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CHEMINS CHERCHÉS
CHEMINS PERDUS
TRANSGRESSIONS
1981
CHEMINS CHERCHES, CHEMINS PERDUS,
TRANSGRESSIONS
© Éditions Gallimard, 1981.
Sur une plaine liquide d'une vaste étendue, dans une pirogue,
colossale, pondéreuse, protestante, venue du Nord, il se tient, raide
et seul, seul' comme on peut l'être lorsqu'on n'est pas dans la voie
du salut, lorsque dans la zone noire, on a forcé le passage interdit.
Autour, l'eau : absolument tranquille, ni animée ni aimée, une eau
lourde.
Sur ce plan horizontal où pénible est la progression, comme s'il
se trouvait sur une pente à remonter, l'homme du retrait, ermite
d'« Absolu », ne montre que son dos, droit comme un mur.
Le sérieux de l'idée unique l'habite. Un sérieux contre tous.
Certitude entre tous. Une mélancolie pourtant, une détresse de fin
de monde, une fatalité irrenversable habitent le paysage froid où
passe celui qui tellement se trompe sur lui-même.
La lourde pirogue monoxyle va s'enfonçant lentement dans
l'espace mort.
Ciel bas. Oiseaux à une seule aile. Arbre sans branches.
Têtes qui ont passé par quelque chose d'aussi grave que la mort,
qui n'ont pu se sauver sinon pauvrement.
Têtes du passé, qui savent la nuit de la vie, le Secret,
l'innommable horrible sur quoi l'être s'est appuyé.
En lutte contre le flou, masses qui vainement essaient de se
refaire, luttant contre le pâteux qui envahit.
Têtes atteintes profondément, qui n'ont plus confiance, qui se
souviennent.
Une d'elles gravement défoncée, aux larges yeux, semblables
pour la fixité à ceux d'un poisson, les muscles oculomoteurs comme
bloqués de façon à ne plus jamais pouvoir regarder que de face,
face aux autres, face, comme le défi fait face.
Un nez géant, débordant, déporté, de travers, tordu, de la base
au sommet tordu, semble presque de profil.
Par-dessus, inaltérés par la torsion, qui devrait être pénible
(comme l'anneau dans les naseaux des taureaux domestiqués) et,
même » être proprement épouvantable, les yeux impavides –
magistrale discordance, signature de son mal – font comme si de
rien n'était ; dans cet impossible contraire, si contrariant, ils
continuent, ils maintiennent.
L'habitant de la face en désordre n'abandonne pas.
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Un guéridon est veillé par deux cygnes. Chaque cygne est veillé
par deux ocelots. Chaque ocelot (ou panthère ou gros chat tacheté)
par deux serpents. Chaque serpent par seize triangles, et se
trouvent les triangles sous l'observation d'yeux sans nombre,
braqués, scrutateurs.
Rien ne doit échapper à la multiple police. Rien ne peut se
soustraire à l'omniprésente Ordonnance.
On sent dans tout cela danger qu'il ne soit pas assez veillé, qu'il
y ait manque de vigilance, car un instant d'inattention suffirait. Un
instant d'inattention pourrait dans les secondes suivantes causer la
désagrégation, puis l'universelle désintégration.
Conséquence lointaine d'une Condamnation. Peut-être.
Que de déboîtements possibles dans les « correspondances »
de la création, le monde entier pouvant être puni par la faute
d'hommes inconscients, monde qui, en fait, pèse sur les épaules
d'un seul, lequel ne peut plus prendre de repos, devenu surveillant
obligatoire, l'unique qui sache, qui veille, qui puisse encore retarder
le désastre illimité qui approche.
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Le tableau :
Sur quatre pattes basses, un corps long, rudimentaire, tubulaire,
tête d'homme devant, poitrine courte, le milieu (le bassin) n'en
finissant pas et le derrière en l'air, dilaté, relevé, grand ouvert telle
une embouchure de saxo, embouchure-anus, ainsi apparaît cet
interminable humano – basset.
Homme, il l'est tout de même, comme il apparaît à la tête restée
importante de cet être infiniment embarrassé – une haute tête pour
pouvoir observer et un énorme nase sentant ce qu'il y aura à sentir.
