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ANIMAUX NOIRS

Pascal Leclercq

ANIMAUX NOIRS

poèmes

Iconographie & apparitions de Jac Vitali

Ouvrage publié avec le concours du Centre National du Livre

www.editionsladragonne.com Collection Carrée


© La Dragonne, 2010. LA DRAGONNE
Animaux noirs
Je vis dans le pays du corps interrompu, de la parole hachée où se
mêlent bréchets, nervures, cartilages et tendons. Les morceaux fins,
on se rue dessus dès la mort, restent les chairs vulgaires qu’on remâ-
che à tout cran, les phalanges passées au rasoir, courbées en deux,
pliées en trois, extirpées de leur gaine.
Je viens dans le pays des viandes triturées, j’apporte les œufs, le lait,
le persil et la mie, qui donnent texture et saveur aux chairs, forme
et substance aux phrases, et je pétris, malaxe, lutte pour maîtriser
le flux musculeux de la langue, qui rend les mots méconnaissables,
habitants du pays des corps interrompus.

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Du train les maisons semblent simples, mais à peine posé-je le Terrier où nous nous terrons malgré nous, refoulant nos élans vers
pied au sol, que je me perds dans la variété de leurs compositions. la lumière, nous disputant l’air saturé de monoxyde et d’acétone.
L’impossibilité d’un retour en arrière m’effraye. Au Nord, la rivière Les idées circulent péniblement par-dessus nos têtes, nous les sui-
transforme ses eaux en bière, ralliant les cuves aux peaux qu’on tan- vons des yeux, les regardons s’échauffer, en venir aux mains, et nous
ne. Au Sud, un tapir d’acier émerge de la plaine, avale des humains applaudissons lorsque l’une d’entre elles a du plomb dans l’aile.
mi-fourmis, mi-chenilles, pour les régurgiter les vertèbres brisées. Nous savons pertinemment qu’elles finiront toutes par se casser la
Cachalot par le crâne, il crache son quota de fumées, mais ses bran- gueule.
chies demeurent gorgées de vapeur. Les fleurs aux alentours sont de Nous ne nous levons plus pour évacuer nos déchets, nous prenons
carton, leurs tiges proviennent des aciéries de la région. nos odeurs en grippe, nul parmi nous n’est en mesure de reconnaître
D’un abri de pierre ancien, une énième colonne de fumée se dé- et de récupérer la sienne. La pâleur de nos joues nous fait honte ;
tache, plus petite mais plus dense aussi. La porte s’ouvre, un voya- nous nous infligeons des estafilades, pour recréer le contraste du
geur en frac, havresac à l’épaule, entre, le violon prêt à vibrer. Quel sang sur la page. La neige, pourtant, est déjà sale et le pelage hivernal
envoûtement tire-t-il de son archet – nul ne le sait vraiment – pour du renard aussi.
que soudain s’aplatisse et s’éteigne l’énième colonne de fumée ?

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Des cheveux sont tombés, des cheveux tombent, des cheveux Compter sur l’accent de l’ami qu’on sait loin, en traquer le tim-
tomberont encore, et les ongles continueront à pousser ; la queue bre dans la voix des proches, en saisir le souvenir, le laisser infuser
sera fripée comme au premier matin du premier jour de la première longtemps, gober sans rechigner, s’étendre sur un sol tissé de tata-
année. La guerre intestine, jusqu’ici enlisée, prendra fin. Les mots mis, écouter passer l’heure et le vent dans les heures, se nourrir de
douloureux rentreront dans le corps, sauront d’instinct où se rendre, feuillage, s’y emmêler les doigts, compter avec les réflexes fanés, les
plongeront loin, feront provision de profondeur. dégâts de ce vin qu’on n’a cessé de boire, se cogner aux murs, s’ils
Ils se disputent, se dilatent, remontent à la surface. Cette verrue, sont mous prendre en compte leur humeur changeante, vivre en état
c’est le mot « verrue » qui s’incruste dans la peau et la nécrose. Ce d’apesanteur, ne plus jamais siéger, n’accorder aucun poids à l’être et
furoncle, c’est le mot « furoncle », qui va au puits du pus, s’y remplit, à son envie d’être, et pourtant, être de fond en comble, ventre chaud
choisit un carré d’épiderme, s’installe, coiffé d’une tête blanche. Et jusqu’au ciel, replié sur lui-même, couver les œufs d’une réalité dont
l’urticaire est le pur produit du mot « urticaire », qui enflamme des pas un fait, un geste, ne nous échappe, énumérer les états de service,
quartiers entiers de corps. les nôtres et ceux de ceux qui nous précèdent, trier les décisions per-
dues, qui travaillent le malade en profondeur, prennent à la gorge et
ne la desserrent plus, arracher les œillères qu’on s’est résigné à porter
tout l’hiver, et tant pis pour les cils qui viennent avec, et tant pis si
les paupières gonflent.

