chansonnier de répertoire, lui conseille d'entrer à l'école normale de irrésistible. Mais, par moments, sa comme une truie qui doute en 1976 (Le
traducteur de Shakespeare, philologue Tulle. Il en sortira major de sa promotion, vulnérabilité affleurait dans le regard. Seuil). Un livre extraordinaire. Trois ans
estimé qui tenait une chronique érudite et intégrera même Henri-IV, prestigieux Claude Duneton, accompagné par ses avant il avait publié Parler croquant.
savoureuse (« Au plaisir des lycée de Paris, pour tenter Normale-Sup ! quatre enfants, ira bientôt dormir, au La publication de La Puce à l'oreille en
mots ») dans le Figaro littéraire . . . Il Au mitan des années 1950, que voulait-il terme de son dernier voyage, sur les 1978 fut un événement ! Cette anthologie
laisse aussi . un chef-d'œuvre devenir ? « Instituteur public, avec la hauts plateaux corréziens dont il écrivait :des expressions populaires avec leur
bouleversant : Le Monument, paru en considération de tout un village et la vie « Nos croix ont des taches brunes et des origine est une. mine toujours ouverte
2003, où il retraçait la vie des 28 poilus luxueuse avec l'eau courante. Ce que je taches claires comme la peau des (nouvelle édition Balland, 2001 ).
de son village dont les noms étaient figés visais, c'était l'eau courante, à cause de vieillards. Elles se dressent, sèches et Depuis il n'avait guère cessé de publier
à jamais sur la pierre grise. Hanté par le dix ans de seau, de citerne, de godasses nues devant les champs, en sentinelles des livres de savoir et de saveur. Sur la
destin tragique de ces mouillées, de perche échappée et de la des civilisations mortes. » Imaginant sa chanson française, notamment et sur la
« tourlourous », fauchés en pleine glace, l'hiver, qu'il fallait casser. » fin et son repos éternel à Lagleygeolle, en langue toujours.
jeunesse, sous le soleil noir d'un conflit Ce timide maladif avait aussi découvert terre occitane, Claude Duneton avait Professeur d'anglais, il traduisait les
absurde, il avait accompli ce que le théâtre. Un autre monde et d'autres exprimé un souhait : « Que quelqu'un grands écrivains du théâtre. La Duchesse
réclamait le philosophe Alain : « Je horizons. De 1960 à 1972, Claude sache encore me regretter d'une parole de Ma/fi, notamment pour le spectacle de
voudrais entendre les morts parler de la Duneton enseigne l'anglais à reculons et fraternelle : fou pauré téchou ! » Lou Matthias Langhoff au Théâtre de la Ville.
guerre!» n'arrive pas à en sortir, par peur d'avoir à pauré téchou : le pauvre petit. .. Et puis il était comédien. Au cinéma sous
Claude Duneton avait eu plusieurs vies. rembourser l'École normale... Prof en la direction de Krzysztof Kieslowski,
Il avait évoqué l'enfer de son enfance banlieue sud, il connaît un début de RASPIENGEAS Gérard Corbiau, Jean-Claude Sussfeld,
JEAN-CLAUDE
paysanne, sous l'Occupation, entre un succès théâtral à Paris en 1967, mais la (LaCroix,22 mars2012) Laurent Perreau. A la télévision. Au
père faible, marqué par Verdun, et une tension intérieure dérive en névrose. Il ira théâtre aussi. Un homme mœlleux à la
mère « mauvaise avec tout le monde » . s'allonger pendant cinq ans sur le divan

4 5
belle présence. Jean-Paul Wenzel, son devant les pourceaux, Rires d'homme était bon d'une bonté de bon aloi , ses grands parents intacte. Il faisait la
ami, le distribuait souvent. entre deux pluies, Je suis comme une directe, simple, sans manière ; il était cuisine dans la cheminée avec la
Et en décembre 2010 nous avions vu le truie qui doute. Tout lecteur curieux des bon comme le bon pain. Il ne se prenait crémaillière et le trépied. Pour se laver
spectacle de Marc Feld à Chaillot. On coulisses de notre glossaire portait sa pas pour Duneton-du Figaro littéraire. les mains il fut, je crois, le dernier à
était au royaume de l'enfance de Claude Puce à l'oreille à la boutonnière. Son Dès le premier contact c'était évident. utiliser un ustensile complètement oublié.
Duneton, par la grâce de Jean Lescot. chef-d'œuvre, Le Monument, roman vrai, Avec ses cheveux en bataille, sa barbe C'était un petit récipient en zinc prolongé
On ne le verra plus, mais on le lira racontait les destinées tragiques de 27 de quelques jours, ses yeux bleus et son par un tube de plus en plus effilé. Avait-il
toujours. poilus de son village embarqués dans la sourire gentiment moqueur, un nom en français ? En patois , on
ArmelleHÉLIOT boucherie de 14-18 et transformés en (« mouquandier » en patois limousins), sa l'appelait : « la couade » .
(Le Figaro, 22 mars 2012) chair à canon. Aucun effet de style, pas bonté éclatait. Notre Claude était beau. Le lendemain de sa mort à Lille son
de flafla, pas de bolduc. De minutieuses Plus le temps passait plus il était beau. corps fut ramené chez lui à Antignac où

L a langue était son royaume. Il y


barbotait avec malice et raffinement.
Alexandre Vialatte et Saint-Simon calait
recherches, des tonnes d'archives
dépouillées, des témoignages recueillis.
Un devoir de mémoire en forme
Nous nous connaIssIons depuis
toujours. Les jours de foire à Meyssac,
ses quatre enfants, ses voisins ses amis
purent le voir et le veiller pendant deux
chef-lieu du canton, les gens de jours.
sa vieille machine à écrire au clavier d'exercice de stèle. Lagleygeole, sa .commune, descendait à Son meilleur rôle de comédien de
abrupt comme une falaise. Loin des Ce gentilhomme du thésaurus l'auberge de mes parents. C'était leur théâtre fut sans doute son interprétation
cénacles parisiens, des coquetèles et des connaissait la chanson, la goguette de maison. Dans Le Monument, chef- de La Ferme du Garet de Raymond
prix de saison, Duneton ne se sentait à jadis et le music-hall de tradition. Solitaire d'œuvre où il fait revivre les vingt-huit Depardon. Pas de séparation scène/
l'aise qu'à Lagleygeolle, son petit village et solidaire, il avait longtemps été jeunes garçons de la commune tués public ; des tables avec des noix et des
natif de Corrèze. Il se méfiait tout autant professeur d'anglais, peut-être bistrotier, pendant la Grande Guerre, il évoque casse-noix ; au centre un fourneau
du style SMS que des grands discours forgeron, sûrement prestidigitateur devant cette auberge. C'est là que les nouvelles allumé où du vin chauffé. Pendant que
ampoulés de nos têtes pensantes. Ce le rideau rouge. Pour le plaisir, au circulaient. les spectateurs buvaient le vin chaud et
paladin du lexique avait plusieurs terroirs cinéma, il interprétait des personnages à Les Duneton étaient pauvres et Claude mangeaient les noix, Duneton allait de
à son dictionnaire. Des mots de traverse, niveau d'homme, ainsi dans La Double est né handicapé. Dans Le Diable Sans table en table racontant les derniers
des mots de contrebande, des mots vie de Véronique de Kieslowski, la figure Porte il raconte que, quand il a temps de la ferme du Garet des
oubliés et des mots de mauvaise vie. d'un père que tout le monde rêverait commencé à marcher, il se dandinait Depardon et, au delà, la fin des paysans.
Mais il préférait par-dessus tout piloter d'avoir eu : tendre bourru, magnanime. comme un canard. Les parents trouvèrent La fin de son monde.
son antique 2 CV verte sur les routes ça amusant jusqu'à ce que le docteur Nous parlions souvent de religion. Il
limousines pour aller faire la causette aux PatriceDELBOURG découvre qu'il soufrait d'une • double venait à la messe à Meyssac pour_ les
châtaigniers. (LeNouvelObservateur,
26 mars2012) luxation des hanches. Mère et fils grandes fêtes. Quand un curé fut accusé
De son enfance paysanne il avait gardé partirent à Paris pour des opérations et de pédophilie, dans d'étranges
du chiendent dans le verbe, entre patois
et argot. Brut de décoffrage, la tignasse
en pétard, la chemise exhumée de chez
L A mort de Claude Duneton le 21
mars à Lille est vécue par ses amis
et lecteurs comme un vrai chagrin. S'ils
de longs séjours dans les hôpitaux. C'est
là qu'il apprit à parler. C'est pourquoi ce
pur sujet de la Vicomté de Turenne parlait
conditions, il le défendit et adressa au
tribunal une lettre courageuse et belle.
