Vous êtes sur la page 1sur 61

Rousseau nous tient sous le charme, un charme familier et comme

enveloppant : est-ce pour rien que l’usage veut que, seul de nos
écrivains, on l’appelle par son prénom : Jean-Jacques?
(J. Dubosclard).
Sa vie
Un jour qu’il va rendre visite à son ami Diderot emprisonné, Rousseau reçoit la révélation de sa vocation philosophique : " Je
vis un autre univers et je devins un autre homme. " Désormais l’Europe des Lumières devrait compter avec cet obscur
Genevois
• https://www.youtube.com/watch?v=NA0upIwMLSk
1712
28 juin. Naissance de Jean-Jacques à Genève. Sa mère meurt une semaine
plus tard.
1728
A 15 ans, Rousseau quitte Genève. A Turin, on le convertit au catholicisme
(qu’il abjurera en 1754). Première rencontre avec Mme de Warens à
Annecy. Employé au cadastre, professeur de musique, il lit beaucoup.
1742
Arrive à Paris où il propose un nouveau système de notation musicale.
Compose Les muses galantes. Rédige l’article " Musique " pour
l’Encyclopédie de Diderot.
1750
Son Discours sur les sciences et les arts est primé par l’académie de Dijon.
Rousseau devient le centre d’une immense polémique. En 1755, second
Discours, encore plus fracassant, sur l’origine de l’inégalité parmi les
hommes. Pour l’Encyclopédie, il rédige l’article " Economie politique ".
1756
Installé dans son ermitage de Montmorency, Rousseau
commence son grand roman, La nouvelle Héloïse. Il marque
le tournant de la sensibilité du siècle vers ce qui deviendra
le romantisme.

1759
Le Contrat social expose ses principes politiques et
révolutionnaires. L’Emile les prolonge en un programme
d’éducation des enfants. Les deux livres seront brûlés à
Genève et à Paris en 1762. Décrété de prise de corps dans
les deux villes, Rousseau se réfugie à Neuchâtel.

1765
Les persécutions réelles et imaginaires se multiplient.
Voltaire lance contre Rousseau un pamphlet anonyme qui
révèle l’abandon des cinq enfants qu’il eut de Thérèse
Levasseur. Le Contrat social est brûlé dans toutes les
capitales européennes. Rousseau travaille à un Projet de
constitution pour la Corse.
1766
Au cours de son séjour chez Hume à Londres,
Rousseau commence à rédiger pour sa défense
personnelle les premiers livres des Confessions.

1770
De retour à Paris, Rousseau vit pauvrement en
copiant de la musique. Il herborise avec passion et
publiera en 1774 un Dictionnaire de botanique.

1778
Il meurt à Ermenonville le 2 juillet alors qu’il
achevait les Rêveries du promeneur solitaire.
Publication posthume des Confessions entre 1782
et 1788. Pendant la Révolution, Rousseau devient
l’objet d’un culte populaire. Ses cendres sont
transférées au Panthéon en 1794.
Mme de Warens

• En 1728, au retour d'une promenade, trouvant la ville déjà


close, il part à l'aventure du côté d'Annecy. Il est recueilli
par Mme de Warens, qui lui laisse une impression
inoubliable; elle devient pour lui «Maman», il est «petit» :
il abjure le protestantisme pour elle et se fait catholique.
Puis il multiplie les professions (laquais, séminariste,
secrétaire, musicien...), menant une vie misérable et
insouciante. Il se fixe en 1732 chez Mme de Warens – aux
Charmettes – connaît le «court bonheur» de son existence.
L'idylle cesse en 1737 : Rousseau se découvre un rival et
s'éloigne
Thérèse Levasseur
• En 1741, il s'installe à Paris pour conquérir la gloire, côtoie les grands écrivains et la société brillante. Son
premier opéra n'a pas le succès escompté. La gloire tardant, le sentiment d'infériorité croît. Il s'installe avec
Thérèse Levasseur, servante illettrée qui lui donnera cinq enfants qu'il abandonnera à l'Hospice des Enfants
trouvés. Il continue à développer ses relations mondaines, rédige pour l'Encyclopédie des articles de
musique. Mais le succès attendu tarde toujours.

Hospice des enfants trouvés Thérèse Levasseur


Thérèse Levasseur
Un homme seul brouillé avec tous
Après une visite à Diderot emprisonné à Vincennes,
Rousseau rédige son Discours sur les Sciences et les
Arts (1750). Il devient enfin célèbre mais refuse
d'être présenté au roi pour obtenir une pension. Il
entreprend ensuite sa réforme morale, renonce au
monde, redevient protestant et citoyen de Genève.

Après le Discours sur l'origine de l'inégalité (1755), il


commence à se brouiller avec les philosophes qui
estiment que sa retraite est une désertion. Jean-
Jacques s'installe à Montmorency chez M. de
Luxembourg de 1759 à 1762. Il écrit beaucoup :
Lettre à d'Alembert sur les spectacles (1758), La
Nouvelle Héloïse (1761), Du Contrat social (1762),
Emile (1762).
Paranoïa de
Rousseau
L'Emile condamné au feu par le Parlement, Rousseau
Ile St-Pierre
doit fuir (1762). Commence une errance forcée de
huit ans. Condamné en Suisse, il abandonne sa
citoyenneté. Réfugié près de Neuchâtel, il fuit sur l'île
Saint-Pierre, au milieu du lac de Bienne. Mais il en est
chassé... Le conflit avec les philosophes s'envenime
(surtout avec Voltaire). En proie à des soupçons
maladifs, obsédé par l'idée d'un complot, il
entreprend sa longue justification autobiographique
qui s'étend sur trois oeuvres : les Confessions (1765-
1770), les Dialogues (1772-1776), puis les Rêveries du
promeneur solitaire (1776-1778) retraçant la paix
regagnée par le repli sur soi à Ermenonville. Il y meurt
peu après, en 1778.

