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LES PENSÉES QUI SOIGNENT

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En partenariat avec
Collection Cerveau & Bien-être
Jean-Michel Lecerf (dir.), Connaître son cerveau pour mieux manger, 2017.
Christophe André et Michel Le Van Quyen (dir.), Les pensées qui soignent,
2017.

Collection Cerveau &Psycho


Emmanuel Bigand, Le cerveau mélomane, 2013.
David Sander, Le monde des émotions, 2015.
Serge Tisseron, Un psy au cinéma, 2013.

Retrouvez tous nos titres sur www.belin-editeur.com

Illustrations couverture et intérieur : © Charlotte Martin

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Imprimé en France par Chirat – 42540 Saint-Just-la-Pendue


N° d’imprimeur : xxxx - Dépôt légal : mars 2017
N° d’édition : 41000547-01

© Éditions Belin / Humensis, 2017


170 bis, boulevard du Montparnasse, 75680 Paris cedex 14
ISBN 978-2-410-01132-6
SOMMAIRE
Avant-propos La fin du tout neuronal 7

La mécanique du lien corps-esprit  13

Chapitre 1 La santé, sous l’empire des émotions 15

Chapitre 2 L’effet placebo : une question de foi ! 31

Chapitre 3 Une nouvelle pratique de la médecine 41

Les nouvelles techniques des thérapeutes  53

Chapitre 4 Soigner le corps et l’esprit : l’avenir


de la médecine 55

Chapitre 5 Le neurofeedback , apprivoiser son cerveau


par sa pensée 63

Chapitre 6 L’hypnose soignera-t-elle tout ? 77

Chapitre 7 Surmonter un traumatisme en bougeant


les yeux 95

Chapitre 8 Des jeux pour lutter contre


la schizophrénie 107

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LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Les changements de style de vie  119

Chapitre 9 Méditer : un esprit sain dans un corps sain 121

Chapitre 10 Attention aux pièges de la consommation ! 137

Chapitre 11 Changer, oui, mais… quand, comment


et quoi ? 143

Chapitre 12 Manger moins pour vivre mieux 157

Chapitre 13 La musique qui « panse » les neurones 163

Chapitre 14 Le pouvoir des mots 173

Bibliographie 181

Les auteurs 187


Avant-Propos

LA FIN DU TOUT NEURONAL


Michel Le Van Quyen et Christophe André

La science a montré que l’esprit émane de l’activité


des neurones. Mais les liens corps-esprit ne sont
pas tous élucidés : on découvre que nos pensées et
nos émotions modifient notre cerveau et notre corps.

C
orps et esprit sont-ils connectés ? Voilà un sujet qui
fascine l’humanité depuis ses débuts… C’est ainsi que
les anciens sages ont remarqué que nos croyances, nos
pensées, nos émotions avaient une influence directe sur
notre bien-être et hâtaient parfois la guérison. À leur suite,
de grandes civilisations comme celles de l’Inde védique, de
la Chine ancienne et de la Grèce antique ont inventé des
médecines extrêmement sophistiquées, dont les principes
reposaient sur le constat d’un lien étroit entre les pensées,
les émotions et le fonctionnement corporel.

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LES PENSÉES QUI SOIGNENT

LE CERVEAU NE FAIT PAS TOUT, TOUT SEUL

Aujourd’hui, les mécanismes du corps, et en particulier


du cerveau, sont de mieux en mieux connus. Munie d’ou-
tils de dissection, de visualisation et de mesure de plus en
plus puissants, la science a finalement montré que c’est bien
le cerveau – et non le cœur – qui est à l’origine de notre
pensée, de nos comportements, de notre conscience. Avec
ses 100 milliards de neurones, organisés de façon très étroite
en réseaux spécifiques, et encore plus de cellules non neuro-
nales, notre cerveau est ce qui nous rend si unique ! C’est sans
doute l’objet le plus complexe, le plus subtil, le plus extraor-
dinaire qui puisse exister dans la nature.
Mais les neurones ne font pas tout… Malgré une meilleure
compréhension des mécanismes biologiques, le lien qui unit
le corps à l’esprit reste toujours obscur pour la science. Pour-
quoi ? D’après nous, la raison en est simple : l’esprit – c’est-à-
dire tout ce qui se passe « dans nos têtes », la vie psychique ou
mentale en général – est un phénomène fondamentalement
subjectif. Prenez des expériences comme déguster du vin,
aimer ou méditer ; ces moments sont propres à chacun et ne
sont véritablement « connaissables » qu’à partir d’un point de
vue subjectif, « de l’intérieur » de la personne en quelque sorte.
Même avec les techniques de pointe, les scientifiques ne
font qu’observer « extérieurement » ces phénomènes, qui, en
réalité, échappent dans leur essence à toutes leurs investiga-
tions. Ainsi, comme l’ont compris quelques chercheurs tel le
neurobiologiste et philosophe chilien Francisco Varela, ancien

8
La fin du tout neuronal

directeur de recherche au CNRS, nous sommes toujours


confrontés à deux formes de connaissance : d’une part, ce que
nous savons du cerveau de l’extérieur (le cerveau de l’autre, à la
troisième personne, l’objet que nous observons avec des instru-
ments scientifiques) et, d’autre part, l’expérience que nous
avons de notre propre esprit (notre conscience, notre subjec-
tivité, vécue à la première personne). Un gouffre s’ouvre donc,
et cela de plus en plus, entre l’expérience humaine de l’esprit et
les explications scientifiques concernant le cerveau biologique.
Plus grave encore : les formidables progrès de la science
moderne ont peu à peu distendu ce lien, en poussant la méde-
cine à se focaliser sur les organes et à les aborder comme des
entités séparées du reste de l’individu et de son esprit. Et la
recherche s’est progressivement décomposée en une myriade
de sous-domaines hyperspécialisés… Si bien que de nos jours,
la simple hypothèse d’une influence de l’esprit sur la santé du
corps paraît désuète, si ce n’est naïve. Pire : pour certains, elle
semble immédiatement relever du charlatanisme !

PENSER DIFFÉREMMENT CHANGE LE CORPS

Pourtant, les temps changent, et vite, en particulier dans


la recherche scientifique. Tout récemment, grâce aux tech-
niques d’exploration fonctionnelle du cerveau, les chercheurs
ont mis des « images » sur une expérience intérieure restée
longtemps invisible, et de ce fait inaccessible : la méditation.
Et la preuve est faite désormais que certains entraînements

9
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

de l’esprit ont un effet bénéfique sur des troubles aussi divers


que la douleur, le stress, l’épilepsie ou la dépression.
Comme l’avaient pressenti les sages de l’Antiquité, et
renonçant par là à une tradition que d’aucuns font remonter
à Descartes, la science redécouvre peu à peu une vérité forte :
certaines pratiques de l’esprit ont une action réelle sur le
corps. Mieux : elles transforment littéralement le cerveau,
dans sa structure et son fonctionnement le plus intime.
Fort de ce constat, plusieurs techniques psychologiques,
d’origine souvent très ancienne et longtemps dénigrées,
resurgissent progressivement dans le contexte médical ou
hospitalier moderne. Regroupées sous le nom de médecines
complémentaires ou « corps-esprit », des pratiques comme la
méditation mais aussi l’autosuggestion, l’hypnose, le neuro-
feedback ou la musicothérapie connaissent un étonnant
regain d’intérêt thérapeutique.
Comment l’interpréter ? Les patients sont, pour le coup,
unanimes : il s’agit d’abord de limiter leur consommation de
médicaments, et ainsi d’échapper à la nocivité de leurs effets
secondaires. Mais une autre raison, plus profonde, se dessine :
ces approches proposent toutes une façon différente de guérir.
Elles encouragent le patient à s’impliquer, à agir positivement
sur sa santé et à trouver en lui de nouvelles ressources qu’il
pourra développer et exploiter de manière volontaire.
Cet ouvrage vous propose de faire le point sur certaines de
ces pratiques de l’esprit, de montrer leurs domaines d’applica-
tion et d’en présenter les bénéfices validés scientifiquement.
Pour les patients, les chercheurs et les médecins, la redécouverte

10
La fin du tout neuronal

11
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

de ces méthodes ouvre autant de nouvelles voies très promet-


teuses. Les recherches actuelles foisonnent, d’autant que les
questions ne manquent pas… Quels sont les processus physio-
logiques particuliers mobilisés par les techniques corps-esprit ?
Comment évaluer leur efficacité sur le corps, cerveau compris ?
Où s’arrêtent les effets thérapeutiques de ces pratiques ?

L’ESPRIT EST BIEN LÀ…

Loin de nier l’existence de l’esprit, ces nouvelles recherches


lui donnent un corps et laissent entrevoir une réalité qui va,
nous le croyons, nous obliger à repenser la place de l’expé-
rience subjective dans la science. Déjà, pour rendre compte de
ces phénomènes psychocorporels, il est nécessaire d’accepter
que l’esprit et le cerveau ne sont pas identiques. Cela ne
remet nullement en cause l’idée postulant que l’esprit est un
produit du cerveau. En revanche, comme le soutient aussi le
prix Nobel de médecine Roger Sperry, cela suggère que les
événements mentaux qui émergent des processus neuronaux
peuvent influencer les processus physiques qui les créent.
On le voit donc bien : la science se trouve aujourd’hui à
un tournant et l’intérêt actuel pour ces pratiques constitue
une formidable opportunité d’élargissement et de renouvel-
lement. Peut-être, après avoir longtemps banni le point de
vue subjectif, les scientifiques seront-ils désormais capables
d’intégrer l’expérience humaine et les pouvoirs de transfor-
mation exercés par l’esprit.

12
LA MÉCANIQUE
DU LIEN CORPS-ESPRIT
Corps et esprit sont-ils
indissociables ? Les scientifiques
savent que le cerveau est le siège
des pensées et des émotions.
Mais ils découvrent aussi
comment l’esprit influe sur le
corps, améliorant durablement
son fonctionnement et donc la santé.

13
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

14
Chapitre 1

LA SANTÉ SOUS L’EMPIRE


DES ÉMOTIONS
Nathalie Rapoport-Hubschman

Stressés, nous sommes souvent malades


et souffrons davantage de troubles cardiaques.
Heureux, nos facteurs physiologiques sont meilleurs.
Pourquoi ? Les chercheurs découvrent
les mécanismes de la médecine corps-esprit.

A
près une longue période de stress à votre travail, liée
au bouclage d’un projet important, vous vous sentez
soulagé, mais fatigué. Vous prenez alors une semaine
de vacances pour en profiter… Malheureusement, vous
tombez malade dès le premier jour et passez votre temps
au lit à lutter contre cette grippe maudite ! En revenant au

15
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

bureau, vous racontez votre semaine « de repos » à votre


collègue, qui lui aussi était parti au soleil après la finalisation
du dossier. Contrairement à vous, il est de retour en pleine
forme. Le stress précédant ses vacances ne l’a pas rendu
malade… C’est toujours la même histoire d’ailleurs, vous êtes
malade à chaque période de vacances. Votre stress influence-
t-il votre forme, voire votre résistance aux maladies ?
Oui : il n’est désormais plus possible de l’ignorer, le corps
et l’esprit sont indissociables. Nous ne pouvons plus conce-
voir la santé physique sans prendre en compte le mental,
l’esprit, les pensées et les émotions. Bien que la question
des liens entre l’esprit et le corps ait traversé l’histoire de
la médecine et de la science, ce n’est que récemment que les
mécanismes de la médecine corps-esprit ont commencé à être
mieux compris. Ces processus sont depuis quelques dizaines
d’années au centre de très nombreux travaux de recherche.

UN COUPABLE : LE STRESS

Le stress est le mécanisme au centre des relations corps-


esprit. Ce terme désigne à la fois l’événement stressant
– par exemple, une deadline intenable – et la réaction qui en
découle – nous perdons nos moyens. La réaction de stress est
la réponse non spécifique de l’organisme à toute contrainte
de l’environnement. Quand une situation paraît dépasser les
ressources d’un individu, elle est perçue comme une source
de stress. C’est donc notre perception de la situation – nous

16
La santé sous l’empire des émotions

considérons, ou pas, la deadline comme intenable – qui déter-


mine si nous la vivrons, ou pas, comme stressante. Ce qui
explique pourquoi nous réagissons de manière différente par
rapport à une autre personne face à une même contrainte,
ou encore que plus nous sommes fatigués, plus nous pouvons
être stressés par une situation qui habituellement nous laisse
de marbre.

ESPRIT ET CORPS S’USENT

Le cerveau est la tour de commande des processus liés au


stress. Face à un stimulus perçu comme une menace, l’amyg-
dale – une structure située au centre du cerveau et appar-
tenant au système limbique qui gère les émotions – perçoit
le signal de danger et s’active, entraînant une cascade de
réponses physiologiques (sudation, augmentation du rythme
cardiaque… Voir l’encadré page suivante).
Lors de cette réaction, l’organisme se mobilise pour
affronter la menace. C’est ce type de réponse automatique
qui a permis à nos ancêtres de survivre et de faire face aux
dangers auxquels ils étaient soumis, notamment face aux
prédateurs (réaction de fight or flight : on combat ou on fuit).
La réaction physiologique de stress provoque alors une mobi-
lisation rapide d’énergie dans l’organisme, un afflux de sang
dans les muscles, des effets fort utiles à court terme pour
combattre ou fuir un danger, mais qui ne sont plus réelle-
ment adaptés aux situations de stress de notre époque où

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LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Comment notre cerveau réagit au stress


Lorsque le cerveau réagit à une situation non menaçante, c’est sa
partie la plus « récente », d’un point de vue évolutif, et la plus en surface
qui s’active en premier : le cortex préfrontal, responsable des modes de
pensée rationnelle. Cette région « contrôle » les centres des émotions (le
système limbique) et limite les réactions émotionnelles et physiologiques.
Nous sommes attentifs et agissons de manière appropriée à la situation.
Mais quand une menace est présente, une réponse bottom-up se met en
place : l’amygdale s’active, stimulant les centres des émotions (a) et l’hypo-
thalamus (b), ce qui déclenche une cascade de modifications physiologiques
dans le corps, via l’activation de l’axe hypothalamo-hypophysaire. Nous
sommes stressés.
Dans un premier temps, l’hypothalamus envoie un signal le long
du système nerveux sympathique jusqu’à la médullosurrénale, la zone
centrale de la glande surrénale, située juste au-dessus des reins. La médullo
surrénale libère des hormones de stress (l’adrénaline et la noradrénaline),
qui préparent le corps à une réponse rapide de combat ou de fuite.

Fuir ou combattre ?
Les réserves d’énergie sont mobilisées ; la tension artérielle et la
fréquence cardiaque augmentent pour mieux alimenter les muscles en
nutriments ; la respiration s’amplifie de sorte qu’une plus grande quantité
d’oxygène atteint le cerveau et les muscles ; des analgésiques naturels sont
libérés de façon préventive ; les plaquettes sont activées pour minimiser la
perte de sang en cas de blessure ; des phénomènes inflammatoires et des
réactions immunitaires se déclenchent pour protéger le corps.
Dans un second temps, l’hypothalamus produit l’hormone de libération
de la corticotrophine (CRH), qui déclenche la sécrétion dans le sang d’une
autre hormone, l’hormone adrénocorticotrophine (ACTH). Celle-ci circule
jusqu’à la corticosurrénale (la zone périphérique de la glande surrénale),
où elle déclenche la libération du cortisol – la plus importante hormone de
stress. Le cortisol stimule l’action de l’adrénaline et de la noradrénaline tout

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La santé sous l’empire des émotions

-
Cortex préfrontal
+
a Système limbique
b
Amygdale
+
Hypothalamus

crh

Axe hypothalamo-hypophysaire
acth

Circulation sanguine

Système nerveux sympathique


Cortisol
Glande +
surrénale

+ +
Adrénaline

Noradrénaline

Rein

en préparant l’organisme à un retour à la normale. Il favorise notamment


la transformation des nutriments en graisse et en glycogène, reconstituant
ainsi les stocks d’énergie.
Toutefois, dans nos sociétés, nous devons rarement fuir ou combattre
un animal féroce… Nous stressons sur de longues périodes face à des situa-
tions que nous ne pensons pas pouvoir gérer ; le cortisol et l’adrénaline font
produire à nos cellules des molécules toxiques ; notre corps ne parvient pas
à retrouver son état d’équilibre « normal » ; il s’épuise.

19
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

la menace est rarement une tigresse affamée… Au-delà du


comportement de fuite ou de combat, la réaction de stress
met en branle des mécanismes ayant des conséquences
très larges sur le métabolisme : sécrétion d’adrénaline et de
cortisol (des hormones de stress), activation des mécanismes
de l’inflammation.
La réponse de stress est donc parfois utile à l’organisme,
par exemple lorsque nous devons sauter sur le trottoir au
moment où une voiture manque de nous renverser. Ou,
lorsqu’en cas de blessure, les mécanismes de l’inflammation
se mettent en marche, permettant ainsi un afflux de cellules
sanguines sur le site de la plaie, ce qui favorise la cicatrisation.
En revanche, la réponse de stress est délétère lorsqu’elle
est trop fréquente et devient chronique, par exemple quand
nous sommes « sous pression » au travail. Elle ne laisse alors
pas le temps ou la possibilité à l’organisme de revenir à un
état d’équilibre. Les capacités métaboliques du corps sont
dépassées, le système est en quelque sorte en surchauffe ; les
hormones de stress sont sécrétées en continu ; les cellules
augmentent leur consommation d’oxygène. Cette surconsom-
mation d’oxygène entraîne la fabrication de produits de dégra-
dation toxiques pour l’organisme. Sur le long terme, le corps
« s’use », ce qui favorise le développement de certaines patho-
logies : dépression, maladies virales telle la grippe, anomalies
cardiovasculaires… La liste est longue.
Dans le cas des maladies cardiovasculaires – les mieux
étudiées –, les mécanismes liant les émotions (dont découle
le stress) au développement des pathologies sont multiples

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La santé sous l’empire des émotions

et complexes. Laura Kubzansky, du Département de santé


publique de Harvard, en dénombre plusieurs : nos émotions
modifient l’activité de différentes régions cérébrales qui,
à leur tour, régulent le système nerveux dit « autonome »,
responsable entre autres de notre rythme cardiaque ; de
même, le système nerveux dit « sympathique » et l’axe hypo-
thalamo-hypophysaire, qui contrôlent la sécrétion des
hormones de stress, s’activent selon nos humeurs ; le cerveau
module aussi les phénomènes de thrombose et d’agréga-
tion des plaquettes, qui peuvent entraîner une obstruc-
tion des artères sanguines. Quand nous sommes anxieux
ou stressés, ces processus sont mis en œuvre : le rythme
cardiaque augmente, des hormones de stress sont sécrétées,
les plaquettes s’agrègent, les artères rétrécissent…
Mais ce n’est pas tout. Parallèlement à ces mécanismes,
directs et biologiques, des facteurs dépendant de nos compor-
tements influent sur le risque de développer une maladie
cardiovasculaire : l’alimentation, le tabac, l’exercice physique,
le mode de coping (la façon dont nous tolérons, maîtrisons
ou diminuons l’impact d’un événement menaçant sur notre
bien-être) et le soutien social. Stressés, anxieux, déprimés,
nous mangeons davantage, avons plus de difficultés à arrêter
de fumer et faisons moins de sport. Des facteurs de risque à
nouveau liés à nos émotions…
Précisons ce qu’est une émotion. C’est un état affectif mis
en branle par une évaluation automatique de nos besoins. Elle
implique des ajustements comportementaux, physiologiques
et cognitifs liés à la situation. Elle prépare l’organisme à agir

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LES PENSÉES QUI SOIGNENT

de façon efficace et adaptée dans un contexte donné. Pour


faciliter leur étude, les émotions sont divisées en deux catégo-
ries : les négatives ou désagréables, et les positives ou agréables.
Les conséquences des émotions négatives comme la tris-
tesse et la colère ont été bien étudiées. Elles sont associées à
différentes pathologies : maladies cardiovasculaires, diabète,
asthme et certains types de cancers. Elles sont aussi plus
souvent présentes en cas de douleurs chroniques.
On a en effet montré que la colère était « toxique » sur le
plan physiologique. Elle augmente la probabilité d’infarctus
du myocarde et d’accident vasculaire cérébral (AVC). Une
étude australienne a récemment révélé qu’une colère intense
multipliait par huit le risque d’infarctus.
Ces variables – l’hostilité, la colère, mais aussi le manque
de soutien social – participent non seulement au développe-
ment d’une pathologie cardiovasculaire, mais aussi, quand
la maladie existe, à son évolution et à son pronostic. Des
travaux récents en neuro-imagerie sur un petit échantillon
de sujets suggèrent que les personnes ayant une « réactivité »
de l’amygdale plus importante face à des signaux sociaux
menaçants (des visages exprimant la colère ou la peur) ont
des niveaux plus élevés d’athérosclérose, un remaniement et
un rétrécissement de la paroi des artères qui peuvent provo-
quer des maladies cardiovasculaires.
Les liens sociaux sont une des dimensions psychosociales
qui a été le plus tôt identifiée comme étant liée à la santé
physique. Dès les années 1980, des épidémiologistes étudiant
la population du comté d’Alameda aux États-Unis ont montré

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La santé sous l’empire des émotions

que les relations sociales étaient associées à la longévité. Les


personnes ayant un réseau social large et riche étaient en
meilleure santé et vivaient plus longtemps.
Dès cette période, la question s’est posée : comment les
relations que nous entretenons avec autrui passent-elles
« sous la peau », ou encore quels sont les mécanismes liant
nos fréquentations et notre physiologie ?
Plusieurs études réalisées par la suite en laboratoire
ont mis en évidence que les liens sociaux de bonne qualité
jouaient un rôle « tampon ». Autrement dit, avoir des rela-
tions conviviales et agréables avec autrui, ne pas nous sentir

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LES PENSÉES QUI SOIGNENT

isolés, nous permet de réagir de façon plus modérée face


aux stress de la vie quotidienne. En effet, une méta-analyse
regroupant les résultats de 81 publications sur le sujet a
montré que des liens sociaux de bonne qualité ont des effets
bénéfiques sur les systèmes cardiovasculaires, endocriniens
(les hormones) et immunitaires (les défenses de l’organisme).
Ainsi, nos relations sociales modèrent les effets du stress
en atténuant la réactivité cardiovasculaire, la sécrétion de
cortisol et les processus inflammatoires. Dès lors, elles sont
associées à une moindre susceptibilité aux infections, ainsi
qu’à une baisse moins importante des facultés cognitives
avec l’âge. Bien entourés, nous vivons donc en meilleure
santé physique et cognitive !

LES NONNES HEUREUSES


VIVENT PLUS LONGTEMPS

L’étude de l’impact des émotions sur la santé progresse à


pas de géant. Pendant de nombreuses années, les scientifiques
se sont intéressés aux conséquences des émotions négatives,
plus faciles à exprimer et à mesurer. Mais depuis une ving-
taine d’années, ce sont les émotions positives qui sont enfin
au centre des travaux de recherche. C’est dans un monas-
tère américain qu’a commencé officiellement l’analyse de
l ’ impact des émotions positives sur la santé. A lors
qu’elle débutait comme une étude consacrée à la maladie
d’Alzheimer, la Nun Study a exhumé les textes écrits par

24
La santé sous l’empire des émotions

des nonnes d’âge mûr à leur entrée dans le monastère. Les


chercheurs ont soigneusement analysé ces textes rédigés des
dizaines d’années plus tôt. À leur grande surprise, ils ont
constaté que les sœurs ayant utilisé davantage de termes
associés à des émotions positives avaient vécu plus long-
temps, parfois jusqu’à dix ans de plus.
Quel est le lien entre des émotions telles que joie, vita-
lité, curiosité, gratitude et le fait de vivre plus longtemps ?
Depuis la fin des années 1990, de nombreuses équipes de
recherche ont révélé que les émotions positives améliorent
notre santé physique : résistance plus élevée face aux infec-
tions, probabilité diminuée d’accidents cardiovasculaires
et vasculaires cérébraux, et, comme nous venons de le voir,
longévité prolongée.
Deux expériences de laboratoire permettent de mieux
comprendre les mécanismes impliqués. À l ’université
Carnegie-Mellon en Pennsylvanie, Sheldon Cohen et ses
collègues tentent de comprendre les liens entre les émotions
positives et le système immunitaire – entre autres. Pour ce
faire, ils ont demandé à des participants de noter pendant
plusieurs semaines leur état psychologique en mesurant leurs
émotions positives (heureux, content, énergique, détendu…)
et négatives (déprimé, anxieux, hostile…). Les chercheurs les
ont ensuite invités à leur laboratoire de psychologie où ils
les ont mis en contact avec un virus de rhume – relativement
inoffensif ! – contenu dans des gouttes nasales. Puis Cohen
et ses collègues ont surveillé de près les étudiants afin de
déceler s’ils développaient des symptômes.

25
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

RÉSISTER AUX INFECTIONS

Le résultat est impressionnant : les participants ayant


ressenti le plus d’émotions positives dans les jours qui précé-
daient la mise en contact avec le virus sont beaucoup moins
souvent tombés malades ! En revanche, le nombre d’émotions
négatives n’avait aucune influence sur la santé. Ce sont donc
les émotions positives qui sont liées à une plus grande résis-
tance de l’organisme face aux virus.
La deuxième expérience qui a permis d’aller de l’avant
dans la compréhension des mécanismes de la médecine
corps-esprit a été réalisée dans le laboratoire de Barbara
Fredrickson, de l’université de Caroline du Nord à Chapel
Hill. Les chercheurs ont recruté des participants et les ont
mis dans un premier temps en situation de stress : ils leur
ont annoncé qu’ils allaient devoir préparer, puis présenter
un exposé devant un jury composé de quelques personnes.
En même temps, leur tension artérielle et leur fréquence
cardiaque étaient mesurées, ce qui a permis de constater que
les réactions physiologiques de stress se manifestaient bien,
les deux paramètres étant augmentés de façon importante.
Les participants étaient ensuite divisés en quatre groupes,
chacun visionnant un clip de quelques minutes, parmi quatre
vidéos choisies au préalable pour leur tonalité émotionnelle
distincte : joie, contentement, neutralité, tristesse.
Fredrickson et ses collègues ont révélé que le temps mis
par chacun des groupes pour revenir à l’état d’équilibre
sur le plan physiologique (tension artérielle et fréquence

26
La santé sous l’empire des émotions

cardiaque normales) différait en fonction du type de clip


visionné. Les personnes ayant regardé la vidéo triste ont
récupéré des paramètres cardiovasculaires « normaux » beau-
coup plus lentement que celles ayant vu les clips joyeux ou
paisible. Les sujets du groupe neutre se trouvaient entre les
deux extrêmes. Nos émotions ont donc une influence directe
sur la santé de notre cœur.
Alors pour être en bonne santé et tenter de le rester le
plus longtemps possible, autant vivre de nombreuses émotions
positives : joie, rire, curiosité, altruisme, partage, amour,
amitié, détente… Vous contrôlerez ainsi mieux votre stress
face à des situations déstabilisantes. Différentes méthodes
permettent d’y arriver, seul ou avec l’aide d’un thérapeute.
Vous les découvrirez au fil de la lecture de cet ouvrage.

