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Forever and
Ever
Résumé
Anila, c’est la femme de ma vie. Celle qui a su me faire voir la vie autrement,
celle qui a réussi à me faire lever le pied au boulot. C’est une lionne, ma tigresse.
Au début, j’ai bien cru que son frère aîné, ancien collègue et meilleur ami, Finn,
allait m’arracher les couilles et les yeux. Elle ne lui a pas laissé le choix, et il a
abdiqué. Pourtant, cette fois, c’est elle qui merde. Au péril de sa vie… Est-ce
que nous pourrons la sauver ? Nous laissera-t-elle seulement faire… Nous ne lui
laisserons pas le choix. Parce que je l’aime. À en crever, s’il le faut…
© 2019, Alessia Jourdain.
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Cet ouvrage est une fiction. Toute ressemblance avec des personnes ou des
institutions existantes ou ayant existé serait totalement fortuite.
Prologue
– Ani ? Ani, tiens le coup ! Putain, mais qu’est-ce qu’ils foutent ? Ani !
Cette voix… Elle hurle mon prénom. Comme pour me retenir. M’empêcher de
partir. Je sens qu’on m’aspire, qu’on m’emmène malgré moi vers un autre
monde. L’autre monde. Et je ne peux pas lutter. Dans mon esprit, je tends la
main, Alejandro l’attrape et me retient. Mes doigts glissent et je tombe dans le
vide. Le liquide chaud continue de couler, et plus il s’échappe, plus l’énergie me
quitte. Une vague de froid me saisit, me paralyse. Je suis incapable de réagir, de
faire face.
Des bruits étranges se font entendre autour de moi, des tirs, des sirènes, des cris.
– Ani, t’as pas intérêt à me faire ça. Je t’ai ramenée une fois, je le ferai autant de
fois qu’il le faut. Mais ne me fais pas ça, s’il te plaît…
Mon frère, Finn… Mon sauveur… Une autre voix me parvient.
– Ani, ma puce, mon amour… S’il te plaît… Reste avec moi. Ne pars pas. Je ne
sais pas vivre sans toi. Je t’aime, je t’aime tellement… Ne m’abandonne pas…
Alejandro… J’aimerais lui dire que je l’aime, qu’il est tout pour moi. Que je suis
désolée d’en être arrivée là. Que je suis désolée d’avoir fait ça, d’avoir répandu
ce mal autour de moi… Mais je ne peux pas. Je sombre… Je pars… Je
m’endors, envahie par ces frissons morbides…
– Aaannnniiiii… Nooonnn…
Chapitre 1
Anila
Finn
Beaucoup de choses ont changé depuis le temps. Notre princesse nous prend
beaucoup de temps, elle est beaucoup moins calme que son frère ! Elle touche à
tout, et encore plus du haut de ses dix-huit mois ! Cependant, son sourire, ses
petites mains et ses babillages, ses bêtises aussi font fondre mon cœur. Même si
Aiden m’a fait goûter aux joies de la paternité, je ne suis pas son « vrai » père.
Pour autant, je l’aime comme mon fils, comme s’il était mon sang. Mais Cecilia
a touché mon cœur plus profondément. Je ne fais pas pour autant aucune
différence entre eux. Nous faisons tout pour que Aiden connaisse son père. Nous
lui parlons de Tom chaque fois que nous le pouvons. Une balade tous les quatre,
un chien, qu’il aurait aimé avoir, le prénom de sa sœur. Nous lui montrons des
photos. Il sait que ce monsieur est son papa, qu’il n’est plus là, mais qu’il
l’aimait très fort, plus que sa propre vie. Avec moi, il agit comme si j’étais son
père. Au début, j’appréhendais la réaction d’Ava. Je ne voulais pas qu’elle
imagine que je cherchais à prendre la place de Tom. Encore plus après mon
retour de Syrie. Avant, nous ne vivions pas vraiment ensemble. Enfin, si, mais
cela n’a pas duré vraiment longtemps. Puis, avec la grossesse, Ava a eu besoin
de temps pour se reposer. Le stress que lui avait causé ma mission à l’étranger
est retombé et la fatigue lui est tombé dessus. Elle dormait plus de quinze heures
par jour. Inévitablement, je me suis rapproché d’Aiden. Et rapidement, il m’a
appelé papa. Lorsqu’il l’a fait la première fois, je n’ai pas su comment réagir.
J’étais content, touché, mon cœur a fondu de tendresse devant ce petit être d’un
an qui m’appelait papa. Mais j’avais l’impression de bafouer la mémoire de mon
meilleur ami. Et j’avais peur de blesser Ava. De remuer de mauvais souvenirs,
qu’elle souffre de l’absence de Tom. Que ma complicité avec Aiden lui rappelle
constamment l’absence de son père. Finalement, elle m’a surprise.
– Il n’a jamais connu son père. Et son frère ou sa sœur t’appellera ainsi… C’est
toi qui l’élèveras, qui le soigneras quand il sera malade, c’est toi qui panseras
ses genoux quand il tombera. Tu lui apprendras à faire du vélo, comment
draguer les filles, les règles du football américain, c’est vers toi qu’il se
tournera lorsqu’il aura besoin d’un avis, Finn. Viens, approche…
Je m’assieds sur le lit, à côté de ma fiancée et son ventre gonflé.
– Je ne vais pas dire que je regrette d’avoir eu Aiden avec Tom, jamais. C’était
mon mari, l’homme que j’ai aimé passionnément, et qui m’a donné mon fils.
Mais la vie nous l’a enlevé. Tu as perdu ton meilleur ami, moi, mon mari, Aiden,
son père. Mais je sais qu’il ne ressentira jamais l’absence de son papa. Parce
que tu la combleras. Et on lui parlera de Tom chaque jour, à chaque occasion.
Je ne veux pas l’oublier, et je ne veux pas qu’il l’oublie. Tom fait partie de nos
vies, d’une façon ou d’une autre. Mais je ne veux pas que tu t’inquiètes de mes
réactions. Aiden n’est peut-être pas de ton sang, mais tu es son père…
J’essuie la larme qui pointe au coin de mon œil. C’est ma future femme. Je
l’admire. Elle a enduré tant de choses…
– Je t’aime, Finn, je te confierai ma vie, je te la confie, ainsi que celle de mes
enfants. De nos enfants. Tu es un père merveilleux, et je sais que pour celui-ci
aussi, tu seras parfait, dit-elle en prenant ma main et la posant sur son ventre.
Je me penche et l’embrasse.
– J’ai toujours voulu avoir des enfants, mais ce n’était pas une priorité. Tu es
rentrée dans ma vie d’une façon assez inattendue, mais je ne regrette aucun des
moments qu’on a vécus jusqu’ici. Même s’ils étaient durs. Aiden et toi avez
bouleversé ma vie. De la meilleure des façons. Je vous aime, et jamais cela ne
changera.
Les mois ont passé à toute allure et nous voilà déjà le soir de notre mariage.
Nous voulions quelque chose de simple. Any s’est occupée du repas. Elle a
ouvert sa boutique de gâteaux et elle a développé une activité de traiteur
également. Son business marche tellement bien qu’elle ait été contactée pour que
sa marque devienne une franchise. Ce qu’elle cuisine est d’une justesse inouïe.
Je n’ai jamais goûté des plats aussi fins. Je ne suis peut-être pas très objectif,
c’est ma sœur adorée. Mais je sais qu’elle ira loin. Alors que je danse avec Any,
Ava accompagnée de Gonz nous rejoignent.
– Chéri, Rosa est allée coucher les enfants il y a une bonne heure, mais elle n’est
pas revenue. Je vais aller la remplacer.
– Je viens avec toi. On a fait notre devoir, lui souris-je.
Puis, je rajoute à l’intention de mon meilleur ami.
– Mec, on te laisse les clés. Amusez-vous bien.
Je quitte la salle, ma femme à mon bras. Elle est magnifique dans cette robe… Et
elle est mienne… Je mesure la chance que j’ai alors que nous regagnons le petit
hôtel attenant dans lequel se trouvent ma mère et nos enfants. Lorsque nous
arrivons, Aiden est couché dans son lit et ma mère parle à Cecilia.
– Elle n’arrivait plus à dormir, nous explique-t-elle. Mais que faites-vous là ?
– On vient te remplacer, maman, lui dis-je.
– Oh non, mes enfants. Je m’en sors très bien ! Callum viendra m’aider quand il
aura fini de goûter aux fabuleux scotchs de votre bar. Vous, allez dans votre
chambre et reposez-vous !
Ma mère nous chasse et retourne auprès de ses petits-enfants. Ava rit dans
l’obscurité du couloir.
– J’adore Rosa… Et une bonne nuit de sommeil ne nous fera pas de mal.
– Une bonne nuit de sommeil ?
– Oh oui, chéri, ne m’en veux pas… Mais j’ai besoin de repos.
Je grogne dans son cou alors que je la serre contre moi.
– Va pour une bonne nuit de sommeil, alors.
Parce que comme Ava, j’ai accumulé quelques nuits de retard. Entre la naissance
de Cécilia, la période des cauchemars d’Aiden, les dents des uns et des autres…
Les heures de sommeil fondent comme neige au soleil !
Le lendemain matin, lorsque je me réveille, le lit est froid. Ava est déjà auprès de
nos enfants. Je prends le temps de m’étirer et de fourrager mes cheveux avant de
la retrouver. C’est une vraie mère poule, à l’instinct extrêmement développé. Je
me lève, m’habille rapidement du jean et du tee-shirt noir que j’ai apportés, et
rejoins la salle où nous avons fait le repas hier soir. J’y trouve mes parents, ma
sœur, Gonz et Alice. Et Ava, Aiden sur un genou, Cecilia sur l’autre. Elle ne me
voit pas arriver.
– Bonjour, mes amours, soufflé-je dans ses cheveux alors que je l’embrasse sur
le sommet du crâne.
Elle me regarde et son sourire illumine la pièce.
– Bonjour mon mari, murmure-t-elle.
– J’adore quand tu m’appelles comme ça.
– J’adore t’appeler comme ça.
– Coucou, mes trésors ! lancé-je à mes enfants.
– Papa ! Pas trésor !
– Oh ? Comment je dois t’appeler alors ? Buddy ?
– Oui ! rétorque Aiden avant de filer.
– Heureusement que tu ne parles pas encore, princesse.
– Je doute qu’elle te demande d’arrêter de l’appeler ainsi ! Encore moins si tu la
traites comme telle.
Ma fille me mène par le bout du nez. Et alors ? N’est-ce pas le cas de chaque
père avec sa fille ?
– Moque-toi ! Dis, tes parents ne sont pas là ?
– Non. Partis ouvrir leurs chakras je ne sais trop où.
Beverly et Paul sont ainsi. Différents, mais… ce sont les parents de ma femme.
Any s’est encore surpassée ce matin. Les toasts grillés, mais pas carbonisés
comme j’ai l’habitude de les faire, les œufs brouillés sont crémeux, les confitures
qu’elle a elle-même confectionnées… Tout est excellent et parfait. Après que
tout le monde s’est délecté de ce petit-déjeuner, nous nous apprêtons à partir en
lune de miel. Mais nous ne sommes pas vraiment prêts à laisser les enfants à mes
parents. Cependant, ma mère nous presse un peu. Pour notre bien ? Par
impatience de s’occuper de nos enfants ? Sûrement des deux !
– Allez, les enfants, plus vous allez tarder, plus vous allez avoir du mal à les
laisser. Je vous promets de vous appeler chaque jour, et je vous enverrai plein de
photos. Maintenant, filez, vous allez être en retard. Profitez de votre séjour.
Nous embrassons les enfants une dernière fois avant de partir. Destination ?
Inconnue pour Ava. Je me suis occupé des réservations. Un tour d’Europe. Paris,
Rome, Madrid, Lisbonne, Londres, Athènes, en faisant une escale en Albanie.
Paraît-il que peu de touristes prennent le temps de s’y arrêter, mais que cela vaut
vraiment le détour.
Lorsque nous arrivons à l’aéroport, je remarque que le regard d’Ava est humide.
Elle tente de cacher son nez rougi. Elle a pleuré durant le trajet jusque-là, mais,
trop concentré sur la route, je n’ai rien vu… Je me tourne vers elle, et la serre
contre moi.
– Viens là, chérie.
Elle s’effondre, en larmes contre mon torse.
– Je suis une mauvaise mère ! Quelle mère laisse ses enfants comme ça pendant
quatre semaines ?
– Une mère qui veut que ses enfants soient heureux. Et pour qu’ils le soient, il
faut que tu le sois, toi. Que tu sois épanouie. Que tu trouves un équilibre entre
ton rôle de maman et celui de femme. Hey, regarde-moi, ma puce.
Je m’écarte légèrement et dépose mes mains sur ses joues.
– Ne culpabilise jamais de prendre du temps pour toi. Ce sont justement ces
moments égoïstes qui vont vider ton esprit perpétuellement préoccupé par les
enfants et leurs vies, et qui vont te permettre d’emmagasiner de nouveau de
l’énergie pour eux.
– Et s’ils m’oublient ? S’ils m’en veulent ?
Je lui souris tendrement.
– Chérie, ils ne t’oublieront pas puisque nous allons leur parler chaque soir, nous
les verrons également. Et ils ne t’en voudront pas. Tu ne fais rien de mal. Ils vont
s’éclater avec mes parents, tu sais qu’ils s’adorent !
– Je sais…
– Tu ne serais pas un peu jalouse, toi ? la taquiné-je.
Elle fait une petite moue adorable, m’indiquant que je ne me suis pas trompé.
– Sérieusement, nous vivons des moments fabuleux avec eux, mais nous devons
les partager, tu sais…
– Non…
– T’es vraiment une mère ourse ! rigolé-je.
– Ne te moque pas !
Son sourire n’atteint pas ses yeux, mais elle a compris le message.
– Allez, viens, on y va, chérie.
Elle me suit, et rapidement, nous embarquons pour rejoindre notre première
étape. Le début du séjour se passe parfaitement bien. Nous commençons par
Lisbonne, puis Madrid et Rome. Le climat de ces villes est chaud, bien plus qu’à
Boston ! L’architecture du sud de l’Europe est disparate, tantôt marquée par le
passage des Arabes, ou encore des Romains. Jouer les touristes est relaxant. Être
insouciant, ne penser à rien d’autre que nous, faire l’amour à ma femme, flâner
main dans la main, grignotant des churros, de la charcuterie et autres spécialités
locales.
L’escale suivante nous mène dans la ville de l’amour, Paris. J’ai réservé un hôtel
cinq étoiles, une suite au dernier étage qui donne sur la tour Eiffel. Rien de plus
romantique. Un air d’accordéon en fond, une nuit noire étoilée. Et elle.
Nous avons fait la moitié de notre voyage qui dure un mois, et nous rejoignons
Londres. Cette ville a une saveur particulière pour nous. C’est là que tout a
basculé. En bien, comme en mal. C’est là que nous nous sommes découverts,
qu’Ava a donné une chance aux sentiments qui nous envahissaient malgré la
situation. C’est là que nous avons résolu en grande partie l’affaire qui a coûté la
vie à Tom. C’est aussi là que j’ai failli la perdre, victime d’une balle perdue…
C’est là qu’elle a constaté qu’Aiden était sur une liste d’enfants qui faisait l’objet
d’un trafic international. C’est là que cet enfoiré d’Azarov nous a démasqués.
Cependant, c’est aussi dans cette ville que je l’ai demandée en mariage. Nous
essayons de garder que le positif de Londres. Mais, volontairement, nous n’y
restons que quelques jours. Je ne veux pas ternir cette lune de miel.
Après cette étape anglaise, nous nous envolons pour Saranda, ville balnéaire
albanaise. J’ai loué une voiture afin de naviguer un peu sur la côte qui, selon les
guides touristiques, est aussi belle que la Riviera française. Je ne suis jamais
venu dans ce pays. Le Kovoso n’est pas très loin. Depuis, le pays a changé de
gouvernement. Et je ne tiens pas à y remettre les pieds. Plus jamais de ma vie !
L’hôtel dans lequel nous descendons est moderne, neuf, et sa grande façade
blanche se démarque du linéaire de béton la nuit et le jour sous les rayons du
soleil. La côte n’est pas encore un endroit très prisé et nous avons la chance
d’être tranquilles. Nous profitons de cette dernière étape pour souffler et nous
reposer un maximum. Cependant, très rapidement, mes instincts d’agent secret
se sont mis en éveil. Si j’avais ressenti une certaine tranquillité, une paix, une
sécurité dans les pays où nous nous sommes arrêtés, ici, un certain mal-être s’est
emparé de moi. Comme si nous étions épiés. Suivis. Est-ce que ça a un lien avec
le fait que le Kosovo ne soit pas loin ? Aucune idée. Pourtant, un soir, alors
qu’Ava est sous la douche, j’appelle Gonz. J’ai besoin d’évacuer mes doutes, et
il saura me dire si je divague. Heureusement, il décroche à la première sonnerie.
– C’est moi. On connaît du monde en Albanie qui nous en veut ? Ou on a eu une
mission là-bas, ou en lien ?
– Non, rien de tout ça, mec. Le dernier gros truc, c’était le réseau Azarov. Mais il
n’y avait rien en Albanie. Pourquoi ?
– Je ne sais pas. Il y a un truc malsain. Comme si… Putain, j’ai l’impression que
depuis qu’on est arrivés, on est surveillés ou suivis. Je déteste cette sensation,
grogné-je.
– N’oublie pas que cette zone était en guerre il n’y a pas si longtemps. Tu es bien
placé pour le savoir, me rappelle-t-il.
Il essaie de me tempérer, mais je sens sa nervosité d’ancien agent prendre le
dessus.
– Ouais, je sais. Peut-être que les touristes attirent les malfrats… tenté-je de me
rassurer.
– Reste sur tes gardes. Tu as ton colt ?
– Toujours. Ava est rassurée quand je l’ai.
– Je comprends. Rappelle-moi si tu as des doutes, mais je pense que ce n’est
rien. Va profiter de ta femme.
– Ouais. Merci mec de m’avoir écouté.
– Ça sert à ça, les potes. Bonne soirée à tous les deux, Finn.
Je raccroche, mais ma méfiance ne s’est pas franchement calmée. Je décide de
rester sur mes gardes. Le reste de notre séjour ici s’est bien passé, mais cette
impression est restée jusqu’au bout. Elle m’a suivi jusqu’à Athènes, notre
dernière étape. En rentrant aux États-Unis, elle s’est estompée. Mais je ne sais
pas pourquoi. Je sens que ce n’est que le début…
Chapitre 3
Inconnu, États-Unis
Anila
Depuis le mariage de Finn et Ava, je suis sur mon nuage. Nous avons passé
quelques jours chez mes parents, avec les enfants. J’adore voir Alejandro passer
du temps avec Aiden et Cecilia, et je me dis que j’ai hâte d’avoir mes enfants à
moi. À nous. Des petits Gonz bruns qui courent partout dans le loft dans lequel
on vit… J’en rêve, en fait. Seulement, les derniers mois ont été compliqués pour
Alejandro et je sais qu’il a besoin de prendre les choses les unes après les autres.
D’abord digérer la trahison de Mike, puis sa démission de la CIA, le procès, sa
nouvelle boîte. Manitowoc est une ville relativement calme, dans le Wisconsin,
l’un des états les moins peuplés des États-Unis. Ce qui nous rend célèbres ?
Figurez-vous, Spoutnik, la navette spatiale, a perdu un fragment de presque dix
kilos et est tombé dans la ville dans les années 60. Aiden et Cecilia ont l’espace
qu’il leur faut pour crapahuter, tomber, courir, se relever. Papa s’est mis en tête
de construire une cabane dans l’arbre du jardin, un gros chêne centenaire, pour
les enfants, quelques mois après que Finn est rentré de Syrie. Pour qu’ils aient de
quoi s’amuser lorsqu’ils viennent en vacances. Ma mère et lui ont également
acheté deux poneys, un âne et quelques poules. La raison ? L’attrait soudain et
durable d’Aiden pour les animaux. Ils sont complètement dingues de leurs petits-
enfants. Lorsqu’ils ont dû garder Aiden alors que Finn et Ava étaient en cavale,
ils ont complètement craqué sur ce petit gars. Et rapidement, avant même que
Finn et Ava soient en couple, bien que ça n’ait pas traîné, mes parents sont
devenus les grands-parents de cœur de mon petit chaton. Avec l’arrivée de
Cécilia et l’union de mon frère et Ava, cela s’est renforcé.
Mais surtout, depuis le mariage de Finn, Alejandro est attentionné, doux, tendre
et amoureux. Oui, c’est le mot. Il a délégué la direction de l’agence à Ted, l’un
de ses employés, le plus expérimenté. Il gère tout ce qui est logistique dans les
missions sur lesquelles l’agence intervient. Et la semaine que nous avons passée
à Manitowoc était douce. Nous n’avons pas dormi chez mes parents, mais nous
avons loué un petit cottage en dehors de la ville, pas très loin de la demeure
familiale. J’ai eu droit au petit-déj au lit chaque matin, des câlins en pagaille, des
je t’aime et des orgasmes intenses. C’est le mot. Intense. Entre nous, ça a
toujours été. Mais là, c’est comme si l’amour présent lors du mariage de mon
frère s’était répandu dans l’air. Et tout est amplifié.
Alejandro, je l’ai rencontré il y a quatre ans, environ un an et demi avant que
l’affaire qui a bouleversé la vie de tout le monde. J’étais avec ma copine,
Tiffany, et nous étions passées dans le bar du coin avant de sortir en boîte.
Bien évidemment, son numéro s’est rapidement retrouvé enregistré dans mon
répertoire et je lui ai écrit le soir même. Et bien évidemment, j’ai fait un petit
saut à Boston dans les semaines qui ont suivi les sextos que nous nous sommes
envoyés chaque jour. J’avais presque vingt-deux ans, lui, une quarantaine
d’années. Quarante-trois pour être exact. Autant dire que premièrement, je ne
m’y attendais pas, il fait beaucoup plus jeune que son âge, et secundo, mon frère
nous aurait tués ! En tout cas, Alejandro ! Nous avons gardé notre relation
secrète jusqu’à ce qu’il la découvre par hasard, à cause de la caisse voyante de
mon amour. Finalement, son départ pour la Syrie a joué un rôle important dans
ma relation avec Alejandro, puisque Finn n’a pas eu le temps de nous en vouloir.
Je n’ai jamais été la nana à penser robe blanche, fleurs, mariage depuis toute
petite. Je n’ai pas vraiment ce luxe en même temps. Bien que je ne me rappelle
plus vraiment ma vie au Kosovo. C’est loin. Tellement loin. Il y a quelques
années, j’ai eu besoin de connaître mon passé. J’ai parlé avec Finn qui m’a dit
ces mots qui sont si justes.
– Princesse, tu as vécu ce que tu as vécu. Ça t’a donné ce caractère, cette force.
Mais le passé est derrière toi. Vis. Avance. Le futur est ton avenir. C’est ça, ta
vie.
Creuser dans mon passé, déterrer ma vie antérieure m’apporterait quoi ? Je suis
orpheline, j’ai vécu des horreurs. Voilà ce que je sais. Et finalement, il a eu
raison. Bref, je ne me rappelle pas avoir été une affolée de la robe meringue, du
tulle et du voile, du machin bleu emprunté, ancien… Tout ça quoi. Mes copines
ne sont pas encore mariées. Mais… Je crois que j’aimerais tout ça avec
Alejandro. Notre différence d’âge ne m’a jamais surprise, parce que nous nous
complétons d’une façon assez irréaliste. Au sens propre du terme, c’est ma
moitié. Il me canalise quand je suis trop folle, il m’apaise quand je suis énervée,
il me soutient et me pousse dans mes projets. Notre début de relation n’a pas été
simple, je faisais mes études, rapides, parce que je ne suis pas accro aux
bouquins et aux exams, dans le Wisconsin. À mille huit cents et quelques
kilomètres de Boston. D’Alejandro. Il m’a poussée à poursuivre mes études, à
finir mon cursus. Finalement, j’ai été diplômée deux ans plus tard, et j’ai cherché
du boulot à Boston. Mon excuse ? La ville est plus vivante, plus attrayante que
Mani. Et mon frère me manquait.
Voilà comment j’en suis arrivée là, à trouver l’amour de ma vie. Et à vivre une
aventure émotionnelle et sentimentale inouïe. Je sais que je veux faire ma vie
avec lui, d’une façon ou d’une autre. Et au fond de moi, j’espère qu’il a une
petite idée en tête !
De retour à Boston, nous sommes repartis dans notre train-train quotidien. Adieu
les petits-déj au lit, les câlins la nuit ou au petit matin. Quoique… Non ! Il est
inépuisable ! Mais mon boulot à la pâtisserie et ses missions ont repris de plus
belle. On se croise et même s’il a levé le pied, parfois, il doit se charger lui-
même du contrat demandé par les clients. Parce qu’ils exigent d’avoir affaire au
meilleur. Et cette semaine, c’est exactement le souci. Il a dû partir quatre jours je
ne sais trop où faire je ne sais trop quoi. Quand je me sens trop seule au loft, je
vais dormir chez Ava et Finn. Le loft appartient à Alejandro. Il l’a acheté
quelque temps avant que nous nous rencontrions. Spacieux, ouvert, retapé du
mur au plafond dans un esprit ferme industriel que j’adore. La première fois
qu’il m’y a emmenée, j’ai été scotchée par la hauteur du plafond cathédrale dans
le salon. Il a installé des vitres au plafond, qui s’ouvrent et qui permettent, par la
mezzanine, d’accéder à un jardin sur le toit. Une espèce de jungle urbaine qui
dépayse à chaque fois qu’on y va. Je me sens bien. Je me sens chez moi ici. À la
maison.
Ce matin, Ava vient me donner un coup de main à la boutique. J’ai eu une
commande XXL de muffins à décorer d’une façon bien particulière, par la
femme d’un des conseillers municipaux. Une dame avec un balai là où je pense.
Elle fait une réunion avec ses amies du club de dentelle et réclame que chaque
gâteau soit décoré comme un napperon. Deux cents muffins. J’en ai pour
quelques heures, alors Ava est passée pour assurer le service pendant que
j’honore les commandes et surtout, que je ne me plante pas sur celle-ci !
– Tatie !
– Mon poussin préféré !
Aiden vient de passer le pas de la boutique avec sa nounou et sa sœur. Solveig
est étudiante en littérature et cherchait un job étudiant pour compléter sa bourse.
Elle adore les enfants et ils le lui rendent bien.
– Pff, je suis ton seul poussin préféré !
Pragmatique, le loulou. Et il n’a que quatre ans. Dans quelques mois. Croyez-
moi, il a oublié d’être bête.
– Oui, tu as raison. Viens choisir un cupcake avant d’aller t’asseoir ! Salut,
Solveig ! Assieds-toi, je t’apporte ce qu’il faut.
Comprenez un chocolat chaud et une part de cheese-cake aux spéculoos et à la
vanille.
– T’es géniale ! Merci, Ani !
Elle a deux ans de moins que moi, mais c’est une super nana, et je m’entends
bien avec elle. Elle reste le temps que la pâtisserie se vide et qu’Ava ait fini de
m’aider. Puis, ils rentrent chez eux. Il me reste deux heures avant de fermer, mais
c’est relativement calme. J’en profite pour faire un peu de comptabilité. Je rentre
tranquillement, le soleil décline, mais les températures sont encore douces.
Lorsque j’arrive au loft, c’est le silence qui m’accueille. Alejandro me manque.
Je n’ai pas eu de message depuis son départ. Pas d’appel non plus. C’est pour me
protéger, il sépare sa vie professionnelle de sa vie privée, ce que je comprends…
Mais nous sommes si fusionnels, si passionnels, que c’est douloureux d’être
seule. Je dors avec un tee-shirt sale, qu’il a porté pour dormir et que je n’ai pas
lavé. Je lance une chaîne musicale, rock, comme aime Alejandro. Parce que je
comble son absence par ce qu’il aime. C’est comme s’il était là. Rapidement, je
me prépare une salade de tomates et de mozzarella, arrosée d’un filet d’huile
d’olive et m’installe autour de l’îlot central. Finalement, je regarde un film de
nanas, et me sens partir, dans un sommeil, bercée par la bande originale pop folk.
Chapitre 5
Gonz
Quelle mission de merde ! Je déteste quand les clients, sous prétexte qu’ils te
payent une blinde, exigent de toi que tu exécutes toi-même la mission. Un truc
merdique à souhait ! Une histoire d’ex qui s’était barrée avec un mec, mais il ne
savait pas qui. Il s’est avéré que le mec en question était bien sous tous rapports
et même mieux que ce putain de fumier de client de merde. Quatre jours pour de
l’intimidation ! Quatre jours de planque pour filer, confirmer, et agir. J’ai perdu
mon temps. Pour quinze mille dollars, certes, mais bordel ! Je déteste partir en
mission et laisser Ani seule. Je n’aime pas être loin d’elle. Elle est ma moitié au
sens propre du terme. Bien qu’au boulot, je mette un point d’honneur à ne pas
parler de mon statut marital ni de ma vie privée. Ça ne regarde que moi, et vu le
nombre d’ennemis que je me suis fait au long de ma carrière… Je ne veux pas
l’exploser.
Lorsque je rentre au loft, après avoir fait quelques bornes en détour pour être sûr
de ne pas avoir été suivi, l’éclairage est tamisé. Une lampe posée au pied du
canapé est allumée, et l’écran de la télé finit d’éclairer la pièce. Ani est là,
allongée sur le canapé, couverte d’un plaid léger. Elle s’est endormie. Et je peux
voir sur ses traits qu’elle n’est pas aussi sereine que lorsqu’elle s’endort dans
mes bras. Elle aussi déteste quand je ne rentre pas. Délicatement, je la soulève
dans mes bras et monte à l’étage. Je la dépose dans notre lit, l’embrasse sur le
front et me rends dans la salle d’eau attenante. J’ai besoin d’une douche. Hormis
se laver vite fait, quand on est en planque, on ne prend pas le temps de s’occuper
de soi. L’eau tiède nettoie mes nuits loin d’Ani, et mes heures merdiques à
planquer pour pas grand-chose. Je passe mes mains une dernière fois dans mes
cheveux puis sors de la douche à l’italienne. Une serviette à la main, je me sèche
rapidement, retourne dans la chambre et abandonne mon drap de bain au pied du
lit. Ani s’est tournée face à moi, et s’est couverte. Le tissu blanc tranche avec
son bronzage clair. Je m’installe et la regarde dormir quelques instants. Elle est
si belle. Je me rappelle avoir craqué sur elle au premier regard, son regard
chocolat noir, ses cheveux auburn. Elle m’a envoûté. Et son assurance… Elle
savait comment parler à un mec ! Je n’ai jamais aimé ces nanas qui se jettent sur
toi, comme si t’étais un morceau de viande. Je trouve ça dégradant, pour elles,
mais pour nous aussi. Je n’ai jamais été contre un coup d’un soir, je ne prétends
pas le contraire. J’ai souvent pratiqué d’ailleurs. Mais avec plus de finesse.
