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Du même auteur :
• Manager dans la diversité culturelle, Editions d’Organisa- 9.16
0.17
tion, 2002.
• Développer les RH à l’international. Pour une géopolitique
6:16

des ressources humaines, Dunod, 2011.


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COLLECTION « QUESTIONS DE SOCIÉTÉ »
dirigée par Olivier MEIER

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LE MANAGEMENT

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INTERCULTUREL

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EN AFRIQUE
9.16
La Renaissance
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Benoît THERY
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136 boulevard du Maréchal Leclerc


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14000 Caen
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© Éditions EMS, 2020
www.editions-ems.fr

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Tous droits réservés

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ISBN : 978-2-37687-354-9

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(versions numériques)

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In memoriam

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Al-Hassan ibn Muhammad al-Wazzan al-Fassi
(Johannes Leo Africanus),

0025
surnommé « Léon l’Africain »,

7:17
diplomate du sultan du Maroc auprès de l’empire Songhaï au Sahel,

0.21
négociateur entre les dynasties rivales des Wattassides et des Saadiens
au Maroc,
9.16
musulman baptisé de la main et du nom d’un pape en la basilique
0.17

Saint Pierre de Rome,


6:16

géographe du pape Léon X et auteur de la Description de l’Afrique,


8565

traducteur avec le cardinal Egidio da Viterbo du Coran en latin,


888

auteur avec Jacob Mantino ben Samuel d’un dictionnaire


arabe-hébreu-latin,
418:

précurseur interculturel à la croisée des mondes maghrébin, sahélien,


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latin et ottoman,
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et des mondes musulman, chrétien et juif,


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à la période dite de la « Renaissance ».


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SOMMAIRE

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INTRODUCTION. LA DÉMARCHE DE L’OUVRAGE ......................... 10

0.21
PARTIE 1. FONDEMENTS CULTURELS DANS L’HISTOIRE ET
LES VALEURS DE L’AFRIQUE ......................................................... 13 9.16
0.17

Chapitre 1
6:16

Définitions liées à l’approche géographique et culturelle de l’Afrique 14


8565

1. De quelle(s) Afrique(s) parle-t-on ?......................................................... 14


2. Les organisations sous-régionales en Afrique....................................... 15
888
418:

3. Définitions de concepts liés aux cultures africaines ........................... 20


0773

Chapitre 2
Les mythes et les sources de l’histoire de l’Afrique .............................. 25
:211

1. Une épopée antique réappropriée comme racine mythique :


nitra

« l’Egypte nègre » de Cheikh Anta Diop ............................................... 25


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2. Le problème des sources ......................................................................... 28


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Chapitre 3
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Un panorama des racines culturelles de l’Afrique dans son histoire


précoloniale .......................................................................................... 34
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1. Une introduction aux anciens royaumes africains............................... 34


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2. Les royaumes de Méroé et d’Aksoum ................................................... 36


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SOMMAIRE 7

3. De l’Afrique du Nord romaine et christianisée à l’Afrique du Nord


arabophone et musulmane ..................................................................... 37
4. Les interactions entre royaumes du Maghreb et du Sahel .................. 40
5. Les empires du Sahel occidental ............................................................44
6. Les royaumes du Kanem – Bornou ........................................................ 47
7. Les royaumes bantous d’Afrique centrale, orientale et australe ......... 48

Chapitre 4
Les prises et emprises extérieures ........................................................ 54

9719
1. Les primo-colonisations portugaise et hollandaise ............................. 54

0025
2. L’esclavage et la saignée des traites négrières arabe et occidentale ... 57
3. La Conférence de Berlin (1884-1885) et le choc des colonisations

7:17
modernes....................................................................................................64

0.21
Chapitre 5
Les indépendances................................................................................. 73 9.16
0.17

1. Espoirs et désespoirs des indépendances .............................................. 73


6:16

2. Le projet panafricain ................................................................................ 77


8565

3. Les séquelles de la relation coloniale ...................................................... 78


888

Chapitre 6
418:

Les évolutions religieuses ...................................................................... 84


0773

1. Les religions traditionnelles africaines .................................................. 84


:211

2. Les trois religions du monothéisme ....................................................... 86


3. Les autres religions ................................................................................... 92
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PARTIE 2. ADAPTER SON MANAGEMENT EN AFRIQUE ................ 93


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Chapitre 7
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Les enjeux économiques, politiques et sociaux d’aujourd’hui ............. 94


1. L’Afrique qui décolle : un contexte de croissance ................................. 94
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2. L’innovation africaine et les secteurs porteurs pour


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les investissements .................................................................................... 98


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8 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

3. Des progrès de gouvernance restent nécessaires pour


le développement .................................................................................... 105
4. Des défis démographiques considérables ............................................ 111
5. Des défis sociaux ..................................................................................... 112
6. Les stratégies face aux défis de l’Afrique.............................................. 113

Chapitre 8
Différentes familles culturelles ........................................................... 115
1. Les grands groupes ethnolinguistiques pour un ensemble de plus
de 2 000 langues ...................................................................................... 115

9719
2. Un tour d’Afrique en huit sous-régions culturelles ............................ 120

0025
Chapitre 9

7:17
Des modèles sociétaux et de management endogènes à l’Afrique ..... 123

0.21
1. Le lignage ................................................................................................. 123
2. Les systèmes de parenté, de filiation et de mariage ............................ 125 9.16
0.17

3. De la chefferie à « l’État hybride »......................................................... 128


6:16

4. Les traits managériaux communs à l’Afrique ..................................... 130


8565

Chapitre 10
888

L’impact de la spiritualité et des traditions secrètes .......................... 135


418:

1. Culture religieuse et syncrétisme .......................................................... 135


0773

2. Le culte des morts .................................................................................. 137


:211

3. Les pratiques initiatiques ....................................................................... 138


4. La sorcellerie ............................................................................................ 140
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5. Le guérisseur traditionnel ..................................................................... 144


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Chapitre 11
Les modèles du management interculturel confrontés à l’Afrique .... 145
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1. Application des modèles interculturels classiques au management


africain ..................................................................................................... 145
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2. Interprétation du management africain par référence aux modèles


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interculturels ........................................................................................... 149


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SOMMAIRE 9

Chapitre 12
Adapter son management dans les entreprises et les organisations
en Afrique ............................................................................................ 158
1. L’adaptation managériale au contexte africain ................................... 158
2. Stratégie pour la conduite de grands projets en Afrique .................. 166

CONCLUSION. LA « RENAISSANCE » DE L’AFRIQUE ................... 175

BIBLIOGRAPHIE ....................................................................... 178

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INTRODUCTION

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LA DÉMARCHE DE L’OUVRAGE

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0.21
L’Afrique décolle : elle a connu depuis le début du millénaire un taux de
croissance moyen de l’ordre de 5 % par an (qui a baissé dans les années 2015- 9.16
0.17
2018 avec la chute des cours des matières premières). Elle est par ailleurs le
seul continent qui reste en forte croissance démographique, ce qui est à la
6:16

fois source d’opportunités et de menaces considérables. Elle est encore le


continent le moins exploité pour ses ressources naturelles abondantes, qui
8565

attirent la convoitise des pays développés et émergents. Elle est par ailleurs
entrée de plain-pied dans la révolution technologique du numérique. Pour
888

toutes ces raisons, l’Afrique apparaît comme le continent du XXIe siècle, à


418:

la fois riche de promesses et de risques.


0773

Son histoire tourmentée, forte de royaumes anciens et de nombreuses


traditions et croyances enracinées, a été bouleversée par les traites négrières
:211

arabe et occidentale, par les colonisations européennes et par les indépen-


dances difficiles de territoires souvent arbitrairement découpés. Cela lui de-
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mande aujourd’hui une « renaissance », qui se veut à la fois endogène mais


intégrée dans la mondialisation, accomplie d’abord par les Africains pour
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les Africains. Ce contexte rend plus difficile l’adaptation des partenaires


extérieurs à des cultures qui sont à la fois originales, mais elles-mêmes en
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mutation. C’est donc l’objet de cet ouvrage que de proposer à ceux qui tra-
vaillent avec ce continent des clés de compréhension et d’adaptation pour
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leur communication et leur management en relation avec les Africains.


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Après une introduction sur la géographie politique africaine, regrou-


pée dans ses principales organisations sous-régionales, l’ouvrage comprend
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deux parties nettement distinctes :


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INTRODUCTION 11

• le contexte culturel de l’Afrique : il s’agit d’une présentation syn-


thétique des fondements culturels de l’Afrique, recherchés dans l’his-
toire tourmentée qui fait son identité plurielle et dans les spiritualités
qui font ses valeurs ;
• le management interculturel en Afrique : cette seconde partie est
introduite par le contexte économique, politique et social de l’Afrique
d’aujourd’hui ; elle en présente ensuite les principales familles cultu-
relles, puis en rassemble les traits managériaux communs, en s’appuyant
sur des modèles endogènes à l’Afrique. Elle utilise alors les modèles in-
ternationaux du management interculturel pour faciliter l’appréhension
du management africain et propose aux partenaires extérieurs des stra-
tégies et solutions d’adaptation correspondantes, illustrées par des cas
d’entreprises et de pays.

9719
L’approche de l’auteur développée ici correspond à son expérience pro-

0025
fessionnelle et personnelle de l’Afrique. Appartenant à une génération
« postcoloniale » (et né de parents qui étaient partisans de la décolonisa-

7:17
tion), formé à la rude école professionnelle de la première génération de
l’Algérie indépendante, sa démarche a toujours été profondément respec-

0.21
tueuse de l’autonomie africaine. Il s’efforce ainsi d’avoir lui aussi un regard
indépendant, qui n’est ni oublieux des traumatismes de la colonisation, ni
nostalgique de la « Françafrique », ni pour autant complaisant à l’égard de 9.16
la gouvernance économique, politique et sociale de l’Afrique d’aujourd’hui,
0.17

mais attaché aux droits de l’homme universels.


6:16

D’autre part, l’expérience de l’auteur en Afrique est d’abord celle d’un


consultant, notamment auprès des institutions d’aide publique au déve-
8565

loppement (APD), des entreprises multinationales et des organisations


internationales non gouvernementales (OING). Sur le plan intellectuel, le
888

consultant a souvent une position intermédiaire entre le chercheur et le


418:

manager. Il utilise le travail des chercheurs et universitaires pour essayer de


le traduire en termes simples et synthétiques, afin de mettre à la disposition
0773

des dirigeants d’organisations des analyses et des propositions pour les pro-
blèmes opérationnels qu’ils ont à traiter.
:211

L’auteur a aussi une démarche interculturelle qui montre et s’efforce


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d’expliquer, sans les juger, les différences de valeurs et de cultures et qui


vise à les faire dialoguer.
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Enfin, il s’est efforcé de cerner les réalités par des contacts de terrain.
Au-delà des propos politiques et diplomatiques des ministres et des ambas-
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sadeurs qu’il a été honoré de rencontrer en Afrique, il a recueilli avec inté-


rêt les témoignages des voyageurs dans les autobus (ou dans les bennes de
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camions tous-terrains sur les pistes de savanes désertiques du Nord Kenya),


dans les hôtels de catégorie intermédiaire des grandes villes ou lors des dis-
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cussions nées des amitiés nouées autour d’un verre. Ou bien, assis sur un
tronc d’arbre dans une clairière de la forêt équatoriale pour prendre notes
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sur ses genoux des explications d’un paysan sur son champ de manioc, il en
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12 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

a tiré autant d’enseignements pour la coopération française au Cameroun...


Comme tout un chacun, il a pu ainsi constater le grand écart entre les dis-
cours des politiques, des intellectuels et des « gens de la rue » (ou de « la
brousse »), qui s’explique aussi par les fortes inégalités sociales en Afrique.

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PARTIE

9719
FONDEMENTS CULTURELS

0025
DANS L’HISTOIRE ET

7:17
LES VALEURS DE L’AFRIQUE
0.21
9.16
0.17

On commence cette partie par quelques définitions


6:16

liées à l’approche géopolitique et culturelle de l’Afrique


(chapitre 1) et par les mythes et les sources de l’histoire
8565

de l’Afrique (chapitre 2), puis on la traite par un pano-


rama large mais rapide de ses racines culturelles dans son
888

histoire précoloniale (chapitre 3), suivi par l’impact des


418:

« prises et emprises extérieures » : premières implanta-


tions européennes, traite des esclaves, puis colonisation
0773

(chapitre 4), puis par les évolutions de la période des indé-


pendances (chapitre 5) et enfin les évolutions religieuses
:211

(chapitre 6).
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CHAPITRE 1

0025
DÉFINITIONS LIÉES À L’APPROCHE GÉOGRAPHIQUE

7:17
ET CULTURELLE DE L’AFRIQUE

0.21
9.16
1. De quelle(s) Afrique(s) parle-t-on ? 0.17
Il s’agit d’un continent de 30 millions de km2, d’environ 1,2 milliard
d’habitants (dont 1 milliard en Afrique subsaharienne) et donc d’une den-
6:16

sité de 40 habitants au km2 en moyenne, et de 55 États membres de l’Union


8565

Africaine (UA). Celle-ci inclut officiellement la République arabe sahraouie


démocratique (RASD), qui est administrée de facto par le Maroc, mais pas
888

le Somaliland (qui est de fait aujourd’hui autonome au sein de la Somalie).1


418:

Une distinction fréquente est faite entre l’Afrique du Nord arabophone


et l’Afrique subsaharienne (et parfois aussi les îles de l’océan Indien, qui
0773

sont plus influencées par les cultures asiatiques de type arabe, indien ou
malais).
:211

La tendance géopolitique actuelle est d’effacer le clivage entre l’Afrique


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du Nord (quelquefois dite « blanche ») et l’Afrique subsaharienne (souvent


dite « noire »). Cela tient à plusieurs raisons :
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• l’Union Africaine unit tous les États de l’Afrique continentale et


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insulaire ;
• les échanges politiques, religieux et commerciaux de toutes natures
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(y compris – ou malgré – la traite des esclaves) entre l’Afrique du Nord

1. Pays observateur en 2012, pays associé en 2015, la République d’Haïti n’a jamais ob-
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tenu, comme elle le souhaitait, le statut d’État membre de l’Union Africaine pour la
simple raison que l’Acte constitutif de l’UA prévoit que les membres doivent être des
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États africains, comme l’a rappelé la Présidence de l’UA en 2016.


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DéfInITIons LIéEs à L’APPRochE géogRAPhIquE ET cuLTuRELLE 15

et l’Afrique subsaharienne ont toujours été importants, et ceci bien avant


la période d’emprise européenne ;
• dans la période contemporaine, l’influence des pays d’Afrique du
Nord a été très active en Afrique subsaharienne, qu’elle soit politique
(l’Algérie des indépendances ou la Libye de Kadhafi), économique (les
entreprises égyptiennes) et plus récemment géopolitique, économique et
religieuse (pour le Maroc en particulier) ;
• les institutions d’aide publique au développement, notamment
l’Agence française de développement (AFD), sont en train de redessi-
ner leur stratégie dans une conception intégrée de l’Afrique, alors que
traditionnellement elles distinguent l’Afrique du Nord (dans la région
MENA : « Middle East and North Africa ») et l’Afrique subsaharienne.

9719
2. Les organisations sous-régionales en Afrique

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Carte de l’Afrique distinguant les 5 sous-régions selon l’ONU

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Source : Own work (fond de carte : File:African continent-fr.svg, données : ONU) CC


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16 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Pour faciliter l’approche géographique de l’Afrique, rappelons qu’elle


compte cinq sous-régions officielles, appelées par l’ONU : septentrionale,
occidentale, centrale, orientale et australe. Mais il existe de nombreuses
organisations sous-régionales qui se chevauchent parfois et qui ne corres-
pondent pas toujours à la classification de l’ONU.
Il existe par ailleurs cinq principales organisations sous-régionales à
vocation économique, c’est-à-dire commerciales (sans taxes douanières)
ou avec des projets de développement économique communs, qui incluent
deux zones monétaires (à monnaie commune) et correspondent approxi-
mativement aux cinq sous-régions officielles de l’ONU.
1. En Afrique du Nord, l’Union du Maghreb arabe (UMA) : Algérie,

9719
Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie. Il faut y ajouter l’Egypte et le Soudan

0025
qui ne font pas partie de l’UMA, mais les 7 pays sont membres de la Ligue
arabe.

7:17
Dans la pratique, l’UMA ne fonctionne guère en raison des tensions

0.21
entre le Maroc et l’Algérie concernant le Sahara occidental : la RASD théo-
rique (République arabe sahraouie démocratique), soutenue par l’Algérie et
reconnue par l’UA, mais administrée par le Maroc qui la considère comme 9.16
partie intégrante de son territoire national (ses « Provinces du Sud ») en
0.17

vertu de traités antérieurs à la colonisation. De fait, la frontière terrestre


6:16

entre l’Algérie et le Maroc est fermée depuis 1994.


8565

2. En Afrique de l’Ouest, la Communauté Economique des États


d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ou Economic Community of West African
888

States (ECOWAS), comprend 15 membres :


418:

• les 8 pays de l’Union Economique et Monétaire de l’Ouest Africain


(UEMOA) : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali,
0773

Niger, Sénégal et Togo. Ces pays ont une monnaie commune : le franc
CFA (Communauté financière africaine) d’Afrique de l’Ouest, qui a une
:211

parité fixe avec l’euro : 1 € = 655,957 francs CFA ;


nitra

• il faut y ajouter sept autres pays pour former l’ensemble de la


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CEDEAO : Cap Vert, Gambie, Ghana, Guinée, Liberia, Nigeria et Sierra


Leone.
:ENC

Trois remarques très importantes sont à faire en ce qui concerne la


CEDEAO :
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• le Nigeria, avec ses 190 millions d’habitants, représente à lui seul


plus de 60 % de son PIB global ;
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• le 24 février 2017, le Maroc a demandé son adhésion à la CEDEAO


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et un accord de principe lui en a été donné en juin 2017. Cependant, la


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DéfInITIons LIéEs à L’APPRochE géogRAPhIquE ET cuLTuRELLE 17

CEDEAO a demandé une étude d’impact de cette adhésion et celle-ci


reste aujourd’hui en suspens2 ;
• les dirigeants de la CEDEAO ont formellement adopté le nom
d’« Eco » pour leur projet de monnaie unique, dont ils souhaitent la
création dès 2020 (échéance qui paraît peu probable). Cela a un impact
décisif sur le franc CFA d’Afrique de l’Ouest.

Disparition annoncée du franc CFA d’Afrique de l’Ouest


Le franc cfA fait débat depuis longtemps en Afrique, à la fois pour
des raisons économiques et politiques.

9719
sur le plan économique, l’arrimage du franc cfA à l’euro par une
parité fixe en fait une monnaie forte : pour les 14 pays concernés (8

0025
en Afrique de l’ouest et 6 en Afrique centrale), ceci a des avantages
(moindre coût à l’importation) et des inconvénients (plus de difficultés
à l’exportation).

7:17
D’autre part, l’une des critiques du franc cfA, notamment par l’an-

0.21
cien ministre et économiste togolais Kako nubukpo, est qu’il tendrait
à maintenir des taux d’intérêt plus élevés en zone franc, et donc des
difficultés de financement des entreprises et de l’économie en général. 9.16
0.17
un certain nombre d’économistes africains préfèrent donc le risque de
l’inflation pour permettre une croissance plus forte avec l’abandon du
6:16

franc cfA.
8565

sur le plan politique, celui-ci est souvent perçu en Afrique comme un


défaut de souveraineté monétaire des 14 états concernés vis-à-vis de
888

l’ancien colonisateur français. ce reproche tient notamment au fait


que 50 % des réserves monétaires des pays cfA des deux sous-ré-
418:

gions doivent être placées au Trésor français, même si cela produit


des intérêts qui sont reversés aux états africains concernés. De même,
0773

la france participe aux organes de gouvernance de la zone franc,


ce qui est parfois considéré comme une ingérence dans la politique
:211

monétaire de ces 14 états africains.


nitra

Le 21 décembre 2019, le président ivoirien Alassane ouattara, au


nom des 8 pays de l’uEMoA, a annoncé au président Emmanuel
G Ke

Macron la décision de mettre fin au franc cfA d’Afrique de l’ouest. Le


président français s’en est aussitôt félicité sur un registre très politique,
:ENC

qualifiant cette décision de « réforme historique majeure » pour « bâtir


une nouvelle page » après le « colonialisme » qui fut « une faute de la
x.com

République » (française).

2. Voir THERY Benoît, « Les enjeux interculturels des investissements du Maroc en


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Afrique de l’Ouest », Communication au colloque « Voix africaines, voies émergentes »,


22-24 mai 2018, Université Paris-Diderot, à paraître chez Les Archives contemporaines,
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coll. « Interculturel », au 1er semestre 2020.


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18 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

En réalité, cette décision paraît être le fruit d’un accord bien dosé :
– le nigeria, le géant de l’Afrique de l’ouest, qui promeut l’Eco, la
future monnaie des 15 pays de la cEDEAo, à la place de sa mon-
naie nationale, le naira, lequel subit une très forte inflation depuis
longtemps, accepterait une parité fixe de l’Eco avec l’euro. ce
faisant, il choisirait de casser son inflation, tout en obtenant que
la future monnaie commune ouest-africaine soit déconnectée du
Trésor français ;
– la france accepte en effet de ne plus exiger le dépôt auprès de la
Banque de france de 50 % des réserves monétaires des 8 pays de
l’actuelle uEMoA et de se retirer des instances de gouvernance du
franc cfA d’Afrique de l’ouest, lequel est appelé à se transformer

9719
en Eco ;
– les 8 états de l’uEMoA obtiennent cependant le maintien d’une

0025
garantie française à leur égard : la france pourra les couvrir en dis-
ponibilités en euros par une ligne de crédit accordée à la Banque

7:17
centrale des états de l’Afrique de l’ouest (BcEAo), la banque de
l’uEMoA. Pour le président ouattara, cette garantie évite la spé-

0.21
culation et la fuite des capitaux de l’uEMoA en attendant la mise
en place de l’Eco ;
9.16
– en effet, la ministre des finances du nigeria a reconnu que la mise
0.17

en œuvre de l’Eco n’était « pas certaine » en 2020, en estimant


qu’il restait « encore du travail à faire pour répondre aux critères
6:16

de convergence » de la cEDEAo, que le nigeria lui-même ne


8565

satisfait guère. De plus, il a fermé ses frontières terrestres pour les


échanges de biens le 20 août 2019 et la réouverture prévue pour
le 31 janvier 2020 n’a pas eu lieu. Et les pays de l’uEMoA sont
888

les plus avancés sur la satisfaction de ces critères de convergence.


418:

Reste qu’il faille encore que le nigeria confirme ces orientations pour
0773

la naissance de l’Eco. s’il ne le fait pas, cela signifiera que le franc


cfA d’Afrique de l’ouest, même rebaptisé Eco, connaîtra peu d’évolu-
:211

tions, si ce n’est peut-être une ouverture à quelques autres pays de la


cEDEAo, comme par exemple la guinée ou le ghana.
nitra
G Ke

3. En Afrique centrale : la Communauté Economique des États


:ENC

d’Afrique Centrale (CEEAC) comprend 11 membres :


• les 6 pays de la Communauté Economique et Monétaire d’Afrique
x.com

Centrale (CEMAC) : Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale, République


centrafricaine, République du Congo et Tchad. Comme pour l’UEMOA,
larvo

ces 6 pays ont également une monnaie commune, le franc CFA d’Afrique
centrale, distinct de celui de l’Afrique de l’Ouest, mais qui a la même
.scho

parité fixe avec l’euro (1€ = 655,957 francs CFA) ;


www
DéfInITIons LIéEs à L’APPRochE géogRAPhIquE ET cuLTuRELLE 19

• il faut y ajouter cinq pays : Angola, Burundi, République démocra-


tique du Congo (RDC), Rwanda et Sao Tome et Principe pour former
l’ensemble de la CEEAC.3
4. En Afrique australe, la Southern African Development
Community (SADC) comprend 15 membres : Afrique du Sud, Angola,
Botswana, Lesotho, Madagascar, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie,
République démocratique du Congo, Seychelles, Eswatini (ex-Swaziland),
Tanzanie4, Zambie, Zimbabwe. Il convient d’y ajouter les Comores pour
compléter l’ensemble des 16 pays d’Afrique australe et de l’océan Indien.
5. En Afrique orientale, l’Autorité intergouvernementale pour le
Développement (IGAD) : compte 8 membres : Djibouti, Ethiopie, Erythrée,
Kenya, Ouganda, Somalie, Soudan5, Soudan du Sud.

9719
Par ailleurs, 5 pays sont membres de l’East African Community (EAC) :
Burundi, Kenya, Ouganda, Rwanda6 et Tanzanie : l’EAC est considé-

0025
rée comme le pilier de l’Afrique de l’Est si on la distingue de la Corne de
l’Afrique : Djibouti, Ethiopie, Erythrée et Somalie.

7:17
Enfin, il faut noter qu’il existe sur la partie Est de l’Afrique un « Marché

0.21
commun de l’Afrique orientale et australe », le COMESA (Common Market
for Eastern and Southern Africa), qui comprend 21 pays allant de l’Afrique
australe et l’océan Indien à l’Afrique du Nord en passant par l’Afrique 9.16
orientale et la République démocratique du Congo.
0.17

Dans ces 5 sous-régions, les « géants africains » sont respectivement


6:16

(estimations de 2017) :
8565

• en Afrique du Nord : l’Egypte (97 millions d’habitants) ;


• en Afrique de l’Ouest : le Nigeria (190 millions d’habitants) ;
888

• en Afrique centrale : la République démocratique du Congo (83 mil-


lions d’habitants) ;
418:

• en Afrique orientale : l’Ethiopie (105 millions d’habitants) ;


0773

• en Afrique australe : l’Afrique du Sud (54 millions d’habitants).


Ce sont aussi, toutes sous-régions confondues, les cinq pays les plus peu-
:211

plés d’Afrique.
nitra

Les organisations sous-régionales à vocation économique sont plus


nombreuses que les principales citées ci-dessus et il y a entre elles un enche-
G Ke

vêtrement de leurs territoires.


:ENC

3. Quatre pays membres de la CEEAC sont aussi membres d’autres organisations sous-
x.com

régionales : Angola et République Démocratique du Congo dans la SADC, Burundi et


Rwanda dans l’EAC.
4. La Tanzanie est membre à la fois de l’EAC et de la SADC.
larvo

5. Le Soudan est considéré par l’ONU comme faisant partie de l’Afrique du Nord.
6. Le Kenya et l’Ouganda sont à la fois membres de l’IGAD et de l’EAC ; le Burundi et le
.scho

Rwanda sont aussi membres de la CEEAC.


www
20 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Enfin, il convient d’y ajouter les organisations régionales ou sous-ré-


gionales à vocation sectorielle spécifique et en particulier parmi les plus
connues :
• l’ASECNA, Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en
Afrique et à Madagascar, regroupant 18 pays ;
• l’OHADA, Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit
des affaires, regroupant 17 pays (essentiellement francophones) ;
• le CILSS, Comité permanent inter-États de lutte contre la séche-
resse dans le Sahel, regroupant 13 pays ;
• la COMIFAC, Commission des forêts d’Afrique centrale, regrou-
pant 10 pays ;
• l’ABN, l’Autorité du bassin du Niger, regroupant 9 pays.

9719
0025
3. Définitions de concepts liés aux cultures africaines

7:17
3.1. Race

0.21
L’Afrique étant souvent caractérisée comme une région « noire » et ayant
9.16
parfois été traitée avec « racisme », il peut être utile au préalable de revenir
sur le terme de « race ». Celui-ci a été banni du vocabulaire des sciences
0.17
humaines pour diverses raisons.
• Une raison biologique : au début du XXIe siècle, les techniques de
6:16

séquençage de l’ADN ont montré que les génotypes humains sont com-
8565

muns à 99,9 % dans les différentes populations géographiques, et que


la diversité génétique est beaucoup plus importante entre individus
888

humains d’une même population qu’entre des populations différentes.


Pour parler plus simplement, les humains des différents continents ont
418:

une nature semblable, mais il existe des disparités ou maladies géné-


tiques dans chaque société.
0773

• Ceci traduit une homogénéité humaine beaucoup plus forte que


:211

celle existant dans les espèces animales, y compris chez les primates
supérieurs. Par conséquent, s’il existe des races identifiées dans les es-
nitra

pèces canine, bovine, chevaline et autres, on ne peut utiliser un concept


comparable s’agissant de l’espèce humaine (la différence de couleur de
G Ke

peau étant par ailleurs considérée comme un caractère biologique négli-


geable).
:ENC

• Il y a donc aujourd’hui une quasi-unanimité en sciences humaines


pour bannir le terme de « race », pour ces raisons biologiques, pour des
x.com

raisons éthiques (le concept étant jugé à l’origine de discriminations,


persécutions, massacres et crimes contre l’humanité) et enfin parce
larvo

qu’il apparaît non-opératoire (ne serait-ce qu’en raison du grand métis-


sage des groupes humains au cours des millénaires, qui rend l’approche
.scho

culturelle beaucoup plus significative que l’approche physiologique).


www
DéfInITIons LIéEs à L’APPRochE géogRAPhIquE ET cuLTuRELLE 21

• Il reste cependant un débat assez simple chez certains historiens et


philosophes : si le concept de race n’existe plus s’agissant de l’homme,
comment alors combattre le racisme, qui existe toujours ? Peut-on le
déconstruire sans utiliser le mot « race » ?
Pour notre part, nous n’utiliserons pas le terme « race » dans les analyses
qui suivent. Il reste par ailleurs incontournable de parler de « négritude »
dans le contexte culturel africain (concept et terme promus par les Africains
eux-mêmes) et il est parfois inévitable de parler de couleur de peau.
En effet, cette dernière reste un marqueur, tant en Europe qu’en Afrique,
en termes de stéréotypes ou de préjugés, qu’ils soient favorables ou défavo-
rables. Tout voyageur européen a pu s’apercevoir en Afrique que « le Blanc »
ne passe pas inaperçu, au moins tant qu’il n’est pas profondément intégré

9719
dans un groupe social déterminé (par exemple, dans son milieu profession-
nel proche) … Les réactions spontanées à la vue du « Blanc », favorables

0025
(par sens de l’hospitalité ou par simple déférence) ou défavorables (par ap-
pât du gain escompté ou même par hostilité), sont immédiates, sans parler

7:17
de la curiosité d’une ribambelle d’enfants, rieurs ou quémandeurs, suivant
un Européen dans un quartier ou un village qui n’y est pas accoutumé ...

0.21
9.16
3.2. Ethnie 0.17
Ethnie : « groupement humain qui possède une structure familiale, éco-
nomique et sociale homogène, et dont l’unité repose sur une communauté
6:16

de langue, de culture et de conscience de groupe » (Larousse). En Afrique et


ailleurs, l’ethnie est très souvent (mais pas toujours) corrélée à la langue.
8565

Les grandes ethnies ont tendance à former des sous-groupes (tradition-


888

nellement nommés « tribus »).


418:

À l’inverse, les ethnies issues d’un même groupe plus large parlent des
langues apparentées et constituent ensemble un groupe ethnolinguistique.
0773

Pour Mamadou Fall, professeur d’histoire à l’Université Cheikh Anta


Diop de Dakar, l’ethnie se caractérise par une même culture, une même
:211

langue, une même religion, un même totem (s’il y a lieu, l’animal consi-
nitra

déré comme l’ancêtre, le protecteur ou le symbole valorisant d’un groupe


humain), et tout ceci avec un continuum historique.7
G Ke

Pour lui, les ethnies peuvent aussi se différencier (et se regrouper) par
grand secteur d’activité traditionnelle : agriculteurs, éleveurs, commer-
:ENC

çants, pêcheurs ...


x.com

Le concept d’ethnie est cependant controversé : Barth insiste sur la no-


tion de « frontière ethnique » : les ethnies se construiraient par interaction
larvo

7. FALL Mamadou, conférences « Les voies non coloniales du développement : le cas de


l’Afrique de l’Ouest », à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, Paris, les 4 et
.scho

18 janvier 2016.
www
22 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

et différence avec d’autres groupes ; partager la même culture serait alors


plus une conséquence qu’une condition première de l’organisation d’un
groupe ethnique.
Pour Jean-Loup Amselle et Elikia M’Bokolo8, ce serait surtout la colo-
nisation qui a contribué à la « création » d’ethnies africaines, l’administra-
tion voulant classer les populations. On peut comprendre en effet que, se
trouvant face à des groupes aux langues et coutumes différentes, une clas-
sification répondait à des besoins pratiques, ne serait-ce que pour pouvoir
communiquer avec les gens en sachant quelle langue utiliser, en l’apprenant
ou en recherchant un interprète de cette langue. Si le souci de classement a
pu exister, il n’enlève rien au fait que ces groupes parlent des langues diffé-
rentes, reflétant des cultures différentes, et le plus souvent se reconnaissent
eux-mêmes une identité spécifique.

9719
J.-L. Amselle et E. M’Bokolo attirent donc d’abord notre attention, dans

0025
leurs études très précises en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, sur la
complexité des groupes humains. Par exemple, il y a des interpénétrations

7:17
géographiques entre les ethnies sur un même territoire. Et il n’y a pas tou-
jours équivalence entre une langue et une ethnie : certains groupes qui se

0.21
reconnaissent explicitement une identité, une dénomination, une culture,
une organisation politique et sociale, des rites religieux et des traditions
en commun peuvent cependant parler des langues différenciées selon leur 9.16
0.17
localisation, par exemple les Bamilékés du Cameroun. Dans ce dernier cas,
il est possible que la diversité linguistique soit due à une organisation po-
6:16

litique originale, faite de mini-royaumes locaux et autonomes (ou « chef-


feries »), sans fédération institutionnelle. Il n’empêche qu’aussi bien les
8565

Bamilékés eux-mêmes que les autres ethnies camerounaises reconnaissent


une identité très forte au groupe bamiléké.
888

La notion d’ethnie a aussi pu être considérée comme « politiquement


418:

(et socialement) incorrecte » : on a donc parfois cherché à la gommer.


Politiquement, le souci a été fort, non seulement pendant la période colo-
0773

niale, mais surtout dans la période des indépendances, d’affirmer une unité
nationale pour éviter de revenir aux conflits ethniques des siècles précé-
:211

dents et pour consolider des États dont les frontières tracées par le colonisa-
teur ne correspondaient pas forcément aux réalités sociologiques.
nitra

De plus, socialement, en particulier dans les milieux privilégiés ou intel-


G Ke

lectuels, la pratique de la langue coloniale (devenue le plus souvent la langue


nationale) pouvait apparaître comme un mode de distinction de classe et
:ENC

surtout les parents cultivés pouvaient trouver plus efficace, sur les plans so-
cial et scolaire, d’éduquer eux-mêmes leurs enfants dans cette langue offi-
x.com

cielle plutôt que dans leur langue maternelle.


larvo

8. AMSELLE Jean-Loup et M’BOKOLO Elikia, Au cœur de l’ethnie. Ethnie, tribalisme et


.scho

État en Afrique, Editions La Découverte, 1999.


www
DéfInITIons LIéEs à L’APPRochE géogRAPhIquE ET cuLTuRELLE 23

Ainsi, le mot « ethnie » a-t-il pu prendre dans les milieux politiques et


intellectuels une connotation péjorative. Il a souvent alors été remplacé par
le mot « peuple », ce qui revient à utiliser la racine latine (populus : peuple)
plutôt que la racine grecque (εθνος : peuple) pour dire la même chose au-
trement. De cette façon, on notera par exemple les institutions de l’Union
Africaine que sont la « Commission africaine des droits de l’homme et des
peuples » et la « Cour africaine des droits de l’homme et des peuples »,
créées par la « Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ». Ce
vocabulaire reste significatif de la volonté politique en Afrique d’affirmer
non seulement les droits individuels de la personne, mais aussi les droits
sociaux (linguistiques, culturels, coutumiers) des communautés, tout en
évitant au besoin le mot « ethnie ».

9719
Quelques définitions

0025
Esclavage et traite :

7:17
– Esclave : personne qui ne jouit pas de la liberté civique, qui est
sous la dépendance totale d’un maître ou d’un état.

0.21
– Esclavage : organisation sociale fondée sur l’existence d’une classe
9.16
d’esclaves (l’esclavage africain existait – existe encore au soudan,
en Mauritanie, au Tchad – indépendamment de la traite étrangère).
0.17

– Traite : forme élémentaire de commerce qui consistait à échanger


6:16

des marchandises manufacturées de faible valeur contre des pro-


duits locaux (Larousse).
8565

– Traite orientale ou « arabo-islamique » (arabe, persane et otto-


mane) : environ 15 millions d’Africains déportés du VIIe siècle à
888

1920 par les voies saharienne et maritime (océan Indien et mer


Rouge).
418:

– Traite occidentale (« commerce triangulaire ») : environ 11 mil-


0773

lions d’Africains déportés du XVe au XIXe siècles par voie maritime


(Atlantique).
:211

Colonie, colonialisme, panafricanisme, négritude :


nitra

– colonie : territoire distinct de celui d’une nation, occupé et adminis-


tré par les citoyens de cette nation, et gardant avec elle des liens
G Ke

de dépendance politique, économique et culturelle.


:ENC

– colonialisme : doctrine qui justifie et prône la colonisation ; ou


doctrine qui ne considère dans la colonisation que l’intérêt des
colonisateurs.
x.com

Il est donc important de distinguer les termes, d’une part de « colo-


nie » et de « colonisation », factuelles et historiques, et d’autre part de
larvo

« colonialisme » qui désigne une doctrine ou une idéologie à carac-


tère politique.
.scho
www
24 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

– Panafricanisme : mouvement qui cherche à unifier culturellement


et politiquement les peuples et états africains ; doctrine qui tend
à développer l’unité et la solidarité des peuples et états africains.
– négritude : ensemble des caractères culturels propres aux noirs ;
ou appartenance à la communauté noire ; ou promotion politique
de la culture noire ; ou mouvement littéraire francophone « noir »
(Léopold sédar senghor, Aimé césaire …). Dans ce contexte, le
nom ou l’adjectif « nègre » n’a pas de connotation péjorative : il est
au contraire valorisé. Aimé césaire l’explique ainsi :
« Ce sont les Blancs qui ont inventé la négritude … Ce mot « nègre »
qu’on nous jetait, nous l’avions ramassé. Comme on l’a dit, c’est un
mot-défi transformé en un mot fondateur. Mais il faut bien concevoir
la négritude comme un humanisme. Au bout du particularisme, on

9719
aboutit à l’universel. Si le point de départ, c’est l’homme noir, l’aboutis-
sement, c’est l’homme tout court. »

0025
On traitera au chapitre 4 des questions de l’esclavage et de la colonisa-

7:17
tion en Afrique et on présentera le panafricanisme au chapitre 5.

0.21
9.16
Le visible et l’invisible 0.17
Le « visible » et « l’invisible », ou encore « l’Afrique du jour » et
« l’Afrique de la nuit » sont des expressions courantes pour désigner
6:16

des réalités opposées en Afrique, mais qui peuvent recouvrir plusieurs


sens :
8565

– ce qui est officiel ou institutionnel, et ce qui est caché ou secret ;


888

– ce que tout le monde peut voir dans la nature physique ou la réalité


concrète, et ce qui relève du domaine mystique ou du monde des
418:

divinités et des esprits.


0773

à l’interface du visible et de l’invisible, du dicible et de l’indicible, entre


le monde humain ou physique et le monde mystique ou magique, se
trouvent des fonctions particulières de prêtre, de masque, de sorcier
:211

ou de guérisseur, qui demandent de longues initiations correspon-


nitra

dantes (« initiations du second degré ») :


– sorcier : personne à laquelle on attribue des pouvoirs surnaturels
G Ke

et en particulier la faculté d’opérer des maléfices avec l’aide du


diable ou de forces malfaisantes ;
:ENC

– guérisseur : personne qui prétend guérir les malades par des pro-
cédés magiques ou empiriques, en dehors de l’exercice légal de
x.com

la médecine.
larvo

On reviendra sur ces fonctions au chapitre 10 sur la spiritualité et les


.scho

traditions secrètes.
www
9719
CHAPITRE 2

0025
LES MYTHES ET LES SOURCES DE L’HISTOIRE DE L’AFRIQUE

7:17
0.21
Il est tentant en introduction de revenir sur le discours de Nicolas
Sarkozy, alors président de la République française (sur l’inspiration de « sa
plume » Henri Guaino), à l’Université Cheikh Anta Diop à Dakar le 26 juil- 9.16
let 2007 : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez
0.17

entré dans l’histoire … Le défi de l’Afrique, c’est d’entrer davantage dans


6:16

l’histoire ». Pour lui, l’histoire de l’Afrique était « un éternel recommence-


ment » parce que l’Africain serait attaché à ses traditions et « sans idée de
8565

progrès ».
Quelle que soit l’interprétation qu’en aient faite ses auditeurs, elle a été
888

en général fort négative : en fait, il était particulièrement imprudent de se


418:

livrer à cette analyse à Dakar, où règne souvent une conception « afrocen-


triste » de l’histoire, et, qui plus est, à l’Université Cheikh Anta Diop, qui
0773

porte le nom du promoteur de ce mouvement intellectuel ...


:211

1. Une épopée antique réappropriée comme racine mythique :


nitra

« l’Egypte nègre » de Cheikh Anta Diop


G Ke

Selon l’universitaire sénégalais Cheikh Anta Diop (1923-1986), l’Egypte


antique aurait été peuplée de Noirs (Diop dit « nègres ») et les langues afri-
:ENC

caines dériveraient de l’égyptien ancien.


Allant plus loin, cette théorie postule que les Noirs seraient à l’origine
x.com

de toute civilisation. Dans son ouvrage fondateur Nations nègres et culture1,


publié en 1955, Diop affirme l’antériorité des civilisations africaines sur les
larvo

1. DIOP Cheikh Anta, Nations nègres et culture : De l’antiquité nègre égyptienne aux pro-
.scho

blèmes culturels de l’Afrique Noire d’aujourd’hui, Présence Africaine, 2000.


www
26 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

autres, le primat de l’influence africaine dans le monde et l’origine égyp-


tienne de tous les Africains, les Egyptiens anciens étant eux-mêmes noirs,
selon lui.
Cette théorie « afro-centriste » (c’est-à-dire qui met l’Afrique au centre
du monde) s’inscrit dans le contexte politique des indépendances et du pa-
nafricanisme des années 1960 : elle était une sorte de réponse à l’eurocen-
trisme du colonialisme. Elle donnerait aux Africains une origine unique et
prestigieuse, érigée comme source de toute civilisation, et justifierait leur
unité politique par leur origine commune et leur unité ethnolinguistique.
Diop voulait un État fédéral africain et « décoloniser l’histoire », s’oppo-
sant ainsi à ce qu’il considérait être « la falsification occidentale de l’his-
toire ». Par son extraordinaire opportunité politique, sa théorie a connu un

9719
grand succès en Afrique de l’Ouest, mais aussi chez les intellectuels noirs
américains à la recherche de leur propre reconnaissance sociale (on est à

0025
l’époque des combats de Martin Luther King aux États-Unis). Aujourd’hui

7:17
encore, des anciens ministres sénégalais, qui étaient vers 1960 les étudiants
de « Cheikh Anta », en parlent avec une vénération et un enthousiasme

0.21
non dissimulés. En revanche, Diop n’a jamais convaincu son Président de
l’époque, Léopold Senghor, pourtant « chantre de la négritude », avec qui
il entretenait des relations exécrables et auquel Diop reprochait la position : 9.16
« l’émotion est africaine et la raison hellène ».
0.17

Diop nous rappelle que l’Egypte a eu une influence subsaharienne,


6:16

notamment sur les royaumes nubiens (Soudan actuel) et plus tard éthio-
piens, et qu’elle a toujours connu une part de peuplement noir venu du Sud
8565

par la vallée du Nil et par ses relations répétées avec les royaumes nubiens.
« Eleveurs, marchands et soldats, les Nubiens d’Egypte furent partie pre-
888

nante de l’histoire égyptienne »2. Des dynasties nubiennes se sont même


418:

imposées à l’Egypte sur de courtes périodes de sa longue histoire. Ainsi, les


partisans de Diop qui disent retrouver de la mélanine (pigments biologiques
0773

foncés déterminant une peau ou des cheveux noirs) dans des tombeaux ou
momies de l’Egypte antique ne prouvent rien quant à l’origine négroïde des
:211

Egyptiens … mais simplement qu’il y avait des Noirs parmi les Egyptiens,
nitra

ce qui est toujours le cas aujourd’hui.


Au-delà, la théorie de Diop qui systématise une maternité égyptienne à
G Ke

l’ensemble de l’Afrique a rencontré autant d’objections africaines qu’occi-


dentales. Notamment chez les linguistes qui confirment l’appartenance de
:ENC

l’égyptien ancien au groupe « chamito-sémitique » (ce que Diop considère


comme un « complot » pour couper la vallée du Nil du reste de l’Afrique). Ce
x.com

groupe, comme on le verra au chapitre 8, rassemble en Afrique des langues


parlées entre Méditerranée et mer Rouge, dont en premier lieu l’arabe...
larvo

2. FAUVELLE François-Xavier (dir.), De l’Acacus au Zimbabwe. 20 000 avant notre ère –


.scho

XVIIe siècle. L’Afrique ancienne, Belin, 2018.


www
LEs MyThEs ET LEs souRcEs DE L’hIsToIRE DE L’AfRIquE 27

Outre son livre fondateur Nations nègres et culture, qui affirme la négrité
de l’Egypte antique et le « complot occidental masquant cette vérité », Diop
a développé sa théorie dans une série d’ouvrages qui en ont fait un intellec-
tuel de grande influence, en particulier dans sa génération :
• Unité culturelle de l’Afrique noire (1959) développe l’idée que le sys-
tème du matriarcat est fondamentalement « nègre » (ceci est davantage
admis, au moins pour l’Afrique) ;
• Afrique noire précoloniale (1960) veut faire la liaison entre l’Egypte
antique et les royaumes africains : on peut reconnaître que cette in-
fluence existait au moins en Nubie et dans la région de la mer Rouge ;
• Antériorité des civilisations nègres (1967) affirme la primauté du
fait nègre dans le processus d’hominisation, l’histoire du peuplement et

9719
l’histoire de la civilisation mondiale ;

0025
• Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-
africaines (1977), qu’il applique surtout au Wolof (première langue afri-

7:17
caine du Sénégal), a ouvert un champ de recherches pour ses disciples,
cherchant à démontrer l’origine égyptienne d’autres langues africaines

0.21
(notamment de langues bantoues).

9.16
Pour Cheikh Anta Diop, il n’existe que deux origines humaines : le
Nègre, agriculteur, de système matriarcal et d’organisation sociale perfec-
0.17
tionnée, avec une religion monothéiste fondée sur le dieu Amon (le dieu de
Thèbes, l’une des principales divinités égyptiennes antiques), et par ailleurs
6:16

l’Eurasien, qu’il voit comme un conquérant des steppes, nomade et cruel (à


l’image des envahisseurs mongols ?).
8565

La culture grecque n’est pour lui qu’un sous-produit de la culture égyp-


888

tienne. Il ignore les civilisations quatre fois millénaires comme celles de la


418:

Chine et de l’Inde, tout comme les civilisations mésopotamienne ou par


ailleurs inca … Pourtant, selon Xi Jinping3, si l’Egypte est « un peu plus an-
0773

cienne », la Chine est « l’unique civilisation ininterrompue qui se poursuit


encore aujourd’hui avec trois mille ans d’histoire écrite » (et une population
:211

encore plus importante que toute l’Afrique réunie).


nitra

Une analyse fouillée de cette question (devenue elle-même un épisode


notable de l’histoire de la décolonisation, des indépendances africaines et
G Ke

du panafricanisme) a été faite en France dans un ouvrage collectif pluridis-


ciplinaire4, dont on livre ici quelques éléments principaux. Il souligne en
:ENC

introduction que la majorité des critiques à l’encontre de l’afro-centrisme


émanent d’universitaires africains : ce n’est donc pas un débat « entre Noirs
x.com

et Blancs ».

3. En recevant Donald Trump sous les ors de la Cité interdite de Pékin en novembre 2017.
larvo

4. FAUVELLE-AYMAR François-Xavier, CHRETIEN Jean-Pierre, PERROT Claude-


Hélène (dir.), Afrocentrismes. L’histoire des Africains entre Egypte et Amérique, Karthala,
.scho

2001.
www
28 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Pour l’égyptologue Marc Etienne, « l’africanité de l’Egypte est loin


d’impliquer sa négritude » et, pour l’historien Jean-Pierre Chrétien, une
théorie de la suprématie noire n’est pas davantage justifiée que la blanche ...
Pour le linguiste Henry Tourneux, la classification des langues africaines
proposée par l’Américain Greenberg (1966) reste la référence des linguistes
d’aujourd’hui, mais « Diop l’ignore superbement ».
Courtoisement, les auteurs reconnaissent la grande renommée de Diop,
mais critiquent sa méthode faite de généralisations hâtives, de rapproche-
ments linguistiques arbitraires et autres lacunes méthodologiques au ser-
vice d’une thèse préétablie. Parmi eux, l’égyptologue Pascal Vernus est
plus sévère : « en raison de son ancienneté et du prestige de la civilisation
pharaonique, l’égyptien est la proie de tentatives de récupération dictées
par des motivations purement idéologiques qui se déploient à grands frais

9719
pour faire de l’égyptien une sorte de langue panafricaine. On s’évertue,
souvent au mépris de la plus élémentaire méthode scientifique, à lui trouver

0025
des apparentements dans chaque langue d’Afrique noire. Les résultats ne
sont guère convaincants ».

7:17
Cheikh Anta Diop semble ainsi avoir fait preuve davantage de génie

0.21
politique, dans le contexte des indépendances et du panafricanisme, que de
génie scientifique.
9.16
0.17

2. Le problème des sources


6:16

Mis à part les textes de l’Egypte antique, décryptés par une véritable dis-
8565

cipline, l’égyptologie, il existe peu de sources écrites sur l’histoire africaine


située entre l’antiquité gréco-romaine, qui connaissait du continent surtout
888

l’Afrique du Nord, et les explorations portugaises du XVe siècle (contour-


nement de l’Afrique par Vasco de Gama en 1497-1498). Pour l’historien
418:

Mamadou Fall (déjà cité), les connaissances des Grecs et des Romains sur
l’Afrique se résumaient au triangle du géographe grec Strabon (né vers
0773

60 avant J.-C., mort vers 20 après J.-C.) : ses deux côtés perpendiculaires
sont, d’Ouest en Est, la côte méditerranéenne et, du Nord au Sud, la vallée
:211

du Nil (ou, en parallèle, la côte de la mer Rouge).


nitra

La rareté des sources de l’histoire africaine avant l’arrivée des Portugais


au XVe siècle s’explique par plusieurs raisons5.
G Ke

1. Les sources écrites sont essentiellement des sources arabes, mais


:ENC

elles ont des limites : parmi les principaux auteurs, figurent Al Bakrî au
XIe siècle, géographe et historien andalou (1014-1094), qui aurait fait un
long périple à travers le Sahara pour rejoindre l’empire du Ghana ; Al Idrîssî
x.com

au XIIe siècle, un géographe marocain qui travaillait pour le royaume nor-


mand de Roger II en Sicile ; Ibn Battûta et Ibn Khaldûn au XIVe siècle, et
larvo

5. Voir FAUVELLE François-Xavier, Le Rhinocéros d’or. Histoires du Moyen Âge africain,


.scho

Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2015.


www
LEs MyThEs ET LEs souRcEs DE L’hIsToIRE DE L’AfRIquE 29

au XVIe siècle Hassan Al Wazzan (ou Léon l’Africain, né en 1486 ou 1488,


mort en 1527 ou peut-être en 1554, selon les sources).
Les limites sont que les plus célèbres d’entre eux semblent avoir recouru
à des récits de voyageurs et commerçants. Ibn Battûta, né à Tanger vers
1304 et mort à Marrakech vers 1368, entreprend un grand voyage en 1325
pour la Mecque et en revient 26 ans plus tard, après avoir vécu en Inde et
aux Maldives. Il voyagera vers l’empire du Mali à la demande du sultan ma-
rocain en 1352-1353 : il est allé à Oualata, la porte de l’empire (aujourd’hui
en Mauritanie), et sans doute à Gao et à Tombouctou, mais il n’a pu locali-
ser la capitale de l’empire qu’il décrit pourtant, sans doute à partir de récits
de marchands arabes ...
Ibn Khaldûn, historien et sociologue précurseur né à Tunis en 1332 et

9719
mort au Caire en 1406, n’a pas lui-même visité l’Afrique subsaharienne,
mais en a recueilli des chroniques.

0025
Hassan Al Wazzan, diplomate et explorateur marocain né à Grenade,

7:17
dont la famille avait fui la « reconquista » catholique en 1492, est formé
à Fès à la mosquée universitaire al-Qarawiyyîn. Initié à la diplomatie par

0.21
son oncle, il est envoyé en mission au Sahel en 1512-1513. Au retour d’un
voyage à Istanbul et d’un pèlerinage à La Mecque en 1516-1517, il est captu-
9.16
ré à Djerba par des corsaires castillans et remis en trophée au Pape Léon X.
Devenu un captif privilégié par son statut de diplomate et de lettré, il est
0.17

baptisé en 1520 par le pape qui lui donne son nom, Léon (« Léon l’Africain »).
Il écrira, à la demande du pape, une Description de l’Afrique à partir de ses
6:16

ambassades marocaines. En effet, il est probablement allé à Tombouctou et


8565

à Gao en mission auprès de l’empire Songhaï, mais il emprunte aussi à diffé-


rentes sources, dont Ibn Battûta et Ibn Khaldûn, à l’époque non connus en
888

Europe. Après le sac de Rome par les soldats impériaux de Charles Quint en
1527-1528, on perd la trace de Léon l’Africain (d’aucuns pensent qu’il aurait
418:

fini ses jours à Tunis vers 1554).


0773

Pour François-Xavier Fauvelle, les sources « de seconde main » ne sont


pas négligeables si elles peuvent être confrontées à d’autres. Ainsi fait-il
:211

confiance à un autre auteur, Al Omari, un Egyptien du Caire du XIVe siècle,


qui recueille des écrits musulmans sur l’Abyssinie ou sur l’empereur Moussa
nitra

du Mali.
G Ke

Par ailleurs, avant le sauvetage des parchemins arabes de Tombouctou


des destructions par les « djihadistes » du XXIe siècle, des lettrés du XVIIe
:ENC

y avaient déjà sauvé l’histoire écrite des empires successifs du Mali et du


Songhaï, menacée par la conquête marocaine après 1591.
x.com

2. Peu de monuments ont été conservés, « avalés » par la nature (sable


du désert ou forêt équatoriale), ou sensibles aux intempéries s’ils étaient
larvo

construits en terre séchée, ou encore abandonnés par les renversements de


pouvoirs ou les migrations. Par exemple, pour l’empire du Mali, on ignore
.scho

où était sa capitale, pourtant décrite par les voyageurs arabes : une hypo-
www
30 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

thèse la situait à Niani, un village de l’actuelle Guinée, proche du Mali, mais


on n’y a pas retrouvé de ruines des palais et mosquée décrits par les chroni-
queurs arabes. De façon générale, les fouilles archéologiques ont pu donner
ailleurs des résultats très éloquents en Afrique, mais doivent être poursui-
vies pour exhumer de nombreux vestiges architecturaux significatifs.
3. Peu de sociétés africaines utilisaient l’écriture : la tradition orale
dominait (comme la Charte du Mandé, présentée ci-après). Mis à part les
textes de l’antiquité égyptienne ou les alphabets lybico-berbères et tifinar
(écriture touarègue ancienne, aujourd’hui promue par les tenants de l’iden-
tité berbère au Maghreb), l’écriture méroïtique (cf. royaume de Méroé au
chapitre 3) reste en cours de déchiffrage. Les textes anciens sont d’abord en
arabe, comme les archives de Tombouctou. Ils sont quelquefois en guèze,

9719
langue éthiopienne ancienne de la famille sémitique (encore utilisée au-
jourd’hui comme langue liturgique des Eglises monophysites6 d’Ethiopie et

0025
d’Erythrée). Au XVIe siècle, Gorgoryos, un prêtre éthiopien7, vient à Rome
et établit un dictionnaire et une grammaire du guèze et de l’amharique

7:17
(langue actuelle d’Ethiopie).
Mis à part l’arabe et l’amharique, la seule langue africaine de l’histoire

0.21
contemporaine disposant d’une écriture propre résulte de l’expérience du

9.16
roi bamoum (ou bamoun) Njoya au Cameroun au début du XXe siècle.
Formée au départ de 510 signes, l’écriture fut simplifiée à plusieurs reprises
0.17
pour aboutir à 70 caractères phonétiques et 10 caractères à la fois syllabiques
et numériques. Le roi la fit enseigner, mais avec la colonisation française, les
6:16

caractères latins la remplacèrent, que ce soit pour écrire en bamoum ou en


français.
8565

Enfin, les sources historiques sont exceptionnellement en chinois, pour


888

relater des expéditions navales de l’Empire du Milieu sur les côtes africaines
de l’océan Indien.
418:

4. L’importance de la tradition orale et des griots explique peut-être


0773

pour une part la quasi-absence des textes en langues africaines avant le


XIXe siècle : l’écrit ne paraissait peut-être pas nécessaire. La tradition orale
:211

est donc considérée en Afrique comme une source importante, mais qui
pouvait être déformée selon les siècles et les lieux. Elle demande alors une
nitra

méthodologie spécifique de recueil, de traduction et de confrontation des


G Ke

6. Rappelons que la doctrine monophysite soutient que Jésus-Christ n’a qu’« une seule
nature » (monos physis), c’est-à-dire divine, alors que le Credo enseigne qu’il a deux
:ENC

natures, divine et humaine. Les Eglises monophysites (aujourd’hui surtout égyptienne,


éthiopienne et arménienne) se sont séparées de Rome au Concile de Chalcédoine (en
451) et sont toujours vivantes et importantes. Le christianisme antique de la région
x.com

africaine de la mer Rouge (Egypte, Ethiopie, Erythrée, mais devenu très minoritaire
au Soudan) est toujours monophysite. Il y est resté sous la juridiction du patriarche
d’Alexandrie jusqu’à la fin du XXe siècle.
larvo

7. FAUVELLE François-Xavier, « Leçons de l’histoire de l’Afrique », leçon inaugurale le


3 octobre 2019 au Collège de France de la chaire « Histoire et archéologie des mondes
.scho

africains ».
www
LEs MyThEs ET LEs souRcEs DE L’hIsToIRE DE L’AfRIquE 31

récits pour être considérée comme une documentation historique. La pa-


role peut ainsi être transformée en document : on peut alors dire qu’il existe
en Afrique une « littérature orale ».

