Vous êtes sur la page 1sur 211

Alessia Jourdain

Forever and
Ever
Résumé
Anila, c’est la femme de ma vie. Celle qui a su me faire voir la vie autrement,
celle qui a réussi à me faire lever le pied au boulot. C’est une lionne, ma tigresse.
Au début, j’ai bien cru que son frère aîné, ancien collègue et meilleur ami, Finn,
allait m’arracher les couilles et les yeux. Elle ne lui a pas laissé le choix, et il a
abdiqué. Pourtant, cette fois, c’est elle qui merde. Au péril de sa vie… Est-ce
que nous pourrons la sauver ? Nous laissera-t-elle seulement faire… Nous ne lui
laisserons pas le choix. Parce que je l’aime. À en crever, s’il le faut…
© 2019, Alessia Jourdain.
Tous droits réservés.
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions
destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction
intégrale ou partielle faite par quelques procédés que ce soit, sans le
consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une
contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété
intellectuelle.

Crédit photo : © Adobe Stock


© Unsplash
Illustration : © Laly Wade

ISBN papier : 978-2-900060-11-7

ISBN numérique : 978-2-9000-60-10-0

Page Facebook : https://www.facebook.com/Alessia-Jourdain-Auteure-


275858612812478/?
eid=ARAtwwoJc4LHxTe1PkWefcQeGNqoxSadTgZK7apj0vrfwzC5om6LnZBztpr_7jELSLU
Site web : https://alessiajourdain.wixsite.com/website

Instagram : alessia_jourdain_books

Cet ouvrage est une fiction. Toute ressemblance avec des personnes ou des
institutions existantes ou ayant existé serait totalement fortuite.
Prologue

– Ani ? Ani, tiens le coup ! Putain, mais qu’est-ce qu’ils foutent ? Ani !
Cette voix… Elle hurle mon prénom. Comme pour me retenir. M’empêcher de
partir. Je sens qu’on m’aspire, qu’on m’emmène malgré moi vers un autre
monde. L’autre monde. Et je ne peux pas lutter. Dans mon esprit, je tends la
main, Alejandro l’attrape et me retient. Mes doigts glissent et je tombe dans le
vide. Le liquide chaud continue de couler, et plus il s’échappe, plus l’énergie me
quitte. Une vague de froid me saisit, me paralyse. Je suis incapable de réagir, de
faire face.
Des bruits étranges se font entendre autour de moi, des tirs, des sirènes, des cris.
– Ani, t’as pas intérêt à me faire ça. Je t’ai ramenée une fois, je le ferai autant de
fois qu’il le faut. Mais ne me fais pas ça, s’il te plaît…
Mon frère, Finn… Mon sauveur… Une autre voix me parvient.
– Ani, ma puce, mon amour… S’il te plaît… Reste avec moi. Ne pars pas. Je ne
sais pas vivre sans toi. Je t’aime, je t’aime tellement… Ne m’abandonne pas…
Alejandro… J’aimerais lui dire que je l’aime, qu’il est tout pour moi. Que je suis
désolée d’en être arrivée là. Que je suis désolée d’avoir fait ça, d’avoir répandu
ce mal autour de moi… Mais je ne peux pas. Je sombre… Je pars… Je
m’endors, envahie par ces frissons morbides…
– Aaannnniiiii… Nooonnn…
Chapitre 1

Dix-huit mois plus tôt.

Anila

– Arrête de pleurer, Ava, tu vas ruiner le maquillage que je viens de te faire !


– Je ne fais pas exprès, Ani ! râle ma future belle-sœur.
– Ava, ma puce, est-ce que tu veux une tisane apaisante ? Je peux t’en faire une à
base de camomille et tilleul.
– Maman, c’est bon, ça va aller.
Beverly est cette maman un peu – beaucoup - hippie sur les bords qui pense que
les plantes résolvent tout. Cependant, je peux voir que cette attitude commence à
énerver Ava. Elle est beaucoup plus terre à terre. Oui, le karma existe, blablabla,
mais pas pour tout. Et je sens que ce n’est pas le moment qu’il revienne sur le
tapis, celui-là ! J’envoie un message discrètement à ma mère, afin qu’elle prenne
Beverly avec elle.
– Beverly, est-ce que vous pourriez aller vérifier que toutes les fleurs soient bien
en place ? lui suggéré-je.
– Bien sûr ! J’y vais de ce pas ! Elles doivent être exposées d’une certaine façon
pour qu’elles renvoient tout le rayonnement solaire qu’elles possèdent.
OK… Elle va un peu trop loin pour moi ! Bev sort de la pièce, et je remarque
alors que ma belle-sœur se détend un peu.
– Respire bien profondément, invité-je Ava. Tu veux que j’ouvre la fenêtre ?
– Non, il fait trop chaud dehors.
– Quelle idée de se marier en plein mois de juin, aussi ! lui fais-je remarquer
ironiquement.
– Parce que nous avons enfin le temps et que les enfants ont grandi et nous
laissent un peu plus dormir. Et que ton frère est très impatient !
Ava va enfin épouser mon frère, Finn. Leur histoire n’est pas commune. Finn
travaillait avec le mari d’Ava, Tom, à la CIA. Ils géraient les affaires
internationales les plus complexes et, souvent, dangereuses. Tom a été tué par un
parrain de la mafia russe il y a bientôt trois ans. Et bien malgré elle, Ava s’est
retrouvée en danger. Je n’ai pas eu tous les détails, mais j’ai compris qu’il y avait
eu une taupe dans le service de Tom et Finn. Et que cette taupe était Mike. Mais
je n’en sais pas plus. Finn l’a protégée, elle s’est autorisée à aimer de nouveau.
Alors que leur amour en était à son balbutiement, Finn est reparti au front pour
une dernière mission. Nous avions bien cru qu’il ne rentrerait jamais.
Finalement, il est là, et épouse sa belle et douce Ava aujourd’hui. Elle n’a que
trois ans de plus que moi, je la considère vraiment comme une sœur. Et son petit
Aiden… C’est mon petit prince. Un ange. Non seulement il est trop mignon,
mais il est vraiment adorable. C’est un petit mec très malin pour son âge, qui
connaît un tas de choses. J’adore passer du temps avec lui. Avec la seconde
grossesse, totalement inattendue, d’Ava, j’ai été un peu plus présente pour lui.
J’ai emménagé avec Alejandro à Boston peu après la fin de l’affaire. Notre
différence d’âge n’a gêné personne. Si ce n’est mon idiot de frère. Quand il a
découvert que nous étions ensemble, juste avant qu’il ne reparte pour sa dernière
mission à l’étranger, il m’a fait tout un discours que ce n’était pas possible pour
nous d’être ensemble, qu’on avait vingt ans d’écart et que ce n’était pas
possible… Ce qui l’a calmé ? Son accident en Syrie. Après avoir démissionné de
la CIA, il a été recontacté par l’armée. Au début des années 2000, il a fait
l’Afghanistan. Mais il a été blessé, grièvement. Coma et tout ça. Nous avons cru
le perdre. Il lui manquait encore quelques mois pour finir son contrat avec l’USA
Army. Ils avaient besoin d’hommes d’expérience sur le terrain. Ils l’ont envoyé
dans cet enfer. Il est rentré avec une épaule abîmée, mais c’était un moindre mal.
Il y a eu des morts et nous avons tous eu peur. Toujours est-il qu’il a changé
d’opinion sur ma relation avec son ami slash ancien patron.
En rentrant, il a immédiatement demandé la main d’Ava, mais il l’a fait dans les
règles de l’art à Londres, quelques mois plus tard. Pourquoi Londres ? Parce que
c’est là qu’ils se sont découverts. Qu’elle s’est autorisée à ouvrir son cœur de
nouveau.
Finalement, Ava s’est rapidement calmée lorsque son père, Paul, illuminé par
solidarité pour sa femme, est venu la chercher. Elle s’apprête à remonter l’allée.
Gonz et papa sont les témoins de Finn. Alice et moi sommes les demoiselles
d’honneur d’Ava. À mes côtés, Alice s’agite.
– Bon sang, ça faisait une éternité que je n’avais porté de robe. Ça ne me
manquait pas, chuchote-t-elle.
– T’es sérieuse ? Elles sont magnifiques ! Comment peux-tu ne pas aimer te
retrouver dans ce tulle léger, et…
– OK, rit-elle. J’ai compris. Allez, à toi, Ani.
La musique retentit et je remonte l’allée. Je ne lâche pas mon Alejandro des
yeux. Cet homme, mon homme, est tout pour moi. La première fois que je l’ai
rencontré, j’ai été attirée par son côté bad-boy grincheux. Un peu roots, mais qui
cache un côté « je contrôle tout » rigide. Je me suis d’abord sentie comme une
gamine amoureuse d’un homme inatteignable. J’avais vingt et un ans quand nos
regards se sont croisés. Et déjà, l’étincelle qui brille aujourd’hui avait déjà pris
vie dans ses yeux.
Lorsque j’arrive à leur hauteur, les trois hommes de ma vie me regardent
tendrement, tous les trois d’une façon différente. Mon homme en impose dans
son smoking noir avec son nœud papillon de la même couleur. Cela lui donne
une prestance supplémentaire. Un raclement de gorge me tire de ma rêverie.
– Arrête de faire mentalement l’amour avec Gonz. Ce n’est pas très discret, me
souffle Alice en riant.
Mon sourire parle pour moi. Mais je ne replonge pas dans mes fantasmes. Ava
remonte à son tour l’allée, au bras de son père. Sa robe est simple, mais si
belle… Un satin lourd qui tombe en corolle à ses pieds, et une encolure bateau
qui met en valeur ses épaules et son port de tête gracieux. On dirait une
princesse. Une vraie princesse.
Le prêtre récite son discours, puis les amoureux échangent leurs alliances,
amenées par Aiden et Cecilia. Ils ont fait une cérémonie simple et touchante. Pas
d’échange de vœux personnalisés, ils ne sont pas comme ça. Pourtant, je sais que
leur soirée va être touchante.
– Je vous déclare mari et femme. Vous pouvez… OK, c’est fait !
Finn n’attend pas la permission du prêtre pour embrasser Ava. Passionnément.
Parce que ces deux-là, ils sont ainsi. Entiers, fous amoureux, doux, tendres,
respectueux et passionnés. Ils ne peuvent garder leurs mains pour eux. Ils sont
perpétuellement en contact avec l’autre. Un bras sur l’épaule, une main sur la
cuisse, leurs doigts entremêlés… Ils sont l’exemple même de l’amour. De ce que
j’admire dans une relation. Revenons-en au mariage. La soirée est magnifique.
Les invités ne sont pas très nombreux, nous sommes une cinquantaine, tout au
plus. C’est une soirée calme, mais qui transpire l’amour. Et quand Finn prend la
parole, cette sensation est décuplée.
– Bonsoir tout le monde ! Merci d’être présents en ce jour-ci important pour
nous. J’avoue que je ne savais pas si les enfants allaient nous laisser assez
dormir pour que nous ayons la force de tout organiser !
Les rires s’élèvent dans la salle.
– Heureusement, nos mères, ma sœur nous ont aidés et ont fait de ce jour l’un
des plus beaux de nos vies.
Il se tourne vers Ava et lui prend la main afin qu’elle se lève à son tour.
– À vrai dire, chaque jour à tes côtés est l’un des plus beaux de ma vie.
Cependant, le jour où je t’ai rencontrée, celui où tu as accepté de m’épouser,
deux fois, la naissance de notre fils et la première fois que Aiden m’a appelé
papa surplombent tous les autres. Nous n’étions pas supposés nous rencontrer, et
encore moins finir ensemble… La vie nous a imposé des épreuves difficiles à
surmonter. Mais je te promets que je la rendrai aussi douce qu’elle pourra l’être à
l’avenir. Merci de m’avoir donné ces magnifiques enfants, et si ça te va…
Attendons encore un peu avant de faire le troisième. J’aimerais faire quelques
nuits complètes à nouveau, rit-il. Je t’aime, Ava. Tom, mon pote… On pense à
toi. Tu ne nous quittes pas…
Le fait qu’il évoque Tom touche l’assemblée. Et Ava. Elle a longtemps
culpabilisé de ressentir des choses pour Finn. Elle s’interdisait d’aimer. Mais
finalement, elle a craqué, pour le plus grand bonheur de tout le monde. À mes
côtés, les pieds de la chaise grincent. Alejandro se lève et me tend la main
– Amor, tu danses ?
J’adore les surnoms qu’il me donne. D’origine mexicaine, il m’appelle amor,
vida, corazon. Cette consonance chantante me fait craquer à chaque fois. Je
glisse ma main fine entre ses doigts larges. Ils se referment sur ma paume et il
me guide sur la piste de danse.
– Je n’ai pas encore eu l’occasion de te le dire, mais tu es magnifique.
Je porte une robe courte, de couleur rose pâle, faite de tulle et d’organza, mes
épaules et mes bras sont couverts de dentelle très fine, travaillée, de la même
couleur.
– Je te renvoie le compliment. Tu es encore plus sexy que d’habitude dans ton
costard.
La chaleur des mains d’Alejandro dans mon dos me fait frissonner. Il a ce don de
me faire réagir alors qu’il entre dans la pièce où je me trouve. C’est électrique
entre nous. Au début, je pensais que cela ne durerait pas. La phase Lune de Miel.
Mais après quatre années ensemble, rien n’a changé. Son corps est un aimant
pour le mien. Sa voix profonde me donne si chaud que si nous étions seuls, sur
cette piste de danse, il pourrait me faire n’importe quoi. Tout ce qu’il veut.
– Arrête de te frotter à moi, amor… Je ne tiendrai pas longtemps…
Je m’éloigne légèrement, un sourire narquois aux lèvres.
– Ce sera explosif, tout à l’heure… Parce que je suis dans le même état que toi…
– C’est une promesse ?
– Oh que oui…
Nos corps brûlants d’envie continuent d’évoluer sur la piste de danse, mais nous
sommes rapidement interrompus.
– Avant que vous ne produisiez un porno en direct, je t’emprunte ma petite sœur.
Vous êtes insortables tous les deux ! râle Finn.
– Chéri, laisse-les tranquilles, le sermonne Ava. Gonz ?
– Avec plaisir, Miss McDougall.
Ils s’éloignent tous les deux et mon Finn me prend contre lui. Les vingt-cinq
centimètres de différence que nous avons me font me sentir en sécurité. Les
hommes de ma vie sont des hommes de défense, qui se battent. Des hommes
d’honneur. Angels de Robbie Williams, s’élève dans la pénombre de la salle.
Finn me tient contre lui, et je ressens tout l’amour et la tendresse fraternelle que
nous avons l’un envers l’autre.
– Je n’aime toujours pas savoir que tu sors avec Gonz, grogne-t-il à mon oreille.
Même si je m’y suis un peu habitué.
– Tu vas devoir beaucoup t’y faire, parce que je compte bien fonder une famille
avec lui.
– OK, OK…
– Admets que tu le connais et que tu sais que c’est un homme bien.
– Certes. Mais j’aurais préféré qu’il ait vingt ans de moins.
– T’es tellement vieux jeu, mon frère ! Dois-je te rappeler que tu as presque
quinze ans de plus qu’Ava, que c’est la veuve de ton meilleur ami mort il y a
quatre ans, et que son fils, qui n’est pas de toi, t’appelle « papa ». Ta famille
n’est pas vraiment conventionnelle.
– Ça va, t’as gagné ! Changeons de sujet, OK ?
Je lui souris, je sais qu’il capitule. Presque.
– Alors, heureux d’être marié ? lui demandé-je.
Un sourire plus qu’heureux s’affiche sur son visage.
– Bien plus que ça. Pourtant, nous vivons ensemble depuis presque deux ans, ce
n’est pas comme si je découvrais la vie en couple. Mais je ne pensais pas que le
mariage, ce bout de papier signé, provoquerait autant de sensations.
– Attention, tu te ramollis, me moqué-je.
– On en reparlera dans quelque temps. Ou pas. Non ! Oublie ce que je viens de
dire.
– Quoi ? Tu insinues que tu assisteras à notre mariage ! Oh, je note ! Je retiens !
– Je… Tu es agaçante, Any, me sourit-il.
Finn dépose un baiser dans mes cheveux.
– Je t’aime, petite sœur. Et s’il te fait le moindre mal, ami ou pas, je le démolis.
– Je sais. Je t’aime aussi… Merci… Pour tout.
Il sait de quoi je parle. Il y a un peu moins de vingt ans, il m’a sauvée.
Littéralement. Il était soldat lors de la campagne américaine au Kosovo. Après
un massacre dans mon village, il m’a retrouvée et fait venir aux États-Unis. Ses
parents sont devenus les miens. En revanche, je ne me souviens plus de grand-
chose de cette époque. C’est ce que Finn m’a raconté.
– Dis, tu devrais donner ta recette du gâteau que tu as fait à Ava. Elle l’adore et
voudrait le refaire pour les enfants.
– Sans souci ! Je lui en parlerai quand vous aurez retrouvé le calme de la
maison !
Nous dansons encore quelques minutes, mais ma moitié vient rapidement me
récupérer. Impossible pour nous de rester loin l’un de l’autre…
Chapitre 2

Finn

Beaucoup de choses ont changé depuis le temps. Notre princesse nous prend
beaucoup de temps, elle est beaucoup moins calme que son frère ! Elle touche à
tout, et encore plus du haut de ses dix-huit mois ! Cependant, son sourire, ses
petites mains et ses babillages, ses bêtises aussi font fondre mon cœur. Même si
Aiden m’a fait goûter aux joies de la paternité, je ne suis pas son « vrai » père.
Pour autant, je l’aime comme mon fils, comme s’il était mon sang. Mais Cecilia
a touché mon cœur plus profondément. Je ne fais pas pour autant aucune
différence entre eux. Nous faisons tout pour que Aiden connaisse son père. Nous
lui parlons de Tom chaque fois que nous le pouvons. Une balade tous les quatre,
un chien, qu’il aurait aimé avoir, le prénom de sa sœur. Nous lui montrons des
photos. Il sait que ce monsieur est son papa, qu’il n’est plus là, mais qu’il
l’aimait très fort, plus que sa propre vie. Avec moi, il agit comme si j’étais son
père. Au début, j’appréhendais la réaction d’Ava. Je ne voulais pas qu’elle
imagine que je cherchais à prendre la place de Tom. Encore plus après mon
retour de Syrie. Avant, nous ne vivions pas vraiment ensemble. Enfin, si, mais
cela n’a pas duré vraiment longtemps. Puis, avec la grossesse, Ava a eu besoin
de temps pour se reposer. Le stress que lui avait causé ma mission à l’étranger
est retombé et la fatigue lui est tombé dessus. Elle dormait plus de quinze heures
par jour. Inévitablement, je me suis rapproché d’Aiden. Et rapidement, il m’a
appelé papa. Lorsqu’il l’a fait la première fois, je n’ai pas su comment réagir.
J’étais content, touché, mon cœur a fondu de tendresse devant ce petit être d’un
an qui m’appelait papa. Mais j’avais l’impression de bafouer la mémoire de mon
meilleur ami. Et j’avais peur de blesser Ava. De remuer de mauvais souvenirs,
qu’elle souffre de l’absence de Tom. Que ma complicité avec Aiden lui rappelle
constamment l’absence de son père. Finalement, elle m’a surprise.
– Il n’a jamais connu son père. Et son frère ou sa sœur t’appellera ainsi… C’est
toi qui l’élèveras, qui le soigneras quand il sera malade, c’est toi qui panseras
ses genoux quand il tombera. Tu lui apprendras à faire du vélo, comment
draguer les filles, les règles du football américain, c’est vers toi qu’il se
tournera lorsqu’il aura besoin d’un avis, Finn. Viens, approche…
Je m’assieds sur le lit, à côté de ma fiancée et son ventre gonflé.
– Je ne vais pas dire que je regrette d’avoir eu Aiden avec Tom, jamais. C’était
mon mari, l’homme que j’ai aimé passionnément, et qui m’a donné mon fils.
Mais la vie nous l’a enlevé. Tu as perdu ton meilleur ami, moi, mon mari, Aiden,
son père. Mais je sais qu’il ne ressentira jamais l’absence de son papa. Parce
que tu la combleras. Et on lui parlera de Tom chaque jour, à chaque occasion.
Je ne veux pas l’oublier, et je ne veux pas qu’il l’oublie. Tom fait partie de nos
vies, d’une façon ou d’une autre. Mais je ne veux pas que tu t’inquiètes de mes
réactions. Aiden n’est peut-être pas de ton sang, mais tu es son père…
J’essuie la larme qui pointe au coin de mon œil. C’est ma future femme. Je
l’admire. Elle a enduré tant de choses…
– Je t’aime, Finn, je te confierai ma vie, je te la confie, ainsi que celle de mes
enfants. De nos enfants. Tu es un père merveilleux, et je sais que pour celui-ci
aussi, tu seras parfait, dit-elle en prenant ma main et la posant sur son ventre.
Je me penche et l’embrasse.
– J’ai toujours voulu avoir des enfants, mais ce n’était pas une priorité. Tu es
rentrée dans ma vie d’une façon assez inattendue, mais je ne regrette aucun des
moments qu’on a vécus jusqu’ici. Même s’ils étaient durs. Aiden et toi avez
bouleversé ma vie. De la meilleure des façons. Je vous aime, et jamais cela ne
changera.

Les mois ont passé à toute allure et nous voilà déjà le soir de notre mariage.
Nous voulions quelque chose de simple. Any s’est occupée du repas. Elle a
ouvert sa boutique de gâteaux et elle a développé une activité de traiteur
également. Son business marche tellement bien qu’elle ait été contactée pour que
sa marque devienne une franchise. Ce qu’elle cuisine est d’une justesse inouïe.
Je n’ai jamais goûté des plats aussi fins. Je ne suis peut-être pas très objectif,
c’est ma sœur adorée. Mais je sais qu’elle ira loin. Alors que je danse avec Any,
Ava accompagnée de Gonz nous rejoignent.
– Chéri, Rosa est allée coucher les enfants il y a une bonne heure, mais elle n’est
pas revenue. Je vais aller la remplacer.
– Je viens avec toi. On a fait notre devoir, lui souris-je.
Puis, je rajoute à l’intention de mon meilleur ami.
– Mec, on te laisse les clés. Amusez-vous bien.
Je quitte la salle, ma femme à mon bras. Elle est magnifique dans cette robe… Et
elle est mienne… Je mesure la chance que j’ai alors que nous regagnons le petit
hôtel attenant dans lequel se trouvent ma mère et nos enfants. Lorsque nous
arrivons, Aiden est couché dans son lit et ma mère parle à Cecilia.
– Elle n’arrivait plus à dormir, nous explique-t-elle. Mais que faites-vous là ?
– On vient te remplacer, maman, lui dis-je.
– Oh non, mes enfants. Je m’en sors très bien ! Callum viendra m’aider quand il
aura fini de goûter aux fabuleux scotchs de votre bar. Vous, allez dans votre
chambre et reposez-vous !
Ma mère nous chasse et retourne auprès de ses petits-enfants. Ava rit dans
l’obscurité du couloir.
– J’adore Rosa… Et une bonne nuit de sommeil ne nous fera pas de mal.
– Une bonne nuit de sommeil ?
– Oh oui, chéri, ne m’en veux pas… Mais j’ai besoin de repos.
Je grogne dans son cou alors que je la serre contre moi.
– Va pour une bonne nuit de sommeil, alors.
Parce que comme Ava, j’ai accumulé quelques nuits de retard. Entre la naissance
de Cécilia, la période des cauchemars d’Aiden, les dents des uns et des autres…
Les heures de sommeil fondent comme neige au soleil !
Le lendemain matin, lorsque je me réveille, le lit est froid. Ava est déjà auprès de
nos enfants. Je prends le temps de m’étirer et de fourrager mes cheveux avant de
la retrouver. C’est une vraie mère poule, à l’instinct extrêmement développé. Je
me lève, m’habille rapidement du jean et du tee-shirt noir que j’ai apportés, et
rejoins la salle où nous avons fait le repas hier soir. J’y trouve mes parents, ma
sœur, Gonz et Alice. Et Ava, Aiden sur un genou, Cecilia sur l’autre. Elle ne me
voit pas arriver.
– Bonjour, mes amours, soufflé-je dans ses cheveux alors que je l’embrasse sur
le sommet du crâne.
Elle me regarde et son sourire illumine la pièce.
– Bonjour mon mari, murmure-t-elle.
– J’adore quand tu m’appelles comme ça.
– J’adore t’appeler comme ça.
– Coucou, mes trésors ! lancé-je à mes enfants.
– Papa ! Pas trésor !
– Oh ? Comment je dois t’appeler alors ? Buddy ?
– Oui ! rétorque Aiden avant de filer.
– Heureusement que tu ne parles pas encore, princesse.
– Je doute qu’elle te demande d’arrêter de l’appeler ainsi ! Encore moins si tu la
traites comme telle.
Ma fille me mène par le bout du nez. Et alors ? N’est-ce pas le cas de chaque
père avec sa fille ?
– Moque-toi ! Dis, tes parents ne sont pas là ?
– Non. Partis ouvrir leurs chakras je ne sais trop où.
Beverly et Paul sont ainsi. Différents, mais… ce sont les parents de ma femme.
Any s’est encore surpassée ce matin. Les toasts grillés, mais pas carbonisés
comme j’ai l’habitude de les faire, les œufs brouillés sont crémeux, les confitures
qu’elle a elle-même confectionnées… Tout est excellent et parfait. Après que
tout le monde s’est délecté de ce petit-déjeuner, nous nous apprêtons à partir en
lune de miel. Mais nous ne sommes pas vraiment prêts à laisser les enfants à mes
parents. Cependant, ma mère nous presse un peu. Pour notre bien ? Par
impatience de s’occuper de nos enfants ? Sûrement des deux !
– Allez, les enfants, plus vous allez tarder, plus vous allez avoir du mal à les
laisser. Je vous promets de vous appeler chaque jour, et je vous enverrai plein de
photos. Maintenant, filez, vous allez être en retard. Profitez de votre séjour.
Nous embrassons les enfants une dernière fois avant de partir. Destination ?
Inconnue pour Ava. Je me suis occupé des réservations. Un tour d’Europe. Paris,
Rome, Madrid, Lisbonne, Londres, Athènes, en faisant une escale en Albanie.
Paraît-il que peu de touristes prennent le temps de s’y arrêter, mais que cela vaut
vraiment le détour.
Lorsque nous arrivons à l’aéroport, je remarque que le regard d’Ava est humide.
Elle tente de cacher son nez rougi. Elle a pleuré durant le trajet jusque-là, mais,
trop concentré sur la route, je n’ai rien vu… Je me tourne vers elle, et la serre
contre moi.
– Viens là, chérie.
Elle s’effondre, en larmes contre mon torse.
– Je suis une mauvaise mère ! Quelle mère laisse ses enfants comme ça pendant
quatre semaines ?
– Une mère qui veut que ses enfants soient heureux. Et pour qu’ils le soient, il
faut que tu le sois, toi. Que tu sois épanouie. Que tu trouves un équilibre entre
ton rôle de maman et celui de femme. Hey, regarde-moi, ma puce.
Je m’écarte légèrement et dépose mes mains sur ses joues.
– Ne culpabilise jamais de prendre du temps pour toi. Ce sont justement ces
moments égoïstes qui vont vider ton esprit perpétuellement préoccupé par les
enfants et leurs vies, et qui vont te permettre d’emmagasiner de nouveau de
l’énergie pour eux.
– Et s’ils m’oublient ? S’ils m’en veulent ?
Je lui souris tendrement.
– Chérie, ils ne t’oublieront pas puisque nous allons leur parler chaque soir, nous
les verrons également. Et ils ne t’en voudront pas. Tu ne fais rien de mal. Ils vont
s’éclater avec mes parents, tu sais qu’ils s’adorent !
– Je sais…
– Tu ne serais pas un peu jalouse, toi ? la taquiné-je.
Elle fait une petite moue adorable, m’indiquant que je ne me suis pas trompé.
– Sérieusement, nous vivons des moments fabuleux avec eux, mais nous devons
les partager, tu sais…
– Non…
– T’es vraiment une mère ourse ! rigolé-je.
– Ne te moque pas !
Son sourire n’atteint pas ses yeux, mais elle a compris le message.
– Allez, viens, on y va, chérie.
Elle me suit, et rapidement, nous embarquons pour rejoindre notre première
étape. Le début du séjour se passe parfaitement bien. Nous commençons par
Lisbonne, puis Madrid et Rome. Le climat de ces villes est chaud, bien plus qu’à
Boston ! L’architecture du sud de l’Europe est disparate, tantôt marquée par le
passage des Arabes, ou encore des Romains. Jouer les touristes est relaxant. Être
insouciant, ne penser à rien d’autre que nous, faire l’amour à ma femme, flâner
main dans la main, grignotant des churros, de la charcuterie et autres spécialités
locales.
L’escale suivante nous mène dans la ville de l’amour, Paris. J’ai réservé un hôtel
cinq étoiles, une suite au dernier étage qui donne sur la tour Eiffel. Rien de plus
romantique. Un air d’accordéon en fond, une nuit noire étoilée. Et elle.
Nous avons fait la moitié de notre voyage qui dure un mois, et nous rejoignons
Londres. Cette ville a une saveur particulière pour nous. C’est là que tout a
basculé. En bien, comme en mal. C’est là que nous nous sommes découverts,
qu’Ava a donné une chance aux sentiments qui nous envahissaient malgré la
situation. C’est là que nous avons résolu en grande partie l’affaire qui a coûté la
vie à Tom. C’est aussi là que j’ai failli la perdre, victime d’une balle perdue…
C’est là qu’elle a constaté qu’Aiden était sur une liste d’enfants qui faisait l’objet
d’un trafic international. C’est là que cet enfoiré d’Azarov nous a démasqués.
Cependant, c’est aussi dans cette ville que je l’ai demandée en mariage. Nous
essayons de garder que le positif de Londres. Mais, volontairement, nous n’y
restons que quelques jours. Je ne veux pas ternir cette lune de miel.
Après cette étape anglaise, nous nous envolons pour Saranda, ville balnéaire
albanaise. J’ai loué une voiture afin de naviguer un peu sur la côte qui, selon les
guides touristiques, est aussi belle que la Riviera française. Je ne suis jamais
venu dans ce pays. Le Kovoso n’est pas très loin. Depuis, le pays a changé de
gouvernement. Et je ne tiens pas à y remettre les pieds. Plus jamais de ma vie !
L’hôtel dans lequel nous descendons est moderne, neuf, et sa grande façade
blanche se démarque du linéaire de béton la nuit et le jour sous les rayons du
soleil. La côte n’est pas encore un endroit très prisé et nous avons la chance
d’être tranquilles. Nous profitons de cette dernière étape pour souffler et nous
reposer un maximum. Cependant, très rapidement, mes instincts d’agent secret
se sont mis en éveil. Si j’avais ressenti une certaine tranquillité, une paix, une
sécurité dans les pays où nous nous sommes arrêtés, ici, un certain mal-être s’est
emparé de moi. Comme si nous étions épiés. Suivis. Est-ce que ça a un lien avec
le fait que le Kosovo ne soit pas loin ? Aucune idée. Pourtant, un soir, alors
qu’Ava est sous la douche, j’appelle Gonz. J’ai besoin d’évacuer mes doutes, et
il saura me dire si je divague. Heureusement, il décroche à la première sonnerie.
– C’est moi. On connaît du monde en Albanie qui nous en veut ? Ou on a eu une
mission là-bas, ou en lien ?
– Non, rien de tout ça, mec. Le dernier gros truc, c’était le réseau Azarov. Mais il
n’y avait rien en Albanie. Pourquoi ?
– Je ne sais pas. Il y a un truc malsain. Comme si… Putain, j’ai l’impression que
depuis qu’on est arrivés, on est surveillés ou suivis. Je déteste cette sensation,
grogné-je.
– N’oublie pas que cette zone était en guerre il n’y a pas si longtemps. Tu es bien
placé pour le savoir, me rappelle-t-il.
Il essaie de me tempérer, mais je sens sa nervosité d’ancien agent prendre le
dessus.
– Ouais, je sais. Peut-être que les touristes attirent les malfrats… tenté-je de me
rassurer.
– Reste sur tes gardes. Tu as ton colt ?
– Toujours. Ava est rassurée quand je l’ai.
– Je comprends. Rappelle-moi si tu as des doutes, mais je pense que ce n’est
rien. Va profiter de ta femme.
– Ouais. Merci mec de m’avoir écouté.
– Ça sert à ça, les potes. Bonne soirée à tous les deux, Finn.
Je raccroche, mais ma méfiance ne s’est pas franchement calmée. Je décide de
rester sur mes gardes. Le reste de notre séjour ici s’est bien passé, mais cette
impression est restée jusqu’au bout. Elle m’a suivi jusqu’à Athènes, notre
dernière étape. En rentrant aux États-Unis, elle s’est estompée. Mais je ne sais
pas pourquoi. Je sens que ce n’est que le début…
Chapitre 3

Inconnu, États-Unis

– Ils viennent d’atterrir, boss.


– Bien. Je veux tout savoir de leur vie. C’est notre seule opportunité.
– OK, nous les suivons.
– Pas de distance, pas de temps mort. J’en veux plus, je veux tout, commencé-je
à m’énerver.
Je raccroche, furieux. On a trop perdu de temps. Vingt ans, en fait ! Putain ! Je
balance mon téléphone à travers la chambre de ce motel dans lequel je pionce en
attendant d’avoir du concret. Du putain de concret ! Je lui cours après depuis dix
ans maintenant et je touche au but. Et une fois que je l’aurai atteint, je détruirai
sa vie, tout derrière eux. Pour qu’elle soit à moi. Que ma vie change. Qu’elle soit
celle qu’elle était destinée à être.
Chapitre 4

Anila

Depuis le mariage de Finn et Ava, je suis sur mon nuage. Nous avons passé
quelques jours chez mes parents, avec les enfants. J’adore voir Alejandro passer
du temps avec Aiden et Cecilia, et je me dis que j’ai hâte d’avoir mes enfants à
moi. À nous. Des petits Gonz bruns qui courent partout dans le loft dans lequel
on vit… J’en rêve, en fait. Seulement, les derniers mois ont été compliqués pour
Alejandro et je sais qu’il a besoin de prendre les choses les unes après les autres.
D’abord digérer la trahison de Mike, puis sa démission de la CIA, le procès, sa
nouvelle boîte. Manitowoc est une ville relativement calme, dans le Wisconsin,
l’un des états les moins peuplés des États-Unis. Ce qui nous rend célèbres ?
Figurez-vous, Spoutnik, la navette spatiale, a perdu un fragment de presque dix
kilos et est tombé dans la ville dans les années 60. Aiden et Cecilia ont l’espace
qu’il leur faut pour crapahuter, tomber, courir, se relever. Papa s’est mis en tête
de construire une cabane dans l’arbre du jardin, un gros chêne centenaire, pour
les enfants, quelques mois après que Finn est rentré de Syrie. Pour qu’ils aient de
quoi s’amuser lorsqu’ils viennent en vacances. Ma mère et lui ont également
acheté deux poneys, un âne et quelques poules. La raison ? L’attrait soudain et
durable d’Aiden pour les animaux. Ils sont complètement dingues de leurs petits-
enfants. Lorsqu’ils ont dû garder Aiden alors que Finn et Ava étaient en cavale,
ils ont complètement craqué sur ce petit gars. Et rapidement, avant même que
Finn et Ava soient en couple, bien que ça n’ait pas traîné, mes parents sont
devenus les grands-parents de cœur de mon petit chaton. Avec l’arrivée de
Cécilia et l’union de mon frère et Ava, cela s’est renforcé.
Mais surtout, depuis le mariage de Finn, Alejandro est attentionné, doux, tendre
et amoureux. Oui, c’est le mot. Il a délégué la direction de l’agence à Ted, l’un
de ses employés, le plus expérimenté. Il gère tout ce qui est logistique dans les
missions sur lesquelles l’agence intervient. Et la semaine que nous avons passée
à Manitowoc était douce. Nous n’avons pas dormi chez mes parents, mais nous
avons loué un petit cottage en dehors de la ville, pas très loin de la demeure
familiale. J’ai eu droit au petit-déj au lit chaque matin, des câlins en pagaille, des
je t’aime et des orgasmes intenses. C’est le mot. Intense. Entre nous, ça a
toujours été. Mais là, c’est comme si l’amour présent lors du mariage de mon
frère s’était répandu dans l’air. Et tout est amplifié.
Alejandro, je l’ai rencontré il y a quatre ans, environ un an et demi avant que
l’affaire qui a bouleversé la vie de tout le monde. J’étais avec ma copine,
Tiffany, et nous étions passées dans le bar du coin avant de sortir en boîte.

– Hey, voici les Tiffany !


– Salut Casey ! s’exclame ma meilleure amie. Tu nous sers la même chose que
d’habitude ?
On nous appelle les Tiffany, parce que les diminutifs de nos prénoms forment le
prénom de ma copine.
– Installez-vous les miss, je vous apporte ça !
Trois Sex On The Beach plus tard, je suis prête à sortir en boîte et à m’éclater.
Faut dire que l’ambiance à la maison est assez tendue. Mon frère a débarqué il y
a quelques heures et depuis qu’il est arrivé, ce n’est pas la joie. Le boulot
d’après ce que j’ai cru comprendre. Il bosse à la CIA, ça, je le sais, mais je ne
sais pas tout de ses missions. Il les garde sous silence. Je me suis échappée,
parce que j’en avais besoin. Et Tiff a proposé une sortie en boîte, j’ai sauté sur
l’occasion. Nous n’avons qu’à traverser la rue pour changer d’ambiance. Les
spots et la musique assourdissante assaillent nos yeux et nos oreilles. Pourtant,
lorsque je tourne la tête, je vois ce mec. Il me fixe et ne me lâche pas du regard.
Cela dure quelques secondes avant que ce lien se coupe, mais ce mec, je le veux.
– On dirait que toi, tu as repéré quelqu’un ! crie Tiff.
– Ouais ! Et je l’aurai ! Viens !
Je l’attire au bar, où se trouve ce mec. Je passe commande pour Tiff et moi, et
observe ce que boit le beau gosse. Whisky. Sec. Parfait. Raffiné, puissant, solide.
J’aime ça. Le barman glisse le verre dans lequel se trouve la boisson ambrée
vers le canon qui lève la tête, à moitié étonné, et me remercie d’un signe du
menton. Énigmatique. Parfait pour la nuit. Et je suis sûre qu’avec lui, ça doit
être explosif. Après notre cocktail, et sans un geste de la part de l’objet de mes
fantasmes, j’entraîne Tiff sur la piste. Me déhancher, rire, danser comme une
folle. Je m’éclate. Mais ce mec ne sort pas de ma tête et ne s’est pas décidé à
venir me rejoindre. L’alcool aidant, je m’avance vers ce mec, qui me fixe
toujours, et attrape sa main. Je n’ai pas besoin de tirer fort pour qu’il se lève et
qu’il me suive. Rapidement, je sens son autre main se poser sur mon ventre. Il
m’attire à lui, et son parfum, épicé et enveloppant, me fait tourner la tête.
– Tu veux vraiment danser, chica ?
Je tourne ma tête vers lui afin qu’il m’entende.
– Et faire tant d’autres choses aussi…
C’est ce qu’il lui faut pour prendre les rênes. Il me retourne contre son torse et
m’embrasse comme jamais je n’ai été embrassée jusque-là. Je pourrais prendre
mon pied rien qu’en le laissant me rouler des pelles. Ma main toujours dans la
sienne, je l’attire dans le couloir, puis dans les toilettes. Rapidement, ses lèvres
reprennent possession des miennes. Son dos heurte la porte de la cabine alors
que je ne quitte pas sa bouche. Il ferme le verrou derrière moi. Mes mains
caressent son corps et putain, il est parfait. Je n’avais pas vraiment eu
l’occasion de mater son cul, mais au toucher… Bordel, il a une paire de fesses
d’enfer. Avec lui, et l’aide de l’alcool, je suis comme possédée, comme une autre
moi. J’ai déjà fait ça, mais c’était presque uniquement mécanique. Lui ? Il me
réveille, il me fait vibrer. Rapidement, je relève son tee-shirt noir et ma bouche
sur son ventre. Ventre plat, bronzé, dessiné, parsemé de poils bruns. Putain, il
pue la virilité ce mec. Et j’adore ça. Mes doigts trouvent rapidement le bouton
de son pantalon et le déboutonnent. Pas de boxer ou de caleçon. Et ça m’excite
davantage. Il me relève et m’embrasse passionnément. Ses mains passent dans
mes cheveux, les tirent en arrière, lui donnant accès à mon cou, ma poitrine.
Mon bustier abaissé, il caresse mes seins sensibles. Ma main glisse dans son
jean et trouve son sexe. Mmhh, prometteur. Très prometteur. Je fais coulisser mes
doigts autour de son pénis durci. Son souffle s’accélère, et un râle de plaisir
s’échappe de sa bouche.
– Putain, c’est bon…
Son bassin bouge et cherche le mien. Une de ses mains passe sous ma jupe et
caresse ma fesse, puis ses doigts passent sous mon tanga en dentelle. Il m’excite,
agace mon clitoris avant d’enfoncer deux doigts dans mon intimité.
– Aahhh…
J’en veux plus. Comme je peux, j’abaisse le pantalon de ce mec qui me rend
dingue. Il récupère une capote dans le distributeur qui marche sans pièce, il me
soulève et m’empale sur son sexe. Il me complète, m’emplit à la perfection. Son
membre déclenche toutes sortes de frissons. Rapidement, un plaisir inouï me
dévaste, et mon partenaire de la nuit me rejoint.
– Bébé… Tu m’as tué.
– Mourir à cause du sexe est une belle mort, le taquiné-je.
Il me repose, nous nous nettoyons et rhabillons. Cependant, ce mec, il a un truc
que les autres n’ont pas.
– Je m’appelle Alejandro, se présente-t-il.
– Ani, lui réponds-je. T’es du coin ?
Parce que quitte à prendre mon pied…
– Non. De passage dans la région.
– OK…
Déçue ? Non… Un peu !
Nous sortons de la cabine et rejoignons la piste de danse. Le reste de la nuit n’a
été que flirt et baisers. Et baise aussi. Dans sa chambre d’hôtel. Il repart le
lendemain soir, après un rendez-vous professionnel.

Voilà comment j’ai rencontré Alejandro. Le plus marrant ? Comment en est-on


arrivé à sortir ensemble ? Le fameux lendemain, qui était plutôt l’après-midi qui
a suivi la nuit torride qu’on avait passée ensemble, il avait son rendez-vous
professionnel. Avec mes parents. Et mon frère. Je suis sortie de ma chambre, en
tenue de yoga, comme chaque fois que je sortais et que je restais tranquille à la
maison. J’ai marqué un temps d’arrêt lorsque je l’ai vu, assis dans le canapé à
côté de Finn et en face de mes parents.
– Euh… Salut ?
– Eh ben, sœurette, on a du mal à sortir du lit ? Tu t’es trop éclatée avec Tiff ?
– Ouais… On va dire ça…
Je ne sais pas vraiment comment réagir. Mais mon amant fougueux me fait un
signe imperceptible de la tête pour me faire comprendre de ne rien dire.
– Voici Gonz, mon boss. Et ami. Gonz, c’est ma frangine, Anila.
– Enchantée, le salué-je de loin, avant de partir me servir un verre de jus
d’orange à la cuisine.
– Moi aussi.
Sa voix est plus rauque qu’il y a quelques heures. Et elle me fait frissonner.
– OK. Je vais prendre l’air, soufflé-je avant de sortir de la maison presque au
pas de course.
Bordel ! Mon amant torride, assis au côté de mon frangin. Il me tuerait s’il
savait ce qu’on a fait cette nuit ! Je vais me balader un moment, prendre l’air
dans les environs. J’en ai besoin pour faire le vide dans ma tête.
Lorsque je rentre à la maison presque deux heures plus tard, Finn et Gonz ne
sont plus là. Finn a accompagné son collègue à l’aéroport et rentre manger avec
nous avant de partir demain matin à son tour. Après une douche rapide, je passe
la porte de ma chambre et trouve un morceau de papier au sol. Je le déplie et
m’assieds sur mon lit pour lire le mot.
« Je ne m’attendais pas à te revoir, et encore moins dans ces conditions.
J’imagine que ton frère réduirait mes couilles en bouillie s’il apprenait ce qu’il
s’était passé cette nuit. Pourtant, je n’avais pas envie de te laisser partir ce
matin, et maintenant que je t’ai revue, je sais que tu m’as fait un truc. Voici mon
numéro, si jamais tu as envie qu’on se revoie. Mais je ne suis pas certain
d’arriver à t’oublier, Amor. »
En bas, son numéro de téléphone.