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Chercher les animaux tapis dans l’ombre, les animaux noirs,
fuyants, errant dans le couloir d’une journée à toute autre pareille,
trop proche de l’enfance, chasser les animaux, les tarauder, les pous-
ser à la faute, se jeter entre leurs pattes, museau contre museau,
baiser leur gueule en sang, caresser les animaux sous l’aisselle, les
prendre un par un dans la chambre, leur confier les malheurs, puis
gentiment les éconduire, lancer la traque, leur envoyer les chiens,
écouter les plaintes des chiens si les animaux les attrapent, les lyn-
chent, mâchent leurs viscères, observer le travail de leurs mâchoires,
je les aime et ils me font mal et je les aime, bouter le feu à leurs ter-
riers, les débusquer par la fumée, prier pour qu’il fasse froid, qu’ils
suent puis se les gèlent, suivre les pas noircis sans attendre, ne pas
laisser fondre les traces, fuir au-devant des animaux fuyants, leur
barrer toute issue, les forcer à reprendre en arrière et attendre an-
xieux qu’ils reviennent habiller l’ombre de détresse et manger dans
nos mains.
Les arbres sont finis
Les arbres sont finis, il en faut de nouveaux. Muets, vidés par les
racines, pris aux fleurs par l’hiver revenu en force, qui les fauche sous
les pieds du printemps et leur balafre l’écorce. Quels fruits auront à
cœur de sortir en été, de murir à l’automne ?

Le pays s’est couvert de fermes magnifiques, pavé de pierre ocre et


bleue, de fers forgés sous la torture patiente des intempéries. Le vent
s’en tient à son habituelle ritournelle, comme si le fait d’aligner trois
par trois les adjectifs suffisait à le rendre convaincant.

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Pantalons courts, marines, bottines cirées, blouse laineuse et lon- Le quartier m’est hostile, planches de pins posées sur les tranchées,
gue, je vais endimanché comme à mes premiers jours de classe. Les desquelles, à l’improviste, émerge le regard d’un terrassier. Il lisse les
mains emmaillotées d’un coton gras qu’on m’a refilé sous le préau de extrémités de sa moustache en feignant de ne pas me voir passer.
l’école, les cheveux coagulés dans le vent.
Plus tard, je ramène avec moi la boue des bois, la boue des rues et
Près de la berge, des demi-coquilles de noix flottent, et je les des trottoirs, l’abominable boue des bouges qui colle à ma semelle ;
retourne une à une, petits cercueils à cerveaux qui renforcent ma on me suit à la trace. Et la journée se change en entonnoir qui me
croyance en l’écorce. Dans ma tête il fait froid, l’humidité relie mes gobe entier, soulagé de trouver en aujourd’hui un hier.
joues à la rivière, et les embarcations écopent de ma rage.

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L’endroit est bien connu pour ses plaisirs payants. Des demoisel- Le paysage est terne. J’ai pris rendez-vous avec un architecte qui
les fument aux fenêtres, leurs cheveux teintés tombent dans le soir, m’a promis d’en agencer les strates, pour les rendre attirantes, à dé-
leurs seins tendent des singlets blancs maculés de sueur et de graisse. faut de nouvelles. Ce dimanche, nous enfourchons la mobylette et
Leur ventre en sort, criard, et les œillades qu’elles décochent suffi- sillonnons les champs ; nos roues patinent quelquefois dans les or-
sent souvent à me faire avaler mes fumées de travers. nières, mais nous nous en sortons en balançant des gaz.

Des habitants sont sur le seuil en masse, pour scruter ce qui autour Nous ne nous préoccupons que de juste mesure, et de ce que notre
de moi se remet à marcher. Et leur peur est sans cesse alimentée – vision soit d’équerre. Aussi jouons-nous d’homothéties ; munis de
peur de rétrécir sous l’appétit des autres, sous les caresses dénuées nos gnomons, nous défions l’horizon qui galope à notre rencontre.
d’amour, peur du noir, des araignées, des fonctionnaires, peur des Et nous lui proposons toutes sortes de recettes, qui déploient des
maladies que Vénus leur dépêche. Ici pas un pépin ne germe, pas un chaussées en crème pâtissière, font massepain de tout bois, forment
germe ne pousse, pas une pousse ne se risque à monter – et les éco- des amas de babas et des cônes de sconses.
nomies d’engrais nous fragilisent ! La présence policière est partout
où notre attention se relâche, et nous sentons déjà son souffle dans
nos cous.

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La rue s’évanouit parmi les oliviers, et de mon anorak s’échappe
une poitrine violacée, qui se scinde en deux et de deux côtés opposés
s’éloigne. Chaque mamelon invente sa direction propre, des oiseaux
malveillants les accompagnent, des fleurs de sueurs me garnissent le
torse : ça durcit au contact de l’air, ça pourrit à la patine de la pluie,
ça médite ma fin proche, scellée dans les anfractuosités de ce terrain
désormais inhospitalier.