MÉDITER AMÉLIORE LA SANTÉ PHYSIQUE

C’est le cas notamment de la méditation ; de nombreux


travaux ont décrit les effets positifs de la méditation, en
particulier celle de pleine conscience, tant sur la santé
mentale que physique. L’équipe de Herbert Benson, à
l’université Harvard, a établi des liens fascinants entre les
approches méditatives et la santé physique en se centrant
sur l’expression des gènes. Ces chercheurs ont montré que la
pratique de la méditation activait les gènes impliqués dans les
mécanismes protégeant l’organisme contre les effets du stress
(voir « Méditer : un esprit sain dans un corps sain », p. 121).

27
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Ainsi, de plus en plus de scientifiques cherchent au plus


profond de nos cellules les traces laissées par le bonheur. Une
série d’études réalisée par Fredrickson et ses collègues a tenté
de lier différents types de bien-être à l’expression de gènes qui
diminueraient ou favoriseraient les effets du stress. Ils ont iden-
tifié deux types de bonheur : le premier, le bonheur hédonique,
correspond à la recherche du plaisir et à l’évitement de la souf-
france ; le second, le bien-être eudémonique, est lié à la réalisa-
tion de soi, à l’autonomie, aux relations positives vis-à-vis des
autres, ainsi qu’au sens que nous donnons à notre existence.
Ces deux types de bien-être semblent équivalents en
termes de satisfaction ; par exemple, nous sommes heureux
quand nous nous faisons plaisir en dégustant une bonne glace
en été, tout comme nous sommes heureux quand nous termi-
nons un projet avec succès au travail. Toutefois, Fredrickson
et ses collègues ont montré que le bien-être eudémonique
– celui qui, au-delà de la gratification immédiate, donnerait
un sens à l’existence – était davantage associé à une activa-
tion des gènes « antistress » que le bien-être hédonique.

LES GÈNES DU STRESS

C’est notamment au niveau des cellules immunitaires


que les profils d’expression génétique des deux types de
bonheur divergeaient. Au préalable, Steven Cole, de l’univer-
sité de Californie à Los Angeles, et ses collègues avaient déjà
montré qu’un stress chronique engendre des modifications

28
La santé sous l’empire des émotions

caractéristiques de l’expression des gènes, notamment une


augmentation de l’expression des gènes impliqués dans l’in-
flammation. Or ce mécanisme est lui-même au centre de
nombreuses pathologies telles que l’arthrite et les maladies
cardiovasculaires.
Nous le voyons donc bien, les liens entre l’esprit et le
corps nous révèlent progressivement leurs secrets. L’esprit
agit sur le corps, mais aussi sur le cerveau, qui n’est pas un
matériau figé. Nous pouvons choisir de penser différem-
ment, ce qui a des effets sur nos activités cérébrales, certaines
jouant à leur tour un rôle clé dans notre santé et notre bien-
être. La médecine corps-esprit a longtemps été en marge de
la recherche, mais elle est aujourd’hui une discipline scienti-
fiquement validée. Espérons que nous arriverons à travailler
ensemble, dans le partage et le bonheur, sans stress… pour
rester en bonne santé !

29
Chapitre 2

L’EFFET PLACEBO :
UNE QUESTION DE FOI !
Patrick Lemoine

Chez un malade sur trois, l’effet placebo augmente


d’un tiers l’efficacité d’un médicament. En cas
de douleur, le fait de croire qu’un cachet fonctionne
stimule la libération d’endorphines, des molécules
naturellement sécrétées par le cerveau.

L
e placebo est le poil à gratter de la médecine. Imprévi-
sible, incontrôlable, il sent la magie, le charlatanisme,
bref, tout ce que la science médicale déteste. En 2001,
le débat sur l’efficacité du placebo est relancé par une
équipe danoise qui a compilé 32 articles de la littérature
médicale et comparé chez 3 795 patients l’administration

31
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

d’un placebo et le fait de… ne rien faire du tout. Selon elle,


les différences entre les deux groupes sont minimes. Doit-on
en conclure que l’effet placebo n’existe pas ? Non, mais plutôt
que ce type de statistiques épidémiologiques est inadapté
pour répondre à la question.
Bien sûr, l’article publié dans le New England Journal of
Medicine a provoqué un tollé médiatique, ébranlant encore
davantage le statut fragile du placebo. Pourtant, les conclu-
sions de cet article sont peu scientifiques, le raisonnement
parfois biaisé. Les auteurs y mènent une réflexion du genre :
« Puisqu’il faut neuf mois à une femme pour fabriquer un
enfant, pour gagner du temps, il suffit de recruter neuf
femmes pour qu’elles le fabriquent en un mois ! » Absurde
certes, mais statistiquement correct ! En effet, on ne peut pas
assimiler la prescription d’un placebo à « ne rien faire », car
les patients à qui l’on n’administre rien sont pourtant suivis
et évalués : dans le cas de la douleur par exemple, ils sont
pris en charge. En fait, on compare l’effet placebo de l’obser-
vation (on ne fait rien, mais l’on observe) et l’effet placebo
d’une pilule. Or la simple observation permet de constater
que certaines guérisons, prises individuellement (d’un point
de vue non statistique), sont incompréhensibles.

LE MÉDICAMENT QUI PLAÎT

Que signifie le terme placebo ? Il est tiré d’un vers des


vêpres des morts de la Vulgate ou traduction de la Bible par

32
L’effet placebo : une question de foi !

saint Jérôme : Placebo Domino in regione vivorum, c’est-à-dire


« Je plairai au Seigneur dans le monde des vivants ». Ainsi, il
veut dire « Je plairai ». En termes médicaux, le placebo serait
un médicament inactif donné pour plaire au patient. Mais
nous allons voir qu’il est loin d’être aussi inactif que sa défi-
nition ne le laisse penser.
Il existe deux types de placebo. Un placebo pur est un
médicament pharmacologiquement inerte prescrit dans un
contexte thérapeutique : en général, c’est du lactose emballé
dans une gélule ou du sérum physiologique en cas d’injec-
tion. L’opposé du placebo est le verum, produit pharmacolo-
giquement actif.
Un placebo impur est un médicament commercialisé,
mais qui n’a pas démontré son efficacité. Les produits dont
on diminue le remboursement sont en majorité des placebos
impurs, par exemple des défatigants ou des substances qui
améliorent la mémoire. L’homéopathie peut être mentionnée
dans ce cadre, son efficacité restant loin d’être établie. Les
placebos impurs peuvent aussi être des produits commer-
cialisés avec une indication précise, mais détournés de leur
usage normal. Par exemple, la vitamine C est sans aucun
doute efficace contre le scorbut, conséquence d’une carence
en acide ascorbique, mais reste sans effet sur la grippe, la
fatigue, le rhume ou la prévention du cancer.
L’effet placebo explique l’écart entre l’efficacité attendue
d’un médicament et son effet observé. Par exemple, un anti-
dépresseur prévu pour agir au bout de deux à trois semaines
est efficace dès le premier ou le deuxième jour quand l’effet

33
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

placebo se manifeste. À l’inverse, si le médicament agit moins


bien que prévu, ou même aggrave la maladie, on parle d’effet
nocebo (en latin, je nuirai).

L’EFFET EST-IL RÉEL ?

L’efficacité du placebo est-elle si importante qu’il faille


lui consacrer tant d’articles ? Oui, car environ un tiers des
personnes traitées réagissent favorablement à l’effet du
placebo. En outre, on attribue environ un tiers des bénéfices
des médicaments à l’effet placebo. Il s’agit donc d’une valeur
ajoutée aux traitements pharmacologiques. Parfois, l’effet
placebo se manifeste après n’importe quelle prise en charge
thérapeutique, tel un acte chirurgical ou une psychothérapie,
mais sa survenue est imprévisible.
Le placebo est surtout efficace dans deux domaines, à
savoir l’insomnie et la douleur, que cette dernière soit d’ori-
gine fonctionnelle ou organique : rhumatismes, syndrome
menstruel, cancer… En 1955, le médecin américain Henry
Beecher a réuni les données de 15 études ayant concerné
1 082 patients présentant des douleurs variées en termes de
causes et de localisations ; il a montré que le placebo est effi-
cace en moyenne dans 35,2 % des cas (de 4 à 86 %). Éton-
namment, ce sont les douleurs sans cause organique, telles
les douleurs expérimentales provoquées, par exemple, par
le contact d’un objet chaud, qui « répondent » le moins au

34
L’effet placebo : une question de foi !

placebo, alors que les douleurs organiques et surtout liées à


une angoisse, telle l’angine de poitrine, sont le plus soulagées.
Comme un médicament, le placebo présente un temps de
latence (la durée avant qu’il soit actif), une durée d’action,
une posologie (!), des effets cumulatifs et secondaires et,
dans certains cas, une dépendance. Le temps de latence est
plus court que celui d’un médicament, et le pic d’activité
est plus précoce ; pour les douleurs qui suivent un accouche-
ment, la réaction maximale à l’aspirine est obtenue au bout
de deux heures, alors qu’un placebo soulage en une heure.
La durée d’action est aussi raccourcie : l’effet placebo antal-
gique est maximal pendant deux semaines, puis disparaît
progressivement.
L’effet cumulatif est fréquent : il existe souvent un renfor-
cement réciproque avec les drogues actives, ce qui signifie
que le placebo augmente l’efficacité du médicament qui lui
est associé. Cela se manifeste aussi en psychothérapie. Les
effets secondaires rappellent les signes décrits au cours des
maladies fonctionnelles : asthénie (fatigue), maux de tête,
nausées, vertiges. Les effets indésirables peuvent être plus
graves : éruption cutanée, hypotension… L’apparition d’une
dépendance est possible : les conséquences du sevrage sont
semblables à celles que l’on observe chez les personnes
droguées aux opioïdes, même si l’intensité des symptômes
de manque est moins élevée.

35
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

SUGGÉRER QUE LA PILULE EST EFFICACE

Comment une substance inerte peut-elle être efficace


sur des maladies, au point de modifier temporairement
des paramètres biologiques, tels le diamètre de la pupille,
la tension artérielle… ? Des facteurs psychologiques inter-
viennent. Conditionnement et suggestion sont les maîtres
mots. Depuis notre naissance, en Occident, nous obéissons
à une logique simple : nous souffrons, nous allons chez le
médecin qui administre un médicament et nous constatons
que nous sommes guéris. La séquence douleur – docteur –
comprimé – guérison est bien ancrée dans notre esprit : nous
sommes conditionnés.
Ainsi, chez l’humain, cette séquence se produit même
quand le comprimé actif est remplacé par un comprimé « de
rien ». La suggestion, résultant d’une croyance partagée entre
un thérapeute et un patient, renforce l’efficacité du placebo.
D’ailleurs, les sujets conformistes seraient plus sensibles au
placebo que les rebelles. Et les médecins qui croient à ce
qu’ils font, qui consacrent du temps à leurs patients et sont
capables d’empathie (ils savent se mettre à la place d’autrui et
ressentir ce qu’éprouvent leurs patients) seraient plus persua-
sifs et provoqueraient plus que les autres un effet placebo
chez leurs patients.
Ces effets reposent-ils sur des facteurs biologiques ?
Oui. Dans le cas de la douleur, ils sont dus aux molécules
thérapeutiques naturellement produites par l’organisme,
qui se fixent sur les récepteurs de la morphine et de ses

36
L’effet placebo : une question de foi !

dérivés (pavot, opium, héroïne) : ce sont les endorphines (ou


enképhalines).
En 1978, on a réalisé une étude sur des volontaires devant
subir une extraction de dent de sagesse : l’opération était
réalisée sous anesthésie locale et les patients recevaient
un placebo pour prévenir les douleurs post-opératoires.
La moitié d’entre eux, tirés au sort, recevait le placebo et
de la naloxone, qui bloque les récepteurs de la morphine ;
les autres, seulement le placebo. Résultats : la douleur des
patients ayant reçu de la naloxone n’a pas été calmée par le
placebo, qui a pourtant été efficace chez ceux n’en ayant pas
eu. La naloxone s’est fixée sur les récepteurs morphiniques
des patients, de sorte que les endorphines n’ont pas agi. Chez
les autres, ces endorphines libérées dans le cerveau par condi-
tionnement ont soulagé la douleur. Donc, en augmentant la
production des endorphines ou la sensibilité de leurs récep-
teurs, l’organisme produit l’effet du placebo. Plusieurs études
l’ont confirmé.

37
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

MÉCANISME D’ACTION

Le mécanisme d’action du placebo est assez bien compris


dans le cas de la douleur – il met en jeu des molécules natu-
relles du corps –, et il est probablement comparable pour les
autres maladies. Ainsi, dans la maladie de Parkinson, l’effet
placebo est lié à la dopamine cérébrale, la molécule qui fait
justement défaut chez les patients ; dans la dépression, il
dépend de la sérotonine…
Alors peut-on prescrire un placebo pur ? Deux cas sont
envisageables. Le premier en clinique courante : la pres-
cription d’un placebo pur tiendrait alors du mensonge déli-
béré et n’est pas acceptable. Le second dans le cadre de la
recherche (les essais cliniques notamment), où les effets
d’un vrai médicament sont comparés aux effets du placebo
pour une maladie donnée ; dans ces essais, les personnes sont
informées de l’enjeu (tester une substance dont on ignore
si elle est efficace ou recevoir un placebo, sans le savoir) et
donnent leur consentement écrit. Évidemment, cette procé-
dure n’est possible que si on ne dispose d’aucun traitement
efficace contre la maladie, si elle n’est pas évolutive et si elle
ne menace pas la survie du patient.
Si la prescription d’un placebo est licite (selon l’article
L511 du Code de la santé publique), elle ne figure pas au
code de déontologie. Au sens juridique, le placebo est bel
et bien un médicament. L’effet placebo renforce l’efficacité
d’un traitement déjà efficace et ne pose donc pas de problème
éthique particulier.

38
L’effet placebo : une question de foi !

PRESCRIRE UN PLACEBO EST-IL « HONNÊTE » ?

Le cas des placebos impurs (dont l’efficacité n’est pas


avérée) est plus douteux. Leur prescription repose sur une
tromperie. Il semblerait qu’environ 35 à 45 % des médica-
ments prescrits soient des placebos impurs. Le médecin a-t-il
l’intention de tromper son patient quand il propose ce type
de médicament ? Pour qu’il y ait un effet, le médecin doit y
croire autant que le patient, de sorte qu’il n’y a pas mensonge.
Dans le cas du placebo impur, si le médecin ne croit pas à
l’efficacité du produit qu’il donne, le problème éthique se
pose avec plus d’acuité. Enfin, les placebos impurs favorisent
la dépendance en perpétuant un conditionnement à la prise
de médicaments.
En conséquence, le placebo est une réalité biologique,
due vraisemblablement à la production d’endorphines. Son
existence reste le meilleur indicateur d’une « bonne méde-
cine », celle où le thérapeute et son patient se font confiance
et œuvrent ensemble pour atténuer la douleur et guérir ;
plus le médecin serait chaleureux, plus l’effet placebo serait
important et la maladie supportable.

39
Chapitre 3

UNE NOUVELLE PRATIQUE


DE LA MÉDECINE
Isabelle Célestin-Lhopiteau

Yoga, méditation, massage, hypnose, aromathérapie…


Ces techniques s’intègrent désormais à la médecine
« classique » pour mieux traiter les patients
et développer un art de vivre en bonne santé
physique et mentale.

S
éance de yoga aux urgences de l’hôpital d’Eaubonne ;
pratique de l’hypnose et de l’auriculothérapie (une tech-
nique fondée sur des stimulations réflexes du pavillon de
l’oreille) au Centre de traitement de la douleur du CHU
Kremlin-Bicêtre ; « médecine intégrative » au Royal London
Hospital, dans le Service d’oncologie à Haïfa en Israël et à la

41
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

clinique Mind-Body de Boston, un institut des « pratiques


psychocorporelles » rattaché à la faculté de médecine de
Harvard ; « techniques d’optimisation du potentiel » dans
tous les corps de l’armée française ; ou encore séance de yoga
en milieu carcéral avec l’expérience PrisonSmart… Le patient,
et même l’individu en bonne santé, bénéficient désormais
de nouveaux traitements : yoga, hypnose, acupuncture, auri-
culothérapie, Qi-Gong, méditation, aromathérapie, relaxa-
tion, art-thérapie, massage… La liste est longue.
Dans le monde entier, de plus en plus d’établissements ou
d’institutions proposent aux patients ce que l’on nomme des
« pratiques psychocorporelles » : travailler sur le corps pour
atténuer les souffrances de l’esprit, travailler sur l’esprit pour
atténuer les douleurs du corps. Une médecine dite « intégra-
tive » est en train de naître. Et chacun peut utiliser ces tech-
niques, et les associer.
Tout cela modifie le paysage thérapeutique mondial,
changeant jusqu’à notre glossaire médical ; nous parlons de
santé intégrative, de médecines et de thérapies complémen-
taires, de pratiques psychocorporelles… Cette « nouvelle »
médecine semble aujourd’hui incontournable. Soit nous y
participons et la développons, soit, faute de maîtrise et de
connaissances, nous la subissons. En effet, de nombreuses
questions se posent : qu’est-ce que la santé intégrative ?
Comment structurer et intégrer les différents soins ?
Comment conjuguer médecine conventionnelle et médecine
complémentaire ? Que choisir dans le parcours de santé d’un
patient ? Y a-t-il des facteurs communs à toutes ces pratiques ?

42
Une nouvelle pratique de la médecine

Les soignants, les patients et, a fortiori, les institutions de


santé doivent donc connaître ces techniques, les définir,
déterminer leurs applications et leurs mécanismes d’action.
Pour ce faire, la recherche scientifique et les retours d’expé-
riences issus de la clinique sont essentiels.

COMMENT DÉFINIR
LES SOINS COMPLÉMENTAIRES ?

Depuis plusieurs années, un constat s’impose donc : la


médecine occidentale, si performante dans de nombreux
domaines, s’associe de plus en plus à ces pratiques « non
conventionnelles », en particulier quand un symptôme
devient chronique. Qu’est-ce qu’une technique complémen-
taire ? Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il
s’agit des pratiques psychocorporelles ainsi que des thérapies
issues de médecines traditionnelles d’autres pays (la page
Wikipédia les listant en contient des centaines : https ://
fr.wikipedia.org/wiki/Médecine_non_conventionnelle).
Dès 2002, l’OMS précisait que 75 % des Français, 70 %
des Canadiens, 48 % des Australiens et 42 % des Américains
avaient déjà eu recours au moins une fois à une pratique de
soins dite « parallèle ». De sorte que l’OMS a développé un
premier plan stratégique mondial dont l’objectif était double :
informer sur ces méthodes et les évaluer. Les médecines
dites traditionnelles ou populaires sont-elles inoffensives ?

43
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Efficaces ? De nombreux programmes de recherche se sont


alors développés dans différents pays.
Nombre de pratiques psychocorporelles proviennent
des traitements traditionnels : les différentes formes de
méditation, le yoga, le Qi-Gong (une gymnastique chinoise
et une science de la respiration fondée sur la maîtrise de
l’énergie vitale), l’hypnose… La méditation par exemple est
sortie des monastères pour entrer dans la vie quotidienne de
nombreuses personnes. Elle fait maintenant partie de l’arsenal
thérapeutique de différents services de soins, à l’hôpital
Sainte-Anne de Paris, au Centre de traitement de la douleur
et dans le Service d’anesthésie de l’hôpital Kremlin-Bicêtre.
Même situation pour l’hypnose, présente dans de nombreux
services pour une meilleure prise en charge de la douleur.
C’est aussi notre façon actuelle d’expérimenter la transe, qui
correspond au passage d’une conscience restreinte, centrée
sur un problème, à une conscience plus large, ouverte. Cette
technique existe sous d’autres formes, d’autres noms, dans
d’autres cultures, au sein de médecines traditionnelles
anciennes.
Notons que ces pratiques s’intègrent dans nos services de
soins, mais ne sont pas strictement identiques aux techniques
anciennes ou orientales ; elles sont une synthèse de ces tradi-
tions et de nos représentations actuelles de la médecine. C’est
une rencontre entre les pensées de différentes cultures et de
différentes époques.
Ainsi, en 2014, l ’Assistance publique des hôpitaux
de Paris (l’APHP) a annoncé que l’offre de médecines

44
Une nouvelle pratique de la médecine

complémentaires organisée dans les services de soins concer-


nait plus de quinze traitements. Au premier rang, il existe
les pratiques psychocorporelles, en particulier l’hypnose, la
relaxation, le toucher thérapeutique ; au second, les tech-
niques physiques manuelles (l’ostéopathie surtout), ainsi
que les traitements issus des médecines traditionnelles (par
exemple l’acupuncture).
Une enquête réalisée en 2012 auprès des Centres hospi-
taliers universitaires (CHU) français montrait aussi l’impor-
tance de ces soins. Toutefois, la médecine par les plantes,

45
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

qui fait bien partie des pratiques complémentaires, n’est pas


représentée en tant que telle à l’APHP, car elle soulève de
nombreux problèmes, notamment réglementaires (on risque
d’ingérer ou d’appliquer sur le corps des substances non vali-
dées pharmacologiquement).
Les médecines complémentaires, ou Complementary alter-
native medicine (CAM) en anglais, sont définies par l’Institut
national de la santé aux USA et la Cochrane Collaboration
comme : « Un large domaine de ressources de guérison qui englobe
tous les systèmes, modalités et pratiques de santé, de même que
leurs théories ou croyances, autres que ceux qui sont intrinsèques
au système de santé politiquement dominant d’une société ou
culture particulière à une période historique donnée. »

QUATRE TYPES DE TRAITEMENT

Les thérapies complémentaires sont classées selon leur


nature et leur mode d’administration. Il existe quatre types
de traitements : les biologiques naturels (plantes, complé-
ments alimentaires…) ; les psychocorporels (hypnose, yoga…) ;
les manuels (ostéopathie, chiropractie, massage…) ; et les
autres approches de la santé (médecine traditionnelle). Il
existe trois modes d’administration : l’auto-administration
(plantes, compléments alimentaires, méditation) ; l’adminis-
tration par un praticien (acupuncture, massage, réflexologie,
ostéopathie) ; et l’auto-administration avec supervision pério-
dique (yoga, neurofeedback, tai-chi).

46
Une nouvelle pratique de la médecine

En France, toutes ces techniques sont largement utilisées


par les patients, notamment quand un symptôme devient
chronique. Mais la formation des personnels de santé les
intègre encore trop peu. Elles sont complémentaires de la
médecine conventionnelle (et donc bien à différencier des
médecines alternatives qui sont utilisées à la place de la
médecine conventionnelle).
Une nouvelle médecine se constitue donc, associant, dans
le parcours de soins d’un patient, des pratiques issues à la fois
de la médecine conventionnelle et de la médecine complé-
mentaire – ces dernières devant faire l’objet d’une évaluation
scientifique sur leur sécurité et leur efficacité. Cette nouvelle
médecine tient compte de l’individu dans sa globalité (corps,
esprit, spiritualité) et développe une approche personnalisée
dans laquelle le mode de vie du patient et la prévention y
sont essentiels. Son maître-mot est l’interdisciplinarité.

PRÉVENTION ET SANTÉ, POUR TOUS

Mais la médecine d’aujourd’hui va encore plus loin, car


même un individu en parfaite santé doit en bénéficier ! On
parle de santé intégrative. Une évolution bien représentée
par le changement de nom, en 2015, du Centre américain
des médecines complémentaires et alternatives (NCCAM
pour National center for complementary and alternative medi-
cines), rebaptisé Centre de la santé complémentaire et inté-
grative (NCCIH pour National center for complementary and

47
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

integrative health). D’ailleurs, l’OMS précise que la santé n’est


pas seulement une absence de maladie, c’est aussi un état
« complet » de bien-être physique, mental et social.
Il ne s’agit alors plus seulement d’informer et de proposer
des approches complémentaires, mais de permettre à un indi-
vidu de les intégrer, de les utiliser dans sa vie quotidienne
et, ce faisant, de développer un véritable art de vivre. Ce qui
nécessite, pour s’adapter aux modifications de l’environne-
ment, de changer de style de vie.
Or, quand nous souffrons, que ce soit de douleur, de
dépression, d’angoisses, etc., nous sommes « immobilisés » par
les symptômes, nous perdons en quelque sorte notre relation
au monde et à nous-mêmes. Nous ne sommes souvent plus
capables de changer et restons focalisés sur nos souffrances.
Ce que l’on soigne avec la médecine complémentaire, c’est
cette immobilisation.
Pour déterminer l’intérêt des pratiques psychocorporelles
quand un symptôme nous fige dans notre vie, comprendre
comment « défocaliser » notre attention apparaît comme une
piste intéressante.
Que nous apprennent les neurosciences ? L’imagerie
cérébrale par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) a
permis aux scientifiques de mettre en évidence deux grands
réseaux cérébraux. Le premier est actif lors des processus
attentionnels, et le second, nommé réseau par défaut, est
actif au repos, quand nous ne faisons rien.

48
Une nouvelle pratique de la médecine

LE RÉSEAU PAR DÉFAUT

Le réseau par défaut correspond à différents processus


intrinsèques : le vagabondage de l’esprit, la rêverie, l’analyse
de soi, le tri des informations, le réarrangement des souvenirs,
la projection dans le futur… Son activité électrique oscilla-
toire et synchronisée (tous les neurones déchargent en même
temps) se déclenche au moment où nous ne faisons plus rien
(repos complet) et que le réseau de l’attention orientée vers
l’extérieur « s’arrête ».
Notre cerveau réalise alors un travail essentiellement
introspectif, ce que le neuroscientifique américain Marcus
Raichle nomma « l’énergie sombre du cerveau » quand il
découvrit ce réseau. Mais cette activité « cachée » du cerveau
est très importante : paradoxalement, la consommation céré-
brale d’oxygène et de glucose est alors augmentée de près
de 40 % comparée aux périodes où nous nous concentrons
sur une tâche. Ce qui suggère que cette activité de repos est
nécessaire, voire vitale. De nombreuses études ont montré
que le réseau par défaut est stimulé dans différents états
modifiés de conscience (sommeil, anesthésie générale),
mais aussi dans ceux associés à certaines pratiques complé-
mentaires (hypnose, méditation…), dont on sait qu’ils sont
bénéfiques pour notre santé et notre bien-être. Outre une
activation du réseau par défaut, de nombreuses pratiques
psychocorporelles provoquent des modifications du fonc-
tionnement cérébral qui persistent à long terme.

