championnat de hockey universitaire. 2. Les huit universités les plus anciennes et prestigieuses du Nord-Est des États-Unis. 3 Taylor Il n’est pas sérieux, je sais qu’il ne l’est pas. S’il me propose ça après notre petite mise en scène, c’est seulement pour me mettre à l’aise dans cette situation pourrie. C’est une preuve de plus que derrière sa tête blonde, ses yeux gris et son corps de rêve, se cache un cœur tendre. D’ailleurs c’est pour ça que je dois sortir d’ici avant de commencer à avoir des sentiments pour lui. Car Conor Edwards est tout à fait le genre de mec dont on s’entiche avant de comprendre que les filles comme moi ne sortent pas avec des mecs comme lui. – Désolée, mais on s’était mis d’accord sur un strict protocole de non-maltraitance. Il dégaine un sourire qui fait battre mon cœur plus vite. – Tu ne peux pas m’en vouloir d’avoir essayé. – Bref, c’était cool, je commence en m’asseyant au bord du lit, mais on devrait… – Attends, dit-il en saisissant ma main et en me faisant frémir nerveusement, tu as dit que tu me revaudrais ça, non ? – Mouais… – Eh bien, je veux que tu me rendes un service en retour. Maintenant. Ça fait peu de temps qu’on est dans ta chambre. Je ne veux pas que les gens pensent que je suis incapable d’offrir du bon temps aux femmes, explique-t-il en haussant un sourcil. Reste un peu. Aide-moi à conserver ma réputation. – Tu n’as pas besoin de moi pour protéger ton ego. Ne t’en fais pas, ils supposeront que tu t’es lassé. – C’est vrai que je m’ennuie facilement, acquiesce-t-il. Mais tu as de la chance, T. Je ne m’ennuie pas du tout avec toi. Ça fait longtemps que je n’ai pas parlé à quelqu’un d’aussi intéressant. – Tu ne dois pas sortir beaucoup, alors, je rétorque. – Allez, insiste-t-il. Ne m’oblige pas à redescendre tout de suite. Ça sent le désespoir, en bas. Toutes les meufs se comportent comme si j’étais le dernier steak dans une boucherie. – Oh, les filles se battent pour toi ? Pauvre chou… Cela dit, j’ai beau essayer de ne pas le voir comme un morceau de viande, je suis forcée d’admettre que Conor est un spécimen masculin incroyable. C’est de loin le plus beau mec que j’aie rencontré. Et le plus sexy. Il tient encore ma main et, dans cette posture, le plus petit muscle de son bras est sublimement bandé. – Allez, reste parler avec moi. – Et tes amis ? – Je les vois tous les jours à l’entraînement. Il se met alors à caresser l’intérieur de mon poignet avec son pouce, et je fonds. – Taylor. Reste, s’il te plaît. C’est une très mauvaise idée. Je sais déjà que je repenserai à ce moment dans un an, quand j’aurai changé de prénom, teint mes cheveux pour me faire oublier et que je réaliserai combien j’ai été stupide. Mais son regard m’implore et sa peau touche la mienne. Je ne peux pas partir. – Ok. Je n’avais pas la moindre chance face à Conor Fucking Edwards, de toute façon. – Juste pour parler, je précise. On s’installe à nouveau sur le lit. Il saisit la tortue en peluche qui a migré à l’autre bout du lit et la pose sur la table de chevet. Je ne crois pas être déjà entrée dans cette chambre, maintenant que j’y pense. La chambre de Rachel est… trop. C’est comme si une accro à Instagram et une maman blogueuse avaient vomi sur une princesse Disney. – Aide-moi à te déchiffrer, dit Conor en croisant ses bras divins sur son torse. Ce n’est pas ta chambre, n’est-ce pas ? – Non, toi d’abord ! S’il veut que je joue le jeu, il va devoir s’y prêter aussi. – J’ai suffisamment monopolisé la conversation comme ça, je dis. Aide-moi plutôt à te déchiffrer. – Qu’est-ce que tu veux savoir ? – N’importe quoi. Tout. À quoi tu ressembles quand t’es à poil… Mais non, je ne peux pas lui demander ça. Je suis peut- être dans un lit avec le plus beau mec du campus, mais on va rester habillés. Surtout moi. – Ah, ben… Il enlève ses chaussures et les jette au pied du lit. Je suis sur le point de lui dire qu’on ne va pas rester si longtemps que ça, mais il continue de parler. – Je joue au hockey, mais je suppose que tu le sais. Je hoche la tête. – Je suis arrivé de Los Angeles le semestre dernier. – Ah, ok. Ça explique beaucoup de choses. – Tiens donc, dit-il en feignant d’être vexé. – Ce n’est pas méchant. C’est juste que tu es l’incarnation même du surfeur californien. Mais ça te va bien. – Je vais choisir de prendre ça comme un compliment, dit-il en me mettant un léger coup de coude. Je me force à ignorer les frissons qui chatouillent ma poitrine. Son côté taquin est bien trop séduisant. – Alors, comment un surfeur de la côte Ouest s’est retrouvé à jouer au hockey ? – On joue au hockey sur la côte Ouest, tu sais, répond-il sèchement. Ce n’est pas l’exclusivité de la côte Est. J’ai fait du football, aussi, au collège, mais je préférais le hockey, et j’étais meilleur. – Alors qu’est-ce qui t’a fait venir sur la côte Est ? Tout le monde ne supporte pas les hivers en Nouvelle Angleterre. En première année, une sœur Kappa a tenu six jours avec trente centimètres de neige avant de prendre le premier vol pour rentrer à Tampa. On a dû lui envoyer ses affaires par la poste. Conor affiche une expression étrange et fugace. L’espace d’un instant, ses yeux gris se font distants. Si je le connaissais mieux, je penserais que j’ai touché un point sensible. Et lorsqu’il répond, sa voix a perdu son ton enjoué. – J’avais besoin de changement. J’ai eu l’occasion de venir à Briar et je l’ai saisie. J’habitais à la maison et, tu sais… on manquait d’espace. – Tu as des frères et sœurs ? – Non, pendant longtemps, ce n’était que ma mère et moi. Mon père nous a abandonnés quand j’avais six ans. – Oh, c’est horrible. Je suis désolée. – Ne le sois pas ; je me souviens à peine de lui. Ma mère a épousé un autre mec, Max, il y a six ans. – Et… vous ne vous entendez pas ? Conor soupire et s’enfonce un peu dans l’oreiller, les yeux rivés sur le plafond. Une ligne se creuse sur son front et je suis tentée de lui dire qu’il n’a pas besoin d’en parler s’il ne le veut pas, que je ne voulais pas être indiscrète. Il est évident que ce sujet le dérange, mais il répond néanmoins. – Il est correct. Ma mère et moi louions une petite maison merdique quand il est arrivé. Elle travaillait dans un salon de coiffure soixante heures par semaine pour s’occuper de moi. Et un jour, un riche homme d’affaires a débarqué et nous a sortis de la misère pour nous emmener à Huntington Beach. Ça va paraître bizarre, et c’est dur à décrire, mais la première chose que j’ai remarquée, c’est que l’air sentait meilleur là-bas, dit-il en haussant les épaules et en souriant timidement. Je suis passé dans l’enseignement privé et ma mère a réduit ses heures, puis a fini par ne plus travailler du tout. Nos vies ont changé du tout au tout. Conor marque une pause avant de poursuivre. – Il fait du bien à ma mère. Elle est tout pour lui. Mais lui et moi… on n’a jamais tissé de lien. C’était ma mère qu’il voulait. Moi, j’étais juste une vieille boîte de céréales au fond du placard qu’il a été forcé de prendre aussi. – Tu n’es pas une vieille boîte de céréales. Je suis profondément attristée qu’un enfant, n’importe lequel, puisse grandir en se percevant comme ça. Je me demande si son attitude cool et détendue l’aide à cacher qu’il s’est senti abandonné. – Il y a des gens qui ne sont simplement pas doués avec les enfants, tu sais. – Ouais, dit-il d’un ton ironique. Je crois qu’on sait tous les deux que sa blessure ne sera pas guérie par mes platitudes. – Moi aussi, j’ai grandi seule avec ma mère, je déclare pour changer de sujet et repousser l’ambiance lugubre qui menace d’engloutir Conor. Je suis le résultat d’un coup d’un soir. – Ah… ! s’exclame Conor, et son regard s’illumine. Il roule sur le côté pour me regarder en appuyant sa tête dans sa main. – Voilà qui est intéressant. – Oh que oui ! Iris Marsh était une petite intello la journée, et une vraie coquine la nuit. Il éclate de rire et je frissonne de nouveau. Il va vraiment falloir que j’arrête d’être aussi consciente de sa présence. C’est comme si mon corps s’était connecté à la fréquence de Conor et qu’il répondait désormais à chacun de ses gestes et de ses bruits. – Elle est prof en sciences et en génie nucléaire à MIT et il y a vingt-deux ans, elle a rencontré un scientifique russe hyper-célèbre qui donnait une conférence à New York. Ils ont passé une soirée ensemble, puis il est rentré en Russie et ma mère est retournée à Cambridge. Six mois plus tard, elle a lu dans le Times qu’il était mort dans un accident de voiture. – Merde, s’étonne-t-il. Tu crois que ton père a été… assassiné par le gouvernement russe ? – Quoi ? je réponds en éclatant de rire. – Meuf, et si ton père était espion ou un truc du genre ? Et que le KGB avait appris qu’il bossait pour la CIA et que, du coup, ils l’ont fait assassiner ? – Le KGB ? Je ne suis pas sûre que ça existe encore. – C’est ce qu’ils veulent qu’on pense, répond-il juste avant de faire les gros yeux. Meuf, et si tu étais un agent dormant du KGB ? Il a une imagination débordante. Au moins, il a retrouvé sa bonne humeur. – Eh bien, ça impliquerait qu’en révélant ma vraie nature, je sois bientôt supprimée ou… – Oh merde ! gronde Conor en se levant d’un bond pour regarder par la fenêtre avant de fermer le store et d’éteindre la lumière. On est désormais éclairés par la veilleuse tortue de Rachel et la lumière jaunâtre des lampadaires qui passe entre les lattes du store. – Ne t’en fais pas, bébé, je te protégerai, dit-il en riant avant de revenir sur le lit. – Ou bien, je poursuis en souriant, je serai forcée de te tuer parce que tu as découvert mon secret. – Ou bien, écoute-moi, hein : tu m’engages comme garde du corps. – Hmm… c’est tentant, camarade. – Mais d’abord, on devrait se faire une fouille au corps pour s’assurer que l’autre n’a pas de mouchard. Tu sais, pour établir la confiance. Il est adorable, un peu à la manière d’un chiot insatiable. – Mouais, non. – Tu n’es pas drôle. J’ai du mal à cerner ce type. Il est gentil, charmant, drôle, toutes les qualités fourbes des mecs qui nous font croire qu’on peut les dresser et les civiliser. Mais, en même temps, il est osé, franc et humble comme personne ne l’est à la fac. Car nous autres essayons simplement de nous découvrir nous-mêmes en affichant un air confiant et courageux. Alors, d’où sort Conor Edwards le sage ? L’homme qui a couché avec plus de femmes qu’il n’y a de flocons en janvier ? Qui est le véritable Conor Edwards ? Mais qu’est-ce que ça peut me faire, bon sang ? Je change de sujet : – Alors, euh, tu étudies quoi ? Il se laisse retomber sur l’oreiller et soupire longuement. – La finance, je suppose. Ah, je ne m’y attendais pas. – Tu supposes ? – Ben, ce n’est pas vraiment mon truc et certainement pas mon idée. – C’était l’idée de qui ? – De mon beau-père. Il s’est mis en tête que j’irai bosser avec lui quand j’aurai fini mes études. Que j’apprendrai à gérer son entreprise. – Tu n’as pas l’air très enthousiaste. – C’est le moins qu’on puisse dire, répond-il en riant. Je préfère me faire suspendre par les couilles plutôt que d’avoir à mettre un costard et à étudier des chiffres toute la journée. – Tu préférerais étudier quoi ? – Ben, c’est le problème, justement. Je n’en sais rien. J’ai fini par céder sur la finance parce que je n’avais pas de meilleure idée. Je ne pouvais pas faire semblant d’être intéressé par autre chose, donc… – Rien du tout ? De mon côté, j’étais tiraillée par des dizaines de possibilités, même si certaines étaient simplement les vestiges de mes rêves d’enfant, comme être archéologue ou astronaute, mais quand même. Quand il a fallu que je décide ce que je ferais pour le reste de ma vie, les options ne manquaient pas. – Avec l’enfance que j’ai eue, je n’avais aucune raison d’avoir de grandes aspirations. Je pensais bosser pour un salaire minimum ou aller en prison, pas aller à la fac. Donc je n’y ai jamais trop pensé, en fait. J’ai du mal à imaginer qu’on puisse penser à son avenir sans éprouver le moindre espoir. Ça me rappelle à quel point j’ai été privilégiée de grandir en entendant que je pouvais devenir ce que je voulais tout en sachant que j’aurais l’argent et le soutien de ma mère pour réaliser mes rêves. – La prison ? je répète d’un ton enjoué. Tu te sous-estimes, mon pote. Avec ta tronche et ton corps, tu aurais pu être une star du porno. – Tu aimes mon corps ? demande-t-il en souriant et en désignant son corps d’un geste de la main. Il est tout à toi, T. Vas-y, grimpe. Mon Dieu, si seulement ! Je déglutis et fais mine d’être insensible à son charme. – Non merci. – Comme tu veux, ma pote. Je lève les yeux au ciel. – Et toi ? Tu étudies quoi ? Attends, laisse-moi deviner. Tu es en histoire de l’art. Je fais non de la tête. – En journalisme. Je secoue à nouveau la tête. – Hmmm… Il me regarde avec encore plus de détermination et se mord la lèvre. Bon sang, sa bouche est tellement sexy. – Je dirais que tu es en psycho, mais je connais une nana qui étudie ça et tu n’as rien à voir avec elle. – Sciences de l’éducation. Je veux être prof. Il hausse un sourcil avant de me regarder d’un air presque… affamé. – C’est canon. – Pourquoi c’est canon ? – Tous les mecs fantasment de se taper une prof. – Les mecs sont bizarres. Conor hausse les épaules, mais son regard reste brûlant. – Dis-moi quelque chose… pourquoi tu n’es pas venue à la soirée avec quelqu’un ? – Comment ça ? – Tu n’as pas un mec dans ta vie ? C’est à mon tour de vouloir changer de sujet. J’aurais sans doute plus de choses à dire sur les e métiers à tisser du XIII siècle que sur ma vie amoureuse. Et m’étant suffisamment ridiculisée pour la soirée, j’aimerais autant sauver les meubles en évitant de parler en détail de ma vie amoureuse inexistante. – Alors, il y a bien quelqu’un… dit Conor en se méprenant sur mon hésitation. Allez, dis-moi. – Et toi ? je rétorque. Tu n’as pas encore choisi la groupie avec laquelle tu vas passer la fin de tes jours ? Il hausse les épaules. – Les petites amies ne sont pas vraiment mon truc. – Beurk, ça fait un peu queutard… – Non, c’est juste que je n’ai jamais rencontré de nana que j’avais envie de voir plus de quelques semaines. S’il n’y a pas de connexion, on ne peut pas l’inventer, non ? Ah, je connais son genre. Il s’ennuie facilement. Il doit sans cesse regarder autour de lui pour voir s’il n’y a pas mieux. Le séducteur incarné, quoi. En même temps, ça ne m’étonne pas. Les beaux gosses tiennent toujours à leur liberté. – Ne crois pas m’avoir fait changer de sujet, dit-il en souriant d’un air satisfait. Réponds à ma question. – Désolée de te décevoir. Pas de mec. Rien à cacher. La brève histoire que j’ai vécue en deuxième année était si pathétique qu’elle ne mérite même pas d’être mentionnée. – Allez, je ne suis pas aussi bête que j’en ai l’air. Quoi, tu lui as brisé le cœur ? Il a passé six mois à dormir devant la maison Kappa ? – Pourquoi tu supposes que je suis le genre de nana pour laquelle un mec dormirait dehors ? – Tu plaisantes ? Son regard argenté se promène sur mon corps et s’arrête sur diverses parties avant de trouver le mien. Chaque endroit que ses yeux ont touché est désormais brûlant. – Bébé, tu as le genre de corps que les mecs imaginent dans leur tête quand ils se mettent au lit le soir. – Ne fais pas ça, je déclare d’un ton froid et ferme. Ne te moque pas de moi. Ce n’est pas sympa, je gronde en me tournant. – Taylor. Je sursaute lorsqu’il prend ma main et me force à rester face à lui. Mon cœur se met à battre la chamade quand il pose ma main tremblante sur son torse. Son corps est chaud et solide, et je sens le rythme rapide et régulier de son cœur sous ma main. Je touche le torse de Conor Fucking Edwards. Bon sang, qu’est-ce qui se passe ? Même dans mes rêves les plus fous, je n’ai jamais imaginé que la soirée Spring Break Hangover se terminerait ainsi. – Je suis sincère, insiste Conor. J’ai passé la soirée à avoir des pensées plus salaces les unes que les autres. Ce n’est pas parce que je suis poli et respectueux que je suis indifférent. Un sourire me tiraille malgré moi. – Respectueux, hein ? Je ne suis pas sûre de le croire. Je ne suis pas certaine non plus qu’être le sujet d’un fantasme cochon soit un compliment. Cela dit, c’est l’intention qui compte, je suppose. – Ma mère m’a bien élevé, mais je peux être parfaitement indécent si c’est ce que tu veux. – Ah, et qu’est-ce qui est jugé indécent sur la côte Ouest ? je demande en notant la façon dont sa lèvre supérieure tressaute lorsqu’il est taquin. – Eh bien… Soudain, toute sa posture change. Son regard se rétrécit, son souffle ralentit, et il se lèche les lèvres. – Si je n’étais pas un gentleman, je pourrais essayer de coiffer tes cheveux derrière ton oreille… dit-il en effleurant une mèche, puis ma gorge. Sa caresse est si légère que j’ai l’impression de rêver et ma peau se couvre de chair de poule. – … et je promènerais mon doigt sur ton épaule. Il le fait, et quelque chose se met à pulser dans mon bas-ventre. – Et je continuerais jusqu’à ce que… Son index effleure la bretelle de mon soutien- gorge. J’avais oublié qu’on la voyait, avec mon pull tombant. Je finis par me ressaisir. – Ok, j’ai compris. Je retire sa main et ajuste mon pull. – Tu es terriblement attirante, Taylor, dit-il d’un ton si sincère que je ne peux plus douter qu’il le pense. Cela dit, je doute de sa santé mentale et de son goût en matière de femmes. – Tu devrais arrêter de penser que tu ne l’es pas, insiste-t-il. Et c’est ce que je fais. Je m’autorise même à faire semblant de croire que je peux plaire à un mec comme Conor Edwards. On reste allongés dans le cocon des peluches ridicules de Rachel et on se parle comme si on se connaissait depuis toujours. Étonnamment, on ne manque pas de sujets de discussion et il n’y a pas le moindre blanc dans la conversation. On parle de nos plats préférés, puis de notre penchant mutuel pour les films de science-fiction, puis de sujets bien plus sérieux comme du fait que je ne me sens pas à ma place avec mes sœurs, et enfin de souvenirs hilarants comme la fois où, à seize ans, il était saoul après un match à San Francisco et qu’il a plongé dans la baie avec la ferme intention de nager jusqu’à Alcatraz. – Le putain de garde-côte s’est pointé et… Il arrête brusquement de parler pour bâiller. – Merde, j’arrive à peine à garder les yeux ouverts. Son bâillement est contagieux et je l’imite en me couvrant la bouche avec mon avant-bras. – Moi aussi, je dis d’une voix endormie. Mais on ne sort pas d’ici tant que tu n’as pas fini ton histoire. Bon sang, qu’est-ce que tu pouvais être débile ! Le demi-dieu éclate brusquement de rire à côté de moi. – Ce n’est pas la première fois qu’on me le dit et j’imagine que ce n’est pas la dernière non plus. À la fin de son histoire, on n’arrête pas de bâiller et on cligne des yeux pour essayer de rester éveillés. Un dialogue aussi bête qu’ensommeillé débute entre nous. – On devrait descendre. – Mmm-hmmm. – Genre, maintenant. – Hmmm, bonne idée. – Ou dans cinq minutes. – Ouais, dans cinq minutes. – Ok, donc on ferme les yeux cinq minutes, puis on se lève. – On repose juste nos yeux. Tu sais, les yeux peuvent être fatigués. – Carrément. – Les yeux fatigués, marmonne-t-il, les paupières closes. Et j’ai eu un match, ce soir, j’ai pris des coups, alors… Je n’entends pas la fin de sa phrase, parce qu’on s’endort tous les deux. 4 Taylor Toc. Toc. Toc ! TOC ! Le dernier coup frappé contre la porte me fait sursauter. J’essaie d’ouvrir les yeux et les couvre aussitôt pour me protéger des rayons du soleil qui pénètrent dans la chambre. C’est quoi, ce bordel ? Il fait jour. J’ai la bouche sèche et un goût amer sur la langue. Je ne me souviens pas de m’être endormie. Je bâille en m’étirant pour détendre mes muscles, et c’est alors qu’un autre bruit me fige et que mon cœur cesse de battre. Des ronflements, à côté de moi. Merdouille de merde. Étendu sur le ventre, Conor dort torse nu, en boxer. – Hé ! Ouvrez la porte ! C’est ma chambre ! Merde, Rachel est rentrée. – Lève-toi, je gronde en secouant Conor, qui ne bouge pas. Mec, lève-toi, il faut que tu partes. Je ne comprends pas pourquoi il est encore là ni à quel moment je me suis endormie. Je suis toujours habillée et j’ai même mes chaussures. Alors, pourquoi il est presque à poil ? – Sortez de là, bande d’enfoirés ! D’une minute à l’autre, Rachel va essayer d’enfoncer la porte. – Allez, debout ! Je frappe Conor sur le dos et il sursaute, confus. – Mmmrrrmmm ? marmonne-t-il. – On s’est endormis. Ma sœur est rentrée et elle veut récupérer sa chambre. Habille-toi, vite. Conor parvient à s’asseoir et à se lever maladroitement sans cesser de marmonner dans sa barbe. Je grimace et ouvre la porte, trouvant Rachel, furax, dans le couloir. Derrière elle, toute la maison est réveillée et mes sœurs déambulent en pyjama, des tasses de café à la main. Sasha n’est pas là et je suppose qu’elle a fini par trouver un concert à Boston et dormir chez des amis. – Bon sang, Taylor, pourquoi ma porte était fermée à clé ? Je repère le sourire machiavélique d’Abigail parmi les visages présents dans le couloir. – Je suis désolée, je… Rachel ne me laisse pas finir, car elle pousse la porte pour entrer dans sa chambre, donnant un aperçu à tout le monde de Conor, torse nu, en train de remonter sa braguette. – Oh ! s’écrie-t-elle, et sa colère s’évanouit à la vue du corps parfait de Conor. Je ne peux pas lui en vouloir de prendre le temps de le mater. Il est vraiment exquis avec ses larges épaules et ses muscles finement dessinés. Son torse est une invitation aux câlins. Je n’en reviens pas d’avoir dormi à côté de lui et de ne me souvenir de rien. – Bien le bonjour, dit Conor en souriant avant de hocher la tête en direction de mes sœurs qui se sont agglutinées devant la porte. Mesdemoiselles… – Je ne savais pas que tu avais de la compagnie, me dit Rachel sans quitter Conor des yeux. – C’est de ma faute, répond Conor en enfilant son tee-shirt avant de mettre ses chaussures. Désolé, ajoute-t-il avant de me lancer un clin d’œil en se dirigeant vers la porte. Appelle-moi. Ainsi, Conor Edwards disparaît dans le couloir. Chaque paire d’yeux reste rivée sur ses fesses fermes, moulées dans son jean, jusqu’à ce qu’il soit hors de vue et que ses pas résonnent dans l’escalier. Je déglutis plusieurs fois avant de parler. – Rachel, je… – Je ne t’en pensais pas capable, Marsh, dit-elle d’un ton surpris. Elle est surprise mais aussi impressionnée, me semble-t-il. – La prochaine fois que tu te tapes un demi- dieu dans ma chambre, fais en sorte de partir avant le petit déj, ok ? – Bien sûr. Désolée. Le pire est passé, je suppose. Je vais avoir la paix aujourd’hui, ces filles vont vivre mon exploit supposé par procuration. C’est compter sans Abigail. Tandis que les autres retournent à leurs activités et à leurs tartines de miel, Abigail m’attend sur le palier. J’ai envie de lui passer devant en l’ignorant, et peut-être même de la faire trébucher dans l’escalier. Mais au lieu de ça, je reste plantée là et je la regarde droit dans les yeux. – Tu dois être fière de toi, dit-elle en haussant un sourcil parfait. – Non, Abigail. Je suis juste fatiguée. – Si tu penses avoir prouvé quelque chose hier soir, tu te trompes. Conor se taperait une chaussette sale si elle lui souriait. Ne pense pas que tu es spéciale, Tay-Tay. Cette fois, je lui passe devant en la bousculant légèrement. – Je n’en rêverais pas une seconde. * * * – Et il n’a rien tenté ? demande Sasha le dimanche suivant, après que j’ai fini de lui raconter l’exploit de vendredi soir. Contrairement à moi, Sasha vit encore à la maison Kappa Chi, donc elle m’a rejoint pour le petit déj au Della’s Diner, en ville. D’habitude, elle a la flemme de venir jusqu’à Hastings et elle me force à la retrouver dans une des cafètes du campus. Mais je suppose que mon SMS d’hier, « Je te raconterai tout quand je te verrai », a suffi à éveiller la curiosité de ma meilleure amie. Au moins, maintenant, je sais quoi faire pour la faire bouger du campus : lui faire miroiter des détails cochons. Ou leur absence, en l’occurrence. – Non, je confirme. Rien du tout. Je n’ai pas peur que Sasha dise la vérité aux Kappa. Je lui fais entièrement confiance, et il était hors de question que je laisse ma meilleure amie penser que j’ai couché avec le plus célèbre play- boy du campus. Elle est la seule à savoir que je suis encore vierge. – Il n’a pas essayé de t’embrasser ? – Non, je réponds en mâchant ma tartine de pain complet grillé. Je commande toujours le même petit déjeuner, chez Della’s : du pain complet, une omelette aux blancs d’œufs et une petite salade de fruits. Si « compter les calories » était un métier, je serais plus riche que Jeff Bezos. – Je trouve ça choquant, déclare-t-elle. Après tout, sa réputation le précède. – Ben, on a un peu flirté… j’admets en saisissant mon verre d’eau. Et il a fait semblant d’apprécier mon corps. Elle lève les yeux au ciel. – Taylor, je te promets qu’il n’a pas fait semblant. Je sais que tu penses que les mecs ne bandent que pour les femmes avec des corps de brindille, mais je te garantis que tu te trompes. Les courbes les rendent fous. – Ouais, les courbes. Pas les bourrelets. – Tu n’as pas de bourrelets. Dieu merci, pas pour le moment, puisque je fais très attention à ce que je mange depuis le nouvel an, après m’être laissée aller pendant les fêtes. Les trois derniers mois, j’ai réussi à perdre quatre de ces cinq kilos que j’avais pris, et j’en suis heureuse, mais j’aimerais perdre plus. Mon corps idéal se situe quelque part entre Kate Upton et Ashley Graham. J’ai tendance à fluctuer entre les deux, mais si je pouvais descendre jusqu’à la taille Kate, ça serait génial. Je crois sincèrement que tous les corps sont beaux, quel que soit leur type. Seulement, quand je me regarde dans un miroir, je l’oublie. Mon poids a été une source de stress et de complexe toute ma vie, donc éviter les excès est une de mes priorités. J’avale une bouchée d’omelette et fais mine de ne pas remarquer combien le petit déj de Sasha a l’air délicieux. Une pile de pancakes aux pépites de chocolat recouverts d’un sirop aux arômes exquis. Sasha fait partie de ces veinardes qui peuvent manger n’importe quoi sans prendre un gramme. Alors que, de mon côté, une seule bouchée de cheeseburger me fait prendre cinq kilos du jour au lendemain. Mon corps est comme ça, j’ai appris à l’accepter. Les burgers et les pancakes sont délicieux sur le moment, mais ils ne valent pas tous les efforts que je dois faire par la suite. – Bref. Il a été un véritable gentleman. – J’ai vraiment du mal à le croire, dit-elle en mâchant rapidement sa bouchée de pancakes. Et il t’a dit de l’appeler ? – Ouais, mais il ne le pensait pas, c’est évident. – Pourquoi c’est évident ? – Parce que c’est Conor Edwards et que je suis Taylor Marsh ! je rétorque en levant les yeux au ciel. D’ailleurs, il ne m’a pas donné son numéro. Elle fronce les sourcils. Ah ! Ça lui en bouche un coin. – Ouaip. Donc, quel que soit le fantasme que tu te faisais, oublie-le. Conor m’a rendu un service, l’autre soir, je déclare en haussant les épaules. Rien de plus. 5 Conor Si nous avions espéré que coach Jensen serait indulgent avec nous une fois qu’on aurait accédé aux demi-finales de la première division de la 1 NCAA , notre espoir part vite en fumée en arrivant à l’entraînement du lundi matin. Le coach se déchaîne sur nous dès le premier coup de sifflet, comme s’il venait d’apprendre que Jake Connelly avait mis sa fille en cloque. On passe la première heure à travailler notre vitesse et à patiner jusqu’à ce que nos orteils soient en sang, puis il nous fait faire une série d’exercices et je marque tellement de buts que j’ai l’impression que mes bras vont tomber. Sifflet, patinez. Sifflet, frappe. Sifflet, achevez- moi. Lorsque le coach nous envoie enfin dans la salle multimédia pour visionner la vidéo de notre dernier match, je suis à deux doigts de faire un malaise. Même Hunter, qui a fait de son mieux pour rester positif en tant que capitaine, semble prêt à appeler sa mère pour qu’elle vienne le chercher. Nos regards désespérés se croisent dans le tunnel. Heureusement, après un litre d’une boisson énergétique et une barre de céréales, je me sens à peu près vivant. Dans la salle multimédia, trois demi-cercles de sièges ultra-moelleux nous tendent les bras, et je suis au premier rang à côté de Hunter et Bucky. Tout le monde est avachi, épuisé. Le coach se place devant le grand écran du vidéoprojecteur, et l’image de notre match contre Minnesota déforme ses traits. Il suffit qu’il se racle la gorge pour me faire frissonner d’angoisse. – Certains d’entre vous semblent penser que le plus dur est derrière nous. Que vous allez intégrer le championnat les mains dans les poches et qu’il ne vous reste plus qu’à boire du champagne et à aller danser aux afters. Eh bien, j’ai une nouvelle pour vous, déclare-t-il avant de frapper deux fois contre le mur, faisant trembler tout le bâtiment. Toute l’équipe sursaute. – C’est maintenant que le travail commence. Jusqu’à aujourd’hui, vous rouliez avec les petites roues. À présent, papa va vous traîner en haut de la colline et vous apprendre à rouler sans. Les images s’enchaînent au ralenti. La ligne de défense se fait surprendre par une échappée alors qu’elle ne s’est pas remise en place, permettant un tir frappé qui rebondit contre le poteau du but. Je suis sur la gauche et j’ai honte de me voir lutter maladroitement pour rattraper le tireur. – Là, dit le coach. On a décroché, mentalement. On s’est fait prendre en regardant passer le palet. Il suffit d’une seconde d’inattention et, bam, on se retrouve à courir après les adversaires. Il accélère la vidéo et s’arrête sur Hunter, Foster et Jesse qui n’arrivent pas à accorder leurs passes. – Bon sang, Mesdemoiselles ! C’est le truc de base que vous faites depuis que vous avez cinq ans. Mains molles. Visualisez où sont vos coéquipiers. Espacez-vous. Et accompagnez vos passes. Personne n’est épargné. Tous nos ego surgonflés en prennent pour leur grade. C’est une des choses à savoir à propos du coach, il ne supporte pas les divas. Depuis quelques semaines que nous approchons du sommet, nous nous sentons presque invincibles. Mais maintenant que nos plus gros adversaires sont devant nous, il est temps de revenir sur terre. Ça implique de prendre des raclées aux entraînements. – Où que soit le palet, je veux que trois gars soient prêts à le récupérer, poursuit le coach. Je ne veux jamais voir un seul d’entre vous chercher un coéquipier démarqué. Si on veut avoir une chance de gagner contre Brown ou Minnesota, on doit maîtriser le jeu. Des passes rapides. Leur mettre la pression. Je veux voir la confiance de mes joueurs sous chaque casque. À L.A., mon coach était un véritable connard. Le genre de mec qui déboulait dans une pièce en criant, en claquant les portes et en jetant les chaises. Il était expulsé d’un match au moins deux fois par saison, et il débarquait à l’entraînement suivant, prêt à se venger sur nous. Parfois, on le méritait. D’autres fois, il semblait juste chercher un moyen d’exorciser quarante années de honte et d’échecs en se défoulant sur une bande de gosses. Ça ne m’étonne pas que leur équipe soit pourrie. À cause de lui, j’ai failli ne pas demander à intégrer l’équipe lorsque je suis arrivé à Briar. Mais je connaissais la réputation de la formation et je n’avais entendu que du bien du coach Jensen. Quel soulagement ! Le coach est parfois dur, mais il n’est jamais mauvais. Il n’est jamais obnubilé par le sport au point d’oublier qu’il entraîne de vraies personnes. D’ailleurs, je n’ai jamais douté que le coach Jensen tenait à chacun de ses joueurs. Il a même sorti Hunter de garde à vue, le semestre dernier. Et rien que pour ça, je le suivrais n’importe où, même avec les orteils en sang. – Ok, c’est tout pour aujourd’hui. Je veux que tout le monde voie la nutritionniste pour que vous soyez au point sur votre alimentation des prochaines semaines. On va pousser plus fort encore qu’on l’a fait durant toute la saison. Donc, prenez soin de votre corps. Si vous avez des bleus et des bobos, allez voir les médecins pour les faire évaluer. Ce n’est pas le moment de cacher vos problèmes. Chaque joueur doit pouvoir compter sur le mec à ses côtés. Ok ? – Eh, coach ? dit Hunter en grimaçant. Les mecs se demandaient s’ils pouvaient avoir des nouvelles de la mascotte… – Le cochon ? Vous pensez encore à votre cochon, bande d’imbéciles ? – Euh… ouais. Sans Pablo Eggscobar, certains des mecs sont un peu en manque. Je ricane dans ma barbe. Je dois avouer que notre œuf-mascotte me manque, à moi aussi. Il était cool. – Bon sang… Oui, vous allez l’avoir, votre foutu animal. En août, a priori. Mais il y a une quantité absurde de paperasse à remplir quand on veut acheter un porcin pour des raisons non agricoles. Ok ? Tu es content, Davenport ? – Ouais, merci, coach. On se lève tous pour retourner aux vestiaires. – Oh, attendez, crie le coach. Tous s’arrêtent immédiatement, en bons petits soldats. – J’ai failli oublier, la hiérarchie m’a informé que notre présence était obligatoire au gala pince- fesses de ce samedi après-midi. Un brouhaha de grognements et de protestations suit la déclaration du coach. – Quoi ? Pourquoi ? demande Matt Anderson depuis le fond de la salle. – Oh, allez, coach, se plaint Foster. – C’est nase, râle Gavin à mes côtés. – C’est quoi, un gala pince-fesses ? demande Bucky. On doit leur lécher les fesses, c’est ça ? – En gros, ouais, répond le coach. Écoutez, je déteste ces trucs autant que vous. Mais quand le doyen me dit de sauter, en tant que directeur sportif, je dois demander à quelle hauteur. – Sauf que c’est nous qui allons devoir sauter, proteste Alec. – Exactement. Ces galas servent juste à récupérer du cash. L’université compte sur ces petites mises en scène pour financer le genre de patinoire et de vestiaires de luxe que vous aimez tant, bande de princesses ! Alors, enfilez un costard, coiffez-vous et tenez-vous à carreau, bon sang. – Ça veut dire que je vais me faire pincer les fesses par des cougars pleines aux as ? demande Jesse, faisant rire toute l’équipe. Parce que je veux bien me sacrifier pour l’équipe, mais ma copine est hyper-jalouse et il va me falloir un courrier officiel pour qu’elle m’autorise à y aller. – J’aimerais déclarer que je trouve ce postulat sexiste et abusif, ajoute Bucky. Alors, en se frottant violemment les yeux et en prenant un ton monotone qui révèle qu’il en a assez de nos conneries, le coach se met à réciter ce que je suppose être une partie du règlement de Briar. – Le règlement de l’université stipule qu’aucun étudiant ne sera prié de se comporter de façon immorale, contraire à l’éthique, ou d’une manière qui va à l’encontre de ses croyances religieuses ou spirituelles. L’université est une institution égalitaire qui se base sur la réussite académique et ne fait aucune discrimination de genre, d’orientation sexuelle, de statut économique, de religion ou d’absence de religion… ou sur le comportement de ta copine. Tout le monde est content, maintenant ? – Merci, coach ! s’exclame joyeusement Bucky en levant les pouces. Ce mec va nous faire une rupture d’anévrisme un de ces quatre. Jesse et Bucky n’avaient pas tout à fait tort. Il y a quelque chose de fondamentalement brisé dans un système qui nous fait payer cinquante mille dollars par an pour faire de nous des prostitués. Toutefois, s’il y a bien une chose pour laquelle je suis doué, c’est pour jouer au gigolo. * * * Je suis étonné de pouvoir dire que pour des molosses, on est plutôt chics quand on fait un effort. Le samedi suivant, toute l’équipe arrive sur son trente-et-un au gala. Les barbes sont taillées et Bucky s’est même épilé les poils de nez, ce qu’il ne manque pas de répéter à tout le monde. Le gala se tient sur le campus, au Woolsey Hall. Pour l’instant, l’événement consiste à écouter une bande de gens qui montent sur scène pour raconter comment Briar a façonné les hommes et les femmes qu’ils sont aujourd’hui, expliquer qu’il est important de rendre la pareille, qu’il faut avoir l’esprit d’équipe, blablabla. Le plan de table fait que l’équipe est séparée et mêlée aux représentants des fraternités et sororités ainsi qu’aux élus des fédérations étudiantes et autres associations du campus, et enfin aux anciens élèves qui ont répondu présent. Pour l’instant, il s’agit surtout de sourire, de hocher poliment la tête, de rire à leurs mauvaises blagues, et de dire « oui, Monsieur, on va gagner le championnat cette année ». Ce n’est pas si horrible, en fin de compte. La nourriture est décente et l’alcool gratuit coule à flots. Au moins, je suis joyeusement grisé. J’ai beau être classe en costard, j’ai quand même l’impression qu’ils peuvent la sentir sur moi, l’odeur de la pauvreté. La puanteur du nouveau riche. Tous ces enfoirés qui ont sans doute passé le gros de leurs années étudiantes à snifer de la coke avec des billets de cent dollars 2 tirés des Trust Funds qui accumulent des intérêts depuis que leurs ancêtres ont fondé leur fortune grâce à l’esclavage. Il y a sept mois, je suis arrivé à Briar en étant encore un petit délinquant de Los Angeles, justement le genre de mec que les aristos de l’Ivy League préfèrent voir balayer les couloirs plutôt que dans leur salle de cours. Mais il s’avère qu’avoir un beau-père plein aux as fait des miracles auprès de la commission d’admission. Donc ouais, je suis capable de jouer le jeu, mais ce genre d’événement me rappelle que je ne fais pas partie de leur clan. Et que ce ne sera jamais le cas. – Monsieur Edwards, dit la vieille dame à côté de moi qui porte autour du cou toute la collection des joyaux de la Reine. Elle glisse sa main maigre et fripée sur ma cuisse et se penche vers moi. – Vous pourriez être un amour et me trouver un petit gin tonic ? Le vin me donne des migraines. Elle sent la cigarette, le chewing-gum à la menthe et le parfum de luxe. – Bien sûr, je réponds en espérant qu’elle ne décèle pas mon soulagement à l’idée de pouvoir m’échapper de la table. À l’extérieur de la salle de bal, Hunter, Foster et Bucky sont au bar, où les serveurs sont en train de remballer, maintenant que le dîner est servi. – Je peux vous embêter et vous demander un gin tonic ? je demande au serveur. – Bien sûr, répond-il. Plus je vide de bouteilles, moins je dois en porter jusqu’au camion. – Un gin tonic, mec ? Quand est-ce que tu t’es transformé en grand-mère ? plaisante Bucky. – Ce n’est pas pour moi, c’est pour ma cougar. Hunter ricane en buvant sa bière. – Ne ris pas, je t’en supplie. Encore un ou deux verres et elle va me sauter dessus. Je fais un signe de tête au barman pour avoir sa permission avant d’attraper une des bières dans le carton posé par terre. – D’après les rumeurs, ta queue a déjà été très occupée, cette semaine, dit Foster. Je décapsule ma bière avec la bague que je porte au majeur droit. – Ça veut dire quoi, ça ? – On m’a dit que tu avais passé la nuit avec une Kappa, vendredi dernier, et que tu as couché avec une Tri-Delt le jeudi suivant. Ça paraît horrible, dit comme ça, mais je suppose que c’est ce que les gens racontent. Ce que Foster ne sait pas, c’est que Taylor et moi avons simplement partagé une agréable soirée platonique à discuter. Or je ne peux pas défendre son honneur sans divulguer son mensonge. Je fais confiance aux mecs, mais tout ce que je leur dis sera inévitablement répété à leurs copines et… les gens aiment les ragots. – Qui t’a parlé de la Delta ? Natalie m’a fait entrer le plus discrètement possible car, apparemment, les Delta ont l’interdiction formelle de faire dormir des mecs dans la maison. – Elle-même, ricane Foster. – Ah bon ? Bucky sort son téléphone de sa poche. – Ben ouais, on a tous vu la photo. Attends une seconde, dit-il en tapotant l’écran de son téléphone. Tiens, la voilà. J’étudie le fil Instagram de Bucky et, en effet, je vois le selfie de Natalie, le pouce levé, alors que je dors profondément dans le coin gauche de la photo. Elle a même commenté « Regardez qui a marqué ce soir ?! #BGBriarHockey #Goooooal #CrosseDeRêve ». Super. – Je lui attribue le score maximum pour la lumière et la composition, dit Foster en pouffant de rire. Quel enfoiré ! – Hashtag Gaga de la crosse, ajoute Bucky. Hashtag… Je prends le gin tonic des mains du barman et retourne dans la salle en faisant un doigt d’honneur aux mecs. Ce ne sont pas leurs moqueries qui me dérangent. Ni même la photo, en fait. C’est juste que je me sens… facile. Comme si on m’utilisait pour obtenir des likes. J’ai beau coucher avec beaucoup de filles, je ne les traite jamais comme des conquêtes. Pour moi, un échange de plaisirs physiques, où chacun obtient ce qu’il veut sans mentir à l’autre, est tout à fait sain. Pourquoi donner l’impression à l’autre qu’il n’est qu’un morceau de viande ? Cela dit, je suppose que je le mérite. À me comporter comme un queutard, on finit par me traiter comme tel. Lorsque je reviens dans la salle de bal, un groupe de jazz est en train de jouer et les assiettes ont été débarrassées. La plupart des invités ont gagné la piste de danse, y compris ma cougar à mille carats. Je pose son verre sur la table et m’assieds en espérant que personne ne m’invitera à danser. Pour l’instant, ça va. Je sirote ma bière et regarde les gens autour de moi, mais une conversation à deux tables de la mienne attire bientôt mon attention. – Roh, je t’en prie. Tu lui accordes trop de crédit. C’était un défi, ok ? Ce n’est pas comme s’il l’avait draguée. – Crois-moi, répond une voix de fille. J’ai entendu ce qu’ils faisaient dans la chambre. Il a vu ses seins et son cul d’actrice porno et a dû se dire que, du moment qu’il la prenait par-derrière, il n’aurait pas à voir sa tronche. – Moi, je baiserais le corps de Taylor avec ta tronche à toi, répond un mec. Ma main se resserre sur ma bouteille. Est-ce que ces enfoirés parlent de Taylor ? – Tu te fous de moi, Kevin ? Redis ça et je passe tes couilles au fer à lisser. – Putain, Abigail, je plaisante ! Calme-toi. Abigail. La sœur de Taylor qui l’a obligée à faire ce fichu défi ? Je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, ouais, c’est bien elle. Je me souviens de l’avoir vue quand j’ai fait mon walk of shame, samedi dernier. Elle est assise avec un groupe de Kappa que je reconnais et quelques mecs. Taylor avait raison, Abigail est vraiment la pire des garces. J’imagine que Taylor est quelque part dans la salle, je regarde autour de moi, mais ne la trouve pas. – Tu sais qu’elle veut être prof ? dit une autre fille. Je suis prête à parier qu’elle va finir comme ces nanas qui tombent enceintes de leurs élèves. – Oh, mec, elle devrait faire du porno de prof, répond un autre mec. Avec son bonnet D, elle gagnerait une fortune. – On gagne encore de l’argent en faisant du porno ? Ce n’est pas en accès libre, aujourd’hui ? – Vous devriez voir les vidéos qu’on a de la semaine de bizutage. Vous deviendriez fous. Ce n’est que lorsque la cougar vient chercher son gin tonic et laisse une marque de rouge à lèvres sur ma joue que je réalise que j’ai les poings fermés et que je retiens mon souffle. Je ne sais pas quoi en penser. Je sais pertinemment que certaines personnes sont des ordures, alors pourquoi je suis dans un tel état pour une nana que je n’ai fréquentée qu’une seule nuit ? Mes coéquipiers adorent dire que rien ne m’affecte et, en général, ils ont raison. Je suis doué pour laisser couler les attaques, surtout quand elles ne me concernent pas. Mais toute cette conversation m’agace au plus haut point. – Tu as vu le post Insta de la Delta ? Conor n’a jamais envisagé de remettre le couvert avec Taylor. – Certaines meufs sont faites pour n’être que des coups d’un soir. Qu’elle reste à sa place, rétorque Abigail d’un ton suffisant. Sortir avec un mec comme Conor est un objectif inatteignable pour Taylor. Plus vite elle le comprendra, mieux elle se portera. C’est triste, en fait. – Oh mon Dieu ! Je parie qu’elle dessine déjà des cœurs avec « Conor » dans ses cahiers. – Elle doit écrire Taylor Edwards dans son journal intime. Ils éclatent tous de rire, bande de connards. J’envisage un instant d’aller les voir, Taylor n’a rien fait pour mériter ça. C’est une meuf cool. Elle est intelligente et drôle. Ça fait longtemps que je n’ai pas eu envie de passer toute une nuit à discuter avec une fille. Et je ne l’ai pas fait par pitié ni parce que j’avais besoin d’un alibi, je me suis vraiment amusé avec elle. Ces pestes ne devraient pas pouvoir dire de… En parlant du diable. Mes épaules se crispent quand je vois Taylor marcher vers moi. Elle a la tête baissée et les yeux rivés sur son téléphone. Elle porte une robe noire qui lui arrive aux genoux et un gilet rose boutonné jusqu’au cou, et ses cheveux sont attachés en chignon fouillis sur sa nuque. Je me souviens qu’elle s’est plainte de ses courbes, et je ne comprends vraiment pas pourquoi. Sincèrement. Le corps de Taylor est mille fois plus attirant que celui d’Abigail, par exemple. Les femmes sont censées être douces, voluptueuses et charnues. Je ne sais pas à quel moment on leur a fait un lavage de cerveau pour leur faire penser l’inverse. Ma bouche devient sèche, Taylor s’approche. Elle est vraiment hyper-canon, ce soir. Sexy et élégante. Elle ne mérite pas d’être moquée. Soudain, quelque chose me fait réagir, un besoin de justice, peut-être. L’envie de voir le bien triompher sur le mal. J’ai des picotements sur la nuque, ce qui m’arrive quand je suis sur le point d’avoir une idée stupide. Elle passe à côté de ma table sans me voir et je me lève d’un bond pour saisir son poignet. – Taylor ! Hey ! Pourquoi tu ne m’as pas appelé ? je dis suffisamment fort pour attirer l’attention d’Abigail et de ses harpies. Taylor cligne des yeux, clairement et légitimement confuse. Allez, ma belle. Joue le jeu. Je l’implore du regard et répète d’un ton désespéré. – Pourquoi tu ne m’as pas appelé ?
1. National Collegiate Athletic Association.
2. Compte épargne qui se débloque à la majorité ou à un âge donné, réservé aux plus riches familles américaines. 6 Taylor J’essaie de comprendre ce que me dit Conor, mais le voir en costard me distrait. Ses larges épaules et son torse massif sont divinement mis en valeur dans sa veste bleu marine. Je suis même tentée de lui demander de faire un tour sur lui- même pour étudier la situation niveau fessier, je parie que son cul est à croquer. – Taylor… répète-t-il d’un ton impatient. Je cligne des yeux et me concentre sur son visage. – Conor, salut. Désolée, quoi ? – Ça fait une semaine, dit-il d’une voix étrangement empressée. Tu ne m’as pas appelé. Je pensais qu’on avait passé du bon temps ensemble. Je suis bouche bée. Il est sérieux ? Enfin, oui, techniquement il m’a dit « appelle-moi », mais ça faisait partie du spectacle non ? Il ne m’a même pas donné son numéro ! – Euh, je te demande pardon ? – Tu m’évites, c’est ça ? – Quoi ? Bien sûr que non. Il se comporte bizarrement. Il est un peu geignard, même. Si ça se trouve, il a des troubles de la personnalité. Ou peut-être qu’il est saoul ? Après tout, il y a un open bar à ce gala. D’ailleurs, c’est pour ça que je filais aux toilettes quand il a surgi de nulle part. – Je n’arrête pas de penser à toi, Taylor. Je ne mange plus, je ne dors plus. Je pensais qu’on avait tissé un lien, l’autre soir. Je voulais la jouer cool, tu sais. Je ne voulais pas être trop agressif. Mais tu me manques, bébé. Si c’est une blague, je ne trouve pas ça drôle. Je ferme les poings et fais un pas en arrière. – Ok, je ne sais pas ce qui se passe, mais pour ce que ça vaut, j’ai vu le post Instagram où tu dormais dans le lit d’une meuf. Donc, j’ai tendance à penser que tu supportes très bien mon absence. – Mais c’est parce que tu m’as retourné la tête. Écoute, je sais que j’ai merdé. Je suis faible. Mais c’est seulement parce que je souffrais de penser que notre nuit magique n’avait pas compté pour toi. Mince, maintenant je m’inquiète carrément pour lui, je fais un pas vers lui. – Conor, tu es… Il saisit ma taille sans prévenir et me prend dans ses bras pour nicher sa tête dans mon cou. Je me fige, choquée et légèrement effrayée. Jusqu’à ce qu’il chuchote dans mon oreille. – Je te promets que je ne suis pas taré, mais j’ai besoin de ton aide. Joue le jeu, T. Je recule la tête pour le regarder dans les yeux et y vois une once de détresse ainsi qu’un éclat d’humour. Je ne comprends toujours pas ce qui se passe. Est-ce qu’il veut se venger de ce que je lui ai fait le week-end dernier ? C’est une blague ? Un renvoi d’ascenseur débile ? – Con, mec, laisse cette pauvre fille tranquille, dit une voix amusée. Je me tourne vers le mec aux cheveux blond foncé qui vient de parler, et c’est alors que je vois Abigail et Jules. Mes sœurs de sororité sont assises avec leurs copains et des mecs de la maison Sigma. Soudain, la situation prend tout son sens. Et mon cœur fond. Le monde ne mérite pas un mec comme Conor Edwards. – Va te faire voir, capitaine, rétorque Conor sans se retourner. J’essaie de séduire ma nana. Je réprime un éclat de rire. Il me fait un clin d’œil et serre ma main pour me rassurer. Soudain, à mon grand désarroi, il se met à genoux devant moi. Mon Dieu, si tout le monde ne nous regardait pas encore, c’est le cas, maintenant. Ma bonne humeur est à deux doigts de disparaître. Avec sa gueule d’ange, je suppose que Conor est habitué à être le centre de l’attention. Mais moi, je préférerais qu’on me glisse des échardes sous chaque ongle. Néanmoins, sentant le regard d’Abigail sur moi, je ne peux pas montrer de faiblesse. Je ne peux pas montrer ne serait-ce qu’un millième de l’angoisse qui ronge mon estomac comme de l’acide sulfurique. – S’il te plaît, Taylor. Je t’en supplie. Abrège mes souffrances. Je suis perdu sans toi. – Bon sang, mais qu’est-ce qui se passe ? demande une autre voix d’homme. – Tais-toi, Matty, dit le premier mec. J’ai hâte de voir la suite. Conor continue d’ignorer ses amis et ses yeux gris ne quittent pas les miens. – Sors avec moi. Un rencard. – Euh, je ne crois pas, non. Des cris outrés me parviennent de la table des Kappa. – Allez, T, supplie-t-il. Accorde-moi une chance. Je dois mordre l’intérieur de ma joue pour ne pas rire, mais des larmes se forment dans mes yeux. Si j’hésite un long moment, ce n’est pas pour créer une tension dramatique ; c’est parce que j’ai peur qu’en ouvrant la bouche, j’éclate de rire ou fonde en larmes sous l’effet de la honte que je ressens. – Très bien, je finis par répondre en haussant les épaules. Afin de paraître vraiment détachée, je regarde en direction de la scène, comme si tout cet échange m’ennuyait. – Un seul rencard. Le visage de Conor s’illumine. – Merci. Je te promets que tu ne le regretteras pas. Or, je le regrette déjà. * * * Après le spectacle de Conor au gala, on ne tarde pas à rentrer. Et dans la mesure où je ne voulais pas y aller, de toute façon, je suis soulagée de pouvoir partir. L’an dernier, Sasha et moi avions un peu trop bu et nous nous étions beaucoup amusées, mais elle n’a pas pu venir, cette fois, parce qu’elle avait une répète de dernière minute pour le spectacle de fin d’année. J’ai donc passé ces quelques heures à sourire et à faire semblant d’être BFF avec des Kappa qui soit me détestent, soit se contrefichent de moi. Et c’est sans parler de ce gilet débile que j’ai mis parce que j’en ai eu marre que tout le monde regarde mes seins, mais je crève de chaud. Conor propose de me ramener chez moi parce qu’on habite tous les deux à Hastings. Mais ce doit être un magicien car, je ne sais comment, on atterrit finalement chez lui. Je ne sais pas pourquoi j’accepte de dîner avec lui et de regarder un film. J’accuse les deux coupes de champagne que j’ai bues au gala, même si je me sens parfaitement sobre. – Je préfère te prévenir, dit-il alors qu’on est sur le pas de sa porte, mes colocs sont facilement excités. – Tu veux dire qu’ils vont se frotter à ma jambe comme des chiens, ou plutôt qu’ils sursautent au moindre bruit ? – Un peu des deux. Mets-leur une tape sur le museau s’ils vont trop loin. Je me tiens plus droite et lève le menton. – Ça roule. Si je peux gérer une classe de vingt-quatre élèves de six ans dopés au sucre, je devrais pouvoir dompter quatre joueurs de hockey. Cela dit, ce serait peut-être plus facile si j’avais un sachet de bonbons sur moi. – Con’, c’est toi ? demande une voix quand on passe la porte. Tu veux quoi dans ton bol de graines ? Conor enlève mon manteau et le suspend à un crochet près de la porte. – Que tout le monde range sa bite, déclare-t-il. On a une invitée. – Ton bol de graines ? je demande, confuse. – C’est la règle de nutrition de l’équipe. On mange tous comme des souris. Aucune calorie ne doit être gaspillée, répond-il en soupirant. Je comprends ce qu’il ressent. Il m’emmène dans le salon où trois hommes aux physiques imposants sont étalés sur les canapés et jouent à la Xbox. Ils sont encore en costume, même si les vestes et les cravates ont disparu et que les chemises sont ouvertes. Installés côte à côte, ils pourraient être dans GQ, dans une pub pour un parfum dont le scénario serait une virée entre mecs à Vegas, ou un truc du genre. Il ne manque plus que des jambes de femmes en talons aiguilles allongées sur leurs épaules, et peut-être un string en dentelle rouge jeté sur l’accoudoir du fauteuil. – Les mecs, je vous présente Taylor. Taylor, je te présente les mecs. Conor enlève sa veste et la jette sur le dossier d’une chaise. L’espace d’un instant, je suis hypnotisée par la façon dont ses muscles luttent contre le tissu de sa chemise blanche. Je ne verrai plus jamais un costard de la même façon à présent. – Salut Taylor, répondent les mecs à l’unisson. – Salut les mecs, je dis en agitant la main, gênée. Je le suis encore plus parce qu’il fait une chaleur étouffante dans cette pièce et que j’ai vraiment envie d’enlever mon gilet. Mais ma robe a dû rétrécir au lavage, hier, parce que mes seins ont passé tout l’après-midi à tenter de s’en échapper. Croiser des anciens haut gradés de la Maison-Blanche, des lauréats du prix Nobel et les P.-D.G. les plus riches du pays qui n’ont pas encore maîtrisé l’art de regarder une femme dans les yeux est terriblement déprimant. Les hommes sont vraiment passés à côté de leur évolution. – Alors c’est toi, dit un des colocs. Il est penché en avant, sa manette de jeux dans les mains, et il me regarde en haussant un sourcil. Il est beau, avec le genre de fossettes pour lesquelles les femmes tombent en pâmoison. Je le reconnais du gala : c’était le mec à côté du capitaine de Conor. – C’est moi, quoi ? je demande en faisant mine de ne pas comprendre. – Celle pour qui Con’ s’est mis à genoux et s’est ridiculisé en proclamant son amour ? explique Mister Fossette d’un air curieux, comme s’il attendait une explication. – Merde, c’était toi ? ajoute un autre mec. Je suis dégoûté qu’on soit partis avant de voir ça, râle-t-il en fusillant le troisième du regard. Je t’avais dit qu’on aurait dû rester boire un verre de plus. – Arrête ton interrogatoire, Matt, grommelle Conor. D’ailleurs, laissez-la tranquille. – C’est toi notre nouvelle maman ? demande le troisième mec en ouvrant sa cannette de bière tout en me faisant un regard de chat Potté qui me fait éclater de rire. – Ok, ça suffit, gronde Conor en dégageant d’un coup de pied Matt du petit canapé. Il me fait ensuite signe de m’asseoir. – C’est pour ça que vous n’avez jamais d’invités, bande de débiles ! Leur maison est énorme, comparée à mon petit appartement. Le salon est vaste, avec de vieux canapés en cuir et quelques fauteuils. Il y a un gigantesque écran plat auquel sont connectées au moins quatre consoles différentes. Quand Conor m’a dit qu’il avait quatre colocs, je m’attendais à débarquer dans une horrible tanière de mecs qui sent la chaussette sale, avec des boîtes de pizzas vides et du linge partout, mais leur maison est plutôt propre et elle ne sent ni les pieds ni les pets. – Eh, l’invitée, demande un quatrième mec, un téléphone à l’oreille. Tu veux quoi de chez Freshy Bowl ? – Une salade de poulet grillé, s’il te plaît, je réponds sans hésiter. Je connais par cœur le menu du seul fast-food sain d’Hastings. – C’est moi qui offre, chuchote Conor lorsque je commence à sortir mon porte-monnaie de mon sac. – Merci, je réponds. Je paierai le prochain. Le prochain ? Comme si cette occasion de dîner chez Conor Edwards allait se reproduire ?! Il y a de meilleures chances que la comète de Haley apparaisse quelques décennies en avance, bon sang. Apparemment je ne suis pas la seule à m’étonner de la tournure surprenante que les évènements ont prise. Lorsque Sasha m’écrit quelques minutes plus tard et que je lui dis où je suis, elle m’accuse de lui faire une blague. Je lui réponds discrètement pendant que Conor et ses colocs se disputent pour savoir quel film regarder.
MOI : C’est pas une blague, je te jure.
ELLE : T’es vraiment CHEZ LUI ??? MOI : Je te le jure sur mon poster dédicacé d’Ariana Grande. C’est la seule star de la pop que Sasha m’autorise à aduler. En général, sa réponse est : « si elle ne peut chanter qu’en play-back ou en auto-tune, alors ce n’est pas une vraie musicienne », et ainsi de suite.
ELLE : Je reste convaincue à 50 % que tu
me mens. Vous êtes tous les deux ? MOI : On est six. Moi + Con’ + 4 colocs. ELLE : Con’ ??? On s’appelle par des petits surnoms, maintenant ? MOI : Non, on raccourcit juste son prénom parce que c’est plus simple par SMS.
Je suis sur le point d’ajouter un émoji qui lève
les yeux au ciel quand on m’arrache mon téléphone des mains. – Eh, rends-le-moi ! Conor dégaine un sourire diabolique et se met à lire toute ma conversation avec Sasha à voix haute. – Tu as un poster dédicacé d’Ariana Grande ? demande Alec. Du moins, je crois qu’il s’appelle Alec. Je n’ai toujours pas réussi à retenir tous les prénoms. – Tu lui fais un bisou tous les soirs avant de te coucher ? se moque Matt, faisant hurler de rire toute la bande. – Espèce de traître, je gronde en lançant un regard assassin à Conor. Il me fait un clin d’œil avant de répondre. – C’est ce que faisait ma prof d’histoire-géo, Mme Dillard, au collège : si elle te surprenait en train d’écrire un mot à quelqu’un pendant son cours, elle le lisait à voix haute devant toute la classe. – Mme Dillard a tout l’air d’une sadique. Et toi aussi. Imagine que j’aie écrit à ma pote pour me plaindre de douleurs de règles ? Gavin, assis à côté d’Alec, devient tout pâle. – Rends-lui son téléphone, Con’. Il n’adviendra rien de bon de tout ça. Conor baisse de nouveau les yeux sur l’écran. – Mais l’amie de T. ne croit pas qu’on traîne tous ensemble. Attends, on va lui prouver. Souriez, les gars. Il a le culot de prendre une photo, et je les regarde dégainer leur biceps et sourire à la caméra. Je suis bouche bée. – Voilà, déclare Conor d’un ton satisfait. C’est envoyé. Je lui arrache mon téléphone des mains et constate qu’il dit la vérité. Sasha répond instantanément.
ELLE : OMG ! J’ai envie de lécher les
fossettes de Matt Anderson. ELLE : Puis de le sucer.
