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Afrique et Développement, Vol. XXXI, No. 3, 2006, pp.

154–176
© Conseil pour le Développement de la recherche en Sciences Sociales en
Afrique, 2006 (ISSN 0850-3907)

Les universitaires ivoiriens et Internet

Aghi Bahi*

Résumé
Le développement des TIC, activant la formation de « la société de la connais-
sance », bouleverse l’université ivoirienne et la met en compétition plus accrue
avec les autres systèmes universitaires. Le constat de retard technologique est
tel que relever ce défi peut sembler une gageure. Mais les TIC s’insinuent dans
le quotidien des acteurs, transformant déjà leur univers et exigeant d’eux qu’ils
les utilisent pour produire et diffuser la connaissance. Cette étude sur échan-
tillon limité d’enseignants-chercheurs à l’université de Cocody s’appuie sur des
entretiens individuels. L’analyse porte sur une évaluation des difficultés ren-
contrées par les universitaires ivoiriens à recourir à Internet et aborde le pro-
blème, fondamental pour un chercheur, de l’accès aux textes et de leur produc-
tion. Elle scrute et veut comprendre les logiques individuelles d’usage des TIC
dans le cadre de la production de la connaissance savante.

Abstract
By promoting a ‘knowledge society’, the development of ICT has had critical
consequences on Ivoirian universities, thus putting them in an even more severe
competition with other university systems. The technological gap is so wide
that it seems quite impossible to take up the challenge of filling it. However, ICTs
have appeared in people’s daily life, changing their universe and being used to
produce and disseminate knowledge. This study has been carried out on a
sample of teacher-researchers at the University of Cocody, and is based on
individual interviews. The analysis is about the difficulties of Ivoirian scholars
to use the Internet, and also deals with an issue which is fundamental in the life
of a researcher, which is access to and production of scientific texts. The author
is trying to understand the individual rationale behind the use of ICTs, in the
context of scholar knowledge production.

* UFR Information, Communication et Arts, Université de Cocody, BP V34


Abidjan (Côte d’Ivoire). Email: bahi_aghi@yahoo.fr

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Introduction
Les technologies d’information et de communication (TIC) offrent des pos-
sibilités considérables de traiter, stocker, transmettre, diffuser, partager, l’in-
formation scientifique. Internet, qui a perturbé « la manière dont nous pen-
sons la communication, l’information, le texte, les images, etc. » (Adebowale
2001), change fondamentalement l’économie de la distribution du patrimoine
culturel et du savoir scientifique. Dans le monde universitaire, où la commu-
nication scientifique est de plus en plus médiatisée par la technique, l’expan-
sion d’Internet change le rapport à la connaissance, à la production et à la
transmission du savoir. L’enseignement supérieur ivoirien doit relever le défi
de la compétitivité des systèmes universitaires mondiaux et des pratiques
concurrentielles qui transforment le comportement des acteurs. Cette ga-
geure advient dans le contexte d’une économie globale fondée sur le savoir
et sur la maîtrise de la circulation des informations et des technologies
congruentes.
Or, un constat s’impose rapidement dans les universités ivoiriennes: l’outil
informatique y est peu disponible et les télécommunications fonctionnent
mal ; les sites Web des universités sont surtout des portails1 ouvrant sur des
« terrains vagues » ; l’informatisation des fichiers est nulle et l’ébauche de
connexion des bibliothèques est réduite. Vu la faiblesse de leurs « moyens
financiers », la numérisation entraînerait un surcoût qu’elles ne pourraient
pas supporter. L’édition universitaire ivoirienne, globalement faible, est
« papyrocentrée ».2 Précisons toutefois que l’insertion et les usages d’Internet
dans ces universitésa semble-t-il fait l’objet de très peu d’études. Dans la
littérature locale, Internet, envisagé comme « outil de développement », est
une chance pour l’éducation à condition d’être utilisé judicieusement (Blé
2000) ; cet outil tendrait déjà à transformer les modes usuels d’organisation
de l’entreprise (Dayoro 2003). Le débat, qui reprend sans véritables enri-
chissements la controverse entre optimistes et pessimistes des TIC, a néan-
moins le mérite de rappeler que la question du fossé numérique se pose avec
acuité dans nos universités francophones d’Afrique de l’Ouest particulière-
ment concernées. L’insertion d’Internet dans les milieux de la recherche
scientifique est lente. La faiblesse des infrastructures des universités ouest-
africaines et le faible ratio enseignants-étudiants compromettraient leurs chan-
ces de participer à la « société de la connaissance ». En somme, le relatif
isolement des structures d’enseignement supérieur ainsi que les problèmes
du manque de documentation risquent de la marginaliser davantage sur le
plan scientifique (Seck 2000:386-87).
Ce tableau, imprégné du discours dominant sur les nouvelles technologies
de l’information et de la communication, reprend le « raisonnement

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déterministe » de « l’ossature du discours sur la société de l’information »


(Breton 2000:112). Il dépeint le monde scientifique universitaire comme un
paysage apocalyptique. En outre, ces approches ignorent généralement les
logiques individuelles d’action. Pour autant, les universitaires ivoiriens sont-
ils des damnés du cyberespace scientifique ? Nolens volens, les acteurs de
l’université ivoirienne sont déjà en contact avec les TIC dans leurs activités
quotidiennes. La trentaine de cybercafés plus ou moins informels, dans le
voisinage immédiat du campus universitaire, constitue pour les enseignants
et les étudiants un véritable accès à Internet et au cyberespace, pallie bon an
mal an les problèmes de connectivité, forme le vecteur d’un changement
dans les habitudes individuelles (Bahi 2004a:74). Internet suscite un réel
engouement chez les enseignants dont « les premiers contacts avec cet outil
ont été si fructueux qu’ils revendiquent déjà auprès des autorités universitaires
un accès effectif dans toutes les facultés » (Seck 2000:392). L’écrit sur
écran, le multimédia et l’hypertexte, nouvelles possibilités de communiquer
l’information scientifique et d’accéder aux réseaux internationaux, entrent
dans l’univers du chercheur ivoirien. La communauté scientifique universitaire
est déjà confrontée aux problèmes liés à cette nouvelle manière de produire
et de communiquer l’information scientifique au sens d’« information–
connaissance », rendue disponible « dans des banques de données qui peuvent
être en libre accès, mais qui nécessitent souvent un paiement ou l’utilisation
d’un code d’accès » (Wolton 1999:94), et qui participe du travail spécifique
des chercheurs. La véritable question est donc de savoir comment les
universitaires ivoiriens se servent-ils d’Internet ? Ce qu’ils en attendent et en
quoi ces usages constituent-t-ils un changement pour eux ?
L’usage, manière de faire normalisée par l’ancienneté et/ou la fréquence
ne constitue pas une règle impérative (Le Coadic 2001:19), est une notion
élastique et ambiguë (Maigret 2003:262) relevant de la stratégie. L’usage est
un construit social qui s’élabore autour de l’articulation de la logique techni-
que et la logique sociale. La première structure la pratique et, en retour, « les
mobiles, les formes d’usages et le sens accordé à la pratique se ressourcent
dans le corps social » (Jouët 1997:293). L’usager construit un sens de l’usage
dans lequel s’investissent des représentations et des valeurs (Chambat
1994:262) qui dans le processus d’insertion sociale sont aussi importantes
que les performances techniques de l’objet. Comprendre les usages d’Internet
suppose de tenir compte de la situation d’usage qui, selon nous, comprend le
« cadre de référence socio-technique » (Flichy 1995), lieu physique de la
pratique professionnelle et contexte socioculturel de son utilisation (Mille-
rand 2002:199).

