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Le combat pour l'indépendance

Lumumba à Bruxelles (1960).

En 1956, il est jugé pour avoir détourné des fonds des comptes de chèques postaux de
Stanleyville et condamné à un emprisonnement d'un an. Il vit son incarcération comme une
injustice puisque, n'étant pas toujours payé, il considère n'avoir fait que prélever son dû. Il
imputait ses malversations à l'illogisme des Belges qui incitaient les Congolais instruits à vivre
comme les Européens sans leur en donner les moyens matériels7. Libéré par anticipation, il
reprend ses activités politiques et devient directeur des ventes d'une brasserie. En cette même
année, il est président de l'Association des évolués de Stanleyville8. C'est précisément à cette
époque que le gouvernement belge prend quelques mesures de libéralisation : syndicats et partis
politiques vont être autorisés en vue des élections municipales qui doivent avoir lieu en 1957. Les
partis politiques congolais sont parrainés par ceux de Belgique et Lumumba, classé pro-belge par
ses discours et ses rapports avec les libéraux belges, est inclus dans l’amicale libérale.
En 1958, à l'occasion de l’Exposition universelle de Bruxelles, première du genre après
la guerre et qui a un grand retentissement dans le monde, des Congolais sont invités en
Belgique, dont Patrice Lumumba. Mécontent de l'image paternaliste envers le peuple congolais
et peu flatteuse présentée par l'exposition, Lumumba se détache des libéraux et, avec quelques
compagnons politiques, noue des contacts avec les cercles anticolonialistes de Bruxelles. Dès
son retour au Congo, il crée le Mouvement national congolais (MNC), à Léopoldville
le 5 octobre 1958.
En décembre 1958, il est présent à la Conférence des Peuples africains à Accra, qui constitue
pour lui un tournant politique essentiel. Il y rencontre, entre autres, l'Antillo-Algérien Frantz
Fanon, le Ghanéen Kwame Nkrumah et le Camerounais Félix-Roland Moumié, qui ont
notamment en commun d'insister sur les effets délétères du régionalisme, de l'ethnisme et du
tribalisme qui selon eux minent l'unité nationale et facilitent la pénétration du néocolonialisme. À
l'issue de la conférence, Lumumba, désormais fermement indépendantiste, est nommé membre
permanent du comité de coordination9.
De retour au Congo, il organise une réunion pour rendre compte de cette conférence et il y
revendique l'indépendance devant plus de 10 000 personnes. Il décrit l'objectif du MNC en
évoquant « la liquidation du régime colonialiste et de l'exploitation de l’homme par l'homme »9.
En 1959, la répression s'abat sur les mouvements nationalistes. En janvier l'interdiction d'un
rassemblement de l'ABAKO (association indépendantiste) fait officiellement 42 morts selon les
autorités coloniales, mais plusieurs centaines selon certaines estimations. L'ABAKO est dissoute
et son dirigeant, Joseph Kasa-Vubu, déporté en Belgique. En octobre, lors du congrès national
du MNC à Stanleyville, les gendarmes tirent sur la foule faisant 30 morts et des centaines de
blessés. Lumumba est arrêté quelques jours plus tard, jugé en janvier 1960 et condamné à
6 mois de prison le 21 janvier9.
Débarrassées de Lumumba, qu'elles considéraient comme le chef de la tendance radicale des
indépendantistes, les autorités belges organisent des réunions avec les indépendantistes. Une
table ronde réunissant les principaux représentants de l'opinion congolaise a lieu à Bruxelles,
mais les délégués congolais refusent unanimement de siéger sans Lumumba. Celui-ci est alors
libéré en toute hâte le 26 janvier pour y participer. Alors qu'il espérait profiter des tendances
contradictoires d'un ensemble hétéroclite, le gouvernement belge se trouve confronté à un front
uni des représentants congolais et, à la surprise de ceux-ci, accorde immédiatement et « dans la
plus totale improvisation »3 au Congo l'indépendance10, qui est fixée au 30 juin 1960.
Des élections générales, les premières dans l'histoire du Congo encore belge, ont lieu en
mai 1960, que remporte largement le Mouvement national congolais (MNC) de Patrice Lumumba.
Le dirigeant de l'ABAKO Joseph Kasa-Vubu, dans un souci d'unité nationale, est
nommé président de la République et avalise aussitôt la nomination de Lumumba
comme Premier ministre, ainsi que le prescrit la nouvelle constitution qui attribue ce poste au
candidat du parti ayant remporté le plus de voix9. Il forme le premier gouvernement du Congo
indépendant.

