Vous êtes sur la page 1sur 9

Journal de Mycologie Médicale 15 (2005) 211–219

http://france.elsevier.com/direct/mycmed/

ARTICLE ORIGINAL/ORIGINAL ARTICLE

Activité antifongique d’une souche


d’Actinomadura d’origine saharienne
sur divers champignons pathogènes et toxinogènes
Antifungal activity of a saharan Actinomadura
strain against various pathogenic
and toxinogenic fungi
B. Badji a, A. Riba b, F. Mathieu c, A. Lebrihi c, N. Sabaou a,*
a
Laboratoire de recherche sur les produits bioactifs et valorisation de la biomasse,
école normale supérieure de Kouba, BP 92, 16 050 Vieux-Kouba, Alger, Algérie
b
Faculté des sciences biologiques et agronomiques, université Mouloud-Mammeri, Tizi-ouzou, Algérie
c
Laboratoire de génie chimique UMR 5503 (CNRS/INPT/UPS), école nationale supérieure agronomique
de Toulouse, INPT, 1, avenue de l’Agrobiopôle, BP 107, F31326 Castanet-Tolosan cedex, France
Reçu le 16 mai 2005 ; accepté le 4 juillet 2005

Disponible sur internet le 15 septembre 2005

MOTS CLÉS Résumé


Antifongique ; Objectif. – Étude de l’activité antifongique d’une souche d’actinomycète nommée AC
Actinomadura ; 170, isolée à partir du sol de la palmeraie d’Adrar, oasis du Sud-Ouest algérien.
Sol saharien ; Méthodes. – Sur la base des caractéristiques morphologiques et chimiques, la souche AC
Champignons
170 étudiée est rattachée au genre Actinomadura. Elle a la particularité de ne pousser
pathogènes
que sur des milieux solides. La production d’antibiotiques est testée sur cinq milieux.
L’activité antimicrobienne est meilleure sur les milieux GYEA (Glucose–extrait de levure
agar) et ISP1 (Tryptone–extrait de levure agar). L’extrait butanolique est testé vis-à-vis de
11 souches fongiques pathogènes et toxinogènes dont Candida albicans et sept espèces
d’Aspergillus.
Résultats. – Les résultats obtenus montrent que l’activité antifongique produite par cette
souche est très importante. Une seule zone active est localisée par bioautographie. Le
spectre UV-visible de l’extrait butanolique montre l’absence de polyènes. Les réactions
chromogéniques laissent supposer que la molécule active est de nature aromatique.
Conclusion. – L’ensemble de ces données préliminaires permet de penser que l’antifon-
gique produit par la souche AC 170 est un composé aromatique. Son identification est en
cours.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : sabaou@yahoo.fr (N. Sabaou).

1156-5233/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi: 10.1016/j.mycmed.2005.07.001
212 B. Badji et al.

Abstract
KEYWORDS Objective. – Study of the antifungal activity of an actinomycete strain AC 170 isolated
Antifungal drugs; from a Saharan palm grove soil collected at Adrar, South-West Algeria.
Actinomadura; Methods. – Based on morphological and chemical characteristics, the isolate studied was
Saharan soil;
identified as Actinomadura sp. This strain grew only on the solid media. Antibiotic
Pathogenic fungi
production was tested on five solid culture mediums. The GYEA (Yeast extract-glucose
agar) and ISP1 (tryptone-yeast extract agar) media enabled satisfactory production. The
butanolic extract was tested against 11 pathogenic and toxinogenic fungi including
Candida albicans and seven Aspergillus species.
Results. – The results showed a strong antifungal activity of the strains studied against all
the species tested. Chromatographic bioassay revealed that the crude butanolic extract
contained one active compound.
Conclusion. – The UV–visible spectrum and the chromogenic reactions of this active
compound suggested a non-polyenic nature and probably aromatic structure. Investiga-
tion of this molecule is now in progress.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction tirésistances, l’industrie pharmaceutique et les