Bien évidemment, son numéro s’est rapidement retrouvé enregistré dans mon
répertoire et je lui ai écrit le soir même. Et bien évidemment, j’ai fait un petit
saut à Boston dans les semaines qui ont suivi les sextos que nous nous sommes
envoyés chaque jour. J’avais presque vingt-deux ans, lui, une quarantaine
d’années. Quarante-trois pour être exact. Autant dire que premièrement, je ne
m’y attendais pas, il fait beaucoup plus jeune que son âge, et secundo, mon frère
nous aurait tués ! En tout cas, Alejandro ! Nous avons gardé notre relation
secrète jusqu’à ce qu’il la découvre par hasard, à cause de la caisse voyante de
mon amour. Finalement, son départ pour la Syrie a joué un rôle important dans
ma relation avec Alejandro, puisque Finn n’a pas eu le temps de nous en vouloir.
Je n’ai jamais été la nana à penser robe blanche, fleurs, mariage depuis toute
petite. Je n’ai pas vraiment ce luxe en même temps. Bien que je ne me rappelle
plus vraiment ma vie au Kosovo. C’est loin. Tellement loin. Il y a quelques
années, j’ai eu besoin de connaître mon passé. J’ai parlé avec Finn qui m’a dit
ces mots qui sont si justes.
– Princesse, tu as vécu ce que tu as vécu. Ça t’a donné ce caractère, cette force.
Mais le passé est derrière toi. Vis. Avance. Le futur est ton avenir. C’est ça, ta
vie.
Creuser dans mon passé, déterrer ma vie antérieure m’apporterait quoi ? Je suis
orpheline, j’ai vécu des horreurs. Voilà ce que je sais. Et finalement, il a eu
raison. Bref, je ne me rappelle pas avoir été une affolée de la robe meringue, du
tulle et du voile, du machin bleu emprunté, ancien… Tout ça quoi. Mes copines
ne sont pas encore mariées. Mais… Je crois que j’aimerais tout ça avec
Alejandro. Notre différence d’âge ne m’a jamais surprise, parce que nous nous
complétons d’une façon assez irréaliste. Au sens propre du terme, c’est ma
moitié. Il me canalise quand je suis trop folle, il m’apaise quand je suis énervée,
il me soutient et me pousse dans mes projets. Notre début de relation n’a pas été
simple, je faisais mes études, rapides, parce que je ne suis pas accro aux
bouquins et aux exams, dans le Wisconsin. À mille huit cents et quelques
kilomètres de Boston. D’Alejandro. Il m’a poussée à poursuivre mes études, à
finir mon cursus. Finalement, j’ai été diplômée deux ans plus tard, et j’ai cherché
du boulot à Boston. Mon excuse ? La ville est plus vivante, plus attrayante que
Mani. Et mon frère me manquait.
Voilà comment j’en suis arrivée là, à trouver l’amour de ma vie. Et à vivre une
aventure émotionnelle et sentimentale inouïe. Je sais que je veux faire ma vie
avec lui, d’une façon ou d’une autre. Et au fond de moi, j’espère qu’il a une
petite idée en tête !
De retour à Boston, nous sommes repartis dans notre train-train quotidien. Adieu
les petits-déj au lit, les câlins la nuit ou au petit matin. Quoique… Non ! Il est
inépuisable ! Mais mon boulot à la pâtisserie et ses missions ont repris de plus
belle. On se croise et même s’il a levé le pied, parfois, il doit se charger lui-
même du contrat demandé par les clients. Parce qu’ils exigent d’avoir affaire au
meilleur. Et cette semaine, c’est exactement le souci. Il a dû partir quatre jours je
ne sais trop où faire je ne sais trop quoi. Quand je me sens trop seule au loft, je
vais dormir chez Ava et Finn. Le loft appartient à Alejandro. Il l’a acheté
quelque temps avant que nous nous rencontrions. Spacieux, ouvert, retapé du
mur au plafond dans un esprit ferme industriel que j’adore. La première fois
qu’il m’y a emmenée, j’ai été scotchée par la hauteur du plafond cathédrale dans
le salon. Il a installé des vitres au plafond, qui s’ouvrent et qui permettent, par la
mezzanine, d’accéder à un jardin sur le toit. Une espèce de jungle urbaine qui
dépayse à chaque fois qu’on y va. Je me sens bien. Je me sens chez moi ici. À la
maison.
Ce matin, Ava vient me donner un coup de main à la boutique. J’ai eu une
commande XXL de muffins à décorer d’une façon bien particulière, par la
femme d’un des conseillers municipaux. Une dame avec un balai là où je pense.
Elle fait une réunion avec ses amies du club de dentelle et réclame que chaque
gâteau soit décoré comme un napperon. Deux cents muffins. J’en ai pour
quelques heures, alors Ava est passée pour assurer le service pendant que
j’honore les commandes et surtout, que je ne me plante pas sur celle-ci !
– Tatie !
– Mon poussin préféré !
Aiden vient de passer le pas de la boutique avec sa nounou et sa sœur. Solveig
est étudiante en littérature et cherchait un job étudiant pour compléter sa bourse.
Elle adore les enfants et ils le lui rendent bien.
– Pff, je suis ton seul poussin préféré !
Pragmatique, le loulou. Et il n’a que quatre ans. Dans quelques mois. Croyez-
moi, il a oublié d’être bête.
– Oui, tu as raison. Viens choisir un cupcake avant d’aller t’asseoir ! Salut,
Solveig ! Assieds-toi, je t’apporte ce qu’il faut.
Comprenez un chocolat chaud et une part de cheese-cake aux spéculoos et à la
vanille.
– T’es géniale ! Merci, Ani !
Elle a deux ans de moins que moi, mais c’est une super nana, et je m’entends
bien avec elle. Elle reste le temps que la pâtisserie se vide et qu’Ava ait fini de
m’aider. Puis, ils rentrent chez eux. Il me reste deux heures avant de fermer, mais
c’est relativement calme. J’en profite pour faire un peu de comptabilité. Je rentre
tranquillement, le soleil décline, mais les températures sont encore douces.
Lorsque j’arrive au loft, c’est le silence qui m’accueille. Alejandro me manque.
Je n’ai pas eu de message depuis son départ. Pas d’appel non plus. C’est pour me
protéger, il sépare sa vie professionnelle de sa vie privée, ce que je comprends…
Mais nous sommes si fusionnels, si passionnels, que c’est douloureux d’être
seule. Je dors avec un tee-shirt sale, qu’il a porté pour dormir et que je n’ai pas
lavé. Je lance une chaîne musicale, rock, comme aime Alejandro. Parce que je
comble son absence par ce qu’il aime. C’est comme s’il était là. Rapidement, je
me prépare une salade de tomates et de mozzarella, arrosée d’un filet d’huile
d’olive et m’installe autour de l’îlot central. Finalement, je regarde un film de
nanas, et me sens partir, dans un sommeil, bercée par la bande originale pop folk.
Chapitre 5

Gonz

Quelle mission de merde ! Je déteste quand les clients, sous prétexte qu’ils te
payent une blinde, exigent de toi que tu exécutes toi-même la mission. Un truc
merdique à souhait ! Une histoire d’ex qui s’était barrée avec un mec, mais il ne
savait pas qui. Il s’est avéré que le mec en question était bien sous tous rapports
et même mieux que ce putain de fumier de client de merde. Quatre jours pour de
l’intimidation ! Quatre jours de planque pour filer, confirmer, et agir. J’ai perdu
mon temps. Pour quinze mille dollars, certes, mais bordel ! Je déteste partir en
mission et laisser Ani seule. Je n’aime pas être loin d’elle. Elle est ma moitié au
sens propre du terme. Bien qu’au boulot, je mette un point d’honneur à ne pas
parler de mon statut marital ni de ma vie privée. Ça ne regarde que moi, et vu le
nombre d’ennemis que je me suis fait au long de ma carrière… Je ne veux pas
l’exploser.
Lorsque je rentre au loft, après avoir fait quelques bornes en détour pour être sûr
de ne pas avoir été suivi, l’éclairage est tamisé. Une lampe posée au pied du
canapé est allumée, et l’écran de la télé finit d’éclairer la pièce. Ani est là,
allongée sur le canapé, couverte d’un plaid léger. Elle s’est endormie. Et je peux
voir sur ses traits qu’elle n’est pas aussi sereine que lorsqu’elle s’endort dans
mes bras. Elle aussi déteste quand je ne rentre pas. Délicatement, je la soulève
dans mes bras et monte à l’étage. Je la dépose dans notre lit, l’embrasse sur le
front et me rends dans la salle d’eau attenante. J’ai besoin d’une douche. Hormis
se laver vite fait, quand on est en planque, on ne prend pas le temps de s’occuper
de soi. L’eau tiède nettoie mes nuits loin d’Ani, et mes heures merdiques à
planquer pour pas grand-chose. Je passe mes mains une dernière fois dans mes
cheveux puis sors de la douche à l’italienne. Une serviette à la main, je me sèche
rapidement, retourne dans la chambre et abandonne mon drap de bain au pied du
lit. Ani s’est tournée face à moi, et s’est couverte. Le tissu blanc tranche avec
son bronzage clair. Je m’installe et la regarde dormir quelques instants. Elle est
si belle. Je me rappelle avoir craqué sur elle au premier regard, son regard
chocolat noir, ses cheveux auburn. Elle m’a envoûté. Et son assurance… Elle
savait comment parler à un mec ! Je n’ai jamais aimé ces nanas qui se jettent sur
toi, comme si t’étais un morceau de viande. Je trouve ça dégradant, pour elles,
mais pour nous aussi. Je n’ai jamais été contre un coup d’un soir, je ne prétends
pas le contraire. J’ai souvent pratiqué d’ailleurs. Mais avec plus de finesse.
Pourtant, Ani n’y est pas allée de main morte. Pas vulgaire, sûre d’elle,
déterminée, et tellement douée de ses mains et de sa bouche. Je n’ai jamais
vraiment voulu une relation, une vraie. La raison ? Mon histoire. Ma carrière. Le
danger que représente ma vie professionnelle. J’ai même songé à quitter Ani
quand Tom est mort. Mais je n’ai pas pu. Je serais mort avec elle. Avec notre
relation.
Je suis né il y a presque quarante-trois ans à Mexico, dans la banlieue craignos.
Mes parents se sont battus pour que nous ayons accès à une vie loin de la rue.
L’appel de la rue comme ils disaient. C’était ça, avant. Ou tu étais issu de
familles riches, tu avais droit à l’éducation et tu ne risquais pas grand-chose,
hormis un enlèvement, ou d’être tué parce que ta famille trempait dans quelque
chose de louche. Ou tu venais de la cité, de la banlieue, et pour t’en sortir, tu
rejoignais un gang, te faisais du blé facilement grâce aux trafics et vols à main
armée, et quelques années plus tard, on te retrouvait le corps criblé de balles.
L’issue la moins pire ? La prison. Ma famille a vécu le pire à cause de ces gangs.
J’ai deux frères et une sœur. Ou plutôt, j’avais deux frères. Mon frère aîné,
Pedro, a une cinquantaine d’années. Il a toujours été un modèle de droiture. Il
n’était pas très bon à l’école, mais il s’est battu pour obtenir un diplôme, il a
ouvert un garage, puis un restaurant avec son amour de jeunesse qu’il a épousé,
Maria. Il a toujours épaulé notre père, et a veillé à ce que nous, les plus jeunes,
nous ne sombrions pas dans la délinquance. Cependant, si j’ai réussi à rester loin
des emmerdes, mon frère cadet et ma petite sœur se sont laissé happer par les
ténèbres. Il avait six ans de moins que moi, et est mort à vingt-deux ans.
Overdose. Il était doué. Très doué. Il faisait beaucoup de dessin. Mais les écoles
étaient chères et pas faciles d’accès. Alors il a baissé les bras et a rejoint l’un des
plus gros gangs de la ville. Il était l’un des meilleurs trafiquants. L’appât du gain.
Plus vous vendez, plus vous avez du fric qui tombe, plus vous êtes respectés.
Presque. Parce que quand vous avez du pouvoir, vous êtes aussi jalousé. Et c’est
ce qu’il s’est passé. Une soirée, des amis pas très fréquentables, de la drogue
dure, notamment une nouvelle à tester. Voilà comment il y est resté. Ça a presque
tué mes parents. Ils s’en sont voulu de ne pas avoir pu sauver leur fils des griffes
de la ville, de la tentation… Jorge venait nous voir de temps en temps, et essayait
d’aider mes parents lorsqu’ils étaient dans une mauvaise période. Cependant,
mon père a toujours mis un point d’honneur à refuser cet argent sale. Il l’aimait
toujours, bien qu’il lui ait dit des mots forts, qu’il n’était plus son fils, qu’il lui
faisait honte. Alors Jorge ne venait à la maison que lorsque notre père était
absent. J’étais déjà parti à l’école de police, mais ma mère, Esmeralda et notre
petite sœur, Daniela adoraient le voir. Dani plus que tout le monde. Cependant, il
l’a aussi entraînée dans ses merdes. D’une certaine façon… Elle s’est entichée
du meilleur ami de Jorge, Carlos. Un gentil garçon, en taule actuellement, qui a
mal tourné. Dani est née en 1987, presque vingt ans après Pedro. Et le départ de
Dani pour s’installer avec ce fumier a tué mon père. Au sens propre. À l’âge de
dix-sept ans, elle a quitté la maison pour aller vivre avec ce mec. Carlos battait
ma sœur et la poussait à se droguer. Plus tard, nous avons appris qu’il la violait
régulièrement, droguée ou consciente. Influencée par ses sentiments envers lui,
elle cédait. Elle se laissait faire. Au début, elle nous le cachait. Puis elle n’a plus
pu le faire. Les coups devenaient plus forts. Un soir où il l’avait salement
amochée, elle a appelé notre mère, en pleurs. Nous y sommes allés tous les deux.
Carlos était parti. Alors que nous allions partir, il est revenu, totalement stone,
armé. Mon père s’est interposé entre Dani et lui, et une balle est partie. Dani ne
tenait presque plus debout tellement ce bâtard l’avait cognée. J’ai appelé la
police et une ambulance. Ils sont arrivés rapidement. Entre-temps, j’avais frappé
Carlos, qui était dans les vapes. Les flics l’ont arrêté et il a eu l’intelligence de
plaider coupable. Mais moi, j’ai perdu mon père. Ma sœur, son bébé. Elle était
enceinte de quelques mois, elle nous l’avait caché. C’était une petite fille. Nous
avons appris qu’elle avait également subi plusieurs avortements forcés. Cela fait
dix ans, maintenant, elle a mis du temps à laisser le passé derrière elle. Ma mère
a énormément souffert. Après son fils, son mari était tué par la rue. Par ce fléau.
Elle s’est écroulée de chagrin lorsque Pedro et moi lui avons annoncé le décès de
papa. Puis, elle s’est reprise pour s’occuper de Dani qui souffrait, de la perte de
son bébé ainsi que de la perte de son père. À cause d’elle. En tout cas, parce
qu’elle s’était mise dans cette situation. Nous ne lui en avons jamais voulu. Nous
l’avons épaulée. Après la perte de notre père, ma mère est allée vivre chez Pedro
et Maria. Ils ont déménagé à l’extérieur de la ville, puis ils sont venus vivre au
Nouveau-Mexique, non loin d’Albuquerque. Ils ont acheté une jolie hacienda
aux murs blancs, des bougainvilliers qui courent sur les façades et des tuiles
couleur brique. Un nouveau départ. Dani est aussi venue avec eux. Toute la
famille s’est réinstallée ici. Et mes neveux, Ana, Eduardo et Juanita, sont
heureux d’être moins loin de leur oncle préféré ! Ici, Pedro a acheté un petit
restaurant qui tourne bien. Mama est aux fourneaux, lui au bar, et Maria au
service. Petit à petit, ma mère cède la place à sa belle-fille, car du haut de ses
soixante-dix ans, elle commence à se fatiguer plus rapidement. Puis, Ana et Edu
viennent donner un coup de main au service des week-ends. Quant à Dani, elle
s’en est plutôt bien sortie. Elle a pris un appartement à quelques rues de chez
notre frère et a terminé des études d’infirmière il y a trois ans. Elle a l’air de
s’épanouir dans son métier, d’après ce que Pedro m’en dit. C’est le principal.
Moi, comment j’en suis arrivé là ? Simple. J’ai toujours voulu poursuivre les
idéaux de mon père. Mais je voulais surtout lutter contre le crime. Alors, j’ai fait
l’école de police. Je suis sorti major. Quelques années plus tard, après le décès
de mon frère, j’ai monté un premier échelon, mais je voulais plus. Alors, je me
suis renseigné pour intégrer la CIA. Programme lourd, mise à niveau sur
plusieurs plans… J’ai passé des nuits pas très reposantes, mais je me suis battu.
J’ai intégré la cellule américaine. J’ai été agent de terrain et rapidement, agent
sous-couverture. J’étais rentré pour quinze jours de vacances quand mon père est
mort. Mon désir de lutte était devenu encore plus fort. J’ai continué de gravir les
échelons et me suis retrouvé à la tête d’une équipe. Celle de Tom, Alice, Finn et
Mike. Ça a duré quatre ans, et j’ai tout lâché après le décès de Tom. Voilà mon
histoire. Et voilà pourquoi j’avais peur de m’engager avec une nana. Mais c’était
avant elle. Ce petit bout de femme fougueuse, engagée, fonceuse.
Elle remue dans son sommeil et son nez vient se nicher dans ma clavicule. Point
très sensible chez elle, mais chez moi aussi. Instinctivement, mes doigts se
glissent sous son débardeur en coton blanc et remontent le long de son flanc. Sa
peau se couvre de frissons. Elle réagit toujours comme ça, même malgré le
temps qui passe. Ses lèvres s’entrouvrent et laissent échapper un soupir d’aise.
– Tu m’as manqué…, souffle-t-elle.
– T’es réveillée, Amor ?
– Hmm…
Je me penche sur son visage tourné vers moi et l’embrasse. Comme un assoiffé.
Bordel qu’elle m’a manqué. Rapidement, elle se retrouve aussi nue que moi, et
je m’enfonce en elle. Ses soupirs, ses halètements et ses cris résonnent dans la
chambre au plafond haut. Lorsque son plaisir la dévaste, je me permets alors de
lâcher prise. Mais jamais avant elle. Ani s’écroule sur moi, humide de sueur. Je
me lève tout en la tenant dans mes bras, je me rends dans la salle d’eau et
l’installe sur le plan vasque. Je me nettoie rapidement et prends soin d’elle
également.
– Ce que tu m’as manqué, babe… Je déteste être loin de toi.
La façon dont elle me dit ça me touche. Comme si mon absence avait été plus
difficile cette fois-ci…
– Je sais. Je suis désolé, trésor.
– Je sais… Je t’aime…
Elle appuie sa tête sur mon épaule et passe ses bras autour de mon cou. Je la
soulève et nous ramène dans le lit où elle s’endort rapidement dans mes bras.
Chapitre 6

Gonz

Trois jours que je suis revenu à ma vie civile et, putain, ça m’avait manqué,
cette routine. Me lever à six heures du matin, aller faire mon footing, rentrer une
bonne heure après, boire un café, prendre ma douche, et déjeuner autour de sept
heures trente avec Ani avant que nous partions ensemble au boulot. Elle dans sa
pâtisserie, moi à l’agence. J’ai eu la chance de trouver un local non loin du sien,
à quelques blocs seulement. Ainsi, je suis plus tranquille. Cela me permet de
manger avec elle souvent, de veiller sur elle aussi. C’est ma nature d’être
protecteur. Avec elle, encore plus. Mon vécu ? Sûrement. Ça arrange aussi Finn !
Il est pire que moi. Il pourrait lui implanter un traceur GPS pour savoir où se
trouve sa petite sœur chérie !
Il est presque huit heures trente lorsque j’arrive à l’agence. Elle est sur deux
niveaux. Le premier se compose d’une salle de sport, avec vestiaires et douches.
J’ai fait installer une piscine, pas olympique, mais vingt mètres par quinze. Il y a
aussi l’accueil ainsi que mon bureau. À l’étage supérieur se trouvent la salle de
pause, avec couchette pour les missions nocturnes, le bureau des opérations d’où
tout est commandé, ainsi qu’une salle de conférences. Lorsque j’ai lancé cette
boîte, Finn est venu temporairement me filer un coup de main. Il se remettait de
sa blessure en Syrie, puis il y a eu la naissance de Cecilia. Depuis quelques mois,
il vient plus souvent, presque à plein temps à vrai dire. Et Ava nous file un coup
de main à l’accueil de l’agence. Ensuite, j’ai recruté d’anciens militaires à la
retraite ainsi que des agents de terrain qui voulaient voir autre chose.
Régulièrement, j’organise des sessions d’entraînement pour nous remettre à
niveau. Du genre, chronométrés, observés, etc. Pour que nous ne relâchions pas.
Tout le monde y passe. Moi y compris. Les gars n’hésitent pas à me tomber
dessus quand je merde ! Venant d’horizons différents, nous nous apportons tous
des choses en plus. Des techniques de combat, des méthodes d’enquêtes sur le
terrain. Tout ce qu’on a pu vivre et expérimenter au cours de nos carrières.
Finalement, je fais un boulot assez enrichissant. Nous sommes sept en comptant
Finn et moi. Il y a Ted qui s’occupe de l’assignation des missions. C’est un
ancien lieutenant de l’US Army, blessé en Afghanistan, il a perdu une jambe,
mais pas sa tête. C’est souvent lui, la clé. Il est très observateur et nous permet
de débloquer les situations complexes. Chase et Harrison sont deux agents qui
étaient à la DEA et au FBI. Ils ont chacun perdu leur coéquipier en opération et
ont raccroché en se rendant compte que leur vie ne tient pas à grand-chose. Ils se
sont trouvés, et se sont aidés à faire leur deuil. Ils se comprennent. Mass,
Massimo, eh bien, il porte bien son nom. C’est une armoire à glace, mais
contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’est pas pataud. Il défierait presque
Usain Bolt sur le 100 m et il serait loin d’être ridicule. Il était dans l’armée,
également, comme Ted. Il a fait ses deux contrats et ne voulait plus vivre ce qu’il
avait vécu. Parce que derrière sa carapace, c’est un homme qui aspire à une vie
avec une moitié. Il a cherché un job moins prenant, moins dangereux aussi. Ted
et lui se connaissaient, ils s’étaient rencontrés dans une sorte d’association pour
les anciens combattants. De fil en aiguille, il est venu avec Ted et a décroché un
contrat avec moi. Et enfin, il y a Tina. Ouaip. Une nana. Mais bordel, ne vous
avisez pas de la siffler dans la rue, parce qu’elle vous séduira comme une mante
religieuse et vous détruira. C’est un vrai serpent. Le passé de Tina est trouble,
elle ne veut pas en parler, mais pour l’avoir vue souvent en débardeur, je peux
affirmer qu’elle a morflé. Peau brûlée, cicatrices… J’aurais tendance à dire
qu’elle était dans l’armée et qu’elle s’est retrouvée aux mains de l’ennemi… Je
propose une assistance psychologique régulière à ceux qui le souhaitent.
Souvent, les victimes de traumatismes aussi durs que les leurs refusent de voir
qu’ils souffrent. Ils se disent qu’ils s’en sortiront par eux-mêmes. Résultat, tout
le monde trinque, les proches, les moins proches et, finalement, rien ne change,
personne ne guérit. Je ne force pas mes gars à suivre les séances. Mais j’ai été
assez clair dès le départ : je ne veux pas de faibles dans mon équipe. Et une
personne forte est une personne qui reconnaît lorsqu’elle va mal et qui prend le
taureau par les cornes. Et eux, ils ont été assez intelligents pour piger qu’ils se
mettaient en danger, de même que nous. Certains m’ont parlé de leurs blessures
du passé, de ce qu’il s’est passé avant. Ils ont été honnêtes avec moi. D’autres,
comme Tina, ne m’en ont pas parlé. Je leur laisse leur jardin secret, mais si leurs
tourments nous posent problème, je leur en parlerai.
Lorsque j’arrive, ce sont des cris de joie, d’encouragement, de raillerie qui
m’accueillent.
– Allez, Tina !
– Tu vas le réduire en miettes !
– T’es naze, Harri !
Tina et Harri sont en train de se battre sur le ring, un mélange de taekwondo, de
boxe et de krav-maga. Ils retiennent à peine leurs coups, mais sont bien protégés.
Mass se tient à un bout de la zone de combat, alors que Chase et Ted semblent
mater un film en bouffant du pop-corn.
– Salut boss ! Alors, tu mises sur qui ? me demande Chase.
– Tu sais très bien ! réponds-je en riant.
Et il s’avère que j’avais raison. Quelques minutes plus tard, Harri est au sol, le
visage contre le tapis, un bras bloqué au-dessus de sa tête, le second dans le bas
du dos. Une clé de bras efficace et maîtrisée. Notre mante religieuse est assise
sur le cul de Harri et rigole.
– Alors ? Je ne suis qu’une libellule ?
– C’est mign… Aïe ! OK, tu es une guêpe, une abeille, un bulldozer, ce que tu
veux ! Mais lâche-moi, princesse !
Un ultime rire et Tina se relève. Son débardeur laisse apparaître certaines des
cicatrices de son dos. Elle ne le remet pas en place immédiatement, car elle n’en
est pas gênée.
– Quelqu’un d’autre ? sourit-elle.
Ted et Chase se marrent en lui répondant qu’ils ne l’appelleront que par des
noms d’animaux pesant plus d’une tonne, et Mass, lui, arbore un rictus fier. Et
un truc en plus de son regard. Ouais, un peu plus que de la fierté. Nous
débriefons autour d’un café après que les deux combattants sont allés prendre
une douche. Tout le monde y va de sa pique envers Harri, mais hormis Mass…
Je crois qu’ils ne feraient pas mieux !
Les dix prochains jours sont assez calmes. Une ado qui a fugué et dont les
parents nous demandent de remettre la main dessus avant que les flics
n’interviennent, une pseudo pop star locale qui organise son enterrement de vie
de jeune fille en grande pompe et qui a besoin de bras musclés, et le
commissariat local qui a besoin d’un avis sur une affaire. Rien de bien
compliqué, mais c’est une affaire un peu tordue et après avoir passé des heures
dessus, plus rien n’est clair. L’équipe fonctionne en parfaite autonomie. Je fais
confiance à mes gars, et la réciproque est vraie aussi. Ainsi, je profite de notre
emploi du temps allégé pour passer mon temps libre avec Ani. Me rattraper de
mes quatre jours passés dans ma caisse pour pas grand-chose.
J’adore la surprendre. Arriver à la pâtisserie à l’improviste, rentrer plutôt pour
lui préparer un repas mexicain et lui faire couler un bain, dans lequel je la rejoins
et qui finit en autre chose de plus torride. La boutique ne désemplit pas. Depuis
que la femme d’un conseiller municipal a passé sa commande XXL, le bouche-
à-oreille a bien fonctionné. À tel point que non seulement Ava est moins
disponible pour tenir l’accueil, mais en plus, elle a recruté Solveig qui est bien
contente d’avoir quelques heures supplémentaires pour financer ses études. Je
suis fier de ce qu’elle a fait. C’était son rêve, elle s’est battue, elle a douté, elle
n’a rien lâché et, désormais, elle est sa propre patronne. Je l’admire. Je ne
doutais pas d’elle, mais le poids de la paperasse, de la mise en route, des
premiers mois pas forcément florissants, tout ceci aurait pu la décourager.
Alice est également passée la voir ces derniers jours, elle lui a donné un coup de
main. Assez détonant d’ailleurs de voir cette nana servir des cupcakes. Depuis
son départ, il y a un presque deux ans, nous ne l’avons pas vraiment revue. À
quelques rares occasions. La naissance de Cécilia, le mariage de Finn et Ava, le
procès d’Azarov puis celui de Mike. Si celui du parrain de la mafia russe a
beaucoup touché Ava et Finn, celui de Mike a bouleversé tout le monde. Nous
avons bien tenté de cacher tout ça, mais un soir, un peu par hasard, chacun
d’entre nous a ressenti le besoin de se retrouver et nous sommes, chacun de notre
côté, allés chez Finn et Ava. Il faisait frais, pourtant, une fois les enfants
couchés, nous avons bu un verre, plusieurs plutôt, dans le jardin. Comme si le
froid et l’obscurité noyaient et engloutissaient nos tourments. Alice n’a pas
pleuré. Cependant, nous l’avons revue le lendemain, ses poings étaient salement
amochés. Elle était tendue, et cachait une douleur latente. Elle est très forte à ce
petit jeu. Mais je connais ça. Mes gars, et Tina, essaient chaque jour de gruger.
Mais je suis plus fort. Chacun d’entre nous a été appelé à la barre. Pour
témoigner. Pour Ava, cela a été le plus difficile. Si elle a perdu son amour de
jeunesse, c’est à cause de Mike. Son meilleur ami. Alice, quant à elle, elle est
restée impassible. Visage fermé, froid. Elle n’a pas regardé l’accusé. Enfin, si.
Une fois. Elle n’a que brièvement croisé son regard, et l’expression sur son
visage a totalement changé. L’espace d’une seconde. Je ne sais pas si les autres
ont noté ce changement. Pour moi, il n’est pas passé inaperçu. Elle n’a émis
aucune opinion sur ce qu’elle disait. Comme si elle se reconnaissait elle-même
coupable. Cela fait cinq mois que le procès a été bouclé. Mike n’a pas bronché.
Il a bien entendu été jugé coupable. Il l’a accepté. Sa sentence est tombée
rapidement. Le jury a été visiblement attendri par son passé. Le fait qu’il n’ait
pas eu d’autre choix que d’embrasser la carrière de son père pour sauver sa
famille y a certainement joué. Je ne pardonne pas ce qu’il a fait. En revanche,
ayant vécu dans une ville où le crime régnait, je ne sais pas ce que j’aurais fait à
sa place. Je crois que mon père, ou moi, on aurait accepté de faire le pire pour
protéger ceux qu’on aime. Alors non, je n’accepte pas, je lui en veux. Mais
j’arrive à comprendre. Il n’a pas pressé la détente, et d’après ses dires, il a tenté
de sauver la vie de Tom. Il a assuré que lorsqu’il a compris que Tom était en
danger, qu’il avait été démasqué, il avait tout fait pour détourner l’attention. Il
s’est rendu au rendez-vous où deux gars l’attendaient, ou plutôt, attendaient la
taupe. Il s’est fait passer pour Tom. Mais apparemment, c’était trop tard. Il les a
descendus avant de se débarrasser des corps. Puis, il a reçu un message
d’Azarov, une photo de Tom à terre, baignant dans une mare de sang, mort, et le
texte disant « La taupe est anéantie ». Une première balle dans l’artère fémorale,
plus discret que la tête, une seconde dans le ventre. Et il l’a laissé agoniser
jusqu’à la mort. Lente et douloureuse. Quand il a raconté ceci, Ava s’est mise à
sangloter en silence, Finn s’est crispé et a tenté de consoler sa future femme
comme il a pu. Ils sont sortis, alors qu’Alice et moi sommes restés et avons fini
d’assister à son interrogatoire. Cependant, ces dernières révélations ont quelque
peu amoindri la douleur et l’amertume de Finn et Ava. Ils savent comment cela
s’est passé. Il a été prouvé que Mike ne mentait pas. Il disait la vérité. Détecteur
de mensonges et archives de son téléphone dédié au réseau à l’appui. Il a écopé
de trois ans de prison. Il a déjà tiré deux ans. Et je sais de source sûre qu’il
intégrera le programme des témoins protégés à sa sortie. Nouvelle identité,
nouvelle ville, nouveau départ. On a tous droit à une seconde chance… Même si
certains n’ont pas cette opportunité.
Pour en revenir à Alice, elle a beaucoup changé. Lorsque je l’ai connue, il y a
quelques années maintenant, elle avait deux personnalités. Au boulot, elle
revêtait son masque professionnel. Celui de sniper de haut niveau, concentration
à son maximum, sens en alerte en permanence. Bien que ce dernier réflexe
perdure même hors du travail. Une fois à l’extérieur, elle redevenait cette nana
pétillante, fraîche, qui déconnait sans cesse et nous servait des blagues salaces à
faire pâlir certains agents ! C’est fini, ce temps-là. Elle est devenue sèche, à tout
point de vue. Physiquement, elle a bien changé. Plus musclée, plus tendue.
Moins de gras. Une sorte de Lara Croft. Ses cheveux sont désormais toujours
attachés. Un chignon bien serré. Les traits très tirés. Sévères. Même avec nous,
elle ne rit plus. Elle garde ses sentiments et ses émotions pour elle. Les seuls
moments où elle lâche prise, c’est lorsqu’elle joue avec les enfants. Ce qui est
très rare. On dirait qu’elle a éteint son humanité. Qu’elle n’est rien de plus qu’un
robot… Elle ne vit plus ici. Elle nous écrit régulièrement, des quatre coins du
monde. Europe centrale, de l’Est, Amérique du Sud… Des zones pas des plus
sécurisées. Elle n’a jamais dit un seul mot sur son nouveau job. Top secret. Et
lorsqu’on nous dit ceci, en bons agents que Finn et moi étions, nous ne
demandons rien de plus. Nous lui faisons confiance, bien qu’elle ait changé. Au
fond, elle reste notre Alice. Celle de notre team.
Chapitre 7

Anila

– Merci énormément, les filles ! Vous m’avez sauvé la vie !


Je serre Ava et Solveig dans mes bras pour les remercier de leur aide. Cela fait
quelques semaines maintenant que la boutique ne désemplit plus. Les
commandes affluent, mais seule, je serais bien incapable de tout faire : cuisiner,
pâtisser, servir, encaisser. Alors, les filles gèrent le service, m’aident quand c’est
plus calme pour mettre en moule ou sortir du four, par exemple. Lorsque tout a
commencé il y a maintenant un an, je pensais galérer, moi, la nana plus ou moins
autodidacte. Aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours aimé cuisiner avec
maman. Elle prenait le temps de m’expliquer les recettes, pourquoi il fallait
mettre la farine après le sucre dans les œufs ou le beurre, pourquoi faire revenir
les oignons d’abord, puis la viande après. Toutes ces astuces qui sont essentielles
à la réussite d’un plat. Je me souviens qu’elle m’avait amadouée avec ses petits
gâteaux écossais. Les shortbreads. Lorsque je suis arrivée ici, je ne parlais pas un
seul mot d’anglais. Enfin, cela se limitait à « bonjour », « ça va », « merci »,
« bon », et « au revoir ». Rosalind, ma mère, la mère de Finn, a pris le temps
qu’il fallait pour m’enseigner cette nouvelle langue. Couplés à des signes
universels, les mots prenaient plus de sens. J’avais à peine six ans lorsque je suis
arrivée à Manitowoc. Finn, vingt ans. Un mec de son âge qui ramène une fillette
abandonnée et orpheline ? Rares sont ceux qui l’auraient fait. Pourtant, mon
frère m’a sauvée. Et mes parents m’ont aimée. Maman cuisinait avec moi. Elle
disait que le cœur des gens se rapprochait grâce aux gâteaux et aux petits plats
faits avec amour. Elle me donnait le nom de chaque ingrédient, le nom des
actions qu’elle faisait. Et grâce à ça, j’ai pu enrichir mon vocabulaire et
échanger. Les phrases n’étaient pas construites, mais par la suite, maman m’a
appris les conjugaisons et la grammaire. On apprend vite à cet âge. Et j’avais une
volonté de fer. J’avais peur qu’on ne m’aime pas si je ne parlais pas comme eux.
J’avais peur qu’ils me renvoient chez moi. Lorsque mes appréhensions
surgissaient, je me réfugiais dans la chambre de Finn. S’il était là, je lui tapais
sur l’épaule et il m’invitait à dormir avec lui. Ou dans son lit et lui, sur le sol. Et
quand il n’était pas là, je me glissais sous sa couette et il avait pour habitude de
laisser un vieux tee-shirt traîner, qui avait son odeur. Je savais que lui, il ne
m’abandonnerait jamais. J’ai vite compris que mes parents non plus. Un an plus
tard, je suis rentrée à l’école. Une petite école de quartier. Je me suis bien
intégrée et mes différences ne se sont pas vraiment vues. Rapidement, je me suis
fait des amies, notamment Tiff, et j’ai avancé. Ou plutôt, j’ai commencé ma vie.
Ma seconde vie.
Et aujourd’hui, j’ai l’impression de commencer ma vie d’adulte. Un mec,
torride, génial, super canon, et je suis mon propre patron. Et ça explose. Je
m’arrête quelques instants, et scrute ma salle avec satisfaction. Elle est pleine.
De nouveaux clients ne cessent de pousser la porte de ma boutique. Ce couple de
trentenaires qui se réserve quelques minutes loin de leur vie de famille. Ce
groupe de collègues de boulot qui passent décompresser avant de rentrer chez
eux. Ces secrétaires qui passent faire le plein de muffins avant une réunion. Ces
étudiants qui recherchent le calme pour bosser sur leurs cours. Et quelques mecs
et nanas qui viennent certainement sans raison. D’ailleurs, le filon des étudiants
est pas mal. Il va falloir que je me penche dessus !
Les filles sont parties et il ne reste que quelques clients.
– Excusez-moi ?
– Oui ?
Je me retourne et tombe sur un homme de taille moyenne, yeux sombres et
mèche rebelle. Il n’arrive pas à la cheville de mon homme, cependant je lui
trouve un certain charme.
– Bonsoir… Anila, me dit-il en regardant mon badge. Pourrais-je avoir un café ?
Je lui souris en retour. Sa politesse et sa timidité sont touchantes.
– Bien sûr. Installez-vous, je vous apporte ça.
Je retourne derrière mon comptoir et sers le café de mon nouveau client. Sauf
demande particulière, je fais des cafetières complètes que je sers au fur et à
mesure de la journée. La première tasse est payante, les suivantes sont à volonté.
J’attrape un mug, ma carafe pleine de café, et me retourne. Je suis surprise de
voir mon nouveau client installé juste en face de moi. Mon sursaut ne passe pas
inaperçu.
– Désolé, je ne voulais pas vous faire peur.
– Non, c’est juste que je ne vous ai pas entendu arriver.
Le café est très calme en cette fin de journée. Rapidement, il engage la
conversation avec le sourire. Davor, son prénom, est sympathique. J’aime lier
des liens avec mes clients. Les relations humaines sont très importantes pour
moi. Finalement, après une demi-heure passée à discuter entre deux clients, je
termine de nettoyer les tables et Davor quitte le café. D’autres habitués se
décident à rentrer chez eux également, ce qui sonne l’heure de la fermeture.
Alors que j’enclenche l’alarme et que je baisse le rideau de fer, deux bras
m’enserrent la taille.
– Salut, beauté, susurre cette voix chaude et sexy à mon oreille.
– Salut, bel inconnu canon.
– Bel inconnu canon ? Dois-je m’attendre à une soirée caliente ?
– Hmm… fais-je mine de réfléchir.
Je me retourne contre le torse d’Alejandro et passe mes mains sur sa nuque.
– Pourquoi pas… Ce corps est pas mal, dis-je en faisant glisser mes doigts sous
sa veste, puis sous son tee-shirt. Puis, ce regard fiévreux…
Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que ses lèvres recouvrent les miennes.
OK, je sais à quoi je vais passer ma soirée. Et ce n’est pas pour me plaindre !
La semaine se termine comme elle a commencé. Le café n’a pas désempli. Le
samedi soir, nous allons chez mon frère et Ava. J’ai tellement hâte de voir mes
deux petits amours ! Cécilia change un peu plus chaque jour et devient une petite
fille et non plus un petit bébé. Elle développe le langage si bien qu’elle tient des
conversations avec son frère. Dans leur langue, mais ils se répondent. Ils sont
trop mignons ! J’espère avoir des enfants avec une telle complicité plus tard.
Lorsque nous arrivons, Aiden court dans mes bras.
– Tatie Nila !
– Hey ! Coucou, mon chaton ! Regarde ce que j’ai là, lui souris-je avant de
l’embrasser dans le cou.
Avant de serrer Aiden dans les bras, j’ai eu le temps de poser ma boîte en carton
à côté de moi.
– Des gâteaux ?
– Tateau ?
Finn tient Cécilia dans ses bras et cette petite coquine ne loupe rien de mon
échange avec son frère. J’ouvre la boîte pour montrer à Aiden ce qu’il se trouve
à l’intérieur.
– Ouaahh ! C’est beaucoup.
– Oui. Mais je compte sur toi. C’est pour le petit-déjeuner, OK ?
Je lui tends mon poing afin qu’il checke et scelle sa promesse.
– OK !
Puis, il repart vers la cuisine en appelant sa mère.
– Maman ! Devine ! Tatie, elle a apporté des gâteaux pour le p’tit déjeuner !
Ouais !
J’adore ces petits moments de vie. C’est tellement mignon.
– Merci, Ani, me dit Finn en me prenant dans ses bras. Il adore tes pâtisseries !
– Tout le monde les aime ! renchérit Alejandro.
– Ouais, mais si ça a un caractère cochon avec vous, je ne veux pas savoir.
– T’inquiète, hormis de la crème chantilly…
– Stop !
Finn esquisse une grimace, tout en embrassant la petite tête de Cécilia, puis
s’éloigne à son tour. Alejandro adore brancher mon frère à ce sujet. Sujet très
délicat en temps normal, encore plus avec Finn ! Nous nous installons autour du
bar en zinc alors qu’Ava termine de préparer le repas de ce soir. Le sourire qui
épanouit son visage est beau. Ce genre de sourire que toute femme aimerait avoir
sur son visage.
– Vous voilà ! Aiden vous attendait avant d’aller se coucher, nous indique Ava.
Les garçons sont partis au salon pour jouer tranquillement, et j’ai hérité de
Cécilia. Elle reste tranquille dans mes bras, puis demande à partir gambader. Elle
file rejoindre les gars et nous restons toutes les deux, Ava et moi, dans la cuisine.
– Ça sent super bon, la complimenté-je.
– Merci. J’espère que ce sera bon !
– Mais oui ! Alors, la vie de femme mariée ?
Elle récupère une bouteille de Viognier au réfrigérateur et nous sert un verre
chacune.
– C’est étrange. Nous avons vécu beaucoup de choses intenses, qui nous ont
forcément rapprochés, liés. Nous avons un enfant ensemble, il élève Aiden
comme son propre fils. On ne peut faire plus liés. Mais je ne sais pas. Le
mariage, c’est comme si nous formions enfin une vraie famille. Que nous
portons tous le même nom.
Quelques mois avant de s’unir, ils ont lancé la procédure d’adoption de Aiden,
afin que s’il arrive quelque chose à Ava, tant son fils que Finn soient protégés.
C’est ainsi que tout le monde porte le nom de McDougall. Reilly-McDougall
pour Aiden et Ava. Parce qu’elle ne voulait pas effacer Tom de leurs vies.
– J’ai l’impression… Je n’ai jamais eu de famille autour de moi. Mes parents
nous aiment, mais sont tellement dans leur monde qu’ils ne sont pas les grands-
parents que j’aurais souhaités pour mes enfants. Heureusement, tes parents sont
merveilleux. On dirait un clan, rit-elle entre ses larmes. Si j’avais imaginé ma
famille parfaite, j’aurais voulu la tienne…
Je passe derrière le bar et la serre dans mes bras.
– Désolée, c’est stupide de pleurer comme ça !
– Ne t’excuse pas, Ava. Tu as vécu deux années mouvementées, dans le bon et
dans le mauvais sens du terme. Je comprends ce que tu ressens. J’ai ressenti la
même chose quand je suis arrivée dans la famille McDougall il y a vingt ans
maintenant. Avoir un foyer, des épaules sur lesquelles se reposer. J’ai eu une
sœur, il y a bien longtemps. Je sais que Finn t’en a parlé. Je n’ai jamais éprouvé
le manque, sûrement parce que ce que j’ai vécu par la suite a éteint ce sentiment.
Et que Finn était très présent. Mais je peux dire maintenant que je t’ai trouvée,
que j’en avais besoin.
Quelques larmes et câlins plus tard, les garçons reviennent et nous interrompent.
– Sérieux, Gonz, t’as vu à quoi on a échappé ? se moque mon frère.
– Ouais… Tu crois que si on reste avec elles nos cou…
– Ahhhhhh ! Pas devant les enfants ! le coupe Ava. D’ailleurs, petit bonhomme,
il est l’heure d’aller se coucher.
Mais visiblement le petit mec en question n’est pas du même avis.
– Aiden, on a bien joué, et il est tard. Ta sœur va aussi aller dormir, tu sais,
intervient Finn.
– D’accord. Mais à condition que tonton Ale me lise une histoire de robot !
Il est très, très malin, Aiden.
Alejandro l’attrape sous le bras et prend une voix robotique.
– OK, monsieur Aiden. Allons reposer ce cerveau et ces bras. Et ces jambes. Et
demain, des muscles auront poussé.
Le rire d’Aiden emplit le salon puis disparaît à mesure qu’ils arrivent dans sa
chambre. Je les regarde s’éloigner, mais sens le regard de Finn sur moi.
– Quoi ? l’interrogé-je en me retournant.
– Rien.
Puis il ouvre son bras et je m’y blottis. De l’autre côté, il invite Ava, qui a
récupéré Cécilia entre-temps, à venir.
– Je vous aime toutes les deux. Vous comptez plus que ma propre vie. Ne
l’oubliez jamais.
Il dépose un baiser sur nos têtes.
– Allez, on va aller coucher cette demoiselle aussi. Elle est fatiguée.
Ava lui sourit en retour avec cette lueur d’adoration dans le regard.
– Bonne nuit, petite princesse. Fais de beaux rêves.
Elle me fait un petit signe de la main avant de partir dans les bras de sa mère.
J’ai hâte d’avoir ma propre famille à mon tour.
Une dizaine de minutes plus tard, personne n’est revenu. Alors, je décide de
rejoindre Alejandro. La porte n’est pas fermée, et une veilleuse éclaire la pièce.
Aiden est allongé, sa petite tête appuyée contre la cuisse massive de mon
homme, les doigts d’Alejandro caressent ses boucles claires et il lui dit des
paroles calmes et rassurantes.
– Je reviendrai jouer avec toi demain, petit pote, pendant que tatie sera au café.
On mangera des gâteaux et on jouera au ballon.
Le sourire qui éclaire son visage me touche si profondément qu’il me met les
larmes aux yeux.
– Je te laisse au pays des rêves, bonhomme. Dors bien. Te quiero.
Il lève la tête et croise mon regard. Alejandro m’adresse un sourire, embrasse la
joue d’Aiden et me rejoint. Il tire la porte derrière lui.
– J’ai adoré te voir ainsi. C’était touchant.
– Touchant ? tique-t-il en me prenant dans ses bras. Moi, je suis touchant ?
– Tu es sexyment touchant. Ça te va ?
– Hmm, grogne-t-il.
– Tu seras un sexy papa, osé-je.
– Et toi, une mama caliente, cariño.
Alejandro plante son regard dans le mien.
– On en parlera plus tard, mais on pourra se pencher sur le sujet rapidement,
j’imagine.
Sans me laisser le temps de réagir, il m’embrasse d’un baiser qui me coupe les
jambes et le souffle.
– Eh, les amoureux ! Les enfants dorment, et moi, j’ai la dalle. Et puis merde,
Gonz ! Apprends à te tenir ! C’est ma sœur !
Alejandro sourit contre mes lèvres.
– Allons-y avant que ton frère réduise à néant nos chances de devenir parents !
Et il s’éloigne, comme ça, me laissant avec mes pensées de future maternité. La
soirée est calme, le plat qu’Ava a préparé est simplement succulent. Une fideua.
Un plat espagnol avec une sorte de vermicelles un peu épais, des poivrons,
poisson, fruits de mer et tant d’autres choses trop bonnes ! Peut-être que je peux
lui demander d’élaborer avec moi une version snacking. Pour le café. Ou le
traiteur. Je cherche continuellement à améliorer mes services pour que mon
entreprise prospère.
Chapitre 8

Anila

– Hey, salut, Anila !


– Salut, les gars ! Comme d’hab ?
– Oui ! On s’installe derrière.
– OK, j’arrive !
Dean et Chad sont deux étudiants en économie, un peu bohèmes et cool sur les
bords. Ils ont une coloc à quelques rues d’ici, et ils ont investi les lieux dès
l’ouverture du café. Depuis, ils n’en sont pas partis. J’ai aménagé à l’arrière de la
salle une zone au calme, avec le wifi, et avantage en plus pour les étudiants, café
à volonté et surtout une petite gourmandise avec chaque tasse s’ils le demandent.
Pour leurs encas, je leur ai prévu aussi une version snacking des plats que je
peux proposer, afin qu’ils ne perdent pas trop de temps, mais qu’ils se
nourrissent tout de même convenablement. Maryan arrive peu après. Elle est en
deuxième année de médecine, et doit réviser en permanence pour maintenir son
niveau au sein de sa promo. J’ai régulièrement mes élèves, comme je les appelle,
qui squattent la salle. Je connais leurs habitudes. Depuis quelques semaines,
Davor ainsi que Mary, Andrew et Peter reviennent régulièrement. Les trois
derniers passent souvent faire un after-work avant de rentrer chez eux, retrouver
leurs vies. Au fil des jours, ces clients deviennent des connaissances, puis des
amis. Dans une certaine mesure, certes, mais des amis tout de même. Je les
fréquente chaque jour de la semaine, parfois même le samedi. Ils sont mon
quotidien, à vrai dire.
– Allez, c’est prêt ! annoncé-je en arrivant dans le carré étudiant. N’hésitez pas à
me demander si vous avez envie de quelque chose en particulier.
– Merci, Anila ! T’es la meilleure ! lâche Maryan.
J’adore prendre soin d’eux. Je n’ai pas fait d’aussi longues études que certains
d’entre eux, je n’ai jamais été destinée à devenir médecin et à sauver le monde,
mais j’aurais aimé qu’on fasse ça pour moi. C’est ainsi que commence la
journée. Puis, autour de dix heures, je prépare le repas de midi. Pour les plus
pressés, des wraps complets, avec crudités, filets de poulet ou de bœuf froids, et
une assiette de frites. Ou une boîte de frites à emporter. Pour les plus gourmands,
la version à emporter des lasagnes ainsi qu’un filet de poisson poêlé avec une
purée de panais. Pour les plus disponibles, les versions sur place des plats
précédents, ainsi qu’un bar à crudités pour composer une salade ou un
accompagnement. J’essaie de préparer des plats uniques et complets
relativement sains. Et simples également. Je fais tout toute seule, sauf quand Ava
et Solveig m’aident pour le service. La salle est comble durant ce midi, et j’ai
bien fait de m’y prendre à l’avance. Mes habitués sont là et apprécient les petites
attentions que je leur porte. C’est vrai, il faut prendre soin de sa clientèle,
nouvelle ou fidèle. En milieu d’après-midi, mes étudiants rentrent chez eux, et le
calme se fait. Ce qui n’est pas pour me déplaire. J’aime quand il y a du monde,
du mouvement, du brouhaha qui s’élève entre ces murs. Mais une accalmie n’est
pas désagréable.
– Bonjour, Anila, souffle une voix rauque dans mon dos.
– Davor ! Comment s’est passée la journée ?
Davor vient chaque soir. Client depuis peu, il s’avère de bonne compagnie. Il est
publiciste dans une grande boîte et il aime s’octroyer une pause bien méritée en
fin de journée.
– Bien. Enrichissante…
Je souris. Il est très mystérieux comme mec, mais pas du genre malsain. Plutôt
pudique qui ne dévoile pas son jeu facilement.
– Tenez, votre café. Prenez un scone, ça détend toujours, ce genre de douceur.
– Merci ! Ils sont succulents.
– Merci du compliment.
Il m’a raconté son parcours. Il n’est pas d’ici, il est né en Europe centrale.
D’après ce que j’ai compris, il vient des Balkans. Ses parents ont fui la guerre
qui a touché cette région et que je n’ai que trop bien connue. Ces origines nous
rapprochent, indéniablement. Nous avons évoqué un peu le passé, sans évoquer
la région d’où nous venions, mais connaître quelqu’un qui a vécu de près ou de
loin la même chose que moi est important. Et rassurant.
Les semaines s’égrènent, et la fraîcheur de novembre touche Boston. Nous avons
ressorti les manteaux, écharpes et gants depuis quelques jours et la vague de
froid n’est pas encore terminée. Ce n’est que le début. Les affaires d’Alejandro
marchent bien. Si bien qu’il va être obligé d’embaucher deux personnes de plus.
Il passe presque toutes ses journées voire ses nuits en mission. Et plus ça va, et
moins je suis sereine. C’est idiot. Peut-être les journées qui raccourcissent, la
nuit et le potentiel danger qu’elle représente. Pourtant, il est expérimenté. Il a
grandi dans une banlieue difficile, il a perdu certains membres de sa famille dans
de tragiques circonstances. Mais il n’est pas à l’abri d’un accident. D’une balle
perdue. Cette peur a toujours été présente, mais elle est amplifiée depuis quelque
temps. À vrai dire… Depuis que nous avons parlé d’avoir un enfant. Au
lendemain de notre dîner chez Finn et Ava, Alejandro et moi avons évoqué de
nouveau le sujet. J’avais un peu peur de lancer le sujet, mais finalement, il
n’attendait que ça. Le dialogue… Nous en manquons parfois. J’aurais dû m’en
douter, il a plus de quarante ans et à voir comme il agit avec son neveu et ses
nièces ainsi qu’avec Aiden et Cécilia… J’aurais dû piger. Toujours est-il que dès
le lendemain matin, ma plaquette de pilules a atterri dans la poubelle pour ne
plus jamais la reprendre. Et aussitôt, Alejandro a tenté de me mettre enceinte ! Il
n’arrête pas. Seulement, cela ne marche pas aussi rapidement qu’il le
souhaiterait. J’ai eu beau lui expliquer que rarement cela fonctionnait du premier
coup et qu’en moyenne, il fallait plusieurs mois voire une année avant que je ne
tombe enceinte, son ego de mâle en a pris un coup ! De plus, avec ses horaires
décalés et ses missions sur plusieurs jours, la situation n’est pas optimale. Je sais
que ça arrivera, et je sais aussi que plus nous nous mettrons la pression moins
cela fonctionnera. La patience est la clé ! Mais faites comprendre ça à un
Mexicain ultra-sexy, têtu comme un troupeau de mules… C’est loin d’être
facile !