Contrat social de Rousseau brûlé publiquement à Genève, Suisse, en 1763


Pour bien comprendre Rousseau

sur le plan biographique

• Une origine modeste, une enfance chaotique en font un autodidacte,


un exclu. Persuadé de sa singularité, hanté par un sentiment de
culpabilité et de persécution, il finit sa vie en misanthrope.
• Son souci de la vérité le conduit souvent à se contredire, à sembler
paradoxal et agité de mouvements contraires.

sur le plan littéraire


•Un philosophe dont les principes seront repris dans la Déclaration des
droits de l'homme et fonderont les bases de la nouvelle société.
•Un écrivain novateur : La Nouvelle Héloïse, roman par lettres, inaugure
le romantisme au XIXème siècle (notamment par son exaltation du moi
et de la nature).
•Le fondateur d'un genre nouveau : l'autobiographie.
https://www.youtube.com/watch?v=XrX7vcAOLkY
Essai sur l’origine des langues

•Le langage n’est pas né des besoins


physiques, qui éloignaient les hommes les
uns des autres, mais des passions qui les
rapprochaient. D’abord il y a le cri et les
chansons, qui constituent pour Rousseau le
mythe d’une langue originelle. Puis la
langue des civilisés dégénère en vaines
paroles, en armes de persuasion pour
tromper
LETTRE A D’ALEMBERT SUR
LES SPECTACLES (1758)
Thèse : Rousseau condamne le théâtre contrairement aux Encyclopédistes et à
Voltaire : “Le théâtre offre des leçons de vertu, de raison et de bienséance”).
Ses arguments :
• la fonction sociale du théâtre se limite à l’amusement de la cour, des Grands.
• il ne peut corriger les mœurs puisqu’il flatte le public.
• il ignore la vertu qui ne peut exister que dans la conscience (≠ Catharsis
d’Aristote / ≠ Verfremdungseffekt de Brecht)
• la tragédie - par l’étalage des passions - tend à faire naître des émotions
dangereuses.
• la comédie exalte le vice et ridiculise la vertu. A propos de Molière : “École de
vices et de mauvaises mœurs”. Jean-Jacques juge d’Alceste : homme vertueux
et sincère (≠ misanthrope !).
Discours sur les Sciences
et les Arts (1750)
• Sur la route de Vincennes, en 1749, Rousseau rend
visite à Diderot enfermé pour la Lettre sur les
aveugles. Dans le Mercure de France, il tombe sur
cette question mise au concours par l'Académie de
Dijon : «Si le rétablissement des Sciences et des Arts a
contribué à épurer les mœurs.» Un profond
bouleversement s'opère en Rousseau :
• «A l'instant de cette lecture, – dit-il dans ses
Confessions – je vis un autre univers et je devins un
autre homme... En arrivant à Vincennes, j'étais dans
une agitation qui tenait du délire. Diderot l'aperçut :
je lui en dis la cause, et je lui lus la Prosopopée de
Fabricius, écrite en crayon sous un chêne. Il m'exhorta
de donner l'essor à mes idées, et de concourir au prix.
Je le fis et dès cet instant je fus perdu. Tout le reste de
ma vie et de mes malheurs fut l'effet inévitable de cet
instant d'égarement » (II, 8).
L'homme est bon et heureux par nature; c'est la civilisation qui l'a corrompu et
qui a ruiné son bonheur primitif.
Tout s'expliquait dès lors : son malheur datait de son entrée
dans une société pervertie par le luxe et la civilisation. Telle
était l'histoire de l'humanité tout entière :
bonheur des hommes primitifs VS corruption et malheur des
peuples civilisés.

Portée philosophique : en réaction contre la morale d'austérité


et de renoncement du siècle précédent, Voltaire et les
philosophes chantaient le luxe, le progrès matériel qui
engendre le progrès moral et conditionne le bonheur. Au
moment où l'Encyclopédie va symboliser cette foi dans la
civilisation, voici que ce "barbare" de Jean-Jacques se dresse,
soutenant que les sciences et les arts corrompent les mœurs,
que le bonheur est dans la vie simple, que la vertu dépend
non de la science mais de la conscience, que la civilisation n’a
jamais été un facteur de vertu !
Regarder : https://www.youtube.com/watch?v=_OQrmFnrU_I&t=90s
L’état de nature vs culture

•Rousseau n’incrimine ni Dieu ni la nature L’état de nature L’état sauvage l’état social
humaine, mais la société. Dans l’état de L’état sauvage (ou Enfin l’état social,
•L’aventure humaine est donc tragique : la nature, l’homme second état de inégalitaire et
n’est encore qu’un nature) est l’âge oppressif, apparaît
socialisation fait le malheur de l’homme et animal sauvage et idyllique, où les avec l’agriculture qui
en même temps sa grandeur puisqu’il solitaire, une brute hommes requiert
devient conscient de son malheur. stupide dépourvue chasseurs ou nécessairement
•Rousseau ne propose pas de revenir en de langage, en deçà bergers assurent propriété privée,
du bien et du mal. seuls leur propre police, état, argent.
arrière pour "marcher à quatre pattes" subsistance. C’est
comme l’en accuse Voltaire, car il sait le règne du troc
l’histoire irréversible. et de la co-
•Il n’y songe même pas pour lui-même : ”Je propriété,
tout est à tous.
sens trop en mon particulier combien peu
je puis me passer de vivre avec des
hommes aussi corrompus que moi."
Le courant primitiviste : une hypothèse
repoussoir à la décadence européenne
Rousseau aura beau dire et répéter que l’état de nature n’est qu’une hypothèse voire une fiction, qu’il n’a peut-
être jamais existé, un innombrable courant primitiviste se réclame de lui.
La fin du XVIIIe siècle sera l’âge d’or du mythe du bon sauvage : graveurs et peintres s’emparent avec
délectation de l’éden exotique. Mais à mesure qu’on tente de connaître les sociétés sauvages, on se rend
compte qu’au contact des Blancs elles sont toutes en train de dégénérer, voire de disparaître. L’alcoolisme et la
syphilis se répandent chez les Indiens, les Noirs sont esclaves. Où chercher de véritables sauvages encore
vierges de tout contact avec la civilisation ? A Tahiti.
Par le Voyage autour du monde de Bougainville (1771), on découvre les étonnantes mœurs de Tahiti. La thèse
de Diderot dans son Supplément est farouchement anticolonialiste : l’Européen, qui impose son ordre par les
armes du soldat et les chapelets du prêtre, introduit le remords et l’effroi. Ce faisant, il détruit une société qui
repose sur une morale plus sensée que la nôtre. Là où l’aumônier ne voit que licence et vice, Orou, le vertueux
Tahitien, lui montre des lois qui ne contredisent pas la nature. Elles s’inspirent d’un grand principe : la
paternité. Tout ce qui tend à la procréation d’enfants sains et vigoureux est légitime. Ce qui ne sert qu’au plaisir
est condamné. Dans tous les cas, le bien général l’emporte sur le bien particulier. Diderot n’est pourtant pas
un adepte de l’état de nature. Il ne voit pas en Tahiti un paradis, mais le laboratoire d’une morale laïque.
Discours sur les
sciences et les arts
Décadence des sciences et des arts
Preuves historiques