J’éclate de rire et Conor essaie à nouveau de
s’emparer de mon téléphone, mais cette fois je gagne la bataille et le range dans mon sac avant que les autres n’aient la même idée que lui. – Vous voyez cette chose ? je leur demande en désignant mon sac. C’est un lieu sacré. Tout homme qui essaie de fouiller dans le sac d’une femme sera tué dans son sommeil par le Boucher des Sacs. Conor ricane. – Bon sang, meuf, ton côté serial killer ressort méchamment. Je lui offre un sourire mielleux avant de céder et de me débarrasser de mon gilet, parce que tous ces énormes mecs dégagent une chaleur impossible. À peine l’ai-je retiré que je sens plus d’une paire d’yeux se promener sur ma poitrine. Je rougis légèrement, mais je me force à l’ignorer et à prendre sur moi. – Tout va bien ? je demande à Gavin, dont le regard est devenu vitreux. – Euh… ouais, tout va bien. Je… euh… j’aime bien ta robe. Matt ricane depuis le fauteuil où il s’est installé. – Ta langue touche le sol, mec, se moque-t-il. Gavin se ressaisit et tourne la tête. Et même s’ils m’ont matée quelques instants, les mecs passent vite à autre chose, ce que j’apprécie. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’ils se comportent en gentlemen, mais ce ne sont pas non plus des vicelards. Lorsque la nourriture arrive, les mecs lancent MAL : Mutant aquatique en liberté et je mange ma salade en regardant la station navale sous- marine se faire attaquer par un crabe géant, tout en me demandant comment Conor Edwards m’a manipulée pour que je me retrouve à traîner avec lui. Non pas que ça me dérange. Il est amusant, et gentil même. Mais je n’ai toujours pas cerné son mobile. Lorsqu’il s’agit d’amitié avec des mecs, j’ai toujours été sceptique. Sur le trajet, je lui ai demandé pourquoi il avait fait ce spectacle devant Abigail et sa bande, et il a haussé les épaules en répondant qu’il aimait embrouiller les Greeks. Je ne doute pas qu’il ait aimé ça, pourtant je reste persuadée qu’il y a une autre raison. Mais je ne peux pas lui poser la question devant ses colocs. Je me demande s’il n’en a pas conscience, d’ailleurs, et s’il ne se sert pas d’eux pour ne pas avoir à répondre à mes questions. – Mais c’est n’importe quoi ! s’exclame Joe, qui m’a dit de l’appeler Foster, en tirant sur un bang, allongé dans son fauteuil relax. À une telle profondeur, la différence de pression nécessiterait plusieurs heures de décompression avant de pouvoir remonter à la surface ! – Mec, y a un crabe géant qui essaie de bouffer leur mini-sous-marin, répond Matt. Tu réfléchis trop. – Mais non, mec. Je suis choqué. S’ils veulent que je prenne leur histoire au sérieux, ils doivent suivre un minimum les lois de la physique naturelle. Bon sang, où est passé le dévouement au scénario ? À côté de moi, Conor secoue la tête en se retenant de rire. Il est tellement beau que j’ai du mal à me concentrer sur autre chose que sa mâchoire carrée et la symétrie parfaite de sa gueule de star. Chaque fois qu’il me regarde, mon cœur tressaute comme un dauphin tout joyeux, et je dois me forcer à la jouer cool. – Tu prends ça un peu trop au sérieux, dit-il à Foster. – Tout ce que je demande, c’est que les types aient un peu de conscience professionnelle. Comment peut-on faire un film sur une station sous-marine et décider que les lois naturelles n’existent pas ? Vous imaginez un film dans l’espace où tout le monde peut respirer normalement sans tenue de cosmonaute ? Non, parce que ce serait parfaitement débile. – Allez, tire sur ton bang, gronde Gavin depuis le canapé, avant d’avaler une énorme bouchée. Tu es ronchon quand tu es sobre. – Ouais, ben, c’est justement ce que je vais faire. Foster tire longuement sur le bang, puis il recrache un énorme nuage de fumée et se remet à manger son quinoa avec des gestes agacés. Il est bizarre, celui-là. Mais beau. Et clairement intelligent, les mecs m’ont dit qu’il étudiait la biophysique moléculaire. Il incarne donc un mélange d’intello-scientifique/joueur de hockey/fumeur de cannabis. Un mélange étrange. – Vous n’avez pas de contrôles antidopage ? – Si, mais du moment que c’est en petite quantité et que ce n’est pas régulier, ça n’apparaît pas dans les tests d’urine, répond-il. – Crois-moi, marmonne Alec qui est à moitié inconscient dans le fauteuil à côté de Gavin. Mieux vaut ne pas connaître Foster quand il est sobre. – Va te faire foutre ! aboie Foster. – Vous pourriez essayer de ne pas vous ridiculiser quand on a de la compagnie ? gronde Conor. Je suis désolé, ils ne sont pas encore dressés. – Je les aime bien, je réponds en souriant. – Tu vois, Con’, rétorque Matt. Elle nous aime bien. – Ouais, alors va te faire voir, ajoute Gavin d’un ton joyeux. Je regrette qu’il n’y ait pas ce genre d’ambiance dans la maison Kappa. J’espérais voir de la solidarité féminine, et au lieu de ça, j’ai eu droit à 1 la saison un de Scream Queens . Même si toutes les filles n’étaient pas aussi horribles qu’Abigail, c’était quand même trop : le bruit, le brouhaha constant, le fait que chaque détail de la vie quotidienne doive devenir une activité de groupe. Je suis fille unique, et j’avais pensé qu’avoir des sœurs me permettrait de remplir un vide dans ma vie, mais j’ai vite déchanté et j’ai appris que si certaines personnes sont faites pour partager une salle de bains, d’autres préféreraient se soulager dans les bois plutôt que de passer une matinée de plus à attendre que les autres aient fini de se brosser les cheveux. À la fin du film, les mecs veulent en regarder un autre, mais Conor en a marre de la télé et saisit ma main pour me lever. – Viens, me dit-il avec cette voix qui me fait frissonner. Allons dans ma chambre. 1. Série américaine horrifique et satirique qui se déroule dans une sororité. 7 Taylor Conor et moi montons dans sa chambre sous les sifflements lourds de sous-entendus de ses colocataires. Ils ne sont guère plus évolués que des dindons sauvages, mais je ne peux pas nier qu’ils sont follement divertissants. Je sais qu’ils pensent que nous allons fricoter, mais j’ai une tout autre idée en tête. Dès que Conor a refermé et verrouillé la porte derrière nous, je commence : – Maintenant qu’on est enfin seuls… Il a la chambre parentale et elle est assez grande pour avoir un lit king-size en bois massif, un petit canapé ainsi qu’un immense écran de télé. Il y a également une salle de bains privée et une large fenêtre qui prend la moitié du mur et donne sur un petit jardin où le gros de la neige a enfin fondu. – Carrément, bébé, je suis partant, répond Conor en arrachant sa cravate pour la jeter de l’autre côté de la pièce. – Mais non, pas ça, je rétorque en levant les yeux au ciel. – Espèce d’allumeuse. Je m’assieds contre sa tête de lit et place un oreiller entre nous, comme la dernière fois qu’on s’est retrouvés seuls dans une chambre. Le plaid bleu qui recouvre son lit me laisse penser que c’est sa mère qui a choisi quelque chose de viril dans le catalogue de Neiman Marcus. Il est doux et il sent son parfum, du bois de santal et quelque chose d’océanique. – Je veux vraiment savoir pourquoi tu as fait ce petit spectacle au gala. – Je te l’ai déjà dit. – Ouais, mais je pense que tu me caches quelque chose. Allez, crache le morceau. – Tu ne préférerais pas qu’on se bécote ? Il rampe sur le matelas, et le lit semble soudain minuscule. Il est vraiment king-size ? Conor est juste là, et ce n’est pas un vulgaire oreiller qui va me protéger de la chaleur de son corps d’athlète ni de son parfum entêtant. Je me force néanmoins à ne pas être trop affectée par son sourire ultra-sexy. – Conor… je gronde sur le même ton que j’emploie avec mes élèves quand l’un d’eux ne veut pas partager les crayons de couleur. Son sourire disparaît. – Si je te disais qu’il vaut mieux que tu ne le saches pas, est-ce que tu pourrais me faire confiance et lâcher l’affaire ? – Non, je réponds en le regardant droit dans les yeux. Dis-moi pourquoi tu as fait ça. Il soupire longuement, se frotte le visage, puis dégage ses cheveux de ses yeux. – Je ne veux pas te blesser. – Je suis une grande fille. Si tu me respectes, dis-moi la vérité. – Bon sang, T., qu’est-ce que tu veux que je réponde à ça ? Il me regarde d’un air torturé et je me prépare au pire. Je me dis que c’est peut-être Abigail qui l’a forcé à le faire, qu’ils l’ont prévu ensemble. Que le premier défi et maintenant la déclaration d’amour en public… que tout ça n’était qu’un traquenard pour que je tombe amoureuse de lui. Mais peut-être qu’il le regrette, à présent ? C’est un scénario horrible, mais ce ne serait pas la pire chose qu’Abigail a faite. – Ok. Mais n’oublie pas que ce sont leurs mots, pas les miens. Il me raconte alors tout ce qu’il a entendu de la conversation de Jules et Abigail avec leurs copains au sujet de ma nuit avec Conor. Je grimace en découvrant leurs moqueries et quand il m’explique d’un ton attristé qu’ils ont parlé de mon potentiel en tant qu’actrice porno. Super. Il avait raison, j’aurais pu me passer des détails sordides. Il n’a même pas tout raconté et je me sens déjà malade. J’ai la nausée à l’idée que Conor les a entendus dire toutes ces horreurs sur moi. – J’ai encore dix kilos à perdre pour que mon rêve de devenir actrice porno se réalise, je plaisante. En général, lorsqu’on se moque de soi-même, ça coupe l’herbe sous le pied à ceux qui comptaient le faire. Montrer aux gens qu’on a conscience de ses défauts atténue leur aversion à l’idée d’avoir une amie potelée. – Ne fais pas ça, dit Conor en se redressant pour m’étudier d’un air sérieux. Ton physique n’a rien de honteux. – Ne t’en fais pas, tu n’as pas à me remonter le moral. Je ne me fais pas d’illusion sur la manière dont les gens me perçoivent. Ce n’est pas que leurs attaques ne m’atteignent pas, c’est juste que je suis désensibilisée après des années de railleries. En tout cas, c’est ce que je me dis. – J’étais une gamine potelée, je déclare en haussant les épaules. Puis j’ai été une ado rondelette. J’ai bataillé avec mon poids toute ma vie. Je suis comme je suis, et j’ai appris à l’accepter. – Mais non, tu ne comprends pas, Taylor, dit-il d’un ton frustré. Tu n’as pas à trouver d’excuses à ton corps. Je te l’ai déjà dit, et peut-être que je vais devoir te le répéter jusqu’à ce que tu me croies, mais tu es vraiment canon. Je te sauterais tout de suite si tu me laissais faire. – Arrête ça tout de suite, je réponds en riant. Mais Conor ne rit pas. Il descend du lit et me tourne le dos. Merde, est-ce qu’il m’en veut de lui avoir dit de se taire ? Je pensais qu’on plaisantait. C’est un peu notre truc, non ? D’ailleurs, est-ce qu’on se connaît suffisamment pour avoir un « truc » ? Merde. – Con’… Je suis sur le point de m’excuser quand il commence à déboutonner sa chemise avant de l’enlever. Bouche bée, je prends le temps d’admirer son dos nu, sa peau bronzée et ses muscles saillants. Mon Dieu, je rêve de presser ma bouche contre ce point entre ses omoplates et de l’explorer avec ma langue. J’en frissonne rien que d’y penser, et je me mords la lèvre pour réprimer un gémissement. Il jette sa chemise à l’autre bout de la pièce, puis il défait son pantalon pour le baisser. Il n’est plus qu’en chaussettes et en boxer qui moule le fessier le plus ferme que j’aie jamais vu. – Qu’est-ce que tu fais ? – Déshabille-toi, répond-il en se tournant vers moi et en marchant vers le lit d’un pas déterminé. – Je te demande pardon ? – À poil ! ordonne-t-il. – Absolument pas. – Écoute, Taylor, on va régler ça tout de suite, une bonne fois pour toutes. – Régler quoi, au juste ? – Je vais te faire grimper aux rideaux et te prouver que ma queue te kiffe. Quoi ? Je lui fais les gros yeux, mais mon regard me trahit et descend sur son entrejambe. Je ne sais pas si la bosse dans son boxer est une érection ou son sexe à l’état normal. Quoi qu’il en soit, la déclaration de Conor est tellement grotesque que j’éclate de rire. Ça se transforme rapidement en fou rire et je ne peux bientôt plus respirer. Je suis pliée en deux et je ne peux pas m’arrêter. Chaque fois que je le regarde dans les yeux, un nouvel éclat de rire jaillit et les larmes se mettent à couler sur mes joues. Il est vraiment trop absurde. – Taylor… gronde Conor en passant ses deux mains dans ses cheveux. Taylor, arrête de rire. – Je ne peux pas ! – Tu es en train d’endommager mon ego de façon irréparable. Je tente de respirer lentement et finis par me calmer. – Merci, je dis enfin. J’en avais besoin ! – Tu sais quoi ? grommelle-t-il en grimaçant. Je retire ce que j’ai dit. Tu es comme une kryptonite pour pénis. – Oooh, mais non, viens par là, je dis en remontant sur le lit et en tapotant la place à côté de moi. Plutôt que d’agir comme une personne normale, Conor décide de s’allonger sur le dos et de poser ses épaules et sa tête sur mes cuisses. Le fait qu’un des hommes les plus sexy sur terre soit en boxer et allongé sur moi ne me laisse pas insensible. J’ai du mal à me concentrer quand il est… ben… quand il est comme ça. Ce n’est pas la première fois que je le vois presque à poil, mais la vue n’en est pas moins impressionnante. Conor est ce que les mecs imaginent devenir lorsqu’ils se regardent dans un miroir pendant qu’ils poussent de la fonte. Chaque beauf en marcel blanc se prend pour Conor Edwards. – Je n’en reviens pas de ne pas avoir réussi à te faire mettre à poil, rouspète-t-il d’un ton accusateur. – Désolée. C’était une offre adorable, mais je me dois de la refuser. – C’est bien la première fois que ça m’arrive. Conor plonge ses beaux yeux gris dans les miens et, l’espace d’un instant, je m’imagine me baisser sur lui tandis qu’il pose une main sur ma joue. Je vois nos lèvres se rapprocher et… Ne l’embrasse pas, Taylor ! Mon alarme interne se déclenche et mon fantasme d’adolescente s’évanouit aussi vite qu’il est apparu. – La première fois ? Conor Edwards est allongé sur mes cuisses, et j’ai du mal à me concentrer. – Tu es la première à dire non à ma queue. – Et pas qu’une fois, en plus, je lui rappelle. – Oui, merci, Taylor. Tu me trouves imbaisable. J’ai pigé, dit-il avant de hausser un sourcil inquisiteur. Mais c’est dommage, quand même. Ses cheveux me supplient de les caresser et mes doigts rêvent de se promener dans ses mèches soyeuses. – Qu’est-ce qui est dommage ? – Continue, dit-il, me faisant soudain réaliser que mes mains n’ont pas attendu l’ordre de mon cerveau pour assouvir leur désir. C’est délicieux, ajoute-t-il. Je continue donc de coiffer ses cheveux en arrière en effleurant son crâne avec mes ongles. – Qu’est-ce qui est dommage ? – Ben, on a déjà établi des bases solides. On a passé une nuit endiablée ensemble. Tout le monde pense que tu m’as envoûté et que je suis amoureux de toi. Je trouve dommage de ne pas profiter d’un tel scénario. Je lui lance un regard suspicieux. – Tu proposes quoi ? – De poursuivre la mascarade. – De la poursuivre… C’est une idée parfaitement malhonnête et immature. Donc, bien évidemment, je suis intriguée. – Jusqu’à quand ? – Le mariage, la mort ou la remise de diplôme. Ce qui arrivera en premier. – Ok, mais pourquoi ? Tu y gagnes quoi, toi ? – Un antidote à l’ennui, répond-il en souriant. J’aime jouer, T. Et ce jeu me semble amusant. – Mmm-hmmm. Et si l’homme de mes rêves vient me chercher pour m’emmener dans son château, mais prend peur en voyant Conor Fucking Edwards me tourner autour ? – Premièrement, je t’ordonne de continuer à m’appeler comme ça. Deuxièmement, s’il ne supporte pas un peu de compétition, ce n’est pas l’homme de tes rêves. Fais-moi confiance, bébé. Chaque fois qu’il m’appelle « bébé », un frisson électrique parcourt mes veines. Je me demande s’il sent mon cœur accélérer. Mais sans doute est-il parfaitement conscient de l’effet qu’il a sur les filles. – Très bien… Et tu fais quoi de tes admiratrices ? je réponds. Et si Natalie, la Tri- Delta, veut remettre le couvert, mais qu’elle apprend que tu as une fausse copine ? – Je n’ai pas envie de remettre le couvert avec elle, dit-il en haussant les épaules. – Foutaises. Tu n’as pas vu ses cheveux ? Ils sont tellement brillants. Conor éclate de rire. – Soit, elle a de beaux cheveux. Mais je suis sérieux. Elle a posté une photo de moi, à poil dans son lit, pendant que je dormais. Ce n’est pas cool. Et le consentement, dans tout ça ? – Foutaises, je répète. Tu t’es vu ? Je parie que tu adores qu’on photographie ton corps. – Pas sans mon consentement, non, insiste-t-il d’un air on ne peut plus sérieux qui me dit que le comportement de Natalie ne lui a pas plu du tout. Je le comprends, en même temps. Je fais encore des cauchemars de la semaine de bizutage des Kappa et de toutes les choses gênantes qu’on a dû faire tout en étant filmées par les seniors. – Bref, poursuit-il, peut-être que j’ai besoin de faire une pause dans mon marathon de sexe. De prendre du temps pour moi. – Ton marathon de sexe ! je m’exclame en le frappant sur l’épaule. Bon sang, tu es obligé d’être aussi dégoûtant ? Il sourit de nouveau avec cet air narquois. – Tu ne me trouves pas dégoûtant, sinon tu ne m’aurais pas laissé te câliner. Je déglutis, la gorge soudain trop sèche. – Ce n’est pas ce que j’appelle câliner. – Bien sûr que si, T. – Pas du tout, C. Alors quoi, tu vas faire vœu d’abstinence pour le reste de l’année ? Je n’y crois pas une seconde. Conor semble outré. – Abstinence ? Hors de question. Je vais tenter de te séduire. – Tu es incorrigible, je réponds en éclatant de rire. – Pourquoi tu as arrêté de caresser mes cheveux ? C’était cool. Il se lèche brièvement la lèvre et ce geste innocent et adorable fait battre mon cœur plus vite. – Alors, tu en dis quoi ? On continue de faire semblant ? – Le simple fait que je l’envisage me fait penser que j’ai trop bu aujourd’hui. – Ça fait des heures que tu n’as rien bu, tu n’es pas saoule. Et puis, dis-moi que la tronche d’Abigail chaque fois qu’elle nous a vus ensemble ne t’a pas fait frétiller de plaisir. – Premièrement, ne redis jamais « frétiller » en ma présence. Deuxièmement… J’ai envie de lui dire qu’il a tort. Que je suis au- dessus de ces jeux puérils. Mais… il n’a pas tort à propos du plaisir que ça m’a procuré. – Peut-être que ça m’a plu. Un peu. – Ah ! Je le savais. Tu aimes ce jeu autant que moi. – Juste un peu. – Menteuse ! Il s’assied brusquement et je déteste admettre qu’il me manque aussitôt. Je dois bien reconnaître que le poids de son corps me manque tout autant que de sentir ses mèches soyeuses entre mes doigts. – Qu’est-ce que tu fais ? je demande quand il descend du lit et saisit son pantalon. Il revient avec son téléphone à la main et il s’assied à côté de moi. Il déverrouille l’écran pour… Je ne sais pas pourquoi. Curieuse, je me penche pour regarder ce qu’il fait, surprise de voir qu’il a ouvert l’appli MyBriar, le réseau social de notre fac. J’écarquille les yeux quand il change son statut pour s’afficher « en couple ». – Hé ! Je n’ai pas dit oui. – Si, pratiquement. – Je n’étais convaincue qu’à soixante-dix pour cent, tout au plus. – Eh ben, dépêche-toi de passer à cent pour cent parce qu’on va faire crasher l’appli, bébé. Mon Dieu. La petite bulle de notifications n’arrête pas de clignoter. Dix, vingt, quarante. – Allez, râle-t-il. Je m’ennuie. Ça va nous distraire, au moins. Au mieux, tu finiras par céder à ma beauté ravageuse et par coucher avec moi. – Dans tes rêves ! – Absolument. Mais sérieusement : au moins Abigail te lâchera les baskets pendant un moment. Ce n’est pas rien, si ? C’est vrai que ce serait chouette. D’autant plus qu’il y a réunion à la maison, demain, et que je sais qu’Abigail ne va pas se priver de me lancer toutes les piques qu’elle peut. – Je sais que tu en as envie… chantonne-t-il en agitant son téléphone devant moi. Mon regard se pose sur l’anneau en argent qu’il porte à son majeur. – Elle est cool ta bague. Elle vient d’où ? – De L.A. Mais arrête de changer du sujet, insiste-t-il en me tendant son téléphone. Allez, je te mets au défi. – Tu es très persévérant. – Certains pensent que c’est une de mes meilleures qualités. – Et tu es parfaitement détestable, aussi. Conor dégaine ce sourire suffisant qui révèle que, pour lui, le mot « détestable » dans la bouche d’une fille est synonyme de « charmant ». – Taylor Marsh, me ferais-tu l’immense honneur de mettre à jour ton statut et de devenir ma fausse petite amie ? Et voilà qu’elle craque. Comme possédée par un être surnaturel, ma main prend son téléphone. Mon doigt le déconnecte de son compte et se connecte au mien, et je modifie mon statut pour m’accorder au sien. Je suis néanmoins vaguement consciente de deux choses : La première, c’est que j’aurais pu utiliser mon propre téléphone, mais ça aurait gâché le moment. La deuxième, c’est que, quoi que je sois en train de faire, je sais déjà que ça va mal finir. 8 Taylor Moins de vingt-quatre heures après que Conor et moi sommes devenus officiellement un « couple », les membres de la maison Kappa se réunissent pour écouter la présidente. Le premier sujet à l’ordre du jour est l’élection des prochaines présidente et vice-présidente. Charlotte étant senior, sa vice-présidente Abigail est le successeur naturel. Tuez-moi tout de suite ! – Pour s’assurer qu’il n’y aura aucune volonté d’influence de ma part ou de la vice-présidente, dit Charlotte, c’est Fiona qui mènera le comité d’élection avec Willow et Madison. Elles se chargeront du dîner de clôture et coordonneront le vote. Celles qui souhaitent les aider peuvent leur parler après cette réunion. La triste vérité est que l’élection n’est qu’une formalité. Chaque année, la senior sortante nomme une junior comme vice-présidente, et c’est elle qui est élue l’année suivante. Prétendre qu’on ne vit pas dans une dynastie est un mensonge. Dani, qui se présente contre Abigail comme la voix de la résistance, n’a pas la moindre chance. Mais elle aura mon vote, c’est clair. – Fi ? lance Charlotte. La grande rousse se lève de sa chaise. – Oui, bien. Donc, Abigail et Dani feront leurs discours de fin de campagne lors du dîner de clôture. Le format sera… Mon téléphone vibre contre ma cuisse et distrait Fiona. Je baisse la tête et réprime un sourire lorsque je lis le message de Conor.
LUI : Comment va me p’tite bombe cet
après-midi ? Je lui réponds discrètement, même si je sens que Sasha me regarde. Elle est assise à côté de moi et je parie qu’elle cherche à lire ma réponse.
MOI : Je suis en pleine réunion Kappa. Tue-
moi. LUI : Te tuer ? Comment on baisera si je te tue ?
Je me retiens d’éclater de rire et je réponds par
un émoji qui lève les yeux au ciel. Il augmente la mise en m’envoyant une photo de ses abdos, et je m’efforce de ne pas baver sur la table de la salle à manger. – Tu veux dire à tout le monde ce qui est si fascinant, Tay-Tay ? demande Abigail. – Désolée, je réponds en levant la tête et en posant mon téléphone sur la table. Je lance un regard navré à Fiona et Charlotte avant de m’expliquer. – Quelqu’un m’a écrit et je répondais que j’étais en réunion. – Quelqu’un ? ricane Sasha. Est-ce que par hasard le prénom de ce quelqu’un commencerait par C et finirait par Onor ? Je me tourne pour la fusiller du regard, mais sa remarque a déjà éveillé la curiosité de notre présidente. – Conor ? répète-t-elle. Tu veux dire Conor Edwards ? Je parviens à peine à hocher la tête. – Ma petite Taylor s’est déniché un dieu du hockey, vante ma meilleure amie. Je suis tiraillée entre l’envie de la gifler parce qu’elle attire toute l’attention sur moi, et la remercier de m’aider à paraître un peu plus cool. Sasha Lennox est la meilleure supportrice qui soit. Cependant, elle est au courant que mon changement de statut sur MyBri est du pipeau, et je prie pour qu’elle ne fasse pas une bourde qui révélerait la vérité. – Sans déconner ? dit Charlotte d’un air impressionné. Bien joué, Marsh. – Ils ont baisé dans ma chambre ! se vante Rachel, comme si cela impliquait qu’elle était elle-même à deux doigts d’être la copine de Conor Edwards. – Roh, et alors ? râle Abigail d’un ton glacial. Qui n’a pas couché avec ce type, en fait ? Sans rire. Que toutes celles qui ont couché avec lui lèvent la main ! Après quelques secondes d’hésitation, trois mains se lèvent ; Willow et Taryn semblent gênées à l’autre bout de la table et Laura est rouge cramoisie contre le mur. Eh bien, Conor ne s’ennuie pas tant que ça, on dirait. Je ravale le petit nœud de jalousie qui se loge dans ma gorge en me rappelant que je savais que Conor était un séducteur. Et puis, c’est un homme, un adulte. Il peut coucher avec qui il veut, y compris mes sœurs de sororité. Sentant ma gêne, Sasha se tourne vers Abigail et lui lance un regard glacial. – Qu’est-ce que tu insinues, Abs ? Que Taylor a moins de valeur et de mérite parce que son mec a un passé ? Ça ne veut rien dire. D’ailleurs, que celles qui ont couché avec un des ex-tocards d’Abigail lèvent la main ! Je suis ravie de voir que deux fois plus de mains se lèvent. Et cette fois, les six Kappa ne sont absolument pas gênées. Je parie qu’elles prennent un plaisir pervers à l’admettre, étant donné qu’Abigail est une garce avec tout le monde. C’est alors que le petit toutou d’Abigail, Jules, sort les crocs. – Personne n’a entendu parler du girl code ? Sasha ricane. – Et toi, Julianne ? Ce n’est pas toi qui viens de séduire Duke Jarrett alors qu’il sortait avec cette meuf de la maison Theta Beta Nu ? Elle ferme enfin son clapet et Charlotte se racle la gorge. – Bon, on a un peu dévié du sujet. Fiona, tu allais nous parler des discours des candidates ? Fiona est sur le point de reprendre la parole quand mon téléphone se remet à vibrer. Cette fois, Rachel pousse un cri tout excité et elle se penche sur la table pour regarder l’écran. – Il t’appelle en FaceTime ! Mon cœur se met à battre la chamade. – Je suis vraiment désolée, je dis à Charlotte. Je vais l’ignorer et… – L’ignorer ? s’offusque Charlotte. Bon sang, Marsh, réponds ! Mon Dieu. Mon pire cauchemar est en train de se réaliser. Sans rire, qu’est-ce qui a poussé mon faux-mec à m’appeler en visio alors que je viens de lui dire que je suis en réunion ? Pourquoi il ferait ça… – Réponds ! s’écrie Lisa Donaldson. Je suis à peu près sûre que c’est la première fois que Lisa me parle. J’appuie sur le bouton vert, mon cœur bat à tout rompre. La seconde d’après, la connexion se fait et le visage sublime de Conor apparaît à l’écran. – Salut, bébé. Sa voix grave remplit la salle à manger et je remarque que plusieurs de mes sœurs frissonnent. – Désolé, je sais que tu as dit que tu étais en réunion, mais je voulais te dire que… Il s’arrête en pleine phrase et me dévore du regard. – … bon sang, T., tu es belle à croquer. Je ne sais pas s’il est humainement possible de rougir encore plus que ce n’est le cas. Je remets une mèche derrière mon oreille et fronce les sourcils. – Tu es sérieux ? C’est pour ça que tu as interrompu ma réunion ? – Mais non, ce n’est pas pour ça. Il esquisse un sourire enfantin, et toutes celles qui voient mon écran soupirent comme dans une scène du théâtre victorien. – Alors, qu’est-ce que tu voulais ? – Je voulais juste te dire que tu me manques, dit-il en me faisant un clin d’œil. – Oh mon Dieu, chuchote Rachel. Waouh, il a vraiment décidé d’étaler la confiture. J’allais lui répondre quand quelqu’un prend le téléphone de Conor, et un nouveau visage apparaît. – Taylor ! s’exclame Matt Anderson d’un ton joyeux. Yo, tu reviens quand ? Foster nous a trouvé un nouveau film à regarder. – Avec des trous noirs et des pieuvres géantes ! crie la voix lointaine de Foster. – Bientôt, Matty, je promets en priant pour qu’il ne se moque pas du fait que je viens de l’appeler Matty. En même temps, si Conor a le droit d’être mielleux, moi aussi, non ? – Bon, je vais raccrocher. Je suis occupée. Je le fais aussitôt et, lorsque je pose mon téléphone, je découvre que tous les regards sont posés sur moi, des regards envieux. Même Sasha semble impressionnée, alors qu’elle est au courant de la vérité. – Je suis vraiment désolée, je dis, gênée. Je ferai en sorte qu’il n’interrompe plus en réunion. – Ne t’en fais pas, me rassure Charlotte. On sait combien il est dur de dire non aux joueurs de hockey. Crois-nous, on sait. Le reste de la réunion se déroule sans accroc, même si j’ai du mal à ignorer les regards assassins de Jules et d’Abigail. Charlotte finit par frapper dans ses mains manucurées pour annoncer la fin, et tout le monde se disperse. Je bouscule quelqu’un en essayant de m’échapper et quand je fais un pas en arrière, je réalise que c’est Rebecca Locke. – Oh, désolée. Je ne t’ai pas vue. – Ce n’est rien, répond-elle sèchement avant de déguerpir sans un mot. Je la regarde courir à l’étage et je soupire en me demandant si les choses pourront s’arranger un jour. Durant la semaine de bizutage, j’ai été obligée de l’embrasser et on a toutes les deux été mortifiées. Depuis, on s’est à peine adressé la parole, et on s’est toujours débrouillées pour ne jamais être seules dans la même pièce. – On mange ensemble ? demande Sasha en me prenant par le bras. – Carrément. – Taylor, attends, dit une voix lorsqu’on s’apprête à sortir. Je regarde derrière moi et vois Lisa Donaldson et Olivia Ling venir vers nous. – Qu’est-ce qui se passe ? je demande poliment. – Tu vis à Hastings, c’est ça ? demande Lisa en coiffant ses cheveux en arrière. – Ouais, pourquoi ? Ces deux filles ne m’ont jamais accordé la moindre attention, et voilà qu’elles m’expliquent qu’elles vont à Hastings deux fois par semaine pour leurs rendez-vous en institut de beauté et qu’elles adoreraient manger un bout avec moi si je suis libre mardi soir. – Et toi aussi, Sasha, propose Olivia d’un ton qui semble sincère. En général, Beth et Robin et nos copains respectifs nous rejoignent au dîner, aussi. Ça fait du bien de sortir du campus de temps en temps, tu sais ? – C’est encore mieux de ne pas vivre sur le campus, je réponds en souriant. – J’imagine, oui, murmure Lisa. Elle regarde Abigail du coin de l’œil, celle-ci chuchote d’un air furieux avec Jules, dans le salon. Voilà qui est intéressant. Peut-être que je ne suis pas la seule à vouloir voter pour Dani, finalement. Nous acceptons de dîner avec les filles mardi soir et sortons de la maison. – Conor Fucking Edwards, je marmonne. Sasha éclate de rire. – Il est vraiment bon acteur. Même moi, j’étais convaincue que tu lui manquais, et pourtant je sais que c’est faux. Un seul FaceTime avec lui, et soudain, on m’invite à dîner. Conor m’a dit combien il aimait ce genre de jeux, et aujourd’hui, il m’a prouvé qu’il était doué pour ça. Le problème, c’est que ce n’est pas mon cas. Je perds toujours. Et plus ce mensonge durera, plus le risque que ça m’explose à la figure grandit. 9 Conor L’ambiance est étrangement calme sur la patinoire le mardi suivant. L’équipe fait ses exercices sans un mot pendant deux heures et seul le bruit de nos patins et les sifflements du coach résonnent dans l’arène déserte. Le tableau des matchs a été publié hier, et ce week-end nous affronterons les Minnesota Duluth à Buffalo, dans l’État de New York. Personne ne veut le dire, mais je crois qu’on est tous inquiets. Le stress commence à monter, et chacun est ultra- concentré sur le rôle qu’il doit jouer dans l’équipe. Hunter s’entraîne tous les soirs depuis qu’on a été qualifiés. Il a désespérément envie de gagner. Je crois que, pour lui, l’issue du tournoi sera le reflet de son succès en tant que capitaine ; comme si c’était à lui seul de nous faire gagner et que, si nous perdons, il se sentira responsable. Bon sang, je ne pourrais jamais faire son job. De façon générale, j’essaie de réduire mes attentes et de ne jamais endosser de responsabilité pour les autres. On file à la douche après l’entraînement et je reste sous le jet bouillant le temps que mes muscles se dénouent un peu. Ce tournoi pourrait bien causer ma mort. Mon ancienne équipe de Los Angeles était tellement nulle que je n’avais jamais à me soucier d’une saison prolongée. Or, un championnat aussi long et aussi compétitif commence à avoir raison de mon corps. J’ai des bleus partout, mes côtes sont endolories et mes muscles épuisés. Honnêtement, je ne sais pas comment font les pros. Ce serait un miracle que j’arrive encore à tenir sur des patins, la saison prochaine. Pas mal de gars dans l’équipe veulent passer pro, mais moins de la moitié ont une véritable chance d’y parvenir. De mon côté, je ne me suis jamais fait d’illusions quant à mes chances d’entrer dans la NHL. Et je n’en ai pas envie. Pour moi, le hockey a toujours été un passe-temps, une occupation qui m’évitait les ennuis. Quand je suis sur la glace, j’ai moins le temps de faire des conneries. Bientôt, cette partie de ma vie sera derrière moi. Le problème, c’est que je ne sais pas ce qui la remplacera. – Eh, capitaine, je propose de commencer tout de suite l’Inquisition sur le Changement de Statut, crie Bucky par-dessus le bruit des douches. – Je soutiens cette motion, répond Jesse. – La motion est adoptée, dit Hunter en me regardant. L’Inquisition sur le Changement de Statut est déclarée ouverte. Bucky, fais approcher ton premier témoin. – J’appelle Joe Foster à la barre. – Présent ! gargouille Foster à l’autre bout de la salle. – Je vous déteste, je grogne en saisissant ma serviette pour la nouer autour de ma taille. – Est-ce vrai, Monsieur Foster, que Conor Edwards s’est publiquement et honteusement mis à genoux pour déclarer son amour à la meuf de la teuf Kappa, après que tout le monde a su qu’il avait couché avec Natalie Insta ? – Attends, quoi ? répond Foster. Ah, le truc du gala. Ouais. C’était répugnant. – Et… a-t-il subséquemment ramené la meuf de la teuf Kappa chez lui ce soir-là ? – Eh, Bucky, je ne savais pas que tu connaissais des mots de plus de trois syllabes, lance Gavin en sortant de sa douche. Je file vers mon casier pour me rhabiller pendant que les mecs continuent leurs conneries. – Ouais, et ils sont restés longtemps dans sa chambre. Seuls. Foster va trouver sa voiture remplie de godemichés dans un avenir très proche. – Et ils se sont appelés en FaceTime, l’autre jour, ajoute Matt avec un sourire béat. C’est lui qui l’a appelée. Des cris exagérément choqués résonnent dans le vestiaire. Matt peut s’attendre à une tonne de godemichés, lui aussi. – Allez tous vous faire foutre, je grommelle. – Il me semble pourtant que tu ne t’es pas gêné pour interférer dans mes histoires, toi, dit Hunter. Bien fait pour ta belle gueule. – Au moins je n’ai pas besoin que tu fricotes avec ma copine pour qu’elle veuille bien coucher avec moi, je réponds. – Aïe ! s’exclame Bucky en riant. Il n’a pas tort, capitaine. – Alors, vous êtes vraiment ensemble ? demande Hunter en ignorant ma remarque à propos du défi de chasteté débile qu’il s’était lancé. Toi et… – Taylor. Ouais, plus ou moins. – Plus ou moins ? Techniquement, rien de tout ça n’est vrai. Et ça m’emmerde de mentir aux mecs. Cela dit, qu’est-ce que ça veut dire, être « vraiment » ensemble ? Après tout, je ne vais pas coucher ni sortir avec d’autres femmes, parce que ce serait irrespectueux pour Taylor et les femmes en question. Et si elle n’a rien dit à ce sujet, je pense qu’on est sur la même longueur d’onde. Donc, en théorie, on est exclusifs. Et… bon, ok. On ne couche pas ensemble et on ne s’embrasse pas. D’ailleurs, on ne se touche même pas. Mais ça ne veut pas dire que j’y suis opposé. En fait, si j’arrivais à faire en sorte que Taylor se voie comme je la vois, et si elle appréciait son corps autant que moi – et putain, qu’est-ce que je l’apprécie – alors peut-être qu’elle se laisserait aller au point de s’ouvrir à l’idée qu’on se touche, qu’on s’embrasse et qu’on couche ensemble. Donc, l’attirance est bien là. En vérité, Taylor est cool et j’aime traîner avec elle et lui parler. Elle n’est pas prétentieuse et elle est plutôt drôle. Mieux encore, elle n’attend rien de moi. Je n’ai pas besoin de me conformer à une version de moi qu’elle aurait imaginée ni de répondre à des attentes débiles qui nous décevraient tous les deux. Et elle ne me juge pas, à aucun moment je n’ai senti qu’elle me regardait de haut ou qu’elle avait honte de mes choix ou de ma réputation. Je n’ai pas besoin de son approbation, juste qu’elle m’accepte. Et j’ai l’impression qu’elle m’apprécie pour qui je suis. Au pire, j’aurai gagné une bonne amie. Au mieux, je la fais grimper aux rideaux. De mon point de vue, je n’ai rien à perdre. – On ne sait pas encore ce que c’est, je réponds en enfilant un sweat à capuche. On s’amuse, c’est tout. Heureusement, les mecs lâchent le sujet, principalement parce qu’ils ont la concentration d’un poisson rouge. Hunter écrit déjà à Demi en sortant du vestiaire, Matt et Foster se mettent à parler du film de pieuvre qu’on a tous regardé l’autre soir. Je sors de l’arène quand mon téléphone sonne et que « MAMAN » s’affiche à l’écran. – Allez-y, je dis à Matt. Je vous rejoins. Mes coéquipiers partent vers le parking et je ralentis pour répondre à l’appel. – Salut, maman. – Salut, mon grand. Peu importe l’âge que j’ai, ma mère me voit toujours comme un garçon de cinq ans. – Ça fait une éternité que je n’ai pas eu de nouvelles. Tout se passe bien en Sibérie ? – Figure-toi qu’il y a du soleil aujourd’hui, je réponds en riant. Je ne mentionne pas, cependant, qu’il ne fait que dix degrés alors qu’on est fin mars. Le printemps prend vraiment son temps pour arriver en Nouvelle-Angleterre. – C’est bien. J’avais peur que tu termines ton premier hiver sur la côte Est avec une carence en vitamine D. – Non, tout va bien. Et toi ? Il se passe quoi, avec les incendies ? Ça fait plusieurs semaines que la côte Ouest est ravagée par les incendies, et je n’aime pas que ma mère soit là-bas et respire toute cette fumée. – Oh, tu sais… Ça fait deux semaines que j’ai mis des bâches en plastique transparent sur les fenêtres et les portes, et qu’on laisse tout fermé pour que la fumée ne pénètre pas. On a aussi acheté quatre nouveaux purificateurs d’air qui sont censés absorber tout ce qui est plus gros qu’un atome. Mais je crois qu’ils me dessèchent la peau, ou peut-être que c’est le manque d’humidité. Bref, vers chez nous, les incendies ont été quasiment maîtrisés, la fumée a presque disparu. Tant mieux, parce que je viens juste de commencer un nouveau cours de yoga matinal sur la plage. – Du yoga, maman ? – Je sais, c’est n’importe quoi, répond-elle en riant. Son rire est contagieux et je réalise soudain combien il m’a manqué. – Mais Richie, le partenaire de Christian ; tu te souviens de Christian, qui vit en face ? Ben c’est lui qui enseigne. Il m’a proposé d’y aller et je n’ai pas su dire non, donc… – Donc, tu es une femme qui fait du yoga. – Apparemment. Qui l’aurait cru ? Pas moi, c’est certain. Ma mère était coiffeuse. Elle travaillait entre soixante et soixante-dix heures par semaine avant de faire le tour du quartier pour me retrouver. À l’époque, si quelqu’un l’avait invitée à faire du yoga à l’aube sur la plage, elle leur aurait mis un coup de poing dans le nez. Tout plaquer pour devenir femme au foyer à Hungtington Beach n’a pas été facile après des années d’une vie de mère célibataire gagnant une misère à L.A. Elle a longtemps essayé de se conformer à l’image qu’elle s’était inventée et a détesté le résultat parce qu’elle avait le sentiment d’échouer. Puis elle a appris à s’en foutre. Ceux qui disent que l’argent n’achète pas le bonheur ne savent pas s’en servir. Si ma mère est à un stade de sa vie où elle prend du plaisir à se lever à l’aube pour des activités frivoles, je suis heureux pour elle. – J’ai dit à Max que s’il commençait à voir des 1 dépenses sur Goop sur le relevé de carte bancaire, il devait intervenir. – Comment va Max, d’ailleurs ? Ce n’est pas que je tienne à le savoir, mais ma mère se sent mieux quand je fais semblant. Pour ma défense, je suis sûr que mon beau-père lui demande de mes nouvelles pour la même raison, pour marquer des points. Max me tolère parce qu’il aime ma mère, mais il n’a jamais cherché à me connaître. Il a gardé ses distances depuis le premier jour. Je crois qu’il a été soulagé quand je leur ai dit que je voulais partir sur la côte Est. Il était tellement content de se débarrasser de moi qu’il a fait tout son possible pour me faire entrer à Briar. Et j’ai été aussi soulagé que lui. La culpabilité a le chic de nous asphyxier jusqu’à ce qu’on soit prêt à tout pour s’enfuir. – Il va super-bien. Il est en déplacement pour le travail, mais il rentre vendredi matin. Donc, on t’encouragera tous les deux par la pensée, vendredi soir. Est-ce qu’il y a des chances que le match soit retransmis ? – Je ne pense pas, non, je réponds en approchant du parking. Si on arrive en finale du tournoi, alors oui, c’est sûr. Bref, maman, il faut que j’y aille. On vient de finir l’entraînement et on doit rentrer. – D’accord, mon chéri. Écris-moi ou appelle- moi avant de partir à Buffalo. – Promis. On se dit au revoir et je raccroche en arrivant à la vieille Jeep noire que je partage avec Matt. Techniquement, elle est à moi ; mais il participe aux pleins d’essence et il paie les révisions, ce qui me permet de ne pas utiliser l’argent que Max met sur mon compte tous les mois. Je déteste dépendre de mon beau-père, mais pour l’instant je n’ai pas le choix. – Tout va bien ? demande Matt quand je m’assieds sur le siège passager. – Ouais, désolé. C’était ma mère. Il semble déçu. – Quoi ? – J’espérais que c’était ta nouvelle nana, comme ça, j’aurais pu continuer à me moquer de toi. Mais les mamans sont hors limites. – Depuis quand ? je ricane. Tu nargues Bucky en parlant de te taper sa mère presque tous les jours. D’ailleurs, en parlant de ma « nouvelle nana », je n’ai pas eu de ses nouvelles depuis hier soir, quand elle a répondu « LOL » à une vidéo hilarante que je lui ai envoyée. Un simple LOL ! Pour une vidéo d’un chihuahua qui fait du surf ! C’est scandaleux. Matt sort du parking et j’écris un message rapide à Taylor.
MOI : Tu fais quoi, ma belle ?
Elle ne répond pas pendant trente bonnes
minutes. Je suis chez moi dans ma cuisine, en train de me faire un smoothie, quand elle répond enfin. TAYLOR : Je travaille. Je suis à l’école, à Hastings.
Ah oui ! Elle m’a dit qu’elle bossait comme
assistante d’éducation pour son stage de fin d’études.
MOI : On mange ensemble, plus tard ?
ELLE : Je ne peux pas :( ELLE : Je dîne avec des amies. À plus ?
Eh ben, merde alors ! Ça fait un bail qu’une
nana a refusé une occasion de dîner avec moi, et encore, c’était seulement pour aller plus vite au pieu. Le refus de Taylor me dérange plus que je veux bien l’admettre, mais je suis doué pour faire comme si rien ne m’atteignait.
MOI : Ça roule.
1. Entreprise de bien-être et de lifestyle fondée
par Gwyneth Paltrow. 10 Taylor Je suis noyée sous une pile de papillons en papier-carton et de chenilles en fil de fer quand la sonnerie annonce la fin de la journée. Les enfants lâchent leurs ciseaux et leurs bâtons de colle, et se précipitent vers leurs casiers pour en sortir leurs sacs et leurs manteaux. – Pas si vite ! je gronde. Venez ranger vos affaires et suspendez vos insectes pour qu’ils sèchent. – Mademoiselle Marsh ? demande une fillette en tapotant mon bras. Je ne trouve pas ma chaussure. Elle est debout, l’air perdue, une botte de pluie violette à un pied et à l’autre une chaussette orange. – Quand l’as-tu vue pour la dernière fois, Katy ? Elle hausse les épaules. – Est-ce que Tamara et toi avez encore échangé vos chaussures ? Elle hausse de nouveau les épaules en faisant la moue, les yeux rivés sur ses pieds. – Va voir Tamara pour lui demander où elle a laissé ta botte. Katy part en courant et je la regarde tout en ramassant des bouts de papier et en poussant les bureaux pour les remettre à leur place. Avec l’aide de Tamara, qui n’a elle-même pas de chaussures, elles trouvent la botte perdue dans le coin lecture, près des costumes que Mme Gardner utilise pour que les enfants incarnent les personnages des livres pendant la lecture. Le truc à savoir, avec les CP, c’est qu’ils mentent comme ils respirent ; heureusement, ils ne sont pas encore très doués. Un autre truc à savoir, c’est qu’il est quasi impossible de les empêcher d’enlever une bonne partie de leurs vêtements. Je passe la moitié de mon temps à m’assurer qu’on les renvoie chez eux avec les mêmes vêtements que ceux avec lesquels ils sont arrivés. Je me bats tous les jours contre le carton des objets trouvés. – Si les poux de pieds existaient, dit Mme Gardner lorsqu’on dit au revoir aux derniers élèves, cette classe serait mise en quarantaine plusieurs fois par mois. Je lui souris chaleureusement. – Au moins, il fait encore suffisamment froid pour qu’ils aient des chaussettes. J’ai peur de ce qui va se passer quand il fera plus chaud. Elle soupire longuement. – C’est pour ça que j’ai un spray anti-mycose dans mon bureau. Voilà une image délicieuse. L’école primaire d’Hastings n’est qu’à dix minutes à pied de l’immeuble de trois étages où je vis. Il n’y a pas de gratte-ciel à Hastings, seulement des petits bâtiments abritant des appartements et des boutiques, ainsi que des rues résidentielles avec de jolies maisons de style victorien. La ville est charmante et on peut tout y faire à pied, ce qui m’arrange puisque je n’ai pas de voiture. J’entre dans mon studio et sors une barre de céréales du placard pour la manger en écrivant à Sasha.
MOI : Je n’ai pas besoin de me mettre sur
mon trente-et-un, si ?
Je ne suis jamais sortie avec Lisa et ces filles,
donc je ne sais pas à quoi m’attendre. En même temps, on se retrouve au dîner, donc ça ne peut pas être une soirée chic, si ?
SASHA : Ton trente-et-un ? Pas moi. Jeans +
débardeur + veste en cuir + bottes = moi. MOI : Ok, tant mieux. Je reste casual, moi aussi. ELLE : Tu viens avec C ? : P MOI : Pourquoi je viendrais avec C ?? ELLE : Lisa a dit que les mecs étaient les bienvenus… MOI : Haha.
Sasha sait parfaitement que Conor n’est pas
vraiment mon mec, mais elle prend un malin plaisir à me mettre en boîte. Ou peut-être pense-t- elle qu’à force de désigner Conor comme mon petit ami, il le deviendra vraiment, comme par magie ? Pauvre petite Sasha. Je suis persuadée que Conor va bientôt s’ennuyer et que cette mascarade prendra fin. C’est dommage, d’ailleurs, parce que notre prétendue histoire d’amour rend Abigail furax. Hier soir, lors d’un dîner obligatoire à la maison Kappa, le copain d’Abigail n’a pas arrêté de parler de toute la « crosse » que je devais gober tout en reluquant sans gêne mes seins. Pendant le dessert, il a dit que j’étais une version plus ronde de Marilyn Monroe, c’est à ce moment-là que Sasha lui a demandé ce que ça faisait d’avoir un micropénis. Et pendant ce temps, Abigail se grattait le cou chaque fois que quelqu’un mentionnait Conor, jusqu’à ce que sa peau soit rouge et irritée. Est-ce qu’il est possible d’avoir de l’urticaire par jalousie ? Bien évidemment, de telles mesquineries sont indignes de moi…
MOI : Tu ne crois pas que Lisa a invité
Abigail, si ? SASHA : Mon Dieu, j’espère pas. Je n’ai pas la patience pour 2 dîners d’affilée avec cette sorcière. Si elle est là, on fait demi-tour et on s’en va, ok ? MOI : Ok.
Heureusement, quand Sasha et moi arrivons au
dîner, Abigail et son copain débile, Kevin, ne sont pas là. Lisa a amené Cory, son mec, et Robin est assise à côté d’un type qui se présente comme étant « Shep ». Olivia est venue seule et je me retrouve assise entre elle et Sasha. J’ai à peine avalé une bouchée de mon club- sandwich que les filles abordent le sujet fatidique. – Ok, mais il est comment au pieu ? demande Lisa en ignorant la gêne évidente de son mec. Le pauvre n’a clairement pas envie de parler des exploits sexuels de Conor Edwards. Je te comprends, mon gars. Je compatis. – Est-ce qu’il en a une grosse ? demande Olivia. – Il est circoncis ? – On peut parler d’autre chose ? demande Sasha en agitant un stick de poulet pané devant elle. Je n’ai pas envie de parler de verges quand je mange. – Merci, ronchonne Cory. – Bon, très bien. Il embrasse bien ? insiste néanmoins Olivia. Elle a sorti son téléphone et elle bave ouvertement en regardant le compte Instagram de Conor. À ce stade, les pauvres mecs en sont réduits à mâcher leur burger dans un silence émasculé. – Il a la tête d’un mec qui embrasse bien. Sans trop de bouche. – Qu’est-ce que ça veut dire, trop de bouche ? je lui demande en riant. – Ben tu sais, quand ils essaient de te gober les lèvres. Ce n’est pas mon menton que j’ai envie qu’on embrasse, râle Olivia en s’accoudant à la table, sa fourchette à la main. Allez, Taylor, crache le morceau. On veut les détails. – Sa façon d’embrasser est… Un mystère. Inconnue. – Correcte. – Correcte, déclare Sasha en secouant la tête tout en ricanant. Il n’y a que toi pour dire qu’un baiser est correct. – Je ne sais pas, c’est un baiser, c’est tout, je réponds en haussant les épaules. Est-ce qu’il y a vraiment tant à dire à ce sujet ? Bien sûr que non, surtout parce que je ne peux répondre à leurs questions qu’avec mon imagination et je ne dis pas que c’est déplaisant… Conor est terriblement attirant et il a de très belles lèvres. Elles sont pulpeuses tout en étant viriles. Il a l’air du genre de mec qui prend plaisir à embrasser, et pas seulement parce que c’est un préliminaire. Pour être honnête, je n’ai pas embrassé beaucoup de personnes. Seulement quatre, en fait, et trois d’entre elles étaient des expériences affreuses. Mon premier baiser, c’était en première, et on était tous les deux nuls. Il y avait biiiieeeen trop de langue. On a eu beau s’embrasser plusieurs fois, ça ne s’est pas amélioré. Ensuite, il y eut la première année de fac, quand j’ai été forcée d’embrasser Rebecca, puis la deuxième année, quand j’ai embrassé le mec d’Abigail par erreur, à cause d’un défi. La quatrième personne n’était pas horrible, pas exceptionnelle non plus, mais au moins je n’étais pas forcée par quelqu’un d’autre et je n’ai pas finie couverte de bave. Je suis sortie pendant quatre mois avec un mec qui s’appelait Andrew et qui embrassait plutôt bien. Mais à part se frotter l’un à l’autre tout habillés, on n’a pas été plus loin, et c’est sans doute pour ça qu’on a rompu. Il m’a dit que c’est parce que je ne « m’ouvrais pas à lui », je suppose que c’était vrai et on savait tous les deux que le « no sexe » était un problème pour lui. Mais… je ne me sentais pas à l’aise avec lui. Parfois, je me demande si je rencontrerai un jour un mec avec qui je me sentirai suffisamment bien pour me mettre à poil devant lui. – Mon Dieu, gronde Olivia en sursautant, tandis que Lisa s’étouffe à moitié sur son soda. Je me tourne pour voir ce qui leur arrive. Conor Fucking Edwards. Pourquoi ne suis-je pas surprise ? Je suis sûre qu’il a un sixième sens qui le met en alerte dès que des femmes parlent de son pénis. Il vient vers nous du haut de son mètre quatre- vingt-dix. Il porte son blouson de hockey en cuir noir et argenté, et un jean bleu marine qui moule ses longues jambes. Ses yeux gris pétillent de malice tandis qu’il passe sa main dans ses longs cheveux blonds et, quand son regard s’arrête sur moi, son sourire tout excité m’envoûte et fait battre plus fort mon cœur. Bon sang, les mecs ne devraient pas avoir le droit d’être aussi beaux. – Bébé, tu me manquais, dit-il en saisissant ma main pour que je me lève et qu’il me prenne dans ses bras. Il sent tellement bon. Je ne sais pas quels produits il utilise, mais il a toujours un vague parfum d’océan. Et de noix de coco. J’adore la noix de coco. – Qu’est-ce que tu fais là ? – Je dîne avec ma copine, répond-il avec un sourire narquois qui me dit qu’il manigance quelque chose. Elle essaie de me garder enfermé dans sa chambre toute la journée, dit-il à la table, mais j’ai pensé que ce serait cool de rencontrer ses amies. Pendant une horrible seconde, j’ai peur qu’il m’embrasse et je me crispe des pieds à la tête. Heureusement, il se contente d’effleurer la pointe de mon nez avec sa bouche. Après coup, je ne sais pas si je suis déçue ou soulagée. – Eh bien, tout ça s’est passé très vite, dit Olivia en s’écartant pour que Conor puisse installer une chaise entre elle et moi. Je ne rate pas la façon dont son regard affamé suit chacun de ses gestes. – Vous vous connaissiez avant la soirée ? demande Lisa. Son regard n’est pas aussi vorace, sans doute pour ne pas humilier davantage son mec, mais elle est aussi concentrée sur Conor qu’Olivia. – Non, je réponds. C’est la première fois qu’on se rencontrait. – J’ai tout de suite craqué, ajoute-t-il en posant sa main sur mon épaule pour y dessiner de petits cercles avec ses doigts. Le temps n’a pas d’importance. Histoire de l’emmerder, je pose ma main sur sa cuisse en m’adressant au groupe. – Il veut déjà que je le laisse emménager avec moi. Ma tentative d’emmerdement se retourne contre moi car, tout d’abord, sa cuisse est dure comme fer sous la paume de ma main. Ensuite, eh bien… je n’arrive plus à réfléchir, parce que ma main est sur la cuisse de Conor Edwards. Je suis sur le point de la retirer lorsque Conor la couvre de la sienne pour l’y maintenir et me déclenche une bouffée de chaleur. – Bien évidemment, ma nana pense que c’est trop tôt, dit Conor d’un ton sérieux. Mais je ne suis pas d’accord. Il n’est jamais trop tôt pour prouver son engagement, n’est-ce pas ? demande- t-il aux mecs qui répondent un tas de clichés pour s’éviter de dormir sur le canapé, ce soir. – Ouais, si c’est le destin, il faut foncer, dit Cory. – Quand on sait, on sait, acquiesce Shep. Sasha ricane ouvertement avant de boire une gorgée de soda. – Conor aime l’engagement, j’explique. Il prépare son mariage depuis qu’il est tout petit, n’est-ce pas, bébé ? – Absolument, dit-il en pinçant mon pouce sans que sa mine innocente ne flanche. – Il a même un de ces… t’appelle ça comment, Con’ ? Un tableau d’amour ? – C’est juste un compte Pinterest, bébé, répond- il. Comment je suis censé savoir quelle pièce montée je veux, si je ne connais pas toutes les options, je me trompe ? Olivia, Lisa et Robin sont à deux doigts d’arracher leur culotte et de la jeter au visage de Conor. Pendant ce temps, Sasha semble au bord du fou rire. – Tu vas te marier, Con’ ? demande une nouvelle voix. Alors quoi, mon invitation s’est perdue ? Je tourne la tête et vois une femme superbe, vêtue de noir de la tête aux pieds, marcher jusqu’à nous. Elle met un petit coup de hanche dans l’épaule de Conor, un sourire moqueur sur sa bouche rouge. Cette femme est une bombe. Elle a les cheveux bruns, des yeux marron et des lèvres de diablesse. Quant à son corps, c’est le genre dont je ne peux que rêver, une taille fine, de longues jambes et des seins parfaitement proportionnés. Je me sens tout de suite gênée d’avoir mis un legging et un pull blanc et ample. J’ai tendance à mettre des hauts trop larges qui tombent sur une épaule, parce qu’ils cachent mes courbes tout en montrant un peu de peau. Dénuder une épaule est plutôt sans risque. Quant au reste, je le cache du mieux possible. – Désolé, Bren, mais tu n’es pas invitée, répond Conor. Tu causerais trop d’ennuis. – Mmm-hmmm, mais bien sûr. C’est moi qui cause les ennuis. Son regard s’arrête sur nos mains jointes avant de se river sur le mien. – Et toi, tu es… ? – Taylor, répond simplement Conor. Je suis soulagée qu’il réponde pour moi, parce que mes cordes vocales sont gelées. Mais t’es qui, TOI ? Je suppose que c’est une de ses ex ou du moins une femme avec qui il a couché. La jalousie qui s’empare de moi m’empêche de respirer normalement et de garder une expression neutre. Bien évidemment, elle est tout à fait le genre de femme qui attire Conor. Elle est parfaite. – Chérie, je te présente Brenna, dit Conor. C’est la fille de mon coach. Mon Dieu, c’est encore pire, parce qu’à présent j’ai des scénarios pornos d’amour interdit dans la tête. La fille du coach et le joueur star. Elle le suce dans le vestiaire et ils baisent sur le bureau de papa. – Attends, je te connais. Tu es Brenna Jensen. Tu sors avec Jake Connelly ! s’exclame soudain Lisa. La déesse aux cheveux ébène se tourne lentement vers elle. – Ouais, et alors ? – Ben, c’est… tu as tellement de chance, soupire Lisa d’un air rêveur. Jake Connelly est… – Est quoi ? demande Cory, son mec, d’un ton qui indique qu’il en a assez du comportement de sa nana. Finis ta phrase, Lisa. Il est quoi ? Lisa semble comprendre qu’elle a été trop loin parce qu’elle rétropédale à vitesse grand V. – C’est un des meilleurs joueurs de la NHL. – Un des meilleurs joueurs ? se moque Brenna. Non, chérie. C’est le meilleur. – Qu’est-ce que tu fais ici, B ? demande Conor en riant. – Je viens chercher à manger pour papa et moi. Il est incapable de cuisiner quoi que ce soit et j’en ai marre de manger cramé chaque fois que je lui rends visite. D’ailleurs, en parlant de nourriture… Elle tourne la tête vers le comptoir, où une des serveuses lui fait signe. – Profite de ta soirée, Con’. Ne te marie pas sans prévenir ton coach ! Tout le monde la regarde partir et, cette fois, ce sont Cory et Shep qui semblent hypnotisés. Brenna respire le sexe. Elle marche avec un déhanché parfaitement assuré qui me rend de nouveau horriblement jalouse, même si je sais maintenant qu’elle a un copain et qu’elle n’est pas une menace pour mon faux couple. – Eh, gronde Lisa en frappant Cory sur le bras. – Tu l’as mérité, tu ne crois pas ? murmure-t-il sans quitter des yeux le cul de Brenna Jensen. – Il n’a pas tort, Lisa, dit Sasha. – Bref, revenons-en au tableau de mariage de Conor, déclare Olivia. – Non, répond Conor. Ces photos sont juste pour Taylor. Cela dit… on devrait rechercher les robes de mariée pour s’inspirer, hein, bébé ? Je réprime un fou rire. – Bien sûr, bébé. – Est-ce que… c’est sérieux à ce point ? demande Olivia en nous regardant tour à tour. Conor plonge son regard dans le mien et je m’attends à y voir son humour espiègle. Je ne me trompe pas mais, cette fois, il y a aussi autre chose. Il fronce les sourcils d’un air sérieux et sa bouche est fermée avec détermination. – Ça commence à l’être, dit-il à Olivia alors que son regard ne quitte pas le mien. 11 Taylor Après avoir dîné, nous allons boire un verre chez Malone’s, le bar sportif de la ville. Conor invite des mecs de son équipe, et plusieurs de nos sœurs Kappa nous rejoignent également. Au fond du bar, près des tables de billard et des cibles de fléchettes, nous rassemblons quelques tables pour installer notre grand groupe. Si les coéquipiers de Conor doivent garder en tête qu’ils ont un match ce week-end et ne boivent quasiment pas, les filles n’ont pas de restrictions. Mes chères Kappa sont gouvernées par leurs hormones et sont bien parties pour finir ivres mortes, à l’exception de Rebecca qui a commandé un Coca Light. Elle est à quelques chaises de moi et elle ne m’a pas regardée une seule fois. J’ai été surprise qu’elle nous rejoigne, mais je crois qu’elle ne savait pas que j’étais là. Depuis la semaine de bizutage, elle a toujours pris soin de m’éviter. – Tu ne m’en veux pas, si ? demande Conor en s’asseyant à côté de moi avec nos verres. Il y a une certaine appréhension dans son regard, comme s’il venait de réaliser que débarquer à mon dîner et s’inviter à boire un verre était plus envahissant que charmant. – Je ne t’en veux pas, non, je réponds en le regardant par-dessus mon verre. Mais je suis curieuse. – Ah oui ? dit-il, et son sourire enjoué refait surface. À propos de quoi ? – À propos de ce qui t’a poussé à me traquer et à te soumettre au regard affamé de mes sœurs. Tu dois avoir mieux à faire, non ? – On doit protéger les apparences, non ? Il essaie d’être chou, avec son sourire séducteur et son charme ravageur, mais je n’y crois pas, il y a autre chose. Il y a une tension chez lui que je ne lui ai pas encore vue. – Je suis sérieuse. Je veux la vérité. On est interrompus par un grand bang sur la table. C’est Beth Bradley, une sœur Kappa, qui est arrivée il y a à peine une demi-heure et qui est déjà plus saoule que tout le monde. – On devrait jouer à Action ou Action, déclare- t-elle en frappant de nouveau sur la table pour attirer l’attention de tout le monde. Elle me regarde en haussant un sourcil et en se mordant la lèvre de façon faussement timide. Si Lisa et Olivia ne semblent pas fans d’Abigail, je sais que Beth est plutôt proche d’elle, je suis donc automatiquement sur mes gardes. – On devrait trouver un autre jeu, je réponds sèchement. – C’est quoi ça, Action ou Action ? demande Foster, se portant malencontreusement volontaire. Le pauvre. – Eh bien, dit Beth, je te lance un défi et tu dois l’accomplir ou mourir. Les autres mecs ricanent. – Ça a l’air un peu intense, remarque Matt. – Tu n’as pas idée, je le préviens. Je ne peux m’empêcher de regarder Rebecca, et ma gorge se noue. Si on avait des chances de devenir amies, elles ont été ruinées par ce jeu débile. – Tiens, dit Sasha en posant un shot devant moi. Elle revient du bar et elle se faufile entre Matt et moi. D’ailleurs, ce soir, les deux semblent plutôt proches. Je regarde le shot d’un œil inquiet, le boire serait une très mauvaise idée. Premièrement, je ne tiens pas l’alcool, deuxièmement, je dois rester en alerte en présence de Conor car c’est un terrain miné prêt à me sauter à la figure. – Allez, insiste Sasha. Ça te détendra. Je m’exécute et vide le shot d’un trait. Il a un goût de cannelle et de réglisse, c’est écœurant. – J’avais envie de te voir, c’est tout, chuchote Conor, poursuivant notre conversation comme si elle ne s’était jamais arrêtée. Le mélange de l’alcool qui me réchauffe le sang et de son souffle chaud sur ma nuque me donne un peu le vertige. Je me penche sur lui et pose mon bras sur sa cuisse pour retrouver mon équilibre. – Pourquoi ? Cette fois, la conversation s’arrête car il se laisse distraire par son coéquipier, qui est naïvement en train de provoquer Beth. – Vas-y, alors, dit Foster. Lance-moi un défi. – Fais gaffe, prévient Conor, Je les ai déjà vues à l’œuvre. – Oh non, surtout ne me force pas à coucher avec une jolie blonde ! rétorque Foster d’un ton sarcastique. Ce serait horrible ! – Très bien, dit Beth en se redressant pour l’étudier. Je te mets au défi de trouver une femme qui voudra bien boire un shot depuis l’élastique de ton boxer. Conor et les mecs éclatent de rire. – Oh merde, mec, laisse-moi appeler Gavin en FaceTime, dit Matt en sortant son téléphone et en retirant son bras musclé des épaules de Sasha. – Ok, cool, dit Foster en se levant d’un bond tandis que Lisa va commander le shot. Alors, tu en dis quoi, Beth, tu as soif ? demande-t-il. – Non, ce n’est pas si facile que ça. Dépêche- toi, mon grand. Tu as cinq minutes, sinon tu devras en affronter les conséquences. Dès que Lisa est revenue avec le shot, Foster part à la chasse. Il balaie d’abord la salle des yeux, cherchant des groupes de filles qui ne sont pas accompagnées par leurs mecs. Matt et Bucky se lèvent et le suivent pour lui apporter leur soutien et filmer. – Tic tac ! lance Olivia, tu ferais mieux de te dépêcher ! Deux secondes plus tard, Foster a trouvé une fille rousse qui se met à genoux devant lui. Je la regarde avec de grands yeux impressionnés, elle serre le verre entre ses lèvres pour le retirer du boxer de Foster, puis elle penche la tête en arrière pour le boire et se retrouve avec une cerise entre les lèvres. Cette meuf a un sacré talent. Foster revient alors à notre table, un sourire débile aux lèvres, le torse gonflé de fierté. – Trop facile, dit-il en buvant sa bière. À mon tour, maintenant, Beth. – Fais-toi plaisir, ricane-t-elle. Foster et ses coéquipiers se concertent avant de défier Beth de rouler une pelle à la fille de son choix et d’échanger leur soutien-gorge. Sans hésiter, Beth choisit Olivia qui, je le découvre ce soir, a un côté rebelle ainsi qu’un bon sens de l’humour. Je ne sais pas pourquoi on n’a jamais traîné ensemble avant ce soir. Sans perdre de temps, les deux Kappa se lèvent et se mettent à s’embrasser tout en glissant leurs bras dans leurs pulls pour défaire leur soutien- gorge et le ressortir par leur manche avant d’enfiler l’autre. Ça se déroule si vite que les mecs sont sans voix et ébahis par leur exploit. – Qu’est-ce qui vient de se passer ? demande Cory d’une voix niaise. – C’est un sacré tour de magie, remarque Conor à côté de moi. Je fais l’erreur de tourner la tête vers Rebecca qui, cette fois, ne fuit pas mon regard. Nos yeux se verrouillent et c’est le moment le plus gênant de l’histoire. Je finis par rompre le contact lorsque j’entends quelqu’un dire mon prénom. – Hein ? je dis en tournant la tête. Olivia tapote ses doigts les uns contre les autres comme le méchant d’un dessin animé. – C’est à toi. Je te mets au défi de… Ah, mais oui ! C’est pour ça qu’on ne traîne pas ensemble. Parce que quelqu’un qui me connaîtrait et m’apprécierait ne me mettrait jamais dans une telle situation. Sasha doit voir la panique sur mon visage. – Oh allez ! Elle n’en a pas déjà fait assez ? Je pense qu’elle a mérité de partir à la retraite, non ? dit-elle. – … de faire une lap dance à Conor, conclut Olivia, fière de sa trouvaille. Je hais ma vie. Conor se crispe à mes côtés. Il me regarde dans les yeux et, si les siens ne révèlent rien, je sens son inquiétude. Ça ne fait pas longtemps qu’on se connaît, mais il est suffisamment perspicace pour savoir que je préférerais mourir que d’accepter ce défi honteux. – C’est mort, déclare-t-il en se levant d’un bond. Il est hors de question qu’une bande de pervers bourrés matent ma copine. Sous mes yeux ébahis, il enlève alors son sweat à capuche de sorte qu’il n’est plus qu’en marcel blanc, qui ne cache ni ses bras musclés ni ses abdos en béton. Il est si beau qu’Olivia pousse un petit cri aigu. Il penche la tête sur le côté et sourit. – Génial, même la musique est en ma faveur, déclare-t-il avant de tirer ma chaise en arrière et de se placer entre moi et la table. – Qu’est-ce que tu fais ? – Je vais te mettre des étoiles plein les yeux, répond-il en me faisant un clin d’œil. Mon estomac se noue quand je reconnais la chanson « Pour Some Sugar on Me » de Def Leppard. – Arrête ça, je supplie d’une voix tremblante. Ne fais pas ça ! Mais Conor ignore mes supplications. Il se lèche les lèvres, balance ses hanches de droite à gauche et se lance dans un spectacle horriblement cochon. Mon faux mec est en train de me faire une vraie lap dance. – Bouge ton cul ! crie Beth alors qu’Olivia et les autres filles se transforment en émojis aux yeux cœurs. Quand je me cache les yeux, il saisit mes mains et les plaque sur ses abdos. Il les presse ensuite sur ses fesses, qu’il fait rouler sous mon nez, sous les encouragements et les sifflements du bar entier qui s’est arrêté pour le regarder. Aussi mortifiée que je sois, je dois admettre que Conor est très doué. Et lorsque j’arrive à me détendre un peu, la scène devient de plus en plus hilarante. D’ailleurs, il cherche à faire l’andouille plutôt qu’à être sexy. Je me surprends à rire avec les autres, et Foster et Bucky se mettent à chanter les paroles de la chanson à tue-tête. Hélas, c’est amusant jusqu’à ce que ça ne le soit plus. Je cligne des yeux, et le visage de Conor se transforme pour devenir entêtant. Ses paupières sont lourdes et il rive ses yeux sur moi tandis qu’il se penche un peu et plonge une main dans mes cheveux longs. Le temps s’arrête. Il ne danse plus. Il ne bouge plus que pour se rapprocher de moi, et je devine déjà ce qu’il s’apprête à faire. Il va m’embrasser. Il va m’embrasser ici, devant tout le monde, chez Malone’s ? C’est mort. Il a dit qu’il aimait les jeux, mais il a dépassé les limites. Ses lèvres sont sur le point de rencontrer les miennes lorsque je me lève d’un bond, si vite qu’il manque tomber par terre. Je ne vois son visage surpris qu’une seconde avant de m’enfuir dans le couloir. La porte du fond donne sur le parking et je suis soulagée qu’il soit désert. Mon cœur bat la chamade et je m’adosse contre le mur en briques pour me débarrasser de mon pull et laisser l’air glacial rafraîchir ma peau. Mon souffle sort de ma bouche dans des volutes blanches, mais des gouttes de sueur continuent de couler sur ma poitrine. Il fait à peine trois degrés et je suis en débardeur, et en nage. – Taylor ! hurle Conor en ouvrant la porte brusquement. Taylor, tu es là ? Je ne dis rien, essayant de me tapir dans l’ombre. J’ai juste envie qu’il parte. – Putain, tu es là, dit-il en apparaissant devant moi, l’air profondément inquiet. Qu’est-ce qui s’est passé ? – Pourquoi tu fais ça ? – Quoi ? Je ne comprends pas. Il essaie de prendre ma main, mais je fais un pas de côté. – Qu’est-ce que j’ai fait ? Dis-moi, pour que je puisse le réparer. – Je ne peux pas continuer. Je veux plus être un jeu pour toi. – Mais tu n’es pas un jeu. – N’importe quoi ! Tu m’as dit que tu t’ennuyais et que tu adorais les jeux. C’est pour ça que tu as changé ton statut sur MyBri et que tu t’es pointé au dîner, ce soir. C’est une sorte de divertissement bizarre, pour toi, je dis en secouant la tête. Eh bien, ça ne m’amuse plus. – Taylor… – Je suis désolée. Je sais que c’est moi qui t’ai entraîné là-dedans à la soirée Kappa, mais j’en ai assez. Le jeu est fini. J’essaie de le contourner, mais il m’empêche de passer. – Conor, bouge de là. – Non. – S’il te plaît, pousse-toi. Tu n’as plus à faire semblant. – Non, répète-t-il. Écoute-moi. Tu n’es pas un jeu. Oui, d’accord, j’ai pensé que ce serait amusant de rendre tes sœurs jalouses en parlant de mariage et de toutes ces conneries, mais je ne fais pas semblant d’être attiré par moi. Je t’ai dit dès le premier soir combien je te trouvais canon. Je ne dis rien et évite son regard. – Je ne suis pas venu ce soir pour nous montrer aux autres. Je suis venu parce que j’étais chez moi et que je pensais à toi. – N’importe quoi. – Je te promets que c’est vrai. J’aime être avec toi. J’aime te parler. – Alors, pourquoi gâcher ça en voulant m’embrasser ? – Parce que je voulais savoir ce que ça ferait et j’ai eu peur de jamais le découvrir, dit-il avec un minuscule sourire en coin. J’ai pensé que si j’essayais en public, j’aurais une meilleure chance, que tu me laisserais faire pour sauver les apparences. – C’est une raison débile. – Je sais. Cette fois, lorsqu’il prend ma main, je le laisse faire. – Je pensais t’aider, dit-il timidement. Je pensais t’éviter d’avoir à relever ce défi débile, et qu’on s’amusait. Je me suis trompé et j’en suis désolé. Mais je sais qu’il y a quelque chose sur quoi je ne me trompe pas, ajoute-t-il d’une voix rauque tandis que son pouce caresse la paume de ma main. Je sais que je te plais. Argh. Tout était si simple il y a quelques jours, n’est-ce pas ? Un petit jeu entre amis. Maintenant, on a franchi une ligne et on ne pourra jamais revenir en arrière. On ne pourra plus prétendre que la tension sexuelle entre nous est une blague, ou que notre jeu de séduction n’est rien et que personne ne souffrira. Et celle qui va souffrir, c’est moi. – Je ne sais pas quoi faire, je dis d’un ton gêné. Mais il serait préférable qu’on ne traîne plus ensemble. – Non. – Non ? – Ouais, je mets mon veto à cette proposition. – Tu n’as pas de droit de veto. Si je dis que je n’ai plus envie de traîner avec toi, tant pis pour toi. C’est comme ça. – Je pense que tu devrais me laisser t’embrasser. – Ouais, seulement parce que tu as dû tomber sur la tête quand tu étais petit. Conor éclate de rire, puis il soupire et serre ma main avant de la poser sur son torse. Sous ma paume, son cœur bat à tout rompre. – Je crois qu’il se passe quelque chose entre nous, dit-il d’un ton qui sonne comme un défi. Et je crois que tu as peur de découvrir ce que c’est. En revanche, je ne sais pas pourquoi. Peut- être que tu ne penses pas le mériter ? Mais c’est une putain de tragédie, parce que de toutes les personnes que je connais, c’est toi qui mérites le plus d’être heureuse. Donc, voilà ce que je vais faire : je vais t’embrasser. À moins que tu me dises de ne pas le faire. Ok ? Je vais le regretter. Alors même que je me lèche les lèvres et que je penche la tête sur le côté, je sais que je vais le regretter. Pourtant le mot « non » refuse de quitter ma bouche. – Ok, je chuchote finalement. Il profite pleinement de mon accord et s’approche pour effleurer mes lèvres des siennes. Au début, c’est à peine une caresse, mais il faut peu de temps pour que son baiser devienne plus avide. Lorsque je remonte mes mains sur ses épaules puis dans ses cheveux pour les caresser, il émet un son des plus sexy contre ma bouche. Mi- grognement, mi-soupir. Je sens tout son corps se raidir contre moi. Il pose ses mains sur mes hanches, plantant ses ongles dans ma chair nue, et il m’appuie contre le mur jusqu’à ce qu’il n’y ait plus le moindre espace entre nous. Sa bouche à la fois délicate et vorace, la chaleur de son corps et la sensation de ses muscles qui m’emprisonnent contre le mur froid… tout ça est irréel et exaltant. Un désir brûlant coule dans mes veines et je l’embrasse de façon désespérée. Je m’oublie. J’oublie où je suis et toutes les raisons pour lesquelles je ne devrais pas faire ce que je fais. – Tu as un goût de cannelle, murmure-t-il avant que sa langue ne replonge dans ma bouche pour l’explorer, léchant la mienne, m’arrachant un grognement guttural. Je m’agrippe à lui, déjà totalement accro à la sensation que ses lèvres me procurent. Je mords sa lèvre inférieure et ressens plus que je n’entends le grognement qui vibre dans son torse. Ses mains remontent sur mes côtes, sous mon débardeur, jusqu’à ce qu’elles soient juste sous mes seins. Soudain, je regrette d’avoir enlevé mon pull, car j’aurais eu une protection supplémentaire entre ma peau et les caresses de Conor. – Tu m’excites tellement, Taylor… Il baisse la tête pour m’embrasser dans le cou et le sucer, me faisant frissonner des pieds à la tête. Il avance et recule son bassin pour le frotter au mien de façon sensuelle, et je gémis à nouveau. Sa bouche retrouve la mienne et sa langue titille la commissure de mes lèvres. Il recule alors et je découvre dans ses yeux le même désir affamé que celui que je ressens. – Rentre avec moi, chuchote Conor Fucking Edwards. C’est alors que le charme est rompu. Haletante, je retire mes mains de ses larges épaules et les laisse pendre le long de mon corps. Merde. Merde, c’est quoi mon problème ? Je ne suis pas devin, mais je n’ai pas besoin de l’être pour savoir comment tout ça va se dérouler. Je rentre avec lui. Je perds ma virginité. Il m’offre une nuit magique. Et la semaine suivante, je ne suis qu’une triste andouille de plus qui lève la main, en même temps que ses autres conquêtes, quand on demande qui a couché avec Conor Edwards. – Taylor ? Il continue de me regarder. D’attendre. Je m’éloigne de la chaleur de son corps en secouant lentement la tête. – Tu peux me raccompagner chez moi ? 12 Conor J’ai du mal à comprendre Taylor. Sur le parking du bar, je pensais qu’on avait eu une connexion. Je suis peut-être débile parfois, mais je sais quand une fille m’embrasse en retour. Elle a clairement ressenti quelque chose. Mais dès l’instant où on a arrêté, elle s’est refermée sur elle-même, m’a claqué la porte au nez, et maintenant je la conduis chez elle en ayant l’impression qu’elle m’en veut à nouveau. Je n’arrive pas à savoir ce qu’elle attend de moi. Je la laisserais tranquille et sortirais de sa vie si je pensais sincèrement que c’est ce qu’elle veut, mais je ne crois pas que ce soit le cas. – Est-ce que c’était une erreur, de t’embrasser ? Elle a remis son pull, ce qui est sacrément dommage. Le débardeur en soie qu’elle porte dessous est méga-canon. Elle reste longtemps silencieuse, regardant par la vitre comme si elle cherchait désespérément à s’éloigner de moi. Elle finit néanmoins par tourner brièvement la tête vers moi. – C’était un baiser agréable, dit-elle. Agréable ? Eh ben putain, c’est la réponse la plus tiède qu’on m’ait donnée à propos d’un baiser. Et je ne suis pas certain que ça réponde à ma question. – Alors, qu’est-ce qui ne va pas ? – C’est juste que… commence-t-elle avant de soupirer longuement. Ben, pense à tous les gens, au bar, qui nous regardaient. Honnêtement, je n’ai remarqué personne d’autre. Quand je suis avec elle, je ne vois que Taylor. Il y a quelque chose chez elle qui m’hypnotise, et ce n’est pas seulement parce que mon corps est dingue du sien. Enfin oui, j’adorerais la faire grimper au rideau, c’est sûr, mais ce n’est pas pour ça que je me suis pointé au dîner sans y être invité, tout à l’heure. Taylor Marsh ne sait pas combien elle est cool, et c’est une putain de tragédie. – Je suis désolé si je t’ai fait honte, ce n’était pas mon intention. – Non, je sais. Mais bon, tu dois forcément savoir ce que disent les gens quand ils voient quelqu’un comme toi avec quelqu’un comme moi. – De quoi tu parles ? – Bon sang, Conor, c’est évident. Tu essaies de me remonter le moral, et c’est mignon, mais soyons réalistes. Les gens nous voient et se demandent : qu’est-ce qu’il fait avec une meuf comme elle ? – N’importe quoi. – Mon Dieu, mais tu l’as entendu toi-même au gala ! Tu as entendu toutes les conneries qu’Abigail et sa bande de tocards disaient sur nous. – Et alors ? Je me fous de ce que pensent les gens. Je ne vis pas ma vie en me basant sur l’opinion des autres et je n’essaie de plaire à personne sauf à moi-même. Et si elle me laissait faire, j’aimerais essayer de plaire à Taylor aussi. – Eh ben, peut-être que tu devrais. Parce que je t’assure qu’ils ne disent rien de sympa à propos de nous. Je ne l’ai jamais entendue parler d’un ton aussi glacial. Aussi haineux. Ce n’est pas dirigé contre moi, mais je commence à comprendre à quel point ses complexes sont ancrés. Je soupire pour évacuer ma frustration. – Je continuerai de te le dire jusqu’à ce que tu l’entendes, mais tu n’as pas à te sentir inférieure, Taylor. Il n’existe pas de hiérarchie entre nous. Tu me plais. Tu m’attires depuis le moment où je t’ai regardée venir vers moi à cette soirée. Elle écarquille légèrement ses yeux turquoise. – Je suis sérieux. J’ai cinquante mille pensées salaces à propos de toi tous les jours. Le soir où tu es venue dans ma chambre et que tu caressais mes cheveux, je bandais rien qu’en étant allongé sur toi. Je me gare devant l’immeuble de Taylor et coupe le moteur. Elle garde ses yeux fixés droit devant elle et ma frustration se décuple. – Je comprends, tu es complexée par ton corps. Quoi que tu aies vécu dans ta vie, ça t’a fait détester ton physique au point que tu te caches derrière des leggings et des pulls trop larges. Elle tourne enfin la tête vers moi. – Tu n’as pas la moindre idée de ce que c’est d’être moi, répond-elle sèchement. – C’est vrai. Mais je pense que si tu essayais de t’accepter, même un peu, tu comprendrais que tout le monde a ses complexes. Et peut-être que tu arriverais à croire un mec qui te dit qu’il est hyper-attiré par toi. Mets les fringues que tu veux, Taylor. Tu as un corps de malade et tu devrais pouvoir le montrer, pas vivre ta vie dans un sac en toile de jute. Elle défait brusquement sa ceinture et saisit la poignée de la porte. – Taylor… – Bonne nuit, Conor. Merci de m’avoir ramenée. Elle sort aussitôt de la voiture et claque la portière derrière elle. Merde, qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai envie de lui courir après, mais je reconnais la petite voix dans ma tête qui me pousse à le faire. C’est celle qui me donne toutes mes idées stupides. La voix du tocard autodestructeur qui prend tout ce qu’il y a de bon, de beau et de pur, et le déchiquette en mille morceaux. La vérité, c’est que Taylor ne me connaît pas du tout. Elle ne sait pas quel connard j’étais à L.A., ni toutes les conneries que j’ai faites pour trouver ma place. Elle ne sait pas que la plupart du temps, je ne me sens toujours pas à ma place, ici, là-bas, n’importe où. Elle ne sait pas que j’ai passé des années à porter des masques différents, jusqu’à ne plus savoir à quoi je ressemble vraiment. Et que le résultat ne me satisfaisait jamais vraiment. Je ne cesse d’essayer de convaincre Taylor d’être indulgente avec elle-même et d’apprécier son corps et la personne qu’elle est, alors que je n’arrive même pas à m’en convaincre moi-même. Alors, à quoi je joue ? Pourquoi je m’entiche d’une fille comme elle, une belle personne, alors que je ne sais toujours pas qui je suis ? Je soupire et redémarre. Au lieu de courir après Taylor, je rentre chez moi. Et je me dis que c’est pour le mieux. 13 Taylor Je suis soulagée quand ma mère vient de Cambridge le jeudi suivant pour déjeuner avec moi. Ça fait deux jours que j’ignore les appels de Conor et les questions de Sasha à propos de ce qui s’est passé l’autre soir, et j’ai besoin de me changer les idées. On choisit le nouveau restaurant vegan d’Hastings, parce que ma mère râle à l’idée de manger un énième repas plein de gras, et aussi parce que manger des glucides devant ma mère m’a toujours stressée. Je ressemble à la photo « avant » dans une pub « avant/après » pour une cure d’amaigrissement. Iris Marsh est grande, mince et ravissante. Quand j’étais ado, j’ai longtemps espéré me réveiller un jour en lui ressemblant. Ce n’est qu’à seize ans que j’ai compris que ça n’arriverait pas. Je suppose que je n’ai hérité que des gènes de mon père. – Comment se passent tes cours ? demande-t- elle en posant son manteau sur le dossier de sa chaise. Tu aimes ton stage ? – Ouais, c’est génial. Je sais maintenant que j’ai envie d’enseigner en primaire. Les enfants sont super, je dis d’un air émerveillé, ils apprennent tellement vite ! C’est fou de les voir se développer en si peu de temps. J’ai toujours su que je voulais être institutrice. Ma mère a brièvement essayé de me convaincre d’être prof de fac comme elle, mais ça ne m’a jamais intéressée. J’aurais eu des crises d’urticaire chaque fois que j’aurais dû me tenir devant une classe d’étudiants qui auraient analysé le moindre aspect de mon corps. Au moins, les enfants sont prédisposés à voir les instits comme des figures d’autorité. Et si on les traite de façon juste et gentille, ils vous aiment. Bien sûr, il y a toujours les morveux et les petites brutes, mais à cet âge, les enfants n’ont pas encore d’a priori débiles. – Et toi ? Comment va le travail ? Ma mère esquisse un sourire. – On touche à la fin de l’effet Tchernobyl. Hélas, parce que ça implique que les financements s’étiolent aussi. Mais c’est chouette que ça ait duré aussi longtemps. J’éclate de rire. La série Cherbonyl, diffusée sur HBO, est le meilleur et le pire qui soit arrivé au département de sciences et de génie nucléaire du MIT, depuis Fukushima. L’engouement soudain pour ce sujet a offert une énergie nouvelle aux militants antinucléaires qui se sont mis à se réunir sur le campus ou en dehors des salles de conférences. Cela a aussi déclenché une vague de bourses de recherche ainsi qu’une horde de gamins qui pensaient pouvoir sauver le monde. Sauf que quand ils ont compris qu’il y avait plus d’argent à gagner en robotique, en automatisation ou en génie aérospatial, ils ont changé de master avant que leurs parents ne découvrent que les études de leurs gosses servaient à assouvir un fantasme créé par le même mec qui a écrit Scary Movie 4. Cela dit, c’était une bonne série. – Ah, et on a enfin réussi à remplacer Dr Matsouka. On a embauché une jeune femme du Suriname qui a étudié avec Alexis à Michigan State. Dr Alexis Branchaud, ou Tante Alexis, comme on l’appelait quand elle donnait des conférences au MIT et qu’elle séjournait chez nous, est un peu comme la jumelle française et maléfique de ma mère. Lorsqu’elles sont ensemble avec une bouteille de Bacardi, elles sont un véritable désastre. Pendant un moment, je me suis même demandé si c’était à cause de Tante Alexis que ma mère sortait rarement avec un mec. – C’est la première fois que le département sera majoritairement féminin. – C’est cool, vous dépiautez des atomes et le patriarcat. Et tes activités extracurriculaires ? – Tu sais, commence-t-elle en souriant, les enfants normaux n’ont pas envie d’entendre leur mère parler de leur vie sexuelle. – La faute à qui ? – Tu n’as pas tort. – Merci de l’admettre. – Honnêtement, dit-elle, j’ai été surchargée par le travail. Le département est en train de revoir tout le curriculum du master de l’an prochain et, le Dr Rapp et moi, sommes chargées de suivre les thésards du Dr Matsouka. Elaine m’a branchée avec le partenaire de squash de son mari, l’an dernier, mais j’ai une tolérance zéro pour les quinquagénaires qui se rongent encore les ongles. – Moi, j’ai un faux petit copain. Je ne sais pas pourquoi je l’ai dit. Je suis sans doute en hypoglycémie. Je n’ai pas pris de petit déj, ce matin, et je n’ai mangé qu’un bol de raisins hier soir pendant que je révisais pour un partiel de stratégies orthophoniques. – Ok… répond ma mère d’un air stupéfait. Explique-moi ce qu’est un faux petit ami. – Eh ben, ça a commencé par un défi, puis c’est plus ou moins devenu une blague. Mais maintenant, je crois qu’on n’est même plus amis, parce que ça m’énerve de lui plaire pour de vrai. Ça fait deux jours que j’ignore ses messages. – Mmm-hmmm. Elle me regarde de ses yeux bleus, comme elle le fait quand elle déchiffre un problème. Ma mère a toujours été brillante. C’est la personne la plus intelligente que je connaisse. Mais quand il s’agit de moi, je n’ai jamais eu l’impression qu’on avait les mêmes clés de lecture. – Est-ce que tu as envisagé de l’apprécier en retour ? – Absolument pas. Bon, c’est sans doute un mensonge. Je sais que si je m’y autorisais, j’aurais des sentiments pour Conor. Je n’ai pas arrêté de penser à notre baiser depuis qu’il m’a déposée chez moi. J’ai à peine réussi à me concentrer, hier soir, parce que je pensais sans cesse à ses lèvres fermes, à la chaleur de son corps et à la sensation de son érection contre mon ventre. Je sais qu’il avait envie de moi ce soir-là. Il m’a demandé de rentrer avec lui parce qu’il avait envie de coucher avec moi, je n’en doute pas une seconde. Et c’est justement le problème. Dès l’instant où je céderai, Conor se réveillera et réalisera qu’il devrait être avec une nana bien plus canon. J’ai vu les filles avec qui sortent ses coéquipiers, elles ne me ressemblent en rien. Je n’ai pas envie de subir les conséquences lorsque Conor ouvrira enfin les yeux. – Pourquoi vous vous êtes disputés ? demande ma mère. – Ce n’est pas important. Je n’aurais pas dû t’en parler, je réponds en remuant mon riz au chou- fleur tout en essayant de me motiver pour le finir. Ça fait seulement quelques semaines qu’on se connaît, de toute façon. C’est sans doute à cause du punch de la soirée Kappa. J’aurais dû savoir que boire dans un pot de peinture était une mauvaise idée. – Oui, je pense t’avoir élevée mieux que ça. On est en train de marcher vers sa voiture quand je repense à quelque chose. – Maman ? – Oui ? – Tu penses que je… M’habille comme un sac ? Que j’ai le look d’une nana qui a vingt chats ? Que je suis condamnée à finir vieille fille ? – … que ma façon de m’habiller laisse penser que j’ai honte de mon corps ? Elle s’arrête brusquement et me regarde avec tendresse. Même avec son look minimaliste et ses vêtements blancs, noirs ou gris, ma mère a toujours l’air branchée. Je suppose que c’est facile quand les vêtements sont conçus pour son physique. Grandir avec une mère comme elle n’a pas été facile. Ce n’est pas qu’elle n’a pas essayé ; elle était ma plus grande cheerleader et elle a tout fait pour booster mon estime de moi. Elle me répétait sans cesse combien j’étais belle, combien elle était fière de moi ou qu’elle aurait adoré avoir des cheveux aussi épais et brillants que les miens. Mais en dépit de ses efforts, je n’ai jamais cessé de me comparer à elle. En mal. – Je pense que tes vêtements ne disent rien de ton intelligence, de ta vivacité d’esprit ni de ton sens de l’humour, dit-elle gentiment. Je pense que tu devrais t’habiller de sorte à être à l’aise. Cela étant dit… si tu n’aimes pas ta façon de t’habiller, tu devrais peut-être interroger ton cœur plutôt que ton dressing. Eh bien… on dirait que ma mère vient de confirmer que je m’habille comme un sac. * * * Je rentre à pied chez moi après avoir dit au revoir à ma mère, et je décide de serrer les dents et d’écrire à Conor.