Son évolution me semble marquée par
le biffin, le pantalon de velours qui avait sont atteints, touchés ; si les articles des avec un fond d'accent parisien. deux moments de ses romans. Dans Petit
fait l'exode, ce fils unique traversait journaux (La Croix, Le Figaro) ont un ton De la fin de sa scolarité primaire à la Louis dit XIV, il ironise goguenard sur les
l'existence sur une marelle, un pied dans chaleureux inhabituel... ce n'est pas reprise de ses études vers quinze ans, messes qui se succédaient autour du lit
l'imaginaire canaille, l'autre dans le parce que Duneton était un savant, un Duneton vécut une période où la reine accouchait. Alors que dans
quotidien le plus raboteux. érudit, un maître romancier, un particulièrement noire et angoissante. son dernier, La Dame de /'Argonaute, les
Claude Duneton était l'humilité même. Il observateur lucide des difficultés de Comment avec de mauvaises jambes Visitandines d'Orléans qui accueillent son
pratiquait l'art d'être grammaire avec l'école, ce n'est pas parce qu'il était sans envisager la vie très dure d'un paysan ? Il héroïne et lui apprennent à broder et les
espièglerie et omniscience. N'oubliant doute le meilleur ecnvain de sa m'a confié un jour qu'il pleurait en prêtres qui la chaperonnent sont tous
jamais que « culture sans humour n'est génération, ce n'est pas davantage parce ramassant l'herbe pour les lapins. C'est là bons et bienfaisants.
que ruine de l'âme ». Dans son regard qu'il était comédien reconnu et l'éditeur que son courage s'enracine. Après un « Apostrophes » difficile
lavande perçait parfois l'éclair apeuré qui, avec Nicole Vimard, découvrit Pierre Duneton était vraiment chez lui dans Duneton m'avait écrit: « J'ai été mauvais,
d'une enfance en jachère. Son rire clair Desproges et Howard Buten. Si ceux qui son hameau d'Antignac, entouré des Ce n'est pas un métier d'être le
de torrent ponctuait les bonnes pointes à l'ont lu ceux qui l'ont connu sont dans la voisines et voisins chez qui il allait marchand de soi même. »
la volée. Ses livres lui ressemblaient, peine c'est que notre Duneton était manger la soupe. En dehors de l'eau et JeanMEYSSIGNAC
discrets, fraternels, railleurs : Marguerite aimable, accueillant, affable, disponible, il de l'électricité il avait gardé la maison de (FranceCatholique,
28 mars2012)

6 7
Bibliographie L
QUIS-FERDINAND CÉLINEa tout fait de son
vivantpourêtreun mortinfréquentable
de l'homme,pas de l'œuvre.Je croisqu'il seraitaux
- je parle
Célinevu de Rennes,en mars 1939
angesd'avoirété refuséau Panthéonde 2011 des L'article de deux pages que nous reproduisons plus loin a paru dans la revue
- Parlercroquant, Stock,1973 écrivainsà célébrer.On entendd'ici la diatribedu mensuelle Bretagne plus d'un an après Bagatelles pour un massacre, mais le succès
- Je suis commeune truie qui doute,Le Seuil, pamphlétaire ! Il fautdirequesoncass'estnotablement de ce livre est encore bien présent. Bretagne est une revue en principe apolitique
1976 aggravédepuissa disparitionen 1961 ; j'en suis fondée par Octave-Louis Aubert, qui est proche du parti radical (il approuve d'ailleurs
- Anti-manuel de françaisà l'usagedesclassesdu témoin,moi qui ai montéune adaptationdes Beaux
dans ce numéro, sur une page, un décret du 27 septembre 1938), elle est soutenue
seconddegré(en collaborationavec Jean-Pierre Drapsdèsl'automnede 1970,dansunepetitelibrairie-
théâtreà la moded'alors.La surprisecauséepar la
par les Chambres de Commerce, elle est accueillante aux conservateurs dans sa
Pagliano),Le Seuil,1978. partie littéraire. Je n'ai pu identifier ce Louis La Motte-Meurdel (sans doute un
- La Puceà l'oreille.Anthologiedes expressions languecélinienne, le plaisirde cetteoralitécontrôlée(si
pseudonyme issu d'un lieu-dit) qui signe l'article sur Céline. Il ne s'émeut guère de
bien mise en valeur plus tard par FabriceLuchini)
populaires avecleurorigine,Stock,1978(nouvelle l'antisémitisme de Bagatelles (rappelons que ni Le Canard enchaîné, ni Gide, ni
avaientétévifsneufansaprèsla disparition de l'auteur.
éditionrevueet augmentée: Balland,2001) Il n'y avaiteu aucunremouspassionnel, justele plaisir Henri Guillemin, ne s'en émurent non plus ; voir le BC d'octobre 2011 pour le
- LeDiablesansporte,Le Seuil,1981. d'untextepimpantque l'on découvrait. .. Dix ans plus dernier nommé), et il le banalise en le rapprochant de Noël du Fail. Celui-ci fait partie
- LaGoguetteet la gloire,Le PréauxClercs,1984 tard, j'ai créé, à la télévision,avec feu mon cher des passages obligés quand on évoque la ville d'un point de vue littéraire. Rennes en
- À hurler le soir au fond des collèges : compliceGérardFollin,une adaptationtrès fantaisiste effet n'a donné naissance qu'aux critiques Ginguené et Geoffroy au XVIIIe siècle, aux
l'enseignementde la langue française (en quenousavionsfaitede Nord.Succèsde l'émission et romanciers Paul Féval et Alphonse de Chateaubriant au XIXe ; elle essaie de se
collaboration avecFrédéricPagés),Le Seuil,1984 pasle moindremurmured'enhautoud'enbaspourcet rattraper avec Du Fail, conseiller au Parlement, et Chateaubriand (l'autre), ancien
- Le Chevalier avec Appelez-moi
à la charrette(encollaboration Ferdinand, tendre,bougonet plutôtrieur. élève du collège. Noël du Fail (1520-1591), né près de Rennes, publia des« Contes
Aussima surprisefut grande,quatorzeans plustard,
MoniqueBaile),AlbinMichel,1985 d'Eutrapel » (Eutrapelos, en grec, c'est l'homme enjoué, moqueur), dans la veine de
lorsqueje voulus mêler ma voix fluette à ce que
- PetitLouis,dit XIV. L'enfancedu Roi-Soleil,Le j'imaginaisêtre les célébrationsdu centenairede Rabelais, en 1548 et en 1585.
Seuil,1985 Céline,en 1994.Je proposaisunepetitebluetteayant L'article de La Motte-Meurdel est passionnant d'abord parce qu'il donne un état de
- L'Ouilla,Le Seuil,1987 pourtitre Bal à Korser(chezGrasset),par laquelleje la rumeur sur Céline à Rennes. Un sacré personnage ! Mais combien douteux !
- Rires d'hommesentre deux pluies, Grasset, saluaisle géniede l'ermitede Meudonet les grandes « Planqué » chez les Américains en 1918, collé à tous ses examens. Deux
1990. vertusde sa veuve,la délicateLucetteAlmanzor. Mais assertions qui sont fausses, et qui reposent sur une mauvaise chronologie (le
- Le Bouquet des expressionsimagées (en de célébration, il n'y en avaitguère- Non,non! Je me mariage situé avant l'appel sous les drapeaux), mais qui montrent qu'on sentait bien
collaboration avecSylvieClavai),Le Seuil,1990 trompaisd'époque ... on me fil sentirque Célineétait que tout n'était pas clair dans son parcours ; l'image du héros gravement blessé en
devenumalsain,unodieuxsaltimbanque à fuirde toute 1914 n'était pas dominante lors des années rennaises.
- Marguerite devantlespourceaux, Grasset,1991
urgence ... Le détail vrai, et qui n'a guère'retenu les biographes, touche à l'attitude de Céline
- Mots d'amour.Petite histoiredes sentiments Ques'était-ilpassé? Ehbienlespamphlets antisémites
intimes,Le Seuil,1993 face aux livres. Quand on s'interroge sur sa culture littéraire, souvent superficielle
dontlui-même avaitinterditla rééditionétaientrevenus mais extrêmement variée, on renvoie en général à la lecture des journaux et revues,
- Bal à Korser.Sur les tracesde Louis-Ferdinand à la surface- on ne voyaitplus à présentque ces
aux bibliothèques des amis, du P' Follet, de la Société des Nations, de Mikkelsen (ou
Céline,Grasset,1994 diatribes datées. L'auteur de livres majeurs
à la Bibliothèque royale de Copenhague), mais on oublie les librairies. Peu importe la
- Le VoyagedeKamaljoul, Éd.du Laque!,1997 disparaissaitderrièrecelui de textes haineux.Les
référence à Martial et Pétrone (le Satyricon peut en effet l'avoir inspiré, Martial
- Histoirede la chansonfrançaisedes originesà chosesn'ontpas changédepuis,et le ministrea agi
sagement, je crois,en coupantcourttrès vite à une beaucoup moins), ce qui respire la « chose vue », ce sont l~s longues stations dans
1780,Le Seuil,1998 les librairies. Peut-être saurons-nous un jour quelle librairie rennaise fut débitrice de
querellequi s'annonçait indigneà la fois des victimes
- Le Guidedu françaisfamilier,Le Seuil,1998 Céline? Bahon-Rault était trop clérical pour lui ... Alors Plihon, autre libraire-éditeur?
des nazis et des défenseursde Céline.D'ailleurs,
- La Mortdu français,Pion,1999 cinquanteans c'est trop court pour faire entrer les Jolivet ? Ou plutôt la Librairie du Palais (Larcher), située face au Parlement de
- La Chiennede ma vie,Éd.F. Janaud,2000 personnalités exceptionnelles dansdes cadres.Si l'on Bretagne?
