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© 2019, Société d’édition Les Belles Lettres,


95, bd Raspail, 75006 Paris.

ISBN : 978-2-251-91205-9
INTRODUCTION

L’histoire de la forêt s’écrit le plus souvent au long cours, les arbres ne


poussent pas différemment selon les périodes historiques dirait-on en
simplifiant. Mais on le sait, les bois, les forêts, les haies, résultent
profondément de l’action humaine. Et celle-ci peut se développer sous
différentes facettes et avec plus ou moins d’importance en fonction du lieu
et du moment. Même s’il peut paraître assez artificiel, voire sembler
restrictif, de traiter de la forêt dans un espace chronologique tel que le
millénaire médiéval qui s’étend du Ve au XVe siècle, il s’agit pourtant d’une
volonté délibérée qu’il nous faut justifier. Il nous est également impossible
d’envisager l’étude de tous les espaces boisés connus. Nous avons décidé
de nous limiter au royaume de France médiéval mais en repoussant les
limites orientales en direction des grandes régions boisées de la Lorraine,
du comté de Bourgogne, voire de façon plus septentrionale vers la Belgique
actuelle qui, de toute façon au Moyen Âge, était en partie d’obédience
française. Cette période présente des particularités au regard du monde
forestier à travers l’anthropisation, c’est-à-dire les agissements de l’homme
vis-à-vis de ces espaces. Finalement, la forêt médiévale a un sens.
Et en premier lieu dans l’imaginaire où elle a une place importante par le
biais de la littérature qui foisonne de mentions des lieux boisés. La forêt
peut alors être « merveilleuse » au sens médiéval, c’est-à-dire inquiétante.
C’est un monde sauvage par opposition au monde civilisé. Mais c’est aussi
un lieu d’accomplissement de faits héroïques. La forêt contient donc une
symbolique très importante. Symbolique qui se manifeste également à
travers le religieux sous des aspects divers, que ce soit sous la forme d’un
espace dangereux ou celle d’un espace rédempteur.
Pourtant, les hommes du Moyen Âge ont abondamment exploité ces
espaces sauvages. La réalité de cette occupation, de l’utilisation de la forêt
doit donc être appréhendée avec l’aide d’autres sources, non plus seulement
littéraires.
Il en existe une multitude qui nous montre la coupe, le pâturage, la chasse
dans des approches plus techniques, plus gestionnaires. Bien qu’ayant déjà
connu des périodes de recul et d’exploitations antérieures, c’est au cours du
Moyen Âge qu’une utilisation réellement prédatrice des espaces boisés va
se mettre en place dans une dimension jusqu’alors inconnue. L’énergie que
représente le bois a participé autant que les défrichements, si ce n’est plus,
au très important retrait du monde boisé à ce moment-là. L’espace forestier
du Moyen Âge est exploité par les puissants qui octroient des droits
d’utilisation afin d’en retirer des profits. Ils y installent également un cadre
administratif instaurant des usages codifiés qui apportent en sus des recettes
judiciaires en cas de transgression. Si l’histoire se définit par l’existence de
l’écrit, on s’aperçoit pourtant de plus en plus que la connaissance du passé
ne peut se limiter à l’étude des textes. Les travaux de terrain comme
l’archéologie, les études paléoenvironnementales enrichissent notre
perception du passé. Croiser ces études novatrices et les connaissances
issues des textes permet de s’approcher au plus près d’une réalité qui nous
échappe bien souvent.
Mais la forêt ne doit pas s’appréhender uniquement comme un concept dans
une approche globale. Modalités d’exploitation, d’occupation humaine, de
gestion peuvent se révéler différentes géographiquement, où l’on peut
distinguer des espaces diversifiés en raison des localisations et des
contraintes.
Le Moyen Âge est sans doute la période la plus apte à permettre cette
synthèse entre une vision symbolique, la forêt rêvée, imaginée, et la réalité
d’une utilisation qui fut fortement prédatrice. Jamais plus dans l’espace
français, comme d’ailleurs dans celui de l’Europe occidentale, les espaces
boisés n’ont reculé autant et de façon aussi rapide. Et face à cette évolution,
une prise de conscience paraît avoir eu lieu, faisant jour aux prémices d’une
volonté de préservation.
La forêt au Moyen Âge :
légendes et usages
Andrée Corvol-Dessert

Dans les temps anciens, les forêts « domaniales » représentaient la part


essentielle du patrimoine sylvicole – surface et peuplement. Elles
contribuaient largement aux revenus des souverains, des royaumes barbares
établis sur les ruines de l’Empire d’Occident et du royaume de France
lentement agrandi des Mérovingiens aux deniers Valois. Tribunaux
spécialisés et dispositions multiples fleurirent, qui concernaient la
préservation des massifs et du gibier, l’exploitation des arbres et des mines.
Tous les monarques tentèrent à des degrés divers – annexion et confiscation,
suggestion et proposition – d’étendre ces mesures aux forêts des vassaux,
nobles ou manants, laïcs ou clercs. La structure pyramidale de la société
facilitait l’empiètement : le pouvoir royal affirmait ses prérogatives
judiciaires tout en contrôlant les réserves ligneuses, épargnes sur pied
destinées à financer des opérations ou à assurer des approvisionnements.
Ces forêts, dont l’importance manifestait la puissance des dominants,
étaient inséparables de leur assise territoriale et de leurs recettes
budgétaires. Deux facteurs jouaient. Grâce à elles, les maîtres attiraient des
colons en concédant des droits d’usage : en échange, ces usagers cultivaient
les parcelles offertes, le concessionnaire réalisant les investissements
nécessaires. Grâce à elles, ils encaissaient des revenus substantiels – coupes
régulières ou extraordinaires – qui étaient supérieurs à ceux des redevances
usagères. Pourtant, souvent, le miel et la cire rapportaient plus que le bois,
la desserte par voie d’eau étant hasardeuse, voire inexistante. C’est dire
qu’au Moyen Âge la plupart des systèmes forestiers fonctionnaient en
autarcie, les matériaux obtenus étant travaillés au sein des massifs ou dans
les hameaux voisins. En tout cas, quand le Trésor était vide, les princes
gageaient leurs emprunts sur le produit des coupes, quitte à céder les
terrains lorsque l’endettement n’était plus maîtrisable, situation fréquente au
lendemain des guerres.
Les forêts semblaient immuables, mieux, inépuisables : la générosité
naturelle rétablissait celles que les hommes, trop nombreux, avaient
excessivement sollicitées. Pourtant, mille ans (Ve-XVe siècle), c’est long, très
long : dans cette durée, maints événements politiques affectèrent la
répartition de la population et ses exigences ; maintes évolutions
climatiques, imperceptibles, modifièrent la date des récoltes, la carte des
cultures, la nature des plantes. Bref, comme dans Macbeth, les forêts
« bougeaient », d’où l’inquiétude croissante que suscita le défrichement
constaté. En fait, au XIIIe siècle comme au « beau » XVIe siècle (1500-1560),
la « crise forestière » n’était que la reconquête incomplète de parcelles
délaissées : envahies par les essences pionnières, elles étaient remises en
culture eu égard à l’arrivée de nouveaux occupants.
C’est donc à tort que les historiens rapprochent pénurie ligneuse et activité
législative, cette dernière répondant aux problèmes que posait la première,
phénomène occasionnel. C’est perdre de vue qu’en début de règne, il est
toujours bon de ressusciter les textes tombés dans l’oubli ou restés en sursis.
Sur ce sujet, la recherche a rectifié les conceptions héritées de
MM. Bechmann et Devèze : les noyaux boisés résistèrent aux
défrichements – la majorité était périphérique – car les densités humaines,
modestes jusqu’aux années 1830, autorisaient la maintenance du capital
forestier. En fait, phases d’extension et phases de contraction alternaient,
celles-ci accompagnant les périodes où la pression des hommes augmentait
les besoins en terre.
Les populations privilégiaient les essences qui repoussent bien de souche,
taillis à rotation rapide en bordure de finage : on charbonnait tout ce qui
échappait au chauffage, la carbonisation allégeant la matière ligneuse, ce
qui permettait de la transporter à un ou deux jours de marche des places à
charbons ; on nourrissait bovins et ovins dans les étendues assez claires
pour que l’herbe y poussât dru et, au besoin, on abattait, on étouffait, on
étranglait, bref on « charmait » les arbres dont le volume interceptait la
lumière. Ainsi, les bois étaient très jeunes et très feuillus, convenant tout
autant à l’agropastoralisme qu’aux « bouches à feu » énergivores. Ces bois
nourriciers et industriels, où retentissaient cris et interpellations, loges et
ateliers ne manquant pas, constituaient un univers familier, contrairement à
la sylve, objet des mythes, des contes et des frayeurs. N’échappait-elle pas
au système usager ? Trop loin des habitations, elle était vide d’hommes et,
par là, étrangement silencieuse : on n’y venait pas quérir des herbes et des
feuilles, des baies et du bois, menus travaux qui rythment les saisons et
ornent les livres d’heures aristocratiques. Les villageois la redoutaient en
raison de la distance et des interdits : couper un arbre, tuer une bête était
lourdement sanctionné. Aussi les récits de veillée en faisaient-ils le
réceptacle des sortilèges. Tout, absolument tout, était possible : converser
avec un démon ou un lutin, un sage ou un brigand.
Ainsi, les forêts de légende, Brocéliande ou Sainte-Baume, cachaient des
êtres d’exception : vieillards philosophes ou chasseurs sacrilèges, princesses
charmantes ou sorcières hideuses, dragons cracheurs de feu ou fauves
sanguinaires. En étaient exclus les animaux de compagnie, hormis des
chiens semblables à Cerbère, mais aussi les bêtes de somme, à l’exception
des mulets chargés d’or ou de sel. Les zones à portée de voix étaient seules
touchées par l’élevage domestique : celui-ci modifia le couvert, la hauteur
au garrot fixant celle des branches, et l’appétence des feuilles, l’attractivité
des essences. Pourtant, si l’entrée des troupeaux affectait la forme des tiges
et l’état du recrû, la présence des ongulés avait un impact non négligeable.
Car, les nobles chassant beaucoup, les parcs à gibier concentraient les
cervidés capturés ou nés dans l’enclos. Relâchés, ils permettaient
d’organiser une chasse prestigieuse ou, plus simplement, de regarnir le
territoire cynégétique. Inutile de préciser que les riverains déploraient cette
pratique : les récoltes souffraient de l’excès de gibier.
Reste le débat relatif à l’interprétation des enluminures et des tapisseries : à
la différence des livres illustrés et des fresques murales, les tentures
remontent rarement au-delà du XIVe siècle, rescapées des changements de
décors et de châteaux. Ces représentations correspondent-elles aux réalités
successives ? Rien n’est moins sûr. Elles étaient doublement biaisées : par
les modèles, que partageaient diverses écoles, et par les commandes, qui
reflétaient la mode d’un milieu et d’une région. L’iconographie mêlait
éléments réalistes et éléments symboliques. Réunissant futaies
mystérieuses, cités improbables, paysages utopiques et animaux
extraordinaires, elle révélait l’imaginaire collectif : les détails étaient exacts,
mais l’ensemble, fantasmé.
Aujourd’hui, la vénerie évoque théâtre classique et règle des trois unités :
temps, lieu, action. Pourtant, longtemps, le « courre » fut une chasse parmi
d’autres, l’aristocratie le considérant comme un entraînement militaire et un
divertissement sophistiqué : l’adjectif « noble » signifiait que les bêtes
« noires » (sanglier) ou les bêtes « rousses » (chevreuil) lui étaient
réservées. Car leur tempérament – agressivité, rapidité, habileté – en faisait
des combattants capables de rivaliser avec cette noblesse chevaleresque :
celle-ci n’avait jamais l’assurance d’en triompher, sa victoire se mesurant à
la beauté du trophée, peau de bête ou bois de cerf. Avec les conflits qui la
menèrent jusque dans la péninsule italienne, la noblesse découvrit le
Quattrocento : dès lors, les Valois, amateurs de chasse et de beaux-arts,
préférèrent le cerf au daim ou au chevreuil, récupérant de la sorte le modèle
médicéen et, à travers lui, les pratiques romaines.
Le cervidé, maître de la forêt comme le monarque de ses sujets, présentait
plus d’une ressemblance avec le comportement aristocratique. Comme lui,
terriennes, la royauté et la noblesse contrôlaient un espace. Comme lui,
guerrières, elles combattaient ennemis et concurrents. Bien évidemment,
désarmé, le cervidé n’était pas poursuivi. Au printemps, saison où
reprenaient les mondanités, il hantait les futaies claires pour ménager ses
refaits. En été, saison où reprenaient les expéditions, il était le chef de
harde. Aussi incarnait-il le renouveau, promesse de récoltes et de richesses
chez les Celtes et les Germains, les Grecs et les Latins.
La religion chrétienne exploita cette image positive. Le Messie, qui portait
la parole divine, fut comparé au cerf blanc et lorsqu’Il répandait le pardon
divin, Il le fut au cerf nouveau. L’animal humilié l’hiver, souverain sans
couronne, la retrouvait au printemps : ce fut le Fils de Dieu, crucifié comme
un esclave, la tête ceinte d’une couronne d’épines, qui revint d’entre les
morts avec le nimbe du martyr. Ainsi, la croix de lumière brillait entre ses
bois, rappel de ceux de la Croix. Dans les contes de veillée, le monarque
égaré le croisait au détour d’un chemin : enfin, il trouvait la voie du salut.
L’iconographie exploita largement La Légende dorée, ses « Vie de saint
Eustache » ou « Vie de saint Hubert », agenouillés devant le cerf crucifère.
Les fléaux du XVe siècle donnant idée de l’enfer sur terre, la propagande
royale utilisa l’hagiographie religieuse ; elle préféra le cerf blanc au sanglier
blanc, omniprésent pourtant dans les légendes celtiques, scandinaves et
germaniques. Mais, lié à des contrées restées longtemps païennes, il
renvoyait au châtiment des malfaisants, lui qui les menait droit vers le
monde obscur. Cela correspondait davantage au Dieu courroucé de l’Ancien
Testament qu’au Père aimant du Nouveau. Or l’époque, terrible, réclamait
pitié et douceur : Marie intercédait auprès de lui pour sauver les pécheurs.
Figure aimante qui console chacun de ses souffrances, la Mère rayonnait
dans les feuillages, apparition miraculeuse que rappelait le prieuré, le
couvent bâti dans ce « désert » qu’était la forêt.
Havres de paix dans un monde de peurs, le monastère était dédié à Notre-
Dame et la clairière devenait village. Cela permettait de purifier le culte des
arbres tout en ménageant la ferveur des peuples. On n’était plus à l’époque
de saint Éloi, évêque de Noyon, qui fit brûler les arbres sacrés de la forêt de
Cuise (641) : les Francs de Chilpéric Ier (539-584) honoraient en eux les
divinités forestières qui y logeaient. Entre ce VIIe siècle et la Contre-
Réforme, mille ans passèrent, qui n’apprirent pas la tolérance mais la
manière de détourner un culte au service du pouvoir.
Ainsi, à Montaigu, localité brabançonne, la Vierge surgit des branches
qu’éclairaient les derniers rayons du soleil. Au XIIIe siècle, émerveillés, les
bergers placèrent sa statue sur le chêne afin que tous la voient. L’arbre
draina la foule des environs puis de l’étranger. Et comme les pèlerins
souhaitaient rapporter un souvenir, le chêne de Montaigu pâtit de leur excès
d’amour. Constatant que l’arbre mourait, l’évêque de Malines décida de
l’abattre et d’ériger un sanctuaire : cinq statues de la Vierge furent taillées
dans le bois sacré. L’une d’elles fut offerte aux habitants de Bargemon
(Var). La délégation provençale repartit avec le précieux cadeau, édifia un
oratoire au plus haut du village, site qui rappelait Montaigu, et baptisa
l’édicule… Notre-Dame-de-Montaigu. L’endroit était désertique : montagne
escarpée et espace forestier, mais hospitalier. Caractère déterminant : au
moindre danger, les paysans couraient vers la forêt, à défaut d’une bastide
dans les parages. Au fond des bois, ils savaient pouvoir survivre. N’était-ce
pas ce que la religion enseignait : retenir l’essentiel et abandonner l’inutile ?
Ce fut le conseil que saint François d’Assise retint de l’Évangile : « Si tu
veux être parfait, va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres, et tu auras
un trésor dans les cieux. Après cela, viens et suis-moi » (Matthieu, XIX,
21). Voyageur sans bagages, il pratiqua l’ascèse : refuser la viande, c’était
ne plus chasser ; mortifier sa chair, c’était préparer l’au-delà ; renoncer à ses
désirs, c’était devenir une feuille flottant au gré du vent et de l’eau. En
résumé : communier avec la nature.
Ainsi, tout opposait le solitaire à l’aristocratie : végétarien, il vivait de peu
et manquait de tout, mais le spectacle de la nature lui suffisait, puisqu’elle
était création divine. En milieu boisé, les communautés monastiques, issues
parfois d’une organisation érémitique, en gardaient certains aspects, par
exemple remplacer la viande par le poisson, d’où l’établissement d’étangs à
proximité de leurs maisons. À titre d’exemple, sur le ru du Berne, les
célestins du Mont-de-Châtres creusèrent le vivier Frère-Robert en amont de
l’étang de l’Ortille, possession de l’abbaye de Royallieu, au-dessus du
confluent avec l’Aisne. En 1376, celle-ci en perça un autre au Petit-Pinsier,
dix hectares près de Béthisy-Saint-Pierre, au-dessous de Néry. Cent ans plus
tard, le roi céda cinq hectares aux célestins pour qu’ils en fassent autant. On
le voit, l’aménagement des eaux ne saurait être séparé de
l’approvisionnement des couvents.
La biographie des fondateurs insistait sur l’hostilité du territoire : elle
participait à leur exemplarité comme en témoigne la cabane de saint Evroul
en forêt d’Ouche (Orne), « si misérable qu’elle ressemblait à la hutte d’un
berger ». Assurément, c’étaient des athlètes de la foi, qu’ils eussent
vocation contemplative ou vocation missionnaire. L’habitat était sommaire,
le solitaire dormant à même le sol dans son oratoire, ce que fut la chapelle
Saint-Maur dans le massif de Brotonne (Seine-Maritime). Au fond, les
forêts furent des « déserts peuplés d’anachorètes » : saint Basile dans celle
de la Montagne de Reims (Marne), saint Gobain dans celle du Soissonnais
(Aisne), saint Norbert dans celle du Laonais (Aisne)…
Ces abris n’évoluèrent guère des implantations médiévales (Ve-VIIIe siècle)
au réinvestissement catholique (XVIe-XVIIe siècle). On ne saurait traiter mille
ans d’histoire forestière sans noter le changement d’image forestière : les
espaces sauvages, domaines des monstres et des fauves, finirent par intégrer
cultures et culture sous l’effet de l’acculturation religieuse. Les ermites, qui
montèrent jusque dans la haute vallée de l’Orbe (Jura), précédaient les
abbayes de plusieurs siècles, construction qui annonçait la venue des
paysans quelques années après. Certes, l’entreprise était économique, mais
ce qui persista, c’est le sentiment que la forêt ressource les hommes : les
contingences matérielles n’y pèsent plus. Aujourd’hui, cet héritage est
problématique : comment parler des forêts en termes d’emploi, d’argent ?
Autrefois, l’approche mystique n’empêchait pas les terrains à défricher et
les mines à exploiter. Mais comme les contemporains condamnent
volontiers la coupe des arbres, ils rêvent d’une nature sanctifiée qui
appartiendrait et profiterait à tous.
Nommer la forêt
Aude Wirth-Jaillard

