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GÉNÉRATION

L’ULTIME RÊVE DU GÉANT SEGA

 L’ultime rêve de Sega
par Bruno Pennes
Les romanciers en mal d’inspiration le savent depuis des centaines d’années :
rien ne vaut un destin tragique pour raconter une bonne histoire. Présentée
comme le revival d’un Sega malmené lors de la génération précédente, la
Dreamcast aura au final été le chant du cygne d’un géant à l’agonie. Une
machine superbe, en avance sur son temps sur bien des points. Mais prise en
tenailles par deux rouleaux-compresseurs siglés PlayStation, la 128 bits de
Sega semblait, a posteriori, n’avoir pas la moindre chance. Pourtant, une paire
d’années auront suffi à ce qu’elle marque de son empreinte le jeu vidéo. La
Dreamcast a démocratisé le jeu en ligne sur consoles. Livré au monde des titres
inoubliables comme Virtua Tennis, SoulCalibur ou Shenmue. Offert un sublime
hommage à l’arcade et amené un dernier vent de folie sur une industrie qui
commençait, déjà, à se prendre un peu trop au sérieux. À travers les pages
de ce Génération Dreamcast, ceux, nombreux, qui n’ont pas connu la Dream,
découvriront ainsi une ludothèque bourrée d’exclusivités et de concepts
de jeux novateurs. Des périphériques brisant les codes de l’époque. Et une
machine résolument généreuse et tournée vers les joueurs. Ce hors-série, c’est
un hommage à l’anti-conformisme de Sega. À un état d’esprit disparu en même
temps que la console, qui aura contribué à faire de la Dreamcast une machine
mythique, sinon de rêve.

JV – Sortons le Grand Jeu Ont participé à ce numéro : Commission paritaire : pour l’arrivée de la petite Régie publicitaire : 01 42 02 21 62,
148, rue du Faubourg Bruno Pennes, Kevin 0419 K 92 272 Norma. Sleep is for the weak. philippe@mint-regie.com
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www.jvlemag.com Jérôme Dittmar, Erwan JV - Sortons le Grand Message de service bis : 01 42 02 21 57,
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Bruno Pennes Tastet, Sophie Krupa numéros par an. Wildfire Envoyez-nous une carte M*I*N*T
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JV HS Génération Dreamcast | 03
 AUTOUR AUTOUR
DE LA CONSOLE DES JEUX
14  La dernière danse 54 Sonic Adventure
L’histoire de la Dreamcast ou et Sonic après la Dreamcast.
comment Sega, mis à mal par
l’échec de sa Saturn, a joué le 58 Shenmue
tout pour le tout en concevant et un entretien
une console avant-gardiste. avec son auteur Yu Suzuki.

66 Ikaruga
24  Bonne presse et le shoot’em up.
Retour sur l’existence
médiatique de la Dreamcast
72 SoulCalibur
via ses campagnes de pub ou
et le jeu de combat.
son traitement dans la presse.

76 Virtua Tennis 2
et les jeux sport.
28 Mille visages,

une Dreamcast 82 Crazy Taxi
 our d’horizon des différentes
T et les jeux de bagnoles.
versions et des accessoires
de la console culte de Sega. 88 ChuChu Rocket!
Et les ambitions online
de la console.
40 Les dernières heures

de la Dreamcast 92 Rez et Space Channel 5
Et la ludothèque WTF
 ourquoi Sega a été
P
de la Dreamcast.
contraint de renoncer à
sa console et à son destin
de constructeur. 101 Les chefs d’œuvre
indémodables de la machine.

44 D emain ne meurt jamais 108 Les jeux dont on se

souvient pour de bonnes
 ongtemps après sa mort,
L
ou de mauvaises raisons.
la Dreamcast fédère toujours
une petite communauté de
développeurs créatifs qui 113 Les jeux annulés
alimentent son actualité. Quel ou jamais sortis.
héritage leur a laissé Sega ?

SOUVENIRS
118  a rédaction évoque ses
L
souvenirs liés à la dernière
console de Sega.

101
Jet Set Radio

04 | JV HS Génération Dreamcast
 Teasing

SON AUTEUR
NE TARIT PAS D’ÉLOGE
SUR LE BUFFET
DE CLÔTURE DE
L’ÉVÉNEMENT.
27
40
Ready 2 Rumble

LE MONSIEUR
ENFILE SA CHEMISE +6
EN OPTIMISME
ET POUSSE LA
PORTE DE SEGA.
82

70 80
Trigger Heart Exelica Ooga Booga

UNE PART OU, SOYONS

DE LA POPULATION FOUS, UN TETRIS
EST CONVAINCUE QUI NOUS
QUE SEAMAN, CRACHERAIT DU
LE POISSON VENT DANS LA
INTELLIGENT, A TRONCHE PENDANT
RÉELLEMENT QU’ON JOUE.
EXISTÉ. 96 112
Rent-A-Hero n°1
95

JV HS Génération Dreamcast | 05
 Le monde du jeu
en 1998
L’arrivée de la Dreamcast au Japon coïncide avec une année
marquante dans l’histoire du jeu vidéo. Entre la pléthore de hits,
la surpuissance de Sony, les aléas de Nintendo, et Sega en pleine
crise existentielle après la sortie d’une Saturn dont il ne sait plus
quoi faire, le joueur vit un moment passionnant.

par Jérôme Dittmar

n 1998, Titanic ce pari, sinon ce tournant, de se cherche. Difficile pour le

sort sur les
écrans, la
France gagne
la Coupe du
Monde, les
Américains
bombardent
l’Afghanistan,
Pinochet
est arrêté en
Angleterre,
et Sega sort sa quatrième et
dernière console, la Dreamcast.
La même année, quelques mois
avant l’arrivée sur les étales
japonaises de la petite spirale,
Resident Evil 2 débarque sur
PlayStation. Difficile alors de
contourner la machine de Sony
qui, avec des titres légendaires
comme le survival horrror
de Capcom, a acquis une
réputation dont même le géant
Nintendo sera jaloux. Car depuis
quelques années, l’arrivée de
ce nouvel acteur nippon, roi de
l’électronique grand public, multi
millionnaire avec son Walkman,
a chamboulé le paysage
tranquille des fabricants de
consoles où Nintendo, Sega,
SNK et Nec se tirent la bourre,
avec toutefois une large avance
pour le premier. Sony a réussi
non seulement proposer une
machine technologiquement
révolutionnaire (ses graphismes
3D créent autant de nouvelles
manières de jouer que de
nouvelles esthétiques), mais
surtout de casser l’image
infantilisante qui colle aux
basques du jeu vidéo - et dont
Nintendo ne cessera de faire
son fond de commerce, encore
aujourd’hui. La PlayStation a été
conçue délibérément comme une
console cool qu’on n’a pas honte
de sortir entre deux écoutes du
dernier Chemical Brothers. C’est
la machine de ceux qui vont en
rave à Londres et qui fument des
joints en jouant à Tomb Raider ou
Wipeout. Inutile de dire que pour
certains joueurs, Mario et Sonic,
on a passé l’âge. La popularité
de la PlayStation bouleverse
automatiquement la tranquillité
de Sega et Nintendo, qui, chacun
de leur côté, se cherchent alors
après avoir trusté le podium des
ventes avec leurs Mega Drive
et Super Nintendo.
FUTUR ANTÉRIEUR
Alors qu’en 1996 Nintendo
persiste et signe avec le support
cartouche pour la N64, Sega
constructeur de reproduire le
succès de la Mega Drive. Il faut
même se rendre à l’évidence,
la Saturn, sortie au Japon en
novembre 1994, moins d’un mois
avant sa concurrente, ne marche
pas. Ses ventes déçoivent,
surtout en Occident. Conçue en
partie pour rivaliser avec Sony
qui, au début des années 1990,
tentait d’approcher Sega pour
concevoir une machine ensemble
(la proposition sera rejetée par
le second), la Saturn peine à
toucher le grand public malgré
des débuts honorables. Si le nom
choisi veut donner au format CD
un élan futuriste à la machine, la
Playstation lui volera la vedette.
La puissance de Sony et ses
attaches avec le monde de la
musique (et bientôt du cinéma)
rendent le rapport beaucoup
plus évident, sans parler de
son look résolument moderne.
Chapeautée par Hideki Sato
qui sera également à l’oeuvre
sur la Dreamcast, la Saturn
est techniquement puissante,
mais complexe à programmer
et le cul métaphorique entre
deux époques avec son
multiprocesseur 2D / 3D. Sony
ne s’embarrassant pas de

08 | JV HS Génération Dreamcast
 NEO GEO | SNK
En circulation depuis avril 1990

Sur quoi tu
Alors que tout le monde se pâme devant les polygones
hideux de la Playstation, SNK continue son bonhomme

joues en 1998 ?
Si en 1998 la Saturn dégaine encore quelques
belles cartouches avec les sorties de Radiant
Silvergun, Panzer Dragoon Saga ou Shining
Force III, c’est le moment pour Sega de tourner
une nouvelle page de son histoire. L’heure est
d’autant plus décisive que la concurrence
est rude et sur tous les fronts…
de chemin en 2D. Le constructeur ne cherche
alors plus à séduire de nouveaux
adeptes, plutôt qu’à consolider sa base
de fidèles. En 1998, si quelques rares
titres sortent encore des sentiers battus,
l’heure est aux valeurs sûres : Metal Slug
d’un côté, et les jeux de baston de l’autre,
avec KOF 98 et plus loin le mythique Garou :
Mark of the Wolves. La console se positionnant comme
machine de spécialistes, elle n’a jamais inquiété Sega.

PLAYSTATION | SONY
En circulation depuis décembre 1994

SATURN Tragiquement, la PlayStation sera l’ennemi à abattre

SEGA pour Sega lors du développement de la Dreamcast,
alors que c’était la Playstation 2 qu’il
En circulation depuis
fallait anticiper. Ce que le constructeur a
novembre 1994
tenté, mais avec les aléas que l’on sait.
Difficile à la fois d’en vouloir à Sega
tant la Playstation définit le jeu vidéo
de son époque. En 1998, la console
est au sommet avec les sorties de Metal Gear Solid,
Gran Turismo, Tekken 3 ou Resident Evil 2. Entre la 3D que
l’industrie apprend à manier et des hybridations toujours
plus cinématographiques, le médium évolue plus que jamais.

NINTENDO 64 | NINTENDO
En circulation depuis septembre 1996

Connue au départ sous le nom de Project Reality,

la Nintendo 64 est la seule console 64 bits
sur le marché en 1998, année où sort
Ocarina of Time. Née d’un partenariat
avec Silicon Graphics que Sega
a refusé, la machine sera moins
MEGA DRIVE puissante qu’annoncée, et largement
SEGA pénalisée par le choix de rester sur
cartouche – ce qui fait fuir nombre
En circulation depuis
d’éditeurs tiers. Un relatif isolement toutefois
octobre 1988
enviable puisque les ventes de jeux seront solides,
avec 12 millions rien que pour Super Mario 64.

LE PC
En circulation depuis 1981

Si 1998 est souvent considérée comme une année

charnière où les hits n’ont cessé de s’enchaîner, les
consoles ne sont pas les seules responsables. Le PC
est en effet redevenu alors un solide concurrent
au fur et à mesure de ses évolutions avec l’arrivée
de cartes graphiques telles que celles de 3DFX ou
VideoLogic ; et les succès entre autres de Doom et
Duke Nukem. 1998, c’est ainsi l’année où Valve sort
Half Life et bouleverse les conventions narratives du
FPS ; et Blizzard sort Starcraft qui deviendra la star de
l’e-sport que l’on connaît. Tout ce que Sega ne perd pas de vue.

JV HS Génération Dreamcast | 09
 ce problème en misant tout
sur la 3D après avoir mesuré
l’engouement des joueurs
pour Virtua Fighter (ironie de
l’Histoire, un jeu Sega…).
Ajouté qu’à son lancement la
communication sur la console
est brouillée par la sortie quasi
simultanée du 32X, conçu pour
attirer les joueurs Mega Drive
trop fauchés pour changer de
bécane. Rétrospectivement et
d’un point de vue stratégique,
on ne peut faire pire erreur
marketing. La Saturn, surtout,
fait les frais d’un line up
famélique face à un Sony prenant
progressivement une avance
qui deviendra vite considérable.
Au premier E3 de l’Histoire en
mai 1995, Sega, bouffi d’orgueil,
se croira le roi du monde et des
32bits. Il déchantera vite, dès
le keynote de Sony qui, en
donnant seulement le prix de la
Playstation, va tuer dans l’oeuf la
carrière américaine de la console.
LE DÉBUT DE LA FIN
1996 c’est aussi l’époque où les
branches américaine et japonaise
de la marque subissent des
crises internes dignes d’un soap
– avec notamment les départs de
David Rosen et Tom Kalinske,
respectivement fondateur et
figure clé de Sega of America
(c’est lui qui a fait le succès
marketing de la Genesis outre-
Atlantique). Difficile alors pour
les joueurs, et lui-même, de
savoir où va le constructeur, qui
peine à rameuter des éditeurs
partis en masse chez Sony,
où les conditions sont très
favorables, la console facile à
utiliser, et le marché exponentiel.
Mais Sega n’est pas qu’englué
dans ses décisions, ses
problèmes de tarification ou
son catalogue trop peu fourni, il
doit aussi mener deux fronts, et
encore tracer sa voie sur celui de
l’arcade, où il déploie ses jeux
vitrines, chers, techniquement
avancés, envoyant du rêve aux
joueurs console. La Saturn se
veut, avant la Dreamcast, la
bécane où l’on joue aux derniers
hits en salles de Sega : les
Daytona USA, Sega Rally, The
House of the Dead, Virtua Cop
et bien sûr Virtua Fighter (1 et 2).
Pourtant, malgré le portage
abouti de jeux populaires,
difficile pour la marque au
hérisson (qui loupera un peu
le coche sur Saturn avec
l’annulation de Sonic X-treme) de
se battre face à un Ridge Racer
aussi véloce que sexy. Si bien
que sans avoir l’air de mener la
lutte sur le terrain de l’arcade
(alors qu’il est en partenariat
avec Namco dont la carte
System 11 n’est qu’un prototype
de Playstation déguisé), Sony
marche sur les plates-bandes
de Sega. Presque distraitement,
le premier ne laisse au second
que les miettes, quelques exclus
(les Panzer Dragoon, Nights,
Guardian Heroes, Radiant
Silvergun, toutefois porté de sa
borne), et regarde son concurrent
s’enfoncer dans son isolement et
ses problèmes de management.
ET LES AUTRES
L’époque où sort la Dreamcast
au Japon (elle débarquera un an
plus tard chez nous), n’est pas
que celle d’une concurrence

5jeux
qui ont Panzer Dragoon Saga Half-Life
SATURN PC

fait 1998 Mélangeant action et RPG, un des titres

tardifs et mythiques de la Saturn.
Avec Half-Life, Valve invente le FPS
narratif moderne. Son portage sur
Dreamcast, annulé, verra le jour
grâce à un fan en 2012.

10 | JV HS Génération Dreamcast
acharnée contre Sony, ni de
la désillusion avec la Saturn
dont les ventes sont pourtant
décentes au Japon. C’est
également l’ère de la Nintendo 64
qui, elle aussi forcée de
se coltiner l’hégémonie de la
Playstation, fait moins bien que
la Super Nintendo. Big N doit
faire face à une nouvelle ère,
avec une nouvelle technologie
et de nouvelles attentes qui
bouleversent sa politique.
Heureusement, contrairement
à son concurrent, les licences
maison sont fortes et permettent
au constructeur de démontrer
sa science du game design en
3D. Une 3D qui est par ailleurs
devenue l’un des arguments
massue du PC, alors en pleine
explosion depuis la sortie
de Windows 95, DirectX,
et l’émergence du FPS.
UN MOMENT DÉCISIF
En 1998, il est donc l’heure pour
Sega de reconquérir son public
égaré par la stratégie
désastreuse du constructeur ;
de faire oublier l’échec de la
The Legend of Zelda :
Ocarina of Time
NINTENDO 64
Avec son premier épisode 3D, ce Zelda
devient l’un des meilleurs jeux de tous
les temps.
Saturn dont Kalinske dira plus plus mal qu’on tente le tout pour
tard « La machine est sortie trop le tout. Ce que va faire la
vite, nous n’avions ni le bon société, non sans un certain
software ni le bon prix » ; et panache mais avec un problème
de profiter sans le savoir des de timing qui va faire de la
dernières heures de l’arcade, Dreamcast l’une des consoles à
tout en se lançant dans une l’histoire la plus courte, mais aussi
frénésie d’innovations tous la plus passionnante.
azimuts. Il ne reste alors à Sega
plus que Sonic (dont le destin
sera bien chaotique), son
savoir-faire en salles d’arcade
et une histoire à laquelle
certains joueurs sont
encore attachés pour
relancer la machine.
Sega n’est pas dans
le creux de la vague,
il est à un moment
crucial, où ses
finances sont dans le
rouge et où l’heure est au
licenciement. « La Saturn n’est
pas notre futur » dira en 1997
Bernie Stolar, dans une phrase
restée célèbre et aujourd’hui
considérée comme une mise à
mort de la console à l’anneau.
Pour le président de Sega of
America, il fallait aller de l’avant,
et c’est parfois quand on est au
Metal Gear Solid Starcraft
PLAYSTATION PC
Furieusement cinégénique, MGS1 On ne présente plus l’un des empereurs
impose un nouveau standard de mise du STR, désormais universellement joué
en scène et de gameplay d’infiltration, en ligne.
la même année où Thief sort sur PC.
JV HS Génération Dreamcast | 11
12 | JV HS Génération Dreamcast
 AUTOUR
DE LA
CONSOLE

14 La dernière danse
24  Bonne presse
28 Mille visages, une Dreamcast
40 Les dernières heures
de la Dreamcast
44 Demain ne meurt jamais

JV HS Génération Dreamcast | 13
 La
dernière
danse
De l’échec de la Saturn aux premières heures retentissantes
de la Dreamcast, Sega a tenté le tout pour le tout et joué son
honneur. Bâtie sur des coups d’audace, des innovations et des
prouesses marketing sans commune mesure, la Dreamcast est née
phénomène, pile à temps pour regarder sa mort en face.

par Victor Moisan

14 | JV HS Génération Dreamcast
L
la trajectoire
paradoxale
de la Saturn,
longtemps
devant la
PlayStation
au Japon
mais loin
derrière sur tous les autres
marchés, a sans doute retardé
la décision d’abandonner la
console. Or, dès 1996, les ventes
mondiales sont si catastrophiques
que Ted Hoff, vice-président et
responsable du marketing chez
Sega of America, doit démentir
des rumeurs selon lesquelles la
Saturn serait l’ultime machine de
la marque au hérisson. La même
année, Bernie Stolar suspend
la production de publicités à
la télévision américaine, avant
d’être nommé directeur des
opérations en 1997. Aux USA,
la console et les jeux sont
tellement bradés qu’ils finissent
par se vendre à perte. Stolar
avoue plus tard : « J’avais le
sentiment que la Saturn faisait
plus de mal à la société qu’elle
ne l’aidait. » Au Japon pourtant,
on essaie de faire durer la
machine, en imaginant par
exemple un module 64-bits
baptisé Eclipse que l’on ajouterait
à la Saturn (le projet est annulé en
juin 1997). Parmi les périphériques
réellement parus, la cartouche de
RAM supplémentaire et le Sega
NetLink font un temps le bonheur
des joueurs japonais. Il s’agit
pour ce dernier d’un modem de
28,8 kbits/s que l’on insère dans
le port cartouche de la console et
qui permet d’accéder à Internet
pour jouer en ligne ou naviguer.
NetLink paraît également aux
États-Unis, avec seulement cinq
jeux compatibles, mais c’est déjà
bien trop tard – ce genre de sortie
gâchée donne l’impression,
comme il a été dit en interne,
que le PDG Hayao Nakayama
est en train de jeter l’argent par
les fenêtres. Néanmoins, ces
essais (recherche de puissance
pour l’Eclipse, connexion réseau
pour NetLink) posent des bases
importantes pour la Dreamcast.
SEGA-BANDAI
Chez Sega, il est urgent de
préparer l’avenir. Nakayama
en est bien conscient puisqu’il
projette secrètement, depuis
1996, de fusionner avec
la société Bandai, encore
dynamisée par la déferlante
Tamagotchi. Si le risque financier
est réel, le rêve de former un
conglomérat géant axé sur
le multimédia – qui deviendrait
la plus importante société
de divertissement au monde –
représente peut-être le salut
de Sega. L’accord est annoncé
en fanfare le 23 janvier 1997,
mais un scandale éclate alors :
certaines divisions de Bandai
révèlent que de nombreux
emplois seront supprimés et
mènent l’offensive contre leur
président, qui est contraint de
démissionner. L’accord tombe
JV HS Génération Dreamcast | 15
 La dernière danse
La Saturn
version japonaise.
à l’eau. C’est un coup d’arrêt
pour Nakayama, qui quitte
ses fonctions en janvier 1998,
remplacé par Shoichiro Irimajiri,
Le logo Katana quand la console portait encore ce nom. ancien ingénieur de chez Honda.
C’est à ce dernier que revient
la tâche de donner un nouveau
départ à la marque, qui vient
d’arrêter la production de
la Saturn et opère alors des
réductions d’effectif drastiques.
LES SŒURS ENNEMIES
Entre 1993, dernière année de
bénéfices pour Sega (230 millions
de dollars), et 1998 où les pertes
sont de 450 millions de dollars,
l’entreprise a accumulé plus
d’un milliard de dollars de déficit.
Il faut bien mesurer ce chiffre
ahurissant pour comprendre que
Sega, avant même d’avoir lancé
Le dernier kit de développement. la Dreamcast, a conscience de
vivre ses dernières années en
tant que constructeur. Dès lors,
le pari d’une nouvelle machine
est, sauf phénomène irrationnel,
une manière de partir avec
panache. C’est en tout cas le
souhait du président de la firme,
Isao Okawa, qui sort de son rôle
principalement symbolique pour
accompagner personnellement
le projet. Via Irimajiri, il mandate
deux prototypes simultanés pour
désigner la successeuse de la
Saturn. D’un côté, une équipe
basée aux États-Unis et dirigée
par Tatsuo Yamamoto planche
sur la Black Belt, une machine
Prototypes de manette. qui emploie une version adaptée
16 | JV HS Génération Dreamcast
de la carte graphique Voodoo 3
de chez 3Dfx. De l’autre, un
groupe d’ingénieurs à Tokyo
construit la Dural (du nom du
boss de Virtua Fighter), qui
repose sur la carte graphique
PowerVR2 de l’entreprise
britannique VideoLogic,
appartenant au japonais NEC.
Bien que des noms de code
circulent dans la presse, ces
deux prototypes sont au départ
réalisés dans le plus grand secret,
et même à l’insu des équipes
respectives ! Commence alors
une compétition invisible entre
Tokyo et les États-Unis, chacun
des projets étant soutenu par la
branche japonaise ou américaine
de la firme.
INCOMPATIBILITÉ
GRAPHIQUE
Cependant, la révélation de la
future console est précipitée en
juillet 1997, lorsqu’un magazine
affirme que Sega va employer
une carte graphique NEC pour
sa prochaine machine. 3Dfx,
qui avait passé un accord
avec le constructeur pour son
prototype américain, est furieux
en apprenant la nouvelle. Le
fabricant de cartes graphiques
publie un communiqué stipulant
« l’obligation pour Sega de
commercialiser une machine
employant son produit ». Dans
la foulée, le géant du jeu vidéo
rompt son contrat avec 3Dfx
(l’affaire passe au tribunal et se
 Resident Evil : Code Veronica

X-Dream
Et si la XBox était une Dreamcast déguisée ?
Sorti moins d’un an après le décès officiel de la
console de Sega, l’obèse bidule noir de Microsoft
n’est en effet pas complètement né de la cuisse
de Bill Gates. Et inversement pour le Japonais.

On oublie parfois que Sega ce n’est pas que la Dreamcast ou la Mega

Drive, mais aussi du jeu PC, toujours actif avec des titres comme Football
Manager. L’histoire commence en 1995 avec SegaSoft, une joint venture
entre CSK (la société détenue par Isao Okawa) et Sega. Poussée par la sortie
de Windows 95, l’entreprise veut s’installer sur le marché PC, notamment
via le portage de jeux Saturn. Commence alors la relation entre Sega et
l’Américain, le premier voyant dans DirectX un outil indispensable pour le
logiciel de sa future console. Cette collaboration débouche sur l’implantation
de Windows CE dans la Dreamcast (qu’une poignée de studios vont
utiliser), mais aussi le développement de la console. Microsoft prend alors
toute l’expertise nécessaire pour la Xbox, dont Shoichiro Irimajiri (président
de Sega en 1998) aurait présenté un prototype. En 2000, une rumeur veut
même que Redmond rachète Sega, le deal tombera à l’eau mais les deux
sociétés resteront liées. Il ne faut guère chercher plus loin l’arrivée ensuite
de jeux Dreamcast sur Xbox, notamment un certain Shenmue II. J.D.

règle finalement à l’amiable) et
le prototype japonais est de
facto désigné vainqueur. Or,
d’après de nombreux témoins,
c’est bien la Black Belt américaine
qui semblait la plus prometteuse,
bien que Sega ait préféré s’allier
avec son partenaire nippon de
longue date. Comme le dit Bernie
Stolar, non sans désillusion : « Le
Japon a voulu gagner. Il a gagné. »
Le prix à payer, pour l’image
de la firme, n’est pas glorieux.
CAMPAGNE DE
RECRUTEMENT
Le 8 septembre 1997, Sega
annonce officiellement travailler
sur sa prochaine console,
baptisée Katana. L’entreprise
veut à tout prix éviter de faire
les mêmes erreurs qu’avec la
Saturn, sevrée de jeux : il faut
convaincre le plus d’éditeurs-
tiers possible de rejoindre le
projet. Dès l’automne, Sega
organise des démonstrations
privées devant des studios
de développement facilement
conquis : Core Design, Capcom,
Game Arts ou encore Namco
(pourtant grand rival dans les
salles d’arcade) signent tour
à tour. Les premiers kits de
développement sont envoyés
au printemps 1998, tandis que
des personnalités reconnues
comme Kenji Eno (D2) annoncent
que leur prochain titre sortira sur
la console de Sega. Yu Suzuki
avait dit à propos de la Saturn :
« Je pense que seulement un
pourcent des programmeurs sont
suffisamment doués pour pouvoir
programmer correctement sur
cette machine. » Facile d’accès,
d’autant qu’elle propose
l’environnement DirectX de chez
Microsoft comme solution de
programmation alternative, la
Katana souhaite gommer l’image
désastreuse de la Saturn et de
son manuel en 3 volumes qui
a hanté les nuits blanches des
développeurs. D’un point de vue
historique, elle marque l’arrivée
de Microsoft dans le monde
des consoles. Le partenariat
Isao Okawa
Le Samouraï
Sans lui, SEGA aurait peut-être arrêté
les frais avec la Saturn, et les joueurs
n’auraient eu qu’à s’acheter un doudou
Sonic pour pleurer. Portrait express d’un
homme d’honneur qui aura tout fait pour
redresser l’image de son entreprise.
Fondateur de la CSK Corporation, Isao Okawa a fait sa fortune
dans le high tech, participant à bâtir l’économie électronique du
pays. En 1984, sa société rachète Sega, et place Hayao
Nakayama à la tête de la division japonaise. Si ce dernier
participe à bâtir le succès de Sega avec la Master System et la
Mega Drive, son manque de stratégie et surtout ses erreurs de
management créent des tensions aux conséquences
désastreuses durant l’ère de la Saturn. Obligé d’évincer son
premier poulain, Okawa place Shoichiro Irimajiri à la tête de la
marque en 1998. Mais celui-ci n’est qu’un homme de paille là
pour respecter les protocoles hiérarchiques. Car Okawa est fait
d’un bois ancien, et c’est lui qui, en coulisses, tire les ficelles.
Lorsqu’il réorganise complètement la marque à l’époque, sa
visée n’est pas que celle d’un business man qui connait son
métier. Okawa sait alors que la compagnie va mal, que la Saturn
a plombé les comptes, que la Dreamcast sera sans doute sa
dernière machine, mais il fait tout pour relancer Sega. Moins
par souci d’économie, que pour sauver la face, redorer le blason
de Sega, et laisser un souvenir impérissable aux joueurs.
Okawa mourra peu de temps après l’annonce de l’arrêt de la
console. Sa mission accomplie. J.D.

JV HS Génération Dreamcast | 17

À gauche de haut en bas : images
issues de la bande démo de la
Dreamcast, avec le visage de
Shoichiro Irimajiri, et de la tour de
Babel, réalisées par les équipes de
Yu Suzuki. À droite, une publicité
pour le lancement de la Dreamcast
aux États-Unis.
DANS LE ROUGE, SEGA
A POURTANT DÉPENSÉ
600 MILLIONS DE DOLLARS
POUR LA DREAMCAST.
18 | JV HS Génération Dreamcast
La dernière danse
sert surtout de test à la marque
américaine, dont l’annonce deux
ans plus tard de la Xbox creuse
l’agonie de la Dreamcast.
UN PONT VERS L’ARCADE
La Katana doit aussi permettre
de faire le lien avec la tradition
arcade de Sega, qui présente
en avril de la même année son
nouveau modèle Naomi. En
proposant des architectures
similaires, les deux technologies
promettent de faciliter les
portages de l’arcade à la console.
Ainsi, le phénomène Virtua
Fighter 3, longtemps prévu sur
Saturn puis annulé alors qu’il était
prêt, est annoncé au lancement
de la Katana. De plus, certains
accessoires comme le VMU ont
été conçus avec l’arcade en tête :
en permettant de brancher la
carte mémoire sur une borne
arcade, Sega imaginait de
nouvelles façons de jouer
et d’échanger, dans un
souci toujours plus grand
d’interconnectivité. Preuve, une
fois de plus, que cette console
était en avance sur son temps.
Quoiqu’il en soit, l’entreprise
japonaise, pourtant dans la rouge,
a dépensé plus de 600 millions
de dollars dans la recherche et
le développement, afin d’arriver
au lancement en étant plus
dans le coup que jamais.
PLACE AU RÊVE
La première présentation publique
de la machine de Sega a lieu le
21 mai 1998 devant un parterre
de 11 000 invités. La console
s’appelle Dreamcast et doit sortir
au Japon le 20 novembre de la
même année. Fringuant, Shoichiro
Irimajiri annonce trois objectifs :
Les différentes couleurs du logo
Dreamcast selon les régions
géographiques : bleu en Europe,
orange au Japon, rouge
aux États-Unis.
conquérir les développeurs,
redorer l’image de Sega auprès
du public et ouvrir la porte du jeu
en ligne. Pour le premier point,
c’est déjà gagné, tant la réception
de la console par la profession
est sensationnelle. 120 studios
annoncent leur souhait de
développer des titres majeurs
pour la Dreamcast, en raison
de la supériorité technologique
de la machine (comparable aux
PC gamer de l’époque, voire
meilleure). Dans les mois qui
suivent, des listes à rallonge de
titres sont annoncées, allant du
portage de Quake aux licences
Ubisoft, en passant par une
ribambelle de jeux de sport
Windows, un nouveau Resident
Evil (Code : Veronica) et des
projets maison prometteurs
(un nouveau Phantasy Star,
ainsi que le mystérieux Project
Berkeley de Yu Suzuki). Sur
une démonstration technique
inspirée de Super Mario 64,
le visage d’Irimajiri accueille
les invités avec moults effets
visuels et une synchronisation
Virtua Fighter 3 TB.
labiale stupéfiante. Les jeux
viendront plus tard, mais le futur
est lancé en grande pompe.
Néanmoins, le PDG sait que
l’avenir s’annonce sombre. Dans
un entretien fort lucide donné au
magazine NextGen ce jour-là, il
dit ceci : « Nous aurons l’avantage
pendant un ou deux ans. Il faut
à tout prix que nous ayons pris
une part importante du marché
avant que ne sorte la PS2,
en espérant avoir accumulé
assez de vitesse d’ici là… »
IT THINKS!
La Dreamcast est conçue
comme une machine à l’image
fraîche, technologiquement
brillante (« It thinks ! », dit la
campagne américaine, qui
l’assimile à une intelligence
artificielle), tournée vers les
utilisateurs et relativement bon
marché (29 000 yens au Japon,
199 dollars aux USA). C’est
la première console de jeu
possédant un modem intégré –
choix appuyé par le grand
patron Isao Okawa qui veut faire
de la Dreamcast une pionnière.
Après réflexion, Sega décide en
revanche de ne pas inclure de
lecteur DVD : ce serait d’une
part trop coûteux, et d’autre
part, les jeux sont encore trop
peu volumineux pour avoir
besoin d’être stockés sur des
supports de 4,7 Go. Sega
invente donc son propre disque,
le GD-Rom, qui lui permet de
mieux se protéger contre le
piratage. Mais avec moins
d’argent dépensé ailleurs
(notamment dans le procès
contre 3Dfx), le constructeur
aurait pu ajouter un lecteur de
DVD et aborder la confrontation
avec la PS2 plus sereinement.
L’APOTHÉOSE
AVANT LA CHUTE
Décalée d’une semaine
pour cause de pénurie de
composants, la sortie de la
Dreamcast au Japon a lieu le 27
novembre 1998 et connaît un
succès sans précédent. Ce jour-
là, les 150 000 consoles mises
sur le marché trouvent preneurs.
Bernie Stolar
Le porte flingue
La musique et le cinéma n’ont pas
le monopole des bad boys. Le jeu vidéo
a lui aussi ses figures controversées, aux
attitudes ou propos douteux. Ainsi de Bernie
Stolar, vétéran du jeu vidéo à qui certains
joueurs feraient bien la peau.
Bernie Stolar vient de loin. Rentré chez Atari alors que la marque
est encore dans l’arcade, il prend les commandes de la société
à l’époque de la Lynx. Récupéré ensuite par Sony où il devient
président de la division américaine, il se fait alors connaitre
pour ses techniques de management sulfureuses, et ses partis
pris incompréhensibles (pas de RPG aux US). A l’été 96, Sega va
mal, et Hayao Nakayama (CEO) pousse Tom Kalinske, grand
gourou du marketing de Sega of America, à donner sa
démission. Stolar le remplace et passe aux commandes outre-
Atlantique. Venant de Sony, l’ennemi à abattre, il est l’homme
providentiel. C’est un nouveau jeu de massacre : après avoir tué
le budget pub télé (et ainsi le mythique Sega Scream, équivalent
de notre « C’est plus fort que toi »), il devient célèbre par ses
propos dégommant la Saturn à l’E3 97. C’est que pour Stolar, le
futur s’appelle Dreamcast et il est prêt à tout pour faire savoir
que Sega a un avenir. Même flinguer l’image de sa marque.
Malgré un pré-lancement réussi, Stolar se fera licencier peu
avant la sortie de la console (Peter Moore prendra sa place), ses
relations avec les éditeurs tiers étant jugées désastreuses par
le Japon, alors que Sega veut tout miser dessus. L’histoire lui
aura donné raison. J.D.
JV HS Génération Dreamcast | 19

La Dreamcast est en rupture en
stock. « C’est un énorme coup
publicitaire », se réjouissent
les dirigeants qui projettent
candidement d’atteindre 10
millions de machines en 3 à 4
ans. Aujourd’hui, on sait que
la pénurie (due à la lenteur de
production des cartes graphiques
NEC et au zêle d’Irimajiri sur le
contrôle qualité) a coûté entre
200 et 300 000 ventes à Sega,
à un moment crucial. De nouvelles
unités sont mises en vente à
la mi-décembre, ce qui permet
à Virtua Fighter 3 de s’écouler
à 188 000 exemplaires avant
la fin d’année, pour autant de
machines achetées ou presque.
Mais la lenteur de la production
fait s’impatienter les États-Unis,
qui bénéficient 9 mois après
le Japon d’un line-up de sortie
exceptionnel, avec des titres
comme SoulCalibur, Sonic
Adventure ou NFL 2K. Le délai
a également permis aux équipes
de Bernie Stolar d’opérer un travail
de préparation remarquable,
tant au niveau de la distribution
(record de précommandes)
que de la publicité (à l’époque,
la bataille marketing se mène
encore dans les magazines
20 | JV HS Génération Dreamcast
La dernière danse
et à la télévision). Résultat :
le 9 septembre 1999, 372 000
machines sont vendues aux
USA, et la console entre dans
le livre des records en faisant
trois fois plus de bénéfices que
le démarrage de Star Wars I :
La Menace Fantôme la même
année. La Dreamcast sort enfin
en France plus d’un mois après,
et connaît un succès comparable :
vendue à 1 690 francs (330 euros),
elle réalise 42 120 ventes lors de
son premier weekend.
LE SOUFFLE AU COEUR
Malgré son départ canon en
Occident, le phénomène est de
courte durée, et la Dreamcast
ne courra pas de marathon.
Dès 1999, Sony lance une
contre-offensive publicitaire,
promettant une console plus
puissante et plus capable (bien
que ce soit discutable), en plus
d’être rétrocompatible et de
permettre de lire les DVD (dont
le blockbuster next-gen Matrix).
Par ce fait, les ventes de la
machine de Sega ont trop ralenti
pour que le 4 mars 2000 – date
de sortie de la PlayStation 2 – la
marque au hérisson ne se fasse
rattraper par son fossoyeur.
Hideki Sato
L’horloger
Sega lui doit tout. Lui c’est Hideki Sato, son
nom est peu connu en dehors des initiés,
alors qu’il a conçu la plupart des consoles
de la marque, avec un talent injustement
récompensé par une série d’échecs. Doué,
loyal, modeste, une figure incontournable.
Rares sont les figures comme Hideki Sato dans l’histoire du jeu
vidéo. Moins parce qu’il a fait sa carrière sinon sa vie chez
Sega, que pour avoir oeuvré entièrement au hardware.
Embauché en 1971, il aura participé, créé ou supervisé la quasi
totalité des machines de la marque, de ses premières bornes
d’arcade à la Dreamcast en passant par les SG-1000, Master
System, Mega Drive, 32X ou Saturn. Plus qu’un technicien ou
un concepteur, c’est un designer, un artiste du circuit imprimé.
Que ce soit pour la Mega Drive imaginée à partir du System 16
(une carte alors utilisée en salles) afin de minimiser les coûts
tout en prenant une avance sur Nintendo (encore à la NES) ; la
Saturn qui, malgré la complexité de son double processeur
2D / 3D à rendre fou les programmeurs, était un petit bijou
d’orfèvrerie informatique ; ou la Dreamcast, réponse de Sega à
Sony et machine d’une simplicité de programmation enfantine
avec une marge de progression fabuleuse (et malheureusement
peu exploitée), chacune de ses créations était un bijou en son
genre. Constamment en avance sur son temps, il prendra un
moment les rennes de Sega après le décès d’Okawa, pour finir
quelque part dans les sphères opaques de la compagnie. J.D.
 Rencontres avec...
Dominique
Cor
Dream
in France
Venu de chez E.A. où il
est retourné aujourd’hui,
Dominique Cor prend
la tête de Sega France
en 1998 pour préparer
le lancement de
la Dreamcast. Il
l’accompagnera jusqu’à
sa mort, après avoir
réuni une équipe
dévouée qui aura redoré
le blason de la marque.
1998
À mon arrivée Sega France ne comptait qu’une dizaine de
personnes et ne vendait plus que du PC, l’activité console ayant été
arrêtée peu avant avec la Saturn. Tout dans l’entreprise, son parc
informatique, sa comptabilité, son organisation technique, datait,
j’avais l’impression d’arriver dans une compagnie d’assurance.
Des comptes avec la distribution avaient été aussi fermés suite au
faible niveau d’activité. Et la marque souffrait d’un fort déficit
d’image après la Saturn. On partait donc dans un environnement
compliqué. Il a fallu en un an reconstruire une équipe, tout changer
en interne, parler avec la presse et les joueurs pour convaincre
qu’on arrivait avec une très belle machine, et qu’elle allait marcher.
STRATÉGIE DE LANCEMENT
Sega avait alors posé une stratégie globale, mais la tactique était
laissée libre à chaque territoire. En France la marque était plus forte
qu’ailleurs sans doute à cause de son succès, mais aussi pour son
slogan « Sega c’est plus fort que toi ». Ce qui fut payant puisque au
lancement européen on a tous atteint nos objectifs, et ce durant
toute la première année.
L’AN 2000
Le jour où Sony a annoncé l’arrivée de la PlayStation 2, nos ventes
se sont arrêtées nettes. L’impact fut phénoménal et bien supérieur
à nos estimations. On est alors entré dans une phase de crise, où
la distribution voulait déréférencer le produit parce que les ventes
s’effondraient, et où en plus on avait un trou dans le line up. On a
repris des couleurs avec la sortie de certains produits, et quand le
soufflé autour de la PS2 est retombé – ce qui est un peu normal,
Sony n’avait plus grand chose à raconter. Le problème c’est qu’au
même moment c’était la catastrophe au Japon. Tout est venu de là,
le Japon avait des chiffres tellement faibles, et avait tellement
investi, que le groupe a du prendre des décisions drastiques.
Propos recueillis par Jérôme Dittmar
Frédérick
Raynal
Une vie de
first party
Avec No Cliché, Frédérick
Raynal fût à la tête du
seul studio first party de
Sega en France. Racheté
à Adeline Software, ce
fut le lieu d’une belle
et brève aventure dont
le père d’Alone in
the Dark se souvient
avec enthousiasme
et émotion.
LES DÉBUTS
La première rencontre avec Sega a eu lieu en 1997 alors qu’on
finissait Little Big Adventure 2 et que Delphine voulait vendre un de
ses studios. Ils cherchaient des développeurs pour leur future
machine, et ils ont très vite proposé d’acheter l’équipe et sa
technologie. C’est pour ça qu’on a dû changer de nom pour No
Cliché, qu’on appelait un studio 1.5 party, car tout en appartenant
à Sega on restait indépendant.
LA RELIGION DU DÉVELOPPEUR
Chez Sega, on a découvert le bonheur de travailler chez un
fabricant de console. Tous les mois, direction le Japon avec les
chefs de studio, les techniciens, les studios internationaux, afin de
leur donner du feedback pour faire évoluer la machine. Ils étaient
très à l’écoute, c’était la religion du développeur. Pour eux si nous
étions satisfaits avec du bon matériel, alors nous ferions des bons
jeux et la console se vendrait. C’était sans compter sur le marketing
de Sony… Dommage, au niveau architecture la Dreamcast était
super bien foutue, elle était facilement extensible et aurait pu
devenir une console d’une puissance délirante.
UNE BRÈVE EUPHORIE
Sur Toy Commander Sega nous a laissé une liberté totale. Poussé
par son succès, on a commencé à travailler sur Agharta. Et puis
soudain, réunion de crise chez Sega : on a un problème avec la
Dreamcast, la majorité des gens ne savent pas qu’on peut la
connecter en réseau. Ils nous ont alors proposé de faire Toy Racer,
en l’orientant sur du online. On a eu quatre mois pour faire le jeu. Là
on a vu le virage, c’était le branle-bas de combat, tout le monde
voulait sauver la marque. Peu après nouveau rendez-vous
d’urgence pour annoncer la fin de la Dreamcast, un mois avant
l’annonce officielle et avec comme consigne : interdiction d’en
parler, même aux employés de la boîte. Cela été l’un des trucs les
plus horribles de ma vie. Propos recueillis par Jérôme Dittmar
JV HS Génération Dreamcast | 21
 Le line-up de lancement français
1
SONIC ADVENTURE
SEGA
Attendu désespérément
sur Saturn, Sonic débarque
enfin sur Dreamcast dans
un épisode inoubliable

2
POWER STONE
CAPCOM 1 2
Autre grand nom de l’arcade,
Capcom a connu de belles
heures sur Dreamcast.
Comme avec Power Stone,
génial jeu de baston multi.