Inconnu

– Oui, elle est bien ici. Non. Je sais tout ce qu’il y a à savoir. C’est elle.
Trois mois que je me farcis ce putain de café dégueulasse chaque jour pour
pouvoir l’approcher. Je déteste la mièvrerie qui règne dans ce café. C’est
tellement gnangnan, un truc de fifille. Je dois quand même admettre que ses
pâtisseries et sa bouffe sont pas mal. Elle est tout le temps heureuse,
bienveillante, aimable ! Qui agit ainsi ? Elle se shoote aux amphétamines de
licorne ou quoi ? Ça me tape sur les nerfs. Mais on n’a pas le choix. Le boss
avait besoin de ces infos. Je m’y suis collé, parce qu’on ne discute pas les ordres,
et parce que moi aussi, j’ai tout à gagner. On a discuté au fil du temps et j’ai
réussi à gagner sa confiance. Quelle naïve ! Elle est vraiment conne de blablater
comme ça avec tout le monde comme ça. Elle n’a rien appris avec ce mec avec
qui elle sort ? Il était à la CIA, le gars, et visiblement, il ne lui a pas fait
comprendre que la discrétion était essentielle dans la vie ? Ce qui m’a mené à
réfléchir un peu. Elle n’a aucune idée de qui elle est. D’après ce qu’elle m’a dit,
elle vient des Balkans et a subi la guerre. Toutefois, elle ne semble pas avoir
beaucoup de souvenirs de cette époque. Elle considère ces McDougall comme sa
famille. Ces enfoirés qui ont volé cette gamine à son peuple ! On va les faire
payer. Et elle redeviendra nôtre.
Chapitre 9

Gonz

Je n’ai même pas une minute pour faire l’amour à ma femme, c’est fou ça !
Les affaires se succèdent et ne se ressemblent pas. Et surtout, on croule sous les
demandes. À tel point que je prends autant de cas que mes collègues. Tina et
Mass sont en infiltration longue durée. Pour notre pote du commissariat.
L’inspecteur Michaels. Lorsqu’il se retrouve dans la merde, il fait appel à nous,
parce qu’il me connaît. Il sait que mon agence est efficace. Et il avait besoin de
deux personnes fiables pour démanteler un réseau d’agents dormants du KGB.
Résultat, Mass et Tina jouent les amoureux transits sous le soleil de Californie.
Mass ne devrait pas avoir trop de mal à jouer ce rôle. Même s’il est discret et
qu’il ne révèle pas ses émotions facilement, il garde toujours un œil sur elle, il
est fier, on peut le lire dans son regard. Tina est trop brisée pour le voir. Elle est
comme insensible aux sentiments des autres. Sauf l’arrogance ! Alors ça, elle
gère très bien ! Ted est au QG, Chase est sur une affaire d’arnaque à l’assurance
à Chicago, et Harri s’occupe d’une héritière de la mode de quinze ans dont le
père a reçu des menaces. Hormis l’infiltration de Mass et Tina, rien de bien
folichon. J’ai l’impression d’être un coloc dans mon loft. Je déteste ça. Ani fait
sa petite vie, de son côté, je ne la vois plus, je la croise. Je sais simplement que
tout va bien de son côté. Elle est débordée, le café ne cesse d’attirer de nouveaux
clients. Ce qui me rassure, c’est qu’elle est toujours entourée. Mais… une pointe
de jalousie me traverse. J’imagine que sa clientèle n’est pas exclusivement
féminine. Et ma femme, étant sublime, attire les regards malgré elle. Je ne suis
pas à l’abri qu’un concurrent arrive dans l’équation. Une femme, il faut qu’on
l’aime, qu’on fasse attention à elle, qu’on la protège, qu’on entretienne la
flamme. Sinon, on risque de la perdre. Et moi, maniaque du contrôle, lorsque je
ne suis pas aux commandes, je ne suis pas serein.
Quand j’arrive, la lumière est allumée. Elle ne dort pas. Pourtant, d’après les
quelques messages rapides qu’elle m’a envoyés, la semaine n’a pas été de tout
repos. Il est vingt-deux heures, mais elle cuisine encore. Et à l’odeur, je dirais
que c’est mon plat préféré. Des tacos. Qu’elle a faits elle-même de A à Z. Elle
tient la recette de ma mère et bon sang, elle n’a rien à lui envier. Elle a préparé
du guacamole, des galettes de blé, des tonnes de garniture diverses… Je
m’approche d’elle, alors qu’elle me tourne le dos. Je laisse tomber mon
paquetage au pied des tabourets qui sont autour de l’îlot. Mes bras passent autour
de sa taille et la serrent fort contre mon torse. Elle m’a manqué. Mon Dieu
qu’elle m’a manqué. Je prends le temps de respirer son odeur. Anila se retourne
et passe ses mains sales autour de mon cou.
– Salut toi, me sourit-elle.
Ma réponse ? Je l’embrasse, passionnément, profondément. Elle m’a tellement
manqué ! Je peine à me détacher d’elle. Heureusement que les tacos doivent être
surveillés !
– OK, va prendre ta douche, ou mieux, un bain. Détends-toi, mon amour. J’en ai
encore pour un petit moment. Prends ton temps, me suggère Ani.
Et j’avoue que j’en ai bien besoin. Prendre des bains n’est pas ce que je préfère,
mais ce soir, il le faut. La semaine a été pénible et à chier. Alors que je m’installe
dans l’eau très chaude, je sens immédiatement mes muscles se détendre. Je
ferme les yeux et me vide la tête. Ani a raison. Ce bain est salvateur. L’eau s’est
rafraîchie alors que je sens un courant d’air sur mon torse. Le robinet s’ouvre et
la chaleur se refait autour de mon corps. J’ouvre les yeux et Ani me regarde, un
tendre sourire aux lèvres. Elle s’accroupit alors que je me redresse et découvre
un plateau. Une bière trône, entourée de nachos au fromage. Elle assure, ma
nana.
– Je sais que tu en as besoin. Je dois aller surveiller mes tacos. Je reviens.
Puis, sans que j’aie eu le temps de lui dire merci, elle repart, tirant la porte
derrière elle. Sans déconner, qui ne voudrait pas que sa femme lui apporte une
bière fraîche ainsi que de quoi grignoter alors qu’il prend son bain ? Ouais, c’est
ce qu’il me semblait ! Je suis en train de terminer ma bière, et entends la porte
s’ouvrir de nouveau. Ani n’a pas traîné. Sans un mot, elle me jette un regard
coquin, une lueur sexy brillant dans ses yeux. Elle relève son pull fin par le bas
et le passe au-dessus de sa tête. Puis, elle retire son jean, de façon sensuelle. Il ne
reste que son ensemble de sous-vêtements en dentelle, de couleur rose pâle.
Bordel. Il m’en fallait peu pour bander, mais là… Elle achève son strip-tease et
me fait signe de me pousser. Son air… Elle enjambe la baignoire et s’installe à
califourchon sur moi. Je ne tiendrai pas plus longtemps qu’un ado qui découvre
les joies de la coucherie. Sauf que j’ai plus de quarante balais.
– Alors, c’était bon ?
– Très, déglutis-je.
Elle attrape une chips mexicaine sur laquelle elle met la sauce au fromage. Elle
coule sur sa poitrine. OK… Il ne m’en fallait pas plus.
Finalement, nous avons mangé les tacos plus tard dans la nuit, après plusieurs
rounds sensuels. Après ce repas sexy, je m’adosse contre la tête de lit et attire
Anila contre mon torse.
– Tu n’imagines pas combien te serrer contre moi m’a manqué.
– Je sais… Je déteste de ne pas t’avoir à la maison. Je me sens vide sans toi…
Ses aveux me touchent plus que ses remarques habituelles. Il faut dire que ces
derniers temps, nos moments ensemble se comptent sur les doigts des deux
mains.
– Je sais. Je m’occupe du recrutement rapidement, lui promets-je. Raconte-moi
ta semaine. Raconte-moi tout.
Et elle se lance dans son récit. Elle me parle de ses étudiants, que je connais
comme si je les côtoyais autant qu’elle. Elle me donne les derniers potins, les
coucheries de untel et untel dans telle entreprise. Elle me décrit ses nouveaux
clients, et je suis content de voir que son business grandit régulièrement et
j’espère, durablement. Elle le mérite. Finalement, aux alentours de cinq heures
du matin, nous nous endormons épuisés, mais heureux de nous retrouver après
ces semaines loin l’un de l’autre.

***

Finn a rejoint nos effectifs, soulageant un peu le boulot qui nous submerge.
Nous avons récupéré Mass et Tina. L’ambiance entre eux est étrange, et je
soupçonne que quelque chose s’est passé entre eux lors de leur mission. Je les
convoque dans mon bureau ce matin. Ils finissent leur débriefing avec Ted, qui
s’occupe de taper les rapports avant de me les remettre. Mais avant qu’ils ne
partent à l’entraînement, je veux leur parler.
– Tu voulais nous voir, boss ? me questionne Tina en frappant contre le
chambranle.
Ma porte reste toujours ouverte, sauf lorsque je suis en entretien.
– Oui. Asseyez-vous.
Mass, toujours silencieux, referme la porte derrière lui. Il installe sa carcasse
dans le fauteuil face à moi.
– Comment s’est passé la Californie ? leur demandé-je.
J’ai eu le côté pro, mais j’ignore comment le côté perso s’est passé. Et ça, c’est
essentiel dans l’entente de leur duo.
– Ça a été. On a réussi à se faire intégrer rapidement dans le quartier. Personne
ne nous a repérés.
Je les écoute me raconter leurs dix jours de couverture. Cependant, ils ne sont
que très rarement en contact visuel. Mon intuition se confirme donc.
– Et ?
– Et quoi ? m’interroge Tina.
– C’est le boulot, ça. Mais vous ?
– Quoi, nous ?
Mass ose me tenir tête, mais il remarque mes sourcils arqués.
– RAS. Nous sommes restés pros.
Il se lève, nous tourne le dos et sort du bureau. J’ai observé Tina, et si elle gère
plutôt bien ses émotions, elle semble touchée. Je garde le silence, attendant
qu’elle se livre. Cependant, elle garde le silence. Je me doute de son passif, mais
je n’ai jamais cherché à savoir exactement ce par quoi elle était passée. Je ne
veux pas être indiscret. Cependant, cela me semble nécessaire dans notre cas
présent.
– OK. Tina, tu sais que je ne suis pas du genre intrusif et que si tu ne veux pas
parler, je ne te tirerai pas les vers du nez.
Elle hoche la tête. Son regard est planté dans le mien, en revanche, il trahit une
multitude d’émotions.
– Mais j’ai besoin de comprendre. Mass et toi, vous formez une bonne équipe.
J’aimerais bien que ça reste ainsi.
Elle se renfrogne, tiraillée entre l’envie de parler et son mutisme émotionnel.
– Je ne te juge pas, et je ne te demande pas de me raconter tes secrets.
Cependant, si tu en as besoin, sache que je peux t’écouter. Café ?
En silence, elle acquiesce. Alors que je me lève pour faire couler nos boissons,
elle prend la parole.
– Ça a commencé il y a dix ans… Nous étions agents sous couverture, nous nous
occupions d’assurer la sécurité de diplomates, d’hommes et femmes d’affaires
importants dans les pays chauds comme la Syrie ou la Libye.
Je l’écoute, le dos tourné. J’ai bien compris qu’elle était plus à l’aise pour me
parler.
– Notre duo fonctionnait à merveille. Nous étions la meilleure team de l’agence.
Il y a quatre ans, on nous a envoyés sur le territoire de Kadhafi. Des militaires
d’une base proche nous ont accompagnés lors de l’expédition en question. Il
s’agissait d’un milliardaire qui voulait distribuer lui-même des vivres et des
fournitures médicales aux villages alliés. Nous étions cinq. Deux militaires,
Garry, Edwards et moi. Nous avons été attaqués.
Dans sa voix, je sens la douleur qui l’habite lorsqu’elle évoque ce souvenir.
– Nous avons été trois à survivre. Le soldat Morris, Garry et moi. Les insurgés
avaient compris que nous étions américains et que nous avions donc une valeur
pour leurs opposants. À savoir, notre nation. Ils sont arrivés, ils ont tiré une balle
entre les yeux de Morris qui est mort à quelques centimètres de moi. J’avais déjà
vu du sang, des attaques, mais jamais de façon aussi cruelle. Jamais d’aussi près.
C’était la première fois que nous perdions un client. Garry et moi étions à
l’arrière, au centre et à droite du véhicule. Ayant été attaqués par la gauche, nous
avons eu quelques blessures, mais pas très graves. En revanche, nous ne
pouvions rien contre la quinzaine d’insurgés qui nous tenaient en joue. On nous
a traînés pendant des kilomètres, jusqu’à leur base.
Je lui apporte son café, elle semble en avoir besoin. Elle me remercie et prend
une longue gorgée de sa boisson.
– On nous a séparés. On m’a assommée, droguée. J’entendais ses cris, ses
hurlements. Sa douleur… Ils le torturaient. Parce qu’ils savaient qu’il ne
lâcherait aucune information, mais pensaient que moi, je le ferais. Quelques
jours plus tard, ils l’ont ramené dans ma cellule. Il… Des… On lui avait coupé
des doigts, on avait entaillé sa chair. Sa peau était pâle. Il se vidait de son sang,
mais de façon lente et agonisante… Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que j’étais
surentraînée au corps à corps. Garry est mort trois jours plus tard. Durant ce
temps, ils ne m’ont rien administré. Je les ai laissés venir à moi. Je les ai laissés
faire, ils m’ont torturée, essayé de me soutirer des informations. Seulement,
j’avais pigé qu’ils avaient des périodes où ils n’étaient pas nombreux. J’ai
attendu l’un de ces moments. Je les ai tous massacrés. J’ai erré dans le désert
durant plus d’une semaine. Puis, je suis tombée sur des soldats américains. Ils
rentraient d’opération. Ils m’ont ramenée à la base avant de retourner au repaire
que je leur avais indiqué. Ils ont ramené la dépouille de Garry. Son regard… Il
me hante chaque nuit. Garry… C’était mon mari…
OK, je pige mieux.
– Depuis, je refuse de m’investir ou de réagir à quelque relation que ce soit.
Nous avons dû jouer un couple. Mass, j’ai senti que… Bref, je ne peux pas. Je ne
peux pas prendre le risque.
Comme si elle avait réalisé qu’elle s’était livrée à moi, ses lèvres forment un O
surpris. Mais je sais qu’elle me cache quelque chose concernant sa couverture
avec Mass.
– Je comprends. Je n’ai pas vécu la même chose, mais les gangs mexicains ont
pris la vie de mon frère, mon père, et ont failli prendre celle de ma sœur. À
l’inverse, cela a développé chez moi une envie de former une famille un jour.
Mais si ce n’est pas encore le cas, c’est parce que je refusais de m’engager avec
quelqu’un avec le job que je faisais.
Me confier lui fait comprendre que nous avons tous nos doutes. En fonction de
nos vies, de nos passés. Mais que rien n’est immuable.
– Mais quand ça arrive… Ça arrive. On ne peut pas lutter contre. Je sais que tu
veux empêcher cela d’arriver. Tina, je ne te juge pas, lui dis-je en lui prenant la
main. Tu as connu l’horreur, et seule une personne forte pouvait en réchapper.
Pour ça, tu as tout le respect et bien plus encore. Mais ne penses-tu pas que tu
peux aussi vivre le bonheur que tu mérites ?
– Je… Non.
– OK… Mais je pense qu’il aimerait que tu sois heureuse, tu sais…
Mon ton est doux, parce que je ne veux pas la brusquer, je ne veux pas la blesser
non plus.
– Je le sais. Mais je ne veux pas prendre de tels risques.
L’intonation dans sa voix m’indique qu’elle clôt la conversation ainsi.
– Je comprends.
Elle se lève et se tourne vers moi avant de sortir.
– Merci.
– Je suis aussi là pour ça. Si tu as besoin de parler ou de te vider la tête, n’hésite
pas. Et parle-lui… Je suis certain qu’il comprendra.
Elle acquiesce d’un hochement de tête, mais je sais qu’elle ne le fera pas…
Après son départ, je reste dans le fauteuil où Mass était avant. Putain, je me
doutais qu’elle avait eu une merde un peu dans ce genre. Mais le fait que Garry
soit son mari a amplifié ce qu’elle a vécu. Beaucoup d’entre eux, ces victimes, se
seraient collé une balle dans la tête. Moi le premier. J’espère tout de même que
Mass arrivera à prendre sur lui. Alors que je me dirige vers le terrain
d’entraînement, je croise tous mes gars autour d’un café. Je les interroge du
regard.
– Il vaut mieux ne pas y aller. C’est moche. Très moche ! lâche Chase.
Je me rends tout de même là-bas. Tina affronte Mass dans un combat mêlant
toutes les techniques de combat qu’elle connaît. Sa confession a ravivé ses
blessures qui ne sont pas toutes guéries. Elle enchaîne les coups, tente
d’atteindre Mass, qui se laisse faire parfois. Il a pigé que cela la soulage. De là
où je me cache, je vois des larmes sur ses joues. Elle d’habitude si froide, lâche
prise. Elle continue, encore et encore. Le combat dure plus d’une heure. À la fin,
elle suffoque tellement qu’elle s’effondre, à bout de forces. À bout de souffle. À
bout tout court. Mass s’assied derrière elle et la laisse déverser ses douleurs. Elle
gémit et pousse des cris. Elle a mal. Je les laisse, retourne à la salle de pause et
donne congé à tous mes gars. Je reste encore un peu, puis rentre à la maison,
après avoir laissé un mot à Mass et Tina. Ils fermeront l’agence, je leur fais
confiance.
Sur le chemin du retour, je décide de faire un crochet par le café de ma belle.
J’avoue que l’histoire de Tina a réveillé chez moi cette peur. Et s’il arrivait
quelque chose à Ani ? Si on me l’enlevait ? Je sais d’avance que je n’y survivrai
pas. Lorsque je pousse la porte, il est presque dix-sept heures. Les étudiants
quittent l’établissement avant d’être remplacés par les employés en after-work.
Ani profite d’une petite accalmie pour préparer des tapas. Elle est de dos, et ne
m’a pas encore vu.
– Bonsoir. Pourrais-je avoir un café, jolie demoiselle ?
J’aurais bien demandé une bière, mais elle n’a pas le droit d’en servir. Après
tout, elle tient une pâtisserie, et non pas un bar. Mais c’est dans ses projets de
pouvoir en servir ainsi que du vin.
– Bien sûr, j’arrive !
– Pas de souci. Prenez votre temps.
Toujours concentrée sur ses tapas, elle ne m’a pas remarqué. Cependant, je
remarque qu’elle se tend au son de ma voix.
– Alejandro ? Que fais-tu ici ? me questionne-t-elle, surprise.
– On a fini plus tôt. Je te raconterai à la maison.
– OK !
Elle me demande comment s’est passée ma journée, je lui explique rapidement
la situation, mais pas en détail. Une heure plus tard, elle dispose ses plateaux sur
les tables ainsi que sur le comptoir. Puis, un client qui semble bien connaître ma
femme arrive.
– Anila !
– Salut, Davor ! Ça va ? Ta journée ?
– Comme d’hab ! Des gros contrats, des patrons à satisfaire. Et toi ?
Ils semblent bien proches. Et je n’aime pas vraiment ça. Pas du tout. Le mâle
latino en moi refait surface et je m’interpose.
– Bonsoir. Je suis Gonz, le mari d’Anila.
Il ne semble pas surpris. Pas vraiment en tout cas.
– Bonsoir, me répond-il en serrant la main que je lui tends. Enchanté ! Vous
devez sacrément être fier de ce qu’elle a accompli.
Le ton sur lequel il me sort ça ne me plaît pas. Comme si je n’appréciais pas la
réussite de ma femme à sa juste valeur.
– Très. Et j’espère que cela continuera. Davor, c’est ça ?
– Oui.
– C’est de quelle origine ?
– Je suis né en Europe centrale, explique-t-il.
Mais le détective en moi est réveillé. Ce mec, je l’ai à l’œil. Je ne suis pas parano
au point de monter un dossier complet sur lui, mais je le garde en tête. Sentant
que j’ai besoin d’en savoir plus, il continue.
– Je suis arrivé ici il y a vingt-cinq ans. Ou plutôt, mes parents. Ils voulaient
nous offrir une vie meilleure. J’ai eu la chance de faire mes études ici.
Je hoche la tête, puis vais rejoindre ma douce. Je ne cherche pas à en savoir plus.
Il m’a donné quelques informations, mais… peut-être trop même. Je dois rentrer,
sinon je vais passer en mode agent. Et je ne veux pas foutre la merde dans la vie
de Anila.
– Amor, je vais te laisser travailler. Tu finis dans combien de temps ?
Elle regarde la pendule au-dessus de la machine à café et me répond que dans
une heure, elle sera de retour. Parfait. Je vais pouvoir boire une bière, prendre
une douche et dégager ma putain de jalousie de merde de ma tête !
Chapitre 10

Anila

J’appréhendais un peu la rencontre Davor-Alejandro. Pourquoi ? Aucune idée.


Je n’ai rien à me reprocher, ni même à reprocher à Davor. Cependant, je ne lui en
ai pas beaucoup parlé et il est nouveau dans ma vie. Et c’est un homme. Dois-je
préciser qu’Alejandro est mexicain, latin, au sang chaud ? Voilà. Ça joue aussi.
J’aurais dû lui en parler plus ? Aucune idée, je verrai bien sa réaction lorsque je
rentrerai tout à l’heure après mon service.
– Il a l’air jaloux, ton mec, me taquine Davor.
– Que veux-tu, soupiré-je, c’est dans sa nature !
– Rappelle-moi dans quoi il bosse ?
– Il a monté sa boîte dans le milieu de la sécurité.
– Ouhh, se moque-t-il, faisant semblant d’être apeuré. J’ai intérêt à bien me
tenir !
– Il vaudrait mieux pour toi ! lui confirmé-je.
Alejandro est un homme bon et droit. Mais je sais aussi que sa jalousie pourrait
l’aveugler, et qu’il serait capable de rechercher tout sur Davor et le faire fuir.
Hilarant, n’est-ce pas ? Ouais. Presque ! La fin de journée est bien remplie, mais
je rentre à la maison vers vingt heures trente. Lorsque j’arrive, le repas est prêt,
et Alejandro m’attend.
– J’ai préparé une salade avec des pâtes, me sourit-il.
– C’est parfait ! Merci. Je meurs de faim !
Nous nous installons sur le canapé, lui, les pieds sur la table basse, moi en
tailleur. Je lui demande comment s’est passée sa journée. Puisqu’il a terminé
plus tôt qu’à son habitude, il doit y avoir une bonne raison.
– Disons que j’ai voulu laisser à mes gars le temps de récupérer de leurs
différentes missions. J’ai eu une discussion avec Tina. Je connais son passé, et
je… Bon sang, je n’avais pas pensé à tout cela.
Alejandro ne me parle jamais de son équipe. Il garde son job au bureau. Par
mesure de sécurité, par pudeur ? Parce qu’il dissocie nos vies professionnelles de
nos vies privées. Certainement un peu de tout ça. Cependant, il est touché.
– Tu peux m’en parler si tu veux. Je te promets que cela ne sortira pas d’ici.
– Je sais, amor. C’est juste que c’est vraiment dur, tu sais. Je ne veux pas te
blesser.
– Hey, je pense pouvoir encaisser.
Il me raconte alors l’histoire de Tina. À la fin de son récit, je me rends compte
que des larmes roulent sur mes joues. C’est horrible. Je n’imagine pas l’enfer
qu’elle a dû vivre. Je crois que j’aurais préféré mourir là-bas plutôt que rentrer
dans une coquille vide.
– D’après ce que j’ai pu voir, Mass a des sentiments pour elle. Et je ne serais pas
surpris si leur infiltration avait un peu dérapé et qu’ils ont mêlé leur mission à
leur vie privée. Et elle ne veut plus avoir de sentiments parce qu’elle connaît la
souffrance que cela engendre lorsqu’on perd les personnes qu’on aime.
– Je la comprends. Mais… elle mérite le bonheur.
– Je sais, amor, je sais. J’espère seulement que Mass saura lui ouvrir les yeux !
– J’espère. Dis, ça te dirait qu’on fasse une soirée ici avec tes collègues, Ava et
Finn ?
C’est vrai que je ne les ai croisés que rarement, ils sont souvent en mission ou
pas souvent disponibles en même temps.
– Ce serait une bonne idée. Ça changerait des coups bus vite fait en salle de
pause ou au bar qui se trouve au coin de la rue.
Il récupère son smartphone sur la table basse et tape un message pour ses
collègues.
– Samedi prochain, cela t’irait ?
– Adjugé ! Je préparerai à manger au café et j’apporterai tout à la maison. Je
demanderai à Ava de m’aider si elle est disponible.
– OK. Je te dirai qui sera là.
Dans les dix minutes qui suivent l’envoi du message d’Alejandro, nous avons
toutes les réponses. Ils seront tous disponibles, et Ted viendra accompagné de sa
femme. Quant aux autres, ils viennent seuls. Je suis contente d’apprendre à les
connaître. Après tout, ils font partie de la vie d’Alejandro, et ils passent le plus
clair de leur temps ensemble. Ils ne sont pas dans l’armée, mais ils ressemblent à
des frères d’armes.

***

Le samedi suivant, comme convenu, tout le monde est présent. Lorsque


j’arrive, une chaîne de sport est allumée, tout le monde est installé sur le canapé
en cuir vieilli, ainsi que sur des coussins au sol. Les bières cognent les unes
contre les autres, les rires et cris s’élèvent et couvrent la voix des
commentateurs. Visiblement, il s’agit d’un match de NBA entre Boston et les
New York Knicks. Et certains sont pour les New-Yorkais. Personne ne m’entend
arriver, je me débats pour tenir tout notre repas sur un bras. Ava n’a pas pu venir
m’aider, Cécilia était malade. Elle est restée à la maison ce soir pour veiller sur
elle. Finalement, une jolie quadra me remarque et accourt vers moi.
– Bonsoir, je suis Mary, la femme de Ted. Ils sont tellement absorbés par le
match… Donne-moi quelque chose.
Je lui tends le plateau en équilibre sur ma main depuis que je suis partie du
boulot.
– Merci beaucoup ! Je vois que la bouffe est moins importante que le basket !
lâché-je en montant le son de ma voix.
Je semble être entendue et rapidement, une nuée de mecs se ruent vers moi.
Seule Tina arrive derrière eux, le sourire aux lèvres.
– Il faut leur parler de bouffe pour qu’ils se bougent le cul ? Je le saurai ! me
sourit-elle.
– Faut croire !
– Désolé, amor, je ne t’avais pas entendue arriver, me souffle Alejandro dans
l’oreille.
– Hmm… T’as intérêt à te faire pardonner.
Il lève un sourcil, me faisant comprendre qu’il saura se rattraper. Dois-je vous
préciser que j’ai hâte ? Finalement, les gars installent les tapas sur la table basse
et nous passons une soirée sport très sympa. Ils se chambrent, se branchent, et
s’amusent. On dirait des ados de quinze ans. J’imagine que ce comportement
contraste avec le sérieux dont ils doivent faire preuve au quotidien. Ils relâchent
tout à l’extérieur. Mary est adorable. Je suis assise entre elle et Tina, j’essaie
d’intégrer Tina dans nos conversations, mais elle ne semble pas à l’aise. On sent
pourtant qu’elle est contente d’être là, qu’elle est touchée d’être entourée de ses
collègues, de nous. Mais c’est comme si elle mettait une barrière autour d’elle.
Cela colle totalement avec ce qu’Alejandro m’a expliqué. Lorsque j’essaie de
l’inclure dans la conversation, elle est un peu sur la réserve. Elle reste évasive.
J’ai également noté que Mass et elle ne cessaient de se chercher du regard et de
s’observer. Comme si elle ne pouvait s’empêcher de poser ses yeux sur lui.
Lorsqu’elle vient m’aider à débarrasser les bouteilles de bière, j’essaie d’aborder
le sujet.
– Merci, Tina. Alors, comment c’est de bosser avec autant de beaux mâles ? la
taquiné-je.
– Ils sont bien foutus, mais franchement, ils ne sont pas aussi forts qu’ils le
laissent penser ! Il n’y a que Mass qui arrive à mon niveau !
OK, je suis impressionnée. Et j’ai ma porte ouverte !
– J’avoue que Mass est impressionnant. Mon Dieu, j’aimerais être à ta place
pour voir son corps torse nu !
Elle ne réagit pas assez vite et rougit légèrement.
– Ouais… On se lasse vite.
Une touche d’amertume et de peine voile sa voix. Elle quitte la cuisine et
retourne auprès de son équipe. Hmm. Oui, définitivement, je pense que Mass et
elle sont bien plus proches qu’il n’y paraît. Et elle devrait vraiment se laisser
vivre. Parce que vu comment Mass la regarde… C’est bien plus qu’une
amourette temporaire. Ça saute aux yeux ! Et je suis convaincue qu’elle aura une
fin heureuse, cette histoire. Il ne peut en être autrement ! Après le départ de nos
amis, Alejandro s’évertue à se faire pardonner son manque de galanterie évident.
Dieu que j’aime cet homme !

***

Les fêtes de Noël arrivent rapidement. Boston se pare de toutes les lumières
qu’elle peut pour briller de mille feux. J’adore cette période. Les odeurs de vin
chaud, de cannelle, d’épices, d’oranges… Depuis début décembre, le café est
également passé du côté de Noël. Entre Thanksgiving et le début des fêtes de fin
d’année, j’ai eu le temps de faire adapter mes recettes. Tartes à la noix de pécan,
au potiron, dinde à la sauce aux canneberges, petits pois, purée de patates
douces, et j’en passe ! Le tout revisité. Et cela fait fureur auprès de mes clients.
J’ai décidé de fermer une semaine afin de passer Noël chez mes parents. Puis
deux jours plus tard, nous retournons à Boston et la famille d’Alejandro nous
rendra visite pour les soixante-douze heures suivantes. C’est toujours difficile de
s’organiser, mais nous y arrivons tout de même.
Mes étudiants viennent me souhaiter de bonnes vacances ainsi qu’un bon Noël
avant de rentrer eux-mêmes dans leurs familles ou de se replonger à fond dans
les révisions ou les petits boulots temporaires. Mes after-workers défilent et
viennent récupérer quelques commandes de tartes, d’amuse-bouche que j’ai pu
préparer avant de partir en vacances. Tous ont un petit mot gentil. J’adore mes
super clients ! Même Davor est passé alors qu’il avait prévu un voyage. Il monte
dans le nord du pays, rendre visite à sa famille.
– On se revoit dès la réouverture, me salue-t-il avant de se lever.
– Passe de bonnes fêtes !
– À toi aussi !
Puis, il sort s’engouffrant dans le froid de l’hiver bostonien. Quelques minutes
plus tard, à mon tour, je verrouille la porte de mon café lorsqu’une voix gutturale
retentit dans mon dos.
– Puis-je vous prendre, jolie demoiselle ?
Je souris, face à mon rideau de métal. Je décide de rentrer dans son jeu. Je me
retourne, un sourire narquois sur le visage.
– Me prendre ? Vous faites toujours de telles promesses lorsque vous draguez
une nana pour la première fois ?
– C’est une nouvelle technique. Mais j’ai l’impression que cela ne vous
déplairait pas.
– Vous êtes clairvoyant. En même temps… vous avancez de sérieux arguments,
beau gosse.
Nous réduisons l’espace entre nous, sourires amusés aux lèvres.
– Salut toi, me souffle Alejandro.
– Coucou. J’adore quand tu passes me récupérer au boulot.
– C’est un plaisir, amor.
Je l’embrasse tendrement, mes bras autour de son cou, les siens autour de ma
taille.
– Enfin une semaine rien qu’à nous…, soufflé-je contre la bouche de mon
merveilleux amant.
Alejandro a également fermé l’agence pour une semaine et a renvoyé chacun de
ses collègues chez eux. Mais pour ces anciens militaires ou agents, la famille
n’est pas forcément celle qu’on connaît traditionnellement. Mais plutôt les
collègues de boulot avec lesquels ils vivent au quotidien. Et je sais que Ted et
Mary organisent un repas quelques jours après Noël pour fêter l’amitié en cette
fin d’année. Nous sommes aussi conviés.
– Enfin… Allez, en route, cariño.
Nous démarrons la voiture et partons pour plusieurs heures de route. Nous nous
arrêtons deux heures plus tard afin d’avaler un burger et des frites, le tout arrosé
de soda ultra sucré. Pourtant, cela ne m’empêche pas de m’endormir rapidement
après mon repas. Je ne sais pas depuis combien de temps nous roulons, mais
lorsque je me réveille, je suis entre des draps frais, sous une couette douce et
chaude. Manitowoc est à plus de dix-huit heures de route de Boston. Alejandro a
décidé de faire une pause durant le trajet. On aurait pu prendre l’avion, c’est
vrai. Mais un des réflexes qu’il n’a pas perdus, c’est celui de pouvoir fuir à
n’importe quel moment si nous sommes en danger. Eh oui, on ne se refait pas !
Cela ne me dérange pas. Je m’étire, et comprends que je suis seule dans ce grand
lit. Soudain, la porte de la chambre s’ouvre sur mon bellâtre. Il porte un jean
délavé, un sweat gris chiné ainsi qu’une écharpe de laine noire. Ses boots marron
en cuir complètent son look. J’adore quand il est habillé comme ça.
– Salut, amor. Bien dormi ?
– À merveille. Mais un peu déçue de ne pas t’avoir senti à mes côtés ce matin.
– Je sais. Mais il nous reste encore un sacré moment avant d’arriver chez tes
parents. Et j’ai reçu un message de Finn, ta mère le fait tourner en bourrique.
Autrement dit, comme ton frère me l’a gentiment souligné il faut bouger notre
cul pour qu’on arrive rapidement.
Je rigole, car j’imagine Finn en train de fuir maman, qui doit être débordée et
ensevelie sous des montagnes de biscuits de Noël, des pains d’épices, sous des
tonnes de plats de fêtes. Cette année, c’est la première fois que nous sommes
tous réunis chez elle. Mon frère, sa femme, et leurs enfants ainsi que Gonz et
moi. Alors, elle est devenue incontrôlable, elle veut que tout soit parfait. Je suis
certaine qu’elle a changé les draps de nos lits au moins trois fois, qu’elle prépare
le petit-déjeuner des enfants au lever du jour, et qu’elle a acheté toutes les
friandises que nous aimions, Finn et moi, lorsque nous étions enfants. Choses
que nous ne mangeons plus depuis des années, mais que nous nous forcerons à
manger pour quelques jours !
J’ai bien compris le message de mon frère que j’ai appelé un peu après dans la
voiture.
– Je te jure, je passe mon temps dehors avec papa et Aiden. À cette allure, il y
aura un village de cabanes en bois dans le jardin des parents !
Je rigole à l’autre bout du fil.
– T’exagères pas un peu ?
– Pas du tout ! Tu la verrais ! Je crois que même la déco de la maison est faite en
biscuits ! Elle est dingue ! Attends que vous ayez des enfants, ce sera encore
pire !
Nous discutons encore un peu, et même mon père, derrière Finn, me confirme
que mon frère ne me ment pas. Heureusement que nous restons que quelques
jours !
Plusieurs heures plus tard, nous constatons la folie des grandeurs de ma mère.
Tout d’abord, je pense que leur note d’électricité va les endetter sur les quinze
prochaines années ! Il n’y a pas une parcelle de la façade de la maison qui n’est
pas en contact avec une LED. Des guirlandes, des animaux posés dans le sol
enneigé, des pères Noël en tout genre qui arrivent et descendent du toit, des
traîneaux sur la charpente, ainsi qu’au pied de la maison… Leur budget
décoration a dû exploser ! Puis, nous passons le pas de la porte.
– Bordel ! Finn ne disait pas de conneries, me souffle Alejandro. On dirait que la
mère Noël a investi les lieux !
J’acquiesce en silence. Bon sang, maman… Qu’est-ce que tu as fait ?
– Oh, mes chéris ! Anila, ma princesse, viens dans mes bras.
Je me laisse prendre, plus par surprise que par envie. J’aurais tendance à dire que
ma mère est très, très heureuse. Derrière elle, Finn me fait signe qu’elle est
devenue folle. Je lève les yeux au ciel, puis me reprends.
– Ça va, maman ? T’as pas l’impression que tout le village du père Noël a eu une
gastro et aurait vomi sur la maison ? tenté-je pour faire de l’humour.
– Moque-toi ! Mais c’est Noël, ma petite fille, et je peux enfin tous vous avoir
sous mon toit. Laisse-moi en profiter !
Je ne réponds rien, puis elle s’éloigne et va serrer Alejandro dans ses bras. Il est
plus diplomate que nous tous.
– L’ambiance est merveilleuse, Rosa, vous avez assuré.
– Lèche-cul, se moque mon frère.
– Merci, Alejandro ! Enfin une personne qui ne me prend pas pour une cinglée !
Allez déposer les bagages et prenez votre temps. On mange dans une petite
heure !
Sans ajouter un mot, ma mère repart vers le salon, puis à la cuisine. Mon père
nous salue, donne une tape amicale sur l’épaule de mon homme et rejoint ma
mère.
– Alors, qu’est-ce que je t’avais dit ? Ça pue Noël ! J’adore les fêtes, et encore
plus avec les enfants maintenant, mais avoue qu’elle pousse le bouchon ! Elle
nous a sorti hier soir des espèces de machins qu’on se met sur la tête avec des
bois de rennes en tissu, un sapin brillant ou des sucres d’orge ! Elle a bouffé le
père Noël, ce n’est pas possible autrement !
– Finn, détends-toi. Elle est heureuse, on ne reste pas un mois ici.
Heureusement !
– Et t’as pas vu ta chambre, sœurette !
Il ne m’en faut pas plus pour me précipiter dans l’antre de mon adolescence. Je
retiens un cri lorsque je passe la porte. Un truc gît sur ma fenêtre, et dans
l’ombre, on pourrait croire à un intrus. Ce n’est rien de plus qu’un énième père
Noël sur l’un de ses rennes, mais l’ombre est trompeuse. Derrière moi,
Alejandro et Finn sont déjà sur les charbons ardents et je dois les calmer. Je les
rassure, puis Finn nous laisse, mort de rire. Je sens que ce séjour ne va pas être
triste !
Lorsque nous repartons, deux jours plus tard, je frise l’overdose de pain
d’épices, de biscuits à la cannelle et de décorations de Noël. Nous avons passé
de merveilleux moments en famille, je me suis extasiée devant mes petits
monstres qui ont ouvert leurs cadeaux avec une excitation débordante. Et le
coffre de la voiture d’Alejandro est plein à craquer tellement les petits ont été
gâtés ! Heureusement que nous sommes venus en voiture.
Demain, la famille d’Alejandro arrive en ville. Ils ont loué un appartement à
deux pas du loft. Nous pourrons nous voir sans nous marcher dessus. J’adore sa
mère et tout le monde, n’en doutez pas. Mais en bonne famille mexicaine, qui de
surcroît a perdu des membres dans des circonstances dramatiques, ils sont un
peu trop souvent tous ensemble. Bien que je comprenne totalement ce besoin.
Cependant, dès qu’Esmeralda passe la porte, l’amour que trahit son regard me
touche au plus profond de mon être.
Chapitre 11

Gonz

– Mama…
– Mi hijo, mi amor…
J’ouvre mes bras et ma mère se réfugie contre mon torse. Eh oui, à quarante-trois
ans, je suis toujours un fils à sa maman. Notre histoire familiale n’a fait que
resserrer les liens que nous avions. Et en toute bonne famille latine, nous
sommes expressifs. Cela n’a pas changé. Nous avons droit à quelques minutes de
calme avant que le reste de ma tribu n’arrive.
– Tonton Ale !
Ma petite princesse, Juanita, s’enroule autour d’une de mes jambes. Alors que
ma mère se dégage de mon étreinte, je prends ma nièce dans mes bras. Elle me
serre contre elle de toutes les forces possibles.
– Coucou, mi corazon !
– Je suis contente de te voir, tio. Tu sais, j’ai été très très sage, et j’ai même dit
au père Noël que je venais chez toi. Je lui ai envoyé ton adresse pour qu’il
n’oublie pas mes cadeaux. Et puis, tu sais…
– Juanita, ma chérie, laisse ton oncle tranquille deux minutes, tu veux ? Tu auras
tout le temps de lui parler dans les jours à venir, intervient Maria, sa mère.
Elle fait descendre sa fille de son perchoir et me serre dans ses bras à son tour.
– Ça fait plaisir de te voir, Ale !
– Oui, ça faisait trop longtemps.
– T’as qu’à venir plus souvent, me reproche ma mère, dans mon dos.
Alors que je me retourne, je la vois, un bras crocheté à celui d’Anila. Elles ne se
sont pas vues souvent, mais elles s’apprécient. Ma mère n’a même pas tenté de
tester Ani lors de leur première rencontre. Pour elle aussi, ça a été le coup de
foudre au premier regard. Anila s’est bien faite à la proximité qui lie ma famille,
mais je sais qu’elle aime aussi son indépendance… Ce que je comprends ! J’y
suis habitué, mais pour elle, c’est différent. Bien sûr, sa famille est aimante et
tactile. Mais pas de la même façon. Clairement, le pétage de plombs de Rosa
cette année ressemble un peu au comportement quotidien de ma mère… Bref,
vous voyez le tableau.
Maria rejoint ma mère et Ani, et mon frère me serre rapidement dans ses bras.
La cinquantaine fringante, il semble enfin vraiment épanoui.
– Content de te voir, bro.
– Moi aussi ! lui réponds-je. Tu les as mis où, tes grands ?
– En mission regalo, me souffle Pedro.
Je comprends mieux. Ana et Edu sont à la fac maintenant, et ils n’ont pas eu
beaucoup de temps pour faire leurs cadeaux de Noël avec les examens de fin de
semestre. Ma famille est essentielle pour moi, même si nous ne nous voyons pas
aussi souvent que nous l’aimerions, toutefois, notre lien est fort. Le soir même,
ils rentrent dans l’appartement où ils logent pour leur visite. Le voyage a été
long pour eux, les festivités seront pour le lendemain soir.
Ani a décoré la maison avec goût. Pas aussi kitsch que la décoration qu’avait
faite Rosa ! Des lumières, des teintes claires et pastels comme cela se fait bien
désormais en Europe. Cela apporte encore plus de chaleur au loft, déjà
chaleureux grâce au bois et à la déco que j’avais mise en place il y a plusieurs
années déjà. Le repas est fabuleusement bon. Même ma mère, cuisinière émérite,
est épatée par la justesse des saveurs des plats de ma femme.
Je suis installé en bout de table, et je contemple cette scène. Toutes les personnes
que j’aime sont réunies et j’apprécie ce moment. Pourquoi ? Je n’en sais
foutrement rien. Mais mon instinct me dit de prendre chaque seconde et de la
chérir. Je déteste cette sensation, surtout que notre bonheur est évident, et que
nous passons enfin, Anila et moi, des moments rien que tous les deux. Cela
m’avait beaucoup manqué. Est-ce que ce que je ressens est dû au manque que
j’avais envie de passer du temps au calme avec elle ? Peut-être bien, après tout.
Ani me regarde, elle est assise un peu plus loin, entre ma belle-sœur et ma petite
nièce. Ses yeux se plantent dans les miens et son sourire m’atteint au plus
profond de moi-même. Il réussit à apaiser mes doutes et mon instinct se remet en
sommeil. Oui, je crois que j’ai abusé du boulot et que le contrecoup se fait
ressentir.
Deux jours plus tard, alors que ma famille est rentrée chez elle non sans
quelques larmes de la part de ma mère et quelques avertissements de la part du
reste de ma famille - je leur manque trop, je dois aller les voir plus souvent-,
nous nous réunissons chez Ted et Mary. L’an passé, nous sommes restés chacun
de notre côté, mais cette année écoulée a permis d’apprendre à se connaître et à
resserrer nos liens. Mary a demandé que nous soyons sur notre trente-et-un,
parce qu’elle trouve que nous avons passé assez de temps dans des tee-shirts et
des joggings informes. Certes… Je termine de me préparer, passe mes doigts une
dernière fois dans mes cheveux, réajuste mon nœud papillon noir et quitte mon
bureau. Anila avait besoin de la chambre, alors je lui ai laissé le champ libre.
Lorsque je la rejoins, je me fige. Mon Dieu… C’est une déesse… Elle me tourne
le dos, mais elle voit mon reflet dans le miroir auquel elle fait face. Elle porte
une robe longue en satin rouge, deux bretelles s’entremêlent le long de sa
colonne vertébrale pour laisser son dos dénudé ou presque. Elles viennent se
fixer sur le jupon, un peu plus haut que ses reins. Je serais capable d’annuler
notre soirée, rien que pour lui faire l’amour habillée comme ça.
– Je sais à quoi tu penses, me sourit-elle dans le miroir. Mais tu auras tout le
loisir de me prendre lorsque nous rentrerons de chez Ted et Mary. Jusque-là, tu
vas bien te tenir et tu verras, la soirée sera géniale.
Je ne peux réprimer un rire.
– OK, je vais tâcher de bien me tenir.
Je m’approche d’elle et dépose un baiser sur son épaule. Sa peau réagit aussitôt
au contact de mes lèvres. Je sors de ma poche un collier que je lui ai acheté il y a
quelques jours déjà. Lorsque je l’ai vu, j’ai craqué. Elle n’a pas de goûts de luxe,
ni moi d’ailleurs, mais elle mérite le meilleur. C’est un collier fait de diamants
brillants et au centre, une chaînette descend, retenant un rubis d’un rouge
profond. Qui se marie à la perfection avec sa robe et qui ressort sur sa peau
laiteuse.
– Alejandro… souffle-t-elle, surprise. Il… Mais j’ai déjà eu un cadeau pour
Noël.
– Je sais. Mais il était fait pour toi…
Ses doigts fins caressent le bijou, puis elle se retourne vers moi.
– Je n’imagine pas ma vie sans toi… Je ne te le dis pas souvent, mais tu es tout
pour moi. Tu me donnes tellement d’amour, de tendresse, d’attention. Même
quand tu n’es pas là, je te sens partout ici. Merci, merci mille fois de me rendre
si heureuse… Tu es un homme merveilleux, Alejandro Gonzalez.
Je fonds sur sa bouche dès sa déclaration terminée. Elle me touche, parce
qu’effectivement, elle me montre ses sentiments, mais les grands discours ne
sont pas vraiment sa tasse de thé. Elle me dit souvent « je t’aime », mais
rarement plus. Notre baiser est doux et passionné à la fois, mais elle le rompt. Je
sens son sourire sur mes lèvres.
– On doit y aller… Viens, me dit-elle en me prenant par la main.
Lorsque nous arrivons, nous sommes les derniers. Anila dépose les paquets
cadeaux que nous avons achetés à l’occasion du père Noël secret. Le principe ?
Tirer au sort le nom de quelqu’un et lui offrir un cadeau en fonction de ses goûts,
mais aussi de la façon dont on le perçoit. Les gars ont tous revêtu un smoking et
sont super classe. Quant à Mary, elle reste une femme élégante en toutes
circonstances. Elle porte une robe couleur nude, fluide, avec une encolure de
dentelle noire. J’observe mes amis, et je note que Mass, derrière son verre de
whisky à moitié vide, ne cesse de regarder Tina. Et je le comprends… Vu son
regard, je pense que son pantalon n’est pas franchement confortable et qu’il
préfèrerait un jogging ample ! En même temps… Tina a envoyé du lourd. Une
robe longue, émeraude, en voile fluide, fendue jusqu’en haut de sa cuisse
gauche, au décolleté profond, mais pas vulgaire. Son dos n’est pas aussi exposé
que celui d’Ani, bien qu’elle ne soit pas complexée par ses blessures, mais le
tissu dévoile ses reins. Et je pense que Mass trouve ça très, très sexy. Et cette
peste de Tina s’amuse à l’allumer, ça se voit. Je ne sais pas à quel jeu ils
jouent… Mais je sais d’avance que l’un d’entre eux va souffrir. Si ce n’est pas
les deux. Quand j’ai embauché les deux, je savais que Mass cherchait à se poser
et que Tina cachait une blessure. Maintenant que je connais cette blessure plus
en détail, je sais que Mass va déguster. Et Tina… Peut-être bien qu’elle souffrira
aussi.
Le repas de Mary est délicieux. Tout en simplicité, mais excellent. Puis, l’heure
arrive d’échanger nos cadeaux. J’ai pris un nouveau KABAR pour Harri que j’ai
fait graver à ses initiales. J’ai reçu, de la part de Ted, un bon pour parachuter de
nuit avec certains de ses anciens collègues. Je n’ai jamais fait ce genre d’activité,
et j’adorerais en faire. Chacun a ouvert ses paquets sauf Tina. Qui visiblement a
été tirée au sort par Mass. Personne ne relève la vague de froid entre eux. La
soirée se termine parfaitement bien.
De même que nos vacances. Les deux jours suivants, nous n’avons pas quitté
notre chambre. Ou la baignoire. Bref, j’ai fait l’amour à Ani un peu partout dans
la maison. Avoir quelques heures de calme rien que pour nous deux est tellement
rare. La soirée du Nouvel An, nous restons tous les deux, avachis dans le canapé,
à regarder de vieux films en noir et blanc, et à grignoter des amuse-bouches
qu’Ani a préparés cette après-midi. Fruits de mer, tapas, fromage, vins. J’adore
ce genre de soirée.
– Bonne année, amor…
– Bonne année, mon merveilleux mexicain…
Ses lèvres se posent délicatement sur les miennes, puis elle se blottit contre mon
torse.
– Cette année, commence-t-elle, j’aimerais qu’elle soit celle où on deviendra une
famille. Parce que même si j’ai ma famille, qu’elle m’a aimée et qu’elle m’aime
encore toujours, j’ai envie d’avoir la mienne. À moi. Celle qu’on partagera, toi et
moi. Celle qui nous suivra jusqu’à ce qu’on parte à notre tour.
– C’est l’idée que j’avais pour cette année. Je te promets d’être présent cette
année. Plus que l’an passé. Je te promets que je réaliserai tous tes rêves, que
nous aurons ce petit bout qui nous liera encore plus que maintenant. Qui nous
donnera une raison de plus de vivre notre vie, de nous lever chaque matin. Je te
le promets, Anila.
Je l’embrasse sur le sommet du crâne. Encore une fois, nous avons envie des
mêmes projets. Et celui-là, je veux le mener à bien.
Chapitre 12