À l'autre bout plus importante encore, la sphère anale – bouche
dévergondée, bouche d'égout, bouche terminus des intérieurs non
dominés – c'est un tout à la fois, comme une dégringolade, masse
malsaine d'irraisonné arrivant de partout à grands flots, pour
emmêler, engloutir, emboutir la conscience dépassée. Le saxo
l'exprimera, en plus fort, en plus bas. Il clamera à la place du faible,
apathique individu, le méli – mélo tonitruant de sa base, de ses
ténèbres, de ses entrailles devenues excessives, exorbitantes.
Envers qui ne se gêne plus, anus qui est pavillon, qui retentira, aidé
par les sons graves et outrés d'une contrebasse, dont à défaut de
l'instrument lui-même ont été dessinées sur ses flancs trois clefs
volumineuses de façon, dans le brouhaha des sons emmêlés, à en
diriger au moins quelques-uns. Le dedans appesanti, obnubilé, aura
sa mélodie.
Sons du saxo-contrebasse, pour les aveux les plus intérieurs, les
plus troublants, les plus ensorcelants, les plus inavouables, touchant
à tout ce qui lui arrive en son être ravagé et qui l'envahit de déchets,
qu'il voudrait pouvoir relancer au jour et aux oreilles de ceux qui ne
veulent toujours pas comprendre.
Dans le corps bas si étonnamment prolongé du monstrueux
animal-objet, dont l'immobilité ne doit pas tromper, est dit en vrac ce
qui, tout ordre arraché, encombre et pèse dans un homme envahi et
dépossédé de son « moi », lequel inconfortablement,
dangereusement, inharmonieusement tente encore, vaille que vaille,
de se reconstituer.
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L'Homme marqué.
Tout devait passer par le cercle. C'était sa vie, passer, avoir à
passer par la blancheur. Il n'eut pas la persévérance. Il n'avait pas
les moyens pour garder le courage de continuer. Et puis le mal de la
maladie est venu, autre glissement, autre chute, autre invasion…
Ascension maintenant impossible.
Parmi les communes présences il reste l'homme marqué.
Marchant marqué, reposant marqué, vivant marqué. Le cercle de
lumière qui devait empêcher l'errance, empêche l'oubli. Captif du
ciel, cercle qui le tient à l'écart des aventures médiocres.
Porteur du signe. On ne lui enlèvera pas cela. Dans le tableau un
grand cercle blanc demeure plaqué sur lui.
Nombreux sont les ennemis du cercle ; dès qu'ils le voient,
d'emblée furieux.
Les étangs d'âmes damnées auraient-ils aussi des cercles ?
Cercles d'illuminations rentrées, cercles d'ombres luisantes. Une
même plaque désigne ceux qui, dans un parti ou dans l'autre, furent
désignés.
À jamais.
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La crasse s'épaissit.
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Le Nombre augmente.
Uniformément l'œuf, par myriades, l'œuf, les sorties de l'œuf ;
famille pour les besoins de l'œuf, famine pour les besoins de l'œuf,
chaîne sans fin, manivelle venue des désirs. Que d'ovaires offerts de
par le monde !
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Plus de refuges.
Espèce à l'activité démesurée, l'espèce à la croissance
démesurée aura tout coupé.
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DU BURUNDHI
L'ABBÉ : Raconte. Dis ce qui s'est passé, comme cela s'est passé.
On répète dans l'entourage que dans les lieux de fausse fête où tu
fus, ton père entra, grisé par la boisson, empli du désir de voluptés ;
il se dirigeait vers ton corps pour y prendre son plaisir, quand…
Est-ce vrai ? Eh bien ? Était-ce lui ? Sans te reconnaître, ou
t'ayant reconnue ? Telle est la question.
LA FILLE : Le ciel est tombé, le toit s'est écrasé.
L'ABBÉ : Tu n'as pas répondu.
LA FILLE : Le toit s'est écrasé. Aussitôt les maux furent
innombrables.
L'ABBÉ : Mais c'était bien dans la maison des désirs de la chair ?
LA FILLE : Ce l'était. Et c'était le Père.
L'ABBÉ : Et c'était toi. Et tu allais accepter ?
Que disait-il ? Les hommes parlent.