3
SEGA RALLY 2
SEGA
Chaque nouvelle génération
de console a sa vitrine
technologique, Sega Rally 2
fut de ceux là. On a vu pire.
3

4
BLUE STINGER
CLIMAX ENTERTAINMENT
Si la Dreamcast est arcade,
elle veut aussi talonner
la PlayStation et ses
jeux cinématiques, à
l’image de Blue Stinger.

5
DYNAMITE COP 4 5
SEGA
La suite de Die Hard Arcade,
ou un beat’em up comme
on en fait plus aux allures
de borne maison.

6
VIRTUA FIGHTER 3TB
SEGA
Les États-Unis ont eu SoulCalibur
au lancement, l’Europe Virtua
Fighter 3TB, variation avec match
par équipe de l’épisode 3.
6

22 | JV HS Génération Dreamcast
 7
MILLENIUM SOLDIER
EXPENDABLE
RAGE SOFTWARE
Un run and gun médiocre importé
du PC et paru également sur PS1.

8
INCOMING
RAGE SOFTWARE
7 8 Venu du PC, Incoming avait pour
but de vanter les graphismes 3D
de la console, mais le portage
n’était pas à la hauteur.

9
MONACO GRAND
PRIX RACING
SIMULATION 2
UBISOFT
Ou quand Ubisoft décide de
concurrencer Formula One avec un
titre recyclé de la PS1 et de la N64.

10
TOKYO HIGHWAY
CHALLENGE
GENKI
Un jeu de course typique de
line up, avec sa belle gueule vite
assombrie par un gameplay
blasant et son circuit unique.

11
10 11 TRICKSTYLE
CRITERION
Cool Borders avec un hoverboard.
En 1999 ça vendait du rêve,
aujourd’hui plutôt de l’ennui.

12
READY 2 RUMBLE
BOXING
MIDWAY
Populaire à sa sortie (sa technique
de haute volée aidant), ce jeu de
boxe manquait de personnalité
pour rester dans l’histoire.
12

JV HS Génération Dreamcast | 23
 Marketing et comm’
Le fantôme d’un
nouveau Sega
Le marketing de la Dreamcast a écopé d’une mission pas
impossible mais presque : redorer le blason de Sega et faire
oublier les échecs du passé. Cette tâche aura mobilisé trois
services de comm’ sur trois continents pour se solder par
trois échecs. Enfin, au moins deux.
par Sylvain Tastet
L
es échecs successifs
des 32X, Mega-CD
et autre Saturn ont
mis à mal l’image
d’un Sega qui ne
sait plus très bien comment se
positionner en terme d’image.
Naguère frondeur et insolent
face à Nintendo, Sega s’est fait
durement gifler par Sony depuis
la PlayStation. Le hérisson bleu a
des cailloux plein ses godasses,
et de toute façon, la firme d’Ōta
sait très bien que le temps des
mascottes est révolu : Sony n’en
a pas eu besoin pour conquérir
le monde. Pas plus qu’elle n’a
eu à recourir à de vulgaires
étalages de performances brutes.
Depuis les débuts de Sega
dans l’industrie de la console
de salon, le marketing a gagné
en sophistication ; en dépit bien
sûr d’évidentes fautes de goût
imputables à d’hasardeuses
erreurs humaines, à la jeunesse
du média et aux années 90 en
général qui, quand on y pense,
n’ont pas grand chose pour
elles. En un mot, si elle veut
24 | JV HS Génération Dreamcast
symboliser l’avenir du jeu, la
Dreamcast doit se débarrasser
de l’image accidentée de Sega
et envoyer un message fort :
« la firme va bien, la console est
incroyable, alors soyez gentils,
allez l’acheter ». Les designers
de la société donnent le la en
produisant une console blanche
qui selon Tadashi Takezaki,
ponte du marketing de Sega,
devait faire oublier aux joueurs
les errances passées – et aux
développeurs l’enfer de la
programmation sur la Saturn.
À partir de là, entre 1998 et
1999, chaque continent tente
à sa manière de suggérer
l’avènement d’un nouveau Sega
en inondant les médias.
JAPON, L’HUMOUR
Entre 1997 et 1998, pour adoucir
la fin de la Saturn et créer une
rupture avec la Dreamcast,
Sega Japon donne naissance
au formidable personnage de
Segata Sanshiro, une relecture
version vieux maître chinois de
l’invisible et trop sérieux Maître
« Condoléances à Sony pour leurs problèmes d’approvisionnement »,
une publicité taquine sachant que la Dreamcast a eu à affronter
les mêmes difficultés.
Sega que nous connaissions en
Europe. Segata Sanshiro apparaît
dans plus d’une vingtaine de
pubs télé, géniales parodies
de sentaï, où le spectateur
le découvre judoka héroïque,
décidé à imposer la Saturn à
tout le Japon. Pour y arriver,
Segata frappe les balles de
baseball à coup de pied, fait
pleurer des gosses, gifle des
ados ou tabasse toute une boite
de nuit avant de partir sur un
slogan simple : « vous devez
jouer à la Sega Saturn ». Segata
Sanshiro incarne le what the
fuck à son sommet. Il atteint
un tel degré de notoriété qu’il
aura même son propre jeu. À la
longue, Segata Sanshiro devient
pourtant un problème pour
Sega qui, au moment de se
défaire de la Saturn, doit aussi
abandonner son héros dont il est
l’icône nippone. Il meurt ainsi
en 1998, dans une dernière pub
délirante, où il sauve les locaux
de Sega en détournant un
missile envoyé par des ennemis
de la Dreamcast. Après sa
disparition, le service marketing
de Sega Japon entame la
communication sur la Dreamcast
avec une campagne dans le
même esprit mais prend à
contre-pied le personnage de
Segata Sanshiro avec Hidekazu
Yukawa, un des pontes de Sega
Japon qui assume son propre
rôle devant les caméras. Dans
ces pubs, le salaryman de la
firme ne cesse d’entendre son
entourage vanter les mérites
de la PlayStation. Triste, abattu
et humble, il fait de son mieux
pour redorer l’image de Sega.
La campagne est si drôle et si
populaire que la marque sort
même des packs de consoles
avec sa photo. Mais en faisant
d’un perdant son héros, il est
possible que la firme se tire
une balle dans le pied. Après
quelques mois, empêtrée dans
les problèmes, la firme range
Yukawa au placard (il est même
rétrogradé dans la hiérarchie) et
lance une campagne plus simple
et plus éclectique, mélange
d’images de jeux et de LOL
gentillet. Après les publicités
très autoritaires de la Saturn,
chaque spot de la nouvelle
console Sega se termine sur
un mignon petit « Dreamcast »
scandé par des voix infantiles.
L’accent est mis sur l’arcade et
le jeu online dans une ambiance
naïve et décontractée.
USA, LA PUISSANCE
Si le Japon a choisi l’humour
La dernière pub Saturn et
pour vendre sa console, dans les
première pub Dreamcast, où
quartiers généraux américains,
Segata Sanshiro détourne
c’est la force qui prime. Sega
un missile envoyé chez Sega
aurait-il mis un genou à terre ? campagne « It’s Thinking » en
par des rivaux visiblement
Peu importe. Pas question de deux phases : la première est
maléfiques.
jouer la carte de la repentance, faite de pubs mystérieuses et
au contraire. Le 12 mai 1999, vaguement arty teasant la date
Peter Moore, alors vice- du « 9 / 9 / 99 », la seconde,
président US du marketing, sportive et bourrine, sent le
annonce par communiqué de jeune mâle, la sueur de vestiaire
presse une « kick ass marketing et le sang. Le résultat est bâtard
campaign » à 100 millions de et, même si le boss de Sega of
dollars. Son plan : préparer America agite le spectre d’un
l’arrivée de la Dreamcast pour le nouveau Sega, dans les faits,
9 septembre 1999 via des pubs il capitalise encore sur le vieil
cryptiques avant de mettre héritage de la Genesis dont le
le paquet sur la puissance nom, c’est presque triste, revient
de la machine. Ainsi nait une parfois pour faire artificiellement
JV HS Génération Dreamcast | 25
 Les campagnes
européennes
tentent,
au hasard,
de choquer ou
de chatouiller
un esprit de
compétition.
Aux US, les spots télé
Dreamcast débordent de
sportifs et de mascottes.
de la Dreamcast une Genesis
seconde génération. Et si
l’intrigant teasing de la période
d’annonce « 9 / 9 / 99 » a pu faire
croire que Sega avait appris de
ses erreurs, le service marketing
de l’Oncle Sam capitule très vite
et retombe dans tous ses
travers en misant sur le sport
et les personnalités (genre le
combo Super Bowl / Arnold
Schwarzenegger). Pire : la note
de service indiquant la fin de
l’âge des mascottes n’est
visiblement jamais parvenue
jusqu’à Irvine, et du coup, Sonic
LA NOTE DE SERVICE
INDIQUANT LA FIN DE
L’ÂGE DES MASCOTTES NE
LEUR EST VISIBLEMENT
JAMAIS PARVENUE.
26 | JV HS Génération Dreamcast
ou Tails apparaissent dans la
moindre pub Dreamcast, souvent
égarés dans une fête modélisée
en 3D que les communiqués
de presse de Sega étaient très
fiers de pouvoir créditer aux
« créateurs du film Fourmiz ».
Au-delà de la niaiserie du
propos, ces spots étaient d’une
laideur assez remarquable. Mais
allez savoir… à une époque où
Dreamworks n’était pas encore
ringardisé par Pixar, ça avait
peut-être de la gueule. Reste
que cette seconde phase
ne colle plus avec le slogan
« It’s Thinking » des débuts
qui, pourtant, est toujours là.
En l’état, force est de constater
que si aux US la Dreamcast
est Thinking, elle pense hélas
au ras des pâquerettes.
EUROPE, LE ONLINE
C’est en Europe que la campagne
Dreamcast aura finalement été
la plus sage, Sega y mettant
l’accent sur le jeu online avec
un slogan simple : « Jusqu’à
six milliards de joueurs ». Le
marketing d’Ōta nous y montre
peu de jeux sinon pour souligner,
et c’est une nouveauté chez
Sega, qu’ils sont en 3D. La
plupart prennent place dans une
scène quotidienne du bureau
ou chez le coiffeur, où soudain,
plusieurs personnes entrent en
compétition. L’idée de ces spots,
vous l’imaginez bien, est de
montrer à quel point il est simple
de défier un autre joueur où qu’il
soit dans le monde, car cette
fameuse console Dreamcast est
vendue avec un modem de série.
Hélas, à une époque où le joueur
lambda ne savait encore que
trop vaguement ce qu’était
Internet, il n’est pas certain
que ces campagnes papiers
et télé, vite évincées par les
pubs PlayStation 2, aient eu
un impact délirant. Certains
défenseurs de Sega disent
qu’à capitaliser sur une techno
futuriste, le hérisson bleu était
trop en avance sur son temps.
D’autres, plus pragmatiques, se
contentent de le trouver à côté
de la plaque.
 La sortie
française
vue par la presse
Annoncée par un Sega au creux de la vague
et sortie en pleine campagne de promotion
de la PlayStation 2, la Dreamcast n’a pas
connu une sortie française facile.
par Sylvain Tastet
Q
uand avant l’été 1998, Sega
officialise la Dreamcast en grande
pompe sans présenter un seul jeu,
la presse française ne sait pas
vraiment quoi penser. Tout le monde
sait alors que la marque va mal, et qu’elle jette ses
dernières forces de constructeur dans ce projet.
Consoles+ est formel : Sega est de retour en
grande forme. L’article de 10 pages évoque une
machine incroyable, des démos impressionnantes
et des rumeurs de Final Fantasy VIII. Son auteur
n’a pas pu s’empêcher de noter l’apparition
de Sonic dans le bulletin météo nippon du jour
et ne tarit pas d’éloge sur le buffet de clôture de
l’événement, signe selon lui que « Sega s’est donné
les moyens pour se relancer ». La rédaction de
Player One n’a pas du voir ledit buffet et n’accorde
que deux pages à cette console de la dernière
chance, dont les journalistes n’ont hélas vu « qu’une
seule vidéo, pas du tout impressionnante ». Mis sous
presse quelques semaines plus tard, Consoles News
s’offre quant à lui un article de quatre pages. Bien
que l’avenir de la console y apparaisse incertain,
ce papier rassure en présentant enfin des jeux,
et précisons même : des jeux intéressants.
UN REGARD VERS LE JAPON
Pendant un an, donc jusqu’à sa sortie française
le 14 octobre 1999, la Dreamcast est le sujet
principal des rubriques import de toutes les
Cette couv aurait du être celle de la
Dreamcast et qu’y voit-on ? La Play 2
et des rumeurs Nintendo…
publications. Avant même qu’elle arrive sous
nos latitudes, la console de Sega a fait couler
beaucoup d’encre. Trop même. Car la France est
un pays qui aime à tel point regarder vers le Japon
que le jour où la Dreamcast est sortie en Europe,
tout avait déjà été dit à son sujet, elle faisait déjà
partie du paysage. Elle incarne la bonne machine
que le public a attendu sans impatience en saluant
ses nombreux jeux, mais surtout en commentant
les péripéties d’un Sega qui n’en finit plus de
prendre l’eau et de licencier à tour de bras. Pour
rêver, la presse regarde ailleurs, du côté de chez
Sony ou Nintendo dont les imminents Zelda Gaiden,
Project Dolphin et autre PlayStation 2 n’en finissent
plus de faire les unes de tous les magazines où
la Dreamcast n’existe plus qu’en second plan.
Résultat : en dépit d’un line up de lancement
imposant (où on trouve Sonic Adventure ou Sega
Rally 2) la sortie européenne de la dernière console
de Sega a été un événement plutôt confidentiel,
avant tout connu pour avoir été décalé à cause
de problèmes techniques. Mais s’il est discret,
ce lancement n’est pas mauvais pour autant.
Le constructeur écoule plus de 42 000 machines
sur le sol français à la fin du premier week-end
de commercialisation et connaît de bons chiffres
de vente en fin d’année. À quelques mois de
l’arrivée de la PlayStation 2, et avant la sortie
des titres majeurs de sa console, Sega ne pouvait
pas vraiment faire mieux.
JV HS Génération Dreamcast | 27
 La Dreamcast
comme vous ne
l’avez jamais vue
Si on connait tous les lignes blanches épurées de la Dreamcast,
la machine à rêves de Sega a connu pléthore de visages.
Qu’elles soient blanches, noires, en forme de lecteur DVD ou de PC,
une chose est sûre, ces Dreamcast-là n’ont jamais trôné sous votre télé.

par Bruno Pennes

28 | JV HS Génération Dreamcast
 La Dreamcast
des pros
Dreamcast Dev.Box

D
e loin, la Dreamcast
Dev.Box ressemble
à un PC Auchan de
1997. Pourtant, il
s’agit là de l’outil
qui a servi à créer tous les jeux
de la console. Une fois relié à
un PC, le kit de développement
permettait de tester du code
en conditions réelles, soit via le
lecteur GD-rom intégré, soit en

La Dreamcast transférant le jeu non finalisé sur

le rutilant disque dur de 4 Go qui

s’appelait Katana équipait la machine. Peu après

sa sortie, la Dreamcast Dev.Box
se verra adjoindre un graveur
de GD-rom externe, pour

Prototypes que les studios puissent tester

leurs jeux sur des Dreamcast
conventionnelles.

B
ien que la Dream soit sortie au tournant du nouveau
millénaire, il existe finalement peu de documents
de travail la concernant, par rapport à d’autres
consoles bien plus âgées. Quelques photos floues
ont néanmoins franchi les portes de Sega, planquées
dans la poche d’un employé qu’on imagine licencié comme
tant d’autres. Avec sa 128 bits, Sega a tatonné. Les premières La Dreamcast
esquisses de la Dreamcast ressemblent d’ailleurs à peine à une
console. Sur l’une d’entre elles, les quatre ports manette sont
déjà là, mais sous forme d’excroissances. L’avant de la machine
des cavernes
se soulève comme un capot de voiture pour ingérer le disque
et le prototype n’a même pas de bouton Power. Une seconde
évolution rappelle beaucoup la Saturn. Trop, sans doute, et vu
le manque de popularité de sa 32 bits à l’époque, pas étonnant
NEC Arc1A PowerVR

que Sega ait fait l’impasse. Plus sexy, un troisième proto se
rapproche du design définitif. La console arbore même une
fenêtre permettant de voir le GD-rom tourner, idée qui sera
abandonnée par la suite. Le dernier modèle avant production est
indifférenciable de la version finale pour le profane. Mais l’oeil
averti aura repéré l’absence de logos et le bouton Start rond
sur le pad, qui sera corrigé avant la sortie.
E
n 1995 et 1996, les constructeurs de cartes
graphiques préparent l’offensive des cartes 3D. NEC
développe plusieurs prototypes dont la NEC Arc1A
PowerVR, équipée d’une version pré alpha de la
puce Power VR 2. Cette carte, restée à l’état de
prototype, servira de tout premier kit de développement à Sega,
associé à un simple Pentium II et à 32 Mo de RAM. L’ensemble ne
fournissait que 20 % de la puissance finale de la Dreamcast, mais
réussissait à faire tourner des démos de portages arcade, comme
Scud Race.

JV HS Génération Dreamcast | 29

La Dreamcast
de 40 Go
Dreamcast Pace
D
ébut 2001, Sega et le constructeur américain
Pace tiennent une conférence de presse devant
un parterre de journalistes intrigués. Habitué des
set top boxes, ces enregistreurs numériques qui
cartonnent alors aux États-Unis, Pace dévoile
un nouveau concept de box, dotée d’un énorme disque dur
de 40 Go et de quatre ports manette… Dreamcast ! Les deux
compagnies ont en effet signé un accord pour proposer
une offre avec console intégrée. Plus de lecteur GD-rom, la
Dreamcast passerait au dématérialisé. Selon le vice-président
de Pace Andrew Wallace, très sûr de lui au moment de
l’annonce, les fournisseurs de contenus proposeront des
chaînes Dreamcast permettant au joueur de télécharger en
quelques minutes des démos des jeux, puis d’en acheter les
versions complètes sans bouger de leur canapé. Mieux, grâce à
la caméra Dreameye, les joueurs pourront discuter en vidéo tout
en jouant. Et Wallace d’ajouter : « Notre enregistreur inondera le
marché européen l’année prochaine, et sortira aux États-Unis
si les clients le souhaitent ». Vous vous doutez de la suite.
30 | JV HS Génération Dreamcast
La Dreamcast
passe à la télé
Divers 2000 CX1
Q uestion combi, Nintendo avait ouvert la voie des
années avant avec le My Computer TV C1 et le SF-1
SNES TV, qui englobaient respectivement la NES et
la SUPER NES dans un écran cathodique. Le Divers
2000 CX1 en reprend l’idée, en ajoutant un peu de
la folie Sega de l’ère Dreamcast. La console est contenue dans ce
modeste 14 pouces au design si particulier, évoquant tour à tour un
iMac et un Slime de Dragon Quest. Les protubérances en plastique
vert ne servent absolument à rien, les jeux s’insèrent au dessus du
combi et des côtés de la bête s’échappent des lumières blafardes
au rythme des sons que jouent les haut-parleurs intégrés. Le CX1
était livré avec une manette personnalisée, un clavier, un micro-
casque, une télécommande et la Dreameye. Sans trop de surprise,
il a fait un four, mais se négocie à plusieurs milliers de dollars
aujourd’hui.
La Dreamcast
la plus rare
SFL-2000P1 Control Unit
O
ctobre 2014. Un bien curieux appareil estampillé
Sega fait une apparition furtive sur l’eBay anglais,
avant d’être raflé pour 120 livres. L’engin, connu
sous le petit nom de SFL-2000P1 Control Unit,
éveille les curiosités. En quelques mois, le site
TheDreamcastJunkyard.co.uk finit par recouper assez d’infos
pour lever le voile. Il s’agit en fait d’un prototype de console
pour cybercafés et bornes de démos, qui n’aurait été testé
que dans quelques établissements avec le jeu de stratégie
Hundred Swords. Le SFL-2000P1 est même mis en avant
dans les rapports financiers de Sega, judicieusement placé
sous un écran LCD siglé Sega. Le constructeur qui se rêvait
en roi du tout connecté voulait-il en faire un terminal Internet
pour cafés nippons ? L’histoire ne le dit pas.
 La Dreamcast
de l’an 2000
Dreamcast DVD

À
l’E3 2000, Sega présente sous une vitre
de Plexiglas une potentielle évolution de la
Dreamcast. Le DVD est alors en plein boum et le
constructeur paye cash son erreur d’avoir refusé
ce support. Sortie depuis à peine un mois au
Japon, la PS2 s’arrache comme des petits pains en tant que
platine de salon, malgré des soucis liés au pilote du lecteur DVD
de la console, intégré à la carte mémoire et trop facilement
corruptible. Avec une Dreamcast DVD, Sega pourrait prendre
le train en marche. Hélas, l’idée ne verra jamais le jour. Simple
lecteur DVD à brancher à une Dream via le port modem ou
véritable nouvelle console, le prototype n’a jamais été revu après
le salon. Certains avancent même qu’il ne s’agissait que d’un
lecteur DVD maquillé, voire d’une coque vide destinée à donner
le change auprès du public.

La Dreamcast
en vadrouille
Treamcast

B
ien connue des amateurs de rétrogaming, la
Treamcast fait en revanche office de bizarrerie pour
le joueur moyen. Produite en Chine en même temps
que la Dream officielle, cette console semi-artisanale
s’écoulait dans les boutiques de Hong-Kong et via
de rares revendeurs Internet avant que Sega dégaine son armée
d’avocats. Mais même si on parle de Chine, n’allez pas croire
que la Treamcast est un clone bête et méchant, comme les
dizaines de fausses NES qui inondèrent l’Asie dans les années
90. La Treamcast, c’est avant-tout une vraie Dreamcast (de
seconde main ?), qu’on a dépouillé de sa carcasse pour l’engoncer
dans une coque plus petite. Mais son vrai plus, c’est son écran
de 5 pouces (souvent, du surstock de dalles pour PSOne)
directement soudé à la console. Ainsi équipée, cette véritable
Frankencast totalement dézonée était vendue avec une manette,
un Action Replay piraté et un adaptateur allume-cigare, le tout
emballé dans une jolie sacoche de transport. Si vous étiez un
petit Hong-kongais de treize ans en 2001, vous avez peut-être
joué à Sega Rally 2 ou Shenmue sur un écran flou à l’arrière de
la voiture familiale. N’hésitez-pas à nous dire si c’était plus cool
que ça en a l’air.

JV HS Génération Dreamcast | 31
 Accessoires
et bizarreries
En une paire d’années d’existence, la Dreamcast a vu éclore
une profusion d’accessoires plus innovants les uns que les autres.
Prolifique, Sega aura produit des appareils uniques, mais
souvent dispensables ou trop en avance sur leur temps.

par Bruno Pennes

Clavier
et souris
1999
Pour beaucoup d’ados, la Dreamcast
était le seul moyen de connexion à
Internet dont ils pouvaient disposer
dans leur chambre, les parents
n’étant pas très au fait de cette
capacité. Pour faciliter les échanges
écrits, notamment sur Phantasy Star
Online, ou permettre aux joueurs
de Quake III de jouer à armes égales
contre leurs homologues PC (le jeu
était cross plateform), Sega sort
son clavier et sa souris dès 1999.
Le design européen est sommaire,
mais les japonais auront droit à des
éditions spéciales plus colorées.

Dreamcast Fishing Controller

1998
De toutes les expérimentations bizarres de Sega, Sega Bass Fishing est sûrement
l’une des plus réussies. La Sega AM1 R&D Division arrive à rendre la pêche virtuelle
passionnante et le Fishing Controller n’est pas étranger à cela. La manette préfigure
la wiimote et vibre quand un poisson mord à l’hameçon. Anecdote amusante,
elle était aussi compatible avec SoulCalibur et Virtua Tennis, dans lesquels
elle simulait l’arme des combattants ou la raquette des joueurs.

32 | JV HS Génération Dreamcast
 VMU
1998
Avec le VMU, ou Visual Memory Unit, Sega entend
proposer une expérience plus poussée que celle
des cartes mémoire de Sony. Car grâce à son
écran monochrome et ses boutons de manette de
jeu, le VMU n’est pas qu’un support de stockage.
Enfiché dans le pad de la Dreamcast, il devient un
second écran, capable d’afficher des infos utiles
ou des petits gimmicks. Comme dans Virtua Tennis,
où on assiste au match façon 8 bits. Séparé de la
console, il peut même se changer en mini console
portable. Ainsi, Sonic Adventure 1 et 2 proposent
les Chao Adventure, des petits jeux qui permettent
de débloquer des items dans l’aventure principale.
Malheureusement, trop peu de jeux utiliseront
correctement les capacités du VMU et sa forte
consommation de piles entachera sa réputation,
beaucoup de joueurs croyant qu’un VMU sans
batterie perdait ses sauvegardes (ce qui n’était
évidemment pas le cas).

VMU MP3 player Lecteur Zip

Annulé Annulé
Dévoilé au Tokyo Game Show 2000, cette déclinaison lecteur Malgré une apparition en 2007
MP3 du VMU aurait pu plaire aux joueurs mélomanes, avec sur eBay, le lecteur Zip pour
ses 64 Mo de capacité et son prix sous les 100 dollars. Mais la Dreamcast n’a jamais
avant même que les testeurs aient pu éprouver sa batterie, été autre chose qu’un
l’engin disparut, comme toutes les autres rêveries de Sega. prototype. Au crépuscule
de la console, Sega fait
le choix des disquettes
Iomega d’une capacité
de 100 Mo, plutôt
qu’un coûteux disque
dur. L’idée derrière
le Zip était de
stocker davantage
de sauvegardes de jeux,
d’avoir un support mémoire
additionnel pour naviguer sur
le Web et d’introduire une
politique de DLC, par exemple en
proposant de nouvelles cartes pour Quake III.
S’il avait vu le jour à l’automne 2000 comme
prévu, il aurait aussi apporté deux ports USB
à la Dreamcast, lui ouvrant de nouvelles
possibilités d’évolution.

JV HS Génération Dreamcast | 33
 Dreamcast Gun
1998
Jamais sorti aux États-Unis, le light gun officiel de Sega aura
procuré de belles heures de jeu aux Européens et aux Japonais,
notamment sur The House of The Dead 2. Malgré un look
plastique un peu cheap, il était bien conçu et pouvait accueillir
un VMU ainsi qu’un kit de vibration. Chez l’Oncle Sam, c’est le
Dream Blaster de Mad Catz et son look de pistolet à colle qui
fera office de flingue officiel. Un choix que Sega expliquera par
son absence totale de ressemblance avec une arme réelle, dans
un souci d’apaiser les esprits après la tuerie de Columbine.

Dreameye
2000 Drikara
Quelques mois avant de jeter l’éponge, Sega sort le 2001
Dreameye, une webcam innovante, qui fait aussi appareil
photo numérique. La fiche technique n’a rien de ridicule La plupart des étrangers ne comprennent pas la passion des
pour l’époque, puisque le Dreameye peut prendre des Japonais pour le karaoke. En pleine agonie, Sega lui, sait qu’un
photos en 640 x 480 et dispose d’une batterie endurante périphérique de chant pour sa Dreamcast ne peut que booster
jusqu’à 300 clichés. Le logiciel VisualPark, le seul compatible les ventes locales. Il sort alors le Drikara, un accessoire
avec la caméra, se compose lui d’un éditeur de vidéos d’une endémique de l’archipel qui vient se greffer sous la console.
durée maximale de 25 secondes, vidéos qui pouvaient être Pour le constructeur, ce n’est pas une première. La Mega Drive,
exportées sur VMU. Une sorte de Vine avant l’heure. huit ans auparavant, a déjà eu droit à son karaoke pour
Mega-CD. Cette fois, Sega innove en proposant un système de
téléchargement de chansons par Internet,
via son interface Sega Kara.
L’appareil peut alors stocker 5
clips vidéos téléchargés à
la fois, qui se récupèrent
en quelques minutes
avec l’adaptateur
haut-débit. Les prix,
eux, sont
raisonnables si le
joueur/chanteur
compte rentabiliser
le service. 500 yens
(4 euros) pour 24h
d’accès, ou 3000
yens (25 euros) pour
un mois complet.

34 | JV HS Génération Dreamcast
 Et aussi…
Dreamphone
Non daté
Maracas
Si vous étiez en âge de passer des coups
de fil dans les années 90, vous vous
rappelez sûrement de ces moments,
Samba de Amigo
Conçus spécialement pour le jeu. Peut-être
pénibles, où vos amis étaient injoignables le périphérique officiel le plus cool jamais sorti
le soir. En cause, la ligne téléphone occupée avec les Bongos de Donkey Konga.
pendant des heures par la connexion
Internet. Disponible en toutes petites
quantités au Japon via le programme
de fidélité Dreamcast, le Dreamphone se
connectait à la Dreamcast et permettait de

Puru Puru Pack

recevoir des coups de fil même en surfant
sur le Web. Avis aux collectionneurs, l’item
est plus rare qu’un dahu unijambiste.
Un kit de vibration identique au Rumble Pack de
la Nintendo 64. Au grand dam de certains gamins
déçus, il ne faisait pas office de carte mémoire.

Microphone
Un micro moche qui se branche sur le port VMU
de la manette. Indispensable pour jouer à Seaman.

Swatch Access Twin stick

Annulé Un stick arcade à deux manches créé spécialement
pour le jeu de robots Cyber Troopers Virtual-On:
Fruit d’une collaboration entre Sega et Oratorio Tangram.
Swatch, Swatch Access aurait du devenir
un service connecté utilisant à la fois le
réseau Sega et les montres de la marque
suisse. Grâce au NFC, les deux compagnies
souhaitaient développer un système de
paiement pour les cinémas, les stations
de ski et l’industrie du loisir. Il n’a jamais
passé le stade des photos rigolotes entre
Isao Okawa et Nick Hayek, les dirigeants
Stick arcade
Pour retrouver les sensations de Virtua
des deux firmes. Fighter 3 dans son salon. Lourd et bien
conçu, il accueillait aussi un VMU.

Adaptateur réseau
Jamais sorti du japon, cet accessoire permettait
de connecter la Dreamcast à l’ADSL, déjà très
répandu sur l’Archipel.
Câble VGA
Un câble officiel Sega qui permettait à la
Dreamcast de se connecter à un écran PC en
640 x 480 pour une qualité d’image supérieure.

JV HS Génération Dreamcast | 35
 Un rêve
pour les
pirates
La PlayStation n’a pas été la seule
à subir une offensive pirate.
La carrière éclair de la Dreamcast
a aussi été marquée par un pillage
en règle de sa ludothèque…
en partie causé par Sega.
par Bruno Pennes
36 | JV HS Génération Dreamcast
D
ans les cours de
récré entre 2000
et 2001, deux
clans de joueurs
Dreamcast
s’affrontent. D’un côté, les
Sega-fans de la première heure,
qui narrent les aventures de Sonic
3D à qui veut bien les entendre,
et collent des bourre-pifs à ceux
qui osent prétendre que Tekken 3
vaut bien leur SoulCalibur. Ces
disciples convaincus de l’ordre
de Shenmue achètent leurs jeux
et rangent soigneusement leur
collection de GD-rom sur la petite
étagère Confo qui leur est
rigoureusement dédiée. Et puis, il
y a les autres. Pardon. Les Autres.
Les pirates. Soigneusement
rassemblés autour de celui
ayant la meilleure connexion
Internet, ils se refilent billets de
20 et CD vierges, et partagent
des piles de disques gravés
(Verbatim pour les plus riches,
Princo pour les prolos). Souvent,
ceux-là ont acheté leur Dreamcast
à la faveur d’une énième baisse
de prix, et passeront à l’ennemi
Sony quand le vent aura tourné.
Car en ce nouveau millénaire, la
Dreamcast est devenue une
console d’opportunistes, de
jeunes gens persuadés de
pouvoir jouer à des centaines de
jeux sans filer 1 franc à Sega…
hormis les 1000 que vaut alors
la machine. Même sans réseaux
sociaux, tout le monde le sait : la
Dreamcast est la console la plus
facile à pirater du moment.
CD-MIL ET IMAGES DISQUE
Si vous avez lu notre hors-série
consacré à la PlayStation, vous
savez déjà que la bécane de
Sony a rapidement cédé face
aux puces qui ont su contourner
ses protections. Pour se
prémunir de ces désagréments,
Sega opte dès les premiers
mois de conception pour un
support propriétaire, le GD-rom.
La techno est identique à celle
d’un CD classique, mais les
sillons à la surface de la galette,
plus rapprochés, permettent de
stocker 1,2Go de données
contre en moyenne 700Mo pour
un simple disque compact.
D’autres astuces, comme une
gravure multi-pistes intelligente,
empêchent pour de bon les

Bleemcast! permettait de
découvrir les jeux PlayStation,
ici Gran Turismo2, avec une
résolution réhaussée et
des textures lissée. La PS2
proposera cette fonction de
manière officielle, mais en
largement moins bien.
lecteurs CD des PC de lire les
jeux Dreamcast. Et à la sortie
de la Dream, effectivement,
les protections de la 128 bits
tiennent bon. Pendant dix-huit
mois, pas un jeu n’est piraté.
Mais contre toute attente, c’est
finalement Sega qui va causer
la perte de sa propre console.
Car les pirates ont découvert le
Mil-CD, un obscur format de
CD audio enrichi grâce auquel
Sega distribue du contenu
promotionnel. Insérez un Mil-CD
dans votre platine de salon, et il
lira de la musique. Mettez-le dans
votre Dreamcast, et il lancera
un navigateur Internet ou un
programme. Le Mil-CD est une
exception tolérée par la console.
Un moyen de lancer du code
Dreamcast sur un disque autre
qu’un GD-rom officiel. Bref, un
joli Cheval de Troie dans lequel
des millions de joueurs près de
leurs sous vont s’entasser.
DE LA REINE DE L’ARCADE
AU RENNE DES PIRATES
En juillet 2000, la nouvelle tombe.
La Dreamcast est piratée. En
exploitant la faille du Mil-CD, le
groupe Utopia a développé un
petit logiciel qui, une fois chargé
sur un CD-rom, ordonne à la
console de lancer n’importe quel
code informatique, y compris
des jeux. Dès son arrivée sur
Internet, et grâce à un fort relais
Si le piratage sur
Dreamcast a nui à bon
nombre d’éditeurs, il a
aussi permis aux joueurs
de découvrir le portage
de Half-Life, terminé
mais jamais sorti
officiellement.
des médias, la popularité de
l’Utopia Boot CD explose. Les
collégiens et lycéens s’échangent
ce soft à graver, qui, avec ses
1Mo, ne prend que quelques
instants à télécharger même sur
la connexion Internet asthmatique
de leur établissement. En
chargeant le disque dans la
console, ils découvrent un
renne en 3D tournoyant et une
invitation à ouvrir le capot de la
Dreamcast pour y insérer un jeu
gravé. Le frisson de l’interdit est
total. À ce stade, si vous avez
bien tout suivi, vous devez vous
demander comment les pirates
ont réussi à copier le contenu
des GD-rom Dreamcast, si leurs
ordis sont incapables de les lire ?
Encore une fois, le salut viendra
de Sega. L’année précédente, le
constructeur a commercialisé un
adaptateur haut-débit pour la
console, qui vient normalement
se brancher à un modem ADSL.
Rapidement, les groupes de
pirates mettent au point un
programme qui, chargé, dans la
console, va transférer le contenu
des GD-rom sur un PC relié à la
Dreamcast. Car si le PC n’est
pas capable de lire les jeux, la
console, elle, sait très bien le
faire ! Dans les heures suivant la
mise à disposition du Utopia
Boot CD, des titres Dreamcast
prêts à graver font leur apparition.
18 jeux le jour même. 80 fin juillet.
Bleemcast !
Quand la
Dreamcast
permettait
de pirater la
Playstation
Parmi vous, certains ont
peut-être connu l’émulateur
Bleem! qui laissait le joueur PC
découvrir, en version lissée, les
plus grands jeux de la première
PlayStation. Logiciel commercial,
Bleem! a tenté d’arriver sur
Dreamcast en profitant de la
faille découverte par Utopia. La
promesse était folle : jouer à
des milliers de jeux PS1 sur
Dreamcast, avec une résolution
améliorée et des textures
lissées. Sous sa forme entière,
l’émulateur ne passa pas le
stade de la beta, la société
ayant du mal à optimiser son
programme pour une ludothèque
gigantesque. Au final, seuls
trois versions de Bleemcast!
sortirent : Bleemcast! Gran
Turismo 2, Bleemcast! Tekken
3 et Bleemcast! Metal Gear
Solid. Evidemment, la beta du
Bleemcast! original, qui faisait
tourner la plupart des jeux
correctement, fut piratée.
Avec la faille Mil-CD,
il n’a pas fallu longtemps
aux bidouilleurs pour
programmer un logiciel
capable de transférer
les jeux sur PC via
l’adaptateur réseau.
70 de plus au moins d’août.
À l’automne 2000, alors que
la console agonise déjà, plus
de 330 jeux sont disponibles
gratuitement sur le Web. Effet de
bord, les ventes de la Dreamcast
remontent en flèche, +150 %
entre juillet et septembre. Le
Japonais devrait se réjouir de ces
ventes record. Mais le piratage
de sa console sonne comme un
coup de poignard supplémentaire
dans le dos d’un Sega agonisant.
Les fabricants de graveurs, dont
Sony fait partie, se frottent en
revanche les mains. Les pirates,
eux, maitrisent désormais
intégralement la machine. Les
jeux deviennent rapidement
autoboot, comprenez qu’ils
intègrent d’emblée le logiciel
d’Utopia. Même si les GD-rom
ont 1,2 Go de capacité, la plupart
des jeux, tirés de l’arcade, ne
pèsent que 200 ou 300 Mo et se
gravent sans souci. Les plus gros
ne résistent pas tellement plus, et
s’accommodent des 700 Mo des
CD du commerce moyennant
une ou deux cinématiques
supprimées. Moins d’un an après
son piratage, la Dreamcast
meurt. Paradoxe grotesque, sa
ludothèque entière est trouvable
sur le Net tandis qu’en boutiques,
les revendeurs bradent ces
mêmes jeux pour quelques
dizaines de francs. Voire pour
le prix d’un simple CD-vierge.
JV HS Génération Dreamcast | 37