En adoucissant la vie sociale, les sciences et les Décadence romaine


arts aident les tyrans à asservir les hommes :
«ils étouffent en eux le sentiment de cette liberté
originelle pour laquelle ils semblaient être nés, leur
font aimer leur esclavage, et en forment ce qu'on
appelle des peuples policés...». (cf. Diderot, La décadence
Réfutation d'un ouvrage d'Helvétius).
Dans les sociétés modernes, les mensonges de la
bienséance ont remplacé la vertu : les vices sont
voilés sous la politesse ou déguisés habilement en
vertus. Dans l'histoire, le progrès des sciences, des
arts et du luxe a perdu l'Egypte, la Grèce, Rome,
Constantinople, la Chine, tandis que les peuples
ignorants et primitifs (Germains, vieux Romains,
sauvages de l'Amérique et ... Suisses !) ont conservé
leur vertu et leur bonheur.
Preuves intellectuelles

Nées de nos vices et de notre


orgueil, les sciences encouragent
l'oisiveté et détruisent le sens
religieux sans rétablir la morale.
Quant aux arts ils sont inséparables
du luxe, agent de corruption et de
décadence.
Enfin, la culture intellectuelle
affaiblit les vertus militaires et fausse
l'éducation : elle forme des savants
et non des citoyens.
Le secret de la vertu n'est donc pas
dans la folle science.
Prosopopée de Fabricius,
Discours sur les Sciences et les Arts
Ô Fabricius ! qu'eût pensé votre grande âme, si pour votre malheur rappelé à la vie, vous eussiez vu la face
pompeuse de cette Rome sauvée par votre bras et que votre nom respectable avait plus illustrée que toutes
ses conquêtes? "Dieux! eussiez-vous dit, que sont devenus ces toits de chaume et ces foyers rustiques
qu'habitaient jadis la modération et la vertu? Quelle splendeur funeste a succédé à la simplicité romaine? Quel
est ce langage étranger? Quelles sont ces mœurs efféminées? Que signifient ces statues, ces tableaux, ces
édifices? Insensés, qu'avez-vous fait? Vous les maître des nations, vous vous êtes rendus les esclaves des
hommes frivoles que vous avez vaincus? Ce sont des rhéteurs qui vous gouvernent? C'est pour enrichir des
architectes, des peintres, des statuaires, et des histrions, que vous avez arrosé de votre sang la Grèce et l'Asie?
Les dépouilles de Carthage sont la proie d'un joueur de flûte? Romains, hâtez-vous de renverser ces
amphithéâtres; brisez ces marbres; brûlez ces tableaux; chassez ces esclaves qui vous subjuguent, et dont les
funestes arts vous corrompent. Que d'autres mains s'illustrent par de vains talents; le seul talent digne de
Rome est celui de conquérir le monde et d'y faire régner la vertu. Quand Cynéas prit notre Sénat pour une
assemblée de rois, il ne fut ébloui ni par une pompe vaine, ni par une élégance recherchée. Il n'y entendit point
cette éloquence frivole, l'étude et le charme des hommes futiles. Que vit donc Cynéas de si majestueux? O
citoyens! Il vit un spectacle que ne donneront jamais vos richesses ni tous vos arts; le plus beau spectacle qui
ait jamais paru sous le ciel, l'assemblée de deux cents hommes vertueux, dignes de commander à Rome et de
gouverner la terre."[...]
Pensées décadentes
La force et la vertu des peuples sont donc en raison inverse de
leur degré de raffinement : les exemples de l’empire grec et
romain le prouvent. Les sciences - nées de l’orgueil et de la
volonté de puissance des hommes - encouragent l’oisiveté et
détruisent la morale.
• Les Romains pratiquaient la vertu : “Tout fut perdu quand ils
commencèrent à l’étudier”.
• “Que sont devenus ces toits de chaume et ces foyers rustiques
qu’habitaient jadis la modération et la vertu?”. Rousseau et son
• “Insensés, qu’avez-vous fait ? Ce sont des rhéteurs (beaux passe-temps favori :
parleurs) qui vous gouvernent”. l’herborisation…
• “La nature a voulu vous préserver de la science comme une
mère arrache une arme dangereuse des mains de son enfant”.
• “Les hommes sont pervers, ils seraient pires encore s’ils
avaient eu le malheur de naître savants”.
• “Le sauvage vit en lui-même : l’homme sociable toujours hors
de lui ne sait vivre que dans l’opinion des autres”.
.
Discours sur l'origine de l'inégalité (1755
«Chacun commença à regarder les autres et à vouloir être regardé soi-
même, et l'estime publique eut un prix (…) le plus beau, le plus fort, le plus
adroit ou le plus éloquent devint le plus considéré, et ce fut là le premier
pas vers l'inégalité.»
Cette œuvre est une réponse à une double question posée par l'académie
de Dijon : «Quelle est l’origine de l’inégalité des conditions parmi les
hommes ? Est-elle autorisée par la loi naturelle ?».
Pour répondre à la première question, Rousseau s'efforce de remonter dans
le temps et spécule sur une époque où l'homme vivait dans une condition
d'égalité envers ses pairs, donc une époque où la civilisation ne l'avait pas
encore perverti. Il tente de s'acheminer en pensée vers un point où
l'homme est encore proche de l'animal, situation qui constitue pour lui
l'état de bonheur.
Cet état de nature est donc bel et bien une pure fiction fonctionnelle.
L’état de nature
• «L’homme qui médite est un animal dépravé» : sentir
> penser. De plus, le “bon sauvage” n’est jamais
malade, ne manque de rien, n’est pas culpabilisé par
une religion instituée (Ni Création ni péché originel).
C'est donc en ôtant tout ce que la culture a pu lui
apporter de négatif que Rousseau reconstitue à
partir des récits de voyage un homme sauvage
parfait.
• Rousseau présuppose l’homme naturellement bon et
date son malheur de son entrée dans la société
corruptrice. Son opposition répétée au progrès
matériel et à la civilisation des Lumières le condamne
à la haine de ses contemporains.
• Le bonheur consiste dans la solitude (l'homme n'est
pas fait pour la société qui l'aliène), l'oisiveté : le
sauvage est proche de l'animal, il vit dans
l'immédiateté, la sobriété heureuse, la simplicité, le
désencombrement,, il désire peu et sa raison n'est
pas formée. Ce bonheur du sauvage est marqué par
de nombreux traits "négatifs"
La propriété, début de la fin
« Le premier, qui ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci
est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut
le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de
guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point
épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou
comblant les fossés, eût crié à ses semblables : "Gardez-vous
d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que
les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne " (...)
Proudhon, socialiste anarchiste français
Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes
rustiques, tant qu'ils se bornèrent à coudre leurs habits de
peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et
de coquillages... en un mot, tant qu'ils s'appliquèrent à des
ouvrages qu'un seul pouvait faire, et à des arts qui n'avaient
pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres,
sains, bons, heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur
nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d'un
commerce indépendant ; mais dès l'instant qu'un homme eût
besoin du secours d'un autre, dès qu'on s'aperçut qu'il était
utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité
disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire,
et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes
qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans laquelle on
vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les
moissons. » Extrait du "Discours sur l'origine de l'inégalité..." de
J.-J. Rousseau, 2e partie, 1755
Le valaisan était-il
un/le bon sauvage ?
• https://www.sac-cas.ch/fr/les-alpes/en-valais-avec-
jean-jacques-rousseau-6391/#:~:text=Rousseau%2
0s'%20est%20ressouvenu%20du,et%20les%20inve
ntions%20du%20romancier
.
• http://www.histoirevalleedejoux.ch/docs/Roussea
u,%20lettre%20du%20Valais%20b.pdf
Rousseau - plus encore que Montesquieu - va fournir
aux bourgeois qui font la Révolution française les armes
Du Contrat théoriques leur permettant de donner forme à leur
social (1762) projet théorique.
L’homme n’est plus pour lui le membre d’une caste ou
d’une corporation. Il est un individu autonome se
définissant comme citoyen à l’intérieur d’un Etat de
droit. Cet individu accepte de se soumettre à la volonté
générale pour ne pas être à la merci du caprice d’autrui.
L’autorité politique ne descend plus de Dieu sur le roi et La souveraineté du citoyen
du roi vers les sujets. Elle émane du citoyen. Un
changement aussi radical dans les perspectives s’appelle
une révolution
Les principes du Contrat social
https://vincentkjoly.com/contrat-social-rousseau/
Aucun homme ne tient de la nature une quelconque
autorité sur les autres hommes. Une telle autorité suppose
le consentement volontaire de ceux qu'elle soumet : «Il n'y
a qu'une seule loi qui par sa nature exige un consentement
unanime. C'est le pacte social : car l'association civile est
l'acte du monde le plus volontaire; tout homme étant né
libre et maître de lui-même, nul ne peut, sous quelque
prétexte que ce puisse être, l'assujettir sans son aveu. »