49
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

UN ART DE VIVRE

Toutes ces techniques présentent donc des points


communs, des « ingrédients » thérapeutiques qui permettent
de changer et de s’adapter à l’environnement. Le premier,
qui peut sembler paradoxal, est l’importance de l’attention
que l’on porte à soi et au monde. L’hypnose et l’apprentis-
sage de l’autohypnose, la méditation, le yoga, le Qi-Gong,
entre autres, cultivent une présence de soi qui devient en fait
une présence du monde. Loin de nous couper des autres, ces
pratiques nous y relient de façon plus intense. Le deuxième
ingrédient est l’importance du corps et de la « sensorialité ».
Méditer, utiliser l’hypnose, faire du yoga nous permettent
de lâcher une sensorialité restreinte, focalisée sur nos diffi-
cultés, pour entrer dans une sensorialité plus riche, plus
ouverte. Le troisième ingrédient thérapeutique est de savoir
« traverser » nos émotions. La colère exprime de la frus-
tration, la peur un danger, la tristesse de l’insatisfaction…
Certes, les émotions sont des signaux d’alarme très efficaces.
Mais une fois qu’elles ont rempli leur rôle, nous n’avons pas à
les entretenir ou à les laisser diriger nos existences. Elles sont
de « bons serviteurs, mais de mauvais maîtres »… Les soins
psychocorporels nous aident à travailler sur les émotions.
Enfin, le quatrième ingrédient correspond au travail
sur la respiration. Respirer est un acte à mi-chemin entre
conscience et inconscience, mais chacun a la capacité d’en
prendre conscience à tout moment. La respiration, passerelle

50
Une nouvelle pratique de la médecine

entre le corps et l’esprit, sert en hypnose, relaxation, sophro-


logie, yoga, Qi-Gong, méditation…
C’est en utilisant ces ingrédients que nous entrons de
plain-pied dans la santé intégrative. « Mieux vaut prévenir
que guérir », nous pouvons tous prendre en main notre santé
en devenant autonomes et en intégrant ces pratiques dans
nos vie. Des universités, comme celle de Paris Sud, forment
à ces thérapies complémentaires.
Plus que jamais, dans les services médicaux, la médecine
complémentaire représente aussi un art de la communication
et de la relation patient-soignant. Ce n’est pas une nouvelle
école, mais une méthode empruntant librement ses instru-
ments aux différentes approches ou conceptualisations.
Mettre en perspective diverses techniques pousse à sortir
des sentiers battus pour explorer les aspects relationnels,
distinguer l’essentiel de l’accessoire. Sortir du dogme, des
techniques, de l’idéologie, c’est revenir à l’être.

51
Une nouvelle pratique de la médecine

LES NOUVELLES
TECHNIQUES
DES THÉRAPEUTES
Hypnose, neurofeedback, EMDR,
remédiation cognitive… Des noms
barbares ? Non, des pratiques
complémentaires à la médecine,
qui, utilisées avec un thérapeute
formé, nous aident à maîtriser
notre cerveau et donc notre corps.
Pour une meilleure santé.

53
Chapitre 4

SOIGNER LE CORPS ET L’ESPRIT :


L’AVENIR DE LA MÉDECINE
Christophe André

Il n’est plus possible de pratiquer la médecine


sans tenir compte du corps, des pensées,
des émotions et du mode de vie de chaque patient.

T
ous les soignants savent bien que des liens forts existent
entre corps et esprit, dans les deux sens. L’état du corps
influence bien sûr le fonctionnement de l’esprit : la
douleur réduit nos capacités attentionnelles (plus grand-
chose ne nous intéresse à part ce qui nous fait souffrir),
l’inflammation facilite la dépression… Et l’état de l’esprit
influe sur celui du corps : les émotions positives stimulent
l ’immunité, la colère « spasme » les coronaires… Il est

55
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

donc aujourd’hui légitime, et même indispensable, que les


soignants intègrent ces nouvelles données dans leur pratique.
Mais cela n’est pas si facile pour tout le monde.
D’abord parce que les approches corps-esprit ont long-
temps été de peu de fiabilité scientifique, qu’il s’agisse
d’expliquer les causes psychologiques des maladies physiques
ou de faciliter la guérison du corps par la modification de
l’esprit. Ainsi, en psychanalyse, les théories dites « psycho-
somatiques » (c’était le terme utilisé à l’époque) flirtaient
parfois avec des discours folkloriques : si un patient souffrait
de lombalgies, on en déduisait qu’il en avait « plein le dos »
de quelque chose dans sa vie ; s’il avait des angines, c’est qu’il
avait « du mal à avaler » certains événements…
Outre leur caractère passe-partout et non spécifique
(tous les humains, en cherchant bien, en ont plein le dos de
quelque chose et ont dans leur environnement des événe-
ments difficiles à avaler), ces interprétations sauvages
n’avaient qu’une efficacité thérapeutique limitée. Parfois,
d’autres discours aboutissaient à culpabiliser les patients :
« On ne tombe pas malade par hasard », « on fabrique soi-
même son cancer ». Enfin, certaines approches se révélaient
archaïques et témoignaient du peu de progrès depuis la
méthode Coué, qui encourageait les patients à se répéter
chaque jour « je vais de mieux en mieux à tous points de
vue » ; ce qui était peut-être novateur à la fin du xixe siècle,
mais plus du tout cent ans plus tard.
Mais les temps ont changé, et la médecine corps-esprit
présente aujourd’hui un visage nouveau, et surtout plus

56
Soigner le corps et l’esprit : l’avenir de la médecine

rassurant, adossé à la recherche scientifique. On sait depuis


1992 que les efforts psychologiques accomplis lors des
psychothérapies efficaces (comme les thérapies comporte-
mentales) peuvent modifier le fonctionnement et l’anatomie
des structures cérébrales ; on sait aussi mesurer l’impact des
émotions sur l’immunité… Et cet effet du psychique sur le
physique n’est pas négligeable : une méta-analyse montrait
ainsi que les émotions positives étaient l’un des facteurs
prédictifs d’une bonne santé, dont la « puissance » se révé-
lait aussi importante (mais évidemment en sens inverse) que
celle du tabac.
Le temps où les médecins pouvaient négliger, par manque
de preuves et d’outils, le rôle du « mental » dans la survenue
des maladies du corps, ou dans leur guérison, est donc révolu.

57
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Et tout plaide pour qu’on se dirige vers une médecine plus


complète que celle que nous pratiquons aujourd’hui, qui inté-
grera pleinement les nouvelles connaissances sur les pouvoirs
du cerveau. Mais une prise en charge globale, s’intéressant à
la fois aux symptômes corporels et au fonctionnement mental
des patients, prend beaucoup de temps et nécessite des consul-
tations longues et répétées. Il est plus simple pour le patient
d’avaler un médicament, et pour le médecin de le prescrire…
Pourtant, nous devons évoluer vers ce type de médecine,
faute de quoi nous perdrons en efficacité, en négligeant les
ressources mentales de nos patients. Faute de quoi aussi ces
mêmes patients se tourneront de plus en plus vers des méde-
cines alternatives pas toujours validées par la science, mais
au sein desquelles les soignants prennent le temps d’écouter,
de comprendre, d’expliquer, de suggérer des modifications de
style de vie et de vision du monde. C’est pourquoi, au-delà des
éventuelles prescriptions médicamenteuses, moins systéma-
tiquement nécessaires qu’on ne le pense, des modifications
de nos styles de vie et de pensée doivent aujourd’hui être
proposées par les médecins. Il s’agit davantage de médecines
complémentaires (s’ajoutant à ce qui existe) qu’alternatives
(s’y substituant).

CHANGER DE STYLE DE VIE

Nous savons aujourd’hui, de manière scientifique, que


l’alimentation et l’exercice physique jouent un rôle important

58
Soigner le corps et l’esprit : l’avenir de la médecine

dans notre santé. Il est devenu de plus en plus évident que,


pour bien soigner un patient souffrant de cancer ou de
dépression, il est légitime d’associer aux médicaments des
conseils en termes d’alimentation (favoriser fruits et légumes,
éviter les sucres rapides…) et d’exercice physique (sa pratique
régulière est associée à une amélioration de l’humeur, à une
diminution de l’inflammation chronique).
Mais les modifications de style de vie doivent aussi
être des modifications de style psychologique : il s’agit
par exemple de faire évoluer notre équilibre émotionnel
(moins de stress, davantage d’émotions positives) ou de
cultiver notre optimisme, deux variables associées, entre
autres, à une meilleure santé. Et il reste encore beaucoup
à découvrir !
Prenez l’effet placebo : sa réalité est reconnue, mais on le
considère comme un phénomène mineur d’autosuggestion.
C’est en fait une parfaite illustration des pouvoirs guérisseurs
de l’esprit, dont l’usage est toutefois limité par la dépendance
à la suggestion. Le jour où nous comprendrons comment
mobiliser les ressources de l’effet placebo par des exercices
volontaires, par un « entraînement de l’esprit », un grand pas
sera fait.
Voici sans doute un enjeu majeur des prochaines années
en matière de soins : intégrer à nos prises en charge médicales
et chirurgicales habituelles, plus adaptées aux urgences ou
aux maladies déclarées, des modifications de style de vie et
de pensée, plus adaptées à la prévention et au maintien en
bonne santé.

59
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

CE QUE JE SAIS ET CE QUE JE FAIS


EN TANT QUE MÉDECIN

Je suis psychothérapeute, c’est-à-dire plus attentif aux


souffrances de l’esprit qu’à celles du corps. Mais je suis aussi
psychiatre, à savoir médecin spécialisé dans les souffrances
psychiques : j’aurais donc dû être aussi attentif à l’implication
du corps dans le fonctionnement de l’esprit.
Or, pendant longtemps, je ne le fus pas. Comme tous mes
confrères, je me contentais d’être prudent face à tous les cas
où les symptômes psychiatriques pouvaient relever de causes
organiques : tumeurs cérébrales ou désordres hormonaux,
entre autres, ressemblent parfois, au début, à des maladies
mentales. Une fois ce travail de « diagnostic différentiel »
effectué, je laissais mes collègues « somaticiens » s’occuper
du corps de mes patients. C’était un peu court, et progressi-
vement, j’ai changé de point de vue. D’abord, en écoutant mes
patients, en les voyant évoluer et en comprenant que l’état
de leur corps influençait grandement celui de leur esprit.
Ensuite, en lisant la littérature scientifique, dans laquelle
s’accumulaient des preuves du lien corps-esprit.
Aujourd’hui, je suis convaincu que le bon équilibre du
corps pèse lourd sur nos équilibres mentaux. Plusieurs études
montrent par exemple que l’exercice physique, assez intense
et régulier, améliore les symptômes psychiatriques. Pourquoi
tous les services de psychiatrie ne sont-ils pas dotés de salles
de gymnastique et de moniteurs de sport ? Au lieu de quoi,

60
Soigner le corps et l’esprit : l’avenir de la médecine

les hospitalisations psychiatriques offrent souvent le triste


spectacle de patients traînant dans leur chambre ou leur lit…
Le discours que je tiens actuellement à mes patients est le
suivant : « Nous allons utiliser trois outils : les médicaments,
pour vous soulager rapidement ; la psychothérapie, pour vous
reconstruire durablement ; et les changements de style de
vie, pour vous aider à rester ensuite en bonne santé. » Dans
ces changements figure notamment le régime alimentaire :
apports suffisants en oméga-3 ; diminution des aliments faci-
litant l’inflammation et la dépression, comme les viandes
rouges et la charcuterie ; limitation des sucres rapides, que
l’on suspecte de favoriser les troubles attentionnels. Il y a
aussi l’activité physique régulière : pas forcément du sport,
tourné vers la performance, mais de la marche, de la gymnas-
tique. Autrement dit, des moyens d’améliorer l’état du corps
pour qu’il améliore celui de l’esprit…
« L’esprit et le corps sont-ils séparés, et si oui, lequel
choisir ? » écrivait Woody Allen. En médecine, la question ne
se pose plus : ils ne sont pas séparés et il n’y a plus à choisir !

61
Chapitre 5

LE NEUROFEEDBACK,
APPRIVOISER SON CERVEAU
PAR SA PENSÉE
Juliane Corlier-Bagdasaryan et Michel Le Van Quyen

Nous ne sentons pas notre cerveau fonctionner.


Mais un dispositif nommé neurofeedback permet
de voir en temps réel son activité électrique. De sorte
que nous pouvons la contrôler…

Q
uel est le lien entre le corps – la matière, dont le
cerveau – et l’esprit ? Voilà un sujet qui fascine les êtres
humains depuis les origines de la philosophie en Occi-
dent et probablement plut tôt encore en Orient avec les
spiritualités indiennes. D’un côté, il y a le cerveau en tant

63
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

qu’objet physique et organe vivant du corps. De l’autre, il


y a l’esprit, c’est-à-dire mon expérience vécue, mes pensées,
mes émotions. Cerveau et esprit sont-ils distincts ? Descartes
pensait qu’il s’agissait de deux « substances » étrangères l’une
à l’autre. Mais nous savons aujourd’hui que le « neuro » et le
« psy » sont connectés, voire inséparables. Nous allons même
voir que nous sommes capables de modifier notre cerveau
par la pensée…
Toutefois, un fossé existe bien entre ces deux notions.
La raison en est simple : nous ne sentons pas notre cerveau
fonctionner. Nous ne ressentons pas ses activités internes,
contrairement à celles de nos autres organes comme le cœur.
Si on vous demande dans quel état est votre cortex frontal,
vous êtes bien incapable de le dire ! Ce n’est que grâce à la
science et à ses instruments de mesure que nous savons que le
cerveau est le siège de la pensée et quelles activités il produit.

« SENTIR » SON CERVEAU

En particulier, depuis quelques dizaines d’années, nous


pouvons même voir le cerveau en action. Ce n’est plus une
« boîte noire », mais un organe dont nous observons le fonc-
tionnement en temps réel avec les dernières techniques
d’imagerie cérébrale. L’une d’elles est l’électroencéphalogra-
phie (EEG). On porte un casque muni d’électrodes qui enre-
gistrent de faibles champs électriques en différents endroits
de la tête. Ces champs reflètent l’activité de millions de

64
Le neurofeedback, apprivoiser son cerveau par sa pensée

neurones situés en dessous d’un point du crâne ; ils sont enre-


gistrés par un ordinateur avec une grande précision tempo-
relle, toutes les millisecondes. Souvent, l’activité cérébrale
apparaît comme une ondulation dont l’amplitude augmente
puis diminue, et elle prend la forme d’un rythme ayant une
fréquence donnée.
Mais nous ne ressentons pas cette activité électrique qui
sous-tend notre pensée. En d’autres termes, nous disposons
toujours de deux types de connaissances sur notre cerveau :
ce que nous en savons de l’extérieur (grâce aux instruments
scientifiques) et ce que nous en savons de l’intérieur (notre
conscience subjective). Existe-t-il des passerelles entre la
rive neurobiologique et la rive spirituelle ? Un dispositif est
susceptible de résoudre cette vieille question philosophique :
c’est le neurofeedback.
Il s’agit d’un « retour sur le neuro ». Explications. Vers la
fin des années 1950, le psychologue Joe Kamiya, à l’univer-
sité de Chicago, se demanda si nous pourrions apprendre
à produire certaines activités cérébrales sur commande. A
priori, c’est impossible… Mais Kamiya eut une idée : associer
l’EEG à un autre dispositif informatique, nous indiquant à
chaque instant la présence ou l’absence d’une activité céré-
brale particulière. Par exemple, nous entendrions un son
donné quand le rythme recherché serait enregistré par EEG.
Kamiya testa d’abord son dispositif chez plusieurs volon-
taires avec les ondes alpha, qui oscillent à une fréquence de
8 à 12 hertz et qui sont produites par le cerveau lorsqu’on se
détend. Kamiya fit entendre aux participants des sons graves

65
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

quand l’intensité de ces ondes était faible, des sons aigus


quand elle était forte. Puis il leur demanda d’augmenter ou
d’inhiber leurs ondes alpha, les sujets vérifiant en temps
réel comment ils les modifiaient grâce à un retour sonore
en continu. Après quelques séances d’entraînement, tous
réussirent à contrôler par la pensée cette activité. Kamiya
conclut que nous pouvons bien apprivoiser nos propres acti-
vités cérébrales grâce à un retour en temps réel (un feedback)
de l’information que nous en avons. Ce furent les débuts
du neurofeedback. Fait étonnant : Kamiya remarqua aussi
que les participants se sentaient mieux après les séances.
Maîtriser les ondes alpha améliorerait donc le bien-être…

MODIFIER SES PROPRES ONDES CÉRÉBRALES

Puis en 1968, Barry Sterman, chercheur à l’univer-


sité de Los Angeles, utilisa le dispositif de neurofeedback
chez des animaux. Il découvrit qu’il pouvait entraîner des
chats à augmenter l’amplitude d’une onde particulière : le
rythme sensorimoteur (de 12 à 15 hertz). Cette activité appa-
raît quand les animaux sont éveillés mais complètement
immobiles.
Sterman fit alors une découverte inattendue. Dans les
années 1970, la NASA s’intéressait à la toxicité de l’hydra-
zine, un combustible de fusée connu pour induire des crises
d’épilepsie. La NASA voulait savoir s’il rendait malades les
ouvriers produisant ce composé, voire les astronautes. Elle

66
Le neurofeedback, apprivoiser son cerveau par sa pensée

demanda à Sterman d’étudier le problème. Ce dernier injecta


donc de l’hydrazine à ses chats, et constata que ceux ayant
participé à l’expérience de neurofeedback ne faisaient pas
systématiquement une crise d’épilepsie, contrairement aux
autres chats non entraînés. Sterman venait ainsi de découvrir
la première application médicale du neurofeedback : l’épi-
lepsie. Et il comprit que moduler le rythme sensorimoteur
permettait de réduire les crises.
Dix ans après, Sterman étudia l’effet du neurofeedback
chez des patients épileptiques. Il fabriqua un appareil très
simple : une petite boîte électronique transportable affi-
chant deux lumières, l’une rouge, l’autre verte. La première
personne à tester ce dispositif fut Mary, une jeune femme de
23 ans qui souffrait de crises d’épilepsie résistantes aux médi-
caments. Quand Mary produisait un rythme sensorimoteur
(celui inhibant les ondes provoquant les crises), la lumière
verte s’allumait. À l’inverse, quand ce rythme était absent, la
lumière rouge apparaissait. Sterman demanda juste à Mary
de garder la lumière verte allumée et la rouge éteinte. Elle
s’entraîna une heure par jour, deux fois par semaine. Après
trois mois, Mary n’avait plus de crises, elle les « contrôlait »,
même sans feedback (ni casque d’EEG sur la tête). Sterman
proposa ensuite le même dispositif à huit autres patients,
dont les crises diminuèrent également de façon significative.

67
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

COMMENT ÇA MARCHE ?

Quarante ans après ces travaux pionniers, les applications


du neurofeedback sont nombreuses. Deux technologies sont
utilisées : le neurofeedback par EEG, le plus répandu et le
plus ancien, et le neurofeedback par imagerie par résonance
magnétique fonctionnelle (IRMf), bien plus récent.
Il est relativement simple d’apprendre à maîtriser ses
ondes électriques enregistrées par EEG, mais cette technique
a une faible résolution spatiale, si bien qu’elle ne permet de
contrôler que de « larges » régions du cerveau. Or, depuis dix
ans, l’IRMf, qui a une bien meilleure résolution spatiale
que l’EEG mais qui avait à l’origine une faible résolution
temporelle, est désormais capable de produire des images
de l’activité cérébrale presque en temps réel. Dans ce cas,
l’appareil enregistre, au millimètre près, les variations de
débit sanguin cérébral qui reflètent l’activité des neurones.
L’augmentation de la puissance des ordinateurs et de l’inten-
sité des champs magnétiques en IRM a permis aux scien-
tifiques de mettre en place, dans des intervalles de temps
de l’ordre de quelques secondes, un neurofeedback ciblant
l’activité de petites régions du cerveau.
Quelle que soit la technologie utilisée, le sujet s’entraîne
à contrôler ses activités cérébrales, en les augmentant ou en
les diminuant. Pour ce faire, le signal enregistré est converti
en une animation sur un écran ou en un son dans des haut-
parleurs. Par exemple, sur un ordinateur, une balle monte
ou descend quand le signal cérébral augmente ou diminue.

68
Le neurofeedback, apprivoiser son cerveau par sa pensée

Grâce à ce retour d’information en temps réel, au-delà de


la simple observation du fonctionnement de son cerveau, le
participant développe et perfectionne des stratégies mentales
lui permettant d’augmenter ou de diminuer volontaire-
ment l’activité de telle ou telle aire cérébrale. Il évoque des
souvenirs, des émotions, s’imagine en train de faire certains
mouvements… et constate l’effet de ses états mentaux sur
l’activité enregistrée. Il trouve ainsi la « pensée » qui l’augmente,
celle qui la diminue. En général, après quelques dizaines de
séances de 30 minutes, espacées de deux à trois jours, le sujet
sait apprivoiser son cerveau.

ATTÉNUER LES SYMPTÔMES


DE NOMBREUSES MALADIES

L’intérêt du neurofeedback est évident : une meilleure


connaissance du lien entre le mental et le cerveau rend une
autorégulation envisageable dans de multiples conditions
normales ou pathologiques. Le sujet met en place, inten-
tionnellement, des changements à long terme de son fonc-
tionnement cérébral. De manière analogue à la rééducation
orthopédique, on effectue ainsi une rééducation cérébrale.
La première application du neurofeedback est le traite-
ment de l’épilepsie. Environ un tiers des patients ne bénéficie
d’aucune thérapie efficace. Dans ce cas, le sujet est « phar-
macorésistant » et se retrouve souvent seul face à sa maladie.
Le recours à des pratiques complémentaires se révèle alors

69
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

urgent. Depuis les travaux de Sterman, des dizaines d’études


scientifiques ont validé l’efficacité du neurofeedback sur
l’augmentation d’intensité des rythmes EEG sensorimoteurs,
qui diminuent le nombre de crises épileptiques.
En 1996, Niels Birbaumer, de l’université de Tübingen
en Allemagne, a proposé une autre approche consistant à
contrôler les potentiels corticaux lents de l’EEG, qui corres-
pondent à l’excitabilité globale du cerveau. En réduisant ces
rythmes, environ deux tiers des patients ont réussi à dimi-
nuer leur hyperexcitabilité corticale, et ont, par conséquent,
eu moins de crises. Et cet effet bénéfique a perduré six mois.
Récemment, une méta-analyse regroupant 243 patients a
conclu que 82 % des patients présentaient une réduction de
plus de 50 % de leurs crises après neurofeedback.
Autre domaine d’application : le traitement de la douleur,
pour laquelle il est souvent difficile de trouver des médi-
caments appropriés, car les réactions varient d’un patient à
l’autre. Beaucoup de traitements sont peu efficaces ou mal
tolérés. Le neurofeedback est alors une alternative intéres-
sante, comme l’a montré en 2005 Christopher deCharms,
de l’université de Stanford en Californie. Il a proposé à des
volontaires sains et à des patients souffrant de douleur chro-
nique de réduire leurs sensations douloureuses simplement
en modulant l’activité d’une petite zone de leur cerveau,
appelée cortex cingulaire antérieur et impliquée dans la
perception nociceptive.
Avec l’IRMf en temps réel, les sujets ont suivi l’activité
de leur cortex cingulaire antérieur sur un écran d’ordinateur,

70
Le neurofeedback, apprivoiser son cerveau par sa pensée

le signal enregistré étant traduit en une image de feu plus


ou moins intense selon son intensité. Avec des instructions
simples comme « ne faites rien », « augmentez » ou « dimi-
nuez », les sujets ont appris à moduler cette activité, chacun
ayant sa propre stratégie mentale : penser à des proches, à des
flocons de neige… DeCharms appliquait ensuite sur la main
des volontaires sains une électrode chaude et leur deman-
dait d’estimer la douleur ressentie (les patients souffrant
de douleur chronique n’ont évidemment pas subi la stimu-
lation). Après trois séances, tous les participants ont réussi
à contrôler leur cortex cingulaire antérieur, et quand ils
« diminuaient » son activité, leur douleur était moins intense.
DeCharms vient de créer une société de biotechnologie en
Californie. On peut s’attendre à voir arriver cette thérapie
dans la pratique clinique.

AMÉLIORER SON ATTENTION


ET GÉRER SES ÉMOTIONS

En outre, le neurofeedback est particulièrement utile au


traitement des troubles du déficit de l’attention, avec ou sans
hyperactivité. Souvent, les patients sont des enfants ayant
des problèmes de concentration ou des enfants très actifs
qui passent d’une activité à une autre sans en finir une. Les
signes de ce trouble deviennent évidents avec la scolarisation.
Les jeunes sont incapables de rester en place ou d’être atten-
tifs plus de quelques secondes. En France, 5 à 12 % des jeunes

71
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

âgés de 4 à 18 ans seraient concernés. C’est aujourd’hui le


premier motif de consultation en psychologie de l’enfant et
de l’adolescent. En général, l’enfant consulte un pédiatre qui,
souvent, lui prescrit des médicaments comme la ritaline ou
le concerta. Pourtant, le neurofeedback offre une alternative
non médicamenteuse et sans effets secondaires.
Le premier essai remonte à 1976 avec Joel Lubar, cher-
cheur en psychologie à l’université du Tennesse. Il proposa le
neurofeedback par EEG à un enfant âgé de 11 ans présentant
des symptômes d’hyperactivité. Pendant sept mois, l’enfant
s’entraîna chaque jour à augmenter l’activité électrique de
ses rythmes sensorimoteurs, qui diminue l’hyperexcitabilité
cérébrale. Il devint alors plus calme et arriva à se concen-
trer au cours d’activités scolaires ou sociales. En 2009, une
méta-analyse concernant 1 194 patients a confirmé que le
neurofeedback est cliniquement efficace : il réduit de façon
significative l’hyperactivité ou l’impulsivité et améliore
l’attention.
Une dernière application du neurofeedback : la régula-
tion des émotions. Parmi une multitude de travaux, ceux
de Birbaumer sont les plus innovants. À partir de l’IRMf
en temps réel, il a demandé à des participants de moduler
l’activité de leur insula, une petite région localisée profon-
dément dans le lobe temporal du cerveau et qui joue un rôle
central dans la reconnaissance des émotions propres et de
celles d’autrui. Les sujets ont pensé à des événements désa-
gréables ou agréables qu’ils avaient vécus, par exemple le
souvenir d’une maladie ou d’une journée de vacances à la

72
Le neurofeedback, apprivoiser son cerveau par sa pensée

plage. Les chercheurs ont alors constaté que les personnes


ayant suivi seulement cinq séances d’entraînement de 30 min
ressentaient plus d’émotions négatives en voyant des images
pénibles, qu’il s’agisse de visages agressifs ou de photogra-
phies d’accidents ou d’attentats. L’insula, après avoir été
« activée » par le neurofeedback, était plus « alarmée » face à
des stimulations négatives.

73
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Quel intérêt me direz-vous ? Certaines personnes ne


contrôlent pas forcément bien leurs émotions. Celles sujettes
à des phobies sociales présentent une hyperactivité de l’insula
et sont ainsi très émotives en public. D’autres, au contraire, ne
savent pas reconnaître les émotions d’autrui, ce qui aboutit
à un manque d’empathie et souvent à des comportements
agressifs. C’est le cas des psychopathes qui souffrent parfois
d’un dysfonctionnement de certaines régions cérébrales liées
à la peur. En particulier, ils n’arrivent pas à activer leur insula
à la vue de la détresse d’autrui, de sorte qu’ils sont insensibles
à la souffrance d’autrui. Pour ces individus, Birbaumer vient
d’envisager une nouvelle thérapie : leur apprendre à restaurer
l’activité de leur insula par neurofeedback. Les premiers
résultats semblent aller dans le bon sens : après plusieurs
séances, ces personnes arrivent beaucoup mieux à recon-
naître la sensation de peur chez eux-mêmes et chez autrui.