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Dans cet article, nous scrutons les usages d’Internet dans la production
et la diffusion des connaissances ainsi que les effets de ces usages sur le
travail des enseignants-chercheurs3 et dans leur rapport à la connaissance.
Tout en appréhendant les logiques d’action développées par les acteurs, il
s’agit de comprendre le rapport qui se construit entre producteurs ivoiriens
du savoir scientifique et Internet nonobstant son introduction récente dans
les universités du pays. Cela revient à tenter de saisir la signification même
des usages d’Internet selon les usagers universitaires et à cerner les inciden-
ces vécues de ces usages sur leurs activités professionnelles à travers la
présentation et la discussion des résultats d’une enquête ponctuelle et limi-
tée4 menée auprès de cette population rarement étudiée en Côte d’Ivoire.
Notre démarche est compréhensive et suppose une enquête qualitative
auprès d’un nombre réduit d’informateurs (Bourdieu 1979:16-17). Un échan-
tillon de convenance de 38 individus, âgés de 25 à 53 ans, comportant 31
enseignants-chercheurs dont 12 doctorants5 a été constitué à l’Université de
Cocody.6 Les jeunes enseignants-chercheurs y représentent les deux tiers, et
trois individus sur dix sont des femmes. Trois enquêtés sur cinq sont des
enseignants-chercheurs issus des Lettres et Sciences Sociales. Hormis les
doctorants, la plupart d’entre eux exercent depuis au moins cinq ans. Cer-
tains enquêtés cumulent souvent des responsabilités administratives et leur
métier d’enseignant-chercheur. Les informations ont été recueillies par des
entretiens individuels.7 L’échange en entretien contraint l’enquêteur et l’en-
quêté à co-construire un discours in situ et produit une parole sociale sur les
pratiques de l’enquêté8 (Blanchet, Gotman 1992:9). Des emprunts à l’en-
quête ethnographique de terrain se justifient dans la mesure où les acteurs de
l’université élaborent une culture et des représentations, et composent un
milieu d’interconnaissance (Beaud, Weber 2003:8) nécessaire pour compren-
dre le sens des usages construits. Prendre en compte la spécificité du
communicationnel implique de contextualiser les usages d’Internet. Toute-
fois, le faisceau des déterminations sociales-techniques ne saurait être réduit
« à celles identifiables dans l’inter relationnel ou dans l’apport immédiat à
l’objet technique, et même dans ce qui tend à dissoudre la différence entre le
sujet et l’objet » (Miège 1999:8).
D’abord, nous traiterons des usages universitaires d’Internet en rapport
avec l’organisation du travail des chercheurs en essayant de mettre en relief
les changements vécus par les universitaires et les difficultés qu’ils rencontrent
à recourir à Internet. Ensuite, nous considérerons les usages d’Internet dans
la production du savoir scientifique ainsi que le problème fondamental de
l’accès aux textes et à la production d’écrits dans cette université du Sud. Ce
faisant, nous tenterons de comprendre les significations que les enseignants-

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chercheurs donnent des usages qu’ils font d’Internet dans le cadre de leur
travail.

Usages d’Internet et organisation du travail


Les représentations et les valeurs s’investissent dans l’usage et leur examen
devrait permettre de saisir les dynamiques d’appropriation à l’origine des
pratiques constatées (Millerand 2002 : 182). Dans le champ9 universitaire
ivoirien, les connaissances voire les représentations des TIC semblent se
résumer à l’équation suivante : « les NTIC,10 c’est Internet » et « Internet,
c’est l’e.mail » ! Cet aphorisme simpliste renvoie au modèle linéaire de trans-
mission du courrier postal ou, au mieux, au téléphone… Certes les représen-
tations sont susceptibles d’évoluer au fur à mesure que s’installe l’usage.
Pour la grande majorité des personnes enquêtées, Internet est un outil de
communication. Pour ceux qui parmi les personnes enquêtées avouent n’y
rien connaître, Internet, c’est l’ordinateur (et un ordinateur) c’est surtout
une machine à écrire. Comme des leçons bien apprises dans les médias, les
collègues savent presque tous réciter les enjeux des TIC : les publications
électroniques permettent l’accès aux résultats de la recherche et la diffusion
des travaux à un très grand nombre de chercheurs. Internet est incontourna-
ble puisque, aujourd’hui, « on ne peut pas ne pas » utiliser cet outil « sauf si
l’on reste un enseignant du deuxième millénaire ». Ils savent aussi qu’on y
trouve des textes, de la documentation car « c’est la plus grande bibliothè-
que du monde » qui catalogue toutes sortes de données. Le discours domi-
nant sur les TIC construit une image positive de ces outils dans la cons-
cience des individus. Certaines de leurs réponses ressemblent même à des
couplets sur « ce qu’il faut savoir sur les NTIC et l’Internet ».

L’illectronisme : un effet générationnel ?


L’appropriation d’Internet et de l’ordinateur peut être appréhendée comme
« l’usage relativement stabilisé, signifiant et ancré dans le quotidien » suppo-
sant une démarche volontaire et des choix d’utilisation spécifique. Ces uti-
lisations particulières, révélateurs d’une certaine rationalité « ordinaire » ré-
gissant les conduites, constituent le lieu véritable où se joue l’appropriation
des objets techniques (Millerand 2002:183-185). Si dans l’ensemble des per-
sonnes interrogées, l’usage de l’e.mail n’est donc pas tout à fait généralisé, il
est tout de même largement dominant, et peut être considéré comme con-
firmé. Le plus gros du trafic des communications se fait avec des collègues
étrangers à l’étranger (d’autres universités ou instituts de recherche dans
des pays étrangers).
Les usages individuels d’Internet par les enseignants-chercheurs, dans le
cadre de leur travail, témoignent d’un désir d’accomplissement individuel ou

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d’épanouissement personnel. La messagerie électronique est le service le


plus utilisé parmi les possibilités de communication qu’offre Internet. Mais
là encore, on peut penser que beaucoup parmi les personnes interrogées ne
s’en sont jamais servi, du moins « pas personnellement… », comme le pré-
cise un enquêté, maître-assistant en philosophie. Il explique qu’il avait un
message très important à envoyer dans un délai très court et qu’il a été obligé
d’utiliser Internet pour la première fois. Cela signifiait se rendre dans un
cybercafé, créer une adresse et envoyer le message. « Un jeune (employé)
du cybercafé » l’a aidé en se chargeant de toutes les opérations dont il était le
commanditaire mais aussi un peu le spectateur.
Le secteur éditorial scientifique, intimement lié à la manière dont la science
s’organise,11 « trouve dans l’université et le monde de la recherche, auteurs,
circuits de prescription, débouchés (les bibliothèques) et clients (les étu-
diants, les enseignants et les chercheurs) » (Cartellier 2000). Les enseignants
et chercheurs qui en principe sont à la fois producteurs et consommateurs
de contenus sont a priori concernés par les revues scientifiques électroni-
ques. Rares sont les enseignants interrogés qui connaissent les publications
électroniques. Le support de diffusion électronique peut-il constituer un pal-
liatif à la « crise de l’édition et de la documentation » que connaît l’université
ivoirienne ?12
Au cours de l’enquête, la plupart des enseignants-chercheurs rencontrés,
jeunes comme chevronnés, avouaient ne pas savoir ce que l’on entend par
publications numériques « je ne savais même pas que ça existait ». La majo-
rité des vétérans déclarent ne connaître aucune publication électronique même
s’ils disent qu’Internet « permet d’avoir beaucoup d’informations ». Cette
méconnaissance de la revue électronique nous semble la chose la mieux
partagée à l’Université de Cocody, aussi bien chez les jeunes enseignants et
chercheurs que chez les plus âgés, quelle que soit leur discipline d’origine.
Après quelques explications, somme toute difficiles, certains se rendent
compte qu’ils ont déjà plus ou moins eu contact avec ces fameuses revues
électroniques mais n’en savent pas le nom « j’utilisais ça mais je ne connais-
sais pas le nom ». Les doctorants, plus loquaces que les autres enquêtés, ont
déjà tendance à aller sur Internet rechercher de la documentation.
Les enquêtés connaissent (très) peu les TIC et leurs attitudes vis-à-vis de
celles-ci sont mitigées : entre un discours stéréotypé vantant les vertus de
ces techniques et la peur de la nouveauté. Les employés des cybercafés en
aidant voire en initiant de nombreux clients néophytes permettent aux indivi-
dus de se familiariser avec l’ordinateur (Bahi 2004b:32). En effet, l’utilisa-
tion de l’ordinateur ne va pas de soi mais nécessite toujours un apprentissage