MOI : T’es chez toi ?
Mon estomac se noue une fois que je l’ai
envoyé. Ça fait deux jours que je l’ignore et je comprendrais qu’il soit passé à autre chose. Je me suis comportée comme une garce, l’autre soir, j’en ai parfaitement conscience. Il a beau avoir été maladroit, Conor n’a pas voulu m’offenser et je n’avais aucune raison de fuir comme je l’ai fait. Aucune, sauf que je me sentais vulnérable. Je m’en suis prise à lui plutôt que de lui expliquer ce que je ressentais. Mon écran s’éclaire.
CONOR : Ouais. MOI : J’arrive, ok ? CONOR : Ouais.
Deux « ouais » d’affilée ne sont pas
particulièrement prometteurs, mais au moins, il ne m’a pas ignorée. Dix minutes plus tard, il m’ouvre la porte en finissant d’enfiler son tee-shirt, le même frémissement de désir que lorsqu’on s’embrassait l’autre soir me chatouille le ventre. Mes lèvres se souviennent des siennes. Ma peau frissonne quand je pense à ses mains sur mes hanches. Waouh. Ça va être bien plus dur que je ne le pensais. – Salut. – Salut, répond-il en me faisant signe d’entrer. Ses colocs doivent se cacher ou être sortis car je ne les vois pas quand il m’emmène dans sa chambre. Merde, même l’odeur de sa chambre m’a manqué autant que son shampoing aux senteurs d’océan et que le parfum qu’il portait l’autre soir. – Taylor, je veux… – Non, je gronde en tenant la main en l’air pour l’empêcher de parler, moi d’abord. – Ok… Il hausse les épaules et s’assied sur le canapé pendant que je prends mon courage à deux mains. – J’ai été horrible avec toi l’autre soir. Et j’en suis désolée. Tu avais raison, j’étais gênée. Je n’aime pas être au centre de l’attention, même quand c’est pour de bonnes raisons. Savoir qu’un bar tout entier me regarde est mon pire cauchemar. Mais tu as fait cette lap dance débile pour m’épargner un sort bien pire, et je ne t’ai pas remercié. C’était injuste de ma part. Ensuite, avec le… J’ai l’impression de ne pas pouvoir dire le mot « baiser » sans gémir. – … le truc dans le parking, j’ai paniqué. Ce n’était pas de ta faute. – Sauf quand j’ai commencé à te donner des conseils vestimentaires, remarque-t-il avec un sourire ironique. – Ouais, ça, c’était débile, espèce d’enfoiré. Tu aurais pu m’épargner ça. – Je le sais, crois-moi. Demi et Summer m’ont déjà fait la leçon. Ce sont les copines de mes potes, précise-t-il en voyant mon air confus. – Tu as parlé aux copines de tes potes de notre dispute ? Je ne sais pourquoi, je suis très touchée qu’il l’ait fait. – Ouais, admet-il. J’avais besoin que quelqu’un m’explique où j’avais merdé. Apparemment, la critique vestimentaire est un crime. Je ricane et Conor lève les mains en signe de capitulation. – En plus, ce n’est même pas ce que je voulais dire. Mon cerveau a eu un court-circuit après le… truc dans le parking, parodie-t-il, et j’ai perdu ma capacité à réfléchir. J’ai aussi perdu cette voix dans ma tête qui m’empêche de me ridiculiser, ajoute-t-il en esquissant ce sourire coquin qui fait accélérer mon cœur. Tu me pardonnes ? – Je te pardonne. Tu me pardonnes de m’être comportée comme une garce ? – Je te pardonne. Il se lève et marche lentement vers moi, me dominant de son corps puissant et massif. – Alors… amis ? – Amis. Il me prend dans ses bras et j’ai l’impression de ne jamais les avoir quittés. D’ailleurs, je ne sais pas si je veux que l’étreinte cesse. Je ne sais pas comment il fait, mais il lui suffit de sourire ou de me prendre dans ses bras pour me mettre à l’aise. – Tu m’accompagnes sur le campus ? J’ai cours dans une heure. On pourrait boire un café ? – Ça me va, je réponds en m’asseyant sur son lit pendant qu’il s’habille et rassemble ses affaires. Dis, je me demandais un truc… – Ouais ? Il s’arrête à la porte de sa salle de bains, sa brosse à dents à la bouche. – Ça te dirait de traîner ensemble ce week-end ? De faire du shopping avec moi à Boston ? Conor lève l’index avant de disparaître quelques secondes, et il revient en s’essuyant la bouche sur une serviette. – Je ne peux pas, ma belle. J’ai la demi-finale à Buffalo. – Ah, c’est vrai. Je le savais, pardon. Pas de souci. Une autre… – Prends ma Jeep, dit-il en jetant la serviette dans sa panière à linge. – Quoi ? – Ouais, viens au match, dit-il alors que son regard s’illumine. Tu peux venir à Buffalo avec ma Jeep, et je demanderai la permission au coach de ne pas rentrer en bus. On peut rester une nuit de plus, faire du shopping et traîner ensemble. – Tu es sûr ? Je n’ai pas envie de compliquer les choses. Il m’offre un magnifique sourire, on dirait qu’il sort l’artillerie lourde. – Si on gagne, je te veux avec moi pour faire la fête. Si on perd, tu me feras boire et tu me remonteras le moral. – Tu crois ? Je ne sais pas si je suis capable de dorloter ton ego à ce point. Il éclate de rire et je suis soulagée qu’on puisse à nouveau plaisanter. Tout ce qu’on doit faire, c’est prétendre que ce baiser débile n’a jamais existé, et tout redeviendra comme avant. Et qu’on ignore tous les deux ce qu’implique un week-end ensemble à l’hôtel. – Donc, c’est d’accord ? – Je ne raterais ça pour rien au monde. – Super. Il prend son sac à dos et nous descendons dans le hall où il m’ouvre la porte en me faisant signe de le précéder. – Au fait… Non pas que je ne sois pas reconnaissant d’être invité, mais… pourquoi on va faire du shopping ? Je lui fais un clin d’œil par-dessus mon épaule. – Je veux m’offrir un relooking. 14 Conor La demi-finale contre le Minnesota est une lutte acharnée dès le premier coup de sifflet. Après des provocations sur les réseaux sociaux, notre équipe entre sur la patinoire, prête à mettre une raclée à ces enfoirés. Nous arrivons à coller à notre stratégie, avec des échanges musclés. Le Minnesota est une équipe technique, mais ils ne pourront pas encaisser la pression qu’on leur met pendant soixante minutes. Ils ne touchent pas le palet sans sentir notre souffle dans leur dos. Chaque passe leur fait savoir qu’on compte les faire souffrir. Après la première période, le score est de zéro partout. Et dès la reprise, Hunter récupère le palet sur une échappée et le frappe droit dans le filet adverse. – Bien joué ! crie le coach depuis le banc en frappant son porte-bloc contre le plexi. Il déclare un changement de ligne, et Hunter et moi nous hissons par-dessus le mur pour boire un coup. Le reste de notre ligne s’installe sur le banc, les yeux rivés sur la glace. Les défenseurs de Briar ont du mal à repousser le Minnesota de notre zone et le coach leur hurle de se ressaisir. – Mec, il faut que tu refasses exactement le même geste, dit Bucky à Hunter. Tacle ce grand rouquin et fonce, il n’est pas assez rapide pour te rattraper. Bucky a raison. Ce soir, Hunter est le joueur le plus rapide sur la glace. Personne ne peut l’arrêter. Le coach annonce un nouveau changement et Hunter et moi remplaçons Alec et Gavin. On saute par-dessus le mur, prêts à marquer un second but. Mais les joueurs du Minnesota doivent commencer à paniquer parce que quand Hunter reçoit une passe, le numéro dix-neuf de l’équipe adverse le projette contre le mur. Je vois rouge quand mon capitaine atterrit au sol et, avant-même que l’arbitre ne siffle, je l’ai plaqué à mon tour contre le plexi. – Lâche-moi, joli cœur, grogne-t-il. – Essaie un peu de m’y obliger. On échange quelques coups et j’entends quelqu’un me crier dessus en me frappant dans les côtes alors que les bancs des deux équipes se vident pour se joindre à la bagarre. Le dix-neuf et moi finissons dans nos prisons respectives, mais la rixe en valait la peine. À la fin de la deuxième période, Minnesota égalise avec un lancer frappé d’un de ses attaquants. On rentre au vestiaire en sentant le poids du 1-1 sur nos épaules. – C’est inacceptable ! hurle le coach en direction des défenseurs dès que la porte est refermée. On les a laissés dominer les trois dernières minutes. Où était la défense, hein ? Vous vous touchiez dans un coin ? Matt, le défenseur ayant marqué le plus de buts cette saison, secoue la tête, les yeux rivés sur le sol. – Désolé, coach. C’est de ma faute. Je n’ai pas réussi à intercepter cette passe. – On va gérer, coach, dit Hunter d’un air déterminé. On va les achever en troisième période. Sauf que lorsqu’on retourne sur la glace, la situation vire au désastre. Gavin doit sortir, victime d’un claquage à la cuisse, et Matt se fait mettre en prison après une grosse pénalité. On arrive à tenir, mais avec le chrono qui défile, le Minnesota semble sur le point de gagner. Ils ont un second souffle alors que nous sommes au bord de l’épuisement. Il devient de plus en plus difficile de maintenir la pression, et notre défense se fissure. Nos attaquants n’arrivent pas à trouver d’ouvertures pour enchaîner les passes ou provoquer des échappées. Pour nous, le match se transforme en lutte ardue. Notre adversaire est désormais plus rapide et plus agressif, et c’est là que tout bascule. Les joueurs adverses parviennent à enchaîner quatre passes et nous surprennent alors qu’on est un poil trop lents. Leur ailier gauche frappe le palet juste au-dessus du gant de Boris, notre goal, et donne un point d’avance au Minnesota. C’est un point de trop. On ne peut pas remonter. Le buzzer retentit et annonce la fin de la troisième période. La fin du match. Nous sommes éliminés. * * * Dans le vestiaire, on se croirait à un enterrement. Personne ne dit mot, personne ne se regarde. Gavin, un sac de glace scotché sur la cuisse, jette une poubelle à travers la pièce et le vacarme fait tressaillir tout le monde. Il est senior, c’était sa dernière chance de gagner le championnat, et il n’a même pas pu finir le match. Peu importe ce qu’on lui dira, il restera convaincu toute sa vie qu’il aurait pu faire la différence. C’est la même chose pour Matt, qui se torturera en se disant que sa pénalité nous a coûté l’élan nécessaire pour égaliser. Lorsque le coach Jensen arrive, on n’entend plus que le bruit du ventilo qui vrombit. – Celle-ci fait mal, dit-il simplement en se frottant la mâchoire. Il transpire presque autant que nous. L’air ambiant est pollué par nos émotions négatives : colère, frustration, déception. Et la fatigue d’avoir joué à un tel niveau pendant si longtemps commence à se faire ressentir dans nos corps, nos dos sont voûtés et nos têtes tombent sur nos poitrines. – Ce n’est pas comme ça que je voulais qu’on sorte, poursuit le coach. Pour les seniors, j’aurais voulu vous offrir une chance de gagner. Mais ce n’était pas pour nous ce soir. Pour les autres, on recommencera l’an prochain. L’an prochain. Hunter et moi échangeons un regard déterminé. On est juniors et on a encore une chance de laisser notre marque à Briar. Le coach s’éloigne de son style habituellement bref et glacial et nous dit qu’il est encouragé par le jeu qu’on a montré ce soir, par les progrès qu’on a faits depuis le début de la saison. Je choisis de croire que de meilleurs jours nous attendent plutôt que de me concentrer sur l’ambiance lugubre de ce vestiaire. Un rêve est mort ce soir. Et je crois qu’on réalise seulement maintenant qu’on était tous convaincus que c’était dans la poche. À aucun moment on n’a pensé qu’on ne jouerait pas en finale. Il ne nous reste plus qu’à rentrer et à prétendre que cette défaite n’est pas une catastrophe. Je déteste perdre, putain. 15 Taylor La soirée du vendredi est rude. Après la terrible défaite de Briar, les mecs vident les minibars et dorment jusqu’à midi, le lendemain. Je ne comprends pas bien pourquoi Conor a voulu que je conduise jusqu’à Buffalo étant donné que j’ai passé l’après-match à boire des verres avec Brenna Jensen et Summer Di Laurentis, deux des colocataires d’Hunter Davenport, ainsi que Demi Davis, sa copine. On est restées toutes les quatre, entre filles. Je dois avouer que j’ai été soulagée d’être assise avec elles pendant le match, parce qu’elles ont pu m’expliquer les règles du jeu ainsi que certaines des actions que je ne comprenais pas. Cela dit, pour être honnête, je ne saurais toujours pas expliquer ce qu’est un hors-jeu. J’ai compris pourquoi Conor était mis en prison après avoir taclé un mec, quant au reste du jargon du hockey que Brenna maîtrise comme une pro… ça m’est passé au-dessus de la tête. Pour moi, le hockey ressemble à une bande de CP qui se bat pour un petit palet noir pendant que l’arbitre essaie de les empêcher de s’entre-tuer. C’est chou. Le coach Jensen a accordé à tous ceux qui le voulaient la permission de passer la nuit à Buffalo, en guise de consolation, et plusieurs des coéquipiers de Conor dorment à l’hôtel. J’ai réservé ma chambre jusqu’à dimanche et, heureusement, elle n’est pas au même étage que l’équipe. J’ai croisé Demi dans la minuscule salle de sport de l’hôtel, ce matin, et d’après elle, personne au cinquième étage n’a fermé l’œil de la nuit. Conor a eu beau dire qu’il aurait besoin d’être consolé, on s’est à peine parlé après le match. Il se morfondait avec ses coéquipiers, ce que je comprends, mais je suis soulagée que les filles aient été là pour me tenir compagnie. Tout le monde semble de meilleure humeur ce matin. Au restaurant de l’hôtel, je rejoins Conor ainsi que quelques joueurs pour bruncher. – Où sont Brenna et Summer ? je demande en m’installant à côté de Conor, avec l’assiette que je viens de me préparer au buffet. Du pain complet grillé et un œuf dur. Miam. – Et Demi, j’ajoute quand je remarque que Hunter est seul. – Brenna est en train de skyper avec son mec, répond Bucky. Elle est dans la chambre à côté de la mienne, je les ai entendus à travers la cloison. – Espèce de pervers, dit Conor en mâchant un bout de bacon. – Hé, ce n’est pas de ma faute si les murs de l’hôtel sont fins comme du papier toilette, se défend Bucky. – Summer a traîné Demi quelque part, explique Hunter. Je ne sais pas où. – Qu’est-ce qu’il y a ? demande Foster en me souriant. Tu n’aimes pas être la seule nana à la foire à la saucisse ? Il saisit une saucisse pleine de graisse dans son assiette et la mord à pleines dents d’un air dégoûtant, me faisant éclater de rire. – Ce que tu viens de faire est si plein de sous- entendus que je ne sais même pas par où commencer. En face de moi, Hunter prend sa tasse de café et boit une gorgée rapide. – Alors, vous faites quoi aujourd’hui ? – T. et moi allons faire du shopping, répond Conor de cette voix nonchalante que j’adore. – Cool, je peux venir ? demande Bucky. Il me faut des chaussettes. J’ai déjà perdu toutes celles que ma mère m’a offertes à Noël. – Je viens aussi, déclare Hunter, ma copine m’a abandonné et je m’ennuie. Je mâche lentement mon pain grillé et l’avale avec difficulté. – Euh… Gênée, je regarde d’abord Conor, puis ses coéquipiers. – Ce n’est pas vraiment une activité de groupe… Hunter hausse un sourcil. – On ne peut pas faire du shopping en groupe ? – Ils vont acheter des sex-toys, dit Foster. J’en suis sûr. – On ne va pas acheter de sex-toys ! je m’exclame en rougissant quand tous les regards de la table d’à côté se posent sur moi. Tu es horrible, je gronde en fusillant Foster du regard. – Ou peut-être suis-je génial ? – Non, tu es horrible, confirme Hunter en souriant. – Si vous voulez tout savoir, j’ai besoin de vêtements neufs et Conor va m’aider à les choisir. – Et alors, on ne peut pas venir pour t’aider, nous ? demande Bucky. Je ne sais pas si son air vexé est sincère. – Tu trouves qu’on a mauvais goût ? insiste-t-il. – Moi, j’ai de super-goûts vestimentaires, déclare Hunter en croisant les bras. Foster imite sa posture de macho en me regardant droit dans les yeux. – Moi, je suis tellement stylé que tu ne le vois même pas, dit-il. – Tu as raison, je ne le vois pas, je rétorque sèchement en désignant son tee-shirt à l’effigie d’un loup de dessin animé qui chevauche un dragon sur une mer de feu. Foster termine sa saucisse en deux bouchées. – Ok, les gars. On va faire du shopping. * * * C’est ainsi que je me retrouve chez 1 Bloomingdale’s avec quatre géants qui attendent devant ma cabine d’essayage et me jettent des vêtements à la figure comme si nous étions chronométrés et que c’était une compétition. J’arrive à peine à me saucissonner dans un jean skinny quand je suis ensevelie sous une avalanche de chemises et de robes. – On approche du point de non-retour, les gars. – Change-toi plus vite, gronde Conor. – Foster vient de trouver tout un rayon de trucs à sequins, lance Hunter d’un ton menaçant. – Je ne crois pas avoir besoin de sequins pour… Une autre avalanche de fringues m’engloutit. – Ça suffit. On va devoir établir des règles de base. Je sors de la cabine, vêtue d’une chemise à manches longues à motif écossais qui se resserre sous mes seins avant de s’évaser sur ma taille, ainsi que d’un jean skinny bleu délavé. Ce n’est pas un mauvais look, et il a le mérite de cacher les parties de mon corps que je n’aime pas, sans que j’aie l’air d’être en pyjama. Conor me regarde en haussant un sourcil, et Hunter et Bucky applaudissent poliment. Les trois mecs sont plantés là, en costard. Je les regarde, trop choquée pour rire. – Qu… qu’est-ce que… pourquoi vous êtes en costard ? – Pourquoi pas ? répond Bucky. Cette fois, j’éclate vraiment de rire. Comment ces clowns ont-ils eu le temps de se changer tout en m’apportant une montagne de fringues ? – Prends cette tenue, me dit Conor avec un regard délicieusement malintentionné. Sa façon de me mater de la tête aux pieds est tout bonnement indécente, surtout en public. Pourtant, je ne me sens pas mal à l’aise, quand Conor est avec moi, il m’apaise comme par magie. – Ouais, je l’aime bien, je dis avant de froncer les sourcils. Ceci étant dit, j’ai des fringues jusqu’aux genoux, bande de débiles. Essayons de se limiter à deux tenues chacun, d’accord ? – Ooooh, allez, on n’a même pas regardé les tenues de soirée, râle Bucky. – Ni les écharpes ! Combien il t’en faut, à ton avis ? demande Hunter. – Est-ce qu’on devrait jeter un œil aux bijoux ? ajoute Foster en venant vers moi, les bras chargés de robes de soirée. – C’est quoi, ta taille de soutif ? Conor frappe Bucky sur la tête. – Hé, tu n’as pas le droit de demander ça à ma meuf, espèce d’enfoiré. Mon cœur s’emballe, car c’est la première fois qu’il me décrit comme étant sa copine depuis notre dispute. Je ne savais pas si on poursuivait toujours cette mascarade et je crois que je suis encore plus confuse que je ne l’étais déjà. – Tenez, je dis en ramassant les vêtements à mes pieds pour les jeter dans leurs bras. Les mesures de restriction sont officiellement en place. Je referme la porte alors que quelqu’un marmonne « facho » dans sa barbe. Après avoir mis Bloomingdale’s sens dessus dessous, on se promène dans le centre commercial et Conor me fait l’honneur de porter mes sacs. J’ai trouvé intéressant de voir les styles proposés par chaque mec. Conor semble me connaître le mieux, en tout cas, nos goûts vestimentaires sont les plus proches, et ses choix sont les plus casual. Très californien, en fait. Hunter a une tendance plus osée, avec beaucoup de noir. Bucky semble avoir un style plus BCBG qui ne m’intéresse pas du tout, et pour ce qui est de Foster… je ne suis pas sûre qu’il ait compris le but de la mission. En revanche, aucun n’est d’accord sur les looks qui me vont le mieux. Ce n’est pas ce à quoi je m’attendais en leur demandant de créer leur style idéal avec Barbie Taylor. Les amis de Conor finissent par nous traîner dans le magasin de jouets où ils lancent un défi à des collégiens avec qui ils se battent au sabre laser avant de se faire jeter parce qu’ils font peur aux clients avec leurs masques de clown. Après avoir mangé un morceau, les mecs ont perdu leur enthousiasme pour le shopping et ils partent en quête de nouveaux ennuis, me laissant seule avec Conor pour la première fois de la journée. On s’arrête d’abord dans une enseigne de surf et de skate. Après tout, il me paraît normal d’avoir l’occasion de le déguiser, lui aussi. Ainsi, les bras chargés de shorts de bain, je le pousse dans une cabine d’essayage. – Tu as prévu quoi, cet été ? me demande-t-il à travers la porte. – Je rentre chez ma mère, à Cambridge. Elle n’a qu’un séminaire à enseigner durant l’été, donc on pensait partir quelque part, peut-être en Europe. Tu rentres en Californie, toi ? – Oui, sans doute un peu, soupire-t-il. Je n’ai jamais habité aussi loin de l’océan. Avant, j’allais surfer presque tous les jours. J’ai essayé, depuis que je suis arrivé ici, mais ce n’est pas pareil. Conor sort de la cabine vêtu du premier short et je dois faire appel à tout mon self-control pour ne pas me jeter sur lui. Il est torse nu, appuyé contre le mur de la cabine, et il est tout bonnement délicieux. Le V qui disparaît dans son short me fait littéralement frissonner de plaisir. C’est injuste. – Pas mal, je dis d’un ton nonchalant. – L’orange n’est pas la couleur qui me va le mieux. – Je suis d’accord. Suivant. Il retourne se changer et me jette le short orange par-dessus la porte. – Tu devrais venir. – Où ? En Californie ? – Ouais, viens pour un long week-end, ou quelque chose comme ça. On peut faire des trucs de touristes et traîner à la plage. – Tu m’apprendras à surfer ? Il sort vêtu d’un autre short, mais je ne prête plus attention aux couleurs ni aux motifs. Tout ce qui m’intéresse, c’est de mater ses pecs saillants et la façon dont ses abdos se contractent quand il parle. Est-ce que ce serait inapproprié de le lécher ? – Tu adorerais ça, dit-il. Bon sang, j’aimerais tellement revenir en arrière pour revivre l’excitation de la première vague. C’est le meilleur sentiment au monde, de se préparer pour la vague, de la sentir gonfler sous sa planche… Quand tu te mets debout et que tu es connecté à l’océan… c’est la liberté, bébé. – Tu es amoureux. Il éclate d’un rire enfantin. – C’est mon premier amour, acquiesce-t-il en retournant dans la cabine. L’été dernier, j’ai passé un mois avec des bénévoles entre San Diego et San Francisco. – Vous faisiez quoi ? – On nettoyait les plages et on filtrait les eaux les plus proches de la côte pour trier les déchets. C’est un des plus beaux mois de ma vie. On ramassait des tonnes d’ordures tous les jours, puis on surfait et on passait les soirées autour d’un feu. J’avais l’impression qu’on accomplissait quelque chose. – Ça te passionne vraiment, on dirait. C’est la première fois qu’il parle de ses centres d’intérêt en dehors du hockey et du surf. – C’est quelque chose que tu aimerais faire après la fac ? – Comment ça ? demande-t-il en sortant, vêtu d’un autre short. – Ben, tu pourrais en faire ton métier. Il y a sans doute des dizaines d’associations qui mènent des actions de nettoyage sur la côte Ouest. Il n’est peut-être pas trop tard pour laisser tomber la finance et étudier la gestion d’ONG tout en décrochant ton diplôme à temps. – Je suis sûr que mon beau-père adorerait. – Qu’est-ce que ça peut faire ? Soudain, Conor semble épuisé. Et ce n’est pas seulement son visage, c’est toute sa posture. Son dos se voûte et ses épaules s’affaissent, comme si ce sujet était trop pesant pour lui. – Max paie pour tout, admet-il. Mes cours à la fac, le hockey, mon loyer… tout. Sans lui, ma mère et moi aurions à peine de quoi manger. Donc, quand il a suggéré que j’étudie la finance comme lui, maman a décidé que le sujet était clos. – Ok, je comprends que tu lui sois redevable d’un point de vue financier, mais c’est ta vie. À un moment donné, il va falloir te battre pour ce que tu veux. Personne ne le fera à ta place. – Ça me semblait… je ne sais pas… ingrat, de me disputer avec lui. Je serais un connard de prendre son fric et de lui dire d’aller se faire foutre. – Ouais, c’est sûr que ce serait un peu dur de lui dire d’aller se faire foutre ; mais une conversation sincère et franche sur la façon dont tu veux vivre ta vie n’est pas aberrante. – Le truc, c’est qu’on ne se parle pas. Je sais qu’il aime ma mère et qu’il la rend heureuse, mais avec moi… il me voit encore comme un petit con de Los Angeles qui n’en vaut pas la peine. – Pourquoi il pense ça ? – J’ai fait des conneries quand j’étais gamin. J’étais con et je faisais tout comme mes potes ; les joints, le vol à l’étalage, squatter des bâtiments abandonnés, ce genre de trucs, explique Conor en me regardant d’un air coupable. Il semble honteux, même. – J’étais vraiment un sale gosse. Je devine, à sa façon de me regarder, qu’il a peur que je le voie différemment. Pourtant, pour moi, rien de tout ça ne change la personne qu’il est aujourd’hui. – Ben, tu n’es plus un sale gosse, maintenant. Donc j’espère que ton beau-père ne te voit plus comme ça. Ce serait vraiment injuste. Conor hausse les épaules et j’ai comme l’impression qu’il ne m’a pas tout dit. Sa relation avec son beau-père est clairement une source d’angoisse et de frustration. – Tu sais ce qui me remonterait le moral ? L’éclat espiègle dans son regard éveille ma curiosité. – Quoi ? Il passe devant moi et saisit un maillot de bain noir sur le portant le plus proche. – Mets ça. – C’est mort. Il ne m’ira pas. – Si ça peut t’aider, je peux me mettre à poil. – En quoi ça m’aiderait ? Il hausse à nouveau les épaules en affichant un sourire diabolique. – D’expérience, ça a toujours aidé les filles. Je lève les yeux au ciel et saisis le maillot qu’il me tend avant d’aller dans la cabine d’à côté. Jamais je n’aurais envisagé faire ça pour un autre mec, mais je sais qu’un petit défilé dissipera le nuage noir qui plane au-dessus de la tête de Conor. Ainsi, afin de sauver le reste de la journée, j’enlève mon legging et mon pull et j’enfile le fichu maillot de bain une pièce. Il est coupé en V plongeant sur le devant, et les lanières se croisent dans le dos. Comme prévu, il est trop petit. Il contient à peine mes fesses, et mes seins essaient désespérément de s’échapper du décolleté. Je prends mon courage à deux mains et sors de la cabine d’essayage. Conor m’attend devant, toujours vêtu de son short de bain. Lorsqu’il me voit, il ouvre grand la bouche et hausse les sourcils, sous le choc. – Voilà. Ne dis pas que je ne fais jamais rien pour toi, je déclare. Il bouge si vite que je ne parviens pas à retenir le cri qui m’échappe. Il se jette sur moi et nous pousse dans la cabine, refermant aussitôt la porte à clé. – Qu’est-ce que tu… Sa bouche s’empare de la mienne avant que je puisse finir ma phrase. Ses grandes mains saisissent mes hanches et il me plaque contre le miroir. Sa langue se fraie un passage entre mes lèvres, et mes appréhensions disparaissent lorsque je plonge mes doigts dans ses cheveux. Il m’ensevelit, m’enveloppe. Peau contre peau, rien ne sépare son corps chaud du mien. – Putain, Taylor, chuchote-t-il. Tu comprends à quel point tu es canon, maintenant ? Je sens son érection contre mon ventre, chaque centimètre de sa verge longue et ferme, et des dizaines d’idées me viennent en tête. Des idées dangereuses. J’ai envie de glisser ma main dans son short, J’ai envie de sentir sa langue dans ma bouche tandis que je le caresse jusqu’à le faire gémir et frotter son bassin au… Quelqu’un frappe à la porte et nous fait sursauter. On rompt le baiser et je me dépêche de mettre mes vêtements par-dessus mon maillot tandis que Conor ouvre la porte sur une vendeuse à l’air mécontent. Parfaitement à l’aise, mon faux mec se gratte le torse en souriant. – Pardon, Madame. Ma copine voulait avoir mon avis. – Pardon, je parviens à dire en réprimant un fou rire. – Hrmmmf, souffle-t-elle sans bouger, attendant que Conor aille se rhabiller. Il offre à la vendeuse son sourire le plus charmeur et lui tend le short tandis que j’arrache l’étiquette à mon maillot. – J’aimerais l’acheter, s’il vous plaît, je dis poliment à la vendeuse en évitant le regard amusé de Conor. On pleure presque de rire tandis que je paie pour le maillot indécent que je cache sous mes vêtements, et on sort ensuite de la boutique d’un pas pressé, comme si on avait volé quelque chose. On rit tout le chemin qui nous ramène à sa Jeep. Après la tension sexuelle qui régnait dans la cabine d’essayage, j’avais bien besoin d’un moment de légèreté. C’est bien, la légèreté. Contrairement à la tension sexuelle. Car je ne peux pas avoir envie de Conor Edwards. C’est mal. Très mal. Il est précisément le genre de mec qui me brisera le cœur. Même sans le vouloir.
1. Équivalent américain des Galeries Lafayette
ou du Printemps. 16 Conor Hunter nous regarde en levant son shot, près du bar, je suis certain qu’il nous récite un discours très émouvant sur notre défaite en demi-finale, qu’il souhaite le meilleur aux seniors et qu’il nous promet de réussir l’an prochain. Hélas, je n’entends rien à cause de la musique assourdissante. Les basses font tinter les glaçons dans le verre posé à côté de moi et vibrer le sol sous mes pieds. Lorsqu’Hunter cesse de parler, on vide nos verres et on fait passer le feu de la vodka avec une bonne gorgée de bière. Bon sang, ces débiles vont me manquer. Foster me met un petit coup de poing dans le bras et me dit quelque chose, mais je n’entends toujours rien, donc je désigne mon oreille en secouant la tête. – Elle est où, ta femme ? Bonne question. Quand Taylor est rentrée à l’hôtel, tout à l’heure, j’ai reçu un message de la part de Summer, écrit en majuscules, qui exigeait de savoir pourquoi elle n’avait pas été invitée au shopping. Je lui ai rappelé qu’elle et Demi n’étaient pas au brunch parce qu’elles étaient occupées ailleurs, ce à quoi elle a répondu que « ma conspiration pour la tenir éloignée des centres commerciaux » prenait fin aujourd’hui. Est-ce que j’ai déjà dit que Summer était folle ? Son message suivant me demandait de laisser Taylor entre ses mains de fashionista pour l’aider à se préparer pour la soirée au club. Je crois que Taylor s’en est voulu que les filles se sentent exclues, donc elle a accepté de se préparer avec elles et de me rejoindre plus tard. Je ne peux pas nier que j’ai eu peur de la laisser avec Summer et Demi. Taylor a l’air de s’entendre avec les mecs, mais les colocs d’Hunter sont folles à lier. Je l’ai donc mise en garde et lui ai fait promettre de m’appeler si elles essayaient de lui couper les cheveux. Ça fait déjà une heure qu’on est arrivés au club, et je commence à me demander si je ne devrais pas appeler les flics. La boîte est pleine à craquer. Il y a même des joueurs du Minnesota ainsi qu’une équipe de New York. Lorsque je repère le numéro dix-neuf au bar, il propose de m’offrir un verre et j’accepte, je ne laisse jamais ma fierté se mettre en travers d’un verre gratuit. Si on doit se contenter de gesticuler et de hocher la tête pour communiquer, je crois qu’on parvient à passer l’éponge sur notre bagarre. Du moins, jusqu’à la saison prochaine. Les trois équipes finissent par se réunir au bout du bar et se provoquent à tour de rôle en partageant des anecdotes de match, en criant pour se faire entendre. J’adorerais les détester, mais je dois avouer que les joueurs du Minnesota sont plutôt cool. Cela dit, je me sentirai mieux l’an prochain si c’est nous qui nous retrouvons à leur offrir des shots. Je regarde par-dessus mon épaule pour la cinquantième fois, pour voir si Taylor est arrivée, lorsqu’un visage attire mon attention. Je ne le vois qu’une seconde, puis il disparaît. En fait, je ne sais même pas si c’était lui, avec la foule et les lumières stroboscopiques. Malgré le nœud qui se loge dans ma gorge et la poussée soudaine d’adrénaline, je me dis que mes yeux m’ont joué un tour. – Puuutain ! s’exclame le numéro dix-neuf, dont je n’ai pas entendu le prénom quand il l’a crié. Foster suit son regard, puis il siffle à la manière du loup de Tex Avery. – Putain, Con’. Tu as vu ça ? Je fronce les sourcils et me tourne sans pour autant comprendre de quoi ils parlent. Jusqu’à ce que je repère les deux blondes balayées par un spot. Summer et Taylor se fraient un passage dans la foule, suivies de près par Brenna et Demi. Je n’ai d’yeux que pour Taylor. Je crois que je lâche mon verre. Est-ce que j’en tenais un, d’ailleurs ? J’oublie tout ce qui ne concerne pas Taylor. Le monde disparaît et il n’y a plus qu’elle, marchant vers moi dans une petite robe blanche qui s’illumine sous les UV de la boîte. Ses cheveux sont bouclés et elle est maquillée. Je regarde quelques secondes ce grain de beauté ultra-sexy, juste au-dessus de sa bouche, comme Marilyn Monroe. C’est ma nana. Je dois avoir l’air d’un débile quand je marche vers elle en essayant de cacher mon érection, mais putain, elle est juste sublime. – Danse avec moi, je chuchote dans son oreille en passant mon bras autour de sa taille. Elle me répond par un hochement de tête en se mordant la lèvre. Et ça me fait bander encore plus. Je ne tiendrai jamais toute la soirée sans lui arracher sa robe. – De rien ! dit Summer dans mon dos. Je l’ignore, me frayant un passage vers la piste de danse sans lâcher la main de Taylor. – Je danse hyper-mal, me dit-elle lorsque je la prends dans mes bras. – M’en fiche, je marmonne. J’ai juste envie de la toucher, de la tenir. Je sais qu’elle sent mon érection quand elle se colle à moi. J’ai envie de lui demander comment elle compte y remédier, mais je ne suis pas encore saoul à ce point, donc je ferme ma gueule. – Ne me laisse pas me ridiculiser, dit-elle dans mon oreille, ce qui est rendu plus simple par les hauts talons qu’elle porte. – Jamais. Je l’embrasse dans le cou et je sens sa peau se couvrir de chair de poule. Elle me tourne alors le dos et presse ses fesses contre mon bassin pour danser. Je me mords si fort la joue que je me mets à saigner. – Tu vas me tuer, Taylor, je grogne en promenant mes mains sur son corps, savourant chacune de ses courbes divines. Taylor me regarde par-dessus son épaule et me fait un clin d’œil. – C’est toi qui as commencé. C’est alors que quelqu’un tapote mon épaule, du coin de l’œil, je vois que c’est un mec brun. Supposant qu’il veut inviter Taylor à danser, je me tourne vers lui en m’apprêtant à lui dire d’aller se faire foutre. Mais ma gorge se noue et je suis incapable de parler. – Salut Con’, dit-il. C’est fou de te croiser ici. Mon estomac fait un saut périlleux et j’ai envie de vomir. Je cligne des yeux et me force à avoir une expression parfaitement neutre. – Kai, je réponds froidement. Qu’est-ce que tu fais ici ? Il désigne son oreille en secouant la tête, comme je l’ai fait toute la soirée. – Allons parler là-bas, dit-il en désignant un point derrière moi. – Je suis vraiment désolé, je marmonne à l’oreille de Taylor. – Désolé de quoi ? répond-elle d’un ton incertain en serrant fort ma main. Nous suivons Kai au fond du club. Je n’en reviens toujours pas qu’il soit là. Ce fichu Kai Turner, il est toujours aussi rachitique et il sent toujours autant la beuh. Je ne l’ai pas revu depuis que j’ai traversé le pays pour fuir ce qu’on a fait. Le fait qu’il m’ait suivi ici, dans une boîte de nuit de Buffalo, ne présage rien de bon. Je serre fort la main de Taylor dans la mienne, en partie parce que j’ai peur qu’elle s’enfuie, en partie parce que j’ai peur de ce que je ferai à ce type si je me retrouve seul avec lui. – Qu’est-ce que tu fous ici, Kai ? Il ricane, mais je ne connais que trop bien ce sourire. Ça marchait mieux quand on était ados, aujourd’hui, il ressemble juste à un mec qui vend des montres en or plaqué sur le trottoir d’une rue bondée. – Je suis content de te voir aussi, frangin, répond-il en me frappant sur l’épaule. Une sacrée coïncidence ! – Arrête tes conneries, je gronde en dégageant sa main de mon épaule. Il n’y a pas de coïncidence avec Kai. Depuis qu’on est en primaire, il a toujours eu un motif caché. À l’époque, moi aussi. – Comment tu m’as trouvé ? Il reluque Taylor, qui se replie sur elle-même à mes côtés. J’ai envie de lui en coller une. – Bon, ok, tu m’as eu. J’habite à New York, maintenant. Des potes à moi jouaient le tournoi et je me suis dit que je te croiserais peut-être, donc je les ai accompagnés. J’ai essayé de t’appeler. Mais c’est bizarre… commence-t-il en me regardant droit dans les yeux, ton numéro est invalide. – J’ai changé. Pour me débarrasser de mecs comme lui. Taylor s’accroche à moi et m’interroge de ses grands yeux turquoise. Putain, j’ai juste envie de l’éloigner de lui. Je partirais si je n’étais pas persuadé qu’il nous suivra. Et honnêtement, je préfère ne pas imaginer ce qui pourrait m’attendre à la sortie de la boîte. Je sais qu’Hunter et les mecs se battraient avec moi sans hésiter, mais je n’ai aucun moyen d’attirer leur attention. Je suis seul. – C’est ta copine ? demande Kai. Je sais qu’il sent mon malaise et qu’il se concentre sur Taylor pour m’agacer. Je n’arrive pas à savoir s’il veut se battre ou s’il veut juste qu’elle s’en aille pour qu’il n’y ait pas de témoin. – Faut croire que tu es devenu East Coast jusqu’au bout ! – Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ? je demande en serrant les poings. À ce stade, je me fiche de me faire jeter du club. Je fais passer Taylor derrière moi et fais un pas en avant pour la protéger. – Rien, mec. Moi aussi, je craquerais pour ce cul. Et je suis sûr qu’elle a une personnalité géniale, ajoute-t-il en souriant. C’est juste que tu avais des standards, avant. Taylor lâche ma main. Merde. – Ta gueule, connard ! Va te faire foutre ! Je repousse Kai et essaie de reprendre la main de Taylor. – Je vais y aller, dit-elle aussitôt. – S’il te plaît. Attends-moi, T. Je pars avec… – Oh, allez ma poule, je déconne, crie Kai dans le dos de Taylor, mais elle est déjà partie. Soudain, je vois rouge. – Écoute-moi, je grogne en posant une main sur l’épaule de Kai pour le plaquer contre le bar. On n’est pas potes. On n’est rien. Ne m’approche plus, putain. – Alors, maintenant que tu as du fric et que tu es dans une école de riches, tu oublies tes vrais amis, c’est ça ? Tu es un imposteur, Con’. Je sais d’où tu viens et je sais qui tu es. – Je ne plaisante pas, Kai. Ne t’amuse pas à revenir me voir. – Mais non, mec, répond-il en dégageant ma main. Il fait un pas vers moi, mais avec son mètre soixante-dix, il m’arrive à peine à l’épaule. – On a un passé, toi et moi. Je sais des choses, tu as oublié ? Par exemple, je sais qui aidé à entrer dans le château de ton beau-papa pour tout défoncer. Tu ne te débarrasseras pas de moi aussi facilement. J’ai envie de le cogner. Parce qu’il m’a trouvé. Parce qu’il essaie de pourrir ma vie avec ses problèmes. Parce qu’il me rappelle que je reste une merde qui fait semblant de s’intégrer avec les gosses de riches dont on avait l’habitude de se moquer. Mais au lieu de ça, je pars retrouver Taylor. 17 Taylor Je me sens minable. Cherchant à fuir la musique assourdissante et les lumières stroboscopiques, je longe le couloir qui mène aux toilettes et me cache dans un coin où je peux enfin respirer. Il fait trop chaud ici, et il y a trop de monde. À quoi je pensais, bon sang, quand j’ai laissé Summer me convaincre d’emprunter cette robe ? Et les cheveux, le maquillage, les escarpins argentés. Cette personne n’est pas réelle, ce n’est pas moi. Alors oui, ça en valait la peine pour voir le regard de Conor quand il m’a aperçue à l’autre bout de la salle. Mais même avec un bon déguisement, je ne peux pas cacher ce que je suis : une blague. La B.A. de Conor. Il est simplement trop gentil pour le voir. – Putain, Taylor. Je suis désolé. En parlant du diable… Je lève la tête et vois Conor se frayer un passage parmi les mecs qui titubent jusqu’aux w.-c., il s’arrête devant moi. Il semble véritablement stressé. Je ne sais pas si c’est à cause de moi ou de ce type, mais je suis trop fatiguée pour m’en soucier. Je n’ai plus la force. Rien de tout ça n’est de sa faute, mais je ne peux plus faire semblant. – Je veux rentrer, je lui dis simplement. Son dos se voûte légèrement. – Ouais, ok. Je vais nous trouver un taxi. Le trajet jusqu’à l’hôtel se passe en silence, chaque minute, je sens le gouffre qui nous sépare s’agrandir et je me renferme sur moi-même. J’ai commis une terrible erreur en m’autorisant à penser que je me fiche de lui, au fait que notre arrangement débile allait être temporaire. Je ne comprends pas à quel moment mon envie de faire rager Abigail m’a poussée à faire six heures de route jusqu’à Buffalo, mais c’est de ma faute. Ma mère ne m’a pas éduquée avec des contes de fées et j’ai été bête de tomber dans mon propre panneau. – Je suis désolé, répète Conor quand on arrive devant la porte de ma chambre. Il ne sait pas quoi dire. Or, il n’y a rien à dire, on sait tous les deux que notre mascarade s’est retournée contre nous. C’était prévisible. – Je peux entrer ? Je devrais dire non et m’épargner d’avoir à entendre « j’ai aimé te connaître ». Mais je suis faible. Je ne veux pas perdre notre amitié et je suis déçue de ne pas avoir eu le courage de dire non à Abigail dès le premier soir. Si je l’avais fait, j’aurais évité le mal d’amour et l’humiliation que je m’apprête à encaisser. – Ouais, si tu veux. Une fois dans la chambre, j’enlève mes talons aiguilles et je prends une bouteille d’eau à six dollars dans le minibar. Lorsque je me retourne, Conor s’est allongé sur le lit et il a placé les oreillers de sorte à dresser une barrière à côté de lui. – Tu es blessée, dit-il. Et je sais pourquoi. Je m’allonge de l’autre côté du mur de coussins et ma robe remonte bien trop haut sur mes cuisses. Je me sens collante de sueur et fatiguée, et je suis sûre que mes cheveux sont décoiffés. Comment Conor fait-il pour paraître frais comme un gardon dans sa chemise grise et son jean bleu ? – Le mec de la boîte est un vrai débile, et tu ne devrais pas te soucier des conneries qui sortent de sa bouche, dit-il. Il aurait dit ça de n’importe quelle femme qui était avec moi, crois-moi. Kai aurait trouvé un moyen de l’insulter. Il s’en est pris à toi parce qu’il savait que ça m’atteindrait, explique-t-il en soupirant. C’est injuste pour toi. C’est méchant et je suis désolé que ça se soit produit, mais je t’en supplie, ne laisse pas ça gâcher ton week-end. – Il a appuyé pile là où ça fait mal, je chuchote. – Je sais, ma belle. Et si tu le connaissais comme moi, tu lui aurais mis un coup de talon aiguille dans les couilles et tu aurais continué ta vie comme si de rien n’était. – Merde, je soupire en riant tristement. Pourquoi je n’y ai pas pensé ? – Parce que tu as du tact. Je le regarde du coin de l’œil. – En général, ajoute-t-il en ricanant. Ce que je veux dire, c’est : oublie ce qu’a dit ce connard. Tu es canon, ce soir. – Tu dis toujours ça. – C’est toujours vrai. Je me sens rougir et je déteste qu’il parvienne à faire réagir mon corps aussi facilement. J’enlève un des oreillers de la barrière qui nous sépare et le serre contre ma poitrine. – C’est qui, d’ailleurs ? Un ami de Californie ? Conor se laisse retomber contre la tête de lit et soupire longuement. Je le regarde et je vois l’histoire se jouer sur son visage, comme s’il hésitait à tout me dire. – Kai était mon meilleur ami quand on était gamins, dit-il enfin. Dans mon ancien quartier, on faisait du skate et du surf ensemble, on fumait des joints, ce genre de trucs. Quand ma mère s’est mariée et qu’on a déménagé à Hungtington Beach, j’ai continué à le voir de temps en temps pour surfer, mais c’était moins fréquent parce qu’on n’allait plus dans le même lycée. On s’est éloignés. Au moment où je suis parti à la fac, j’avais déjà arrêté de répondre à ses messages. Et voilà. Je ne connais pas bien Conor, en tout cas pas assez pour comprendre son amitié avec Kai, mais je pense avoir passé suffisamment de temps avec lui pour savoir qu’il ne me dit pas tout. Il cache une blessure. Une plaie profonde. Trop profonde pour me laisser la voir. – Tu ne penses pas qu’il t’a rejoint dans cette boîte juste pour te dire bonjour, n’est-ce pas ? – Absolument pas, répond-il. Je connais Kai depuis longtemps. Et il est toujours en train de manigancer quelque chose. – Il veut quoi, à ton avis ? Conor rumine sa réponse, je vois sa mâchoire se contracter et les muscles de son cou se tendre. – Tu sais quoi ? Ce n’est pas mon problème et je ne veux pas le savoir. Il roule sur le côté pour se mettre face à moi, et quelque chose dans ses yeux gris, dans sa façon d’entrouvrir la bouche, me fait fondre. Comme à chaque fois. – Je passais une super-soirée avant qu’il nous interrompe. Je me sens rougir à nouveau et je me mords la lèvre un peu trop fort pour ne pas oublier la douleur qui m’attend en me risquant à jouer à ce petit jeu. Il n’empêche que je joue, à chaque fois. – Moi aussi, j’admets. – J’aurais vraiment voulu savoir où ça allait nous mener. – Tu penses que ça nous menait où ? Mon Dieu, est-ce que cette voix rauque m’appartient ? – J’ai des milliers d’hypothèses si ça t’intéresse, répond-il alors que son regard s’embrase. Est-ce que ça m’intéresse ? Bien sûr ! Ça m’intéresse toujours, beaucoup trop, et c’est justement le problème. Parce que le moment est venu de décider si je fonce tête baissée en sachant que vais finir émotionnellement détruite, ou si je sauve les meubles en mettant fin à tout ça sur-le-champ. Pourquoi sent-il aussi bon ? – Je dois te dire quelque chose, je commence en serrant le coussin contre moi tout en regardant mes pieds. – Je… Je suis une poule mouillée. Je respire et essaie à nouveau. – Je n’ai jamais été avec quelqu’un. Du tout. Enfin, j’ai fait quelques trucs. Mais pas grand- chose. – Ah, répond-il. Cette minuscule syllabe horripilante reste suspendue dans les airs, comme un filet de fumée qui grossit et remplit la pièce. – J’ai été vierge aussi, un jour. Je lui mets un coup de coude dans les côtes. – Ça fait longtemps que je n’ai pas été avec une vierge. Je lui remets un coup. – Si tu jouis trop vite, je ne le dirai à personne. Cette fois, je lui mets un coup d’oreiller dans la tête. – Ce n’est pas drôle, espèce d’enfoiré ! je dis en riant malgré moi. Je suis horriblement vulnérable, là, tu sais. – Ma belle… Il jette les oreillers au pied du lit et s’installe à genoux entre mes jambes. On ne se touche même pas, mais de le voir comme ça au-dessus de moi, de sentir la chaleur émaner de son corps… je n’ai jamais rien vécu d’aussi érotique. – Je sais que j’ai été un queutard par le passé. Mais je ne veux pas être comme ça avec toi. – Comment je peux le savoir ? – Parce que je ne t’ai jamais menti. Et que je ne te mentirai jamais. Même si on ne se connaît pas depuis longtemps, tu me comprends mieux que personne, dit-il d’une voix tremblante qui me surprend. Tu me connais, Taylor. Fais-toi confiance. Il se penche et presse délicatement sa bouche contre la mienne. Le baiser est doux et lent, comme s’il profitait de ce moment parfait. Lorsqu’il recule, je vois dans ses yeux le même désir bouillonnant qui fait rage dans mes veines. – J’irai lentement, promet-il. Si tu me le permets. Mon corps l’emporte sur ma raison. Je tends la main et l’attire à nouveau à moi pour l’embrasser. Je sens son érection contre ma cuisse et mon sexe répond en se contractant. Je sais qu’il est aussi excité que moi, mais il fait monter la pression au-delà du supportable. Il m’embrasse fougueusement et m’emprisonne sous lui en posant ses mains de part et d’autre de ma tête, sur le lit. J’entoure sa hanche avec ma jambe, essayant de le rapprocher, de le faire avancer pour… je ne sais même pas pourquoi. Pour soulager ce besoin qui brûle en moi. – Touche-moi, je chuchote contre sa bouche. – Tu veux que je te touche où ? demande-t-il en effleurant ma gorge avec ses lèvres. Je ne sais pas comment être… sexy. Donc j’utilise mon corps pour lui dire ce que je veux. J’enroule mon autre jambe sur ses fesses et me cambre pour appuyer mon sexe au sien. Je suis récompensée par un gémissement et il enfouit sa tête dans le creux de mon cou tout en avançant le bassin entre mes cuisses. – Quand tu dis que tu as fait « un peu », ça veut dire quoi ? Son souffle chaud chatouille ma clavicule et il dépose une série de baisers sur mon décolleté. – Ça veut dire un peu. J’accompagne les allers-retours de son bassin avec le mien et suis distraite par les picotements de plaisir qui parcourent mes veines. – Quelqu’un a déjà fait ça ? demande-t-il en tirant sur le décolleté de ma robe pour exposer davantage mes seins. Il les prend dans ses mains et les caresse tendrement. – Ouais. Mais pas ça. Je baisse la bretelle de ma robe et lui offre mes seins tout entiers. – Putain, Taylor, gronde-t-il en se léchant les lèvres. J’ai besoin de te goûter. – Oui, s’il te plaît, je réponds en soulevant mon bassin. Il commence par lécher un téton déjà dur, puis il le prend dans sa bouche, et je suis époustouflée par le courant électrique qui se précipite entre mes jambes. Bon sang, ce que c’est bon. Sa bouche explore mes seins, les embrasse, les suce, les mordille jusqu’à ce que je gigote sous lui, désespérée qu’il en fasse plus, désespérée qu’il assouvisse ce désir insoutenable. Il ricane en me voyant dans un tel état et sa main descend entre mes cuisses, où elle s’arrête. – Et ça ? demande-t-il d’une voix rauque. Je peux ? Je gémis en guise de réponse et ses doigts effleurent mon sexe et mon clitoris. Il n’y a qu’une autre personne qui m’a touchée comme ça, à part moi, mais Conor est le premier homme que j’autorise à enlever ma culotte. Je suis presque nue, à présent, avec mes fesses à l’air et ma robe baissée sur mon ventre. – Tu es tellement bonne. Tu n’as même pas idée, susurre-t-il en me toisant de son regard brûlant. Je remue, gênée, et parviens tout juste à rire. – Arrête de me regarder comme ça. – Comme quoi ? – Comme ça. Tu me mets mal à l’aise. J’essaie de baisser ma robe sur mes cuisses, mais il saisit ma main. – Taylor, gronde-t-il en m’offrant un regard intense et sérieux que je n’ai jamais vu auparavant. Qu’est-ce que tu crois que je vois quand je te regarde ? Une grosse dans une robe trop petite. – Je ne sais pas, je mens. Mais je sais que tu ne vois pas une de ces filles minces auxquelles tu es habitué, avec leur corps ferme et parfait, je dis en posant ma main à plat sur mon ventre. Tu vois ? Je n’ai pas d’abdos. – Qui veut des abdos ? J’ai assez d’abdos pour nous deux. Je ricane, mais mon rire s’évanouit lorsqu’il remplace ma main par la sienne. – Tu as tout ce que je veux chez une femme, dit-il d’un ton sérieux alors que ses mains se mettent à explorer mon corps. Tu es douce, et chaude… et tes cuisses… ton cul… putain, tes hanches… Il empoigne mon bassin, que mon médecin d’un autre siècle avait décrit comme « plus qu’idéal pour avoir des enfants ». – Tes courbes me rendent fou, Taylor. Je suis sur le point de répondre lorsqu’il saisit ma main et la pose entre ses cuisses, où je ne peux ignorer son excitation. – Tu sens comme je bande ? C’est pour toi, Taylor. Soit Conor est le meilleur acteur sur terre… soit il pense tout ce qu’il dit. Quoi qu’il en soit, mon corps n’est pas insensible à son regard affamé et à ses compliments. Mes joues sont rouge cramoisi, mes seins fourmillent et ma chatte pulse déjà. S’il ne recommence pas rapidement à me toucher, je vais exploser. – Maintenant… je peux continuer à te rassurer en te disant combien tu es sexy… ou je peux te donner un orgasme. Réfléchis bien. Je frissonne déjà. – Un orgasme, je veux un orgasme. – Très bon choix. Je me mords la lèvre quand il glisse un doigt en moi. Pas trop profond, juste quelques centimètres. Juste assez pour que tout mon corps se crispe. Un sourire narquois se dessine sur ses lèvres. Conor joue avec moi jusqu’à ce que je n’en puisse plus et que je m’agrippe à ses doigts pour qu’il aille plus loin. Le souffle rapide, il descend le long de mes jambes jusqu’à ce que sa tête soit entre mes cuisses. Il caresse mes mollets et mes genoux, sa bouche effleure l’intérieur de mes cuisses. Il remonte sur mon sexe en déposant des baisers sur son passage, puis il lèche mon clitoris et m’arrache un cri. J’empoigne la couette et enfonce mes fesses dans le matelas pour m’empêcher de gigoter. – C’est bon ? C’est la meilleure sensation au monde, sa bouche chaude et humide explore mon corps sensible et brûlant. Des gémissements rauques et essoufflés remplissent la chambre d’hôtel, et il me faut un moment pour comprendre qu’ils viennent de moi. Je suis perdue dans un brouillard exquis. Je balance mon bassin d’avant en arrière contre sa bouche et pousse un cri déçu quand elle disparaît d’entre mes cuisses. – Putain, attends une seconde. Je sens le matelas bouger et j’entends un bruit de fermeture Éclair. J’ouvre les yeux à temps pour voir Conor plonger une main dans son boxer et je réalise qu’il se caresse au moment où sa bouche trouve à nouveau mon sexe. À l’aide de sa langue et de ses doigts, il m’emmène au bord du précipice tout en se masturbant. J’aimerais le faire à sa place. Je veux sa queue dans ma bouche, Je veux le goûter. Je veux lui faire perdre le contrôle, comme il le fait pour moi. Conor pousse soudain un gémissement entre mes cuisses et le mouvement de ses hanches accélère. – Je jouis. Ça suffit à me faire exploser. Un orgasme d’une intensité que je n’ai jamais connue auparavant déferle dans mes veines et dans mes muscles. Même mes orteils se crispent tandis que j’inspire brusquement pour supporter la chaleur exquise et féroce qui crépite dans tous mes nerfs. Conor Fucking Edwards. 18 Conor Le mercredi qui suit notre défaite à Buffalo, l’équipe se réunit à la patinoire de Briar. Notre saison est finie et, pour certains des seniors, cela implique de se concentrer sur les équipes de la NHL qui les ont sélectionnés et d’être au meilleur de leur condition physique pour intégrer les entraînements d’été. Pour d’autres, le week-end dernier était leur dernier match. Mais aujourd’hui, on a tenu à se rassembler pour le coach. Hunter est au centre de la patinoire, où nous nous sommes regroupés pour une petite cérémonie. Le coach sent qu’on manigance quelque chose et il reste en dehors de notre petit cercle, l’air suspicieux. C’est une expression que j’ai vue sur Brenna à plus d’une occasion. La ressemblance entre le coach et sa peste de fille est effrayante. – Donc, commence Hunter, on vous a fait venir ici aujourd’hui parce qu’on voulait vous remercier, coach. Cette bande de dégénérés et de hooligans n’aurait jamais été aussi loin dans le championnat sans vous, et même si on n’a pas réussi à remporter le trophée, vous nous avez rendus meilleurs. On vous doit beaucoup. – Tu veux dire que tu ne lui as pas remboursé la caution qu’il a payée pour te sortir de taule, capitaine ? lance Bucky, en faisant rire tout le monde. – Merci Bucky, gronde Hunter en lui faisant un doigt d’honneur. Bref, merci, de la part de nous tous. On vous a offert un petit quelque chose. Gavin et Matt sont pratiquement obligés de traîner le coach au milieu de notre cercle pour qu’Hunter lui offre la Rolex gravée que nous lui avons achetée. Ou plutôt, que nos parents se sont cotisés pour acheter. Maman m’a envoyé un chèque en blanc au nom de mon beau-père, et j’ai dit à Hunter d’y écrire le montant. Je préfère ne pas savoir. – Waouh… euh… je… Le coach admire la montre et ne trouve plus ses mots. – C’est hyper-sympa les mecs. Je… euh… Il renifle et se frotte le visage. Si je ne le connaissais pas mieux, je penserais qu’il est sur le point de pleurer. – Vous êtes un groupe spécial. Quand je dis que je n’ai jamais eu de meilleure équipe, je le pense. – Meilleure que celle de Garrett Graham et John Logan ? demande Foster, citant deux des joueurs les plus célèbres de Briar. Aujourd’hui, Graham et Logan jouent tous les deux pour les Bruins. – Je n’irais pas jusque-là, répond le coach, et ses yeux pétillent de malice. Vous avez travaillé dur les uns pour les autres, et je ne peux pas demander plus. Donc merci. C’est génial. Foster apporte la glacière de bières qu’on a laissée sur le banc et fait passer les bouteilles tandis que je prends un moment pour apprécier la dernière fois où nous sommes tous ensemble sur la glace. Je suis sûr que l’équipe de l’année prochaine sera super, mais celle-ci ne sera plus jamais réunie. Il y a huit mois, j’ai débarqué sur ce campus en doutant de ma décision, en me demandant si j’avais suffisamment réfléchi avant de déménager à l’autre bout du pays pour repartir à zéro. J’avais peur de ne jamais m’intégrer une école de l’Ivy League et de m’étouffer avec leurs polos Ralph Lauren. C’est alors que j’ai rencontré cette bande d’imbéciles. Je ne pouvais pas trouver de meilleurs amis. Et Taylor. Ça fait moins d’un mois que je la connais, mais je la compte déjà parmi la poignée de personnes en qui je peux vraiment avoir confiance. Elle me donne envie d’être une meilleure personne. Avec elle, j’ai enfin le sentiment de pouvoir réussir quelque chose et d’avoir une relation sérieuse qui est fondée sur l’amitié plutôt que le sexe. Même si certains de mes amis semblent avoir du mal à le croire. – Tout ce que je dis, poursuit Foster alors qu’on rentre chez nous en voiture, c’est que Con’ n’a pas dormi dans notre chambre, samedi soir. Donc, à moins qu’il ait squatté avec toi et Demi, cher capitaine, j’ai une idée de l’endroit où il a passé la nuit. – Mec, la jalousie ne te sied pas, je réponds. – Non mais sérieusement, insiste Hunter en se penchant en avant depuis le siège arrière, il se passe quoi entre vous ? Si seulement je le savais. Enfin, Taylor me plaît. Énormément. Mais je n’en suis pas moins persuadé que si je tentais de renégocier les termes de notre relation, elle partirait en courant. Je crois qu’elle n’est pas encore convaincue que j’ai changé, et pour être honnête, personne n’est plus surpris par mon nouveau penchant pour la monogamie que moi. Pour l’instant, j’ai décidé d’en profiter sans me prendre la tête. – Un gentleman ne s’épand pas sur ce genre de choses. – Dans ce cas, c’est quoi ton excuse ? ricane Foster. – Con’, tu devrais imposer un abonnement à Foster s’il compte s’intéresser autant à ta queue, lance Hunter en souriant. Je commence à compatir avec Hunter pour tout ce qu’on lui a fait subir quand il avait fait vœu de chasteté au début du semestre, avant de se mettre en couple avec Demi. C’est hyper-emmerdant. Les mecs sont comme des chiens avec leur baballe, et j’imagine que ça ne va faire qu’empirer, maintenant que la saison est terminée et qu’ils n’ont rien d’autre à se mettre sous la dent. C’est pour ça que quand Hunter me coince au moment où nous nous arrêtons pour prendre à manger au diner, ma compassion me pousse à m’ouvrir un peu à lui. – C’est sérieux à quel point ? me demande-t-il. Nous attendons dans la voiture, Matt et Foster sont allés chercher nos commandes. – Je ne sais pas si c’est sérieux. Mais on est en bonne voie pour que ça le devienne, je réponds en haussant les épaules. On n’a même pas encore couché ensemble, j’admets en sachant qu’Hunter sait se taire. À Buffalo, c’était la première fois qu’on fricotait vraiment. – Mais c’est presque le meilleur moment, non ? Avant le sexe. Quand tu penses sans cesse à la première fois, toute cette anticipation, tu sais ? Quand on s’allume l’un l’autre et que la tension sexuelle est dingue. Je n’en saurai rien, en fait, c’est la première fois que le sexe n’est pas la première étape. D’ailleurs pour moi, c’est souvent la première et la dernière. – Sauf que je me souviens que tu avais été d’une humeur déplorable. – Ouais c’est vrai, admet-il en riant. Ça a cet effet, aussi. – Taylor est une chouette fille. On s’entend super-bien, je déclare avant d’hésiter quelques secondes. Honnêtement, j’essaie juste de tenir aussi longtemps que possible avant qu’elle se rende compte que je suis une ordure et qu’elle est trop bien pour moi. Hunter secoue la tête. – Tu sais, si tu ne te traitais pas toi-même comme une ordure, les gens arrêteraient aussi. – Merci, papa ! – Va te faire foutre, enfoiré ! Je cache mon sourire. Hunter et moi avons une relation différente de celle que j’ai avec les autres mecs. Peut-être parce qu’on essaie tous les deux d’être de meilleures personnes, ces derniers temps. C’est le seul à qui je parle de choses plus sérieuses, donc ses remarques m’affectent davantage. J’y pense encore quand je rentre chez moi et que je rappelle enfin ma mère, dont j’ai raté le coup de fil ce matin. – Tu étais où, mon grand ? Je n’ai pas eu de tes nouvelles après le match. – Ouais, désolé. Le week-end était un peu fou et j’étais crevé quand je suis rentré. Et j’ai dû rattraper le retard que j’ai pris en cours ces derniers jours. – Je suis désolée que vous ayez été éliminés, il vous reste l’année prochaine, hein mon chéri ? – Ouais. Ça va, je me suis fait à l’idée. Les mecs qui ne pensent qu’à ça pendant toute une année me prennent la tête, en fait. Genre, mec, trouve-toi un autre passe-temps ! – Comment ça va ? Comment va Max ? Elle soupire avant de répondre. – Il veut s’acheter un voilier, il est parti à Monterey pour en voir un. – Il sait faire de la voile ? – Bien sûr que non, mais pourquoi ça l’arrêterait ? répond-elle en riant. Je suppose que c’est mignon, qu’elle trouve ses idées irrationnelles parfaitement charmantes. – Je lui ai dit qu’il avait à peine le temps de dîner à la maison et lui ai demandé quand est-ce qu’il trouverait le temps d’apprendre à faire de la voile. Mais s’il doit faire une crise de la cinquantaine, je préfère que ce soit avec un bateau plutôt qu’avec une femme plus jeune. – J’ai lu quelque part qu’on ne peut pas aller en prison si on met le feu à son propre bateau, je déclare. – C’est bon à savoir. Bref, je ne veux pas te prendre trop de temps. Tu me manques. Je t’aime. Sois sage. – Qui, moi ? – Mouais, c’est ce qu’il me semblait. – Je t’aime, maman, à plus. Je suis content qu’elle soit heureuse. Je suis content que Max la rende heureuse et qu’elle ait plus d’argent qu’elle n’en a besoin, au point qu’elle n’a même pas à se disputer à propos de l’achat d’un voilier. Pourtant, quand je raccroche, j’ai un goût amer dans la bouche. Penser à Max me rappelle mon échange avec Kai. Le revoir a fait rejaillir des tas de souvenirs et d’émotions que j’avais mis de côté depuis que je suis à Briar, et j’ai le sentiment que je ne les oublierai pas si facilement. Quand j’ai quitté la Californie, c’était en grande partie pour m’éloigner de Kai, car je pensais lui être redevable de quelque chose. Pendant longtemps, il a été mon meilleur ami, et quand j’ai pu sortir du vieux quartier alors qu’il y est resté, j’ai eu le sentiment de l’avoir trahi. Puis j’ai compris que pour Kai, il n’avait jamais été question de loyauté ou d’amitié, pour lui, les gens ne sont que des pions. Notre valeur dépend de ce qu’on peut lui apporter. Quand j’y repense, je vois bien que Kai Turner est un microbe qui infecte tout ce qu’il touche. J’espère sincèrement que je n’aurai plus jamais à le revoir. Sentant une humeur lugubre arriver, j’écris à Taylor pour me changer les idées.