Amadou Hampâté Bâ, le défenseur des traditions orales africaines


cette démarche a été promue en particulier par le grand écrivain peul
du Mali, Amadou hampâté Bâ (1901-1991), dont l’ouvrage autobio-
graphique le plus connu est sans doute Amkoullel, l’enfant peul8. Il di-
sait à la tribune de l’unEsco en 1960 : « Puisque nous avons admis
que l’humanité de chaque peuple est le patrimoine de toute l’humanité,
si les traditions africaines ne sont recueillies à temps et couchées sur

9719
le papier, elles manqueront un jour dans les archives universelles de
l’humanité. » Et d’ajouter cette formule célèbre : « En Afrique, quand

0025
un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. »

7:17
L’une des plus célèbres traditions orales considérée comme historique est

0.21
la Charte du Mandé.
La Charte du Mandé (Manden ou Mandingue, vaste groupe ethnolin-
guistique d’Afrique de l’Ouest) aurait été établie en 1212 et proclamée en 9.16
0.17
1222 par Soundiata Keita, fondateur de l’empire du Mali. Cette Charte a
été transmise oralement, de siècle en siècle, par les confréries de chasseurs
6:16

et a été recueillie et traduite par Youssouf Tata Cissé (1935-2013), un eth-


nologue et historien malien de langue bambara, chercheur de la tradition
8565

orale, qui avait été initié « maître-chasseur » dans la confrérie des chasseurs
du Mandé. Elle reste la référence majeure des sinbo, grands maîtres chas-
888

seurs du Manden.
418:

La Charte du Mandé a été inscrite en 2009 au Patrimoine universel


de l’UNESCO et est parfois considérée aujourd’hui comme la première
0773

constitution africaine et/ou comme la première déclaration des droits de


:211

l’homme.
nitra

La Charte du Mandé
G Ke

Manden kalikan
1. Les chasseurs déclarent :
:ENC

Toute vie (humaine) est une vie.


Il est vrai qu’une vie apparaît à l’existence avant une autre vie,
x.com

Mais une vie n’est pas plus « ancienne », plus respectable qu’une
autre vie,
larvo

De même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie.


.scho

8. BÂ Amadou Hampâté, Amkoullel, l’enfant peul, Actes Sud, 1991.


www
32 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

2. Les chasseurs déclarent :


Toute vie étant une vie,
Tout tort causé à une vie exige réparation.
Par conséquent,
que nul ne s’en prenne gratuitement à son voisin,
que nul ne cause du tort à son prochain,
que nul ne martyrise son semblable.

3. Les chasseurs déclarent :


que chacun veille sur son prochain,
que chacun vénère ses géniteurs,
que chacun éduque comme il se doit ses enfants,
que chacun « entretienne », pourvoie aux besoins des membres de

9719
sa famille.

0025
4. Les chasseurs déclarent :
que chacun veille sur le pays de ses pères.

7:17
Par pays ou patrie, faso,
Il faut entendre aussi et surtout les hommes ;

0.21
car « tout pays, toute terre qui verrait les hommes disparaître de sa
surface
Deviendrait aussitôt nostalgique. » 9.16
0.17

5. Les chasseurs déclarent :


6:16

La faim n’est pas une bonne chose,


L’esclavage n’est pas non plus une bonne chose ;
8565

Il n’y a pas pire calamité que ces choses-là,


Dans ce bas monde.
888

Tant que nous détiendrons le carquois et l’arc,


La faim ne tuera plus personne au Manden,
418:

si d’aventure la famine venait à sévir ;


La guerre ne détruira plus jamais de village
0773

Pour y prélever des esclaves ;


c’est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche de
:211

son semblable
Pour allez le vendre ;
nitra

Personne ne sera non plus battu,


A fortiori mis à mort,
G Ke

Parce qu’il est fils d’esclave.


:ENC

6. Les chasseurs déclarent :


L’essence de l’esclavage est éteinte ce jour,
x.com

« D’un mur à l’autre », d’une frontière à l’autre du Manden ;


La razzia est bannie à compter de ce jour au Manden ;
larvo

Les tourments nés de ces horreurs sont finis à partir de ce jour au


Manden.
.scho
www
LEs MyThEs ET LEs souRcEs DE L’hIsToIRE DE L’AfRIquE 33

quelle épreuve que le tourment !


surtout lorsque l’opprimé ne dispose d’aucun recours.
L’esclave ne jouit d’aucune considération,
nulle part dans le monde.

7. Les gens d’autrefois nous disent :


« L’homme en tant qu’individu
fait d’os et de chair,
De moelle et de nerfs,
De peau recouverte de poils et de cheveux,
se nourrit d’aliments et de boissons ;
Mais son « âme », son esprit vit de trois choses :
Voir qui il a envie de voir,

9719
Dire ce qu’il a envie de dire
Et faire ce qu’il a envie de faire ;

0025
si une seule de ces choses venait à manquer à l’âme humaine,
Elle en souffrirait
Et s’étiolerait sûrement. »

7:17
En conséquence, les chasseurs déclarent :

0.21
chacun dispose désormais de sa personne,
chacun est libre de ses actes,

9.16
chacun dispose désormais des fruits de son travail.
Tel est le serment du Manden
0.17
à l’adresse des oreilles du monde tout entier. (...)
6:16
8565
888
418:
0773
:211
nitra
G Ke
:ENC
x.com
larvo
.scho
www
9719
CHAPITRE 3

0025
UN PANORAMA DES RACINES CULTURELLES DE L’AFRIQUE

7:17
DANS SON HISTOIRE PRÉCOLONIALE

0.21
Cette histoire a parfois été embellie (ou du moins adoucie) dans l’ensei-
gnement scolaire qui en est donné dans certains pays africains, pouvant 9.16
0.17
avoir tendance à présenter une Afrique précoloniale heureuse, voire idéale.
Malheureusement, son histoire semble avoir été aussi heurtée que celle des
6:16

autres continents, qui ont tous connu leur lot de guerres et de trahisons. Par
exemple, beaucoup de royaumes ou de chefs africains ont aussi contribué à
8565

l’esclavage, qu’il soit interne à l’Afrique ou destiné à « l’exportation » par la


traite « arabe » ou par la traite « atlantique ».
888
418:

1. Une introduction aux anciens royaumes africains


0773

Pour Mamadou Fall (déjà cité), les anciens pouvoirs africains avaient des
:211

niveaux de taille et de structuration très variables : la chefferie villageoise


ou tribale, le royaume, l’empire. Des conditions matérielles déterminaient
nitra

l’étendue de leur emprise :


G Ke

• la portée du tambour pour faire passer messages, instructions ou


alertes ;
:ENC

• la distance que le roi pouvait parcourir en une journée, à pied ou à


cheval ;
x.com

• l’accès au cheval et au fusil ont été souvent des facteurs détermi-


nants d’extension du pouvoir et du territoire.
larvo

Le pouvoir s’exerçait généralement par cercles concentriques :


.scho

• au centre, la capitale, avec l’enceinte royale et sa cour ;


www
un PAnoRAMA DEs RAcInEs cuLTuRELLEs DE L’AfRIquE 35

• le territoire sous contrôle direct, par les facteurs matériels cités ci-
dessus ;
• au-delà, un système de tribus vassales, avec des allégeances va-
riables.
Catarina Madeira-Santos (Institut des Mondes africains, à l’Ecole des
Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris) estime que beaucoup de
royaumes africains étaient souvent assez fictifs et propose plusieurs critères
de réalité :
• y avait-il une emprise sur l’intérieur du territoire ?
• y avait-il un service public ?
• y avait-il une fiscalité ?

9719
• y avait-il une armée de métier ?
Les hypothèses de François-Xavier Fauvelle1 rejoignent ces doutes : les

0025
capitales contrôlaient-elles réellement un territoire ou étaient-elles seule-
ment des centres commerciaux ? Etaient-ce des royaumes intégrés ou des

7:17
« royaumes courtiers » ? Souvent les capitales étaient situées en des lieux

0.21
peu productifs, mais au point de rupture de géographies différentes (par
exemple, entre terres agricoles et terrains arides ou inhospitaliers).
Ainsi, au Nord du Sahara, Marrakech est à la rupture d’une plaine 9.16
0.17
agricole, au départ peu fertile mais devenue productive par le labeur des
paysans, et des chaines enneigées du Haut Atlas, qui surplombent de leur
6:16

blancheur les remparts roses et les palmiers verts de la ville. C’était un lieu
improbable pour une capitale d’empire à sa fondation en 1062 : pourtant,
8565

dès le Moyen Âge, elle est devenue un grand centre de commerce et d’arti-
sanat ; elle compte aujourd’hui près d’un million d’habitants.
888

Son pendant au Sud du Sahara est Tombouctou, « la perle du désert »


418:

ou « la ville aux 333 saints » : elle est déjà en zone désertique, à la limite du
0773

Sahel. La ville est accessible du Nord par les caravanes sahariennes et par le
Sud par sa proximité immédiate du fleuve Niger.
:211

Les dix exemples ci-après de royaumes ou empires précoloniaux, qui


seront présentés dans ce chapitre, correspondent pour leur part à des pou-
nitra

voirs d’ampleur, de durée et de renommée effectives.


G Ke

Royaumes et
Périodes (siècles) Localisation (dans les pays actuels)
empires
:ENC

IVe av. J.-c. – IVe ap.


Méroé soudan
J.-c.
x.com

Aksoum Ie – Xe Ethiopie, Erythrée


larvo

1. FAUVELLE François-Xavier, « Leçons de l’histoire de l’Afrique », leçon inaugurale le


3 octobre 2019 au Collège de France de la chaire « Histoire et archéologie des mondes
.scho

africains ».
www
36 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Royaumes et
Périodes (siècles) Localisation (dans les pays actuels)
empires
ghana IVe – XIIIe Mauritanie, Mali
Mali XIII – XV
e e
Mauritanie, sénégal, guinée, Mali
Mauritanie, sénégal, guinée, Mali,
songhaï XVe – XVIe
niger
région du Lac Tchad (Tchad, nigeria,
Kanem – Bornou VIIIe – XIXe
niger, cameroun)
congo (RDc), congo (Rc), Angola,
Kongo XIVe – XIXe
gabon
Zimbabwe XIIIe – XIVe Zimbabwe, Mozambique
Rwanda XVIII – XX
e e
Rwanda

9719
Zoulou XVIII – XIX
e e
République d’Afrique du sud

0025
7:17
2. Les royaumes de Méroé et d’Aksoum

0.21
9.16
2.1. Le royaume de Méroé 0.17
Apparu au IVe siècle avant J.-C. en Nubie avec des pyramides (nécro-
poles toujours visibles), entre la 5e et la 6e cataracte du Nil, il dura jusqu’au
6:16

IVe après J.-C. Le royaume se développa par de nouveaux centres urbains


sur la rive Est du Nil, au Sud de la capitale, Méroé (qui était elle-même sur
8565

le Nil) : il est probable que la royauté était itinérante entre ces villes.
888

Royaume agricole, il diversifia ses échanges avec l’Egypte et au-delà


et mit en place un commerce d’esclaves stimulé par la demande gréco-
418:

romaine. Peu avant l’an zéro de notre ère, le royaume tenta de s’agrandir
au Nord vers l’Egypte en reprenant des territoires aux Romains, mais ces
0773

derniers progressèrent au Sud d’Assouan, contraignant Méroé à signer la


paix. Le royaume s’effondra vers 350, vaincu par le roi Ezana d’Aksoum.
:211
nitra

2.2. Le royaume d’Aksoum (ou Aksum)


G Ke

Apparu au Ier siècle après J.-C. au Nord de l’Ethiopie, le royaume parlait


le guèze (ancienne langue sémitique). « Le géographe grec Ptolémée signale,
au milieu du IIe siècle, la présence d’un palais royal à Aksum […] Mais ce
:ENC

sont les obélisques monolithes qui constituent les vestiges les plus emblé-
matiques de la ville antique d’Aksum. La plupart de ces grandes stèles […]
x.com

datent des IIIe et IVe siècles. Elles servaient à marquer l’emplacement de


tombes royales souterraines. Les plus grandes mesurent plus de 30 mètres. »2
larvo

2. FAUVELLE François-Xavier (dir.), De l’Acacus au Zimbabwe. 20 000 avant notre ère –


.scho

XVIIe siècle. L’Afrique ancienne, Belin, 2018.


www
un PAnoRAMA DEs RAcInEs cuLTuRELLEs DE L’AfRIquE 37

Le royaume s’étendait au Tigré (Ethiopie actuelle) et en Erythrée. L’Eglise


copte d’Egypte (s’affirmant monophysite au Concile de Chalcédoine en 451)
avait développé une activité missionnaire en Abyssinie : le patriarche
d’Alexandrie nomma le premier évêque d’Aksoum dès 333, qui convertit
le roi Ezana.
Adoulis (en Erythrée actuelle) était le principal port du royaume d’Ak-
soum. Premier royaume d’Ethiopie, avec une composante maritime impor-
tante et des influences d’Arabie du Sud, battant monnaie et commerçant
par mer avec l’Inde, il contrôlait à son apogée vers le VIe siècle la mer Rouge,
le Yémen et une partie de l’Arabie saoudite d’aujourd’hui (les troupes d’Ak-
soum prennent brièvement Djeddah au début du VIIIe siècle).

9719
Cette proximité du royaume d’Aksoum avec la péninsule arabique est
également importante dans la tradition religieuse musulmane : quand

0025
Mohammed connaissait des difficultés importantes à La Mecque pour faire
accepter le message de l’islam, quelques années avant d’être lui-même forcé

7:17
de partir en exil à Médine (l’hégire en 622), il conseilla vers 615 à ses com-
pagnons de trouver refuge à la cour du roi d’Aksoum, car le Négus chrétien

0.21
était réputé tolérant. Soixante-dix des premiers musulmans traversèrent la
mer Rouge et se placèrent effectivement sous sa protection.
Le royaume d’Aksoum s’éteint à la fin du Ier millénaire. 9.16
0.17
6:16

3. De l’Afrique du Nord romaine et christianisée à l’Afrique du


8565

Nord arabophone et musulmane


888

3.1. La conquête arabe de l’Afrique du Nord


418:

L’Afrique du Nord connut des évolutions considérables avec l’invasion


0773

arabe du VIIe siècle. Rappelons-en le contexte historique. L’empire romain


s’étendait de l’Ecosse au Moyen Orient en passant par l’Afrique du Nord,
:211

avec ses villes romaines remarquables de Volubilis (au Maroc actuel, près de
Meknès), de Tipaza (près d’Alger) et de Timgad (dans les Aurès), de Sbeïtla
nitra

(proche de Kasserine en Tunisie actuelle), de Leptis Magna en Libye (près


de Tripoli), sans compter l’occupation de toute l’Egypte.
G Ke

En 330, l’empereur Constantin fonde à Byzance une nouvelle capitale,


:ENC

à laquelle il donne son nom : Constantinople. Ce sera l’origine de la dis-


tinction de l’empire romain d’Occident, de langue latine avec pour capitale
x.com

Rome, et de l’empire romain d’Orient, de langue grecque avec pour capitale


Constantinople. Tandis que l’empire latin d’Occident éclatera rapidement
larvo

(sa chute est généralement datée en 476), l’empire grec d’Orient résistera en-
core pied à pied pendant un millénaire aux Arabes, puis aux Turcs, jusqu’à
.scho

la chute finale de Constantinople en 1453.


www
un PAnoRAMA DEs RAcInEs cuLTuRELLEs DE L’AfRIquE 37

Le royaume s’étendait au Tigré (Ethiopie actuelle) et en Erythrée. L’Eglise


copte d’Egypte (s’affirmant monophysite au Concile de Chalcédoine en 451)
avait développé une activité missionnaire en Abyssinie : le patriarche
d’Alexandrie nomma le premier évêque d’Aksoum dès 333, qui convertit
le roi Ezana.
Adoulis (en Erythrée actuelle) était le principal port du royaume d’Ak-
soum. Premier royaume d’Ethiopie, avec une composante maritime impor-
tante et des influences d’Arabie du Sud, battant monnaie et commerçant
par mer avec l’Inde, il contrôlait à son apogée vers le VIe siècle la mer Rouge,
le Yémen et une partie de l’Arabie saoudite d’aujourd’hui (les troupes d’Ak-
soum prennent brièvement Djeddah au début du VIIIe siècle).

0145
Cette proximité du royaume d’Aksoum avec la péninsule arabique est
également importante dans la tradition religieuse musulmane : quand

0026
Mohammed connaissait des difficultés importantes à La Mecque pour faire
accepter le message de l’islam, quelques années avant d’être lui-même forcé

7:17
de partir en exil à Médine (l’hégire en 622), il conseilla vers 615 à ses com-
pagnons de trouver refuge à la cour du roi d’Aksoum, car le Négus chrétien

0.21
était réputé tolérant. Soixante-dix des premiers musulmans traversèrent la
mer Rouge et se placèrent effectivement sous sa protection.
Le royaume d’Aksoum s’éteint à la fin du Ier millénaire. 9.16
0.17
6:16

3. De l’Afrique du Nord romaine et christianisée à l’Afrique du


8565

Nord arabophone et musulmane


888

3.1. La conquête arabe de l’Afrique du Nord


418:

L’Afrique du Nord connut des évolutions considérables avec l’invasion


0773

arabe du VIIe siècle. Rappelons-en le contexte historique. L’empire romain


s’étendait de l’Ecosse au Moyen Orient en passant par l’Afrique du Nord,
:211

avec ses villes romaines remarquables de Volubilis (au Maroc actuel, près de
Meknès), de Tipaza (près d’Alger) et de Timgad (dans les Aurès), de Sbeïtla
nitra

(proche de Kasserine en Tunisie actuelle), de Leptis Magna en Libye (près


de Tripoli), sans compter l’occupation de toute l’Egypte.
G Ke

En 330, l’empereur Constantin fonde à Byzance une nouvelle capitale,


:ENC

à laquelle il donne son nom : Constantinople. Ce sera l’origine de la dis-


tinction de l’empire romain d’Occident, de langue latine avec pour capitale
x.com

Rome, et de l’empire romain d’Orient, de langue grecque avec pour capitale


Constantinople. Tandis que l’empire latin d’Occident éclatera rapidement
larvo

(sa chute est généralement datée en 476), l’empire grec d’Orient résistera en-
core pied à pied pendant un millénaire aux Arabes, puis aux Turcs, jusqu’à
.scho

la chute finale de Constantinople en 1453.


www
38 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Par ailleurs, Constantin s’était rapproché du christianisme et avait pu-


blié en 313 un édit de tolérance, qui lui rallia les chrétiens. Alors que le
christianisme était précédemment persécuté et dispersé, Constantin en-
courage les chrétiens à s’organiser et convoque lui-même le premier concile
œcuménique en 325 à Nicée (en Turquie actuelle). Il sera suivi des conciles
de Constantinople (en 381), d’Ephèse (en 431, en Turquie d’aujourd’hui, sur
la mer Egée) et de Chalcédoine (en 451, sur la rive asiatique du Bosphore,
face à Constantinople), par lesquels la théologie chrétienne se définit pro-
gressivement, tout en entraînant des schismes avec les Eglises minoritaires
qui ne veulent pas se rallier à la majorité conciliaire.
Du côté musulman, Mohammed meurt en 632 à La Mecque, dans la
péninsule arabique. Ses compagnons lui succèdent comme Califes : Abû

0145
Baker, Omar, Uthman (assassiné en 656), puis Ali, le gendre du prophète
(assassiné en 661). Commence alors la conquête arabo-musulmane de

0026
l’Afrique du Nord3.

7:17
Dès 640, sous Omar, les Arabes, conduits par le général Amr Ibn al-Âs,
franchissent l’isthme de Suez et pénètrent dans l’Afrique byzantine de l’em-

0.21
pire romain d’Orient, alors déclinant en Afrique. Avec 4 000 hommes, le
sort de l’Egypte est réglé en une bataille. En 641, Amr construit la première
mosquée d’Afrique sur le site de Fustât (qui deviendra plus tard Le Caire). 9.16
En 642, les Byzantins sont contraints d’évacuer Alexandrie (qu’ils repren-
0.17

dront provisoirement en 645). Les Arabes poursuivent en Cyrénaïque (Est


6:16

de la Libye) : ils lancent des raids jusqu’au Fezzan (Sud libyen), et vers l’Ouest
où ils prennent Tripoli en 643. Mais Omar ordonne à Amr de s’arrêter là.
8565

Uthman permet en 644 au gouverneur d’Egypte de reprendre la


conquête : il pousse en Tunisie et en 647 prend Sbeïtla, avec un énorme butin,
888

aux Byzantins grecs (qui avaient pris leur indépendance de Constantinople)


418:

et s’en retourne en Egypte en 648. En Arabie, les troubles qui suivirent


les assassinats d’Uthman en 656, puis d’Ali en 661, permirent un répit à
0773

l’Afrique du Nord. C’est la grande « fitna » (discorde ou guerre civile) qui


donnera naissance à l’école kharijite chez les sunnites, puis au schisme
:211

chiite. Le nouveau Calife Mohawiya fonde la dynastie des Omeyyades à


nitra

Damas en 661.
Tout change en 665 quand le général arabe Oqba Ibn Nafi organise une
G Ke

troisième grande expédition et fonde Kairouan (Tunisie actuelle) en 670.


Tombé un moment en disgrâce, Oqba reçoit le commandement suprême en
:ENC

Afrique en 681 et pousse jusqu’à Tiaret (Algérie actuelle), puis Tanger. De


là, prenant Dieu à témoin devant l’océan qu’il ne peut pas aller plus loin, il
x.com

descend la côte atlantique vers le Sud et va jusque dans le Sous commettre


massacres et razzias.
larvo

3. Lire JULIEN Charles-André, Histoire de l’Afrique du Nord de la conquête arabe à 1830,


.scho

SNED, 1978.
www
un PAnoRAMA DEs RAcInEs cuLTuRELLEs DE L’AfRIquE 39

Mais sur le chemin du retour, il est arrêté dans les Aurès en 683 par une
puissante coalition berbère et byzantine : le prince berbère Kosaïla le tue
près de Biskra (Algérie), puis entre victorieux à Kaïrouan et repousse les
Arabes jusqu’en Libye. En 686, le Calife Abd el Malik envoie une nouvelle
armée arabe à Kaïrouan prendre une revanche contre Kosaïla : les troupes
berbères et byzantines sont battues et Kosaïla tué.
Mais une reine berbère, « la Kahina », issue d’une tribu nomade juive
devenue chrétienne, reprend la direction d’un ensemble de tribus dans les
Aurès : elle écrase l’armée arabe aux confins des actuelles Algérie et Tunisie
et la rejette en Libye. Elle étend son royaume, mais, pour décourager l’enva-
hisseur arabe, elle pratique une politique de la terre brulée, qui lui aliène
des sédentaires et cultivateurs. Ainsi, le nouveau gouverneur arabe Hassan,
également pourvu d’une nouvelle armée par Abd el Malik, réussit à vaincre

0145
la Kahina à l’issue d’un combat acharné (en 693 ou 702 selon les sources) et
envoie sa tête en trophée au Calife …

0026
Hassan prend par ailleurs brièvement Carthage aux Byzantins en

7:17
695, bientôt reprise par une flotte envoyée par l’empereur Leontios de
Constantinople, mais Hassan la reprendra à son tour en 698 et jette alors

0.21
les bases d’un nouveau port, qui sera Tunis …

9.16
Vers l’an 700, les Arabes ont largement pris le contrôle de l’Afrique du
Nord et fondé Kaïrouan et Tunis en une soixantaine d’années … Ils y ont
0.17
été aidés par la division des Berbères et par leur conversion progressive à
l’islam, mais aussi par la faiblesse des Byzantins grecs, qui avaient pris trop
6:16

de distance avec l’empire de Constantinople et n’étaient pas en mesure de


résister aux armées arabes.
8565

3.2. La résistance millénaire des royaumes chrétiens de Nubie


888
418:

Trois royaumes nubiens (Alodia, Nobatia et Makouria) remplacèrent le


royaume de Méroé : ils devinrent chrétiens (monophysites) au VIe siècle,
0773

sous le magistère du patriarcat d’Alexandrie, et le demeurèrent pendant


près d’un millénaire. Ils sont fondés par les Nobades, un peuple vivant
:211

à l’Ouest du Nil (dans les régions des actuels Darfour et Kordofan).4 Ils
s’installent sur le Nil dans la région de l’actuel Khartoum et plus au Nord
nitra

jusqu’à Assouan (à la frontière de l’Egypte) en trois royaumes : du Sud au


Nord, Alodia, avec comme capitale Soba (proche du confluent des deux
G Ke

Nil), dans la région de Méroé ; Makouria, avec comme capitale Dongola,


dans la courbe du Nil ; et au Nord, Nobadia, avec comme capitale Faras.
:ENC

Après la conquête de l’Egypte au VIIe siècle, les Arabes tentèrent de colo-


niser ces royaumes nubiens, mais échouèrent à deux reprises et conclurent
x.com

en 652 un traité avec le royaume de Makouria, lequel imposait un protec-


torat au royaume de Nobadia. Ce traité prévoit un échange d’esclaves don-
larvo

4. FAUVELLE François-Xavier (dir.), De l’Acacus au Zimbabwe. 20 000 avant notre ère –


.scho

XVIIe siècle. L’Afrique ancienne, Belin, 2018.


www
40 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

nés par les Nubiens en contrepartie de produits agricoles et textiles par les
Arabes d’Egypte. Le royaume de Makouria gagne en puissance au IXe siècle,
notamment avec le roi Georgios 1er. Il repose sur une alliance étroite de la
royauté et de l’Eglise copte, sous la tutelle d’Alexandrie. Ceci n’empêche pas
des musulmans de s’établir en Nubie.
Le royaume de Makouria commence à décliner au XIIIe siècle par des
conflits de succession internes et d’autres avec les sultans mamelouks
d’Egypte (royaume musulman issu de soldats esclaves) et aussi du fait de
l’islamisation progressive de la population nubienne. La monarchie chré-
tienne résiste jusqu’à la fin du XVe siècle. Maîtres de l’Egypte en 1517, les
Ottomans turcs annexent le Nord de la Nubie au XVIe siècle.

0145
4. Les interactions entre royaumes du Maghreb et du Sahel

0026
Dans l’histoire tourmentée du Maghreb, soumis à de multiples royaumes
aux géographies variables, jusqu’à la domination turque en Algérie et en

7:17
Tunisie à partir du XVIe siècle, le Maroc fait figure d’un État stable dans

0.21
ses frontières, même s’il entreprit des conquêtes extérieures provisoires.
L’une des raisons en tient sans doute à sa géographie, protégée comme
9.16
une sorte de forteresse naturelle, à l’Ouest par l’Atlantique, au Nord par la
Méditerranée et la chaine du Rif, à l’Est par les chaines obliques du Moyen
0.17
Atlas et du Haut Atlas, et au Sud par la chaine de l’Anti-Atlas et le Sahara.
6:16

Les relations du Maroc et de l’Afrique subsahariennes sont millénaires5 :


d’abord au XIe siècle, avec les caravanes commerciales qui échangeaient
8565

le sel contre l’or du Sahel, par l’influence des confédérations tribales


sahariennes et de celle d’un royaume subsaharien sur l’avènement de la
888

dynastie marocaine des Almoravides ; puis, au XVIe siècle, avec la conquête


418:

militaire de l’empire Songhaï au Sahel par la dynastie des Saadiens. Dans


ces deux périodes, l’empire chérifien (marocain) s’est étendu jusqu’au fleuve
0773

Sénégal. Cette histoire commence en 1035 et on en résume ici les nombreux


rebondissements à partir de l’érudition de Maurice Delafosse6 (même si
:211

certains détails diffèrent selon les sources), afin d’expliquer ensuite l’inter-
prétation des relations culturelles avec le Maroc qui en est faite, un millé-
nitra

naire plus tard, au Sénégal.


G Ke

L’histoire des Almoravides est directement liée à l’islamisation des


Sanhaja, coalition d’importantes tribus berbères du Sahara occidental (les
:ENC

Lemtouna, les Messouffa et les Goddala) qui contrôlait les routes commer-

5. Voir THERY Benoît, « Les enjeux interculturels des investissements du Maroc en


x.com

Afrique de l’Ouest », in Actes du colloque « Voix africaines, voies émergentes »,


Université Paris-Diderot, 22-24 mai 2018, à paraître chez Les Archives contemporaines,
coll. « InterCulturel », 1er semestre 2020.
larvo

6. DELAFOSSE Maurice, Haut Sénégal – Niger (Soudan français). Le Pays, les Peuples,
les Langues, l’Histoire, les Civilisations, Tome II – l’Histoire. Chapitre II – L’empire du
.scho

Ghana (IVe au XIIIe siècles), Emile Larose, 1912.


www
un PAnoRAMA DEs RAcInEs cuLTuRELLEs DE L’AfRIquE 41

ciales entre l’Afrique du Nord et les régions subsahariennes. Yahia ben


Ibrahim, l’émir goddala des Zenaga du désert (ou Sanhaja), partit en pèle-
rinage à la Mecque en 1035. Au retour, il passa par Kairouan où un savant
de l’islam lui conseilla de consulter chez les Berbères Masmouda un autre
savant musulman, Ouaggag, qu’il rencontra en 1038 au Sud du Maroc près
de Sijilmassa dans le Tafilalet (ou à Tiznit dans le Sous selon les sources). Un
disciple de Ouaggag, un Berbère nommé Abdallah ben Yassine, accepta de
partir avec lui dans l’Adrar mauritanien et y commença sa prédication chez
les Goddala, mais son enseignement trop rigoriste fut mal accepté.
Abdallah ben Yassine voulut alors prêcher les Toucouleurs islamisés du
roi du Tekrour, Ouar Diabi (au nord du Sénégal actuel, dans la région de
Podor), mais Yahia ben Ibrahim et Abdallah ben Yassine préférèrent se reti-

0145
rer dans une presqu’île (ou un cordon lagunaire) près de l’embouchure du
fleuve Sénégal (que d’aucuns pensent être le site initial de Saint Louis) pour

0026
y fonder un monastère (ribat).
Des berbères Lemtouna, souvent nobles, y vinrent alors en masse s’y

7:17
faire instruire et s’appelèrent Al Murabittun (« ceux du monastère ») ou
« les Almoravides ». Ils étaient environ 2 000 en 1042 quand le réformateur

0.21
Abdallah quitta les rives du Sénégal, revint prendre le commandement de la
9.16
confédération Lemtouna et devint le chef incontesté de tous les Zenaga du
Sahara occidental. Les Almoravides s’emparèrent de Sijilmassa (aujourd’hui
0.17
Rissani, au Sud-Est du Maroc) sous la conduite de Yahia et d’Abdallah, puis
revinrent au Sahara.
6:16

À la mort de Yahia ben Ibrahim, Abdallah ben Yassine rassembla


8565

toutes les tribus des Zenaga du désert et s’empara en 1054 d’Aoudaghost


(en Mauritanie actuelle), qui était vassale de l’empire du Ghana. Le roi du
888

Tekrour, Ouar Diabi, leur octroya un contingent toucouleur (sous-groupe


peul). Revenant à Sijilmassa, les Almoravides, avec Aboubaker ben Omar
418:

nommé à leur tête par Abdallah, s’emparèrent ensuite du Sous (Sud-Ouest


0773

du Maroc).
Abdallah ben Yassine mourut alors au combat en 1058 ou 1059 et
:211

Aboubaker devint le seul maître de l’empire almoravide. Puis, laissant


son cousin Youssef ben Tachfin gouverner le Maroc et fonder les bases de
nitra

Marrakech en 1062, Aboubaker retourna combattre l’empire du Ghana (si-


G Ke

tué entre les fleuves Sénégal et Niger et pour partie en Mauritanie actuelle) ;
mais quand il voulut retourner au Maroc, Youssef le fit habilement écarter
:ENC

et il dut revenir au Sahel occidental.


Ainsi l’empire almoravide se scinda en une partie Nord, avec Youssef
x.com

ben Tachfin, qui partit ensuite à la conquête de l’Espagne jusqu’à Saragosse,


et une partie Sud avec Aboubaker au Sahara, qui partit à la conquête de
larvo

l’empire du Ghana, dirigé par l’empereur soninké Bassi, qui mourut en


1062 et fut remplacé par son neveu Menin (ou Tankâminîn, selon Al Bâkri),
.scho

succédant à son oncle maternel selon la tradition matriarcale.


www
42 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

L’interprétation de personnalités politiques et religieuses aujourd’hui à


Dakar en est que ce sont des Sénégalais musulmans (ceux du royaume du
Tekrour) qui, en fournissant des troupes aux pieux berbères fondateurs de
la dynastie almoravide, ont permis de « ré-islamiser le Maroc » ! Le premier
noyau des Almoravides aurait été constitué à la fois de Berbères du Sahara
et de talibés (étudiants en religion) de la région du Saint Louis actuel. C’est
ainsi que les Sénégalais auraient contribué à la « conquête du Maroc » et à
la « réislamisation des Marocains » par les Almoravides ...
Pour ces intellectuels sénégalais, il existe ainsi une base historique et
religieuse très solide des relations entre les deux pays et des liens de parenté
de très longue durée entre le Maroc et le Sénégal, depuis l’instauration de la
dynastie almoravide au XIe siècle.

0145
Cinq siècles plus tard, en 1591, les Saadiens (autre dynastie marocaine) et
leurs mercenaires (pour la plupart espagnols) ont conquis l’empire songhaï

0026
(qui occupait une géographie assez proche de l’empire du Ghana, mais in-
cluant une large part du Sénégal actuel, avec pour capitale Gao au Mali). Ils

7:17
lui ont exigé un butin très important en or et en esclaves, rapporté jusqu’à
Marrakech au sultan Ahmed el Mansour.

0.21
Mais cet épisode plus douloureux des relations entre le Maroc et le Sahel
9.16
n’est guère évoqué aujourd’hui au Sénégal … On préfère expliquer qu’il y a
une continuité des rapports entre les deux pays et que ces liens de « paren-
0.17
té » se traduisent aujourd’hui par des liens commerciaux : les Sénégalais ai-
ment les produits marocains, surtout les vêtements, les cuirs (les babouches
6:16

s’appellent « marrakis » en wolof). C’est ainsi que les entreprises et com-


merçants marocains occupent le terrain sénégalais naturellement.
8565

Le tableau page suivante synthétise les relations entre le Maroc et le


888

Sahel occidental, en mettant chronologiquement en parallèle les dynasties


marocaines et les empires sahéliens successifs.
418:
0773
:211
nitra
G Ke
:ENC
x.com
larvo
.scho
www
un PAnoRAMA DEs RAcInEs cuLTuRELLEs DE L’AfRIquE 43

Tableau comparé des royaumes du Maroc et du Sahel et de leurs relations


Maroc Sahel ou « Soudan »
Le premier conquérant arabe
681 du Maghreb, oqba ben nafi,
atteint le Maroc. Empire du Ghana (à dominante
789- Idrissides : Moulay Idriss à Volu- soninké) en Mauritanie et Mali
895 bilis : il fonde fès en 807. actuels.
Almoravides (« les gens du nB. Le royaume du Tekrour, lié
monastère », issus de la confé- à l’empire du ghana et allié
1062- dération berbère saharienne aux Almoravides, était sur la
IVe –
1147 sanhaja) : youssef ben Tachfin rive sud du fleuve sénégal (au
XIIIe
fonde Marrakech en 1062 et un fouta Toro actuel).
siècles
empire du sénégal à saragosse. Le prince almoravide Abou-

0145
Almohades : conquête de 1130 baker ben omar tente une
à 1160 par Abd el Moumen conquête de l’empire du ghana

0026
(inspiré par le prédicateur de (mort de l’empereur Bassi en
1147- 1062, auquel succède son
Tinmal, Mohamed Ibn Toumert)
1269

7:17
qui prend Marrakech en 1147 ; neveu Tankâminîn).
suivi par yacoub el Mansour

0.21
(1184-1199).
Empire du Mali ou du Manden
9.16
Mérinides : issus de la tribu
(à dominante malinké) : fondé
berbère Zenata, conquête de
par soundiata Keita (1230-
0.17
fès en 1248 (et fondation de la XIIIe - 1255) aux Mali, sénégal,
« nouvelle » fès el Jedid) puis de XVe
1265- guinée et sud de la Mauritanie
6:16

Marrakech en 1265. siècles


1465 actuels.
En 1352, le Marocain Ibn (1230-
En 1324, le souverain du Mali,
8565

Battûta voyage au Mali par 1464)


Moussa Ibn Aboubaker, fait
oualata (sud-Est de la Maurita-
un pèlerinage prestigieux à la
888

nie actuelle).
Mecque par Le caire.
418:

Ouattasides, d’origine Zenata,


1420- à fès. hassan al-Wazzan va en Empire du Songhaï : fondé par
0773

1554 mission au songhaï en 1512- XVe - sonni Ali (1464-1492) : aux


1513. XVIe Mali, niger, sénégal, sud de
la Mauritanie actuels (capitale :
:211

Saadiens : prise de Marrakech siècles


en 1524, puis de fès en 1554 ; (1464- gao).
1524- 1591)
nitra

empire jusqu’à Tombouctou et conquête marocaine du son-


1660
gao sous Ahmed el Mansour à ghaï en 1591.
G Ke

Marrakech.
Alaouites : Moulay Rachid, puis
:ENC

1660 Moulay Ismaïl à Meknès en


1672.
x.com

1912 Protectorat français signé à fès. Indépendances des pays fran-


cophones d’Afrique de l’ouest,
1960 après une éphémère « fédéra-
larvo

Indépendance : Mohamed V,
tion du Mali » entre le sénégal
1956 hassan II et Mohamed VI à
et le Mali actuel.
Rabat.
.scho
www
44 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

5. Les empires du Sahel occidental


Trois empires se sont succédé dans l’Ouest sahélien, reposant sur l’agri-
culture, l’élevage, l’exploitation de l’or et des esclaves et le commerce trans-
saharien, notamment du sel. Ce sont le Ghana, le Mali et le Songhaï.

5.1. L’empire du Ghana


Empire du Ghana (et Ghana actuel)

0145
0026
7:17
0.21
9.16
0.17
6:16
8565
888

Source : http://voyagesenduo.com/senegal/3grands_empires CC-BY-SA-4.0


418:

L’empire du Ghana (IVe-XIIIe siècles) était un royaume soninké (du


groupe ethnolinguistique mandingue) au Sud de la Mauritanie actuelle
0773

et à l’Ouest du Mali, avec pour capitale Kumbi Saleh (à l’extrême Sud de


la Mauritanie). Il ne faut pas confondre l’empire du Ghana avec le Ghana
:211

actuel, nom donné à la Côte d’Or par le Président Nkrumah, précisément


nitra

en hommage à l’ancien empire sahélien. Mais ce n’est pas anodin, car cet
ancien royaume sahélien aussi « exporte de l’or vers les pays d’islam et
G Ke

prélève un droit sur les charges de sel et de cuivre qui entrent sans son
pays »7.
:ENC

Kumbi Saleh était sans doute composé de deux villes : la capitale royale
de l’empire, de construction traditionnelle, et à quelque distance une ville
x.com

musulmane, dotée d’une mosquée, qui abritait les commerçants et voya-


geurs originaires d’Afrique du Nord.
larvo

7. FAUVELLE François-Xavier, Le rhinocéros d’or. Histoires du Moyen Age africain,


.scho

Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2015.


www
un PAnoRAMA DEs RAcInEs cuLTuRELLEs DE L’AfRIquE 45

Son apogée fut vers l’an 1 000 avec le souverain Khaya Maghan Cisse,
et son déclin avec l’invasion almoravide au XIe siècle par Aboubaker Ben
Omar, qui impose l’islam au souverain Tankâminîn.
L’empire est connu par les récits d’Al Bakri (XIe siècle) et Al Idrissi
(XIIe siècle).

5.2. L’empire du Mali (ou Manden)

Empire du Mali (et Mali actuel)

0145
0026
7:17
0.21
9.16
0.17
6:16
8565
888
418:

Source : http://voyagesenduo.com/senegal/3grands_empires CC-BY-SA-4.0


0773

À dominante malinké, il est fondé en 1230 par le célèbre Soundiata


Keïta. Il est situé au Mali, Sénégal, Guinée et au Sud de la Mauritanie ac-
:211

tuels, avec pour capitale supposée Niani (à la frontière actuelle de la Guinée


et du Mali) ; mais cette hypothèse est jugée peu probable aujourd’hui en
nitra

l’état présent des recherches archéologiques et la capitale reste donc non


localisée. Marchands arabes, berbères, égyptiens, persans vivaient aussi
G Ke

dans la capitale, selon Ibn Battûta, qui prétend y être allé lui-même en 1352
ou 1353.
:ENC

Oualata (Sud de la Mauritanie) était la porte (berbère et musulmane)


x.com

de l’empire du Mali. Il connut son apogée au XIVe siècle avec l’empereur


Moussa, qui fit un pèlerinage fastueux à La Mecque en 1324. Moussa (en-
viron 1312-1337) et Souleymane (environ 1341-1360) sont les empereurs
larvo

mandingues les plus connus de l’époque. Ils sont musulmans, mais la majo-
rité du peuple est restée fidèle aux religions traditionnelles et les empereurs
.scho
www
46 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

ménagent les deux religions, cultivant le prestige de l’islam et respectant les


croyances de leur peuple.
Tombouctou, Gao et Djenné deviennent des capitales commerciales et
intellectuelles.
L’empire réunit aussi des royaumes vassaux. Mais il implose au XVe siècle
par les attaques de peuples divers : les Touareg, les Mossis et surtout les
Songhaï (et même par les rebellions des Bambaras qui appartiennent pour-
tant aussi au groupe mandingue).
L’empire est connu par les écrits d’Ibn Battûta et d’Al Omari, par la tra-
dition orale (dont la Charte du Mandé) et par l’architecture (Tombouctou,
Gao, Djenné).

0145
5.3. L’empire Songhaï

0026
Empire Songhaï

7:17
0.21
9.16
0.17
6:16
8565
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418:
0773
:211
nitra

Source : http://voyagesenduo.com/senegal/3grands_empires CC-BY-SA-4.0


G Ke

L’empire Songhaï connut deux dynasties. D’abord, un prince guerrier


:ENC

songhaï (du groupe linguistique nilo-saharien), Sonni Ali, qui règne de


1464 à 1492, conquiert Tombouctou (1468) et Djenné (1473).
x.com

Ensuite, Askia Mohamed Touré, un Soninké du Fouta Toro (Nord


Sénégal) prend le pouvoir en 1493 et organise l’empire qui couvre le Mali, le
larvo

Sénégal, le Niger et le Sud de la Mauritanie actuels. Il inclut même Kano au


Nord du Nigeria. Sa capitale est Gao (Mali), qui appartient à l’aire culturelle
.scho
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un PAnoRAMA DEs RAcInEs cuLTuRELLEs DE L’AfRIquE 47

des Songhaï, et les principales villes Oualata (Mauritanie), Tombouctou et


Djenné (Mali).
Mais ses fils se disputent l’héritage et ruinent l’empire : celui-ci est
conquis en 1591 par les mercenaires du Sultan Ahmed Al Mansour, qui
le rattache à l’empire marocain des Saadiens et exige qu’on lui rapporte à
Marrakech un énorme butin en or et en esclaves.
L’empire est connu par Hassan Al Wazzan (Léon l’Africain, XVe-
XVIe siècles) et par l’architecture (en particulier à Tombouctou). De plus,
les chroniques de Tombouctou (parchemins en arabe du XVIIe siècle) don-
neront des épopées des empires du Mali et du Songhaï.

0145
6. Les royaumes du Kanem – Bornou

0026
Le royaume du Kanem était depuis le VIIIe siècle un État pastoral au
Nord du Lac Tchad, contrôlé par les Zaghawa (de langue nilo-saharienne).

7:17
Il était gouverné depuis 1085 environ, avec le roi Oumé Ibn Selma, par la
dynastie musulmane Saifawa (ou Sayfuwa) : elle introduit l’islam dans le

0.21
Kanem au XIe siècle, selon Al Bakrî. À cette époque, l’influence des Saifawa
s’étend du Fezzan (Sud de la Libye) jusqu’au pays haoussa (Nord du Nigeria).
Le Kanem était spécialisé dans le commerce des esclaves : il entretenait 9.16
0.17
des liens étroits avec l’Egypte d’où il importait des chevaux, qui lui ser-
vaient à razzier les esclaves, qu’il exportait ensuite en Afrique du Nord. Les
6:16

esclaves étaient prélevés au Sud du lac Tchad, où les habitants n’étaient pas
musulmans.
8565

Menacés au Kanem au XIIIe ou au XIVe siècle, les Saifawa s’installèrent


888

au Bornou (Nord du Nigeria actuel), au sud-ouest du Lac Tchad. Le Bornou


était dirigé par une aristocratie de cavaliers, à qui les communautés agri-
418:

coles versaient tribut. L’esclavage demeurait la principale exportation de


0773

l’État. Au XVe siècle, la capitale est fixée à Gazargamo (dans l’État de Yobé
de l’actuel Nigeria), une grande cité dans une vallée fertile, au débouché
des routes commerciales transsahariennes venant de Tripoli : elle restera la
:211

capitale de 1472 à 1809.


nitra

Au XVIe siècle, Idriss Alaoma (1571-1603), le plus célèbre roi guerrier


du Bornou, qui se proclame « Commandeur des croyants », établit sa
G Ke

domination sur plusieurs peuples d’agriculteurs voisins dans toute la région


du Lac Tchad (au Sud du Tchad actuel, au Nord du Nigeria et du Cameroun
:ENC

et au Sud du Niger). Les Kanuri, des cavaliers nilo-sahariens, dominent


alors le royaume.
x.com

Au XVIIe siècle, le royaume du Kanem-Bornou était administré par des


esclaves royaux et les provinces voisines par des vassaux militaires.
larvo

La capitale Gazargamo est détruite en 1808 par les Peuls du réformateur


.scho

musulman Ousmane dan Fodio : le souverain du Bornou, Muhammad el


www
48 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Kanemi, doit déplacer sa capitale à Kukawa (dans l’État actuel du Borno au


Nigeria).
Bien qu’en rivalité avec les Peuls, le Kanem-Bornou dura plus de mille
ans (et la dynastie Saifawa de 1085 à 1846) : il fut sur ce millénaire le plus
grand fournisseur d’esclaves au monde « arabo-islamique ».8 Les esclaves
étaient répartis entre « l’exportation » vers l’Afrique du Nord et les travaux
agricoles de l’empire, où certains esclaves pouvaient eux-mêmes accéder à
des fonctions administratives ou de commandement. L’explorateur alle-
mand Gustav Nachtigal9 est encore témoin en 1872 d’une razzia d’esclaves
opérée par des guerriers du Bornou.10
Aujourd’hui, la secte terroriste Boko Haram intervient sur le territoire
de l’ancien empire du Kanem Bornou et tenterait parfois de s’en réclamer

0145
pour essayer de rallier des partisans qui connaissent l’histoire célèbre de
cet empire, qu’on pourrait qualifier de guerrier, islamiste et esclavagiste.

0026
Néanmoins, cette revendication ne fait pas l’unanimité des spécialistes, qui

7:17
estiment que Boko Haram a d’autres références.

0.21
7. Les royaumes bantous d’Afrique centrale, orientale et
9.16
australe 0.17

L’« expansion bantoue » traduit les migrations, sur plusieurs millé-


naires, de populations du sous-groupe linguistique « bénoué-congo ». Cette
6:16

appellation provient de la rivière Bénoué, qui indique leur origine dans les
8565

grassfields de la région frontalière du Nigeria et du Cameroun actuels, et du


bassin du Congo qui sera leur première zone d’expansion. Ces migrations
888

se dirigèrent vers l’Est et vers le Sud du continent, pour occuper presque


toute la zone subéquatoriale de l’Afrique.
418:
0773

7.1. L’Afrique centrale : royaumes du Kongo et du Rwanda


Le royaume du Kongo (XIVe – XIXe siècles) :
:211

Fondé par le roi Ntimuwene, le Kongo s’étend sur un territoire au


nitra

sud-ouest de l’actuelle République Démocratique du Congo, au sud de la


République du Congo, au nord de l’Angola et dans une partie du Gabon.
G Ke

Sa capitale est Mbanza-Kongo (qui deviendra Sâo Salvador). Le royaume


provient d’une conquête d’un clan royal, les Mwissikongo, sur les chefferies
:ENC

locales, dont les captifs étaient réduits en esclavage pour travailler la terre.
x.com

8. ILIFFE John, Les Africains. Histoire d’un continent, Flammarion, 2009.


9. Nachtigal sera ensuite, au moment de la Conférence de Berlin, le représentant de
Bismarck pour signer dès 1884 avec le roi de Douala le premier traité de protectorat
larvo

allemand sur le Cameroun.


10. Voir FAUVELLE François-Xavier (dir.), De l’Acacus au Zimbabwe. 20 000 avant notre
.scho

ère – XVIIe siècle. L’Afrique ancienne, Belin, 2018.


www
un PAnoRAMA DEs RAcInEs cuLTuRELLEs DE L’AfRIquE 49

Le royaume établit une armée centralisée, un système de tribut sur les chef-
feries et une monnaie de coquillages.11
Les Portugais établissent un premier contact en 1483. Ils reviennent en
1485 avec des artisans et des missionnaires et échangent des cadeaux avec
le roi Nzinga Nkuwu, qui sera baptisé Joâo Ier. Son fils Alfonso Ier encourage
le christianisme, les échanges commerciaux se développent avec le Portugal
et les échanges diplomatiques avec des pays européens. Son propre fils
Henrique part faire des études à Lisbonne et à Rome et il deviendra en 1518
le premier évêque catholique subsaharien.
Mais Alfonso s’oppose en 1526 au Portugal sur l’esclavage12, que les
Portugais voudraient exporter pour leur toute nouvelle colonie du Brésil,
et les relations se distendent. Cependant, son successeur Alvaro Ier, menacé

0145
par les Yaka, un peuple de razzieurs nomades qui prennent Mbanza Kongo
en 1568, demande l’aide du Portugal, qui le rétablit au pouvoir en 1571.

0026
Les Portugais créent en 1576 le port de Luanda, juste au Sud du royaume

7:17
du Kongo. À partir de Luanda, ils fondent leur propre colonie, qui devien-
dra l’Angola, et le Kongo tend à devenir de fait un protectorat portugais,

0.21
malgré la résistance de la reine Ana Nzinga (1626-1648). En 1665, les colons
d’Angola veulent s’emparer des mines de cuivre du Kongo et tuent le roi
Antonio Ier. Cependant, le Kongo reste formellement indépendant jusqu’au 9.16
XIXe siècle et échappe aux Portugais à la Conférence de Berlin (1884-1885).
0.17
6:16

Le royaume du Rwanda :
8565

Il apparaît au XVIIIe siècle avec une configuration politique originale :


15 à 20 clans totémiques (c’est-à-dire se référant à un animal considéré
888

comme protecteur ou symbole d’une tribu), qui regroupent des éleveurs


tutsis en plaine, des agriculteurs hutus sur les collines et des chasseurs ou
418:

artisans twa (qui seraient d’origine pygmée). Les chefs de clan peuvent être
0773

hutus ou tutsis, mais le clan dominant est dirigé par un Tutsi, considéré
comme roi et assorti d’une cour. Tous parlent kinyarwanda (une langue
:211

bantoue), mais la société est dominée par les armées tutsies.


Le royaume, le plus peuplé et le plus puissant de la région jusqu’à la fin
nitra

du XIXe siècle, restait fermé aux échanges extérieurs.


G Ke

La croissance démographique entraîne une concurrence pour les terres.


Au XIXe siècle, la domination tutsie se renforce sous le roi Kigeri Rwabugiri
:ENC

et les armées tutsies étendent leur royaume dans toutes les régions et im-
posent aux Hutus un tribut en nature et en corvées en échanges de terres.13
x.com

En 1894, les Allemands imposent à leur tour un protectorat au royaume,

11. ILIFFE John, Les Africains. Histoire d’un continent, Flammarion, 2009.
larvo

12. John ILIFFE écrit qu’en réalité, Alfonso Ier avait voulu limiter le trafic d’esclaves parce
qu’il échappait à son propre contrôle.
.scho

13. ILIFFE John, Les Africains. Histoire d’un continent, Flammarion, 2009.
www
50 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

mais ils le perdent au profit des Belges par le traité de Versailles (1919). Le
gouvernement belge s’appuie alors sur les autorités et les aristocrates tutsis
du royaume.
On considère souvent aujourd’hui que les colonisateurs allemands, puis
belges, auraient mal compris les structures claniques et privilégié une inter-
prétation ethnique des classes « socioprofessionnelles » de la population. De
fait, les Belges auraient pratiqué une discrimination en favorisant l’accès
des Tutsis à l’éducation et à la fonction publique, accroissant l’antagonisme
avec les Hutus qui existait déjà avant le protectorat.14
Des révoltes hutues contre les Tutsis éclatent en 1959 et, les Tutsis étant
minoritaires, ils sont poursuivis et massacrés, et le gouvernement royal
quitte le pays en 1960 pour l’Ouganda, avec plus de 200 000 Tutsis en exil.

0145
En 1962, la Belgique accorde l’indépendance au Rwanda sous forme d’une
République, alors dominée par les Hutus majoritaires.

0026
L’histoire se répètera à maintes reprises. Les Tutsis exilés veulent reve-

7:17
nir au pays, mais leurs tentatives de retour par la force échouent (malgré
la création en 1987 du « Front patriotique rwandais » – FPR, soutenu par

0.21
l’Ouganda). En dépit de la démocratisation du pays (sous la pression des
partis hutus d’opposition et des bailleurs de la coopération internationale),
ces tentatives de retour entrainent de nouveaux massacres de Tutsis et donc 9.16
de nouveaux exils en 1967, 1973, 1990, 1991, 1992 et 1993, jusqu’au génocide
0.17

de 1994 (au moins 800 000 morts, tutsis et hutus modérés), qui sera arrêté
6:16

par la victoire finale du FPR en juillet 1994.


8565

7.2. L’Afrique orientale : la civilisation swahilie


888

En Afrique orientale, la culture bantoue va rencontrer la culture asia-


418:

tique sous diverses formes, mais d’abord sous l’influence islamique du Sud
de la péninsule arabique (Yémen et Oman) et du golfe Persique (la région
0773

perse de Chiraz). Cela va donner sur les côtes de l’Afrique orientale la « civi-
lisation swahilie ». Le swahili est une langue de structure bantoue, mais
:211

avec des emprunts de vocabulaire arabe et parfois persan : « sawâhil » en


arabe signifie « les côtes » (et la région swahilie celle des côtes d’Afrique de
nitra

l’Est).15 Le swahili est devenu aujourd’hui, avec l’anglais, la langue véhicu-


laire de l’Afrique de l’Est, jusqu’au Congo.
G Ke

La civilisation swahilie s’étend à partir du Xe siècle du Nord au Sud le


:ENC

long de la côte de l’océan Indien et répand l’islam, de façon peu rigoriste,


chez les élites africaines sous l’influence des Arabes et des Persans. C’est
x.com

d’abord un réseau de commerçants musulmans qui domine la côte orien-


tale de l’Afrique, allant de Mogadiscio (Somalie) à Sofala (Mozambique),
larvo

14. Voir VANSINA Jan, Le Rwanda ancien : le royaume Nyiginya, Karthala, 2001.
15. Le mot swahili le plus connu en Europe est « safari » : il vient de l’arabe « safar » qui
.scho

signifie « voyage ».
www
un PAnoRAMA DEs RAcInEs cuLTuRELLEs DE L’AfRIquE 51

mais centré surtout sur les côtes des actuels


Kenya et Tanzanie, avec ses cités-États (ou îles-
États) de Lamu, Malindi et Mombasa (Kenya)
et de Pemba, Zanzibar et Kilwa (Tanzanie).
Il est aussi en relations avec les Comores et
Madagascar dans l’océan Indien.
Les Swahilis commercent avec le Yémen,
Oman, la Perse, l’Inde et même la Chine. Ils
échangent des produits asiatiques (à l’origine,
bananier, canne à sucre, cocotier, puis riz,
coton, cannelle, céramiques, verrerie) contre
l’or, des textiles, des peaux de léopard … et
bien sûr les esclaves pour l’Irak, la Perse et

0145
même l’Indonésie et la Chine.