-Au Plaisirdesmots,Balland,2004 avaitvoulucélébrerofficiellement Voltaireen 1828,on Louis Destouches apparaît dans cet article comme un père de famille attentif et
- Le Monument, Balland,2004 se serait heurtéà de bellescriailleries.Quel tollé ! assez rangé. Comme quoi il savait préserver les apparences quand il voulait. .. Il n'a
- LoindesForêtsrouges,Denoël,2005 quellerévolte!... Au demeurant, les restesde Voltaire, pas eu « les triomphes de Karagueuz » que pourraient laisser imaginer déjà ses
- Au plaisir des jouets. 150ans de catalogues, contrairement à ce qu'oncroit,ne seraientmêmepas premiers livres. La Motte-Meurdel fait allusion ici au Polichinelle turc, le seigneur
Hoëbeke,2005 au Panthéon ... Ce sontd'autresos que les siensqui Karagueuz (Karagoz), bien connu, semble-t-il, du public cultivé dans l'entre-deux-
- Les Origimots(avec NestorSalas),Gallimard- ont prissa place.Chut! Je raconterai cettehistoireune
guerres. Loti l'avait présenté dès 1879 dans Aziyadé : « Il arrive à Karagueuz de se
autrefois...
jeunesse,2006 permettre des facéties tout à fait incongrues, écrit-il, et de faire devant tout le monde
ClaudeDUNETON
Pierrette qui roule. Les terminaisons des choses qui scandaliseraient même un capucin ». Destouches à Rennes ne
dangereuses, Éd.Manga,2007 NDLR: Cetarticle- le dernierqueClaudeDunetonait écritsur mangeait pas de ce pain-là, nous dit La Motte-Meurdel. Mais Bardamu conduit le
- LaDamede/'Argonaute,Denoël,2009 Céline- a étépubliéle 27janvier2011dansLe Figarosuiteau collaborateur de Bretagne à évoquer cet impudent personnage ...
retraitde l'écnvaindesCélébrations
nationales
de l'année.

8 9
Bretagne s'intitulait « revue mensuelle illustrée des intérêts bretons », -
« intellectuels, économiques, touristiques », précisait une deuxième ligne. Surtout
touristiques, comme en témoignent les placards publicitaires, achetés par la
S.N.C.F., les hôtels ou restaurants, l'Office des Voyages du journal Ouest-Éclair. PORTRAIT DU MOIS
Mais on dirait aujourd'hui que c'était une revue « culturelle ». L'illustration était
particulièrement soignée : bois gravés, dessins des nouveaux artistes « celtiques », Bagatelles pendant un massacre
et photographies de qualité. Parmi les échos littéraires de mars 1939, on en trouve
un qui révèle que Léon Daudet, pour le Prix Goncourt 1938, a certes voté au dernier ou Céline à Rennes
tour pour le Prométhée délivré de Georges Blond [battu par L'Araigne de Troyat],
mais aux deux premiers tours avait voté pour Les Amazones de la Chouannerie de
Théophile Briant. Un « barde » bien connu des céliniens ! I L y a encore beaucoup
de monde à avoir connu
BenoîtLEROUX Céline à Rennes, du temps
que, s'appelant tout bonne-
Je remercieM. et MmeFrançoisFloc'h,de Lannion,qui m'ontcommuniqué
ce numérode la revue ment Lou1s Destouches, il
se résignait à poursuivre de
Bretagne.
médiocres études.
C'était un grand, gros et
blond garçon taillé en her-
cule. Après avoir -été recalé
trois ou qua lre fois à son
baccalauréat, corn me tout
un chacun, il venait e·ssayer
rl'escamotcr son P. C. N. à
l'Ecole de Médecine de Ren-
nes. Vainement, car il avait
compté sans « le terrible
Hesse », cet ogre affamé
d'échecs... '
Destouches pousait pour-
tant se dire de la maison,
ayant pour oncle le secré-
taire de la Faculté de Méde- Louis Deslouches-Céline
cine de Paris. Celui-ci, pour
marquer son arrivée, l'envoya faire une commissiq_n chez un des
professeurs les plus réputés de l'Ecole rennaise. Si le jeune homme
ne sortit pas carabin de chez le « patron » qu'on lui assignait, il en
sortit marié, et la lune de miel éclipsa Destouches pendant tous les
premiers mois de la guerre. Ce n'aurait pas été dans une caserne,
mais dans le mariage qu'il se serait laissé « faire comme un rat >.

RÉCUPÉRÉ, il trouva une planque. Il fut casé dans une de ces for-
• mations sanitaires américaines, qui, sur un ton de prêche, avec
une lanterne magique et dans un décor de musée Dupuytren, fai-
saient de la prophylaxie anti-vénérienne. Aux heures de loisir que
lui laissait l'Y. M. C. A., le futur auteur de Mort à Crédit, comme un
papa bien sage, promenait sa fille Colette.

10 11
Entre Céline et Robert Poulet
bretagne
Me trouvant à Paris ce jour-là, par hasard, Robert Poulet m'avait dit : « Je
Ou il s'installait chez les libraires. Il y restait des demi-jour- vois Céline demain. Ça vous dit quelque chose de m'accompagner ? » -
nées, lourd, muet, feuilletant des livres, et dans un tel état d'hyp- Vous pensez bien. » Puis il avait dû téléphoner à Meudon pour savoir si
nose qu'i I ne voyait pas les clients qui le bousculaient. Après le on m'acceptait. L'après-midi du même jour, je voyais Crommelynck à
magnifique succès de scandale et de violence de son premier livre,
Saint-Germain-en-Laye, et appartenant qui j'allais voir le lendemain, il me
Voyage au bout de la nuit, le high life 1·ennais s'est torturé la
mémoire pour attribuer à Céline des souvenirs scandaleux, des dit : « J'en suis. » Cela tournait à l'expédition. Je téléphone à Robert
triomphes de Karageuz. Un bal où il se serait comporté comme un Poulet, qui s'effare : « Impossible, impossible. Il ne veut voir personne,
« type à la redresse », des salons où il se serait conduit comme un personne ... » Et moi, pourtant ? Aucun titre, moi. Il a fallu laisser tomber
roulier. Légendes, pour accommoder le vieil homme au goût du l'auteur du Cocu magnifique. Moi, je serais le « personne ». Réduit à
jour. Le Louis Destouches rennais était sage, sérieux, pondéré, et l'état de caméra, de magnétophone. Un œil et une oreille : pas gênant.
même studieux, à sa façon. Un vrai voyage au bout de la plus neutre
Zéro.
des nuits.
Nous arrivons donc à Meudon. C'était bleu immense, un bleu d'enfant. Ils sont
fin août 1959. Le chemin de terre qui globuleux, mais ça n'en a pas l'air, tant ils
M AIS les bouquins qu'il feuilletait avec le plus d'application,
chez les libraires, c'étaient les classiques latins. Oui, Martial surplombe la vallée. Les usines Renault
dans le fond. Du soleil et de la brume. La
sont cernés, enchâssés dans l'orbite,
protégés par l'arcade sourcilière. La
et Pétrone ...
Il s'approvisionnait de truculences, d'invectives, de grave-lures, villa à droite. Avec ses volets mal ouverts, tempe gauche est défoncée. C'est peut-
de toute cette obscénité bonne-enfant qui fait la richesse du talent ses murs décrépits. Au sommet de la être pour ça que l'œil gauche tombe.
qu'on lui reconnaît. pelouse hirsute. La villa du crime. Je la
Et puis, en baguenaudant par ce Rennes où le pe-tit parigot qui vois à travers les barreaux de la grille La grille s'est ouverte. Poulet l'a
restait dans son accent devait se sentir en exil, il retrouvait la rue rouillée, où flottent des restes de barbelés poussée en même temps que Céline qui
Vasselour de Noël du Fail, et, à travers Noël du Fail, l'argot des comme une toile d'araignée. Me semble- la tirait. Le maître du lieu a fait taire les
mercantis, des truands et des cagous. Par des jeux morphologiques, t-il. Surtout, il y a la chaîne qui s'enroule momolosses, en les engueulant, la voix
il. s'appliquait tout bonnement à rejoindre la grande tradition, la autour des montants. La châîne est rauque et cassée. Je ne le quitte pas de
franchise bourrue et triviale, forte en gueule, du XVI' siècle. Est-il l'énorme cadenas qui la boucle. De vrais l'œil une seconde. Je suis en retrait. Je
devenu autre chose qu'un Eutrapel vitupérant les Juifs à bonnet scellés. Robert Poulet a sonné. On n'existe pas, littéralement. Il n'y en a que
vert? entend des aboiements furieux, pour Poulet. Bien sûr. De grands amis.
