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Chronique bibliographique
Vers la primauté de l’approche pragmatique et fonctionnelle, de
Suzanne Comtois .................................................................................. 185
Patrice Garant
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Livres reçus ................................................................................................. 215
Le cinquantenaire de la revue
direction de la revue. Par leur soutien, ils ont grandement contribué à son
succès. Notre gratitude va d’abord à la Faculté de droit et aux organismes
subventionnaires qui ont appuyé financièrement la revue et ont ainsi con-
tribué à assurer sa viabilité. Il serait impossible d’établir la liste de toutes
les personnes qui, à quelque étape que ce soit, ont apporté une contribution
à l’édition. Des remerciements mérités doivent être adressés aux nombreux
étudiants et étudiantes qui se sont succédé pour vérifier l’exactitude de
l’appareil de notes qui accompagne inévitablement les textes publiés.
Nous désirons souligner le travail de collaborateurs et de collaboratri-
ces qui, pour la plupart, depuis de nombreuses années, assurent, avec rigu-
eur et diligence, l’une ou l’autre des étapes de la publication de la revue :
Mme Hélène Dumais, qui voit à la révision linguistique des textes français,
M. Wallace Schwab, qui traduit les résumés anglais et se charge de la révi-
sion linguistique des textes anglais, les employés de la maison de composi-
tion Marika et ceux de l’imprimerie AGMV/Marquis. Enfin, nous adressons
des remerciements particuliers à Mme Francine Thibault, qui est chargée du
secrétariat et qui coordonne, de concert avec la direction, les différentes
étapes de production de la revue. Sa compétence et son professionnalisme
contribuent pour beaucoup au maintien de la qualité de la revue.
Le directeur de la revue,
Sylvio Normand
6 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 3
Eugénie Brouillet**
* L’auteure tient à remercier le professeur Henri Brun pour ses commentaires et sugges-
tions ainsi que Me Nicolas Courcy pour son aide dans la recherche afférente à la rédac-
tion du présent article. Ce dernier est à jour au mois de juin 2003 et a été réalisé grâce à
l’aide financière de la Fondation pour la recherche juridique de l’Association du Barreau
canadien.
** Professeure, Faculté de droit, Université Laval.
Pages
1. Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, 251(ci-après cité : « Renvoi
sur la sécession »).
2. Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., R.-U., c. 3, art 91.
3. John A. Macdonald lui-même, après avoir marqué sa préférence pour un État unitaire, a
dû réaffirmer la nature fédérative du régime proposé et ainsi défendre le caractère sou-
verain des provinces au cours de la Conférence de Québec d’octobre 1864 : « New
Zealand constitution was a Legislative Union, ours Federal […] In order to guard these
[les entités locales], they [le constituant de la Nouvelle-Zélande] gave the powers stated
to the Local Legislatures, but the General Government had the power to sweep these
away. That is just what we do not want. Lower Canada and the Lower Provinces would
not have such a thing » ; G.P. Browne, Documents on the Confederation of British
North America, Toronto, McClelland & Stewart, 1969, p. 124. Le statut des entités loca-
les de la Nouvelle-Zélande s’apparentait donc à celui des municipalités : leur existence
n’était d’aucune façon garantie constitutionnellement et découlait de dispositions légis-
latives qui pouvaient être modifiées au gré des désirs du Parlement.
4. Loi constitutionnelle de 1867, précitée, note 2, préambule.
10 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 7
régime, celle-ci pourvoit bel et bien à la mise en place d’une fédération dans
toutes ses acceptions juridiques, c’est-à-dire, pour l’essentiel, qu’elle opère
un partage de la fonction législative entre deux ordres de gouvernement
autonome dans leurs sphères de compétence respectives.
Pourtant, le nouvel engouement de la plus haute cour canadienne pour
le fédéralisme et, en général, pour les principes constitutionnels non écrits
ne trouve pas nécessairement écho dans sa jurisprudence fédérative, c’est-
à-dire celle qui est relative au partage des compétences législatives entre
les deux ordres de gouvernement, alors qu’il s’agit précisément là du cœur
du principe fédératif. L’« étoile » que constitue le fédéralisme n’a en effet
expressément guidé la Cour suprême, dans ses raisonnements juridiques,
que de façon relativement exceptionnelle et, surtout, d’une manière qui
laisse transparaître ce que nous pourrions appeler une absence de théorie
fédérative. Nous verrons que le fédéralisme, en tant que principe constitu-
tionnel sous-jacent, n’a pour l’essentiel été invoqué qu’en vue de permettre
à la Cour suprême de combler les « vides » du texte constitutionnel et non
à titre de guide dans l’interprétation de ses dispositions, particulièrement
celles qui concernent le partage des compétences législatives entre les deux
ordres de gouvernement5. Notre étude porte donc sur le rôle joué par le
fédéralisme dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada depuis
qu’elle est devenue le dernier tribunal d’appel en 19496. Dans quels
5. Depuis l’abolition des appels au Comité judiciaire du Conseil privé, la Cour suprême du
Canada a nommément invoqué le fédéralisme dans une trentaine de décisions. Nous
excluons bien sûr de ce total les décisions dans lesquelles ce principe (ou un de ces syno-
nymes, soit « principe fédératif », « principe fédéral » ou leurs équivalents anglais) se
retrouvait dans la doctrine citée ainsi que celles où la Cour y fait référence simplement
pour affirmer qu’il n’est pas pertinent pour régler le litige : Tremblay c. Daigle, [1989] 2
R.C.S. 530 ; C.-B. (Milk Board) c. Grisnich, [1995] 2 R.C.S. 895.
6. Nous ne traiterons pas, dans le présent article, de l’approche fonctionnelle qui caracté-
rise de plus en plus la jurisprudence de la Cour suprême relative au partage des compé-
tences législatives et qui entraîne une centralisation progressive des pouvoirs entre les
mains du palier de gouvernement fédéral. Nous avons déjà étudié cette question dans
une étude antérieure : E. Brouillet, L’identité culturelle québécoise et le fédéralisme
canadien, thèse de doctorat, Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval,
2003, p. 383-479. D’autres auteurs s’y sont également attardés. Voir notamment : H.
Brun, « L’évolution récente de quelques principes généraux régissant le partage des
compétences entre le fédéral et les provinces », dans Congrès annuel du Barreau du
Québec (1992), Québec, 11-13 juin 1992, Service de la formation permanente du Barreau
du Québec, 1992, p. 23 ; G. Otis, « La justice constitutionnelle au Canada à l’approche
de l’an 2000 : uniformisation ou construction plurielle du droit ? », (1995-96) 27 Ottawa
L.R. 261 ; J. Frémont, « La face cachée de l’évolution contemporaine du fédéralisme
canadien », dans G.-A. Beaudoin et J.E. Magnet (dir.), Le fédéralisme de demain :
E. Brouillet La dilution du principe fédératif… 11
11. Renvoi sur la sécession, précité, note 1, 250 et suiv. Dans le Renvoi sur les droits linguis-
tiques, précité, note 8, 751-752, qui constitue un prélude à l’établissement des principes
constitutionnels sous-jacents (la Cour suprême parle alors (p. 752) « [des] postulats non
écrits qui constituent le fondement même de la Constitution du Canada »), la Cour
suprême affirme, en se référant au Renvoi sur le rapatriement, précité, note 10, que le
principe fédératif est inhérent à la Constitution. Elle fera de même dans le Renvoi sur les
juges de la cour provinciale, précité, note 8, 69 : « Quels sont les principes structurels de
la Loi constitutionnelle de 1867 exprimés dans le préambule ? Celui-ci fait état du désir
des provinces fondatrices de « s’unir en fédération pour former un seul et même domi-
nion », il concerne donc la répartition des pouvoirs ».
12. Renvoi sur la sécession, précité, note 1, 251.
14 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 7
13. D. Greishner, « The Supreme Court, Federalism and Metaphors of Moderation », (2000)
79 Can. Bar Rev. 47, 58 : « for the most part, when the Court now addresses federalism
questions, it toils in relative obscurity […] In sum, consideration of federalism questions
has diminished as a daily and definitional part of the Supreme Courts’s obligations and
its self-identity. »
14. Renvoi sur le rapatriement, précité, note 10.
15. Renvoi sur la sécession, précité, note 1.
E. Brouillet La dilution du principe fédératif… 15
La Cour suprême n’a pu répondre d’une seule et même voix aux ques-
tions posées. Les aspects conventionnel et légal de l’affaire ont en effet
tous deux fait l’objet de motifs majoritaires et dissidents. Il ressort de ces
divers avis des conceptions assez différentes de ce qu’implique le fédéra-
lisme en droit constitutionnel canadien pour les magistrats.
Quant à l’aspect légal de la question, à savoir si le gouvernement fédé-
ral peut, en droit strict, réaliser son projet de rapatriement et de modifica-
tion de la Constitution canadienne sans l’assentiment des provinces, la
majorité de la Cour suprême répond par l’affirmative. Pour l’essentiel, elle
en vient à cette conclusion en invoquant deux arguments : 1) il n’existe lé-
galement aucune restriction au pouvoir du Parlement fédéral et des cham-
bres législatives en général d’adopter des résolutions ; et 2) une convention
constitutionnelle ne peut se cristalliser en règle de droit.
D’abord, il est intéressant de noter que la Cour suprême décrit de la
façon suivante la tâche que les gouvernements provinciaux lui demandent
d’accomplir : « La question de droit à proprement parler est de savoir si
cette Cour peut adopter, en quelque sorte en légiférant, une formule impo-
sant l’unanimité pour déclencher le processus de modification qui lierait
non seulement le Canada mais aussi le Parlement du Royaume-Uni qui
détiendrait toujours le pouvoir de modification16. » Dès le départ, la majo-
rité des juges de la Cour semble relativement mal à l’aise avec le genre
d’exercice qui lui est soumis, laissant entendre qu’elle ne désire pas usurper
une fonction qui reviendrait aux organes législatifs du gouvernement. En
effet, rien dans le texte constitutionnel de 1867 n’était prévu quant à la
façon dont celui-ci pouvait être modifié, et ce, bien sûr, en raison du statut
colonial des entités fédérées et du Dominion né de leur union à l’époque de
la naissance de la fédération canadienne17. La Cour suprême faisait donc
face dans ce renvoi à un silence complet du texte constitutionnel. Elle
souligne d’ailleurs que « le processus en question ici ne vise pas la modifi-
cation d’une constitution complète, mais plutôt l’achèvement d’une consti-
tution incomplète18 ».
16. Renvoi sur le rapatriement, précité, note 10, 788 ; l’italique est de nous.
17. Id., 787 : la Cour suprême mentionne qu’« en fait, on demande à cette Cour de consacrer
juridiquement le principe du consentement unanime aux modifications constitutionnel-
les pour remédier à l’anomalie, encore plus prononcée aujourd’hui qu’en 1867, due au
fait que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ne contient aucune disposition qui
permette à une action canadienne seule d’effectuer des modifications ».
18. Id., 799.
16 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 7
19. Dès les années 1860 s’est en effet élaborée une politique impériale voulant qu’il ait existé
un certain consentement des colonies britanniques aux changements constitutionnels
envisagés par la métropole. Au cours du processus préfédératif, il était entendu par les
représentants impériaux que le Parlement de Westminster devait jouer un rôle subsi-
diaire et accueillir favorablement « any well-considered plan which has the consent of all
Parties concerned » : G.P. Browne, op. cit., note 3, p. xx. L’article 4 du Statut de West-
minster de 1931, L.R.C. 1985, app. II, no 27, est venu plus tard confirmer cette conven-
tion.
20. Notamment, le procureur général du Québec a soutenu que le consentement des provin-
ces était requis puisque c’est à la demande explicite de ces dernières, et pour leur protec-
tion, qu’a été adopté l’article 4 du Statut de Westminster de 1931 qui énonce qu’aucune
loi britannique postérieure à cette date ne peut s’appliquer à un Dominion « à moins qu’il
ne soit expressément déclaré que ce Dominion a demandé cette loi et a consenti à ce
qu’elle soit édictée ». Voir à ce sujet H. Brun et G. Tremblay, Droit constitutionnel, 4e
éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 218 et 219.
21. Renvoi sur le rapatriement, précité, note 10, 801. La Cour suprême emploie également
l’expression « suprématie des législatures provinciales sur les pouvoirs que leur confère
l’A.A.N.B. ».
E. Brouillet La dilution du principe fédératif… 17
Ce qui frappe d’abord ici est le fait que les juges dissidents, contraire-
ment à ceux de la majorité, attribuent un contenu normatif au principe fé-
dératif et esquissent, par conséquent, les contours d’une théorie fédérative.
Les « implications claires » du fédéralisme semblent donc être les sui-
vantes : un partage des pouvoirs législatifs, l’autonomie de chacun des deux
sur la sécession : elle sera alors prête à combler un large vide dans le texte
constitutionnel, notamment à la lumière du principe sous-jacent du
fédéralisme.
Alors que la majorité des juges de la Cour suprême a refusé de recou-
rir au principe du fédéralisme aux fins de l’examen de la légalité du projet
fédéral, elle l’a nommément invoqué à titre de principe justifiant l’existence
d’une convention constitutionnelle requérant un degré appréciable de con-
sentement provincial34. Selon la Cour, la raison d’être35 d’une telle conven-
tion est le principe fédéral. Or, elle affirme que « le principe fédéral est
irréconciliable avec un état des affaires où l’action unilatérale des autorités
fédérales peut entraîner la modification des pouvoirs législatifs provin-
ciaux » et qu’admettre le contraire reviendrait à leur permettre d’obtenir
par simple résolution ce qu’elles ne pourraient validement accomplir par
une loi36. La Cour suprême semble donc admettre certaines implications
nécessaires au principe fédératif, dont l’autonomie des provinces dans leurs
champs de compétence et la suprématie des règles relatives au partage des
compétences législatives. Par ailleurs, tout en admettant ces corollaires
essentiels, elle en confine les effets à la dimension conventionnelle du droit
constitutionnel. Pour la Cour suprême, l’acte unilatéral du Parlement fédé-
ral est constitutionnel au sens légal, en vertu de la Constitution du Canada,
mais inconstitutionnel au sens conventionnel, en raison du fédéralisme. La
Cour suprême a donc accepté de palier le silence du texte constitutionnel
quant aux règles devant présider à sa modification à l’aide du principe fé-
dératif, en limitant toutefois les obligations constitutionnelles qui en décou-
lent au domaine des conventions constitutionnelles. Faisons un peu de
34. Notons sur cette question la dissidence du juge en chef Laskin et des juges Estey et
McIntyre. Ceux-ci, après avoir décidé de se limiter à l’examen de l’existence d’une con-
vention constitutionnelle requérant le consentement unanime des provinces, affirment
que reconnaître une telle convention serait méconnaître la nature particulière du fédéra-
lisme canadien. Pour eux, cette nature particulière, qui découle de divers éléments insti-
tutionnels centralisateurs de la Constitution de 1867, prive de sa force l’argument du
fédéralisme. Nous sommes d’avis que ces juges confondent ici la question de la distinc-
tion entre un État unitaire et une fédération et celle du caractère plus ou moins centralisé
d’une fédération. Un État est fédératif ou il ne l’est pas ! Et s’il faut conclure qu’il y a
fédération, qu’elle soit plutôt centralisée ou décentralisée, il faut nécessairement en faire
découler certains corollaires juridiques essentiels.
35. S’appuyant sur la doctrine du professeur Jennings, la Cour suprême formule trois condi-
tions à l’existence d’une convention constitutionnelle, à savoir qu’il doit exister un ou
des précédents, que les acteurs doivent s’être sentis liés par une règle et que cette der-
nière doit avoir une raison d’être : id., 888. Voir également le Renvoi : opposition à une
résolution pour modifier la Constitution, [1982] 2 R.C.S. 793, 802.
36. Id., 905, 906-908.
E. Brouillet La dilution du principe fédératif… 23
37. Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982, R.-U.,
c. 11).
38. Pour une critique intéressante de la position défendue par le procureur général du Canada
dans le Renvoi sur la sécession, voir : J. Leclair, « Impoverishment of the Law by the
Law : A Critique of the Attorney General’s Vision of the Rule of Law and the Federal
Principle », (1998) 10 Forum constitutionnel 1.
24 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 7
39. S. Choudhry et R. Howse, loc. cit., note 7, 165. La Cour suprême affirme d’ailleurs que
« dans notre tradition constitutionnelle légalité et légitimité sont liés » : Renvoi sur la
sécession, précité, note 1, 240.
40. Le professeur P. Monahan, loc. cit., note 7, est de cet avis.
41. Renvoi sur la sécession, précité, note 1, 256 ; l’italique est de nous.
42. J. Leclair, loc. cit., note 38, 4.
E. Brouillet La dilution du principe fédératif… 25
principe fédératif, ce qu’elle avait refusé de faire une quinzaine d’années plus tôt dans le
Renvoi : opposition à une résolution pour modifier la Constitution, [1982] 2 R.C.S. 793 :
J. Leclair, « The Secession Reference : A Ruling in Search of a Nation », (2000) 34 R.J.T.
885, 887-888.
46. Voir notamment sur cette question : S. Laselva, The Moral Foundations of Canadian
Federalism, Montréal-Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1996 ; W.L. Morton,
The Canadian Identity, 2e éd., Toronto, University of Toronto Press, 1972 ; D.V. Smiley,
The Canadian Political Nationality, Toronto, Publications Methuen, 1967.
47. K.C. Wheare, Federal Government, 3e éd., Londres, Oxford University Press, 1947,
p. 40-43.
48. Renvoi sur la sécession, précité, note 1, 251.
49. Id., 250 : la Cour affirme en effet que « dans un système fédéral de gouvernement comme
le nôtre, le pouvoir politique est partagé entre deux ordres de gouvernement : le gouver-
nement fédéral, d’une part, et les provinces, de l’autre. La Loi constitutionnelle de 1867
a attribué à chacun d’eux sa propre sphère de compétence […] Il appartient aux tribu-
naux de « contrôle[r] les bornes de la souveraineté propre des deux gouvernements ». »
E. Brouillet La dilution du principe fédératif… 27
55. Il en va cependant autrement en pratique puisque, dans les régimes fédératifs, l’autono-
mie du palier de gouvernement fédéral, dans l’exercice de ses compétences législatives,
n’est généralement pas menacée.
56. Renvoi relatif aux juges de la cour provinciale, précité, note 8, 70-71.
30 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 7
60. R. c. Crown Zellerbach Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401 ; Renvoi relatif au régime d’assistance
publique du Canada, [1991] 2 R.C.S. 525.
61. H. Brun et G. Tremblay, op. cit., note 20, p. 431.
62. Loi sur les compressions des dépenses publiques, L.C. 1991, c. 9.
63. Renvoi relatif au régime d’assistance publique du Canada, précité, note 60, 566-567.
32 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 7
65. Pour une étude de la jurisprudence du Comité judiciaire du Conseil privé relative au
partage des compétences législatives, voir E. Brouillet, op. cit., note 6.
66. Nous ne traiterons pas ici des décisions dans lesquelles la Cour suprême a nommément
invoqué le fédéralisme soit en guise d’introduction à l’exposé de la théorie de la validité
constitutionnelle, soit à titre de référence très générale. Nous les citons tout de même ici
à des fins statistiques. Voir en guise d’introduction à l’examen de la validité constitu-
tionnelle : Global Securities c. C.-B., [2000] 1 R.C.S. 494, 505 ; R. c. Sparrow, [1990] 1
R.C.S. 1075, 1097-1098 ; Starr c. Houlden, [1990] 1 R.C.S. 1366, 1389 ; R. c. Swain, [1991]
1 R.C.S. 933, 998 ; R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, 481 ; Saumur c. City of Quebec,
[1953] 2 R.C.S. 299, 333. Voir à titre de référence très générale : Lavoie c. Canada, [2002]
1 R.C.S. 769, 802 ; B.C. Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, 55 ; New
Brunswick Broadcasting Co. c. N.-É., précité, note 8, 375 (le principe du gouvernement
responsable s’étend aux parlements provinciaux de la même manière qu’au Parlement
fédéral) ; Air Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161, 1183 ; Ministre des
finances du N.-B. c. Simpson-Sears, [1982] 1 R.C.S. 14, 161.
34 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 7
67. Dans les États unitaires, l’autonomie relativement importante dont bénéficient parfois
les entités décentralisées dépend de la décision du législateur central, alors que c’est l’in-
verse dans le cas d’une confédération d’États. La généralisation du phénomène de dé-
centralisation du pouvoir étatique, du moins au sein des États industriels, a amené
certains observateurs à relativiser, voire critiquer la distinction entre l’État fédératif et
l’État unitaire. Selon eux, il serait superflu et même inutile d’élaborer une définition
générale de l’État fédératif, celui-ci n’étant qu’une notion empirique dépourvue de signi-
fication normative. Voir M. Bothe, « Rapport final », dans Association internatio-
nale de droit constitutionnel (AIDC), Fédéralisme et décentralisation, t. 2,
Fribourg (Suisse), Éditions universitaires, 1987, p. 420 ; P. Saladin, « Le pouvoir exté-
rieur des unités décentralisées », dans Association internationale de droit cons-
titutionnel (AIDC), id., p. 259. Nous sommes en désaccord avec ce point de vue.
Certes, il existe de multiples formes de fédérations, de concrétisations du principe fédé-
ratif. Cependant, ce constat n’a pas pour effet d’annihiler la pertinence de l’élaboration
d’une certaine définition de l’État fédératif. Tout effort de conceptualisation est porteur
d’une dimension normative. Admettre le contraire équivaut à postuler l’inutilité même
de construire des concepts afin de mieux s’expliquer la réalité qui nous entoure et de
pouvoir se comprendre les uns les autres.
68. Cette expression est du Comité judiciaire du Conseil privé dans l’arrêt A.-G. for Canada
v. A.-G. for Ontario, précité, note 9, 354, où Lord Atkin s’exprimait en ces termes :
« while the ship of state now sails on larger ventures and into foreign waters she still
retains the watertight compartments which are an essential part of her original struc-
ture ».
E. Brouillet La dilution du principe fédératif… 35
69. Le juge Dickson s’est fait le constant promoteur de cette conception du partage des com-
pétences : K. Swinton, « Dickson and Federalism : In Search of the Right Balance »,
(1991) 20 Man. L. J. 483 ; B. Schwartz, « Dickson on Federalism : The First Principles
of his Jurisprudence », (1991) 20 Man. L. J. 473.
70. F. Gélinas, « La doctrine des immunités interjuridictionnelles dans le partage des com-
pétences : éléments de systématisation », (1994) 28 R.J.T. 507, 512.
71. J. Beetz, « Les attitudes changeantes du Québec à l’endroit de la Constitution de 1867 »,
dans P.-A. Crépeau et C.B. Macpherson (dir.), L’avenir du fédéralisme canadien,
Toronto, University of Toronto Press, 1966, p. 113, à la page 123. Par la suite nommé
juge à la Cour suprême du Canada, l’ancien professeur continuera de se faire le constant
défenseur d’une conception dualiste (classique) du fédéralisme canadien : K. Swinton,
The Supreme Court and Canadian Federalism, The Laskin-Dickson Years, Toronto,
Carswell, 1990, p. 259 et suiv.
36 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 7
72. Pour une étude en profondeur des tenants et aboutissants des paradigmes classique et
moderne du partage des compétences législatives et de leurs applications jurispruden-
tielles, voir B. Ryder, « The Demise and Rise of the Classical Paradigm in Canadian
Federalism : Promoting Autonomy for the Provinces and First Nations », (1991) 36
McGill L. J. 308.
73. Id., 351.
E. Brouillet La dilution du principe fédératif… 37
74. SEFPO c. Ontario (P.G.), [1987] 2 R.C.S. 2, 17-18. Le critère du « caractère véritable »
permet de préciser la matière sur laquelle porte la législation contestée en vue de déter-
miner sa validité constitutionnelle.
75. Id., 19-20.
76. Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. 1985, c. 16 (4e suppl.).
77. Loi constitutionnelle de 1867, précitée, note 2, art. 91 (paragraphe introductif) et art. 91
(27).
78. R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213, 288 ; l’italique est de nous.
38 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 7
en général ne constitue pas une matière ayant le degré d’unicité requis pour
être attribuée à la compétence législative exclusive du Parlement fédéral en
vertu de la clause paix, ordre et bon gouvernement79.
Cependant, la Cour suprême valide tout de même l’intervention légis-
lative fédérale et procède à la détermination du caractère véritable de la loi
contestée d’une façon qui laisse croire à un éclatement de la compétence
fédérale en matière de droit criminel. Jusque-là, la Cour avait refusé de faire
entrer sous ce titre de compétence des lois qui avaient essentiellement pour
objet non pas d’interdire un acte, mais bien de le réglementer80. En l’es-
pèce, la majorité des juges considère que la loi fédérale a pour caractère
véritable d’interdire la pollution de l’environnement, bien que l’ensemble
de ses dispositions ait, selon nous, une forte dimension réglementaire81. Cet
arrêt laisse présager une propension de la Cour à grandement relativiser
l’une des deux conditions requises pour la qualification criminelle d’une
loi aux fins du partage des compétences législatives, soit sa nature essen-
tiellement prohibitive82.
La considération de la Cour suprême à l’égard de « l’équilibre du fédé-
ralisme canadien » en ce qui a trait à l’utilisation de la doctrine de l’intérêt
national ne s’est donc pas exprimée avec beaucoup de conviction lors de
l’analyse de la portée de l’article 91 (27) et de la détermination du caractère
79. Il est intéressant de noter ici que la Cour suprême affirme que les critères qu’elle a éta-
blis pour l’application de la doctrine de l’intérêt national l’ont été dans les arrêts Avis sur
la Loi anti-inflation, précité, note 51, et R. c. Crown Zellerbach Ltd., précité, note 60.
Selon nous, seule cette dernière décision dicte aujourd’hui ces critères. En effet, la saine
rationalisation qu’en avait faite le juge Beetz pour la majorité de la Cour suprême dans
la première décision a été écartée par une majorité des juges dans la seconde. D’abord, et
ce, en totale contradiction avec la première décision, la Cour suprême énonce que la
théorie de l’intérêt national peut s’appliquer (p. 432) « autant à de nouvelles matières qui
n’existaient pas à l’époque de la Confédération qu’à des matières qui, bien qu’elles fus-
sent à l’origine de nature locale ou privée dans une province, sont depuis devenues des
matières d’intérêt national sans qu’il y ait situation d’urgence nationale ». Ensuite, la
Cour suprême reprend le critère d’unicité qu’elle avait élaboré dans l’Avis, en l’assortis-
sant cependant de la notion d’incapacité provinciale qui a pour effet d’en retirer à peu
près toute efficacité comme rempart des compétences provinciales. Voir, au même effet,
Ontario Hydro c. Ontario (Commission des relations de travail), [1993] 3 R.C.S. 327.
80. Voir notamment : Brasseries Labatt du Canada ltée c. P.G. du Canada, [1980] 1 R.C.S.
914 ; Boggs c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 49.
81. Les quatre juges dissidents étaient d’avis que la législation fédérale en cause avait essen-
tiellement pour objet de réglementer, plutôt que d’interdire, la pollution de l’environne-
ment et la déclarait par conséquent ultra vires du pouvoir du Parlement fédéral en matière
de droit criminel.
82. Le second critère exige que la loi poursuive en plus un « objectif public légitime » : voir
notamment Scowby c. Glen Dinning, [1986] 2 R.C.S. 226, 237.
E. Brouillet La dilution du principe fédératif… 39
83. Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, [2000] 1 R.C.S. 783, 801-808.
84. En plus de la compétence fédérale relative au droit criminel, le procureur général du
Canada invoquait également la doctrine de l’intérêt national. Le procureur général de
l’Alberta, quant à lui, plaidait que la loi était relative à la propriété et aux droits civils
(art. 92 (13)).
85. Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, précité, note 83, 802 ; l’italique est de nous.
86. Id., 812-813.
40 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 7
et que l’urgence peut être d’une nature purement économique102. Dans cette
affaire, il s’agissait de déterminer la validité constitutionnelle de la Loi anti-
inflation qui instaurait un contrôle des prix et des salaires dans tout le
Canada dans le but d’endiguer le taux d’inflation. Cette loi réglementait
donc notamment des activités qui relevaient de la compétence exclusive
des provinces relative à la propriété et aux droits civils. Au soutien de sa
loi, le gouvernement fédéral plaidait principalement la théorie de l’intérêt
national, car, selon lui, le problème de l’inflation transcendait les intérêts
locaux, privés ou provinciaux et mettait en jeu « l’intérêt national sous un
aspect vital103 ». Ce n’est que de façon subsidiaire que le gouvernement
fédéral invoquait son pouvoir d’urgence.
La majorité des juges de la Cour suprême a écarté l’application de la
théorie de l’intérêt national et a choisi plutôt de valider l’application de la
loi fédérale au secteur provincial sur la base du pouvoir d’urgence. Quant
au premier moyen, le juge Beetz, à qui s’est ralliée sur ce point une majo-
rité de cinq juges contre quatre, entreprend une rationalisation de la théorie
en assortissant son utilisation de certaines conditions104. Il se réfère alors
explicitement au principe fédératif et affirme qu’une application débridée
de la théorie de l’intérêt national pourrait rapidement entraîner la dispari-
tion des règles relatives au partage des compétences législatives, donc du
« caractère fédéral » de la Constitution canadienne105. C’est toutefois dans
les motifs relatifs au pouvoir d’urgence que la majorité des juges de la Cour
suprême laisse transparaître le plus clairement la philosophie qui l’anime
en matière de disputes fédératives. Le juge en chef Laskin, en réponse à un
argument voulant que l’inflation soit un sujet trop vaste pour être régi par
une seule autorité et que, par conséquent, il soit préférable d’aborder le
problème sous l’angle de la « coopération fédérale provinciale », soit en
fonction des pouvoirs provinciaux et fédéraux énumérés aux articles 91 et
des rubriques de l’article 91, le fédéral doit prendre la décision finale sur la
politique administrative, les investigations et les poursuites111. » Notons ici
la forte dissidence des juges Dickson et Pratte qui concluent à la nature
criminelle de la loi en cause, donc à l’invalidité des dispositions fédérales
relatives à sa mise en œuvre. Paradoxalement, leur interprétation large de
la portée de l’article 91 (27) permettait corrélativement d’attribuer à l’arti-
cle 92 (14) un contenu significatif en matière criminelle et, ainsi, instaurait
un équilibre fédératif plus sain entre ces deux titres de compétence que
celui qui était privilégié par les juges majoritaires.
Dans l’affaire Wetmore, la Cour suprême, sous la plume du juge en
chef Laskin, apporte quelques précisions au raisonnement qu’elle avait
développé dans l’affaire Hauser et semble désormais remettre en cause
l’idée voulant que la compétence relativement à la mise en œuvre des lois
validement adoptées par le Parlement fédéral en vertu de l’article 91 (27)
soit de la compétence exclusive des provinces en vertu de l’article 92 (14).
Selon elle, il faut distinguer le droit criminel du Code criminel. Or, elle juge
que « ce ne sont que les prescriptions du Code qui attribuent au procureur
général d’une province le pouvoir de poursuivre 112. » Elle suggère donc que
la mise en œuvre d’une loi fédérale adoptée en vertu de l’article 91 (27),
mais qui ne ferait pas partie du Code criminel proprement dit, relèverait du
Parlement fédéral et que le pouvoir législatif provincial pour la mise en
œuvre du droit criminel ne résulterait que d’une habilitation législative fé-
dérale. Elle conclut en conséquence à la validité des dispositions fédérales.
Le juge Dickson développe dans cette affaire une forte dissidence dans
laquelle, contrairement à l’approche qu’il privilégie habituellement, il ap-
plique le principe d’interprétation corrélative, ou dite de modification mu-
tuelle, qui s’inscrit plutôt dans la conception classique du partage des
compétences113. Selon lui, il faut soustraire de la compétence du fédéral en
matière criminelle la compétence provinciale en matière d’administration
de la justice criminelle, cette façon de faire étant la seule qui permet aux
deux articles visés de conserver un contenu significatif. Il se réfère alors
aux considérations qui ont animé les concepteurs du régime dans ce par-
tage des compétences en matière de justice criminelle et fait sien l’argu-
ment suivant du procureur de la Saskatchewan : « L’équilibre atteint entre
124. Bell Canada c. Québec (C.S.S.T.), précité, note 116, 762 ; l’italique est de nous.
125. Id., 844, où le juge Beetz affirme ce qui suit au nom de la Cour suprême : « Le fédéra-
lisme oblige la plupart des personnes et des institutions à servir deux maîtres. Mais, à
mon avis, il faut essayer de faire en sorte que cette double sujétion soit soufferte autant
que possible dans des domaines distincts. »
126. Id., 766 ; l’italique est de nous.
127. B. Ryder, loc. cit., note 72, 339.
52 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 7
de voir comment une loi provinciale relative aux relations de travail puisse
atteindre l’entreprise dans ce qui fait sa spécificité fédérale, à moins, bien
sûr, qu’elle ne l’empêche de s’adonner efficacement aux activités qui font
d’elle une entreprise fédérale. Nous croyons que la Loi québécoise sur la
santé et la sécurité au travail, dont la validité n’était pas en cause, ne pro-
duisait dans cette affaire que des effets accessoires sur la compétence fédé-
rale relative aux entreprises de communication128.
La possibilité que la conception moderne du partage des compétences
joue en faveur de l’autonomie des provinces a donc été écartée par la Cour
suprême. La vision exclusive des compétences que véhicule depuis 1988 la
plus haute cour canadienne en matière d’applicabilité constitutionnelle pro-
fite donc, uniquement et dans tous les cas, à la protection de l’exclusivité
des compétences du Parlement fédéral.
La décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Ontario
Hydro129 offre une belle illustration de son rejet du principe fédératif en tant
que principe permettant d’interpréter le sens des dispositions constitution-
nelles expresses. Dans cette décision, la majorité des juges a appliqué la
conception classique du partage des compétences en faveur du fédéral,
alors que les juges minoritaires ont plutôt adopté le paradigme moderne en
faveur de l’ordre de gouvernement provincial. La Cour était appelée à dé-
cider si la législation provinciale relative aux relations de travail s’appli-
quait à une centrale nucléaire déclarée être à l’avantage général du Canada
en vertu de l’article 92 (10) c) de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce der-
nier permet au Parlement fédéral de déclarer que des ouvrages de nature
locale, qui relèveraient donc normalement de la compétence législative pro-
vinciale en vertu de l’article 92 (10), sont à l’avantage général du Canada et
relèvent donc désormais de sa compétence législative exclusive130. La Cour
suprême considère à la majorité que la compétence législative qu’acquiert
131. Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1990, c. L.2 ; Code canadien du travail, L.R.C.
1985, c. L-2.
132. Ontario Hydro c. Ontario (Commission des relations de travail), précité, note 79, 370 ;
l’italique est de nous.
133. Id., 371, 372 et 373.
54 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 7
La Cour suprême n’a donc pas saisi l’occasion qui lui était offerte
d’étoffer sa théorie fédérative en utilisant le fédéralisme afin de la guider
dans l’interprétation et la mise en œuvre des règles relatives au partage des
compétences législatives. En couchant expressément le principe fédératif
dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, le constituant n’en-
tendait-il pas précisément attribuer au fédéralisme un tel rôle interprétatif ?
Dans l’affaire Husky Oil Operations Ltd., la Cour suprême a privilégié
une conception classique du partage des compétences en faveur du Parle-
ment fédéral, en concluant à l’inapplicabilité d’une loi provinciale qui em-
piète sur un domaine de compétence fédérale exclusive137. La majorité des
juges de la Cour suprême a conclu, bien qu’elle ait considéré qu’il n’exis-
tait pas de conflit relatif à l’ordre de priorité des créanciers, en cas de
faillite, entre certaines dispositions d’une loi provinciale, ici The Worker’s
Compensation Act, 1979138 de la Saskatchewan, et de la Loi sur la
faillite139 fédérale, à la non-application des dispositions provinciales en cas
de faillite. La Cour en vient à cette conclusion, car, selon elle, il existe une
différence entre, d’une part, une application simultanée de lois provinciale
et fédérale en matière de compétence concurrente ou de chevauchements
de lois, auquel cas il est alors question d’inopérabilité de la loi provinciale
en cas de conflit et, d’autre part, un empiétement provincial sur un domaine
de compétence fédérale exclusive, auquel cas il faudrait alors parler
d’inapplicabilité de la loi provinciale. La faillite étant un domaine de com-
pétence fédérale exclusive140, la loi provinciale ne pouvait trouver applica-
tion dans cette situation. Cette distinction ne semble fondée sur aucune
décision antérieure et, comme le disait bien à propos le juge Iaccobucci
dans sa dissidence, la Cour suprême paraît confondre les « principes de la
compétence et de la prépondérance », en assimilant les notions d’empiéte-
ment et de conflit. Cette décision de la majorité des juges de la Cour su-
prême est incompatible avec la conception moderne du partage des
compétences qui veut qu’un ordre de gouvernement puisse, en légiférant
en vertu d’un de ses titres de compétence, produire des effets incidents sur
une matière qui relève de l’autre. Ce n’est que dans l’hypothèse d’un con-
flit entre ces effets accessoires provinciaux et la législation fédérale que les
premiers céderont la place à la seconde. De plus, bien qu’elle semble vouloir
régler le litige par l’entremise de la notion d’inapplicabilité, elle applique à
cette fin un critère élaboré en contexte de conflits de lois, donc d’« inopé-
rabilité », soit celui du « code complet » ou du « champ occupé 141 ».
Cet arrêt a fait l’objet d’une forte dissidence de quatre juges, sous la
plume du juge Iaccobucci, qui optent nettement pour une conception mo-
derne du partage en interprétant restrictivement la notion de conflit entraî-
nant l’application de la règle de la prépondérance, par conséquent, à
l’inopérabilité de la loi provinciale au profit de la loi fédérale. Il doit s’agir,
selon la minorité, d’un « conflit évident », ce qui n’était pas le cas en l’es-
pèce. Les juges minoritaires rappellent d’abord la règle générale en matière
de validité constitutionnelle voulant qu’une « loi provinciale constitution-
nelle peut avoir un effet incident sur un domaine de compétence fédérale »
et affirment, par conséquent, être « mal à l’aise avec la façon « étanche »
d’aborder la loi fédérale en matière de faillite, que les intimés préconisent ».
Selon eux, requérir « l’invalidation des lois provinciales qui ont une inci-
dence quelconque sur le processus de faillite minerait la théorie du fédéra-
lisme coopératif sur laquelle le Canada (plus particulièrement celui
d’après-guerre) a été érigé ». Une interprétation restrictive de la notion de
conflit permet à chacun des deux ordres de gouvernement, plus particuliè-
rement aux provinces, « d’exercer autant d’activités que possible dans sa
propre sphère de compétence142 ». Malheureusement pour l’équilibre fédé-
ratif, cette avenue n’est pas celle qui a été choisie par la majorité des
magistrats de la Cour suprême.
Le fédéralisme a finalement été invoqué par la Cour suprême dans une
décision dans laquelle elle a privilégié une conception classique du partage
des compétences cette fois en faveur des provinces. Dans le Renvoi relatif
à la taxe sur le gaz naturel exporté, la majorité des juges de la Cour conclut
à l’inapplicabilité d’une taxe fédérale au gaz naturel produit et exporté par
le gouvernement albertain. Elle privilégie alors une interprétation corréla-
tive de l’article 91 (3) et de l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867
qui empêche un palier de gouvernement d’imposer des taxes sur les terres
et propriétés de l’autre palier de gouvernement143. Selon la Cour, le fédéra-
lisme implique que les revenus des provinces soient protégés « contre toute
érosion par voie de taxation144 ». Le même principe fédératif a également
été invoqué par les juges minoritaires qui ont conclu à l’application de la
taxe fédérale au gaz exporté par la province. Ceux-ci ont d’abord consi-
déré que la loi fédérale avait été adoptée par le Parlement fédéral non pas
141. Husky Oil Operation Ltd. c. M.R.N., précité, note 137, par. 85.
142. Id., 539.
143. Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004, 1067.
144. Id., 1066.
E. Brouillet La dilution du principe fédératif… 57
146. Voir sur la question des effets de la protection des droits sur le fédéralisme : J.
Woehrling, « Convergences et divergences entre fédéralisme et protection des droits
et libertés : l’exemple des États-Unis et du Canada », (2000) 46 R.D. McGill 21. Le pro-
fesseur s’exprime comme suit quant aux effets uniformisateurs (p. 52 et 53) : « Un des
objectifs du fédéralisme est de sauvegarder et de favoriser la diversité juridique, sociale
et culturelle. L’autonomie des entités fédérées doit leur permettre, dans leurs domaines
de compétence, de multiplier les solutions diverses aux problèmes posés à la société en
tenant compte des valeurs culturelles propres à chaque collectivité politique régionale.
Or, la protection des droits par les instruments constitutionnels et par les tribunaux a
des effets uniformisateurs qui viennent contrecarrer la diversité politique, culturelle et
sociale. La principale cause de cet effet d’uniformisation tient à la conception même de
la nature de ces droits […] considérés comme universels et transcendants (pré-politi-
que), surtout lorsqu’il s’agit des droits individuels libéraux. » Voir également sur la ques-
tion de l’impact centralisateur et uniformisateur de la Charte canadienne sur l’équilibre
fédératif : E. Brouillet, op. cit., note 6, p. 480 et suiv. Certains auteurs sont plutôt d’avis
que les effets centralisateurs de l’enchâssement de la Charte canadienne sur l’équilibre
fédératif ont été nettement exagérés. Voir notamment : J.B. Kelly, « Reconciling Rights
and Federalism during Review of the Charter of Rights and Freedoms : The Supreme
Court of Canada and the Centralization Thesis, 1982 to 1999”, (2001) 34 Can J. Pol. Sc.
321.
E. Brouillet La dilution du principe fédératif… 59
Elle réaffirme également que des différences dans la façon de légiférer des
provinces dans les matières qui relèvent de leur compétence ne peuvent à
elles seules justifier une conclusion d’inconstitutionnalité au regard du droit
à l’égalité, car ce dernier, bien qu’il interdise la discrimination, « n’apporte
aucune modification au partage des pouvoirs entre les gouvernements150 ».
Ainsi, dans ces deux affaires, la Cour suprême a invoqué le principe
fédératif et son corollaire, le partage des compétences législatives, afin d’in-
terpréter le droit à l’égalité garanti par la Charte canadienne d’une façon
compatible avec la valeur de la diversité qui en sous-tend l’existence et
l’adoption au Canada. En fait, elle n’a fait alors qu’appliquer cette idée
rationnelle à savoir qu’une partie de la Constitution ne peut être invoquée
pour en invalider une autre. En ce sens, l’importance attribuée à la diver-
sité fédérative dans ces décisions se limite au désir de préserver l’existence
même du fédéralisme comme principe d’organisation et de fonctionnement
de l’État canadien.
Dans la décision Black c. Law Society of Alberta, la validité constitu-
tionnelle de deux règlements albertains était en cause : l’un interdisait aux
avocats de la province de s’associer avec des avocats n’y résidant pas ;
l’autre les empêchait de se joindre à plus d’un cabinet d’avocats. La vali-
dité de ces règlements était notamment contestée en vertu de l’article 6 (2)
b) de la Charte canadienne qui garantit le droit de gagner sa vie dans toute
province. La majorité des juges de la Cour suprême a énoncé que cet article
protège le droit de gagner sa vie « interprovincialement » selon la profes-
sion ou le métier de son choix, et ce, même dans une province où la per-
sonne ne se trouve pas physiquement. Elle a donc jugé que les règlements
contestés portaient atteinte à l’article 6 (2 ) b) de la Charte de façon non
conforme à l’article premier. Le juge La Forest, qui a rédigé les motifs de la
majorité151, a fait dans cette décision un historique de la protection de la
liberté de circulation interprovinciale au Canada. Pour lui, cette liberté exis-
tait avant même l’adoption de la Charte canadienne et découlait des « élé-
ments structuraux du fédéralisme ». Un de ces éléments était la volonté des
colonies originaires de s’unir afin de créer « un seul pays » et de dévelop-
per un marché commun en abolissant les barrières qui limitaient la circula-
tion des biens entre elles. L’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867
constitue donc, selon la Cour suprême, « un des piliers du pacte
confédératif ». En ce qui a trait à la liberté de circulation des personnes,
bien qu’il n’ait existé aucune disposition précise à cet effet dans la Loi
constitutionnelle de 1867, celle-ci découlait, selon la majorité des juges, de
la « nouvelle identité politique », de la nouvelle nationalité qu’a engendrée
nécessairement la création d’un État fédératif. Certains droits, dont la
liberté de circulation des personnes, sont « fondamentalement liés au
statut de citoyen canadien d’une personne et découleraient naturellement
de ce statut 152 ».
La Cour suprême a de nouveau eu l’occasion d’invoquer le principe
fédératif dans le contexte de la Charte canadienne, cette fois lors de l’exa-
men de la raisonnabilité d’une présumée atteinte à la liberté de ne pas s’as-
socier153. Il s’agissait de déterminer si une disposition d’une loi québécoise
obligeant les personnes travaillant dans le domaine de la construction à être
membres de l’un des groupes syndicaux énumérés dans la loi, afin d’obte-
nir le certificat de qualification requis pour travailler dans ce secteur d’ac-
tivité, portait atteinte à la liberté de ne pas s’associer garantie par l’article
2 d) de la Charte canadienne. Bien qu’il ait conclu qu’il n’y avait pas en
l’espèce atteinte à la liberté de ne pas s’associer, le juge LeBel a tout de
même analysé la question de la raisonnabilité. C’est à l’étape du raisonne-
ment relatif à l’atteinte minimale154 que le juge invoque nommément le fé-
déralisme. En réponse à l’argument voulant qu’il existe ailleurs au Canada
des mesures qui portent moins atteinte que le régime québécois à la liberté
de ne pas se syndiquer, le juge LeBel fait cette affirmation générale : « dans
un système de partage des compétences législatives où les membres de la
fédération ont vécu des expériences culturelles et historiques différentes,
le principe du fédéralisme signifie que l’application de la Charte dans les
domaines de compétence provinciale n’équivaut pas à un appel à l’unifor-
mité des lois ». Pour lui, la Cour suprême « a une conception des valeurs du
fédéralisme canadien qui accepte les solutions législatives propres à cha-
que province ». Selon le juge, « toute bonne analyse de la notion d’atteinte
minimale lors de l’évaluation de la validité d’une loi provinciale doit tenir
compte des différences entre les provinces155 ». Après analyse, il termine
en affirmant que, dans l’hypothèse où la Cour aurait conclu à une atteinte
152. Black c. Law Society of Alberta, [1989] 1 R.C.S. 591, 608-610 et 612.
153. R. c. Advance Cutting & Coring Ltd., [2001] 3 R.C.S. 209.
154. Id., 352 : le juge LeBel prend acte de l’assouplissement du critère de nécessité ou de l’at-
teinte minimale opéré dans la jurisprudence de la Cour suprême. Il s’agit désormais du
caractère raisonnable des moyens employés pour atteindre les objectifs législatifs. Ce
critère colle d’ailleurs beaucoup mieux au concept de raisonnabilité expressément prévu
dans l’article premier de la Charte canadienne.
155. Id., 356.
62 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 7
Conclusion
En plus d’un demi-siècle de jurisprudence à titre de dernier tribunal
d’appel, la Cour suprême n’a eu expressément recours au principe fédéra-
tif dans ses raisonnements juridiques que plutôt rarement, et cela, de façon
somme toute peu cohérente. À la lumière de l’analyse de la trentaine de
décisions dans lesquelles elle a nommément invoqué ce principe, nous pou-
vons constater qu’elle n’a pas élaboré de théorie fédérative qui lui permet-
trait de trancher les litiges relatifs au partage des compétences législatives
en ayant une vision d’ensemble du régime fédératif canadien et de son évo-
lution. Les efforts entrepris en ce sens dans certaines décisions qui néces-
sitaient un recours plus formel au fédéralisme, en raison de l’insuffisance
ou même de l’absence de dispositions constitutionnelles expresses, n’ont
pas été poursuivis ni appliqués en matière de disputes fédératives. Dans ce
dernier contexte, la plus haute cour canadienne semble plutôt procéder au
cas par cas, ce qui l’empêche, selon nous, d’établir et de maintenir un sain
équilibre fédératif. En relativisant à outrance le principe d’exclusivité et,
surtout, en n’appliquant cette vision décloisonnée des compétences légis-
latives, pour l’essentiel, que lorsqu’elle sert l’exercice des compétences
fédérales, la Cour suprême nous fait douter de son attachement profond à
ce principe fondamental de la structure constitutionnelle canadienne159.
Le fédéralisme requiert une attention théorique, d’abord parce qu’il
implique des valeurs fondamentales. Dans l’exercice de sa tâche de mise
en œuvre de la Constitution, la Cour suprême doit saisir tant l’histoire que
les espoirs inscrits dans son texte160. Parmi ces espoirs se trouvait celui de
159. La professeure D. Greichner, loc. cit., note 13, 59, s’exprimait en ces termes :
« However, if one turns aside from the blinding headlights of the Quebec Secession
Reference, federalism issues do not occupy a privileged position within the constellation
of cases heard by the Court [Cour suprême]. This is not merely because of a decline in
the number of federalism cases, a trend that by itself would not be worrisome. The Court
has denied leave in a number of appeals that raised unresolved federalism questions and
redered one-paragraph decisions in some cases, leading several commentators to surmise
that the judges “appear to have become bored by the prospect” of dealing with division
of powers doctrine ».
160. J. Whyte, « Les dimensions constitutionnelles des mesures d’expansion économique »,
dans R. Simeon (dir.), Le partage des pouvoirs et la politique d’État, Ottawa, Commis-
sion royale sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada,
1985, p. 31, à la page 34. Il s’exprime comme suit : « Ce n’est que lorsque les décisions
64 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 7
font appel aux concepts à la base de la répartition des pouvoirs et de la création de limi-
tes à la compétence législative que la jurisprudence correspond aux valeurs politiques
que l’on a voulu traduire dans l’organisation publique, tout en fournissant un guide com-
préhensible aux décideurs. » Pour une étude très intéressante des valeurs qui ont présidé
à la création de la fédération canadienne, voir : S. Laselva, op. cit., note 46. Voir aussi,
notamment quant à la valeur du fédéralisme en général : D. Weinstock, Vers une théo-
rie normative du fédéralisme, publié par le Forum des fédérations, [En ligne],
[www.forumfed.org.] ; W.J. Norman, « Towards a Philosophy of Federalism », dans J.
Baker (dir.), Group Rights, Toronto, University of Toronto Press, 1994, p. 79.
161. E. Brouillet, op. cit., note 6, p. 176 et suiv.
162. Selon le professeur V. Loungnarath, loc. cit., note 6, 1006-1007, l’indétermination et
l’insuffisance des textes constitutionnels « créent un espace à l’intérieur duquel la déci-
sion judiciaire n’est plus objectivée par le raisonnement juridique ou la lettre de la dispo-
sition constitutionnelle. Lorsque le juge évolue dans cet espace, il est inévitable que
certaines de ces valeurs politiques pénètrent et infléchissent le droit. » Voir également,
au même effet : A. Lajoie, P. Mulazzi et M. Gamache, « Les idées politiques au Qué-
bec et le droit constitutionnel canadien », dans I. Bernier et A. Lajoie (dir.), La Cour
suprême du Canada comme agent de changement politique, Ottawa, Commission royale
sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada, Ministère des
Approvisionnements et Services Canada, 1986, p. 1-110. Dans cet article, les auteures
soulignent que la jurisprudence constitutionnelle subit l’influence des idées politiques en
cours.
E. Brouillet La dilution du principe fédératif… 65
fait preuve la Cour à l’égard des empiétements fédéraux sur des matières
provinciales devraient du moins s’exprimer avec la même conviction en ce
qui a trait aux empiétements provinciaux. Il s’agit là, selon nous, d’une
protection tout à fait minimale des compétences législatives des provinces,
compte tenu de l’existence de la règle de la prépondérance des lois fédéra-
les en cas de conflit. La suggestion du professeur Bruce Ryder d’une ap-
proche asymétrique en matière de disputes fédératives est également
intéressante et assurerait une protection supplémentaire aux pouvoirs lé-
gislatifs provinciaux : il s’agirait d’appliquer la conception moderne du
partage des compétences à l’exercice des compétences provinciales et la
conception classique à l’exercice des compétences fédérales. En d’autres
termes, la Cour suprême pourrait tolérer les empiétements provinciaux sur
des matières fédérales lorsque ceux-ci sont liés rationnellement et
fonctionnellement au schème législatif provincial, et ne tolérer les empiéte-
ments fédéraux sur des matières provinciales que lorsqu’ils sont nécessai-
res à l’exercice effectif des compétences fédérales168. Cela reviendrait en
somme à appliquer un raisonnement tout à fait inverse à celui qui a été jus-
qu’à présent privilégié par la Cour suprême.
L’« étoile » que constitue le fédéralisme ne scintille de toute évidence
pas toujours avec beaucoup d’éclat dans la jurisprudence de la Cour su-
prême. L’image qui nous vient en tête pour caractériser l’usage du principe
fédératif par la plus haute cour canadienne serait plutôt celle d’une étoile
filante : brillante de tous ses feux l’espace d’un instant, mais qui disparaît
aussitôt laissant derrière elle un ciel obscur.
constitutionnel, la nature des critères qui serviront par la suite à cerner l’étendue de la
compétence exclusive octroyée à un palier gouvernemental. Toutes ces raisons nous ont
amené à conclure qu’une qualification constitutionnelle doit toujours précéder l’inter-
prétation législative » ; J. Leclair, « L’impact de la nature d’une compétence législative
sur l’étendue du pouvoir conféré dans le cadre de la Loi constitutionnelle de 1867 »,
(1994) 28 R.J.T. 661, 703.
168. B. Ryder, loc. cit., note 72, 358 et suiv.
Les fondements théoriques
de la transformation du rôle de l’équilibre
des prestations contractuelles
Élise Charpentier*
sical natural law, voluntarism, and the theory of the autonomy of the will,
the role played by the equilibrium of obligations has become decreasingly
important.
From the stance of classical natural law, the contract was conceived
as being an “exchange” of things of equal value. The equilibrium of obli-
gations then played an essential role because it formed a part of the very
essence of the contract. Driven by voluntarism, the contract is seen as a
legal act resulting from the meeting of the minds. The will then replaces
the equilibrium of obligations as the essential element in the contract and
the equilibrium henceforth is to be found in consent, where an absence of
equilibrium is deemed to be the sign of a vitiated consent. Lastly, under
the influence of the basic premise stating the equality of parties brought
to the fore by the theory of the autonomy of the will, the sanction of this
vitiated consent becomes exceptional.
Pages
8. Id., 119.
9. Bien que dans sa traduction d’Aristote, op. cit., note 3, J. Voliquin emploie le terme « con-
trat », nous lui préférons « synallagma », puisque ce concept n’a pas le caractère techni-
que du terme « contrat » et qu’il semble mieux correspondre à la notion développée par
Aristote, selon M. Villey, « Préface historique à l’étude des notions de contrat », (1968)
13 A.P.D. 1.
10. Voir : M. Villey, loc. cit., note 9, 6.
11. Par exemple, le vol et la diffamation sont des synallagma involontaires ; voir : Aristote,
op. cit., note 3, no 13, p. 128.
12. Ibid.
13. Ibid. Il ne faudrait pas, toutefois, surestimer l’importance de la volonté dans ces
synallagma, puisqu’Aristote « mentionne à peine leur origine volontaire, comme en pas-
sant, pour expliquer leur qualificatif de « volontaires » » : C. Despotopoulos, « La no-
tion de synallagma chez Aristote », (1968) 13 A.P.D. 115, 122.
14. Aristote, op. cit., note 3, no 3, p. 130.
15. Voir : M. Villey, Philosophie du droit, t. 1, Paris, Dalloz, 1986, p. 72.
74 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 69
ceux qui se trouvent chez Aristote16. Thomas d’Aquin — comme ses suc-
cesseurs — définissait les échanges à partir de l’idée de justice, mais il pré-
cisait que « si la chose est transférée à titre gratuit, comme dans la donation,
cette transmission n’est pas un acte de justice, mais un acte de libéralité17 ».
La distinction entre les actes de justice commutative et les libéralités ne
semble pas, à première vue, porteuse de conséquences. Son intérêt est pour-
tant considérable puisqu’elle a inspiré une classification des contrats qui
opère en fonction de leur finalité particulière : les actes de bienfaisance
destinés à enrichir l’une des parties et les actes de justice commutative
permettant les échanges dans le respect d’un certain équilibre18. L’idée
selon laquelle l’égalité de l’échange doit être préservée s’appuie sur cette
distinction, le défaut d’égalité dans un acte de justice commutative ne pou-
vant pas être assimilé à une libéralité. Les actes de justice commutative
existent dans l’intérêt commun, afin que puissent être échangées les cho-
ses. Or, comme le soulignait Thomas d’Aquin, « ce qui est institué pour
l’intérêt commun ne doit pas être plus onéreux à l’un qu’à l’autre19 ».
Les penseurs qui ont affirmé le rôle de l’équilibre dans le contrat se
sont également appliqués à illustrer quelles pouvaient être les situations où
l’équilibre faisait défaut, particulièrement à l’aide de la notion de juste
prix20. Ainsi, les observations de Thomas d’Aquin sur le juste prix s’inspi-
rent de la notion de justice commutative développée par Aristote21. Le juste
prix a pour objet l’égalité arithmétique que la justice commutative veut faire
respecter. Dans cet esprit, il est inconcevable que l’exploitation de son pro-
chain par l’imposition d’un prix injuste, par exemple, soit admissible.
Pour comprendre la notion de juste prix, il convient de mettre en rap-
port avec celle de justice distributive, où la valeur d’une chose est objec-
tive dans la mesure où elle ne dépend pas des préférences individuelles ou
subjectives. Elle exprime plutôt « des rapports que les hommes entretien-
nent avec les objets qu’ils vont échanger et non en fonction des caractéris-
tiques intrinsèques de ceux-ci, éventuellement rapportées les unes aux
autres22 ». Thomas d’Aquin précisait en effet que « la valeur est objective,
attachée à l’objet lui-même, indépendante de la volonté de l’acheteur ou du
vendeur ; par la suite il y a un prix juste qu’il sera possible de déterminer
avec plus ou moins de précision pour chaque objet23 ». Les choses ont donc
une valeur objective qui existe en dehors des goûts, des penchants et des
passions humaines. Notons que l’idée de préférence subjective est absente
de tous les critères proposés, ceux-ci devant tous correspondre à « une
norme sociale dont la validité fait l’objet d’un consensus, et qui traduit au
niveau de tous les biens échangeables les exigences de la société dans son
ensemble — la félicité publique et non le bonheur individuel24 ».
Les penseurs de la Scolastique espagnole25 ont articulé une autre con-
ception du juste prix. Pour eux, celui-ci est déterminé en tenant aussi
compte d’un nouvel élément : le nombre d’acheteurs et de vendeurs, on
Allen & Unwin, 1978 ; J.A. Widow, « The Economic Teachings of Spanish Scholastics »,
Kevin White (dir.), Studies in Philosophy and the History of Philosophy, t. 29 : « Hispanic
Philosophy in the Age of Discovery », Washington, The Catholic University of America
Press, 1997, p. 130 ; L. Coulazou, L’injustice usuraire en face du droit canonique et du
droit séculier, Montpellier, Imprimerie Firmin et Montagne, 1920 ; B.W. Dempsey,
Interest and Usury, Londres, D. Dobson, 1948 ; M. Le Goff, Du Moulin et le prêt à
intérêt, Le légiste, Son influence, Genève, Mégariotis Reprints, 1905 ; B. Schnapper,
« La répression de l’usure et l’évolution économique (XII-XVIème siècles) », (1969) 37
R.H.D. 47.
22. A. Béraud et G. Faccarello (dir.), Nouvelle histoire de la pensée économique, t. 1 :
« Des scolastiques aux classiques », Paris, La Découverte, 1992, p. 33.
23. Thomas d’Aquin, op. cit., note 16, notes explicatives, quest. 77, a. 3, p. 323.
24. A. Béraud et G. Faccarello, op. cit., note 22, p. 34.
25. La seconde Scolastique, ou la Scolastique espagnole, désigne habituellement un mouve-
ment lancé à Bologne au xvie siècle par des penseurs comme Soto, Suarez, Molina,
Lessius ; sur son rôle dans la formation du droit privé moderne, voir : P. Grossi (dir.),
La seconda scolastica nella formazione del diritto privato moderno, Milan, Giuffrè
Editore, 1972.
76 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 69
26. Pour un commentaire et des extraits du texte de Soto, De just. et jure, livre VI, quest. II,
art. III, et de Molina, De contractibus, disp. 348, voir : H. Garnier, L’idée du juste prix
chez les théologiens et canonistes du Moyen Âge, thèse, Paris, 1900 [réimpr. : New York,
Lenox Hill Pub. (Burt Franklin), 1973], p. 101 et suiv.
27. Nos commentaires ne portent que sur De jure belli ac pacis, qui a été publié en 1625.
Nous utilisons la traduction de J. Barbeyrac : H. Grotius, Le droit de la guerre et de la
paix, Amsterdam, Chez Pierre de Coup, 1625 [réimpr. : Caen, Publications de l’Univer-
sité de Caen — Centre de philosophie politique et juridique, 1984]. Le droit de la guerre
et de la paix n’est pas une œuvre consacrée aux règles de droit privé que Grotius con-
naissait très bien, tel que le montre son introduction au droit hollandais (Inleidinge tot
de Hollandsche Rechtsgeleerdheid, traduction de R.W. Lee : The Jurisprudence of
Holland, Oxford, Clarendon Press, 1926). Avec Le droit de la guerre et de la paix, Gro-
tius élabore des règles destinées à régir les rapports entre les peuples. Il trouve le fonde-
ment de ces règles dans la nature, les lois divines, les coutumes et les conventions tacites.
Les rapports harmonieux entre les peuples reposent en partie sur le respect des traités
auxquels Grotius tente de donner un caractère obligatoire. Pour ce faire, il a recours à la
notion de contrat, à l’obligation de tenir ses promesses dont il fait le « nœud de son sys-
tème » (cette expression est de G. Augé, « Le contrat et l’évolution du consensualisme
chez Grotius », (1968) 13 A.P.D. 99, 108). C’est ce qui explique que, bien qu’il soit d’abord
consacré au droit international, Le droit de la guerre et de la paix comporte d’impor-
tants développements relatifs au contrat. Le chapitre consacré au contrat fournit des
E. Charpentier Les fondements théoriques… 77
36. Voir : P. Louis-Lucas, Volonté et cause, Paris, Sirey, 1918 ; J. Maury, Essai sur le rôle
de la notion d’équivalence en droit civil français, Paris, Jouve et cie. éditeurs, 1920. Se-
lon Pierre Louis-Lucas, le contrat est fondé sur trois notions essentielles : la volonté, la
cause et l’ordre public. La cause dont il est ici question ne correspond pas à la notion de
cause qu’on trouve en droit positif, en ce que la cause doit non seulement exister, mais
elle doit aussi être suffisante, c’est-à-dire que « le montant de la cause doit être sensible-
ment égal au montant de l’obligation » (P. Louis Lucas, précité., p. 141). Dans le cas de
la lésion et dans celui de l’usure, la cause est donc insuffisante puisque l’obligation est
exagérée par rapport à la cause. Cette thèse affirme la nécessité de l’équilibre dans le
contrat, mais ses fondements sont directement contredits par le droit positif. L’intérêt
de cette thèse est pourtant indéniable, car elle montre que la cause, conçue autrement,
aurait pu contribuer à assurer l’équilibre des prestations.
37. Ainsi, le professeur Ghestin traite de la lésion alors qu’il aborde la question de la valeur
de l’objet. Il constate toutefois que, en matière de mandat, les tribunaux refusent d’inter-
venir lorsque la preuve ne révèle pas l’existence d’un vice du consentement. Voir : J.
Ghestin, Les obligations — Le contrat : formation, Paris, L.G.D.J., 1988, nos 566 et
suiv., p. 646 et suiv. Voir aussi : J. Flour et J.-L. Aubert, Les obligations, Paris, A.
Colin, 1988, nos 242 et suiv., p. 192 et suiv. Le professeur Carbonnier considère que la
lésion relève de l’ordre public en en traitant dans un chapitre consacré à la conformité
du contrat avec les exigences sociales, mais il reconnaît aussi qu’elle est un vice du con-
sentement. Voir : J. Carbonnier, Droit civil, Les obligations, 14e éd., Paris, PUF, 1990,
p. 246 et suiv. Voir aussi : G. Farjat, L’ordre publique économique, Paris, L.G.D.J.,
1963, nos 301 et suiv., p. 243 et suiv.
E. Charpentier Les fondements théoriques… 81
38. Voir : J. Domat, « Traité des lois », dans J. Rémy (dir.) Œuvres complètes de J. Domat,
t. 1, Paris, Alex-Gobelet Libraire, 1835, livre I : « Des engagements volontaires et mu-
tuels par les conventions », titre I : « Des conventions en général », sec. V, p. 147-151 et
sec. VI, p. 152-154.
39. Voir : R.-J. Pothier, « Traité des obligations », dans M. Bugnet (dir.), Œuvres de
Pothier, t. 2, 2e éd., Paris, Cosse et Marchal, 1861, première partie : « De ce qui appartient
à l’essence des obligations, et de leurs effets », chapitre premier : « De ce qui appartient
à l’essence des obligations », section première : « Des contrats », art. III, p. 13.
82 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 69
Suivant en cela le plan proposé par les codes, la majorité des auteurs,
tant français40 que québécois41, abordent la lésion à partir d’une conception
subjective du contrat, puisqu’ils en traitent au chapitre des vices du con-
sentement, et non dans le contexte de la définition même de ce qu’est un
contrat.
Le traitement que reçoit la lésion dans le Code civil français a toute-
fois inspiré des positions doctrinales divergentes chez les auteurs français.
Les tenants d’une conception subjective du contrat s’appuient sur la place
où figure la règle générale42, c’est-à-dire dans la section traitant du consen-
tement, alors que les tenants de la conception objective fondent leur posi-
tion sur les termes des articles sanctionnant la lésion, où la question du
consentement est écartée au profit d’une évaluation de l’équilibre des pres-
tations43. Il ne fait pas de doute que la condition de la sanction de la lésion,
en droit français, est objective, mais, comme l’ont souligné les « subjecti-
40. Voir : G. Marty et P. Raynaud, Droit civil, les obligations, t. 1, t. 2, Paris, Sirey, 1962,
nos 155 et suiv., p. 142 et suiv. ; H. Mazeaud et autres, Leçons de droit civil, 7e éd., t. 2,
vol. 1, Paris, Montchrestien, 1985, p. 197 et suiv. ; A. Weill et F. Terré, Droit civil, les
obligations, 4e éd., Paris, Dalloz, 1986, nos 197 et suiv., p. 206 et suiv. Tout en traitant de
la lésion dans le contexte des vices du consentement, le professeur Malaurie précise
que la lésion n’est pas un vice, mais une cause de nullité pour certains contrats (voir : P.
Malaurie et L. Aynès, Cours de droit civil, Les obligations, 6e éd., t. 6, Paris, Cujas,
1995, nos 423 et suiv., p. 246). Voir aussi : P. Louis-Lucas, Lésion et contrat, Paris, Si-
rey, 1926. Dans cet ouvrage, l’auteur revient sur la théorie qu’il avait développée dans sa
thèse, où il soutenait que la non-équivalence des prestations équivalait à l’absence de
cause. Il expose plutôt ici que la lésion comporte nécessairement un élément subjectif et
la rattache aux vices du consentement.