MOI : Je peux venir pour te brouter ?
Je plaisante, mais seulement à moitié.
TAYLOR : Réunion Kappa. On se voit plus
tard ? Je ne sais pas si je devrais me sentir vexé qu’elle ne réponde pas à ma proposition, ne serait- ce qu’avec un émoji qui réfléchit. Je décide toutefois de ne pas lui prendre la tête étant donné qu’elle est en pleine réunion et qu’elle aurait pu ne pas me répondre du tout.
MOI : Cool. Écris-moi.
Je jette mon téléphone sur mon lit et ouvre ma
commode pour trouver un short de sport. Si je ne peux même pas convaincre ma fausse copine de lui brouter le minou, autant aller courir. Il n’est jamais trop tard pour travailler sur son cardio. 19 Taylor Je manque m’étouffer en lisant le message de Conor, qui a le chic pour me surprendre pendant les réunions Kappa. – Qu’est-ce qui est si drôle ? demande Sasha en m’arrachant mon téléphone des mains après que j’ai répondu à Conor. Je me jette sur elle, mais ma meilleure amie est trop rapide. Je suppose que ça vient de ses talents de gymnaste, quelle garce ! – « Je peux venir pour te brouter ? » lit-elle, en se levant pour m’échapper. Je la poursuis et la coince contre l’antiquité qui sert de table basse dans le salon. Tout dans cette maison coûte un bras et a été offert par un ancien élève pour je ne sais quelle raison absurde. – Emoji aubergine, emoji éclaboussure, emoji pêche… – Tais-toi ! je gronde en récupérant mon téléphone. Il n’a pas insinué qu’il allait éjaculer sur mes fesses. – C’est sous-entendu, Taylor. Je suis fière de toi. – Je laisserais Conor Edwards éjaculer sur ma tortue en peluche s’il le voulait, déclare Rachel. – Oui, on sait, Rach, répond Olivia en faisant mine de vomir. Espèce de tarée ! – Tu as dit oui, n’est-ce pas ? demande Beth en remuant son smoothie avec sa paille. Je t’en supplie, dis-moi que tu as dit oui. – Vous voyez ? dit Lisa en hochant vivement la tête, les vrais mecs font des cunnis. – Mais est-ce qu’il est doué pour ça ? demande Fiona en couvrant ses cuisses avec un coussin, comme si elle cachait une érection féminine. Je suis sûre qu’il sait faire. Je sais deviner ce genre de chose chez les gens. Sasha et moi nous rasseyons à la table de la salle à manger, tournant nos chaises vers le salon pour voir tout le monde. Je sens le regard de quelqu’un sur moi et je découvre qu’il s’agit de Rebecca. Lorsque nos yeux se croisent, elle se dépêche de tourner la tête. – On pourrait calmer les chattes en chaleur, s’il vous plaît ? rouspète Abigail qui est toute rouge. Je n’ai pas envie d’entendre parler du gigolo de Taylor. On a des sujets plus sérieux à traiter. – Comme le couronnement d’Abigail… chuchote Sasha. – Pourquoi perdre notre temps avec de fausses élections, hein ? je réponds à voix basse. Sasha pointe deux doigts sur sa tempe et fait mine de se tirer une balle dans la tête. Cependant, notre présidente ne commence pas la réunion en parlant de l’élection, choisissant de traiter un sujet plus urgent. – Rayna, tu veux nous dire où on en est du Gala de Printemps ? demande Charlotte. – Lundi, les billets seront prêts chez l’imprimeur. Cette année, nous vous demandons d’en vendre vingt chacune. Les détails concernant l’hôpital pour enfants auquel nous allons verser les fonds sont dans le mail que vous avez reçu, tout comme le dress code à adopter. Pensez à rappeler aux gens à qui vous vendrez les billets qu’une tenue formelle est obligatoire. Et je ne plaisante pas quand je dis que les mecs doivent porter une cravate. S’ils se pointent sans, ils ne rentreront pas. Je parle pour toi, Stephanie. Rayna rive un regard assassin sur notre sœur qui peine à cacher un sourire coupable. L’an dernier, son rencard s’est pointé déguisé en Jésus gothique. Ça n’a pas plu aux anciens élèves. – On peut le faire à Boston, cette année ? se plaint Jules. L’an dernier, la salle avait une odeur bizarre et c’était impossible de se garer. Je pense que je peux convaincre mon père de… – Non, rétorque Rayna. Plus nous dépensons d’argent pour la location de la salle, moins nous en reverserons à l’association. Ce sera à la salle municipale de Hastings, comme toujours, mais cette année, on va louer le parking de l’église d’en face et on va embaucher des voituriers. – Tout le monde doit se porter volontaire, déclare Charlotte. Que ce soit pour le planning VIP, pour la déco, ce que vous voulez. Rayna a la liste. Si vous ne choisissez pas un rôle, c’est moi qui vous l’attribuerai. Sasha me met un coup de coude dans les côtes. Lors de la dernière réunion, elle a pris le contrôle du comité de musique et elle m’a entraînée dans sa révolte. En gros, on doit parcourir sa playlist Spotify pour trouver le bon équilibre entre des morceaux pour danser et des morceaux qui plairont à nos invités plus âgés. L’an dernier, Sasha a dégagé le DJ au bout de vingt minutes et elle a géré le set avec son téléphone. Autant dire que nous avons toutes décidé qu’il était plus simple de laisser les rênes à Sasha. Lorsque Charlotte déclare que la réunion est finie, je me rends aux toilettes quand Abigail me coince dans le couloir. Apparemment, elle a revu son fournisseur d’eau oxygénée, ses cheveux sont désormais presque blancs et semblent absorber toute la lumière naturelle pour ne refléter que son aura de garce. – Tu es terriblement arrogante, ces derniers jours, dit-elle en se plaçant entre moi et la porte du w.-c.. Je devrais faire pipi sur ses Louboutin pour me venger. – Je te promets que non. Maintenant, si tu veux bien me… – Tu sais qu’il va se lasser de toi et te larguer, bientôt ? Il ne sort jamais avec une nana plus de quelques semaines. – Qu’est-ce que ça peut te faire ? – On est sœurs, Tay-Tay, roucoule-t-elle en penchant la tête sur le côté. Ça lui donne un air de marionnette et c’est hyper-flippant. Mais peut-être qu’elle a besoin de faire ça pour rassembler son sang sur un côté de son cerveau afin de pouvoir parler ? – Je détesterais que tu aies le cœur brisé. – Ne t’en fais pas, je dis en tendant le bras pour l’obliger à se pousser. Notre relation est basée sur le sexe, donc… Je lui passe devant et m’occupe de ce que j’ai à faire. Lorsque je sors, Abigail est toujours là. Elle n’a pas mieux à faire que de se mêler de ma vie sentimentale ? Elle me suit dans le hall et, au moment où j’ouvre la porte pour sortir, je tombe sur Kevin, son mec, qui sent le déodorant et les chips au fromage. Chaque fois qu’il me voit, son regard devient vitreux avant de s’accrocher à mon décolleté. C’est seulement à ce moment-là qu’il semble me reconnaître. – Salut, Taylor. – Taylor ! crie Sasha depuis l’escalier. Ramène tes fesses ici. – Vois les choses de cette manière, je dis à Abigail en passant devant elle et son mec pervers. Quand j’en aurai fini avec Conor, tu pourras enfin tenter ta chance. Une vague d’adrénaline parcourt mes veines. Affronter Abigail, ne serait-ce qu’un peu, est génial ! Je me sens puissante. – On devrait demander à Charlotte de faire venir le Samu, dit Sasha en montant dans sa chambre. Abigail va mourir de jalousie d’une minute à l’autre. – Je ne sais pas si c’est de la jalousie, je réponds en m’asseyant sur son pouf. Je crois que ce qui la rend dingue, c’est que sa méchanceté se soit retournée contre elle et que je sois heureuse grâce à elle. Sasha s’assied sur l’autre pouf et me regarde d’un air curieux. – Alors, c’est devenu sérieux ? Conor et toi, vous êtes ensemble ? – Je ne sais pas si c’est sérieux, mais ce n’est plus seulement une mascarade. – Donc, vous êtes ensemble. – Je crois, oui, je réponds en déglutissant. En tout cas, on s’est embrassés. Entre autres. On a fricoté à Buffalo… – Tu as fait sept heures de route pour un plan cul ?! s’exclame Sasha en riant. J’espère que vous avez fait plus que fricoter ! – C’était six heures et demie de route. Et… d’accord. On a fait plus que ça. – Tu es toujours vierge ? – Je n’ai toujours pas touché son pénis, non. Sasha ricane. – Ok. Donc… Tu en penses quoi ? Est-ce que tu ne fais que t’amuser ou tu comptes aller plus loin avec lui ? – Je ne sais pas. Enfin, j’aime ça. Il a clairement atteint le top score en matière de fricotage. Il est gentil et respectueux, et il me met à l’aise. – Mais… – Mais j’hésite encore. Il est vraiment génial avec moi, mais je n’arrive pas à me défaire de l’idée que si je couche avec lui, je ne serai qu’un énième prénom sur une très longue liste. Ça me paraît… Je ne termine pas ma phrase, cherchant mes mots. – C’est un truc de société patriarcale, tu sais. On se fiche de savoir avec combien de femmes il a couché. Est-ce qu’il les a trompées ? Est-ce qu’il leur a promis de les épouser pour les séduire avant de disparaître dans la nuit ? Est-ce qu’il poste des selfies sexuels sur Insta et est-ce qu’il échange les meufs avec ses potes comme si c’étaient des trophées ? – Pas que je sache, non. – Alors, arrête de te prendre la tête. Couche avec lui quand tu te sens prête et si tu en as envie. – Ok, ok, je réponds en levant les yeux au ciel. J’ai pigé. – La société dit aux garçons de conquérir et aux filles de se préserver pour une version plus jeune de leur père. En faisant un calcul rapide, il me semble que… ouaip, le résultat est une hypocrisie pourrie et totalement bidon. Ta valeur ne se résume pas à ton vagin ni à combien de femmes sont passées avant toi, Taylor. 20 Conor Je n’ai pas autant doigté une nana depuis le lycée. Taylor est allongée dans mon lit, sur le côté, la bouche légèrement entrouverte, les joues roses. J’ai jeté son soutif sur mon bureau. Son chemisier ouvert m’offre une vue parfaite sur ses seins, et son jean est suffisamment baissé pour me permettre de glisser ma main dans sa petite culotte blanche. Je n’ai pas encore vu cette femme entièrement nue, mais elle est la nana la plus érotique que je connaisse. Ses cheveux blonds sont étalés sur mon oreiller et son petit corps chaud est enroulé autour du mien tandis qu’elle balance son bassin contre ma main. Ses yeux se ferment chaque fois que mon pouce caresse son clitoris. Je pourrais passer la journée à faire ça. – Stop, gémit Taylor en arrachant sa bouche de la mienne. J’arrête aussitôt. Merde. Est-ce que j’y ai été trop fort ? Ça fait un bail que je n’ai pas fait ça avec une fille vierge. – Je te fais mal ? – Non, c’est génial. – Alors, qu’est-ce qui ne va pas ? – Rien. C’est juste que… je crois que je veux te prendre dans ma bouche. – Tu crois ? Je grince des dents et fais tout mon possible pour ne pas éclater de rire. En général, ce n’est pas comme ça que la conversation commence. D’ailleurs, je crois que c’est la première fois qu’une nana m’en parle. Taylor hoche la tête et semble déjà plus confiante après y avoir réfléchi. Elle se lèche les lèvres et ma verge est à deux doigts de percer un trou dans mon jean. – Ouais, j’en ai envie. – Tu n’es pas obligée, tu sais. Je ne crois pas au sexe de transaction, tu ne me dois rien. – Je sais. Elle me sourit et ses yeux s’illuminent d’un éclat coquin. Comme si elle se préparait pour une aventure. C’est plutôt mignon et bizarre. La première pipe de ma nana. – D’accord, alors. Je m’installe sur le dos et joins mes mains sous ma tête. – Fais de moi un homme, Taylor Marsh. Elle rit doucement, puis elle s’accroupit entre mes cuisses pour baisser mon jean et mon boxer. Je bande depuis qu’elle a passé la porte de ma chambre, il y a une heure, et ma verge se dresse pour la saluer. Taylor se mord la lèvre en me prenant dans sa main pour me caresser. Elle dit quelque chose, mais je ne l’entends pas parce que je me concentre pour ne pas éjaculer. Je me suis branlé si souvent en l’imaginant me prendre dans sa bouche et me regarder avec ses grands yeux bleus… – Je te fais mal ? dit-elle en parodiant mes paroles tout en me branlant. Tu as l’air de souffrir. – C’est une véritable torture, je marmonne. Je ne crois pas que j’y survivrai. – Ok. Juste… n’éjacule pas dans mes cheveux, déclare-t-elle. J’éclate de rire, mais je cesse aussitôt quand elle commence à lécher lentement mon gland. Elle le prend entre ses lèvres charnues pour le caresser avec la langue, et je suis déjà sur le point d’exploser. Je plonge mes doigts dans ses cheveux pour l’encourager à ralentir. Elle s’exécute et suce alors ma verge, millimètre par millimètre. Quand elle l’a prise entièrement dans sa gorge, je suis trempée de sueur. Jésus Marie Joseph ! Je m’essuie le front et mon souffle devient laborieux quand elle retire ma queue de sa bouche avec la même lenteur atroce. Sa langue en lèche la pointe paresseusement, dessinant des cercles divins, manquant me faire éjaculer sur-le-champ. Pourquoi j’ai pensé que prendre son temps serait mieux, bon sang ? Lentement, à toute vitesse, peu importe. Je ne tiendrai pas longtemps. Je ne sais pas où elle a appris ça, mais Taylor est en train de m’offrir la meilleure pipe de toute ma vie. – Putain, bébé, je vais bientôt jouir, je gronde en serrant les dents. Les lèvres luisantes, Taylor se redresse sans cesser de me branler. Je pousse un grognement en saisissant le tee-shirt pendu à ma tête de lit et j’empoigne ma queue en me crispant de la tête aux pieds. J’éjacule dans le vêtement alors que Taylor m’embrasse tendrement sur le torse, puis dans le cou, jusqu’à ce que je cherche sa bouche. Nos langues se rencontrent et je l’embrasse avidement jusqu’à ce que les derniers soubresauts de mon orgasme disparaissent. – Ça a été ? demande-t-elle en souriant timidement. Je suis épaté par la façon qu’a Taylor de passer de la vierge innocente à la déesse des pipes pour redevenir adorablement pudique. Je soupire joyeusement. – Mieux que ça, c’était génial, je réponds avant de réaliser quelque chose. Mais je ne t’ai pas fait jouir. Je peux encore… – Ça va, ne t’inquiète pas, dit-elle en posant sa tête sur mon torse pour me caresser le ventre. – Je te ferai jouir deux fois, la prochaine fois, je dis en l’embrassant avant de jeter mon tee-shirt dans la panière à linge. Avec Taylor, les préliminaires sont redevenus amusants. Avant elle, les filles étaient pressées de baiser au point que je ne connaissais pas toujours leur prénom, ou bien j’étais tellement impatient de les voir à poil que je ne les embrassais même pas. Avec Taylor, je ne veux rien rater. Je veux connaître son corps par cœur et lui offrir toutes les expériences qui existent. Je suis son premier, et je compte faire en sorte que tout se passe au mieux. Mon téléphone vibre sur ma table de chevet, près de Taylor. – Tu peux l’attraper, s’il te plaît ? Elle me le tend et je fronce les sourcils en voyant l’écran afficher « numéro masqué ». – Allô ? je réponds en continuant de caresser les cheveux de Taylor. – Salut, frangin. Je me crispe de la tête aux pieds. Kai, cet enfoiré. – Comment tu as eu ce numéro ? Taylor lève la tête et me questionne du regard. – M’en veux pas, mec. J’ai parlé à un de tes potes au club, à Buffalo. Je parie que c’est Bucky. Ce mec filerait le PIN de sa carte bancaire si on le lui demandait poliment. – Ils ne tiennent pas l’alcool, ces sportifs. – Eh ben, oublie-le. Je t’ai déjà dit que… – Calme-toi, frangin, je viens en paix. Écoute, je vais être à Boston ce week-end. On devrait se voir pour parler. Ça nous ferait du bien, à tous les deux. Mais bien sûr ! Avec Kai, tout ce qui compte, c’est ce qui lui fait du bien à lui. – Ça ne m’intéresse pas. Je raccroche et jette mon téléphone par terre. Putain. – C’était encore ce type ? L’air inquiète, Taylor s’assied à côté de moi en se rhabillant un peu. – Ce n’est rien, oublions ça, je réponds. Depuis que Kai a refait surface à Buffalo, je n’ai pas réussi à me débarrasser du mauvais pressentiment qui me noue le ventre. – Conor, je sais que tu ne me dis pas tout, dit- elle en me regardant de cet air sincère et vulnérable qui me fait me sentir minable. Je comprends que tu ne sois pas prêt à m’en parler ou que tu ne me fasses pas confiance. Mais ne fais pas comme si ce n’était rien. Merde. – Je suis désolé. Si Taylor doit réaliser qu’elle est trop bien pour le tocard que je suis, autant que ce soit maintenant. – Je ne voulais rien dire, parce que j’aime la personne pour qui tu me prends. – Qu’est-ce que tu veux dire ? Je veux dire que si Taylor était moins gentille, elle bloquerait tout de suite mon numéro. – Je veux dire que si tu m’avais connu à l’époque, tu aurais eu raison de t’enfuir en courant. – J’en doute. Sa réponse m’anéantit, cette fille a bien trop confiance en moi. – Dis-moi… Je suis sûre que ce que j’imagine est encore pire que la réalité. Eh merde ! – J’ai passé les deux dernières années à essayer de prendre mes distances avec Kai, parce que j’étais comme lui, avant. On est fourrés ensemble depuis qu’on est gamins. Il arrivait toujours à me convaincre de faire des conneries, comme entrer par effraction dans des immeubles abandonnés pour les taguer, commettre des vols à l’arraché, ce genre de choses… Des trucs comme se battre, briser des parebrises… – Quand on est arrivés au lycée, Kai s’est mis à dealer, surtout de la beuh. C’est ce que tout le monde faisait. À l’époque, ça ne me semblait pas si mal. Mais quand on a été en première, son grand frère a été mis en taule pour avoir braqué des voitures, et Kai prenait la même direction que Tommy. Il traînait avec les potes de son frère, il ratait des semaines entières de cours. Je n’arrive pas à déchiffrer l’expression de Taylor pendant que je lui raconte tout ça. Je n’arrive toujours pas à admettre le pire, parce que j’ai honte de ce que j’étais. Et je sais que tout ça est encore en moi, sous la surface… – Puis ma mère a épousé Max et on a déménagé. Ils m’ont mis dans un lycée privé, je dis en haussant les épaules. Ça m’a permis de m’éloigner de Kai. Sans ça, je serais sans doute en prison, j’aurais suivi les pas de Kai. Taylor me regarde pendant longtemps, silencieuse, pensive. Je ne réalise que je retiens mon souffle que lorsqu’elle soupire. – C’est tout ? Non. – Oui. Enfin, ouais, en gros. Putain, quel tocard je suis. Quel lâche ! – Tout le monde a un passé, Conor. On a tous fait des conneries, dit-elle d’un ton à la fois doux et déterminé. Je me fiche de ce que tu étais avant. Ce qui m’intéresse, c’est ce que tu choisis d’être aujourd’hui. – C’est facile à dire, pour toi, je réponds en riant sombrement. Tu viens de Cambridge. – C’est quoi le rapport ? – Tu ne sais pas ce que c’est que de grandir sans un rond, et de te retrouver du jour au lendemain dans un lycée privé, en costume- cravate. Je détestais tous ces petits prétentieux avec leurs BMW et leurs sacs Louis Vuitton. On me lançait des regards noirs à longueur de journée, on me harcelait dans les couloirs, et je passais mon temps à me dire combien ce serait facile de braquer leur caisse et de partir à la plage avec, ou de voler tous les gadgets hors de prix qu’ils laissaient dans leurs casiers. C’est pour ça que j’ai d’abord été dans une université publique, en Californie : j’en avais marre de pas appartenir à ce milieu, je dis en secouant la tête. Puis j’ai atterri ici, sur la côte Est, entouré de vieilles familles, et c’est la même chose. Je sais que ma pauvreté se sent dès que je passe la porte d’une pièce. – C’est faux, insiste-t-elle. Tous ceux qui tiennent à toi se fichent que tu aies grandi dans une famille riche ou pas. Et ceux qui s’attachent à ça ne sont pas tes amis, donc qu’ils aillent se faire foutre ! Tu as autant ta place ici que quiconque. J’aimerais pouvoir le croire. Et peut-être que pendant quelque temps, je l’ai cru. Mais le retour de Kai dans ma vie m’a rappelé qui je suis, que ça me plaise ou non. 21 Taylor On est déjà mi-avril, mais la météo n’a pas encore décidé de la saison qu’elle souhaite suivre. Je sors de cours en ayant l’impression d’être en hiver, tout le monde porte un bonnet et des gants, et tient son gobelet de café fumant en expirant des nuages de vapeur blanche. Pourtant, le printemps commence tout de même à se faire sentir, le ciel est bleu et les rayons du soleil se faufilent entre les branches encore nues des vieux chênes, réchauffent les pelouses de Briar. Ce qui implique qu’il ne reste qu’un mois avant la fin du semestre. Jusqu’à présent, tout ça a semblé lointain, mais le Gala de Printemps approche à grands pas ainsi que mon évaluation de stage et les partiels à réviser, la fin d’année se précipite sur moi comme une cavalcade de buffles sauvages. Je suppose que je me sens un peu submergée par tout ça parce que, ces derniers temps, le gros de mon attention s’est porté ailleurs : sur Conor Edwards. On n’a toujours pas défini notre relation en termes précis, et ça me convient. C’est génial, même. De cette façon, il y a bien moins d’attentes à satisfaire et moins de risques d’être déçue. Cela dit, je commence à me demander comment Conor voit la suite. Il m’a invitée en Californie, cet été, mais est-ce qu’il était sérieux ? Et est-ce qu’il voulait dire comme amis, comme amis avec bénéfices, ou autre chose ? En même temps, je ne lui en voudrais pas qu’il envisage la fin du semestre comme la fin de notre relation exclusive. Je regrette seulement qu’il n’y ait pas un moyen simple et indolore de lui demander s’il veut qu’on poursuive notre histoire pendant l’été. Cela dit, peut-être que je n’ai pas vraiment envie d’entendre la réponse. Je suis en chemin pour la bibliothèque quand ma mère m’appelle. Ça fait longtemps que nous ne nous sommes pas parlé, je suis contente d’entendre sa voix. – Salut ! – Coucou, ma chérie. Tu as une minute ? – Ouais, je sors juste de cours. Quoi de neuf ? – Je serai en ville vendredi soir. Tu es dispo ? – Pour toi, toujours ! Le restau Thaï vient de rouvrir si tu… – En fait… commence-t-elle d’un ton inquiet qui me met sur mes gardes. J’ai déjà prévu quelque chose pour le dîner, et j’espérais que tu te joindrais à nous. – Ah ? Ma mère est étrangement évasive pour quelque chose d’aussi anodin qu’un dîner. – C’est qui, nous ? – Mon rencard. – Ton rencard, avec quelqu’un d’Hastings ? Je croyais qu’elle n’avait pas le temps pour ça ? – J’aimerais que tu le rencontres. Que je le rencontre ? Elle est sérieuse ? C’est sérieux, entre eux ? Ma mère a toujours été trop concentrée sur sa carrière et sa recherche pour les relations sérieuses. Les mecs l’ennuient toujours trop vite pour jouer un rôle important dans sa vie. – Mais comment tu l’as rencontré ? Elle ne répond pas tout de suite. – Tu as l’air fâchée. – Je suis étonnée. Quand est-ce que tu as eu le temps de rencontrer quelqu’un à Hastings ? Et pourquoi c’est la première fois que tu m’en parles ? Ça fait des années que ma mère ne m’a pas présentée à un de ses mecs, elle ne le fait pas à moins que ce soit sérieux. La dernière fois qu’elle est venue me voir, elle ne fréquentait personne, ce qui veut dire que c’est récent et que ça va vite. – Après qu’on a déjeuné ensemble le mois dernier, je suis passée voir un collègue à Briar, et il nous a présentés. – Et quoi… ce mec est ton petit ami ? Elle rit, gênée. – Le mot semble un peu juvénile pour une personne de mon âge, mais oui, je suppose que c’est mon petit ami. Bon sang ! Je tourne le dos cinq secondes, et elle rencontre un mec. Mon Dieu ! Et si c’était un de mes profs ? Beurk. Ça me paraît étrangement incestueux. – Il s’appelle comment ? – Chad. Mouais, c’était ridicule d’espérer qu’elle l’appellerait Professeur Machinchose. Ou Docteur Jenesaisqui. Mais bon sang, je n’ai jamais, jamais, imaginé qu’Iris Marsh sortirait avec un Chad. Je ne sais pourquoi, j’ai du mal à croire qu’il peut rivaliser avec l’intelligence de ma mère. – Je te sens toujours hostile… dit ma mère d’un ton prudent. Ouais, je suppose que je suis un peu hostile à l’idée que ma mère vienne à Hastings en douce, régulièrement, et qu’elle n’ait jamais cherché à me voir ou à m’appeler pour me le dire. Ma poitrine se resserre, je suis vexée. À quel moment je suis passée au second rang ? Toute ma vie, il n’a été question que de nous deux contre le reste du monde. Et maintenant, voilà Chad. – Je suis juste surprise. – J’aimerais que vous vous entendiez bien. Elle marque une longue pause et je devine qu’elle est déçue que cette conversation ne se passe pas mieux. Elle veut que je sois contente pour elle, excitée, même. Elle a sans doute pensé à cette conversation toute la journée, voire toute la semaine, en se demandant si c’était le bon moment pour des présentations. Et ses paroles suivantes confirment ce que je pense. – C’est important pour moi, Taylor. Je déglutis pour tenter de ravaler la rancune qui noue ma gorge. – Je dînerai avec vous, avec plaisir. À condition que je puisse venir avec quelqu’un. 22 Conor Je suis en train de découvrir que Taylor supporte mal les changements. Avec cette histoire du nouveau mec de sa mère, une version paniquée mais hilarante de Taylor s’est révélée. Elle est crispée et refermée sur elle-même, assise à côté de moi, dans ma Jeep, et elle ne cesse de tapoter l’accoudoir avec ses ongles. Je la sens même appuyer sur l’accélérateur imaginaire du plancher de la voiture. – On ne va pas être en retard, je dis pour la rassurer en redémarrant après avoir acheté une tarte à la noix de pécan chez Della’s. Il habite à Hastings, non ? L’écran de son téléphone illumine son visage et se reflète dans la vitre. Elle étudie le trajet indiqué par le GPS. – Ouais, tourne à gauche aux feux. On va vers Hampshire Lane, puis on tourne à droite sur… non ! À gauche, elle hurle, quand je file tout droit à l’intersection. – Ça nous fera gagner du temps. Je sais d’expérience que le feu qui nous attendait en prenant à gauche ne reste vert que quatre secondes avant de revenir au rouge pendant six minutes. – Il est dix-neuf heures neuf ! gronde Taylor. On doit y être à dix-neuf heures quinze. On aurait dû tourner ! – Tu as dit Hampshire Lane. Je peux nous y emmener plus vite en passant par les rues résidentielles et en évitant les feux. Je vois à son air dubitatif qu’elle ne me croit pas. – Je vis ici depuis plus longtemps que toi. – Sauf que tu n’as pas de voiture, bébé, je réponds en dégainant un sourire qui la charmerait si elle n’était pas aussi tendue. Je connais ces routes, le coach n’habite pas loin, Hunter et moi avons passé toute une nuit à arpenter ces rues quand Foster s’est barré d’un repas de groupe pour aller fumer un joint. Il s’est perdu pendant trois heures. On l’a retrouvé dans la piscine vide d’une vieille dame. – Dix-neuf heures dix. Je ne gagnerai pas contre Taylor. Et je la comprends d’être stressée, je suis passé par là. Il n’a été question que de ma mère et moi pendant si longtemps… Et un jour, Max a débarqué chez moi, vêtu d’un treillis beige et d’une chemise à carreaux, m’appelant « mon grand », ou une connerie du genre, et j’ai pété un câble. J’ai dû empêcher Kai de voler les jantes de sa Land Rover. Cela dit, je reste persuadé que c’est lui qui a lacéré son pneu la première fois que Max a passé la nuit chez nous. – Si tu décides que tu n’aimes pas ce type, fais- moi un signe. – Et tu feras quoi ? – Je ne sais pas. Je remplacerai son sucre par du sel, ou un truc du genre. Je peux aussi remplacer sa bière par de la pisse, mais faudra que tu conduises au retour. – Ça roule. Mais seulement si c’est un énorme tocard, genre s’il a un portrait de lui-même dans sa salle à manger. – Ou des têtes d’animaux en voie de disparition au-dessus de sa cheminée. – Ou s’il ne recycle pas, ajoute-t-elle en gloussant. Oooh, peut-être que tu pourrais écrire aux mecs et leur dire de se pointer à la fenêtre avec des masques d’Halloween ? – Putain, tu es hyper-tordue ! Au moins, elle rit et semble se détendre un peu. Ce dîner compte beaucoup pour elle, pour sa mère et leur relation. J’ai l’impression que ça fait longtemps que Taylor redoute ce moment, quand quelqu’un la remplacera, qu’elle ne sera plus la seule personne qui compte pour sa mère et qu’elle devra s’habituer au fait que sa mère a toute une vie qui ne l’inclut pas. Mais peut-être que je projette mes propres peurs ? – C’est quoi le nom de la rue ? – Manchester Road. Je tourne à droite sur la rue Manchester, qui est bordée d’arbres dont les branches s’étalent sur les pelouses ternes après que la dernière neige vient à peine de fondre. Les vieilles maisons victoriennes ne sont pas aussi grandes que celles à quelques rues d’ici, mais elles sont tout aussi belles. Je connais cette rue. – Numéro quarante-deux, dit Taylor. Merde. – C’est la maison du coach. Elle cligne des yeux. – Je ne comprends pas ce que tu dis. – Je veux dire que c’est la maison du coach Jensen. Quarante-deux, Manchester Road. – Mais c’est la maison de Chad. Un rire étouffé m’échappe. – Ok, chérie, jouons à un petit jeu… – De quoi tu parles, bon sang ? – Le jeu s’appelle : « Devine le prénom du coach Jensen ». Il y a un silence, puis Taylor pâlit brusquement. – Mon Dieu. C’EST CHAD ? – C’est Chad, je dis entre deux éclats de rire. Je ne peux plus m’arrêter. Je sais que c’est pourri de ma part, mais quand même… C’est dingue ! Taylor me fusille du regard, comme si tout ça était de ma faute. Je sais ce qu’elle pense. Je sais que le coach est un mec génial, mais elle ne le connaît pas. Elle est en train de se demander comment quelqu’un comme moi, comme Hunter ou Foster ou mes autres coéquipiers, peuvent se retrouver dans les messages que reçoit sa mère. Honnêtement, je ne peux pas lui en vouloir. Les joueurs de hockey sont de sacrés animaux. L’horloge de mon tableau de bord passe de 19:13 à 19:14. Je tourne la tête vers la maison du coach et je vois le rideau du salon bouger. –T? Elle appuie ses doigts sur ses tempes et soupire longuement. – Finissons-en. On n’a pas atteint le porche que la porte d’entrée s’ouvre sur Brenna. – Mon Dieu, c’est génial ! s’exclame-t-elle en secouant la tête d’un air à la fois compatissant et amusé. Espèce de débile ! – C’est à moi qu’elle parle, je dis à Taylor. – J’avais compris. Les filles se prennent dans les bras et se complimentent sur leur tenue. J’ai déjà oublié comment Taylor est habillée, parce que je suis en train de me demander si le mariage de sa mère avec le coach ferait de nous des frères et sœurs. Je réalise ensuite que le coach et moi ne sommes pas liés par le sang. Je crois que je suis sous le choc. – Tu as encore le temps de t’enfuir, Con’, me dit Brenna. Va-t’en, mon beau guerrier viking. Taylor se tourne vers moi. – Quoi ? – C’est vrai que tu as l’air d’un beau guerrier viking, répond-elle en s’agrippant à ma main. Mais tu ne vas nulle part, Thor. Tu es mon garde du corps, tu te souviens ? – J’ai accepté le poste avant de savoir que ta mère se tapait mon Chad. – Elle se tape mon père, corrige Brenna en ricanant. – Est-ce qu’on pourrait éviter de parler de la vie sexuelle de nos parents ? supplie Taylor. – Tu as raison, acquiesce Brenna en ouvrant plus grand la porte et en prenant nos manteaux. Tu ne savais vraiment pas ? me demande-t-elle. – Toi oui ? Tu aurais pu me prévenir ! J’entends des voix à l’arrière de la maison et j’en déduis que tout le monde est en cuisine. – Je savais que je rencontrais la gamine de la copine de mon père, mais je ne savais pas que c’était Taylor ni qu’elle venait avec toi. C’est la plus belle soirée de ma vie ! déclare Brenna avant de courir dans la cuisine comme une gamine. Eh, papa, un de tes molosses est là ! Le coach fait une drôle de tête quand j’arrive dans la cuisine et le trouve aux côtés d’une belle et mince blonde qui grignote un bout de fromage. – Euh, salut, Coach. – Qu’est-ce que tu fais là, Edwards ? grogne le coach. Si Davenport est à nouveau en tôle, dis-lui qu’il va y passer la nuit. Je ne repaierai pas sa caution… dit-il avant de s’interrompre lorsqu’il voit Taylor. La femme blonde regarde sa fille en haussant les sourcils. – Salut maman. Je te présente Conor. Conor, voici ma mère : le Docteur Iris Marsh. – Ravi de vous rencontrer, Docteur Maman… euh… Docteur Marsh. Merde. – Eh, surveille ton langage ! gronde Brenna. Je fais appel à toute ma volonté pour ne pas lui faire un doigt d’honneur. Après des présentations gênées, les femmes vont dans la salle à manger et je reste en cuisine avec le coach pour l’aider. Je ne sais pas comment je vais me rattraper d’avoir appelé Iris « Docteur Maman ». Je n’ai pas rencontré les parents d’une petite amie depuis le collège. Et c’était seulement parce que le père de Daphne Cane m’avait chassé de son allée parce que j’utilisais ses poubelles comme rampe de skate. – On se boit une bière ? je demande en ouvrant le frigo du coach. Il l’arrache de ma main et referme la porte. – Ne fais pas l’imbécile ce soir, Edwards. Bon sang, Brenna et lui se ressemblent tellement que c’en est flippant. – J’ai vingt et un ans. Vous le savez ! – M’en fiche. Il passe sa main sur ses cheveux courts et je remarque qu’il est en costume-cravate et qu’il a mis du parfum. C’est la tenue qu’il porte quand on est forcés de se rendre à un gala sur le campus. Je ne sais pas trop comment j’imaginais le coach lors d’un rencard, mais pas comme ça. – La seule chose que tu vas mettre dans ta bouche ce soir, c’est de l’eau, du jus de fruit ou mon poing, grogne-t-il. – On va passer une super-soirée… – Edwards, je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter ta présence à ce dîner. Je suppose que j’ai dû écraser une licorne ou mettre le feu à un orphelinat dans une vie précédente. Mais si tu te comportes comme un idiot ce soir, je te promets 1 que tu feras des bag skate jusqu’à ta remise de diplôme. Voilà que mon espoir d’avoir un allié durant ce dîner part en fumée. Je décide donc de me taire. Je ne commente même pas son fantasme de meurtre de licorne, parce que je ferai tout pour éviter la punition du coach. Je n’ai jamais autant vomi que le jour où on s’est pointés en retard et avec la gueule de bois après avoir été jusqu’à Rhode Island pour faire un sale coup à l’équipe de Providence College. Le coach nous a gardés sur la glace jusqu’à minuit. Le pauvre Bucky a trébuché et est tombé dans notre poubelle à vomi. La prochaine fois que je me pointe à un entraînement et qu’il y a une grosse poubelle au milieu de la patinoire, je quitte le pays. De son côté, le coach semble nerveux, il arpente sa cuisine à la recherche d’assiettes et de couverts. Il y a des plats sur le plan de travail, couverts de feuilles de salade, comme on le voyait dans les livres de cuisine des années 80. Cela dit, je dois admettre que ça sent bon le barbecue. Je me demande s’il fait des côtes de bœuf. – Je peux vous aider ? – Prends des couverts pour servir. Dans le second tiroir, là-bas. – Alors, c’est sérieux avec le Docteur Marsh ? – Ça ne te regarde absolument pas. Je cesse toute tentative de conversation. Heureusement, je suis sauvé par le ding du minuteur. – Tu peux t’en occuper ? demande-t-il en me jetant un torchon. J’ouvre le four et un nuage brûlant me fouette le visage. Je n’ai même pas le temps de me demander si mes sourcils ont cramé, parce que l’alarme incendie retentit et coupe court à toutes mes pensées.