La Dream
toujours
à la mod
Depuis la fin de la console, une partie
des pirates se sont mués en communauté
de passionnés. À force de modifications,
ils continuent à faire évoluer
la Dreamcast pour l’empêcher
de tomber dans l’oubli. Florilège.
par Bruno Pennes
38 | JV HS Génération Dreamcast
Remplacer un lecteur
GD-rom décédé
Le lecteur optique de la console est
très fragile. Heureusement, des
bidouilleurs ont réussi à le remplacer
par des cartes SD, voire de vrais
disques durs. Une partie des hacks fait
croire à la console que le lecteur
GD-rom est toujours là, grâce à une
interface qui l’émule. Mais certains
accessoires passent carrément par le
port COM, à l’arrière de la console,
pour ne pas avoir à démonter quoi que
ce soit. Cela revient à brancher
l’équivalent d’une simple clé USB. Une
fois installées, les manips imposent de
passer par DreamShell, un logiciel qui
sert à charger des ISO des jeux. Si la
frontière de la légalité est franchie, ces
mods ressuscitent des Dreamcast dont
les lecteurs GD-rom sont souvent
morts depuis des années.
Booster la qualité d’image
Comme l’immense majorité des consoles de l’époque, la Dreamcast était branchée en
composite ou en Peritel. Mais elle supportait aussi le VGA, qui donnait une image de
qualité bien supérieure. Sur nos télés modernes, c’est l’idéal pour redécouvrir les jeux
de la machine. Les amateurs ayant fait électronique LV2 au lycée peuvent ajouter la
prise VGA directement sur la console, moyennant quelques soudures. Plus d’image qui
bave ni de couleurs délavées, la Dreamcast s’affiche sous son meilleur jour.
Passer les jeux
en 16/9eme
Prévue pour sortir du 4/3, la Dreamcast
peut, grâce à une petite manipulation,
afficher quelques-uns de ses plus grands
jeux en 16/9, le format le plus répandu
de nos jours. Il faut pour cela utiliser
un Codebreaker ou un Action Replay, et
entrer un code dédié par jeu (facilement
trouvable sur le Net). En modifiant les
réglages caméra, le code permet d’élargir
la vue pour simuler un rendu écran large
et supprimer les épaisses bandes noires
sans déformer l’image.
Time Crisis
Les dernières heures
de la Dreamcast
Les apparences sont peut-être trompeuses, mais la Dreamcast
ne s’est pas arrêtée en pleine ascension. Trop tôt, sûrement, mais
en coulisses la mort annoncée de la console était une histoire de
longue date, et surtout de temps. Retour sur les dernières heures
d’un feuilleton qui, depuis, a connu quelques épilogues.

par Jérôme Dittmar

L
ancée avec succès en Europe et aux
États-Unis, la Dreamcast n’était pas
encore distribuée au Japon qu’elle
rencontrait déjà des difficultés. Des
retards dans la livraison des consoles,
entraînés par un important ralentissement de la
production dû à des soucis d’approvisionnement
chez NEC, contrecarrent les premiers objectifs de
ventes de Sega. Ce départ contrarié, qui obligea
la firme à faire des excuses publiques dans
Famitsu, a quelque chose de prémonitoire. Malgré
ses efforts, sa volonté de prendre de l’avance
et couper l’herbe sous le pied de ses concurrents,
la marque au hérisson n’a pas su remonter la
pente qu’elle avait dévalée avec la Saturn. Mais
l’échec de la Dreamcast n’est pas que celui d’une
machine qui n’aurait pas rencontré son public,
même si ses maigres 9,13 millions de ventes ont
réussi à faire pire que toutes les autres consoles de
la marque. Ce n’est pas non plus une conséquence
plus ou moins lourde des divers accidents qui
ont émaillé sa brève durée de vie : ainsi des mois
compliqués qui ont suivi le lancement américain,
avec des critiques en pagaille sur la pénurie de
VMU, les mauvais drivers de Ready 2 Rumble
ou le Light Gun annulé à cause du massacre de
Columbine. L’échec de la Dreamcast est avant
tout une tragédie industrielle à la fois banale et
héroïque. Un moment de l’Histoire du jeu vidéo
aux ramifications multiples où tout, ou presque,
a été une question de timing.
LES LOIS DE L’ATTRACTION
Quand la Dreamcast sort au Japon fin 1998, la
situation financière de Sega est difficile. En interne
on dit déjà que ce sera la dernière console de la
marque. David Rosen, ex co-fondateur alors en
retraite, pousse même à aller vers le software.
Mais Isao Okawa, grand patron, entend finir avec
les honneurs. Il réussira son pari, laissant dans le
cœur des joueurs un souvenir qui pour toujours
fera rentrer Sega au panthéon des grands du jeu
vidéo. Mais en 1999, l’Histoire n’a pas encore fait
son oeuvre et très vite, à peine quelques mois
après la sortie japonaise, la contre-attaque de Sony
porte un premier coup décisif. Nous sommes le
2 mars, et l’ennemi juré de Sega vient de dévoiler
sa PlayStation 2. Parmi les specs, l’ajout du
support DVD, que Sega n’a pas retenu pour des
questions de coûts, retiendra l’attention de tous
et participera grandement au succès de la console
à ses débuts. Dans les coulisses de l’industrie,

40 | JV HS Génération Dreamcast
Shenmue II : baptisé en interne Shamemue, le chef d’oeuvre au budget pharaonique
de Yu Suzuki aura symboliquement coulé avec sa console.
on murmure déjà que la Dreamcast est morte,
que Sony vient de tuer la machine qui n’est même
pas encore distribuée en Occident. Sega tentera
de répondre par des chiffres de ventes non
négligeables ; Bernie Stolar (en charge des US)
essaiera de minorer les capacités de la console,
à raison, mais le mal est fait, Sony aura une fois
de plus réussi sur le terrain où Sega a tout perdu
depuis la Saturn : le marketing. Tactique d’inception
qui lui coûtera cher.
LA FUITE DES CERVEAUX
Sega ne baissera pourtant pas les bras trop vite.
Si la marque doit désormais gérer avec l’attente
du public pour la PS2, simultanément il continue
de nouer des partenariats avec des third party
sinon des first, comme No Cliché, le studio de
Frédérick Raynal auteur de Toy Commander
(voir notre historique p.14). Les annonces de
nouveautés ne cessent alors de tomber et les
joueurs ont de quoi rêver avec les promesses
de SoulCalibur, Resident Evil : Code Veronica,
Shenmue ou D2, tous montrés au Tokyo Game
Show de 1999. Mais ce que Sega ignore alors,
et qu’elle a pourtant tenté d’anticiper avec son
hardware et en se constituant un joli catalogue (ce
qu’elle avait raté sur Saturn), c’est que les studios
n’ont pas les capacités, ni le temps, de se
démultiplier. Après avoir oeuvré sur Dreamcast,
de nombreux développeurs tels que Namco,
Konami, Ubisoft, partent ainsi travailler sur
PlayStation 2, délaissant une Dreamcast dont Crazy Taxi 2
l’avenir devient dès lors incertain (sans citer ceux
comme Electronic Arts qui divorceront d’emblée
pour des raisons aussi stratégiques que
personnelles). Malgréle succès de certains titres
qui font le buzz et encouragent encore quelques
studios à rejoindre les rangs (Bizarre Créations,
id Software avec Quake 3), l’attrait de Sony sera
plus fort. Sega le sait. Tout comme il sait que
les ventes de jeux ne sont en réalité pas bonnes,
voire catastrophiques au Japon. Tout ceci pèsera
dans la balance et fera de l’an 2000, où fut décidé
l’arrêt, un moment aussi décisif que symbolique.
Unreal Tournament, ou quand
WORLD WILD WEB Sega surfait sur l’engouement
L’une des grandes promesses de la Dreamcast est du jeu PC en ligne. Enfin quand
un héritage de la Saturn : le jeu en ligne. Mais rien ne les options étaient disponibles...
s’est passé comme prévu, et Sega s’est embourbé
pour tenter maladroitement de rectifier le tir. Tout
d’abord le système a tardé à se mettre en place
alors qu’il était vendu comme une fonctionnalité star
JV HS Génération Dreamcast | 41

Heavy Metal: Geomatrix
Virtua Tennis 2
Garou: Mark of the Wolves
SONY AURA UNE FOIS DE
PLUS RÉUSSI SUR LE TERRAIN
OÙ SEGA A BEAUCOUP PERDU :
42 | JV HS Génération Dreamcast
Sorti uniquement aux USA six mois après l’annonce de l’arrêt de la Dreamcast,
Alien Front Online, conçu pour le multijoueur en ligne, a quelque chose d’un acte manqué.
de la machine. Comme l’explique Frédérick Raynal
dans notre entretien (voir p.14), Sega s’est rendu
compte ensuite que la majorité des joueurs ne
connectaient pas leur console. Qu’on l’appelle
Dreamarena (en Europe), Seganet (aux USA) ou
Dricas (au Japon), la plateforme ne réunissait
alors que 2 à 3 acheteurs sur 10 selon les régions.
Le pari était en effet délicat : Sega s’est positionné
à une époque où l’accès massif à Internet
frémissait et où tout s’est joué sur une poignée
d’années. Malgré ses efforts tardifs sur le online
(voir p.87), Sega a pâti d’une offre commerciale
à la fois en avance sur son temps, et dont il n’a
pas su gérer les aléas. Okawa et ses équipes
couraient contre la montre portée par Sony, et
cette course leur fut fatale à la fois d’un point
de vue médiatique et technologique. Sega n’a
clairement pas le même compte en banque que
Sony. Et sa situation est d’autant plus périlleuse
qu’il ignore encore le prix de la PS2, celle-ci
LE MARKETING.
n’étant pas encore disponible. Bref, c’est simple,
Sega est incapable de se positionner face à son
concurrent. Pour enfoncer le clou, l’an 2000 fut
aussi l’heure des grands remaniements, et plus
de 1 000 employés durent quitter la société.
La Dreamcast était définitivement un chant
du cygne.
L’APPEL DE LONDRES
Président de Sega France en 2000, Dominique
Cor se souvient du jour où le coup d’arrêt a été
révélé aux branches européennes : « tous les
directeurs généraux ont été convoqués en
urgence à Londres. On s’est retrouvé dans une
salle face à un écran, avec une table et une chaise
vide. Quelqu’un a commencé à nous parler, un
japonais, sauf qu’il ne s’était pas assis en face
de la caméra, il était à côté, on l’entendait mais
ne le voyait pas. C’était assez lunaire. ». Quelques
temps plus tard, l’annonce était officielle : Sega
abandonne le hardware, en dépit d’une année
2001 qui sera pourtant parsemée de perles
(Shenmue II, Virtua Tennis 2, Sonic Adventure 2…).
La page se tourne et elle est emblématique :
la Dreamcast fut la console à la croisée des
chemins, à la fois dans le passé pour sa dévotion
à l’arcade, et le futur avec un titre aussi influent
que Shenmue. Par delà les questions de timing,
de stratégie ou d’argent, Sega s’est retrouvé à
cheval entre ce nouveau monde du jeu vidéo qu’il
tentait d’embrasser (le portage avorté d’Half-Life
en témoigne), et celui sur lequel il avait aussi bâti
sa fortune, un héritage arcade qui était en train
de disparaître mais qu’il ne pouvait délaisser.
Les années
Dreamcast
en chiffres
9 000 000
2007
C’est le nombre de Dreamcast que Sega a vendues. À titre de comparaison,
la Gamecube, pourtant considérée comme un semi-échec, s’est écoulée à près
de 22 millions d’exemplaires. Quant à la PlayStation 2, c’est la console la plus
vendue de tous les temps : en 2012, Sony en avait commercialisé 155 millions.
C’est l’année de sortie du dernier jeu Dreamcast,
un certain Karous. Du moins officiellement : au moins
une dizaine de titres commerciaux ont vu le jour
depuis, grâce notamment à la scène homebrew
allemande, grande pourvoyeuse de jeux pour
consoles mortes. Le prochain, le RPG Elysian
Shadows, est prévu pour 2017.

5 000
28
C’est le nombre de
C’est le nombre de noms entre lesquels
le constructeur hésitait apparemment avant
d’opter pour celui de la Sega Dreamcast.
Il fut même un temps question de l’appeler
mois qu’aura tenu « Dreamcast » tout court, faisant même
Sega avant d’arrêter disparaître le nom de « Sega » du produit,
la production de considérant que la marque avait perdu
sa console. Même tout son lustre avec la Saturn.
sa grande soeur, la
mal-aimée Saturn,
aura tenu trois ans
(en Occident).

70 000 000
2 500 000
C’est le nombre d’exemplaires vendus de Sonic Adventure,
C’est ce qu’a coûté, en dollars, le développement de
Shenmue 2. Un budget à l’époque pharaonique, qui est
depuis devenu la norme dans l’industrie des blockbusters.

le best seller (et de loin) de la console.

56 000
692 000 000
C’est la somme en dollars que le président de Sega, Isao Okawa, a prélevé
C’est le nombre de bits qui peuvent transiter par
seconde via le modem intégré de la Dreamcast
japonaise, première console pouvant se connecter
au Net sans accessoire supplémentaire.
sur sa fortune personnelle pour éponger les déficits de la société après que
la décision a été prise d’arrêter la production de la Dreamcast. Il est décédé
deux mois plus tard.

JV HS Génération Dreamcast | 43
Saber Rider
La Dreamcast après 2001
Demain ne
meurt jamais
Officiellement tuée par Sega en janvier 2001, la Dreamcast
a pourtant continué de vivre longtemps après sa mort. Encore
aujourd’hui plus que jamais soutenue par des passionnés
animant une scène homebrew riche en titres et évènements,
elle est la console morte la plus vaillante de l’histoire du jeu vidéo.
par Jérôme Dittmar
L
orsque Sega
annonce l’abandon
de la Dreamcast, la
console n’a qu’à
peine plus de deux
ans d’existence (et encore, au
Japon). L’histoire a connu des
machines aux destins divers et
variés, et la dernière de Sega
n’est pas celle avec la plus courte
durée de vie (hello Virtual Boy
ou Gizmondo). Malgré cette
existence éclair, ou plutôt
grâce à elle, naît le sentiment
d’une injustice : la Dreamcast
méritait encore de vivre. Jusque
tardivement, des studios japonais
continueront de sortir des jeux :
Under Defeat et Radirgy en 2006 ;
Triggerheart Exelica et Karous en
2007. Bien sûr ce sont tous des
shoot’em up, tous viennent de
l’arcade où ils ont été conçus sur
la carte Naomi de Sega, ce qui
facilite le portage. Mais déjà des
amateurs sont en embuscade et
commencent à s’accaparer la
machine. À l’heure où émerge
44 | JV HS Génération Dreamcast
simultanément ce qui deviendra
le nouveau jeu indépendant
avec l’influence, malgré lui, de
Cave Story, c’est la naissance
d’un mouvement à part et qui
va tracer sa voir durablement.
L’OBJET A
Dans la logique de l’industrie
du jeu vidéo, développer
sur une console morte est au
mieux un anachronisme, au pire
un suicide commercial. Les
joueurs sont imprévisibles, et c’est
tant mieux. Comme le rappelle
Tom Charnock, fondateur du site
The Dreamcast Junkyard, créé
en 2005, ce rêve technologique
fut aussi la promesse de Sega :
« À l’époque la console incarnait
un gap qui dépassait tous les
autres systèmes, la promesse
était inégalée et la hype
hallucinante. » Mais le coup d’arrêt
de la machine a stoppé net la
découverte de ces potentialités,
et c’est peut-être aussi derrière
ce désir insatiable que courent
Redux 2
certains développeurs : « À quoi
auraient ressemblé les jeux
après quatre ou cinq ans ? On a
du homebrew, mais on ne sait
pas ce qu’aurait pu donner des
jeux conçus par Sega », poursuit
cet amateur érudit d’un site
réunissant des plumes venues
des quatre coins du monde.
Même constat pour Julien
Desquenne, co-auteur d’Alice
Dreams Tournament, un génial
bomberman like à sortir :
« La Dreamcast fait partie des
meilleures consoles, mais on ne
saura jamais jusqu’où les grands
studios auraient pu l’amener. »
Puisque les professionnels ont
déserté, au peuple donc de
prendre le maquis – ça tombe
bien, depuis plus d’une
décennie, il est très motivé.
LOYAL PAR-DELÀ LA MORT
Si la Dreamcast est si populaire,
« c’est parce que la fan base
est d’une loyauté indéfectible,
assure Tom Charnock. Ceux qui
développent dessus aujourd’hui
viennent de là et ont choisi la
console par amour. Une passion
qu’on trouve difficilement ailleurs
sur d’autres scènes homebrew
ou indé » Mais l’attachement, ou
les souvenirs, ne font pas tout.
« Ce qui est intéressant avec la
Dreamcast, c’est qu’on a une
machine quasi next gen, simple
à programmer, très puissante,
avec une jolie résolution d’écran. »
souligne Cédric, plus connu
sous le nom d’Orion, auteur
de plusieurs titres homebrew tels
que Zia and the Goddesses of
Magic et Elansar. Même constat
pour Johannes Graf, auteur du
désormais célèbre Sturmwind,
un shmup souvent considéré
comme le meilleur titre issu de
cette scène : « Le hardware offre
de belles possibilités pour son
âge, et les outils disponibles
permettent d’aller loin très vite »
Conçu entre autres autour
de Windows CE, qui ne sera
pratiquement jamais utilisé par
les studios, la Dreamcast a en
effet été pensé pour être une
console simple à utiliser. Ironie
de l’histoire, cette simplicité
conduira en 2000 à son piratage
et au premier OS libre utilisable :
KallistiOS, aka KOS (également Sturmwind
disponible pour PlayStation 2 et
GameBoy Advance), qui comme
le précise Julien Desquenne,
permet « d’utiliser les homebrews
sans devoir modifier la console »
C’est peut-être pour cette raison
que « Sega laisse les développeurs
publier leurs créations » rappelle
le créateur d’Alice Dreams.
La marque au hérisson n’a en
effet jamais demandé à ces
développeurs en herbe de payer Alice Dreams Tournament
une dime. « Comme pour la
scène indé, les barrières d’entrée
sont pratiquement inexistantes et
les gens sont motivés » ajoute Jay
Townsend, co-auteur de SlaVe,
un élégant FPS rétro futuriste en
développement. « Et puis c’est
gratuit, vous pouvez touchez un
tas de gens, sans vous soucier
JV HS Génération Dreamcast | 45

SlaVe
AVEC LA DREAMCAST, ON A
UNE MACHINE QUASI NEXT-GEN,
SIMPLE À PROGRAMMER
ET TRÈS PUISSANTE.
46 | JV HS Génération Dreamcast
des scores de téléchargement sur
des plates-formes comme iOS »
renchérit Chris Strauss, auteur
de Saber Rider (actuellement en
développement), un joli action
plateforme 2D inspiré du dessin
animé éponyme.
HAPPY TOGETHER
Cet engouement a fait naître
une communauté soudée,
avec « une vraie entraide entre
les développeurs indés sur
Dreamcast. » raconte Julien
Desquenne. Parmi les premiers
à se lancer et tenter de ressusciter
l’esprit Dreamcast, les allemands
de Cryptic Allusion avec Feet of
Fury, un jeu de danse se jouant
au tapis. Distribué et vendu sur
le GOAT Store, toujours en ligne
et en charge de la sortie de
SlaVe, le jeu est le premier d’une
longue série de titres. Le plus
emblématique sort en 2007 et a
fait un détour par la Neo Geo et
sa case do it yourself : Last Hope,
par la NG.Dev Team. Là encore,
l’équipe est allemande (les frères
Hellwig). Si la version SNK est
auto-éditée, celle pour Sega est
soutenue par RedSpotGames,
éditeur lui aussi d’outre-Rhin,
qui aurait mis la clé sous la porte
depuis 2013 après des déboires
de distribution suivant la sortie
de son dernier titre. Le jeu, que
Jay Townsend classe parmi ses
préférés en homebrew, bénéficie
alors d’une sortie en boite et se
taille une belle réputation. Après
Last Hope, shoot’em up horizontal
dans la lignée de R-Type, l’équipe
sera aux commandes de divers
Zia and the Goddesses of Magic
titres Dreamcast, tous dans le
même genre et emballés avec la
jaquette qui va bien : Fast Striker,
Dux (1 et 2), NEO XYX, Ghost
Blade ou encore Gun Lord,
un run and gun. Il y aurait donc
un vrai marché ? Le homebrew
est-il un peu plus qu’une galerie
de jeux amateurs ? Depuis
édités par Hucast, leur propre
plateforme de distribution, les
frères Hellwig se plaignaient en
2013 que les ventes baissaient.
Au micro de Gamasutra, ils
récusaient un quelconque avenir
radieux à ce qu’ils considéraient
comme une niche. « C’est toujours
la même chose aujourd’hui »
nous disent-ils, tout en ajoutant :
« mais la Dreamcast continue
de penser ! ». Une allusion à
la célèbre campagne de pub
américaine de l’époque, soit une
manière de dire : « c’est dur, mais
la machine est vivante ». Il n’y a
pourtant jamais eu autant de jeux
amateurs en préparation. De
SlaVe à Xenocider en passant par
Elysian Shadow, Hypertension,
 Le rêve mort-né
Début 2016, l’info était partout : une Dreamcast 2, aka Project Dream, serait en préparation. Elle ne
serait pas née d’un revirement incroyable de Sega, mais d’amateurs ayant pensé et dessiné hardware
et logiciel de cette nouvelle console, aux allures éloignées de Freebox selon Starck. Sur la page du site,
on nous promet alors la lune en nous assurant que Sega serait intéressé, pour adouber le projet sans
doute. Et puis patatras, début juin, sans prévenir, le site est fermé, la page Facebook liquidée, un vague
message depuis inaccessible précisant que des dissensions dans l’équipe auraient tout tué dans l’oeuf.
Ce que confirment nos informations. L’amateurisme de l’équipe aurait eu raison de cette potentielle
apothéose du homebrew.

Saber Rider ou Alice Dreams
Tournament, on ne compte plus
les projets en développement.
PRENDS L’OSEILLE
ET TIRE TOI
« Quand GOAT m’a contacté,
j’ai vite pesé le pour et le contre :
faire un jeu sur une console Sega
était un rêve d’enfance que je
croyais mort avec la Dreamcast »
confie Jay Townsend. On ne
va pas se mentir, si certains jeux
ont pu faire quelques jolis scores
de vente ou rafler la mise sur
Kickstarter, publier un jeu sur
Dreamcast, c’est d’abord pour
le plaisir, pour retrouver quelque
chose du passé. « On vit dans
un monde numérique où vous
achetez vos jeux pour rien.
Quand ils ne sont pas carrément
gratuits. C’est de l’accumulation
compulsive. J’aime avoir une
copie physique, piocher dans
ma collection et jouer » raconte
Chris Strauss, fier que Saber
Rider connaisse une sortie
physique tout en étant vendu
prochainement sur Steam. C’est
vrai, la plateforme et le mode de
distribution de ces jeux réduisent
le potentiel de leurs ventes :
mais il faut aussi distinguer le
homebrew de l’indé, qui selon
Johannes Graf « conserve
une velléité commerciale à
la base, tandis que le premier
est simplement dévoué à une
machine. Si vous faites des jeux
sur Vectrex, vous savez que
votre marché n’est que de 200
personnes ». De quel côté que
soit le curseur, faire un jeu sur
Dreamcast, c’est nécessairement
s’adresser à des initiés. Mais
parfois prêts à beaucoup
dépenser.
FRANKENSTEIN
Outre ces sorties en boite pour
aficionados, le homebrew, c’est
aussi beaucoup du jeu bricolé, de
l’archéologie sinon de la magie.
Sans la scène, très active sur des
sites comme The Dreamcast
Junkyard, Dreamcast Scene ou
DreamAgain, ne seraient apparus
des jeux annulés comme Propeller
Arena (chouette dogfight en multi
importé de l’arcade), HellGate (un
TPS), Half-Life (qu’on ne présente
plus) ou encore Geist Force
(un clone de Starfox). Ce dernier,
réapparu sur AssemblerGames,
un forum autoproclamé « obscur »,
a fuité des mains d’un ancien
employé de Sega himself, et
fut soutenu par une campagne
de dons afin que la ROM sorte
dans les meilleures conditions
possibles. Jusqu’aux jeux
supposés mort-nés, la scène
homebrew joue au docteur
Frankenstein. Ce qui rend la
console d’autant plus fascinante.
« Quelque chose de mystique
entoure la Dreamcast, nous
explique Tom Charnock.
Dès qu’un jeu sort, la presse
mainstream s’empresse d’en
parler, comme si c’était une
anomalie qu’une console rétro,
qui n’a pas réussi à pénétrer
le marché de son vivant, ait
quand-même pu devenir culte. »
NO DAY BUT TODAY
La plupart des genres explorés
par la scène homebrew font la
part belle à l’arcade (le shmup
surtout), aux côtés de quelques
survival horror, RPG ou puzzle
games. Une manière de rester
fidèle à l’esprit de la console,
de refuser que le temps passe
et que l’appétit technologique
vienne écraser les souvenirs.
L’histoire de la Dreamcast est
d’autant plus passionnante
que, comme le rappelle Julien
Desquenne, la console était
« en avance sur son époque ».
À l’image de « l’écran des cartes
mémoires, véritable ancêtre de la
tablette Wii U », qu’Alice Dreams
ne se prive d’ailleurs pas d’utiliser.
Les pieds solidement ancrés dans
le présent mais le regard tourné
vers le passé, la Dreamcast
est la console, par essence,
de l’inachevée.

JV HS Génération Dreamcast | 47
Génération
perdue ?
L’héritage d’une
console culte
Malgré sa durée de vie éclair, la Dreamcast
a inspiré toute une génération de joueurs
et de créateurs qui n’ont cessé de propager
son héritage. Au cœur de celui-ci, le souci
d’invention caractérisant la machine
suscite à la fois nostalgie et espoir.
par Victor Moisan
48 | JV HS Génération Dreamcast
P
our créer un culte,
il n’y a rien de
mieux qu’un destin
funeste », écrit Dan
Whitehead du site
Eurogamer.net en 2009 au sujet
de la Dreamcast. Et pour cause :
s’il est rare d’entendre des
nostalgiques pleurer l’échec de la
Saturn, l’ultime console de Sega
continue de faire vibrer des milliers
de joueurs pris entre le pincement
laissé par un âge de créativité
fulgurante et la frustration d’une
génération gâchée, d’où auraient
pu sortir d’autres chefs-d’œuvre
potentiels. « Les priorités de la
machine résidaient dans les
sensations et la bonne humeur »,
résume Charles Vésic, directeur
artistique du studio indépendant
Fusty Game. « C’était une époque
où la plupart des développeurs
ne couraient pas encore après
le réalisme cinématographique
à tout prix, où persistait la
prédominance du fun, avec des
jeux arcade très colorés, le tout
sans sacrifier la performance et
l’innovation technique. » La
génération suivante, avec ses
FPS militaristes et ses textures
ternes, marque un passage à l’âge
adulte qui tranche radicalement
avec l’imagerie pop de Sega.
Faut-il pour autant dire qu’une
certaine idée du jeu vidéo est
morte avec la Dreamcast ? Pas
forcément, dans la mesure où la
petite boîte blanche a fait des
émules.
LES ENFANTS
Il y a d’abord les équipes des hits
maison de l’époque, alors pour
la plupart dans leur vingtaine,
entrées dans l’industrie à un
moment aussi mouvementé
que formateur. Dans la grande
tradition japonaise, bon nombre
de ces employés sont restés
fidèles à leur entreprise et ont
intégré d’autres divisions au
sein de Sega. Ainsi en 2005,
plusieurs responsables de Jet
Set Radio rejoignent les rangs
de la New Entertainment
Division, dirigée par Toshihiro
Nagoshi peu avant qu’il ne
lance son Yakuza. Si Nagoshi,
alors encore engagé du côté
de l’arcade, n’a pas beaucoup
œuvré sur Dreamcast il est le
premier à reconnaître que sa
Galak-Z
série phénomène n’aurait
pu exister sans Shenmue.
L’homme a d’ailleurs commencé
son parcours aux côtés de Yu
Suzuki, sur Virtua Racing chez
AM2. Et l’on retrouve volontiers
la crânerie effrontée de JSR ou
de Space Channel 5, marque
indélébile du style Sega, dans
la réalisation virile de Yakuza.
Pour Jake Kazdal, alors designer
dans l’équipe de Tetsuya
Mizuguchi et désormais en
charge du studio indépendant
17-Bit, « Sega était l’un des
cadors de l’industrie. Ils avaient
ce sex appeal qui faisait défaut
à Nintendo. » L’Américain avoue
pourtant qu’une partie de ses
anciens collègues ont rejoint les
rangs de la firme de Kyoto, au
sein de l’équipe en charge des
Mario. Pas étonnant que la fin de
la Dreamcast ait incité quelques
jeunes virtuoses a faire des
infidélités à Sonic, en allant dans
l’autre grande maison japonaise.
LES TEMPS QUI CHANGENT
Mais en 2001 au Japon, le jeu
vidéo prenait aussi un nouveau
tournant. Comme le note Kazdal,
« c’est le moment où le jeu
japonais commençait à décliner.
Sur les générations suivantes, je
ne jouais pratiquement plus qu’à
des titres occidentaux, comme
GTA, Tony Hawk ou Halo. »
Sur l’archipel, le marché du jeu
smartphone se met en place.
Alors qu’il règne aujourd’hui en
maître incontesté, on retrouve par
exemple des anciens d’UGA chez
Grounding Inc., studio tokyoïte
spécialisé dans le free-to-play
et les applications mobiles.
En France aussi, de nombreux
développeurs actuels ont fait leurs
armes sur Dreamcast, que ce soit
aux côtés de Nicolas Gaume chez
Kalisto (4 Wheel Thunder) ou de
Frédérick Raynal chez No Cliché
(Toy Commander). Les années
Dreamcast marquent en outre le
début de l’épopée internationale
d’Ubisoft (Rainbow Six) qui
vient alors d’ouvrir son studio
à Montréal, tandis que Quantic
Dream sort sur la console son
tout premier jeu (The Nomad
Soul), bien avant de devenir
le fleuron que l’on sait.
LES FANS
En plus des développeurs ayant
participé activement à l’histoire
de la Dreamcast, il y a les fans,
ceux qui ne réalisaient pas
encore de jeux à l’époque mais
qui ont été marqués à vie par
le statut hybride de la console,
assise entre l’âge d’or de l’arcade
(en 1999, Virtua Fighter 3
occupait des étages entiers
dans les plus grandes salles de
Shibuya) et la maturité du jeu
vidéo en 3D. « Malheureusement,
notent les indés de Piranaking
(LASTFIGHT), elle est arrivée
un peu tard, car les joueurs ne
voulaient déjà plus d’une borne Hover : Revolt of Gamer
d’arcade à la maison. Ils étaient
intéressés par les nouveaux
jeux PC sur Internet ou en
LAN (Quake, Counter Strike,
Everquest). » Arrivée avant
l’heure de la connexion
systématique, après l’âge d’or
de l’arcade, la Dreamcast trace
toutefois sereinement sa route.
Et, au moment où les codes
du jeu 3D ont été gravés par la
PlayStation, elle voit s’étendre
un champ d’expérimentations
dans lequel laisser libre cours
à sa singularité.
LE FANTASME
La Dreamcast est un fantasme
pour les développeurs qui l’ont
râtée, une machine dont on
assure qu’elle était un plaisir à
programmer, un havre de liberté Rez Infinite
après les casse-têtes des
32 bits ; en somme, un terrain
de jeux pour créatifs. Lorsqu’on
lui dit que son Hover : Revolt of
Gamer a des faux airs de Jet Set
JV HS Génération Dreamcast | 49
 Destins
liés
À la sortie de Destiny en septembre
2014, les connaisseurs ont relevé
une étonnante filiation entre le FPS
massivement multijoueur de Bungie
et Phantasy Star Online, le MMORPG
culte de la Dreamcast paru en 2000.
Avec ses trois classes, ses boss qui
épongent les dégâts et son lobby où
l’on retourne après chaque mission,
Destiny est un hommage aux épopées
galactiques de PSO et à leur modernité
d’alors. Si Sega s’y est parfois cassé
les dents en raison d’un réseau encore
trop fébrile et de coûts de connexion
faramineux, l’expérience du jeu
en ligne sur consoles a bercé de
nombreux nostalgiques, au point
où PSO2 connaît aujourd’hui un
beau destin au Japon.
PEUT-ÊTRE QUE
LES EXPÉRIMENTATEURS
DE LA RÉALITÉ VIRTUELLE
SONT LES HÉRITIERS
DE LA DREAMCAST.
50 | JV HS Génération Dreamcast
Radio, Charles Vésic rebondit :
« Son énergie unique, son style
graphique à la fois innovant et
coloré, sa bande-son déjantée
en ont fait une expérience
marquante. C’est triste de voir
qu’aucun jeu n’a tenté de
proposer une formule similaire
depuis 15 ans ! » Si l’on se replace
en 2000, le punk décontracté
des graffitis à Shibuya lance
la mode du cel-shading,
cartoon stylé et techniquement
avantageux qui irrigue les
grands titres des années à venir,
de Viewtiful Joe à The Wind
Waker, en passant par Dragon
Quest VIII. Dans une autre
mesure, Shenmue baptise le
QTE et définit de nouveaux
modèles (monde semi-ouvert,
NPC humanisés, cycles
journaliers) qui constituent les
balbutiements expérimentaux
des piliers d’aujourd’hui, devenus
trop normés. Depuis, alors que
les genres semblent glisser d’une
génération à l’autre selon une
logique darwinienne, combien
de consoles ont fait éclater de
nouvelles modes, visuelles ou
ludiques, accompagnées de
chocs esthétiques comparables ?
« Au Busan Indie Connect l’an
dernier, j’ai dit à un développeur
Coréen que j’avais travaillé
sur Rez. Il m’a regardé en
sanglotant : “Ce jeu a changé
ma vie.” », raconte Jake Kazdal,
illustrant la réputation de la
Dreamcast d’avoir été un
Eldorado créatif, image encore
persistante chez les jeunes
indés d’aujourd’hui.
LES VISIONNAIRES
Largement vendue sur la
promesse d’un avenir radieux, la
Dreamcast a permis d’entrevoir
le futur avec une acuité d’artiste.
À l’heure où l’industrie implique
que chaque nouveau titre soit
un risque à minimiser, le courage
d’avoir été visionnaires a permis
aux jeux de traverser les âges.
« Rez a 15 ans mais n’a pas
vieilli !, jubile Kazdal. J’ai dessiné
la plupart des ennemis des
premiers niveaux, passant des
heures à regarder ces trucs de
10 centimètres sur les moniteurs
de l’époque. Aujourd’hui, j’essaie
Rez Infinite en réalité virtuelle
et je les vois me frôler, grands
comme des Volkswagen ! »
Dernier né de 17-bit, Galak-Z
tente de renouer avec les
sensations arcade associées à
la recherche d’une profondeur
de jeu, selon le credo de Sega.
Mais c’est dans la réalité
virtuelle que le développeur voit
désormais les expériences les
plus fraîches, comparant notre
époque à l’âge d’innocence de la
3D. « J’adore ce moment. Je joue
à tout, bon ou mauvais, et j’en tire
des leçons. Dans 2 ou 3 ans, il y
aura moins d’expérimentations,
on aura déjà trouvé. » Et son
mentor, Tetsuya Mizuguchi,
d’ajouter : « À chaque fois que
le hardware change de façon
drastique, c’est l’occasion
de recommencer à zéro. Les
créateurs se sentent investis
de la conception d’expériences
nouvelles. C’est leur heure.
En ce sens, peut-être que les
expérimentateurs de la réalité
virtuelle sont les héritiers de la
Dreamcast. Pour ces gens-là, le
temps est venu de se réaliser. »
52 | JV HS Génération Dreamcast
 AUTOUR
DES JEUX