À l’aube de la période que nous définissons comme étant le Moyen Âge,


le territoire de ce qui deviendra la France connaît une situation linguistique
composite. La conquête de la Gaule par les Romains et l’intégration
progressive ou l’adaptation de certains aspects de la civilisation romaine,
notamment de son système administratif, sont à l’origine de l’adoption de la
langue latine. Le gaulois n’est plus guère en usage que dans des zones
reculées, situées à l’écart des grands axes de communication ; il finira par
disparaître totalement au VIe siècle ; la langue basque, en revanche, est
parvenue à se maintenir. L’arrivée de populations germanophones, à partir
du IIIe siècle, est quant à elle à l’origine d’emprunts lexicaux, en nombre
très réduit d’abord, puis plus important ; la majorité aura lieu au cours du
Ve siècle, durant l’expansion des Francs1.
La période médiévale voit le latin parlé évoluer et se différencier
progressivement en langue d’oïl, langue d’oc et franco-provençal. Chacune
se réalise dans une langue parlée et dans une langue écrite qui est loin d’être
totalement asservie à la première ; l’une comme l’autre connaissent
d’importantes variations en fonction de l’époque bien sûr, mais aussi de
l’aire géolinguistique, des situations de communication, des types de textes
et du récepteur visé, des individus parfois, etc. En parallèle, le latin
demeure la langue d’un grand nombre de documents rédigés durant cette
période.
Ces différents langues et parlers ont eu à nommer la forêt. Les
désignations de cette dernière n’ont donc pu être que multiples et
évolutives.
Breuil
Issu du gaulois *brogilos, dérivé de brogæ « champ », le mot du latin
tardif brogilus a le sens de « bois clôturé servant de réserve de gibier » ; il
est attesté notamment dans le capitulaire De Villis. En français, il a abouti à
breuil qui a pour sens, en ancien et en moyen français, « bois, taillis fermé
(de murs ou de haies), fourré (servant de refuge aux bêtes)2 ».
Latin saltus
Le saltus désigne, en latin, une région d’entre-deux, inculte, présentant, de
façon discontinue, des bois et pacages notamment ; il s’oppose à l’ager, la
partie du territoire habitée et mise en valeur par l’homme, et à la silva, la
forêt dense et sauvage3. Le mot conserve ce sens au début du Moyen Âge,
tout en favorisant l’évolution d’un autre, forestis : « Globalement, le saltus,
avec ses richesses végétales, animales, minérales, appartenait au fisc, c’est-
à-dire au domaine public, suivant un droit romain que les Mérovingiens
reprirent à leur compte, contribuant même à répandre à partir du VIIe siècle
le mot nouveau de forestis (forêt) pour désigner l’ensemble des anciennes
silvæ désormais considérées comme des réserves royales. N’empêche qu’au
Ve siècle le saltus restait ouvert à tous ceux qui, munis ou non d’une
concession impériale, voulaient en exploiter les ressources4. »
Ce mot serait resté productif jusqu’à l’époque mérovingienne au moins en
Gaule du Nord. S’il n’a pas de continuateurs dans les langues gallo-
romanes médiévales, il est à l’origine, au pluriel, du toponyme Saulx, chef-
lieu de canton dans le département de la Haute-Saône, attesté en 1130
environ sous la forme apud Saltus5.
Latin silva
Le latin employait principalement trois mots pour désigner la forêt ou le
bois à proprement parler. Un grammairien de la fin du IVe siècle, Servius,
dans son commentaire de l’Énéide, donne quelques précisions sur leurs
principaux sens respectifs : le lucus est un ensemble d’arbres présentant une
dimension religieuse, le nemus un ensemble d’arbres ordonné ; la silva est
quant à elle dense et vierge d’interventions humaines. Le premier se voit
donc attribuer une dimension sacrée par les hommes ; le deuxième est
maîtrisé par ces derniers ; la silva, elle, demeure sauvage6.
Apparenté au grec ancien ὕλη (hylê) ayant les sens de « bois, forêt,
arbre », le substantif latin silva présente également une signification large
puisqu’il désigne aussi bien, au singulier, une forêt ou un bois qu’un parc
ou un bosquet, et, au pluriel, des arbres, des arbustes ou des plantes. En
français, ce terme aboutit à selve (à partir de 1100 environ) puis à silve
(XIIIe-XVIe siècle) avant de sortir de l’usage courant, remplacé par forêt et
bois. La langue littéraire l’emploie de nos jours sous la graphie sylve7.
Sur silva ont été formés les adjectifs latins silvaticus, « qui est fait pour le
bois », et silvestris, « de forêt ; couvert de forêt ; qui vit dans les forêts ou
leur appartient ». Le premier, à travers la variation salvaticus, attestée au
IVe siècle, a abouti à salvage (début du XIIe siècle) puis sauvage (à partir de
1175 environ), qualifiant d’abord un animal qui vit en liberté dans les bois,
mais aussi les déserts, etc. ainsi qu’un homme vivant à l’écart de certaines
formes de civilisation, et par conséquent considéré comme rude ou grossier,
ou un étranger. L’idée de violence apparaît peu après, au tout début du
XIIIe siècle. Silvestris et ses aboutissements de l’ancien français
sevestre/sovestre ont suivi une évolution globalement comparable, à
l’exception notable de la férocité qui ne se retrouve que bien plus tard, et en
normand. Silvestre, réfection à partir du latin datant du XIIIe siècle, se
substitue lentement à lui et, par ses emplois, semble témoigner d’un
changement de vision sur la forêt à cette époque : pour cet adjectif en effet,
seuls les sens de « qui est dans les bois, qui vit dans les bois » et « qui n’est
pas cultivé, sauvage » peuvent être relevés. La forêt n’est plus le domaine
de la sauvagerie ou de la férocité8.
Forêt
C’est un syntagme du bas latin, [silva] forestis (de forum, « tribunal »),
qui est à l’origine de forêt. Encore attesté dans les capitulaires de
Charlemagne, il désigne d’abord une forêt royale, un territoire de chasse
réservé au roi, puis un territoire soustrait à l’usage général et dont le roi se
réserve la jouissance9. C’est donc un terme de l’administration royale, et
qui a été diffusé par celle-ci. La première attestation de forestis, dans un
diplôme de Sigebert III, date de 648 ; c’est alors, semble-t-il, un
néologisme. « Son apparition doit être mise en rapport, sur le plan de
l’histoire des référents, avec les efforts déployés par les souverains
mérovingiens, dès la fin du VIe siècle et dans le courant du VIIe siècle, pour
se réserver comme biens royaux, sous le nom de forestis ou de silva
regis/regalis silva (par opposition à la silva communis), de vastes espaces
boisés hérités du saltus publicus romain. »10 La création d’un corps spécial
de fonctionnaires locaux, les forestarii, marque l’institutionnalisation du
système des forestes à partir de 670. Au VIIIe siècle, le système semble bien
établi.
Ce sens, précis, se maintient dans un premier temps dans la langue
française, avant de s’étendre aux forêts réservées aux représentants d’un
niveau de pouvoir inférieur au roi, celui des seigneurs, pour finir par
désigner tout terrain boisé vaste, quel que soit son usage ; en ancien
français, forest a en effet le sens d’« étendue de terrain boisé dont l’usage
est réservé au roi, à un seigneur » et, à partir du moyen français, celui de
« vaste étendue de terrain boisé »11.
Plusieurs dérivés ont été formés sur forestis/forêt. Forestarius/forestier,
« employé qui doit surveiller la forêt », en est un ; foresterie, « forêt où il
est défendu de chasser » (XIIIe-XIVe siècle), et forestage, « droit d’usage du
bois dans une forêt ; redevance due pour ce droit » (XIVe-XVIe siècle), en
constituent deux autres12.
Bois
Bois est un mot d’origine germanique, probablement issu de l’ancien bas
francique *bŏsk-, « buisson ». Attesté pour la première fois sous sa forme
latinisée boscus dans un diplôme de Childebert IV datant de 704, il devient
fréquent avec le sens de « terrain boisé » à partir de la première moitié du
IXe siècle, particulièrement dans l’ouest et le sud du domaine gallo-roman.
En français, il est attesté avec le sens de « réunion d’arbres qui couvrent un
certain espace » depuis 1080 environ13.
Ce substantif a été particulièrement productif, tant dans sa signification
que dans ses dérivés. Son sens s’est nettement étendu : en ancien et moyen
français, il désigne également une chasse au gros gibier, dans les bois ; de
l’ancien français jusqu’à nos jours, il est employé pour nommer la surface
dure des arbres et le bois de chauffage. Parmi ses très nombreux dérivés,
certains dénomment différents types d’ensembles d’arbres ou des endroits
boisés ; c’est le cas pour bocage, « lieu boisé, fourré, petit bois » (depuis
1138), et le nom féminin de l’ancien français boisiere, « lieu couvert de
bois ». Il est également à l’origine de dérivés aux significations parfois
assez éloignées de son sens original : boquillon, buisson, bouquet, bouchon,
etc14.
Latin nemus
Nemus et ses dérivés présentent un cas particulier. En latin classique, le
premier possède deux sens principaux : celui de « forêt renfermant des
pâturages, bois », le plus fréquent, et celui, secondaire, de « bois consacré à
une divinité ». Les sens « arbre » et « vignoble », quant à eux, sont
poétiques. Les adjectifs nemoralis et nemorosus ont pour leur part les sens
de « de bois, de forêt » pour le premier, « couvert de forêt, boisé », parfois
« épais (en parlant d’un bois) » et « touffu, feuillu », pour le second15.
Contrairement à forestis, nemus (ainsi que ses dérivés) ne fait pas partie
du lexique héréditaire : il ne s’est pas maintenu dans les évolutions du latin
vers les différentes langues romanes. Il n’a pas non plus été emprunté de
façon durable par des langues en contact avec le latin. Ce n’est pas pour
autant qu’il est totalement absent de la langue française : il a tout de même
connu dans celle-ci une postérité, il est vrai limitée et ponctuelle, à travers
plusieurs emprunts effectués durant le moyen français. Nemoreux, adjectif
ayant le sens de « où il y a beaucoup de bois », apparaît ainsi sous la plume
de Georges Chastellain vers 1460 : « l’acteur perçoit aujourd’hui la terre
françoise estre arbuste, durement pleine de superfluités nemoreusses, non
bien cultivées et moins encore proufitables à comunne salut16 » ; c’est un
emprunt avec francisation de nemorosus. Nemora, le pluriel de nemus, est
quant à lui à l’origine de nemore, substantif féminin signifiant « forêt » et
qui apparaît dans la deuxième édition, datant de 1531, de la traduction
française du Miroir historial de Vincent de Beauvais effectuée par Jean de
Vignay (né vers 1283, mort probablement après 1340). Une tortue qui vit
dans les bois a quant à elle été nommée par le syntagme tortue nemorale,
notamment dans certains écrits de Charles Estienne et de Guillaume
Bouchet (seconde moitié du XVIe siècle), puis par le substantif féminin
nemorale dans le dictionnaire de Cotgrave (1611)17. Ce sont là des
formations savantes, forgées à une époque, le moyen français, de grande
créativité lexicale marquée notamment par les latinismes18 ; comme un
grand nombre de ces néologismes, elles ne se sont cependant pas
implantées de façon durable dans la langue.
S’il ne s’est pas maintenu dans le lexique héréditaire, nemus est cependant
familier des médiévistes ; son usage est en effet très fréquent dans les textes
en latin, quels qu’ils soient : chartes de natures très diverses, registres des
arrêts, documents comptables, lettres de rémission, etc. emploient
régulièrement ce terme pour désigner une forêt, sans pour autant que ce
choix ne se justifie par une différence sémantique entre lui et d’autres
termes comme forestis. À défaut de se maintenir ou de se réinsérer dans la
langue vernaculaire, nemus a donc continué à être largement employé à
l’écrit, dans un usage que l’on peut qualifier de savant, probablement sans
solution de continuité depuis l’Antiquité alors même que cet emploi n’était
pas soutenu par l’usage, dans la langue vernaculaire, d’un mot constituant
son aboutissement héréditaire, et que, au contraire, il se retrouvait en
concurrence avec des synonymes dont le principal est assurément forestis.
Nemus témoigne ainsi du fait que la langue écrite a conservé au fil de ces
siècles une certaine autonomie par rapport à la langue orale, qu’elle ne lui a
pas été totalement asservie.
De la même façon, nemus apparaît dans de nombreuses attestations
anciennes de toponymes nommant des endroits boisés ; à notre
connaissance, il ne s’est pourtant maintenu jusqu’à nos jours dans aucun de
ces noms de lieux. Un exemple : Martinbois, commune d’Hériménil
(Meurthe-et-Moselle), est attesté, sans surprise, sous les formes Martinbosc
en 1130 et Marenbois en 1135 ; en 1147 et 1159, en revanche, il apparaît
sous les formes Martini nemus et Martius nemus, avant de réapparaître sous
les formes (possessio de) Martinbois en 1163 et (grangia de) Martinbosco
en 1182. Les deux attestations centrales sont donc des traductions, et des
traductions qui n’ont pas eu d’influence notable sur la forme du nom de lieu
qui s’est transmise jusqu’à nos jours. Ce cas est un nouveau témoignage de
cette vie purement écrite et savante de nemus.
Latin lucus
Lucus désigne, en latin classique, le bois sacré, ou plus précisément la
clairière ouverte dans un bois ; en poésie, il peut aussi signifier « bois » en
général, sans dimension sacrée. En latin médiéval, son emploi se poursuit,
mais il est tout de même moins fréquent que la plupart de ses synonymes ; il
n’est d’ailleurs pas rare qu’il soit utilisé, dans un même texte, en
concurrence avec l’un d’entre eux19. L’ancien français de Champagne
connaît pour sa part luz, « bois, forêt » (1287-1340), qui ne se maintiendra
pas dans la langue ; le gascon a luc (nom masculin) et lugue (nom féminin)
qui ont tous deux le sens de « bois, clairière », tandis que le corse emploie
lucu, « forêt », et le basque luku. Le substantif luc, « bois (sacré) », attesté
ponctuellement dans la traduction française du Miroir historial de Vincent
de Beauvais effectuée par Jean de Vignay en 1333 est, comme pour nemore
cité ci-dessus, une formation savante calquée sur le texte-source et qui n’a
pas connu de postérité dans la langue20.
Germanique wald
Avec le substantif wald, « forêt », attesté notamment dans la loi salique, le
substrat germanique est à l’origine, dans les langues romanes, de gaut,
« forêt » en ancien et en moyen français, et de gau en ancien franco-
provençal ; il s’est conservé dans certains parlers régionaux de ces mêmes
aires. Formés avec le suffixe diminutif -ine, les mots d’ancien français
gaudine et d’ancien occitan gaudina désignaient pour leur part un bois21.
Autres formations
D’autres formations ont connu une diffusion plus restreinte. Le mot
gaulois juris, « forêt de montagne », ne s’est guère maintenu qu’en franco-
provençal, à travers joux, nom féminin attesté dès 1297 à Neuchâtel sous la
forme jour et employé de nos jours encore sous celle de joux dans les
montagnes du Jura et de la Haute-Savoie ainsi qu’en Suisse romande. Ce
type est bien représenté dans la toponymie, avec par exemple Joux,
commune de Saint-Laurent-en-Brionnais (Saône-et-Loire), dont le nom est
attesté dès le XIIe siècle (in nemore de Jugo, alias bois de Joux, après 1130),
ou Joux, forêt de La Burbanche (Ain) ; la première mention écrite identifiée
ne laisse pas de doute sur son origine : c’est un loci nemorosi que Jugum
vulgaliter vocantur, un « lieu boisé qui est appelé Jugum dans la langue
vernaculaire » (1239). Ce même substantif gaulois juris est également à
l’origine du nom de la montagne du Jura (Jura au milieu du Ier siècle chez
César, Juris au début du Ve siècle), dont la forme, qui n’est pas héréditaire,
trouve son origine dans un emprunt à la terminologie césarienne latine
effectué par les auteurs des cartes géographiques du XVIe siècle22.
Certaines formations témoignent quant à elles de la focalisation faite sur
une de leurs particularités. Celle-ci peut être leur clôture, comme pour haie,
en usage en moyen français avec le sens de « lieu, bois entouré de haies »,
« portion de forêt réservée au seigneur et circonscrite par une clôture », et
plaissis qui a signifié « terrain, en particulier forêt, clos d’une haie vive
entrelacée » entre le XIIe et le XVIIe siècle23 ; ce peut également être la façon
dont l’ensemble est géré : taillis, « petit bois d’arbres qui ont crû sur
souches et par rejetons, et qu’on coupe de temps en temps » (depuis 1216),
a ainsi été formé sur le verbe tailler24. Pour d’autres, c’est en fonction de
l’essence majoritairement représentée : la houssière est une forêt remplie
d’arbrisseaux comme le houx (mot attesté dès 1341), le faï (ancien
français), un bois de hêtre25. Une focalisation sur le fût de l’arbre est à
l’origine, en moyen français, de fustage et fustaie (aujourd’hui futaie), pour
désigner une forêt de grands arbres26.