LA FILLE : À peine. Le pantalon tombé, ils perdent l'alphabet…
L'ABBÉ : Ainsi, tu allais accepter ? Comment pouvais-tu ? Il ne te
reconnaissait toujours pas ? ou bien…
LA FILLE : Avant, le ciel fit un signe, le toit tomba, la terre s'ébroua,
la terre se secoua sous le plancher, le soulevant comme un linge
que des bras agitent.
L'ABBÉ : Juste à ce moment le tremblement de terre ? Où était
l'homme ?
LA FILLE : Il approchait, il avançait l'air ivre, la bouche salivant,
quand un morceau du plancher, puis une poutre détachée s'abattant
sur lui, au moment où il tombait sur moi…
L'ABBÉ : Tombait ou se jetait ?
LA FILLE : Le même moment réunit « se jeter » et « tomber »,
ouvrant la porte de la mort.
L'ABBÉ : Tout de suite ?
LA FILLE : Presque tout de suite.
L'ABBÉ : Là, il te reconnut ?
LA FILLE : Il ouvrit les yeux. Poisson des profondeurs. Regard en
dessous de tous les regards. Comment l'oublier jamais ?
L'ABBÉ : Et tu vins ici, créant des désordres dans les pensées de
mes novices. Ainsi font les désordres des conduites passées, chaîne
indéfiniment qui se continue.
LA FILLE : Cithare sans cordes… comment pourrai-je à présent ?
L'ABBÉ : Le marchand de vin, les manches de son habit longtemps
encore gardent l'odeur du vin.
En somme tu veux une maison.
LA FILLE : Si je puis me recueillir, fût-ce dans un tonneau, un
tonneau dans la neige, je l'appellerai une maison.
L'ABBÉ : Bien, tu resteras… un temps.
L'ABBÉ : Et toi ?
Eh bien ?
LE NOUVEL ARRIVÉ : Un appel est venu. Un appel a traversé la vie
des années durant, des dizaines d'années durant.
L'ABBÉ : Pourquoi ne t'être pas présenté plus tôt ?
LE NOUVEL ARRIVÉ : L'appel ne disait pas son nom clairement,
pourtant là, et qui toujours revenait.
L'ABBÉ : Pourquoi es-tu venu aujourd'hui ? Précisément
aujourd'hui ? As-tu toi aussi perdu ton toit ?
LE NOUVEL ARRIVÉ : Le temps était venu de la décision. Voilà ce
que j'ai compris. C'est pourquoi je suis venu. Aujourd'hui préparé par
hier, par beaucoup d'hiers.
L'ABBÉ : Eh bien, reste. Tu prendras la cellule, la troisième dans le
couloir. Ce couloir-là.
L'ABBÉ : Et toi, l'homme blessé. C'est plutôt d'un médecin que tu
as besoin. On t'a trouvé, égaré, la face ensanglantée, presque sans
vue, « par moments tout opaque » – selon tes paroles, à ce qu'on
m'a rapporté.
Verras-tu même la lumière des offices ?
L'HOMME BLESSÉ : Je pourrai les entendre, si tu veux bien de moi.
Je peux travailler, pourvu que quelqu'un m'accompagne, je peux
l'aider. J'ai encore des bras.
L'ABBÉ : On dit que tu fus savant. Tu avais des connaissances
étendues. Tu ne les as plus ?
L'HOMME BLESSÉ : Le coup qui a frappé la tête a repoussé
beaucoup de savoirs. Je saurais encore m'occuper de plantes, si
elles ne sont pas trop petites pour ma vue, et je pourrais les indiquer
à quelqu'un qui m'accompagnerait, et choisir celles qui conviennent
pour les soins des organes malades.
Et mes mains, je crois, n'ont pas oublié la poterie.
L'ABBÉ : Néanmoins tu seras un problème, je le crains. Tu
souffres ? Tu ne vas pas crier ? Le silence, ici, tu sais, est important.
L'HOMME BLESSÉ : Plutôt que de crier je m'enfouirai la tête sous
terre. On ne m'entendra pas plus qu'un œuf ou bien je fuirai.
L'ABBÉ : Cette demeure-ci n'est pas un lieu pour entrer et sortir,
pour rentrer et ressortir.
Tu restes. Le frère, celui-ci, sera ton compagnon. La deuxième
cellule.