LA FRANCE À LA TRAÎNE…

Évidemment, si les applications du neurofeedback


semblent très prometteuses, il faut insister sur le fait qu’elles
n’en sont qu’à leurs balbutiements, et le manque de recul
scientifique doit nous conduire à garder un regard critique.
Beaucoup d’études doivent encore être réalisées. En outre,
n’oublions pas que le neurofeedback n’a pas l’ambition de
guérir les patients. Il agit plutôt sur leurs symptômes et
améliore leurs conditions de vie, avec une particularité : les

74
Le neurofeedback, apprivoiser son cerveau par sa pensée

patients participent à leur propre prise en charge, observent


leur trouble neurologique au lieu de seulement le redouter,
et se familiarisent avec lui pour mieux le maîtriser. Cette
thérapie permet ainsi aux sujets de reprendre leur vie
en main, longtemps soumise aux effets secondaires des
médicaments.
Dans différents pays, aux États-Unis et en Allemagne
notamment, le neurofeedback s’est développé dans une large
communauté scientifique et médicale. Mais pas en France,
où ses applications sont presque ignorées. Une raison à cela :
la technique est discréditée à cause de la diffusion incon-
trôlée, à partir des années 1980, d’un dispositif – le système
Neuroptimal – censé développer les facultés cérébrales. La
plupart des thérapeutes français disant pratiquer le neuro-
feedback utilisent en fait ce système… Ils font écouter de
la musique au sujet et, avec deux électrodes posées sur son
crâne pour soi-disant enregistrer son activité cérébrale, un
algorithme qui demeure inconnu détecte des événements
mystérieux et provoque une interruption de la musique. Le
sujet n’a rien d’autre à faire que de se détendre car, d’après ses
promoteurs, le cerveau se remodèle tout seul…
Bien sûr, aucune étude scientifique n’a validé ce dispo-
sitif, pourtant distribué aux patients ou à leur famille, via
Internet par exemple, en dehors des circuits médicaux clas-
siques. À cause de ces dérives, il nous semble nécessaire de
créer en France une communauté de thérapeutes proposant
le (vrai) neurofeedback, sur le modèle des sociétés savantes

75
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

américaines. Nous devrons ainsi veiller à pratiquer une


expertise rigoureuse et indépendante pour ses applications
médicales.
D’autant que le neurofeedback n’est ni une solution
« miracle » ni une solution facile. À l’instar des autres
pratiques psychocorporelles, l’entraînement au neurofeed-
back est long, progressif, et implique la participation du
sujet au cours des séances et entre les séances. Depuis peu,
il existe des appareils de neurofeedback portables et bon
marché, faciles à utiliser chez soi, de sorte que le sujet peut
combiner cette méthode à d’autres techniques comme la
méditation. Et là, les possibilités deviennent immenses. Car
dès que l’individu sait identifier les « sensations cérébrales »
liées à la régulation de ses variables physiologiques, il peut
les contrôler sans l’aide du dispositif. Loin d’être un simple
gadget, le neurofeedback permettra donc d’assister les entraî-
nements plus traditionnels de l’esprit. « Harmoniser l’esprit
et le corps » devrait devenir possible…
Chapitre 6

L’HYPNOSE
SOIGNERA-T-ELLE TOUT ?
Jean Becchio et Bruno Suarez

Les indications de l’hypnose se multiplient : lutte


contre les douleurs, réduction du stress, diminution
de la consommation de médicaments et de drogues…
Une méthode souvent utilisée en appoint, mais qui
se montre efficace chez de nombreux patients.

N
athalie fume depuis 20 ans. Elle a essayé d’arrêter de
nombreuses fois, en vain. À chaque tentative, elle se sent
mal, elle est insupportable avec ses proches, elle stresse.
Mais une amie lui a conseillé d’essayer l’hypnose ; ça a
fonctionné pour elle. « Pourquoi pas », se dit Nathalie. « Au
point où j’en suis. » Mais elle a peur qu’un individu « entre

77
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

dans sa tête » et manipule ses pensées… L’hypnotiseur ne


va-t-il pas lui faire faire tout ce qu’il veut ?
Cette vision populaire de l’hypnose est très éloignée
de la réalité… Être sous hypnose ne signifie pas que nous
ne sommes plus conscients ; notre état cérébral est certes
modifié, mais nous pouvons en « sortir » à tout moment. Or
l’hypnose a aujourd’hui de nombreuses applications médi-
cales et chirurgicales ; les articles scientifiques à ce sujet ont
longtemps été confidentiels, mais depuis quelques années,
leur nombre et leur qualité ne font que croître. Plus de
13 000 références sont répertoriées sur les bases d’articles de
recherche Medline et PubMed.

UN NOUVEAU TRAITEMENT

À une époque où les régimes d’assurance santé sont remis


en question et les médicaments « déremboursés », l’hypnose
apparaît comme une méthode intéressante. Elle a ses limites,
certes, mais utilisée en association avec d’autres thérapies,
elle en améliore souvent les résultats. Elle réduirait ainsi la
consommation de certains médicaments ou de drogues.
Dans le domaine de la neuropsychiatrie, malgré le rôle joué
par les équipes de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière dans l’his-
toire de l’hypnose, les études françaises sont peu nombreuses.
Il fallut attendre 1998 pour que la consultation d’hypnose soit
relancée dans le service de psychiatrie de cet hôpital. Nous
avons animé cette consultation, mais, les premières années,

78
L’hypnose soignera-t-elle tout ?

nos confrères psychiatres ne nous adressaient que des patients


diagnostiqués hystériques… Le poids de l’histoire !
Progressivement, le champ d’application de la méthode
s’est élargi. Des études cliniques réalisées à l’étranger ont
montré l’utilité de l’hypnose dans les dépressions qualifiées
de « réactionnelles » (après un deuil, par exemple) ou l’anxiété.
Dans les troubles du sommeil, la technique fournit aussi une
alternative à la prise régulière de médicaments hypnotiques.

79
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

CONTRE LA PEUR D’ÊTRE ENFERMÉ

Elle est également efficace en cas de phobies. Allan


Cyna, chef du service d’anesthésie de l’hôpital d’Adelaïde
en Australie, a décrit le cas d’un enfant de 5 ans qui présen-
tait une phobie extrême vis-à-vis des piqûres. Cet enfant a
surmonté sa peur grâce à l’emploi de l’hypnose et a ainsi évité
des anesthésies répétées, qui étaient auparavant nécessaires
dès qu’on lui montrait une seringue.
Autre peur incontrôlable traitée : la claustrophobie.
Certaines personnes devant passer une IRM sont parfois
assaillies par une crise phobique qui oblige à interrompre
l’examen. C’est pourquoi, depuis 2010, nous avons mis en
place, dans notre centre de scanner et d’IRM à Thiais,
une technique d’hypnose rapide pour prendre en charge
les patients claustrophobes. L’hypnose est réalisée dans la
cabine où les sujets se déshabillent et se poursuit sur la table
du scanner. Quand le processus hypnotique est amorcé, c’est
le patient qui travaille sur son souvenir agréable dans la
machine durant les 15 minutes de l’examen.
Nous avons ainsi pris en charge 52 sujets gravement
malades (dont 7 avaient déjà eu une attaque de panique dans
l’appareil). Ils ont été suivis par l’équipe et ont bénéficié
d’une séance d’hypnose, ce qui a permis à 48 d’entre eux de
passer normalement leur examen IRM. La méthode a donc
été efficace pour 92 % des sujets, ce qui est bien supérieur
pour lutter contre les angoisses maladives.

80
L’hypnose soignera-t-elle tout ?

Qu’est-ce que l’hypnose ?


Pour certains, l’hypnose est une sorte de sommeil ; pour
d’autres, c’est une manipulation de l’esprit ou encore une super-
cherie permettant de remplir des salles de spectacle. Quelques
idées reçues ont des fondements historiques, d’autres sont de
pures caricatures. L’état hypnotique est en réalité un mécanisme
particulier de la conscience, qui peut être considéré comme une
capacité innée que possède chaque individu. Il est très développé
chez certaines personnes – les virtuoses de l’hypnose, environ 10 %
des individus –, à un moindre degré chez 80 % de la population,
les 10 % restants étant peu sensibles à l’hypnose. En 1994, The
Executive Committee of the American Psychological Association
a proposé la définition suivante : « L’hypnose est une procédure
au cours de laquelle un professionnel de la santé ou un chercheur
suggère au patient de vivre ou de faire l’expérience de sensations,
perceptions, pensées ou comportements modifiés. » L’hypnose
serait un état d’attention impliquant une concentration intense et
une « absorption intérieure » avec une suspension relative de la
conscience de l’environnement. Le processus hypnotique comprend
trois composantes : l’absorption, la dissociation et la suggestibilité.
L’absorption est la faculté de s’impliquer complètement dans une
expérience imaginaire. La dissociation correspond à la séparation
mentale de comportements qui normalement vont de pair ; c’est le
cas par exemple dans les rêves où l’on est en même temps acteur
et observateur. Cet état dissociatif engendre parfois une impres-
sion de perte de contrôle moteur ou une discontinuité des sensa-
tions d’une partie du corps. La suggestibilité représente la capacité
de la personne à accepter les instructions du professionnel prati-
quant l’hypnose.
M.-E. Faymonville et A. Vanhaudenhuyse, service d’algologie et
de soins palliatifs du CHU de Liège, en Belgique.

81
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

En outre, l’hypnose constitue un traitement de choix


pour les migraines de l’enfant et de l’adulte. Daniel Kohen,
pédiatre à l’hôpital de Minneapolis aux États-Unis, enseigne
l’autohypnose aux enfants souffrant de migraines. Après
quelques séances d’entraînement, les enfants sont capables de
« s’hypnotiser » seuls. Dans une étude datant de 2007, les 144
enfants ainsi traités voyaient la fréquence des crises divisée
par quatre, leur intensité par deux et leur durée par six.

ADIEU LES TICS DE L’ENFANT

Autre indication de l’hypnose : la « maladie des tics »,


traditionnellement appelée danse de saint Guy, qui se carac-
térise notamment par des tics moteurs très importants
et incontrôlables. Décrit en 1885 par Georges Gilles de la
Tourette, ce syndrome porte désormais son nom. Il touche
un enfant sur cent. Les médicaments sont peu, voire pas,
efficaces sur cette maladie dont on ignore la cause. En
2010, Jeffrey Lazarus, pédiatre à l’hôpital pour enfants de
Cleveland aux États-Unis, a traité par hypnose 37 enfants
atteints du syndrome de Gilles de la Tourette. Au bout de
trois séances, 96 % des enfants contrôlaient les mouvements
anormaux qui les handicapaient auparavant. Une efficacité
à nouveau impressionnante !
L’hypnose traite aussi certaines formes d’épilepsie.
Environ un quart des enfants qui consultent pour des
crises d’épilepsie présentent en fait des « pseudocrises ».

82
L’hypnose soignera-t-elle tout ?

Un traitement antiépileptique est dans ce cas inefficace et


inadapté. En 2008, Donald Olson, neuropédiatre à l’univer-
sité Stanford, a montré que l’hypnose peut faire disparaître
les mouvements anormaux des pseudocrises, alors qu’elle n’a
aucun effet en cas de crises d’épilepsie avérées. Il a égale-
ment vérifié que la méthode ne déclenche pas de crises ! La
technique soulage aussi certains symptômes d’autres mala-
dies neurologiques, telles la sclérose en plaques et des lésions
médullaires. Une publication récente montre l’intérêt de
l’hypnose chez les patients atteints de sclérose latérale amyo-
trophique ou maladie de Charcot. Il s’agit d’une maladie
neurodégénérative à évolution rapide et aboutissant à une
paralysie musculaire. Nous avions déjà constaté dans notre
pratique clinique que le confort en fin de vie de ces patients
et de ceux atteints de sclérose en plaques était amélioré
quand ils utilisaient l’autohypnose.

APPRIVOISER LA DOULEUR

S’il est un domaine où cette thérapie complémentaire


a une efficacité avérée, c’est contre la douleur. Les études
réalisées en imagerie cérébrale ont montré que l’hypnose
réduit l’activité des principales régions de la douleur (voir
la figure page suivante). Quand on suggère une analgésie aux
patients hypnotisés, ils souffrent moins ! Certaines douleurs
sont fréquentes et parfois difficiles à soulager, surtout
quand elles deviennent chroniques. C’est le cas des douleurs

83
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

rhumatologiques. Pourtant, les rhumatologues ne se forment


à cette technique que depuis une dizaine d’années.
L’équipe du Néerlandais Huub Haanen a établi, en
1991, le bien-fondé de l’utilisation de l’hypnose dans la
fibromyalgie (des douleurs musculaires chroniques). Les
sujets concernés pratiquant la méthode diminuaient de
40 à 60 % leur consommation d’antalgiques. Notre expé-
rience clinique a aussi montré l’efficacité de l’autohypnose
dans les maladies inflammatoires chroniques de l’appareil

Cortex cingulaire antérieur


gérant l’aspect émotionnel de la douleur

Thalamus
Cortex préfrontal relais des circuits
participe au contrôle de la douleur
des émotions

Insula
relais des circuits Tronc cérébral
de la douleur participant à l’inhibition
de la douleur

L’état hypnotique modifie l’activité de ces différentes régions corticales


et sous-corticales, liées aux perceptions douloureuses, sensorielles et affectives
d’un stimulus.

84
L’hypnose soignera-t-elle tout ?

locomoteur, telles que la polyarthrite ou la spondylarthrite


ankylosante.
L’hypnose atténue aussi les douleurs aiguës. Le chan-
gement des pansements des grands brûlés est particuliè-
rement douloureux. Les plus fortes doses de morphine ne
parviennent pas à soulager ces patients. L’appréhension, le
stress et les phénomènes d’anticipation de la douleur, surtout
chez les patients, mais aussi chez les soignants, sont extrê-
mement importants. C’est pourquoi la technique permet
de réaliser les soins aux grands brûlés dans de meilleures
conditions.
Il est même possible de coupler cette thérapie à la réalité
virtuelle. C’est ce que propose David Patterson, médecin à
l’hôpital de Seattle. Pendant les soins et en plus de l’hypnose,
il projette au patient un petit film à l’aide de lunettes qui
permettent d’avoir accès à la réalité virtuelle. Pendant que
le personnel médical refait ses pansements, le sujet s’adonne
à une promenade virtuelle dans un univers de fraîcheur,
peuplé d’icebergs et de bonshommes de neige, et la douleur
est bien mieux tolérée.
Efficace contre l’anxiété et la douleur, l’hypnose a donc
été introduite dans les blocs opératoires, en salle de réveil
et dans les services de réanimation. Les médecins anesthé-
sistes réanimateurs utilisent « l’hypnoanalgésie » seule, lors
d’interventions légères (chirurgie de la thyroïde ou du sein),
ou bien en complément des médicaments anesthésiants. Cela
permet de limiter la consommation d’antalgiques et réduit
par conséquent les complications post-opératoires, ainsi que

85
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

les nausées et vomissements dus à l’intubation. Par ailleurs,


le confort de l’opéré est meilleur, la durée d’hospitalisation
réduite, le coût global de l’intervention diminué. Même
les équipes soignantes de ces services déclarent qu’elles
travaillent mieux dans ces conditions.
Poursuivons ce tour d’horizon des indications de l’hyp-
nose en abordant le domaine de la cancérologie et de la fin
de vie. Guy Montgomery, de l’université d’Oxford, a conduit
une étude sur 400 femmes devant subir une mammectomie
pour tumeur du sein. Il a montré que les femmes qui avaient
reçu une séance d’hypnose avant l’opération ressentaient une
augmentation de leur confort physique et psychologique, et
que les suites opératoires étaient meilleures que pour les
femmes n’ayant pas bénéficié de la technique. Par rapport à
un groupe témoin, les scores d’anxiété, de confort ainsi que
la douleur et les nausées étaient améliorés de plus de 50 %.
En oncologie se pose aussi la question des soins pallia-
tifs, c’est-à-dire de confort et d’accompagnement. L’hypnose
y a trouvé sa place depuis une vingtaine d’années. Auprès
des patients, nous prenons garde de ne pas parler de douleur
ou de souffrance, mais d’inconfort, le choix des mots étant
essentiel. Il est indispensable d’opérer un glissement de
langage qui permet d’orienter vers le confort et d’oublier le
registre sémantique qui potentialise la douleur. En discu-
tant avec les malades, les soignants savent employer les
mots, métaphores et expressions qui activent le processus
hypnotique, en évitant les mots qui l’inhibent. L’emploi de
ce langage, ou hypnose conversationnelle, est aussi devenu

86
L’hypnose soignera-t-elle tout ?

un outil de communication essentiel lors de l’annonce d’un


diagnostic grave.
Autres douleurs atténuées : celles liées au syndrome du
côlon irritable, un trouble douloureux des intestins dont
les causes sont souvent inexpliquées. Les résultats obtenus
sur des patients atteints de ce syndrome sont meilleurs que
ceux constatés chez les sujets traités par les meilleurs médica-
ments. Lars Aabakken, à l’université d’Oslo, a montré en 2007
que la douleur disparaît chez 81 % des enfants qui présentent
des douleurs coliques et pratiquent l’autohypnose, alors que
la proportion ne dépasse pas 25 % chez ceux qui prennent des
médicaments. L’intérêt de la technique dans d’autres troubles
gastro-intestinaux est en cours d’évaluation.
En outre, l’hypnose soulage divers troubles psychiques,
par exemple le stress. À l’approche des examens, l’étudiant
ne peut s’empêcher de stresser. Nous avons mis en place,
pour les étudiants de la faculté de médecine Paris VI, un
programme où nous leur apprenons à « s’autohypnotiser » ;
ainsi, ils diminuent leur anxiété et réussissent mieux leurs
examens.
Les sportifs sont également nombreux à utiliser l’hyp-
nose pour gérer le stress, augmenter la motivation, améliorer
le geste technique. Durant les trente dernières années,
4 000 médecins généralistes, en France, ont appris la tech-
nique hypnotique. Cela a modifié leur manière de commu-
niquer avec les patients, en particulier dans le domaine
des névroses anxieuses. Lorsqu’un patient consulte pour
exprimer son inquiétude et décrit le cortège des réactions

87
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

qui accompagnent ce trouble, le médecin écoute le patient et


lui propose ensuite un exercice d’autohypnose facile à prati-
quer et, bien sûr, dépourvu des effets secondaires des médi-
caments anxiolytiques.

ACCOUCHER SANS STRESS

Certains stress, tels que ceux de l’étudiant et du sportif,


ont des aspects positifs et stimulants, d’autres au contraire
empêchent de profiter pleinement d’un moment heureux
(l’accouchement) ou transforment une situation anodine en
cauchemar (une visite chez le dentiste). En 1889, un jeune
médecin espagnol, Santiago Ramon y Cajal, rapporte un cas
d’accouchement sans aucune douleur sous hypnose. Cette
publication est passée inaperçue, mais l’accouchée n’était
autre que sa femme. Ramon y Cajal connaîtra ensuite une
reconnaissance internationale pour ses travaux sur le cerveau
et recevra le prix Nobel de médecine en 1904 pour avoir
découvert les neurones.
En Russie, dans les années 1930, les élèves des chercheurs
russes Ivan Pavlov et Vladimir Bekhterev élaboreront une
méthode d’accouchement sans douleur reposant sur l’hyp-
nose. Cette technique sera introduite en France en 1954
par Fernand Lamaze, médecin parisien, puis elle se déve-
loppera aux États-Unis sous le nom de méthode Lamaze.
Aujourd’hui, l’hypnose est une méthode de préparation
à l’accouchement intéressante qui permet aux femmes

88
L’hypnose soignera-t-elle tout ?

enceintes de mieux contrôler les phobies et craintes liées à


la naissance. Elle permet aussi de réaliser la péridurale dans
les meilleures conditions et de diminuer la quantité de médi-
caments analgésiques utilisés. En outre, la technique est effi-
cace contre les vomissements qui accompagnent parfois le
début d’une grossesse. Toutefois, elle ne semble pas modifier
la durée du travail, ni le nombre de césariennes pratiquées.
En 2006, Eliahu Levitas, gynécologue de l’hôpital de Beer
Sheva en Israël, a même montré que l’utilisation de l’hyp-
nose lors du transfert d’embryons fécondés in vitro améliore
la proportion de naissances, sans doute car les contractions
utérines déclenchées par la réimplantation sont moins
nombreuses.

MÊME CHEZ LE DENTISTE !

Qu’en est-il de la « peur du dentiste » ? Le cabinet dentaire


déclenche d’importantes craintes… Dans une étude publiée
en 2010, Edward Mackay, de l’université de Pennsylvanie,
a utilisé l’hypnose diffusée à l’aide d’un casque chez des
personnes devant subir une extraction des dents de sagesse.
Le groupe contrôle écoutait de la musique. Dans le groupe
ayant bénéficié de la thérapie complémentaire, il a constaté
qu’il avait utilisé moins de substance anesthésiante, que
les douleurs post-opératoires avaient été moins intenses et
que les sujets avaient consommé moins d’antalgiques après
l’intervention.

89
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

L’hypnose au banc d’essai


Les indications de l’hypnose se multiplient, mais son utilisation reste
très hétérogène, les formations ne sont pas reconnues par l’ordre des
médecins et n’importe qui peut se dire hypnothérapeute. Alors, qu’en est-il
vraiment ? La Direction générale de la santé a demandé à des chercheurs
du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations d’éva-
luer l’efficacité réelle de l’hypnose. Juliette Gueguen, Caroline Barry, Chris-
tine Hassler et Bruno Falissard se sont attelés à la tâche et ont dévoilé leurs
résultats en 2015. Pour savoir si un médicament ou un soin est efficace, on
le soumet à des essais cliniques randomisés : on compare l’effet de la subs-
tance à celui d’un placebo (une molécule inactive) ou à l’absence de traite-
ment, sur de grands groupes de sujets et dans des conditions identiques et
contrôlées. Les pratiques médicales complémentaires, comme l’hypnose,
n’échappent pas à la règle. Les chercheurs ont donc analysé les résultats
« solides » sur l’hypnose, issus de six revues dites « C ochrane » (totalisant
une trentaine d’essais) et de seize essais contrôlés randomisés de plus
de 100 sujets. Juliette Gueguen précise : « Nous n’avons retenu que les
plus grosses études avec des statistiques exploitables et scientifiquement
valables. » Résultats : l’hypnose est « statistiquement et scientifiquement »
efficace dans le traitement du syndrome du côlon irritable et pour réduire
l’administration d’antalgiques et de sédatifs lors de diverses interven-
tions chirurgicales (extraction de dents de sagesse, biopsies mammaires,
interruption de grossesse…). Autre conclusion de cette étude : l’hypnose
est sûre, aucun effet indésirable grave ne lui semble attribuable, et s’il en
existe, leur incidence est très faible.

De surcroît, l’hypnose a toute sa place chez le dentiste


pour prendre en charge les phobies des soins dentaires, ou
stomatophobies, et réaliser les soins et les extractions dans

90
L’hypnose soignera-t-elle tout ?

Une évaluation discutable ?


Pour les autres indications de l’hypnose, en revanche, rien de
concluant. Pas de preuve suffisante. Aucune donnée ne permet
d’affirmer que l’hypnose est efficace pour la majorité de ses utilisa-
tions : accouchement sans douleur, dépression, sevrage tabagique,
phobies, soins dentaires, schizophrénie… Pourtant, des études
scientifiques portant sur peu de sujets, ainsi que les discours des
patients et du personnel soignant, semblent montrer le contraire.
Où est le problème ? Dans la méthodologie. Les essais cliniques
classiques ne tiennent pas compte du vécu émotionnel des patients,
un effet qui n’est pas « capturé » par les échelles d’évaluation
scientifiques, quelles qu’elles soient. « Les essais randomisés ne
me semblent plus adaptés à toutes les pratiques médicales. Ne
faudrait-il pas ajouter une dimension sociale et humaine à l’éva-
luation des soins ? Ne devrait-on pas demander aux gens comment
ils se sentent ? » demande Bruno Falissard. Vaut-il mieux traiter
un patient avec des doses élevées d’anxiolytiques et d’antidépres-
seurs ou lui prescrire deux séances d’hypnose par semaine ? Si
le patient rapporte des bénéfices identiques, pourquoi les médi-
caments sont-ils remboursés, alors que l’hypnothérapie n’est pas
prise en charge ? Bruno Falissard conclut : « La médecine, c’est
répondre à une plainte. Si la plainte a disparu, n’a-t-on pas fait le
job ? » Affaire à suivre.
Bénédicte Salthun-Lassalle,
rédactrice en chef adjointe à Cerveau & Psycho.

les meilleures conditions. Aujourd’hui, de plus en plus de


chirurgiens-dentistes formés à l’hypnose ont ajouté cette
technique à l’arsenal thérapeutique utilisé en odontologie.

91
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

La liste des utilisations de l ’hypnose en médecine


ne s’arrête pas là… Les dermatologues ont commencé à
s’en servir dans les années 1950, à la fois en Russie et en
Grande-Bretagne. Certaines maladies dermatologiques se
compliquent de troubles psychologiques et, à l’inverse, les
maladies psychiatriques s’accompagnent parfois de mala-
dies de la peau. Or les malades atteints de ces affections
sont particulièrement sensibles aux suggestions. L’hypnose
permet, par exemple, d’améliorer, voire de guérir, les formes
récidivantes de verrues cutanées disséminées.

UN REMÈDE MIRACLE ?

Ria Willemsen et Johan Vanderlinden, dermatologues


de l’hôpital de Bruxelles, ont pris en charge les alopécies
auto-immunes de 21 patients ayant perdu leurs cheveux,
cils et sourcils, et qui étaient insensibles aux traitements
disponibles. Avec l’hypnose, ils ont obtenu une repousse des
cheveux dans 12 cas (57 %) et une diminution des troubles
psychiques (dépression, anxiété, stress) chez tous ces patients.
La technique permet aussi d ’améliorer les dermatites
atopiques (eczémas) de l’adulte et de l’enfant. En 2003, les
équipes de John Gruzelier, en Grande-Bretagne, et d’Homa
Zadeh, aux États-Unis, ont aussi montré que l’hypnose
stimule les défenses immunitaires.
Cette thérapie complémentaire a-t-elle des limites ? En
tant que médecins, nous sommes confrontés à une situation

92
L’hypnose soignera-t-elle tout ?

inédite : d’une part, cette méthode ancienne, longtemps


restée confidentielle, voire décriée, ne bénéficie pas d’essais
cliniques contrôlés de grande ampleur ; d’autre part, on ne
comprend pas comment elle agit. Pourtant, de nombreux
articles scientifiques confirment l’intérêt que les cliniciens
ont déjà constaté de longue date. De surcroît, elle est peu
coûteuse et bien tolérée.
Elle devrait être progressivement de plus en plus utilisée
dans les domaines que nous avons évoqués, et bien d’autres
encore. C’est le cas notamment pour lutter contre les addic-
tions. De récentes publications ont ainsi montré que l’hyp-
nose est plus efficace que les substituts nicotiniques pour
arrêter de fumer. Nathalie a donc tout intérêt à essayer la
méthode, qui ne risque pas de lui chambouler les idées… Et
il y a de grandes chances qu’elle diminue, voire perde, sa
dépendance.

