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Après la Seconde Guerre mondiale, une partie des pays européens, occupés
militairement par l'URSS, deviennent des États communistes à parti unique et
constituent le bloc de l'Est. En Asie, la République populaire de Chine est proclamée
en 1949, après la victoire militaire du Parti communiste chinois dirigé par Mao Zedong.
La guerre froide oppose durant plusieurs décennies les pays communistes — eux-
mêmes progressivement divisés entre eux — au « monde libre » dont les États-
Unis constituent la superpuissance dominante, rivale de l'URSS. Dans plusieurs
démocraties européennes, comme la France et l'Italie, les communistes constituent
une force électorale de premier plan et tiennent un rôle important dans la vie
intellectuelle et culturelle. La mort de Staline et la déstalinisation qui s'ensuit à partir
de 1956 amènent à révéler une partie des crimes du régime soviétique, altérant
l'image de la mouvance communiste. Refusant la déstalinisation, la Chine de
Mao rompt avec l'URSS, mais reste isolée. L'Union soviétique use ensuite de sa
puissance militaire et politique pour empêcher toute réforme conséquente du monde
communiste.
Gravure représentant la communauté de New Harmony (Indiana, États-Unis).
Wilhelm Weitling.
Le Capital, analyse du capitalisme par Karl Marx, ici dans l'édition originale allemande, parue en 1867, de son
premier volume.
L'Empire russe se distingue du reste des monarchies européennes par une économie
peu industrialisée, des structures sociales encore très archaïques dont les réformes
— comme l'abolition tardive du servage en 1861 — échouent à gommer les profondes
inégalités et un système de monarchie absolue imperméable à la pénétration des idées
démocratiques. L'exode des populations rurales pauvres vers les zones urbaines
aboutit à la formation d'une classe ouvrière vivant dans des conditions souvent très
difficiles et ne bénéficiant, dans la seconde moitié du XIXe siècle, d'aucune des
avancées sociales des autres prolétariats européens[107]. Des mouvements
socialistes apparaissent, comme les Narodniki, qui passent d'une aspiration
au « retour à la terre » à de véritables actions révolutionnaires violentes[108]. Le
mouvement socialiste se développe surtout chez les intellectuels, à travers les travaux
d'auteurs comme Alexandre Herzen, Nikolaï Ogarev ou Nikolaï Tchernychevski dont le
roman Que faire ? constitue une inspiration pour une génération de jeunes
révolutionnaires. Les premières associations ouvrières, en Russie, naissent
en 1875 et les aspirations du prolétariat ne rencontrent celles de l'intelligentsia
socialiste que très progressivement. Dans certains milieux révolutionnaires se
développe une forme de « nihilisme », dont Serge Netchaïev est l'un des représentants
le plus célèbre. Des groupes passent au terrorisme, comme Narodnaïa Volia (« Volonté
du Peuple ») qui assassine en 1881 le tsar Alexandre II[109],[110].
Le marxisme commence à se diffuser en Russie dans les années 1870 : en 1872 paraît
la première traduction en russe du Capital, que la censure tsariste avait jugé trop
difficile d'accès pour toucher un quelconque lectorat et poser le moindre problème.
L'ouvrage rencontre au contraire un rapide succès dans les milieux intellectuels ; les
révolutionnaires russes, dont les espoirs dans le monde paysan ont été déçus, tournent
maintenant leurs regards vers la classe ouvrière. Marx lui-même suit désormais avec
intérêt la progression de ses idées en Russie, pays qu'il considérait auparavant
comme trop arriéré et peu industrialisé pour voir l'apparition d'une avant-garde
révolutionnaire. Dans sa correspondance avec Vera Zassoulitch, il évoque le potentiel
révolutionnaire des communautés agricoles russes. Gueorgui Plekhanov devient le
principal diffuseur en Russie des théories inspirées de Marx : exilé à Genève, il fonde
avec Pavel Axelrod et Vera Zassoulitch le groupe Libération du Travail, qui s'emploie à
éditer en Russie des ouvrages marxistes. Le but de Plekhanov est alors de faire
naître en Russie un mouvement marxiste comparable à celui qui existe déjà en
Allemagne. À cette même époque, Vladimir Oulianov, admirateur de Tchernychevski
puis de Plekhanov, commence à fréquenter les cercles révolutionnaires. Les militants
marxistes en Russie font régulièrement l'objet d'arrestations, qui se traduisent
souvent par des peines d'exil intérieur ; en mars 1898, le Parti ouvrier social-démocrate
de Russie (POSDR) est formé lors d'un congrès clandestin à Minsk : la réunion ne
réunit que neuf participants, qui sont ensuite, pour la plupart, rapidement arrêtés. De
nombreux révolutionnaires russes sont alors exilés à travers toute l'Europe[111],[112] ;
jusqu'en 1905, le mouvement socialiste russe est réduit à la clandestinité en Russie et
doit s'organiser pour l'essentiel à l'étranger[113].