41. Voir : L. Baudouin, Le droit civil de la province de Québec, Montréal, Wilson &
Lafleur, 1953, p. 687 et suiv. ; D. Lluelles et B. Moore, Droit québécois des obliga-
tions, t. 1, Montréal, Éditions Thémis, 1998, p. 423 et suiv. ; P.-B. Mignault, Le droit
civil canadien, t. 5, Montréal, C. Théoret, 1901, p. 242 et suiv. ; J. Pineau, D. Burman et
S. Gaudet, Théorie des obligations, 3e éd., Montréal, Éditions Thémis, 1996, p. 161 et
suiv. ; M. Tancelin, Des obligations : actes et responsabilités, 6e éd., Montréal, Wilson
& Lafleur, 1997, p. 96 et suiv. ; G. Trudel, Traité de droit civil du Québec, t. 7, Mon-
tréal, Wilson & Lafleur, 1946, p. 227 et suiv. et p. 246 et suiv. Voir aussi : J.-L. Bau-
douin et P.-G. Jobin, Les obligations, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, no
263, p. 239, qui, abordant la question de la lésion dans le contexte des vices du consente-
ment, précisent néanmoins qu’elle « n’est pas un vice du consentement au sens tradi-
tionnel du terme. Elle appartient autant à l’étude de la capacité juridique, de la cause des
contrats ou de l’objet des contrats. »
42. Art. 1118 du Code civil français (ci-après : C.c.fr.).
43. Art. 887 et 1674 C.c. fr. Voir notamment : M.J. Dalem, L’extension de la notion de lé-
sion dans les contrats d’après la jurisprudence et la pratique contemporaine, Paris, Les
Presses modernes, 1937, p. 170 et suiv. ; J. Hauser, Objectivisme et subjectivisme dans
l’acte juridique, Paris, L.G.D.J., 1971, p. 222 et suiv. ; P. Louis-Lucas, op. cit., note 40,
E. Charpentier Les fondements théoriques… 83
vistes », l’intervention demeure fondée sur l’idée que la partie lésée n’a pas
véritablement consenti. L’absence de consentement explique d’ailleurs,
selon ceux-ci, le déséquilibre contractuel.
Au Québec, la question de la nature de la lésion n’a pas soulevé de
polémiques comparables à celles qui ont eu cours en France. Les auteurs,
suivant en cela le plan adopté dans le Code civil du Bas Canada, l’ont gé-
néralement rattachée au consentement. Le Code n’offrait, par ailleurs, pas
de véritable occasion à la doctrine de se pencher sur la question, puisque
aucune disposition ne prévoyait la sanction de la lésion entre majeurs. Avec
l’adoption, en 1964, de la section relative à l’équité dans certains contrats,
deux conceptions de l’exigence d’équilibre auraient pourtant pu émerger44.
L’article 1040c du Code civil du Bas Canada aurait pu être interprété, dans
le contexte d’une conception objective du contrat, comme une disposition
posant l’exigence de l’équilibre des prestations et ayant pour objet de réta-
blir cet équilibre sans égard à la question de l’intégrité du consentement45.
À l’opposé, les critères d’application de l’article 1040c auraient très bien
pu servir à démontrer que c’est en raison de l’imperfection, de la faiblesse
de la volonté du contractant que le législateur avait fondé son interven-
tion46. Malheureusement, la doctrine ne s’est pas beaucoup intéressée à
cette disposition. Outre une étude particulièrement éclairante47, les textes
se bornent le plus souvent à analyser, en termes techniques, des questions
pratiques entourant son application48.
p. 141 ; A. Rieg, Le rôle de la volonté dans l’acte juridique en droit civil français et al-
lemand, Paris, L.G.D.J., 1961, p. 203 et suiv. ; M. Kluyskens, « La lésion dans les con-
trats », Travaux de l’Association Henri-Capitant, op. cit., note 35, p. 204.
44. Loi pour protéger les emprunteurs contre certains abus et les prêteurs contre certains
privilèges, L.Q. 1964, c. 67.
45. L’article 1040c Code civil du Bas Canada se lisait comme suit : « Les obligations moné-
taires découlant d’un prêt d’argent sont réductibles ou annulables par le tribunal dans la
mesure où il juge, eu égard au risque et à toutes les circonstances, qu’elles rendent le
coût du prêt excessif et l’opération abusive et exorbitante. À cette fin, le tribunal doit
apprécier toutes les obligations découlant du prêt en regard de la somme effectivement
avancée par le prêteur ».
46. C’est surtout en raison de la référence au caractère abusif de l’opération et aux circons-
tances l’entourant qu’une conception subjective de l’équilibre aurait pu être articulée.
47. Voir : A. Mayrand, « De l’équité dans certains contrats : nouvelle section du Code
civil », Lois nouvelles, Montréal, PUM, 1965, p. 51.
48. Voir, par exemple : P.-É. Blain, « Commentaires sur les articles 1040A-1040E du Code
civil », (1969) Meredith Mem. Lec. 73 ; M. Guy, « De la justice dans les contrats », (1968-
1969) 71 R. du N. 463 ; A. Lavallée, « En marge du bill 48 », (1963-1964) 66 R. du N.
483 ; W.G. Morris, « De l’équité dans certains contrats », (1965) 25 R. du B. 65.
84 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 69
Par la suite, les travaux de l’Office de révision du Code civil ont été
l’occasion de confirmer la tendance subjectiviste. C’est, en effet, dans le
contexte des vices du consentement que la question de la lésion y a été
abordée. La lésion, telle qu’elle est définie dans le Projet de Code civil de
l’Office de révision du Code civil et dans le Code civil du Québec, repose
sur une conception subjective du contrat, mais celle-ci ne s’inscrit pas dans
la conception traditionnelle des vices du consentement49. En effet, selon
l’article 1406 du Code civil du Québec, la « lésion résulte de l’exploitation
de l’une des parties par l’autre, qui entraîne une disproportion importante
entre les prestations des parties ; le fait même qu’il y ait disproportion im-
portante fait présumer l’exploitation. » : l’équilibre est donc préservé sur la
base de l’exploitation50. L’intégration de l’idée d’exploitation dans le con-
cept de lésion transforme celui-ci. Le fondement de la lésion n’est plus alors
une simple « présomption » d’absence de consentement qui se manifeste
par le déséquilibre des prestations puisque ce déséquilibre est le fait de
l’autre contractant, mais la lésion résulte du fait qu’il a exploité son cocon-
tractant51. Il s’agit dorénavant de sanctionner le comportement de celui à
qui profite le contrat et, du coup, de protéger celui qui en souffre. La con-
ception mixte révèle avant tout une idée profondément morale, soit le refus
de l’exploitation. En ce sens, la lésion participe davantage de l’idée d’équité
que de celle de vice du consentement. C’est bien l’équité, en effet, qui per-
met au juge de « corriger les conséquences des inéquités les plus graves
dans les contrats52 ».
Les conceptions objective et subjective du contrat ont toutes deux
marqué la conception de la lésion que présente le droit positif québécois :
l’organisation du régime contractuel n’est pas fondée exclusivement sur
49. Voir : G. Massol, La lésion entre majeurs en droit québécois, Cowansville, Éditions
Yvon Blais, 1989. M. Massol, après avoir étudié la place de la lésion dans les vices du
consentement, remarquait que, en raison des difficultés liées à cette approche (p. 29), « si
la lésion doit prendre en considération un élément subjectif de la personne lésée, cette
recherche doit s’effectuer en dehors des cadres traditionnels des vices du consentement »
(voir aussi p. 65).
50. L’exploitation, bien qu’elle soit présumée, est en effet le fondement de cette conception
de la lésion.
51. Selon le professeur Ghestin, l’exploitation permet « de prendre en considération certai-
nes altérations du consentement qui s’intègrent difficilement dans la définition techni-
que des vices du consentement traditionnels » : J. Ghestin, Le contrat dans le nouveau
droit québécois et en droit français. Principes directeurs, consentement, cause et objet,
Montréal, Institut de droit comparé, Université McGill, 1982, p. 291.
52. Aselford Martin Shopping Centres Ltd. c. A.L. Raymond Ltée, [1990] R.J.Q. 1971, 1976
(C.S.).
E. Charpentier Les fondements théoriques… 85
l’une ou l’autre53. D’une part, elle est définie avec les vices du consente-
ment54. D’autre part, « on peut prétendre qu’il est contraire à la morale de
permettre qu’une personne ait la possibilité, dans une relation contrac-
tuelle, de retirer des avantages excessifs, au détriment d’une autre, qui,
n’ayant pas su ou pas pu se défendre, a consenti beaucoup pour obtenir
peu. […] La lésion, considérée dans cette optique, repose sur une considé-
ration de justice commutative qui doit avoir préséance sur le principe de
l’autonomie de la volonté : ce qui a été voulu n’est pas nécessairement
juste55 ». On peut aussi dire qu’elle s’appuie sur la nécessité de « réprimer
les abus de la liberté contractuelle56 ». La notion d’exploitation a d’ailleurs
amené certains auteurs à considérer que la lésion était fondée sur la faute
morale de celui qui exploite ou sur le respect de l’ordre public57. Une chose
est sûre : tout en demeurant le symbole de la défaillance du consentement,
la lésion « […] se rattache à un principe plus fondamental dont elle n’est
qu’une des formes d’expression : la moralité contractuelle58 ». Cette idée
n’est pas nouvelle. Jusqu’à Pothier, en effet, il n’était que très peu question
de l’intégrité du consentement de la personne lésée, mais plutôt de faire
59. L’article 1405 du Code civil du Québec prévoit ainsi que, outre les cas expressément
prévus par la loi, « la lésion ne vicie le consentement qu’à l’égard des mineurs et des
majeurs protégés ». Les principales exceptions sont : le prêt d’argent (art. 2332 C.c.Q.),
la renonciation au partage du patrimoine familial (art. 424 C.c.Q.), la renonciation aux
acquêts (art. 472 C.c.Q.) et le contrat soumis à la Loi sur la protection du consommateur,
L.R.Q., c. P-40.1 (art. 8).
60. J. Ghestin, op. cit., note 37, p. 649. Voir aussi : J. Carbonnier, op. cit., note 37, p. 647.
E. Charpentier Les fondements théoriques… 87
63. Voir l’article 1406 du C.c.Q. Au sujet du caractère exceptionnel de la sanction de la lé-
sion, voir notamment : L. Rolland, « Les figures contemporaines du contrat et le Code
civil du Québec », (1999) 44 R.D. McGill 903 ; É. Charpentier, « L’article 8 de la Loi
sur la protection du consommateur comme symbole de la transformation de la lésion »,
dans P.-C. Lafond (dir.), Mélanges Claude Masse, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2003, p. 509. Le législateur accorde tout de même une certaine importance à l’équilibre
des prestations, comme le montrent ces exceptions de même que d’autres mesures ponc-
tuelles (par exemple, l’article 1437 C.c.Q. ayant pour objet le contrôle des clauses abusi-
ves).
64. Voir à ce sujet : P.-A. Crépeau et É. Charpentier, Les Principes d’UNIDROIT et le
Code civil du Québec : valeurs partagées ?, Scarborough, Carswell, 1998, p. 78 et suiv.
65. Barreau du Québec, Droit des obligations (avant-projet), octobre 1988, p. xii.
66. Québec, Assemblée nationale, Sous-commission des institutions, « Consultation
générale sur l’Avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des
obligations », Journal des débats : commissions parlementaires, 25 octobre au 8 novem-
bre 1988, p. sci-257 et suiv.
E. Charpentier Les fondements théoriques… 89
Conclusion
D’une conception du contrat où l’injustice découlait de l’absence
d’équivalence des prestations, on est passé à une conception du contrat où
l’égalité des parties leur permet en principe de faire des contrats justes.
Faut-il en conclure — comme le faisait le juge Albert Mayrand dans un texte
portant sur l’article 1040c du Code civil du Bas Canada — que, dans le ré-
gime juridique du contrat, « La raison du plus fort est toujours la
meilleure »73 ? La primauté accordée à la sécurité juridique plutôt qu’à la
justice est une conséquence du postulat d’égalité des parties issu de la
Regards sur le Titre III du Livre III du Code civil, Paris, Les Cours de droit, 1977 ; J.
Ghestin, op. cit., note 51. Les réserves émises portaient essentiellement sur la formula-
tion de l’article 37, et non sur le principe de la sanction de la lésion. M. Tancelin, op.
cit., note 41, p. 1010, estimait que la présomption d’exploitation risquait d’« accroître
inutilement les résistances prévisibles à l’adoption de la mesure ». Dans le même esprit,
L. Perret, loc. cit., 543, soulignait que le succès du projet d’assurer une meilleure jus-
tice contractuelle allait dépendre de « l’esprit qui animera les règles de droit positif que
créeront le législateur ou les tribunaux. Celles-ci seront en fait le reflet des forces et des
idées sociales de l’époque. ».
71. Voir, par exemple, D. Picotte, « Les mécanismes d’encadrement judiciaire des relations
commerciales contractuelles et extracontractuelles : évolution et tendances », (1993) 27
R.J.T. 599, 629 et 630 : « D’abord, l’intervention des tribunaux est parfois fondée sur des
notions fort subjectives, telles la « bonne foi », l’« équité » et la « justice », qui relèvent
davantage de la morale que du droit. Le caractère flou et subjectif du fondement de l’in-
tervention des tribunaux a pour effet d’introduire un élément d’incertitude qui peut, s’il
n’est pas circonscrit suffisamment, menacer sérieusement la sécurité des transactions
commerciales. […] la nouvelle approche des tribunaux est parfois troublante à cet égard
puisqu’elle représente l’émergence d’une zone d’incertitude dans le droit des contrats
constituant un facteur de démotivation à contracter. »
72. Il est important de rappeler ici que l’insécurité juridique est supposée, aucune étude
n’ayant démontré le lien entre lésion et insécurité. L’expérience de pays comme l’Alle-
magne où la lésion joue un rôle important tend d’ailleurs plutôt à montrer l’absence d’im-
pact de la lésion sur la sécurité juridique puisque le commerce ne semble pas y avoir été
freiné par l’existence de la sanction de la lésion.
73. Voir : A. Mayrand, op. cit., note 47.
E. Charpentier Les fondements théoriques… 91
Luc Huppé*
Bien que les juges exercent l’une des fonctions les plus importantes
de la société, les règles qui encadrent la déontologie judiciaire sont rela-
tivement peu développées au Canada. À la différence des juges de nomi-
nation provinciale au Québec, les juges de nomination fédérale ne sont
assujettis à aucun code de déontologie. Cette situation soulève la ques-
tion des sources de la déontologie judiciaire au Canada. La mise en évi-
dence des fondements sur lesquels repose la déontologie judiciaire per-
met d’apprécier la portée juridique du serment prononcé par les juges au
moment de leur entrée en fonction ainsi que de prendre la mesure des
exigences qui découlent de façon intrinsèque de la fonction judiciaire.
* Avocat.
Pages
2. Dans Morier c. Rivard, [1985] 2 R.C.S. 716, la Cour suprême du Canada semble exprimer
l’avis que la compétence législative relative à l’immunité de poursuite qui protège les
juges dans l’exercice de leurs fonctions incombe à l’instance qui a le pouvoir de nomina-
tion (p. 737). Un raisonnement semblable pourrait être transposé au pouvoir de régir la
déontologie judiciaire.
3. L’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., R.-U., c. 3, fait référence
précisément à la conduite des juges des tribunaux de droit commun, en énonçant qu’ils
demeurent en fonction « during good behaviour ». Ils peuvent être destitués par le gou-
verneur général à la suite d’une adresse du Sénat et de la Chambre des communes. La
destitution d’un juge par l’instance qui a procédé à sa nomination constitue la sanction
ultime de son inconduite.
4. Compte tenu que la seule compétence législative explicitement accordée au Parlement
fédéral relativement aux juges des tribunaux de droit commun concerne leur rémunéra-
tion (article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867, précitée, note 3), la compétence lé-
gislative fédérale en matière de déontologie judiciaire ne pourrait relever que des
pouvoirs généraux accordés par le paragraphe liminaire de l’article 91 de la Loi constitu-
tionnelle de 1867, précitée, note 3, relativement à la paix, à l’ordre et au bon gouverne-
ment du Canada. Cette hypothèse a été mentionnée par les juges dissidents dans
Mackeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796, 813, sans que la majorité se prononce à ce
sujet. Voir également : Gratton c. Le Conseil canadien de la magistrature, [1994] 2 C.F.
769, 796-797.
5. On n’a pas manqué de souligner l’utilité d’un éventuel code de déontologie applicable à
l’ensemble des juges du pays : M.L. Friedland, « Reflections on a Place Apart : Judicial
Independence and Accountability in Canada », (1996) 45 R.D.U.N.-B. 67, 71. Notons
néanmoins un large recoupement entre les principes déontologiques appliqués par les
instances déontologiques fédérales et provinciales.
96 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 93
nature, à l’égard des mêmes justiciables. Les normes éthiques qui s’impo-
sent au juge pourraient théoriquement varier selon l’identité du tribunal qui
décide d’un litige. Une telle situation n’est guère favorable à la réalisation
de la primauté du droit qui, en se plaçant dans la perspective des justicia-
bles, implique à tout le moins une certaine uniformité des règles qui con-
traignent les juges à exercer correctement leurs fonctions.
En outre, il est vraisemblable que le principe de la séparation des
pouvoirs6 réserve en exclusivité aux membres de la magistrature une cer-
taine part de responsabilité quant à l’encadrement de la déontologie judi-
ciaire, parallèlement à la part de responsabilité incombant aux institutions
législatives et exécutives. En effet, la déontologie et l’indépendance judi-
ciaires sont si intimement liées7 que l’absence de participation des mem-
bres de la magistrature au processus de définition et d’application des
obligations déontologiques des juges comporte un risque réel d’immixtion
dans l’indépendance des institutions judiciaires. Il apparaît donc nécessaire
que le degré d’engagement de la magistrature en matière de déontologie
judiciaire soit suffisamment significatif pour éviter la perte de son indépen-
dance par rapport aux autres institutions de l’État qui possèdent une com-
pétence à ce sujet.
Les exigences constitutionnelles relatives à la participation de la ma-
gistrature à l’élaboration de la déontologie judiciaire, ou encore la forme
que doit prendre cette participation pour satisfaire au principe de l’indé-
pendance judiciaire, n’ont pas encore été établies en droit canadien, bien
que la magistrature ait largement contribué aux normes déontologiques
existantes. Au surplus, il n’existe pas de structure officielle de regroupe-
ment permettant aux juges d’émettre collectivement leur avis ou de dési-
gner des représentants habilités à le faire en leur nom ; les seules structures
existantes demeurent informelles8. Il manque donc encore à la magistra-
9. Cette lacune est particulièrement apparente lorsque la magistrature exerce ses droits
constitutionnels dans le contexte d’actes de procédure judiciaire, ce qu’elle a fait indis-
tinctement de plusieurs façons, par exemple : à l’initiative d’un juge agissant en son nom
propre (Shatilla c. Shatilla, [1982] C.A. 511), du juge en chef d’un tribunal (Gold c. Pro-
cureur général du Québec, [1986] R.J.Q. 2924 (C.S.)), d’un groupe circonstanciel de juges
(Bisson c. Québec (Procureur général), [1993] R.J.Q. 2581 (C.A.)) ou d’une association
de juges (Manitoba Provincial Judges Assn. c. Manitoba (Ministre de la Justice), [1997]
3 R.C.S. 3).
10. Il n’est pas sans intérêt de constater que le législateur québécois a adopté des codes de
déontologie séparés pour les juges de la Cour du Québec et ceux des cours municipales,
ainsi que pour divers tribunaux administratifs : infra, note 23.
98 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 93
11. À titre d’exemple, mentionnons : l’obligation de récusation du juge, afin d’éviter les si-
tuations de conflit d’intérêts, prévue dans l’article 234 du Code de procédure civile,
L.R.Q., c. C-25 ; la criminalisation de la corruption dans le système judiciaire, prévue
aux articles 118 et suivants du Code criminel, L.R.C. (1985), c. C-46, modifiée par L.R.C.
(1985), c. 2 (1er supp.) ; l’inéligibilité du juge à l’Assemblée nationale, au Conseil exécutif
ou à d’autres charges lucratives de l’État québécois, prévue aux articles 8 et 31 de la Loi
sur les tribunaux judiciaires, précité, note 8, et à l’article 235 de la Loi électorale, L.R.Q.,
c. E-3.3. Cette situation résulte du fait que le sujet de la déontologie judiciaire présente
un double aspect du point de vue du partage des compétence : supra, note 1.
12. Une analyse effectuée il y a une décennie concluait que seuls le Québec et la Colombie-
Britannique possédaient un code de déontologie : M.L. Friedland, Une place à part :
l’indépendance et la responsabilité de la magistrature au Canada, Ottawa, Conseil ca-
nadien de la magistrature, 1995, p. 159.
13. Loi sur les tribunaux judiciaires, précitée, note 8.
14. Id., art. 247.
15. Id., art. 248.
16. Id., art. 256 b) et 261.
17. Id., art. 256 c) et 263.
18. Id., art. 279.
L. Huppé Les fondements de la déontologie judiciaire 99
4) Le juge doit prévenir tout conflit d’intérêts et éviter de se placer dans une
situation telle qu’il ne peut remplir utilement ses fonctions.
6) Le juge doit remplir utilement et avec diligence ses devoirs judiciaires et s’y
consacrer entièrement.
9) Le juge est soumis aux directives administratives de son juge en chef dans
l’accomplissement de son travail.
La structure mise en place par la Loi sur les tribunaux judiciaires re-
pose donc sur la participation active des trois branches de l’État, dont elle
équilibre les pouvoirs relativement à la déontologie judiciaire : le pouvoir
législatif a déterminé l’objet du code de déontologie, a créé l’instance char-
gée d’en établir le texte et a fixé le processus devant être suivi pour son
adoption ; le pouvoir judiciaire a établi le texte du code de déontologie, s’est
assuré par consultation du consentement collectif des juges à qui il est ap-
plicable et demeure responsable de son application ; au pouvoir exécutif
était réservée l’approbation ultime du texte du code, sans modification
24. Un auteur respecté a critiqué cette approche : « l’utilité de ces seules dispositions très
générales demeure incertaine ». Voir : M.L. Friedland, op. cit., note 12, p. 161. Cette
position ne paraît d’aucune façon justifiée. Comme il est possible de le constater à la
lecture des rapports des comités d’enquête du Conseil de la magistrature du Québec, ce
dernier trouve suffisamment de substance dans le Code de déontologie de la magistra-
ture pour exercer sa compétence en matière de déontologie judiciaire. Le Conseil de la
magistrature du Québec diffuse le texte des rapports d’enquête par la voie de son site
Internet : www.cm.gouv.qc.ca/.
L. Huppé Les fondements de la déontologie judiciaire 101
25. Le gouvernement du Québec n’avait pas le pouvoir d’apporter des modifications au code
de déontologie qui lui était soumis par le Conseil de la magistrature : Ruffo c. Conseil de
la magistrature, J.E. 92-1063 (C.A.), désistement d’appel : [1995] 4 R.C.S. 267 ; Conseil
de la magistrature du Québec c. Commission d’accès à l’information, [2000] R.J.Q. 638,
653 (C.A.).
26. Conseil de la magistrature du Québec c. Commission d’accès à l’information, précité,
note 25, 654.
27. Ibid.
28. Dans l’exercice du contrôle judiciaire des décisions des conseils de la magistrature, les
tribunaux supérieurs font preuve d’une grande retenue : Moreau-Bérubé c. Nouveau-
Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, 282 ; la norme est d’ailleurs
la même à l’égard des décisions du Conseil canadien de la magistrature : Taylor c. Ca-
nada (Procureur général), [2003] 3 C.F. 3 (C.A.), permission d’en appeler à la Cour su-
prême refusée le 25 septembre 2003. La Cour suprême du Canada a aussi établi que, par
exemple, la définition du devoir de réserve des juges relève en premier lieu des organis-
mes responsables de la déontologie judiciaire : Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995]
4 R.C.S. 267, 330.
29. Loi sur les juges, précitée, note 20.
30. Les représentants de plus de vingt pays du Commonwealth, parlementaires, juges, prati-
ciens du droit et universitaires, ont exprimé leur préférence pour l’adoption de codes de
déontologie judiciaire, dans le contexte des Latimer House Guidelines for Com-
monwealth, formulées lors d’une réunion tenue du 15 au 19 juin 1998 : J. Hatchard et
P. Slinn, Parliamentary Supremacy and Judicial Independence… Latimer House
Guidelines for the Commonwealth, 19 June 1998, Londres, Cavendish Publishing, 1999.
L’article 1 a) de la section V des Latimer House Guidelines for Commonwealth se lit
comme suit : « A Code of Ethics and Conduct should be developed and adopted by each
judiciary as a means of ensuring the accountability of judges. »
102 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 93
31. Le Conseil canadien de la magistrature a cependant considéré que les principes élaborés
par la Cour suprême du Canada dans Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, et Moreau-Bérubé
c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), précité, note 28, à propos des juges
de nomination provinciale, sont à tous égards applicables au régime déontologique con-
cernant les juges de nomination fédérale : Rapport d’enquête concernant le juge J.-G.
Boilard, 5 août 2003, par. 11 (Conseil canadien de la magistrature), confirmé pour d’autres
raisons le 19 décembre 2003 : (Rapport du Conseil canadien de la magistrature présenté
au ministre de la Justice du Canada en vertu de l’art. 65 (1) de la Loi sur les juges et
concernant le juge Jean-Guy Boilard de la Cour supérieure du Québec, [En ligne], 2003,
[www.cjc-ccm.gc.ca/francais/inquiries/Boilard_Fr.PDF].
32. Ce processus commence par le dépôt d’une plainte auprès du Conseil canadien de la
magistrature, ou d’une demande d’enquête par le gouvernement, aux termes de l’article
63 de la Loi sur les juges, précitée, note 20. Le processus peut conduire à la destitution
du juge par le gouverneur général, sur adresse des deux chambres du Parlement, aux
termes de l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867, précitée, note 3.
33. Aux termes de l’article 65 (2) de la Loi sur les juges, précitée, note 20, le Conseil cana-
dien de la magistrature peut recommander la destitution du juge s’il est d’avis que le juge
est inapte à remplir utilement ses fonctions, pour l’un ou l’autre des motifs suivants :
l’âge ou l’invalidité ; un manquement à l’honneur et à la dignité ; un manquement aux
devoirs de sa charge ; une situation d’incompatibilité, qu’elle soit imputable au juge ou à
toute autre cause.
L. Huppé Les fondements de la déontologie judiciaire 103
34. Le site Internet du Conseil canadien de la magistrature, où se trouve le texte des rap-
ports des comités d’enquête, en compte six depuis 1990 : www.cjc-ccm.gc.ca/francais/.
35. Conseil canadien de la magistrature, Principes de déontologie judiciaire, Ottawa,
Conseil canadien de la magistrature, 1998. Pour la genèse de ces principes, voir : R.J.
Scott, « Accountability and Independence », (1996) 45 R.D.U.N.-B. 27, 32-36. La publi-
cation de ces principes prolongeait et complétait certaines démarches entreprises aupa-
ravant sous l’égide du Conseil canadien de la magistrature, dont les suivantes : J.O.
Wilson, A Book for Judges, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1980 ; G.
Fauteux, Le livre du magistrat, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada,
1980 ; Conseil canadien de la magistrature, Propos sur la conduite des juges,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1991.
36. Loi sur les juges, précitée, note 20, art. 59 (1).
37. Id., art. 60 (2), 63 et 65.
38. Id., art. 60 (1).
104 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 93
Les juges doivent s’appliquer à avoir une conduite intègre, qui soit susceptible de
promouvoir la confiance du public en la magistrature.
Les juges doivent adopter une conduite propre à assurer à tous un traitement égal
et conforme à la loi, et ils doivent conduire les instances dont ils sont saisis dans
ce même esprit.
Les juges doivent être impartiaux et se montrer impartiaux dans leurs décisions et
tout au long du processus décisionnel.
Canon 3 : A judge shall perform the duties of judicial office impartially and
diligently.
Plusieurs règles qui détaillent ces canons recoupent les principes énon-
cés dans le Code de déontologie de la magistrature ou dans les Principes
de déontologie judiciaire ; à titre d’exemple : l’obligation du juge d’agir
conformément au droit, son obligation de résister aux tentatives d’influence
extérieure, l’interdiction d’appartenir à des organisations discriminatoires,
l’obligation de donner priorité à ses fonctions judiciaires sur ses autres
activités, le maintien obligatoire de sa compétence professionnelle, l’obli-
gation de faire preuve de patience et de courtoisie envers les parties, leurs
procureurs et les témoins, l’obligation d’accomplir ses fonctions avec
promptitude et efficacité.
54. Les divers juges en chef d’Australie ont récemment pris l’initiative de la formulation de
principes déontologiques applicables à l’ensemble de la magistrature australienne : The
Australian Institute of Judicial Administration Incorporated, Guide to
Judicial Conduct, [En ligne], 2002, [www.aija.org.au/online/GuidetoJudicialConduct.
pdf].
55. Le texte consolidé de cette ordonnance est disponible sur le site Internet suivant :
Légifrance, Ordonnance portant loi organique relative au statut de la magistrature,
[En ligne], [www.legifrance.gouv.fr/texteconsolide/PFFAA.htm] (10 mars 2004).
56. Id., art, 8, 9, 9.1 et 12.
57. Id., art. 10.
58. Id., art. 43.
59. Pour un résumé de cette jurisprudence, voir : D. Commaret, « Les responsabilités déon-
tologiques des magistrats à la lumière de la jurisprudence du Conseil supérieur de la
magistrature », dans Association française pour l’histoire de la justice, Juger
les juges — Du Moyen-Âge au Conseil supérieur de la magistrature, Paris, La Documen-
tation française, 2000, p. 201 ; voir aussi : F. Colin, « La responsabilité disciplinaire des
juges », dans Institut de sciences pénales et de criminologie, Les juges : de l’ir-
responsabilité à la responsabilité ?, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-en-
Provence, 2000, p. 69.
L. Huppé Les fondements de la déontologie judiciaire 109
vi) qu’il devrait manifester la considération voulue à toutes les personnes parti-
cipant à l’activité juridictionnelle ou affectées par celle-ci,
vii) qu’il devrait exercer ses fonctions dans le respect de l’égalité des parties, en
évitant tout parti pris et toute discrimination, en maintenant l’équilibre entre les
parties et en veillant au respect du principe de contradiction,
viii) qu’il fasse preuve de réserve dans ses relations avec les médias, qu’il pré-
serve son indépendance et son impartialité en s’abstenant de toute exploitation
personnelle de ses relations éventuelles avec les médias et de commentaires injus-
tifiés sur les dossiers dont il a la charge,
xii) qu’il s’abstienne de toute activité politique de nature à compromettre son in-
dépendance et à porter atteinte à son image d’impartialité.
pendance des juges et des avocats64 dans son rapport du 10 février 200365.
Par sa résolution du 23 avril 200366, la Commission les a expressément
portés à l’attention des États membres et des organes de l’ONU et à l’at-
tention des organisations gouvernementales et non gouvernementales vi-
sées.
Comme le relate le rapporteur spécial de l’ONU, les Principes de Ban-
galore sur la déontologie judiciaire ont été élaborés sous forme de projet
en février 2001 par un groupe de juristes de common law, réunis à Banga-
lore, en Inde67. Pour intégrer la perspective d’autres systèmes juridiques,
en particulier celle des pays de droit civil, le projet a fait l’objet de diverses
consultations à l’échelle internationale au cours de 2002, puis a été révisé
durant une réunion tenue à La Haye, du 25 au 27 novembre 2002. Selon le
rapporteur spécial de l’ONU, les Principes de Bangalore sur la déontolo-
gie judiciaire ont obtenu l’approbation générale d’éminentes autorités ju-
diciaires de pays appartenant aux deux principales traditions juridiques que
sont la common law et le droit civil.
D’abondantes sources documentaires de toutes provenances ont été
utilisées pour l’élaboration des Principes de Bangalore sur la déontologie
judiciaire : divers codes de déontologie adoptés en Amérique, en Asie et en
Afrique, des déclarations de principes internationales relatives à l’indépen-
dance judiciaire, ainsi que des énoncés de principes comme les Principes
de déontologie judiciaire adoptés par le Conseil canadien de la magistrature.
Le préambule des Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire
rappelle qu’il est essentiel que les juges, individuellement et collectivement,
traitent leur charge judiciaire conformément au mandat public qu’elle
représente et s’efforcent de promouvoir et de maintenir la confiance
64. Pour ce qui est des fonctions de ce rapporteur spécial, voir : L. Huppé, « Les déclara-
tions de principes internationales relatives à l’indépendance judiciaire », (2002) 43 C. de
D. 299, 304.
65. Les Principes de Bangalore sur l’indépendance judiciaire sont reproduits en annexe du
document suivant : M. Dato’ Param Cumaraswamy, Rapport du Rapporteur spécial
sur l’indépendance des juges et des avocats, présenté en application de la résolution
2002/43* de la Commission, E/CN.4/2003/65, [En ligne], 2003, [www.hri.ca/
fortherecord2003/bilan2003/documentation/commission/e-cn4-2003-65.htm] (10 mars
2004). Pour un exposé de la genèse de ces principes, voir : M. Kirby, « A Global
Approach to Judicial Independence and Integrity », (2001) 21 University of Queensland
Law Journal 147.
66. Résolution 2003/43 (E/CN.4/RES/2003/43), [En ligne], 2003, [www.unhchr.ch/Huridocda/
Huridoca.nsf/(Symbol)/E.CN.4.RES.2003.43.En ?Opendocument] (10 mars 2004).
67. Y participait notamment l’honorable Claire L’Heureux-Dubé, membre de la Cour
suprême du Canada.