93
Chapitre 7

SURMONTER UN TRAUMATISME
EN BOUGEANT LES YEUX
Étienne Binet et Martine Iracane

Comment « digérer » un traumatisme


dû à une agression ou un accident ? La méthode
EMDR, qui consiste à se remémorer des scènes
insupportables tout en exécutant des mouvements
des yeux, se révèle étonnamment efficace.

L
’EMDR (de l’anglais Eye Movement Desensitization and
Reprocessing, soit mouvements oculaires de désensibi-
lisation et de retraitement de l’information) est une
psychothérapie qui connaît un succès certain depuis une
quinzaine d’années en France pour traiter des traumatismes
psychologiques associés à des perturbations émotionnelles.

95
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Quand le cerveau est dépassé par un événement et n’arrive


pas à « digérer » les informations, on parle de syndrome de
stress post-traumatique. Ce trouble, fréquent, touche environ
une personne sur dix à un moment ou à un autre de son exis-
tence, et concerne soit la victime du traumatisme physique
ou psychique, soit ses proches. Les causes sont variées : viol,
accident, attentat, violence corporelle ou morale, décès, sépa-
ration, maladie grave…
Madame L. témoigne : « Il y a quatre ans, mon mari était
tué sur la route par un chauffard. J’ai consacré beaucoup
de temps et d’énergie à remonter la pente, à travailler avec
un psychiatre, à reprendre goût à la vie, pour ma fille, pour
mes proches, pour moi-même. Le chemin a été long, mais
j’ai surmonté la perte de celui avec qui je pensais passer le
restant de mes jours. Jusqu’au moment où j’ai noué une rela-
tion avec un homme, qui s’est enfui après quelques mois… Ce
nouvel abandon a réveillé en moi des symptômes que j’avais
crus disparus pour toujours. Je me trouvais dans une impasse
avec mon psychiatre… »

TRAITER LES TRAUMATISMES

Après un drame, pendant des mois (parfois des années),


le patient est périodiquement assailli de bouffées d’angoisse
et de souvenirs précis de l’événement, qui refont surface,
à l’impromptu, avec leur cortège de manifestations affec-
tives et physiques. Souvent, des détails de l’environnement

96
Surmonter un traumatisme en bougeant les yeux

rappelant les circonstances du drame déclenchent ces résur-


gences. La vie de ces personnes est éprouvante, car elles ont
l’impression que de telles réminiscences peuvent revenir
n’importe quand et n’importe où ; elles ne sont plus elles-
mêmes et ne se reconnaissent pas. Diverses méthodes sont
utilisées pour leur venir en aide ; l’EMDR est l’une d’elles.
Madame L. précise : « J’avais entendu parler de l’EMDR et j’ai
eu l’adresse d’une thérapeute qu’on m’avait recommandée.
[…] Après quatre séances d’une heure trente, séparées d’une
quinzaine de jours, les résultats étaient là. Je dors à nouveau
correctement, je ne vois pas mon compagnon à tous les coins
de rue, et je ressens un apaisement totalement nouveau.
Comme si la pierre de chagrin que j’avais enfoui au fond de
moi était dissoute. »
En quoi consiste cette thérapie ? À inciter le patient à
laisser remonter à sa conscience les souvenirs pénibles et à le
libérer des émotions négatives, pendant que le thérapeute lui
demande de suivre sa main qu’il déplace de gauche à droite,
et de droite à gauche, devant ses yeux. En fait, l’objectif est
d’activer le cerveau alternativement du côté gauche et du côté
droit. Désormais, les praticiens utilisent aussi des stimula-
tions tactiles ou auditives quand les mouvements oculaires
ne sont pas efficaces : par exemple, un signal sonore à l’oreille
droite, puis un bip à la gauche, ou un tapotement sur un
genou (ou un bras), puis sur l’autre.
Ces stimulations bilatérales diminuent alors l’impact
traumatisant des souvenirs en permettant au cerveau de
traiter les émotions qui leur sont associées. D’après les termes

97
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

du psychiatre David Servan-Schreiber, qui a fait connaître


cette méthode en France il y a une quinzaine d’années :
« L’introduction de l’EMDR dans le champ des psychothé-
rapies est sans doute l’événement le plus déconcertant et
peut-être le plus significatif depuis l’avènement de la psycha-
nalyse, il y a cent ans. »

STIMULER LE CERVEAU DE CHAQUE CÔTÉ

Cette approche psychothérapeutique a été initialement


élaborée en 1987 par Francine Shapiro, psychologue clini-
cienne en Californie. Une découverte totalement fortuite,
puisque c’est lors d’une promenade dans un parc public
qu’elle constate incidemment qu’elle parvient à chasser de
son esprit des pensées désagréables dès qu’elle bouge rapi-
dement ses yeux de gauche à droite. Par la suite, elle recom-
mence plusieurs fois volontairement l’exercice en évoquant
des souvenirs de plus en plus chargés émotionnellement : à
sa grande surprise, elle s’aperçoit que la trace émotionnelle
de ces souvenirs disparaît définitivement. En 1989, elle
publie une thèse de doctorat en psychologie comportemen-
tale sur l’efficacité de cette méthode. Des études cliniques
sont ensuite rapidement entreprises et confirment que
l’EMDR permet de soigner les patients atteints de stress
post-traumatique.
Comment se déroule une séance ? Durant des entretiens
préliminaires avec le patient, le thérapeute identifie les

98
Surmonter un traumatisme en bougeant les yeux

difficultés qu’il faudra apaiser. Le patient évoque les images


douloureuses, ses émotions, ses sensations physiques et les
pensées négatives associées à ces images.
La priorité, lors du premier entretien, est d’établir une
« alliance thérapeutique » avec le patient et de repérer les
problèmes les plus perturbants qu’il a vécus, en l’orientant
vers une recherche des causes, en le soutenant et en l’aidant
à comprendre la genèse de la pathologie. Souvent, plusieurs
expériences traumatisantes alimentent sa souffrance, entra-
vant ses capacités d’adaptation dans la vie quotidienne. Ce
sont ces souvenirs ou situations perturbantes qui doivent
être « retraités » et « digérés » par le cerveau. Les praticiens
peuvent aussi travailler directement sur les déclencheurs
« présents » de la détresse émotionnelle, jusqu’à ce que le
patient se projette de façon plus sereine dans le futur. Le
but est que le sujet constate un changement de ressenti et de
comportement dans sa vie quotidienne.
La méthode EMDR et ses objectifs sont alors présentés
au patient ; des techniques de stabilisation et de contrôle
émotionnels lui sont enseignées. Puis un protocole précis
permet de conduire le patient, à son rythme et en respectant
ses attentes et ses capacités, à se libérer du ou des souvenirs
douloureux.
Le patient doit établir une « cible » mentale précise, en se
focalisant sur l’image de son traumatisme : c’est souvent cet
aspect visuel qui est associé à sa réaction émotionnelle (par
exemple, l’image d’une route ou d’une automobile, s’il a été
traumatisé par un accident de voiture). Le patient énonce

99
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

alors l’image négative qu’il a de lui-même (une mauvaise


estime de soi par exemple) et qui résulte de cet événement :
« Je n’ai que ce que je mérite. » Parfois, il présente la pensée
qui reste « bloquée » dans son esprit : « Je vais mourir. »
Le sujet identifie aussi l’affect que déclenche le souvenir
de cette image et évalue l’intensité de sa détresse sur une
échelle de 0 à 10, nommée SUD (Subjective Unit of Distress, ou
unité subjective de détresse). En même temps, le thérapeute
l’aide à identifier les sensations physiques qui se manifestent
et qui accompagnent ces images, pensées et émotions.
Patient et thérapeute définissent une direction pour la
thérapie, en identifiant aussi les pensées positives, opposées
aux pensées négatives initiales (« Je mérite de guérir », « Je suis
vivant »). Cette évaluation permet au thérapeute d’estimer la
façon dont le patient progresse au cours du traitement vers
une interprétation mieux adaptée de l’événement passé.
Après ces étapes, le patient doit garder à l’esprit l’image,
la pensée négative associée et les sensations désagréables.
Simultanément, il suit des yeux le déplacement de la main
du thérapeute de gauche à droite et de droite à gauche. Ces
séries de mouvements latéraux durent de 30 secondes à
2 ou 3 minutes, en fonction de la réaction émotionnelle du
patient.
Cette phase dite de « désensibilisation » s’accompagne
généralement d’une réponse de relaxation physiologique et
un bâillement survient souvent, chez les enfants notamment.
Chaque stimulation se nomme un « set » ; après chaque set, le
thérapeute demande au patient de rapporter « ce qui lui vient

100
Surmonter un traumatisme en bougeant les yeux

maintenant », ce qu’il a vu, ressenti, pensé, perçu dans son


corps ou associé à ses sensations, mais doit se garder de toute
interprétation et se contenter de reprendre la stimulation.
Une séance d’EMDR comporte entre 20 et 30 sets. Elle
dure entre 60 et 90 minutes. À la fin, le patient, plus calme,
donne un sens à l’événement et à ses réactions, et ressent en
général une meilleure estime de soi. Plusieurs séances sont
souvent nécessaires pour que la cognition négative initiale
du patient disparaisse et que la cognition positive s’installe.
Depuis que l’EMDR existe, les guérisons obtenues sur les
milliers de patients traités sont définitives. C’est pourquoi

101
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Comment le cerveau cicatrise-t-il ?


Lorsqu’un traumatisme survient, il imprime parfois dans le
système émotionnel du cerveau (le système limbique) des informa-
tions trop puissantes pour pouvoir être transférées vers le cortex, où
elles feraient l’objet d’une analyse objective (schéma a). Le souvenir
pénible surgit alors n’importe quand à la conscience du patient. Pour
que les données soient traitées par le cortex, il faut diminuer l’activité
du système limbique. C’est ce que provoqueraient les mouvements des
yeux ou les stimulations bilatérales en focalisant l’attention du patient
(schéma b).
L’événement est mis en perspective, verbalisé, et perd son carac-
tère traumatisant. Le patient se sent mieux.

cette thérapie a été comparée à un processus naturel de cica-


trisation cérébrale, du même type que celui qui concerne la
peau.
Si l’expérience se révèle bénéfique, son mode d’action
reste mal compris. Quels sont les mécanismes neuronaux et
psychiques qui conduisent, d’une part, à la création d’une
mémoire traumatique et, d’autre part, à la cicatrisation ?
Selon le neurologue américain Antonio Damasio, l’activité
cérébrale a pour but fondamental la survie et le bien-être :
« Le corps, le cerveau et l’esprit sont les manifestations d’un
organisme unique. Bien qu’on puisse les disséquer au micros-
cope dans un but scientifique, ils sont en fait inséparables
dans les conditions normales de fonctionnement. »
L’EMDR repose sur l’idée qu’il existe dans le cerveau
un système naturel de traitement de l’information qui nous

102
Surmonter un traumatisme en bougeant les yeux

Système limbique
a b

Information
Information transmise
bloquée

Cortex
frontal Système
Surcharge
émotionnelle limbique
apaisé
Œil

Mouvements
oculaires

permet de « digérer » chaque jour des centaines d’informa-


tions associées à des sensations ou des émotions. En cas de
danger toutefois, étant donné que l’activité cérébrale est
garante de la survie de l’individu, le cerveau émotionnel,
c’est-à-dire essentiellement le système limbique, l’emporte
sur le cerveau cortical, rationnel, notamment le cortex
frontal.
Ainsi, quand un traumatisme survient ou plus simple-
ment quand un événement déborde les capacités adaptatives
du cerveau émotionnel, ce dernier enferme des sensations et
des émotions qui resteront dissociées du cortex frontal.
Si une donnée sensorielle ne peut être traitée immédiate-
ment en raison d’un contenu émotionnel trop important, elle
ne sera pas « métabolisée » et restera bloquée dans le cerveau
limbique. Certains événements de notre vie sont alors gravés

103
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

durablement dans notre cerveau émotionnel et dans notre


corps, sans pouvoir atteindre le cortex. Cette information
n’étant pas liée à des représentations corticales, elle entamera
des tentatives répétées pour se représenter et être traitée par
le cortex, ce qui explique les « flashs » si éprouvants.
L’évocation du souvenir traumatique déclenche deux
réactions simultanées : une activation de la région de
l’amygdale dans le système limbique – siège de la détection
du danger – et une inactivation du cortex préfrontal et de
l’aire de Broca, siège de la parole. Submergé par les réactions
émotionnelles, le patient ne parvient pas à formuler l’infor-
mation traumatisante. Dès lors, pour que cette information
soit présentée au cortex sans le submerger, l’intensité des
réactions émotionnelles doit être abaissée. C’est précisé-
ment le rôle des mouvements oculaires ou des stimulations
bilatérales.
En outre, les chercheurs ont établi un parallèle entre les
mouvements oculaires préconisés en EMDR et ceux qui se
produisent lors du rêve. Il existerait un rapport entre, d’une
part, l’activité onirique et les mouvements oculaires qui y
sont associés et, d’autre part, les capacités d’apprentissage de
l’être humain. Les mouvements oculaires de l’EMDR active-
raient le système du « traitement adaptatif » de l’information.
Comment ? Sans doute par l’association de plusieurs
éléments. D’abord, la stimulation oculaire déclenche un relâ-
chement physique du patient ; ensuite, l’attention demandée
au patient est multifocale, portée à la fois sur son corps et
sur son esprit, ici, aujourd’hui, et ailleurs dans le passé. Cela

104
Surmonter un traumatisme en bougeant les yeux

semble suffisant pour déclencher le retraitement d’une infor-


mation bloquée parfois depuis longtemps.

L’EMDR DÉVERROUILLE LES DONNÉES PÉNIBLES

D’autres hypothèses ont été proposées. Par exemple, la


réaction de « détente » provoquée par les stimulations bila-
térales (due à une activation du système nerveux parasym-
pathique) inhiberait la réaction anxiogène engendrée par
le souvenir ciblé (due à une activation du système nerveux
sympathique). Des chercheurs ont aussi supposé que les
mouvements oculaires pendant l’exposition au souvenir
réduiraient la « netteté » des images perturbantes.
En 2012, Stéphanie Khalfa, de l’université de la Médi-
terranée Aix-Marseille, et ses collègues ont enregistré en
imagerie par résonance magnétique les activations céré-
brales de 25 patients traumatisés et de 25 sujets non trauma-
tisés, pendant qu’ils réalisaient une tâche de reconnaissance
d’expressions faciales négatives (colère, tristesse, peur). Avant
la thérapie EMDR, ils ont observé une hyperactivation de la
région limbique et une hypo-activation du cortex préfrontal
chez les sujets traumatisés, mais pas chez les autres. Après
la thérapie, les activités cérébrales de toutes les personnes
étaient identiques : le « cerveau traumatisé » était guéri.
En outre, Marco Pagani, du Centre national de recherche
à Rome, et ses collègues ont observé par EEG l’évolution
des activités cérébrales de patients au cours du traitement

105
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

EMDR. Ainsi, au début d’une séance, ce sont surtout les


régions limbiques qui sont stimulées ; cette activation se
déplace vers les zones corticales au moment où les patients
s’apaisent à la fin de la désensibilisation. Ce qui indique
probablement que leur souvenir traumatisant est transmis
au cortex frontal.
Quels que soient les fondements neuro-émotionnels mis
en œuvre, sur le plan clinique, le thérapeute est souvent
stupéfait de la rapidité de la transformation du patient. C’est
comme une autoguérison « psychoneuro-physiologique ».
Le processus mis en œuvre est totalement naturel : c’est un
système physiologique commun à toutes les personnes, qui
permet d’éliminer des émotions négatives pour les remplacer
par un vécu plus approprié et positif. La découverte de ce
mécanisme d’autoguérison est l’un des apports majeurs de
cette thérapie.
Nous disposerions tous de moyens naturels de traitement
et de guérison, non seulement de plaies physiques, mais aussi
psychiques. La guérison rapide souvent obtenue avec l’EMDR
remet en cause certaines idées ancrées dans l’inconscient
collectif : « Il faut beaucoup de temps pour guérir », « C’est la
parole qui guérit ». Avec cette psychothérapie, le sujet est au
cœur de son propre processus de guérison et il lui est possible
d’envisager un retour rapide à la santé, où l’évocation des
souvenirs traumatiques devient totalement neutre. Comme
Madame L., de nombreux patients ont ainsi été guéris.

106
Chapitre 8

DES JEUX POUR LUTTER


CONTRE LA SCHIZOPHRÉNIE
Nicolas Franck

Une méthode thérapeutique en plein développement,


la remédiation cognitive, contribue au traitement
de la schizophrénie. Grâce à des exercices visuels
et à des jeux, les patients parviennent mieux
à exploiter leurs capacités mentales et améliorent
ainsi leur comportement.

L
’idée que nous nous faisons de la schizophrénie, en
général véhiculée par les médias, ne correspond souvent
pas à la réalité… Les personnes qui en sont atteintes
ne sont pas des psychopathes, ni des hyperviolents.
Par contre, la plupart d’entre elles présentent des altéra-
tions cognitives importantes qui les gênent considérable-
ment dans leur quotidien et compromettent leur capacité à

107
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

réussir leurs activités. La France compte environ 300 000 à


600 000 personnes ayant présenté une schizophrénie à une
période de leur vie, soit 0,5 à 1 % de la population. Environ
80 % de ces patients souffrent de troubles cognitifs (troubles
de la mémoire, de l’attention, de la planification des actions
et de la compréhension des intentions et des émotions
d’autrui). Les traiter est donc très important. Les médica-
ments et les psychothérapies disponibles sont partiellement
efficaces. Dorénavant, une troisième approche, complé-
mentaire, appelée remédiation cognitive, a fait ses preuves et
permet de de compléter leur action. En quoi consiste-t-elle ?
Ce n’est ni une psychothérapie, qui agit, par l’écoute et
par le langage, sur les représentations mentales complexes
du patient, ni un traitement médicamenteux, qui cible les
récepteurs cérébraux des neuromédiateurs, les molécules de
communication entre neurones. La remédiation cognitive
complète l’action de ces traitements classiques en se concen-
trant sur les altérations des aptitudes cognitives que l’on
observe chez les personnes souffrant de schizophrénie.

DES FONCTIONS COGNITIVES ALTÉRÉES

Ces aptitudes sont l’attention, la mémoire, les fonc-


tions visuo-spatiales (capacité à percevoir l’environnement
de manière appropriée), la cognition sociale (capacité à
comprendre les ressentis, les idées, les projets et les désirs
d’autrui, y compris quand ils diffèrent des nôtres) et les

108
Des jeux pour lutter contre la schizophrénie

fonctions exécutives. Ces dernières regroupent l’ensemble


des processus mentaux nous permettant de structurer nos
actions. Il s’agit : de la capacité de planification (quand nous
prévoyons d’aller faire des courses, quand il faut établir une
liste des achats, prendre un sac, fermer la porte à clé, etc.) ;
de la flexibilité mentale, c’est-à-dire la faculté de changer de

Qu’est-ce que la schizophrénie ?


La schizophrénie se caractérise non seulement par l’expres-
sion d’un délire et par un vécu hallucinatoire, mais aussi par un
important handicap dû à une incapacité à agir, à prendre des
décisions, à se concentrer, à mémoriser les informations ou à
comprendre autrui. Alors que les manifestations les plus specta-
culaires et leurs conséquences violentes très rares sont abondam-
ment médiatisées, l’invalidité des patients est laissée de côté par
les médias et peu connue du grand public. Or, c’est elle qui est la
source de la souffrance quotidienne des malades et elle est infini-
ment plus représentative de la maladie que la violence de certains
patients. Il est donc très important de la prendre en compte.
Mémoire, attention et fonctions exécutives sont altérées, ce qui
hypothèque la capacité des patients à s’occuper d’eux-mêmes et
de leurs affaires, et représente un lourd handicap social.
Ainsi, chez de nombreuses personnes, ces troubles cognitifs sont
bien plus handicapants que les hallucinations ou un délire. De fait,
avoir des troubles de la mémoire, ne pas être capable de se concen-
trer ou de s’organiser, ne pas savoir quoi dire à autrui ni comprendre
ce qu’il veut dire lorsqu’il s’exprime, handicape fortement les acti-
vités professionnelles, les relations amicales ou les loisirs. Il est plus
aisé de vivre avec des hallucinations bien prises en charge, bien
comprises et bien acceptées, qu’avec des troubles cognitifs marqués.

109
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

stratégie en fonction des situations (le supermarché est fermé) ;


de l’inhibition (nous contrôler, par exemple en restant polis
avec une personne qui nous bouscule) ; de la pensée abstraite.

RÉÉDUQUER PLUTÔT QUE SOIGNER

La remédiation cognitive offre la possibilité non seule-


ment d ’agir sur ces fonctions, cruciales pour gérer le
quotidien, mais aussi de réduire l’impact de dysfonctions
cognitives favorisant certains symptômes, en particulier les
idées délirantes (notamment la conviction d’être persécuté).
Or, les médicaments utilisés pour traiter la schizophrénie (en
particulier les antipsychotiques) et les psychothérapies ont
une action limitée sur les troubles cognitifs de cette maladie.
Comment agit ce traitement ? Un peu comme l’entraî-
nement cognitif aujourd’hui en vogue, notamment dans le
domaine de la prévention du vieillissement cérébral. Mais il
s’en distingue sur deux aspects : les exercices proposés sont
progressifs et le thérapeute est très impliqué, de sorte que le
patient aborde pas à pas et plus efficacement les situations
auxquelles il fait face. Les sujets souffrant de schizophrénie
ne peuvent en effet pas se contenter d’un face à face avec un
ordinateur dans le cadre d’un traitement totalement informa-
tisé (cela contribuerait d’ailleurs à aggraver leur retrait social).
La remédiation cognitive a ainsi pour objectif non
d’entraîner, mais de rééduquer l’attention, la mémoire, les fonc-
tions exécutives, les fonctions visuo-spatiales et la cognition

110
Des jeux pour lutter contre la schizophrénie

sociale des patients, afin de favoriser leur vie quotidienne,


leur réinsertion sociale et professionnelle. Elle est pratiquée
en groupes ou en séances individuelles. Dans les programmes
de groupes, on favorise les phénomènes d’imitation et d’iden-
tification entre participants, ce qui compense les difficultés
associées à la schizophrénie. En général, il s’agit d’exercer le
raisonnement et les capacités d’expression des patients. Ainsi,
des exercices verbaux développent la capacité à produire des
mots, mais aussi à les comprendre précisément et à les classer.
D’autres exercices de raisonnement consistent par exemple
à calculer mentalement le nombre de mouvements nécessaires
à des ballons pour passer d’une configuration à une autre, à
décrypter des codes dans lesquels des lettres ont été rempla-
cées par d’autres lettres ou par des symboles, à ranger les mots
dans des tiroirs correspondant à leur catégorie ou à faire des
mots croisés dans des motifs en étoile.

COMPRENDRE AUTRUI

Certaines épreuves exercent la perception de la dimen-


sion sociale de la vie, notamment des relations entre les gens.
On demande parfois au patient de décrire, puis d’interpréter
des photos présentant des visages ou mettant en scène des
situations sociales comme des repas collectifs, des rencontres
dans la rue ou des dialogues entre un client et un commer-
çant. L’informatique permet de placer le patient – à travers
un avatar – dans des situations d’interaction spécifiques.

111
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Ainsi, le sujet apprend à mieux percevoir les situations de


la vie courante et à les affronter de manière plus appropriée.
Afin d’entraîner leurs aptitudes mnésiques, les participants
doivent mémoriser des éléments visuels comme des dessins,
des recettes de cuisine, des plans de ville ou des blasons, puis
les restituer au mieux. Certains exercices, plus particulière-
ment destinés à exercer la mémoire à long terme, consistent
à mémoriser une liste de mots, puis à les reconnaître parmi
d’autres mots ; ou bien, à mémoriser la place des verbes dans
un texte, puis à se rappeler ces verbes dans l’ordre où ils sont
apparus ; ou encore, à mémoriser des mots apparaissant sur
un écran ainsi que leur emplacement, ou le menu choisi par
chacun des convives assis à la même table d’un restaurant.
Il importe souvent d’améliorer l’attention spatiale des
patients et leur capacité à planifier des actions. Concrète-
ment, on leur propose par exemple de classer des figures
géométriques selon certains critères ( par exemple, la
couleur) ; d’observer une même scène sous deux points de vue
et d’en déduire l’emplacement de l’observateur ; de retenir des
vignettes et leurs positions sur un écran ; de comparer deux
groupes de caractères complexes et de repérer les caractères
qui sont présents dans un même groupe ; de comparer deux
figures tridimensionnelles composées de cubes afin de déter-
miner si elles sont différentes, ou simplement présentées sous
deux angles distincts.
Bien évidemment, avant de proposer de tels exercices à
un patient, il faut d’abord pratiquer une évaluation spéci-
fique comprenant un bilan neuropsychologique – testant

112
Des jeux pour lutter contre la schizophrénie

l’attention, la mémoire, les fonctions exécutives et les fonc-


tions visuo-spatiales – et un bilan de cognition sociale. Ce
test définit non seulement les fonctions cognitives à cibler
avec l’entraînement, mais envisage aussi les répercussions
attendues. En effet, on ne propose une remédiation que
lorsqu’on espère un bénéfice quotidien, par exemple une
meilleure insertion familiale, sociale ou professionnelle. Il
est aussi indispensable d’informer le patient sur sa maladie
et les troubles cognitifs qui l’accompagnent.
L’efficacité de la remédiation cognitive a été évaluée
scientifiquement, notamment par des rapports globaux
nommés méta-analyses, qui centralisent les données de
plusieurs équipes de recherche et en tirent des conclusions
ayant une valeur statistique solide. Les deux plus grandes
méta-analyses ont été publiées par la psychologue américaine
Susan McGurk en 2007 puis la psychologue britannique Til
Wykes en 2011. Elles ont établi l’efficacité de la remédiation
cognitive dans la schizophrénie : elle améliore bien les capa-
cités de mémorisation et de raisonnement des patients, ainsi
que leur autonomie et leur relation avec autrui.