Pourtant, Ani n’y est pas allée de main morte. Pas vulgaire, sûre d’elle,
déterminée, et tellement douée de ses mains et de sa bouche. Je n’ai jamais
vraiment voulu une relation, une vraie. La raison ? Mon histoire. Ma carrière. Le
danger que représente ma vie professionnelle. J’ai même songé à quitter Ani
quand Tom est mort. Mais je n’ai pas pu. Je serais mort avec elle. Avec notre
relation.
Je suis né il y a presque quarante-trois ans à Mexico, dans la banlieue craignos.
Mes parents se sont battus pour que nous ayons accès à une vie loin de la rue.
L’appel de la rue comme ils disaient. C’était ça, avant. Ou tu étais issu de
familles riches, tu avais droit à l’éducation et tu ne risquais pas grand-chose,
hormis un enlèvement, ou d’être tué parce que ta famille trempait dans quelque
chose de louche. Ou tu venais de la cité, de la banlieue, et pour t’en sortir, tu
rejoignais un gang, te faisais du blé facilement grâce aux trafics et vols à main
armée, et quelques années plus tard, on te retrouvait le corps criblé de balles.
L’issue la moins pire ? La prison. Ma famille a vécu le pire à cause de ces gangs.
J’ai deux frères et une sœur. Ou plutôt, j’avais deux frères. Mon frère aîné,
Pedro, a une cinquantaine d’années. Il a toujours été un modèle de droiture. Il
n’était pas très bon à l’école, mais il s’est battu pour obtenir un diplôme, il a
ouvert un garage, puis un restaurant avec son amour de jeunesse qu’il a épousé,
Maria. Il a toujours épaulé notre père, et a veillé à ce que nous, les plus jeunes,
nous ne sombrions pas dans la délinquance. Cependant, si j’ai réussi à rester loin
des emmerdes, mon frère cadet et ma petite sœur se sont laissé happer par les
ténèbres. Il avait six ans de moins que moi, et est mort à vingt-deux ans.
Overdose. Il était doué. Très doué. Il faisait beaucoup de dessin. Mais les écoles
étaient chères et pas faciles d’accès. Alors il a baissé les bras et a rejoint l’un des
plus gros gangs de la ville. Il était l’un des meilleurs trafiquants. L’appât du gain.
Plus vous vendez, plus vous avez du fric qui tombe, plus vous êtes respectés.
Presque. Parce que quand vous avez du pouvoir, vous êtes aussi jalousé. Et c’est
ce qu’il s’est passé. Une soirée, des amis pas très fréquentables, de la drogue
dure, notamment une nouvelle à tester. Voilà comment il y est resté. Ça a presque
tué mes parents. Ils s’en sont voulu de ne pas avoir pu sauver leur fils des griffes
de la ville, de la tentation… Jorge venait nous voir de temps en temps, et essayait
d’aider mes parents lorsqu’ils étaient dans une mauvaise période. Cependant,
mon père a toujours mis un point d’honneur à refuser cet argent sale. Il l’aimait
toujours, bien qu’il lui ait dit des mots forts, qu’il n’était plus son fils, qu’il lui
faisait honte. Alors Jorge ne venait à la maison que lorsque notre père était
absent. J’étais déjà parti à l’école de police, mais ma mère, Esmeralda et notre
petite sœur, Daniela adoraient le voir. Dani plus que tout le monde. Cependant, il
l’a aussi entraînée dans ses merdes. D’une certaine façon… Elle s’est entichée
du meilleur ami de Jorge, Carlos. Un gentil garçon, en taule actuellement, qui a
mal tourné. Dani est née en 1987, presque vingt ans après Pedro. Et le départ de
Dani pour s’installer avec ce fumier a tué mon père. Au sens propre. À l’âge de
dix-sept ans, elle a quitté la maison pour aller vivre avec ce mec. Carlos battait
ma sœur et la poussait à se droguer. Plus tard, nous avons appris qu’il la violait
régulièrement, droguée ou consciente. Influencée par ses sentiments envers lui,
elle cédait. Elle se laissait faire. Au début, elle nous le cachait. Puis elle n’a plus
pu le faire. Les coups devenaient plus forts. Un soir où il l’avait salement
amochée, elle a appelé notre mère, en pleurs. Nous y sommes allés tous les deux.
Carlos était parti. Alors que nous allions partir, il est revenu, totalement stone,
armé. Mon père s’est interposé entre Dani et lui, et une balle est partie. Dani ne
tenait presque plus debout tellement ce bâtard l’avait cognée. J’ai appelé la
police et une ambulance. Ils sont arrivés rapidement. Entre-temps, j’avais frappé
Carlos, qui était dans les vapes. Les flics l’ont arrêté et il a eu l’intelligence de
plaider coupable. Mais moi, j’ai perdu mon père. Ma sœur, son bébé. Elle était
enceinte de quelques mois, elle nous l’avait caché. C’était une petite fille. Nous
avons appris qu’elle avait également subi plusieurs avortements forcés. Cela fait
dix ans, maintenant, elle a mis du temps à laisser le passé derrière elle. Ma mère
a énormément souffert. Après son fils, son mari était tué par la rue. Par ce fléau.
Elle s’est écroulée de chagrin lorsque Pedro et moi lui avons annoncé le décès de
papa. Puis, elle s’est reprise pour s’occuper de Dani qui souffrait, de la perte de
son bébé ainsi que de la perte de son père. À cause d’elle. En tout cas, parce
qu’elle s’était mise dans cette situation. Nous ne lui en avons jamais voulu. Nous
l’avons épaulée. Après la perte de notre père, ma mère est allée vivre chez Pedro
et Maria. Ils ont déménagé à l’extérieur de la ville, puis ils sont venus vivre au
Nouveau-Mexique, non loin d’Albuquerque. Ils ont acheté une jolie hacienda
aux murs blancs, des bougainvilliers qui courent sur les façades et des tuiles
couleur brique. Un nouveau départ. Dani est aussi venue avec eux. Toute la
famille s’est réinstallée ici. Et mes neveux, Ana, Eduardo et Juanita, sont
heureux d’être moins loin de leur oncle préféré ! Ici, Pedro a acheté un petit
restaurant qui tourne bien. Mama est aux fourneaux, lui au bar, et Maria au
service. Petit à petit, ma mère cède la place à sa belle-fille, car du haut de ses
soixante-dix ans, elle commence à se fatiguer plus rapidement. Puis, Ana et Edu
viennent donner un coup de main au service des week-ends. Quant à Dani, elle
s’en est plutôt bien sortie. Elle a pris un appartement à quelques rues de chez
notre frère et a terminé des études d’infirmière il y a trois ans. Elle a l’air de
s’épanouir dans son métier, d’après ce que Pedro m’en dit. C’est le principal.
Moi, comment j’en suis arrivé là ? Simple. J’ai toujours voulu poursuivre les
idéaux de mon père. Mais je voulais surtout lutter contre le crime. Alors, j’ai fait
l’école de police. Je suis sorti major. Quelques années plus tard, après le décès
de mon frère, j’ai monté un premier échelon, mais je voulais plus. Alors, je me
suis renseigné pour intégrer la CIA. Programme lourd, mise à niveau sur
plusieurs plans… J’ai passé des nuits pas très reposantes, mais je me suis battu.
J’ai intégré la cellule américaine. J’ai été agent de terrain et rapidement, agent
sous-couverture. J’étais rentré pour quinze jours de vacances quand mon père est
mort. Mon désir de lutte était devenu encore plus fort. J’ai continué de gravir les
échelons et me suis retrouvé à la tête d’une équipe. Celle de Tom, Alice, Finn et
Mike. Ça a duré quatre ans, et j’ai tout lâché après le décès de Tom. Voilà mon
histoire. Et voilà pourquoi j’avais peur de m’engager avec une nana. Mais c’était
avant elle. Ce petit bout de femme fougueuse, engagée, fonceuse.
Elle remue dans son sommeil et son nez vient se nicher dans ma clavicule. Point
très sensible chez elle, mais chez moi aussi. Instinctivement, mes doigts se
glissent sous son débardeur en coton blanc et remontent le long de son flanc. Sa
peau se couvre de frissons. Elle réagit toujours comme ça, même malgré le
temps qui passe. Ses lèvres s’entrouvrent et laissent échapper un soupir d’aise.
– Tu m’as manqué…, souffle-t-elle.
– T’es réveillée, Amor ?
– Hmm…
Je me penche sur son visage tourné vers moi et l’embrasse. Comme un assoiffé.
Bordel qu’elle m’a manqué. Rapidement, elle se retrouve aussi nue que moi, et
je m’enfonce en elle. Ses soupirs, ses halètements et ses cris résonnent dans la
chambre au plafond haut. Lorsque son plaisir la dévaste, je me permets alors de
lâcher prise. Mais jamais avant elle. Ani s’écroule sur moi, humide de sueur. Je
me lève tout en la tenant dans mes bras, je me rends dans la salle d’eau et
l’installe sur le plan vasque. Je me nettoie rapidement et prends soin d’elle
également.
– Ce que tu m’as manqué, babe… Je déteste être loin de toi.
La façon dont elle me dit ça me touche. Comme si mon absence avait été plus
difficile cette fois-ci…
– Je sais. Je suis désolé, trésor.
– Je sais… Je t’aime…
Elle appuie sa tête sur mon épaule et passe ses bras autour de mon cou. Je la
soulève et nous ramène dans le lit où elle s’endort rapidement dans mes bras.
Chapitre 6
Gonz
Trois jours que je suis revenu à ma vie civile et, putain, ça m’avait manqué,
cette routine. Me lever à six heures du matin, aller faire mon footing, rentrer une
bonne heure après, boire un café, prendre ma douche, et déjeuner autour de sept
heures trente avec Ani avant que nous partions ensemble au boulot. Elle dans sa
pâtisserie, moi à l’agence. J’ai eu la chance de trouver un local non loin du sien,
à quelques blocs seulement. Ainsi, je suis plus tranquille. Cela me permet de
manger avec elle souvent, de veiller sur elle aussi. C’est ma nature d’être
protecteur. Avec elle, encore plus. Mon vécu ? Sûrement. Ça arrange aussi Finn !
Il est pire que moi. Il pourrait lui implanter un traceur GPS pour savoir où se
trouve sa petite sœur chérie !
Il est presque huit heures trente lorsque j’arrive à l’agence. Elle est sur deux
niveaux. Le premier se compose d’une salle de sport, avec vestiaires et douches.
J’ai fait installer une piscine, pas olympique, mais vingt mètres par quinze. Il y a
aussi l’accueil ainsi que mon bureau. À l’étage supérieur se trouvent la salle de
pause, avec couchette pour les missions nocturnes, le bureau des opérations d’où
tout est commandé, ainsi qu’une salle de conférences. Lorsque j’ai lancé cette
boîte, Finn est venu temporairement me filer un coup de main. Il se remettait de
sa blessure en Syrie, puis il y a eu la naissance de Cecilia. Depuis quelques mois,
il vient plus souvent, presque à plein temps à vrai dire. Et Ava nous file un coup
de main à l’accueil de l’agence. Ensuite, j’ai recruté d’anciens militaires à la
retraite ainsi que des agents de terrain qui voulaient voir autre chose.
Régulièrement, j’organise des sessions d’entraînement pour nous remettre à
niveau. Du genre, chronométrés, observés, etc. Pour que nous ne relâchions pas.
Tout le monde y passe. Moi y compris. Les gars n’hésitent pas à me tomber
dessus quand je merde ! Venant d’horizons différents, nous nous apportons tous
des choses en plus. Des techniques de combat, des méthodes d’enquêtes sur le
terrain. Tout ce qu’on a pu vivre et expérimenter au cours de nos carrières.
Finalement, je fais un boulot assez enrichissant. Nous sommes sept en comptant
Finn et moi. Il y a Ted qui s’occupe de l’assignation des missions. C’est un
ancien lieutenant de l’US Army, blessé en Afghanistan, il a perdu une jambe,
mais pas sa tête. C’est souvent lui, la clé. Il est très observateur et nous permet
de débloquer les situations complexes. Chase et Harrison sont deux agents qui
étaient à la DEA et au FBI. Ils ont chacun perdu leur coéquipier en opération et
ont raccroché en se rendant compte que leur vie ne tient pas à grand-chose. Ils se
sont trouvés, et se sont aidés à faire leur deuil. Ils se comprennent. Mass,
Massimo, eh bien, il porte bien son nom. C’est une armoire à glace, mais
contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’est pas pataud. Il défierait presque
Usain Bolt sur le 100 m et il serait loin d’être ridicule. Il était dans l’armée,
également, comme Ted. Il a fait ses deux contrats et ne voulait plus vivre ce qu’il
avait vécu. Parce que derrière sa carapace, c’est un homme qui aspire à une vie
avec une moitié. Il a cherché un job moins prenant, moins dangereux aussi. Ted
et lui se connaissaient, ils s’étaient rencontrés dans une sorte d’association pour
les anciens combattants. De fil en aiguille, il est venu avec Ted et a décroché un
contrat avec moi. Et enfin, il y a Tina. Ouaip. Une nana. Mais bordel, ne vous
avisez pas de la siffler dans la rue, parce qu’elle vous séduira comme une mante
religieuse et vous détruira. C’est un vrai serpent. Le passé de Tina est trouble,
elle ne veut pas en parler, mais pour l’avoir vue souvent en débardeur, je peux
affirmer qu’elle a morflé. Peau brûlée, cicatrices… J’aurais tendance à dire
qu’elle était dans l’armée et qu’elle s’est retrouvée aux mains de l’ennemi… Je
propose une assistance psychologique régulière à ceux qui le souhaitent.
Souvent, les victimes de traumatismes aussi durs que les leurs refusent de voir
qu’ils souffrent. Ils se disent qu’ils s’en sortiront par eux-mêmes. Résultat, tout
le monde trinque, les proches, les moins proches et, finalement, rien ne change,
personne ne guérit. Je ne force pas mes gars à suivre les séances. Mais j’ai été
assez clair dès le départ : je ne veux pas de faibles dans mon équipe. Et une
personne forte est une personne qui reconnaît lorsqu’elle va mal et qui prend le
taureau par les cornes. Et eux, ils ont été assez intelligents pour piger qu’ils se
mettaient en danger, de même que nous. Certains m’ont parlé de leurs blessures
du passé, de ce qu’il s’est passé avant. Ils ont été honnêtes avec moi. D’autres,
comme Tina, ne m’en ont pas parlé. Je leur laisse leur jardin secret, mais si leurs
tourments nous posent problème, je leur en parlerai.
Lorsque j’arrive, ce sont des cris de joie, d’encouragement, de raillerie qui
m’accueillent.
– Allez, Tina !
– Tu vas le réduire en miettes !
– T’es naze, Harri !
Tina et Harri sont en train de se battre sur le ring, un mélange de taekwondo, de
boxe et de krav-maga. Ils retiennent à peine leurs coups, mais sont bien protégés.
Mass se tient à un bout de la zone de combat, alors que Chase et Ted semblent
mater un film en bouffant du pop-corn.
– Salut boss ! Alors, tu mises sur qui ? me demande Chase.
– Tu sais très bien ! réponds-je en riant.
Et il s’avère que j’avais raison. Quelques minutes plus tard, Harri est au sol, le
visage contre le tapis, un bras bloqué au-dessus de sa tête, le second dans le bas
du dos. Une clé de bras efficace et maîtrisée. Notre mante religieuse est assise
sur le cul de Harri et rigole.
– Alors ? Je ne suis qu’une libellule ?
– C’est mign… Aïe ! OK, tu es une guêpe, une abeille, un bulldozer, ce que tu
veux ! Mais lâche-moi, princesse !
Un ultime rire et Tina se relève. Son débardeur laisse apparaître certaines des
cicatrices de son dos. Elle ne le remet pas en place immédiatement, car elle n’en
est pas gênée.
– Quelqu’un d’autre ? sourit-elle.
Ted et Chase se marrent en lui répondant qu’ils ne l’appelleront que par des
noms d’animaux pesant plus d’une tonne, et Mass, lui, arbore un rictus fier. Et
un truc en plus de son regard. Ouais, un peu plus que de la fierté. Nous
débriefons autour d’un café après que les deux combattants sont allés prendre
une douche. Tout le monde y va de sa pique envers Harri, mais hormis Mass…
Je crois qu’ils ne feraient pas mieux !
Les dix prochains jours sont assez calmes. Une ado qui a fugué et dont les
parents nous demandent de remettre la main dessus avant que les flics
n’interviennent, une pseudo pop star locale qui organise son enterrement de vie
de jeune fille en grande pompe et qui a besoin de bras musclés, et le
commissariat local qui a besoin d’un avis sur une affaire. Rien de bien
compliqué, mais c’est une affaire un peu tordue et après avoir passé des heures
dessus, plus rien n’est clair. L’équipe fonctionne en parfaite autonomie. Je fais
confiance à mes gars, et la réciproque est vraie aussi. Ainsi, je profite de notre
emploi du temps allégé pour passer mon temps libre avec Ani. Me rattraper de
mes quatre jours passés dans ma caisse pour pas grand-chose.
J’adore la surprendre. Arriver à la pâtisserie à l’improviste, rentrer plutôt pour
lui préparer un repas mexicain et lui faire couler un bain, dans lequel je la rejoins
et qui finit en autre chose de plus torride. La boutique ne désemplit pas. Depuis
que la femme d’un conseiller municipal a passé sa commande XXL, le bouche-
à-oreille a bien fonctionné. À tel point que non seulement Ava est moins
disponible pour tenir l’accueil, mais en plus, elle a recruté Solveig qui est bien
contente d’avoir quelques heures supplémentaires pour financer ses études. Je
suis fier de ce qu’elle a fait. C’était son rêve, elle s’est battue, elle a douté, elle
n’a rien lâché et, désormais, elle est sa propre patronne. Je l’admire. Je ne
doutais pas d’elle, mais le poids de la paperasse, de la mise en route, des
premiers mois pas forcément florissants, tout ceci aurait pu la décourager.
Alice est également passée la voir ces derniers jours, elle lui a donné un coup de
main. Assez détonant d’ailleurs de voir cette nana servir des cupcakes. Depuis
son départ, il y a un presque deux ans, nous ne l’avons pas vraiment revue. À
quelques rares occasions. La naissance de Cécilia, le mariage de Finn et Ava, le
procès d’Azarov puis celui de Mike. Si celui du parrain de la mafia russe a
beaucoup touché Ava et Finn, celui de Mike a bouleversé tout le monde. Nous
avons bien tenté de cacher tout ça, mais un soir, un peu par hasard, chacun
d’entre nous a ressenti le besoin de se retrouver et nous sommes, chacun de notre
côté, allés chez Finn et Ava. Il faisait frais, pourtant, une fois les enfants
couchés, nous avons bu un verre, plusieurs plutôt, dans le jardin. Comme si le
froid et l’obscurité noyaient et engloutissaient nos tourments. Alice n’a pas
pleuré. Cependant, nous l’avons revue le lendemain, ses poings étaient salement
amochés. Elle était tendue, et cachait une douleur latente. Elle est très forte à ce
petit jeu. Mais je connais ça. Mes gars, et Tina, essaient chaque jour de gruger.
Mais je suis plus fort. Chacun d’entre nous a été appelé à la barre. Pour
témoigner. Pour Ava, cela a été le plus difficile. Si elle a perdu son amour de
jeunesse, c’est à cause de Mike. Son meilleur ami. Alice, quant à elle, elle est
restée impassible. Visage fermé, froid. Elle n’a pas regardé l’accusé. Enfin, si.
Une fois. Elle n’a que brièvement croisé son regard, et l’expression sur son
visage a totalement changé. L’espace d’une seconde. Je ne sais pas si les autres
ont noté ce changement. Pour moi, il n’est pas passé inaperçu. Elle n’a émis
aucune opinion sur ce qu’elle disait. Comme si elle se reconnaissait elle-même
coupable. Cela fait cinq mois que le procès a été bouclé. Mike n’a pas bronché.
Il a bien entendu été jugé coupable. Il l’a accepté. Sa sentence est tombée
rapidement. Le jury a été visiblement attendri par son passé. Le fait qu’il n’ait
pas eu d’autre choix que d’embrasser la carrière de son père pour sauver sa
famille y a certainement joué. Je ne pardonne pas ce qu’il a fait. En revanche,
ayant vécu dans une ville où le crime régnait, je ne sais pas ce que j’aurais fait à
sa place. Je crois que mon père, ou moi, on aurait accepté de faire le pire pour
protéger ceux qu’on aime. Alors non, je n’accepte pas, je lui en veux. Mais
j’arrive à comprendre. Il n’a pas pressé la détente, et d’après ses dires, il a tenté
de sauver la vie de Tom. Il a assuré que lorsqu’il a compris que Tom était en
danger, qu’il avait été démasqué, il avait tout fait pour détourner l’attention. Il
s’est rendu au rendez-vous où deux gars l’attendaient, ou plutôt, attendaient la
taupe. Il s’est fait passer pour Tom. Mais apparemment, c’était trop tard. Il les a
descendus avant de se débarrasser des corps. Puis, il a reçu un message
d’Azarov, une photo de Tom à terre, baignant dans une mare de sang, mort, et le
texte disant « La taupe est anéantie ». Une première balle dans l’artère fémorale,
plus discret que la tête, une seconde dans le ventre. Et il l’a laissé agoniser
jusqu’à la mort. Lente et douloureuse. Quand il a raconté ceci, Ava s’est mise à
sangloter en silence, Finn s’est crispé et a tenté de consoler sa future femme
comme il a pu. Ils sont sortis, alors qu’Alice et moi sommes restés et avons fini
d’assister à son interrogatoire. Cependant, ces dernières révélations ont quelque
peu amoindri la douleur et l’amertume de Finn et Ava. Ils savent comment cela
s’est passé. Il a été prouvé que Mike ne mentait pas. Il disait la vérité. Détecteur
de mensonges et archives de son téléphone dédié au réseau à l’appui. Il a écopé
de trois ans de prison. Il a déjà tiré deux ans. Et je sais de source sûre qu’il
intégrera le programme des témoins protégés à sa sortie. Nouvelle identité,
nouvelle ville, nouveau départ. On a tous droit à une seconde chance… Même si
certains n’ont pas cette opportunité.
Pour en revenir à Alice, elle a beaucoup changé. Lorsque je l’ai connue, il y a
quelques années maintenant, elle avait deux personnalités. Au boulot, elle
revêtait son masque professionnel. Celui de sniper de haut niveau, concentration
à son maximum, sens en alerte en permanence. Bien que ce dernier réflexe
perdure même hors du travail. Une fois à l’extérieur, elle redevenait cette nana
pétillante, fraîche, qui déconnait sans cesse et nous servait des blagues salaces à
faire pâlir certains agents ! C’est fini, ce temps-là. Elle est devenue sèche, à tout
point de vue. Physiquement, elle a bien changé. Plus musclée, plus tendue.
Moins de gras. Une sorte de Lara Croft. Ses cheveux sont désormais toujours
attachés. Un chignon bien serré. Les traits très tirés. Sévères. Même avec nous,
elle ne rit plus. Elle garde ses sentiments et ses émotions pour elle. Les seuls
moments où elle lâche prise, c’est lorsqu’elle joue avec les enfants. Ce qui est
très rare. On dirait qu’elle a éteint son humanité. Qu’elle n’est rien de plus qu’un
robot… Elle ne vit plus ici. Elle nous écrit régulièrement, des quatre coins du
monde. Europe centrale, de l’Est, Amérique du Sud… Des zones pas des plus
sécurisées. Elle n’a jamais dit un seul mot sur son nouveau job. Top secret. Et
lorsqu’on nous dit ceci, en bons agents que Finn et moi étions, nous ne
demandons rien de plus. Nous lui faisons confiance, bien qu’elle ait changé. Au
fond, elle reste notre Alice. Celle de notre team.
Chapitre 7
Anila
Anila
Inconnu
– Oui, elle est bien ici. Non. Je sais tout ce qu’il y a à savoir. C’est elle.
Trois mois que je me farcis ce putain de café dégueulasse chaque jour pour
pouvoir l’approcher. Je déteste la mièvrerie qui règne dans ce café. C’est
tellement gnangnan, un truc de fifille. Je dois quand même admettre que ses
pâtisseries et sa bouffe sont pas mal. Elle est tout le temps heureuse,
bienveillante, aimable ! Qui agit ainsi ? Elle se shoote aux amphétamines de
licorne ou quoi ? Ça me tape sur les nerfs. Mais on n’a pas le choix. Le boss
avait besoin de ces infos. Je m’y suis collé, parce qu’on ne discute pas les ordres,
et parce que moi aussi, j’ai tout à gagner. On a discuté au fil du temps et j’ai
réussi à gagner sa confiance. Quelle naïve ! Elle est vraiment conne de blablater
comme ça avec tout le monde comme ça. Elle n’a rien appris avec ce mec avec
qui elle sort ? Il était à la CIA, le gars, et visiblement, il ne lui a pas fait
comprendre que la discrétion était essentielle dans la vie ? Ce qui m’a mené à
réfléchir un peu. Elle n’a aucune idée de qui elle est. D’après ce qu’elle m’a dit,
elle vient des Balkans et a subi la guerre. Toutefois, elle ne semble pas avoir
beaucoup de souvenirs de cette époque. Elle considère ces McDougall comme sa
famille. Ces enfoirés qui ont volé cette gamine à son peuple ! On va les faire
payer. Et elle redeviendra nôtre.
Chapitre 9
Gonz
Je n’ai même pas une minute pour faire l’amour à ma femme, c’est fou ça !
Les affaires se succèdent et ne se ressemblent pas. Et surtout, on croule sous les
demandes. À tel point que je prends autant de cas que mes collègues. Tina et
Mass sont en infiltration longue durée. Pour notre pote du commissariat.
L’inspecteur Michaels. Lorsqu’il se retrouve dans la merde, il fait appel à nous,
parce qu’il me connaît. Il sait que mon agence est efficace. Et il avait besoin de
deux personnes fiables pour démanteler un réseau d’agents dormants du KGB.
Résultat, Mass et Tina jouent les amoureux transits sous le soleil de Californie.
Mass ne devrait pas avoir trop de mal à jouer ce rôle. Même s’il est discret et
qu’il ne révèle pas ses émotions facilement, il garde toujours un œil sur elle, il
est fier, on peut le lire dans son regard. Tina est trop brisée pour le voir. Elle est
comme insensible aux sentiments des autres. Sauf l’arrogance ! Alors ça, elle
gère très bien ! Ted est au QG, Chase est sur une affaire d’arnaque à l’assurance
à Chicago, et Harri s’occupe d’une héritière de la mode de quinze ans dont le
père a reçu des menaces. Hormis l’infiltration de Mass et Tina, rien de bien
folichon. J’ai l’impression d’être un coloc dans mon loft. Je déteste ça. Ani fait
sa petite vie, de son côté, je ne la vois plus, je la croise. Je sais simplement que
tout va bien de son côté. Elle est débordée, le café ne cesse d’attirer de nouveaux
clients. Ce qui me rassure, c’est qu’elle est toujours entourée. Mais… une pointe
de jalousie me traverse. J’imagine que sa clientèle n’est pas exclusivement
féminine. Et ma femme, étant sublime, attire les regards malgré elle. Je ne suis
pas à l’abri qu’un concurrent arrive dans l’équation. Une femme, il faut qu’on
l’aime, qu’on fasse attention à elle, qu’on la protège, qu’on entretienne la
flamme. Sinon, on risque de la perdre. Et moi, maniaque du contrôle, lorsque je
ne suis pas aux commandes, je ne suis pas serein.
Quand j’arrive, la lumière est allumée. Elle ne dort pas. Pourtant, d’après les
quelques messages rapides qu’elle m’a envoyés, la semaine n’a pas été de tout
repos. Il est vingt-deux heures, mais elle cuisine encore. Et à l’odeur, je dirais
que c’est mon plat préféré. Des tacos. Qu’elle a faits elle-même de A à Z. Elle
tient la recette de ma mère et bon sang, elle n’a rien à lui envier. Elle a préparé
du guacamole, des galettes de blé, des tonnes de garniture diverses… Je
m’approche d’elle, alors qu’elle me tourne le dos. Je laisse tomber mon
paquetage au pied des tabourets qui sont autour de l’îlot. Mes bras passent autour
de sa taille et la serrent fort contre mon torse. Elle m’a manqué. Mon Dieu
qu’elle m’a manqué. Je prends le temps de respirer son odeur. Anila se retourne
et passe ses mains sales autour de mon cou.
– Salut toi, me sourit-elle.
Ma réponse ? Je l’embrasse, passionnément, profondément. Elle m’a tellement
manqué ! Je peine à me détacher d’elle. Heureusement que les tacos doivent être
surveillés !
– OK, va prendre ta douche, ou mieux, un bain. Détends-toi, mon amour. J’en ai
encore pour un petit moment. Prends ton temps, me suggère Ani.
Et j’avoue que j’en ai bien besoin. Prendre des bains n’est pas ce que je préfère,
mais ce soir, il le faut. La semaine a été pénible et à chier. Alors que je m’installe
dans l’eau très chaude, je sens immédiatement mes muscles se détendre. Je
ferme les yeux et me vide la tête. Ani a raison. Ce bain est salvateur. L’eau s’est
rafraîchie alors que je sens un courant d’air sur mon torse. Le robinet s’ouvre et
la chaleur se refait autour de mon corps. J’ouvre les yeux et Ani me regarde, un
tendre sourire aux lèvres. Elle s’accroupit alors que je me redresse et découvre
un plateau. Une bière trône, entourée de nachos au fromage. Elle assure, ma
nana.
– Je sais que tu en as besoin. Je dois aller surveiller mes tacos. Je reviens.
Puis, sans que j’aie eu le temps de lui dire merci, elle repart, tirant la porte
derrière elle. Sans déconner, qui ne voudrait pas que sa femme lui apporte une
bière fraîche ainsi que de quoi grignoter alors qu’il prend son bain ? Ouais, c’est
ce qu’il me semblait ! Je suis en train de terminer ma bière, et entends la porte
s’ouvrir de nouveau. Ani n’a pas traîné. Sans un mot, elle me jette un regard
coquin, une lueur sexy brillant dans ses yeux. Elle relève son pull fin par le bas
et le passe au-dessus de sa tête. Puis, elle retire son jean, de façon sensuelle. Il ne
reste que son ensemble de sous-vêtements en dentelle, de couleur rose pâle.
Bordel. Il m’en fallait peu pour bander, mais là… Elle achève son strip-tease et
me fait signe de me pousser. Son air… Elle enjambe la baignoire et s’installe à
califourchon sur moi. Je ne tiendrai pas plus longtemps qu’un ado qui découvre
les joies de la coucherie. Sauf que j’ai plus de quarante balais.
– Alors, c’était bon ?
– Très, déglutis-je.
Elle attrape une chips mexicaine sur laquelle elle met la sauce au fromage. Elle
coule sur sa poitrine. OK… Il ne m’en fallait pas plus.
Finalement, nous avons mangé les tacos plus tard dans la nuit, après plusieurs
rounds sensuels. Après ce repas sexy, je m’adosse contre la tête de lit et attire
Anila contre mon torse.
– Tu n’imagines pas combien te serrer contre moi m’a manqué.
