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Cours G.

Guéant

Le Néoclassicisme

I.Des origines françaises

Le Néoclassicisme est une aventure incroyable...franco-internationale !

1.Un chef de file, un texte fondateur

Si nous connaissons a priori quelques noms de compositeurs célèbres néoclassiques


tels que Francis Poulenc, nous en soupçonnons beaucoup moins les oirigines. Celles-ci sont,
avec surprise, l'œuvre d'un homme de théâtre et de littérature : Jean Cocteau (1889-1963).

Jean Cocteau s'est illustré au cours d'une vie très riche en tant que poète, auteur dramatique,
romancier, auteur de pièces de théâtre (La Machine infernale, La Voix humaine), dessinateur,
metteur en scène, critique, journaliste, réalisateur de cinéma (La belle et la bête). Elu à
l'Académie française en 1955, il dessine la Marianne du timbre poste en 1960. Quel est donc
cet homme aux multiples talents dont seule la musique n'a pas été encore mentionnée ?

Jeune, Cocteau est un révolutionnaire, véritable tourbillon d'idées. Sa carrière littéraire débute
par la publication de poèmes dont il tente de moderniser l'écriture. Cocteau ambitionne de
marquer artistiquement le début de ce nouveau siècle. C'est un Dandy mondain à l'esprit vif. Il
infiltre les salons littéraires parisiens. C'est l'homme que l'on voit présent chez tout le monde
sans que personne ne sache qui l'a invité. Son impertinence de jeunesse fait qu'il s'invite tout
seul et a tendance à forcer les entrées.

Il a l'occasion d'approcher et de pénétrer l'intimité des protagonistes de l'un des plus grands
événements de 1913 : Diaghilev et Nijinsky, promoteurs des ballets russes. Cocteau assiste au
scandale de la création du Sacre du Printemps de Stravinsky, le 29 mai 1913 au Théâtre des
Champs-Elysées. Quelques heures après cette première représentation, un fiacre s'arrête au
Bois de Boulogne, quatre hommes déboussolés défriefent : Diaghilev, Nijinsky, Stravinsky
et ...Cocteau.

Le Sacre du Printemps est un choc esthétique pour Cocteau qui y voit le signe tant attendu.
Néanmoins, jamais plus pareille œuvre ne se reproduisit. Coteau évoque cette expérience
ainsi :

« Lorsque l'on me demande ce j'emporterais de ma maison si elle brûlait, je réponds:le feu. »

Cocteau ne vénère pas l'œuvre mais ce qu'elle a provoqué ; l'important n'est pas le Sacre mais
son scandale.

Il rêve d'un Art qui retrouve toute sa force pour toucher les consciences. Il rédige ainsi en
1917 le manifeste du Néoclacissisme : Le Coq et l'arlequin. Le Coq représente la France et
ses valeurs, l'arlequin est le fourbe qui n'a aucune vraie couleur, les ayant toutes. Pour
Cocteau, l'Art doit s'adresser à tout le monde et il s'insurge contre les musiques trop
sophistiquées et trop intellectuelles, notamment celles de Wagner et de Debussy. Dans la
citation ci-dessous, Georges Auric précise qu'ils reconnaissaient le talent de Claude Debussy,
mais qu'il ne fallait surtout pas de debussysme et d'école Debussy.
« Claude Debussy, Maurice Ravel (après Gabriel Fauré) s'opposaient radicalement au franckisme de Vincent
d'Indy, au wagnérisme des « voyageurs de Bayreuth ». « Il est dommage, écrira Cocteau, que certaines époques
puissent mettre leurs grands hommes en mauvaise posture. » Nous savions quel « grand homme » était Debussy.
Nous le souhaitions (ce qu'il est heureusement devenu) incomparable. « Son époque » (celle que nous étions en
train de vivre), ses disciples maintenant oubliés, « le mettaient », à nos yeux « en mauvaise posture». De là une
négation juvénile qu'il est, me semble-t-il, assez facile de comprendre. L' « impressionnisme » allait servir
d'objectif essentiel à nos attaques. Pour un compositeur devenu malgré lui « chef d'école », combien est-il
malaisé de se trouver le contemporain d'un peintre à son tour situé comme « chef d'école » ! Claude Monet
absent, Pelléas ne serait jamais devenu l'oeuvre d'un « impressionniste ». (Après Monet-Debussy, le mécanisme
allait jouer ; ce serait Ravel-Bonnard. Que de noms, plus tard, se joindraient à celui de Picasso ! Et le petit jeu
est loin d'être achevé. Aux amateurs d'équivoques, s'ils y trouvent plaisir, de s'y livrer à leur tour !) Bien
davantage que des peintres auxquels il a toujours préféré, je crois, les Japonais de la haute époque, Debussy me
paraît avoir conservé, des poètes symbolistes auprès desquels il avait grandi, un souvenir moins discutable qui
lui fit donner à des pièces d'une radieuse beauté, les titres les plus malheureux. »
Georges Auric, Préface du Coq et l'arlequin, pages 20-21

Cocteau ne veut pas occuper la première place parce qu'il est jeune et qu'il a besoin de
s'appuyer sur une figure charismatique, originale, indépendante et plus expérimentée dans le
scandale et l'impertinence. Il débusque la perle rare et le jette sous les projecteurs ; il s'agit
d'Erik Satie !