puissants. Les molosses. Aucune Ça se voit. Il a souri à Poulet. Il lui donne
EN quitta.nt Rennes, Destouches entra comme fonctionnaire à la surprise : j'ai lu, bien entendu, les la main, à moi aussi, mais comme ça, par
Société des Nations, à Genève, d'où il devait rapporter quel- Entretiens de mon compagnon avec hasard, par abandon, sans savoir ce qu'il
ques-uns des meilleurs traits d'humour de l'Eglise. l'hôte du lieu, et ça commence par là : les faisait. Il doit pourtant se sentir observé. Il
Pour payer quelques livres, à son départ, il déposa mille francs molosses. Les molosses sont là, à la s'en fout. Peut-être pas tant que ça. Je ne
sur le comptoir d'un libraire. Il ne revint prendre sa monnaie que grille, comme des fauves en cage. On sais pas. Il n'est pas à prendre avec des
deux ans plus tard. • entend une voix, éraillée. Il vient pincettes. Il est couvert de peaux crues,
Et on ne devait plus le revoir dans la ville patoisante où il avait 1
quelqu'un, un homme qui descend ... sales. Des épaisseurs de blousons et de
n1miné, avec les chansons de salle de garde, à défaut des plaisante-
ries de corps de garde, ce vocabulaire fescennin, cette verve d'atel 1 C'est lui. Il marche mal. Difficilement. Il chandails crasseux, troués, et des


lanes, cette verdeur rabelaisienne ,qui devaient tant surprendre une s'appuie sur une canne, sur une branche. écharpes, un foulard, qui pendent, non
époque où le ton est donné par le style « banal » de M. Gide, pastiche Ça lui donne l'air d'un arbre mort. Il est là noués. Va comme je te pousse. Il est
des mémoires du xvm' siècle, la sécheresse• de Stendhal et les rap- maintenant derrière la grille. Il a dit courbé en deux. Il est cassé. Il n'a plus
ports d'inspecteurs du travail des populistes. quelque chose. Je ne sais plus quoi. Il que la peau sur la carcasse. Il a dû avoir
ouvre le cadenas, défait la chaîne. Il a les une terrible charpente, le cuirassier. Je le
Louis LA MoTTE-MEURDEL. ongles durs et sales. Il a les yeux qui vois de dos. Les molosses me flairent,
tombent. La paupière gauche est plus tournent autour de moi, me mettent la
basse que l'autre. Les yeux sont d'un patte, comme ça, par inadvertance, sur le

12 13
pied : ça fait plus mal que des sabots de On arrive au sommet de la rampe à est passé à la douche, voilà. Il avait grossiers ? m'a demandé ma femme plus
veau. Les pantalons sont ignobles. Ils gravier. On contourne la villa. Pas moi. d'ailleurs une tête de mineur, à la tard. Les mêmes. Et les mêmes
tiendraient debout tout seuls à force Alors resté en arrière, je lui ai dit : Constantin Meunier, une tête de Ch'timi halètements, la même syntaxe
d'être sales. On pense à un tas de « Céline, si je suis ici, c'est parce que je ou de Borain. Un Van Gogh, au fond. Un suffocante, les mêmes interjections, point
choses. Du cuir. Ils sont jaunes et vous admire. » Il n'a pas eu l'air de masque brutal. Des lèvres sans dessin, d'exclamation et points de suspension, si
luisants de crasse. Plus rien dedans. On m'entendre. Il a porté sur moi un regard sans ourlet, sans retroussis. Une bouche durs aux dactylos. Du coup, tout s'est
voit la boucle sur les reins, par-dessous absent. N'a rien dit. Ni oui, ni non. Pas taillée à la hache. C'est un peau que j'ai agrandi. L'homme est devenu le géant.
les couches de peaux crues qui flottent réagi. Avait continué sa marche. S'était toujours vue aux artérioscléreux. « Oh, je Forcément. Je n'avais plus de
par devant. Un clochard. Un berger. remis à parler avec Poulet. Après, Poulet, vais crever cette fois, ici là, comme un précautions à prendre. Ça tournait au
à qui j'ai relaté la chose, m'a dit : « Vous chien ! J'suis fait, mon vieux ! » Il disait monologue. Nous étions là pour ça, bien
Moi, ça m'est égal, remarquez. avez bien fait, bien fait. Il y a été sensible, que la tension l'empêchait de dormir et entendu. Y compris Robert Poulet, qu'il
S'agissant d'un type comme Céline, ça croyez-moi. » Après quoi, je n'ai plus qu'elle montait quand il écrivait. Les est pourtant difficile de battre au
n'est jamais que la croûte d'une existé. Magnétophone et caméra. nouilles. Il ne mangeait plus que des monologue. Il écoutait et parfois relançait.
merveilleuse pourriture de fromage. Pour « Personne, personne, personne », nouilles. Ça devenait alors brillant, entre ces deux-
Robert, je m'inquiète. Je sais bien qu'en écrivait-il un jour, à je ne sais plus qui. Je là. Robert Poulet regardait l'autre, d'un
prison, il avait comme compagnon de n'existais plus. D'ailleurs, je faisais le Il était affalé dans son osier. Nous œil tendrement aigu. J'ai alors compris.
cellule un curé, un bon curé de village mort, ça n'en avait peut-être pas l'air. Je étions en face de lui. Robert Poulet à sa Ce qui les unissait, ce qui faisait qu'ils se
ardennais, jeune encore, et Robert ne m'effaçais. C'est que j'avais peur d'un droite et moi à sa gauche. Il râlait. Il avait comprenaient si profondément, si
pouvait pas le voir parce qu'il était sale. Il éclat et qu'il me foute à la porte. Ça aurait d'abord attaqué avec l'Algérie. C'est intimement, qu'ils s'aimaient, c'était la
ne l'était certainement pas comme tout aussi bien pu arriver parce que je ne foutu, avait-il dit. Puis il avait sorti une tendresse qu'ils avaient, non pas l'un
Céline. Louis-Ferdinand ne sent pas bon, disais rien. histoire de sociétés pétrolières, qui pour l'autre, peut-être, mais dont je les
même à distance. Notez qu'ils parlent, lui s'arrangeraient bien, et celle du Bey de voyais doués tous deux, capables, l'un à
et Poulet, depuis le début. Je n'entends On était maintenant assis dans des Tunis, à qui on avait mis un mignon dans travers son écorce de crasse et l'autre à
pas trop bien ce qu'ils se disent. La voix osiers, sur le gravier - ne disons pas la les pattes pour le circonvenir. Et celle de travers ses épines, comme certains fruits
de Céline est rauque, haletante, terrasse - derrière la villa. Elle avait Ferdinand de Lesseps. « Tous des du désert, cactus, chumbos, etc ... Et puis
faubourienne. Attendez... Il a déjà dit meilleure mine de ce côté-ci. Toujours le pédales. Tout fout le camp. La France et l'éclair, et un tas de choses que ce n'est
plusieurs « merde » et « connasse ». Il a désordre. Et les ·molosses. Des cages à tout. » Il a eu des éclairs. Apocalypse. pas ici le cas d'épuiser.
attaqué l'Algérie. Je suis surtout occupé à oiseaux. Des perchoirs et des séchoirs. Par intermittence. Poulet m'a djt, par la
me le fixer dans les yeux, tel qu'il est, Des chats. Du banal. Du mortellement suite, qu'il n'était pas, Céline, dans un Parfois Robert Poulet rigolait, de son
« pour l'éternité », on me comprend. Il a banal. Du cirque, style roulotte. Sur fond bon jour. rire aigre, en l'étouffant. Évidemment
le masque taillé dans le silex, avec des de forêt ? Je ne sais pas. Je ne me Il faut que j'avoue que je m'étais un peu Céline n'était pas un maître à penser.
arêtes. Ce regard, si bleu et comme mort, souviens plus. Ça me faisait cet effet-là. travaillé avant de venir. Je ne voulais pas Pas plus qu'il ne l'est dans ses livres.
allongé sous les paupières basses, je ne Je ne voyais que l'homme. Il parlait de tomber au piège, donner dans le Augure. Voyant. Une éruption. C'est pour
l'ai jamais vu qu'une fois dans ma vie. Un ses nouilles qui cuisaient. Puis il n'en a panneau. Je ne savais pas ce qui ça qu'il a dit à un certain moment, parlant
joueur de football : L.F. Il y flotte je ne plus jamais parlé. Il ne s'est pas levé, non m'attendait. Je voulais voir et entendre des Sagan eC autres qui remuent les
sais quoi d'égaré. C'est un regard qui a plus, avant qu'on ne parte au bout d'une l'homme. Pas l'œuvre. Le maudit. Le fonds de mer : « Qu'ils laissent les fonds
vu des choses que les autres n'ont pas heure. Il n'a plus rien dû en rester, de ses « criminel impardonné ». L'« de mer tranquilles. » Évidemment, chez
vues. Et c'est un regard tendre. Aucun nouilles. Madame n'était pas là. Elle était inadmissible ». Le Rimbaud de la prose. Céline, ça jaillit. Pas besoin d'aller au
doute. Poulet a le regard chalumeau je ne sais où. A Paris, sans doute. Mais Le Rabelais. L'interdit. L'œuvre, je la fond, ça fait surface. Pas besoin de les
oxydrique, Céline, le regard celte. N'a elle donnait toujours des cours de danse. connaissais. Ne pas entrer dans le analyser. Il les ramène. « L'Himalaya
plus de cheveux. Plutôt, ça en a l'air, Ah oui, il parlait aussi du voisin - un mirage, non ? Et voilà qu'il n'y avait pas d'excréments » dont le premier exégète
parce qu'on voit le cuir chevelu à travers. voisin fort distant - qu'on ne voyait pas, d'hiatus, pas de barrage, pas de frontière. de Céline a parlé, c'est la lave déposée,
De longues mèches filasse qui lui à travers les feuillages, et qui le On passait de l'un à l'autre. Il n'y avait jamais refroidie. Cet après-midi là, le
tombent sur le front. Des mèches persécutait à coups de radio, je crois pas de Louis-Ferdinand, de cuirassier volcan n'était pas au plus fort de son
poisseuses. Ne doit pas aller souvent bien. Il avait la peau du visage luisante, Destouches, d'un côté, et de Bardamu- activité. Il faisait plutôt chaud. Il a parlé de
chez le coiffeur. N'est pas rasé. Hirsute. Céline, la peau qui brillait sur le front, aux Ferdine de l'autre. Pas trace de comédie. « ce salaud de Gallimard», bien entendu.