– Je sais… Je déteste de ne pas t’avoir à la maison. Je me sens vide sans toi…
Ses aveux me touchent plus que ses remarques habituelles. Il faut dire que ces
derniers temps, nos moments ensemble se comptent sur les doigts des deux
mains.
– Je sais. Je m’occupe du recrutement rapidement, lui promets-je. Raconte-moi
ta semaine. Raconte-moi tout.
Et elle se lance dans son récit. Elle me parle de ses étudiants, que je connais
comme si je les côtoyais autant qu’elle. Elle me donne les derniers potins, les
coucheries de untel et untel dans telle entreprise. Elle me décrit ses nouveaux
clients, et je suis content de voir que son business grandit régulièrement et
j’espère, durablement. Elle le mérite. Finalement, aux alentours de cinq heures
du matin, nous nous endormons épuisés, mais heureux de nous retrouver après
ces semaines loin l’un de l’autre.
***
Finn a rejoint nos effectifs, soulageant un peu le boulot qui nous submerge.
Nous avons récupéré Mass et Tina. L’ambiance entre eux est étrange, et je
soupçonne que quelque chose s’est passé entre eux lors de leur mission. Je les
convoque dans mon bureau ce matin. Ils finissent leur débriefing avec Ted, qui
s’occupe de taper les rapports avant de me les remettre. Mais avant qu’ils ne
partent à l’entraînement, je veux leur parler.
– Tu voulais nous voir, boss ? me questionne Tina en frappant contre le
chambranle.
Ma porte reste toujours ouverte, sauf lorsque je suis en entretien.
– Oui. Asseyez-vous.
Mass, toujours silencieux, referme la porte derrière lui. Il installe sa carcasse
dans le fauteuil face à moi.
– Comment s’est passé la Californie ? leur demandé-je.
J’ai eu le côté pro, mais j’ignore comment le côté perso s’est passé. Et ça, c’est
essentiel dans l’entente de leur duo.
– Ça a été. On a réussi à se faire intégrer rapidement dans le quartier. Personne
ne nous a repérés.
Je les écoute me raconter leurs dix jours de couverture. Cependant, ils ne sont
que très rarement en contact visuel. Mon intuition se confirme donc.
– Et ?
– Et quoi ? m’interroge Tina.
– C’est le boulot, ça. Mais vous ?
– Quoi, nous ?
Mass ose me tenir tête, mais il remarque mes sourcils arqués.
– RAS. Nous sommes restés pros.
Il se lève, nous tourne le dos et sort du bureau. J’ai observé Tina, et si elle gère
plutôt bien ses émotions, elle semble touchée. Je garde le silence, attendant
qu’elle se livre. Cependant, elle garde le silence. Je me doute de son passif, mais
je n’ai jamais cherché à savoir exactement ce par quoi elle était passée. Je ne
veux pas être indiscret. Cependant, cela me semble nécessaire dans notre cas
présent.
– OK. Tina, tu sais que je ne suis pas du genre intrusif et que si tu ne veux pas
parler, je ne te tirerai pas les vers du nez.
Elle hoche la tête. Son regard est planté dans le mien, en revanche, il trahit une
multitude d’émotions.
– Mais j’ai besoin de comprendre. Mass et toi, vous formez une bonne équipe.
J’aimerais bien que ça reste ainsi.
Elle se renfrogne, tiraillée entre l’envie de parler et son mutisme émotionnel.
– Je ne te juge pas, et je ne te demande pas de me raconter tes secrets.
Cependant, si tu en as besoin, sache que je peux t’écouter. Café ?
En silence, elle acquiesce. Alors que je me lève pour faire couler nos boissons,
elle prend la parole.
– Ça a commencé il y a dix ans… Nous étions agents sous couverture, nous nous
occupions d’assurer la sécurité de diplomates, d’hommes et femmes d’affaires
importants dans les pays chauds comme la Syrie ou la Libye.
Je l’écoute, le dos tourné. J’ai bien compris qu’elle était plus à l’aise pour me
parler.
– Notre duo fonctionnait à merveille. Nous étions la meilleure team de l’agence.
Il y a quatre ans, on nous a envoyés sur le territoire de Kadhafi. Des militaires
d’une base proche nous ont accompagnés lors de l’expédition en question. Il
s’agissait d’un milliardaire qui voulait distribuer lui-même des vivres et des
fournitures médicales aux villages alliés. Nous étions cinq. Deux militaires,
Garry, Edwards et moi. Nous avons été attaqués.
Dans sa voix, je sens la douleur qui l’habite lorsqu’elle évoque ce souvenir.
– Nous avons été trois à survivre. Le soldat Morris, Garry et moi. Les insurgés
avaient compris que nous étions américains et que nous avions donc une valeur
pour leurs opposants. À savoir, notre nation. Ils sont arrivés, ils ont tiré une balle
entre les yeux de Morris qui est mort à quelques centimètres de moi. J’avais déjà
vu du sang, des attaques, mais jamais de façon aussi cruelle. Jamais d’aussi près.
C’était la première fois que nous perdions un client. Garry et moi étions à
l’arrière, au centre et à droite du véhicule. Ayant été attaqués par la gauche, nous
avons eu quelques blessures, mais pas très graves. En revanche, nous ne
pouvions rien contre la quinzaine d’insurgés qui nous tenaient en joue. On nous
a traînés pendant des kilomètres, jusqu’à leur base.
Je lui apporte son café, elle semble en avoir besoin. Elle me remercie et prend
une longue gorgée de sa boisson.
– On nous a séparés. On m’a assommée, droguée. J’entendais ses cris, ses
hurlements. Sa douleur… Ils le torturaient. Parce qu’ils savaient qu’il ne
lâcherait aucune information, mais pensaient que moi, je le ferais. Quelques
jours plus tard, ils l’ont ramené dans ma cellule. Il… Des… On lui avait coupé
des doigts, on avait entaillé sa chair. Sa peau était pâle. Il se vidait de son sang,
mais de façon lente et agonisante… Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que j’étais
surentraînée au corps à corps. Garry est mort trois jours plus tard. Durant ce
temps, ils ne m’ont rien administré. Je les ai laissés venir à moi. Je les ai laissés
faire, ils m’ont torturée, essayé de me soutirer des informations. Seulement,
j’avais pigé qu’ils avaient des périodes où ils n’étaient pas nombreux. J’ai
attendu l’un de ces moments. Je les ai tous massacrés. J’ai erré dans le désert
durant plus d’une semaine. Puis, je suis tombée sur des soldats américains. Ils
rentraient d’opération. Ils m’ont ramenée à la base avant de retourner au repaire
que je leur avais indiqué. Ils ont ramené la dépouille de Garry. Son regard… Il
me hante chaque nuit. Garry… C’était mon mari…
OK, je pige mieux.
– Depuis, je refuse de m’investir ou de réagir à quelque relation que ce soit.
Nous avons dû jouer un couple. Mass, j’ai senti que… Bref, je ne peux pas. Je ne
peux pas prendre le risque.
Comme si elle avait réalisé qu’elle s’était livrée à moi, ses lèvres forment un O
surpris. Mais je sais qu’elle me cache quelque chose concernant sa couverture
avec Mass.
– Je comprends. Je n’ai pas vécu la même chose, mais les gangs mexicains ont
pris la vie de mon frère, mon père, et ont failli prendre celle de ma sœur. À
l’inverse, cela a développé chez moi une envie de former une famille un jour.
Mais si ce n’est pas encore le cas, c’est parce que je refusais de m’engager avec
quelqu’un avec le job que je faisais.
Me confier lui fait comprendre que nous avons tous nos doutes. En fonction de
nos vies, de nos passés. Mais que rien n’est immuable.
– Mais quand ça arrive… Ça arrive. On ne peut pas lutter contre. Je sais que tu
veux empêcher cela d’arriver. Tina, je ne te juge pas, lui dis-je en lui prenant la
main. Tu as connu l’horreur, et seule une personne forte pouvait en réchapper.
Pour ça, tu as tout le respect et bien plus encore. Mais ne penses-tu pas que tu
peux aussi vivre le bonheur que tu mérites ?
– Je… Non.
– OK… Mais je pense qu’il aimerait que tu sois heureuse, tu sais…
Mon ton est doux, parce que je ne veux pas la brusquer, je ne veux pas la blesser
non plus.
– Je le sais. Mais je ne veux pas prendre de tels risques.
L’intonation dans sa voix m’indique qu’elle clôt la conversation ainsi.
– Je comprends.
Elle se lève et se tourne vers moi avant de sortir.
– Merci.
– Je suis aussi là pour ça. Si tu as besoin de parler ou de te vider la tête, n’hésite
pas. Et parle-lui… Je suis certain qu’il comprendra.
Elle acquiesce d’un hochement de tête, mais je sais qu’elle ne le fera pas…
Après son départ, je reste dans le fauteuil où Mass était avant. Putain, je me
doutais qu’elle avait eu une merde un peu dans ce genre. Mais le fait que Garry
soit son mari a amplifié ce qu’elle a vécu. Beaucoup d’entre eux, ces victimes, se
seraient collé une balle dans la tête. Moi le premier. J’espère tout de même que
Mass arrivera à prendre sur lui. Alors que je me dirige vers le terrain
d’entraînement, je croise tous mes gars autour d’un café. Je les interroge du
regard.
– Il vaut mieux ne pas y aller. C’est moche. Très moche ! lâche Chase.
Je me rends tout de même là-bas. Tina affronte Mass dans un combat mêlant
toutes les techniques de combat qu’elle connaît. Sa confession a ravivé ses
blessures qui ne sont pas toutes guéries. Elle enchaîne les coups, tente
d’atteindre Mass, qui se laisse faire parfois. Il a pigé que cela la soulage. De là
où je me cache, je vois des larmes sur ses joues. Elle d’habitude si froide, lâche
prise. Elle continue, encore et encore. Le combat dure plus d’une heure. À la fin,
elle suffoque tellement qu’elle s’effondre, à bout de forces. À bout de souffle. À
bout tout court. Mass s’assied derrière elle et la laisse déverser ses douleurs. Elle
gémit et pousse des cris. Elle a mal. Je les laisse, retourne à la salle de pause et
donne congé à tous mes gars. Je reste encore un peu, puis rentre à la maison,
après avoir laissé un mot à Mass et Tina. Ils fermeront l’agence, je leur fais
confiance.
Sur le chemin du retour, je décide de faire un crochet par le café de ma belle.
J’avoue que l’histoire de Tina a réveillé chez moi cette peur. Et s’il arrivait
quelque chose à Ani ? Si on me l’enlevait ? Je sais d’avance que je n’y survivrai
pas. Lorsque je pousse la porte, il est presque dix-sept heures. Les étudiants
quittent l’établissement avant d’être remplacés par les employés en after-work.
Ani profite d’une petite accalmie pour préparer des tapas. Elle est de dos, et ne
m’a pas encore vu.
– Bonsoir. Pourrais-je avoir un café, jolie demoiselle ?
J’aurais bien demandé une bière, mais elle n’a pas le droit d’en servir. Après
tout, elle tient une pâtisserie, et non pas un bar. Mais c’est dans ses projets de
pouvoir en servir ainsi que du vin.
– Bien sûr, j’arrive !
– Pas de souci. Prenez votre temps.
Toujours concentrée sur ses tapas, elle ne m’a pas remarqué. Cependant, je
remarque qu’elle se tend au son de ma voix.
– Alejandro ? Que fais-tu ici ? me questionne-t-elle, surprise.
– On a fini plus tôt. Je te raconterai à la maison.
– OK !
Elle me demande comment s’est passée ma journée, je lui explique rapidement
la situation, mais pas en détail. Une heure plus tard, elle dispose ses plateaux sur
les tables ainsi que sur le comptoir. Puis, un client qui semble bien connaître ma
femme arrive.
– Anila !
– Salut, Davor ! Ça va ? Ta journée ?
– Comme d’hab ! Des gros contrats, des patrons à satisfaire. Et toi ?
Ils semblent bien proches. Et je n’aime pas vraiment ça. Pas du tout. Le mâle
latino en moi refait surface et je m’interpose.
– Bonsoir. Je suis Gonz, le mari d’Anila.
Il ne semble pas surpris. Pas vraiment en tout cas.
– Bonsoir, me répond-il en serrant la main que je lui tends. Enchanté ! Vous
devez sacrément être fier de ce qu’elle a accompli.
Le ton sur lequel il me sort ça ne me plaît pas. Comme si je n’appréciais pas la
réussite de ma femme à sa juste valeur.
– Très. Et j’espère que cela continuera. Davor, c’est ça ?
– Oui.
– C’est de quelle origine ?
– Je suis né en Europe centrale, explique-t-il.
Mais le détective en moi est réveillé. Ce mec, je l’ai à l’œil. Je ne suis pas parano
au point de monter un dossier complet sur lui, mais je le garde en tête. Sentant
que j’ai besoin d’en savoir plus, il continue.
– Je suis arrivé ici il y a vingt-cinq ans. Ou plutôt, mes parents. Ils voulaient
nous offrir une vie meilleure. J’ai eu la chance de faire mes études ici.
Je hoche la tête, puis vais rejoindre ma douce. Je ne cherche pas à en savoir plus.
Il m’a donné quelques informations, mais… peut-être trop même. Je dois rentrer,
sinon je vais passer en mode agent. Et je ne veux pas foutre la merde dans la vie
de Anila.
– Amor, je vais te laisser travailler. Tu finis dans combien de temps ?
Elle regarde la pendule au-dessus de la machine à café et me répond que dans
une heure, elle sera de retour. Parfait. Je vais pouvoir boire une bière, prendre
une douche et dégager ma putain de jalousie de merde de ma tête !
Chapitre 10
Anila
***
***
Les fêtes de Noël arrivent rapidement. Boston se pare de toutes les lumières
qu’elle peut pour briller de mille feux. J’adore cette période. Les odeurs de vin
chaud, de cannelle, d’épices, d’oranges… Depuis début décembre, le café est
également passé du côté de Noël. Entre Thanksgiving et le début des fêtes de fin
d’année, j’ai eu le temps de faire adapter mes recettes. Tartes à la noix de pécan,
au potiron, dinde à la sauce aux canneberges, petits pois, purée de patates
douces, et j’en passe ! Le tout revisité. Et cela fait fureur auprès de mes clients.
J’ai décidé de fermer une semaine afin de passer Noël chez mes parents. Puis
deux jours plus tard, nous retournons à Boston et la famille d’Alejandro nous
rendra visite pour les soixante-douze heures suivantes. C’est toujours difficile de
s’organiser, mais nous y arrivons tout de même.
Mes étudiants viennent me souhaiter de bonnes vacances ainsi qu’un bon Noël
avant de rentrer eux-mêmes dans leurs familles ou de se replonger à fond dans
les révisions ou les petits boulots temporaires. Mes after-workers défilent et
viennent récupérer quelques commandes de tartes, d’amuse-bouche que j’ai pu
préparer avant de partir en vacances. Tous ont un petit mot gentil. J’adore mes
super clients ! Même Davor est passé alors qu’il avait prévu un voyage. Il monte
dans le nord du pays, rendre visite à sa famille.
– On se revoit dès la réouverture, me salue-t-il avant de se lever.
– Passe de bonnes fêtes !
– À toi aussi !
Puis, il sort s’engouffrant dans le froid de l’hiver bostonien. Quelques minutes
plus tard, à mon tour, je verrouille la porte de mon café lorsqu’une voix gutturale
retentit dans mon dos.
– Puis-je vous prendre, jolie demoiselle ?
Je souris, face à mon rideau de métal. Je décide de rentrer dans son jeu. Je me
retourne, un sourire narquois sur le visage.
– Me prendre ? Vous faites toujours de telles promesses lorsque vous draguez
une nana pour la première fois ?
– C’est une nouvelle technique. Mais j’ai l’impression que cela ne vous
déplairait pas.
– Vous êtes clairvoyant. En même temps… vous avancez de sérieux arguments,
beau gosse.
Nous réduisons l’espace entre nous, sourires amusés aux lèvres.
– Salut toi, me souffle Alejandro.
– Coucou. J’adore quand tu passes me récupérer au boulot.
– C’est un plaisir, amor.
Je l’embrasse tendrement, mes bras autour de son cou, les siens autour de ma
taille.
– Enfin une semaine rien qu’à nous…, soufflé-je contre la bouche de mon
merveilleux amant.
Alejandro a également fermé l’agence pour une semaine et a renvoyé chacun de
ses collègues chez eux. Mais pour ces anciens militaires ou agents, la famille
n’est pas forcément celle qu’on connaît traditionnellement. Mais plutôt les
collègues de boulot avec lesquels ils vivent au quotidien. Et je sais que Ted et
Mary organisent un repas quelques jours après Noël pour fêter l’amitié en cette
fin d’année. Nous sommes aussi conviés.
– Enfin… Allez, en route, cariño.
Nous démarrons la voiture et partons pour plusieurs heures de route. Nous nous
arrêtons deux heures plus tard afin d’avaler un burger et des frites, le tout arrosé
de soda ultra sucré. Pourtant, cela ne m’empêche pas de m’endormir rapidement
après mon repas. Je ne sais pas depuis combien de temps nous roulons, mais
lorsque je me réveille, je suis entre des draps frais, sous une couette douce et
chaude. Manitowoc est à plus de dix-huit heures de route de Boston. Alejandro a
décidé de faire une pause durant le trajet. On aurait pu prendre l’avion, c’est
vrai. Mais un des réflexes qu’il n’a pas perdus, c’est celui de pouvoir fuir à
n’importe quel moment si nous sommes en danger. Eh oui, on ne se refait pas !
Cela ne me dérange pas. Je m’étire, et comprends que je suis seule dans ce grand
lit. Soudain, la porte de la chambre s’ouvre sur mon bellâtre. Il porte un jean
délavé, un sweat gris chiné ainsi qu’une écharpe de laine noire. Ses boots marron
en cuir complètent son look. J’adore quand il est habillé comme ça.
– Salut, amor. Bien dormi ?
– À merveille. Mais un peu déçue de ne pas t’avoir senti à mes côtés ce matin.
– Je sais. Mais il nous reste encore un sacré moment avant d’arriver chez tes
parents. Et j’ai reçu un message de Finn, ta mère le fait tourner en bourrique.
Autrement dit, comme ton frère me l’a gentiment souligné il faut bouger notre
cul pour qu’on arrive rapidement.
Je rigole, car j’imagine Finn en train de fuir maman, qui doit être débordée et
ensevelie sous des montagnes de biscuits de Noël, des pains d’épices, sous des
tonnes de plats de fêtes. Cette année, c’est la première fois que nous sommes
tous réunis chez elle. Mon frère, sa femme, et leurs enfants ainsi que Gonz et
moi. Alors, elle est devenue incontrôlable, elle veut que tout soit parfait. Je suis
certaine qu’elle a changé les draps de nos lits au moins trois fois, qu’elle prépare
le petit-déjeuner des enfants au lever du jour, et qu’elle a acheté toutes les
friandises que nous aimions, Finn et moi, lorsque nous étions enfants. Choses
que nous ne mangeons plus depuis des années, mais que nous nous forcerons à
manger pour quelques jours !
J’ai bien compris le message de mon frère que j’ai appelé un peu après dans la
voiture.
– Je te jure, je passe mon temps dehors avec papa et Aiden. À cette allure, il y
aura un village de cabanes en bois dans le jardin des parents !
Je rigole à l’autre bout du fil.
– T’exagères pas un peu ?
– Pas du tout ! Tu la verrais ! Je crois que même la déco de la maison est faite en
biscuits ! Elle est dingue ! Attends que vous ayez des enfants, ce sera encore
pire !
Nous discutons encore un peu, et même mon père, derrière Finn, me confirme
que mon frère ne me ment pas. Heureusement que nous restons que quelques
jours !
Plusieurs heures plus tard, nous constatons la folie des grandeurs de ma mère.
Tout d’abord, je pense que leur note d’électricité va les endetter sur les quinze
prochaines années ! Il n’y a pas une parcelle de la façade de la maison qui n’est
pas en contact avec une LED. Des guirlandes, des animaux posés dans le sol
enneigé, des pères Noël en tout genre qui arrivent et descendent du toit, des
traîneaux sur la charpente, ainsi qu’au pied de la maison… Leur budget
décoration a dû exploser ! Puis, nous passons le pas de la porte.
– Bordel ! Finn ne disait pas de conneries, me souffle Alejandro. On dirait que la
mère Noël a investi les lieux !
J’acquiesce en silence. Bon sang, maman… Qu’est-ce que tu as fait ?
– Oh, mes chéris ! Anila, ma princesse, viens dans mes bras.
Je me laisse prendre, plus par surprise que par envie. J’aurais tendance à dire que
ma mère est très, très heureuse. Derrière elle, Finn me fait signe qu’elle est
devenue folle. Je lève les yeux au ciel, puis me reprends.
– Ça va, maman ? T’as pas l’impression que tout le village du père Noël a eu une
gastro et aurait vomi sur la maison ? tenté-je pour faire de l’humour.
– Moque-toi ! Mais c’est Noël, ma petite fille, et je peux enfin tous vous avoir
sous mon toit. Laisse-moi en profiter !
Je ne réponds rien, puis elle s’éloigne et va serrer Alejandro dans ses bras. Il est
plus diplomate que nous tous.
– L’ambiance est merveilleuse, Rosa, vous avez assuré.
– Lèche-cul, se moque mon frère.
– Merci, Alejandro ! Enfin une personne qui ne me prend pas pour une cinglée !
Allez déposer les bagages et prenez votre temps. On mange dans une petite
heure !
Sans ajouter un mot, ma mère repart vers le salon, puis à la cuisine. Mon père
nous salue, donne une tape amicale sur l’épaule de mon homme et rejoint ma
mère.
– Alors, qu’est-ce que je t’avais dit ? Ça pue Noël ! J’adore les fêtes, et encore
plus avec les enfants maintenant, mais avoue qu’elle pousse le bouchon ! Elle
nous a sorti hier soir des espèces de machins qu’on se met sur la tête avec des
bois de rennes en tissu, un sapin brillant ou des sucres d’orge ! Elle a bouffé le
père Noël, ce n’est pas possible autrement !
– Finn, détends-toi. Elle est heureuse, on ne reste pas un mois ici.
Heureusement !
– Et t’as pas vu ta chambre, sœurette !
Il ne m’en faut pas plus pour me précipiter dans l’antre de mon adolescence. Je
retiens un cri lorsque je passe la porte. Un truc gît sur ma fenêtre, et dans
l’ombre, on pourrait croire à un intrus. Ce n’est rien de plus qu’un énième père
Noël sur l’un de ses rennes, mais l’ombre est trompeuse. Derrière moi,
Alejandro et Finn sont déjà sur les charbons ardents et je dois les calmer. Je les
rassure, puis Finn nous laisse, mort de rire. Je sens que ce séjour ne va pas être
triste !
Lorsque nous repartons, deux jours plus tard, je frise l’overdose de pain
d’épices, de biscuits à la cannelle et de décorations de Noël. Nous avons passé
de merveilleux moments en famille, je me suis extasiée devant mes petits
monstres qui ont ouvert leurs cadeaux avec une excitation débordante. Et le
coffre de la voiture d’Alejandro est plein à craquer tellement les petits ont été
gâtés ! Heureusement que nous sommes venus en voiture.
Demain, la famille d’Alejandro arrive en ville. Ils ont loué un appartement à
deux pas du loft. Nous pourrons nous voir sans nous marcher dessus. J’adore sa
mère et tout le monde, n’en doutez pas. Mais en bonne famille mexicaine, qui de
surcroît a perdu des membres dans des circonstances dramatiques, ils sont un
peu trop souvent tous ensemble. Bien que je comprenne totalement ce besoin.
Cependant, dès qu’Esmeralda passe la porte, l’amour que trahit son regard me
touche au plus profond de mon être.
Chapitre 11
Gonz
– Mama…
– Mi hijo, mi amor…
J’ouvre mes bras et ma mère se réfugie contre mon torse. Eh oui, à quarante-trois
ans, je suis toujours un fils à sa maman. Notre histoire familiale n’a fait que
resserrer les liens que nous avions. Et en toute bonne famille latine, nous
sommes expressifs. Cela n’a pas changé. Nous avons droit à quelques minutes de
calme avant que le reste de ma tribu n’arrive.
– Tonton Ale !
Ma petite princesse, Juanita, s’enroule autour d’une de mes jambes. Alors que
ma mère se dégage de mon étreinte, je prends ma nièce dans mes bras. Elle me
serre contre elle de toutes les forces possibles.
– Coucou, mi corazon !
– Je suis contente de te voir, tio. Tu sais, j’ai été très très sage, et j’ai même dit
au père Noël que je venais chez toi. Je lui ai envoyé ton adresse pour qu’il
n’oublie pas mes cadeaux. Et puis, tu sais…
– Juanita, ma chérie, laisse ton oncle tranquille deux minutes, tu veux ? Tu auras
tout le temps de lui parler dans les jours à venir, intervient Maria, sa mère.
Elle fait descendre sa fille de son perchoir et me serre dans ses bras à son tour.
– Ça fait plaisir de te voir, Ale !
– Oui, ça faisait trop longtemps.
– T’as qu’à venir plus souvent, me reproche ma mère, dans mon dos.
Alors que je me retourne, je la vois, un bras crocheté à celui d’Anila. Elles ne se
sont pas vues souvent, mais elles s’apprécient. Ma mère n’a même pas tenté de
tester Ani lors de leur première rencontre. Pour elle aussi, ça a été le coup de
foudre au premier regard. Anila s’est bien faite à la proximité qui lie ma famille,
mais je sais qu’elle aime aussi son indépendance… Ce que je comprends ! J’y
suis habitué, mais pour elle, c’est différent. Bien sûr, sa famille est aimante et
tactile. Mais pas de la même façon. Clairement, le pétage de plombs de Rosa
cette année ressemble un peu au comportement quotidien de ma mère… Bref,
vous voyez le tableau.
Maria rejoint ma mère et Ani, et mon frère me serre rapidement dans ses bras.
La cinquantaine fringante, il semble enfin vraiment épanoui.
– Content de te voir, bro.
– Moi aussi ! lui réponds-je. Tu les as mis où, tes grands ?
– En mission regalo, me souffle Pedro.
Je comprends mieux. Ana et Edu sont à la fac maintenant, et ils n’ont pas eu
beaucoup de temps pour faire leurs cadeaux de Noël avec les examens de fin de
semestre. Ma famille est essentielle pour moi, même si nous ne nous voyons pas
aussi souvent que nous l’aimerions, toutefois, notre lien est fort. Le soir même,
ils rentrent dans l’appartement où ils logent pour leur visite. Le voyage a été
long pour eux, les festivités seront pour le lendemain soir.
Ani a décoré la maison avec goût. Pas aussi kitsch que la décoration qu’avait
faite Rosa ! Des lumières, des teintes claires et pastels comme cela se fait bien
désormais en Europe. Cela apporte encore plus de chaleur au loft, déjà
chaleureux grâce au bois et à la déco que j’avais mise en place il y a plusieurs
années déjà. Le repas est fabuleusement bon. Même ma mère, cuisinière émérite,
est épatée par la justesse des saveurs des plats de ma femme.
Je suis installé en bout de table, et je contemple cette scène. Toutes les personnes
que j’aime sont réunies et j’apprécie ce moment. Pourquoi ? Je n’en sais
foutrement rien. Mais mon instinct me dit de prendre chaque seconde et de la
chérir. Je déteste cette sensation, surtout que notre bonheur est évident, et que
nous passons enfin, Anila et moi, des moments rien que tous les deux. Cela
m’avait beaucoup manqué. Est-ce que ce que je ressens est dû au manque que
j’avais envie de passer du temps au calme avec elle ? Peut-être bien, après tout.
Ani me regarde, elle est assise un peu plus loin, entre ma belle-sœur et ma petite
nièce. Ses yeux se plantent dans les miens et son sourire m’atteint au plus
profond de moi-même. Il réussit à apaiser mes doutes et mon instinct se remet en
sommeil. Oui, je crois que j’ai abusé du boulot et que le contrecoup se fait
ressentir.
Deux jours plus tard, alors que ma famille est rentrée chez elle non sans
quelques larmes de la part de ma mère et quelques avertissements de la part du
reste de ma famille - je leur manque trop, je dois aller les voir plus souvent-,
nous nous réunissons chez Ted et Mary. L’an passé, nous sommes restés chacun
de notre côté, mais cette année écoulée a permis d’apprendre à se connaître et à
resserrer nos liens. Mary a demandé que nous soyons sur notre trente-et-un,
parce qu’elle trouve que nous avons passé assez de temps dans des tee-shirts et
des joggings informes. Certes… Je termine de me préparer, passe mes doigts une
dernière fois dans mes cheveux, réajuste mon nœud papillon noir et quitte mon
bureau. Anila avait besoin de la chambre, alors je lui ai laissé le champ libre.
Lorsque je la rejoins, je me fige. Mon Dieu… C’est une déesse… Elle me tourne
le dos, mais elle voit mon reflet dans le miroir auquel elle fait face. Elle porte
une robe longue en satin rouge, deux bretelles s’entremêlent le long de sa
colonne vertébrale pour laisser son dos dénudé ou presque. Elles viennent se
fixer sur le jupon, un peu plus haut que ses reins. Je serais capable d’annuler
notre soirée, rien que pour lui faire l’amour habillée comme ça.
– Je sais à quoi tu penses, me sourit-elle dans le miroir. Mais tu auras tout le
loisir de me prendre lorsque nous rentrerons de chez Ted et Mary. Jusque-là, tu
vas bien te tenir et tu verras, la soirée sera géniale.
Je ne peux réprimer un rire.
– OK, je vais tâcher de bien me tenir.
Je m’approche d’elle et dépose un baiser sur son épaule. Sa peau réagit aussitôt
au contact de mes lèvres. Je sors de ma poche un collier que je lui ai acheté il y a
quelques jours déjà. Lorsque je l’ai vu, j’ai craqué. Elle n’a pas de goûts de luxe,
ni moi d’ailleurs, mais elle mérite le meilleur. C’est un collier fait de diamants
brillants et au centre, une chaînette descend, retenant un rubis d’un rouge
profond. Qui se marie à la perfection avec sa robe et qui ressort sur sa peau
laiteuse.
– Alejandro… souffle-t-elle, surprise. Il… Mais j’ai déjà eu un cadeau pour
Noël.
– Je sais. Mais il était fait pour toi…
Ses doigts fins caressent le bijou, puis elle se retourne vers moi.
– Je n’imagine pas ma vie sans toi… Je ne te le dis pas souvent, mais tu es tout
pour moi. Tu me donnes tellement d’amour, de tendresse, d’attention. Même
quand tu n’es pas là, je te sens partout ici. Merci, merci mille fois de me rendre
si heureuse… Tu es un homme merveilleux, Alejandro Gonzalez.
Je fonds sur sa bouche dès sa déclaration terminée. Elle me touche, parce
qu’effectivement, elle me montre ses sentiments, mais les grands discours ne
sont pas vraiment sa tasse de thé. Elle me dit souvent « je t’aime », mais
rarement plus. Notre baiser est doux et passionné à la fois, mais elle le rompt. Je
sens son sourire sur mes lèvres.
– On doit y aller… Viens, me dit-elle en me prenant par la main.
