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Le concept de société communiste

Articles connexes : Société sans classes et Dictature du prolétariat.


Visions chrétienne et anarchiste[modifier | modifier le code]

Pierre Kropotkine, théoricien anarcho-communiste.

Avant puis en parallèle à son utilisation par la théorie marxiste, la notion de société communiste a
connu diverses définitions, principalement durant la première moitié du XIXe siècle. Du point de
vue du communisme chrétien, notamment chez des intellectuels comme Étienne
Cabet ou Wilhelm Weitling, il s'agit d'un retour à l'idéal égalitaire du christianisme, via le partage
des biens matériels et l'égalité sociale absolue29.
Aux yeux de Cabet, la société communiste sera instaurée sans violence et par le prosélytisme,
aboutissant à un monde où chacun recevra une rémunération selon ses besoins, ce qui
permettra de détruire tous les vices de la civilisation, tandis que le progrès de l'industrie
permettra l'abondance : il s'agirait là de revenir aux conceptions de Jésus-Christ, « pionnier d'une
organisation sociale appelée royaume de Dieu » qui préfigurait le communisme30. Pour définir les
principes de sa cité idéale d'Icarie, Cabet utilise la formule « De chacun suivant ses forces, à
chacun suivant ses besoins », qui connait alors, sous différentes variantes, une importante
fortune dans les pensées socialiste et anarchiste31.
Diverses communautés religieuses fondées sur le partage des biens matériels, comme celle
des Shakers en Amérique du Nord, ont par ailleurs été assimilées, dès le XIXe siècle, à l'idée
communiste : Engels, faisant abstraction de leur dimension religieuse, voyait en elles la preuve
que la communauté des biens pouvait être réalisée de manière concrète32.
Dans une optique anarchiste, Pierre Kropotkine voit pour sa part la société communiste
libertaire comme un système fondé sur l'entraide, où les communautés humaines
fonctionneraient à la manière de groupes d'égaux ignorant toute notion de frontière.
Les lois deviendraient inutiles car la protection de la propriété perdrait son sens ; la répartition
des biens serait, après expropriation des richesses et mise en commun des moyens de
production, assurée par un usage rationnel de la prise au tas (ou « prise sur le tas ») dans un
contexte d'abondance, et du rationnement pour les biens plus rares33.
Les anarchistes se distinguent de la vision marxiste d'une société communiste en rejetant l'idée
d'une dictature qui serait exercée après la révolution par un pouvoir temporaire : à leurs yeux, un
tel système ne pourrait en effet déboucher que sur la tyrannie. Privilégiant la destruction de l'État,
ils sont au contraire partisans d'un passage direct, ou du moins aussi rapide que possible, à une
société « communiste libertaire » ; celle-ci se réaliserait par le biais de ce que Bakounine appelait
l'« organisation spontanée du travail et de la propriété collective des associations productrices
librement organisées et fédéralisées dans les communes »34. La formule De chacun selon ses
facultés, à chacun selon ses besoins se retrouve également - notamment sous la plume de
Kropotkine - parmi les principes anarchistes35.
Visions marxistes[modifier | modifier le code]

Statues de Karl Marx et Friedrich Engels à Berlin.

