Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
re
Dépôt légal – 1 édition : 2022, janvier
© Éditions Le Pommier / Humensis, 2022
170 bis, boulevard du Montparnasse, 75014 Paris
AVANT-PROPOS
Damien DEVILLE
CHAPITRE PREMIER
Augustin BERQUE. – Je crois que nos vies sont en grande partie les
héritières d’un certain milieu. La culture familiale autant que le milieu
social dans lequel nous grandissons induisent nos premiers regards sur le
monde et influencent sur la durée nos manières d’être et de faire. Je suis
moi-même issu d’une famille de voyageurs où, de génération en génération,
s’est transmise la tradition d’un vivre ailleurs et d’un vivre autrement. Mon
arrière-grand-père Joannès, officier vétérinaire dans l’armée, est enterré au
Tonkin (la région de Hanoï, au Vietnam du Nord). Mon grand-père
Augustin, quant à lui, a été directeur des Affaires indigènes en Algérie.
Mon père Jacques, enfin, fut administrateur au Maroc, sous le protectorat
français. Ma famille a vécu au carrefour des cultures, à cette interface où se
formule l’altérité. Cette histoire familiale a bercé mon enfance, et m’a
inculqué dès le plus jeune âge l’envie d’aller à mon tour au bout du monde.
Et cela a commencé très tôt ! J’ai eu la chance, grâce au métier de mon
père, de grandir au Maroc, sur les contreforts du Haut Atlas, puis en Égypte,
dans la grande ville du Caire, lorsque mon père décida, en 1953, de quitter
le Maroc, dégoûté de la politique française en Afrique du Nord. Même s’il
est difficile d’objectiver son enfance, car elle est gorgée de symboles et
d’émotions qui ont tendance à s’éroder et à se transformer au fil du temps,
je crois pouvoir dire que ces différentes expériences dans les pays arabes
m’ont sûrement mis sur la voie de la diversité. Elles m’ont également infusé
de différents codes et habitudes. La couleur de la terre dans laquelle nous
grandissons résonne en partie dans notre profonde intimité, et lorsque je fus
envoyé en pension en France à 13 ans, pour continuer mes études dans un
lycée parisien, mes premiers moments dans la capitale française furent
vraiment difficiles : je me sentais étranger, exilé. Mon cœur, mon corps,
mes mots, tout ce qui m’avait bercé, se situait sur la rive sud de la
Méditerranée. Très rapidement, j’ai eu envie de repartir. Penser un futur en
dehors de l’Hexagone, c’était également une manière pour moi de renouer
avec les enseignements de mon père. Lors des dîners familiaux, entre deux
phrases, il nous disait souvent : « Je vous entretiens jusqu’à votre majorité,
mais ensuite, je veux vous voir aux quatre coins du monde. » Une parole
devenue prophétique car, effectivement, au début des années 1970, nous
étions dispersés aux quatre coins de la planète : mes trois sœurs résidaient
respectivement à Pékin, Hong Kong et Santiago du Chili ; quant aux petits
derniers, mes deux frères jumeaux, l’un vivait sur une plateforme en mer de
Norvège, où il travaillait comme plongeur pour une compagnie pétrolière,
tandis que l’autre était carreleur de piscines en Arabie. Je vivais pour ma
part au Japon, où je préparais ma thèse, tout en travaillant comme lecteur de
français à l’université de Hokkaidō.