Nous courons dans les ruines d’une civilisation dont nous ne vou-
lons pas, que nous nous devons d’accepter. Et nous rentrons dans
l’ascenseur des jours qui nous mène tête basse aux mois et aux an-
nées. Qui devons-nous prévenir ? Les détours nous sont-ils permis ?
Combien d’autres nuitées dans cette conscience commune et coma-
teuse ? Serons-nous dès demain désignés éclaireurs, abattus sans pro-
cès ? Marquerons-nous nos maisons de sang de porc, pour éloigner
le courroux des ancêtres ? Passé le seuil, qui nous protègera de notre
hérédité ?
Bastions de barbouzes
C’est le Pays de deux montagnes, de nombreuses collines, d’un
ciel qui glisse des sommets et en descend, servi sur le plateau. On s’y
rassemble entre éleveurs, saisonniers, bonimenteurs et marchands.
La langue des échanges est bariolée, les fardeaux sont portés de deux
côtés d’un balancier, de telle sorte que leurs poids respectifs s’an-
nulent. Des plantes jaunes, souvent décapitées, jonchent les sentes,
nous les foulons de nos semelles de liège.
Plus loin vers l’intérieur, on retrouve les plaines policées d’elles-
mêmes, toilettées par leur propre production – les animaux s’y suc-
cèdent pour faucher les buissons et mâcher les lichens. Des crânes,
portant chacun trois initiales gravées sur le front, forment des mon-
ticules ; on leur a ôté la mâchoire inférieure pour mieux les entasser,
et ils se rient du menton qu’ils n’ont pas.
Non sans une certaine appréhension, je vois venir un prêtre du
dimanche. De son sac il extrait une boîte de cachous qu’il m’offre en
souriant, accompagnée d’une prière de sa composition.

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Du sentier, le marché paraît désert et figé ; pourtant il bouge. Les murs des entrepôts se dressent de toutes parts, hauts, mena-
Son toit de tôle ondulée vogue au vent, ses cloisons de papier huilé çants, gommés comme la chaussée par la suie. La nuit s’y cogne, s’y
branlent, et sur ses alentours plane un silence chargé de vautours et perd, happée par un trou béant dans les blocs, emportée par un pont
de hyènes. Accroupi dehors, un mulet fait le guet, les jarrets entravés roulant. La brume aussi est sombre, épaissie par les sifflements des
par le nylon des cordes ; il brait lorsque j’approche et entre. oiseaux sur les quais.
Le premier, un marchand démesuré se réveille, déplie ses jam-
bes, son torse et me tend du maté. D’autres échoppes en un instant
s’animent, il devient vite ardu de trouver de la daurade ou du thon.
Anxieux, je tente de me frayer un passage parmi des ménagères sa-
vourant déjà leur victoire au repas de demain. L’une d’elles, hélas,
me reconnaît, me hèle. Je me réfugie chez un vendeur de tabac, où
je reste un long moment caché.
Plus tard, la tête au ras du zinc, je parcours des yeux les étals redeve-
nus muets, m’attarde sur le vert des haricots princesse, le vert tendre
des tomates de Sardaigne, le vert cru des mange-tout, le vert fluores-
cent des choux. Puis je sors, par une paroi dérobée, et me retrouve à
trente lieues du sentier d’où le marché paraissait désert et figé.

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Sur le ponton avant, un mousse astique le plancher ; d’un air La boîte est perdue entre deux frontières, dans la prairie bordée de
mauvais, il crache sa colère à intervalles irréguliers, et souvent son forêts. On s’y laisse emmener par les lucioles, les feux follets en nom-
balai dérape sur ses glaires. Une hôtesse me tend un ciré, je l’enfile, bre à toute époque de l’année. L’endroit, un somptueux squelette
puis descends sur le quai où je compte acheter du café, des provi- de l’ère jurassique, est ouvert en de multiples côtés, et je n’éprouve
sions – la première nuit en mer est un pari à part entière, j’entends aucune peine à couler ma carcasse dans la sienne.
m’y préparer. Avant d’entrer en piste, je me suis gominé des piques sur le crâne,
Je négocie devant plusieurs étals, montre les muscles de mes bras, et je défie en oursin l’assemblée. Une fille, les pieds rivés au sol, feint
m’attends à voir baisser les prix, mais fais chou blanc et m’éloigne, de chiner des mies de pain dans ma chemise – mais c’est tout un
déçu, vers le quartier des devantures humaines. La soirée, je la ter- festin qu’elle entend conquérir.
mine au mitard, coffré pour adultère. Nous louons un endroit où comparer nos hanches. Ses mains dé-
Puis minuit me réveille au fond de ma cellule. Mon voisin de cou- font sa jupe, mon nez s’enfouit dans son nombril, mon ventre dans
chette racle le sol de son talon nu. Ça produit un son rêche. Je me son ventre. Prête à s’abandonner, elle me glisse entre les doigts, part
rendors frigorifié, une pensée pour ma gabardine au clou. au trot autour de la chambre, de sa queue chasse les mouches et
renâcle en frappant le sol de ses sabots. Puis, dandinant des fesses,
revient vers moi me prendre par les reins. Dos au mur, je n’ai d’autre
choix que de suer ; et maudire la lenteur du ventilateur.