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mais toujours réel de la part de l’usager, car le fonctionnement de l’ordina-


teur reste somme toute opaque (Millerand 2002:188).
Il faut dire que même si l’interface électronique reste obscure, l’ordina-
teur connecté à Internet dépasse la simple fonction de machine à « faire de la
saisie » et se voit associé désormais et clairement un usage communicationnel.
De l’aveu même de certains collègues, « les étudiants sont plus calés que
nous en matière d’Internet, de NTIC » et sont « au courant de choses que
nous ignorons ». L’idée d’une certaine indépendance des étudiants qui sem-
ble se dégager nettement de tels propos ressemble au discours ancien sur les
mass media comme école parallèle. Y aurait-il un effet générationnel dans cet
illectronisme global ?
Jusqu’à une période très récente, il y avait une sorte de snobisme (à
l’envers) chez les enseignants haut gradés et d’un certain âge : ne pas savoir
utiliser ces nouvelles technologies donnait un caractère particulier à leur per-
sonnage et les ancrait dans une certaine orthodoxie universitaire. C’était être
« de la vieille école », être plus proche de la science authentique et bénéficier
d’un fort capital symbolique. Par ailleurs, à l’échelle mondiale, le détermi-
nisme technologique présente les nouvelles technologies d’information et de
communication comme des garantes de l’alphabétisme de demain. L’indi-
vidu sachant s’en servir est devenu socialement valorisé. L’illectronisme, lié
à une certaine appréhension de la machine, est donc devenu la traduction
électronique de l’analphabétisme version papier. Les petites phrases telles
que « je ne connais rien à cette histoire là… » ou « ce n’est pas évident (à
mon âge) » traduisent une certaine réticence et une certaine crainte à l’égard
de l’utilisation de l’ordinateur et d’Internet. Mais, beaucoup d’interviewés le
savent déjà, Internet, par la célérité plus accrue, par le rapport à l’écrit et à la
lecture, etc., renouvelle la communication scientifique et fonde l’actuelle
utopie du nouveau monde scientifique numérique (Mounier 2003). En cela
l’outil les fascine dans une certaine mesure. Internet offre de nouvelles pos-
sibilités de communiquer à côté des moyens classiques. On comprend pour-
quoi, beaucoup d’enseignants-chercheurs enquêtés se sentant en retard éprou-
vaient le besoin de nous rassurer (ou peut-être de se rassurer) : « je vais
bientôt m’y mettre », « je vais prendre des cours »…
Mais chez les enseignants et chercheurs eux-mêmes, l’effort personnel
d’apprentissage des TIC reste au stade de projet. Bien souvent, toutes ces
nouvelles possibilités offertes par la technologie mettent un peu mal à l’aise
les personnes interrogées. Certains enquêtés ont fait allusion au projet
Dragados13 par lequel les autorités politiques ont essayé de « combler le fossé
numérique » et grâce auquel bon nombre d’enseignants-chercheurs ont pu
acquérir des machines. Un certain nombre de logiques individuelles surgissent

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après coup.14 Certains les ont laissé à leur bureau « parce qu’ils n’ont pas de
place chez eux », ou « parce qu’ils peuvent s’offrir mieux ». Une fois
introduits à la maison, certains de ces ordinateurs « sont restés dans leur
emballage » ; beaucoup d’entre eux seraient littéralement privatisés par les
enfants qui en font leur affaire, leurs jouets. Les enseignants-chercheurs qui
en témoignent sont littéralement subjugués par les aptitudes de leurs rejetons
en matière d’informatique : « on dirait que c’est inné chez eux ». Mais ces
ordinateurs tombent fatalement et prématurément en panne. Certains
prétextent de ces pannes pour justifier le retard de leur abonnement à Internet.
Par ailleurs, les témoignages recueillis auprès des enquêtés sur les utilisations
à but lucratif de ces ordinateurs acquis grâce au projet Dragados sont
concordants. Les enseignants les auraient loués ou vendus à des cybercafés
des environs : « c’est plus rentable » ironisent les informateurs. En somme,
conclut un enquêté, « l’Internet, les ordinateurs (de Dragados) c’est bien
mais beaucoup ne s’en sont pas servi dans le sens que le gouvernement
souhaitait ». La participation financière, fût-elle réduite, induit chez les
enseignants un sentiment de propriété de cette machine et un droit d’en
disposer à leur guise. Globalement, les enseignants-chercheurs ont détourné
l’ordinateur Dragados l’usage prescrit.15 On comprend mieux pourquoi et
comment ils peuvent servir à autre chose qu’à familiariser les enseignants-
chercheurs avec les TIC et l’Internet aider directement au travail intellectuel
et améliorer la connectivité dans le but de devenir des enseignants-chercheurs
plus performants.

Un individualisme numérique
Certaines difficultés que rencontrent les enseignants-chercheurs dans les
cybercafés nous semblent maintenant « classiques ». La lenteur des machi-
nes joue immédiatement sur le coût encore élevé de la connexion limitant le
temps à passer devant un ordinateur (Bahi 2004b:31). Consulter un article
sur Internet revient fréquemment à le lire « en diagonale » sur l’écran, à le
télécharger,16 puis un tirage papier pour pouvoir y travailler : « ça revient
cher… il y a des mots qui sautent à droite à gauche... on perd du temps ».
Les enseignants-chercheurs semblent peu utiliser Internet dans le cadre
de leur profession. Pourtant, cet outil a des conséquences sur leur travail
scientifique même si tous n’en ont pas vraiment conscience. L’application la
plus connue et la plus utilisée est le courrier électronique. Elle influe nette-
ment sur les activités de recherche plus au plan individuel qu’au plan collec-
tif.
Au plan individuel, la communication au sein du travail scientifique leur
paraît plus commode parce qu’« Internet facilite les contacts » et qu’ainsi
les échanges sont simplifiés. De plus, le courriel met plus en confiance