Comme la pelouse. tempes et aux pommettes (larges, les C'était tout un : l'homme et l'œuvre, Puis à un autre moment, d'Anatole
pommettes), comme une peau trop l'œuvre et l'homme. Il parlait comme il France, figurez-vous. « Il n'était pas bête
tendue. Satinée. Une peau de mineur qui écrivait. Avec les mêmes mots ce type-là. Il disait - et Céline citait, je

14 15
cite mal - qu'une forme littéraire ou pas de rayonnement, aucune illumination vert tendre. Ça lui avait fait plaisir de voir
artistique meurt à partir du moment où spéciale sur le visage de celles qui vont Poulet. Ostensiblement. FA"UL WEB.RIE
elle est créée. Elle ne vaut qu'une fois ... » au bras d'un Nègre. Elles n'ont pas l'air (I90I - I97+)
Et Poulet disait : « Il faut alors trouver plus satisfaites, sexuellement, plus Et moi, je l'avais vu, Céline, au naturel, Né à Binche (Belgique)en 1901, ce brillant
autre chose. Chaque fois. » Ça, c'était comblées que les autres. - Eh, m'a fait dans son jus, pur jus. À cause de Poulet. essayiste, l'un des hommes d'Europe qui
tourné contre les imitateurs. Bien sûr. alors Céline Ue me suis donc mis à Parce que Céline, devant Poulet, il lui en connaissaientle mieux le sport et le théâtre,
Puis quoi ? Ah oui, il avait d'abord parlé exister, et il m'a regardé cette fois comme avait peut-être mis une fois, deux fois, dix échappa de peu, par l'exil, en 1944-45,à
de sa mère dentellière : « C'est fini, l'art s'il m'avait toujours vu comme si on était fois plein la vue, bien que ce soit difficile l'épuration,mésaventurequ'il a relatéeen la
des dentelles, c'est fini, c'est mort ... On de vrais copains), eh, c'est à voir ! avec l'auteur des Ténèbres, et surtout romançant dansunde seslivres1.
n'en fait plus. » J'aurais voulu lui dire (Maintenant il parlait en médecin : on est pas cent fois. Et il savait, Céline. Au bout Bien lui en prit. Les inquisiteursbelges,plus
qu'on en faisait encore, pas loin d'où entré dans plusieurs détails impossibles à de tout ce temps, il n'avait donc plus à en férocesencoreque les français,n'hésitèrent pas
nous étions, à Chantilly, et que c'est reproduire.) Quand ils sont dans la remettre, plus à faire le numéro qu'il à condamner à mort par contumace un
même de là que partent les belles brousse, c'est des pauvres bougres, offrait, paraît-il, au visiteur venu pour voir chroniqueurqui ne faisait pas de politique,se
mantilles espagnoles. Mais je n'ai pas sous-alimentés, qui liment. .. De certaines le « personnage ». Je n'ai pas vu de bornantà tenir avec une grandeautoritéune
osé. J'ai eu peur qu'il ne découvre que glandes appauvries ... (Les surrénales ? numéro. Je n'é\ais pas un visiteur. Zéro, rubriquede critiquedramatiqueet une autre,de
j'existais. On était là pour l'écouter, pas Je ne sais plus). Une fois qu'ils touchent ai-je dit. Et pénard. Caméléon sur la reportage sportifà la radio.
pour le faire sortir de ses gonds. Et pour Marseille, les voilà ravigotés... par le branche. Invisible. De ce côté-là, il n'avait En Espagne,où il s'était réfugié,Paul Werrie
Céline, la dentelle, c'était fini. « Tout est climat. .. et les bonnes nourritures. Si, si, pas dû se forcer, non plus. Une date pour
fini. Il n'y a plus de guerre ... La guerre il y a un sortilège noir ! » Il ne s'indignait acquitles connaissances et l'expériencequi lui
moi.
n'est plus possible ... alors, c'est fini ... pas, le médecin. Sa voix avait quelque permirentensuitede devenirà Paris un des
Parce que la guerre, du moins, ça chose de fêlé, de nasillard, d'enrhumé. hispanisants lesplusavertisde languefrançaise.
Le lendemain, j'ai revu Crommelynck
renouvelait... C'était la saignée... Le Une voix barytonnante, j'oublias que nous avions laissé tomber. Fallait Sur le tard, il se fit aussi romancier,pour
médecin ... Aujourd'hui, « ils » n'oseraient Copeau, Jouvet... Et le nez à bout bien. Je m'en suis excusé, bien que je n'y composerLa Souille,LesChiensaveugles, deux
plus se faire la guerre ... Merde ... Quand charnu. Des veines gonflées aux tempes. fusse pour rien. Je lui ai dit : « Sais-tu ce ouvragesqui attirèrentsur le débutantquasi
on va se tuer tous les deux, on ne se bat Des racines. Le sourcil gauche relevé, et que c'est, Céline ? » (Il était curieux, le septuagénaire l'attentionde toutela critique.
plus... Puis, y'a plus de discernement. .. qui ridait le front jusqu'au cuir chevelu. Fernand, de savoir comment il était le On lui doit,en outre,une monographie aux vues
Merde... Voilà... On tue sans Ferdinand, le « grand bonhomme ».) hardieset profondessur Thérèsed'Avila,un
discernement... Rockfeller serait aussi Puis il nous a reconduits jusqu'à la « Sais-tu ce que c'est ? ... Quagd on le recueild'études,Le Théâtrede la fuiteet, sur sa
bien pris par la bombe atomique que le grille, le vieil arbre, avec sa branche, voit et l'entend, bien sûr ... À la lecture, chèreEspagne,dontpersonnene parlaitcomme
dernier des rats ... Ça fait regarder, ça ... comme une troisième quille. Les c'est autre chose ... Un chansonnier. - lui, La Fête andalouse,L'Amourà l'espagnole,
à deux fois ... Merde ». Et d'ailleurs, tout molosses ont bondi, sur les dalles de Je m'en doutais. - Un chansonnier- chefs-d'œuvred'explorationpsychologiqueet
était foutu, tout foutait le camp. Y compris terre cuite. Ce n'était pas du gravier. Je parleur-gentilhomme-cabaretier, au carré, d'évocation poétique,admirablement écrits.
la France. D'abord la France. « Plus une n'avais pas remarqué, non plus, qu'il au cube, au génie ... » Nousgarderonsavecémotionla mémoirede ce
vierge à partir dê quinze ans... Vont chaussait des savates, des pantoufles compagnon de lutte,journalistede grandeclasse,
toutes au bureau... Et alors là, faut couleur d'excrément et bouffies. Il nous a Mais ça, c'est une autre histoire. Et là écrivainoriginalet...vivant,hommepleinde cœur
qu'elles y passent. .. Le directeur ... ou à serré la main et il a refermé la grille sur Robert Poulet n'est pas d'accord. et de droiture.
l'usine ... Le contremaître ... Et puis les nous, sur lui plutôt, à la chaîne et au RobertPOULET
Nègres... Y a plus qu'des Nègres. La cadenas. Il s'est renfermé. Puis il est PaulWERRIE (Rivarol,21 mars1974)
France négrifiée. Les Nègres partout. .. À remonté en se traînant. Il avait parlé du
Montparnasse, à Montmartre, à Saint- Danemark aussi. Ce qu'on sait. Il n'avait 1. NDLR: Sous l'Occupation, Paul Werrietenait la
Ce texte a paru initialementen juin 1965dans
Germain-des-Prés, y a plus qu'ça ... Sur pas encore publié Nord. Les reins rubriquethéâtraledu NouveauJournalfondépar Paul
ÉcritsdeParis.
le Boul'Mich. » « - Qui n'a pas son cassés. Un vieil arbre. Un arbre énorme. Colin. À la radio, il animait quelquesémissions
Nègre ? Raillait Robert Poulet. Les Tronc calciné, que la foudre avait parti. sportives.
Aprèsavoirvécudix-huitansen exil,il sefixa
provinciales qui s'apprêtent à venir en L'arbre fourdoyé. Il ne savait plus à Marly-le-Roioù résidaitégalementson vieil ami et
Sorbonne, écrivent à leurs amies qui s'y comment se tenir debout, avec ses compagnond'infortuneRobert Poulet. Tous deux
trouvent, de leur réserver un Nègre. » branches mortes et d'autres encore participèrent
activementà la rédaction
de Rivarolet des
Alors je suis intervenu. Je me suis risqué. feuillues, et des morceaux de souche qui Écritsde Paris.