Je te reparlerai. Ta science n'a pas pu – toute – se dissiper.
L'ABBÉ : Quand le malheur vient, le monastère s'emplit. La vie
redevient-elle ordinaire, le monastère se vide, et les lieux de la vie
facile s'emplissent ; et l'abbé reste à nouveau seul avec son
jardinier, comme avant.
GLISSEMENT
Frémissement
Frémissements à la surface des fonds
Je réponds par une immédiate mise en route disloquante, déviée,
détachante
Le timbre décolle des voix
Les façades ne coïncident plus avec les édifices
La langue aussi a plongé. Mots en attente de sens
Simultanément ampleur Ampleur est venue
Il se répand de la SOUVERAINETÉ
Des golfes s'élargissent
J'assiste à la présentation du « penser »
Les flots de la nuit glissent en plein jour
Ouverture.
Ouverture
Avec une avalanche de douceur on entend la nature respirer
Imprenable, imparable, inarrêtable, la nouvelle onde par-dessus,
par-dessous passe traverse
inonde
apportant calmes,
des calmes à toute allure
Planéité des eaux tranquillement, posément, infiniment
l'horizontal, quelle immensité !
Défait de tout autre attribut
de sa liquidité, de sa luminosité, de sa masse de son poids…
le lac
en voie vers un autre devenir Horizontalité en expansion gagnant
toujours abstraite de tout de presque tout
devenant essence
Inattendue
inouïe, fine, fine, délestée, pure, unique est la jouissance
d'horizontalité
en déportation dans l'horizontalité plus immense qu'un pays
quoique dans l'esprit planant comme une aile une aile qui tout
excède…
idée
horizontalité-idée une brise s'élève – vagues au loin.
Crêtes et creux
Mouvance à perte de vue
Balancements
par centaines
là,
ressentis ici
versements, renversements, rerenversements
En toute direction, en ligne droite vers les embarcations au large
je vais par les vagues une à une
chemin sans trace parcours long, actif, saccadé.
Moutonnement,
de mouvements me saturant
Mouvance
Mouvance indéfiniment se renouvelant Perfection des
Mouvances Excellence qui rappelle qui rappelle d'autres excellences
Souvenirs d'événements récents d'une justesse d'une intensité d'une
délectation l'un suscitant l'autre affluant, chacun à l'état d'excellence
Des riens reviennent à la mémoire incomparables, parfaits
sommets l'un après l'autre d'une chaîne aux imprévisibles relais
Sortant du rang, un simple accent devient emblème un mot
espagnol entendu le matin se rue à mon ouïe puis, à mon esprit
apporte l'hispanité l'essence même de l'hispanité.
Abstraction !
Après un temps tout s'y précipite
Abstractions comme des déclics
Une grande faux invisible en silence s'abat, ne me laisse que des
abstractions Étiré d'admirations de successives extrêmes
admirations trop sollicité je repars,
Dense, continuation du dense le lieu de densité emporté avec
moi dans le véhicule qui fait route.
je descends.
Un parc que je connais, où j'étais… surprenant
les arbres ont-ils tellement changé depuis hier ?
dans l'état qui dilate
qui se plaît à dilater ce qui déjà est dilaté
le port, la couronne des grands arbres ornementaux augmente
encore et rayonne, excessive, triomphale
Plus loin, plus haut
Densité revenue
Densité toujours là quand plus rien ne distrait densité s'étale
montagnes pas toutefois comme je les aime
Malaise. Agacement.