 Sonic Adventure
54 
et Sonic après la Dreamcast

Shenmue
58 
et un entretien avec son auteur Yu Suzuki

Ikaruga
66 
et le shoot’em up

SoulCalibur
72 
et le jeu de combat

 Virtua Tennis 2
76 
et les jeux sport

 Crazy Taxi
82 
et les jeux de bagnoles

 ChuChu Rocket!
88 
et les ambitions online de la console

 Rez et Space Channel 5

92 
et la ludothèque WTF de la Dreamcast

JV HS Génération Dreamcast | 53
 Sonic Adventure
Vertige de l’amour
Après quelques années de relative discrétion, le hérisson star
de Sega effectuait en 1998 le grand saut dans l’inconnu de la
3D avec Sonic Adventure. Imparfait mais regorgeant d’idées
et d’innovations, ce fut l’un des titres phares des débuts de la
Dreamcast. Et un choc : on n’avait jamais vu Sonic comme ça.
par Erwan Higuinen
F
onçant dans la
direction du joueur sur
un pont en bois qui
menace de s’écrouler
sous les assauts d’une orque
gigantesque qui le poursuit,
Sonic n’avait peut-être jamais
autant frappé les esprits qu’en ce
23 décembre 1998 lorsque, un
peu plus de trois semaines après
la Dreamcast, Sonic Adventure
débarque à son tour dans les
magasins japonais. Pour Sega,
les enjeux sont énormes : sur ce
seul jeu repose une part non
négligeable du destin commercial
de la Dreamcast. Sa première
mission : montrer ce que
la console a dans le ventre
en réalisant des prouesses
technologiques dont ses rivales
de l’époque, la première
PlayStation et la Nintendo 64,
seraient bien incapables. Mais,
dans le même temps, il doit
aussi célébrer dignement les
retrouvailles du peuple gamer
avec son idole nerveuse du début
de la décennie, ce hérisson qui,
depuis quelques années, s’était
montré étrangement discret,
faisant presque l’impasse
sur la machine précédente
du constructeur japonais. Les
possesseurs de Saturn ont en
effet dû se contenter d’un portage
amélioré du Sonic 3D Flickies’
Island en vue isométrique de la
54 | JV HS Génération Dreamcast
Mega Drive, du quasi jeu
de course Sonic R et de la
compilation Sonic Jam qui, quand
même, en plus de rassembler
les quatre premiers Sonic 2D,
proposait aussi de visiter un petit
univers en 3D poussé sur les
ruines d’un jeu mort-né (Sonic
X-treme) et tirant profit des
premiers mois de travail sur un
projet dont le développement
devait finalement migrer sur
Dreamcast : Sonic Adventure.
SONIC TOURISTE
Principal concepteur du jeu sous
l’égide de Yuji Naka, Takashi
Iizuka avait envisagé de faire de
ce premier vrai Sonic en 3D un
RPG. L’idée a rapidement été
abandonnée mais il en reste des
traces dans la structure de Sonic
Adventure qui, contrairement aux
épisodes précédents de la saga,
invite le joueur à s’immerger dans
un univers (à peu près) cohérent
qu’il explore à volonté entre
deux rides endiablés. Pour la
première fois, on dirige donc
Sonic à travers une ville peuplée
d’humains. Notre héros traîne
à l’hôtel, cherche l’entrée du
casino, prend le train pour
rejoindre le site de fouilles
archéologiques voisin dans lequel
quelques explorateurs l’attendent
armés de conseils avisés. Plus
tard, après avoir filé comme un
dératé en bord de mer ou sur
une montagne enneigée, autour
d’un volcan et d’un bout à
l’autre du vaisseau du docteur
Eggman, on pourra profiter
d’une somptueuse pyramide
d’inspiration méso-américaine.
Il faut dire que, pour concevoir
ce Sonic, les développeurs se
sont inspirés des civilisations
inca et maya, s’offrant même un
voyage de groupe en Amérique
du Sud pour y observer jungles,
temples et ruines afin d’offrir à
leur jeu une allure nouvelle.
QUE CHOISIR ?
Ce nouveau rapport à l’espace
n’est pas la seule innovation
de Sonic Adventure. Le jeu
ne compte pas moins de six
personnages jouables (Sonic,
Tails, Knuckles, Amy, le chat Big
et le robot E-102) avec chacun
ses capacités et ses missions
(qui incluent du tir et aussi,
par bonheur, de la pêche à la
grenouille). Il offre aussi une
série de mini-jeux (descente en
snowboard, course de karts,
combat aérien dans l’avion de
Tails) et même un ersatz de
Tamagotchi (voire de Pokémon)
avec les Chaos, petites bestioles
adorablement énervantes que le
joueur élève et qui ne le quitteront
plus puisqu’une fois la Dreamcast
éteinte, elles poursuivent leur
vie sur sa VMU. Que demander
de plus ? Rien, sans doute,
mais cette abondance n’a pas
forcément que des bons côtés.
Pour le meilleur et l’un peu moins
meilleur, Sonic Adventure est
un jeu qui ne sait pas choisir
– entre l’action et l’aventure,
les ambiances, les styles… Un
jeu qui veut tout et qui donne
sans compter. Un jeu follement
généreux et dont certains niveaux
provoquent encore aujourd’hui
le vertige. Mais pas toujours
dans le bon sens du terme.
DE L’IVRESSE
Faut-il y voir une conséquence
de sa fin de développement
un peu précipitée pour ne pas
rater la fenêtre de sortie de la
Dreamcast ? Ou les membres
de la Sonic Team auraient-ils
sous-estimé les difficultés du
passage en 3D si bien réussi,
deux ans plus tôt, par le rival
Mario ? L’une de leurs grandes
décisions en la matière, pour
accroître l’impression de vitesse,
a été de multiplier les angles de
vue – plutôt que de placer en
permanence la caméra derrière
Sonic. Du coup, parfois notre
hérisson est tout près de nous.
Parfois, au contraire, il semble
minuscule, au fond de l’écran.
Parfois aussi, comme lorsqu’il
est poursuivi par l’orque
d’Emerald Coast, on le fixe
dans les yeux. Parfois, encore,
la gestion des caméras ne suit
pas et on le perd de vue.
Ajoutez à ça le décalage entre
les mouvements de notre héros
(toujours rapides et brusques) et
le rythme (plutôt lent) des phases
d’exploration qui rend ses
déplacements délicats même
dans les périodes de calme.
Nous voilà en présence un jeu
étrangement bancal, qui fait
partager aussi bien l’ivresse de
la vitesse que, disons, la gueule
de bois qui lui succède.
RUN RUN RUN
Et pourtant… Comment oublier
ces envolées entre ciel et mer, ces
rebonds cinglés, ces descentes
SONIC ADVENTURE
Genre Plateforme
Éditeur Sega
Dév. Sonic Team
Sortie 14 octobre 1999
en piqué ? Ces instants où
plus rien d’autre ne semble
exister. Et comment avouer
que, dans les moments où
le jeu nous retire la main pour
se changer en pur spectacle
cinématique, on jouit aussi
de ne pas (vraiment) jouer ?
Les problèmes de vitesse
et de caméra, la Sonic Team
et les équipes qui lui ont
succédé au chevet du hérisson
speedé ne les ont toujours
pas complètement réglés mais,
le 23 décembre 1998, personne
ne semblait même les remarquer.
Alors, seule comptait la course
incroyable, ahurissante, jamais
vue de ce Sonic transfiguré.
C’est une nouvelle première
fois qu’offrait Sonic Adventure,
ce grand jeu malade qui sera
toujours plus excitant que
ses semblables bêtement
bien portants.
JV HS Génération Dreamcast | 55
 Sans console fixe
Sonic après la Dreamcast
Lorsque paraît Sonic Adventure 2, le destin
de la Dreamcast est déjà scellé. C’est
désormais sur les machines des anciens
concurrents de Sega, en commençant
par Nintendo, que la mascotte va devoir
poursuivre sa vie. Sa crise d’identité
ne faisait que commencer.
par Erwan Higuinen
D
rôle d’anniversaire.
Lorsque, au mois
de juin 2001, Sonic
Adventure 2 débarque
sur les Dreamcast du monde
entier, cela fait exactement dix
ans qu’est paru le jeu par lequel
tout a commencé, Sonic the
Hedgehog, sur Mega Drive. Dix
ans qu’a retenti pour la première
fois le thème entêtant de la Green
Hill Zone invitant les joueurs
à se lancer joyeusement dans
une ébouriffante chasse aux
anneaux d’or sur les traces de
l’infâme Dr Robotnik. Pour
l’occasion, Sega ne manque
pas d’offrir à la suite de Sonic
Adventure une luxueuse édition
limitée japonaise avec livret
collector, CD des meilleures
musiques de la série et médaille
commémorative, mais le cœur
n’y est plus tout à fait. Développé
par la branche américaine de
la Sonic Team et se déroulant
dans des décors en partie
inspirés de San Francisco,
Sonic Adventure 2 visait à
l’origine tout particulièrement
les joueurs des États-Unis avec le
fol espoir d’y relancer les ventes
d’une Dreamcast alors confrontée
à la terrible concurrence de la
PlayStation 2. Le jeu arrive trop
tard : quelques mois plus tôt,
Sega a annoncé qu’il stoppait la
fabrication de sa 128 bits, signant
56 | JV HS Génération Dreamcast
le début de sa mutation en
« simple » éditeur multiplateforme.
Le deuxième choc aura lieu
quelques mois après avec
l’adaptation de Sonic Adventure 2
(incluant l’ajout de nouveaux
modes jouables à deux) sur la
pimpante nouvelle console du
concurrent historique de Sega :
la GameCube de Nintendo. Sonic
s’offre ainsi le luxe de prendre de
vitesse son vieux rival perso : en
attendant Super Mario Sunshine
dont le lancement est programmé
pour le deuxième semestre 2002,
c’est en compagnie du hérisson
bleu que les Nintendophiles
donnent libre cours à leur
amour du jeu de plateforme.
Certains n’en sont pas encore
tout à fait revenus.
SONIC MARIO
Étrange destin, donc, que celui
de Sonic Adventure 2, qui semble
aujourd’hui presque davantage
associé à la GameCube (dont
il est l’un des dix jeux les plus
vendus) qu’à la console qu’il était
supposé sauver. Et qui, en 2001,
célébrait pourtant en beauté les
10 ans de son héros en remettant
au premier plan les parcours à
embûches ultra-rapides dont le
goût avait été un peu dilué dans
le premier Sonic Adventure
– cette fois, pas de balade en
ville ni de train à prendre entre

Sonic dévale les pentes de San Francisco dans Sonic Adventure 2.
deux parcours –, mais sans
renoncer pour autant à la variété.
Car trois types de gameplay
(course, shoot, recherche de
trésor) s’offrent ici au joueur en
fonction des personnages qu’il
dirige et qui se divisent entre
héros (Sonic, Knuckles, Tails)
et méchants (Eggman et les
nouveaux venus Shadow, jumeau
dark de Sonic, et Rouge la
chauve-souris). Tous ne suscitent
pas un enthousiasme aussi
unanime – la quête d’émeraudes
dans des niveaux assez vides
par Knuckles et Rouge peut
provoquer quelques bâillements –,
mais Sonic Adventure 2 fait plus
qu’honneur à son prédécesseur.
SONIC PARTY
On ne peut pas en dire autant du
dernier jeu Sonic resté exclusif
à la Dreamcast et sorti quelques
mois avant Sonic Adventure 2 :
Sonic Shuffle. Conçu avec
Hudson Soft et s’inspirant
clairement des Mario Party que
la même compagnie japonaise
développe pour Nintendo, cette
collection de mini-épreuves
intégrées à un jeu de l’oie
ronronnant n’en est qu’un pâle
ersatz et souffre surtout de
l’abandon sur le tard de ce qui
devait être son principale signe
distinctif : un mode de jeu en
ligne, finalement jugé trop
complexe et coûteux. Arrivant à
la fois trop tôt (pour le jeu online
démocratisé) et trop tard (Mario
occupe déjà le terrain du party
game à mini-jeux), le cas Sonic
Shuffle illustre à merveille le destin
de la Dreamcast elle-même
qui, en disparaissant, laisse
le hérisson bleu orphelin.
SONIC GAROU
Alors que la Sonic Team
abandonne ses projets de Sonic
Adventure 3 pour se lancer dans
un Sonic Heroes toujours riche
en personnages – le joueur
en dirige trois simultanément
– mais ne comportant cette fois
vraiment plus que des phases
d’action, la mascotte entame sa
crise d’identité. À partir de 2003,
spin-offs, jeux pour portables et
épisodes officiels se succèdent
à un rythme effréné. Sonic devient
chevalier, pilote automobile,
tennisman, héros des Mille et
Une Nuits ou hérisson-garou.
Quand il ne laisse pas la place à
son rival de Sonic Adventure 2
que l’on découvre en motard
armé d’un gun dans le stupéfiant
Shadow the Hedgehog. Oh,
Sonic, qu’ont-il fait de toi ?
SONIC IS NOT DEAD
La qualité des jeux en eux-
mêmes, qui vont du vraiment
chouette (Sonic Unleashed,
Sonic se la joue Mario Kart
dans Sonic Adventure 2.
Sonic Shuffle, le party game un
peu triste de la Dreamcast.
Sonic Generations, Sonic
Colours…) au sinistrement
calamiteux (Sonic Boom, le
reboot Sonic the Hedgehog
de 2006…), est moins en cause
que l’étrange impression de
flottement que donne la carrière
de l’ex-star devenue héros
à tout faire sans console fixe.
Un paradoxal déclassé à
l’inusable popularité. Cette
dernière est savamment
entretenue par les séries télé
animées et les cross-overs Plutôt qu’un Sonic Adventure 3, la Sonic
sportifs Mario & Sonic aux Jeux Team se lancera sur Sonic Heroes.
Olympiques qui, signe que les
temps ont bien changé depuis
l’époque de la Dreamcast, ne
font plus sursauter personne.
Les 10 ans de Sonic semblent
loin : en 2016, c’est son premier
quart de siècle que fête notre
idole hyperactive. Sans doute
ne fera-t-elle plus jamais
l’événement d’une manière aussi
éclatante qu’au temps de Sonic
Adventure, mais il faudrait plus
que des doutes pour l’arrêter.
Plutôt que de s’effacer, Sonic est Shadow of the Hedgehog, ou quand
devenu omniprésent. Puisqu’il Sonic prend les armes (sic).
n’a plus sa place – sa console –
attitrée, le choix était simple :
c’était être soit partout, soit nulle
part. Alors, même sans toujours
bien savoir où il va, Sonic a
continué sur son élan. Sur les
ruines de la Dreamcast, il s’est
inventé un avenir de survivant.
JV HS Génération Dreamcast | 57
 Shenmue
Le voyage en Orient
Du haut de ses quatre GD-Rom, Shenmue était un tour de force
technique ainsi qu’une somme de révolutions dont on mesure
encore l’ampleur. Ambitieuse, la saga s’est arrêtée
avec la Dreamcast, trop tôt pour livrer ses secrets,
laissant flotter en nous la promesse d’un voyage fabuleux.
par Victor Moisan
I
l y a un malentendu au
sujet de Shenmue. Pour
les joueurs occidentaux
l’ayant découvert à sa
sortie en l’an 2000, le titre évoque
une imagerie fondamentalement
japonaise. Celle-ci se déploie au
gré d’une déambulation sinueuse
partant du dojo des Hazuki pour
traverser le lotissement vallonné
de Yamanose avant de descendre
dans les ruelles marchandes de
Dobuita. Nous y longeons le parc
où des écolières en uniforme
viennent parfois sécher les cours,
puis nous nous arrêtons avaler
un ramen, acheter une canette
au distributeur, projetant de tuer le
temps dans ce dédale d’enseignes
où, le soir venu, les salary men
sont bercés par l’ébriété au
rythme du chidori-ashi (« la
marche du pluvier », du nom d’un
petit oiseau). Avant de monter
dans le bus pour la zone portuaire
de Yokosuka, nous prenons
des nouvelles de Nozomi chez le
marchand de fleurs et achetons
un casse-croûte au Tomato Store,
le konbini du coin. Sur les docks,
pendant la pause déjeuner, nous
contemplons l’océan qui s’ouvre
sur le monde. Les yeux rivés
sur la mer, Ryo Hazuki rêve de
vengeance et d’extérieur. Il voit
déjà la baie de Hong Kong et les
58 | JV HS Génération Dreamcast
collines de Kowloon que nous
foulerons dans Shenmue II, puis
au-delà la Chine continentale,
pays immense et ancestral qui
l’invite au voyage. Cette vision
est également celle de Yu Suzuki,
légende vivante de Sega, qui
commence alors son magnum
opus, une aventure étalée sur 11
chapitres au réalisme jamais-vu.
L’histoire a fait de Shenmue une
œuvre-fleuve inachevée dont
nous ne gardons que le point de
départ japonais, pensé comme
un adieu, ainsi que l’arrivée aux
portes du continent, dans cette
éternelle ville de passage qu’est
Hong Kong. Or, le véritable sujet
de Suzuki se trouve du côté de
la Chine, de son attrait antique
aux yeux du développeur, de
ses racines profondes et en
particulier de son histoire des
arts martiaux. Oui, Shenmue
aurait du être un grand roman
de rencontre avec la Chine.
AU PAS DE MARCHE
« Sega nous avait demandé de
créer la killer app de la Dreamcast,
nous explique Suzuki aujourd’hui.
Nous avions ce prototype de
RPG de grande envergure,
commencé sur Saturn, qui
convenait parfaitement. Pendant
le développement, les dirigeants

Yokosuka est une ville ouverte sur le monde.
ne sont jamais intervenus pour
nous imposer des modifications. »
Au pas de marche, l’équipe de
300 personnes que Yu Suzuki
dirige chez Sega-AM2 pour son
Project Berkley (ex-Virtua Fighter
RPG) œuvre dans des conditions
uniques, profitant à la fois du plus
gros budget alloué à un jeu vidéo
jusque là (on parle au minimum
de 47 millions de dollars)
et de la plus entière liberté
d’expérimentation imaginable,
le créateur avançant avec
la bénédiction des patrons.
Le résultat est tout aussi
méticuleux que l’esprit de
Suzuki : Shenmue ressemble
au fantasme d’un contemplatif
maniaque. La presse de
l’époque, bien qu’impressionnée
par le soin et les trouvailles
systémiques du titre (expérience
cinématique révolutionnaire
baptisée FREE, gestion
scénarisée des personnages
non jouables, sens du détail
extrême) a du mal à s’emballer
autant que pour des jeux plus
remuants. Malgré des notes
excellentes, Shenmue est
présenté comme un jeu lent,
à l’action diluée. Bien que d’un
genre nouveau, ce n’est pas la
killer app attendue. Or, le titre
est devenu essentiel avec le
temps. On dit aujourd’hui qu’il
est l’inspirateur des mondes
ouverts tels que Yakuza et
Watch_Dogs, ces jeux où tout
est excessif, où le joueur avale
le territoire au pas de course ou
en bolide, assenant les coups
(de poing ou de feu) comme il
égrène les missions. Cela est
discutable, tant Shenmue est
plutôt un jeu-village qui met sa
puissance technique au service
de représentations à échelle
humaine (sidération devant les
visages, encore réalistes en
2016), lorgnant davantage du
côté de la précision d’un walking
sim que du gigantisme d’un open
world. Au contraire de ces jeux
qui nous propulsent dans la peau
d’un nouvel arrivant prêt à baliser
une zone inconnue, Shenmue
s’ouvre par la description d’un
environnement familier, en
l’occurence celui du jeune Ryo
qui va devoir s’y arracher. En
2000, cette façon de rendre si
intime un petit bout du monde
situé de l’autre côté du globe
était pour nous comme un tour
de magie. Il n’est pas dit que ce
tour aurait fonctionné si le pas
de marche qui rythme l’aventure,
aussi patient que la vitesse de
travail de Suzuki, s’était fait plus
pressant.
MONDE OUVERT
Avec une acuité de marcheur,
donc, les deux chapitres de
Shenmue qui ont vu le jour
(numérotés un et trois ; le
deuxième, situé en mer de
Chine, ayant été supprimé)
puisent leur soif d’aventure
dans un regard rivé vers
l’extérieur. A l’image de Yu
Suzuki, le Japon de 1986 est
encore fasciné par la culture
populaire américaine, les
blousons en cuir et les motos.
Ryo partage ses meilleurs
moments avec Tom, l’exubérant
vendeur de hot-dogs new-
yorkais, ou Mark, le docker
SHENMUE
Genre Jeu d’aventure
Éditeur Sega
Dév. Sega-AM2
Sortie 1er décembre 2000
Shenmue II mise davantage
sur le rythme et l’action.
Shenmue ou le rêve de vie
véritable sur Dreamcast.
afro-américain. Plus tard, il se
lie d’amitié avec les Chinois Ren
et Wong, tandis qu’il découvre
les secrets des arts martiaux.
Aujourd’hui, le jeu vidéo
japonais, replié sur ses modes
de consommation intérieurs, ne
partage plus cet attrait pour
l’étranger. Et la Chine ennemie,
devenue si lointaine malgré sa
proximité géographique, n’a
jamais été aussi méconnue des
jeunes générations. Au fond,
depuis Shenmue II, peu de titres
– sinon aucun – ont pris la relève
de cette épopée réaliste,
travaillant un périmètre réduit
mais bâti selon un principe de
cohérence absolue (à l’inverse
du terrain de jeu des open
worlds), entièrement motivée
par le désir de connaissance
d’ailleurs.
JV HS Génération Dreamcast | 59
 Shenmue II
Carnet de croquis
À quoi peuvent bien ressembler les dessins préparatifs de
Shenmue II ? En exclusivité, Yu Suzuki nous a fourni ces rares
croquis datés de mars 1998. On y comprend mieux le goût pour
le détail maniaque de l’auteur, et surtout l’importance de la
recherche documentée dans la reconstitution chinoise.

par Victor Moisan

L’intérieur
d’un magasin
d’antiquités
à Wan Chai.

60 | JV HS Génération Dreamcast
 En haut : le repaire de Ren.

En haut à gauche : le restaurant Manpukuken Ramen.

En bas à gauche : l’extérieur d’un prêteur sur gages
En bas à droite : l’intérieur fouillé d’un magasin de chinoiseries.

Remerciements à Toshiyuki Ito et Yu Suzuki.

JV HS Génération Dreamcast | 61
 Le rêve suspendu
Yu Suzuki et la Dreamcast
L’auteur de Shenmue a marqué l’histoire
de la Dreamcast en lui donnant son chef-
d’œuvre. Mais celui qui avait élevé Sega en roi
des salles d’arcade a également joué un rôle
dans la conception de la machine, dont il
voulait faire le véhicule d’une vision créative
révolutionnant le monde des consoles.
Avec nous, il revient sur cette époque.

par Victor Moisan

À
58 ans, Yu Suzuki
pourrait s’offrir une
seconde jeunesse
avec Shenmue III,
projet indépendant qui a affolé
les records de Kickstarter l’an
dernier. Désespéré d’attendre
un geste de Sega qui ne serait
jamais arrivé, les fans ont offert
la possibilité au vieux maître
de réaliser son rêve le plus
cher en donnant une suite à la
série. Davantage qu’un simple
élan d’amour pour Shenmue,
l’engouement de la campagne
de financement participatif
(appuyée par Sony) était une
façon pour l’industrie et la
communauté de joueurs de faire
revenir Yu Suzuki sur le devant de
la scène, lui qui avait disparu des
radars depuis la fin prématurée
de la Dreamcast.
THE EXPENDABLE
On était en passe d’oublier
que Suzuki est probablement
le créateur le plus influent de
l’histoire du jeu vidéo, pilier de
l’arcade et de Sega, comparable
à la figure de Miyamoto chez
Nintendo. Mais là où le père
de Mario s’évertue à travailler
en profondeur un même registre
depuis près de 40 ans,
Suzuki cherche constamment
l’innovation, renouvelant les
concepts et les expériences
inédites. Lorsqu’on lui demande
quels sont les moments de sa
carrière dont il est le plus fier,
l’homme cite trois étapes. « La
première, c’est de m’être lancé
avec persévérance dans les taikan
games, un genre qui a marqué
l’histoire du jeu d’arcade. » Avec
des titres comme Hang-On
et Out Run, Suzuki est en effet
l’inventeur de la borne d’arcade
immersive, montée sur un
cabinet à suspension hydraulique
avec la structure d’une moto ou
d’une voiture de course, et née
de l’envie de casser l’image
alors sombre des salles de jeux
en y apportant vrombissements
et dynamisme. « Deuxièmement,
j’ai joué un rôle lors du passage
à la 3D, que ce soit en employant
de nouvelles puces de texture
mapping ou en développant des
interfaces hardware comme les
sticks analogiques. » Le père de
Virtua Fighter a pratiquement
inventé le jeu 3D à force de coups
de génie, par exemple en allant
chercher des puces électroniques
chez les constructeurs de

62 | JV HS Génération Dreamcast
Les dai pai dongs (restaurants de rue) de Hong Kong comme si on y était !
l’aéronautique pour fabriquer la
carte arcade Model-2. « Enfin,
je dois dire que c’est Shenmue,
qui a ouvert la voie à des
jeux multigenres, proposant
un contenu profond et une
approche cinématographique,
précédant l’apparition du
monde ouvert. De nombreux
titres ont emprunté ce sillon. »
Ainsi, c’est sur Dreamcast que
la carrière de Suzuki a connu
son apothéose, lui permettant
de réaliser son projet le plus
personnel et le plus ambitieux.
Pour cet inventeur acharné qui
pratique très peu le média
(« de toute façon, je ne joue
presque pas », nous avoue-t-il),
le passage au régime consoles
était une fois de plus une
manière d’ouvrir le jeu vidéo à
de nouvelles aspirations et de
nouveaux publics. En un sens,
la Dreamcast, que Yu Suzuki a
accompagnée du début à la fin,
était la machine idéale pour
opérer sa révolution.
LA TOUR DE BABEL
Le 21 mai 1998 à l’hôtel New
Otani de Tokyo, la Dreamcast est
dévoilée à la presse. Yu Suzuki
contribue à la démonstration de
puissance de la machine,
médusant le public avec une
présentation technique intitulée
Tower of Babel. Inspirée des
mangas Eightman et Babel II,
dont les animes ont accompagné
l’adolescence du concepteur,
cette vidéo de 3 minutes en
temps réel nous présente une île
d’apparence méditerranéenne,
organisée en structures
résidentielles étroites et au centre
de laquelle trône une tour antique.
Les spectateurs plongent à
travers ruelles et crêtes dans
un mouvement continu en plan-
séquence, emportés par une
musique de Kenji Eno (célèbre
créateur de D) et époustouflés
par l’affichage d’un million de
polygones à la seconde. Avec
le recul, il est évident que cet
essai réalisé en seulement dix
jours (facilité par l’interface de
développement confortable de
la Dreamcast) est une ébauche
pour plusieurs séquences
de Shenmue II situées dans
les habitations escarpées de
Kowloon. Cette démonstration
est essentielle pour comprendre
à quel point l’équipe de
développement AM2 a dicté
certains choix techniques à
Sega pendant la fabrication de
la Dreamcast, comme l’explique
Tak Hirai – programmeur en
chef – lors d’un entretien avec
1UP.com en 2010 : « Nous avons
pu influencer les décisions de
hardware pour correspondre
à ce que nous voulions faire
avec Shenmue. » L’importance
du studio de recherche et
développement AM2 dirigé
par Suzuki, depuis toujours le
cerveau du département arcade
chez Sega, pèse lourd dans la
genèse de la machine. Mais plus
significatif encore est le fait que
la Dreamcast marque l’arrivée
d’AM2, jusqu’alors consacré aux
bornes et aux portages, dans la
création à part entière de titres
pour console. Cette petite
révolution décuple ses ambitions. Haut : Yu Suzuki, à l’époque du
développement de Shenmue.
MISS NAOMI Bas : avec Steven Spielberg et
« À l’époque, Sega pouvait son fils dans les années 1990.
se vanter d’avoir les cartes
électroniques les plus avancées
de l’arcade. Cette technologie
a naturellement influencé
l’architecture de la Dreamcast »,
précise Suzuki. En 1998, Sega
vient de sortir le système Naomi
dans les salles d’arcade et le
hardware de la Dreamcast le
JV HS Génération Dreamcast | 63

calque allègrement. Naomi était
le prénom de l’assistante d’alors
de Suzuki, ce qui en dit long sur la
position centrale du concepteur
à ce moment clé de l’histoire de
Sega. Bien que Shenmue ne soit
pas tout à fait la première licence
Les bornes d’arcade de Hang-On console initiée par le département
et d’Out Run sont dans le jeu. Amusement Machine Research
La Saturn (anachronisme total) & Development 2 (deux RPG
y figure aussi ! étaient notamment sortis sur
Mega Drive), il marque un
tournant dans la politique d’AM2,
qui devient davantage un studio
à part entière, semi-autonome.
L’objectif du roi de l’arcade est
d’apporter son savoir-faire et
sa maestria technologique sur
le terrain des consoles, faisant de
la Dreamcast la machine la plus
EN TRAVAILLANT POUR
L’ARCADE PENDANT 15 ANS,
J’AI RESSENTI LE TRÈS FORT
DÉSIR DE CRÉER LIBREMENT,
SANS PENSER À LA LIMITE
DE TEMPS DE JEU.
64 | JV HS Génération Dreamcast
performante de la planète.
« À l’origine chez Sega, c’est
l’équipe consoles qui s’occupait
des portages venus de l’arcade,
mais ils ont vite jeté l’éponge
face au défi technique et
nous avons pris en charge
les portages nous-mêmes », se
vante aujourd’hui Suzuki. Cette
expérience explique qu’AM2
a été en mesure d’exploiter
au mieux la puissance de la
Dreamcast. « Pour la création
d’un jeu arcade (comme à
l’époque Virtua Fighter 3), notre
objectif était – je le répétais
toujours à l’équipe – de sortir un
jeu techniquement incroyable,
absolument inimitable sur
consoles. À l’inverse, lorsqu’il
fallait porter ces jeux sur consoles,
le développement partait du
principe que nous pouvions y
arriver même avec un hardware
moins puissant. Nous avions des
cycles de développement d’un an,
ce qui nous permettait de nous
appliquer sur l’optimisation. »
Shenmue est conçu pour être
un titre criant de puissance ;
mais sans vision, la seule
puissance ne serait rien.
LE TEMPS DE LA CONSOLE
« Chaque borne d’arcade avait
pour mission d’établir un nouveau
record de recettes, ce qui nous
Psy-Phi
forçait à fixer le temps moyen
de jeu à des sessions de trois
minutes. Il fallait condenser
l’essence du titre, explique
Suzuki. En travaillant ainsi
pendant 15 ans, j’ai ressenti le
très fort désir de créer un jeu
librement, sans penser à cette
limite de temps, et donc de faire
un RPG narratif. » Pour Suzuki,
qui est un admirateur de cinéma
classique américain, Shenmue
marque la volonté de profiter du
format long pour créer un véritable
film interactif, « davantage
qu’un jeu cinématographique »,
dit-il. C’est là l’aboutissement
d’années de recherche, de
voyages effectués en Chine dès
1993 où le créateur rencontre des
vieux maîtres d’arts martiaux,
et d’une réflexion entêtée sur
le jeu vidéo perçu comme une
série d’interactions. Le projet
de rompre avec l’arcade est bien
antérieur à la Dreamcast, mais le
développement de Virtua Fighter
RPG sur Saturn est arrêté après
6 mois de travail prolifique, dès
lors qu’il apparaît clair que le
nouveau monstre de salon en
chantier chez Sega permettra à
la fresque imaginée par Suzuki
d’atteindre toute son ampleur.
D’après Hirai, l’implémentation
de combats à l’épée, un temps
envisagés, n’était possible que

sur Dreamcast. « Il y a beaucoup
de choses que nous n’avons
pu finaliser, regrette Suzuki. Je
voulais ouvrir les affrontements
au-delà des zones de combat,
permettre au joueur de monter
à vélo… Si je commence à faire
la liste, ça n’en finira pas ! »
Le moteur technique et le
système de jeu de Shenmue
sont construits à partir de zéro,
avec la logique suzukienne de
bâtir une œuvre révolutionnaire
où la technologie sert le propos
du jeu. Tout, dans les moindres
détails, doit être créé avec de
nouveaux outils. Le concepteur
et ses subordonnés gèrent
une équipe de 300 personnes
lancées vers l’inconnu, avec
toujours la crainte que la vision
initiale se perde dans la chaîne
hiérarchique. Heureusement, les
70 millions de dollars dépensés
sur les deux épisodes facilitent
la tâche d’AM2 – et d’ailleurs,
Shenmue II bénéficie d’un travail
colossal réalisé en amont,
lui permettant de sortir très
vite. On dit parfois qu’il aurait
fallu que chaque possesseur
d’une Dreamcast achète deux
exemplaires de Shenmue pour
que celui-ci soit rentable. Le
transfert de Yu Suzuki de l’arcade
à la console a peut-être scellé le
destin de la Dreamcast, mais non
sans panache, pareil à la volonté
de Sega de partir la tête haute.
LES ANNÉES D’APRÈS
À la fin de la Dreamcast, les
remaniements internes chez
Sega ont raison de Suzuki, qui
perd son rôle influent. En 2001,
AM2 fusionne avec le studio
middleware CRI et l’équipe
grandit encore, ce qui selon les
dires du père de Shenmue rend
la gestion de projet infernale.
Las, Suzuki part former une plus
petite équipe, Digital Rex, qui se
casse les dents en voulant (une
nouvelle fois) révolutionner le jeu
Hidekazu Yukawa
Le salary man providentiel
Aperçu au cours de la démo What’s Shenmue? qui présente le jeu avant sa sortie,
Hidekazu Yukawa fut au Japon la mascotte de Sega pendant les années Dreamcast,
chargée de donner un nouveau souffle à la marque. Ce haut reponsable de la firme,
salary man typique avec son costume gris et sa cravate à carreaux, apparaît dans
une série de publicités à succès dans lesquelles
il cauchemarde la domination de la
PlayStation ou se fait démolir par
des yakuzas. Comédien malgré lui,
Yukawa devient si populaire qu’il
se décline en goodies, orne les
boîtes d’éditions spéciales de
la console et doit s’excuser
publiquement lorsque celle-ci
se retrouve en rupture
de stock.
de combat arcade. Développé mais se heurte aux refus répétés
en 2005, Psy-Phi tire parti du des financeurs, trop frileux pour
nouveau système Lindbergh, sonder de nouveaux territoires.
successeur de Naomi, avec un Aujourd’hui, le concepteur
gameplay basé sur une interface attribue l’échec de la Dreamcast
tactile ; le lancement du titre à son faible nombre de hits. À
est cependant annulé l’année quoi aurait ressemblé le destin
suivante. Dès lors, Suzuki de la console si Shenmue était
continue de présenter des parvenu à devenir la killer app
concepts avant-gardistes à Sega qu’il a toujours mérité d’être ?
JV HS Génération Dreamcast | 65
 Ikaruga
Le blanc et le noir
Bien qu’il soit sorti d’abord en arcade et plus tard sur Gamecube, la version
Dreamcast d’Ikaruga est restée dans les mémoires. Somptueux et ingénieux,
ce chef d’oeuvre du shoot’em up incarne presque à lui seul une certaine idée
du jeu vidéo alors en train de disparaître avec la console de Sega.
par Jérôme Dittmar
A
u commencement
il y a Treasure, nom
de studio mythique
et symbole d’un
savoir-faire du jeu japonais à
l’ancienne. Que ce soit pour des
jeux personnels qui ont bâti
sa réputation : GunStar Heroes,
Radiant Silvergun, Sin and
Punishment ; ou des commandes
pour des jeux à licences :
McDonald’s, Tiny Toons, Astro
Boy, Bleach, Gaist Crusher,
Treasure a rarement déçu. Sa
haute conception du gameplay,
dans des cadres classiques :
plateforme, run and gun,
baston, shoot’em up, a fait de
lui un artisan hors pair, maître
des mécanismes huilés et des
combinaisons fabuleuses. Vient
ensuite Hiroshi Iuchi, qui après
avoir fait ses armes sur les
arrières-plans de plusieurs titres
Mega Drive conçus par Treasure
(Alien Soldier, Light Crusader…),
s’est révélé sur Radiant Silvergun
qu’il pilote pour l’arcade et
son portage Saturn. Célèbre
par sa complexité, sa variété,
sa réalisation, son sytème
de scoring (et son aura), le jeu
pose les bases d’un shoot’em
up mâtiné de puzzle game
qui deviendra Ikaruga, le chef
66 | JV HS Génération Dreamcast
d’œuvre de Iuchi. À moins que
ce ne soit Gradius V, mais c’est
une autre histoire.
SHMUP CRÉPUSCULAIRE
Radiant Silvergun tenait déjà
du chant du cygne : arrivé sur
une Saturn exsangue, le jeu
symbolisait le dernier baroud
d’honneur d’une arcade dont la
PlayStation annonçait le déclin.
Qui plus est sorti sur une machine
mal aimée, sauf des joueurs,
le jeu avait tout pour devenir
mythique et finir par se vendre
très cher. Il en fut autant pour
Ikaruga : sorti en 2002, le jeu
arrive après l’annonce de l’arrêt
de la Dreamcast. Si les raisons
du portage sont avant tout
techniques, la version arcade
ayant été développée sur
Naomi, difficile de ne pas voir là
une stratégie visant un public de
joueurs en recherche d’un genre
bientôt en voie d’extinction (mais
qui tiendra malgré tout en partie
grâce au rétro). À son tour, Ikaruga
incarne un jeu quasi crépusculaire
sur une console partie trop tôt.
Ce statut ne doit évidemment
pas au hasard ni à la réputation
du précédent titre d’Iushi. Dès
son premier niveau le jeu se veut
le digne successeur de son ainé :

Un premier niveau sublime pour apprivoiser le concept.
reprenant le système de polarité
initié sur Silhouette Mirage (un
plateformer ou selon la position
gauche / droite du personnage
le gameplay varie), Ikaruga est
entièrement articulé autour des
couleurs (noir et blanc, donc).
Le concept, qu’on ne présente
plus, avait également été exploité
dans Radiant Silvergun pour son
système de chain, permettant
des enchainements faisant
grimper le score. Cette fois
Iushi va plus loin, et le jeu se
distingue par sa radicalité, sa
densité, son quasi minimalisme :
un seul tir et des boulettes
ennemies qu’on peut absorber,
cinq niveaux et autant de boss,
pas de cinématique et pourtant
une mise en scène permanente.
L’expérience se veut épurée,
intense, mais infiniment subtile.
LA BOITE DE PANDORE
Ikaruga est un jeu qui s’effeuille,
ce qui explique aussi sa
place dans l’histoire. Pour en
comprendre la richesse, il faut
s’y pencher, y revenir, passer les
premiers rounds où il s’agira
surtout de survivre, et atteindre
les suivants où va se révéler
le principe de scoring. Alors
débute le vertige, la complexité
folle des patterns, l’analyse
permanente des couleurs
ennemis, l’oeil qui ne se détache
plus de la jauge de chain.
Par-delà la question du score,
le jeu révèle toute sa dimension
de puzzle spatial, et pour ainsi
dire sa logique, sa science,
son intelligence. Là où Radiant
Silvergun reposait sur sept tirs
différents et des chaînes autour
de trois couleurs, Ikaruga, en
abaissant drastiquement ce
ratio à 1 et 2, se paie le luxe
d’être par certains aspects plus
complexe que son prédécesseur.
Quoique plus accessible,
le système se veut plus
profond, laissant une marge
plus importante au joueur,
libre de varier ses stratégies.
Si le jeu effraie d’abord par ce
qui semble être une difficulté
insoutenable, son apprentissage
progressif permet d’en explorer
les rouages et d’en découvrir la
beauté.
LOVE STORY
À l’image du versus fighting,
Ikaruga pousse le joueur à peser
progressivement ses actions, à
réfléchir sans cesse sur sa façon
de jouer. Il s’intéresse à ce que
le jeu vidéo est alors en train de
Des méchas furieusement stylés.
Noir ou blanc il faut choisir.
plus ou moins délaisser (mais
qui heureusement ne disparaîtra
jamais). Encore une fois il
ne s’agit pas d’une difficulté
absurde, mais d’un système
à apprivoiser et qui reste
toujours juste. L’expérience
ne serait pas aussi forte sans la Radiant Silvergun : la matrice.
science du level design propre à
Treasure et Iuchi, qui créent une
authentique scénarisation des
niveaux. Cette mise en scène
doit autant aux arrières plans a ce quelque chose de
en mouvement (et multipliant chorégraphique, furieusement
les vues vertigineuses), qu’aux stylisé, fidèle aux sources du
patterns ennemis ou l’utilisation genre : pas de gothic lolita à
des décors. Tout ce qui fait la Death Smiles ici, mais un
d’Ikaruga un jeu millimétré, vaisseau au design racé et qui
d’une précision de gameplay et n’a pas laissé tomber les belles
rythmique étourdissante. D’autres heures du futurisme nippon. De
shmup sur Dreamcast suivront, quoi laisser quelques souvenirs
dont le génial Border Down inaltérables et donner à la
de G.Rev (d’ailleurs venu en Dreamcast un titre charnière
renfort sur le jeu) au même titre à la valeur hautement affective
que Gradius V. Mais Ikaruga et symbolique.
IKARUGA
Genre : Shoot’em up
Éditeur : Sega
Dév. : Treasure
Sortie : 5 septembre 2002
JV HS Génération Dreamcast | 67
 Under Defeat.
Kill me again
Le shoot’em up sur Dreamcast
Parmi les genres qui ont le mieux résisté
au décès de la Dreamcast, le shoot’em up
caracole en tête de ceux les plus visités.
Pas un hasard pour une machine qui plus
que jamais symbolise à la fois un tournant
dans le passage de l’arcade au salon, et
une transition pour le genre lui-même.
par Jérôme Dittmar
P
resque aussi vieux
que le jeu vidéo, le
shoot’em up n’est pas
mort mais a perdu
depuis longtemps sa popularité.
Les années 2000 avaient vu son
retour par la petite porte grande
ouverte du mobile (où l’on
découvrait les joies du gameplay
tactile) ; celle du twinstick shooter,
en vogue sur XLA et autre PSN
(l’engouement pour le jeu rétro
aidant) ; ou encore via la Xbox
360 japonaise, dernier refuge
console du genre. Et puis
la vague s’est dissoute peu
à peu, pour se recomposer
timidement, d’un peu de
partout, à commencer par la
scène indépendante sur Steam.
Dans cette petite histoire, la
Dreamcast tient une place à
part. Sur les quelques années
d’existence où la console était
encore soutenue par Sega, elle
fut un lieu privilégié pour le
genre. De son vivant,
la machine n’a pourtant pas
multiplié les titres. Mais parce
qu’elle incarnait un dernier pont
vers l’arcade, elle n’a cessé
ensuite d’accueillir des jeux,
68 | JV HS Génération Dreamcast
comme si son statut de dernier
gardien du temple, inachevé,
faisait d’elle un dernier bastion.
POUR LES JOUEURS
« À la sortie de la Dreamcast,
le marché de l’arcade avait
déjà amorcé sa chute, il n’était
déjà plus le mètre-étalon. Les
jeux Naomi / Dreamcast sont
plus des résistants à une fin
annoncée que la dernière vague
de l’âge d’or. » nous confie
l’équipe de Shmup.com,
premier site spécialisé en
France sur le genre. C’est en
partie ce statut qui a fait de la
console un objet si singulier.
Car si la proximité des
architectures Naomi et
Dreamcast, ainsi que les coûts
de développement sur PS2
peuvent expliquer la volonté de
certains éditeurs de sortir leurs
jeux chez Sega, cela tient aussi
à l’état d’esprit dégagé par la
console. Et à une œuvre de
référence. Chez Shmup.com, la
Dreamcast « c’est une révolution
qui s’appelle Ikaruga. » Quoique
porté ensuite sur Gamecube, le
jeu de Treasure et Hiroshi Iuchi