L’éducation offerte par mon père ne s’est pas limitée à une injonction au
voyage. Il se sentait proche des populations locales, tant et si bien qu’il a
fait partie de cette catégorie d’administrateurs coloniaux qui ont étudié
comme anthropologues ou sociologues les sociétés qu’ils avaient à
administrer. Il a donc fait sa thèse, Structures sociales du Haut Atlas, sur le
territoire dont il était « contrôleur civil ». Une anecdote peut-être à son
sujet : quand je suis revenu au Maroc pour la première fois, en 1988, je me
suis rendu à Imintanout, la petite ville au pied de l’Atlas où j’ai grandi. Je
souhaitais renouer avec les paysages de mon enfance, le milieu qui avait été
le mien, et que je revoyais régulièrement en rêve. J’avais avec moi un
appareil photo, et je mitraillais tous les lieux que je reconnaissais si bien. Je
me suis longuement arrêté devant la maison où j’avais passé mon enfance,
mais que je n’ai pu voir que du dehors ce jour-là. Je retrouvai aussi « le
bureau », le petit centre administratif où avait travaillé mon père. Alors que
je le photographiais, un policier m’a appréhendé et, me prenant pour un
espion, m’a traduit séance tenante devant le caïd (le pacha étant absent). Un
caïd est à peu près l’équivalent d’un sous-préfet. Celui-ci occupait le bureau
même où avait travaillé mon père. J’expliquai au caïd les raisons de ma
venue à Imintanout, mon enfance, les travaux de mon père. Ému, il me
montra du doigt une bibliothèque où trônait sur une étagère la thèse de mon
père. Le caïd me dit alors que ce livre était pour lui d’une importance
considérable : il lui permettait de connaître les sociétés qu’il devait alors
administrer. À la différence de bien des administrateurs coloniaux, mon
père a laissé un souvenir impérissable dans la région qu’il avait
administrée ; il y est quasiment devenu légendaire. Quand je suis revenu en
2005, j’ai pu me rendre au foyer religieux de la région, le sanctuaire de
Lalla Aziza. Et dans la salle du tombeau même de la sainte, j’ai entendu
quelqu’un dire : « Jacques Berque a été l’un des fondateurs du Maroc
d’aujourd’hui » – allusion à un rapport qu’il avait eu à faire en 1946, alors
qu’il travaillait à la Résidence, à Rabat, sur « l’ordre au Maroc », et au sein
duquel il avait osé cet imparfait du subjonctif : « L’ordre, au Maroc, serait
que nous n’y fussions pas. » Cela lui avait valu d’être limogé et envoyé
dans le Haut Atlas, dans une zone jusque-là militaire, et qu’on « civilisa »
pour lui. D’où la thèse qu’il a faite sur cette région, et pour laquelle il est
devenu professeur au Collège de France, en 1956.
Depuis 1988, je suis retourné trois fois à Imintanout : en 2005, en 2007 et
en 2014. L’accueil a toujours été formidable, l’administration locale me
reconnaissant comme le fils aîné de Jacques Berque. Si les choix que j’ai pu
faire dans mon parcours appartiennent à d’autres enjeux, à une autre
génération, je crois avoir été grandement influencé par l’héritage de mon
père. À ma manière, j’ai essayé de comprendre de l’intérieur, en m’y
plongeant à fond, les différentes sociétés où j’avais à vivre –
essentiellement donc le Japon.
A. B. – On pourrait penser que cet épisode a été un choc violent dans les
choix intellectuels de chacun, mais je ne l’ai pas vécu comme cela. Lorsque
Mai 68 a éclaté, j’enseignais, en tant qu’assistant en sciences humaines,
dans le département d’architecture de l’École des beaux-arts. Ce travail était
une occasion de me frotter à l’enseignement tout en préparant mon projet de
thèse. À l’époque, il était peu conventionnel qu’un géographe se retrouve
dans les écoles des Beaux-Arts. L’année 1967-1968 fut la première où l’on
introduisit les sciences humaines dans l’enseignement de l’architecture,
sous l’impulsion de l’architecte Michel Écochard. Jusque-là, les architectes
apprenaient à dessiner des habitations et des villes sans rien savoir de ce
qu’on allait mettre dedans : des êtres humains, des sociétés humaines.
Michel Écochard avait donc vu large : un éventail de sciences humaines,
jusqu’à la philosophie. Les écoles d’architecture étaient donc en pleine
ébullition : alors même que l’on commençait à douter de la charte
d’Athènes, comment allait-on organiser ces nouveaux enseignements ? Là-
dessus arrivent le mouvement du 22 mars, puis Mai 68. Tout
l’enseignement s’arrête, et à la place, on fait des AG quotidiennes dans la
cour des Beaux-Arts. Moi qui débutais à peine comme enseignant, et qui
n’avais rien d’une grande gueule, je n’ai pas su trouver ma place, et j’ai
finalement décidé de partir au Japon.