0026
On appelait la côte de l’Afrique orientale la
« côte des Zanj » pour désigner la population

7:17
bantouphone. Mais le nom est surtout célèbre
par la révolte de grande ampleur des esclaves

0.21
Zanj dans l’empire abbasside dans la seconde
moitié du IXe siècle, où ils étaient utilisés no-
9.16
Auteur Vincnet G [CC BY-SA
(https://creativecommons.org/ tamment pour mettre en valeur agricole les 0.17
licenses/by-sa/2.5)] marais du Sud de l’Irak.
Sur ce qui est aujourd’hui la côte kenyane, il s’agit de cités-États patri-
6:16

ciennes, dirigées par les riches commerçants musulmans, qui se procurent


marchandises et esclaves dans l’arrière-pays. Plus au Sud (en Tanzanie ac-
8565

tuelle), il s’agit d’États hiérarchisés, dominés d’abord par Kilwa, puis par
Zanzibar.
888

Kilwa s’est surtout développée au XIVe et XVe siècles. Le sultan al-Hassan


418:

Ibn Sulaymân (1310-1333) fait construire deux œuvres architecturales


remarquables : une Grande Mosquée et le palais Husuni Kubwa (le « grand
0773

château » en swahili).16 L’île de Kilwa contrôle le commerce de l’or venu du


Sud (plateau du Zimbabwe) et acheminé par le port de Sofala (aujourd’hui
:211

au Mozambique), ainsi que du fer, de l’ambre, des peaux de léopard et du


nitra

bois précieux.
Les cités swahilies connaissent un nouvel essor commercial à partir
G Ke

du XVe siècle avec les développements de l’empire ottoman, de Malacca


(Malaisie) ou de Calicut (Inde) et le dynamisme du commerce avec la Chine
:ENC

des Ming.
x.com
larvo

16. Voir FAUVELLE François-Xavier (dir.), De l’Acacus au Zimbabwe. 20 000 avant notre
.scho

ère – XVIIe siècle. L’Afrique ancienne, Belin, 2018.


www
52 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Les Portugais découvrent la civilisation swahilie dans les dernières an-


nées du XVe siècle : dès lors, ils prennent Sofala en 1503 et Kilwa en 1505, ils
pillent Mombasa mais ils s’allient à Malindi.
Zanzibar, dirigé par un roi swahili, était sous l’influence persane de
Chiraz dès le VIIIe siècle, mais le sultanat d’Oman y établit un fort à la
fin du XVIIe siècle. Dès lors, Oman en prend progressivement le contrôle,
notamment pour la répartition des flux d’esclaves. Le royaume de Zanzibar
les fait capturer dans toute la région du Lac Tanganyika et les utilise en
partie pour ses plantations de girofliers et de cocotiers, et en partie pour
l’ « exportation ».
Oman érige en 1861 un second sultanat à Zanzibar (il en fera même plus
tard le siège temporaire de sa capitale, à la place de Mascate). Sous la pression

0145
des Britanniques, qui ont aboli l’esclavage en 1834 et qui contrôlent l’océan
Indien, la traite disparait progressivement, jusqu’à ce que les Britanniques

0026
imposent leur protectorat à Zanzibar en 1890.17

7:17
7.3. L’Afrique australe

0.21
Les royaumes de Mapungubwé, du Grand Zimbabwe et du
Monomotapa :18
Le royaume de Mapungubwé (« la colline aux chacals ») apparaît 9.16
0.17

d’abord à la fin du Xe siècle sur la rive Sud du fleuve Limpopo (à la frontière


des actuels Mozambique et République d’Afrique du Sud). C’est un grand
6:16

centre d’échanges, qui exporte de l’ivoire vers la Perse, l’Inde et la Chine


8565

via l’océan Indien.19


Il est remplacé, un peu plus au Nord, par le royaume du Zimbabwe à la
888

fin du XIIIe siècle entre les fleuves Limpopo et Zambèze, avec pour capitale
Grand Zimbabwe (qui signifie « maison de pierre »). Il était établi sur le pla-
418:

teau zimbabwéen sur des territoires des actuels Zimbabwe et Mozambique.


0773

Les Shonas y construisirent des villes de pierre remarquables, avec des rem-
parts et des tours. Une centaine de sites monumentaux fortifiés avec des
:211

enceintes de pierres y ont été retrouvés.


Le royaume connut son apogée au XIVe siècle. En utilisant le port de
nitra

Sofala, il faisait le commerce de l’or et de l’ivoire avec l’Inde contre des


G Ke

textiles, puis le commerce des esclaves avec les États swahilis de Zanzibar
et de Kilwa.
:ENC

17. Après l’indépendance du Tanganyika en 1961 et de Zanzibar en 1963, Zanzibar se


x.com

rattachera au Tanganyika en 1964 pour former la République unie de Tanzanie. Le


swahili est avec l’anglais la langue officielle de la Tanzanie (mais il est beaucoup plus
largement compris que l’anglais).
larvo

18. Voir ILIFFE John, Les Africains. Histoire d’un continent, Flammarion, 2009.
19. FAUVELLE François-Xavier, Le rhinocéros d’or. Histoires du Moyen Âge africain,
.scho

Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2015.


www
un PAnoRAMA DEs RAcInEs cuLTuRELLEs DE L’AfRIquE 53

Il fut suivi au XVe siècle par le royaume de Monomotapa (1450-1629).


En effet, vers 1440, Nyatsimba Mutota commence la conquête du plateau
zimbabwéen et son fils Matope (1450-1480) la poursuit. Mais le royaume fut
conquis en 1629 par les Portugais.
Le royaume zoulou :
Chaka, un remarquable chef de guerre (1787-1828), prit le pouvoir sur les
Zoulous grâce à ses talents de stratège militaire et il conquiert un royaume
(cf. aujourd’hui la Province du KwaZulu Natal en République d’Afrique du
Sud).
Il est assassiné par son demi-frère Dingane, qui accorde en 1837 une
terre aux « Voortrekkers » hollandais (« ceux qui vont de l’avant »), qui
remontent de la Province du Cap vers le Nord, mais il en fait tuer 70 par

0145
ruse en 1838. Dans la bataille de Blood River qui s’ensuit avec les Boers de
Pretorius, 3 000 Zoulous sont tués.

0026
Puis, dans la bataille des Boers, cette fois avec les Anglais en 1842,

7:17
Mpande, le demi-frère de Dingane, s’allie aux Anglais vainqueurs.
Son fils Cetshwayo lui succède en 1872 : refusant un ultimatum anglais en

0.21
1878, il est battu dans la bataille qui s’ensuit en 1879. Mais le 1er juin 1879, les

9.16
Zoulous ont tué le prince impérial Napoléon-Eugène, fils de Napoléon III,
qui s’était engagé dans l’armée britannique … Cetshwayo est exilé au Cap,
0.17
mais obtient en 1882 de la reine Victoria d’être réinvesti roi des Zoulous.
6:16

Son fils Dinuzulu crée le Zululand en 1884 comme État indépendant,


mais il est annexé par les Britanniques en 1897.
8565

Son fils Solomon crée le mouvement Inkatha Ya Kwa Zulu en 1923. Plus
tard, le prince Mangosuthu Buthelezi fonde le Inkhata Freedom Party en
888

1975 dans la République d’Afrique du Sud actuelle.


418:
0773
:211
nitra
G Ke
:ENC
x.com
larvo
.scho
www
0145
CHAPITRE 4

0026
LES PRISES ET EMPRISES EXTÉRIEURES

7:17
0.21
Après un panorama historique des acteurs africains, on aborde ici le
rôle des acteurs extérieurs qui vont chercher à s’approprier l’Afrique ou les
Africains. Par les « prises et emprises extérieures » sur l’Afrique, on veut 9.16
parler ici, non plus des États africains historiques, mais de trois grands
0.17

mouvements distincts, d’origine non africaine, mais qui vont avoir un im-
6:16

pact très fort sur l’Afrique :


• les primo-colonisations : elles ne sont pas fondées sur des conven-
8565

tions internationales, mais sur des initiatives extérieures, publiques ou


privées, de certains États ou d’intérêts commerciaux ;
888

• les traites internationales d’esclavage africain, s’appuyant sur l’es-


418:

clavage interne à l’Afrique ;


0773

• la colonisation « officielle » de l’Afrique, découlant de la Conférence


de Berlin (1884-1885) et résultant d’un accord longuement négocié entre
:211

pays européens. Au moment où commence cette colonisation, les États


européens ont déjà aboli l’esclavage (et les Américains aussi en 1865).
nitra

Par conséquent, à l’exception des Portugais, la traite « atlantique » et la


colonisation européenne sont deux phénomènes distincts et non-conco-
G Ke

mitants.
:ENC

1. Les primo-colonisations portugaise et hollandaise


x.com

1.1. La colonisation portugaise


larvo

La colonisation portugaise est la première colonisation européenne (si


.scho

l’on ne remonte pas à l’antiquité gréco-romaine) : il faut souligner le rôle


www
LEs PRIsEs ET EMPRIsEs EXTéRIEuREs 55

exceptionnel de ce pays, dans la mesure où sa colonisation commence


trois siècles avant celle des autres États européens, au XVIe siècle et non au
XIXe siècle. Pour les seuls Portugais, colonisation et traite des esclaves afri-
cains sont liés : Luanda devient un comptoir négrier en 1567 parce que les
Portugais veulent des bras pour défricher et cultiver leur empire brésilien et
parce que le Pape Paul III a interdit en 1537 l’esclavage des Amérindiens. Et
les Portugais commencent à coloniser l’Angola de l’intérieur.
Luanda est une enclave atlantique, au Nord de l’embouchure du fleuve
Cuanza (ou Kwanza). C’est un nœud de communication entre le Portugal,
le Brésil et l’intérieur de l’Angola, que les Portugais colonisent progressive-
ment en remontant le fleuve. Des terres le long du fleuve sont octroyées par
le pouvoir royal de Lisbonne à des colons ou à des ordres missionnaires.

0145
Des forteresses sont bâties sur le fleuve, en points d’appui pour coloniser
l’intérieur du pays.

0026
À cette époque ancienne, la première colonisation est masculine, car
l’environnement sanitaire paraît trop difficile pour les familles portugaises.

7:17
Ce sont donc des militaires, des administrateurs, des commerçants et des

0.21
missionnaires. Du fait de l’expatriation masculine, les Portugais prennent
femme en Afrique (à une échelle qui restera unique pour les Européens) et
9.16
une élite métisse se développe. 0.17
Ces femmes africaines, les Donas, sont souvent privilégiées1 : quand
leur mari meurt (maladies tropicales et paludisme aidant), elles dirigent les
6:16

grandes fermes coloniales. La tradition matrilinéaire africaine de la suc-


cession par les femmes reprend ses droits quand le mari n’est plus là pour
8565

faire valoir le droit latin de succession par la lignée masculine (qui pourrait
privilégier un fils aîné resté au Portugal). Le métissage peut aussi provenir
888

de l’union illégitime avec l’esclave de maison qui devient concubine.


418:

Sous la vigilance de sa mère, c’est donc souvent le métis angolais qui


hérite. De plus, il a bénéficié d’une éducation portugaise par son père et il
0773

parle, lit et écrit portugais, comme il parle sa langue africaine maternelle.


S’il ne devient pas propriétaire foncier ou négociant, il fait un fonctionnaire
:211

idéal, trait d’union entre le gouvernement colonial et la population afri-


nitra

caine analphabète. Les métis deviennent les interprètes et les « secrétaires »


de la colonisation : ils transmettent les requêtes des chefs coutumiers aux
G Ke

autorités coloniales, ils écrivent ou traduisent les décisions et actes officiels,


ils tiennent les archives. Ils exercent un pouvoir intermédiaire.
:ENC

Cette situation sera comparable au Mozambique, en Guinée Bissau, à


Sao Tomé-et-Principe et surtout aux îles du Cap-Vert où, du fait de l’in-
x.com

sularité, la majorité de la population s’est plus ou moins métissée avec les


Portugais. Ceux-ci ont d’ailleurs une longue série de mots distincts pour
larvo

1. Séminaire de Catarina MADEIRA-SANTOS à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes en


.scho

Sciences Sociales, Paris.


www
56 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

définir le degré de métissage entre Portugais et Africains (que ce soit en


Afrique ou au Brésil).
Deux siècles après le début de la colonisation, le marquis de Pombal
(1699-1782), ministre des Affaires étrangères du Portugal, s’inquiète de la
faiblesse portugaise en Afrique. Il y modernise les infrastructures et équi-
pements, ce qui l’aide à introduire une politique de peuplement portugais.
Il encourage l’expatriation familiale, fait venir en Afrique des familles
portugaises pauvres des Açores, fonde 12 nouvelles villes en Angola avec
50 couples portugais pour chacune ...
Dans des pays immenses comme l’Angola et le Mozambique, la popula-
tion portugaise reste très faible et la mortalité des Européens reste forte …
Jusqu’au XXe siècle, le pouvoir demeure donc largement délégué aux métis

0145
et même à des royaumes africains locaux dans les provinces éloignées.

0026
1.2. La colonisation hollandaise en Afrique du Sud

7:17
En 1652, 90 Hollandais démarrent l’aventure des Boers en débarquant
au cap de Bonne-Espérance pour le compte de la Compagnie néerlandaise

0.21
des Indes orientales2.

9.16
La région était alors occupée par des peuples « autochtones » d’Afrique
australe, car les Bantous, agriculteurs venus du Nord et arrivés dans la
0.17
région vers l’an 500, trouvaient cette terre inhospitalière avec ses pluies
froides d’hiver (où la température peut tomber à 0°). Il restait donc surtout
6:16

les Khoikoi ou Hottentots, éleveurs nomades, et les San ou Bochimen, chas-


seurs-cueilleurs, tous deux du groupe khoïsan ou khoï (langues à clics).
8565

Néanmoins, ils étaient déjà plus ou moins métissés avec des peuples ban-
tous, notamment avec les Xhosa.
888

Les relations avec les Hollandais devinrent mauvaises quand ceux-ci


418:

installèrent de très grandes fermes, dont les limites repoussaient les terres
0773

de pâturage ou de chasse des autochtones, ou massacraient leur gibier avec


des fusils. Pour développer leur économie, les Hollandais firent alors venir
plutôt des esclaves d’Inde, d’Indonésie ou de Madagascar, comme servi-
:211

teurs au Cap ou ouvriers agricoles dans la Province. En effet, ils ne pou-


nitra

vaient recourir aux tribus locales avec lesquelles ils étaient en conflit et qui
n’avaient pas d’expérience agricole. Les Hollandais étaient particulièrement
G Ke

durs avec leurs esclaves qui, importés hors du continent, leur coûtaient cher
et qu’ils voulaient rentabiliser au maximum.
:ENC

Dans les années 1700, les Européens les plus pauvres tentèrent leur
chance comme pionniers en se déplaçant vers le Nord dans des chariots
x.com

tirés par des bœufs : ce furent les « Trekboers » (« paysans voyageurs »).
Accompagnés par des hommes armés à cheval, les « commandos », ils vo-
larvo

laient au besoin du bétail aux Khoikhoi. Ils se heurtèrent aussi à l’opposi-


.scho

2. Voir ILIFFE John, Les Africains. Histoire d’un continent, Flammarion, 2009.
www
LEs PRIsEs ET EMPRIsEs EXTéRIEuREs 57

tion des San, dont ils tuaient le gibier, mais ces derniers réussirent à stopper
leur progression, malgré de nombreuses pertes humaines de 1770 à 1800.
D’autres Trekboers, progressant vers l’Ouest, se heurtèrent aux Xhosa et
leur livrèrent quatre guerres de 1779 à 1803.
Ces rudes pionniers se construisirent une nouvelle identité tribale
d’« Afrikaners », tandis que leurs cousins hollandais urbanisés se virent
évincer du Cap par les Britanniques en 1806. Cela eut pour conséquences
d’introduire dans la Province l’anglais comme langue légale, l’église an-
glicane comme confession officielle et surtout l’abolition de l’esclavage
par les Britanniques en 1834. Cela suscita une nouvelle vague de pion-
niers hollandais partant vers le Nord. Il restait alors à ces successeurs, les
« Voortrekkers » (« ceux qui vont de l’avant »), le plus difficile à faire : en

0145
remontant jusqu’au Natal, affronter les armées organisées des Zoulous …

0026
2. L’esclavage et la saignée des traites négrières arabe et
occidentale

7:17
0.21
L’aperçu historique précédent montre que l’esclavage a toujours existé
de façon multiforme en Afrique (comme d’ailleurs dans différentes régions
9.16
du monde à différentes époques). Pour simplifier, on peut distinguer trois
types d’esclavage africain : l’esclavage interne à l’Afrique, la traite dite « ara-
0.17
bo-islamique » et la traite « atlantique ».
6:16

2.1. L’esclavage africain interne


8565

Il a existé dans beaucoup d’ethnies, surtout comme butin de guerres


locales ou de razzias organisées. La Charte du Manden (cf. chapitre 2)
888

condamne l’esclavage en 1222 au Mali, mais ce n’est pas pour autant qu’il
418:

y disparut, comme on le verra plus loin. On distingue l’esclavage de « cou-


ronne » (notamment militaire ou celui de « cour »), celui des « champs »
0773

(durs travaux collectifs, comme le défrichage) et celui de « case » (travaux


domestiques). Il apparaît par ailleurs qu’en périodes de famines, certaines
:211

personnes se constituaient volontairement esclaves pour être nourries par


leur maître.
nitra

Les esclaves de couronne pouvaient acquérir des responsabilités en-


G Ke

viables en fonction de leurs talents, et les esclaves militaires en fonction de


leurs capacités guerrières. « Les captifs de couronne jouissaient d’une consi-
:ENC

dération et de privilèges qui justifiaient à eux-seuls leur attachement pour


leur maître … Cette condition était héréditaire et transmise de dynastie à
x.com

dynastie … ces captifs restaient toujours la propriété du royaume. »3


L’esclavage africain est souvent présenté comme moins dur que celui de
larvo

la traite étrangère. Par exemple, les esclaves de case pouvaient se marier


.scho

3. TIDIANE N’DIAYE, Le génocide voilé. Enquête historique, Gallimard, Folio, 2017.


www
58 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

avec des hommes ou femmes libres et leurs enfants devenaient affranchis.


Dans le Califat islamique de Sokoto (Nord du Nigeria actuel) au XIXe siècle,
les esclaves étaient capturés par les cavaliers du Califat chez les peuples non
islamisés des alentours dans des razzias annuelles. Regroupés, ils pouvaient
vivre en famille et cultiver leur propre parcelle, mais ils devaient aussi
travailler les champs de leur maître, noble foulbé (peul) ou commerçant
haoussa. Leur statut était donc plus proche du servage. La loi du Califat
considérait comme libres les enfants nés d’un père libre et d’une mère es-
clave.
Ainsi, l’esclavage africain avait des statuts variés. Outre ceux déjà ci-
tés, l’esclavage judiciaire à l’encontre de criminels ou de débiteurs insol-
vables était pratiqué dans différentes parties de l’Afrique. Au royaume du

0145
Dahomey (XVIIe au XIXe siècles, au Bénin actuel), État militariste connu
pour son fameux corps d’amazones, « tous les esclaves capturés apparte-

0026
naient au roi et ils étaient traités avec une extrême cruauté ».4 Ils étaient par
centaines les premières victimes des sacrifices humains lors des « coutumes

7:17
annuelles » et a fortiori lors des « grandes coutumes » pour les funérailles
d’un souverain.

0.21
Le royaume voisin d’Ashanti (État akan du XVIIe au XXe siècles, avec

9.16
pour capitale Kumasi au Ghana actuel), également très militariste, exigeait
1 000 esclaves par an des peuples tributaires non akans.
0.17

L’esclavage interne à l’Afrique a été nettement renforcé par l’« exporta-


6:16

tion » vers les pays arabes ou l’Amérique, notamment celle pratiquée par
les royaumes du Kanem-Bornou pour la traite « islamique » et celle des
8565

royaumes du golfe de Guinée pour la traite atlantique ... La traite islamique


et la traite atlantique ont ainsi stimulé la capture et la vente d’esclaves pour
888

« l’exportation » par les royaumes, chefferies ou trafiquants africains.


418:

En Afrique de l’Ouest, la capture d’esclaves par les monarques ou tra-


fiquants africains pour la traite atlantique excédait même souvent la de-
0773

mande occidentale et les possibilités logistiques des bateaux. Beaucoup


d’esclaves étaient alors reversés dans la production agricole et l’artisanat.
:211

Mais de ce fait, les corporations d’artisans investies par les esclaves se sont
trouvées socialement dévalorisées : elles sont passées d’un statut de maîtres
nitra

à un statut de servilité.5 Ceci a renforcé l’organisation de certains peuples


G Ke

africains qui étaient (sont encore pour une part) divisés en castes, en parti-
culier les Toucouleurs (Peuls métissés) : castes nobles, castes de métiers et
:ENC

castes de captifs.
De plus, l’abolition de la traite atlantique, la plus « industrielle », a
x.com

entraîné au XIXe siècle une augmentation de l’esclavage en Afrique en le

4. ILIFFE John, Les Africains. Histoire d’un continent, Flammarion, 2009.


larvo

5. FALL Mamadou, Conférences « Les voies non coloniales du développement : le cas de


l’Afrique de l’Ouest », à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, Paris, les 4 et
.scho

18 janvier 2016.
www
LEs PRIsEs ET EMPRIsEs EXTéRIEuREs 59

réorientant notamment vers les plantations africaines, dans la période in-


termédiaire entre cette abolition de la traite atlantique et la colonisation
européenne, laquelle allait à son tour abolir l’esclavage africain.
Pour Mamadou Fall, les « rois nègres » ont perdu leur crédibilité dans la
traite négrière et pour l’historien Elikia M’Bokolo, « Le retour des rois »6 est
illusoire : ils se seraient trop compromis, successivement dans l’esclavage,
puis dans les traités de colonisation.
Aucun chiffrage global n’est disponible sur l’esclavage africain interne.

2.2. La traite « arabe » ou « islamique »


Elle procédait par achat auprès des royaumes, chefferies ou trafiquants

0145
africains, ou par des razzias, quelquefois directement par les trafiquants
arabes, ou sous-traitées à des tribus africaines.

0026
La traite avait ensuite deux voies : terrestre par le Sahara ou maritime
par l’océan Indien (notamment par Zanzibar) et la mer Rouge. Par la voie

7:17
saharienne, les esclaves étaient attachés à pied à la queue des dromadaires
et beaucoup mouraient d’épuisement et/ou de soif conjugués.

0.21
Pour la voie maritime, Zanzibar était une possession omanaise qui
devint un grand marché aux esclaves (en plus de ceux employés dans les 9.16
plantations de l’île), d’où ils étaient redistribués dans les navires des ache-
0.17

teurs. Cette activité était devenue telle pour le royaume d’Oman qu’en 1861
6:16

Zanzibar a doublé (puis même remplacé) Mascate en tant que capitale.


Selon Tidiane N’Diaye, « 600 000 captifs furent vendus dans la seule ville
8565

de Zanzibar entre 1830 et 1873 ».7


La demande arabe (ou aussi perse ou turque) privilégiait les jeunes filles
888

pour en faire des concubines, parfois dans de véritables harems, le statut


418:

social du propriétaire se mesurant notamment au nombre de ses concu-


bines. Il fallait aussi un certain nombre d’eunuques pour les surveiller (ou
0773

pour être serviteur dans une maison où il y avait des femmes) : leur prix de
vente était beaucoup plus élevé que celui des esclaves « mâles », utilisés pour
:211

les travaux agricoles ou quelquefois militaires.


nitra

La traite « arabe » pratiquait donc très largement la castration pour aug-


menter le prix des garçons (moins souvent des hommes adultes). L’islam
G Ke

interdisant la castration, les « Arabes » la faisaient souvent pratiquer par


des chrétiens en Ethiopie ou en Egypte, ceci avec une hypocrisie parfaite
:ENC

(les premiers prétendant n’en être pas les acteurs, et les seconds n’en être
pas les responsables …). Des lieux spécialisés pour la castration existaient,
x.com

notamment dans le pays galla (au Sud de l’Ethiopie), d’où les esclaves repar-
taient par le port de Tadjourah (aujourd’hui en République de Djibouti),
larvo

6. PERROT Claude-Hélène et FAUVELLE-AYMAR François-Xavier, Le retour des rois,


Karthala, 2003.
.scho

7. TIDIANE N’DIAYE, Le génocide voilé. Enquête historique, Gallimard, 2017.


www
60 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

et dans une autre ville éthiopienne appelée Wâslu, ou encore à Massaoua


(aujourd’hui en Erythrée). La castration était aussi pratiquée en Egypte
dans un village copte situé près d’Assiout. L’opération, pratiquée avec des
moyens artisanaux, entraînait, outre son caractère de torture, une très forte
mortalité, due aux infections ou aux hémorragies.
Après l’abolition de l’esclavage en 1834 par le Royaume-Uni, la marine
britannique faisait la chasse des navires négriers arabes en mer Rouge et
dans l’océan Indien et libérait les esclaves des navires arraisonnés … au
moins quand cela servait la politique diplomatique du Royaume-Uni (les
marines de guerre étant traditionnellement aussi un outil des Affaires étran-
gères des États). Ainsi, Zanzibar fut longtemps protégé par les Britanniques,
qui n’imposèrent que progressivement la suppression de la traite.

0145
Dans la pratique, la traite arabe se poursuivit jusqu’au début du XXe siècle
à un moindre degré, notamment par la voie saharienne. Marrakech était un

0026
important marché aux esclaves (en grande majorité subsahariens) jusqu’à
ce que les autorités du Protectorat français ne le ferment en 1920 et l’in-

7:17
terdisent réglementairement au Maroc à partir de 1922. Antoine de Saint-

0.21
Exupéry témoigne encore en 1927 de l’esclavage noir à Tarfaya, au Sud du
Maroc.
La traite « arabe » aurait représenté environ 15 millions de personnes 9.16
0.17
déportées. Tidiane N’Diaye la chiffre même à 17 millions.
Bien que moins « industrielle » que la traite atlantique, elle a représenté
6:16

davantage de victimes car elle s’est étalée sur une période beaucoup plus
8565

longue, sur treize siècles du VIIIe au XXe.


On ne peut pas manquer de s’étonner de ce que la traite « arabo-isla-
888

mique » soit peu évoquée en Afrique, en tout cas beaucoup moins que la
418:

traite « atlantique ». Il y a là probablement des raisons d’ordre politique : des


pays d’Afrique du Nord qui l’ont largement pratiquée comme l’Egypte ou
0773

le Maroc sont des membres importants de l’Union Africaine ; la solidarité


musulmane joue le silence dans des pays comme le Sénégal ; et enfin, les
:211

pays arabes comme les pays africains sont membres du « Groupe des 77 aux
Nations unies », où s’exprime une autre solidarité, celle des pays « en déve-
nitra

loppement ».
G Ke

2.3. La traite « atlantique »


:ENC

Les Portugais en furent les initiateurs dès le XVe siècle. Leurs premières
tentatives allèrent du Nord vers le Sud le long de la côte atlantique. Ils com-
x.com

mencèrent des échanges avec les Maures, qui étaient depuis longtemps
spécialistes de la traite « arabe » transsaharienne. Plus au Sud, ils échan-
larvo

gèrent avec les aristocrates wolofs (au Sénégal actuel), à raison en moyenne
de 10 esclaves contre un cheval ! Ils poursuivirent au Kongo, jusqu’à leur
.scho

différend avec le roi Alfonso. Enfin, au XVIe siècle, les Portugais engagent
www
LEs PRIsEs ET EMPRIsEs EXTéRIEuREs 61

une traite régulière en Angola à partir de leur installation à Luanda, afin de


développer le Brésil : c’est le début de la traite transatlantique.
Pour les autres Européens, la traite a commencé au XVIIe siècle : elle
procédait par troc ou achat sur les côtes. La traite atlantique était organisée
selon le principe du « commerce triangulaire » : les compagnies maritimes
européennes apportaient en Afrique des produits manufacturés et y ache-
taient ou troquaient des esclaves, ceux-ci étaient revendus en Amérique
contre des produits agricoles (notamment café, rhum et coton) qu’ils rap-
portaient en Europe.
Alors que la traite arabe était plus centrée sur les femmes pour être
concubines ou servantes, la traite atlantique mettait la priorité sur les
hommes pour les plantations d’Amérique. Ainsi a-t-on pu parler (cynique-

0145
ment) d’une certaine « complémentarité », mais elle était réduite dans la
mesure où, pour l’essentiel, les espaces géographiques et temporels n’étaient

0026
pas les mêmes (la traite « arabe » étant surtout à l’Est du continent et la
traite « atlantique » surtout à l’Ouest, et la traite occidentale ayant été beau-

7:17
coup moins longue).

0.21
La traite atlantique a représenté environ 11 millions de déportés, selon
des estimations relativement convergentes, comme par exemple la suivante :

« Exportations » d’esclaves d’Afrique par l’Atlantique par siècle :


9.16
0.17
1519-18678
6:16

XVIe : 1519-1600 266 000


8565

XVII : 1601-1700
e
1 252 800
XVIIIe : 1701-1800 6 096 200
888

XIXe : 1801-1867 3 446 800


418:

Total 11 061 800


0773

Ce tableau montre le démarrage de la traite portugaise au XVIe siècle,


:211

son relais par les puissances européennes (surtout Grande-Bretagne, France


et Pays-Bas) au XVIIe siècle, l’apogée de la traite au XVIIIe siècle, puis son
nitra

déclin au XIXe siècle avec le mouvement abolitionniste en Grande-Bretagne


et aux États-Unis, puis les abolitions officielles européennes et américaines.
G Ke

La traite était abolie (par les Français d’abord en 1794, puis, après son
:ENC

rétablissement par Napoléon Bonaparte, définitivement en 1848 ; par les


Britanniques en 1834) quand la colonisation officielle a commencé en fin
de XIXe siècle avec la Conférence de Berlin (1884-1885). Il importe donc
x.com

de ne pas associer (sauf pour les Portugais) traite atlantique et colonisation


européenne : elles ne portaient pas sur les mêmes périodes et n’étaient pas
larvo

8. ELTIS D., The volume and structure of the transatlantic slave trade: a reassessment,
.scho

William and Mary Quaterly, 3rd series, 2001.


www
62 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

pratiquées par les mêmes acteurs (compagnies maritimes marchandes pour


l’esclavage, États pour la colonisation).
Géographiquement, les « approvisionnements » (si l’on ose dire) eurent
tendance à se déplacer le long de la côte : d’abord dans les régions des fleuves
Sénégal et Gambie, puis les côtes de Guinée jusqu’au futur Liberia, la Côte
d’Ivoire et la Côte d’Or, puis le golfe du Bénin et le golfe du Biafra, sans
compter naturellement l’Angola et par extension le Mozambique sur la côte
de l’océan Indien pour les « besoins » portugais au Brésil. Selon John Iliffe9,
« en 1807, le golfe du Biafra, l’Angola et le Mozambique fournissaient plus
de 80 % des exportations d’esclaves anglaises et françaises, et la quasi-tota-
lité du commerce portugais. »
John Iliffe rapporte également une enquête qu’avait pu faire un mission-

0145
naire du XIXe siècle au Sierra Leone auprès de 177 esclaves sur l’origine de
leur asservissement : 34 % déclarèrent avoir été capturés dans des guerres

0026
locales, 30 % « kidnappés », 11 % condamnés à l’esclavage par une décision
de justice de leur État ou chefferie, 7 % vendus pour payer leurs dettes …

7:17
Sur l’ensemble, 30 % avaient d’abord été esclaves d’Africains et non capturés
pour « l’exportation ».

0.21
L’organisation de la traite atlantique se faisait par deux moyens : soit, de
9.16
façon « industrielle », les autorités africaines permettaient aux compagnies
européennes d’utiliser des ports où les esclaves étaient amenés, détenus,
0.17
vendus puis embarqués. Soit les navires européens faisaient du cabotage
pour recueillir des groupes d’esclaves amenés sur la côte par des trafiquants
6:16

africains et remplissaient progressivement leur cargaison. La plus grande


partie de la traite fut approvisionnée par les grands royaumes africains,
8565

et ceci souvent au détriment des peuples qui n’avaient pas d’État pour les
protéger des razzias.
888

Quant aux destinations, les principales étaient les îles Caraïbes (au sens
418:

large) et le Brésil, et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, beaucoup


moins aux États-Unis parce que le trajet y était nettement plus long. Une
0773

répartition citée par Jean-Paul Gourévitch10 donne les évaluations sui-


vantes pour environ 10 millions d’esclaves, compte tenu des pertes en mer :
:211

• 4 millions au Brésil ;
nitra

• 3,7 millions dans les Caraïbes (françaises, anglaises, hollandaises…) ;


G Ke

• 1,6 million dans l’Amérique espagnole ;


• 0,5 million aux États-Unis.
:ENC
x.com
larvo

9. ILIFFE John, Les Africains. Histoire d’un continent, Flammarion, 2009.


10. GOUREVITCH Jean-Paul, La France en Afrique. Cinq siècles de présence : vérités et
.scho

mensonges, Le Pré aux clercs, 2004.


www
LEs PRIsEs ET EMPRIsEs EXTéRIEuREs 63

2.4. Les impacts de l’esclavage en Afrique


Les impacts de l’esclavage en Afrique (sans parler de ceux dans les pays
de destination) sont multiples. Ils sont évidemment d’abord psychologiques
et politiques. L’esclavage africain, arabe et atlantique a créé de profonds
traumatismes et un sentiment d’humiliation collective, et entraîné une
défiance et un ressentiment de la population, non seulement vis-à-vis des
Arabes et des Occidentaux, mais aussi vis-à-vis de ses propres gouvernants
africains.
Ils sont ensuite démographiques : l’impact de la traite extérieure cumule
la mortalité lors de la capture, celle du voyage et la déportation de popula-
tion : plus de 30 millions de personnes au total en additionnant les traites

0145
arabe et atlantique et les facteurs successifs de mortalité. Il faut y ajouter
le déficit correspondant de naissances en Afrique, évidemment non mesu-

0026
rable génération après génération.
On estime par exemple que de 1650 à 1750, la traite a fait baisser la popu-

7:17
lation en Afrique subsaharienne d’environ 100 millions à 95 millions d’ha-

0.21
bitants, alors que la croissance naturelle aurait pu l’amener aux environs
de 150 millions en 1750. Pour l’Afrique occidentale, cette perte était plus
marquée, puisque cette période correspond à la concentration de la traite
9.16
atlantique. L’Angola en particulier a été la grande victime démographique,
0.17

compte tenu de sa population peu nombreuse au départ et des prélèvements


6:16

opérés pendant trois siècles.


D’autres effets sont plus inattendus : on peut en prendre deux exemples,
8565

cités par John Iliffe. D’abord, de nombreux dirigeants africains s’opposèrent


à l’abolition de l’esclavage par les Occidentaux au XIXe siècle, en particu-
888

lier les souverains des royaumes ashanti, du Dahomey et de l’empire man-


418:

dingue.
0773

Ensuite, la perte du « marché » atlantique provoqua chez certains sou-


verains d’Afrique de l’Ouest au XIXe siècle, dans la période comprise entre
:211

l’abolition de l’esclavage et le début de la colonisation, une expansion de


l’esclavage en Afrique même.
nitra

Ce fut le cas notamment chez l’empereur Samory Touré (un « esclava-


G Ke

giste notoire » selon Tidiane N’Diaye), qui vendit des milliers d’esclaves aux
grandes fermes du Sénégal et de Gambie qui développaient l’arachide. De
:ENC

même, le pays mossi (au Burkina Faso actuel) s’enrichit d’esclaves vendus
au Sud au royaume ashanti (Ghana), et le royaume bamoum (au Cameroun)
x.com

réduisit en esclavage et déplaça des milliers de captifs. Cette tendance en-


traîna de grandes révoltes d’esclaves en Afrique de l’Ouest, en particulier
larvo

au Fouta-Djalon (Guinée), comme en Afrique centrale chez les Douala du


Cameroun. Au Fouta-Djalon, Samory fit exterminer en 1884 la commu-
.scho

nauté « marron », c’est-à-dire d’esclaves en fuite qui s’étaient regroupés.


www
64 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Un autre effet inattendu est que le commerce triangulaire apporta en


retour à l’Afrique des cultures d’Amérique riches en calories, en particulier
le maïs et le manioc.

3. La Conférence de Berlin (1884-1885) et le choc des


colonisations modernes11

3.1. La conférence de Berlin (1884-1885)


Elle partage l’Afrique (« sur cartes », avec des frontières souvent arbi-
traires) entre les Européens, alors que plusieurs pays (dont la France) avaient
déjà commencé à coloniser certains territoires.

0145
Vingt ans plus tôt, Faidherbe avait fait des avancées au Sénégal, où des

0026
marins de Dieppe avaient fondé Saint Louis dès 1659. En 1883, des mili-
taires français poussèrent jusqu’au fleuve Niger à Bamako. En 1882, un sou-

7:17
verain établi sur le fleuve Congo cédait ses droits héréditaires à l’explora-
teur français Savorgnan de Brazza, mais le roi Léopold II de Belgique avait

0.21
utilisé sa fortune personnelle depuis 1876 pour fonder des comptoirs sur le
bas Congo. Les Français avaient établi un protectorat sur la Tunisie en 1881,
après avoir déjà conquis l’Algérie. Bismarck, profitant d’une querelle entre 9.16
les rivaux français et anglais, avait autorisé en 1884 la création de protecto-
0.17

rats allemands au Togo et au Cameroun. Il fallait donc mettre bon ordre à


6:16

tout cela …
La conférence de Berlin (novembre 1884 – février 1885), où Bismarck
8565

convoquait les puissances européennes, reconnut les droits de Léopold II


au Congo, de la France en Afrique équatoriale, de l’Allemagne au Togo et
888

au Cameroun, du Portugal sur ses possessions déjà anciennes. Elle parta-


418:

gea le bassin du Niger entre la France pour le cours supérieur (Sahel) et le


Royaume-Uni pour le cours inférieur (Côte d’Or et Nigeria).
0773

3.2. L’occupation coloniale


:211

Le lendemain de la conférence, Bismarck déclara un protectorat sur le


nitra

territoire continental situé en face de Zanzibar, que la Grande-Bretagne


contrôlait indirectement par l’intermédiaire du souverain de Zanzibar.
G Ke

Allemands et Anglais se mirent d’accord pour le partager en 1886, entre le


Tanganyika pour l’Allemagne et le Kenya pour le Royaume-Uni, qui élargit
:ENC

aussi son domaine avec l’Ouganda par un autre traité en 1890.


Les Européens signent alors un grand nombre de traités avec des sou-
x.com

verains africains pour préparer leur implantation, mais celle-ci ne s’est


pas faite sans résistances ni batailles… En 1886, les Britanniques signent
larvo

11. Cette section s’appuie notamment de façon synthétique sur ILIFFE John, Les Africains.
.scho

Histoire d’un continent, Flammarion, 2009.


www
LEs PRIsEs ET EMPRIsEs EXTéRIEuREs 65

un traité avec les Yoruba pour contrôler le Sud du Nigeria, et au Nord un


protectorat sur le Califat de Sokoto en 1900, tandis qu’ils ont occupé le
royaume ashanti (Côte d’Or ou futur Ghana) sans résistance en 1896 (mais
il se soulèvera plus tard).
Les Français font une première avancée militaire au Dahomey (futur
Bénin) en 1892 et y ajoutent la Côte d’Ivoire pour faire la jonction avec
le haut-Niger, malgré la résistance des Baoulés jusqu’en 1911. Au Mali,
les Français prennent Nioro en 1891 aux Toucouleurs, puis Djenné et
Tombouctou en 1893 et 1894. Ils achèvent de conquérir le Dahomey du
roi Béhanzin en 1894, après deux années de combats. Ils affrontent alors
l’éphémère empire mandingue de Samory Touré qui s’étend sur la Guinée,
le Sierra Leone et une partie du Mali et de la Côte d’Ivoire et qui résiste

0145
farouchement jusqu’en 1898. Ils partent ensuite à la conquête du Tchad,
acquise en 1900.

0026
Plus à l’Est, le Mahdi soudanais s’était soulevé contre la domination
égyptienne en 1881 et avait fondé un régime théocratique en prenant

7:17
Khartoum en 1884. En 1898, les Anglais le soumettent à Omdurman (en
face de Khartoum) et contrôlent le Soudan. Ils auront un protectorat sur

0.21
l’Egypte de 1914 à 1922, mais maintiendront leur influence jusqu’en 1956.
9.16
Les Italiens colonisent l’Erythrée en 1889, mais se cassent les dents en 1896
sur l’empire chrétien d’Ethiopie de Ménélik à la bataille d’Adoua. Avec la
0.17
Libye et une partie de la Somalie, ils se contenteront de pays quasi-déser-
tiques.
6:16

En Afrique australe, dès la conférence de Berlin, les Allemands occupent


8565

la Namibie et les Anglais établissent un protectorat sur le Bechuanaland


(futur Botswana). En 1890, ils encouragent un magnat minier anglais, Cecil
888

Rhodes, à occuper avec des pionniers le Zimbabwe (qui devient la « Rhodésie


du Sud ») : ils y parvinrent, avec l’aide des Shonas, dans une guerre avec les
418:

Ndébélés en 1893 (ils se révolteront en 1896). Les Britanniques occupent


0773

la « Rhodésie du Nord » (future Zambie) et le Nyassaland (futur Malawi),


malgré la résistance farouche des chefferies esclavagistes yao. Il leur restait
:211

le plus dur à faire : la seconde guerre des Boers (1899-1902), qui leur fut
extrêmement couteuse en soldats et en finances, pour s’assurer le contrôle
nitra

de l’Afrique du Sud aux dépens des pionniers hollandais.


G Ke

En 1902, il ne reste que trois États indépendants : le Maroc, qui pas-


sera sous protectorat français en 1912, malgré la résistance des Berbères
:ENC

du Haut Atlas jusqu’en 1933. Et le Liberia et l’Ethiopie, qui garderont leur


indépendance et étendront leur territoire par les armes : le Liberia parce que
x.com

fondé et soutenu par des Américains noirs, et l’Ethiopie par sa résistance


militaire aux Italiens (à l’exception d’une brève occupation sous Mussolini
entre 1935 et 1941).
larvo

Il y eut bien d’autres résistances ou révoltes : les Igbo du Nigeria jusqu’en


.scho

1919, les Diolas du Sénégal (en Casamance) dans les années 1920, la révolte
www
66 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

pluriethnique maji-maji en 1905-1907 au Tanganyika, les Touareg au Nord


du Niger en 1916-1917 ...
La guerre de 1914-1918 fait perdre à l’Allemagne ses possessions au
Traité de Versailles (1919) : le Togo et le Cameroun deviennent français, le
Tanganyika devient anglais (aujourd’hui, la Tanzanie par son union avec
Zanzibar après l’indépendance), le Rwanda et le Burundi passent sous pro-
tectorat belge et la Namibie sous protectorat Sud-africain.

3.3. La gestion coloniale


Les colonisations gardent un style différent : gestion directe par la
France, gestion déléguée pour le Royaume-Uni, gestion métissée pour le

0145
Portugal (avec la politique de « luso-tropicalisme », alliée à la tradition ma-
trilinéaire des pays colonisés).

0026
L’administration directe fut notamment pratiquée par la France et la
Belgique : les royaumes et chefferies traditionnelles étaient ignorés, la hié-

7:17
rarchie coloniale s’imposait avec ses administrateurs européens et des chefs
de canton qui étaient souvent choisis parmi les Africains, notamment les

0.21
anciens soldats qui avaient participé à la Première Guerre mondiale aux

9.16
côtés des Français. Les chefs de canton eux-mêmes supervisaient les chefs
de village.
0.17

Les Britanniques pratiquaient souvent l’administration indirecte, qui


6:16

fut d’abord testée sur l’ancien Califat de Sokoto au Nord du Nigeria, qui
avait été érigé au XIXe siècle par un prédicateur peul soufi (de la confrérie
8565

Qadiriyya), Ousmane dan Fodio. Le califat s’appuyait sur des émirs qui di-
rigeaient les provinces. Les Britanniques abolirent le califat, mais gardèrent
888

l’autorité provinciale des émirs. L’émir devait suivre la politique du gouver-


neur britannique, mais il dirigeait une administration autochtone avec des
418:

pouvoirs exécutifs et judiciaires ; il levait des impôts, dont une part devait
0773

être reversée aux autorités britanniques.


Les Anglais appliquèrent donc l’administration indirecte en particulier
:211

là où elle pouvait s’appuyer sur une structure traditionnelle déjà solide :


Nyassaland (Malawi), Rhodésie du Nord (Zambie), Basutoland (Lesotho),
nitra

Bechuanaland (Botswana), Swaziland (Eswatini). En Côte d’Or (Ghana), la


G Ke

confédération ashanti fut même restaurée en 1935. Cela fut aussi testé avec
le royaume du Buganda (Ouganda), mais cela s’avérait plus difficile dans
:ENC

les pays d’Afrique orientale multiethniques, en particulier le Kenya et le


Tanganyika.
x.com

L’administration indirecte se traduisait souvent par des protectorats, là


où il y avait des royaumes ou pouvoirs traditionnels. Les Belges s’en inspi-
larvo

rèrent aussi quand ils reprirent aux Allemands le Rwanda et le Burundi, où


ils maintinrent les monarchies tutsies. Les Français firent la même chose au
.scho

Maroc avec la monarchie alaouite.


www
LEs PRIsEs ET EMPRIsEs EXTéRIEuREs 67

La gestion coloniale portugaise était à la fois directe et métissée. Ceci a


donné lieu au XXe siècle à une théorie originale, développée par le Brésilien
Gilberto Freyre (1900-1987) : le « luso-tropicalisme », appelé ironiquement
« l’amour dans la servitude »12 . Présenté comme une thèse sociologique, il
servait en même temps les intérêts coloniaux du Portugal. Il postule que
le Portugais a une empathie naturelle et une relation chaleureuse avec les
peuples du Sud qu’il colonise. L’expatriation masculine portugaise serait
moins raciste que l’expatriation familiale, parce que le Portugais qui prend
une femme africaine se rapproche de sa belle famille et comprend mieux
les Africains. Le métissage produirait l’harmonie et finalement la culture
métissée du peuple colonisé.
Cela explique peut-être pourquoi, sous le régime dictatorial de Salazar, le

0145
Portugal a maintenu ses colonies africaines plus tardivement que les autres
puissances, mais n’explique pas pourquoi la décolonisation portugaise s’est

0026
faite par des conflits militaires sanglants avec les mouvements indépendan-
tistes des pays africains concernés …

7:17
Le développement économique supposait en priorité des construc-

0.21
tions et les moyens de faire circuler, d’importer ou d’exporter les équipe-
ments, minerais, produits agricoles et marchandises ; le chemin de fer et
9.16
la construction d’autres infrastructures et bâtiments furent donc souvent
l’une des priorités coloniales. Avec les difficultés de transport des équipe-
0.17
ments, qui requéraient des porteurs avant la construction des routes et des
chemins de fer, tout cela se traduisit par l’instauration du travail forcé. Les
6:16

Français exigeaient des hommes 12 jours de travail non payé par an, les
8565

Britanniques jusqu’à deux mois par an, et les Belges 40 heures par mois
au Congo. En Afrique équatoriale, où l’environnement physique était plus
888

difficile, la construction du chemin de fer Congo-Océan fut extraordinai-


rement dure dans les deux Congo belge et français. Ce cas fut d’autant plus
418:

critiqué que ce chemin de fer fut accusé de sortir les richesses minérales
du Congo sans développer ses peuples. La construction du chemin de fer
0773

Nairobi – Mombasa au Kenya se fit aussi dans des conditions très sévères.
:211

La brutalité de la possession royale belge au Congo fut telle que, sous


les protestations internationales, elle dut être cédée à l’État belge en 1908.
nitra

Le travail forcé imposé par les Allemands en Namibie fut l’une des raisons
de la révolte des Herero en 1904. La répression allemande, menée avec des
G Ke

grands moyens militaires, fut impitoyable : 65 000 personnes sur 80 000,


chassées dans le désert de Namibie, y auraient trouvé la mort, ce qui fut
:ENC

qualifié de premier génocide du XXe siècle.


x.com

Les infrastructures sont construites : chemins de fer, ports, routes, ré-


seaux d’eau potable, d’assainissement et d’électricité en ville, puis réseaux
larvo

12. GEFFRAY Christian, « Le lusotropicalisme comme discours de l’amour dans la ser-


vitude », dans Le lusotropicalisme. Idéologies coloniales et identités nationales dans les
.scho

mondes lusophones, Khartala, collection « Lusotopie », n°4, 1997.


www
68 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

de télécommunications, barrages énergétiques ou d’irrigation agricole. Le


camion fait son apparition avec les routes et révolutionne les transports tra-
ditionnels. L’économie est souvent conçue pour l’exportation de matières
premières (agricoles ou minérales), au détriment d’un développement in-
dustriel qui reste sous-dimensionné dans la plupart des pays (à l’exception
de quelques industries agro-alimentaires ou textiles donnant des débou-
chés à la production agricole pour la consommation africaine).
Cependant, dans la période 1880-1920, sévit une large sécheresse dans
les zones de savanes, qui entraîne des famines, lesquelles diminuent la ré-
sistance aux maladies tropicales, à la mouche tsé-tsé, aux maladies véné-
riennes et à la grippe espagnole qui fit des ravages en 1918. Dans la première
période de colonisation, les conflits armés, le travail forcé, les famines et les

0145
maladies (dont certaines importées d’Europe contre lesquelles les Africains
n’étaient pas immunisés) entraînent une crise démographique. Même si elle

0026
est mal cernée statistiquement, il y a eu une baisse de population en Afrique
équatoriale.

7:17
Le développement social est apparu dans un second temps : l’éduca-

0.21
tion, même inégale et partielle, et la santé apportent des progrès : la morta-
lité recule, mais pas la natalité, et la démographie s’emballe !
Les missionnaires chrétiens furent les pionniers de l’éducation de type 9.16
0.17
européen. L’association du christianisme et de l’éducation entraîna simul-
tanément une forte conversion chrétienne des jeunes. Les progrès du chris-
6:16

tianisme pendant la première moitié du XXe siècle correspondaient à un


besoin d’émancipation sociale et à un fort attrait des jeunes, des pauvres et
8565

des femmes.
888

Mais dans les colonies françaises, les autorités étant anticléricales, elles
refusèrent l’assistance missionnaire et l’éducation primaire prit du retard :
418:

en 1950, 6 % seulement des enfants y étaient scolarisés contre 26 % au


0773

Kenya ! Mais le taux de scolarisation des colonies françaises passe à 36 % en


1960. L’enseignement provoqua en Afrique une très forte demande et, en se
:211

développant ensuite, permit une forte mobilité sociale.


Les premiers Européens pratiquant les soins médicaux furent généra-
nitra

lement aussi des missionnaires. Puis les administrations coloniales se lan-


G Ke

cèrent dans la médecine préventive dans les années 1930. Les vaccinations
collectives permirent de faire cesser la variole, qui tuait en masse. L’hygiène
:ENC

des villes et les réseaux d’eau potable et d’assainissement réduisirent très


fortement les maladies et le paludisme.
x.com

Entre les deux guerres, la population totale de l’Afrique crût à une vi-
tesse elle-même croissante. Au moment de la Seconde Guerre mondiale, elle
larvo

augmentait de 1 % par an. Entre 1920 et 1950, on estime que la population


africaine est passée de 142 à 200 millions de personnes. Le rythme ne fera
.scho

que s’accélérer ensuite, passant à 600 millions en 1990 …


www
LEs PRIsEs ET EMPRIsEs EXTéRIEuREs 69

La colonisation était-elle « un crime contre l’humanité » ?


s’agissant de l’Afrique, les Présidents français ont le sens de la for-
mule ! Après que nicolas sarkozy eût dit en 2007 que « l’homme afri-
cain n’est pas assez entré dans l’histoire », Emmanuel Macron, alors
candidat à l’élection présidentielle, a dit en 2017 en Algérie que la co-
lonisation était un « crime contre l’humanité ». cette déclaration, outre
qu’elle était sans doute politiquement opportune (ou opportuniste ?) en
Algérie, a soulevé en france de vives controverses. Par exemple, son
adversaire à l’élection présidentielle, françois fillon, estime que la co-
lonisation française était « un partage de culture » à d’autres peuples.
sans vouloir entrer ici dans un débat électoral franco-français, cette
controverse soulève à la fois des questions relevant du champ juri-

0145
dique et du champ politique.
sur le plan juridique, le concept de crime contre l’humanité s’appa-

0026
rente à un crime de masse, c’est-à-dire un crime (meurtre, torture, viol,
disparition forcée, esclavage, apartheid, déportation, détention arbi-

7:17
traire …) commis sur ordre (en principe d’un état) contre une popula-
tion civile (nation, communauté ethnique, politique ou religieuse, voire

0.21
collectivité locale …). ceci englobe donc le génocide, mais avec une
qualification plus large des crimes visés. Par ailleurs, ces crimes sont
imprescriptibles et peuvent même être jugés rétroactivement à la loi. 9.16
0.17
créée en 1945 par le statut du Tribunal de nuremberg, cette incri-
mination a été progressivement précisée et s’inspire de l’article 7 du
6:16

statut de la cour pénale internationale de La haye (cPI) : 110 états,


dont la france, l’ont transférée ou adaptée dans leur législation natio-
8565

nale. Il n’est pas douteux que, selon cette définition, des crimes contre
l’humanité aient été commis par différents colonisateurs européens en
888

Afrique, y compris la france.


418:

ces pratiques ont par ailleurs été reprises par un certain nombre
d’états africains indépendants dans des guerres civiles ou la répres-
0773

sion d’insurrections (sans même parler du génocide du Rwanda), ce


qui a valu à quelques-uns de leurs auteurs des poursuites devant la
:211

cPI. Il en va ainsi par exemple des crimes commis au soudan contre


la population du Darfour par le régime d’omar el-Béchir, chef d’état
nitra

de 1989 à 2019.
G Ke

s’agissant de la france, on peut citer par exemple le massacre de


sétif et autres villes algériennes (45 000 morts en 1945) ou les crimes
:ENC

collectifs commis dans les guerres d’indépendance d’Algérie ou du


cameroun13 : torture fréquente ou quasi-généralisée des suspects pri-
x.com

sonniers, exécutions extrajudiciaires en séries, incendies de villages,


déportation de populations internées dans des camps …
larvo

13. Lire l’ouvrage très documenté de DELTOMBE Thomas, DOMERGUE Manuel et


TATSITA Jacob, Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique. 1948-
.scho

1971, La Découverte, 2012.


www
70 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Mais Emmanuel Macron introduit maintenant un nouveau concept : il


ne parle pas de crimes spécifiques contre l’humanité, qu’un tribunal
comme la cPI pourrait juger ; il dit que la colonisation était en soi un
crime contre l’humanité, ce qui est tout-à-fait différent …
on entre alors dans un champ beaucoup plus global et plus politique,
celui d’un bilan de la colonisation. Les arguments sur l’actif et le passif
du bilan sont assez connus.
Du côté de l’actif, aucun jeune état africain n’a rejeté à son indépen-
dance les apports de la colonisation ; ils ont été adoptés : système de
gouvernement avec séparation des pouvoirs exécutif, parlementaire et
judiciaire, organisation des administrations centrales et locales, démo-
cratie électorale (même si certains états indépendants se sont avérés
peu respectueux de leurs institutions), système juridique du colonisa-

0145
teur …

0026
Il faut y ajouter les infrastructures apportées par la colonisation :
écoles, lycées et universités ; hôpitaux et centres de santé ; aménage-

7:17
ment urbain ; routes, voies ferrées, ports et aéroports ; réseaux d’eau
potable, d’assainissement, d’électricité et de télécommunications ; bar-

0.21
rages et bassins agricoles irrigués ; usines et autres entreprises dont
certaines tournent toujours soixante ans plus tard …
Plus encore (car il s’agit d’une dimension culturelle très importante), 9.16
0.17
la majorité de ces états ont adopté la langue du colonisateur comme
langue officielle (pour les raisons majeures qu’elle sert de langue
6:16

véhiculaire aux différentes langues ethniques et qu’elle est aussi une


langue internationale, qu’il s’agisse du français, de l’anglais ou du por-
8565

tugais). Les pays africains francophones défendent souvent le français


plus ardemment que la france dans les organismes internationaux (où
888

l’anglais tend davantage à s’imposer).


