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L’odyssée des Tigres

Katangais
Par J.P. Sonck

Les « Fiéis »

En 1967, le gouverneur du Katanga Godefroid Munongo fut révoqué et remplacé par Jean-
Foster Manzikala qui fit régner un régime de terreur sur toute la province. Ce régime de
terreur s’accentua après la révolte des mercenaires et des gendarmes katangais organisée
par les colonels Schramme et Denard le 5 juillet 1967 et pour échapper à la répression, de
nombreux Lunda se réfugièrent en Angola. Les agents du Centre National de
Documentation de Seti Yale firent la chasse aux anciens militaires et aux Européens,
considérés comme partisans de l’ancien premier ministre Moïse Tshombé. Ils furent
liquidés de manière expéditive après avoir été torturés. La Police du Katanga fut épurée et
certains de ses membres furent arrêtés, dont le commissaire de Police de Kolwezi
Nathanaël Mbumba qui réussit à s’échapper vers l’Angola. Il fut récupéré par la police
secrète portugaise PIDE/DGS qui lui suggéra de fonder le « Front de Libération National
du Congo » le 18 juin 1968. L’objectif du FLNC, dont Nathanaël Mbumba reçut la
présidence, était de redonner aux Katangais et plus particulièrement aux Lunda, la place qui
leur avait été ravie par les Zaïrois, mais la PIDE/DGS avait d’autres objectifs, dont celui de
regrouper les Lunda qui avaient fuit leur pays au sein du FLNC pour s’en servir à des fins
politico-militaires. L’ethnie Lunda peuple le sud-ouest de du Shaba, le nord-ouest de la
Zambie et le plateau Lunda en Angola et leur grand chef est le Mwata Yamvo, dont la
résidence est à Musumba, près de Kapanga. Près de 2.000 de ces Lunda, anciens militaires
et policiers qui s’étaient réfugiés en Angola avec leurs familles, furent sélectionnés par la
PIDE/DGS sous le nom de code de « Fiéis » (fidèles) pour recevoir un entraînement de
contre-guérilla. Ils furent encadrés par d’anciens officiers et sous-officiers de la
gendarmerie katangaise rescapés des purges mobutistes et regroupés dans trois bataillons
commando de 5 compagnies chacune. Ces bataillons furent placés sous le commandement
du col Kalonga, ancien officier de la gendarmerie katangaise, et cantonnés respectivement à
Camissombo (QG), Chimbila, et Gafaria. Le commandement d’un de ces bataillons fut
confié à Nathanaël Mbumba, promu colonel par la PIDE/DGS. D’un naturel autoritaire et
ombrageux, il combattit avec bravoure à la tête de ces « Fiéis » contre les rebelles angolais
du FNLA en maintenant une discipline de fer parmi ses hommes et il fut promu par les
Portugais au grade de général de brigade après avoir suivi un cours d’officier à l’Academia
Militar de Lisbonne. Son ambition fut récompensée car il prit la place du col Kalonga à la
tête des bataillons de « Lunda fidèles ».

En 1974, les nouvelles autorités de gauche issues de la « révolution des œillets » à