2.Pourquoi Satie ?

En 1917, Erik Satie a plus de cinquante ans et ne semble pas pouvoir incarner la jeunesse d'un
nouveau mouvement...mais il possède de nombreux atouts en sa faveur : il est infréquentable,
misanthrope et provocateur.

De plus, son style et son langage déconcertent :


-des oeuvres conceptuelles et systématiques (Gnossiennes, Gymnopédies)
-système harmonique simple, organisation des degrés quasi modale
-aspect populaire, spontané, presque improvisé.. abandon de la mesure
-provocation par des dissonances gratuites et des titres fantaisistes : Embryon desséchés,
Pièces froides, Choral inappétissant
-présence de texte humoristiques dans la partition à l'adresse de l'interprète (Sports et
divertissements).

Satie n'a composé que des œuvres pour piano jusqu'alors et Cocteau souhaite rester dans le
domaine du ballet et des grosses productions. Cocteau permet ainsi à Satie de satisfaire ses
excentricités avec Parade en 1917. Il s'agit d'un ballet sur un argument de Cocteau ; les
décors sont de Picasso. Volontairement provocante cette pièce incorpore des machines à
écrire, un bouteillophone, des sirènes et des coups de pistolet. L'orchestration prévoit des
trombones en grand nombre pour couvrir les sifflets de la foule. Apollinaire prête main forte
aux artistes dans leur fuite en contenant la foule. (Les femmes voulaient leur crever les yeux
avec leurs aiguilles à chapeau...)

Ainsi poussé, Satie se retrouve sur le devant de la scène à cinquante ans pour être le premier
compositeur d'un mouvement de jeunes qu'organise Jean Cocteau, alors âgé de vingt-huit.

écoute conseillée : Embryon desséchés (cadences démesurées et caricature de Chopin),


Parade.
3.Des premiers fidèles aux convertis

« Nous partîmes cinq cents mais, par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en
arrivant au port. » Pierre Corneille, Le Cid, Acte IV, scène 3

Cocteau s'entoure d'un groupe de jeunes compositeurs que le critique Henri Collet nomme « le
groupe des six », appelation acceptée par ceux-ci. Il fait doublement référence au « groupe des
cinq », les compositeurs russes, à la fois pour le nom de leur assemblée artistique mais aussi
pour ce qu'il représentaient. Les six défendraient la musique française comme les cinq avaient
défendu l'authenticité de la musique russe .

Les membres du groupe des six :


-Georges Auric (1899-1983) président de la SACEM de 1954 à 1978, compositeur de
musiques de film (La Grande vadrouille... )
-Louis Durey (1888-1979)
-Arthur Honegger (1892-1955), professeur à l'Ecole Normale
-Darius Milhaud (1892-1974), parenthèse comme secrétaire de Paul Claudel en mission
diplomatique en Amérique de Sud avant de revenir en France pour se consacrer à la
composition
-Francis Poulenc (1899-1963)
-Germaine Tailleferre (1892-1983), ler prix de contrepoint (jury présidé par Debussy)

On remarque qu'en 1917, ces compositeurs étaient tous très jeunes et que la longévité de
certains les amène presque jusqu'à nous. Cocteau n'est donc pas musicien mais il s'entoure de
de ces jeunes compositeurs dont il oriente la création. Le groupe participe même à des
collaborations communes ; ainsi, en 1921, Les mariés de la tour Eiffel est une œuvre
collective (Auric, Honegger, Milhaud, Poulenc, Tailleferre).

Le groupe des six donne des résultats et l'esprit du Coq et l'arlequin gagne également d'autres
compositeurs, notamment des compositeurs étrangers en résidence en France. Le courant
néoclassique a donc ce paradoxe d'être géographiquement circonscrit à la France mais
d'influence internationale.