un vague excès sans objet, en pure perte, m'importune
m'incommode
De petites campanules à mes pieds s'inclinent toutes à la fois,
sur le versant qui blanchit
SOUDAIN…
bloc d'une autre réalité substitué à celle-ci le plateau d'en face
tout entier est devenu autre
Dans un moment d'absence le sacré à la place du profane s'est
trouvé sur la montagne
Transgression accomplie un lieu n'est plus dans son lieu un
endroit élu le remplace, sorti du fond des âges
Avec les yeux de la persuasion, venue de je ne sais où
imperturbables semblables aux yeux de la foi mais sans foi
(Comment l'aurais-je ?) je contemple, venue d'ailleurs, l'enclave qui
de tout sépare qui tout répare
La base des déterminations, des explications a perdu sa
prévalence
Le naturel n'est plus soutenu L'au-delà du naturel vibre et
s'impose
La masse d'en face, son état d'auparavant évacué sans qu'aucun
détail ait changé, sa signification seule la fait autre totalement autre
sa radieuse Signification
Un savoir catégorique s'est logé en moi, sans moi stable,
irréductible
L'absurde, l'impossible n'y peuvent rien. Inutile, inégale, la
partition du moi Suis occupé par certitude comme par révélation…
Vaste est la situation insensée
Sans fin elle émerveille
Sous la couverture du Grand Inexpliqué sous son ouverture
une inondation, une pénétration inconnues
Du temps passe devant le non-temps devant un perpétuel
arrière-temps devant l'inaltérable lieu étranger auguste et simple qui,
sans rien détruire, a raison de tout éclairé à sa propre lumière
Permanence de l'irréel
Structures, toutes mineures maintenant Sans force, les
paramètres
Dépris des circonstances occupé d'infinité je glisse
Tout va par mondes à présent
Le lieu du paradis demeure immuable.
JOURS DE SILENCE
Arrêt
arrêt
Jour immobilisateur
Plus d'apports, plus de prises
L'œil ne va pas voir
L'oreille n'écoute plus
n'acquérant plus
n'entassant plus, ne rangeant plus, ne s'emparant plus
ne recevant plus d'arrivages
indiscontinué
ne dérivant pas
Suspendue, l'arrivée des informations l'être ne quitte plus le fond
Le varié, le divers, le distrayant n'a plus sa part sa monstrueuse
part
En pénitence, la diversité
Incuriosité au transitoire
Plus d'investissements
Unité du silence
Superficies par le Silence
Dissolution des masses, des groupes,
des médiocres credos
Jour de l'Absence du Temps Fragmenté
N'est plus, l'incidentel
n'est plus, l'événementiel
l'alentour, sa différence est affaiblie.
Le palpable, sa dureté perdue, le palpable aussi parle
d'impalpable, parents à présent, tous parents parents-poussières
Un matelas d'ondes me porte, m'emporte une bande d'indéfini
passe, traverse
ascension,
Hier encore aux carrefours d'intranquillité
Le réel assourdissant s'est enfoncé.
Dans le dehors, définitivement dehors
l'hérésie s'éloigne où l'on fut mêlé
Relâche
Des flocons ont triomphé du béton
Certitude vibrante
sa touche si fine, qui fait signe
cime et abîme sur la même ligne
Dans la vallée sans commandement des milliers d'hiers occupés
à périr
Le suprême prend la place soulève la vie j'hérite d'inconnus
L'insaisissable m'a saisi qui tout traverse
Quelque chose parachève en moi quelque chose
Fidèle à l'être.
ONDE
Une onde un train d'ondes
Venant d'un lointain allant vers des lointains une onde prend mon
centre à part montrant, visant l'essentiel.
le particulier sombre
Des impatiences se livrent à la patience désignant les défauts sur
fond surnaturel
aspirations
assujetti au sans borne perdant sa volonté propre ses
orientations à soi
Une onde a éloigné le monde que blessure accompagnait
Une ouverture explore un moutonnement passe la poitrine à son
tour s'ouvre
appel à l'expatriation ruisseau lucide qui torrentiellement engage,
emporte aube le tréfonds devient premier les moments du
momentané ont naufragé
l'Unique apparaît au désassoupi
Pinceaux de pureté, de plus de pureté
horizons d'une délicatesse…
s'affaissent alors les postures querelleuses
Ravissement dans l'élémentaire cependant que se retire la
chaleur des membres.