Lorsque nous arrivons, nous sommes les derniers. Anila dépose les paquets
cadeaux que nous avons achetés à l’occasion du père Noël secret. Le principe ?
Tirer au sort le nom de quelqu’un et lui offrir un cadeau en fonction de ses goûts,
mais aussi de la façon dont on le perçoit. Les gars ont tous revêtu un smoking et
sont super classe. Quant à Mary, elle reste une femme élégante en toutes
circonstances. Elle porte une robe couleur nude, fluide, avec une encolure de
dentelle noire. J’observe mes amis, et je note que Mass, derrière son verre de
whisky à moitié vide, ne cesse de regarder Tina. Et je le comprends… Vu son
regard, je pense que son pantalon n’est pas franchement confortable et qu’il
préfèrerait un jogging ample ! En même temps… Tina a envoyé du lourd. Une
robe longue, émeraude, en voile fluide, fendue jusqu’en haut de sa cuisse
gauche, au décolleté profond, mais pas vulgaire. Son dos n’est pas aussi exposé
que celui d’Ani, bien qu’elle ne soit pas complexée par ses blessures, mais le
tissu dévoile ses reins. Et je pense que Mass trouve ça très, très sexy. Et cette
peste de Tina s’amuse à l’allumer, ça se voit. Je ne sais pas à quel jeu ils
jouent… Mais je sais d’avance que l’un d’entre eux va souffrir. Si ce n’est pas
les deux. Quand j’ai embauché les deux, je savais que Mass cherchait à se poser
et que Tina cachait une blessure. Maintenant que je connais cette blessure plus
en détail, je sais que Mass va déguster. Et Tina… Peut-être bien qu’elle souffrira
aussi.
Le repas de Mary est délicieux. Tout en simplicité, mais excellent. Puis, l’heure
arrive d’échanger nos cadeaux. J’ai pris un nouveau KABAR pour Harri que j’ai
fait graver à ses initiales. J’ai reçu, de la part de Ted, un bon pour parachuter de
nuit avec certains de ses anciens collègues. Je n’ai jamais fait ce genre d’activité,
et j’adorerais en faire. Chacun a ouvert ses paquets sauf Tina. Qui visiblement a
été tirée au sort par Mass. Personne ne relève la vague de froid entre eux. La
soirée se termine parfaitement bien.
De même que nos vacances. Les deux jours suivants, nous n’avons pas quitté
notre chambre. Ou la baignoire. Bref, j’ai fait l’amour à Ani un peu partout dans
la maison. Avoir quelques heures de calme rien que pour nous deux est tellement
rare. La soirée du Nouvel An, nous restons tous les deux, avachis dans le canapé,
à regarder de vieux films en noir et blanc, et à grignoter des amuse-bouches
qu’Ani a préparés cette après-midi. Fruits de mer, tapas, fromage, vins. J’adore
ce genre de soirée.
– Bonne année, amor…
– Bonne année, mon merveilleux mexicain…
Ses lèvres se posent délicatement sur les miennes, puis elle se blottit contre mon
torse.
– Cette année, commence-t-elle, j’aimerais qu’elle soit celle où on deviendra une
famille. Parce que même si j’ai ma famille, qu’elle m’a aimée et qu’elle m’aime
encore toujours, j’ai envie d’avoir la mienne. À moi. Celle qu’on partagera, toi et
moi. Celle qui nous suivra jusqu’à ce qu’on parte à notre tour.
– C’est l’idée que j’avais pour cette année. Je te promets d’être présent cette
année. Plus que l’an passé. Je te promets que je réaliserai tous tes rêves, que
nous aurons ce petit bout qui nous liera encore plus que maintenant. Qui nous
donnera une raison de plus de vivre notre vie, de nous lever chaque matin. Je te
le promets, Anila.
Je l’embrasse sur le sommet du crâne. Encore une fois, nous avons envie des
mêmes projets. Et celui-là, je veux le mener à bien.
Chapitre 12
Anila
Une semaine que j’ai rouvert le café. Je ne peux pas dire que cela me
manquait, mais… j’étais bien au loft, juste avec l’amour de ma vie. Lorsqu’il
m’a confirmé qu’il souhaitait la même chose que moi pour cette nouvelle année,
mon cœur s’est relâché. J’avais peur qu’il ne laisse ce projet derrière lui, à cause
de l’agence qui fonctionne très bien. Mais savoir qu’il fait de nous sa priorité
m’a rassurée. Désormais, il ne reste plus qu’à croiser les doigts pour que tout se
déroule comme nous l’aimerions.
Avec la réouverture, j’ai aussi de nouveaux clients. Je ne pensais pas que cette
coupure m’amènerait ceci, mais j’en suis ravie ! Désormais, Ava travaille avec
moi les matinées, ou les après-midis, en fonction de ses disponibilités. Finn
garde les enfants un peu plus, et Solveig fait également plus d’heures. Soit en
faisant du baby-sitting, soit en m’aidant ici. Elles sont super, ces nanas-là ! J’ai
réussi à obtenir une licence temporaire pour pouvoir vendre de l’alcool léger, de
la bière, en l’occurrence, pour les after-work. Le café est une bonne chose, mais
la bière… Ça fédère encore plus visiblement. Je n’ai pas de gros stocks,
volontairement. Cela limite les états d’ébriété avancés et les emmerdes dans
lesquels cela pourrait me mettre. Davor est revenu de son escapade dans le nord
du pays et a repris ses bonnes habitudes. Tout comme mes étudiants qui passent
une bonne partie de leur temps libre au café. Parfois, j’ai l’impression d’être la
personne qui veille sur eux, qui les couve. Un peu comme leur mère. Et j’adore
ce rôle. Je me dis que lorsque j’aurai des enfants, je leur préparerai des
viennoiseries pour le goûter, des pancakes pour le petit-déjeuner, du jus de fruits
frais, des encas sains… J’ai un peu hâte de tout ceci à vrai dire. Perdue dans ma
rêverie, je n’entends pas la demande qu’on me fait.
– Eh, Anila, ça va ?
– Pardon. Tu me disais quoi ?
Davor répète sa question. Je remplis sa tasse de café.
– Désolée, bredouillé-je.
– Pas de souci. Un problème ?
– Oh non, pas du tout ! Je rêvais simplement.
– Puis-je te demander à quoi ?
– L’avenir. Le jour où j’aurai des enfants.
– Ça viendra !
Il semble vouloir me rassurer. Comme s’il avait senti que cela me touchait.
– Oui, lui réponds-je simplement.
J’ai la sensation étrange que Davor me comprend. Comme s’il me connaissait.
Que je peux lui faire confiance. Il est devenu un véritable ami au fil du temps.
Bien que nous ne nous voyions pas en dehors du café, je suis contente lorsqu’il
s’arrête me voir. Quand il ne vient pas, parfois, je m’inquiète, me demandant si
quelque chose lui est arrivé. Je n’ai aucun sentiment pour lui, hormis de l’amitié.
Peut-être parce qu’il a un vécu particulier, qui semble être similaire au mien.
Les jours défilent et le froid ne quitte pas le Massachusetts. J’ai hâte que nous
sortions de l’hiver. Non pas que je déteste cette saison, mais… je préfère le
printemps et l’été. Les blousons hyper rembourrés, les bonnets, et les écharpes,
très peu pour moi ! Alejandro est reparti en mission pour quatre jours
normalement. En tout cas, c’est ce qu’indiquait son contrat. Je sais qu’il déteste
ça, moi aussi d’ailleurs, mais nous faisons avec. Je décide de fermer un peu plus
tôt, mes habitués sont partis avant, ce soir. Soudain, je sens une présence dans
mon dos. Je reste calme et descends mon rideau de fer. Je respire profondément
et me dis que ce n’est qu’un passant et qu’il partira. Seulement, cette sensation
perdure.
– Anila ?
Je sursaute alors que je reconnais cette voix. Je porte ma main sur mon cœur et
reprends mon souffle.
– Anila… Ça va ?
– Oui, pardon. C’est toi, excuse-moi, Davor.
– Je t’ai fait peur ?
– Un peu. J’étais dans mes pensées et ne m’attendais pas à ta visite.
C’est vrai en plus. Je ne pensais pas le voir ce soir. De plus, il fait nuit tôt, froid,
je suis une femme, le contexte est idéal pour une agression. Même si Alejandro
m’a appris les rudiments du krav-maga, je ne suis pas sûre que j’aurais réagi de
la bonne façon.
– Excuse-moi, je ne voulais te faire peur. Au contraire.
Il a aiguisé ma curiosité. Je hausse un sourcil afin de l’inciter à continuer.
– Surprise ! Tu me fais confiance ?
– Oui !
J’adore les surprises, et franchement, j’ai hâte de savoir de quoi il en retourne.
– Alors, tourne-toi.
J’obéis, et il me bande les yeux à l’aide d’un tissu noir. Un petit frisson
d’appréhension parcourt ma colonne, mais je me rappelle que je suis avec Davor.
Je suis en sécurité. Il passe sa main sous mon coude et me guide jusqu’à sa
voiture. L’odeur est un mélange de cigarette et de cuir, et cela colle totalement au
personnage. Nous roulons durant de longues minutes. Davor me parle et a lancé
la radio qui détend l’atmosphère. Lorsqu’il s’arrête, je ne vois pas où l’on peut
être. Je n’ai pas reconnu l’itinéraire.
– Ne t’inquiète pas, je vais te guider, me rassure mon ami. Lève le pied, voilà.
OK, un trottoir. Puis, j’entends qu’il tape un code sur un clavier. Puis un clic qui
ouvre une porte. J’ai l’impression que nous sommes dans un immeuble, pas de
haut standing, un courant d’air traverse le hall. Mais pour autant, cela ne me
semble pas délabré. Nous montons dans l’ascenseur qui se stoppe quelques
étages plus haut. Davor ouvre une autre porte. Il me fait passer devant lui, tout
en gardant ses mains sur mes épaules.
– J’espère que tu ne m’en voudras pas, ma belle… me souffle-t-il à l’oreille.
J’ignore de quoi il parle, mais rapidement, je sens le bandeau se retirer. Puis, mes
yeux s’ouvrent et s’habituent à la lumière ambiante. L’appartement dans lequel
nous nous trouvons est spacieux. Il n’est pas luxueux, mais tout de même, il est
d’époque. Les boiseries le prouvent. Un bruit, à ma gauche, me tire de mon
observation.
– Anila ?
Cette voix, avec cet accent, cette consonance… Je suis propulsée vingt ans en
arrière. Elle réveille mes souvenirs. Je secoue la tête et plisse les yeux.
– Qui… qui êtes-vous ? m’étonné-je.
Davor pose sa main dans mon dos, comme pour me soutenir. J’observe cet
homme, qui doit avoir une dizaine d’années de plus que moi. Ses cheveux ont
des reflets cuivrés dans leur masse brune, et sont légèrement ondulés. Comme
moi. Ses yeux… Ils semblent… Oui, comme les miens. Sa joue gauche est
barrée d’une balafre fine qui part du haut de sa pommette et rejoint sa mâchoire.
C’est étrange. Il s’approche de moi, comme si je l’attirais. Je reste figée,
incapable de bouger. J’ignore qui est cet homme, mais en même temps, je ne sais
pas. Comme si j’avais un lien, un quelque chose avec lui.
– Anila, mon Dieu… Ça fait si longtemps…
Il tend sa main vers mon visage, mais retient ses doigts avant qu’ils ne passent
sur ma peau.
– Tu n’étais qu’une petite fille, à l’époque…
Dans sa voix, je peux sentir une peine profonde.
– Qui êtes-vous ? répété-je, troublée.
Davor prend la parole.
– Anila, voici ton frère aîné, Milos.
Mon quoi ?
– Non, ce… Comment ? Non ! Je n’avais qu’une sœur. Je… Davor ?
Je cherche à m’enfuir, mais mon ami m’en empêche.
– Anila, je suis désolé, je ne pensais pas à mal… Mais écoute-le… S’il te plaît…
Il m’implore d’une voix douce.
– Non ! S’il te plaît… Davor…
– Je suis tellement désolé, Anila, si tu savais comme tu m’as manqué…
– Comment ? Je n’avais pas de frère, je…
– Te rappelles-tu ta vie d’avant ? me demande Milos.
– Pas vraiment, admets-je.
– Veux-tu t’asseoir afin que je te raconte notre histoire ?
– Je… Non, soufflé-je. Non, désolée.
Je me dégage du bras de Davor et me précipite en bas de l’immeuble.
Comment ? Ce n’est pas possible. Ma famille a péri lors de la guerre dans des
circonstances affreuses. Je m’appuie contre la façade qui m’offre un soutien
incommensurable. Ma tête tourne, mon esprit est embourbé dans un brouillard
opaque.
– Anila, je suis vraiment désolé, je ne pensais pas que…
Je secoue imperceptiblement la tête, mais cela suffit à Davor pour qu’il se taise.
– Je te ramène, me souffle-t-il.
Je le laisse me guider jusqu’à la voiture et boucler ma ceinture. Je suis dans un
état second. Vraiment.
– Je te dépose chez toi, ça te va ?
En silence, je hoche la tête. J’ai l’impression d’être dans une autre dimension.
Dans un rêve ? Je ne vois pas le temps passer et nous sommes devant la porte du
loft. La portière s’ouvre et la main de Davor se présente devant moi.
– Anila ? On est arrivés.
Je sors de son véhicule, totalement hébétée. Alors que je me rends jusqu’à la
porte, Davor reprend la parole.
– Je suis désolé, Anila, je suis vraiment désolé. Je pensais que tu aurais aimé
retrouver ta famille…
– Ma famille ? Mais elle est ici, ma famille. Mon ancienne famille est décédée il
y a bien longtemps.
– Je comprends. Mais offre-lui au moins le bénéfice du doute.
– Comment ? Je ne me rappelle rien de mon passé. J’avais des parents aimants,
une sœur, mais c’est tout ! m’énervé-je.
Davor se rapproche de moi et pose ses mains sur mes épaules. Il s’abaisse à mon
niveau et me regarde dans les yeux.
– J’imagine combien cela doit te perturber. Mais Anila, je t’assure qu’il ne te
ment pas… Laisse-lui une chance de t’expliquer.
Son regard est si profond qu’il émet un doute en moi.
– Je ne sais pas. Je vais y réfléchir, soupiré-je sèchement.
– Merci… Voici mon numéro de téléphone, me dit-il en me tendant l’une de ses
cartes de visite professionnelles.
Je la prends et acquiesce. Puis, sans un mot, je rejoins mon chez-moi. Mon
cocon. Comment est-ce possible ? C’est la question qui tourne et retourne dans
ma tête. Je tente de me concentrer, de fouiller dans mes souvenirs. Mais rien ne
me revient. Je ne sais combien de temps je passe ainsi, dans mon canapé.
Lorsque je sors de ma torpeur, je m’aperçois que je porte toujours ma veste et
que mon sac à main est toujours sur mon épaule. Je m’en débarrasse et vais
prendre une douche. Mes idées ne cessent de se bousculer, de se mélanger. Et
une lourde chape de plomb m’envahit. Alejandro n’est pas là. Je ne peux parler
de ceci à personne. Encore moins à ma famille.
Le lendemain, je suis d’humeur massacrante. Je n’ai presque pas fermé l’œil de
la nuit. L’absence de l’homme que j’aime me pèse, énormément. Aujourd’hui, je
suis seule au café. Cette semaine est relativement calme, alors j’ai congédié Ava
et Solveig. Finalement, cela m’arrange. J’ai besoin de temps pour moi, pour
ruminer ce qu’il se passe dans ma vie. Heureusement pour moi, les clients sont
relativement rares aujourd’hui. Je ne suis pas d’humeur. À la fois en colère,
perturbée par cette découverte, mais aussi… curieuse. Et si Davor disait la
vérité ? Si ce Milos était vraiment de ma famille ? En fin de journée, comme à
son habitude, Davor s’installe au comptoir. En silence, je lui sers son café, et
retourne faire mes pâtisseries. L’ambiance est très calme ce soir. Peu de clients,
mes étudiants absents, et pas envie de parler.
Un soupir se fait entendre derrière moi.
– J’ai longtemps hésité avant de t’en parler, Anila. J’avais peur de te blesser, que
ton passé soit remué. Mais quand tu as parlé de tes origines, même de façon
vague… Je ne sais pas…
Il passe une main dans ses cheveux. Comme s’il se sentait mal pour moi.
– Pardonne-moi, d’accord. Oublie tout ça, si c’est ce que tu préfères.
J’expliquerai à Milos et tu ne le reverras plus.
Alors qu’il me dit ceci, mon cœur a un raté. Et si ce Milos était vraiment mon
frère ?
– OK, soufflé-je. OK. Je veux bien écouter ce qu’il a à dire. Mais si je n’y crois
pas, je ne veux plus vous revoir. Ni lui ni toi.
– Bien, valide-t-il.
Son ton est abrupt, certainement à cause de la contrepartie que j’ai annoncée.
Cela m’est égal. S’il s’avère que c’est faux, je veux oublier tout ça. Et ne pas
avoir quoi que ce soit qui me rappelle ceci.
Chapitre 13
Inconnu
Putain, elle est bien plus intelligente que je ne le croyais, cette greluche ! Moi
qui pensais que ce serait du tout cuit ! Le boss n’était pas super ravi de sa
réaction. Il imaginait qu’elle allait lui sauter au cou. Ce qu’elle n’a, bien
évidemment, pas fait. Lorsque je suis retourné à l’appartement après avoir
déposé Anila chez elle, il était dans une rage folle.
– Comment cette petite pute n’a pas pu gober notre histoire ! J’ai cru qu’elle
était mûre ! Putain, t’es qu’un incapable !
Il a fait voler un vase et d’autres objets qu’il avait sous la main à travers la pièce.
J’ai fait profil bas avant de répliquer.
– Sa nouvelle famille ne lui parle jamais de son passé. Elle a oublié. Il nous faut
simplement un peu de temps pour insinuer cette idée dans son cerveau. Après, le
plan roulera tout seul. Patience, boss.
– Je ne suis pas patient ! répondit-il, cinglant.
Je le sais. Et je sais aussi que je peux m’estimer heureux de ne pas avoir reçu de
balle dans la cuisse ou dans l’épaule. Il a la gâchette facile.
– Je te donne quarante-huit heures. Au-delà, tu iras nourrir les poissons dans le
port.
Là voilà, la menace. Et pas dissimulée. Je n’ai pas intérêt à me planter. J’ai été
soulagé quand elle m’a accordé une chance. C’est pour ce soir. J’ai prévenu le
boss, il n’a pas intérêt de foirer.
Chapitre 14
Anila
Gonz
Gonz
Mike
Massimo
Je vis à Boston depuis des années, j’avoue que l’adresse que nous a donnée
Mike ne me parle pas. 856b, Lafferty Street. Ça se situe dans le quartier de East
Boston. Pas mon quartier de prédilection. Je préfère Dorchester, pour ses pubs et
son ambiance irlandaise.
Bien que ce soit que le petit matin, le jour commence à se lever. Tina, à mes
côtés, siffle devant la façade.
– Dis donc ! C’est classe, ici !
– Ouais. On dirait un ancien hôtel particulier. J’avoue, ça a de la gueule.
Elle me colle un coup de coude dans le flanc, à défaut de pouvoir atteindre mes
côtes. Les trente centimètres qui nous séparent se font ressentir. Nos regards se
croisent un peu plus longtemps qu’habituellement. Jusque-là, nous nous sommes
évités. Cependant, nous ne pouvons plus le faire depuis qu’Anila a disparu.
Parce que c’est notre job. Et lorsque nous étions en mission, nous ne nous
parlions pas. Sauf pour le côté boulot. Au moment où je me demandais comment
ouvrir cette porte en bois qui semble peser une tonne, elle s’ouvre et une nana en
sort. En mode « walk of shame ». En gros, elle vient de baiser et elle tente de
sortir sans qu’on la remarque. Elle n’est pas très discrète, mais ça a le mérite de
nous permettre d’entrer. Cinq étages, deux appartements par niveau. Dix
possibilités.
– OK, on se répartit les apparts. Toi ceux de droite, moi ceux de gauche,
intervient Tina. On regarde les noms, on passe les caméras thermiques et on
essaie de trouver un truc. À mon avis, Anila n’est plus ici. Ou alors, ses
ravisseurs seraient complètement cons !
Je m’équipe de mes lunettes à vision thermique, gadget que j’adore dégainer, et
je suis les instructions de ma collègue. J’aime quand elle est autoritaire. C’est
une vraie tigresse. Au fur et à mesure que je monte les étages, j’analyse ce que je
vois. Un couple qui prend sa douche, d’autres qui dorment. Les noms sur les
portes ne correspondent à rien. Pour autant, je les mémorise et les transmets à
Ted par le biais de mon oreillette.
– RAS pour le moment. Ils sont tous en règle, papiers et numéro de Sécurité
sociale à jour.
Bref, de mon côté, j’ai fait chou blanc. En revanche, Tina tient un truc.
– Le deuxième nom que tu m’as filé, ma belle, Milos Carter, ne correspond à
rien. En revanche, il nous redirige sur la page d’un site gouvernemental
international. Européen pour être plus précis. Mais je ne connais pas le pays
encore. Je vais fouiner. C’est vide ? demande Ted.
– Oui, je rentre.
– Attends-moi, Tina. On ne sait jamais.
– Ça va, Mass, je ne suis plus une gamine.
Je déconnecte mon oreillette lorsque j’arrive derrière elle.
– Non, je le sais bien. Tu es loin d’être une femme sans défense, ni même une
gamine, lui soufflé-je à l’oreille.
Dans son regard, je vois passer une ombre de désir avant d’avoir droit à un œil
noir. En silence, elle crochète la serrure, et nous pénétrons dans l’appartement.
Au premier coup d’œil, on voit clairement qu’il est luxueux, bien entretenu, mais
aussi, étrangement vide. Et silencieux. D’un geste de la main, j’indique à Tina
que je continue vers le couloir. Je sors mon arme, au cas où, même si les lunettes
thermiques n’ont rien détecté. Réflexe. En silence, j’avance, et ouvre les quatre
portes, toujours sur la défensive. Pas de bombe, de déclencheur à distance. En
revanche…
– Tina, par ici.
La pièce dans laquelle je viens de rentrer est juste… flippante. Bien que j’aie
déjà vu ce genre de mur auparavant. Cependant, je connais la victime. Parce
qu’il n’y a plus de doute possible. Ani est une victime.
– Merde… J’en connais un qui va péter un plomb…
Et il y a de quoi. Si je voyais… Non. Jamais ça n’arrivera. À ma droite, je peux
voir, grâce à la lumière du soleil levant, ce que tout homme ne supporterait pas.
Des photos, des tonnes de photos d’Anila. Au café, dans la rue. Dans son loft
aussi. Elle était traquée. Surveillée, épiée. Et personne n’a rien vu.
– Bordel… soufflé-je.
– Eh, les gars ? Les gars ? Vous me recevez ?
Je réactive mon oreillette.
– Ça pue, Ted. Je t’envoie des photos.
Je photographie le mur pendant que Tina fouille la pièce. Relevés d’empreintes,
documents, tous les indices qui peuvent nous mener à Ani.
– Gonz est avec toi, Ted ? demandé-je.
– Pas encore. Mais…
– Les gamins, c’est James. Faites votre job, je m’occupe de Finn et Gonz.
Envoyez tout ce que vous pouvez. Coupé.
Et la communication cesse. Avant de reprendre. L’ancien a des méthodes plus
actuelles, que nous n’utilisons plus, visiblement.
– Je crois que j’ai un truc. Viens voir, m’appelle Tina.
Je la rejoins et elle m’indique des documents posés en vrac sur la table.
– Regarde.
Une carte géographique, des papiers écrits dans une langue que je ne connais
pas, un extrait de naissance, un arbre généalogique. Pas de doute. Ceux qui
étaient ici sont partis en vitesse. Est-ce qu’ils vont revenir ? J’en doute.
– OK. T’as fait le relevé d’empreintes ou pas ?
– J’ai tout. C’est dans mon smartphone. J’envoie à Ted. Tu peux t’occuper des
documents ?
– Ouais, je les photographie et je les mets sous scellés.
Moins de trente minutes plus tard, tout est bouclé et nous repartons discrètement.
Presque… Une vieille dame sort de chez elle, certainement à cause du bruit qu’a
causé la fermeture de la porte. Nos visages lui sont bien évidemment inconnus et
je ne tiens pas à ce que nous nous fassions repérer. Alors, je fais la seule chose
qui me passe par la tête. Je plaque délicatement Tina contre le lourd battant en
bois, j’encadre son visage où se mêlent surprise et désir et je l’embrasse.
D’abord doux, plus pour tromper cette femme, il devient plus profond.
Instinctivement, nos langues se rencontrent, jouent l’une avec l’autre. Sa main
passe dans mes cheveux mi-longs et s’arrête sur ma nuque. Je gémis de plaisir…
La porte de la voisine a claqué depuis quelques instants lorsque nous nous
séparons, hors d’haleine. C’était quoi, ça ?
– La mamie allait comprendre que quelque chose clochait, tenté-je de me
justifier.
– OK.
Puis, Tina passe devant moi, et nous rejoignons notre SUV noir garé à deux
blocs d’ici. Cette nana m’a attiré dès notre première rencontre. Tantôt tête brûlée,
femme forte, mais aussi femme blessée dans sa chair, qui n’en est que plus belle.
Femme de tête, droite, femme d’action. Femme passionnée dans tout ce qu’elle
entreprend. Et ce jour-là, en Floride, elle m’a achevé. Nous étions sous
couverture et nous devions jouer un couple d’amoureux pour être crédibles. Le
jeu a pris le pas sur la réalité. Pour finir par ne faire qu’un. Le matin, au bout de
quelques jours, nous nous embrassions, comme n’importe quel couple. Quand
nous regardions la télé le soir, elle était contre moi. Lorsque nous allions dans la
piscine, nous nous cherchions. Elle, toujours plus belle, plus sensuelle. C’était
simplement du flirt ? Jusqu’au fameux soir. Deux jours avant la fin de notre
couverture. Nous avions été invités par le couple suspect. Ils nous ont demandés
depuis combien de temps nous étions ensemble, comment nous nous étions
rencontrés. Instinctivement, les premiers souvenirs sont remontés à la surface. Ils
n’ont eu de cesse d’ajouter que notre complicité et notre amour étaient évidents.
Deux verres de vin en trop et nous sommes rentrés à la maison un peu éméchés.
Nous avions tous les indices, nous avions fait notre job, mais nous n’avions pas
pu résister. Je lui ai proposé un bain de minuit, elle m’a répondu que je n’étais
pas sérieux. Oh que si, je l’étais. Je l’ai défiée du regard et comme elle ne résiste
jamais à relever un défi, elle s’est exécutée. Elle m’a littéralement fait un strip-
tease. Elle a ôté sa jupe taille haute, puis son tee-shirt. Une fois en sous-
vêtements, elle m’a regardé droit dans les yeux, a retiré son soutien-gorge, l’a
laissé tomber à terre et a plongé en tanga dans l’eau. Elle m’a tué. À mon tour, je
me suis débarrassé de mes affaires et en boxer, je l’ai rejointe. La nuit n’a été
que passion, sexe et membres entremêlés. Mais quelques heures plus tard, Tina a
décrété qu’elle ne pouvait pas mélanger boulot et vie privée. Et qu’elle ne
voulait plus qu’on dérape. Depuis, c’est froid et distant entre nous.
– Allons expliquer tout ça aux autres, lâche Tina en sortant de la voiture.
Je n’avais même pas remarqué que j’étais déjà devant l’agence, garé. Je la suis et
nous trouvons un Gonz hors de lui.
– Le Kosovo ? Mais c’est quoi cette connerie ? Jamais elle n’irait ! Finn, elle ne
t’en a jamais parlé ?
– Pas vraiment, non. Ces derniers temps, il lui arrivait de revenir sur le sujet,
mais je lui répondais la même chose que ce que je lui ai toujours dit. La vérité !
Qu’est-ce que tu crois ?
– Je n’en sais rien, putain ! Mais du jour au lendemain, elle s’intéresse à autre
chose ?
Tina se racle la gorge.
– Les gars… On a trouvé des trucs dans l’appartement. C’est… intéressant…
Ils s’approchent, mais elle les recadre.
– Non. Vous vous installez sur des chaises, le temps que je vous explique. Je
veux que vous ayez les idées claires. On est une équipe, on pense pour vous,
mais vous allez avoir besoin de toute votre tête.
À contrecoeur, Gonz et Finn s’assoient.
– Partie ou pas d’elle-même, elle était traquée. Il y a un mur entier où sont
placardées des photos et des infos sur Ani. Ensuite, poursuit-elle en sortant les
documents, il y a ça. Et visiblement, on n’avait pas toutes les informations sur
Anila… Ni même toi, Finn.
Il récupère le papier qu’elle lui tend. Finn fronce les sourcils d’incompréhension.
Puis, il se lève, hors de lui.
– Qu’est-ce que ça veut dire ? Et comment aurais-je pu le deviner ? C’est quoi
cette blague !
Ted intervient à son tour.
– Ce n’est pas une blague, boss. Anila est la fille de l’ancien prince du Kosovo.
L’histoire est un peu compliquée, car ce pays a appartenu à un peu tout le
monde. Mais son père était censé monter sur le trône. La guerre a empêché son
couronnement. Il n’aurait pas eu un rôle aussi important qu’un roi, plutôt comme
celui de la reine d’Angleterre ou du roi d’Espagne. Consultatif. Bref, suite à cette
guerre qui a décimé sa famille, Anila est devenue héritière à son tour. Seulement,
elle a été portée disparue, et la suite, tu la connais. Je viens de vérifier en ligne,
la reconnaissance faciale est formelle : la petite fille de la photo officielle et la
femme qu’on connaît ont 99% de correspondance.
Anila ? Princesse héritière d’un trône déchu ? Jamais je n’aurais pu imaginer ça.
Et visiblement, tout le monde pense la même chose.
– OK, bien, intervient Gonz. Mais ça ne nous dit pas où elle est.
– Le nom que Tina et Mass m’ont transmis est un faux. Mais en fouillant, il
s’avère que c’est un ressortissant kosovar, pro-royaliste. Autrement dit, on dirait
bien qu’il est venu chercher notre Ani. Il a été arrêté pour complot, pour
propagande et opposition au pouvoir en place. Mais il s’en est toujours tiré. La
corruption, certainement…
Et comme si ça pouvait être plus compliqué, Ted poursuit. C’est le demi-frère
d’Ani. Milos Mirkovic. Officiellement, il est historien. Mais ce n’est qu’une
couverture…
Chapitre 19
Finn
C’est quoi ce merdier ? Anila, cette petite orpheline, est héritière du trône ?
Putain, qu’ai-je fait ? Je… Putain ! Je passe la main dans mes cheveux en
continuant de faire les cent pas. C’est irréel ! Personne ne m’a signifié ce statut
dont elle faisait l’objet ! Personne là-bas ne la considérait autrement qu’une
gamine sans parents qui s’est isolée et protégée d’un génocide revendiqué. Qui
accrochait de ses petites mains sales mon treillis beige et poussiéreux. Cette puce
est une princesse… Je suis sonné par la nouvelle. Pourtant, rapidement, mon
cerveau d’ancien agent prend le relais.