UNE THÉRAPIE COGNITIVE


QUI CHANGE LE CERVEAU

Quel est son mode d’action ? Comme de nombreux autres


spécialistes, nous pensons que la remédiation cognitive
a un impact sur la plasticité cérébrale, c’est-à-dire qu’elle

113
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

favoriserait une réorganisation des neurones : les exercices


proposés renforceraient les connexions cérébrales impliquées
dans la mémorisation des données, les lieraient entre elles,
et adapteraient ainsi le comportement aux changements de
situations.
Au-delà de ces bénéfices, patients et équipes de soins
apprécient la technique, d’une part, car elle est ludique et
donc agréable à pratiquer, et, d’autre part, car elle instaure un
lien thérapeutique fort entre le patient et ses soignants, du
fait de la fréquence des séances et de l’utilisation d’un cadre
de soins rassurant.
De plus, de nombreux patients indiquent que leur façon
d’aborder la vie au quotidien a changé après leur participa-
tion à un programme de remédiation cognitive. Certains
deviennent aptes à mieux planifier leurs actions au jour le
jour (gestion de leur temps, répartition de leur activité entre
loisirs, soins et inactivité, par exemple) ; d’autres constatent
qu’ils se montrent de plus en plus attentifs à ce qui les
entoure, qu’il s’agisse du discours de leur entourage ou de la
bonne observance de leur traitement ; d’autres encore savent
désormais comment aborder autrui et quoi lui dire. Au total,
les patients sont plus autonomes, ce qui améliore leur estime
d’eux-mêmes dans de nombreux domaines.
Qu’en est-il du traitement des idées délirantes dont
souffrent certaines personnes atteintes de schizophrénie ?
L’altération d’un mécanisme cognitif en particulier, nommé
« mémoire de la source », contribuerait au développement
de ce genre de symptômes. La mémoire de la source est

114
Des jeux pour lutter contre la schizophrénie

la capacité de se rappeler où et quand on a vu ou entendu


quelque chose. En somme, d’où vient une information. Chez
certains sujets atteints de schizophrénie, cette capacité est
altérée. Lorsqu’ils pensent à quelque chose, ils croient qu’ils
ont eux-mêmes fait l’action, vu la personne à laquelle ils
pensent ou entendu le discours.
Des exercices de remédiation ont été développés pour
aider les patients à améliorer leur cognition sociale, notam-
ment leur reconnaissance des émotions et leur théorie de
l’esprit (savoir qu’autrui est un individu distinct d’eux). Ces
programmes, en favorisant les fonctions cognitives alté-
rées des patients, atténuent certaines manifestations de
la maladie qui ont un retentissement négatif sur leur vie,
comme les hallucinations ou les idées délirantes. Mais pour
être efficaces, ils doivent bien sûr être associés aux traite-
ments classiques qui restent indispensables, notamment les
antipsychotiques et les psychothérapies.

DES PROGRAMMES LUDIQUES

Par exemple, dans le programme Gaïa créé par Baptiste


Gaudelus à Lyon, on place le patient face à des visages expri-
mant des émotions de différentes natures, dans des contextes
variés où des personnages interagissent (à la pharmacie, en
famille, au travail). Le thérapeute aide le patient à savoir
sur quelles parties d’un visage s’appuyer afin de reconnaître
l’émotion exprimée.

115
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

116
Des jeux pour lutter contre la schizophrénie

De même, dans le programme RC2S (remédiation de


la cognition sociale dans la schizophrénie), développé par
Élodie Peyroux à Lyon, le patient se retrouve au centre de
différentes conversations à travers un avatar informatisé ; il
apprend ainsi à analyser les conséquences de ses choix sur le
comportement d’autrui. ToMRemed est une autre méthode
créée par Nadine Bazin et Christine Passerieux à Versailles.
Elle repose sur la visualisation de séquences de films où il
faut décoder les intentions de personnages agissant de façon
ambiguë.
D’autres activités et des jeux que nous connaissons tous
améliorent également les fonctions cognitives de nombreuses
personnes atteintes de schizophrénie. Une étude mise en
œuvre dans notre équipe par Caroline Demily a montré que
la pratique des échecs est efficace !

AU CHOIX : ÉCHECS, MEMORY OU SCRABBLE

Dix heures de jeu, réparties sur moins de trois mois,


suffisent à améliorer les capacités de planification de
l’action et de gestion simultanée de tâches (téléphoner tout
en surveillant un plat sur le feu, par exemple). Introduire ce
jeu dans les programmes de remédiation cognitive est donc
envisageable. L’idée d’utiliser le jeu d’échecs dans le traite-
ment des maladies mentales n’est pas nouvelle : le médecin
persan Rhazès l’avait déjà eue au xe siècle.

117
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Différents jeux de société semblent a priori intéressants :


le Memory (où il faut mémoriser l’emplacement de cartes
sur un tapis de jeu et les regrouper par paires) a toutes les
qualités requises pour développer la mémoire visuospatiale, et
il faudrait simplement valider scientifiquement ses effets. De
même, le Scrabble semble un bon candidat pour améliorer
les compétences verbales. L’utilisation de tels jeux à des fins
médicales devrait évidemment s’appuyer sur des études systé-
matiques ; de même, les modalités pratiques d’utilisation de
ces jeux dans une telle indication devraient être rigoureu-
sement définies. Toutefois, nous pensons que ces grands
« classiques » favorisent les différentes fonctions cognitives
qui sont altérées chez les patients, tout comme les exercices
des programmes de remédiation.
Aujourd’hui, la remédiation cognitive devrait donc faire
partie du programme de soins de tout patient présentant un
déficit cognitif. Pour le praticien, l’usage de cette technique
est assez simple à acquérir et l’outil est apprécié aussi bien
par les patients que par les soignants. Il gagne à être introduit
le plus tôt possible dans le traitement des personnes souf-
frant de schizophrénie et présentant une altération cognitive
(c’est-à-dire l’immense majorité des patients). Fait important
toutefois : il n’est efficace que si le patient comprend son
utilité et ses modalités. Il faut donc lui associer des explica-
tions sur la maladie, afin que le patient prenne conscience de
son déficit cognitif et des bénéfices potentiels de la méthode.
LES CHANGEMENTS
DE STYLE DE VIE
Diverses façons d’« être »
permettent de garder un esprit
et un corps sains : consommer
moins, se relaxer, lire un bon roman,
méditer, voir la vie sous un nouvel
angle… Agir sur l’esprit change
les paramètres physiologiques.
Et on se sent mieux.

119
Chapitre 9

MÉDITER : UN ESPRIT SAIN


DANS UN CORPS SAIN
Christophe André

La méditation, autrefois associée à des traditions


spirituelles ou religieuses, est maintenant étudiée
scientifiquement. Il en ressort que la pratique
régulière de cette discipline entraîne des effets
bénéfiques sur la santé mentale et physique.

<<
P
ouvoir regarder le soleil se lever ou se coucher
chaque jour, afin de nous relier à un phénomène
universel, préserverait notre santé pour toujours. »
Dans son petit traité, La Vie sans principes, rédigé
dans les années 1850, l’écrivain américain Henry David
Thoreau rappelait l’une de ses convictions : l’homme a tout

121
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

à gagner à se rapprocher d’une vie plus contemplative. Ce


point de vue est-il vérifié par les recherches scientifiques et
médicales ? Regardons-y de plus près.
La méditation est une démarche dans laquelle on tourne
son attention vers un certain nombre de variables corpo-
relles, sensorielles et mentales. Ce mouvement de l’esprit
est volontaire : même si des états proches de l’état méditatif
naissent parfois spontanément en nous (devant un feu de
bois ou les vagues de l’océan), ce que l’on nomme méditation
relève d’exercices délibérés, prolongés et répétés, représen-
tant un entraînement de l’esprit.
Le mot méditation est trompeur, à plusieurs titres.
D’abord parce qu’il est perçu par beaucoup de personnes
comme une activité intellectuelle (réfléchir profondément
sur un sujet), alors que la plupart des pratiques méditatives
passent surtout par le corps. Ensuite, parce que ce mot ne
désigne pas une démarche unique, mais une multitude de
pratiques : certaines consistent à focaliser son attention,
d’autres au contraire à l’ouvrir largement ; parfois méditer
requiert l’immobilité, parfois le mouvement (voir l’encadré
pp. 124-125). Enfin, parce qu’on associe volontiers la médita-
tion à un ensemble de convictions religieuses, alors qu’elle
peut parfaitement se pratiquer dans un cadre laïque, philo-
sophique ou thérapeutique.
Pour autant, il existe un certain nombre de points
communs à toutes les pratiques que l’on pourrait qualifier
de « méditatives » : cesser d’agir, pour s’accorder un temps de
retrait, de silence, de lenteur, de continuité ; durant ce temps

122
Méditer : un esprit sain dans un corps sain

de silence, stabiliser son attention ; ne pas réagir aux stimu-


lations externes (bruits) ou internes (pensées, émotions) ;
observer ces stimulations internes ou externes avec atten-
tion et détachement.

« ATTENTIF À NE RIEN FAIRE »

Qu’attendre de cette démarche ? Dans toutes les


approches méditatives, la tradition recommande de ne juste-
ment rien attendre d’immédiat. Mais de simplement voir
ce qui peut émerger de cette attitude inhabituelle pour la
plupart des gens (nous sommes presque toujours engagés
dans des actions, rarement « attentifs à ne rien faire »). Tous
les maîtres et enseignants ne manquent pas de raconter à
leurs disciples une foule d’histoires à ce propos. Ainsi,
celle de cet apprenti qui demandait combien de temps il
lui faudrait pour savoir méditer : « Cinq ans », lui répondit
son maître de zen. « Et si je mets les bouchées doubles, si je
médite sans arrêt ? » « Alors, ce sera dix ans… » Ou encore,
dans la tradition chrétienne, ce conseil de saint François de
Sales : « Une demi-heure de méditation est essentielle chaque
jour, sauf quand on a une vie très occupée. Dans ce cas, une
heure est nécessaire. »
En réalité, des attentes existent bel et bien, et elles
divergent selon les contextes : pour les méditations reli-
gieuses, c’est bien sûr un état d’éveil spirituel ou de lien avec
le divin ; pour les méditations philosophiques, c’est un esprit

123
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Les pratiques méditatives


De nombreuses approches, ayant en commun une démarche asso-
ciant un travail sur le corps et une orientation mentale particulière,
peuvent être considérées comme appartenant à la grande famille des
pratiques méditatives.
Relaxation : même si la relaxation vise explicitement l’obtention
d’un état de détente physique et psychique, ses formes avancées et
approfondies (comme le training autogène de Schultz) s’approchent
d’états méditatifs.
Yoga : surtout connu pour être centré sur le travail postural et
respiratoire (comme dans le Hatha Yoga), le yoga, d’origine indienne,
contient des éléments méditatifs.
Qi-Gong : au-delà de la pratique de mouvements lents et d’exer-
cices respiratoires, destinés à protéger la santé et favoriser la longé-
vité, cette pratique chinoise est considérée par les experts comme une
« méditation en mouvement ».
Méthode Vittoz : cette psychothérapie d’origine suisse repose sur
l’attention prêtée aux sensations corporelles et à la stabilisation de
l’attention.
Prière : pour prier, on se met au calme, on ferme les yeux et on
s’abandonne. Rien d’étonnant donc à ce qu’un renouveau associant

clairvoyant, au-delà du voile des facilités et des apparences ;


et pour les méditations psychothérapiques, c’est un bénéfice
pour sa santé, physique ou mentale.
Les vertus thérapeutiques de la méditation sont pressen-
ties depuis longtemps : dans les fondements du bouddhisme,
la libération de la souffrance est ainsi un enjeu central. Il est
donc logique que la méditation intéresse aussi le monde de la

124
Méditer : un esprit sain dans un corps sain

prière et méditation existe dans les grandes religions, par exemple


dans la religion chrétienne.
Méditation bouddhiste : la tradition bouddhiste, à la fois religieuse
et philosophique, est sans doute celle qui a poussé au plus haut point
de raffinement les pratiques méditatives, mais dans des directions
multiples. Le Shamatha vise la stabilité attentionnelle et la pacifi-
cation émotionnelle, le Vipassana la culture d’une vision du monde
débarrassé des illusions ; il existe aussi des méditations centrées sur
la compassion, l’altruisme, etc.
Méditation transcendantale : elle représente un exemple de
technique méditative utilisant un rétrécissement du champ de la
conscience, focalisée sur un « mantra », suite de syllabes à répéter
de manière prolongée pour accéder à un état d’apaisement et de
conscience modifiée. Certaines sectes ont utilisé cette approche, très
à la mode dans les années 1960, et dont les Beatles furent des adeptes.
Méditation de pleine conscience : il s’agit d’exercices d’ouver-
ture de la conscience à l’ensemble des éléments constituant l’expé-
rience de l’instant présent (respiration, sensations corporelles, sons,
émotions, pensées) sans s’accrocher à aucun d’eux. Cette méthode
a fait l’objet du plus grand nombre de recherches et de publications
scientifiques.

médecine et de la psychologie. Le mot méditer vient d’ailleurs


du latin meditari, fréquentatif de mederi, « donner des soins à ».
De nombreuses études à ce sujet ont été conduites auprès de
populations variées. Chez des sujets non malades, les pratiques
méditatives améliorent globalement les variables de santé, tels
le niveau de stress, les réactions immunitaires (les défenses de
l’organisme), la tension artérielle ou la tolérance à la douleur.

125
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Chez des personnes souffrant de diverses pathologies, la médi-


tation améliore systématiquement et significativement la
qualité de vie : c’est le cas pour la sclérose en plaques, le cancer
du sein, les pneumopathies obstructives et de nombreuses
douleurs chroniques. On a aussi constaté une régression des
symptômes dans diverses pathologies : l’hypertension arté-
rielle, le psoriasis et d’autres maladies auto-immunes.
La méditation est probablement bénéfique par son impact
global sur le stress. Cet effet est loin d’être négligeable, car
le stress est en général le « grand aggravateur » de toutes les
pathologies. Notamment les maladies chroniques, doulou-
reuses, ou dans lesquelles l’efficacité des traitements clas-
siques est limitée.

SE SOIGNER EN MÉDITANT

Chez ces patients, la pratique de la méditation apporte de


nombreux bénéfices au plan psychologique : elle augmente
la fréquence des ressentis émotionnels positifs, ce qui est
remarquable dans la mesure où la méditation ne se rattache
pas du tout au champ de la psychologie positive (on n’y
cherche pas à susciter directement des émotions positives).
Mais la qualité de conscience et d’attention qui y est cultivée
a sans doute un effet indirect sur la capacité à savourer les
moments agréables du quotidien lorsqu’ils surviennent.
D’autres travaux ont souligné que la méditation augmente
en général, surtout pour la méditation dite de pleine

126
Méditer : un esprit sain dans un corps sain

conscience, les aptitudes à l’autocompassion, qui consiste à


manifester de la douceur envers soi-même. Il est aujourd’hui
avéré que cette dimension d’autocompassion est associée à de
nombreux bénéfices pour la santé selon différents mécanismes :
meilleure observance des traitements et des régimes, limitation
des comportements auto-agressifs ou autodestructeurs…
Les mécanismes psychologiques d’action de la méditation
ont été assez finement étudiés, par exemple dans le cas de
la douleur. Dans le cadre des maladies psychiques, le plus
important d’entre eux réside sans doute dans la diminution
des cycles de rumination anxieux et dépressifs. La rumina-
tion est un symptôme fréquent, où l’esprit est absorbé par
des pensées répétitives et focalisées sur des difficultés : bien
que ne débouchant sur aucune solution concrète, ces rumina-
tions persistent, soit au premier plan de la conscience, soit en
bruit de fond même si nous essayons de diriger notre atten-
tion vers autre chose.
La pratique méditative apprend à ne pas se fixer sur ces
pensées préoccupantes qui traversent l’esprit, mais à tolérer
leur présence sans y adhérer. On rappelle souvent à ce
propos le proverbe chinois : « Tu ne peux pas empêcher les
oiseaux de voler au-dessus de ta tête, mais tu peux les empê-
cher de faire leur nid dans tes cheveux. » De même, s’il nous
est impossible d’empêcher pensées ou émotions négatives
d’apparaître à notre esprit, nous pouvons garder nos distances
vis-à-vis d’elles. C’est ce que permet la méditation dite de
pleine conscience : prendre les pensées pour des pensées, non
pour des certitudes.

127
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

« Diluer » la souffrance en prenant du recul


Dans les démarches dites psycho-éducatives, on a l’habitude en
médecine d’apprendre aux patients à différencier douleur et souf-
france. La douleur est une réalité biologique, pouvant être corrigée
par les médicaments antalgiques. La souffrance correspond à
l’impact psychologique de la douleur. Dans la méditation de pleine
conscience, on encourage les patients à accepter la présence de la
douleur (cela ne peut donc se faire au début qu’avec des douleurs
modérées, inutile de faire preuve de stoïcisme), mais en évitant de
laisser leur attention se centrer sur elle. En effet, le mouvement
naturel de notre esprit, lorsque nous souffrons, est de nous foca-
liser sur ce qui nous fait souffrir : la douleur occupe alors seule tout
l’espace de notre conscience. Lors de la « digestion » méditative
de la souffrance, on s’efforce d’ouvrir l’espace de la conscience à
d’autres phénomènes : prêter attention à la respiration, aux parties
du corps qui ne souffrent pas, aux sons ; on s’efforce d’observer les
pensées que fait naître la souffrance (« Je ne supporterai pas cela
longtemps… ») avec le plus de recul possible…
Plutôt que de chasser la souffrance de notre esprit, l’idée est de
la « diluer » dans un contenant plus vaste, fait de l’ensemble de ce
que nous ressentons, et pas seulement celui des ressentis douloureux.
Inutile de préciser que cela requiert un certain entraînement… Quand
cette pratique est régulière, les effets deviennent mesurables, tant sur

L’enjeu est de comprendre qu’il y a une différence fonda-


mentale entre être préoccupé par un problème, et réfléchir
au fait qu’on est préoccupé par un problème. En ce sens, la
méditation ne cherche pas à modifier les pensées (comme le
fait la psychothérapie cognitive), mais à faire évoluer le lien

128
Méditer : un esprit sain dans un corps sain

la diminution subjective des sensations douloureuses, que sur leurs


fondements cérébraux.

Les méditants ont un cerveau différent


De nombreuses études de neuro-imagerie ont attesté des chan-
gements entraînés par les pratiques méditatives. Ces changements
peuvent être anatomiques, tel l’épaississement de l’insula, la région du
cortex qui permet de décoder l’état de nos viscères associé aux expé-
riences émotionnelles. Mais ils peuvent aussi être fonctionnels, avec
des mécanismes d’action variés : plusieurs études ont montré que la
moindre réactivité à la douleur résulte de deux mécanismes différents
selon que l’on considère des pratiquants débutants ou confirmés. Chez
les débutants, il s’agit d’un contrôle de type top down, ou de haut en
bas, c’est-à-dire partant du cortex préfrontal – la structure cérébrale
hiérarchiquement la plus élevée – pour limiter l’activité de l’amygdale
cérébrale – appartenant au circuit limbique ou émotionnel. Schémati-
quement, cela correspond à « se calmer » par des stratégies verbales
d’autocontrôle et de relativisation des douleurs ressenties. En revanche,
les méditants plus expérimentés bénéficient eux d’un contrôle de type
bottom up, de bas en haut : leur cerveau « traite » les informations
douloureuses à la source, au niveau de l’amygdale et des structures
voisines, sans avoir besoin de stratégies verbales. C’est comme si la
méditation avait amélioré la tolérance spontanée à la douleur, évitant
à cette dernière de se transformer en souffrance mentale.

entretenu avec ces pensées, afin de ne pas y adhérer sans


réflexion. Comme pour la douleur ou les émotions négatives,
il ne s’agit pas d’en empêcher l’existence ou la survenue, mais
de diminuer notre réactivité, et donc notre dépendance, vis-
à-vis d’elles.

129
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

La réduction du stress par la méditation intéresse les


chercheurs, car elle peut aussi être étudiée à un niveau
biologique assez fin, dans le cadre notamment de la psycho-
neuro-immunologie, qui étudie les connexions étroites et
réciproques entre état psychologique et activité des systèmes
nerveux et immunitaires (ce que l’on désignait autrefois
par « médecine psychosomatique »). On a ainsi montré que
quelques semaines de pratique méditative régulière suffisent
à améliorer les réactions immunitaires après une injection de
vaccin antigrippal, ou à augmenter la quantité de lympho-
cytes T (des cellules de défense essentielles) chez les porteurs
du virus du sida.
Mais l’impact de la méditation peut aller encore un peu
plus loin, en modifiant l’expression des gènes, c’est-à-dire
la production de protéines influant sur le fonctionnement
de l’organisme. On sait aujourd’hui que cette expression est
notablement influencée par de nombreux facteurs, notam-
ment par les émotions : le stress peut ainsi activer certains
gènes, et les émotions positives les inactiver.
Ainsi, Herbert Benson et son équipe, de l’université
Harvard, ont comparé 20 personnes méditant depuis neuf
ans en moyenne à 20 autres ne méditant pas, mais présen-
tant le même profil psychologique. Ils ont identifié des diffé-
rences dans le niveau d’expression de certains de leurs gènes :
chez les méditants, plus de 2 000 gènes impliqués notamment
dans les mécanismes de la réactivité au stress (inflamma-
tion, production de cortisol, mort cellulaire…) sont inac-
tivés, ce qui n’était pas le cas chez les sujets non-méditants.

130
Méditer : un esprit sain dans un corps sain

131
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Comment la méditation agit sur le cerveau

Localisations
Mécanismes Bénéfices
cérébrales
Régulation de l’attention, Détente, apaisement Cortex cingu-
stabilisée par le focus mis émotionnel, accroissement laire antérieur.
sur sa respiration, un son, de la concentration.
un objet…

Conscience du corps, dont Dépistage plus précoce Insula, jonction


on observe le fonction- des modifications de l’état temporo-parié-
nement sans chercher à émotionnel d’après ses tale.
le modifier (en position manifestations corporelles.
assise droite, mains sur les
cuisses).

Régulation émotionnelle, Tolérance accrue aux Cortex


qui consiste à accepter émotions négatives, dimi- préfrontal
la présence de toutes les nution des sentiments de ventro-médian
émotions, même doulou- détresse et des rumina- et dorsal,
reuses, et à en observer tions ; développement des hippocampe,
l’évolution sans les capacités à apprécier les amygdale.
alimenter ni les refouler. émotions agréables.

Modification du rapport Capacités accrues de déta- Cortex cingu-


à soi. On cherche à se chement et de recul par laire postérieur,
libérer de ses réactions rapport à ses pensées et insula.
habituelles. jugements automatiques.

Cortex cingulaire Cortex cingulaire


antérieur postérieur
Cortex préfrontal Jonction
dorsal temporo-pariétale

Insula Hippocampe

Cortex préfrontal Amygdale


ventro-médian

132
Méditer : un esprit sain dans un corps sain

Ces derniers ont alors été à leur tour entraînés à méditer, et


l’équipe de Harvard a comparé leur profil d’expression des
gènes « avant et après » : ils ont constaté des modifications de
l’expression génique comparables, allant dans le sens d’une
diminution de l’expression des gènes liés au stress. Quel que
soit donc notre capital génétique, la méditation (à condition
tout de même d’être intensive, du moins d’après cette étude !)
limiterait certaines prédispositions héréditaires.
Autre modification biologique notable : l’impact de la
méditation sur les télomères, sortes de bouchons protecteurs
qui recouvrent l’extrémité des chromosomes. Une enzyme,
la télomérase, dont la découverte a valu à Elizabeth Black-
burn le prix Nobel de physiologie en 2009, sert à garantir
que la longueur des chromosomes lors de leur réplication soit
conservée. Mais elle ne suffit pas à empêcher que la longueur
des télomères ne diminue petit à petit au fil des divisions
cellulaires. Par ailleurs, les télomères sont sensibles au stress,
qui les endommage.

RALENTIR LE VIEILLISSEMENT DES CELLULES

Une très importante étude, conduite sous le nom de


Projet Shamatha par l’équipe du neuroscientifique améri-
cain Clifford Saron, de l’université de Californie, a montré
que la méditation stimule l’activité de la télomérase, ce
qui freine le vieillissement cellulaire. Pour cette étude,
60 personnes pratiquant déjà la méditation ont été recrutées.

133
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Trente d’entre elles, tirées au sort, acceptèrent de se retirer


en retraite dans les montagnes du Colorado pendant trois
mois, durant lesquels elles pratiquèrent environ 6 heures de
méditation par jour. Les 30 autres furent placées en liste
d’attente avant d’intégrer le centre de retraite, et servirent
ainsi de comparaison. Des résultats nets furent obtenus sur
différents tests psychologiques (augmentation du senti-
ment de contrôle, du sens donné à sa vie, diminution des
émotions négatives, accroissement des capacités de recul…),
mais aussi sur l’augmentation de l’activité de la télomérase.
Cette hausse d’activité était même proportionnelle à l’amé-
lioration des variables psychologiques, dont elle semble être
un marqueur.
Toutefois, les chercheurs restent prudents : si l’effet de la
méditation sur la télomérase, et donc sur le vieillissement
cellulaire, semble attesté, quels en sont les mécanismes
exacts ? Sont-ils propres à la méditation ? Ou sont-ils consécu-
tifs au mieux-être apporté en l’occurrence par la méditation ?
En pareil cas, tout ce qui améliore notre bien-être subjectif,
sport, amour, plaisirs variés, peut-il accroître l’activité de la
télomérase ? Si la méditation est bonne pour tout un chacun
parce qu’elle améliore le bien-être émotionnel et favorise
des émotions positives, alors d’autres démarches de psycho-
logie positive devraient aussi agir sur la télomérase. De beaux
sujets d’étude en perspective… Quoi qu’il en soit, toutes ces
données confirment que les approches méditatives – écolo-
giques, gratuites, et finalement assez simples – peuvent

134
Méditer : un esprit sain dans un corps sain

avoir un impact majeur sur la santé et le vieillissement. Tout


comme l’activité physique ou une alimentation équilibrée.
Mais comme ces dernières, elles ne peuvent se montrer
efficaces que dans le cadre de pratiques durables et régu-
lières : c’est-à-dire qu’elles doivent être intégrées dans un style
de vie permanent. C’est là que le bât blesse, car ce style de vie
est en effet assez éloigné de ce vers quoi nous pousse notre
société, qui nous incite au contraire à la vitesse, facilite la
sédentarité et expose à des régimes alimentaires déséquili-
brés. L’air de rien, la méditation est une sorte de révolution !
Au moins de nos styles de vie.

135
Chapitre 10

ATTENTION AUX PIÈGES


DE LA CONSOMMATION !
Christophe André

Trop de stimulations, trop de biens à consommer :


nos sociétés sont-elles adaptées à nos besoins
psychiques fondamentaux ? Non. Mais nous pouvons
décider d’éteindre nos portables…

P
eu de temps, beaucoup d’images, trop de nourriture :
triptyque dépouillé d’une époque tourmentée. Nous
courons constamment après quelque chose, un bus,
des enfants à chercher à l’école, un rendez-vous. Nous
sommes surchargés de communications, de SMS, d’images
télévisuelles, d’incitations à consommer. Et nous sommes
pris dans les affres de choix cornéliens : céréales bio ou

137
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

barres énergétiques ? Abonnement tout compris ou forfait


150 heures ? La forêt des possibles dans les rayons des super-
marchés a remplacé celle de nos ancêtres. C’est la pollution
sociale.
Autre forme de pollution, loin du CO2, de la dioxine ou de
l’uranium enrichi. Elle est sécrétée par notre environnement
humain et bien plus difficile à identifier que les pollutions
physiques ou chimiques. Pourtant, ses effets commencent à
être étudiés. Les sociétés consuméristes et matérialistes sont
caractérisées par des environnements pléthoriques, des pres-
sions massives exercées sur les capacités attentionnelles et
décisionnelles des citoyens. Or l’étendue du choix n’est pas
synonyme de bien-être. Le fait de devoir choisir au super-
marché entre trente sortes de dentifrices entraîne tension
psychique et épuisement des ressources cognitives (notre
esprit étant ensuite moins performant).