Un jour, il y a mille ans, j'étais lourd je ne connaissais pas l'arche
du Connaissable j'avais besoin de tous mes besoins fugueur et tout
m'incisait
un nouveau moi avance
CONSCIENCES
Séparations
Réparations
À l'ancre dans le fleuve tumultueux je perds mes parasites
une fois encore
des siècles occupent le ponctuel
Sur les récifs du prétendu réel sur les réels qui sont des riens,
s'étend une nappe sans fin
débris anéantis des distractions, les obstacles à l'immuable sont
levés
Délivré des contraires j'arrive au seuil
Clair voir
clair sentir claire intellection
Repoussant mes manques, de l'inconnu avance de l'inconnu se
manifeste
Autres tropismes
Les heures favorisées prospèrent
j'ai rejoint l'attelage
Je ne suis plus banni
On dirait d'autres aptitudes à d'autres niveaux
Multiples torrents sortent d'un seul mont
DÉTACHEMENTS
Se détachent
les insignifiants se détachent
la tension de personnification diminue
Blancheur dans les espaces
Démembrement derrière la gaze des apparences Degrés
différents de démembrement
… comme un épandage
S'il se pouvait qu'ainsi je demeure.
Le naissain arrive, le naissain se dépose
À l'étage des mobiles sillages glissants
Désistement des décideurs
J'assiste \
je laisse faire je laisse défaire
Feuillage, feuillage seulement flottant au vent de l'âme
Un estuaire
proche si proche L'ai-je attendu…
Le souvenir des mots communs, en commun Assez ! assez !
Je ne suis plus avec leurs paroles, paroles qui éparpillent
Calme
… beaucoup encore à venir
Je ne suis pas au bout du désert que je dois traverser
Appels
Appels à renversement appels à renversement total Appels à
embrassement ah ! vous aussi…
Bourdonnement bourdonnements ce n'était donc pas fini me
trompant me trompant toujours
Je vivais dans Babel je n'en étais pas sorti
Trop de bords
Trop de bords encore pour peu de centre
Des vagues reviennent des incursions à nouveau
Incursions jusqu'à quand ?
DÉSENSEVELISSEMENT
AFFRANCHI
LE LIMPIDE
à Micheline Phan-Kim.
VERSION DU FRAGMENT 37
DES « RAVAGÉS »
PUBLIÉE DANS « LES RAVAGÉS »
EN 1976
La rejetée indéfiniment
celle à qui tout vint à contretemps
le bien indéfiniment différé
torrent d'intentions,
versatile, qu'une brise déchire
la paume marquée des batailles perdues
débris d'une vie gâchée
et des signes d'un géant avenir menaçant
qui se penche et déjà fracture
[L'égarée, la désemparée addition manuscrite interlinéaire] [des
mains pour la confiante attendant toujours biffé] des mains pour finir
viendraient de tous côtés une mer écumante de mains,
pour la sauver tout un cercle de mains l'entourant
pour la justifier, l'absoudre
[la bénir biffé}
la reconnaître
1984
À Lokenath Bhattacharya.
FILLE DE LA MONTAGNE
« FILLE DE LA MONTAGNE »
[I]
[II]
ENFANT GUÉRISSEUR
Autour d'un berceau où repose une petite fille
à l'ombre d'un arbuste des abeilles en quantité, qui ne lui font
aucun mal
Elle, souriante, bouche entr'ouverte
Une abeille l'aura aperçue.
Halte enchanteresse sur la route des fleurs
Nombreuses, tumultueuses, qui sont autour à voltiger. D'autres
posées sur le minuscule et fin visage sans peur
Ressentant avec leur sens à elles la bonté d'un corps sans
colère
la paix parfaite de l'enfant en harmonie avec tous les êtres
rayonnement que jamais jusque-là elles ne rencontraient chez
personne
Avant tout le monde, ce seront des abeilles les premières des
créatures à reconnaître la merveilleuse nature de la fille plus tard
célébrée pour « sa vertu » de compassion
Un homme aux champs, qui avec la faux s'est blessé regagnait
le village cet après-midi-là afin de se faire panser le pied.
Un bourdonnement l'arrête il a peur pour l'enfant exposé sans
défense.
Mais aucun mal n'arrive
Miracle ! j'ai vu un miracle, pense-t-il, oubliant pourquoi il était là
sur le chemin, ne ressentant plus aucun mal.
De son pied qu'il découvre, le sang ne coule plus, les lèvres de la
blessure se sont rejointes.
Pendant qu'il contemplait le « miracle »
se représentant, en esprit cette harmonie supérieure
il l'accueillait sans le savoir, l'étendait à son propre corps à son
pied blessé qui guérit en silence.
Telle fut, ignorée peut-être d'elle-même la première guérison de
la prédestinée plus tard sainte, vers qui allèrent tant de prières