Anila

Une semaine que j’ai rouvert le café. Je ne peux pas dire que cela me
manquait, mais… j’étais bien au loft, juste avec l’amour de ma vie. Lorsqu’il
m’a confirmé qu’il souhaitait la même chose que moi pour cette nouvelle année,
mon cœur s’est relâché. J’avais peur qu’il ne laisse ce projet derrière lui, à cause
de l’agence qui fonctionne très bien. Mais savoir qu’il fait de nous sa priorité
m’a rassurée. Désormais, il ne reste plus qu’à croiser les doigts pour que tout se
déroule comme nous l’aimerions.
Avec la réouverture, j’ai aussi de nouveaux clients. Je ne pensais pas que cette
coupure m’amènerait ceci, mais j’en suis ravie ! Désormais, Ava travaille avec
moi les matinées, ou les après-midis, en fonction de ses disponibilités. Finn
garde les enfants un peu plus, et Solveig fait également plus d’heures. Soit en
faisant du baby-sitting, soit en m’aidant ici. Elles sont super, ces nanas-là ! J’ai
réussi à obtenir une licence temporaire pour pouvoir vendre de l’alcool léger, de
la bière, en l’occurrence, pour les after-work. Le café est une bonne chose, mais
la bière… Ça fédère encore plus visiblement. Je n’ai pas de gros stocks,
volontairement. Cela limite les états d’ébriété avancés et les emmerdes dans
lesquels cela pourrait me mettre. Davor est revenu de son escapade dans le nord
du pays et a repris ses bonnes habitudes. Tout comme mes étudiants qui passent
une bonne partie de leur temps libre au café. Parfois, j’ai l’impression d’être la
personne qui veille sur eux, qui les couve. Un peu comme leur mère. Et j’adore
ce rôle. Je me dis que lorsque j’aurai des enfants, je leur préparerai des
viennoiseries pour le goûter, des pancakes pour le petit-déjeuner, du jus de fruits
frais, des encas sains… J’ai un peu hâte de tout ceci à vrai dire. Perdue dans ma
rêverie, je n’entends pas la demande qu’on me fait.
– Eh, Anila, ça va ?
– Pardon. Tu me disais quoi ?
Davor répète sa question. Je remplis sa tasse de café.
– Désolée, bredouillé-je.
– Pas de souci. Un problème ?
– Oh non, pas du tout ! Je rêvais simplement.
– Puis-je te demander à quoi ?
– L’avenir. Le jour où j’aurai des enfants.
– Ça viendra !
Il semble vouloir me rassurer. Comme s’il avait senti que cela me touchait.
– Oui, lui réponds-je simplement.
J’ai la sensation étrange que Davor me comprend. Comme s’il me connaissait.
Que je peux lui faire confiance. Il est devenu un véritable ami au fil du temps.
Bien que nous ne nous voyions pas en dehors du café, je suis contente lorsqu’il
s’arrête me voir. Quand il ne vient pas, parfois, je m’inquiète, me demandant si
quelque chose lui est arrivé. Je n’ai aucun sentiment pour lui, hormis de l’amitié.
Peut-être parce qu’il a un vécu particulier, qui semble être similaire au mien.
Les jours défilent et le froid ne quitte pas le Massachusetts. J’ai hâte que nous
sortions de l’hiver. Non pas que je déteste cette saison, mais… je préfère le
printemps et l’été. Les blousons hyper rembourrés, les bonnets, et les écharpes,
très peu pour moi ! Alejandro est reparti en mission pour quatre jours
normalement. En tout cas, c’est ce qu’indiquait son contrat. Je sais qu’il déteste
ça, moi aussi d’ailleurs, mais nous faisons avec. Je décide de fermer un peu plus
tôt, mes habitués sont partis avant, ce soir. Soudain, je sens une présence dans
mon dos. Je reste calme et descends mon rideau de fer. Je respire profondément
et me dis que ce n’est qu’un passant et qu’il partira. Seulement, cette sensation
perdure.
– Anila ?
Je sursaute alors que je reconnais cette voix. Je porte ma main sur mon cœur et
reprends mon souffle.
– Anila… Ça va ?
– Oui, pardon. C’est toi, excuse-moi, Davor.
– Je t’ai fait peur ?
– Un peu. J’étais dans mes pensées et ne m’attendais pas à ta visite.
C’est vrai en plus. Je ne pensais pas le voir ce soir. De plus, il fait nuit tôt, froid,
je suis une femme, le contexte est idéal pour une agression. Même si Alejandro
m’a appris les rudiments du krav-maga, je ne suis pas sûre que j’aurais réagi de
la bonne façon.
– Excuse-moi, je ne voulais te faire peur. Au contraire.
Il a aiguisé ma curiosité. Je hausse un sourcil afin de l’inciter à continuer.
– Surprise ! Tu me fais confiance ?
– Oui !
J’adore les surprises, et franchement, j’ai hâte de savoir de quoi il en retourne.
– Alors, tourne-toi.
J’obéis, et il me bande les yeux à l’aide d’un tissu noir. Un petit frisson
d’appréhension parcourt ma colonne, mais je me rappelle que je suis avec Davor.
Je suis en sécurité. Il passe sa main sous mon coude et me guide jusqu’à sa
voiture. L’odeur est un mélange de cigarette et de cuir, et cela colle totalement au
personnage. Nous roulons durant de longues minutes. Davor me parle et a lancé
la radio qui détend l’atmosphère. Lorsqu’il s’arrête, je ne vois pas où l’on peut
être. Je n’ai pas reconnu l’itinéraire.
– Ne t’inquiète pas, je vais te guider, me rassure mon ami. Lève le pied, voilà.
OK, un trottoir. Puis, j’entends qu’il tape un code sur un clavier. Puis un clic qui
ouvre une porte. J’ai l’impression que nous sommes dans un immeuble, pas de
haut standing, un courant d’air traverse le hall. Mais pour autant, cela ne me
semble pas délabré. Nous montons dans l’ascenseur qui se stoppe quelques
étages plus haut. Davor ouvre une autre porte. Il me fait passer devant lui, tout
en gardant ses mains sur mes épaules.
– J’espère que tu ne m’en voudras pas, ma belle… me souffle-t-il à l’oreille.
J’ignore de quoi il parle, mais rapidement, je sens le bandeau se retirer. Puis, mes
yeux s’ouvrent et s’habituent à la lumière ambiante. L’appartement dans lequel
nous nous trouvons est spacieux. Il n’est pas luxueux, mais tout de même, il est
d’époque. Les boiseries le prouvent. Un bruit, à ma gauche, me tire de mon
observation.
– Anila ?
Cette voix, avec cet accent, cette consonance… Je suis propulsée vingt ans en
arrière. Elle réveille mes souvenirs. Je secoue la tête et plisse les yeux.
– Qui… qui êtes-vous ? m’étonné-je.
Davor pose sa main dans mon dos, comme pour me soutenir. J’observe cet
homme, qui doit avoir une dizaine d’années de plus que moi. Ses cheveux ont
des reflets cuivrés dans leur masse brune, et sont légèrement ondulés. Comme
moi. Ses yeux… Ils semblent… Oui, comme les miens. Sa joue gauche est
barrée d’une balafre fine qui part du haut de sa pommette et rejoint sa mâchoire.
C’est étrange. Il s’approche de moi, comme si je l’attirais. Je reste figée,
incapable de bouger. J’ignore qui est cet homme, mais en même temps, je ne sais
pas. Comme si j’avais un lien, un quelque chose avec lui.
– Anila, mon Dieu… Ça fait si longtemps…
Il tend sa main vers mon visage, mais retient ses doigts avant qu’ils ne passent
sur ma peau.
– Tu n’étais qu’une petite fille, à l’époque…
Dans sa voix, je peux sentir une peine profonde.
– Qui êtes-vous ? répété-je, troublée.
Davor prend la parole.
– Anila, voici ton frère aîné, Milos.
Mon quoi ?
– Non, ce… Comment ? Non ! Je n’avais qu’une sœur. Je… Davor ?
Je cherche à m’enfuir, mais mon ami m’en empêche.
– Anila, je suis désolé, je ne pensais pas à mal… Mais écoute-le… S’il te plaît…
Il m’implore d’une voix douce.
– Non ! S’il te plaît… Davor…
– Je suis tellement désolé, Anila, si tu savais comme tu m’as manqué…
– Comment ? Je n’avais pas de frère, je…
– Te rappelles-tu ta vie d’avant ? me demande Milos.
– Pas vraiment, admets-je.
– Veux-tu t’asseoir afin que je te raconte notre histoire ?
– Je… Non, soufflé-je. Non, désolée.
Je me dégage du bras de Davor et me précipite en bas de l’immeuble.
Comment ? Ce n’est pas possible. Ma famille a péri lors de la guerre dans des
circonstances affreuses. Je m’appuie contre la façade qui m’offre un soutien
incommensurable. Ma tête tourne, mon esprit est embourbé dans un brouillard
opaque.
– Anila, je suis vraiment désolé, je ne pensais pas que…
Je secoue imperceptiblement la tête, mais cela suffit à Davor pour qu’il se taise.
– Je te ramène, me souffle-t-il.
Je le laisse me guider jusqu’à la voiture et boucler ma ceinture. Je suis dans un
état second. Vraiment.
– Je te dépose chez toi, ça te va ?
En silence, je hoche la tête. J’ai l’impression d’être dans une autre dimension.
Dans un rêve ? Je ne vois pas le temps passer et nous sommes devant la porte du
loft. La portière s’ouvre et la main de Davor se présente devant moi.
– Anila ? On est arrivés.
Je sors de son véhicule, totalement hébétée. Alors que je me rends jusqu’à la
porte, Davor reprend la parole.
– Je suis désolé, Anila, je suis vraiment désolé. Je pensais que tu aurais aimé
retrouver ta famille…
– Ma famille ? Mais elle est ici, ma famille. Mon ancienne famille est décédée il
y a bien longtemps.
– Je comprends. Mais offre-lui au moins le bénéfice du doute.
– Comment ? Je ne me rappelle rien de mon passé. J’avais des parents aimants,
une sœur, mais c’est tout ! m’énervé-je.
Davor se rapproche de moi et pose ses mains sur mes épaules. Il s’abaisse à mon
niveau et me regarde dans les yeux.
– J’imagine combien cela doit te perturber. Mais Anila, je t’assure qu’il ne te
ment pas… Laisse-lui une chance de t’expliquer.
Son regard est si profond qu’il émet un doute en moi.
– Je ne sais pas. Je vais y réfléchir, soupiré-je sèchement.
– Merci… Voici mon numéro de téléphone, me dit-il en me tendant l’une de ses
cartes de visite professionnelles.
Je la prends et acquiesce. Puis, sans un mot, je rejoins mon chez-moi. Mon
cocon. Comment est-ce possible ? C’est la question qui tourne et retourne dans
ma tête. Je tente de me concentrer, de fouiller dans mes souvenirs. Mais rien ne
me revient. Je ne sais combien de temps je passe ainsi, dans mon canapé.
Lorsque je sors de ma torpeur, je m’aperçois que je porte toujours ma veste et
que mon sac à main est toujours sur mon épaule. Je m’en débarrasse et vais
prendre une douche. Mes idées ne cessent de se bousculer, de se mélanger. Et
une lourde chape de plomb m’envahit. Alejandro n’est pas là. Je ne peux parler
de ceci à personne. Encore moins à ma famille.
Le lendemain, je suis d’humeur massacrante. Je n’ai presque pas fermé l’œil de
la nuit. L’absence de l’homme que j’aime me pèse, énormément. Aujourd’hui, je
suis seule au café. Cette semaine est relativement calme, alors j’ai congédié Ava
et Solveig. Finalement, cela m’arrange. J’ai besoin de temps pour moi, pour
ruminer ce qu’il se passe dans ma vie. Heureusement pour moi, les clients sont
relativement rares aujourd’hui. Je ne suis pas d’humeur. À la fois en colère,
perturbée par cette découverte, mais aussi… curieuse. Et si Davor disait la
vérité ? Si ce Milos était vraiment de ma famille ? En fin de journée, comme à
son habitude, Davor s’installe au comptoir. En silence, je lui sers son café, et
retourne faire mes pâtisseries. L’ambiance est très calme ce soir. Peu de clients,
mes étudiants absents, et pas envie de parler.
Un soupir se fait entendre derrière moi.
– J’ai longtemps hésité avant de t’en parler, Anila. J’avais peur de te blesser, que
ton passé soit remué. Mais quand tu as parlé de tes origines, même de façon
vague… Je ne sais pas…
Il passe une main dans ses cheveux. Comme s’il se sentait mal pour moi.
– Pardonne-moi, d’accord. Oublie tout ça, si c’est ce que tu préfères.
J’expliquerai à Milos et tu ne le reverras plus.
Alors qu’il me dit ceci, mon cœur a un raté. Et si ce Milos était vraiment mon
frère ?
– OK, soufflé-je. OK. Je veux bien écouter ce qu’il a à dire. Mais si je n’y crois
pas, je ne veux plus vous revoir. Ni lui ni toi.
– Bien, valide-t-il.
Son ton est abrupt, certainement à cause de la contrepartie que j’ai annoncée.
Cela m’est égal. S’il s’avère que c’est faux, je veux oublier tout ça. Et ne pas
avoir quoi que ce soit qui me rappelle ceci.
Chapitre 13

Inconnu

Putain, elle est bien plus intelligente que je ne le croyais, cette greluche ! Moi
qui pensais que ce serait du tout cuit ! Le boss n’était pas super ravi de sa
réaction. Il imaginait qu’elle allait lui sauter au cou. Ce qu’elle n’a, bien
évidemment, pas fait. Lorsque je suis retourné à l’appartement après avoir
déposé Anila chez elle, il était dans une rage folle.
– Comment cette petite pute n’a pas pu gober notre histoire ! J’ai cru qu’elle
était mûre ! Putain, t’es qu’un incapable !
Il a fait voler un vase et d’autres objets qu’il avait sous la main à travers la pièce.
J’ai fait profil bas avant de répliquer.
– Sa nouvelle famille ne lui parle jamais de son passé. Elle a oublié. Il nous faut
simplement un peu de temps pour insinuer cette idée dans son cerveau. Après, le
plan roulera tout seul. Patience, boss.
– Je ne suis pas patient ! répondit-il, cinglant.
Je le sais. Et je sais aussi que je peux m’estimer heureux de ne pas avoir reçu de
balle dans la cuisse ou dans l’épaule. Il a la gâchette facile.
– Je te donne quarante-huit heures. Au-delà, tu iras nourrir les poissons dans le
port.
Là voilà, la menace. Et pas dissimulée. Je n’ai pas intérêt à me planter. J’ai été
soulagé quand elle m’a accordé une chance. C’est pour ce soir. J’ai prévenu le
boss, il n’a pas intérêt de foirer.
Chapitre 14

Anila

À dix-neuf heures quinze, Davor m’attend devant le café, appuyé contre sa


berline.
– Prête ?
Le suis-je vraiment ? Je ne pense pas. Toutefois, je hoche la tête. Il m’ouvre la
portière et je m’installe sur le siège passager. La tension en moi monte d’un cran.
Et si je me plantais ? Et si j’étais déçue pour une quelconque raison ? Les
questions fusent dans ma tête, mais avant que je n’aie de réponse, la voiture
s’immobilise déjà. La nuit est là, noire, mystérieuse. Tout comme ce qui
m’attend. Davor est déjà de mon côté et avant que je n’aie le temps de réagir, ma
portière est ouverte.
– Viens, Milos nous attend, me sourit-il en me tendant sa main.
La chaleur de ses doigts sur les miens m’apaise quelque peu. Je reprends ma
main, et le suis, toujours en silence. La première fois que nous sommes venus
ici, j’avais pris le temps d’observer ce qui m’entoure. Pas en détail. Mais cette
fois, je tente de calmer mon appréhension, alors j’analyse tout. Les cadres de
fenêtre moulurés, l’essence du bois qui compose la porte magistrale qui me fait
face. La décoration de la pièce dans laquelle nous entrons, les tableaux datés,
mais de bon goût accrochés aux murs. Tout ce sur quoi je peux me focaliser pour
enterrer cette boule qui me prend au ventre.
Je n’avais pas pu observer le hall de cet immeuble la première fois, j’avais un
bandeau noir sur les yeux. En revanche, aujourd’hui, je comprends qu’il s’agit
d’un hôtel particulier. De grande classe. Je ne sais pas de quand il date, mais son
architecture est typique de Boston, et du dix-neuvième siècle. Arrivé devant
l’imposante porte en bois, Davor sonne. Milos apparaît derrière le battant.
– Anila, souffle-t-il ému. Je suis si heureux que tu sois revenue.
Je hoche simplement la tête, en silence.
– Entrez.
Milos nous précède et nous fait installer dans l’un des canapés du salon. Ils
semblaient confortables, et ils le sont. Alors que je reste silencieuse, Milos, en
bon hôte, nous demande si nous souhaitons boire quelque chose.
– Un café pour moi, répond Davor.
– Un thé, s’il vous plaît.
– Bien, je reviens.
Il se lève et disparaît. Davor tente de me mettre à l’aise, mais ses quelques
paroles ne suffisent pas.
– Si tu ne te sens pas bien, tu n’as qu’un mot à dire. Mais, je pense que tu devrais
prendre le temps.
– Hmm.
Milos réapparaît, un plateau à la main, puis nous donne nos boissons. Il s’installe
dans le second canapé, qui fait face au premier. Après qu’il a pris une gorgée de
son café, il me regarde dans les yeux et m’adresse un sourire affectueux.
– J’imagine que tu dois avoir des tonnes de questions… Et je comprends.
N’hésite pas à me demander ce que tu veux. Je tâcherais d’y répondre.
– OK.
Puis, je replonge dans mon thé. Il n’imagine pas le nombre d’interrogations que
j’ai.
– Comment… Comment Davor et vous, vous vous connaissez ?
Le regard de Milos se pose sur Davor qui lui donne l’autorisation de me
répondre pour lui.
– Je suis historien et j’ai travaillé à la fac de Boston. Il y a quelques années, alors
que Davor était encore étudiant, nous nous sommes croisés à la bibliothèque
universitaire au rayon des livres sur l’Europe Centrale. Nous voulions le même
livre. Ce genre d’ouvrage n’est pas celui qu’on emprunte souvent. Alors, nous
avons discuté. Nous nous connaissons depuis cinq ans.
– Même si je ne parle pas ou très peu de mon passé, rencontrer Milos m’a
beaucoup aidé, intervient Davor. J’ai eu, sur le tard, besoin de retrouver mes
racines. Comprendre d’où je venais. C’est là que Milos a joué un rôle important.
– Moi aussi, j’ai fui pour réchapper de la guerre. Je suis dans le même cas de
figure que Davor, précise Milos.
– Lorsque je t’ai rencontrée, Anila, intervient Davor, tu m’as rapidement raconté
d’où tu venais. Tu étais originaire de ce pays dont parlait Milos. Notre pays. Il
m’avait raconté son histoire, et j’ai fait le lien. Pas immédiatement. Il m’a fallu
quelques mois avant de comprendre que tu étais la dernière personne survivante
de la famille de Milos.
– J’étais reparti dans mon pays. Je ne vis plus ici depuis plusieurs années déjà. Je
bouge beaucoup, reprend Milos. Il y a quelques semaines, juste avant la nouvelle
année, Davor m’a contacté pour me faire part de ses découvertes, et j’ai fait
quelques recherches de mon côté.
J’écoute attentivement ce qu’il me raconte et tente de retenir un maximum
d’informations.
– Je…
En fait, aucune question ne me vient à ce moment-là.
– Ne bougez pas, je reviens.
Milos se lève et nous abandonne quelques instants. Lorsqu’il revient, il tient
entre ses mains des documents qui semblent officiels. Sur la table basse entre
nous, il déplie une sorte de poster. Je me lève pour me poster à côté de lui, et
voir dans le bon sens.
– Ceci est notre arbre généalogique. Celui de notre famille, Anila.
– Je vois, murmuré-je.
Je repère rapidement le nom de mes parents, ainsi que le mien. Celui de ma
sœur, aussi. En étudiant plus précisément l’arbre, je remarque que Milos
apparaît, mais n’a pas de lien direct avec moi. Il note la surprise que je ressens.
– Notre père a eu une aventure avant de rencontrer ta… pardon, votre mère.
– Vous pouvez me tutoyer, lâché-je.
– Toi aussi, me répond-il.
– Avant de rencontrer ta mère, notre père a vécu une histoire avec la mienne.
Elle est morte quelques mois après ma naissance. Une mauvaise pneumonie. Les
soins n’étaient pas ce qu’ils étaient là-bas. Mon père, notre père, m’a gardé avec
lui. Mais avec la guerre qui arrivait, il m’a éloigné pour que je ne sois pas en
danger. Tu ne te rappelles plus de moi, je le comprends. Lorsque ta sœur et toi
êtes nées, je vivais déjà chez une de nos tantes, Olga, à plusieurs centaines de
kilomètres de Kijevo. La zone entière était en guerre.
– Pourquoi nous avoir gardées avec lui s’il fallait fuir ? demandé-je.
– Parce que notre père avait un plan. Malheureusement, il n’a pas pu le mettre à
exécution.
Je le regarde, l’air perdu. Après un léger soupir, il me souffle.
– Regarde l’arbre de plus près.
Je me penche, tente de déchiffrer un indice qui m’indiquerait une information
importante. C’est alors que je les vois. Dans l’angle droit de la case. Mon père.
Ma mère. Ma sœur. Moi…
– Qu’est-ce que cela signifie ? murmuré-je en pointant du doigt le symbole.
– Une couronne. Notre père était l’héritier du trône…
Je fronce les sourcils. Mon cerveau carbure et tente de démêler toutes ces
informations.
– Tu es l’héritière du trône à ton tour. Tu es la dernière princesse du Kosovo.
Cette révélation m’assomme. Quoi ? J’éclate de rire nerveusement. C’est quoi
ces conneries ? Moi, une princesse ? C’est la meilleure de l’année !
– Je me doutais que tu réagirais comme ça. Tiens.
Il me tend une liasse de papiers que je saisis. Et ce que je lis me calme
instantanément. « Acte de naissance ». « En ce mardi vingt-trois juin mille neuf
cent quatre-vingt-treize, la princesse Anila Donjeta Erina, héritière du trône du
Kosovo, fille du prince Mirat et de la princesse Erina, a poussé son premier cri, à
deux heures quarante-sept du matin. »
Ce n’est donc pas une blague. Pourtant, je ne me rappelle pas avoir vécu dans un
château, ni avoir eu de… Je suis prise d’un étourdissement. Me voyant fébrile,
Milos prend mon coude dans sa main et me guide au canapé.
– Je vais te chercher un verre d’eau.
Davor me rejoint et s’accroupit devant moi.
– Ça va ?
Je hoche la tête.
– Je ne m’attendais pas à tout ça. Je… Je suis une princesse ? Mais comment
cela est-ce possible ?
– Je vais t’expliquer, déclare une voix derrière moi.
Milos me tend mon verre d’eau que je prends le temps de boire. Je tente de
reprendre mes esprits.
– Le Kosovo a été un territoire que tout le monde voulait. Nous étions rattachés à
la Serbie et occupés par leur armée. Après, nous appartenions à l’Albanie.
Lorsque les Italiens ont envahi le pays, la famille royale a fui. Il n’y avait plus de
royauté depuis des années. Le Kosovo était une province qui a appartenu un peu
à tous les pays. Les Balkans, on les a longtemps appelés la poudrière, et ce n’est
pas pour rien. Pour le côté explosif et instable de la zone, mais également, parce
que c’est constitué d’une multitude de provinces, principauté et autres petits
pays. Notre père était prêt à reprendre la couronne. Mais la guerre a changé
l’ordre des choses et finalement, la royauté n’a pas été remise en place.
Je suis soufflée par ce que j’entends. J’ai l’impression d’être dans la quatrième
dimension. Milos et Davor sont en face de moi, comme s’ils avaient peur de mes
réactions. Je peux lire dans leurs regards l’inquiétude qu’ils ont à mon égard.
– J’imagine que rien de tout ça n’est compréhensible pour toi. Je comprends ta
confusion. Cependant, je dois encore te dire autre chose.
– Qu’est-ce qui m’attend encore ? soufflé-je d’une voix venant d’ailleurs.
– Il faut que tu comprennes quelque chose. Les membres de la royauté, dans
notre pays, ne sont pas très bien vus par tout le monde. Il y a ceux qui nous ont
oubliés, ceux qui subissent le pouvoir, bien que cela se soit amélioré, les
royalistes et les antis. Les antis sont partout dans le monde et sont prêts à tout
pour nous nuire. Au sens propre du terme. Je voyage souvent, mais nulle part
n’est indiqué que mon père est l’ancien futur prince du Kosovo. Ce serait placer
une cible sur ma tête. Anila, il ne faut pas que tu racontes que tu es la princesse
héritière du trône kosovar.
– Mais je suis en sécurité ici, je suis protégée par mon copain.
– Si tu parles de ceci, tu mettras ta famille en danger. Tu n’as aucune idée de ce
dont ils sont capables, Anila, insiste Milos. Je t’en prie, reste en sécurité…
Chapitre 15

Gonz

La tension du boulot, la tension de la maison me pèse. J’adore Anila, plus que


tout au monde, mais je ne la reconnais pas. Elle a changé ces derniers temps.
Elle est devenue plus sûre d’elle, plus dure aussi. Plus agressive. Plus distante. Je
ne sais pas ce qu’il se passe. Elle ne me parle pas, elle s’enferme au café, elle
sort parfois avec ses amis qu’elle a rencontrés sur son lieu de travail. J’ai été
tenté de la suivre, mais je me suis toujours refusé à faire ça. C’est con. Mais je
ne veux pas en arriver là. Ce serait un manque de confiance en elle, et un
manque de respect de sa vie. Mais… Finn m’a proposé une virée à moto et Ava
m’a promis de garder un œil sur Anila. Selon elle, la pression qu’elle se met
entre son boulot, cette grossesse qui ne veut pas arriver, et mes absences est la
raison de son comportement un peu étrange. Elle a parlé à Anila et elle pense
qu’elle doit arriver à se dépêtrer de cette situation par elle-même. Dans un laps
de temps imparti. Si cela ne marche pas, nous interviendrons. Finn m’a
également fait part de ses impressions sur sa sœur. Elle l’a appelé récemment
pour lui demander des informations sur son passé. Il a toujours été transparent
avec elle : il était soldat, il a sympathisé avec cette petite fille aux grands yeux
noirs, et lorsqu’il est intervenu dans cet orphelinat où elle était la seule
survivante, ils ne pouvaient plus se séparer. Il l’a fait venir ici, aux États-Unis,
pour pouvoir lui offrir un bel avenir. Avant, il a demandé aux autorités locales si
la petite fille avait de la famille, tout le monde a été formel. Rien dans les
archives, elles avaient été détruites par la guerre. Je sais qu’il ne me ment pas, je
le connais, je sais quand il raconte des conneries. Et ce n’est pas le cas. Nous
roulons depuis presque six heures lorsque nous faisons une première escale. Au
programme : road trip entre mecs et camping sauvage pour trois jours. Il nous
reste au moins encore autant de temps avant d’arriver.
– Putain, un bon burger avec un steak énorme, juteux et couvert de cheddar
fondu. Je pourrais tuer pour ça ! s’exclame Finn.
– Rajoute du bacon et des frites croustillantes pour moi !
– Bien vu.
Ces heures sur ma moto m’ont engourdi les jambes. Je n’ai plus l’habitude de la
chevaucher autant qu’avant. Je fais quelques pas avant de retrouver les
sensations dans mes membres inférieurs, puis nous entrons dans ce dinner
typique et rétro. Une serveuse, en uniforme rose corail et tablier blanc, lui aussi
semblant sortir droit des années 70, vient à notre table et nous demande ce que
nous souhaitons. Je vois bien les œillades qu’elle nous lance. Tu m’étonnes !
Deux mecs en jean usé, des blousons en cuir ajustés, lunettes de soleil. Et sous
les blazers, ouais, on est plutôt pas mal. Tee-shirt blanc ajusté qui met en valeur
notre corps façonné par les heures de sport et de musculation. Ce n’est pas la
première fois qu’on nous reluque ainsi, mais franchement, Finn comme moi, on
s’en fiche. Nos femmes nous suffisent. Enfin… Inlassablement, la distance entre
elle et moi me revient en tête. C’est la merde et je n’arrive pas à m’en défaire.
– Hey, mec, reviens avec moi. Tu sais bien que ma sœur, c’est une nana, et
comme toutes les nanas, elle a des hauts et des bas. Ça va revenir, t’inquiète pas.
– Ouais. C’est bizarre. Elle n’a jamais été comme ça.
– Je sais, c’est un rayon de soleil, cette fille. Mais Ava a peut-être raison, elle est
certainement juste trop sous pression. Elle enchaîne les heures au café, elle fait
tout pour que ça décolle. Elle est certainement fatiguée.
Je sais qu’il dit ça pour me rassurer et au fond de moi, je tente de m’en
convaincre. Toutefois…
– Voilà vos burgers… Et mon numéro de téléphone, minaude Cindy, la serveuse.
Tellement kitsch. Même son prénom est vulgaire. Elle a déboutonné les deux
premiers boutons de son uniforme, remit un machin qui brille et qui colle sur ses
lèvres, qui n’est plus à la mode depuis dix ans déjà. Ni Finn ni moi n’y prêtons
attention, et elle repart rapidement. Je ne pense pas qu’elle ait pigé que nous n’en
avions rien à foutre de son numéro de téléphone. Alors que j’attaque mon burger,
Finn soupire d’extase.
– Putain, il est bon ! Je crois que je n’en avais pas mangé d’aussi bon depuis
longtemps ! Je vais demander à Ani de mettre ça à la carte dès mon retour.
Ani. Mon amour. Impossible de me sortir notre relation, ou plutôt, manque de
relation, de la tête.
– Quoi ? Il n’est pas bon ?
– Si, si… soufflé-je.
Je repose mon sandwich, m’essuie les mains, et regarde mon meilleur ami. Il sait
ce que je vais dire, je le vois dans son regard.
– Quelque chose cloche, je te dis. Elle est différente.
– Je sais. Je le vois aussi. Mais sans déconner, mec, elle ne craint rien. Elles ont
prévu de se faire une journée ou une soirée nana. Elles vont se mettre leurs
masques dégueu sur le visage, parler de nous et boire des cocktails. Ava était
heureuse de passer un moment entre filles.
Je secoue la tête pour me dégourdir l’esprit. Il a raison. Faut que je me reprenne.
Parce que même si mon instinct me parle, même s’il reste en éveil, il y a
certainement une raison simple et banale au comportement d’Anila.
– Ouais, coupé-je.
– Allez, mange ton burger. Et arrête de parler de ma sœur ! C’est un week-end
entre mecs. Pas pour se prendre la tête.
Il se soulève de sa banquette et me tape l’épaule affectueusement. Ce mec était
un collègue, c’est devenu un ami, un frère. Encore plus depuis la mort de Tom.
Et son retour de Syrie. L’enfer. L’arrestation de Mike aussi nous a encore plus
liés. C’est une certitude. Nous reprenons la route juste après avoir réglé notre
ardoise. Cindy a bien tenté autre chose, mais nous n’avons pas relevé. Est-ce
qu’elle a pigé ? Je ne suis même pas sûr !
Les vibrations de ma bécane entre mes jambes me redonnent un peu de peps.
Une once de sauvagerie. De rébellion. Comme si j’étais un autre homme durant
quelques jours. Nous avalons les kilomètres, ils défilent sous nos roues, et enfin,
nous arrivons. L’endroit ne paie pas de mine. Au premier abord. Lorsque nous
nous enfonçons dans les pistes de terre, le décor change. Adieu le petit village de
baraquements en bois qui font office de chalets. Adieu campement confortable.
Bonjour lac magnifique, bois sombres et épais, plage de sable fin et de galets.
Ici, personne ne campe. Nous serons seuls ici. Je coupe le moteur de ma moto, et
pose le pied à terre, retire mon casque et inspire profondément. Parce que ouais,
même l’air est différent.
– Alors, t’en penses quoi ? Je t’avais promis du calme, juste nous et la nature. Et
voilà !
– C’est là où t’as fait craquer Ava ?
– Pas vraiment. C’est là où j’ai fini de tomber amoureux d’elle, me sourit-il.
– Tu m’étonnes. T’avais bien choisi ton lieu, toi.
– Ouais…
Il me tourne le dos et s’éloigne. Je sais que ces souvenirs ne sont pas les plus
agréables pour lui. Ava et lui avaient dû fuir Boston après un second
cambriolage. Ava lui en voulait de la séparer de son fils. C’est aussi ici qu’elle a
appris que Tom lui avait menti depuis le début. Finn a dû gérer la colère, la peine
et la peur d’Ava. Alors qu’il déballe le matériel de camping, une voix retentit
derrière nous.
– Salut le bleu !
– James !
Finn s’approche de cet homme, qui doit avoir une vingtaine d’années de plus que
moi. Sa tête me dit vaguement quelque chose. Ils s’étreignent virilement, mais je
sens autre chose. Du respect. De l’affection aussi.
– Ça fait plaisir de te revoir. Comme va la petite ?
– Bien. Ava va bien.
– J’ai cru comprendre. On dirait que t’as fait du bon boulot, se moque-t-il.
Finn lui sourit, et secoue la tête.
– Tu me l’amènes quand ta petite famille ? lui demande James.
– Bientôt, promis !
– Bien. J’ai hâte. Ou plutôt Etta. Elle me demande sans cesse si j’ai reçu de
nouvelles photos des petits.
Ensemble, ils partent dans un grand rire, puis Finn se tourne vers moi.
– James, voici Alejandro Gonzalez.
– Ah, le fameux flic mexicain devenu agent. J’avais entendu parler de toi. James
Gowen, se présente-t-il en me tendant la main.
Main que je serre. Je connais ce mec. Un des meilleurs agents de tous les temps
de la CIA. Je n’ai jamais eu l’honneur de bosser avec lui, mais son passé le
précède. Je suis rentré dans un autre service peu de temps avant qu’il ne parte à
la retraite qu’il avait bien méritée.
– Enchanté, Monsieur.
– Pas de monsieur qui tient, le Mexicain. On n’est pas au boulot.
– OK !
Puis, James se tourne de nouveau vers Finn.
– Etta vous a préparé des bricoles pour votre camping. Elle n’a pas pu s’en
empêcher !
– Elle est géniale, votre Etta. Je ne sais pas ce que vous avez fait pour mériter
ça ! le taquine Finn.
– On en parle de ta princesse ? T’as fait quoi, toi ?
– Je lui ai sauvé la vie !
– OK. Bien vu ! Allez, on se dit à ce soir. Dix-huit heures à la maison. Tu te
souviens du chemin, j’imagine.
– Oui. Et puis, je suis l’odeur de son ragoût !
– C’est ça ! Ravi de t’avoir rencontré, Gringo.
Je le salue d’un mouvement de la tête. Je ne me formalise pas de ce surnom. Je
sais que ce n’est pas péjoratif venant de lui. Sacré personnage. Après avoir
installé nos tentes et l’emplacement pour le feu de camp, Finn part chercher du
bois à quelques mètres. Bien que je lui aie promis de ne pas parler de nos nanas,
ni même de me prendre la tête pour Anila, je sors mon portable de ma poche et
m’installe sur un tronc d’arbre mort. J’hésite à l’appeler. Non. J’opte pour le
message.
[Chérie, j’espère que tu vas bien, que ta journée se passe bien. Profite bien de ta
soirée avec les filles. Je t’aime plus que tout. Je t’aime…]
Une heure trente plus tard, nous enfourchons nos bécanes et empruntons les
petites routes. Plus nous avançons, plus nous nous enfonçons dans la montagne.
J’adore. La maison de James et Etta est en bois. Et au premier coup d’œil, elle
est accueillante. Il se dégage une chaleur particulière, comme rarement je n’ai
ressenti.
– C’est dépaysant, hein ! s’exclame Finn.
– Ouais, mais c’est sympa.
Soudain, deux chiens énormes s’échappent de la porte qui vient de s’ouvrir et se
précipitent vers nous en jappant.
– Salut Ready. Hey, Burt ! Salut les gars. Oui, bons chiens, les flatte Finn.
Et ils le lui rendent bien. Ils sont immenses, mais pas flippants. Après avoir fait
la fête à Finn, ils me rejoignent et me reniflent. Je n’ai pas vraiment le temps de
les caresser, deux voix retentissent. Celle de James, et celle que je suppose être
Etta. Une petite bonne femme au teint café, des cheveux tressés et courts, qui
dégage une convivialité et une bonhomie sans fin.
– Finn, mon grand ! Enfin ! Tu as l’air fatigué ! Entre donc, un verre de lait avec
un cookie t’attend. Tu vas bien ?
Elle enchaîne son interrogatoire sans que Finn ne puisse en placer une ! James
me rejoint et caresse les flancs de ses chiens.
– Etta adore Finn. C’est comme un autre fils pour elle. Allez, rentrons. Il a ses
cookies et son verre de lait, mais on a aussi des bières et des chips ! rigole-t-il en
me tapant sur l’épaule.
Je souris. J’adore ce couple. James me rappelle un peu mon père. Le côté carré,
autoritaire, mais une porte de maison toujours ouverte. Je le suis et entre dans ce
chalet. J’adore. Le style cabane au fond des bois, mais avec l’esprit de famille
dans cette maison. Nous allons directement dans la cuisine où Finn dévore, ou
plutôt engloutit, un immense cookie aux noisettes et chocolat trempé dans du
lait. Un môme !
– Chérie, tu sers la même chose à l’ami de Finn ?
– Oh, pardon ! s’excuse Etta. J’étais tellement contente de voir mon petit Finn.
Asseyez-vous. Je vous sers la même chose ?
J’ai à peine le temps de hocher la tête qu’un gâteau se matérialise devant moi.
J’adore cette femme.
– Vous travaillez avec Finn ? Vous aussi vous vous mettez en danger ? Voyons,
mon petit. Ce n’est pas une vie ! Et votre femme ?
Elle observe mes mains et se reprend.
– Ah non, pas marié. Votre amie, peut-être ? Qu’en pense-t-elle ?
– Il est avec ma sœur, l’interrompt Finn.
– Quoi ? C’est le fameux garçon dont tu me parlais dans ta lettre ?
Sa lettre ? Je hausse un sourcil en direction de Finn.
– Syrie, marmonne-t-il simplement.
– Mon Dieu, dire que tu as affronté cet enfer… Pauvre petit.
Derrière moi, James rigole dans sa barbe. J’ai l’impression d’avoir de nouveau
quinze ans ! Finalement, après avoir fini nos biscuits, Etta se remet à la
préparation du repas de ce soir et James nous entraîne dehors pour une
promenade sur son terrain. En bordure de forêt d’un côté, pas loin d’un chemin
de terre qui rejoint la route un bon kilomètre plus loin. Pas le paradis sur terre
comme on se l’imagine. Non. Un havre de paix. Les chiens courent devant nous
et reviennent nous voir pour qu’on leur lance des bouts de bois.
– Alors, les gamins, comme se portent vos vies ? nous interroge James. Finn m’a
parlé de la société que tu as montée, Gringo.
– Oui, ça tourne bien.
Je lui explique un peu le concept, les affaires que nous traitons. Que j’envisage
de prendre encore un gars ou deux. Parce que ce week-end, j’ai refusé de prendre
plus de boulot que mes gars peuvent en supporter. Ce trip était nécessaire pour
Finn et surtout pour moi. Il semble véritablement s’intéresser à ma boîte.
Rapidement, Etta siffle les chiens, indiquant que le dîner est prêt. Nous rentrons.
L’odeur qui emplit l’espace est fabuleuse. Tout comme le ragoût que nous sert
Etta. C’est un plat simple, mais efficace. Sans fioriture. Celui qui remonte le
moral, qui rassemble. L’équivalent du chili de ma mère. Un vrai plat qui fait du
bien en toutes circonstances ! La discussion tourne autour d’Aiden et Cecilia,
ainsi que d’Ava. James et elle n’ont pas pu faire le voyage pour le mariage, un de
leurs fils avait eu un accident de voiture, inquiétant, et nécessitant des soins
chaque jour. Après une journée de coma, Bill s’est réveillé avec trois côtes
cassées, une jambe dans le plâtre et une belle commotion cérébrale. Etta n’a pas
pu le laisser comme ça. Finn fait défiler des photos sur son téléphone,
apparemment, il leur en avait envoyé quelques-unes, mais celles-ci semblent
plaire à Etta. Elle s’extasie devant chacun des clichés que lui montre Finn.
– Mon Dieu, que vous étiez beaux tous les quatre ! Et cette petite bouille !
Cecilia a tant changé… Elle est magnifique ta princesse ! Et Aiden est devenu un
vrai grand garçon ! Ce regard… Il va en faire craquer plus d’une dans quelques
années !
Bref, la robe d’Ava est magnifique, sa coiffure également, son air radieux… et
j’en passe ! Je les observe, James me file un coup de coude dans les côtes et nous
sourions. J’ai vraiment l’impression d’être au milieu d’une réunion de famille.
Ce couple est marrant, attachant et accueillant. Je les aime bien !
Après un repas très copieux, James nous fait passer dans son antre. Un petit
bureau tout en bois, dans lequel se trouvent un vieux canapé de cuir usé, deux
fauteuils de type chesterfield, ainsi qu’une table basse. Sur le mur droit un buffet
bas où trônent des photos du mariage de James et Etta, de leurs enfants, de leurs
petits-enfants aussi. James en tenue officielle de l’armée, lors de sa cérémonie de
mise à la retraite.
– Asseyez-vous, les petits ! Un cigare ? Un verre de cognac ?
– Un petit cognac… Ça aiderait à faire passer le ragoût d’Etta, rigole Finn.
– Elle a toujours peur que nous mourions de faim, elle cuisine pour quinze ! se
moque James.
– Mais c’était excellent ! lâché-je.
– C’est vrai, acquiescent mes deux compagnons.
Rapidement, trois verres de cognac se matérialisent devant nous. Le liquide
ambré a une odeur ainsi qu’une saveur divine. Il est excellent. James repose son
verre calmement, se cale dans son fauteuil et installe ses mains sur l’accoudoir
de cuir. Je sens que ce qu’il va suivre ne va pas nous plaire…
– Comment va Mike ? lâche-t-il, telle une bombe.
Bingo. À mes côtés, je vois Finn se crisper, poser doucement son verre sur la
table basse à son tour, et se redresser. Je sens qu’il cherche à se maîtriser.
– Aucune idée, lâche-t-il sèchement, et je m’en fous.
Il a beaucoup de respect envers James, c’est ce qui l’empêche de péter un plomb.
– Tu ne peux pas t’en foutre indéfiniment, comme tu le dis. Vous avez vécu des
choses comp…
– Nous n’avons rien vécu ! On s’est fait berner par un connard de traître.
– Certes. Mais a-t-il eu le choix ?
– On a toujours le choix, rétorque Finn.
James secoue la tête de droite à gauche.
– Tu me vois comme un homme droit, un mentor. C’est bien, et j’en suis touché.
Mais tu sais, j’ai aussi eu des décisions limites à prendre parfois.
– Pas au point de tuer son meilleur ami !
– Non, c’est vrai. Mais lui non plus. Ce n’est pas sa faute. Finn, mon grand, dans
la vie, on ne fait pas toujours comme on veut. On fait comme on peut. Il a fait
une connerie, et il le paye.
– Peu importe.
Finn clôt la conversation, mais je sais qu’elle reviendra sur le tapis un de ces
quatre.
Une bonne heure plus tard, nous quittons Etta et James avant de retourner à notre
campement. Malgré quelques moments houleux, j’ai passé une super soirée. Une
de celles qui vous remontent le moral, où on se dit que la vie n’est pas si
mauvaise que ça. Je prends du recul sur ma situation. Tout ira mieux demain.
Enfin, c’est ce que je croyais…
Chapitre 16

Gonz

Avant de m’endormir, je regarde mon téléphone une dernière fois. Anila ne


m’a pas répondu. J’en déduis qu’elle s’éclate avec les filles. Je ne m’inquiète pas
trop, il ne faut pas. La lumière du soleil levant me réveille. L’inconvénient de la
tente, c’est que ce n’est pas franchement occultant. Malgré ce lever aux aurores,
je me sens bien. Hier soir, après notre retour au campement, Finn et moi avons
bu une bière autour d’un feu et nous avons parlé de Mike. À croire que ce que lui
a dit James l’a touché plus qu’il ne le montre.
– Comment pardonner à ce fumier ? Après ce qu’il a fait… a-t-il soufflé entre
deux gorgées de bière.
– Je ne pense pas qu’on ait à pardonner. T’as le droit de lui en vouloir. Et je
pense qu’il en chie beaucoup. Suffisamment. Il tire sa peine.
Je lui ai laissé le temps d’intégrer ce que je lui ai dit, puis j’ai repris.
– Crois-moi, je n’accepte pas ce qui s’est passé. Mais il n’a pas abattu Tom. Il ne
l’a pas tué.
– C’est tout comme ! T’imagines ? Le fils d’un des plus grands mafieux russes !
Et on n’a rien vu !
– Personne n’a rien vu ! Mais imagine-toi deux secondes à sa place. Quelqu’un
te menace d’abattre ta femme et tes gamins. Il les épargne si tu abats un ami. Ou
quelqu’un d’autre. Oui, je sais ce que tu vas me dire, que tu trouverais une
solution. Mais réfléchis-y. Je ne te demande pas de lui pardonner, de dire qu’il a
eu raison de faire ce qu’il a fait. Mais seulement d’admettre qu’il n’a pas
forcément eu le choix. C’est tout. Tu peux le haïr toute ta vie si tu le souhaites.
Mais tu peux aussi juste avancer et accepter cette situation… Il est en taule, se
tient à carreau, il a dénoncé et mis sa propre vie en péril…
– C’est ce qu’il mériterait… a grogné Finn derrière le goulot de sa bouteille.
– Certes. Mais il a été puni, il a aidé les autorités et on a pu arrêter un max de
personnes. Oui, c’est un criminel. Mais, il a aussi le droit d’avoir une seconde
chance.
– Non, mais tu t’entends ?
Finn s’est levé, furieux.
– Tu me dis qu’il a le droit de trahir un pays, ses amis, sa famille, de faire buter
son meilleur pote, accessoirement futur papa et mari de son amie et il s’en tire
comme ça ?
– Certainement pas ! Et arrête de dire qu’il a buté Tom, c’est faux !
– Non ! S’il n’avait pas été un fils de chien, qu’il n’avait pas eu cette putain
d’idée de merde d’être une taupe, s’il avait été droit et avait dénoncé tout le
monde avant que Tom intègre le réseau, il serait là !
– Finn… Les choses sont ainsi… Il n’a pas fait les bons choix. Mais encore une
fois, ce qui est arrivé à Tom n’est pas de son fait. Alors, soit tu lui en veux à vie,
et tu rumines, soit tu admets qu’il a fait une connerie, mais qu’il a été puni et
qu’il a souffert certainement énormément aussi.
Suite à ces dernières paroles, il a ruminé, il a fait les cent pas. Je suis allé me
coucher avant lui. Je ne sais pas ce qu’il pense, mais je ne peux pas le
convaincre. Je ne veux pas non plus.
Ce matin, il n’a pas l’air forcément serein, mais la colère qu’il ressentait hier soir
s’est apaisée. Il est assis à côté du feu, il a préparé un semblant de café. En
silence, il me tend un gobelet en acier rempli de ce liquide brunâtre.
– Merci.
J’avale une gorgée et putain, ce goût métallique… Ce n’est vraiment pas terrible.
– Je sais, c’est à peine buvable ce truc. Mais ça réveille. On descendra au camp
pour boire un truc digne de ce nom.
– Ça marche. Ça va ?
– Ouais.
– Quel est le programme de la journée ?
– James va arriver, il a proposé une petite partie de pêche un peu plus haut sur le
lac. Une truite grillée pour midi, ça peut être sympa.
– Pas de souci. Il apporte des cannes ?
– Bien vu, Sherlock !
Il se moque de moi, mais son rire s’efface avec le bruit d’un quad qui arrive.
– Salut les gamins ! Bien dormi ?
– Ça va ! Ce n’est pas le meilleur des conforts, mais finalement, ça fait du bien
de se retrouver au milieu des éléments.
– Ah, c’est sûr que dans votre ville, vous ne devez même plus entendre le bruit
des oiseaux ni sentir l’odeur de la rosée du matin !
– Non, c’est vrai, concédé-je. Et c’est sympa de retrouver ces sensations.
Je n’ai jamais vraiment fait du camping avec mon père, mais nous partions
lorsque nous le pouvions à la campagne. En revanche, dès mon arrivée sur le sol
américain, j’ai acheté une bécane, et je quittais la ville le plus souvent possible.
James s’affaire dans le petit coffre de son quad et ressort un sac en papier brun
énorme. Nous le regardons, intrigués.
– Ne me fixez pas comme ça ! Etta a tenu à vous préparer quelques bricoles, au
cas où vous ne sauriez pas vous débrouiller, se moque-t-il.
Finn se jette presque sur le colis, comme un môme à qui l’on promettrait un kilo
de bonbons. Un sourcil levé, je le dévisage en souriant.
– Sérieux, mec ? On dirait Aiden !
– Attends de voir ce qu’il y a dedans, mon pote, tu ne pourras pas résister !
affirme-t-il.
James rigole derrière nous alors que Finn fouine et déballe les paquets un par un.
– Oh, elle a même prévu un poêlon pour les pancakes ! Je pourrais l’épouser
votre Etta !
Et alors qu’il s’affaire, j’aide James à sortir les affaires de pêche qui dépassent
du petit coffre de son quad.
– Merci, gamin ! Allez, va déjeuner !
– Vous ne voulez pas un café ? lui proposé-je.
– Si tu veux ! Ça me rappellera mes vieilles années, celles où je crapahutais
partout.
Je me rapproche du feu, là où est posée la casserole cabossée qui nous sert de
cafetière. Je tends à James un des gobelets en métal, alors que Finn est en train
de dévorer, littéralement, en foutant des miettes partout, toutes sortes de
pâtisseries et gâteaux.
– Putain, grogne-t-il la bouche pleine, les scones d’Etta sont fabuleux ! Et cette
confiture d’abricot…
Rarement je l’ai vu comme ça. Il a toujours été droit, intègre, calme et posé.
Mais cette réaction avec la bouffe d’Etta ?
– Allez, Gonz, viens manger avant que je ne dégomme tout !
À mes côtés, James s’agite et râle. Je crois comprendre qu’il n’avait pas anticipé
que Finn prendrait autant de temps pour prendre un petit-déjeuner. D’autant plus
qu’on a déjà avalé quelques bricoles. Cependant, lorsque je croque dans un
pancake, j’avoue que je comprends qu’il puisse avoir envie de tout laisser
tomber pour tout dévorer. C’est absolument divin, délicieux, succulent et j’en
passe. Finalement, une bonne vingtaine de minutes plus tard, nous sommes enfin
prêts à aller pêcher. Nous nous éloignons d’une centaine de mètres, en amont de
notre position, et nous nous installons sur des pierres plates. Après avoir mis nos
appâts au bout de nos lignes, nous lançons, et patientons. James s’aventure dans
l’eau, protégé par des cuissardes qui lui arrivent jusqu’aux hanches. Il nous a
apporté des bottes en caoutchouc kaki qui nous empêchent d’avoir les mollets
mouillés. Je ne sais pas combien de temps s’écoule avant que l’un d’entre nous
ne décroche un mot. Nous restons relativement silencieux, et quelques poissons
mordent. Alors que nous rejoignons notre campement, le téléphone de Finn
sonne. Il le sort de sa poche et s’éloigne pour répondre.
– Salut ma puce…
– Toujours aussi accros l’un à l’autre, ces deux-là, sourit James. Etta l’avait vu
quand ils étaient venus nous rejoindre pour les fêtes. Elle m’avait dit qu’ils
finiraient ensemble, qu’il fallait juste qu’Ava lâche prise et cesse de culpabiliser.
– Ils se sont bien trouvés, rajouté-je. Ava était perdue, j’imagine. Elle est passée
par tous les états, tous les sentiments en si peu de temps…
– C’est sûr. Elle a du cran, cette petite.
J’acquiesce, mais avant que je ne puisse rajouter autre chose, Finn revient,
sourcils froncés, front plissé. Il se passe quelque chose.
– Ava, je te mets sur haut-parleur, James et Gonz sont là.
Quand il appelle sa femme par son prénom et non pas par un petit surnom
affectueux, c’est mauvais signe. Très mauvais signe.
– Salut les gars, souffle-t-elle. Je suis sûre que ce n’est rien, mais…
– Ava, l’interromps-je, s’il te plaît. Accouche.
– OK… Euh, hésite-t-elle. Hier soir, on… Avec Solveig…
– Ava, grogné-je, impatient.
– Ani est introuvable…
– Quoi ? Comment ça, elle est introuvable ? T’es allée chez nous ? Au café ?
Finn me fusille du regard. Je sais que mon ton est mordant et qu’Ava a
certainement vérifié chaque endroit où elle est susceptible de se trouver.
– J’ai tout écumé. Je l’ai appelée, au café, chez vous, sur son portable. Je ne vois
pas où elle est passée… Je suis désolée, Gonz…
Je m’écarte quelques instants et fourrage mes cheveux avec rage. Bon sang, Ani,
où es-tu passée ? Que s’est-il passé ? Derrière moi, je n’entends pas vraiment ce
qu’il se dit. Des bribes de conversation, des mots. Puis des pas.
– On remballe et on rentre, lâche Finn.
En silence, je retourne au campement et défais ma tente, range mon matelas de
sol ainsi que mon sac de couchage. James est au téléphone, la discussion a l’air
houleuse. Lorsqu’il raccroche, il nous annonce qu’il a une bonne nouvelle.
– Un ami m’en devait une. On va rentrer à Boston en avion. Il a un petit jet, on
pourra tout mettre dedans, même vos bécanes. On ne perdra pas de temps. On en
a pour deux heures max. Je vais vous aider.
Dix minutes plus tard, nous avons tout ramassé et nous suivons le quad de
James. Il s’arrête au chalet, Etta nous attend sur le perron.
– Tenez, les enfants. Tenez-moi au courant, et prenez soin de vous.
Finn s’approche et la serre dans ses bras. J’ai l’impression qu’il se ressource à
travers elle. Qu’il puise de la force.
– Merci pour tout, Etta. Vraiment…
Elle hoche la tête en caressant tendrement la joue de mon ami. Puis, je
m’approche et elle m’étreint de la même façon que Finn.
– Tu vas la retrouver, me souffle-t-elle. Une âme perdue revient toujours à la
maison vers les siens. Même si ça prend du temps. Ne perds pas espoir.
– Non, m’dame. Je me battrai, lui réponds-je.
Je suis rarement ému, mais Etta me touche profondément. Elle est la maman
dont j’aurais besoin en ce moment même. Etta donne une petite sacoche à James,
remplie de pâtisseries, j’imagine. Nous partons dans la minute qui suit, James
toujours sur son engin. Il nous mène à une petite base, non loin de Echo Lake.
En moins de trente minutes, nous y arrivons. Deux hangars en métal se font face.
Un grand black, tout fin, les cheveux grisonnants, sort de celui de droite.
– Salut James, lance-t-il.
– Eagle. Merci d’avoir été si réactif.
– Ouais… On va dire que tu as su me mettre la bonne pression.
James lui sourit.
– Les clés sont sur le contact, explique Eagle à son ami. Le plein est fait. Je te le
laisse. Appelle-moi quand tu rentreras.
– Bien. Merci encore.
– Je t’en devais une. Allez-y, vous avez une fenêtre de vingt minutes pour
décoller.
Une dernière accolade entre les deux hommes et nous embarquons. Une fois
dans les airs, Finn se tourne vers moi.
– Je n’ai rien dit aux parents encore. Je veux savoir ce à quoi on a affaire avant
de les affoler.
– OK.
– Ava a prévenu Alice. Elle doit arriver dans quelques heures à Boston.
– Bien.
Mais rapidement, je regarde par le hublot et m’enferme dans mes pensées. Mon
esprit tourne à mille à l’heure. J’analyse chacun de ses derniers gestes auxquels
j’ai assisté. Je tente de comprendre, de démêler. Dans quoi s’est-elle fourrée ?
Qu’ai-je loupé ? Ouais, son comportement a changé. Mais pourquoi ? J’étais
presque arrivé à me dire que cela venait de nous, de cette envie de bébé, de
fonder une famille, qui n’arrivait pas. Finn m’en avait convaincu. On a merdé.
On est passé à côté de quelque chose.
Je réfléchis, décortique tout, à tel point que ma tête bourdonne lorsqu’on atterrit.
– Allez-y, les enfants, je vous retrouve à la boîte. J’y vais en taxi.
James nous aide à sortir nos motos, et aussitôt sorties, nous les enfourchons et
filons à travers les rues. La base sur laquelle nous nous sommes posés est à
quelques kilomètres du centre. Ce n’est pas vraiment les heures de pointe alors,
en moins de trente-cinq minutes, nous arrivons. Sur place, Ted est déjà installé.
Ava a dû lui faire un topo. À moins que ce soit Finn… Je n’ai même pas pensé à
le tenir au courant. Lorsque nos proches sont touchés, nous perdons nos moyens,
notre lucidité. Mass et Tina sont également présents. Chase et Harrison sont
encore certainement en mission. Je ne me rappelle même plus leur planning. En
silence, Tina s’approche de moi et pose sa main sur mon épaule. Malgré sa force
apparente, il transparaît dans son regard une sensibilité féminine évidente. Elle
s’inquiète. Pour moi. Pour Anila. Ted prend la parole.
– Grâce aux informations d’Ava, Mass et Tina sont allés voir de nouveau partout
où Anila était susceptible d’être.
– Nous avons fait un relevé d’empreinte, RAS hormis celles d’Anila. Au café,
nous avons pu rentrer, mais pas mieux. Tout est clean, comme si elle avait fermé
puis s’était évaporée. Son portable est introuvable, et il est éteint, parce qu’il ne
répond à aucun signal. En revanche, on n’est pas rentré chez vous. On ne voulait
pas…
– J’ai compris, j’y vais.
Je quitte le QG et fonce au loft en courant. Moins de sept minutes. C’est le temps
que je mets pour arriver chez moi. Bien évidemment, il est vide. Je fouille
partout où je pourrais trouver un indice. Sous les matelas, frigo, congélateur, tous
les endroits improbables, mais qui m’inspirent. Finalement, je fais une
découverte dans la poubelle de la salle de bains. Son téléphone. Je ne pige pas.
Comment a-t-il atterri ici ? Il est éteint et ne semble plus avoir de batterie.
Complètement perdu, je me laisse tomber au sol, abattu. Je ne sais pas combien
de temps je reste ainsi. J’ai beau tourner et retourner le problème dans tous les
sens, je ne pige pas. Bordel ! Je vais devenir dingue. La porte claque et je ne suis
plus seul. Deux bras m’enserrent et je me laisse aller l’espace de deux secondes.
– Je suis tellement désolée, Gonz… On va la retrouver.
Alice. Elle est arrivée rapidement. Je retrouve la nana pleine de chaleur que j’ai
perdue suite à la trahison de son mec. Je me force à rester solide, à espérer. Mais
je n’y arrive pas. On m’a ôté le sang de mes veines, la chaleur de mon corps. J’ai
peur. Pour la première fois depuis bien longtemps. Je résiste. Mais je craque.
Une première larme s’échappe de mes yeux. Puis une autre. Alice me serre
davantage contre elle alors que je tente de me ressaisir. Elle me murmure des
paroles réconfortantes. Enfin, j’imagine.
– Relève-toi, reprends-toi. T’es fort, Gonz, ça va aller. On va te la ramener. Je te
le promets.
Le ton de sa voix est déterminé, profondément convaincu. Alors, je décide de me
reposer sur ces quelques mots pour me ressaisir. Je me relève, respire un grand
coup et reprends Alice contre moi.
– Je sais. Oui. Tu as raison. Pardon. Désolé d’avoir craqué, Al, je…
– C’est bon. Ça arrive. On est là, et on va la retrouver. Après tout, on était les
meilleurs, me sourit-elle.
– Était, comme tu dis. On ne sait même pas par où commencer. Elle n’est nulle
part. Son portable est éteint et déchargé. Comment trouver un indice ?
Je perds toute once de lucidité.
– On va déjà le mettre en charge, puis l’allumer. J’imagine que tu connais son
code. Si non, un des gars pourra le craquer, certainement.
– Ils sont formés sur le terrain, Alice, tranché-je. Pas à faire joujou avec des
machins électroniques.
– OK, calme-toi. Viens, on retourne au QG, et on va aviser. On trouvera une
solution. En attendant, tu ne restes pas ici !
Sans ajouter un seul mot, elle me sort d’ici. Nous retrouvons tout le monde à
l’agence, le visage fermé. Ils paraissent aussi démunis que moi. Finn se défoule
plus loin, certainement pour remettre ses idées en place et pour évacuer cette
tension que je ne connais que trop.
– J’ai son téléphone. Il était dans la poubelle de la salle de bains.
Tina me le prend des mains, tente de l’allumer, mais voyant qu’il ne démarre
pas, elle le branche sur le secteur. Maintenant, il faut patienter. Chose que je ne
veux pas. Je veux savoir où elle est ! Je la veux…
– Mass est avec Finn, mais si tu as besoin…
– Ouais. Je ne sais pas.
– Allez, viens.
Tina ne se dégonfle pas et me pousse vers l’arrière du bâtiment.
– Va te changer, je t’attends sur le ring.
Finn est dans le dojo, d’après les souffles et cris que j’entends. Mass doit le
pousser à bout. Je sais que même si Tina ne fait qu’un demi-Mass, elle ne m’en
réserve pas moins. Lorsque je suis changé, je la rejoins. Elle est équipée de
pattes d’ours noires, épaisses, dans lesquelles je vais balancer toute la force que
j’ai. Je rage, les injures se multiplient, la haine, l’incompréhension, la peur et la
fureur se déversent. Finalement, c’est épuisé, mais toujours aussi perdu et inquiet
que je termine ma pluie de coups. Une douche plus tard, je retrouve tout le
monde. Au coup d’œil que lance Alice à Finn et à l’énervement de ce dernier, je
sens que je ne vais pas forcément apprécier…
– On n’a pas d’autre solution, murmure Alice. Finn, je suis désolée, mais on a
besoin de lui.
– Jamais, c’est hors de question !
– Tu as trop d’orgueil pour sauver ta sœur ? rétorque-t-elle, énervée. Tu me
déçois. Finalement, tu n’es pas celui que Tom imaginait.
Finn fait volte-face, et s’approche d’elle. Si elle avait un pénis, il lui en aurait
collé une.
– J’ai dit NON ! S’il faut que j’écume chaque centimètre carré de la surface de la
Terre, je le ferai ! Mais pas lui !
– De quoi parlez-vous ?
Ils s’affrontent du regard, déterminés.
– Vas-y, parle-lui de ta brillante idée ! crache Finn.
Alice se tourne vers moi et s’approche lentement.
– On le connaît, l’expert qui peut tracer ta sœur, même si son téléphone est ici. Il
peut nous aider…
– Continue.
– Mike était calé en informatique. C’était le meilleur…
– C’est aussi un putain de traître ! assène Finn.
– Il est en taule, Finn ! Et il peut sauver ta sœur, bordel ! Ma femme est en
danger et toi, par putain de rancœur, tu es prêt à la laisser mourir ?
Je fais mouche. Il tourne les talons et lâche simplement un « faites comme vous
voulez » et il se barre. À cet instant, James, qui était sans doute arrivé lorsque je
me défoulais avec Tina, intervient.
– Il est dans quelle prison ? me demande-t-il.
Alice lui donne tout ce qu’il faut, puis il s’isole dans la salle de repos. Quinze
minutes plus tard, il revient.
– OK, il lui restait quelques semaines avant de sortir. Dès ce soir, il sera ici, en
liberté sous surveillance. Bracelet électronique. Il n’a jamais posé de problème,
donc le procureur a pu obtenir une libération rapide. C’est seulement pour la
durée de l’enquête, après il retournera en cellule. C’est la condition.
Je hoche la tête. Ouais, Mike est loin d’être celui que j’aimerais voir, mais je sais
qu’il va pouvoir nous aider. Enfin, j’espère…
Chapitre 17