Marx ne définit pas clairement la manière dont sera organisée la « société communiste » après la
révolution qu'il envisage : il indique néanmoins que l'être humain, libéré de l'aliénation, pourra
pleinement réaliser son potentiel individuel et que la propriété privée capitaliste sera remplacée
par la coopération entre des travailleurs libres, qui disposeront en commun des moyens de
production et des ressources de la nature36. Dans ses notes pour La Sainte Famille, il définit le
communisme, « abolition positive de la propriété privée considérée comme une séparation de
l'homme de lui-même », comme « l'appropriation réelle de l'essence humaine par l'homme et
pour l'homme, donc comme retour de l'homme à lui-même en tant qu'homme social, c'est-à-dire
l'homme humain, retour complet, conscient et avec maintien de toute la richesse du
développement antérieur. Ce communisme étant un naturalisme achevé coïncide avec
l'humanisme ; il est la véritable fin de la querelle avec la nature et entre l'homme et l'homme,
entre l'objectif et l'affirmation de soi, entre la liberté et la nécessité, entre l'individu et l'espèce. Il
résout le mystère de l'histoire et il sait qu'il le résout ». L'homme communiste est donc, dans
l'optique de la théorie marxiste, un « homme total », libéré de l'aliénation : la société communiste
est vue comme l'apparition de la vraie liberté, qui ne peut véritablement exister que dès lors que
l'État disparaît, via un processus de dépérissement envisagé comme naturel37. Dans le Manifeste
du parti communiste, Marx et Engels définissent le communisme comme « une association où le
libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous »38. Dans Critique
du programme de Gotha (1875), Marx en parle comme d'« une société coopérative fondée sur la
possession commune des moyens de production »17 : il reprend dans ce même ouvrage, pour
définir la société communiste, l'adage utilisé par divers auteurs comme Cabet ou le théoricien
socialiste Louis Blanc, « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins »39.
Certains[Qui ?] défendent que le marxisme n'est pas une doctrine communiste, mais une doctrine
comme une autre40.
En 1876, défendant l'idée communiste face aux critiques d'auteurs comme l'anarcho-
individualiste Max Stirner, Jules Guesde écrit : « Pas de spoliation, mais au contraire, maintien de
la propriété réellement personnelle existante, ou création pour les sans-propriété d'aujourd'hui,
de la copropriété de demain. Nous sommes aujourd'hui le seul parti plus que défenseurs,
créateur de la propriété pour tous. »40.
Dans son acception par la théorie marxiste, que Lénine reprend à son compte, le communisme
est considéré comme le dernier stade - dit « phase supérieure » - d'un processus historique
sous-tendu par la lutte des classes, et qui se terminera par l'abolition du capitalisme et
des classes sociales. Une première phase, nécessairement révolutionnaire et probablement
violente, aboutira à la mise en place d'une dictature du prolétariat — expression forgée
par Auguste Blanqui — que Karl Marx conçoit comme une phase transitoire de dictature
révolutionnaire destinée à mettre à bas le pouvoir de la bourgeoisie fondé sur le capitalisme. Sur
le plan économique, la dictature du prolétariat se traduira par la suppression de la propriété
privée des moyens de production. Cette première phase, dite également « phase inférieure »,
d'instauration du socialisme — dit également socialisme d'État — et du collectivisme
économique, correspondra à un processus de socialisation des biens39. Dans leurs écrits, Marx et
Engels utilisent alternativement les mots « communisme » et « socialisme » pour désigner la
société qui verra le jour après la révolution17.
Marx lui-même n'indique pas précisément quelles sont les conditions de développement social et
économique nécessaires pour le passage au socialisme : ce point entraîne de nombreux débats
parmi ses continuateurs. Concernant l'usage de la violence, sa pensée connaît des évolutions :
s'il souligne dans un premier temps la nécessité d'une révolution violente pour abattre le
capitalisme, il en arrive ensuite à considérer que, dans les pays suffisamment développés, il sera
possible de passer au socialisme par des moyens pacifiques, en gagnant les esprits par la
propagande36,39.
Marx emploie, dans un seul texte, l'expression d'« État ouvrier » pour qualifier le gouvernement
qui s'opposerait à l'« État bourgeois », mais ne définit pas le type de régime politique par lequel
se traduirait la dictature du prolétariat41. Lénine, s'appuyant sur les textes d'Engels, considère que
l'État sera alors devenu un « État prolétarien » (expression utilisée alternativement à « État
ouvrier »)42. Le prolétariat s'empare en effet du pouvoir d'État et transforme dans un premier
temps les moyens de production en propriété d'État : il s'agit là d'un processus
de « suppression », par la révolution prolétarienne, de l'État bourgeois qui sera alors remplacé
par l'État prolétarien42. Durant cette phase, où l'État continue d'exister et dirige l'économie39,
Lénine juge que l'exercice de la dictature du prolétariat, qu'il définit comme « l'organisation de
l'avant-garde des opprimés en classe dominante pour mater les oppresseurs », nécessitera
une répression politique, qui sera exercée « contre une minorité d'exploiteurs par une majorité
d'exploités »43. La dictature, dans l'optique léniniste, est censée être « temporaire » et nécessaire
pour briser la résistance des ennemis de la révolution44. Boukharine, écrivant en 1919 dans le
contexte de la guerre civile russe, juge indispensable l'usage de la violence pour mener à bien la
révolution, considérant qu'« une révolution sans guerre civile est aussi chimérique qu'une
révolution « pacifique ». […] [Marx et les autres théoriciens socialistes] comprenaient que le
prolétariat ne peut convaincre la bourgeoisie et doit imposer sa volonté par la guerre civile
menée, à l'aide des baïonnettes, de fusils et de canons, jusqu'à la victoire »45. Le progrès
technique, dont le capitalisme fait un instrument d'exploitation par le biais du machinisme, doit
être utilisé dans la phase du socialisme comme un outil d'émancipation de la classe ouvrière,
libéré des aspects avilissants du travail : ce phénomène est notamment illustré par la boutade de
Lénine : « le communisme, c'est les Soviets plus l'électricité »46.
Durant cette période de dictature « temporaire », la théorie léniniste considère que, « pour que le
prolétariat puisse vaincre », il doit être uni et organisé, et disposer dans ce but d'un parti
communiste, qui tient un rôle d'avant-garde dirigeante47. La technique assure ensuite le progrès
social dans un cadre collectiviste : après la phase de liquidation du capitalisme et des classes
possédantes, la société passe ensuite à la phase, dite « supérieure », du communisme intégral,
soit celui du dépérissement de l'État, appelé à disparaître tout à fait (cette disparition étant
conçue comme un processus naturel, en opposition à la conception anarchiste qui préconise la
fin de l'État comme effet d'une décision volontaire). La société vit alors dans des conditions de
discipline commune librement consentie, aboutissant à la création d'un « homme nouveau » :
l'économie, planifiée, fonctionne selon une logique de production coopérative. La phase
supérieure de la société communiste devra aboutir à la fin de la division du travail et au
fonctionnement de la société selon la formule popularisée par Marx, de chacun selon ses
moyens, à chacun selon ses besoins39. Pour Lénine, la phase supérieure est atteinte dès lors
que « les hommes se seront si bien habitués à respecter les règles fondamentales de la vie en
société, et que leur travail sera devenu si productif, qu'ils travailleront volontairement selon leurs
capacités » : l'État, devenu inutile, s'éteint alors de lui-même48. Boukharine souligne
qu'en « régime communiste », la production de biens ne se fait plus en fonction du marché, mais
en fonction des besoins : « chacun ne travaille pas pour soi, c'est toute la communauté géante
qui travaille pour tous ». L'administration étatique, disparue car obsolète, est remplacée par
une « direction centrale » qui « incombera à divers bureaux de comptabilité et offices de
statistiques ». Dans un délai que Boukharine évalue à « deux ou trois générations », les
survivances de l'ancien régime capitaliste disparaissent : l'État ouvrier n'est alors plus nécessaire
et le pouvoir politique du prolétariat disparaît également, le prolétariat se fondant avec toutes les
autres couches sociales qui, selon Boukharine, auront alors pris « petit à petit, l'habitude du
travail en commun et, dans 20 ou 30 ans, il y aura un autre monde, d'autres hommes et d'autres
mœurs »49.

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