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qu’Internet et le téléphone cellulaire, « on est sûr que le correspondant a bien


reçu le message ». Toutefois, aller dans les cybercafés, ne pas avoir de con-
nexion à proximité, sur les lieux de travail est un sérieux handicap car, très
souvent, « il faut aller lutter avec les étudiants » et cela est « gênant ». Cer-
tes, la plupart des enquêtés disent ne pas avoir le sentiment que leur travail a
changé et beaucoup d’entre eux expliquent même de façon péremptoire que
« la démarche scientifique reste la démarche scientifique » et que les TIC ou
« les publications électroniques ne peuvent pas changer cela ». Par ailleurs,
certains enquêtés estiment que la forme de correspondance est simplifiée
aussi parce qu’elle est moins formelle. Cela correspond à « l’esprit jeune »
nous explique ce jeune enseignant. En réalité les « cyber-relations » avec les
collègues ne deviennent pas moins codifiées. Elles ne font qu’entrer dans le
processus de construction d’une relation déjà engagée. De la sorte, la plupart
des personnes ayant déclaré se servir du courriel pour du télétravail spontané
l’ont fait après qu’un contact physique ait été pris. Pour l’heure, ceux qui
utilisent l’e mail disent échanger plus avec leurs collègues étrangers qu’avec
les collègues locaux (par ce moyen). Cela risque même de créer un gap entre
ceux qui, déconnectés, en restent à leurs « vieilles problématiques » et leurs
méthodes surannées, et ceux qui sont au faîte des questions d’« actualité
scientifique », des questions « chaudes » et qui, se « ressourcent » ainsi « se
régénèrent »… les expressions utilisées par les enseignants chercheurs in-
terviewés révèlent un certain dépit vis-à-vis de la situation qu’ils vivent :
« On nous demande d’être au même niveau que les autres (les universitaires
occidentaux) et on ne nous (en) donne pas les moyens. C’est ce qui nous
tue ».
Les collègues connectés estiment en gros qu’Internet facilite leur travail
et leur permet de gagner du temps. Chez les doctorants interrogés, le réflexe
Internet semble être « acquis » pour réaliser leurs travaux (l’âge peut être un
variable discriminante). Mais ils manquent de moyens financiers. Chacun se
« débrouille » et fait son « bricolage ». En fait la recherche d’information
s’est améliorée avec les formidables possibilités d’ouverture, la quantité, et
surtout la rapidité avec laquelle il est possible de créer un texte. Les plus
enthousiastes évoquent même une certaine « efficacité », le « gain de temps »,
et la possibilité de « collaboration avec d’autres » chercheurs. Internet per-
met d’échanger des informations, des articles, des commentaires, etc. avec
des collègues chercheurs comme eux. Par contre des étudiants attirent notre
attention sur les « risques de plagiat » : « c’est très facile de faire du couper
coller » et ce d’autant plus que « les vieux sont dépassés » !
Concernant le travail en équipe, certains chercheurs interrogés estiment
que les échanges s’intensifient grâce au courrier électronique, mais sont

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extravertis. Considérant les activités de recherche au niveau local, nous som-


mes dans « une société où on peut encore se déplacer ». Affirmer que la
communication médiatisée par ordinateur se renforce entre les chercheurs
ivoiriens est peut-être prématuré. Un enseignant chercheur en Lettres qui
déclare utiliser beaucoup le mail explique : « quand on sait utiliser (l’ordina-
teur, le mail), c’est plus facile qu’avant. On communique plus avec les col-
lègues à l’extérieur (l’étranger). Mais au fond c’est la même chose. On se
débrouillait autrement. Aujourd’hui, c’est plus rapide c’est tout ».
Si l’université ivoirienne n’a pas beaucoup de visibilité sur Internet, les
individus en revanche sont très souvent en relation avec des partenaires (uni-
versités, instituts de recherche, ONG, organismes internationaux, etc.) grâce
au courriel. Cet individualisme numérique, perceptible dans toute la commu-
nauté des chercheurs, ne semble pas propre à une catégorie spécifique d’ac-
teurs et ne profite pas vraiment à l’université. En effet, l’individualité des
usages est en rupture avec l’esprit collectif censé présider aux rapports de
fraternité entre collègues et à la nécessité du travail en équipe.17 En outre, les
retombées pédagogiques et scientifiques ne concernent pas directement l’uni-
versité18 : les principaux bénéficiaires sont les individus et non leurs labora-
toires, leurs facultés ou leur université.
À l’instar des jeunes, le besoin d’« être » et de « rester en contact »,
d’« avoir » et de « maintenir des contacts » est implicitement associé à celui
de survie (Bahi 2004a). L’utilisation du mail ne peut donc pas renvoyer à des
messages purement informatifs mais bien également à des échanges plus ou
moins informels, en plus des sujets liés aux activités de recherche, surtout
avec les collègues étrangers. Cette quête permanente des relations est aussi
un invariant dans la sphère universitaire. La recherche du lien social est pré-
sente dans l’usage d’Internet faisant passer l’ordinateur du statut de ma-
chine à écrire perfectionnée à celui d’outil de communication et d’organisa-
tion… donc de dispositif avec lequel on va créer des liens sociaux.
L’étendue des relations et des correspondants ne se modifie pas complè-
tement par la magie du courriel. Mais on peut légitimement chercher à com-
prendre quelles nouvelles manières de communiquer et de travailler résultent
de ces usages des TIC sachant que, de toutes façons, nous sommes encore
loin du concept de « collaboratoire » (Turner 1995) qui fait référence à ce
renforcement des collèges invisibles par le développement de dispositifs tech-
nologiques, dans un contexte politique favorable et qui renvoie également
référence à la prolifération des communications informelles que la message-
rie électronique rend possible (Chartron 1997). Les chercheurs de l’Univer-
sité de Cocody sont souvent en rapport avec des universités et instituts de
recherche à l’étranger et de facto membres de réseaux. Ces connections

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font d’ailleurs partie de leurs jardins « secrets » et entrent dans leurs logi-
ques de réussite universitaire et donc de réussite sociale. C’est une autre
raison de ce besoin de contacts. Dans un environnement où « pour évoluer
normalement il faut se cacher pour travailler en paix », il ne s’agit pas de
simples cachotteries. Un enjeu de l’Internet pour ces enseignants-chercheurs
est de consolider leurs réseaux interpersonnels. Certains collègues enquêtés
accusent leurs pairs de les « trahir » en leur cachant des informations (des
tuyaux) utiles pour leur carrière. Cela va jusqu’à être assimilé à de la sorcel-
lerie : « il y en a parmi nous (enseignants-chercheurs) qui utilisent les inven-
tions des Blancs pour faire de la sorcellerie moderne». Certes, la technologie
apparaît bien souvent occulte, mais en serait-il des réseaux téléinformatiques
comme il en est des pratiques sorcières ? Nous tenterons d’y répondre plus
loin.

Internet et production du savoir scientifique


La production du savoir saisie comme « accouchement », suppose élabora-
tion, problématisation, échanges d’idées, discussion d’approches théoriques
et méthodologiques. Elle est liée à la fabrication de produits spécifiques de la
connaissance scientifique qui sont autant des outils d’échange, de débats, de
moyens de « transmission » tels que les essais, articles, communications,
cours. La production du savoir scientifique est aussi articulée aux espace
publics physiques des débats scientifiques : conférences, colloques, sémi-
naires, ateliers, amphithéâtres, laboratoires, etc. La communication est donc
au cœur du processus de construction du savoir scientifique. Le courrier
électronique, application d’Internet la plus utilisée des enseignants-chercheurs,
permet cette communication, participe à l’organisation du travail de recher-
che et indirectement à l’élaboration des connaissances scientifiques.