Ce n’est donc pas la forêt que désignent ces différents termes, mais des
types de forêts ou de bois qui se distinguent les uns des autres, à une
période donnée, en fonction de critères divers. La différence, lorsqu’on
parvient à la saisir, peut trouver son fondement dans une particularité liée à
la possession et à l’utilisation qui est faite de cette forêt, comme pour la
forêt, qui constitue à l’origine une réserve de chasse à l’usage du seul
souverain ; elle peut aussi dépendre de caractéristiques géographiques ;
c’est le cas de la joux, forêt de montagne. Avec nemus, enfin, elle tient à
l’emploi purement écrit et savant du mot. Ces traits, on l’a vu, se modifient
avec les siècles ; certains s’effacent, d’autres apparaissent. Le champ lexical
de la forêt, comme la forêt elle-même, est un ensemble vivant qui ne cesse
d’évoluer au fils du temps.
CHAPITRE 1
La forêt dans la littérature médiévale
Hélène Gallé et Danielle Quéruel

Les Romains éprouvent envers les forêts une méfiance invincible : ne


sont-elles pas le lieu de tous les dangers, l’endroit où peut se cacher
l’ennemi ainsi que le repaire obscur de bêtes inconnues ? Ainsi, la lisière de
la forêt représente la frontière entre un monde civilisé et connu et un monde
sauvage et effrayant. Dans son Histoire romaine, Tite-Live décrit la forêt
ciminienne (au centre de l’Italie) comme un lieu « plus impénétrable et d’un
aspect plus effrayant, que ne l’étaient, dans ces derniers temps, les forêts de
la Germanie ; et jusque-là pas un individu, même parmi la classe des
marchands, n’avait osé s’y aventurer1 ». Les forêts germaniques elles-
mêmes ont inspiré aux Romains une terreur nourrie par le désastre de la
bataille de Varus (9 ap. J.-C.), où trois légions ont été décimées par des
Germains tirant parti de l’avantage stratégique que leur offrait la forêt sur
des légions romaines désorganisées par l’étroitesse de la route et un terrain
peu favorable. Suétone raconte le désespoir d’Auguste en apprenant ce
désastre inédit dans l’histoire des conquêtes romaines :
[La défaite] de Varus pensa être fatale à l’empire, trois légions ayant été massacrées avec le
général, les lieutenants et tous les auxiliaires. […] il en éprouva, dit-on, un tel désespoir, qu’il
laissa croître sa barbe et ses cheveux pendant plusieurs mois, et qu’il se frappait parfois la tête
contre une porte, en s’écriant : « Quinctilius Varus, rends-moi mes légions. » Les
anniversaires de ce désastre furent toujours pour lui des jours de tristesse et de deuil2.

Tacite rapporte de son côté l’émotion et la colère des soldats qui


découvrirent quelques années plus tard les ossements des leurs dans la
forêt :
[…] toute l’armée présente fut pénétrée de pitié, en pensant aux proches parents, aux amis et
aussi aux hasards de la guerre et au sort des humains. Cæcina fut envoyé en avant pour
explorer les profondeurs des forêts et établir des ponts et des chaussées sur les marais
imprégnés d’eau et les plaines à l’aspect trompeur ; puis ils pénétrèrent dans ces lieux
sinistres, aussi hideux par leur aspect que par les souvenirs3.
Quant à César, il évoque dans La Guerre des Gaules plusieurs forêts
immenses : la forêt hercynienne notamment – autrement dit la forêt
germanique, futur théâtre de la défaite de Varus – lui inspire une description
insistant sur son caractère extraordinaire, tant par son immensité que par la
faune mythologique qu’elle est supposée contenir4. Il dit aussi la méfiance
que lui inspire la forêt : plusieurs fois, il indique que les ennemis vont s’y
réfugier ou s’y cachent pour mieux attaquer5, tandis qu’il préfère faire un
détour pour que son armée progresse « par un pays ouvert6 », sans forêt.
Si les Romains voient dans la forêt un espace inquiétant, il n’en est donc
pas de même pour leurs ennemis, Gaulois ou Germains, qui trouvent dans la
forêt un refuge. Or, les invasions successives ont conduit ces trois peuples à
se confondre progressivement dans ce qui deviendra la France : César
envahit la Gaule au Ier siècle avant J.-C., tandis que les invasions
germaniques débutent au ve siècle après J.-C. Ces invasions et le
peuplement de la Gaule qu’elles impliquent marquent profondément la
langue française, d’origine latine avec un substrat gaulois et un superstrat
germanique. Il est vraisemblable que les mentalités, elles aussi, résultent de
la fusion progressive de ces trois peuples, ce qui amène à s’interroger sur la
perception médiévale de la forêt : est-elle le lieu de tous les dangers,
comme pour les soldats romains ? Ou est-elle un lieu sacré qui offre une
protection bienvenue ? Comment les textes médiévaux décrivent-ils la
forêt ?
Figure 1 : Lettre historiée
représentant des arbres, Historia naturalis Venetiis, Pline l’ancien, BnF, rés. S 415, 1472.

Les ouvrages savants : décrire et connaître la forêt


« Apprends tout et tu verras que rien n’est superflu. »
Hugues de Saint-Victor, Didascalicon7

Herbiers : des arbres et de leur représentation


Les ouvrages savants du Moyen Âge s’inscrivent dans une tradition
antique, qu’ils prolongent et enrichissent. La connaissance des plantes et
leur usage médical sont des pratiques aussi anciennes que répandues,
transmises par de nombreux textes. Par exemple, Pline l’Ancien, dans son
Histoire naturelle, consacre plusieurs livres aux végétaux (voir Figure 1). Il
distingue les herbes des arbres, et parmi ces derniers, les arbres exotiques
ou fruitiers, sauvages ou cultivés. Nombre d’entre eux, explique-t-il,
peuvent être utilisés comme remèdes. Preuve de l’intérêt permanent qu’on
lui porte, le texte de Pline est copié tout au long du Moyen Âge, puis
imprimé aux XVe et XVIe siècles. Dioscoride, médecin grec du Ier siècle, écrit
un ouvrage qui sera traduit en plusieurs langues (notamment en latin sous le
nom de De materia medica), lui aussi copié puis imprimé jusqu’au
XVIe siècle. Il y décrit toutes les ressources – minéraux, essences, racines,
herbes et arbres – permettant de soigner. Si certaines copies se contentent
du texte, d’autres vont très vite l’enrichir d’illustrations permettant de
reconnaître les plantes. L’un des plus beaux exemplaires est le Dioscoride
de Vienne, réalisé au VIe siècle pour la princesse byzantine Anicia Juliana :
il ne comporte pas moins de quatre cents illustrations, la plupart en pleine
page (voir Figure 2) !

Figure 2 : Plantes médicinales :


scopiure et vigne, De materia medica, Dioscoride, BnF, Gr. 2179, fol. 142, Ier s.

Ainsi ces ouvrages remplissent-ils deux objets : médical et botanique.


De nombreux recueils médiévaux reprennent ce principe, sous l’impulsion
de l’école de Salerne, école de médecine qui traduit et exploite de
nombreux manuscrits arabes (XIe-XIIe siècle) : les herbiers décrivent les
« simples », les plantes aux vertus médicinales, les antidotaires indiquent la
composition des médicaments8. Contrairement à l’usage moderne, les
propriétés des plantes ne sont jamais décrites sous un angle purement
médical, mais sont toujours associées à une interprétation symbolique ou
morale :
Le tilleul est ainsi qualifié dans l’Hortus sanitatis d’arbre « resplendissant en matière » et
« très noble ». Or le tilleul semble faire partie de ces arbres en tout point positifs, qui ne
présentent aucune tare. Loué pour ses qualités thérapeutiques, il l’est également pour son
aspect, son odeur, sa capacité à attirer abeilles et oiseaux : c’est un véritable arbre de joie, sous
le feuillage duquel peuvent prendre place fêtes et réjouissances9.
Figure 3 : Le persil et le pin, Livre des simples médecines, Platearius, BnF, NAF 6593, fol. 156 v° et
157 r°, XVe s.

Parmi les auteurs salernitains, Platearius compose le Circa instans


(XIIe siècle), traduit en français sous le titre de Livre des simples médecines,
progressivement enrichi de nouveaux articles et souvent richement illustré.
Car puisqu’il s’agit de soigner à l’aide des plantes, encore faut-il connaître
ces plantes. L’illustration s’attache donc à représenter herbes et arbres de la
façon la plus parlante possible, et non nécessairement réaliste. Les plantes,
de la plus petite à la plus grande, sont représentées avec un remarquable
souci du détail. Mais l’espace de la page n’étant pas extensible, l’arbre se
retrouve mis à l’échelle de la fleur ou de la plante aromatique. Dans un très
bel exemplaire datant du XVe siècle, le pin est, sur une même double page,
plus petit que le persil, tout simplement parce que l’enlumineur manquait de
place à la fin de la colonne pour représenter le pin (voir Figure 3). Un
manuscrit contemporain de la même œuvre, qui n’est pas confronté à cet
endroit au même problème matériel, propose du pin une représentation bien
différente (voir Figure 4). Le dessin des racines et du tronc, quelle qu’en
soit la taille, indique qu’il s’agit bien d’un arbre. Mais le dessin des
pommes de pin est intentionnellement disproportionné, afin de mettre en
évidence ce trait distinctif entre tous. De plus, dans le second manuscrit, les
branches sont remplacées par le détail des aiguilles de pin : ainsi une même
image contient la vue générale de l’arbre, et le gros plan, dessiné en détail,
qui permet de l’identifier à coup sûr10. L’illustration n’est donc pas réaliste,
au sens strict du terme, mais se veut pragmatique et efficace : il faut que le
lecteur puisse identifier facilement chaque espèce. L’image et le texte,
parfois superposés l’un à l’autre (voir Figure 5), s’entrelacent pour lui offrir
la connaissance des plantes11. Dans ces livres de science, qui sont aussi des
livres d’art, chaque copiste et chaque enlumineur renouvellent, à leur
manière, la transmission du savoir.