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De retour au logis après l’orage ; mes ongles, ramollis d’avoir Maison de porte-flingue ou bastion de barbouzes ? Au vestiaire, on
fendu la pluie, se liquéfient au contact du poêle, dégoulinent le long abandonne au groom paletot et bouquins. Tout au fond du couloir,
de mes phalanges. Après quoi, c’est l’éternel ordinaire : le chant un escalier qu’on voudrait ne jamais emprunter. Des marches iné-
grouillant du chéneau, les ni oui ni non du vent coulissant dans les gales s’y succèdent, de bois, de zinc, parfois même de terre ; mais le
arbres, la société des brûlots assoiffés de sang. bruit des talons à leur contact est toujours le même.
Sur un carré de grille, je pose un long boudin et trois saucisses de En haut, on est accueilli par la porte, ses grincements, on est at-
pur porc ; très vite, un fumet s’en dégage et me parfume la crinière. tiré vers un banc d’une blancheur sale, une table où les reliefs d’un
Je suis las de supporter la campagne et son humeur maussade, repas semblent animés – quand on les soulève, on aperçoit fourmis,
las de toujours douter de la nuit qui m’étreint, las de me replier sur blattes et punaises.
moi, sans jamais y trouver un refuge acceptable. Et si je répudiais la Dans le mur apparaît une autre pièce, éclairée par la seule présence
simple vérité ? La vérité nue, rasée de près, avec ses airs d’écolière et d’une femme, le visage mangé de deux yeux révulsés. Et son souffle
ses culottes souillées ? incertain va de sa bouche à mon oreille ; je l’écoute chanter. Un
garçon, l’alphabet cyrillique inscrit sur les épaules, arrive qui me
tend la main ; il en sait plus que moi sur celui que je voudrais être.
Et me guide aussitôt vers la sortie, me signalant les lattes hirsutes du
plancher : « Pour trébucher, dit-il, il faut une âme fière. »

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C’est peut-être l’enfant
Je suis parti six jours, j’attends depuis six nuits. Des matins crus,
sans beurre au petit-déjeuner. Mon café, je le bois dans un verre, à la
grecque, et le marc à mes dents colle son cellophane. Des après-midi
les yeux rivés au judas.
Puis le soir est tombé, de la septième journée. Je me suis travesti en
chien pour écourter ma peine. Mon costume est devenu gris, l’an-
neau de ma laisse s’est brisé. J’ai refermé la porte, baissé les volets,
mis les doigts de biais pour libérer les mouches. J’ai livré mon corps
à l’ennui, pour qu’il le ronge. Il l’a rongé.

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Mon pas s’est allongé. Comme je n’ai plus un sou pour acheter des Mes adversaires sont épais, mais ils ont emporté dans leurs bagages
femmes, je me mets à déambuler. Dans la ville, je rencontre d’autres un couple de jeunots à l’allure incroyable. Cheveux bruns comme
désœuvrés, les pieds et les mains libres. On va boire un godet en terre, peau olivâtre, dents longues et blanches, corps effilés, défiant
attendant que poussent nos cheveux de lutteurs, l’impatience des toute résistance – quand le mien est bouffi de friture et de bière.
dames, et lorsqu’on rentre enfin de plain-pied dans la rixe, on garde Soudain, c’est leur côté baveux que j’encaisse, c’est leur langue de
l’œil ouvert sur ceux des combattants qui sont connus pour se tailler drones, tissu d’insultes, tas d’onomatopées. Tout ce que je tente en-
en douce. vers eux emboîte le pas de la défaite ; et comble d’insolence, quand
je m’étale, ils jouent des orgues.