1
– OK. Faut qu’on appelle Fiona et Rob . Ils sont déjà en Europe, ils auront peut-
être des informations qu’on ignore.
– Bien, leurs coordonnées sont dans le système, je lance l’appel maintenant,
annonce Ted.
Fiona décroche au bout de la deuxième sonnerie.
– Allô ?
– Fiona, c’est Finn.
– Hey, salut l’Américain !
– Salut, lui réponds-je.
Au ton que j’emploie, elle comprend immédiatement qu’il se passe quelque
chose.
– Je mets le haut-parleur, Rob est là, on est au bureau. On t’écoute.
– Salut Rob. Voilà ce qu’il se passe.
Je leur expose la situation, ils m’écoutent attentivement avant de reprendre la
parole.
– Putain, quel merdier ! s’exclame Rob.
– Ouais, comme tu dis, lâche Gonz dans un grognement.
– Bien, j’ai noté les noms, ça me parle, nous explique Fiona. Vous me donnez
deux heures, mais apprêtez-vous à venir nous rendre visite.
À peine ai-je raccroché, que la porte s’ouvre. Ava nous rejoint. J’ouvre mes bras
et elle se réfugie contre mon torse. La meilleure sensation du monde, si ce n’était
pas une situation de crise. Cependant, sentir son étreinte me redonne un peu de
force.
– Je suis tellement désolée…
Elle répète ça en boucle depuis que ma sœur a disparu. Et j’ai beau la rassurer,
rien n’y fait. Elle se sent responsable. Si elle avait été là, si elle était allée l’aider,
si, si, si… Je ne sais plus quoi lui dire pour lui enlever cette idée de la tête.
– Ça suffit, Ava, rugit Gonz en claquant son poing sur la cloison proche de nous.
Ce n’est pas ta faute, donc tu arrêtes de te torturer avec ça ! Elle a été enlevée,
kidnappée, manipulée, tout ce que tu veux, mais ce n’est PAS TA FAUTE !
Putain, rentre-toi ça dans le crâne !
Ava sursaute contre moi, Gonz est furieux. Je resserre mes bras autour de sa
silhouette fine, mais je réagis lorsque je vois des larmes dans ses yeux.
– Ça va, mec, tu te calmes !
– Ne me dis pas de me calmer, Finn ! Putain, elle pleurniche et se plaint, mais on
ne sait toujours pas où est Anila ! Mais ça ne fait pas avancer les choses, bordel
de merde !
Alice s’avance et est prête à s’interposer entre Ava et Gonz.
– Je suis désolée, murmure Ava.
– Arrête, bordel ! Arrête ! s’écrie-t-il.
Je comprends Gonz, mais putain ! Il n’a pas à parler ainsi à ma femme ! Je me
tends, m’écarte d’Ava, prêt à coller mon poing sur le nez de Gonz quand Mass
intervient. Il ceinture son patron, l’éloigne et le dirige vers la salle de boxe.
– Ça va, ma puce ?
Ava secoue la tête. Mais elle est encore surprise de l’attitude de notre ami.
– Tu sais, il ne l’a pas dit de la meilleure des façons, mais il n’a pas tort. Arrête
de te blâmer pour quelque chose dont tu n’es pas responsable. D’accord ?
Mes mains sur ses joues, je plonge mon regard dans le sien. Ça me fait mal de la
voir ainsi.
– Je t’aime, et jamais je ne t’en ai voulu ou je t’en voudrai, Ava. S’il te plaît,
arrête de te considérer comme responsable. Personne ne t’en veut, alors tu ne
dois pas t’en vouloir !
– OK, souffle-t-elle. C’est que j’ai tellement peur pour Ani…
– Je sais, chérie. Mais tu sais qu’on la retrouvera. On fera tout pour.
– Je le sais… Soyez prudents…
– Ne t’en fais pas.
Quelques minutes plus tard, Ava rentre à la maison retrouver Solveig et les
enfants. Mass est toujours sur le ring avec Gonz. Ted continue ses recherches,
notamment celles d’un jet qui pourrait nous faire atterrir incognito dans un pays
voisin. Ainsi que d’une piste qui nous accepterait. Nous attendons toujours le
rappel de Fiona. Finalement, il arrive plus rapidement que prévu.
– Il me semblait bien que ce nom me disait quelque chose. Mirkovic est un
royaliste en puissance. Extrême. Il a déjà été impliqué dans des affaires, mais a
toujours pu échapper à la justice. Il a notamment été accusé de meurtre,
d’attentats contre le gouvernement en place, mais aussi de kidnapping et torture
sur opposants au royalisme.
– On ignorait ce dernier point, lâche Ted à ma place.
J’ai peur pour ma sœur. Mais le fait que ce soit un membre de la royauté pourrait
ou devrait la sauver.
– On peut vous faire atterrir sur une piste en Bosnie, pas très loin du Kosovo. Là-
bas, on vous attendra avec des motos, histoire d’être plus discrets. On a une idée
d’où se trouve Mirkovic, mais rien de précis… C’est un fantôme, ce mec. On ne
l’appelle pas Ghost pour rien, explique Rob.
– Putain, mais comment on va remettre la main dessus ? m’énervé-je.
– Apparemment, les services secrets français auraient une piste voire un agent
infiltré. Fiona essaie de rentrer en contact avec eux. On décollera dans quelques
heures pour tout organiser. Par chance, la région est assez calme désormais.
Quelques violences, mais plus de guerre.
– Bien, valide mon chef des opérations. On s’occupe de tout ça, et on vous tient
au courant. Merci du retour, Rob.
– Sans problème. À bientôt !
Rob raccroche au moment même où Gonz nous rejoint.
– Ava est partie ?
– Tu espérais qu’elle t’attende pour que tu lui en colles plein la gueule ?
– Non, je… bredouille-t-il. Je voulais m’excuser.
– Fais gaffe, mec. C’est ma femme. Et je comprends ta réaction, parce que
j’aurais fait comme toi, et que c’est ma sœur qui a disparu. Mais ne lui parle plus
jamais comme ça. Même si le fond est bon.
– Désolé…
– Bon, on a du nouveau, annonce Ted.
Il fait un résumé à Gonz.
– Parfait. Le vol est à quelle heure ?
– J’ai trouvé un jet pour ce soir. Pas le plus luxueux, mais il vole. Il y en a pour
une bonne dizaine d’heures. Je transmets toutes les informations aux Britishs et
vous pourrez aller préparer vos affaires.
– Bien. On finit les affaires en cours et on suspend tout. Ted, tu restes ici pour
coordonner les opérations. Je veux que Chase et Harri continuent de fouiner ici
si besoin. Mass et Tina, vous venez avec nous, ordonne Gonz.
– James, interviens-je, pourriez-vous aller chez mes parents pour les informer de
la situation ? Et éventuellement intervenir à distance ?
– Sans souci, le bleu. J’appelle Etta, et je reprends mon avion, direction
Manitowoc.
James s’approche de moi, me donne une accolade.
– Sois prudent. Et ramène la petite. Toute princesse qu’elle soit. Elle a besoin de
sa famille. Sa vraie famille. Parce que quelque chose me dit que c’est plus
complexe que ça.
– Merci pour tout, James.
– Avec plaisir, le bleu ! Ça met un peu de piment dans ma routine de retraité, me
sourit-il.
Puis, après avoir salué tout le monde et nous avoir souhaité bonne chance une
dernière fois, il quitte l’agence.
– Et nous ? demande Alice, qui bout totalement.
– Tu viens avec nous.
Maintenant, à nous de jouer…
Chapitre 20
Gonz
Anila
Ma tête… Mes oreilles bourdonnent, ma gorge est sèche, mes membres sont
engourdis. Des voix lointaines me parviennent. Durant quelques secondes, elles
ressemblent à des murmures. Puis, au fur et à mesure, elles semblent se
rapprocher.
– …réveille… plans à bien. Pas le choix ! … le faudra.
Je tente de bouger en silence, mais je dois faire un bruit, car des pas
s’approchent.
– Anila, ma puce, tu es réveillée, me sourit ce visage connu.
Milos.
– Oui, soufflé-je. Soif…
– Je t’apporte ça.
Il revient avec un verre qu’il porte à ma bouche doucement. Cela me fait du
bien, ma gorge ne me tiraille plus autant. En revanche, ma tête est lourde,
toujours.
– Voilà. C’est bien. Repose-toi, maintenant…
Puis, je retombe dans un brouillard épais. Pas inconsciente, mais embrouillée. La
voix de Milos me parvient.
– On doit la garder ici encore un peu. Quand tout sera prêt, on pourra sortir la
princesse. Et plus rien ne nous résistera !
Puis, les limbes des ténèbres me prennent en otage et je plonge, profondément,
dans un sommeil dénué de pensées…
Chapitre 22
Mike
Un peu plus de deux cents bornes plus loin, nous arrivons dans la banlieue de
Glogovac, Kosovo. À première vue, c’est une petite ville agréable qui ressemble
étrangement aux stations balnéaires que l’on peut trouver sur nos côtes
atlantiques. En cette période de l’année, l’endroit est calme et, hormis la
population locale, il n’y a pas encore de touristes en ville. C’est l’endroit idéal
pour se planquer et noyer le poisson. Ici, on est aux antipodes de la banlieue
craignos qu’on pouvait imaginer. Les deux Kosovars sont bien plus malins que
ce que je pensais.
Nous nous sommes installés en sortie de ville, le plus discrètement possible.
Nous sortons peu, histoire de ne pas attirer les regards. Les touristes étant rares,
un groupe d’Américains qui débarque paraîtrait louche. De plus, j’imagine que
nos tronches circulent en sous-marin pour qu’on nous repère. Grâce au contact
d’Alice, nous avons pu nous rapprocher de leur planque. Mais nous ne savons
toujours pas où ils sont exactement. Dans un rayon de vingt kilomètres, à la
louche, mais pas bien plus… Les services secrets français essaient
désespérément de joindre leur contact sur place. Ce Rémy est aussi invisible que
son connard de patron.
Malgré mon passé, je ne connais pas vraiment cette zone-là de l’Europe. En
revanche, je suis au fait de leurs méthodes. Propagande souterraine, bourrage de
crâne des populations les plus pauvres, plus naïves, puis, les sphères plus
friquées de la société, en ciblant encore une fois les personnes les plus faibles,
promesses jamais tenues ou presque. Et surtout, impossible à tenir. Les royalistes
sont des utopistes s’ils croient pouvoir remettre une princesse disparue depuis
près de vingt ans ! Il y a eu des guerres, des génocides, des exterminations. Des
affrontements entre ethnies. Et ils imaginent qu’Anila va tous les réunir ? Ils sont
tarés ! La démocratie kosovare est internationalement reconnue, mais certains
États ne valident pas sa légitimité. Cette partie est instable. Et rien ne pourra
changer ça !
À côté de moi, Alice ne cesse de gesticuler. Elle semble tourner en rond, comme
un lion en cage. C’est mon flic. Dès notre départ pour l’Europe, elle s’est elle-
même assignée à ma protection. Elle ne me lâche pas. La plupart du temps, elle
reste silencieuse. Je n’ose pas lui parler ? C’est un peu ça. Pour me prendre une
baffe en pleine gueule ou pire… Bien que je le mérite amplement. C’est celle qui
a le plus souffert, avec Ava bien sûr. Parce que je l’ai trahie, et que ça a duré des
années. Ce qu’elle ne semble pas piger, c’est que jamais je n’ai menti sur notre
vie, sur mes sentiments. Je ne l’avais pas revue, mais chaque fois que j’ai pu la
croiser, et malgré la détermination, la douleur et la rage que j’ai pu voir dans son
regard, mon cœur sursautait dans mon thorax. Ouais. Putain, cette nana, c’est ma
vie. Et bien que je sache que plus rien ne nous liera à l’avenir, j’ai du mal à m’y
résoudre.
– Qu’est-ce qu’il se passe ? lui demandé-je.
– Rien, putain, il ne se passe rien ! On ne sait toujours pas où ils sont et aucun de
nos contacts ne nous répond ! Ça m’agace !
Je comprends. Je ressens la même chose. Mais où est passé mon Alice, celle qui
relativisait, qui restait calme, était patience ? Elle a bien changé.
– OK, t’as une idée ?
– Je veux aller fureter. Je veux trouver des infos !
– Bien, mais où ? On ne sait même pas où ils sont, et je te rappelle qu’on est un
peu chez les royalistes là ! Tu crois qu’ils vont te donner la planque de leur
leader ? Putain, Alice ! Réfléchis deux secondes ! Tu crois vraiment qu’on peut
se barrer, et croiser les doigts pour trouver des infos comme ça ? m’énervé-je.
– Ne me parle pas comme ça ! Tu as perdu tout droit quand tu as trahi ton pays !
crache-t-elle.
– Alors, c’est ça ? Tu veux en parler ?
– Non, ce n’est pas le moment.
Elle prend ses affaires et commence à sortir, mais est arrêtée par Mass, qui la fait
rentrer. L’armoire à glace ne semble pas l’impressionner. Non, pas du tout
même ! Il est suivi de Tina et Finn.
– On a un plan, déclare-t-il. On en a marre d’attendre. Tout le monde en a marre.
Mais vous deux, ici, personne ne vous connaît.
Je fronce les sourcils, tentant de comprendre ce qu’ils veulent dire.
– Mike, t’étais en taule, donc normalement, ils n’ont pas de photo de ta tronche.
Et toi, Alice, tu te balades dans le monde entier, tu n’étais pas là à Boston avec
nous quand tout ça s’est produit, explique Finn. Donc si on doit sortir, c’est vous
qui le pourrez. Pas nous. On est grillés.
– OK. On y va, lance Alice.
– Attends, on y va, OK, mais tu as un plan ? On ne va quand même pas sortir
d’ici et interroger tous ceux qu’on croise !
– Voyons, Mike, tu me déçois, raille-t-elle. La prison t’a rendu amnésique ? On a
toujours été bons là-dessus. Et puis, tu nous as prouvé que tu savais faire ça,
berner les gens. Alors tu te démerdes, tu reprends tes esprits, et on y va !
Alors que nous sortons de notre chambre, Finn lance derrière nous :
– Démerdez-vous. Mais ramenez des infos !
Il est toujours froid et distant avec moi, et je ne le blâme pas. Pourtant, cette
épreuve semble nous rapprocher d’une certaine façon. Tout le monde fait des
efforts et on va y arriver. Il le faut.
Lorsque nous sortons dans le couloir, Alice change de comportement du tout au
tout. Elle dégrafe les deux boutons de son chemisier en soie, et la dentelle de son
soutien-gorge noir apparaît clairement. Ainsi que la naissance de sa poitrine, le
galbe de ses seins… Ma gorge s’assèche soudainement. Ses doigts libèrent ses
cheveux, elle prend ma main dans la sienne, et sa démarche devient plus
chaloupée. Alors que nous passons devant plusieurs clients, elle n’hésite pas à se
pendre à mon cou, prise d’un faux rire. Je la suis, parce que je sais qu’elle a
toujours été la plus forte à ce jeu-là. Elle tire légèrement sur mon tee-shirt,
agrippe mon blouson en cuir noir et sourit de façon espiègle. Putain, elle me fait
quoi ?
– J’adore cette ville, chéri ! C’est comme la côte américaine où il y a tous ces
riches ! T’es le meilleur !
Puis, elle se retourne, ses cheveux claquent mon torse et elle passe devant moi.
– Et puis cet engin… J’adore le chevaucher !
Les clients nous regardent, la regardent, elle, si belle, si sexy, si sensuelle.
Bordel !
Nous nous installons sur ma bécane et elle se colle à moi. Lors de nos trajets,
nous étions dans la même position, mais ce n’était pas la même chose. Elle ne
jouait pas. Il y a quelque chose de différent. Je chasse ces idées de ma tête,
démarre ma bécane et nous roulons. Je ne sais pas vraiment où aller. C’est vrai.
Autant chercher une aiguille dans une botte de foin.
– Direction le centre-ville, entends-je dans mon casque. On va aller fureter dans
les bars du coin. C’est l’heure.
La nuit commence à tomber et le timing est parfait. Je vois où elle veut en venir.
Sortir, se mêler à la population, glaner des informations. Je me gare dans le
centre. Il y a pas mal de monde à cette heure-ci. Tant mieux ! J’éteins le moteur
et je sens Alice descendre de la moto. Je dois remettre mon costume d’agent,
prendre des initiatives, et redevenir celui que j’étais. Cet agent sûr de lui, qui sait
ce qu’il fait. Et apparemment, on est un couple amoureux. Ça ne devrait pas être
trop compliqué à jouer. J’ôte mon casque, affiche mon plus beau sourire,
m’avance vers elle et passe mon bras autour de son cou. Mon regard dans le
sien, je lui dis :
– C’est parti. Allons trouver Anila.
Nous entrons dans le bar qui semble déjà bien animé. Il n’est pourtant que vingt
heures. Alice et moi jouons notre rôle. Amoureux transis en voyage de noces.
– Eh, barman, demande-t-elle dans une langue inconnue pour moi.
Le mec arrive et je comprends qu’elle parle le Kosovar ou je ne sais quel
dialecte utilisé ici. Encore une fois, elle m’impressionne. J’imagine qu’elle a
commandé deux bières, au vu de ce que l’on nous sert.
– Où as-tu appris à parler cette langue ? m’enquiers-je.
– Un des nombreux secrets que tu n’es pas prêt à entendre, marmonne-t-elle. Ne
m’en parle plus, s’il te plaît, nous devons avoir l’air amoureux, pas en train de
s’opposer, ou de s’affronter.
J’acquiesce d’un signe de la tête avant de plonger dans ma pinte. Rien
d’exceptionnel, c’est une blonde quoi. Après une première gorgée, j’attrape
l’assise du tabouret d’Alice et la tire à moi. Nous sommes face à face, un de mes
genoux entre ses jambes. Je me penche vers elle et susurre à son oreille.
– Bien, et maintenant ? Quel est ton plan ?
– Poser des questions, me répond-elle, joueuse, une main sur ma joue.
Nous multiplions les gestes tendres et autres attentions l’un envers l’autre,
histoire de tromper notre monde. Pourtant, tout paraît si naturel, comme si rien
n’avait été oublié. C’est perturbant. Elle se tourne vers le mec qui nous a servis,
puis lui demande quelque chose. Je ne sais pas ce que c’est, mais le mec lui
adresse un sourire salace. Je commence à me lever pour intervenir, mais Alice
m’interrompt, pose ses lèvres douces sur les miennes et s’adresse de nouveau au
barman. Putain de bouche sexy… Quelques instants plus tard, il s’en va. Je
l’interroge du regard, mais elle me répond de patienter un peu. Revient le gars,
mais accompagné d’un autre homme.
– J’ai entendu dire que vous cherchez des coins sympas, s’adresse-t-il à nous
avec un accent local.
– Oui, minaude ma partenaire. Vous comprenez, nous venons de nous marier, et
nous adorons les endroits isolés. Comme ça, nous pouvons profiter de notre
intimité. Pleinement, si vous voyez ce que je veux dire !
– Je vois, lui sourit notre interlocuteur. Voici quelques adresses.
Il griffonne quelques noms sur une serviette en papier et la tend à Alice.
– Vous devriez trouver votre bonheur.
– Oh, merci beaucoup, Monsieur. J’aime tellement mon mari !
Sa main remonte et descend sur ma cuisse. Ses doigts me frôlent, et putain, ça
déclenche une salve de frissons le long de ma colonne. Elle sait encore me faire
vibrer, cette nana. Et rien qu’avec ses ongles.
Puis, le mec repart, et nous continuons à jouer le couple amoureux.
– OK, on a quelques noms de lieux isolés, il va falloir aller y jeter un œil, au cas
où, me prévient Alice.
– Oui. On ne va pas tarder à y aller, je pense qu’on nous a assez vus.
Ni trop, ni pas assez. Deux heures à boire quelques bières auront suffi à nous
fondre dans la masse. Et Alice sait toujours aussi bien jouer les nanas écervelées
et naïves.
– Chéri, j’ai la tête qui tourne, me dit-elle.
C’est le signal. Sa voix est un peu plus forte que d’habitude, potentiel signe
d’ébriété.
– OK, viens, ma puce, je vais t’aider.
Je passe mon bras dans son dos, l’aide à se lever, elle s’appuie sur moi plus que
de raison, puis nous sortons du bar. Son bras est autour de mon cou, elle rit de
façon totalement idiote, niche son nez sous ma mâchoire, embrasse ma joue, puis
me pousse un peu et me roule une pelle digne de ce nom. Lorsque nos langues
s’entremêlent, c’est l’extase. Comme si elles étaient faites l’une pour l’autre.
Depuis le début. Depuis toujours. Alice me guide dans la ruelle adjacente, tout
en continuant son cinéma.
C’est tellement bon… Ses mains parcourent mon corps, les miennes s’agrippent
à ses hanches, la collent à moi, à mon entrejambe déjà bien excitée.
– C’est bon, vous pouvez arrêter votre cinoche, nous interrompt une voix.
Alice s’écarte et dégaine son flingue, qui ne sort de je ne sais trop où, et tient en
joue celui qui nous vise également. Son accent n’est pas d’ici. Pourtant, c’est le
même mec qui nous a donné les adresses tout à l’heure.
– Qui êtes-vous ? nous interroge-t-il.
– Je savais bien que tu étais suspect, sourit Alice.
Elle est devant moi, mais je peux quand même détecter son sourire dans sa voix.
Je la connais trop bien. Cette intervention a le mérite de nous calmer et de faire
redescendre la pression.
– Sortez votre passeport, exige l’homme.
Alice rengaine son arme. Elle fout quoi ?
– Laisse-moi deviner. Accent français, accent kosovar, anglais correct. Rémy ?
Le mec ne tressaille pas. Presque pas. Je peux voir son front légèrement se
froncer ainsi qu’un muscle de sa joue se contracter. Alice sort sa carte d’agent et
lui la tend. Il l’attrape, la regarde et sourit, moqueur.
– Alors, c’est vous qui me cherchez ? Vous savez que vous foutez la merde ? Ma
couverture ne va pas tarder à sauter si vous continuez, bordel ! rage-t-il.
– Elle ne doit pas être bien solide, ta couv, si t’es à deux doigts de te faire
choper, se moque Alice.
– Je te rappelle que les touristes se font rares à cette période de l’année, et que
mon boss a vécu aux États-Unis !
– Mais il ne nous connaît pas. Et nous sommes les seuls à sortir. Les autres
restent à l’abri.
– Ils ont intérêt. Je pense que vous ne mesurez pas l’impact de ce groupuscule.
– Certainement. Mais on n’aura pas d’autre choix que de les affronter.
– Ouais… Restez loin de tout ça, c’est un conseil.
– Écoute-moi bien, mec, m’interposé-je entre Alice et ce Rémy. On a une amie à
ramener. Et on le fera. Ta couverture, t’as intérêt à la renforcer. Parce que ce ne
sera pas notre problème. Tu nous aides ou pas, je m’en cogne. Intègre-le bien !
Nous ne sommes qu’à quelques centimètres l’un de l’autre. Nous nous
affrontons du regard, littéralement.
– OK, les gars, on remballe la testostérone et on se détend. Rémy, tu le veux, on
veut notre amie. On est prêts à t’aider, autant que nous pourrons. Mais non, on
ne restera pas à l’écart. Parce que j’ai deux anciens agents qui sont prêts à tuer
tout ce qui se mettra sur notre chemin. Et non seulement ils sont inarrêtables,
mais en plus, je ne les arrêterai pas.
Rémy semble comprendre, enfin. Il observe Alice, puis lâche.
– T’as une sacrée paire de couilles pour une nana, toi ! Je t’aime bien.
Ouais, moi, je t’aime pas, mec.
– Ces gars ne sont pas des rigolos. Allez faire un tour à l’est de la ville. Je pense
que vous pourrez continuer à faire vos petites affaires en fait, lâche-t-il en
s’éloignant.
– T’as toujours la liste ? demandé-je à Alice.
– Oui, on rentre, je l’envoie à Ted et il nous trouve le lieu où est retenue Anila.
– Oui, j’en ai bien l’impression.
– On rentre. Et les pelles, tout ça, c’était juste pour noyer le poisson. Pas la peine
de t’emballer, lâche-t-elle.
Je lâche un rire moqueur, enfourche ma moto et rentre au motel. Décidément,
cette fille est vraiment imprévisible et surprenante.
Chapitre 23
Gonz
Bon sang, ils sont partis depuis combien de temps ? J’ai la sensation que le
temps ne passe pas, qu’il reste bloqué et que chaque minute dure une éternité.
Mais quand est-ce que ce cauchemar va s’arrêter ? Nous sommes ici depuis deux
jours, mais putain ! C’est trop long ! Beaucoup trop long ! Je n’ose imaginer ce
qu’ils lui font. Bien que tout le monde me rassure en me disant qu’ils ont besoin
d’elle, je ne peux me résoudre à rester calme. Je tourne en rond dans la chambre.
– Sans déconner, Gonz, je sais que c’est dur, mais tu vas faire un trou dans le sol.
– Je m’en cogne, putain ! ragé-je.
J’attrape ma veste en cuir et commence à sortir. Il faut que j’agisse. Sauf que
Finn se lève et referme la porte avant que je n’aie le temps de la franchir.
– Tu vas où là ? me demande Finn avec un regard noir.
– Prendre ma bécane et fouiner !
– Putain, mec, tu sais très bien que ce n’est pas possible ! On a envoyé Mike et
Alice parce qu’ils ne sont pas connus des Kosovars. Mais nous, si ! Ils ont
sûrement des dossiers sur tout le monde !
– Je m’en cogne ! Laisse-moi passer !
Mes nerfs sont à vif, je bous. Je sais qu’il a raison, mais je ne peux pas me
résoudre à attendre.
– Je suis armé. Qu’ils viennent me chercher. Je me ferai un plaisir de les
descendre un par un ! rugis-je.
Finn me repousse brutalement et je hausse les sourcils.
– T’es prêt à rester ici sans rien faire alors que ta sœur est détenue quelque part
dans le coin ?
– Non, crois-moi, je rêverais de pouvoir les buter les uns après les autres ! Mais
putain, Gonz ! Réfléchis deux minutes ! Quand on était agents, on était clean, on
avait la tête froide, toujours. Il faut qu’on reste calmes pour pouvoir être
efficaces. S’ils nous tombent dessus, les gars feront quoi, hein ? Deux de moins,
c’est énorme ! Surtout qu’on ne sait pas combien ils sont, eux !
– Je peux plus, putain, Finn ! On ne sait pas ce qu’ils lui font, on…
Des coups frappés à la porte nous interrompent. Tina entre, suivie de Mass.
– Il se passe quoi ici ? nous demande-t-il. On vous entend dans tout le motel !
Vous voulez nous faire remarquer ? râle-t-il.
Il fait claquer la porte derrière lui.
– Si t’as besoin de te défouler, va courir ! Mais reprends-toi ! assène Mass.
D’autres coups retentissent. Tina va ouvrir la porte et cette fois, ce sont les
Britishs qui arrivent.
– On a eu une réponse des services français. Ils ont prévenu leur agent. Il doit
être en ville, à la recherche d’Alice et Mike.
– Une première bonne nouvelle, bougonné-je.
– C’est bon, mec, ils vont rentrer et ça va bouger, lâche Mass.
– J’espère.
– D’après ses patrons, Rémy est une pointure. Il va les trouver, tente de me
rassurer Fiona.
Ouais. Pointure ou pas, il a intérêt à les trouver ! Parce que si c’est moi qui le
trouve, je lui fais bouffer ses dents. Tous restent dans notre chambre. Je me doute
que c’est pour me museler aussi. Ma rationalité s’est fait la malle. Impossible de
prévoir tant que Mike et Alice ne sont pas de retour. Il a intérêt d’être efficace, le
taulard, on a besoin de tout le monde. Et même s’il était excellent agent, je ne
sais pas s’il a gardé ses capacités après tout ce temps en prison. Comme je parle
de lui, j’entends une moto. Sa moto. On apprend à reconnaître les moindres
bruits. Ils sont de retour. Je me lève du lit, mais Finn m’ordonne de me calmer
d’un geste silencieux. J’attends qu’ils viennent nous rejoindre immédiatement,
mais ce n’est pas le cas.
Pourtant, ils ne traînent pas, apparemment. Alice rentre, sa tablette à la main, et
le téléphone collé à l’oreille.
– Ouais, c’est ça. C’est bon ? Tu as la liste ?
À qui parle-t-elle ?
– Attends, je suis avec tout le monde, je te mets sur haut-parleur.
– OK. Salut tout le monde.
– Salut, Ted, lâchons-nous tout en même temps.
Alice prend les rênes de l’entretien. Elle épelle des noms de villes, afin que Ted
ne se plante pas lors des recherches.
– J’ai tout. Je lance le navigateur, je te rappelle dès que j’ai la réponse. Le plus
vite possible.
– Super, merci, Ted.
Puis Alice raccroche. Encore à patienter sans pouvoir faire quoi que ce soit ! Je
vais devenir dingue !
Ted
J’ai été confronté à beaucoup de situations compliquées, mais celle-ci est encore
différente.
C’est la première fois qu’une personne aussi proche de moi est touchée. Chase et
Harri sont rentrés de mission hier matin, après une planque merdique, et lorsque
je les ai mis au courant, ils se sont immédiatement rendus dans l’appartement où
Tina et Mass ont trouvé tous les indices qui ont mené l’équipe au Kosovo. Les
relevés d’empreintes ont montré que plusieurs hommes activement recherchés en
Europe étaient ici. Ainsi qu’Anila. C’est au moins une certitude. Des traces de
drogue. En fait, nous avons retrouvé des plants de Datura-Stramonium. Une
plante hautement hallucinogène, mortelle lorsqu’on l’utilise à forte dose.
D’après les indices restants, elle aurait été droguée à petite dose, sous forme
d’infusion. Chase a émis l’hypothèse que les doses ont été progressivement
augmentées, et qu’au fur et à mesure, on a administré à Anila plus que cette
infusion. Ce qui fait qu’elle doit être en permanence en train de planer, ou d’agir
comme si elle ne se contrôlait plus, comme si elle n’était plus maîtresse d’elle-
même. J’espère tout de même que la dépendance ne sera pas trop importante…
Ce genre de drogue reste particulier. On ne sait pas comment elle a été utilisée ni
comment Anila réagit.
– OK, les gars. J’ai une liste d’une dizaine d’emplacements susceptibles d’être la
planque de ces tordus. On prend le logiciel et on cherche.
Chacun à notre ordinateur, nous lançons la reconnaissance. L’indice de l’agent
français, c’est que cela se trouve à l’est de la ville. Mais bien évidemment, il ne
nous a pas donné qu’un seul emplacement. Normal. Il brouille les pistes. Ils ont
bien choisi leur planque. Glogovac est à quelques kilomètres de Pristina, la
capitale, et de l’aéroport international. Idéal pour se cacher, fuir, et avoir la
mainmise sur le gouvernement. Nous cherchons, trouvons encore trois
localisations possibles. Puis nous réduisons à deux. Ce n’est que grâce à la
localisation satellite que Chase repère un endroit totalement isolé, au milieu des
bois. De l’activité humaine aussi. Des va-et-vient. Nous les observons encore un
moment, histoire d’être certains. Mais tout se confirme. C’est là. Gradice.