D'autres compositeurs devenus néoclassiques : De Falla, Roussel, Stravinsky, Prokofiev... Et


ceux que l'on appelle « L'école de Paris » :
-Bohuslav Martinu (1890-1959), Tchèque
-Marcel Mihalovici (1898-1985), Roumain
-Tibor Harsanyi (1898-1954), Hongrois
-Alexandre Tansmann (1897-1986), Polonais
-Conrad Beck (1901-1989), Suisse
-Alexandre Tcherepnine (1899-1977), Russe

Les compositeurs qui ont adopté ce courant néoclassique, même temporairement, ont des
origines et des aspirations d'une très grande diversité. Il est donc temps à présent d'essayer de
définir ce qu'est le néoclacissisme et de voir en quoi autant de compositeurs avec des œuvres
si différentes ont pu prétendre appartenir au même courant de pensée.
II.Essai de définition du Néoclassicisme

« La jeunesse sait ce qu'elle ne veut pas avant de savoir ce qu'elle veut. »


Jean Cocteau

1.La théorie

Le Néoclacissisme porte un nom déjà très évocateur... faut-il entendre par là « nouveau
classicisme » ? Il est en tout cas le premier courant proposant un « retour à ».

Le premier paradoxe est le modèle : Erik Satie est loin de satisfaire à cette définition ; il ne
propose aucun retour à quoi que ce soit, Erik Satie ne représente que sa propre musique.
Néoclacissisme ne signifie pas « scandale », ce qui revient à questionner le réel appport de ce
compositeur auquel le groupe des six ne cesse de se référer.
Existe-t-il une école néoclassique ?
« La mode, c'est ce qui se démode. » Jean Cocteau

Le second paradoxe est que le néoclicissisme refuse l'évolution naturelle dessinée jusque là,
entre autre, incarnée par Wagner et Debussy. Ce courant s'oppose à la modernité issue du
XIXe siècle et veut proposer une nouveauté nourrie de préoccupations esthétiques passées.

Le mouvement néoclassique prend son envol sur les ruines d'une Europe dévastée par la
première guerre mondiale. On considère que le romantisme a conduit à l'éclatement des
langages et à trop d'affirmation de soi et des nationalismes. Il faut rationaliser et retrouver
l'esprit objectif des lumières, créer une alternative aux choix de leurs contemporains.

En quelques citations :
« Assez de nuages, de vagues, d'aquariums, d'ondines, de brumes » Jean Cocteau
« La brume occasionne la perte d'autant de musiciens que de navigateurs.» Erik Satie
« Exception faite pour Claude Debussy (mort en 1918, cela lui a évité pas mal d'attaques...),
l'orchestre poussiéreux des impressionnistes, ce n'est pas de l'orchestre, c'est du piano
orchestré. » Erik Satie

Le Néoclassicisme critique l'académisme et les dogmes. Le mouvement revendique un retour


à l'essentiel : une musique qui s'exprime et touche tout le monde, à savoir qui conforte ou qui
dérange. Il développe donc une pensée duale qui fait cohabiter :
-la provocation : Politique du scandale, dissonance gratuite, excentricités sonores
« Le sérieux n'est plus possible en Art » Jean Cocteau
-le populaire : L'Art doit être celui de la communication avec le plus grand nombre.
Renouer avec des formes simples et favoriser les lignes mélodiques

On comprend ainsi comment l'hétérogénéité même du courant a pu accueillir autant


d'esthétiques différentes. Il n'y a pas de prise de position particulière pour le beau ou pour le
laid. Satie reste provocateur, Stravinsky reste l'excellent rythmicien, chacun peut rester lui-
même mais tous sont réunis par l'esprit du courant et l'emploi de certaines techniques .
2.Retour vers le futur...

Retour au Baroque :

Le mouvement néoclassique n'est plus à une contradiction près : concernant les formes, il
pourrait dans de nombreux cas être plutôt appelé « néobaroque ». Le terme classique doit en
réalité être pris de manière générique et non historique. Dans la quête de la simplification, les
formes anciennes baroques ont été revisitées et remises à l'honneur :
-Ravel, Menuet sur le nom de Haydn, 1909
-Ravel, Tombeau de Couperin, 1917 : prélude, fugue, forlane, menuet, rigaudon, toccata
écoute conseillée
-Roussel, Suite en Fa, 1926, prélude, sarabande, gigue écoute conseillée

Jean-Sébastien Bach redevient une grande source d'inspiration, notamment pour Stravinsky :
-octuor pour instruments à vents, 1923
-sonate pour piano, 1924
-concerto pour piano et instruments à vents, 1924 écoute conseillée
-Symphonie des psaumes, 1930
-concerto Dumbarton Oaks, 1838, il s'agit d'un concerto grosso composé sur le modèle des
concertos Brandebourgeois de Bach écoute conseillée
Ou Haendel et Purcell : Stravinsky, Oedipus Rex, 1927
Ou Pergolese : Stravinsky, Pulcinella, 1919