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Ils sont tous plus ou moins teigneux, se font tous plus ou moins La rue est arrogante et le vent souffle sous les bancs. Dans l’ourlet
les mêmes coups par derrière, leurs corps calqués sur leurs esprits. de ma veste, quantité d’argent frais et l’ordre de quitter le territoire
Petits, torves, carnavalesques, se sabordant au gré des contingences, anglais. Sur mon visage en disgrâce, le poids de dix années de fraude
pour le seul plaisir de se jeter des bâtons dans les pieds. Ce qu’ils et autant de silence. C’est peut-être l’enfant que je n’ai pas été, mal-
font, ils le font en pure perte ; mais nous, nous ne ressemblerions à gré mes plumes et mon fusil, malgré mes poches gonflées de bigor-
rien sans eux et leurs perpétuelles inventions. Parviendrions-nous à neaux, de chaussons aux groseilles, malgré mes bottes de sept lieues
élever nos enfants ? Passerions-nous seulement le printemps ? Qui et ma coupe au carré.
prendrait soin de nous, s’ils n’étaient pas ce que nous désirons qu’ils
soient ?
La mort, diluée dans le brouhaha de cette kermesse, semble la
compagne rêvée : qui nous suit à la trace, planifie nos fêtes, rend nos
désirs futiles, et agrandit nos vies en réduisant nos têtes.

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Bloqués du côté de Sedan, nous partageons les victuailles. L’un Les semaines ont passé, ma sève est toujours tiède. L’idée d’appar-
de nous se tire une balle et son corps, étendu sous l’unique fenê- tenir à un autre que toi me fait honte, mais je m’y résoudrai peut-
tre, commence à se corrompre. Chacun ici ne pense qu’à sa propre être cet été.
sépulture. Les couches sont remplies de poux, nos peaux de leurs À l’auberge, mon ardoise est pleine. J’ai couru dans la boue, mes
morsures. La plupart s’infectent et se transforment en plaies. Déjà, cheveux sont crottés, le patron me refuse un bol de brouet. Je re-
nous n’avons plus assez de chair pour les satisfaire. tourne au jardin regarder la pluie gâter la campagne. L’an dernier, il
m’est venu l’idée de planter un hêtre ; depuis j’emploie le meilleur
de mes jours à l’écouter pousser.

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Me voici au village, apportant la parole aux maîtres de maison. Les colombiers sont au complet. Les mâles, revenus en silence, ont
Ceux-ci l’enferment dans une urne, qu’ils placent ensuite sur la che- des formes ovoïdes sous les ailes. Ils traînent en ce moment dans les
minée. Puis nous pratiquons ensemble et sans mot dire l’art culinai- bouges du quartier. Devenus trop lâches, trop hideux pour mou-
re appris de nos ancêtres. Nous recevons d’un sabayon mil conseils, rir, ils soignent cet égo qui leur graisse les pattes et rend leurs vies
mil reproches, entamons les palabres avec un pot-au-feu, un lapin à humaines. Quand on les frappe, ça résonne à l’intérieur du ventre,
la broche, un chou-fleur à la crème. comme s’ils avaient été vidés à la cuiller.

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L’herbe a pris ses quartiers dans les anciens dortoirs ; la surface du
sol est hirsute et défoncée par endroits. Sur une pierre de taille, on
peut lire un fragment de notre lutte avec la solitude. Dans les vergers
réside encore ici et là l’idée que nous aurions voulu laisser de nous,
sans y parvenir. Reste, dans nos écrits encore tièdes, l’incompréhen-
sion de ce qui nous arrive.
Les jardiniers de la mi-mai
Enfin, l’oncle est venu, il a passé la porte, s’est assis dans le divan, a
demandé où était la gamine, puis s’est mis à parler : de sa famille, des
ses sœurs parties du village et du village aussi. Je lui propose du café,
du vin rouge, de la grappa, il dit non, je continue à rincer la vaisselle.
De temps en temps, je me retourne et lui demande de répéter. Puis
il se lève et s’en va. Nous le verrons demain.

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Il n’y a pas de soleil dans le ciel, mais c’est l’heure où je tends Dans l’avenue sortie du fleuve, je marche. La chaleur de ton poil
l’oreille au moindre de tes gestes. Ta peau nue a l’odeur de la brume humidifie mon ventre ; sur mes doigts, ton odeur survit dans la
en hiver, de la pluie sur l’asphalte, tes mains ne cessent de grandir. graisse des beignets de patate. De la brume émergent de puissants
Tu ne me vois pas plus que ceux-là dans la rue, qui te voient marcher gratte-ciel ; nos reflets sont absents de leurs vitrines, seul le ciel s’y
seule quand je suis à tes pieds. déplace, en essaim de fourmis ailées. Et j’ai froid ce matin à penser
Je vis en chien errant plutôt que de crever des maladies des autres, qu’on ne s’offre qu’à soi, que la raison rend malade ou mauvais.
de la contagion qui me course et finira par se payer ma peau. Avec
ça m’est venue une poussée de psoriasis aux coudes.

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Je me suis procuré un alphabet d’esthète, dont les caractères, dans Il y a un homme dans ma cabane à poisson. L’odeur y est pestilen-
leur simple appareil, changent de signification selon qu’ils sont de- tielle. À chaque lune, son cadavre essaie de prendre le large, mais la
bout, assis, couchés. Je m’amuse de leurs saluts maniérés, de leur mer sur lui se referme et il rentre, la queue entre les jambes, poussé
grâce obsolète, je me frotte à leurs corps et me mesure à l’empatte- par la marée. Une armée de larves colonise ses décombres, sans qu’il
ment des lettres. Puis je leur rends leur liberté. puisse leur en barrer l’accès. Existe-t-il une autre perspective, que de
rouler toujours de ressac en ressac ?