"Aucun homme n'a reçu de la nature le droit de commander


aux autres. La liberté est un présent du ciel, et chaque
individu de la même espèce a le droit d'en jouir aussitôt
qu'il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité,
c'est la puissance paternelle : mais la puissance paternelle a
ses bornes ; et dans l'état naturel elle finirait aussitôt que
les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre
autorité vient d'une autre origine que de la nature. Qu'on
examine bien, et on la fera toujours remonter à l'une de ces
deux sources : ou la force et la violence de celui qui s'en est
emparé ; ou le consentement de ceux qui s'y sont soumis
par un contrat fait ou supposé entre eux, et celui à qui ils
ont déféré l'autorité." (Diderot)
La souveraineté générale, seule garante de l’équité

• La « Souveraineté » (l'autorité politique) découle de la


« volonté générale » et réside essentiellement dans le
peuple. Elle ne peut s'aliéner. Si un peuple laisse un
homme lui imposer sa volonté personnelle, il n'y a plus de
peuple ni de gouvernants, mais un maître et des esclaves.
Le seul pouvoir légitime sera donc la république
démocratique.
• Le gouvernement ne constitue qu'un pouvoir
subordonné au pouvoir souverain c'est-à-dire au peuple
qui lui confie seulement l'administration de l'Etat. Si ce
gouvernement impose sa propre volonté, le pacte social
est rompu, « et tous les simples citoyens, rentrés de droit
dans leur liberté naturelle, sont forcés, mais non pas
obligés d’obéir ». On comprend dès lors l'impact
antimonarchiste d'un traité qui conteste implicitement la
souveraineté des rois et ne considère comme légitime
que la démocratie. La révolte est donc légitime .
• Le citoyen demeure parfaitement libre en se
soumettant à la volonté générale.
De la liberté •https://www.youtube.com/watch?v=1XcmGcP-rW8
civile
ROUSSEAU, Lettres écrites
de la montagne, 1764
Quand chacun fait ce qui lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres,
et cela ne s’appelle pas un état libre. La liberté consiste moins à faire sa
volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui; elle consiste encore à ne pas
soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être
libre et régner c’est obéir. [...] Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où
quelqu’un est au-dessus des lois. [...] Un peuple libre obéit, mais il ne sert
pas; il a des chefs et non pas des maîtres; il obéit aux lois, mais il n’obéit
qu’aux lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes.[...]
Il faut que nul citoyen ne soit assez opulent pour pouvoir acheter un autre,
et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre.[...)
Si l’abus [les inégalités] est inévitable, s’ensuit-il qu’il ne faille pas au moins
le régler. C’est précisément parce que la force des choses tend toujours à
détruire l’égalité que la force de la législation doit toujours tendre à la
maintenir.[...] L’émeute qui finit par étrangler ou détrôner un sultan [un
dictateur] est un acte aussi juridique que ceux par lesquels il disposait la
veille des vies et biens de ses sujets. La seule force le maintenait. La seule
force le renverse.
L’Emile
https://www.youtube.com/watch?v=ytrB-hUWD2s
https://www.youtube.com/watch?v=zrpQDThupUs
• Rousseau soutient que les inégalités naissent artificiellement des
systèmes sociaux et qu'elles sont fondées sur la propriété privée et
le travail organisé - des systèmes ayant permis la domination et
l'exploitation de certaines personnes par d'autres.
• Dans la perspective de Rousseau, le rôle de l'éducateur consiste
principalement à protéger son élève contre les méfaits de la
société, contre les influences néfastes de la culture et son cortège
de corruptions et de préjugés.
• Émile est le nom du jeune homme imaginaire dont Rousseau se
propose de faire un élève modèle.
• Pour Rousseau, il y a trois éducations : celle qui vient de la nature («
le développement interne de nos facultés et de nos organes »),
celle qui vient des hommes et celle qui vient des choses (« l'acquis
de notre propre expérience sur les objets »).
Citations de l’Emile
https://www.youtube.com/watch?v=u8-j7zFsKug
«Le connais-toi toi-même du temple de Delphes n'était pas une maxime
aussi facile à suivre que je l'avais cru dans mes Confessions.»
La recherche de la vérité et la crainte d'être défiguré