Figure 4 : Le pin, Livre des simples médecines, Platearius, BnF, Ms-2888, fol. 154 v°, XVe s.
Figure 5 : La sauge et le chêne à galles, De herbis et plantis, Manfred de Monte Imperiale, BnF, Lat.
6823, fol. 74, 1330-1340.

Encyclopédies : la forêt dans la Création


Ces livres de médecine botanique ne sont pas les seuls à envisager la
forêt, ou plus exactement les arbres de la forêt. D’autres ouvrages savants,
sur le modèle de l’Histoire naturelle de Pline, cherchent à décrire tout le
monde connu. En effet, les encyclopédistes du Moyen Âge ne s’intéressent
pas à la nature en tant que telle, mais à toute la Création : l’univers forestier
sera ainsi évoqué sous tous ses aspects, du monde végétal au monde animal
sans oublier les minéraux. Isidore de Séville, au VIIe siècle, compile tout le
savoir de l’Antiquité en s’appuyant sur les étymologies : nommer une
plante par son nom, c’est déjà la décrire, car le nom porte en lui-même une
senefiance. Mais l’âge d’or de l’encyclopédisme médiéval vient plus tard :
le XIIIe siècle est « une grande période de vulgarisation et d’organisation des
savoirs12 ». À cette époque, Alexandre Neckam, Barthélémy l’Anglais,
Thomas de Cantimpré et Vincent de Beauvais composent des sommes
décrivant l’ensemble de la Création divine : ces érudits sont non seulement
des enseignants qui propagent ainsi leur savoir, mais aussi des moines
soucieux d’offrir aux prédicateurs un outil de travail. Barthélémy structure
son œuvre du haut vers le bas, en commençant par Dieu (livre I) jusqu’aux
végétaux (livre XVII) et aux animaux terrestres (livre XVIII). Les arbres de
la forêt, sauvages, sont clairement distingués des arbres du verger,
domestiques. Aux arbres familiers du paysage occidental s’ajoutent les
arbres mentionnés dans la Bible. Il ne s’agit plus d’un savoir à mettre en
pratique, comme dans les herbiers, mais d’un savoir livresque, qui
ambitionne de compiler les meilleurs auteurs sur tous les sujets (voir Figure
6).

Figure 6 : Le peuplier, Livre des propriétés des choses, Barthélémy l’Anglais, BnF, Fr. 22532,
fol. 265 v°, XVe s.

Barthélémy l’Anglais s’appuie par exemple sur l’autorité d’Isidore de


Séville pour décrire le sapin, abies, « ainsi nommé car, en croissant, il va
plus haut que tous les autres arbres13 ». Isidore rapproche en effet le latin
abies d’abire, « s’éloigner de, aboutir à ». Barthélémy décrit ensuite un
arbre à croissance rapide, résineux, toujours vert, ce qui, sur le plan
symbolique, renvoie à l’immortalité de l’âme. Enfin, il indique l’utilité de
l’arbre pour l’homme :
Le sapin est un bois utile à diverses constructions ; en particulier parce qu’il est droit et long,
il est utilisé pour faire des navires voguant sur la mer. Généralement, le mât est fait de sapin,
car il est rond, haut et plus léger que les autres arbres14.

Ces encyclopédies, qui mettent en évidence une bonne connaissance des


espèces de la forêt, décrivent une exploitation tout à fait judicieuse de ses
ressources. Le savoir encyclopédique, tout en compilant les ouvrages des
grands auteurs, ne manque pas d’indiquer la vision pratique de l’homme
contemporain : la forêt offre de quoi se soigner, de quoi se nourrir, de quoi
construire.
Dans cette perspective plus généraliste que les herbiers, l’illustration a
moins d’importance que le texte. Dans le petit espace qui leur est imparti,
les enlumineurs n’ont d’autre choix que de proposer des représentations
passablement schématiques : ainsi dans un même manuscrit ne distingue-t-
on guère entre le châtaignier et le hêtre (voir Figure 7). La plus imposante
de ces encyclopédies est sans conteste le Speculum maius de Vincent de
Beauvais : ce « Grand Miroir » est divisé en trois parties, le Miroir de la
nature, le Miroir des sciences et le Miroir de l’histoire. C’est dans le Miroir
de la nature – Speculum naturale – que Vincent de Beauvais décrit la
Création, en commençant lui aussi par Dieu puis en suivant l’ordre de la
Genèse : la description des végétaux et des minéraux, œuvres du troisième
jour, vient avant celle des animaux terrestres et de l’homme, œuvres du
sixième jour (voir Figure 8)15.

Figure 7 : Le hêtre et le châtaignier,


De Natura rerum, Thomas Cantimpratensis, BM Valenciennes, ms. 0320, fol. 152 r° et fol. 151 v°, v.
1290.
Figure 8 : La Genèse : création des végétaux, Miroir historial, Vincent de Beauvais, BnF, Français
50, fol. 18, 1463.

Bestiaires : une forêt de symboles


Le même but encyclopédique se rencontre dans les bestiaires, où il s’agit
de décrire tous les animaux ; toutefois la perspective des bestiaires est
souvent largement plus symbolique. Dans l’esprit médiéval, il n’y a pas de
trait humain qui n’ait son reflet dans l’animal, de même que se retrouvent
dans l’homme les traits de tous les animaux. Cette perméabilité entre
monde animal et monde humain est particulièrement manifeste dans le
Roman de Renart, où la société féodale est parodiée à travers une cour
animale : le lion Noble est le roi, qui fait la guerre et rend la justice ; le cerf
Brichemer est l’un de ses sages conseillers, tandis que le goupil Renart est
un baron peu obéissant, souvent retranché dans son château/terrier de
Maupertuis. Il incarne la ruse et commet au fil des branches du Roman de
Renart de nombreux forfaits : il viole Hersent, l’épouse du loup Ysengrin,
tue la sœur de Pinte la poule, blesse Brun l’ours…
Dans les bestiaires, l’animal est toujours perçu dans sa dimension morale,
chrétienne ou légendaire. Ainsi, le sanglier ou le porc
qui ne pense qu’à manger et qui fouille constamment le sol à la recherche de nourriture sans
jamais lever les yeux vers le ciel, est l’image de l’homme pécheur qui préfère les biens
matériels de ce monde à la contemplation de Dieu et à l’espérance du monde à venir16.

Figure 9 : La belette, Bestiaire d’Amours, Richard de Fournival, BM Dijon, ms. 0526,


fol. 25 v°, XIVe s.

La belette, au contraire, est un animal protecteur et bienfaisant. Elle est


réputée capable de se protéger du venin des serpents, et une légende vivace
affirme qu’elle a le pouvoir de ressusciter ses petits grâce à sa connaissance
des herbes17 (voir Figure 9). On retrouve cette légende dans un lai de Marie
de France : Guildeluëc, l’épouse d’Éliduc, ressuscite Guilliadon en mettant
dans sa bouche la même fleur rouge que celle qu’une belette vient d’utiliser
sous ses yeux pour ressusciter sa compagne18. Dans cette forêt salvatrice,
végétal miraculeux et animal bénéfique se conjuguent pour ramener la
jeune fille à la vie.
Le bestiaire médiéval distingue généralement les animaux selon leur
milieu (terrestre, aquatique, aérien) et confond allègrement animaux
familiers et exotiques, réels ou mythologiques, de sorte que le lion est décrit
au même titre que le renard ou la licorne. Les auteurs de bestiaires ne
cherchent donc pas à permettre l’identification des espèces rencontrées dans
les campagnes ou les forêts : ils associent forme encyclopédique et discours
symbolique, tandis que les miniatures alternent entre fantasmagorie et
représentations de la vie quotidienne. C’est également dans cet esprit que
les récits médiévaux – romans, lais ou chansons de geste – peuplent la forêt
d’ours ou de sangliers, mais aussi de lions ou de léopards, voire d’animaux
imaginaires : dans la forêt, l’animal est un symbole parmi d’autres.
Enfin, Richard de Fournival propose une nouvelle lecture de la
symbolique animale avec un Bestiaire d’amour qui connaîtra un succès
considérable au XIIIe siècle : les propriétés des animaux lui inspirent « des
considérations sur l’amour et la stratégie amoureuse19 ». L’étape cruciale de
la rencontre amoureuse est ainsi comparée à la rencontre avec un loup : si le
loup voit l’homme en premier, ce dernier est perdu. De même, dans la
conquête amoureuse, si l’homme est le premier à dévoiler ses sentiments, la
femme mettra son cœur en pièces. Cette lecture symbolique est
généralement accompagnée d’enluminures réalistes : le loup, représenté
dans ses activités les plus ordinaires, s’attaque à un poulailler ou dévore une
volaille (voir Figure 10)… Pour l’homme médiéval, tout – animal, végétal
ou minéral – se prête à cette double lecture, entre réalisme et symbolisme.

Figure 10 : Le loup, Bestiaire d’Amours, Richard de Fournival, BM Dijon, ms. 0526, fol. 22 r°,
XIVe s.

Ouvrages pratiques : la forêt utile


D’autres ouvrages enfin, plus concrets dans leurs illustrations comme
dans leurs propos, sont des traités montrant que l’homme médiéval sait
exploiter la forêt et mettre à profit toutes ses richesses. Les traités
d’agronomie expliquent comment tirer le meilleur parti des ressources
naturelles et comment tenir au mieux un domaine. Le plus célèbre de ces
traités est écrit au tout début du XIVe siècle par Pierre de Crescens, qui
s’intéresse successivement à l’agriculture, aux céréales, à la vigne, et enfin
aux arbres. Aux arbres de la forêt, il préfère naturellement les arbres
fruitiers que l’on peut cultiver et greffer ; mais il mentionne plusieurs arbres
de la forêt pour la qualité de leur bois, comme le sapin (pour les charpentes
ou les bateaux) ou l’if (pour les arcs). Quant au chêne, c’est pour lui un
arbre qu’on plante pour récolter ses glands :
On cueille les glans ou temps qu’ilz sont meurs et qu’ilz cheent de l’arbre, et les seiche l’en
au soleil, et puis les garde l’en pour nourrir les pourceaulx, pour ce que c’est viande tres
bonne pour eulx.
On cueille les glands quand ils sont mûrs et qu’ils tombent de l’arbre. On les sèche au soleil,
puis on les garde pour nourrir les cochons, car c’est une nourriture très bonne pour eux20.

La séparation entre arbres cultivés et arbres sauvages n’est donc pas


exactement la même que celle qu’on imaginerait aujourd’hui.
Mais c’est finalement dans les traités de chasse que la forêt est le mieux
évoquée : Gaston Phébus, chasseur passionné, décrit dans son Livre de
chasse (XIVe siècle) les différentes espèces rencontrées dans les forêts
occidentales. Pour bien les chasser, il faut les connaître et savoir les repérer.
Le bon veneur saura lire les traces laissées dans la forêt par les animaux, et
tirer parti de ce milieu naturel, par exemple en grimpant à un arbre pour
repérer l’animal qu’il veut chasser (voir Figure 11). La description des bêtes
et de leur comportement est complétée par de nombreuses illustrations
représentant l’animal dans son milieu naturel et dans toutes sortes de
postures. Grâce au dessin ouvrant le chapitre qui lui est consacré, le renard
apparaît d’emblée comme un animal gracieux et agile, bon chasseur
d’oiseaux, et prompt à se réfugier dans son terrier (voir Figure 12). Quant à
l’ours, on comprend qu’il grimpe aux arbres et que la femelle allaite ses
petits. Les ours sont réputés s’accoupler face à face, comme l’homme et la
femme, comme le précise plus loin Gaston Phébus. Les indications
techniques laissent toutefois toujours une place au symbole ou à la morale :
dans un traité de chasse du XIVe siècle, Les Livres du roy Modus et de la
royne Ratio, Modus se propose d’enseigner l’art de la chasse, qui permet
d’échapper à l’oisiveté, tandis que la reine Ratio intervient pour proposer
une morale. Ainsi, dit-elle, l’homme doit agir à l’image du cerf, qui fuit les
chiens en se jetant dans l’eau pour qu’ils perdent sa trace : lorsque le diable
le poursuit, il doit faire pénitence et recourir à l’eau bénite afin d’éloigner
de lui la tentation21.
Aujourd’hui encore, l’ouvrage de Gaston Phébus est peut-être à même de
nous donner des renseignements sur la forêt médiévale : « chat, nous dit-il,
est assez commune beste, si ne me convient ja dire de sa façon, car pou de
gens sont qui bien n’en ayent veu22 ». Par chat, il entend tant le chat
sauvage que le lynx. Son manque d’intérêt manifeste est sans doute à
imputer au fait que la chasse au chat n’exige guère de maistrise de la part
du chasseur ; la remarque laisse néanmoins à penser que lynx et chats
sauvages étaient bien plus répandus au Moyen Âge qu’ils ne le sont
aujourd’hui (voir Figure 13). La chasse selon Gaston Phébus se conçoit
comme une pratique sportive et noble, où le chasseur affronte l’animal à
chances égales, ce qui implique une exploitation raisonnée des ressources
en gibier. Même s’il en fait la description, le comte de Foix n’est donc pas
favorable aux pièges qui, déséquilibrant le rapport de force entre l’homme
et l’animal, permettent de tuer trop facilement trop de bêtes. L’abondance
du gibier est une condition nécessaire à une chasse réussie, et un bon
chasseur doit se préoccuper d’avoir « tousjours assez a chascier23 ».
Figure 11 : Chasse à vue, Le Livre de chasse, que fist le comte Febus de Foys, seigneur de Bearn,
Gaston Phébus, BnF, Fr. 617, fol. 46 v°, XVe s.
Figure 12 : Le renard, Le Livre de chasse, que fist le comte Febus de Foys, seigneur de Bearn,
Gaston Phébus, BnF Fr. 619, fol. 22 v°, XVe s.
Figure 13 : Les chats sauvages et les lynx, Le Livre de chasse, que fist le comte Febus de Foys,
seigneur de Bearn, Gaston Phébus, BnF, Fr. 616, fol. 36 v°, XVe s.

De nombreux ouvrages savants étudient ainsi la forêt24 : ces descriptions


minutieuses nous montrent que la forêt était bien connue de l’homme
médiéval et qu’il savait en exploiter toutes les ressources. Mais dans ces
ouvrages, la forêt n’est jamais décrite pour elle-même : encyclopédies,
herbiers et autres ouvrages de vénerie ou d’agronomie offrent un catalogue
détaillant, plante après plante, animal après animal, le contenu de la forêt.
Pour entrer, véritablement, dans la forêt, c’est dans les œuvres de fiction
qu’il faudra se plonger.
La forêt littéraire dans l’espace et le temps
« Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime ! »
Victor Hugo, « Aux arbres », Les Contemplations, 1856.

Le refus du réalisme
Mais la fiction n’offre pas davantage de descriptions de la forêt, et encore
moins de descriptions réalistes. Certes, des noms de forêts apparaissent, qui
invitent à une localisation géographique. Pour autant, ni la forêt de
Brocéliande ni celle des Ardennes ne donnent lieu à la description d’un
paysage familier. Ainsi les Ardennes de Renaut de Montauban, s’étendant
de la Gascogne à l’Allemagne, forment une forêt qui semble ne plus avoir
de fin25… Dans la littérature médiévale, l’espace narratif est résolument
symbolique. Il ne faut donc pas chercher de vraisemblance dans la
géographie ou dans les paysages littéraires :
[…] le « réalisme » est aussi étranger que possible à l’esprit de la littérature médiévale, du
moins en ses expressions les plus hautement stylisées, et ce aussi bien dans le domaine de
l’épopée que dans celui du roman. Ce serait donc lire les textes à contresens que d’y chercher
ce qu’ils ne donnent pas et, pour le dire de façon quelque peu abrupte, ce qu’ils n’ont pas
voulu donner26.