1. Exercice punitif qui consiste à parcourir la
patinoire selon des schémas complexes jusqu’à l’épuisement du joueur. 23 Conor – Putain de merde ! hurle le coach en se jetant sur le four. Je ne sais pas trop ce qui m’empêche de refermer la porte. Sans doute l’épais nuage de fumée qui en sort et m’aveugle. – Mon Dieu ! Papa ! C’EST POUR ÇA QUE JE NE TE LAISSE PAS CUISINER ! Brenna déboule dans la cuisine, les mains sur les oreilles, en criant par-dessus le hurlement assourdissant de l’alarme, au moment où le coach saisit une manique pour prendre le plat fumant et se brûle l’autre main. Il sursaute et fait pencher le plat, faisant couler le jus dans le four, qui prend feu aussitôt. Pendant que Brenna passe la main de son père sous l’eau froide, je combats héroïquement les flammes avec le torchon, en essayant de m’approcher suffisamment pour refermer la porte. Mais la chaleur est étouffante et le feu ne cesse de croître. – Chéri, sors de là, ordonne quelqu’un. Soudain, Taylor se place devant moi et renverse un plat de purée de pommes de terre sur les flammes. Le four crache un épais nuage de fumée et nous courons tous dehors dans le bruit des sirènes et sous les gyrophares des pompiers qui approchent. – Tout le monde aime la cuisine thaïe ? – Ce n’est pas le moment, Brenna, gronde le coach. Il tient sa main blessée et regarde les pompiers courir dans sa maison pour évaluer la situation. Les lumières rouges des gyrophares éclairent le visage inquiet d’Iris Marsh, elle prend la main du coach. – Oh, Chad. Tu devrais demander à un des pompiers d’y jeter un œil. Il est sur le point de protester quand elle fait un signe de la main à une femme qui arrive en courant, un grand sac bleu à la main. Taylor se blottit contre moi pour se réchauffer. Quel spectacle pathétique au 42 Manchester Road… Les voisins regardent par la fenêtre ou depuis leur porche en se demandant ce qui s’est passé. – Je suis désolé, Coach, je dis en grimaçant à la vue de sa paume rouge. J’aurais dû essayer de refermer le four. Il tressaute à peine quand la secouriste nettoie sa plaie. – Ce n’est pas ta faute, Edwards. En fin de compte, c’est moi le débile. – Vous savez, un thaï me semble une excellente idée, dit Iris. * * * Quelques heures plus tard, nous sommes les derniers au restau thaï qui a rouvert il y a quelques mois après un incendie. Parfait, non ? Le coach a enlevé son blouson, Taylor m’a autorisé à laisser ma cravate dans la Jeep et Brenna arbore le rouge à lèvres coquelicot qui ne semble jamais quitter sa bouche. – Je suis impressionné par ta réactivité, dit le coach à Taylor en attrapant un autre nem avec sa main libre, l’autre est bandée comme celle d’un boxeur. – Je ne sais pas pourquoi j’ai pris la purée, répond-elle timidement. Je pensais regarder sous l’évier pour voir si vous aviez un extincteur, c’est là qu’ils les mettent en général. Mais j’ai vu la purée et je me suis dit « voyons ce qui se passe ». – J’aurais pu tous nous tuer, dit le coach en riant. Heureusement que tu étais là. Les dégâts dans la cuisine ne sont pas catastrophiques. Il y a surtout des traces de fumée noire sur les murs. Il va y avoir un gros ménage à faire, mais j’ai dit au coach que je réunirai les gars de l’équipe pour venir l’aider, une fois que l’assurance sera venue inspecter les dommages. – Taylor a de l’expérience, en matière de désastres pyrotechniques, dit Iris. – Maman, non, s’il te plaît. – Ah oui ? je demande en regardant Taylor pendant qu’elle s’enfonce dans sa chaise. Est-ce que c’était elle qui allumait les feux ? – Il y a eu une période de… je ne sais pas… peut-être deux ou trois ans entre le CE1 et le CM1, où Taylor s’enfermait dans sa chambre pendant que je corrigeais des copies ou lisais un livre. Un silence terrible s’abattait sur la maison, juste avant que l’alarme incendie ne retentisse. Je courais à l’étage avec l’extincteur et je découvrais une nouvelle brûlure sur la moquette, ou une flaque de plastique fondu là où une Barbie avait perdu la vie. – Elle exagère, dit Taylor en souriant malgré elle. Maman, tu es tellement théâtrale. Changeons de sujet, ok ? – Hors de question. Je veux en savoir plus sur la pyro-anarchiste de Cambridge. Taylor frappe mon bras, mais Iris accepte volontiers de poursuivre son récit, racontant la fois où sa petite terreur blonde a été renvoyée d’une soirée pyjama après qu’elle avait mis le feu au pantalon d’une autre fille. – Il était à peine bruni, insiste Taylor. – Mais elle l’avait encore sur elle. Le coach saisit l’occasion pour partager un souvenir de Brenna, sauf qu’elle parvient à détourner le sujet sur l’équipe. Mais je n’écoute plus. Je suis trop occupé à caresser la cuisse de Taylor, parce que l’idée qu’elle ait été une menace pour son quartier huppé m’excite pas mal. – J’aimerais savoir… commence Brenna avant de boire une gorgée d’eau. Elle prend son temps, forçant tous les regards sur elle, car si Brenna n’est pas au cœur de l’attention pendant cinq minutes consécutives, elle s’ennuie au point de s’autodétruire. – … quelles sont tes intentions, jeune homme, concernant notre chère fille, conclut-elle en posant sur moi un regard machiavélique. – Excellente question, acquiesce la mère de Taylor. Iris et Brenna ont presque fini leur deuxième bouteille de vin et ont formé une alliance qui ne me plaît pas du tout. – Oh, on s’est rencontrés cet après-midi, je dis en faisant un clin d’œil à Taylor. – Ouais, c’était mon chauffeur Uber. – Elle m’a dit : « Ça va vous paraître fou, mais mon oncle méga riche vient de mourir et, pour avoir ma part de l’héritage, je dois me pointer à ce dîner de famille avec un petit ami. » – Et au début il a dit non, parce que c’est un homme honorable et intègre. Le coach ricane. – Mais elle s’est mise à pleurer et j’ai été gêné. – Donc il a fini par accepter, mais seulement à condition que je lui mette cinq étoiles. – Et vous, les tourtereaux ? je demande au coach. Vous prenez vos précautions ? – Ne me cherche pas, Edwards. – Non, il a raison, papa. Ah, Brenna la maléfique est dans mon camp maintenant. Je préfère ça. – Je sais que ça fait un moment que toi et moi n’avons pas parlé de ça, donc… – Brenna… gronde-t-il alors que Taylor éclate de rire. Quant à sa mère, elle semble parfaitement à l’aise. Taylor ne m’a pas dit grand-chose à propos d’elle, en dehors de son travail et du fait qu’elles sont proches. Je ne m’attendais pas à découvrir une femme capable d’arpenter les rues de Boston avec une veste en cuir, une cigarette à la bouche, et un tee-shirt des Sex Pistols. Une maître de conférences punk. Elle est très belle, Taylor et elles ont les mêmes yeux et les mêmes cheveux. Toutefois, ses traits sont plus marqués, avec des pommettes hautes et un menton pointu. Et puis, elle est grande et mince comme un mannequin. Je comprends un peu mieux d’où viennent les complexes de Taylor. – Un jour… dit Brenna, mais je l’ignore à nouveau pour me concentrer sur Taylor. Elle n’a aucune raison de complexer. Elle est sublime. C’est bizarre mais, parfois, je la regarde, et je suis à nouveau frappé par sa beauté. Par le pouvoir qu’elle a de m’exciter. Ma main est toujours sur sa cuisse et, soudain, je réalise qu’on n’a pas eu le temps de se chauffer avant le dîner, parce qu’on avait tous les deux des devoirs à finir et qu’elle a mis longtemps à se préparer. Je remonte un peu ma main sur sa cuisse, Taylor ne me regarde pas et son visage reste impassible. Mais ses cuisses se contractent. Je pense d’abord que j’ai été trop loin… jusqu’à ce qu’elle les écarte et invite ma main à aller plus haut. Brenna en fait des tonnes sur son stage à ESPN et raconte une bagarre qui a éclaté entre deux commentateurs de football américain. C’est parfait ; elle occupe les parents pendant que mes doigts se promènent sous la jupe de Taylor. Je suis précautionneux et méthodique pour que personne ne nous voie. Brenna gesticule et frappe la table alors que, du bout des doigts, j’écarte la culotte en dentelle de Taylor. Elle frissonne un tout petit peu et… putain, c’est canon. Je plaque ma paume sur son sexe, sentant combien elle mouille sous la dentelle. J’ai envie de glisser mes doigts en elle et de… Je retire brusquement ma main lorsque le serveur apparaît pour poser l’addition sur la table. Tout le monde se bat pour la régler et je regarde Taylor, découvrant que son regard brille d’un éclat nouveau. Je ne sais pas comment elle fait, mais cette fille est constamment en train de me surprendre. Je ne pensais pas qu’elle me laisserait la tripoter sous la table, mais je suis ravi que ce soit le cas. – Merci, dit-elle lorsqu’on s’est tous dit au revoir et qu’on marche vers nos véhicules respectifs. – Pour quoi ? – D’avoir été là pour moi, explique-t-elle en prenant mon bras et en se mettant sur la pointe des pieds pour m’embrasser sur la joue. Maintenant, allons chez moi pour finir ce que tu as commencé au restau. 24 Taylor Le dimanche matin, alors que Conor est avec ses potes chez le coach Jensen pour l’aider dans sa cuisine, je fais ma lessive et range mon appartement. En général, plus on avance dans le semestre, plus ma maison s’accorde avec le chaos qui règne dans ma tête. Lorsque mon téléphone sonne, je souris jusqu’aux oreilles et lâche le drap-housse que je peine à plier. Je n’ai pas besoin de regarder qui c’est, je savais que cet appel viendrait et que ce serait ce matin. Parce que ma mère est la personne la plus prévisible sur terre. Je sais donc qu’après être rentrée à Cambridge le samedi après-midi, elle aura veillé tard pour corriger des copies en buvant un verre de vin, et qu’elle se sera levée ce matin pour passer l’aspirateur et faire sa lessive tout en répétant cette conversation dans sa tête. – Salut, maman. Elle n’y va pas par quatre chemins. – Eh bien, c’était un sacré dîner. Je ris poliment et m’accorde avec elle pour dire qu’au moins, on ne s’est pas ennuyés. Elle poursuit en vantant les mérites des rouleaux de printemps et en disant qu’il faudra qu’on y retourne. Ainsi, pendant deux minutes, nous sommes coincées dans un match de platitudes à propos des différents plats du restau, jusqu’à ce que ma mère ait enfin le courage de poser la question fatidique. – Qu’est-ce que tu as pensé de Chad ? Comment en est-on arrivées là ? – Il est sympa, je réponds, puisque c’est la vérité et que c’est une réponse rassurante. Il a l’air cool, je trouve. Et Conor n’a que du bien à dire de lui. Comment va sa main ? – Rien de grave, ce sera guéri dans quelques semaines. Je déteste ça. Aucune de nous ne dit ce qu’on veut dire : que je ne sais pas comment apprécier le mec qui sort avec ma mère, et qu’elle aura le cœur brisé si Chad et moi ne trouvons pas un moyen d’être amis. Ou au moins quelque chose qui ressemble à de l’amitié, sinon ma mère se sentira tiraillée chaque fois qu’on sera tous les trois dans la même pièce. Je n’ai jamais eu besoin d’un père. Ma mère me suffisait largement, et je sais qu’elle répondrait la même chose, que je lui suffisais aussi. Pourtant, j’ai l’impression qu’il y a une voix enfouie en elle, sans doute à cause de la société dans laquelle elle a grandi, qui lui dit qu’elle échoue en tant que femme si elle n’a pas un homme dans sa vie, ou qu’elle ne peut offrir de modèle masculin à sa fille. – Et toi, il te plaît ? je demande d’un ton gêné. Parce qu’en réalité, c’est ce qui compte le plus. Je ne lui ai trouvé aucun défaut majeur, si ce n’est qu’il vaut sans doute mieux qu’il n’approche plus jamais d’un four. – Oui, il me plaît, admet-elle. Je crois qu’il était nerveux, hier soir. Chad est plutôt pudique. Il aime les choses simples et sans chichi. Je crois que le fait de réunir Brenna et toi pour la première fois, de dîner tous ensemble, a mis la pression à tout le monde. Il avait peur que tu le détestes. – Je ne le déteste pas. Et je suis sûr que lui et moi trouverons un moyen de nous entendre si… tu sais, si c’est sérieux entre vous. Cela dit, je suppose que c’est déjà sérieux. Après tout, c’était le but d’hier soir, non ? C’est pour ça qu’on a failli mourir cramés à cause d’un rôti. Ma mère s’est entichée d’un Chad. Un Chad qui fait du hockey. D’où vient notre penchant pour les joueurs de hockey, bon sang ? Est-ce que mon père jouait au hockey ? C’est un sport populaire en Russie, non ? Est-ce que j’ai toujours eu ça dans mon ADN ? Est-ce que je vais être un de ces clichés qui épouse la copie de son père ? Est-ce que je viens d’insinuer que j’allais épouser Conor ? Merde. – Ça va se passer comment, à long terme ? je demande. Enfin… si vous comptez rester ensemble. Est-ce que tu vas continuer à faire les allers-retours… – On n’en a pas parlé, déclare-t-elle. À ce stade, ce n’est pas encore… C’est à mon tour de l’interrompre. – Tu as conscience que tu ne peux pas démissionner du MIT, n’est-ce pas ? Pour un mec. Je ne veux pas être snob ou garce, et je n’essaie pas d’être méchante. Mais tu ne peux pas partir de là-bas pour lui, ok ? – Taylor. – Maman. Je me mets soudain à paniquer en réalisant que ce changement dans la vie de ma mère m’affecte plus que je ne le pensais. Ce n’est pas comme si le MIT et Briar étaient très éloignés. Mais l’espace d’un instant, j’ai imaginé ma mère vendre ma maison, celle où j’ai grandi, et… Ma gorge se noue. Ouais, je n’ai clairement pas fini d’encaisser la nouvelle. – Taylor, j’ai besoin que tu saches quelque chose, dit ma mère d’un ton ferme. Tu passeras toujours en premier. – Ouais. – Toujours. Tu es ma fille. Ma seule fille. On a toujours formé une équipe, et ce n’est pas près de changer. Tu seras toujours ma priorité. Tu passes avant tout, et avant tout le monde. Si tu décides… – Je ne vais pas te dire d’arrêter de le fréquenter. – Non, je sais… – Je veux que tu sois heureuse. – Je sais. Je dis juste que si on devait en arriver là, je choisirais toujours ma fille. La question ne se pose même pas. Tu le sais, n’est-ce pas ? Sauf qu’elle ne m’a pas toujours choisie, et on le sait toutes les deux. Il y a eu des moments où elle était en lice pour un poste, où elle écrivait un livre ou faisait le tour du pays pour donner des conférences. Des moments où elle passait toutes ses journées sur le campus et toutes ses nuits dans son bureau, où elle sautait d’un avion à un autre quand elle était invitée dans le monde entier. Elle oubliait l’heure qu’il était et m’appelait au milieu de la nuit. Parfois, je me suis demandé si je l’avais déjà perdue et si les choses devaient être ainsi : les parents vous accompagnent jusqu’à ce vous marchiez et parliez et soyez capable de réchauffer vous-même vos pâtes au micro-ondes, puis ils reprennent le cours de leur vie alors que vous êtes censés commencer la vôtre. J’ai pensé que je n’étais plus censée avoir besoin de ma mère, et j’ai commencé à me débrouiller toute seule. Puis, tout à coup, les choses changeaient. Pour le mieux. Elle réalisait un jour que ça faisait des mois qu’on n’avait pas dîné ensemble ; je réalisais que j’avais cessé de lui demander si je pouvais prendre la voiture. Elle me voyait rentrer à la maison avec mes propres courses alors qu’elle mangeait une pizza sur le canapé, et on se rendait compte qu’aucune n’avait envisagé de demander à l’autre ce qu’elle voulait pour le dîner. C’était dans ces moments-là qu’on réalisait qu’on était devenues colocs, et on faisait des efforts pour que ça s’arrange. Nous redevenions mère et fille. Donc… de là à dire que j’ai toujours été et serai toujours sa priorité… – Ouais, je sais, je mens. – Je sais que tu sais, ment-elle à son tour et je l’entends renifler. J’aime beaucoup Conor, ajoute- t-elle. – Moi aussi, je réponds en souriant. – Est-ce que tu l’as invité au Gala de Printemps ? – Je ne lui ai pas encore demandé, mais sans doute, oui. – Est-ce que c’est sérieux, ou… ? Tout le monde veut la réponse à cette question, Conor et moi les premiers. Sauf qu’aucun de nous n’a osé la poser, préférant chercher des débuts de réponse dans des gestes et des propos anodins. Après tout, qu’est-ce qu’une relation sérieuse ? À quoi ça ressemble ? Est-ce que l’un de nous le sait, et est-ce qu’on le saurait si c’était sérieux entre nous ? Je n’ai pas de bonne réponse à donner, et je suis certaine que Conor non plus. – C’est encore nouveau, je réponds, faute de mieux. – N’oublie pas que tu as le droit d’essayer de nouvelles choses. Tu as le droit de te tromper. – J’aime les choses telles qu’elles sont. Et puis, c’est sans doute une mauvaise idée d’avoir de grandes attentes alors qu’on est à la fin du semestre et que les vacances d’été approchent et que… – Ça m’a tout l’air d’une issue de secours, dit ma mère. Ce qui n’est pas une mauvaise chose, si tu en as besoin. – Je suis juste réaliste. Or, la réalité a une fâcheuse tendance à vous rattraper quand on s’y attend le moins. Donc oui, Conor et moi avons une belle relation pour l’instant, mais je n’ai pas oublié comment elle a commencé, par un défi qui s’est transformé en vengeance puis en véritable relation. J’ai le pressentiment qu’un jour, peut-être dans quelques années, Conor et moi nous croiserons lors d’un repas d’anciens élèves et, après s’être dévisagés d’un côté à l’autre de la salle, on se remémorera le semestre qu’on a passé, enfermés dans une chambre. On en plaisantera et on racontera l’anecdote au top model qu’il aura épousé et au type qui sera à mon bras, si tant est qu’il y en ait un. – Il me plaît vraiment, répète-t-elle. Je suis à deux doigts de lui dire qu’il m’a invitée en Californie cet été, mais je me retiens. Je suis sûre qu’elle en ferait tout un plat. En même temps, c’est moi qui ai commencé la première en permettant à Conor de rencontrer ma mère. Ça ne m’a même pas traversé l’esprit, le fait qu’on franchissait une étape importante. En réalité, c’est juste que je ne supportais pas l’idée d’endurer un dîner sans avoir quelqu’un pour me soutenir. En même temps, Conor a du mérite, il n’a pas hésité ni paniqué une seconde. Sa seule réponse a été : « Ok, du moment que c’est toi qui choisis mes fringues. » Son plus grand souci était de savoir s’il devait se raser. J’ai répondu que si j’y étais forcée, il l’était aussi, et c’est tout. Ça faisait une semaine que sa barbe râpait mon menton et j’en avais assez. Maintenant que j’y repense, je crois que c’était une autre étape importante de notre relation. Maman et moi parlons encore quelques minutes pendant que je fais le tour de mon appartement. On parle du Gala de Printemps et des partiels, et elle me demande si je veux garder mon appart à Hastings pendant l’été ou mettre mes affaires dans un garde-meuble. C’est à ce moment-là que je réalise que je repousse cette décision en attendant que certains projets estivaux soient fixés… ou pas. Plus tard, Conor me dit qu’il arrive avec notre repas et j’envisage un instant de faire toute une mise en scène pour lui demander de m’accompagner au Gala de Printemps. Genre, je pourrais l’écrire au rouge à lèvres sur ma poitrine, ou l’écrire avec des sous-vêtements sur le parquet. Je réalise alors qu’en faisant tout un truc de la question, je ferai automatiquement tout un truc de l’événement lui-même. Je décide donc de faire simple, et je prends mon courage à deux mains en mangeant ma soupe à la tomate. – Au fait, il y a un gala des Kappa, bientôt. Et j’avais prévu de demander à mon autre faux petit ami de m’accompagner mais… Conor hausse un sourcil d’un air amusé. – Il est dans une autre fac, tu ne le connais pas. Bref, je me suis dit que, ben, étant donné que tu as déjà rencontré ma mère et qu’on a frôlé la mort par rôtification, tu voudrais peut-être venir avec moi ? – Est-ce que c’est une de ces fêtes où tu vas m’exhiber pour rendre jalouses les autres filles et où tu me traiteras comme une queue sur pattes ? – Oui. – Alors j’accepte. Je fais de mon mieux pour réprimer mon sourire. Avec Conor, tout semble si simple, c’est pour ça que je suis aussi à l’aise avec lui. Il ne complique jamais rien. Je le regarde avaler sa dernière bouchée de cheeseburger, puis la mâcher joyeusement, et ma bonne humeur se fissure. Peu importe que je me sente à l’aise avec lui, car mes doutes et mes peurs ne disparaissent jamais. C’est comme un bruit de fond, un vrombissement dans ma tête quand je suis en train de m’endormir. Quelque chose qui me dit qu’en fait on ne se connaît pas du tout. Et que ce fantasme qu’on a construit ensemble peut s’effondrer à tout moment. 25 Taylor Conor a le talent artistique d’un hamster. Je découvre ce fait troublant quand il vient chez moi le mercredi suivant, après son cours d’économie, et qu’il me trouve en pyjama, ensevelie sous une montagne de papier coloré. Les enfants fabriquent des forêts tropicales en papier, cette semaine, et je dois découper environ deux cents fleurs en papier, des oiseaux et autres êtres vivants pour demain. Quand Conor a proposé de m’aider, j’ai supposé qu’il avait au minimum un niveau CM2 en matière de découpage. J’avais tort. – C’est censé être quoi, ça ? je lui demande en me retenant de rire. Des dessins animés passent à la télé et nous sommes assis sur le tapis du salon. Une des choses que j’aime le plus en travaillant à l’école primaire, c’est qu’on apprend à ne pas se prendre trop au sérieux. – Une grenouille. Il est tellement fier de sa créature grotesque. – On dirait une crotte avec des verrues. – Putain, Marsh ! gronde-t-il du ton du mec insulté en couvrant l’endroit où seraient les oreilles de son monstre. Tu vas la faire complexer ! – Tu devrais l’achever, Edwards. Je ne peux me retenir de glousser et je compatis presque en voyant le dévouement de Conor pour sa chose difforme. – Est-ce que tu passes également des heures à empoisonner les lapereaux les moins beaux ? – Tiens, je dis en lui tendant une feuille cartonnée où j’ai déjà tracé des fleurs. Découpe ça. – Tu vas être méchante quand tu seras prof, dit- il en faisant la moue. – Essaie de suivre les traits, s’il te plaît. Conor grommelle dans sa barbe et se met à découper sans joie les fleurs. Je ne peux me retenir de le zyeuter du coin de l’œil, admirant son air adorablement concentré. Comment est-ce possible ? J’ai sur mon tapis une masse de muscles virils d’un mètre quatre- vingt-dix, qui souffle régulièrement pour dégager la mèche de son front pendant qu’il travaille. J’oublie parfois combien il est beau. Je suppose que je me suis habituée à être avec lui, et que je ne prends plus le temps de savourer la forme exquise de ses lèvres ni la courbe virile de ses épaules. Ni la façon dont je frissonne chaque fois que nos peaux se touchent. Ni ce que je ressens quand il est allongé sur moi. Quand je l’imagine être en moi. Au bout de quelques minutes, j’inspecte son travail et découvre qu’il a passé son temps à découper des bites en signe de rébellion et qu’il les a méthodiquement alignées sur mon tapis. Quand il voit que je l’ai vu, il ouvre grand les bras en souriant fièrement. – Est-ce que tu souhaites m’expliquer pourquoi il y a des pénis partout ? – Ce sont des fleurs. Soudain, je l’imagine plus jeune, levant les yeux au ciel face à ses profs de lycée, leur faisant des doigts d’honneur quand ils avaient le dos tourné. – Tu as fait des testicules ! – Et alors ? Les fleurs ont des testicules. On appelle ça des anthères. Cherche dans un dico, ricane-t-il. Il est clairement d’humeur provocatrice. Il ne devrait pas pouvoir être aussi charmant quand il se comporte comme un enfant. Je n’imagine même pas tous les ennuis qu’il m’aurait procurés si on s’était rencontrés au lycée. On serait sans doute des fugitifs, à ce stade. – Et si un de tes pénis se retrouve dans la pile de fleurs, demain, et que je dois expliquer à Mme Gardner pourquoi vingt-cinq enfants de six ans sont occupés à coller des verges dans sa salle de classe ? Je pousse un grognement irrité et rassemble les bites pour les jeter à la poubelle. – Je croyais que « forêt tropicale » était un euphémisme, répond Conor sans conviction, mais non sans fierté. Tu sais, que tu allais leur expliquer l’histoire de la petite graine. – Ils sont au CP. – Quand j’étais au CP, Kai et moi on s’est planqués dans le placard sous l’évier de sa cuisine pour espionner son frère et ses amis pendant qu’ils 1 regardaient Girls Gone Wild . – Ça explique tellement de choses… Quand je vais dans la cuisine pour prendre un soda, Conor vient derrière moi et me prend par la taille. Je sens son érection contre mes fesses et mon cœur se met à battre la chamade. – En fait… murmure-t-il contre mon cou, j’espérais qu’on pouvait faire une pause pour que je te déshabille. Il caresse ma taille avec ses grandes mains chaudes et m’embrasse sous l’oreille, puis sur l’épaule. Il empoigne mes seins et je ne peux pas m’empêcher de me cambrer contre lui. Il pousse alors un grognement et me retourne avant de me plaquer contre le frigo, il étouffe mon cri de surprise en plongeant sa langue dans ma bouche. Il est différent, ce soir. Il semble plus fougueux que d’habitude. Je lève les mains pour saisir le bas de son tee-shirt, mais Conor les empoigne et les maintient au-dessus de ma tête. Tout en tenant mes poignets d’une main, il se sert de l’autre pour défaire le cordon de mon pantalon de pyjama et le laisser tomber par terre. Sans cesser de m’embrasser, il glisse une main entre mes cuisses, sous mon tanga. Le frigo est froid contre ma peau, mais sa main est chaude sur mon clitoris. Je retiens mon souffle et tourne la tête lorsqu’il me pénètre avec un doigt puis un autre, et je plie les genoux sans le vouloir lorsque Conor masse mon clitoris avec son pouce. – J’adore te faire jouir. Je peux ? Ma peau se couvre de chair de poule et mon sang s’embrase. Mon corps ramollit contre lui et cède tout entier à Conor. – Oui, je supplie en fermant les yeux. Soudain, il recule. J’ouvre les yeux et le dévisage à travers le brouillard qui m’enveloppe. – Qu’est-ce qui ne va pas ? – Laisse-moi te regarder. Je ne comprends pas ce qu’il veut dire, jusqu’à ce qu’il empoigne son érection à travers son jean. Le contour de sa longue verge fait battre mon cœur encore plus vite. Il referme sa main sur son sexe, attendant ma réponse. On n’a pas encore franchi cette étape. Mais je n’ai pas envie de dire non. Je n’ai plus envie de me sentir mal à l’aise ou gênée. Avec Conor, je me sens en sécurité, belle et désirée. À cet instant précis, je ne veux pas mettre de distance entre nous. Lentement, j’enlève mon tee-shirt et le jette sur le carrelage, puis je baisse mon tanga et le dégage d’un coup de pied. Son regard de braise se promène sur tout mon corps, comme s’il lui appartenait. – Tu es superbe, Taylor. Il saisit de nouveau mes poignets et les joint au- dessus de ma tête, faisant gonfler mes seins sous son regard de braise. Il baisse la tête et prend un téton entre ses lèvres pour le mordiller, le lécher et le sucer jusqu’à ce que je gigote contre lui, désespérée qu’il s’occupe d’une autre partie de mon corps. – Con’, allons au lit. Ou sur le canapé, au moins. – Nah. Bon sang, cet accent de surfeur californien me séduit à chaque fois. Je frissonne, et lui dépose une série de baisers sur mon ventre en s’agenouillant devant moi et il passe ma jambe sur son épaule pour m’ouvrir à lui. Je gémis dès l’instant où sa langue titille mon clitoris. Il répète le geste plusieurs fois, puis me dévore avec sa bouche experte, et je n’ai d’autre choix que d’agripper ses épaules. Mes cuisses se contractent quand je sens mon orgasme grossir dans mon bas-ventre. – Refais ça, je supplie. Si tu arrêtes, je te tue. Il glousse contre moi et les vibrations de sa voix chatouillent mon sexe. Mais il n’arrête pas. Conscient que je vais bientôt jouir, il lape mon clitoris et se met à me doigter de plus en plus vite. Je plonge dans le précipice en pantelant d’une voix rauque, et un plaisir intense explose dans mon ventre avant de parcourir tout mon corps. Je ne me suis pas encore remise de l’orgasme quand Conor se lève et enfouit son visage dans le creux de mon cou pour m’embrasser et sucer ma peau. – Je suis tellement accro à toi, Taylor. Il lève la tête et je découvre que son regard déborde de désir. Soudain, il me soulève dans ses bras. – Repose-moi ! je crie en m’accrochant à son cou pour ne pas tomber. Je suis trop lourde ! Il éclate de rire. – Chérie, je soulève deux fois ton poids à la salle de muscu. Et ça, c’est quand je ne suis pas en forme. Je me détends légèrement et il m’emmène dans ma chambre. Je ne me sens pas légère comme une plume, mais il n’a pas l’air de souffrir, ce qui est encourageant. Note à moi-même : toujours sortir avec un mec qui pousse deux fois son poids en fonte à la salle de muscu. Il me dépose au milieu de mon lit, prenant soin que ma tête repose sur l’oreiller, puis il se met debout au pied du lit et défait le premier bouton de sa chemise. – J’ai la permission de me mettre à poil ? – Permission accordée. Mes paupières sont lourdes et je le regarde enlever sa chemise, son jean, puis son boxer. Je ne me lasserai jamais de regarder ses pectoraux carrés, les muscles gonflés de ses bras… Son superbe corps d’athlète me coupe le souffle à chaque fois. Il est parfait. Je baisse alors les yeux sur sa longue érection et mon sexe se met à pulser. C’est la première fois, pour lui aussi. Il n’a jamais été nu devant moi, non plus. Et j’apprécie qu’il le fasse, non pas parce que c’est une étape difficile pour lui mais parce qu’il veut me mettre à l’aise. Il grimpe sur le lit et s’allonge sur moi. Sa bouche trouve la mienne et on s’embrasse à nouveau, désespérément, langoureusement, jusqu’à ce qu’on soit tous les deux à bout de souffle. Je n’ai jamais fricoté avec un mec en étant nus tous les deux. La verge de Conor est lourde entre mes cuisses et taquine l’entrée de mon sexe. Ce serait tellement facile de dire oui, d’écarter davantage les jambes, de l’empoigner et de le glisser en moi. Sa langue titille la mienne et, l’espace d’un instant, c’est tout ce que je veux. Je veux dire oui. Mais… – Je ne crois pas que je sois… enfin… tu sais… prête, je chuchote contre sa bouche. Il lève la tête pour me regarder, les pupilles dilatées par le désir. – J’ai envie de l’être. – Ok, dit Conor en roulant sur le côté contre moi. Son sexe est dressé fièrement. Je déglutis et m’assieds dans le lit. – Une part de moi a juste envie de le faire, mais… – Tu n’as pas à te dépêcher pour moi, répond-il simplement. Je ne suis pas pressé. – Non ? je demande en étudiant son visage pour y déceler des signes d’agacement. – Non, promet-il en s’asseyant à son tour. Quand tu seras prête, j’espère que ce sera avec moi. Mais la situation me convient parfaitement. Je le pense vraiment. Je me penche pour l’embrasser. Car il a beau dire le contraire, Conor est un mec bien. Il est gentil et drôle et je crois que, d’une certaine manière, il est même devenu mon meilleur ami. Mon meilleur ami avec des bénéfices phalliques. Je romps le baiser pour prendre sa verge dans ma main, et son corps entier se crispe quand je commence à le branler lentement. – Chérie… Mais je ne sais pas ce qu’il veut dire : « Chérie, arrête ? Chérie, continue ? » Si c’était la première option, il change vite d’avis lorsque je m’agenouille par terre entre ses cuisses. Il s’appuie sur ses mains et baisse la tête lorsque je caresse toute sa longueur avec ma langue. Ses jambes se mettent à trembler quand je le suce et il respire lentement mais profondément, comme s’il se concentrait. – N’arrête pas, marmonne-t-il alors que je le prends jusqu’au fond de ma gorge. Ne t’arrête jamais, je t’en supplie, gronde-t-il alors que son bassin avance et recule délicatement. J’ai du mal à sourire avec sa queue dans ma bouche, mais j’en ai envie. J’adore le mettre dans cet état, l’emmener au bord de ce délicieux précipice. Je sais, maintenant, quand il est sur le point de jouir, car il pousse un grognement et empoigne mes seins en décollant légèrement ses fesses du lit. Je ne sais pas ce qui me pousse à le faire, mais plutôt que de le laisser éjaculer sur son ventre, je le branle avec ma main et le laisse se déverser sur mes seins. Cela me procure un plaisir auquel je ne m’attendais pas. Lorsqu’il ne tressaute plus, je lève la tête vers son visage sublime et n’y vois qu’un désir intense. – Putain, susurre-t-il en dégageant ses cheveux de son front en sueur. Je ris, un peu gênée. – Je vais me laver. Je suis en train de me lever pour aller à la salle de bains lorsque son téléphone vibre. Il y répond pendant que j’attends que l’eau de la douche se réchauffe et, si je ne comprends pas ce qu’il dit, j’entends le ton agacé de sa voix. – Je ne peux pas, me semble-t-il entendre. Oublie ça… la réponse est non. C’est encore Kai, je n’en doute pas une seconde. Quoi que veuille l’ancien meilleur ami de Conor, il ne semble pas vouloir lâcher l’affaire. Or Conor ne veut pas entrer dans les détails. Quand je sors de la douche, il est de mauvaise humeur. Il refuse même de passer la nuit chez moi et préfère rentrer chez lui. Ce fichu Kai. Si seulement il le laissait tranquille… Je suis certaine qu’il y a un lourd secret entre les deux, quelque chose qui ronge Conor. Mais même si j’ai désespérément envie qu’il me parle, je ne vais pas insister. J’espère seulement qu’il trouvera un moyen de gérer le problème avant qu’il ne soit trop tard.
1. Émission télévisée américaine qui filmait
des soirées étudiantes, notamment les fêtes de Spring Break, en se concentrant sur les filles lorsqu’elles se dénudaient ou agissaient de façon provocatrice. 26 Conor L’eau est glaciale. Même avec ma combinaison, mes orteils se mettent à fourmiller si je ne les bouge pas constamment. Je nage en rond pour éviter que ma température corporelle ne chute trop, mais ça ne me dérange pas. Rien ne m’atteint quand je suis sur ma planche et que je sens les rouleaux passer sous moi. Rien ne transperce le rugissement des vagues qui s’écrasent sur la plage ou les cris des mouettes au-dessus de ma tête. C’est comme si j’étais dans une de ces boules de neige en verre, une sphère de calme coupée du reste du monde. Parfaitement sereine. Je sens alors l’océan me tirer vers le large. Je sais que ma vague arrive et je m’aligne. À plat ventre, les ongles plantés dans la cire. Je suis prêt. Maintenant, je dois me fier à mes sens. Je rame avec mes mains pour rester en tête juste assez longtemps, puis je me mets debout et ressens les vibrations de la vague dans mes jambes. Je trouve l’équilibre et ne fais qu’un avec l’océan. Ici, les vagues sont courtes. Je n’ai que quelques secondes avant qu’elles ne s’écrasent et glissent vers le sable. Lorsque le soleil est enfin pleinement levé, j’ai déjà surfé pendant une heure. Je suis en train d’enlever ma combinaison près de ma Jeep quand je vois la Land Rover d’Hunter, accompagné de Bucky, Foster, Matt et Gavin. Moins d’une minute plus tard, un second véhicule arrive avec Jesse, Brodowski, Alec et Trenton. Il est neuf heures, et toute l’équipe est réunie sur la plage pour un nettoyage aux côtés de la SurfRider Foundation. – Tu as ramené du monde, me dit Melanie, la coordinatrice de l’association, lorsque je la présente aux gars qui se battent pour la saluer comme si elle était la première femme qu’ils rencontraient. Vous êtes du coin ? – Nous habitons un peu plus loin, à Hastings. Nous étudions à Briar. – Eh ben, c’est super de vous avoir parmi nous. On apprécie. Nous nous équipons de seaux, de gants et de pinces ramasse-déchets, et Foster reluque le groupe d’étudiantes de Boston University avant de les saluer de la main. – Euh, je suis nouveau et je nage très mal. Je peux avoir un binôme ? De préférence une blonde ? demande-t-il. – Tais-toi, abruti, gronde Hunter en lui mettant un coup de coude dans les côtes. Ne t’en fais pas, dit-il ensuite à Melanie. Je le surveille. – Merci, maintenant au boulot, Messieurs. – Oui capitaine ! s’exclame Matt en dégainant son sourire ravageur. Elle a beau avoir cinq ans de plus que lui, Melanie nous prouve qu’aucune femme, quel que soit son âge, n’est immunisée contre les fossettes Anderson. Je faisais partie de cette asso à Hungtington Beach et quand j’ai vu qu’ils avaient une branche ici, je me suis inscrit sans réfléchir. Toutefois, tout le monde n’a pas la même attitude. Ça fait à peine une heure qu’on a commencé et Bucky fait déjà un caprice. – Je n’ai pas le souvenir d’avoir écopé d’une peine de service civique, grommelle-t-il en marchant d’un pas lourd. Je pense que je m’en souviendrais, non ? – Arrête de râler, dit Hunter. – Et maintenant que j’y pense, je n’ai pas le souvenir d’avoir été arrêté par les flics, non plus. – Tais-toi, rétorque Foster. – Alors, est-ce que quelqu’un peut me dire pourquoi je fais ça alors que c’est mon jour de congé ? Il se penche pour essayer d’extraire quelque chose qui est enfoui dans le sable et une odeur nauséabonde nous monte au nez. Comme un animal mort. – Oh, mec, c’est quoi, ça ? demande Matt en couvrant son nez avec son tee-shirt. – Laisse, Bucky, dit Hunter. C’est sans doute un chien mort. – Et si c’était un corps ? ajoute Jesse, prêt à immortaliser la scène avec son téléphone. – C’est collé à ma fichue pince, râle Bucky, agacé. Il se met à creuser le sable avec ses mains et tire sur la chose de toutes ses forces jusqu’à ce qu’il tombe en arrière, faisant voler du sable sur tout le monde. Il tombe sur les fesses au moment où une couche emmêlée à un filet de volley-ball lui atterrit dessus. Quant au trou qu’il a creusé à mains nues, il contient plusieurs carcasses de poulets rôtis. – Putain, mec, tu es couvert de merde ! crie Foster alors qu’on fait tous plusieurs pas en arrière, horrifiés. – Oh merde, je vais gerber. – C’est horrible. – Tu en as partout ! – Enlevez-moi ça ! Enlevez-moi ça ! hurle Bucky en se roulant par terre alors qu’Hunter essaie de saisir la couche avec sa pince et que, je ne sais pourquoi, Foster essaie de le couvrir de sable. Matt est simplement mort de rire. – Va te laver, espèce d’abruti, dit-il entre deux fous rires. Je présume que Matt voulait dire à Bucky d’utiliser les douches du parking. Mais au lieu de ça, Bucky se déshabille pour ne garder que son boxer, puis il court vers les vagues. Mon Dieu. Il fait à peine douze degrés et le vent est glacial. Mais c’est la détermination qui compte, je suppose. Bucky plonge la tête la première et sort la tête de l’eau en se frottant et en se rinçant furieusement. On regarde tous sa progression et je suis plutôt admiratif, parce que je me gelais, tout à l’heure, malgré ma combinaison. Je ne préfère même pas imaginer l’effet que cette eau glacée aurait si elle était en contact direct avec mes couilles. Quand Bucky sort enfin de l’eau en courant, sa peau est bleue et il grelotte. Je me dépêche d’enlever mon blouson et le lui donne, et Gavin lui tend une serviette. Quant au pantalon… pas de bol. – Va te réchauffer dans la Jeep, je dis en lui tendant mes clés. – Je déteste la nature, il grogne. Dès qu’il est suffisamment loin pour ne pas entendre, nous éclatons de rire. – Il va être traumatisé à vie, après ça, dit Foster. – Le mec ne retournera plus jamais à la plage, acquiesce Gavin. – Je le comprendrais, ajoute Hunter avant de partir vers la poubelle pour y jeter les déchets puants. À l’exception de Bucky, les mecs ont été de bonne composition même s’ils ont dû faire une croix sur leur samedi matin pour m’accompagner. Et sincèrement, je suis touché qu’ils s’intéressent à quelque chose qui compte autant pour moi, même si je n’ai pas pu y accorder beaucoup de temps depuis que je suis arrivé sur la côte Est. Entre le hockey et les cours, je n’avais pas le temps de surfer ou de venir à la plage. C’est Taylor qui m’a poussé à trouver d’autres associations bénévoles. Elle m’a proposé de venir, aujourd’hui, mais j’ai pensé que ce serait un bon moyen de réunir les gars. Maintenant que la saison est finie, on est rarement ensemble dans la même pièce. Ou sur la même plage, en l’occurrence. Je dois avouer qu’ils m’ont manqué. Certes, je vis avec la moitié de ces débiles, mais ce n’est pas comme lorsqu’on transpire côte à côte sur la glace ou qu’on passe des heures ensemble dans un bus. Qu’on se serre les coudes pendant quatre-vingt- dix minutes de pure adrénaline. En fait, je ne savais pas combien le hockey comptait pour moi avant de jouer avec cette équipe. C’est grâce à eux que j’adore ce sport. Ces mecs sont devenus mes frères. Mon téléphone vibre dans ma poche. Je m’attends à ce que ce soit Taylor qui veut savoir à quelle heure je vais rentrer, mais mon écran affiche « NUMÉRO MASQUÉ ». Je sais ce que ça veut dire. Kai. Je ne devrais pas répondre, il n’adviendra rien de bon d’une conversation avec lui. Mais il y a toujours quelque chose, un instinct, qui m’empêche de le renvoyer sur répondeur. Car lorsqu’il s’agit de Kai, je préfère prendre les devants. Le pire que je puisse faire est de le laisser me surprendre encore une fois. – Quoi ? j’aboie en décrochant. – Tout doux, mec. Calme-toi. – Je suis occupé. – Je vois ça. Mon sang se glace. Discrètement, pour ne pas attirer l’attention des autres, je balaie la plage et le parking des yeux. Au loin, j’aperçois un type maigrichon qui traîne près des w.-c. On dirait un gamin qui a mis les fringues trop grandes de son frère. – Comment tu as su que je serais ici ? je demande en m’éloignant. – Mec, j’ai des yeux partout. Tu ne l’as toujours pas compris ? – Alors tu m’as suivi. Putain, il est de plus en plus désespéré. C’était une chose de me retrouver à Buffalo. Mais maintenant, il vient dans le Massachusetts ? D’abord à Hastings, puis sur cette plage près de Boston ? Qui sait depuis combien de temps il m’observe ou à quoi il joue ? Je ne sais pas si j’irais jusqu’à dire que Kai est dangereux. Je ne l’ai jamais vu être violent en dehors de quelques bagarres, des trucs de gosses. Cela dit, je ne le connais plus vraiment. – Je n’y aurais pas été forcé si tu avais accepté de me parler comme un homme. – Je n’ai rien à te dire. – Ouais, mais moi oui. Donc, tu peux monter me voir et on fait ça comme des amis, ou je peux descendre et te foutre la honte devant tes petits copains gosses de riches. Qu’il aille se faire foutre ! Il était pareil quand j’ai déménagé à Hungtington Beach. Il me faisait culpabiliser d’avoir quitté notre quartier, comme si j’avais eu mon mot à dire. Il me répétait que je l’avais abandonné pour le remplacer par des aristos, alors que je n’avais même pas d’amis. Il se moquait de moi parce que ma mère m’achetait de nouveaux vêtements. Il m’a fallu du temps pour comprendre ce qu’il faisait, la manipulation psychologique qu’il opérait sur moi. Trop de temps. – D’accord, connard. Je dis à Hunter que je vais pisser et je traverse le parking pour aller aux toilettes. J’y reste une minute, puis je marche jusqu’au banc près de ma Jeep. Je ne sais pas s’il est venu seul, donc je préfère éviter de trop m’éloigner. S’il a pris la peine de me suivre jusqu’ici, il doit être sacrément désespéré. Et un Kai désespéré est capable de tout. – Tu me compliques la tâche, mec, dit-il en s’asseyant à côté de moi. – C’est ton problème. Moi je préférerais que tu me laisses tranquille. – Putain, je ne te comprends pas, Con’. On était cul et chemise, à l’époque, quand on… – Bon sang, mais arrête ! je gronde en me tournant vers lui, ce fantôme de mon enfance qui devient mon pire cauchemar. Cette époque est finie, Kai. On n’est plus des gamins. Je ne suis plus rien pour toi. Je me force à ne pas détourner mon regard, pourtant je vois chez lui tout ce que je hais chez moi. Or, je me déteste encore plus de penser comme ça. Parce qu’au moins, Kai sait qui il est. Certes, c’est un enfoiré, mais au moins il ne se fait pas d’illusions et il ne passe pas son temps à essayer de se mettre dans un moule qui a été conçu précisément pour garder à distance les mecs comme lui, comme nous. – Quoi que tu veuilles, tu ne l’auras pas, je dis d’un ton las. C’est fini, mec. J’en ai marre de ton karma merdique. Laisse-moi faire ma vie. – Je ne peux pas faire ça, frangin. Pas encore, répond-il en penchant la tête sur le côté. Mais si tu me files un coup de main, je te laisserai tranquille. Tu ne me verras plus jamais. Tu pourras oublier que j’existe. Putain. Putain de merde ! – Tu as des ennuis ? Bien évidemment. Je l’entends dans sa voix. Mais c’est différent, cette fois. Il a vraiment peur. – J’ai merdé, ok ? J’étais censé faire un truc pour des mecs… – Un truc ? Il lève les yeux au ciel et soupire, exaspéré. – Je devais juste transporter un peu de came. – Tu deales, Kai ? Quel abruti ! – Tu trafiques, maintenant ? C’est quoi ton problème ? – Ce n’est pas ça, frérot. J’avais une dette envers des mecs qui ont dit que si je récupérais un paquet à une adresse et que je l’apportais à une autre, on serait quittes. C’était assez simple. – Mais ? La vie entière de Kai est une série de solutions faciles suivies par des « mais » critiques. Mais je ne savais pas que quelqu’un serait à la maison. Mais quelqu’un a parlé. Mais je me suis saoulé et j’ai perdu le fric. – J’ai fait précisément ce qu’ils m’ont dit, proteste-t-il. J’ai récupéré le colis, je l’ai filé à un gars à l’autre adresse… – Et maintenant, ils disent qu’ils ne l’ont jamais eu. Kai semble avoir honte que la réponse soit aussi évidente. Parce que n’importe quel débile l’aurait vu venir, mais Kai ne voit jamais rien venir. – En gros, ouais, marmonne-t-il. Je ne sais pas qui en a après moi. Mais quelqu’un essaie de me foutre dans la merde et je ne comprends pas pourquoi. – Et tu veux que j’y fasse quoi ? Si tu cherches une planque, tu peux oublier. Il est hors de question que tu me mêles à ça. J’ai des colocs. – Non, ce n’est pas ça, répond-il avant de marquer une pause et de baisser la tête. Je dois juste les rembourser, sinon ils se rembourseront par d’autres moyens, ok ? Je sais que ce n’est pas la première fois, Con’. Je pige. Mais ces mecs pensent que j’ai volé leur came. Il se frotte le visage, puis il me regarde avec des yeux rouges et désespérés. Il m’implore. Je nous revois quand on était gamins et qu’on faisait un pacte au clair de lune. Qu’on se coupait la paume de la main avec un couteau suisse. – Conor, ils vont me tuer. J’en suis sûr. Je le déteste. Je déteste voir que sa vie se résume au prix d’une brique de coke. Je déteste voir que sa vie est régentée par une bande de voyous. Je le déteste parce qu’il serait capable de tenir un flingue contre sa tempe et de me dire que si je tenais vraiment à lui, je lui donnerais d’autres balles. J’ai beau poser la question moi-même, je n’ai pas envie de connaître la réponse. – Combien ? – Dix mille. – Putain, Kai ! Je me lève et fais les cent pas devant le banc. Je lui casserais la gueule si je pensais que ça puisse nous aider. – Écoute, je sais… – Espèce de fils de pute, je gronde en mettant un coup de pied dans une cannette. Je ne sais pas pourquoi je me laisse atteindre par tout ça. C’est Kai. Il est comme de l’acide sulfurique. Il détruit tout ce qu’il touche. – Non, je finis par répondre. – Mec, dit-il en saisissant mon bras. Je le dégage et le regarde d’un air qui lui fera comprendre qu’il n’a plus le droit de me toucher. – Tu dois m’aider. Je ne plaisante pas, ils vont me buter. – Alors cours, mec. Prends un bus pour Idaho ou le Dakota du Nord, et roule. Je m’en fiche. – Tu es sérieux ? Tu laisserais ton meilleur ami… – On n’est pas meilleurs amis. Peut-être qu’on ne l’a jamais été, je rétorque en secouant la tête. C’est ton problème. C’est à toi de le régler. Je ne veux pas être mêlé à ça. – Je suis désolé, mec, répond-il alors que son regard se durcit et que toute sa posture change, me rappelant pourquoi j’avais peur de lui par le passé. Je ne peux pas te laisser me tourner le dos. – J’aimerais te voir m’en empêcher, je gronde en le regardant droit dans les yeux. Il fut un temps où je n’étais qu’un petit maigrichon sur un skate qui le suivait partout. Mais plus maintenant. Aujourd’hui, je pourrais lui briser le dos sans problème. Il vaut mieux qu’il le comprenne avant d’avoir une idée stupide. – Cette fois, je te laisse partir. Mais la prochaine fois que je te vois, ça sera différent. – Ben non, frérot, siffle-t-il en souriant méchamment. Tu vois, tu as oublié que ton destin était entre mes mains. Dix mille. Aujourd’hui. – Tu as perdu la tête ? Je n’ai pas cet argent. Et même si je l’avais, je ne te le donnerais pas. – Tu peux l’avoir, demande-le à beau-papa. – Va te faire foutre ! Il a le culot de me rire au visage. – Je ne pense pas que tu veuilles la jouer comme ça, Con’. Si tu ne me files pas cet argent, Papa Max va apprendre que c’est toi qui as donné le code de l’alarme du château et qui as laissé quelqu’un tout casser, dit-il avant de hausser un sourcil. Peut-être même que je lui dirai que c’est toi qui as pris le cash qu’il y avait dans son bureau. Tu en dis quoi ? – Tu n’es qu’une ordure, Kai, tu le sais ? – Comme je l’ai dit, frangin, ça peut être très simple. Dis à Max que tu as besoin du fric pour une connerie. Invente un truc. File-moi l’argent et on sera quittes. Je te laisserai tranquille. Ce qu’on ne sait pas, quand on est enfant, quand notre meilleur ami est tout pour nous, quand chaque jour est à la fois le premier et le dernier jour de notre vie, quand tout semble urgent et dangereux et que chaque émotion est plus féroce et ravageuse que la précédente, c’est que la pire erreur qu’on fait survivra à tout ça. Qu’un minuscule instant de rage engendrera une vie entière de culpabilité et de remords. Ce que je déteste le plus chez Kai, c’est toutes les ressemblances que j’ai avec lui. La seule différence entre nous, c’est que lui, il peut l’admettre. Je me passe la main dans les cheveux et regarde au loin, vers l’horizon, puis je me force à cracher ces mots qui me donnent la nausée. – Je te filerai le fric. 27 Taylor Je suis devenue une de ces filles qui regardent son téléphone de façon obsessionnelle, toutes les cinq secondes, et qui sursautent à chaque vibration imaginaire. J’ai même éteint et rallumé mon téléphone au cas où il aurait un bug qui expliquerait pourquoi je n’ai reçu de réponse à aucun de mes trois messages. J’ai été jusqu’à m’envoyer un SMS pour m’assurer que je les reçois, et j’ai obligé Sasha à m’écrire aussi. Je me déteste de plus en plus, au fur et à mesure que je sombre dans cette spirale de désespoir et de dégoût de moi-même. Je suis comme suspendue à une branche au-dessus d’un précipice de doutes. Eh oui, je suis devenue une de ces filles. Chaque minute qui passe est une minute pendant laquelle je concocte un nouveau scénario : il me trompe, il m’a laissée tomber, il se moque de moi. Je me déteste. Ou plutôt, je déteste celle que je suis devenue après avoir cru qu’un garçon pourrait me rendre heureuse. – Donne-moi ton téléphone, gronde Sasha. Nous sommes assises côte à côte, par terre dans ma chambre, et nos livres de cours sont étalés devant nous. Elle tend la main et agite ses doigts avec un air qui me dit que ça fait deux heures qu’elle en a assez de mon comportement. – Non. – Tout de suite, Taylor ! Oh ! Elle en a vraiment marre de mes conneries. – Je vais le ranger, ok ? je réponds en me dépêchant de mettre mon téléphone dans ma poche arrière et de reprendre mon cahier. – Tu l’as déjà rangé six fois. Et étrangement, il ressort toujours de ta poche, dit-elle en haussant un sourcil. Si tu le ressors encore une fois, je le confisque, ok ? – Ok. Pendant les dix minutes suivantes, je prends véritablement sur moi pour faire semblant de réviser. Je suis venue à la maison Kappa cet après-midi parce que j’étais à court de distractions. Conor ne m’a pas écrit, hier, pour me dire qu’il était rentré de la plage. On avait plus ou moins prévu d’aller boire un verre chez Malone’s, hier soir, mais l’après-midi s’est changé en soirée puis en matin, et je n’ai toujours pas eu de nouvelles. Je lui ai réécrit deux fois, aujourd’hui. Deux fois. Il a seulement répondu pour dire « désolé, j’ai eu un imprévu », puis il m’a ignorée quand j’ai demandé ce qu’était l’imprévu en question. Peut-être que dans d’autres circonstances, je ne me prendrais pas autant la tête. Mais il était d’humeur étrange quand il est parti de chez moi mercredi soir, aussi. Sur le moment, j’ai pensé que c’était à cause du coup de fil de Kai. Mais… une autre possibilité m’est apparue. On n’avait jamais été aussi proche de coucher ensemble, et je lui ai dit non. Chaque fois qu’on s’est bécotés depuis Buffalo, je nous ai toujours permis d’aller un peu plus loin ; mais il n’avait jamais essayé d’aller jusqu’au bout. Jusqu’à mercredi soir. Il a pourtant été rassurant, sur le moment. Il a dit tout ce qu’il fallait pour me mettre à l’aise. Mais en y repensant, je me demande si ce n’était pas seulement pour que je le fasse jouir. Parce qu’une fois que ça a été fait, il est parti. Je soupire longuement. – Quoi ? demande Sasha en posant son manuel pour me regarder d’un air inquiet. Dis-moi ce qui te tourmente, meuf. – Peut-être que c’est… peut-être que c’est ce que tout le monde avait vu venir ? Elle semble hésiter à répondre. – Il m’a dit le soir de notre rencontre qu’il n’avait jamais de petite amie, de relation sérieuse. Qu’il ne sortait jamais avec une fille pendant plus de quelques semaines. Et on est en train de dépasser cette date de péremption, j’admets alors que ma poitrine se resserre. – C’est vraiment ce que tu penses ? – Je crois qu’il s’est lassé des pipes et qu’à ce stade il serait prêt à me larguer si ça lui permettait de baiser, même pendant huit secondes et en position du missionnaire. – Merci pour le visuel, meuf, répond Sasha en grimaçant. – Conor ne serait pas le premier mec à larguer une meuf parce qu’elle ne veut pas baiser. – Sauf que je n’ai jamais entendu parler d’un mec qui se plaignait qu’on lui fasse trop de pipes, remarque Sasha. Ça me ramène à la question de la fidélité. – Peut-être que ce n’est pas un problème de pipes, mais de celle qui les fait… – Taylor, je crois que tu vas te rendre folle à essayer de deviner ce qui se passe dans sa tête. – Eh ben je n’aurais pas à l’imaginer s’il répondait à mes messages ! – Écoute-moi, dit Sasha en essayant de masquer sa frustration. Elle essaie de me réconforter, mais elle semble plutôt impatiente. Consoler les autres n’est pas vraiment son truc. – Je ne le connais pas, donc je ne sais pas ce qu’il pense, dit-elle. Ce que je sais, c’est que si tu pensais vraiment que Conor était comme ça, tu n’aurais pas perdu ton temps avec lui. Donc, à mon avis, il se passe quelque chose qui n’a rien à voir avec le sexe. – Comme quoi ? – Je ne sais pas, peut-être qu’il a ses règles de mec. Ce que je veux dire, c’est que quel que soit son problème, ce n’est pas toi. Ce n’est pas ce à quoi tu devrais penser en premier. – Non ? – Non, ma belle. Moi, j’ai plutôt l’impression qu’il est fou de toi depuis le moment où vous avez fait semblant d’être ensemble. Donc, soit il gère un problème, soit c’est juste un connard. Et si c’est la seconde option, tu ferais bien de te débarrasser de lui, donc arrête de stresser. Vous en parlerez tôt ou tard, et tu pourras décider de ce que tu fais. En attendant, lâche l’affaire. Tu dois commencer à croire en toi et en ta valeur, Taylor. Personne ne peut le faire à ta place. D’un côté, elle a raison. Mon premier réflexe est toujours de penser que j’ai fait quelque chose qu’il ne fallait pas, que je ne suis pas assez bien. C’est ce qui se passe quand on a été harcelée et moquée pendant des années à cause de son physique. D’un autre côté, je ne sais pas comment être détendue comme Sasha. Je ne sais pas comment ne pas me laisser atteindre, comment éteindre la partie de mon cerveau qui se pose mille questions à la minute. Sasha ne sait pas à quel point je tiens à lui, même si je m’étais interdit de m’attacher. Elle ne sait pas à quel point il s’est immiscé dans ma vie. Les ruptures sont destructrices et on ne peut pas complètement effacer quelqu’un de son existence. Il restera toujours une marque qui ne nous quitte jamais. J’espérais vraiment éviter que Conor devienne une de ces marques. – Cela étant dit, déclare-t-elle en se levant pour prendre ses clés de voiture sur la table de chevet, s’il te fait un sale coup et que tu veux foutre le feu à sa voiture ou saboter ses patins pour qu’il se casse la cheville, je suis ton homme. Elle obtient enfin un sourire. J’adore Sasha. Elle est la seule personne que je voudrais à mes côtés sous la pluie, une pelle à la main, si je devais enterrer un corps. – Allez viens, espèce de nunuche, dit-elle en me tirant la langue. On peut passer devant chez lui en allant au bar. * * * Pour un dimanche soir, Malone’s est bondé. Il y a un tournoi de fléchettes et toute la maison Sigma Phi a déboulé pour boire des coups avant d’aller à je ne sais quelle soirée. Sasha a déjà dû envoyer bouler trois ivrognes qui lui ont sorti les pires phrases d’accroche au monde. – Rappelle-moi pourquoi on est ici ? je demande en criant pour me faire entendre par- dessus les « Cul sec ! Cul sec ! Cul sec ! » des gars de la table d’à côté. Sasha me tend un autre Malibu-ananas et trinque avec moi. – Tu as besoin d’être saturée d’hormones mâles. – Je ne crois pas que ce soit ça, mon problème, je réponds d’un ton lugubre en vidant la moitié de mon verre. – Tu te trompes, rétorque-t-elle en vidant cul sec sa vodka-Red Bull. La recherche scientifique a prouvé que quand un mec obnubile tes pensées, seule de grandes quantités de queues et d’alcool sont capables de résoudre le bug. – J’aimerais voir les statistiques qui prouvent ta théorie. Sasha me fait un doigt d’honneur. – J’arrive juste à temps, dit un mec vêtu d’un polo Briar Basket-ball. Il a un sourire étincelant et des fossettes dignes d’un mannequin pour une pub de dentifrice. Il faut croire que Sasha n’est pas insensible à son charme, parce qu’elle mord à l’hameçon. – À temps pour quoi ? – Pour vous offrir un autre verre, répond-il en désignant nos verres au barman. Donne-leur ce qu’elles veulent, et moi je prendrai un Rhum- Coca, s’il te plaît. Merci. Je ne manque pas de remarquer le regard appréciateur de Sasha lorsqu’il dit « s’il te plaît » et « merci ». Car ce qu’il est important de savoir à propos de Sasha Lennox, c’est que quand elle était petite, sa meilleure amie était sa grand-mère paternelle. Cette dernière a été tour à tour factrice pour l’armée durant la Seconde Guerre mondiale, prof de littérature en prison et, brièvement, religieuse dans un couvent catholique. Ainsi, lorsqu’un mec est capable d’être poli de façon naturelle, il a déjà à moitié séduit Sasha. – Je m’appelle Eric. – Sasha, répond-elle. Et voici Taylor. Elle serait ravie de rencontrer un beau brun ténébreux si tu as ça sous la main. Je la fusille du regard, mais elle m’ignore car elle est trop occupée à se noyer dans la politesse d’Eric. Il fait signe à ses amis, de l’autre côté de la salle, et deux mecs viennent vers nous avec leurs bières. Ils s’appellent Joel et Danny et on commence rapidement une discussion, ce qui implique que Sasha et moi nous nous tordions le cou pour pouvoir regarder ces basketteurs de Briar. Quand Danny se rapproche un peu de moi, Sasha plante ses ongles dans mon bras pour me dire qu’elle ne me laissera pas me défiler. Je la prends donc par l’épaule pour nous éloigner des mecs. – J’ai un mec, tu te souviens ? Enfin, je crois, j’ajoute quand elle hausse un sourcil dubitatif. – Tu n’es pas obligée de lui sauter dessus, répond-elle. Contente-toi de sourire et de boire. Flirter n’a jamais fait de mal à personne. – Si je voyais Conor flirter avec une autre fille… – Sauf que tu ne le vois pas faire parce qu’il ne répond pas à tes messages. Donc fais semblant de vivre pendant quelques heures et amuse-toi, gronde-t-elle en me tendant un shot après que Danny a insisté pour commander de la tequila. – Au basket ! s’exclame Sasha en levant son verre. – Aux Kappa Chi, répond Eric. – Au hockey, je marmonne. Dès qu’on a vidé nos shots, Sasha sort son téléphone et le lève en l’air pour faire un selfie de notre petit groupe. – Là, voilà ! – Voilà quoi ? Elle recadre la photo et y ajoute un filtre avant de poster la photo en choisissant quelques magnifiques hashtags. #soiréefilles #kappachi #BriarU #FinieslesCrosses #BigBalls – Voyons si Conor t’ignore toujours, maintenant, dit-elle en souriant. Le truc, c’est que je n’ai pas envie de me venger. Je n’ai pas envie de le rendre jaloux ou de lui montrer ce qu’il manque. Je veux seulement comprendre ce qui lui arrive. Plus tard, de retour chez moi, je me couche en essayant de m’empêcher d’envoyer un énième message à Conor et je réalise que j’ai raté un SMS qu’il m’a envoyé plus tôt dans la soirée.
LUI : Désolé. Je t’appelle demain. Bonne
nuit.
Bizarrement, sa réponse est encore pire que son
silence. 28 Conor Une psy décrirait mon attitude de cette dernière semaine comme autodestructrice. En tout cas, c’est ce que la copine d’Hunter m’a dit aujourd’hui, et Demi est presque psy, donc son opinion est valable. Apparemment, elle a croisé Taylor sur le campus, tout à l’heure, et leur échange m’a valu ce message : « Qu’est-ce que tu lui as fait, putain ?! » J’en déduis donc que je suis parvenu à foutre Taylor en l’air. En même temps, je m’y attendais. C’est tout ce que je mérite. Je ne peux pas continuer à vaporiser du parfum sur un tas de merde en prétendant que ça ne pue pas. J’avais envie de l’appeler. Je suis allé jusque chez elle en rentrant de la plage, le week-end dernier, mais je n’ai pas réussi à entrer. Je ne voulais pas lui mentir à nouveau et lui dire que tout allait bien. Je préfère qu’elle pense que je ne suis qu’un autre connard de plus plutôt que de lui apprendre qui je suis vraiment. On s’est vus une ou deux fois, depuis, pour boire un café entre deux cours, mais j’ai évité d’aller chez elle et je ne l’ai pas invitée chez moi. Nos cafés sont suffisamment gênants comme ça – une heure entière où je ne sais pas quoi lui dire et où elle a peur de me faire fuir. Et chaque message qu’elle m’envoie, en me demandant ce qui ne va pas, enfonce un peu plus le couteau dans la plaie. Si j’étais une meilleure personne, je lui dirais la vérité. Je lui avouerais tout, et je la laisserais me regarder avec ses superbes yeux turquoise pleins de son dégoût. Je la laisserais me traiter de loser pathétique et je l’observerais comprendre enfin que j’ai été trop lâche pour lui dire : qu’elle mérite mieux que moi. TAYLOR : Tu veux venir ce soir ?
Je suis une poule mouillée. Je ne cesse de me
répéter qu’une fois que je me serai débarrassé de Kai, tout reviendra à la normale avec Taylor. Que je trouverai une excuse, qu’elle me pardonnera à contrecœur et que je passerai le mois suivant à essayer de me rattraper. Mais à chaque fois qu’apparaît le point d’interrogation à la fin de son message, j’ai encore plus de mal à envisager de la voir en face. Un autre message s’affiche sur mon écran. Cette fois, c’est Kai.
KAI : L’heure tourne…
Je retourne mon téléphone pour ne pas voir
l’écran. On est lundi matin, et je devrais être levé. Mon cours de philosophie commence dans moins d’une heure. Cela dit, je philosophe à fond dans ma tête, donc peut-être que je peux le sécher. Trop d’introspection ne peut pas être bon pour l’esprit. Je fixe le plafond de ma chambre, respire lentement et je me force à sortir du lit pour m’habiller. Mon téléphone vibre à nouveau et je l’ignore. C’est soit Taylor, soit Kai. Ou peut-être ma mère. Or, en ce moment, s’il y a une personne que ça me fait encore plus mal de décevoir que Taylor, c’est ma mère. Je ne peux pas l’appeler pour lui demander une telle somme. Je pensais avoir les couilles de le demander directement à Max, de lui raconter une connerie à propos d’un coéquipier qui aurait des problèmes, en lui disant que je ne veux pas inquiéter maman. Ou j’aurais pu lui dire que j’ai défoncé la voiture de quelqu’un. Puis… j’ai imaginé sa tête. Lui demander du fric confirmerait qu’il a raison de penser que je ne suis qu’un bon à rien, que je le serai toujours et qu’aucune somme, aucune distance, ni aucune éducation ne peuvent y remédier. Donc je n’ai pas le choix. Après mon cours, je me pointe chez Hunter et lui dis que j’ai besoin de parler. Demi est sur le canapé à côté de lui et me lance un regard assassin. Je les ai interrompus alors qu’ils regardaient un documentaire sur un tueur en série, mais je sais que ce n’est pas pour ça qu’elle me fusille du regard. – Ne dis pas à Taylor que je suis là, s’il te plaît. Elle soupire et lève les yeux au ciel. – Je ne vais pas te dire quoi faire, mais… – Tant mieux, je rétorque avant de tourner les talons pour aller dans la cuisine prendre une bière dans le frigo. – Mais tu ne devrais pas la mener en bateau, poursuit Demi dès que je reviens dans le salon. Je déglutis pour ravaler le nœud dans ma gorge. – Ce n’est pas ce que je fais. – Elle le sait, elle ? Je présume que c’est une question rhétorique. Et si ça ne l’est pas, peu importe. Je ne suis pas venu pour parler de Taylor avec Demi. Je bois une longue gorgée de bière et hoche la tête en direction d’Hunter, qui semble mal à l’aise. – On peut parler dans ta chambre ? – Bien sûr. – J’aime bien Taylor ! crie Demi alors que j’emboîte le pas à Hunter. Maintenant agis comme un adulte et remets tout ça en ordre, Edwards ! – Désolé, dit Hunter. Une fois dans sa chambre, il s’assied sur son fauteuil de bureau et je m’appuie contre la porte où je joue avec l’étiquette de ma bouteille. Il me connaît suffisamment pour savoir que quelque chose me tracasse. Hunter est mon meilleur ami dans l’équipe. D’ailleurs, c’est sans doute mon meilleur ami en toute situation. Et il y a une semaine, j’aurais dit la même chose de Taylor. – Qu’est-ce qui se passe ? C’est à propos de Taylor ? – Pas vraiment, non. – Alors il se passe quoi entre vous ? Demi passe son temps à me demander si vous avez rompu, et je ne sais pas quoi lui dire à part de s’occuper de ses affaires, mais tu la connais. Elle n’aime pas beaucoup qu’on lui dise quoi faire. – Non, on n’a pas rompu et ça n’a rien à voir avec Taylor. C’est… euh… Tout à coup, je me sens vraiment idiot. C’est bien plus dur que je ne le pensais. Hunter est ma seule issue. Sa famille est pleine aux as, à côté de leur maison, la villa de Max a l’air d’une chaumière. Pendant tout le trajet jusqu’ici, je pensais rester cool, détendu. « Salut, mec, prête-moi quelques briques. Rien de méchant… » Mais il s’avère que c’est horrible. Je ne crois pas m’être déjà senti aussi humilié, aussi démoralisé. Néanmoins, je n’ai pas le choix. Si je ne le fais pas, Kai dira à Max ce que j’ai fait. Et je ne peux pas faire ça à ma mère. – Con’, tu commences à me faire peur. Qu’est- ce qui se passe ? Je m’éloigne de la porte et fais les cent pas pour remettre mes idées en ordre. – Écoute, je vais être franc avec toi. J’ai besoin de dix mille dollars, et je ne peux pas te dire pourquoi. Je te promets que je n’ai pas d’ennuis avec un usurier ou que je ne trafique pas de la drogue. C’est juste que je dois régler un problème et que je ne peux pas demander d’aide à ma famille. Je ne te le demanderais pas si j’avais un autre choix, je dis avant de me laisser tomber au bord du lit en me passant la main dans les cheveux. Je te promets de te rembourser. Ce ne sera probablement pas tout de suite, mais je te rembourserai l’intégralité de la somme, même si ça me prend la vie entière. – Ok. Hunter baisse la tête. Il a l’air d’acquiescer, mais c’est comme s’il y avait un délai entre ses gestes et les mots qui sortent de sa bouche. – Et tu n’as tué personne ? Il le prend mieux que je ne le pensais. – Promis. – Tu ne vas pas quitter le pays, n’est-ce pas ? Je dois avouer que l’idée m’a traversé l’esprit. Mais non. – Je ne bouge pas. – Cool, dit-il en haussant les épaules. Soudain, Hunter ouvre le tiroir de son bureau et sort son chéquier. Et je reste assis sur le lit, à le regarder remplir un chèque. – Tiens. Aussi simple que ça. Il me tend le chèque. Dix mille balles. Quatre zéros. Je suis vraiment un enfoiré. – Tu me sauves vraiment la mise, même si je ne peux pas te l’expliquer. Le soulagement que je ressens est immédiat, talonné par les remords. Je me déteste de faire ça. Mais pas assez pour ne pas ranger le chèque dans mon portefeuille. – Je suis vraiment désolé. Tu… – Con’, arrête de stresser. On est coéquipiers. On se soutient coûte que coûte. Ma gorge se noue. Putain, je ne mérite pas ça. Si je suis là, c’est simplement par accident. Ici, à Briar, dans cette équipe. Je m’étais mis en tête que je devais partir de L.A. et, deux coups de fil plus tard, Max m’avait déjà inscrit ici. Je n’ai rien fait pour mériter une place dans une équipe de première division ni l’amitié de mecs comme Hunter Davenport. Quelqu’un devait un service à quelqu’un, et j’ai été pris dans l’équipe. Je ne suis pas un mauvais joueur ; peut-être même que parfois, je suis bon. Et, à de rares occasions, je suis même hyper-bon. Mais combien d’autres mecs étaient meilleurs mais n’avaient pas les contacts ? Je ne doute absolument pas du fait qu’il y avait quelqu’un d’autre de plus méritant que moi, quelqu’un qui ne supplie pas ses amis de lui donner du fric pour faire taire le mec qui le menace de dire qu’il a volé sa propre famille. Car là est tout le problème lorsque c’est soi- même qu’on fuit : le problème vous rattrape sans cesse. Lorsque je pars de chez Hunter, je roule pendant un long moment. Je n’ai pas de destination en tête et je finis à la plage, assis dans le sable, à regarder les vagues. Je ferme les yeux et sens le soleil se coucher dans mon dos, et j’écoute le bruit qui m’a sauvé par le passé. Le bruit qui, d’habitude, m’apaise. Mais ce soir, l’océan ne m’aide pas. Je retourne à Hastings et j’attends qu’une voix dans ma tête me propose un meilleur choix ; le bon choix. Mais je suis seul dans ma tête. Je ne sais comment, je me retrouve en bas de chez Taylor. Je gare la Jeep et je reste là pendant presque une heure, à regarder ses messages remplir mon écran.
TAYLOR : Je vais manger.
TAYLOR : Je me couche tôt. TAYLOR : On mange ensemble demain midi ?
Je me penche pour ouvrir la boîte à gants et je
fouille dedans jusqu’à trouver la petite boîte métallique que Foster a mise dedans, l’autre soir. Je sors le joint et je prends le briquet qui traîne dans le vide-poches de la portière. Je l’allume et expire un nuage de fumée par la vitre ouverte. Connaissant ma chance, un flic va passer devant pile maintenant, mais je m’en fiche. J’ai besoin de calmer mes nerfs.
KAI : Tu les as ? KAI : Réponds.
Je tire à nouveau sur le joint et crache un autre
nuage de fumée. Mes pensées commencent à m’échapper, comme si elles ne m’appartenaient plus. J’ai sombré si profond dans ma propre tête que je ne sais même plus en sortir. On entend parfois parler de gens qui ont frôlé la mort et qui ont vu leur vie défiler devant leurs yeux. Pourtant je suis bien vivant, mais voilà que la même chose m’arrive. Ou peut-être que tu es juste défoncé, mec. Ouais, c’est possible. Un autre message s’affiche.
KAI : Déconne pas, frangin.
C’est presque drôle, non ? J’ai vu un gosse dans
la rue. Je me suis assis à côté de lui à l’école. On a fait chier nos voisins en faisant du skate au milieu de la rue. On s’est pété le nez et égratigné les coudes. Puis on a appris à rouler un joint et à tirer dessus. On s’est mis au défi d’aller parler à la jolie fille avec le faux piercing à la lèvre. On s’est fait des piercings avec une épingle à nourrice, derrière le gymnase du collège. On a volé des bières au Huit à Huit en les planquant dans nos pantalons. On a escaladé des grillages et squatté des immeubles abandonnés. On a exploré les catacombes d’une ville qui meurt lentement ; des centres commerciaux d’à peine trente ans, où les fontaines sont sèches mais où les toits fuient. On a appris à taguer. Puis à taguer mieux. On s’est fait tabasser derrière la boutique du caviste. On s’est offert des virées dans des voitures volées. On a fui les flics et sauté par-dessus les clôtures des gens. Je tire une autre latte sur le joint, puis une autre, toute mon enfance défile devant mes yeux. Rien ne nous influence plus que nos amis. Il y a la famille, bien sûr. Les familles ont un pouvoir immense de nous foutre en l’air. Mais les amis… on les collectionne comme des briques et du mortier. Ils font partie du plan initial de construction, sauf que le plan est constamment en cours d’évolution. On décide qui on a envie de devenir, on fait des choix et on mute pour devenir nous-mêmes. Les amis sont les qualités que l’on veut absorber. Ce qu’on veut être. J’expire la fumée. Le truc, c’est qu’on oublie que nos amis ont leurs propres envies. Qu’on est seulement des éléments de leur plan initial. Ils ont leur propre famille. Leurs propres influences. Des frères qui leur ont filé leur premier joint, leur première bière. Quand je regarde en arrière, il me semble évident que Kai et moi allions terminer ainsi. Après tout, une part de moi avait besoin de lui et voulait être comme lui. Mais un jour, on a atteint ce moment fatidique, celui où l’instinct de survie se révèle. Cet instinct qui fait que certains d’entre nous ont peur du vide, alors que d’autres sautent en parachute. Quand mon instinct a surgi, j’ai dû choisir entre me battre ou fuir. Je savais que Kai précipiterait ma chute si je le laissais faire. Donc j’ai fui, et j’ai changé de vie. Mais peut- être qu’on ne peut pas vraiment changer, une fois que les fondations ont été coulées. Peut-être que Kai et moi sommes destinés à nous détruire l’un l’autre. Au stade où on en est, j’ai peur du vide, et Kai a enlevé son parachute. Il se penche par la porte de l’avion et je le retiens par sa chemise. Si je lâche, il tombe. Sauf qu’il m’entraînera avec lui et qu’on s’écrasera tous les deux. Je jette le joint par la fenêtre et saisis mon téléphone.
MOI : Vendredi soir. C’est moi qui viens.
KAI : A tte.
Je ne sais pas ce qui se passera, après ça, ni
comment je m’en remettrai. Je ne sais pas si mon amitié avec Hunter va changer. Je ne sais pas ce qui se passera quand je rentrerai en Californie, que je dormirai dans cette maison et que je devrai regarder ma mère dans les yeux. Cela dit, j’ai bien trouvé un moyen, la dernière fois, donc peut-être que je devrais arrêter de me voiler la face en me disant que mentir ne me vient pas naturellement et que la culpabilité est permanente. Peut-être que je devrais arrêter de prétendre que si je m’en veux, c’est que je ne suis pas si mauvais ça. Peut-être que je devrais accepter que je ne suis pas, et que je n’ai jamais été, une bonne personne. Quand je rentre chez moi, je cours dans ma chambre et écris à Taylor pour dire non au déj de demain. Ainsi que le jour d’après. Car il est plus facile d’éviter le problème que de l’affronter. 29 Taylor J’avais oublié le bazar qu’était le Gala de Printemps, chaque année. Je me réveille en retard, le vendredi, et dois mener une course contre-la- montre pour sortir de chez moi dans les temps. Après ça, la journée semble passer en accéléré. Je me renverse du café dessus en allant en cours. J’ai pris le mauvais cahier. Interro surprise. Je sprinte à mon cours suivant. Le distributeur avale mon billet alors que je meurs de faim. Je cours à la maison Kappa pour retrouver Sasha et aller chez le coiffeur, mais ils ont une heure de retard. On mange un bout en patientant. On se fait coiffer puis on retourne à la maison Kappa, elle me maquille et je vernis ses ongles. Elle se maquille pendant que je passe nos robes au défroisseur. Puis, enfin, on s’affale par terre jusqu’à ce qu’Abigail se mette à parcourir la maison en criant qu’il y a besoin d’aide à la salle polyvalente. Sasha et moi sommes donc à la salle, occupées à connecter la sono à son ordinateur. On rampe par terre pour tout brancher, semant des épingles à cheveux partout. Vivement qu’on puisse retourner à la maison pour se rafraîchir puis s’habiller. – On n’a pas des nouvelles recrues pour s’occuper de ce genre de truc ? râle Sasha alors qu’on porte une énorme enceinte jusqu’à la scène. Car, bien sûr, le diable vient de perdre une roue. – Je crois que les première années plient des serviettes en cuisine. – Sérieux ? Nous posons enfin l’enceinte et prenons une minute pour reprendre notre souffle. – Putain, mais moi je veux bien poser mon cul sur une chaise pour faire de l’origami ! crie-t-elle. La nana qui fait du lacrosse n’a qu’à venir porter les enceintes ! – Il me semble que tu as dit à Charlotte que tu ne voulais pas que les nouveaux touchent à ton matériel. – Ouais, ben, je ne parlais pas des enceintes de quarante kilos. – Allez, plus qu’une, je réponds en souriant. Je m’occuperai de les brancher pendant que tu te chargeras de faire les balances. Sasha soupire et éponge la sueur de son front avec la manche de son pull. – Tu es une bonne amie, Marsh. Alors qu’on est en train de porter l’enceinte, un visage familier apparaît sur notre chemin. C’est Eric, le joueur de basket de chez Malone’s, il porte six énormes cartons à donuts. On pose l’enceinte avant de le retrouver à la table de mixage de Sasha. – Servez-vous, dit-il. – Mon Dieu, tu es merveilleux, répond Sasha en dévorant un premier donut avant d’en prendre deux autres. Merci, marmonne-t-elle la bouche pleine. Soudain, comme une armée de fourmis, les autres sœurs se précipitent sur les donuts. Tout le monde suit un régime de jus de chou kale et de carotte depuis une semaine, pour pouvoir rentrer dans sa robe trop petite. – Je dois aller en ville pour récupérer mon costard, dit Eric à Sasha qui se lèche les doigts. Mais j’ai pensé que vous auriez besoin d’une dose de sucre. – Merci, on apprécie. – Sérieusement, merci, je réponds. Aussi vite qu’elles sont arrivées, les filles vident les cartons de donuts et retournent à leurs tâches respectives. Je regarde autour de moi et suis agréablement surprise. La salle commence vraiment à ressembler à quelque chose. Les tables sont en place et les décorations sont suspendues. On va peut-être s’en sortir, finalement. – On se retrouve ici à vingt heures ? dit Sasha à Eric. – À vos ordres. À toute. Il l’embrasse sur la joue et me salue de la main en partant. Je tourne brusquement la tête vers elle. – Euh, je ne savais pas qu’Eric était ton rencard pour ce soir ? – J’allais venir seule une fois de plus, mais comme ça, j’aurai quelqu’un pour aller me chercher des verres pendant que je m’occuperai de la musique. On fourre les cartons de donuts vides dans la poubelle, puis on part en quête de la glacière qui est censée contenir des bouteilles d’eau fraîche pour tout le monde. On essaie d’abord en cuisine, où huit première année sont assis dans le noir, entourées de piles de serviettes, le dos courbé, inquiètes. On se croirait dans un atelier de misère. On rebrousse chemin sans un bruit pour ne pas nous faire remarquer, les première année sont flippantes. – Et Conor ? demande Sasha alors qu’on longe un autre couloir. Et Conor… Depuis que je l’ai rencontré, cette question semble occuper une part de plus en plus importante de mes journées. On semble tous les deux pris dans une boucle de doutes sans fin. – Je ne sais pas, je réponds en toute sincérité. Ça fait deux jours qu’il me pose des lapins. – Vous ne vous êtes pas du tout parlé ? – Si, un peu. Surtout par message, et il ne dit pas grand-chose. Il dit qu’il est occupé, qu’il a des trucs à gérer, blablabla. Et, bien sûr, il dit toujours qu’il est désolé. – Tu ne crois quand même pas qu’il pourrait… euh… te planter ce soir, si ? Sasha m’étudie de près, cherchant un signe que je vais hurler de rage ou fondre en larmes. – Non, je réponds d’un ton ferme. Il ne ferait jamais ça. – Eh, Taylor, dit Olivia en arrivant depuis la sortie de secours où sont garés les camions de livraison. Tu as laissé ça dehors. Il vibrait. Je prends mon téléphone de ses mains et suis soulagée quand je vois un appel manqué de Conor. Enfin ! J’ai besoin de savoir s’il passe me prendre ou s’il me rejoint ici. – En parlant du diable, dit Sasha. Je suis sur le point de le rappeler quand il m’envoie un message.