Le processus de publication
En principe, un enseignant-chercheur doit consacrer 70% de son temps à la
recherche. Dans cet exercice, il ne peut se passer des références aux tra-
vaux des chercheurs du Nord même si ces derniers peuvent se passer de
faire référence aux travaux des chercheurs du Sud. L’usage d’Internet est
censé remédier peu ou prou aux insuffisances de la documentation et des
bibliothèques universitaires qui en principe devraient constituer des outils et
même des ressources pour la recherche et donc pour la production du savoir
scientifique.
Il était donc important d’explorer avec les enseignants-chercheurs enquêtés
les sources d’information qu’ils prospectent lors de l’exécution de leurs
travaux scientifiques. Des formes principales de recherche d’informations
directement liées au travail scientifique se dégagent : recherche bibliographique

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Bahi: Les universitaires ivoiriens et Internet 165

classique à la façon Internet ; recherche de documents à exploiter. Mais


quelles informations recherchent-ils et quelle y est la place des publications
électroniques ?
Internet ouvre des perspectives en matière d’accès aux données. Beau-
coup évoquent la localisation de l’information grâce à Yahoo!, ou Google!
comme une avancée notable due à la technologie et leur « entrée dans le 3e
millénaire ». Dès que l’on évoque les TIC, les réponses restent souvent sté-
réotypées : « j’y trouve beaucoup de choses » ; « tu introduis ton thème et
ça te sort tous les documents qu’il y a dessus ». Bref, Internet est dit utile
pour la documentation comme l’indique cet enquêté avec réalisme : « les
classiques en sciences sociales, certains textes sont téléchargeables, d’autres
pas. C’est pas encore les (textes des auteurs) contemporains. Il faut voir que
s’il y en a trop (en ligne) les gens ne vont pas acheter (les versions papier) ».
L’espoir que fait naître Internet est d’avoir accès à de la documentation qui
fait défaut à l’université. Celle qui est recherchée servirait surtout à préparer
des articles et des communications. Les enquêtés ont peu évoqué la prépara-
tion des cours. Il faut probablement lire en cela l’installation dans la routine.
Toutefois, cette ouverture cause quelques frustrations car ils disent sur-
tout trouver des résumés. Ceux-ci les informent mais ils restent sur leur
faim. Car la recherche bibliographique est une chose, l’accès aux textes
scientifiques et actuels en est une autre. Les enseignants-chercheurs n’es-
comptent pas seulement d’Internet des contacts ou le repérage de référen-
ces bibliographiques. Un embarras, celui du « manque d’information » qui,
relativement à Internet, peut sembler paradoxal. Mais le paradoxe n’est qu’ap-
parent comme le suggère cet enquêté qui dit utiliser la recherche d’informa-
tion sur Yahoo ! et dit aller beaucoup sur Google ! : « Souvent il ya le titre du
colloque mais pas les communication elles-mêmes. C’est seulement des ré-
sumés… ». Certains parmi les déçus s’énervent : « il y a Internet mais on ne
peut même pas s’en servir ! on veut un article mais on ne peut pas l’obtenir !
Parce qu’il faut payer ! ». Il arrive un moment où n’avoir accès qu’à des
résumés d’articles ou d’ouvrages devient « frustrant »… L’utilisation de
l’Internet peut même devenir un leurre lorsqu’elle induit une confusion entre
butinage et savoir et conduire au délitement de l’enseignement (Agbobli 2002).
Au demeurant, faire des recherches en ligne « revient cher ». Surfer de
site en site, ne convient pas à tous les chercheurs. Le coût de la navigation
dans les cybercafés, élevé pour le commun des chercheurs ivoiriens, cons-
titue un frein important. Les machines sont jugées lentes et inefficaces19
rendant difficile l’accès à l’information scientifique. Ils veulent des moteurs
efficaces, des adresses de sites précises, etc. afin de se retrouver : référen-
ces, articles scientifiques, revues diverses, publications électroniques. Les

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166 Afrique et Développement, Vol. XXXI, No. 3, 2006

individus développent alors des ethnométhodes de portée restreinte, des « fa-


çons de s’y prendre » avec l’ordinateur, avec Internet, et au moyen desquel-
les les chercheurs fabriquent du sens partageable à l’échelle de leur commu-
nauté. Ces pratiques quotidiennes ordinaires sont foncièrement transmissibles
dans la mesure où elles se développent dans un contexte d’usage, dans les
tactiques, trucs et astuces que les uns apprennent des autres.
L’imprimé est central dans tout ce travail des chercheurs qui disent privi-
légier les livres et les revues papier. Le véritable problème est le manque
d’ouvrages à jour. Il faut certainement relier cela à la faiblesse de la produc-
tion d’écrits scientifiques et à la pauvreté des bibliothèques, au coût très
élevé des ouvrages papier en librairies, etc. Certes, Internet n’est pas la seule
possibilité de pallier le manque de documentation. « Si nous n’avons pas
accès à la littérature, nous sommes intellectuellement perdus ! Nos évaluateurs
ne se préoccupent pas des conditions dans lesquelles nous travaillons. Ce
qu’ils nous demandent, c’est d’être au niveau international un point c’est
tout ! Un bon moyen d’y arriver est de développer les contacts… ». Les
enseignants-chercheurs autant que les étudiants, symptôme patent de la
« fracture numérique », photocopient énormément d’ouvrages. Les « con-
nectés » déploient des trésors de ruse et de patience pour se procurer des
ouvrages. Chacun se débrouille car « c’est un sacrifice » concluent-ils en
relatant les épreuves qu’ils surmontent pour se procurer des ouvrages ré-
cents. Personne n’évoque explicitement et spontanément des revues électro-
niques. Pour les rares d’entre eux qui l’ont fait, ils ne savent pas comment
s’abonner à une revue en ligne et ne se renseignent pas non plus.
Les textes repérés à l’aide d’un moteur de recherche et effectivement
trouvés sont souvent imprimés au cybercafé s’ils ne sont pas trop volumi-
neux, ou enregistrés sur disquettes afin de les imprimer ailleurs à moindre
coût. Certaines pages Web sont copiées et récupérées sous Word pour pou-
voir être imprimées. Les personnes interrogées trouvent intéressant de trou-
ver des textes au format Pdf. Ils les trouvent « très bien », « très propres ».
Parfois, sur certains sites, les tirages ne sont pas satisfaisants. Alors, cer-
tains disent sélectionner des textes (format html) qui les intéressent, les co-
pier, ouvrir Word, coller le texte et se servir du traitement de texte pour les
arranger et en « faire des copies propres » qu’ils relieront par la suite et
qu’ils mettront dans leur bibliothèque…
Chez la plupart des doctorants interrogés, les publications numériques et
Internet, d’une manière générale, ne sont pas cités spontanément comme
moyen de documentation. En fait, les avis des enquêtés sont encore mitigés
sur les publications électroniques. Pour ceux qui savent ou osent s’en servir,
Internet reste l’accès privilégié pour la consommation de la publication