D. D. – Votre thèse ainsi que les lectures qui vous ont inspiré font
ressortir l’importance de l’histoire pour analyser les espaces. Pourtant,
l’histoire et la géographie ont eu tendance à se diviser dans le milieu
universitaire, les géographes ne faisant pas toujours appel à l’histoire pour
comprendre leurs objets de recherche, et vice versa. Quel regard portez-
vous sur le cloisonnement des disciplines ?
Damien DEVILLE. – Retournons sur ces terres qui ont marqué votre thèse,
et plus généralement votre vie : le Japon. Un terrain de recherche n’est
jamais qu’un objet scientifique. Il peut aussi nourrir l’intimité de chaque
chercheur, au point que le pays d’accueil se confond avec tous les arbitrages
de sa propre vie. Vous êtes revenu du Japon marié et papa. C’est comme si
le terrain de recherche avait dépassé le chercheur…
Mésologie
A. B. – Un géographe doit sentir les lieux, les espaces dont il parle. Avant
d’écrire sur les territoires, il doit les éprouver. La mésologie procède du
même principe. Question de sens, encore une fois : on ne peut pas abstraire
les significations des sensations ni les sensations des directions. Gravir une
montagne, cela ouvre à une réflexion propre, conditionnée par le fait qu’un
corps endure le relief. J’ai à ce titre une anecdote personnelle et tout à fait
concrète : au début des années 1970, je vivais à Sendai en tant que
chercheur invité à l’université du Tōhoku, au département de géographie.
J’étais logé non loin de là. De ma maison à l’université, il me fallait tout de
même passer une vallée. J’y allais à bicyclette. Je commençais par dévaler
la pente à toute vitesse, m’en donnant à cœur joie. Et puis, la descente
terminée, il me fallait remonter avec endurance l’autre versant. Dans le
mouvement répété du pédalage, je ressassais certaines idées, et cela
m’aidait à les mettre en forme. C’est ainsi que j’ai forgé les idées directrices
de ma thèse, que j’étais en train d’écrire. Et à une autre échelle, qu’aurait
écrit Darwin, s’il n’y avait pas eu le voyage du Beagle ?
Le retour à la terre
A. B. – C’est quelque chose que les sociologues ont très bien étudié.
Rapprocher les gens physiquement n’engendre nullement des liens plus
vivants. Ce qui crée de la relation, c’est la concrétude générale, la
concrescence, le croître-ensemble des gens et des choses dans l’existence
concrète. L’abstraction dualiste, la déterrestration moderne sont à l’opposé.
L’habitat n’est qu’une modalité parmi d’autres de cette concrescence : la
physionomie des lieux, les points d’horizons qui se dressent par-delà le
quartier habité, les espaces de rencontres bien sûr, les tissus de commerces
et de services, les espaces d’agora, au sens grec du terme, où s’échangent
les idées, les innovations, un apprentissage d’hier et un projet futur, tout
cela en fait partie. L’important, c’est plus un projet d’habiter qu’une
production de logements. Or, ce qu’on a fait, dans les années 1960 en
particulier, c’est essentiellement de la production industrielle de logements.
Du quantitatif plutôt que du qualitatif, du mètre carré universel plutôt que
des lieux d’habitation qualitativement situés. C’est le paradigme du « grand
ensemble », reproduisant à l’envi les mêmes parallélépipèdes où que ce soit,
sans rapport avec le milieu, à Sarcelles dans l’agglomération parisienne tout
comme à Takashimadaira dans l’agglomération de Tokyo. On en a bientôt
vu les conséquences psychosociales : problèmes en tous genres, du
caillassage des bus ou des pompiers jusqu’au terrorisme et à l’émeute. Ces
non-lieux, comme les a qualifiés l’anthropologue Marc Augé, ces simples
emplacements négateurs de médiance, inappropriables, sont
fondamentalement inhabitables, et cela parce qu’un être humain est non pas
un TOM quantitativement casable n’importe où, mais un être qui a besoin
d’exister qualitativement dans un certain milieu. L’espace universel du
mouvement moderne en architecture a été la parfaite illustration de cette
abstraction quantitativiste ; et l’espace déqualifié qu’il a engendré est
devenu l’espace foutoir, le junkspace comme l’a si bien nommé
Rem Koolhaas : n’importe quoi n’importe où. Finie la composition urbaine,
où les constructions tenaient compte les unes des autres comme d’un certain
ensemble urbain, parce qu’une certaine médiance animait cet ensemble. Le
TOM n’a que faire de ces liens qui font un ensemble habité. Il les a forclos,
en proclamant, avec Descartes, qu’il n’a besoin d’aucun lieu pour être.