CONOR : Je ne vais pas pouvoir venir ce
soir.
Je regarde l’écran et je commence à répondre,
les mains tremblantes.
MOI : Ce n’est pas drôle.
LUI : Je suis désolé.
– Qu’est-ce qui se passe ? demande Sasha.
J’essaie de l’appeler et je tombe sur son répondeur. – Il n’a pas fait ça… ! Je l’ignore et rappelle Conor. Répondeur. MOI : Parle-moi. MOI : Qu’est-ce qui se passe ? MOI : Va te faire foutre, Conor.
Je lève le bras pour jeter mon téléphone à
l’autre bout de la pièce, mais Sasha saisit mon poignet et m’en empêche. Elle prend mon téléphone et me fusille du regard. – Ne fais pas quelque chose que tu vas regretter dit-elle avant de m’emmener dans les toilettes, de l’autre côté du couloir. Parle-moi. Qu’est-ce qu’il a dit ? – Il ne vient pas. Aucune explication. Juste, « désolé, je te plante encore une fois », je dis en m’agrippant au lavabo pour m’empêcher de mettre un coup de poing au miroir. Putain, mais à quoi il joue ? Il n’a pas décidé ça aujourd’hui, c’est impossible. Il m’a évitée toute la semaine. Donc il savait qu’il n’allait pas venir. Il aurait pu me le dire ! Au lieu de ça, il attend la dernière minute, histoire que ça fasse encore plus mal. Je pousse un hurlement et frappe la porte au lieu du miroir, mais je n’obtiens pas la même satisfaction car elle s’ouvre et claque délicatement contre le mur. – Ok, Mme Hulk, calme-toi, dit Sasha en tendant les mains vers moi comme si elle voulait apaiser un taureau sauvage. Tu crois vraiment qu’il fait ça pour te faire du mal ? Je m’éloigne d’elle et fais les cent pas, incapable de rester en place. – Tu vois une autre explication, toi ? Je parie que ça fait partie du sale tour qu’il me joue depuis le début. Peut-être que je n’ai toujours été qu’un défi, en fait. Un pari qu’il a fait avec ses coéquipiers. Et maintenant la partie est finie, et ils se foutent de moi. La petite grosse pathétique. – Hé ! Tais-toi tout de suite. Tu n’as rien de pathétique et tu n’as pas à avoir honte de ton physique. Tu es sublime, drôle, gentille et intelligente. Si Conor Edwards a un problème, ce n’est pas de ta faute. C’est lui qui y perd, Taylor. Je ne l’entends pas. Pas vraiment. Mon estomac est noué par ma colère et celle-ci grossit un peu plus à chaque seconde où je suis sans réponse. – J’ai besoin de ta voiture. – Je ne pense pas que tu sois en état de conduire… – Tes clés. S’il te plaît. Sasha soupire et me les donne. – Merci, je grogne en sortant des toilettes comme si mes fesses étaient en feu, suivie de près par Sasha. – Taylor, attends ! Mais je me précipite vers l’entrée et j’y déboule si vite que je rentre dans une de mes sœurs. Une poignée de Kappa sont regroupées dans le hall, avec quelques Sigma qui portent des chaises. La petite brune titube, son visage caché par ses cheveux, je ne vois pas tout de suite que c’est Rebecca. – Merde, pardon, je ne t’avais pas vue. Elle retrouve l’équilibre et baisse aussitôt les yeux en entendant ma voix. Je suis déjà sur les nerfs à cause de Conor, et la grimace de Rebecca me pousse à bout. – Putain, Rebecca. On s’est roulé une pelle en première année et tu m’as peloté les seins. Tourne la page, bon sang ! – Miaou ! s’écrie Jules en gloussant d’un ton sadique. – Tais-toi, Jules et sa bande ! Ils me regardent tous avec des yeux ébahis. Sasha me rattrape quand j’ouvre les portes de la salle polyvalente. – Taylor ! Arrête ! – Quoi ? L’air terriblement inquiet, elle pose une main sur mon bras pour le serrer tendrement. – Aucun mec ne mérite que tu perdes ton respect pour toi-même, ok ? Souviens-t’en. Et attache ta ceinture. 30 Taylor Quand j’arrive chez Conor, sa Jeep est garée dans l’allée. Foster m’ouvre la porte et sourit jusqu’aux oreilles en me voyant. Il me laisse entrer sans hésiter et me dit que Conor est dans sa chambre. J’envisage un instant d’interroger Foster, si l’un des colocs devait craquer pour un aperçu, même bref, d’un décolleté, ce serait lui. Mais j’ai trop envie d’étrangler Conor pour perdre mon temps avec ça. Je déboule dans sa chambre et le trouve seul. Je suppose qu’une part de moi s’attendait à trouver une femme squelettique dans son lit. Mais il est bien seul, et il semble sur le point de sortir. Il n’a même pas l’air surpris de me voir. Peut- être semble-t-il un peu déçu, en revanche. – Je ne peux pas parler maintenant, T, soupire-t- il. – Dommage, parce que tu n’as pas le choix. Il essaie d’ouvrir la porte derrière moi, mais je l’en empêche. – Taylor, s’il te plaît. Je n’ai pas le temps, il faut que j’y aille. Sa voix est froide et distante. Il refuse de me regarder. Je crois que j’espérais qu’il serait énervé, son indifférence est bien pire. – Tu me dois une explication, quelle qu’elle soit. C’est une chose de me planter pour un dîner, mais le Gala de Printemps compte beaucoup pour moi. J’ai du mal à déglutir et mes yeux me brûlent. – Et maintenant tu me plantes à peine quelques heures avant ? C’est horrible, même après ton attitude des derniers jours. – J’ai dit que j’étais désolé. – J’en ai marre de l’entendre ! J’ai l’impression qu’on a rompu, sauf que tu as oublié de me le dire. Bon sang, Con’, si c’est fini entre nous, dis-le- moi ! Je pense mériter au moins ça, non ? Il me tourne le dos et se passe les mains dans les cheveux en marmonnant quelque chose. – Quoi ? Allez, crache le morceau ! – Ça n’a rien à voir avec toi, ok ? – Alors quoi ? Dis-moi pourquoi, j’insiste, exaspérée. Je ne comprends pas ce qu’il gagne à se comporter comme ça, si ce n’est de me rendre folle. – Qu’est-ce qui est si important que tu me poses un lapin ce soir ? – J’ai quelque chose à faire, c’est tout. Ses traits se creusent et je remarque que ses épaules sont plus tendues que jamais. – J’aimerais ne pas avoir à le faire, mais c’est comme ça. – Mais ce n’est pas une réponse ! – C’est la seule que tu vas obtenir, rétorque-t-il en me passant devant pour saisir son blouson sur le dossier de sa chaise. Je dois y aller. Il faut que tu partes. Quand il attrape sa veste, elle s’accroche à l’accoudoir et une enveloppe épaisse tombe de l’une des poches, déversant plusieurs liasses de vingt dollars sur le sol. Nous les regardons en silence jusqu’à ce que Conor les rassemble et remette le tout dans l’enveloppe. – Qu’est-ce que tu fais avec tout cet argent ? je demande d’un ton inquiet. – Ce n’est pas important, marmonne-t-il en rangeant l’enveloppe dans sa poche. Je dois partir. – Non, je gronde en m’appuyant contre la porte pour qu’il ne puisse pas l’ouvrir. Personne ne se balade avec une telle somme en liquide, à moins de faire quelque chose qu’il ne devrait pas. Je ne te laisserai pas partir tant que tu ne m’auras pas dit ce qui se passe. Si tu as des soucis, s’il te plaît, laisse-moi t’aider. – Tu ne comprends pas, laisse-moi sortir. – Je ne peux pas. Pas tant que tu ne m’auras pas dit la vérité. – Putain ! Laisse-moi partir. Je ne veux pas t’impliquer là-dedans, T. Pourquoi tu compliques la situation ? Son masque est enfin tombé, je ne suis plus face au Conor distant auquel j’ai eu droit toute la semaine quand il faisait de son mieux pour cacher son angoisse. Maintenant, je ne vois plus que sa souffrance et son désespoir. Cette histoire le ronge de l’intérieur et il semble épuisé. – Tu ne comprends pas ? je réponds. Je tiens à toi. Quelle autre raison pourrait-il y avoir ? Soudain, Conor se décompose, il s’assied au bord du lit et prend sa tête dans ses mains. Il est silencieux pendant si longtemps que je suppose qu’il a laissé tomber. C’est alors qu’il se met enfin à parler. – En mai dernier, en Californie, Kai est venu me voir un jour, alors que je ne l’avais pas vu depuis des semaines, et il m’a dit qu’il avait besoin d’argent. Beaucoup d’argent. Il était dans le pétrin avec un dealer et il devait le rembourser, sinon il se ferait casser la gueule ; ou pire. Je lui ai dit que je n’avais pas cet argent. Donc il m’a dit de demander à Max. Conor lève la tête vers moi, comme pour vérifier que je me souviens de tout ce qu’il m’a confié à propos de son beau-père. Je hoche lentement la tête. – Donc je lui ai dit que c’était hors de question, que je ne pouvais pas faire ça, explique Conor. Kai s’est énervé en me disant d’aller me faire foutre, et qu’il pensait qu’on était amis, ce genre de truc, mais il n’a pas insisté plus que ça. Il m’a dit qu’il allait trouver un autre moyen, et il est parti. Sur le moment, j’ai cru qu’il avait exagéré les ennuis qu’il avait et j’ai supposé qu’il voulait juste un nouveau téléphone, ou une connerie du genre, et qu’il avait pensé que je pouvais ouvrir le coffre-fort de Max et me servir. Conor marque une pause et inspire longuement en se frottant le visage. J’ai l’impression qu’il rassemble toutes ses forces pour poursuivre son récit. – Une ou deux semaines plus tard, je me suis engueulé avec Max. Je n’avais toujours pas choisi de majeure à la fac et il me prenait la tête pour que je décide ce que j’allais faire de ma vie. Donc, bien sûr, j’étais sur la défensive parce que je savais pertinemment que ce qu’il voulait dire, c’est que si je ne devenais pas comme lui, ça impliquait que j’étais un bon à rien qui ne réussirait jamais dans la vie. Le ton est monté et je suis parti en claquant la porte. J’ai fini chez Kai et je lui ai tout raconté. C’est là qu’il m’a dit : « Tu sais, on peut se venger, mec. Tu n’as qu’un mot à dire. » Je me rapproche lentement du lit, à petits pas, et je m’assieds en prenant soin de ne pas l’étouffer. – Qu’est-ce que t’as répondu ? – J’ai répondu : « Eh merde. Allons-y. » Il secoue la tête et soupire longuement. Je sens l’angoisse qui se dégage de lui et je vois bien combien il lui est difficile de tout admettre. Je vois bien qu’il doit faire un effort surhumain pour trouver le courage de parler. – J’ai donné à Kai le code de l’alarme en précisant que Max a toujours trois mille dollars dans le tiroir de son bureau, pour les urgences. Je lui ai dit que je ne voulais pas savoir ce qu’il comptait faire. Il faudrait des mois avant que Max se rende compte que l’argent manquait. Et puis trois mille balles, pour Max, ce n’était rien. C’est ce qu’il dépensait en restau et en pinard en une semaine. Personne n’allait souffrir. – Mais… ? Conor me regarde. Enfin. Pour la première fois depuis une semaine, il me regarde vraiment. – Un week-end, on est tous allés au lac Tahoe. Je voulais rester à la maison, mais ma mère m’a fait culpabiliser en me disant qu’il était important qu’on passe de bons moments tous ensemble. Donc la maison était vide pendant quelques jours, et Kai est passé à l’attaque. Il devait être défoncé ou saoul ; après tout, il n’a jamais su être raisonnable. Il est rentré sans un bruit, mais il a retourné toute la maison. Il a pris un des clubs de golf de Max, dans le garage, et il a défoncé le bureau de Max et le salon. Quand on est rentrés deux jours plus tard, on a tout de suite vu qu’il y avait eu un cambriolage. Et le pire, c’est que Max s’est senti coupable. Il s’est dit qu’il avait dû oublier de brancher l’alarme. Il a dit que ce n’était rien, que l’assurance rembourserait les dégâts. – Ils ne se sont pas demandé pourquoi rien d’autre n’avait été volé ? je demande en fronçant les sourcils. Conor ricane froidement. – Non. Les flics ont conclu que des ados avaient dû vouloir foutre le bordel. Ils ont dit qu’ils avaient vu ça des millions de fois, que c’était un crime d’opportunité, parce que l’occasion s’était présentée, et qu’ils avaient dû entendre un bruit qui leur avait fait peur. – Donc tu t’en es tiré. – Ouais, mais c’est justement le problème. Les remords et la culpabilité m’ont rongé dès que j’ai découvert ce que Kai avait fait. Ce que j’avais fait. Je ne sais comment, je m’étais persuadé que je serais content de voir la tronche de Max. Sauf que c’était horrible. Quel genre de connard fout en l’air sa propre maison ? Ma mère a été terrorisée pendant des semaines. Elle avait peur que les coupables reviennent. Elle ne dormait plus. Et c’est moi qui lui ai fait ça. – Et Kai ? – Il est venu me trouver sur la plage, deux semaines plus tard, et m’a demandé comment ça s’était passé. Je lui ai dit que je pouvais plus traîner avec lui, qu’il avait été trop loin et que c’était une mauvaise idée dès le début. Je lui ai dit que c’était fini. Dans sa tête, il pensait être un bon ami ; il pensait me défendre, ou quelque chose comme ça. C’est sans doute la meilleure façon d’expliquer comment Kai réfléchit. – Je présume qu’il a mal pris la rupture ? – Ouais. Mais je crois qu’il avait surtout peur que je le dénonce. Je lui ai rappelé que si je faisais ça, on aurait tous les deux des ennuis, qu’on se détruirait mutuellement. Après ça, on ne s’est plus revus. – Jusqu’à Buffalo. – C’est ça. Puis samedi dernier, à la plage. Il m’a suivi jusque là-bas et m’a sorti le même refrain. Il doit du fric à de mauvais types et ils le tueront s’il ne leur donne pas. Sauf que cette fois, il lui faut dix mille balles. – Merde… Conor rit tristement. – Ouais, c’est le moins qu’on puisse dire. – Tu ne peux pas lui donner cet argent. Il tourne la tête vers moi et hausse les sourcils. – Je suis sérieuse, Conor. Tu ne peux pas lui donner cet argent. Cette fois c’est dix, la prochaine fois ce sera quinze, vingt, ou cinquante mille. Il te fait chanter, c’est ça ? C’est pour ça que tu parles de destruction mutuelle ? Et quant à ce que contient cette enveloppe… j’imagine que tu ne l’as pas obtenu de ta famille. – Je n’ai pas le choix, Taylor, dit-il d’un ton agacé. – Bien sûr que si. Tu peux dire la vérité à Max et à ta mère. Si tu avoues tout, Kai n’aura plus aucun moyen de te faire chanter. Il te laissera tranquille et tu pourras reprendre le cours de ta vie sans avoir à te soucier du jour où il débarquera à nouveau. – Tu ne sais pas de quoi tu parles. Tu n’as pas idée de… – Ce que je sais, c’est qu’à cause de la honte que tu ressens, tu m’as ignorée, tu as fait du mal à ta famille et tu as fait je ne sais quoi pour avoir ce fric. Quand est-ce que ça va s’arrêter ? Il n’y a qu’une chose que tu peux faire pour te battre. Sinon, tu seras esclave de ce secret toute ta vie. – Ouais, ben, tu sais… commence-t-il en se levant. Ça ne te regarde pas, en fait. Je t’ai dit la vérité, et maintenant je dois partir. Je me lève d’un bond pour essayer de l’intercepter, mais il fait un pas de côté et se dirige vers la porte. – S’il te plaît, je vais t’aider. Ne fais pas ça, je le supplie en saisissant sa main. Il retire brusquement sa main et, quand il parle, c’est à nouveau avec froideur et indifférence. – Je n’ai pas besoin de ton aide, Taylor. Je n’en veux pas. Et je n’ai vraiment pas besoin qu’une nana me dise quoi faire. Tu avais raison. On ne devrait pas être ensemble. Il quitte sa chambre sans se retourner, longe le couloir et sort de la maison. Sans hésiter une seule seconde. Il me laisse plantée là, avec tous les souvenirs qu’on a dans cette chambre, alors que mon maquillage coule sur mes joues et que mes cheveux tombent de leur chignon. Conor Fucking Edwards. 31 Conor Quand j’étais petit, à deux maisons de la mienne dans mon vieux quartier, il y avait une fille qui s’appelait Daisy et qui avait à peu près mon âge. Elle restait assise pendant des heures dans l’allée de sa maison, à dessiner sur le ciment avec de petits cailloux ou des bouts de plâtre, parce qu’elle n’avait pas de craie. Quand le soleil rendait l’allée bétonnée brûlante ou qu’il pleuvait si fort que sa peau se fripait, elle nous jetait des objets dessus, quand Kai et moi passions avec nos skates. Des cailloux, des capsules de bouteilles, des déchets en tout genre, tout ce qu’elle avait sous la main. Son père était une ordure, et on supposait qu’elle était comme lui. Puis un jour, depuis le porche de chez moi, je l’ai observée. Je l’ai vue descendre du bus de l’école et frapper à sa porte. Le pick-up de son père était garé dans l’allée et la télé était si forte à l’intérieur que tout le quartier pouvait entendre le journal des sports. Écrasée par son gros sac à dos, la gamine maigrelette a continué à frapper, puis elle a essayé de toquer à la fenêtre, dont les barreaux avaient été arrachés lors d’un cambriolage et n’avaient jamais été remplacés. Elle avait fini par se résigner et ramasser un petit bloc de béton qui avait dégringolé chez elle depuis un immeuble en ruine, en haut de la rue. Ensuite, j’ai vu Kai descendre la rue sur son skate. Il s’est arrêté pour lui parler et se moquer 1 d’elle. Je l’ai regardé faire des donuts sur ses dessins, puis verser sa bouteille de soda dessus et jeter la capsule dans ses cheveux. C’est alors que j’ai compris pourquoi elle s’en prenait à nous quand on passait, elle visait Kai. La fois suivante, quand je l’ai vue seule dans son allée, j’ai ramassé un caillou et je me suis joint à elle. On a fini par partir de chez elle pour explorer les environs. On a observé l’autoroute, perchés dans un grand arbre, et on a compté les avions depuis le toit d’une maison. Un jour, Daisy m’a dit qu’elle partait. Que quand le bus la déposerait, elle allait marcher, aller ailleurs. N’importe où. « Tu pourrais partir aussi », m’a-t- elle dit. Elle avait une magnifique photo du parc Yosemite et elle s’était mis en tête qu’elle irait vivre là-bas, dans un camping, ou quelque chose comme ça. Elle disait qu’ils auraient tout ce dont elle aurait besoin, et que camper ne coûtait rien. On en a parlé pendant des semaines. Ce n’est pas que je voulais vraiment partir, mais Daisy avait désespérément besoin que je parte avec elle. Car ce qu’elle craignait le plus, c’était la solitude. Un jour, elle est montée dans le bus et ses bras étaient couverts de bleus. Elle pleurait, et soudain, tout ça n’était plus un jeu. On n’était plus en train d’inventer une histoire pleine d’aventures, pour occuper le temps entre l’école et la nuit. Quand le bus s’est garé à l’école, elle m’a regardé d’un air plein d’espoir. Son sac à dos semblait plus lourd que d’habitude. Elle m’a dit qu’on partait ce jour- là, à midi. Je ne savais pas quoi lui répondre ; je ne savais pas comment éviter de dire ce qu’il ne fallait pas. Alors, j’ai fait bien pire. Je suis parti. Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai compris que je n’étais bon pour personne. Bon à rien. Certes, j’avais à peine onze ans, et il était évident que je n’allais pas m’enfuir avec un sac à dos et ma planche de skate. Mais j’avais laissé Daisy croire en moi. Je l’avais poussée à me faire confiance. Peut-être que je ne comprenais pas, à l’époque, ce qui se passait vraiment chez elle. Mais je sentais que c’était grave, et je n’ai rien fait pour l’aider. Je n’ai été qu’un prénom de plus dans la liste de gens qui l’ont déçue. Je n’oublierai jamais ses yeux. Je n’oublierai jamais la façon dont j’ai vu son cœur se briser dans son regard. Je le vois encore. Encore aujourd’hui. Mes mains tremblent. Je serre plus fort le volant et je vois à peine la route. Je conduis de mémoire plutôt qu’à vue. Le poids qui écrase ma poitrine depuis plusieurs jours devient insupportable et j’ai du mal à respirer. Quand mon téléphone vibre dans le porte- gobelet, je manque foncer dans les voitures qui viennent d’en face. J’appuie sur le bouton du haut-parleur et réponds d’une voix rauque. – Ouais ? Je m’entends à peine. J’ai des bourdonnements dans la tête comme si j’étais sous l’eau. – Je veux m’assurer que tu viens toujours, dit Kai. Il y a un bruit de fond, des voix et de la musique. Il est déjà au bar de Boston College où on a convenu de se retrouver. – J’arrive. – Tic tac. Je raccroche et jette mon téléphone sur le siège passager. La douleur dans ma poitrine devient insupportable. J’ai l’impression que mes côtes vont se fêler. Je vire brusquement sur le bas-côté et freine aussi fort que possible. Ma gorge se resserre et j’enlève tous mes vêtements jusqu’à me retrouver en marcel, en nage. Je baisse les vitres et j’essaie désespérément d’aspirer de l’air frais. Qu’est-ce que je fous ? Je prends ma tête dans mes mains et lorsque je ferme les yeux, je vois son visage. Son regard déçu. Pas celui de Daisy, la petite fille de mon passé, celui de Taylor, la femme de mon présent. Elle attendait tellement plus de moi, et pas à propos de ce que j’ai fait par le passé. Elle attendait que j’agisse mieux maintenant. Elle m’aurait pardonné de m’être comporté comme un enfoiré cette semaine si j’avais eu la force de prendre la bonne décision quand elle m’en a donné l’occasion. Putain, Edwards. Elles sont où, tes couilles ? Je m’étais promis d’être meilleur pour elle, d’essayer de me voir à travers ses yeux. De me voir comme autre chose qu’un petit délinquant, un loser sans but ou un queutard. Elle m’a trouvé de la valeur, même quand j’en étais incapable. Alors, pourquoi je laisse Kai m’enlever tout ça ? Il n’a pas seulement foutu le bordel dans ma vie, il fait souffrir Taylor. Je devrais être à un fichu bal avec ma copine au lieu d’être garé au bord de la route en pleine crise d’angoisse. Je secoue la tête, dégoûté par moi-même, et je remets mon pull. Ensuite, je saisis le levier de vitesse et m’insère dans la circulation. Pour la première fois de ma vie, je trouve le courage d’avoir du respect pour moi-même. * * * Je m’arrête d’abord chez Hunter. C’est Demi qui m’ouvre avec un air à la fois intrigué et hostile. Je ne sais pas ce qu’elle a appris depuis la dernière fois que j’ai parlé à Taylor ni ce qu’Hunter lui a expliqué lorsqu’il m’a donné le chèque en blanc. Je l’embrasse sur la joue. – Que me vaut cet honneur, espèce de taré ? – Tu avais raison, je réponds en lui faisant un clin d’œil. – Bien évidemment. Mais à propos de quoi ? – Salut, mec, dit Hunter en avançant vers moi d’un pas prudent. Tout va bien ? – Ça ira très bien d’ici peu, je réponds en lui tendant l’enveloppe contenant les dix mille dollars en liquide. Demi la regarde d’un air suspect. – C’est quoi, ça ? Hunter prend l’argent, confus. – Mais pourquoi ? – Réponds-moi, le moine, grommelle Demi en tirant sur la manche d’Hunter. Qu’est-ce qui se passe ? – J’en ai plus besoin, je dis à Hunter en haussant les épaules. Il semble soulagé, et je le comprends. Cela dit, je n’envie pas l’interrogatoire qu’il s’apprête à subir. – Sois indulgente avec lui, je dis à Demi. C’est un bon gars. – Tu veux rester et commander une pizza ? propose Hunter. On traîne ici, ce soir. – Je ne peux pas, je suis en retard à un bal. J’appelle Kai en partant de chez Hunter. Le poids sur ma poitrine s’est déjà allégé, et mes mains sont fermes sur mon téléphone. – Tu es là ? – Je n’ai pas ton fric. – Déconne pas, frangin. J’ai juste à passer un coup de fil et… – Je vais dire à Max que c’était de ma faute, je déclare d’un ton déterminé qui me surprend. D’ailleurs, plus les minutes passent, plus je suis sûr de ma décision. – Je ne t’impliquerai pas là-dedans. Pour l’instant. Mais si tu me rappelles encore une fois, si je sens ta présence dans mon dos, je te dénoncerai. Je ne plaisante pas, Kai. C’est ta dernière chance. Je raccroche puis, prenant mon courage à deux mains, je passe un second coup de fil. 1. Figure de skate où on dessine des cercles avec sa planche. 32 Taylor Je n’ai vraiment aucune envie d’être ici. Sérieusement. J’envisage presque de saisir un couteau sur la table la plus proche et de prendre quelqu’un en otage pour m’enfuir par une fenêtre. Sasha et moi avons adopté un poste stratégique près d’une colonne d’enceintes, dans le but de dissuader quiconque de venir nous parler. Elle a aussi réussi à voler du bon champagne, qu’on boit au goulot sans se soucier qu’il dégouline sur nos robes. On s’amuse trop à regarder Charlotte courir dans tous les sens pour réprimander nos sœurs alors qu’elles twerkent sur leur rencard, sous les yeux horrifiés des sexagénaires invités. On a dû quitter notre poste aux platines, parce que les vieux n’arrêtaient pas de demander à Sasha de passer du Neil Diamond et du ABBA. Quand elle a menacé d’éborgner le suivant avec une fourchette, je l’ai obligée à faire une pause. – Tu devrais aller danser avec Eric, je dis lorsque je le vois sur la piste de danse. Il semble passer un super-moment, en dépit du fait que son rencard l’a délaissé. – Et rater l’occasion de juger tout le monde d’un œil condescendant depuis un coin ? Tu ne me connais pas, ou quoi ? – Je suis sérieuse. Ce n’est pas parce que je me suis résignée à m’apitoyer sur mon sort que tu es obligée de souffrir avec moi. – Bien sûr que si, répond-elle. Tu sais, tu pourrais aussi vider cette bouteille et montrer aux autres que tu twerkes mieux qu’elles. – Je ne suis pas d’humeur. – Oh, allez ! Sasha boit une autre gorgée et s’essuie la bouche avec le bras, qu’elle couvre de rouge à lèvres. – On s’est faites toutes belles et on s’est rasé les jambes. Le moins que tu puisses faire, c’est avoir quelque chose à regretter demain matin. J’ai déjà suffisamment de remords comme ça. Par exemple, au sujet de ma robe. À quoi je pensais, bon sang ? Le tissu noir moulant écrase mes seins, qui ressemblent donc à deux jambons ficelés, et chacun de mes plis déborde de la robe comme un tube de dentifrice qu’on vient de piétiner. Je me sens dégoûtante. Je ne sais vraiment pas pourquoi j’étais aussi excitée en me regardant dans la glace et en imaginant la tête de Conor lorsqu’il me verrait. Ah, mais si, je me souviens, c’est parce que Conor avait réussi à me faire croire que j’étais belle. À me faire croire qu’il ne voyait pas seulement une grosse ni une paire de seins, mais moi. Moi tout entière. Il m’a fait croire que j’étais désirable. Que je méritais son attention. Et maintenant, il ne me reste plus qu’un affreux goût de déception amère dans la bouche. Je suis agacée car je pleure à nouveau, je dis à Sasha que je vais évacuer le champagne. Les toilettes sont remplies de Kappa qui retouchent leur maquillage. Un w.-c. est même occupé par une fille qui vomit pendant que deux de ses copines lui tiennent les cheveux. Dans un autre, Lisa Anderson est en train d’envoyer des SMS à Cory, son désormais ex, tandis que ses sœurs crient et martèlent contre la porte. Je fais pipi et suis en train de me laver les mains lorsqu’Abigail et Jules entrent en riant. Mon estomac se noue quand leurs regards malicieux remarquent les traces de mascara sur mes joues. – Taylor, dit Abigail suffisamment fort pour que tout le monde l’entende. Je n’ai pas vu Conor, ce soir. Il ne t’a pas posé un lapin, si ? Bien évidemment, elle est parfaite. Sa robe à sequins argentés lui va à ravir et pas un cheveu ne dépasse de ses boucles. Elle ne transpire pas et son maquillage ne coule pas. Elle ne peut pas être humaine, en fait. – Oh non, dit-elle en se plaçant derrière moi pour parler à mon reflet. Qu’est-ce qui ne va pas ? Allez, on est sœurs, Tay-Tay, tu peux nous parler. – Alors, il t’a vraiment posé un lapin ? demande Jules d’un ton condescendant, comme si elle parlait à un animal. Oh non, alors que les petites souris ont travaillé toute la journée pour te faire belle pour le bal. – Tu vas être ravie, on a rompu, je rétorque. Abigail éclate de rire et me sourit d’un air sarcastique. – Ben, bien sûr qu’il t’a larguée. Au bout d’un mois, ça cesse d’être drôle et c’est juste triste. Tu aurais dû m’écouter, Tay-Tay. Tu te serais évité cette honte. – Putain, Abigail, mais va te faire foutre ! Un silence de plomb s’abat sur la pièce et je réalise que tout le monde nous regarde. – On a pigé, ok ? Tu n’es qu’une garce misérable qui croit qu’être une pétasse peut compenser son manque de personnalité. Trouve- toi une vie et lâche-moi la grappe ! Je sors des toilettes en claquant la porte. Ma peau est brûlante et je plane en plein délire en retournant dans la salle de bal. Les spots, les basses et les corps en mouvement me donnent le vertige. Mon Dieu, ça m’a fait tellement de bien de hurler sur Abigail que j’ai presque envie d’y retourner. Si j’avais su que ce serait aussi agréable, je l’aurais fait depuis longtemps. Après une demi-bouteille de champagne, mes papilles sont endormies et mon cerveau semble être au ralenti aussi, donc je vais au bar pour commander une eau gazeuse. – Taylor, dit une voix derrière moi. Salut. J’ai failli ne pas te reconnaître. Un mec s’accoude au bar à côté de moi. Je lève la tête vers lui et mets un moment à réaliser que c’est Danny, un des géants de chez Malone’s. Il est plutôt pas mal, en costard. – Rends-moi service, je lui réponds en prenant le verre que me tend le barman. Ne crame pas ma couverture. Je suis incognito. – Ah ouais ? répond Danny en commandant une bière tout en se rapprochant. Tu veux te faire passer pour qui ? – Je n’ai pas encore décidé. Il éclate de rire, faute de savoir quoi répondre. J’avoue que je ne sais pas quoi dire non plus. Ces derniers temps, je ne fais plus la différence entre moi-même et le rôle que j’incarne pour plaire aux autres. J’ai l’impression d’essayer de satisfaire des attentes qui deviennent chaque jour un peu plus impossibles. Je ne parviens jamais vraiment à incarner l’image que je me suis inventée, et j’ai de plus en plus de mal à savoir d’où m’était venue l’idée originelle. Les gens disent qu’on vient à la fac pour se trouver, moi, je suis chaque matin un peu plus méconnaissable. – Je voulais dire que tu es ravissante, dit-il timidement. – Tu es venu avec qui ? – Oh non, avec personne. Mes parents ont été invités par leurs amis, les parents de Rachel Cohen, donc on m’a dit de venir aussi. Il boit une gorgée de bière d’un air gêné, et je peux presque voir sur son visage le moment où il décide de foncer. – Tu sais, je voulais te dire quelque chose, l’autre soir. Enfin, j’aurais dû, mais j’ai eu l’impression que tu avais un mec ? Ah. – Ouais, non, c’était… pas sérieux. – Dans ce cas, ça ne serait pas un problème que je t’invite à sortir, un de ces quatre ? Je croise le regard de Sasha de l’autre côté de la salle, son regard s’illumine, je comprends qu’elle approuve. Elle hoche la tête pour dire « fonce », puis elle saisit la main d’Eric et ils viennent vers nous. Je ne sais pas comment répondre à la question de Danny sans donner l’impression que je m’engage, donc je gagne du temps en buvant une gorgée pendant que Sasha marche vers nous. – Vous vous êtes trouvés, dit-elle d’un ton beaucoup trop enthousiaste avant de m’offrir un sourire narquois, comme si elle voulait me punir. Et aucun de vous n’a de rencard, donc c’est parfait ! – En fait, je réponds, je pensais aller… – Tu me dois encore une danse, dit Eric à Sasha, qui me prend par la taille pour m’empêcher de m’enfuir. – Taylor adore danser. Je vais la tuer dans son sommeil. – Tu veux danser ? Danny, l’adorable, le timide. Il me tend la main comme on le voit dans les films, et je sais qu’il pense bien faire. Et comme mes choix se limitent à m’enfuir ou voir Sasha faire une scène, j’accepte son invitation. Nous marchons donc tous les quatre vers la piste de danse. Heureusement, c’est un morceau rythmé, donc Danny n’est pas obligé de se scotcher à moi. On commence à danser tous les quatre, mais je comprends vite qu’Eric et Sasha cherchaient une occasion de se bécoter, et je me retrouve à danser avec un gratte-ciel qui n’a pas conscience de la taille de ses pieds. Cela dit, je dois avouer que je ne fais rien pour l’aider. – Danse avec lui, chuchote Sasha dans mon oreille sans complètement quitter les bras d’Eric. – C’est ce que je fais. Elle me pousse vers lui, l’obligeant à me rattraper. Le sourire de Danny me dit qu’il pense que c’était un moyen discret de lui dire « je t’en supplie, tiens-moi fort » – ce qu’il ne manque pas de faire. Je me crispe, mais il ne semble pas le remarquer. Sasha cherche à nouveau mon regard, et le sien me dit « fais un effort, bon sang ! ». Mais je ne peux pas. Je n’ai qu’une chose en tête, c’est Conor et Kai. Est-ce qu’il lui a donné l’argent ? Est-ce qu’il va bien ? Ce n’est pas que je ne pense pas Conor capable de se débrouiller tout seul, mais… et si quelque chose avait mal tourné ? Dix mille dollars, c’est une grosse somme à avoir sur soi. Il a pu être arrêté par les flics, ou pire. Son rendez-vous a pu mal tourner de cent façons différentes, et je n’ai aucun moyen de savoir s’il va bien. Si je l’appelais, il ignorerait mon appel et je reviendrais au point de départ, où je m’inquiète pour lui. Je me dis soudain que j’aurais pu faire plus. J’aurais dû parler à ses colocs ou à Hunter. Ou j’aurais pu l’accompagner. Merde, pourquoi je ne l’ai pas fait ? S’il arrive quelque chose à Conor, je ne me le pardonnerai jamais. Je viens de décider de passer un coup de fil lorsque j’entends un grognement de mise en garde et que Danny et moi sommes brusquement séparés. 33 Taylor – Qu’est-ce qui te prend, mec ? dit Danny en s’interposant face à l’intrus, alors que je reste plantée là, à cligner bêtement des yeux. Hein ? Qu’est-ce que Conor fait ici ? – Tu peux partir, répond Conor d’un ton froid et ferme. Il est en costard. – Je te demande pardon ? Il fait un pas en avant et, s’il est plus grand que Conor, il paraît léger à côté des épaules massives de Conor. – Tu m’as entendu, grogne Conor. La tension qu’il dégage est palpable et sa colère est impossible à ignorer. – Merci, mais tu peux partir. – Eh, dit Eric en se plaçant à côté de son coéquipier. Je ne sais pas qui tu es, mais tu ne peux pas… – Je suis son mec, rétorque Conor sans me quitter des yeux. – Taylor ? C’est ton mec ? Je regarde brièvement Danny avant de me concentrer à nouveau sur Conor. Il est là, en costume, les cheveux coiffés en arrière, sous les lumières colorées… j’ai l’impression de le rencontrer pour la première fois. Je suis soudain frappé par le magnétisme de cet homme. Cette dernière semaine, j’ai été si occupée à lui en vouloir que j’ai oublié combien il était canon. Suffisamment canon pour que presque toutes les femmes de la pièce le regardent. Il y a même quelques anciennes élèves qui le reluquent, profitant du fait que leurs maris ont passé la soirée à mater des étudiantes de vingt ans. – Qu’est-ce que tu fais là ? Sasha saisit ma main. Je ne sais si c’est pour me soutenir ou parce qu’elle compte m’accompagner si je décide de m’enfuir en courant. – Tu m’as invité, répond-il. – Et tu m’as larguée, je lui balance, furieuse. Ton invitation a été annulée, tu n’as pas le droit de me dire avec qui je peux danser. – Tu plaisantes, j’espère, grogne-t-il en empoignant ma main pour me tirer en avant. Comme une idiote, je lâche la main de Sasha. – Qu’est-ce que tu fais ? Il me serre fort contre lui et j’ai l’horrible sensation que mon corps se souvient du sien, même si ma tête fait tout pour l’oublier. – Je danse avec toi. – Je n’ai pas envie de danser. Il n’empêche que je fonds contre lui. Non pas parce que c’est ce qu’il veut mais parce que, malgré ma colère et ma peine, je ne peux pas m’empêcher de fondre dans ses bras. Avec lui, c’est naturel. Je regarde par-dessus mon épaule et cherche le regard de Danny. Je ne sais s’il comprend combien je suis désolée, mais il hoche tristement la tête. Danny l’adorable, le timide. La vie serait tellement plus simple si mon cœur s’emballait pour lui, mais ce n’est pas le cas. Parce que la vie est injuste. – Il faut qu’on parle, dit Conor. – Je n’ai rien à te dire. – Tant mieux, dans ce cas, ce sera plus facile, répond-il en me guidant au rythme de la musique. Il bouge, et je bouge avec lui. Ce n’est pas que j’entends la musique, c’est plutôt que je sens son intention. C’est un échange puissant, fervent et passionné, comme si nos corps se démenaient pour se retrouver. – Je suis désolé, Taylor. Pour tout. De t’avoir ignorée et de t’avoir plantée ce soir. Ce n’est pas ce que je voulais. – Tu es parti, je réponds d’un ton grinçant, déversant toute la colère que j’ai accumulée cette semaine. Tu m’as tourné le dos. Il hoche la tête, tristement. – J’avais honte. Je ne savais pas comment te parler de ce qui m’arrivait. – Tu as rompu avec moi. Mon accusation reste suspendue dans les airs et, alors que nos corps se touchent et que nos regards sont verrouillés, il y a encore une distance entre nous. Comme si nous étions séparés par les regrets et les trahisons. – Je me suis senti acculé. Je ne savais pas quoi faire d’autre. – Tu n’es qu’un enfoiré, je siffle alors que je bous de rage après tout ce qu’il m’a fait endurer. Ce n’est pas parce que tu es là et que tu es canon en costard que ça change quelque chose. – Tu es superbe, ce soir. – Tais-toi. – Je le pense, insiste-t-il en pressant ses lèvres sur ma gorge, me rappelant la dernière fois qu’on était ensemble. Dans mon lit. Sa bouche, sa peau nue contre la mienne. – Arrête ! je gronde en le repoussant puisque je ne peux pas réfléchir quand il me touche. Ni respirer, d’ailleurs. – Tu m’as jetée comme une vieille chaussette et ça n’a pas eu l’air de te poser de problème. C’est ce que tu as choisi de faire plutôt que de me parler. Tu as préféré me perdre plutôt que de me dire la vérité. J’ai eu l’impression d’être une merde, Conor. – Je sais, T. Soudain, je réalise que les gens ont cessé de danser pour nous regarder, et je me retiens de courir me cacher sous une table. – Je ne lui ai pas donné l’argent, Taylor. – Quoi ? – J’étais presque arrivé à Boston, mais je n’arrêtais pas de penser à toi, j’ai fait demi-tour. Je ne pouvais pas aller jusqu’au bout en sachant ce que c’était en train de nous faire, admet-il d’une voix tremblante. Parce que le pire, dans tout ça, le pire que je pouvais faire, c’était de perdre ton respect. Plus rien ne compte, si je sais que tu me détestes. – Si c’était vrai… – Putain, T, j’essaie de te dire que je t’aime. Tout à coup, sans prévenir, il s’empare de ma bouche pour m’embrasser et il déverse tous ses remords et ses certitudes dans le baiser. J’ai enfin l’impression de retrouver l’équilibre. Le monde n’est plus à l’envers. Quand on est séparés, la terre tourne dans le mauvais sens, Conor me stabilise et m’empêche de tomber. Lorsque nos bouches se quittent, il pose une main sur ma joue et la caresse avec son pouce. – Je suis sincère. Je suis fou amoureux de toi. J’aurais dû te le dire plus tôt. J’accuserais bien les commotions cérébrales à répétition, mais je suis navré de dire que j’étais juste débile. Je suis désolé. – Je t’en veux encore, j’insiste d’un ton légèrement moins énervé. – Je sais, répond-il en souriant. Je suis prêt à tout faire pour me faire pardonner. Du coin de l’œil, un mouvement attire mon attention et je tourne la tête vers Charlotte, qui marche vers nous d’un pas déterminé. – Eh bien, tu as causé une scène et tout le monde nous regarde, je dis à Conor. Donc tu peux commencer par nous sortir d’ici dès que possible. Conor étudie la piste de danse et regarde les Kappa et leurs rencards ainsi que les têtes outrées des anciens élèves. C’est alors qu’il leur adresse un sourire ravageur. – Le spectacle est fini, Mesdames, Messieurs, bonne nuit. Il prend ma main dans la sienne et, ensemble, nous marchons vers la sortie. J’ai toujours détesté les fêtes, de toute façon. 34 Conor Nous allons chez Taylor, et, à tour de rôle, l’un s’assied pendant que l’autre se lève. Taylor essaie d’abord le canapé, mais elle a trop à dire et ça ne semble pas vouloir sortir dans l’ordre tant qu’elle ne fait pas les cent pas dans son salon. Je prends donc sa place sur le canapé, mais trop d’adrénaline coule dans mes veines, donc je me lève et me mets dans un coin, d’où j’essaie de deviner si elle peut encore m’aimer ou si je l’ai perdue pour de bon. – J’ai passé toute la semaine à essayer de comprendre pourquoi tu te comportais comme ça, dit-elle. Et sans aucune aide de ta part, j’ai imaginé les pires scénarios au monde. – Je comprends, je réponds en baissant les yeux. – J’ai imaginé que j’étais un pari, ou que tu m’avais enfin vue à poil et que tu t’étais dit « ouais, non ». Ou si tu testais si tu pouvais me faire du mal. – Je ne ferais jamais… – Donc, tu dois comprendre que même si désormais je connais la vérité, j’ai déjà vécu tous ces scénarios dans ma tête. J’ai conscience qu’ils ne se sont pas produits, mais d’une certaine façon, si, tu vois ? Dans mon cœur, tu m’as larguée parce que je ne voulais pas baiser avec toi, parce que tes potes t’avaient mis au défi d’y parvenir ou parce que t’avais rencontré quelqu’un d’autre. J’ai vécu un enfer parce que tu étais trop lâche pour communiquer avec moi. – Je sais, je dis en mettant mes mains dans mes poches, les yeux rivés au sol. Maintenant que le mal est fait, je réalise que peu importe ce qu’on fait pour se faire pardonner, on a parfois fait trop de mal pour changer la donne. Il y a une limite à ce qu’on peut demander à quelqu’un d’endurer. Et je suis terrifié à l’idée que Taylor ait atteint cette limite. – Tu dois faire mieux que ça, Con’. Je te crois quand tu dis que tu es désolé, mais j’ai besoin d’être sûre que je ne vais pas revivre ça. Je me racle la gorge pour essayer de la dénouer. – Je ne voulais pas que tu connaisses cet aspect de moi. Je suis venu à Briar pour être meilleur. Et pendant un moment, j’ai cru avoir échappé à mon passé. J’ai été si doué pour me convaincre que j’avais tourné la page que j’ai arrêté de regarder par-dessus mon épaule. Putain, j’ai même commencé à croire que j’avais changé. Et à un moment donné, j’ai oublié pourquoi j’avais appris à maintenir les gens à distance. Et puis… tu as débarqué. Je ne t’ai pas vue arriver, Taylor. C’était un mauvais timing, pour nous, mais je ne regrette rien. – Qu’est-ce qui s’est passé ? – Pardon ? – Ce soir. Tu as pris l’argent et tu m’as plantée chez toi. Il s’est passé quoi, après ? J’ai du mal à déchiffrer son expression parce qu’il fait sombre chez elle. Elle a allumé la lumière dans l’entrée, mais pas celle du salon. On semble tous les deux avoir trop peur de se regarder, comme si on préférait se tapir dans l’ombre. La lumière orangée du lampadaire de la rue traverse les lames de son store et dessine des rayures sur sa robe noire. Je décide de me concentrer sur ces lignes pendant que je lui explique tout. Ma crise d’angoisse sur le bas-côté de la route, mon appel à Kai pour lui dire qu’il n’aurait pas son fric et le fait que j’ai rendu l’argent à Hunter. – Et quand je suis parti de chez Hunter, j’ai appelé ma mère. Je lui ai demandé de mettre le haut-parleur et d’appeler Max. Ça a mal commencé, parce qu’ils ont cru que j’étais à l’hôpital, ou un truc du genre. Taylor s’appuie contre le mur face au mien. – Comment ça s’est passé ? – Je leur ai tout dit. Je leur ai dit que j’étais désolé, que j’avais merdé et que j’aurais dû tout leur avouer il y a longtemps, mais que j’avais peur et que j’avais honte. On en est restés là. Ma mère était choquée et déçue, bien sûr. Max n’a pas dit grand-chose. Il y aura des répercussions, c’est sûr. Pour l’instant, je pense qu’ils digèrent la nouvelle. Je ne mentionne pas la possibilité que Max arrête de payer mes frais de scolarité ni que ma mère me rapatrie en Californie. D’ailleurs, si le doyen de Briar savait que j’avais orchestré le cambriolage de ma propre maison, je serais viré de la fac, à coup sûr. Après toute cette souffrance, il y a encore mille moyens par lesquels je pourrais perdre Taylor, ma famille, mon équipe, et tout ce que j’ai entrepris de construire. Mais je n’en mériterais pas moins. – J’ai de sérieuses réserves après que tu m’as menti à propos de quelque chose de si gros, et pendant si longtemps, dit Taylor. – Je comprends. – Et ça me fait encore mal de savoir que tu m’as fait souffrir pour cacher ton erreur. – Tu as raison. – Mais je crois que tu mérites que je me repenche sur ton cas. Elle marche lentement et timidement vers moi. Elle est à couper le souffle dans cette robe moulante, avec son maquillage sexy et sa coiffure élaborée. Ça me fend le cœur qu’elle ait fait tout cet effort pour ce soir et qu’elle n’ait pas pu en profiter à cause de moi. – Tu as fait une dizaine de mauvais choix, mais tu as fini par faire le bon. Ça compte pour quelque chose. – Alors… qu’est-ce que ça veut dire ? – Je dirais que tu mérites un C moins. – Ah… J’ai quand même la moyenne ? Taylor lève son pouce et son index, séparés par deux millimètres à peine. – Ça me va, je déclare en soupirant. Elle est enfin devant moi et elle promène ses mains sur le col de ma veste. – Tu avais l’air jaloux, au gala. – Si ce mec te touche encore, je lui briserai la main, je rétorque sans hésiter. – On avait rompu. Chaque fois qu’elle prononce ces mots, ma plaie saigne un peu plus. – Je suis un abruti. Mais ce type est suicidaire s’il envisage de te choper. Taylor esquisse un sourire et la tension qui m’étouffe depuis des jours se dissipe enfin. Si je la fais encore rire, peut-être qu’il reste un peu d’espoir. – C’était assez sexy, dit-elle d’un ton pensif en penchant la tête sur le côté. – Ah oui ? J’ai de moins en moins l’impression qu’elle va me jeter. – Oui, carrément. Je ne suis pas une de ces personnes ultra-matures qui pensent que la jalousie est un défaut. Et si c’en est un, c’est mon préféré. Je m’autorise enfin à sourire. – Je tâcherai de m’en souvenir. – Ouais, tu sais, le mec d’Abigail est constamment en train de mater mes seins, donc si jamais tu as envie de faire des donuts sur la pelouse de sa fraternité, ce n’est pas moi qui t’en empêcherai. – Putain, je t’aime. Cette fille me fait rire comme personne, même dans une situation tendue. Surtout dans les pires situations, d’ailleurs. – À ce propos… Elle joue avec les boutons de ma chemise et fronce un instant les sourcils. – Je le pense. De tout mon cœur. Je ne mentirais jamais à ce sujet. – Tu m’aimes. Je ne sais pas si c’est une question ou une déclaration, mais je choisis de la rassurer, quoi qu’il en soit. – Je t’aime, T. Je ne sais même pas à quel moment je l’ai compris. Peut-être quand je me suis garé sur le bas-côté, peut-être sur le trajet du retour. Ou peut-être quand je tremblais tellement que je n’arrivais pas à nouer cette fichue cravate. Parce que j’étais pressé de te retrouver, parce que chaque minute était une minute de plus où tu pensais que je me foutais de toi, et ça me tuait. Et j’ai su que je t’aimais. Elle lève la tête vers moi et me regarde derrière ses longs cils épais. – Montre-le-moi. – Je le ferai, promis. Si tu me donnes une chance de te… – Non, dit-elle en glissant ses mains sous ma veste pour l’enlever et la laisser tomber par terre. Montre-le-moi. Il me suffit de la voir se mordre la lèvre pour comprendre. Je la prends dans mes bras et plaque ma bouche à la sienne. Si on a commis des erreurs en tant que couple, l’alchimie entre nous n’a jamais cessé d’exister. Quand on s’embrasse, tout me paraît simple. Lorsqu’elle est dans mes bras, je vois l’avenir et tout ce qu’on pourrait être ensemble. Taylor entoure ma taille avec ses jambes pour que je la porte dans sa chambre. Je m’assieds sur le bord de son lit, elle s’installe sur mes genoux et plonge ses doigts dans mes cheveux, griffant légèrement ma nuque, faisant s’embraser mon sang. Je suis dur comme fer, je meurs d’envie de lui arracher sa robe, mais je sais que je dois y aller doucement. Sinon, je risque de la perdre. Aussi je glisse mes mains sur l’extérieur de ses cuisses pour remonter sa robe sur ses hanches. Elle lève les fesses pour m’y encourager et je sens bientôt la peau nue de ses fesses et la dentelle de sa culotte. Elle avait prévu quelque chose, pour ce soir. – Tu m’as manqué, je chuchote. Ça fait trop longtemps que je ne l’ai pas regardée. Je crois qu’une part de moi se servait de Kai et de ma peur de tout avouer à Taylor comme excuse pour ne pas m’avouer l’importance de mes sentiments pour elle. Après tout, si mes sentiments n’étaient pas réels, je n’avais rien à perdre. Si Taylor me quittait, je n’avais pas à trouver un moyen d’être digne d’elle. – Ça m’a manqué aussi, dit-elle en sortant ma chemise de mon pantalon. Elle commence à la déboutonner, puis elle défait ma cravate. – Bon sang, ce que tu es beau, chuchote-t-elle en caressant mon torse nu. – Toi tu es sublime, je réponds en toute sincérité. Chaque fois que je lui dis qu’elle est belle, elle rougit ou elle lève les yeux au ciel. Je comprends, en fait. De la même façon que je ne croyais pas avoir encore une chance d’être quelqu’un de bien, Taylor ne peut se percevoir comme je la vois. Elle a besoin que quelqu’un l’aide, et je ferai tout pour ça. – Je ne cesserai pas d’essayer de t’en convaincre. – Tant mieux, parce que je ne veux pas que tu arrêtes. Elle m’embrasse sur la bouche puis se lève et me tourne le dos. – Aide-moi. Mon cœur bat la chamade, je défais lentement sa fermeture Éclair et la regarde enlever sa robe. Je sais qu’elle est nerveuse d’être nue devant moi, donc je ne lui laisse pas le temps d’être mal à l’aise. Je la prends dans mes bras et la ramène sur le lit, où je l’allonge sur les oreillers en m’installant entre ses jambes. Elle entoure ma taille avec une jambe pendant que je lui enlève son soutien-gorge pour empoigner ses seins. Ma bouche continue de descendre, de ses tétons jusqu’à son ventre, et mes mains s’occupent de baisser sa culotte. Je sais qu’elle s’apprête à jouir quand je la sens agripper la couette et planter ses ongles dans le matelas. Son corps se met à trembler et elle se cambre. Je glisse deux doigts en elle, et me mets à genoux pour la regarder se laisse aller. Je n’ai jamais rien vu d’aussi excitant. Elle étouffe son gémissement en se mordant la lèvre tandis que son sexe se contracte sur ma main. – C’est ça, bébé, je dis en savourant la vue de ses joues rouges et de ses seins rosés, me délectant des gémissements rauques qui quittent ses lèvres. Alors que mes doigts sont toujours en elle, Taylor m’attire à elle pour m’embrasser en cherchant à défaire ma braguette. – J’ai envie de toi. Elle parvient à défaire le bouton de mon pantalon puis à le baisser sur mes cuisses. Je souris jusqu’aux oreilles en la voyant aussi impatiente. Je me débarrasse donc de mon pantalon et de mon boxer et, dès que je suis nu, Taylor empoigne mon bassin pour le rapprocher du sien. Elle chuchote alors les trois mots les plus sexy que j’aie eu la chance d’entendre. – Je suis prête. Je cherche son regard. – Tu es sûre ? Tu sais que tu n’es pas obligée de faire ça ce soir, n’est-ce pas ? Je le pensais, la dernière fois, je ne suis pas pressé. Elle tend la main et sort un préservatif du tiroir de sa table de chevet. – J’en suis sûre. Nos bouches s’emparent à nouveau l’une de l’autre, mais je ne sais pourquoi, ce baiser est différent. C’est comme si on apprenait à se connaître pour la première fois. Je m’appuie sur un bras et me sers de ma main libre pour dérouler le préservatif sur ma verge. – Mais, vas-y doucement, dit-elle quand je m’installe à nouveau entre ses cuisses. – Je te le promets, je réponds avant d’embrasser l’adorable grain de beauté au coin de sa bouche. Je la sens crispée des pieds à la tête. – Détends-toi, ma belle. Je vais prendre soin de toi. Elle respire calmement. Son corps ramollit contre le mien et, aussi lentement que possible, je me glisse en elle. Je serre les dents et laisse à chaque fois le temps à son sexe de s’ajuster avant de m’enfoncer un peu plus. À peine un peu. Juste assez pour qu’on ait tous les deux besoin de prendre une profonde inspiration. – Ça va ? Elle hoche la tête et m’offre un regard scintillant de confiance, de désir, d’excitation. Elle inspire à nouveau, puis elle saisit mes hanches et me tire vers elle. Elle est parfaite. Elle est chaude, étroite, et son sexe se contracte à chaque va-et-vient de mon bassin. Mais c’est bien plus que ça. Elle promène ses ongles sur mon dos et je frémis. Elle lèche mon cou et j’oublie tout en dehors de sa voix, de son goût. J’oublie où je suis, et qui je suis. Il n’y a plus que nous, en cet instant, figés dans le temps et l’espace. Il n’y a plus que sa douceur et son souffle chaud sur ma peau. Hélas, mon orgasme arrive trop vite. J’ai envie que ça dure, pour elle, mais je prends tellement de plaisir chaque fois qu’elle se cambre que je ne peux pas me retenir. – Bébé, je gronde. – Mmm ? Son visage affiche un tel plaisir que je suis à deux doigts de jouir sur-le-champ. – Je te promets que je passerai chaque seconde de cette relation à te faire grimper aux rideaux et à te faire jouir des centaines de milliers de fois, mais là… Je pousse un grognement dans son cou et mes allers-retours accélèrent de façon erratique. – Là… j’ai besoin de… Mon orgasme est si puissant que je vois des étoiles et m’effondre contre son corps parfait. Lorsque je reviens à moi, je me retire et jette le préservatif dans la petite poubelle à côté de sa table de chevet. Je m’allonge sur le dos et prends Taylor dans mes bras pour caresser ses cheveux soyeux. Après quelques minutes dans cette position, elle lève la tête et dépose un baiser délicat au coin de ma bouche. – Je t’aime aussi. 35 Taylor Je suis en train de me rendre à l’école primaire quand Sasha m’envoie un message. Un truc du genre « eh, meuf, à l’occasion, retire cette crosse de ta bouche pendant cinq secondes et écris-moi ». C’est sa façon à elle de me dire que je lui manque. J’endosse l’entière responsabilité pour le peu de temps qu’on a passé ensemble, ces derniers jours. Depuis que je me suis réconciliée avec Conor, nous nous sommes vus tous les jours, cette semaine. On est en mai, les partiels sont dans deux semaines, et j’ai un peu honte d’admettre que mes révisions avec Sasha à la maison Kappa se sont transformées en rendez-vous chez moi avec Conor, où on finit à poil après avoir en vain essayé d’étudier. Je découvre que le sexe est super. J’adoooore le sexe. Surtout le sexe avec Conor. Je découvre également que le sexe est terriblement distrayant. J’ai beau essayer, je suis incapable de me concentrer sur ma lecture quand il commence à m’arracher mes vêtements. Cependant, je suis quand même allée à la maison Kappa pour l’élection qui, sans surprise, a été remportée par Abigail. On aurait pu croire qu’elle avait été élue à vie juge de la Cour suprême, tellement elle avait l’air heureuse. Je ne serais pas surprise qu’elle affiche des portraits d’elle chevauchant des dauphins dans chaque pièce de la maison. Sasha et moi étions deux des quatre votes contre elle. Je suis de nature pessimiste et, pourtant, je pensais quand même que la résistance comptait plus de membres. Je suppose qu’on va toutes devoir s’habituer à courber l’échine devant notre nouvelle chef suprême. L’idée que je vais passer toute une année sous les ordres d’Abigail me donne la nausée. Le vote a beau être confidentiel, elle sait pertinemment qui a voté contre elle. Et je suis sûre qu’elle va me le faire payer. Je ne sais pas encore comment mais, connaissant Abigail, ce ne sera pas beau à voir. J’ai envisagé de quitter la sororité, mais j’y ai consacré trop de temps et d’efforts pour abandonner maintenant. Au moins, j’ai Sasha comme alliée. Et puis, en étant Kappa, on a un carnet d’adresses et des contacts professionnels pour la vie. Je ne me suis pas inscrite ici pour gâcher mon avenir si près du but. Donc… encore une année. Et si Abigail nous emmène droit dans le mur, Sasha et moi pourrons commencer l’insurrection. Je suis avec les CP de Mme Gardner et j’aide les enfants avec les collages qu’ils font sur les livres qu’ils ont lus cette semaine. La classe est rarement aussi silencieuse. Ils sont tous concentrés en train de découper des photos dans de vieux magazines et de les coller sur leurs grandes affiches cartonnées. Je remercie le ciel d’avoir des bâtonnets de colle, je n’ai eu à rincer les cheveux que d’une seule fillette, aujourd’hui. Mme Gardner a banni la colle liquide après une catastrophe qui a eu pour conséquence trois coupes de cheveux en urgence. Je ne comprendrai jamais comment les enfants trouvent toujours de nouveaux moyens pour se coller – littéralement – les uns aux autres. – Mademoiselle Marsh ? dit Ellen en levant la main. – C’est très bien, je dis en traversant la pièce jusqu’à son bureau. – Je ne trouve pas de souris. J’ai cherché partout. Il y a une pile de magazine et de pages déchirées à ses pieds. Cela fait un mois que Mme Gardner et moi arpentons Hastings à la recherche de vieux magazines. Heureusement, nous trouvons toujours quelqu’un qui cherche à se débarrasser de trente ans de National Geographic. Le problème, quand on a plus de vingt élèves qui lisent une histoire de souris, c’est que le stock de photos de rongeurs n’est pas infini. – Et si on dessinait une souris sur du papier coloré ? – Je suis nulle en dessin, répond-elle en faisant la moue et en laissant tomber un autre tas de pages par terre. Je la comprends. Quand j’étais petite, j’étais perfectionniste aussi et j’avais tendance à toujours me critiquer. J’élaborais des choses grandioses dans ma tête et je pétais un câble quand je n’arrivais pas à concrétiser mon idée. D’ailleurs, j’ai été bannie de plusieurs cours de céramique à Cambridge. Je n’en suis pas particulièrement fière. Je décide de lui mentir : – Tout le monde peut être doué pour le dessin. Ce qu’il y a de plus beau dans l’art, c’est que tout le monde est différent. Il n’y a pas de règles, j’explique en dessinant quelques formes simples sur des feuilles de papier coloré. Tu vois, tu peux faire une tête en triangle et un corps ovale, avec des petites oreilles et des pattes, puis tu découpes le tout et tu les colles pour en faire une souris. Ça s’appelle de l’art abstrait, et on en voit partout dans les musées. – Est-ce que ma souris peut être violette ? demande Ellen, vêtue de violet de la tête aux pieds. – Elle peut être de la couleur que tu veux. Ravie, elle se met à l’œuvre avec ses crayons. Je fais le tour des enfants quand quelqu’un frappe à la porte. Je tourne la tête et vois Conor regarder par la fenêtre. Il devait passer me prendre, aujourd’hui, mais il est un peu en avance. Je marche vers la porte et l’entrouvre légèrement. – Désolé, dit-il en balayant la salle des yeux. J’étais super-curieux de voir de quoi tu avais l’air dans une salle de classe. Il a été de bonne humeur toute la semaine, il s’est remis à sourire et est plein d’énergie. J’aime le voir comme ça, même si je sais que ça ne peut pas durer. Personne n’est heureux à ce point pendant très longtemps. Mais ça ne me dérange pas. J’aime le Conor ronchon, aussi. Il n’empêche que je prends plaisir à savoir que je suis une des raisons de son humeur radieuse. Surtout à cause du sexe, je suppose. – Est-ce que je suis différente ? Conor me reluque des pieds à la tête pendant un long moment. – J’aime tes vêtements de prof. Il est vrai qu’en début d’année, j’y ai été un peu fort avec mon look Zooey Deschanel, avec mes jupes rétro à plis et mes fringues de couleurs primaires. Je suppose que dans ma tête, c’est le rôle que je voulais jouer. Car il est important d’avoir confiance en soi quand on entre dans une salle remplie de vingt petits monstres. – Ah ouais ? – Mmm-hmmm… Il se lèche les lèvres et met ses mains dans ses poches, un geste qui, je l’ai appris récemment, sert à cacher un début d’érection quand il a des pensées cochonnes. – Tu vas garder cette tenue quand on rentre à la maison ? À la maison. Ce mot est entré peu à peu dans notre vocabulaire. Que ce soit chez lui ou chez moi, pour quelques heures ou pour la nuit, c’est toujours « la maison ». La distinction entre mon espace et le sien est devenue parfaitement floue. – Mademoiselle Marsh ? dit une fillette. Est-ce que c’est votre petit copain ? Le reste de la classe répond par des « ooooh » et des éclats de rire. Heureusement Mme Gardner n’est pas là, sinon j’aurais dit à Conor de partir tout de suite. Mon évaluation approche à grands pas et je ne veux pas qu’elle pense que je ne me concentre pas à fond sur les enfants. – Ok, je dis à Conor, sors d’ici avant que Mademoiselle Caruthers, dans la classe à côté, n’appelle la police. – Je t’attends dehors. Il m’embrasse sur la joue et fait un clin d’œil aux enfants qui nous regardent. – Va-t’en, je gronde en réprimant un sourire, tout en lui claquant la porte au nez. – Mademoiselle Marsh a un copain ! Mademoiselle Marsh a un copain ! chantent les enfants, de plus en plus excités. Mince, s’ils continuent comme ça, Mademoiselle Caruthers va débouler et se plaindre du bruit. Je plaque mon index sur ma bouche et lève mon autre main. Un par un, les enfants m’imitent, jusqu’à ce qu’ils soient tous à nouveau silencieux. Je suis la femme qui murmure à l’oreille des enfants. – Mme Gardner va bientôt revenir, et la cloche va sonner. Vous avez intérêt à avoir fini vos collages, sinon il n’y aura pas de smileys joyeux au tableau, aujourd’hui. À ces mots, ils baissent tous la tête et se concentrent sur leurs affiches. Ils savent que s’ils gardent leur attitude positive encore quelques jours, ils auront droit à une fête avec des pizzas. Quant à moi, je ne suis plus qu’à quelques jours de réussir mon évaluation si je parviens à les maintenir d’humeur docile. Finalement, nous sommes tous des esclaves du système. * * * Je ne sais pas quelle mouche a piqué Conor, aujourd’hui, mais même sur le trajet pour aller chez lui, il n’arrête pas de me tripoter. Il conduit d’une main en glissant l’autre sous ma jupe, le long de ma cuisse, je serre les dents en essayant de ne rien montrer au mec à moto qui s’arrête à côté de nous au feu rouge. – Regarde la route, je dis tout en ouvrant davantage mes cuisses et en m’affaissant dans mon siège. – C’est ce que je fais, répond-il en titillant mon clitoris à travers ma culotte. – Tu es censé avoir les deux mains sur le volant… J’ai désespérément envie de sentir ses doigts en moi. J’en ai tellement envie que je suis crispée des pieds à la tête. Je ferme les yeux en m’imaginant chevaucher sa main pendant qu’il prend mes tétons dans sa bouche. – C’est impossible, quand tu es dans le siège passager. Quand on arrive chez lui, on se précipite dans sa chambre. Ses colocs ne sont pas encore rentrés, donc, on a peut-être le temps de batifoler avant qu’ils ne débarquent. Dès que Conor a fermé sa porte, il me plaque contre le mur et défait le premier bouton de mon gilet. Il ne l’ouvre pas complètement, juste assez pour l’écarter sur ma poitrine. Je l’admets : j’ai mis ce pull aujourd’hui parce que je sais qu’il lui plaît. Conor lèche et embrasse ma clavicule, puis il baisse lentement le balconnet de mon soutien- gorge et expose mon sein tout en massant l’autre. Il lèche mon téton, le suce, et je gigote sur place, désespérée de le sentir en moi. J’entoure sa taille avec une jambe et me frotte à sa verge dure et épaisse. – Tu es tellement bonne, marmonne-t-il en baissant davantage mon soutif pour sucer mon autre téton. Il se plaque contre moi, je sens qu’il ouvre son jean et le baisse juste assez pour libérer son sexe. – J’ai une capote dans ma poche. Je la trouve, l’ouvre et la lui enfile. Il s’empare alors de ma bouche et m’embrasse langoureusement tout en poussant ma culotte de côté, et un gémissement joyeux et soulagé m’échappe quand il me pénètre. Conor me baise contre le mur, d’abord lentement pour qu’on s’habitue tous les deux à la position, puis plus vite et plus fort. Je plonge mes mains dans ses cheveux et plante mes ongles dans sa nuque pour m’accrocher à lui. Il passe un bras sous mon genou et remonte ma jambe pour m’ouvrir davantage à lui, et chacun de ses va-et- vient génère une explosion de plaisir qui parcourt mes veines avec une puissance féroce. Je perds le contrôle de ma voix, submergée par l’intensité des sensations que Conor me procure. Il s’arrête brusquement, puis il me tourne face au lit et me penche en avant. Il remonte ma jupe sur mes fesses qu’il caresse et palpe alors que j’essaie de reprendre mon souffle. – Est-ce que ça va ? demande-t-il tendrement en promenant son gland contre mes fesses. – Oui, je réponds d’une voix rauque, désespérée qu’il soit à nouveau en moi. Il baisse ma culotte et s’enfouit profondément en moi en agrippant mes hanches. Je gémis en me sentant aussi comblée et je recule contre lui, impatiente qu’il me fasse jouir. Je réalise soudain que mes fesses sont là, sous ses yeux, clairement visibles dans la lumière déclinante du soleil. Toutefois, cela semble sans importance à présent. Ce que j’ai appris avec Conor, c’est qu’il se fiche de mon ventre mou et de mes poignées d’amour. D’ailleurs, ce n’est pas qu’il s’en fiche, c’est plutôt qu’il ne les voit pas. L’autre soir, alors que je me plaignais de ma cellulite sur mes cuisses, il est resté planté derrière moi pendant cinq bonnes minutes, pour me faire plaisir, les yeux plissés, concentré, et il m’a convaincue qu’il ne voyait rien. Ensuite, il m’a dévorée et j’ai oublié pourquoi je me plaignais. Je suppose que de telles parties de jambes en l’air me donnent confiance en moi. Ou peut-être que je mûris un peu. Nos voix deviennent plus fortes à chaque coup de bassin. J’empoigne les draps alors que mes jambes se mettent à trembler, et je recule les fesses pour accueillir chaque pénétration. – Putain, chérie, c’est tellement bon, gronde Conor en passant sa main sur mon ventre pour titiller mon clitoris. Je me mords la lèvre, mais je ne parviens pas à réprimer mon cri quand je jouis. – Hé ! crie une voix, suivie de trois coups contre la porte. Y en a qui essaient d’étudier ! Alors faites moins de bruit si vous ne comptez pas nous inviter à vous rejoindre ! – Dégage, Foster ! crie Conor. Je me retiens de rire et Conor pousse un grognement en serrant les dents alors que mon sexe se contracte sur le sien. Il me met alors debout et empoigne mes fesses par-derrière avant de reprendre ses coups de bassin, rapides, pour atteindre son propre orgasme. Je le sens bientôt tressauter contre moi. – Je ne comprends pas comment chaque fois peut être meilleure que la précédente, dit-il en appuyant son menton contre mon épaule. Lorsqu’il a jeté le préservatif, on s’allonge sur son lit pour se remettre tranquillement de nos ébats. – On devrait peut-être essayer de faire ça chez toi, marmonne-t-il. Je crois qu’ils rentrent du campus plus tôt dans le but de nous surprendre. – Ouais… Tu vas devoir leur demander de partir pour que je rentre chez moi… Ou alors on peut acheter une échelle pour que je passe par la fenêtre. J’aime dessiner de petits cercles sur les abdos de Conor quand je suis allongée contre lui. Ses muscles se contractent sous mes caresses, car il est très chatouilleux, mais il me laisse faire parce qu’il sait que ça m’amuse. Quand j’atteins un point particulièrement sensible, il pince ma fesse pour me mettre en garde. – Non, ne t’en fais pas, répond-il. Ce n’est pas vraiment un walk of shame. Aujourd’hui, c’est plutôt une montée des marches sur un tapis rouge. Tu peux même t’attendre à des applaudissements, en fait. – Je ne suis pas sûre que ce soit mieux, je dis en riant. – Sinon, je peux les menacer, propose Conor en m’embrassant sur la tête. C’est toi qui décides. Environ une heure plus tard, Foster frappe à la porte pour nous demander si on veut dîner avec eux. Je meurs de faim, donc on se douche à tour de rôle avant de s’habiller. – Alors, tu as reparlé à ta mère et Max ? je demande en m’attachant les cheveux. Conor soupire et s’assied au bord du lit pour enfiler un tee-shirt propre. – Non. Enfin, j’ai parlé à ma mère, et elle m’a envoyé des messages pour me dire d’appeler Max. J’ai répondu que je n’avais pas le temps, avec les cours ou les révisions. J’ai dit que je le ferais plus tard. – Donc tu l’évites. Je sais que ce n’est pas facile pour Conor. Admettre son erreur a été un grand pas dans la bonne direction, mais il a encore des efforts à faire. Pour l’instant, son angoisse à l’idée de parler à son beau-père l’emporte sur la raison. – Je me dis tout le temps que si j’attends encore un jour, je trouverai un moyen de lui parler, tu sais ? Que je saurai quoi lui dire. Je suis juste… Il frotte son visage et coiffe ses cheveux mouillés en arrière. – Tu es nerveux. Je comprends. J’aurais peur, moi aussi. Mais tu ne peux pas l’éviter pour toujours. Mon conseil serait de fermer les yeux et de foncer. – J’ai honte, admet-il en se penchant pour mettre ses chaussettes. J’ai toujours su que Max n’avait pas beaucoup d’estime pour moi, et je viens de lui prouver qu’il avait raison. Je savais que c’était mal, même à l’époque. Mais j’étais en colère et j’ai merdé. – C’est exactement ce qu’il faut que tu lui dises, je réponds en m’accroupissant entre ses jambes pour le prendre dans mes bras. Dis-lui la vérité. Tu as fait une erreur que tu regrettes, ça a dérapé, et tu es désolé. Conor me serre fort dans ses bras. – Tu as raison. – Est-ce qu’ils ont dit quoi que ce soit à propos de Kai ? – Je n’ai pas parlé de lui. J’ai dit à Kai que s’il me laissait tranquille, je ne l’impliquerais pas. Pour l’instant, Max ne veut pas porter plainte parce que son assurance l’a remboursé. Ça n’en vaut pas la peine. C’est une petite victoire, je suppose. – Je sais que tu feras ce qu’il faut, je déclare avant de l’embrasser sur la joue. Car je crois en lui. Et je sais mieux que personne que tout change pour le mieux quand on sait que quelqu’un nous fait confiance. – Sinon, rien à voir, mais c’est mon anniversaire, jeudi. Je me disais qu’on pouvait aller boire un verre chez Malone’s. Rien de spécial, je veux juste traîner avec des amis. – Comme tu veux, ma belle. – Yo ! On y va ! crie Foster en frappant de nouveau à la porte. Sinon, je vais entrer et vous foutre mal à l’aise ! 