112 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 93
Impartiality is essential to the proper discharge of the judicial office. It applies not
only to the decision itself but also to the process by which the decision is made.
Integrity is essential to the proper discharge of the judicial office.
Propriety, and the apperance of propriety, are essential to the performance of all
of the activities of a judge.
Ensuring equality of treatment to all before the courts is essential to the due per-
formance of the judicial office.
Bien qu’ils n’aient pas d’application directe en droit canadien, les Prin-
cipes de Bangalore sur la déontologie judiciaire constituent néanmoins un
étalon de référence pour le façonnement des règles de déontologie judiciaire
au Canada. Le prestige de ceux qui les ont élaborés et l’ampleur de la con-
sultation internationale dont ils représentent l’aboutissement, ainsi que
l’appui explicite des instances de l’ONU, concourent à leur donner une
valeur juridique indéniable.
Deux caractéristiques ressortent plus particulièrement de l’analyse des
sources formelles de la déontologie judiciaire. La première est que, quel
que soit l’encadrement légal dans lequel émergent les principes déontologi-
ques, la magistrature prend une part importante, sinon une part détermi-
nante, dans leur élaboration. Cette situation permet de préserver au mieux
l’indépendance judiciaire, dans la mesure où les instances de la magistra-
ture qui établissent les règles d’éthique judiciaire possèdent une légitimité
suffisante à l’égard de l’ensemble des juges visés. La seconde est que les
différents mécanismes utilisés pour formuler des principes déontologiques,
que ce soit par un code de déontologie, un énoncé de principe ou autre-
ment, n’influent pas substantiellement sur le contenu de ces principes.
Variables dans leur présentation et leur mode d’émergence, les diverses
sources de la déontologie judiciaire convergent dans l’expression de prin-
cipes fondamentaux semblables, sinon identiques.
68. Le serment judiciaire existait déjà dans les droits de l’Antiquité : E. Kahn, « The Judicial
Oath », (1954) 71 South African Law Journal 22, 22-23.
69. J.M. Carbasse, « Le juge entre la loi et la justice : approches médiévales », dans J.M.
Carbasse et L. Depambour-Tarride (dir.), La conscience du juge dans la tradition
juridique européenne, Paris, PUF, 1999, p. 67, aux pages 73 à 75.
70. Ordonnance pour la réformation des mœurs dans le Languedoc et le Languedoil, repro-
duite dans son latin original et résumée en français dans Jourdan, Decrusy, Isambert
(dir.), Recueil général des anciennes lois françaises, t. 1, Paris, 1821, no 170. Pour un
exposé des devoirs déontologiques des magistrats français de l’Ancien Régime, voir : M.
Rousselet, Histoire de la magistrature française, des origines à nos jours, t. 2, Paris,
Plon, 1957, p. 33-87. Sous l’Ancien Régime, les règles de déontologie judiciaire découlent
de sources diverses, à savoir d’ordonnances, d’édits, de lettres patentes royales, d’arrêts
de règlement du conseil du roi et des parlements, ainsi que de règlements internes au
tribunal : S. Soleil, « « Pour l’honneur de la compagnie et de la magistrature ! » — Le
pouvoir disciplinaire interne aux institutions judiciaires (XVIe – XVIIIe siècles) », dans
Association française pour l’histoire de la justice, op. cit., note 59, p. 53, à la
page 57.
71. R. Jacob, Les fondements symboliques de la responsabilité des juges — L’héritage de la
culture judiciaire médiévale, dans Association française pour l’histoire de la jus-
tice, op. cit., note 59, 7, p. 12-13.
72. E. Campbell, « Oaths and Affirmation of Public Office Under English Law : An
Historical Retrospect », (2000) 21 (3) Journal of Legal History 1, 3.
73. Bracton écrit ceci dans son traité (vers 1260), à propos des juges itinérants : « Each will
swear, one after the other, that in the counties into which they are to travel they will do
right justice to the best of their ability to rich and poor alike, and they will observe the
assise according to the articles set out », H. de Bracton, On the Laws and Customs of
England, t. 2, Cambridge, Belknap Press of Harvard University Press, 1968, p. 309.
L. Huppé Les fondements de la déontologie judiciaire 115
tion de rendre justice dans la pleine mesure de leurs moyens, sans distinc-
tion entre les riches et les pauvres. Leurs obligations déontologiques con-
cernent principalement le maintien de leur impartialité, un devoir de
diligence et la recherche de la justice et de la vérité74. C’est en 1346, sous le
règne d’Édouard III, que se trouve la première formulation d’un serment
judiciaire dans la législation anglaise75. Il fait en particulier obligation aux
juges de bien et loyalement servir le roi et son peuple, de rendre égale jus-
tice aux riches comme aux pauvres et leur interdit d’accepter une rémuné-
ration de qui que ce soit d’autre que le roi.
Dès son origine, le serment judiciaire constitue la source des obliga-
tions déontologiques du juge, « véritable acte fondateur de la fonction de
juger76 », de sorte que formuler des reproches d’ordre déontologique aux
juges consiste à « statuer sur leur fidélité à leur serment77 ». L’émergence
du serment judiciaire est liée à la profonde mutation du système judiciaire
qui intervient à cette période et qui accorde désormais au juge un rôle plus
important dans la détermination des droits et des obligations des parties au
litige. Jusqu’alors, des modes irrationnels de preuve servaient à faire con-
naître dans le procès le jugement divin. Ces modes de preuve sont rempla-
cés par l’appréciation raisonnée de jurés ou de juges78. Comme le rôle du
juge change dans le déroulement du procès, l’obligation de rendre jugement
dans le contexte du droit devient « l’obligation proprement professionnelle
du juge79 ». Le serment constitue ainsi une technique utilisée, dès que
80. R. Jacob, loc. cit., note 71, 16, donne un exemple de l’importance du serment judiciaire
aux yeux des justiciables à cette époque : « Dès le Moyen-Âge, des juges s’étaient fait
représenter sur leur sceau dans la position du serment, main tendue vers un livre ouvert.
C’était bien là l’acte initiatique qui transformait l’homme ordinaire en un juge légitime. »
81. Pour un bref exposé des sources documentaires relatives à l’évolution historique de la
responsabilité des juges, voir : H.P. Glenn, « La responsabilité des juges », (1983) 28
R.D. McGill 228, 232 et suiv.
82. Arrêts et règlements du Conseil supérieur de Québec et ordonnances et jugements des
intendants du Canada, Québec, Assemblée législative du Canada, Presse à vapeur de
E.R. Fréchette, 1855, p. 22.
83. « Commission de M. Duchesneau à Pierre Duquet pour exercer la charge de juge et bailli
en l’Île d’Orléans à la place du sieur Aubert qui s’est volontairement démis de la dite
charge », dans P.G. Roy, Ordonnances, commissions, etc., etc. des gouverneurs et inten-
dants de la Nouvelle-France, 1639-1706, t. 1, Beauceville, L’Éclaireur, 1924, p. 212.
84. « Commission du juge Jacques Allier », dans A. Shortt et A.G. Doughty (dir.), Docu-
ments relatifs à l’histoire constitutionnelle du Canada, 1759-1791, 2e éd., 1re partie, Ot-
tawa, Mulvey, 1921, p. 23.
85. Id., p. 150.
86. A. Shortt et A.G. Doughty (dir.), Documents relatifs à l’histoire constitutionnelle du
Canada, 1791-1818, Ottawa, Mulvey, 1915, p. 508 et suiv. Il s’agissait du juge Louis-
Charles Foucher.
L. Huppé Les fondements de la déontologie judiciaire 117
tion d’un juge du Bas-Canada est fondée notamment sur les manquements
à son serment. Une loi de 184187 établissant des cours de district prévoit
que les juges de ce tribunal doivent, dans un délai de dix jours après leur
nomination et avant d’exercer aucune autorité en vertu de cette loi, prêter
le serment de remplir et d’exercer bien et fidèlement, au meilleur de leur
connaissance et capacité, tous les devoirs et l’autorité qui leur sont confiés
en leur qualité de juge.
Ainsi, le serment judiciaire représente selon toute vraisemblance une
constante dans l’histoire du droit canadien. Il fait partie intégrante des sys-
tèmes de droit qui se sont développés en Europe depuis le Moyen-Âge et
que les conquérants français et anglais implantent successivement en sol
canadien pour marquer leur souveraineté.
Pour ce qui est des juges puînés, ce serment est prêté devant le juge en
chef ou devant l’un de ses collègues, s’il est absent ou empêché ; la presta-
tion du serment du juge en chef a lieu devant le gouverneur général en con-
seil89.
87. Acte pour pourvoir à Administrer la Justice d’une manière plus facile et économique
dans les Causes Civiles, et autres matières d’une valeur pécuniaire modique, dans cette
partie de la Province ci-devant le Bas-Canada, (1841) 4 & 5 Vict., R.-U., c. 20, art 6.
88. Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), c. S-26, art. 10. Le même serment est prêté par
les juges de la Cour fédérale, aux termes de l’article 9 de la Loi sur la Cour fédérale,
L.R.C. (1985), c. F-7.
89. Loi sur la Cour suprême, précitée, note 88, art. 11. Pour ce qui est du juge en chef de la
Cour fédérale, l’article 9 de la Loi sur la Cour fédérale, précitée, note 88, prévoit que le
serment est prêté devant le gouverneur général.
118 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 93
Pour ce qui est des juges de la Cour du Québec, ils prêtent devant le
juge en chef, le juge en chef associé ou un juge en chef adjoint, avant
d’entrer en fonction, le serment suivant92 :
Je déclare sous serment de remplir fidèlement, impartialement et honnêtement, au
meilleur de ma capacité et de mes connaissances, tous les devoirs de juge de la
Cour du Québec et d’en exercer de même tous les pouvoirs.
Les différentes formules du serment prêté par les juges canadiens sont
comparables aux formules du serment que prêtent des juges exerçant leurs
90. Cette lacune découle sans doute des conditions historiques d’émergence des tribunaux
de droit commun au Québec. En effet, aucune des nombreuses ordonnances et lois rela-
tives à l’établissement et à l’organisation des tribunaux de droit commun au Québec,
depuis la Conquête jusqu’à ce jour, ne traite du serment devant être prononcé par les
juges avant leur entrée en fonction.
91. Ce serment n’est publié dans aucun texte législatif. Il est reproduit ici avec l’autorisation
de l’honorable J.J. Michel Robert, juge en chef du Québec, que l’auteur tient à remercier.
Le texte de ce serment est très semblable à la formule générale de serment promulguée,
pour toute personne nommée à une charge relevant de l’autorité législative fédérale et
dont le serment n’est pas autrement prévu dans une loi, par le Règlement sur les ser-
ments d’office, C.R.C., c. 1242, adopté aux termes de l’article 4 de la Loi sur les serments
d’allégeance, L.R.C. (1985), c. O-1.
92. Loi sur les tribunaux judiciaires, précitée, note 8, art. 89. En ce qui concerne les juges
des cours municipales, l’article 36 de la Loi sur les cours municipales, L.R.Q., c. C-72.01,
prévoit qu’avant d’entrer en fonction le juge doit prêter par écrit le serment qui suit,
devant le juge en chef des cours municipales ou un juge de la Cour du Québec : « Je dé-
clare sous serment que je remplirai fidèlement, impartialement et honnêtement, au
meilleur de ma capacité et de mes connaissances, tous les devoirs de juge d’une cour
municipale et que j’en exercerai de même tous les pouvoirs. »
L. Huppé Les fondements de la déontologie judiciaire 119
93. Judiciary and Judicial Procedure, title 28 U.S.C. s. 453 : chaque juge des États-Unis doit
prêter le serment suivant avant son entrée en fonction : « I do solemnly swear (or affirm)
that I,______, will administer justice without respect to persons, and do equal right to the
poor and to the rich, and that I will faithfully and impartially discharge and perform all
the duties incumbent upon me as ___ under the Constitution and laws of the United Sta-
tes. So help me God. »
94. Le texte des serments prêtés par les juges des divers tribunaux australiens est reproduit
dans : J. Thomas, Judicial Ethics in Australia, Sydney, The Law Book Company
Limited, 1988, p. 101-102. Pour une appréciation des obligations qui en découlent, voir :
J. Toohey, « « Without Fear or Favour, Affection or Ill-will » : The Role of Courts in the
Community », (1999) 28 University of Western Australia Law Review 1.
95. Supra, note 75.
96. Le serment des juges français est établi par l’article 6 de l’Ordonnance portant loi orga-
nique relative au statut de la magistrature, précitée, note 55, qui prévoit que tout magis-
trat, lors de sa nomination à son premier poste, et avant d’entrer en fonction, prête
serment en ces termes : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder
religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et
loyal magistrat. » Le serment est prêté devant la Cour d’appel ou devant la Cour de cas-
sation pour les magistrats qui y sont nommés. Le magistrat ne peut, en aucun cas, être
relevé de ce serment.
97. Pour une revue sommaire de divers serments prêtés par des juges en Europe, voir : G.
Kerbaol, Annexe 14 : Tableau comparatif des régimes de responsabilité de magistrats
dans les magistratures occidentales, [En ligne], [www.enm.justice.fr/centre_de_
ressources/dossiers_reflexions/responsabilite/annexe14.htm] (11 mars 2004). Voir aussi :
C. Matray, « Magistrature et démocratie : à la recherche des devoirs de la charge », dans
Les droits de l’homme au seuil du troisième millénaire — Mélanges en hommage à Pierre
Lambert, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 582-583.
98. E. Campbell, loc. cit., note 72, 1, écrit ce qui suit : « By taking an oath of office, a person
acknowledges at least the principal duties attending occupancy of the office and promi-
ses to perform them. » J. Thomas, op. cit., note 94, p. 101, écrit dans le même sens : « The
judges’ oath is an important recognition of the ethical duties that the judge assumes upon
taking office. »
99. D. Commaret, loc. cit., note 59, 215, écrit ceci : « plus qu’un pouvoir, la justice est
d’abord une dette, que le magistrat accepte définitivement de partager lors de sa presta-
tion de serment et dont il devient le garant ».
120 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 93
100. Therrien (Re), précité, note 31, 75, citant le juge Beetz.
101. R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, 533. Selon cet arrêt, il existerait une présomption
selon laquelle les juges respectent leur serment professionnel. Par ailleurs, l’obligation
de prêter serment ainsi que l’existence d’un code de déontologie ont été considérées
comme des facteurs pertinents pour déterminer l’apparence d’impartialité des juges
municipaux siégeant à temps partiel : R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, 147-152.
102. Le droit français le spécifie expressément : supra, note 96.
L. Huppé Les fondements de la déontologie judiciaire 121
103. Notons que le rapport d’enquête concernant le juge L. Landreville (Ivan C. Rand, Inquiry
re : the Honourable Mr. Justice Leo A. Landreville, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1966,
p. 95), rédigé à une époque où la déontologie judiciaire ne faisait pas encore l’objet de
normes précises au Canada, fait référence précisément dans l’analyse des motifs justi-
fiant sa destitution au serment prêté par le juge Landreville.
104. Un juge de la Cour suprême des États-Unis écrit ainsi que le maintien d’une éthique
judiciaire élevée repose sur trois principes : un engagement personnel des juges en ce
sens ; l’adoption de codes de déontologie judiciaire par la magistrature ; un processus
d’examen des plaintes d’inconduite contrôlé par le pouvoir judiciaire ; A.M. Kennedy,
« Judicial Ethics and the Rule of Law », (1996) 40 Saint Louis University Law Journal
1067, 1067-1068.
122 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 93
105. À ce sujet, voir les articles suivants : S. Lafont, « Le juge biblique », dans J.M.
Carbasse et L. Depambour-Tarride (dir.), op. cit., note 69, p. 19 ; J.-J. de los Mozos-
Touya, « Le juge romain à l’époque classique », dans J.M. Carbasse et L. Depambour-
Tarride (dir.), op. cit., note 69, p. 49.
L. Huppé Les fondements de la déontologie judiciaire 123
106. Pour une analyse de ces pouvoirs inhérents en droit canadien, voir : L. Huppé, Le ré-
gime juridique du pouvoir judiciaire, Montréal, Wilson & Lafleur, 2000, p. 19-25 ; S.M.
Sugunasiri, « The Inherent Jurisdiction of Inferior Courts », (1990) 12 Advocate’s Q.
215. L’article suivant a acquis une grande notoriété en droit canadien à propos des pou-
voirs inhérents des tribunaux : I.H. Jacob, « The Inherent Jurisdiction of the Court »,
(1970) 23 Current Legal Problems 23. Pour un aperçu de la question dans les pays de
common law, voir à titre d’exemple : M.S. Dockray, « The Inherent Juridiction to
Regulate Civil Proceedings », (1997) 113 The Law Quaterly Review 120 ; J.J. Janatka,
« The Inherent Power : An Obscure Doctrine Confronts Due Process », (1987) 65
Washington University Law Quartely 429 ; K. Mason, « The Inherent Jurisdiction of the
Court », (1983) 57 The Australian Law Journal 449 ; R.J. Pushaw, « The Inherent Powers
of Federal Courts and the Structural Constitution », (2000-2001) 86 Iowa Law Review
735 ; J.R. Wolf, « Inherent Rulemaking Authority of an Independent Judiciary », (2001-
2002) 56 University of Miami Law Review 507.
107. Ruffo c. Conseil de la magistrature, précité, note 28, 304.
108. Au sujet de ces limites, voir : L. Huppé, op. cit., note 106, p. 179 et suiv.
109. Canada (vérificateur général) c. Canada (ministre de l’Énergie, des Mines et des Res-
sources), [1989] 2 R.C.S. 49, 91.
124 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 93
110. C’est d’ailleurs ainsi que l’indépendance judiciaire est considérée sur le plan internatio-
nal : L. Huppé, loc. cit., note 64, 307.
111. Morier c. Rivard, précité, note 2.
112. Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-
Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3.
113. Le caractère inhérent de la déontologie judiciaire représente un fondement conceptuel
plus satisfaisant que la tradition et la pratique, qui ont été invoquées pour en justifier les
fondements en Grande-Bretagne : « There is no written code of judicial ethics in
England ; the judges are guided by conventions, traditions, practices and understandings
which have been established over the years by customs and precedents » ; S. Shetreet,
Judges on Trial — A Study of the Appointment and Accountability of the English
Judiciary, Amsterdam, North Holland Publishing Company, 1976, p. 269.
114. L’Avis no 3 (2002) du Conseil consultatif de juges européens (CCJE), précité, note 62,
par. 13, rappelle ce qui suit à propos des pouvoirs conférés aux juges : « Le but dans
lequel ces pouvoirs sont conférés aux juges est de permettre à ceux-ci de rendre la jus-
tice par l’application de la loi et d’assurer que chaque personne dispose des droits et/ou
des biens qui lui sont légalement dévolus et dont elle a été ou pourrait être injustement
privée. »
L. Huppé Les fondements de la déontologie judiciaire 125
115. Therrien (Re), précité, note 31, 76. Un comité d’enquête du Conseil de la magistrature du
Québec soulignait plus explicitement qu’un membre de la magistrature qui refuse de res-
pecter les règles de déontologie judiciaire n’a d’autre choix que de quitter ses fonctions
s’il ne s’y sent pas à l’aise : Rapport et recommandations du Comité d’enquête chargé
d’entendre la plainte formulée par monsieur le juge Albert Gobeil à l’endroit de ma-
dame la juge Andrée Ruffo, [En ligne], 6 mai 1997, p. 16, [www.cm.gouv.qc.ca/docu-
ments/Decisions/1997-05-06%20Plainte%20de%20Albert%20Gobeil%20à%20l%
27égard%20de%20la%20juge%20Andrée%20Ruffo/Rapport%20d% 27enquête.pdf] (10
mars 2004).
116. Ruffo c. Conseil de la magistrature, précité, note 28, 332. Ces idées ont également été
formulées au sein des comités d’enquête des conseils de la magistrature ; à titre d’exem-
ple, voir : Rapport d’enquête concernant le juge J.-G. Boilard, précité, note 31, par. 105 ;
Rapport d’enquête concernant les plaintes de M. Lapointe, C. Lamothe et al. à l’égard
de la juge Andrée Ruffo, 15 décembre 2000, [www.cm.gouv.qc.ca/documents/Decisions/
2000-12-15%20Plainte%20de%20Miville%20Lapointe,%20Claude%20Lamothe%20
et%20al.%20à%20l%27égard%20de%20la%20juge%20Andrée%20Ruffo/Rapport%
20d%27enquête.pdf] (10 mars 2004).
117. T.D. Marshall, op. cit., note 52, p. 68 ; J. Thomas, op. cit., note 94, p. 7 ; Ruffo c. Con-
seil de la magistrature, précité, note 28, 309.
118. Ruffo c. Conseil de la magistrature, précité, note 28, 311.
119. Ces deux valeurs sont garanties notamment par l’article 11 d) de la Charte canadienne
des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de
1982 sur le Canada (1982, R.-U., c. 11)] et par l’article 23 de la Charte des droits et liber-
tés de la personne, L.R.Q., c. C-12. L’Avis no 3 (2002) du Conseil consultatif de juges
européens (CCJE), précité, note 62, par. 14, mentionne ce qui suit, à propos d’une dispo-
sition similaire de la Convention européenne des droits de l’Homme : « Loin de souli-
gner la toute-puissance du juge, elle met en exergue les garanties apportées aux
justiciables et énonce les principes qui fondent les devoirs du juge : indépendance et
impartialité. »
126 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 93
judiciaire et elle s’impose à ceux qui exercent cette fonction sans nécessité
qu’une source formelle de droit le reconnaisse expressément.
120. Ruffo c. Conseil de la magistrature, précité, note 28, 332. Cette conception a été abon-
damment reprise par la suite, en particulier par les comités d’enquête du Conseil de la
magistrature du Québec.
121. Id., 333.
122. Id., 332. En approuvant ces propos, la doctrine a aussi présenté la déontologie judiciaire
comme un « système normatif constitué d’exhortations générales à bien se comporter »
(p. 310) : Y.-M. Morissette, « Comment concilier déontologie et indépendance judiciai-
res », (2003) 48 R.D. McGill 297 (une version préliminaire de cet article a été publiée
dans : Conseil de la magistrature du Québec, L’indépendance judiciaire… Con-
trainte ou gage de liberté ?, Acte du colloque 2002, p. 79), disponible à l’adresse Internet
suivante : [www.cm.gouv.qc.ca/documents/documentUp/Colloque_2002.pdf].
L. Huppé Les fondements de la déontologie judiciaire 127
123. MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson, [1995] 4 R.C.S. 725, 750 et 752.
128 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 93
Conclusion
Ainsi, un objectif semblable inspire les différentes techniques utilisées
par le droit canadien pour encadrer la conduite des juges : la préservation
de l’intégrité de la fonction judiciaire, essentielle au maintien de la primauté
du droit, que le préambule de la Loi constitutionnelle de 1982 consacre
comme l’un des principes fondamentaux de la société canadienne.
La première technique, la plus ancienne, consiste à exiger de chaque
juge un engagement personnel quant à la façon d’exercer les fonctions judi-
ciaires que l’État lui confie. Le serment judiciaire donne à cet engagement
une solennité qui en marque toute l’importance. Personnellement engagé
envers ses pairs, envers l’État et envers l’ensemble des justiciables, le juge
ne peut commettre d’écarts de conduite substantiels sans manquer à la
parole donnée. Reposant sur le consentement public du juge, cette techni-
que présente l’avantage de placer tous les juges sur un pied d’égalité,
compte tenu de la similarité des différents textes de serment judiciaire. Elle
a l’inconvénient de ne pas définir concrètement la portée de l’engagement
du juge.
La deuxième technique, la plus insistante, consiste à formuler des rè-
gles de droit qui contraignent les membres de la magistrature et les expo-
sent à des sanctions. La Loi constitutionnelle de 1867 énonce, pour les juges
des tribunaux de droit commun, la norme fondamentale126 que la conduite
des juges est un facteur pertinent pour déterminer leur aptitude à exercer
des fonctions judiciaires. Pour ce qui est des juges de nomination fédérale,
la Loi sur les juges amplifie cette norme fondamentale127 : le juge risque
une recommandation de destitution s’il manque à l’honneur et à la dignité
ou encore aux devoirs de sa charge. Pour ce qui est des juges de nomina-
tion québécoise, la même norme est détaillée dans le Code de déontologie
de la magistrature et, aux termes de la Loi sur les tribunaux judiciaires, un
manquement aux règles qui y sont contenues expose le juge à une répri-
mande ou à l’éventualité d’une destitution128. Cette technique présente
l’avantage, pour les juges et pour les justiciables, de mieux définir les atten-
tes de la société quant aux obligations déontologiques des membres de la
magistrature. Par le mécanisme de plainte qu’elle instaure, elle crée cepen-
dant une certaine vulnérabilité chez les juges, en les soumettant à la possi-
Sylvette Guillemard*
tions that the parties now have to participate in the proper advancement
of the proceedings. She concludes as has been said « Render unto Cæsar
the things that are Cæser’s », in other words best leave the contractual
obligation qualification of the relation between parties unto Roman law,
while noting that henceforth, litigants have legal obligations that reflect
the major principles adopted by the codifier, especially that of control
over the issues by the parties.
Pages
1 Ambiguïté terminologique
D’emblée, signalons une équivoque. Le droit connaît deux types de
contrats judiciaires. En effet, cette expression peut désigner le sujet de
notre réflexion, soit « le lien d’instance, en vertu d’une théorie qui l’assi-
mile à un rapport d’origine contractuelle9 ». Afin d’éviter une trop grande
confusion des termes, nous nous proposons de le désigner par l’expression
« contrat judiciaire procédural » tant il est intimement lié à la sphère
procédurale. Entendu en ce sens, s’il n’y avait pas d’instance, il n’y aurait
pas de contrat judiciaire.
Il se trouve que le contrat judiciaire est également celui « qui intervient
entre les parties, en cours d’instance, et dont l’existence est constatée et
10. Id. Le droit anglo-saxon ne semble connaître que ce type de contrat judiciaire qu’il ap-
pelle judicial convention.
11. Sur ces questions, voir notamment A. Eengel-Créach, Les contrats judiciairement
formés, Paris, Economica, 2002.
12. Id., p. 180.
13. Ibid..
14. Voir J. Gaudemet, Institutions de l’antiquité, Paris, Sirey, 1982.
15. Cette procédure a été consacrée par la loi Aebutia et la loi Iulia.
16. À l’époque romaine, le magistrat et le juge sont deux personnes différentes. Alors que le
second tranche le litige, dit le droit, le premier est un fonctionnaire qui, entre autres,
organise le litige, en fixe l’objet et nomme le juge.
17. J. Gaudemet, op. cit., note 14, p. 635.
S. Guillemard La réforme du Code de procédure… 137
18. Ibid.
19. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, t. 3, Paris, Sirey, 1991, p. 210.
20. J. Gaudemet, op. cit., note 14, p. 638.
21. Dans certains cas, le magistrat peut même refuser la formule proposée.
22. J. Gaudemet, op. cit., note 14, p. 637.
23. Id., p. 636.
24. Ibid.
25. Id., p. 638.
26. Ibid.
138 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 133
27. Req. 29 avril 1912, D. 1912.1.305, S. 1913.1.185, note Naquet, p. 185-186. Le passage de la
procédure formulaire à la procédure extraordinaire a eu lieu au iiie siècle.
28. Ibid.
29. É. Valabrègue, « Transmissibilité et durée des actions », (1879) 8 Revue critique de
législation et de jurisprudence 519, 538. Cet auteur met en garde le juriste (p. 519) : « il
faut accueillir avec la plus extrême réserve les règles juridiques que le passé nous a lé-
guées et qui, grâce surtout à l’empire de la tradition, se sont glissées dans notre jurispru-
dence ».
30. H. Solus et R. Perrot, op. cit., note 19, p. 11.
31. C. Demolombe, Traité de contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 7,
Paris, Imprimerie générale, 1878, p. 257.
32. Ibid.
S. Guillemard La réforme du Code de procédure… 139
Pour les parties, qui tracent ainsi le cercle, dans lequel le litige s’engage, et les
points précis sur lesquels elles demandent une décision ;
Pour les juges, qui doivent rendre la décision demandée par les conclusions, tou-
jours jusques à leurs dernières limites, et jamais au delà ! […]
Tel est donc le caractère de l’instance judiciaire : une convention, un contrat !
Nous ne pensons pas, pour notre part, qu’il ait accordé à un acte précis de la pro-
cédure la vertu d’opérer un lien juridique quelconque. D’où résulterait, en effet, ce
lien que plusieurs jurisconsultes ont cru voir ? Nous cherchons en vain dans notre
législation un acte correspondant à la litis contestatio des Romains […].
[Le] contrat judiciaire est […] une création arbitraire procédant d’une tradition
mal comprise […].
Un contrat implique nécessairement un concours de deux volontés. Or, le prétendu
contrat judiciaire est exclusif de la volonté libre des parties, car, si le demandeur
saisit le tribunal, c’est qu’il n’y a pas d’autre moyen pour lui d’obtenir satisfac-
tion, et, si le défendeur comparaît et conteste, c’est qu’il n’y a pas pour lui d’autre
moyen de défendre ses droits38.
Tissier est catégorique : « Il n’y a, dans les rapports établis par l’ins-
tance entre les parties et dans les obligations qui en résultent, rien de con-
tractuel39. »
Deux auteurs ont systématiquement présenté des contre-arguments
aux critiques. Commentant l’ambiguïté terminologique que nous avons si-
gnalée plus haut, entre le contrat judiciaire que nous avons appelé « con-
ventionnel » et le contrat judiciaire que nous avons qualifié de
« procédural », ils rétorquent uniquement : « pure question de terminolo-
gie40 ». À l’affirmation de Tessier selon qui c’est par l’effet de la loi et non
d’un contrat que les plaideurs « sont obligés de rester dans l’instance (l’ins-
tance est un rapport d’ordre légal)41 », ils répondent : « [Si] cela est, qu’im-
porte ? La loi n’attache-t-elle pas certaines obligations au contrat (bonne
foi, garantie, etc.)42 ? » Quant à l’absence de concours de volontés, ils ci-
tent un arrêt de la Cour de cassation qui « dit bien que le défendeur accepte
ou refuse la juridiction43 ». Rappelons que la litis contestatio romaine avait
un effet novatoire. La disparition de celle-là a entraîné l’anéantissement de
celui-ci : « C’est exact, […] mais la théorie contractuelle de l’instance n’est
nullement liée à l’effet novatoire […] [et] on peut admettre le contrat d’ins-
tance sans effet novatoire44. » Citant ensuite un auteur allemand pour qui
« [l]’hypothèse du contrat est inutile, les parties à l’instance n’ont pas
d’obligations (Pflichten) mais des charges (Lasten)45 », ils écrivent :
L’observation est intéressante encore qu’il faille distinguer, selon la sanction dont
elles sont assorties, entre les obligations dont l’inexécution paralyse au moins tem-
porairement le cours de la justice (comparaître, sanction : le défaut), celles qui
exposent seulement l’une des parties à un désavantage (défaut de preuve), et cel-
les qui appellent des sanctions pécuniaires (déloyauté). L’admettrait-on ? Elle ne
contredit pas la thèse contractuelle (il y a des charges contractuelles : donner congé
pour faire cesser une location verbale, mettre en demeure le débiteur…)46.
52. Nous excluons ici l’arbitrage, auquel les parties peuvent choisir de recourir lorsque le
différend relève de certains domaines, comme en matière de relations commerciales. Ici,
la nature contractuelle de la volonté commune de retirer compétence aux autorités éta-
tiques pour en investir un système de justice privée ne fait aucun doute. C’est d’ailleurs
parce que le recours à l’arbitrage constitue une dérogation au « monopole » de l’État en
matière de justice que celui-ci, par la bouche de ses législateurs, l’autorise à condition
que les parties impliquées démontrent par un accord de volonté exprès, sous forme écrite,
leur renonciation au système de justice publique : C.c.Q., art. 2640 ; Nouveau Code de
procédure civile français, art. 1443 ; et art. II et IV 1.b) de la Convention pour la recon-
naissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, New York, 10 juin 1958.
La convention d’arbitrage est, selon les termes mêmes de l’article 2638 du C.c.Q. et de
l’article 1442 du Nouveau Code de procédure civile français, un contrat.
53. H. Solus et R. Perrot, op. cit., note 19, p. 10-11.
54. Req. 29 avril 1912, précité, note 27, p. 185.
55. C.p.c., art. 192.
56. H. Solus et R. Perrot, op. cit., note 19, p. 11.
S. Guillemard La réforme du Code de procédure… 143
tentions de son adversaire qui, elles, sont énoncées dans la requête. Or, par
définition, le défenseur va s’opposer aux arguments, de fait et de droit, de
son adversaire, liés à la substance même du dossier ou à certains aspects
procéduraux. Sur ce chapitre, il pourra, par exemple, contester la compé-
tence, ratione materiae ou ratione personae, du tribunal72. Est-il possible,
dans ces conditions, d’admettre qu’il accepte l’offre du demandeur, condi-
tion nécessaire pour réaliser la formation du contrat ? La réponse est évi-
dente. Chacun sait que « [l]’acceptation qui n’est pas substantiellement
conforme à l’offre […] ne vaut pas acceptation. Elle peut, cependant, cons-
tituer elle-même une nouvelle offre73. » Il est inutile de poursuivre sur ce
terrain-là, au risque de tomber dans une logique… kafkaïenne ! Par défini-
tion, par essence, la notion d’acceptation, au sens de la théorie contrac-
tuelle, est antinomique de la participation du défendeur au procès et à la
procédure qui y mènent.