Lénine en 1895.
En 1900, de retour d'une peine d'exil en Sibérie et installé à Munich, Vladimir Oulianov
fonde le journal Iskra, imprimé à Leipzig pour être ensuite diffusé en Russie :
différents intellectuels marxistes installés en Allemagne ou en Suisse (Gueorgui
Plekhanov, Vera Zassoulitch, Pavel Axelrod, Julius Martov, Alexandre Potressov)
collaborent à Iskra, qui fait figure de premier véritable « comité central » du Parti
ouvrier social-démocrate de Russie[114],[115]. En février 1902, Vladimir Oulianov, qui a
pris le pseudonyme de « Lénine », publie le traité politique Que faire ? (au titre
emprunté au roman de Tchernychevski) dans lequel, polémiquant avec les tendances
réformistes du marxisme, il prône la prise du pouvoir via une stratégie révolutionnaire
méticuleuse, mise en œuvre par un parti clandestin, strictement hiérarchisé et
discipliné. Lénine insiste tout particulièrement sur la nécessité d'une organisation
centralisée, où le centre de direction dirigerait avec précision les cellules locales de
l'organisation, qui elles-mêmes guideraient les classes laborieuses. Cette conception
prend par la suite le nom de centralisme démocratique[116],[117],[118]. À la fin 1902, Léon
Bronstein, dit « Trotsky » rend visite aux différents membres du comité éditorial d'Iskra,
en Suisse puis en Angleterre, et devient un temps proche de Lénine[119].
Trotsky en 1900.
Le POSDR gagne des militants mais il est très vite parcouru de profondes divisions.
Lors du second congrès du Parti, tenu à Bruxelles à partir du mois de juillet 1903, les
différentes factions s'opposent vivement. La motion de Lénine proposant une
organisation stricte et centralisée du Parti est mise en minorité par celle, plus souple,
de Martov. Mais le départ du congrès des délégués des courants du Bund et
des « économistes » permettent ensuite à Lénine d'obtenir la majorité et d'affermir le
contrôle de sa tendance sur le comité central et le journal du Parti. Cet épisode
aboutit à ce que les partisans de Lénine soient désormais
surnommés bolcheviks (« majoritaires ») et ceux de
Martov mencheviks (« minoritaires »). Quelques mois plus tard, en vif conflit avec
Martov, Lénine démissionne cependant de la rédaction du journal et de la direction
du Parti ; l'Iskra repasse sous le contrôle des Mencheviks, dont Plekhanov se
rapproche. Le POSDR bénéficie de relais et de militants en Russie mais la plupart de
ses têtes pensantes se trouvent en exil, où le Parti, définitivement scindé, continue
d'être parcouru par des conflits politiques et personnels incessants [120],[121]. Trotsky
rompt ainsi avec Lénine et l'accuse en 1904 de ne pas préparer la dictature du
prolétariat mais une dictature sur le prolétariat, où la volonté du Parti primerait sur
celle des travailleurs[122].
Lorsque l'agitation commence en Russie après le Dimanche rouge de janvier 1905, les
dirigeants bolcheviks et mencheviks se trouvent toujours à l'étranger ; Lénine saisit
l'occasion pour rétablir son autorité sur les bolcheviks en convoquant des réunions et
en émettant des mots d'ordre afin de participer à la révolution [123]. Au troisième
congrès du Parti, qui se tient à Londres au printemps 1905, il parvient à imposer ses
idées et à assurer le contrôle des bolcheviks sur le POSDR. Il est cependant surpris
par le déclenchement et l'ampleur de la révolution de 1905. À partir du mois de mai,
des travailleurs et des soldats russes s'organisent en conseils (en russe : Soviets)[124].