418:

Les pays indépendants n’ont pas rejeté les religions importées par les
colonisateurs européens : sauf dans les pays qui étaient déjà musul-
0773

mans, ils ont adopté le christianisme (catholique, anglican ou protes-


tant) dans de larges proportions.
:211

Enfin, ils n’ont pas rejeté non plus à leur indépendance l’aide publique
des ex-puissances coloniales, qui a souvent décru très progressivement,
nitra

et les fonctionnaires coloniaux sont souvent devenus des coopérants


G Ke

payés par l’ex-colonisateur : leur nombre a diminué très régulièrement


sur près de soixante ans, jusqu’à être devenu minime aujourd’hui.
:ENC

Du côté du passif, une tribune du 17 février 2017 d’Anne hamidou,


chroniqueur sénégalais du Monde Afrique à Dakar, intitulée « oui, la
x.com

colonisation est un crime contre l’humanité », résume assez bien l’argu-


mentation opposée, dont on cite ici des extraits.
larvo

« Les peuples d’Afrique ont vécu une terrible violence du fait colonial
avec des morts, des expropriations, des privations de liberté et sur-
.scho

tout une négation profonde de la dignité humaine par la domination


www
LEs PRIsEs ET EMPRIsEs EXTéRIEuREs 71

politique, économique et culturelle. Les chiffres de cette période sont


éloquents d’horreur. Pour procéder plus facilement au pillage systéma-
tique des ressources du continent africain, les colons ont soumis des
populations civiles aux travaux forcés avec à la clé des milliers de
victimes. Par exemple, l’historien Antoine Madounou établit un bilan
entre 15 000 et 30 000 personnes mortes sur le chantier du chemin
de fer qui devait relier Pointe-noire à Brazzaville, au congo.
Des morts, il y en a eu aussi à chaque fois que les populations ont tenté
de se libérer du joug colonial. à Madagascar, en mars 1947, l’armée
coloniale française a massacré les populations malgaches, avec un
bilan compris entre 20 000 et 100 000 morts, selon les sources ...
Les blessures que la colonisation a infligées à l’Afrique sont doulou-
reuses et rendent tellement pitoyables les évocations de routes et d’hô-

0145
pitaux censées extirper des aspects positifs d’une horreur. Je partage
l’avis de l’historienne sylvie Thénault qui juge “indécent” de mettre sur

0026
une même balance, d’un côté, les massacres, exécutions sommaires et
tortures, et, de l’autre, des routes jugées comme un bilan positif d’un

7:17
asservissement abominable des peuples d’Afrique ...
Aimé césaire disait donc : “On me lance à la tête des faits, des statis-

0.21
tiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer. Moi,

9.16
je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de
ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port
0.17
d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur
terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse. Je
6:16

parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le


complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir,
8565

le larbinisme.” La colonisation, comme le soulignait le même césaire


est une ”négation de la civilisation”. En cela, elle est un crime, une
888

barbarie intolérable …
418:

n’en déplaise à ceux qui critiquent la position de M. Macron, l’histoire


de la “patrie des droits de l’homme”, c’est aussi une sombre période
0773

de meurtres et de négation de la simple dignité humaine. Affronter le


bilan de la colonisation – ce moment d’ “ensauvagement” du continent
:211

européen, selon césaire – requiert du courage mais nullement une


fierté mal placée … »
nitra

Ainsi, il faudrait sans doute essayer de faire un jour ce bilan entre


Africains et Européens de bonne volonté... Mais l’actif matériel et insti-
G Ke

tutionnel et le passif physique, psycho-social et culturel ne sont pas de


même nature : le bilan peut donc difficilement être établi.
:ENC

La conclusion est peut-être donnée par françois-Xavier fAuVELLE14 :


« Ecoutons Jacques Berque (1910-1995), qui avait été administrateur
x.com

au Maroc sous le régime du protectorat, dont il avait vigoureusement


larvo

14. FAUVELLE François-Xavier, « Leçons de l’histoire de l’Afrique », leçon inaugurale


de la chaire « Histoire et archéologie des mondes africains » au Collège de France le
.scho

3 octobre 2019.
www
72 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

dénoncé les errements, avant que ses travaux ne l’amènent au collège


de france sur une chaire d’ « histoire sociale de l’islam contempo-
rain ». Tranchant les faux débats récurrents, déjà, sur les bilans positifs
ou négatifs de la colonisation, nul n’aura alors exprimé avec autant
de force que la colonisation fut à la fois un système de prédation éco-
nomique et un système qui construisait infrastructures et écoles ; que
le colonialisme est une idéologie qui cultive la nostalgie des sociétés
qu’elle détruit. »
En tout cas, le vocabulaire d’Emmanuel Macron sur la colonisation
française a quelque peu évolué : le 21 décembre 2019 à Abidjan, il
a déclaré que le « colonialisme » fut « une faute de la République ».

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G Ke
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x.com
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CHAPITRE 5

0026
LES INDÉPENDANCES

7:17
0.21
Dans une large mesure, le système colonial portait ses propres contradic-
tions en lui-même. Sa mission « civilisatrice » prônait la démocratie, mais
la colonisation n’était pas démocratique. Elle impliquait l’éducation, mais 9.16
celle-ci permettait de voir l’écart entre les valeurs promues et celles appli-
0.17

quées. Et surtout elle impliquait la santé, qui allait apporter un changement


6:16

démographique majeur, remettant en cause les équilibres économiques et


politiques de la colonisation.
8565

Ces facteurs, conjugués au fort désir d’émancipation des Africains,


firent que la colonisation européenne (Portugal mis à part) ne dura qu’envi-
888

ron 70 ans.
418:
0773

1. Espoirs et désespoirs des indépendances


:211

1.1. La marche vers l’indépendance


nitra

Avec les progrès de l’éducation, les futurs leaders politiques africains


G Ke

ont pu faire des études supérieures en France ou au Royaume-Uni. Celles-ci


leur ont fait voir l’écart entre la démocratie occidentale et le régime colo-
:ENC

nial. Mais, parallèlement, le système politique s’est assoupli, notamment en


France à la suite de la participation des troupes africaines à la Première
x.com

Guerre mondiale en Europe (« les tirailleurs sénégalais ») et aux combats de


la Libération à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
larvo

En France, la nouvelle Constitution de 1946 prévoit donc que sa mission


est de « conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s’admi-
.scho

nistrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ».


www
72 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

dénoncé les errements, avant que ses travaux ne l’amènent au collège


de france sur une chaire d’ « histoire sociale de l’islam contempo-
rain ». Tranchant les faux débats récurrents, déjà, sur les bilans positifs
ou négatifs de la colonisation, nul n’aura alors exprimé avec autant
de force que la colonisation fut à la fois un système de prédation éco-
nomique et un système qui construisait infrastructures et écoles ; que
le colonialisme est une idéologie qui cultive la nostalgie des sociétés
qu’elle détruit. »
En tout cas, le vocabulaire d’Emmanuel Macron sur la colonisation
française a quelque peu évolué : le 21 décembre 2019 à Abidjan, il
a déclaré que le « colonialisme » fut « une faute de la République ».

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LES INDÉPENDANCES

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Dans une large mesure, le système colonial portait ses propres contradic-
tions en lui-même. Sa mission « civilisatrice » prônait la démocratie, mais
la colonisation n’était pas démocratique. Elle impliquait l’éducation, mais 9.16
celle-ci permettait de voir l’écart entre les valeurs promues et celles appli-
0.17

quées. Et surtout elle impliquait la santé, qui allait apporter un changement


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démographique majeur, remettant en cause les équilibres économiques et


politiques de la colonisation.
8565

Ces facteurs, conjugués au fort désir d’émancipation des Africains,


firent que la colonisation européenne (Portugal mis à part) ne dura qu’envi-
888

ron 70 ans.
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1. Espoirs et désespoirs des indépendances


:211

1.1. La marche vers l’indépendance


nitra

Avec les progrès de l’éducation, les futurs leaders politiques africains


G Ke

ont pu faire des études supérieures en France ou au Royaume-Uni. Celles-ci


leur ont fait voir l’écart entre la démocratie occidentale et le régime colo-
:ENC

nial. Mais, parallèlement, le système politique s’est assoupli, notamment en


France à la suite de la participation des troupes africaines à la Première
x.com

Guerre mondiale en Europe (« les tirailleurs sénégalais ») et aux combats de


la Libération à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
larvo

En France, la nouvelle Constitution de 1946 prévoit donc que sa mission


est de « conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s’admi-
.scho

nistrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ».


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74 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Des parlementaires africains sont entrés à l’Assemblée nationale française.


C’est par exemple le député ivoirien Houphouët-Boigny, élu en 1945, qui
fait voter en 1946 l’abolition du travail forcé dans les colonies (il sera en-
suite ministre français sous la IVe et la Ve Républiques). La même année, la
loi portée par le Sénégalais Lamine Gueye institue la citoyenneté française
pour tous les ressortissants des colonies.1
Parallèlement, la santé a fait des progrès extraordinaires en Afrique :
les campagnes massives de vaccination ont éradiqué la variole et jugulé les
épidémies. La mortalité infantile a spectaculairement régressé. L’espérance
de vie s’est fortement accrue. Par ailleurs, dans la période coloniale, le taux
de natalité n’a pas encore baissé, correspondant aux valeurs africaines de
virilité de l’homme, de fécondité de la femme et d’assurance-retraite par les

0347
enfants pour leurs vieux parents. Le taux de natalité a même augmenté car
les antibiotiques réduisent les facteurs de stérilité. Ceci entraîne la crois-

0026
sance démographique la plus rapide que le monde ait jamais connue. Ce
sera aussi un facteur d’indépendance ...

7:17
Globalement, les leaders intellectuels africains poussent à l’indépen-
dance et sont pressés de prendre le pouvoir. De leur côté, les gouverne-

0.21
ments européens commencent à trouver que la colonisation devient trop

9.16
lourde : il y a trop de populations à administrer et à soigner, trop d’écoles
à ouvrir sans cesse ; la population qui est en retard de développement, per-
0.17
çue à charge, devient beaucoup plus importante que celle de la métropole
européenne. En 1900, la population des pays colonisateurs était comparable
6:16

à celle des pays africains colonisés ; en 1960, elle n’en est plus que la moitié
environ (l’Allemagne, fort peuplée, ayant par ailleurs quitté la scène afri-
8565

caine dès 1919). L’équilibre démographique, politique et dans une moindre


mesure budgétaire devient difficile à tenir : autant en laisser la charge à des
888

leaders africains qui la réclament !


672:

1.2. Les processus d’indépendance


0856

Dès lors, le problème est plutôt de définir le mode de décolonisation :


:211

quelle association et quelle coopération demeureront entre pays européens


et africains ? Les pays africains joueront-ils le jeu occidental ou commu-
nitra

niste (on est alors en pleine période de « guerre froide ») ? Dans quelles
conditions les entreprises européennes pourront-elles rester ou commercer
G Ke

en Afrique ? Par suite, les indépendances font dans la plupart des cas l’objet
de négociations avec les futurs dirigeants africains, sauf quand les pays eu-
:ENC

ropéens n’y sont pas encore prêts (Portugal) ou quand il s’agit d’une colonie
de peuplement (Algérie, Rhodésie du Sud).
x.com

Après un projet avorté de « Communauté française », les colonies en


Afrique subsaharienne et Madagascar sont indépendantes en 1960, après
larvo

1. Lire GOUREVITCH Jean-Paul, La France en Afrique. Cinq siècles de présence : vérités et


.scho

mensonges, Le Pré aux clercs, 2004.


www
LEs InDéPEnDAncEs 75

les protectorats du Maroc et de la Tunisie (1956), mais avant l’Algérie (1962),


les Comores (1975) et Djibouti (1977). La Fédération du Mali, indépendante
en 1960, éclate aussitôt entre Mali et Sénégal. Seule la Guinée de Sékou
Touré coupe les relations avec la France dès 1958 et s’exclut de la zone franc.
Les colonies britanniques deviennent indépendantes dans le cadre du
Commonwealth (l’association volontaire de 53 États souverains issus de
l’empire britannique sur les cinq continents) entre 1956 (Soudan) et 1966
(sauf le cas particulier du Zimbabwe : d’abord en 1965 avec le pouvoir
colonial de Ian Smith sur la Rhodésie du Sud, puis en 1980 avec le pou-
voir africain de Robert Mugabe) ; les colonies belges en 1960 (Congo) et
1962 (Rwanda, Burundi) ; les colonies italiennes en 1951 (Libye) et 1960
(Somalie) ; et les colonies portugaises en 1974 (Guinée Bissau et Cap Vert,

0347
Mozambique) et 1975 (Angola).
Mais néanmoins le processus a parfois entraîné des conflits sanglants

0026
avec les mouvements d’indépendance (liés dans certains cas au bloc socia-
liste) :

7:17
• à Madagascar, avec le Parti Nationaliste Malgache (PANAMA) et
la Jeunesse Nationaliste (JINA), qui entrent en lutte armée pour l’indé-

0.21
pendance en mars 1947 : il y aura des dizaines de milliers de victimes ;

9.16
• en Algérie, avec le Front de Libération Nationale (FLN), par une
guerre cruelle de 1954 à 1962, qui fut très meurtrière ;
0.17

• au Cameroun, avec l’Union des Populations du Cameroun (UPC) :


6:16

des émeutes éclatent à Douala et dans les grandes villes en mai 1955,
suivies de la création de maquis pour l’indépendance en fin 1956 : une
8565

guerre asymétrique s’ensuivra, puis la guérilla rebondira après l’indé-


pendance (1960) contre la présidence autoritaire d’Ahidjo, soutenu par
888

l’armée française2 ;
• en Guinée Bissau, avec le Parti Africain pour l’Indépendance de
672:

la Guinée et du Cap Vert (PAIGC), fondé en 1956 par Amilcar Cabral ;


0856

• au Mozambique, avec le Front de Libération du Mozambique


(FRELIMO), fondé en 1962 par Samora Machel, de tendance commu-
:211

niste et qui prendra le pouvoir en 1974 comme parti unique jusqu’en


1990. Il est contré en vain par la Résistance Nationale Mozambicaine
nitra

(RENAMO) d’Alfonso Dhlakama, créée en 1975 pour s’opposer au


FRELIMO, avec le soutien de l’Afrique du Sud, par une guerre civile de
G Ke

16 ans qui aurait fait un million de morts jusqu’en 1992. Elle sera sui-
vie d’une longue période de conflits et de déplacements de populations
:ENC

jusqu’à un accord de paix le 1er août 2019 seulement …


• en Angola, avec le Mouvement Populaire de Libération de l’Angola
x.com

(MPLA), parti marxiste-léniniste créé en 1956 avec Agostinho Neto, qui


prend le pouvoir en 1975. Il est en concurrence avec le Front National
larvo

2. Lire DELTOMBE Thomas, DOMERGUE Manuel et TATSITA Jacob, Kamerun ! Une


.scho

guerre cachée aux origines de la Françafrique. 1948-1971, La Découverte, 2011.


www
76 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

de Libération de l’Angola (FLNA), créé en 1956 par Holden Roberto,


et l’Union Nationale pour l’Indépendance totale de l’Angola (UNITA) ;
• au Zimbabwe, avec la Zimbabwe African National Union (ZANU),
créée en 1963 par le marxiste Robert Mugabe, qui s’impose à la Zimbabwe
African People’s Union (ZAPU) de Joshua Nkomo, créée en 1960 ;
• au Kenya, avec la révolte des Mau Mau qui commence en 1950,
conduite par les Kikuyus, et qui fait l’objet d’une répression militaire de
grande ampleur par les Britanniques (environ 100 000 morts).

1.3. Les difficultés de l’indépendance


Si l’indépendance a soulevé des grands espoirs des populations et une
nouvelle dynamique de formation de leaders et de cadres politiques et éco-

0347
nomiques qui émergent assez rapidement, elle a aussi connu des difficultés
et des crises.

0026
La volonté d’unité dans des frontières souvent artificielles, avec le souci

7:17
au départ d’éviter les oppositions ethniques, entraîne parfois l’instauration
de partis uniques et de pouvoirs autoritaires. Mais la paysannerie reste pour

0.21
partie sous contrôle des chefferies traditionnelles.

9.16
Le contexte de la « guerre froide » tend à situer les pays du côté occi-
dental (par exemple : Sénégal, Côte d’Ivoire, Kenya …) ou du côté sovié-
0.17
tique (par exemple : la Guinée de Sékou Touré de 1958 à 1984, le Ghana de
Nkrumah de 1960 à 1966, l’Ethiopie sous Mengistu de 1975 à 1991, le Bénin
6:16

de Mathieu Kérékou de 1972 à 1990, qui a changé le nom du Dahomey en


8565

1975 …).
Des coopérations différentes se nouent ainsi, privilégiant soit l’ancien
888

colonisateur (qui transforme le statut de ses fonctionnaires coloniaux en


672:

conseillers techniques et coopérants, dont le nombre va diminuer progres-


sivement mais inexorablement sur des décennies successives), soit la coopé-
0856

ration soviétique, de l’Europe de l’Est ou cubaine, soit encore les deux types
de coopérations à la fois (cas de l’Algérie par exemple).
:211

Par ailleurs des crises très graves surgissent dans certains pays, notam-
ment des guerres sécessionnistes :
nitra

• Biafra : une guerre civile au Nigeria (1967-1970) est déclenchée par


G Ke

la sécession de la région de la côte orientale, riche en pétrole, qui s’auto-


proclame République du Biafra sous la direction du colonel Ojukwu. Le
:ENC

blocus terrestre et maritime du Biafra par les troupes gouvernementales


provoque une famine, qui aurait entraîné la mort d’un à deux millions
x.com

de personnes, et la sécession échoue.


• Erythrée : faisant partie à l’origine de l’Ethiopie, elle lui avait été
larvo

arrachée par la colonisation italienne en 1889, puis rattachée en 1950


par l’ONU à une « fédération éthiopienne », mais l’Ethiopie l’annexe
.scho

en 1962. Une guerre d’indépendance de l’Érythrée oppose alors le gou-


www
LEs InDéPEnDAncEs 77

vernement éthiopien à des mouvements séparatistes érythréens jusqu’en


1991. Finalement, la séparation avec l’Éthiopie aboutit avec la proclama-
tion d’un État érythréen en 1993.
• Sud-Soudan : la guerre sécessionniste du Sud-Soudan, région pé-
trolifère, l’oppose à plusieurs reprises à l’État central du Soudan, no-
tamment pour des raisons ethnico-religieuses, le Sud-Soudan chrétien
et animiste n’acceptant pas la loi islamiste du Soudan. Le Sud-Soudan
obtient son indépendance en 2011 et est reconnu par l’Union Africaine.
Mais une guerre civile interne au Sud-Soudan éclate ensuite en 2013 …
Enfin, il convient de rappeler le génocide des Tutsis et Hutus modérés
(au moins 800 000 morts) en 1994 au Rwanda, dont le contexte historique
a été indiqué précédemment. Il y eut aussi deux cruelles guerres civiles au

0347
Liberia (1989-1997 et 1999-2003) pour des raisons ethniques et une autre en
Sierra Leone (1991-2002) pour le contrôle des zones diamantifères.

0026
7:17
2. Le projet panafricain

0.21
Le panafricanisme est né notamment de Kwame Nkrumah (1909-1972),
philosophe marxiste et homme politique ghanéen. Après des études aux
USA et à Londres, il rentre en politique en Côte d’Or et y fonde en 1949 9.16
0.17
le Convention People’s Party (CPP). Emprisonné par les Britanniques, il
gagne les élections législatives internes en 1956, obtient l’indépendance en
6:16

1957 et devient Premier Ministre dans le cadre du Commonwealth (sous


le statut où la reine d’Angleterre demeure formellement le Chef d’État). La
8565

Côte d’Or prend à l’indépendance le nom de « Ghana » (par référence au


royaume historique sahélien).
888

Le Ghana devient en 1960 une République et Nkrumah son Président.


672:

Il adopte une économie « planifiée » en 1964, le CPP devient un « parti


0856

unique » et Nkrumah « Président à vie ». Il est alors renversé par un coup


d’État en 1966 pour son échec économique et sa dérive autoritaire.
:211

Nkrumah a milité ardemment pour le panafricanisme avec deux intel-


lectuels marxistes, les Caribéens de Trinité-et-Tobago, George Padmore et
nitra

Robert James, ou avec le Sénégalais Cheikh Anta Diop (cf. chapitre 2) ou


G Ke

encore les présidents guinéen Sékou Touré et tanzanien Julius Nyerere.


Nkrumah contribue à la création en 1963 de l’Organisation de l’Unité
:ENC

Africaine (OUA), qui décide d’assumer les frontières coloniales. Il plaide


pour une institution régionale forte : des « États-Unis d’Afrique », idée qui
x.com

sera reprise en 2007 par le « Guide de la révolution » libyenne Mouammar


Kadhafi (1969-2011). Le président révolutionnaire du Burkina Faso, Thomas
larvo

Sankara (1983-1987), qui a changé le nom de la Haute Volta, sera aussi l’un
des leaders du panafricanisme. L’OUA deviendra, par la Déclaration de
.scho

Syrte en 1999, l’Union Africaine en 2002.


www
78 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

L’Union Africaine se développe avec des institutions diversifiées :


• elle est dirigée par la Conférence des Chefs d’État ;
• la Commission Africaine est l’organe exécutif à Addis Abéba ;
• un Parlement panafricain est un organe consultatif, qui siège à
Midrand (en Afrique du Sud) ;
• un Conseil économique, social et culturel (ECOSOCC) représente
la société civile ;
• il existe aussi un Conseil de Paix et de Sécurité.
On peut noter également sa Commission Africaine des Droits de
l’Homme et des Peuples (CADHP) dont le siège est à Banjul (Gambie), avec
la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui siège à Arusha

0347
(Tanzanie).
L’Union Africaine a perdu le caractère un peu révolutionnaire de ses

0026
fondateurs. Bien que lourde comme toute organisation internationale sou-
mise à des influences contradictoires et qui privilégie le consensus, elle est

7:17
aujourd’hui perçue comme une institution politiquement équilibrée et in-
fluente. Elle a souvent un rôle de médiation dans la résolution des conflits et

0.21
tend au respect des règles de droit et de démocratie, notamment le respect

9.16
des résultats des élections par ses États membres.
De plus, les chefs d’États africains ont signé en 2018 l’accord de création
0.17

de la zone de libre échange continentale africaine (ZLECA). Cet accord vise


l’établissement d’une zone de libre circulation des personnes, des services,
6:16

des marchandises et des capitaux, avec la suppression des droits de douane


8565

sur 90 % des produits. Ceci permettra de développer le commerce intrafri-


cain et de faciliter l’industrialisation du continent en élargissant ses mar-
888

chés. La ZLECA sera cependant longue à mettre en œuvre car elle suppose
de nombreux accords sur les règles douanières, les normes commerciales,
672:

les règles d’origine des produits ou l’ajustement des TVA. Le Secrétariat de


la ZLECA sera situé à Accra, au Ghana.
0856
:211

3. Les séquelles de la relation coloniale


nitra

3.1. Une séquelle spécifique : la « Françafrique »


G Ke

Il s’agit largement d’une particularité franco-africaine, ou afro-française


:ENC

pour inverser les termes. En effet, d’une certaine façon, la « Françafrique »


est le pendant naturel de « l’Afrique de la nuit » ou du monde « invisible »,
x.com

une certaine culture du secret, de l’implicite ou du pouvoir occulte. Elle a


pu comporter trois principales dimensions : les influences politiques, les
tractations d’affaires et même les interventions militaires.
larvo

L’objet n’est pas ici de citer ces affaires en détails (pour peu que ces
.scho

derniers soient connus) : il y a eu des ouvrages spécialisés sur le sujet. On


www
LEs InDéPEnDAncEs 79

peut citer notamment le journaliste Antoine Glaser, directeur pendant


trente ans de la célèbre Lettre du continent, publication ironique de diffu-
sion restreinte, mais bien informée.3 Moins connu peut-être, celui qui s’est
le plus consacré à la « Françafrique » pour la dénoncer et plaider pour un
réel développement est sans doute l’économiste (de tendance « altermon-
dialiste ») François-Xavier Verschave, qui a de façon infatigable coordonné
et publié des enquêtes sur cette maladie franco-africaine.4
Partie d’une volonté commune des présidents Charles de Gaulle et Félix
Houphouët-Boigny d’entretenir une relation privilégiée entre la France et
ses ex-colonies africaines et leurs nouveaux chefs d’État, la Françafrique fut
organisée par les réseaux Foccart, mais largement reprise par les Présidents
français successifs, en particulier Valéry Giscard d’Estaing et François

0347
Mitterrand. Emmanuel Macron semble le premier Président français à vou-
loir rompre clairement avec ce système.

0026
Celui-ci a prodigieusement agacé les Ministères français de la
Coopération et des Affaires étrangères (le premier ayant été fondu ensuite

7:17
dans le second) qui se sentaient doublés par une diplomatie parallèle faite
d’intermédiaires quelquefois douteux, voire même parfois par des merce-

0.21
naires, mais pilotés (ou tolérés selon les cas) par l’Elysée et son conseiller
aux affaires africaines.
Sur le plan politique, cela a abouti à maintenir, par des manœuvres élec- 9.16
0.17
torales ou des interventions militaires ponctuelles, des dirigeants africains
corrompus ou dictatoriaux, mais considérés comme des appuis fidèles de la
6:16

France (notamment par leurs voix aux Nations unies).


8565

En dehors des affaires économiques, pour lesquelles les coups de télé-


phone présidentiels permettaient d’attribuer à des groupes français des
888

concessions pétrolières, portuaires ou de construction d’infrastructures,


quelquefois dans des conditions monopolistiques, cette politique mutuelle-
672:

ment consentie a parfois contribué à des drames humains catastrophiques.


0856

On peut rappeler le soutien militaire français au régime Ahidjo au


Cameroun dans les années 1960 pour lutter contre les maquis de l’UPC,
:211

aboutissant à des dizaines de milliers de morts et/ou torturés et à des cen-


taines de milliers de déportés.
nitra

De plus, les positions françaises, parfois obnubilées par la rivalité avec


G Ke

les Britanniques ou les Américains, ont pu être aussi d’une ambiguïté grave
dans des pays extérieurs à la colonisation française. Par exemple, le sou-
:ENC

tien français apporté à la sécession biafraise du colonel Ojukwu au Nigeria


(1967-1970) aurait renforcé le blocus imposé par l’armée nigériane, qui a été
x.com

à l’origine d’une des plus grandes famines du XXe siècle.

3. Voir notamment : GLASER Antoine, Arrogant comme un Français en Afrique, Fayard,


larvo

2016.
4. Lire notamment : VERSCHAVE François-Xavier, La Françafrique : le plus long scandale
.scho

de la République, Stock, 1999.


www
80 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

De même, l’aveuglement de François Mitterrand au Rwanda en 1994,


alors que la France avait soutenu le régime hutu de Habyarimana et formé
son armée et se méfiait du Front Patriotique Rwandais des Tutsis, soutenu
par les Ougandais vus comme « anglo-saxons », a contribué pour une part à
la catastrophe. Alors que les soldats français de l’opération Turquoise assis-
taient, écœurés, au génocide, ils n’ont pas reçu l’ordre de le combattre, mais
ont pu aider ensuite à exfiltrer les génocidaires vaincus vers la République
démocratique du Congo voisine, qui contribueront par la suite à déstabili-
ser la région des Kivus.
La « Françafrique » a donc joué d’une grande ambiguïté, qui avait pour
objectifs de gâter des dirigeants africains pour s’assurer de leur fidélité dans
le jeu des tensions de la guerre froide, des rivalités entre grandes puissances
et de la concurrence internationale. Même la leçon de démocratie assénée

0347
aux Chefs d’États africains réunis à La Baule par François Mitterrand en
1990 ne l’a pas empêché d’influencer par des voies parallèles les pays fran-

0026
cophones du continent (notamment par l’entremise de Jean-Christophe
Mitterrand, surnommé « Papa m’a dit ») et d’y conduire un grand nombre

7:17
d’interventions militaires (souvent très ponctuelles).

0.21
Il importe de saisir l’impact négatif de cette politique à de nombreux
égards dans la perception des populations africaines qui ont eu le sentiment
d’une protection de Chefs d’État autoritaires, corrompus ou dictatoriaux, 9.16
0.17
d’un manque de transparence dans l’attribution des grands marchés aux
groupes français, et d’un post-colonialisme par les interventions politiques
6:16

ou militaires.
De fait, la « Françafrique » n’existe plus guère aujourd’hui pour deux
8565

raisons principales :
888

• d’abord l’effondrement du système soviétique qui a libéré les pays


africains d’un choix entre alignement pro-occidental ou procommu-
672:

niste, avec ses alliances plus ou moins contraintes ;


• puis l’irruption des grands pays émergents, en premier lieu de la
0856

Chine, qui ont complètement changé la donne de la concurrence écono-


mique et stratégique en Afrique.
:211

Mais d’une manière générale, le manque de transparence de ces tracta-


nitra

tions et transactions occultes, ou ces interventions non sollicitées, ont en-


traîné chez les intellectuels africains une méfiance postcoloniale fréquente
G Ke

et parfois chez les populations des rumeurs incontrôlées. On le voit bien par
exemple en 2019 dans les réactions négatives à l’opération « antiterroriste »
:ENC

française au Sahel, pourtant demandée par les gouvernements africains


concernés …
x.com
larvo
.scho
www
LEs InDéPEnDAncEs 81

3.2. Les séquelles psychosociologiques


Bien que la grande majorité des Africains d’aujourd’hui n’aient jamais
connu la période coloniale et que beaucoup de jeunes cadres du continent
paraissent tout à fait décomplexés à cet égard, les séquelles de la colonisation
restent fort présentes dans la culture et souvent dans le discours africains.
Elles sont prêtes à resurgir en cas de comportement inadapté, de tension
politique ou simplement de difficultés pouvant impliquer les Européens de
près ou de loin.
Il s’agit d’abord d’un traumatisme pour les Africains. Sur l’espace de
deux générations (pendant en moyenne 70 ans), ceux-ci ont été soumis à un
ensemble de bouleversements :
• la première génération a connu une intrusion brutale, et même par-

0347
fois meurtrière par les batailles de conquêtes. Elle en est sortie vaincue
et donc humiliée. Elle a connu le travail forcé, une forme de servage :

0026
même s’il n’était que sur des périodes limitées et espacées, beaucoup en
sont morts d’épuisement, de maladies ou d’accidents dans les grands

7:17
travaux. D’autres sont morts en Europe sur les champs de bataille de la

0.21
Première Guerre mondiale. Cette génération a souffert aussi des mala-
dies importées par les Européens ;
9.16
• la seconde génération a connu une période moins défavorable, avec
le développement des infrastructures, de la santé et de l’éducation et de
0.17

nouveaux types d’emplois, publics ou privés. Mais elle a intégré les souf-
frances de ses parents et elle a été déséquilibrée, voire écartelée, entre
6:16

deux systèmes de valeurs, celui de ses parents et le modèle colonial, poli-


8565

tique et religieux. À ceci s’ajoute la confusion (encore très fréquente au-


jourd’hui) entre esclavage et colonisation. Cette génération a eu le loisir
888

de mesurer l’écart entre la démocratie enseignée et la domination subie.


Elle y a forgé sa révolte et en a souvent subi la répression, voire parfois la
672:

guerre d’indépendance.
0856

De ces traumatismes, sont venus à la fois un certain complexe d’infé-


riorité, une méfiance vis-à-vis des Européens et un désir de revanche qui
:211

subsistent dans la génération actuelle. Michel Sauquet et Martin Viélajus5


notent : « Dans bien des pays de l’ex-empire colonial français, on observe
nitra

encore … des réactions d’une grande ambiguïté attribuant au Blanc un


pouvoir ou un savoir-faire souvent supérieurs à la réalité, mais aussi en
G Ke

mettant continuellement en doute ses intentions et en lui attribuant a priori


une stratégie néocoloniale. »
:ENC

De façon significative, ils comparent cette situation à celle prévalant en


Ethiopie, qui n’a guère connu de colonisation et où « le rapport au Blanc…
x.com

se caractérise par une relative indifférence … la fierté éthiopienne ne se sent


nullement menacée … et incite l’expatrié à n’espérer aucune plus-value de
larvo

5. SAUQUET Michel et VIELAJUS Martin, L’intelligence interculturelle. 15 thèmes à ex-


.scho

plorer pour travailler au contact d’autres cultures, Editions Charles Léopold Mayer, 2014.
www
82 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

sa situation d’étranger, de même qu’elle le préserve de tout sentiment de


rancœur de la part des nationaux. »
Les auteurs préconisent alors avec justesse aux intervenants français en
Afrique d’éviter à la fois une posture de « culpabilité héréditaire » qui leur
interdirait de « parler vrai », au risque de « ne servir à rien par excès de
prudence », comme une posture de déni du passé colonial, dont les effets
psychosociaux sont toujours présents, même à l’insu des partenaires euro-
péens et africains d’aujourd’hui.
Au niveau politique, on peut ainsi rappeler la situation au Mali ou au
Burkina Faso, où la force française « Barkhane » intervient à la demande
d’autorités africaines régulièrement élues, pour lutter contre « le terrorisme
islamiste », mêlé de banditisme pour se financer, qui exploite les rivalités

0347
ethniques traditionnelles (notamment entre pasteurs nomades et agricul-
teurs sédentaires) pour créer des situations de guerre civile et de chaos. La

0026
force française, bien qu’elle soutienne les forces malienne et burkinabé et la
force africaine conjointe du G5 Sahel en cours de mise en place, est régu-

7:17
lièrement conspuée dans des manifestations à Bamako ou à Ouagadougou,

0.21
qui semblent la considérer comme une force coloniale ...
Il est vrai qu’il y a eu des précédents très fâcheux, comme indiqué à pro-
pos de la « Françafrique », notamment à la demande du président camerou- 9.16
0.17
nais Ahidjo dans les années 1960. Mais cet épisode brutal de coopération
militaire postcoloniale, qui violait les droits de l’homme, ne semble pas du
6:16

tout comparable aux conditions d’intervention actuelles au Sahel.


8565

Marc-Antoine Pérouse de Montclos6 les explique de façon documentée,


en particulier pour le Mali. De multiples facteurs expliquent ce qu’il appelle
888

une « guerre perdue », dans laquelle la France est souvent mal perçue pour
sa collaboration, voire son sauvetage, au profit d’un gouvernement corrom-
672:

pu et inefficace : soldes non versées aux soldats maliens, équipement mili-


taire détourné par la corruption, massacres commis par l’armée malienne
0856

sur des populations civiles, abandon de zones critiques par les officiers et
des zones rurales par les fonctionnaires maliens. On pourrait y ajouter la
:211

non-application des accords d’Alger de 2015 avec la Coordination des mou-


nitra

vements de l’Azawad (Nord du Mali, notamment touareg).


Pour Pérouse de Montclos, « le recours à la force militaire a occulté les
G Ke

causes politiques du djihadisme et retardé d’autant l’adoption d’un nouveau


contrat social. La lutte contre le “terrorisme” … n’a pourtant aucune chance
:ENC

d’aboutir tant que n’auront pas été réglés les véritables problèmes de l’État
malien, qui tiennent à son mode de gestion prédateur de l’accès à la terre et
x.com

aux ressources naturelles ». La France y est piégée dans une situation inso-
luble : elle ne veut ni ne peut être « néocoloniale » en décidant à la place des
larvo

6. PEROUSE de MONTCLOS Marc-Antoine, Une guerre perdue. La France au Sahel,


.scho

Lattès, 2020.
www
LEs InDéPEnDAncEs 83

autorités maliennes, mais elle est accusée de l’être parce que de facto elle
leur permet de se maintenir au pouvoir.
Ainsi, cette sensibilité soupçonneuse à l’égard d’un néocolonialisme
présumé demande, aujourd’hui encore, bien des qualités diplomatiques aux
intervenants européens en Afrique.

0347
0026
7:17
0.21
9.16
0.17
6:16
8565
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672:
0856
:211
nitra
G Ke
:ENC
x.com
larvo
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0347
CHAPITRE 6

0026
LES ÉVOLUTIONS RELIGIEUSES

7:17
0.21
L’Afrique n’a pas abandonné ses religions traditionnelles. Mais, ayant
très largement adopté des religions monothéistes, elle les accompagne géné-
ralement de croyances ou au moins de cultes traditionnels, surtout avec le 9.16
0.17
christianisme, qui est plutôt moins exclusif que l’islam.
6:16

1. Les religions traditionnelles africaines


8565

Les religions africaines ont souvent l’intuition d’un Dieu suprême et


888

créateur de l’univers, mais inaccessible. L’autre croyance fondamentale est


que les ancêtres restent vivants comme esprits : ils peuvent se manifester ou
672:

on peut s’adresser à eux par des rites adaptés, et ils peuvent même revenir
0856

en leurs descendants. Au niveau intermédiaire entre le Dieu suprême et les


ancêtres, il y a des divinités représentatives de l’environnement des ethnies
:211

(l’eau, la forêt ou la savane, la fertilité des champs ou des femmes …), aux-
quelles on peut s’adresser par l’intercession des ancêtres.
nitra

Les religions traditionnelles s’inscrivent dans la conception d’un monde


G Ke

dont l’homme n’est pas le centre comme dans la pensée occidentale. Les
ancêtres et les esprits qui peuplent les forêts et les bois sacrés forment un
:ENC

monde invisible, relié au monde visible des hommes, des animaux et de


la nature. Comme beaucoup de communautés africaines ont leurs bois ou
x.com

forêts sacrés, qui sont strictement protégés ou interdits d’accès aux non-
initiés, des écologistes s’efforcent aujourd’hui de s’inspirer de cette sagesse
larvo

de protection spirituelle de la nature pour lutter contre la déforestation en


Afrique. Quand des animaux sont sacrés, ils sont aussi un lien entre le vi-
.scho

sible et l’invisible : par exemple, pour les Fon (Bénin, Nigeria), le python est
www
LEs éVoLuTIons RELIgIEusEs 85

un animal sacré qu’il ne faut pas tuer, mais parfois au contraire entretenir
rituellement, comme les pythons sacrés de Ouidah (Bénin).
Le poète sénégalais Birago Diop exprime bien cette présence des morts
et des autres esprits dans un poème intitulé « le Souffle des Ancêtres » dans
le recueil Leurres et lueurs1, qui commence ainsi :
« Ecoute plus souvent
Les choses que les êtres,
La voix du feu s’entend,
Entends la voix de l’eau.
Ecoute dans le vent
Le buisson en sanglot :

0347
C’est le souffle des ancêtres.

0026
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire

7:17
Et dans l’ombre qui s’épaissit.

0.21
Les morts ne sont pas sous la terre :
Ils sont dans l’arbre qui frémit,
Ils sont dans le bois qui gémit, 9.16
0.17
Ils sont dans l’eau qui coule,
Ils sont dans la case,
6:16

Ils sont dans la foule :


8565

Les morts ne sont pas morts ... »


888

Ainsi, les religions traditionnelles restent importantes, en particulier


dans le golfe de Guinée (Bénin, Ghana, Togo, Nigeria …) chez les Fon,
672:

Ewé, Yorubas qui pratiquent le vaudou (qui serait originaire du royaume du


Dahomey). Le vaudou reconnaît un Dieu suprême, Mawu, mais on s’adresse
0856

à un panthéon de divinités (vaudoun) représentant des forces de la nature


(la mer, la foudre, la maladie ou la guérison …) ou les forces d’activités hu-
:211

maines (dieux de l’amour, de la guerre …). Un dieu messager, Papa Legba,


nitra

est l’intermédiaire essentiel entre les dieux et les hommes, par l’entremise
des prêtres.
G Ke

Mami Wata est une déesse populaire de la mer, parfois décrite sous
forme de sirène ou de très belle femme, vénérée et crainte, que l’on retrouve
:ENC

jusqu’aux côtes du Cameroun et du Congo. On lui attribue les caractères de


l’Atlantique : à la fois belle comme l’océan et ses vagues, dangereuse comme
x.com

ses funestes courants ou la barre qu’affronte la pirogue des pêcheurs, sen-


suelle comme ses chaudes plages de sable. Les « marabouts » proposent
larvo

d’intercéder auprès d’elle pour s’enrichir ou trouver l’amour, alors que les
.scho

1. DIOP Birago, Leurres et lueurs, Présence Africaine, 1960.


www
86 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

pêcheurs et les baigneurs craignent qu’elle ne vous engloutisse sous ses flots
dangereux.
Dans les croyances traditionnelles, la religion vaudou s’accompagne
d’une sorcellerie et, en contrepartie, d’une médecine traditionnelle. On dis-
tinguerait ainsi trois types de rituels : la « magie noire » (sorcellerie mal-
veillante, avec par exemple les « poupées vaudou » pour piquer à distance
sa victime), la « magie blanche » (médecine traditionnelle ou guérison de
la « magie noire ») et la « magie rouge » (supposée favoriser l’amour). On
reviendra dans un chapitre ultérieur sur ces fonctions de sorcier et de gué-
risseur.
Le syncrétisme des religions traditionnelles avec les religions mono-
théistes est très fréquent, surtout avec le christianisme en Afrique centrale

0347
(l’islam étant en principe farouchement opposé à ce qu’il considère être
de l’idolâtrie). Dans un pays comme le Bénin, on pourrait avoir à la fois

0026
une majorité de chrétiens (53 %) et une majorité d’adeptes du vaudou s’il en
existait une statistique crédible, mais le total dépasserait les 100 % s’il fallait

7:17
les distinguer ...

0.21
Les « marabouts » que l’on trouve en Afrique de l’Ouest sont en prin-
cipe des théologiens de l’islam auxquels on vient demander des conseils
religieux. Mais ces derniers vont bien au-delà des préceptes de l’islam et 9.16
0.17
concernent la vie familiale et amoureuse, les études et les succès aux exa-
mens, la santé et les remèdes à la sorcellerie … S’adaptant à leurs « clients »,
6:16

les marabouts enrobent dans les principes de l’islam et dans les pages du
Coran des talismans et autres objets pieux ou « magiques », ce en quoi ils
8565

retombent dans l’ « idolâtrie » que l’islam condamne fermement ...


888
672:

2. Les trois religions du monothéisme


0856

On peut distinguer dans l’ordre historique le judaïsme et le christia-


nisme antique, puis l’islam et enfin le christianisme missionnaire : ce der-
:211

nier est très différent du christianisme antique et, du côté protestant, il fait
l’objet actuellement d’une diversification déconcertante.
nitra

2.1. Le judaïsme
G Ke

Il est apparu en Afrique en plusieurs vagues, surtout après la destruc-


:ENC

tion du Temple de Jérusalem par les Romains en l’an 70, qui entraîna une
vaste dispersion des juifs. La plupart empruntèrent alors les voies de l’em-
x.com

pire romain vers le Moyen Orient, l’Europe ou l’Afrique du Nord. D’autres


contournèrent ou traversèrent la mer Rouge pour se réfugier en Abyssinie,
larvo

où ils seraient à l’origine du peuplement falasha. En Afrique du Nord, cer-


taines tribus berbères se dirent juives, ce qui signifie sans doute qu’il s’agis-
.scho

sait de juifs ayant acquis une langue berbère (car, en principe, le judaïsme
www
LEs éVoLuTIons RELIgIEusEs 87

se transmet de la mère à l’enfant et on ne se convertit pas au judaïsme, sauf


par des règles restrictives et rigoureusement contrôlées).
Le judaïsme fut ensuite soumis, comme le christianisme, à la pression de
la conquête arabe et certains juifs se convertirent à l’islam. En contrepartie,
l’Afrique du Nord fut fortement enrichie au XVe siècle de réfugiés espagnols
musulmans et juifs lors de la « reconquista » et de l’inquisition catholiques.
Des communautés juives importantes s’établirent dans les grandes villes
d’Afrique du Nord (souvent dans un quartier séparé, le « mellah »), notam-
ment au Maroc à Fès, à Marrakech et à Essaouira, ou en Tunisie à Kairouan
et dans l’île de Djerba.
Au milieu du XXe siècle, la grande majorité des juifs d’Afrique du Nord
émigrèrent en deux vagues : vers Israël après sa fondation en 1948 et vers la

0347
France au moment des indépendances d’Afrique du Nord. Il en fut de même
pour les Falashas d’Ethiopie : Israël organisa deux vagues de « retour » vers

0026
la Terre sainte : les opérations Moïse en 1984 pour 16 000 juifs éthiopiens
et Salomon en 1991 pour 14 000 autres. Il reste toujours des Falashas en

7:17
Ethiopie, qui souvent aspirent au départ en Israël.

0.21
2.2. Le christianisme antique
Il s’est développé dans les premiers siècles de notre ère dans sa compo- 9.16
0.17
sante latine (celle gouvernée par le pape de Rome) au Maghreb, où il a qua-
siment disparu, et dans sa composante monophysite, en Egypte, au Soudan,
6:16

en Ethiopie et en Erythrée, où il est toujours présent.


8565

La communauté chrétienne d’Afrique romaine était la plus impor-


tante du christianisme latin et donna naissance à des grands théologiens.
888

Tertullien (né vers 150, mort vers 220), originaire d’une famille berbère
païenne, vivait à Carthage : il est le premier théologien latin à développer le
672:

concept de Trinité.
0856

Augustin (354-430) vivait dans l’Algérie actuelle, né d’une famille ber-


bère aisée. Il se convertit au christianisme en 386 lors d’un séjour en Italie
:211

et deviendra évêque d’Hippone (aujourd’hui Annaba). Il est le théologien


de la transcendance et de la grâce divines et sera considéré comme l’un des
nitra

plus grands penseurs chrétiens (« Docteur de l’Eglise »).


G Ke

Le christianisme romain d’Afrique du Nord disparaîtra progressivement


après l’invasion arabo-musulmane du VIIe siècle.
:ENC

Le christianisme copte (c’est-à-dire « égyptien ») s’est affirmé monophy-


site2 (« une seule nature » divine pour le Christ) au Concile de Chalcédoine
x.com

(451) où il se sépare de Rome (cf. chapitres 2 et 3). Le patriarcat d’Alexan-


drie fondera les églises nubiennes d’Alodia, Nobatia et Makouria, lesquelles
larvo

ont presque disparu du Soudan aujourd’hui, et l’église éthiopienne dès 333.


.scho

2. Les Eglises copte et arménienne sont les deux plus importantes Eglises monophysites.
www
88 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Aujourd’hui, les chrétiens représentent 9 % de la population en Egypte, 5 %


au Soudan et 63 % de la population en Ethiopie et en Erythrée. Ce sont
donc des Eglises importantes, compte tenu surtout de la population consi-
dérable de l’Egypte (plus de 97 millions) et plus encore de l’Ethiopie (plus
de 105 millions) : ces Eglises réunissent donc environ 80 millions de chré-
tiens dans l’Afrique proche de la mer Rouge.
Il convient de revenir sur la plus importante, l’Eglise d’Ethiopie. Celle-
ci, née dans le royaume d’Aksoum dès le IVe siècle, s’est surtout développée
à partir du souverain Lalibela au début du XIIIe siècle, en contact épisto-
laire étroit avec le patriarche d’Alexandrie. Très impliqué dans les affaires
de l’Eglise, Lalibela semble à l’origine de la tradition officielle (toujours très
visible aujourd’hui dans les représentations éthiopiennes) qui fait du Négus

0347
le descendant de l’union du roi Salomon et de la reine de Saba, donc héritier
d’Israël et élu de Dieu, comme le christianisme est issu du judaïsme.

0026
Grand protecteur et donateur de l’Eglise, le souverain a donné son nom
au site extraordinaire de Lalibela où sont creusées dans le roc douze églises

7:17
« rupestres » entourées de leur place sur le pourtour, chacune d’entre elles
étant ensuite évidée artistiquement pour accueillir les fidèles à l’intérieur.

0.21
Marque à la fois d’un royaume florissant et d’une foi populaire enraci-

9.16
née, ce site est évidemment inscrit aujourd’hui au patrimoine mondial
de l’UNESCO. L’expansion du royaume chrétien fut poursuivie par le roi
0.17
Amda Seyon (1314-1344), aux dépens des sultanats musulmans de la région,
parfois soutenus par des armées venues de la péninsule arabique.3
6:16

En 1632, les missionnaires jésuites européens envoyés en Ethiopie seront


8565

expulsés car ils s’opposaient à la doctrine monophysite de la nature unique


du Christ.
888

2.3. L’islam sunnite


672:

Il apparut dès le VIIe siècle en Afrique du Nord par la conquête arabe,


0856

puis en Afrique subsaharienne (d’abord au royaume de Tekrour, au Nord


du Sénégal actuel). La côte swahilie est islamisée à partir du VIIIe siècle avec
:211

les Perses shirazis (de Shiraz ou Chiraz) et au Kanem-Bornou au IXe siècle.


nitra

L’islam africain se développe surtout avec l’école malékite (en particulier


à l’Ouest), mais aussi à l’Est avec l’école shaféite en Egypte et sur les côtes
G Ke

de l’océan Indien, et également l’école hanéfite en Egypte par l’influence


ottomane4.
:ENC

3. Voir FAUVELLE François-Xavier (dir.), De l’Acacus au Zimbabwe. 20 000 avant notre


ère – XVIIe siècle. L’Afrique ancienne, Belin, 2018.
x.com

4. Les écoles juridiques du sunnisme se distinguent surtout par les sources de l’islam
qu’elles estiment légitimes : ainsi, les écoles malékite et hanéfite sont considérées comme
plus ouvertes, car elles reconnaissent comme sources (dans l’ordre hiérarchique) le
larvo

Coran, les Hadith (la vie et l’enseignement du Prophète tels que rapportés par ses com-
pagnons), le consensus des savants musulmans et, si besoin, l’opinion personnelle, pour
.scho

juger des situations non codifiées, par le « raisonnement analogique » (comment aurait
www
LEs éVoLuTIons RELIgIEusEs 89

En Afrique de l’Ouest, l’islam se développe massivement à la fin du


XVIIIe et au début du XIXe siècle, notamment sous la forme du soufisme
confrérique, en particulier avec la Tijaniyia.5

La Tijaniya, un trait d’union entre le Maghreb et l’Afrique


de l’Ouest
Pour Adourahmane sEcK6, maître-assistant à l’université gaston
Berger de saint Louis, l’islam sénégalais est à 85 % ou 90 % confré-
rique. Il y a un « contrat social sénégalais » entre ceux qui ont le
pouvoir temporel et ceux qui ont le pouvoir spirituel, c’est-à-dire une
relation institutionnalisée entre l’état et les confréries depuis l’époque
coloniale. « Les politiques et les religieux discutent » et, en général, les

0347
confréries sont conservatrices et soutiennent le pouvoir en place.

0026
Les médias jouent le jeu des confréries : les magnats de la presse
financent des mosquées et les prêcheurs sont invités par les télévi-

7:17
sions et les radios. Les chancelleries occidentales adoubent aussi les
confréries car elles les voient comme un rempart contre le djihadisme.

0.21
seuls les salafistes d’Ibadou Jaamatou Rahmane (« association des
serviteurs de Dieu ») critiquent de front les confréries parce qu’elles
9.16
produisent des intermédiaires indus entre Dieu et l’homme (les mara-
bouts) et, selon eux, une forme d’idolâtrie par le culte rendu à leurs
0.17
mausolées.
6:16

La Tijaniya joue un rôle particulier de lien entre le Maroc et le sahel.


sidi Ahmed Al Tijânî, né en 1737 à Ain Madhi (près de Laghouat,
8565

en Algérie), aurait une descendance établie avec hassan, le petit-fils


du prophète. Il fait des études à l’université Al quaraouiyine à fès et
888

parachève sa formation par un pèlerinage à la Mecque et dix ans de


voyages, en particulier au caire, sans trouver de maître spirituel. Il
672:

rejette ainsi les wird (rites de prières et récitations) expérimentés dans


différentes confréries et différents voyages, y compris le wird reçu de
0856

Mahmud El Kurdi au caire en 1774.7


De retour à Ain Madhi, il a une expérience mystique en 1781 à Abû-
:211

semghun (dans le sud algérien, non loin de figuig au Maroc), qui lui
nitra

réagi le Prophète dans cette situation). L’école shaféite, dont le cœur doctrinal est l’Uni-
G Ke

versité Al-Azhar du Caire, ne reconnait pas l’opinion personnelle et est donc considérée
comme moins ouverte.
Le soufisme est la tendance mystique de l’islam, qui se pratique généralement dans le
:ENC

cadre de confréries, lesquelles organisent souvent des rites annuels religieux et festifs.
5. Voir THERY Benoît, « Les enjeux interculturels des investissements du Maroc en
Afrique de l’Ouest », in Actes du colloque « Voix africaines, voies émergentes », Université
x.com

Paris-Diderot, 22-24 mai 2018, à paraître chez les Archives contemporaines, coll.
« InterCulturel », 1er semestre 2020.
6. SECK Adourahmane, « L’islam au Sénégal : actualité et devenir », conférence à l’Ecole
larvo

des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris, le 22 février 2018.


7. EL ADNANI Jillali, Entre Maghreb et Afrique subsaharienne. Les origines de la Tijâniyya
.scho

et de la Hamawiyya (1781-1809), Université Mohamed V, Rabat, 2016.


www
90 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

confère une légitimité exceptionnelle : il reçoit la révélation (l’ « ouver-


ture », une illumination par le prophète Mohammed ou vision à l’état
de veille). Le Prophète lui apparaît et lui ordonne de suivre sa voie
et d’abandonner celles auxquelles il s’était affilié précédemment : il
fonde alors sa propre confrérie et se voit comme le « sceau » des
confréries. Il s’installe définitivement à fès en 1798 et y meurt en 1815.
La Tijaniya n’a pas de doctrine rigoureuse : elle a puisé dans différentes
sources religieuses, et se voit comme la « Tariqa Mohammedia », ou
le « secret du Prophète » à Ahmed Tijani, donc comme un retour aux
sources. Elle se caractérise d’abord par son wird. Bâtie sur le respect
du droit à la différence en rejetant toutes les formes de violence et
d’extrémisme, elle admet différentes écoles théologiques sunnites : des
shaféites (Egypte et côte swahilie), des Malékites (Maroc, Afrique de

0347
l’ouest), des hanbalites (en Algérie et en Arabie saoudite) ou des
hanéfites (Egypte) ; elle s’est même ouverte aux shiites.

0026
Pour la Tijaniya, la voie la plus directe à Dieu est donc le wird tijani,
qui préconise l’invocation continuelle de Dieu, la bénédiction de son

7:17
prophète, la récitation du coran, l’accomplissement en groupe des
cinq prières … cette doctrine très simple devint vite populaire auprès

0.21
des populations berbères, puis africaines, auxquelles elle promet le

9.16
pardon des péchés, la clémence divine et une place au paradis.
Les 21 compagnons d’Ahmed Al Tijani et ses 43 successeurs diffusent
0.17

son enseignement initiatique dans tout le Maghreb, en Mauritanie,


au sénégal, au Mali, en guinée, et jusqu’au niger, au Tchad et au
6:16

nigeria. La confrérie s’est développée en Afrique subsaharienne grâce


à des marabouts guerriers comme El hadj omar Tall (1794-1864) qui
8565

avait lancé un mouvement de résistance contre les incursions colo-


niales. Au sénégal, la propagation est surtout due au prosélytisme
888

de marabouts comme El hadj Malick sy (1855-1922) à Tivaouane et


672:

Abdoulaye niasse (1844-1922) à Kaolack.


Les liens de la Tijaniya sont très forts entre le Maroc et l’Afrique de
0856

l’ouest, où l’espace était plus ouvert qu’au Maghreb pour de nouvelles


confréries et où la Tijaniya est adoptée collectivement par tribus en-
:211

tières. Mais les Touaregs étant hostiles à la Tijaniya, ils en constituaient


une barrière plus à l’Est du sahara.
nitra

fès au Maroc, Ain Madhi en Algérie, Tivaouane, Thiès et Kaolack


G Ke

au sénégal, Bandiagara au Mali, chinguetti en Mauritanie sont les


grands sites de la Tijaniya, considérée comme la confrérie la plus
:ENC

importante au monde (300 à 350 millions d’adeptes ?). Elle se divise


en plusieurs branches, correspondant à des villes saintes autour des
x.com

mausolées des chefs de lignée. Mais toutes recherchent une affiliation


spirituelle avec la zaouïa (siège d’une confrérie) de fès.
larvo

Des milliers d’adeptes, essentiellement en provenance de l’Afrique sub-


saharienne, visitent la médina de fès pour le moussem (fête religieuse
.scho

annuelle) de l’Aïd el Mawlid (naissance du prophète) et viennent se


www
LEs éVoLuTIons RELIgIEusEs 91

recueillir sur la tombe de cheikh Ahmed Tijani : la zaouïa Tijaniya et


le mausolée de sidi Ahmed Tijani, situés près de la porte Bab-oued-
Zhoun, sont un lieu sacré pour les adeptes de la confrérie.
Le pèlerinage y a pris une grande ampleur depuis une vingtaine d’an-
nées et devient un phénomène de société au sénégal et un enjeu
commercial et diplomatique pour le Maroc. une étude par immersion
dans un pèlerinage sénégalais de nazarena Lanza, alors doctorante
au centre de recherches en sciences sociales Jacques Berque à Rabat,
représente une approche ethnologique qui met en lumière les diffé-
rentes dimensions, religieuse, touristique et même commerciale, du
pèlerinage subsaharien à fès.8 on la résume ici brièvement.
Le pèlerinage est considéré comme presque aussi important que celui
de La Mecque : il peut se faire aussi sur la route d’un pèlerinage à La

0347
Mecque ou, pour certains, le remplacer. à fès, Ahmed al-Tijani, repré-
sentant le Prophète, offre au pèlerin son intercession auprès de Dieu.

0026
on prie selon le rite tijane et l’on fait des vœux. La ziyara (pèlerinage)
implique également des dons, faits à la zaouïa de fès. Le pèlerin de

7:17
retour de fès est entouré d’une aura de prestige et supposé porteur de
la baraka (bénédiction divine).

0.21
Des agences de voyages se sont spécialisées dans l’organisation de

9.16
« ziyara tout compris » à partir de Dakar, développant un important
tourisme religieux : on fait escale à casablanca et à Rabat pour visiter
0.17
des mausolées de marabouts tijanes, mais aussi pour faire du tou-
risme et des achats. Le commerce féminin représente une composante
6:16

importante du pèlerinage à fès : on achète au Maroc des produits


(vêtements, sacs, babouches, djellabas brodées, tissus, voiles, tapis,
8565

bijouterie et appareils de bureautique …) qui ont une bonne renom-


mée pour être revendus au sénégal.
888
672:

2.4. Le christianisme missionnaire


0856

Il commence avec les Portugais au début du XVIe siècle au royaume du


:211

Kongo, puis rapidement ensuite en Angola.


La grande époque du christianisme missionnaire, catholique, protestant
nitra

ou anglican, sera le XXe siècle lors de la période coloniale européenne. Il


G Ke

s’implante très peu en Afrique du Nord, qui reste musulmane. En Afrique


de l’Ouest, l’islam reste souvent prédominant au Sahel : Mali, Sénégal et
Gambie, Burkina Faso ou Niger, mais le christianisme devient majori-
:ENC

taire dans certains pays du golfe de Guinée comme le Bénin, le Ghana et le


Liberia.
x.com
larvo

8. LANZA Nazarena, « Pèleriner, faire du commerce et visiter les lieux saints : le tourisme
.scho

religieux sénégalais au Maroc », L’Année du Maghreb, 11, 2014, p. 157-171.


www
92 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

C’est surtout en Afrique centrale, orientale et australe que le


Christianisme s’implante majoritairement : Cameroun, Gabon, les deux
Congo et la République Centrafricaine, Rwanda, Burundi, le Kenya, la
Tanzanie et l’Ouganda, l’Afrique du Sud, Angola, Mozambique, Malawi,
Zambie, Zimbabwe, Madagascar…
Les confessions se répartirent généralement selon celles du pays coloni-
sateur : catholique avec les Portugais, les Français et les Belges, anglicane
ou méthodiste avec les Britanniques, luthérienne avec les Allemands dont
l’influence religieuse est restée au-delà de leur présence (par exemple, pour
partie au Cameroun).
Mais le phénomène le plus marquant aujourd’hui est le développement
extraordinaire des « églises du réveil », qu’elles soient importées ou endo-

0347
gènes : évangélistes, pentecôtistes … ou les églises africaines indépendantes,
prophétiques, voire sectaires ou commerciales, s’appuyant souvent sur des

0026
moyens médiatiques. Ces Eglises se caractérisent par des pasteurs charis-
matiques, des rites très extériorisés et des contributions financières élevées

7:17
et prélevées sur les revenus des fidèles (la dîme par exemple).