9.Aghi.pmd 166 31/08/2006, 11:13


Bahi: Les universitaires ivoiriens et Internet 167

électronique (non encore pour la production). Certains sont enthousiastes et


estiment qu’Internet est rapide, facile et confortable. C’est ce qu’expriment
ces enquêtés : « avant il fallait aller lire, recopier, faire des photocopies,
etc. ». Ils voient en cela « un changement positif dans la manière de travailler ».
De plus, beaucoup considèrent que la manière d’écrire a changé : « Avant,
on écrivait, on gommait, on raturait, on reprenait. Maintenant j’écris
directement sur l’ordinateur… ». Pour d’autres, échaudés par les fautes
(d’orthographe, de grammaire et de construction de texte), les trouvailles
sur Internet, y compris les publications scientifiques électroniques, sont
progressivement accueillies avec méfiance : « Je me suis rendu compte qu’on
peut balancer n’importe quoi sur Internet. A partir de ce moment là j’ai
commencé à me méfier ».
Certains enquêtés, étudiants comme enseignants, ont évoqué le « danger
du plagiat », regrettable pour tous les travaux universitaires, et facilités par la
possibilité de « couper coller ». Ce risque est favorisé à la fois par la facilité
à copier coller certains textes et par l’illectronisme des professeurs. Cette
pratique n’est pas racontée comme un danger mais comme faisant partie des
trucs et astuces pour se tirer d’affaire, éblouir les maîtres et réussir. Mais,
dans le même temps, ils sont convaincus qu’ils peuvent utiliser voire plagier
des textes sans être pris, et donc qu’ils peuvent abuser leurs professeurs et
passer pour géniaux… Cette débrouillardise produit donc un effet pervers :
un risque de dérive vers la mystification et la falsification, corollaire direct de
ce manque d’information, touchant à l’éthique de la recherche scientifique.
Il risque de se naturaliser et de se muer en habitus tant que les évaluateurs et
examinateurs se diront « dépassés par la technologie »…

La logique utilitaire
Les jeunes collègues disent chercher des « appels à contributions » pour des
revues, « appels à communications » pour les conférences. Mais aussi di-
sent rechercher des opportunités : des informations sur les bourses post-
doctorales, propositions d’emploi dans des ONG et organismes internatio-
naux. « On ne sait jamais… », « Il faut avancer (dans sa carrière) ». Cela est
présenté comme des « opportunités » à saisir.
Une certaine tendance à rechercher des informations sur les collègues se
dessine également qui tend à modifier les rapports d’autorité et de pouvoir.
Tel enseignant-chercheur enquêté affiche sur un mur de son bureau la bio-
bibliographie illustrée d’un sociologue célèbre obtenue sur Internet et qui à
ses yeux représente « l’intellectuel véritable », le modèle, « le contraire » de
ses collègues ivoiriens etc. Internet sert aussi à espionner les collègues, et
surtout sur les aînés qui, dans l’espace universitaire, ont tendance à « mys-
tifier » les cadets : sont-ils connus ? Qu’ont-ils publié ? Car « maintenant

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168 Afrique et Développement, Vol. XXXI, No. 3, 2006

(avec Internet) on ne peut plus se cacher ». Les étudiants, toujours prêts à


tester les connaissances de leurs profs, agissent pareillement : « j’ai googuelisé
et parmi mes profs je sais qui est qui ». Chez bon nombre de doctorants
l’idée que leurs « maîtres », les « vieux », « ne comprennent rien aux NTIC »
est très répandue. Internet permet de retracer les itinéraires intellectuels des
enseignants-chercheurs et de préciser leurs identités et leur ancrage dans le
cyberespace scientifique. Cela augure peu ou prou de changements dans les
rapports interindividuels entre les acteurs du champ universitaire. Cette sus-
picion, voire ce parricide symbolique, suit une période de soumission aux
aînés et amorce une démystification de leur autorité. Du côté des aînés, la
facilité avec laquelle les étudiants se servent d’Internet fait craindre à cer-
tains que la relation verticale enseignants/étudiants ne s’atténue et ne consti-
tue une diminution de leur domination. A tous, l’usage des technologies donne
le sentiment de mieux connaître les uns et les autres et même de dominer la
connaissance.
Chez certains enthousiastes, les publications électroniques sont meilleu-
res que les publications papier parce qu’il y a « un gain de temps » et « une
ouverture sur le monde » tandis que « les publications papier restent dans
l’espace francophone ». En outre, elles facilitent « le parcours pour devenir
professeur »… c’est-à-dire « le nombre d’articles à publier pour changer de
statut ». Chez les jeunes enseignants-chercheurs, publier dans des revues
« papier » disponibles ou signalées sur Internet est déjà un signe de notoriété
et une raison de fierté. Les « vieux », les « grands frères » enseignants-
chercheurs sont « sclérosés » et renforcent « le mandarinat (qui) ne rend
pas service à la communauté savante ». A la question de savoir s’ils en utili-
seraient pour leurs propres publications scientifiques, les enseignants-cher-
cheurs rétorquent que cela dépend du caractère scientifique de la publica-
tion. Il faut en effet qu’elle soit reconnue par le milieu scientifique car « tout
le monde va sur Internet » y compris les journaux de la presse écrite. Beau-
coup de clichés apparaissant dans les propos des enquêtés construisent les
représentations des revues électroniques, d’Internet et des TIC en général.
Les raisons techniques et économiques qui historiquement expliquent la
prépondérance de la revue (papier) sur les autres médias de la science dans
le champ universitaire sont connues (Adebowale 2001). Mais elles ignorent
les logiques déployées par les universitaires eux-mêmes. En effet, l’évolution
de la carrière des enseignants-chercheurs passe par la valorisation due à
leurs publications nombreuses et de qualité. « Un chercheur, dans le monde
académique, n’existe que s’il publie. Sa carrière suivra le nombre et la qualité
de ses publications. Son laboratoire sera évalué aux publications de ses mem-
bres. Le financement général de la recherche est corrélé à ce processus »

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Bahi: Les universitaires ivoiriens et Internet 169

(Chartron et Salaün 2000:32). Pour beaucoup d’« anciens » avoir publié ses
articles dans les Annales de l’Université d’Abidjan est une référence solide.
Les revues scientifiques des universités avec lesquelles leurs instituts ont des
accords de partenariat leur « laissent quelques pages» pour leurs articles.
La procédure est très formalisée pour les revues scientifiques. Une publi-
cation cotée selon les évaluateurs obéira nécessairement à certaines normes.
Mais beaucoup d’ignorance, de confusions et de craintes non fondées exis-
tent concernant la publication électronique qui, somme toute, demeure une
inconnue. À son évocation, les collègues s’inquiètent immédiatement : le
CAMES20 reconnaît-il les publications électroniques ? Sont-elles connues,
scientifiques et cotées ?21 « En termes de recherche d’information les publi-
cations électroniques sur Internet oui… mais publier… il y a encore un re-
tard ici (en Côte d’Ivoire) ». L’interconnaissance favorise la diffusion de
rumeurs persistantes dans la communauté universitaire. Les enseignants pren-
nent leurs informations, non à la source, mais auprès d’un collègue promu
quelques temps plus tôt, qui devient ainsi détenteur d’un certain pouvoir (et
d’une certaine domination) sur son collègue…22
La question de la publication scientifique électronique articule les critères
de la publication scientifique d’une part et celui des représentations de la
technologie d’autre part. Ensuite elle peut être envisagée soit comme moyen
de documentation d’un travail soit comme espace de publication et donc
comme moyen de publication du travail scientifique. Ce faisant, elle entre-
tient des croyances de la communauté scientifique universitaire concernant
les publications tout en y ajoutant celles plus prosaïques des nouvelles tech-
nologies dont Internet est le fer de lance. De fait, dans la conscience des
chercheurs interrogés, pour ceux qui savent à quoi cette expression renvoie,
les publications scientifiques électroniques c’est d’abord et avant tout les
revues scientifiques sur Internet. Enfin, chez bon nombre d’enseignants-
chercheurs rencontrés, prédomine la vision utopique d’un monde universi-
taire numérique marqué par l’effondrement des coûts de publications,23 l’ab-
sence de la médiation de l’éditeur, la modification de l’écriture académique et
la disparition de la formalisation. La véritable question en ce qui concerne les
revues électroniques est : faire de la recherche et publier ont-ils encore un
sens positif pour les acteurs du champ universitaire ?
Il faut dire que bien souvent le poste d’enseignant-chercheur est perçu
par l’enseignant-chercheur lui-même comme un pis-aller, un poste « en
attendant » une meilleure situation. La production d’ouvrages et d’articles
scientifiques ne semble pas (ou plus) avoir de sens positif pour les acteurs
sauf, lorsque ces derniers en espèrent un changement de grade et donc une
promotion à court terme. De nombreux responsables de revues universitaires