Emblématique de son époque, le clavecin est de nouveau un instrument au répertoire


contemporain :
-De Falla : Concerto pour clavecin, 1926 écoute conseillée
-Poulenc, Concerto champêtre, 1928 écoute conseillée

Retour à l'époque classique :

Le retour au clacissisme est moins présent dans le répertoire du néoclacissisme mais on le


retrouve par l'épuration de la phrase mélodique et par la réhabilitation de la carrure du XVIIIe
siècle. La symphonie rend compte d'un retour tant au genre qu'au style :
-Stravinsky, Symphonie en Ut, 1940
-Prokofiev, Symphonie n°l dite « classique », 1917 écoute conseillée
Allegro : sonate classique sur le modèle de Haydn
Larghetto : A-B-A, caratère de menuet.
Gavotte : incursion baroque
Finale-Molto vivace : Rondo-sonate... très classique...

Les accompagnements reprennent également leurs formules automatiques telles que la


traditionnelle basse d'Alberti que l'on retouve par exemple dans la quatrième sonate de
Prokofiev (notamment le dernier mouvement). écoute conseillée

Enfin, citons l'exemple singulier qu'est le Concerto pour deux pianos (1932) (écoute
conseillée) de Poulenc. Cette formation fait clairement référence à celui de Mozart. C'est
pourquoi dans son second mouvement, Poulenc cite Mozart ; ainsi alterne-t-on avec délice
entre les deux compositeurs.
Retour aux musiques populaires :

Toucher le plus grand nombre, c'est aller à la rencontre de son propre répertoire qu'il s'agisse
du folklore populaire (Milhaud, Le boeuf sur le toit écoute conseillée, 1920, rondo aux
mélodies du Brésil), du cirque (Milhaud, La création du monde, 1923) ou d'une toute nouvelle
tendance populaire : le jazz. De nombreux compositeurs néoclacissiques s'inspirent de leurs
grilles harmoniques, utilisant des fonctions simples et enrichies. La figure hamonique de blue
note (superposition majeur/mineur) ouvre la voix à la polytonalité. Le jazz apporte avec lui
ses rythmiques entraînantes et ses nouvelles formes, très inspirées de la danse.
-Martinu, Huit préludes pour piano, 1930, dont le premier « en forme de blues » écoute
conseillée
-Ravel, Sonate pour violon et piano, mouvement lent, Blues écoute conseillée
-Ravel, Concerto pour la main gauche (1930) et Concerto en Sol (premier mouvement)
(1931)

Le néoclassicisme s'accommode très bien de la période de pénurie post-guerre pour privilégier


les petits ensembles, c'est pourquoi les formations de jazz conviennent parfaitement.
-Stravinsky, Ragtime, 1918 écoute conseillée
-Stravinsky, L'histoire du soldat, 1921, pour petit orchestre et récitant sur un poème de
Ramuz. Cette œuvre se veut populaire et une peu foraine. On y retrouve valse, tango et
ragtime. écoute conseillée (notamment avec Jean Cocteau en récitant)

Les technologies pour une musique de son temps :

Le Néoclassicisme est idéaliste à l'image des tableaux de Fernand Léger où le niveau de vie
des ouvriers s'améliore considérablement, profitant des congés payés et du plein emploi. Loin
de la vision des Temps modernes de Chaplin, Léger représente les classes populaires en robots
gris : l'homme qui devient fort par le travail à l'usine. Je ne suis pas sûr que l'usine fasse
autant rêver aujourd'hui...
Il n'empêche que les compositeurs néoclassiques s'émerveillent des nouveautés techno-
logiques et des découvertes scientifiques de leur époque. Ainsi voit-on apparaître dans leurs
œuvres, ce que l'on appelle le « motorisme ». Il s'agit de formules et de textures répétitives
rapides, à l'image des cadences de travail de ces nouvelles machines :
-Honegger, Pacifique 231, 1923, s'inspire de la locomotice américaine (231 sont le nombre de
roues de celle-ci, 2 grandes, 3 moyennes et une petite à l'avant) écoute conseillée
-Honegger, Symphonie n°2, 1941, pour orchestre à cordes et une trompette. Le troisième
mouvement est d'une très grande complexité rythmique. écoute conseillée
-Prokofiev, Symphonie n°2, 1925, « De fer et d'acier »
-Prokofiev, sonate n°3, 1917, un seul mouvement avec perpetuum mobile. écoute conseillée

Tout aussi répétitives mais beaucoup plus conceptuelles et humoristiques, relevons Les
Vexations d'Erik Satie (choral répété 280 fois) et les Mouvements perpétuels de Francis
Poulenc.

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