D. D. – Dans un livre phare, Mesure et démesure des villes, le philosophe
et urbaniste Thierry Paquot plaide pour un rééquilibrage des territoires,
entre métropoles et petites villes, entre urbanité et ruralité. Deux chantiers
peuvent naître de cette conviction : remettre vie et initiatives dans des
territoires aujourd’hui en déclin. Ce type de territoire est maintenant présent
dans l’intégralité des pays industriels, dont la France et le Japon. Mais
également repenser la vie dans les grandes villes pour permettre une
meilleure qualité de vie. Cela rejoint notamment les travaux d’Henri
Lefebvre et son fameux droit à la ville : permettre à chacun de s’approprier
les espaces, d’en faire une œuvre collective, et de participer aux prises de
décisions publiques. Les territoires semblent ainsi au carrefour des
nouvelles démocraties…
A. B. – Oui, je crois beaucoup aux initiatives dans les territoires, car elles
répondent à un nouvel universel : celui de reconnecter l’économie et les
sociabilités aux lieux, et plus particulièrement à la singularité de chaque
lieu. La question qui se pose néanmoins, c’est de savoir comment ces
initiatives locales peuvent dessiner un projet national commun. Et là encore,
c’est la notion d’échelle qui intervient. Les circuits courts, par exemple,
s’expriment sur de petits territoires avec un idéal qui rejoint la durabilité en
général. Par leur situation à l’échelle du lieu, ils ont également la capacité
de protéger les équilibres à l’échelle planétaire. Je dirais même que les
circuits courts n’ont de sens que par l’horizon planétaire qu’ils savent
montrer du doigt. Ce sont exactement ces types de projets que les sociétés
doivent maintenant chercher, des projets qui, par leur aspect situé, savent
également prendre soin du grand, des projets qui, d’une échelle à l’autre,
réconcilient les possibles.
Vieillir et transmettre
Damien DEVILLE. – L’un de vos derniers livres, Là, sur les bords de
l’Yvette. Dialogues méso-logiques, met en scène un vieux monsieur, le
r
D No, qui enseigne les fondamentaux de la mésologie à sa petite-fille
Mélissa. Ce livre évoque une figure, celle du vieillard qui partage son
savoir durement accumulé. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec
votre propre vie. Qu’incarne pour vous la figure du vieillard ?
Augustin BERQUE. – C’est une figure complexe, aux côtés positifs et aux
côtés négatifs, mais qui reste inspirante. Les vieillards ont tendance à être
plus sages, car ils ont fait l’expérience des choses. Ils ont toutefois moins de
capacités. Cela rejoint le proverbe : « si jeunesse savait, si vieillesse
pouvait ». Les jeunes peuvent faire plein de choses, mais il leur reste à
acquérir le savoir, tandis que, pour les personnes âgées, c’est l’inverse. Au
fond, c’est un encouragement au dialogue des générations signifiant que
tous les humains sont complémentaires. Personnellement, j’arrive à l’âge où
penser la vieillesse amène à se penser soi-même. Et effectivement, à
quelques mois de devenir octogénaire, je crois savoir davantage de choses
qu’autrefois, et être capable de peser avec plus de pondération l’information
que je reçois. Mais j’éprouve également la déchéance physique. Dès lors,
transmettre devient une tâche importante à cette étape de la vie. Le livre Là,
sur les bords de l’Yvette a été justement un exercice de ce genre. Un éditeur
m’avait demandé de faire un petit livre pour la jeunesse, rendant les
principes de la mésologie accessibles aux élèves de collège. Dans le
processus d’écriture, l’idée m’est venue d’incarner cela à travers un
dialogue avec ma petite-fille, qui avait à l’époque 15 ans et habitait non loin
de chez moi, dans la même vallée de l’Yvette, en aval de Chevreuse. Et
pour que ce livre incarne également la nécessité de recouvrer nos liens avec
une terre/avec la Terre, comme y vise la mésologie, j’ai souhaité que ce
dialogue prenne la forme d’une promenade sur les bords de l’Yvette.