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170 Afrique et Développement, Vol. XXXI, No. 3, 2006

déplorent le fait que « c’est au moment de présenter le dossier du CAMES


que les collègues envoient des textes ». Chez les jeunes chercheurs confirmés,
qui escomptent bien un changement de grade, et pourquoi pas une titularisation,
l’idée de publier électroniquement est accueillie positivement. Mais leurs
craintes tournent en fait autour des critères de validation scientifique et
finalement de la « bonne pratique scientifique » : de telles publications sont-
elles « cotées » et « reconnues dans les évaluations pour les promotions et
les titularisations » ? Dans la conscience des collègues, la cote d’une revue
est confondue à la visibilité et peut-être à la notoriété que lui confère sa
présence sur la toile. Or, Internet devient un moyen d’évaluer la réputation
d’un enseignant chercheur, à tout le moins son existence dans le cyberespace
public scientifique. Cette donne transforme leur perception de la publication
scientifique elle-même. Mais l’idée inavouée qui sous-tend leurs propos est
celle de la publication utile, rentable immédiatement, celle qui rendra leur
dossier d’évaluation solide et qui donc servira à la carrière. La publication
électronique est encore suspecte. Les revues électroniques ne leur semblent
pas a priori profitables, car ils croient que leurs évaluateurs n’en tiennent
pas compte. C’est surtout pour cela qu’ils hésitent. La logique du calcul
n’est donc pas absente de cette attitude. Les revues papier ont donc plus de
prestige à leurs yeux et sont surtout moins risquées. Les paroles des
enseignant-chercheurs masquent des questions de relation de pouvoir et de
domination. C’est ainsi que la logique de l’utilitaire et de la réussite individuelle
conduiraient certains à une rétention stratégique des informations. Seuls ceux
qui en disposent en temps opportun multiplient ou conservent leurs chances
de réussir, donc d’augmenter leur capital symbolique (Bourdieu 1997:199).
Là se joue la compétition entre les acteurs pour occuper des positions
dominantes dans le champ scientifique. L’enjeu fondamental est celui de la
promotion individuelle qui passe par la reconnaissance par les pairs. Cette
reconnaissance permet d’accéder légitimement à la catégorie dominante du
champ universitaire et d’en contrôler les ressources.

Conclusion
L’usage d’Internet, surtout limité au courriel, est encore faible parmi les
enseignants-chercheurs rencontrés. L’ordinateur multimédia connecté à
Internet est néanmoins un outil de communication permettant d’acheminer
des articles et plus accessoirement d’organiser le travail. L’usage encore
hésitant et erratique de cet outil commence à produire des effets sur la re-
cherche documentaire mais non réellement sur la technologie d’enseigne-
ment. Les publications numériques sont plus des moyens de documentation
que de publication. Dans le contexte actuel de l’université, elles ne consti-
tuent pas un véritable palliatif à la défaillance des bibliothèques.

9.Aghi.pmd 170 31/08/2006, 11:13


Bahi: Les universitaires ivoiriens et Internet 171

En définitive, cette étude limitée nous procure trois enseignements ma-


jeurs. D’abord, les changements introduits par Internet pour les personnes
interrogées consistent en une vision élargie mais paradoxale de l’univers de
la Science. Pour l’heure, ces possibilités ne semblent pas procurer pas un
meilleur accès aux auteurs, aux textes et aux débats scientifiques. Ensuite, la
formation des usages d’Internet en milieu académique ivoirien, étant donné
le contexte particulier de cette université d’Afrique de l’Ouest, est actionnée
par une logique utilitaire, parfois même « carriériste » empreinte de logique
de calcul. La logique utilitaire domine largement les préoccupations des en-
seignants-chercheurs rencontrés et détermine leurs stratégies éditoriales : il
s’agit pour eux de trouver les bonnes références, les bons réseaux, les bons
circuits d’éditions. Plus que jamais, les chercheurs doivent être attentif à la
déontologie de leur métier. Enfin, S’il n’y a pas une volonté initiale de créa-
tion d’équipes locales de recherche et de publication, l’usage d’Internet ne
changera rien. Les échanges quasi nuls entre collègues ne s’intensifieront
pas plus avec le courriel car de tels échanges « ne permettent pas de créer ex
nihilo une communauté de recherche, mais de resserrer des liens existants »
(Hert 1996:100). Les TIC sont l’objet de fréquentes méprises sur leurs pos-
sibilités alors qu’elles ne font qu’accompagner des changements. Pour
qu’Internet change quelque chose à la situation, il faut que les différents
acteurs institutionnels, collectifs, et individuels du domaine de l’enseigne-
ment supérieur et de la recherche s’investissent dans les nouvelles situations
d’usages qui se profilent (Agbobli 2002:13).
De nombreux espoirs d’amélioration des performances de l’université
ivoirienne reposent sur l’usage d’Internet pour la production et la diffusion
du savoir scientifique. Même si le rôle de cet outil dans l’accès des universi-
taires ivoiriens aux informations scientifiques paraît encore timide, on peut
estimer que des fenêtres s’ouvrent sur le cyberespace scientifique. L’univer-
sitaire ivoirien n’est donc pas un paria de la société du savoir. Certes, les
sociétés africaines n’ont pas encore pleinement accédé à l’ère industrielle et
même à la société du savoir. Toutefois,
elles partagent avec les sociétés industrielles « une élite technicienne», comme
elle partage avec la société du savoir une élite intellectuelle. Cette élite est
bien un pont entre le passé de la société africaine et son avenir immédiat qui
est la société industrielle et son avenir plus lointain qu’est la société du
savoir (Memel-Fotê 2002:63).
Le problème des stratégies des enseignants pour évoluer semble plus organi-
sationnel que technique. En ce sens, Internet accompagne le changement
comme, par le passé, les « anciennes » technologies de l’information et de la
communication. Il est donc prématuré d’affirmer que l’utilisation d’Internet

9.Aghi.pmd 171 31/08/2006, 11:13


172 Afrique et Développement, Vol. XXXI, No. 3, 2006

change profondément la communication scientifique. Il est concevable que


cet outil entre subrepticement dans le champ universitaire ivoirien en prolon-
geant et en amplifiant des usages existants. L’accès aux espaces intellectuels
et scientifiques des pays du Nord, difficile aux collègues africains, n’est pas
plus facile avec Internet.
Les TIC, qui suscitent toujours des « discours prophétiques ou
programmatiques sur la supposée ‘société de l’information’ » (Miège 2004:
91), révèlent des inégalités nord / sud. Celles-ci sont d’autant plus importan-
tes qu’aujourd’hui le dynamisme et la compétitivité d’une université tend à
être évalués, pour ainsi dire, à l’aune de leur informatisation et de leur
médiatisation, précisément de leur présence sur la toile. Cet ersatz d’utopie
technicienne est un paramètre contextuel important. Plutôt que de reproduire
des inégalités ou à produire de nouvelles marginalités, l’enjeu de l’utilisation
des TIC est de construire une communauté scientifique locale forte valori-
sant les productions africaines et faisant de ses chercheurs moins des con-
sommateurs que des producteurs de connaissances. Bref, l’immixtion
d’Internet dans le champ scientifique universitaire ivoirien révèle sous un
certain rapport la crise que vit cette communauté. L’université, très conser-
vatrice, doit muer et changer profondément ses valeurs et sa culture, s’ouvrir
davantage aux partenaires extérieurs ou, tout au moins, nouer des partena-
riats propices au financement et au développement des instruments de diffu-
sion de la connaissance scientifique. A l’université ivoirienne de trouver sa
voie et d’y mettre les moyens. Dans ce domaine, les bonnes idées sont plus
abondantes que les bonnes volontés.