Mike

Allongé sur ma couchette, je me contente de fixer le plafond. Que puis-je faire


d’autre ? Écrire ? Déjà fait. Prier ? Déjà fait. Demander pardon à Dieu, à tout ce
qui peut être au-dessus de nous, à mes amis, mes anciens collègues… la femme
de mon meilleur ami ? Tourner et retourner la situation dans ma tête ? Je suis ici,
entre ces quatre murs, dans ces dix mètres carrés, à réfléchir depuis trente-huit
mois, cinq jours, et je ne sais combien d’heures, de minutes, de secondes. Trop
pour que je les compte. Ma peine n’a pas été si lourde que ça. Est-ce que je me
pardonne ? Non. Est-ce que je regrette ? Non plus… Avais-je le choix ? On a
toujours le choix. Mais à seize ans… L’année d’avant, j’avais mes convictions,
mes envies, mes idéaux. Tout a été balayé à la mort de mon père. Azarov m’a
comme qui dirait mis le couteau sous la gorge. Je prenais le relais, je suivais son
plan de carrière. Pensant le tromper et le mettre à découvert. J’étais jeune et con.
Et naïf. Il a utilisé ma couverture à la CIA pour servir ses intérêts. C’est aussi là
où j’ai compris qu’il avait le bras long, très long. Que l’argent, la peur, la
menace achètent tout. Le pouvoir. La droiture… Rien ne résiste à ça. Au fond de
moi, je n’ai jamais été le meurtrier que mon père et Azarov avaient espéré que je
sois. Non. D’ailleurs, ce dernier avant bien pigé que le droit était trop important
à mes yeux et que le sang, hormis celui qui coule lors de cas de légitime défense,
ne m’a jamais attiré. Lorsqu’il s’agissait de tuer, je savais que ces types étaient
des fumiers. Je n’avais pas de scrupule. Mais quand on me demandait d’achever
des pauvres dealers qui n’avaient pas le choix, je n’y arrivais pas. Alors je
glissais les noms aux autorités et ils croupissaient en taule. Dans le meilleur des
cas.
Ma vie ici est beaucoup plus calme. De plus, je ne suis pas le prisonnier modèle,
mais je ne suis pas des plus virulents. Je me suis fait des ennemis tout au long de
ma courte carrière dans le réseau d’Azarov. Par chance, tout le monde a été tué
ou arrêté. D’après ce qu’on m’a dit. Et ils ne sont pas ici, dans la prison où je
suis incarcéré.
Je me redresse à moitié lorsque j’entends le bruit de la porte de ma cellule qui
s’ouvre. Ce n’est ni l’heure de bouffer ni l’heure de sortir. Et jamais je n’ai eu de
visite non annoncée. Curieux.
– Robertson, scande le gardien. Dans le bureau du patron. Immédiatement.
OK. Ça, je ne m’y attendais pas. Quelques minutes plus tard, le directeur me
demande de m’asseoir dans le fauteuil qui fait face à son bureau.
– Robertson, il vous reste encore dix semaines ici. Cependant, on a besoin de
vous dehors. Curieux, hein ! On ne me l’avait jamais fait celle-ci ! Un corrompu
qui écope d’une peine légère, mais qu’on fait sortir pour aider sur une affaire.
Pas mal !
Le sarcasme dans sa voix est évident. Il ne le cache pas. Mais je passe outre.
– Quelle affaire ?
– Une histoire de disparition. C’est l’ancien agent de la CIA James Gowen qui
t’a demandé. Ça doit être important, s’il a fait lui-même la démarche de te faire
sortir. Bref, le proc t’a accordé une sortie pour aujourd’hui, et retour derrière les
carreaux quand l’enquête est terminée.
Je suis intrigué. De quoi parle-t-il ? Le nom de James Gowen est placardé un peu
partout sur les murs de l’agence fédérale et de ses antennes. Sa réputation le
précède. Il a demandé après moi ? Personnellement ? Je continue de me poser
mille questions lorsque l’interphone installé sur le bureau du patron grésille. Il
appuie sur un bouton rouge.
– Faites rentrer Gowen.
La porte s’ouvre et se referme. Je ne regarde toujours pas derrière moi. Le
fauteuil à ma droite bouge et l’ancien agent s’installe.
– Merci de me recevoir rapidement, directeur, le salue-t-il.
– Ce n’est pas comme si j’avais eu le choix, grogne le patron. Bref, passons aux
formalités. Voilà le document de sortie du prisonnier Robertson. Il sera sous la
surveillance de Security Academy ainsi que la vôtre.
– Je m’en porte garant, répond Gowen.
– Bien. Nous allons procéder à la pose du bracelet électronique.
On parle de moi, me manipule comme si je n’étais qu’un pantin. Certes, je ne
suis qu’un prisonnier, et que ma personne est considérée comme une moins que
rien. Cependant, j’aimerais comprendre.
Moins de vingt minutes plus tard, nous sortons de la pièce, Gowen et moi-même,
escortés par un gardien. Arrivé dans une salle vide ou presque, un sac de toile
m’attend.
– Tes effets personnels, petit, m’indique James. Je te laisse deux minutes pour
t’habiller et on y va. Je t’expliquerai en chemin.
Curieusement, ce mec n’est pas antipathique avec moi. Pourtant, j’ai
l’impression qu’il me connaît bien plus qu’il ne veut bien me le dire.
Installés dans un pick-up tagué au nom de Security Academy, nous roulons dans
les rues de Boston.
– Je ne sais pas si je dois vous remercier ou pas. Ni même ce que je fiche ici,
râlé-je.
– Je sais, désolé.
Puis, il entame un monologue.
– Je suis James Gowen, j’ai bossé pendant des années à la CIA. Je suis ici parce
qu’on a besoin de toi dehors. En revanche, je ne veux pas que tu bouges une
oreille. Au-delà de mon intégrité, je pense que t’es pas en mesure de faire ce que
tu veux. Encore moins à quelques semaines de ta sortie officielle. Ce serait con,
gamin.
J’acquiesce en silence. Puis, il continue.
– Security Academy, tu connais. Si je te dis Gonz ? Ça te parle ? Voilà.
Quoi ? Gonz ?
– On a un problème. Anila a disparu. Volatilisée. Impossible de la retrouver. Elle
n’est nulle part où elle est supposée être. Gonz a simplement retrouvé son
portable, éteint, déchargé, dans la poubelle de la salle de bains. On l’a bien
rallumé, mais disons qu’à l’agence, c’est plutôt muscles, filature, arrestation
qu’analyse numérique. Alice a suggéré, apparemment à juste titre, que tu étais
doué dans ce secteur, et qu’à partir d’un téléphone éteint, tu en tirerais à peu près
tout.
– J’étais l’expert du groupe dans ce domaine, oui. C’était il y a quelque temps
déjà, en revanche.
– Ça ne se perd pas ça, c’est comme le vélo.
Il me donne une tape sur la cuisse et nous continuons à rouler en direction de
l’agence.
– Je ne t’en dis pas plus, les gars te mettront au parfum. Ils auront plus de détails
que moi.
Il ne faut que quelques minutes supplémentaires pour arriver devant une façade
au look assez moderne et industriel. James pousse la lourde porte et je le suis à
l’intérieur. Est-ce que je suis impressionné ? Pas vraiment, je me doutais que
Gonz réussirait. J’avais su qu’il avait quitté la CIA. En revanche, lorsque j’entre
dans ce qui semble être la salle des opérations, l’atmosphère change du tout au
tout. Pesante, lourde. Pénible. À quoi m’attendais-je ? Cotillons ? Champagne ?
Câlins ? Ouais, non, tout ça est derrière nous. Loin derrière nous. Quand j’arrive,
tout le monde a le regard braqué sur moi. Ou plutôt, me fusille du regard.
Finalement, un mec en fauteuil roulant s’approche de moi, et me sourit
légèrement.
– Salut, je suis Ted, coordinateur des opérations. Paraît-il que t’es doué avec des
machins éteints qui servent à téléphoner.
– Je l’étais, oui, confirmé-je.
– Bien, j’imagine que ça ne se perd pas vraiment. Viens, suis-moi.
J’obéis et m’installe dans le fauteuil à côté de lui. Il m’explique la situation.
Rapidement, je me tourne vers Gonz. Il se bouffe les sangs, je le vois bien. Son
regard est tourmenté. J’aimerais lui exprimer mon soutien, mais en ai-je
seulement le droit ? Et où est Finn ? Toutes ces questions silencieuses sont
balayées par Ted.
– Finn a… Disons que… Il a quelques problèmes de soucis de gestion des
émotions.
Nous y voilà.
– Il t’en veut, gamin, et on lui a fait comprendre qu’il fallait qu’il mette son
orgueil dans sa poche pour retrouver sa sœur. Ça ne lui a pas vraiment plu,
intervient James.
– OK… Je… Je comprends, soufflé-je. Je peux faire quoi pour aider ?
– Voilà le téléphone d’Anila. Il est verrouillé par le code PIN. Nous ne sommes
pas assez calés sur le sujet pour intervenir. Nous… Nous, c’était l’armée, notre
job. Ou flic. Mais pas informaticien.
– OK.
Je récupère l’appareil en question. Effectivement, on me demande le code PIN.
Je le branche à l’ordinateur, installe un logiciel et quelques minutes plus tard, le
code est cracké. Cependant, Ani en a aussi installé un second. Heureusement
pour moi, pas de verrouillage à empreinte digitale. En revanche, une fois ce code
passé, il me reste le plus dur. Fouiller et trouver quelque chose. Et j’ai la
pression. Je veux aider, je veux la retrouver. Anila est la gamine, était plutôt, la
plus cool et gentille que je connaissais. Que je connais. Et surtout, je crois que je
ne veux pas décevoir. Trois heures se sont écoulées et je cherche encore et
toujours. Jusque-là, seuls Ted et James étaient restés dans les parages, me
proposant un café ou un truc à manger. Que j’ai toujours refusé. Seulement là, je
lâche tout et me redresse. Cette présence dans mon dos me prend au cœur, à
l’âme aussi. Raclement de gorge.
– Je t’ai pris un sandwich au poulet tandoori avec des cheese naan. C’était ton
repas préféré…
– Oui. Tu t’en souviens, soufflé-je, quelque peu surpris.
Alice s’approche et pose mon encas à côté des feuilles gribouillées. Mais
rapidement, elle s’éloigne.
– Alice, je…
– Non, s’il te plaît. On a une amie à retrouver, me coupe-t-elle. Et je n’ai pas
changé de position…
La porte claque avant même que je n’aie le temps d’ajouter quoi que ce soit.
Après avoir englouti ce qui s’apparente à un repas quatre étoiles, je me replonge
dans mon boulot. Je ne chôme pas. Finalement, vers deux heures quatre cinq du
matin, j’ai enfin quelque chose. Je me rends en salle de repos où, visiblement,
tout le monde m’attend.
– Alors ? me questionne Gonz d’emblée.
– Je tiens un truc. Est-ce que vous connaissez quelqu’un du nom de Milos ?
– Non, je ne sais pas qui c’est.
– OK, ils ont échangé pas mal de messages dernièrement, mais ils ont été
effacés. Cependant, j’ai réussi à y remettre la main dessus et à savoir d’où ils ont
été envoyés. J’ai une adresse.
Je tends le bout de papier à Gonz, qui me l’arrache des doigts. Il me dévisage,
perdu.
– Comment est-ce que c’est possible ?
– Pour faire simple, chaque appareil a une mémoire où tout est gardé. Mais on ne
le sait pas. J’ai pu rentrer dedans. Et tracer les émissions.
– Merci.
– L’adresse te dit-elle quelque chose ?
– « 856b, Lafferty Street, Boston. » Non, je ne connais même pas cette rue.
– Bien, décide un grand costaud. On va aller y faire un saut, Tina et moi. Les
autres, reposez-vous.
Son ton n’appelle pas de contradiction. Et tout le monde acquiesce.
– Allez, viens, gamin, j’ai réservé un hôtel à quelques pas d’ici. On reviendra
après une bonne nuit.
Alors que je m’apprête à sortir de la pièce, escorté par James, Gonz m’interpelle.
– Mike ?
– Oui ?
– Merci…
Je hoche la tête, mais ne relève pas plus que ça. Après tout, c’est le job qu’on
m’a demandé de faire…
Chapitre 18

Massimo

Je vis à Boston depuis des années, j’avoue que l’adresse que nous a donnée
Mike ne me parle pas. 856b, Lafferty Street. Ça se situe dans le quartier de East
Boston. Pas mon quartier de prédilection. Je préfère Dorchester, pour ses pubs et
son ambiance irlandaise.
Bien que ce soit que le petit matin, le jour commence à se lever. Tina, à mes
côtés, siffle devant la façade.
– Dis donc ! C’est classe, ici !
– Ouais. On dirait un ancien hôtel particulier. J’avoue, ça a de la gueule.
Elle me colle un coup de coude dans le flanc, à défaut de pouvoir atteindre mes
côtes. Les trente centimètres qui nous séparent se font ressentir. Nos regards se
croisent un peu plus longtemps qu’habituellement. Jusque-là, nous nous sommes
évités. Cependant, nous ne pouvons plus le faire depuis qu’Anila a disparu.
Parce que c’est notre job. Et lorsque nous étions en mission, nous ne nous
parlions pas. Sauf pour le côté boulot. Au moment où je me demandais comment
ouvrir cette porte en bois qui semble peser une tonne, elle s’ouvre et une nana en
sort. En mode « walk of shame ». En gros, elle vient de baiser et elle tente de
sortir sans qu’on la remarque. Elle n’est pas très discrète, mais ça a le mérite de
nous permettre d’entrer. Cinq étages, deux appartements par niveau. Dix
possibilités.
– OK, on se répartit les apparts. Toi ceux de droite, moi ceux de gauche,
intervient Tina. On regarde les noms, on passe les caméras thermiques et on
essaie de trouver un truc. À mon avis, Anila n’est plus ici. Ou alors, ses
ravisseurs seraient complètement cons !
Je m’équipe de mes lunettes à vision thermique, gadget que j’adore dégainer, et
je suis les instructions de ma collègue. J’aime quand elle est autoritaire. C’est
une vraie tigresse. Au fur et à mesure que je monte les étages, j’analyse ce que je
vois. Un couple qui prend sa douche, d’autres qui dorment. Les noms sur les
portes ne correspondent à rien. Pour autant, je les mémorise et les transmets à
Ted par le biais de mon oreillette.
– RAS pour le moment. Ils sont tous en règle, papiers et numéro de Sécurité
sociale à jour.
Bref, de mon côté, j’ai fait chou blanc. En revanche, Tina tient un truc.
– Le deuxième nom que tu m’as filé, ma belle, Milos Carter, ne correspond à
rien. En revanche, il nous redirige sur la page d’un site gouvernemental
international. Européen pour être plus précis. Mais je ne connais pas le pays
encore. Je vais fouiner. C’est vide ? demande Ted.
– Oui, je rentre.
– Attends-moi, Tina. On ne sait jamais.
– Ça va, Mass, je ne suis plus une gamine.
Je déconnecte mon oreillette lorsque j’arrive derrière elle.
– Non, je le sais bien. Tu es loin d’être une femme sans défense, ni même une
gamine, lui soufflé-je à l’oreille.
Dans son regard, je vois passer une ombre de désir avant d’avoir droit à un œil
noir. En silence, elle crochète la serrure, et nous pénétrons dans l’appartement.
Au premier coup d’œil, on voit clairement qu’il est luxueux, bien entretenu, mais
aussi, étrangement vide. Et silencieux. D’un geste de la main, j’indique à Tina
que je continue vers le couloir. Je sors mon arme, au cas où, même si les lunettes
thermiques n’ont rien détecté. Réflexe. En silence, j’avance, et ouvre les quatre
portes, toujours sur la défensive. Pas de bombe, de déclencheur à distance. En
revanche…
– Tina, par ici.
La pièce dans laquelle je viens de rentrer est juste… flippante. Bien que j’aie
déjà vu ce genre de mur auparavant. Cependant, je connais la victime. Parce
qu’il n’y a plus de doute possible. Ani est une victime.
– Merde… J’en connais un qui va péter un plomb…
Et il y a de quoi. Si je voyais… Non. Jamais ça n’arrivera. À ma droite, je peux
voir, grâce à la lumière du soleil levant, ce que tout homme ne supporterait pas.
Des photos, des tonnes de photos d’Anila. Au café, dans la rue. Dans son loft
aussi. Elle était traquée. Surveillée, épiée. Et personne n’a rien vu.
– Bordel… soufflé-je.
– Eh, les gars ? Les gars ? Vous me recevez ?
Je réactive mon oreillette.
– Ça pue, Ted. Je t’envoie des photos.
Je photographie le mur pendant que Tina fouille la pièce. Relevés d’empreintes,
documents, tous les indices qui peuvent nous mener à Ani.
– Gonz est avec toi, Ted ? demandé-je.
– Pas encore. Mais…
– Les gamins, c’est James. Faites votre job, je m’occupe de Finn et Gonz.
Envoyez tout ce que vous pouvez. Coupé.
Et la communication cesse. Avant de reprendre. L’ancien a des méthodes plus
actuelles, que nous n’utilisons plus, visiblement.
– Je crois que j’ai un truc. Viens voir, m’appelle Tina.
Je la rejoins et elle m’indique des documents posés en vrac sur la table.
– Regarde.
Une carte géographique, des papiers écrits dans une langue que je ne connais
pas, un extrait de naissance, un arbre généalogique. Pas de doute. Ceux qui
étaient ici sont partis en vitesse. Est-ce qu’ils vont revenir ? J’en doute.
– OK. T’as fait le relevé d’empreintes ou pas ?
– J’ai tout. C’est dans mon smartphone. J’envoie à Ted. Tu peux t’occuper des
documents ?
– Ouais, je les photographie et je les mets sous scellés.
Moins de trente minutes plus tard, tout est bouclé et nous repartons discrètement.
Presque… Une vieille dame sort de chez elle, certainement à cause du bruit qu’a
causé la fermeture de la porte. Nos visages lui sont bien évidemment inconnus et
je ne tiens pas à ce que nous nous fassions repérer. Alors, je fais la seule chose
qui me passe par la tête. Je plaque délicatement Tina contre le lourd battant en
bois, j’encadre son visage où se mêlent surprise et désir et je l’embrasse.
D’abord doux, plus pour tromper cette femme, il devient plus profond.
Instinctivement, nos langues se rencontrent, jouent l’une avec l’autre. Sa main
passe dans mes cheveux mi-longs et s’arrête sur ma nuque. Je gémis de plaisir…
La porte de la voisine a claqué depuis quelques instants lorsque nous nous
séparons, hors d’haleine. C’était quoi, ça ?
– La mamie allait comprendre que quelque chose clochait, tenté-je de me
justifier.
– OK.
Puis, Tina passe devant moi, et nous rejoignons notre SUV noir garé à deux
blocs d’ici. Cette nana m’a attiré dès notre première rencontre. Tantôt tête brûlée,
femme forte, mais aussi femme blessée dans sa chair, qui n’en est que plus belle.
Femme de tête, droite, femme d’action. Femme passionnée dans tout ce qu’elle
entreprend. Et ce jour-là, en Floride, elle m’a achevé. Nous étions sous
couverture et nous devions jouer un couple d’amoureux pour être crédibles. Le
jeu a pris le pas sur la réalité. Pour finir par ne faire qu’un. Le matin, au bout de
quelques jours, nous nous embrassions, comme n’importe quel couple. Quand
nous regardions la télé le soir, elle était contre moi. Lorsque nous allions dans la
piscine, nous nous cherchions. Elle, toujours plus belle, plus sensuelle. C’était
simplement du flirt ? Jusqu’au fameux soir. Deux jours avant la fin de notre
couverture. Nous avions été invités par le couple suspect. Ils nous ont demandés
depuis combien de temps nous étions ensemble, comment nous nous étions
rencontrés. Instinctivement, les premiers souvenirs sont remontés à la surface. Ils
n’ont eu de cesse d’ajouter que notre complicité et notre amour étaient évidents.
Deux verres de vin en trop et nous sommes rentrés à la maison un peu éméchés.
Nous avions tous les indices, nous avions fait notre job, mais nous n’avions pas
pu résister. Je lui ai proposé un bain de minuit, elle m’a répondu que je n’étais
pas sérieux. Oh que si, je l’étais. Je l’ai défiée du regard et comme elle ne résiste
jamais à relever un défi, elle s’est exécutée. Elle m’a littéralement fait un strip-
tease. Elle a ôté sa jupe taille haute, puis son tee-shirt. Une fois en sous-
vêtements, elle m’a regardé droit dans les yeux, a retiré son soutien-gorge, l’a
laissé tomber à terre et a plongé en tanga dans l’eau. Elle m’a tué. À mon tour, je
me suis débarrassé de mes affaires et en boxer, je l’ai rejointe. La nuit n’a été
que passion, sexe et membres entremêlés. Mais quelques heures plus tard, Tina a
décrété qu’elle ne pouvait pas mélanger boulot et vie privée. Et qu’elle ne
voulait plus qu’on dérape. Depuis, c’est froid et distant entre nous.
– Allons expliquer tout ça aux autres, lâche Tina en sortant de la voiture.
Je n’avais même pas remarqué que j’étais déjà devant l’agence, garé. Je la suis et
nous trouvons un Gonz hors de lui.
– Le Kosovo ? Mais c’est quoi cette connerie ? Jamais elle n’irait ! Finn, elle ne
t’en a jamais parlé ?
– Pas vraiment, non. Ces derniers temps, il lui arrivait de revenir sur le sujet,
mais je lui répondais la même chose que ce que je lui ai toujours dit. La vérité !
Qu’est-ce que tu crois ?
– Je n’en sais rien, putain ! Mais du jour au lendemain, elle s’intéresse à autre
chose ?
Tina se racle la gorge.
– Les gars… On a trouvé des trucs dans l’appartement. C’est… intéressant…
Ils s’approchent, mais elle les recadre.
– Non. Vous vous installez sur des chaises, le temps que je vous explique. Je
veux que vous ayez les idées claires. On est une équipe, on pense pour vous,
mais vous allez avoir besoin de toute votre tête.
À contrecoeur, Gonz et Finn s’assoient.
– Partie ou pas d’elle-même, elle était traquée. Il y a un mur entier où sont
placardées des photos et des infos sur Ani. Ensuite, poursuit-elle en sortant les
documents, il y a ça. Et visiblement, on n’avait pas toutes les informations sur
Anila… Ni même toi, Finn.
Il récupère le papier qu’elle lui tend. Finn fronce les sourcils d’incompréhension.
Puis, il se lève, hors de lui.
– Qu’est-ce que ça veut dire ? Et comment aurais-je pu le deviner ? C’est quoi
cette blague !
Ted intervient à son tour.
– Ce n’est pas une blague, boss. Anila est la fille de l’ancien prince du Kosovo.
L’histoire est un peu compliquée, car ce pays a appartenu à un peu tout le
monde. Mais son père était censé monter sur le trône. La guerre a empêché son
couronnement. Il n’aurait pas eu un rôle aussi important qu’un roi, plutôt comme
celui de la reine d’Angleterre ou du roi d’Espagne. Consultatif. Bref, suite à cette
guerre qui a décimé sa famille, Anila est devenue héritière à son tour. Seulement,
elle a été portée disparue, et la suite, tu la connais. Je viens de vérifier en ligne,
la reconnaissance faciale est formelle : la petite fille de la photo officielle et la
femme qu’on connaît ont 99% de correspondance.
Anila ? Princesse héritière d’un trône déchu ? Jamais je n’aurais pu imaginer ça.
Et visiblement, tout le monde pense la même chose.
– OK, bien, intervient Gonz. Mais ça ne nous dit pas où elle est.
– Le nom que Tina et Mass m’ont transmis est un faux. Mais en fouillant, il
s’avère que c’est un ressortissant kosovar, pro-royaliste. Autrement dit, on dirait
bien qu’il est venu chercher notre Ani. Il a été arrêté pour complot, pour
propagande et opposition au pouvoir en place. Mais il s’en est toujours tiré. La
corruption, certainement…
Et comme si ça pouvait être plus compliqué, Ted poursuit. C’est le demi-frère
d’Ani. Milos Mirkovic. Officiellement, il est historien. Mais ce n’est qu’une
couverture…
Chapitre 19

Finn

C’est quoi ce merdier ? Anila, cette petite orpheline, est héritière du trône ?
Putain, qu’ai-je fait ? Je… Putain ! Je passe la main dans mes cheveux en
continuant de faire les cent pas. C’est irréel ! Personne ne m’a signifié ce statut
dont elle faisait l’objet ! Personne là-bas ne la considérait autrement qu’une
gamine sans parents qui s’est isolée et protégée d’un génocide revendiqué. Qui
accrochait de ses petites mains sales mon treillis beige et poussiéreux. Cette puce
est une princesse… Je suis sonné par la nouvelle. Pourtant, rapidement, mon
cerveau d’ancien agent prend le relais.
1
– OK. Faut qu’on appelle Fiona et Rob . Ils sont déjà en Europe, ils auront peut-
être des informations qu’on ignore.
– Bien, leurs coordonnées sont dans le système, je lance l’appel maintenant,
annonce Ted.
Fiona décroche au bout de la deuxième sonnerie.
– Allô ?
– Fiona, c’est Finn.
– Hey, salut l’Américain !
– Salut, lui réponds-je.
Au ton que j’emploie, elle comprend immédiatement qu’il se passe quelque
chose.
– Je mets le haut-parleur, Rob est là, on est au bureau. On t’écoute.
– Salut Rob. Voilà ce qu’il se passe.
Je leur expose la situation, ils m’écoutent attentivement avant de reprendre la
parole.
– Putain, quel merdier ! s’exclame Rob.
– Ouais, comme tu dis, lâche Gonz dans un grognement.
– Bien, j’ai noté les noms, ça me parle, nous explique Fiona. Vous me donnez
deux heures, mais apprêtez-vous à venir nous rendre visite.
À peine ai-je raccroché, que la porte s’ouvre. Ava nous rejoint. J’ouvre mes bras
et elle se réfugie contre mon torse. La meilleure sensation du monde, si ce n’était
pas une situation de crise. Cependant, sentir son étreinte me redonne un peu de
force.
– Je suis tellement désolée…
Elle répète ça en boucle depuis que ma sœur a disparu. Et j’ai beau la rassurer,
rien n’y fait. Elle se sent responsable. Si elle avait été là, si elle était allée l’aider,
si, si, si… Je ne sais plus quoi lui dire pour lui enlever cette idée de la tête.
– Ça suffit, Ava, rugit Gonz en claquant son poing sur la cloison proche de nous.
Ce n’est pas ta faute, donc tu arrêtes de te torturer avec ça ! Elle a été enlevée,
kidnappée, manipulée, tout ce que tu veux, mais ce n’est PAS TA FAUTE !
Putain, rentre-toi ça dans le crâne !
Ava sursaute contre moi, Gonz est furieux. Je resserre mes bras autour de sa
silhouette fine, mais je réagis lorsque je vois des larmes dans ses yeux.
– Ça va, mec, tu te calmes !
– Ne me dis pas de me calmer, Finn ! Putain, elle pleurniche et se plaint, mais on
ne sait toujours pas où est Anila ! Mais ça ne fait pas avancer les choses, bordel
de merde !
Alice s’avance et est prête à s’interposer entre Ava et Gonz.
– Je suis désolée, murmure Ava.
– Arrête, bordel ! Arrête ! s’écrie-t-il.
Je comprends Gonz, mais putain ! Il n’a pas à parler ainsi à ma femme ! Je me
tends, m’écarte d’Ava, prêt à coller mon poing sur le nez de Gonz quand Mass
intervient. Il ceinture son patron, l’éloigne et le dirige vers la salle de boxe.
– Ça va, ma puce ?
Ava secoue la tête. Mais elle est encore surprise de l’attitude de notre ami.
– Tu sais, il ne l’a pas dit de la meilleure des façons, mais il n’a pas tort. Arrête
de te blâmer pour quelque chose dont tu n’es pas responsable. D’accord ?
Mes mains sur ses joues, je plonge mon regard dans le sien. Ça me fait mal de la
voir ainsi.
– Je t’aime, et jamais je ne t’en ai voulu ou je t’en voudrai, Ava. S’il te plaît,
arrête de te considérer comme responsable. Personne ne t’en veut, alors tu ne
dois pas t’en vouloir !
– OK, souffle-t-elle. C’est que j’ai tellement peur pour Ani…
– Je sais, chérie. Mais tu sais qu’on la retrouvera. On fera tout pour.
– Je le sais… Soyez prudents…
– Ne t’en fais pas.
Quelques minutes plus tard, Ava rentre à la maison retrouver Solveig et les
enfants. Mass est toujours sur le ring avec Gonz. Ted continue ses recherches,
notamment celles d’un jet qui pourrait nous faire atterrir incognito dans un pays
voisin. Ainsi que d’une piste qui nous accepterait. Nous attendons toujours le
rappel de Fiona. Finalement, il arrive plus rapidement que prévu.
– Il me semblait bien que ce nom me disait quelque chose. Mirkovic est un
royaliste en puissance. Extrême. Il a déjà été impliqué dans des affaires, mais a
toujours pu échapper à la justice. Il a notamment été accusé de meurtre,
d’attentats contre le gouvernement en place, mais aussi de kidnapping et torture
sur opposants au royalisme.
– On ignorait ce dernier point, lâche Ted à ma place.
J’ai peur pour ma sœur. Mais le fait que ce soit un membre de la royauté pourrait
ou devrait la sauver.
– On peut vous faire atterrir sur une piste en Bosnie, pas très loin du Kosovo. Là-
bas, on vous attendra avec des motos, histoire d’être plus discrets. On a une idée
d’où se trouve Mirkovic, mais rien de précis… C’est un fantôme, ce mec. On ne
l’appelle pas Ghost pour rien, explique Rob.
– Putain, mais comment on va remettre la main dessus ? m’énervé-je.
– Apparemment, les services secrets français auraient une piste voire un agent
infiltré. Fiona essaie de rentrer en contact avec eux. On décollera dans quelques
heures pour tout organiser. Par chance, la région est assez calme désormais.
Quelques violences, mais plus de guerre.
– Bien, valide mon chef des opérations. On s’occupe de tout ça, et on vous tient
au courant. Merci du retour, Rob.
– Sans problème. À bientôt !
Rob raccroche au moment même où Gonz nous rejoint.
– Ava est partie ?
– Tu espérais qu’elle t’attende pour que tu lui en colles plein la gueule ?
– Non, je… bredouille-t-il. Je voulais m’excuser.
– Fais gaffe, mec. C’est ma femme. Et je comprends ta réaction, parce que
j’aurais fait comme toi, et que c’est ma sœur qui a disparu. Mais ne lui parle plus
jamais comme ça. Même si le fond est bon.
– Désolé…
– Bon, on a du nouveau, annonce Ted.
Il fait un résumé à Gonz.
– Parfait. Le vol est à quelle heure ?
– J’ai trouvé un jet pour ce soir. Pas le plus luxueux, mais il vole. Il y en a pour
une bonne dizaine d’heures. Je transmets toutes les informations aux Britishs et
vous pourrez aller préparer vos affaires.
– Bien. On finit les affaires en cours et on suspend tout. Ted, tu restes ici pour
coordonner les opérations. Je veux que Chase et Harri continuent de fouiner ici
si besoin. Mass et Tina, vous venez avec nous, ordonne Gonz.
– James, interviens-je, pourriez-vous aller chez mes parents pour les informer de
la situation ? Et éventuellement intervenir à distance ?
– Sans souci, le bleu. J’appelle Etta, et je reprends mon avion, direction
Manitowoc.
James s’approche de moi, me donne une accolade.
– Sois prudent. Et ramène la petite. Toute princesse qu’elle soit. Elle a besoin de
sa famille. Sa vraie famille. Parce que quelque chose me dit que c’est plus
complexe que ça.
– Merci pour tout, James.
– Avec plaisir, le bleu ! Ça met un peu de piment dans ma routine de retraité, me
sourit-il.
Puis, après avoir salué tout le monde et nous avoir souhaité bonne chance une
dernière fois, il quitte l’agence.
– Et nous ? demande Alice, qui bout totalement.
– Tu viens avec nous.
Maintenant, à nous de jouer…
Chapitre 20

Gonz

Nous avons pu décoller rapidement après le départ de James. À l’agence, nous


avons toujours un paquetage d’urgence. Il nous a bien servi, ce soir. En
revanche, assis dans cet avion, je suis pris d’une nouvelle vague d’angoisse.
Impossible de me calmer. Putain, ce n’est vraiment pas la même chose quand on
touche à vos proches. Pourtant, on nous apprend à rester calmes en toutes
circonstances, à l’école de police d’abord. Puis après, lors des formations pour
devenir agent gouvernemental.
Ma séance de boxe avec Mass a eu la capacité à faire retomber la pression et me
vider la tête. Trois secondes et demie. Mais c’est mieux que rien, non ? Ça me
ronge. Tout ça me bouffe. Et puis la façon dont j’ai parlé à Ava… Je lui ai
envoyé un message d’excuses peu de temps après son départ.
[Je suis désolé d’avoir été aussi violent et méchant avec toi. Je suis inquiet et ça
me bouffe. Dès qu’on rentre avec elle, je me fais pardonner !]
[Je sais… Prenez soin de vous. Prends soin de Finn. (C’est moi qui choisirai le
resto !)]
Je souris légèrement lorsqu’elle évoque le restaurant. On se fait tout pardonner
avec de la bouffe !
Le jet que Ted a réservé pour nous n’est pas des plus luxueux, mais sans être
spartiate pour autant. Il vole. C’est le principal. Finn vient s’installer dans le
siège à côté de moi. Nous sommes au-dessus de l’Atlantique et nous nous
rapprochons de plus en plus d’Anila.
– Comment tu te sens ? me demande-t-il.
– Je ne sais pas trop. Entre le statut d’agent et celui de conjoint.
– J’imagine. Nous sommes sa famille, mais pour être le plus efficace possible, il
faut que nous passions en mode agent. On est imbattables à ce jeu-là. Même si
ça me fait mal de l’admettre, grogne-t-il.
J’acquiesce, totalement d’accord avec lui. On était les meilleurs tous les quatre.
Il faut qu’on redevienne ces machines.
Parce que oui, Mike fait aussi partie du voyage. Alice a insisté, Ted aussi. C’était
l’un des meilleurs agents et on en aura besoin. Finn a su mettre sa rancœur de
côté pour accepter sa présence. Elle nous est essentielle. Il avait un sens aigu de
l’initiative raisonnable. Il savait lire le terrain comme personne. Maintenant, je
comprends que sa double vie l’a aidé à être un excellent agent de terrain.
– On va la retrouver, ajoute Finn, d’un ton sûr. On va la retrouver, et on va la
ramener. Et tu pourras lui faire plein de petits gringos.
Là, il râle. Mais au moins, il me fait sourire. Il a accepté notre relation, mais il ne
s’imagine pas vraiment poser mes mains sur sa petite sœur. Pourtant, s’il savait
ce qu’elle fait quand on est que tous les deux, au loft… Elle est loin de l’image
de la petite sœur sans défense qu’il imagine !
– Arrête de penser à elle comme ça, putain, c’est ma sœur !
Il se lève, un air dégoûté sur le visage, et file rejoindre les autres à l’arrière du
jet. Deux heures plus tard, je sens un poids contre mon épaule. J’ai dû
m’assoupir. Le manque de sommeil se faire ressentir, et je ferais bien de
grappiller quelques heures avant d’aller sur le terrain. Parce qu’une fois là-bas,
nous ne dormirons pas beaucoup. C’est Alice qui s’est installée à mes côtés. Elle
ne dort pas, elle pianote sur une tablette dernière génération qui semble être
équipée d’une multitude de logiciels que même les gouvernements ne possèdent
pas. Je l’observe quelques instants, en silence.
– Merci d’être là, lui soufflé-je.
– C’est normal, me répond-elle dans un demi-sourire.
– Tu étais sur une mission ?
– En quelque sorte.
Elle n’ajoute rien. Elle parle rarement de son job. Elle est devenue très secrète.
Mais je respecte ça. Tant qu’elle est entière. Je sais qu’elle bosse avec une
certaine éthique. Elle se redresse et se tourne vers moi.
– Fiona et Rob ont fait du bon boulot, mais il nous manque encore quelques
informations. J’ai des contacts dans le coin. Ça devrait nous aider.
– Je peux te demander comment tu as tous ces contacts ici ?
– Tu peux. Mais tu n’auras pas forcément de réponse.
– Je croyais que ton secteur c’était l’Amérique du Sud ?
– J’étends mon réseau. Mon boulot me mène un peu partout.
Elle ne m’en dit pas plus et je sais que je n’en saurai pas davantage.
– Fais-moi confiance, me dit-elle. Je ferai de mon mieux.
Sans rien ajouter d’autre, elle me donne une petite tape sur l’épaule, se lève et
retourne à sa place. Bien sûr que je lui fais confiance. Cependant, mes
sentiments prennent parfois le dessus et je ne contrôle plus rien. Je me sens
fébrile. Jamais je ne me suis senti ainsi. Même quand ma sœur a eu ses
emmerdes. La rage et la colère me guidaient. Pas la peur. Je ne dois plus avoir
peur. Je dois avoir la rage au ventre. Ça doit être mon moteur. Il me reste
quelques heures avant qu’on atterrisse pour me conditionner. Je le ferai. J’y
arriverai. Pour elle. Pour nous.
Finn me rejoint, alors que nous allons commencer à descendre.
– On a la chance que l’indépendance du Kosovo ne soit pas reconnue par tout le
monde en Europe. La Bosnie n’a pas posé de problème pour que nous
atterrissions chez eux. En revanche, on va devoir passer par la Serbie avant
d’entrer sur le territoire kosovar. Sinon, on risque de se faire repérer.
– J’imagine que Ted a tout étudié.
– Comme toujours. Il m’a envoyé l’itinéraire. On va atterrir près de Vlanesica,
puis remonter un peu et enfin, passer en Serbie. Ensuite, nous roulerons jusqu’à
Novi Pazar, à quelques encablures de la frontière, et enfin on sera au Kosovo.
Après…
– Je sais. On n’a pas encore beaucoup de précisions.
– Non. Alice est sur le coup apparemment.
– Ouais, paraît-il.
– On va y arriver. Fiona et Rob nous attendent, Mass et Tina sont là. On a tout ce
qu’il faut pour réussir. Des agents officiels, des agents de terrain entraînés à bien
pire, et nous quatre.
C’est vrai que sur le papier, rien ne peut nous arrêter. J’espère que Finn dit
vrai… À la descente de l’avion, Fiona et Rob nous attendent. L’aéroport n’est
pas grand, je soupçonne qu’il ne soit pas utilisé très souvent.
– Salut les gars, lance Fiona. Finn, ravie de te revoir, lui sourit-elle.
– Salut Fiona, lui répond-il en l’étreignant.
Cette étreinte la surprend. Les Anglais et leurs bonnes manières… !
– Rob. Merci de nous aider.
– C’est normal, répond ce dernier.
– Voici Mass et Tina…
Finn présente l’équipe ainsi que nos spécialités. Lorsqu’il arrive à Mike, je vois
les deux agents britanniques se tendre légèrement. Mais ils savent que s’ils sont
avec nous, c’est qu’il a sa place ici. Et puis… À nous cinq, nous serons capables
de le maîtriser.
– Bien, reprend Fiona avec le flegme légendaire des Anglais. Allons-y. On a
prévu des motos. Pas des Rolls, mais elles nous permettront d’arriver à
destination.
Nous nous dirigeons vers le hangar attenant, et effectivement, les modèles ne
sont pas vraiment récents. Ils ont entre quinze et vingt ans, mais ils sont assez
puissants.
– Nous n’allons pas passer inaperçus si nous arrivons tous les huit ensemble.
– Je sais, rétorque Rob. Nous avons prévu trois itinéraires. Et nous nous
déplaçons par deux minimum.
Finn, Alice, Mike et moi formons le premier groupe. Mass et Tina, le second, et
enfin, Fiona et Rob, le troisième. Les itinéraires sont très simples. L’un remonte
avant de passer en Serbie, l’autre descend légèrement puis atteint la frontière, et
le dernier pique totalement au sud. Nous serons en contact permanent via des
oreillettes. La chance que nous avons est qu’il fait nuit. Nous allons pouvoir
pousser un peu les motos. Nous décidons de nous retrouver dans la région de
Nova Varos, une ville pas très loin du Kosovo, mais suffisamment pour ne pas
alerter les autorités.
Les routes sont mieux que ce que j’avais imaginé. C’est con, mais quand on
connaît le passé de cette zone, on pense que tout est en mauvais état, déglingué,
presque dangereux. Ce n’est pas le cas. Après plusieurs heures de route, nous
arrivons au point de rencontre. Un hôtel qui ne paie pas de mine en dehors de la
ville. Rob et Fiona sont arrivés depuis quelques minutes apparemment. En
retirant mon casque, ils notent mon mécontentement. Putain, on va perdre du
temps !
– Je sais ce que tu penses, Gonz, me répond Rob. Mais on a tous besoin de se
reposer avant d’être opérationnels. De plus, on attend encore le retour de notre
contact en France. Il ne devrait plus tarder.
– Il n’a pas tort, me souffle Finn. Restons calmes. Professionnels.
– OK, grogné-je.
Fiona distribue les clés des chambres réservées.
– On a prévenu Mass et Tina, ils n’auront qu’à se présenter à l’accueil quand ils
arriveront.
– Bien. Merci, lâche Finn. Vous avez la tête plus froide que nous, on a besoin
d’aide extérieure et de sang-froid.
– Pas de souci, les gars. On comprend.
Je hoche la tête et me dirige vers la chambre que je partage avec Finn. Si mon
ami s’affale sur son lit et arrive à déconnecter, moi, je n’y arrive pas. Je sais qu’il
est en mode machine, que sa sœur n’est plus sa sœur. Que certainement le
million de questions qui assaillent son cerveau l’épuise. J’essaie, plus que tout,
de me dire qu’Ani n’est pas plus qu’une cliente à sauver. Mais c’est tellement
difficile. Finalement, quatre heures plus tard, je connais le nombre de lés de cette
tapisserie horrible et vieillotte habillant les murs de cette chambre, combien de
fissures au plafond il y a, et le nombre de gouttes d’eau qui fuient du robinet de
la salle de bains. Je me suis arrêté à 783 fois, me disant que ça pouvait continuer
un sacré moment. Une goutte toutes les quatre secondes environ… Finalement,
un coup à la porte me tire de mes pensées. Je me lève et vais ouvrir la porte. Finn
s’est réveillé, même fatigué, il n’en reste pas moins un agent aux sens aiguisés.
Alice pousse le battant et s’installe sur le vieux fauteuil poussiéreux, armée de sa
tablette.
– J’ai du nouveau. Je sais où on doit aller.
Finn fronce les sourcils.
– Comment tu sais tout ça, toi ?
– Je le sais, c’est tout, le rembarre-t-elle. Voilà, ils sont ici.
Elle pointe un doigt sur une carte interactive, et nous indique la petite ville de
Orllan.
– Ils sont dans le coin. Apparemment, c’est le repère des royalistes.
– OK. Fiona et Rob ont eu des retours des services secrets français ou pas ?
– Pas encore, ça ne devrait pas tarder en revanche. Il ne faut pas griller leur
taupe. D’après ce que j’ai compris, c’est que ce groupuscule est assez virulent, il
n’a pas froid aux yeux et s’en sort toujours. En tout cas au niveau judiciaire. Soit
ils en réchappent, soit ils meurent.
Un frisson d’horreur parcourt mon dos. Putain, Anila… Je serre les poings, plus
déterminé que jamais.
– OK, allons-y, soufflé-je.
– Je vais voir les autres, on se retrouve en bas dans quinze minutes, répond
Alice.
Après qu’elle a fermé la porte derrière elle, Finn se dirige vers la salle de bains,
et se passe un peu d’eau sur le visage. Cette situation me rend dingue.
Complètement dingue ! Avant de quitter la chambre, Finn et moi échangeons un
regard déterminé.
– C’est parti. Finissons-en, lâche-t-il, avec la même rage que moi.
Nous sortons et retrouvons nos coéquipiers. Ani, ma puce, on arrive. Tiens bon…
Chapitre 21