Lisbonne mirent fin à la lutte contre les mouvements de libération et Nathanaël Mbumba
avait le choix entre trois possibilités, soit une alliance de ces 2.400 Lunda « Fiéis » avec le
« Mouvement Populaire de Libération de l’Angola » d’Agostinho Neto, qui luttait contre
ses rivaux : Roberto Holden, leader du « Front National de Libération de l’Angola » et
Jonas Savimbi, leader de l’UNITA ou « Union pour l’Indépendance Totale de l’Angola »,
alliés à Mobutu, soit le retour au Zaïre, soit le transfert en Afrique du Sud. Bien qu’anti-
communiste, le président du « Front de Libération National du Congo » préférait se rallier
au MPLA car il ne pouvait faire confiance à l’offre d'amnistie du président Mobutu.
Retourner au Zaïre était une condamnation à mort assurée. Quant aux Sud Africains, ils
refusaient d’accueillir dans leur armée des troupes noires hostiles à leurs alliés. La
« Companhia de Diamantes de Angola Diamang », qui avait des concessions de diamant
dans la province de Lunda, utilisait d’anciens gendarmes katangais dans sa force privée de
sécurité et elle joua également un rôle dans le choix de Nathanaël Mbumba par le biais
d’une aide financière et l’encouragement d’officiers portugais bien disposés. Ces éléments
favorisèrent l’engagement du général Mbumba et de ses Katangais aux côtés du MPLA
dont les unités militaires étaient en infériorité suite à la défection des 1500 hommes de
Daniel Chipenda. Un protocole d’accords fut signé le 17 décembre 1974 lors d’une réunion
organisée à Cosa, dans la province de Lunda Nord avec des représentants militaires du
FLNC, dont le général Nathanaël Mbumba et ses adjoints, les colonels Luembe, Mulanda
et Thinyama, des représentants du MPLA, un dirigeants de la société « Diamang » et le
gouverneur portugais de l’Angola António Rosa Coutinho, ami du MPLA auquel il avait
autorisé la livraison d’armes et de munitions provenant des stocks de l’armée portugaise.
Un des points de ces accords stipulait que « après la libération de l’Angola, le MPLA
assistera le FLNC militairement et matériellement pour libérer le Congo-Zaïre ». Les trois
bataillons de cinq compagnies commandos, auxquels s’ajoutait un bataillon auxiliaire de
300 hommes, furent parmi les troupes les plus aguerries dont disposaient à l’époque les
Forces Armées Populaires de Libération de l’Angola (FAPLA). Les « Fiés » prirent le nom
de « Troupes d’Infanterie et de Guérilla Révolutionnaires » ou « Tigres » et, dès leur
ralliement au mouvement d’Agostinho Neto, ils prouvèrent leur valeur en chassant les
troupes de l’UNITA de Jonas Savimbi au-delà du rail Lobito-Dilolo. Le général Mbumba
en profita pour se tailler un véritable fief dans la région du diamant angolais qu’il occupait
avec ses hommes.

L’indépendance de l’Angola

Les Portugais abandonnèrent peu à peu le pays et la guerre civile éclata entre les trois
principaux mouvements de libération. Grâce à leur alliance avec les Tigres, le MPLA put
s’emparer de Loanda le 15 juillet 1975 après de durs combats qui avaient débuté le 9 avril
et les principales villes du pays firent l’objet d’une lutte acharnée, tandis que les troupes
portugaises demeuraient passives. Le leader du FNLA était soutenu par la CIA américaine
et le SDECE français et il bénéficiait de l’aide militaire de son allié Mobutu. Peu après la
chute de la capitale aux mains du MPLA, Roberto Holden reçut en renforts cinq bataillons
des Forces Armées Zaïroises qui furent engagés aux côtés des forces du FLNA lors de la
contre-offensive lancée contre les Forces Armées Populaires du MPLA. De son côté, Jonas
Savimbi organisait une attaque vers Lobito et Loanda avec l’aide des Sud Africains. La
livraison par l’URSS d’une grande quantité de matériel de guerre, ainsi que l’arrivée le 5
octobre 1975 de troupes cubaines venues à la rescousse du MPLA, réduisirent à néant les
derniers espoirs de Roberto Holden et de Jonas Savimbi de reprendre la capitale.
L’importante colonne du FNLA qui progressait du nord de l’Angola vers Loanda fut
détruite peu après à Quifangondo, à trente kilomètres de la capitale, dans une embuscade
tendue par des Cubains et des Tigres-commandos qui avaient reçu un entraînement guérilla
par des instructeurs de Fidel Castro. Ils avaient également reçu un nouvel armement, dont
des fusils automatiques Kalachnikov AK47/AKM et Heckler & Koch G3 et ils portaient
une tenue verdâtre zébrée de noire avec à l’épaule gauche un badge représentant un tigre
doré sur fond bleu et l’inscription « TIGRES ». Une bandelette marquée « Commandos »
était cousue au-dessus du badge. La victoire promise à ses troupes par Roberto Holden se
transforma en débandade vers le Bas Zaïre et le FNLA disparut pratiquement de la scène
angolaise. Peu après, le MPLA tenta d’intégrer les partis d’opposition au régime Mobutu
dans le « Front de Libération National du Congo » et des représentants de ces partis,
notamment de la Conaco de Raphaël Mumba, du MNC/L de Roger Mokede et du Parti de
la Révolution Populaire (PRP) du leader baluba Laurent-Désiré Kabila, se déplacèrent à
Chicapa en octobre 1975 pour y rencontrer Nathanaël Mbumba. Après l’indépendance de
l’Angola, le 11 novembre 1975, Agostinho Neto reconnut les mérites du général Mbumba
et il lui promit une aide militaire et matérielle pour l’aider à regagner sa patrie. Le 28
février 1976, Mobutu Sese Seko et Agostinho Neto signèrent à Brazzaville un éphémère
accord mettant fin au conflit, mais en juin 1976, un article bien informé, publié en Belgique
dans le journal « Choc » sous la plume d’André Louwagie, ancien administrateur-adjoint de
la Sûreté katangaise durant la sécession, annonçait clairement l’intention du lieutenant
général Nathanaël Mbumba de rentrer au pays à la tête des Forces Armées Populaires du
Congo (FAPAC). André Louwagie fut également informé par Zacharie Kalubi, membre du
comité central du FLNC, de l’existence d’une aide russe en armes et en munitions pour les
Tigres.