0.21
Les adeptes des églises évangélistes seraient 165 millions en Afrique et
l’« Eglise de Pentecôte ghanéenne » aurait 28 filiales africaines ... Les dif-
9.16
férentes « Eglises indépendantes » seraient environ 12 000 en Afrique, la
plupart totalement inconnues hors du continent ... Ces églises traduisent
0.17
surtout un malaise social en ville et répondent à un besoin de réconfort par
de nouvelles communautés avec de nouvelles motivations rituelles.
6:16

Par contraste, l’Eglise catholique centralisée et hiérarchisée (mais avec


8565

des adaptations du rite des célébrations en Afrique) apparaît comme un


socle stable. Dans l’immense et chaotique République démocratique du
888

Congo, l’Eglise catholique a la réputation d’être l’institution la plus im-


plantée, la mieux structurée, la mieux informée et la plus solide du pays…
672:

Elle représente 96 % de ses 85 millions d’habitants (ce qui évidemment


0856

n’empêche pas un pourcentage inconnu, mais élevé, de syncrétisme avec les


religions traditionnelles …).
:211
nitra

3. Les autres religions


G Ke

Il convient de citer surtout l’Hindouisme, qui est représenté en Afrique du


Sud (environ 1 500 000 personnes, essentiellement dans la région du Natal)
:ENC

et dans les îles de l’océan Indien (à Maurice, à La Réunion et à Madagascar)


et en Afrique de l’Est, d’abord au Kenya et en Tanzanie. L’hindouisme est la
x.com

première religion à Maurice où il représente 52 % de la population.


Il s’agit surtout d’une population d’origine indienne, « importée »
larvo

comme main-d’œuvre qualifiée en Afrique par la colonisation britannique.


Rappelons que Gandhi était avocat en Afrique du Sud avant d’être l’apôtre
.scho

de la non-violence et le père de l’indépendance en Inde.


www
2
PARTIE

0347
ADAPTER

0026
SON MANAGEMENT

7:17
EN AFRIQUE
0.21
9.16
0.17

On commence cette seconde partie par un chapitre (7)


6:16

sur les enjeux économiques, politiques et sociaux d’au-


8565

jourd’hui, puis sur le contexte culturel avec les grandes


familles que l’on peut voir se dessiner en Afrique (cha-
pitre 8), ceci d’abord sur le critère déterminant de la
888

langue et des parentés ethnolinguistiques. Cela n’empêche


672:

pas de montrer au chapitre suivant (9) qu’il y a cependant


des caractères communs aux cultures africaines (y com-
0856

pris entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne)


et d’y présenter des modèles sociétaux et de management
:211

endogènes à l’Afrique. On les complète (chapitre 10) par


l’impact important de la spiritualité et des traditions
nitra

secrètes. Ensuite, on part des modèles internationaux du


G Ke

management interculturel pour interpréter le manage-


ment africain (chapitre 11). Enfin et surtout, on recherche
au chapitre 12 les voies d’adaptation de son management
:ENC

dans les entreprises et organisations africaines.


x.com
larvo
.scho
www
0347
CHAPITRE 7

0026
LES ENJEUX ÉCONOMIQUES, POLITIQUES ET SOCIAUX

7:17
D’AUJOURD’HUI

0.21
En introduction de cette seconde partie, on consacre un chapitre impor-
tant au contexte économique, politique et social actuel de l’Afrique, tant il 9.16
paraît nécessaire de situer le contexte global dans lequel peut s’exercer un
0.17

management interculturel.
6:16
8565

1. L’Afrique qui décolle : un contexte de croissance


888

1.1. Le contexte international


672:

« Le XXIe siècle sera celui de l’Afrique » : « le temps de l’Afrique 1» est-il


0856

donc venu ? Différentes évolutions économiques sont à l’œuvre. Le monde


des bailleurs de fonds internationaux est ainsi passé des 8 « objectifs du
:211

millénaire pour le développement » (OMD) aux 17 « objectifs du dévelop-


pement durable » (ODD) : plus qualitatifs (sociaux, inclusifs et écologiques),
nitra

ils incluent aussi des engagements de gouvernance (objectif 16 : « paix, jus-


tice et institutions efficaces »).
G Ke

Les transferts extérieurs sont en général distingués en trois groupes,


approximativement égaux à 50 milliards $ chacun par an à destination de
:ENC

l’Afrique subsaharienne : l’« aide publique au développement » (APD) stagne


malgré les engagements des pays de l’OCDE (Organisation de Coopération
x.com

et de Développement économiques), mais les transferts de la diaspora afri-


caine (en valeur estimée, car plus de la moitié empruntent des voies infor-
larvo

melles) et les investissements directs étrangers augmentent sensiblement.


.scho

1. SEVERINO Jean-Michel et RAY Olivier, Le temps de l’Afrique, Odile Jacob, 2010.


www
LEs EnJEuX éconoMIquEs, PoLITIquEs ET socIAuX 95

Selon la Banque mondiale2, les transferts des migrants vers leur pays
d’origine représentent 46 milliards $ en 2018 (soit une hausse de près de
10 % par rapport à 2017) pour la seule Afrique subsaharienne et 71 milliards
pour l’ensemble de l’Afrique. Le Nigeria arrive en tête avec 24,3 milliards de
dollars reçus en 2018. Ces transferts représentent en moyenne 2,5 % du PIB
en Afrique subsaharienne : ce sont les Comores qui viennent en tête avec un
taux de 19,1 % de leur PIB.
Ces tendances correspondent à la volonté de certains pays africains de
cesser l’aide publique extérieure et de stimuler l’investissement privé : le
président kenyan Uhuru Kenyatta déclare : « Nous ne voulons plus d’APD,
nous voulons des investissements ». Le président du Ghana, Nana Akufo-
Addo, invite à cesser de croire à « l’histoire du Père Noël qui va venir pour

0347
développer le continent » et prône un Ghana affranchi de l’aide internatio-
nale : « Ghana beyond aid ».3 Dans le même sens, l’ancien ministre français

0026
des Affaires étrangères Hubert Védrine dit : « Les Africains n’ont pas besoin
d’aide, mais de partenariat ». Mais en même temps au Ghana, qui connaît

7:17
en 2019 la plus forte croissance de la sous-région (voir la carte ci-après),
le Rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté déclare :

0.21
« L’inégalité est plus grande que jamais au Ghana ».

9.16
Les pays émergents externes (Chine, Inde, Brésil, Turquie) et internes
(Afrique du Sud, Egypte, Maroc) s’ajoutent aux investisseurs européens et
0.17
les pays africains font jouer la concurrence des offres.4 La Chine est devenue
de loin le premier partenaire extérieur de l’Afrique.
6:16
8565

1.2. La croissance africaine


Globalement, dans la période 2001-2015, la croissance du PIB a été de
888

5,1 % par an en moyenne en Afrique subsaharienne, pour un taux moyen


672:

de croissance de la population de 2,5 % par an, c’est-à-dire que le PIB par


habitant a crû de 2,6 % par an en moyenne. La croissance du PIB était donc
0856

devenue plus forte que celle de l’Asie, qui avait la réputation de tirer l’éco-
nomie mondiale, mais en réalité c’est surtout la croissance chinoise qui tire
:211

celle de l’Afrique.
nitra

Néanmoins, la croissance économique africaine a connu ensuite un ra-


lentissement en raison des cours des matières premières, de l’inflation et
G Ke

de déséquilibres des finances publiques, ce qui l’a ramené au niveau de la


croissance démographique dans la période 2015-2018. Dans cette période,
:ENC

les investissements étrangers vers les pays africains pétroliers et miniers ont
baissé. Mais, le Ghana, l’Ethiopie, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Tanzanie
x.com

ont gardé une croissance de 7 % à 8 % par an.

2. Banque mondiale, rapport « Africa’s Pulse », 8 avril 2019.


larvo

3. Le Monde du 28 août 2019.


4. Lire BOILLOT Jean-Joseph et DEMBINSKI Stanislas, Chindiafrique. La Chine, l’Inde et
.scho

l’Afrique feront le monde de demain, Odile Jacob, 2013.


www
96 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Il faut néanmoins considérer ces chiffres avec prudence, d’abord en rai-


son du poids très important de l’économie informelle qui représente en
moyenne 85 % de l’emploi en Afrique subsaharienne et peut-être 50 % de la
production réelle des pays … Ensuite, les appareils statistiques sont d’une
fiabilité relative. Ainsi, entre 2011 et 2014, le Ghana, le Kenya et le Nigeria
ont changé leur méthode de calcul du PIB, ce qui leur a permis de l’aug-
menter d’un grand bond du jour au lendemain !
En Afrique de l’Ouest, l’OCDE prévoyait en 2019 une reprise de la crois-
sance, comme l’indique par exemple la carte économique ci-après. Mais
l’Afrique du Sud sort de récession …

Perspectives de croissance solides en Afrique de l’Ouest

0347
0026
7:17
0.21
9.16
0.17
6:16
8565
888

Source : Perspectives économiques en Afrique 2019. Banque africaine de développement (BDA).


672:

© 2019. Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE)


0856
:211

En combinant quatre critères significatifs, le PIB par habitant, la part


de l’industrie et des services dans le PIB, la part de l’agriculture dans les
nitra

exportations et celle des mines et du pétrole dans les exportations, Pierre


G Ke

Jacquemot établit des profils types d’économies africaines5, qu’on peut syn-
thétiser par le tableau page suivante.
:ENC
x.com
larvo
.scho

5. JACQUEMOT Pierre, L’Afrique des possibles. Les défis de l’émergence, Karthala, 2016.
www
LEs EnJEuX éconoMIquEs, PoLITIquEs ET socIAuX 97

Gamme de PIB/
Type d’économie Pays-types
tête (en US $)
Burundi, comores, Erythrée, Mali,
Economies à faible revenu,
Madagascar, niger, Rép. centrafri-
à dominante primaire et 300 – 500 $
caine (RcA), Rép. démocratique du
vulnérables
congo (RDc)
Economies à revenu inter- cameroun, côte d’Ivoire, ghana,
800 – 1 200 $
médiaire, en transition Kenya, ouganda
Afrique du sud, Botswana, Mau-
Economies diversifiées 3 500 – 5 000 $
rice, namibie
Economies rentières (expor- Angola, gabon, guinée équato-
Plus de 5 000 $
tations minérales) riale, nigeria, Zambie

0347
NB important : les PIB par tête sont exprimés ici en dollars nominaux,

0026
c’est-à-dire au taux de change officiel avec le dollar US. Selon le coût de la
vie des pays, les PIB par tête réels (c’est-à-dire à parité de pouvoir d’achat –

7:17
PPA, soit le PIB nominal pondéré par l’indice du coût de la vie) sont dans
la plupart des pays africains nettement plus élevés, parce que le coût de la

0.21
vie y est généralement moindre qu’aux USA. Par exemple, le Botswana et
9.16
la Namibie, classés ici dans le groupe de 3 500 à 5 000 $, bénéficient respec-
tivement en 2018, selon la Banque mondiale, d’un PIB par tête réel (PPA)
0.17
de 18 583 $ et 11 135 $ … Mais cela n’enlève pas au tableau son intérêt de
typologie des économies.
6:16

Il faut par ailleurs examiner la situation des inégalités car, dans la caté-
8565

gorie de pays la plus riche, l’Equato – Guinéen (PIB PPA moyen de 23 473 $
en 2018) peut être, en bas de l’échelle sociale, aussi pauvre que le Malien
888

moyen (PIB PPA de 2 313 $ en 2018), alors que le premier pays paraît 10 fois
672:

plus riche que le second … Le coefficient de Gini mesure l’inégalité des reve-
nus dans un pays, avec une valeur 0 signifiant l’égalité parfaite et 100 l’iné-
0856

galité parfaite. Aux extrêmes en Afrique, on trouve l’Afrique du Sud très


inégalitaire (coefficient 65) et l’Ethiopie parmi les plus égalitaires (33) : si-
:211

gnificativement, l’Ethiopie a un taux de croissance de 8,2 % en 2018 tandis


nitra

que l’Afrique du Sud était en récession …


Mais, pour les dirigeants d’Investisseurs et Partenaires, un fonds d’in-
G Ke

vestissements réputé destiné aux PME africaines, globalement, « par sa


masse, par la dynamique de croissance qu’elle connaît … l’Afrique va pro-
:ENC

gressivement influencer l’ensemble de la planète de manière significative.


Aujourd’hui, le PIB du continent africain se résume à celui de la France …
x.com

En 2050, (il) pourrait égaler sans doute celui de l’Union européenne, tandis
que sa population comptera 2 milliards d’habitants. »6
larvo

6. SEVERINO Jean-Michel et HAJDENBERG Jérémy, Entreprenante Afrique, Odile Jacob,


.scho

2018.
www
98 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Les auteurs expriment ces « perspectives économiques et mondiales à


long terme » par le tableau suivant (on rapporte ci-après en dernière co-
lonne le PIB 2050 sur le PIB 2010 en base 100, ce qui montre l’importance
du PIB escompté par rapport au PIB initial 40 ans plus tôt) :

PIB en milliards de
2010 2020 2030 2050 2050/2010
dollars
Afrique 2 712 4 625 7 601 19 287 711 %
Asie émergente 16 801 30 360 46 380 80 011 476 %
Amérique latine 5 294 7 295 9 575 14 647 277 %
Europe de l’Est 4 738 6 634 8 247 10 942 231 %
états-unis 13 365 16 170 19 091 25 432 190 %

0347
union européenne (à 27) 13 637 15 675 17 671 21 911 161 %
Monde 64 788 90 372 119 423 185 487 286 %

0026
7:17
Pour les auteurs, « la croissance africaine, en réalité, repose avant tout
sur la demande d’un marché intérieur africain qui grandit, du fait de la

0.21
démographie, de l’urbanisation et d’une classe moyenne qui monte en puis-
sance … et sur un intérêt grandissant d’acteurs internationaux variés pour
investir en Afrique, voire s’y délocaliser ». 9.16
0.17
Il y a « un besoin d’investissements absolument massifs dans des infras-
tructures de tous types. Besoin de créer des centaines de millions d’emplois
6:16

pour donner un avenir stable aux générations qui vont arriver sur le marché
8565

du travail ».
« Il faut tout faire pour faciliter la vie et les parcours des entrepreneurs,
888

car ce seront eux qui feront cette croissance. Or leurs difficultés opération-
nelles sont immenses … carences de l’alimentation électrique, manque de
672:

personnel qualifié, problèmes fonciers, tracas inutiles causés par l’adminis-


0856

tration fiscale, difficultés d’accéder à des financements. »


:211

2. L’innovation africaine et les secteurs porteurs pour les


nitra

investissements
G Ke

2.1. Les nouveaux entrepreneurs africains


:ENC

Il y a eu un développement important du secteur privé et des grandes


entreprises en Afrique durant les 20 dernières années, par exemple dans
x.com

le secteur bancaire, avec l’apparition de banques africaines de taille régio-


nale (avec de nombreuses filiales en Afrique) : Standard Bank d’Afrique
larvo

du Sud, Attijariwafa Bank du Maroc, Ecobank du Togo … ; ou bien dans


le secteur du transport aérien : Ethiopian Airlines, Kenya Airlines, Royal
.scho

Air Maroc … ; ou encore dans le secteur du ciment : Dangote, d’origine


www
LEs EnJEuX éconoMIquEs, PoLITIquEs ET socIAuX 99

nigériane … ou des télécommunications : MTN, multinationale d’Afrique


du Sud …
Une créativité extraordinaire est souvent apparue, en particulier chez
les jeunes intellectuels et dans les grandes villes. Elle se manifeste dans
les affaires et dans les arts (ceux-ci pouvant être conjugués dans le secteur
économique des loisirs et de la culture). À Dakar, Abidjan, Lagos, Nairobi,
Johannesburg … les start-up abondent. Même dans des pays aussi chao-
tiques que la République Démocratique du Congo, la capitale immense et
grouillante de Kinshasa déborde d’initiatives avec une énergie considérable,
qu’elles soient lancées dans les quartiers populaires par des entrepreneurs
informels ou dans le quartier privilégié de la Gombe par des stratèges des
affaires et du marketing.

0347
Severino et Hajdenberg (déjà cités) estiment que « 72 % des jeunes
Africains son attirés par l’entrepreneuriat ». Ils caractérisent « l’émergence

0026
des entrepreneurs africains » dans les nombreux cas de PME modernes
qu’ils ont étudiées ou soutenues dans différents pays du continent. « Une

7:17
nouvelle classe d’entrepreneurs africains apporte des réponses durables à
des besoins en saisissant les opportunités que constituent les lacunes d’une

0.21
économie africaine encore défaillante … Ils sont souvent très qualifiés et
9.16
toujours très structurés. La grande majorité a fait des études supérieures,
le plus souvent à l’étranger … Certains ont passé 10, 15 ou 20 ans dans les
0.17
pays industrialisés avant de revenir « au pays » et, dotés d’un peu de capital
et de beaucoup d’audace et de savoir-faire, ils ont créé ou repris une entre-
6:16

prise. »
8565

« Ce sont des personnes à bien des égards en rupture avec leur société :
ils osent avec une audace impressionnante au sein de sociétés qui ont long-
888

temps été conservatrices, et prennent de grands risques … Ils tournent le


dos au parcours classique des honneurs et de la considération sociale …
672:

Beaucoup travaillent en famille. Cette valeur africaine leur reste chère …


0856

et ils continuent à trouver dans le cercle familial la sécurité, la loyauté et


la permanence dans le compagnonnage que l’univers marchand récent ne
:211

fournit encore que partiellement sur le continent. »


« Leur culture économique et politique globale est grande. Ils sont en
nitra

contact d’affaires, via leurs clients ou fournisseurs, avec le monde entier …


G Ke

leur conscience sociale est souvent aiguë. Ils connaissent l’importance cru-
ciale de la redistribution. Ils savent que la fidélisation de leurs employés …
:ENC

passe par une conduite sociale au minimum acceptable et au mieux exem-


plaire. Ils sont confrontés aux défis des carences de l’environnement … Ils
x.com

y sont souvent fortement sensibilisés. »


« Le contexte et l’ambiance de corruption qui sévit les contraignent
larvo

régulièrement à des pratiques … non conformes à la théorie fiscale. Ils le


déplorent dans une immense majorité … et en sont des victimes impuis-
.scho

santes. »
www
100 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

« Ils recherchent, pour la plupart d’entre eux, les niches, dans tous les
secteurs, que ne veulent ou ne peuvent pas occuper les grandes entreprises
internationales. Ils cherchent à produire pour ces dernières comme sous-
traitants. Ils se spécialisent au départ dans les domaines qui demandent le
moins de capital. »
« Ils se battent pour la qualité : c’est la seule manière de se différencier du
secteur informel et d’avoir des prix supérieurs, rendus nécessaires par leurs
coûts. Leurs processus internes sont structurés et leur gestion moderne. Ils
adoptent des approches innovantes. »

2.2. Les secteurs porteurs


On présente ici 11 secteurs porteurs de modernité et d’opportunités,

0347
accessibles à des entreprises de taille moyenne, sachant par ailleurs que
certaines entreprises africaines sont déjà des multinationales de grande

0026
ampleur.

7:17
Les télécommunications

0.21
Le secteur le plus connu est celui des nouvelles technologies qui s’est
développé de façon spectaculaire en Afrique, en particulier dans la télépho-
nie mobile (taux d’équipement à 80 %) et le commerce en ligne. Les trans- 9.16
ferts d’argent et la banque sur téléphone portable sont apparus d’abord en
0.17

Afrique : 20 millions de Kenyans font des transferts d’argent par portable7.


6:16

Dans ce cas, l’innovation est venue d’Afrique. Orange s’est servi de son
expérience africaine pour lancer le « mobile banking » en France selon un
8565

effet de « reverse innovation ».


Pour Severino et Hajdenberg (déjà cités), le succès est d’abord venu d’une
888

entreprise africaine de téléphonie mobile qui est devenue multinationale,


672:

CELTEL, créée par le Soudanais Mo Ibrahim. « L’Afrique a sauté une étape


technologique en passant directement de la non-connexion à la connexion
0856

mobile … Le développement de l’usage d’Internet a été tout aussi specta-


culaire, multiplié par 20 en une décennie », avec un essor extraordinaire
:211

des réseaux sociaux, essentiellement par le téléphone mobile. De même,


l’e-commerce s’est développé en Afrique avec des sites de paiement par
nitra

Internet. Tout cela a donné naissance à une génération de « start-up » tech-


G Ke

nologiques, surtout au Nigeria.


Les services informatiques
:ENC

Le marché africain des services informatiques s’est développé de la


x.com

même manière avec pour clients les opérateurs de téléphonie mobile, les
banques et assurances, les administrations, les délégations de services de
larvo

7. DEBRAT Jean-Michel, « Les enjeux socio-économiques du développement en Afrique :


moteurs et freins du développement ; quelles perspectives pour le futur ? », conférence
.scho

au CILH (Cercle international de Leaders humanistes) à Paris, le 17 novembre 2018.


www
LEs EnJEuX éconoMIquEs, PoLITIquEs ET socIAuX 101

distribution d’eau et d’électricité, les transports et la logistique … Les PME


africaines interviennent dans le développement de logiciels et la gestion des
systèmes d’information des entreprises.
L’agro-alimentaire
Les télécommunications sont aussi largement utilisées pour l’informa-
tion et la formation des fermiers. Les groupements d’agriculteurs prennent
le contrôle des marchés par le téléphone portable (cours des marchés, pré-
visions météo, assistance pour les pratiques culturales …).
Plus généralement, le secteur agricole est en fort développement par la
demande inhérente à la croissance démographique et grâce à la disponi-
bilité de terres cultivables. Selon Severino et Hajdenberg, « il y a une prise

0347
de conscience que l’agroalimentaire représente aujourd’hui une immense
opportunité … l’Afrique subsaharienne comporterait aujourd’hui environ

0026
200 millions d’hectares de terres cultivées et la même superficie … de terres
non cultivées à potentiel agro-écologique ».

7:17
On peut aussi investir dans la logistique agricole pour transporter, stoc-

0.21
ker et conserver les produits, en amenant l’électricité et la chaîne du froid,
car il y a une énorme déperdition des produits frais (parfois estimée à 50 %
9.16
de la production de lait, de fruits et légumes ou de poissons).
Par ailleurs, le secteur agro-industriel s’est développé par la demande
0.17

des classes moyennes, par exemple pour les produits laitiers comme le lait
6:16

traité pour la conservation, la crème, les yaourts, ou pour l’aviculture mo-


derne et la production d’œufs à grande échelle.
8565

La santé
888

Severino et Hajdenberg rappellent le contexte de la santé en Afrique sub-


672:

saharienne et présentent le développement de l’offre privée à cet égard. Il


existe 2 lits hospitaliers pour 10 000 habitants, contre 53 lits en Europe, et
0856

l’équipement médical fonctionne mal à 70 %. Un enfant sur 10 n’atteint pas


l’âge de 5 ans. La sécurité sociale est rare.
:211

Mais la lutte contre le paludisme a remporté des succès notables, le HIV-


nitra

SIDA baisse, la couverture maladie se développe au Rwanda et au Ghana,


des mutuelles privées se fondent. De plus, la révolution des télécommunica-
G Ke

tions soutient aussi la santé : les soignants de province communiquent avec


des spécialistes hospitaliers à distance, les ONG utilisent ces réseaux pour
:ENC

la santé rurale ou pour des campagnes de sensibilisation sanitaire. Cela s’est


avéré très efficace au Nigeria pour éviter la propagation d’Ebola.
x.com

Mais l’offre publique de soins reste insuffisante et la moitié des dépenses


de santé sont d’origine privée. De plus, dans la plupart des cas, il faut payer
larvo

les soins, voire les médicaments, à l’hôpital public. Enfin, la fuite des cer-
veaux touche particulièrement le secteur médical : ainsi, 15 % des médecins
.scho

tanzaniens exercent hors d’Afrique.


www
102 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Le secteur privé s’efforce donc de pallier aux insuffisances du secteur pu-


blic dans le secteur hospitalier, des urgences ou de l’industrie pharmaceu-
tique, avec une attention très forte à la productivité et à la gestion de façon
à offrir des soins à des prix abordables, au besoin par des péréquations de
tarifs selon la solvabilité des patients.
Il y a un nombre impressionnant de cliniques privées en Afrique.
Severino et Hajdenberg citent des cas de grande clinique privée à Lagos avec
une politique tarifaire différenciée selon le revenu des malades, ou de SOS-
Médecins Sénégal qui gère les urgences sur le terrain en cherchant un équi-
libre entre la facturation des patients solvables et le soin d’urgence gratuit.
37 pays d’Afrique subsaharienne produisent des médicaments. Les
auteurs présentent des cas de producteurs ou de distributeurs de médi-

0347
caments génériques, dont une entreprise leader au Ghana qui produit
30 médicaments de base (antibiotiques, antipaludéens, antirétroviraux …).

0026
Néanmoins, ces entreprises produisent généralement sous licence, car peu
d’industries pharmaceutiques africaines ont les moyens de développer des

7:17
brevets, qui demandent des recherches et des procédures de tests très coû-

0.21
teuses.

9.16
Le développement urbain
Il y a 500 millions d’urbains en Afrique et il y en aura 1,2 milliard en
0.17

2050. Or 62 % de la population urbaine vit dans des bidonvilles et l’insé-


curité s’accroît dans les grandes villes. Celles-ci sont congestionnées par
6:16

des transports urbains individuels, polluants et anarchiques. La croissance


8565

urbaine est non maîtrisée pour le foncier, l’habitat, la gouvernance … Tout,


ou presque, est à faire en matière d’infrastructures : plans d’urbanisation,
888

extension ou réfection de la voirie, réseaux d’eau potable, d’électricité et


d’assainissement, bâtiment, transports urbains collectifs ...
672:

Pour Jean-Michel Debrat (déjà cité), il faut donc « projeter l’avenir ur-
0856

bain, en intégrant la révolution technologique du développement durable


pour le bâtiment et les transports ».
:211

Les transports (nationaux et internationaux)


nitra

Le coût et la lenteur des transports sont de graves facteurs pénalisants


G Ke

pour l’économie en Afrique. Selon Severino et Hajdenberg, les coûts de


transport de marchandises (manutention comprise) « sont plus élevés en
:ENC

Afrique subsaharienne que dans n’importe quelle autre région du monde ».


Cela tient notamment à l’insuffisance des voies routières et ferroviaires et
x.com

même des infrastructures portuaires.


Les Chinois y sont les plus puissants pour les infrastructures (routières
larvo

et ferroviaires), mais il reste aussi beaucoup à faire sur les moyens de trans-
port, leur qualité et leur sécurité. C’est un secteur porteur pour des entre-
.scho

preneurs sérieux voulant mettre l’accent sur la régularité, la maintenance et


www
LEs EnJEuX éconoMIquEs, PoLITIquEs ET socIAuX 103

la sécurité des transports routiers, notamment les transports collectifs de


voyageurs, qui connaissent de trop nombreux accidents.
Le bâtiment et les travaux publics
Découlant des besoins immenses de la démographie en forte croissance,
du développement urbain et de celui des voies de transport, le BTP est un
secteur en forte expansion.
Outre les majors, qui sont souvent internationaux (chinois et européens),
il y a place pour de nombreuses entreprises africaines si elles sont gérées
de manière rigoureuse et avec un personnel qualifié. Leur difficulté sera
davantage pour des travaux spécialisés, en particulier pour la construc-
tion métallique ou celle d’usines qui demandent de nombreuses spécialités

0347
peu courantes en Afrique en raison du déficit des systèmes de formation
professionnelle (chaudronniers, tuyauteurs, soudeurs de spécialités, calo-

0026
rifugeurs, monteurs d’installations mécaniques, hydrauliques, électriques,
électromécaniques et électroniques, etc.).

7:17
Corrélativement, les industries de matériaux de construction sont égale-
ment en plein essor : outre le cas exceptionnel du Nigérian Aliko Dangoté,

0.21
« l’homme le plus riche d’Afrique », pour le secteur du ciment, il y a place

9.16
pour de nombreuses PME d’extraction, de traitement et de livraison de
sable, gravier, argile et des produits intermédiaires (briques, carreaux, pa-
0.17
vés, tuiles …) ou de menuiserie (portes, fenêtres), ou encore de climatisa-
tion. De plus, un sous-secteur de l’isolation est à développer pour économi-
6:16

ser l’énergie des bâtiments, en particulier pour leur climatisation.


8565

L’énergie
L’Afrique est le continent qui émet le moins de gaz à effet de serre, mais
888

qui subit le plus le réchauffement climatique ... Elle a un très beau potentiel
672:

d’énergies renouvelables : hydraulique, solaire, éolienne, géothermique …


mais il est encore très peu exploité (le potentiel hydroélectrique est utilisé
0856

seulement à 5 %), et il faut chercher à en abaisser les coûts. Le Kenya occupe


le 1er rang africain et le 9e rang mondial pour l’énergie géothermique et y a
:211

expérimenté des nouvelles technologies.


nitra

Les besoins sur le continent sont immenses : le taux d’électrification est


de 64 % en ville, mais seulement de 24 % dans les campagnes. On peut y
G Ke

produire en particulier de l’électricité décentralisée, qui peut se prêter à


l’initiative de PME. Selon Severino et Hajdenberg, « une forte diminution
:ENC

du coût des panneaux solaires en même temps qu’un accroissement de leur


puissance et de leur fiabilité permettent de vendre des solutions énergétiques
x.com

efficaces aux familles de la « base de la pyramide » … avec un formidable


impact social à la clé ... Le marché présent comme futur est gigantesque. »
larvo

« Comme elle l’a fait dans le cas de la téléphonie mobile, l’Afrique pour-
rait sauter l’étape de l’électrification par réseau centralisé alimenté par des
.scho

énergies fossiles pour aller directement à une alimentation électrique dé-


www
104 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

centralisée fondée sur des énergies renouvelables … ». À l’appui de cette


perspective, ils donnent des exemples de PME africaines qui ont « une ap-
propriation étourdissante des technologies nouvelles » : panneaux solaires
en zone rurale, avec compteur électrique individuel équipé d’une carte SIM
et paiement par téléphonie mobile.
La formation professionnelle et l’enseignement supérieur
Le problème majeur est l’immense déficit de l’enseignement technique et
de la formation professionnelle, surtout dans les pays francophones : 1 % à
5 % seulement des jeunes en bénéficient au Mali et au Cameroun, et encore
le plus souvent avec un équipement insuffisant et défectueux par manque
de moyens des établissements de formation.

0347
Le secteur privé de formation commence à prendre la relève, parfois
avec des équipements miniaturisés pour réduire les coûts et avec des stages

0026
obligatoires pour faire acquérir aux jeunes une pratique professionnelle
concrète en entreprise, bien qu’en général le système de formation en alter-

7:17
nance ne soit pas légalement prévu.
Il en va de même pour l’enseignement supérieur privé qui se développe

0.21
rapidement et qui privilégie des filières professionnelles pratiques : com-
merciales, de gestion et même industrielles, médicales et pharmaceutiques,
et bien sûr informatiques. Au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie, il existe 9.16
0.17
davantage d’instituts supérieurs privés que publics. Nombre de ces établis-
sements recherchent des partenariats universitaires internationaux et des
6:16

financements extérieurs qui leur permettent d’offrir des bourses à une par-
tie au moins de leurs étudiants.
8565

Le tourisme
888

Pour Severino et Hajdenberg, « l’infrastructure hôtelière est particulière-


672:

ment faible en Afrique », et le secteur est encore peu tenu par des Africains,
sauf au Kenya à 64 %. Le groupe Azalaï Hôtels, parti du Mali, est pourtant
0856

un exemple d’origine africaine implanté en Afrique de l’Ouest. Le secteur


touristique, alimenté aussi par le tourisme d’affaires, croît de 15 % par an
:211

en moyenne en Afrique subsaharienne, malgré le contexte sécuritaire défa-


vorable dans certains pays et souvent le déficit d’infrastructures. À condi-
nitra

tion de former soigneusement son personnel, c’est un facteur important de


développement économique et de l’emploi.
G Ke

Les industries culturelles


:ENC

Il y a un grand dynamisme culturel en Afrique, avec un fort potentiel de


développement et une modernisation des arts : la musique (notamment le
x.com

rap), le cinéma naissant, les productions on line, la mode et le design … Les


relais télévisuels et informatiques promeuvent aussi une culture populaire.
larvo
.scho
www
LEs EnJEuX éconoMIquEs, PoLITIquEs ET socIAuX 105

3. Des progrès de gouvernance restent nécessaires pour


le développement

3.1. La gouvernance économique


L’émergence de l’Afrique en dépend d’abord : intégration régionale pour
la création de grandes infrastructures et de marchés plus vastes, priorité à la
transformation des matières premières plutôt qu’à leur exportation, moder-
nisation de l’agriculture vivrière ... Il s’agit aussi d’une bonne gouvernance
financière : lutte contre la « corruption » et la fuite des capitaux africains,
encouragement de l’investissement africain, malgré des taux d’intérêt très
élevés qui compromettent les emprunts et donc les investissements …

0347
La corruption est profondément enracinée dans beaucoup de pays en
Afrique. Elle s’explique par différentes raisons. D’abord, l’obligation sociale

0026
de redistribuer ses revenus à sa famille, à son clan, à son village d’origine.

7:17
Ensuite, le fait que beaucoup de fonctionnaires sont mal payés et/ou payés
en retard. Celui qui a un poste de responsabilité ou d’autorité, à n’importe

0.21
quel niveau, essaiera donc d’en profiter.

9.16
Le cas le plus connu est celui du policier à la circulation qui, sous divers
prétextes, justifiés ou non, arrête des automobilistes pour en tirer un billet :
0.17
les chauffeurs de taxi en sont particulièrement victimes. Mais l’officier de
police qui fait payer la signature d’un procès verbal, et a fortiori le commis-
6:16

saire de police qui menace de vous mettre en garde à vue ou en détention


préventive pour un conflit supposé, auront des tarifs beaucoup plus élevés.
8565

Dans certains pays, la délivrance d’un acte administratif gratuit est « factu-
888

rée » et celle d’un permis de conduire ou d’un passeport est « surfacturée ».


De plus, la corruption de la base doit pour partie être reversée à l’échelon
672:

hiérarchique supérieur pour « charge de commandement ».


0856

La corruption est parfois organisée de façon quasi-institutionnelle. Dans


tel pays d’Afrique centrale, un réseau au Ministère de l’Intérieur organise
:211

la pénurie des livrets de passeports (« il n’y a plus de cartons », dit-on), afin


d’en faire payer deux fois le prix à ceux qui en ont les moyens. Et la société
nitra

nationale d’électricité, sur le même prétexte de pénurie (« il n’y a plus de


compteurs »), fait aussi payer deux fois le tarif officiel pour un branchement
G Ke

électrique installé en trois jours : sinon, il faut attendre un an ou deux.


:ENC

Un chef d’entreprise français au Cameroun explique avec philosophie :


« Je paie les impôts dus trois fois : la première à l’administration fiscale au
x.com

tarif réglementaire, la seconde directement à l’inspecteur des impôts pour


obtenir un quitus fiscal (en principe gratuit) nécessaire pour bien des actes
larvo

administratifs ou pour les marchés publics, et la troisième par des actions


de formation ou des soins de santé pour mes salariés et leur famille, car ils
.scho

ne sont pas assurés par l’État ».


www
106 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Mais si les grandes entreprises européennes ont quelques moyens finan-


ciers ou diplomatiques de s’en sortir8, c’est d’abord la population du pays
qui en est victime à tous les niveaux, et ceci même entre fonctionnaires : par
exemple, en Afrique centrale, un cadre qui fait une mission et demande le
remboursement de ses frais devra en laisser une partie à l’agent du Trésor
censé les lui payer.
Si le fonctionnaire proteste, sa hiérarchie lui répondra : « Sois patient,
quand tu seras plus grand (comprendre : plus gradé), ce sera à ton tour de
manger (comprendre : profiter de la corruption) ». Le système est donc à la
fois profondément intégré, voir socialement légitimé, alors qu’il provoque
des surcoûts importants, non seulement monétaires, mais aussi en temps
passé à ces arrangements, négociations et dissimulations.

0347
Les responsables en haut de l’échelle en sont les plus grands bénéficiaires,
alors que, proportionnellement à leurs revenus, les citoyens pauvres sont les

0026
principales victimes de cette « TVA des services publics » (comme on dit
parfois, bien qu’elle n’aille pas dans les caisses de l’État), ou bien les plus

7:17
pauvres sont tout simplement exclus des services publics. Selon le rapport
de Transparency International pour 2018, « un Africain sur quatre paie des

0.21
“pots de vin” pour avoir accès à des services publics ». La corruption enri-
chit les riches et appauvrit les pauvres : elle est profondément anti-sociale.
L’Afrique centrale, avec ses coutumes de gestion rentière, est particuliè- 9.16
0.17
rement réputée dans ce domaine … Et les opérations anti-corruption ou
« mains propres », déclenchées à grand renfort de publicité, n’ont souvent
6:16

pour but, même si la cible est effectivement corrompue, que d’emprisonner


des opposants politiques ou des rivaux en vue d’une prochaine élection (par
8565

exemple, au Cameroun).
888

Cependant, l’Afrique centrale n’a pas le monopole de la corruption.


Par exemple, des pays du Sahel s’y enfoncent, y compris parfois dans des
672:

contextes d’insécurité où, les services publics devenant plus difficiles à as-
surer, ils sont donc sans doute plus monnayables9 ; et l’aide internationale y
0856

est davantage sollicitée, alors qu’elle a davantage peur d’y être mal utilisée…
:211

Transparency International publie annuellement un « indice de percep-


nitra

tion de la corruption », qui fait autorité et qui est appliqué à 180 pays.
Il va de 0 à 100, 100 étant un pays non corrompu et 0 un pays extrê-
G Ke

mement corrompu. En 2018, le 1er rang est au Danemark : 88 points,


et le dernier rang à la somalie : 10 points, la france est au 21e rang :
:ENC

72 points, et la moyenne mondiale s’établit à 43 points. Par exemple


en Afrique, voici quelques indicateurs significatifs (en points) :
x.com

8. Le Conseil français des Investisseurs en Afrique (CIAN) a publié un célèbre Guide pra-
larvo

tique : résister aux sollicitations indues dans le domaine fiscal et douanier.


9. Lire par exemple LE CAM Morgane : « Au Mali, le système est infesté par la corrup-
.scho

tion », Le Monde, 2 août 2019.


www
LEs EnJEuX éconoMIquEs, PoLITIquEs ET socIAuX 107

– en tête du classement : seychelles : 66, Botswana : 61, cap


Vert : 57, Rwanda : 56, namibie : 53, Maurice : 51 ;
– à la moyenne mondiale : sénégal : 45, Maroc, Afrique du sud et
Tunisie : 43, Burkina faso et ghana : 41 ;
– corrompus : Tanzanie : 36, Algérie, côte d’Ivoire, Egypte et
Zambie : 35, Ethiopie et niger : 34 ;
– fortement corrompus : Mali : 32, gabon : 31, Togo : 30,
guinée : 28, Kenya et nigeria : 27 ;
– très corrompus : cameroun et Madagascar : 25, Mozambique : 23 ;
– extrêmement corrompus : RDc : 20, Angola, Tchad et congo : 19,
Libye : 17, guinée équatoriale, guinée Bissau et soudan : 16, sud-

0347
soudan : 13.

0026
Le Rwanda, le Cap Vert et le Botswana ont engagé avec succès des poli-

7:17
tiques fermes contre la corruption. Le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont parmi
les pays en net progrès.

0.21
Pour Severino et Hajdenberg (déjà cités), « l’environnement … des af-
faires est encore perçu comme très défavorable. La corruption est un im-
portant poste de charges. Les entreprises en Afrique dépenseraient 1,5 % de 9.16
0.17
leurs ventes en pots de vin pour faire avancer les choses et 3 % de la valeur
des contrats lorsqu’elles traitent avec le gouvernement ».
6:16

3.2. La gouvernance politique


8565

La gouvernance politique est très différente en Afrique selon les pays :


888

globalement, il y a par exemple une nette différence entre les pays d’Afrique
de l’Ouest et ceux d’Afrique centrale, en particulier pour le déroulement
672:

des élections et l’alternance politique. En Afrique de l’Ouest, l’alternance


0856

politique est généralement assurée par des élections régulières, sauf au Togo
qui connaît une dynastie présidentielle héréditaire.
:211

En Afrique centrale, les pays voient des autocrates vieillis s’accrocher au


pouvoir depuis des décennies (République du Congo, Cameroun, Tchad),
nitra

quand des dynasties familiales ne s’y sont pas établies (Gabon, Guinée
équatoriale et jusque récemment République Démocratique du Congo) ou
G Ke

quand les résultats des élections n’y sont pas manipulés (RDC).
:ENC

En Afrique orientale et australe, la démocratie semble plus avancée, à


l’exception de l’Angola, englué dans la corruption générée par l’abondance
x.com

des hydrocarbures (au 165e rang sur 180 pays de l’indice de perception de la
corruption) ; cependant, le nouveau président João Lourenço (depuis sep-
tembre 2017) semble vouloir s’attaquer sérieusement au problème.
larvo

On explique souvent le manque de démocratie et d’alternance dans les


.scho

pays riches en minerais ou en hydrocarbures par le fait que les dirigeants


www
LEs EnJEuX éconoMIquEs, PoLITIquEs ET socIAuX 107

– en tête du classement : seychelles : 66, Botswana : 61, cap


Vert : 57, Rwanda : 56, namibie : 53, Maurice : 51 ;
– à la moyenne mondiale : sénégal : 45, Maroc, Afrique du sud et
Tunisie : 43, Burkina faso et ghana : 41 ;
– corrompus : Tanzanie : 36, Algérie, côte d’Ivoire, Egypte et
Zambie : 35, Ethiopie et niger : 34 ;
– fortement corrompus : Mali : 32, gabon : 31, Togo : 30,
guinée : 28, Kenya et nigeria : 27 ;
– très corrompus : cameroun et Madagascar : 25, Mozambique : 23 ;
– extrêmement corrompus : RDc : 20, Angola, Tchad et congo : 19,
Libye : 17, guinée équatoriale, guinée Bissau et soudan : 16, sud-

0485
soudan : 13.

0026
Le Rwanda, le Cap Vert et le Botswana ont engagé avec succès des poli-

7:17
tiques fermes contre la corruption. Le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont parmi
les pays en net progrès.

0.21
Pour Severino et Hajdenberg (déjà cités), « l’environnement … des af-
faires est encore perçu comme très défavorable. La corruption est un im-
portant poste de charges. Les entreprises en Afrique dépenseraient 1,5 % de 9.16
0.17
leurs ventes en pots de vin pour faire avancer les choses et 3 % de la valeur
des contrats lorsqu’elles traitent avec le gouvernement ».
6:16

3.2. La gouvernance politique


8565

La gouvernance politique est très différente en Afrique selon les pays :


888

globalement, il y a par exemple une nette différence entre les pays d’Afrique
de l’Ouest et ceux d’Afrique centrale, en particulier pour le déroulement
672:

des élections et l’alternance politique. En Afrique de l’Ouest, l’alternance


0856

politique est généralement assurée par des élections régulières, sauf au Togo
qui connaît une dynastie présidentielle héréditaire.
:211

En Afrique centrale, les pays voient des autocrates vieillis s’accrocher au


pouvoir depuis des décennies (République du Congo, Cameroun, Tchad),
nitra

quand des dynasties familiales ne s’y sont pas établies (Gabon, Guinée
équatoriale et jusque récemment République Démocratique du Congo) ou
G Ke

quand les résultats des élections n’y sont pas manipulés (RDC).
:ENC

En Afrique orientale et australe, la démocratie semble plus avancée, à


l’exception de l’Angola, englué dans la corruption générée par l’abondance
x.com

des hydrocarbures (au 165e rang sur 180 pays de l’indice de perception de la
corruption) ; cependant, le nouveau président João Lourenço (depuis sep-
tembre 2017) semble vouloir s’attaquer sérieusement au problème.
larvo

On explique souvent le manque de démocratie et d’alternance dans les


.scho

pays riches en minerais ou en hydrocarbures par le fait que les dirigeants


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108 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

s’accrochent à la rente qu’ils peuvent en tirer, puis ensuite par la crainte, s’ils
se retirent du pouvoir, de poursuites judiciaires ...
Le prix Mo Ibrahim (du nom du milliardaire anglo-soudanais du sec-
teur des télécommunications, qui l’a créé) récompense (très généreusement)
le président africain qui aura quitté régulièrement le pouvoir au terme de
son mandat et après avoir pratiqué une bonne gouvernance, et l’encourage
à poursuivre d’autres actions pour un développement durable en Afrique.

De plus et surtout, la fondation Mo Ibrahim a établi un Indice Ibrahim


de la Gouvernance africaine (IIAg), fondé sur 100 indicateurs de
gouvernance appliqués à tous les pays d’Afrique. Il y a 26 critères

0485
de sécurité et d’état de droit (indépendance de la justice, corruption,
conflits armés…), 26 critères de développement humain (éducation,

0026
santé, services sociaux…), 29 critères d’opportunités économiques du-
rables (solidité des banques, transparence des entreprises publiques,
soutien du secteur agricole, état des infrastructures …) et 19 critères

7:17
de participation et droits humains (liberté d’expression, égalité entre

0.21
les sexes, élections libres et transparentes …).
cet indice, même s’il n’est peut-être pas parfait, est le plus connu pour
l’évaluation de la politique globale des états africains. Il est pris en 9.16
compte par les entreprises internationales pour une décision d’inves-
0.17

tissement en Afrique.
6:16

En 2018, ce sont trois petits pays insulaires qui sont en tête du clas-
sement de 54 pays : Ile Maurice (79,5 points sur 100), seychelles et
8565

cap Vert, suivis de la namibie et du Botswana. Pour donner une idée


sur quelques pays importants, on retiendra :
888

– ghana, Afrique du sud et Rwanda aux 6e, 7e et 8e rangs ;


672:

– Tunisie, sénégal et Kenya aux 9e, 10e et 11e rangs ;


0856

– Tanzanie et Maroc aux 14e et 15e rangs ;


:211

– côte d’Ivoire : 22e, Mozambique : 25e, Algérie : 27e et Egypte : 29e


rangs ;
nitra

– nigeria : 33e, Ethiopie : 35e et cameroun : 36e rangs ;


G Ke

– congo : 43e, Angola : 45e, Tchad : 46e, RDc : 47e et soudan : 49e
rangs ;
:ENC

– Libye, sud-soudan et somalie (13,6 points sur 100) aux 52e, 53e
et 54e rangs.
x.com
larvo

Par ailleurs, le classement relève les points gagnés ou perdus au cours


des 10 dernières années (ceci pour une moyenne globale d’1 point seule-
.scho

ment de progrès sur 10 ans), par exemple :


www
LEs EnJEuX éconoMIquEs, PoLITIquEs ET socIAuX 109

• en progrès : Côte d’Ivoire : + 12,7 points, et Zimbabwe : + 10,8 points


(après les départs des présidents Gbagbo et Mugabe respectivement),
Maroc : + 7,3 points ;
• en recul : Mali : – 4 points, Madagascar : – 4,4, Burundi : – 5, Libye :
– 15,6 points.
On peut constater qu’il y a une corrélation entre le progrès de la gouver-
nance et la croissance, par exemple en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Kenya,
en Tanzanie, au Maroc, en Tunisie … Selon Severino et Hajdenberg, « les
études de la Fondation Mo Ibrahim, reconnues pour leur sérieux et leur
indépendance, montrent que la tendance générale est à l’amélioration du
niveau global de gouvernance en Afrique depuis 2000 ».
Pour structurer le panorama politique, on peut s’inspirer, en les réunis-

0485
sant, de deux typologies développées par Pierre Jacquemot10 sur la situation
politique des États africains, avec quelques exemples dans chaque catégorie

0026
(en essayant d’actualiser un peu les données au regard des évènements plus
récents) :

7:17
• les démocraties matures : Sénégal, Ghana, Maurice, Seychelles, Cap

0.21
Vert (Tunisie en cours de consolidation en 2019 ?) ;
• les « démocratures » (régimes autoritaires, mais performants) :
Rwanda, Botswana, Ethiopie ; 9.16
0.17
• les démocraties molles (institutions démocratiques, mais peu per-
formantes ou détournées) et souvent États en cours de fragilisation :
6:16

Mali, Burkina Faso, Nigeria ;


8565

• les dictatures : Egypte, Erythrée, Burundi, Zimbabwe (Soudan en


cours d’évolution en 2019) ;
888

• les États rentiers : Gabon, Congo, Guinée équatoriale, Tchad (ce


dernier étant en baisse de ressources) ;
672:

• les « États faillis » : Libye (en guerre civile pour la conquête de


0856

Tripoli en 2019), Somalie, Soudan du Sud, République Centrafricaine


(en 2019, l’État contrôle 10 % de son territoire), République démocra-
:211

tique du Congo (en normalisation déguisée avec un double pouvoir pa-


rallèle en 2019 ?).
nitra

Sur le plan sécuritaire, un certain nombre de pays se trouvent en diffi-


G Ke

culté importante du fait de mouvements « terroristes » et/ou criminels de


grande ampleur : c’est le cas au Sahel, notamment au Mali et au Burkina
:ENC

Faso et dans une moindre mesure (en 2019) au Niger, notamment avec les
mouvements « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans » (GSIM) et
x.com

« l’État islamique dans le grand Sahara » (EIGS)11. Dans la région du lac


Tchad (Ouest du Tchad, Nord du Nigeria, Extrême Nord du Cameroun)
larvo

10. JACQUEMOT Pierre, L’Afrique des possibles. Les défis de l’émergence, Karthala, 2016.
11. Lire MICHAILOV Serge, L’Africanistan. L’Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans
.scho

nos banlieues ?, Fayard, 2015.


www
110 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

sévit Boko Haram. En Somalie, les Shebabs maintiennent leur pression,


ainsi que sur le Nord Est du Kenya. La région des Kivus dans l’Est de la
République démocratique du Congo est la proie de milices, notamment
pour le contrôle des ressources aurifères ou diamantifères.
En 2019 toujours, le Cameroun connaît une guérilla indépendantiste
armée dans ses deux régions anglophones, faute d’avoir su gérer à temps les
revendications linguistiques compréhensibles de leur population.
Enfin, en matière de droits de l’homme, l’Afrique est souvent déficiente,
notamment en ce qui concerne la pratique de la torture, qui subsiste dans
la majorité des pays africains. Malgré l’interdiction universelle de la tor-
ture12 et en particulier son interdiction en Afrique par la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples, la majorité des États africains ne

0485
l’interdisent pas dans leur législation nationale et la pratiquent ... Dans de
nombreux pays de la région (notamment en Egypte, en Ethiopie, en Guinée

0026
équatoriale, au Kenya, au Mali, en Mauritanie, au Nigeria, dans les deux
républiques du Congo, au Soudan, au Zimbabwe …), « la pratique de la

7:17
torture en détention pour extorquer des “aveux” est profondément ancrée
dans la culture des forces de sécurité ».13

0.21
Par ailleurs, il reste une dizaine de pays en Afrique qui appliquent encore
9.16
la peine capitale : le Botswana, l’Egypte, l’Ethiopie, la Guinée Equatoriale,
la Libye, le Nigeria, l’Ouganda, la Somalie, le Soudan, le Soudan du Sud
0.17
et le Zimbabwe. Elle reste légale dans d’autres pays, mais qui pratiquent
un moratoire de fait, par exemple le Cameroun (cela ne l’empêche pas de
6:16

pratiquer des exécutions extrajudiciaires de prisonniers dans sa lutte contre


8565

Boko Haram ou contre les rebelles des provinces anglophones).


888

3.3. La gouvernance sociale et la société civile


672:

Tant que la société civile ne se mêle pas trop de politique, il faut lui re-
connaître un grand développement en Afrique, qui peut prendre des formes
0856

très diverses :
• les associations de développement communautaire, très nom-
:211

breuses et plus ou moins formalisées, à l’échelle des villages ou des quar-


tiers ; elles pallient souvent les insuffisances du secteur éducatif ou de la
nitra

santé et sont actives sur le champ culturel ;


G Ke

• les associations professionnelles, notamment dans le secteur agri-


cole, sont très fréquentes et vivantes ;
:ENC

• les associations religieuses, qui gèrent en particulier les lieux de


culte : il y a en général peu de restrictions et une large tolérance reli-
x.com

gieuse en Afrique (dans un pays à 99,9 % musulman comme le Maroc,

12. Article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Nul ne sera soumis à la
larvo

torture, ni à des peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants ».


13. Amnesty International, « La torture en 2014. 30 ans d’engagements non tenus », 13 mai
.scho

2014.
www
LEs EnJEuX éconoMIquEs, PoLITIquEs ET socIAuX 111

on trouve des églises et des monastères chrétiens ou des synagogues


dans différentes villes) ;
• les ONG, qu’elles soient étrangères ou nationales, sont très déve-
loppées ; sauf dans des pays comme l’Erythrée, qui contrôle étroitement
les ONG humanitaires, il est admis qu’elles soient financées de l’exté-
rieur. Les ONG constituent souvent un champ de professionnalisation
et de revenus salariés pour des cadres sociaux, qui complète ainsi les
secteurs public et commercial. Dans un immense pays largement chao-
tique comme la République démocratique du Congo, les ONG sont un
facteur de structuration ;
• même dans des pays autoritaires, les ONG des droits humains
sont actives : seuls quelques pays dictatoriaux (comme le Burundi, par

0485
exemple) les persécutent si elles critiquent le gouvernement ou s’opposent
à ses exactions (entrainant nombre de militants en exil) ; la Mauritanie

0026
persécute les militants anti-esclavagistes (alors que l’esclavage y a été en
principe aboli récemment) ; mais un dialogue, parfois tendu, existe dans

7:17
la plupart des pays, par exemple avec les ministères de la Justice.

0.21
Les femmes africaines sont souvent très actives et engagées dans la vie
associative et communautaire, qu’elles contribuent largement à animer.
9.16
0.17
4. Des défis démographiques considérables
6:16

60 % de la population d’Afrique subsaharienne a aujourd’hui moins de


25 ans. Ayant encore un taux de fécondité de 5 enfants par femme, elle pas-
8565

sera à 2 milliards d’habitants en 2050 et peut-être à 4 milliards en 2100.14


Mais la transition démographique est engagée : le taux de croissance de la
888

population (2,4 % en 2016) baisse, tandis que celui du PIB est devenu plus
672:

élevé, permettant une élévation du niveau de vie.


0856

En effet, le taux de fécondité tend à baisser. En Afrique du Nord, il est


déjà tombé à 2,2 enfants par femme, ce qui correspond seulement au renou-
:211

vellement d’une génération. Mais en Afrique subsaharienne, on trouve des


taux de fertilité qui vont de 3 enfants par femme (Afrique du Sud) à 7 en-
nitra

fants (Niger) ou 6 enfants au Mali, avec une moyenne actuelle de 5 enfants.


G Ke

Néanmoins, ce taux baisse, notamment par la scolarisation accrue des


filles qui fait reculer les mariages précoces et leur donne également une
autre idée de la condition féminine. La natalité baisse aussi du fait de l’urba-
:ENC

nisation : mauvaises conditions de logement, éducation plus difficile des


enfants et disparition des menus travaux des champs à effectuer par les en-
x.com

fants et qui contribuent à justifier leur nombre dans l’habitat campagnard.


Au village, l’enfant est une ressource ; à la ville, il est une charge.
larvo

14. Voir notamment JACQUEMOT Pierre, L’Afrique des possibles. Les défis de l’émergence,
.scho

Karthala, 2016.
www
112 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

En effet, il y a une émigration vers les villes (notamment les capitales


immenses et anarchiques, avec de larges bidonvilles aux conditions insa-
lubres). Un Africain sur deux sera devenu urbain vers 2040 : le taux d’ur-
banisation en Afrique subsaharienne passera de 41 % de la population en
2015 à 47 % en 2030 et 56 % en 2050. Mais la population rurale continue
cependant à croître aujourd’hui, même si elle diminue en proportion de la
population totale.
Les migrations à l’intérieur des pays sont plus importantes que celle
existant entre les pays africains. Et l’émigration entre les pays africains
reste elle-même plus importante que celle vers l’extérieur du continent.
Entre pays africains, il y avait par exemple d’importantes migrations du
Zimbabwe, du Mozambique et de la République démocratique du Congo

0485
vers l’Afrique du Sud, mais ceci tend à diminuer en raison du ralentisse-
ment économique de cette dernière, ce qui crée des problèmes sociaux de
concurrence pour l’emploi et des manifestations xénophobes dans la « na-

0026
tion arc-en-ciel ». Il y a aussi des migrations de l’Afrique de l’Ouest vers
l’Afrique du Nord, notamment vers le Maroc qui a assoupli sa politique

7:17
d’accueil des subsahariens.15

0.21
9.16
5. Des défis sociaux 0.17
Le taux de pauvreté baisse un peu, mais les inégalités augmentent dans
beaucoup de pays. Entre la majorité de pauvres (qu’ils soient ou non consi-
6:16

dérés officiellement comme tels) et la minorité de riches, l’émergence de la


« classe moyenne » est un phénomène sociologique nouveau, qui encourage
8565

la croissance par la demande interne. La classe moyenne représente 300 mil-


lions de personnes pour la BAD (Banque Africaine de Développement) ou
888

100 millions pour l’ONU selon les définitions (en moyenne : familles de
672:

2 enfants, avec de fortes dépenses d’éducation, des biens d’équipement,


une consommation entraînant un essor rapide des magasins à grandes sur-
0856

face, des quartiers résidentiels ou protégés : les « gate communities »). Pour
Severino et Hajdenberg, la montée en puissance de la classe moyenne en
:211

Afrique permet un cercle vertueux : elle est un marché pour de nouveaux


entrepreneurs qui permet une croissance endogène, mais aussi un vivier
nitra

d’entrepreneurs par ses caractéristiques socioprofessionnelles.