(voir pages précédentes) aura
en effet marqué la console de
son empreinte, au point d’être
aujourd’hui vu comme l’un des
derniers titres populaires du
genre. Car par la suite le virage
vers la confidentialité s’amorce :
« dans l’histoire du shoot’em up,
la Dreamcast est la machine
qui annonce l’arrivée de petits
studios de développement et
le passage du genre à une
catégorie dite “ de niche”, les
gros éditeurs l’ayant quasiment
abandonnée. » expliquent nos
confrères. « La filiation Naomi /
Dreamcast couplée à une
architecture simplifiée a permis à
des petits studios japonais encore
animés par la foi et l’amour du
genre de se faire une place dans
le monde du shoot’em up. »
DU RÊVE
Parmi ces petits développeurs,
G.Rev (voir notre interview p.71)
fut l’un des plus emblématiques.
Encore en activité, le studio s’est
fait connaître en 2003 avec la
version arcade de Border Down.
Rapidement porté sur Dreamcast
alors que la console est arrêtée,
le jeu connaît un important
succès auprès des amateurs.
Largement inspiré par Metal
Black (1991), un shmup de Taito,
le jeu repose sur un système de
niveaux découpés en trois parties
auxquelles le joueur accède en
perdant une vie. Mais au lieu de
faciliter les choses, chaque échec
rend le jeu plus dur. Pour remonter
d’un niveau, pas d’autre choix
qu’atteindre un certain score,
qu’on fera grimper à l’aide
d’un imposant laser à utiliser
avec intelligence, sous peine de
faire baisser la force d’attaque
principale. Mélange de skill,
d’apprentissage, de stratégie,
le tout emballé dans une
réalisation 3D solide, Border
Down sait surtout s’armer d’un
concept sans basculer dans
la furie du manic, alors en
embuscade. « La Dreamcast est
aussi la console de transition
entre les styles oldschool et
manic, avec l’apparition de ces
fameux shmups à “rideaux de
balles”. Une nouveauté pour
beaucoup de joueurs, même
si DoDonPachi – porté sur
PlayStation et Saturn – avait déjà
Border Down.
amorcé la tendance. » explique
Shmup.com. Si les GigaWing 2,
Mars Matrix ou plus tardifs
Psyvariar 2 et Shikigami no Shiro II
plongeront le nez dans les
boulettes (signant la fin d’une
certaine mise en scène qui a fait
les meilleurs jeux du genre), ce
ne fut pas le cas de l’autre titre
célèbre de G.Rev, Under Defeat.
ENVOYEZ LES HÉLICOS
Conçu également sur Naomi,
Under Defeat est un jeu
d’hélicoptère à l’ambiance
militaire et au visuel soigné (ses
explosions et volutes de fumée
font encore leur effet). Il incarne
l’un des derniers grands titres
« classiques » de la console.
Publié en 2005 non sans un
certain goût de baroud
d’honneur (Sega ayant jeté
l’éponge depuis longtemps),
le jeu est une merveille de level
design, les attaques sol / air
couplées au gameplay rotatif
(le scrolling est vertical mais
l’hélicoptère en pivotant permet
de balayer l’écran à 45°) offrant
une variété de situations quasi
permanente. Attaque contre
JV HS Génération Dreamcast | 69
Gigawing 2.
Zero Gunner 2.
Mars Matrix.
EN APPROFONDISSANT
LA PLUPART DES SHMUPS
DREAMCAST, ON EST VITE PRIS
DE VERTIGE QUANT À LA MASSE
DE CONCEPTS À ASSIMILER.
70 | JV HS Génération Dreamcast
une flotte de destroyers géants,
bataille dans un canyon,
démontage d’une forteresse
sour la neige, rencontre dans
une ville en ruines, le jeu a beau
employer des teintes similaires,
chaque décor ressort et dessine
un fil narratif – sans compter
un beau panel d’ennemis au
design joliment stylisé. Dans un
genre similaire, Under Defeat
rappelle l’un des autres grands
shmup de la Dreamcast : Zero
Gunner 2. Même principe (un
hélicoptère), mais cette fois
avec la possibilité de tourner
à 360°, laissant ainsi au joueur
une appréhension de l’espace
beaucoup plus ample. Si le
système existait déjà du temps
d’un Ikari Warrior (avec son stick
arcade multidirectionnel), la 3D
de Zero Gunner 2 démultiplie
les possibilités du gameplay,
auxquels s’ajoutent des patterns
au rythme endiablé et une
mise en scène d’une vélocité
impressionnante. Le jeu, préférant
miser sur l’intensité, se révèle
un enchainement de situations
folles qui n’ont pas pris une ride.
L’ANCIEN ET LE MODERNE
« En approfondissant la plupart
des shmups de la console on
est vite pris de vertige quant à la
masse de concepts à assimiler
pour les maîtriser ! » nous confie
Shmup.com. En effet, comme le
rappelle l’équipe, des couleurs
d’Ikaruga à la rotation dans
Under Defeat ou le grappin de
Trigger Heart Exelica, le jeux ont
su renouveler le genre. Parmi
les autres titres incontournables
et innovants, impossible de ne
pas citer le génial Bangai O.
Conçu par Treasure après
Radiant Silvergun, le jeu brille par
son concept et associe shmup,
puzzle game, exploration, voire
plateforme. Aux commandes
d’un mecha, le joueur enchaîne
les tableaux, déjoue les pièges
et élimine des flopées d’ennemis,
jongle avec une panoplie
d’armes afin d’atteindre une
cible permettant de progresser.
Délirant et malin malgré ses
allures foutraques, Bangai O est
aussi l’un des rares shmup, hors
homebrew, conçu pour la
console, comme le rappelle
l’équipe du site. Ce qui explique
Bangai O.
pourquoi les jeux « incarnent un
esprit foncièrement arcade, tout
en proposant une grande variété
de styles, allant du classique
au manic, en passant par les
bizarreries visuelles de chez
Minestrone ou les systèmes
de jeu originaux de G.rev ».
ET MAINTENANT ?
Si le statut du dernier grand
shmup console revient peut-être
à Gradius V (piloté par Iroshi Iuchi
avec l’aide de Treasure et G.Rev),
difficile de trouver depuis Ikaruga
des jeux d’une telle envergure.
Une page s’est alors tournée
avec la Dreamcast. Et aujourd’hui
« la disparition (ou l’abandon)
des studios qui avaient une
grande expérience du shoot’em
up (Compile, Psikyo, Konami,
Irem, Cave, Taito…) n’aide pas
vraiment à être optimiste quant
à l’avenir du genre » confirme
Shmup.com. Sans doute
celui-ci est-il désormais du côté
de l’hybridation tentée par la
scène indé, ce que G.Rev avait
d’ailleurs anticipé avec Senko
no Ronde. Impur ou non,
quinze ans après l’arrêt de la
Dreamcast, le genre mérite plus
que jamais de se réinventer une
nouvelle fois en puisant, entre
autres, dans ce qui fut l’histoire
de la console : ce mélange
précieux de classicisme et
d’innovation.
Fondé par des anciens de Taito auteurs entre autres
de Darius, G.Rev a donné à la Dreamcast deux shoot’em
up d’anthologie : les fabuleux Border Down et Under Entretien avec
Hiroyuki
Defeat. Rencontre express avec Hiroyuki Maruyama,
son créateur, et dernier grand maître artisan d’un genre
en voie d’extinction.

Maruyama
Propos recueillis par Jérôme Dittmar
traduits par Adrien Padirac

(G.Rev)
G.Rev est né en 2000, presque en même temps que la Dreamcast.
Qu’est-ce que cette époque représente pour vous aujourd’hui ?
Il s’agissait d’une période charnière. Au même moment on trouvait encore
beaucoup de jeux traditionnels, notamment venus de l’arcade, mais GTA était
déjà en ligne de mire, et sont arrivés des pionniers tels que Shenmue qui a
amené l’open world sur Dreamcast.

Vous avez une longue histoire avec le shmup.

Pourquoi avoir choisi de vous spécialiser dans le genre ?
Nous ne sommes pas particulièrement des spécialistes ! (rires) Nous réalisons
simplement des jeux d’un genre qui nous plait.

Vous avez conçu la plupart de vos jeux sur du matériel

de Sega comme la Naomi. En quoi celui-ci est intéressant
pour programmer du shoot’m up ?
Avant de monter G.Rev, nous travaillions déjà sur Naomi. À la création du studio,
nous sommes donc naturellement allés voir Sega. C’était un excellent système,
qui plus est simple à programmer. Cependant, il était un peu contraignant
pour développer des shmup : si l’on n’est pas assez attentif, l’affichage rame
rapidement à cause du GPU de la console. C’est un hardware sur lequel il
est facile de créer un premier proto mais qui nécessite un affinage minutieux
pour aller jusqu’au bout du développement. Un peu comme la Playstation Vita
si l’on veut comparer à un hardware actuel.

Vous avez publié Under Defeat sur Dreamcast cinq ans après
l’arrêt de la machine. Pourquoi avoir choisi cette plateforme ?
Parce que la version arcade tournait sur Naomi (rires). Plus sérieusement en
sortant ce jeu à cette époque sur Dreamcast, nous ne pouvions honnêtement
avoir aucune attente sur les ventes… Mais on s’est dit qu’être le dernier jeu
de la Dreamcast avait une certaine allure. Bon, au final, ça n’a même pas été
le cas, mais c’est une autre histoire… (rires)

Le shoot’em up a beaucoup dérivé vers le danmaku depuis

plus de dix ans. Aujourd’hui on semble un peu prisonnier
du genre. Comment celui-ci peut-il évoluer ?
Je pense depuis toujours que c’est parce qu’il n’y a pas assez de shmup
accessibles pour des joueurs non initiés que le genre est en voie d’extinction.
Quand je dis « depuis toujours » c’est à dire avant même de monter G.Rev !
Toutefois, le genre n’est pas mort ! Ce qui me pousse plus que jamais à
l’explorer encore et encore.

Un dernier mot sur Sega : qu’est-ce que la marque symbolise

pour vous ?
« L’éternel second » C’est précisément pour ça que Sega a son charme,
et que la marque avait d’aussi fervents admirateurs.

JV HS Génération Dreamcast | 71
 SoulCalibur
Corps et armes
La Dreamcast avait juré d’être la machine qui transformerait
le salon en salle d’arcade. On attendait Virtua Fighter, mais ce
fut avec SoulCalibur que la promesse prit véritablement forme.
Retour sur un classique parmi les classiques du jeu de combat,
que quatre suites n’ont parvenu à détrôner.
par Victor Moisan
S
’inspirant de la Neo Geo
– console mythique
quoiqu’onéreuse
qui bénéficiait d’une
architecture identique à la borne
d’arcade MVS conçue par SNK –
Sega avait bâti sa Dreamcast
sur un système très proche de
la carte Naomi, facilitant les
portages de l’arcade vers la
console. De ce rapprochement
technologique sortirent des
rafales de hits faisant les beaux
(et courts) jours de la machine,
des délirants Crazy Taxi et Power
Stone au jeune premier de la
baston Dead or Alive 2. Mais
dans sa course à la domination
du marché, Sega n’avait pas fait
cavalier seul – sachant qu’il lui
faudrait compter sur les éditeurs
tiers pour accroître ses chances
de survie. Le ralliement, en 1999,
du grand rival de l’arcade Namco
fut un gage de confiance pour les
joueurs, d’autant que l’éditeur
japonais avait été l’un des plus
importants acteurs du phénomène
PlayStation avec des titres aussi
populaires que Tekken ou Ridge
Racer. C’est d’ailleurs avec la
suite de SoulEdge (SoulBlade
en Occident), qui avait connu un
beau succès sur la machine de
Sony, que Namco choisit d’ouvrir
les hostilités sur la nouvelle
72 | JV HS Génération Dreamcast
console de Sega. L’enjeu
est cette fois double puisque
l’éditeur souhaite installer sa
franchise en réinventant le jeu
de combat à armes blanches
(presque inexistant) puis,
s’agissant d’un développement
arcade suivi d’un portage, de
réussir l’exploit de produire une
version console encore plus
impressionnante que la borne.
Or, Namco relève le défi avec
brio : SoulCalibur est aujourd’hui
considéré comme l’un des tous
meilleurs représentants du genre,
qu’il a révolutionné par son travail
précurseur sur les déplacements
en 3D et le rapport aux armes.
Et bien que la borne arcade ne
tournait pas sur Naomi mais sur
le System 12 propriétaire de
Namco, le jeu a su parfaitement
tirer parti de la Dreamcast,
restant à ce jour l’un des rares
portages indiscutablement
supérieurs à la version originale.
HUIT DIRECTIONS
Après SoulEdge sorti en 1995,
l’équipe de développement
menée par Hiroaki Yotoriyama
est persuadée qu’il y a là tout
un genre à défricher, proposant
une alternative à la baston
« coup de poing » de Tekken et
Street Fighter. Ainsi, plutôt que

En étant malmené, mieux vaut bloquer en cherchant le « ring out ».
de capitaliser sur une simple
suite, Namco prend le temps
de réfléchir à une nouvelle
façon d’envisager la mobilité
à l’intérieur d’arènes en 3D,
associée au cas des armes
blanches. En échanges constants
avec les responsables de Tekken,
l’équipe se lance alors dans une
longue phase de tâtonnements
et fait des expérimentations à
partir du prototype d’un autre
jeu développé par Namco où
le joueur peut courir partout.
En important les règles de la
baston armée dans cette démo,
les concepteurs de SoulCalibur
parviennent à implémenter
un mouvement libre dans des
affrontements, là où la 3D ne
servait auparavant qu’à faire
des pas de côté et des esquives
à l’intérieur de combats
globalement limités à des plans
en 2D, comme dans Tekken 3
ou Tobal. Ainsi, SoulCalibur
propose des déplacements sur
huit directions, une liberté de
mouvement contrebalancée par
une surface de jeu très limitée
à la manière d’un ring de sumo.
À cela s’ajoute une panoplie
de coups structurée par les
quatre touches principales :
coup horizontal, coup vertical,
coup de pied et garde. Mais le
jeu des combos, associé aux
particularités exclusives de
chaque arme et de chaque style
de combat, décuple la technicité
des affrontements. Ces derniers
reposent sur des combinaisons
de touches inspirées du modèle
Street Fighter, mais avec une
permissivité beaucoup plus
souple au niveau des timings,
ce qui fait de SoulCalibur un titre
à la fois profond et accessible.
CHAMBARA VIRTUEL
La force du titre réside également
dans son casting, du chevalier
wagnérien Siegfried à l’ignoble
contorsionniste Voldo dont
la coque-braguette en forme
de taureau a été censurée
dans la version américaine. Les
combattants sont un mélange
réussi d’influences vidéoludiques,
comme la très castlevanienne
Ivy et son épée rétractable ou
le Lizardman tout droit sorti
d’un dungeon crawler. Chacun
possède un style de combat
très personnel, conférant une
vaste palette chorégraphique
à l’ensemble. Car c’est surtout
dans ses animations magistrales,
réglées par Masataka Ishiguro
et mises en valeur dès l’intro du
jeu, que SoulCalibur surprend.
Il n’y a qu’à voir Seong Mi-Na
Les postures sont le fruit
d’animations follement soignées.
Le rythme varie selon
la vitesse des armes.
faire danser son zanbatou pour
constater à quel point le travail
sur les rapports entre corps et
armes relève d’une ahurissante
modernité technique. Alors
que SoulCalibur a demandé 14
mois de développement et 60
personnes pour sortir dans
les salles d’arcade, il ne faut
que la moitié de ce temps et La voix de l’annonceur a elle,
40 employés pour porter le jeu en revanche, beaucoup vieilli.
sur Dreamcast – la sortie est
précipitée par le besoin d’en
faire un titre de lancement pour
la machine aux USA. Néanmoins, timide succès au Japon ait
la version console propose des prématurément incité Namco
arrière-plans tout en 3D et des à revoir ses plans pour la
combattants supplémentaires, Dreamcast. L’éditeur aurait
plus des modes de jeu exclusifs, mieux fait d’y réfléchir à deux
ce qui en fait de loin la version fois, car jamais par la suite il n’a
supérieure. À terme, le jeu réussi à proposer un titre aussi
s’écoule à plus d’un million innovant et résolument moderne.
d’exemplaires dans le monde, Pour les rixes à l’arme blanche,
recueillant des critiques on retournera éternellement
dithyrambiques, bien que son jouer au premier SoulCalibur.
SOULCALIBUR
Genre Jeu de combat en 3D
Éditeur Namco
Dév. Namco
Sortie 1er décembre 1999
JV HS Génération Dreamcast | 73
 Marvel Vs. Capcom 2

Le cercle ou le carré
Le jeu de combat sur Dreamcast
Quoi de plus arcade que le jeu de combat ?
Coincée entre l’ère de la 2D classique et
celle de la 3D obligatoire, la Dreamcast a dû
tracer sa propre voie, entre deux époques
et deux gameplays. Petit tour d’horizon de
ces jeux qui ont fait nos plus belles soirées
de baston, ou pas, à l’heure du bug l’an 2000.

par Jérôme Dittmar

A
vec Battle Arena
Toshinden et Tekken,
la PlayStation a fait
basculer le jeu de
combat dans une bataille de
polygones dont Sega fut tout
sauf un acteur de seconde zone.
C’est à lui que revient la primeur
du genre quand Yu Suzuki, en
1993, envoie dans les salles
d’arcade son bébé, le célèbre
Virtua Fighter. Il y aura toujours
une petite injustice à ce que
Namco vole la vedette à celui
qui restera l’un des meilleurs titres
du versus fighting : sa précision,
sa technicité, son réalisme,
voire son dévouement aux arts
martiaux, seront souvent loués
par les puristes. Quand les
béotiens, mais pas seulement,
préféreront toujours un Tekken,
plus spectaculaire et immédiat.
Si l’ironie de l’histoire veut que
seul l’ultra pointu et moins
populaire Virtua Fighter 3 TB (une
version améliorée du troisième
opus) sorte sur Dreamcast,
l’architecture de cette dernière,
construite autour de la Naomi
– et donc pour l’arcade – aura
fait de la console une machine
bâtie pour le versus fighting.
Mais un versus dans sa version
2D et 3D, signe qu’elle était
décidément la plateforme des
transitions – pour un genre qui
depuis a choisi son camp.
CAPCOM ALL STARS
Tous les possesseurs de
Dreamcast à l’époque vous
le diront : elle était la console
conviviale par excellence. C’était
la machine conçue pour le jeu
en multi (après la N64 elle aussi
avec ses quatre ports manette),
où l’on prend plaisir à se mettre
sur la gueule entre potes.
Inévitablement, ceci fait le
bonheur de Capcom. Alors
boss incontesté du versus
dans les salles, celui-ci sort sur
Dreamcast une flopée de titres qui
embrassent les deux techniques.
Car si depuis l’ex géant d’Osaka
a délaissé la baston 3D (enfin
presque), en 1999 nous sommes
encore à l’ère des Street Fighter
Ex et Star Gladiator, qui n’ont
jamais convaincu grand monde,
mais que le studio semble se
forcer à sortir pour rester dans
le coup. Plus mémorables et
sur Dreamcast, donc : Tech
Romancer, un chouette jeu
de mecha avec des stars du
genre (Gundam, Gunbuster,
Macross…), et surtout Project
Justice. Cette suite du décoiffant
Rival Schools reprend la même
recette et le même univers
où des lycéens se bastonnent
à renfort de coups spéciaux
délirants. Autres polygoneries
et autre(s) titre(s) culte(s) : Power
Stone (1 & 2). Exclusifs à la

74 | JV HS Génération Dreamcast

Garou : Mark of the Wolves
console, les jeux mélangent
combat et collecte d’items
(gems, armes) dans des arènes
où l’on peut circuler librement. Le
rythme est fou, les possibilités
nombreuses, le visuel façon
shonen super sexy, et le multi à
quatre (sur le 2) fait des ravages.
Le jeu finira parmi les favoris de
la Dreamcast. Peut-être pas au
même titre que Capcom Vs. SNK,
premier jubilé de deux vieux
frères ennemis (la Dreamcast est
décidément la machine de tous
les espoirs), mais certainement
à celui de Marvel Vs. Capcom 2.
En 2D, ce dernier (aux côtés de
SFIII, voir p.107) montre de quoi
la console est capable quand il
s’agit d’animer du sprite maousse,
sans broncher, avec des décors
fouillés multipliant les effets de
scrolling. Aujourd’hui encore,
MVC2 reste l’un des jeux les
plus encensés et furieux du
développeur (certaines features
sont directement inspirées des
versions pirates de SFII), qui
depuis le portera partout où il
peut.
L’HEURE DU LOUP
Ce n’est sans doute pas
un hasard si SFIII Third Strike
ou Marvel Vs. Capcom 2
resteront dans la légende.
Capcom est alors au sommet
de son art dans le genre, avec
des jeux 2D techniquement
éblouissants. Quand il s’agira
de ressusciter Street Fighter en
2008 pour le quatrième épisode,
le développeur n’hésitera
d’ailleurs pas longtemps : le
jeu adoptera un gameplay 2D,
même si le rendu des décors
et des personnages sera en
3D. Sans surprise, SNK profite
également de la présence de
son concurrent et envoie une
petite délégation sur Dreamcast.
Dans le lot, plusieurs éditions
de The Kings of Fighters (de
1999 à 2002), et surtout Garou :
Mark of the Wolves. Porté un an
après la Neo Geo, la version
Dreamcast rend justice à l’un
des fleurons de la console noir
et or. Cette refonte de Fatal Fury
est elle aussi une merveille de
jeu 2D : animation sidérante de
fluidité, plusieurs modes pour
contenter jusqu’au joueur solo,
roster limité mais bourré à craquer
de nouvelles têtes, gameplay
technique mais abordable et
surtout renouvelé. Garou se
place en concurrent solide et
frontal de SFIII. Il restera moins
dans l’histoire (le jeu n’aura
même jamais de version PAL) et
débarquera plus tard sur PS2,
mais ça n’en fait pas moins l’un
des incontournables du genre
Virtua Fighter 3 TB
Power Stone
sur Dreamcast. Décidément plus
à l’aise avec le quart de cercle
que les croix, triangle, carré.
ET SEGA DANS TOUT ÇA ?
Pour Sega, pas moyen de faire
le beau en 2D, quelque soit le
type de baston. Le constructeur
misant tout sur la technique,
chaque jeu Dreamcast doit être
le témoin des efforts de ses Project Justice: Rival Schools 2
équipes. Ironiquement, jamais
il ne se hissera à la hauteur
de Namco et son SoulCalibur.
Surtout pas avec Fighting
Vipers 2 : arrivé tardivement
sur Dreamcast après sa version
arcade, le jeu accuse alors le
coup. Médiocre graphiquement
(persos corrects, décors pour prendre le nom du film
horribles), il compense tant bien comme titre), ce beat’em all
que mal par un gameplay vif et 3D, coloré et parfois barré
violent, mais pas assez profond (un combat contre une pieuvre
pour tenir sur la durée. On peut géante ?!) tient presque encore
alors tenter vaguement de se la route aujourd’hui. Avec tout
rattraper côté beat’em all avec ça, on a presque oublié de citer
Zombie Revenge, un portage du les jeux de catch et autres
jeu d’arcade éponyme revisitant Ready to Rumble de Midway,
à pieds et non sur rails l’univers vitrine technologique de la
de The House of the Dead. Pas Dreamcast en son temps. Mais
si loin d’un Yakuza Dead Souls si on glisse dessus, c’est aussi
(avec les mêmes défauts de voulu : pas de quoi rentrer
gameplay rigide et exaspérant), dans la légende. Encore moins
le jeu sera moins bon que se placer comme baromètre
le sympathique Dynamite Cop. pour le genre et son gameplay.
Suite de Die Hard Arcade Le jeu de baston, il est japonais,
(cette fois sans les droits bidons un point c’est tout.
JV HS Génération Dreamcast | 75
 Virtua Tennis 2
Le meilleur des deux mondes
Sans rompre avec ses racines arcade, Virtua Tennis 2 a su amener le sport
virtuel à un niveau de sophistication digne des meilleures simulations.
Aussi dynamique qu’accessible et proposant un mode carrière fabuleux,
sa version Dreamcast – la meilleure – était aussi un modèle d’adaptation.
par Erwan Higuinen
T
rois, pas moins. C’est
le nombre de titres,
différents selon les
régions du monde,
sous lesquels est sorti en 2001 le
jeu de tennis star de la Dreamcast.
En Europe et au Japon, il était
respectivement connu sous les
noms de Virtua Tennis 2 et de
Power Smash 2, mais c’est son
appellation américaine qui avait
a priori de quoi surprendre :
Tennis 2K2. L’objectif était clair :
associer l’adaptation du jeu
d’arcade de la division Hitmaker
(ex AM3) aux simulations pointues
du studio américain Visual
Concepts, à l’époque filiale de
Sega (et aujourd’hui possession
de Take-Two Interactive) comme
NBA 2K pour le basket, NFL 2K
pour le foot US ou NHL 2K pour le
hockey sur glace, porte-étendards
du très sérieux label Sega Sports.
Et le plus fort, c’est que Virtua
Tennis 2 ne faisait à l’époque pas
le moins du monde figure d’intrus
au milieu de ces célébrations
rigoureuses et fouillées des
grands sports américains, jetant
un pont à la fois souple et solide
entre le monde de l’arcade et celui
de la simulation. Entre Power
Smash (on a encore le temps
pour une partie, on remet une
76 | JV HS Génération Dreamcast
pièce, qui veut faire un match ?)
et 2K2 (on s’installe, on se
projette, on maîtrisera toutes les
subtilités du jeu même s’il faut
pour cela y passer la nuit).
DOUBLE MIXTE
Avant Virtua Tennis 2, il y eut
évidemment Virtua Tennis
premier du nom, sorti en 1999
sur borne d’arcade Sega Naomi
et adapté l’année suivante sur
sa quasi jumelle de salon, la
Dreamcast. Les fondations sont
donc là lorsque Mie Kumagai
(qui deviendra en 2003 la
première femme présidente
d’un studio de développement
interne de Sega) et son équipe
attaquent la construction de leur
majestueux temple du tennis.
À l’époque, les concepteurs
de Virtua Tennis savent
parfaitement où ils vont. Pas
question de tout bouleverser
et pas non plus de se contenter
d’ajouts purement cosmétiques.
Dans Virtua Tennis 2, les
nouveautés majeures sont ainsi
au nombre de trois. La plus
évidente se trouve au niveau
du roster de joueurs. Ou plutôt,
désormais, de joueurs et de
joueuses car les sœurs Williams,
Monica Seles, Arantxa Sanchez
La modélisation des joueurs étaient un point fort.
ou encore Mary Pierce sont
désormais présentes aux côtés
de Tim Henman, Tommy Haas,
Cédric Pioline ou Magnus
Norman. Les femmes se révèlent
au moins aussi intéressantes
à jouer, si ce n’est plus que
leurs homologues masculins,
et représentent la moitié des
16 personnages disponibles
au lancement du jeu – le
double mixte est également
au programme, mais pas les
affrontements entre un homme
et une femme. La deuxième
innovation, elle, est d’ordre
technico-tactique puisqu’un
troisième bouton vient s’ajouter
à ceux permettant déjà, selon le
timing, la position et la direction
du joueur, de sortir un lift, un lob
ou un coup de fond de court.
En appuyant sur la touche B de
sa Dreamcast, le tennisman en
chambre peut à présent réussir
des slices du plus bel effet, ce qui
accroît la variété des échanges.
UN SLICE DE RPG
La plus importante des évolutions
est peut-être la troisième,
spécificité de la version pour
console de salon, même si elle ne
saute pas immédiatement aux
yeux. Car si le mode World Tour
était déjà présent dans Virtua
Tennis 1, il s’est sérieusement
enrichi dans le 2, qui nous invite
à prendre en main les destinées
de deux joueurs créés par nos
soins, un homme et une femme,
que l’on fera tout pour amener
au sommet de la hiérarchie de
l’ATP et de la WTA après les
avoir vu débuter modestement
au rang 300. Cette fois, les
différentes compétitions
(accessibles ou non selon le
classement de nos alter ego)
et les séances d’entraînement
spécialisées (pour améliorer
notre service, notre volée, notre
jeu de jambes…) s’intègrent
dans le calendrier de la saison,
découpé en semaines, qu’il
va nous falloir gérer finement
en ne négligeant pas le repos
sous peine d’arriver claqué
à un tournoi majeur. Et en
n’oubliant pas non plus d’acheter
dès que possible de chouettes
tenues et équipements à notre
duo de héros. C’est la partie la
plus riche (et la plus prenante)
de Virtua Tennis 2, mais aussi,
paradoxalement, la plus
facétieuse car les entraînements
se déroulent par le biais de
mini-jeux à ne pas prendre
complètement au sérieux.
Le joueur y passe son temps
à affronter des tanks, viser
des quilles de bowling ou éviter
des balles piégées en ramassant
des drapeaux. S’entraîner
au retour de service n’avait
sans doute jamais été aussi
réjouissant. Mais attention :
derrière les gags se cachent
de belles et fines épreuves
d’adresse – d’inspiration
arcade, forcément – qu’il est
indispensable de réussir pour
faire progresser les capacités
de notre couple d’artilleurs en
short et jupette. Virtua Tennis
RPG ? Quasi.
AU TOUCHER
Les vrais fans de tennis vous
le diront : ce qui importe avant
tout, plus que la puissance
ou l’endurance, c’est le toucher
de balle. C’est aussi lui qui,
en dernière analyse, fait la
VIRTUA TENNIS 2
Genre Sport
Éditeur Sega
Dév. Hitmaker
Sortie 24 octobre 2001
différence entre les simulations
vidéoludiques. Celui de Virtua
Tennis 2 est à la fois fin et
nerveux, fort, précis et parfois
presque onctueux. Il y a de la
sensualité dans ses échanges,
une intense satisfaction à
simplement renvoyer la balle
en cherchant les lignes ou le
contre-pied. Et, aussi, à essayer
de lire la trajectoire que notre
adversaire – relativement
prévisible, il faut bien l’avouer,
lorsqu’il est dirigé par l’IA –
va impulser à la balle, car le
placement et l’anticipation sont
essentiels si l’on ne veut pas
se laisser dépasser. Et, pour
sauver les meubles, se retrouver
condamné aux courses à bout
de souffle et aux plongeons
désespérés. Mais il y a aussi
du plaisir à se jeter ainsi, à,
s’abandonner complètement à
un jeu qui le mérite amplement.
JV HS Génération Dreamcast | 77
 Le sport selon Sega
Le jeu tout-terrain
Commercialement, la Dreamcast a
souffert de l’absence des jeux EA Sports.
Mais, ludiquement, c’est une toute autre
histoire. Des simulations sérieuses comme
NBA 2K aux trips arcade, Sega a fait plus
que compenser l’absence de l’éditeur
américain.

par Erwan Higuinen

P
armi les raisons
évoquées pour
expliquer le douloureux
échec commercial
de la Dreamcast, il en est une
qui revient souvent : la décision
d’Electronic Arts de ne pas la
soutenir et, en conséquence,
l’absence sur la console de
ses incontournables (et très
vendeuses) simulations sportives.
Pas de FIFA, de NBA Live ni
de Madden à se mettre sous la
dent, donc, des jeux pourtant
intimement associés à Sega
depuis la Mega Drive et qui
étaient encore présents sur
Saturn. Derrière cette défection
se cachent des questions
de technologies et de gros
sous mais, aussi, celle d’une
concurrence que le puissant
éditeur américain ne souhaitait
pas défier frontalement. « Nous
voulons l’exclusivité du sport sur
Dreamcast, ou alors ce sera sans
nous », ont exigé en substance
les dirigeants d’Electronic Arts.
Pas question, leur fut-il répondu,
parce que Sega venait de faire
l’acquisition pour pas moins de
10 millions de dollars de Visual
Concepts, un studio californien
à la réputation naissante qui
était justement spécialisé
dans les jeux de sport (et qui,
ironiquement, avait par le passé
collaboré avec l’éditeur de
FIFA). Avant même qu’EA ne
tourne officiellement le dos
à la Dreamcast, la mission de
ce dernier, qui n’allait devenir
que plus stratégique avec sa
défection, était déjà là : apporter
à la 128 bits de Sega une gamme
complète de simulations des
grands sports américains afin de
soutenir les ventes de la machine
au doux pays de Michael Jordan
et Joe Montana. Visual Concepts
n’allait pas faire les choses à
moitié.
TONY PARKER
Dès la saison 1999-2000,
pour le lancement américain
(et accessoirement européen,
mais seule une partie de ces titres
fit le voyage jusqu’au Vieux
Continent) de la console, trois
jeux d’une richesse folle étaient
déjà là : NBA 2K pour le basket
professionnel, NFL 2K au rayon
football américain et NHL 2K
pour le hockey. Visual Concepts
ne pouvant cependant pas
tout faire, Black Box (future
acquisition… d’EA) se chargeait
cependant de ce dernier
– qui compensait ses limites en
termes de modes disponibles
par un mini-jeu de baston sur

78 | JV HS Génération Dreamcast

NBA 2K1
glace entre hockeyeurs – avant
de passer la main pour la version
2K2. Car ce sémillant trio allait
être mis à jour les deux années
suivantes et rejoint par des titres
dédiés au très populaire football
universitaire (NCAA College
Football 2K2) et au non moins
capital baseball (World Series
Baseball 2K2). À peu près
toutes aussi remarquables, ces
simulations mêlaient avec une
élégance rare facilité d’accès (à
condition de rester à la surface
de l’océan de statistiques et
de possibilités) et profondeur
de jeu. Avec en plus, ce qui ne
gâtait rien, les licences officielles
des équipes et joueurs des
championnats américains,
lesquelles permettaient entre
autres bonheurs aux français fans
de basket de vivre à distance
les grands débuts du nouveau
meneur des San Antonio Spurs,
un certain Tony Parker.
LE TEMPS DE
LA VENGEANCE
Rien ou presque ne manquait
dans ces titres qui, pour certains,
faisaient plus que jeu égal
avec leurs équivalents signés
EA. Signalons par exemple
l’apparition, au moins sur le
territoire américain, du jeu en
ligne à partir des éditions 2K1
ainsi que de features alors
inédites comme, pour le basket,
la possibilité de créer son
propre joueur et de le transférer
sur la console d’un ami. Il faut
aussi parler, dans certains
épisodes, de la présence du
basket de rue et d’une poignée
de vieilles légendes de la NBA
comme Magic Johnson, Larry
Bird ou Wilt Chamberlain. Sega
faisait tout pour se mettre les
sportifs dans la poche et se
révélait très en avance sur son
temps. Le modèle ludique mis
au point par Visual Concepts
est d’ailleurs celui qui domine
encore aujourd’hui le terrain
du jeu sportif : passé depuis
entre les mains de Take-Two,
le studio, avec sa série NBA 2K,
règne presque sans partage
sur la simulation de basket, au
point d’avoir plongé son ancien
rival NBA Live dans une terrible
crise d’identité – vengeant ainsi
indirectement cette pauvre
Dreamcast.
PANIER
Visant plus particulièrement
les joueurs américains, les titres
de Visual Concepts ne sont
cependant pas les seuls à
représenter le sport sur la console
NFL 2K1
de Sega qui, parallèlement à NHL 2K1
ces projets ambitieux, n’a pas
manqué de s’appuyer aussi
sur sa grande expérience de
l’arcade. Avec son mode World
Tour, Virtua Tennis est de très
loin celui qui a su le mieux
négocier le passage du bar au
salon. Virtua Striker a davantage
souffert, révélant, la manette en
main et sur la durée, tout ce que
son style de jeu pouvait avoir
de prévisible et de stéréotypé
et ne parvenant pas à combler
l’absence de FIFA. Un manque
que les autres tentatives
footballistiques de Sega n’ont
pas non plus su faire oublier
De Sega à 2K Sports
Quelle est la plus grande série vidéoludique à déclinaisons annuelles née sur
Dreamcast ? Sans aucun doute NBA 2K, le chef-d’œuvre de Visual Concepts
fidèle au poste depuis 1999 et qui fait figure de survivante après l’arrêt de ses
consœurs dédiées au foot US, au baseball ou au hockey. Depuis son rachat par
Take-Two en 2005, le studio californien a abandonné ses incursions hors du
domaine sportif qui donnèrent les rieurs Floigan Bros. et Ooga Booga à l’époque
de la Dreamcast. À moins que l’on décide de voir l’héritage de ces facéties
cartoon dans les jeux de catch WWE 2K dont il est l’un des co-développeurs.
JV HS Génération Dreamcast | 79
Sega Extreme Sports
(voir p.81). Leur petit frère
Virtua NBA développé par
Amusement Vision, qui tournait
Cosmic Smash pourtant sur la borne Naomi à
l’architecture proche de celle
de la Dreamcast, n’a quant
à lui même pas eu droit à
une adaptation. En matière de
basket, le temps était au sérieux
de Virtual Concepts plutôt qu’à
sa fantaisie flashy. Ou alors,
il fallait y aller franchement.
COOL SPORTS
C’est ce qu’a réussi un autre titre
sportif fort de la Dreamcast. On ne
Virtua Athlete 2K parle pas ici de Virtua Athlete 2K,
collection d’épreuves athlétiques
signée Hitmaker qui ne faisait pas
vraiment d’étincelles – pas plus,
en tout cas, que ses concurrents
un rien ronronnants : l’olympique
Sydney 2000 et ESPN International
Track & Field, mise à jour du titre
pionnier de Konami. Non, c’est
d’une autre compilation qu’il
LE MODÈLE DE
VISUAL CONCEPTS
DOMINE AUJOURD’HUI
LE JEU SPORTIF.
80 | JV HS Génération Dreamcast
s’agit : la bien nommée Sega
Extreme Sports, dont le titre est
cependant un rien trompeur. Car
c’est un nom d’emprunt : Sega
n’a pas développé ni même
commandité mais seulement
édité en Europe (et renommé
pour l’occasion afin de l’inclure
dans sa gamme Sega Sports) le
jeu du studio norvégien Innerloop
publié ailleurs par Infogrames
– et également disponible sur
PC ainsi que, dans une version
très différente, sur GameBoy
Color. Mais ledit emprunt est
significatif : il rassemble VTT,
snowboard, deltaplane, saut à
l’élastique, quad et surf des
neiges en s’offrant même le luxe
de les combiner. Notre avatar
passe alors de l’une à l’autre des
épreuves presque sans transition
et le jeu décolle du même coup à
des hauteurs inattendues. Sega
Extreme Sports témoigne d’une
volonté de célébrer une certaine
approche du sport, moins
« extrême » à proprement parler
que cool, jeune, furieusement
fun. Snow Surfers était de
la même veine tout comme,
chez les éditeurs tiers, les
titres multiconsoles Dave Mirra
Freestyle BMX, MTV Sports :
Skateboarding ou l’incontournable
Tony Hawk’s Pro Skater. Mais
aussi, dans son registre futuriste
(il s’agit clairement d’un sport
Snow Surfers
de demain) et rétro à la fois (son
néo-squash se nourrit de Breakout
comme, visuellement, de Tron)
Cosmic Smash, adaptation
entêtante d’un jeu d’arcade dont
la version Dreamcast n’a jamais
été distribuée officiellement
hors du Japon.
PAS DE PLACE POUR FIFA
Telle est ainsi l’autre face du
jeu de sport selon Sega qui, à
l’époque de la Dreamcast, n’était
pas pour rien l’éditeur de Jet Set
Radio (le roller, c’est du sport,
non ?) ou de Crazy Taxi (lutte
contre le chrono, manœuvres
périlleuses pour atteindre l’arrivée :
voilà clairement un sport extrême).
D’un côté, la folie réaliste de Visual
Concepts – on se croirait au stade
ou, au moins, en train de prendre
le contrôle d’un match télévisé.
De l’autre, les sensations fortes de
Sega Extreme Sports et de ses
semblables – nous voilà transporté
hors du réel, dans un univers
bariolé de pures sensations.
D’une part le vrai, de l’autre l’irréel,
c’est-à-dire le plus que parfait.
Entre les deux, pas de place pour
le « juste milieu » supposé, la
chèvre et le chou simultanément
ménagés, le truc qui contente tout
le monde un peu et personne
complètement. Pas de place pour
FIFA. C’était peut-être aussi bien
comme ça.

