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L’homogamie géographique
Cette forme d’homogamie varie selon les milieux : elle est la plus forte
chez les cultivateurs, puis les ouvriers et enfin les catégories supé-
rieures. Elle est la plus faible chez les commerçants, les employés et les
cadres moyens. Les échanges les plus nombreux se font donc entre ces
trois milieux qui relèvent de ce qu’il est convenu d’appeler les classes
moyennes.
Ces groupes sociaux ne sont pas homogènes. Par exemple, la dis- tance
est importante entre un fermier qui travaille sur une petite exploi- tation
et le propriétaire d’un grand domaine comme est grande la dis- tance
entre un manœuvre du bâtiment et un ouvrier de l’électronique. Girard
concède qu’il faudrait, à l’intérieur des grands groupes sociaux, étudier la
répartition des mariages selon le niveau très précis atteint, dans la
hiérarchie sociale, par les deux familles qui s’allient pour avoir une idée
de l’ascension ou de la régression accomplie par chaque conjoint lors de
son mariage. Une analyse plus fine des couples hétérogames con- duirait
sans doute à minorer la distance sociale entre conjoints.
À la fin des années 1950, la France est très majoritairement ca- tholique
(90 % des ménages). Pour le reste, les ménages sont protestants (2,1%
pour les maris, 2% pour les femmes) ou juifs (0, 6 % tant pour les maris
que pour les femmes) alors que seulement 8 % des maris et 5,2 % des
femmes se déclarent « sans religion ». L’homogamie religieuse ne peut
être que très forte, du seul fait de la prédominance des Catholiques. Dans
92 % des ménages, les conjoints appartiennent à la même confes- sion.
Les mariages entre individus de confession différente sont rares. Les
Catholiques n’épousent que rarement des personnes d’une autre reli-
gion ou sans religion. Dans ce cas, ce sont, le plus souvent, des Catho-
liques non pratiquants.
Dans tous les milieux sociaux, les femmes pratiquent plus que les
hommes. On ne note aucune différence significative selon les généra-
tions. À chaque âge, les femmes pratiquent plus que les hommes et l’écart
demeure à peu près le même quel que soit l’âge.
Il s’attarde sur l’observation des lieux de ren- contre (TABLEAU 1). Les
différents types de rencontre sont variés et chaque type représente une
proportion analogue de l’ensemble même si le bal, sous toutes ses
formes, arrive en tête.
Il apparaît que ce sont des individus de même milieu qui sont appe- lés à
se rencontrer. On remarque l’importance de la famille, du voisinage, du
travail (TABLEAU 1). Les rencontres groupées sous la rubrique « cir-
constances fortuites » n’aboutissent pas automatiquement à des ma-
riages, mais la rencontre ne peut se transformer en fréquentation que si
les individus mis en présence sont socialement proches l’un de l’autre
Le bal est le lieu de rencontre qui arrive en tête, mais il n’est pas un lieu
de rencontre indifférencié qui brasserait des personnes issues de tous les
milieux : « c’est le bal de village ou de quartier, c’est la surprise- partie
des milieux bourgeois, c’est le bal des cheminots, ou de l’École Centrale,
le bal annuel des Auvergnats à Paris, ou celui qui termine la kermesse
d’une paroisse ».12 Le choix du conjoint n’est pas une loterie où les billets
seraient distribués au hasard et, sans distinction, à l’ensemble de la
population. Les billets ne sont distribués qu’à l’intérieur de groupes plus
ou moins restreints.
Alain Girard avait constaté qu’en France on avait tendance à épouser son
semblable tant sur le plan social que culturel et géographique. C’est
l’homogamie. Vingt-cinq ans plus tard, au milieu des années 1980, dans
une nouvelle enquête, Michel Bozon et François Héran s’interrogeaient :
le choix du conjoint suit-il toujours une logique homogame ? Si la ré-
ponse s’avère positive, comment l’expliquer ?
Déclin de l’homogamie géographique ?
Les cadres ont une mobilité résidentielle forte et n’ont guère besoin de
mettre en œuvre une stratégie exogame, leur mobilité résidentielle les fait
accéder à un échantillon varié de partenaires.
Quant aux ouvriers, ils constituent le groupe social qui a le plus ten-
dance à prendre un conjoint sur place. Comme ils constituent encore, en
1984, le groupe social le plus nombreux, ils peuvent trouver un conjoint
sans effectuer un long déplacement.
Elle est moins nette chez les employés. À l’intérieur du monde ou- vrier,
on doit distinguer entre enfants d’ouvriers qualifiés et enfants d’ouvriers
non qualifiés. Les premiers sont plus portés vers des conjoints enfants
d’employés ou d’ouvriers bien établis. Les seconds, plus souvent ruraux,
se retrouvent entre eux mais aussi avec des enfants de petits agri-
culteurs, sur le point parfois de quitter la terre.
Les soirées privées entre amis, les lieux scolaires représentent, au début
des années 2000, 20 % et 18 % des rencontres contre 13 % et 11 % au
début des années 1980. Il n’y a pas lieu de considérer que les soirées
entre amis où les liens noués sur les bancs du lycée ou de l’Université
mettent davantage en présence des individus venant de milieux sociaux
divers que le bal.
On peut expliquer que l’on épouse quelqu’un parce qu’on partage les
mêmes goûts et les mêmes centres d’intérêt. Or le goût est socialement
déterminé, il dépend largement des milieux d’appartenance et de
l’éducation que l’on a reçue. « Le goût assortit ; il marie les couleurs et
aussi les personnes »19 écrit Pierre Bourdieu en avançant l’importance du
capital culturel (les biens culturels comme les livres, l’ensemble des titres
et des diplômes, l’aisance dans les conversations et les situations) dans
les phénomènes de reproduction sociale.
En 1987, François de Singly notait que les femmes d’une origine so- ciale
donnée qui faisaient un meilleur mariage que les autres le devait à leur
capital scolaire qui fonctionnait comme une dot. « Les filles d’employés
qui en se mariant effectuent une mobilité ascendante se dis- tinguent
des filles d’employés en mobilité descendante par une dot sco- laire de
près de trois années »22. La dote scolaire peut avoir des effets pervers
pour la femme. Alors que les hommes faiblement diplômés sont plus
souvent célibataires (voir le cas des agriculteurs), ce sont au con- traire
les femmes les plus diplômés qui sont le plus souvent célibataires. Tout
se passe comme si les femmes diplômées étaient vécues, par les hommes,
comme des « femmes dangereuses »23, dangereuses pour le bon
fonctionnement du couple et pour l’autorité personnelle du conjoint.
Dans la dynamique interne du couple marié, les femmes sont d’autant
plus en mesure d’imposer le partage des tâches domestiques qu’elles sont
diplômées.