36 Conor Jeudi à la fin des cours, j’ai deux appels manqués de Max. Je sais que je ne peux pas continuer de l’éviter, mais je vais quand même essayer. Lorsque je leur ai tout avoué, j’étais un peu aveuglé par ma culpabilité et mon angoisse. Maintenant que j’ai les idées plus claires, je réalise que je n’ai absolument pas envie d’avoir cette conversation. Surtout pas aujourd’hui. J’ai fait vivre un enfer à Taylor à cause de ces conneries avec Kai, et maintenant, ma seule priorité est de lui offrir l’anniversaire parfait. Je sais qu’elle n’a jamais eu de petit copain sérieux avant moi, donc je présume que tous les clichés habituels seront des nouveautés pour elle. Il faut donc des fleurs. Une quantité absurde de fleurs. J’essaie d’expliquer ça à la fleuriste d’Hastings mais, je ne sais pourquoi, c’est plus difficile qu’il n’y paraît. – C’est pour quelle occasion ? demande la vendeuse. Elle a un look un peu hippie et la boutique sent le cannabis. – C’est pour l’anniversaire de ma petite amie, je réponds en déambulant dans le magasin, étudiant les bouquets déjà prêts. J’en veux beaucoup. J’aimerais quelque chose d’énorme. Ou plusieurs bouquets. – Quelles sont ses fleurs préférées ? – Aucune idée. Je suppose que des roses feraient l’affaire, mais j’aimerais quelque chose de plus inattendu. En même temps, qu’est-ce qui peut dire : « Je suis désolé de t’avoir larguée parce que j’avais peur que tu ne me respectes plus après avoir découvert que je suis un menteur et un criminel, mais il s’avère que je t’aime alors, tu veux bien me reprendre ? Et, le sexe avec toi est génial, et j’aimerais continuer ça avec toi » ? – Des couleurs préférées ? Bon sang, je n’en sais rien. Elle met beaucoup de noir, de gris et de bleu. Sauf quand elle enseigne, et là c’est tout l’inverse. J’ai comme l’impression que je devrais le savoir, après deux mois avec elle. Qu’est-ce que j’ai foutu pendant tout ce temps ? Je lui bouffais la chatte, je suppose. La fleuriste semble percevoir ma gêne. – Eh bien, elle est Taureau, donc les roses et les verts sont toujours un bon point de départ. Elle aimera un bouquet nature, mais sophistiqué. Madame Hippie déambule dans sa boutique, effleurant toutes les fleurs, tendant l’oreille vers les bouquets comme si elle les entendait parler. – Des mufliers, déclare-t-elle. Des digitales et des roses. Avec des succulentes. Oui, ce sera parfait. Je ne connais aucune de ces fleurs, à part les roses bien sûr. – Ça me semble super. Quelque chose d’immense, s’il vous plaît, je lui rappelle. La clochette tinte au-dessus de la porte alors que la vendeuse part dans l’arrière-boutique. Je regarde par-dessus mon épaule et découvre que c’est le coach. – Salut, Coach. Il semble nerveux, comme le soir du repas de famille. Je trouve étrange de le voir comme ça, alors qu’il est si sûr de lui dans les vestiaires et sur la glace. Je suppose que c’est l’effet qu’ont les femmes sur nous. – Edwards… soupire-t-il. Ouais, nos rapports ne se sont pas améliorés depuis l’incendie. En même temps, je comprends. Une fois la saison terminée, le coach préfère ne pas avoir à s’occuper de sa bande de molosses. Croiser Jensen en ville est un peu comme lorsqu’on croise son prof pendant les vacances d’été. Quand la saison est finie et que le semestre est terminé, ils aiment prétendre qu’ils ne nous connaissent pas. – Vous êtes là pour Iris ? je demande. Taylor m’a dit qu’elle et sa mère ont le même anniversaire. D’ailleurs, cela ne fait que rendre encore plus crédible ma théorie que Taylor est le produit d’une expérience russe pour créer une sorte de super- agent dormant. Elle n’a ni confirmé ni nié ma théorie. – Non, j’aime venir ici deux fois par semaine pour récupérer des pétales pour mes bains moussants, grogne-t-il d’un ton moqueur. J’aime penser que le sarcasme du coach est sa façon à lui de montrer combien il tient à moi. Sinon, ça veut dire que ce type ne me supporte pas. – Vous avez prévu quelque chose de spécial ? Il me tourne le dos et étudie les bouquets tout prêts. – On dîne à Boston. – Eh bien, soyez prudents, les enfants, et ne rentrez pas trop tard. – Ne fais pas le malin, Edwards. Sinon la poubelle t’attendra sur la patinoire, à la rentrée. – Oui, M’sieur. Un silence gênant s’installe et nous faisons tous les deux mine d’explorer la minuscule boutique en attendant que la fleuriste revienne. Je n’ose même pas imaginer ce que ce doit être pour Jake, le copain de Brenna. Il a de la chance d’être dans une relation longue distance et d’habiter à Edmonton, je suis sûr que le coach est le genre de père qui s’assied à table et polit son flingue chaque fois qu’un mec rend visite à sa fille. En matière de rencontre avec les parents, Iris était plutôt simple. Après tout, qu’est-ce qu’un petit incendie en famille, hein ? – Quels sont tes plans avec Taylor ? aboie soudain le coach, me faisant sursauter. – On va d’abord dîner en tête à tête, puis on rejoint des amis chez Malone’s. – Ok, dit-il avant de se racler la gorge. Eh ben, ne vous pointez pas à la table à côté de la nôtre, ok ? – Pas de souci, Coach. La fleuriste revient enfin avec un immense bouquet qui est déjà dans un vase. Le truc est presqu’aussi grand que moi. Le coach étudie le bouquet, puis il me regarde en levant les yeux au ciel. Le bouquet est si encombrant que je suis obligé de lui demander de l’aide pour sortir de la boutique et ouvrir ma Jeep. Je viens d’attacher les fleurs sur le siège avant quand, de l’autre côté de la rue, je vois un visage qui n’a pas sa place ici. Et il me regarde. Merde. Il attend que deux voitures passent avant de trottiner vers nous. Ma gorge est nouée et mon cœur bat la chamade. J’envisage sérieusement de prendre le volant et de démarrer en trombe. Trop tard. – Conor, dit-il. Enfin, je t’ai trouvé. Je hais ma vie. Il regarde ensuite le coach. – Bonjour, ravi de vous rencontrer, dit-il en lui tendant la main alors que les deux hommes me regardent en haussant les sourcils. – Coach Jensen, je commence d’une voix rauque, je vous présente Max Saban, mon beau- père. – Enchanté, Coach. Le truc avec Max, c’est qu’il est tout le temps trop gentil. Il ne faut pas s’y fier. Personne ne sourit autant, dans la vie. C’est juste bizarre. Quelqu’un qui est en permanence de bonne humeur cache forcément quelque chose. – Conor parle beaucoup de vous à sa mère. Il aime vraiment le programme de hockey de Briar. – Appelez-moi Chad, dit le coach. Enchanté. Il me regarde du coin de l’œil et je suppose qu’il sent ma gêne et se demande pourquoi il se fait entraîner dans mes histoires. – Conor est une super-recrue. On est ravis qu’il continue avec nous l’an prochain. Ah ! S’il savait ! Je n’arrive pas à croiser le regard de Max pour voir sa réaction. – Eh bien, il faut que j’y aille, dit le coach. Ravi de vous avoir rencontré, Max. Bonne fin de journée. Il nous tourne le dos pour rentrer dans la boutique, et je n’ai plus personne derrière qui me cacher. – Tu es arrivé quand ? je demande à Max. J’essaie d’avoir un ton détendu, parce que maintenant qu’il est là, je ne peux plus l’éviter. Je ne veux surtout pas lui montrer combien je suis nerveux. Je réprime donc toute mon angoisse, ce que j’ai appris à faire en étant gamin quand je suivais Kai dans des immeubles abandonnés et des ruelles sombres. J’avais la trouille de faire des conneries, mais je savais que je ne pouvais pas montrer de faiblesse, sinon je me ferais casser la figure. J’affiche la même tronche quand j’entre sur la glace et me prépare pour la bataille, celle qui dit que ça n’a rien de personnel, mais qu’on a l’intention de foutre le bordel ; que la douleur fait partie du jeu ; que si on avait peur de perdre des dents, on resterait à la maison à faire du tricot. – Ce matin, répond Max. J’ai pris le vol de nuit. Eh merde. Il est énervé. Je le devine à son calme. Plus il parle doucement, plus votre vie est en danger. – Je suis passé chez toi, mais tu étais déjà parti. – Ouais, j’ai cours tôt, le jeudi. – Eh bien, dit-il en désignant le diner d’un hochement de tête. J’allais boire un café avant de repasser chez toi. Mais maintenant qu’on est là… tu te joins à moi ? Je ne peux pas vraiment dire non, n’est-ce pas ? – Ouais, ok. On s’installe à une table avec des banquettes, près de la fenêtre, et la serveuse vient tout de suite remplir nos tasses. Je n’aime pas le café, mais je le bois quand même ; trop vite et trop tôt, et je me brûle la langue parce que je ne sais pas quoi faire de mes mains. – Je suppose que je devrais commencer, dit Max. La deuxième chose la plus agaçante chez Max, c’est qu’il semble toujours fraîchement sorti du tournage d’une sitcom familiale des années 2000. C’est un de ces papas perpétuellement joyeux, avec une coupe de cheveux toujours parfaite, qui porte une chemise et une veste de sport alors qu’il ne fait jamais la moindre activité physique en extérieur. Peut-être que ça joue dans nos rapports, d’ailleurs, je ne peux pas le prendre au sérieux quand il a l’air d’un personnage d’une série que je n’ai pas regardée en étant gamin parce qu’on n’avait pas le câble. Ces papas ont tout gâché pour nous autres qui n’avions pas de père. Les gamins comme moi ont grandi avec les mensonges racontés par les scénaristes de séries qui assouvissaient les fantasmes qu’ils ont inventés pour réparer leur propre enfance pourrie. – Bien évidemment, je suis venu jusqu’ici parce qu’on n’a pas réussi à se joindre au téléphone, poursuit Max. J’ai également pensé que c’était le genre de discussion qu’il valait mieux avoir en face à face. Merde, ce n’est jamais bon, ça. Je me dis finalement que j’aurais d’abord dû parler à ma mère. Car après tout, devant mon manque de coopération, peut-être qu’elle n’a eu d’autre choix que de me laisser à la merci de Max. Peut-être qu’ils vont me couper les vivres, arrêter de payer la fac et me foutre dehors ? En même temps, ce serait de ma faute. – Je sais qu’on n’a jamais beaucoup communiqué, Conor. Et je suis en partie responsable de ça, bien sûr. Ah ? Je ne m’attendais pas à ce qu’il commence de cette façon. – J’aimerais dire, tout d’abord, que si je ne peux pas approuver ton comportement, je peux comprendre ce qui t’a poussé à faire ces choix. Quoi ? – Je sais qu’à ton âge, nos émotions peuvent prendre le dessus et que, parfois, quand on subit une forte pression extérieure qui appuie pile où ça fait mal, on prend des décisions qu’on n’aurait jamais prises en temps normal. Tu as fait une erreur, une grosse. Tu as menti. À moi, mais surtout à ta mère. Mais j’ai compris, lors de ton premier coup de fil, combien ça a pesé sur toi. Ce que je trouve encourageant, c’est que tu as avoué ton erreur, même si tu as mis longtemps. Or le plus difficile est maintenant, dit Max avec un sourire hésitant. Il faut assumer ses responsabilités. – Tu prends la situation bien mieux que je ne m’y attendais, je déclare. Je ne t’en voudrais pas d’être furax, tu sais. – Je veux bien admettre que j’ai d’abord été très surpris. Ensuite, oui, j’ai été en colère. Puis j’ai repensé à ce que je faisais quand j’avais dix-neuf ans. La serveuse revient pour remplir nos tasses et Max boit une longue gorgée pendant que je me demande ce qu’il pouvait bien manigancer à Briar, à son époque. – Ce que je veux dire, c’est qu’on a tous droit à l’erreur, dit-il. Je suis content que tu nous aies dit la vérité, Conor. Et en ce qui me concerne, on peut tourner la page, maintenant. – C’est tout ? Sérieusement ? – Disons que ta mère ne peut pas vraiment priver son fils de vingt et un ans de sorties… Surtout quand il vit à l’autre bout du pays, répond Max en souriant. J’ai l’impression qu’il me tend un piège. – Je pensais que vous alliez m’enlever de Briar ou au moins arrêter de payer ma scolarité. – Ce serait un peu contre-productif, tu ne crois pas ? Je ne vois pas en quoi interrompre tes études universitaires servirait de punition. – Je pensais que tu aurais envie de couper les ponts. Financièrement, en tout cas. Après tout, ce serait parfaitement justifié, étant donné ce que j’ai fait. Le fait est que je dépends entièrement du compte en banque de Max ; je ne serais pas choqué qu’il veuille tout arrêter. – Conor, j’aurais pu te dire te trouver un job et de bosser quatre-vingts heures par semaine, mais ça ne suffirait pas à payer ton loyer et à finir tes études. Ça marcherait peut-être sur quelqu’un d’autre. Mais tu n’as pas besoin que quelqu’un t’apprenne la valeur de l’argent. Surtout pas moi, dit Max en reposant sa tasse. Ta mère et toi avez connu la misère. Je ne peux pas te faire revivre ça. La vérité, c’est que quelle que soit la somme que m’a coûté ton erreur, c’est insignifiant à côté de la valeur que j’attribue à notre famille. – Je ne sais pas quoi dire. Max ne m’a jamais parlé comme ça auparavant, que ce soit de notre famille recomposée ou de ce que maman et moi avons vécu avant lui. En fait, je ne sais pas si on s’est déjà parlé autant, depuis qu’on se connaît. – Je ne savais pas que tu pensais tout ça. – La famille est ce qu’il y a de plus important pour moi. Son regard se perd dans sa tasse de café et il semble soudain nostalgique. – Tu sais, j’ai perdu mon père quand j’étais à Briar. Ça a été difficile pour moi, mais encore plus pour ma mère. Après ça, il n’y avait plus qu’elle et moi, et des vides partout où mon père n’était plus là. Quand quelqu’un meurt, on voit son absence partout, dans tous nos souvenirs. À chaque anniversaire et à chaque fête. Ma mère est morte quand j’étais en master, et j’ai eu deux fois plus de manques. Ma poitrine se resserre, tout à coup, serait-ce des remords ? Je me découvre des affinités avec Max, alors que jamais je n’ai pensé qu’on pouvait avoir des points communs. Enfin, il y a une grande différence entre un père aux abonnés absents et un père qui décède, mais on sait tous les deux ce que c’est de voir sa mère se démener pour avancer. – Ce que j’essaie de te dire, c’est que quand j’ai rencontré ta mère, j’avais le plus grand respect pour tout ce qu’elle avait accompli en t’élevant seule. Et je sais combien ça a dû être difficile pour toi. Quand Naomi et moi nous sommes mariés, j’ai promis que mon premier travail serait toujours de prendre soin de vous deux. De m’assurer au mieux du bonheur de notre famille. Et je sais que je n’ai pas toujours tenu ma promesse en ce qui nous concerne, toi et moi… conclut Max d’une voix douce. – Pour être honnête, je ne t’ai pas vraiment laissé une chance… En effet, dès le départ, j’ai perçu Max comme un crétin en costard, quelqu’un avec qui je ne m’entendrais jamais. Alors je n’ai jamais pris la peine d’essayer. – Je me suis dit que tu étais là pour ma mère et que tu étais obligé de faire avec moi. Tu venais d’un monde si différent du nôtre… J’ai pensé que tu me voyais comme un bon à rien qui ne valait pas la peine de faire des efforts. – Mais non, Conor, pas du tout ! Il pousse sa tasse sur le côté et s’accoude à la table. Max a un charme magnétique, je ne peux pas le nier. Je suis sûr que quand il est assis en face de quelqu’un dans une salle de réunion, l’autre personne n’a d’autre choix que de croire tout ce qu’il leur dit. – Écoute, j’ai débarqué dans cette situation sans la moindre idée de comment faire. Je ne savais pas si je devais essayer d’être un père pour toi ou un ami, et finalement je n’ai été ni l’un ni l’autre. J’avais tellement peur de m’immiscer entre ta mère et toi que je n’ai pas fait d’efforts pour construire une relation avec toi. – Je ne t’ai pas facilité la tâche. Je me suis dit que si tu ne me supportais pas, je pouvais me contenter de te détester. Je crois que, peut-être… Je déglutis et fuis le regard de Max. – … je ne voulais pas être rejeté par un autre père. Donc, je t’ai rejeté le premier. – Pourquoi je te rejetterais ? demande-t-il en reculant sur sa chaise, l’air sincèrement surpris. – Ben, regarde-nous. On n’a rien en commun. Enfin, peut-être n’est-ce pas totalement vrai, maintenant que je sais qu’il a souffert de perdre son père. – Je sais que tu t’es mis en tête que je devrais être davantage comme toi, je poursuis, et que je devrais m’intéresser à la finance et au management d’entreprise pour pouvoir travailler avec toi et suivre tes pas, mais honnêtement, je trouve ça ennuyeux à mourir. Je perds toute joie de vivre, rien qu’en y pensant. Alors il ne me reste plus que le sentiment que je ne serai jamais assez bon. J’ai ignoré tes appels, cette semaine, parce que j’avais honte. Je m’avachis sur la banquette, les mains sur les cuisses, cherchant à disparaître entre les coussins recouverts de vinyle. Au moins, tout est dit, maintenant. Quoi qu’il advienne, ce ne sera pas aussi humiliant que ce moment. Ça ne peut pas l’être. Max reste silencieux un long moment. Je n’arrive pas à lire sa réaction et chaque seconde qui passe me dit qu’il est d’accord avec moi. Je ne peux même pas lui en vouloir. Ce n’est pas de sa faute s’il a une notion du succès qui diffère de la mienne. Nous sommes deux personnes différentes, et il ne sert à rien de se comparer à l’autre. Je me sentirais bien mieux si on se mettait d’accord pour arrêter d’essayer. – Conor, dit-il enfin. J’aurais dû dire ça il y a longtemps, mais… jamais je n’ai pensé que tu n’étais pas quelqu’un de bien. Jamais. Je t’ai toujours vu comme un gamin drôle, charmant et intelligent qui devient peu à peu un jeune homme remarquable. Tu as raison, il y a quelque chose de paternel en moi qui aime l’idée d’être un mentor pour toi. Qui aime l’idée que tu prennes ma relève. Si ce n’est pas ton souhait, je le respecte. J’aurais sans doute dû le capter plus tôt, hein ? Mais sache que quoi que tu décides de faire de ta vie et de ta carrière, ta mère et moi te soutiendrons entièrement. Comme une équipe. Comme une famille. Parce qu’on sait que tu prendras les bonnes décisions pour toi. Si je peux t’aider, je serai ravi de le faire. Sinon… Il rit d’un ton plein d’autodérision. – … je m’écarterai de ton chemin. Quoi qu’il en soit, je veux que tu saches que je suis extrêmement fier de toi. C’est à mon tour de rire. – Allons, n’en fais pas trop… – Je suis fier de toi, répète-t-il avant de sortir son téléphone de sa poche. Je regarde son écran d’un œil dubitatif et le vois aller sur le site internet de son entreprise, où il y a une photo de lui assis derrière un bureau. Il pose ensuite le téléphone sur la table, entre nous, et zoome sur la photo. Derrière lui, à côté des prix qu’il a reçus et de ses diplômes, il y a une photo encadrée de ma mère et moi. J’en ai le souffle coupé, j’espère qu’il ne le voit pas. La photo date de leur lune de miel, quelques jours après leur mariage. On a tous été à Hawaï et lors de notre dernière soirée là-bas, Max nous a pris en photo pendant qu’on admirait le coucher du soleil. Je n’avais jamais quitté la Californie, avant ça. Je n’avais jamais pris l’avion. J’ai été de mauvaise humeur pendant tout le séjour parce qu’on faisait des trucs de couple et que je n’avais personne avec qui traîner. Mais ce soir-là, sur la plage, avec ma mère, c’est mon meilleur souvenir du voyage. – J’ai toujours été fier de toi, dit Max, me faisant monter les larmes aux yeux. Et je serai toujours fier de toi, Conor. Je t’aime. – Eh ben, merde, je réponds en me raclant la gorge. Faut croire que c’est moi le connard, dans l’histoire. Il éclate de rire et on se frotte tous les deux les yeux en faisant des bruits virils qui n’ont rien à voir avec le fait de pleurer. – Je ne sais pas trop quoi dire, maintenant. Je trouve nul qu’on ait passé tout ce temps à être mal à l’aise l’un avec l’autre. Je ne compte pas faire de lui mon meilleur pote ni me mettre à l’appeler papa, mais les dernières années auraient été bien plus faciles si on avait eu cette conversation plus tôt. – Aussi nase que ça puisse paraître, j’aimerais beaucoup qu’on puisse repartir à zéro, dit-il. Si on pouvait essayer d’être amis ? Ce n’est pas la pire chose au monde, après tout, non ? – Ouais, ce serait cool. Je suis sur le point de lui proposer de manger un bout quand je me souviens qu’un bouquet de la taille d’un petit sumo m’attend sur mon siège passager, et que j’ai des choses à faire avant de passer prendre Taylor pour notre rencard. – Tu comptes rester combien de temps en ville ? – Je pensais rentrer demain matin, pourquoi ? – Ben, c’est l’anniversaire de ma copine ce soir, et on a un truc prévu avec ses amies. Mais si ça ne t’embête pas de rester un peu plus longtemps, on pourrait peut-être dîner ensemble demain soir, tous les trois ? Je disais à maman que ma copine viendrait peut-être me voir en Californie, cet été. Max me sourit jusqu’aux oreilles, mais essaie aussitôt de le réprimer en hochant la tête d’un air solennel. – Ce n’est pas un souci, je vais changer mon vol. Dis-moi où et quand. J’adorerais la rencontrer. Je ne peux m’empêcher de penser à Taylor, je suis sûr qu’elle serait fière de moi. 37 Taylor Conor manigance quelque chose. Je le sens. Il n’a rien dit de particulier mais… c’est quelque chose qu’il dégage. Il m’a écrit ce matin pour me souhaiter un joyeux anniversaire et me dire de me mettre sur mon trente-et-un ce soir. C’est plutôt inhabituel, puisque ces derniers temps il cherche surtout à me déshabiller. Ensuite, il m’a dit qu’il ne pourrait pas me rejoindre après mes cours parce qu’il avait des « choses à faire ». Quoi qu’il ait prévu pour ce soir, je suis sûre qu’il en a beaucoup trop fait. Mais je ne lui en voudrai pas. En vérité, je n’ai jamais eu de petit ami à un de mes anniversaires, donc je serais plutôt ravie que ça se passe comme dans un téléfilm. Plus que tout, j’ai hâte que Conor et moi ayons de nouveaux souvenirs ensemble. Bien sûr, faire un effort vestimentaire implique que je demande l’aide de ma conseillère beauté. J’écris donc à Sasha quand je sors de cours.
MOI : J’ai un rencard ce soir. Tu me
maquilles ?
Sasha est une maquilleuse très talentueuse.
D’ailleurs, une des nombreuses idées qu’elle a eues pour sa carrière a été de devenir maquilleuse professionnelle. En tout cas, ça lui permettrait de gagner sa vie en attendant que sa carrière de musicienne décolle. J’arrive au bout de ma rue lorsqu’elle répond.
SASHA : À quoi bon ? Tu vas tout gâcher en
lui faisant une pipe. SASHA : Je plaisante. Je viens de rentrer, ramène-toi. Je lui renvoie un émoji avec des cœurs, puis je passe prendre ma robe à la maison avant de commander un Uber pour aller à la Greek Row. Il va falloir que je gère mieux mon temps. Ça a été très fun d’être envoûtée par mon couple, mais je ne veux pas négliger mes amies. Surtout Sasha, car c’est la personne qui m’a le plus soutenue ces dernières années. Sans elle, j’aurais sans doute fait une dépression nerveuse et mis le feu à mes cheveux plus d’une fois. Or dernièrement, j’ai l’impression de ne pas savoir ce qui se passe dans sa vie, ce qui prouve que je ne lui ai pas du tout renvoyé l’ascenseur. J’ai été une mauvaise amie et je dois tout de suite y remédier. La température commence enfin à monter et les pelouses habituellement désertes de la Greek Row s’animent. Des gens étudient sur les porches et des filles ont installé des transats sur l’herbe pour préparer leur bronzage estival. À la fraternité Sigma, des mecs font un bière-pong dans l’allée. Je ne fais pas attention à leurs cris ni à leurs sifflements quand je sors du Uber. Ils ne font guère preuve d’imagination avec leur « montre- nous tes seins », c’est ce qu’ils disent à chaque fois qu’ils voient une fille. Ils finissent quand même par attirer mon attention. – Eh, la star ! On peut avoir une photo ? – Tu nous files un autographe ? – On s’inscrit où pour un direct ? C’est un peu trop… précis. Étrangement précis. Je regarde droit devant moi et me dépêche de remonter l’allée jusqu’à la porte. La meilleure défense est de ne surtout pas leur répondre. J’y réfléchis quelques secondes et finis par conclure que c’est une blague débile. Le mec d’Abigail aime m’appeler « la grosse Marilyn Monroe », je suppose donc que c’est de là que vient ce truc de star et d’autographe. Eh bien, ses frères Sigma et lui peuvent aller se faire foutre. Car je sais désormais que certains mecs aiment les courbes. En particulier, ceux qui s’appellent Conor Edwards. Je peine à masquer mon sourire en entrant dans la maison. J’ai hâte de le voir, ce soir. Je ne sais pas précisément à quel moment c’est arrivé, mais je suis devenue folle de ce mec. Il me suffit de penser à lui pour glousser comme une ado. À l’étage, Sasha a préparé tout son maquillage. Je jette mon sac sur son lit et accroche ma robe au portemanteau derrière sa porte. – Tu es la meilleure. – Bah, bien sûr. Allez, débarbouille-toi, répond- elle en étudiant ses fards à paupières. – Au fait, juste pour vérifier, je dis depuis le lavabo de la salle de bains qu’elle partage avec la chambre d’à côté. Il n’a pas préparé une fête surprise, si ? – Pas que je sache. Je me rince la figure et la tamponne avec une serviette. Sasha m’installe ensuite devant son bureau et me tartine le visage de crème hydratante. – Je te demande ça parce que j’ai l’impression que Conor a envie de me prouver quelque chose. Donc, même si j’ai dit que je voulais juste traîner chez Malone’s, je ne serais pas surprise qu’il ait transformé ça en événement spectaculaire. – Je ne crois pas, répond-elle en me tendant un petit ventilateur électrique pour sécher mon visage. Elle applique ensuite une base qu’elle me dit toujours d’ajouter à mon rituel de maquillage. Je lui réponds systématiquement que je ne me maquille jamais, sauf quand c’est elle qui le fait, et que c’est pour ça que je n’ai pas besoin d’acheter tous ces produits. Le système marche à merveille. Quand on sera vieilles, elle vivra à côté de chez moi et j’irai la voir en fauteuil roulant pour qu’elle m’aide à me préparer pour mes rencards au thé dansant. – Et toi ? je demande lorsqu’elle commence à étaler le fond de teint. Comment ça s’est passé avec Eric après que je suis partie du gala ? – Pas trop mal. J’attends qu’elle m’en dise plus et quand je réalise qu’elle ne compte pas le faire, je devine qu’il y a quelque chose de croustillant. – Tu te l’es tapé dans la chambre froide, c’est ça ? – Ce ne serait pas très hygiénique. – Tu l’as laissé te brouter le minou sous la table des enchères ? – Ces dons sont pour les enfants, espèce de tordue ! Sasha n’est pas facile à faire parler. Pour elle, se mêler de la vie des autres est une discipline olympique, mais elle est plus que discrète quant à sa propre vie. C’est une des qualités que j’admire et respecte le plus chez elle. Elle est douée pour se protéger, ce en quoi j’aimerais m’améliorer. Mais les limites ne devraient pas s’appliquer à sa meilleure amie. – Tu es amoureuse de lui et vous êtes déjà partis à Reno pour vous marier en secret ? je propose. – C’est ça. En fait, tu trouveras une paire d’escarpins ensanglantés dans mon sac. Si tu pouvais les jeter dans la rivière la prochaine fois que tu vas en ville, ce serait super. – Allez… Je ne te demande pas d’entrer dans les détails, je veux juste une mise à jour, je râle en faisant la moue. Je me sens mise à l’écart et j’ai besoin d’un récap de la vie de Sasha. Elle lève les yeux au ciel et ricane avant de me dire de fermer les yeux. – Le gala s’est bien passé. Et on s’est vus plusieurs fois, depuis. – Ok… C’est super. Il a l’air sympa, charmant, et il est beau. Sasha est réputée pour être difficile et elle est facilement dégoûtée par un mec. Je ne me souviens pas de la dernière fois ou un mec a duré plus de deux rendez-vous. – Il me plaît. – Ouais… – Mais je crois que sa sœur me plaît encore plus. – Merde. Ce n’est pas la première fois que ça arrive, et ça ne finit jamais bien. – Ouaip, dit-elle d’un ton résigné. Il va vraiment falloir que j’oblige mes partenaires potentiels à me montrer leurs albums de famille. S’ils ont des frères ou sœurs qui sont beaux, je pars en courant. – Est-ce qu’elle aime les filles ? – Je ne sais pas, répond Sasha. Genre, oui à soixante pour cent, je crois. Mais ils vivent ensemble, donc… – Merde. – Ouaip. – Alors, qu’est-ce que tu comptes… Je ne termine pas ma phrase, car la porte de la chambre s’ouvre brusquement et claque contre le mur, nous faisant sursauter toutes les deux. – Oh, qu’est-ce que tu fous ? crie Sasha. – Qu’est-ce que tu as fait ? gronde Rebecca. Elle se tient dans l’embrasure de la porte, le visage rouge et bouffi, les joues couvertes de larmes. Elle tremble de colère. – Qu’est-ce que tu as fait, putain ? – Meuf, je ne sais pas quel est ton problème, mais… – Pas toi ! Elle ! hurle-t-elle en me pointant du doigt et en entrant dans la chambre, armée de son iPad. Tu savais ? Pourquoi tu me fais ça ? Elle est hystérique. Et terrifiante, même, et j’imagine d’abord que c’est en lien avec Conor. – Qu’est-ce que je t’ai fait, bon sang ? C’est quoi ton problème ?! Je me lève et Sasha se poste derrière moi, armée de sa brosse à cheveux. – Rebecca, je gronde d’un ton ferme. Je ne sais pas de quoi tu parles. Si tu m’expliques… – Regarde ! Nous avons un public, désormais, car des Kappa se sont regroupées dans le couloir pour observer la scène. Rebecca marche vers moi et tient son iPad devant mon visage. Le navigateur est ouvert sur la page d’un site porno, et une vidéo est prête à être lancée. Elle n’a pas encore appuyé sur « Play » et mon estomac est déjà noué. Il me suffit de voir l’image sur pause pour comprendre. Je vois la cuisine de la maison Kappa. Il fait nuit dehors. La seule lumière provient des guirlandes accrochées au plafond et des lampes de poche que nos sœurs allument et éteignent pour nous désorienter alors que nous sommes déjà épuisées. Les murs et les sols sont couverts de bâches transparentes, comme dans un film d’horreur. Les Kappa seniors sont en cercle autour de nous six, qui ne sommes vêtues que de débardeurs blancs et de culottes. C’est la semaine de bizutage, lors de ma première année. Abigail est à côté de moi, et on a toutes les deux l’air terrifiées. On se demande pourquoi on a pensé qu’être dans une sororité pouvait être une bonne idée. Ça fait trente heures qu’on est réveillées. On a fait la lessive de nos sœurs, on les a escortées à leurs cours, on a lavé la maison et on a passé des heures à « prouver notre force de caractère », alors que le bizutage est officiellement interdit. Et tout ça a pris fin avec la scène que j’ai désormais sous les yeux. Une des seniors nous ordonne de boire des shots les uns sur les autres, puis elle saisit le tuyau d’arrosage et nous trempe jusqu’à l’os, nous faisant grelotter. Puis une autre sœur me pointe du doigt. – Action ou Action. Je frissonne et essuie mes yeux avant de répondre. – Action. – Je te mets au défi de bécoter… Elle regarde d’abord Abigail, mais elle doit savoir qu’on est devenues amies au cours de la semaine, donc elle choisit quelqu’un d’autre. Son regard se pose sur la personne à ma droite. – … Rebecca. On hoche toutes les deux la tête, déterminées à serrer les dents et à mettre ça derrière nous, Rebecca et moi nous tournons l’une vers l’autre pour nous embrasser. – Non, je vous ai dit de vous bécoter. Je veux y croire, les recrues ! Allez, pelotez-vous ! C’est donc ce qu’on fait. Car la semaine de bizutage a pour effet de réduire à néant notre instinct de survie et notre volonté. À ce stade, nos réactions étaient presque automatiques. Et voilà qu’on se retrouve sur Internet, offertes à tous les mecs en rut qui veulent se branler : moi et Rebecca, chaudes comme la braise, les vêtements tellement trempés qu’ils sont transparents. Nos tétons et nos chattes à la vue du monde entier. Et ça dure tellement plus longtemps que dans mes souvenirs ! Je finis même par me dire que la vidéo a été mise en boucle. Lorsqu’elle se termine enfin, je regarde Rebecca qui pleure à chaudes larmes. Elle n’est plus en colère. Elle est humiliée. La vidéo a cumulé des milliers de vues en quelques heures seulement. Elle est partagée par tous. Aux Kappa. À la Greek Row. À tout le campus. Et la seule personne qui a pu la mettre sur Internet est dans cette maison. 38 Taylor Je vais vomir. Mon estomac se soulève, je cours dans la salle de bains de Sasha et parviens tout juste au w.- c. J’entends la porte se refermer derrière moi quand je me rince la bouche et je présume que c’est Sasha. Mais lorsque je me tourne, je vois Rebecca assise sur le bord de la baignoire. Elle s’est calmée. Son visage et ses yeux sont rouges et bouffis, mais ses larmes ont séché. Elle semble à présent triste et résignée. – Ce n’était pas toi, dit-elle d’un ton las. J’essuie mon visage, gâchant le maquillage de Sasha. – Non. – Je suis désolée de t’avoir accusée comme ça. Je ferme la lunette des toilettes et m’assieds dessus tout en essayant de me calmer. Vomir m’a aidée à évacuer ma panique, mais plus je reste debout, plus mon angoisse remonte à la surface. – Je comprends. Si j’avais vu la vidéo la première, je ne suis pas certaine que j’aurais mieux réagi. Je n’aurais peut- être pas traversé la maison en hurlant, mais j’aurais clairement été suspicieuse. Le fait est que Rebecca et moi n’avons jamais été amies. Elle était la plus timide des recrues, à l’époque, et après la semaine de bizutage, on ne s’est quasiment plus jamais reparlé. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé, mais chaque fois que j’entrais dans une pièce, Rebecca se débrouillait pour être le plus loin possible. Maintenant, quelque chose a changé, et je ne parle pas de cette vidéo. Elle est assise et me regarde d’un air abattu comme si, pendant tout ce temps, elle avait cherché à me fuir, mais qu’elle venait de se tordre la cheville et qu’elle n’avait plus d’autre choix que de me parler. – Mes parents vont me tuer, chuchote Rebecca, le dos voûté. Elle émet un soupir à la fois pesant et soulagé. Comme si plutôt que de craindre les conséquences de cette vidéo, elle était soulagée de les accepter. – Ils ne peuvent pas sérieusement t’en vouloir que cette vidéo soit divulguée, si ? Ils comprendront que c’est pas ta faute. – Tu ne te rends pas compte… Elle plante son ongle dans la protection de son iPad et y laisse des traces en forme de croissant de lune. – Mes parents sont hyper-conservateurs, Taylor. Ils n’ont quasiment pas d’amis en dehors de leur paroisse. Mon père ne voulait même pas que j’intègre une sororité, mais j’ai convaincu ma mère que les Kappa étaient comme un groupe de prière. Elle m’a dit qu’elle espérait que ça m’apprendrait à être une jeune femme convenable. – Comment ça ? J’ai du mal à imaginer ma mère essayer de me dire quoi faire. Je crois que la dernière fois qu’elle m’a dit de ranger ma chambre, c’était quand j’ai perdu le furet de l’école quelque part dans ma pile de linge sale. – J’ai eu ma première petite amie en quatrième, dit Rebecca en me regardant dans les yeux. Ça n’a duré que deux semaines, parce qu’une fille nous a surprises en train de nous embrasser dans la salle de musique, et elle l’a dit à sa mère, qui allait à l’église avec mes parents. Mon père a harcelé les parents de ma copine jusqu’à ce qu’ils cèdent et la retirent de l’orchestre du collège et de tous les cours qu’on avait en commun, raconte Rebecca en secouant la tête. Chaque été, après ça, mon père m’a envoyé en camp biblique. Il a commencé à m’organiser des rendez-vous avec des garçons de la paroisse. Il m’est arrivé de tomber sur un mec gay qui était aussi mortifié et terrorisé que moi d’avoir à embrasser une fille pour des photos mises en scène dans le seul but de rassurer nos parents respectifs. Cependant, à la fin du lycée, je les avais convaincus qu’ils pouvaient me refaire confiance. J’ai pensé que vivre dans une sororité aurait le mérite d’empêcher mes parents de débouler sans prévenir pour fouiller dans ma chambre et y placer des caméras. – Merde, Rebecca, je ne savais pas. Je suis vraiment désolée. Elle hausse les épaules et affiche un sourire des plus tristes. – Je suis désolée qu’on ne soit jamais devenues amies. – Ne t’en fais pas, je comprends. Je ne peux pas prétendre savoir ce que tu ressens, mais je peux l’imaginer. Beaucoup d’entre nous sommes coincés dans nos petites vies. On nous dit qu’on est mal faits, qu’on est déficients. On nous fait croire qu’être nous-même est un affront à la société. Certains d’entre nous sommes frappés sans cesse par le bâton du conformisme jusqu’à ce qu’on apprenne à aimer la douleur ou qu’on baisse tout simplement les bras. Je n’ai toujours pas compris comment me sortir de ce piège. Mais il n’y a pas pire quand c’est sa propre famille qui tient le bâton. En fait, ça fait de Rebecca la personne la plus forte que je connais, ainsi qu’une sacrée alliée. – Alors, qu’est-ce qu’on va faire ? demande-t- elle d’une voix douce. Je me mords la lèvre aussi fort que possible. – Il n’y a qu’une Kappa pour avoir partagé cette vidéo. – Je suis d’accord. – Et j’ai une bonne idée de qui c’est. Je ne me souviens même pas de qui tenait le téléphone. Ce devait être une des seniors, je suppose. En dehors des rituels, tous les bizutages sont enregistrés pour « la postérité ». La véritable question est de savoir qui avait accès à cette vidéo. Je n’ai jamais vu d’images de mon bizutage ni de celui d’autres années, en dehors du petit résumé qui est diffusé au premier dîner qui suit le recrutement. Il est logique de penser que la personne qui contrôle les archives est la présidente de la maison. Ainsi que sa vice-présidente. Rebecca et moi descendons au rez-de-chaussée où nous trouvons Charlotte, dans le salon. Elle est seule, installée dans un fauteuil avec son ordinateur portable sur les genoux, des écouteurs dans les oreilles. Étant donné les cris qui ont éclaté à l’étage il y a quelques minutes, je m’attendais à la trouver sur le pied de guerre. – Il faut qu’on parle, je déclare. Elle enlève un de ses écouteurs et hausse un sourcil, l’air agacée, sans même lever les yeux de son écran. – Quoi ? – Il faut qu’on parle, je répète. – Ah bon ? – Oui, insiste Rebecca. Les yeux de Charlotte sont encore rivés à son écran. Elle a complètement décroché, depuis quelque temps. Elle finit ses études et Abigail prend le relais, donc elle n’a plus grand-chose à faire à part lui filer les clés et poser pour une photo qui rejoindra celles des autres présidentes de la maison. On a toutes remarqué son changement d’attitude. – Charlotte ! Elle lève les yeux au ciel et enlève le deuxième écouteur avant de refermer son ordinateur. – Ok, qu’est-ce qu’il y a ? – Ça ! rétorque Rebecca en posant l’iPad sur les genoux de Charlotte et en appuyant sur « Play ». Charlotte semble d’abord ennuyée, puis confuse, et elle lève la tête vers nous comme pour obtenir des explications. Soudain, elle comprend. Elle fait défiler les commentaires, puis elle fait remonter la page pour regarder l’adresse du site, et elle nous regarde, furieuse. – Qui a posté ça ? Charlotte Cagney est une force de la nature, et c’est pour ça qu’elle a été élue présidente. Tout le monde a voté pour elle par peur des conséquences. Et personne n’a osé se présenter contre elle. – C’est ce qu’on est venues te demander. Tu insinues que tu ne savais pas ? – C’est la première fois que je vois cette vidéo, dit-elle en poussant son ordinateur pour se lever. Je viens de rentrer de la répétition de remise de diplômes et je révisais pour un partiel. Comment vous avez trouvé ça ? – Quand je suis rentrée, Nancy et Robin la regardaient dans la cuisine, dit Rebecca. – Les Sigma l’ont vue aussi, j’ajoute. Donc on peut supposer que tout le campus l’a vue. Soudain, le visage de Charlotte se transforme. Elle rend son iPad à Rebecca et sort du salon d’un pas déterminé. – Je veux tout le monde dans la pièce bleue ! Réunion générale, bande de garces ! crie-t-elle en montant l’escalier quatre à quatre pour tambouriner à toutes les portes. Tout le monde en bas, tout de suite ! Elle redescend et fait le tour des pièces du rez- de-chaussée. Beth et Olivia et d’autres filles sont dans la pièce télé, dos à Charlotte qui leur balance une banane pour les faire réagir. – Dans la pièce bleue, tout de suite ! Je n’ai pas la moindre idée d’où sort cette banane. Rebecca se tient légèrement derrière moi dans la pièce bleue. Nous attendons quelques minutes et tout le monde se regarde, se préparant au pire, tandis que les retardataires rentrent à la maison pour la réunion. Abigail prend le registre pour s’assurer que nous sommes toutes présentes avant que Charlotte commence. Je croise le regard d’Abigail, de l’autre côté de la pièce, et j’essaie de déceler des signes de culpabilité, mais je ne vois rien. – Bien, je viens d’apprendre qu’une vidéo est en train d’être partagée à tout le campus, dit la présidente en fusillant Nancy et Robin, qui ont la décence d’avoir l’air désolées. Et apparemment, personne n’a jugé approprié d’informer la présidente de cette horrible violation de confiance. Sasha se faufile à travers la foule pour se tenir à côté de Rebecca et moi. Elle prend ma main et je la serre fort, soulagée qu’elle soit là. – Robin, quel est le premier principe de la maison Kappa ? demande Charlotte. Robin regarde ses pieds en se rongeant un ongle. – Je protégerai ma sœur comme ma propre personne. Ensuite, Charlotte dirige son regard assassin sur la sœur aux joues écarlates. – Nancy, quel est le second principe de la maison Kappa ? Nancy essaie de parler, mais elle est sans voix. Elle se racle la gorge et reprend. – D’agir de façon intègre et honorable. – Ouais, répond Charlotte en faisant les cent pas comme si elle tenait un flingue et qu’elle était prête à tirer. C’est ce qu’il me semblait. Mais apparemment, certaines d’entre vous l’ont oublié. Donc, je veux savoir qui est la putain de sœur derrière tout ça ! Qui est la petite garce égoïste qui a volé une vidéo privée des archives Kappa et l’a téléchargée sur un site porno ! Un silence choqué s’abat sur la pièce. Je vois tout de suite qui semble étonné. Des regards inquisiteurs sont échangés et d’autres s’accusent les uns les autres. Je vois plus de visages confus que je m’y attendais. Je pensais que toutes les filles de la maison avaient vu la vidéo et se moquaient de nous dans notre dos. Or, en dehors de Nancy et Robin, je ne vois que deux ou trois filles qui semblent être au courant. Naturellement, c’est Abigail que j’examine le plus longtemps. Elle fronce gravement les sourcils, mais je ne sais pas ce que ça signifie. Est-ce qu’elle est abasourdie ? Perplexe ? Ses yeux verts passent d’une sœur à une autre. Est-ce qu’elle cherche la coupable ou… des alliées ? – Ah non, c’est mort ! gronde Charlotte en agitant son index. Ce n’est pas le moment de rester silencieuses. Si vous avez été assez grandes pour penser que ce serait une bonne idée, c’est trop tard pour faire marche arrière. Quelqu’un va avouer tout de suite, sinon on va passer la nuit ici. Et toute la journée de demain. Jusqu’à la fin des temps si besoin, jusqu’à ce que l’une d’entre vous se dénonce. Abigail reste là, les bras croisés, parfaitement silencieuse. Je ne tiens plus. – Abigail, tu as quelque chose à dire ? Elle recule comme si je l’avais giflée. – De quoi tu parles ? – Ben, je me disais que tu avais peut-être quelque chose à ajouter à cette conversation, étant donné tout le mal que tu me souhaites. Sasha écarquille les yeux et se tourne lentement vers moi. – Tu m’accuses ? s’écrie Abigail d’une voix aiguë. Je n’ai rien à voir avec ça ! – Ah bon ? Parce que tu es la seule personne dans cette pièce qui a décidé de me gâcher la vie, donc… – Il n’y a que deux personnes qui ont le mot de passe pour accéder aux archives, dit Charlotte en regardant Abigail. Et tu es la deuxième. – Ce n’est pas moi ! Je te le jure. Ok, je veux bien admettre que Taylor et moi, on ne s’apprécie pas, mais je ne téléchargerais jamais une vidéo d’une autre femme sur un site porno, même pour me venger. – Même une femme que tu détestes ? Abigail baisse les bras et, pour la première fois depuis des années, elle me regarde avec un air parfaitement sincère. – Même pas si c’était ma pire ennemie. Je ne suis pas comme ça. La pièce redevient silencieuse et je continue à dévisager la blonde qui me pourrit la vie depuis si longtemps. Merde, je la crois. – Alors c’est qui ? je demande. Qui a voulu m’humilier ? Parce que je sais que c’est moi qui suis visée dans cette histoire. Même si Rebecca et moi ne nous sommes pas parlé depuis notre arrivée, je ne connais personne qui ne l’apprécie pas, surtout au point de vouloir l’humilier comme ça. C’est forcément moi, la cible. – Le mot de passe est enregistré sur mon téléphone, dit Abigail d’un ton de plus en plus anxieux. Si quelqu’un avait hacké mon téléphone… Je ne sais pas si c’est intentionnel ni même si elle est consciente de le faire, mais son regard se pose sur Jules, qui essaie de se fondre dans le décor. Quand Jules réalise qu’elle a été désignée, elle affiche un air paniqué. – Tu as hacké mon téléphone ? demande Abigail d’un ton horrifié. Jules semble d’abord sur le point de nier, mais elle change d’avis et elle finit par rouspéter en levant les yeux au ciel. – C’était juste une blague, ok ? Elles sont toutes les deux habillées, pourquoi on en fait tout un plat ? Abigail est bouche bée. – Mais pourquoi ? Pourquoi tu as fait ça ? Jules hausse les épaules, comme si elle cherchait à dédramatiser la situation. – L’autre soir, tu te souviens ? Kev demandait combien de vues les seins de Taylor auraient sur PornHub. Plus tard dans la soirée, je suis allée voir Duke à la maison Sigma, et Kevin était là. On a parlé et je lui ai dit que je pouvais avoir une vidéo de ses seins. Alors, la fois d’après, quand tu as laissé ton téléphone, j’ai essayé plusieurs mots de passe jusqu’à trouver le bon, raconte Jules en secouant la tête avec un air de défiance. C’est juste une blague. Pourquoi tout le monde en fait tout un drame ? – Putain, Jules, ça te tuerait de réfléchir pour une fois ? – Ta gueule, Sasha. C’est Taylor qui a commencé en embrassant l’ex d’Abigail ! C’est elle la traîtresse. Et elle aurait déjà quitté les Kappa si tu n’étais pas toujours en train de prendre sa défense. – Tu es une vraie connasse, Jules, tu le sais ? J’écarquille les yeux, parce que c’est Rebecca qui a parlé. – Oh, va te faire foutre, Rebecca ! – Taisez-vous toutes ! hurle Charlotte. Elle ferme les yeux et se masse les tempes, comme une mère qui essaie de se ressaisir avant de passer un savon a ses enfants. – Je demande un vote immédiat, déclare Abigail. Je fronce les sourcils et la vois mettre un coup de coude à Olivia, à ses côtés, qui appuie sa motion même si elle ne sait pas pourquoi. Charlotte hoche lentement la tête. – D’accord, quelle est ta proposition ? – Que toutes celles qui sont d’accord pour exclure Jules des Kappa Chi lèvent la main. Attendez. Quoi ? Je m’attendais à ce qu’Abigail protège Jules et à ce que Charlotte protège Abigail. Ça fait si longtemps que je suis le vilain petit canard de cette sororité que mes espoirs d’être soutenue par qui que ce soit avaient disparu depuis bien longtemps. La motion d’Abigail me fait changer d’avis sur la maison Kappa, surtout quand je vois mes sœurs se rallier une à une à ma cause. Rebecca est la première à lever la main, puis c’est au tour de Lisa, Sasha, Olivia et Beth. Les mains se lèvent peu à peu, encouragées par la majorité grandissante. Je suis la dernière à lever la mienne. – Bien, dit Charlotte en hochant la tête. Julianne Munn, à l’unanimité, les membres de la maison Kappa Chi de Briar ont perdu confiance dans ton engagement et dans ton respect des principes de notre sororité. En conséquence, tu es exclue des Kappa ainsi que de cette maison, déclare-t-elle avant de marquer une pause pour dévisager Jules, qui ne répond pas. Ben, dégage ! – Tu te fous de moi ? C’est injuste ! dit Jules en regardant Abigail. Elle balaie la pièce des yeux, choquée et vexée que personne ne prenne sa défense. – Vous êtes sérieuses ? Ok. Allez toutes vous faire foutre. Je vous souhaite une belle vie. Elle se précipite à l’étage, laissant le reste des sœurs stupéfaites par ce qui vient de se passer. Je les comprends. – Taylor… dit une petite voix timide. C’est Nancy, qui me regarde d’un air navré. – Je suis vraiment désolée qu’on ait regardé ce truc. On cherchait le meilleur moyen de vous en parler quand Rebecca nous a vues. – Shep m’a envoyé le lien à peine cinq secondes avant que tu arrives, ajoute Robin en regardant Rebecca. On ne se moquait pas de vous, je vous le jure. Rebecca et moi hochons toutes les deux la tête. Je ne suis pas certaine de les croire, mais elles se sont excusées, au moins. Charlotte déclare la réunion terminée et je vois Abigail se frayer un passage vers moi. – Taylor, attends. Je veux te parler, dit-elle. Je n’ai aucune envie d’entendre ce qu’elle a à dire. Elle a choisi ce moment pour se découvrir une conscience, tant mieux pour elle. Mais je ne vais pas la féliciter pour autant. Ça ne fait pas de nous des amies. Au lieu de ça, je remonte à l’étage avec Sasha et Rebecca disparaît dans sa chambre. J’aimerais savoir comment la réconforter, mais lorsque je me retrouve dans la chambre de Sasha et aperçois mon reflet dans le miroir, je me souviens tout à coup que c’est mon anniversaire et que Conor va arriver. Il sera là d’une minute à l’autre, et je ne suis pas en état de sortir. – Je ne peux pas faire ça, je marmonne en allant dans la salle de bains de Sasha pour me démaquiller. – Alors partons d’ici, dit-elle depuis l’embrasure de la porte. Dis à Conor de nous rejoindre chez toi et d’apporter de l’alcool. On peut rester chez toi et se la coller. – Non, je veux dire que je ne peux pas le voir. J’ai la nausée rien que d’y penser. – Tu veux que je l’appelle ? Que je lui dise que tu es malade ? Je croise le regard de Sasha dans le miroir et elle déchiffre mes intentions. – Tu vas lui dire ? Lui dire quoi ? Que je suis désormais le sujet tendance du site porno le plus connu au monde ? Que quand il parlera de moi à sa mère et à son beau-père, ils pourront aller sur internet pour voir mes seins ? Que les notes et commentaires attribués à ma mère sur le site du MIT incluront désormais un lien vers les seins de sa fille ? Mon estomac se soulève à nouveau et la panique refait surface. Mon Dieu. Ça va affecter ma vie entière. Que se passera-t-il quand les directeurs d’écoles primaires et les parents de mes élèves découvriront Mademoiselle Marsh et ses célèbres tétons ? Je serai bannie des écoles de tout le pays ! – Taylor… Je dégage la main de Sasha de mon épaule et me jette sur les toilettes pour vomir. Je n’ai pas choisi ça. Je n’ai pas choisi de devenir un spectacle ni d’être humiliée. L’idée que Conor va devoir gérer ça aussi me donne envie de pleurer. Ses coéquipiers vont voir la vidéo. Ils vont se branler le soir et ricaner chaque fois qu’ils me verront. Ils imprimeront des arrêts sur image et les afficheront dans les vestiaires. Il ne mérite pas que sa copine soit une source de honte. Et puis, quoi ? Il passera sa vie à me défendre ? À me soutenir et à prendre sur lui chaque fois que je m’effondrerai, c’est-à-dire quotidiennement ? Je ne peux pas vivre comme ça, penser que chaque personne que je croise m’imagine à poil, savoir que je fais honte à mon mec, même s’il prétend l’inverse. Je ne peux pas. Je peux plus le voir. Je ne peux pas, c’est tout. – Ramène-moi chez moi, je dis en me levant, les jambes tremblantes. Je lui écrirai en chemin. – Tout ce que tu veux, acquiesce Sasha. Je rassemble mes affaires et descends dans l’entrée. Mais l’univers me déteste, donc bien sûr, Conor est en avance. Il est en train de remonter l’allée quand nous ouvrons la porte. Il est vêtu d’un costume noir et il porte un énorme bouquet de fleurs. Je ne me lasserai jamais de le voir sur son trente-et-un, Conor est le sexe personnifié. Un fantasme incarné. Et je vais lui tourner le dos. Il sourit jusqu’aux oreilles en me voyant, puis il voit mon état et semble gêné. – Merde, tu n’es pas prête. Je suis désolé, j’aurais dû refaire un ou deux tours du pâté de maisons. Il est adorable quand il est tout excité. Pourtant je m’apprête à l’achever. – J’avais hâte, mais je peux attendre. – Je suis désolée, je réponds. Je dois annuler. C’est moi qui parle, mais la voix ne m’appartient pas. Elle est distante, étrange. Je sens que je me replie sur moi-même, sous la lumière du porche de la maison. Mon esprit se détache de mon corps, se ferme au monde extérieur. – Pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Il pose le bouquet par terre et essaie de me prendre dans ses bras, mais je m’éloigne. S’il me touche, ma détermination partira en fumée. Je ne suis pas assez forte pour résister à Conor Edwards. – Taylor, qu’est-ce qui ne va pas ? Je ne parviens pas à répondre. Je me rappelle combien j’étais frustrée il y a un mois, quand il ne me parlait pas, et voilà que je lui fais la même chose. Pourtant son problème a été réglé en parlant à sa famille. Alors que mon problème n’est pas près de partir. La vérité ne m’aidera en rien, parce que l’Internet est éternel. Comment je peux lui demander de supporter mon problème à long terme ? Il a déjà été si patient et si encourageant, mais là, c’est trop. Pour n’importe qui, même pour moi. Je vois son air surpris, et je sais ce qui va suivre, de la souffrance, un sentiment de trahison. Je ne veux pas lui faire ça, il mérite mieux. C’était compliqué dès le début entre nous, et peut-être qu’il est normal que ce soit compliqué jusqu’à la fin. Il ne comprendra pas, mais il s’en remettra. Les mecs s’en remettent toujours. – Je suis désolée, Conor. C’est fini. 39 Conor Ce n’est pas drôle, mais elle me fait forcément une blague, non ? Si c’est le cas, elle est sacrément tordue. Merci, mais plutôt que de recevoir tes cadeaux, je préfère te filer une crise cardiaque. – Taylor, arrête. – Je suis sérieuse. Lorsque je suis arrivé à la maison Kappa, j’ai trouvé qu’elle se comportait de manière bizarre, comme si elle cherchait à s’enfuir, avec son sac sur l’épaule et son air épuisé. En fait, si je ne la connaissais pas mieux, je penserais qu’elle a la gueule de bois. Mais elle est froide, aussi. Son visage est dur et impassible, comme si ma Taylor n’était plus là. – Écoute, je suis désolée, mais tu vas devoir l’accepter. C’est fini, répète-t-elle en haussant les épaules. Je dois y aller. Tu parles ! – Parle-moi. Sasha est avec elle et elles marchent vers la voiture rouge garée dans la rue. Je laisse les fleurs par terre et les suis, il est hors de question qu’elle me fasse ça aujourd’hui. – Tu es vraiment en train de rompre avec moi ? Le jour de ton anniversaire ? À quoi tu joues, Taylor ? – Je sais que ce n’est pas cool, dit-elle en pressant le pas toujours sans me regarder, mais c’est comme ça. Juste… je suis désolée. – Je ne te crois pas. Je me mets devant elle. J’ai besoin qu’elle me regarde dans les yeux et qu’elle me dise la vérité. Du coin de l’œil, je vois Sasha essayer de s’éloigner discrètement, mais Taylor lui lance un regard paniqué et elle s’arrête immédiatement et reste à quelques pas de nous. – Tu peux croire ce que tu veux. – Je t’aime. Et hier, je pensais qu’elle m’aimait aussi. – Il s’est passé quelque chose, j’en suis certain. Dis-moi juste ce que c’est. Si quelqu’un t’a dit quelque chose qui t’a fait croire que… – C’était juste une passade, Conor, c’est fini maintenant. Tu rebondiras, dit-elle en rivant les yeux sur ses pieds. On s’est tous les deux emballés. – Mais qu’est-ce que ça veut dire, bon sang ? Cette femme me rend fou. Je ne comprends pas, hier elle était dans mon lit et, aujourd’hui, elle s’enfuit en courant. – J’étais sincère, moi. Je le suis toujours. Et je sais que toi aussi. Pourquoi tu me mens ? – Je ne mens pas. Son ton ne me convainc pas et plus elle me raconte de conneries, moins je me rappelle pourquoi je suis planté là comme un abruti pendant qu’elle piétine mon cœur. – Tu peux appeler ça comme tu veux, mais… – Une relation, je l’interromps, c’est une putain de relation sérieuse. – Ben, plus maintenant. Elle soupire et je me dis qu’elle se contrefiche de moi. Sauf que je la connais mieux qu’elle ne veut bien l’admettre. – Le semestre touche à sa fin, de toute façon. Tu vas rentrer en Californie et moi je rentre à Cambridge, donc… les relations longue distance ne marchent jamais. – Je voulais que tu viennes me voir. J’en ai déjà parlé à Max et à ma mère, je réponds en secouant la tête, frustré. Ils ont hâte de te rencontrer, T. Ma mère redécore déjà une des chambres d’amis pour toi. – Ouais, ben… Elle passe d’un pied sur l’autre et son regard s’arrête sur l’herbe, la route, partout sauf sur moi. – Je ne sais pas d’où t’est venue l’idée que je voulais passer l’été avec tes parents. Je n’ai jamais dit oui. Taylor n’est pas une personne méchante. Elle ne traite pas les gens de cette manière. Même moi. Même quand je lui brisais le cœur parce que j’avais trop peur de l’affronter, elle n’était pas aussi cruelle. Mais là… – Pourquoi tu fais ça ? Cette personne n’a rien à voir avec celle que j’ai appris à connaître ces derniers mois. – Si tout ça est à cause de Kai, je suis désolé. Je pensais qu’on… – Peut-être que vous devriez prendre la nuit pour réfléchir et en reparler demain, propose Sasha en regardant Taylor. Je ne la connais pas bien, mais même Sasha semble se comporter de façon étrange. Taylor essaie de me contourner et je lui barre la route. Elle rive alors sur moi un regard qui pourrait ressembler à de la colère, mais qui est en fait de la résignation. – Parle-moi, Taylor. Je me sens perdu et je ne sais pas comment l’atteindre, comment briser la barrière qu’elle a érigée entre nous. Je ne me suis jamais senti aussi loin d’elle, même le soir de notre rencontre. C’est comme si j’étais invisible. – Tu me dois au moins ça. Dis-moi juste la vérité. – Je ne te veux plus comme petit ami, ok ? Tu es content, maintenant ? Merde, son flingue était chargé, cette fois, et la balle me transperce le cœur. – Sérieusement, Conor, tu es un chouette type et tu es beau, mais qu’est-ce que tu as d’autre à offrir ? Tu ne sais même pas ce que tu veux faire de ta vie. Tu n’as aucune ambition, aucun projet. Et c’est très bien pour toi. Tu peux vivre chez tes parents et traîner sur la plage pour le reste de ta vie. Eh ben moi, j’aspire à plus. C’était cool, mais on sera seniors l’an prochain, et je suis prête à grandir. Pas toi. Sur ce, elle saisit la main de Sasha et me passe devant en me bousculant. Cette fois, je la laisse partir. Parce qu’elle a appuyé là où ça fait mal. Elle vient de dire à voix haute ce que j’ai toujours su et que j’espérais qu’elle ne verrait jamais, que nous sommes sur des voies différentes. Taylor est brillante et motivée. Elle réussira tout ce qu’elle entreprendra. Moi… je suis un bon à rien. Je suis constamment à la dérive, porté par les courants, sans objectif ni destination. La voiture de Sasha démarre et disparaît à l’angle de la rue. Une douleur vive transperce soudain mon ventre tandis qu’un souvenir lointain et enfoui jaillit à la surface. Le souvenir d’un enfant, dans une pièce sombre, qui pleure sans être consolé. C’est la première fois que j’ai compris que je n’avais pas de père, quand j’ai été suffisamment grand pour réaliser que les autres enfants en avaient un, mais pas moi. Et pas parce qu’il était décédé, mais parce qu’il ne voulait pas de moi. J’ai compris que j’avais été abandonné. Il devait arriver tôt ou tard, le moment où Taylor ouvrirait les yeux et comprendrait qu’elle mérite mieux que moi. Qu’elle m’a pardonné trop rapidement de l’avoir délaissée pour Kai. Je lui ai tourné le dos et j’ai attendu trop longtemps pour prendre conscience de mes sentiments pour elle. J’ai attendu trop longtemps pour lui faire part de mes intentions. J’ai été égoïste de penser qu’elle avait besoin de moi et qu’elle me voulait suffisamment pour être patiente. Je l’ai