Notes
1 Voir Université de Cocody [http://www.ucocody.ci] ; Université d’Abobo-
Adjamé [http://www.uabobo.ci].
2 Pour l’heure, aucune des quinze revues produites par les Editions Universitaires
de Côte d’Ivoire n’a de version électronique ni d’accès en ligne partiel. Peu
d’entre elles possèdent une adresse électronique.
3 Ce terme regroupe sans distinction les « chercheurs » et les « enseignants-
chercheurs ».
4 Administrée de février à juillet 2004.
5 Les sept autres individus proviennent du Service informatique (2 personnes),
des bibliothèques universitaires (3 responsables) et de l’édition (2 personnes)
de l’Université de Cocody. Ces informateurs issus des autres catégories
d’acteurs du champ universitaire sont indispensables au travail de recherche.
6 Elle compte environ 1200 enseignants permanents tous grades confondus
(dont 18% de femmes), 500 personnels administratifs et techniques et 50000
étudiants (source : Vice-Présidence chargée de la Planification). Elle concentre

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Bahi: Les universitaires ivoiriens et Internet 173

l’essentiel des acteurs concernés par l’étude. Elle préfigure l’université


ivoirienne…
7 Nous avons articulé entretiens individuels semi-directifs, entretiens non
structurés, et observations flottantes.
8 Thèmes des entretiens : description de leur travail, sources de documentation,
les TIC et leur place dans leurs activités d’enseignement et de recherche, les
changements qu’ils discernent dans leur travail quotidien. Nous présentons
les termes des enseignants-chercheurs « entre guillemets et en italique ».
Dans le cadre restreint de cet article ne nous permet pas toujours re-situer les
enquêtés dans leurs statuts spécifiques.
9 Le champ est un système de positions se définissant les unes par rapport aux
autres, dont l’existence est « corrélative de l’existence d’enjeux et d’intérêts
spécifiques (…) L’intérêt est à la fois condition du fonctionnement d’un champ
(...) en tant qu’il est ‘ce qui fait courir les gens’, ce qui les fait concourir, se
concurrencer, lutter, et produit du fonctionnement du champ » (Bourdieu 1987
: 124-125). Le champ scientifique est, comme tout champ, un lieu de rapports
de forces dont un des enjeux est le contrôle des ressources du champ (Bourdieu
1980:113-14).
10. Un seul enseignant-chercheur inclut nettement le téléphone portable dans
l’ensemble des TIC.
11. Le marché ivoirien des publications scientifiques numériques est censé exister
parce qu’on le calque sur celui des publications papier. Les revues scientifiques
numériques ne retiennent également qu’un nombre limité de lecteurs avisés.
Les bibliothèques (universitaires) et les éditeurs « indigènes », en tant
qu’intermédiaires, constituent aussi des acteurs incontournables de ce marché
complexe de l’édition électronique scientifique.
12. L’université d’Abobo-Adjamé propose quelques articles téléchargeables au
format Pdf.
13. Dès 1998, le Ministère de l’Enseignement supérieur de Côte d’Ivoire, dans une
vision résumée par l’expression « un enseignant chercheur, un ordinateur » a
tenté d’améliorer l’accès aux NTIC à l’université en initiant le Projet Dragados.
Cofinancé par la Coopération espagnole et le Ministère de l’Enseignement
supérieur ivoirien, ce projet permettait aux enseignants-chercheurs, moyennant
100 000 FCFA de participation, d’acquérir un ordinateur et, à terme, de pouvoir
se connecter. Le Service Informatique de l’Université de Cocody assurait le
contrôle technique des machines ; le Syndicat national de la Recherche et de
l’Enseignement supérieur (SYNARES) en établissait les critères de distribution.
Ce projet, à notre connaissance n’a pas encore été évalué.
14. Il est donc urgent de procéder à une évaluation véritable de cette première
phase du Projet Dragados même si, bien souvent au cours des entretiens, on
peut estimer que les militants du SYNARES s’en disent satisfaits.
15. Les enseignants-chercheurs répondant aux critères établis par le SYNARES,
au moment de l’achat, s’engageaient par écrit à ne pas faire un autre usage que
celui prévu pendant au moins cinq ans.

9.Aghi.pmd 173 31/08/2006, 11:13


174 Afrique et Développement, Vol. XXXI, No. 3, 2006

16. Or, le débit souvent faible ralentit cette opération…


17. Cf. infra thème du jardin secret.
18. Cf. supra la location aux cybercafés des ordinateurs du projet Dragados remis
aux enseignants.
19. La bande passante souvent faible ralentit la navigation les autres opérations.
20. Le Conseil africain et malgache pour l’Enseignement supérieur (CAMES),
structure inter-étatique regroupant la quasi-totalité des pays du continent,
veille à l’harmonisation et au contrôle de l’évolution de la carrière universitaire
des enseignants et chercheurs.
21. Les enseignants-chercheurs interrogés ignorent en outre que des revues
électroniques ont des comités de lecture, des numéros d’ISSN, tandis que des
revues papier censées être cotées n’en possèdent pas…
22. Or les dispositions arrêtées par les Comités techniques spécialisés du CAMES
évoluent, tenant désormais compte des publications électroniques… Les
informations utiles à la constitution des dossiers sont disponibles sur le site
[http://www.cames.bf.org] que par ailleurs aucun enquêté n’a évoqué.
23. Les optimistes tels que l’initiative Leland (USAID) ont largement contribué à
répandre de telles idées.

Références

Adebowale, S., 2001, « The Scholarly Journal in the Production and Dissemination
of Knowledge in Africa », African Sociological Review, Vol. 5(1), p.1-16.
Agbobli, C., 2002, « Je surfe donc je sais : quelles formes de développement de
l’éducation avec les nouvelles technologies de l’Information et de la
Communication en Afrique ? » 2001 Bogues Globalisme et pluralisme, GRICIS:
Montréal, 24 au 27 avril, (http://www.gricis.com)
Bahi, A., 2004a, « Usages d’Internet et logiques d’adaptation sociale des jeunes
dans des cybercafés abidjanais », Bulletin du Codesria n°1&2, Dakar, 67-71.
Bahi, A., 2004b, « Les jeunes abidjanais et Internet : instrument de débrouillardise
ou formation d’une socialité moderne ? », Kasa Bya Kasa n°6, Abidjan, EDUCI,
p.23-47.
Beaud, S., Weber, F., 2003, L’enquête ethnographique de terrain. Produire et
analyser des données ethnographiques, Paris : La Découverte.
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