La cérémonie d'indépendance du Congo au cours de laquelle Lumumba a prononcé son discours

Le 30 juin, lors de la cérémonie d'accession à l'indépendance du pays, Lumumba — qui a


définitivement largué les libéraux et qui s'est entouré de conseillers étrangers de gauche —
prononce un discours virulent dénonçant les abus de la politique coloniale belge depuis 1885. Il
prend le contrepied de la politique modérée de ses débuts telle qu'on peut la découvrir dans son
livre Le Congo, terre d'avenir est-il menacé ?, écrit en 1956, où il ne revendiquait pour le Congo
qu'un simple statut d’autonomie. Au lieu de s'adresser au roi des Belges présent à la cérémonie,
et qui venait de prononcer un discours paternaliste convenu avec le président Kasavubu,
Lumumba commence son allocution par une salutation « aux Congolais et Congolaises, aux
combattants de l'indépendance. » Son discours, qui doit lui permettre de l'emporter sur Kasavubu
dans l'opinion des Congolais politisés[réf. nécessaire], proclame vivement que l'indépendance, qu'il
souhaite associée à l'unité africaine, marque la fin de l'exploitation et de la discrimination et le
début d'une ère nouvelle de paix, de justice sociale et de libertés. Le roi des Belges se sent
offensé alors qu'il se considère comme le père de l'indépendance congolaise ayant été l'auteur,
en janvier 1959, d'un discours radiophonique par lequel il est le premier Belge à annoncer
officiellement qu'il fallait mener le Congo belge à l'indépendance « sans vaine précipitation et
sans atermoiement funeste ». Aussi, Baudouin veut-il se retirer et regagner Bruxelles. Mais le
Premier ministre belge Gaston Eyskens parvient à l'en dissuader et, le soir même, lors d'un
banquet réunissant hommes politiques congolais et belges, Patrice Lumumba s'efforce de
préciser ses paroles prononçant un discours qui se veut lénifiant dans lequel il évoque un avenir
de coopération belgo-congolaise.
« Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient
ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d’élever nos enfants
comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions
subir matin, midi et soir, parce que nous étions des « nègres ». Nous avons connu les
souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses ; exilés dans
leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort même. (...) Qui oubliera enfin les
fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne
voulaient plus se soumettre au régime d’injustice, d’oppression et d’exploitation. Nous qui avons
souffert dans notre corps et dans notre cœur de l’oppression colonialiste, nous vous le disons
tout haut: tout cela est désormais fini. »
— Extrait du discours de Patrice Lumumba

Une brève carrière politique[modifier | modifier le code]

Portrait officiel.

Le premier gouvernement congolais.