chercheurs se sont tournés vers la recherche de
nouveaux antifongiques plus performants et moins
Les champignons microscopiques sont responsables
agressifs pour l’organisme. La grande majorité des
d’un grand nombre d’affections chez l’homme, les
antifongiques naturels est d’origine microbienne et
animaux et les végétaux. Ils sont aussi la cause de
près de la moitié est synthétisée par les actinomy-
nombreux dégâts occasionnés aux bois, aux pro-
cètes, en particulier par les Streptomyces, le genre
duits agricoles, aux denrées alimentaires et à divers
supports [5]. le plus répandu dans l’environnement [9]. Les re-
cherches actuelles tiennent beaucoup plus compte
Les mycoses ont augmenté de façon drastique au des actinomycètes peu fréquents ou rares, prove-
cours de la dernière décennie et se classent au nant de diverses niches écologiques ignorées ou peu
quatrième rang des infections nosocomiales [3]. exploitées. Ces actinomycètes, dits « rares » dont
Elles peuvent être superficielles ou profondes et le genre Actinomadura, se sont révélés être une
dans ce dernier cas, elles sont responsables d’un source intéressante d’antibiotiques [16,19].
taux de mortalité important chez les patients aux
défenses immunologiques diminuées. Près de 90 % Nos travaux précédents ont montré la richesse
des mycoses humaines sont provoquées par des des sols sahariens d’Algérie en actinomycètes d’ha-
espèces appartenant aux genres Aspergillus, Can- bitude rarement ou peu fréquemment isolés de par
dida, Cladosporium, Epidermophyton, Microspo- le monde [23]. Ainsi, plusieurs dizaines de souches
rum et Trichophyton [12]. Candida albicans et cer- autres que Streptomyces furent isolées à partir de
taines espèces d’Aspergillus telles que A. ces sols en utilisant des méthodes sélectives mises
fumigatus, A. flavus ainsi que A. niger, A. nidulans au point [24,27].
et A. terreus sont responsables de la majorité des Le présent travail a pour objectif d’étudier l’ac-
mycoses invasives [6,7]. tivité antifongique d’une souche d’actinomycète
Les métabolites fongiques tels les mycotoxines rare d’origine saharienne contre plusieurs champi-
[10] et les composés organiques volatils [14] sont gnons pathogènes et toxinogènes.
également susceptibles d’entraîner de nombreux
effets nocifs sur la santé des individus.
Les molécules antifongiques disponibles à Matériel et méthodes
l’heure actuelle ne réunissent pas les critères défi-
nissant l’antibiotique idéal : toxicité spécifique
vis-à-vis du champignon pathogène, bonne diffu- Souche d’actinomycète étudiée et germes
sion dans l’organisme, large spectre d’activité in cibles
vivo, absence de problèmes liés à l’apparition de
souches résistantes et absence d’effets secondaires L’échantillon de sol (non rhizosphérique) provient
[15]. d’Adrar, une oasis du Sud-Ouest algérien. Les ana-
Au vu de l’éventail restreint des molécules utili- lyses physicochimiques ont montré que ce sol est
sées en fongithérapie et avec l’apparition des mul- légèrement alcalin (pH = 7,6), pauvre en carbone
Activité antifongique d’Actinomadura sp. sur des champignons pathogènes et toxinogènes 213