Ce vigoureux rappel d’Alain Labbé nous conduit dans une forêt dont la
description, succincte, laisse toute la place à un imaginaire luxuriant.

Au-dessus des hommes…


Quand Yvain quitte la cour du roi Arthur pour partir à l’aventure, il
emprunte un chemin qui se rétrécit progressivement. Plus il avance et plus il
s’enfonce dans une nature sauvage et désertée par l’homme : il franchit
montagnes et vallées, traverse de longues et larges forêts, franchit des
passages difficiles et arrive enfin à un « sentier étroit et obscurci de
ronces27 ». C’est en suivant ce chemin, il le sait, qu’il pourra affronter le
chevalier qui a vaincu son cousin Calogrenant en combat singulier. La forêt,
décrite de façon très sommaire, apparaît donc comme un espace sans
horizon, qui circonscrit et emprisonne le voyageur. C’est aussi un espace
contraint, semé d’obstacles qu’il convient de franchir. Dans l’espace très
stylisé de La Chanson de Roland, la nature écrase l’homme : hautes sont les
montagnes et très hauts les arbres28 (voir Figure 14). Ni le roman ni la
chanson de geste ne décrivent longuement la forêt, qui n’est pas encore,
comme elle le sera chez les romantiques, un lieu de promenade où l’on se
sent en communion avec la nature.

Figure 14 : Roland à Roncevaux, Grandes chroniques de Tours, Jean Fouquet, BnF, Fr. 6465,
fol. 113, XVe s.

… et par-delà le temps humain


Primitive et grandiose, la nature fascine moins qu’elle n’inquiète. Ainsi
que l’explique le trouvère d’Aiol dans une digression sur l’âge d’or que
représentent des temps anciens non précisément définis, l’espace forestier a
échappé à la civilisation :
Baron, a icel tans dont vous m’oés conter
N’estoient mie gens el siecle tel plenté ;
Li castel ne les viles n’erent pas si puplé
Com il sont orendroit, jamais le mesquerés,
Mais les forés antives, li bos grant et ramé
Qui puis sont detrenchié, essillié et gasté…
Seigneurs, en ce temps dont je vous parle, le monde n’était pas si peuplé : les châteaux et les
villes n’avaient pas autant d’habitants que maintenant, croyez-moi, et les forêts étaient
anciennes, les bois profonds et touffus : à présent ils sont tronçonnés, ruinés et détruits29…

La civilisation défriche, construit villes et châteaux ; mais la forêt précède


la civilisation. Elle est un lieu premier, une terra incognita que l’on ne
traverse pas sans péril. La clairière ou les essarts, défrichés par l’homme,
sont des espaces rassurants et pleins de lumière. La forêt n’est qu’obscurité
impénétrable : elle effraie. Seuls les animaux comme Renart ou Ysengrin y
sont à leur aise. La branche XVII du Roman de Renart, intitulée « Le partage
des proies », insiste sur la bonne connaissance que le goupil a de la forêt, lui
qui la parcourt sans suivre ni chemin ni sentier :
Bien savoit le bos tot entier
Car maintes fois l’avoit alé.
Il connaissait bien tout le bois, car il l’avait traversé maintes fois30.

Pour les animaux, la forêt est un espace familier et accueillant. Il en va


tout autrement pour les hommes. Lorsque dans Le Moniage Guillaume le
héros s’engage dans la forêt avec son serviteur, le trouvère décrit là encore
une nature imposante :
Grant sont li chesne et li fou et li trenble
Et tot entor sont hautes les montaignes,
Li destroit fort, la valeë soutaigne…
Grands sont les chênes, les hêtres et les trembles, et tout autour les montagnes sont hautes, les
défilés ardus et la vallée solitaire31…

Cette description inhabituellement détaillée pour la chanson de geste met


en évidence la principale caractéristique de la forêt aux yeux des auteurs
médiévaux : son espace et sa temporalité sont si démesurément grands que
l’homme ressent, face à elle, sa petitesse. Haute, immense, inextricable, la
forêt l’impressionne et lui paraît hostile.
Une forêt d’angoisses : fureur et terreurs en sous-bois
« Une forêt pour toi, c’est un monde hideux. »
Victor Hugo, « À Albert Dürer », Les Voix intérieures, 1837.

C’est que la forêt n’est pas si déserte qu’elle en a l’air et que la plupart de
ses habitants représentent une menace pour le voyageur. On ne se promène
pas en forêt : on s’y aventure. Là se rencontrent les bêtes sauvages. Là se
cachent les brigands et se commettent les crimes.
Du verger à la forêt
Autant le verger est une nature maîtrisée, cadre de jeux courtois entre
dames et chevaliers, autant la forêt est la nature sauvage, peuplée par des
êtres peu civilisés. Dans Le Roman de la Rose, Guillaume de Lorris décrit
un verger allégorique de l’amour. Ses hauts murs rejettent à l’extérieur toute
figure malveillante, comme Haine, Convoitise ou Avarice. À l’intérieur de
ce jardin protégé, se déploie la nature dans toute sa splendeur, cadre de jeux
courtois entre Déduit, Liesse, Largesse (voir Figure 15)… On y trouve un
grand verger comportant toutes les sortes d’arbres pouvant porter des fruits,
mais aussi les arbres de la forêt, comme « des charmes et des hêtres, des
noisetiers tout droits, des trembles et des frênes, des érables, de grands
sapins et des chênes32 ». Ces arbres, précise Guillaume de Lorris, sont
éloignés l’un de l’autre de la distance qui convient : il y a de l’espace entre
eux, mais comme leurs branches sont longues, ils dispensent un ombrage tel
que le soleil ne peut « nuire à l’herbe tendre33 ». Ce verger paradisiaque est
peuplé d’animaux des bois comme les daims ou les chevreuils, et les arbres
abritent une foule d’oiseaux aux chants enchanteurs. Clos sur lui-même et
excluant toute menace, le verger offre à l’homme une nature ordonnée et
maîtrisée, propre au divertissement courtois.
Or la forêt est l’exacte antithèse de ce domaine idéal. Espace ouvert et non
protégé, elle accueille toute bête – y compris les plus féroces – et tout
homme – y compris les plus cruels. Le début du Chevalier au lion est là
encore emblématique de cette représentation de la forêt : dans la forêt de
Brocéliande, Calogrenant rencontre un étrange géant qui possède des traits
à la fois animaux (un nez de chat, des crocs de sanglier…) et végétaux (des
oreilles moussues). Ce dernier s’avère être le gardien des bêtes du bois,
« des taureaux sauvages, des ours et des léopards34 » que Calogrenant
aperçoit en train de se combattre cruellement. Cette curieuse association
d’espèces souligne la férocité des hôtes de ces bois, et préfigure la violence
de l’affrontement entre Calogrenant et Esclados, le gardien de la fontaine et
aussi de la forêt35 (voir Figure 16).
Figure 15 : Le jardin de Déduit, Le Roman de la rose, Guillaume de Lorris et Jean de Meung, BnF,
Fr. 19137, fol. 68, XVe s.
Figure 16 : Calogrenant vaincu par Esclados, Yvain ou le chevalier au lion, Chrétien de Troyes,
Leroy Guillaume, BnF, Fr. 1638, fol. 13 v°, XVIe s.
Figure 17 : Yvain est le messager de Laudine - Yvain abandonné par Laudine devient fou - il erre
dans la forêt après avoir déchiré ses vêtements - Yvain et le lion, Yvain ou le chevalier au lion,
Chrétien de Troyes, BnF, Fr. 1433, fol. 85, XIVe s.

De l’homme à la bête
Plus loin, dans le même roman, Yvain devenu fou erre dans la forêt : il a
arraché ses vêtements et mange de la viande crue36 (voir Figure 17). La
même distinction entre nature et culture, sauvagerie et humanité se
rencontre dans Bisclavret37 : le héros du lai serait un seigneur breton
ordinaire s’il ne disparaissait trois jours par semaine pour se terrer dans la
forêt, sous la forme d’un loup-garou. Ces bêtes très féroces, dit Marie de
France, erraient autrefois dans les grandes forêts. Imprudemment, le
seigneur confie à sa femme que ses vêtements lui permettent de revenir à sa
forme humaine. Sans eux, il serait condamné à rester loup-garou pour
toujours. Vivre en société, porter des vêtements, voilà ce qui fait l’homme.
La bête monstrueuse appartient à la forêt, lieu de danger et d’épouvante.
Une cruelle illustration des périls de la forêt apparaît dans La Suite du
roman de Merlin : le roi Pellinor, lancé à la poursuite d’un chevalier, refuse
de s’arrêter auprès d’une demoiselle qui réclame de l’aide pour son ami
grièvement blessé. Le chevalier meurt, la demoiselle accablée de douleur se
suicide. Lorsque Pellinor revient sur ses pas, il trouve le corps de la jeune
fille dévoré par les bêtes sauvages et reconnaît son erreur : dans la solitude
d’une forêt, il aurait dû porter assistance à un blessé et à une demoiselle en
détresse38. Il n’est pas étonnant, dans cette perspective, que le bourreau de
la reine Berthe renonce à la poursuivre dans la forêt du Mans : quelle
chance a-t-elle de survivre dans une forêt peuplée d’ours et de léopards
(voir Figure 18) ? Berthe elle-même, égarée, terrifiée par le vent et par la
nuit, les pieds en sang et la chair blessée par les ronces, craint par-dessus
tout les bêtes sauvages et s’attend à être dévorée toute crue par un ours ou
par un lion39.

Figure 18 : Berthe dans la forêt, Berte aus grans piés, Adenet le Roi, BnF, Fr. 778, fol. 1, XIVe s.

De l’obscurité à la barbarie
Mais ce sont des hommes qui vont l’attaquer : deux voleurs l’aperçoivent
et veulent s’en prendre à elle. Sa beauté est si grande qu’ils se battent au
couteau et à l’épée pour savoir qui la possédera : tandis que leur sang coule
sur l’herbe, Berthe prend la fuite et leur échappe40. Les habitants les plus
dangereux de la forêt sont des hommes. Si les animaux tuent pour se
nourrir, les hommes ont bien d’autres motifs de violence. Le couvert des
bois est le lieu où ils vont pouvoir laisser libre cours à leurs plus bas
instincts : vols, viols et trahisons remplissent la forêt de cris de désespoir et
de terreur.
Si l’abbé du Moniage Guillaume donne à Guillaume une mission qui
l’oblige à traverser la forêt, c’est bien parce qu’il espère que les brigands le
tueront en route : ainsi serait-il débarrassé de ce nouveau moine
encombrant ! Cachés dans un « parfont gaut41 », une profonde forêt, ces
derniers profitent des ressources volées à une famille dont ils viennent de
tuer les hommes et de violer les femmes. Ils se réjouissent de voir arriver
une proie apparemment facile, mais ils ont tort : Guillaume, tout moine
qu’il est devenu et tout désarmé qu’il soit, sait encore se défendre. Il tue la
troupe de malandrins et pend les corps aux branches d’un chêne, afin que
chacun sache que justice a été rendue. Dans Érec et Énide, roman de
Chrétien de Troyes, lorsqu’Érec souhaite prouver sa valeur, il part à
l’aventure près d’une forêt en faisant chevaucher sa femme Énide devant
lui : sa beauté et ses riches vêtements ne manquent pas de susciter la
convoitise des voleurs qui s’y trouvent inévitablement. Ils sortent de la forêt
pour l’attaquer, et tentent de s’y réfugier, en vain, quand l’attaque tourne en
leur défaveur42. La forêt, dense et obscure, est le refuge naturel des gens
mal intentionnés : ses arbres favorisent les embuscades aux voyageurs, et
offrent aux brigands un abri sûr… tant qu’ils ne rencontrent pas plus fort
qu’eux !
Enfin, c’est dans la forêt que se révèle l’âme noire de certains
protagonistes. Lancelot, qui traverse une forêt « bien sombre » et « fort
périlleuse »43, manque d’être abusé par une demoiselle faussement
secourable :
« Sire, fait ele, tornez cest sentier qui vait en cele forest, si troverés un recet que mi anchissor
establirent por herbergier les chevaliers qui par cest forest trespasseroient. Il iert la nuit
oscure. Se vos le trespassés, vos ne troverés recet tresqu’a .XX. liues galesches. »
Seigneur, lui suggéra-t-elle, tournez par ce sentier qui s’enfonce là dans la forêt et vous
trouverez un refuge fondé par mes ancêtres pour héberger les chevaliers de passage dans cette
forêt. La nuit noire ne va pas tarder, et si vous le dépassez, vous ne trouverez aucun refuge
jusqu’à une distance de vingt lieues44.

Mais elle ne lui propose un gîte que pour mieux le livrer à des bandits.
Elle s’empare de son épée et cherche à le tuer en même temps que les cinq
chevaliers brigands. Les dangers de la forêt se dissimulent parfois sous une
apparence trompeuse. Qui aurait cru que l’aide proposée était un piège, et
que la fragile jeune fille affronterait Lancelot par les armes ? La forêt est un
noir labyrinthe de sentiers et de trahisons. Comme Berthe, Mabillette dans
la forêt excite le désir de quatre larrons, qui l’enlèvent au chevalier qui
l’accompagnait… et qui l’abandonne sans vergogne. Les voleurs projettent
de violer la jeune fille l’un après l’autre :
« Venés ent, damoisele, en cest buisson decha !
Quant vos m’arés servie, .I. autre vos ara.
Ne serés pas pucele, quant il anuitera. »
Venez par là dans ce bosquet, mademoiselle ! Quand vous m’aurez servi, un autre vous
prendra. Vous ne serez plus vierge à la tombée de la nuit45 !

Comme Mabillette décline cette courtoise proposition, le brigand l’insulte,


la frappe à coups de poing et de pied, puis à l’aide de branches épineuses.
Elle ne doit son salut qu’à Garin de Monglane qui, lancé à sa recherche, la
trouve dans la forêt au bruit de ses cris. Le Bel Inconnu décrit une scène
similaire, à ceci près que les agresseurs sont deux géants hideux cherchant à
molester une jeune fille. Alerté par ses plaintes, le chevalier parcourt la
forêt pour la trouver et affronte victorieusement les géants, pourtant réputés
invincibles : leur force illustre la vaillance du « bel inconnu », tandis que
leur laideur manifeste leur perversité morale46.
Dans Florence de Rome, l’héroïne est trahie par Milon, amoureux
éconduit qui utilise la forêt pour l’isoler de sa suite. Terrorisée, Florence
tente de s’enfuir, mais elle est à la fois blessée par les ronces et frappée du
plat de l’épée par le chevalier qui la poursuit. S’ensuit un long calvaire pour
la jeune fille : Milon, empêché de la violer par la vertu magique d’un bijou,
lui ordonne de mettre fin à cette sorcellerie. Devant son refus, il la jette par
terre, la fouette avec des ronces puis la pend à un arbre par ses tresses – elle
ne touche le sol que par un orteil – et la fouette à nouveau jusqu’à ce que le
sang coule sur l’herbe. Le bruit d’une chasse qui approche provoque la fuite
de son tourmenteur : Florence est sauvée47.
Ainsi, la forêt libère des interdits inhérents à la vie en société : les valeurs
chevaleresques n’ont plus cours, seules comptent, pour Milon et ses
semblables, la force brute et la satisfaction de leurs pulsions. Dans ces récits
qui tiennent du fantasme sado-masochiste, la forêt semble complice des
tourmenteurs. Non seulement elle offre un isolement propice au viol ou à la
torture, mais encore elle contribue au supplice en fournissant au bourreau
les accessoires nécessaires à son office. Dans Florence de Rome, le cadre
idyllique – une verte clairière, un arbre dans lequel chantent des oiseaux –
laisse toutefois penser que la source de la violence se trouve exclusivement
dans l’être humain, plus féroce que les bêtes sauvages : Milon n’a-t-il pas
tué en chemin un lion et un dragon, et brûlé vif un ermite ? Si la forêt est
inquiétante, c’est pour ce qu’elle révèle de l’homme.
La forêt carrefour : à la croisée des chemins…
« On est [...] deviné par quelqu’un qui enveloppe cette forêt
et dont l’œil perce jusqu’à vous.
Les bêtes, les brigands, les dieux, Dieu,
tout vous attend, vous menace, vous observe… »
Paul Valéry, Petits poèmes abstraits, 1929.