En 1960, deux ans après le Ghana, le Congo accueille à son tour une conférence panafricaine.
Confronté à la sécession du Katanga (vaste province au sud du pays) soutenue par la Belgique,
Lumumba dénonce le fédéralisme comme une manœuvre néocolonialiste : « Sous le camouflage
du mot fédéralisme, on veut opposer les populations du Congo [...]. Ce que nous voyons
aujourd'hui, c'est que ceux qui préconisent le fédéralisme, préconisent en réalité le séparatisme.
Ce qui se passe au Katanga, ce sont quelques colons qui disent : Ce pays devient indépendant
et toutes ses richesses vont servir à cette grande nation, la nation des Nègres. Non, il faut le
Katanga État indépendant, de telle manière que demain c'est le grand capitalisme qui va dominer
les Africains »9.
Mais les effets du premier discours de Lumumba, retransmis par la radio, se font rapidement
sentir dans la population congolaise. Les paroles en sont interprétées comme anti-belges, alors
que les fonctionnaires belges restent présents à tous les échelons de l'administration congolaise
et que, dans l'armée, le cadre d'officiers reste également belge en attendant la formation des
premières promotions d'officiers congolais. Cette situation provoque, dans quelques casernes,
une révolte qui gagne des populations civiles, surtout dans la capitale Léopoldville. Des officiers
et aussi des cadres belges de l'administration sont chassés, malmenés et quelques-uns sont
tués11. Des émeutes visent les entreprises des Blancs, des pillages ont lieu, des femmes
européennes sont violées12. Dès lors, une grande majorité de cadres européens du
gouvernement et des entreprises prennent la fuite avec leurs familles[réf. nécessaire].
Lumumba en profite pour évincer les officiers belges et décrète l'africanisation de l'armée, tout en
doublant la solde des soldats. La Belgique, jugeant qu'on ne peut plus avoir confiance dans le
gouvernement congolais et dans son armée pour rétablir la sécurité, répond par l'envoi de
troupes pour protéger ses ressortissants à Léopoldville, la capitale située dans le bas-Congo,
mais aussi dans d'autres régions. C'est notamment le cas au Katanga (riche région minière,
dominée par la puissante entreprise de l'Union minière du Haut Katanga), où 9 000 soldats
belges viennent soutenir la sécession de cette province, proclamée le 11 juillet 1960 par Moïse
Tshombé. En tout, 11 000 soldats belges sont acheminés au Congo en dix jours, précédés par
les troupes spéciales des paras-commandos. Cette intervention militaire surprend à l'étranger, et
encore plus en Afrique, par l'ampleur des moyens mis en œuvre et par la rapidité de ce
déploiement militaire. C'est que la Belgique, membre de l'OTAN, dispose, en Allemagne de
l'Ouest, d'une zone militaire suréquipée s'étendant de la frontière belge au rideau de fer. L'état-
major belge dispose, de ce fait, d'une panoplie de ressources militaires, en partie d'origine
américaine, qui lui permettent de déployer avions, transports de troupes et même des navires de
la marine de guerre qui vont bombarder des positions congolaises dans l'estuaire du fleuve
Congo. Tout cela avec l'accord de l'OTAN qui autorise, en pleine guerre froide, que soit dégarni
le front belge d'Allemagne[réf. nécessaire].
C'est un véritable conflit qui menace d'éclater, ce qui provoque l'internationalisation de l'affaire
congolaise avec, à l'ONU, une condamnation par l'Union soviétique et des pays du tiers
monde qui veulent soutenir Lumumba et ses partisans. L'ONU ordonne à la Belgique de retirer
ses troupes, mais, après plusieurs résolutions contradictoires, rejette l'option militaire et qualifie le
conflit au Katanga de « conflit intérieur ». Le 12 août, la Belgique signe un accord avec Tshombé,
reconnaissant de facto l'indépendance du Katanga. Alors que Lumumba décide de réagir en
envoyant des troupes reprendre la région, l'ONU revient sur sa position initiale et impose
militairement un cessez-le-feu, empêchant l'entrée des troupes congolaises. Dans un
télégramme en date du 26 août, le directeur de la CIA Allen Dulles indique à ses agents à
Léopoldville au sujet de Lumumba : « Nous avons décidé que son éloignement est notre objectif
le plus important et que, dans les circonstances actuelles, il mérite grande priorité dans notre
action secrète »9.
Devant la « trahison » de l'ONU, Lumumba en appelle à la solidarité africaine et réaffirme son
intention de résister : « Tous ont compris que si le Congo meurt, toute l'Afrique bascule dans la
nuit de la défaite et de la servitude. Voilà encore une fois la preuve vivante de l'Unité africaine.
Voilà la preuve concrète de cette unité sans laquelle nous ne pourrions vivre face aux appétits
monstrueux de l'impérialisme. […] Entre l'esclavage et la liberté, il n'y a pas de compromis ».
Le 4 septembre 1960, le président Joseph Kasa-Vubu annonce à la radio la révocation de
Lumumba ainsi que des ministres nationalistes, alors qu'il n'en a constitutionnellement pas le
droit ; il le remplace le lendemain matin par Joseph Ileo. Kasa-Vubu blâme publiquement
Lumumba pour le massacre de milliers de personnes par les forces armées lors de l'invasion
du Sud-Kasaï en août et pour l'implication soviétique dans le pays13. Toutefois, Lumumba déclare
qu’il restera en fonction ; le Conseil des ministres et le Parlement lui votent une motion de
maintien et, à son tour, Lumumba révoque le président Kasa-Vubu, sous l'accusation de haute-
trahison. De plus, il appelle à Léopoldville une partie des troupes de l'Armée nationale
congolaise (ANC) stationnées à Stanleyville et au Kasaï14.
Cependant, un coup d'État soutenu par la CIA15,16,17,18 éclate à Léopoldville par lequel Joseph
Désiré Mobutu prend le pouvoir. Le nouveau régime reçoit le soutien de Kasa-Vubu et de l'ONU.
Ex-militaire, mais aussi ancien journaliste dans la presse congolaise pro-coloniale, Mobutu a
repris du service dans l'armée congolaise avec le grade de colonel. Il crée immédiatement
le Collège des commissaires généraux composé de Noirs compétents dans divers domaines,
transports, économie, politique, etc. chargés de gérer au plus pressé une situation chaotique.
Dans le même temps, le 10 octobre, Mobutu assigne à résidence Lumumba, Ileo et leurs
ministres. Mais Lumumba fait passer en secret un mot d'ordre demandant à ses amis politiques
de le rejoindre à Stanleyville, où ils établissent un gouvernement clandestin dirigé par Antoine
Gizenga. Le 27 novembre, Lumumba s'échappe avec sa famille de la résidence Tilkens, à Kalina,
et tente de gagner Stanleyville avec une petite escorte à bord de sa Chevrolet. Son évasion n'est
découverte que trois jours après. Grâce à cette avance, persuadé d'avoir réussi à échapper à ses
ennemis, il harangue ses partisans sur son passage, ce qui lui fait perdre du temps et permet au
major congolais Gilbert Mpongo (en), officier de liaison du service de renseignements, de le
retrouver pour essayer de l'arrêter. Après un premier échec à Port-Francqui le 1er décembre,
Mpongo réussit et Lumumba est arrêté à Lodi, dans le district de la Sankuru. Il est ensuite
ramené à Mweka, où il est embarqué à bord d'un avion vers Léopoldville, d'où il est transféré au
camp militaire Hardy de Thysville. Il se trouve alors sous la garde des hommes de Louis Bobozo,
un militaire congolais, ancien de l'offensive belge de 1941 contre les Italiens d'Abyssinie, qui a la
confiance de ceux qui croient pouvoir ramener le calme14.

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