Ce ravitaillement était stocké dans le dépôt de la mission katangaise à Loanda avant d’être
transporté vers Chicapa où le capitaine cubain Alfonso Francesco était détaché comme
conseiller militaire auprès de Nathanaël Mbumba. Le 8 mars 1977, le lieutenant général
Mbumba lança une attaque avec deux mille Tigres commandos contre les FAZ qui
occupaient le sud de la province du Shaba. Il était en contact régulier avec son bras droit, le
colonel Kiyana, dit « Mufu », qui dirigeait les opérations sur le terrain et les soldats zaïrois
n’opposèrent aucune résistance. Vindicien Kiyana était un des rares survivants du bataillon
Léopard. Lorsque Jean Schramme s’était réfugié au Ruanda en novembre 1967 avec ses
hommes, ils avaient été internés par les Ruandais, mais Vindicien Kiyana avait réussi à
s’évader avec quelques Katangais. Les mercenaires furent expulsés vers l’Europe en 1968
et peu après leur rapatriement forcé au Zaïre, les hommes du 10e bataillon Léopard et les
ex-rebelles Popoye furent exterminés dans l’Equateur sur ordre de Mobutu Sese Seko.
Kapanga tomba le premier jour à la mi-journée et le col Kawambo occupa la localité de
Kisenge Manganese à 13h00, tandis que le col Vindicien Kiyana occupait Dilolo le
lendemain à 09h00. Il confia au cdt Musinga l’attaque de Kasaji, mais celui-ci tomba dans
une embuscade des FAZ à Malonga et il fallut lui apporter de aide pour repousser les
Zaïrois. En quelques jours, les Katangais s’emparèrent de tous leurs objectifs et Mutshatsha
fut prise le 25 mars. La population les accueillait comme des libérateurs et leur fournissait
la nourriture. Les Forces Armées Populaires du Congo de Nathanaël Mbumba
s’apprêtaient à attaquer Kolwezi, mais le ravitaillement en munitions ne suivait pas. Les
Katangais furent bombardés par les avions Macchi MB326K de la FAZA et le 16 avril
1977, ils furent attaqués près de Kanzenze par des soldats marocains, envoyés au secours
du président Mobutu par le roi Hassan II. Les Tigres commandos se replièrent en Angola
après avoir miné les routes et monté des embuscades sur les voies de repli. Ils rejoignirent
le quartier général des FAPAC à Chicapa, dans la province de Lunda Sud, avec de
nombreux volontaires et un important butin, dont trois blindés AML Panhard, cinq
camions, des mortiers et des armes légères. Des milliers de Lunda les suivirent en Angola
pour échapper à la répression des FAZ. Quelques mois plus tard, Agostinho Neto tenta de
coordonner l’action des Tigres avec celle du PRP de Laurent-Désiré Kabila et un protocole
d’accords fut signé le 26 août 1977 à Loanda. Il était prévu que les troupes du FLNC
feraient leur jonction avec les maquisards du Parti de la Révolution Populaire (PRP) pour
débarrasser le Congo du joug du dictateur Mobutu, mais le président du FLNC n’était pas
favorable à un partage du pouvoir avec le leader baluba et il dénonça ces accords sous un
fallacieux prétexte. Ce Conseil Suprême de Libération n’exerça aucune influence sur la
suite des événements.