G Ke

Le défi majeur reste celui de l’insertion professionnelle des jeunes. Leur


nombre s’accroît sans cesse et la création d’écoles et le recrutement d’ensei-
:ENC

gnants peinent à suivre l’explosion démographique. Par ailleurs, notam-


ment pour des raisons de coûts d’ateliers et de laboratoires, on a vu qu’il
x.com

y a un déficit énorme de l’enseignement technique et de la formation pro-


fessionnelle, en particulier dans les pays francophones. Ensuite, la rareté
larvo

15. THERY Benoît, « Evolutions et interdépendance des migrations internationales. Le


cas du Maroc : d’un pays d’émigration à un pays d’immigration », Personnel, n° 532,
.scho

septembre 2012.
www
LEs EnJEuX éconoMIquEs, PoLITIquEs ET socIAuX 113

des emplois qualifiés (en Afrique subsaharienne, environ 85 % des emplois


sont dans le secteur dit « informel ») crée d’immenses frustrations dans la
jeunesse, y compris pour les diplômés de l’enseignement supérieur qui ont
du mal à trouver un emploi, et concourt au désir d’émigration vers des pays
développés. Il y aurait d’ici 30 ans 450 millions d’emplois à créer pour les
jeunes, alors que « le rythme de la croissance africaine actuelle ne permet
d’espérer que la création de 250 millions d’emplois ».16 Pour des raisons
sociales et politiques, ainsi que pour son impact migratoire, c’est le plus
important défi de l’Afrique.
Enfin, la santé est difficile d’accès pour la majorité de la population, car
elle est presque toujours payante et la plupart des gens n’ont guère les moyens
de se faire soigner, au moins dans les structures médicales modernes. Dans

0485
les pays francophones, la sécurité sociale existe sur le modèle français, mais
elle ne concerne que les emplois formels (15 % des travailleurs) et même

0026
dans ce cas elle est souvent défaillante. Ainsi, globalement, « près de 90 %
de la population africaine ne bénéficient d’aucune assurance-maladie ».17 Et

7:17
la prévalence du HIV-SIDA dans la population de référence (15-49 ans) est
encore de 3,9 % en 2018 en Afrique, alors que la moyenne mondiale est de

0.21
0,8 % selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Cependant, l’espé-
rance de vie africaine a fait des progrès spectaculaires et est maintenant de
9.16
l’ordre de 60 ans. 0.17

6. Les stratégies face aux défis de l’Afrique


6:16

Face à tous ces défis, Pierre Jacquemot propose 10 conditions ou facteurs


8565

stratégiques pour parvenir à l’émergence d’un pays :


888

• élaborer une stratégie et des plans d’émergence, à l’instar de ce


qu’ont fait différents pays, comme le Maroc ou le Sénégal, suivis par
672:

d’autres pays (Cameroun, par exemple) ;


0856

• construire des sécurités de base : agriculture de subsistance, préser-


vation de l’environnement, ressources énergétiques autonomes, contrôle
du système bancaire ;
:211

• réduire les inégalités de revenus, celles entre les genres et celles


nitra

d’accès à l’éducation et à la santé, car elles sont contre-productives sur le


plan économique et comportent des risques sociaux ;
G Ke

• développer l’inclusion par l’emploi, ce qui passera notamment par


le développement des services, urbains ou ruraux, formels ou peu for-
:ENC

mels ;
• développer la protection sociale ;
x.com

• (res)susciter le développement territorial ;


larvo

16. SEVERINO Jean-Michel et HAJDENBERG Jérémy, Entreprenante Afrique, Odile


Jacob, 2018.
.scho

17. JACQUEMOT Pierre, L’Afrique des possibles. Les défis de l’émergence, Karthala, 2016.
www
114 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

• renforcer les conditions de la participation nationale (en emploi


qualifié et en capital) qui sont imposées aux investissements internatio-
naux ;
• développer une économie « verte » qui créera des emplois et préser-
vera l’avenir environnemental ;
• renforcer la fiscalité et son efficacité ;
• réorienter l’aide internationale vers davantage d’effets-leviers, no-
tamment sur la réduction des risques fondamentaux et les conditions
d’une croissance inclusive.
Mais au-delà de cette planification nécessaire, le choix essentiel pour les
États demeure celui du mode de développement. Severino et Hajdenberg en
voient trois possibilités :

0485
• la croissance par les matières premières exportées (minérales, éner-
gétiques, agricoles), mais cette politique de rente par les ressources na-

0026
turelles entraîne une dépendance vis-à-vis de l’extérieur et souvent un
accaparement par la classe dirigeante africaine ;

7:17
• les investissements étrangers (chinois, européens, indiens, arabes,

0.21
américains, …) permettent des transferts technologiques, mais ces pou-
voirs de décision restent extérieurs et ce type d’investissements n’est pas
9.16
suffisamment créateur d’emplois ;
• pour eux, la seule voie de croissance crédible reste celle du sec-
0.17

teur privé africain, la seule possible en termes de créations d’emplois


6:16

suffisantes et de croissance de revenus restant équitables, sans creuse-


ment d’inégalités destructrices. Pour cela, il faudrait soutenir « l’entre-
8565

prenante Afrique » avec des « small-business acts » en faveur des PME,


comme l’ont fait par exemple le Kenya et la Tanzanie.
888

Il s’agirait alors d’une croissance endogène, mais ouverte aux échanges


672:

internationaux.
0856
:211
nitra
G Ke
:ENC
x.com
larvo
.scho
www
0485
CHAPITRE 8

0026
DIFFÉRENTES FAMILLES CULTURELLES

7:17
0.21
On a vu que l’Afrique offre une multitude d’opportunités économiques,
par ses besoins criants et par sa très forte croissance démographique, mais
aussi par son entrepreneuriat et par ses innovations. C’est donc une « terre 9.16
d’opportunités ».
0.17

Il faut alors entrer maintenant de plain-pied dans le champ culturel et on


6:16

propose d’abord à cet égard quelques grands traits de la socio-géographie


africaine, avant de montrer qu’il y a aussi nombre de traits culturels com-
8565

muns au continent.
888
672:

1. Les grands groupes ethnolinguistiques pour un ensemble de


plus de 2 000 langues
0856

Il existe un très grand nombre de langues africaines, estimées à environ


:211

2 000 à 2 400 (et à 4 000 si l’on distingue les dialectes). Les langues sont
le facteur le plus évident d’identité comme de différenciation culturelle, et
nitra

un marqueur essentiel de l’identité ethnique. Aussi, on assimile souvent la


G Ke

langue au groupe ethnique, même si certains groupes qui se reconnaissent


une forte identité culturelle commune peuvent parler parfois des dialectes
:ENC

assez différents issus d’une même langue. Par exemple, les Bamilékés au
Cameroun parlent 11 dialectes et utilisent en commun une langue bami-
x.com

léké véhiculaire, le Ghomala ou Bamiléké-Bafoussam (Bafoussam étant la


grande ville du pays bamiléké).
larvo

À l’inverse de cette division, certaines langues ethniques servent aussi


de langue véhiculaire nationale : c’est largement le cas du Wolof au Sénégal
.scho

et dans une certaine mesure du Bambara au Mali.


www
116 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Ainsi, il convient de souligner les larges compétences linguistiques de la


plupart des Africains. Par exemple, un Peul du Sénégal parlera peul comme
langue maternelle, wolof comme langue véhiculaire et français comme
langue scolaire. Il pourra écrire en arabe s’il est allé à l’école coranique et
en français du fait de sa scolarité officielle. Peu de Français auraient des
compétences linguistiques aussi larges !
Inspirée notamment par la classification de Greenberg, il existe une
large unanimité pour reconnaître cinq principaux groupes linguistiques en
Afrique :
1. les langues afro-asiatiques, c’est-à-dire partagées entre l’Afrique et
le Moyen-Orient, et présentes en Afrique entre la Méditerranée et la
mer Rouge : c’est d’abord l’arabe ;

0485
2. les langues nilo-sahariennes, plus dispersées entre le Nil et le
Niger, dans les déserts et savanes de l’Afrique orientale et centrale ;

0026
3. les langues nigéro-congolaises, ainsi divisées en deux sous-
groupes : celles du bassin du Niger (Afrique de l’Ouest) et celles du

7:17
bassin du Congo (Afrique centrale) : les secondes se sont étendues
avec l’expansion bantoue dans toute l’Afrique subéquatoriale ;

0.21
4. les langues khoisan de groupes très anciens et aujourd’hui très mi-
9.16
noritaires de l’Afrique australe (en Namibie notamment) ;
5. les langues austronésiennes, ce sont des langues asiatico-océa-
0.17

niques, dont le sous-groupe le plus important est le malais et dont


le malgache est la langue présente en Afrique.
6:16
8565
888
672:
0856
:211
nitra
G Ke
:ENC
x.com
larvo
.scho
www
DIfféREnTEs fAMILLEs cuLTuRELLEs 117

Carte des 5 grands groupes linguistiques africains

0485
0026
7:17
0.21
9.16
0.17
6:16
8565
888
672:
0856

(Par Mark Dingemanse (original PNG version); Doodledoo (French translation) – Translation of
File: African language families_en.svg. [Familles des langues d’Afrique.svg], CC BY-SA 2.5,
:211

https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=4275652)
nitra

Le tableau suivant distingue ces cinq groupes et présente leurs sous-


G Ke

groupes, leurs principales langues et leurs principaux pays de diffusion.


:ENC

Principaux groupes linguistiques en Afrique


Ce classement, selon la classification de Greenberg, est généralement
x.com

reconnu (sauf par les « afro-centristes ») : en gras, les langues africaines les
plus parlées (par plus de 10 millions de locuteurs) et en italiques les langues
larvo

mortes les plus notables.


.scho
www
118 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Sous-groupes Principales langues Principaux pays


1. Langues afro-asiatiques (ou chamito-sémitiques) : surtout Afrique du Nord et mer
Rouge
chamite égyptien ancien, copte Egypte
arabe (nombreux dia- Afrique du nord
lectes)
sémitique
amharique, tigréen, guèze Ethiopie
tigrina Erythrée
tarifit, tamazight, tachelhit Maroc
kabyle, chaouïa Algérie
berbère
jerba Tunisie
tamasheq Algérie, Libye, niger, Mali

0485
somali, afar, issa somalie, Djibouti
couchitique

0026
oromo, galla Ethiopie
tchadique haoussa, mandara nigeria, Tchad, cameroun

7:17
omotique wolaytta, seze Ethiopie

0.21
2. Langues nilo-sahariennes : surtout Afrique orientale et centrale
shilluk, dinka, nuer, nubien soudan du sud, soudan
9.16
nilotique ou soudanais
turkana, luo, kalenjin, Kenya, ouganda, Tanza-
oriental
masai nie
0.17

Rép. démoc. du congo-


soudanais central lendu
6:16

RDc
toubou, zaghawa, bideyat Libye, Tchad, soudan,
8565

saharien
kanuri niger, nigeria, cameroun
saharien songhaï songhaï, zarma Mali, niger
888

3. Langues nigéro-congolaises : bassin du Niger (Afrique de l’Ouest)


672:

wolof, sérère, diola, peul sénégal, guinée, Mali,


0856

ouest-atlantique (ou pular, fulani, foulbé,


fufuldé) niger, nigeria, cameroun
:211

Mali, sénégal, côte


bambara, dioula, bozo,
mandingue (ou mandé) d’Ivoire, guinée, sierra
malinké, mandé, soninké
nitra

Leone

ibo, yoruba, senoufo, nigeria, Mali, côte


G Ke

voltaïque (gur) d’Ivoire, ghana, Benin,


mossi (ou moore) Burkina faso
:ENC

akan, fon, baoulé côte d’Ivoire, nigeria,


kwa
ewe Bénin, ghana, Togo
x.com

sierra Leone, guinée,


méridional themne, kissi, gola
Liberia
larvo

dogon dogon Mali


.scho
www
DIfféREnTEs fAMILLEs cuLTuRELLEs 119

3 bis. Langues bénoué-congolaises (bassin du Congo) ou bantoues (langues nigéro-


congolaises formant un groupe distingué par sa très large diffusion) : Afrique
subéquatoriale
Estimation
Principales langues Principaux pays des locuteurs
(M = million)
Tanzanie, Kenya, ouganda,
swahili Plus de 100 M
Rwanda, Burundi, RDc
zoulou Afrique du sud 10 M
xhosa Afrique du sud 9M
sotho Afrique du sud, Lesotho 5M
tswana Afrique du sud, Botswana 4,5 M

0485
Eswatini (ex-swaziland), Afrique du
swati 1,5 M
sud

0026
makoua Mozambique 4M

7:17
nyanja (ou chichewa) Malawi 9,5 M
shona Zimbabwe, Mozambique, Zambie 10 M

0.21
bemba Zambie 3M

9.16
Zambie, Zimbabwe, Botswana,
lozi 0,75 M
namibie
0.17
tonga Zambie, Zimbabwe, Mozambique 1,5 M
mbundu Angola 3M
6:16

umbundu Angola 4M
8565

sukuma Tanzanie 3M
kikuyu Kenya 6M
888

luganda ouganda 8M
672:

kinyarwanda Rwanda 15 M
0856

kirundi Burundi 12 M
lingala RDc, congo, centrafrique 36 M
:211

luba (ou tshiluba) RDc, Angola 7M


nitra

kikongo RDc, congo, Angola 6M


bamiléké-Bafoussam (ou
cameroun 3M
G Ke

ghomala)
douala cameroun 2M
:ENC

cameroun, gabon, guinée équa-


fang 4M
toriale
x.com

boulou cameroun 0,2 M


ndébélé Afrique du sud, Zimbabwe 1,5 M
larvo

herero namibie 0,2 M


.scho
www
120 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

4. Langues khoisan : Afrique australe (représentatives d’un peuplement très ancien,


mais aujourd’hui très minoritaire)
Principal sous-groupe Principale langue Principal pays
Khoï (ou khoïsan) nama namibie
5. Langues austronésiennes, parlées dans les îles des océans Indien et Pacifique, dont
en Afrique le malgache et ses 22 millions de locuteurs (qui se rapproche du malais,
le sous-groupe austronésien le plus important).

Un classement des 10 langues africaines les plus parlées est souvent


d’usage, mais il est très difficile à établir : les recensements de popula-
tions sont rares et pas toujours précis, surtout quand il s’agit de savoir

0485
quelles langues parle un Africain (la plupart d’entre eux connaissent
plusieurs langues) et quel niveau linguistique il a dans l’usage de

0026
chaque langue ! Par conséquent, le tableau suivant ne peut être qu’ap-
proximatif (lire M pour million de locuteurs) :

7:17
– arabe : environ 200 M en Afrique du nord, soudan et Mauritanie ;

0.21
– swahili : de 100 M à 150 M en Afrique de l’Est ;
– lingala : environ 36 M dans les deux « congo » et en centrafrique ;
– haoussa : environ 30 M au nigeria, niger, Togo ; 9.16
0.17

– yoruba : environ 30 M au nigeria, Bénin, Togo ;


6:16

– amharique : environ 30 M en Ethiopie et Erythrée ;


8565

– peul : environ 30 M en Afrique de l’ouest et au cameroun ;


– oromo : environ 26 M en Ethiopie ;
888

– ibo : environ 24 M au nigeria ;


672:

– malgache : environ 22 M à Madagascar.


0856
:211

2. Un tour d’Afrique en huit sous-régions culturelles


nitra

En termes de géographie humaine (géopolitique et culturelle), il nous


G Ke

semble que l’on peut regrouper ces communautés ethnolinguistiques, de


façon proche des 5 sous-régions distinguées par l’ONU, en huit sous-en-
:ENC

sembles géoculturels (même si inévitablement toute tentative de cette sorte


comporte une part de réserves à introduire). Dans un ordre géographique
x.com

circulaire, on peut essayer de dessiner ce « tour d’Afrique » comme suit :


• L’Afrique du Nord arabophone et musulmane : ce sous-ensemble
larvo

regrouperait Egypte et Soudan (très proches depuis l’Antiquité), et Libye,


Tunisie, Algérie, Maroc et Mauritanie qui forment l’Union du Maghreb
.scho

arabe (UMA). Ces pays sont musulmans à plus de 90 %, avec des mino-
www
DIfféREnTEs fAMILLEs cuLTuRELLEs 121

rités chrétiennes en Egypte et au Soudan. Tous ont l’arabe pour langue


officielle, même si elle n’est pas la langue unique (il y a en particulier des
langues berbères). Deux de ces pays sont néanmoins partagés entre le
monde arabo-berbère et l’Afrique noire subsaharienne : la Mauritanie
et le Soudan.
• Le Sahel francophone et musulman : ce sous-ensemble regroupe-
rait Sénégal, Mali, Niger et Burkina-Faso. Ce sont des pays de savane
sèche (avec une importante partie saharienne au Mali et au Niger),
francophones, et musulmans à plus de 90 % (sauf le Burkina Faso qui
compte une minorité chrétienne de 22 %). À l’exception du Sénégal, ce
sont des pays pauvres et au développement humain faible. Les îles du
Cap-Vert pourraient s’y rattacher géographiquement, mais en sont très
différentes : insulaires, métissées, lusophones et chrétiennes.

0485
• Une côte d’Afrique de l’Ouest mixte : cette zone, plus humide
et forestière, est dotée de richesses naturelles importantes, minérales

0026
et agricoles. Elle regrouperait Gambie, Guinée Bissau, Guinée, Sierra
Leone, Liberia, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin et Nigeria. C’est une

7:17
sous-région de mixité : des pays qui se répartissent entre christianisme

0.21
et islam (à l’exception de la Gambie et de la Guinée, très majoritairement
musulmanes) ; entre francophones et anglophones (à l’exception de la
9.16
Guinée Bissau lusophone) ; entre pays de dynamisme économique (no-
tamment la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria) et d’autres très pauvres
0.17
par suite de périodes de mauvaise gouvernance et de conflits.
6:16

• L’Afrique centrale francophone et chrétienne : ce sous ensemble


correspond au Bassin du Congo : Cameroun, République Centrafricaine,
8565

Gabon, Guinée équatoriale, Congo, Sao Tomé et Principe, République


Démocratique du Congo. Le Tchad y est rattaché, bien qu’il ait aussi
888

des caractéristiques sahéliennes, et l’Angola, très étendu, est à la fois en


Afrique centrale et en Afrique australe. Sauf au Tchad, c’est une sous-
672:

région à dominante chrétienne. Elle est aussi à dominante francophone,


à l’exception de la Guinée équatoriale (hispanophone) et de l’Angola et
0856

des îles Sao Tomé et Principe (lusophones). Le Bassin du Congo possède


de très grandes richesses naturelles (hydrocarbures, minerais, forêts,
:211

plantations, ressources hydrauliques), mais il souffre du « syndrome


nitra

hollandais »1 ou « la malédiction des matières premières ». La rente des


ressources naturelles exportées induit ou s’accompagne d’une mauvaise
G Ke

gouvernance (captation de la rente, corruption et conflits armés). Pays


inégalitaires, le « syndrome hollandais » et la mauvaise gouvernance en
:ENC

font souvent des « pays riches peuplés de pauvres » …


• L’Afrique australe chrétienne à dominante anglophone : ce
x.com

sous-ensemble continental comprend la République d’Afrique du

1. Le syndrome hollandais désigne un enchaînement économique complexe, où l’accent


larvo

mis sur l’exploitation de ressources naturelles rentières néglige une économie diversifiée
et équilibrée, crée une fragilité liée aux fluctuations des cours des matières premières,
.scho

du chômage et des inégalités.


www
122 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Sud, la Namibie, le Botswana, le Lesotho, l’Eswatini (ex-Swaziland), le


Mozambique, le Zimbabwe, la Zambie et le Malawi. On pourrait y re-
prendre l’Angola, membre de deux sous-régions. Tous ces pays sont en
nette majorité chrétiens et anglophones à l’exception du Mozambique et
de l’Angola. Bien que ce soient en général des pays riches en ressources
minérales, les niveaux de développement y sont très contrastés (allant en
2018 d’un PIB par tête à parité de pouvoir d’achat – PPA de 1 309 $ au
Malawi à 18 583 $ au Botswana).
• Les îles de l’océan Indien métissées et de différentes langues et
religions : il s’agit de Madagascar, de Maurice et des Seychelles : les îles
ayant leur singularité, c’est un sous-ensemble très disparate. Madagascar
est chrétienne et métissée, beaucoup plus malgache que francophone, et
pauvre. Maurice est d’abord indienne et hindouiste, à la fois anglophone

0485
et francophone, et riche. Les Seychelles sont complètement métissées,
catholiques, anglophones et francophones, et ont le plus haut niveau de

0026
vie d’Afrique (30 503 $ PPA par tête en 2018).
• L’Afrique orientale chrétienne, anglophone et swahilie regroupe le

7:17
Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi et les Comores.

0.21
On peut y rattacher le Soudan du Sud par son peuplement chrétien et
nilotique, proche du Kenya. L’ensemble est à nette majorité chrétienne,
9.16
sauf les Comores qui sont musulmanes. Les langues véhiculaires se par-
tagent entre l’anglais et le swahili, sauf au Soudan du Sud qui utilise
0.17
l’arabe soudanais, et au Burundi et aux Comores le français et le swahili.
Le Kenya et le Rwanda sont économiquement fort dynamiques.
6:16

• La Corne de l’Afrique : une culture militaire entre deux conti-


8565

nents, deux religions et de nombreuses menaces : se sont l’Ethiopie, la


Somalie, l’Erythrée et la République de Djibouti. L’Ethiopie et l’Erythrée,
888

longtemps en conflit, sont en nette majorité chrétiennes (coptes) tandis


que la Somalie et Djibouti sont musulmanes. Les principales langues se
672:

partagent entre amharique et oromo en Ethiopie, tigrigna en Erythrée,


somali, français et arabe. Traditionnellement en relations avec le Yémen
0856

(qui est en guerre en 2019), la Corne de l’Afrique, souvent elle-même


en conflits guerriers, est handicapée par la situation chaotique de la
:211

Somalie, État failli, la dictature en Erythrée, et les troubles sociaux et


nitra

ethniques récurrents chez le géant éthiopien, tandis que Djibouti est une
place-forte concédée sur le détroit de Mandeb (qui ferme la mer Rouge
G Ke

et donc le passage du canal de Suez), où campent les principales armées


du monde (États-Unis, Chine et France).
:ENC

Néanmoins, cette image de la sous-région peut aujourd’hui être corri-


gée en bonne partie par le développement économique spectaculaire de
x.com

l’Ethiopie, le géant de la zone, et les efforts de son Premier ministre Abiy


Ahmed, prix Nobel de la paix 2019, pour pacifier les conflits ethniques
(notamment entre les deux principaux groupes amharique et oromo).
larvo
.scho
www
0485
CHAPITRE 9

0026
DES MODÈLES SOCIÉTAUX ET DE MANAGEMENT

7:17
ENDOGÈNES À L’AFRIQUE

0.21
Dans ce chapitre, on montre comment les modèles sociétaux tradition-
nels en Afrique imprègnent toujours ceux hérités de la colonisation et offi- 9.16
0.17
ciellement adoptés sur le plan institutionnel par les États africains indé-
pendants, de même qu’ils imprègnent aussi le management des entreprises.
6:16
8565

1. Le lignage
888

Le lignage est à la base du système social rural1 : l’ensemble des descen-


672:

dants d’un même ancêtre. Il fonctionne sur l’antériorité : le pouvoir attribué


aux ancêtres ou à ceux qui s’en rapprochent, les anciens. L’aîné adresse les
0856

requêtes aux ancêtres pour la fertilité des femmes ou des terres, ou pour la
paix.
:211

Le pouvoir des anciens porte sur le contrôle de la terre, de sa répartition,


nitra

de son travail et de ses produits (contrôle des greniers) ; sur les échanges
matrimoniaux (le mariage et la dot), les relations avec les autres lignages, les
G Ke

rites et les interdits. Il y a une prestation de travail accomplie par les cadets
pour les anciens et une redistribution des anciens aux cadets.
:ENC

La capacité de travail et de reproduction de la femme est payée par la dot


du fiancé à ses beaux-parents (ce qui leur permet de la réutiliser pour doter
x.com

à leur tour le frère de la mariée). « Il n’est de richesses que de femmes », mais


la femme, elle, n’en possède pas souvent en propre ...
larvo

1. Voir JACQUEMOT Pierre, Economie politique de l’Afrique contemporaine, Armand


.scho

Colin, 2013.
www
124 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Au Sahel, on trouve fréquemment des sociétés de castes et d’esclavage,


notamment chez les Peuls ou les Wolofs parmi les plus hiérarchisées : on
distingue les lignages de nobles, d’hommes libres, de castes (artisans ser-
viles) et d’esclaves (ou « captifs »). La caste des nobles peut regrouper les
nobles proprement-dits, les chasseurs et les marabouts. Les artisans peuvent
être organisés en différentes castes par corps de métiers. Les esclaves étaient
généralement des captifs des guerres intestines. L’esclavage est officielle-
ment aboli dans tous les pays africains (seulement dans les années 2000 en
Mauritanie), mais subsiste encore à la marge en Mauritanie, au Soudan et
au Tchad. Les esclaves y sont parfois « volontaires » : éduqués dans un sys-
tème de servilité, ils n’ont pas assez d’autonomie psychologique, éducative,
économique et sociale pour pouvoir quitter la famille qui les exploite.

0485
Dans les sociétés de castes, le mariage est fortement contrôlé par les pa-
rents et grands-parents, de façon à éviter les mésalliances avec une caste

0026
inférieure ou servile.

7:17
De fortes obligations de solidarité sont liées au lignage. La modernisa-
tion du droit foncier et du droit civil, l’abolition de l’esclavage africain, le

0.21
travail rémunéré des femmes ou celui des cadets qui peuvent payer leur dot
indépendamment de leurs parents, tout ceci affaiblit le système tradition-
nel, même si on s’efforce d’en sauver les apparences. 9.16
0.17
Ainsi, en ville, le contrôle du lignage s’affaiblit loin de la communauté
villageoise (sauf pour les cérémonies de deuil, qui sont une obligation so-
6:16

ciale très forte et très ritualisée et qui exige de revenir « au village »). Mais
8565

d’autres contraintes de solidarité et d’obligations mutuelles s’établissent


en ville selon une logique communautaire : les regroupements ethniques,
888

les quartiers, les confréries religieuses chez les musulmans, les Eglises ou
paroisses chez les chrétiens et surtout aujourd’hui les « églises du réveil »,
672:

les tontines (associations volontaires d’épargne et de prêts avec des règles


strictes), les confréries maçonniques ou autres sociétés secrètes, etc.
0856

Le système communautaire de réciprocité s’impose alors sous une autre


:211

forme : il a toujours ses obligations de contribution, mais il joue aussi un


rôle de redistribution, d’assurance-chômage et de protection sociale non
nitra

officielles (le système officiel ne touchant qu’une faible proportion de la po-


G Ke

pulation). Ce système communautaire est notamment efficace en période


de crise.
:ENC

Les « tontines » sont un exemple très répandu de la solidarité en ville : elles


ont un rôle d’épargne ou de banque informelle. Les membres se cooptent
x.com

entre eux sur un critère de confiance et, étant généralement pauvres, ils
adoptent des règles de gestion collective très rigoureuses afin d’éviter que
larvo

leur communauté ne devienne déficitaire. On peut distinguer deux prin-


cipaux types de tontines : celles avec une fonction de caisse d’épargne et
.scho

celles avec une fonction bancaire (ou éventuellement les deux à la fois).
www
DEs MoDèLEs socIéTAuX ET DE MAnAgEMEnT EnDogènEs 125

Dans la première, les membres s’engagent à verser, par exemple men-


suellement, une somme donnée dans la caisse commune : au bout d’un an,
ils auront le droit de retirer la somme accumulée à leur nom pour faire un
achat d’équipement ou, au-delà d’un an, pour une dépense d’urgence (hos-
pitalisation, par exemple).
Dans la seconde, les membres ont le droit d’obtenir un prêt sans intérêt
selon les règles fixées par la tontine, par exemple remboursable en un an. Le
non remboursement après rappel est sévèrement sanctionné, par exemple
par une dénonciation à la police. Si celle-ci est suivie d’une garde à vue de
48 heures, la famille ou les voisins arrivent souvent à réunir la somme dans
ce délai. Car sinon la suite est trop bien connue : sans pouvoir payer d’avo-
cat, le transfert en maison d’arrêt risque de s’opérer sans dossier judiciaire,

0485
ce qui signifie que le débiteur devient souvent un « oublié de la justice » qui
peut moisir des années en prison sans jugement, jusqu’à ce que la famille

0026
ou une association des droits de l’homme trouve finalement les moyens de
payer un avocat pour mettre en place une procédure judiciaire.

7:17
0.21
2. Les systèmes de parenté, de filiation et de mariage

9.16
On distingue les sociétés matrilinéaires et patrilinéaires. Le système
matrilinéaire était le plus fréquent en Afrique, mais l’islam a poussé cer-
0.17

taines ethnies à adopter un système patrilinéaire.


6:16

Dans une société matrilinéaire, on appartient au groupe de parenté de sa


mère et la filiation et l’héritage (du nom, du statut, des droits, de la proprié-
8565

té, …) sont transmis par la mère. Ce système a souvent évolué en Afrique


en une transmission de l’oncle maternel au neveu : l’oncle maternel (c’est-
888

à-dire le frère de la mère, lesquels sont eux-mêmes nés de la même mère)


672:

incarne l’autorité sur l’enfant. Fondamentalement, le système matrilinéaire


garantit ainsi que l’héritier soit du même sang que l’ascendant.
0856

Ce système permet parfois une plus grande liberté sexuelle, car l’identité
du père peut (selon les ethnies) importer beaucoup moins, alors que la mère
:211

de l’enfant est toujours identifiable (les matrones ou sages-femmes peuvent


nitra

en témoigner). La mère élève ses enfants, même s’ils sont de pères diffé-
rents. Ainsi, pour désigner des frères ou sœurs, il est souvent nécessaire de
G Ke

préciser s’ils sont de « même père » et par ailleurs, dans les familles polyga-
miques, s’ils sont de « même mère » – ou non. Le système matrilinéaire est
:ENC

très fréquent en Afrique, surtout centrale, mais il reste présent aussi dans
des ethnies d’Afrique de l’Ouest et même, en limite de l’Afrique du Nord
x.com

et de l’Afrique de l’Ouest, chez les Touareg qui, bien que musulmans, sont
matrilinéaires et monogames.
larvo

Dans une société patrilinéaire, on appartient au groupe de parenté de


son père et la filiation et ses droits sont transmis par le père. On estime
.scho

généralement que c’est l’islam qui a apporté – ou en tout cas renforcé – la


www
126 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

filiation patrilinéaire en Afrique, en particulier au Sahel. Par exemple, les


Wolofs sont devenus patrilinéaires par l’islamisation. Le système patrili-
néaire implique un contrôle des femmes, familial et social, visant à s’assurer
que l’enfant est bien celui du mari de la mère, puisque c’est le père qui trans-
met le nom, le statut et l’héritage.
Le caractère patrilocal ou matrilocal désigne le lieu où s’installe le
couple : dans la parenté du père ou dans celle de la mère. Il peut se combiner
différemment avec le système patrilinéaire ou matrilinéaire.
La dot : le mariage est traditionnellement assorti de la dot. Celle-ci est
la compensation matrimoniale – en espèces ou en nature – pour la perte
de la femme qui quitte sa famille avec sa force de travail et son potentiel de
reproduction. Elle est payée par le fiancé à ses beaux-parents.

0485
La polygamie est traditionnellement fréquente en Afrique, même si elle
n’est pas généralisée dans toutes les ethnies et si elle se raréfie fortement

0026
avec la vie moderne (ce qui n’empêche pas d’avoir des maîtresses …). Elle
s’explique par plusieurs facteurs, dont au moins les cinq suivants :

7:17
• la mortalité masculine : traditionnellement, et en particulier dans

0.21
les sociétés d’éleveurs nomades ou de commerçants transsahariens,
la mortalité masculine était aggravée par les risques de voyages ou de
9.16
rezzous, et de façon plus générale par les conflits guerriers. Ceci créait
donc un déséquilibre entre le nombre d’hommes et de femmes ;
0.17

• dans différentes ethnies guerrières (en Afrique de l’Est, de l’Ouest


6:16

et du Sud), les hommes jeunes étaient entraînés dans le métier des armes
avant d’avoir le droit de se marier : cela retardait donc l’âge du mariage
8565

(et donc le nombre d’hommes mariés) et leur frustration était canalisée


dans la violence, ce qui renforçait la mortalité masculine ;
888

• l’institution du lévirat : c’est un mariage par lequel le frère d’un


672:

défunt épouse la veuve (donc sa belle-sœur). Dans beaucoup d’ethnies,


la tradition veut ainsi que, par solidarité familiale, le frère du défunt
0856

prenne sa veuve pour épouse, même si ce frère est déjà marié par ail-
leurs. En fait, le lévirat aurait surtout pour fonction de poursuivre la
:211

lignée et de garder la dot attachée à la veuve dans le clan familial. C’est


donc aussi un facteur de polygamie ;
nitra

• l’impact de la dot : la dot est très coûteuse pour le fiancé (en pro-
portion de la pauvreté ou de la richesse des familles concernées) : elle
G Ke

représente plusieurs années de travail. Sauf s’il est entièrement doté par
ses parents, cela suppose que le fiancé ait acquis les moyens de la payer
:ENC

par les économies qu’il a pu longuement accumuler. Par conséquent, le


fiancé est souvent d’âge mûr, tandis que les jeunes filles sont considérées
x.com

comme nubiles autour de 15 ans : la différence d’âges entre les époux est
donc souvent très importante (ce qui ne provoque pas du tout la même
larvo

désapprobation qu’en Europe). Les femmes en âge d’être mariées sont


donc nettement plus nombreuses que les hommes financièrement ca-
.scho

pables de l’être, ce qui favorise la polygamie ;


www
DEs MoDèLEs socIéTAuX ET DE MAnAgEMEnT EnDogènEs 127

• l’islamisation d’une grande partie de l’Afrique, du VIIe siècle à nos


jours, vient a posteriori à la fois justifier et limiter la pratique de la poly-
gamie, et n’en est pas le facteur premier. L’islam limite à quatre le nombre
d’épouses, tandis qu’un chef coutumier pouvait encore au XXe siècle en
avoir des dizaines ou un roi du XIXe siècle plus de cent… Aujourd’hui,
le chef d’État d’Eswatini (ex-Swaziland), le roi Mswati III (le dernier
monarque absolu d’Afrique) a une quinzaine d’épouses et généralement
une de plus chaque année lors de la fête traditionnelle des roseaux (son
père en avait plus de 70).
En majorité, la loi contemporaine des pays africains permet la polyga-
mie, dans plus de 30 pays sur 55. Par exemple, la Guinée vient de permettre
la polygamie en 2019, alors qu’elle avait été abolie en 1968 par une loi qui

0485
n’avait jamais été appliquée... En Guinée comme dans beaucoup de pays
francophones, lors du premier mariage de l’homme, les époux doivent

0026
choisir d’un commun accord le mariage monogamique ou le mariage poly-
gamique : celui-ci est donc soumis à l’acceptation de la première épouse.

7:17
Mais un certain nombre de pays stipulent que si l’option n’a pas été

0.21
précisée par les époux au premier mariage, celui-ci est réputé polyga-
mique, ce qui est parfois interprété comme une validation de la polygamie
de fait. Lors du premier mariage de l’époux, beaucoup de jeunes femmes 9.16
0.17
acceptent le mariage polygamique, parfois parce qu’elles interprètent cette
possibilité comme la règle de l’islam (quand les époux sont musulmans),
6:16

mais plus souvent parce que la femme y voit une assurance contre le di-
vorce. En effet, dans le mariage monogamique, elle craint d’être aban-
8565

donnée sans ressources si l’époux devient amoureux d’une autre femme,


tandis que le mariage polygamique lui offre le statut de première épouse,
888

qui est souvent celle qui régente toute la famille, y compris les coépouses
672:

et leurs enfants.
0856

La majorité des pays qui autorisent la polygamie l’ont néanmoins assor-


tie de conditions limitatives (notamment selon les règles islamiques : équité
:211

entre les épouses, limitation à 4 femmes …) et quelquefois de conditions


restrictives (par exemple, les pays d’Afrique du Nord prévoient la polyga-
nitra

mie, à l’exception de la Tunisie, mais l’Algérie et le Maroc la conditionnent


à une autorisation judiciaire).
G Ke

Le Sénégal connaît une situation paradoxale. L’Assemblée nationale y est


:ENC

paritaire (même nombre d’hommes et de femmes) depuis une loi de 2010 et


la polygamie y a globalement baissé de 38 % des ménages en 2002 à 35 % en
x.com

2013. Mais il a été relevé une augmentation du choix de la polygamie chez


les femmes intellectuelles : 25 % des femmes ayant un diplôme universitaire
larvo

ont choisi la polygamie en 2013, pour 14 % d’hommes du même niveau se


déclarant polygames. Certaines intellectuelles en donnent une interpréta-
.scho

tion « féministe » : « J’ai toujours voulu être dans un ménage polygame.


www
128 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

C’est une forme de liberté, car j’ai du temps pour moi quand mon mari est
chez la première épouse2 ».
Ces systèmes familiaux sont parfois difficiles à saisir pour les Européens.
Une source de confusion courante est l’emploi des termes de parenté : non
seulement « frère » ou « sœur » ne signifie pas nécessairement de « même
père, même mère », mais il est fréquent que les termes de parenté soient aus-
si utilisés « au figuré » pour désigner d’autres relations de proximité. Celui
qui est appelé « frère » ou « sœur » peut être en fait un(e) cousin(e), un(e)
ami(e), quelqu’un originaire du même village ; l’« oncle » ou la « tante » peut
être un(e) proche plus âgé(e), ou un(e) ami(e) de ses parents, ou quelqu’un
de protecteur, avec souvent une nuance de respect. Il est donc parfois néces-
saire de se faire préciser de quelle relation il s’agit précisément.

0485
Enfin, il peut être utile de rappeler (par exemple, à l’attention des ex-
patriés européens) que l’homosexualité n’est pas la bienvenue en Afrique,

0026
pour des raisons religieuses mais surtout parce qu’elle est contradictoire
avec la fécondité, une valeur fondamentale très recherchée des Africains.

7:17
Si l’homosexualité a en général été dépénalisée dans les pays européens (en
France en 1982, où elle était jusqu’alors un délit passible de prison), les pays

0.21
africains n’ont pas nécessairement changé leur législation depuis leur indé-
pendance. Un seul pays (l’Afrique du Sud) admet le mariage homosexuel et
40 % des pays africains répriment pénalement l’homosexualité, dont quatre 9.16
0.17
d’entre eux par la peine de mort (Mauritanie, Soudan, Somalie, et dans cer-
tains États du Nord du Nigeria).
6:16

Il convient donc de réaliser qu’en matière de mœurs familiales ou


sexuelles, il existe des différences de valeurs importantes entre l’Afrique
8565

et l’Europe contemporaines, qui doivent donc être comprises avant d’être


prises en considération. Si l’homosexualité est maintenant généralement
888

acceptée en Europe, elle ne l’est guère en Afrique. Si la polygamie est géné-


672:

ralement acceptée en Afrique, elle ne l’est guère en Europe.


Par ailleurs, ce qu’on appelle la « parenté à plaisanterie » désigne en
0856

Afrique de l’Ouest la forme répandue d’humour complice qui consiste à


feindre de se moquer de ses relations, y compris de clans ou d’ethnies dif-
:211

férents, pour entretenir réseaux et alliances. Au-delà de l’humour, que les


nitra

Africains aiment pratiquer, c’est presqu’une institution de diplomatie popu-


laire.
G Ke
:ENC

3. De la chefferie à « l’État hybride »


Traditionnellement, le système de production, d’échanges et de redistri-
x.com

bution des biens agricoles et celui d’échanges matrimoniaux sont organisés


par les anciens : eux-mêmes sont régulés par le chef du village ou le roi local,
larvo

2. « Au Sénégal, la polygamie ne rebute plus les femmes instruites », Le Monde Afrique,


.scho

11 mai 2018.
www
DEs MoDèLEs socIéTAuX ET DE MAnAgEMEnT EnDogènEs 129

qui réunit dans son Conseil de chefferie les anciens les plus influents, ceux
qui l’ont désigné parmi eux.
La chefferie a été la structure politique de base dans les anciens États afri-
cains organisés en royaumes ou en empires. Par exemple, chez les Mossis
(Burkina Faso actuel), le Mogho Naba (« chef du monde ») à Ouagadougou
régnait sur 300 Nabas, chefs de villages. Chez les Ashanti (Ghana), le roi a
toujours une influence politique, de même que la « reine-mère » (ce qui ne
signifie pas qu’elle soit plus âgée), celle qui est désignée par le roi dans sa
famille maternelle et qui a son tour désignera le successeur du roi.
La chefferie reste un poste recherché, y compris par des managers mo-
dernes, car elle confère un statut influent et est également source de revenus
(cadeaux, dîmes, royalties) : « les besoins du chef sont quasiment illimités

0485
car il a une importante obligation de redistribution3 ». Pierre Jacquemot
explique ainsi « l’hybridation » de bien des États africains : ils ont à la fois

0026
les structures de l’État moderne selon le modèle européen issu de la coloni-
sation (président élu, parlement élu, système judiciaire en principe indépen-

7:17
dant), mais sont en même temps, à des degrés divers selon les pays, inspirés
ou imprégnés des systèmes politiques traditionnels.

0.21
C’est ce que P. Jacquemot (ancien ambassadeur en Afrique de l’Est, en
9.16
Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale) appelle le « système social néo-
patrimonial étatisé » : « le système social étatisé africain, extension du sys-
0.17

tème de la chefferie sur un territoire national. Une coalition d’intérêts forme


alors une classe dominante qui détient le pouvoir d’État … Elle installe à la
6:16

tête de l’État un groupe dirigeant chargé de maintenir ses privilèges ». On en


8565

cite ici quelques explications significatives :


• « Le système social étatisé … est fondé sur l’allégeance et la loyauté
888

des membres de la classe dominante … Les membres (ministres, admi-


nistrateurs, chefs d’entreprises publiques, militaires gradés, juges …)
672:

restent loyaux tant qu’ils sont rétribués en argent, en terrains, en postes,


0856

en biens d’ostentation. »
• « L’État africain reste encore viscéralement un instrument de domi-
:211

nation et de redistribution au service des élites ... Il est dépourvu de la


vraie légitimité d’un État “moderne”, celle de la puissance mise au ser-
nitra

vice de tous et non de quelques-uns. Les positions d’autorité formelle-


ment légalisées sont “privatisées” et permettent à ceux qui les occupent
G Ke

d’extraire et de redistribuer des ressources à son profit et à celui de son


groupe et de ses “clients”. »
:ENC

• « Les tentatives d’institutionnalisation ou d’instauration d’un “État


de droit” … sont perverties par la personnalisation du pouvoir et par la
x.com

stratégie de prélèvement/ amoncellement/ redistribution qui préside à


chaque niveau de la hiérarchie sociale. »
larvo

3. JACQUEMOT Pierre, Economie politique de l’Afrique contemporaine, Armand Colin,


.scho

2013.
www
130 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

• « L’émergence des grands groupes africains s’est pratiquement par-


tout réalisée sous le couvert de liens de fidélité des élites économiques à
l’égard du Chef et de son parti, dont ils contribuent à financer les cam-
pagnes et les activités. »
• « Le marché est comme une aire fermée dont le pouvoir contrôle les
portes … l’État peut choisir de déléguer le contrôle de ces portes à des
opérateurs économiques privés, mais il le fait toujours dans une relation
bien comprise de don/ contre don. »
• « dans le système social étatisé hybride, l’administration se révèle
être un ensemble où tout est personnalisé, relationnel, où tout se joue sur
les affinités, la compréhension mutuelle … L’usager tente de personnali-
ser sa requête et il recevra en retour, en fonction de la gratification qu’il
aura versée, une réponse qui ira de la sollicitude extrême au traitement

0485
méprisant ... (Cela) explique la corruption par une approche dépassion-
née, dénuée de connotation éthique. »

0026
• « Dans un contexte de rareté dramatique des ressources et de dys-

7:17
fonctionnement des services de l’État, la maintenance nécessaire du
réseau de relations sociales … l’emporte sur toute autre considération,

0.21
fût-elle morale … Dès qu’un individu accède à un poste de pouvoir, il est
assailli de demandes de ses proches qui jugeraient scandaleux qu’il ne
contribue pas à leur entretien. » 9.16
0.17
L’analyse est anthropologique, mais les conclusions en sont sévères. Elles
viennent d’un fin connaisseur, qui a été conseiller de présidents africains.
6:16

Il est très bien placé cependant pour savoir qu’on ne peut pas confondre le
Sénégal d’Abdou Diouf et la République démocratique du Congo de Joseph
8565

Kabila : leur gouvernance a été radicalement différente et les indices Mo


Ibrahim ou de Transparency International le montrent bien ! C’est ce qu’il
888

rappelle aussi dans ses typologies d’États africains. Il est donc difficile de
672:

généraliser leur gouvernance.


Cependant, on peut craindre ainsi que le détournement des ressources
0856

publiques au profit des « chefs » de niveaux successifs, et de leur parentèle ou


clientèle, ne contribue à appauvrir les gens du bas de l’échelle, qui n’ont pas
:211

accès à des réseaux privilégiés, et ne renforce ainsi la pauvreté et les inégalités.


nitra

4. Les traits managériaux communs à l’Afrique


G Ke

Il y a peu d’auteurs africains sur le management interculturel en Afrique :


:ENC

on s’appuiera d’abord ici sur les travaux d’Evalde MUTABAZI, qui a fait
une large enquête par 1 226 interviews dans 56 entreprises dans 5 pays eu-
x.com

ropéens et 12 pays d’Afrique centrale et de l’Ouest et en a tiré le « modèle


circulatoire du management »4 : donner, recevoir et rendre.
larvo

4. MUTABAZI Evalde, « Face à la diversité des cultures et des modes de gestion : le modèle
.scho

circulatoire du management en Afrique », Management et Avenir, n°10, 2006.


www
DEs MoDèLEs socIéTAuX ET DE MAnAgEMEnT EnDogènEs 131

Pour l’auteur, derrière les apparences des modèles de management im-


portés, les modèles endogènes restent vivaces et certains d’entre eux consti-
tuent un fonds culturel et managérial commun à l’Afrique.
Il l’exprime notamment par le concept bantou « ubuntu », qui signifie
« humanité » au triple sens de la nature humaine, de la conscience d’y ap-
partenir et de la vertu d’humanité. Dans cette logique, le « moi » est intime-
ment lié aux autres. Il en découle le primat de la relation, et par suite de la
communication orale et de la relation « amicale », y compris dans la relation
d’« affaires » : pour cela, il faut le temps nécessaire, qui n’est pas forcément
le temps programmé.

4.1. Un fond culturel et managérial commun

0485
Selon E. Mutabazi, les 3 périodes historiques de l’Afrique expliquent ce

0026
fonds commun :
• la période précoloniale a constitué un riche héritage de valeurs et

7:17
de croyances : certaines se sont partagées en Afrique du fait de la mobi-
lité historique de beaucoup de peuples : Peuls, Bantous … ;

0.21
• la période coloniale : la colonisation a apporté une organisation

9.16
administrative contraignante (l’impôt, le travail forcé, le management
bureaucratique ou taylorien), mais son empreinte, plus ou moins forte
0.17
selon les pays, reste très présente dans les institutions de l’État, le droit et
les langues officielles, devenues véhiculaires ;
6:16

• la période postcoloniale n’a pas forcément été marquée par le retour


8565

des valeurs ancestrales. Des nouveaux concepts comme la « négritude »


ou le « panafricanisme » concilient l’identité africaine et l’ouverture des
888

peuples, au-delà des logiques ethniques antérieures. Mais les modèles


« individualistes » des dirigeants qui ont voulu imposer un pouvoir per-
672:

sonnel au mépris de la solidarité sont contraires aux traditions africaines


0856

et, pour E. Mutabazi, vouées aujourd’hui à l’échec : au niveau de l’État,


ils ont entraîné leur pays dans le chaos.
:211

Structuré sur les valeurs du fond culturel commun à l’Afrique, « le mo-


dèle circulatoire du management », aujourd’hui méconnu et enfoui sous
nitra

les modèles importés, se caractérise par les traits suivants :


G Ke

1. Un ancrage identitaire dans son groupe familial : chaque personne


est membre d’une famille, d’un clan, et il est primordial de soigner sa rela-
:ENC

tion avec ses proches : « sans ta famille, tu n’es rien ». Et, de façon naturelle,
on va entreprendre d’abord avec sa famille sur le plan professionnel ou éco-
x.com

nomique. Le premier devoir de chaque individu est de connaître les autres


membres de sa famille, de son clan, de développer et entretenir de bonnes
larvo

relations avec eux, mais aussi avec leurs amis. Contrairement aux stéréo-
types et aux conflits claniques, que l’on observe en effet suite à l’ambiguïté
.scho

actuelle des modèles de référence en Afrique, disposer d’un très bon réseau
www
132 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

de relations familiales et amicales demeure la ressource primordiale pour


tout « vrai Africain ».
2. Ce réseau se développe, se consolide et se vit au travers des 4 circu-
lations suivantes :
1. La circulation des biens et des personnes : il y a un système de dons
et de contre-dons : ce qui est donné sera rendu, d’une manière ou
de l’autre, parfois à un autre membre de la famille, parfois même à
la génération suivante.
Les personnes doivent aller se voir : se rencontrer, retourner au vil-
lage, se voir en face à face : le courriel et le téléphone ne suffisent
pas.
2. La circulation de l’énergie ou la réciprocité des droits et des devoirs :

0485
on récolte son champ ou on construit sa maison avec sa famille et
ses voisins, à charge de réciprocité ; l’assurance, la sécurité sociale,

0026
c’est la famille ou le cercle proche, et il faut que les services circulent
entre alliés.

7:17
3. La circulation des informations ou l’exercice de l’horizontalité :

0.21
l’échange est l’essentiel : le temps n’est jamais perdu avec autrui.
4. La circulation du pouvoir ou l’exercice de la verticalité : certains
dirigeants se cramponnent au pouvoir, mais son fondement, c’est 9.16
0.17
que le pouvoir se partage : le chef doit travailler dans l’intérêt géné-
ral et consulter son conseil ; sa position se fonde sur son expérience
6:16

(avec une tendance à la gérontocratie), mais il doit transmettre cette


expérience.
8565

Ce modèle peut être résumé dans le tableau suivant5 :


888
672:

Principes Valeurs et règles


1. Circulation des biens et des personnes :
0856

Parentalité : l’identité de chaque individu au travers des dons et contre-dons et des


s’enracine dans le clan. visites aux autres pour bien les connaître
et s’en faire connaître.
:211

« Relationalité » : chaque membre de la 2. Circulation de l’information et de l’éner-


nitra

communauté doit créer et développer un gie humaine : au travers de la réciprocité


réseau de relations dans et à l’extérieur des droits et des devoirs entre ceux qui se
G Ke

de son clan : ceci produit la circulation de connaissent dans leur clan et entre clans
l’information. alliés.
:ENC

3. Circulation de l’information et de l’éner-


Verticalité et spiritualité : respect du
gie spirituelle : le sage a le devoir de
« vieux » qui a l’expérience de la vie et
transmettre aux plus jeunes les enseigne-
x.com

est proche des ancêtres, et donc de Dieu


ments qu’il a tirés de son expérience de la
ou des divinités.
vie, tout au long de son histoire.
larvo

5. MUTABAZI Evalde, « Le modèle circulatoire africain de management », Business


.scho

Digest, n° 157, novembre 2005.


www
DEs MoDèLEs socIéTAuX ET DE MAnAgEMEnT EnDogènEs 133

Principes Valeurs et règles


Horizontalité : les « conscrits », ou groupes
d’une même tranche d’âge d’initiation, se
retrouvent régulièrement pour s’informer
4. Circulation de l’information et du pou-
mutuellement et apprendre les uns des
voir : par les rites et célébrations au cours
autres : circulation des informations entre
desquels les savoirs sont échangés entre
clans, mais aussi analyse critique qui peut
clans alliés.
déboucher sur la remise en cause du pou-
voir vertical d’un ancien par les sages
d’autres clans que le sien.

Par extension de cette notion de « don / contre-don » et de l’exercice


d’un pouvoir légitime, un président ivoirien d’une ONG internationale dit :

0485
« donne le pouvoir pour qu’il te soit rendu ». Il faut y voir aussi le souci de
la concertation, signifiant : « fais parler les membres de ton conseil pour en

0026
tirer ensuite la conclusion ». On est là dans la logique du chef traditionnel
qui exerce un pouvoir relativement consensuel, qui pourrait se rapprocher

7:17
d’un « management participatif ».

0.21
On peut aussi rapprocher le « modèle circulatoire du management » de
l’analyse de Pierre Jacquemot, qui privilégie l’« économie politique ». Le
contre-don n’a pas forcément la même valeur marchande, ni la même forme 9.16
0.17
que le don initial : « le lien remplace le bien ». C’est une économie « affec-
tive » qui double l’économie marchande. C’est souvent aussi une économie
6:16

« politique ». Le donateur peut prendre un avantage symbolique en don-


nant : le receveur devra lui rendre le don sous forme de dépendance ou
8565

de clientélisme, de disponibilité à suivre la ligne du donateur. De plus, à la


différence de l’économie de marché, ce n’est pas une « société anonyme » : le
888

donateur connaît personnellement ses « obligés » et réciproquement.


672:

Pour Evalde Mutabazi, depuis la fin de l’époque coloniale, le modèle


0856

circulatoire a été ignoré dans son esprit d’origine, voire combattu, dans
les entreprises et les administrations publiques, alors qu’il reste encore au-
:211

jourd’hui très actif dans la vie quotidienne au village et dans les villes.
Il adopte alors un point de vue « interculturel » portant sur la rencontre
nitra

des cultures managériales africaine et européenne : la manière dont la


G Ke

culture coloniale s’est métissée avec la culture africaine dans le manage-


ment africain d’aujourd’hui, mais aussi la manière dont le management
:ENC

s’exerce dans une entreprise occidentale implantée en Afrique. Pour lui,


trois principales approches ont été développées depuis les indépendances
x.com

en Afrique face à cette diversité culturelle :


• une approche mono-culturelle : le modèle colonial persiste, avec
larvo

parfois une tendance impérialiste, voire de « travail forcé » : il engendre


soit de la résistance, soit une fausse acceptation, soit un mimétisme
.scho

aveugle, soit des échecs ;


www
134 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

• une approche multiculturelle : chacun garde sa culture dans une


logique de relations imbriquées (et on rejoint ici la notion de société
« hybride », fonctionnant selon une double logique qui peine à s’ajuster) :
cela a pu entraîner indifférence, rivalités, tensions ou conflits ;
• une approche interculturelle : il faudra attendre la fin des années
1990 pour la voir apparaître, notamment dans quelques rares entre-
prises internationales : une diversité où les cultures agissent ensemble,
se marient. Elle consiste à rechercher une vision intégrée et à interagir
entre les deux cultures pour innover et enrichir le management et la
production. En Afrique, cette approche « encore balbutiante » devrait
permettre d’intégrer l’apport de modèles culturels et managériaux très
différents, comme le montre le tableau comparatif suivant.

0485
4.2. Chercher à intégrer les modèles culturels et managériaux africains et occi-
dentaux

0026
Fond culturel et managérial africain

7:17
Modèles occidentaux importés
commun

0.21
La relation prime sur la rationalité : La rationalité prime sur la relation : « cha-
l’homme est intégré dans la société, la cun à son poste », segmentation du travail

9.16
relation humaine est primordiale pour les et du temps pour la productivité.
affaires.
0.17
Le profit social prime sur le profit maté- Le profit matériel prime sur le profit so-
riel : cial :
6:16

– le temps se vit et ne se perd jamais, – le temps peut se « perdre », le temps


– le groupe prime sur l’individu, ne revient pas, « le temps, c’est de
8565

l’argent »,
– il y a une hiérarchie des liens : divinité –
ancêtre – ancien – adulte – enfant. – l’individu doit « réussir sa vie » (réussite
888

matérielle personnelle).
672:

Acceptation de l’incertain Peur de l’incertain


Approche positive de la vie, de l’avenir et Il faut prévoir et disposer d’outils et de
0856

de la mort : normes pour maîtriser la vie présente et


– « ubuntu » : la vie, c’est la famille large, future :
:211

la réciprocité des droits et des devoirs, – prévisions et plans,


– transversalité : l’individu est relié aux – règlements et procédures,
nitra

autres, aux ancêtres et aux divinités, – technologies et outils.