Les chemins du pire et du meilleur


Au début du Couronnement de Louis comme au début du Charroi de
Nîmes, Guillaume d’Orange n’est pas à la cour : il est parti chasser. Son
absence, loin d’être une faute, prouve sa valeur. Tandis que les courtisans
restent passivement à la cour et se font entretenir par le roi, la chasse de
Guillaume démontre sa force et son énergie48. Gaston Phébus, dans le
prologue de son Livre de chasse, rappelle lui-même que la chasse éloigne
des sept péchés capitaux et que « bon veneur sera sauvé49 ». Si la forêt
sombre et déserte encourage les uns à se livrer aux pires exactions, les
autres y cherchent l’occasion de prouver leur valeur. C’est pour cette raison
qu’Yvain quitte secrètement la cour après avoir entendu le récit de
Calogrenant ; c’est pour faire mentir ceux qui le blâment d’avoir renoncé à
tout exploit chevaleresque qu’Érec s’enfonce dans la forêt avec sa femme
pour seule compagnie. La forêt n’est-elle pas le lieu rêvé pour un chevalier
en quête d’exploits ? Le héros romanesque part en quête d’aventure, le
héros épique se lance à la poursuite d’un gros gibier ; tous cherchent à
montrer leur détermination et leur vaillance. Ainsi les chemins du pire et du
meilleur se croisent dans la forêt.

Une rencontre avec le destin


Chansons de geste et romans envisagent différemment l’exploit en forêt.
Alors que dans la chanson de geste, la prouesse, généralement d’ordre
cynégétique, conduit le héros vers son destin, dans le roman la « forest
avantureuse50 » est souvent une transition vers un autre monde.
Le motif épique le plus fréquent est la chasse au sanglier (voir Figure 19) :
une bête signalée dans la forêt provoque l’organisation d’une chasse. Dans
Auberi le Bourguignon51, la description de l’animal insiste sur son caractère
extraordinaire : il est blanc, très grand, et fréquentait déjà les lieux du temps
d’Arthur. Ces traits faés (enchantés), trahissant une influence romanesque,
sont absents de Garin le Lorrain52, où Bègue a seulement entendu parler
d’un sanglier remarquable dans la forêt de la Pévèle. La chasse sera
funeste : les deux hommes sont prévenus par leurs épouses respectives que
les terres de leurs ennemis sont proches et qu’ils se mettent en danger.
Béatrice, la femme de Bègue, le supplie même de renoncer à son projet, car
elle a le pressentiment que s’il part, elle ne le reverra jamais vivant. Ils
partiront pourtant. Dans Girart de Vienne53, le récit suit les ennemis de
Charlemagne se préparant à le pister dans la forêt : on connaît donc
également le danger qui le menace. Pendant la chasse, le héros se lance à la
poursuite de la bête avec une telle fureur qu’il se retrouve séparé de sa suite
et entraîné au cœur de la forêt. La puissance de la bête n’a d’égale que
l’ardeur mise par le chasseur à l’atteindre. Il ne s’inquiète ni d’être entraîné
dans la forêt profonde, ni de s’aventurer seul sur les terres d’un ennemi.
Pendant le combat contre le sanglier s’affirment le courage et la force
prodigieuse du guerrier. Mais sa victoire sur la bête est immédiatement
suivie de sa propre capture : tout à sa proie, le chasseur a oublié qu’il était
lui-même une proie. Son impulsivité manque de le conduire à sa perte.
Figure 19 : Chasse au sanglier, Bréviaire à l’usage de Besançon, BM Besançon, ms 0069, XVe s.

Tantôt il échappe de peu à la mort, comme Charlemagne dans Girart de


Vienne, et la rencontre entre les ennemis irréductibles débouche sur une
réconciliation ; tantôt il est mis à mort, comme Bègue dans Garin le
Lorrain, et sa mort infamante conduit à un nouvel épisode de la guerre entre
Bordelais et Lorrains. La course du sanglier, excessive, furieuse, représente
la démesure des personnages. Sa trajectoire, loin d’être hasardeuse, emporte
l’homme au lieu du plus grand danger. Si Charlemagne, touché par le
respect de Girart, renonce à la violence et fait la paix avec lui, Bègue, à
l’inverse, se prend de querelle avec des forestiers qui défendent le bien de
Fromont. Comme il en blesse un mortellement, il est tué d’une flèche et
abandonné dans les bois. Fromont reconnaît trop tard que celui qu’on
prenait pour un braconnier est le frère de Garin : il devine qu’il paiera cette
mort très cher.
Ainsi, le chemin forestier ouvert par l’animal n’est autre que la voie toute
tracée du destin : il conduit à une confrontation lourde de conséquences non
seulement pour le chasseur, mais pour ses partisans comme pour ses
ennemis.

Un lieu de senefiance
Point de hasard dans la forêt : toute rencontre fait sens. Parti à la poursuite
du Blanc Cerf (voir Figure 20), Érec quitte la chasse pour suivre un
chevalier croisé en chemin. Ce dernier l’a offensé, mais comme il n’a pas
d’armure pour combattre, Érec se voit contraint de le suivre jusqu’à ce qu’il
puisse en emprunter une. Il traverse donc la forêt pour arriver à un château
inconnu où il pourra affronter et vaincre son adversaire… et où il rencontre
Énide, sa future épouse, qu’il ramène ensuite à la cour54. Pépin, lancé lui
aussi à la poursuite d’un cerf, se sépare de sa suite, s’égare… et retrouve
Berthe, sa femme qu’il croit morte depuis longtemps. Comme sa beauté
suscite en lui un grand désir, elle le supplie de respecter sa vertu en lui
avouant sa véritable identité. La vérité se révèle dans la forêt, où mari et
femme, parents et enfant se retrouvent enfin :
Figure 20 : Chasse au Blanc Cerf, Érec et Énide, Chrétien de Troyes, BnF, Fr. 24403, fol. 119, XIIIe s.
Figure 21 : Galaad vainqueur de Lancelot et de Perceval, La Quête du Saint Graal et la Mort
d’Arthus, Gautier Map, BnF, Fr. 343, fol. 17 v°, XIVe s.

En la bele forest, mentir ne vous en quier,


Ont demené grant joie chiés Simon le voier.
Je ne vais pas vous mentir, la joie est grande dans la belle forêt, chez Simon le voyer55.

Chaque rencontre au détour d’un sentier fait progresser le chevalier errant


ou le chasseur égaré, en lui apportant une information, une nouvelle
expérience, un enseignement. Joutes et aventures permettent au chevalier
d’évaluer sa force, sa foi et sa fermeté devant le danger (voir Figure 21).
C’est en cheminant dans la forêt qu’il se révèle à lui-même et éprouve ce
qu’il vaut vraiment.
Dans Bisclavret, la chasse à laquelle participe le roi après la disparition
mystérieuse de son vassal tombe immédiatement sur le loup-garou. Ce
dernier se jette aux pieds du roi et manifeste une intelligence tout humaine,
de sorte que le roi interrompt la chasse pour le ramener dans son château.
C’est ainsi que le loup-garou condamné à l’animalité par la perfidie de sa
femme échappe à l’enfermement dans la forêt. Grâce à cette rencontre, il
pourra retrouver un semblant d’humanité et dénoncer celle qui l’a trahi.
L’intelligence du roi, qui cherche à comprendre l’animal, et la finesse de
l’un de ses conseillers font le reste : l’épouse avoue sa félonie, restitue les
vêtements, et le chevalier peut enfin retrouver sa forme humaine. La
rencontre dans la forêt s’avère décisive pour le salut du chevalier et pour la
manifestation de la vérité. Ainsi, l’obscurité apparente de la forêt se dissout
dans une plus haute lumière. En se perdant dans la forêt, le chevalier
marche vers la connaissance de soi ou du monde.

Un passage vers l’autre monde


Pour les meilleurs d’entre eux s’ouvre un passage vers une autre réalité,
un autre monde féerique et d’inspiration celtique. Guingamor, dans un autre
lai éponyme de Marie de France, part chasser un sanglier blanc que nul n’a
jamais pu atteindre. Mais au moment où il le rejoint enfin, un splendide
palais surmonté d’une tour resplendissante lui apparaît. Comme la demeure
est vide, il reprend sa chasse, et cette fois le sanglier le guide jusqu’à une
jeune fille se baignant nue dans une source d’eau claire. Elle lui promet de
lui livrer le sanglier s’il accepte de passer trois jours avec elle. Il est
magnifiquement reçu par la demoiselle dont il fait son amie… mais quand il
veut partir, il comprend qu’il a en réalité passé trois cents ans auprès d’elle.
L’autre monde, dans lequel il est entré grâce à sa longue chasse en forêt,
possède un espace-temps différent. Lorsque Guingamor veut revenir auprès
du roi son oncle, il apprend de la bouche d’un bûcheron qu’il est mort
depuis des siècles et que son château est en ruines. Il ne reste plus à
Guingamor qu’à retourner dans le monde des fées, auquel il appartient
désormais56.
Dans Huon de Bordeaux, une chanson de geste très influencée par le
merveilleux romanesque, la forêt est aussi un passage vers l’autre monde :
le bois que compte traverser Huon ne peut être franchi sans rencontrer
Aubéron, un nain d’une grande beauté. Comme nombre d’êtres faés, il
incline à retenir auprès de lui tous ceux qu’il rencontre, et si l’on encourt sa
colère, il déchaîne une tempête qui arrache les arbres57. Toutefois, le fils de
Jules César et de Morgane, qui a reçu de nombreux dons des fées, sera pour
Huon un ami précieux : de lui, Huon reçoit un cor qui lui permet, s’il court
un grave danger, de l’appeler au secours avec toute son armée. Quelle que
soit la distance, Aubéron sera instantanément là : il recompose ainsi
l’espace réel en un espace faé, dont sa forêt est le centre. Les échanges entre
l’autre monde et le monde « ordinaire » sont dans ce cas facilités, alors que
la rupture temporelle décrite dans Guingamor revient nécessairement à
arracher les humains à leur monde. La forêt d’Aubéron, lieu de Féérie,
apparaît ainsi à la fois comme un obstacle – voire un piège – pour les
humains et comme un portail lui permettant de circuler partout où il le
souhaite, de l’Occident à l’Orient.
Le motif de la fée rencontrée dans les bois se trouve encore dans
Graelent, lai anonyme présentant de grandes similitudes avec Guingamor :
parti à la chasse, Graelent se lance à la poursuite d’une biche blanche, qui le
guide jusqu’à une source où se baigne une jeune fille. Le chevalier, qui a
pourtant refusé l’amour de la reine, éprouve en la voyant un vif désir. Il
essaie de s’emparer de ses vêtements puis, afin qu’elle accepte de sortir de
l’eau, la laisse se rhabiller. Comme elle refuse de se laisser séduire, il
remplace la prière par la force :
[…] en l’espoisse de la forest
A fet de li ce qu’il li plest.
[…] au plus profond de la forêt, il la plie à sa volonté58.

Viol ? Pas vraiment… la fée accepte ensuite de devenir l’amie de Graelent


et reconnaît qu’elle avait prédit cette « aventure59 ». En réalité, c’est le
chasseur qui est la proie : d’abord attiré par un leurre, la biche ou le
sanglier, il est pris au piège de l’admirable nudité de la dame. La mise en
scène attise le désir masculin pour une femme qui le manipule, tout en le
désirant en retour. La profonde forêt devient alors une chambre d’amour,
espace intime du jeu sexuel. L’épaisseur de la forêt et son isolement
contribuent à son érotisation.
Entre autres aventures merveilleuses (voir Figure 22), Alexandre et son
armée découvrent en Inde une forêt encore plus troublante et véritablement
dédiée aux plaisirs sensuels. En effet, la forêt des filles-fleurs abrite des
jeunes filles extraordinairement belles, mais qui ne peuvent pas quitter, sous
peine de mort, l’ombrage des bois. Elles sont femmes en été, retournent en
hiver à un état végétal, endormies sous la terre, et fleurissent à nouveau au
printemps. Attachées à leur forêt, elles accueillent les hommes de passage
avec grand plaisir et s’offrent à eux sans retenue :
En la forêt s’est l’os cele nuit ostelee,
Il n’ont autres osteus mais chascuns sa ramee.
Les puceles n’i firent plus longe demoree,
Chascune prist le sien sans nule recelee.
Qui sa volenté vaut ne li fu pas veee,

Figure 22 : Alexandre et les arbres sacrés, Les faicts et les Conquestes d’Alexandre le Grand, Jehan
Wauquelin, BnF Fr. 9342, fol. 164, XVe s.

Ains lor fu bien par eles sovent amonestee.


Cil legier bacheler qui tant l’ont desirree,
Qui pieç’a sont issu hors de la lor contree,
Chascuns n’i ot sa feme ne s’amie amenee,
Trestoute icele nuit ont grant joie menee
Tant que biaus fu li jors, clere la matinee.
Cette nuit-là, l’armée s’est logée dans la forêt, sans autre logis que la ramée. Les jeunes filles
n’hésitent pas longtemps : chacune choisit un soldat sans se cacher et loin de lui défendre
d’accomplir son désir, l’encourage à maintes reprises. Les jeunes gens vigoureux n’attendent
que cela : ils ont quitté depuis longtemps leur pays et n’ont pu amener leur femme ou leur
amie. Toute la nuit ils ont mené joyeuse vie jusqu’au lever du jour et du matin clair60.