Le foot sur Dreamcast
À la recherche du jeu correct
Reine des jeux de sport, la Dreamcast n’avait qu’un vrai point faible
en la matière : le football. Faute de FIFA ou de PES, les fans de ballon rond
n’ont pas passé que de belles soirées sur les titres qui les ont remplacés.
D
reamcast. » En ce
mois de mai 2002,
le nom de la console
orne les glorieux
maillots rouges des joueurs
d’Arsenal champions d’Angleterre
et en particulier de Thierry Henry,
meilleur buteur du royaume pour
la première fois de sa carrière.
À la même époque, Sega
sponsorise aussi les équipes
de Saint-Etienne, du Deportivo
La Corogne et de la Sampdoria
de Gênes, signifiant clairement
que le football européen est pour
lui un vecteur de communication
hautement stratégique. La logique
voudrait qu’en conséquence, la
Dreamcast soit aussi une machine
de choix pour refaire le match
à la maison, mais la situation
n’est pas exactement celle-là.
Pire : sur la console désertée
par EA (pas de FIFA) et snobée
par Konami (qui lui offre bien du
Dance Dance Revolution mais ni
PES ni ISS), la recherche du jeu
de foot idéal a jusqu’au bout
tenu du chemin de croix.
DÉBORDEMENT,
CENTRE… ET BUT !
Au commencement était Virtua
Striker 2 (dans sa version 2000.1,
par Erwan Higuinen
pour être précis), adaptation
frénétique et plastiquement
sublime du jeu d’arcade. Celle-ci
faisait illusion, quelques heures
durant – à condition de posséder
un stick arcade sous peine de
s’user les doigts sur la croix
faute de compatibilité avec
celui, analogique, de la manette
Dreamcast. Sur l’écran, le résultat
était incroyable mais la conjonction
d’un temps de latence un poil
exagéré et d’actions ayant
tendance à inlassablement se
répéter (débordement, centre… et
but !) donnait le curieux sentiment
d’un grand spectacle scripté sur
lequel le joueur n’avait qu’une
prise limitée. Le passage des
salles d’arcade au salon ne s’était
par ailleurs pas accompagné d’un
travail d’approfondissement de
l’expérience, comparable à celui
de Virtua Tennis.
LE SYNDROME
DE STOCKHOLM
Alors vint le temps des espoirs,
des essais, et des déceptions.
Des faiblesses vaguement
coupables, aussi, parfois,
faute de mieux. Pas si mal, hein,
cet UEFA Striker également
disponible sur PS1 ? Pas si bien
Virtua Striker
non plus. Même chose pour où l’Europe découvrait vraiment
le tiercé mollasson de Silicon Pro Evolution Soccer. À ce
Dreams : Sega Worldwide Soccer stade, le mieux était encore
2000 (à ne pas confondre avec de relancer Virtua Striker 2.
ses homonymes bien supérieurs Au moins, avec lui, il y avait
de la Saturn développés en de beaux buts.
interne et baptisés Victory Goal
au Japon), le même dans son
édition spéciale Euro 2000 et
enfin UEFA Dream Soccer, qui
était sans doute le moins pire
du lot et pour lequel on pouvait
éventuellement se passionner
– à condition d’être un minimum
sujet au syndrome de Stockholm.
Le coup de grâce fut asséné
par Sega lui-même avec le
calamiteux et laid 90 Minutes
pourtant signé Smilebit (Jet Set
Radio) et sorti en 2001, l’année
UEFA Dream Soccer
Sega Worldwide Soccer 90 Minutes
JV HS Génération Dreamcast | 81
 Crazy Taxi
Le code de la déroute
Qui est le plus fou du chauffeur qui fait payer ses cascades ou du
client qui ne lâche des pourboires qu’en situation de conduite
dangereuse ? De celui qui roule à contre-sens ou du badaud qui
n’hésite pas à sauter en marche si son chauffeur se montre un peu
trop mou de la pédale ? Avouez que ça demande réflexion.
par Sylvain Tastet
D
epuis plus de quinze
ans, interview après
interview, le pauvre
Kenji Kanno doit
affronter encore et toujours la
même question posée par de
probables chasseurs de scoops
à la petite semaine : « D’où vous
est venue l’idée de Crazy Taxi ? »
La question paraît anodine, elle
ne l’est pas tant que ça. Elle
nous apprend déjà que, de l’avis
collectif, avoir conceptualisé ce
jeu semble tenir du génie. Comme
si, pour penser à incarner un
chauffeur de taxi lancé dans la
ville sur fond de musique punk
de skatepark, il fallait forcément
que ce fut sous le coup d’une
épiphanie soudaine. Elle nous
confirme enfin que Crazy Taxi
dégage une telle aura qu’il mérite
que l’on s’intéresse à lui malgré
les décennies qui passent.
Enfin, elle met au jour une vérité
un peu triste : Kenji Kanno est
l’homme d’un seul jeu. Crazy
Taxi est son grand œuvre.
Depuis quinze ans donc, notre
homme répète inlassablement
la même histoire : « J’étais
dans un embouteillage. Il
n’y avait personne sur la voie
d’à côté. Je m’imaginais
franchir le terre-plein, dit-il en
accompagnant ses mots d’un
82 | JV HS Génération Dreamcast
vague geste de la main, et partir
par là. » Et depuis quinze ans,
logiquement, cette réponse
sans craziness n’en finit pas
de décevoir. Une mauvaise
expérience en taxi aurait été une
histoire autrement plus vendeuse.
UN DESTIN BORNÉ
Seulement voilà, Kenji Kanno,
se vendre, ça n’est pas son
truc. Quand ado, son prof lui
demandait ce qu’il comptait faire
plus tard, il était catégorique : il
concevrait des salles d’arcade
pour des parcs d’attractions,
lieux conviviaux, bruyants et
enfumés où les shooters se
jouent avec un flingue et les jeux
de bagnoles avec un volant.
C’est ainsi que, fidèle à son
plan de carrière, après ses
études en 1994, le monsieur
enfile sa chemise +6 en
optimisme, bombe le torse
et pousse la porte de Sega.
Sans surprise, la firme nippone
n’est pas exactement disposée
à confier la création de son
prochain Arcade Center à un
rookie. En revanche, elle est
toujours intéressée par des
designers de cabinet arcade.
Quand après cinq ans à jouer les
seconds couteaux, il se retrouve
enfin à concevoir sa première

La bagnole indestructible de Crazy Taxi est sans doute le fantasme de nombreux chauffeurs parisiens.
borne, il fait Crazy Taxi. Le jeu
développé pour les systèmes
Naomi rencontre un tel succès
que, sans attendre, Sega
charge Kanno de l’adapter sur
Dreamcast. Long story short :
Crazy Taxi s’écoule à près de deux
millions d’exemplaires, devient
le second jeu le plus vendu de
la machine et commence à être
porté et décliné sur toutes les
machines. Le succès colossal
de son jeu contrarie les rêves
de Kenji Kanno : trop occupé
à supporter le développement
de sa licence, il n’aura pas
l’occasion de concevoir une
borne originale avant 2007 avec
Manic Panic Ghosts. Comme
quoi Crazy Taxi, c’est avant
tout une crazy sale histoire.
VILAIN PETIT
CANARD JAUNE
Répondons à la place de ce
brave homme à la question
initiale : l’idée de Crazy Taxi est
née du constat qu’en 2000, tous
les jeux de bagnoles obéissent à
la même grammaire hors d’âge
construite sur les notions de
course, de circuits et de
chronomètre. Kanno aime
l’imprévu et ne veut pas d’un jeu
de course où le joueur est invité
à apprendre par cœur chaque
chicane et virage d’un tracé à
la recherche d’une trajectoire
parfaite. En un mot, il ne veut
pas d’un jeu où plus le joueur
est bon, plus sa partie est
courte. En 1999, voilà qu’arrive en
arcade Crazy Taxi, borne sur
laquelle le joueur incarne un taxi
de l’extrême, chargé de convoyer
un maximum de clients à travers
une ville réduite, d’un point A à un
point B. Premier point important :
les désirs imprévisibles des clients
rendent « l’aventure » aléatoire.
Seconde chose : de base, la partie
dure 50 secondes. Toutefois plus
le joueur accomplit de courses,
plus il gagne de temps et
repousse l’inéluctable fin de
partie. Donc théoriquement, et
contre une pièce modique, un
taxi touché par la grâce et le
skill de Samy Naceri peut jouer
éternellement sur la borne Crazy
Taxi. Grâce à ces deux idées,
qui prennent le contre-pied de
toutes les idées reçues du jeu
de caisse, Kanno signe un
pur jeu d’arcade au gameplay
pensé pour le salary man qui,
après une grosse journée, a
envie de relâcher la pression le
temps de quelques parties en
oubliant son boss, son empreinte
carbone, sa ceinture de sécurité
et son code de la route.
AVANT-GARDE
À l’heure de porter son
jeu sur console, le studio
Hitmaker s’est évertué à étoffer
l’expérience en y ajoutant une
poignée de mini-jeux tutoriels et
une carte alternative plus vaste
que le San Francisco originel.
Mais sur le fond, le cœur de
Crazy Taxi ne change pas.
Sa version Dreamcast reste
un jeu furieux dont les parties
n’excèdent pas quelques
minutes. Car Crazy Taxi est une
expérience simple : une seule
ville (enfin deux pour la
Dreamcast), quatre véhicules
indestructibles, un système de
score qui encourage le joueur
à conduire de la façon la plus
irresponsable qui soit… et un
univers déjanté. Si l’on en croit le
studio Hitmaker, San Francisco
serait ainsi peuplé de clients
impatients et avides d’adrénaline
qui, pour vous donner un
CRAZY TAXI
Genre Course arcade
Éditeur Sega
Dév. Hitmaker
Sortie 2000
Des mini-jeux tutoriels
accompagnent la version
Dreamcast.
Crazy Taxi a connu plusieurs
versions mobiles
pourboire, ne demandent rien
tant que de vous voir bondir
par-dessus des routes en
travaux, rouler sur les trottoirs,
sous l’eau ou dans les tunnels
de métro. Et n’en déplaise aux
professeurs d’auto-école, un
chauffeur qui lambine est, ici,
un chauffeur insulté et moqué
par des clients mystérieusement
toujours très pressés d’arriver à
destination. Crazy Taxi est un
concentré de bonne humeur qui
s’apprécie par petites sessions.
Notons enfin que si ce genre
d’expériences est devenu
monnaie courante depuis
l’avènement du jeu mobile, elles
étaient encore rares en 2000 et
plus encore sur une console de
salon où justement, la mode
était à la profusion des circuits,
des voitures et à la simulation.
À croire que, tout comme la
console de Sega, Crazy Taxi
était en avance sur son temps.
JV HS Génération Dreamcast | 83
 La route est droite
mais la pente est forte
Malgré une ribambelle de jeux
intéressants et aboutis, la simulation
automobile sur Dreamcast n’est
jamais parvenue à passer la seconde,
ni à refaire son retard sur la Playstation
et sa série Gran Turismo.
par Kevin Bitterlin
V
ous vous souvenez
du 8 mai 1998 ? On y
fêtait les 53 ans de la
fin de la Seconde
Guerre Mondiale ainsi que les
35 ans de Laurence Boccolini.
Et la journée était encore plus
belle pour les possesseurs de
PlayStation qui accueillaient
enfin, en Europe et en Amérique,
ce fameux Gran Turismo qui
faisait tant parler de lui au Japon.
On le sait aujourd’hui, ce GT s’est
écoulé à plus de dix millions
d’exemplaires, devenant le titre
le plus vendu de la machine
made in Sony. Mais non content
d’enrichir son éditeur, le jeu
a aussi causé d’importants
dégâts chez le concurrent Sega,
notamment en redéfinissant le
genre de la course automobile sur
console. L’arcade a semble-t-il fait
son temps, le public recherche
des expériences de pilotage qui
ne se résument pas à de simples
courses. Le fun d’un Out Run ou
l’accessibilité d’un Sega Rally ne
sont plus des critères suffisants
pour attirer les affamés de
l’asphalte. Autrement dit, pour
séduire le public, les jeux de
course sur Dreamcast ne
84 | JV HS Génération Dreamcast
doivent pas être de simples
déclinaisons de titres sortis à
l’origine en arcade.
CAR ACADEMY
C’est pourtant le cas de F355
Challenge Passione Rossa. Sorti à
l’été 99 dans les salles nippones,
le jeu du studio AM2 débarque
sur la console en octobre 2000
précédé d’une solide réputation.
Avec son embrayage intégré,
son triple-écran et sa boîte de
commande à six rapports, la
borne est un véritable mastodonte
ne passant pas inaperçu. C’est
aussi une simulation pointue
qui ne se laisse pas dompter
par le premier venu. Si bien
qu’à sa sortie sur Dreamcast,
le jeu désarçonne de nombreux
joueurs, séduits par les
graphismes mais refroidis par
une telle intransigeance dans
le pilotage. Autre problème :
le contenu. Une seule marque
de bolide (Ferrari, donc), six
circuits, et c’est tout. Comparé
au concurrent de Sony, le jeu
ne fait pas le poids. Constat
inverse mais verdict similaire
pour Sega Rally 2, transfuge de
l’arcade accompagnant la sortie

18 Wheeler : American Pro Trucker, mélange de Crazy Taxi et de Sega Rally avec des poids lourds,
reste, contre toute attente, l’un des meilleurs souvenirs de courses sur Dreamcast.
de la Dreamcast en octobre 99.
Ce titre-là, conçu lui par AM5,
s’avère plus riche et plus varié
que F355 Challenge mais accuse
trop de soucis techniques
(framerate instable, multi pas au
point) pour servir de rampe de
lancement à la Dreamcast. Mais
ces deux titres, quelque peu
anachroniques en dépit de
qualités certaines, auront aussi
permis à certains game designers
d’affiner leur talent. On pense à
Yu Suzuki, qui a conçu Ferrari
355 Challenge en parallèle de
Shenmue, à Tetsuya Mizuguchi,
le réalisateur de REZ étant
crédité comme producteur
de Sega Rally 2, ou encore au
regretté Kenji Eno, artiste ayant
composé la musique de Sega
Rally 2 et ayant créé la série D.
PETITE RIPOSTE
Mais la Dreamcast, c’est aussi
une palanquée de jeux de
bagnole n’ayant pas eu à passer
par la case arcade. Citons
rapidement Speed Devils, l’une
des premières productions
d’Ubisoft Montréal, sorte de
Mario Kart pseudo-réaliste où de
vieilles américaines se livrent des
courses disputées au milieu de
dinosaures et d’extraterrestres
belliqueux. Évacuons vite aussi
Vanishing Point, pur délire
arcade, plutôt bien fichu mais
qui a eu le malheur de sortir en
février 2001, soit quelques jours
après l’annonce de l’arrêt de la
production de la console. Et
glissons enfin un petit mot au
sujet de 4 Wheel Thunder, jeu
de course off-road avec des
buggies et des monster trucks
qui a la particularité d’avoir été
réalisé par Kalisto Entertainment,
studio bordelais (liquidé en 2002)
dont un des principaux faits
d’arme s’appelle Nightmare
Creatures. Trois titres méritent
en revanche qu’on développe
un peu. À commencer par Sega
GT. Jusqu’à son nom, ce jeu-là
a été conçu pour répondre au
Gran Turismo de la PlayStation.
Le concept est à peu près le
même, il s’agit d’une simulation
dans laquelle on prend ses
marques en passant des permis
avant de se lancer dans des
courses au volant de plus de
cent véhicules différents. Donc,
oui, Sega GT (février 2000 au
Japon), c’est très précisément
ce que fait GT par ailleurs. Le
public ne s’y trompera pas et
préférera rester sur Gran Turismo
2 en attendant le troisième volet
sur PS2 en 2001.
TOFU AND FURIOUS
Terminons avec deux titres
ayant eu nettement plus de
succès. Sorti en novembre
2000, Metropolis Street Racer
est l’un de ces jeux développés
spécifiquement pour la Dreamcast
mais n’étant jamais sorti
au Japon. Alors qu’il s’agit
paradoxalement de l’un des
meilleurs jeux de bagnoles de la
machine… Créé par les Anglais
de Bizarre Creations, qui avaient
auparavant co-réalisés Formula 1
sur PlayStation, MSR est un trip
urbain et nocturne où l’on s’élance
dans des courses sauvages
au cœur de San Francisco,
Londres ou Tokyo. Des décors
qui changent des sempiternels
circuits automobiles ou de la belle
campagne gentiment polluée par
les bagnoles de Sega Rally. Si le
concept vous rappelle quelque
Sega GT
Tokyo Highway Challenge
chose, il n’y a rien d’étonnant :
Metropolis Street Racer peut être
considéré comme le prototype
de Project Gotham Racing, série
automobile qui fera le beau jour
des machines Microsoft quelques
années plus tard. Les courses
urbaines, c’est aussi le créneau
de Tokyo Highway Challenge.
Et pour cause, ce jeu, japonais
pour le coup, est sorti pile au
moment où le manga Initial D
devenait un véritable phénomène.
Pour l’anecdote, la vieille Toyota
avec laquelle le héros Takumi
remporte des courses illégales
entre deux livraisons de tofu a
même été modélisée dans le jeu
pour attirer les fans de l’œuvre
de Shuichi Shigeno. Spoiler :
l’initiative sera insuffisante et ne
permettra pas à Tokyo Highway
Challenge de devenir un system
seller pour la Dreamcast.
Et c’est peut-être ça le drame
de la Dreamcast : ne pas avoir
su trouver son Gran Turismo à
elle, son jeu de bagnoles hyper
populaire capable de rallier à
sa cause aussi bien les adeptes
de simulations automobiles que
le grand public.
JV HS Génération Dreamcast | 85
 ChuChu Rocket
L’ambassadeur
Jeu multijoueur aussi instantané que déjanté, ChuChu Rocket a surtout
eu comme lourde tâche de servir de jeu ambassadeur pour le online
sur Dreamcast. Une mission conséquente pour un titre qui contre toute
attente continue de vivre sa vie en ligne après plusieurs portages.
par Jérôme Dittmar
A
près avoir lancé la
fusée Sonic Adventure
en espérant remettre
Sega et ses consoles
sur de bons rails, Yuji Naka et sa
Sonic Team se voient chargés
d’une nouvelle mission : créer un
jeu qui serve de vitrine au mode
en ligne de la Dreamcast. Ce sera
ChuChu Rocket, le premier jeu
sur console à proposer un vrai
multijoueur via Internet. Ce qui
semble une broutille aujourd’hui
tenait alors d’un évènement.
Le jeu, lui, est simple comme
bonjour : une relecture du chat
et de la souris, où il faut sauver
les secondes des premiers en
les dirigeant vers des roquettes
au moyen de flèches à tracer au
sol. À plusieurs, tout le sel des
parties tient au fait de jongler
entre ses souris à sauver, et les
chats qu’on peut diriger vers les
autres joueurs. Sur l’écran, au
début, c’est le chaos. Surtout à
quatre avec ce rythme frénétique
et les voix qui ponctuent l’action.
Et puis l’apprentissage rapide
terminé, vient le temps des
stratégies et le jeu révèle toute
sa dimension. Avec un concept
aussi simple que sa réalisation
technique, ChuChu Rocket ne
visait certainement pas la lune.
88 | JV HS Génération Dreamcast
Pouvoir tourner facilement sur
des serveurs qu’on n’atteignait
à l’époque encore qu’en 56k,
c’était même un peu l’essentiel.
Sega savait alors que les
infrastructures de l’époque
n’étaient pas assez puissantes,
mais le jeu en ligne étant l’un
des fers de lance de la machine,
la promotion du titre était
inévitable. Après une sortie au
Japon réussie (entre autre grâce
à un concours en partenariat
avec Famitsu proposant de
télécharger un mini jeu sur
VMU), le jeu sort aux US en
mars 2000, trois mois en avance.
Plus que jamais il s’agit de
marquer le coup et de mettre
le online en avant. Sega ira
encore plus loin avec la sortie
européenne, où le jeu est
distribué gratuitement à ceux
s’inscrivant à Dreamarena, le
portail connecté de la console
– qui, pourtant, à l’époque n’était
pas encore en service pour le jeu
en ligne. Coupée en 2003 par
Sega, la connexion Dreamcast
a revu le jour en 2016 grâce
à des fans issus de la scène
homebrew. Même un party game
pensé pour des serveurs vieux de
plus d’une décennie peut devenir
immortel avec la Dreamcast.
Le jeu
en ligne
Le rêve connecté
Si la Xbox première du nom aura
popularisé le jeu en ligne sur console,
la Dreamcast aura été la vraie machine
pionnière dans un domaine désormais
ordinaire. Retour sur un feuilleton
d’anticipation en quelques actes et
beaucoup de cafouillages.
par Jérôme Dittmar
O
n l’a peut-être oublié,
mais le 22 février
2000, alors que Sega
annonce l’arrivée
prochaine d’une nouvelle
génération de VMU déclinable
en baladeur MP3 (plus d’un an
et demi avant l’arrivée de l’iPod),
le même jour, le constructeur
décrit la prochaine mise à jour
de son Dream Passport : la
DreamLibrary, un service de
téléchargement de jeux Mega
Drive et PC Engine tournant
grâce à des émulateurs. Parmi
les nombreuses innovations,
réelles ou à l’état de prototypes,
qui virent le jour durant la courte
vie de la Dreamcast, Sega avait
donc imaginé ce que seraient
les XBLA et Virtual Console.
Vous avez dit visionnaire ?
Oui. Et ce n’est pas tout.
LE PACK SFR
En avril 2000, Sega est le premier
(et probablement le dernier
si on écarte les fabricants
de box Internet et leurs jeux
streamés), à faire cette offre
étonnante : « Prochainement,
vous pourrez jouer gratuitement
sur Dreamcast ». Longtemps
avant qu’on commence à parler
de free to play, Sega invente une
nouvelle manière de vendre du
jeu vidéo. Pourquoi et comment ?
Le point de départ remonte à
l’infatigable bataille des prix que
le constructeur doit mener face
à un Sony menaçant. Même en
promo, la Dreamcast peine à
convaincre des joueurs n’ayant
d’yeux que pour le mirage PS2.
Une console gratuite ? Comment
refuser ? La contrepartie est en
revanche davantage digne d’un
opérateur de téléphone mobile :
pour profiter de cette offre
mirobolante, les joueurs doivent
souscrire un abonnement de
deux ans au service en ligne de
Sega, la marque remboursant
ensuite la Dreamcast en échange
d’une simple preuve d’achat.
Pour la firme au hérisson, ce
coup marketing permet d’affirmer
davantage sa confiance dans le
jeu en ligne aux yeux du monde,
tout en donnant l’air de prendre
les devants sur ce que certains,
en interne, voient comme un
avenir inéluctable. Pas de chance,
l’offre laisse de marbre, puisque
JV HS Génération Dreamcast | 89

tout le monde attend bel
et bien la PS2 (et notamment
les revendeurs).
LE TEMPS DÉSARTICULÉ
Si la Saturn avait été le brouillon
du rêve connecté de Sega (avec
le fiasco du NetLink, arrivé trop
tôt et trop cher), la Dreamcast
devait être la machine qui
réussirait avant tout le monde
ce que le jeu PC avait déjà bien
amorcé alors. Pourtant, les
choses se sont encore jouées à
peu. Au tournant du millénaire,
en une poignée d’années, la
propagation d’Internet et du haut
débit gagne les quatre coins de
la planète. Face à ce créneau, la
AVEC LA DREAMLIBRARY
SEGA AVAIT IMAGINÉ
CE QUE SERAIT LES XBLA
ET VIRTUAL CONSOLE.
90 | JV HS Génération Dreamcast
courte vie de la Dreamcast laisse
une brève fenêtre de tir à Sega,
arrivant à un moment où le
public commence doucement
à s’abonner. Pas de quoi donc
susciter l’engouement des foules,
encore peu acquises au jeu en
ligne sur console. Mais pour
la firme, consciente plus que
jamais de jouer la montre face
à la concurrence (celle de Sony,
Nintendo s’étant mis quasiment
hors-jeu), le online est alors un
argument de taille – si ce n’est le
dernier, puisque la PS2 promettait
déjà des specs délirantes et
évidemment fausses. Tout devait
alors être fait pour que cette
promesse soit tenue. Hélas
le grand plan, sinon le vœu,
d’Isao Okawa (patron et fervent
promoteur du jeu en ligne) ne
s’est pas déroulé comme prévu.
DEMAIN NE MEURT
JAMAIS ?
À l’E3 2000, SegaNet est
partout. Le service en ligne de
la Dreamcast, Dreamarena, est
l’une des stars du show. Il faut à
tout prix le mettre en avant, et
c’est ainsi pas moins de 16 titres
Phantasy Star Online V2
qu’on annonce, parmi lesquels :
Alien Front Online, Bomberman
Online, NBA 2K1, NFL 2K1,
Railroad Tycoon 2 ou encore
et surtout Quake 3 (une Dream
Mouse est annoncée par la même
occasion) et Phantasy Star Online.
Tout semble rose pour Sega
en ce printemps du millénaire.
Quelques mois plus tard, c’est
la panique. Alors que Sega
continue de perdre lourdement
de l’argent (ce qui entraîne la
démission du président de Sega
Shoichiro Irimajiri dans la foulée),
et que les ventes japonaises
déçoivent, on convoque les
développeurs first party pour
tirer la sonnette d’alarme : les
joueurs ne se connectent pas.
Pire, la majorité ignore que c’est
possible. Sega tente de sauver
les meubles ici et là (Toy Racer,
commandé et conçu en quatre
mois), en vain. Pire encore, à
moins qu’il ne s’agisse d’une
malédiction, la fonction jeu en
ligne est sans cesse repoussée
pour raisons techniques ;
certains jeux comme Frontier
(un shooter multi) sont annulés ;
d’autres venus du Japon sont
Bomberman Online
également retardés à cause de
fonctions en ligne inopérantes
– que certains titres verront
disparaitre pour respecter les
délais. De même, le portage
d’Unreal Tournament se fait tout
simplement sucrer ses fonctions
en ligne. Si on ajoute des tarifs
parfois prohibitifs en Europe, le
système n’arrive pas à s’imposer
et restera (un peu moins aux US)
un échec. Sega est arrivé encore
trop tôt. Une année de plus
aurait peut-être pu lui sauver
la mise, mais trop tard, la PS2
était là, et la Xbox plus très loin.
PSO
Ces fluctuations du online selon
les régions géographiques
n’auront pas aidé à populariser le
système, ni les jeux qui l’utilisent,
à l’exception de quelques-uns.
Le plus célèbre, et le plus
évident, restera Phantasy Star
Online. Ce jeu à qui Destiny doit
beaucoup (voir p. 50) a marqué
l’histoire de la console. Conçu
par la Sonic Team et s’éloignant
des origines strictement RPG du
titre, le jeu tend davantage vers le
Diablo-like, source d’inspiration
avouée. Comme l’expliquait Yuji
Naka au magazine Games™,
PSO fut la réunion de toutes les
forces de la Sonic Team, alors
séparées en plusieurs branches.
Mais concevoir un tel jeu fut
tout sauf une évidence. Pour
l’équipe, il s’agissait d’aborder
un continent inédit, qui nécessita
une organisation intelligente
du studio, avec notamment le
groupement des pôles réseau
et graphique (afin d’éviter
l’aspect fauché du jeu en ligne
de l’époque). Cette organisation,
associée à la grande liberté
légendaire dont purent profiter
les équipes sur Dreamcast (voir Quake 3 Arena Alien Front Online
p. 92 / 94), se retrouve jusque
dans une proposition de jeu
voulant offrir une grande latitude
aux joueurs. Le succès du jeu
surprendra les équipes de Sega
elles-mêmes, compte tenu
de sa nouveauté et des aléas
techniques selon les régions.
Ensuite porté sur plusieurs
plateformes, le jeu sera maintenu
en ligne jusqu’en 2010 (sur PC),
avant que la scène homebrew
ne permette de continuer à y Dreamarena NBA 2K1
jouer sur sa console d’origine.
JV HS Génération Dreamcast | 91
Rez / Space Channel 5
Tetsuya Mizuguchi, professeur groove
À une époque où les jeux de rythme de Konami faisaient fureur
dans les salles d’arcade, Sega a voulu faire de la Dreamcast la console
du dance floor. Mais des titres aussi avant-gardistes que Space
Channel 5 ou Rez ont porté le genre musical bien plus loin.
par Victor Moisan
P
roducteur formé au
jeu d’arcade (Sega
Rally Championship),
ambassadeur des
nouveaux arts visuels, musicien
clubbeur, professeur en médias
numériques à l’université de
Keio, Tetsuya Mizuguchi est un
expérimentateur inassouvi. C’est
quelqu’un qui, par exemple,
décide de se mettre au surf à
plus de 50 ans. Connu pour les
puzzles électro de Lumines ou
le psyché-pop Child of Eden,
l’homme a fait de la synesthésie
– cette extase audiovisuelle
accompagnant l’association
parfaite des interactions et des
sens – son cheval de bataille.
Or, cette recherche entêtée
commence sur Dreamcast
lorsque le concepteur sent
que le temps est venu de quitter
les salles d’arcade, « un espace
bruyant, où le joueur est maintenu
dans des boucles d’intensité de
courte durée », pour migrer vers
les salons où « une nouvelle
forme de création, issue de la
combinaison de la musique et
des images » qu’il avait toujours
rêvée paraît enfin possible.
« Nous avons perçu la génération
de la Dreamcast et de la
PS2 comme un synthétiseur
92 | JV HS Génération Dreamcast
audiovisuel. J’ai su que mes
concepts pourraient alors devenir
réalité », nous explique-t-il.
BUST A GROOVE
Mizuguchi est l’un des premiers
concepteurs de jeux à emmener
ses équipes en voyage de
recherche pour travailler ses
concepts, au grand dam de
Sega qui hésite souvent à
financer ses escapades. Marqué
par les comédies musicales qu’il
voit à Broadway (notamment
Stomp) il imagine un équivalent
vidéoludique aussi innovant que
le sont, pour l’époque, les clips
de Michael Jackson. Le King of
Pop est de longue date un fan
inconditionnel de Sega, qu’il
visite régulièrement lorsqu’il
vient au Japon, en raison de
son amour pour l’arcade et les
bornes virtuelles. De la rencontre
de ces influences naît Space
Channel 5, tapis roulant groovy
dans lequel le joueur accompagne
la journaliste yé-yé Ulala au cœur
d’un space age très sixties.
Par un jeu de répétitions et
de commandes simples (« up »,
« down », « left », « right », « shoot »),
Ulala se déhanche et libère des
aliens fluos, avec toujours un œil
rivé sur l’audimat de sa chaîne

Space Channel 5
de télé intergalactique. Au-delà
de son esthétique inédite pour
un jeu vidéo, Space Channel 5
travaille une étude soignée de
l’impact de la chorégraphie
sur les spectateurs. « Nous
avons employé un professeur
de pantomime qui a animé un
atelier de 6 mois pour l’équipe »,
se remémore Mizuguchi. « Nous
voulions comprendre comment
des poses, en associant le
corps et le visage, parvenaient
à provoquer le rire, émouvoir,
en somme faire réagir le public. »
Bâtis sur des fondations cultes,
Space Channel 5 et sa suite
remportent haut la main leur
mission de donner une image
innovante à la Dreamcast, tout
de blanc glacée et tournée vers
un futur des plus funky. Enchanté
par tant de modernité, Michael
Jackson vient prêter main forte
in extremis, enregistrant des
REZ
Genre : Shmup psyché
Éditeur : Sega
Dév. : United Game Artists
Sortie : 11 janvier 2002
« Hey ! », des « Chu ! » et prêtant
quelques pas de danse, avant de
tenir un rôle plus important dans
le second épisode. En s’affirmant
comme l’un des grands esprits
créatifs de Sega, Mizuguchi
obtient toute la liberté nécessaire
à l’accomplissement d’un projet
encore plus expérimental, axé
sur la perception et la sensation
ludique.
TECHNO PARADE
« De quoi naît le groove ? Que ça
parte d’un beat, d’un clap, d’une
voix ou d’un cri, qu’est-ce qui
fait qu’on passe de rien à tout ? »
Le concepteur nous raconte la
genèse de Rez, trip audiovisuel
en fils de fer qui fait se
rencontrer shooter et abstraction
kandiskienne. « Pour faire ce
jeu, j’ai beaucoup étudié le
fonctionnement du hip hop et
de la techno en me demandant
ce qui véhiculait cette sensation
de bien être parmi la foule, cette
vibration. Prenons le cas d’un
DJ : une seule personne crée
une sorte d’effet concentrique
qui influence l’atmosphère
et l’humeur des gens autour.
Comment est-ce que cela se
produit ? » Là où Space Channel
5 affichait ostensiblement les
couleurs de la Dreamcast, Rez
est conçu alors que Mizuguchi
sait qu’il sortira presque
simultanément sur PlayStation 2.
Davantage qu’un étendard de
Sega, il est le jeu culte de toute
une génération de consoles.
« Nous voulions tirer partie
de tous les avantages de ces
machines pour créer la meilleure
immersion possible. » C’est
ainsi que le jeu sort chez
Sony accompagné du « trance-
vibrator », accessoire vibrant
dont le nom joue sur l’allusion
SPACE CHANNEL 5
Genre : Danse
Éditeur : Sega
Dév. : United Game Artists
Sortie : 6 octobre 2000
JV HS Génération Dreamcast | 93
Space Channel 5
Tetsuya Mizuguchi
sexuelle, au grand plaisir
de Mizuguchi. Car Rez est
un jeu sensoriel, axé sur
des échanges incessants entre
stimuli et réponses, où le joueur
voyage selon le flux d’une
synchronisation audiovisuelle
et tactile. Les développeurs font
cette fois le tour des rave parties
pour s’imprégner de leur sujet,
fuyant Tokyo le weekend en
prenant le minivan de Mizuguchi.
C’est aussi l’époque du tout
connecté et des réseaux
informatiques, dont les fonds
perdus inspirent la trame
de Rez. Depuis ce vertige
numérique, un slogan crie :
« Allez en synesthésie ! », mot
d’ordre qui devient un crédo
pour la suite de la carrière de
Mizuguchi. Mondialement
célébré, Rez demeure à ce jour
l’un des titres les plus séminaux
de sa catégorie.
 What’s Shenmue?
Sega-gagas
Curieux, conceptuels et parfois cultes
En marge des productions Mizuguchi,
de nombreux titres de la Dreamcast
sont nés d’expérimentations inédites.
Entre essais fauchés, parodies au 32e
degré et nouveaux moyens d’envisager
l’interactivité, tous ont contribué
à l’image unique de la console.
par Victor Moisan
A
près l’échec de la
Saturn, il apparaît
clair que Sega doit
changer de cap. La
Dreamcast se veut une console
rivée vers l’avenir. Mais malgré
les performances techniques de
la machine, elle ne peut pas se
contenter de jouer la carte de la
puissance. À peine sortie, elle
se fait déjà voler la vedette par
la PS2, pourtant pas née. « Sony
avait trouvé des astuces pour
calculer les spécifications
différemment et annonçait des
performances de vitesse 50 fois
supérieures », explique Jake
Kazdal, qui travaillait alors dans
l’équipe de Tetsuya Mizuguchi.
« En réalité, la PS2 n’était pas
tellement plus puissante. C’était
de l’intox totale, mais Sony avait
réussi un énorme coup de pub
et on savait qu’on ne pourrait
pas les contrer. L’annonce de la
PS2 est la première fois que j’ai
vu Mizuguchi en colère. » Dès
lors, la seule stratégie viable
pour Sega est d’étendre sa
marque et de diversifier sa
clientèle en initiant des concepts
favorisant l’innovation et la prise
de risque. Pour beaucoup de
joueurs, les jeux Dreamcast
demeurent plus beaux que
ceux de la PS2 parce qu’ils ont
davantage de cachet. C’est là
94 | JV HS Génération Dreamcast
le résultat de la politique de
Sega, dont l’audace correspond
à une diversification souhaitée
par la direction qui vise à attirer
des joueurs non traditionnels.
UNITED GAME ARTISTS
« Notre équipe a été formée
dans le seul but de faire de
l’expérimental », se souvient
Kazdal. « Sega avait ses piliers,
les studios dirigés par Yu Suzuki
et consorts. Chaque division
possédait sa spécialité. Nous
étions la plus petite équipe et
notre fonction était d’accrocher
un marché alternatif, d’inviter
de nouveaux venus au sein de
la famille Sega. » Empruntant
son nom au légendaire studio
de cinéma fondé par Charles
Chaplin, UGA est le fruit de
discussions entre les dirigeants
de Sega, qui souhaitent s’éloigner
de l’arcade pour inventer des
genres inédits, et le bouillonnant
Tetsuya Mizuguchi. L’équipe
s’organise comme un petit
atelier d’innovations, produisant
des prototypes et des façons
inattendues d’envisager le jeu
vidéo. Parmi les dizaines d’idées
qui germent au sein de UGA
en une poignée d’années, il y a
par exemple un concept de
reconnaissance de mouvements
où le joueur, via des manettes