(1,07 %), moyennement salé (conductivité électri- (amidon–sels minéraux–agar) recommandés par
que au 1/5 = 2,70 ms) et de texture limonosa- Shirling et Gottlieb [25], ainsi que GYEA (extrait de
bleuse. levure–glucose–agar) préconisé par Athalye et al.
La souche a été isolée sur milieu « chitine-vita- [1]. Les caractéristiques micromorphologiques sont
mines B » de Hayakawa et Nonomura [11], addi- déterminées au microscope optique et au micros-
tionné de pénicilline (25 mg/l), de cyclosérine cope électronique à balayage (Stereoscan S240
(10 mg/l) et d’acide nalidixique (20 mg/l). Deux Cambridge).
antifongiques, la nystatine à 30 mg/l et l’actidione
à 50 mg/l, sont ajoutés afin d’inhiber tout dévelop- Analyse chimique des constituants cellulaires
pement fongique. La méthode d’ensemencement L’analyse chimique des constituants cellulaires est
utilisée est celle des suspensions–dilutions. Les boî- effectuée selon la méthode préconisée par Becker
tes ensemencées sont incubées à 28 °C durant trois et al. [2] pour la détermination de l’isomère de
semaines. l’acide diaminopimélique (formes LL ou DL) et la
Les germes cibles utilisés pour la mise en évi- présence ou non de glycine, la technique de Leche-
dence de l’activité antimicrobienne de la souche valier et Lechevalier [17] pour la mise en évidence
étudiée sont les suivants : des champignons fila- des sucres et la méthode de Minnikin et al. [22]
menteux (Alternaria sp., Ascochyta lentis, A. pisi, pour la caractérisation des phospholipides.
Aspergillus sp., Botrytis fabae, B. cinerea, Clados-
porium sp. Fusarium culmorum, F. equiseti, Activité antimicrobienne, production
F. oxysporum f. sp. albedinis, Mucor ramannianus, et extraction des principes actifs
Phoma sp. et Pythium irregulare), des levures de la souche d’actinomycète étudiée
(Rhodotorula mucilaginosa et Saccharomyces cere-
visiae) et des bactéries à coloration de Gram posi- Mise en évidence de l’activité antimicrobienne
tive (Bacillus subtilis et Micrococcus luteus) ou
négative (Alcaligenes faecalis, Escherichia coli, L’activité antimicrobienne de l’isolat AC 170 est
Pseudomonas fluorescens et Pseudomonas aerugi- mise en évidence par la méthode des stries croisées
nosa). sur milieu ISP2. Vingt et un germes cibles ont été
utilisés, dont 13 champignons filamenteux, deux
Les germes cibles utilisés pour tester l’activité levures et six bactéries.
de l’extrait organique sont des champignons patho-
gènes et toxinogènes : une levure (Candida albi-
cans) et dix champignons filamenteux : Aspergillus Choix du milieu de production des activités
(A. candidus, A. carbonarius, A. fumigatus, A. ni- antimicrobiennes
ger, A. ochraceus, A. terreus et Aspergillus. sp.), La production d’antibiotiques a été entreprise sur
Penicillium (Penicillium sp. no 1 et no 2) et Fusa- milieux solides. Afin de déterminer le meilleur,
rium oxysporum f. sp. albedinis. Ces microorganis- cinq milieux ont été testés : ISP1 (tryptone : 5 g/l,
mes (collection de notre laboratoire) sont ense- extrait de levure : 3 g/l), ISP2 (extrait de levure :
mencés dans le milieu de culture de telle sorte à 4 g/l ; extrait de malt : 10 g/l ; glucose : 4 g/l),
avoir un inoculum de 104 ufc/ml. C. albicans et A. GYEA (extrait de levure : 10 g/l, glucose : 10 g/l),
fumigatus sont pathogènes pour l’homme et F. Bennett (peptone : 2 g/l, extrait de viande :1 g/l,
oxysporum f. sp. albedinis est pathogène pour le extrait de levure : 1 g/l, glucose : 10 g/l) et gélose
palmier dattier. Les souches d’A. carbonarius et nutritive (peptone : 5 g/l, extrait de levure : 5 g/l,
surtout d’A. ochraceus sont, d’après nos expérien- NaCl : 5 g/l). Le pH a été ajusté à 7,2 et chaque
ces (résultats non publiés), fortement productrices milieu a été additionné d’agar à raison de 16 g/l.
d’ochratoxine A. L’actinomycète est ensemencé en touche de
10 mm de diamètre, au centre d’une boîte de pétri
Identification de la souche d’actinomycète contenant l’un des milieux gélosés. Après dix jours
étudiée d’incubation à 28 °C, les cultures sont recouvertes
par 8 ml de milieu ISP2 contenant 10 g/l d’agar,
préalablement ensemencé avec un germe cible (un
Caractéristiques culturales champignon, Mucor ramannianus ou une bactérie,
et micromorphologiques Bacillus subtilis). Après solidification de la
Les caractéristiques morphologiques sont détermi- deuxième couche, les boîtes sont réincubées à
nées sur les milieux ISP1 (tryptone–extrait de levu- 28 °C et la taille des zones d’inhibition est mesurée
re–agar), ISP2 (extrait de levure–extrait de mal- en mm après 24 heures pour la bactérie et 48 heu-
t–glucose–agar), ISP3 (farine d’avoine–agar) et ISP4 res pour le champignon.
214 B. Badji et al.