– Ils sont combien là-dedans ? s’interroge Harri.
– Je ne sais pas, il y a beaucoup de mouvements surtout. Il faut qu’on surveille.
Je rappelle Alice et lui explique la situation. J’aime bien cette nana. Elle n’a peur
de rien, et je sens qu’elle est passée par des moments plus que difficiles. Elle me
fait penser à une sorte de Lara Croft. Affutée, sans peur, courageuse. Toujours la
tête froide. Elle va au-devant de tout. Elle affronte.
– Attendez la nuit prochaine, n’agissez pas avant, les préviens-je. Il faut qu’on
analyse les mouvements qui s’effectuent. Je ne veux pas que vous ailliez vous
foutre dedans. Ils sont nombreux, ça bouge. Et boss, sans déconner, reste
tranquille. Dans quarante-huit heures, tout sera terminé.
Je l’entends râler au bout du fil. J’imagine l’état dans lequel il doit être. Ne pas
maîtriser est la chose la plus difficile à gérer dans notre job. Toujours s’en
remettre au destin, à autrui.
Les heures suivantes, nous les passons à analyser l’activité sur place. Au fur et à
mesure que la soirée passe, ça se calme. À croire que les gens y vont comme
s’ils allaient sur un lieu de culte. On note une réunion, comme un
rassemblement, le matin. Dans l’après-midi, quelques visites, mais rien de
comparable. À la tombée de la nuit, plus grand-chose ne bouge. Ça me paraît
être le bon moment. Il est vingt heures là-bas, je préviens Alice.
– Bien. Merci pour tout, Ted, me répond-elle.
– Prenez les lunettes thermiques. Elles vous serviront. Je vous envoie la photo de
Rémy, l’agent sous couverture. Tu la distribues aux autres, histoire qu’ils ne
l’abattent pas ! Pas d’incident diplomatique, s’il vous plaît.
– On va tout faire pour. Je te laisse, les fauves ne demandent qu’à être lâchés.
– Bon courage. Rentrez tous, et surtout, rentrez entiers.
Elle raccroche et Chase et Harri me regardent, inquiets.
– Ils ne vont pas faire de conneries ?
– J’en doute, réponds-je. Ça reste la femme du boss et la sœur de Finn. Si j’étais
à leur place, je serais capable de rentrer avec une kalachnikov et tout bousiller.
– On n’a plus qu’à croiser les doigts, conclut Harri.
Alice
Aussitôt ai-je raccroché avec Ted que deux paires d’yeux me fixent, rageux,
prêts à tout détruire.
– Équipez-vous, leur indiqué-je. On se retrouve ici dans dix minutes. Et pas de
conneries, vous deux.
Chacun retourne dans sa chambre, et nous prenons ce dont nous avons besoin.
Mike est avec moi, et même s’il est encore considéré comme détenu par les
autorités américaines, je ne vais pas hésiter à lui filer un Glock, ainsi qu’une
arme de poing. Il a toujours été bon en corps à corps. J’ai confiance en lui. Parce
que son instinct d’agent est toujours là. Il me l’a montré hier soir lors de notre
sortie en ville. Il était bon comédien, la preuve, il a berné quatre des meilleurs
agents du pays. En revanche, ce baiser… J’essaie de le garder loin de ma tête, de
mon cœur, mais il m’atteint plus qu’il ne le devrait. Je sors mon artillerie de
dessous mon lit.
– Tu sors toujours aussi équipée ? me demande Mike.
– Juste quand je pars en mission, réponds-je.
Je lui tends le Glock, il me regarde, un sourcil élevé.
– T’as fait tes preuves et honnêtement, j’ai confiance en toi. En tout cas, sur le
terrain. Autant que tu sois utile.
Il accepte l’arme, puis je lui donne un couteau de survie, qu’il glisse dans un
holster à son mollet. Pour ma part, je récupère mes deux beretas, mes couteaux
de survie et ma carabine longue portée, ainsi que deux silencieux.
– J’avais oublié à quel point tu avais l’air dangereuse avec ton attirail, me sourit
Mike.
– Tâche de t’en souvenir ! lâché-je avant de quitter la chambre.
Heureusement pour nous, nos armes sont dissimulées, et le motel est vide ou
presque. Nous sommes tous devant nos motos, et je suis la seule à avoir les
coordonnées exactes de là où se trouve Anila. Ted me les a envoyées peu de
temps après avoir raccroché. Je les ai transmises également à Fiona et Rob. Ils
ont la tête sur les épaules. Mais mes deux anciens coéquipiers sont beaucoup
trop touchés, de trop près, pour rester calmes et lucides. Surtout Finn. Autant
Gonz a pété un plomb et je sais qu’il est instable, autant Finn… Il n’a rien dit. Et
s’il a toujours été maître de lui-même lorsqu’il a eu à protéger Ava, je doute qu’il
reste aussi posé pour sa sœur. Je pense qu’il se sent responsable de tout ce qu’il
se passe. C’est lui qui l’a ramenée ici. Sans lui, tout ça ne serait pas arrivé.
Les bécanes démarrent dans un nuage de poussière et nous prenons la route.
Lorsque je m’arrête, environ vingt-cinq minutes plus tard, nous sommes à l’orée
d’une clairière. Mais je sais déjà que derrière ces bois se cachent Anila et ses
geôliers.
L’endroit est parfaitement choisi, on ne peut pas le leur reprocher. Proche des
routes, une zone pour atterrir et décoller, assez isolé tout de même. La nuit est
tombée et le silence règne. Cette absence de bruit me file une montée
d’adrénaline. J’aime ça. C’est dans ces moments-là que je suis la plus efficace.
La plus dangereuse. Mortelle. Imbattable.
Chapitre 24
Gonz
Enfin ! Enfin, bordel ! Je m’équipe plus rapidement que je ne l’ai jamais fait, et
Finn en fait de même. Lui comme moi, nous n’attendions que ça. Nous restons
silencieux. Comme avant chaque mission. Et pas n’importe quelle mission, cette
fois. La femme de ma vie. L’une des femmes de la sienne… Et nous ferons tout
ce qu’il faut pour la récupérer. Pour qu’elle reprenne sa place parmi nous.
Nous sommes les premiers arrivés à nos bécanes. Les autres arrivent rapidement.
– OK, on va où exactement ? demandé-je.
– Tu me suis et tu restes sur la route, lâche Alice.
– Comment ça ?
– J’ai les coordonnées exactes, mais je ne te les donnerai pas. Tu me suis.
Elle a déjà mis son casque et enfourché sa moto avant que je ne puisse répondre.
Merci, la confiance règne ! Nous la suivons, et roulons une bonne vingtaine de
minutes avant d’arriver dans une sorte de petite plaine. Un peu plus loin, une
forêt assez épaisse.
– OK.
Tout le monde se rassemble autour d’Alice.
– Ce sont les prises de vues aériennes avec les coordonnées exactes de
l’emplacement. Fiona, as-tu des nouvelles des services français ?
– Pas encore, mais…
Elle regarde sa montre et reprend.
– Ils devraient me contacter d’ici deux minutes, maximum.
– Parfait.
On dirait bien que ces deux-là se sont bien organisées derrière notre dos. Je ne
peux pas les blâmer, elles restent professionnelles là où moi je ne vois pas une
victime, mais la femme de ma vie en danger. Je bous d’impatience. Je veux
rentrer, tout niquer, tout brûler, la récupérer et la ramener. C’est tout ce qui
m’importe. Pourtant, le peu de raison qu’il me reste me canalise. J’écoute les
ordres d’Alice. Si Ted lui fait autant confiance, c’est qu’elle sait comment gérer.
Le téléphone de Fiona se manifeste, elle s’éloigne légèrement pour répondre.
Les services français.
– On va se diviser en groupes, pour couvrir le plus de surface possible, reprend
Alice. Finn et Gonz, Mass et Tina, Fiona et Rob et Mike et moi. Vous deux, nous
fixe-t-elle, vous n’avez pas intérêt à jouer les cow-boys. Ce n’est pas le moment,
et on a Anila à protéger.
Nous acquiesçons d’un hochement de tête.
– Vous êtes tous équipés ?
– Oui, validons-nous tous en chœur.
– Bien. On va mettre nos montres à la même heure, pour qu’on soit synchro.
Une fois les derniers réglages faits, Fiona nous rejoint.
– Deux hélicos se trouvent à deux minutes à peine d’ici, temps de vol. Ils sont à
notre disposition pour l’extraction. Ils ne décolleront pas simultanément, au cas
où il y aurait une urgence. Je vous envoie sur vos téléphones le portrait de Rémy,
l’agent secret français. Ainsi que les têtes des deux plus recherchés, Milos
Mirkovic et Davor Marian.
Nous recevons les photos, prenons le temps de les mémoriser, nous n’aurons pas
le luxe de les consulter lorsque nous serons face à eux.
– Ils ont un mandat d’arrêt sur leurs têtes dans quasiment toute l’Europe. On les
soupçonne de manigancer une extermination de ceux qui s’opposent à leurs
idées. Il y a eu des pseudo-accidents, des suicides déguisés.
– Il les faut vivants ou morts ? demandé-je.
– T’as carte blanche, me sourit-elle.
Je hoche la tête. Ça me va. Je vois Finn esquisser un rictus vengeur à ma droite.
Bien. Nous sommes sur la même longueur d’onde.
Un second message arrive sur nos téléphones.
– Les coordonnées exactes, nous explique Alice. Il y a environ un kilomètre
carré à couvrir. Soyez vigilants, prudents aussi. On se retrouve ici quand tout est
bouclé. J’imagine que Gonz et Finn vous voulez y aller directement ?
– T’imagines bien, lâché-je.
– OK. Tina, je crois que t’es pas mauvaise au tir de loin.
Tina valide en silence.
– Bien, nous resterons un peu en arrière si besoin. Et Fiona et Rob, vous serez en
soutien de Finn et Gonz. Si besoin, vous demandez de l’aide, vous ne faites pas
les cons ! On vient à huit, on repart à dix, pas moins.
C’est bien mon intention. Nous installons nos oreillettes, faisons les tests de
communication, et une fois que tout est validé, nous nous apprêtons à y aller.
– Il est vingt et une heures trente-sept, nous y allons. Faites attention à vous.
Alice s’approche de moi et me serre brièvement dans ses bras.
– Ramène-la vivante. Mais rentrez entiers aussi, me souffle-t-elle à l’oreille.
Elle repart sans un regard en arrière. Ses mots m’ont galvanisé et, Finn et moi,
nous nous mettons en marche. La nuit est assez claire, ce qui nous permet
d’avancer assez facilement. En revanche, à l’approche de l’orée du bois, nous
sommes sur nos gardes.
– Il y a un truc, souffle Finn. Je ne le sens pas…
Il a toujours eu cet instinct plus sensible que nous tous réunis. J’espère qu’il se
plante… Nous avançons plus prudemment, mais un gémissement sur ma droite
me stoppe. D’un geste instinctif, j’attrape le bras de Finn qui se fige. Je désigne
mon oreille et il écoute aussi. Un second gémissement se fait entendre. Nous
approchons lentement, en silence. Il suffit que ce soit un guet-apens…
– Putain, c’est le Français ! s’exclame Finn. Rémy ? Agents Finn McDougall et
Alejandro Gonzalez. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Vu comme il est amoché, je ne pense pas qu’il réponde. L’œil gauche plus que
gonflé, les arcades explosées, le nez en sang, certainement des côtes cassées et
une balle dans la cuisse. Pas très loin de la fémorale d’après ce que j’observe.
– Finn à Rob et Fiona. On a besoin de renfort ici.
Il indique notre position, et nos homologues anglais arrivent rapidement.
– Putain, grogne Rob. OK, mon gars, je vais regarder ta jambe.
– Continuez, nous lance Fiona, les autres vont vous couvrir.
– OK.
Nous repartons, plus déterminés que jamais. Ces gars sont partout. Un de leur
contact en ville a dû le balancer. Je prends vraiment conscience que ce n’est pas
juste un groupuscule qui diffuse ses idéaux. C’est une secte. Ils ont des yeux, des
oreilles dans tout le pays.
Rapidement, nous traversons le bois et nous trouvons une ancienne usine
désaffectée. De la lumière s’échappe du peu de fenêtres qu’il y a.
– Alice à Gonz. On n’est pas loin, on fait le tour pour voir les possibilités
d’entrée.
– OK. Tina et Mass ? demandé-je.
– Position nord. Il n’y a rien par ici, hormis une fenêtre cassée. On va voir de
plus près.
– Tina, faites gaffe.
– T’inquiète, boss.
Nous coupons la communication. De notre côté, rien. Pas d’entrée possible.
– Ici, me dit Finn en me donnant un coup de coude.
Il désigne une trappe métallique au niveau du sol. Nous nous approchons en
silence. Finn s’agenouille et essaie de la déverrouiller. Elle ne nous résiste pas
longtemps et surtout, elle ne grince que très légèrement. L’ouverture n’est pas
très grande, mais suffisante pour nous. Je passe en premier et Finn me suit
directement. Le passage n’est pas large, il nous faut ramper péniblement. Un peu
comme les commandos. Je ne sais pas combien de temps nous avançons. Mais
c’est trop long, putain ! Nous avons mis nos lunettes thermiques avant d’entrer et
finalement, devant moi, se trouve une petite porte qui donne sur une pièce. Pas
très grande. Quelques mètres carrés, tout au plus. Personne dedans.
Silencieusement, nous sortons de ce tunnel étroit.
– Il était temps, râle Finn derrière moi.
– Alice, murmuré-je dans mon oreillette, t’as des plans des lieux ?
– Non, me répond-elle. Mike et moi restons en retrait. On les a repérés sur la
zone Est.
Pas facile de nous guider à distance.
– Attends, je t’envoie les coordonnées GPS.
Je les reçois quelques secondes plus tard. Finalement, je les localise rapidement.
– Ils sont là, Finn.
Il me jette un regard, comme rarement il a eu jusque-là.
– Allons-y. Ramenons-la.
Je hoche la tête. C’est parti.
– C’est Mass, entends-je sans mon oreille. On n’est pas loin, de l’autre côté. Ils
seront en sandwich. Ils ne nous échapperont pas.
– Certainement pas. Communication coupée, nous avançons.
Nous sortons de la pièce où nous étions, un couloir nous mène sur la droite. Puis
à gauche et encore à gauche. Finalement, des voix se font entendre, une langue
que je ne connais pas. Et parfois, un anglais teinté d’un accent très local.
– Elle est bientôt prête. Tout le monde l’attend. Notre princesse va reprendre la
place qui lui est due.
– Et la nôtre. Regarde-la. Elle est parfaite.
Je serre les poings et je sens que Finn est autant à cran que moi.
– Il y a de l’action, chuchote Alice dans mon oreille. On s’en occupe. Attendez
avant d’agir.
Je scanne les alentours, mais ne détecte pas d’autre présence que la nôtre.
– C’est réglé. Mass ?
– RAS ici, murmure-t-il en réponse. Non ! Attendez ! Trois personnes arrivent
dans la salle où sont Anila et les deux autres.
– Boss…
Le bruit sourd de corps qui tombent au sol se fait entendre. Les conversations se
coupent. Tina a encore frappé. Elle a les mêmes compétences qu’Alice. Efficace.
– C’est le moment, lance Alice dans l’oreillette.
Chapitre 25
Anila
Gonz
Finn et moi entrons, la porte métallique grince et annonce notre arrivée. Deux
hommes sont au milieu de la pièce, et trois corps se trouvent derrière eux, sans
vie, une balle entre les yeux. Vraiment efficace, Tina. Nos Glocks dégainés, nous
les tenons en joue. Je cherche Anila du regard. Elle n’est pas très loin, mais on
dirait qu’elle ne nous a pas entendus. Comme si elle était dans son monde.
– Ani ? l’appelé-je.
Son absence de réponse confirme ce que je pense. Finn tente de s’approcher
d’elle, mais les deux hommes entourent Anila rapidement, et l’un d’entre eux
l’attrape par le bras. Il la malmène et, putain, je me revois des années en arrière
avec ma sœur et son connard d’ex. La rage qui m’habite monte encore et encore,
elle me possède. Je fais un ultime effort pour me contrôler. Finn me dévisage. Il
est dans le même état que moi.
– Eh bien. Vous avez été rapides, crache Milos. Nous vous attendions plus tard.
– Désolé de contrecarrer tes plans, mais je n’aime pas vraiment être en retard !
Un rictus mauvais, moqueur, pervers, s’affiche sur le visage du leader.
– À mon grand désarroi. Mais il est tard. Un peu trop tard.
Le second mec, Davor, regarde Anila, et mon regard se pose sur elle de nouveau,
même s’il ne l’a jamais vraiment quittée. Elle sourit bêtement. Putain, ces
connards l’ont vraiment droguée, et elle est sous contrôle. Elle ne réagit pas.
Finn et moi avançons, ils la tirent par le bras, la bousculant, et elle rigole. Elle
est dans son monde.
– J’ai un visuel, c’est quand vous voulez.
Alice est en position, je ne sais où, mais même à plusieurs centaines de mètres,
elle est capable de les avoir.
– Deux minutes, marmonne Finn.
– Sergent McDougall, quelle bonne surprise ! Alors, qu’est-ce que ça vous fait
de revenir ici après vingt ans dans votre petit confort ? Ça a bien changé, n’est-
ce pas ?
– Le pays s’est reconstruit, je le reconnais, lui répond Finn. Mais à quel prix ?
– À quel prix ? Le retour de la royauté ! Une époque prospère où le Kosovo était
libre, où il n’y avait que nous, et pas toutes ces minorités !
– Minorités que vous entraînez dans votre délire, Mirkovic. Vous êtes bien
content de les avoir dans votre poche ! Pour espionner, par exemple. Ou vous
enrichir. Plus aucune royauté actuelle n’est gouvernée par le souverain. Et c’est
ça qui vous perdra !
Un rire sardonique retentit.
– Croyez-moi, nous sommes assez au fait des monarchies et autres
gouvernements. Vous pensez vraiment que votre président à perruque orange est
digne de gouverner le monde ? Parce que c’est ce qu’il imagine faire ! Vous êtes
assez mal placés, Messieurs, pour nous dire ce qui est mieux ou pas, lance
Davor, resté jusque-là assez silencieux.
– De plus, reprend Milos, imaginez-vous les crimes que vous avez commis,
sergent ? Enlèvement d’enfant, une princesse de surcroît ! Le trafic d’enfant est
interdit par la loi. Américain ou pas, vous n’êtes pas au-dessus des lois !
– Je ne savais pas ! s’écrie Finn. Ce n’était qu’une petite fille orpheline qui m’a
supplié de ne pas la laisser derrière moi !
– C’est si facile. La parole d’un sergent contre celle d’une fillette, qui ne parlait
même pas la même langue que vous.
Milos prend un malin plaisir à provoquer Finn, qui arrive au bout de sa patience.
– On n’est pas là pour débattre de ce qu’il s’est passé il y a vingt ans, Mirkovic.
– Pourtant, c’est à cause de ça si on en est là. Sans ce kidnapping, qui porte
tellement bien son nom, Anila serait sur le trône. Et notre pays se serait relevé de
cette guerre plutôt que plongé dans le chaos ! Tout le monde a voulu nous
contrôler, tout le monde a voulu régner. Nous avons été envahis d’étrangers, de
minorités déjà présentes, mais qui voulaient revendiquer leurs droits, leurs
statuts ! Nous avons vécu la misère, dans une misère sans nom ! Si mon « père »
avait fait son job, s’il n’avait pas été assassiné, il aurait pu sauver notre nation !
Il devait être couronné et placé sur le trône quelques semaines après que la
guerre a éclaté. Si cet idiot n’avait pas été crier sous tous les toits qu’il était le
prince héritier, jamais il n’aurait connu une telle fin ! Mais non, il a voulu se
montrer, être droit et honnête !
Au fur et à mesure de son monologue, lui aussi se remplit de colère. Ses yeux
rougissent, ses joues également, ses traits se tirent. Il a une rancœur
profondément ancrée en lui. Je m’en cogne de ses états d’âme. Ce que je vois,
surtout, c’est que plus il monte en pression, plus il met Anila en danger. Et nous
tous également. La différence, c’est que nous sommes armés.
– Je comprends votre position, et nous en sommes désolés. Mais est-ce utile
d’agir ainsi ?
– Nous n’avons pas le choix ! s’écrie Davor. Cette merde est arrivée à cause de
vous, les Américains ! Si vous n’aviez pas le besoin de foutre votre nez dans les
affaires de tout le monde, nous n’en serions pas là ! Vous et votre besoin de
sauver le monde, de dominer le monde ! Vous ne valez pas mieux que nous !
Ils deviennent dangereux. Vraiment dangereux. Et j’ai à peine le temps de voir
une pointe de lame briller que Davor s’écroule au sol, une balle dans le crâne.
Alice a vu le danger avant nous. Putain ! Dehors, des bruits de tirs retentissent.
C’est le chaos. C’était calme, jusqu’à présent. Que se passe-t-il ?
– Mettez-vous ça dans le crâne, Messieurs. Si nous ne pouvons pas l’avoir, vous
ne l’aurez jamais !
Il pousse Anila devant lui, le regard toujours vide, et arme son flingue. Il
s’écroule, mais il n’est pas le seul. Anila…
Massimo
– Mass, c’est Rob ! Rémy est out, on va l’évacuer. Par contre, ça approche !
Je…
– Rob ? Rob ?
Tina me regarde, les yeux grands ouverts.
– Je ne sais pas, lui réponds-je à sa question silencieuse. La communication est
coupée !
– Putain ! Alice, tu es là ?
– Oui, Tina, je t’écoute.
– Rémy est out, ils vont l’évacuer, mais Rob ne répond plus.
– Merde. Attends, je tente et je te tiens au courant.
Heureusement qu’elle a isolé les lignes et couplé nos deux oreillettes. Je ne sais
pas ce qu’il se passe à l’intérieur. J’ai l’impression que c’est assez calme. C’est
curieux. Comme si leurs gardes étaient autour du bâtiment. Système de défense à
l’ancienne. Mais qui va bien nous faire chier.
– Mass, Tina, Mike va rejoindre Rob, Fiona et Rémy. Je me débrouille ici. En
revanche, il va falloir vous déployer. Tenez-moi au courant.
– Bien. Fais attention, Mike, réponds-je.
– Merci.
Les communications coupent. Tina a toujours le nez dans sa lunette. C’est une
tireuse redoutable.
– Bien joué, Alice, murmure-t-elle.
Grâce aux jumelles que j’ai prises avec moi, je peux voir le résultat du fusil
d’Alice. Net, sans bavure.
– Ça s’agite, murmure-t-elle. Putain !
Elle se redresse immédiatement. Moi aussi, je… Putain… J’ai vu…
– Non, attends ! Finn ? Besoin de nous ?
– Je… Rapport dehors.
– Compliqué. Ça s’agite.
– Restez dehors, et couvrez-nous.
– Tina, reste ici, avec Alice. Je vais les tenir éloignés avec Mike. Alice, reçu ?
– Reçu, me répond-elle.
– Mass… Fais attention, s’il te plaît, souffle Tina.
– Ça ira, ne t’en fais pas pour moi.
Je l’embrasse tendrement sur le front. Les moments difficiles nous rapprochent,
quelles que soient les circonstances. Je m’éloigne le plus silencieusement
possible.
– Mike, soufflé-je. Où es-tu ?
– Pas loin de l’entrée du…
Sa voix est étouffée par des coups. J’entends comme un combat à distance. À ma
gauche, une branche craque. Comme à mon habitude, je me mets en position et
attaque en premier. Je ne reste jamais en mode défense. Je déteste ça ! L’homme
est un peu plus fin et petit que moi, mais il est hargneux. Ce qu’il ne sait pas,
c’est que je suis le meilleur, et je ne fais pas dans le détail. Après de multiples
coups, il sort une arme, mais je le poignarde dans le ventre avant qu’il n’ait pu
l’armer. Une balle frôle mon bras et l’égratigne. Putain, l’enculé. Il m’a quand
même eu !
– Mass ?
– Ouais, Mike.
– J’approche de Rob et Fiona. Ils sont bien amochés, mais ils sont vivants. C’est
une boucherie ici.
– OK, j’arrive dans quelques minutes. Le temps de…
Un coup sur ma nuque me sonne. Bordel, mais ils sont combien ? Je me relève
péniblement, tandis que je sens le canon d’une arme dans mon dos. Manquait
plus que ça ! L’homme grogne quelques mots dans une langue que je ne connais
pas. Lentement, je lève les mains, comme si je me rendais. Mais je le prends par
surprise. Son arme vole, et je lui assène quelques coups de poing bien placés.
Voilà. Il va dormir pour quelques heures. En fait, ce sont des novices. Ils ont une
arme, pour faire peur, faire fuir. Mais ça ne vaut rien ! J’arrive quelques instants
plus tard auprès des Anglais et de Rémy.
Mike est déjà en train de soigner les deux agents alors que je contemple les
alentours. Ils ont dû dégommer une bonne quinzaine d’hommes. Je suis
impressionné. Rob a quelques hématomes au niveau du visage, alors que Fiona
semble souffrir au niveau des côtes.
– Ne bouge pas, lui indique Mike en essayant de la soulager d’un bandage.
– Ted ? Ted, tu m’entends ?
– Je te reçois, Mass.
– OK. Scanne la zone s’il te plaît. Dis-moi si on a encore de la compagnie.
Quelques secondes plus tard, Ted me répond.
– Non. Ceux que je vois sont inactifs. J’imagine que vous vous en êtes occupés.
– Oui.
– Ça donne quoi ?
– Le Français est à terre, les Britishs sont bien amochés, mais ils se sont bien
battus. Anila était touchée quand j’ai quitté ma position.
– OK. J’appelle l’hélico. Il sera là dans moins de cent vingt secondes.
– Bien. J’attends, et j’y retourne.
Effectivement, environ une minute et demie plus tard, un hélicoptère est en
approche.
– Salut tout le monde, agents Morris et Beaulieu. On s’occupe de tout.
Mike prend le relais et explique la situation des agents blessés.
– OK. D’autres blessés ?
– Oui, mais je ne sais pas encore sur quel degré. Et ce n’est pas accessible en
hélico, interviens-je.
– Bien. Appelez-nous si besoin, on est tout près.
– Merci. Mike ?
– J’arrive.
Mike et moi repartons en direction de l’entrepôt.
– Tina ? C’est moi.
– Oui, je suis là.
Sa voix n’est pas aussi certaine que d’habitude. Bon sang, que se passe-t-il ?
– Eh, ça va ?
– Je… Rejoins-moi à l’intérieur, lâche-t-elle avant de couper.
Anila… Et si Anila était… Bordel ! Nous accélérons et arrivons en un temps
record. La scène que j’ai sous les yeux me détruit…
Chapitre 27
Tina
Cette mission n’est pas comme les autres. C’est une certitude. Dès le départ, je
me suis enveloppée d’une carapace plus épaisse qu’à l’habitude. Mass m’a
laissée seule, sans aucun problème. Parce qu’il me connaît, qu’il sait que je suis
capable de me défendre en cas d’attaque, au corps à corps ou à distance. Et en
effet, je n’ai pas eu longtemps à attendre. Trois hommes ont surgi derrière moi,
et il a fallu que mes sens soient vraiment en éveil pour me protéger. Une balle
dans le ventre pour le premier, le second m’a désarmée, mais mon couteau de
chasse m’a sauvée et le troisième m’a donné plus de fil à retordre. Lourd, fluide,
et robuste. J’ai fini avec une arcade ouverte et une épaule démise. Plus quelques
bleus un peu partout sur le corps. Rien de grave comparé à ce que j’ai pu vivre
auparavant. Mon passé m’a endurcie. En revanche… Mass et moi sommes
connectés via notre oreillette. Ce qui signifie que j’entends tout. Vraiment tout.
Le laps de temps où il était silencieux, après avoir commencé son combat lui
aussi m’a totalement angoissée. Je me suis revue, il y a quelques années de ça,
au front, avec… Garry. J’ai beau me convaincre de laisser ça derrière moi, je n’y
arrive pas. Mass n’est pas Garry. Le Kosovo n’est pas la Syrie. En revanche, une
arme reste une arme. Et ça, on ne peut rien contre. J’essaie de garder les bons
souvenirs de Garry vivaces, mais c’est tellement difficile de ne pas faire des
cauchemars… Cependant, dernièrement, j’ai remarqué qu’ils se faisaient plus
rares. Mais Garry était remplacé par Mass. C’est là où j’ai compris que mes
sentiments à son égard étaient bien plus importants que je ne voulais me
l’avouer. C’est à partir de ce moment-là que j’ai pris mes distances. Je… Je ne
suis pas prête. Je ne veux pas revivre ce que j’ai vécu. Ça fait trop mal. J’essuie
une larme solitaire qui roule sur ma joue et me reprends. Je m’interdis de pleurer.
Signe de faiblesse. Et ça n’apporte rien.
Lorsque tout a été calme, j’ai pu avancer et rentrer dans le bâtiment. La zone
était sécurisée, je voulais simplement m’en assurer. Je suis arrivée par l’entrée
principale, alors qu’Alice est entrée par une porte, à mon opposé. Nous nous
jetons un coup d’œil au-dessus de la scène que nous avons devant nous. Gonz,
qui tient Anila dans ses bras, penché sur elle. Finn, en face de lui, qui lui tient la
main. Alice parle dans son oreillette, je m’apprête à en faire de même. J’ai
besoin de lui. Lorsque sa voix retentit dans mon oreille, je respire de nouveau. Il
me contacte.
– Tina ? C’est moi.
– Oui, je suis là.
Ma voix tremble légèrement, je n’arrive pas à la contrôler.
– Eh, ça va ?
– Je… Rejoins-moi à l’intérieur, lâché-je avant de couper.
J’avance encore un peu, mais fatiguée, bouleversée par l’émotion, je me laisse
tomber à terre, à genoux. Je n’entends plus ce qu’il se passe autour de moi. J’ai
l’impression de ne plus contrôler ma tête, mon corps. Jusqu’à ce que deux bras
puissants me soulèvent.
– Je suis là, ça va aller…
Je grimace lorsque je me blottis contre lui. Mon épaule est douloureuse, bien que
j’aie pu la remettre en place rapidement. Mass m’éloigne légèrement, son corps
fait barrière avec le reste du monde.
– Reprends-toi, Tina, ça va aller. Calme-toi.
Sa voix est douce, calme, mais ferme. J’ose croiser son regard quelques
secondes et ce que je vois me bouleverse. Lorsqu’il me repose à terre quelques
instants plus tard, je peux voir l’étendue des dégâts. Lui aussi a eu un combat
difficile. Et son bras saigne. Alors qu’il remarque que sa blessure a attiré mon
attention, il reprend.
– Ce n’est rien. Une égratignure. Les risques du métier. Ça va aller ?
– Ça ira.