Les hommes d’Alexandre n’ont aucune envie de quitter cette forêt de


plaisirs et ses fruits féminins. Il faudra que le roi les menace des pires
châtiments pour qu’ils reprennent leur route ! Quant aux jeunes filles, elles
les suivent le plus longtemps possible, mais ne franchissent pas les
ombrages des arbres : en dépit de leur désir mutuel, l’espace dévolu à la
sexualité reste délimité à la forêt. C’est un lieu d’assouvissement des
passions, en rupture complète avec la morale : alors que l’accès à la forêt
était initialement défendu par un pont gardé par des automates, Alexandre
franchit le pont et fait détruire les automates. Ce qui était interdit devient
donc licite, et la forêt tentatrice s’offre à tous… À la différence des puceles
qui, dans le roman comme dans la chanson de geste, défendent leur vertu,
les créatures merveilleuses, fées ou filles-fleurs, se distinguent par une
sensualité exacerbée et par une absence totale d’inhibition. Si les fées des
lais se plient aux coutumes courtoises et élisent le meilleur chevalier de la
cour, les filles-fleurs du Roman d’Alexandre semblent s’offrir au premier
venu, dans une forêt qui paraît là encore fantasmatique.
C’est ainsi que la forêt littéraire du Moyen Âge acquiert une dimension
bien différente de la forêt réelle, familière et exploitée tant par les paysans
que par les nobles. De même que le Moyen Âge fait une lecture symbolique
du monde animal, de même il fait de la forêt un espace signifiant :
s’avancer dans la forêt, c’est aller vers son destin, c’est ouvrir une porte
vers un autre monde peuplé de légendes et de rêves. C’est cheminer vers
une senefiance, une vérité qui dépasse celle des hommes.
Forêts initiatiques
« Les forêts t’apprendront plus que les livres. »
Saint Bernard de Clairvaux (1090-1153)

Un chemin vers Dieu


Car cette haute cathédrale d’arbres est aussi une fenêtre vers le spirituel.
La Suite du roman de Merlin, roman en prose du XIIIe siècle, ouvre sur une
scène de chasse : Arthur, en poursuivant un cerf, s’est éloigné de ses
compagnons. Son gibier s’échappe, son cheval meurt d’épuisement, et il se
retrouve seul, perdu en pleine forêt. Alors qu’il se repose près d’une source,
surgit une bête énorme dont le ventre contient des chiens de chasse si
vivants qu’ils aboient vigoureusement61. Le roi s’émerveille de ce prodige,
et de fait la forêt romanesque montre à l’homme qu’il maîtrise peu de
choses dans sa destinée : il s’y perd, entraîné au plus profond des bois par
une proie qui s’échappe, égaré et incapable de comprendre le sens de cette
aventure. Il a besoin de quelqu’un pour le guider, sur les sentiers forestiers
comme dans sa vie. Si Arthur est parti chasser, c’est à la suite d’un rêve
qu’il ne comprend pas et qui l’obsède : ses rêves, ses rencontres dans la
forêt, tout fait sens, mais il ne sait pas lequel. C’est à ce moment-là
qu’apparaît Merlin – qui, dans les romans arthuriens, aime à se présenter
comme une créature sylvestre : ici il surgit dans la forêt, là il entre en ville
vêtu comme un bûcheron62 (voir Figure 23). Lui qui connaît la vérité sur
toutes choses, il va pouvoir éclairer le roi, mais comme il prend l’apparence
d’un enfant de quatre ans, cette forme déconcertante fait douter Arthur, qui
pense avoir affaire à un démon. S’enfonçant au plus épais de la forêt,
Merlin change d’apparence et revient sous les traits d’un vieillard plein de
sagesse : à présent le roi peut écouter ses explications sur ses rêves et ses
rencontres. Rien n’est plus insaisissable que la vérité : même lorsqu’elle se
présente, on peut ne pas la reconnaître. Ainsi Merlin révèle à Arthur des
éléments de sa vie passée et à venir, sans pour autant tout lui dire. Il ne
révélera par exemple rien sur la beste glatissant, de laquelle il dit seulement
que c’est une aventure du Graal, et qu’Arthur devra attendre, pour
comprendre, les explications de Perceval, un chevalier qui n’est pas encore
né63… Ce qu’Arthur peut entrevoir, il n’est pas forcément digne de le
comprendre, et les merveilles du Graal ne se révèlent pas à tous.
Figure 23 : Arthur et Merlin métamorphosé en cerf, Histoire de Merlin, Thomas de Maubeuge, BnF,
Fr. 9123, fol. 116, XIVe s.
Figure 24 : Perceval dans la forêt, Le Roman de Lancelot du Lac, Gautier Map, BnF, Fr. 122, fol. 232
v°, XIVe s.

À Perlesvaus, qui arpente une forêt similaire dans Le Haut Livre du


Graal, il en sera révélé un peu plus (voir Figure 24). Lui aussi rencontre la
beste glatissant, dont la beauté le touche ; mais les chiots sortent de son
ventre et la déchiquettent au pied d’une croix. Puis ils s’enfuient dans la
forêt, tandis qu’un chevalier et une demoiselle recueillent dans un vase d’or
les restes sanglants de la bête.
Perlesvaus, très étonné, observe sans intervenir64. Plus tard, il interroge son
oncle, le Roi Ermite, sur le sens de cette aventure :
« Biaus niés, fait li Rois Hermites, je sai bien que Damnedieus vos aimme, quant iteus choses
s’aperent a vos por vostre valor et por la chasteté qui est en vostre cors. La beste qui douce et
simple et debonaire estoit, en qui li doze chien glatisoient, signifie Nostre Seignor, et li .xii.
chien signefient les gius de la Viez Loi que Dieus cria et fist a sa samblance. »
Mon cher neveu, répondit le Roi Ermite, je sais bien que Dieu vous aime, du moment que
vous avez la chance d’assister à de tels spectacles, grâce à votre valeur chevaleresque et à la
chasteté qui habite dans votre corps. La bête qui était douce, humble et noble, à l’intérieur de
laquelle jappaient les douze chiens, signifie Notre Seigneur, et les douze chiens signifient les
Juifs de la Vieille Loi que Dieu a créés et faits à sa ressemblance65.

Les Juifs, issus des douze tribus d’Israël, ont été créés par Dieu, mais ont
crucifié Jésus dont ils ont détruit le corps à l’image des chiens qui lacèrent
la beste glatissant. C’est la raison pour laquelle les chiens s’enfuient au
cœur de la forêt et retournent à l’état sauvage : c’est une régression dans la
connaissance du divin. À l’inverse, le chevalier arpente les chemins
forestiers pour une meilleure connaissance des mystères sacrés. Les lieux
construits par les hommes ne lui apprendront rien : il lui faut retourner au
plus près de la Création, dans une nature première, pour se rapprocher de
Dieu et de ses mystères.
La nature, en effet, c’est Dieu. Celui qui, à l’heure du plus grand péril, ne
peut recevoir la communion des mains d’un prêtre, peut communier avec
trois brins d’herbe – le chiffre réfère à la Sainte Trinité, l’herbe à la
Création divine : tout dans la nature renvoie à Dieu. Cette pratique attestée
au Moyen Âge, et pas seulement dans les textes littéraires, se rencontre par
exemple dans Garin le Lorrain, au moment de la mort de Begon.
Mortellement blessé, ce dernier, sous un tremble, lance une dernière prière.
Puis
« .iii. foilles d’erbe a pris entre ses piez,
si la conjure des .iii. vertus del ciel,
por corpus Deu le reçut au mangier.
L’ame s’en va del gentil chevalier… »
À ses pieds, il arracha trois brins d’herbe et, prononçant une ardente prière au nom des trois
vertus du ciel, il les porta à ses lèvres, car ils symbolisaient le corps de Notre Seigneur. L’âme
quitta le noble chevalier66…

Il n’est pas jusqu’au tremble qui ne rapproche Begon de Dieu : cet arbre
semble avoir été tout particulièrement dédié à la construction de charpentes
d’église, au moins dans le Moyen Âge slave67. La mort de Begon est
infamante, mais il meurt littéralement dans les bras de Dieu, en martyr.

Le rôle des ermites


Si la quête du Graal, et de façon plus générale, de la spiritualité, se
déroule en forêt, c’est bien parce que la nature sauvage offre une plus
grande proximité avec Dieu. C’est la raison pour laquelle les ermites vivent
dans la forêt : dans l’isolement de la nature, leur méditation les conduit plus
sûrement vers Dieu. À la fin du Haut Livre du Graal, lorsque deux
adolescents s’introduisent par plaisanterie dans les ruines du château du
Graal, ils en ressortent pour devenir ermites, et passent le reste de leur vie
dans la forêt : ainsi deviennent-ils des saints68. Autant le forestier est
susceptible de violence et de trahison – comme envers Begon dans Garin le
Lorrain, ou comme envers Tristan et Yseut, auxquels un forestier conduit le
roi Marc –, autant l’ermite est invariablement une figure secourable.
La vie d’ermite est une vie solitaire, faite d’efforts et de dénuement.
L’ermite qui accueille Florence et Milon déclare n’avoir vu personne depuis
sept ans69. Celui qui va nourrir Yvain vit également dans une grande
solitude, rompue seulement par les visites du chevalier fou. Les ermites sont
pauvres, et pourtant généreux : le peu qu’ils ont, ils le partagent. Malgré sa
peur, l’ermite du Chevalier au lion partage sa nourriture : un pain grossier,
des oignons, de l’eau70. De même, dans Florence de Rome, l’ermite partage
le reste de son pain en deux parties qu’il offre à ses visiteurs affamés. Mais
il est dur et plein de paille : Florence peine à en manger, tandis que Milon
dénigre, sans un mot de gratitude, un si mauvais pain71. L’extrême frugalité
des ermites est soulignée dans les deux textes, qui s’attachent aussi à décrire
l’espace harmonieux façonné par ces hommes de Dieu.
L’ermite s’installe en effet dans un « désert », un lieu parfois décrit
comme rempli de bêtes féroces (voir Figure 25). La sauvagerie du lieu
indique un espace davantage habité par le diable que par Dieu. L’ermite de
Berte as grans piés craint d’ailleurs la tentation, puisqu’il refuse d’ouvrir à
Berthe, si belle qu’elle doit être une ruse du démon pour le perdre72 (voir
Figure 26). Dans la desertine que découvre Guillaume d’Orange, il y a
abondance de serpents, de lézards et de crapauds. C’est dans ce désert
hostile qu’il décide de s’installer, après en avoir chassé la vermine et après
avoir exterminé un géant73. En investissant la nature sauvage, l’ermite en
chasse le Mal. Quand il essarte, il fait entrer la lumière dans la forêt. La
forêt obscure, pleine de pièges et d’effrois, laisse la place à un lieu
ensoleillé, offrant au voyageur repos du corps et paix de l’âme. Car l’ermite
s’installe en général près d’une source, se construit une maisonnette et
conquiert un jardin sur la forêt. Assez souvent, il bâtit une église. Dans son
désert, Guillaume crée un jardin de « bones herbes », avec des herbes
aromatiques, des fleurs et des arbres fruitiers74. Le jardin de l’ermite de
Florence de Rome, empli de choux et de civette75, ne rivalise pas avec ce
petit paradis fait pour le plaisir des sens. Il n’en est pas moins présenté
comme un locus amoenus – un lieu agréable – pour les voyageurs affamés
et épuisés. Si Le Chevalier au lion ne décrit pas le jardin de l’ermite, le
roman précise bien qu’il défriche autour de sa maison76. Il insiste aussi sur
le fait que l’ermite ramène un tant soit peu Yvain vers la civilisation,
puisqu’il lui offre du pain et qu’il cuit le gibier apporté par l’homme
sauvage : de cette façon, Yvain ne tombe pas dans l’animalité complète.
Ainsi l’ermite fait reculer l’obscurité tant dans la forêt que dans l’esprit du
dément.

Figure 25 : Saint Antoine, Très belles Heures de Notre-Dame du Duc de Berry, BnF, NAL 3093,
XVe s.
Figure 26 : Perceval et la tentatrice, La Quête du Saint Graal et la Mort d’Arthus, Gautier Map, BnF,
Fr. 343, fol. 27, XIVe s.

Mais surtout l’ermite joue un rôle de conseiller. À la différence des


demoiselles qui, dans les romans, conduisent fréquemment le chevalier sur
les chemins de l’aventure77, il ne quitte pas son ermitage, mais guide ses
visiteurs vers le bien et la rédemption. Il parle avec franchise, toujours dans
l’intention d’aider ses visiteurs. Rencontré par hasard dans les bois, l’ermite
Ogrin invite Tristan et Yseut au repentir, pleure avec eux sur leurs
malheurs, puis les incite à se réconcilier avec Marc. En écrivant la lettre qui
lui est destinée, il se fait l’intermédiaire entre le roi et les amants78. Il va
même jusqu’à quitter son ermitage pour acheter de belles étoffes, afin que
la reine Yseut puisse revenir à la cour avec l’élégance digne de son rang79.
Avec sensibilité et sagesse, Ogrin aide les amants à quitter la forêt et à
renoncer à leur péché.
Dans La Quête du Graal, nombreux sont les ermites qui jalonnent la forêt
et permettent aux chevaliers errants de comprendre le sens de leurs rêves ou
de leurs aventures. Plus encore, ils les guident vers le salut. Après une nuit
d’épreuves dans la forêt, où Lancelot comprend qu’il a courroucé Dieu, le
chevalier emprunte un sentier qui le conduit à un ermitage (voir Figure 27).
L’ermite est dans sa chapelle et commence tout juste à célébrer la messe.
Lancelot suit le service divin, et demande ensuite à se confesser auprès du
saint homme qui non seulement lui explique le sens des événements qu’il
vient de vivre, mais encore l’invite à se repentir de ses péchés. Lancelot
reconnaît que le péché d’adultère qu’il commet depuis tant d’années avec la
reine met son âme en péril, et y renonce. La solitude de la forêt, la parole
divine qui s’y fait entendre et la sagesse de l’ermite opèrent sur le chevalier
une profonde métamorphose : à l’amour pour Guenièvre succède un
repentir profond80. L’aide de l’ermite ne s’arrête pas là, puisqu’il se propose
de lui donner un cheval et des armes afin que Lancelot puisse reprendre sa
quête du Graal, maintenant que son âme est purifiée. L’ermite remet donc le
chevalier égaré sur la bonne route : dans La Quête du Graal, les chemins de
la forêt sont la voie du salut.
Figure 27 : Lancelot et l’ermite, Lancelot, Gautier Map, BnF, Fr. 110, fol. 201, XIIIe s.

La forêt pénitentielle
Dès lors, s’égarer dans la forêt revient non plus à se perdre, mais à se
retrouver. La forêt est une épreuve qui renforce et sanctifie le héros. Tristan
et Yseut ou les quatre fils Aymon sont, comme les brigands, des hors-la-loi
qui trouvent refuge dans la forêt, puisqu’elle est le seul espace échappant à
la justice des hommes. Cet asile, toutefois, ne revêt pas la même
signification pour les uns et les autres : si les malfaiteurs voient dans la
noire forêt un lieu propice aux exactions, dames et chevaliers vont y expier
leurs péchés. Les souffrances et les privations endurées dans ce lieu sauvage
les feront ensuite sortir grandis de ce calvaire, qui est parfois une première
étape vers la sainteté.
À la différence d’Yvain qui est retourné à l’état d’homme sauvage, Tristan
et Yseut ont gardé leur pleine humanité. Il leur faut survivre en forêt, tout
en gardant leur dignité humaine. Contrairement aux ermites qui organisent
l’espace et ouvrent la forêt à la lumière divine, ils ne peuvent se construire
une maison : ils sont en fuite, et ce n’est de surcroît pas leur rôle. Ils vont
donc mener une vie précaire et rude (voir Figure 28) :
Seignors, mot fu el bois Tristrans,
Mot i out paines et ahans.
En un leu n’ose remanoir ;
Dont lieve au main ne gist au soir.
Seigneurs, Tristan est resté bien longtemps dans la forêt, où il a dû supporter bien des peines
et des souffrances. Il n’ose pas rester au même endroit. Il ne couche jamais le soir là où il s’est
levé le matin81.