Choix du solvant d’extraction et cinétique phie sur couches minces de gel de silice GF254
de production des antibiotiques (Fluka).Vingt-cinq microlitres d’un échantillon pro-
Afin de choisir le meilleur solvant d’extraction, la venant du meilleur milieu de production extrait par
souche AC 170 est ensemencée en stries très ser- le meilleur solvant sont déposés sur la plaque de gel
rées à la surface du meilleur milieu de production de silice. Les systèmes de solvants utilisés pour la
d’antifongiques, coulé dans des boîtes de pétri de migration sont les suivants : B.A.E : N-butanol–
9 cm de diamètre. Après trois semaines de culture à acide acétique–eau (3 :1 :1, v/v), AM : acétate
28 °C, le milieu contenu dans une seule boîte est d’éthyle-méthanol (100 :15, v/v) et E.A.E : éthano-
découpé en petits cubes lesquels sont placés dans l–ammoniaque–eau (8 :1 :1, v/v). Après développe-
un Erlenmeyer contenant 40 ml d’un des solvants ment, les plaques sont recouvertes de milieu
organiques suivants : N-hexane, dichlorométhane, ISP2 contenant 8 g/l d’agar, préalablement ense-
N-butanol et acétate d’éthyle. L’extraction est ef- mencé avec un germe cible (M. ramannianus ou
fectuée sous agitation pendant deux heures à tem- B. subtilis). La lecture des résultats consiste en la
pérature ambiante. L’extrait organique obtenu est détection des zones d’inhibition des germes cibles
filtré puis évaporé sous vide à 45 °C à l’aide d’un et au calcul de leur Rapport frontal (Rf).
évaporateur rotatif. Le résidu sec est ensuite repris Les révélations chimiques sont réalisées parallè-
dans 5 ml de méthanol et l’activité antimicrobienne lement aux bioautographies sur des chromato-
est évaluée en utilisant des disques de papiers de grammes développés dans les mêmes conditions.
6 mm de diamètre (50 ll contre M. ramannianus et Les révélateurs utilisés [20] sont les suivants : la
25 ll contre B. subtilis). Les disques imbibés sont ninhydrine, le naphtorésorcinol–H2SO4, la nitro-4-
stérilisés aux ultraviolets durant 15 minutes et dé- aniline, la vanilline–H2SO4, le chlorure de fer ferri-
posés à la surface du milieu ISP2 préensemencé que (FeCl3) et la formaldéhyde–H2SO4.
avec le germe cible. Les boîtes sont ensuite mises à
4 °C pendant deux heures puis incubées à 28 °C. Le Spectre UV-visible
diamètre des auréoles d’inhibition est mesuré
après 24 et 48 heures. Le spectre UV-visible de l’extrait butanolique est
réalisé à l’aide d’un spectrophotomètre Shimadzu
Une cinétique de production de la souche a été UV- 1605.
suivie pendant 25 jours sur le milieu solide choisi.
Ainsi, le milieu contenu dans une boîte de pétri est
prélevé quotidiennement pour être extrait par le
meilleur solvant organique. Les activités sont me- Résultats
surées par la méthode des disques (méthode dé-
crite ci-dessus).
Identification de la souche d’actinomycète
étudiée
Activité de l’extrait organique contre
des germes pathogènes et toxinogènes
Caractéristiques culturales
Le meilleur solvant d’extraction est utilisé pour et micromorphologiques
extraire les cultures contenues dans cinq boîtes de
pétri (100 ml de milieu au total) et poussant sur le L’isolat AC 170 a la particularité d’avoir une crois-
meilleur milieu de production. L’extrait organique sance assez lente. Le diamètre des colonies n’at-
est séché au rotavapor puis solubilisé dans 5 ml de teint que 3 à 5 mm après 15 à 20 jours d’incubation
méthanol. Les activités sont alors mesurées par la à 28 °C. La croissance est meilleure sur GYEA et
méthode des disques tel que décrit précédemment, ISP1, moindre sur ISP2 et ISP3 et faible sur ISP4. Le
en mettant 50 ll d’extrait par disque. Les lectures mycélium aérien, de couleur blanche, est peu pro-
sont effectuées après 48 heures d’incubation à duit et uniquement sur le milieu ISP3. Des pigments
28 °C en mesurant le diamètre d’inhibition. diffusibles de couleur brune sont sécrétés sur les
milieux et sont particulièrement abondants sur
GYEA et ISP2.
Essais de caractérisation de(s) principe(s)
actif(s) Du point de vue micromorphologique, la souche
AC 170 produit un mycélium du substrat non frag-
menté surmonté par un mycélium aérien où l’on
Localisation des activités par bioautographie note la présence de chaînes de spores (3 à 10 par
et révélations chimiques chaîne) portées par de courts sporophores. Les
La localisation des taches actives a été réalisée par chaînes sont droites ou disposées en crochets, en
bioautographie [4] sur des plaques de chromatogra- boucles ou en spires (un à deux tours). Les spires
Activité antifongique d’Actinomadura sp. sur des champignons pathogènes et toxinogènes 215