Je me ressaisis, essuie mes larmes et fais face aux autres. Alice est déjà vers
Anila, ainsi que Mike. Elle est entourée de ses amis. Rapidement, j’entends le
bruit de l’hélicoptère au-dessus de nous. L’équipe d’extraction est là.
– Les secours arrivent. Ils vont s’en occuper, me signale Mass.
Je le sais, tout ça, c’est la procédure standard, mais me l’entendre dire est tout
autre chose. J’en avais besoin. L’équipe médicale entre et accourt
immédiatement auprès d’Anila et des autres. Je m’approche également.
– OK, éloignez-vous tous, s’il vous plaît.
Finn, Alice et Mike obéissent. Mais pas Gonz. Il faut que Finn et Alice
interviennent pour l’écarter afin qu’Anila reçoive les soins nécessaires. Si c’est
nécessaire…
– Pouls faible, blessure par balle dans le dos, au niveau du cœur, mais balle pas
ressortie, explique rapidement Alice. Elle ne répond pas aux stimulus, et malgré
un point de compression, le saignement ne cesse pas. Difficultés à respirer.
Pneumo plus hémorragie interne, je dirais.
Cette fille m’impressionne un peu plus chaque jour. Après un rapide examen, les
secouristes en déduisent la même chose.
– Elle est trop instable pour être transportée… Son rythme cardiaque baisse
beaucoup trop. On va lui mettre 2 CC d’adrénaline pour la relancer. On verra
après.
Après avoir injecté le médicament, le cœur d’Anila se calme et reprend un
rythme à peu près normal. En revanche, elle continue de perdre beaucoup de
sang.
– Il faut y aller, intervient l’un d’entre eux. Maintenant. Elle est trop faible, et si
on attend plus, elle va y rester.
En un temps record, ils installent Anila sur un brancard et ressortent du bâtiment.
Gonz et Finn vont avec elle, alors que les secouristes nous informent qu’un autre
hélico va venir nous chercher.
– On l’évacue directement, lance celui qui semble être le responsable.
Alice lui fait un topo sur le statut particulier d’Anila.
– Oui, nous sommes au courant. Nous mettrons un agent en plus de vous. Elle ne
risquera rien.
– Et le médecin ?
– J’irai avec elle, je suis médecin urgentiste. Je ne la quitterai pas d’une semelle.
– Bien. On vous rejoint avec le second appareil.
L’équipe médicale repart avec Anila, Finn et Gonz. Rapidement, nous rejoignons
la clairière pour attendre l’arrivée du second hélicoptère.
Alice
Après une bonne heure de vol, arrivés aux urgences de l’hôpital militaire de
Vracar, nous nous précipitons dans les couloirs à la recherche de Finn et Gonz.
Ils sont devant une porte, fermée, gardée par un agent armé.
– Alors ? demandé-je.
– Elle a fait un arrêt en vol, mais avec la balle logée pas loin du cœur, c’est
compliqué de lui faire un massage cardiaque. Elle a pu revenir rapidement. Ils
l’ont directement emmenée en salle d’opération pour intervenir rapidement. Elle
a perdu beaucoup de sang…, souffle Finn. Et son groupe sanguin est tellement
rare…
– Quel est-il ? demandé-je.
– AB négatif…
– Je suis AB négatif, lâche Mike derrière moi.
Gonz se lève brusquement. Ses yeux sont rouges, cernés de noir. Il s’approche
férocement de Mike, l’attrape par le col et le plaque contre le mur. Je tente de
m’interposer, il est enragé, littéralement.
– Bordel, tu ne pouvais pas le dire plus tôt ? explose-t-il.
– Je viens de…
– Tu fous quoi ici ? Tu te réjouis de nous voir souffrir ? C’était ça, ton plan ?
C’est ce que tu voulais, hein ? Espèce de connard, fils de p…
– Ça suffit, Gonz !
Finn s’est approché et a dégagé Mike de l’emprise de Gonz.
– Lâche-le ! Il peut la sauver, il ne le savait pas avant. Alors, tu la fermes et vas
t’asseoir !
Il retourne vers les fauteuils avec Gonz alors que je reste avec Mike.
– OK. Je vais voir avec le doc. Tu restes ici, tu ne bois rien, tu ne manges rien, tu
sors tes papiers.
Je me dirige vers le bureau des infirmières le plus proche et demande à appeler
le bloc le plus rapidement possible. Ma carte d’agent de la CIA fait encore
beaucoup d’effet, bien que je ne sois plus agent à la CIA.
– Docteur Bernard, quoi ?
– J’ai votre donneur de sang.
– Qui… Alice ?
– Oui. Je demande à être installée dans la pièce adjacente au bloc, et je fais les
examens nécessaires. Mais vous aurez votre sang.
– Parfait. Frappez à la porte communicante quand vous serez là-bas. Ils ne
fonctionnent pas comme nous.
– OK.
Je demande à celle qui semble être la responsable des infirmières ici de me
fournir le matériel nécessaire ainsi que de m’ouvrir la pièce accolée au bloc. Elle
ne bronche pas. En retournant vers mes amis, je sens la tension émaner de
chacun d’entre eux. J’attrape Mike par le poignet et le tire derrière moi.
– Tu prends une douche, tu te désinfectes de la tête aux pieds. Quand t’es prêt, tu
enfiles la tenue qui est dans ce sachet. Je t’attends pour faire une prise de sang de
contrôle.
– D’accord. J’ai fait des examens récemment, on est contrôlés régulièrement en
prison, ils étaient nickel.
– Ils datent de quand ?
– Deux semaines.
– J’appelle Ted pour qu’il se les procure, ce sera plus rapide. Désinfecte-toi,
c’est nécessaire pour la transfusion.
Je contacte Ted, à Boston, qui s’avère efficace, puisque dans les vingt minutes
qui suivent, il obtient les analyses dont on a besoin. Mike avait raison. Tout est
bon. J’avise le médecin urgentiste dans la pièce voisine.
– Putain, enfin une bonne nouvelle ! Votre amie s’accroche, mais son cœur est
capricieux.
– J’espère que ça ira… soufflé-je. Je procède à la ponction sanguine et je vous
envoie les poches de sang immédiatement.
– Je vous fais confiance. Vous me paraissez sûre de vous. On aurait besoin de
personnel comme ça avec nous sur le terrain. Si jamais vous cherchez une
reconversion…
– Malheureusement, je ne suis pas prête à changer de voie, lui souris-je.
– Dommage. Je retourne auprès d’Anila.
Il repart, je referme la porte derrière lui. Lorsque je me retourne, je peux voir
Mike, torse nu, sortir de la douche, une serviette autour des hanches. Le torse
robuste, dessiné, solide. Il a changé depuis tout ce temps… Putain, pourquoi
faut-il qu’il me fasse encore de l’effet ?
– Je suis prêt, me dit-il en s’installant dans le fauteuil, à côté de moi. J’incline le
dossier afin qu’il ne pique pas du nez en cas de baisse de tension soudaine.
Je n’ai même pas remarqué qu’il s’était rhabillé… Je me concentre sur la
procédure. Désinfecter la zone, piquer, fixer, tenir, patienter. Lorsque la poche
est pleine, je la transmets immédiatement au docteur Bernard.
– C’est juste ce qui nous manquait. L’opération s’est bien passée, elle est à peu
près stable. La transfusion devrait l’aider à reprendre des forces.
– Bien. Tenez-moi au courant si vous avez besoin d’autre chose.
– Normalement, ça devrait suffire. Cependant, oui, restez prêts, au cas où.
Je retourne auprès de Mike. Il est resté silencieux durant tout le prélèvement.
– Comment tu te sens ? lui demandé-je.
– Un peu fatigué, je… Oui, fatigué.
– C’est normal. Viens, je vais t’aider à t’allonger sur le lit.
Délicatement, je l’aide à se relever, puis il s’appuie sur moi pour rejoindre le lit
qui ne se trouve pas loin. Il paraît épuisé. Son visage est pâle et ses jambes
faiblissent.
– Voilà. Installe-toi, je vais aller te chercher quelque chose pour que tu reprennes
des forces.
Il hoche la tête, péniblement.
– Doc ? frappé-je à la porte.
– Oui ?
Il entrouvre le battant.
– Vous avez encore besoin de sang ? Mike est faible, il a besoin de manger
quelque chose.
– Ça devrait aller. Redonnez-lui des forces. Merci pour tout.
Je retourne auprès de Mike, toujours pâle. Je glisse un coussin sous ses pieds.
– Je reviens, repose-toi.
Il hoche la tête et ferme ses yeux. Je sors dans le couloir, et tous les regards se
posent sur moi. Ils m’implorent de leur donner des nouvelles.
– Elle lutte toujours, mais elle devrait s’en sortir. La transfusion est en cours, le
docteur viendra nous en dire plus quand tout sera terminé. Gonz se lève et me
rejoint. Il me serre contre lui, fort.
– Merci pour tout, Alice. Pour ton sang-froid.
– C’est normal. Je dois aller chercher à manger pour Mike, il est faible.
– OK. Merci, souffle-t-il alors qu’il s’éloigne de moi.
Rapidement, je trouve des encas sucrés pour que Mike reprenne des forces.
Lorsque je retourne vers lui, il semble dormir.
– Eh, le réveillé-je, il faut que tu avales ça, ça va te faire du bien.
Je redresse le dossier du lit et Mike avale son jus d’orange ainsi que ses deux
barres chocolatées. Quelques minutes plus tard, il reprend des couleurs. Je suis
rassurée. Je rapproche le fauteuil du lit et me laisse tomber dedans. Cette journée
a été épuisante, et j’ai moi aussi mes limites.
Chapitre 28
Gonz
***
Finn
La distance avec les enfants est pesante. Mais ma sœur a besoin de moi. C’est
ma faute si on en est arrivés là. Bien que mes amis me soutiennent le contraire, si
je n’avais pas joué aux héros vingt ans plus tôt, elle ne serait pas dans le coma et
mon ami ne serait pas à ses côtés, abattu. Comment aurais-je pu faire
autrement ? Ces grands yeux verts, ce visage sale, où les larmes laissaient des
traînées sur ses joues… Elle avait tout perdu. Lorsqu’elle m’a vu en sortant de sa
cachette, elle s’est précipitée dans mes bras. Elle pleurait. Elle avait enfoui son
petit nez dans mon cou et ses sanglots la secouaient plus qu’une enfant de cinq
ans n’aurait dû supporter ça. L’âge où elle aurait dû être innocente, protégée,
aimée. Elle aurait dû jouer à la poupée avec ses amies, avec sa sœur. Au lieu de
ça, elle a vu des horreurs, elle a vécu l’enfer… Je me souviens de tellement de
choses de ces moments-là. Je sens encore l’odeur de la poudre, mêlée à celle du
sang. Je vois encore les décombres, les corps démembrés, ensanglantés. À cet
instant, mon uniforme ainsi que mes armes ont pris un poids supplémentaire. Je
croulais sous la peine et le dégoût. Même si j’avais fait le choix d’embrasser
cette carrière. Mais je reste un humain avant tout. Et cette horreur ne m’a pas
laissé insensible. Nous sommes entrés dans l’orphelinat, et l’atrocité n’a fait
qu’amplifier. Dehors, il n’y avait que des corps de femmes. Elles avaient dû
sortir afin de protéger ces enfants en détresse. Mais dedans… Les cadavres des
fillettes jonchaient le sol. Dénudées. Ensanglantées. Blessées. Inertes. Mortes…
Je me rappelle encore la rage qui m’a envahi à cet instant. Au fur et à mesure
que nous avancions, l’horreur continuait. Puis, cette petite princesse, que
j’appelais ainsi sans connaître le rang auquel elle appartenait, a couru dans mes
bras. J’ai rangé mon arme dans mon dos et l’ai portée à l’écart. Là où il n’y avait
pas tous ces cadavres. Elle tenait une poupée de chiffon dans la main. J’étais
jeune, pas encore vraiment en âge de devenir père. Pourtant, à cette seconde, je
n’ai plus voulu la laisser. La lâcher. Je me débrouillerais pour sauver cette
fillette, pour la protéger. J’en ai fait mon credo.
Jusqu’à présent, je suis resté professionnel, froid, détaché. Parce que je savais
que si je laissais parler mon côté grand frère protecteur, j’aurais fait de la merde.
Et Gonz était suffisamment instable pour que je reste droit. Pourtant, lorsque
Anila a pris cette balle dans le dos, j’ai dézingué ce connard, mais l’instant
d’après, j’ai compris qu’elle était en danger de mort. Vraiment, cette fois. Et je
ne m’étais pas préparé à cette éventualité. Et putain… C’est dévastateur. Après
son évacuation, j’ai attendu que les autres nous rejoignent puis je me suis éloigné
pour contacter Ava. J’avais tellement besoin d’elle. J’ai tellement besoin
d’elle… Je me suis effondré. Parce que je suis un homme. Un vrai. Celui qui
ressent avec son cœur, qui aime avec son âme… Elle m’a laissé pleurer. J’ai
entendu ses larmes, même si elle a tout fait pour les retenir. Elle m’a même
proposé de venir me rejoindre. J’aurais aimé. Mais les enfants ont besoin d’elle,
et surtout, ne doivent pas être impactés par ça. Depuis, nous nous appelons tous
les jours. Lorsque Anila a été hors de danger, je me suis senti soulagé. Puis, il a
aussi fallu mettre mes parents au courant. Et comme moi, le côté parent a pris le
pas sur celui d’ancien agent. J’ai réussi à les tenir à distance, leur expliquant que
nous rentrerons bientôt.
Je n’ai jamais quitté ses côtés, ou presque. Souvent, j’attends derrière la porte.
Gonz refuse de quitter son chevet. Comme maintenant. La nuit est tombée il y a
peu, et je m’installe sur les fauteuils du couloir. Ils ne sont pas très confortables,
mais j’ai connu pire. Soudain, des infirmières se précipitent dans la chambre de
ma sœur et Gonz sort, la mine défaite.
– Quoi ? le secoué-je. Que se passe-t-il ?
Il me regarde, livide.
– Elle est réveillée.
– Putain ! C’est génial ! Enfin !
Je le serre dans mes bras, mais il ne réagit pas. Il devrait être heureux !
– Que s’est-il passé ?
– Elle a eu peur de moi. Elle m’a repoussé…
Et il s’effondre contre le mur. C’est quoi ce merdier, encore ? Je l’aide à se
relever, et je tente de le rassurer comme je peux. Mais honnêtement, je suis vite à
court d’arguments… Après de nombreuses minutes, les infirmières ainsi que le
docteur qui les avait rejointes sortent de la chambre. Meyers nous rejoint et
s’assied en face de nous. Les coudes sur les genoux, son visage est fermé.
– Anila va bien, en tout cas, physiquement parlant. En revanche, elle est très
craintive. Elle ne se laisse approcher que par des femmes. J’ai pu l’ausculter
rapidement après une longue explication. Elle n’a pas subi de violence qui
laissait présager ce comportement, mais le fait qu’elle ait été manipulée par des
hommes…
– Elle en a peur, souffle Gonz.
– C’est ce que je pense, oui. Elle est encore légèrement sédatée, donc il est
possible que cela fausse ses réactions. Nous allons suivre ça les jours à venir. En
attendant, ne montrez pas trop que cela vous affecte. Et respectez la distance
qu’elle vous impose. Dites également à vos amies filles de venir. Elle se sentira
plus en sécurité.
– D’accord, réponds-je. Je peux aller la voir ?
– Oui. Vous êtes son frère, peut-être qu’elle réagira différemment. Désolé,
Alejandro.
– Ce n’est pas grave…
– Je vous laisse. N’hésitez pas à me biper si besoin.
Puis, il s’éloigne.
– Vas-y, me souffle Gonz. Peut-être qu’elle réagira différemment avec toi.
– Ne le prends pas pour toi. On ne sait pas trop ce qu’elle a vécu. Ces connards
lui ont certainement retourné le cerveau.
Il hoche la tête, puis je rentre dans la chambre de ma sœur. Au fond de son lit,
elle semble si fragile. Ses cheveux sont en bataille, et elle me tourne le dos. Je
m’approche doucement.
– Ani, ma puce ? C’est moi, c’est Finn…
Pas de réponse. Elle dort peut-être. Alors, je passe de l’autre côté du lit. Je ne
veux pas la surprendre et lui faire peur. Une fois face à elle, je m’installe dans le
second fauteuil. Je prends sa main délicate entre mes doigts.
– Je suis content que tu te réveilles enfin… On a eu si peur pour toi… Si tu
voyais Gonz… Il est dans un sale état. Il t’aime tellement.
Elle semble si paisible… Je la regarde dormir encore quelques heures, puis elle
se contracte. Comme si elle faisait un cauchemar. Elle ouvre les yeux, et
lorsqu’elle me voit, retire sa main de la mienne. Elle me repousse aussi.
Visiblement pas aussi violemment que Gonz.
– Ani, c’est moi. Tu me reconnais ?
– Bien sûr que je te reconnais, râle-t-elle d’une voix rauque.
Je m’adosse dans mon fauteuil, croise mes bras sur ma poitrine. Elle s’installe et
se redresse un peu.
– Alors quoi ? T’es pas contente de me revoir ? plaisanté-je.
– Pas franchement non.
Elle me jette un regard noir. OK, ma blague tombe à l’eau.
– Que se passe-t-il ?
– Tu le sais. Et je n’ai pas envie d’en parler avec toi. Maintenant, je suis fatiguée,
et je voudrais dormir.
Elle se tourne de l’autre côté et se mure dans le silence.
– On a failli te perdre, une deuxième fois pour ma part, et je n’abandonnerai pas.
– Sors. Je ne veux plus vous voir.
Je m’approche d’elle et pose un baiser sur son front.
– Je ne lâcherai pas, Ani.
Puis, je sors avant qu’elle n’ait l’occasion de répondre. Putain, la partie
s’annonce compliquée…
Chapitre 29
Anila
Trois jours que j’ai repris connaissance. Trois jours que mes yeux se sont
posés sur lui. Sur eux. Et je ne veux plus les voir. Tout ça, c’est leur faute.
Bien sûr, au début, j’étais encore un peu dans le flou. Puis, au fur et à mesure, les
souvenirs sont revenus. Ils n’étaient pas très loin, la drogue qu’on m’avait
administrée n’était pas assez puissante pour me ravager le cerveau.
Heureusement… Cependant, on m’a avertie que je risquais d’avoir des sautes
d’humeur. Oui, j’en ai eu. Mais ce n’est pas ça, avec eux. Enfin… Je les déteste.
Et jamais je ne leur pardonnerai.
Depuis mon réveil, Alice et Tina ne me quittent pas. Alejandro est revenu une
fois et, devant mon mutisme, il est reparti, et n’est jamais re-rentré dans ma
chambre. Quant à l’homme qui me sert de frère, il passe chaque jour. Il joue sur
la corde sensible en me disant que les parents s’inquiètent. Je les ai eus au
téléphone, et maman a pleuré durant toute la conversation. Ils me manquent, je
m’en veux de les faire souffrir. Non, plutôt, je leur en veux de faire souffrir mes
parents ainsi. Mais d’après le docteur Meyers, je devrais bientôt pouvoir rentrer
chez moi. Enfin… aux États-Unis, quoi.
Hier soir, on m’a fait passer une batterie d’examens. Mon cœur va bien, il a été
réparé correctement, le docteur Bernard a fait du bon boulot. Quant à Mike, j’ai
bien compris que sans lui, je ne serais plus de ce monde… Les résultats de mes
analyses devraient arriver dans quelques heures. Je tente, une nouvelle fois, de
me lever toute seule, mais mon corps me rappelle à l’ordre. Malgré les bons
traitements que j’ai reçus lorsque j’étais captive, je suis percluse de douleurs.
Apparemment, ce sont simplement les retombées du stress qui me mettent dans
cet état.
– Toc, toc ! Je peux rentrer ?
– Ça dépend ? Tu as un super petit-déjeuner avec toi ?
Alice passe la porte de ma chambre.
– Le meilleur. Jus de fruits fraîchement pressé, viennoiseries, fromage…,
énumère-t-elle.
Elle me donne l’eau à la bouche. S’il y a quelque chose que je n’ai pas perdu, en
revanche, c’est l’appétit. À croire que les jours passés à me nourrir par perf
avaient créé en moi un manque de nourriture solide. Elle vide le panier qu’elle a
avec elle et dépose tout sur la tablette à roulettes.
– Est-ce que tu veux te lever pour aller aux toilettes, ou autre ? me demande-t-
elle.
– Je veux bien aller me donner un coup de frais sur le visage, oui.
Alice m’aide à me redresser. Mes côtes sont très douloureuses. Ce n’est pas
anormal apparemment. Alors je prends mon mal en patience. Une fois devant le
miroir, je prends appui sur le lavabo. Je peux tenir debout quelques instants. Mes
yeux sont encore cernés même si cela a tendance à s’estomper. Rapidement, je
me passe de l’eau fraîche sur le visage et m’essuie avec la petite serviette
fournie. Ça me fait du bien. Vraiment beaucoup de bien. Alice, qui m’attendait
derrière la porte, vient me prendre par le bras pour me guider jusqu’au lit. Je me
réinstalle, me calant contre les oreillers.
– Prête ? m’interroge-t-elle.
– Plus que jamais ! lui souris-je.
Nous petit-déjeunons en silence, engloutissant les pains et croissants tartinés de
confiture qu’Alice a achetés. Cependant, nous sommes interrompues par le
docteur Meyers.
– Ahhh, deux jolies filles qui dévorent des douceurs sans aucune retenue… Je
parie qu’un paquet d’hommes aimerait être à ma place, nous taquine-t-il.
La trentaine, les cheveux blonds, légèrement ondulés, le regard azur. Sexy, en
plus avec sa blouse blanche. Cependant, l’anneau en or qui se trouve à son doigt
coupe tout fantasme.
– Servez-vous, doc, lui propose Alice.
– Je vais prendre un morceau de brioche, ça complétera mon café matinal !
Alice lui tend sa part et il s’assied dans le fauteuil libre, un sourire aux lèvres.
– Ça fait plaisir de vous voir enfin à peu près en forme, Anila. Il faut dire que
mon collègue, le docteur Bernard, a fait du bon boulot.
Je lui souris en retour. L’atmosphère est légère et j’apprécie ce calme et cette
douceur. Nous finissons de déjeuner en silence, puis Meyers sort mon dossier.
– J’ai eu vos analyses ce matin, et je dois avouer que j’ai été surpris. Très
surpris.
Je fronce les sourcils alors qu’il continue.
– Avant de rentrer dans les détails, sachez que vous êtes une battante, et une
rescapée. Peu de personnes auraient survécu à ce qu’il vous est arrivé. Mais je
dois avouer que là… C’est un miracle. Je ne peux l’expliquer autrement, sachant
que je suis cartésien de nature, encore plus dans mon boulot.
– Où voulez-vous en venir ? demandé-je, intriguée et inquiète aussi.
Alice tend la main vers mes analyses. Je l’ai autorisée à avoir un regard sur mes
examens à condition qu’elle n’en parle à personne. Alors qu’elle lit les
documents, ses sourcils se haussent. Elle m’offre un sourire immense, avant de
rendre mes analyses au docteur.
– Anila, vous êtes enceinte, m’annonce-t-il.
Quoi ?
– Mais comment ? Enfin… Je…
– De six semaines environ. Le miracle, c’est qu’il ait survécu à tout ça… C’est la
beauté de la nature.
Instinctivement, je place une main sur mon ventre et pose mon regard dessus. Je
suis enceinte… Ça, je ne m’y attendais pas. Pas du tout.
– Avant de trop nous affoler, je vais vous faire passer une échographie, afin de
voir si le cœur bat bien. Nous referons des analyses régulièrement, pour vérifier
que les taux continuent bien d’évoluer comme il le faut.
– D’accord.
– Quant au reste, tout va bien. Le taux d’hémoglobine est bon, les plaquettes
aussi. Vous récupérez bien. Je suis impressionné par votre force intérieure. Si
tout continue ainsi, vous pourrez rentrer chez vous d’ici une bonne dizaine de
jours. Peut-être un peu avant.
Il se lève, me sourit et ajoute quelques mots.
– Peut-être serait-il judicieux de discuter avec le futur papa après
l’échographie… Il est en souffrance, et vous pourriez certainement surmonter
tout ce qui vous attend plus facilement à deux.
Je hoche la tête en guise de réponse. Ce bébé change tout. Mais je ne veux pas ni
m’emballer ni parler à Alejandro. Désormais seules dans ma chambre, j’ai
l’impression de flotter. D’être ailleurs. Ce bébé, celui qu’on attendait
tellement… Même si son cœur bat, il aura certainement des séquelles. C’est
obligé. Et dans ce cas… Que ferais-je ?
– Arrête de te faire des scénarios, Ani, m’interrompt Alice en me prenant la
main. Attends de voir si le cœur bat bien. Pour le reste, tu verras en temps et en
heure. Et s’il avait voulu partir, il ne serait plus là, tu sais, tente-t-elle de me
rassurer.
– Oui, je… Alice, tu te rends compte ?
Des larmes emplissent mes yeux.
– On en rêvait et…
– Et il est là. Quoi qu’il arrive. Tu sais, le doc a raison. Tu ferais bien de parler
avec Gonz.
– Non ! C’est leur faute ce qu’il m’est arrivé, crié-je.
– OK, OK, calme-toi. Essaie de te reposer, on en parlera plus tard.
– Ou pas. Je ne veux plus en parler.
– D’accord. Repose-toi, je reste avec toi.
Je sombre dans un demi-sommeil, pas très réparateur, où des minis Gonz me
couraient après… Dans l’après-midi, je reçois la visite quotidienne de Finn, puis
le docteur Meyers est arrivé et lui a demandé de sortir. Moi, de ne pas revenir. Il
installe le matériel et revient vers moi.
– Prête ?
– Oui. On y va.
Puis, il débute l’examen. Quelques instants plus tard, une petite poche apparaît
sur l’écran.
– Il est possible qu’on n’entende pas encore le cœur battre. En revanche…
Regardez ici, sourit-il.
Une sorte de petit trait qui s’affiche et s’efface. Comme un curseur qui clignote.
Soudain, un son… merveilleux, doux, harmonieux, emplit la pièce. Jamais je ne
l’oublierai, cette mélodie.
– 153. Ce petit embryon a l’air d’aller bien jusque-là. Le cœur bat bien en tout
cas. C’est une bonne chose, me rassure le docteur.
Je recouvre le bas de mon ventre de ma main droite, alors que l’examen se
poursuit.
– Je ne peux pas vous garantir que tout ira bien jusqu’au bout. Dans le cadre
d’une grossesse normale, il y a déjà des risques. Alors avec les épreuves que
vous avez traversées… Mais il est aussi possible que tout se passe pour le mieux.
– Je… Je veux qu’il aille bien, bredouillé-je, émue.
– Je sais. Jusqu’à la douzième semaine, on ne peut pas faire grand-chose pour
empêcher qu’il arrive quelque chose. Hormis beaucoup de repos et
éventuellement un cerclage si besoin. En revanche, nous allons vous suivre de
près. On refera une échographie avant que vous rentriez, puis, une fois à Boston,
prenez contact avec un obstétricien. Je vous donnerai votre dossier médical afin
qu’il ait tous les détails médicaux.
– OK. Merci de m’expliquer tout ça. De prendre le temps…
– C’est mon boulot. Et c’est normal !
Il range le matériel et le recouvre de la housse grise qui l’habillait plus tôt. Très
bien. Au moins, personne n’aura d’indice quant à ce qu’on m’a fait.
Le docteur quitte ma chambre et Alice fait son apparition, un sourire sur son
visage. Elle est tout excitée.
– Alors ? Il t’a dit quoi ? Comment va le bébé ?
Elle me fait sourire également. Son enthousiasme me touche.
– Pour le moment, tout semble normal. Toutefois, il m’a expliqué qu’il était
possible que je n’aille pas jusqu’au terme.
– Oui, mais comme toute grossesse, même les plus normales.
– Oui. Mais j’ai pas envie de le perdre, Alice. Je veux pas le perdre.
Soudain, les larmes roulent sur mon visage. Je n’avais pas craqué jusqu’ici, mais
tout lâche.
– Ani, ma puce…
Alice me rejoint sur mon lit et me prend dans ses bras.
– J’imagine ce que tu dois ressentir. Et on fera tout pour que cette bouille apporte
sa dose de bonheur dans ta vie. Mais parfois, tu ne peux rien y faire… C’est la
nature qui décide. C’est une bonne chose que cela démarre bien. Garde le positif
en tête, d’accord ?
Le bruit de la porte nous surprend.
– Oups, désolée, je dérange… nous interrompt Tina.
– Non, non, approche, l’invité-je.
– C’est l’heure du câlin entre filles, lui dit Alice.
Tina sourit et nous rejoint.
– Sèche tes larmes, Ani, j’aime pas voir ça.
J’acquiesce en silence et essuie les vestiges de mes peines.
– Que se passe-t-il ? me demande-t-elle.
Sans hésiter, je lui explique.
– Oh… Waouh ! Euh… Gonz ? demande-t-elle en pointant du pouce la porte
derrière elle.
– Non ! m’exclamé-je. Non, je veux pas. Je veux pas qu’il sache !
– OK, bien, je ne dirai rien. Tu peux compter sur moi. N’hésite pas si tu as
besoin de quoi que ce soit.
– Merci beaucoup, les filles, vous êtes géniales.
Je les serre contre moi une dernière fois, avant qu’elles ne me laissent seule.
Neuf jours plus tard, j’ai le feu vert pour rentrer à Boston. Et je viens d’avoir une
nouvelle échographie. Le bébé va bien. Même si cela ne se voit pas, que mon
ventre est plat, même s’il ne fait que quelques millimètres, moi, je sais qu’il est
niché dans mon ventre. Et il ne quitte jamais mes pensées. Les filles sont restées
avec moi. Finn et Alejandro sont déjà rentrés. Finn pour gérer les parents, mais
aussi parce que les enfants lui manquent. Ce que je comprends. Et Alejandro, il a
enfin pigé que je ne voulais plus le voir. Mass et Mike sont rentrés avec eux. Le
visage d’Alice s’est fermé depuis que Mike est reparti. Je sens qu’elle l’aime
encore, malgré la trahison, malgré le mal qu’il a fait autour de lui. Cependant, je
ne lui en parle pas. Non… Tina s’en charge !
– Alors, avec Mike… Tu as remis ça ?
Alice la foudroie du regard.
– OK, j’en déduis que non, mais… Ça te ferait du bien, ma vieille.
Alice se renfrogne et, clairement, elle n’a pas envie d’en parler.
– C’est comme ça. Nos vies vont reprendre leur cours et c’est très bien ainsi,
lâche-t-elle. Fin de la discussion, insiste-t-elle en voyant que Tina allait persister.
Nous n’en saurons pas plus, mais visiblement, ce chapitre de la vie d’Alice n’est
pas clos. Oh non. Les filles m’aident à faire mon sac, puis nous sortons, enfin, de
cet hôpital. Le vol se déroule sans encombre. Ma main ne quitte pas mon ventre.
Cet instinct de protection profond, puissant, animal s’est révélé et ne m’a plus
quittée. Curieusement, malgré la situation, malgré la peur, l’appréhension, je n’ai
jamais ressenti autant de bonheur. Ce bébé, je ferai tout pour l’avoir. Je le
protégerai.