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Cent vessies gonflées sous les pieds, les corps remontent de l’étang Mon amie aimera m’emmener mourir à l’hôtel. Mon amie aimera
comme ces crapauds saturés d’hélium et de gnôle qu’on tente de m’aimer parmi les bêtes. Mon amie me couvera du coin de l’œil.
noyer au retour des beaux jours. Quand le soir vient, les enfants Mon amie gardera pour moi le ciel de la mi-mai.
nous confient leur peur du noir, se dispersent. Nous partons, joyeux, Notre mue annuelle se prolonge et mon amie m’ennuie ferme.
à leur recherche. Nos yeux ne quittent pas le bouchon de la canne à Entre nous prévalent d’anciennes formes de secours mutuel. Nos
pêche. Qui sortira de l’eau ? À quelle défaite est-on promis ? mains peaufinent la surface des fenêtres, nos pieds frappent pour
fermer les volets, et mon amie et moi donnons de nous l’image, qui
peut passer inaperçue, des jardiniers de la mi-mai.

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Nous tremblons à l’idée de troubler la paix des potagers que les
locaux cultivent. Non loin de là, nous fréquentons les tanneries du
fleuve, nous humons l’odeur de charogne que les plantes grasses ne
suffisent à absorber.
Chaque instant de solitude se paie cash, monnaie de corps. Qui y
laisse la peau, qui s’y prépare une plaie. La querelle, sinueuse, y fait
son lit, l’infeste de vermine. Et je marche à nouveau dans ces étés
pourris, un vieillard sur le dos en guise de conscience, qui me glisse
à l’oreille que tout se vaut, que tout est pareil.
Les noms noirs
Rien à voir avec ces vessies qu’on cloue aux portes, avec ces peaux
de phoques sous les skis grâce auxquelles on gravit les pentes, avec
ces balles de suif qu’on allume en hiver pour éloigner le mauvais œil
et les esprits follets : ce ne sont que des mots, qui ne disent rien,
n’empêchent rien, ne soulagent pas, en cachent d’autres, des mots
marqués par d’autres, des mots truqués, mêlés, crépus, mais rien à
voir avec ces cheveux gominés qu’on coiffe en arrière, que des mots
tressés, dressés sur leurs pattes, éclairés, brandis comme des luminai-
res, balancés dans le noir, brûlant tout au passage, et pourtant rien à
voir avec l’effort de guerre, des mots, des mots, des mots.

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On a des revolvers braqués sur nous, qui n’attendent qu’un geste Chacun passe le temps la tempe posée sur le poing, le journal
pour tirer. On a du bois à fendre pour passer les nerfs, une cognée grand ouvert sur les genoux fermés. Chacun passe le plus clair de sa
menaçante, apte à trancher autant qu’à assommer. On a de la pom- vie à parfaire une image corporelle : qui lime un ongle avec ses inci-
made à colmater les pores. On a de la crème en lieu et place de viscè- sives, qui s’arrache un poil hirsute du nez, qui s’attache à camoufler
res. On a des regards fuyant le regard. Notre apparence est devenue un nid de cheveux blancs. Et chacun fait ses comptes avec les résidus
fonceuse, à force. Nos pas ont pris de l’avance sur nous, et nous de nourritures coincés entre ses dents.
restons derrière à mâcher de l’avoine, à dilapider les moissons, à Chacun sait qu’au sortir du bain, le poids n’est plus le même, que
fomenter des guerres. On a le front armé contre les vitres, on prend le corps se modifie, que sa forme est mouvante, chacun use de sa
sur nous les maladies nouvelles, les accidents respiratoires. On a du propension à se vider, à se mettre hors de lui. Les triceps déréglés, les
chanvre en suffisance, on veut passer les jours dans des pulls en mo- adducteurs déçus, mus par la fascination qu’ils portent à la déglin-
hair, on a des plantes sources, on a le sérum qui rend fou, on a la gue – et leur mémoire est corrompue mais ils y trouvent les potions
folie qui rend fier. On a le hareng sur langue, qui frétille quand on qui rendent la pesanteur désinvolte. Car chacun reste malgré tout le
parle, et on se retient de parler. centre de sa propre gravité, nombril déambulant.