L’opération Colombe

Le capitaine Georges Nawej, officier instructeur du général Mbumba, s’occupa de


l’entraînement militaire des jeunes Lunda nés en Angola qui étaient forcés d’effectuer un
service militaire dans les troupes auxiliaires de l’armée du FLNC. D’autres recrues, levées
dans la région de Kolwezi, furent soumises à un entraînement commando pour renforcer les
Tigres. Au début de l’année suivante, Nathanaël Mbumba profita du déplacement de
réfugiés lunda vers le sud de l’Angola pour s’accaparer des camions et du carburant de la
société « Diamang ». Ce charroi lui permis de monter l’opération Colombe pour s’emparer
du sud du Shaba avec 3000 hommes. Parti le 12 mai 1978 de Caïanda en Angola, le
régiment de Tigres-commandos, composé de dix bataillons de choc, traversa la frontière
zambienne et se regroupa dans la localité de Musokatanda, située à 32 km au sud de
Kolwezi, premier objectif des Tigres. Grâce à ce stratagème, les troupes du lieutenant
général Mbumba évitaient la frontière angolaise où s’étaient massées 8000 hommes des
Forces Armées Zaïroises. Comme en 1977, Nathanaël Mbumba avait confié le
commandement des opérations sur le terrain à son bras droit, le colonel Kiyana, dit
« Mufu Kasuku ». Celui-ci envoya trois bataillons s’emparer de Mutshatsha pour couper le
rail et la route à l’ouest de Kolwezi, pendant que deux autres bataillons prenaient le
contrôle des ponts ferroviaire et routier à l’est sur le Lualaba pour couper les voies de
communication et isoler l’objectif. Cette opération avait trois objectifs : s’emparer de
Kolwezi, lever une milice populaire sur place et attendre les renforts venant d’Angola pour
poursuivre vers l’est et s’emparer de Likasi et Lubumbashi. Les Forces Armées Populaires
du Congo se déplacèrent vers Kolwezi sous le couvert de la nuit et le 13 mai 1978 à l’aube,
l’aérodrome de Kengere tomba entre leurs mains. Ils y détruisirent plusieurs appareils des
FAZA, dont des jets Macchi MB326K, des bimoteurs légers Cessna 310, un bimoteur de
transport DHC Buffalo et deux hélicoptères Alouette III. Le FLNC demeurait en contact
avec des maquis implantés dans la région du cuivre, notamment près de Kolwezi et un
bataillon de Tigres était déjà sur place en tant que « 5e colonne » pour observer l’objectif.
Les camps militaires des FAZ, les dépôts militaires et le camp de gendarmerie furent
rapidement occupés par les forces assaillantes, guidés par les Tigres du bataillon déjà sur
place et appuyés par un bataillon d’auxiliaires formés dans les maquis du FLNC. Les
Katangais s’emparèrent de nombreuses armes et d’un peloton d’automitrailleuses AML
Panhard. Suivant l’exemple de leur supérieur, le général de brigade Tshikeva, les militaires
zaïrois prirent la fuite, abandonnant sur le terrain leurs armes et leur équipement.
Seul un petit groupe de militaires appuyé par des mercenaires rhodésiens résista dans le QG
des FAZ avant de retraiter vers l’est. Le colonel Vindicien Kiyana avait un compte à régler
avec les FAZ et leurs alliés et les premiers morts furent des soldats zaïrois capturés et des
coopérants militaires français et Marocains. Les Forces Armées Populaires du Congo
défilèrent dans la ville et elles furent accueillies comme des libérateurs par les Lunda de la
cité Manika. Les jeunes volontaires se présentèrent en masse dans les centres de
recrutement rebelles qui disposaient de caches d’armes préparées à l’avance. L’avion léger
d’un pasteur protestant venu de Kapanga tenta de se poser à Kengere, mais il aperçut
plusieurs appareils de la Force Aérienne Zaïroise (FAZA) détruits au sol et il repartit après
avoir subi un tir d’armes légères. En cours de vol, il contacta l’aéroport de Lubumbashi et
donna l’alarme par radio. L’eau et l’électricité furent coupées et vers dix heures du matin,
les commissaires politiques délégués par le Front de Libération National du Congo
quadrillèrent la ville quartier par quartier. Ils avaient reçu l’ordre formel de Nathanaël
Mbumba d’épargner la population européenne et d’éviter les pillages, mais il leur fut
impossible de contrôler la population indigène et les troupes supplétives qui s’attaquèrent
aux magasins d’alimentation, puis s’en prirent aux quartiers européens. La nouvelle de la
chute de Kolwezi fut répercutée par le réseau radio de la Gécamines au consulat belge de
Lubumbashi qui la retransmit à l’ambassade belge de Kinshasa. En Belgique, la nouvelle
fut prise avec circonspection car on s’était habitué aux péripéties qu’avait connu le Zaïre
depuis son indépendance le 30 juin 1960. Le gouvernement belge craignait qu’il ne s’agisse
d’une affaire interne mettant aux prises des opposants lunda du FLNC et le régime Mobutu.
De leur côté, les coopérants militaires français, qui avaient encore en mémoire la
précédente attaque du Front National de Libération du Congo en mars 1977, avaient
tendance à dramatiser la situation. A Bruxelles, le ministre des Affaires Etrangères Henri
Simonet souleva l’éventualité d’une évacuation des Européens de Kolwezi et le premier
ministre Léo Tindemans réunit le cabinet de crise dans la soirée du 17 mai, mais il se heurta
à l’opposition de certains ministres socialistes, hostiles à une opération franco-belge au
profit d’un régime dictatorial. Finalement, un accord fut conclu pour une opération
humanitaire limitée à 72 heures. Le régiment Para-commando fut immédiatement mis en
alerte et Paul Van den Boeynants, ministre de la Défense Nationale, chargea l’état major
général de la préparation d’un plan d’opérations avec la participation du 15e Wing de
Transport du colonel Blume et du régiment Para-commando du colonel Depoorter. Henri
Simonet informa l’ambassadeur du Zaïre de la décision du cabinet de crise et lui demanda
l’autorisation du président Mobutu, chef de l’état zaïrois.