Chapitre 30
Finn
Notre retour s’est fait plus tôt que prévu. Mes parents tournaient comme des
lions en cage, il a fallu les rassurer et les contenir. Lorsque Ani s’est réveillée,
cela a facilité les choses. Elle leur parlait régulièrement, et cela les avait un peu
calmés. Je crois que mon départ est surtout dû au manque des enfants. Chaque
soir, Aiden me demandait quand je rentrerais de voyage. Ils me manquaient
terriblement. Et comme ma tête de mule de frangine refuse de m’adresser la
parole… Je perdais un peu mon temps là-bas, en Serbie. Cette situation me
pesait. Elle ne veut pas me voir, pas me parler et je ne connais pas la raison. J’ai
tout essayé : la méthode douce, celle des premiers jours. J’étais patient, je lui
racontais ce qu’il s’était passé durant son coma, combien nous étions inquiets.
Puis fiers d’elle et du combat qu’elle a mené pour se réveiller. Puis la colère.
J’aurais pu la secouer pour la faire réagir. Et enfin, l’indifférence. Rien n’y a fait.
Lorsqu’elle nous voyait Gonz ou moi, elle se renfermait, ne souriait plus, nous
jetait des regards plus noirs que noirs. Gonz en souffre terriblement. Trois jours
que nous sommes de retour et il ne sort plus du loft. Il a vidé son stock d’alcool
fort, il a également refait la déco à coup de coups de poing, de kicks, et de lancer
de vaisselle. Il a pété les plombs le lendemain de notre retour.
Mass est rentré avec nous ainsi que Mike. Ted s’est occupé de le faire incarcérer
de nouveau. Je n’ai pas de nouvelles pour le moment. Je n’en ai pas demandé, à
vrai dire. J’ai plus important à penser pour le moment. En revanche, il est vrai
que je lui dois la vie de ma sœur. Je saurai m’en souvenir en temps voulu. Ava
est venue nous chercher à l’aéroport. Nos retrouvailles ont été brèves, étant
donné l’état de Gonz, inutile d’en rajouter une couche. Elle l’a longuement
étreint et a tenté de le rassurer. Mais cela n’a pas été très efficace.
Le quotidien s’est rapidement rappelé à moi. Cecilia et Aiden étaient heureux
que je rentre enfin de voyage. Le temps leur a paru long. Enfin couchés, le
silence règne dans la maison. Ava s’approche du fauteuil où je suis installé. Elle
s’installe sur mes genoux, passe un bras derrière mon cou, et me tend une
bouteille de bière. La sentir contre moi me fait un bien fou. Elle m’apaise, me
calme, me complète.
– Quand est-ce qu'Anila rentre ?
– Demain, vers seize heures trente.
– OK, j’irai la chercher à l’aéroport. Et je la ramènerai ici.
– Elle ne voudra jamais te suivre, la contré-je.
– Peut-être. Mais elle ira où ? Alice squatte à l’hôtel, la priorité de Tina sera de
retrouver Mass. Il lui reste le loft, ou ici. Que penses-tu qu’elle préférera ?
– Pas faux. T’es maline, ma puce.
– Ce n’est pas pour rien que je t’ai eu, me sourit-elle tendrement.
J’aime Ava plus que je n’ai jamais aimé jusque-là. Chaque jour, elle m’épate par
sa force. Elle a géré comme une cheffe en mon absence.
– Je m’occupe de ta sœur. Mais laisse-lui du temps.
Je soupire.
– Je sais, chérie, mais bordel, je m’en veux déjà assez ! C’est ma faute si elle a
été enlevée ! Si je ne l’avais pas…
– Si tu ne l’avais pas ramenée avec toi, tu t’en serais voulu toute ta vie, elle
aurait été certainement abusée ou tuée. Tu lui as offert vingt années de bonheur,
une éducation, une vie remplie d’amour. Alors oui, je peux comprendre que tu
t’en veuilles, mais regarde le positif que tu as mis dans sa vie ! Et l’un comme
l’autre, vous allez devoir l’accepter !
Après de chaleureuses retrouvailles, je m’endors, déterminé à retrouver ma sœur.
Parce que je n’accepterai pas de la perdre.
Ava
Têtus comme le sont les McDougall, je sens qu’ils vont me donner du fil à
retordre !
J’aime Anila comme une sœur, vraiment ! Mais je n’accepterai pas que Finn
souffre à cause de son caractère de merde. J’ai ma petite idée sur le sujet. Je suis
debout, derrière les barrières de sécurité, dans la zone d’arrivée. Je repère vite les
filles. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’elles sont radieuses et heureuses, mais elles
paraissent assez décontractées. C’est déjà ça ! Lorsqu’Anila me voit, elle se fige.
– Ton frère n’est pas là, rassure-toi, lui lancé-je dans un sourire.
Elle s’approche et je la serre dans mes bras. Ça fait du bien de voir qu’elle va
bien, qu’elle est en forme.
– Je suis heureuse de te revoir…, soufflé-je, émue. Tu nous as manqué.
– Moi aussi, je suis contente d’être de retour.
– Où est ton sac ?
– Je n’ai pas grand-chose, c’est…
– C’est moi qui l’ai, me coupe Alice.
J’embrasse Tina et Alice et récupère le sac d’Anila. Elle me regarde de travers.
– Et où comptes-tu aller ?
Elle ne me répond pas.
– C’est ce qu’il me semblait. La seule chose que je te demande, c’est de ne pas
t’engueuler avec Finn devant les enfants. Je ne veux pas qu’ils soient au milieu
de vos querelles de mômes ! Allez, enchaîné-je avant qu’elle n’ait le temps de
répondre. On y va ! Les filles ?
– Je te remercie, me répond Alice, je vais prendre un taxi.
– Et moi… commence Tina.
Je vois la grande silhouette de Mass un peu plus loin.
– Tu as ton chauffeur personnel, j’ai compris, lui souris-je.
Elle rougit légèrement. Je lui fais un clin d’œil puis nous nous éloignons toutes
dans des directions différentes. Anila n’est pas très bavarde, et je peux
rapidement voir qu’elle est ailleurs, songeuse, contrariée, pensive.
– Que se passe-t-il ? lui demandé-je.
– Je… Rien, tout va bien.
Elle tente de me rassurer, mais ça ne marche pas. Je vais lui laisser un peu de
temps, et après, je passe à l’offensive. Lorsque nous arrivons à la maison, Aiden
saute sur sa tatie adorée. Elle lui rend son étreinte avec une force maternelle et
une profonde tendresse. Définitivement, son enlèvement l’a changée… Je le
vois. C’est totalement normal, certainement la peur de ne plus nous revoir. Elle a
réalisé ce qu’elle a vécu, je pense. Finn s’approche avec Cecilia.
– Bienvenue à la maison, sœurette.
Il l’embrasse sur le front, mais elle ne répond pas. Aiden la tire par le bras, la
sortant de cette situation pénible pour nous trois. Je dois comprendre, et essayer
de les réconcilier !
Cinq jours, puis sept, puis dix. Et la relation entre les McDougall junior ne
s’améliore pas. Cependant, je crois noter une sorte de douceur de la part d’Anila.
Comme si la virulence de la haine envers son frère s’amoindrissait. C’est un bon
début ! Finn, quant à lui, est impatient. Il la pousse, et j’ai beau essayer de lui
faire comprendre que cela n’aura que l’effet inverse, sa patience semble avoir
atteint ses limites…
Finn
Anila
Gonz
Elle hoche la tête, sans ajouter un mot. Je la sens sur la défensive, comme si
elle se retenait. Je dirais bien que c’est la drogue restante dans son organisme ou
les hormones, mais je ne sais pas. Elle semble prudente. Elle a certainement du
mal à refaire confiance à ceux qu’elle aime, à se lâcher. Et je ne veux pas la
perdre. Alors, je ne veux pas la brusquer. Je vais aller à son rythme, bien que là,
je n’aie qu’une envie : la ramener chez nous, et lui montrer combien je l’aime.
Lui faire couler un bain, lui préparer encore et encore des boissons chaudes,
autant qu’elle voudra, masser et dénouer chaque muscle douloureux, chaque
tension dans son corps. Pallier chaque envie qu’elle aura, trouver des fraises en
novembre, lui cuisiner des nachos au cheddar à deux heures du matin… Je veux
tout ça. Je veux le lui prouver.
En attendant, près de quatre heures après l’avoir rejointe au café, je la
raccompagne à sa voiture. Elle rentre chez son frère. J’ai l’impression que c’est
son refuge. Là où elle se sent en sécurité. Alors, je sais ce qu’il me reste à faire.
– Fais attention à toi sur la route, lui dis-je.
– Promis, me sourit-elle en retour.
Mes lèvres trouvent les siennes toujours aussi sucrées. Je l’embrasse tendrement,
délicatement, puis ma langue caresse sa lippe inférieure. Elle me donne accès à
sa bouche, elle me laisse l’embrasser et lui montrer l’amour que je lui porte. Ses
mains, jusque-là sur mes flancs, remontent jusqu’à mes épaules, puis les
cheveux. Elle les tire légèrement, mais cela suffit à me faire lâcher un
grognement. Notre baiser s’intensifie, et, n'étant qu’un homme, je m’écarte. Je
serais capable de la basculer sur mon épaule et lui faire l’amour au détour d’une
ruelle.
– Les hormones ? la taquiné-je.
Elle rougit avant de me répondre.
– Peut-être bien !
Mon Anila n’est pas loin. Celle que je connaissais, que je veux retrouver.
Je dépose un nouveau baiser, chaste, cette fois, et la laisse s’installer au volant
du SUV de Finn.
– Je t’écris en rentrant, me souffle-t-elle.
– Bien. J’attendrai ton message.
Elle démarre et s’éloigne dans la nuit de Boston. Je sais qu’un premier pas a été
franchi ce soir, mais qu’il nous reste encore du chemin à parcourir. Cependant,
lorsque je regarde derrière moi, je sais que ce pas est immense. Hier encore,
j’enchaînais les bières avec Finn.
– Je ne sais pas ce que je vais faire sans elle…
– Ne t’inquiète pas, je suis certain que ça va s’arranger, Gonz. Elle m’a
pardonné. Ça a mis du temps, mais elle comprend certaines choses. Ça viendra.
– Mais j’en peux plus, bordel ! ai-je râlé en tapant du plat de la main sur le
comptoir. Je peux plus rentrer chez moi, où le silence est d’or, où je me rappelle
avoir retrouvé son téléphone abandonné. J’ai mal, putain ! J’ai mal !
– Je sais. Je comprends. N’abandonne pas, pas maintenant…
Au ton que mon meilleur ami emploie, j’ai senti qu’il me cachait quelque chose.
– Je ne te dirai rien. Mais je pense qu’elle te rendra prochainement visite. Les
choses font leur chemin dans sa tête. Et ce n’est pas évident pour elle d’intégrer
le fait qu’elle ait merdé.
– T’es sûr de toi ? ai-je demandé avec un demi-sourire.
– Oui. Ava et moi, nous lui expliquons chaque jour qu’il devient urgent qu’elle
vienne te parler. Je sais qu’elle y pense.
– OK.
J’ai laissé le fond de ma bière, payé les tournées accumulées jusque-là, puis
foncé vers la sortie.
– Où vas-tu ? s’est enquis Finn.
– L’attendre !
Alors, je suis rentré chez moi, j’ai nettoyé le loft de fond en comble, effaçant les
vestiges de mes précédentes beuveries. Jamais ça n’a été aussi propre. Ce n’est
que le soir, lorsque j’ai reçu son message que j’ai respiré de nouveau. Depuis,
j’ai l’impression de revivre. Même si je sens bien que rien n’est acquis.
Dix jours que nous nous sommes revus, retrouvés. La distance qu’elle avait
envers moi s’envole petit à petit. Nous discutons énormément, comme si c’était
une étape obligatoire. Nous sommes loin de la relation passionnée que nous
avions. Mais je comprends. Elle est tellement préoccupée par l’avenir du bébé.
La semaine prochaine, nous avons une échographie, afin de vérifier que le cœur
bat bien, et qu’il grandit bien. Ses analyses montrent qu’elle n’a plus de trace de
drogue dans son organisme, c’est quelque chose qui l’a rassurée, et je
comprends.
Ce soir, elle vient manger chez moi, chez nous. Mais avant ça, je dois faire
quelque chose. Ava me rejoint à l’adresse que je lui ai envoyée par message.
– Eh ben… On peut dire que tu ne fais pas les choses à moitié, toi, se moque-t-
elle gentiment.
– Tu crois que ça lui plaira ?
– Je pense qu’elle sera rassurée, cela lui permettra, vous permettra de tourner la
page et démarrer un nouveau chapitre dans votre vie. C’est une super idée.
– Je veux lui redonner confiance…, avoué-je.
– Gonz, ce n’est pas en toi qu’elle n’a pas confiance… C’est en l’avenir. Tant
qu’elle n’aura pas ce bébé dans ses bras, elle ne s’autorisera pas à vivre
pleinement.
– Je sais. Rappelle-moi combien dure une grossesse, déjà ?
Ava rigole, mais elle comprend bien mon ironie. La patience, je vais devoir la
développer. Encore plus !
Anila
Ce soir, Alejandro m’a dit qu’il passait me chercher et qu’il me réservait une
surprise. Au téléphone, j’ai perçu dans le son de sa voix une certaine nervosité.
Au fil des jours, je me sens plus à l’aise avec lui, moins tendue. J’apprends à
gérer cette nouvelle situation. Ava m’avait dit, lorsqu’elle attendait Cecilia, que
les enfants prenaient une place primordiale dans la vie de maman. Je le savais
déjà, mais je ne pensais pas autant. Est-ce le contexte dans lequel je vis mon
début de grossesse qui fait ça ? J’imagine que cela pèse beaucoup dans la
balance, oui.
Dix minutes avant l’heure prévue, je suis prête, et je tourne en rond.
– Pourquoi es-tu autant stressée, me demande Ava. Tu as fait le plus dur, non ?
– Oui… Si, tu as raison. Je ne sais pas… C’est tellement… officiel !
Elle rigole doucement.
– Pourtant, vous étiez très officiels, avant, me dit-elle en mimant des guillemets
avec ses doigts.
– Je sais…
– Ani, il t’a pardonné, il a laissé ça derrière lui pour se consacrer à vous deux. Il
t’aime, n’en doute pas.
Pourtant, je me demande encore comment il a pu me pardonner pour le mal que
je lui ai fait…
– Arrête de penser, Ani, vis !
La sonnette retentit, et Aiden se précipite vers la porte d’entrée.
– Tonton Ale !
– Salut mon grand ! Ça va ?
– Oui, ça va ! Aujourd’hui, avec ma maman et tatie Nila, on a fait un gâteau au
chocolat ! Il était super bon !
– C’est génial ça, mon grand !
Ils nous rejoignent dans le salon, et waouh ! Il est magnifique. Classique, mais
pas trop… Il est parfait. Une chemise blanche, un jean noir, une paire de
chaussures habillées, juste ce qu’il faut. Je me lève et m’approche de lui. Ses
lèvres trouvent les miennes, et lorsqu’il s’éloigne, il me souffle ces mots qui me
touchent.
– Tu es magnifique.
– Salut, Gonz ! Au revoir, Gonz ! Aiden, au lit ! ordonne Ava à son fils.
Aiden grogne deux petites minutes, puis il va dans sa chambre.
– Tu es prête ?
– Oui, on peut y aller.
Il m’ouvre la porte d’entrée, puis la portière.
Il démarre et une mélodie douce et estivale sort des haut-parleurs. J’adore la
musique latine que Gonz écoute. Elle a le don d’ôter les tensions. Nous ne
roulons pas très longtemps. Cinq minutes, tout au plus. Je ne connais pas cet
endroit, mais Alejandro se gare devant une maison. Magnifique. Bardage en bois
pastel, les fenêtres blanches, un porche, une barrière en bois peinte en blanc
aussi, un rocking-chair… La maison dont j’ai toujours rêvé. Je suis toujours
perdue dans mes pensées lorsque Alejandro ouvre la portière, et me tend sa
main. Je glisse la mienne entre ses doigts.
– C’est… J’adore ! C’est magnifique, soufflé-je.
– Cinq chambres, trois salles de bains, un salon immense, une cuisine équipée, et
un grand jardin. L’endroit idéal pour un chien, quatre enfants, et une femme
parfaite, murmure-t-il en arrivant sur la terrasse couverte.
– Quatre enfants ? souris-je.
– On peut commencer par un.
Il se tourne vers moi, me tend une clé et m’embrasse tendrement.
– Ouvre la porte.
Je m’exécute. Et l’intérieur… Des bougies partout, une décoration des plus
chaleureuse, rustique. Parfaite. C’est la maison idéale. J’avance, caresse les
boiseries du bout des doigts. On est aux antipodes de la déco du loft ! Je me
retourne vers Alejandro, resté derrière moi, sur le pas de la porte. Un sourire sur
mes lèvres.
– Où est-on ? demandé-je.
Son visage s’éclaire. Il rentre dans le salon, ferme la porte derrière lui et me
rejoint.
– Ici, chérie, c’est chez nous. C’est notre maison. Notre foyer. Là où va naître
notre enfant, continue-t-il en posant sa main sur mon ventre, là où ses petits
frères et sœurs s’amuseront avec lui dehors. Là où nous grandirons, nous
ensemble.
Je craque. Des sanglots me secouent, mes larmes roulent librement. Je me jette à
son cou, et trouve sa bouche. Ce baiser est libératoire, profond, le premier de
notre nouvelle vie. Après plusieurs minutes de silence et d’embrassades, je
m’éloigne et il me guide vers le canapé.
– C’est notre nouvelle vie, murmuré-je. Notre nouveau départ. Je… J’essaie
d’oublier ce que j’ai fait, mais je n’y arrive pas. Enfin, pas vraiment. C’est dur
de se pardonner ses erreurs. Plus difficile que pardonner les erreurs des autres.
– Ça viendra. C’est normal…
– Oui, déclaré-je, déterminée.
– Allez, viens, on va manger.
Il m’aide à me relever et me guide vers la cuisine. Je ne l’avais pas encore vue,
mais… Parfaite. Comme le reste de la maison. Un évier ancien, en céramique,
des armoires en bois, un piano de cuisson qui fait au moins un mètre dix de
largeur, avec trois fours et six feux de cuisson. Le rêve !
– Installe-toi, me propose-t-il en désignant l’îlot central XXL.
Il sort des sacs du frigo.
– Aubergines alla parmigiana, et osso bucco. J’ai tout préparé au loft, nous
n’avons qu’à faire réchauffer ici.
Il ôte sa veste, et je l’observe, de dos, en train de s’affairer. Sa chemise se tend à
chacun de ses mouvements. J’adore le voir cuisiner. Un homme aux fourneaux,
je trouve ça très, très sexy. Quelques minutes plus tard, il nous sert une salade de
tomates et mozzarella. C’est délicieux ! Le reste du repas l’est tout autant. La
conversation est légère. J’apprécie vraiment ce moment. Après qu’il a débarrassé
la table, Alejandro tourne mon tabouret haut face à lui et s’installe entre mes
jambes.
– Ici, c’est chez nous. C’est notre maison, notre foyer… Viens vivre avec moi…
S’il te plaît, Ani.
Je crois que je n’attendais que ça.
– Oui. Avec plaisir, lui souris-je.
Un baiser dévastateur, un corps à corps tendre et nos peaux l’une contre l’autre
viennent sceller nos retrouvailles. Un nouveau départ, une nouvelle vie. Et j’ai
comme l’impression qu’il y aura du bonheur à revendre dans ce nouveau
chapitre !
Épilogue
Gonz
« Tout va bien ». Trois mots que nous avions attendus avec impatience. Trois
mots qui ont été déterminants dans notre avenir. On nous les a répétés tout au
long de la grossesse d’Anila. Et évidemment, lorsqu’on nous a dit ça, elle s’est
libérée. Des larmes ont roulé sur ses joues durant des heures. De bonheur, de
soulagement, de joie. Elle m’a littéralement broyé la main lors de l’examen,
mais cela en valait la peine ! Le regard qu’elle m’a lancé, tellement rempli
d’espoir, a remplacé celui qui avait peur, qu’elle arborait quelques instants
auparavant. Elle est tout de même restée prudente durant les semaines qui ont
suivi. Malgré tout, j’ai retrouvé celle que je connaissais, que j’aimais. Ma
fougueuse. Elle a recommencé à vivre. À vivre comme avant. Elle a rouvert son
café, mais n’y passe plus autant de temps. Elle a embauché deux étudiantes pour
les fermetures et les week-ends, Ava travaille là-bas à mi-temps. À elles quatre,
elles s’en sortent largement ! Sortir de la maison lui a fait le plus grand bien.
Depuis nos retrouvailles, elle ne m’a plus quitté. Je continue de bosser à
l’agence, mais je fais essentiellement des petites missions de protection, et de la
paperasse. Ce n’est pas ce que je préfère, mais Anila est tranquillisée. Et nous
avions besoin d’être ensemble. De nous retrouver, de passer du temps tous les
deux, avec son ventre qui s’arrondit. J’adore ces moments. Je sais que non
seulement ils sont éphémères, mais également uniques. Les premiers battements
de cœur, les premiers mouvements, les premiers coups, les premières empreintes
de pieds qu’on peut voir à travers la peau… Que du bonheur.
Et puis, Boss nous a rejoints il y a quelques semaines. Elle rêvait d’un chien,
d’un gros chien. Nous avons donc adopté un Leonberg de presque soixante-
quinze kilos. Boss était dans un refuge depuis quelques mois, son ancien maître
étant décédé subitement. Son regard doux a fait craquer Anila. Ce qui a fait
pencher la balance ? Boss a posé son museau sur le ventre rond d’Anila, l’a
reniflé, puis léché. Il s’est assis, a posé sa patte dans la main de l’amour de ma
vie. J’avoue. Moi aussi, j’ai craqué ! Le soir même, il rejoignait la maison. Moi
qui comptais sur lui pour monter la garde, j’ai vite compris qu’il était plus doux
qu’un agneau. C’est un monstre de douceur et de gentillesse !
Anila va bien. Son ventre est plus gros que tout ce qu’on aurait pu imaginer.
Neuf kilos de bonheur. Il ne reste que quelques jours avant l’arrivée de notre
bébé. Fille ou garçon, nous ne savons pas. Nous ne voulions rien savoir d’autre
que son état de santé. Ani et le bébé vont bien, c’est tout ce qui m’importe. La
maison est désormais prête à l’accueillir, et nous l’attendons avec une impatience
démesurée. Et pas que nous, d’ailleurs. Tout le monde s’est réjoui pour nous.
Alors que je me rends dans le salon, je marche dans une flaque. Putain, Boss !
Jusque-là, il n’a pas eu d’accident, mais faut croire que ça arrive quand même
parfois. Et en plus, il en a foutu partout ! Je peux le suivre à la trace. Alors que je
râle et suis les gouttes qui partent de la flaque. Je vais jusqu’à la salle de bains du
rez-de-chaussée. J’ouvre la porte et trouve Ani, sous la douche. Tranquille. Sauf
que l’eau s’arrête ici. C’est alors que je percute.
– Putain amor, tu as perdu les eaux !
– Oui, je sais. Je finis de prendre ma douche et on pourra y aller.
Quoi ? « On pourra y aller » ? Elle a cru qu’on allait au resto ? Ou manger avec
Finn et Ava ?
– OK, euh… D’accord ! Et où sont les affaires ? demandé-je.
Son rire emplit la pièce.
– Calme-toi, chéri. Le sac est dans la chambre du bébé. Et mes affaires sont dans
la valise à côté du lit.
Je me précipite à l’étage, cours dans les chambres et récupère ce dont elle m’a
parlé. Il manque quoi d’autre ? Putain, je suis sûr qu’il manque un truc ! Je
charge les affaires dans la voiture, démarre, et recule dans l’allée. Quelques
instants plus tard, mon téléphone sonne. C’est Ani.
– Chéri, tu es où ?
– Je… Je suis sur la route…
– Donc tu vas à la maternité sans moi… Curieux, non ? rigole-t-elle.
Putain, j’ai oublié ma femme enceinte ! Quel con ! Je fais demi-tour, les pneus
fument… Lorsque j’arrive devant la maison, Anila est là, le sourire aux lèvres.
– Je suis désolé, amor, j’ai… Pardon.
– C’est pas grave, aide-moi juste à m’installer.
Je m’exécute et, enfin, nous allons à la maternité.
***
– Aaarrrhhhhhhhhhhh
– C’est bien, mi vida, t’es la meilleure !
– La ferme, Alejandro ! Ça fait quinze heures que notre bébé essaie de trouver la
sortie et qu’il ne la trouve pas !
– Je sais, mais ça va aller.
La sage-femme qui se trouve dans la chambre avec nous rassure Anila.
– Vous y êtes bientôt. Plus qu’une ou deux poussées et cette petite canaille sera
là. Allez, bloquez… Maintenant !
C’est ainsi que quelques secondes plus tard, la plus douce, agressive, aiguë,
mignonne des mélodies emplit la salle.
– C’est un petit garçon, nous annonce Ellen, la sage-femme. Félicitations !
Notre fils se blottit contre le sein de sa mère, et c’est la chose la plus forte à
laquelle j’ai pu assister jusque-là. Tellement primaire, tellement animal. Shane
Juan Callum Gonzalez. En l’honneur de mon père décédé, ainsi que du père
d’Ani. Elle n’a pas voulu intégrer le prénom de son père biologique. C’est son
choix. Je l’ai respecté. Alors que Shane prend sa première tétée, Ani me regarde.
Profondément. Jusqu’au bout de mon cœur, de mon âme. Je comprends
rapidement que c’est le moment.
– Épouse-moi, soufflé-je alors que je m’installe à ses côtés. Je sais que ce n’est
pas la plus romantique des demandes, mais amor, épouse-moi…
– C’est la plus parfaite des demandes, me sourit-elle. Oui…
– Oui ?
– Oui !
Shane émet un petit gémissement, comme s’il était lui aussi d’accord. Mon cœur
explose. De bonheur, de tendresse, de béatitude, de… de tout ! Jamais je ne me
suis senti aussi complet…
***
Les semaines ont passé, et ma vie est plus parfaite que je n’aurais pu
l’imaginer ! Nous découvrons les joies de la parentalité, et la gestion des
sentiments profondément forts qui nous submergent. Ava a beaucoup aidé Anila
au début. Elle voulait trop bien faire, elle se mettait une pression telle qu’elle
était malheureuse. Nous avons trouvé l’équilibre qui nous convient.
J’ai embauché trois nouveaux agents et, désormais, je reste uniquement dans les
bureaux. J’aide Ted dans la partie recherche et localisation. Nous sommes les
deux têtes pensantes des enquêtes. Mass et Tina continuent leur duo sur le
terrain, mais aussi à la maison. Ils ont enfin réussi à discuter, à se dompter, à
s’apprivoiser. Et bien que Mass se plaigne des nanas et de leur esprit complexe
et sinueux, il ne quitte pas sa Tina d’une semelle. Ils sont fusionnels, et semblent
avoir trouvé leur propre équilibre. Au début, Tina n’osait pas vraiment se
dévoiler ni se laisser aller. Comme si elle se retenait, qu’elle ne s’autorisait pas
ce bonheur. Son passé la freinait. Et lorsqu’elle a enfin osé en parler à Mass, il a
su trouver les mots, faire ce qu’il fallait pour lever les appréhensions de Tina.
Depuis, c’est le bonheur total entre eux.
Mike est retourné en prison, mais dix jours plus tard, il a été autorisé à sortir. Sa
peine a été allégée, car il a participé à la résolution d’une affaire internationale et
délicate. Ted et James ont appuyé la demande de sortie. Depuis… Il est inconnu
au bataillon. Il a changé d’identité et vit je ne sais trop où. Il est dans le
programme de protection des témoins. Le réseau d’Azarov a bien été démantelé,
mais il a gardé de nombreux fidèles qui s’échineront à remettre sur pied un
réseau. Je lui suis redevable d’avoir sauvé la femme de ma vie. La mère de mon
fils. Je n’ai pas eu l’occasion de le revoir après notre retour. Si un jour… Peut-
être. Je lui dirai merci.
Parce que même si la vie s’échine à être dure, à nous infliger des épreuves que
l’on imagine insurmontables, il faut se battre jusqu’au bout. Pour avoir
l’existence que l’on veut. Celle dont on a rêvé. Parce que le bonheur est juste au
bout…
FIN
Remerciements
Une nouvelle histoire qui se termine. Celle d’un homme et d’une femme,
passionnément amoureux, mais que la vie va éprouver. Mais le lien entre eux est
plus fort que tout !
Cette histoire n’a pas été évidente à écrire pour moi, pas forcément intuitive. Des
hauts, des bas, mais un point final, et j’espère que vous serez transportés autant
que j’ai pu l’être en lisant les aventures de Gonz et Anila.
Et voilà venu le moment d’écrire les remerciements. Ce moment stressant où on
a peur d’oublier quelqu’un, quelque chose, où on ne sait pas quoi dire, en
général.
Alors, d’abord :
Merci à mes super-bêtas, Crispin, Émilie, Lixia, Delphine, Stéphanie, pour vos
retours, votre patience, votre disponibilité. Merci pour tout !
Merci à Aneso, pour tes conseils, nos petits brainstormings genre « Ouais, alors
voilà, j’avais pensé à ça, mais tu vois, si je veux aussi qu’il fasse ça, ça va être
compliqué. » « Ouais, pas faux. Attends, faut faire comme ça ! ». « Putain ! Bien
vu ! Merci ! ». Voilà. N’empêche, c’est marrant, c’est sympa. PS : House et le
docteur Grey n’ont pas pu m’aider sur ce coup, lol !
Merci à Marie Sorel, auteure, qui a pris le temps de me répondre, de trouver les
réponses à mes questions toujours plus tordues les unes que les autres. Merci,
parce que vraiment, entre auteurs… Ce n’est pas toujours cette relation
d’entraide qu’on a !
Merci à Aude, amie de Marie, qui m’a permis d’avoir un cours de médecine en
accéléré ! Merci d’avoir permis à Anila de presque mourir, et presque
ressusciter ! MDR.
Merci à Sophie, ma super correctrice, hypra disponible, à l’œil affûté. Merci
d’avoir été là, malgré le crabe qui s’est incrusté dans ta famille. Force et
courage.
Merci à Laly, ma graph de dingue ! Encore une fois, une couverture parfaite faite
en… trois minutes ? Ouais, je crois ! À la prochaine couv !
Merci à mon mari, qui m’a toujours soutenue et poussée à faire cette passion, à
ma pépette d’amour, pour qui je veux faire ça. Pour qu’elle soit fière de moi. À
mon imprévu, qui pointera bientôt le bout de son nez. À cette nouvelle vie qui se
profile pour nous.
Et enfin, merci à vous tous, lecteurs, lectrices, vous qui me glissez un petit mot
sur les réseaux sociaux ou en privé. Vous qui me poussez, m’encouragez quand
les bras baissent un peu.
Notes
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Agents du MI-5, se sont rencontrés dans le T1, Always And Forever
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