Comme ma petite-fille a relu le texte et m’a fait corriger ce qui ne lui
convenait pas, ce livre a donc bien été un exercice de transmission d’une
génération à l’autre.
D. D. – Tout au long de ce livre, nous avons cheminé sur les sentiers que
défriche la mésologie : source d’espoir face aux crises contemporaines, elle
déploie des clés de lecture incluant humains et non-humains, techniques et
symboles, sciences et sensibilités. Au-delà des approches scientifiques dont
elle est la gardienne, comment la mésologie peut-elle se déployer en
société, que ce soit dans l’éducation, dans les combats militants ou plus
généralement dans différents corps de métier ?
Araki, Hiroyuki, Nihongo kara Nihonjin wo kangaeru (Les Japonais à travers le japonais), Tokyo,
Kōdansha, 1980.
Bachelard, Gaston, La Poétique de l’espace, Paris, PUF, 2020 [1957].
Barthes, Roland, Mythologies, Paris, Seuil, 1957.
Beauvoir, Simone (de), L’Amérique au jour le jour, Paris, Gallimard, 2018 [1948].
Berque, Augustin, Le Japon. Gestion de l’espace et changement social, Paris, Flammarion, 1976.
— , Vivre l’espace au Japon, Paris, PUF, 1982.
— , Le Sauvage et l’Artifice. Les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard, 1986.
— , Médiance. De milieux en paysages, Paris, Belin, 1990.
— (dir.), Logique du lieu et dépassement de la modernité, Bruxelles, Ousia, 2000, 2 vol.
— , Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000.
— , en collaboration avec Maurice Sauzet, Le Sens de l’espace au Japon. Vivre, penser, bâtir, Paris,
Éditions Arguments, 2004.
— , Histoire de l’habitat idéal. De l’Orient vers l’Occident, Paris, Le Félin, 2010.
— , « La chôra chez Platon », in T. Paquot et C. Younès (dir.), Espace et lieu dans la pensée
occidentale. De Platon à Nietzsche, Paris, La Découverte, 2012, p. 13-27.
— , Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine. Essai de mésologie, Paris, Belin,
2014.
— , La Mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?, Nanterre, Presses universitaires de Paris Ouest,
2014.
— , et alii, Le Lien au lieu. Actes de la chaire de mésologie de l’université de Corse (juin 2012-
juin 2014), Bastia, Éditions Éoliennes, 2014.
— , Là, sur les bords de l’Yvette. Dialogues mésologiques, Bastia, Éditions Éoliennes, 2017.
— , Recosmiser la Terre. Quelques leçons péruviennes, Paris, Éditions B2, 2018.
— , Descendre des étoiles, monter de la Terre. La trajection de l’architecture, Bastia, Éditions
Éoliennes, 2019.
— , Recouvrance. Retour à la terre et cosmicité en Asie orientale, Bastia, Éditions Éoliennes, 2022.
Berque, Jacques, Structures sociales du Haut Atlas, Paris, PUF, 1955.
Bonnin, Philippe, Masatsugu, Nishida et Shigemi, Inaga (dir.), Vocabulaire de la spatialité japonaise,
Paris, CNRS Éditions, 2014.
Claval, Paul, Principes de géographie sociale, Paris, Éditions M. Th. Guénin, 1973.
Dardel, Éric, L’Homme et la Terre, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques,
1990 [1952].
Descartes, René, Discours de la méthode, Paris, Flammarion, 2008 [1637].