L’opération Léopard

Pour la troisième fois en quinze ans, le gouvernement de Kinshasa était menacé par des
éléments armés et le colonel Gras, chef de la mission militaire française et conseiller de
l’état-major particulier du président Mobutu, était persuadé qu’il fallait intervenir
d’urgence. Il alerta par téléphone l’officier de permanence de l’Elysée à Paris et il forma un
état-major de crise avec trois autres officiers français. Il y associa le major Van Melle de la
coopération militaire belge avec l’accord de son supérieur, le colonel Bleus. Le but de cet
état-major de crise était d’étudier les possibilités d’une opération aéroportée avec ou sans la
participation de la Belgique. Le président Mobutu demanda l’aide de la France et le 17 mai,
le 2e régiment étranger de parachutiste cantonné en Corse fut mis en alerte par l’état-major
de la 11e division parachutiste et le lendemain, les légionnaires s’embarquaient à Solenzara
dans quatre DC-8, appartenant à la compagnie UTA, pour gagner Kinshasa. Pendant que les
discussions gouvernementales se déroulaient rue de la Loi, l’état major général de l’armée
belge et, plus particulièrement, sa section « JS3 » et le Service Général de Renseignements,
préparaient l’opération « Red Bean ». Les para-commandos étaient chargés de contrôler
l’aérodrome de Kengere et de le tenir durant trois jours pour évacuer la totalité de la
population européenne de Kolwezi vers la base de Kamina. Dans la matinée du 18 mai
1978, le régiment Para-commando, fort de 1180 hommes, se rassembla sur l’aérodrome de
Melsbroek, voisin de l’aéroport international de Zaventem. Il fut impossible de préserver le
secret des préparatifs de départ et le ministre de la Défense Nationale Van den Boeynants
s’adressa aux journalistes qui observaient l’activité de l’aérodrome militaire pour les mettre
en garde : « Ce n’est pas un spectacle ici, ce que nos hommes vont faire n’est pas une
promenade de santé ». Un important matériel fut chargé dans cinq Lockheed C-130H
Hercules du 15e Wing, dont 18 jeeps, 12 remorques légères, 2 ambulances Unimog 4X4, 26
tricycles motorisés AS-24, 64 tonnes de munitions, 23 tonnes de vivres, 34.000 litres d’eau
(Baka ne disposait pas d’eau potable), 22 tonnes d’équipement divers et un hélicoptère Sud
Aviation Alouette II. Des appareils civils de la Sabena furent réquisitionné pour transporter
les troupes à Baka et la Sobelair dut fournir deux avions cargos, ainsi que la «Young
Cargo », dont l’unique Boeing 707 de cette société travaillant à la demande avait transporté
peu auparavant des médicaments et de l’équipement pour les réfugiés lunda recueillis dans
les camps de la région de Chicapa. Le premier appareil de la Force Aérienne Belge décolla
de Melsbroek à 13h15 avec le colonel Blume et l’état major du régiment Para-commando,
suivi de quatre autres Lockheed C-130H Hercules transportant le matériel. Les
parachutistes suivaient dans les avions de la Sabena, mais pour éviter le survol de certains
pays hostiles, l’escadre belge dut effectuer un long détour et les premiers C-130 belges se
posèrent à Kamina dans l’après-midi du 19 mai après 25 heures de vol.