Quand le contrat se formerait-il ? En droit romain, « [l]a remise de la
formule par le demandeur au défendeur qui l’accepte constitue le contrat
judiciaire74 ». C’est donc à cette étape précise, celle de la litis contestatio,
que le rapport est scellé en un contrat qualifié de formel par certains75. Ce
qui, en matière de cheminement procédural, s’apparenterait à la litis
contestatio serait, en droit moderne, la liaison de l’instance, prévue à l’ar-
ticle 186 du Code de procédure civile :
La contestation est liée :
78. Ibid.
79. C.p.c., art. 199. Pour des exemples de modifications, voir D. Ferland et B. Émery, op.
cit., note 4, p. 336-350. En droit judiciaire français, voir notamment H. Solus et R.
Perrot, op. cit., note 19, p. 865-930.
80. G. Cornu et J. Foyer, op. cit., note 40, p. 363.
81. Ibid.
82. Ibid.
S. Guillemard La réforme du Code de procédure… 147
5 La situation au Québec
Quelques années plus tard, la Cour supérieure reprend ces propos et,
les appliquant au dossier qui lui est alors soumis, conclut simplement : « La
défenderesse et son avocat font bien peu de cas du « contrat judiciaire » les
liant92. »
En 1998, les sténographes officiels ont présenté une requête en juge-
ment déclaratoire visant à confirmer que, en vertu de plusieurs dispositions
législatives et réglementaires ainsi qu’aux termes des articles 324 à 331 du
Code de procédure civile, eux seuls avaient le droit d’agir devant les tribu-
naux du Québec. L’intervenant, dont les employés n’étaient pas des sténo-
graphes officiels, prétendait que les parties ont « le droit de renoncer au
89. Fraser c. Pouliot et al., (1885) 13 R.L. 1, 6. Le jugement d’appel ne reprend pas cette
discussion et ne fait même pas mention du contrat judiciaire : Fraser c. Pouliot et al.,
(1885) 13 R.L. 520.
90. Droit de la famille — 871, [1990] R.J.Q. 2107, 2108 (C.A.).
91. Latouche c. Raymond Chabot Fafard Gagnon inc., [1997] A.Q. (Quicklaw) no 1191
(C.A.).
92. Palagesco inc. c. Groupe Lincora inc., [2000] A.Q. (Quicklaw) no 1119, par. 21 (C.S.).
Bien sûr, l’expression, « à la partie adverse » est sous-entendue.
S. Guillemard La réforme du Code de procédure… 149
Il faut donc admettre que la jurisprudence est peu loquace sur le sujet,
tant quantitativement97 que qualitativement, puisque jamais elle ne le déve-
loppe ni ne l’analyse, se contentant de le mentionner.
97. Les causes de jurisprudence rapportées ici sont en partie le résultat d’une recherche
exhaustive sur des banques de données informatisées.
98. C.p.c., art. 151.1.
99. C.p.c., art. 151. 6, par. 3 et 4.
100. C.p.c., art. 151.2. La Cour du Québec a eu à connaître d’un dossier où la défenderesse
souhaitait produire une expertise et une demande reconventionnelle après la date conve-
nue dans l’entente intervenue entre les parties. La défenderesse s’est adressée au tribu-
nal afin d’obtenir une prolongation du délai de production de l’expertise et de la demande
reconventionnelle. Cela n’était pas nécessaire. « Dans la présente instance, il est pos-
sible de soutenir que la demanderesse aurait pu consentir à la production tardive tant de
S. Guillemard La réforme du Code de procédure… 151
Ces règles et le principe dont elles émanent font dire au juge en chef du
Québec : « Le contrat judiciaire devient ainsi un contrat supervisé. Il s’agit
d’une façon originale de concilier le contrat judiciaire d’inspiration fran-
çaise et le pouvoir inhérent des tribunaux supérieurs de contrôler le pro-
cessus judiciaire, d’inspiration britannique101. »
Nous avons vu que le contrat judiciaire procédural n’existe pas dans
le droit moderne au Québec. Il ne comporte en effet aucun équivalent à la
litis contestatio romaine qui, elle, pouvait présenter un caractère conven-
tionnel. La question à se poser est donc la suivante : la réforme du Code de
procédure civile et plus précisément les articles 151.1 à 151.3 instaurent-ils
un contrat judiciaire procédural ?
En premier lieu, penchons-nous sur le vocabulaire employé dans ces
articles. L’un des termes qui retiendront l’attention est l’« entente » que les
parties sont tenues de négocier. Le codificateur « connaît les règles ordi-
naires du langage102 », et « il faut présumer [qu’il] entend les mots dans le
même sens que le justiciable, que « monsieur tout-le-monde »103 ». Faisons
comme ce dernier et consultons un dictionnaire général. Il y est écrit qu’une
« entente » est « un accommodement, un accord, une convention104 », défi-
nitions et équivalents également donnés par les dictionnaires juridiques105.
Notons que ni le dictionnaire général ni les ouvrages spécialisés n’indiquent
comme synonyme à « entente » le mot « contrat ». C’est bien normal puis-
qu’une entente n’est pas un contrat. Évidemment, un contrat est une forme
de convention106 et repose indiscutablement sur une entente, mais l’inverse
l’expertise que de la demande reconventionnelle (art. 151.2 C.p.c.). En effet, rien n’inter-
dit aux parties à une instance de convenir rétroactivement d’une modification de leur
entente et ainsi permettre la production d’une défense tardive […] ou le report de la date
limite convenue pour la production d’un rapport d’expertise ou d’une pièce » : Gyptek
98 enr. c. Stylex 3D inc., [2003] A.Q. (Quicklaw) no 13764, par. 25 (C.Q.).
101. Assemblée annuelle des juges de la Cour supérieure du Québec, op. cit., note 6.
À propos de l’entente prévue à l’article 151.1 C.p.c., D. Ferland et B. Émery op. cit.,
note 4, p. 267, écrivent ceci : « L’entente constitue un véritable contrat judiciaire qui lie
les parties quant au déroulement de l’instance. ».
102. P.-A. Côté, Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1990, p.
240.
103. Id., p. 243.
104. J. Rey-Debove et A. Rey (dir.), Le Nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et
analytique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2000, s.v. « Entente ».
105. H. Reid, op. cit., note 9, p. 214 ; G. Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2003,
p. 349.
106. « Contrat : Espèce de convention ayant pour objet de créer une obligation ou de trans-
férer la propriété » : G. Cornu, op. cit., note 105, p. 223.
152 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 133
n’est pas vrai. Si le codificateur avait voulu situer les aménagements entre
les parties sur le terrain contractuel, il aurait utilisé le vocabulaire appro-
prié. Dans sa grande sagesse, il n’en a rien fait.
Que l’entente exprime ou précise les conventions intervenues entre les
parties ne porte pas à conséquence sur le plan de la qualification puisque
ce terme générique désigne des accords, des arrangements sur des faits
précis107. Lorsque c’est nécessaire, le codificateur attribue à des hyperony-
mes des sens particuliers, généralement en les assortissant de détails,
d’exemples ou de mises en situation afin d’en faire ressortir les particulari-
tés qui obligent le justiciable à s’écarter de l’acception générale ou com-
mune et à entendre alors le terme dans un sens spécifique. Ainsi une
convention est-elle parfois un contrat108. Comme le recommande P.-A.
Côté, en matière d’interprétation des lois, il faut rechercher le sens des mots
en tenant compte de leur contexte109. En se plaçant, pour reprendre l’ex-
pression de cet auteur, « « sur la même longueur d’ondes » que le législa-
teur110 », nous ne décelons aucun indice dans l’ensemble du Code de
procédure civile permettant de conclure que les conventions dont parlent
les articles 151.1 et suivants doivent recevoir une qualification contrac-
tuelle.
Était-il nécessaire d’ajouter que l’entente « lie les parties quant au dé-
roulement de l’instance111 » ? Cela semble un peu superfétatoire, mais peut-
être le codificateur a-t-il préféré insister au cas où elles oublieraient les
exigences de la bonne foi112 … En réalité, à bien y réfléchir, la première
phrase de l’article 151.2 ne semble pas très utile. Que les arrangements en-
107. J. Rey-Debove et A. Rey (dir.), op. cit., note 104, s.v. « Convention ».
108. C.c.Q., art. 2638 : « La convention d’arbitrage est le contrat par lequel les parties s’enga-
gent à soumettre un différend né ou éventuel à la décision d’un ou de plusieurs arbitres,
à l’exclusion des tribunaux. » En fait, le contrat est la traduction, la qualification juridi-
que lorsque nécessaire de la convention, terme en lui-même dépourvu de sens particu-
lier.
109. « Sans aller jusqu’à prétendre que les mots n’ont pas de sens en eux-mêmes, on doit
admettre cependant que leur sens véritable dépend partiellement du contexte dans le-
quel ils sont employés. Le dictionnaire ne fait que définir certains sens virtuels que les
mots peuvent véhiculer : ce sont des sens potentiels (dont la liste ne saurait jamais être
exhaustive) et ce n’est que l’emploi du mot dans un contexte concret qui précisera son
sens effectif » : P.-A. Côté, op. cit., note 102, p. 263.
110. Id., p. 264.
111. C.p.c., art. 151.2 ; l’italique est de nous.
112. L’ancien Code de procédure civile ne mentionnait pas le principe de la bonne foi. Main-
tenant, en raison du libellé de l’article 4.1, « [l]’obligation de bonne foi procédurale
s’ajoute […] expressément à l’obligation de bonne foi en droit substantiel » : D. Ferland
et B. Émery, op. cit., note 4, p. 14.
S. Guillemard La réforme du Code de procédure… 153
tre les parties, que le codificateur les oblige à négocier l’une avec l’autre,
portent sur le déroulement de l’instance et soient limités à cette seule ma-
tière est déjà prévu dans l’article 151.1. Le fait que l’entente lie les parties
ne signifie pas que ces arrangements auxquels elles sont parvenues soient
irrévocablement figés. En effet, les parties peuvent toujours convenir de
les modifier et, si elles ne s’accordent pas sur les modifications, elles saisi-
ront un juge113. Quant aux sanctions, si l’une des parties oublie qu’elle est
« liée », l’article 151.3, sans les décrire précisément, les annonce.
Le début de l’article 151.2 ne peut certainement pas donner à cette
entente un caractère contractuel. Il rappelle, si cela était nécessaire, que
l’entente n’est pas une simple formule de convenance et que l’une des par-
ties ne peut pas, unilatéralement, modifier les délais ni prendre par surprise
son adversaire en ce qui concerne les moyens préliminaires, par exemple.
Enfin, que signifient les articles 151.1 et suivants ? Uniquement que
les parties sont fortement invitées à participer à l’organisation de la procé-
dure afin de contribuer à une saine et efficace administration de la justice114.
Elles sont conviées à prendre part toutes les deux à l’organisation, la tâche
ne revenant pas plus à l’une qu’à l’autre.
Au-delà des termes, de la forme, y a-t-il une modification dans l’es-
sence même de la procédure et du droit judiciaire qui, à l’instar de la litis
contestatio, imprimerait un caractère contractuel à la relation entre les
litigants, au lien d’instance ? Rien ne mène à une telle conclusion. Les fon-
dements du recours au tribunal, l’absence de volonté des parties, les effets
de la liaison d’instance et les charges imposées aux plaideurs durant le pro-
cessus restent substantiellement et dans les grandes lignes identiques à ce
que nous connaissions avant le 1er janvier 2003.
L’obligation légale, à l’origine de la saisine du tribunal, de recourir à la
justice étatique pour éviter de se faire justice à soi-même subsiste. Une fois
la décision du demandeur de poursuivre en justice prise, comme l’ont dit
Solus et Perrot, la « vérité est plus simple : les charges dérivant du rapport
d’instance sont imposées par la loi qui, pour le bon fonctionnement du
service public de la justice, exige des parties qu’elles accomplissent les di-
ligences requises pour mener l’instance à son terme115 ». La nouveauté
qu’introduisent les articles 151.1 et suivants est une plus grande participa-
tion des parties au « bon fonctionnement du service public de la justice ».
Comme l’énonce le rapport Ferland, l’« État, les justiciables et les dif-
férents intervenants judiciaires partagent la responsabilité sociale de l’ad-
ministration de la justice civile. À ce titre, il appartient à l’État […] de
veiller à ce que les règles de procédure répondent aux besoins des justicia-
bles et soient de nature à favoriser l’accessibilité et la célérité de la justice
civile118. »
L’un des moyens choisis par l’État pour « responsabiliser » les parties
est de leur permettre, voire les forcer, à s’engager activement dans l’orga-
nisation, le choix et le délai, de certaines étapes procédurales. Afin d’éviter
perte de temps et débats inutiles, elles doivent prévoir tout cela d’un com-
mun accord, autrement dit, elles doivent, autant que faire se peut, s’enten-
dre sur ces questions. Pas plus que le lien d’instance n’est un contrat
judiciaire, les articles 151.1 et suivants du Code de procédure civile ne tra-
duisent des obligations contractuelles. Ils sont purement et simplement des
obligations légales qui imposent des charges aux parties.
Ces charges sont de la même nature et ont surtout le même objectif
que des mesures d’administration judiciaire119, c’est-à-dire des mesures qui
assurent la bonne marche de la procédure, le bon fonctionnement de l’ins-
tance. Dans un système plus traditionnel que le système québécois, ces
116. Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, Québec,
ministère de la Justice, 2001, p. 27 (ci-après cité : « rapport Ferland »).
117. Id., p. 32.
118. Id., p. 36.
119. L’expression « mesures d’administration judiciaire » était contenue dans le document
présenté à l’Assemblée nationale par le ministre Bégin en juin 2002 : (Ministère de la
Justice, Mesures visant à instituer un nouveau Code de procédure civile et comportant
une disposition quant aux deux premiers livres de ce code, [En ligne], 2002,
[www.justice.gouv.qc.ca/francais/publications/rapports/pdf/crpc/crpc-rap3.pdf] (9 jan-
vier 2004), (ci-après cité : « rapport Bégin »). Devant la Commission des institutions de
S. Guillemard La réforme du Code de procédure… 155
Anne Fournier*
Pages
1 Les catégories d’infractions comprises dans la Loi sur le système de justice pénale
pour les adolescents ............................................................................................................ 160
1.1 Les infractions désignées ........................................................................................ 161
1.2 Les infractions graves avec violence .................................................................... 162
2 Les règles d’interprétation des lois en matière criminelle et pénale ........................... 165
2.1 La cohabitation de la règle de l’interprétation restrictive d’une loi pénale et
l’article 12 de la Loi d’interprétation .................................................................... 165
2.2 L’interprétation d’une loi bilingue et le recours au dictionnaire ..................... 167
2.3 L’intention du législateur ........................................................................................ 170
2.3.1 Le contexte dans lequel a eu lieu la réforme ........................................... 170
A. Fournier Qu’est-ce qu’une infraction… 159
1. Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 (ci-après citée :
« L.S.J.P.A. »).
160 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 157
2. Ibid.
3. Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. (1985), c. Y-1.
4. Voir les articles 158 à 165 L.S.J.P.A. relativement aux dispositions transitoires.
A. Fournier Qu’est-ce qu’une infraction… 161
5. La loi prévoit qu’une province peut fixer un âge supérieur à 14 ans, mais d’au plus 16
ans. Le Québec s’est prévalu de ce pouvoir et a adopté le Décret concernant la fixation
d’un âge pour l’application de certaines dispositions de la Loi sur le système de justice
pénale pour les adolescents, no 476-2003, le 31 mars 2003.
6. Ibid.
7. La Cour s’est prononcée dans l’affaire du décret du gouvernement du Québec concer-
nant le Renvoi relatif au projet de loi C-7 sur le système de justice pénale pour les ado-
lescents, J.E. 2003-829 (C.A.).
8. Id., 67.
162 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 157
canadienne des droits et libertés et ils ne peuvent se justifier par son article
premier9. Il s’agit, bien entendu, de l’opinion exprimée par le plus haut tri-
bunal du Québec, mais il faudra attendre de connaître l’opinion d’un cer-
tain nombre de tribunaux du pays avant de pouvoir tirer des conclusions
certaines à ce propos. Une tendance est néanmoins suggérée.
9. Id., 75.
10. L.S.J.P.A., art. 42 (9).
11. L.S.J.P.A., art. 64 (1).
A. Fournier Qu’est-ce qu’une infraction… 163
14. Ministère de la Justice, « Peines applicables aux adolescents », dans La Loi sur le
système de justice pénale pour les adolescents expliquée, [En ligne], 2002, [http ://
canada.justice.gc.ca/fr/ps/yj/repository/3modules/04youth/3040301f.html] (5 juin 2003).
15. Voir l’annexe.
A. Fournier Qu’est-ce qu’une infraction… 165
36. Ibid.
37. P.-A. Côté, op. cit., note 17, p. 330.
38. Id., p. 333.
39. P. Robert, Le Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue fran-
çaise, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2000, p. 2679.
40. P.-A. Côté, op. cit., note 17, p. 331.
41. Id., p. 332-333.
A. Fournier Qu’est-ce qu’une infraction… 169
1) Le sens donné par le dictionnaire peut être écarté par une définition
législative ;
2) Il faut s’assurer que le dictionnaire reflète les habitudes linguistiques
de la communauté à laquelle s’adresse le texte législatif ;
3) L’interprète doit rechercher le sens qu’a un mot dans le contexte d’une
loi donnée, et non uniquement le sens du dictionnaire ;
4) Un mot peut avoir plusieurs sens courants applicables à un même cas
d’espèce.
Dans une décision qu’elle rendait le 24 avril 2003, la Cour provinciale
de la Colombie-Britannique42 s’est référée au dictionnaire pour déterminer
si l’infraction dont il était question était une infraction qui pouvait être
qualifiée de « violente ». Le 26 août 2003, la Cour du Québec a procédé au
même exercice. Le juge Daniel Perreault précise toutefois que, puisque le
législateur n’a pas restreint l’application de la violence aux seules infrac-
tions contre les personnes, cela veut dire que l’article 39 (1) a)43 concerne
autant la violence dirigée contre les personnes que celle contre les biens44.
Il rappelle également que chaque cas est un cas d’espèce. Il faut donc pro-
céder à l’analyse des faits caractérisant l’infraction en tenant compte de
chacun des éléments de preuve. Comme le juge Perreault le soulignait à
juste titre, ce n’est pas l’infraction qui, en elle-même, est violente, mais
plutôt la manière dont elle a été commise45.
Puis, par la voix du juge Normand Bastien, la Cour du Québec46 ajoute
un nouvel élément à l’usage du dictionnaire. En effet, le juge Bastien tient
compte à la fois de la définition donnée par le dictionnaire de langue fran-
çaise et par celui de langue anglaise. Cela l’amène à conclure que, pour
qu’une infraction soit qualifiée de « violente » (violent offence), il doit y
avoir, au cours de sa perpétration, emploi d’une force intense, extrême ou
brutale47. Cette force est habituellement exercée à l’endroit d’une personne,
mais elle peut également l’être envers un bien. Le juge propose la défini-
tion suivante :
48. Ibid.
49. P.-A. Côté, op. cit., note 17, p. 7 et 317.
50. Le projet de loi a été désigné sous différentes appellations au fil des années dont la der-
nière est le projet de loi C-7.
51. Loi modifiant la loi sur les jeunes contrevenants et le Code criminel, L.C. 1992, c. 11.
52. Loi modifiant la loi sur les jeunes contrevenants et le Code criminel, L.C. 1995, c. 19.
A. Fournier Qu’est-ce qu’une infraction… 171
53. Lettre du ministre de la Justice, M. Allan Rock, adressée le 2 juin 1994 au président du
Comité permanent de la justice et des questions juridiques, M. Warren Allmand, publiée
dans Chambre des communes du Canada, Le renouvellement du système de justice
pour les jeunes : treizième rapport du Comité permanent de la justice et des questions
juridiques, Ottawa, Chambre des communes, 1997, annexe A.
54. Ibid.
55. Ibid.
56. Chambre des Communes du Canada, op. cit., note 53.
57. Id., chap. 3 (la criminalité juvénile et l’opinion publique), section : « Connaissance du
système de justice pour les jeunes ».
172 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 157
58. J. Savoie, « La criminalité de violence chez les jeunes », Juristat, vol. 19, no 13, décem-
bre 1999, p. 5. À noter que les parutions antérieures et postérieures à celle-ci se réfèrent
à la même notion d’infraction avec violence et de voies de fait simples.
59. Statistique Canada, Taux de criminalité, 1962-1998, [En ligne], 1999, [http ://
www.statcan.ca/francais/freepub/89F0123XIF/99001/06_f.htm] (5 juin 2003) : indicateurs
sociaux, taux de criminalité par 100 000 habitants pour la période s’échelonnant de 1962
à 1998.
60. Statistique Canada, « Statistiques sur les tribunaux de juridiction criminelle pour
adultes (2000-2001) », Le Quotidien, 14 mars 2002, p. 1.
61. Statistique Canada, « Jeunes et adultes accusés d’infractions selon le type d’infrac-
tion, provinces et territoires », [En ligne], 2001, [http ://www.statcan.ca/francais/PGdb/
legal17a_f.htm] (5 juin 2003).
A. Fournier Qu’est-ce qu’une infraction… 173
62. En vertu de l’article 164 (5) L.S.J.P.A., les programmes de mesures de rechange autori-
sés conformément à la Loi sur les jeunes contrevenants sont réputés être des program-
mes de sanctions extrajudiciaires. L’instrumentation utilisée en application de l’ancienne
loi a toujours cours.
63. Gouvernement du Québec, ministère de la Santé et des Services sociaux, « Recom-
mandation-orientation du D.P. au S.P.G. », formulaire AS-716.
64. Projet de loi C-7, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, déposé à
la Chambre des communes, en première lecture, le 5 février 2001.
65. Projet de loi C-68 (1re lecture), 1re session, 36e législature (Can.).
66. Projet de loi C-3 (1re lecture), 2e session, 36e législature (Can.).
174 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 157
Est-il possible d’en déduire que, puisque l’infraction grave avec vio-
lence est une infraction qui cause ou tente de causer des lésions corporelles
graves, la simple infraction avec violence doit également être une infrac-
tion dirigée contre la personne67 ? Dans la première décision rendue en la
matière, le juge Gorman, de la Cour provinciale de Terre-Neuve, croit que,
bien que ce raisonnement soit attrayant par sa simplicité, il ne correspond
pas à l’intention du législateur qui a prévu que le placement sous garde
serait une mesure d’exception, et non la règle68. Par contre, cela n’empêche
pas à d’autres de suggérer un raisonnement différent et de conclure que, à
première vue, l’infraction avec violence doit figurer dans la partie VIII du
Code criminel traitant des infractions contre la personne69.
Plusieurs des témoins entendus par le Comité permanent de la justice
et des droits de la personne, à l’occasion de l’étude du projet de loi C-7,
n’ont pas manqué de relever les problèmes qu’ils anticipaient au regard des
définitions de l’article 2. La Saskatchewan avait d’abord demandé que le
législateur retire du texte toute définition et toute référence aux infractions
avec violence et aux infractions sans violence : « Un comportement violent
comprend-il des voies de fait simples ? Cette notion comprend-elle la con-
duite automobile dangereuse ? Cela n’est pas clair. Nous ne sommes pas
certains que des notions aussi vagues aient leur place dans un texte de loi70. »
67. R. v. R.A.A., [2003] B.C.J. (Quicklaw) nº 1386 (B.C.P.C.), où le juge suggère qu’il est rai-
sonnable de penser que, compte tenu de la définition donnée à l’expression serious vio-
lent offence, l’infraction avec violence est une infraction au cours de laquelle un
adolescent cause ou tente de causer des lésions corporelles.
68. R. v. D.L.C., [2003] N.L.J. (Quicklaw) nº 94 (N.L.P.C.).
69. R. v. N.A.J., [2003] P.E.I.J. (Quicklaw) nº 83 (P.E.S.C.T.D.).
70. Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignage de
Mme Betty Ann Pottruff, c.r., directrice, Politiques, Planification et évaluation, minis-
tère du Procureur général (Saskatchewan), [En ligne], 25 avril 2001, [http ://www.
parl.gc.ca/InfoComDoc/37/1/JUST/Meetings/Evidence/justev07-f.htm] (5 juin 2003).
A. Fournier Qu’est-ce qu’une infraction… 175
Il a aussi été suggéré de créer une annexe qui énumérerait les infrac-
tions avec violence 71. Puis, le 2 mai 2001, il est proposé de modifier l’arti-
cle 2 du projet de loi C-7 de la manière suivante : « « infraction avec
violence » : Toute infraction visée à l’article 235 du Code criminel72 ou aux
annexes I ou II73 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté
sous condition74. »
Le fait est connu, l’amendement mis aux voix a été rejeté.
Malgré de vives oppositions, le législateur a finalement opté pour ne
pas définir l’infraction avec violence, préférant laisser le tout à l’exercice
d’un pouvoir discrétionnaire. Il n’a cependant peut-être pas suffisamment
tenu compte du fait que seule une partie de la discrétion accordée revient
aux tribunaux pour adolescents. L’autre est confiée aux agents de police
qui auront à décider si l’adolescent se qualifie pour bénéficier des mesures
extrajudiciaires. Bien sûr, des directives sont prévues pour encadrer l’exer-
cice de ce pouvoir discrétionnaire, mais personne ne pourra plaider au nom
de l’adolescent pour arguer que le geste qu’il a posé n’est pas du domaine
des infractions avec violence. Ce débat se fera plutôt devant le tribunal au
moment de décider de la peine à infliger à l’adolescent. Alors, il n’est pas
certain que les tribunaux connaîtront une diminution aussi importante du
volume de causes présentées devant eux que celle que le législateur aurait
souhaitée.
Sans entrer dans les détails du rouage de la première loi, il est utile de
consulter la liste des infractions dont font mention les annexes I et II, cel-
les-là mêmes qui avaient été proposées pour obtenir la liste des infractions
avec violence. Ces annexes se réfèrent aux infractions les plus graves du
Code criminel et elles concernent des infractions contre la personne, à l’ex-
ception de deux situations : celle d’avoir causé soit par le feu, soit par une
explosion, des dommages à un bien qui ne lui appartient pas en entier ; et
celle de s’être introduit par effraction dans un endroit dans le but d’y com-
mettre l’une des infractions prévues à la même annexe I. Quant aux infrac-
tions de l’annexe II, elles se rapportent aux drogues et à d’autres substances
interdites. Lorsqu’il a été suggéré de se référer à ces annexes pour définir
les infractions avec violence, le législateur visait donc essentiellement, mais
non exclusivement, les infractions qui se rapportent à la personne.
(ii) meurtre,
(iii) piraterie,
(iv) tentative de meurtre,
(viii) rapt,
85. Au moment d’écrire ces lignes, les projets de loi C-347 et C-403 n’avaient pas été adoptés.
86. P.-A. Côté, op. cit., note 17, p. 435.
180 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 157
Conclusion
La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents suscitera
certainement de nombreuses discussions autour de la catégorie particulière
des infractions avec ou sans violence. Les enjeux sont de taille pour les
adolescents qui, selon la définition donnée à l’expression en cause, pour-
ront tantôt se voir refuser la voie des mesures extrajudiciaires, tantôt se
voir imposer une peine de placement sous garde.
Au moment où a eu lieu l’étude en profondeur du système de justice
pour les adolescents, il existait une volonté ferme de réconforter le public
qui manifestait de plus en plus d’insécurité quant à la criminalité juvénile,
plus particulièrement en ce qui concerne les crimes avec violence. Puisque
c’est sur la base des données recueillies par Statistique Canada que le taux
de criminalité et ses divers aspects ont été discutés, nous avons vérifié ce
qu’entendait cet organisme par la catégorie de crimes de violence. Nous
observons alors que, font partie de cette catégorie les différents types d’ho-
micide, les voies de fait, les agressions sexuelles, l’enlèvement, le fait de
décharger une arme à feu dans l’intention de causer des lésions corporelles
et le vol qualifié. Cela n’est pas sans rappeler la liste des infractions com-
prises dans la catégorie des crimes de violence utilisée par le directeur pro-
vincial et le substitut du procureur général dans l’application de la loi. Ces
constats devraient tout de même donner certains indices.
L’absence de définition pourrait aussi s’avérer utile pour répondre aux
circonstances propres à chaque cas d’espèce. En disposant du pouvoir de
qualifier l’infraction selon qu’elle est violente ou non violente, le tribunal
pourra faire intervenir des critères subjectifs. Il n’y aura pas de réponse
systématique à une infraction donnée. Les nuances sont donc non seule-
ment permises, mais nécessaires. Toutefois, nous estimons que les éléments
dont le tribunal doit tenir compte dans son évaluation devraient se référer
non pas à la victime, mais bien à l’accusé. Ainsi, il faut se garder de confon-
dre les effets que peuvent avoir sur une victime en particulier la commis-
sion d’une infraction et l’intention d’esprit de l’auteur de cette infraction.
Comme nous l’enseignent la jurisprudence et la doctrine modernes,
nous devons favoriser une interprétation de la loi qui tienne compte de l’in-
tention du législateur. Celle-ci se manifeste notamment par le préambule
de la loi, sa déclaration de principes et les principes particuliers énoncés à
A. Fournier Qu’est-ce qu’une infraction… 181
Annexe
Répertoire, par ordre chronologique, des principaux jugements
discutant de la définition de l’infraction avec violence (violent offence)
aux termes de l’article 39 (1) a) de la Loi sur le système
de justice pénale pour les adolescents
Infraction
Infractions en cause avec violence Référence
Annexe (suite)
Répertoire, par ordre chronologique, des principaux jugements
discutant de la définition de l’infraction avec violence (violent offence)
aux termes de l’article 39 (1) a) de la Loi sur le système
de justice pénale pour les adolescents
Infraction
Infractions en cause avec violence Référence
Suzanne Comtois, Vers la primauté de l’ap- Instituée pour répondre au problème par-
proche pragmatique et fonctionnelle, ticulier que posait la révision judiciaire de
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, l’interprétation faite par les tribunaux admi-
173 p., ISBN 2-89451-685-1. nistratifs des lois qu’ils ont à appliquer, la
La professeure Suzanne Comtois est une méthode pragmatique et fonctionnelle, utili-
sée pour déterminer la norme de contrôle
des spécialistes du droit administratif dont
appropriée, s’applique maintenant aux déci-
les écrits nombreux sont d’une remarquable
clarté et ont beaucoup contribué à la diffu- sions de fond prises par tout décideur admi-
nistratif exerçant un pouvoir conféré par la
sion de cette discipline. Elle vient de publier
loi. Et ce, peu importe que le recours procède
un ouvrage qui se situe au cœur d’une des
problématiques contemporaines de cette par voie d’appel ou de révision judiciaire,
qu’il concerne la décision d’un tribunal admi-
branche du droit public, celle du contrôle ju-
nistratif, d’un ministre ou d’une autorité lo-
diciaire des décisions des autorités adminis-
tratives, notamment des tribunaux quasi ju- cale ou, encore, que la question en litige porte
sur le droit, les faits ou l’exercice d’une dis-
diciaires. La Cour suprême du Canada et les
crétion.
cours d’appel se sont penchées souvent sur
la norme d’intervention qui doit être appli- L’ouvrage de Suzanne Comtois a pour
quée par les cours supérieures, mais leur objet principal de rendre compte de cette
message n’est pas facile à décoder. L’ou- évolution jurisprudentielle, d’en évaluer les
vrage de notre collègue contribuera à une incidences et d’exposer, le plus clairement
meilleure compréhension de ce message que possible, le contexte dans lequel s’effectuent
nous voudrions moins clair-obscur parfois. l’identification et l’application de la norme de
contrôle appropriée aux décisions de fond
La question du rôle approprié du juge
dans le maintien du principe de légalité est au rendues par les divers organismes adminis-
tratifs. La première partie traite du contrôle
centre des développements jurisprudentiels
judiciaire des erreurs de droit. La seconde
qu’a connus le droit administratif canadien
au cours des 25 dernières années. Sous l’in- aborde le contrôle judiciaire des décisions de
nature discrétionnaire et des décisions com-
fluence conjuguée des arrêts Société des al-
portant des conclusions de fait erronées.
cools du Nouveau-Brunswick de 1979 et
Bibeault de 1988, la Cour suprême a substi- Dans la partie I, l’auteure parle de
tué progressivement au traditionnel contrôle l’amorce d’un mouvement de retenue. Elle
fondé sur les concepts d’ultra vires et d’ex- situe le point de départ d’une approche res-
cès de juridiction, une approche contextuelle, trictive du contrôle judiciaire, soit l’arrêt de
dite « méthode pragmatique et fonction- 1979 mentionné plus haut. La Cour suprême
nelle », qui permet de mieux assurer l’auto- instaure un contrôle qui peut être qualifié de
nomie décisionnelle des organismes adminis- contrôle de « raisonnabilité » : un recul du
tratifs tout en précisant le rôle essentiel des concept de juridiction se dessine. L’auteure
cours supérieures dans l’affirmation de la analyse la fameuse méthode pragmatique et
rule of law ou primauté du droit. fonctionnelle. Elle y traite des aspects sui-
la Cour suprême estime que le Conseil de la cas, de cibler soit l’ensemble de la loi, soit
radiodiffusion et des télécommunications ca- une disposition particulière. Certaines dispo-
nadiennes (CRTC) a une expertise dans la sitions d’une même loi peuvent faire l’objet
régulation des télécommunications mais non d’une plus grande retenue que d’autres27.
sur une question telle l’interprétation de l’ex- Le quatrième facteur, soit la nature du
pression « structure de soutien d’une ligne de
problème posé, permet de séparer les ques-
transmission21 ». La détermination de ce
tions de droit et les questions de fait28, ou les
qu’est l’expertise d’un tribunal administratif deux premières et les questions mixtes29. S’il
devient ainsi une question subtile.
s’agit d’une question de droit, il faut distin-
Le troisième facteur, l’objet de la loi, a été guer entre les questions d’interprétation qui
défini de plusieurs façons quant à l’objectif entrent dans le champ d’expertise spécialisé
poursuivi par le législateur. Ce peut être « la du tribunal administratif, notamment l’inter-
nature spécialisée du régime législatif et du prétation de sa loi constitutive ou de la loi
mécanisme de règlement des différends22 ». qu’il est chargé d’appliquer30, et les questions
La Cour suprême distinguera suivant que générales de droit31. Toutefois, il se peut
l’objectif est défini « comme consistant à éta- qu’une question générale de droit soit liée au
blir les droits des parties » ou bien « à réali- régime législatif particulier, à la haute spécia-
ser un équilibre délicat entre divers inté- lisation du tribunal ou à une clause privative
rêts »23. Il sera parfois question de situations stricte et justifie néanmoins la norme d’une
à « caractère polycentrique » par opposition retenue étendue32. Quant aux questions de
aux situations bipolaires24. Le législateur dis-
tinguera aussi les objectifs « davantage éco-
nomiques » des objectifs « strictement juridi- Southam Inc., précité, note 4, par. 47-49 ; Dayco
ques »25. L’objet de la loi peut également être (Canada) Ltd. c. Syndicat national des tra-
vailleurs et des travailleuses de l’automobile et
le programme gouvernemental d’intervention
de l’outillage agricole du Canada (TCA-Ca-
économique ou social ou de régulation so- nada), précité, note 2, 266.
ciale inclus dans la législation, comme l’ana- 27. Pushpanatan c. Canada (Ministre de la Ci-
lyse longuement le juge Sopinka dans l’arrêt toyenneté et de l’Immigration), précité, note 5,
Pasiechynik26. Il est nécessaire, dans certains par. 28 ; Université Trinity Western c. British
Columbia College of Teachers, précité, note 17,
par. 17.
28. Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Ci-
21. Barrie Utilities c. Association canadienne de toyenneté et de l’Immigration), précité, note 5,
télévision par câble, précité, note 12, par. 18. par. 37, Ross c. Conseil scolaire du district no
22. Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Ci- 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825,
toyenneté et de l’Immigration), précité, note 5, par. 24.
par. 36. 29. Canada (Directeur des enquêtes et recherches)
23. Ibid. c. Southam Inc., précité, note 4, par. 35.
24. Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Ci- 30. Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en
toyenneté et de l’Immigration), précité, note 5, matière de lésions professionnelles), [1993] 2
par. 36 ; Baker c. Canada (Ministre de la Ci- R.C.S. 756, 773.
toyenneté et de l’Immigration), précité, note 3, 31. Canada (Producteur général) c. Mossop, [1993]
par. 62 ; Université Trinity Western c. British 1 R.C.S. 554, 584-585 ; Chieu c. Canada (Minis-
Columbia College of Teachers, précité, note 17, tre de la Citoyenneté et de l’Immigration),
par. 15. [2002] 1 R.C.S. 84, par. 23.
25. Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Ci- 32. Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Ci-
toyenneté et de l’Immigration), précité, note 5, toyenneté et de l’Immigration), précité, note 5,
par. 36. par. 37 ; Pasiechnik c. Saskatchewan (Workers’
26. Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers’ Com- Compensation Board), précité, note 26, par. 36-
pensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890, par. 23- 42. Étonnamment, dans l’arrêt Chieu c. Canada
35 : le juge y décrit le régime d’indemnisation (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigra-
des victimes d’un accident de travail et le rôle tion), précité, note 31, en 2002, la Cour suprême
de la Commission [Board] ; voir aussi Canada considère que la Commission de l’immigration
(Directeur des enquêtes et recherches) c. (section d’appel) « n’a aucune expertise dans
190 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 185
fait, la distinction doit être faite entre celles facteurs sont tellement entremêlés qu’il con-
qui sont liées à l’expertise du tribunal et les vient d’en faire une analyse globale37 ».
autres : ainsi, les tribunaux des droits de la
personne font l’objet d’une retenue étendue La mise en œuvre de la méthode
sur les questions de fait dans le domaine de pragmatique et fonctionnelle
la protection des droits de la personne et de
Cette méthode que certains ont considé-
la discrimination33 ; ce n’est pas le cas d’un
rée comme géniale a été améliorée, raffinée,
comité d’agrément des programmes universi- mais force est de constater que, si sa formu-
taires34.
lation paraît simple, sa mise en œuvre a sou-
Dans de nombreuses situations, ce qui levé des difficultés innombrables. Dans de
semble importer, sans différencier entre les nombreuses affaires, des juges aux trois ni-
aspects juridiques factuels, c’est la nature du veaux ont été divisés non seulement quant à
problème à résoudre par le tribunal adminis- l’identification de la norme appropriée mais
tratif et son lien avec l’expertise plus ou aussi quant à son application, lorsqu’ils
moins spécialisée du tribunal par rapport aux étaient parvenus à s’entendre sur la norme.
compétences généralistes des cours supé- En décembre 2002, les juges LeBel et
rieures35. Bastarache sympathisaient avec les juges de
première instance « qui, avant d’entrer dans
Enfin, comme l’indique la Cour suprême
dans l’arrêt Baker, « tous ces facteurs doi- le vif du sujet doivent consacrer énormément
de temps à l’examen d’arguments complexes
vent être soupesés afin d’en arriver à la
concernant la norme de contrôle applica-
norme d’examen appropriée36 ». Dans l’arrêt
Dayco, le juge La Forest considère que « ces ble38 ». En 2003, le juge LeBel prend la peine
de rédiger encore de nombreuses pages dans
une décision afin de clarifier l’application de
cette méthode39.
Cette méthode se voulait pourtant simple
et fonctionnelle. Cependant, après une dou-
le domaine » (par. 24) s’agissant de l’interpréta- zaine d’années d’application, un auteur par-
tion de l’article 70 (1) b de la Loi sur l’immi-
gration (expression employée : « eu égard aux
lait de l’« ambiguity and complexity of
circonstances particulières »). Dans l’arrêt deference40 ». Dès 1989, la juge Wilson consi-
Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. dère le caractère manifestement déraisonna-
Mattel Canada Inc., précité, note 10, la Cour ble comme « un critère déjà très ambigu41 ».
suprême estime que le Tribunal canadien du
commerce extérieur n’a pas d’expertise particu-
lière pour l’interprétation de la Loi sur les 37. Dayco (Canada) Ltd. c. Syndicat national des
douanes. travailleurs et des travailleuses de l’automobile
33. Canada (Producteur général) c. Mossop, pré- et de l’outillage agricole du Canada (TCA-Ca-
cité, note 31, 578. nada), précité, note 2, 265.
34. Université Trinity Western c. British Columbia 38. Chamberlain c. Surrey School District No. 36,
College of Teachers, précité, note 17. 2002 CSC 86 par. 202.
35. Régie des transports en commun de la région 39. Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonc-
de Toronto c. Dell Holdings Ltd., précité, note tion publique, section locale 79 (S.C.F.P.), 2003
9, par. 47-48 (questions d’expropriation) ; Syn- CSC 63 par. 61-134.
dicat international des débardeurs et magasi- 40. L. Sossin, « Developments in Administrative
niers, Ship and Dock Foremen, section locale law », (2000) 11 S.C. Law Review (2d) 37, 42 ;
514 c. Prince Ruppert Grain Ltd., [1996] 2 aussi D. Mullan, « The Supreme Court of Ca-
R.C.S. 432, par. 32 (détermination de l’unité nada and Tribunals – Deference to the Adminis-
habilitée à négocier la convention collective) ; trative Process », (2001) 80 R. du B. can. 399-
Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Con- 432.
seil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, par. 41. Association canadienne des travailleurs des in-
45, 51 (déontologie judiciaire). dustries mécaniques et assimilées, section lo-
36. Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et cale 14 c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2
de l’Immigration), précité, note 3, par. 62. R.C.S. 983, 1022.
Chronique bibliographique 191
Alors qu’au début la méthode pragmatique et Dans l’arrêt National Corn Growers, la Cour
fonctionnelle devait conduire à distinguer suprême admet que le caractère manifeste-
deux normes, celle de la rectitude ou justesse ment déraisonnable peut apparraître « sans
(correctness) et celle du caractère manifeste- qu’il soit nécessaire d’examiner en détail le
ment déraisonnable, certains en sont venus à dossier », mais il se peut que cela ne puisse
parler d’une « gamme de normes42 » qui se être constaté « qu’après une analyse en pro-
situent « quelque part entre les deux extrémi- fondeur »48. Effectivement, dans tous les cas
tés d’un spectre43 » ; il est question en 2002 où la Cour suprême a conclu au caractère
d’un « spectre de degrés de retenue44 ». La manifestement déraisonnable d’une décision
juge McLachlin, pour sa part, constate qu’il c’était au terme d’une analyse poussée49.
s’agit d’un « spectrum of standards » et que Dans l’arrêt Southam par contre, ce qui sem-
« a myriad of factors are included in this ble définir le caractère manifestement dérai-
analysis »45. Plus récemment, dans l’arrêt sonnable, c’est « le caractère flagrant ou évi-
Ryan rendu en 2003, la Cour suprême esti- dent du défaut50 », alors que, « s’il faut
mant que « [l’]analyse […] ne devrait pas être procéder à un examen ou à une analyse en
impraticable ou hautement technique », sou- profondeur pour déceler le défaut, la décision
ligne « qu’il n’existe actuellement que trois est alors déraisonnable mais non manifeste-
normes établies »46. ment déraisonnable51 ». L’examen en profon-
deur ne servira qu’à rendre apparents « les
La méthode soulève des difficultés
terminologiques et conceptuelles qui ont contours du problème », et alors le « carac-
tère déraisonnable ressortira52 ».
amené une confusion manifeste dans plu-
sieurs arrêts, même au plus haut niveau. Le La norme du caractère manifeste-
juge LeBel en a fait une convaincante analyse ment déraisonnable a été tout d’abord pré-
en 2003 dans l’arrêt Toronto. Notamment, le sentée comme une norme très sévère, fort
concept de caractère manifestement dérai-
sonnable s’est prêté à toutes sortes de défini-
tions plus ou moins éclairantes quant à ce
que signifie l’adverbe « manifestement » ; le
juge LeBel constate que la distinction entre 48. National Corn Growers Association c. Canada
les termes « manifestement » et « simple- (Tribunal des Importations), [1990] 2 R.C.S.
1324, 1370 (j. Gonthier) ; Association cana-
ment » déraisonnable « demeure nébuleuse
dienne des travailleurs des industries mécani-
malgré bien des tentatives d’explications47 ». ques et assimilées, section locale 14 c. Paccar
of Canada Ltd., précité, note 41, 1018 (j.
Sopinka).
49. Nous ne connaissons qu’un cas où « une brève
42. Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du analyse » de cinq pages semble avoir suffi à
Nouveau-Brunswick, précité, note 28, par. 23- « faire ressortir le caractère déraisonnable de la
24 ; décision » : Centre communautaire juridique de
Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of l’Estrie c. Sherbrooke (Ville), [1996] 3 R.C.S. 84,
Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, 590. par. 13.
43. Canada (Directeur des enquêtes et recherches) 50. Canada (Directeur des enquêtes et recherches)
c. Southam Inc., précité, note 4, par. 54. c. Southam Inc., précité, note 4, par. 57 ; le juge
44. Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Con- Iacobucci cite la définition qu’en donnait le juge
seil de la magistrature), précité, note 35, par. 38. Cory dans l’arrêt Canada (Procureur Général)
45. B. McLachlin, « The Roles of Administrative c. Alliance de la Fonction publique du Canada,
Tribunals and Courts in Maintaining the Rule of [1993] 1 R.C.S. 941, 963 ; Suresh c. Canada (Mi-
Law », (1998) 12 Can. Journal of Adm. Law and nistre de la Citoyenneté et de l’Immigration),
Practice 171, 181-183. précité, note 3, par. 41 (« à première vue »).
46. Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, pré- 51. Canada (Directeur des enquêtes et recherches)
cité, note 12, par. 26. c. Southam Inc., précité, note 4, par. 57.
47. Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonc- 52. Ibid., aussi Conseil de l’éducation de Toronto
tion publique, section locale 79 (S.C.F.P.), pré- (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1
cité, note 39, par. 64-65. R.C.S. 487, par. 47.
192 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 185
restrictive53. Plusieurs juges n’ont pas hésité tiel de la preuve » ou encore qu’il exite « une
à employer le terme « absurde » pour quali- contradiction dans les prémisses »58. Dans
fier alors la décision contrôlée54. Or, selon l’arrêt Macdonell, les juges Bastarache et
nous, l’important dans le caractère manifes- LeBel parlent de conclusions « dénuées de
tement déraisonnable, tout comme dans le justification et surtout qu’elles résultent d’un
caractère simplement déraisonnable, c’est le raisonnement erroné59 ». Dans l’arrêt Conseil
caractère « irrationnel » de la décision : ce de l’éducation de Toronto, le juge Cory écrit
terme employé par plusieurs juges nous pa- que la décision sera invalidée « uniquement
raît plus éclairant55. Ce qui est rationnel fait dans le cas où la preuve, appréciée raisonna-
appel à la raison, au raisonnement56. C’est blement, est incapable d’étayer les conclu-
dans cette optique que le juge Iacobucci, dans sions du tribunal60 ». Dans l’arrêt Royal Oak
l’arrêt Southam, définit la décision déraison- Mines, la majorité écrit qu’est déraisonnable
nable comme celle qui « dans l’ensemble, « une réparation qui n’a pas de lien rationnel
n’est étayée par aucun motif capable de ré- avec la violation et ses conséquences, ou qui
sister à un examen assez poussé57 » soit qu’il est incompatible avec les objectifs visés par
n’y a « aucune assise dans la preuve », soit la loi61 ». En 2003, le juge LeBel, dans l’arrêt
que la conclusion va « à l’encontre de l’essen- Toronto, doit revenir encore sur le sujet pour
faire comprendre que, comme nous le
croyons, la distinction entre les termes « ma-
53. Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] nifestement » et « simplement » importe
2 R.C.S. 476, 493 (j. Lamer) ; Association cana- peu62. Autrement dit, il n’y a pas de diffé-
dienne des travailleurs des industries mécani- rence entre ce qui est irrationnel et ce qui est
ques et assimilées, section locale 14 c. Paccar
of Canada Ltd., précité, note 41, 1003 (j. La
clairement irrationnel ; comment est-il possi-
Forest). ble de prétendre que l’intention du législateur
54. Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du soit qu’une décision qui ne serait que simple-
travail), [1997] 1 R.C.S. 1015, par. 120 (j. L’Heu- ment irrationnelle doive être maintenue ?
reux-Dubé, qui emploie dix fois le terme « ab- Comment concilier la rule of law, principe
surde » dans sa dissidence) ; voir aussi Sept-Îles
constitutionnel, et le maintien de l’irrationa-
(Ville) c. Québec (Tribunal du Travail), [2001] 2
R.C.S. 670, par. 25 (« aucune absurdité ») ; lité ?
Ivanhoe inc. c. TUAC, section locale 500, [2001] Par ailleurs, le danger que présente l’ana-
2 R.C.S. 565, par. 60 (« absurd or irrational
lyse en profondeur de la preuve, c’est,
result »).
55. Macdonell c. Québec (Commission d’accès à comme le souligne le juge Cory dans l’arrêt
l’information), précité, note 11, par. 55-59 (j. Conseil de l’éducation de Toronto, que le
LeBel : « [le] concept de rationalité […] est un juge de révision scrute « la façon dont le tri-
des éléments fondamentaux du système actuel bunal administratif a apprécié la preuve et
de contrôle judiciaire ») ; Domtar Inc. c. Qué- tiré sa conclusion » pour exprimer son désac-
bec (Commission d’appel en matière de lésions
professionnelles), précité, note 30, 375-376 (j.
L’Heureux-Dubé) ; Ajax (Ville) c. Syndicat na-
tional des travailleurs et travailleuses de l’auto- 58. Ibid. ; Association canadienne des travailleurs
mobile, de l’aérospaciale et de l’outillage agri- des industries mécaniques et assimilées, sec-
cole du Canada (TCA,-Canada) section locale tion locale 14 c. Paccar of Canada Ltd., précité,
222, [2000] 1 R.C.S. 538, par. 2 (j. McLachlin : note 41, 1001 (j. La Forest).
« pas clairement irrationnel ») ; Syndicat inter- 59. Macdonell c. Québec (Commission d’accès à
national des débardeurs et magasiniers, Ship l’information), précité, note 11, par. 59.
and Dock Foremen, section locale 514 c. Prince 60. Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c.
Ruppert Grain Ltd., précité, note 35, par. 42 (j. F.E.E.E.S.O., district 15, précité, note 52,
Cory : si la décision a un fondement rationnel). par. 48.
56. Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du 61. Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des
travail), précité, note 54, par. 23 (« raisonne- relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369, 403.
ment du Tribunal du travail »). 62. Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonc-
57. Canada (Directeur des enquêtes et recherches) tion publique, section locale 79 (S.C.F.P.), pré-
c. Southam Inc., précité, note 4, par. 56. cité, note 39.
Chronique bibliographique 193
cord et se substituer à lui63. Le danger de juges ; les quatre juges de la minorité pensent
substitution s’est présenté dans l’arrêt Baker le contraire.
où la Cour suprême juge déraisonnable la
décision parce que « les motifs […] n’indi- Les difficultés d’application de la méthode
quent pas qu’elle a été rendue d’une manière pragmatique et fonctionnelle
réceptive, attentive ou sensible à l’intérêt des
Ce qui n’est pas pour faciliter la tâche des
enfants de Mme Baker, ni que leur intérêt a été
juges, c’est la reconnaissance par la Cour su-
considéré comme un facteur décisionnel im- prême que diverses normes de contrôle peu-
portant […]. En outre, les motifs de la déci-
vent être appliquées à différentes disposi-
sion n’accordent pas suffisamment d’impor-
tions d’une même loi ou à des questions
tance ou de poids aux difficultés64 ». Dans variées soumises au tribunal administratif69.
l’arrêt Suresh, la Cour suprême a tenu à pré-
Dans l’arrêt Mattel rendu en 2001, la Cour
ciser que l’arrêt Baker « n’a pas pour effet
suprême écrit qu’« en général, des normes de
d’autoriser les tribunaux siégeant en révision contrôle différentes s’appliquent à des ques-
de décisions de nature discrétionnaire à utili-
tions de droit différentes, selon la nature de
ser un nouveau processus d’évaluation65 ». Il
la question à trancher et l’expertise relative
faut, selon la Cour suprême, interpréter l’ar- du tribunal administratif sur ces questions
rêt Baker selon la « jurisprudence établie con-
particulières70 ».
cernant l’omission [d’un décideur] de pren-
dre en considération et d’évaluer des Il est aisé de comprendre que durant les
restrictions tacites ou des facteurs manifes- années qui ont suivi l’arrêt Bibeault, où la
tement pertinents66 », ainsi, lorsque le déci- Cour suprême a adopté la méthode pragmati-
deur « a tenu compte des facteurs appropriés, que et fonctionnelle, il y a eu quelque flotte-
le tribunal ne doit pas les soupeser de nou- ment71, mais en 1993, dans l’arrêt Alliance de
veau67 ». la Fonction publique, la Cour suprême se di-
vise à quatre contre trois sur la qualification
Lorsqu’il s’agit d’une interprétation légis-
de la question soumise au tribunal relative-
lative, ce qui est déraisonnable ou irrationnel ment à la portée de l’article 99 de la Loi sur
pour le décideur c’est de ne pas avoir utilisé
les relations de travail dans la fonction pu-
« la bonne méthode d’analyse », mais une
blique qui donne compétence à la Commis-
analyse « comportant certaines erreurs » et sion72. En 1996, la Cour suprême se divise
conduisant « à un conflit insoluble entre l’ob-
encore de la même façon sur la norme de con-
jectif législatif déclaré dans la loi et l’applica-
tion effective de ses dispositions »68. Ainsi
dans l’arrêt Macdonell rendu en 2002, la 69. Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Ci-
majorité est plutôt d’avis que le tribunal ad- toyenneté et de l’Immigration), précité, note 5,
ministratif a adopté la bonne démarche par. 49 ; Macdonell c. Québec (Commission
d’accès à l’information), précité, note 11,
d’analyse et fait une interprétation ration-
par. 58.
nelle qui semble par ailleurs agréer à ces cinq 70. Canada (Sous-ministre du Revenu national) c.
Mattel Canada Inc., précité, note 10, par. 27.
71. Par exemple, dans l’arrêt Association cana-
63. Macdonell c. Québec (Commission d’accès à dienne des travailleurs des industries mécani-
l’information), précité, note 11, par. 48. ques et assimilées, section locale 14 c. Paccar
64. Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et of Canada Ltd., précité, note 41, en 1989, les
de l’Immigration), précité, note 3, par. 73 (j. cinq juges de la majorité qualifient la question
L’Heureux-Dubé). d’ « intrajuridictionnelle », alors que la juge dis-
65. Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté sidente en fait résolument une question de com-
et de l’Immigration), précité, note 3, par. 37. pétence. Voir aussi Canada (Procureur géné-
66. Id., par. 41. ral) c. Alliance de la Fonction publique du
67. Ibid. Canada, [1991] 1 R.C.S. 614, 631 (majorité), 662
68. Macdonell c. Québec (Commission d’accès à (minorité).
l’information), précité, note 11, par. 62 (jj. 72. Canada (Procureur général) c. Alliance de la
Bastarache et LeBel, dissidents). Fonction publique du Canada, précité, note 50.
194 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 185
trôle de la compétence d’un tribunal adminis- nelle77 » ; au total, sur quinze magistrats, neuf
tratif en matière de réparation73 ; la lecture trouvent la décision rationnelle et six irra-
des arguments des juges majoritaires et des tionnelle.
juges minoritaires est tout aussi convain-
Même dans des affaires relativement sim-
cante. En 1997, dans l’arrêt Pasiechnyk, la ples où la Cour suprême parvient à un ac-
majorité qualifie d’« intrajuridictionnelle » la
cord, il n’en est pas ainsi aux autres niveaux.
question de savoir si la Commission a com-
Par exemple, dans l’arrêt Centre juridique de
pétence exclusive pour entendre les recours l’Estrie en 1996, les sept juges de la Cour su-
des travailleurs accidentés à l’exclusion de
prême estiment la décision de la Commission
toute action en justice : la juge dissidente
municipale du Québec manifestement dérai-
considère, au contraire, qu’il s’agit d’une sonnable, alors que les trois juges de la Cour
question de compétence74, ce qui ne nous
d’appel l’avaient déclarée raisonnable78.
étonne pas.
Dans l’arrêt J.M. Asbestos, la Cour suprême,
Même quand les juges à tous les niveaux unanime dans son jugement, refuse de consi-
font consensus sur la norme à appliquer, dérer la décision comme manifestement dé-
l’opération conduit à des résultats divergents. raisonnable, mais deux juges de la Cour d’ap-
Dans l’arrêt Canada Safeway, en 1998, la pel et la Cour supérieure l’ont considérée
décision du tribunal administratif est jugé rai- comme telle79.
sonnable par la Cour supérieure mais mani- L’aspect difficile dans l’application de la
festement déraisonnable par la Cour d’appel
méthode pragmatique et fonctionnelle est
de la Saskatchewan ; six juges de la Cour su-
qu’en soi aucun des quatre facteurs n’est dé-
prême sont du même avis, mais une juge est terminant. Il y a lieu d’effectuer un dosage qui
dissidente et aurait trouvé la décision raison-
varie selon la combinaison des facteurs. Selon
nable75. Plus récemment, dans l’arrêt l’arrêt Comité pour le traitement égal des ac-
Macdonell, sur quatorze magistrats ayant
tionnaires minoritaires rendu en 2001, « [c]ha-
statué sur le dossier, huit ont estimé la déci-
que facteur fournit une indication s’inscrivant
sion de la Commission d’accès à l’informa- sur le continuum du degré de retenue judi-
tion du Québec raisonnable ou rationnelle
ciaire approprié pour la décision en cause80 ».
tandis que six l’ont jugée déraisonnable ou
irrationnelle, dont quatre à la Cour su- Rappelons que la méthode pragmatique et
prême76. Dans l’arrêt Ajax rendu en 2000, la fonctionnelle ainsi que ses quatre facteurs
Cour de l’Ontario avait jugé déraisonnable ont été conçus à l’origine pour le contrôle des
une décision de la Commission des relations tribunaux administratifs spécialisés. Dans
de travail ; la Cour d’appel a estimé, au con- plusieurs arrêts des années 90, la Cour su-
traire, qu’elle n’était pas manifestement dé- prême préconise la retenue judiciaire parce
raisonnable, et la Cour suprême s’est divisée que les institutions contrôlées sont des tribu-
à six contre trois, la majorité confirmant que naux statutaires dont l’autonomie a été con-
la décision n’était pas « clairement irration-
77. Ajax (Ville) c. Syndicat national des travailleurs
et travailleuses de l’automobile, de
l’aérospaciale et de l’outillage agricole du Ca-
73. Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des nada (TCA,-Canada) section locale 222, précité,
relations du travail), précité, note 61, 403, 438 note 55, par. 2 et 13 (jj. Bastarache, Binnie et
(juges dissidents). L’Heureux-Dubé, dissidents).
74. Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers’ Com- 78. Centre communautaire juridique de l’Estrie c.
pensation Board), précité, note 26, par. 41-43 ; Sherbrooke (Ville), précité, note 49, par. 12.
par. 57 (j. L’Heureux-Dubé, dissidente). 79. J.M. Asbestos inc. c. Québec (Commission
75. Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. d’appel en matière de lésions profesionnelles),
1219, par. 40 et suiv. (majorité), par. 1 et suiv. [1998] 1 R.C.S. 315, par. 2.
(juge dissidente). 80. Comité pour le traitement égal des actionnai-
76. Macdonell c. Québec (Commission d’accès à res minoritaires de la Société Asbestos Ltée c.
l’information), précité, note 11, par. 3 (majo- Ontario(Commission des valeurs mobilières),
rité), par. 35 (minorité). [2001] 2 R.C.S. 132, par. 47.
Chronique bibliographique 195
sacrée par la jurisprudence. Dans l’arrêt Al- teurs, la Cour suprême conclut que « le critère
liance de la Fonction publique, la Cour su- à appliquer quand il s’agit de question de com-
prême écrit ceci : « Dans une société aussi pétence et de question de droit est celui de la
complexe que la nôtre, l’existence de com- décision correcte86 » et lorsqu’il s’agit « des
missions et de tribunaux administratifs s’im- actions d’une municipalité accomplies dans
pose de plus en plus. En effet, l’expérience et les limites de sa compétence [la norme] est
les connaissances spécialisées de certaines celle du caractère manifestement déraisonna-
commissions dépassent celles des cours de ble87 ». La Cour suprême a appliqué la mé-
justice […] Généralement composés d’ex- thode pragmatique et fonctionnelle aux fonc-
perts dans leur domaine, les tribunaux admi- tionnaires du gouvernement (arrêt Baker), aux
nistratifs fonctionnent indépendamment du ministres (arrêts Suresh, Mont Sinai et
gouvernement81 ». Puis le juge décrit l’évolu- S.C.F.P c. Ontario) à un organisme adminis-
tion de l’attitude des cours de justice à l’égard tratif chargé d’agréer les programmes univer-
des tribunaux administratifs. Il cite de nom- sitaires (arrêt Université Trinity Western), à
breux arrêts où il n’est question que de tribu- une municipalité (arrêt Nanaimo) et à une
naux administratifs ou de tribunaux spéciali- commission scolaire (arrêt Surrey School).
sés : seul y est abordé le « contrôle des Certains ont estimé que cela était un progrès
décisions des tribunaux administratifs82 ». et qu’il en résultait une théorie générale et uni-
Dans l’arrêt Domtar, la Cour suprême rap- ficatrice du contrôle judiciaire de l’Adminis-
pelle ceci : « le présent pourvoi porte sur des tration. Or cette unification n’était, à notre
questions qui sont au cœur du rapport insti- avis, pas nécessaire ni utile et ne peut être que
tutionnel entre les cours de justice et les tri- la source d’ambiguïté. Jusqu’ici, le contrôle
bunaux administratifs83 ». En 1996, le juge judiciaire de la légalité des décisions adminis-
Cory, au nom d’une cour unanime, reprend tratives englobait toute illégalité ou violation
le même avertissement : « Si l’on ne tient pas de la loi : lorsqu’un fonctionnaire interprète la
compte de ces avertissements, c’est le fonc- loi, il ne bénéficie d’aucune retenue judiciaire,
tionnement et même tout le concept des tri- encore moins s’il la viole. Si la loi confère un
bunaux administratifs qui pourront être en pouvoir discrétionnaire, le contrôle judiciaire
péril84. » Dans le récent arrêt Toronto, le juge est limité aux « abus de pouvoir », notion qu’a
LeBel semble du même avis. définie une jurisprudence bien connue. L’idée
À partir de 2000 cependant, dans l’arrêt de spéculer sur le champ d’expertise des fonc-
tionnaires ou du ministre ou encore du conseil
Nanaimo, la Cour suprême assimile un con-
municipal ou scolaire nous paraît non appro-
seil municipal à un tribunal et applique à ses
actes la norme de retenue qui découle de la priée ; il ne s’agit pas de tribunaux statutaires
spécialisés.
méthode pragmatique et fonctionnelle de l’ar-
rêt Pushpanathan85. Après une comparaison
approximative entre un conseil municipal et L’avenir de la méthode
pragmatique et fonctionnelle
un tribunal administratif quant aux quatre fac-
L’application des quatre facteurs doit
81. Canada (Procureur général) c. Alliance de la conduire à déterminer le degré de retenue ju-
Fonction publique du Canada, précité, note 50, diciaire dans un éventail qui va d’une retenue
952. moindre à une retenue plus élevée. Toutefois,
82. Id., 961.
s’il est question de normes de contrôle, pour-
83. Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en
matière de lésions professionnelles), précité, quoi ne pas en revenir à deux normes, celle
note 30, 761. de la rectitude ou justesse (correctness), ou
84. Syndicat international des débardeurs et maga- norme de la décision correcte, et celle de la
siniers, Ship dock Foremen, section locale 514 rationalité, ou norme de la décision ration-
c. Prince Ruppert Grain Ltd., précité, note 35,
par. 23.
85. Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 86. Id., par. 29.
1 R.C.S. 342, par. 29. 87. Id., par. 37.
196 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 185
nelle ? C’est dans cette direction que le juge Maurice Drapeau, Grossesse, emploi et dis-
LeBel semble aussi pencher dans sa remar- crimination, Montréal, Wilson & Lafleur,
quable analyse de l’arrêt Toronto. 2003, 188 p., ISBN 2-89127-587-X.
La méthode pragmatique et fonctionnelle Selon les données compilées par l’Institut
permet, à la première étape, de déterminer si de la statistique du Québec, l’indice de fécon-
la décision contestée ou la question soulevée dité des Québécoises est passé de 3,96 en-
entre ou non dans le champ d’expertise spé- fants à 1,45 enfant au cours des 50 dernières
cialisée du tribunal administratif. À la deu- années1. Durant la même période, la propor-
xième étape, celui qui cherche à faire invalider tion de Québécoises occupant un emploi ré-
une décision qui n’entre pas dans ce champ munéré a fait un bond prodigieux. Faut-il y
d’expertise doit démontrer à la Cour qu’une voir une corrélation ?
telle décision est incorrecte ou comporte une
Dans un vibrant plaidoyer pour un renfor-
erreur, soit dans le cas de l’interprétation de la cement de la protection sociojuridique con-
loi ou de son application. À cet égard, le juge
tre la discrimination fondée sur la grossesse,
d’une cour supérieure a le dernier mot parce
Maurice Drapeau n’hésite pas à conclure
que le tribunal administratif n’est pas en que, « à long terme, les politiques de concilia-
meilleure position que lui pour statuer.
tion travail-famille sont susceptibles de favo-
En revanche, celui qui cherche à faire in- riser la hausse du taux de natalité » (p. 139).
valider une décision qui entre dans le champ La réalité est peut-être plus complexe. Sinon,
d’expertise spécialisée doit démontrer qu’elle comment comprendre qu’aux États-Unis le
est irrationnelle en s’attaquant à la démarche taux de fécondité soit de 2,13 enfants par
du tribunal, au rapport entre les prémisses et femme en âge de procréer alors que la pro-
la conclusion. S’il s’agit d’une question de tection sociale offerte aux salariées enceintes
droit, il doit établir que l’interprétation est in- y est à ce point anémique que la durée
défendable au regard du texte et du contexte moyenne du congé de maternité n’excède pas
jurisprudentiel ; dans le cas d’une question dix jours2 ?
mixte de droit et de fait ou même de pur fait,
Là où Maurice Drapeau ne saurait avoir
il doit prouver que la conclusion du tribunal
tort cependant, c’est sur l’importance de la
ne peut raisonnablement découler de la question qu’il aborde. De fait, pour plusieurs
preuve soumise, ou découle d’une preuve
personnes, grossesse et travail prennent en-
gravement déficiente, ou qu’en concluant le
core trop souvent la forme d’un gigantesque
tribunal a omis de tenir compte de considéra- casse-tête dont l’assemblage pose un défi
tions ou d’éléments pertinents, ou a retenu
quotidien.
des considérations non pertinentes. Dans son
approche, une cour supérieure doit faire L’ouvrage qu’il nous propose provient de
preuve d’une retenue plus grande parce que, la thèse de doctorat qu’il a soutenue à l’Uni-
sur les questions qui entrent dans le champ versité de Montréal à l’été 2002. Quiconque
d’expertise du tribunal administratif, celui-ci connaît les exigences universitaires propres
est en meilleure position. Car, comme l’a bien à la réalisation d’études de troisième cycle en
posé la Cour suprême dans le jugement una- droit pourra a priori s’étonner de la brièveté
nime rendu dans l’arrêt Domtar : « Ce pro- du texte, lequel comporte à peine 139 pages
blème se résume à se demander : « Qui doit si l’on fait exception des sept annexes qui s’y
répondre à cette question, le tribunal admi- greffent. En fait, l’auteur a opté pour un
nistratif ou une cour de justice88 ? » »
Patrice Garant 1. Voir le site Internet suivant : http ://
Université Laval www.stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/
demographie/naisn_deces/naissance/402.htm.
88. Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en 2. J.-F. Lisée, « Dur, dur de faire des bébés ? »,
matière de lésions professionnelles), précité, L’actualité, vol. 28, no 20, 15 décembre 2003,
note 30, 772. p. 53.
Chronique bibliographique 197
aspects de l’analyse conventionnelle6 » pour ment susceptible d’être appliquée aux cas de
épouser plutôt une méthode d’analyse uni- discrimination fondée sur la grossesse –
fiée. Alors que Maurice Drapeau voit, avec aurait mérité quelques développements
raison, cette unification comme « une avan- compte tenu des conséquences bien réelles
cée majeure » (p. 26), le reste de son texte est qu’elle peut avoir sur le fardeau de preuve
paradoxalement truffé d’allusions à la nature des salariées qui revendiquent la protection
directe ou indirecte des situations de discri- de la Charte québécoise9.
mination qu’il dépeint (voir notamment les Par ailleurs, certains exemples majori-
pages 46, 48, 49, 69, 71, 72, 98, 101, 103, 107,
tairement puisés dans la jurisprudence des
116). Pourquoi persister à utiliser cette dis-
tribunaux des droits de la personne d’ici et
tinction qui, de l’aveu même de la Cour su- d’ailleurs au Canada mettent en lumière des
prême, n’a plus sa raison d’être7 ?
cas de discrimination à l’endroit de tra-
Traitant du droit à l’égalité, l’auteur l’as- vailleuses syndiquées. Par exemple, l’auteur
simile notamment au « droit à un mode de vie mentionne l’affaire Parcels (p. 99) où une
en société où toutes les personnes sont trai- commission d’enquête albertaine en matière
tées sur un pied d’égalité avec le même res- de droits de la personne a ordonné qu’une
pect de leur dignité » (p. 11). Or, la notion de convention collective soit modifiée afin
« dignité » a justement fait une apparition ré- qu’une salariée enceinte n’ait pas à payer
cente dans la grille d’analyse appliquée pour d’avance les primes d’assurance invalidité
déterminer si une situation donnée est con- exigées d’elle pour conserver sa couverture
traire à la norme québécoise d’égalité. De fait, d’assurance durant son congé de maternité.
une certaine jurisprudence tend aujourd’hui Or, dans l’état actuel du droit québécois, la
à exiger de la personne qui se dit victime de capacité d’intervention de la Commission et
discrimination la preuve qu’elle subit une at- du Tribunal des droits de la personne en mi-
teinte à sa dignité pour espérer obtenir gain lieu de travail syndiqué apparaît sérieuse-
de cause8. Cette exigence nouvelle – évidem- ment minée à la lumière de l’arrêt Québec
(Procureure générale) c. Commission des
6. Id., 18-19 (j. McLachlin, par. 25, 28 et 29). droits de la personne et des droits de la jeu-
7. En fait, la distinction ne demeure utile qu’au nesse10. C’est plutôt à l’arbitre de grief, à qui
moment de déterminer s’il y a lieu d’accorder à sont prêtées – à tort ou à raison11 – des vertus
la victime une réparation sous forme de dom-
d’accessibilité, de célérité et de sensibilité
mages punitifs : C. Brunelle, « Les droits et
libertés dans le contexte civil », dans Barreau aux réalités du milieu de travail12, que revien-
du Québec, Droit public et administratif, vol.
7, Collection de droit 2003-2004, Cowansville, 9. Voir à ce propos D. Proulx, « Le concept de
Éditions Yvon Blais, 2003, p. 53. dignité et son usage en contexte de discrimina-
8. Pour des arrêts en ce sens et antérieurs à la pu- tion : deux chartes, deux modèles », (2003) R. du
blication du livre, voir : Johnson c. Commission B. numéro spécial, 485 ; D. Robitaille, « Vous
scolaire Lester B. Pearson/ Lester B. Pearson êtes victime de discrimination et vous souhai-
School Board, [2000] R.J.Q. 1961 (C.A.), 1970 (j. tez en faire la preuve ? Bonne chance ! », (2002)
Gendreau, par. 37) (autorisation de pourvoi à la 62 R. du B. 319.
Cour suprême du Canada refusée : [2001] 2 10. [2002] R.J.D.T. 55 (C.A.). Au moment d’écrire
R.C.S. ix) ; Entreprises W.F.H. ltée c. Québec ces lignes, l’affaire est toujours en délibéré de-
(Procureur générale), [2001] R.J.Q. 2557 (C.A.), vant la Cour suprême du Canada (C.S.C. no
2571 (j. Biron, par. 93) (autorisation de pourvoi 29188).
à la Cour suprême du Canada refusée : C.S.C., 11. Voir à ce propos G. Vallée, M. et autres (dir.),
no 28978) ; Québec (Procureur général) c. Lam- Le droit à l’égalité : les tribunaux d’arbitrage
bert, [2002] R.J.Q. 599 (C.A.), 610-613 (par. 79 et le tribunal des droits de la personne, Mont-
et suiv.) (autorisation de pourvoi à la Cour su- réal, Thémis, 2002.
prême du Canada refusée : C.S.C., no 29227) ; 12. Parry Sound (District), Conseil d’administra-
Amselem c. Syndicat Northcrest, [2002] R.J.Q. tion des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., sec-
906 (C.A.), 931 (j. Dalphond, par. 155 et 156) (en tion locale 324, 2003 CSC 42 ; J.E. 2003-1790 ;
appel à la Cour suprême du Canada : C.S.C., no REJB 2003-47356 (C.S.C.) (j. Iacobucci, par. 50-
29253). 54).
Chronique bibliographique 199
drait la tâche (exclusive !) d’assurer le res- 103, 113) et des jugements rendus sur entente
pect du principe d’égalité dans les entrepri- (p. 54) ou sur acquiescement à la demande (p.
ses syndiquées du Québec. Une mention de 75, 104, 123, 130)… Quel poids juridique de
cette nouvelle réalité n’aurait pas été super- tels arrangements peuvent-ils bien avoir hors
flue à notre sens. du cercle restreint des justiciables qui les ont
conclus ? La décision d’une partie de mettre
D’ailleurs, il n’est pas sans intérêt de rap-
volontairement et prématurément un terme
peler qu’au fil des ans plusieurs sentences ar-
bitrales ont été rendues pour définir la nature au litige dans lequel elle est engagée repose
sur tant de considérations possibles qu’il ne
et l’étendue des droits dévolus aux femmes
saurait être question, nous semble-t-il, d’en
enceintes au travail. Il nous faut constater
que ce corpus jurisprudentiel abondant a très inférer un précédent de nature à nourrir le
droit positif.
peu retenu l’attention de l’auteur. La remar-
que vaut également en ce qui a trait « aux Cela dit, nous sentons chez Maurice Dra-
nombreuses décisions des commissaires du peau une conviction profonde qui empreint
travail en application de la Loi sur les normes l’ensemble de son livre et qu’il résume en peu
du travail » (p. 95). Se pourrait-il que l’auteur de mots dès l’introduction : « la contribution
ait jugé que ce terrain avait déjà été étudié13 ? essentielle des femmes à la procréation et au
Si tel est le cas, la chose aurait dû être préci- renouvellement des générations ne doit pas
sée. les défavoriser dans le processus d’emploi »
(p. 3). Aussi préconise-t-il une interprétation
Sous ce rapport, force nous est cependant
généreuse de la protection juridique contre la
d’admettre que l’ouvrage a peut-être, pour
ainsi dire, les qualités de ses défauts. De fait, discrimination fondée sur la « grossesse ».
Bien que l’auteur se garde de donner une dé-
aucun autre auteur à ce jour n’a traité de
manière aussi complète la jurisprudence des finition explicite de ce dernier terme, ce qui
surprend tant il est central à sa démonstra-
tribunaux des droits de la personne en ma-
tion, le lecteur parvient à dégager progressi-
tière de discrimination fondée sur la gros-
sesse. Mentionnons que, à titre de procureur vement la compréhension large qu’il en a à
travers différents passages de l’ouvrage.
à la Commission des droits de la personne et
C’est ainsi que la « grossesse » s’étendrait
des droits de la jeunesse, Maurice Drapeau a
maintes fois été appelé à agir en faveur de « au-delà de l’accouchement » et viserait « le
congé de maternité » qui en est la « suite logi-
plaignantes dans le cas de dossiers d’enquête
que » (p. 94) ou encore les problèmes médi-
ou de litiges judiciaires. Il a donc une con-
naissance approfondie des réalités qui sont caux qui sont associés à la grossesse, telle
une dépression post-partum (p. 101). Maurice
les leurs. En ce sens, le professeur André
Drapeau écrit ceci : « la mesure de protection
Morel, qui signe la préface, a bien raison
d’écrire que « cet ouvrage est en prise sur les prévue contre la discrimination s’étend sur
une période raisonnable après l’accouche-
situations vécues ».
ment, afin de permettre à la femme à la fois
Son souci légitime de rendre compte de la de récupérer et de prendre en charge immé-
réalité amène cependant l’auteur à recourir à diatement le nouveau-né » (p. 108). Il est dès
un procédé qui nous semble juridiquement lors possible de soupçonner que la récente
discutable sinon douteux. Non seulement décision du Tribunal des droits de la per-
fait-il mention de la jurisprudence pour sonne où l’on juge que la « grossesse » dési-
étayer ses dires, mais il cite également des gne « dans son sens courant, la période allant
règlements à l’amiable qu’il a négociés (p. 78, de la fécondation à l’accouchement » n’em-
porte pas son adhésion14.
13. N.-A. Béliveau, La situation juridique de la 14. Commission des droits de la personne et des
femme enceinte au travail, coll. Relations in- droits de la jeunesse c. Montréal (Ville de), J.E.
dustrielles, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003-787 ; REJB 2003-39172 (T.D.P.Q.) (j. Bros-
1992. sard, par. 65).
200 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 185
L’auteur invoque également « la règle ju- viennent d’accoucher. Ainsi, le refus de re-
risprudentielle selon laquelle il est suffisant nouveler un contrat de travail à durée déter-
que le motif de discrimination ait été l’une minée au motif que la grossesse d’une sala-
des raisons ayant joué un rôle dans la déci- riée la rendrait incapable d’offrir sa
sion » (p. 76). Si cette interprétation favora- prestation de travail durant toute la durée
ble aux victimes de discrimination reflète prévue heurte a priori la Charte québécoise18.
bien la jurisprudence des tribunaux des droits L’analyse que Maurice Drapeau fait des dé-
de la personne15, force est d’admettre que les cisions pertinentes sur cette question l’amène
tribunaux judiciaires semblent privilégier une à un double constat. D’une part, la notion de
interprétation plus étroite en vertu de la- « renvoi » au sens de la Charte s’applique « à
quelle la partie demanderesse doit plutôt éta- toute forme de rupture du lien d’emploi », in-
blir que sa grossesse est la « cause effi- cluant les « situations de non-renouvellement
ciente » de la mesure préjudiciable qu’elle de contrat de travail » (p. 81). D’autre part,
conteste16. Le lecteur pourra regretter que cette notion de renvoi « doit prévaloir sur
l’auteur n’ait pas saisi l’occasion de critiquer l’application de la notion civiliste de contrat
cette dernière interprétation que d’aucuns de travail à durée déterminée » (p. 88). En
jugent d’ailleurs « inconciliable avec la doc- clair, dans le contexte de la Charte, le concept
trine admise de la discrimination indi- de « lien d’emploi », propre au droit civil, de-
recte 17 ». vrait plutôt faire place à celui de « lien d’en-
La section relative au cas du non-renou- treprise », lequel pourrait être inféré d’une
succession de contrats à durée déterminée ou
vellement du contrat de travail est d’un inté-
encore du fait que la fonction assumée jus-
rêt singulier. L’auteur y explique comment
que-là par la salariée renvoyée revêt un de-
les tribunaux sont parvenus à conclure que
gré suffisant de continuité dans l’entreprise
la règle voulant que la disponibilité soit une
condition essentielle de tout contrat de tra- pour être apparentée à un emploi à durée in-
déterminée plutôt que temporaire (p. 89-90).
vail doit à tout le moins souffrir d’une excep-
tion, à la faveur des salariées enceintes ou qui En somme, nous observons chez Maurice
Drapeau un véritable engagement en faveur
d’une interprétation généreuse de la protec-
15. Voir à ce propos L. Langevin, « Réflexion sur tion juridique offerte par la Charte québé-
le lien de causalité en matière de discrimina-
coise contre la discrimination fondée sur la
tion : une difficile intégration », (1996) 22
Queen’s L.J. 51. grossesse. Son ouvrage est tout dédié à la
16. B. c. Ontario (Commission des droits de la per- cause de ces femmes qui souhaitent pouvoir
sonne), [2002] 3 R.C.S. 406, 430 (j. Iacobucci et « concilier travail et maternité sans être pé-
j. Bastarache, par. 59) ; Brossard (Ville) c. Com- nalisées professionnellement » (p. 138). Il
mission des droits de la personne du Québec, faut saluer cet engagement tant le discours
[1988] 2 R.C.S. 279, 299, 300 et 302 (j. Beetz) ;
qui le porte nous semble essentiel en ces
Compagnie minière Québec-Cartier c. Com-
mission des droits de la personne du Québec, temps néo-libéraux.
D.T.E. 99T-52 (C.A.), 13 et 55 (j. Beauregard) et Sur le plan de la forme, la présentation de
8 (j. Letarte, ad hoc) (autorisation de pourvoi à
son livre apparaît sans faille et les quelques
la Cour suprême du Canada refusée : [1999] 3
R.C.S. vii) ; Québec (Ville) c. Commission des rares anglicismes qui s’y glissent (« moyens
droits de la personne du Québec, [1989] R.J.Q. drastiques » (p. 43), « à l’effet que » (p. 51),
831 (C.A.), 842 (j. Nichols) (autorisation de « sous la L.N.T. » (p. 132)) n’altèrent pas de
pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée : manière notable la qualité de l’écrit.
[1989] 2 R.C.S. vi) ; Syndicat de professionnel-
les et professionnels du gouvernement du Qué-
bec (SPGQ) c. Tremblay, [2003] R.J.Q. 1623
(C.S.), 1638 (j. Jolin, par. 114).
17. H. Brun et G. Tremblay, Droit constitution- 18. Voir, notamment, Commission des écoles ca-
nel, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, tholiques de Québec c. Gobeil, [1999] R.J.Q.
2002, p. 1112. 1883 (C.A.).
Chronique bibliographique 201
Sur le plan du fond, le contenu de porte également une analyse des documents
l’ouvrage trace un portrait juste de l’état du contractuels, clause par clause. Enfin, une
droit mais hélas incomplet. Outre les lacunes section sur les intermédiaires en franchisage
déjà relevées à cet égard, le lecteur cherchera et un glossaire complètent le tout.
en vain dans le texte les raisons pour lesquel- Les réflexions juridiques de Me Gagnon
les la Charte canadienne des droits et liber-
ont particulièrement capté notre attention. Il
tés en est en pratique occultée. De même,
consacre plusieurs pages à l’application des
alors que l’annexe I reproduit des extraits de règles d’interprétation des contrats au con-
la Convention sur l’élimination de toutes les
trat de franchisage. Notons qu’il présente des
formes de discrimination à l’égard des fem-
idées plutôt négatives sur les effets de la ré-
mes, aucun développement significatif n’est forme en matière contractuelle de franchi-
paradoxalement consacré au volet internatio-
sage. Ces mêmes vues transparaissent quant
nal. Il nous semble que le cadre d’une thèse
à l’application des nouveaux articles du Code
de doctorat se prêtait pourtant bien à l’étude civil du Québec sur les garanties du vendeur
de ces textes fondamentaux, lesquels
(art. 1729 et 1730 C.c.Q., notamment) et du
auraient pu offrir un éclairage intéressant sur
fabricant (art. 1467 C.c.Q.).
une problématique qui, par sa nature univer-
selle, déborde largement les frontières québé- Me Gagnon est d’opinion que la codifica-
coises. tion de l’exigence de la bonne foi, « bien que
louabl[e] en soi, présent[e] le risque majeur
Cela dit, je souhaite néanmoins un très
de judiciariser encore plus les litiges entre
vaste lectorat à Maurice Drapeau. Son
franchiseurs et franchisés » (p. 228.3), lais-
ouvrage a le grand mérite de nous rappeler sant place à la discrétion judiciaire. Malgré
que les obligations familiales ne sont pas
cette orientation qu’il entrevoit, il ne stipule
qu’affaire de responsabilité individuelle mais pas de clauses d’arbitrage dans les contrats
interpellent aussi toute la collectivité, in-
qu’il rédige. Il informe cependant ses lecteurs
cluant la « famille » des employeurs. Et tout
sur l’existence de ce mode de règlement des
évident qu’il soit, ce message n’en vaut pas conflits.
moins la peine d’être martelé tant la propen-
sion à l’oublier est grande dans certains mi- Dans une section portant sur les règles
lieux où seule la logique économique semble relatives au contrat d’adhésion, l’auteur
avoir prise sur les décideurs. opine que l’on conclut peut-être trop hâtive-
ment que les contrats de franchisage sont des
Christian Brunelle contrats d’adhésion puisque les franchisés
Université Laval
négocient de plus en plus des clauses rédigées
par les conseillers juridiques du franchiseur.
Jean H. Gagnon, La franchise au Québec, Plus loin, dans l’analyse des documents
Montréal, Wilson & Lafleur/Martel ltée, contractuels, Me Gagnon soulève des clauses
2003, 1 152 p., ISBN 2-89127-051-7. qu’il recommande de scruter attentivement
pour la protection du franchisé. Elles portent
Me Gagnon offre ici un ouvrage très do-
notamment sur les représentations faites an-
cumenté sur le régime des franchises au Qué- térieurement par le franchiseur, la fixation
bec. Malgré son titre, ce volume traite aussi
des prix imposés qui devraient être concur-
des conventions d’affiliation, de bannière et
rentiels et l’exercice raisonnable de ses droits
de groupement. Il aborde le point de vue du par le franchiseur. Voilà des suggestions qui
franchiseur et des franchisés, sous les angles
évitent des litiges.
de la comptabilité, de la gestion, de la finance
et du droit. Des modèles de contrat s’ajoutent Selon l’auteur, la responsabilité des fran-
à la partie théorique, ce qui rend l’ouvrage chiseurs pour les actes commis par les fran-
encore plus attrayant pour les praticiens et chisés est grandissante, selon les tendances
les étudiants. Une partie de l’ouvrage com- jurisprudentielles. Conséquemment, le fran-
202 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 185
chisage devient de moins en moins intéres- sification pourrait rendre la consultation dif-
sant pour les franchiseurs (p. 226.12). À son ficile. Heureusement, un index très détaillé
avis, des formes d’entrepreneuriat plus sou- des sujets abordés dans les causes de juris-
ples pourraient voir le jour. prudence facilite le repérage.
Me Gagnon renseigne aussi le lecteur sur Enfin, Me Gagnon passe en revue des lois
les clauses nouvelles qui apparaissent dans applicables à la franchise. Son étude ciblée de
les contrats de franchisage. Il en aborde certaines dispositions pertinentes procure
trois : l’association de franchisés, la clause de une aide appréciable au juriste devant analy-
rachat des obligations contractuelles et la ser ce contrat régi par plusieurs sources lé-
clause de retrait provisoire. gislatives disparates. Cette section est parti-
culièrement intéressante lorsqu’elle vulgarise
Il semble que, de plus en plus, les franchi-
une loi d’une lecture aussi complexe que l’est
seurs acceptent l’idée de la formation d’asso-
ciations de franchisés jouant un rôle consul- la Loi sur la concurrence. À noter que, dans
d’autres chapitres du livre, l’auteur se réfère
tatif quant à la détermination des normes de
à la jurisprudence anglo-canadienne et qué-
qualité, du fonds de publicité et de la mise en
marché de produits. Il s’agit là d’une ten- bécoise. Nous nous permettons de formuler
le regret de ne pas retrouver de jurisprudence
dance américaine qui s’étend.
dans cette section.
Les contrats étant à long terme, une
L’auteur est très généreux en fait de mo-
clause nouvelle porte sur l’option des parties
dèles de conventions et de documents variés.
de mettre fin au contrat en tout temps en dé-
boursant une somme établie selon un mode Il fournit ainsi une grille de vérifications préa-
lables à la rédaction de documents légaux de
de calcul prévu. Cela évite de voir perdurer
des relations insatisfaisantes. Enfin, la clause franchise. Le franchiseur bénéficiera d’un
outil précieux pour mettre en place son ré-
de retrait provisoire est une sanction tempo-
seau en consultant les histogrammes très dé-
raire imposée au franchisé qui ne respecte
pas certaines clauses du contrat jusqu’à ce taillés en annexe au chapitre 4. L’éventuel
franchisé, lui, consultera à profit une liste de
qu’il s’y soumette. Elle est considérée
vérifications préalables qui englobe tous les
comme moins draconienne que les recours
classiques inhérents au défaut. aspects d’un système de franchise. Si cette
liste était diffusée plus largement, bien des
Par ailleurs, la section sur les intermédiai- litiges et des surprises désagréables seraient
res en franchisage est décevante parce qu’elle évités !
n’est pas à jour. Aux pages 372 et 373,
Rappelons, en terminant, que Me Gagnon
l’auteur cite longuement quatre articles du
Code civil du Bas Canada. Il y aurait lieu publie des articles et donne des conférences
depuis plusieurs années sur les contrats de
d’actualiser l’arrêt « récent » de 1985 men-
franchise au Québec2. Son ouvrage récapitu-
tionné à la page 371. La section « Jurispru-
dence » comporte aussi certaines lacunes latif est apprécié. En matière de franchisage,
il s’avère même incontournable.
liées à la mise à jour dans les commentaires
de décisions rendues en vertu de l’ancien Édith Fortin
Code1, mais des causes récentes sont rappor- Reinhardt Bérubé Fortin
tées et traitées avec intérêt. Les causes de
jurisprudence sont classées alphabétique-
ment, selon le nom du demandeur. Cette clas-
1. À la page 430, il aurait été intéressant que 2. Me Gagnon avait aussi rédigé l’ouvrage sui-
l’auteur se réfère au droit actuel édicté aux arti- vant : Les pièges du franchisage – Comment les
cles 1418, 1419 et 1439 du Code civil du Québec éviter, Montréal, Éditions Transcontinental,
portant sur la nullité relative et absolue. 1989.
Chronique bibliographique 203
disposition législative de l’Ontario qui privait par exemple) permettent de protéger la partie
les partenaires de même sexe du droit de ré- faible d’un lien choisi librement.
clamer des aliments en cas de séparation. En
Après avoir passé en revue les règles re-
2000, le Parlement du Canada adoptait à son
latives à l’organisation patrimoniale de
tour une multitude de modifications afin de l’union civile, Alain Roy semble surpris du
reconnaître l’union de fait homosexuelle.
fait que le législateur québécois a adopté un
Concernant la filiation, la Cour provinciale
principe timide du droit commun (dans les
ontarienne déclarait nulle en 1995 la disposi- limites de sa compétence) pour les couples
tion qui refuse aux couples de même sexe le
homosexuels en offrant à ceux-ci des droits
droit de solliciter une demande d’adoption ;
proches du mariage. Cette décision politique
de même, une décision du tribunal de pre- est qualifiée par le professeur de l’Université
mière instance de la Colombie-Britannique a
de Montréal de « dogmatique », sans qu’il
déclaré que le refus d’inséminer une les-
explique pour autant dans quelle mesure se-
bienne constitue une forme de discrimination rait l’exception qui mériterait une justifica-
fondée sur l’orientation sexuelle. De surcroît,
tion plutôt que la règle universelle (mariage).
progressivement, l’ensemble des tribunaux
Il rappelle que le législateur n’a pas adopté la
placés devant la demande de reconnaissance même approche en ce qui concerne la fin de
du droit au mariage des couples homosexuels
l’union civile, car, en l’absence d’enfant,
se prononce en faveur de ladite légitimation.
celle-ci peut être dissoute par déclaration no-
En ce sens, Michel Morin rappelle que, bien tariée. Il omet dans le même geste de signa-
qu’elle soit célébrée de manière identique au
ler, comme l’avait fait l’auteur de l’article
mariage et qu’elle procure presque les mêmes
précédent, que l’union civile n’octroie pas les
effets juridiques, des différences fondamen-
mêmes droits aux partenaires que le mariage.
tales subsistent entre l’union civile et le con-
C’est peut-être justement cette dissymétrie
trat matrimonial, principalement dans les do- des droits qui justifierait la différence d’obli-
maines de compétence fédérale tels que
gations.
l’immigration ou le droit de la preuve.
Après une analyse des compétences légis-
Pour sa part, Michel Tétrault fait une ana-
latives, Hugo Cyr met en évidence les para-
lyse comparée des effets juridiques entre les
doxes de la situation juridique actuelle. En
conjoints mariés, les conjoints civils et les effet, c’est précisément l’absence de volonté
conjoints de fait, mettant clairement en évi-
politique du Parlement fédéral en vue
dence la hiérarchie existante entre les trois
d’adopter une loi pour rendre le mariage ac-
formes de conjugalité. cessible aux couples de gais et de lesbiennes
Par ailleurs, Dominique Goubau se de- qui a favorisé la multiplication de statuts ju-
mande ceci : « [Faut-il] imposer aux conjoints ridiques entrant directement en concurrence
de fait un cadre protectionnel en droit privé avec le ius connubi. De même, le phantasme
ou convient-il, au contraire, de respecter plus de la polygamie présentée comme consé-
que jamais le principe d’autonomie de la vo- quence directe de l’élargissement du droit au
lonté et de maintenir telle quelle la zone de mariage par les homosexuels s’est converti
liberté des conjoints… ? » D’après ce juriste, en réalité par l’oubli du législateur fédéral qui
la réponse varie selon que le couple a ou n’a n’a pas prévu de faire de l’union civile un
pas d’enfants : dans le premier cas, une assi- empêchement au mariage. Par exemple, « un
milation automatique entre certains effets ju- homme pourrait s’unir civilement à un autre
ridiques du mariage et du concubinage sem- homme et le lendemain se marier avec une
ble justifiée, tandis que, dans le second, une femme. Dans ce cas, les deux unions seraient
osmose des statuts serait contraire au prin- valides même si le comportement de cet
cipe d’autonomie de la volonté, d’autant plus homme constituerait un acte criminel » (p.
que les mécanismes généraux du droit privé 240). Enfin, le professeur Cyr souligne que
(enrichissement sans cause ou société de fait, « la non-reconnaissance par le Parlement fé-
Chronique bibliographique 205
déral du mariage homosexuel a pour consé- adopter un autre individu majeur ou mineur
quence d’affaiblir l’unité politique et juridi- et même un grand-père pouvait adopter
que du pays qu’il a pour objet de développer comme fils son propre petit-fils pour des rai-
et maintenir » (p. 240). sons successorales. De surcroît, depuis 1966,
Cette absence de courage politique est il- le droit français permet à un individu seul
d’adopter un enfant. Pour le droit de l’adop-
lustrée par l’article de Gérald Goldstein et
tion, il n’existe aucune contrainte liée à la
Jeffrey Talpis mettant en évidence les com-
plications dans l’application de la loi, qu’il « différence de sexes ». La vieille théorie du
complot est mobilisée par Renée Joyal pour
soit question de la formation, du déroulement
qui, sous la pression du lobby homosexuel,
ou de la dissolution de l’union civile.
tout se fait en catimini et avec précipitation.
Par ailleurs, deux articles traitent des fi-
De même, pour Suzanne Philips-Nootens
gures juridiques proches de l’union civile.
Celui de Martha Bailey, en anglais, analyse le et Carmen Lavallée, la loi québécoise se
trouve en rupture avec la réalité biologique
partenariat enregistré dans la common law
en « amputant impunément » (p. 355) l’enfant
canadienne, tandis que Michel Grimaldi pré-
sente sommairement le Pacte civil de solida- de la moitié de ses origines les plus intimes.
Ici, les commentaires passionnels, tels que
rité français.
« saut dans l’inconnu » (p. 358), « instrumen-
Beaucoup moins construite que la pre- talisation de l’enfant » (p. 343) et « dérobades
mière partie de l’ouvrage, la seconde partie de la loi » cachent à peine l’horreur que l’ac-
est consacrée à la question de l’homoparen- cès au droit de la filiation par des couples
talité. Dans cette matière, à l’exception de homosexuels produit chez ces juristes.
l’article de Marie-France Bureau, la charge
affective et le ton apocalyptique caractérisent Si jusqu’ici, sans être toujours d’accord
avec les idées énoncées, nous avons cru pos-
les réflexions des juristes. Malgré les conclu-
sible de soumettre à la discussion certains
sions extrêmement rassurantes des travaux
présentés par la psychologue Danielle Julien points de vue idéologiques, en revanche nous
ne pouvons que dénoncer l’article de Frédé-
relatifs à trois générations de recherches em-
ric Dussault. Considérer que l’adoption
piriques sur les mères lesbiennes, les pères
gais et leurs enfants, les trois articles restants homoparentale crée une rupture entre l’en-
fant et son appartenance à l’espèce humaine
surprennent par leur faiblesse analytique et
revient à comparer un acte légitime avec le
par l’idéologie conservatrice qu’ils véhicu-
lent. La première opinion est aussi sommaire crime de génocide. Cet auteur balaie d’un
trait les études sur les familles homopa-
qu’excessive, et son intitulé ayant des allures
rentales qui démontrent exactement le con-
millénaristes : « La filiation homoparentale,
rupture symbolique et saut dans l’inconnu » traire de ce qu’il affirme, et le terrain est alors
libre pour lui permettre de s’adonner aux ap-
donne le ton du propos. L’inscription d’un
préciations les plus homophobes : « l’adop-
enfant dans la parenté homosexuelle provo-
querait, d’après Renée Joyal, une catastrophe tion homoparentale enlève à l’enfant son ins-
cription dans l’ordre généalogique et, par
symbolique, car elle « remet en cause la no-
extension, dans l’espèce humaine […] Il est
tion de filiation telle qu’elle existe, du moins
dans le monde occidental, depuis la nuit des certainement contraire à l’intérêt de l’enfant
de lui dérober son appartenance à l’espèce »
temps ». Sauf à concevoir le droit romain ou
(p. 332). La violence des propos, l’inexacti-
le droit français contemporain comme en de-
hors du monde occidental (pour ne prendre tude des appréciations juridiques et le quasi-
plagiat des quelques articles les plus réaction-
que ces deux exemples), une telle affirmation
naires parus dans les revues françaises font
semble pour le moins abusive. En effet, le
droit romain de la filiation dissociait le fait qu’il nous est impossible d’analyser davan-
tage ce chapitre. Devant les mêmes argu-
biologique de la règle juridique ; par exemple,
ments, Catherine Deschamps, en analysant le
seul l’individu de sexe masculin pouvait
débat français, souligne ceci : « Il ne s’agit
206 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 185
pas de mettre en accusation ceux qui pensent Gérald Goldstein et Ethel Groffier,
à titre personnel que la famille ne peut se con- Traité de droit civil – Droit international
cevoir autrement qu’articulée autour d’une privé, t. 2, Cowansville, Éditions Yvon
succession générationnelle de couples hété- Blais, 2003, 1 253 p., ISBN 2-89451-676-2.
rosexuels : ils ont le droit de le croire si tou- Après avoir consacré le premier tome de
tefois ils n’en font pas un argument d’auto-
leur traité aux règles et principes généraux du
rité paré des atours de la science1 … »
droit international privé1, les professeurs
Dans cette partie de l’ouvrage, la seule Goldstein et Groffier se penchent maintenant
réflexion juridique dépourvue de préjugés est sur les règles spécifiques, respectant ainsi la
celle de Marie-France Bureau. Cette juriste présentation habituelle de la matière. C’est-
commence par placer l’homoparentalité dans à-dire que, après avoir expliqué et présenté
l’évolution d’un droit de la famille qui, depuis la théorie générale (le raisonnement et la lo-
les années 60, ne cesse de s’adapter aux chan- gique de la discipline), les auteurs les appli-
gements sociaux (divorce, égalité des filia- quent à chaque situation concrète susceptible
tions, contraception, concubinage, monopa- de revêtir un caractère transnational. Pour ce
rentalité, procréation artificielle). Or, malgré faire, ils ont regroupé certaines règles de fa-
cette évolution, le droit québécois de la fa- çon fort traditionnelle en consacrant les trois
mille demeure profondément marqué par premiers titres de l’ouvrage respectivement
l’idéologie ius naturaliste. Le phantasme de au statut personnel, au statut réel et aux obli-
la privatisation des liens familiaux et la con- gations. Ensuite, ils ont choisi, à l’instar d’un
séquente désintégration sociale sont systé- auteur français, – disent-ils, de réunir les rè-
matiquement brandis par les juristes conser- gles concernant « l’exercice des droits en jus-
vateurs. Toutefois, la réalité du droit positif tice » – entendons celles qui touchent la pro-
montre que l’État n’a nullement démissionné cédure, la preuve et la prescription.
en matière familiale. La nouvelle loi québé- Finalement, ils ont détaché les régimes ma-
coise en est une preuve. L’homoparentalité trimoniaux et les successions des catégories
n’est pas simplement le fruit d’accords privés auxquelles ils sont généralement liés pour en
et la place tutélaire de l’État est capitale dans faire une catégorie à part, objet du titre V de
la matière. Comme le note Marie-France Bu- l’ouvrage, intitulé : « Le droit patrimonial de
reau, « la prise en compte de la famille la famille ». Les auteurs expliquent ainsi leur
homoparentale par l’État représente un chan- choix, peu classique : « Au plan pédagogique,
gement dans la façon dont celui-ci se définit. cette division, qui reste évidemment discuta-
Admettre que deux mères ou deux pères peu- ble, permet d’étudier le contrat de mariage
vent constituer une famille et remplir des après les règles générales relatives au contrat
fonctions sociales importantes qui sont béné- et de ne pas interrompre des développements
fiques tant pour les enfants que pour la so- relatifs aux biens par les successions qui
ciété dans son ensemble représente une étape comprennent un certain nombre d’institu-
importante vers une meilleure acceptation tions de nature familiale, comme la survie de
des familles qui ne correspondent pas au l’obligation alimentaire » (p. 4). Non seule-
modèle dominant » (p. 398). ment ce « détachement » des régimes matri-
moniaux, par exemple, de leur contexte habi-
Daniel Borrillo
Centre de recherche sur la science tuel est inattendu, mais, en outre, pourquoi
avoir relégué le traitement de ces droits pa-
administrative/Centre national de la
recherche scientifique
Université de Paris X-Nanterre
1. G. Goldstein et E. Groffier, Droit interna-
tional privé, t. 1, Cowansville, Éditions Yvon
Blais, 1998. Pour une chronique bibliographique
sur cet ouvrage, voir J.-F. De Rico, « Gérald
1. L.-G. Tin (dir.), Dictionnaire de l’homophobie, Goldstein et Ethel Groffier, Droit international
Paris, PUF, 2003, p. 296. privé, t. 1 », (1999) 40 C. de D. 700.