Les émigrés commencent à rentrer en Russie pour participer à cette révolution
spontanée : Trotsky arrive en mars et devient en octobre le vice-président du Soviet
de Saint-Pétersbourg. Lénine lui-même n'arrive qu'en novembre et prône la formation
d'un gouvernement révolutionnaire provisoire des travailleurs. Cependant, après la
publication par Nicolas II du Manifeste d'octobre, l'opposition se divise et la révolution
s'éteint. En décembre, les membres du Soviet de Saint-Pétersbourg sont arrêtés ; les
appels à l'insurrection lancés par les bolcheviks ne débouchent que sur l'écrasement
du soulèvement ouvrier à Moscou[125],[126],[127].
Entre 1906 et 1917, les révolutionnaires, dont les principaux chefs sont à nouveau
contraints à l'exil, tentent de se réconcilier, de tirer les leçons de l'échec de 1905 et de
définir de nouvelles stratégies. Trotsky, fort de son expérience au Soviet, théorise
l'alliance entre le Parti et les conseils de travailleurs, le premier devant éduquer les
seconds, mais leur laisser ensuite le pouvoir. Lénine, lui, s'en tient à sa conception du
rôle dirigeant du Parti et théorise, dès cette époque, l'usage de la « terreur de
masse » pour combattre les contre-révolutionnaires. Les bolcheviks assurent leur
financement notamment par des activités illégales sur le sol russe, dans lesquelles
s'illustre entre autres un militant géorgien, Joseph Djougachvili, connu sous les
pseudonymes de « Koba », puis de « Staline »[128],[129]. Les sociaux-démocrates
participent cependant également à la vie politique légale, l'Empire russe tentant
désormais de s'engager dans la voie du
parlementarisme. Mencheviks et bolcheviks comptent des élus à la Douma d'État, ce qui
entraîne de vifs débats au sein des bolcheviks [130]. Au sein de l'Internationale ouvrière,
la division permanente du parti russe suscite l'inquiétude : Rosa Luxemburg et Karl
Kautsky, notamment, s'opposent à la politique suivie par Lénine ; le Bureau socialiste
international adopte une résolution condamnant les bolcheviks[131].
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, les sociaux-démocrates russes sont
encore divisés sur la marche à suivre ; la Deuxième internationale, quant à elle,
échoue totalement à définir une ligne commune face à l'approche du conflit, puis
éclate de fait. Les partis socialistes de la plupart des pays européens — à quelques
exceptions notables près, comme le Parti socialiste italien — adhérent à la politique
belliciste de leurs gouvernements respectifs[132]. Lénine compte pour sa part sur une
défaite russe qui pourrait favoriser la révolution. Il plaide, à la conférence de
Zimmerwald qui réunit en 1915 les représentants des minorités socialistes opposées à
la guerre, la rupture avec les « sociaux-patriotes » et la constitution d'une troisième
Internationale. D'abord isolées, ses thèses gagnent du terrain à mesure que le conflit
se prolonge. Cependant, si l'opposition à la guerre progresse chez les socialistes
européens, la ligne de Lénine sur la transformation de la « guerre
impérialiste » en « guerre civile » révolutionnaire demeure minoritaire[133],[134]. En
Russie même, les bolcheviks sont très affaiblis : responsables et militants sont
régulièrement arrêtés par l'Okhrana, qui infiltre largement le mouvement. Les députés
bolcheviks de la Douma et leurs assistants, parmi lesquels Lev Kamenev, sont arrêtés
pour trahison et envoyés en déportation, où ils retrouvent les militants déjà arrêtés
comme Staline et Ordjonikidze. L'organisation du Parti peine ensuite à se
reconstituer[135],[136]. En janvier 1917, les révolutionnaires russes apparaissent encore
loin du pouvoir et Lénine exprime, lors d'un discours prononcé à Zurich à l'occasion
du douzième anniversaire de la révolution de 1905, ses doutes quant à la possibilité,
pour sa génération, de voir la révolution de son vivant[135].