Le même jour à Kinshasa, le col Erulin, commandant du 2e REP, était mis au courant de la
situation par le colonel Gras qui lui communiqua le plan des opérations conçus par l’état-
major de crise. Il affirmait qu’il était urgent d'intervenir car un message provenant du QG
du FLNC avait été intercepté par les services secrets zaïrois. Il était signé par le général
Mbumba et ordonnait de tuer les otages européens, de détruire les mines et d'évacuer la
population Lunda pour éviter les représailles de Mobutu. Un premier contingent de trois
compagnies du 2e REP, harnaché avec un équipement de saut américain prêté par les FAZ,
s’entassa dans les Lockheed C-130 Hercules de la Force Aérienne Zaïroise (FAZA) et dans
trois Transall de l’Armée de l’Air française venus du Tchad. Cette première vague de 405
parachutistes prit son envol de Ndjili vers 11h30 en direction de Kolwezi. Les légionnaires
étaient chargés de s’emparer des points stratégiques de la localité minière et ils devaient
être renforcés le lendemain par une deuxième vague. Les pilotes zaïrois manquaient
d’expérience et suite à des erreurs de navigation, les C-130 atteignirent l’objectif avec du
retard. Au lieu de respecter l’altitude de 250 mètres prévue pour le saut, les Zaïrois
montèrent à 400 mètres car ils craignaient la DCA des Tigres. Au signal, les légionnaires se
jetèrent dans le vide et le ciel de Kolwezi fut rapidement parsemé de corolles, mais les
pilotes français des Transall, qui avaient respecté la bonne altitude de saut, furent obligés de
monter en catastrophe pour les éviter. A leur arrivée au sol, les parachutistes du 2e REP
furent confrontés à un adversaire déterminé, mais moins nombreux que prévu. Tenu au
courant des opérations parachutées en préparation par le représentant du FLNC à Bruxelles,
le lieutenant général Mbumba avait décidé de sauver son armée et il avait donné l’ordre au
colonel Vindicien Kiyana, dit « Mufu Kasuku », commandant opérationnel du QG, de
regagner l’Angola, via Musokatanda. Des dizaines de véhicules de transport furent
réquisitionnés à la Gécamines pour permettre aux Tigres-commandos d’emporter un
important butin. Le colonel Kiyana les précédait dans la limousine de luxe qu’il s’était
appropriée à Kolwezi. Elle était chargée de son butin de guerre : 25 millions de Zaïre et 4
millions de dollars US raflés dans la principale banque de la ville. Pour retarder la prise de
Kolwezi, il ne restait que la milice populaire levée dans la cité Manika et un bataillon de
Tigres laissé en arrière-garde. Les légionnaires surclassèrent ces quelques centaines de
supplétifs rebelles sans trop de peine, mais ils eurent plus difficile à vaincre les Tigres. Une
partie de la vieille ville, dont l’aéroclub, tomba rapidement entre leurs mains.