Tableau 1 Activité antimicrobienne de la souche Actinoma-


dura sp. AC 170.
Table 1 Antimicrobial activity of Actinomadura spp. strain
AC 170.
Germes cibles Inhibition (mm)
• Champignons filamenteux
Alternaria sp. 18
Ascochyta lentis 43
Ascochyta pisi 42
Aspergillus sp. 20
Botrytis fabae 42
Botrytis cinerea 12
Cladosporium sp. 31
Fusarium culmorum 31
F. equiseti 26
Figure 1 Observation par microscopie électronique à balayage F. oxysporum f.sp. albedinis 9
de la micromorphologie de la souche Actinomadura sp. AC Mucor ramannianus 21
170 poussant sur milieu ISP3. Courtes chaînes de spores à surface Phoma sp. 45
rugueuse arrangées en crochets et en spirales. Pythium irregulare 14
Figure 1 SEM observation of micromorphology of the strain • Levures
Actinomadura spp. AC 170 grown on ISP3 medium. Rhodotorula mucilaginosa 5
Saccharomyces cerevisiae 18
peuvent parfois confluer pour former des masses • Bactéries à Gram positif
globuleuses. Une observation au microscope élec- Bacillus subtilis 34
tronique à balayage montre des spores ovoïdes à Micrococcus luteus 27
surface rugueuse (Fig. 1). * La souche n’est pas active contre les bactéries à coloration
de Gram négative suivantes : Alcaligenes faecalis, Escheri-
chia coli, Pseudomonas fluorescens et Pseudomonas
Analyse chimique des constituants cellulaires
aeruginosa.
Les résultats des analyses des constituants cellulai-
res ont montré que l’isolat AC 170 contient dans sa mucilaginosa (entre 5 et 9 mm). Concernant l’acti-
paroi de l’acide diaminopimélique sous la forme vité antibactérienne, la souche est fortement ac-
isomérique DL (meso DAP) mais pas de glycine. Le
tive contre les deux bactéries à coloration de Gram
sucre caractéristique présent en quantité impor-
positif testées mais inactive contre les quatre bac-
tante dans les cellules est le madurose (ou
téries à coloration de Gram négatif.
3-O-methylgalactose). Les phospholipides azotés
(phosphatidyl–éthanolamine et phospholipides
contenant de la glucosamine) sont absents. Choix du milieu de production des activités
antimicrobiennes
Activité antimicrobienne, production La souche AC 170 a la particularité de ne pas croître
et extraction des principes actifs dans les milieux liquides. En effet, lors d’expérien-
ces préliminaires, plusieurs milieux liquides, com-
de la souche d’actinomycète étudiée
plexes et synthétiques, en conditions agitées ou
non, ont été utilisés à cet effet, mais sans succès.
Mise en évidence de l’activité antimicrobienne
Les activités aussi bien antifongiques qu’antibac-
Les résultats des tests d’antagonisme ont révélé tériennes sont décelées sur les cinq milieux testés,
une importante activité antimicrobienne de la sou- avec cependant, une meilleure production, pour les
che, en particulier contre les champignons filamen- milieux GYEA et ISP1. Le milieu GYEA a été retenu
teux (Tableau 1). En effet, son activité est très en tant que milieu de production (Fig. 2).
forte contre les deux espèces d’Ascochyta, Phoma
sp., Botrytis fabae, Fusarium culmorum et Clados-
porium sp. (zones d’inhibition comprises entre Choix du solvant d’extraction et cinétique
31 et 45 mm), forte contre Fusarium equiseti, M. de production des antibiotiques
ramannianus, Aspergillus sp., Alternaria sp. et Sac- La Fig. 3 montre les activités antimicrobiennes
charomyces cerevisiae (entre 18 et 30 mm), extractibles avec différents solvants non miscibles
moyenne contre Botrytis cinerea et Pythium irre- avec l’eau. C’est dans l’extrait butanolique que les
gulare (entre 10 et 14 mm) et faible contre Fusa- activités contre M. ramannianus et B. subtilis sont
rium oxysporum f. sp. albedinis et Rhodotorula les meilleures. Le N-butanol a été donc choisi
216 B. Badji et al.

Figure 4 Cinétique de production des activités antimicrobiennes


Figure 2 Production d’antibiotiques par la souche Actinomadura de la souche Actinomadura sp. AC 170 sur milieu solide GYEA. La
sp. AC 170 sur différents milieux solides. Les valeurs des activi- mesure des diamètres d’inhibition vis-à-vis de Mucor ramannia-
tés représentent les diamètres d’inhibition vis-à-vis de Mucor nus (M.r.) et de Bacillus subtilis (B.s.) est effectuée par la
ramannianus (M.r.) et de Bacillus subtilis (B.s.), y compris le méthode des disques en papier (50 ll d’extrait par disque pour
diamètre des colonies de la souche AC 170 (10 mm). M.r. et 25 ll pour B.s.). Les valeurs représentent les diamètres
Figure 2 Antibiotic production of Actinomadura spp. AC 170 on d’inhibition en mm, y compris celui des disques qui est de 6 mm.
various culture media. Figure 4 Time course of antibiotic production of Actinomadura
spp. strain AC 170 on GYEA solid medium.