Descola, Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.
Espagnat, Bernard (d’), Le Réel voilé. Analyse des concepts quantiques, Paris, Fayard, 1994.
Febvre, Lucien, La Terre et l’évolution humaine. Introduction géographique à l’histoire, Paris, Albin
Michel, 1970 [1922].
George, Pierre, Dictionnaire de la géographie, Paris, PUF, 2013 [1970].
Girard, Frédéric, Vocabulaire du bouddhisme japonais, Genève, Droz, 2008, 2 vol.
Gray, Chris Hables (dir.), The Cyborg Handbook, New York, Routledge, 1995.
Grousset, René, Sur les traces du Bouddha, Paris, L’Asiathèque, 2008 [1929].
Heidegger, Martin, Der Ursprung des Kunstwerkes, Francfort-sur-le-Main, Klostermann, 1950
(traduit de l’allemand par W. Brokmeier sous le titre « L’Origine de l’œuvre d’art », in Chemins
qui ne mènent nulle part, Paris, Gallimard, 1962, p. 13-98).
— , « Bauen wohnen denken » (« Bâtir habiter penser »), texte de la conférence prononcée en
août 1951 à Darmstadt, traduit de l’allemand par A. Préau dans Essais et Conférences, Paris,
Gallimard, 1958 [1954].
— , Die Grundbegriffe der Metaphysik (Les Concepts fondamentaux de la métaphysique), Francfort-
sur-le-Main, Klostermann, 1983.
Heisenberg, Werner, La Nature dans la physique contemporaine, traduit de l’allemand par
U. Karvelis et A. E. Leroy, Paris, Gallimard, 1962 (paru initialement sous le titre Das Naturbild
der heutigen Physik, 1955).
Husserl, Edmund, La Terre ne se meut pas, traduit de l’allemand par D. Franck, D. P. Radelle et J.-
F. Lavigne, Paris, Minuit, 1989.
Jencks, Charles, The Language of Postmodern Architecture, New York, Rizzoli, 1977.
Kamo no Chōmei, Notes de l’ermitage, suivies de Histoires de conversion, présentées et traduites du
japonais par R. Sieffert, Paris, Publications orientalistes de France, 1995 [textes rédigés en 1212].
Koolhaas, Rem, « Junkspace », October, vol. 100, Obsolescence, printemps 2002, p. 175-190.
Korzybski, Alfred, La carte n’est pas le territoire, Paris, Éditions de l’Éclat, 2007.
Lakoff, George et Johnson, Mark, Philosophy in the Flesh, New York, Basic Books, 1998.
Lefebvre, Henri, La Production de l’espace, Paris, Anthropos, 1974.
Nishida, Kitarō, Nishida Kitarō zenshū (NKZ, Œuvres complètes de Nishida Kitarō), Tokyo,
Iwanami, 1965-1966.
— , Basho (Lieu, 1926), in NKZ, vol. IV, p. 208-289.
— , Bashoteki ronri to shūkyōteki sekaikan (Logique du lieu et vision religieuse du monde, 1945), in
NKZ, vol. XI, p. 37-463.
Paquot, Thierry, Mesure et démesure des villes, Paris, CNRS Éditions, 2020.
Platon, Œuvres complètes, tome X, Timée, Critias, texte établi et traduit par A. Rivaud, Paris, Les
Belles Lettres, 1985 [1925].
Shigeatsu, Hatakeyama, La Forêt amante de la mer, texte traduit par A. Berque, Marseille,
Wildproject, 2019.
Vidal de La Blache, Paul, Principes de géographie humaine, publiés d’après les manuscrits de
l’auteur par E. de Martonne, Paris, Armand Colin, 1995 [1922].
Watsuji, Tetsurō, Ningen no gaku to shite no rinrigaku (L’Éthique comme étude de l’entrelien
humain), Tokyo, Iwanami, 1934.
— , Fūdo. Ningengakuteki kōsatsu (Milieux. Études de l’entrelien humain), Tokyo, Iwanami, 1935.