L’opération Red Bean

Dès leur arrivée à Kamina, les officiers de l’état major du régiment Para-commando se
présentèrent au QG du colonel Kigombe, commandant de la base militaire. A l’époque de
sa création par les Belges, c’était une des plus belles bases de l’Afrique centrale, mais elle
avait perdu beaucoup de sa splendeur. Un officier zaïrois leur apprit que l’opération belge
avait été annoncée par Radio Kinshasa, une publicité dont ils se seraient bien passés. Cinq
Mirages F5 étaient stationnés près des hangars de Lumwe, prêts à décoller. Ces chasseurs à
réaction étaient pilotés par des Français qui avaient appuyé l’attaque du 311e bataillon
parachutiste du colonel Mahele montée par ses conseillers français contre Kengere. Deux
de ces appareils avaient soutenu le parachutage des légionnaires qui avait eu lieu à 15
heures. Par décision politique, la coordination entre le 2e REP et le régiment Para-
commando fut réduite au strict minimum. Elle ne fut pas meilleure entre les parachutistes
belges et les militaires zaïrois et le colonel Depoorter décida d’effectuer un atterrissage
d’assaut à Kengere car il n’avait aucune certitude que l’aérodrome était bien sous le
contrôle du 311e bataillon parachutiste des FAZ. En quelques heures, Baka fut transformée
en centre d’accueil pour les expatriés européens de Kolwezi. et les cinq C-130H Hercules
furent rejoints à Kamina Base par trois autres C-130H du 15e Wing, basés provisoirement
au Mali pour une opération humanitaire. L’opération « Red Bean » fut déclenchée le
lendemain à 5h30 du matin, dès réception de l’ordre envoyé de Bruxelles et les
parachutistes prirent place dans les Lockheed C-130H Hercules. Trente minutes plus tard,
la première formation de quatre appareils survola Kengere et l’appareil du col Blume se
posa sur la piste en soulevant un nuage de poussière, suivi par les autres C-130H. Les
hommes du 1er bataillon parachutiste sautèrent immédiatement hors des avions et prirent
position le long de la piste pour protéger l’arrivée au sol de la formation suivante. Le
moment était bien choisi car la deuxième vague de 250 légionnaires était larguée à 6 heures
du matin à l’est de la ville pour prendre les rebelles à revers avec leurs camarades qui
avaient sauté la veille. Pendant ce temps, les parachutistes belges se regroupaient à Kengere
avec leur charroi : dix jeeps Minerva blindées, huit jeeps-radio et vingt six AS24. Le 1er
bataillon Parachutiste du ltcol Verbeeke emprunta la route principale et se dirigea vers la
ville, située à dix km de l’aérodrome. Elle était parsemée d’équipements abandonnés et des
véhicules renversés gisaient dans les fossés qui la bordaient. La 17e compagnie du cpn De
Wulf, qui avançait en avant-garde, rencontra la 3e compagnie du 2e REP qui avait sauté à
l’est de la ville. Pendant ce temps, le 3e bataillon Parachutiste du major Cauwenberg
longeait la voie de chemin de fer sur le flanc gauche de l’axe de progression vers la ville.
La mission principale des unités belges était de rétablir l’ordre dans les quartiers européens,
puis d’évacuer leurs occupants vers l’aéroport. Aux abords de la localité minière, ils furent
accueillis par des coups de feu, c’étaient des Katangais que les Français chassaient vers
eux. Pris entre deux feux, les rebelles s’égaillèrent dans la savane. Au même moment, le
colonel Gras rencontrait le colonel Depoorter à son PC « Mimosa » de Kengere. Il était
venu de Kinshasa pour s’informer de la situation et tenter d’obtenir la collaboration des
troupes belges, mais la mission du régiment Para-commando était trop différente et le
colonel Depoorter avait des ordres stricts : évacuer les expatriés en un minimum de temps
comme cela avait été fait à Stanleyville le 24 novembre 1964 lors de l’opération « Dragon
Rouge ». Cette mission fut exécutée avec célérité et une navette de Lockheed C-130