Parce que je me rappelais certain poussaient encore de jeunes rameaux
passage du Voyage : « Moi, je ne vois

16 17
HenriGodard,c'est l'interchangeabilité entre un - à lui-même: « Queje l'ai croquémoice mot
Uneversion
célinienne
dumythedeBabel(2) nomet un mot,-un mot qui pourraitêtre un nom
maistiré lui-mêmed'un mot- le prénomféminin
d'affreux! Moiquejamaisj'oublierien! » (17)
- de Ferdinand: « C'est le bleu aussi qui fout la
issud'unefleur- ou bienun nom- de bataille- cerise!" (17)
Affirmation contreexclusion, nousenvenonsvite alorsqu'iljetait,à sonarrivée,un regardécoeuré devenu« mot de passe», sanscompterqu'il y - à Kerdoncuff : « Quetoutestta faute! " (17)
à l'opposition entrela conditiondes civilset celle sur le magmaformépar les cavaliersdans « la auraitlargement à diresur cette« passe» qui,si - à Ferdinand: « C'est pas toi qui l'as pompéle
mot?" (18)
des militaires. Rancotte à Ferdinand tanière» (3), il s'y agrègedans la cachettede ellerelèvede la cynégétique ou de la marine,n'en
- à tous: « Vousvoulezpasle trouverdesfois? " (19)
« Auguste ... assurances ... employé ... [...] Qui l'écurie,« notretanière,, (29),où les soldatssont constituepasmoinsuneprostitution de la langue Rancotte à Le Meheu:
c'est !'Assurance? Connais pas !'Assurance « racornisles unsdansles autres.» S'il n'a pas commemonnaied'échange10. Mais,en fait, et « Vousl'avezperdu,Jean-foutre ! [...] Vousl'a...vez...
moi? » (9)On notera,danscettenégation,unjeu réussià se « faireun nom» (GnXI,4),sinoncelui c'est là qu'échouel'entreprise communautaire, ce per...du ? " (44); « Oùqu'ilestvotremotbandit?" (46)
menépar l'auteursur les nomschoisisde façon de « Russe» - le « bleu», le différent,l'intrus- motne passepas,ne circulepas puisque,tel le
topique par les compagniesd'assurances: dansle piègebabélienoù il est tombé,au moins nomnié de Ferdinand, il est perdu,oublié,effacé. Commedansles comédiesoù le billetsecret,ou
l'insolitesingulieradoptépar Rancottefait du mot tente-t-ilde lutter contrela dispersiondans un Il estpourtantomniprésent danssonétatneutre,le l'objetvolé15, changede mains,à l'insumêmedes
« Assurance » un nompropre1, aussiallégorique effortde solidarité,voirede complicité.Et de se « mot» 11, c'est-à-dire
dansl'ignorance quel'ona protagonistes, on voit que le mot est censése
quepeutl'être« LaPaix»,l'Arméeincarnéeparle rendreétrangerà son proprelangage,fait de de lui, dans son âbsence: on pourraitpresque dissimuler dansle fondd'unemémoire individuelle,
sous-officier s'entendant commele synonymede civilités- « Nonmonsieur. » (7)- ou de tournures allerjusqu'àune « nymologie» négative,comme alorsqu'ildevraitappartenir à la collective,et que,
la Guerre,ou encore« Le Phénix», nom de littéraires- « y avaitplusqu'unealternative dans on le dit de la théologie.C'est l'insaisissable, si personnene l'a, chacunest soupçonnéde le
l'officine dans laquelle était employé M. notretrop pénibleétat » (18)-, inséréesdansla l'inapprochable,
le proprement imprononçable : celer.
Destouches pére : face à la mortinéluctable, se languedu cru 6. Effortvain,pourtant,puisquele Pourparachever le phénomène d'illusion,Céline
dressela vie restaurée.Dans Mort à crédit,le groupeauquelil prétendappartenirest lui-même Je vais te le dire moi le mot ! [...] Ah ! Alorscette placeau seinde l'intriguele récitd'un autremot
papade Ferdinand2 travailleà La Coccinelle3, divisé,en profondeur,par l'inaptitudeau parler poisse! Je le savais! [...] Merde! Ça y était.Je le oublié,celuiqui, autrefois,a coûtéà L'Arcillesa
animalqui, dans l'imaginairepopulaire,a pour tenaisbon [...] Le putainde bourdon! La merdure! Il
ensemble. placed'infirmier: « C'estmonfortmoila mémoire!
mepasseau vent! Ça me le soufflepardi! à l'allure!
noms,outrele familier« bêteà bon Dieu », les Il faut constatertout de mêmeque, tels les [...) quepersonne a rappelésaufmoi! (...] Je m'en
Je l'avaissurle bordle mot! Vlouff! Je l'ai sentisauter
plus rares« vacheà Dieu » ou « chevalde la hommes d'aprèsle Déluge7, lessoldatscherchent de matête ! [...] La berlueça file d'uncoupde vent ! rappellemaintenant...Au momentque je m'en
Vierge» 4 , où se lisentles signesde la quiétude, à se réunir,à se relier,commeparle partaged'un (17) rappelaisplus! » (34)Se greffeainsile souvenir
de la douceur,de la bienveillance, autrementdit savoir,d'un codecensécimenterles pierresde d'autres mots de passe : « Magenta »,
tout le contrairedes belliqueuses intentionsdu l'édifice.La diversitédes nomspropres,faisant Dans une tirade comme celle-ci, bien « Charlemagne », « Pyramide », « Renoncule »,
militaire.Ladistancecreusée,nominalement, entre obstacleà la cohésion,la volonté même de qu'abrégée, on tientl'essentiel
du principecélinien « Malplaquette», qui ne font que repousser
le dehorscivil et le dedansmartial,on la verra détruirel'individualité
patronymique, conduisent à quantà l'usagede la parolechez ceux de ses toujoursplusloinles sonoritésdu bon,du vrai,de
égalementdans la manièredont Ferdinandest élire un mot crypté mais commun,un nom personnages lesplushâbleurs: fairedu pleinavec l'authentique duquella lumièreviendra.Aussila
apostrophé : « L'hommeau pardessus» (12),le secrétement connude tous les membresde la duvide12 ; ainsitouteslesimagesde la disparition recherche du motperdus'organise-t-elle sur deux
vêtement- « mon demi-saison, celui de l'oncle communauté, du moins supposél'être puisque subite,lesonomatopées, lesjurons,se précipitent terrains,celuide la mémoireoraleet celuide la
Édouard» 5 (4)-, incongruvis-à-visde l'uniforme, Célines'ingénieà saper le stratagèmeinventé au lieude la bréche.Mais,« rienà faire» 13 : « Le trace écrite. Les seuls à faire effort, dans le
suscitantla moquerieau mêmetitre qu'un nom pour déjouerles rusesde l'ennemi.Pour Henri mot venait pas quand même. » (17) premiercas, sonf le brigadiermenacépar son
inconvenant. Quant à l'attitude d'emblée Godard: Métaphoriquement,il s'agira d'indiquer le supérieur - « CherchezMeheu! Cherchez! C'est
contradictoire du maréchaldes logis,excluantpar phénomène de la vacance: « Pasplusde motde l'instant! » (45)- et, de manièrebeaucoupplus
xénophobiel'engagévolontairequ'il devraitse Unedes particularités de ce mondeest que le nomy passequede beurreau chouet! » 14 (34); « Et le surprenante,Ferdinand,qui ne peut pas le
réjouirde voirvenirà lui, ellese traduit,dansson est toujoursen passe d'être perdu [...] Ce risque connaître: « Je voulaisretrouver le motperdu... Il
motalors? Le Meheu? Barré? Fumée? » (45)Il
vocabulaire, par une gammesubtilede prénoms permanent d'oublisoulignela relationdu nompropreet me rongeait maintenant le mot de
d'un autre nom [...] le mot de passe[...] un nom
s'agira,aussi,de mettreen abymele mécanisme
qui va de « celui-là» (5), « il », « ça » (7), pour de la mémoireet doncde repousser toujoursplus l'escouade. » (31)C'estque,pourlui, ce serait,et
communde fleur [...] en mêmetemps un prénom
désignerà la rondele tiersdédaigné, à « vous» et féminin,Marguerite[...] e loinla réalitédu manque, à savoirla responsabilité on en mesurel'impossibilité, se faireadmettrepar
« tu » (7), le plurielde politesseétantironique, personnelle de l'oubli. les autresqui, d'ailleurs,« s'en foutaientqu'on
commele montrela succession: « Queje vais Avantou aprèslui, on a beaucoup glosésur ce retrouveplusle mot.» (31) Dansle secondcas,
vousremettredu rougedansle tronc! Quet'en prénom,quiétaitceluide la mèrede !'écrivainpour LeMeheu: c'est le maréchaldes logis qui « de façon
baverasdeschambrières ! » (7) Bongré malgré, en tirer, parfois,des conclusionsinspiréesde la - à Kerdoncuf « Te rappellesplus alors étrangement matérielle,en cherchantle motdans
cependant, Ferdinand finirabienpars'intégrer, par psychanalyse 9, à quoije ne m'attarderai
pas; ce manche?» (16) le livre même[...] reprendà son comptecette
s'incorporer, maisd'unemanièretoutephysique: qui m'intéressedavantage,commele souligne nouvellequêtedu Graal.» 16 Rancotte,en effet,
s'escrime à dénicher la relique dans la

18 19
« table» (44-45)du corpsde garde,puisdansle nuit,et qui sontcausede « dispute» 22. Le vrai le mauvaiscavaliercelui « qui se montesur les Rancotte dont le narrateur décline les
« registre» qu'il secoue« pourfaire tomberle est que, dans Casse-pipe,personnen'entend couilles» 25 (14),le nouveauconscritou le soldat performances :
mot... Un petitgrifouillisquelconque ... » (45) On personne23 puisque,d'unepart,chacunparleen inexpérimenté« le Russe » (18, 41). Ce Rots
songe à une autre Table, à d'autressignes, sonidiome,de l'autre,dansl'usagequien estfait, vocabulaire, s'il participeau « plurivocalisme » 2s Il merotedansle nez(6)
cabalistiques ou non,quiont pourvertude détenir la langues'useet devientpetità petitinintelligible. du stylecélinien,ne représente toutefoisaucune une rafale d'injures,de menaces,avec forts
la Vérité,la Loi,la Paroledu Salut.Mais,comme Si assez peu d'altérationssont dues à la menaceréellepour la vie de la langue,bienau rotements. (6)
toutesttournéà la dérision,cette« quête» prend prononciation populaire - « uneberouette» (4)-, contraire; la désagrégation viendraitplutôt de Il rote... (8)
desalluresde farce: Le Meheuen tientpourune la plupartprocèdede « la loi du moindreeffort», l'emploidesonomatopées 27,très nombreuses et « Buah! » li lui monteun renvoi.(9)
fleur - qui n'est en rien celle d'Henri fondamentale,selon les linguistes,dans les quiontdesvaleursdifférentes : il me rote encore 30 en pleine face une
d'Oflerdingen ! -, « Unefleurde jonquiére! [...] structuresde l'oral. Je ne cite que quelques Bruitdeschoses puissante bouffée.(12)
Jonquière! Jonquille!... » (47) mais qui n'est exemples: Vlang! (5)[portedu poste] Glaires
malheureusement pasunnomde bataille,pasplus Beng! Plang! (37)[portede l'écurie] Crouach! (9)
que« Marguerite », lâchéparle plantonen transe. Aphérèse Bang! Vlang!... (6)[coupsde bottes] Grognements
À propos de ce dernier personnage,aucun - mots vladabang! boum! vlach ! (37) [ustensilesde Munnh! Mmrah!... (6)
« Quele Rancotte mepingle... "(18) [épingle] l'écurie] •
commentateur, sauferreur,n'a prêtéattentionà la Vocalises
« culeurd'âne! " (28)[enculeu~
sailliede Rancotte: « Ma parole,il est rond17 ce Ti ! ga ! ta ! pam! Tin ! ga ! pom!... Ta ! ga ! « Rhoo! Rhoo! Aaa! » qu'ilfaisait.(44)
« Vousétiezcorautétin" (28)[encore]
veau! » (48)Lejeu de motsestbienconnuet, s'il - locutions pam!...(54)[sonnerie de trompette] Aaah!... Oh !... Ooooh! Ooooh!