Traduit du japonais et commenté par A. Berque sous le titre Fūdo. Le milieu humain, Paris, CNRS
Éditions, 2011.
— , Rinrigaku (Éthique), Tokyo, Iwanami, 1937-1949, 3 vol.
Yamauchi, Tokuryū, Rogosu te renma, Tokyo, Iwanami, 1974. Traduit du japonais par A. Berque,
avec le concours de R. Jannel, sous le titre Logos et Lemme. Pensée occidentale, pensée orientale,
Paris, CNRS Éditions, 2020.
POSTFACE
L’ONTOLOGIE LES PIEDS SUR TERRE
VINCIANE DESPRET
S’il devait être… ? (Puisqu’il s’agit d’une ontologie les pieds sur terre,
allons au plus concret, cherchons dans les milieux, les choses, les êtres qui
nous entourent)
Je crois que l’accordéon s’impose. Parce que nous avons tous connu, un
jour ou l’autre, les effets mélodiques d’un accordéon qui s’est immiscé dans
une rame de métro, une rue en soirée, une place publique, et que nous y
avons goûté sa puissance à transformer son ambiance, à lui donner une
tonalité inattendue. Et, tout autant, parce qu’il émane d’Augustin Berque,
quand on l’écoute, une sorte de joie tranquille qui accompagne le rythme de
sa respiration, une présence tranquillement joyeuse – ne dit-il pas, avec
humour, pour se présenter et parler de son âge : « Vous avez devant vous la
1
joyeuse longévité » ?
Ensuite, parce que lui-même, à propos des proverbes de l’Asie, en
propose la métaphore : « En Chine, les proverbes sont des “paroles en
devenir”. Ce sont des histoires qui s’étirent et se condensent à la manière
2
d’un accordéon . » Il raconte alors l’histoire du vieux de la frontière, dont le
cheval s’était enfui. Les proverbes ne sont pas de simples récits, dit-il alors,
« à qui sait les écouter ». Toute une société s’y évoque, et avec elle, son
espace, son héritage, les mots qu’elle utilise pour se penser. Il ajoute : les
proverbes asiatiques déploient des paysages, des manières d’être, des modes
de vie. Et Berque de prolonger le proverbe, lui-même devenant accordéon-
interprète, le voilà à connecter les signes qui dessinent la singularité d’un
monde à la multitude des liens qui le composent. Le paysage se peuple, et
chacun des êtres qui l’habitent s’inscrit dans une histoire-milieu en
mouvement, qui s’étire et se replie, et qui touche à l’histoire des chevaux, à
celle de leurs ancêtres et des humains qui les ont adoptés, à celle des
steppes où on les a vus galoper, puis à celle de leurs cousins des grottes de
Lascaux, et enfin à sa propre histoire, l’histoire d’une frontière chinoise
fermée qui le décidera à se rendre au Japon. Les proverbes, avec Berque,
sont géographiques, ils dessinent des milieux. Et l’accordéon suit les
mouvements qu’il imprime à ses descriptions : elles forment des plis, des
plis qui connectent sur des modes improbables et contingents, qui
rapprochent les très éloignés – les chevaux de Przewalski, la sinueuse
histoire de l’humanité, leurs lointains cousins de Lascaux – et parfois
s’étirent au loin, pour d’autres connexions.
Sans hésiter, je lui proposerais d’être une cloison, légère, amovible, qui
laisse passer la lumière et, surtout, qui permet d’établir des zones médianes,
5
« qui ne sont ni l’intérieur ni l’extérieur mais les deux à la fois ». La
cloison (du moins dans les demeures japonaises) réactive de ce fait la
possibilité de penser autrement les limites – non plus comme étant soit ce
qui ouvre soit ce qui ferme, le « ou bien ou bien » de la logique
aristotélicienne, mais comme un lieu de passage et de médiation. Une
cloison comme dispositif laissant libre cours à la cosuscitation des choses et
aux mouvements des lieux :la seule chose qu’une cloison ne laisserait pas
passer, c’est l’idée que les substances seraient toujours identiques à elles-
mêmes. Bref, la cloison comme chose rendant possible et perceptible une
« infinie diversité des situations concrètes ».