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Triste retour à la normale, à l’anodin, à la dure expérience, à l’hu- Il ne me suffit plus de mâcher une pomme : il me faut affirmer que
manité de la bête à la dent longue, à la risée de tous, à l’animal au je la mâche, et comment je la mâche. Entrer dans le détail des causes,
sang chaud refroidi, au sang-froid réchauffé, à l’effort qui endigue des fonctionnements, dire à quelle molaire est confiée cette tâche,
l’effort, à la langue pendue, au torchon mouillé qui pourrit dans la quelle incisive est la plus tranchante, quelle glande la plus salivante.
bogue, à la langue serpillière impuissante. On en vient à rêver que Et décrire en longueur la langue, qui mieux que tout sait ramener
les noms vont changer, on plante au jardin des pensées, on regarde les bouts de chair en boule, les imprégner de bave, décomposer la
pousser la fleur de l’opinion, germer les haricots des noirs desseins façon dont le suc gastrique attaque une parcelle, la désagrège, lui
dans l’ouate lovée au creux des mains. fait rendre l’âme. Et le nombre et la taille de mes estomacs, et la
Des mois à tenter des approches, à circonvenir, définir, enterrer voie qu’empruntent les matières pour se rendre aux intestins d’où
le projet, à l’ériger en saint le refiler aux tiers, des jours perdus dans elles sortent, enfin, amoindries, ramassées sur elles-mêmes, expul-
des bars décatis à déglutir, hors des murs de la maison familiale qui, sées, passant, sans répondre à la devinette, les portes des sphincters
loin de se révéler neutre, est traître, des heures poignardées dans le de sphinx. Expliquer que tout retourne à la terre, aux légumes, aux
dos. Parvenu à ce point, on peut fermer boutique et trier les pensées fruits, aux vers, aux animaux croquant, mâchant, chiant, aux hom-
sur le volet. mes – et ça pour chaque pomme.

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Est un nom que je garde en réserve pour les lendemains gourds, Dans la moiteur d’un soir de mai. Des peaux de gibier tannées
les matins où je peine à émerger, le nom des heures passées à ne rien sous la joue. La tête à Rome, le corps à la fourrière. Des mots in-
espérer, le nom que je m’échine à lire sur des lèvres trop souvent si- fectés sur la langue. D’un chancre à l’aine, d’une poussée de gale.
lencieuses, remuantes pourtant. Est le nom qui pousse au milieu des D’avoir été envieux, jaloux, d’avoir été toujours le même. Sans le
vergers, est le nom qui monte aux arbres, nom qui me fait monter moindre discernement. Crucifié sur une escabelle, une échalote en
aux arbres, est le nom qu’on extrait du noyau d’une pierre, est le poche, le sexe entre les lèvres. Une tige de rhubarbe enfoncée dans le
joyau des noms de la matière. gland. Fleurant bon la gangrène, l’organe déchu. Au quart de tour.
Est le nom que je mange, où je dors, que je hurle en le chargeant Sur place. Sans rien avoir à ajouter.
de tous les torts, que je coiffe d’un chapeau de sésame et j’ai tou-
jours pour lui, dans un coin de ma tête, un bol de riz soufflé et de
tendresse. Est le nom qui vient à la fontaine, s’y remplit et lorsque
le jour baisse, je le porte à ma bouche et le prononce, car dilué dans
l’eau, c’est le seul nom qui parvienne à me désaltérer.