n'estpas volontairede la part du sous-officier, il « Qu'ilest? " (25)[Oùqu1 Bruitdesanimaux Il enchantaitducoupRancotte (45)
l'est assurémentde Céline: Ronceveaux n'est « Quevousvoulez? " (22); « Quet'en as fait? " (49) Vlop! Po! Dop! Vlop! Po! Dop! [...] Yop! Po!
certespas le nomd'unevictoire,pas davantage [Qu'est-ceque] Dop !... Tagadam! Tagadam! [...] Tagadam! Un Rancottequi ne retrouve« plusses paroles»
que« Malplaquet » 18, et n'évoque pasdirectement Impropriétés Tagadam! [...] Tagadam! Tagadam! (15)[galop ni mêmeseshoquets,« qu'arrivaient plus... » (45)
« Quoiy a ? Quoiy a ? " (22) d'uncheval]
le nom d'une fleur, mais il marqueune page La déconfiture est totale,la déroutecomplète,la
héroïque de !'Histoirede France,commeemblème « Quoiilsontbectécesours? " (26) Bagadam ! Bagadam ! [...] Vbrang!...(20)[idem] Bérésina 31 consommée, pourlui commepourtous
de la gesteguerrière. Or,on peutremarquer quele vlagada! vlagada! (21)[idem] les personnages « fortsen gueule» queCélinea
Plus significativement, le lecteur,à travers le
titreCasse-pipe suggèreparcontiguïtéphonétique Paga dam! Paga dam! Wrang! (54)[idem] créés,toutallantfinalement versl'anéantissement
narrateur, est confronté à des registres
la plante pariétaireque l'on appelle « casse- Barn! Dam! Vrang! (14)[coupsde sabots] du logos: « Les hommesde gardeils parlaient
idiomatiques,conçus comme un langagede
pierre» ou « passe-pierre », ce qui feraitun mot Baouf! (21)[ruéed'unejument] plus.[...] Il [Rancotte]arrêtaitplus de hurlerdes
l'exclusion: « Cet universmilitaire,dit Henri
de « passe», mais qui n'est pas un nom de Bruitdespersonnes chosesqu'avaientplus du tout de sens. » (46)
Godard, [est] aussi clos dans sa langue
bataille,quoiqueles « casques» 19, sonnantsous Pfrutt! Pflac! (9)[crachat] C'estdanscesdeuxattitudesquel'onperçoitsans
particulière que le quartierde cavaleriel'est dans
la pluiebattantecommedes« rochers», il s'agirait Oach! Oach! (14)[hoquets] doute la plus nette divisionentre les groupes
ses murs. » 24 Mais il faut distinguerdeux
du souvenirdu rocfendupar Roland.De « casse- Pflac! [...] Pfang! (48)[convulsions du planton] d'individus, commel'observe Jean-PierreRichard:
phénomènes, celuiqui met en jeu un dialecteou
pierre» à « Ronceveaux », il n'y a qu'unpas et Injonctions [...] personne n'arrivevéritablement à parler,c'est-
une languerégionale,ici le bretonsans doute,
l'on aurait,avecce nôm,la batailleet la fleur,à Youp! Zoust! (36) à-direà communiquer, dansCasse-pipe : les uns,
seulementsuggéré,jamaisretranscrit: « Ils se
défaut du prénomféminin,qui relève, lui, du Yop! (50) les figures hiérarchiques, par excès, emportés
parlaientrâpeuxensemble[ ...] Comprenais pasce
fantasmeplus que de la vraisemblance. Et on qu'ils sontdansla démesured'un discourssans
qu'ilsme demandaient ... » (4) ; « Ils ont répondu
noteraque Rancottedonnesa « parole», ce qui Il y a là commel'échodes onomatopées qui ont cesse éclaté,outré, hors de toute articulation
deschosesquej'ai pascomprises ... » (5) Et celui
vaut mieux qu'un simple mot. Tout cela peut fait le succèsdes comicstrips28 et qui émaillent, rationnellement signifiée; les autres,les acteurs
20 quiestforgéavecunlexiqueinhérentà l'armée,et
semblerbienabscons- quel« casse-tête » !- mais en plus faible proportion,les bandes soldatesques, par manque,parce qu'ils restent
plusspécialement à la cavaleriedansce contexte,
maiscommenten serait-ilautrement au seind'un dessinéesfrançaises29 à l'époqueoù Céline perdus dans la pâte, toujours grommelée,
quel'onpeutconsidérer commeun argot,puisqu'il
monde,où,du vœud'unitéinitial,ne subsisteque rédigeCasse-pipe ; on peut y voir le soucide grognée,d'unesortede sous-langage animalet
est crypté, ce que résume parfaitementla
la confusion ? Le Meheul'avoue: « C'estle mot... rendrela langueécritela plus musicalepossible infantile.Etle héroslui-même setaisant32.
remarque de Ferdinand à l'issued'unetiradede Le
[...] Lemotqu'onétaitpasd'accord ... » (44) et, aussi, de transcrireI'« émotion» qui lui
Meheu: « Je le comprenais pastrèsbien... » (14)
GilbertRomeyerDherbeynoteque,chezCéline, paraissaitl'âme mêmede l'art. Dans la même Il y a, effectivement, chez les détenteursd'un
Ainsi le maréchaldes logis sera,tour à tour, le
« le langageest l'avataret la dégradation de intention,mais encore plus grave quant à la grade, aussi mineur fût-il, une propensionà
« margis» (5), ou le « Maréchaogi ! » (6), lui-
quelquechose» 21, en rappelantque !'écrivain, désarticulation, nous trouvonsles expressions l'enflure- c'est la traditiondu Matamore- qui
mêmedéforméen : « Maréchaaaooogi ! [...]
aussi paradoxalque cela puisseparaître,s'est organiquesqui se substituentà la parole; le constituele véritablebabélismedu textedansla
Maréchaooogi ! [...] Maréchaaooogi ! » (13) ; un
toujoursdéfiédesmots,parlesquels« le malheur meilleursolistedansle genreest, sansconteste, mesure où ces personnagesinstaurenteux-
chevaléchappé est« un bourdonen voltige»(13),
arrive», commeil le dit dansVoyageau boutde la mêmesla confusiondansleur proprelangue,par

20 21
la parataxe, le coq-à-l'âne, le mélange des l'échecà la difficultédu dialogue; dès le début du 6. On relèveunetracesemblable du « beaupapier» 23.GnXI,6-7« EtYahvédit:[ ...] "Allons!Descendons!
récit, nous l'avons vu, alors qu'il s'agit d'inscrirele chez Le Meheu: « Ça me fit ça l'autre fois à la Et là,confondons leurlangagepourqu'ilsnes'entendent
référents ; exemple tiré du répertoire du sous-
forge! » (17),soulignée par le contraste
entrele passé pluslesunslesautres."»
officier: nom de Ferdinandsur le registre,le maréchaldes
simpleet le démonstratif danssaformepopulaire. 24.RomansIll, op.cil.,p. 865.
logis bute sur l'obstacle : « Une tache !... [...) 7. Gn XI, 1 • Tout le mondese servaitd'une même 25. Pourtout ceci,je renvoieà la « Notice» d'Henri
Regardebleusaille! Regardeça fleur d'insolence! "C'est pas beau ? qu'il admire Rancotte.Y a qu'à langueet desmêmesmots.» Godard,RomansIll, op.cit.,pp.883-886.