Les Confessions sont d'abord écrites pour se justifier et pour rétablir


une image authentique de soi. La rédaction des Confessions est
envisagée dès 1756, lors de la brouille avec les philosophes. Après la
condamnation de l'Emile en 1762, Rousseau décide d'instruire lui-même

Les Confessions le procès que lui font ses ennemis. La hantise du complot croît en 1764,
lorsque Voltaire révèle l'abandon par Rousseau de ses enfants. Jugé,
calomnié, défiguré, selon lui-même dans sa représentation physique et
les portraits faits de lui, il ne cessera pendant sa fuite et son errance
jusqu'en 1767 de mener à bien l'écriture des six premiers livres.
Rousseau rédigera de 1769 à 1770 la seconde partie (livres VII à XII).
Une troisième partie un temps envisagée ne verra pas le jour. Il fera
dans l'hiver 1770-1771 dans des salons quelques lectures, vite
interdites. La parution des Confessions sera donc posthume. (1782-
1789)
Du bonheur édénique de l'enfance à
l'exclusion du paradis
Le récit de l'enfance s'articule autour de deux
mythes :
1. celui du paradis, de l'Eden, affirmant le
bonheur originel;
2. celui des trois âges entraînant une
inéluctable dégradation de l'être.
Les Livres I à VI mettent ainsi en place un
cycle dramatique voué à une répétition
tragique : étape de bonheur édénique;
irruption tragique du malheur et exclusion
hors du paradis
La singularité de • Un héros romanesque, amant pré-romantique, précurseur
du naturalisme écologique, un être extraordinaire par
Jean-Jacques
ses origines son caractère son histoire
La mort de la mère [“né mourant” comme René, le héros “On dirait que mon coeur et mon esprit Jean-Jacques se présente toujours comme le
romantique de Chateaubriand] et l’exil du père le n’appartiennent pas au même individu” : conflit jouet des événements, comme une éternelle
prédisposent à l’exceptionnel, il se sent incompris, unique, constant entre la raison et le sentiment, conflit victime esquivant ses responsabilités, un « lâche »
pas à sa place. tranché romantiquement en faveur du sentiment, au sens sartrien : “Après de longues délibérations
contrairement à l’idéologie des Lumières. Voir pour suivre mes dispositions naturelles, ON PRIT
L’essentiel thème de la place : l’utilisation des antithèses : enfin le parti pour lequel j’en avais le moins”. Sa
vie semble s’écrire malgré lui. Le destin et la
Ai-je une place dans la société ? “Mon peu de succès auprès des femmes est société tiennent le rôle d’une sorte de narrateur
 Suis-je à ma place ? toujours venu de trop les aimer (...) Je ne omniscient, un peu comme le fatalisme dans
 Cette place est-elle la meilleure pour moi ? commençai de vivre que lorsque je me regardai Jacques le fataliste de son ex-ami Diderot.
 Comment faire pour trouver ma place ? comme un homme mort”.

Le bonheur sera ainsi toujours un lieu clos, une « Si je veux peindre le printemps, il faut que je sois
sphère hors du temps au sein de laquelle il peut se en hiver; si je veux décrire un beau paysage, il faut
livrer au seul plaisir de sentir : extase, immobilité, que je sois dans les murs, et j’ai dit cent fois que, si
communication muette et transparente des âmes. jamais j’étais mis à la Bastille, j’y ferais le tableau de
C’est toujours un intervalle, une parenthèse la liberté”
enchantée, un commencement dont la finalité est (Livre IV).
d’en être exclu tôt ou tard. Il déteste la plaine mais
préfère les montagnes, principalement les Alpes
valaisannes !!
A sa place… libre et responsable ?
Jean-Jacques s’engoue des aventuriers Bâcle et Venture, il aime

Le goût des
s’inventer des personnages : jeune étranger en fuite et recherché par sa
famille au livre III, compositeur parisien à Lausanne sous le pseudonyme
de Vaussore de Villeneuve (Livre IV), il se fait passer pour un Anglais aux

métamorphoses yeux de Mme de Larnage (Livre VI).

comme La manie du déguisement traduit l’inaptitude à se satisfaire de son état.

échappatoire au
vide existentiel L’usage de pseudonyme montre qu’il ne se sent pas à sa place.

intérieur Son désir d’ascension sociale est un échec et fait de sa vie un véritable
destin romanesque.

Le roman fabrique du destin sur mesure !