Samba de Amigo
oblongues, peut diriger un
orchestre et voit retranscrits à
l’écran les gestes qu’il effectue
dans son salon. Nous sommes
en 1999 et Mizuguchi vient
d’imaginer la Wii, 7 ans avant le
carton de Nintendo ! Si ce projet,
comme tant d’autres, n’aboutit
pas, UGA reste libre dans ses
expérimentations en influençant
les orientations de la marque.
Mizuguchi se souvient : « J’avais
32 ou 33 ans, mais tous les autres
membres de l’équipe avaient la
vingtaine. Nous n’avions aucune
expérience de création pure.
Heureusement, Sega ne tenait
pas à nous surveiller. Nous
vivions au studio tous ensemble,
jour et nuit, avec passion
et acharnement. L’équipe a
commencé petite, mais nous
avons fini à 70 employés. »
BRAND NEW
Avec Space Channel 5 commence
un dialogue entre la direction,
qui commande un titre pouvant
intriguer le public féminin,
et Mizuguchi, qui souhaite
réaliser un jeu musical. Or, cette
discussion n’est pas unilatérale :
UGA joue un rôle important sur
les grandes lignes du marketing
de la firme, comme l’affirme
Mizuguchi. « Nous lancions
régulièrement des idées pour
travailler l’image des jeux et de
la machine. Nous rencontrions
les équipes en charge du
marketing et des ventes, nous
discutions avec les dirigeants
pour déterminer la meilleure
façon d’accroître le niveau
d’excitation générale autour
de la Dreamcast. Il y avait une
collaboration ininterrompue avec
les équipes, et pas seulement
UGA. » De cette ouverture à de
nouveaux concepts et marchés
naît une réputation de console
audacieuse. La Dreamcast
accueille des expériences
hors-normes provenant de
développeurs indépendants,
d’origines diverses, attirés
par la liberté créative que
Sega encourage. « Notre
mission a incité des créateurs
internes et externes à entrer en
compétition, de façon très saine,
en repoussant les limites de la
diversité. Ainsi, la sortie de jeux
comme Seaman nous donnait
envie d’aller encore plus loin dans
notre créativité. Le plus fou, c’est
que cela n’était pas commandité
par Sega ; c’était le seul fait des
créateurs », note Mizuguchi.
IDÉES ACCESSOIRES
Dans le sillon d’UGA, d’autres
équipes prennent le relais du
jeu musical pour proposer des
Cool Cool Toon
Lack of Love
concepts inattendus, comme
celui du jeu de maracas Samba
de Amigo, aujourd’hui considéré
comme l’un des meilleurs
représentants de son genre.
Moins connu, Cool Cool Toon
est un jeu de rythme développé
par SNK qui tire parti du stick
analogue de la console, offrant Sega Bass Fishing
un gameplay jusqu’alors inédit.
Car au fond, la libération
créative de l’époque Dreamcast
est à mettre sur le compte de la
grande souplesse de la machine
et de ses accessoires. La console
dispose d’un clavier qui ne sert
qu’à surfer sur Internet et à
chatter sur PSO. Pourquoi ne
Poisson d’avril
Pour lancer le buzz en amont de la sortie de Seaman, Yoot Saito invente une
histoire invraisemblable autour d’une espèce de créature préhistorique, chaînon
manquant sur la frise de l’évolution. Basée sur des heures de recherche, la
backstory (que l’on retrouve plus tard dans le livret du jeu) initie une rumeur
dans les médias japonais. Amusés, ces derniers relaient avec complicité la fausse
information, n’hésitant pas à ajouter leurs propres fantaisies à la blague. Mais à
terme, une part de la population est convaincue que Seaman, le poisson intelligent,
a réellement existé. La légende urbaine permet à ce jeu inclassable de connaître
le succès au Japon.
JV HS Génération Dreamcast | 95
Segagaga
RoomMania #203
Sengoku Turb
PAR SA FACILITÉ
DE PROGRAMMATION,
LA DREAMCAST PARVIENT À
ATTIRER LES CONCEPTEURS FOUS
ET LES NOVICES FARFELUS.
96 | JV HS Génération Dreamcast
pas oser s’en servir alors pour
pervertir le jeu de tir ? Ainsi
apparaît The Typing of the Dead
qui reprend le concept du
célèbre light gun game des
salles d’arcade mais remplace
les headshots par des mots qu’il
faut taper à la vitesse de l’éclair.
Notons que la Dreamcast
emprunte nombre de ses
concepts farfelus à l’arcade,
premier chaudron créatif de
Sega, où The Typing of the
Dead existe déjà depuis 1999.
Egalement né des salles de jeu,
la simulation de pêche Sega
Bass Fishing connaît un portage
sur la console, pour le plus grand
plaisir des joueurs japonais qui
le hissent sur le podium des
ventes. Accompagné du Sega
Fishing Controller qui permet
des sensations plus réalistes,
le jeu prouve une fois de plus
que les accessoires sont un
grand héritage de l’esprit arcade.
D’autres jeux, à l’image du très
lynchéen Seaman, emploient
un micro pour briser la barrière
entre le joueur et l’écran. Dans
Kiteretsu Boy’s GanGaGan,
il nous est demandé de crier
des ordres qui se matérialisent
en caractères de pierre pour
écraser des monstres de l’autre
côté de l’écran. Préparant le
terrain pour la Wii sans le savoir,
la Dreamcast est la plateforme
des grands essais d’accessoires.
BANZAI !
Mais c’est surtout par sa facilité
de programmation que la
Dreamcast parvient à attirer les
concepteurs fous et les novices
farfelus. Yoot Saito, le créateur de
Seaman, a dit un jour : « Les jeux
sont un miroir. Plus l’expérience
reflète la personnalité du joueur,
et mieux elle est. » Sur ces bases
sort RoomMania #203, un jeu de
surveillance qui nous demande
d’épier le quotidien d’un jeune
salary man à l’intérieur de son
appartement. En lui jouant
des tours de poltergeist, nous
devons l’aider à ne pas (trop)
râter sa vie. Il faut dire que le
Japon a toujours accueilli des
jeux étranges, mais cela est
encore plus flagrant sur
The Typing of the Dead
Dreamcast. Au rayon RPG,
Sengoku Turb est si fauché
et cancre que même Swery
(Deadly Premonition) n’aurait
jamais osé le sortir. Lack of Love,
dont la musique est composée
par Ryuichi Sakamoto, reprend
les mécaniques de l’évolution
naturelle dans un cadre
extraterrestre. Rent-A-Hero No.1
est le remake du titre déjanté
de la Mega Drive parodiant
le quotidien de superhéros.
Les simulations ne sont pas en
reste, avec Jet Coaster Dream,
qui nous fait construire des
montagnes russes, ou Tokyo
Bus Guide, inévitable jeu de
conduite de transports publics.
Mais le plus doué en excentricité
reste Sega qui sort le cultissime
Segagaga en fin de vie de la
console. Derrière ce titre se
cache une gigantesque farce
mêlant différents mini-jeux et
tous les personnages clés de la
marque réunis pour une raison
dingue : en 2025, alors que Sega
est en faillite, la firme défie une
dernière fois son grand rival
(clone moqué de Sony) en
lançant un projet désespéré.
Mise en abyme fabuleuse,
Segagaga est la plus belle façon
de mettre en scène l’échec de
la Dreamcast et de dire adieu
aux fans qui ont accompagné
ce grand enterrement créatif.
 Seaman
Conversations dans le vivarium
À mi-chemin entre l’élevage d’animal domestique virtuel et le jeu
de dialogue nonsensique, Seaman nous invitait à faire connaissance
avec une étrange créature chimérique, arborant le visage de son génial
inventeur. Retour sur un titre qui nous hante encore.

par Victor Moisan

Y
utaka « Yoot » Saito
appartient à une
espèce rare de
concepteurs. Jeune
prodige fasciné par les simulations
et l’environnement Mac dans les
années 1990, il développe The
Tower (1994), jeu de gestion qui
lui vaut la reconnaissance de
son idole Will Wright, au point
que le titre sort sous le nom de
SimTower en Occident. Saito
devient une sorte de conseiller
fréquenté par les cerveaux
les plus influents de l’industrie
japonaise. Entretenant des
relations avec Miyamoto, Tezuka
et Iwata, il travaille notamment sur
des prototypes pour Nintendo,
dont un système d’échanges
sociaux pour la GameBoy
(l’ancêtre du Street Pass). C’est
d’ailleurs pour la firme de Mario
– alors en pleine conception de
la Wii et de ses périphériques
interactifs – que Saito envisage
un temps Seaman, titre OVNI
pensé alors que le développeur
s’est exilé en Californie après
l’échec de son propre studio.
Mais Sega est plus rapide à sortir
le chéquier, par l’intermédiaire du
président Irimajiri qui, devant un
prototype montré lors d’un dîner
dans un restaurant de sushis,
s’éclame : « Horrible ! ». Pareille
créature n’a jamais nagé dans des
eaux virtuelles ; c’est exactement
ce qu’il faut pour la Dreamcast.
TROUVER LE POISSON
Seaman est une expérience
radicale qui cherche à renverser
le rapport de domestication du
Tamagotchi, en donnant au
joueur le sentiment que c’est
cette fois la créature qui l’épie.
Dans le laboratoire reconstitué
d’un biologiste imaginaire
(Jean-Paul Gassé), le joueur
assiste à l’évolution selon les
codes darwiniens d’une créature
aussi curieuse que repoussante
qui naît, se reproduit et développe
une intelligence humaine, tandis
que nous en entretenons le
bocal. Le jeu est rythmé par la
narration solenelle de Toshiyuki
Hosokawa (vedette du film
iconoclaste de Kiju Yoshida Eros
+ Massacre) ou de Leonard
Nimoy (le légendaire Spock de
Star Trek) selon la version. Saito
explique sa démarche au site
IGN : « Je souhaitais désobéir à
trois conventions de la conception
de jeu : que le personnage
soit dérangeant, ni mignon,
ni aimable ; que ce soit le jeu
qui manipule le joueur ; enfin,
qu’il n’y ait ni menus, ni texte
à l’image, que tout se fasse via
un seul écran. » Rapidement, le
surréalisme visqueux de Seaman
intrigue les joueurs qui le hissent
parmi les meilleures ventes de
la Dreamcast. Son aura devient
culte avec le temps.
BÊTE DE LANGAGE
La véritable prouesse de Seaman
réside dans son utilisation de la
voix et des conversations, via
micro, que nous entretenons
avec la créature. Savante, celle-ci
est capable de retenir 12 000
mots qu’elle recrache en saillies
sarcastiques et déroutantes.
Au terme d’interminables
discussions sur les mérites de
l’informatique, le poisson à tête
d’homme se tourne vers le joueur
et lui demande : « Lequel de
nous deux est en train de parler
avec un être virtuel ? ». En faisant
glisser la farce grotesque vers
le jeu métaphysique, Saito
accomplit l’un des gestes les
plus fous de l’histoire du média.
À la fin, alors que l’amphibien
a développé des pattes et se
meut sur la terre pour gagner
sa liberté, nos adieux avec cette
créature si peu aimable sont
étrangement déchirants.

JV HS Génération Dreamcast | 97
 Et aussi…
Avec un peu plus de 300 jeux au compteur,
la ludothèque Dreamcast peut sembler
petite comparée a des monstres comme
celles de la PS1 ou de la PS2. Pourtant,
il faudrait plus qu’un hors-série, un
véritable récueil pour tous les énoncer
ici. Importants, méconnus, annulés ou
totalement ratés, à défaut d’un listing
exhaustif, voici une sélection des jeux
les plus marquants de la 128 bits.

Les chefs-d’œuvre p.101

Les jeux qui comptent p.108

(pour de bonnes ou de mauvaises raisons)

Les hits cachés p.111

Les jeux de la honte p.112

Les jeux jamais sortis p.113

100 | JV HS Génération Dreamcast


M
oderne, innovant,
différent, Jet Set
Radio compte
parmi les titres
incontournables de la Dreamcast.
Pourtant, en dépit d’un succès
d’estime encore intact aujourd’hui,
le jeu culte de Smilebit et
Sega fut un échec à sa sortie.
Rétrospectivement, l’audace
stylistique et le genre (inclassable)
du jeu y étaient sans doute pour
quelque chose. À moins qu’il ne
s’agisse d’un mauvais timing,
ou de complications dans la
campagne publicitaire. Car
pour une fois, on ne pourra
taper sur la mauvaise intuition
des journalistes qui, à l’époque,
saluaient massivement Jet Set
Radio. Sorti au même moment
que NBA 2K1, le jeu s’est sans
doute en partie fait voler la
vedette en Amérique du Nord.
Pourtant, c’est aussi chez l’Oncle
Sam que Sega fit une importante
campagne marketing, allant
jusqu’à organiser un évènement
autour du graffiti à San Francisco.
Une fiesta qui (peut-être un
signe) se retourna contre le
Les chefs
d’œuvre
Jet Set Radio
Urban Style
Japonais, puisque le maire de la
ville lança pour l’occasion une
brigade anti-graffiti qui força
Sega à publier un communiqué
se dédouanant de faire la
promotion du vandalisme. Pas
facile de vendre un jeu sur des
types en rollers dont l’activité
favorite est de repeindre la ville à
coup de tags. Et ce n’est pas non
plus l’argument du cel-shading,
avec son rendu dessin animé
sexy en diable, qui sembla doper
les ventes (bien que la technique
était pratiquement inédite alors).
Heureusement, le temps a joué
en faveur de Jet Set Radio qui,
pour sa version occidentale,
s’est vu au passage optimisé de
nouvelles cartes, d’options en
ligne permettant de télécharger
des tags ou d’exporter les siens
(la classe ultime), et de morceaux
inédits. Car, davantage qu’une
réinvention de Tony Hawk,
le jeu de Smilebit (dirigé par
Masatoshi Kikuchi qui plus
tard deviendra producteur sur
Yakuza) est une ode dansante
à la culture street. À la fois urbain
avec ses visions de Tokyo et
New York fantasmées, colorées,
psychédéliques, grands terrains
de jeu où rider et peindre en
multipliant les figures stylées ;
et musical par ses personnages,
son univers, son rythme, son
gameplay et sa B.O (où se
côtoient hip hop, electro, dance,
rock, acid jazz…), Jet Set Radio
est l’un des rares jeux à capter
l’état d’esprit qui fit le succès
d’un JonOne ou d’un Hase,
graffeur américain dont le joueur
peut ici reproduire les dessins.
Mais peut-être parce qu’il le fait
à sa manière, avec ce mash-up
d’influences américaines et
nippones où se croisent art
de rue, chorégraphies, bande
son, humour déjanté, héros
JET SET RADIO
Genre Inclassable
Éditeur Sega
Dév. Smilebit
Sortie 24 novembre 2000
JV HS Génération Dreamcast | 101
improbables au look flashy,
Jet Set Radio a du sans doute
paraitre trop expérimental ou
insolite pour séduire à sa sortie
en 2000. C’est pourtant un
pur jeu de vitesse, laissant
le joueur sans répit, pris dans
des courses folles et sans
cesse poursuivi par la police
ou des gangs rivaux. Cet échec
n’empêchera toutefois pas au
jeu de revenir sur Game Boy
Advance et dans une suite sur
Xbox (Jet Set Radio Future).
Depuis, malgré une réédition
HD en 2012, Sega a laissé les
rollers au placard. Dommage,
ce mélange de simplicité et
d’originalité nous manque.
Jérôme Dittmar

C
e que l’on retient
du premier Grandia,
c’est cette capacité à
jouer progressivement
sur une certaine gravité. Presque
enfantine au départ, l’histoire
prend une tournure plus
sentencieuse à mesure que
les personnages se frottent à la
réalité du monde. Grandia, c’est
aussi ce jeu qui donne envie de
partir à l’aventure pour arpenter
des terres inconnues et se
découvrir soi-même. Des
thématiques courantes, certes,
que le titre développe toutefois
avec beaucoup de justesse.
Grandia II rejoue à peu près sur
cette même idée de contraste.
Dans un premier temps, on sent
que le titre a du mal à s’écarter
de son aîné, même s’il adopte
une optique un peu différente
pour la caractérisation des
personnages. Ryudo, le héros
du jeu, apparaît ainsi au début
comme quelqu’un qui n’est pas
forcément très sympathique,
seulement motivé par l’appât
du gain. Et puis, aux côtés
d’Elena, une jeune chanteuse
102 | JV HS Génération Dreamcast
Les chefs
d’œuvre
Grandia II
Sortir de l’ombre du père
dont il accepte d’être le garde
du corps, son regard sur le
monde et sur les autres change
petit à petit. Sans doute moins
marquant que celui de son
prédécesseur, le récit fonctionne
néanmoins de la même façon,
sur la longueur. Grandia II réserve
ainsi quelques séquences très
fortes, dont un twist assez
mémorable, et parvient, malgré
un affrontement réchauffé entre
le Bien et le Mal, à sortir des
clichés en s’appuyant sur une
certaine ambiguïté.
UN SYSTÈME
DE COMBAT GÉNIAL
Grandia II ou Skies of Arcadia ?
Sur Dreamcast, les amateurs de
RPG n’ont jamais vraiment réussi
à trancher. Certains préfèrent le
système de combat et les décors
du premier, d’autres le scénario
et les personnages du second.
Les deux titres, à vrai dire, se
complètent merveilleusement.
Et selon ce qu’on attend d’un jeu
de rôle japonais, l’histoire ou les
affrontements, on s’orientera vers
l’un ou l’autre. Rappelons tout
de même que là où Skies of
Arcadia partait de zéro, Grandia II
bénéficiait de son côté de l’aura
du premier volet. Soit l’un des plus
grands RPG de la PlayStation,
ce qui n’est pas rien. Cela dit,
le récit ou les personnages de
ce deuxième épisode n’ont
absolument rien à voir avec le
premier volet. Son appartenance
à la série, il la doit avant tout
pour son système de combat,
qu’il reprend à l’identique. On
le comprend aisément car, sur
ce point, et encore maintenant,
il reste un modèle du genre.
Mélange de temps réel et de
tour par tour, ce dernier repose
sur une jauge d’action où
les avatars des héros et des
GRANDIA II
Genre RPG
Éditeur Ubisoft
Dév. Game Arts
Sortie 23 février 2001
ennemis défilent (plus ou moins
vite) de gauche à droite. Quand
ces derniers atteignent la fin
de la jauge, ils effectuent leurs
attaques. Là où le système
se montre tactique, c’est qu’un
coup critique peut renvoyer
l’icône de l’adversaire à l’autre
bout de la jauge et ainsi retarder
son attaque. C’est un pur régal
à jouer et les combats, qui
peuvent vite devenir pénibles
dans un RPG, sont ici très
plaisants. Surtout que le jeu
n’impose jamais de phases
de farming lourdingues.
Et tout ça sans avoir besoin
de recourir à des combats
aléatoires. Bonheur.
Christophe Butelet

Resident Evil Code : Veronica
L
e problème de
Code : Veronica
réside peut-être
dans son nom. Au
lieu de succéder naturellement
à Resident Evil 3 : Nemesis,
il adopte un titre quelque peu
mystérieux lui donnant des faux
airs de spin-off. Ce qu’il n’est
absolument pas. Au contraire, il
se pose même comme un volet
incontournable de la saga,
prolongement direct de la trame
scénaristique développée dans
Resident Evil 2. Mais alors
pourquoi se nomme-t-il ainsi ?
Le truc, c’est qu’à la fin du siècle
dernier, Capcom souhaitait que
ses épisodes « chiffrés » (et donc
prétendument canons) soient
réservés aux machines de Sony.
Une résolution, au demeurant
compréhensible, qui volera
cependant en éclats trois ans
plus tard avec la sortie de
Resident Evil 4 sur Gamecube…
Quoi qu’il en soit, Code : Veronica
a souffert d’une mauvaise
réputation dès sa sortie, comme
s’il n’était pas digne d’être le vrai
quatrième épisode. Alors qu’avec
Les chefs
d’œuvre
L’épisode de la mutation
le recul, à défaut d’inventer quoi
que ce soit, ce volet s’inscrit
totalement dans la continuité de
la série, se permettant même
d’amorcer le virage vers le jeu
d’action que concrétisera Mikami
trois ans plus tard avec RE4.
CONFLUENT
Réalisé par Hiroki Kato, un
proche de Shinji Mikami et
d’Hideki Kamiya, Code : Veronica
est aussi le premier opus se
déroulant loin de Raccoon City.
Dans la peau de Claire Redfield,
puis de son frangin Chris, il
s’agit toujours de combattre
zombies et mutants, mais cette
fois sur une île pénitentiaire au
large de l’Amérique du Sud ainsi
qu’au cœur d’une base militaire
en Antarctique. Ce changement
de cadre s’accompagne de
nombreuses révélations venant
approfondir le lore Resident Evil,
des origines de la multinationale
Umbrella jusqu’aux derniers plans
machiavéliques échafaudés par
Albert Wesker pour propager
les virus. Ce dernier effectue
d’ailleurs son grand retour
dans la seconde partie du jeu,
s’offrant même un combat en un
contre un contre Chris Redfield,
comme un avant-goût du final
de Resident Evil 5. Une scène
très intéressante au demeurant
tant elle fait référence au cinéma
d’action de l’époque, pile-poil à
l’intersection entre le fascinant
(et un peu nanardesque) Piège
à Hong Kong et la révolution
incarnée par Matrix. Et puisqu’on
parle de cinéma, secteur que l’on
ne peut s’empêcher d’aborder
dès lors qu’il est question de
Resident Evil, Code : Veronica
reste indéniablement l’un des
volets piochant le plus du côté
du septième art, les relations
malsaines et incestueuses
qu’entretiennent les jumeaux
Ashford (entre eux et aussi
RESIDENT EVIL
CODE : VERONICA
Genre Survival horror
Éditeur Capcom
Dév. Capcom
Sortie 26 mai 2000
JV HS Génération Dreamcast | 103
avec leur père) ayant
notamment quelque chose
de très cronenbergien. Et si
on voulait être taquin, on irait
même jusqu’à dire que Code :
Veronica inaugure la tradition du
sidekick bidon, campé plus tard
par Ashley (RE4) ou Sherry
(RE6), avec le personnage de
Steve Burnside, adolescent
aussi intrépide que relou à qui
l’on décerne sans peine le prix
Marion Cotillard de la mort la
plus pathétique de la saga. Mais
excepté cet écueil dérisoire,
Resident Evil Code : Veronica
demeure un incontournable
de la console, la preuve que les
licences les plus en vogue du
moment pouvaient donner leur
pleine mesure sur Dreamcast.
Kevin Bitterlin

Ecco the Dolphin: Defender of the Future
P
lus discret qu’un
Sonic mais aussi
emblématique pour
qui aura grandi avec
la Mega Drive, Ecco reste
pour beaucoup un personnage
qui aura participé à fonder
l’identité de Sega. Pourtant,
depuis 16 ans, plus de nouvelles
(ou presque) du dauphin favori
des joueurs, qui sur Dreamcast
faisait son dernier plongeon.
Sous-traité chez Novotrade
(devenu plus tard Appaloosa
Interactive avant de mourir en
2006), Defender of the Future est
donc la première, et dernière,
incursion 3D de la licence née
sur la 16 bits de Sega en 1992
- où elle connut trois épisodes
(dont un pour enfants), tous
largement salués. Quoique
délesté de son équipe d’origine,
le jeu enchante dès les
premières minutes et résiste
même à l’usure du temps, ce
qui avec la 3D de l’époque n’est
pas évident. Beau, coloré, varié,
cet Ecco 2000 renoue d’abord
avec une sensation de liberté
104 | JV HS Génération Dreamcast
Les chefs
d’œuvre
Le grand bleu 3D
grisante, et qui ne serait pas si
le jeu n’avait pas fait l’objet d’un
travail rigoureux sur la
spatialisation. Rarement prise à
défaut, la caméra offre une
visibilité parfaite. On prend ainsi
vite plaisir à nager au fond des
océans et découvrir des
endroits parfois merveilleux
comme autant de trésors
cachés ; à sauter hors de l’eau
pour prendre un peu d’air et
admirer l’extérieur en un éclair ;
ou encore à discuter avec les
autres dauphins, baleines,
poissons et diverses bestioles
qu’il faut parfois affronter. On en
oublierait presque les versions 2D
tellement l’expérience s’en trouve
agrandie. Que ce soit par la
physique, la maniabilité, la
vitesse, la profondeur de champ
(joliment travaillée par des effets
de lumière dévoilant
progressivement l’environnement),
ou encore la conception des
décors (pourtant a priori peu
enclins à la diversité mais
soutenus par une documentation
solide des fonds marin), le jeu
offre une expérience riche et Sega. Une puissance fragile, qui
variée. Malgré un scénario doit davantage à un succès
hautement improbable qui critique ou d’estime, qu’à un
baigne dans la science fiction engouement populaire. Les
(les extra-terrestres sont de la créateurs d’Ecco ont pu s’en
partie), Defender of the Future apercevoir en tentant de
ne fait pas honte aux épisodes relancer la licence autour d’un
Mega Drive, il les complète. Si Kickstarter en 2013. Visant en
le jeu sortira deux ans plus tard objectif délirant de 665 000 $,
sur PS2, il restera un des titres le projet (alors appelé The
cultes de la machine. Et aussi Big Blue) n’a pu récolter que
l’un des plus symboliques pour 55 000 $, un gadin qui risque
le consolier qui, en même bien de signer l’arrêt
temps qu’il enterrait sa de mort définitif de la licence.
machine, enterrait aussi le À moins que Sega soit pris
destin de son dauphin. Rejouer d’une folie, la fable écolo d’Ed
aujourd’hui au jeu c’est se Annunziata, son auteur, risque
souvenir de ces derniers de finir pour toujours au musée
moments et de la puissance de des légendes du jeu vidéo.
certaines licences phares de Jérôme Dittmar
ECCO THE DOLPHIN:
DEFENDER OF THE FUTURE
Genre : Action / Aventure
Éditeur : Sega
Dév. Appaloosa Interactive
Sortie : 16 août 2000

Skies of Arcadia
C
omme la plupart des
jeux Dreamcast, Skies
of Arcadia a vieilli.
Deux ans après sa
sortie, le jeu avait d’ailleurs
déjà eu droit à un remake
aux graphismes légèrement
améliorés sur Gamecube.
Si à l’époque, il était l’un des
premiers à proposer un monde
entièrement réalisé en 3D, ne
se cachant pas derrière des
décors précalculés ou de la 3D
isométrique, en 2016, celui-ci a
forcément perdu de sa superbe.
Mais son ambiance, elle, qu’il
doit en partie à un univers
constitué d’îles flottant dans
les airs, conserve encore de
sa fraîcheur. Ce monde céleste,
s’il n’a pas la grâce artistique
de ceux imaginés pour un Final
Fantasy, a toujours ce petit
quelque chose de mystérieux,
de poétique même, avec ces
continents suspendus au-
dessus des nuages. Le scénario
peut ainsi s’appuyer dessus
pour s’écarter (un peu) des
sentiers (re)battus du J-RPG.
Car très vite, le jeu laisse la
Les chefs
d’œuvre
Le ciel, les pirates et pas de mer
possibilité de naviguer librement
avec son propre vaisseau. Il faut
même gérer son équipage et
son armement comme un vrai
pirate. Et ce pirate de l’air,
c’est Vyse, Robin des nuages,
et héros au grand cœur,
toujours accompagné d’Aika,
sa BFF pleine d’entrain. Si la
caractérisation des personnages
retrouve des schémas connus,
la trajectoire de Vyse, en forme
de passage à l’âge adulte, n’en
reste pas moins joliment écrite,
surtout qu’elle n’est pas avare
en rebondissements.
JAMBE DE BOIS
Skies of Arcadia conserve
en vérité cette étiquette de
classique du J-RPG. Certes,
il n’a pas la carrure des plus
grands chefs-d’œuvre du genre
(trop classique, justement),
mais il apparaît comme un élève
appliqué. Peut-être un peu trop.
À commencer par son système
de combat. Ce qui est flagrant
lorsqu’on le compare à celui
autrement plus moderne de
Grandia II, l’autre grand RPG
de la Dreamcast. Ce n’est pas
tant que les affrontements se
déroulent au tour par tour, au
contraire même, c’est surtout
qu’ils se révèlent affreusement
pépères. Malgré la volonté
d’injecter un peu de dynamisme
à l’ensemble – l’ennemi se
déplace sur l’aire de jeu –, tout
est trop lent, trop statique. Trop
sage. Et puis, les combats sont
aléatoires. Pas juste aléatoires
pénibles, non. Dans certaines
zones, la fréquence se révèle
tout simplement inhumaine. Ce
qui, en plus de venir pourrir le
rythme de l’histoire, n’invite pas
à découvrir les quêtes annexes.
Au moment de sa sortie déjà,
d’autres titres avaient montré
SKIES OF ARCADIA
Genre RPG
Éditeur Sega
Dév. Overworks
Sortie 27 avril 2001
JV HS Génération Dreamcast | 105
qu’on pouvait se passer des
combats aléatoires, autant dire
qu’aujourd’hui, il y a de quoi
s’arracher les cheveux. Les
combats navals apparaissent
quant à eux plus intéressants. La
mise en scène, pas incroyable,
rend l’ensemble beaucoup trop
long, mais ces derniers requièrent
un poil de stratégie qui tranche
avec la monotonie des combats
traditionnels. Si Skies of Arcadia
est devenu le meilleur RPG de
la Dreamcast un peu par défaut,
il n’a pas pour autant usurpé
son statut. Alors oui, il lui
manque ce petit grain de génie.
Mais il se rattrape par une
singulière atmosphère.
Christophe Butelet

D
2 est un survival-
horror qui rêvait
d’être le nouveau
Resident Evil. En tout
cas, il lui reprend plein de trucs.
Ses monstres désarticulés et
dégueulasses qui jaillissent des
corps humains. Ses laboratoires
secrets. Son spray de soins
aussi. Et même son cadre
sous-verre avec la collection
de papillons. Malgré tout,
le titre essaie de s’extirper
de son modèle en proposant
quelques idées. À l’image des
affrontements aléatoires par
exemple, qui tentent de jouer
sur l’effet de surprise. Sauf que
comme le chargement du disque
provoque pendant un bref
instant une perte totale de sons,
le joueur est systématiquement
averti du combat à venir. Les
affrontements se révèlent quant
à eux très arcade (on est dans
du shoot sur rail) et finalement
très répétitifs. Ces derniers,
bien que cohérents avec la ligne
éditoriale de la Dreamcast,
viennent en réalité rallonger et
alourdir les traversées déjà un
peu pénibles d’un bâtiment à un
106 | JV HS Génération Dreamcast
Les chefs
d’œuvre
D2
Conscience du monde
autre – mention spéciale pour
les passages injouables en
motoneige. D2, il faut le dire
s’apprécie davantage quand il
nous invite à poser la manette.
Car c’est bien pour son récit,
plus que pour son gameplay
limité, que le jeu de Kenji Eno a
encore un intérêt. Et peut-être
encore plus aujourd’hui.
DARK DREAMS
À l’inverse du cinéma américain,
profondément marqué par les
événements, le 11 septembre n’a
pour ainsi dire jamais été évoqué
(directement ou indirectement)
dans le jeu vidéo. Il y a bien eu
des cas d’autocensure comme
dans GTA III ou des anecdotes
troublantes (l’absence, dès
2000, des tours du World Trade
Center dans Deus Ex) mais
aucun titre qui ne vienne
véritablement poser un regard
sur les attentats, que ce soit
sous la forme d’une métaphore
ou d’une réaction. Comme si le
média n’osait pas se confronter
à l’Histoire de nos sociétés.
D2, lui aussi, ne parle pas du
11 septembre. C’est que, sorti
deux ans plus tôt, il en était
tout simplement incapable.
Pourtant, le titre donne presque
l’impression de l’anticiper
à travers une introduction
troublante où un avion est pris
en otage par des terroristes
obéissant ici à un culte étrange.
Surtout, le jeu, qui prend place
à l’aube du nouveau millénaire,
laisse passer l’idée d’un monde
qui court à sa fin – comme
en témoigne la météorite que
l’on voit foncer sur la Terre.
L’aventure se conclut ainsi sur
un montage qui, partant de
l’extinction des dinosaures,
retrace toute une histoire de
l’humanité à grands coups
d’images documentaires (où nul
doute que l’effondrement des
D2
Genre Survival-horror
Éditeur Sega
Dév. WARP
Sortie 23 décembre 1999
tours y aurait trouvé sa place) :
montée du nazisme, discours
de Martin Luther King, premiers
pas de Neil Armstrong sur la
Lune, guerre du Vietnam, essais
nucléaires, chute du mur de
Berlin, déforestation, famine…
Dans une déprime totale,
le jeu de WARP nous achève
avec un tas de chiffres sur
les conséquences de la
surpopulation mondiale et de
l’exploitation de la planète.
Peu de titres ont semblé aussi
concernés par l’état du monde.
S’il y a dans D2, un pessimisme
extrêmement fort – la plupart
des personnages rencontrés
ont vécu un trauma lourd – cela
en fait surtout une œuvre très
actuelle. Christophe Butelet

Street Fighter III Third Strike
P
armi les quelques
rares, mais précieux,
privilèges qu’aura eu
la Dreamcast, celui
d’accueillir le portage de Street
Fighter III Third Strike ne sera
pas des moindres. Débarquée
sur la console de Sega quatre
ans avant les versions Xbox et
PlayStation 2 (qui deviendra
la plus jouée ensuite), cette
troisième itération de SFIII est
devenue depuis un classique
du jeu de baston, souvent
considéré par les pros, sinon
par tous, comme le meilleur
épisode de la saga. Première
suite directe de SFII alors
que simultanément Capcom
travaillait sur la série des Zero
(ou Alpha chez nous), ce
troisième opus amène alors
un large panel de personnages
inédits, et surtout un nouveau
virage stylistique. Plus acérés,
les graphismes sont moins
lisses, moins doux, que ceux
des Zero. Ils exploitent surtout
à leur paroxysme une 2D à
l’animation d’une étonnante
subtilité (et cadencée à 60 fps),
Les chefs
d’œuvre
Golden Age
avec des personnages d’une
taille jamais vue alors (chacun
est en 700 x 1200) et qui fera
du Third Strike l’ultime étape
d’un savoir faire qui fut plus
que jamais celui des équipes
d’Osaka – et qui ne venait pas
de nulle part. Il y a des hasards
qui parfois font bien l’Histoire :
si le jeu est en effet considéré
comme l’un des meilleurs, et
des plus subtils, tous jeux de
combat confondus, il est aussi
l’incarnation d’une tradition
venue de l’arcade. Pour Sega,
qui lui aussi y a fait son succès
et ses armes, voir débouler
cet épisode devenu mythique,
sur sa dernière console, est
presque une coïncidence
miraculeuse. En temps que
dernier bastion de l’arcade,
à une époque où celle-ci a
déjà perdu de son aura, la
Dreamcast semblait destinée
symboliquement à accueillir
l’arrivée de Thrid Strike, comme
si les destins de ces salles et de
la machine étaient liés. Pour
l’amateur voulant pratiquer,
chez lui, il n’y avait alors pas
d’autre endroit, ce qui en fera
encore un peu plus une machine
d’initiés. D’autant que pour
Street, aussi, c’est l’heure de
la remise en question, la saga
connaissant un passage à vide
dans les années 2000, avant
le retour en force que l’on sait
avec Street Fighter IV en 2008.
Mais si le jeu est resté – et
surtout s’il n’a cessé d’être
joué durant cette période creuse
pour Capcom - c’est avant
tout pour son gameplay qui,
définitivement, fit de la série
un jeu hautement compétitif
pour toute une communauté
de joueurs. Plus que ses 20
personnages, son nouveau
système de fury, ses nouvelles
manips (dash, double saut…),
STREET FIGHTER III
THIRD STRIKE
Genre : Versus fighting
Éditeur : Capcom
Dév. : Capcom
Sortie : 2000
JV HS Génération Dreamcast | 107
ou encore sa cohérence
sans doute sans égale dans
l’enchainement des combos,
Third Strike c’est surtout
l’apogée d’une feature amenée
par la série III : les parry, ces
contres aussi simples que
complexes à réaliser, entendu
à la frame près s’il-vous-plait.
Utilisables contre tous les types
de coups, ils donnent alors
un sel incroyable au jeu, et
deviendront l’un des éléments
les plus stylés utilisés en
compétition. Ceci n’aurait pas
été possible sans le travail
minutieux de Capcom sur la 2D
et son animation. Ou comment
un jeu incarne à la fois l’âge
d’or d’un genre, et d’une
technique. Jérôme Dittmar
 NFL 2K
Tâcle revanchard

L
a légende veut que
NFL 2K soit un grand
jeu, mais Wikipedia
confirme surtout que
c’est un jeu de foot US. Autant
dire que nous sommes trop
français pour juger de sa valeur.
NFL 2K est toutefois un jeu
fascinant qui symbolise la rupture
entre Electronic Arts et Sega
sur la génération Dreamcast.
Reprenons. Sur Genesis, Sega et
EA furent les grands frères cool de
la jeunesse américaine, abreuvant
les joueurs de simulations
sportives en veux-tu en voilà. coupe court aux négociations avec succès la sortie de la
Seulement, s’ils sont alliés en et achète le studio Visual Dreamcast aux États-Unis.
apparence, en coulisses la Concepts, ancien sous-traitant Quinze ans et quelques rachats
situation est tendue. L’accord d’EA, pour développer ses plus tard, le studio se porte à
qui les lie a été curieusement propres jeux. Son premier titre merveille et s’est imposé comme
négocié et de fait, Sega ne en tant que soldat de Sega est un ponte de la simulation
touche presque pas un sou sur NFL 2K, jeu qui accompagne sportive. Sylvain Tastet
les cartouches vendues par EA.
Mais l’éditeur, gourmand, en
veux toujours plus et n’accepte
de soutenir le lancement de
la Dreamcast qu’à condition
d’avoir l’exclusivité des jeux de
sport sur la machine. La goutte
d’eau fait déborder le vase, Sega

NFL 2K
Genre Simulation de Football US
Éditeur Sega Sports
Dév. Visual Concepts
Sortie 9 septembre 1999 Les jeux qui
comptent

Toy Commander
Micromachine de guerre

A
près avoir développé
des titres mastodontes
comme Alone in the
Dark ou Little Big
Adventure, Frédéric Raynal et
son équipe avaient envie d’une
récréation, d’un projet plus
léger. Au hasard d’un rachat par
Sega, leur vient l’occasion de
développer Toy Commander,
exclusivité Dreamcast pour
laquelle le studio No Cliché a
reçu carte blanche. Le pitch
en deux mots : un gosse reçoit
toute une panoplie de jouets
militaires tellement cool qu’il Raynal, mais sied à merveille à joli succès à sa sortie, et reste
en oublie ses anciens joujoux. la ludothèque Dreamcast où le encore célèbre pour son multi
Ces derniers, plutôt que de gameplay prévaut souvent sur et son univers enfantin peuplé
se résigner à finir leurs jours tout le reste. En dépit de ses de soldats de plomb, de
dans un grenier poussiéreux, contrôles foutraques et parfois Godzilla en plastique et de
décident de se soulever contre frustrants, le jeu rencontre un trains en bois. Sylvain Tastet
les figurines militaires qui
plaisent tant à leur propriétaire.
Et boom, c’est la guerre. Votre
job : mater la rébellion et
remettre les ours en peluche
séditieux à leur place, à la
benne donc. Relecture guerrière
de Toy Story, Toy Commander
détonne dans la carrière de

TOY COMMANDER
Genre Action
Éditeur Sega
Dév. No Cliché
Sortie 14 octobre 1999

108 | JV HS Génération Dreamcast

 The Nomad Soul
Le projet qui va trop loin

C
’est le projet passion
de David Cage,
un type qui bossait
jusqu’ici dans la
musique (il a notamment signé,
au milieu des années 1990, les
bandes-originales oubliables de
jeux qui l’étaient tout autant) et
qui s’est dit, un jour, qu’il avait
envie de créer le jeu vidéo de
ses rêves. Il claque toutes ses
économies, toutes ses idées
(monde ouvert urbain, motion
capture, combats en mode
versus fighting, passages en
FPS, n’en jetez plus), et avec
des potes rencontrés chez
Cryo, monte en six mois un des concerts dans ses boîtes french touch. Il a un temps
proto pour aller démarcher de nuit, se laisser bercer par été question d’une suite,
les éditeurs avec sa tour sous son histoire un peu con mais mais David Cage a depuis
le bras. Eidos est convaincu délicieusement meta. Certes. revu ses ambitions ludiques
direct, et leur permet même Mais on n’aura jamais vu non à la baisse pour se concentrer
de rencontrer David Bowie, plus de jeu plus foutraque, sur les aventures narratives
qui co-signe huit morceaux plus dispersé et inégal, ce qui (Heavy Rain, Beyond, Detroit)
de la bande-son et joue dans le en fait sans doute le dernier qu’on lui connaît aujourd’hui.
jeu. La classe. Sans surprise, le représentant d’une certaine Corentin Lamy
résultat est donc aussi fascinant
que boiteux. Jamais un jeu n’a
été aussi proche de créer une
« réalite virtuelle » : à l’époque,
et deux ans avant GTA III, la
ville d’Omikron semble vivante,
crédible. On adore se perdre
dans ses ruelles de SF, suivre

THE NOMAD SOUL

Genre Pot pourri et David Bowie

Éditeur Eidos Interactive
Dév. Quantic Dream
Sortie 31 octobre 1999
Les jeux qui
comptent

Quake III Arena

Le portage qui tue

O
n le sait : faire des jeux
vidéo n’intéresse pas
tant John Carmack,
gourou du studio id
Software et petit génie de la
programmation, que de les porter
sur tous les systèmes possibles
et imaginables. On ne sera donc
pas plus étonné que ça de voir
débarquer Quake III, le plus PC
des jeux PC (il est en partie
responsable de l’invention du FPS
PC moderne, celui qui se joue d’ailleurs joué seize ans plus (Doom 3, Rage), avant de
ZQSD sous une main, la souris tard par quelques irréductibles. retrouver très récemment
dans l’autre), sur Dreamcast. Et Le studio id Software lui, des couleurs avec son reboot
contre toute attente, le portage, s’égarera quelques temps de Doom. Corentin Lamy
réalisé par Raster Productions
avec paraît-il l’aide de No
Cliché et de Frédérick Raynal
pour la version européenne,
est exemplaire. Quake III Arena
s’impose sur une Dreamcast
en fin de vie comme le maître-
étalon du shooter multi, et reste