– mourir, c’est se rapprocher de la divi-
G Ke

nité.
:ENC

Par conséquent, une entreprise occidentale en Afrique ne peut avoir de


x.com

succès sans rechercher une certaine synthèse, si possible une « vision com-
mune », ou au moins une conciliation, entre ces deux systèmes de valeurs.
larvo
.scho
www
0485
CHAPITRE 10

0026
L’IMPACT DE LA SPIRITUALITÉ ET DES TRADITIONS SECRÈTES

7:17
0.21
Un autre auteur africain, Emmanuel Kamdem, qui analyse le manage-
ment des entreprises camerounaises,1 insiste sur sa dimension spirituelle :
de nombreuses réunions importantes sont encadrées par des prières. De 9.16
0.17
plus, « l’angoisse existentielle observée dans les sociétés africaines depuis
les années 1980 » explique l’essor des pratiques initiatiques, de la sorcellerie
6:16

ou de la franc-maçonnerie, ou la « prolifération des mouvements religieux


8565

d’inspiration évangéliste et pentecôtiste », quand ce ne sont pas des sectes


d’inspiration commerciale.
888
672:

1. Culture religieuse et syncrétisme


0856

À travers différentes formes de spiritualité, le point essentiel est que


l’Afrique est profondément imprégnée de pensée religieuse ou spirituelle,
:211

qu’il s’agisse des religions traditionnelles, du christianisme antique ou du


nitra

christianisme missionnaire, de l’islam, ou maintenant de « religions » mo-


dernes dérivées du protestantisme. La foi dans le christianisme ou dans
G Ke

l’islam est souvent fortement intégrée, avec des rites plus extériorisés qu’en
Europe ou au Moyen Orient. Chez les chrétiens, on peut par exemple voir
:ENC

tambours ou mêmes danses dans les messes dominicales. Chez les musul-
mans, il s’agit souvent de confréries soufies, avec des rassemblements pério-
x.com

diques et pèlerinages de grande ampleur, qui peuvent être très actives dans
la vie sociale, par exemple au Sénégal.
larvo

1. KAMDEM Emmanuel, Management et interculturalité en Afrique. Expérience camerou-


.scho

naise, L’Harmattan et les Presses de l’Université Laval, 2015.


www
136 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Mais en même temps, le syncrétisme (coexistence de croyances et rites


de religions différentes) est aussi très répandu. En Afrique centrale, par
exemple, alors que la majorité de la population est chrétienne et la minorité
musulmane, il y a simultanément une majorité syncrétique qui allie une
religion monothéiste et au moins des éléments et des rites de religions tradi-
tionnelles. Cette tendance au syncrétisme est sans doute plus marquée chez
les chrétiens que chez les musulmans, dans la mesure où l’islam proscrit
vigoureusement toute forme d’« idolâtrie ». Mais le syncrétisme coexiste
aussi largement avec l’islam.

Confréries musulmanes et syncrétisme au Sénégal

0485
96 % des sénégalais sont musulmans, et l’Islam y est très marqué par
la tendance soufie, c’est-à-dire la pratique mystique et initiatique de la

0026
religion, qui est organisée et se manifeste par les grandes confréries.
celles-ci sont au sénégal au nombre de quatre : les Tijanes (estimés à

7:17
49 % de la population), les Mourides (31 %), la qadiriyya (8 %) et les
Layènes (environ 1 %). Les confréries sont particulièrement puissantes,

0.21
y compris par leur influence politique et économique. Par ailleurs, les

9.16
chrétiens (surtout catholiques) sont très minoritaires (environ 4 %), mais
néanmoins actifs et reconnus par la société. Il n’y a guère de tension
0.17
entre ces religions au sénégal.
Mais s’il y a officiellement 96 % de musulmans et 4 % de chrétiens au
6:16

sénégal, cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas d’attachement à des reli-
8565

gions traditionnelles. Pour Djibril Diakhaté2, sociologue à l’université


cheikh Anta Diop de Dakar, « le Sénégal est composé de 95 % de
888

musulmans, 5 % de chrétiens et d’autres religions, mais aussi de 100 %


d’animistes ». Pour lui, le statut des marabouts, en particulier, est « dou-
672:

teux » : en principe théologiens musulmans, tout le monde les consulte


pour des problèmes d’amour, de santé, d’emploi ou d’argent et ils vous
0856

« concoctent des grigris en enfermant des versets du Coran dans des


morceaux de cuir cousus » que l’on porte sur soi. or, l’islam ne recon-
:211

naît pas d’intermédiaire entre Dieu et l’homme et « ne nous promet pas


de solutions immédiates … Nous n’avons pas adopté l’islam tel qu’il
nitra

est, nous l’avons adopté tels que nous sommes ». c’est ce registre que
refuse maintenant le mouvement rigoriste « Ibadou Rahmane » (« les
G Ke

serviteurs de Dieu »).


:ENC

on peut noter par ailleurs l’influence des religions traditionnelles. Pour


celle des sérères, il est significatif que la principale fête de la religion
traditionnelle sérère, la Tabaski, ait donné son nom au sénégal à la
x.com

plus grande fête musulmane (Aïd el-Kebir ou Aïd el-Adha, la fête du


sacrifice d’Abraham). Et la fête traditionnelle gamo a donné son nom
larvo

2. DIAKHATE Djibril, « Vers la fin de l’islam à la Sénégalaise ? », Slate Afrique, 16 mars


.scho

2011.
www
L’IMPAcT DE LA sPIRITuALITé ET DEs TRADITIons sEcRèTEs 137

à celle du Mawlid (qui célèbre la naissance du prophète Mohammed).


Alors qu’il s’agit de significations différentes selon les religions, l’impor-
tance et l’appropriation des grandes fêtes musulmanes sont ainsi souli-
gnées par des noms de fêtes d’une religion traditionnelle.
Par ailleurs, les Lébous (devenus musulmans) de la presque-île du cap-
Vert (où se trouve Dakar) ont gardé des fêtes religieuses traditionnelles,
avec sacrifices d’animaux, danses et transes, ainsi que des rites d’exor-
cisme, aujourd’hui encore à Dakar.

2. Le culte des morts

0485
Les morts rassemblent longuement les familles élargies, avec une partie
de rites chrétiens ou musulmans, et une autre partie de rites traditionnels,

0026
en particulier lors du retour pour l’enterrement « au village » des ancêtres.
Certains employeurs disent : « un deuil familial, c’est 10 jours de congé

7:17
pour le salarié ».
Dans une première période, c’est une succession de réunions funéraires

0.21
dans la famille, de messes ou de prières pour les morts. Puis c’est la « levée

9.16
du corps » et, si la mort a eu lieu en ville, le retour au village des ancêtres,
pour replacer le mort dans son lignage. Il s’y pratique alors des rites tra-
0.17
ditionnels. Sauf dans les pays islamisés de longue date comme le Sénégal,
où l’inhumation se fait sobrement selon le rite musulman, l’enterrement
6:16

traditionnel au village, en Afrique centrale par exemple, doit se manifester


par une sépulture à la hauteur du défunt et des moyens de la famille, afin
8565

d’honorer et de contenter le mort, dont l’esprit reste vivant. Si le défunt est


mécontent de son traitement, il pourra envoyer des châtiments à sa progé-
888

niture qui l’a mal enterré (et ceci même dans l’esprit de chrétiens convain-
672:

cus). Rappelons que le mort devient un ancêtre : selon la croyance, il peut


intercéder auprès des divinités.
0856

Les rites commencent dans les pleurs, mais sont accompagnés de musiques
et de danses. Ils se poursuivent par de grands repas pour une assistance élar-
:211

gie, où se mesurent l’importance, la richesse et la générosité de la famille, et


nitra

où se font et se refont les alliances et les accords. Ils se terminent dans la joie
des retrouvailles et des échanges. On ne manque pas des funérailles : c’est un
G Ke

évènement social très important. Il est aussi très coûteux pour les familles,
qui sollicitent l’aide de leurs proches pour apporter des victuailles ou se coti-
:ENC

ser, et l’on fait appel à l’épargne des tontines en souscrivant des emprunts.
Chez les Bamilékés (Cameroun), l’obligation sociale d’organiser des
x.com

funérailles à la hauteur de l’image que l’on veut donner de sa famille et


de soi-même est l’un des facteurs essentiels du « capitalisme bamiléké ».
larvo

Cette obligation spirituelle requiert de travailler avec acharnement et/ou


d’emprunter pour pouvoir tenir son rang et celui de ses ascendants dans
.scho

l’organisation de funérailles les plus somptueuses possibles.


www
138 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

3. Les pratiques initiatiques


Les traditions, toujours vivantes et souvent résurgentes, relèvent
d’un goût du secret fréquemment répandu. Ainsi parle-t-on souvent de
« l’Afrique du jour et l’Afrique de la nuit », ou encore « du visible et de
l’invisible » : la seconde partie de ces échanges reste le plus souvent inacces-
sible aux Européens. Mais dans ces sociétés secrètes, les Africains se sont
aussi inspirés d’institutions européennes telles que la franc-maçonnerie,
qu’ils ont souvent aménagée à leur façon, voire détournée de ses objectifs
initiaux. Par exemple, en Afrique centrale, il peut s’agir de réseaux obscurs
de pouvoir, parfois avec des rites sexuels à connotation à la fois mystique et
de domination du « filleul » par son « parrain », présentés comme des pas-
sages obligés vers des nominations ou des promotions, y compris dans des

0485
grandes entreprises modernes ...
Les initiations3, pour revenir à des sujets plus classiques mais toujours

0026
actuels, peuvent être distinguées en deux catégories : celles du premier de-
gré, destinées à une classe d’âges, et celles du second degré, destinées à

7:17
acquérir une qualification spécifique. Le premier degré est l’initiation des

0.21
adolescents pour passer à l’âge adulte ; le second degré est celui auquel des
adultes peuvent postuler pour accéder à des fonctions particulières (guer-
9.16
riers, devins, chefs, prêtres, sorciers, guérisseurs, masques, ou métiers em-
preints de mysticisme tels que les forgerons …).
0.17

Le passage à l’âge adulte est une intégration à une identité commune : il


6:16

est en principe généralisé (au moins traditionnellement et en zone rurale),


mais il est devenu plus rare aujourd’hui en raison des rythmes scolaires
8565

qui en compliquent l’organisation ou demandent de l’organiser pendant les


« grandes vacances ».
888

Les « grands initiés », au contraire, sont destinés à des sociétés secrètes


672:

ou fermées.
0856

L’initiation réunit ceux qui savent et qui guident, et les impétrants qui
apprennent.
:211

L’initiation transforme un individu psychologiquement et socialement,


mais le plus souvent aussi physiquement (scarifications, circoncision).
nitra

Indépendamment des rites d’initiation, il convient de rappeler les pra-


G Ke

tiques (diversifiées) d’excision et/ou d’infibulation des filles, en particulier


en Afrique de l’Ouest et dans la Corne de l’Afrique (et même en Egypte). Ces
:ENC

mutilations génitales ont été criminalisées dans un certain nombre de pays,


en raison des vives souffrances qu’elles imposent et des risques médicaux
x.com

très élevés qu’elles impliquent, mais restent malgré tout fréquentes, notam-
ment dans la bande sahélienne d’Est en Ouest de l’Afrique. En Guinée, le
larvo

3. On s’inspire notamment ici de la conférence d’Anne-Marie BOUTTIAUX, Chef de la


section d’ethnographie du Musée royal d’Afrique centrale de Tervuren (Belgique), don-
.scho

née le 11 octobre 2013 au Musée Dapper à Paris.


www
L’IMPAcT DE LA sPIRITuALITé ET DEs TRADITIons sEcRèTEs 139

taux d’excision était encore de 95 % chez les filles en 1996. Parfois attribuées
à une origine de l’Egypte antique, ces pratiques n’ont pas de justification
religieuse, contrairement à ce qui est quelquefois prétendu à propos de l’is-
lam. Elles sont dues à des traditions et croyances obscures mais enracinées,
partagées par les femmes comme par les hommes, auxquelles les organi-
sations non gouvernementales et les autorités sanitaires tentent souvent de
s’opposer, parfois avec l’aide des responsables religieux.
Le passage à l’âge adulte : ces initiations sont comparables dans di-
verses régions d’Afrique. Elles se caractérisent par le secret, l’indicible, les
épreuves, les masques, l’acquisition du savoir et la formation d’un réseau
pérenne d’alliés.
C’est d’abord une séparation de la mère pour acquérir une nouvelle iden-

0485
tité par des rites, dans lesquels le concept de fécondité est déterminant.

0026
Les initiés, réunis par classe d’âges avec d’autres qui resteront des com-
pagnons très proches, subissent des épreuves physiques qui vont les mar-

7:17
quer à vie pour les former à l’abnégation et à la solidarité devant la difficulté,
la privation ou la douleur (aujourd’hui, les circoncisions ont lieu souvent

0.21
dans le dispensaire du village). Il y a une panoplie de moyens pour soutenir
les impétrants : les tambours, les masques qui dansent ...
Le secret sur les rites d’initiation fait partie de l’initiation elle-même : il 9.16
0.17
doit être tu, mais il doit être su qu’il existe, même si le secret est parfois qu’il
n’y a pas de secret particulier … Le secret donne un pouvoir de solennité,
6:16

voire de manipulation car il est craint par les impétrants.


8565

Les classes d’âge qui ont vécu ensemble une initiation ont noué des liens
extrêmement forts. Leurs membres se retrouvent régulièrement ensuite
888

pour échanger des informations et s’entraider.


672:

L’initiation du second degré : dans certaines ethnies, il y a toute une


gradation de castes et d’initiations successives pour y parvenir : caste de
0856

prêtres, caste de guerriers, caste de forgerons … Les initiations du second


degré concernent davantage les hommes, mais il y a aussi beaucoup de so-
:211

ciétés initiatiques de femmes.


nitra

Autrefois, certains groupes de guerriers demandaient un meurtre par le


postulant avant même l’initiation du guerrier. D’autres groupes demandent
G Ke

toujours des moyens financiers élevés. Certaines sociétés sont fermées, mais
non pour autant secrètes. Si elles le sont, le viol du secret peut être puni par
:ENC

la pendaison.
x.com

Les initiations peuvent comporter des transes et des possessions par des
divinités. Des drogues peuvent aussi être administrées, y compris pour sup-
porter la douleur.
larvo

Aujourd’hui, diverses transpositions de franc-maçonnerie, fréquentes


.scho

en Afrique, comportent aussi des formes d’initiation.


www
140 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

4. La sorcellerie
Pour Emmanuel Kamdem, la sorcellerie, étudiée notamment dans dif-
férents cas d’entreprises camerounaises, est un instrument de pouvoir, qui
vise à promouvoir les uns au détriment des autres.4 Ceci n’explique pas
toujours les faits relatés, mais en général ces derniers sont démesurément
grossis ou sur-interprétés par « un imaginaire collectif » acquis d’avance à
la sorcellerie : par exemple, des accidents incompréhensibles qui permettent
à un prétendu « initié » de prendre le poste des victimes décédées, ou une
maladie curieuse qui réduit à la modestie (voire à l’inhibition) un jeune
cadre jugé trop ambitieux.
Pour Kamdem, la sorcellerie est une « dimension oubliée dans l’analyse

0485
du pouvoir en contexte africain … (lequel connaît) un développement sur-
prenant des croyances et des pratiques de sorcellerie ». C’est « un univers

0026
invisible et caché » ayant « une influence considérable sur les comporte-
ments individuels et organisationnels … et sur les formes de pouvoir ».

7:17
Ainsi, le « ndimsi » (le « monde de derrière ») a un rôle important chez
les entrepreneurs d’Afrique centrale : « la sorcellerie est considérée, à tort

0.21
ou à raison, comme une dimension effective de la modernité en Afrique …
à caractère bienfaisant ou malfaisant, … un art de mettre en scène les rap-
ports sociaux dans les organisations, … une force dont la détention … 9.16
0.17
confère une capacité exceptionnelle à agir positivement ou négativement
sur son entourage, … un phénomène social total qui marque les compor-
6:16

tements et l’esprit des individus ». La sorcellerie introduit une complexité


du pouvoir en Afrique par « la coexistence interactive de ses manifestations
8565

visibles et invisibles ».
888

Deux dimensions, deux pôles opposés, correspondent à ces croyances :


• la perturbation et la destruction par le « jet de sort » : c’est l’action
672:

malveillante du sorcier, « une malédiction pour provoquer une pertur-


bation psychologique ou pathologique » ;
0856

• « le rétablissement … par le processus thérapeutique » : c’est l’action


:211

bienveillante du guérisseur traditionnel, qui connaît les mêmes tech-


niques, mais qui les utilise dans le but opposé.
nitra

Mais quelquefois, ce peut être aussi le même praticien initié, selon que la
G Ke

demande de son client est de faire mal ou de guérir ...


La sorcellerie a « des modalités invisibles et mystiques du contrôle et
:ENC

de l’exercice du pouvoir … (qui) échappent au commun des mortels parce


qu’elles s’inscrivent dans des rites initiatiques ». Dans cet article, Emmanuel
x.com

Kamdem étudie deux cas significatifs, résumés ci-après.

4. KAMDEM Emmanuel et TEDONGMO TEKO Henri, « L’emprise sorcellaire en Afrique.


larvo

Pouvoir et sorcellerie dans l’organisation en Afrique : une perspective interculturelle »,


Revue internationale de Psychosociologie et de gestion des comportements organisation-
.scho

nels, n° 52, été 2015.


www
L’IMPAcT DE LA sPIRITuALITé ET DEs TRADITIons sEcRèTEs 141

Cas 1 : « le maître de l’engin de la mort »


une entreprise de bâtiment et travaux publics (BTP) acquiert un puis-
sant bulldozer, moderne et couteux. selon des critères objectifs, elle
sélectionne deux opérateurs susceptibles de le piloter. Le premier meurt
d’une courte maladie d’origine suspecte. Le second descend, moteur
au point mort, pour une pause-cigarette devant son bulldozer, qui
démarre brutalement et l’écrase. ces deux morts successives et consi-
dérées comme inexplicables sont aussitôt attribuées par le personnel
à un engin ensorcelé, que plus personne ne veut conduire. Jusqu’à ce
qu’un jeune ouvrier prétende être « initié » et pouvoir conduire l’engin
« ensorcelé » et en démontre effectivement sa maîtrise. Il est vu alors
comme un « sorcier », « il a le totem de l’éléphant » … et il obtient une
promotion professionnelle et sociale dans l’entreprise.

0485
0026
Bien qu’Emmanuel Kamdem n’avance pas d’explications, on peut sup-
poser que dans ce premier cas, il s’agissait pour la maladie suspecte soit

7:17
d’un cancer foudroyant, soit d’un empoisonnement. Pour le conducteur
écrasé, on peut penser qu’il s’agit soit d’une maladresse, soit d’un sabotage

0.21
(boîte de vitesse du bulldozer mal enclenchée ou déréglée).

9.16
0.17
Cas 2 : « le jeune cadre ambitieux »
Dans une entreprise de services, un jeune cadre diplômé est recruté
6:16

pour faire un plan de restructuration : conseiller du Directeur général,


8565

il ne cache pas son assurance et son ambition. Mais il attrape une


maladie douloureuse avec de fortes fièvres, que les médecins ne par-
viennent pas à diagnostiquer.
888

En désespoir de cause, ses parents le transportent au village d’ori-


672:

gine pour consulter un « nganga » (guérisseur traditionnel). celui-ci


0856

lui trouve un remède efficace, mais lui glisse à l’oreille : « Vous parlez
beaucoup et vous gênez certains intérêts et certaines personnes : dans
la vie, apprenez à contrôler votre bouche ». Le cadre guéri revient
:211

dans l’entreprise avec un comportement métamorphosé en modestie,


nitra

et même inhibé.
G Ke

Le second cas relève probablement d’un poison naturel dont le « ngan-


:ENC

ga » avait l’antidote. Son propos équivoque : « apprenez à contrôler votre


bouche » semble doublement significatif : « apprenez à contrôler votre pa-
x.com

role » et « apprenez à contrôler ce que vous mangez ou buvez ».


Mais ce qui est significatif aussi sur le plan collectif, c’est l’interprétation
larvo

« magique », surnaturelle de ces évènements par les personnels des deux


entreprises. Pour eux, ils relèvent clairement de la sorcellerie au sens de
.scho

forces occultes qui les pétrifient, et non pas d’explications factuelles qu’ils
www
142 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

ne recherchent même pas, mais qu’une police scientifique bien formée au-
rait pu identifier.
Un autre exemple étudié par Emmanuel Kamdem5 relate l’installation
d’une usine agro-industrielle près d’un village proche de Douala, également
résumé ici.

Cas 3 : « les serpents dans l’usine »


Les premiers mois de démarrage de l’usine sont affectés par la décou-
verte, à trois reprises, d’un serpent dans les locaux, ce qui traumatise
le personnel, même s’il parvient dans chaque cas à le tuer. Le serpent
est particulièrement craint au cameroun, non sans raison car certaines

0485
espèces sont très venimeuses. Le personnel attribue le phénomène à
la malédiction du village voisin, qui avait manifesté des réticences à

0026
l’implantation de l’usine.
Le chef d’entreprise part alors dans son village d’origine, à 200 km de

7:17
Douala, faire une offrande monétaire substantielle à sa famille pour
trouver les moyens de contrer cette « sorcellerie ». Mais, parallèle-

0.21
ment, il a pris des mesures d’hygiène et sécurité dans ses locaux et
fait désherber l’espace autour de l’usine. Les serpents disparaissent,
sans que l’on dise à quelles mesures, pratiques ou magiques, il faut 9.16
attribuer ce succès ...
0.17
6:16

Dans ce troisième cas, les personnels ne se demandent pas si les ser-


8565

pents ne trouvaient pas un abri commode et sec dans les nouveaux locaux
industriels, ou s’ils ne cherchaient pas de la nourriture dans les produits
888

agricoles traités par l’usine. Là aussi, l’interprétation surnaturelle prévaut


spontanément.
672:

Bien d’autres cas pourraient être cités dans un pays comme le Cameroun.
0856

Deux accidents mortels, l’un médical, l’autre de circulation routière, claire-


ment dus à une mauvaise gestion des stocks de médicaments dans le pre-
:211

mier cas et au défaut d’entretien mécanique d’un camion dans le second,


surviennent en l’espace de deux ans aux dépens de la même famille. Ils y
nitra

sont interprétés comme de la sorcellerie, même si la famille est par ailleurs


chrétienne pratiquante et d’un haut niveau intellectuel et social. Certains
G Ke

de ses membres font alors un long voyage inconfortable pour aller se faire
« désenvouter » ou « blinder » par un « nganga » célèbre dans un village peu
:ENC

accessible d’une lointaine province.


L’on peut penser que la sorcellerie se fonde pour moitié sur des accidents
x.com

ou des maladies qui paraissent mal expliqués ou répétitifs et sont dès lors
soupçonnés de « magie », sans en chercher les causes réelles (ou alors les
larvo

5. KAMDEM Emmanuel, Management et interculturalité en Afrique. Expérience camerou-


.scho

naise, Presses de l’Université Laval et L’Harmattan, 2015.


www
L’IMPAcT DE LA sPIRITuALITé ET DEs TRADITIons sEcRèTEs 143

causes réelles sont vues seulement comme les effets visibles d’une volonté
invisible). Et pour une autre moitié sur des actes de malveillance par empoi-
sonnement, harcèlement psychologique, ruse, sabotage ou prestidigitation
pour impressionner un public ou un adversaire qui est acquis d’avance à
l’idée de sorcellerie.
Un cas probable de prestidigitation est celui où un personnage menaçant
pétrifie de peur un adversaire en se transformant soudain en un serpent
agressif, un peu comme le prestidigitateur européen sort un lapin de son
chapeau vide … On peut supposer qu’il a su détourner une seconde l’atten-
tion de son interlocuteur et disparaître derrière un mur tout en ouvrant un
sac contenant un serpent : le reptile maltraité dans le sac et par sa chute se
montre alors menaçant.

0485
Ainsi, la croyance en la sorcellerie est très répandue, plus sans doute en
Afrique centrale qu’en Afrique de l’Ouest (mais elle est commune au Bénin

0026
par exemple), et peut-être davantage chez les chrétiens que chez les musul-
mans. Peu d’Africains osent dire que la sorcellerie, au sens « magique » ou

7:17
« surnaturel » du terme, repose sur la crédulité et n’existe que pour ceux qui
y croient.

0.21
Mais quand il insiste fortement sur la sorcellerie comme instrument
9.16
de pouvoir, Emmanuel Kamdem suggère, sans le dire explicitement, qu’il
existe des manipulateurs, dirigeants d’organisations diverses (économiques,
0.17
administratives ou politiques) qui entretiennent cette crédulité chez leur
personnel ou dans leur public, comme il y a aussi des « exécuteurs », des
6:16

« professionnels » de la sorcellerie qui en vivent. Mieux vaut pour les uns


et les autres une explication mystique que celle d’une bonne police scienti-
8565

fique !
888

Car au Cameroun, « la pratique de la sorcellerie, magie ou divination


susceptible de porter atteinte à la tranquillité publique ou de porter atteinte
672:

aux personnes » est punie par le code pénal et les affaires de sorcellerie
sont souvent portées devant les tribunaux, en particulier dans les régions
0856

rurales. Mais, manifestement, le peu de moyens d’investigations sérieuses


et l’ampleur de la croyance magique qui alimente le phénomène ne suffisent
:211

pas à l’éradiquer.
nitra

Pour Emmanuel Kamdem, la croyance en la sorcellerie provient d’une


certaine désespérance sociale et se répand aussi dans les grandes villes, où
G Ke

le sous-emploi et la pauvreté dans les bidonvilles ne sont guère équilibrés


par la solidarité villageoise.
:ENC
x.com
larvo
.scho
www
L’IMPAcT DE LA sPIRITuALITé ET DEs TRADITIons sEcRèTEs 143

causes réelles sont vues seulement comme les effets visibles d’une volonté
invisible). Et pour une autre moitié sur des actes de malveillance par empoi-
sonnement, harcèlement psychologique, ruse, sabotage ou prestidigitation
pour impressionner un public ou un adversaire qui est acquis d’avance à
l’idée de sorcellerie.
Un cas probable de prestidigitation est celui où un personnage menaçant
pétrifie de peur un adversaire en se transformant soudain en un serpent
agressif, un peu comme le prestidigitateur européen sort un lapin de son
chapeau vide … On peut supposer qu’il a su détourner une seconde l’atten-
tion de son interlocuteur et disparaître derrière un mur tout en ouvrant un
sac contenant un serpent : le reptile maltraité dans le sac et par sa chute se
montre alors menaçant.

0745
Ainsi, la croyance en la sorcellerie est très répandue, plus sans doute en
Afrique centrale qu’en Afrique de l’Ouest (mais elle est commune au Bénin

0026
par exemple), et peut-être davantage chez les chrétiens que chez les musul-
mans. Peu d’Africains osent dire que la sorcellerie, au sens « magique » ou

7:17
« surnaturel » du terme, repose sur la crédulité et n’existe que pour ceux qui
y croient.

0.21
Mais quand il insiste fortement sur la sorcellerie comme instrument
9.16
de pouvoir, Emmanuel Kamdem suggère, sans le dire explicitement, qu’il
existe des manipulateurs, dirigeants d’organisations diverses (économiques,
0.17
administratives ou politiques) qui entretiennent cette crédulité chez leur
personnel ou dans leur public, comme il y a aussi des « exécuteurs », des
6:16

« professionnels » de la sorcellerie qui en vivent. Mieux vaut pour les uns


et les autres une explication mystique que celle d’une bonne police scienti-
8565

fique !
888

Car au Cameroun, « la pratique de la sorcellerie, magie ou divination


susceptible de porter atteinte à la tranquillité publique ou de porter atteinte
418:

aux personnes » est punie par le code pénal et les affaires de sorcellerie
sont souvent portées devant les tribunaux, en particulier dans les régions
0773

rurales. Mais, manifestement, le peu de moyens d’investigations sérieuses


et l’ampleur de la croyance magique qui alimente le phénomène ne suffisent
:211

pas à l’éradiquer.
nitra

Pour Emmanuel Kamdem, la croyance en la sorcellerie provient d’une


certaine désespérance sociale et se répand aussi dans les grandes villes, où
G Ke

le sous-emploi et la pauvreté dans les bidonvilles ne sont guère équilibrés


par la solidarité villageoise.
:ENC
x.com
larvo
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www
144 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

5. Le guérisseur traditionnel
Le guérisseur traditionnel est d’abord un thérapeute qui s’inscrit dans
la relation intrinsèque entre l’homme et la nature. Selon Joseph Ki Zerbo6,
« le thérapeute d’antan, avant de couper des feuilles pour l’usage sanitaire,
se recueillait un moment devant l’arbre choisi et lui demandait pardon de
devoir le mutiler ».
Au Cameroun comme dans d’autres pays, l’univers malveillant du sor-
cier s’oppose à celui bienveillant du « nganga », le guérisseur, qui soigne sou-
vent par des contrepoisons. Eric de Rosny, prêtre jésuite initié « nganga »,
a fourni une autre part d’explication par une pratique de psychothérapie
(souvent collective) pour guérir des maladies d’origine psychosomatique.7

0745
Le nganga rassemble la nuit dans sa cour le malade et son entourage (fa-
mille et voisinage), autour d’un grand feu tandis que les tambours battent

0026
sans discontinuer. Dans l’atmosphère envoutante ainsi créée, où les défenses
sociales se relâchent, le nganga appelle soudain les proches à la confession

7:17
collective : pourquoi et comment ont-ils relégué, ostracisé, stigmatisé ou
martyrisé la victime ? Les aveux se libèrent, ainsi que les bonnes intentions

0.21
de réparation, le malade persécuté est réhabilité et retrouve confiance en lui
et en son entourage. Ainsi le nganga pratique-t-il, sans le savoir, un autre
type de psychanalyse de groupe, qui était en vogue en Europe à la fin du 9.16
0.17
XXe siècle.
Quant à Eric de Rosny, après avoir observé et pris notes de centaines de
6:16

telles nuits, il a acquis, à l’issue de cette initiation, la « double vue », qui n’est
peut-être qu’une exceptionnelle faculté d’introspection ou d’intuition fon-
8565

dée sur l’observation et l’empathie (ou une faculté préalablement entraînée


chez les jésuites par les exercices de contemplation et de discernement de
888

Saint Ignace, dont celui de la vue ?). Le lendemain de cette « vision », son
418:

maître « nganga » meurt, mais sa famille rassure Eric de Rosny : il est parti
en paix parce qu’il a trouvé en lui son successeur …
0773

Pour Emmanuel Kamdem, les « vrais » nganga étaient ceux formés par
une longue initiation, notamment à la pharmacopée naturelle, par une
:211

longue expérience des rapports humains, et pour certains bénéficiaient


nitra

d’aptitudes charismatiques d’observation, d’interprétation, d’empathie et


de conviction. Mais il déplore que la science des vrais nganga se transmette
G Ke

mal et laisse place maintenant à des charlatans ...


:ENC
x.com

6. KI ZERBO Joseph et BEAUD-GAMBIER Marie-Josée, Anthologie des grands textes


larvo

de l’humanité sur les rapports entre l’homme et la nature, UNESCO/ La Découverte/


Editions Charles-Léopold Mayer, 1992.
.scho

7. DE ROSNY Eric, Les yeux de ma chèvre, Terre Humaine, Plon, 2012.


www
0745
CHAPITRE 11

0026
LES MODÈLES DU MANAGEMENT INTERCULTUREL

7:17
CONFRONTÉS À L’AFRIQUE

0.21
9.16
1. Application des modèles interculturels classiques au
management africain
0.17

Etant parti d’abord de modèles endogènes à l’Afrique, on peut mainte-


6:16

nant se demander comment appliquer à l’Afrique les modèles internatio-


naux du management interculturel. Quelle serait l’image du management
8565

africain selon les approches classiques des inter-culturalistes (lesquelles


sont sans doute plus familières à une approche occidentale des différentes
888

cultures) ?
418:

Rappelons tout d’abord que ces approches peuvent être présentées de


0773

façon simplifiée par le tableau suivant.1


:211

1.1. Attitudes culturelles : huit principaux critères de différenciation


nitra

Critères ou dimensions Pôles opposés Sources (auteurs)


G Ke

– Distance hiérarchique g. hofstede


1) Relation hiérarchique
– Partenariat c. hampden-Turner
:ENC

– Individualisme g. hofstede
2) Relation à la société
– sens communautaire f. Trompenaars
x.com

– Affirmation de soi et
3) Relation dans l’équipe compétition g. hofstede
– consensus ou facilitation
larvo
.scho

1. Voir THERY Benoît, Manager dans la diversité culturelle, Editions d’Organisation, 2002.
www
146 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Critères ou dimensions Pôles opposés Sources (auteurs)


– Programmation (mono-
chronique)
T. E. hall et M. R. hall
4) gestion du temps – flexibilité ou saisie des
f. Trompenaars
opportunités (polychro-
nique)
– Explicite et formelle
5) gestion de l’information T. E. hall et M. R. hall
– Implicite et informelle
– Par le mérite f. Trompenaars
6) gestion du statut
– Par le statut d’origine (P. d’Iribarne)
– Prévention du risque
7) gestion du risque g. hofstede
– Prise de risque

0745
– universalisme
8) gestion de la règle f. Trompenaars
– Particularisme

0026
7:17
On rappelle ci-après les définitions de ces huit critères :

0.21
1) Relation hiérarchique

9.16
• Distance hiérarchique
Pratiquer ou accepter le pouvoir ou l’inégalité de la relation hiérar-
0.17

chique :
6:16

• prendre ou accepter des décisions non partagées et non discutées ;


• rechercher ou être sensible à des signes extérieurs de pouvoir ou de
8565

respect.
888

• Partenariat
418:

Relation partenariale avec ses supérieurs ou ses subordonnés :


• accepter des initiatives ou des remises en cause des décisions hié-
0773

rarchiques ;
• éviter les marques extérieures du statut hiérarchique.
:211

2) Relation à la société
nitra

• Individualisme
G Ke

Prendre des initiatives et des responsabilités personnelles, contractuali-


ser les objectifs avec chacun selon sa situation propre, favoriser une défini-
:ENC

tion de poste, une évaluation, une gestion des carrières et une rémunération
individualisées ; séparer et préserver la vie privée par rapport à la vie pro-
x.com

fessionnelle.
• Sens communautaire
larvo

Considérer chacun comme membre d’un groupe et privilégier les inté-


.scho

rêts et objectifs collectifs ; favoriser un système de reconnaissance collec-


www
LEs MoDèLEs Du MAnAgEMEnT InTERcuLTuREL 147

tive qui atténue les différences individuelles et qui mobilise la collectivité ;


accepter ou valoriser que la vie personnelle et la vie professionnelle ou com-
munautaire soient partagées ou même confondues.
3) Relations dans l’équipe
• Affirmation de soi ou compétition (« masculinité » selon Geert
Hofstede)
Favoriser le challenge et la compétition et valoriser les réussites de façon
visible, s’affirmer et affirmer son équipe.
• Consensus ou facilitation (« féminité »)
Susciter le consensus, rechercher l’harmonie des positions, instaurer

0745
et entretenir des relations conviviales et non conflictuelles, rechercher des
conditions de travail agréables.

0026
4) Gestion du temps

7:17
• Programmation (monochronisme selon E. T. Hall et M. R. Hall)

0.21
Planifier et organiser son temps de façon rigoureuse et séquentielle, ter-
miner ce qui est entrepris sans interruption intempestive et dans les délais
prévus, protéger son espace et son temps de travail de façon à ne pas être 9.16
0.17
dérangé ni interrompu.
6:16

• Flexibilité ou saisie des opportunités (polychronisme)


Réagir à l’occasion qui passe, considérée comme une opportunité à sai-
8565

sir, donner une réponse immédiate à une sollicitation, passer d’un dossier
à l’autre sans difficulté ou traiter plusieurs affaires dans le même laps de
888

temps, accepter ou pratiquer des modifications de programmes, d’horaires,


418:

des délais ou des prévisions.


0773

5) Gestion de l’information
• Explicite et formelle (faible « référence au contexte », qui doit donc être
:211

expliqué, selon E. T. Hall et M. R. Hall)


nitra

S’exprimer de façon précise et complète en prenant soin d’abord de rap-


G Ke

peler ou d’expliquer le contexte.


Mettre à disposition de chaque destinataire concerné l’information
:ENC

claire, précise, complète et exacte dont il a besoin, de préférence fixée par


écrit.
x.com

• Implicite et informelle (forte référence au contexte, supposé a priori


connu)
larvo

S’exprimer ou suggérer de façon informelle, elliptique ou sous-entendue,


.scho

et en supposant le contexte de la situation déjà connu.


www
148 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Faire circuler une information privilégiant la spontanéité ou l’interpré-


tation, voire la rumeur, plutôt que la précision et la factualité, et le plus
souvent de façon orale, indépendamment des circuits officiels.
6) Gestion du statut
• Au mérite (statut mérité ou selon les résultats pour F. Trompenaars)
Etablir un système de reconnaissance socioprofessionnelle basée sur les
actions et les performances accomplies, sur un mode de contribution/rétri-
bution.
• Au statut d’origine (statut octroyé ou par attribution)
Favoriser un système qui reconnaît et valorise l’appartenance à une caté-
gorie d’origine, caractérisée par des critères discriminants : ethnie, caste,

0745
clan, famille, âge, sexe, provenance régionale, diplôme, religion, langue.

0026
7) Gestion du risque

7:17
• Prévention du risque (fort contrôle de l’incertitude selon Hostede)
Être réticent à la prise de risque ou prévenir les risques en les antici-

0.21
pant et en prenant des mesures ou procédures de prévention ou de sécurité.
Préférer un statut stable et sécurisant.
• Prise de risque (faible contrôle de l’incertitude) 9.16
0.17

Accepter ou être peu soucieux de prendre des risques, soit par confiance
6:16

en ses propres aptitudes, soit par le sentiment de n’être pas le maître de son
destin. Être ouvert à l’innovation et à l’entreprenariat.
8565

8) Gestion de la règle
888

• Universalisme
418:

Accepter que les lois et les règles soient faites pour être appliquées par
toutes les personnes concernées de la même façon. Être prêt à dénoncer
0773

ceux qui ne respecteraient pas la loi ou la règle.


:211

• Particularisme
Adapter la règle selon les personnes concernées ou selon l’appréciation
nitra

des circonstances. Assouplir ou enfreindre la règle en faveur des personnes


de sa famille, de son groupe ou de son entourage. Accepter que des per-
G Ke

sonnes de statut privilégié puissent ne pas respecter la règle.


:ENC
x.com
larvo
.scho
www
LEs MoDèLEs Du MAnAgEMEnT InTERcuLTuREL 149

1.2. Les constats effectués en Afrique permettent généralement la classification


suivante des attitudes culturelles selon les mêmes critères

Critères ou dimensions Pôles africains Remarques


L’autorité hiérarchique est
Distance hiérarchique et
1) Relation hiérarchique modérée par la consulta-
paternalisme
tion collégiale
fort sens de la communau- La solidarité et ses
2) Relation à la société té (famille, clan, village, contraintes sont moins
ethnie) fortes en ville qu’au village
Affirmation de soi : … mais aussi recherche
importance de la face, du consensus et goût
3) Relation dans l’équipe
de l’image et du discours, de l’humour (facteur de

0745
recherche de l’élégance … détente et de connivence)
Polychronisme, peu de Les rendez-vous peuvent

0026
programmation, flexibi- être pris à la dernière
4) gestion du temps
lité du temps, saisie de minute, les délais peuvent

7:17
l’opportunité être reportés

0.21
Implicite et informelle
Parfois manque de trans-
… mais communication
5) gestion de l’information parence et ruse ; goût
9.16
parfois très directe
du secret (« le visible et
l’invisible »)
0.17

Statut souvent octroyé (par


Respect du statut et impor-
6:16

appartenance de famille,
6) gestion du statut tance du protocole qui le
de clan, de réseau, d’eth-
met en scène
8565

nie, ou par l’âge)


Peu de prévention du
Esprit d’entreprise ou de
888

7) gestion du risque risque, peu de procédures


débrouillardise
d’assurance
418:

Application de la règle La règle est souvent adap-


8) gestion de la règle tée en faveur des relations
0773

différente selon la relation


à la personne concernée personnelles
:211
nitra

2. Interprétation du management africain par référence aux


G Ke

modèles interculturels
:ENC

On reprend ici les huit principaux critères des modèles internationaux


du management interculturel se fondant sur des « dimensions » et on s’ef-
x.com

force de les interpréter et de les enrichir au regard des pratiques managé-


riales africaines. Pour ce faire, on s’inspire largement des travaux déjà cités
larvo

d’Evalde Mutabazi et d’Emmanuel Kamdem, et de ceux de Serge Feyou de


.scho

Happy sur « les implications managériales pour l’entreprise » des « normes


www
150 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

et valeurs centrales dans l’Afrique subsaharienne »2, comme aussi de l’expé-


rience de l’auteur.

2.1. La relation hiérarchique


Elle est plus marquée en Afrique qu’en Europe et même qu’en France,
mais elle en est différente. Le « chef » fait souvent l’objet d’une sorte de
vénération, marquée par l’importance des préséances et du protocole qui
introduisent une distance. L’ « audience » obéit à une sorte de rituel, comme
dans la chefferie traditionnelle. Pour un rendez-vous au siège de l’organi-
sation (administration ou entreprise), on subira d’abord le contrôle des
vigiles, avant de passer à un service d’accueil, qui vous orientera vers un
secrétariat. Celui-ci vous introduira dans une salle d’attente, où vous re-

0745
joindront bientôt les proches collaborateurs du « chef », appelés à participer
à votre « audience ». Enfin, vous serez introduit à la table de réunion dans

0026
le vaste bureau du « chef ».

7:17
Mais l’autorité est tempérée par la consultation : le chef doit consulter
son « conseil des sages » (conseil d’administration, conseillers ou cadres

0.21
de niveau N-1). Il leur donne la parole successivement et en tirera ensuite

9.16
la conclusion. S’il n’est pas d’accord avec l’un de ses collaborateurs, il com-
mencera par lui dire : « tu as parfaitement raison », puis il développera
0.17
progressivement une argumentation contraire, au terme de laquelle chacun
aura compris qu’il avait parfaitement tort ; mais la face aura été sauvée pour
6:16

tous …
8565

2.2. La relation à la société


888

« Seul, on n’est rien ». Le sens communautaire est plus fort en Afrique,


418:

sous différentes formes (la famille élargie, le village, le clan, l’ethnie), avec ses
avantages (assurance mutuelle, « tontines », logement …) et ses contraintes
0773

(solidarité obligatoire, rites collectifs de deuil longs et coûteux, ...). « Ce qui


est donné doit être rendu » ; « la pire sanction est l’exclusion de la commu-
:211

nauté », même s’il y a une certaine tendance à l’individualisme en ville et


nitra

avec le confort des classes moyennes.


Pour Serge Feyou de Happy, « l’entreprise, qu’elle soit publique, privée
G Ke

ou familiale, est un bien qui est censé appartenir à toute la communauté ».


Si la société devient « anonyme », si « elle n’est pas la plantation de mon
:ENC

père », alors chaque membre de la communauté est fondé à en retirer des


biens, sans léser personne ..., ce qui peut conduire à quelques abus d’utili-
x.com

sation individuelle de la richesse collective (appelés ailleurs « abus de biens


sociaux »).
larvo

2. FEYOU de HAPPY Serge, Normes et valeurs centrales dans l’Afrique subsaharienne,


.scho

à paraître.
www
LEs MoDèLEs Du MAnAgEMEnT InTERcuLTuREL 151

Le profit n’est pas la priorité absolue : « la plus-value sociale l’emporte


sur la plus-value économique : la principale préoccupation semble être le
maintien d’un équilibre social et d’une justice distributive ». Il s’agit, non
pas de faire du profit à tout prix, mais d’abord d’offrir à ses salariés un envi-
ronnement social convivial et sécurisant.
Les objectifs collectifs sont préférables aux objectifs individuels : la fixa-
tion d’objectifs individuels va à l’encontre de la mentalité africaine, carac-
térisée par le souci essentiel de s’intégrer à un groupe. Ce sont plutôt les
performances collectives qui sont recherchées et qui peuvent être un objet
de motivation et d’ardeur au travail. La mise en avant individuelle d’un
salarié qui réussit peut être mal considérée.
Bien plus, « le concept de responsabilité individuelle n’existe pas vrai-

0745
ment dans les structures traditionnelles ». L’esprit de solidarité met plutôt
en avant la responsabilité de la communauté à l’égard de chacun de ses

0026
membres.
Les motivations viennent donc des états affectifs positifs de l’entourage.

7:17
À cet égard, les rites, les cérémonies et les activités de loisirs (clubs de foot-

0.21
ball de l’entreprise ou autres …) servent au renforcement des liens sociaux.
Ainsi, « le rendement du travail improductif est élevé » car « le lien rem-
9.16
place le bien ».
Il y a peu de séparation de la vie professionnelle et de la vie privée : « une
0.17

critique professionnelle sera perçue comme une attaque personnelle … Le


6:16

management du personnel relève du ménagement des susceptibilités. »


8565

Le capitalisme bamiléké :
888

une relation paradoxale entre l’individu, la société et les morts


418:

Les Bamilékés sont l’une des ethnies les plus connues du cameroun,
vivant à l’origine dans les plateaux des régions ouest et nord ouest,
0773

organisés en « chefferies », de multiples petits royaumes locaux aux


structures sociales très sophistiquées, mais sans confédération poli-
:211

tique d’ensemble. Ils sont aujourd’hui également implantés dans les


différentes villes du pays, en particulier à Douala et à yaoundé, les
nitra

capitales économique et politique. Ils représentent maintenant près


de 20 % de la population du pays. Emmanuel Kamdem en fait une
G Ke

très intéressante analyse économique sur des fondements anthropolo-


giques.3
:ENC

selon l’historien Engelbert Mveng4, en 1976 la communauté bami-


léké, estimée alors à 17,5 % de la population, « représentait 58 %
x.com

3. KAMDEM Emmanuel, Management et interculturalité en Afrique. Expérience camerou-


larvo

naise, Les presses de l’Université Laval, L’Harmattan, 2015.


4. MVENG Engelbert, Histoire du Cameroun, deux tomes, CEPER (Centre d’Edition et de
.scho

Production pour l’Enseignement et la Recherche), Yaoundé, 1984 et 1985.


www
152 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

des importateurs nationaux, 87 % des boutiquiers des marchés de


Douala …, 75 % des acheteurs de cacao … ils possédaient 80 % des
taxis urbains … et 75 % des hôtels à Douala et à yaoundé, etc. c’est
à la fois une ardeur au travail qui ne compte guère beaucoup de
concurrents sous les tropiques, un esprit d’économie et de prévoyance
qui ne va pas sans une âpreté au gain, une intelligence pratique rare,
un individualisme qui s’allie paradoxalement à une vie communautaire
sans fissure ».
Et Kamdem d’ajouter : « Il complète cette description en soulignant
la situation paradoxale de cette population dont il dit qu’elle a su
concilier matérialisme, spiritualité et solidarité du groupe ». Et de citer
à nouveau Engelbert Mveng à propos des Bamillékés : « nul ne fut
plus âpre au gain, plus économe, plus solidaire, donnant sans compter

0745
pour venir en aide à un frère dans le besoin. Et si le Bamiléké, aux
yeux de beaucoup, passe pour un élément dangereux, c’est qu’il repré-

0026
sente une force peu connue en Afrique noire : la force de l’argent ».
D’où vient cette force ? Emmanuel Kamdem l’explique notamment par

7:17
deux raisons. La première est la recherche « d’une position sociale,
elle-même sous-tendue par la production et l’accumulation des res-

0.21
sources humaines et matérielles (les femmes, les enfants, les terrains
à exploiter, les immeubles construits, etc). Le volume et la qualité des
ressources accumulées deviennent ainsi l’enjeu déterminant … pour 9.16
accéder à une position de notabilité plus élevée » dans le système
0.17

complexe de l’organisation sociale bamiléké.


6:16

La seconde raison tient à la règle de l’héritage : pour ne pas disperser


le capital, un seul des nombreux descendants d’un « grand homme »
8565

(la société bamiléké est de tradition polygamique) héritera de la tota-


lité de ses biens. Les frères non élus devront quitter la terre familiale
888

(jamais divisée) pour chercher fortune ailleurs. Ils y parviendront à


leur tour par un travail acharné, associé à une forte valeur d’épargne
418:

qui implique une réelle austérité personnelle (ne rien dépenser pour
soi et économiser) et à la solidarité des tontines pour emprunter afin
0773

d’investir en capital.
:211

Le capitalisme bamiléké est encore renforcé par l’obligation d’orga-


niser des funérailles somptueuses pour ses ascendants afin de satis-
nitra

faire les esprits des morts et de tenir sa position dans une société très
hiérarchisée. La réussite matérielle tient donc à la fois à des valeurs
G Ke

individualistes (il faut réussir par soi-même, car rares sont les héritiers),
communautaires (l’entraide est très forte dans la famille, la chefferie
:ENC

ou la tontine, mais il est essentiel d’y tenir son rang) et spirituelles


(honorer les ancêtres). Même si les fondements théologiques et anthro-
pologiques en sont très différents, on ne peut s’empêcher de penser à
x.com

une certaine similitude avec « l’éthique protestante et l’esprit du capita-


lisme » de Max Weber.
larvo

Les résultats sont là : les Bamilékés tiennent l’économie du cameroun


(mais celui-ci leur refuse le pouvoir politique). Jean-Michel severino
.scho
www
LEs MoDèLEs Du MAnAgEMEnT InTERcuLTuREL 153

et Jérémy hajdenberg5 notent : « Le cameroun, pays très riche … en


riches entrepreneurs, abrite en 2015, selon Forbes Afrique, 9 des 20
chefs d’entreprise les plus riches d’Afrique francophone … un point
fondamental : ils sont tous, ou presque, bamilékés. Le poids de ce
groupe ethnique … dans l’économie est prépondérant. » Ils citent par
exemple Paul fokam Kammogne, fondateur du groupe Afriland first
Bank, implanté dans une dizaine de pays, mais aussi d’un important
réseau de mutuelles de micro-finance, d’une télévision en ligne depuis
Londres, « Vox Africa », et d’un institut de formation supérieure, le Paul
fokam Institute of Excellence.

La combinaison des deux premiers critères, la relation hiérarchique


et la relation à la société, donne souvent en Afrique un modèle « paterna-

0745
liste ». Pour Serge Feyou de Happy, « l’entrepreneur est un véritable chef de
famille » : c’est du moins le rôle qui est attendu de lui. « Les organisations

0026
sont assimilées à une grande famille » : les salariés attendent de leur « pa-
tron » (de pater, le père) qu’ils s’occupent d’eux comme le chef de famille, y

7:17
compris parfois de leurs problèmes personnels.

0.21
Les relations entre les employeurs et les salariés sont fondées sur des
obligations mutuelles. L’employé doit une loyauté à l’égard de l’employeur.
9.16
La confiance est la base de la relation : les procédures de contrôle irritent
parce qu’elles semblent la mettre en cause.
0.17

Les salariés acceptent une hiérarchie claire du « patron », pourvu qu’il


6:16

soit à l’écoute et compréhensif, juste sans être tyrannique. Il doit expliquer


et pratiquer le dialogue.
8565

Dans ce schéma paternaliste, Serge Feyou de Happy explique joliment :


« le bon père punit, mais ne renvoie pas ses enfants ». « La rupture du contrat
888

de travail ou la sanction donnée à un employé est vécue comme une atteinte


418:

à la personne ». Aussi, en cas de faute du salarié, les « demandes de pardon »


auprès du « patron » sont fréquentes, au besoin accompagnées par la famille
0773

du salarié fautif.
:211

Mais dans les entreprises internationales, suite aux influences externes,


le souci des procédures et de l’équité par rapport au travail accompli peuvent
nitra

aller à l’encontre de ces tendances traditionnelles.


G Ke

L’entreprise familiale dans l’« entreprenante Afrique »


:ENC

Les analyses de Jean-Michel severino et Jérémy hajdenberg, qui se


centrent sur les PME dans Entreprenante Afrique, confirment que le
x.com

poids du modèle familial de l’entreprise en Afrique, fera souvent pri-


vilégier par l’entrepreneur l’engagement de sa propre famille au sein
larvo

5. SEVERINO Jean-Michel et HAJDENBERG Jérémy, Entreprenante Afrique, Odile Jacob,


.scho

2018.
www
154 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

de son entreprise, comme l’illustrent les quelques extraits suivants (op.


cit., p. 34-36).
« family business : que l’on demande le père, le fils, le frère, la femme
… tous sont des entrepreneurs, des managers ou des consultants de
l’entreprise familiale. »
« La vision patrimoniale de l’entreprise reste encore aujourd’hui domi-
nante … le rôle de l’entreprise comme pourvoyeur d’emplois pour la fa-
mille trouve une importance particulière. Enfin, accorder sa confiance
à quelqu’un qui n’est pas de la famille s’avère parfois particulièrement
difficile en Afrique du fait du caractère encore largement informel de
l’économie … des clivages ethniques et communautaires … de l’étroi-
tesse de l’élite économique … qui est telle que, pour un entrepreneur
africain, accueillir au plus haut niveau de son entreprise un membre

0745
d’une autre famille … c’est prendre le risque que lui-même partage
(l’information) avec l’ensemble de sa famille à lui. »

0026
« Travailler en famille comporte beaucoup d’avantages … : capacité à

7:17
construire des stratégies de long terme, engagement total de la famille
pour son entreprise, la bonne transmission des connaissances, des

0.21
expériences et des compétences, et enfin l’attachement à la qualité du
travail auquel le nom de la famille est lié. »
« En Afrique, l’entreprise familiale accorde souvent une prééminence 9.16
0.17
aux anciens, à qui l’on doit respect et subordination, et dont la mission
est de transmettre son expérience et ses compétences aux cadets. »
6:16

« L’entreprise familiale africaine a une fonction d’incubateur : dès leur


plus jeune âge, les enfants d’entrepreneurs apprennent les compé-
8565

tences nécessaires dans le métier et dans la gestion avec l’objectif à


terme d’assurer la relève. »
888
418:
0773

2.3. La relation dans l’équipe


Le troisième critère, la relation dans l’équipe, comporte en Afrique
:211

à la fois des facteurs d’affirmation de soi et de consensus et convivialité.


L’affirmation de soi se traduit notamment dans les apparences : la « face »,
nitra

l’élégance, la bonne humeur, la place du langage et du discours, le statut


G Ke

important de la parole … L’esprit de compétition peut exister, mais il doit


s’exercer dans l’intérêt du groupe. Mais la recherche de consensus peut re-
:ENC

tarder les décisions dans l’équipe.


En même temps, des conditions de travail agréables sont jugées impor-
x.com

tantes : « le travail n’est pas une corvée » : il n’est pas aliéné, il n’est pas
séparé de la vie, mais il doit permettre des échanges et être si possible une
larvo

« source de joie » (Léopold Senghor). On doit pouvoir bavarder et plaisanter


entre collègues. Pour Serge Feyou de Happy, « la motivation est avant tout
.scho

relationnelle, psychologique et morale. Les Africains ne vivent pas pour tra-


www
LEs MoDèLEs Du MAnAgEMEnT InTERcuLTuREL 155

vailler, mais ils travaillent pour vivre : travailler dans la tranquillité, avoir
des relations sociales harmonieuses, préserver la qualité de la vie ».
L’humour est fortement valorisé : c’est à la fois une élégance de l’esprit et
un facteur de détente et de convivialité.

2.4. La gestion du temps


La gestion du temps est très polychronique : les rendez-vous peuvent
être pris au dernier moment. Un Européen soucieux d’organiser à l’avance
un planning pour optimiser une mission en Afrique se verra souvent ré-
pondre : « je suis d’accord pour vous recevoir : téléphonez moi quand vous
arriverez à l’aéroport ». Il s’apercevra alors que souvent les cadres africains

0745
n’ont pas d’agenda : ils réagissent à l’immédiat.
Le polychronisme est aussi dans le quotidien : un trajet en voiture pour

0026
une réunion professionnelle se traduira au passage par un arrêt dans une
boutique pour des courses familiales, au risque d’arriver en retard à la réu-

7:17
nion : toute opportunité est bonne à prendre. Mais attention : la ponctualité
est de rigueur dans les relations officielles.

0.21
Les interruptions pour répondre au téléphone, y compris à des appels
personnels, pendant un rendez-vous ou une réunion de travail peuvent pa- 9.16
raître exaspérantes pour des Européens. Le téléphone portable a rencontré
0.17

un succès fulgurant en Afrique, notamment parce qu’il permet l’immédia-


6:16

teté et la spontanéité de la relation. Et les temps personnels et professionnels


ne sont pas distingués comme en Occident.
8565

Pour Serge Feyou, en Afrique, la gestion du temps est souple, le temps


n’est pas une contrainte, les échéances des objectifs restent un souhait. Les
888

programmes peuvent être remis en cause. L’exactitude est toute relative,


418:

comme le respect des délais. « L’important, c’est que l’évènement prévu se


réalise effectivement … le moment précis de la réalisation n’est que secon-
0773

daire ».
:211

« Le projet, projection dans l’avenir d’une idée d’amélioration, suppose


une perception linéaire et maîtrisable du temps. Cette notion s’accommode
nitra

mal de la perception cyclique, non maîtrisable du temps » en Afrique.


G Ke

Le passé reste souvent le temps de référence, par souci de respect de la


sagesse accumulée par les anciens. Mais la vision à terme et la largeur d’ho-
:ENC

rizon peuvent être différentes en Afrique sahélienne (tradition caravanière


avec une prévision très précise des jours de marche pour les réserves d’eau
et de nourriture) et en Afrique équatoriale (tradition de subsistance immé-
x.com

diate en milieu forestier). Mais spontanément, il y a globalement peu de


planification et de prévision.
larvo

Enfin, il faut se souvenir de l’adage d’Evalde Mutabazi : « le temps n’est


.scho

jamais perdu s’il est passé avec autrui ».


www
156 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

2.5. La gestion de l’information


Elle est souvent implicite et informelle (avec parfois un manque de
transparence, quelquefois une parole restreinte, voire une certaine culture
de la ruse), mais le langage peut être parfois aussi très direct. Il faut savoir
interpréter les silences : ils peuvent être aussi significatifs que les paroles,
et souvent plus inquiétants, ne serait-ce que parce que l’on n’aime pas dire
non …
La rumeur est fréquente, voire les théories « complotistes » sur Internet
et les réseaux sociaux. Elle peut parfois créer un sentiment d’attente para-
lysant. On attend un évènement officiel qui suspend la prise de décisions,
mais l’évènement présumé n’arrive pas ou n’aura jamais lieu ...