Augustin Berque serait une langue à traduire et qui n’existerait que dans
la traduction. C’est le mouvement même qui importe, qui relie des mondes,
qui offre des prises, qui crée des interprétations. Traduire, c’est bien sûr
faire passer des significations d’un univers référentiel à un autre. Mais si
l’on s’attache aux pratiques des traducteurs plutôt qu’à leurs résultats,
traduire n’est pas créer un dictionnaire de correspondances – cela ne peut se
faire comme cela, les mondes sont souvent trop éloignés, les langages trop
hétérogènes. Traduire, c’est chercher à faire passer des effets, voire à faire
cosusciter des effets. Traduire suppose non seulement de sentir ce que la
langue fait passer, mais cela oblige surtout à explorer les limites de sa
propre langue ou, plus exactement, de conduire sa propre langue à ses
limites. Traduire, proposait l’écrivain japonais traducteur de Rimbaud,
Kobayashi, c’est « comprendre », c’est-à-dire, « éprouver » et « faire
6
éprouver » . Ce qui implique qu’il ne peut y avoir de véritable traduction
sans un geste d’entre-traduction – qui requiert de revisiter ses propres
concepts, de faire vaciller certaines évidences, de se défamiliariser de ce qui
7
allait de soi, de ce qui « va sans dire » – pensons au terme « cloison », par
exemple.
1. C’est le titre du premier des treize chapitres de la série audiovisuelle Les Possédés et leurs
mondes qui ont été consacrés à Augustin Berque en 2019, moment où il venait d’atteindre l’âge de
77 ans (https://www.youtube.com/watch?v=PuIe7tPRWGg). « L’année 77 au Japon s’écrit avec deux
sinogrammes dont le premier veut dire la joie et le second la longévité. »
2. Supra, p. 27.
3. Supra, p. 101.
4. Supra, p. 99.
5. Supra, p. 84.
6. Kenta Ohji et Mikhaïl Xifaras, Éprouver l’universel. Essai de géophilosophie, Paris, Kimé,
1999, p. 139.
7. Voir par exemple, à ce sujet, l’anthropologue Catherine Lutz, Unnatural Emotions. Everyday
Sentiments on a Micronesian Atoll and their Challenge to Western Theory, Chicago, Chicago
University Press, 1988, et La dépression est-elle universelle ?, Paris, Les Empêcheurs de penser en
rond, 2004. Voir également Eduardo Viveiros de Castro : « Une bonne traduction, écrit-il, est celle
qui autorise les concepts autres à déformer et à subvertir les boîtes à outils du traducteur, en sorte que
le langage d’origine puisse être traduit dans le nouveau. » Eduardo Viveiros de Castro, « Perspectival
anthropology and the method of controlled equivocation », in Tipiti : Journal of the Society for the
o
Anthropology of Lowland South America, 2004, vol. 2, n 1, p. 3-22.
8. Voir le « livre 9 » de la série Les Possédés et leurs mondes déjà mentionnée, épisode intitulé
« La capacité de se mettre à la place de, ou le shintoïsme comme animisme et la logique du
prédicat ».
9. Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux, Paris, Minuit, 1980, chapitre XI, « 1837. De la
ritournelle ».
10. Cette théorie des périphéries a été proposée dans les années 1950 respectivement par les
ornithologues Frank Fraser Darling et James Fisher. Voir Frank Fraser Darling, « Social behavior and
survival », Auk, 1952, vol. 69, p. 183-191, et James Fisher, « Evolution and bird sociality » in
J. Huxley, A. C. Hardy et E. B. Ford (dir.), Evolution as a Process, Londres, Allen & Unwin, 1954,
p. 71-83. J’ai moi-même analysé les promesses de ces théories beaucoup moins déterministes dans
Habiter en oiseau, Arles, Actes Sud, 2019.
Table des matière
Copyright
Page de titre
AVANT-PROPOS
BIBLIOGRAPHIE
POSTFACE
NOTES
This le was downloaded from Z-Library project
Z-Access
https://wikipedia.org/wiki/Z-Library
ffi
fi