QUAKE III ARENA

Genre FPS multi

Éditeur Sega
Dév. id Software / Raster Productions
Sortie 8 décembre 2000

JV HS Génération Dreamcast | 109

 Heavy Metal Geomatrix
E
n théorie, l’idée de
confier des licences de
super héros au studio
roi de la baston est
plutôt séduisante. Mais voyons
les choses sous un autre angle :
est-il bien judicieux de laisser
des développeurs japonais
exploiter des licences parmi les
plus américaines qui soient ?
Pas vraiment. C’est ainsi qu’en
2000, le Spawn de Capcom est
parvenu à atteindre un degré de
médiocrité virtuose. En signant
un jeu pour fanboy paresseux,
HEAVY METAL GEOMATRIX
Genre Baston
Éditeur Capcom
Dév. Capcom
Sortie 22 septembre 2001
The House of the Dead 2
C
omme en témoignent
Wild Gunman, Duck
Hunt ou un million
d’autres jeux, le
monde n’a pas attendu The
House of the Dead pour jouer
du flingue devant un écran.
Toutefois, en 1997, la borne
de Sega s’est démarquée des
sempiternels westerns et autres
jeux de sous-marin en surfant
sur l’univers original et mort-
vivant de Resident Evil paru un
an plus tôt. La série n’est donc
en rien une exclusivité console
THE HOUSE OF THE DEAD 2
Genre Rail Shooter
Éditeur Sega
Dév. Wow Entertainment
Sortie 1999
110 | JV HS Génération Dreamcast
L’artillerie lourdingue
le studio nippon avait déjà tenter le mélange du shooter à retient de cette expérience hors
placé la barre très haut. Mais la Quake et du versus fighting norme, c’est avant tout un jeu
par chance, l’impossible n’est en 3D. Et ces gens auront mou et répétitif beaucoup plus
pas de ce monde et un an plus raison. Seulement voilà, à force heavy que metal. Pas très rock
tard, c’est avec Heavy Metal de tourner en rond sur un ring & roll.
Geomatrix que ce même vide et moche, ce que le joueur Sylvain Tastet
Capcom relève l’étonnant défi
de repousser les frontières de
l’infâme. Pour sûr, certains vous
diront que cet étrange jeu de
baston en arène n’est pas si
mauvais, que sa sound track
metal avait de la gueule et sur
le fond, le développeur de
Street Fighter a eu le mérite d’y
Les jeux qui
comptent
Gâchette facile
(et ne s’apprécie d’ailleurs beau monde sans salir votre chouette ambiance gothique,
qu’après l’achat d’un pistolet), costard, afin que Venise un rythme effréné et un système
mais elle symbolise plus que tout retrouve son charme touristique de reload qui force le joueur à
autre l’arcade domestiquée par d’antan qui a salement périclité pointer son flingue en dehors de
le constructeur nippon. House depuis que des morts hantent l’écran toutes les cinq secondes
of the Dead a accompagné la fin les rues. Un excellent rail et l’immerge complètement
de la Saturn, sa suite ouvre le shooter porté par une très dans son rôle. Sylvain Tastet
bal Dreamcast avec un scénar
bêton : un méchant généticien
nommé Goldman, vachement
déçu par l’humanité, a conçu un
mutagène zombie et tant qu’à
faire, un super démon pour y
mettre fin. Votre taf consiste à
faire bouffer du plomb à tout ce
 Elemental Gimmick Gear
La légende de l’ersatz

L
es médecins le
conseillent, en sachant
pertinemment que
personne ne les
écoutent : une bonne sieste,
c’est 40 minutes. Max. Aussi,
quand des archéologues
déterrent Leon après 5000 ans
de sommeil, ce dernier connaît
un réveil pour le moins difficile,
et décide de faire la grasse mat’
pendant 103 ans de plus. On
peut le comprendre. Pas grave :
les chercheurs vont mettre ce
temps à profit pour l’extraire de
l’étrange armure dans laquelle il
est engoncé (le fameux
Elemental Gimmick Gear, ou héros, E.G.G. est un jeu rester chez Sega), mais avec
E.G.G.), l’étudier, et, bientôt, en curieusement anachronique, moins d’ambition : on ne
fabriquer à la chaîne. Davantage avec une gueule de jeu Saturn dénombre qu’un seul vrai gros
qu’une armure, un E.G.G. est un (à l’exception des combats de donjon, et une paire de villages.
véhicule autonome, un boss, en 3D) et le gameplay N’empêche. E.G.G., rien que
exosquelette idéal pour porter d’un jeu Super Nintendo. On pour ses décors entièrement
des trucs lourds ou taper son pense évidemment à Zelda ou à dessinés à la main, est de ces
prochain, que tout un chacun Secret of Mana (ou alors à Soleil jeux méconnus qui valent le
peut désormais acheter à et à La Légende de Thor, pour coup d’oeil. Corentin Lamy
l’EGGstore le plus proche. C’est
dans ce contexte que Léon se
réveille enfin, en même temps
que le dôme dans lequel on
l’a retrouvé et duquel émerge
soudain de gigantesques et
menaçants tentacules. Voilà
pour le pitch. Comme son

ELEMENTAL GIMMICK GEAR

Genre Action RPG
Éditeur Hudson
Dév. Birthday
Sortie Inédit en Europe, 27 mai 1999 au Japon Les hits
cachés

Record of Lodoss War : Advent of Cardice

Diablo mais pas trop

L
es fans reconnaîtront
ici l’adaptation de
l’animé Les Chroniques
de la guerre de Lodoss,
lui-même tiré des romans
du même nom. Les autres
admettront que ça ressemble
surtout à un clone de Diablo 2.
S’inspirer d’un genre dont
on pensait alors qu’il n’était
raisonnablement jouable qu’à la
souris ? Un parti pris audacieux,
surtout à un âge où audace
rimait alors généralement slash pour proposer des desservie par une réalisation
avec médiocrité. Contre toute personnages non-joueur, un peu flemmarde : ça rame,
attente, la quête de notre héros ou des dialogues à choix et, autant jouer cartes sur table
pour s’éléver contre la sinistre multiples. Une aventure longue, avec vous, c’est un peu laid.
déesse Kardis est plutôt une ambitieuse, malheureusement Corentin Lamy
réussite. Le studio Neverland
(qui s’est surtout fait connaître
ces dernières années pour la
série Rune Factory, spin-off
guerrier d’Harvest Moon)
n’hésite d’ailleurs pas à
s’éloigner un peu des sentiers
les plus rebattus du hack’n

RECORD OF LODOSS WAR :

ADVENT OF CARDICE
Genre Hack’n slash
Éditeur Swing!
Dév. Neverland
Sortie 15 décembre 2000

JV HS Génération Dreamcast | 111

 Tetris 4D
C
houette un Tetris 4D. Avec un tel titre, on se prend à rêver
d’une relecture incroyable du célèbre jeu imaginé par
Alexey Pajitnov. Une version à base de tesseracts qui
renouvellerait brillamment la formule. Ou, soyons fous, un
Tetris qui, à la manière des attractions 4D ringardes, nous cracherait
du vent dans la tronche pendant qu’on joue. Rien de tout ça.
Tetris 4D est juste un pauvre Tetris. On n’y trouve même pas l’ombre
d’une 3D comme avait pu l’être l’innovant Tetrisphere de la Nintendo
64. Au programme, un mode Classic sans ambition et un mode
Battle jouable jusqu’à 4 joueurs (d’où le 4D ?) arboré fièrement alors
que tout le monde l’a déjà fait en mieux. D’une tristesse absolue,
le jeu n’a tellement peur de rien qu’il n’offre même pas la possibilité
de jouer contre une IA. L’arnaque est totale. Christophe Butelet

TETRIS 4D
Genre Tetris nul Éditeur Bullet Proof Software
Dév. Bullet Proof Software Sortie 23 décembre 1998
Les jeux
de la
honte

Who Wants to Beat Up

Ring a Millionaire?

P W
eut-être qu’en adaptant la série Ring, Asmik Ace
Entertainment s’est dit qu’on ne verrait pas qu’il s’agit
en réalité d’un très mauvais remake de Resident Evil.
Jeu dont il repompe pourtant sans vergogne l’interface
et les déplacements, en parvenant à rendre ces derniers encore
plus rigides. Mais le studio ne doutait manifestement de rien
puisque, dans une euphorie un peu inconsciente, il s’est mis en
tête d’écrire un scénario original s’appuyant sur l’histoire de la
saga. Soit la plus mauvaise publicité possible qu’on puisse faire à
Ring et l’hommage le plus foireux à la licence de Capcom. À la
vue du résultat, on en vient presque à regretter que la Dreamcast
ne soit pas morte un an plus tôt. C.B.
ho Wants to Beat Up a Millionaire ? est l’exemple
même de la blague qui va trop loin. On a pourtant
envie de rigoler avec cette parodie de jeu télévisé
dont l’introduction, improbable, reprend le
générique de la série L’Homme qui valait trois milliards. Et puis, sur
le principe, bien que complètement régressif, on n’a rien contre l’idée
de mettre quelques beignes à des caricatures de Donald Trump
(déjà !), Bill Gates et autre Anna Nicole Smith, après chaque bonne
réponse. Mais la plaisanterie est de courte durée. Le petit jeu de
boxe est complètement nul et les questions ne sont pas bien
meilleures. De la moue amusée, on passe finalement à la
consternation. Pourtant, aux US, le jeu fit un carton… C.B.

WHO WANTS TO BEAT UP

RING A MILLIONAIRE ?
Genre Resident Evil moisi Éditeur Asmik Ace Entertainment Genre Party game naze Éditeur Simon & Schuster Interactive
Dév. Asmik Ace Entertainment Sortie 24 février 2000 Dév. Hypnotix Sortie 8 août 2000

112 | JV HS Génération Dreamcast

 Half-Life
T
ragique destin que celui de la version Dreamcast de
Half-Life, longtemps retardé puis finalement annulé en
juin 2001. Une copie pirate (complète !), qui fera surface
deux ans plus tard, permet pourtant de jouer à ce
portage finalement de bonne facture, même si les développeurs
ont dû réduire certains groupes d’ennemis pour soulager le
processeur un peu faiblard de la console. Bon. Mais le plus
intéressant, c’est que cette version est l’oeuvre de Gearbox, studio
déjà responsable de l’extension Opposing Force. Sur Dreamcast,
ils ont eu carte blanche pour proposer, en plus des aventures de
Gordon Freeman, une campagne alternative baptisée Blue Shift,
qui nous met dans la peau de l’agent de sécurité Barney Calhoun.
Heureusement pour Barney, Blue Shift est sorti sur PC la semaine
même de l’annulation de sa version Dreamcast : il aurait été
regrettable de ne pas faire la connaissance de ce héros ordinaire,
qu’on recroisera d’ailleurs dans Half-Life 2. Corentin Lamy

HALF-LIFE
Genre FPS Éditeur Sierra On-Line
Dév. Valve / Gearbox
Les jeux
jamais
sortis

Geist Force Propeller Arena

L D
as d’attendre un nouveau Panzer Dragoon sur
Dreamcast, les Segamaniaques ont cru un temps que
leur salut viendrait de Geist Force, dévoilé en grande
pompe lors du Tokyo Game Show de 1998. Mais
davantage que le titre culte de la Saturn, ce shoot‘em up 3D sur rails
évoquait davantage, dans ses partis pris esthétiques, ce bon vieux
Starfox. Un mimétisme si troublant qu’à l’image de Starfox 2,
Geist Force ne verra lui non plus jamais (officiellement) le jour.
Il faudra attendre 2011 pour qu’un fan fortuné ne mette la main
sur une version bien avancée mais néanmoins inachevée, qu’il
fera tirer à 200 exemplaires l’année suivante. C.L.
es avions qui se tirent la bourre (et des bastos) entre
des gratte-ciels, sur fond de punk rock américain
joyeux et enlevé : difficile de proposer meilleur pitch
que celui de ce prometteur jeu multi. Difficile oui. Sauf
si on est le 19 septembre 2001 et que les images de gameplay
rappellent nécessairement celles, bien réelles, que les chaînes
de télé du monde entier diffusent en boucle depuis huit jours,
des attentats de New-York. Pourtant tout à fait terminé, prêt
à être distribué, ce jeu développé par le prestigieux studio AM2
(Shenmue) est rappelé in extremis. Heureusement pour nous,
il connaît depuis 2004 une nouvelle vie sur la Toile. C.L.

GEIST FORCE PROPELLER ARENA

Genre Shoot’em up Éditeur Sega Genre Dogfight multi Éditeur Sega
Dév. Rabbit Punch? Dév. AM2

JV HS Génération Dreamcast | 113

 Castlevania Resurrection
C
urieux choix que celui de Resurrection, supposé conter
les aventures de Sonia Belmont, personnage aperçu en
1997 dans le très mineur Castlevania Legends, sur Game
Boy. Censé prendre place juste avant les évènements
du Castlevania original, celui sur NES, Resurrection devait surtout
renouer avec l’esprit et le gameplay de l’épisode fondateur. Mais
des différents entre les développeurs (américains) et Konami Japon
entraîneront divers retards : après avoir raté la date de sortie de la
Dreamcast aux États-Unis (il aurait dû en être un titre de lancement),
il est finalement annulé six mois plus tard. Mais comme Dracula,
Castlevania est immortel : il se murmure que l’épisode Curse of
Darkness, sorti sur PS2 et Xbox en 2005, recycle certains de ses
éléments. Corentin Lamy

CASTLEVANIA RESURRECTION
Genre Action Éditeur Konami
Dév. Konami
Les jeux
jamais
sortis

Agartha
A V
près un détour par le jeu d’aventure (Little Big Adventure 1
& 2), le jeu d’action (Time Commando) et les jeux de petits
soldats (Toy Commander, Toy Racer), le Français Frédérick
Raynal et son équipe reviennent au survival horror 3D,
près de vingt ans après avoir inventé le genre avec Alone in the Dark.
Petits chouchous de Sega, ils ont carte blanche pour faire le jeu le plus
crade et immoral possible. Pour Raynal, au cœur de l’expérience, il y a
notamment la question des choix moraux, préfigurant un peu l’œuvre
de son compatriote David Cage. Mais comme beaucoup de jeux
de l’époque, Agartha mourra avec la Dreamcast, et il faudra
attendre 2014 et le début du développement de 2Dark pour
que Raynal renoue avec le survival. C.L.
Hellgate
endu comme un crossover entre Quake et WipeOut
davantage que comme un Mario Kart pour grands,
Hellgate s’annonçait effectivement comme un TPS en
moto, un truc solo avec une campagne et un scénario
(en gros, un Hell’s Angel découvre un passage vers l’Enfer sur le
bord d’une autoroute du Nevada et décide d’aller botter des culs
de démons). Enfin, c’est ce que décrivent les communiqués de
presse d’époque : le jeu ne survivra pas à des dissensions internes,
et, accessoirement, à l’arrêt de la production de la Dreamcast.
Incapable de trouver un éditeur après ça, le studio Jester Interactive
(des Liverpudliens responsables de la série de jeux MUSIC) jette
l’éponge après quinze mois de développement. C.L.

AGARTHA HELLGATE
Genre Survival Horror Éditeur Sega Genre Motos et bastos Éditeur NC
Dév. No Cliché Dév. Horny Dog / Jester Interactive

114 | JV HS Génération Dreamcast

116 | JV HS Génération Dreamcast
SOUVENIRS
« Pas de place pour
une autre PlayStation »
118 
par Bruno Pennes

« Le temps de l’innocence »
120 
par Jérôme Dittmar

« La machine d’un seul jeu »

122 
par Christophe Butelet

« La console
de la réconciliation »
124 
par Sylvain Tastet

« Brocante, glycine
et antispécisme »
126 
par Kevin Bitterlin

« Heaven or Hell, Let’s Rock »

128 
par Sophie Krupa

JV HS Génération Dreamcast | 117

 Ready 2 Rumble Virtua Tennis 2

Virtua Strikers 2

SoulCalibur Crazy Taxi

118 | JV HS Génération Dreamcast

 Pas de place pour
une autre PlayStation
par Bruno Pennes
eut-être n’aviez vous pas la chance
d’habiter une ville de banlieue
parisienne en 1998. Re-situons
un peu l’écosystème vidéoludique
qui y règne alors. Tandis que la
France s’apprête à célébrer ses
Bleus Champions-du-Monde-et-un-
et-deux-et-trois-zéro, le jeu vidéo tourne
autour de la PlayStation. Tout le monde en a
une. Et le panel de jeux, monstrueux, fait que
chaque joueur y trouve son compte. Dans
mon collège, il y a même un « Club PlayStation »
dans lequel, tous les midis, on peut jouer à la PS1
(et uniquement à la PS1). Quelques résistants
continuent bien de sonner aux portes pour porter
la parole de Miyamoto, mais même eux n’y croient
plus. La Saturn, dans mon entourage, est aux
abonnés absents. C’est dire si tout le monde
s’en fiche, la boutique du coin n’en possède pas.
Réalistement, dans les Yvelines de cette fin des
années 90, Sega n’existe plus. Entre deux parties
de Tekken 3, les Mega Drive se cèdent pour vingt
balles aux puces en même temps que la collection
de Pogs du petit dernier. Mais durant l’été, un
numéro « Guerre des Consoles » de Consoles +
m’apprend le grand retour de Sega. Une console
« surpuissante » qui fera « le pont entre consoles
et PC » et « des jeux d’une rare beauté ». La
Dreamcast, c’est son nom, éveille mon intérêt.
Il me faudra attendre l’année suivante et la sortie
française pour l’avoir en face de moi. Pas à la
maison bien sûr, mais en boutique, où deux bornes
SOULCALIBUR
FAIT PASSER
MON SOULBLADE
POUR UN VULGAIRE
BROUILLON.
dédiées font la promotion des jeux de lancement.
Dès les premières parties, trois choses me sautent
aux yeux. La première, c’est que la console a une
esthétique splendide. Loin de la pâtaude Saturn,
la 128 bits est petite, épurée. Selon moi, la plus
jolie console jamais sortie. La seconde, c’est
que le pad est, par contre, parfaitement immonde.
Habitué à ma Dual Shock, j’ai l’impression de
tenir un pigeon mort entre les mains (et c’est
toujours le cas). La dernière, c’est que par rapport
aux polygones crasseux de la PS1, c’est beau.
C’est super beau même. L’ambiance et les
animations de Ready 2 Rumble me scotchent.
SoulCalibur fait passer mon SoulBlade pour un
vulgaire brouillon. Dans mon cercle d’amis, les
parents ne semblent pas prêts à investir dans
« une autre PlayStation ». Le fils du médecin,
avec son argent de poche infini, sera le premier
à craquer. Chez lui, je vais découvrir Crazy Taxi et
ses courses folles, Virtua Strikers 2, mais surtout
Virtua Tennis et sa suite, qui resteront mes jeux
de sport préférés toutes machines confondues
avec PES 3 et Track’n Field. Sur sa console, on
a passé des journées entières à slicer, couper et
lober. À faire des matchs uniquement en regardant
l’écran du VMU, pour la flambe. La Dreamcast, je
ne l’ai eue que sur le tard, vers 2008. En la lançant,
j’ai eu un pincement en voyant que beaucoup de
jeux avaient vieilli. La faute à l’arrivée de la 360
et de la PS3, qui avaient rendu les jeux pré-HD
datés. Sa ludothèque, aussi, n’a pas très bien
supporté les ravages du temps. Si on excepte les
shoot’em up et les jeux de baston, la grammaire
des jeux de l’époque ne me correspond tout
simplement plus. Preuve de ce décalage, certains
genres phares de la console se sont mués en
mini-jeux de titres plus ambitieux, comme GTA.
Pour moi, la Dreamcast restera le rêve lucide d’un
Sega à l’agonie. Une machine merveilleuse, mais
qui voulait devenir la meilleure console des années
90 quand le concurrent Sony se tournait déjà vers
le XXIème siècle.
JV HS Génération Dreamcast | 119
 Jet Set Radio Zero Gunner

Shenmue

Virtua Tennis Under Defeat

120 | JV HS Génération Dreamcast

 Le temps
de l’innocence
par Jérôme Dittman
a sortie de la Dreamcast m’est passée au-
dessus. Quand la machine débarque en France,
je n’ai plus de console, sinon une vieille Super
Famicom qui traîne dans un coin, sans câbles.
Même pas de PlayStation, à laquelle j’ai toujours
joué grâce à un pote squatteur travaillant dans un
magasin de jeux vidéo, ce qui donne
vite cette vilaine habitude de ne plus
payer. Mon premier contact avec la
bécane date pourtant de peu après
son lancement japonais, avec ce
même pote débarquant chez moi
pour jouer à Sonic Adventure, que je regardais
un peu de loin, n’ayant jamais été emballé par les
pirouettes du hérisson après le premier épisode.
Je n’avais alors rien suivi des déboires de Sega.
À dire vrai, cela faisait déjà quelques temps que
j’avais pris le large du jeu vidéo, préférant le
cinéma et les livres. Mais comme on n’oublie
jamais un premier amour, je continuais de suivre
d’un oeil l’actualité des jeux. Et de récupérer des
machines auprès d’amis qui n’avaient rien lâché.
Ma relation avec la Dreamcast se déplie ainsi
en trois temps. Le second se situe autour de
l’été 2001. Encore une fois un ami me prêtait la
machine, avec un lot de jeux parmi lesquels Jet
Set Radio et Shenmue. Un problème de VMU
m’empêchant de sauvegarder, je n’ai alors pas
pu jouer au second (à regret), et dû terminer le
premier avec la pression de ne pouvoir éteindre
la console. Le jeu était une claque : le cel shading,
la vitesse, l’univers urbain et ultra japonais, tout
LA DREAMCAST
INCARNAIT ENCORE
CE CÔTÉ PRIMITIF ET
MERVEILLEUX DE L’ARCADE
QUI M’AVAIT BERCÉ.
était frais, nouveau, différent, avec ce quelque
chose qui m’avait toujours plu dans le jeu vidéo,
et qui venait de très loin dans les années 80. Avec
le recul, la console représente ce que j’identifierais
comme un certain « temps de l’innocence ». Dans
ma relation avec le jeu vidéo, alors naïve mais sur
le point de basculer, et pour le medium lui-même,
qui avec la Dreamcast incarnait encore ce côté
primitif mais merveilleux de l’arcade, dans laquelle
j’avais toujours été bercé. Ensuite, il y a eu 2002,
Silent Hill 2, l’expansion d’Internet, de nouvelles
manières de parler du jeu vidéo (le numéro spécial
des Cahiers du cinéma, au hasard), et pour moi tout
devenait différent dans un monde qui, lui aussi, avait
passé un cap après un certain 11 septembre. C’est
alors que le jeu vidéo a progressivement repris une
place dans ma vie et que la Dreamcast revenait,
presque symboliquement, pour me rappeler à ce
passé candide que les jeux de la console
sublimaient. Le troisième temps fût celui de la
confirmation, et de l’euphorie : un autre ami me
prêta la console, nous étions vers 2005 ou 2006
(depuis j’avais récupéré à peu près toutes les
machines), et ce fut une orgie de jeux (merci
piratage ; merci haut débit). Shenmue enfin, mais
surtout du shoot’em up avec les fabuleux Zero
Gunner 2, Border Down, Under Defeat, sans parler
de Virtua Tennis 2, le meilleur jeu de baston multi
sur Dreamcast. C’est alors que j’ai vraiment
découvert la console, que j’ai recommencé à me
pencher sur Sega, et repris le fil de l’histoire. Cette
immédiateté et cet esprit d’innovation propres à la
machine étaient une perpétuelle source de
jouvence alors que la Xbox 360 débarquait,
brouillant plus que jamais les frontières avec le
PC (que pourtant la Dreamcast anticipait, mais
sans céder sur ses bases). Depuis j’ai toujours la
machine dans un placard, et avec un autre ami
(encore) nous lançons parfois la sienne, admirant
la tenue étonnante des jeux. Jamais il ne nous
viendrait à l’idée de rebrancher une PS2, quand la
Dreamcast s’impose comme une évidence, pour
sa simplicité, son esprit, sa convivialité, voire le
look and feel incroyable de ses jeux. S’il ne devait
en rester qu’une, ce serait peut-être bien elle.
JV HS Génération Dreamcast | 121
 Shenmue

122 | JV HS Génération Dreamcast

 La machine
d’un seul jeu
par Christophe Butelet
a sortie de la Dreamcast est pour moi un non
évènement. Parce que Sega a toujours représenté
tout ce qui ne m’intéresse pas dans le jeu vidéo.
Si la Mega Drive m’a offert quelques bons moments,
je n’ai jamais touché à une Saturn. Pas envie. Pas
intéressé. Et pour jouer à quoi ? Ce que je pensais
être le reflet d’une fanboyisation
de ma part à l’égard de Nintendo
relevait en fait, sinon du bon goût,
d’une certaine logique dans mon
rapport avec le média, qui m’entraîna
ensuite logiquement du côté de chez
Sony. Tandis que le cinéma prend une place
toujours plus grande chez moi, la PlayStation
vient en quelque sorte condenser mes deux
passions, portant en outre le jeu vidéo vers une
passionnante maturité. Alors, au moment où
Sega lance sa Dreamcast, il n’y a absolument
aucune raison pour que je m’y intéresse. Les jeux
de Rare et de Nintendo me comblent de bonheur
sur Nintendo 64 et je suis loin d’avoir découvert
toutes les merveilles de la PlayStation. Quelques
mois après la sortie de Metal Gear Solid, qui vient
complètement bouleverser mes attentes et ma
façon de jouer, les Sonic Adventure, House of the
Dead 2 et autres SoulCalibur n’éveillent chez moi
pas l’ombre d’une excitation. Ils symbolisent tout
ce que je n’aime pas dans le jeu vidéo, un temps
déjà révolu. Bref, je ne vois vraiment pas pourquoi
JE RÊVE DE
VOIR SHENMUE
SUR PLAYSTATION 2,
SACHANT TRÈS BIEN QUE
ÇA N’ARRIVERA JAMAIS.
j’irais perdre mon temps sur une machine rétrograde,
tournée vers des titres arcade qui m’ont souvent
indifféré. Dans mon monde, la Dreamcast n’a jamais
été créée. Et je le vis bien. Mais alors que j’attends
avec impatience l’arrivée de la PlayStation 2,
Resident Evil: Code Veronica est annoncé sur la
console de Sega. Et il a l’air vachement bien. À ce
moment-là, je déteste encore plus cette console,
car elle me prive d’un nouveau Resident Evil.
Heureusement, la sortie de la version X sur PS2 et
GameCube sera une véritable bénédiction. Puis,
Shenmue débarque. À mes yeux, la Dreamcast naît
véritablement avec ce jeu. Car c’est exactement
celui auquel j’ai envie de jouer. Il ne ressemble
à rien d’autre, s’aventure sur des terrains que
j’imagine fascinant et pousse le jeu vidéo vers une
direction que je n’avais même pas imaginé. Je rêve
de voir Shenmue sur PlayStation 2, sachant très
bien que ça n’arrivera jamais. Je fulmine et ne
comprends pas comment un tel projet a pu voir le
jour sur la 128 bits de Sega. Il n’y a rien d’étonnant
au fait qu’il n’ait pas eu le succès mérité tant
il apparaît comme une véritable anomalie. Sa
proposition est à l’opposé de tout ce qui se fait
sur la machine. Et c’est bien pour ça qu’il me faut
ce jeu. Mais pas maintenant. L’investissement
d’une console pour un seul et unique titre reste
trop onéreux. Pourtant, je sais à ce moment-là
que mon premier contact avec la Dreamcast se
fera sur ce jeu. Ou ne se fera pas. Pendant de
longues années, je ronge mon frein. J’ai l’impression
de passer à côté de quelque chose d’énorme. Le
jeu me hante alors que je n’ai jamais eu la chance
d’y jouer. Ce n’est qu’en 2014, pour le magazine
JV, que je mets pour la première et unique fois les
mains sur une Dreamcast. Bien sûr, c’est pour
jouer à Shenmue.
JV HS Génération Dreamcast | 123
 House of the Dead 2 Crazy Taxi

Rez

Shenmue Worms Armageddon

124 | JV HS Génération Dreamcast

 La console de la
réconciliation
par Sylvain Tastet
n 1999, Sega va mal. Mais surtout, en
1999, j’ai 17 ans et soyons franc, Sega
je m’en cogne. Mes préoccupations
d’alors se résument à choisir une fac de
Lettres, apprendre la guitare, économiser
pour m’acheter une bagnole le jour de
mes 18 ans et plaire à la fille que
j’aime en secret. Le jeu vidéo ne
m’a jamais aussi peu intéressé qu’à
l’époque, mais par habitude, je lis
encore Joystick ou Consoles+ dans
lesquels il est parfois question de la
probable dernière console de Sega. En ce qui me
concerne, et en qualité de vaillant petit soldat tout
acquis à la cause de Nintendo sous l’ère des 16 bits,
le OSEF-omètre est au plus haut. Pire : je désire
voir tomber Sega car Sega et moi partageons une
sale histoire. Bon prince, en 1992, j’avais donné
sa chance à ce constructeur que je n’aimais pas
en achetant une Game Gear plutôt qu’une Game
Boy. Funeste erreur. La console devait rendre
l’âme quelques mois plus tard ne me laissant que
des regrets au cœur et des montagnes de piles
mortes dans les tiroirs. Rancune mise à part, la
Dreamcast n’a de toute façon rien pour me plaire
puisqu’à l’aube de l’an 2000, je préfére désormais
les PC aux consoles. Pourtant, à force de me
rabâcher l’histoire d’un Sega au pied du mur, la
presse réussit à me convaincre que cette machine
sera différente, qu’avec elle, le Japonais veut faire
QUAND J’AI VU QUE
LA DREAMCAST ARBORAIT
UN LOGO WINDOWS CE,
J’AI RENONCÉ À MA
FUTURE VOITURE.
amende honorable et va arrêter les conneries. Le
coup de la rédemption, je n’y aurais pas cru une
seconde si Bill Gates n’avait pas soutenu le projet.
Et pourtant, dans tous les magazines que je lis,
il est là, présenté comme un partenaire de Sega.
Pour le fanatique de la PC Master Race que j’étais,
voir une console tourner sous Windows est un
argument marketing décisif. Soudain la Dreamcast
m’apparaissait pleine de charme. Dès que j’ai
vu qu’elle arborait un logo Windows CE sur sa
carlingue, j’ai renoncé à ma future voiture, cassé
ma tirelire et acheté une Dreamcast. Cette machine
fabuleuse est parvenue à surmonter à la fois mon
désamour pour Sega et pour les supports disque,
et a confirmé mes premières impressions : la
Dreamcast n’est pas une console ordinaire. Son
catalogue arcade ne ressemblait en rien à ce que
proposaient la PlayStation ou la N64 avec leur
plateformers ou leurs sempiternels RPG. De mon
point de vue de jeune adulte sur le point de partir
en fac où le temps allait manquer, la Dreamcast
dégageait une aura particulière que j’assimilais à
un truc rapide et rigolo qui ne demandait pas tant
de suivre un scénario que de s’amuser. Début
2000, je jouais sur Dreamcast comme je jouerais
aujourd’hui sur un mobile, c’est à dire une partie
de Worms Armageddon par-ci, un Crazy Taxi
par-là. J’ai possédé un nombre effarant de jeux
sur cette machine trop facilement piratable, mais
assez curieusement, peu sont parvenus à me
scotcher à mon écran sinon l’hypnotique Rez.
Shenmue m’aura ébahi par sa beauté et foudroyé
d’ennui en quelques minutes. Sonic m’a laissé
froid. Ce ne sont pas les genres de jeu que
j’attendais sur cette console qui, allez savoir
pourquoi, m’a réconcilié avec Sega. Hélas,
comme ma Game Gear, le destin m’arrachera
cette console Sega quelques années plus tard.
Aujourd’hui ma Dreamcast est en République
Tchèque. Si tu lis ce papier Alexandre, ramène
la moi. Merci.
JV HS Génération Dreamcast | 125
 Shenmue Resident Evil Code : Veronica

Ecco the Dolphin : Defender of the Future

Rez La glycine de la rédac

126 | JV HS Génération Dreamcast

 Brocante, glycine
et antispécisme
par Kevin Bitterlin
on meilleur souvenir lié
à la Dreamcast remonte à
la semaine dernière. J’étais
assis à mon bureau, à
trois ou quatre mètres
de Corentin. La porte de
la rédaction était grand
ouverte, dans l’espoir vain
qu’un filet d’air frais s’y
engouffre. Car, oui,
le soleil cognait dur
ce jour-là. Il irradiait
de ses rayons ambrés l’impressionnante glycine
de la cour intérieure devant laquelle les touristes
en goguette s’inclinent respectueusement. Un
spectacle dont je ne me lasse pas. Soudain,
Corentin se lève. Il porte un bermuda. Un sourire
farceur sur le visage, il se plante au centre de la
pièce et pose la question suivante : « vous voulez
que je vous raconte une histoire ? » Évidemment,
tout le monde s’empresse de mettre son casque
sur les oreilles et de faire mine d’écouter un truc
très important. Sauf moi. J’aime les histoires.
Même celles de Corentin. Il commence : « Un jour,
je suis tombé sur une Dreamcast dans un vide-
grenier. Le gars en voulait 20 euros mais il m’a
prévenu qu’elle ne fonctionnait plus. Je me suis
dit que je pourrais peut-être la réparer. Mais je
n’ai jamais réussi à la faire marcher. » Si on avait
été dans un manga, ça aurait été à ce moment-là
qu’une énorme goutte de sueur aurait perlé sur
CODE : VERONICA
DONNE LA SENSATION
D’AVOIR DEUX TITRES
POUR LE PRIX D’UN.
ma nuque. Mais j’ai préféré pouffer, ne serait-ce
que par pure politesse à son égard. Cela dit, alors
que Corentin retournait fièrement à son bureau,
persuadé d’avoir illuminé cette journée harassante
grâce à son humour si personnel, je me suis
tout de même demandé si j’avais une meilleure
anecdote que celle-ci à raconter au sujet de la
Dreamcast ? Et nous voilà donc huit jours plus
tard. Face à ma page OpenOffice désespérément
vide – elle l’est un peu moins maintenant que je
vous ai raconté toutes ces inepties – je m’aperçois
ô combien la Dreamcast m’est étrangère. Pourtant,
j’en ai eu une à la maison pendant quelques mois.
Mon ami Michel me l’avait prêtée, m’assurant que
Shenmue était une expérience extraordinaire.
Mais la mayonnaise n’a pas pris. Avec le recul,
j’ignore pourquoi. Au bout de quelques heures,
j’ai simplement lâché l’affaire, préférant rebrancher
la PlayStation 2 que je venais tout juste d’acquérir.
Parce que cette dernière correspond, de façon plus
générale, davantage à ce que j’attends d’un jeu
vidéo. La baston, les trucs arcade à la Crazy Taxi,
les shmup, ça ne me passionne pas. Pire, je crois
que ça ne m’intéresse pas. Mes jeux Dreamcast
préférés, c’est triste mais j’y ai en fait joué sur PS2.
Code : Veronica est par exemple l’un des mes
Resident Evil préférés, avec son histoire en deux
temps qui donne la sensation d’avoir deux titres
pour le prix d’un. Je me souviens aussi avoir été
fasciné par ma première rencontre avec Rez, et
avoir été choqué en voyant Ecco tomber du ciel
et s’écraser sur de vertes collines dans le niveau
Hanging Waters de Defender of the Future.
Il est sympa ce jeu, soit dit en passant, avec son
scénario empruntant à Pierre Boulle et abordant,
dès la toute fin des années 2000, la question de
l’antispécisme. Ça vaudrait le coup de le refaire
d’ailleurs, et d’en parler dans un futur Try Again.
Rien que pour ce jeu (et aussi pour l’objet culte
que représente la Dreamcast), je pourrais moi
aussi faire le tour des brocantes, dans l’espoir
d’y dénicher une console d’occasion. Une qui
fonctionne, tant qu’à faire.
JV HS Génération Dreamcast | 127
 Guilty Gear X Project Justice: Rival Schools 2

Wetrix+

Bust-A-Move 4 SoulCalibur

Stupid Invaders South Park: Chef’s Luv Shack

128 | JV HS Génération Dreamcast

 Heaven or Hell,
Let’s rock !
par Sophie Krupa
h enfin ! Depuis le temps que j’attendais !
Tout ce temps à entendre mes camarades,
tombés à l’époque sous le charme de la
Playstation 2, railler ma console fétiche,
se moquer de ma si chère amie. Le
moment est donc enfin venu de vous
parler de MA Dreamcast. En 1999,
l’année de sa sortie, je suis arrivée à
Paris pour y faire mes études. Moi
qui avait laissé tomber une
classe prépa pour arriver en
école d’arts, je découvre à ce
moment-là une ressource jusqu’alors inconnue : le
temps libre. Un pote, vendeur chez Micromania
et pourvoyeur de bons plans, cherche à revendre
sa Dreamcast au profit d’une PS2 en import
japonais. J’accueille la bête avec bienveillance et
une pile conséquente de jeux. Fan de beat them
all, genre tombé en désuétude avec l’arrivée de la
3D, je me rabats sur le versus fighting. Un titre
semble alors être fait sur mesure pour moi : Guilty
Gear X. Belle 2D, gameplay nerveux, combattants
charismatiques tranchant avec les sempiternels
héros Capcom ou SNK, c’est surtout pour son
univers ultra rock que le jeu me séduit. Les noms
des persos sont inspirés de groupes célèbres
(Venom, Testament, Axl Low…) et la B.O. reçoit
à l’époque des critiques élogieuses. Si ça vous
tente, tapez donc « Guilty Gear X Heavy Rock
Tracks » dans votre moteur de recherche préféré
et vous aurez une idée de l’ambiance sonore dans
laquelle ce hors-série a été maquetté. Côté baston
J’AI LA CHANCE DE
DÉCOUVRIR LE POINT
& CLICK AVEC STUPID
INVADERS. C’EST DRÔLE
ET GENTIMENT CRADE.
3D, j’use quelques manettes sur le sympatique
Project Justice: Rival Schools 2, un jeu en équipe
de trois se faisant affronter différents clubs
de sports lycéens. Mais celui qui me réconcilie
une bonne fois pour toutes avec la 3D, c’est le
fantastique SoulCalibur. Moi qui n’ai d’ordinaire
jamais la patience d’aborder le côté technique de
ce genre de jeux (oui, j’aime juste quand ça bourrine,
quoi…), je passe un temps fou à peaufiner la maîtrise
de mon perso fétiche, Siegfried, le chevalier à la
zweihänder démesurée. Pour reposer mes pouces
meurtris par tant de combats, j’investis dans une
petite collection de puzzle games, comme Mr Driller
(descendant coloré du hit arcade Dig Dug), Bust-
A-Move 4 (titre européen de Puzzle Bobble 4),
ou le moins connu Wetrix+. Le principe ici est de
modeler un paysage en 3D isométrique à l’aide de
pièces fournies aléatoirement dans le but d’éviter
que l’eau ne déborde. Malgré une DA assez laide,
même pour l’époque, le jeu est rapidement prenant.
Outre la baston et les puzzles, je dois confesser
une autre passion. Là où d’autres entrent dans
l’âge adulte à la naissance d’un siècle plein de
promesses et rêvent de façonner un futur radieux,
moi je kiffe les dessins animés moches et débiles.
Une fois de plus, la Dreamcast me gâte. J’ai la
chance de découvrir le point & click avec Stupid
Invaders, tiré de l’univers des Zinzins de l’Espace.
C’est drôle et gentiment crade, un fleuron de la
culture française. Mais la palme de l’irrévérence
et de la grossièreté est à l’époque décernée à la
toute jeune série South Park, déclinée ici dans le
party game South Park: Chef’s Luv Shack, une sorte
de Trivial Pursuit sans le Pursuit. En toute honnêteté,
le jeu est assez mal fichu. Il réussit même l’exploit
d’être moins bien animé que la série. Mais je garde
le souvenir ému de parties improbables ponctuées
de fous rires gras, gage des meilleures soirées.
Ma Dreamcast finira par mourir d’une lentille
fatiguée, comme bon nombre de ses congénères.
Dans mon salon trôneront une GameCube, puis
une Wii, une Xbox 360 et une Wii U. Mais mes
jeux Dreamcast sont encore soigneusement
rangés dans ma bibliothèque, attendant que
je me décide enfin à racheter une bécane.
JV HS Génération Dreamcast | 129
 Je ne voulais pas que Sega
arrête de faire des consoles.
Dans le fond, je sais que si
cette décision n’avait pas
été prise, Sega aurait coulé.
Mais je me dis aussi, merde,
on aurait dû prendre ce risque.

Yuji Naka
co-créateur de Sonic et ancien président de la Sonic Team

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