Anila

Ma tête… Mes oreilles bourdonnent, ma gorge est sèche, mes membres sont
engourdis. Des voix lointaines me parviennent. Durant quelques secondes, elles
ressemblent à des murmures. Puis, au fur et à mesure, elles semblent se
rapprocher.
– …réveille… plans à bien. Pas le choix ! … le faudra.
Je tente de bouger en silence, mais je dois faire un bruit, car des pas
s’approchent.
– Anila, ma puce, tu es réveillée, me sourit ce visage connu.
Milos.
– Oui, soufflé-je. Soif…
– Je t’apporte ça.
Il revient avec un verre qu’il porte à ma bouche doucement. Cela me fait du
bien, ma gorge ne me tiraille plus autant. En revanche, ma tête est lourde,
toujours.
– Voilà. C’est bien. Repose-toi, maintenant…
Puis, je retombe dans un brouillard épais. Pas inconsciente, mais embrouillée. La
voix de Milos me parvient.
– On doit la garder ici encore un peu. Quand tout sera prêt, on pourra sortir la
princesse. Et plus rien ne nous résistera !
Puis, les limbes des ténèbres me prennent en otage et je plonge, profondément,
dans un sommeil dénué de pensées…
Chapitre 22

Mike

Un peu plus de deux cents bornes plus loin, nous arrivons dans la banlieue de
Glogovac, Kosovo. À première vue, c’est une petite ville agréable qui ressemble
étrangement aux stations balnéaires que l’on peut trouver sur nos côtes
atlantiques. En cette période de l’année, l’endroit est calme et, hormis la
population locale, il n’y a pas encore de touristes en ville. C’est l’endroit idéal
pour se planquer et noyer le poisson. Ici, on est aux antipodes de la banlieue
craignos qu’on pouvait imaginer. Les deux Kosovars sont bien plus malins que
ce que je pensais.
Nous nous sommes installés en sortie de ville, le plus discrètement possible.
Nous sortons peu, histoire de ne pas attirer les regards. Les touristes étant rares,
un groupe d’Américains qui débarque paraîtrait louche. De plus, j’imagine que
nos tronches circulent en sous-marin pour qu’on nous repère. Grâce au contact
d’Alice, nous avons pu nous rapprocher de leur planque. Mais nous ne savons
toujours pas où ils sont exactement. Dans un rayon de vingt kilomètres, à la
louche, mais pas bien plus… Les services secrets français essaient
désespérément de joindre leur contact sur place. Ce Rémy est aussi invisible que
son connard de patron.
Malgré mon passé, je ne connais pas vraiment cette zone-là de l’Europe. En
revanche, je suis au fait de leurs méthodes. Propagande souterraine, bourrage de
crâne des populations les plus pauvres, plus naïves, puis, les sphères plus
friquées de la société, en ciblant encore une fois les personnes les plus faibles,
promesses jamais tenues ou presque. Et surtout, impossible à tenir. Les royalistes
sont des utopistes s’ils croient pouvoir remettre une princesse disparue depuis
près de vingt ans ! Il y a eu des guerres, des génocides, des exterminations. Des
affrontements entre ethnies. Et ils imaginent qu’Anila va tous les réunir ? Ils sont
tarés ! La démocratie kosovare est internationalement reconnue, mais certains
États ne valident pas sa légitimité. Cette partie est instable. Et rien ne pourra
changer ça !
À côté de moi, Alice ne cesse de gesticuler. Elle semble tourner en rond, comme
un lion en cage. C’est mon flic. Dès notre départ pour l’Europe, elle s’est elle-
même assignée à ma protection. Elle ne me lâche pas. La plupart du temps, elle
reste silencieuse. Je n’ose pas lui parler ? C’est un peu ça. Pour me prendre une
baffe en pleine gueule ou pire… Bien que je le mérite amplement. C’est celle qui
a le plus souffert, avec Ava bien sûr. Parce que je l’ai trahie, et que ça a duré des
années. Ce qu’elle ne semble pas piger, c’est que jamais je n’ai menti sur notre
vie, sur mes sentiments. Je ne l’avais pas revue, mais chaque fois que j’ai pu la
croiser, et malgré la détermination, la douleur et la rage que j’ai pu voir dans son
regard, mon cœur sursautait dans mon thorax. Ouais. Putain, cette nana, c’est ma
vie. Et bien que je sache que plus rien ne nous liera à l’avenir, j’ai du mal à m’y
résoudre.
– Qu’est-ce qu’il se passe ? lui demandé-je.
– Rien, putain, il ne se passe rien ! On ne sait toujours pas où ils sont et aucun de
nos contacts ne nous répond ! Ça m’agace !
Je comprends. Je ressens la même chose. Mais où est passé mon Alice, celle qui
relativisait, qui restait calme, était patience ? Elle a bien changé.
– OK, t’as une idée ?
– Je veux aller fureter. Je veux trouver des infos !
– Bien, mais où ? On ne sait même pas où ils sont, et je te rappelle qu’on est un
peu chez les royalistes là ! Tu crois qu’ils vont te donner la planque de leur
leader ? Putain, Alice ! Réfléchis deux secondes ! Tu crois vraiment qu’on peut
se barrer, et croiser les doigts pour trouver des infos comme ça ? m’énervé-je.
– Ne me parle pas comme ça ! Tu as perdu tout droit quand tu as trahi ton pays !
crache-t-elle.
– Alors, c’est ça ? Tu veux en parler ?
– Non, ce n’est pas le moment.
Elle prend ses affaires et commence à sortir, mais est arrêtée par Mass, qui la fait
rentrer. L’armoire à glace ne semble pas l’impressionner. Non, pas du tout
même ! Il est suivi de Tina et Finn.
– On a un plan, déclare-t-il. On en a marre d’attendre. Tout le monde en a marre.
Mais vous deux, ici, personne ne vous connaît.
Je fronce les sourcils, tentant de comprendre ce qu’ils veulent dire.
– Mike, t’étais en taule, donc normalement, ils n’ont pas de photo de ta tronche.
Et toi, Alice, tu te balades dans le monde entier, tu n’étais pas là à Boston avec
nous quand tout ça s’est produit, explique Finn. Donc si on doit sortir, c’est vous
qui le pourrez. Pas nous. On est grillés.
– OK. On y va, lance Alice.
– Attends, on y va, OK, mais tu as un plan ? On ne va quand même pas sortir
d’ici et interroger tous ceux qu’on croise !
– Voyons, Mike, tu me déçois, raille-t-elle. La prison t’a rendu amnésique ? On a
toujours été bons là-dessus. Et puis, tu nous as prouvé que tu savais faire ça,
berner les gens. Alors tu te démerdes, tu reprends tes esprits, et on y va !
Alors que nous sortons de notre chambre, Finn lance derrière nous :
– Démerdez-vous. Mais ramenez des infos !
Il est toujours froid et distant avec moi, et je ne le blâme pas. Pourtant, cette
épreuve semble nous rapprocher d’une certaine façon. Tout le monde fait des
efforts et on va y arriver. Il le faut.
Lorsque nous sortons dans le couloir, Alice change de comportement du tout au
tout. Elle dégrafe les deux boutons de son chemisier en soie, et la dentelle de son
soutien-gorge noir apparaît clairement. Ainsi que la naissance de sa poitrine, le
galbe de ses seins… Ma gorge s’assèche soudainement. Ses doigts libèrent ses
cheveux, elle prend ma main dans la sienne, et sa démarche devient plus
chaloupée. Alors que nous passons devant plusieurs clients, elle n’hésite pas à se
pendre à mon cou, prise d’un faux rire. Je la suis, parce que je sais qu’elle a
toujours été la plus forte à ce jeu-là. Elle tire légèrement sur mon tee-shirt,
agrippe mon blouson en cuir noir et sourit de façon espiègle. Putain, elle me fait
quoi ?
– J’adore cette ville, chéri ! C’est comme la côte américaine où il y a tous ces
riches ! T’es le meilleur !
Puis, elle se retourne, ses cheveux claquent mon torse et elle passe devant moi.
– Et puis cet engin… J’adore le chevaucher !
Les clients nous regardent, la regardent, elle, si belle, si sexy, si sensuelle.
Bordel !
Nous nous installons sur ma bécane et elle se colle à moi. Lors de nos trajets,
nous étions dans la même position, mais ce n’était pas la même chose. Elle ne
jouait pas. Il y a quelque chose de différent. Je chasse ces idées de ma tête,
démarre ma bécane et nous roulons. Je ne sais pas vraiment où aller. C’est vrai.
Autant chercher une aiguille dans une botte de foin.
– Direction le centre-ville, entends-je dans mon casque. On va aller fureter dans
les bars du coin. C’est l’heure.
La nuit commence à tomber et le timing est parfait. Je vois où elle veut en venir.
Sortir, se mêler à la population, glaner des informations. Je me gare dans le
centre. Il y a pas mal de monde à cette heure-ci. Tant mieux ! J’éteins le moteur
et je sens Alice descendre de la moto. Je dois remettre mon costume d’agent,
prendre des initiatives, et redevenir celui que j’étais. Cet agent sûr de lui, qui sait
ce qu’il fait. Et apparemment, on est un couple amoureux. Ça ne devrait pas être
trop compliqué à jouer. J’ôte mon casque, affiche mon plus beau sourire,
m’avance vers elle et passe mon bras autour de son cou. Mon regard dans le
sien, je lui dis :
– C’est parti. Allons trouver Anila.
Nous entrons dans le bar qui semble déjà bien animé. Il n’est pourtant que vingt
heures. Alice et moi jouons notre rôle. Amoureux transis en voyage de noces.
– Eh, barman, demande-t-elle dans une langue inconnue pour moi.
Le mec arrive et je comprends qu’elle parle le Kosovar ou je ne sais quel
dialecte utilisé ici. Encore une fois, elle m’impressionne. J’imagine qu’elle a
commandé deux bières, au vu de ce que l’on nous sert.
– Où as-tu appris à parler cette langue ? m’enquiers-je.
– Un des nombreux secrets que tu n’es pas prêt à entendre, marmonne-t-elle. Ne
m’en parle plus, s’il te plaît, nous devons avoir l’air amoureux, pas en train de
s’opposer, ou de s’affronter.
J’acquiesce d’un signe de la tête avant de plonger dans ma pinte. Rien
d’exceptionnel, c’est une blonde quoi. Après une première gorgée, j’attrape
l’assise du tabouret d’Alice et la tire à moi. Nous sommes face à face, un de mes
genoux entre ses jambes. Je me penche vers elle et susurre à son oreille.
– Bien, et maintenant ? Quel est ton plan ?
– Poser des questions, me répond-elle, joueuse, une main sur ma joue.
Nous multiplions les gestes tendres et autres attentions l’un envers l’autre,
histoire de tromper notre monde. Pourtant, tout paraît si naturel, comme si rien
n’avait été oublié. C’est perturbant. Elle se tourne vers le mec qui nous a servis,
puis lui demande quelque chose. Je ne sais pas ce que c’est, mais le mec lui
adresse un sourire salace. Je commence à me lever pour intervenir, mais Alice
m’interrompt, pose ses lèvres douces sur les miennes et s’adresse de nouveau au
barman. Putain de bouche sexy… Quelques instants plus tard, il s’en va. Je
l’interroge du regard, mais elle me répond de patienter un peu. Revient le gars,
mais accompagné d’un autre homme.
– J’ai entendu dire que vous cherchez des coins sympas, s’adresse-t-il à nous
avec un accent local.
– Oui, minaude ma partenaire. Vous comprenez, nous venons de nous marier, et
nous adorons les endroits isolés. Comme ça, nous pouvons profiter de notre
intimité. Pleinement, si vous voyez ce que je veux dire !
– Je vois, lui sourit notre interlocuteur. Voici quelques adresses.
Il griffonne quelques noms sur une serviette en papier et la tend à Alice.
– Vous devriez trouver votre bonheur.
– Oh, merci beaucoup, Monsieur. J’aime tellement mon mari !
Sa main remonte et descend sur ma cuisse. Ses doigts me frôlent, et putain, ça
déclenche une salve de frissons le long de ma colonne. Elle sait encore me faire
vibrer, cette nana. Et rien qu’avec ses ongles.
Puis, le mec repart, et nous continuons à jouer le couple amoureux.
– OK, on a quelques noms de lieux isolés, il va falloir aller y jeter un œil, au cas
où, me prévient Alice.
– Oui. On ne va pas tarder à y aller, je pense qu’on nous a assez vus.
Ni trop, ni pas assez. Deux heures à boire quelques bières auront suffi à nous
fondre dans la masse. Et Alice sait toujours aussi bien jouer les nanas écervelées
et naïves.
– Chéri, j’ai la tête qui tourne, me dit-elle.
C’est le signal. Sa voix est un peu plus forte que d’habitude, potentiel signe
d’ébriété.
– OK, viens, ma puce, je vais t’aider.
Je passe mon bras dans son dos, l’aide à se lever, elle s’appuie sur moi plus que
de raison, puis nous sortons du bar. Son bras est autour de mon cou, elle rit de
façon totalement idiote, niche son nez sous ma mâchoire, embrasse ma joue, puis
me pousse un peu et me roule une pelle digne de ce nom. Lorsque nos langues
s’entremêlent, c’est l’extase. Comme si elles étaient faites l’une pour l’autre.
Depuis le début. Depuis toujours. Alice me guide dans la ruelle adjacente, tout
en continuant son cinéma.
C’est tellement bon… Ses mains parcourent mon corps, les miennes s’agrippent
à ses hanches, la collent à moi, à mon entrejambe déjà bien excitée.
– C’est bon, vous pouvez arrêter votre cinoche, nous interrompt une voix.
Alice s’écarte et dégaine son flingue, qui ne sort de je ne sais trop où, et tient en
joue celui qui nous vise également. Son accent n’est pas d’ici. Pourtant, c’est le
même mec qui nous a donné les adresses tout à l’heure.
– Qui êtes-vous ? nous interroge-t-il.
– Je savais bien que tu étais suspect, sourit Alice.
Elle est devant moi, mais je peux quand même détecter son sourire dans sa voix.
Je la connais trop bien. Cette intervention a le mérite de nous calmer et de faire
redescendre la pression.
– Sortez votre passeport, exige l’homme.
Alice rengaine son arme. Elle fout quoi ?
– Laisse-moi deviner. Accent français, accent kosovar, anglais correct. Rémy ?
Le mec ne tressaille pas. Presque pas. Je peux voir son front légèrement se
froncer ainsi qu’un muscle de sa joue se contracter. Alice sort sa carte d’agent et
lui la tend. Il l’attrape, la regarde et sourit, moqueur.
– Alors, c’est vous qui me cherchez ? Vous savez que vous foutez la merde ? Ma
couverture ne va pas tarder à sauter si vous continuez, bordel ! rage-t-il.
– Elle ne doit pas être bien solide, ta couv, si t’es à deux doigts de te faire
choper, se moque Alice.
– Je te rappelle que les touristes se font rares à cette période de l’année, et que
mon boss a vécu aux États-Unis !
– Mais il ne nous connaît pas. Et nous sommes les seuls à sortir. Les autres
restent à l’abri.
– Ils ont intérêt. Je pense que vous ne mesurez pas l’impact de ce groupuscule.
– Certainement. Mais on n’aura pas d’autre choix que de les affronter.
– Ouais… Restez loin de tout ça, c’est un conseil.
– Écoute-moi bien, mec, m’interposé-je entre Alice et ce Rémy. On a une amie à
ramener. Et on le fera. Ta couverture, t’as intérêt à la renforcer. Parce que ce ne
sera pas notre problème. Tu nous aides ou pas, je m’en cogne. Intègre-le bien !
Nous ne sommes qu’à quelques centimètres l’un de l’autre. Nous nous
affrontons du regard, littéralement.
– OK, les gars, on remballe la testostérone et on se détend. Rémy, tu le veux, on
veut notre amie. On est prêts à t’aider, autant que nous pourrons. Mais non, on
ne restera pas à l’écart. Parce que j’ai deux anciens agents qui sont prêts à tuer
tout ce qui se mettra sur notre chemin. Et non seulement ils sont inarrêtables,
mais en plus, je ne les arrêterai pas.
Rémy semble comprendre, enfin. Il observe Alice, puis lâche.
– T’as une sacrée paire de couilles pour une nana, toi ! Je t’aime bien.
Ouais, moi, je t’aime pas, mec.
– Ces gars ne sont pas des rigolos. Allez faire un tour à l’est de la ville. Je pense
que vous pourrez continuer à faire vos petites affaires en fait, lâche-t-il en
s’éloignant.
– T’as toujours la liste ? demandé-je à Alice.
– Oui, on rentre, je l’envoie à Ted et il nous trouve le lieu où est retenue Anila.
– Oui, j’en ai bien l’impression.
– On rentre. Et les pelles, tout ça, c’était juste pour noyer le poisson. Pas la peine
de t’emballer, lâche-t-elle.
Je lâche un rire moqueur, enfourche ma moto et rentre au motel. Décidément,
cette fille est vraiment imprévisible et surprenante.
Chapitre 23

Gonz

Bon sang, ils sont partis depuis combien de temps ? J’ai la sensation que le
temps ne passe pas, qu’il reste bloqué et que chaque minute dure une éternité.
Mais quand est-ce que ce cauchemar va s’arrêter ? Nous sommes ici depuis deux
jours, mais putain ! C’est trop long ! Beaucoup trop long ! Je n’ose imaginer ce
qu’ils lui font. Bien que tout le monde me rassure en me disant qu’ils ont besoin
d’elle, je ne peux me résoudre à rester calme. Je tourne en rond dans la chambre.
– Sans déconner, Gonz, je sais que c’est dur, mais tu vas faire un trou dans le sol.
– Je m’en cogne, putain ! ragé-je.
J’attrape ma veste en cuir et commence à sortir. Il faut que j’agisse. Sauf que
Finn se lève et referme la porte avant que je n’aie le temps de la franchir.
– Tu vas où là ? me demande Finn avec un regard noir.
– Prendre ma bécane et fouiner !
– Putain, mec, tu sais très bien que ce n’est pas possible ! On a envoyé Mike et
Alice parce qu’ils ne sont pas connus des Kosovars. Mais nous, si ! Ils ont
sûrement des dossiers sur tout le monde !
– Je m’en cogne ! Laisse-moi passer !
Mes nerfs sont à vif, je bous. Je sais qu’il a raison, mais je ne peux pas me
résoudre à attendre.
– Je suis armé. Qu’ils viennent me chercher. Je me ferai un plaisir de les
descendre un par un ! rugis-je.
Finn me repousse brutalement et je hausse les sourcils.
– T’es prêt à rester ici sans rien faire alors que ta sœur est détenue quelque part
dans le coin ?
– Non, crois-moi, je rêverais de pouvoir les buter les uns après les autres ! Mais
putain, Gonz ! Réfléchis deux minutes ! Quand on était agents, on était clean, on
avait la tête froide, toujours. Il faut qu’on reste calmes pour pouvoir être
efficaces. S’ils nous tombent dessus, les gars feront quoi, hein ? Deux de moins,
c’est énorme ! Surtout qu’on ne sait pas combien ils sont, eux !
– Je peux plus, putain, Finn ! On ne sait pas ce qu’ils lui font, on…
Des coups frappés à la porte nous interrompent. Tina entre, suivie de Mass.
– Il se passe quoi ici ? nous demande-t-il. On vous entend dans tout le motel !
Vous voulez nous faire remarquer ? râle-t-il.
Il fait claquer la porte derrière lui.
– Si t’as besoin de te défouler, va courir ! Mais reprends-toi ! assène Mass.
D’autres coups retentissent. Tina va ouvrir la porte et cette fois, ce sont les
Britishs qui arrivent.
– On a eu une réponse des services français. Ils ont prévenu leur agent. Il doit
être en ville, à la recherche d’Alice et Mike.
– Une première bonne nouvelle, bougonné-je.
– C’est bon, mec, ils vont rentrer et ça va bouger, lâche Mass.
– J’espère.
– D’après ses patrons, Rémy est une pointure. Il va les trouver, tente de me
rassurer Fiona.
Ouais. Pointure ou pas, il a intérêt à les trouver ! Parce que si c’est moi qui le
trouve, je lui fais bouffer ses dents. Tous restent dans notre chambre. Je me doute
que c’est pour me museler aussi. Ma rationalité s’est fait la malle. Impossible de
prévoir tant que Mike et Alice ne sont pas de retour. Il a intérêt d’être efficace, le
taulard, on a besoin de tout le monde. Et même s’il était excellent agent, je ne
sais pas s’il a gardé ses capacités après tout ce temps en prison. Comme je parle
de lui, j’entends une moto. Sa moto. On apprend à reconnaître les moindres
bruits. Ils sont de retour. Je me lève du lit, mais Finn m’ordonne de me calmer
d’un geste silencieux. J’attends qu’ils viennent nous rejoindre immédiatement,
mais ce n’est pas le cas.
Pourtant, ils ne traînent pas, apparemment. Alice rentre, sa tablette à la main, et
le téléphone collé à l’oreille.
– Ouais, c’est ça. C’est bon ? Tu as la liste ?
À qui parle-t-elle ?
– Attends, je suis avec tout le monde, je te mets sur haut-parleur.
– OK. Salut tout le monde.
– Salut, Ted, lâchons-nous tout en même temps.
Alice prend les rênes de l’entretien. Elle épelle des noms de villes, afin que Ted
ne se plante pas lors des recherches.
– J’ai tout. Je lance le navigateur, je te rappelle dès que j’ai la réponse. Le plus
vite possible.
– Super, merci, Ted.
Puis Alice raccroche. Encore à patienter sans pouvoir faire quoi que ce soit ! Je
vais devenir dingue !

Ted

J’ai été confronté à beaucoup de situations compliquées, mais celle-ci est encore
différente.
C’est la première fois qu’une personne aussi proche de moi est touchée. Chase et
Harri sont rentrés de mission hier matin, après une planque merdique, et lorsque
je les ai mis au courant, ils se sont immédiatement rendus dans l’appartement où
Tina et Mass ont trouvé tous les indices qui ont mené l’équipe au Kosovo. Les
relevés d’empreintes ont montré que plusieurs hommes activement recherchés en
Europe étaient ici. Ainsi qu’Anila. C’est au moins une certitude. Des traces de
drogue. En fait, nous avons retrouvé des plants de Datura-Stramonium. Une
plante hautement hallucinogène, mortelle lorsqu’on l’utilise à forte dose.
D’après les indices restants, elle aurait été droguée à petite dose, sous forme
d’infusion. Chase a émis l’hypothèse que les doses ont été progressivement
augmentées, et qu’au fur et à mesure, on a administré à Anila plus que cette
infusion. Ce qui fait qu’elle doit être en permanence en train de planer, ou d’agir
comme si elle ne se contrôlait plus, comme si elle n’était plus maîtresse d’elle-
même. J’espère tout de même que la dépendance ne sera pas trop importante…
Ce genre de drogue reste particulier. On ne sait pas comment elle a été utilisée ni
comment Anila réagit.
– OK, les gars. J’ai une liste d’une dizaine d’emplacements susceptibles d’être la
planque de ces tordus. On prend le logiciel et on cherche.
Chacun à notre ordinateur, nous lançons la reconnaissance. L’indice de l’agent
français, c’est que cela se trouve à l’est de la ville. Mais bien évidemment, il ne
nous a pas donné qu’un seul emplacement. Normal. Il brouille les pistes. Ils ont
bien choisi leur planque. Glogovac est à quelques kilomètres de Pristina, la
capitale, et de l’aéroport international. Idéal pour se cacher, fuir, et avoir la
mainmise sur le gouvernement. Nous cherchons, trouvons encore trois
localisations possibles. Puis nous réduisons à deux. Ce n’est que grâce à la
localisation satellite que Chase repère un endroit totalement isolé, au milieu des
bois. De l’activité humaine aussi. Des va-et-vient. Nous les observons encore un
moment, histoire d’être certains. Mais tout se confirme. C’est là. Gradice.
– Ils sont combien là-dedans ? s’interroge Harri.
– Je ne sais pas, il y a beaucoup de mouvements surtout. Il faut qu’on surveille.
Je rappelle Alice et lui explique la situation. J’aime bien cette nana. Elle n’a peur
de rien, et je sens qu’elle est passée par des moments plus que difficiles. Elle me
fait penser à une sorte de Lara Croft. Affutée, sans peur, courageuse. Toujours la
tête froide. Elle va au-devant de tout. Elle affronte.
– Attendez la nuit prochaine, n’agissez pas avant, les préviens-je. Il faut qu’on
analyse les mouvements qui s’effectuent. Je ne veux pas que vous ailliez vous
foutre dedans. Ils sont nombreux, ça bouge. Et boss, sans déconner, reste
tranquille. Dans quarante-huit heures, tout sera terminé.
Je l’entends râler au bout du fil. J’imagine l’état dans lequel il doit être. Ne pas
maîtriser est la chose la plus difficile à gérer dans notre job. Toujours s’en
remettre au destin, à autrui.
Les heures suivantes, nous les passons à analyser l’activité sur place. Au fur et à
mesure que la soirée passe, ça se calme. À croire que les gens y vont comme
s’ils allaient sur un lieu de culte. On note une réunion, comme un
rassemblement, le matin. Dans l’après-midi, quelques visites, mais rien de
comparable. À la tombée de la nuit, plus grand-chose ne bouge. Ça me paraît
être le bon moment. Il est vingt heures là-bas, je préviens Alice.
– Bien. Merci pour tout, Ted, me répond-elle.
– Prenez les lunettes thermiques. Elles vous serviront. Je vous envoie la photo de
Rémy, l’agent sous couverture. Tu la distribues aux autres, histoire qu’ils ne
l’abattent pas ! Pas d’incident diplomatique, s’il vous plaît.
– On va tout faire pour. Je te laisse, les fauves ne demandent qu’à être lâchés.
– Bon courage. Rentrez tous, et surtout, rentrez entiers.
Elle raccroche et Chase et Harri me regardent, inquiets.
– Ils ne vont pas faire de conneries ?
– J’en doute, réponds-je. Ça reste la femme du boss et la sœur de Finn. Si j’étais
à leur place, je serais capable de rentrer avec une kalachnikov et tout bousiller.
– On n’a plus qu’à croiser les doigts, conclut Harri.

Alice

Aussitôt ai-je raccroché avec Ted que deux paires d’yeux me fixent, rageux,
prêts à tout détruire.
– Équipez-vous, leur indiqué-je. On se retrouve ici dans dix minutes. Et pas de
conneries, vous deux.
Chacun retourne dans sa chambre, et nous prenons ce dont nous avons besoin.
Mike est avec moi, et même s’il est encore considéré comme détenu par les
autorités américaines, je ne vais pas hésiter à lui filer un Glock, ainsi qu’une
arme de poing. Il a toujours été bon en corps à corps. J’ai confiance en lui. Parce
que son instinct d’agent est toujours là. Il me l’a montré hier soir lors de notre
sortie en ville. Il était bon comédien, la preuve, il a berné quatre des meilleurs
agents du pays. En revanche, ce baiser… J’essaie de le garder loin de ma tête, de
mon cœur, mais il m’atteint plus qu’il ne le devrait. Je sors mon artillerie de
dessous mon lit.
– Tu sors toujours aussi équipée ? me demande Mike.
– Juste quand je pars en mission, réponds-je.
Je lui tends le Glock, il me regarde, un sourcil élevé.
– T’as fait tes preuves et honnêtement, j’ai confiance en toi. En tout cas, sur le
terrain. Autant que tu sois utile.
Il accepte l’arme, puis je lui donne un couteau de survie, qu’il glisse dans un
holster à son mollet. Pour ma part, je récupère mes deux beretas, mes couteaux
de survie et ma carabine longue portée, ainsi que deux silencieux.
– J’avais oublié à quel point tu avais l’air dangereuse avec ton attirail, me sourit
Mike.
– Tâche de t’en souvenir ! lâché-je avant de quitter la chambre.
Heureusement pour nous, nos armes sont dissimulées, et le motel est vide ou
presque. Nous sommes tous devant nos motos, et je suis la seule à avoir les
coordonnées exactes de là où se trouve Anila. Ted me les a envoyées peu de
temps après avoir raccroché. Je les ai transmises également à Fiona et Rob. Ils
ont la tête sur les épaules. Mais mes deux anciens coéquipiers sont beaucoup
trop touchés, de trop près, pour rester calmes et lucides. Surtout Finn. Autant
Gonz a pété un plomb et je sais qu’il est instable, autant Finn… Il n’a rien dit. Et
s’il a toujours été maître de lui-même lorsqu’il a eu à protéger Ava, je doute qu’il
reste aussi posé pour sa sœur. Je pense qu’il se sent responsable de tout ce qu’il
se passe. C’est lui qui l’a ramenée ici. Sans lui, tout ça ne serait pas arrivé.
Les bécanes démarrent dans un nuage de poussière et nous prenons la route.
Lorsque je m’arrête, environ vingt-cinq minutes plus tard, nous sommes à l’orée
d’une clairière. Mais je sais déjà que derrière ces bois se cachent Anila et ses
geôliers.
L’endroit est parfaitement choisi, on ne peut pas le leur reprocher. Proche des
routes, une zone pour atterrir et décoller, assez isolé tout de même. La nuit est
tombée et le silence règne. Cette absence de bruit me file une montée
d’adrénaline. J’aime ça. C’est dans ces moments-là que je suis la plus efficace.
La plus dangereuse. Mortelle. Imbattable.
Chapitre 24

Gonz

Enfin ! Enfin, bordel ! Je m’équipe plus rapidement que je ne l’ai jamais fait, et
Finn en fait de même. Lui comme moi, nous n’attendions que ça. Nous restons
silencieux. Comme avant chaque mission. Et pas n’importe quelle mission, cette
fois. La femme de ma vie. L’une des femmes de la sienne… Et nous ferons tout
ce qu’il faut pour la récupérer. Pour qu’elle reprenne sa place parmi nous.
Nous sommes les premiers arrivés à nos bécanes. Les autres arrivent rapidement.
– OK, on va où exactement ? demandé-je.
– Tu me suis et tu restes sur la route, lâche Alice.
– Comment ça ?
– J’ai les coordonnées exactes, mais je ne te les donnerai pas. Tu me suis.
Elle a déjà mis son casque et enfourché sa moto avant que je ne puisse répondre.
Merci, la confiance règne ! Nous la suivons, et roulons une bonne vingtaine de
minutes avant d’arriver dans une sorte de petite plaine. Un peu plus loin, une
forêt assez épaisse.
– OK.
Tout le monde se rassemble autour d’Alice.
– Ce sont les prises de vues aériennes avec les coordonnées exactes de
l’emplacement. Fiona, as-tu des nouvelles des services français ?
– Pas encore, mais…
Elle regarde sa montre et reprend.
– Ils devraient me contacter d’ici deux minutes, maximum.
– Parfait.
On dirait bien que ces deux-là se sont bien organisées derrière notre dos. Je ne
peux pas les blâmer, elles restent professionnelles là où moi je ne vois pas une
victime, mais la femme de ma vie en danger. Je bous d’impatience. Je veux
rentrer, tout niquer, tout brûler, la récupérer et la ramener. C’est tout ce qui
m’importe. Pourtant, le peu de raison qu’il me reste me canalise. J’écoute les
ordres d’Alice. Si Ted lui fait autant confiance, c’est qu’elle sait comment gérer.
Le téléphone de Fiona se manifeste, elle s’éloigne légèrement pour répondre.
Les services français.
– On va se diviser en groupes, pour couvrir le plus de surface possible, reprend
Alice. Finn et Gonz, Mass et Tina, Fiona et Rob et Mike et moi. Vous deux, nous
fixe-t-elle, vous n’avez pas intérêt à jouer les cow-boys. Ce n’est pas le moment,
et on a Anila à protéger.
Nous acquiesçons d’un hochement de tête.
– Vous êtes tous équipés ?
– Oui, validons-nous tous en chœur.
– Bien. On va mettre nos montres à la même heure, pour qu’on soit synchro.
Une fois les derniers réglages faits, Fiona nous rejoint.
– Deux hélicos se trouvent à deux minutes à peine d’ici, temps de vol. Ils sont à
notre disposition pour l’extraction. Ils ne décolleront pas simultanément, au cas
où il y aurait une urgence. Je vous envoie sur vos téléphones le portrait de Rémy,
l’agent secret français. Ainsi que les têtes des deux plus recherchés, Milos
Mirkovic et Davor Marian.
Nous recevons les photos, prenons le temps de les mémoriser, nous n’aurons pas
le luxe de les consulter lorsque nous serons face à eux.
– Ils ont un mandat d’arrêt sur leurs têtes dans quasiment toute l’Europe. On les
soupçonne de manigancer une extermination de ceux qui s’opposent à leurs
idées. Il y a eu des pseudo-accidents, des suicides déguisés.
– Il les faut vivants ou morts ? demandé-je.
– T’as carte blanche, me sourit-elle.
Je hoche la tête. Ça me va. Je vois Finn esquisser un rictus vengeur à ma droite.
Bien. Nous sommes sur la même longueur d’onde.
Un second message arrive sur nos téléphones.
– Les coordonnées exactes, nous explique Alice. Il y a environ un kilomètre
carré à couvrir. Soyez vigilants, prudents aussi. On se retrouve ici quand tout est
bouclé. J’imagine que Gonz et Finn vous voulez y aller directement ?
– T’imagines bien, lâché-je.
– OK. Tina, je crois que t’es pas mauvaise au tir de loin.
Tina valide en silence.
– Bien, nous resterons un peu en arrière si besoin. Et Fiona et Rob, vous serez en
soutien de Finn et Gonz. Si besoin, vous demandez de l’aide, vous ne faites pas
les cons ! On vient à huit, on repart à dix, pas moins.
C’est bien mon intention. Nous installons nos oreillettes, faisons les tests de
communication, et une fois que tout est validé, nous nous apprêtons à y aller.
– Il est vingt et une heures trente-sept, nous y allons. Faites attention à vous.
Alice s’approche de moi et me serre brièvement dans ses bras.
– Ramène-la vivante. Mais rentrez entiers aussi, me souffle-t-elle à l’oreille.
Elle repart sans un regard en arrière. Ses mots m’ont galvanisé et, Finn et moi,
nous nous mettons en marche. La nuit est assez claire, ce qui nous permet
d’avancer assez facilement. En revanche, à l’approche de l’orée du bois, nous
sommes sur nos gardes.
– Il y a un truc, souffle Finn. Je ne le sens pas…
Il a toujours eu cet instinct plus sensible que nous tous réunis. J’espère qu’il se
plante… Nous avançons plus prudemment, mais un gémissement sur ma droite
me stoppe. D’un geste instinctif, j’attrape le bras de Finn qui se fige. Je désigne
mon oreille et il écoute aussi. Un second gémissement se fait entendre. Nous
approchons lentement, en silence. Il suffit que ce soit un guet-apens…
– Putain, c’est le Français ! s’exclame Finn. Rémy ? Agents Finn McDougall et
Alejandro Gonzalez. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Vu comme il est amoché, je ne pense pas qu’il réponde. L’œil gauche plus que
gonflé, les arcades explosées, le nez en sang, certainement des côtes cassées et
une balle dans la cuisse. Pas très loin de la fémorale d’après ce que j’observe.
– Finn à Rob et Fiona. On a besoin de renfort ici.
Il indique notre position, et nos homologues anglais arrivent rapidement.
– Putain, grogne Rob. OK, mon gars, je vais regarder ta jambe.
– Continuez, nous lance Fiona, les autres vont vous couvrir.
– OK.
Nous repartons, plus déterminés que jamais. Ces gars sont partout. Un de leur
contact en ville a dû le balancer. Je prends vraiment conscience que ce n’est pas
juste un groupuscule qui diffuse ses idéaux. C’est une secte. Ils ont des yeux, des
oreilles dans tout le pays.
Rapidement, nous traversons le bois et nous trouvons une ancienne usine
désaffectée. De la lumière s’échappe du peu de fenêtres qu’il y a.
– Alice à Gonz. On n’est pas loin, on fait le tour pour voir les possibilités
d’entrée.
– OK. Tina et Mass ? demandé-je.
– Position nord. Il n’y a rien par ici, hormis une fenêtre cassée. On va voir de
plus près.
– Tina, faites gaffe.
– T’inquiète, boss.
Nous coupons la communication. De notre côté, rien. Pas d’entrée possible.
– Ici, me dit Finn en me donnant un coup de coude.
Il désigne une trappe métallique au niveau du sol. Nous nous approchons en
silence. Finn s’agenouille et essaie de la déverrouiller. Elle ne nous résiste pas
longtemps et surtout, elle ne grince que très légèrement. L’ouverture n’est pas
très grande, mais suffisante pour nous. Je passe en premier et Finn me suit
directement. Le passage n’est pas large, il nous faut ramper péniblement. Un peu
comme les commandos. Je ne sais pas combien de temps nous avançons. Mais
c’est trop long, putain ! Nous avons mis nos lunettes thermiques avant d’entrer et
finalement, devant moi, se trouve une petite porte qui donne sur une pièce. Pas
très grande. Quelques mètres carrés, tout au plus. Personne dedans.
Silencieusement, nous sortons de ce tunnel étroit.
– Il était temps, râle Finn derrière moi.
– Alice, murmuré-je dans mon oreillette, t’as des plans des lieux ?
– Non, me répond-elle. Mike et moi restons en retrait. On les a repérés sur la
zone Est.
Pas facile de nous guider à distance.
– Attends, je t’envoie les coordonnées GPS.
Je les reçois quelques secondes plus tard. Finalement, je les localise rapidement.
– Ils sont là, Finn.
Il me jette un regard, comme rarement il a eu jusque-là.
– Allons-y. Ramenons-la.
Je hoche la tête. C’est parti.
– C’est Mass, entends-je sans mon oreille. On n’est pas loin, de l’autre côté. Ils
seront en sandwich. Ils ne nous échapperont pas.
– Certainement pas. Communication coupée, nous avançons.
Nous sortons de la pièce où nous étions, un couloir nous mène sur la droite. Puis
à gauche et encore à gauche. Finalement, des voix se font entendre, une langue
que je ne connais pas. Et parfois, un anglais teinté d’un accent très local.
– Elle est bientôt prête. Tout le monde l’attend. Notre princesse va reprendre la
place qui lui est due.
– Et la nôtre. Regarde-la. Elle est parfaite.
Je serre les poings et je sens que Finn est autant à cran que moi.
– Il y a de l’action, chuchote Alice dans mon oreille. On s’en occupe. Attendez
avant d’agir.
Je scanne les alentours, mais ne détecte pas d’autre présence que la nôtre.
– C’est réglé. Mass ?
– RAS ici, murmure-t-il en réponse. Non ! Attendez ! Trois personnes arrivent
dans la salle où sont Anila et les deux autres.
– Boss…
Le bruit sourd de corps qui tombent au sol se fait entendre. Les conversations se
coupent. Tina a encore frappé. Elle a les mêmes compétences qu’Alice. Efficace.
– C’est le moment, lance Alice dans l’oreillette.
Chapitre 25

Anila

J’adore l’endroit où je suis. C’est tellement chaleureux ! Davor et Milos ont


fait de cette maison atypique un véritable havre de paix, de joie surtout ! Ils me
traitent comme une reine. Oups, c’est vrai, j’en suis presque une ! La décoration
est colorée, j’adore ! Ce cadre, là, sur le mur jaune pâle, où une licorne s’envole,
sa queue forme un arc-en-ciel, je l’adore ! Ici, c’est vraiment rempli de bonne
humeur, de lumière et de couleur ! J’adore !
Je me sens bien. Ici, je fais ma petite vie, tout en ayant cette sensation de flotter.
C’est génial, cette légèreté.
Depuis quelques heures, je ne dors plus en permanence. Davor m’a expliqué que
j’étais très fatiguée par le décalage horaire dû au voyage. Après tout, cela faisait
bien longtemps que je n’avais pas autant dormi. À croire que j’avais vraiment
besoin de repos.
J’ai la tête un peu lourde, mais agréablement. Cette impression de vivre au-
dessus de tout, de vide aussi dans mon esprit, de ne pas avoir à m’inquiéter.
Comme si j’avais la capacité d’être innocente, de ne pas penser en fait. C’est
assez… agréable. Oui, c’est le mot ! Ça me change de l’ancienne vie que j’avais.
Je me rappelle vaguement quand Milos m’a annoncé ma véritable identité. Une
princesse ! J’en rigole encore. Pourtant, la maison où je suis n’a rien d’un palais.
Ils m’ont expliqué que le peuple allait être surpris de mon retour alors il fallait se
faire discret. Et puis, des méchants m’en voudraient et je serai en danger. Je
pourrai me faire à cette vie, ici ! C’est super joyeux ! J’ai hâte de devenir
princesse. En fait, ma vie est un conte de fées. Quand j’étais petite, je voulais
faire princesse plus tard. C’est génial ! Davor et Milos sont très gentils avec moi,
et nous avons souvent de la visite. Des gens qui veulent me rencontrer, parce
qu’ils avaient hâte de me voir. Ils m’attendaient depuis longtemps, visiblement.
J’adore ! On m’aime !
Finalement, ma vie ici est parfaite, je n’aurais pas pu rêver mieux !
Chapitre 26

Gonz

Finn et moi entrons, la porte métallique grince et annonce notre arrivée. Deux
hommes sont au milieu de la pièce, et trois corps se trouvent derrière eux, sans
vie, une balle entre les yeux. Vraiment efficace, Tina. Nos Glocks dégainés, nous
les tenons en joue. Je cherche Anila du regard. Elle n’est pas très loin, mais on
dirait qu’elle ne nous a pas entendus. Comme si elle était dans son monde.
– Ani ? l’appelé-je.
Son absence de réponse confirme ce que je pense. Finn tente de s’approcher
d’elle, mais les deux hommes entourent Anila rapidement, et l’un d’entre eux
l’attrape par le bras. Il la malmène et, putain, je me revois des années en arrière
avec ma sœur et son connard d’ex. La rage qui m’habite monte encore et encore,
elle me possède. Je fais un ultime effort pour me contrôler. Finn me dévisage. Il
est dans le même état que moi.
– Eh bien. Vous avez été rapides, crache Milos. Nous vous attendions plus tard.
– Désolé de contrecarrer tes plans, mais je n’aime pas vraiment être en retard !
Un rictus mauvais, moqueur, pervers, s’affiche sur le visage du leader.
– À mon grand désarroi. Mais il est tard. Un peu trop tard.
Le second mec, Davor, regarde Anila, et mon regard se pose sur elle de nouveau,
même s’il ne l’a jamais vraiment quittée. Elle sourit bêtement. Putain, ces
connards l’ont vraiment droguée, et elle est sous contrôle. Elle ne réagit pas.
Finn et moi avançons, ils la tirent par le bras, la bousculant, et elle rigole. Elle
est dans son monde.
– J’ai un visuel, c’est quand vous voulez.
Alice est en position, je ne sais où, mais même à plusieurs centaines de mètres,
elle est capable de les avoir.
– Deux minutes, marmonne Finn.
– Sergent McDougall, quelle bonne surprise ! Alors, qu’est-ce que ça vous fait
de revenir ici après vingt ans dans votre petit confort ? Ça a bien changé, n’est-
ce pas ?
– Le pays s’est reconstruit, je le reconnais, lui répond Finn. Mais à quel prix ?
– À quel prix ? Le retour de la royauté ! Une époque prospère où le Kosovo était
libre, où il n’y avait que nous, et pas toutes ces minorités !
– Minorités que vous entraînez dans votre délire, Mirkovic. Vous êtes bien
content de les avoir dans votre poche ! Pour espionner, par exemple. Ou vous
enrichir. Plus aucune royauté actuelle n’est gouvernée par le souverain. Et c’est
ça qui vous perdra !
Un rire sardonique retentit.
– Croyez-moi, nous sommes assez au fait des monarchies et autres
gouvernements. Vous pensez vraiment que votre président à perruque orange est
digne de gouverner le monde ? Parce que c’est ce qu’il imagine faire ! Vous êtes
assez mal placés, Messieurs, pour nous dire ce qui est mieux ou pas, lance
Davor, resté jusque-là assez silencieux.
– De plus, reprend Milos, imaginez-vous les crimes que vous avez commis,
sergent ? Enlèvement d’enfant, une princesse de surcroît ! Le trafic d’enfant est
interdit par la loi. Américain ou pas, vous n’êtes pas au-dessus des lois !
– Je ne savais pas ! s’écrie Finn. Ce n’était qu’une petite fille orpheline qui m’a
supplié de ne pas la laisser derrière moi !
– C’est si facile. La parole d’un sergent contre celle d’une fillette, qui ne parlait
même pas la même langue que vous.
Milos prend un malin plaisir à provoquer Finn, qui arrive au bout de sa patience.
– On n’est pas là pour débattre de ce qu’il s’est passé il y a vingt ans, Mirkovic.
– Pourtant, c’est à cause de ça si on en est là. Sans ce kidnapping, qui porte
tellement bien son nom, Anila serait sur le trône. Et notre pays se serait relevé de
cette guerre plutôt que plongé dans le chaos ! Tout le monde a voulu nous
contrôler, tout le monde a voulu régner. Nous avons été envahis d’étrangers, de
minorités déjà présentes, mais qui voulaient revendiquer leurs droits, leurs
statuts ! Nous avons vécu la misère, dans une misère sans nom ! Si mon « père »
avait fait son job, s’il n’avait pas été assassiné, il aurait pu sauver notre nation !
Il devait être couronné et placé sur le trône quelques semaines après que la
guerre a éclaté. Si cet idiot n’avait pas été crier sous tous les toits qu’il était le
prince héritier, jamais il n’aurait connu une telle fin ! Mais non, il a voulu se
montrer, être droit et honnête !
Au fur et à mesure de son monologue, lui aussi se remplit de colère. Ses yeux
rougissent, ses joues également, ses traits se tirent. Il a une rancœur
profondément ancrée en lui. Je m’en cogne de ses états d’âme. Ce que je vois,
surtout, c’est que plus il monte en pression, plus il met Anila en danger. Et nous
tous également. La différence, c’est que nous sommes armés.
– Je comprends votre position, et nous en sommes désolés. Mais est-ce utile
d’agir ainsi ?
– Nous n’avons pas le choix ! s’écrie Davor. Cette merde est arrivée à cause de
vous, les Américains ! Si vous n’aviez pas le besoin de foutre votre nez dans les
affaires de tout le monde, nous n’en serions pas là ! Vous et votre besoin de
sauver le monde, de dominer le monde ! Vous ne valez pas mieux que nous !
Ils deviennent dangereux. Vraiment dangereux. Et j’ai à peine le temps de voir
une pointe de lame briller que Davor s’écroule au sol, une balle dans le crâne.
Alice a vu le danger avant nous. Putain ! Dehors, des bruits de tirs retentissent.
C’est le chaos. C’était calme, jusqu’à présent. Que se passe-t-il ?
– Mettez-vous ça dans le crâne, Messieurs. Si nous ne pouvons pas l’avoir, vous
ne l’aurez jamais !
Il pousse Anila devant lui, le regard toujours vide, et arme son flingue. Il
s’écroule, mais il n’est pas le seul. Anila…