Maréchal deslogisRancotte! Tâchedete rappelerun l'écraser.Ça va faire un vrai papillon..."» (7) De la 8. RomansIll, op.cit.,pp.866-867. 26.Ibid.,p. 865.
petit peu ! Rancotte! Rancotte! dit Biribi ! Oui ! lettre à l'image, de l'alphabet au dessin, de la 9. Voirnotamment Jean-Pierre Richard,op.cit.,pp.231- 27. Les bruitssonten italiquedansle tex1e,les sons
Parfaitement ! Biribi! Deuxà la bascule! 1908! Etdes signature humaine aux formes de la nature, 237, et JacquesPoirier,Littératureet psychanalyse, vocauxenromain; je lesreproduis telsquels.
durs! Troisà la bascule! 1910! Commeça ! Oui ! ÉditionsUniversitaires de Dijon,1998,p. 149. 28. On se souvientqueSergeGainsbourg en a fait une
l'itinéreairemarqueindéniablement,à l'aune de la
Troistêtes de lard ! Ourph ! Biribi ! Pas d'histoire! 1O.J'ai déjàcité l'exclamation de Rancotteau sujetde chanson(Comicstrip,1967).
culture, une régression, au moins pour les
Comme ça Rancotte ! Vous dresse les « Marguerite ». 29. Comme,par exemple,les premièresaventuresde
civilisationsdu Livre.Car s'il est possibled'estimer
insubordonnés! Les naturesde vice ! Oui ! C'est 11.Saufomission, j'ai relevé52 occurrences du terme Tintin,autourdesannéestrente.
que chez Céline l'écriture« s'apparenteà l'instinct dansunrécitquinedépassepas53pagesdansl'édition 30. C'est ce groupe« rote encore» qui me fait lire
beau Biribi ? Connais pas Biribi 33 !
génésique» 35 et que la venue à l'être ne saurait deréférence. « Rancotte » commeanagrammatique.
Parfaitement! Bleudressé ! Connaîtras! Pinede
se concevoirsans l'inscriptionde cette naissance 12.Je mepermets de renvoyer à monarticle«Courtialle 31.C'estdansle « Passage desBérésinas » quela mère
mouche ! Baguette ! Oui ! Parfaitement !
dans un texte, toute son ambition ayant été de Téméraire», ''On a• touchéà l'espace! 1900-1930 de Ferdinand tientboutique
dansMortà crédit,op.cil.,p.
Baguette! Carabine! Baguette! (10) Perturbations de la dimension spatialedanslessciences 559.
retrouverl'origine de la parole « à traversl'écrit»
36, il faut aussi concevoir que, pour lui, « la et les arts en France(D. Chaperonet P. Moret,éd.), 32.Jean-Pierre Richard,
op.cit.,p. 226.
Mais le grade ne fait pas toujoursla différencecar Étudesde Lettres2000 1-2, Revuede la Facultédes 33. On entend« BI/RI/BI» commeautantde syllabes
littérature, c'est de la Mort » 37 ; mais c'est
L'Arcilletient bien sa partieaussi: Lettresde l'Université de Lausanne, notamment pp. 91- infantiles
(B/A/BA).
vraisemblablement cette représentationvisionnaire
92. 34. Pour ce passage,commepour le précédent,je
du langagequi en a fait l'un des écrivainsles plus 13.C'est,pourmémoire(!), la premièrerépliquede En renvoieauxnotesd'HenriGodard,RomansIll, op.cil.,p.
LeRancotte ! Maisroustivaseux,maisje le doublepar
toutesles allures! petittrot ! galop! la charge! Vous symptomatiquesdu vingtièmesiècle, partagéqu'il attendant Godot. 902et 913.
étiezcor au tétinqueje l'arnaquais déjàle Rancotte! fut entre la dérision du bavardage,la fascination 14.On auracomprisque ce termeargotique,qui peut 35.GilbertRomeyer Dherbey, art.cil.,p. 54.
quej'y faisaiscommeça danslesdoigts! Alorsje m'y pour la richessede l'instrumentvocal et l'aspiration également s'écrire« chouette», désignel'orificequel'on 36. L.-F. Céline,Entretiensavec le ProfesseurY, in
connaisplus ! J'y feraisunetirelirede monoigneau au silence. Le Voyages'achevaitavec la formule sait, le vide fondamental. Voir Géo Sandryet Marcel RomansIV,Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade,1993,
maréchaogi Rancotte ! Officiel! Moiqu'aétéà l'Opéra! « qu'on n'en parle plus » 38, devenuesi fameuse Carrère,Dictionnaire de l'argotmoderne,Aux Quaisde p. 498.Enitaliquedansle tex1e.
qu'avutoutCarmenet Manon! Qu'arrive pasdubourg qu'on ne cesse plus d'en parler, pas plus que son Paris,1974,p. 62. Le mot n'estpas répertorié dansle 37.Lettreà ÉrikaLandry,datéedu 14[?] 193[2],Cahiers
Saint-Mange-Fouasse ! L'Arcilled'Asnières!Classe8 ! « Vocabulaire populaire et argotique» in Romans/, op. deL'Heme,n° 3 & 5, 1972,p. 65.
auteur n'a cessé d'écrire jusqu'à la fin de sa vie, cit., pp. 1509-1555et, donc, serait employépour la 38. Voyage auboutdela nuit,op.cit.,p. 505.
Officiel!Cinqansau réveil! Parfaitement! Taratata!
persuadéqu'il devaitêtre, commeBorges39 et tant première foisparCélinedansCasse-pipe. 39. J.-L.Borges,« La bibliothèque de Babel», Fictions
115 de rabiotpas volé ! Rapportde la Division!
Fermezle ban! Cassépremierjus ! À la Onzième d'autres, que l'épisode de Babel est, au plan 15. Jean-Pierre Richardparlede « furet », op. cit., p. (1956).
indépendante! Règlement! Quaranteau ballon littéraire,une felixculpaet la Tour, la maison-mère 229.
spécial! 27 foisle motif! Choléranobis! L'Arcilleaux des écrivains. 16.Ibid. © Extrait de Regards sur Claudel et la
locaux! Très bien mon Général! Rassis! Poigne BrunoCURATOLO 17. Le manuscritmontreque Célinea hésitéentre Bible. Mélanges offerts à Jacques
d'acier!Jamaisunpetifsoupourlesfilles! L'amourest « saoul", « gazé », « schlasse» et « noir » avant
Houriez. Textes présentés par France
enfantdeBohême! (28)34 d'adopter« rond» : on ne peutguèreparlerde légèreté
1. Voirl'analysedeJean-Pierre Richard(op.cit.,p. 225), dansle choixde la formulefinale; voir RomansIll, op.
Marchal-NinosqÜe et Catherine Mayaux.
légèrement différentedecellequeje propose. cit.,p. 920. Éd. Poussière d'Or, 2006. Il s'agit d'une
Comparésà ces virtuoses,tout au bas de la Tour, 2. La critiques'est souventamuséeà rapprocher les publication de l'Association pour la
18.Voirla noted'HenriGodard,RomansIll, op. cil., p.
gisent les indigents,ne s'exprimantque par le seul prénomsdes parentsde Ferdinandpourfaire un clin recherche claudélienne. Nous remercions
915.
babil: d'œilà « La Clémence d'Auguste» maisne s'estpas 19.Jean-Pierre Richard,qui joue,lui aussi,allègrement le Centre Jacques Petit (Faculté des
Manman ... ma... man... me... [...] Do... donne... toujoursaviséeque, la clémenceétant une attitude lettres de Besançon) qui nous a autorisé
surlesmots,vajusqu'au«Casque-pipe», Microlectures,
moi... gli... glisse.[...] Maman... mam... mam... du pacificatrice, il y avaitlà une relationà établiravecla op.cil.,pp.239-255. à reproduire cette étude.
gli... glisse... (50) professiondu cyclothymique personnage qui passesa 20.Je rappelletoutde mêmequeRoland,blesséà mort,
vie à allumer,en famille,desbrasiersdontil déploreles assèneuncoupde sonolifantsurle casquedu Sarrazin
Ce que le narrateurappelle « déconner» ou faire dégâts,danssontravail. qui veut le dépouilleret lui fait éclaterle crâne: un
« l'enfant » et qui achemine vers l'incapacité à 3. Il s'agitexactement de la « Coccinelle-Incendie»,
Mort véritable« casse-pipe »!
à crédit,op.cit.,p. 549. 21. GilbertRomeyerDherbey,« L'Esthétique de Louis-
parler,sinonque par balbutiements.
4. Voir le Dictionnaire historiquede la languefrançaise, Ferdinand Céline»,NRF,n' 400,1•rmai1986,p. 56.
La malédictionva, d'ailleurs, au-delà même du
op.cit.,vol.1,p. 788. 22. Voyage auboutdela nuit,op.cit.,p. 487.
récit bibliquepuisquela faillite de la languetouche 5. Cettephrasefaitlienaveclesdernières pagesde Mort
l'écriture, acte solitaire dont on ne peut imputer à crédit.

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