TROP DE CHOIX NOUS FATIGUE

« Plus de choix, plus de stress » : la profusion est une agres-


sion. On a montré que la recherche systématique du meilleur
choix, du meilleur prix, est plus coûteuse émotionnellement
que l’attitude consistant à s’arrêter au premier choix accep-
table que l’on rencontre, afin de préserver ses ressources
cognitives pour ce qui compte vraiment dans la vie…
De façon plus insidieuse encore, les « vols d’attention »
et les interruptions constantes de nos processus de pensée

138
Attention aux pièges de la consommation !

causent aussi des dégâts. Dans la rue, le regard est sans cesse
sollicité par des signaux publicitaires, de même lorsque
nous lisons, regardons la télévision, surfons sur Internet.
Dans la journée, ce sont les appels sur les téléphones fixes
ou portables, les mails ou SMS ; quand ce n’est pas nous qui,
au moindre temps mort, sommes tentés de téléphoner, de
vérifier notre messagerie…

139
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Ces interruptions fréquentes ont un coût sur notre


équilibre émotionnel et nos capacités attentionnelles. Sans
parler de l’accumulation d’excitation que représentent ces
environnements très riches en sollicitations, tentations et
incitations, auxquelles nous ne pouvons jamais répondre en
totalité. Achats compulsifs, boulimie, troubles attention-
nels et autres troubles des impulsions sont des conséquences
possibles de ces déstabilisations incessantes.
Que faire face à ces pollutions avérées de nos esprits ?
Sans renoncer au changement ou au progrès, interrogeons-
nous sur la nécessité de certaines de ces évolutions. On sait
que les évolutions sociales et surtout technologiques vont
beaucoup plus vite que les évolutions biologiques. L’exemple
du stress est bien connu : les maladies liées au stress viennent
de ce que notre corps réagit comme il le faisait il y a des
milliers d’années (par la fuite ou l’attaque) face à des facteurs
de stress qui ne sont plus les mêmes. Nous n’avons que rare-
ment à fuir ou combattre physiquement face aux soucis de
la vie quotidienne.

COMMENT COMBATTRE
LES POLLUTIONS SOCIALES ?

Pourtant, la réaction de stress qui se déclenche dans notre


organisme lorsque nous sommes prisonniers d’un embou-
teillage ou affectés par une contrariété est restée la même
que celle qui nous préparait à courir derrière les antilopes

140
Attention aux pièges de la consommation !

ou devant les lions : notre corps se mobilise, nos muscles se


contractent, mais nous ne pouvons régler le problème de
manière physique, ce qui crée tensions et crispations…
Nos conditions de vie changeant plus rapidement que
nos organismes, nous essayons inconsciemment de satisfaire
malgré tout nos besoins fondamentaux. Prenons l’exemple
de la sédentarité : à mesure que les progrès technologiques
(moyens de déplacement, machines et outils) diminuaient la
nécessité d’efforts physiques, les hommes, sentant intuitive-
ment le besoin d’une activité corporelle régulière, se sont de
plus en plus tournés vers le sport.
Aujourd’hui, le même phénomène semble se dessiner en
faveur des pratiques méditatives de toutes sortes (retraites
spirituelles, développement personnel, psychothérapies) :
comme si la disparition progressive des moments consacrés
à ne rien faire, à se poser et à juste se sentir exister – sans
musique, sans images, sans lecture, sans action – rendait
nécessaire la réintroduction de moments de pause et d’inac-
tion. Tout comme l’être humain a besoin d’activité physique,
il a aussi besoin de lenteur, de continuité, de silence et de
calme ; ce que les pratiques méditatives lui apportent, s’il se
prête régulièrement à leur apprentissage.

NE RIEN FAIRE FAIT DU BIEN

Prendre soin de soi à titre individuel représente donc


une première ligne de défense envers ces pollutions sociales,

141
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

mais cela ne suffit pas. D’abord parce que tous les citoyens
ne disposent pas de l’information ou de l’énergie nécessaire
pour adopter des styles de vie protecteurs. Ensuite parce que
le niveau des pollutions est tel qu’il faudra bien un jour s’atta-
quer aux sources mêmes, et prendre des décisions à un niveau
collectif et politique.
Mais les décisions politiques mettent souvent long-
temps à tenir compte des évidences scientifiques. L’exemple
du tabac est bien connu : entre le moment où le lien entre
tabac et cancer a été établi (la fin des années 1950) et celui
où les premières lois antitabac furent promulguées (2006 en
France), plus de 40 ans se sont écoulés. Il en sera de même
pour les pollutions sociales, comme le montre le débat sur
les images de violence : voilà une décennie que les chercheurs
sont unanimes sur l’impact délétère des images multipliées
de violences dans les médias et les jeux vidéo, et poussent à
en limiter la fréquence. Mais rien à l’horizon pour le moment
en matière de régulation…
Alors, en attendant, les mouvements de citoyens tentent
de prendre le relais, par exemple dans le cadre des Brigades
AntiPub, ou de la Simplicité volontaire, dont le postulat est
que notre environnement quotidien, façonné par le matéria-
lisme, est devenu un obstacle à la satisfaction de nos besoins
élémentaires. Nos actes d’hygiène individuelle, comme le
fait de se laver les mains, ont toujours un retentissement
collectif ; il en est de même de l’hygiène psychologique…

142
Chapitre 11

CHANGER, OUI, MAIS…


QUAND, COMMENT ET QUOI ?
Roger Zumbrunnen

Échecs répétés, envie de progresser, situation


nouvelle : il y a des moments dans la vie où il faut
changer. Modifier en profondeur sa façon d’être,
c’est possible et cela s’apprend. Mais mieux vaut
procéder par petites touches.

N
ous changeons sans cesse à mesure que le temps et l’expé-
rience modifient peu à peu notre corps et notre façon
d’être. La question n’est pas de savoir si nous changeons,
c’est une évidence. Demandons-nous plutôt : à côté des
changements que nous subissons malgré nous, du fait de
l ’environnement et du temps, dans quelle mesure

143
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

sommes-nous libres de changer ? Avons-nous le choix d’évo-


luer dans le sens que nous jugeons souhaitable ?
L’être humain possède une marge de manœuvre pour
changer volontairement, mais il faut reconnaître qu’elle est
étroite. Un comportement, c’est la façon d’agir, de penser
et de se sentir dans une situation donnée. Changer, c’est
apprendre de nouveaux comportements, mieux adaptés, et
abandonner les anciens devenus inutiles ou nuisibles. Ce
sont les « lois » de l’apprentissage qui régissent l’apparition, le
maintien et la disparition des comportements. Les respecter
est la façon la plus efficace de favoriser le changement. Nous
allons voir comment faire. C’est ce qui se passe (ou devrait
se passer) dans l’enseignement, dans la formation profession-
nelle ou dans l’entraînement sportif.

CHANGER, CELA S’APPREND

Comme ces pratiques, la psychothérapie est une école du


changement. Le travail du psychothérapeute consiste à aider
les personnes qui le consultent à changer leur manière d’agir
et de réagir. Prenons l’exemple d’un patient qui souffre de
dépression. On peut considérer qu’il a « appris », à un certain
moment de sa vie, à faire des choses qu’il ne « savait pas »
faire auparavant : voir tout en noir, ne plus accorder d’intérêt
et de valeur à la vie qu’il mène, à ses activités, son travail,
ses loisirs, et parfois jusqu’à lui-même. Cette personne a
aussi « appris » à délaisser des activités qu’elle accomplissait

144
Changer, oui, mais… quand, comment et quoi ?

auparavant avec plaisir dans sa vie personnelle et profession-


nelle : sortir prendre un verre avec des amis, aller au cinéma,
jouer au tennis… Dans cette situation, le psychothérapeute
joue le rôle d’un moniteur qui guide son patient dans le
« réapprentissage » des activités abandonnées, et pour qu’il
voie sa situation sous un jour plus réaliste, moins noir.
Parmi les écoles de psychothérapie, c’est la thérapie
comportementale et cognitive qui s’est le plus intéressée au
processus du changement, notamment en s’appuyant expli-
citement sur les lois de l’apprentissage. C’est probablement
ce qui explique son efficacité, reconnue sur le plan interna-
tional, dans le traitement des troubles psychiques. Dans un
premier temps, dans les années 1950 et 1960, surtout aux
États-Unis et en Angleterre, la thérapie s’est attachée à aider
les sujets à modifier leur comportement, c’est-à-dire leur
manière d’agir. Dans un deuxième temps, à partir des années
1970, est arrivée l’approche cognitive élaborée aux États-Unis
par Aaron Beck, Albert Ellis et Albert Bandura. L’intérêt s’est
alors porté sur la dimension cognitive des comportements
problématiques, c’est-à-dire ce que se dit le sujet lorsqu’il est
face à son problème.
On s’est en effet rendu compte que le discours que les
sujets se tiennent sur eux-mêmes est modifié dans les situa-
tions problématiques (par exemple, le dépressif tient un
discours négatif sur lui-même). Ces « distorsions cognitives »
sont comme des erreurs d’optique qui aggravent le problème.
Depuis une quinzaine d’années, la thérapie comportementale
et cognitive s’intéresse beaucoup à la troisième dimension

145
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

du comportement, celle des sensations et des émotions.


Ce courant de la thérapie comportementale et cognitive
est parfois appelé « la troisième vague ». Les deux premiers
courants sont maintenant parfaitement intégrés l’un à
l’autre, et leurs effets thérapeutiques solidement validés. Le
troisième est en devenir, il rassemble des techniques issues
d’horizons divers, y compris la méditation.
Les lois du changement ne s’adressent pas seulement aux
problèmes rencontrés dans l’enseignement, la formation
ou la psychothérapie. Elles s’étendent à tous les aspects du
comportement. Pour avancer dans notre vie, nous utilisons
la plupart du temps les principes du changement de manière
intuitive, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans
le savoir. Dans nos relations avec les autres, dans notre vie
sentimentale et sexuelle, dans nos études, dans notre vie
professionnelle, nous progressons en intégrant peu à peu de
nouveaux comportements au détriment d’autres que nous
abandonnons parce qu’ils ont fait leur temps. Si nous ne
parvenons pas à opérer le changement désiré, rien ne nous
empêche de suivre de manière méthodique la technique
utilisée en thérapie comportementale et cognitive. Car une
telle démarche n’est pas réservée à la psychothérapie.
Nous pouvons l’appliquer à de nombreux problèmes de
notre vie quotidienne : stress, insomnie, peur de prendre
l’avion… Et ce, sans l’aide d’un psychothérapeute. Toutefois,
il est préférable d’utiliser un manuel d’aide, souvent très utile
pour guider la démarche. Certains éditeurs ont développé
ces dernières années des collections d’ouvrages de ce type,

146
Changer, oui, mais… quand, comment et quoi ?

destinés au grand public et écrits par des auteurs reconnus


dans leur domaine pour leur compétence scientifique.
Chaque livre est ciblé sur un sujet particulier. Ils abordent
généralement les questions que se posent les personnes qui
veulent « changer de peau » : Quand changer ? Que changer ?
Comment changer ?

IDENTIFIER LES PROBLÈMES,


QUELS QU’ILS SOIENT

Quand changer ? Il y a trois situations dans lesquelles un


changement s’impose ou doit au moins être pris en considé-
ration : nous constatons que quelque chose ne va vraiment
pas ; nous nous disons « Ça va, mais ça pourrait aller mieux,
je pourrais progresser » ; ou face à une situation nouvelle,
nous nous rendons compte que nos réactions habituelles sont
inadaptées.
Dans le premier cas, nous souhaitons remplacer le négatif
par quelque chose de positif. Par exemple, nous voulons
sortir d’une situation d’échecs répétés dans notre vie senti-
mentale ou professionnelle. Nous sommes face à un problème
qui dure sans parvenir à le résoudre : un conflit au travail ou
dans notre vie personnelle, l’incapacité de franchir une étape
importante. Et nous ne pouvons nous empêcher d’avoir un
comportement inutile ou néfaste : nous sommes dépendants
à l’alcool, à la nourriture ou à Internet, nous sommes trop
timides, nous avons peur des endroits surpeuplés…

147
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

La deuxième situation où un changement doit être envi-


sagé est celle où nous voulons nous épanouir davantage,
progresser dans notre vie professionnelle, nos loisirs (par
exemple, dans une activité sportive ou artistique), être plus
à l’aise dans nos relations personnelles… Ce champ du déve-
loppement personnel a pris une ampleur sans précédent ces
dernières décennies dans les pays occidentaux, depuis que les
besoins vitaux (se vêtir, se nourrir et nourrir sa famille, avoir
un toit, se déplacer) y sont satisfaits pour la plupart des gens.
Le troisième cas de figure est celui de la situation nouvelle
qui nous prend de court et face à laquelle nos comportements
habituels ne sont pas de mise. Perte d’un emploi, maladie
grave qui se déclare subitement, décès d’un être cher. Notons
que la situation nouvelle peut être « positive » et néanmoins
représenter un défi dépassant nos capacités d’adaptation :
mariage, promotion professionnelle importante… On nomme
« situation de crise » un contexte qui, par son ampleur et sa
nouveauté, déborde nos facultés habituelles d’adaptation. La
crise exige un changement d’attitude. Mais même des situa-
tions imprévues ou nouvelles de moindre ampleur appellent
parfois un aménagement de notre façon de gérer la situation.
Il y a 2 000 ans déjà, le philosophe grec Épictète le procla-
mait : il y a des choses qui dépendent de nous, et d’autres
non. Rien ne sert de vouloir changer ce qui ne dépend pas
de nous, c’est peine perdue. Parmi les choses qui ne reposent
pas sur nos épaules, il y a en premier lieu le comportement
des autres, y compris l’opinion qu’ils ont de nous. Si nous
comptons améliorer notre situation en changeant quelqu’un

148
Changer, oui, mais… quand, comment et quoi ?

d’autre, notre conjoint, notre enfant, notre patron, notre


employé, oublions cette espérance ! Nous ne réussirons qu’à
nous mettre sous pression nous-mêmes ou à nous fâcher
avec la personne que nous aimerions influencer. Concen-
trons-nous plutôt sur ce qui dépend de nous, car c’est sur
cela, et seulement cela, que nous avons prise. Il s’agit de notre
manière d’agir, de penser et de ressentir dans une situation
donnée.

MODIFIER UNIQUEMENT
CE QUI DÉPEND DE NOUS

Notre façon d’agir, ce sont les gestes que nous faisons


dans la situation problématique, et que nous aimerions
remplacer par d’autres, plus appropriés. Prenons l’exemple
d’un garçon timide qui souffre de ne pas oser aborder une
fille qui lui plaît. Lorsqu’il est en sa présence, que fait-il ? Il
reste dans son coin, sans rien dire, au lieu d’aller auprès d’elle
et de lui manifester son intérêt d’une manière ou d’une autre.
C’est aussi simple que cela !
Notre façon de penser, la deuxième dimension du
comportement, c’est ce que nous nous disons à nous-mêmes
dans la situation que nous souhaitons changer. Dans notre
exemple, si nous interrogeons le jeune homme, il nous
répondra qu’il se dit : « J’aimerais bien lui avouer qu’elle me
plaît, mais je n’ose pas, car elle va se moquer de moi et je serai
ridicule ! »

149
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

La troisième dimension du comportement est notre


manière d’éprouver les choses, nos sensations. C’est ce que
nous percevons par nos sens (la vue, l’ouïe, le toucher…) et
par les récepteurs qui nous informent sur l’état intérieur
de notre corps (les battements du cœur, le rythme de la
respiration…). Dans cette conception du comportement, les
émotions sont des comportements particuliers, où la dimen-
sion sensorielle est très importante et domine sur les deux
autres dimensions. Les émotions surviennent lorsque, à tort
ou à raison, l’organisme « sent » qu’il existe un enjeu très
important, peut-être vital. C’est la raison pour laquelle, dans
les situations émotionnelles, le corps se mobilise (le cœur
accélère, les muscles se tendent, la respiration se fait plus
courte) et les sensations corporelles sont au premier plan du
comportement. Le jeune homme timide confronté à celle
pour qui il éprouve de l’attirance, mais qu’il n’ose aborder,
nous concéderait qu’à cet instant il a très chaud au visage et
dans le haut du corps, qu’il transpire, que son cœur bat fort,
qu’il a la gorge et l’estomac noués.
Si ce garçon pense réellement que la jeune fille va se
moquer de lui et qu’il sera ridicule, il est compréhensible qu’il
ressente toutes les sensations désagréables de stress mention-
nées, et qu’il préfère rester dans son coin et ne pas l’aborder.
Nous pouvons donc nous représenter les trois dimensions
du comportement comme réunies dans une boule de neige :
chaque dimension se répercute sur les deux autres et les
amplifie.

150
Changer, oui, mais… quand, comment et quoi ?

Le modèle de la boule de neige décompose le compor-


tement en éléments plus simples, sur lesquels il est possible
d’intervenir pour les modifier, alors qu’un comportement
est souvent trop complexe pour que nous puissions le modi-
fier directement. Ce modèle permet aussi de comprendre
pourquoi en agissant sur l’un des trois éléments, nous chan-
geons aussi les deux autres. Il n’est pas forcément nécessaire
de transformer les trois dimensions du comportement pour
qu’un changement global s’opère.
Ainsi, dans le cas du jeune homme timide, imaginons
qu’il essaie de remplacer ses pensées pessimistes par des
pensées moins catastrophiques : « Si je l’aborde, peut-être
qu’elle me dira qu’elle n’est pas attirée par moi. Elle en a le
droit, mais au moins j’aurai tenté ma chance, et je n’aurai rien
perdu par rapport à ma situation présente. Et si par chance
elle ne me rejette pas, alors j’aurai beaucoup gagné ! »

151
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Si notre jeune homme réussit à se tenir ce discours, il y a


des chances que cela l’encourage à franchir le pas et à aborder
la jeune fille. Mais il pourrait aussi chercher à modifier ses
sensations, apprendre à se détendre, à surmonter ses réactions
physiques déplaisantes. Il se sentirait alors mieux et plus prêt
à se lancer. Enfin, il est concevable qu’il essaie d’agir sur sa
manière de faire, par exemple en prenant conseil auprès d’un
ami ou d’un frère pour savoir comment se comporter devant
la fille, et préparer quelques mots à lui dire. Dans ce cas,
s’il passe à l’action, ses pensées seront rapidement mises à
l’épreuve de la réalité. Son scénario catastrophe sera proba-
blement désamorcé, du moins dans sa partie la plus difficile
(« Elle me rejettera et je serai ridicule ») et cela entraînera un
soulagement de ses sensations physiques pénibles. Les trois
dimensions du comportement sont donc liées. Disposition
qui contribue à la résistance au changement, mais qui peut
aussi être utilisée pour amorcer ce même changement.
Pour désapprendre un comportement devenu inutile,
il ne faut plus le pratiquer et il s’éteindra progressivement.
Facile à dire, plus compliqué à mettre en œuvre, tout comme
acquérir un nouveau comportement… Pour ce faire, on peut
dire qu’il existe deux voies qui se complètent harmonieuse-
ment et que l’on emprunte généralement à tour de rôle. Le
premier chemin s’appellerait « faire avec », le second « faire
autrement ».
Faire avec, c’est s’habituer à une situation nouvelle en s’y
exposant de façon répétée. Cette méthode d’apprentissage a
été découverte par le médecin russe Ivan Pavlov à la fin du

152
Changer, oui, mais… quand, comment et quoi ?

xixe siècle. Dans ce mode de changement, un comportement


ancien est appliqué à une situation nouvelle. L’enfant a appris
à marcher, c’est-à-dire à avancer sur ses deux jambes tout en
gardant l’équilibre. Par la suite, il est capable d’étendre ce
comportement à d’autres situations, en l’adaptant au contexte
nouveau. C’est ainsi qu’il apprend à faire du vélo, à nager, à
escalader une paroi rocheuse…

« FAIRE AVEC » OU « FAIRE AUTREMENT » ?

L’habituation est à la base de l’apprentissage des compor-


tements moteurs (dans le sport, les arts, la technique), de celui
des langues et des autres connaissances, et finalement de la
plupart des comportements de la vie quotidienne. Dans tous
ces domaines, nous commençons par acquérir une certaine
maîtrise dans un milieu donné, puis de proche en proche
nous transposons cette maîtrise apprise à des situations
de plus en plus éloignées du contexte où elle a été initia-
lement acquise. S’exposer au contexte nouveau de manière
répétée, autrement dit « faire avec », au lieu de l’éviter permet
d’assimiler progressivement le comportement nouveau, qu’il
s’agisse de parler l’anglais, jouer du piano, embrasser une fille
ou se présenter à un employeur. L’habituation s’applique aux
trois composantes du comportement.
Ainsi, nous l’utilisons pour consolider une nouvelle
façon d’agir en la répétant jusqu’à ce qu’elle devienne une
nouvelle habitude. Si une personne a très peur de prendre

153
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

la parole en public pour présenter un projet important, elle


peut commencer sur des sujets moins importants et devant
des amis, puis en petit comité. Ou, pour le garçon que nous
évoquions, avant d’envisager de s’adresser à une fille, il pour-
rait dans un premier temps prendre la parole spontanément
devant ses amis, devant sa classe, s’adresser à des filles qui ne
l’intéressent pas, avant d’aborder celle qui lui plaît.
Ensuite, l’habituation s’applique à la façon de penser.
Nous pouvons y recourir pour atténuer l’effet de pensées ou
de sensations déplaisantes. Qui n’est pas parfois envahi par
des pensées pénibles qu’il est impossible de chasser : « Mon
ami va me quitter », « Je vais perdre mon emploi », etc. ? Dans
cette situation, au lieu de chercher à éviter la pensée pénible,
nous pouvons nous y exposer délibérément. En imaginant
souvent notre scénario catastrophe, nous constatons que, peu
à peu, l’effet pénible s’estompe. La pensée est toujours là,
mais elle ne provoque plus l’anxiété ou la détresse antérieure.
Nous nous y sommes habitués.
Enfin, l’habituation s’applique aux sensations. En nous
arrangeant pour provoquer volontairement des sensations
déplaisantes ou difficiles à gérer, nous nous y habituons, de
sorte qu’elles perdent de leur intensité. L’entraînement, qu’il
soit sportif, technique, professionnel ou artistique, repose sur
ce principe. Nous pouvons aussi nous entraîner aux compor-
tements de la vie quotidienne qui provoquent chez nous des
sensations désagréables.

154
Changer, oui, mais… quand, comment et quoi ?

UNE CLÉ : SAVOIR INNOVER

À peu près à la même époque où Pavlov découvrait en


Russie l’apprentissage par l’exposition, aux États-Unis, le
psychologue Edward Thorndike décrivait un autre mode
d ’apprentissage : la recherche d’autres voies que celles
offertes par le comportement actuel d’une personne. « Faire
avec », c’est maîtriser une situation nouvelle avec les moyens
anciens. « Faire autrement », c’est chercher des comporte-
ments nouveaux, plus adaptés ou plus efficaces.
La nouveauté du comportement peut concerner la
manière d’agir, celle de penser ou encore celle de ressentir.
Nous innovons au travail en trouvant de nouvelles façons
de faire. La thérapie cognitive consiste à appliquer le « faire
autrement » à la manière de penser, en s’efforçant de voir les
choses autrement.
Il est possible aussi, dans une certaine mesure, de
remplacer des sensations inutiles et déplaisantes par de
nouvelles. La relaxation et la méditation permettent de
changer les sensations intérieures. Modifier notre apparence
(changer de coiffure, de style vestimentaire) ou notre envi-
ronnement (changer la place des meubles ou la décoration des
murs) est une façon simple de changer nos sensations. Cela
suffit parfois pour nous faire voir la vie autrement et nous
donner une énergie nouvelle.
Il y a quelques précautions à prendre pour augmenter
nos chances de succès dans l’entreprise du changement.
La première est de se fixer un objectif précis et concret.

155
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Cela commence par définir le comportement à éliminer


(ou à réduire) et celui à acquérir (ou à augmenter). Le but à
atteindre ne doit pas être vague ou abstrait, mais concret :
« mincir » devient « manger moins et bouger plus ».
Détail important : le problème doit être énoncé à la
première personne, car nous ne pouvons changer que notre
propre comportement. Mieux vaut se dire « Je suis trop
timide » que « Les filles ne s’intéressent pas à moi » ! L’objectif
doit être réaliste. Ayons comme but une évolution à petits pas
plutôt qu’une révolution. Changer notre manière d’agir, de
penser ou de sentir est donc une démarche concrète, métho-
dique, réaliste. Mais il s’agit toujours d’un effort patient, où
c’est une lime qu’il faut utiliser plutôt que de la dynamite. Il
y a des moments où c’est difficile, où il faut « suivre sa pente
en montant » selon la formule d’André Gide. Et si nous avons
le sentiment de ne pas y arriver seuls, n’oublions pas qu’il est
toujours possible d’avoir de l’aide, auprès de notre entourage
ou chez un professionnel.
Chapitre 12

MANGER MOINS
POUR VIVRE MIEUX
Christophe André

Le jeûne, pratiqué dans de bonnes conditions,


entraîne des effets positifs sur le fonctionnement
cérébral ainsi que sur la santé.

D
ans son évangile, saint Mathieu nous raconte que « Jésus
jeûna quarante jours et quarante nuits, après quoi il
eut faim ». Mais cette fois, ce n’est pas un miracle : la
plupart d’entre nous peuvent survivre à 40 jours de
jeûne (à l’expresse condition, toutefois, de boire suffisam-
ment). Toutes les traditions religieuses ont abordé la ques-
tion du jeûne, tout comme les médecines traditionnelles. Et
après avoir été négligée, voire combattue par la médecine

157
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

moderne, sa pratique est de nouveau l’objet de travaux scien-


tifiques prometteurs.
Le jeûne n’est pas un simple régime, une modification
qualitative ou quantitative de nos apports alimentaires pour
maigrir ou améliorer notre santé. Il représente une démarche
plus radicale : la privation de nourriture, pendant un temps
plus ou moins long et à intervalles plus ou moins réguliers,
afin de provoquer un ensemble de réactions spécifiques et
adaptatives. En l’absence d’apports extérieurs en glucose (un
sucre), indispensable source d’énergie, notre organisme en
synthétise d’abord à partir des protéines du corps (présentes
notamment dans les muscles), puis, très vite, en utilisant
les lipides de nos réserves de graisse. Le foie se met alors à
dégrader les lipides pour les transformer en corps cétoniques,
qui remplacent sans inconvénient le glucose. L’étude des
jeûnes prolongés sous contrôle médical révèle que la fonte
musculaire est en fait très limitée, car le stock de graisses
alimente correctement tous les organes vitaux, dont le
cerveau, très gros consommateur de glucose qui n’est ni lésé
ni ralenti.

DE MEILLEURE HUMEUR

Au contraire – point intéressant ! – les études montrent


des effets bénéfiques du jeûne sur l’humeur et la vigi-
lance, chez l’être humain, et un accroissement des capa-
cités d’apprentissage et de mémorisation, chez l’animal.