che. Cependant les souches d’Aspergillus, en parti-


culier A. ochraceus, A. fumigatus et Aspergillus.
sp., ainsi que les souches de Penicillium, sont les
plus sensibles (zones d’inhibition de 37 à 42 mm).
L’activité contre Candida albicans est également
importante (21 mm) même si elle reste inférieure à
celles obtenues pour les espèces d’Aspergillus, de
Penicillium et de Fusarium. Les activités restent
stables après un mois ; aucune diminution du dia-
mètre des zones d’inhibition n’a été constatée.
Figure 3 Choix du solvant d’extraction des activités antibioti-
ques produites sur milieu GYEA solide par la souche Actinoma- Essais de caractérisation de(s) principe(s)
dura sp. AC 170. Les valeurs représentent les diamètres d’inhi-
bition en mm (y compris celui du disque qui est de 6 mm)
actif(s)
vis-à-vis de Mucor ramannianus (M.r.) et de Bacillus subtilis
(B.s.). Localisation des activités par bioautographie
Figure 3 Choice of extraction solvent of antibiotics produced by
Actinomadura spp. strain AC 170 on GYEA solid medium.
et révélations chimiques
Hex = n-hexane ; DM = dichlorométhane ; But = n-butanol ; La révélation microbiologique de l’extrait butano-
AE = acétate d’éthyle. lique nous a permis de mettre en évidence une
seule tache active sur les trois systèmes de solvants
comme solvant d’extraction pour suivre l’évolution utilisés. Cette tache, de couleur brun-orange à
de l’activité antimicrobienne en fonction du temps. l’œil nu, sombre à 254 nm et orange vif à 365 nm,
La cinétique de production a ainsi été réalisée est douée d’une forte activité antifongique (le dia-
sur le milieu GYEA. L’extraction des substances mètre de l’auréole d’inhibition est de 28 mm) et
actives est effectuée par le N-butanol et les zones antibactérienne (le diamètre de l’auréole d’inhibi-
d’inhibition ont été mesurées par la méthode des tion est de 35 mm). Son Rf est de 0,65 sur BAE,
disques de papier. Les activités antifongiques et 0,51 sur EAE et 0,13 sur AM.
antibactériennes n’apparaissent qu’au sixième jour Les tests des réactions chromogéniques effec-
d’incubation (Fig. 4). Elles augmentent progressi- tués sur BAE sont négatifs pour la ninhydrine, le
vement pour atteindre leurs maxima au 21e jour et naphtorésorcinol–H2SO4 et la vanilline–H2SO4 et po-
restent plus ou moins stables par la suite. sitifs pour le FeCl3, la nitro-4-aniline et le
formaldéhyde–H2SO4. La tache active devient brun
Activité de l’extrait organique contre très foncé en présence de FeCl3, orange vif avec la
des germes pathogènes et toxinogènes nitro-4-aniline et se décolore en présence de
formaldéhyde–H2SO4.
Les résultats des tests antibiographiques de l’ex-
trait butanolique vis-à-vis des germes cibles patho-
gènes et toxinogènes, sont présentés dans la Fig. 5. Spectre UV-visible
Les 11 germes pathogènes testés sont tous sensibles Le spectre UV-visible de l’extrait butanolique brut
à l’effet des antibiotiques produits par cette sou- n’a pas montré les pics d’absorption caractéristi-
Activité antifongique d’Actinomadura sp. sur des champignons pathogènes et toxinogènes 217

Figure 5 Activité antifongique de l’extrait butanolique de la souche Actinomadura sp. AC 170 vis-à-vis des champignons pathogènes
et toxinogènes. Cinquante microlitres d’extrait brut sont déposés par disque. Les valeurs représentent les diamètres d’inhibition en
mm, y compris celui des disques qui est de 6 mm.
Figure 5 Antifungal activity of butanolic extract of Actinomadura spp. strain AC 170 against various pathogenic and toxinogenic fungi.
Aspergillus candidus (A. can) ; A. carbonarius (A. car) ; A. fumigatus (A. fum) ; A. niger (A. nig) ; A. ochraceus (A. och) ; A. terreus
(A. ter) et Aspergillus sp. (A. sp.) ; Candida albicans (C. alb) ; Fusarium oxysporum f. sp. albedinis (Foa) ; Penicillium sp. no 1 (Pen
1) et Penicillium sp. no 2 (Pen 2).

ques des polyènes. Les maxima d’absorption sont nant de la glucosamine. Cela permet de déduire
obtenus à 210, 262,5 et 326 nm (Fig. 6). que la souche AC 170 possède des phospholipides de
type PI selon Lechevalier et al. [18]. Ces données,
ainsi que les caractéristiques morphologiques de la
souche (courtes chaînes de spores sur le mycélium
Discussion aérien) nous permettent de rattacher cette der-
nière au genre Actinomadura [21].
L’utilisation du milieu « chitine-vitamines B » addi- En ce qui concerne la production d’antibioti-
tionné de pénicilline comme antibiotique sélectif ques, des exemples de souches d’actinomycètes
nous a permis d’isoler à partir d’un échantillon de poussant sur milieux liquides mais ne produisant
sol saharien une souche d’actinomycète nommée pas de substances actives, ont été rapportés par
AC 170. L’étude chimiotaxonomique de cette sou- certains auteurs [13,26]. Ces derniers ont remarqué
che a montré que celle-ci possède dans ses cellules que la production apparente ne se fait que sur
l’isomère DL de l’acide diaminopimélique (sans gly- milieux solides et le passage aux milieux liquides
cine) et du madurose comme sucre caractéristique. pose quelquefois des problèmes quant à la produc-
Ce résultat correspond au chimiotype III B défini par tion d’antibiotiques. Ils expliquent cela par le fait
Lechevalier et Lechevalier [17]. De plus, l’analyse que la répartition des nutriments dans les milieux
des phospholipides membranaires a montré l’ab- liquides varie avec le temps de fermentation alors
sence de phospholipides azotés tels que la phospha- que leur distribution autour des colonies poussant
tidyl–éthanolamine et des phospholipides conte- sur les milieux solides ne varie pas ou varie très