“Ses Confessions ne sont pas celles de l’ homme qu’il fut vraiment ni


même de l’homme qu’il eût voulu être, c’est tout simplement le roman
de ce qu’il a voulu qu’on le crût” (Brunetière, Questions de critique).
Une étape dans l'affirmation de soi
Sûr de détenir la vérité, ne voyant d'erreur que dans le regard des autres, l'auteur
annonce :
«Je peindrai doublement l'état de mon âme (...) au moment où l'événement m'est arrivé et
au moment où je l'ai décrit. A travers un chaos (...) de sentiments (...) contradictoires, [je me
livrerai] à la fois au souvenir de l'impression reçue et au sentiment présent.»
Ce texte est à la fois rétrospectif et prospectif : il recrée le passé et explique le destin à
venir de l'écrivain.
Hanté par l'idée de paraître par la faute de ses détracteurs autre que son être véritable, il
est aussi capable de changements, de revirements, de conduites paradoxales, car un
conflit permanent entre ses rêves et la réalité l'habite.
Voulant faire obstacle aux dires de ses ennemis, il s'arrête de vivre pour écrire sa vie et ses
quinze dernières années se confondent avec l'acte autobiographique, l'écriture de soi
L’autobiographie
• c'est un récit rétrospectif, construit sous une forme chronologique, qui
établit un pacte tacite avec un lecteur imaginaire. Il suppose l'identité
totale auteur-narrateur-personnage principal. Récit fondateur, il accorde
une place essentielle au récit d'enfance et met l'accent sur la genèse de
la personnalité. Organisant le parcours de l'écrivain, il éclaire la filiation
entre la vie et l'œuvre.

• Le projet de Rousseau consistant moins dans une connaissance de soi


que dans une reconnaissance de soi par les autres, il veut se peindre tel
qu'il est seul à se connaître. S'il ne peut emprunter une forme choisie
par d'autres, c'est qu'il est un être à part (selon lui défiguré par ses
ennemis) soucieux de la coïncidence de l'être authentique et du paraître
social.
Codes de l’autobiographie
https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=bPeoe38Y-YY

• C’est un récit rétrospectif construit sous une forme chronologique.


• Il établit un pacte tacite avec un lecteur imaginaire. Pacte par lequel l’auteur s’engage à dire la vérité sur sa
vie. Rousseau avait fait sienne la devise de Juvénal : “vitam impendere vero”, consacrer sa vie à la vérité. Le
contrat exige la transparence et interdit tout éclat trompeur.
• Il suppose l’identité totale auteur/narrateur/personnage principal. Certains ont pu parler alors d’un
narrateur autodiégétique.
• Récit fondateur, il accorde une place essentielle au récit d’enfance.
• Organisant le parcours de l’écrivain, il éclaire le rapport génétique, la filiation entre la vie et l’oeuvre.
L’autobiographie remonte dans le “moi” passé pour comprendre le “moi” présent.
• La singularité d’un être possède une valeur instructive et universelle. La confession autobiographique -
même [surtout?] la plus excentrique - sert de pièce de comparaison à chaque lecteur pour apprendre à
connaître l’homme. Cf. Gide : “Je crois que tout ce qui est vrai peut instruire”.
RECONNAISSANCE DE SOI
Le projet de Rousseau consiste moins dans une connaissance de soi
que dans une reconnaissance de soi par les autres. Déjà St-Augustin
avait joué sur le double sens du mot latin confessio : aveu et
reconnaissance. Il veut se peindre tel qu’il est seul à se connaître.
Puisqu’on l’accuse de partout, l’accusé ne peut présenter de meilleure
défense que sa vie, tout entière consacrée à la quête de la vertu.
Cette méthode de reconnaissance de soi comprend principalement
quatre aspects : 1/ assurer l’objectivité du récit et 2/ livrer les faits au
jugement du destinataire - le lecteur - en 3/ se basant sur une morale
du sentiment et 4/ une mise à nu de l’être depuis ses origines.
Les 4 aspects de la reconnaissance par les autres
1/ la transparence : se dire, c’est tout dire, ne rien exclure (exhibitionnisme, masochisme, plaisir solitaire). Son
malheur remonte à l’affaire du peigne qui aboutit à l’accusation injuste de l’innocent que les APPARENCES
condamnent. Dans le vol du ruban, il se sauve car les PRÉJUGÉS étaient pour lui. Toute l’oeuvre de Rousseau
peut se lire comme cette volonté d’atteindre la transparence, par-delà tous les obstacles (Cf. Jean Starobinski,
La Transparence et l’Obstacle).
2/ le pacte avec le lecteur : “Je voudrais pouvoir rendre mon âme transparente aux yeux du lecteur, et pour
cela je cherche à lui montrer sous tous les points de vue, à l’éclairer par tous les jours, à faire en sorte qu’il ne
s’y fasse pas un mouvement qu’il n’aperçoive (...) C’est à lui d’assembler les éléments, et de déterminer l’être
qu’ils composent” (Livre IV).

3/ une morale du sentiment : “Je ne puis me tromper sur ce que j’ai senti”. L’authenticité du sentiment est un
postulat. La vérité morale - celle des intentions - prime sur celle des faits : “J’ai pu supposer vrai ce que je savais
avoir pu l’être, jamais ce que je savais être faux”.
4/ une méthode génétique, une germination