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Table

Animaux noirs 7

Illumination # 2 15

Les arbres sont finis 17

Illumination # 3 25

Bastions de barbouzes 27

Illumination # 4 37

Réapparition # 6 39

Illumination # 5 41

Réapparition # 7 43

C’est peut-être l’enfant 45

Illumination # 6 57

Les jardiniers de la mi-mai 59

Illumination # 7 69

Les noms noirs 71

Illumination # 8 81
Pascal Leclercq Jac Vitali

Pascal Leclercq est né à Liège en 1975. Il obtient une licence en philosophie à l’Université de Liège avec un Jac Vitali est né en 1952 en Lorraine. Il s’exprime pendant de longues années à travers la création musicale.
mémoire sur Althusser, Machiavel et le matérialisme aléatoire. Il fait ensuite des séjours réguliers à Turin, en Italie Ce qui l’amènera à son travail de plasticien, et nourrira sa recherche dans l’atmosphère troublante générée par le
du nord, ponctués de petits boulots. temps et ses réapparitions.
Dès la fin des années 90, il s’investit dans la littérature. Il crée la revue Ces Gens-là (quatre numéros), rem- Sa peinture creuse dans « l’enfoui » : parfums évanouis, icônes phosphorescentes, figurations transformées
placée ensuite par Coucou, la revue qui ne met pas tous ses œufs dans le même panier. De 2000 à 2004, il travaille dans de nouveaux rôles.
comme critique et reporter au Carnet et les instants, le bimensuel des Lettres de la Communauté française de Depuis, cette réflexion l’a amené à utiliser d’autres techniques associées à sa peinture, comme l’installation
Belgique. Journaliste, il participe à l’aventure de l’hebdo Liège 04 et anime, avec le poète Karel Logist, les Jeudis sonore qui, moins qu’un retour à son passé musical, est une autre manière d’envisager son rapport aux « fan-
Livres de la province de Liège, à la bibliothèque des Chiroux. Il est également le maître d’œuvre, depuis 2008, de tômes », son questionnement sur l’usure, le recouvrement…
la Nuit de la Poésie, qu’il organise dans le cadre de la Foire du Livre de Bruxelles. Par un long et patient collectage dans la mémoire auditive, c’est la bande magnétique qui se substitue à la
Il a traduit de l’italien le poète Andrea Inglese (Colonne d’aveugles, éd. Le Clou dans le fer, 2007) et le roman- matière picturale. Intégrées à des constructions en volume, ces manipulations sonores occupent l’espace dans une
cier Alessandro De Roma (Vie et mort de Ludovico Lauter, Gallimard, 2010). intime relation.
Ses fréquents séjours au Québec l’ont amené à y publier ses premiers polars aux éditions Coups de tête à Ses créations l’ont amené à exposer notamment à Oslo, Sao Paulo, Oujda, Rabat, Paris…
Montréal, Marzi et Outchj (2008) et Marzi à Marzi (2010). En 2002, le livre Demain revient de loin (éd. La Dragonne) marque le début de la collaboration avec Pascal
S’il explore les domaines du roman et de la nouvelle, Pascal Leclercq est essentiellement poète, avec une bi- Leclercq. Puis naît le projet d’un travail épistolaire qui associe l’univers du son au mariage entre écriture et icono-
bliographie déjà riche d’une douzaine de titres, qui l’ont vu collaborer avec des plasticiens, des musiciens, mais graphie : les livres Un bâton (éd. La Dragonne, 2007), Fabriken (éd. La Dragonne, 2009) et aujourd’hui Animaux
également des architectes. Sa poésie, sans oublier d’être joueuse, gratte aux entournures : elle interroge le corps et noirs (éd. La Dragonne, 2010) en sont les prolongements.
ses limites, ses multiples identités. Elle flirte également avec le surréalisme, en cela qu’elle jongle autant avec les Ce travail est ensuite devenu le support d’une performance live : installation d’un dispositif scénique autour
mots qu’avec les codes de pensée. Il en résulte une faconde surprenante et facétieuse, qui fait de son auteur l’une de l’auteur, qui lit ses textes, tandis que Jac Vitali intervient en direct, avec des manipulations sonores. Les artistes
des voix les plus singulières de sa génération. Il a notamment publié Rue Trottechien (éd. L’Arbre à paroles, 2000), revendiquent une part d’improvisation, en tenant compte chaque fois des spécificités du lieu qui les accueille.
Demain revient de loin (éd. La Dragonne, 2002), Variations sur un visage (éd. Esperluette, 2005), Un bâton (éd. Depuis 2006, la performance « Un bâton » a ainsi fait l’objet d’une vingtaine de dates, notamment à Bruxelles,
La Dragonne, 2007), Fabriken (éd. La Dragonne, 2009). Liège, Nancy, Épinal, Thionville…
Éditions FLORENT KIEFFER
LA DRAGONNE Le Prince, la lune et les fornicateurs
Derniers titres parus
BENOÎT FOURCHARD
K Clémence et l’acteur nu

ABDELKADER DJEMAÏ SIMON MASELLA


La Maison qui passait par là Le Déclin des clins d’œil

FLORENT KIEFFER CHARLOTTE GOLDBERG


Aucune des nuances de l’âme Le Remords

ANTOINE CHOPLIN DANIEL LABEDAN


Cairns Central Cosmos

PHILIPPE CLAUDEL GAETAÑO BOLÁN


Quartier Treize alligators

ODILE MASSÉ JAMES SACRÉ


Jusqu’au bout Portrait du père en travers du temps

PASCAL LECLERCQ JEAN-CLAUDE TARDIF


Un bâton Les Jours père

ANTOINE MOUTON FABIEN SANCHEZ


Berthe pour la nuit Ceux qui ne sont pas en mer

ROCH-GÉRARD SALAGER ANNE BELIN


Quelques aperçus d’un autre territoire À distance des corps
ANIMAUX NOIRS de Pascal Leclercq & Jac Vitali est le quatrième
titre de la collection « Carrée », et le soixante-huitième des éditions
LA DRAGONNE. Cet ouvrage a été achevé d’imprimer chez Jouve à

Mayenne dans le courant du beau mois de juillet 2010.

Impression : Jouve, Mayenne


ISBN : 978-2-913465-68-8

Dépôt légal :
3 ème trimestre 2010

www.editionsladragonne.com

LA DRAGONNE
54 000 NANCY
Imprimerie Jouve
1, rue du Docteur Sauvé - 53100 Mayenne
Imprimé sur presse numérique
N° 490792M - Dépôt légal : juillet 2010

Imprimé en France

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