Figure 6 Spectre UV-visible de l’extrait butanolique brut de la souche Actinomadura sp. AC 170.
Figure 6 UV-visible spectrum of butanolic extract of Actinomadura spp. strain AC 170.
218 B. Badji et al.

peu. Cependant, nous sommes en présence d’un molécules polyéniques sont indésirables dans les
cas très différent puisque la souche AC 170 a la programmes de screening de nouvelles molécules
particularité de ne pas croître dans les milieux antifongiques en raison des problèmes liés à leur
liquides, aussi bien complexes que synthétiques et toxicité, à leur instabilité et à leur mauvaise solu-
dans n’importe quelles conditions (aération, tem- bilité.
pérature, pH, lumière, etc.). Ce phénomène n’a L’ensemble de ces données préliminaires nous
jamais été signalé chez les actinomycètes. Le résul- permet de penser que l’antibiotique produit par la
tat que nous avons obtenu est toutefois intéressant souche AC 170 est un aromatique. La purification et
car il pourrait supposer une éventuelle originalité la détermination de la structure de cet antibiotique
de la souche AC 170 du point de vue espèce (à antifongique sont en cours de réalisation.
confirmer ultérieurement par des études molécu-
laires).
La production d’antibiotiques de la souche AC
170 est très importante sur les milieux gélosés Références
testés, les meilleurs étant les milieux GYEA et ISP1.
Il faut signaler toutefois que nous nous sommes [1] Athalye M, Goodfellow M, Lacey J, White RP. Numerical
contentés dans ce travail, d’une recherche empiri- classification of Actinomadura and Nocardiopsis. Int J Syst
que de milieux menant à une production accepta- Bacteriol 1985;35:86–98.
ble d’antibiotiques. Une étude d’optimisation des [2] Becker B, Lechevalier MP, Gordon RE, Lechevalier HA.
milieux de production devrait être menée s’il Rapid differentiation between Nocardia and Streptomyces
by paper chromatography of Whole cell hydrolysates. J
s’avère que les antibiotiques produits sont nou-
Appl Microbiol 1964;12:421–3.
veaux.
[3] Beck-Sagué C, Jarvis WR. Secular trends in the epidemiol-
Même si la souche AC 170 ne pousse pas en milieu ogy of nosocomial fungal infections in the United States
liquide, cela ne représente pas un handicap pour la 1980-1990. J Infect Dis 1993;167:1247–51.
production de substances actives. En effet, la quan- [4] Betina V. Bioautography in paper and thin layer chroma-
tité d’extrait brut issue de cinq boîtes de pétri (soit tography and its scope in the antibiotic field. J Chromatogr
80 mg pour 100 ml de culture) est l’équivalent de la 1973;78:41–51.
quantité d’extrait brut issu de 5 à 10 l de milieu [5] Breton A. Moisissures nuisibles. In: Botton B, Breton A,
liquide (en fermenteur) obtenu dans le cas de nos Fevre M, Gauthier S, Guy P, Larpent JP, et al., editors.
autres souches d’actinomycètes. Moisissures utiles et nuisibles : Importance industrielle.
Paris: Masson Paris; 1990. p. 210–25 (Dans).
L’extrait butanolique brut a montré une activité [6] Carle S. Les antifongiques dans le traitement des infections
antifongique très importante contre les 11 champi- invasives. Pharmactuel 2003;36:25–41.
gnons pathogènes et toxinogènes testés. Le spectre [7] Couturaud F. Aspergillus et poumon. Rev Fr Allergol Immu-
d’action large et la forte activité des antifongiques nol Clin 2004;44:83–8.
produits par l’isolat AC 170, pourraient ouvrir des [8] Dinya ZM, Sztaricskai FJ. Ultraviolet and light absorption
perspectives quant à leur utilisation dans le traite- spectrometry. In: Aszolas A, editor. Modern analysis of
ment des maladies fongiques et même bactérien- antibiotics, editor. New York: Copyright by Marcel Dekker,
nes. Inc; 1986. p. 19–96.