“Pour me connaître dans mon âge avancé, il faut m’avoir bien


connu dans ma jeunesse”. Rousseau utilise souvent la
métaphore de la germination :
“Ainsi commencèrent à germer avec mes malheurs les vertus
dont la semence était au fond de mon âme et qui n’attendaient
pour éclore que le ferment de l’adversité”.
Ainsi, le moi profond surgira de l’enchaînement des affections
secrètes, du chaos des contradictions, de l’exposition exhaustive
des riens qui constituent finalement une vie. (cf. Freud).
Exemples de cette germination : la haine de l’injustice procède
de l’injuste accusation portée jadis contre lui par les
Lambercier; la passion de la musique remonterait aux chansons
de Tante Suzon; la force de l’imaginaire est primitivement liée
aux lectures nocturnes, sa paranoïa dérive de sa culpabilité
inconsciente à l’égard de la mort de sa mère, etc
Une méthode génétique digne de Freud..
Rousseau accorde au récit d'enfance, à la formation la moitié des
Confessions car
« Ce qui se voit n'est que la moindre partie de ce qui est. (...) Pour me
connaître dans mon âge avancé, il faut m'avoir bien connu dans ma
jeunesse.»
Le moi profond surgira de l'enchaînement des affections secrètes
(autre métaphore significative : «fil» ou «chaîne»), du «chaos» des
contradictions, de l'exposition exhaustive des «riens».
C'est une découverte majeure dont il faut souligner la modernité au
XVIIIème; même si les travaux du psychanalyste Freud ont depuis
largement banalisé l'analyse des profondeurs. Rousseau avant l'heure
a mis à jour la notion d'inconscient.
Les 3 projets au cœur des Confessions
1. La recherche de la vérité inhérente
à la crainte d’être défiguré
il s’agit d’entreprendre sa défense, de se justifier et de rétablir une image
authentique de soi, suite notamment à la condamnation de l’Emile en juin 1762
et à la publication - en 1764 - du libelle” anonyme” de Voltaire (!) Le Sentiment
des citoyens où il révèle l’abandon par Rousseau de ses enfants, aux Enfants-
Trouvés (l’Assistance publique) !
Le livre IV de l’Emile contient une soixantaine de pages intitulées “Profession de
foi du vicaire savoyard” où Rousseau développe ses idées religieuses. Il rejette
l’idée d’une Révélation par l’enseignement du Christ, la foi aux miracles, la
soumission aux dogmes du catholicisme. Le Vicaire s’en tiendra à l’adoration d’un
“Etre suprême”, inconnaissable et indéfinissable, sinon dans une sorte d’intuition
sentimentale : c’est alors la voix de la conscience morale personnelle qui est
identifiée à la voix de Dieu : cette position - reprise par KANT - définit le piétisme.
Rousseau est attaqué de partout, surtout que le Vicaire s’en était également pris
aux matérialistes athées, “la coterie holbachique”, avec Diderot, d’Holbach,
Helvétius. Rousseau s’enfuira d’ailleurs en exil, en Suisse puis en Angleterre,
auprès de David Hume, la grande figure de l’empirisme anglais (philosophie basée
sur l’expérience).
Thérèse Levasseur donnera cinq enfants à Rousseau; il justifie péniblement leur
abandon en invoquant les mœurs légères du temps, sa pauvreté, l’absence d’une
vraie famille, en somme la viabilité de ses enfants.
2/ L’illustration d’une pensée
d’ensemble
Faire un portrait “dans toute sa vérité et non un livre”. “J’ai fait
des livres, mais je ne fus jamais un livrier”. Rousseau ordonne
sa pensée et sa vie selon un diptyque [deux facettes,
organisation manichéenne où bonté et méchanceté, bien et
mal, faute et remords s’y confrontent] que l’on retrouve dans
toute son œuvre :
à l’homme naturel rassemblé dans l’unité de la sensation, du
sentir, succède
l’homme social, divisé, un homme qui revêt des masques.
L’organisation du livre est signifiante à cet égard : Livres I à VI :
le temps de la nature; Livres VII à XII, le temps social.
3/ inventer un langage nouveau, souple, et à
travers lui se construire une image cohérente
Il lui faut un langage qui rende compte à la fois de sa
singularité et de sa bigarrure [disparité, variété], qui exprime
le déploiement de l’être dans l’instant de la sensation.
L’écriture est alors comme un kaléidoscope à travers lequel se
recompose le prisme des possibles, de l’enfant sensible au
vieil homme.
Cette restitution ne peut être effective que par l’essai de
dédoublement, par une sorte de procès à deux voix : le
citoyen interroge un être dédoublé, ROUSSEAU (l’écrivain)
juge de JEAN-JACQUES (l’homme).

Kandinski, Bigarrure dans le triangle


Un projet neuf dans un
style neuf
• Comme ne dire qu'une partie de la vérité serait choisir, se
déguiser, mentir, il s'engage dans son examen de
conscience à déployer tous les replis de son âme,
jusqu'aux détails les plus anodins, au scandale des aveux
les plus intimes. Le contrat avec le lecteur exige la
transparence absolue et interdit tout obstacle ou
stratégie de dissimulation.
• «J'écris moins l'histoire de ces événements (...) que celle
de l'état de mon âme, à mesure qu'ils sont arrivés. (...)
Mon style inégal et naturel (...) fera lui-même partie de
mon histoire.»
Tout dire dans le labyrinthe obscur?
• Le dévoilement se doit d'aller jusqu'au scandale (se dire, c'est tout dire)
pour retrouver le paradis originel de l'unité :
«Tout se tient, tout est un (…) ce bizarre et singulier assemblage a besoin de
toutes les circonstances de ma vie pour être bien dévoilé.»
Explorant un labyrinthe obscur, le narrateur y trouve la clé de nombre de ses
comportements étranges (exhibitionnisme, masochisme...).
La volonté de transparence est un leitmotiv :
«Je voudrais pouvoir (…) rendre mon âme transparente aux yeux du lecteur, et
pour cela je cherche à lui montrer sous tous les points de vue, à l'éclairer par
tous les jours, à faire en sorte qu'il ne s'y passe pas un mouvement qu'il
n'aperçoive (...) C'est à lui d'assembler les éléments, et de déterminer l'être
qu'ils composent».
Tout dire ? De la
sincérité
Rousseau qui accuse Montaigne de se peindre
“ressemblant, mais de profil”, écrira pourtant dans ses
Rêveries : “j’ai caché le côté difforme, en me peignant de
profil”.

Dans les Confessions, il proclame : “Je me suis montré tel


que je fus” alors que dans les Rêveries : “Que suis-je moi-
même ? Voilà ce qui me reste à chercher” (Première
Promenade). “Le connais-toi toi-même du temple de
Delphes n’était pas une maxime aussi facile à suivre que je
l’avais cru dans mes Confessions” (Quatrième Promenade).

Il y a ainsi trois domaines essentiels où Rousseau a


déformé la vérité, lui dont la devise était pourtant “vitam
impendere vero” [passer sa vie en quête de la vérité] :
Les arrangements rousseauistes avec la vérité…
1/ Il a embelli les années passées auprès de Mme de Warens :
souvent il semble qu’elle ait voulu encourager son départ. Il
diffère également la découverte de Wintzenried, feignant de se
savoir supplanté seulement à son retour. Pourquoi ces
escamotages ? Pour que Mme de Warens demeure une figure
quasi mythique, mère et amante à la fois.