Chronique bibliographique 207
trimoniaux après celui de l’exercice des s’écartent peu des principes généraux du con-
droits en justice ? Il ne semble pas que la con- flit de juridictions et encore moins de ceux
naissance de ceux-ci soit nécessaire pour relatifs à la reconnaissance et à l’exécution
comprendre ceux-là. Sur le plan pédagogique des décisions étrangères » (p. 3). Nous fai-
justement, ce parti pris ne nous a pas con- sions précédemment l’éloge de l’importance
vaincue, mais peut-être n’est-ce là, de notre accordée par les auteurs à la mise en contexte
part, qu’une question d’habitude. dans le temps et dans l’espace. Les questions
Ce petit problème de structure surmonté, de conflits de juridictions auraient certaine-
ment été dignes de recevoir, de ce point de
la lecture de l’ouvrage est extrêmement
vue, le même traitement que les conflits de
enrichissante. Les règles sont présentées
dans des contextes temporel et spatial com- lois.
plets. Ainsi, les auteurs ne manquent jamais La richesse des propos des auteurs pro-
de consacrer des développements fouillés à vient également de ce qu’ils passent en revue
l’historique de ces règles. Bien sûr, ils men- absolument toutes les facettes d’un même
tionnent le droit antérieur au Code civil du problème. Prenons le cas du nom, élément de
Québec, faisant souvent état des différentes la personnalité, relevant donc du statut per-
options et des hésitations des uns et des sonnel. Alors que les grands auteurs français
autres au cours du processus de réforme du en traitent généralement en quelques paragra-
Code civil, mais ils remontent souvent nette- phes, le plus souvent éparpillés entre les dé-
ment plus loin lorsque cela est nécessaire, veloppements sur les effets personnels du
présentant aussi bien les règles anciennes que mariage, ceux de la filiation et ceux du di-
les décisions judiciaires qui les ont appli- vorce2, les professeurs Goldstein et Groffier
quées ou interprétées. De la même façon, les lui consacrent plusieurs pages d’affilée. Pour
auteurs sont soucieux de présenter le plus ce faire, ils se tournent vers les règles du
souvent possible les solutions retenues par Code civil ou de textes particuliers qui ont
d’autres ordres juridiques que le nôtre. S’ils trait directement ou non à ce sujet3 en matière
citent fréquemment le droit suisse, ce qui se interne. Ainsi, ils brossent un tableau com-
comprend dans la mesure où la codification plet de toutes les questions que peut poser le
québécoise de 1994 y a puisé de nombreuses nom : acquisition, nom de la femme mariée,
sources, il font évidemment quelques incur- changement de nom, utilisation du nom
sions en common law ainsi qu’en droit fédé- d’autrui, changement de sexe. Ils vérifient
ral canadien et améliorent les connaissances dans quelle mesure ces dispositions ou les
du lecteur en invoquant notamment le droit situations qu’elles régissent peuvent se pré-
allemand, français, belge ou européen. senter dans un contexte transnational et com-
ment elles peuvent alors être traitées. Autre
Pour chaque sujet traité, la structure de la
présentation est identique, correspondant exemple de souci d’exhaustivité, le jeu et le
pari qui leur inspirent six pages.
aux trois objets principaux du droit interna-
tional privé : loi applicable, compétence juri- Non seulement les auteurs traitent de
dictionnelle puis reconnaissance et exécution tous les sujets, non seulement ils en font une
des jugements étrangers. On ne peut que féli- exploration complète, mais encore, pour être
citer les auteurs d’avoir ainsi regroupé ces
objets pour chaque thème traité plutôt que de
séparer « conflits de lois » et « conflits de ju- 2. Voir, par exemple, B. Audit, Droit internatio-
ridictions ». Il est toutefois dommage que ces nal privé, 3e éd., Paris, Economica, 2000, et P.
dernières questions, celles qui portent sur le Mayer et V. Heuzé, Droit international privé,
7e éd., Paris, Montchrestien, 2001.
rattachement juridictionnel, prennent un peu
3. Art. 5, 51, 52, 56, 59, 393 C.c.Q. Règlement sur
l’allure d’accessoires. Les auteurs se justi- les formules et les relevés d’honoraires relatifs
fient ainsi : « Les conflits de lois tendront à à la Loi sur l’assurance-maladie, L.R.Q., c. A-
se voir attribuer la majeure partie des déve- 29, r. 2 ; Loi sur le changement de nom et
loppements parce que les règles spécifiques d’autres attributs de l’état civil, L.R.Q., c. C-10.
208 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 185
sûrs de ne rien oublier, ils n’hésitent pas à chant à l’École statutaire française du 18e siè-
soumettre fréquemment des hypothèses cle » (p. 827). Il y a à peine une dizaine d’an-
théoriques. Ainsi, ils admettent qu’il « est nées, le plus haut tribunal du pays a été saisi
tout de même peu probable qu’un problème d’une affaire qui traitait conjointement des
de droit international privé se pose à l’occa- conflits entre les lois de la Saskatchewan et
sion d’une intervention médicale [visant à de la Colombie-Britannique, d’une part, et de
changer de sexe] » (p. 31). À propos de l’ab- ceux entre la loi ontarienne et la loi québé-
sence, ils écrivent que, « au risque d’imaginer coise6, et où il a appliqué exclusivement la lex
une hypothèse assez théorique, on peut se loci delicti. Les auteurs commentent ainsi ce
demander quels seraient les effets du retour choix :
de l’absent (québécois) si son mariage avait Avec respect, nous ne pouvons nous empê-
été célébré et si son conjoint était encore do- cher de penser que ces motifs sont large-
micilié dans un pays où l’absence ne met pas ment dépassés en droit international privé
moderne. Alors que la théorie de la Cour
fin au mariage » (p. 33). En matière contrac- d’appel de l’Ontario était solidement ancrée
tuelle, ils évoquent « [une] situation, théori- dans l’époque contemporaine, l’appel à la
quement possible, [qui] risque d’être plutôt territorialité, au sens matériel, et à la cour-
rare » (p. 503, note 365-5)4. En ce qui con- toisie internationale nous semble repro-
duire les fondements ayant inspiré Beale en
cerne l’effet du patrimoine familial, ils imagi- 1934 dans la rédaction du premier
nent une situation qu’ils qualifient eux-mê- Restatement américain [lui-même inspiré
mes a contrario de non « réaliste » (p. 941). de textes du XIXe siècle].
La lecture de l’ouvrage s’avère particuliè- Les auteur ajoutent qu’en outre la Cour
rement intéressante en raison du fait que les suprême a traité « longuement, en obiter, des
auteurs ne se contentent pas d’énoncer ou questions de compétence juridictionnelle, qui
d’expliquer les règles ; ils jettent en outre un ne lui étaient pas posées » (p. 835).
regard personnel, à l’occasion critique, soit Nous pourrions également évoquer les
sur les choix des législateurs, soit sur l’éclai- rapports difficiles entre la Loi sur la protec-
rage jurisprudentiel ou doctrinal. Pour n’en tion du consommateur, qui prohibe le choix
donner que quelques exemples, commençons de loi dans le contexte d’un contrat de con-
en matière de faits juridiques, plus précisé- sommation, et le Code civil, dont l’article
ment de responsabilité extracontractuelle, où 3117 l’autorise. Les juristes qui s’intéressent
les auteurs indiquent les voies, que nous ose- à la matière connaissent déjà la position de
rions qualifier de tortueuses, que les magis- Gérald Goldstein7 sur cette « incompatibilité
trats devaient suivre autrefois pour détermi- manifeste » (p. 629), position qu’il réitère ici.
ner la loi applicable au délit. Les professeurs En matière de vente entre commerçants, pré-
Groffier et Goldstein rappellent à juste titre sentant dans ses grandes lignes la Convention
qu’au Québec l’imposition de la règle à deux de Vienne8, les auteurs qualifient de « sau-
branches, issue de la common law, par la grenu » son article 95 qui permet aux États
Cour suprême dans l’affaire O’Connor c. qui le désirent de ne pas appliquer le texte
Wray5 « a été vivement critiquée parce international.
qu’elle niait le caractère particulier du droit
international privé québécois, qui possède L’avantage de ce genre de propos est qu’il
une origine et une tradition propres, se ratta- nourrit la réflexion du lecteur averti en l’inci-
tant lui-même à prendre position. Et, parfois, plus ou moins favorable au consommateur
elle peut être contraire à celle des professeurs qu’une autre loi.
Groffier et Goldstein. Ainsi, parlant fréquem-
Il y a certes d’autres sujets de divergence
ment, ce que l’on ne manquera pas d’appré-
possible, mais, répétons-le, c’est là l’intérêt
cier, des nouvelles techniques de communi- d’un ouvrage comme celui-ci qui, faut-il le
cation, en matière de loi applicable au
mentionner, ne s’adresse certainement pas au
contrat, les auteurs indiquent que par le jeu
néophyte. Toutefois, les étudiants des cycles
de l’article 3114 C.c.Q., en cas de silence des supérieurs, les praticiens travaillant dans le
parties, il s’agira de celle du vendeur, car « le
domaine et, bien sûr, ceux qui enseignent la
lieu de conclusion de la vente se trouve à la
discipline profiteront assurément avec bon-
résidence ou à l’établissement du vendeur, heur de sa richesse.
puisqu’il y reçoit le message d’acceptation de
son offre » (p. 553). Nous estimons que le Pour terminer, mentionnons que, comme
dernier membre de la phrase manque de il se doit, le lecteur trouvera en fin de volume
nuance, la technique numérique présentant une bibliographie sélective, des tables de ju-
justement l’avantage de recevoir des messa- risprudence et de législation ainsi qu’un in-
ges n’importe où. dex, ces éléments renvoyant aux deux tomes
du traité.
De même, signalons que l’interprétation
que les auteurs font de l’article 3117 C.c.Q. Sylvette Guillemard
pourrait ne pas être suivie par certains. Ils Université Laval
expliquent en effet que cette disposition
oblige le juge saisi à se livrer à un exercice de
comparaison des lois en présence. À notre Ysolde Gendreau (dir.), Communauté de
avis, ils ont raison lorsque le contrat met en droits – Droit des communautés, Montréal,
jeu, devant un juge québécois, un consomma- Éditions Thémis, 2003, 133 p., ISBN 2-
teur étranger. Dans ce cas, le tribunal don- 89400-172-X.
nera effet à la clause de choix de loi, prévue Cet ouvrage contient le texte des confé-
dans l’article 3117 C.c.Q., tout en évaluant, au rences présentées lors du cycle annuel du
besoin, quelle est la loi la plus apte à protéger Centre de recherche en droit public de l’Uni-
les intérêts du consommateur, dans la mesure versité de Montréal en 2001-2002. Le thème
où « les actes nécessaires [à la conclusion du de ce cycle était double : « communauté de
contrat] » auront été accomplis dans le pays droits » et « droit des communautés », d’où le
de résidence de celui-ci. Autrement dit, « la titre de l’ouvrage. De prime abord, la dualité
loi désignée par les parties sera appliquée à de thèmes peut étonner : le premier renvoie à
moins qu’une « comparaison concrète » ne la nécessaire pondération entre les droits in-
démontre que la loi de la résidence du con- dividuels et les intérêts collectifs, alors que
sommateur9 » lui fournit une meilleure pro- le second s’inscrit dans le débat contempo-
tection. En revanche, lorsque le consomma- rain sur les droits des minorités et des autres
teur est québécois, dans l’état actuel des collectivités sub-nationales, qui a fait l’objet,
choses, l’impérativité de la Loi sur la protec- depuis une dizaine d’années, d’un grand
tion du consommateur oblige le juge à l’ap- nombre de publications.
pliquer, peu importe que son contenu soit
L’ouvrage s’ouvre sur la conférence pro-
noncée par le juge Frank Iacobucci de la
8. Convention des Nations Unies sur le contrat de Cour suprême du Canada. La thèse centrale
vente internationale de marchandises, Vienne,
que celui-ci défend est que « nous ne pou-
11 avril 1980, A/CONF. 97/18.
9. P. Glenn, « Droit international privé », dans Le vons pas concevoir convenablement les
Barreau du Québec et La Chambre des droits et les libertés qui nous sont donnés
notaires du Québec, La réforme du Code ci- dans notre pays sans être conscients des de-
vil, t. 3, Québec, Les Presses de l’Université voirs et des responsabilités correspondants »
Laval, 1993, p. 726. (p. 4). Selon lui, la conception individualiste
210 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 185
des droits découlerait de la pensée séculaire tion des langues. L’individu possède d’abord
de Machiavel, de Hobbes et de Locke (entre un intérêt communicationnel à pouvoir dia-
autres), qui ne s’intéressait qu’à l’efficacité et loguer avec le plus grand nombre possible de
à la stabilité des institutions, alors que la pen- locuteurs. Il a également un intérêt identitaire
sée juridique antérieure, imprégnée de prin- à parler la langue de sa communauté. Or, lors-
cipes religieux judéo-chrétiens, s’intéressait que cette dernière langue n’est pas la langue
aussi aux responsabilités de l’individu. Ainsi, dominante de l’État, il y a conflit entre les
les droits ne devraient jamais être définis en deux intérêts et chaque individu peut choisir
faisant abstraction des responsabilités de de résoudre le paradoxe en donnant priorité
l’individu envers la collectivité. Cette thèse à l’un ou l’autre de ces intérêts. L’État peut-
est intéressante, mais le juge Iacobucci, sans il, à cet égard, contraindre le choix de l’indi-
doute lié par le devoir de réserve des juges, vidu en vue d’assurer la survie d’une langue
ne donne aucune indication quant à la mé- minoritaire ? C’est la question à laquelle le
thode appropriée pour concilier droits et de- professeur Weinstock tente de répondre. Il
voirs ni sur les résultats concrets auxquels sa rejette tout d’abord les justifications fondées
thèse mène. En fin de compte, ce texte de- sur la valeur intrinsèque des langues, puis-
meure excessivement général et aurait aussi qu’elles font primer des intérêts collectifs sur
bien pu se retrouver dans un ouvrage sur la les intérêts individuels. Il envisage ensuite
bonne foi en droit civil, sur la bioéthique ou que les droits linguistiques puissent découler
sur le droit constitutionnel. des exigences de la justice. Autrement dit,
certains changements linguistiques peuvent-
C’est avec le texte du professeur Patrick
ils être qualifiés d’injustes, de telle sorte que
Glenn sur la nature des communautés qu’est
les États seraient justifiés d’intervenir pour
réellement abordé le thème des droits des
les prévenir ? Weinstock l’admet dans cer-
communautés. Le professeur Glenn défend
l’idée que toute communauté est fondée sur tains cas limités, comme l’oppression écono-
mique d’une minorité ou les tentatives de
l’information. Cela signifie qu’une commu-
construction nationale fondées sur l’unifor-
nauté n’existe que parce qu’un grand nombre
d’individus s’entendent pour considérer un misation linguistique. Cependant, dans des
cas où les choix linguistiques sont simple-
critère particulier – une information – comme
ment déterminés par les forces du marché,
déterminant l’appartenance au groupe. Ce-
pendant, si ce consensus disparaît, la commu- Weinstock soutient que le choix des langues
qui font l’objet d’une protection spéciale est
nauté en question peut tout simplement ces-
nécessairement arbitraire. Puisque l’État ne
ser d’exister. Ainsi, les communautés
étatiques sont fondées sur les lois sur la ci- peut reconnaître qu’un nombre limité de lan-
gues officielles, par exemple, il se trouvera un
toyenneté, les communautés linguistiques
nombre important de locuteurs d’autres lan-
sur la langue et les communautés raciales sur
l’idée (fausse) que les caractéristiques physi- gues dont les intérêts seront ignorés. Le
choix de langues officielles a aussi tendance
ques d’une personne déterminent son com-
à figer la composition linguistique d’une so-
portement culturel. Ce bref texte a donc le
mérite de rappeler au lecteur que les diverses ciété. Enfin, Weinstock soutient que le choix
linguistique individuel ne présente pas de
communautés qui réclament des droits
problèmes d’action collective (comme le « di-
n’existent pas « dans la nature », mais plutôt
à la suite d’une construction de l’esprit hu- lemme du prisonnier ») qui justifieraient une
intervention étatique. Ce ne serait donc que
main, et qu’il en découle certaines limites
pour assurer la coordination entre les indivi-
quant à la nature ou à la portée des droits qui
peuvent leur être accordés. dus que l’État serait justifié d’adopter une
langue officielle. Dans cette optique, le choix
Le plat de résistance est le texte du pro- de la langue officielle serait moralement neu-
fesseur Daniel Weinstock sur le paradoxe des tre et pourrait changer si la composition lin-
droits linguistiques. Ce dernier découle des guistique de la société évoluait.
intérêts divergents qui sous-tendent l’utilisa-
Chronique bibliographique 211
Le professeur Brian Slattery est l’auteur problèmes particuliers si l’État décide de per-
de l’article suivant, portant sur le pluralisme mettre le vote par Internet. Bien que cet arti-
individuel et social. Il cherche à s’attaquer à cle soit intéressant, il demeure plutôt bref, et
deux prémisses qui, selon lui, fondent le prin- nous voyons mal en quoi son sujet est lié aux
cipe d’autodétermination des peuples : l’idée thèmes de l’ouvrage.
que l’humanité est divisée en groupes ethni-
C’est donc sur un bilan plutôt maigre que
ques ou nationaux bien définis et celle que
se termine la lecture de ce recueil. Bien que
l’identité de l’individu est principalement les articles qui le composent, pris isolément,
constituée par l’appartenance à un groupe de
suscitent l’intérêt, leur juxtaposition n’offre
cette nature. Pour y parvenir, le professeur
pas véritablement de « valeur ajoutée » :
Slattery s’engage dans une revue de la recher- aucun effort n’est fait pour lier les deux thè-
che anthropologique sur le sujet. Il démontre
mes annoncés dans l’introduction (la pondé-
que la répartition géographique des groupes
ration entre intérêts collectifs et droits indi-
ethniques est loin d’être homogène, qu’il viduels, d’une part, et les droits des
existe des variations continues dans les ca-
minorités, d’autre part). Le premier et le der-
ractéristiques culturelles des individus, que la
nier textes semblent si éloignés des trois
qualification des groupes ethniques ne fait autres qu’il est surprenant de les retrouver
pas toujours consensus, qu’un individu peut
ensemble. Par ailleurs, les trois autres textes
appartenir simultanément à plusieurs grou-
abordent des facettes très précises du débat
pes imbriqués, etc. Cependant, Slattery ne sur les droits des minorités. Il n’y a pas,
tire pas clairement les conséquences politi-
comme c’est souvent le cas dans les ouvra-
ques des faits qu’il observe, au-delà d’une
ges collectifs de cette nature, de texte de syn-
banale célébration de la diversité. De plus, il
thèse qui présente l’état actuel des connais-
semble ignorer les travaux récents de nom-
sances sur le sujet traité et qui tente de
breux anthropologues et sociologues qui con- replacer la contribution de chacun des
cilient la notion de groupe ethnique avec le
auteurs dans ce contexte.
pluralisme social et individuel1. Il est donc
possible de reconnaître l’existence de grou- Sébastien Grammond
pes ethniques et d’accorder certains droits Université d’Oxford
spéciaux à ces groupes, même si la définition
sociologique de ceux-ci est subjective et
floue. Centre de recherche en droit privé et
comparé du Québec, Dictionnaire de
Le dernier article du recueil a été écrit par droit privé et lexiques bilingues, Les obli-
le professeur Andreas Auer de l’Université
gations, Cowansville, Éditions Yvon
de Genève. Il porte sur les problèmes consti-
Blais, 2003, 467 p., ISBN 2-89451-679-7.
tutionnels du vote par Internet en Suisse.
Ainsi, la garantie constitutionnelle du droit de
Quebec Research Centre of Private
vote se traduit par des exigences relatives au
and Comparative Law, Private Law
secret et à la sécurité du vote ainsi qu’à Dictionary and Bilingual Lexicons, Obliga-
l’identification de l’électeur, ce qui pose des
tions, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2003, 467 p., ISBN 2-89451-679-7.
1 F. Barth (dir.), Ethnic Groups and Boundaries, Le Dictionnaire de droit privé et lexiques
Prospect Heights (Illinois), Waveland Press,
bilingues, Les obligations fait partie d’un
1998 ; T.H. Eriksen, Ethnicity and
Nationalism, Londres, Pluto Press, 1993 ; D. projet d’une grande envergure. Rappelons-en
Juteau, L’ethnicité et ses frontières, Montréal, les étapes. En 1985, paraît le Dictionnaire de
Presses de l’Université de Montréal, 1999 ; R. droit privé et lexiques bilingues, produit par
Jenkins, Rethinking Ethnicity, Londres, Sage le Centre de recherche en droit privé et com-
Publications, 1997 ; J.D. Eller, From Culture paré du Québec, de l’Université McGill. Il
to Ethnicity to Conflict, Ann Arbor, University
s’agit de la première version d’un diction-
of Michigan Press, 1999.
212 Les Cahiers de Droit (2004) 45 C. de D. 185
naire beaucoup plus vaste portant sur tous rédigés par Nicholas Kasirer, directeur du
les domaines du droit québécois et qui doit Centre de recherche en droit privé et com-
contenir plus de 10 000 entrées. La deuxième paré du Québec jusqu’en 2003. Bien qu’ils
édition est publiée en 1991. Compte tenu de servent avant tout à remercier les nombreux
l’énormité de la tâche et afin que la commu- artisans et artisanes, ces deux textes reflètent
nauté juridique en profite davantage, le co- le bilinguisme du droit des obligations et des
mité de rédaction décide de publier le diction- deux dictionnaires. Les deux textes de remer-
naire par thème. En 1999, le Centre fait ciements étant identiques, un en français et
paraître le dictionnaire sur le droit de la fa- un en anglais, il est possible de supposer que
mille, en français et en anglais (édition tête- les deux versions sont officielles et que l’une
bêche). En 2003, il publie la partie du diction- n’a pas préséance sur l’autre.
naire sur le droit des obligations, en français
Soulignons que le dictionnaire de langue
et en anglais, en deux volumes. Les person-
anglaise n’est pas une traduction littérale de
nes suivantes composent le comité de rédac- la version française. Pour certaines entrées,
tion de ces deux dictionnaires : Paul A.
les deux versions sont identiques. Toutefois,
Crépeau, président du comité, Nicholas
dans d’autres cas, les citations sont différen-
Kasirer, secrétaire, France Allard, Marie- tes. La version anglaise offre des citations qui
France Bich, Jean-Maurice Brisson, Mathieu
proviennent de textes juridiques rédigés en
Devinat, Yaëll Emerich et Patrick Forget. Un
anglais. D’ailleurs, la liste des auteurs et des
travail de cette envergure ne peut se faire ouvrages cités est différente dans les deux
sans la participation financière de nombreux
dictionnaires. Cette façon de procéder met en
partenaires : le ministère du Patrimoine cana-
valeur un corpus juridique anglophone qui
dien, le ministère de la Justice du Canada, le
peut être moins connu au Québec.
Conseil de recherches en sciences humaines
du Canada et la Chambre des notaires. À la lecture des dictionnaires, deux com-
mentaires retiennent notre attention. Le pre-
Les derniers-nés de la famille du Diction-
mier porte sur la valeur normative de ces
naire de droit privé et lexiques bilingues con- deux dictionnaires ; et le second, sur la pré-
tiennent chacun 2 000 termes et locutions de
sence des auteurs français.
même que 2 300 remarques. Comme leurs
prédécesseurs, ces deux dictionnaires sont Dans l’avant-propos de l’édition de 1985
divisés en trois parties : le dictionnaire lui- du Dictionnaire de droit privé et lexiques bi-
même, le lexique français-anglais (ou anglais- lingues, le directeur de l’époque, le profes-
français) portant sur les obligations et la liste seur Crépeau, affirme que l’un des objectifs
des auteurs et des ouvrages cités. Les person- du dictionnaire est d’indiquer des emplois
nes férues de lexicographie pourront consul- corrects, l’expression juste et de favoriser la
ter le texte sur la présentation du dictionnaire correction de la langue. Cette pratique est
pour en connaître la structure. abandonnée en 2003 dans le dictionnaire du
droit des obligations : « [l]e Comité a préféré
Tout d’abord, nous tenons à souligner la critiquer ces usages à l’intérieur d’une remar-
qualité du travail accompli et le rôle impor-
que, plutôt que de les désigner comme fau-
tant que jouent ces dictionnaires, et les autres
tifs » (p. xxvi, voir aussi à la page xxiii).
membres de la famille, dans le développe- Ainsi, l’expression « droit de préférence »
ment et le rayonnement de la tradition
doit être retenue plutôt que les expressions
civiliste, ainsi que dans la protection du pa-
« droit de préemption » et « droit de premier
trimoine linguistique en droit civil. La paru- refus ». Son également signalés le non-sens
tion de ces dictionnaires sur les obligations
de l’expression « conjointement et solidaire-
constitue un signe incontestable de la matu-
ment » et la confusion entre « droit supplé-
rité du droit civil québécois. tif » et « droit commun », entre « droit coutu-
Ensuite, nous ne saurions passer sous si- mier », « droit anglais » et « common law ».
lence le ton humoristique des remerciements,
Chronique bibliographique 213
Se pose alors la question de la valeur nor- Ou encore, l’entrée « Droit mixte » fait men-
mative de ces deux dictionnaires, et de tout tion du droit autochtone : « En plus des in-
dictionnaire. Quelles valeurs culturelles fluences de la common law, certains experts
transpirent de ces dictionnaires ? Sont-ils identifient également le droit aborigène
neutres ou laissent-ils voir l’opinion de leurs comme une composante du caractère mixte
rédacteurs et rédactrices ? Établissent-ils la du droit québécois », commentaire qui ne fi-
norme ? gurait pas dans l’édition de 1991.
Bien que le comité de rédaction ne désire Un calcul rapide permet de constater que
pas se prononcer sur les usages discutables, 30 p. 100 des auteurs et des ouvrages cités
il envoie quand même certains messages sur dans la version française sont d’origine fran-
les anglicismes à proscrire ou sur des expres- çaise. Évidemment, un auteur français peut
sions à éviter et, par ce fait, il tente volontai- être cité plusieurs fois. Les citations
rement ou involontairement d’imposer des d’auteurs français peuvent donc représenter
valeurs. Par exemple, à l’entrée « Bon père plus de 30 p. 100 de toutes les citations. Nous
de famille », le comité de rédaction prend pouvons comprendre certes la nécessité de se
position : cette expression « n’est générale- référer à la doctrine française lorsque les
ment plus utilisée, certains la considérant auteurs québécois sont silencieux sur le su-
vieillie, imprécise et peut-être sexiste, en ce jet. Cependant, dans certains cas, des auteurs
qu’elle consacre un modèle de comportement québécois auraient pu être avantageusement
reflétant une perspective masculine » (voir cités.
aussi l’entrée « Personne raisonnable »). La
Enfin, ces dictionnaires intéresseront
même idée est reprise dans la version an- tous les membres de la communauté juridi-
glaise sous l’entrée « Bon père de famille ».
que québécoise, tant les praticiens que les
Cette remarque n’apparaissait pas dans l’édi- traducteurs et les étudiants, mais aussi les
tion de 1991. Signe des temps ! D’autres pour-
juristes d’autres systèmes qui veulent décou-
ront pousser plus loin cette analyse.
vrir, par l’anglais, le droit des obligations du
Les dictionnaires témoignent aussi de Québec.
l’évolution du droit des obligations. Ainsi,
Louise Langevin
l’entrée « Contrat relationnel (théorie du) » Université Laval
est un ajout par rapport à l’édition de 1991.
Livres reçus
Cellules souches embryonnaires : droit, éthi- Les infractions contre la personne et contre les
que et convergence, de Élodie Petit, Mon- biens, de Rachel Grondin, coll. : « Bleue »,
tréal, Éditions Thémis, 2003, 147 p., ISBN 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2003,
2-89400-169-X. 194 p., ISBN 2-89127-613-2.
Charte des droits de la personne, de Henri Introduction à l’étude du droit, de André
Brun, 16e éd., Montréal, Wilson & Émond et Lucie Lauzière, Montréal, Wil-
Lafleur, 2003, 1 303 p., ISBN 2-89127-611- son & Lafleur, 2003, 219 p., ISBN 2-
6. 89127-614-0.
Les contrats d’entreprise, de prestation de ser- Jurisprudence commentée sur les obligations,
vices et l’hypothèque légale, de Vincent de Maurice Tancelin et Daniel Gardner, 8e
Karim, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2003, 1
539 p., ISBN 2-89127-613-0. 071 p., ISBN 2-89127-595-0.
Les dimensions normatives de la thérapie gé- Loi sur la protection de la jeunesse, texte an-
nique, de Geneviève Cardinal, Montréal, noté, de Me Jean-François Boulais, 5e éd.,
Éditions Thémis, 2003, 149 p., ISBN 2- Montréal, SOQUIJ, 2003, 643 p., ISBN 2-
89400-167-3. 7642-0394-2.
Le droit civil, avant tout un style ?, sous la Mélanges Jean Pineau, sous la direction de
direction de Nicholas Kasirer, Montréal, Benoît Moore, Montréal, Éditions Thé-
Éditions Thémis, 2003, 228 p., ISBN 2- mis, 2003, 745 p., ISBN 2-89400-177-0.
89400-180-0. Les normes du travail, de Nathalie-Anne
Le droit de l’emploi au Québec, de Fernand Béliveau, Cowansville, Éditions Yvon
Morin et Jean-Yves Brière, 2e éd., Mon- Blais, 2004, 733 p., ISBN 2-89451-707-6.
tréal, Wilson & Lafleur, 2003, 1 636 p., Politiques contre le harcèlement au travail et
ISBN 2-89127-590-X. réflexions sur le harcèlement psychologi-
Droit pénal général, de Christiane Hennau et que, de Isabelle Cantin et Jean-Maurice
Jacques Verjaegen, 3e éd., Bruxelles, Cantin, Cowansville, Éditions Yvon
Émile Bruylant, 2003, 626 p., ISBN 2- Blais, 2004, 197 p., ISBN 2-89451-723-8.
8027-1709-X. Principes de la détermination de la peine, de
L’état pluriculturel et les droits aux différen- Gilles Renaud, Cowansville, Éditions
ces, sous la direction de Paul de Deckker Yvon Blais, 2004, 373 p., ISBN 2-89451-
et Jean-Yves Faberon, Bruxelles, Émile 720-3.
Bruylant, 2003, 536 p., ISBN 2-8027-1652- Sur les fondements du droit public – de l’an-
2. thropologie au droit, sous la direction de
European Union Enlargement – Law and Geneviève Koubi et Isabelle Muller-
Socio-Economic Changes, sous la direc- Quoy, Bruxelles, Émile Bruylant, 2004,
tion de Nanette Neuwahl, Montréal, Édi- 294 p., ISBN 2-8027-1772-3.
tions Thémis, 2004, 290 p., ISBN
2-89400-183-5.
Traité général de preuve et de procédure pé- Travail plus – Le travail et vos droits, de Hé-
nales, de Pierre Béliveau et Martin lène Ouimet et Pierre Laporte, 4e éd.,
Vauclair, 10e éd., Montréal, Éditions Thé- Montréal Wilson & Lafleur, 2003, 468 p.,
mis, 2003, 1 259 p., ISBN 2-89400-175-4. ISBN 2-89127-612-4.
Les volumes proposés peuvent être consultés au secrétariat des Cahiers de Droit, bureau
7133 (pavillon Charles-De Koninck).
Si la recension de l’un d’eux vous intéresse, veuillez en informer Francine Thibault au
numéro de téléphone suivant : (418) 656-5253. Vous disposerez de deux mois pour remettre
votre recension et conserverez le volume.
LES CAHIERS DE DROIT
Directeur Directeurs adjoints
Sylvio Normand Dominique Goubau
Jean Turgeon
Conseil de rédaction
Luc Bégin, professeur, Faculté de philosophie, Université Laval. André Bois, avocat,
Tremblay Bois Mignault Duperrey & Lemay. Henri Brun, professeur, Faculté de
droit, Université Laval. Daniel Gardner, professeur, Faculté de droit, Université
Laval. Louis LeBel, Cour suprême du Canada. Claire L’Heureux-Dubé, juge, Cour
suprême du Canada. Ghislain Otis, professeur, Faculté de droit, Université Laval.
France Thibault, juge, Cour d’appel du Québec. Guy G. Tremblay, professeur,
Faculté de droit, Université Laval.
Secrétaire
Francine Thibault
Les numéros épuisés ont été microfilmés et peuvent être commandés aux endroits
suivants :
Micromedia Limited
Box 502, Station S,
Toronto (Ontario) M5M 4L8
University Microfilms International
300 North Zeeb Road,
Ann Harbor, Michigan 48 106, USA
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