La bioautographie de l’extrait butanolique a ré- [9] Eckwall EC, Schottel JL. Isolation and characterization of
an antibiotic produced by the scab disease-suppressive
vélé une seule tache active sur trois systèmes de
Streptomyces diastatochromogenes strain Pon SSII. J Ind
solvants, ce qui suggère que l’on est en présence, Microbiol Biotechnol 1997;19:220–5.
soit d’un seul antibiotique, soit d’un complexe
[10] Etzel RA. Mycotoxins. JAMA 2002;287:425–7.
d’antibiotiques à structure chimique très proche et
[11] Hayakawa M, Nonomura H. Humic acid-vitamins agar, a
inséparable par la méthode utilisée.
new medium for the selective isolation of soil actino-
Les réactions chromogéniques ont permis de ré- mycetes. J Ferment Technol 1984;65:501–9.
véler la présence de phénols et d’aromatiques poly- [12] Huet J. Généralités sur les médicaments antifongiques. In:
cycliques. En revanche, les résidus aminés, glucidi- Afect, editor. Principaux antifongiques et antiparasitaires,
ques, stéroïdiques et éthérés sont absents. Tome 1 (5): Antifongiques. Traité de chimie thérapeu-
tique. Paris: Tec et Doc, Lavoisier; 1999 (Dans).
L’analyse de l’extrait butanolique brut par spec-
[13] Iwai Y, Omura S. Culture conditions for screening of new
trophotométrie UV-visible a montré que cet extrait antibiotics. J Antibiot 1982;35:123–41.
ne contient pas de substances de nature polyéni-
[14] Korpi A, Kasanen JP, Alarie Y, Kosma VM, Pasanen AL.
que, lesquelles sont caractérisées par la présence Sensory irritating potency of some microbial volatile
de trois maxima très caractéristiques entre 291 et organic compounds (MVOCs) and a mixture of five MVOCs.
405 nm [8]. Ce résultat est intéressant car les Arch Environ Health 1999;54:347–52.
Activité antifongique d’Actinomadura sp. sur des champignons pathogènes et toxinogènes 219

[15] Lacroix C, Dubach M, Feuilhade M. Les échinocandines : [22] Minnikin DE, Patel PV, Alshamahony L, Goodfellow M. Polar
une nouvelle classe d’antifongiques. Med Mal Infect 2003; lipid composition in the classification of Nocardia and
33:183–91. related bacteria. Int J Syst Bacteriol 1977;27:104–17.
[16] Lazzarini A, Cavaletti L, Toppo G, Marinelli F. Rare genera [23] Sabaou N, Hacène H, Bennadji A, Bennadji H, Bounaga N.
of actinomycetes as potential producers of new antibiot- Distribution quantitative et qualitative des actinomycètes
ics. Antonie Van Leeuwenhoek 2001;79:399–405. dans les horizons de sol de surface et profonds d’une
[17] Lechevalier HA, Lechevalier MP. Composition of whole-cell palmeraie algérienne. Can J Microbiol 1992;38:1066–73.
hydrolysates as a criterion in the classification of aerobic [24] Sabaou N, Boudjella H, Bennadji A, Mostefaoui A,
actinomycetes. In: Prauser H, editor. The Actinomyc- Zitouni A, Lamari A, et al. Les sols du Sahara algérien,
etales, editor. Jena: Fischer G; 1970. p. 393–404. source d’actinomycètes rares producteurs d’antibiotiques.
[18] Lechevalier MP, de Bievre C, Lechevalier HA. Chemotax- Sécheresse 1998;9:147–53.
onomy of aerobic actinomycetes: phospholipid composi- [25] Shirling EB, Gottlieb D. Methods for characterization of
tion. Biochem Syst Ecol 1977;5:249–60. Streptomyces species. Int J Syst Bacteriol 1966;16:313–40.
[19] Maskey RP, Li FC, Qin S, Fiebig HH, Latsch H. Chandranani- [26] Shomura T, Yoshida J, Amano S, Kojima M, Inouye S,
mycins A~C: Production of novel anticancer antibiotics Niida T. Studies on Actinomycetales producing antibiotics
from a marine Actinomadura sp. Isolate M048 by variation only on agar culture. I. Screening, taxonomy and morphol-
medium composition and growth conditions. J Antibiot ogy productivity relationship of Streptomyces halstedii,
2003;56:622–9. strain SF 1993. J Antibiot 1979;32:425–7.
[20] Merck E. Révélateurs pour la chromatographie en couches [27] Zitouni A, Lamari L, Boudjella H, Badji B, Sabaou N,
minces et sur papier. Darmstadt; 1975. Gaouar A, et al. Saccharothrix algeriensis sp.nov., isolated
[21] Meyer J. New species of the genus Actinomadura. Z Allg from Saharan soil. Int J Syst Evol Microbiol 2004;54:
Mikrobiol 1979;19:37–44. 1377–81.

Vous aimerez peut-être aussi