Massimo

– Mass, c’est Rob ! Rémy est out, on va l’évacuer. Par contre, ça approche !
Je…
– Rob ? Rob ?
Tina me regarde, les yeux grands ouverts.
– Je ne sais pas, lui réponds-je à sa question silencieuse. La communication est
coupée !
– Putain ! Alice, tu es là ?
– Oui, Tina, je t’écoute.
– Rémy est out, ils vont l’évacuer, mais Rob ne répond plus.
– Merde. Attends, je tente et je te tiens au courant.
Heureusement qu’elle a isolé les lignes et couplé nos deux oreillettes. Je ne sais
pas ce qu’il se passe à l’intérieur. J’ai l’impression que c’est assez calme. C’est
curieux. Comme si leurs gardes étaient autour du bâtiment. Système de défense à
l’ancienne. Mais qui va bien nous faire chier.
– Mass, Tina, Mike va rejoindre Rob, Fiona et Rémy. Je me débrouille ici. En
revanche, il va falloir vous déployer. Tenez-moi au courant.
– Bien. Fais attention, Mike, réponds-je.
– Merci.
Les communications coupent. Tina a toujours le nez dans sa lunette. C’est une
tireuse redoutable.
– Bien joué, Alice, murmure-t-elle.
Grâce aux jumelles que j’ai prises avec moi, je peux voir le résultat du fusil
d’Alice. Net, sans bavure.
– Ça s’agite, murmure-t-elle. Putain !
Elle se redresse immédiatement. Moi aussi, je… Putain… J’ai vu…
– Non, attends ! Finn ? Besoin de nous ?
– Je… Rapport dehors.
– Compliqué. Ça s’agite.
– Restez dehors, et couvrez-nous.
– Tina, reste ici, avec Alice. Je vais les tenir éloignés avec Mike. Alice, reçu ?
– Reçu, me répond-elle.
– Mass… Fais attention, s’il te plaît, souffle Tina.
– Ça ira, ne t’en fais pas pour moi.
Je l’embrasse tendrement sur le front. Les moments difficiles nous rapprochent,
quelles que soient les circonstances. Je m’éloigne le plus silencieusement
possible.
– Mike, soufflé-je. Où es-tu ?
– Pas loin de l’entrée du…
Sa voix est étouffée par des coups. J’entends comme un combat à distance. À ma
gauche, une branche craque. Comme à mon habitude, je me mets en position et
attaque en premier. Je ne reste jamais en mode défense. Je déteste ça ! L’homme
est un peu plus fin et petit que moi, mais il est hargneux. Ce qu’il ne sait pas,
c’est que je suis le meilleur, et je ne fais pas dans le détail. Après de multiples
coups, il sort une arme, mais je le poignarde dans le ventre avant qu’il n’ait pu
l’armer. Une balle frôle mon bras et l’égratigne. Putain, l’enculé. Il m’a quand
même eu !
– Mass ?
– Ouais, Mike.
– J’approche de Rob et Fiona. Ils sont bien amochés, mais ils sont vivants. C’est
une boucherie ici.
– OK, j’arrive dans quelques minutes. Le temps de…
Un coup sur ma nuque me sonne. Bordel, mais ils sont combien ? Je me relève
péniblement, tandis que je sens le canon d’une arme dans mon dos. Manquait
plus que ça ! L’homme grogne quelques mots dans une langue que je ne connais
pas. Lentement, je lève les mains, comme si je me rendais. Mais je le prends par
surprise. Son arme vole, et je lui assène quelques coups de poing bien placés.
Voilà. Il va dormir pour quelques heures. En fait, ce sont des novices. Ils ont une
arme, pour faire peur, faire fuir. Mais ça ne vaut rien ! J’arrive quelques instants
plus tard auprès des Anglais et de Rémy.
Mike est déjà en train de soigner les deux agents alors que je contemple les
alentours. Ils ont dû dégommer une bonne quinzaine d’hommes. Je suis
impressionné. Rob a quelques hématomes au niveau du visage, alors que Fiona
semble souffrir au niveau des côtes.
– Ne bouge pas, lui indique Mike en essayant de la soulager d’un bandage.
– Ted ? Ted, tu m’entends ?
– Je te reçois, Mass.
– OK. Scanne la zone s’il te plaît. Dis-moi si on a encore de la compagnie.
Quelques secondes plus tard, Ted me répond.
– Non. Ceux que je vois sont inactifs. J’imagine que vous vous en êtes occupés.
– Oui.
– Ça donne quoi ?
– Le Français est à terre, les Britishs sont bien amochés, mais ils se sont bien
battus. Anila était touchée quand j’ai quitté ma position.
– OK. J’appelle l’hélico. Il sera là dans moins de cent vingt secondes.
– Bien. J’attends, et j’y retourne.
Effectivement, environ une minute et demie plus tard, un hélicoptère est en
approche.
– Salut tout le monde, agents Morris et Beaulieu. On s’occupe de tout.
Mike prend le relais et explique la situation des agents blessés.
– OK. D’autres blessés ?
– Oui, mais je ne sais pas encore sur quel degré. Et ce n’est pas accessible en
hélico, interviens-je.
– Bien. Appelez-nous si besoin, on est tout près.
– Merci. Mike ?
– J’arrive.
Mike et moi repartons en direction de l’entrepôt.
– Tina ? C’est moi.
– Oui, je suis là.
Sa voix n’est pas aussi certaine que d’habitude. Bon sang, que se passe-t-il ?
– Eh, ça va ?
– Je… Rejoins-moi à l’intérieur, lâche-t-elle avant de couper.
Anila… Et si Anila était… Bordel ! Nous accélérons et arrivons en un temps
record. La scène que j’ai sous les yeux me détruit…
Chapitre 27

Tina

Cette mission n’est pas comme les autres. C’est une certitude. Dès le départ, je
me suis enveloppée d’une carapace plus épaisse qu’à l’habitude. Mass m’a
laissée seule, sans aucun problème. Parce qu’il me connaît, qu’il sait que je suis
capable de me défendre en cas d’attaque, au corps à corps ou à distance. Et en
effet, je n’ai pas eu longtemps à attendre. Trois hommes ont surgi derrière moi,
et il a fallu que mes sens soient vraiment en éveil pour me protéger. Une balle
dans le ventre pour le premier, le second m’a désarmée, mais mon couteau de
chasse m’a sauvée et le troisième m’a donné plus de fil à retordre. Lourd, fluide,
et robuste. J’ai fini avec une arcade ouverte et une épaule démise. Plus quelques
bleus un peu partout sur le corps. Rien de grave comparé à ce que j’ai pu vivre
auparavant. Mon passé m’a endurcie. En revanche… Mass et moi sommes
connectés via notre oreillette. Ce qui signifie que j’entends tout. Vraiment tout.
Le laps de temps où il était silencieux, après avoir commencé son combat lui
aussi m’a totalement angoissée. Je me suis revue, il y a quelques années de ça,
au front, avec… Garry. J’ai beau me convaincre de laisser ça derrière moi, je n’y
arrive pas. Mass n’est pas Garry. Le Kosovo n’est pas la Syrie. En revanche, une
arme reste une arme. Et ça, on ne peut rien contre. J’essaie de garder les bons
souvenirs de Garry vivaces, mais c’est tellement difficile de ne pas faire des
cauchemars… Cependant, dernièrement, j’ai remarqué qu’ils se faisaient plus
rares. Mais Garry était remplacé par Mass. C’est là où j’ai compris que mes
sentiments à son égard étaient bien plus importants que je ne voulais me
l’avouer. C’est à partir de ce moment-là que j’ai pris mes distances. Je… Je ne
suis pas prête. Je ne veux pas revivre ce que j’ai vécu. Ça fait trop mal. J’essuie
une larme solitaire qui roule sur ma joue et me reprends. Je m’interdis de pleurer.
Signe de faiblesse. Et ça n’apporte rien.
Lorsque tout a été calme, j’ai pu avancer et rentrer dans le bâtiment. La zone
était sécurisée, je voulais simplement m’en assurer. Je suis arrivée par l’entrée
principale, alors qu’Alice est entrée par une porte, à mon opposé. Nous nous
jetons un coup d’œil au-dessus de la scène que nous avons devant nous. Gonz,
qui tient Anila dans ses bras, penché sur elle. Finn, en face de lui, qui lui tient la
main. Alice parle dans son oreillette, je m’apprête à en faire de même. J’ai
besoin de lui. Lorsque sa voix retentit dans mon oreille, je respire de nouveau. Il
me contacte.
– Tina ? C’est moi.
– Oui, je suis là.
Ma voix tremble légèrement, je n’arrive pas à la contrôler.
– Eh, ça va ?
– Je… Rejoins-moi à l’intérieur, lâché-je avant de couper.
J’avance encore un peu, mais fatiguée, bouleversée par l’émotion, je me laisse
tomber à terre, à genoux. Je n’entends plus ce qu’il se passe autour de moi. J’ai
l’impression de ne plus contrôler ma tête, mon corps. Jusqu’à ce que deux bras
puissants me soulèvent.
– Je suis là, ça va aller…
Je grimace lorsque je me blottis contre lui. Mon épaule est douloureuse, bien que
j’aie pu la remettre en place rapidement. Mass m’éloigne légèrement, son corps
fait barrière avec le reste du monde.
– Reprends-toi, Tina, ça va aller. Calme-toi.
Sa voix est douce, calme, mais ferme. J’ose croiser son regard quelques
secondes et ce que je vois me bouleverse. Lorsqu’il me repose à terre quelques
instants plus tard, je peux voir l’étendue des dégâts. Lui aussi a eu un combat
difficile. Et son bras saigne. Alors qu’il remarque que sa blessure a attiré mon
attention, il reprend.
– Ce n’est rien. Une égratignure. Les risques du métier. Ça va aller ?
– Ça ira.
Je me ressaisis, essuie mes larmes et fais face aux autres. Alice est déjà vers
Anila, ainsi que Mike. Elle est entourée de ses amis. Rapidement, j’entends le
bruit de l’hélicoptère au-dessus de nous. L’équipe d’extraction est là.
– Les secours arrivent. Ils vont s’en occuper, me signale Mass.
Je le sais, tout ça, c’est la procédure standard, mais me l’entendre dire est tout
autre chose. J’en avais besoin. L’équipe médicale entre et accourt
immédiatement auprès d’Anila et des autres. Je m’approche également.
– OK, éloignez-vous tous, s’il vous plaît.
Finn, Alice et Mike obéissent. Mais pas Gonz. Il faut que Finn et Alice
interviennent pour l’écarter afin qu’Anila reçoive les soins nécessaires. Si c’est
nécessaire…
– Pouls faible, blessure par balle dans le dos, au niveau du cœur, mais balle pas
ressortie, explique rapidement Alice. Elle ne répond pas aux stimulus, et malgré
un point de compression, le saignement ne cesse pas. Difficultés à respirer.
Pneumo plus hémorragie interne, je dirais.
Cette fille m’impressionne un peu plus chaque jour. Après un rapide examen, les
secouristes en déduisent la même chose.
– Elle est trop instable pour être transportée… Son rythme cardiaque baisse
beaucoup trop. On va lui mettre 2 CC d’adrénaline pour la relancer. On verra
après.
Après avoir injecté le médicament, le cœur d’Anila se calme et reprend un
rythme à peu près normal. En revanche, elle continue de perdre beaucoup de
sang.
– Il faut y aller, intervient l’un d’entre eux. Maintenant. Elle est trop faible, et si
on attend plus, elle va y rester.
En un temps record, ils installent Anila sur un brancard et ressortent du bâtiment.
Gonz et Finn vont avec elle, alors que les secouristes nous informent qu’un autre
hélico va venir nous chercher.
– On l’évacue directement, lance celui qui semble être le responsable.
Alice lui fait un topo sur le statut particulier d’Anila.
– Oui, nous sommes au courant. Nous mettrons un agent en plus de vous. Elle ne
risquera rien.
– Et le médecin ?
– J’irai avec elle, je suis médecin urgentiste. Je ne la quitterai pas d’une semelle.
– Bien. On vous rejoint avec le second appareil.
L’équipe médicale repart avec Anila, Finn et Gonz. Rapidement, nous rejoignons
la clairière pour attendre l’arrivée du second hélicoptère.
Alice

Après une bonne heure de vol, arrivés aux urgences de l’hôpital militaire de
Vracar, nous nous précipitons dans les couloirs à la recherche de Finn et Gonz.
Ils sont devant une porte, fermée, gardée par un agent armé.
– Alors ? demandé-je.
– Elle a fait un arrêt en vol, mais avec la balle logée pas loin du cœur, c’est
compliqué de lui faire un massage cardiaque. Elle a pu revenir rapidement. Ils
l’ont directement emmenée en salle d’opération pour intervenir rapidement. Elle
a perdu beaucoup de sang…, souffle Finn. Et son groupe sanguin est tellement
rare…
– Quel est-il ? demandé-je.
– AB négatif…
– Je suis AB négatif, lâche Mike derrière moi.
Gonz se lève brusquement. Ses yeux sont rouges, cernés de noir. Il s’approche
férocement de Mike, l’attrape par le col et le plaque contre le mur. Je tente de
m’interposer, il est enragé, littéralement.
– Bordel, tu ne pouvais pas le dire plus tôt ? explose-t-il.
– Je viens de…
– Tu fous quoi ici ? Tu te réjouis de nous voir souffrir ? C’était ça, ton plan ?
C’est ce que tu voulais, hein ? Espèce de connard, fils de p…
– Ça suffit, Gonz !
Finn s’est approché et a dégagé Mike de l’emprise de Gonz.
– Lâche-le ! Il peut la sauver, il ne le savait pas avant. Alors, tu la fermes et vas
t’asseoir !
Il retourne vers les fauteuils avec Gonz alors que je reste avec Mike.
– OK. Je vais voir avec le doc. Tu restes ici, tu ne bois rien, tu ne manges rien, tu
sors tes papiers.
Je me dirige vers le bureau des infirmières le plus proche et demande à appeler
le bloc le plus rapidement possible. Ma carte d’agent de la CIA fait encore
beaucoup d’effet, bien que je ne sois plus agent à la CIA.
– Docteur Bernard, quoi ?
– J’ai votre donneur de sang.
– Qui… Alice ?
– Oui. Je demande à être installée dans la pièce adjacente au bloc, et je fais les
examens nécessaires. Mais vous aurez votre sang.
– Parfait. Frappez à la porte communicante quand vous serez là-bas. Ils ne
fonctionnent pas comme nous.
– OK.
Je demande à celle qui semble être la responsable des infirmières ici de me
fournir le matériel nécessaire ainsi que de m’ouvrir la pièce accolée au bloc. Elle
ne bronche pas. En retournant vers mes amis, je sens la tension émaner de
chacun d’entre eux. J’attrape Mike par le poignet et le tire derrière moi.
– Tu prends une douche, tu te désinfectes de la tête aux pieds. Quand t’es prêt, tu
enfiles la tenue qui est dans ce sachet. Je t’attends pour faire une prise de sang de
contrôle.
– D’accord. J’ai fait des examens récemment, on est contrôlés régulièrement en
prison, ils étaient nickel.
– Ils datent de quand ?
– Deux semaines.
– J’appelle Ted pour qu’il se les procure, ce sera plus rapide. Désinfecte-toi,
c’est nécessaire pour la transfusion.
Je contacte Ted, à Boston, qui s’avère efficace, puisque dans les vingt minutes
qui suivent, il obtient les analyses dont on a besoin. Mike avait raison. Tout est
bon. J’avise le médecin urgentiste dans la pièce voisine.
– Putain, enfin une bonne nouvelle ! Votre amie s’accroche, mais son cœur est
capricieux.
– J’espère que ça ira… soufflé-je. Je procède à la ponction sanguine et je vous
envoie les poches de sang immédiatement.
– Je vous fais confiance. Vous me paraissez sûre de vous. On aurait besoin de
personnel comme ça avec nous sur le terrain. Si jamais vous cherchez une
reconversion…
– Malheureusement, je ne suis pas prête à changer de voie, lui souris-je.
– Dommage. Je retourne auprès d’Anila.
Il repart, je referme la porte derrière lui. Lorsque je me retourne, je peux voir
Mike, torse nu, sortir de la douche, une serviette autour des hanches. Le torse
robuste, dessiné, solide. Il a changé depuis tout ce temps… Putain, pourquoi
faut-il qu’il me fasse encore de l’effet ?
– Je suis prêt, me dit-il en s’installant dans le fauteuil, à côté de moi. J’incline le
dossier afin qu’il ne pique pas du nez en cas de baisse de tension soudaine.
Je n’ai même pas remarqué qu’il s’était rhabillé… Je me concentre sur la
procédure. Désinfecter la zone, piquer, fixer, tenir, patienter. Lorsque la poche
est pleine, je la transmets immédiatement au docteur Bernard.
– C’est juste ce qui nous manquait. L’opération s’est bien passée, elle est à peu
près stable. La transfusion devrait l’aider à reprendre des forces.
– Bien. Tenez-moi au courant si vous avez besoin d’autre chose.
– Normalement, ça devrait suffire. Cependant, oui, restez prêts, au cas où.
Je retourne auprès de Mike. Il est resté silencieux durant tout le prélèvement.
– Comment tu te sens ? lui demandé-je.
– Un peu fatigué, je… Oui, fatigué.
– C’est normal. Viens, je vais t’aider à t’allonger sur le lit.
Délicatement, je l’aide à se relever, puis il s’appuie sur moi pour rejoindre le lit
qui ne se trouve pas loin. Il paraît épuisé. Son visage est pâle et ses jambes
faiblissent.
– Voilà. Installe-toi, je vais aller te chercher quelque chose pour que tu reprennes
des forces.
Il hoche la tête, péniblement.
– Doc ? frappé-je à la porte.
– Oui ?
Il entrouvre le battant.
– Vous avez encore besoin de sang ? Mike est faible, il a besoin de manger
quelque chose.
– Ça devrait aller. Redonnez-lui des forces. Merci pour tout.
Je retourne auprès de Mike, toujours pâle. Je glisse un coussin sous ses pieds.
– Je reviens, repose-toi.
Il hoche la tête et ferme ses yeux. Je sors dans le couloir, et tous les regards se
posent sur moi. Ils m’implorent de leur donner des nouvelles.
– Elle lutte toujours, mais elle devrait s’en sortir. La transfusion est en cours, le
docteur viendra nous en dire plus quand tout sera terminé. Gonz se lève et me
rejoint. Il me serre contre lui, fort.
– Merci pour tout, Alice. Pour ton sang-froid.
– C’est normal. Je dois aller chercher à manger pour Mike, il est faible.
– OK. Merci, souffle-t-il alors qu’il s’éloigne de moi.
Rapidement, je trouve des encas sucrés pour que Mike reprenne des forces.
Lorsque je retourne vers lui, il semble dormir.
– Eh, le réveillé-je, il faut que tu avales ça, ça va te faire du bien.
Je redresse le dossier du lit et Mike avale son jus d’orange ainsi que ses deux
barres chocolatées. Quelques minutes plus tard, il reprend des couleurs. Je suis
rassurée. Je rapproche le fauteuil du lit et me laisse tomber dedans. Cette journée
a été épuisante, et j’ai moi aussi mes limites.
Chapitre 28

Gonz

Cette attente est plus qu’interminable. Ce sentiment d’impuissance, de…


Bordel de merde ! Je tourne en rond, je suis comme un lion en cage. Je suis
incapable d’avoir toute pensée rationnelle. Des jours sans la voir, des heures à
quelques mètres d’elle sans pouvoir la toucher, la protéger, la caresser. Lui dire
que je l’aime… J’ai souffert lors de la mort de mon frère, de mon père. De la
descente aux enfers de ma sœur. Mais jamais je n’ai eu aussi mal. Jamais de ma
vie. Comme si on me déchirait le cœur avec une petite cuillère émoussée et
rouillée. J’aimerais tellement être à sa place… Je donnerais ma vie pour la
sienne. Et savoir que je ne peux rien faire à cause de ce putain de groupe sanguin
de merde, je suis dingue. Pourquoi ? Pourquoi elle, putain !
Alice est enfermée depuis plus d’une heure avec Mike dans la salle à côté du
bloc devant lequel nous nous trouvons. La transfusion s’est bien passée, mais je
veux en savoir plus. Personne ne nous dit rien, ça me rend fou. À croire qu’on
veut nous cacher quelque chose… Soudain, la porte du bloc s’ouvre. Enfin.
L’urgentiste qui nous a guidés jusqu’ici s’avère être l’un des meilleurs. C’est Ted
qui m’a glissé ça alors qu’il demandait des nouvelles. Le docteur Bernard.
– Anila s’est accrochée. C’est une battante, cette femme. Son cœur a ralenti, a
presque lâché, d’ailleurs. Mais elle ne s’est pas laissée happer par la lumière
blanche. Elle réagit bien, cependant, son corps a souffert. Son cœur aussi. Elle
est inconsciente, c’est normal. En revanche, il va vous falloir encore de la
patience.
– Quand est-ce qu’elle se réveillera ?
– Quand elle le décidera, nous répond-il. Cela peut prendre deux ou trois jours,
comme plusieurs semaines.
Je me laisse tomber sur ma chaise, abattu. Des semaines. Jamais ? Un jour ? Tina
s’approche et m’enlace. Je la laisse faire. Alice sort de la pièce, et nous rejoint.
– Mike se repose, il est fatigué. Doc, des nouvelles ?
– Elle ne va pas trop mal dans l’ensemble, en considération de ce qu’elle a vécu.
Elle est inconsciente, dans le coma. Elle prendra le temps qu’il lui faudra pour se
réveiller.
– Je comprends, oui, répond-elle.
– Votre coordinateur nous a fait un topo. La drogue qu’elle a ingérée vient d’une
plante. Elle a eu la chance, si je peux dire, d’être droguée petit à petit. Donc oui,
il y a eu une accoutumance, car les doses augmentaient au fur et à mesure, mais
elles restent encore faibles. De plus, elle n’a pas été droguée sur une longue
durée. Son organisme va se sevrer tout seul, certainement durant son coma. Elle
ne devrait pas avoir de manque à son réveil.
– OK. Merci pour tout, doc.
– Pas de souci. Je reste sur place, vu le caractère particulier de la situation. En
revanche, je vous conseille de contacter l’ambassade américaine, pour qu’elle
dépêche un autre médecin, l’un des vôtres, qui pourra rester jusqu’au bout. Parce
que ça risque de durer longtemps, et on aura besoin de moi ailleurs.
– Bien sûr, je comprends. Je m’en occupe, dit Alice.
Elle m’impressionne. Vraiment. Alors que je suis incapable de gérer quoi que ce
soit, elle semble être d’un sang-froid à toute épreuve.

***

Les jours passent, et Anila ne se réveille pas. Elle semble simplement


endormie. Mais au fond, son corps lutte, sa tête aussi. D’après les médecins, le
docteur Bernard et le docteur Meyers, elle a récupéré. Son corps guérit,
physiquement, elle semble aller bien. Et là, à côté d’elle, je me fais la promesse
que je la kidnappe, et je l’emmène au bout du monde pour vivre une vie paisible.
Je plaque tout. J’élève des chèvres sur une île déserte avec elle, je la protège,
l’embrasse à ne plus en pouvoir, lui fais l’amour à s’en épuiser. Mais plus jamais
je ne la laisse seule.
– Bonjour, ma douce, c’est encore moi. Tu ne te débarrasseras pas de moi aussi
facilement, tu sais. Tu peux dormir toute la vie si tu veux, mais tu sais que les
Mexicains sont têtus. Je ne te lâcherai pas, mon amour. Le médecin a dit que tu
allais de mieux en mieux chaque jour, c’est une bonne nouvelle. Tu sais qu’on
attend tous avec impatience que tu te réveilles. Il ne manque que ça pour qu’on
soit enfin heureux.
Aucun signe, rien…
– Tu me manques tellement, ma puce… Je… Si j’avais pu être à ta place, si
j’avais pu… Je… Ani, réveille-toi, s’il te plaît, j’en peux plus de ton silence…
J’aimerais retrouver ton sourire, ta voix. Ton regard émerveillé… Tu me
manques tellement, ma chérie. Reviens-moi…
Je porte sa main frêle à mes lèvres et je sens un goût salé. J’ai l’impression de ne
faire que ça. Craquer. Pleurer. M’effondrer. C’est devenu mon quotidien. Je n’ai
quitté son lit que pour prendre une douche. Mais jamais je ne l’ai laissée seule.
Finn me relaie, le temps de manger. Mais je reste dans sa chambre. Alice et Tina
me nourrissent. Toute l’équipe est restée à nos côtés. Rémy, l’agent français, se
remet de ses blessures. Sa vie n’a jamais été en danger, mais ils ne l’ont pas
loupé tout de même. Le docteur Bernard est rentré en France, son unité ayant
besoin de lui sur d’autres missions. Ted a négocié que Mike reste avec nous.
Après tout, c’est grâce à lui que le moniteur à côté d’Anila fonctionne encore…
Sans lui… Je serais mort aussi.
Finn a prévenu Ava, puis s’est chargé d’avertir les McDougall. Pour le moment,
ils restent à distance. Finn leur a expliqué la situation plus en détail. Ils étaient
eux aussi agents, alors ils comprennent. Même si leur rôle de parents prend le
dessus. Ils ont été extrêmement choqués d’apprendre le statut d’Anila. Personne
ne savait. Et je crois que cela nous a tous surpris.
Deux coups retentissent à la porte de la chambre.
– Je viens prendre ses constantes, m’explique Meyers.
– OK, allez-y. Mais rien n’a bougé.
– Alejandro, elle guérit, physiquement. Et c’est déjà beaucoup. Malgré tout, elle
a subi un choc terrible, et sa tête a aussi besoin de panser ses blessures.
– Ouais, ouais, je sais tout ça ! m’exclamé-je, usé de ce discours qu’on me sert
chaque jour ou presque. Mais je ne sais pas quoi faire. Je deviens dingue !
– Je sais. C’est le lot de beaucoup de parents de patients dans le coma. Le seul
conseil que je peux vous donner, c’est de continuer à lui parler. Mais ne lui
mettez pas la pression. Cela peut avoir l’effet inverse sur elle.
Voyant que je suis abattu, il m’envoie me chercher un café.
– Allez prendre l’air un petit moment. Je reste avec elle. Et la garde veille sur
elle, me sourit-il.
En effet, Alice, Mike, Mass et Tina sont constamment devant sa porte, à
surveiller les moindres allées et venues. En silence, Alice me suit jusqu’à la
cafétéria. Elle commande deux grands cafés noirs et nous sortons nous asseoir
sur un banc. Le soleil du printemps perce à travers les quelques nuages. Mes
yeux fixent l’horizon.
– Qu’est-ce qui va se passer, Alice ? soufflé-je à mon amie.
– Elle va se réveiller, Gonz. Ça prendra le temps que ça prendra, mais elle se
réveillera. C’est une battante, tu as vu ce qu’elle a vécu ? Elle se réveillera.
Ensuite, elle passera une batterie d’examens, et vous rentrerez, heureux, tous les
deux. C’est ce qui va se passer.
– J’aimerais tellement te croire…
Je baisse ma tête, totalement découragé. Je sens la main d’Alice se poser sur
mon épaule.
– On est là. Et on restera ici le temps qu’il faudra. Tu n’es pas seul, ne l’oublie
jamais.
Je hoche la tête en silence. C’est vrai. Et je sais que je peux me reposer sur eux.
Je commence à perdre espoir, mais je ne peux pas me le permettre.
Finalement, mon espoir a fini par payer. Quelques jours plus tard, alors que je
dors, je sens une main serrer la mienne. Quelques grognements. Des
gémissements, plus précisément, qui me tirent de mon sommeil léger.
– Anila ? Ma puce, tu m’entends ? C’est moi, je suis là. Tout va bien, chérie.
Délicatement, elle ouvre les yeux et tente de parler. Mais alors que j’essaie de la
rassurer et de la calmer, son visage se ferme et elle se recule comme si elle
voulait ne faire qu’un avec le matelas du lit dans lequel elle est… Les mains
tendues devant elle, elle m’évite. Me repousse. Et mon âme se brise une seconde
fois…

Finn

La distance avec les enfants est pesante. Mais ma sœur a besoin de moi. C’est
ma faute si on en est arrivés là. Bien que mes amis me soutiennent le contraire, si
je n’avais pas joué aux héros vingt ans plus tôt, elle ne serait pas dans le coma et
mon ami ne serait pas à ses côtés, abattu. Comment aurais-je pu faire
autrement ? Ces grands yeux verts, ce visage sale, où les larmes laissaient des
traînées sur ses joues… Elle avait tout perdu. Lorsqu’elle m’a vu en sortant de sa
cachette, elle s’est précipitée dans mes bras. Elle pleurait. Elle avait enfoui son
petit nez dans mon cou et ses sanglots la secouaient plus qu’une enfant de cinq
ans n’aurait dû supporter ça. L’âge où elle aurait dû être innocente, protégée,
aimée. Elle aurait dû jouer à la poupée avec ses amies, avec sa sœur. Au lieu de
ça, elle a vu des horreurs, elle a vécu l’enfer… Je me souviens de tellement de
choses de ces moments-là. Je sens encore l’odeur de la poudre, mêlée à celle du
sang. Je vois encore les décombres, les corps démembrés, ensanglantés. À cet
instant, mon uniforme ainsi que mes armes ont pris un poids supplémentaire. Je
croulais sous la peine et le dégoût. Même si j’avais fait le choix d’embrasser
cette carrière. Mais je reste un humain avant tout. Et cette horreur ne m’a pas
laissé insensible. Nous sommes entrés dans l’orphelinat, et l’atrocité n’a fait
qu’amplifier. Dehors, il n’y avait que des corps de femmes. Elles avaient dû
sortir afin de protéger ces enfants en détresse. Mais dedans… Les cadavres des
fillettes jonchaient le sol. Dénudées. Ensanglantées. Blessées. Inertes. Mortes…
Je me rappelle encore la rage qui m’a envahi à cet instant. Au fur et à mesure
que nous avancions, l’horreur continuait. Puis, cette petite princesse, que
j’appelais ainsi sans connaître le rang auquel elle appartenait, a couru dans mes
bras. J’ai rangé mon arme dans mon dos et l’ai portée à l’écart. Là où il n’y avait
pas tous ces cadavres. Elle tenait une poupée de chiffon dans la main. J’étais
jeune, pas encore vraiment en âge de devenir père. Pourtant, à cette seconde, je
n’ai plus voulu la laisser. La lâcher. Je me débrouillerais pour sauver cette
fillette, pour la protéger. J’en ai fait mon credo.
Jusqu’à présent, je suis resté professionnel, froid, détaché. Parce que je savais
que si je laissais parler mon côté grand frère protecteur, j’aurais fait de la merde.
Et Gonz était suffisamment instable pour que je reste droit. Pourtant, lorsque
Anila a pris cette balle dans le dos, j’ai dézingué ce connard, mais l’instant
d’après, j’ai compris qu’elle était en danger de mort. Vraiment, cette fois. Et je
ne m’étais pas préparé à cette éventualité. Et putain… C’est dévastateur. Après
son évacuation, j’ai attendu que les autres nous rejoignent puis je me suis éloigné
pour contacter Ava. J’avais tellement besoin d’elle. J’ai tellement besoin
d’elle… Je me suis effondré. Parce que je suis un homme. Un vrai. Celui qui
ressent avec son cœur, qui aime avec son âme… Elle m’a laissé pleurer. J’ai
entendu ses larmes, même si elle a tout fait pour les retenir. Elle m’a même
proposé de venir me rejoindre. J’aurais aimé. Mais les enfants ont besoin d’elle,
et surtout, ne doivent pas être impactés par ça. Depuis, nous nous appelons tous
les jours. Lorsque Anila a été hors de danger, je me suis senti soulagé. Puis, il a
aussi fallu mettre mes parents au courant. Et comme moi, le côté parent a pris le
pas sur celui d’ancien agent. J’ai réussi à les tenir à distance, leur expliquant que
nous rentrerons bientôt.
Je n’ai jamais quitté ses côtés, ou presque. Souvent, j’attends derrière la porte.
Gonz refuse de quitter son chevet. Comme maintenant. La nuit est tombée il y a
peu, et je m’installe sur les fauteuils du couloir. Ils ne sont pas très confortables,
mais j’ai connu pire. Soudain, des infirmières se précipitent dans la chambre de
ma sœur et Gonz sort, la mine défaite.
– Quoi ? le secoué-je. Que se passe-t-il ?
Il me regarde, livide.
– Elle est réveillée.
– Putain ! C’est génial ! Enfin !
Je le serre dans mes bras, mais il ne réagit pas. Il devrait être heureux !
– Que s’est-il passé ?
– Elle a eu peur de moi. Elle m’a repoussé…
Et il s’effondre contre le mur. C’est quoi ce merdier, encore ? Je l’aide à se
relever, et je tente de le rassurer comme je peux. Mais honnêtement, je suis vite à
court d’arguments… Après de nombreuses minutes, les infirmières ainsi que le
docteur qui les avait rejointes sortent de la chambre. Meyers nous rejoint et
s’assied en face de nous. Les coudes sur les genoux, son visage est fermé.
– Anila va bien, en tout cas, physiquement parlant. En revanche, elle est très
craintive. Elle ne se laisse approcher que par des femmes. J’ai pu l’ausculter
rapidement après une longue explication. Elle n’a pas subi de violence qui
laissait présager ce comportement, mais le fait qu’elle ait été manipulée par des
hommes…
– Elle en a peur, souffle Gonz.
– C’est ce que je pense, oui. Elle est encore légèrement sédatée, donc il est
possible que cela fausse ses réactions. Nous allons suivre ça les jours à venir. En
attendant, ne montrez pas trop que cela vous affecte. Et respectez la distance
qu’elle vous impose. Dites également à vos amies filles de venir. Elle se sentira
plus en sécurité.
– D’accord, réponds-je. Je peux aller la voir ?
– Oui. Vous êtes son frère, peut-être qu’elle réagira différemment. Désolé,
Alejandro.
– Ce n’est pas grave…
– Je vous laisse. N’hésitez pas à me biper si besoin.
Puis, il s’éloigne.
– Vas-y, me souffle Gonz. Peut-être qu’elle réagira différemment avec toi.
– Ne le prends pas pour toi. On ne sait pas trop ce qu’elle a vécu. Ces connards
lui ont certainement retourné le cerveau.
Il hoche la tête, puis je rentre dans la chambre de ma sœur. Au fond de son lit,
elle semble si fragile. Ses cheveux sont en bataille, et elle me tourne le dos. Je
m’approche doucement.
– Ani, ma puce ? C’est moi, c’est Finn…
Pas de réponse. Elle dort peut-être. Alors, je passe de l’autre côté du lit. Je ne
veux pas la surprendre et lui faire peur. Une fois face à elle, je m’installe dans le
second fauteuil. Je prends sa main délicate entre mes doigts.
– Je suis content que tu te réveilles enfin… On a eu si peur pour toi… Si tu
voyais Gonz… Il est dans un sale état. Il t’aime tellement.
Elle semble si paisible… Je la regarde dormir encore quelques heures, puis elle
se contracte. Comme si elle faisait un cauchemar. Elle ouvre les yeux, et
lorsqu’elle me voit, retire sa main de la mienne. Elle me repousse aussi.
Visiblement pas aussi violemment que Gonz.
– Ani, c’est moi. Tu me reconnais ?
– Bien sûr que je te reconnais, râle-t-elle d’une voix rauque.
Je m’adosse dans mon fauteuil, croise mes bras sur ma poitrine. Elle s’installe et
se redresse un peu.
– Alors quoi ? T’es pas contente de me revoir ? plaisanté-je.
– Pas franchement non.
Elle me jette un regard noir. OK, ma blague tombe à l’eau.
– Que se passe-t-il ?
– Tu le sais. Et je n’ai pas envie d’en parler avec toi. Maintenant, je suis fatiguée,
et je voudrais dormir.
Elle se tourne de l’autre côté et se mure dans le silence.
– On a failli te perdre, une deuxième fois pour ma part, et je n’abandonnerai pas.
– Sors. Je ne veux plus vous voir.
Je m’approche d’elle et pose un baiser sur son front.
– Je ne lâcherai pas, Ani.
Puis, je sors avant qu’elle n’ait l’occasion de répondre. Putain, la partie
s’annonce compliquée…
Chapitre 29

Anila

Trois jours que j’ai repris connaissance. Trois jours que mes yeux se sont
posés sur lui. Sur eux. Et je ne veux plus les voir. Tout ça, c’est leur faute.
Bien sûr, au début, j’étais encore un peu dans le flou. Puis, au fur et à mesure, les
souvenirs sont revenus. Ils n’étaient pas très loin, la drogue qu’on m’avait
administrée n’était pas assez puissante pour me ravager le cerveau.
Heureusement… Cependant, on m’a avertie que je risquais d’avoir des sautes
d’humeur. Oui, j’en ai eu. Mais ce n’est pas ça, avec eux. Enfin… Je les déteste.
Et jamais je ne leur pardonnerai.
Depuis mon réveil, Alice et Tina ne me quittent pas. Alejandro est revenu une
fois et, devant mon mutisme, il est reparti, et n’est jamais re-rentré dans ma
chambre. Quant à l’homme qui me sert de frère, il passe chaque jour. Il joue sur
la corde sensible en me disant que les parents s’inquiètent. Je les ai eus au
téléphone, et maman a pleuré durant toute la conversation. Ils me manquent, je
m’en veux de les faire souffrir. Non, plutôt, je leur en veux de faire souffrir mes
parents ainsi. Mais d’après le docteur Meyers, je devrais bientôt pouvoir rentrer
chez moi. Enfin… aux États-Unis, quoi.
Hier soir, on m’a fait passer une batterie d’examens. Mon cœur va bien, il a été
réparé correctement, le docteur Bernard a fait du bon boulot. Quant à Mike, j’ai
bien compris que sans lui, je ne serais plus de ce monde… Les résultats de mes
analyses devraient arriver dans quelques heures. Je tente, une nouvelle fois, de
me lever toute seule, mais mon corps me rappelle à l’ordre. Malgré les bons
traitements que j’ai reçus lorsque j’étais captive, je suis percluse de douleurs.
Apparemment, ce sont simplement les retombées du stress qui me mettent dans
cet état.
– Toc, toc ! Je peux rentrer ?
– Ça dépend ? Tu as un super petit-déjeuner avec toi ?
Alice passe la porte de ma chambre.
– Le meilleur. Jus de fruits fraîchement pressé, viennoiseries, fromage…,
énumère-t-elle.
Elle me donne l’eau à la bouche. S’il y a quelque chose que je n’ai pas perdu, en
revanche, c’est l’appétit. À croire que les jours passés à me nourrir par perf
avaient créé en moi un manque de nourriture solide. Elle vide le panier qu’elle a
avec elle et dépose tout sur la tablette à roulettes.
– Est-ce que tu veux te lever pour aller aux toilettes, ou autre ? me demande-t-
elle.
– Je veux bien aller me donner un coup de frais sur le visage, oui.
Alice m’aide à me redresser. Mes côtes sont très douloureuses. Ce n’est pas
anormal apparemment. Alors je prends mon mal en patience. Une fois devant le
miroir, je prends appui sur le lavabo. Je peux tenir debout quelques instants. Mes
yeux sont encore cernés même si cela a tendance à s’estomper. Rapidement, je
me passe de l’eau fraîche sur le visage et m’essuie avec la petite serviette
fournie. Ça me fait du bien. Vraiment beaucoup de bien. Alice, qui m’attendait
derrière la porte, vient me prendre par le bras pour me guider jusqu’au lit. Je me
réinstalle, me calant contre les oreillers.
– Prête ? m’interroge-t-elle.
– Plus que jamais ! lui souris-je.
Nous petit-déjeunons en silence, engloutissant les pains et croissants tartinés de
confiture qu’Alice a achetés. Cependant, nous sommes interrompues par le
docteur Meyers.
– Ahhh, deux jolies filles qui dévorent des douceurs sans aucune retenue… Je
parie qu’un paquet d’hommes aimerait être à ma place, nous taquine-t-il.
La trentaine, les cheveux blonds, légèrement ondulés, le regard azur. Sexy, en
plus avec sa blouse blanche. Cependant, l’anneau en or qui se trouve à son doigt
coupe tout fantasme.
– Servez-vous, doc, lui propose Alice.
– Je vais prendre un morceau de brioche, ça complétera mon café matinal !
Alice lui tend sa part et il s’assied dans le fauteuil libre, un sourire aux lèvres.
– Ça fait plaisir de vous voir enfin à peu près en forme, Anila. Il faut dire que
mon collègue, le docteur Bernard, a fait du bon boulot.
Je lui souris en retour. L’atmosphère est légère et j’apprécie ce calme et cette
douceur. Nous finissons de déjeuner en silence, puis Meyers sort mon dossier.
– J’ai eu vos analyses ce matin, et je dois avouer que j’ai été surpris. Très
surpris.
Je fronce les sourcils alors qu’il continue.
– Avant de rentrer dans les détails, sachez que vous êtes une battante, et une
rescapée. Peu de personnes auraient survécu à ce qu’il vous est arrivé. Mais je
dois avouer que là… C’est un miracle. Je ne peux l’expliquer autrement, sachant
que je suis cartésien de nature, encore plus dans mon boulot.
– Où voulez-vous en venir ? demandé-je, intriguée et inquiète aussi.
Alice tend la main vers mes analyses. Je l’ai autorisée à avoir un regard sur mes
examens à condition qu’elle n’en parle à personne. Alors qu’elle lit les
documents, ses sourcils se haussent. Elle m’offre un sourire immense, avant de
rendre mes analyses au docteur.
– Anila, vous êtes enceinte, m’annonce-t-il.
Quoi ?
– Mais comment ? Enfin… Je…
– De six semaines environ. Le miracle, c’est qu’il ait survécu à tout ça… C’est la
beauté de la nature.
Instinctivement, je place une main sur mon ventre et pose mon regard dessus. Je
suis enceinte… Ça, je ne m’y attendais pas. Pas du tout.
– Avant de trop nous affoler, je vais vous faire passer une échographie, afin de
voir si le cœur bat bien. Nous referons des analyses régulièrement, pour vérifier
que les taux continuent bien d’évoluer comme il le faut.
– D’accord.
– Quant au reste, tout va bien. Le taux d’hémoglobine est bon, les plaquettes
aussi. Vous récupérez bien. Je suis impressionné par votre force intérieure. Si
tout continue ainsi, vous pourrez rentrer chez vous d’ici une bonne dizaine de
jours. Peut-être un peu avant.
Il se lève, me sourit et ajoute quelques mots.
– Peut-être serait-il judicieux de discuter avec le futur papa après
l’échographie… Il est en souffrance, et vous pourriez certainement surmonter
tout ce qui vous attend plus facilement à deux.
Je hoche la tête en guise de réponse. Ce bébé change tout. Mais je ne veux pas ni
m’emballer ni parler à Alejandro. Désormais seules dans ma chambre, j’ai
l’impression de flotter. D’être ailleurs. Ce bébé, celui qu’on attendait
tellement… Même si son cœur bat, il aura certainement des séquelles. C’est
obligé. Et dans ce cas… Que ferais-je ?
– Arrête de te faire des scénarios, Ani, m’interrompt Alice en me prenant la
main. Attends de voir si le cœur bat bien. Pour le reste, tu verras en temps et en
heure. Et s’il avait voulu partir, il ne serait plus là, tu sais, tente-t-elle de me
rassurer.
– Oui, je… Alice, tu te rends compte ?
Des larmes emplissent mes yeux.
– On en rêvait et…
– Et il est là. Quoi qu’il arrive. Tu sais, le doc a raison. Tu ferais bien de parler
avec Gonz.
– Non ! C’est leur faute ce qu’il m’est arrivé, crié-je.
– OK, OK, calme-toi. Essaie de te reposer, on en parlera plus tard.
– Ou pas. Je ne veux plus en parler.
– D’accord. Repose-toi, je reste avec toi.
Je sombre dans un demi-sommeil, pas très réparateur, où des minis Gonz me
couraient après… Dans l’après-midi, je reçois la visite quotidienne de Finn, puis
le docteur Meyers est arrivé et lui a demandé de sortir. Moi, de ne pas revenir. Il
installe le matériel et revient vers moi.
– Prête ?
– Oui. On y va.
Puis, il débute l’examen. Quelques instants plus tard, une petite poche apparaît
sur l’écran.
– Il est possible qu’on n’entende pas encore le cœur battre. En revanche…
Regardez ici, sourit-il.
Une sorte de petit trait qui s’affiche et s’efface. Comme un curseur qui clignote.
Soudain, un son… merveilleux, doux, harmonieux, emplit la pièce. Jamais je ne
l’oublierai, cette mélodie.
– 153. Ce petit embryon a l’air d’aller bien jusque-là. Le cœur bat bien en tout
cas. C’est une bonne chose, me rassure le docteur.
Je recouvre le bas de mon ventre de ma main droite, alors que l’examen se
poursuit.
– Je ne peux pas vous garantir que tout ira bien jusqu’au bout. Dans le cadre
d’une grossesse normale, il y a déjà des risques. Alors avec les épreuves que
vous avez traversées… Mais il est aussi possible que tout se passe pour le mieux.
– Je… Je veux qu’il aille bien, bredouillé-je, émue.
– Je sais. Jusqu’à la douzième semaine, on ne peut pas faire grand-chose pour
empêcher qu’il arrive quelque chose. Hormis beaucoup de repos et
éventuellement un cerclage si besoin. En revanche, nous allons vous suivre de
près. On refera une échographie avant que vous rentriez, puis, une fois à Boston,
prenez contact avec un obstétricien. Je vous donnerai votre dossier médical afin
qu’il ait tous les détails médicaux.
– OK. Merci de m’expliquer tout ça. De prendre le temps…
– C’est mon boulot. Et c’est normal !
Il range le matériel et le recouvre de la housse grise qui l’habillait plus tôt. Très
bien. Au moins, personne n’aura d’indice quant à ce qu’on m’a fait.
Le docteur quitte ma chambre et Alice fait son apparition, un sourire sur son
visage. Elle est tout excitée.
– Alors ? Il t’a dit quoi ? Comment va le bébé ?
Elle me fait sourire également. Son enthousiasme me touche.
– Pour le moment, tout semble normal. Toutefois, il m’a expliqué qu’il était
possible que je n’aille pas jusqu’au terme.
– Oui, mais comme toute grossesse, même les plus normales.
– Oui. Mais j’ai pas envie de le perdre, Alice. Je veux pas le perdre.
Soudain, les larmes roulent sur mon visage. Je n’avais pas craqué jusqu’ici, mais
tout lâche.
– Ani, ma puce…
Alice me rejoint sur mon lit et me prend dans ses bras.
– J’imagine ce que tu dois ressentir. Et on fera tout pour que cette bouille apporte
sa dose de bonheur dans ta vie. Mais parfois, tu ne peux rien y faire… C’est la
nature qui décide. C’est une bonne chose que cela démarre bien. Garde le positif
en tête, d’accord ?
Le bruit de la porte nous surprend.
– Oups, désolée, je dérange… nous interrompt Tina.
– Non, non, approche, l’invité-je.
– C’est l’heure du câlin entre filles, lui dit Alice.
Tina sourit et nous rejoint.
– Sèche tes larmes, Ani, j’aime pas voir ça.
J’acquiesce en silence et essuie les vestiges de mes peines.
– Que se passe-t-il ? me demande-t-elle.
Sans hésiter, je lui explique.
– Oh… Waouh ! Euh… Gonz ? demande-t-elle en pointant du pouce la porte
derrière elle.
– Non ! m’exclamé-je. Non, je veux pas. Je veux pas qu’il sache !
– OK, bien, je ne dirai rien. Tu peux compter sur moi. N’hésite pas si tu as
besoin de quoi que ce soit.
– Merci beaucoup, les filles, vous êtes géniales.
Je les serre contre moi une dernière fois, avant qu’elles ne me laissent seule.
Neuf jours plus tard, j’ai le feu vert pour rentrer à Boston. Et je viens d’avoir une
nouvelle échographie. Le bébé va bien. Même si cela ne se voit pas, que mon
ventre est plat, même s’il ne fait que quelques millimètres, moi, je sais qu’il est
niché dans mon ventre. Et il ne quitte jamais mes pensées. Les filles sont restées
avec moi. Finn et Alejandro sont déjà rentrés. Finn pour gérer les parents, mais
aussi parce que les enfants lui manquent. Ce que je comprends. Et Alejandro, il a
enfin pigé que je ne voulais plus le voir. Mass et Mike sont rentrés avec eux. Le
visage d’Alice s’est fermé depuis que Mike est reparti. Je sens qu’elle l’aime
encore, malgré la trahison, malgré le mal qu’il a fait autour de lui. Cependant, je
ne lui en parle pas. Non… Tina s’en charge !
– Alors, avec Mike… Tu as remis ça ?
Alice la foudroie du regard.
– OK, j’en déduis que non, mais… Ça te ferait du bien, ma vieille.
Alice se renfrogne et, clairement, elle n’a pas envie d’en parler.
– C’est comme ça. Nos vies vont reprendre leur cours et c’est très bien ainsi,
lâche-t-elle. Fin de la discussion, insiste-t-elle en voyant que Tina allait persister.
Nous n’en saurons pas plus, mais visiblement, ce chapitre de la vie d’Alice n’est
pas clos. Oh non. Les filles m’aident à faire mon sac, puis nous sortons, enfin, de
cet hôpital. Le vol se déroule sans encombre. Ma main ne quitte pas mon ventre.
Cet instinct de protection profond, puissant, animal s’est révélé et ne m’a plus
quittée. Curieusement, malgré la situation, malgré la peur, l’appréhension, je n’ai
jamais ressenti autant de bonheur. Ce bébé, je ferai tout pour l’avoir. Je le
protégerai.
Chapitre 30

Finn

Notre retour s’est fait plus tôt que prévu. Mes parents tournaient comme des
lions en cage, il a fallu les rassurer et les contenir. Lorsque Ani s’est réveillée,
cela a facilité les choses. Elle leur parlait régulièrement, et cela les avait un peu
calmés. Je crois que mon départ est surtout dû au manque des enfants. Chaque
soir, Aiden me demandait quand je rentrerais de voyage. Ils me manquaient
terriblement. Et comme ma tête de mule de frangine refuse de m’adresser la
parole… Je perdais un peu mon temps là-bas, en Serbie. Cette situation me
pesait. Elle ne veut pas me voir, pas me parler et je ne connais pas la raison. J’ai
tout essayé : la méthode douce, celle des premiers jours. J’étais patient, je lui
racontais ce qu’il s’était passé durant son coma, combien nous étions inquiets.
Puis fiers d’elle et du combat qu’elle a mené pour se réveiller. Puis la colère.
J’aurais pu la secouer pour la faire réagir. Et enfin, l’indifférence. Rien n’y a fait.
Lorsqu’elle nous voyait Gonz ou moi, elle se renfermait, ne souriait plus, nous
jetait des regards plus noirs que noirs. Gonz en souffre terriblement. Trois jours
que nous sommes de retour et il ne sort plus du loft. Il a vidé son stock d’alcool
fort, il a également refait la déco à coup de coups de poing, de kicks, et de lancer
de vaisselle. Il a pété les plombs le lendemain de notre retour.
Mass est rentré avec nous ainsi que Mike. Ted s’est occupé de le faire incarcérer
de nouveau. Je n’ai pas de nouvelles pour le moment. Je n’en ai pas demandé, à
vrai dire. J’ai plus important à penser pour le moment. En revanche, il est vrai
que je lui dois la vie de ma sœur. Je saurai m’en souvenir en temps voulu. Ava
est venue nous chercher à l’aéroport. Nos retrouvailles ont été brèves, étant
donné l’état de Gonz, inutile d’en rajouter une couche. Elle l’a longuement
étreint et a tenté de le rassurer. Mais cela n’a pas été très efficace.
Le quotidien s’est rapidement rappelé à moi. Cecilia et Aiden étaient heureux
que je rentre enfin de voyage. Le temps leur a paru long. Enfin couchés, le
silence règne dans la maison. Ava s’approche du fauteuil où je suis installé. Elle
s’installe sur mes genoux, passe un bras derrière mon cou, et me tend une
bouteille de bière. La sentir contre moi me fait un bien fou. Elle m’apaise, me
calme, me complète.
– Quand est-ce qu'Anila rentre ?
– Demain, vers seize heures trente.
– OK, j’irai la chercher à l’aéroport. Et je la ramènerai ici.
– Elle ne voudra jamais te suivre, la contré-je.
– Peut-être. Mais elle ira où ? Alice squatte à l’hôtel, la priorité de Tina sera de
retrouver Mass. Il lui reste le loft, ou ici. Que penses-tu qu’elle préférera ?
– Pas faux. T’es maline, ma puce.
– Ce n’est pas pour rien que je t’ai eu, me sourit-elle tendrement.
J’aime Ava plus que je n’ai jamais aimé jusque-là. Chaque jour, elle m’épate par
sa force. Elle a géré comme une cheffe en mon absence.
– Je m’occupe de ta sœur. Mais laisse-lui du temps.
Je soupire.
– Je sais, chérie, mais bordel, je m’en veux déjà assez ! C’est ma faute si elle a
été enlevée ! Si je ne l’avais pas…
– Si tu ne l’avais pas ramenée avec toi, tu t’en serais voulu toute ta vie, elle
aurait été certainement abusée ou tuée. Tu lui as offert vingt années de bonheur,
une éducation, une vie remplie d’amour. Alors oui, je peux comprendre que tu
t’en veuilles, mais regarde le positif que tu as mis dans sa vie ! Et l’un comme
l’autre, vous allez devoir l’accepter !
Après de chaleureuses retrouvailles, je m’endors, déterminé à retrouver ma sœur.
Parce que je n’accepterai pas de la perdre.