0745
Dans la pratique quotidienne, le manque de précisions concrètes peut
être déstabilisant pour le cadre européen en mission : la désignation des

0026
lieux de rendez-vous, par exemple, est fort aléatoire, ne serait-ce que par
défaut de l’affichage des rues et des numéros d’immeubles. Les points de

7:17
repère sont inattendus : « après telle station d’essence », dont vous n’avez
aucune idée d’où elle peut se trouver : mieux vaut avoir un chauffeur expé-

0.21
rimenté …

2.6. La gestion du statut 9.16


0.17
Il existe beaucoup de situations de statut octroyé : au « bénéfice de l’âge »,
du fait des hiérarchies parallèles (organigramme officiel et influences offi-
6:16

cieuses selon les proximités ethniques, les confréries, voire les sociétés se-
8565

crètes, et dans certains contextes les castes et les statuts de servilité …).
Un attribut statutaire reste la primauté de l’âge. Il est plus difficile aux
888

jeunes cadres de prendre des fonctions de responsabilités hiérarchiques :


les jeunes diplômés peuvent ainsi rencontrer des problèmes d’autorité sur
418:

le personnel âgé. Le respect de l’âge et de l’expérience peut introduire une


0773

hiérarchie parallèle à celle des compétences.


Le respect du statut s’accompagne du protocole correspondant. Il peut
:211

jouer sur l’avancement, mais néanmoins, il n’empêche généralement pas


une progression de carrière au mérite en entreprise. Cela peut être plus dif-
nitra

ficile dans l’administration où les facteurs prédominants restent soit l’an-


G Ke

cienneté, soit les privilèges relationnels ou statutaires de diverses natures.


:ENC

2.7. La gestion du risque


Il y a souvent peu de prévention du risque et l’esprit d’entreprise est assez
x.com

développé, soit spontanément, soit par nécessité, notamment pour la petite


entreprise informelle comme moyen de survie. Selon les sondages, seul un
larvo

quart des jeunes Africains auraient peur de créer leur propre entreprise ou
leur propre emploi. La recherche d’un emploi stable et sûr reste néanmoins
.scho

fréquente, mais l’on sait que les postes de l’administration se raréfient …


www
LEs MoDèLEs Du MAnAgEMEnT InTERcuLTuREL 157

Cependant, selon Serge Feyou, le système de droits et d’obligations com-


munautaires peut handicaper la prise de risques et d’initiatives individuels.
Esprit communautaire et « faible contrôle de l’incertitude » (c’est-à-dire
prise de risque) peuvent ainsi s’opposer dans les sociétés africaines car
l’innovateur peut être perçu comme un marginal dans la société (sauf en
milieu urbain où la pression communautaire est moins forte).
Enfin, plus globalement, il y a peu de crainte du vieillissement et de la
mort : le statut des anciens peut être considéré comme enviable pour le res-
pect qui leur est dû et leur proximité avec les esprits des morts.

2.8. La gestion de la règle


On est souvent en Afrique sur le versant du particularisme : la règle s’ap-

0745
plique en fonction des personnes concernées. Au regard des règles et pro-
cédures, on ne traite pas de la même manière ses parents, ses « frères » du

0026
village ou d’ethnie, ses amis, ses voisins, ses connaissances de quartier… :
ils seront privilégiés.

7:17
Aussi, les Africains cherchent souvent à établir une relation personni-

0.21
fiée avec un fonctionnaire ou un responsable doté d’un certain pouvoir, au
besoin par l’introduction ou l’entremise d’un tiers (« je viens vous voir de la
9.16
part d’Untel », « je suis de la même ethnie que toi » …), de façon à obtenir
meilleur accueil ou faveur, ou à éviter d’avoir à payer le prix de la corrup-
0.17

tion…
6:16

En tout cela, il s’agit ici de tendances culturelles de fond, mais dans les
grandes villes et les grandes entreprises, une classe moyenne de cadres mo-
8565

dernes se développe rapidement avec de nouvelles références, souvent plus


universelles.
888
418:
0773
:211
nitra
G Ke
:ENC
x.com
larvo
.scho
www
0745
CHAPITRE 12

0026
ADAPTER SON MANAGEMENT DANS LES ENTREPRISES ET

7:17
LES ORGANISATIONS EN AFRIQUE

0.21
On propose dans ce chapitre deux types de stratégies d’adaptation :
• l’adaptation managériale au contexte africain existant, avec deux 9.16
0.17
parties : une stratégie d’attitudes personnelles et une stratégie de mana-
gement (donc en particulier dans le champ des ressources humaines) ;
6:16

• la stratégie pour la conduite de grands projets en Afrique, avec éga-


8565

lement deux parties : le contexte géopolitique des grands investissements


et la stratégie ressources humaines de leur réalisation.
888

On s’appuiera ici sur six études de cas en Afrique du Sud, au Cameroun,


418:

au Gabon, en Guinée, au Mali et au Sénégal.


0773

1. L’adaptation managériale au contexte africain


:211
nitra

1.1. Les attitudes personnelles à développer


G Ke

La primauté de la relation implique d’établir des relations personnelles


de confiance avec ses principaux interlocuteurs africains. On décline ici
:ENC

une série de conseils dans cet esprit :


• avant la rencontre, il convient de gérer son calendrier avec une cer-
x.com

taine souplesse, ce qui nécessitera souvent, dans le cas d’une mission en


Afrique, de procéder en deux temps : obtenir avant le départ les accords
larvo

de principe pour les rendez-vous souhaités et en préparer une program-


mation-type, puis à l’arrivée dans le pays fixer les rendez-vous précis en
.scho

fonction du programme envisagé ;


www
ADAPTER son MAnAgEMEnT 159

• respecter la « face » chez soi et chez les autres : l’élégance est impor-
tante pour soi et pour autrui, au triple sens de l’élégance vestimentaire
(point souvent sensible aux yeux des Africains), de l’élégance de la pa-
role (le discours et la politesse comptent beaucoup) et de l’élégance du
comportement (le contrôle de soi et l’attention à l’autre) ;
• cela n’empêche pas de passer, après un premier stade de présenta-
tions un peu formelles, à un style autant que possible simple et naturel.
À cet égard, les capacités d’humour, si l’on a cette aptitude, sont un atout
très important : les Africains aiment rire, apprécient les traits d’esprit
et l’humour crée un climat de détente, voire de complicité, dans la rela-
tion ;
• dans le même esprit, les négociations vont se dérouler en quatre
étapes : l’entrée en matière formelle, voire un peu solennelle ; l’établisse-

0745
ment de la relation personnelle comme indiqué précédemment ; la négo-
ciation elle-même ; puis l’expression de l’accord, qui peut demander un

0026
délai si des validations sont nécessaires à plus haut niveau. Il faudra donc
souvent s’y prendre à plusieurs reprises ;

7:17
• la conduite d’un projet plus complexe va demander un grand

0.21
nombre de consultations et de négociations, auxquelles il faut être pré-
paré : on présente ainsi dans la section suivante les difficultés rencon-
trées par un projet de coopération décentralisée au Mali. 9.16
0.17
La gestion des situations difficiles peut se prévenir de plusieurs façons :
• d’abord, il y a des comportements à bannir soi-même : arrogance1,
6:16

impatience ou colère apparentes, a fortiori dévalorisation de la commu-


nauté ethnique ou nationale, humiliation d’un interlocuteur ou d’un
8565

collaborateur, familiarité déplacée (notamment avec les femmes …) ;


888

• l’obligation de solidarité et de redistribution pour les cadres afri-


cains ayant des responsabilités, assortie des faibles traitements de l’ad-
418:

ministration publique, entraîne une pression à la corruption (parfois


entretenue par certaines entreprises étrangères). Il convient donc de
0773

l’éviter en cherchant plutôt à rendre des services personnels licites si l’on


doit maintenir des bonnes relations : à titre d’exemple, aider son parte-
:211

naire africain à faire admettre son fils dans un établissement d’enseigne-


ment supérieur européen ;
nitra

• il convient de plus d’avoir une certaine prudence pour éviter des


G Ke

situations d’abus de confiance plus subtiles. Le cas suivant de la « man-


geoire », relaté par Emmanuel KAMDEM et résumé ici, en offre un
:ENC

exemple assez significatif au Cameroun2.


x.com
larvo

1. Lire : GLASER Antoine, Arrogant comme un Français en Afrique, Fayard, 2016.


2. KAMDEM Emmanuel, Management et interculturalité en Afrique. Expérience camerou-
.scho

naise, Presses de l’Université Laval et L’Harmattan, 2015.


www
160 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Etude de cas au Cameroun : « la mangeoire »


une entreprise agro-alimentaire a recruté un directeur général encore
jeune qui a modernisé et rentabilisé l’entreprise : le conseil d’adminis-
tration en est très satisfait. Le Dg a un logement de fonction et d’autres
avantages importants payés par l’entreprise.
Le Directeur général demande et obtient encore du conseil d’adminis-
tration un prêt de l’entreprise sans intérêt sur 4 ans pour construire sa
maison.
un an plus tard, le Dg demande au conseil d’administration de chan-
ger de logement de fonction et signe au nom de l’entreprise un bail
avec une dame de sa connaissance pour un loyer très supérieur au
prix du marché.

0745
En fait, il s’agit de sa propre maison, construite avec le financement de
l’entreprise, mais louée à l’entreprise par la dame prête-nom.

0026
Pendant ce temps, le Dg a refusé au personnel l’augmentation d’une

7:17
indemnité de logement qu’il demandait, en arguant des difficultés de
trésorerie de l’entreprise.

0.21
Le conseil d’administration, dont les membres bénéficient par ailleurs

9.16
de largesses de l’entreprise, oubliera sans doute de demander le rem-
boursement de son prêt au Dg.
0.17
6:16

Ce cas présente la subtilité d’un jeune Directeur général qui réussit à


cumuler des avantages indus de son entreprise dans son intérêt person-
8565

nel : logement obtenu gratuitement en pleine propriété et dame de ses amies


payée de plus indument par l’entreprise pour le même logement. Ce résul-
888

tat est obtenu en entretenant une forme de complicité implicite avec son
418:

conseil d’administration. Vraisemblablement, le conseil ne demandera pas


au Directeur général d’autres comptes, pourvu que l’entreprise reste ren-
0773

table et lui serve suffisamment de dividendes …


Dans ce cas, la logique d’accumulation déployée par le Directeur général
:211

ne remplit pas sa fonction traditionnelle de redistribution : le DG refuse au


nitra

personnel une augmentation de son indemnité de logement, soit disant en


raison de difficultés de trésorerie, qui s’expliquent peut-être, en partie du
G Ke

moins, par ses propres abus ...


Cette forme d’abus de biens sociaux aurait pu se produire aussi sous
:ENC

d’autres latitudes. Mais elle se réalise ici par la force de l’implicite. Il est pro-
bable que le faux bail ne sera jamais décelé : il faudrait que l’entreprise ait un
x.com

Commissaire aux comptes, que celui-ci soit assez curieux pour enquêter sur
toutes les caractéristiques du bail et qu’il ne soit pas lui-même en relation
larvo

privilégiée avec le Directeur général, qui le fait travailler. De même, il est


implicite que le conseil d’administration, qui bénéficie de largesses dans la
.scho

gestion de l’entreprise, ne demandera pas le remboursement du prêt. Dans


www
ADAPTER son MAnAgEMEnT 161

cette affaire, il est probable que tous ces dirigeants se tiennent mutuelle-
ment par des intérêts croisés, au moins tant que l’entreprise ne connaîtra
pas de difficulté financière.
En conclusion, la diplomatie dans la relation d’affaires n’exclut pas la
prudence et la clarté des contrats …

1.2. Stratégie de management interculturel pour une organisation


On se place maintenant, non plus du point de vue des aptitudes person-
nelles sur le plan interculturel en Afrique, mais d’une stratégie d’adaptation
d’entreprise ou autre organisation sur le plan culturel, notamment pour la
gestion des ressources humaines.

0745
La solidarité communautaire entraîne une certaine préférence pour
recruter ou promouvoir des membres de sa famille, de son village, de son

0026
clan ou de son ethnie. Les entreprises internationales qui veulent privilé-
gier la compétence et la diversité et éviter de se retrouver à terme avec « un

7:17
État dans l’État » au sein de l’entreprise préfèrent un équilibre ethnique
et mettent en avant des critères de recrutement et de carrière strictement

0.21
professionnels.

9.16
Etude de cas au Sénégal : « le village dans l’entreprise »3
0.17

c’est l’expérience qu’a pu faire une importante filiale à Dakar d’un très
6:16

grand groupe français. son Directeur des Ressources humaines (DRh)


sénégalais avait rempli ses obligations communautaires en recrutant
8565

les nouveaux personnels dans sa localité d’origine jusqu’à ce qu’ils


constituent, au fil des ans, 40 % des effectifs de la filiale, quand le
888

nouveau Directeur général français s’en aperçut …


418:

cette situation pourrait ne pas être aberrante dans une PME du secteur
informel, comme il en existe beaucoup au sénégal, constituée autour
0773

d’une personnalité qui s’entoure d’un management familial et s’assure


de la cohésion de son personnel par un recrutement dans sa commu-
:211

nauté d’origine, vis-à-vis de laquelle il se sent redevable du fait de sa


réussite professionnelle.
nitra

Mais, dans une multinationale, cela ne garantit nullement l’adhésion à


G Ke

la politique du groupe, a fortiori quand celle-ci prône la diversité, et


dans toute grande entreprise moderne, ce mode de gestion des res-
sources humaines pose au moins deux types de problèmes :
:ENC

– le critère de recrutement communautaire n’est pas cohérent avec


x.com

celui de recherche des compétences les plus appropriées et met


donc en danger les capacités de l’entreprise ;
larvo

3. Voir THERY Benoît, « Recrutement et gestion des carrières au Sénégal. Intérêts com-
.scho

munautaires et diversité », Personnel, n° 510, juin 2010.


www
162 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

– en constituant progressivement dans l’entreprise un groupe social


très important qui a une logique interne propre et qui peut avoir
une hiérarchie différente de celle de l’organigramme officiel, on
crée un « état dans l’état », qui peut mettre en danger la cohérence,
voire la direction, de l’entreprise dans son ensemble.
quand on est parvenu à ce type de situation, ce n’est que par une
gestion de longue haleine des recrutements, de la mobilité et des car-
rières, basée sur les compétences et les performances, que l’on pourra
la corriger petit à petit.

Si on interroge des dirigeants africains de grandes entreprises modernes,


eux-mêmes recommandent un recrutement diversifié du point de vue com-
munautaire. Certains responsables des ressources humaines en Afrique

0745
préconisent de rechercher dans l’entreprise la représentation des équilibres
ethniques du pays : cette dernière approche est plus discutable, car elle re-

0026
vient à appliquer, autrement, un critère ethnique. L’approche la plus sûre
reste donc sans doute celle fondée sur la gestion des compétences, même

7:17
si elle n’est pas nécessairement facile à appliquer au quotidien : il n’est que

0.21
de voir les files d’attente des solliciteurs, internes ou externes à l’entreprise,
dans le couloir du bureau d’un DRH africain ...
Certaines multinationales cherchent à contourner ce type de difficulté 9.16
0.17
en affectant de préférence leurs managers africains dans un pays voisin
du leur, où ils seront à l’abri des sollicitations communautaires. Bien que
6:16

cela ait un coût (de logement et de résolution des problèmes de protection


sociale et surtout de retraite) et qu’on y perde en proximité culturelle, cela
8565

peut être un moyen de leur faire gagner aussi une expérience internationale
qui sera utile à leur carrière.
888

Un autre cas, au Gabon, est plus clairement à connotation ethnique et


418:

pose alors des problèmes de gestion des carrières.


0773

Etude de cas au Gabon : « le partage tribal de l’entreprise »


:211

Il s’agit d’une des principales entreprises du pays dans le secteur indus-


nitra

triel, relevant en majorité d’un groupe international français, avec une


participation de l’état gabonais. Le Directeur général français de la
G Ke

filiale gabonaise en poste se voit demander par le groupe d’appliquer


au gabon un nouveau système de gestion des carrières mis en place
:ENC

par la Direction des ressources humaines du groupe.


ce système relève d’un dispositif sophistiqué d’évaluation des perfor-
x.com

mances et du potentiel de l’encadrement, prenant en compte aussi


l’orientation des cadres par filières de métiers. Il doit permettre de
larvo

préparer des mutations et promotions de l’encadrement pour enrichir


les carrières et tester les potentiels par l’exercice de nouvelles respon-
.scho

sabilités valorisantes. ces évolutions n’excluent pas un changement de


www
ADAPTER son MAnAgEMEnT 163

spécialisation pour permettre l’élargissement des compétences, ni un


changement de filiale vers un autre pays ou même un autre continent.
La grande majorité de l’encadrement concerné dans la filiale gabo-
naise est également de nationalité gabonaise.
Le Directeur général présente le nouveau système de gestion des car-
rières à son comité exécutif, regroupant tous les directeurs de la filiale,
soit une douzaine de dirigeants, en majorité gabonais. Les directeurs
expatriés ne font pas d’objection, mais les directeurs nationaux s’y
opposent, y compris le Directeur général adjoint gabonais.
Après explications, il ressort qu’historiquement les principales direc-
tions de l’entreprise ont été partagées, attribuées et appropriées par
« tribus » : telle direction « appartient » donc à telle tribu, du directeur
aux ouvriers. Il y a sur ce point une alliance entre les directeurs et

0745
les syndicats : tous estiment que le système de gestion des carrières
proposé est inacceptable, car il va remettre en cause la composition

0026
et le management tribaux de chaque direction, casser les équilibres
ethniques de l’entreprise et engendrer des conflits.

7:17
0.21
L’historique de l’affaire paraît assez explicable : la création de cette fi-
liale nationale, qui représente une partie importante des exportations du
Gabon, coïncide avec les débuts de l’indépendance. L’entreprise étant située 9.16
dans une région rurale et peu peuplée, elle a attiré des cadres, techniciens
0.17

et ouvriers venant des différentes régions du pays et par conséquent de dif-


6:16

férentes ethnies. La petite bourgade d’origine est devenue une ville impor-
tante du fait de l’implantation de l’entreprise, de ses personnels et de leurs
8565

familles, de ses sous-traitants, des commerces et services venus desservir


les uns et les autres et des services publics correspondants.
888

Au démarrage, la concurrence pour l’emploi était très forte et il a fal-


418:

lu trouver une solution simple pour réguler la demande d’emploi, à une


époque où les spécialisations techniques nécessaires étaient rares chez les
0773

nationaux et donc surtout assurées par des expatriés qui avaient aussi la
charge de former le personnel national (le Gabon ne pouvant alors être
:211

aussi exigeant qu’aujourd’hui sur les conditions d’immigration et d’emploi


étranger).
nitra

Il est probable que cette répartition ethnique ait paru alors une solution
G Ke

équitable aux dirigeants de l’époque, probablement soucieux de créer une


entreprise réellement nationale et d’assurer la paix sociale dans le pays. À
:ENC

cela s’ajoute qu’avant l’arrivée de ce Directeur général français, le précédent


Directeur général avait été pendant 22 ans un Gabonais, donc avec moins
x.com

de possibilité, à supposer qu’il l’ait voulu, de changer le système de répar-


tition ethnique existant. Cinquante ans plus tard, ce système s’est enraciné
sous le poids de l’héritage et des habitudes, et la situation est devenue inex-
larvo

tricable …
.scho
www
164 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Les solutions paraissent être d’infléchir la gestion des nouveaux re-


crutements, en les fondant sur les seules compétences techniques, et de
convaincre les membres de l’encadrement qu’il est de leur intérêt d’accepter
de nouvelles règles pour l’enrichissement et la progression de leur propre
carrière : c’est un programme de long terme ...
Une autre difficulté est la prise en compte culturelle de projets dont la di-
mension essentielle semble technique, alors que ses enjeux sociologiques et
politiques sont très importants. Un exemple caractéristique en est donné par
Alain Henry4, qui était Directeur à l’Agence française de Développement,
mais travaillait aussi avec l’équipe « Gestion et Société » de Philippe d’Iri-
barne (Centre national de Recherche scientifique – CNRS).

0745
Etude de cas au Mali : le projet d’électrification de Nioro du Sahel

0026
Les communes de Limours et les Molières en france et celle de nioro
au sud-ouest du Mali pratiquent une coopération décentralisée et

7:17
s’accordent sur un programme d’électrification de la ville de nioro,
avec l’aide de techniciens bénévoles d’EDf (fédérés par l’ong d’en-

0.21
treprise « Electriciens sans frontières »). Du matériel ancien mais en
bon état (un groupe électrogène de 400 000 watts) sera mis à disposi-
tion par EDf et les techniciens bénévoles viendront installer la centrale 9.16
0.17
électrique et le réseau de distribution. La contribution de la ville de
nioro sera la fourniture de main-d’œuvre peu qualifiée et des poteaux
6:16

en bois pour le réseau d’électricité.


Le projet d’électrification démarre sous d’excellents auspices lors des
8565

premières missions de l’équipe française, qui définit le projet avec les


représentants de la ville de nioro.
888

Mais la mission qui devait conduire à un premier raccordement élec-


418:

trique se heurte à de multiples difficultés inattendues. ce sont d’abord


des difficultés institutionnelles : relations avec le comité de gestion
0773

issu du jumelage mis en place pour conduire ce projet de coopéra-


tion décentralisée, rôles des autorités (communales et préfectorales) de
:211

nioro qui se sentent exclues du projet, rôle potentiel et prérogatives de


la société nationale Electricité du Mali. ce sont aussi des enjeux indivi-
nitra

duels, familiaux et claniques : quels quartiers et quelles familles seront


raccordés à l’électricité dès une première phase de la distribution ?
G Ke

Les discussions portent encore sur le mode de tarification de l’élec-


:ENC

tricité : individuel ou collectif, ceci ayant un impact important sur le


coût de la distribution s’il faut des compteurs individuels (même si ce
coût restera nettement inférieur à celui des générateurs privés déjà
x.com

installés par certaines familles et pouvant bénéficier à leurs voisins par


des raccordements de proximité régis selon leurs modes de relations).
larvo

4. HENRY Alain, « La générosité ne suffit pas : Nioro du Sahel, les raisons d’une discorde »,
.scho

in Serge MICHAÏLOF (dir.), À quoi sert d’aider le Sud ?, Économica, 2006.


www
ADAPTER son MAnAgEMEnT 165

Pis, selon les plans du comité de gestion mixte, des quartiers pauvres
d’anciens « captifs » (à statut social dévalorisé) seront traversés par
des câbles sans être desservis en électricité à court terme : ils ont ten-
dance à se révolter.
Par ailleurs, des habitants dont on présumait qu’ils seraient bénévoles
(comme les électriciens français) pour les travaux de mise en place de
leur réseau réclament un salaire … Enfin, le poids financier du person-
nel de maintenance qui sera nécessaire à l’avenir n’a pas été budgété,
que ce soit par une institution locale ou nationale.
L’équipe française qui effectue cette mission sur sa période de congés
(et qui est limitée par cette durée) pensait mener à bien cette phase de
réalisation permettant l’arrivée effective de l’électricité chez les utilisa-
teurs. Elle s’impatiente devant les multiples controverses qui surgissent

0745
à nioro, où les responsables demandent de commencer par s’asseoir
pour discuter. Les électriciens bénévoles sont alors confrontés à l’enjeu

0026
politique de leur projet de développement technique et de ses impacts
sociaux et financiers imprévus.

7:17
De multiples réunions et discussions n’aboutiront pas en temps utile
pour la réalisation matérielle de la phase prévue et les autorités lo-

0.21
cales de nioro décident de fermer provisoirement les premiers rac-

9.16
cordements effectués avant d’avoir résolu les problèmes posés. Les
bénévoles d’EDf en repartent avec une forte amertume et le sentiment
0.17
que leur « bonne volonté » n’a servi à rien…
6:16

Même pour un projet de dimension technique modeste, l’électrification


8565

modifie en profondeur l’organisation économique et sociale de la ville :


• les outils de travail des artisans et des petites entreprises ;
888

• l’accès à la culture médiatisée par la télévision et son impact sur


418:

l’éducation scolaire ;
• la transformation de la vie familiale : par exemple, les modes de
0773

cuisson et leur impact sur le rôle de la veillée ;


:211

• les relations sociales dans la commune : l’impact sur l’aménage-


ment urbain et les relations entre quartiers de statuts différents ;
nitra

• la modernisation des services de santé ;


• les activités nocturnes et la sécurité, notamment par l’éclairage
G Ke

public, etc.
:ENC

Il est manifeste que si le projet a bénéficié d’une ingénierie technique


rapide, les dimensions d’ingénierie financière, sociale et même juridique
x.com

ont été largement escamotées par des techniciens français bénévoles qui
n’avaient pas toutes les compétences correspondantes.
larvo

Pour Alain Henry, « le projet, fondé sur une approche purement tech-
nique, a ignoré les aspects organisationnels du changement … ayant des
.scho

implications économiques, sociales, politiques et culturelles … Sous une


www
166 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

contrainte forte de délais, l’absence de prise en compte des dimensions


culturelles a été un handicap déterminant … Le risque d’insuccès est d’au-
tant plus grand que l’on réduit l’aide à l’installation d’équipements et à la
formation d’utilisateurs ».
Le projet met en cause aussi des alliances et des rivalités, des inégalités et
même des vassalités, des conflits ou des arbitrages de pouvoirs de différents
niveaux, local à Nioro, provincial au niveau préfectoral, et national dans
son environnement malien, à commencer par le rôle de la société nationale
d’électricité. Effectivement, il fallait d’abord « s’asseoir pour discuter » …
Ce cas met en lumière la nécessité d’analyser le contexte culturel du pro-
jet et les positions et rôles de leurs acteurs locaux et nationaux afin d’adapter
l’ingénierie en conséquence. Celle-ci doit être d’autant plus développée, en

0745
particulier sur le plan sociologique, qu’elle s’applique à un contexte culturel
différent.

0026
7:17
2. Stratégie pour la conduite de grands projets en Afrique

0.21
2.1. Un contexte géopolitique et économique en évolution
La ruée sur les matières premières de nouvelles puissances émergentes, 9.16
0.17
l’Inde, le Brésil, la Turquie et surtout la Chine, avec notamment une forte
implantation chinoise dans différents secteurs (bâtiment et travaux publics,
6:16

mines, forêts, commerce et même agriculture …) entraîne un renouvel-


lement de la concurrence externe en Afrique. Il peut parfois remettre en
8565

cause le « politiquement correct » à l’occidentale (gouvernance, responsabi-


lité sociale et environnementale).
888

Cependant, l’approche chinoise tend à s’adapter rapidement aux exi-


418:

gences sociales et environnementales : par exemple, gestion durable de la


forêt, amélioration des conditions de travail et de rémunération sur les
0773

grands chantiers (ceux-ci voyant parfois travailler sur le même site les sala-
riés africains 8 heures par jour et les travailleurs détachés chinois 13 heures
:211

par jour …). Un grand investisseur se doit de ne pas baisser les exigences
nitra

éthiques de l’entreprise pour garantir son implantation en Afrique.


Les incertitudes pendant les dernières années de la décennie 2010 liées
G Ke

à la conjoncture ont entraîné dans certains pays un ralentissement de la


croissance. Il en va ainsi de la baisse des cours des matières premières, no-
:ENC

tamment du pétrole, et donc des revenus traditionnels d’exportation de dif-


férents pays africains. Dans le secteur minier et métallurgique, des géants
x.com

comme Rio Tinto (groupe tricontinental australien, britannique et cana-


dien) ont renoncé (au moins provisoirement ?) à de très grands investisse-
larvo

ments en Afrique, en particulier au Cameroun (aluminium) et en Guinée


(fer). Il importe donc d’avoir une stratégie de long terme pour les grands
.scho

investissements envisagés.
www
ADAPTER son MAnAgEMEnT 167

Parallèlement, l’aide publique au développement stagne. Si les trans-


ferts des émigrés constituent une ressource externe croissante, elle est sou-
vent encore très peu investie dans des projets économiques d’importance,
mais surtout dans les moyens de subsistance de la famille restée au pays.
Rappelons que les chiffres en seraient en 2018, selon la Banque Mondiale,
de 46 milliards $ pour l’Afrique subsaharienne et de 71 milliards $ pour
l’ensemble de l’Afrique. Ils sont en réalité plus élevés en raison du caractère
informel de nombre de transferts qui échappent aux statistiques.
Enfin, dans certains pays, il peut y avoir des contraintes particulières
d’investissement en matière de ressources humaines, notamment pour
l’expatriation de salariés européens en Afrique. Beaucoup de pays africains
ont adopté des règlementations restrictives pour accorder des permis de
travail ou de résidence à des professionnels étrangers, afin de privilégier ou

0745
de protéger leur emploi national. Dans la négociation de grands projets, il
est fréquent que soient introduits des quotas d’étrangers en fonction de leur

0026
qualification et de leur durée d’expatriation prévue dans le pays.

7:17
Par ailleurs, il faut tenir compte, pour l’investissement et la gestion des
ressources humaines en Afrique, de contextes particuliers, comme par

0.21
exemple le « Black Economic Empowerment » en République d’Afrique du
Sud.
9.16
0.17

Etude de cas en Afrique du Sud : le « Black Economic


6:16

Empowerment »5
8565

L’African national congress (Anc), conduite par nelson Mandela,


a gagné en 1994 les premières élections libres d’Afrique du sud. Le
Black Economic Empowerment (BEE) a été l’une de ses principales
888

politiques après sa prise de pouvoir, renforcée ensuite par l’Affirmative


418:

Action (AA). Des entreprises françaises comme Total ou Alcatel-Lucent


se sont engagées résolument dans le processus de BEE.
0773

Le BEE vise à l’origine à revaloriser le capital noir dans l’économie,


où il était quasi-absent. Dans une première phase (de 1994 à 1998),
:211

le BEE a surtout favorisé la constitution d’une caste de rentiers noirs


(« black diamonds »), issus de l’élite de l’Anc, par des transferts d’ac-
nitra

tifs d’actionnaires blancs, favorisés par des facilités financières, les


G Ke

grandes sociétés sud-africaines acceptant de céder une part de leurs


actions. ce processus a été critiqué pour différentes raisons : « enrich-
ment of the few », sans création de valeur ajoutée supplémentaire,
:ENC

ni même d’une nouvelle classe d’entrepreneurs, et sans accélérer la


progression du patrimoine des classes moyennes noires.
x.com
larvo

5. Voir THERY Benoît, « Le “Black Economic Empowerment” en Afrique du Sud ou les


nécessités d’une intégration politique dans le pays d’accueil », Personnel, n° 516, janvier
.scho

2011.
www
168 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Aussi un « Broad-Based BEE » (BEE à base élargie) a-t-il été lancé par
le gouvernement en 2003 en définissant des critères plus variés et
d’application plus étendue pour juger le BEE des entreprises. Le Black
Economic Empowerment a ainsi été précisé par une loi de janvier 2004
(Broad-Based BEE Act) qui vise à favoriser l’appropriation de l’écono-
mie par les populations « historiquement défavorisées » (comprendre :
du fait du régime de l’apartheid) par :
– le transfert de capitaux et de pouvoirs économiques ;
– la priorité au recrutement à qualifications égales ;
– le développement des ressources humaines ;
– la priorité des marchés aux entreprises noires.

0745
La loi dispose que ces orientations sont précisées secteur par sec-
teur par des chartes contractuelles entre branche professionnelle et

0026
état. sur cette base, les entreprises doivent établir des « scorecards »
(« tableaux de bord » ou « fiches d’objectifs ») leur attribuant des

7:17
points selon leur degré d’atteinte des objectifs fixés. ceux-ci doivent
répondre aux sept critères suivants fixés par la loi et répartis en quatre

0.21
catégories :

9.16
– « direct empowerment » : le transfert de capitaux (la « proprié-
té » : 20 % des points), financé essentiellement par les banques, et
0.17

le transfert de pouvoirs économiques dans les conseils d’administra-


tion (le « contrôle de la gestion » : 10 % des points) ;
6:16

– « human resources development » par la discrimination positive


8565

dans l’emploi (« l’équité en matière d’emploi » : 10 % des points)


et la promotion professionnelle (le « développement des compé-
888

tences » : 20 % des points) ;


418:

– « indirect empowerment » : les approvisionnements auprès des


entreprises des publics prioritaires (« l’approvisionnement préféren-
0773

tiel » : 20 % des points) et l’investissement matériel ou immatériel


dans ces entreprises (le « développement d’entreprise » : 10 % des
:211

points) ;
nitra

– « socio-economic development » : les actions sociales et sociétales


dans l’entreprise ou dans son environnement : 10 % des points.
G Ke

Les chartes sectorielles (banque, énergie, mines, télécommunica-


tions …) devaient définir dans ce cadre légal la pondération de ces
:ENC

sept critères (en s’inspirant de la pondération de référence suggérée


par la loi) et des objectifs pour chacun d’entre eux. cela permet alors
x.com

d’établir une fiche d’objectifs par entreprise pour enregistrer les résul-
tats obtenus. ce « scorecard » est pris en compte en particulier pour
larvo

l’attribution de marchés publics, l’octroi de licences ou de concessions,


la vente d’entreprises ou d’actifs publics et les autres formes de parte-
.scho

nariat public-privé.
www
ADAPTER son MAnAgEMEnT 169

Des entreprises françaises comme Total ou Alcatel-Lucent se sont enga-


gées résolument dans le processus de BEE. En ce qui concerne sa
filiale Total south Africa, le groupe français a redistribué son capital
pour y introduire des sociétés partenaires sud-africaines. L’entreprise
a conduit sur plusieurs années un grand projet pour y développer
le BEE, privilégié des entreprises noires comme fournisseurs et pour
son réseau de distribution des entrepreneurs noirs pour ses stations
service, leur construction, leur entretien et le transport des carburants.
La filiale a aussi adopté une politique structurée de développement
positif des carrières pour les personnes qui étaient défavorisées du fait
de leur couleur, de leur genre ou de leur handicap physique. Total a
encouragé des nominations d’ « affirmative action » (« discrimination
positive ») à tous les niveaux de l’entreprise et permis à des noirs
d’accéder à des responsabilités-clés.

0745
Le BEE a pu ainsi apparaître comme une opportunité pour l’économie

0026
sud-africaine : il a permis en principe d’ouvrir l’économie à la majo-
rité, alors qu’elle risquait de se scléroser par son appartenance à une
minorité étroite. Avec sa dimension d’ « affirmative action » (AA), la

7:17
seconde phase du BEE a permis à une plus grande partie de la popu-

0.21
lation de bénéficier d’embauches, de formations et de promotions.
cela a pu favoriser l’émergence d’une classe moyenne noire.
cependant, la cosATu (confédération des syndicats sud-africains) 9.16
a émis à l’égard du BEE beaucoup de réserves, dont notamment les
0.17

deux suivantes :
6:16

– le BEE a longtemps servi à créer une petite classe de riches ac-


tionnaires ou entrepreneurs africains sans améliorer le sort des
8565

masses ; la politique de privatisations est aussi vue comme une


façon de favoriser cette nouvelle classe ;
888

– il y a des effets pervers à certains critères du BEE, notamment celui


418:

d’approvisionnement auprès des entreprises noires : bien souvent,


cela revient à favoriser des entrepreneurs qui ne sont pas des in-
0773

dustriels, mais surtout des commerçants et des importateurs, et à


acheter des produits qui sont fabriqués à l’étranger, souvent à des
:211

prix modérés par une basse qualité : par conséquent, cela ne favo-
riserait pas la production et l’emploi sud-africains.
nitra

D’autres critiques ont également été émises en ce qui concerne les


Blancs : avec la mention « AA » portée sur les annonces de recru-
G Ke

tement, les Blancs, souvent les mieux formés, se sont vus écarter de
l’emploi et ceci a poussé une partie de la population blanche (dont
:ENC

beaucoup de personnes très qualifiées) à quitter le pays ; d’autres, au


chômage, sont tombés dans la paupérisation. Aussi, le gouvernement
x.com

avait-il indiqué qu’il infléchirait la politique d’ « affirmative action » en


raison d’un déficit de compétences à haut niveau et un processus de
révision de ces lois a été engagé en 2011.
larvo
.scho
www
170 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

Aujourd’hui, le très fort degré d’inégalités en Afrique du Sud semble


montrer a posteriori que la politique de Black Economic Empowerment
n’était pas une solution universelle et que les craintes de la COSATU étaient
en bonne partie justifiées.
« Le système a montré des résultats pour les postes les plus élevés : se-
lon une étude de “l’Institut sud-africain des relations entre les races”, alors
qu’en 1996 seuls 8 % des dirigeants d’entreprises étaient noirs, en 2016, ils
sont 37 % ».6 Néanmoins, différentes recherches ont montré aussi que « cer-
taines entreprises se contentent d’embaucher une personne noire à un haut
poste juste pour pouvoir cocher les cases (des tableaux d’objectifs), et non
en termes de compétences. Cette personne se retrouve à faire de la figura-
tion mais ne participe pas vraiment aux décisions … Le plafond de verre
prendra donc du temps avant de disparaître ». Aussi, pour l’économiste

0745
Chiedza Madzima, le BEE « devra travailler davantage sur le développe-
ment des compétences afin d’être un jour plus inclusif ».

0026
Et dans une Afrique du Sud aujourd’hui en récession (ou du moins en

7:17
stagnation), selon l’agence nationale de statistiques, au dernier trimestre
2018, le chômage concernait 30,4 % de la communauté noire, alors que

0.21
seuls 7,6 % des travailleurs blancs ne trouvaient pas de travail.

2.2. Stratégie de ressources humaines pour un grand projet en Afrique 9.16


0.17

En raison de la situation du marché du travail en Afrique, il est souvent


difficile de trouver les compétences requises pour un grand projet d’inves-
6:16

tissement, surtout à caractère industriel. Il y a en général une très forte


8565

demande d’emploi, mais qui ne correspond pas souvent aux qualifications


techniques précises ou spécialisées qui sont recherchées.
888

Souvent, le défaut de qualifications pour un grand projet industriel


418:

porte :
• d’abord sur les emplois de construction d’usine ou d’installations
0773

techniques qui requièrent d’autres qualifications que les métiers clas-


siques du bâtiment et des travaux publics : par exemple, des charpentiers
:211

métalliques, des chaudronniers et tôliers, des tuyauteurs et calorifu-


geurs, des soudeurs de diverses spécialités, des frigoristes, des électri-
nitra

ciens de haute tension, des monteurs d’équipements mécaniques et élec-


tromécaniques, des électroniciens, etc. ;
G Ke

• ensuite sur les emplois spécifiques de la production industrielle, qui


:ENC

peuvent être de spécialités très variées selon les secteurs (agro-industrie,


chimie ou métallurgie de diverses technologies, transformation des ma-
tériaux, raffineries, centrales électriques de diverses sources d’énergie,
x.com

pharmacie et cosmétique, …) ;
larvo

6. BARGELES Claire, « Afrique du Sud : un marché du travail encore très segmenté malgré
.scho

la discrimination positive », Les Echos, 3 mai 2019.


www
ADAPTER son MAnAgEMEnT 171

• et même quelquefois pour des emplois de sous-traitance en mainte-


nance mécanique, électrique ou électronique.
Par conséquent, pour ce type d’investissement important, il sera sou-
vent nécessaire de développer une stratégie de formation par quatre volets
complémentaires :
• un soutien au système de formation sectorielle du pays (par exemple,
formation électromécanique) ;
• le recrutement anticipé et le perfectionnement ou la spécialisation
en Europe des futurs cadres et techniciens ;
• la création d’un centre de formation pour les ouvriers dans la nou-
velle entreprise créée en Afrique ;
• l’expatriation de quelques experts pour la formation sur l’emploi

0745
pendant la période de démarrage nécessaire.

0026
Le recrutement sera souvent organisé en trois groupes :
• sur le marché de l’emploi local pour des travailleurs non qualifiés

7:17
afin de satisfaire l’environnement de l’entreprise : c’est souvent indispen-
sable sur le plan social et politique pour répondre à une attente d’emploi

0.21
très forte sur place et éviter des conflits ;

9.16
• sur le marché de l’emploi national pour les travailleurs qualifiés, les
techniciens et les cadres ;
0.17

• sur le marché de l’emploi international pour quelques postes haute-


ment qualifiés ou spécialisés : soit des expatriés de l’entreprise qui inves-
6:16

tit, soit des ingénieurs et cadres de la diaspora africaine dans le pays


8565

investisseur, soit sur le marché au sens le plus large.


On peut signaler, à titre d’exemple de soutien à la formation profession-
888

nelle en Afrique pour les investissements étrangers sur le continent, l’initia-


418:

tive du CIAN (Conseil français des Investisseurs en Afrique). Il a développé


le programme « RH-Excellence Afrique », en partenariat avec l’Agence
0773

française de Développement (AFD) et des établissements de formation pro-


fessionnelle et des entreprises en Afrique. Il vise à soutenir des centres de
:211

formation d’excellence en adéquation avec les besoins de l’économie et de


l’emploi, en certifiant des filières de formation à différents métiers et en
nitra

labellisant des établissements de formation qui travaillent en partenariat


avec des entreprises. Le programme est coordonné à Abidjan.
G Ke

Le cas suivant illustre ces enjeux pour des investissements industriels


:ENC

d’importance.
x.com

Etude de cas en Guinée :


les défis de l’emploi qualifié au pays du miracle géologique
larvo

La guinée a des ressources naturelles considérables. ses ressources


.scho

minérales lui donnent un potentiel très important : premières réserves


www
172 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

mondiales de bauxite (ressource déjà exploitée à grande échelle de-


puis plusieurs décennies), de très importants gisements de minerai de
fer (dont le début d’exploitation est soumis à nombre d’aléas et négo-
ciations depuis une dizaine d’années) ou encore d’or, sans compter les
diamants et d’autres métaux comme l’uranium.
une quinzaine de grands projets miniers et industriels ont été identi-
fiés, dans le secteur de la bauxite et de sa transformation en alumine
dans la région ouest du pays, dans le minerai de fer dans la région
sud-Est et dans l’extension et la modernisation du secteur aurifère dans
la région nord-Est. ces projets comportent des investissements de mil-
liards de dollars, incluant des voies ferrées de centaines de kilomètres
et des ports minéraliers à construire. Les Anglo-saxons et pour une
moindre part les français s’y sont intéressés, mais surtout les chinois

0745
et les Emirats du golfe qui veulent alimenter leur industrie en matières
premières, ainsi que les Russes qui maintiennent leur présence acquise

0026
sous le régime précédent de sékou Touré.
Bouygues a obtenu en 2017 d’Emirates global Aluminium un contrat

7:17
de construction d’infrastructures et d’exploitation minière de la bauxite
pour un volume d’investissement d’un milliard $ et un début d’exploi-

0.21
tation en novembre 2019. La raffinerie d’alumine de friguia a été
relancée en 2018, après 6 ans d’arrêt, par la société RusAL (russe)
avec 2 000 travailleurs guinéens. D’autres contrats ont été signés en 9.16
2017 et 2018 avec la société des Bauxites de guinée (sBg) pour la
0.17

construction et l’exploitation d’une mine de bauxite et d’une raffinerie


d’alumine pour un investissement d’1,4 milliard $. De même, avec le
6:16

consortium sino-singapourien-français sMB Winning (société minière


de Boké) pour une raffinerie d’alumine et une ligne de chemin de fer
8565

(investissement de 3 milliards $).


888

Mais si la filière aluminium continue à se développer pour ses étapes


de bauxite et d’alumine, le projet majeur du pays, la mine de fer de
418:

simandou, représentant un investissement d’au moins 20 milliards $,


reste toujours indécis après de multiples rebondissements, négocia-
0773

tions et recours judiciaires entre l’état guinéen et les majors internatio-


naux du secteur.
:211

ces différents projets sont estimés globalement à 50 000 emplois de


nitra

construction et de l’ordre de 20 000 emplois permanents d’exploita-


tion et de maintenance, sans compter les emplois de sous-traitance
G Ke

et ceux de services, publics ou privés, induits dans l’environnement


des sites industriels. Le principal projet minier de fer, par exemple,
:ENC

ferait travailler 12 000 personnes pendant 4 ans pour la construction,


4 000 pour l’exploitation permanente et 2 000 chez les sous-traitants,
sans compter les emplois induits en termes d’écoles et de services de
x.com

santé, de commerces et d’artisanat, de transports et autres services


pour les salariés et leurs familles.
larvo

c’est en termes d’emplois que se situent des enjeux essentiels et par-


ticulièrement difficiles à traiter. si la demande d’emploi est très forte,
.scho
www
ADAPTER son MAnAgEMEnT 173

elle est rarement qualifiée. Le code minier prévoit des quotas mini-
ma d’emploi guinéen dans les différentes phases d’exploration, de
construction et d’exploitation, selon les catégories de personnels et
selon le stade de maturation de l’exploitation. ces quotas sont en fait
très ambitieux par rapport à la situation actuelle du marché du travail
en guinée.
La majorité de la population adulte reste analphabète, a fortiori dans
les zones rurales d’implantation de ces projets. Dans le secteur indus-
triel, le système de formation professionnelle initiale est très limité aux
niveaux ouvrier qualifié et technicien, malgré les projets de nouveaux
instituts lancés ces dernières années avec des programmes de coopé-
ration internationale. Les établissements d’enseignement professionnel
en place ont souvent des équipements très anciens, hors service, obso-

0745
lètes ou ne pouvant fonctionner faute d’alimentation électrique, et des
formateurs aux qualifications dépassées.

0026
Par ailleurs, le hiatus entre l’idée qu’un travailleur guinéen a de ses
compétences et les exigences d’une entreprise internationale est sou-

7:17
vent très important. que faire alors pour le technicien de salle de
contrôle qui doit suivre sur des ordinateurs des centaines de para-

0.21
mètres physico-chimiques dans une raffinerie d’alumine ? qui fera les
centaines de milliers de points de soudage très techniques sur les rails
des nouvelles voies ferrées prévues pour évacuer les minerais vers un 9.16
0.17
port ?
Pourtant, l’exigence d’emploi national par les autorités du pays et plus
6:16

encore celle d’emploi local par les communautés villageoises sont


très fortes. cette dernière peut s’exprimer, à l’occasion, de façon vio-
8565

lente, les jeunes chômeurs en colère ayant au moins la compétence de


dresser des barrages routiers impromptus et d’incendier les voitures.
888

L’emploi expatrié doit être réduit au minimum possible, même s’il s’agit
418:

d’expatriés de la sous-région (ouvriers qualifiés, techniciens ou ingé-


nieurs sénégalais ou ivoiriens, par exemple).
0773

Le challenge pour les investisseurs internationaux est donc considé-


rable. Il s’agit notamment d’anticiper les emplois nécessaires pour la
:211

construction et pour l’exploitation, de renforcer l’appareil de formation


guinéen en coopération avec l’état et les bailleurs internationaux, de
nitra

créer à l’avance des centres de formation d’entreprise pour les emplois


de technologies spécifiques, et encore d’envoyer en stages lourds à
G Ke

l’étranger les futurs ingénieurs, techniciens et agents de maîtrise dû-


ment sélectionnés.
:ENC
x.com

Il est par ailleurs indispensable pour une entreprise internationale en


Afrique d’établir un programme de « responsabilité sociale et environ-
larvo

nementale » : d’abord les compensations et le relogement avec les infras-


tructures correspondantes quand l’implantation industrielle demande des
.scho

déplacements de villages. Ensuite, des programmes de santé, de prévention


www
174 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

des grandes pathologies et du HIV SIDA et de protection – maladie, l’aide


au développement de la communauté locale, l’alphabétisation et l’éduca-
tion … Ces programmes, parfois confiés à des ONG structurées, demandent
des spécialistes du « développement communautaire ». C’est une condition
importante d’acceptabilité dans le contexte social local et dans le contexte
politique national.

0745
0026
7:17
0.21
9.16
0.17
6:16
8565
888
418:
0773
:211
nitra
G Ke
:ENC
x.com
larvo
.scho
www
0745
CONCLUSION

0026
LA « RENAISSANCE » DE L’AFRIQUE

7:17
0.21
Cette conclusion est écrite à Youpwé, petit village sur l’embouchure du
fleuve Wouri, bordée des deux côtés par la mangrove et la forêt équatoriale, 9.16
et sur laquelle voguent silencieusement les pirogues de pêcheurs éwoudi,
0.17

les habitants initiaux du delta, entre océan, terre ferme et marécages. À


6:16

l’Ouest, directement dans le prolongement de l’estuaire, à une soixantaine


de kilomètres à vol d’oiseau, un triangle noir surgit de l’océan atlantique : le
8565

Pico Basilé, qui surplombe de ses 3 000 m Malabo, la capitale de la Guinée


équatoriale, sur l’île de Bioko. Légèrement plus au Nord, à peu près à la
888

même distance et loin derrière la rive droite de l’estuaire, le sommet du


418:

Mont Cameroun apparaît à 4 100 m au-dessus des nuages.


Le lieu n’a pas la majesté du Kilimandjaro ou des chutes Victoria, mais le
0773

calme du site, à seulement deux kilomètres des embouteillages de Douala,


et la vue d’une nature intégrale, survolée par les aigles pêcheurs, si proche
:211

pourtant de la capitale économique du Cameroun, trépidante, polluée et


nitra

surpeuplée, sont un dépaysement absolu.


G Ke

Ce contraste est à l’image de l’Afrique.


L’Afrique du désert aux larges horizons et celle de la forêt obscure et
:ENC

inextricable, aux cours d’eau assombris par les végétaux qu’ils charrient.
L’Afrique des savanes sèches du Sahel ou l’« Afrique des grands lacs ».
x.com

L’Afrique des grands fleuves, du Nil, du Niger, du Congo, qui forment les
immenses bassins d’ensembles sous-régionaux. L’Afrique des savanes tor-
larvo

rides et celle des sommets enneigés du Haut Atlas, du Drakensberg ou du


Mont Kenya. L’Afrique de l’océan impétueux et de la douceur de ses plages
.scho

au sable chaud.
www
176 LE MANAGEMENT INTERCULTUREL EN AFRIQUE

L’Afrique sensuelle et charnelle, mais parfois violente et cruelle ;


l’Afrique spontanée et naturelle, mais aussi ambiguë, initiatique et secrète ;
« l’Afrique du jour » et « l’Afrique de la nuit » ; l’Afrique du monde visible
et de l’invisible.
À Brazzaville, l’Afrique de la misère et celle de la « sape ». L’Afrique
pauvre des quartiers et bidonvilles de Lagos, de Douala, de Johannesburg
et de Nairobi, où pourtant le dynamisme affleure partout. L’Afrique entre-
preneuriale, par la force de la nécessité ou par l’innovation de la création.
L’entrepreneuriat de Kinshasa, qu’il soit dans les quartiers misérables ou
dans les bureaux chics et climatisés de la Gombe.
L’Afrique de l’apartheid et celle de Desmond Tutu (prix Nobel de la
paix 1984), ensuite président de la commission Vérité et Réconciliation en

0745
Afrique du Sud, ou celle de Nelson Mandela (prix Nobel de la paix 1993) ;

0026
l’Afrique des dictateurs et celle du diplomate Kofi Annan, Secrétaire général
de l’ONU (prix Nobel de la paix 2001) ; l’Afrique des mutilations sexuelles

7:17
et des viols de guerre, et celle du Docteur Denis Mukwege, « l’homme qui
répare les femmes » (prix Nobel de la paix 2018) ; l’Afrique des conflits eth-

0.21
niques et celle d’Abiy Ahmed, Premier ministre éthiopien, réconciliateur
de l’Ethiopie et de l’Erythrée, pacificateur des Amhara et des Oromo (prix
Nobel de la paix 2019). 9.16
0.17
Il y a cinquante ans, le grand ethnologue Georges Balandier avait déjà
attiré l’attention sur l’ « Afrique ambiguë »1, alors que démarraient les nou-
6:16

veaux États indépendants et commençait l’exode rural vers les grandes


8565

villes. Les points de repère d’ensemble, les grands traits communs à l’Afrique
peuvent être confirmés par des modèles plus récents comme celui d’Evalde
888

Mutabazi, qui a l’avantage d’être très synthétique, ou les analyses approfon-


dies d’Emmanuel Kamdem ou d’Eric de Rosny. Les uns et les autres font le
418:

lien entre les traditions de la « vieille Afrique » et les pratiques des sociétés
et entreprises modernes. Il apparaît ainsi un large fond culturel commun à
0773

l’Afrique, malgré l’étendue de ses diversités.


:211

Mais il y a aussi aujourd’hui, comme le pressentait Georges Balandier,


un très grand métissage d’influences. L’imbrication des groupes ethnolin-
nitra

guistiques en présence, surtout avec l’exode rural dans les grandes villes, le
G Ke

syncrétisme religieux, l’appropriation par les États indépendants des ins-


titutions et des infrastructures coloniales et leur « hybridation », le bilin-
:ENC

guisme euro-africain ou arabo-africain, l’irruption en Afrique des nou-


velles puissances émergentes extérieures au continent (Chine, Inde, Brésil,
Turquie, …) et de leurs cultures, l’appropriation foudroyante des nouvelles
x.com

technologies d’information et de communication, l’impact de la mondiali-


sation économique … sont autant de facteurs de ce métissage multi-facettes
larvo

et multiculturel. Mais il est riche de fécondations successives.


.scho

1. BALANDIER Georges, Afrique ambiguë, Terre Humaine, Plon, 1969.


www
CONCLUSION 177

Dans ce qui peut apparaître un maelström, il est parfois difficile pour


les Africains de s’y retrouver eux-mêmes, surtout dans les grandes villes,
pour les jeunes au chômage ou ceux qui ont moins de solidité intellectuelle
ou de discernement. Comme en Europe, ils peuvent devenir la proie des
modes commerciales, des rumeurs invraisemblables ou « complotistes »,
des manipulations politiques, colportées sur internet et les réseaux sociaux,
des sectes, voire des groupes dits « terroristes » (ils le sont parfois), … en y
ajoutant en Afrique les sorciers et les milices armées, qui enrôlent parfois
des « enfants-soldats ».
Mais les auteurs africains contemporains nous montrent que la sagesse
de « la vieille Afrique » est toujours bien vivante sous les influences exté-
rieures, et peut-être aussi parce qu’elle est perçue comme un recours face aux
difficultés modernes. L’Afrique naturelle et résiliente en face d’un Occident

0745
qui s’enfonce trop souvent dans les artifices, la manipulation de la vie et la
dénatalité, voire la peur de l’étranger qui confine parfois à la paranoïa ...

0026
Evidemment, l’Afrique est bien « entrée dans l’histoire », non seulement

7:17
parce que son histoire ancienne est de mieux en mieux connue, non seu-
lement parce que ces soixante dernières années d’indépendance ont été

0.21
tumultueuses, mais aussi parce qu’elle est entrée dans l’innovation, numé-
rique ou artistique, et dans l’entrepreneuriat, allant de l’entreprise indi-
viduelle de survie au groupe multinational de ciment, de phosphates, de 9.16
0.17
banque, de transport aérien, d’hôtellerie, de télécommunications …
Un certain nombre de valeurs fondamentales soutiennent le continent :
6:16

la famille, la solidarité communautaire, le primat de la relation, la convivia-


lité, le respect des anciens et de la sagesse, la réflexion spirituelle, la résis-
8565

tance à l’adversité et à la souffrance, l’acceptation (voire le goût) du risque ...


De tout cela, émergent une formidable énergie, une vitalité surprenante,
888

ou une fécondité qui traduit ses valeurs tout en commençant maintenant à


418:

assagir sa natalité …
Débarrassée des oripeaux du colonialisme et, de plus en plus, des dic-
0773

tatures de la période des indépendances, s’appuyant sur une démographie


forte qui contraste avec la faiblesse de celle de l’Europe, l’Afrique renaît et
:211

prend sa place dans le monde.


nitra

Cette « Renaissance » est la conquête progressive de la démocratie, la


conquête de la modernité par un saut technologique du secteur primaire
G Ke

au secteur numérique et à celui des énergies renouvelables, la conquête dé-


mographique, attendue à 40 % environ de la population mondiale en 2100,
:ENC

juste derrière l’Asie.


x.com

Elle demande aussi une « renaissance » des relations entre Européens et


Africains par un management interculturel adapté. Il est temps de s’inté-
resser au continent : c’est une terre d’opportunités multiples, pourvu qu’on
larvo

y aille d’égal à égal !


.scho
www
0745
BIBLIOGRAPHIE

0026
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0026
7:17
0.21
9.16
0.17
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418:
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:211
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Compétences des dirigeants et performance

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7:17
Cet ouvrage revient sur les éléments fon-

0.21
damentaux pour comprendre l’accompa-
gnement des entreprises de petite taille et
présente le contenu des principaux courants 9.16
théoriques traitant des liens possibles entre les
0.17

compétences des entrepreneurs, leur accom-


pagnement et la performance des entreprises
6:16

de petite taille. Rédigés par dix enseignants-


8565

chercheurs d’universités et de grandes écoles,


les chapitres présentent les résultats des études
qualitatives et quantitatives sur les compé-
888

tences et la performance des entreprises de


418:

petite taille au Cameroun et au Sénégal, ainsi


qu’une note de politique adressée aux pouvoirs publics ainsi qu’aux struc-
0773

tures d’accompagnement en Afrique.


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0.21
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années, visent à améliorer la performance

9.16
des entreprises par une approche « Valeur ».
Certaines ont révolutionné leur domaine
0.17
d’application.
6:16

Derrière les spécificités de chaque domaine


d’application, un certain nombre de points
8565

communs semblent leur apporter leur spéci-


ficité et leur efficience.
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9.16
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