2/ Rousseau a transfiguré l’histoire de sa passion pour Sophie


d’Houdetot (Livre IX). Il s’éprend de Sophie en l’absence de son
ami St-Lambert; par amitié pour celui-ci, il renonce à elle dans de
sublimes efforts de vertu et sollicite de devenir le confident et le
mentor du couple... En réalité, il s’est montré tyrannique avec
Sophie, qu’il a essayé d’arracher à St-Lambert. Pourquoi ? Jean-
Jacques a besoin de se donner l’illusion que sa vie a ressemblé à
l’idéal de la fiction inspirée par cette histoire (La Nouvelle Héloïse).
Pour s’accepter lui-même, il a besoin de se croire vertueux.

3/ Rousseau a amplifié et dramatisé les hostilités dont il a été


l’objet. Rousseau était en effet affecté d’un délire d’interprétation
qui le conduisait à sans cesse interpréter dans un sens hostile à sa
personne les faits et gestes d’autrui (délire de persécution
Une morale complexe du
sentiment compliqué
• Pour révéler la complexité et percer l'unité sous les
paradoxes, Rousseau propose une méthode fondée sur une
morale du sentiment, une mise à nu de l'être depuis ses
origines, doit assurer l'objectivité du récit et livrer les faits
au jugement du destinataire, le lecteur.
• L'authenticité du sentiment est un postulat : «je ne puis me
tromper sur ce que j'ai senti.»
• La vérité morale, celle des intentions, prime sur celle des
faits : «J'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être,
jamais ce que je savais être faux.»
• Rousseau se disculpe avec autant de facilité quand il ajoute
«quelque ornement indifférent» : il ne s'agit selon lui que
d'éviter les zones d'ombre, de suppléer aux défaillances de la
mémoire.
ÉCHEC DU PROJET
AUTOBIOGRAPHIQUE ?

Tous ces projets portent en fait le germe de leur


impossibilité : “me voici seul sur la terre”.
La tentative est vaine mais l’auteur transformera
cet échec, cette rupture en ascèse, en assomption
finale vers la pureté originelle. Rousseau s’érige
alors en martyr de la vérité : le triomphe de la
vérité passe par la souffrance du martyr; le
coupable devient victime; condamné et rejeté de
partout, c’est bien la preuve de son innocence...
Cette transformation présuppose évidemment la
présence active du lecteur dont la connivence
sympathique est souvent sollicitée.
En définitive, Rousseau pourrait bien apparaît
comme le plus habile des sophistes, le plus
agréable des conteurs, le plus ironique des
observateurs.
JE ME CONFESSE, DONC JE SUIS Absolution
INNOCENT...
[de la confession à l’apologie]

La référence aux Confessions de St-Augustin, de même que le


prologue, tout ceci confère au projet une solennité quasi-religieuse.

La Confession apparaît alors comme la forme la plus engagée de la


relation à autrui et exacerbe l’importance de la fonction du lecteur.
D’autant plus que l’auteur est en quête d’absolution (de Rédemption)
: il fonde son projet d’écriture sur l’aveu de faits qu’il aurait pu fort
bien taire car ils sont connus de lui seul et aisément dissimulables.
Les aveux
Faisons un recensement des fameux aveux de
Rousseau :
• livre I : révélation du plaisir masochiste pris à la
fessée, “le premier pas et le plus pénible dans le
labyrinthe obscur et fangeux de [ses] Marion et le vol du
confessions”; ruban
• Livre II, vol du ruban et accusation de Marion,
aveu fondateur du livre;
• livre III : abandon de son vieux maître en pleine
crise d’épilepsie: “Grâce au Ciel, j’ai fini ce
troisième aveu pénible. S’il m’en restait
beaucoup de pareils à faire, j’abandonnerais le
travail que j’ai commencé” !
• Quatrième aveu : l’abandon de ses cinq enfants;
• cinquième aveu : il n’a pas tout quitté pour
suivre Mme de Warens : “De tous les remords Le peigne cassé
que j’ai senti dans ma vie, voilà le plus vif et le
plus permanent”.
J’avoue donc je suis innocent
A la recherche de l’innocence
perdue...
- ces fautes nous apparaissent très inégalement graves alors que Rousseau - par la
solennité qui entoure chaque aveu - semble les situer sur le même plan !
- De la même manière, on a l’impression que c’est toujours la «première fois» avec
Rousseau, même après plusieurs occurrences, pour lui le singulatif annule l’itératif
- en fait, Rousseau juge la gravité de sa faute au poids du remords que l’acte lui a laissé,
à la commotion morale qu’il a subie (piétisme, importance de la conscience morale) !
- il donne finalement à penser qu’en avouant il se décharge non seulement d’un
remords, mais de sa culpabilité même. Tout se passe comme si la confession entraînait
automatiquement l’absolution, que le pénitent se donne à lui-même ! La mécanique de
l’aveu est claire : pour lui, confession, récit de la faute et remords entraînent
immédiatement et nécessairement pardon, absolution, et confèrent à nouveau
l’innocence. A la recherche de l’innocence perdue...
- la confession tend ainsi vers l’apologie, càd. vers le discours organisé à l’aide duquel
l’écrivain justifie sa conduite. Désormais, Rousseau se sent purifié et par ses aveux et
par ses souffrances qui sont une expiation.
Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple, et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes
semblables un homme dans toute la vérité de la nature; et cet homme, ce sera moi.
Moi seul. Je sens mon cœur, et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus; j'ose croire n'être fait
comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le
moule dans lequel elle m'a jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu.
Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra, je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le
souverain juge. Je dirai hautement: Voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même
franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon; et s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a
jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire. J'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu
l'être, jamais ce que je savais être faux. Je me suis montré tel que je fus: méprisable et vil quand je l'ai été; bon, généreux,
sublime, quand je l'ai été: j'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même. Être éternel, rassemble autour de moi
l'innombrable foule de mes semblables; qu'ils écoutent mes confessions, qu'ils gémissent de mes indignités, qu'ils rougissent de
mes misères. Que chacun d'eux découvre à son tour son cœur au pied de ton trône avec la même sincérité, et puis qu'un seul te
dise, s'il l'ose: je fus meilleur que cet homme-là.

Vous aimerez peut-être aussi