Ava

Têtus comme le sont les McDougall, je sens qu’ils vont me donner du fil à
retordre !
J’aime Anila comme une sœur, vraiment ! Mais je n’accepterai pas que Finn
souffre à cause de son caractère de merde. J’ai ma petite idée sur le sujet. Je suis
debout, derrière les barrières de sécurité, dans la zone d’arrivée. Je repère vite les
filles. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’elles sont radieuses et heureuses, mais elles
paraissent assez décontractées. C’est déjà ça ! Lorsqu’Anila me voit, elle se fige.
– Ton frère n’est pas là, rassure-toi, lui lancé-je dans un sourire.
Elle s’approche et je la serre dans mes bras. Ça fait du bien de voir qu’elle va
bien, qu’elle est en forme.
– Je suis heureuse de te revoir…, soufflé-je, émue. Tu nous as manqué.
– Moi aussi, je suis contente d’être de retour.
– Où est ton sac ?
– Je n’ai pas grand-chose, c’est…
– C’est moi qui l’ai, me coupe Alice.
J’embrasse Tina et Alice et récupère le sac d’Anila. Elle me regarde de travers.
– Et où comptes-tu aller ?
Elle ne me répond pas.
– C’est ce qu’il me semblait. La seule chose que je te demande, c’est de ne pas
t’engueuler avec Finn devant les enfants. Je ne veux pas qu’ils soient au milieu
de vos querelles de mômes ! Allez, enchaîné-je avant qu’elle n’ait le temps de
répondre. On y va ! Les filles ?
– Je te remercie, me répond Alice, je vais prendre un taxi.
– Et moi… commence Tina.
Je vois la grande silhouette de Mass un peu plus loin.
– Tu as ton chauffeur personnel, j’ai compris, lui souris-je.
Elle rougit légèrement. Je lui fais un clin d’œil puis nous nous éloignons toutes
dans des directions différentes. Anila n’est pas très bavarde, et je peux
rapidement voir qu’elle est ailleurs, songeuse, contrariée, pensive.
– Que se passe-t-il ? lui demandé-je.
– Je… Rien, tout va bien.
Elle tente de me rassurer, mais ça ne marche pas. Je vais lui laisser un peu de
temps, et après, je passe à l’offensive. Lorsque nous arrivons à la maison, Aiden
saute sur sa tatie adorée. Elle lui rend son étreinte avec une force maternelle et
une profonde tendresse. Définitivement, son enlèvement l’a changée… Je le
vois. C’est totalement normal, certainement la peur de ne plus nous revoir. Elle a
réalisé ce qu’elle a vécu, je pense. Finn s’approche avec Cecilia.
– Bienvenue à la maison, sœurette.
Il l’embrasse sur le front, mais elle ne répond pas. Aiden la tire par le bras, la
sortant de cette situation pénible pour nous trois. Je dois comprendre, et essayer
de les réconcilier !
Cinq jours, puis sept, puis dix. Et la relation entre les McDougall junior ne
s’améliore pas. Cependant, je crois noter une sorte de douceur de la part d’Anila.
Comme si la virulence de la haine envers son frère s’amoindrissait. C’est un bon
début ! Finn, quant à lui, est impatient. Il la pousse, et j’ai beau essayer de lui
faire comprendre que cela n’aura que l’effet inverse, sa patience semble avoir
atteint ses limites…

Finn

Cette histoire avec ma sœur m’empêche de trouver le sommeil ! Chaque nuit,


je tourne et retourne dans mon lit, mais rien n’y fait. Je n’arrive pas à dormir ! Je
n’en peux plus de son silence. Je n’en peux plus de ces non-dits ! Vous verriez
l’état de Gonz… Il enchaîne les missions, les combats de boxe avec Mass ou
Tina. Il fait tout pour rester éloigné de ma sœur, qui lui fait vivre un enfer. Elle
refuse toujours de le voir. Pourtant, Ava a bien essayé de lui parler. Niet. Elle
n’en démord pas !
Je décide de me lever. Il est trois heures du matin, tout le monde dort, sauf moi.
J’enfile un short large et me rends dans la cuisine. Un verre de lait avec du miel.
C’est ce dont j’ai besoin. Un truc régressif que ma mère me faisait quand j’étais
gamin. Alors que je verse le lait chaud dans mon mug, un bruit me fait sursauter.
Je me retourne et vois ma sœur, qui m’observe, en triturant la couture de son tee-
shirt. Comme si elle ne se sentait pas à sa place.
– Tu en veux ? lui proposé-je.
– Je vais m’en préparer une tasse.
– Ne sois pas bête, je suis debout, je vais le faire. Assieds-toi.
Elle ne me répond pas et s’installe sur la chaise en bois qui se trouve autour de la
table de la cuisine. Je reste à l’écart le temps de finir de préparer sa boisson.
– Toujours deux cuillères à café de miel ? lui demandé-je.
– Toujours.
Je souris. Ma sœur a toujours adoré le sucré, une vraie gourmande. Je dépose son
mug devant elle, elle me souffle un merci avant de le prendre entre ses mains. Le
silence nous entoure, mais moins pesant qu’avant. Le regard fixé sur ma tasse, je
prends la parole.
– C’est dur, Ani, c’est dur de subir ton silence sans aucune explication. Je veux
bien m’excuser, me faire pardonner. Mais encore faudrait-il que je sache
pourquoi…
Devant son absence de réponse, je décide de continuer.
– Je m’en veux terriblement, tu sais. J’ai été soldat, j’ai vu des choses que je ne
souhaite à personne, même mon pire ennemi. Pourtant, je n’ai jamais ressenti ce
que je ressens actuellement. Ni même ce que j’ai pu éprouver là-bas, lorsque
nous te cherchions, que tu as été blessée, ou encore pendant ton coma. Cette
sensation d’impuissance, de douleur, de peur constante. La dernière fois que j’ai
pu être touché autant, ça a été la fois où je t’ai retrouvée, Ani. Tu étais si jeune,
si petite… si fragile… J’étais jeune, je ne pensais pas avoir des enfants, mais
toi ? Jamais je ne pouvais me résoudre à te laisser là-bas. J’ignorais qui tu étais,
j’ignorais que tu avais du sang royal dans tes veines. Pourtant, tu sais, si c’était à
refaire, je le referais. Mille fois. Parce que là-bas, tu étais en danger. Tu n’avais
pas d’avenir…
– Qu’en sais-tu ? me demande-t-elle, un brin agressive.
– Tu étais orpheline, tu étais seule. Tu aurais certainement été tuée, ou pire… Et
dans le meilleur des cas, tu aurais été assassinée plus tard par les opposants
royalistes. Regarde ce qu’il s’est passé ! Ils t’ont utilisée ! Tu aurais été leur
pantin, de la même façon qu’ils l’ont fait.
– Merci de me rappeler ma faiblesse ! Si ton but est de me rabaisser, ce n’est pas
utile ! Je ne suis bonne qu’à ça, de toute manière ! Me faire manipuler par mes
proches.
– Pourquoi dis-tu ça ? Non ! On ne t’a pas manipulée !
– Alors je suis quoi ? Une œuvre de charité ? La bonne action de ta vie ?
– Quoi ? Ça va pas ? Je t’ai ramenée toi, parce que tu étais la dernière survivante
de cet orphelinat ! Ça aurait pu être n’importe qui d’autre. Je…
Je passe une main dans mes cheveux.
– Je ne savais pas qui tu étais, Anila, je te le jure. Pour moi, tu étais une fillette
que je ne voulais pas laisser, qui était en danger. Et je sais que tu m’en veux,
mais je pense que tu as eu une belle vie, ici, avec nous.
– Papa et maman aussi ont fait de la charité avec moi ?
– Arrête tes conneries ! enragé-je. S’ils t’entendaient, ils seraient blessés au plus
profond d’eux ! Putain, Anila, tu ne vois pas qu’on t’aime et qu’on souffre ? Que
ça me fait de la peine de voir que tu me repousses ? Tout ce à quoi j’ai pensé, il y
a vingt ans, c’était t’épargner, t’offrir une belle vie. Douce, remplie d’amour et
de tendresse.
Sa carapace se fissure. Ses yeux s’emplissent de larmes.
– Anila, on t’aime, vraiment, pour ce que tu es. Pas pour ce statut royal que tu as.
On ne le savait pas, et crois-moi, princesse ou pas, c’était le cadet de mes
soucis…
– Je… Je ne sais plus qui croire, que croire, bredouille-t-elle.
– Je comprends. Et je veux t’aider, mais laisse-moi t’approcher… Laisse-moi
être à tes côtés…
Son regard humide me blesse, au fond de mon âme.
– Je… je vais essayer… Mais c’est dur.
– Je comprends. Mais, je peux te demander quelque chose ?
Elle hoche la tête, me donnant ainsi son aval.
– Pourquoi tu en veux autant à Gonz ? Il n’a rien fait…
– Il n’a rien fait ?
Son attitude a changé, son corps s’est raidi.
– Il n’était jamais là ! Toujours l’agence, encore l’agence ! Les missions, les
planques ! On avait des projets, on s’était fait des promesses ! Mais non ! Il m’a
laissé vivre une vie où j’étais seule, où je me couchais seule. Chaque fois que je
rentrais au loft, c’était pour trouver son absence, ce silence pesant. Il m’arrivait
de l’attendre, parfois des heures, mais je m’endormais sur le canapé, en
regardant un film pour combler son absence ! Alors, ouais, je me suis investi à
dix mille pour cent dans mon café. C’était la seule chose que j’avais. Je me suis
fait des amis pour compenser son absence ! Je me suis liée avec certaines
personnes, je me suis créé une sorte de petite famille qui remplissait mes
journées ! Alors quand Dav…
Elle s’interrompt, comme choquée. Je l’observe, attendant la suite.
– Oh mon Dieu… C’est ma faute… J’ai… j’ai tellement été naïve, j’ai… Quelle
conne !
Je me lève et m’agenouille à côté de sa chaise.
– Non, Ani, je t’interdis de dire ça. Tu n’es pas idiote, ou naïve. Ils te traquaient,
ils savaient qui tu étais. Ils auraient tout fait pour que tu deviennes proche d’eux.
Ce sont… C’était des extrémistes. Prêts à tout pour t’avoir. Je ne dis pas que
Gonz est totalement blanc là-dedans, mais tu as surtout été victime de
manipulation. Tu n’as rien à te reprocher, Ani, rien… Tu lui en veux, mais quand
tu t’es écroulée, tu lui as tendu la main. Tu étais entre lui et le tireur. Comme si
tu avais eu un instinct de protection envers lui. Il ne l’a pas vu, mais moi, si.
Elle sanglote, sans retenue. Je la prends dans mes bras, et elle se laisse faire. Elle
se blottit contre mon torse, et vide sa colère, sa peine, sa douleur. Après quelques
instants, je me relève, et vais m’installer sur le canapé. Je nous recouvre d’un
plaid.
– Ne t’en veux pas, Ani, je t’assure que ce n’est pas ta faute. Et personne ne t’en
veut. Ni même ne t’en voudra.
– Mais j’ai fait souffrir tout le monde ! Je…
– Arrête, s’il te plaît. Tu te fais du mal pour rien. Tes dernières analyses
remontent à quand ?
Elle se tend lorsque je lui pose cette question.
– La drogue, elle est encore présente ?
– Oh, oui, un peu.
– C’est aussi une explication. Ton corps est en train de se purifier de cette merde,
et en attendant, tu es encore un peu perturbée à cause des résidus. Ça va passer.
Ça va aller mieux. Je te le promets.
Je la berce, comme quand elle avait six ans et qu’elle faisait des cauchemars.
Elle s’endort contre moi, ses mains sur mon torse. Je la regarde dormir encore un
moment. Je retrouve ma sœur… Et ce putain de poids qui pesait dans ma
poitrine s’évapore enfin.
Chapitre 31

Anila

– Mamaaannn ! Tatie, elle fait dodo avec papa sur le canapé !


Le rire d’Ava me parvient de loin, de très loin.
– Laisse-les se reposer, ils sont fatigués.
Pourtant, mon neveu m’a bel et bien réveillée. Ainsi que Finn qui remue sous
moi.
– Salut, grogne-t-il.
Je me redresse. Il doit avoir mal partout…
– Désolée, je me suis endormie, ça n’a pas dû être très confortable pour toi de
dormir ainsi.
– Ne t’inquiète pas, me répond-il en s’étirant. J’ai connu pire.
Oui, j’imagine que ses Opex l’ont endurci. Nous nous levons, prenons le temps
de nous étirer, puis rejoignons le reste de la famille dans la cuisine. Aiden
m’offre un sourire magnifique, et Cecilia réclame les bras de son père. Ava la
donne à Finn et me prend à son tour dans mes bras.
– Heureuse de voir que la nuit a porté ses fruits, me souffle-t-elle à l’oreille.
Installe-toi, le petit-déjeuner est presque prêt.
Je lui souris en retour.
– Merci, pour tout, Ava.
Elle retourne vers la cafetière, je m’installe et, pour la première fois depuis mon
retour, je prends le petit-déjeuner avec ma famille. Soudain, une nausée me
prend. Et je n’arrive pas à la réprimer.
– Ça va ? me demande mon frère. Tu es toute pâle.
– Je… Excusez-moi.
Je me lève précipitamment, et sors prendre l’air. Les quelques fois où je me sens
nauséeuse, sortir dehors me suffit. J’espère que cette fois aussi… Jusqu’ici, étant
donné que j’évitais les repas en commun, je mangeais ce qui me faisait plaisir. Et
je ne buvais plus de café, objet de mon estomac retourné. Quelques minutes plus
tard, je me sens mieux. La nausée est passée. Je retourne dans la cuisine, et deux
paires d’yeux, perplexes et, surtout, attendant des explications, me fixent.
– Plus tard, s’il vous plaît…, grogné-je.
– Je ne te propose pas de café, se moque ma belle-sœur.
– Non. Merci !
Après le petit-déjeuner, mon frère s’attarde à la maison. Plus que les autres jours,
visiblement. Aiden joue dans sa chambre et Cecilia est couchée.
– Tu comptais nous le dire quand ? me questionne Finn.
– Après la prochaine échographie, lui réponds-je.
– La prochaine ? Il y en a eu combien ? s’étonne-t-il.
– Deux en Serbie… Je ne savais pas avant… On me l’a appris quand je suis
sortie du coma…
– Ce qui explique aussi tes réactions épidermiques…, rétorque-t-il.
– Bienvenue dans le monde des femmes enceintes, Ani, se moque gentiment
Ava.
Puis, elle se lève, m’enlace et reprend.
– Je suis si heureuse pour vous ! Gonz doit être aux anges.
Devant mon silence, elle s’écarte, et les deux me regardent, suspicieux.
– Il n’est pas au courant ? s’enquiert Ava.
Mais cela ressemble plus à une affirmation.
– Sérieusement, Ani… Putain ! Tu te rends compte ? râle Finn.
– Et t’aurais fait quoi, toi, à ma place ? J’ai été droguée durant des semaines, je
ne sais même pas s’il est normal, s’il va bien… Et Gonz, je… Je ne l’ai pas revu
depuis mon retour.
– D’accord, j’entends tout ça, reprend Finn. Mais tu comptes faire quoi ?
– J’en sais rien, bredouillé-je en m’enfonçant dans mon fauteuil. Je… je ne sais
pas…
– On est là, Ani, me rassure Ava. Et on t’aidera, n’est-ce pas, chéri ?
Finn soupire, puis répond.
– Oui, ça va ! Ne me regardez pas comme ça, toutes les deux.
Puis, il ouvre ses bras et je m’y réfugie. J’aime mon frère, et j’ai été dépassée par
tout, submergée par les émotions et assez conne pour imaginer qu’il avait
manigancé quoi que ce soit. Je leur raconte ce que le docteur Meyers m’a dit.
Les taux évoluent bien, preuves que le bébé est toujours là, mais je sais que
prochainement ce taux n’augmentera plus. Et il faudra que je patiente jusqu’à
l’échographie.
– Tu sais, je pense vraiment que tu devrais en parler à Gonz. Je sais, Ani,
continue mon frère, que tu as peur, que tu te sens coupable, mais il a besoin de
toi. Tout comme toi, tu as besoin de lui. Il est perdu, tu sais, vraiment, il ne
comprend pas…
– Je sais. Mais comment…
– Va le voir. Il est soit au loft, soit au bar qui est à l’angle de la rue. Il ne bosse
pas. On lui a imposé du repos. Mais ne tarde pas trop, tu sais, il est vraiment mal.
Je ne l’ai jamais vu ainsi.
Oh…
– Tu me mets la pression, ris-je maladroitement.
– Désolé… Mais fais quelque chose, sœurette. Vraiment…
– Je… je vais y réfléchir.
Finn se lève, nous annonce qu’il va aller faire un tour à l’agence, étant donné
qu’Alejandro n’est pas présent. Ava m’abandonne à son tour, et va rejoindre
Aiden afin de jouer avec lui. Quant à moi… Je remonte dans ma chambre, afin
de me reposer un peu, mais je n’arrive pas à fermer l’œil. Je tente d’imaginer des
scénarios tous plus improbables les uns que les autres afin d’aller voir Alejandro,
d’avoir une excuse pour le voir, en fait. Je ne suis pas très fière de moi. J’ai
honte. J’ai rejeté la faute sur lui alors que finalement ni lui ni moi ne sommes
responsables de ce qui m’est arrivé. Finn avait raison. Ils me voulaient. Ils
m’auraient eue par n’importe quel moyen.
Le lendemain soir, l’idée est toute trouvée. Je veux retrouver une vie, et non plus
une vie de future maman qui se morfond. Cependant, je ne trouve pas vraiment
la force de retourner là-bas toute seule… Alors je lui envoie un message.
J’espère qu’il répondra…
[Bonsoir… Je suis désolée de te déranger à cette heure-ci, mais j’ai besoin de
toi… J’aimerais retourner au café. Mais je n’ai pas le courage de le faire seule…
Pourrais-tu m’y retrouver dans quinze minutes environ ?]
Sa réponse arrive presque immédiatement.
[Je serai toujours là pour toi. Je serai là.]
Je me suis déjà préparée un minimum. Même si l’envie de sortir les fringues
sexy et le maquillage mystérieux n’est pas là, j’ai enfilé un jean slim, une
chemise blanche un peu ample dont j’ai rentré les pans avant dans mon pantalon.
Une paire de ballerines, un peu de poudre effet bonne mine et c’est parti.
Arrivée dans le salon, Finn me tend ses clés de voiture, ainsi que le double du
café. Je n’avais même pas pensé à mes clés du boulot…
– Gonz est tout excité, il vient de m’écrire pour me dire que tu lui avais filé
rendez-vous.
Sérieusement ? Ces mecs sont pires que des nanas !
– Préviens-nous simplement si tu rentres ou pas, histoire qu’on ne redécolle pas
pour le Kosovo dans l’heure qui suit, ironise Finn. Et je te dirais bien de sortir
couverte, mais je crois qu’il est un peu tard.
Je pouffe ! Cet idiot a le don de faire baisser mon stress d’un cran.
– Chéri, tu ne ferais pas carrière dans l’humour, lui dit Ava. Profites-en bien,
Ani, et prends soin de toi.
Elle me fait un petit signe de la main, puis je sors. Le SUV de Finn est énorme.
Je me mets au volant et règle le siège. Il faut dire qu’entre le mètre quatre-vingt-
douze de mon frère et mon mètre soixante… Treize minutes plus tard, je me gare
devant le café. Alejandro est déjà là. Un blazer en cuir usé, brun, sur le dos, un
jean brut légèrement délavé, glissé sur ses hanches, un tee-shirt blanc, col en V,
qui laisse apparaître sa peau dorée. Je pousse un soupir avant de sortir de la
voiture. Lui comme moi sommes tendus. Nous n’osons pas nous regarder dans
les yeux.
– Salut… Désolée de t’avoir dérangé. Et… merci d’être là, lâché-je en regardant
mes pieds.
– Tu ne me déranges pas. C’est normal. Ça me fait plaisir d’être venu. Enfin,
d’être là, avec toi.
Je souris. Il est touchant. Mais je sais que s’il est ainsi, c’est aussi par ma faute et
qu’il ne sait pas comment m’aborder. Je sors mes clés, et me baisse pour ouvrir
quand ses doigts rencontrent les miens.
– Donne, je vais le faire.
Il ouvre le rideau métallique, puis la porte. Nous entrons et refermons à clé
derrière nous. Instinctivement, je me dirige derrière le comptoir et allume les
luminaires. La lumière est tamisée et chaleureuse.
– Comment tu te sens ? me demande-t-il alors que je n’ose lever la tête.
– Ça va, ça tire encore un peu, parfois, mais dans l’ensemble, je vais bien. Et
toi ?
– Moi ça va, je n’ai pas reçu de balle dans la poitrine, ironise-t-il.
Cependant, je ressens toute la douleur qu’il a endurée dans sa voix.
– Je suis désolée, pour tout, Alejandro, je suis vraiment désolée, soufflé-je.
– Eh…
Je le sens s’approcher de moi. Délicatement, il pose ses mains sur mon visage.
– Ani, regarde-moi. Ma puce, je ne t’en veux pas, je ne comprends pas, mais je
ne t’en veux pas…
Une larme s’échappe de mes yeux, il l’essuie avec son pouce. Puis une autre, et
encore une autre.
– Viens ici.
Il m’attire contre son torse et sa chaleur ainsi que son odeur m’envahissent.
– Tu m’as manqué, souffle-t-il dans mes cheveux. J’ai tellement besoin de toi…
Je m’écarte légèrement. J’ai tellement de choses à lui dire… Mais je ne veux pas
brûler les étapes ni tout balayer d’un coup. Je ne peux pas. Pas tout de suite.
– Tu es toute pâle, viens t’asseoir. Je vais chercher quelque chose à boire. Un
café ? me propose-t-il.
Je ris jaune, et lui demande un chocolat chaud. Quelques instants plus tard, il
revient s’installer en face de moi.
– Tiens, bois, ça va te faire du bien.
À croire que les boissons sucrées sont l’idéal pour les discussions importantes.
– Merci.
Je souffle sur mon chocolat et prends le temps de respirer avant d’attaquer mon
explication.
– Je t’en ai voulu. Parce que j’ai pensé que c’était à cause de tes absences si je
me suis liée d’amitié avec les mauvaises personnes.
– Ani…
– Non, laisse-moi finir. S’il te plaît. Finn m’a fait réfléchir et comprendre que
c’étaient eux. Que de toute façon, ils me voulaient et ils auraient tout fait pour
m’avoir. Il m’a fallu du temps. Mais il a raison.
– Non. Oui ! Putain ! Il a raison. Mais je suis vraiment désolé si tu as ressenti
mon absence. Je ne voulais pas. Je savais que je passais beaucoup de temps au
boulot, que je prenais beaucoup de missions. Mais j’avoue que je ne pensais pas
que ça te pesait autant… Et je m’en veux, si tu as pensé tout ça…
Je hoche la tête. Oui, j’ai ressenti ça. Je ne vais pas lui dire que ce n’est pas
grave ou qu’il n’y est pour rien. Enfin, si, mais pas dans mon enlèvement.
– Je… Si on doit revivre ensemble, je ne veux plus que tu bosses autant. Parce
que j’ai besoin de toi… On aura besoin de toi, lâché-je en posant ma main sur
mon ventre, caché sous la table.
– On ?
Le regard d’Alejandro s’assombrit, se remplit d’incompréhension. Alors, je
décide de faire le grand saut et tout lui révéler.
– En me réveillant, j’ai passé toute une batterie d’examens. On m’a appris que
j’étais enceinte. De six semaines. Je ne t’ai rien dit, car on m’a parlé de miracle,
mais aussi de risque de ne pas mener cette grossesse à terme. À cause de la
drogue que j’ai prise.
– Qu’on t’a fait ingérer, me corrige Alejandro.
– J’ai peur. J’ai peur qu’on me prenne ce bébé. Qu’on nous prenne ce bébé.
– Je vais être papa, alors ? me questionne-t-il, le regard totalement éclairé.
Je hoche simplement la tête. Il se lève et vient s’installer à mes côtés.
– J’aurais aimé que tu me le dises dès que tu l’as su. Parce que, putain, bébé,
c’était notre rêve, un projet qu’on voulait concrétiser. Un morceau de toi, un
morceau de moi… Je comprends tes peurs, tes appréhensions. Mais je veux être
là. Je ne veux pas être épargné. Je veux souffrir avec toi, je veux avoir peur avec
toi, je veux attendre. Avec toi, Ani. Parce que tu es ma vie. Tu es mon oxygène.
Je t’aime…
C’était à moi de lui dire tout ça. C’était à moi de lui ouvrir mon cœur, de lui
parler.
– Je suis désolée… Je n’ai jamais voulu te blesser, te faire du mal. Je me sens
égoïste. Je t’ai rendu responsable de quelque chose que personne ne pouvait
éviter. Je t’aime, je t’aime tellement… Je te demande pardon, Alejandro…
Je n’arrive pas à lui en dire plus. Comme si je n’avais pas le droit, comme si ce
n’était pas légitime…
– Tu es pardonnée. Et j’imagine que ce petit têtard qui pousse dans ton ventre
chamboule un peu tout, rigole-t-il doucement, en caressant mon ventre encore
plat.
– Oui. Les analyses montrent aussi qu’il reste encore un peu de drogue dans mon
organisme.
– Je comprends.
Il me demande comment je vais, mais je sais que ce n’est pas la simple question
de courtoisie. Je lui raconte mes regrets, mes craintes aussi. Mes sautes
d’humeur. Et elles sont nombreuses.
– Ton frère doit être dingue, se moque-t-il.
– Je pense que j’ai été très dure avec lui… soufflé-je.
– Certainement. Tu sais, on n’a pas compris tes réactions, quand tu t’es réveillée.
On pensait retrouver l’Anila qu’on connaissait, qu’on connaît. Ça a été dur de
voir que tu me rejetais.
Son regard est teinté d’un voile de tristesse. Soudain, je me sens écrasée par un
poids de culpabilité. Qu’est-ce que j’ai fait ?
– Je n’ai… Je t’aime, je te le promets. Et je m’en veux pour ce que j’ai fait. La
réaction que j’ai eue… Il va me falloir du temps pour pouvoir me pardonner à
moi-même…
– Je sais. Mais on y arrivera.
Chapitre 32

Gonz

Elle hoche la tête, sans ajouter un mot. Je la sens sur la défensive, comme si
elle se retenait. Je dirais bien que c’est la drogue restante dans son organisme ou
les hormones, mais je ne sais pas. Elle semble prudente. Elle a certainement du
mal à refaire confiance à ceux qu’elle aime, à se lâcher. Et je ne veux pas la
perdre. Alors, je ne veux pas la brusquer. Je vais aller à son rythme, bien que là,
je n’aie qu’une envie : la ramener chez nous, et lui montrer combien je l’aime.
Lui faire couler un bain, lui préparer encore et encore des boissons chaudes,
autant qu’elle voudra, masser et dénouer chaque muscle douloureux, chaque
tension dans son corps. Pallier chaque envie qu’elle aura, trouver des fraises en
novembre, lui cuisiner des nachos au cheddar à deux heures du matin… Je veux
tout ça. Je veux le lui prouver.
En attendant, près de quatre heures après l’avoir rejointe au café, je la
raccompagne à sa voiture. Elle rentre chez son frère. J’ai l’impression que c’est
son refuge. Là où elle se sent en sécurité. Alors, je sais ce qu’il me reste à faire.
– Fais attention à toi sur la route, lui dis-je.
– Promis, me sourit-elle en retour.
Mes lèvres trouvent les siennes toujours aussi sucrées. Je l’embrasse tendrement,
délicatement, puis ma langue caresse sa lippe inférieure. Elle me donne accès à
sa bouche, elle me laisse l’embrasser et lui montrer l’amour que je lui porte. Ses
mains, jusque-là sur mes flancs, remontent jusqu’à mes épaules, puis les
cheveux. Elle les tire légèrement, mais cela suffit à me faire lâcher un
grognement. Notre baiser s’intensifie, et, n'étant qu’un homme, je m’écarte. Je
serais capable de la basculer sur mon épaule et lui faire l’amour au détour d’une
ruelle.
– Les hormones ? la taquiné-je.
Elle rougit avant de me répondre.
– Peut-être bien !
Mon Anila n’est pas loin. Celle que je connaissais, que je veux retrouver.
Je dépose un nouveau baiser, chaste, cette fois, et la laisse s’installer au volant
du SUV de Finn.
– Je t’écris en rentrant, me souffle-t-elle.
– Bien. J’attendrai ton message.
Elle démarre et s’éloigne dans la nuit de Boston. Je sais qu’un premier pas a été
franchi ce soir, mais qu’il nous reste encore du chemin à parcourir. Cependant,
lorsque je regarde derrière moi, je sais que ce pas est immense. Hier encore,
j’enchaînais les bières avec Finn.
– Je ne sais pas ce que je vais faire sans elle…
– Ne t’inquiète pas, je suis certain que ça va s’arranger, Gonz. Elle m’a
pardonné. Ça a mis du temps, mais elle comprend certaines choses. Ça viendra.
– Mais j’en peux plus, bordel ! ai-je râlé en tapant du plat de la main sur le
comptoir. Je peux plus rentrer chez moi, où le silence est d’or, où je me rappelle
avoir retrouvé son téléphone abandonné. J’ai mal, putain ! J’ai mal !
– Je sais. Je comprends. N’abandonne pas, pas maintenant…
Au ton que mon meilleur ami emploie, j’ai senti qu’il me cachait quelque chose.
– Je ne te dirai rien. Mais je pense qu’elle te rendra prochainement visite. Les
choses font leur chemin dans sa tête. Et ce n’est pas évident pour elle d’intégrer
le fait qu’elle ait merdé.
– T’es sûr de toi ? ai-je demandé avec un demi-sourire.
– Oui. Ava et moi, nous lui expliquons chaque jour qu’il devient urgent qu’elle
vienne te parler. Je sais qu’elle y pense.
– OK.
J’ai laissé le fond de ma bière, payé les tournées accumulées jusque-là, puis
foncé vers la sortie.
– Où vas-tu ? s’est enquis Finn.
– L’attendre !
Alors, je suis rentré chez moi, j’ai nettoyé le loft de fond en comble, effaçant les
vestiges de mes précédentes beuveries. Jamais ça n’a été aussi propre. Ce n’est
que le soir, lorsque j’ai reçu son message que j’ai respiré de nouveau. Depuis,
j’ai l’impression de revivre. Même si je sens bien que rien n’est acquis.
Dix jours que nous nous sommes revus, retrouvés. La distance qu’elle avait
envers moi s’envole petit à petit. Nous discutons énormément, comme si c’était
une étape obligatoire. Nous sommes loin de la relation passionnée que nous
avions. Mais je comprends. Elle est tellement préoccupée par l’avenir du bébé.
La semaine prochaine, nous avons une échographie, afin de vérifier que le cœur
bat bien, et qu’il grandit bien. Ses analyses montrent qu’elle n’a plus de trace de
drogue dans son organisme, c’est quelque chose qui l’a rassurée, et je
comprends.
Ce soir, elle vient manger chez moi, chez nous. Mais avant ça, je dois faire
quelque chose. Ava me rejoint à l’adresse que je lui ai envoyée par message.
– Eh ben… On peut dire que tu ne fais pas les choses à moitié, toi, se moque-t-
elle gentiment.
– Tu crois que ça lui plaira ?
– Je pense qu’elle sera rassurée, cela lui permettra, vous permettra de tourner la
page et démarrer un nouveau chapitre dans votre vie. C’est une super idée.
– Je veux lui redonner confiance…, avoué-je.
– Gonz, ce n’est pas en toi qu’elle n’a pas confiance… C’est en l’avenir. Tant
qu’elle n’aura pas ce bébé dans ses bras, elle ne s’autorisera pas à vivre
pleinement.
– Je sais. Rappelle-moi combien dure une grossesse, déjà ?
Ava rigole, mais elle comprend bien mon ironie. La patience, je vais devoir la
développer. Encore plus !

Anila

Ce soir, Alejandro m’a dit qu’il passait me chercher et qu’il me réservait une
surprise. Au téléphone, j’ai perçu dans le son de sa voix une certaine nervosité.
Au fil des jours, je me sens plus à l’aise avec lui, moins tendue. J’apprends à
gérer cette nouvelle situation. Ava m’avait dit, lorsqu’elle attendait Cecilia, que
les enfants prenaient une place primordiale dans la vie de maman. Je le savais
déjà, mais je ne pensais pas autant. Est-ce le contexte dans lequel je vis mon
début de grossesse qui fait ça ? J’imagine que cela pèse beaucoup dans la
balance, oui.
Dix minutes avant l’heure prévue, je suis prête, et je tourne en rond.
– Pourquoi es-tu autant stressée, me demande Ava. Tu as fait le plus dur, non ?
– Oui… Si, tu as raison. Je ne sais pas… C’est tellement… officiel !
Elle rigole doucement.
– Pourtant, vous étiez très officiels, avant, me dit-elle en mimant des guillemets
avec ses doigts.
– Je sais…
– Ani, il t’a pardonné, il a laissé ça derrière lui pour se consacrer à vous deux. Il
t’aime, n’en doute pas.
Pourtant, je me demande encore comment il a pu me pardonner pour le mal que
je lui ai fait…
– Arrête de penser, Ani, vis !
La sonnette retentit, et Aiden se précipite vers la porte d’entrée.
– Tonton Ale !
– Salut mon grand ! Ça va ?
– Oui, ça va ! Aujourd’hui, avec ma maman et tatie Nila, on a fait un gâteau au
chocolat ! Il était super bon !
– C’est génial ça, mon grand !
Ils nous rejoignent dans le salon, et waouh ! Il est magnifique. Classique, mais
pas trop… Il est parfait. Une chemise blanche, un jean noir, une paire de
chaussures habillées, juste ce qu’il faut. Je me lève et m’approche de lui. Ses
lèvres trouvent les miennes, et lorsqu’il s’éloigne, il me souffle ces mots qui me
touchent.
– Tu es magnifique.
– Salut, Gonz ! Au revoir, Gonz ! Aiden, au lit ! ordonne Ava à son fils.
Aiden grogne deux petites minutes, puis il va dans sa chambre.
– Tu es prête ?
– Oui, on peut y aller.
Il m’ouvre la porte d’entrée, puis la portière.
Il démarre et une mélodie douce et estivale sort des haut-parleurs. J’adore la
musique latine que Gonz écoute. Elle a le don d’ôter les tensions. Nous ne
roulons pas très longtemps. Cinq minutes, tout au plus. Je ne connais pas cet
endroit, mais Alejandro se gare devant une maison. Magnifique. Bardage en bois
pastel, les fenêtres blanches, un porche, une barrière en bois peinte en blanc
aussi, un rocking-chair… La maison dont j’ai toujours rêvé. Je suis toujours
perdue dans mes pensées lorsque Alejandro ouvre la portière, et me tend sa
main. Je glisse la mienne entre ses doigts.
– C’est… J’adore ! C’est magnifique, soufflé-je.
– Cinq chambres, trois salles de bains, un salon immense, une cuisine équipée, et
un grand jardin. L’endroit idéal pour un chien, quatre enfants, et une femme
parfaite, murmure-t-il en arrivant sur la terrasse couverte.
– Quatre enfants ? souris-je.
– On peut commencer par un.
Il se tourne vers moi, me tend une clé et m’embrasse tendrement.
– Ouvre la porte.
Je m’exécute. Et l’intérieur… Des bougies partout, une décoration des plus
chaleureuse, rustique. Parfaite. C’est la maison idéale. J’avance, caresse les
boiseries du bout des doigts. On est aux antipodes de la déco du loft ! Je me
retourne vers Alejandro, resté derrière moi, sur le pas de la porte. Un sourire sur
mes lèvres.
– Où est-on ? demandé-je.
Son visage s’éclaire. Il rentre dans le salon, ferme la porte derrière lui et me
rejoint.
– Ici, chérie, c’est chez nous. C’est notre maison. Notre foyer. Là où va naître
notre enfant, continue-t-il en posant sa main sur mon ventre, là où ses petits
frères et sœurs s’amuseront avec lui dehors. Là où nous grandirons, nous
ensemble.
Je craque. Des sanglots me secouent, mes larmes roulent librement. Je me jette à
son cou, et trouve sa bouche. Ce baiser est libératoire, profond, le premier de
notre nouvelle vie. Après plusieurs minutes de silence et d’embrassades, je
m’éloigne et il me guide vers le canapé.
– C’est notre nouvelle vie, murmuré-je. Notre nouveau départ. Je… J’essaie
d’oublier ce que j’ai fait, mais je n’y arrive pas. Enfin, pas vraiment. C’est dur
de se pardonner ses erreurs. Plus difficile que pardonner les erreurs des autres.
– Ça viendra. C’est normal…
– Oui, déclaré-je, déterminée.
– Allez, viens, on va manger.
Il m’aide à me relever et me guide vers la cuisine. Je ne l’avais pas encore vue,
mais… Parfaite. Comme le reste de la maison. Un évier ancien, en céramique,
des armoires en bois, un piano de cuisson qui fait au moins un mètre dix de
largeur, avec trois fours et six feux de cuisson. Le rêve !
– Installe-toi, me propose-t-il en désignant l’îlot central XXL.
Il sort des sacs du frigo.
– Aubergines alla parmigiana, et osso bucco. J’ai tout préparé au loft, nous
n’avons qu’à faire réchauffer ici.
Il ôte sa veste, et je l’observe, de dos, en train de s’affairer. Sa chemise se tend à
chacun de ses mouvements. J’adore le voir cuisiner. Un homme aux fourneaux,
je trouve ça très, très sexy. Quelques minutes plus tard, il nous sert une salade de
tomates et mozzarella. C’est délicieux ! Le reste du repas l’est tout autant. La
conversation est légère. J’apprécie vraiment ce moment. Après qu’il a débarrassé
la table, Alejandro tourne mon tabouret haut face à lui et s’installe entre mes
jambes.
– Ici, c’est chez nous. C’est notre maison, notre foyer… Viens vivre avec moi…
S’il te plaît, Ani.
Je crois que je n’attendais que ça.
– Oui. Avec plaisir, lui souris-je.
Un baiser dévastateur, un corps à corps tendre et nos peaux l’une contre l’autre
viennent sceller nos retrouvailles. Un nouveau départ, une nouvelle vie. Et j’ai
comme l’impression qu’il y aura du bonheur à revendre dans ce nouveau
chapitre !
Épilogue

Gonz

« Tout va bien ». Trois mots que nous avions attendus avec impatience. Trois
mots qui ont été déterminants dans notre avenir. On nous les a répétés tout au
long de la grossesse d’Anila. Et évidemment, lorsqu’on nous a dit ça, elle s’est
libérée. Des larmes ont roulé sur ses joues durant des heures. De bonheur, de
soulagement, de joie. Elle m’a littéralement broyé la main lors de l’examen,
mais cela en valait la peine ! Le regard qu’elle m’a lancé, tellement rempli
d’espoir, a remplacé celui qui avait peur, qu’elle arborait quelques instants
auparavant. Elle est tout de même restée prudente durant les semaines qui ont
suivi. Malgré tout, j’ai retrouvé celle que je connaissais, que j’aimais. Ma
fougueuse. Elle a recommencé à vivre. À vivre comme avant. Elle a rouvert son
café, mais n’y passe plus autant de temps. Elle a embauché deux étudiantes pour
les fermetures et les week-ends, Ava travaille là-bas à mi-temps. À elles quatre,
elles s’en sortent largement ! Sortir de la maison lui a fait le plus grand bien.
Depuis nos retrouvailles, elle ne m’a plus quitté. Je continue de bosser à
l’agence, mais je fais essentiellement des petites missions de protection, et de la
paperasse. Ce n’est pas ce que je préfère, mais Anila est tranquillisée. Et nous
avions besoin d’être ensemble. De nous retrouver, de passer du temps tous les
deux, avec son ventre qui s’arrondit. J’adore ces moments. Je sais que non
seulement ils sont éphémères, mais également uniques. Les premiers battements
de cœur, les premiers mouvements, les premiers coups, les premières empreintes
de pieds qu’on peut voir à travers la peau… Que du bonheur.
Et puis, Boss nous a rejoints il y a quelques semaines. Elle rêvait d’un chien,
d’un gros chien. Nous avons donc adopté un Leonberg de presque soixante-
quinze kilos. Boss était dans un refuge depuis quelques mois, son ancien maître
étant décédé subitement. Son regard doux a fait craquer Anila. Ce qui a fait
pencher la balance ? Boss a posé son museau sur le ventre rond d’Anila, l’a
reniflé, puis léché. Il s’est assis, a posé sa patte dans la main de l’amour de ma
vie. J’avoue. Moi aussi, j’ai craqué ! Le soir même, il rejoignait la maison. Moi
qui comptais sur lui pour monter la garde, j’ai vite compris qu’il était plus doux
qu’un agneau. C’est un monstre de douceur et de gentillesse !
Anila va bien. Son ventre est plus gros que tout ce qu’on aurait pu imaginer.
Neuf kilos de bonheur. Il ne reste que quelques jours avant l’arrivée de notre
bébé. Fille ou garçon, nous ne savons pas. Nous ne voulions rien savoir d’autre
que son état de santé. Ani et le bébé vont bien, c’est tout ce qui m’importe. La
maison est désormais prête à l’accueillir, et nous l’attendons avec une impatience
démesurée. Et pas que nous, d’ailleurs. Tout le monde s’est réjoui pour nous.
Alors que je me rends dans le salon, je marche dans une flaque. Putain, Boss !
Jusque-là, il n’a pas eu d’accident, mais faut croire que ça arrive quand même
parfois. Et en plus, il en a foutu partout ! Je peux le suivre à la trace. Alors que je
râle et suis les gouttes qui partent de la flaque. Je vais jusqu’à la salle de bains du
rez-de-chaussée. J’ouvre la porte et trouve Ani, sous la douche. Tranquille. Sauf
que l’eau s’arrête ici. C’est alors que je percute.
– Putain amor, tu as perdu les eaux !
– Oui, je sais. Je finis de prendre ma douche et on pourra y aller.
Quoi ? « On pourra y aller » ? Elle a cru qu’on allait au resto ? Ou manger avec
Finn et Ava ?
– OK, euh… D’accord ! Et où sont les affaires ? demandé-je.
Son rire emplit la pièce.
– Calme-toi, chéri. Le sac est dans la chambre du bébé. Et mes affaires sont dans
la valise à côté du lit.
Je me précipite à l’étage, cours dans les chambres et récupère ce dont elle m’a
parlé. Il manque quoi d’autre ? Putain, je suis sûr qu’il manque un truc ! Je
charge les affaires dans la voiture, démarre, et recule dans l’allée. Quelques
instants plus tard, mon téléphone sonne. C’est Ani.
– Chéri, tu es où ?
– Je… Je suis sur la route…
– Donc tu vas à la maternité sans moi… Curieux, non ? rigole-t-elle.
Putain, j’ai oublié ma femme enceinte ! Quel con ! Je fais demi-tour, les pneus
fument… Lorsque j’arrive devant la maison, Anila est là, le sourire aux lèvres.
– Je suis désolé, amor, j’ai… Pardon.
– C’est pas grave, aide-moi juste à m’installer.
Je m’exécute et, enfin, nous allons à la maternité.
***

– Aaarrrhhhhhhhhhhh
– C’est bien, mi vida, t’es la meilleure !
– La ferme, Alejandro ! Ça fait quinze heures que notre bébé essaie de trouver la
sortie et qu’il ne la trouve pas !
– Je sais, mais ça va aller.
La sage-femme qui se trouve dans la chambre avec nous rassure Anila.
– Vous y êtes bientôt. Plus qu’une ou deux poussées et cette petite canaille sera
là. Allez, bloquez… Maintenant !
C’est ainsi que quelques secondes plus tard, la plus douce, agressive, aiguë,
mignonne des mélodies emplit la salle.
– C’est un petit garçon, nous annonce Ellen, la sage-femme. Félicitations !
Notre fils se blottit contre le sein de sa mère, et c’est la chose la plus forte à
laquelle j’ai pu assister jusque-là. Tellement primaire, tellement animal. Shane
Juan Callum Gonzalez. En l’honneur de mon père décédé, ainsi que du père
d’Ani. Elle n’a pas voulu intégrer le prénom de son père biologique. C’est son
choix. Je l’ai respecté. Alors que Shane prend sa première tétée, Ani me regarde.
Profondément. Jusqu’au bout de mon cœur, de mon âme. Je comprends
rapidement que c’est le moment.
– Épouse-moi, soufflé-je alors que je m’installe à ses côtés. Je sais que ce n’est
pas la plus romantique des demandes, mais amor, épouse-moi…
– C’est la plus parfaite des demandes, me sourit-elle. Oui…
– Oui ?
– Oui !
Shane émet un petit gémissement, comme s’il était lui aussi d’accord. Mon cœur
explose. De bonheur, de tendresse, de béatitude, de… de tout ! Jamais je ne me
suis senti aussi complet…

***

Les semaines ont passé, et ma vie est plus parfaite que je n’aurais pu
l’imaginer ! Nous découvrons les joies de la parentalité, et la gestion des
sentiments profondément forts qui nous submergent. Ava a beaucoup aidé Anila
au début. Elle voulait trop bien faire, elle se mettait une pression telle qu’elle
était malheureuse. Nous avons trouvé l’équilibre qui nous convient.
J’ai embauché trois nouveaux agents et, désormais, je reste uniquement dans les
bureaux. J’aide Ted dans la partie recherche et localisation. Nous sommes les
deux têtes pensantes des enquêtes. Mass et Tina continuent leur duo sur le
terrain, mais aussi à la maison. Ils ont enfin réussi à discuter, à se dompter, à
s’apprivoiser. Et bien que Mass se plaigne des nanas et de leur esprit complexe
et sinueux, il ne quitte pas sa Tina d’une semelle. Ils sont fusionnels, et semblent
avoir trouvé leur propre équilibre. Au début, Tina n’osait pas vraiment se
dévoiler ni se laisser aller. Comme si elle se retenait, qu’elle ne s’autorisait pas
ce bonheur. Son passé la freinait. Et lorsqu’elle a enfin osé en parler à Mass, il a
su trouver les mots, faire ce qu’il fallait pour lever les appréhensions de Tina.
Depuis, c’est le bonheur total entre eux.
Mike est retourné en prison, mais dix jours plus tard, il a été autorisé à sortir. Sa
peine a été allégée, car il a participé à la résolution d’une affaire internationale et
délicate. Ted et James ont appuyé la demande de sortie. Depuis… Il est inconnu
au bataillon. Il a changé d’identité et vit je ne sais trop où. Il est dans le
programme de protection des témoins. Le réseau d’Azarov a bien été démantelé,
mais il a gardé de nombreux fidèles qui s’échineront à remettre sur pied un
réseau. Je lui suis redevable d’avoir sauvé la femme de ma vie. La mère de mon
fils. Je n’ai pas eu l’occasion de le revoir après notre retour. Si un jour… Peut-
être. Je lui dirai merci.
Parce que même si la vie s’échine à être dure, à nous infliger des épreuves que
l’on imagine insurmontables, il faut se battre jusqu’au bout. Pour avoir
l’existence que l’on veut. Celle dont on a rêvé. Parce que le bonheur est juste au
bout…
FIN
Remerciements

Une nouvelle histoire qui se termine. Celle d’un homme et d’une femme,
passionnément amoureux, mais que la vie va éprouver. Mais le lien entre eux est
plus fort que tout !
Cette histoire n’a pas été évidente à écrire pour moi, pas forcément intuitive. Des
hauts, des bas, mais un point final, et j’espère que vous serez transportés autant
que j’ai pu l’être en lisant les aventures de Gonz et Anila.
Et voilà venu le moment d’écrire les remerciements. Ce moment stressant où on
a peur d’oublier quelqu’un, quelque chose, où on ne sait pas quoi dire, en
général.

Alors, d’abord :
Merci à mes super-bêtas, Crispin, Émilie, Lixia, Delphine, Stéphanie, pour vos
retours, votre patience, votre disponibilité. Merci pour tout !
Merci à Aneso, pour tes conseils, nos petits brainstormings genre « Ouais, alors
voilà, j’avais pensé à ça, mais tu vois, si je veux aussi qu’il fasse ça, ça va être
compliqué. » « Ouais, pas faux. Attends, faut faire comme ça ! ». « Putain ! Bien
vu ! Merci ! ». Voilà. N’empêche, c’est marrant, c’est sympa. PS : House et le
docteur Grey n’ont pas pu m’aider sur ce coup, lol !
Merci à Marie Sorel, auteure, qui a pris le temps de me répondre, de trouver les
réponses à mes questions toujours plus tordues les unes que les autres. Merci,
parce que vraiment, entre auteurs… Ce n’est pas toujours cette relation
d’entraide qu’on a !
Merci à Aude, amie de Marie, qui m’a permis d’avoir un cours de médecine en
accéléré ! Merci d’avoir permis à Anila de presque mourir, et presque
ressusciter ! MDR.
Merci à Sophie, ma super correctrice, hypra disponible, à l’œil affûté. Merci
d’avoir été là, malgré le crabe qui s’est incrusté dans ta famille. Force et
courage.
Merci à Laly, ma graph de dingue ! Encore une fois, une couverture parfaite faite
en… trois minutes ? Ouais, je crois ! À la prochaine couv !
Merci à mon mari, qui m’a toujours soutenue et poussée à faire cette passion, à
ma pépette d’amour, pour qui je veux faire ça. Pour qu’elle soit fière de moi. À
mon imprévu, qui pointera bientôt le bout de son nez. À cette nouvelle vie qui se
profile pour nous.
Et enfin, merci à vous tous, lecteurs, lectrices, vous qui me glissez un petit mot
sur les réseaux sociaux ou en privé. Vous qui me poussez, m’encouragez quand
les bras baissent un peu.
Notes
[←1]
Agents du MI-5, se sont rencontrés dans le T1, Always And Forever
Table of Contents
1
←1

Vous aimerez peut-être aussi