transporta les réfugiés vers Baka où la Sabena assurait leur évacuation vers l’Europe. A leur
retour, les appareils du 15e Wing amenèrent du ravitaillement en vivres et en munitions à
Kengere. Au terme de sa mission, le régiment Para-commando avait assuré l’évacuation de
2300 personnes et le 22 mai à l’aube, le col Depoorter ordonna le retrait des troupes belges
de Kolwezi. A 13h25, il annonça à Bruxelles que l'unité entière s’était regroupée à Kamina,
prête à retourner en Belgique et à 18h00, un message de félicitation pour la réussite de la
mission arriva de Bruxelles. Il ordonnait également au col Depoorter regagner la Belgique
avec son unité, mais de laisser sur place le 1er bataillon Parachutiste et la compagnie
Antitank. Près de 700 Zaïrois et 130 Européens avaient trouvé la mort à Kolwezi et les
parachutistes se souviendront longtemps de l’atroce odeur des charniers découverts en
divers endroits, notamment au quartier P2, et des cadavres à moitié dévorés par les chiens
errants. Les parachutistes français nettoyèrent la cité Manika peuplée de 80.000 Lunda et
près de 250 soldats rebelles furent tués au cours des combats. Un millier d’armes
d’infanterie, quatre canons sans recul, quinze mortiers et vingt et un lance-roquettes RPG
furent capturés et deux blindés AML Panhard furent détruits. Cinq légionnaires furent tués
et vingt autres furent blessés. Le 2e REP demeura dans la ville déserte jusqu’au 28 mai,
puis il le se rendit à Lubumbashi en convoi par la route, laissant une de ses compagnies sur
place. Une semaine plus tard, une prise d’armes se déroula dans la capitale du cuivre en
présence du général Eluki Monga Aundu, secrétaire d’état à la défense. Le président
Mobutu accusa certains officiers supérieurs de trahison et en fit fusiller ou emprisonner
quelques uns, mais il aurait mieux fait d’ordonner une restructuration de son armée et du
Centre National de Documentation, le service de renseignements zaïrois, dont l’antenne de
Bruxelles avait été incapable d’infiltrer l’opposition L’année suivante, le général Nathanael
Mbumba fut arrêté et expulsé par le gouvernement de l’Angola. Lors de la Conférence
Nationale Souveraine des années 90, il fut amnistié par Mobutu Sese Seko et il vit
actuellement à Kinshasa. A cette époque, les Tigres des FAPAC étaient regroupés à Viana,
près de Loanda, et ils étaient placés sous le commandement de Simon Kasongo, promu au
grade de général en 1988. C'était un des plus anciens de la gendarmerie katangaise car il
s'était engagé dans ses rangs en juillet 1960. Quant au col Vindicien Kiyana, il fut traduit le
17 août 1980 devant le comité central du FLNC exilé en Guinée-Bissau. Outre le fait
d’avoir créé son propre QG lors de l’offensive de mars 1977, il lui était reproché d’avoir
traîné 24 heures avant d’attaquer Dilolo et d’avoir attendu trois semaines à Mutshatsha au
lieu d’avancer vers Kolwezi. D’autres reproches concernaient sa conduite durant la
deuxième guerre du Shaba : le conseil de guerre l’accusait de détournement de fonds,
d’avoir abandonner ses hommes pour se réfugier en Zambie et d’avoir fait exécuter des
Tigres blessés à l’hôpital de Kolwezi, ce qui lui valut la dégradation immédiate et la prison
à vie. Après avoir été en Libye, Vindicien Kiyana dit « Mufu » obtint le statut de réfugié
politique en Suède. Il rejoignit l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération
(AFDL) dans le Kivu en tant que haut responsable militaire. L'action des 2.000 Tigres
katangais venus d’Angola pour combattre au sein de l’AFDL fut prépondérante lors de
l’avancée victorieuse vers Kinshasa. Après la libération du Zaïre de la dictature mobutiste,
Laurent-Désiré Kabila fut proclamé président de la République démocratique du Congo le
17 mai 1997. En 2003, le général de brigade Vindicien Kiyana commandait en second la 8e
région militaire du Nord Kivu dont le QG était à Goma.

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