158
Manger moins pour vivre mieux

Les mécanismes probables sont, entre autres, un accroisse-


ment de la biodisponibilité cérébrale de la sérotonine et des
endorphines, des molécules intervenant dans ces facultés
cognitives.
Comment expliquer la mise en place de telles modifi-
cations ? Probablement par des raisons évolutionnistes : la
plupart des espèces animales ont dû s’adapter à de longues
périodes de jeûne, car la nourriture, dans la nature, est plus
souvent manquante que pléthorique. De fait, ne pas manger
pendant quelque temps devait non seulement être possible,
mais aussi préserver les capacités motrices
et cérébrales des animaux, ces deux
conditions étant indispensables
pour continuer à chercher de la
nourriture.
D e nombreu x e xemples
existent ainsi dans le monde animal
à propos de capacités de jeûne, du
banal à l’exceptionnel. Les oiseaux
migrateurs parcourent des milliers de
kilomètres sans manger ; en Antarc-
tique, les manchots empereurs
jeûnent quatre mois (notamment
les mâles, lorsqu’ ils couvent
l ’œuf de leur femelle). Dans le
cas de cet oiseau, le jeûne consomme
alors environ 90 % de son stock de
graisses corporelles pour seulement

159
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

5 % de ses protéines. Il semble très probable que ces capa-


cités adaptatives à la privation de nourriture soient égale-
ment présentes dans l’espèce humaine, qui a connu elle aussi
durant son évolution de nombreuses périodes de disette ; la
période contemporaine, où la nourriture est pléthorique pour
certaines populations humaines, étant une exception.

DES BIENFAITS POUR LE CORPS

De nombreux travaux se sont donc penchés sur les consé-


quences du jeûne pour notre santé : les résultats sont passion-
nants. Les bienfaits connus du jeûne portent à ce jour sur
des maladies comme le diabète ou l’arthrose, mais il semble
aussi à même de représenter un facteur protecteur contre la
maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer, et certaines
maladies cardiovasculaires. Les mécanismes sont encore loin
d’être élucidés, mais récemment, des données étonnantes,
plusieurs fois répliquées, ont été obtenues dans le domaine
du cancer : la pratique de jeûnes brefs avant et après chimio-
thérapie anticancéreuse semble de nature à en amplifier les
effets de manière très significative.
Le premier promoteur de ces recherches est Valter Longo,
biologiste à l’université de Californie du Sud. Après avoir
montré comment le jeûne augmente la durée de vie des orga-
nismes monocellulaires, il a étendu ses recherches aux souris
et à d’autres espèces : la restriction régulière des apports calo-
riques augmente la longévité de la plupart des êtres vivants.

160
Manger moins pour vivre mieux

Mais il semble être beaucoup moins bien toléré par les


cellules « anormales », telles les cellules cancéreuses, qui ont
de gros besoins en énergie pour croître et se multiplier, et
qu’il rendrait plus vulnérables (d’où l’efficacité accrue de la
chimiothérapie).
La place manque ici pour aborder la multitude de travaux
et d’hypothèses autour du jeûne. En tant que médecin, ces
données m’ont impressionné, et j’ai décidé de faire moi-même
l’expérience d’un jeûne intégral (uniquement eau, tisanes et
bouillons de légumes filtrés) de huit jours.

UNE CLARTÉ INTELLECTUELLE

Quatre points m’ont marqué : la facilité à contrôler


la faim si l’on n’est pas exposé à un environnement inci-
tatif, d’où l’intérêt d’apprendre à jeûner à l’écart du monde
(centre spécialisé ou lieu de retraite) ; la capacité de conti-
nuer une activité physique notable – dans mon cas, trois à
quatre heures de ski nordique tous les matins, sans diffi-
culté ni hypoglycémie ; le sentiment de clarté intellectuelle
et l’absence de somnolence diurne, même après ces efforts
physiques ; le plaisir de recommencer à manger ensuite ! Il
faut préciser que ce type de jeûne, librement choisi, dans un
environnement adapté et dont on peut sortir à tout moment,
n’a rien à voir avec la privation de nourriture lors de famines
subies, où le stress perturbe profondément le tableau. Le
jeûne est donc dans l’air du temps en médecine, tout comme

161
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

la méditation. Restriction de nourriture dans un cas ; restric-


tion de sollicitations et de distractions dans l’autre. Nos
sociétés de surabondance semblent avoir atteint leurs limites
et déclenché dans l’espèce humaine une sorte de signal
intuitif et vital : pour protéger notre santé et nos capacités,
nous devons modifier nos conditions de vie et tourner le dos
au « toujours plus » pour aller vers le « beaucoup moins ». Ce
que certains appellent la décroissance, d’autres la « sobriété
heureuse »…
Chapitre 13

LA MUSIQUE QUI « PANSE »


LES NEURONES
Emmanuel Bigand et Barbara Tillmann

La musique nous procure souvent des émotions


intenses et active presque tout le cerveau. Un remède
potentiel pour diverses maladies cérébrales
et mentales.

L
a musique et la santé entretiennent des liens étroits
depuis des temps immémoriaux. Sur les pyramides
d’Égypte, des dessins indiquent que la musique permet
de lutter contre les effets des morsures de serpents…
Certaines formes musicales, par exemple la tarentelle,
illustrent l’effet de la musique sur la piqûre de tarentule.
Aujourd’hui encore, les fêtes de la Tarentelle continuent

163
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

d’agrémenter les soirées d’été dans la région des Pouilles, en


Italie.
La musique est omniprésente, et on lui attribue souvent
diverses vertus. Face aux angoisses de la maladie, il est facile
d’invoquer des pensées qui sont d’autant plus rassurantes et
porteuses d’espoir qu’elles sont infondées. Croyance sur les
pouvoirs supposés de tel objet, lumière, aliment, art et pour-
quoi pas musique ? La musique au service de la médecine ?
Est-ce du domaine de la pensée magique ?
Ces questions sont débattues depuis longtemps dans le
cadre de la musicothérapie. Dans sa biographie de Pytha-
gore, Jamblique (242-325) rapporte que le philosophe « faisait
passer les âmes d’un état en son contraire […], pleurs, colères,
apitoiements, envies irraisonnées, frayeurs, désirs de toutes
sortes, excès d’émotivité et d’appétence, asthénie, mégalo-
manie, agressivité, chacun de ces troubles était ramené à la
vertu correspondante grâce aux mélodies appropriées, comme
au moyen de quelque médicament efficace et soigneusement
préparé ».

SON POUVOIR : RAPPROCHER


CEUX QUI SE SONT ÉLOIGNÉS

Le pouvoir de la musique ne se réduit certainement pas à


« adoucir les mœurs », comme le prétend l’adage. Parce qu’elle
nous procure des émotions, la musique permet de partager
des informations avec autrui, y compris avec ceux qui, pour

164
LA MUSIQUE QUI « PANSE » LES NEURONES

diverses raisons, souffrent ou ont perdu les codes habituels


de communication. Elle offre un moyen d’échanger avec
les autres sans le langage, un pouvoir que la musicothérapie
exploite. Qui pourrait contester que la musique enrichit
la démarche du psychologue dans ses interactions avec les
patients ? La validation scientifique de ces approches médi-
cales n’est pas simple, mais aujourd’hui, de nombreuses
recherches en neurosciences montrent que la musique a bien
la capacité de soulager diverses pathologies, son pouvoir rela-
tionnel jouant un rôle déterminant.
Ainsi, nous organisons des ateliers musicaux dans des
institutions accueillant des personnes à un stade avancé de
la maladie d’Alzheimer. Souvent, quand nous entrons avec
nos instruments, notre arrivée ne provoque aucune réaction.

165
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Quand nous commençons à jouer, il ne se passe rien non


plus… Mais très vite, en continuant à jouer, nous remar-
quons un éveil progressif des visages. Au fil des séances, des
sourires se dessinent, les malades commencent à reprendre
les refrains, les corps s’animent, certains se lèvent, parfois
subitement, pour un pas de valse. Après quelques ateliers, nos
interventions s’allongent, l’ambiance devient chaleureuse,
parfois joyeuse, et il est alors difficile de s’arrêter, même au
bout d’une heure et demie.
La musique rapproche donc ceux qui se sont éloignés.
Autre exemple : une octogénaire, victime d’un accident
vasculaire cérébral et que nous avons rencontrée quelques
heures après les premiers soins, était devenue aphasique, ne
prononçait plus un mot et n’avait même pas la volonté de
parler. Nous lui avons fait entendre « Fleur bleue » de Charles
Trenet. Alors, avec une énergie dont nous ne l’aurions pas
crue capable, elle a repris le refrain de cette chanson, enga-
geant ainsi quasi immédiatement son cerveau à la reconquête
du langage. Ce qui ne surprendra pas ceux qui ont l’habitude
d’utiliser la musique en milieu hospitalier.
La nouveauté que révèlent aujourd’hui les neurosciences
est d’entrevoir des effets encore plus fondamentaux de la
musique sur le fonctionnement du cerveau. On a confirmé à
maintes reprises l’importance de la musique sur le développe-
ment psychoaffectif et cognitif du nourrisson. L’attrait pour
la musique serait une aptitude cognitive archaïque, beaucoup
plus résistante aux atteintes cérébrales que d’autres facultés
acquises plus récemment au fil de l’évolution, le langage

166
LA MUSIQUE QUI « PANSE » LES NEURONES

notamment. Cela expliquerait qu’elle puisse être préservée


dans de nombreuses pathologies mentales, de sorte qu’elle
est précieuse pour la rééducation des troubles neuropsycho-
logiques résultant de lésions cérébrales. Par exemple, dans
le cas des aphasies (des pertes de la faculté de parler ou de
comprendre un message oral ou écrit), les stimulations musi-
cales par l’intonation mélodique contribuent à restaurer
les compétences linguistiques des patients ; ils sont alors
capables de chanter ce qu’ils ne peuvent dire.
Ces thérapies « musicales » interviennent sur les réorga-
nisations neuronales ayant lieu après une lésion du cerveau.
En général, c’est l’hémisphère gauche qui assure le traitement
du langage ; mais en cas d’aphasie, certaines compétences
linguistiques sont transférées à l’hémisphère droit grâce à
la musique. Dans ce cas, la musique n’agit pas seulement sur
l’humeur du sujet en améliorant son bien-être, elle trans-
forme aussi le cerveau.

AMÉLIORER LES FACULTÉS COGNITIVES


ET MOTRICES

De même, quand une personne a été victime d’un acci-


dent vasculaire cérébral ayant causé des troubles moteurs,
apprendre à jouer du piano est une stratégie thérapeutique
plus efficace que de suivre une rééducation motrice classique.
La pratique de cet instrument stimule le cortex auditif et le
cortex moteur, cette association favorisant la réorganisation

167
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

du cortex moteur endommagé. Ainsi, de nombreux travaux


suggèrent que la sollicitation des régions cérébrales impli-
quées dans l’analyse de la musique améliorerait différentes
aptitudes cognitives (l’attention, la mémoire, le langage) et
motrices en cas de lésions.
D’autres chercheurs utilisent plus particulièrement
certaines caractéristiques de la musique (le rythme par
exemple) pour en étudier les conséquences sur les traitements
cognitifs, tel celui du langage chez les enfants ayant des
troubles développementaux du langage (dyslexie, dysphasie),
et sur les activités motrices de personnes atteintes, par
exemple, de la maladie de Parkinson. Les résultats montrent
que la musique (ou le rythme, la mélodie…) n’offre pas seule-
ment un support de communication adéquat, mais qu’en
favorisant la plasticité du cerveau, elle contribuerait aussi à
soigner le cerveau malade.
Cette plasticité, c’est-à-dire l’apparition de nouvelles
connexions neuronales et leur réorganisation, est avérée chez
les musiciens en bonne santé ; découvrir qu’elle est à l’œuvre
chez des sujets présentant des lésions ou atteints de maladies
neurodégénératives et neurodéveloppementales est un fait
nouveau.
Quelles sont les caractéristiques de la musique respon-
sables de ses bienfaits ? Quels mécanismes neurobiologiques
sous-tendent ces effets ? Pour répondre à ces questions, les
neuroscientifiques utilisent des musiques connues, mais aussi
des « matériaux » musicaux spécialement construits pour la
recherche. Certains se focalisent sur la structure rythmique,

168
LA MUSIQUE QUI « PANSE » LES NEURONES

d’autres visent à identifier des associations avec le langage.


La recherche dans ce domaine n’en est qu’à ses débuts, mais
quand on comprendra mieux les processus mis en jeu (voir
l’encadré pp. 170-171), on pourra améliorer les programmes
d’entraînement et en concevoir de nouveaux encore mieux
adaptés.

BÉNÉFIQUE POUR TOUS

L’impact de la musique sur le cerveau et sur le fonction-


nement cognitif ne se limite pas aux malades… Nous pouvons
tous en profiter ! En effet, la musique est associée à un
ensemble de réseaux neuronaux qu’elle synchronise, ce qui
a des conséquences spécifiques : par exemple, les régions céré-
brales sollicitées simultanément renforcent leurs connexions
synaptiques, le lien entre les neurones étant alors plus fort.
Dès lors, les échanges d’informations entre ces régions céré-
brales deviennent plus rapides et le nombre de neurones assu-
rant la communication augmente.
Chez les musiciens experts, ces modifications se
traduisent par des changements anatomiques visibles, par
exemple au niveau du corps calleux, un ensemble de fibres
nerveuses qui relie les deux hémisphères cérébraux, ou des
faisceaux arqués qui unissent les cortex temporaux et fron-
taux. Ces transformations se mettent en place rapidement
avec la pratique musicale, même chez les adultes commençant

169
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Comment le frisson musical bouleverse nos neurones


Quel est l’effet des émotions musicales sur le cerveau ? En
2001, l’équipe de Robert Zatorre à l’université McGill au Canada a
examiné les bases cérébrales du frisson musical – cette expérience
brève et intense de plaisir extrême qu’il nous arrive de ressentir
à certains passages d’un morceau de musique. Pour ce faire, elle
a enregistré par tomographie par émission de positons l’activité
cérébrale de personnes à qui elle faisait écouter différentes mélo-
dies. Le frisson musical s’accompagne souvent de modifications
corporelles observables, telle la chair de poule, qui seraient dues
à la libération d’endorphines, neurotransmetteurs à l’origine du
plaisir. L’étude de neuro-imagerie a révélé que le frisson musical
est associé à des modifications dans des zones particulières corti-
cales et sous-corticales, notamment le striatum ventral, et d’autres
régions du lobe temporal interne et du lobe frontal. L’ensemble de
ces aires correspond au circuit cérébral de la récompense.

Tout le cerveau est concerné


Plus récemment, en 2011, ces chercheurs ont révélé que le
frisson est aussi provoqué par la sécrétion de dopamine dans ce
circuit de la récompense. Ainsi, le système dopaminergique sous-
tendrait le plaisir si particulier que procure la beauté musicale,
à la fois sensible et abstraite. Une telle découverte donne corps
à la notion d’émotion esthétique, plaisir intense et désintéressé
qui s’accompagne de transformations physiologiques. D’autres
recherches sur la musique et le cerveau ont permis de confirmer
ces résultats et d’identifier une géographie de plus en plus précise
des zones du cerveau impliquées dans l’écoute musicale. Il s’agit
en particulier du cortex temporal supérieur spécialisé dans le trai-
tement auditif et du cortex orbitofrontal sous-tendant la percep-
tion abstraite de la musique comme la tonalité. Parallèlement, le

170
LA MUSIQUE QUI « PANSE » LES NEURONES

cerveau des émotions inclut de nombreuses structures corticales


et sous-corticales qui sont actives lorsqu’on écoute de la musique :
l’amygdale, le lobe temporal antéro-median, l’insula, le striatum,
les cortex cingulaire antérieur, orbitofrontal, préfrontal. Ce qui
rendrait donc la musique unique, c’est qu’elle active simultané-
ment ces régions réparties dans tout le cerveau.

Zones du cerveau impliquées dans l’écoute musicale

VUE LATÉRALE

Cortex préfrontal
Insula

Cortex temporel
supérieur

Cortex
orbitofrontal

Cortex cingulaire
antérieur
Striatum

Cortex orbitofrontal

Amygdale
Cortex temporal
antéro-médian VUE INTERNE

Delphine Dellacherie et Séverine Samson, extraits de « Soigner avec


les émotions musicales », Cerveau & Psycho, n° 64, mai-juin 2014.

171
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

tardivement à jouer d’un instrument. Il n’est donc jamais


trop tard pour s’y mettre…
D’autant que de jeunes seniors pratiquant la musique
résistent mieux au vieillissement cognitif que ceux se livrant
à d’autres activités. La pratique musicale augmenterait les
ressources neuronales et contribuerait à lutter contre le
vieillissement cognitif. En conséquence, jouer avec les sons
est bon pour le cerveau, suscitant, de surcroît, émotions et
plaisir. À consommer à tout âge sans modération !

172
Chapitre 14

LE POUVOIR DES MOTS


Christophe André

Nous nous sentons mieux quand nous posons


des mots sur notre souffrance, que nous décrivons
nos émotions, ou que nous cherchons le réconfort
dans la lecture et la poésie.

D
ans son ouvrage, L’Homme-joie, le poète Christian Bobin
parle longuement et magnifiquement des livres et de
la lecture. De leurs bienfaits et de leur rôle, qui est
« d’allumer la lumière dans les palais de nos cerveaux
déserts ». Comme le font souvent les poètes et les artistes,
Bobin nous ouvre les yeux sur des règles simples et fonda-
mentales, dont celle-ci : les mots ont une influence puissante
sur nos personnes et nos cerveaux, et nous finissons par l’ou-
blier, à force de les utiliser.

173
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Qu’ils soient lus ou entendus, les mots s’impriment dans


notre cerveau, y suscitent des images et des représentations
multiples, y laissent des empreintes parfois durables. Ils
peuvent nous blesser, mais aussi nous aider. Tout cela parce
qu’ils ne transmettent pas seulement des informations, mais
aussi des émotions. Les bénéfices de ce que l’on nomme le
« partage social des émotions » sont bien connus en psycho-
logie, et vont bien au-delà du classique effet de vidange
émotionnelle (partager pour se soulager), d’ailleurs remis en
question aujourd’hui. Les principaux bienfaits du partage des
émotions se situent du côté de la clarification de ses ressentis
et du renforcement du lien social, si précieux au bien-être
des humains : mieux se comprendre et mieux se connecter
aux autres.

LES PAROLES QUI SOIGNENT

Depuis longtemps, le genre littéraire des consolations,


adressées aux proches d’une personne défunte, exerçait
cette fonction : à la fois un moyen de transmettre nos condo-
léances et notre affection, mais aussi d’aider à réfléchir à
notre condition de mortels. Les plus célèbres d’entre elles
ont traversé les siècles sans prendre une ride : Consolations à
Helvia, de Sénèque, Consolation à Mr Du Périer, de Malherbe
(« Ta douleur, Du Périer, sera donc éternelle ? »). À la fin du
xixe siècle, Joseph Breuer et Sigmund Freud conceptuali-
sèrent de manière plus prosaïque la notion de talking cure

174
Le pouvoir des mots

(ou thérapie par la parole, qui deviendra plus tard la psycha-


nalyse), ce qui représentait à l’époque une nouveauté : guérir
par le seul pouvoir des mots, exprimés, écoutés, clarifiés.
Aujourd’hui, de nombreuses études se penchent sur l’impact
des mots sur notre fonctionnement cérébral, notamment
émotionnel.
Ainsi, le fait de nommer des émotions (peur, colère, tris-
tesse) observées sur des photographies de visages diminue la
réponse de l’amygdale et des régions voisines (le « cerveau
émotionnel ») et augmente l’activité du cortex préfrontal
(siège du contrôle émotionnel). Chez un sujet phobique des
araignées, pouvoir décrire ses ressentis émotionnels, alors
qu’il est en train de s’approcher d’une grosse araignée captive
dans son bocal, diminue la réaction corporelle de stress
(moindre conductance cutanée) et permet de s’approcher plus
près du bocal (par rapport aux sujets phobiques à qui l’on
demande de penser à autre chose). Parler de nos peurs nous
aide ainsi à mieux les affronter.
L’expression orale est donc thérapeutique, mais il en est
de même pour l’expression écrite. Nous disposons, depuis
les travaux pionniers de l’Américain James Pennebaker, de
nombreuses données sur les bénéfices du journal intime :
mettre en mots ses expériences de vie douloureuses aide à
leur cicatrisation et améliore la santé.
Une de ses premières études reposait sur un protocole
simple : on demandait à des volontaires sans difficultés
psychologiques particulières d’écrire quatre jours de suite
sur l’expérience la plus traumatisante de leur vie, pendant

175
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

quinze minutes sans s’arrêter (afin que les thèmes abordés


le soient véritablement, sans superficialité). On séparait les
participants en deux groupes : l’un était encouragé à écrire
en approfondissant ses états d’âme, l’autre en relativisant et
en dépassionnant.

ÉCRIRE POUR SE SENTIR MIEUX

À l’issue de l’expérience, le groupe « approfondisseur »


enregistrait par rapport aux autres des bénéfices nets sur son
bien-être émotionnel à moyen terme (dans les 15 jours qui
suivaient) et aussi sur sa santé objective à long terme (moins
de visites chez les médecins dans l’année qui suivait). Dans
cette étude, il semble qu’un des mécanismes soignants de
l’écriture soit la réorganisation de l’expérience douloureuse,
qui sans cela repose sur des états d’âme souvent embrouillés.
Nous contraindre à transcrire ces ressentis flous en récit
cohérent est bénéfique. D’ailleurs, la disparition progressive
des lettres au profit des appels téléphoniques, mails ou SMS
est en train de modifier nos habitudes d’expression : l’inte-
raction immédiate et rapide remplace l’introspection. C’est
peut-être bénéfique pour l’animal social en nous. Mais cela
l’est sans doute moins pour l’animal mental, et son intelli-
gence émotionnelle…
Écrire soigne, donc, mais lire ? Aussi ! Beaucoup d’études
ont prouvé que la lecture d’ouvrages de conseils psycholo-
giques ciblés (ce que l’on nomme les self-help books) représente

176
Le pouvoir des mots

une aide significative dans la plupart des pathologies


psychiques. D’autres travaux ont aussi montré que la lecture
de romans modifie favorablement les capacités d’empathie
et de lien social : en favorisant l’identification aux héros, en
aidant à comprendre leurs points de vue sur le monde et les
autres, ces lectures de fiction peuvent représenter un enri-
chissement considérable de notre propre expérience de la vie.
Rien d ’anodin ni d ’illusoire donc dans le pouvoir
des mots. Cependant, il reste encore bien des choses à
comprendre : les effets observés ne tiennent pas seulement
aux mots eux-mêmes, mais aussi aux liens entre personnes
qui les échangent. Et aussi à leur nature : ainsi, le pouvoir
inspirant et parfois apaisant de la poésie ne dépend pas seule-
ment du contenu (le sens des mots), mais du contenant (leur
choix et leur agencement).

177
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Certes, les poètes ne sont pas des thérapeutes, mais leurs


écrits peuvent être thérapeutiques. L’écrivain Paul Valéry
notait : « Grandeur des poètes de saisir fortement avec leurs
mots ce qu’ils n’ont fait qu’entrevoir faiblement dans leur
esprit. » Et les mots peuvent ainsi être clarificateurs et paci-
ficateurs, bien au-delà de ce que nous imaginons parfois…

178
Le pouvoir des mots

179
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

180
BIBLIOGRAPHIE
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181
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

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pitiesalpetriere.aphp.fr/wp-content/blogs.dir/134/files/2014/04/
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CHAPITRE 4.Soigner le corps et l’esprit : l’avenir de la médecine


(pp. 55-61)
Ch. André, Et n’oublie pas d’être heureux. Abécédaire de psychologie
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182
Le pouvoir des mots

CHAPITRE 5. L e neurofeedback, apprivoiser son cerveau par sa pensée


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Sur le Web :
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CHAPITRE 9. M
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Ch. André, Je médite, jour après jour. Petit manuel pour vivre en pleine
conscience, Paris, L’Iconoclaste, 2015.
J. Grant et al., « A non-elaborative mental stance and decoupling
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CHAP 10. A
 ttention aux pièges de la consommation ! (pp. 137-142)
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CHAPITRE 11. C
 hanger, oui, mais… quand, comment et quoi ?
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B. Rimé, Le Partage social des émotions, Paris, PUF, 2005.
LES AUTEURS
Christophe André est médecin psychiatre dans le Service
Hospitalo-Universitaire de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. Il a
coordonné cet ouvrage avec Michel Le Van Quyen. (pp. 7, 55, 121,
137, 173)
Michel Le Van Quyen est chercheur à l’Institut du cerveau
et de la moelle épinière (ICM, INSERM U1127, CNRS UMR
7225), à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris. Il a coordonné
cet ouvrage avec Christophe André. (pp. 7, 63)
Nathalie Rapoport-Hubschman, médecin et psychothéra-
peute à Paris, est vice-présidente de l’Association française pour
la médecine comportementale. (p. 15)
Patrick Lemoine, neurobiologiste, ancien praticien hospita-
lier, est actuellement médecin psychiatre. (p. 31)
Isabelle Célestin-Lhopiteau dirige l’Institut français des
pratiques psychocorporelles (IFPPC) et préside l’association
Thérapies d’ici et d’ailleurs. Elle est aussi psychologue et psycho-
thérapeute au Centre d’évaluation et de traitement de la douleur,
du CHU Kremlin-Bicêtre. (p. 41)
Juliane Corlier-Bagdasaryan est chercheur à l’Institut du
cerveau et de la moelle épinière (ICM, INSERM U1127, CNRS
UMR 7225), à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris. (p. 63)

187
LES PENSÉES QUI SOIGNENT

Jean Becchio, directeur du DIU d’hypnose médicale de


Paris XI, est praticien consultant dans l’unité de soins palliatifs
de l’hôpital Paul-Brousse, à Villejuif. (p. 77)
Bruno Suarez est médecin radiologue. Il dirige un centre
de scanner et d’IRM à Thiais, en région parisienne. Il enseigne
l’hypnose et les neurosciences à la faculté de médecine Paris XI
et à celles de Limoges et de Montpellier. (p. 77)
Étienne Binet est psychiatre, énergéticien, spécialisé en
EMDR Thérapies Brèves. Il excerce à Vannes. (p. 95)
Martine Iracane est psychologue clinicienne au Centre
hospitalier psychiatrique de Aix-en-Provence, et formatrice
EMDR (p. 95)
Nicolas Franck est professeur des universités à l’université
Lyon I, praticien hospitalier au centre hospitalier Le Vinatier et
responsable du Centre ressource de réhabilitation psychosociale
et de remédiation cognitive, à Lyon. Il préside l’Association fran-
cophone de remédiation cognitive (AFRC). (p. 107)
Roger Zumbrunnen est psychiatre et psychothérapeute à
Genève. (p. 143)
Emmanuel Bigand, professeur de psychologie cognitive,
dirige le Laboratoire d’étude de l’apprentissage et du dévelop-
pement, à l’université de Bourgogne-Franche-Comté, à Dijon. Il
est membre de l’Institut universitaire de France. (p. 163)
Barbara Tillmann, directrice de recherche CNRS, dirige
l’équipe Cognition auditive et psychoacoustique au Centre
de recherche en neurosciences de Lyon, CNRS-UMR 5292,
INSERM U 1028, Université Lyon-1. (p. 163)

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