négligée parce qu’avant elle, personne ne m’avait jamais donné le sentiment de m’accepter pour ce que je suis. Personne ne m’avait donné autant confiance en moi qu’elle. Et maintenant, la plus belle chose qui me soit arrivée vient de disparaître au coin de la rue. 40 Taylor Je ne regarde plus que des émissions dans lesquelles les gens ont des accents britanniques. C’est comme partir en vacances et ne pas avoir à mettre de pantalon. Vendredi, j’ai séché les cours, ce n’était qu’un rattrapage, de toute façon. J’ai éteint mon téléphone et j’ai plongé dans ma liste de trucs à regarder qui moisit depuis des mois. Quand j’ai compris que ça ne me changeait toujours pas les idées, je me suis inscrite à un mois d’essai sur une dizaine de plateformes de streaming. À ce stade, je me suis aperçue que les jolis petits villages fleuris sont les lieux de prédilection des tueurs en série. Et que les émissions de rencontres amoureuses sont meilleures lorsque les protagonistes ont un accent. Cela dit, j’ai également remarqué qu’il y a un manque sévère d’alcool dans ces émissions, comment les gens sont-ils censés péter un câble et se mettre à balancer des chaises s’ils sont sobres ? En tout cas, ils sont adeptes des lèvres refaites et des rajouts. – J’aime bien celle qui dit que tous les mecs sont « charmants », je dis à Sasha. Elle est sur haut-parleur pendant que je regarde une émission qui est comme un Tinder géant, sauf qu’ils habitent tous ensemble. – Et les mecs appellent les nanas des « gonzesses ». J’ai l’impression que l’Angleterre est restée coincée dans les années 50. – Ok… répond Sasha d’un ton ennuyé. Tu t’es douchée, aujourd’hui ? Elle n’apprécie clairement pas les émissions de télé aussi sophistiquées. – On est samedi. – Ah, et donc on ne se douche plus le samedi, maintenant ? Roh, ce qu’elle peut être coincée… – L’eau ne pousse pas sur les arbres, tu sais. Après que Sasha m’a ramenée chez moi, jeudi soir, j’ai enfilé un jogging, je me suis installée sur le canapé et j’ai regardé British Cottage Murder Detective Priest en mangeant une boîte entière de Cheerios avant de m’endormir dans la même position. Quand je me suis réveillée ce matin, je me suis fait livrer d’autres céréales, et j’ai poursuivi mon binge-watching. Ce sera ma vie, à présent. Avec les livraisons à domicile et les cours en ligne, pourquoi sortir de la maison ? – C’est la fin du semestre. Ce n’est pas ce que sont censés faire les étudiants ? Traîner en survêt en regardant la télé et en mangeant des produits transformés ? – Pas depuis que ceux de la génération Y ont tous lancé leurs start-up, Taylor. – Ben, je suis de la vieille époque, alors. – Tu te planques, dit-elle d’un ton sec. – Et alors ? C’est vrai, non ? Je n’ai pas le droit ? On m’a traînée au milieu de la scène en pleine AG étudiante, et on m’a foutue à poil devant tout le monde. En tout cas, c’est comme ça que je l’ai vécu. On ne peut pas m’en vouloir d’avoir envie de m’enfermer dans une grotte et de m’échapper en matant la vie des autres pendant quelque temps, si ? – Bon, ton intimité a été violée, commence Sasha d’un ton plus doux. – J’en ai conscience, merci. – Tu n’as pas envie de faire quelque chose pour te défendre ? On peut faire retirer la vidéo. On peut aller voir les flics. Je t’aiderai. Tu ne devrais pas te contenter de l’accepter et de souffrir. – Et je vais faire quoi ? Faire arrêter Jules ? – Oui ! s’écrie-t-elle. Et le connard de mec d’Abigail ! Ou plutôt son ex, si j’en crois les cris que j’ai entendus dans sa chambre, hier soir. Ce que ces deux-là ont fait est un crime, Taylor. Dans certains endroits, ils seraient jugés comme délinquants sexuels. – Je ne sais pas… Aller voir les flics implique de faire une déclaration, d’être assise dans une pièce avec un mec qui lorgne sur mes seins pendant que je lui raconte mon humiliation. Ou pire : une femme convaincue de sa droiture qui me dit que ça ne serait pas arrivé si je ne m’étais pas mise moi- même dans cette situation. Merci, mais je préfère m’en passer. – Si c’était moi, j’aurais tout de suite commencé la chasse à l’homme. – Sauf que je ne suis pas toi. J’apprécie la fougue de Sasha. C’est ce que j’aime le plus chez elle. Elle est tout ce que je ne suis pas : vengeresse et confiante. Je ne suis pas faite comme ça. – Je sais que tu essaies de m’aider. Merci. Mais j’ai encore besoin de temps pour réfléchir. Je ne suis pas prête. La vérité, c’est que je n’ai pas encore réussi à me faire à ce qui s’est passé, et encore moins à ce que ça implique. Quand mon réveil a sonné hier matin, pour les cours, j’ai tout de suite été paralysée par l’angoisse. J’ai eu envie de vomir, rien qu’en m’imaginant traverser le campus sous les regards et les messes basses de tout le monde. J’ai imaginé les têtes se tourner sur mon passage, mes camarades regarder la vidéo sous leur pupitre. Les gloussements et les regards insistants. Je n’en étais pas capable. Donc je suis restée chez moi. Quand j’ai mis la télé sur pause, j’ai même écrit à Rebecca. Je ne sais pas pourquoi ; je suppose que j’avais envie qu’on partage notre malheur. Elle n’a pas répondu, et c’est sans doute mieux comme ça. Peut-être que si on s’ignore et qu’on fait l’autruche, tout disparaîtra. – Tu as eu des nouvelles de Conor ? demande Sasha d’un ton prudent, comme si elle avait peur que je raccroche en entendant sa question. Et je suis à deux doigts de le faire. Parce qu’il me suffit d’entendre son prénom pour que mon cœur se brise. – Il m’a envoyé des messages, mais je les ignore. – Taylor… – Quoi ? C’est fini, je marmonne. Tu étais là quand je l’ai largué. – Oui, j’étais là, donc je sais que tu n’avais pas les idées claires. Tu as fait tout ce que tu as pu pour le repousser. Je comprends, ok ? Quand on est en crise, on retombe toujours dans nos pires travers. Tu as eu peur qu’il te juge ou qu’il ait honte à cause de toi… – Je n’ai pas besoin d’un cours de psycho, Sasha, s’il te plaît. Laisse tomber. Il y a un court silence. – Ok, je lâche l’affaire. Je suis là pour toi, je ferai tout ce que je peux. Je lâcherai tout pour t’aider. – Je sais. Tu es une bonne amie. Lorsqu’elle répond, j’entends son sourire dans sa voix. – Oui, je le suis. Je raccroche et retourne à mes émissions et à mon grignotage intensif. Quelques épisodes plus tard, quelqu’un frappe à ma porte. Étonnée, je me demande si j’ai oublié que j’ai commandé quelque chose. Mais on frappe à nouveau et j’entends Abigail me demander de la laisser entrer. Merde. – Avant de me dire d’aller me faire voir, commence-t-elle quand j’ouvre la porte à contrecœur, je viens en paix. Pour m’excuser. – Ok, pas de problème, je réponds pour me débarrasser d’elle. Tu t’es excusée. Ciao. J’essaie de refermer la porte, mais elle la pousse et se faufile dans l’entrée avant que je puisse lui claquer la porte au nez. – Abigail… j’ai juste envie d’être seule. – Ouais… Elle grimace en voyant mon survêtement que personne n’était jamais censé voir. – … je vois ça, dit-elle. – Qu’est-ce que tu fais là, bon sang ? Abigail étant ce qu’elle est, elle s’installe dans la cuisine sur un tabouret de bar. – J’ai appris que tu avais rompu avec Conor. – Tu es sérieuse ? Tu veux commencer par ça ? Je n’en reviens pas, bon sang ! – Ce n’est pas ce que je voulais dire, répond- elle en soupirant, je veux dire que je pense que tu commets une erreur. Sa façade disparaît, cet air de pétasse qui ne la quitte jamais. Pour la première fois depuis longtemps, elle me regarde sans méchanceté ni moquerie. C’est un peu… flippant. Mais je ne suis pas encore prête à me fier à elle et à ses bonnes intentions et je me place de l’autre côté de l’îlot central en la fusillant du regard. – Qu’est-ce que ça peut te faire ? En même temps, je me fiche de ce qu’elle pense. – Ok, écoute… Je fais la même chose, moi aussi, dit-elle d’une voix douce. Tu es blessée et tu as honte, et tu as envie de repousser tout le monde. Surtout les personnes les plus proches de toi. Comme ça, personne ne verra combien tu souffres. Ils ne sauront pas ce que tu penses de toi- même. Je comprends. Vraiment. D’abord Sasha, et maintenant Abigail ? On ne peut pas me laisser tranquille, bon sang ? – Comment tu peux prétendre me comprendre ? Tu passes d’un mec à l’autre comme tu changes de collant. – J’ai mes complexes, moi aussi. Ce n’est pas parce que tu ne les vois pas que je n’en ai pas. On a tous des cicatrices, à l’intérieur. – Ouais, ben, je suis navrée que tu aies des traumatismes, mais tu fais partie des miens, donc… Si Abigail s’en veut parce que, tout à coup, elle a réalisé combien elle avait été ignoble avec moi, elle va devoir trouver le salut ailleurs. Elle a peut- être de la compassion pour moi, mais je n’en ai aucune pour elle. – C’est justement de ça que je parle. J’ai tellement manqué d’assurance après que tu as embrassé le mec avec qui je sortais, à cause d’un défi pourri, que le seul moyen que j’ai trouvé pour le supporter a été de déverser ma souffrance sur toi. Après ce baiser, il parlait sans cesse de tes gros seins et m’a même demandé si j’avais déjà pensé à me faire poser des implants… Tu sais à quel point ça a été humiliant ? Je fronce les sourcils en la regardant. Je ne savais pas. Enfin, je savais qu’elle était en colère. Mais si le mec avec qui je sortais parlait constamment des seins d’une autre en les comparant aux miens… j’aurais pété un câble, moi aussi. – Au lycée, commence-t-elle en dessinant des cercles sur le plan de travail, on m’appelait « pancake ». Je n’avais même pas assez de seins pour remplir une brassière. Tu dois penser que c’est débile d’être obsédée par ça, mais la seule chose que j’ai toujours voulue, c’est de me sentir bien dans mes fringues, tu sais ? De me sentir sexy. Que les mecs me regardent de la même façon qu’ils regardent les autres filles. – Mais tu es sublime ! je réponds, exaspérée. Tu as un corps parfait et un visage magnifique. Tu sais à quand remonte la dernière fois que j’ai mis un bikini ? Je dormais encore avec une veilleuse, je rétorque en désignant ma poitrine. Ces trucs sont un énorme fardeau. Ils sont lourds, ils ne rentrent dans aucun soutif conçu par l’homme. J’ai des problèmes de dos comme si j’avais soixante-dix ans. Tous les mecs que je rencontre reluquent mes seins pour éviter de regarder le reste de mon corps. Sauf Conor. Je suis encore plus seule et misérable en y pensant. – Sauf que je me sens constamment défaillante. Je n’ai pas confiance en moi, répond Abigail. Je compense en étant… – Une garce. Elle sourit et lève les yeux au ciel. – En gros, ouais. Ce que je veux dire, c’est que j’avais tellement l’impression d’être minable que j’ai repoussé les autres. C’est ce que tu es en train de faire avec Conor, et ça craint. Je ne sais pas à quel moment vous avez arrêté votre petit jeu avec moi, et je m’en fiche. N’essaie pas de le nier, je voyais clair dans votre mascarade. Mais, à un moment donné, les choses ont changé et vous avez formé un vrai couple. Ouais, je l’ai vu aussi. Il est clairement amoureux de toi et, à en croire ton changement d’attitude ces dernières semaines, tu es amoureuse de lui aussi. Alors, pourquoi gâcher tout ça parce que quelqu’un d’autre a fait un truc affreux ? – Tu ne comprends pas. Car c’est vrai, elle ne peut pas comprendre. Et je ne sais pas quoi lui dire d’autre, car tout sonne comme une excuse. L’idée de voir Conor me donne la nausée et je me mets à trembler des pieds à la tête. – Merci d’être venue, mais… – Ok. Elle se tourne vers la porte, sentant que je m’apprête à lui dire de partir. – On ne parlera plus de Conor. Ni du fait que les fleurs qu’il a laissées pour toi prennent toute la table basse du salon. Est-ce que tu es allée voir la police ? Elle plaisante, là ? – C’est Jules qui t’a envoyée ? – Non, répond-elle aussitôt. C’est juste que si tu veux porter plainte, j’irai avec toi. Je peux expliquer comment Jules a eu accès la vidéo, et cætera. Je serai ton témoin, si tu veux. Je suis épuisée. – Tu sais, je commence à en avoir assez que tout le monde me dise quoi faire, c’est fatigant. Je ne peux pas respirer une minute, bon sang ? – Je sais que ça fait peur, mais tu devrais vraiment porter plainte, insiste Abigail. Si tu n’agis pas tout de suite, la vidéo va continuer à être partagée. Il se passera quoi si tu postules pour un job, un jour, ou si tu te présentes à une élection et que la vidéo ressort ? Ça va te suivre toute ta vie, dit-elle en haussant les sourcils. Ou alors, tu peux faire quelque chose. – Tu es certaine d’être la mieux placée pour me donner des conseils ? C’est facile pour les autres de dire que je dois ravaler ma fierté et agir, et c’est vrai que si elle était à ma place, je lui dirais peut-être la même chose. Sauf que, de mon point de vue, la perspective est bien différente. Je n’ai pas envie de peser le pour et le contre entre un procès, les dépositions, les gros titres et les camions de la presse, et le fait de me cacher sous la couette pour ne plus jamais en ressortir. La deuxième option est bien plus confortable. – Tu as raison. J’ai été horrible avec toi. Je n’ai pas su gérer ce que je ressentais, admet Abigail en triturant ses ongles. Tu étais ma meilleure amie pendant la semaine de bizutage. – Ouais, je m’en souviens, je réponds, amère. – J’avais hâte qu’on soit sœurs. Puis tout a basculé. C’est de ma faute. J’aurais dû réagir et t’en parler. J’ai perdu une amie. Mais j’essaie de me rattraper. Laisse-moi t’aider. – Pourquoi je ferais ça ? Je suis ravie qu’Abigail ait eu une illumination, mais ça ne veut pas dire pour autant qu’on va devenir meilleures amies. – Parce que, dans les moments comme ça, les femmes doivent se serrer les coudes. Ça dépasse tout le reste. Jules a commis une faute grave. Personne ne mérite ce qu’elle a fait. Je veux qu’elle soit punie pour toi, mais aussi pour nous toutes. Même si tu ne me parles plus jamais, après ça, je suis avec toi. Toutes les Kappa sont avec toi, Taylor. Je dois admettre qu’elle semble sincère. Je suppose que ça veut dire qu’elle n’est pas dénuée de toute humanité. Il a dû lui falloir du courage pour venir ici. Elle marque des points en admettant qu’elle a été horrible avec moi. Il faut une certaine intégrité pour le faire. Peut-être qu’il n’est jamais trop tard pour devenir une bonne personne. Et ça vaut pour tout le monde. – Je ne promets pas d’aller voir les flics, mais je vais y réfléchir. – Ça marche, dit-elle en souriant timidement. Est-ce que je peux te suggérer autre chose ? Je lève les yeux au ciel et souris. – S’il le faut, oui. – Laisse au moins ma mère envoyer des mises en demeure à tous les sites qui véhiculent la vidéo. Elle est avocate, explique Abigail. Souvent, elle arrive à faire peur aux gens rien qu’avec un courrier. Tu n’as rien à faire et tu n’auras à parler à personne. En fait, c’est une super-idée. Je redoutais d’avoir à gérer tout ça. Si la mère d’Abigail peut se servir de son diplôme en droit pour essayer de la faire disparaître, autant en profiter. – J’apprécierai beaucoup, je réponds d’une voix tremblante. Et j’apprécie que tu sois venue. – Alors… Elle fait tourner son tabouret comme une gamine. – … on n’est plus ennemies jurées ? – Disons qu’on est plutôt comme des demi- sœurs. – Ça me va. 41 Conor Un klaxon retentit et je sursaute avant d’essayer de m’asseoir, mais je me cogne le front. Je ne sens pas mes jambes. Quelque chose appuie sur mes côtes. Mon bras est engourdi sous moi et l’autre est anesthésié, coincé sous… Le klaxon retentit à nouveau et transperce mes tympans. Putain. – Réveille-toi, tocard ! Le klaxon cesse. Ma tête retombe et je découvre un superbe ciel bleu ainsi que le visage d’Hunter Davenport. Je réalise soudain que je suis couché au pied des sièges arrière de sa Land Rover et que ma tête pend par la portière ouverte. – Putain, c’est quoi ce bordel ? je marmonne en essayant de démêler mes membres et de mettre mon cerveau en route. Je ne parviens pas à me libérer de ce piège. – On te cherche depuis hier soir, abruti. Hunter me saisit par les bras et m’extirpe de son véhicule pour me laisser retomber sur le trottoir. J’ai des fourmis dans tout le corps et je fais un effort surhumain pour me lever en m’appuyant contre la voiture pour tenir debout. Mon cerveau est embrouillé. J’ai affreusement mal à la tête. L’espace d’un instant, je crois avoir repris le contrôle de mon corps. Mais, l’instant d’après, je sprinte en titubant vers la pelouse et vide mon estomac d’un mélange qui a un goût de Red Bull, de Jäger et de whiskey à la cannelle. Je me déteste. – Tu te sens mieux ? demande Hunter d’un ton joyeux en me tendant une bouteille d’eau. – Non. Je bois quelques gorgées et me rince la bouche en recrachant dans les buissons. Tiens, je connais ces buissons. Ils sont près de chez moi. Mais je ne me souviens pas d’être parti de la fête et je ne me souviens pas d’être monté dans la voiture d’Hunter. Où est ma Jeep ? – Attends, tu as dit que tu me cherchais ? – Mec, tu t’es volatilisé, hier soir. Je fouille dans mes poches et j’y trouve mes clés, mon téléphone et mon portefeuille. C’est un bon début. On retourne à la voiture d’Hunter et je m’appuie contre le coffre pour faire l’inventaire de mes derniers souvenirs. Il y avait une fête chez une amie de Demi. Les mecs étaient tous là. On a fait un bière-pong, comme d’hab. Je me souviens d’avoir bu des shots avec Foster et Bucky. Et une fille. Merde. – Tu es parti où ? demande Hunter en lisant la panique sur mon visage. – Je crois que j’ai bécoté une meuf… ? – Ouais, on a tous vu. Vous étiez collés l’un à l’autre dans la cuisine. Puis vous avez disparu. Merde. – Elle m’a emmené dans une des chambres. On se roulait des pelles quand elle a essayé de baisser mon pantalon pour me sucer et j’ai paniqué. Je ne pouvais pas. – À cause du whiskey ? – J’étais mou comme un blanc de poulet cru, je réponds avant de me creuser la tête. Je crois que je l’ai plantée là. – Demi l’a vue redescendre, mais on ne t’a plus trouvé, après ça, explique Hunter. On t’a tous cherché, on t’a appelé, on s’est dispersés dans le quartier pour te retrouver. Toute la soirée est floue et il y a de nombreux trous noirs. Les images reviennent par bribes. – Je crois que je suis sorti de la maison par l’arrière. Il y avait trop de monde dans le jardin et je ne trouvais pas le portillon, donc je crois que je suis passé par-dessus la haie. Je regarde mes mains, qui sont couvertes d’égratignures, et je découvre que mon jean est déchiré. On dirait que j’ai dévalé une montagne. – Après, je crois que j’ai décidé de rentrer à pied, mais je ne savais pas dans quelle direction aller. Je me souviens de m’être senti vraiment perdu et je crois que je n’avais plus de batterie, donc je me suis dit tant pis, je vais attendre qu’un des mecs me ramène à la maison. Je ne sais pas pourquoi, mais je suppose que j’ai dû m’installer sur ta banquette arrière. – Putain, mec ! Hunter me regarde en riant et en secouant la tête. – J’ai laissé ma voiture à la fête après qu’on a arrêté les recherches. Je suis rentré à pied avec Demi parce qu’on avait tous les deux bu. Foster m’a appelé ce matin pour me dire que tu n’étais pas rentré, donc je suis revenu chercher ma voiture pour faire le tour du quartier et fouiller les fossés. Je t’ai trouvé sur le siège arrière et je t’ai ramené chez toi. – Désolé, mec. Ce n’est pas la première fois que je me réveille dans un lieu étrange après une soirée trop alcoolisée, mais c’est la première depuis que je suis à Briar. – J’ai un peu perdu le contrôle, hier soir. – Tu as perdu le contrôle toute la semaine. Hunter se tourne vers moi, les bras croisés. Il arbore sa tronche de capitaine. Celle qui dit « Je ne suis pas ton père, mais… » – Peut-être qu’il est temps de se calmer un peu sur les soirées, tu ne crois pas ? Je sais que j’étais le premier à boire pour oublier mes problèmes, avant, mais là, ça suffit. Disparaître pendant douze heures, c’est la limite. Il a raison. Je suis sorti tous les soirs depuis que Taylor m’a largué. J’enchaîne les verres comme si c’était ma mission, essayant de l’oublier en regardant le visage d’une autre. Sauf que ça ne marche pas. Ni pour mon cœur ni pour ma queue. Elle me manque. Elle, et elle seule. – Tu devrais essayer de lui reparler, grommelle Hunter. Ça fait quelques jours, maintenant. Peut- être qu’elle est prête à changer d’avis. – Je lui ai écrit. Elle ne répond pas. Je parie qu’elle a bloqué mon numéro. – Écoute, je ne vais pas prétendre savoir ce qui a mal tourné. Mais quand elle sera prête, je sais que vous trouverez un moyen de vous rabibocher. Je ne la connais pas bien, mais on voyait tous que vous étiez heureux ensemble. Elle traverse quelque chose. Comme toi, il y a quelques semaines. Peut-être que c’est à son tour, maintenant, de faire le point. Elle l’a déjà fait. Elle a pris le temps de réfléchir et de réaliser qu’elle est trop bien pour moi. J’ai beau essayer de devenir un homme meilleur, je suis loin d’être parfait, et Taylor n’a pas eu la patience d’attendre, je suppose. Quelque part, je ne peux pas lui en vouloir. Après tout, qu’est-ce que j’ai fait pour elle à part lui donner quelques orgasmes et la planter le soir du gala ? Je ravale l’amertume qui me noue soudain la gorge. Au moins, ce n’est plus du vomi. – Bref, je suis là si tu as besoin, mec. Tu le sais. Hunter me met une tape dans le dos. – Maintenant, dégage de ma voiture. Faut que je nettoie la pisse sur le siège arrière. – Ta gueule, il n’y a pas de pisse, je rétorque avant de marquer une pause. Juste du vomi, peut- être. – Enfoiré. – Merci de m’avoir ramené, je réponds en riant. À plus. J’entre dans la maison où mes colocs ne manquent pas de me chambrer à propos d’hier soir. Ils ne sont pas près de lâcher l’affaire, cette fois. Ils me proposent de bruncher, mais je suis trop fatigué et je dois faire mes cartons pour rentrer en Californie dans quelques jours. Ils partent sans moi pendant que je vais me doucher, et me rapportent une assiette de gaufres et de bacon. Après environ une heure de lessives et de cartons, quelqu’un sonne à la porte. Les mecs sont concentrés sur un jeu vidéo, donc je vais ouvrir. Je suis surpris de trouver sur le pas de la porte cinq ou six des sœurs Kappa de Taylor, menées par la célèbre Abigail qui ne me laisse même pas le temps de parler. – Je propose une trêve. On est dans le même camp. – Hein ? Je ne l’invite pas à entrer, mais ça ne l’empêche pas de le faire, elle et les six nanas qui l’accompagnent. Elles envahissent la maison et se plantent dans le salon, comme des manifestantes prêtes à organiser un sit-in. Foster me regarde, l’air inquiet, depuis le canapé. – Hunter a dit « plus de fêtes ». – Tais-toi, abruti, je rétorque avant de me concentrer sur Abigail, qui est clairement la meneuse de cette expédition. Si elle a quelque chose à dire à propos de Taylor, je veux l’entendre. – Qu’est-ce que vous faites ici ? – Écoute-moi bien, dit-elle en faisant un pas vers moi, les mains sur les hanches. Taylor ne t’a pas largué parce qu’elle ne t’aime plus. – La vache, mec ! s’exclame Foster avant de refermer brusquement la bouche quand je le fusille du regard. – Elle t’a largué parce qu’il y a une vidéo qui circule et qui la montre pendant la semaine de bizutage, en première année. Elle n’aurait jamais dû être divulguée, mais quelqu’un l’a mise en ligne pour la ridiculiser. Donc elle est humiliée, maintenant, et elle est morte de trouille, et elle ne voulait pas que tu le saches donc elle a rompu avec toi avant que tu le découvres. – Quel genre de vidéo ? je demande, confus qu’Abigail reste aussi vague. Et si elle ne voulait pas que je le sache, qu’est-ce que vous faites ici ? – Ben, si j’arrache le pansement à sa place, peut-être qu’elle arrêtera d’avoir la trouille et qu’elle décidera de se défendre. Si elle pense vraiment ce qu’elle dit, Abigail ne semble plus être l’ennemie de Taylor. Je ne sais pas ce qui a changé entre elles, c’est une tout autre question et je ne suis pas sûr que ce soit à moi de la poser. Je ne suis pas encore prêt à lui faire confiance, mais j’ai également du mal à croire qu’elle fasse tout ça juste pour jouer un sale tour à Taylor. – Se défendre contre quoi ? demande Matt depuis son fauteuil. Bonne question. Les autres mecs se tiennent plus droit et semblent inquiets. Ils en ont même oublié leurs manettes de jeu vidéo. Abigail les regarde d’un air gêné. – Le dernier soir de la semaine de bizutage, on nous a ordonné de nous mettre en débardeur et en culotte, et les seniors nous ont aspergées au tuyau d’arrosage en disant à Taylor et à une autre fille de se bécoter. Ça a été filmé. La semaine dernière, quelqu’un a volé la vidéo et la mise sur un site porno. Elle est… explicite. Je veux dire qu’on peut voir… tout. – Oh merde… dit Foster. Putain de merde ! Je suis saisi par une envie soudaine de passer mon poing à travers le mur, puis je me rappelle que la dernière fois que j’ai fait ça, je me suis cassé la main. Ma colère déferle dans mes veines, faisant bouillir mon sang, depuis la pointe de mes orteils jusqu’au sommet de mon crâne. Une rage incontrôlable accompagne les images qui envahissent ma tête, des images de mecs qui matent Taylor en se branlant dans leur piaule. Putain ! J’ai envie de leur arracher la tête. Je regarde Alec et Gavin qui sont penchés en avant, prêts à bondir. Leurs poings sont fermés, comme les miens. – Pourquoi je découvre ça seulement maintenant, si ça fait une semaine que cette vidéo circule ? – Honnêtement, je suis surprise que tu ne le saches pas déjà, répond Abigail en regardant ses sœurs avec un hochement de tête satisfait. Faut croire que nos efforts ont porté leurs fruits. – Vos efforts ? – Pour faire supprimer cette vidéo et l’empêcher de faire le tour du campus. On a ordonné à tout le monde sur la Greek Row de ne pas en parler et de ne pas la partager, mais on ne s’attendait pas à ce qu’on nous écoute, surtout quand il s’agit des fraternités. On fait tout notre possible pour éviter que la vidéo devienne virale. – Qui ? je demande d’un ton glacial. Qui l’a mise en ligne ? – Une de nos sœurs Kappa. Une ancienne sœur, rectifie Abigail. Et mon ex. C’est tout ce que les mecs avaient besoin d’entendre, qu’il y a un mec à qui on peut casser la gueule. Ils bondissent tous debout en même temps. – Il est où, ce connard ? grogne Foster. – On va lui exploser la tête sur le trottoir. – Il ne va pas comprendre ce qui lui arrive. – J’espère pour lui qu’il a rédigé son testament. – Non, gronde Abigail en levant les mains. Nous sommes venues parce qu’il faut que tu convainques Taylor d’aller voir les flics. Nous avons essayé de leur parler, à elle et à l’autre nana de la vidéo, mais elles ont peur. On espérait que si tu arrivais à faire entendre raison à Taylor, elle persuaderait l’autre fille que c’est la meilleure chose à faire. – Mais non, on s’en tape, de ça, je marmonne. Elle peut faire ce qu’elle veut, moi je vais casser la gueule à ce connard. – Tu ne peux pas. Crois-moi. Kevin est un pleurnicheur qui n’hésitera pas à aller voir les flics si tu le touches. Tu finiras en taule, et qui protégera Taylor à ce moment-là ? Donc calme- toi, mon grand, et écoute-nous. – Taylor ne me parle plus, je dis aux filles qui me regardent comme si j’étais un imbécile. J’ai essayé. – Ben, essaie encore, répond Abigail en levant les yeux au ciel. – Fais un effort, ajoute une autre. – Fais preuve d’imagination, propose une des filles qui était au diner, la dernière fois. Olivia, si je me rappelle bien. Cela dit, elles ont raison. Même si j’adorerais traîner ce connard dans la rue en l’accrochant à l’arrière de ma Jeep, ce n’est vraiment pas le moment de me faire arrêter. Tant que cette vidéo est en libre accès, Taylor est une cible. Qui sait quel genre d’horrible pervers pourrait se mettre en tête de la faire chanter ? Il faut que je sois là pour la défendre, même si elle ne le sait pas. Je ferais n’importe quoi pour la protéger. – Je vais essayer, je vais chez elle tout de suite. Si ce que dit Abigail à propos des raisons pour lesquelles Taylor a rompu avec moi est vrai, il faut que je la récupère. Jusqu’à maintenant, je n’ai pas voulu lui prendre la tête. Enfin, peut-être bien que j’ai saturé son téléphone d’appels et de messages le soir où on a rompu, mais je ne me suis pas planté sous sa fenêtre avec un mégaphone et je ne l’ai pas attendue à la sortie des cours avec une banderole. Je ne voulais pas être envahissant et risquer de la faire fuir davantage. Maintenant, je comprends que moi aussi je me cachais. Car les choses qu’elle a dites ce soir-là m’ont vraiment blessé. Elle a ravivé toutes mes angoisses et, depuis, j’essaie de soigner mon ego. Je ne lui ai pas couru après et je ne l’ai pas suppliée de me reprendre parce que, pour moi, elle n’avait aucune raison de le faire. Parce que je ne la mérite pas. Plus que tout, je crois que j’avais peur qu’elle me rejette une bonne fois pour toutes et qu’on ne puisse plus faire marche arrière. En évitant le sujet, je pouvais continuer à croire que j’avais encore une chance avec elle et qu’on finirait par se retrouver. Or, ce qu’a dit Abigail change tout. 42 Taylor Je crois que j’ai pris trois kilos, cette semaine, et j’en ai rien à faire. Je viens de me doucher pour la première fois depuis deux jours et j’enfile une tunique brodée de fleurs rouges et un jean. Ma mère m’a appelée pour m’inviter à dîner avec elle, Chad et Brenna, donc je suis obligée de faire un effort. Ce qui implique également de me brosser les cheveux. Cette fois, ils ne prennent pas de risque et décident de dîner au restau italien en ville, histoire d’éviter une nouvelle catastrophe culinaire. J’ai bien essayé de me défiler, mais ma mère ne veut rien entendre. Et puis, bien sûr, j’ai dû éviter le sujet de Conor quand ma mère m’a dit de l’inviter. Je lui ai dit qu’il était occupé et que, quoi que le coach ait pu dire, il devait sans doute préférer ne pas avoir un de ses joueurs à chacun de ses dîners de famille. Elle a accepté ma réponse, même si elle était un peu sceptique. Maman lit en moi comme dans un livre ouvert – je suis sûre qu’elle a déjà compris qu’on avait rompu, mais elle a la gentillesse de ne pas me demander de détails. J’ai beau redouter cette soirée, ça reste quand même une distraction, une pause dans mon marathon d’émissions débiles et d’apitoiement sur moi-même. Je viens de m’attacher les cheveux quand quelqu’un frappe à la porte. Je regarde l’heure sur mon téléphone et vois qu’ils sont en avance. Peu importe. Je n’avais pas envie de me maquiller, de toute façon. – J’en ai pour cinq secondes, je mets juste mes chaussures, je dis en ouvrant la porte. Mais ce n’est pas ma mère. Ni Brenna. – Hey, dit Conor. L’espace d’un instant, je reste sans voix. Comme si mon cœur avait oublié son visage, son aura, son magnétisme et son charme. J’ai oublié comment l’air devient électrique quand on est ensemble. Visiblement, mon corps est encore esclave de ses pulsions animales. – Tu ne peux pas être là, je déclare. – Tu vas quelque part ? – Oui. J’ai beau mourir d’envie de le serrer dans mes bras, je ne fais pas un geste. – Tu ne peux pas être là, Conor. Ma poitrine est déjà en train de se resserrer et des papillons s’envolent dans mon ventre. Mais j’ai également envie de lui claquer la porte au nez et de me cacher. Ma honte refait surface et se joint aux autres émotions qui m’embrouillent en le voyant. – Il faut qu’on parle. Conor remplit toute l’embrasure de la porte et la tension est palpable. – Ce n’est pas le moment. J’essaie de refermer la porte, mais il entre quand même. – Mouais, je suis désolé, mais ça ne peut pas attendre. – C’est quoi ton problème ? – Je sais tout, Taylor, répond-il d’un ton furieux. Abigail est venue chez moi et m’a tout expliqué. La vidéo, et pourquoi tu as rompu avec moi. Je suis au courant. Je suis surprise et outrée. Il est sérieux ? Je croyais qu’Abigail et moi étions d’accord ! Il va vraiment falloir qu’on travaille sur notre façon de communiquer. – Eh ben, je suis désolée qu’elle t’ait impliqué, mais ça ne te concerne pas, donc… – Je ne suis pas désolé, moi, au contraire. Qu’est-ce qui t’a fait croire que je ne serais pas à tes côtés pour surmonter cette épreuve ? Que je n’aurais pas envie d’être là pour te protéger ? J’ignore le pincement de mon cœur et fais de mon mieux pour éviter son regard. – Je n’ai pas envie d’en parler. – Allez, Taylor, c’est moi. Tu es parvenue à m’extirper mes secrets les plus sombres avant que tout soit gâché entre nous. Tu peux me parler. Ce que je ressens pour toi ne changera pas, dit-il d’une voix tremblante. Laisse-moi t’aider. – Je n’ai pas le temps pour ça. Je n’ai pas l’énergie, non plus. Je suis épuisée. Je n’ai pas la force de me battre, cette fois. Je n’ai qu’une envie : fermer les yeux et tout oublier. – Ma mère est en route avec Chad et Brenna, on va dîner. – Alors, annule. On peut aller voir les flics ensemble. Je te promets que je resterai à tes côtés. – Tu ne comprends pas, Conor. Je ne peux pas. Aussi humilié que tu aies été de parler à ta mère et à Max, ce qui m’arrive est cent fois pire. – Sauf que toi, tu n’as rien fait de mal, ce n’est pas toi qui as merdé. – C’est humiliant ! Mon Dieu, je n’en peux plus d’avoir à m’expliquer et à me justifier auprès de tout le monde. Personne ne comprend, bon sang ? Vraiment ? – Si je vais voir les flics pour porter plainte, une dizaine de personnes supplémentaires verront cette vidéo, j’explique, exaspérée en faisant les cent pas. Il y aura une enquête et on ira au tribunal ; ça fait dix personnes de plus, voire vingt. Chacune de mes actions aura pour résultat qu’on me verra comme ça. – Et alors ? Tu dois en avoir marre que je te dise que tu es méga-canon, Taylor. Qu’est-ce que ça fait, si quelques pauvres mecs prennent un peu de plaisir à te voir embrasser une fille ? – Tu t’en fiches qu’une bande d’inconnus me voient presque à poil ? – Bien sûr que non, je ne m’en fiche pas, et si tu veux que je casse la gueule à chacun des mecs qui te regardent bizarrement, je le ferai. Mais tu n’as aucune honte à avoir. Dans cette histoire, tu n’as rien à te reprocher. C’est toi la victime. Quand Abigail est venue nous le dire, aux mecs et moi, ils étaient tous prêts à se battre pour défendre ton honneur. Personne ne se moque de toi, Taylor. Aucun ne s’est précipité sur son téléphone pour voir la vidéo. On est seulement inquiets pour toi. Je tiens à toi, Taylor. Mon cœur se brise. Pas pour moi, mais pour tout ce qu’on a failli être. Pour l’histoire merveilleuse qu’on aurait pu vivre si Jules n’avait pas tout fait exploser. – Tu ne sais pas ce que je ressens. Je ne peux pas simplement passer l’éponge. – Personne ne te demande de faire ça, on te demande juste de te défendre. – Eh bien, peut-être que pour moi, ça implique d’attendre que ça passe en m’efforçant d’oublier. Tu n’imagines pas ce que ça fait d’avoir le sentiment que le monde entier t’a vue à poil. – Tu as raison, répond-il avant de marquer une pause. Peut-être que je devrais. Je cligne des yeux, Conor enlève son tee-shirt. – Qu’est-ce que tu fais ? – Je me mets à ta place, dit-il en enlevant ses chaussures. – Arrête ça ! – Non. Il se débarrasse ensuite de ses chaussettes, puis de son pantalon et de son boxer, en plein milieu de mon salon. – Conor, remets ton pantalon, bon sang ! Je n’arrive pas à décoller les yeux de son sexe. Après tout, il est… là. Ensuite, sans un mot, il ouvre la porte et sort de chez moi. – Reviens ici, espèce de taré ! J’entends ses pas dans l’escalier et je saisis ses vêtements pour lui courir après. Il est rapide, le bougre. Je le rattrape seulement quand il traverse le parking et se plante sur le gazon qui borde la rue. – Sortez vos téléphones, messieurs-dames, crie- t-il aux passants en ouvrant les bras. Vous ne voyez pas ça tous les jours, si ? – Tu as perdu la tête ? Je le regarde tourner sur lui-même, superbe et ridicule. Son corps est aussi beau que ceux qu’on voit dans les magazines après qu’ils ont été retouchés. – Mon Dieu, Conor, arrête ça ! Quelqu’un va finir par appeler les flics ! – Je plaiderai une folie passagère après qu’on m’a brisé le cœur. Heureusement, cette rue ainsi que toutes celles qui l’entourent ne sont habitées que par des étudiants. Les retraités et les familles ont fui le quartier depuis longtemps, aucun enfant ne risque d’être traumatisé en voyant les fesses de Conor. Les portes s’ouvrent une par une dans la rue, tout comme les fenêtres. Nous avons un public, à présent, et à en croire les sifflements et les applaudissements, il est enthousiaste. – Arrêtez de l’encourager ! Je me concentre à nouveau sur Conor et sur son superbe pénis. – Tu veux bien arrêter, s’il te plaît ? – Jamais. Je suis complètement fou de toi, Taylor Antonia Marsh. – Ce n’est même pas mon deuxième prénom ! – Peu importe. Si je dois en passer par là pour atténuer ta honte, qu’il en soit ainsi. Je ferai n’importe quoi pour toi. – Il faut surtout que tu te fasses interner, je déclare en essayant de me retenir de rire. Cet homme est… ridicule. Je n’ai jamais rencontré de mec comme Conor Edwards, un type aussi taré que sexy qui est en train de s’exhiber devant tout le quartier, juste pour avoir le dernier mot et faire que je me sente moins seule. – Edwards ! gronde une grosse voix d’homme. Une voiture s’arrête et je vois la tête de Chad Jensen par la vitre baissée. – Qu’est-ce que tu fous à te promener à poil ? Range ta bite tout de suite, bon sang ! Conor regarde la voiture et ne semble absolument pas concerné. – Salut, Coach, ça gaze ? Quand il réalise que ma mère est assise sur le siège passager, il lui offre un sourire gêné. – Ravi de vous revoir, Docteur Maman. Je lui jette ses vêtements et il couvre son sexe. Je regarde ma mère et vois qu’elle se retient si fort de rire que ses lèvres tremblent et que ses yeux sont remplis de larmes. Quant à Brenna, elle est tout simplement morte de rire sur le siège arrière, et les éclats de sa voix résonnent dans tout le quartier. – C’est bon, tu as fini ? je demande à cet imbécile au cœur d’or. – Seulement si tu es prête à aller voir la police. – La police ? répète ma mère en se penchant vers la vitre ouverte. Qu’est-ce qui se passe ? Je fusille Conor du regard. Je pourrais mentir, inventer une histoire que ma mère ne croirait pas mais qu’elle accepterait en comprenant que je ne veux pas lui parler. Je pourrais lui dire que Conor cherche à effrayer un exhibitionniste qui traînait dans le coin, enfin quelque chose comme ça. Ma mère comprend qu’il y a des limites à ce que je veux lui dire, elle fait confiance à mon jugement et ne me pousse jamais à prendre des décisions qui me mettent mal à l’aise. Et peut-être que c’est pour ça que je ne l’ai jamais fait. Personne ne m’a jamais poussée à faire des choix difficiles, et je ne m’y suis jamais forcée non plus. Toute ma vie, je me suis repliée sur moi-même et j’ai laissé le fossé se creuser entre ce qui me faisait souffrir et moi. J’ai construit ma bulle et j’ai évité d’attirer l’attention. Personne ne peut vous pointer du doigt si on ne vous voit pas. On ne peut pas se moquer de moi tant que je ne suis pas là. Je suis donc restée dans ma bulle toute ma vie, en sécurité, seule. Donc, non, je n’aime pas que mes amies, mes ennemies et mon copain s’unissent pour me pousser dans une certaine direction. Ce n’est pas comme ça que je fonctionne. Mais… peut-être que c’est justement ce dont j’ai besoin. D’un bon coup de pied aux fesses. Non pas parce qu’ils ont raison et que j’ai tort, mais parce que je ne me fais pas de bien en me comportant comme ça. Je ne fais que laisser plus de place à mes peurs. En fait, je les ai toujours laissées prendre le dessus, jusqu’à ne plus être moi-même, ne plus me souvenir de qui j’étais avant. C’est comme ça qu’on finit vieux et aigri. Blasé et rancunier. Parce qu’on a permis aux autres de vous retirer votre joie de vivre pour la remplacer par des doutes et des complexes. Je suis trop jeune pour être aussi malheureuse, et trop aimée pour être aussi seule. Je mérite mieux. Je tourne lentement la tête vers Conor, je lis dans ses yeux gris pleins de sincérité qu’il restera à mes côtés si je le lui permets. Je regarde ensuite ma mère, dont l’inquiétude est évidente et qui m’offre tout son soutien. Il y a des gens qui sont prêts à se battre pour moi. Je devrais être prête à me battre pour moi-même. Je plonge mon regard dans celui de ma mère et, dans un sourire rassurant, je déclare : – Je t’expliquerai tout en allant au commissariat. 43 Taylor Il est tard quand Conor et moi rentrons à la maison. Je le laisse sur le canapé, devant la télé, et je pars prendre un long bain moussant. J’ai lancé ma playlist de relaxation, éteint les lumières et allumé quelques bougies. Pour la première fois en une semaine, je sens la tension quitter peu à peu mon corps. J’ai été mortifiée d’avoir eu à expliquer la situation à ma mère pendant que Conor nous conduisait au commissariat. J’ai été navrée qu’elle annule le dîner avec Chad et Brenna à cause de moi, mais quand j’ai essayé de lui dire de ne pas le faire, elle a refusé d’entendre quoi que ce soit. – Ma fille est ma seule priorité. Et c’est comme si toutes les fois où elle m’a négligée par le passé disparaissaient. Aujourd’hui, j’étais sa seule priorité, sa seule inquiétude. Le reste ne comptait pas, il n’y avait plus que moi, et je lui en suis très reconnaissante. Après un certain nombre de messages, Abigail, Sasha et Rebecca nous ont rejoints au commissariat. J’ai eu une longue conversation avec Rebecca, à la suite de quoi nous avons décidé de porter plainte. Nous hésitions toutes les deux, elle à cause de ce que pourraient penser ses parents, et moi parce que j’avais peur de me retrouver encore plus sous les projecteurs. Mais on a fini par se dire que c’était peut-être l’occasion de donner un tour positif à la situation, plutôt que de se cacher et d’avoir honte, reprendre le contrôle. Ainsi, les prémices d’un plan en tête, nous sommes entrées ensemble, plus fortes. Comme la mère d’Abigail nous l’a expliqué au téléphone, le Massachusetts n’a pas de loi particulière en ce qui concerne le porno dit « de vengeance ». Par exemple, si Abigail avait elle- même mis la vidéo en ligne, ça n’aurait pas été jugé comme un crime. Cependant, Jules et l’ex d’Abigail, Kevin, peuvent être jugés pour avoir volé le téléphone d’Abigail sans son autorisation, accédant par là même aux fichiers des Kappa pour copier la vidéo et la publier sans le consentement de la sororité. Selon l’avocate, et le policier à qui on a parlé est d’accord, nous avons de bonnes chances de gagner. Je n’ai pas demandé ce qui arriverait à Jules et à Kevin, ni dans quel délai. Je m’en fiche en fait, du moment qu’ils sont punis. Ma mère s’est chargée d’appeler le doyen des étudiants de Briar et a pris rendez-vous avec lui demain à la première heure. J’imagine que d’ici demain soir, la procédure pour les exclure de la fac sera entamée. J’ai encore le vertige après tout ce qui s’est passé aujourd’hui. C’est comme si ma tête était pleine de dominos, tous prêts à tomber les uns sur les autres. Cela dit, mon angoisse a diminué. Je n’ai plus l’impression d’avoir la corde au cou. Bien au contraire, j’ai la tête pleine d’idées et les veines chargées d’adrénaline. Je suis sûre que cette dernière va bientôt s’estomper et que je vais m’effondrer dans quelques jours pour ne me relever que dans une semaine. D’ici là… j’attends. Je sors du bain et enfile un pyjama, je me poste dans l’embrasure de la porte et regarde Conor un long moment. Il a les yeux fermés et sa tête est penchée sur le côté. Sa poitrine se soulève lentement et régulièrement, il dort paisiblement. Conor est surprenant. Peu de mecs auraient réagi comme lui dans cette situation. Peu auraient compris la gravité de la situation. En fait, c’est tout Conor. Il a une capacité à compatir supérieure aux autres mecs. Il souhaite que les gens qui l’entourent soient bien dans leur peau et dans leur tête, même s’il n’a rien à gagner. Finalement, c’est pour ça que je suis tombée amoureuse de lui. J’étais bête de penser qu’il fallait que je le protège. Je ne connais personne d’aussi fort et résilient que lui. Je suis tentée de le laisser dormir plus longtemps mais il ouvre les yeux et me cherche dans la pénombre, comme s’il avait senti que je l’observais. – Désolé, dit-il, je ne pensais pas m’endormir. – La journée a été longue. Un silence gêné s’installe, Conor s’assied et cherche son téléphone et ses clés dans les coussins du canapé. – Je te laisse tranquille. Je voulais juste m’assurer que tu vas bien. – Non, reste. Tu veux quelque chose à boire ? Tu as faim ? Je saisis son bras, mais le relâche aussitôt, comme si je m’étais brûlée. Je ne sais plus comment me comporter avec lui. Il y a un malaise entre nous et je n’arrive pas à être naturelle. Cependant, plus je suis avec lui, plus le besoin d’être près de lui devient fort. – Pas vraiment. – Ouais, moi non plus. Merde, c’est hyper-gênant. Pour autant que je sache, on est toujours séparés. En dépit de tout ce qu’on a vécu ces dernières semaines, je ne sais pas comment lui parler. Après tout, je l’ai poignardé en plein cœur en public, sur la pelouse des Kappa. Il est revenu m’aider quand j’en avais besoin, mais ça ne veut pas forcément dire qu’il m’a pardonné. – On pourrait… euh… regarder un film ? Conor hoche la tête et un sourire presque imperceptible se dessine sur ses lèvres. – Tu me proposes une soirée Netflix and chill ? – Bon sang, ce que tu es facile ! Sans rire, Conor, aie un peu de respect pour toi-même. Tu ne trouveras jamais de femme à marier si tu te dessapes à la première occasion. Il soupire d’un air théâtral. – Ma mère me répète toujours la même chose, mais je ne l’écoute jamais. On rit, un peu gênés, debout l’un en face de l’autre. C’est alors que son visage s’assombrit. – On devrait parler. – Ouais. Il me prend par la main et m’emmène vers le canapé. Il s’assied face à moi, mais il regarde ses mains sur ses cuisses et semble avoir du mal à se lancer. – Je ne sais pas ce que tu penses ni quelles sont tes attentes. Je veux que tu saches que de mon côté, je n’attends rien. Tu traverses une épreuve difficile et je veux être là pour toi, mais seulement dans la limite de tes envies, dit-il en haussant les épaules. C’est comme tu veux. J’ouvre la bouche pour m’expliquer, mais il lève la main pour me dire qu’il n’a pas terminé. Il poursuit. – J’ai roulé des pelles à une fille à une fête hier soir. – Ok… je réponds en fermant les yeux un instant. – Je me suis saoulé et… voilà. Elle m’a emmené dans une chambre pour aller plus loin, mais je n’ai pas pu. Pour être tout à fait honnête, j’ai eu un blocage physique. J’aurais peut-être été jusqu’au bout si tout avait fonctionné comme il faut. Je hoche lentement la tête et le laisse poursuivre. – Je n’avais pas les idées claires. Et après, je me suis dégoûté. Je n’avais pas prévu de me venger ou de t’oublier en couchant avec une autre. J’étais juste blessé, confus et en colère, et je voulais noyer mon chagrin dans l’alcool. Ça a dérapé, tout bêtement. – On avait rompu, je réponds en toute sincérité. Tu n’as pas à t’expliquer. – Sauf que si. Parce que je ne veux plus de secrets entre nous. Pas les miens, en tout cas. Je ne veux pas que tu puisses avoir une raison de douter de moi. – Je te fais confiance, Conor. Il lève la tête vers moi et je vois dans ses yeux toute la souffrance que je lui ai infligée. Les doutes que j’ai semés dans sa tête. Il y a un mois, j’aurais dit que Conor Fucking Edwards était imperméable à tout et à tout le monde, y compris aux chagrins d’amour. J’avais tort. – Alors, pourquoi ? Pourquoi tu as pensé que la seule solution était de rompre avec moi ? – Parce que c’est ce que j’ai toujours fait. Je me cache, j’admets en me sentant à nouveau honteuse. Me cacher m’est apparu comme l’option la moins risquée et la moins humiliante. J’ai pensé qu’en coupant tous les liens, tout irait bien. – J’aurais aimé que tu penses que je serais là pour toi. J’écarquille les yeux, horrifiée. – Mon Dieu, non, tu ne comprends pas : je n’ai jamais douté que tu serais là pour moi. C’est justement une des seules choses dont j’étais persuadée. C’est juste que je ne voulais pas t’obliger à vivre ça. Ma gorge est sèche et je déglutis difficilement. – J’ai besoin que tu saches quelque chose. Je ne pensais rien de toutes les horreurs que je t’ai dites. J’ai seulement dit ça parce que j’avais besoin que tu acceptes la rupture. J’avais tort, et je t’ai fait mal, et je suis désolée de pas avoir eu le courage de te dire la vérité. J’avais peur de ce que tu penserais de moi, de te faire honte. C’était suffisamment humiliant d’avoir à gérer ça, je ne voulais pas que ça devienne ton problème. Je ne voulais pas que tu me voies différemment. Les larmes coulent sur mes joues. – Mais je ne vois que toi, Taylor, dit-il en prenant ma main pour caresser l’intérieur de mon poignet. Telle que tu es. Je ne te perçois pas comme un idéal impossible à atteindre. Pour moi, tu es… réelle, têtue, opiniâtre, exigeante, drôle, intelligente, gentille, trop dure avec toi-même, malicieuse, sarcastique, blasée… tout en étant une optimiste cachée. Je suis tombé amoureux de toi pour toi, T. Rien de ce que tu peux dire ou faire ne me ferait honte. Jamais. – Tu oublies comment on s’est rencontrés ? – Je savais que tu étais nerveuse. Il continue à caresser mon poignet et je réalise que ça fait des jours que je n’ai pas été aussi détendue. – Il n’empêche que tu as été courageuse et honnête, et j’ai trouvé ça hyper-rafraîchissant. J’ai tout de suite eu des idées cochonnes en ce qui te concerne, mais ce que j’ai préféré chez toi, ce soir-là, c’est que tu étais dénuée de toute prétention. – Ouais, pour moi, c’était tes cheveux, je réponds d’un ton sérieux. Ah, et tes abdos. Tu as de super-abdos, aussi. Conor éclate de rire en secouant la tête. – Tu es vraiment une peste. – Non mais, sérieusement, je suis désolée. Pour tout. J’ai paniqué et j’ai pris une décision stupide. Sur le moment, ça m’est apparu comme la seule solution. Je veux que tu saches que je soutiendrai ton choix de carrière, quel qu’il soit. Tu as plein de possibilités et, quoi que tu décides, ce sera toujours suffisant pour moi. Ces conneries que j’ai dites pour rompre… c’était juste des conneries. Des mensonges. Je ne les pensais pas. Il entrelace ses doigts avec les miens et serre fort ma main. – Je comprends. On a tous les deux fait des erreurs. – Merci de m’avoir soutenue, même si je te repoussais. Merci de ne pas m’avoir tourné le dos. – Jamais. Je me penche vers lui et dépose un baiser sur ses lèvres. Il hésite, à peine une seconde, puis, comme s’il réalisait que ce n’est pas un rêve, il saisit ma taille et m’approche de lui. Son baiser et à la fois tendre et affamé. – Je t’aime toujours, chuchote-t-il contre ma bouche. – Je t’aime toujours, je murmure en retour. Je m’installe à cheval sur ses genoux et plonge mes mains dans ses cheveux soyeux. – Il est trop tard pour plaider la folie passagère ? – Je croyais qu’on allait faire comme si la rupture n’était qu’un cauchemar, répond Conor en caressant la peau sous mes seins avec ses pouces. – Ça me va. J’embrasse sa mâchoire, puis son cou, et il plante ses ongles dans ma chair. Je sens son érection entre mes cuisses et il soulève son bassin pour rencontrer le mien. Je lui enlève son tee-shirt et le jette à terre puis, lentement, attentivement, j’explore son torse avec ma bouche. J’embrasse ses merveilleux abdos, je mordille la peau juste au-dessus de son jean et le sens frissonner et ses muscles se contracter. – Je peux ? je demande en tirant sur sa ceinture. Conor hoche la tête d’un air crispé, comme s’il faisait un effort surhumain pour ne pas bouger. Cette énergie m’a toujours attirée et intriguée, c’est ce qui le rend à la fois vif et paisible. Je libère son érection et la caresse, il saisit un coussin pour le placer derrière sa tête et me regarde d’un air captivé et désespéré. – Putain, Taylor, tu es la plus belle chose que j’aie jamais vue. Mon beau parleur. Je souris et le prends dans ma bouche, lentement au début, puis plus fermement. Je gémis en redécouvrant son goût viril. – Tellement belle, marmonne-t-il en plongeant une main dans mes cheveux. Je le suce et le lèche jusqu’à ce qu’il gémisse et se tortille. Je pourrais faire ça pendant des heures, mais il pose bientôt une main sur ma joue en reculant le bassin pour m’indiquer d’arrêter si je ne veux pas que tout se termine très vite. Je le chevauche à nouveau en pressant mon sexe contre le sien avant de m’y frotter, dirigée par les mains de Conor sur mes fesses. J’enlève mon tee-shirt et il concentre son attention sur mes seins. Il les palpe et les masse de ses deux mains, ses pouces titillent mes tétons. Il se redresse bientôt et passe un bras dans mon dos pour nous soutenir, et il baisse la tête pour prendre une pointe dans sa bouche tandis qu’il continue de taquiner l’autre avec sa main. À peine quelques secondes plus tard, mes entrailles sont nouées et mon clitoris brûle de désir. Je ne peux pas attendre plus longtemps. – Je veux être en toi, chuchote-t-il. – Les capotes sont dans la chambre. Sans prévenir, il se lève et me porte dans la chambre. Il déroule un préservatif sur son sexe, pendant que j’enlève mon short. Nous sommes nus tous les deux, pantelants, les yeux dans les yeux. – Viens par ici, gronde-t-il en s’asseyant sur le lit. Je souris et m’installe sur lui. Je me penche pour l’embrasser et, alors qu’il ouvre la bouche pour accueillir ma langue, je m’empale sur son sexe, nous arrachant un gémissement extatique. Il ne me presse pas et me laisse choisir la cadence, les mains sur mes hanches. J’adopte un rythme merveilleux, et chaque coup de bassin déclenche une décharge électrique qui traverse tout mon corps. J’accélère bientôt mes mouvements et le chevauche avec plus de force. Conor se mord la lèvre, mais ne parvient pas à taire ses grognements gutturaux. Alors, quand il ne peut plus se contrôler, il empoigne mes seins et soulève son bassin pour s’enfouir brusquement en moi, plus fort, plus vite, nous précipitant tous les deux vers une sublime libération. Il connaît mon corps, parfois mieux que moi- même. Sentant ce dont j’ai besoin, il appuie sur mon clitoris avec son pouce et se met à le caresser, d’abord doucement, puis avec plus de force. Je le chevauche et trouve cet angle parfait où il est profondément enfoui en moi et titille ce point qui me fait m’envoler. – Oh, putain, je jouis ! Il éclate de rire, mais je suis trop obnubilée par mon orgasme pour me joindre à lui. Mes muscles se contractent sous un plaisir exquis et je m’effondre sur lui en frémissant des pieds à la tête. Il se concentre alors sur son propre besoin et accélère ses va-et-vient jusqu’à jouir trois secondes plus tard en gémissant mon prénom. – Tu m’as manqué, dit-il une minute plus tard lorsqu’on est l’un contre l’autre, bouillants et trempés de sueur. – Tu m’as manqué aussi. – Ça te dit qu’on arrête de rompre ? Je ne sais pas comment j’ai eu la chance de rencontrer Conor Edwards. Peut-être que toutes les crasses qui me sont arrivées jusque-là me menaient à ce merveilleux « pardon ». On prend parfois les mauvaises décisions et on atterrit au mauvais endroit, tout en étant justement là où on est censé être. Conor est mon sublime accident. J’étais au mauvais endroit, au mauvais moment, et j’ai rencontré le mec parfait. Il m’a appris à m’aimer et il m’a montré une version de moi- même à laquelle je n’avais jamais cru. Une version forte, belle et confiante. Plus jamais je ne prendrai ça pour acquis. Je m’appuie sur mes coudes pour le regarder dans les yeux en souriant. – Ça marche. Épilogue Conor Eh bien, il a fallu quelques bleus et une sacrée dose de patience, mais j’ai enfin réussi à mettre Taylor debout sur une planche de surf. Je suis dans les vagues, juste avant qu’elles se forment, et je la regarde surfer. Elle est encore un peu crispée et maladroite, mais je crois qu’elle y prend goût. Quand elle émerge de l’eau après que sa vague s’est écrasée, elle affiche un immense sourire. Elle agite la main en me regardant, ravie, tenant à s’assurer que je l’ai vue. Elle sautille sur place et fait le V de la victoire avec ses bras. Putain, elle est adorable. Passer ces trois semaines ensemble à Hungtington Beach nous a fait un bien fou, à tous les deux. Il y a zéro stress. On fait la grasse mat’ tous les jours, on traîne à la plage et je lui fais visiter les environs. C’est le remède parfait après tout ce qu’on a vécu à la fin du semestre. Ma mère et Max l’adorent, au point qu’ils font déjà des projets pour Thanksgiving et Noël. Elle est mon avenir, désormais, et je suis le sien. Le coach va me casser la gueule quand il va comprendre qu’il va devoir me supporter à tous les repas de famille avec Iris. J’espérais réussir à faire oublier tous ses tracas à Taylor, mais je l’ai surprise à plusieurs reprises sur son téléphone ou son ordinateur portable, concentrée sur son projet. Apparemment, quand elle et Rebecca ont décidé de porter plainte, elles ont également établi un plan. Avec l’aide d’Abigail et des Kappa, elles militent auprès du 1 Greek Council de Briar pour organiser un séminaire sur le consentement, les agressions sexuelles et le harcèlement sexuel. Elles ont invité plusieurs intervenants pour animer des débats et elles veulent mettre en place un mois dédié à la prise de conscience de ces sujets, il aurait lieu avant la semaine de bizutage de l’automne. Je n’ai jamais vu Taylor aussi passionnée et engagée. Je dois avouer qu’au début, j’ai eu peur que ce projet ait un impact négatif sur son humeur, que ça fasse rejaillir tous ses mauvais souvenirs, mais c’est tout l’inverse. Je l’ai rarement vue aussi heureuse. C’est comme si avoir cette mission lui permettait enfin d’apaiser son esprit. – Hey, dit Taylor en ramant jusqu’à moi, un peu essoufflée, mais tout sourire. – Tu t’améliores, chérie. Ce n’était pas si mal. Elle éclate de rire et m’éclabousse. – Espèce d’enfoiré ! – Espèce de peste ! Elle tourne sa planche pour qu’on soit tous les deux face à la plage. – Ton téléphone sonnait quand j’ai été boire un coup, dit-elle. C’était Devin. – Oh, cool. C’est le mec de l’asso dont je te parlais. – Ah ? Alors c’est bon signe qu’il t’appelle, non ? Taylor rentre à Boston dans quelques jours, mais je reste ici jusqu’à la mi-août. Comme on ne va pas se voir pendant six semaines, j’ai pensé que j’avais intérêt à trouver une occupation pour m’éviter les ennuis. – Je crois. S’ils comptaient dire non, je pense qu’ils se seraient contentés d’un mail. Après quelques recherches, j’ai découvert qu’une association locale qui milite pour la protection de l’environnement proposait des stages d’été. C’est surtout du travail de sensibilisation, où on tient des stands sur les marchés ou dans les festivals pour recruter des bénévoles. L’asso se concentre sur le nettoyage des océans et des plages en éduquant le public sur les façons de profiter de l’océan sans laisser d’impact négatif. J’ai passé le mois dernier à réfléchir et à discuter avec ma brillante copine, et j’ai décidé que c’était ça, ma passion. Le stage me semble être un bon moyen de comprendre comment en faire ma carrière. Je sais que Taylor ne pensait pas ce qu’elle a dit quand elle m’a largué, mais elle n’avait pas tort. Depuis quelques années, je n’ai eu aucun objectif en dehors du hockey et je me suis contenté de suivre le chemin que Max avait tracé pour moi. Je sais qu’il cherchait à m’aider, mais je ne suis pas lui. J’ai besoin de trouver ma propre voie et j’ai enfin l’impression d’avoir un but, de pouvoir rendre Taylor fière. – J’ai reçu un mail de la mère d’Abigail, ce matin, dit-elle en caressant le dessus des vagues. Jules essaie d’obtenir un allègement de peine. Je suppose que le procureur lui a foutu la trouille. En revanche, on dirait que les parents de Kevin ont engagé un avocat féroce qui compte le faire acquitter, donc on risque d’aller au procès. – Tu es prête ? Taylor a fait preuve d’un courage énorme dans cette histoire. J’espérais vraiment que tout serait vite réglé, mais apparemment, ce connard préfère la faire souffrir plutôt qu’endosser sa responsabilité. Je passe mon temps à me répéter que lui casser la gueule n’aiderait pas Taylor, mais c’est de plus en plus difficile. – Je n’ai pas vraiment le choix, répond-elle. En fait, plus il me pousse dans mes retranchements, plus j’ai envie de m’impliquer. Genre, ce mec va regretter de s’en être pris à moi. – C’est ma nana, ça, je déclare en souriant. Je suis sacrément impressionné par sa façon de gérer la pression. Taylor est mon héroïne. Elle affronte chaque rebondissement en étant encore plus déterminée à défier ceux qui veulent la rabaisser. Je tombe chaque jour un peu plus amoureux d’elle. Et mon estomac se noue un peu plus en pensant à la conversation que je dois avoir avec elle. – Au fait… Tu sais qu’Alec, Matt et Gavin ont fini leurs études… Donc, comme on n’allait être que tous les deux, Foster et moi n’avons pas renouvelé le bail de la maison. – Ouais. J’ai encore quinze jours avant de décider si je garde mon appart ou si je cherche autre chose. – Ben, je parlais avec Hunter, et apparemment, lui et Demi se demandent quoi faire l’an prochain. Brenna et Summer partent vivre avec leurs mecs, et Mike Hollis est marié, maintenant, donc… euh… Elle hausse un sourcil en me regardant. Merde, je ne pensais pas que ce serait aussi difficile. Je déglutis et prends mon courage à deux mains. – Bref, je ne sais pas comment on en est arrivés là, mais quelqu’un a mentionné que, peut-être, on pourrait trouver un truc tous les quatre… – Trouver un truc, répète-t-elle. – Tous ensemble. – Tu me demandes d’emménager avec toi ? – Non, enfin… ouais, un peu. – Hmmm. Taylor me dévisage sans bouger. Elle n’a pas même un rictus. C’est effrayant, en fait. – Mais ça ne va pas être gênant pour toi et Demi ? Je hausse les sourcils. – Quoi ? Non. Pas du tout. Enfin, elle m’a embrassé une fois, mais c’était pour rendre Hunter jaloux. Il n’y a jamais rien eu entre nous. – Non, rétorque Taylor d’une voix on ne peut plus sérieuse. Je parle de la tension sexuelle évidente qu’il y a entre Hunter et moi. On n’a rien dit pendant tout ce temps, mais… – Va te faire voir ! je gronde en éclatant de rire et en l’éclaboussant. Tu n’es qu’une garce. – Je dois aussi t’avouer que j’ai grave le béguin pour ton meilleur pote. Il est capitaine, après tout. – Je lui briserai les jambes dans son sommeil. – Tu peux regarder, si tu veux. Elle affiche un sourire qui me dit qu’elle est fière de sa petite blague, et je fonds pour elle. C’est plus fort que moi. – Viens par ici, je dis en tirant sa planche vers moi pour l’embrasser langoureusement. – Tu n’es qu’une casse-couilles. – Je t’aime aussi, répond-elle. Si quelqu’un m’avait demandé de décrire la femme parfaite, j’en aurais été incapable. J’aurais sans doute sorti un tas de clichés qui auraient résumé mes coups d’un soir. Or, je ne sais comment, le destin a mis Taylor sur mon chemin. Elle a fait de moi un homme meilleur. Elle m’a appris à être sincère avec moi-même. Elle m’a aidé à voir que j’ai de la valeur. Bon sang, elle a même aidé ma famille à se ressouder. Elle et moi avons essayé de saboter notre bonheur par tous les moyens en retombant sans cesse dans nos vieilles habitudes et nos complexes. Ce qui me fait croire à notre couple, c’est qu’on a trouvé un moyen de se retrouver à chaque fois. Finalement, il y a toujours de l’espoir, même pour un couple de trouillards comme nous. – Alors c’est oui ? Taylor regarde par-dessus son épaule pour étudier la vague. Elle aligne sa planche et se prépare à la prendre, puis elle se met à ramer en me lançant un sourire diabolique. – Si tu arrives à me battre, oui.
FIN
1. Organisme qui gère toutes les fraternités et
sororités d’un campus universitaire. À propos de l'auteure Auteure de best-sellers du New York Times, de USA Today et du Wall Street Journal, Elle Kennedy a grandi en périphérie de Toronto, dans l’Ontario, et elle détient une licence de littérature de la York University. Elle a su dès son plus jeune âge qu’elle voulait être écrivain, et dès l’adolescence, elle se met à écrire. Elle aime les héroïnes fortes, les héros sexy, et que les choses soient juste assez croustillantes pour que ce soit intéressant.
Elle adore avoir des retours de ses lecteurs.
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