La chasse, divertissement courtois que Tristan maîtrise à la perfection,


trouve alors une utilité pratique : il apprend à son chien à ne pas aboyer,
invente l’Arc Infaillible, tue des proies pour se nourrir… et supprime aussi
les félons qui s’aventurent dans la forêt dans l’espoir de les livrer, lui et
Yseut, au roi Marc. Il construit des huttes de feuillage où trouver un abri.
Mais leur vie est misérable : ils manquent de pain et sont couverts de
haillons, car les branches ont déchiré leurs vêtements. C’est que la forêt est
à l’image de leur passion amoureuse. Lieu d’épreuve autant que de liberté,
elle les accueille tout en les faisant vivre dans un tourment permanent.
L’amour n’est-il pas fait de doux autant que d’amer ?
Cette vision symbolique de la forêt n’est pas du tout celle de Gottfried de
Strasbourg, qui compose au XIIIe siècle un Tristan et Isolde s’inspirant du
récit de Thomas (voir Figure 29). Lorsque Tristan et Isolde sont bannis par
le roi Marke, ils vont se réfugier dans une grotte cachée dans la montagne :
cette grotte de forme parfaite reçoit l’ombrage de nombreux arbres, dans
lesquels chantent les oiseaux. Trois beaux tilleuls protègent une source.
Dans ce lieu idyllique, les amants connaissent une vie de bonheur parfait :
[…] ils se regardaient tous les deux, et cela les nourrissait ; la récolte de leurs yeux était leur
unique nourriture à tous deux ; ils ne se nourrissaient là-bas que d’amour et d’affection ! […]
Que leur fallait-il de plus ? Ils avaient leur cour, ils avaient en abondance ce qu’il faut pour le
bonheur ; leurs fidèles serviteurs, c’étaient le vert tilleul, l’ombre et le soleil, le ruisseau et sa
source, les fleurs, l’herbe, le feuillage et sa floraison – tout ce qui fait le plaisir de l’œil. Ils
avaient à leur service le chant des oiseaux, rossignolet joli, grive et merle, et autres oiseaux
des bois. […] Leur fête, c’était l’amour même. […] Il y avait là un homme auprès d’une
femme, une femme auprès d’un homme : de quoi d’autre avaient-ils besoin ? Ils avaient tout
ce qu’ils désiraient et ils étaient là où ils voulaient être82.

Figure 28 : Tristan et Yseut dans la forêt, Tristan en prose, Luce du Gast, BnF Fr. 102, fol. 71, XVe s.
Figure 29 : Tristan et Yseut dans la forêt, Tristan en prose, BnF Fr. 97, fol. 62, XVe s.

Chez Gottfried, l’amour est idéal. Il dépasse toute autre considération,


matérielle ou morale. La forêt est donc conçue comme un nid d’amour,
protégeant le plaisir des amants et l’accroissant par le plaisir des sens. La
forêt de Béroul est à la fois plus réaliste – la forêt reste un lieu sauvage – et
tout aussi symbolique : l’amour n’est pas idéal. C’est un péché et une
souffrance. Dans cette perspective, la forêt, avec sa plasticité symbolique
coutumière, devient un refuge autant qu’une pénitence.
Dans le roman de Béroul, le philtre qui a fait naître la passion entre
Tristan et Yseut a un effet limité dans le temps : l’amour dure trois ans. Au
terme de ces trois ans, Tristan, parti à la chasse au plus profond de la forêt,
et Yseut, dans sa loge de feuillages, réalisent tous deux leur folie. Ils ont
renoncé à tout par amour, à leur rang, aux richesses, à une vie honorable et
respectant les règles de la société et de la religion83. Ils décident alors de
revenir à la civilisation et de solliciter, avec l’aide de l’ermite Ogrin, le
pardon du roi Marc. La vie en forêt est tellement âpre qu’elle est en soi une
expiation :
Gent dechacie, a con grant paine
Amors par force vos demeine !
Pauvres proscrits, dans quelle grave souffrance la force de l’amour vous a-t-elle entraînés84 !

Ogrin ne demandera pas aux amants d’autre pénitence, du moment qu’ils


se repentent de leur faute. C’est également dans cet esprit de mortification
que Lancelot se retire dans la forêt après la mort de Guenièvre et la
désastreuse bataille de Wincestre :
[Lancelot] estoit de si grant abstinence qu’il ne menjoit fors pain et eve et racines qu’il
cueilloit en la broce […] quatre anz fu Lancelos leanz en tel maniere qu’il n’iert hom nez qui
tant poïst sofrir peinne et travaill comme il soufroit de jeüner et de veillier et d’estre en
prieres et de lever matin.
[Lancelot] respectait une si grande abstinence qu’il ne se nourrissait que de pain, d’eau et de
racines cueillies dans les broussailles. […] Ainsi vécut Lancelot pendant quatre ans, vivant
d’une manière telle qu’il n’était aucun homme sur terre qui aurait pu supporter autant de
jeûner, de veiller, de rester en prières et de se lever si tôt85.

La forêt, refuge des pécheurs, est en définitive un lieu de rédemption.

Vers la sanctification
D’autres héros épiques font le choix de la vie en forêt, soit en tant que
réprouvés, comme Renaut de Montauban et ses frères, soit en tant que
pénitents.
Dans Le Moniage Guillaume, Guillaume d’Orange, après avoir renoncé à la
vie dans le siècle, renonce également à la vie monastique et se fait ermite.
En tant que guerrier, il a tué de nombreux ennemis : c’est un péché dont il
doit se racheter86. Comme Jésus, comme de nombreux saints – ainsi saint
Antoine –, il choisit de se retirer dans un « désert » pour se rapprocher de
Dieu. Comme eux, il doit affronter le démon : alors qu’il cherche à
construire un pont pour faciliter le passage d’un torrent aux pèlerins de saint
Jacques, le diable détruit chaque nuit ce qu’il a construit le jour. Il décide
alors de faire le guet et affronte le diable qu’il précipite dans le torrent. Une
fois ce dernier prisonnier des tourbillons du courant, il achève le pont. C’est
ainsi que le preux Guillaume d’Orange devient saint Guillaume, celui qui
finit ses jours dans son ermitage de Saint-Guilhem-le-Désert87.
L’érémitisme, ou le retour à la forêt, constitue donc une étape vers la
sainteté. La vie ascétique qu’impose la forêt sauvage, la lutte contre les
bêtes féroces et les démons, le travail de défrichement pour faire entrer la
lumière de Dieu dans la pénombre des bois, tout cela fait du pécheur un
saint. Ainsi la chanson de geste se rapproche-t-elle de l’hagiographie au
travers de la forêt.
Pour de nombreux héros épiques, la forêt apparaît en effet comme une
étape vers la sainteté. Après de multiples épreuves, parmi lesquelles
figurent les sévices infligés en forêt par Milon, Florence de Rome se réfugie
dans le monastère de Beau-Repaire où elle prend le voile. Elle y accomplit
des miracles, en guérissant tous les malades qu’on lui amène. Or, ceux qui
lui ont fait du tort sont tous tombés malades : Milon est par exemple devenu
lépreux. Au bruit de sa réputation, tous viennent à Beau-Repaire, avouent
publiquement leurs péchés et sont ensuite guéris par la « sainte nonain », la
sainte nonne88. Si Florence revient ensuite dans le siècle, puisqu’elle
retrouve son mari, elle n’en a pas moins le parcours d’une sainte. Ses
épreuves constituent un martyre dont l’épisode en forêt est une étape. De
même, Renaut de Montauban et ses frères endurent de grandes souffrances
dans la forêt des Ardennes (voir Figure 30) :
Et Renaus et si frere ont les destrois passés.
En la parfonde Ardane es les vos tos entrés ;
Lors lor covint sofrir les tres grans povretés.
Renaut et ses frères, franchissant les défilés, s’enfoncèrent dans la forêt d’Ardenne avec leurs
hommes. C’est le dénuement le plus complet qui les y attend89…

Ils passent tout l’hiver en forêt, et endurent le froid, la faim et le


dénuement le plus complet : le harnachement des chevaux a pourri, leurs
vêtements sont déchirés, et leur peau noircie à force de porter leur cotte de
mailles à même la peau. Comme Tristan et Yseut, ils sont des bannis,
puisque le roi Charlemagne veut leur perte. Même leur père, Aymon, s’est
retourné contre eux. Au bout de sept ans, Renaut et ses frères se résolvent à
quitter la forêt pour solliciter l’aide de leur mère. Leur apparence est
tellement misérable qu’elle ne les reconnaît pas et les prend d’abord pour
des pèlerins ou des ermites sortis du bois (voir Figure 31). Grâce à elle, ils
rejoignent la Gascogne et reprennent une vie de chevalier. Mais plus tard,
au terme d’une vie d’épreuves, Renaut quitte ses frères et s’enfuit dans la
forêt pour mener une vie de pénitent :

Figure 30 : Les quatre fils Aymon montés sur le cheval Bayard, Renaud de Montauban, BnF, Fr. 766,
fol. 93, XIVe s.

Or s’en ala Renaus a pié grant aleüre


De ci a l’avesprée par la forest oscure.
Si mangüe de pomes et mainte bone mure,
Et botons et alies et mainte [neple dure].
Autresi vait paisant comme beste en paisture.
[Renaut] est entré dans une forêt obscure et poursuit sa marche sans ralentir jusqu’au soir. Il
se nourrit de pommes, de mûres et de nèfles dures qu’il absorbe en quantité, ainsi que des
boutons de fleurs et d’alises, comme les bêtes des champs et des bois90.

Figure 31 : Les quatre fils Aimon sortant de la forêt, Renaud de Montauban, BnF, Ms 5073 Rés,
fol. 32 v°, XVe s.

Ce voyage le conduit jusqu’à Cologne, où il participe à la construction de


la cathédrale comme simple ouvrier. Comme il travaille dur pour un salaire
très faible, il s’attire la haine des autres ouvriers qui le tuent par traîtrise et
le jettent dans le Rhin ; mais sur l’ordre de Dieu, les poissons font remonter
son corps à la surface, tandis qu’une intense clarté en émane et que les
anges chantent pour lui. C’est le premier miracle de saint Renaut. Là
encore, la forêt apparaît comme une étape rédimant le pécheur et le menant
à la sainteté.
Girart de Roussillon enfin cherche à échapper à Charles Martel ainsi qu’à
expier ses fautes : il sera charbonnier en forêt. Après avoir perdu son
château et ses hommes, il est contraint de prendre la fuite avec sa femme
Berthe. Ils se cachent dans la forêt des Ardennes. Girart rêve de se venger
de Charles, mais un voleur lui dérobe ses armes et son cheval. Désespéré, il
ne sait que faire. C’est alors qu’un ermite lui conseille de s’enfoncer dans la
forêt pour rencontrer un autre ermite, dont le grand âge, les nombreuses
mortifications, l’isolement dans la forêt profonde attestent d’une extrême
sagesse (voir Figure 32). Ce dernier l’invite énergiquement à la pénitence.
Sa femme l’en supplie. Girart accepte. S’ensuit un voyage à travers la forêt,
dans des « sentiers avec beaucoup de passages difficiles et d’obstacles, de
ronces et d’églantiers pleins d’épines91 », où il chemine, toujours en
compagnie de Berthe, d’ermitage en maison modeste. Il s’entend maudire
par les femmes qui ont perdu un mari ou un frère au cours des guerres qu’il
a provoquées. Il tombe malade et se retrouve réduit à la mendicité. Tout
l’accable et c’est précisément là qu’est le miracle :
Figure 32 : Girart et Berthe devant un ermite, Roman de Girart de Rossillon (jadis duc de
Bourgogne) et de Berthe sa femme, Eude Savesterot, BnF, Fr. 15103, fol. 40 v°, XVe s.

Car s’el ne fust faidis e tant desers,


Ja ne partist de mal ne fust convers.
S’il n’avait été proscrit et abandonné de tous, jamais il n’aurait renoncé au mal et n’aurait
changé de vie92.
Si Renaut ou Florence traversent la forêt comme une épreuve parmi
d’autres les conduisant à la sainteté, Girart vit dans la forêt toute une vie de
pénitence. Il y passe vingt-deux ans où il travaille comme charbonnier,
tandis que Berthe gagne sa vie comme couturière : contrairement à
Guillaume qui choisit la voie de l’érémitisme, au plus près de Dieu, Girart
et Berthe s’engagent sur un chemin d’humilité, en vivant la vie de pauvres
gens.
.xxii. ans nestet pels bos erbos
Amassan lo carbo ab dols ab plors…
[Girart] demeura alors vingt-deux ans dans l’épaisseur des bois touffus à fabriquer le charbon
dans la douleur et les larmes93.

Le charbonnier, pauvre parmi les pauvres, vit aux franges de la société.


Sale et noir de charbon, il demeure dans la forêt tout en étant au contact de
la population pour vendre le produit de son travail. Il incarne donc la
modestie et l’humanité qui faisaient défaut à Girart quand il était puissant.
À la fin de sa vie, à nouveau en possession de ses terres, Girart en fait don à
Dieu ainsi que sa personne. Berthe entre également en religion, après avoir
contribué à la construction de la cathédrale de Vézelay en portant des sacs
de sable. Comme il l’a fait pour Renaut de Montauban, Dieu lui manifeste
sa faveur par des miracles. Là encore, la forêt apparaît comme une étape
nécessaire vers la sainteté : c’est là que Girart comprend sa faute, c’est là
qu’il fait pénitence et trouve un chemin jusqu’à Dieu. Car la forêt met
l’homme à nu, le découvre jusqu’à l’âme et le transforme profondément.

Naître et renaître : un lieu d’apprentissage et de métamorphose


La forêt, en d’autres termes, est une mère. Matrice du héros, elle permet
sa naissance ou sa renaissance. Les pécheurs, quels qu’ils soient, sortent
renouvelés de la forêt : c’est une renaissance. Et il y a aussi des naissances :
dans l’épopée tardive, il n’est pas rare que des enfants viennent au monde
dans la forêt. Pour une raison ou une autre, les mères doivent traverser les
bois… et y sont prises des douleurs de l’enfantement. Dans Lion de
Bourges, Herpin et sa femme Alis sont exilés par Charlemagne. Alors qu’ils
se reposent sous un chêne, Alis ressent les premières contractions : elle
envoie son mari chercher une sage-femme au prochain village. Pendant
qu’Herpin s’égare dans la forêt, Alis met un fils au monde ; mais elle se fait
enlever par des brigands qui comptent la vendre, pensant tirer un bon prix
d’une femme aussi belle. Quant à l’enfant, dont ils ne peuvent espérer
aucun profit, ils l’abandonnent. Que devient ce nouveau-né livré à la forêt ?
Il est d’abord visité par des fées qui lui accordent plusieurs dons, puis
recueilli par une lionne, qui le nourrit de son lait. C’est pourquoi le
nourrisson s’appellera Lion. Ainsi, l’enfant « que Jésus aimait tant94 » est
secouru successivement par des figures féminines de l’autre monde, puis
par la femelle d’un animal fréquemment considéré comme un symbole
christique95 (voir Figure 33). Le petit Lion est recueilli par un chasseur, au
grand désespoir de la lionne, qui, dit-on, « moruit de duelz pour l’amour
l’anfansson96 » (meurt de douleur pour l’amour du petit enfant). Un motif
très similaire se rencontre dans Doon de Mayence, où le petit Doon, à la
suite d’une trahison, se retrouve seul dans une immense forêt. L’enfant s’est
abrité pour la nuit au creux d’un chêne, dans lequel il s’est fait un lit
d’herbes et de feuilles et où il dit ses prières. Un tigre le repère et cherche à
le dévorer ; mais Dieu envoie un lion à son secours. Ému par la détresse du
petit, le lion affronte le tigre et donne sa vie pour la défense de l’enfant97
(voir Figure 34). Dans les deux chansons, le lion surgit du plus profond de
la forêt pour venir en aide à un enfant démuni, et offre sa vie pour son
salut : on dirait que dans la forêt se cache Dieu même.

Figure 33 : Lion de Juda, Liber Floridus, Lambertus de Sancto Audomaro, BnF, Lat. 8865, fol. 43,
XIIIe s.
Figure 34 : Lion et tigre s’affrontant, Ancient testament, BM Besançon, ms 0002, fol. 130 v°, XIIIe s.

Dans Valentin et Orson, une chanson de geste perdue mais dont la mise en
prose a connu de nombreuses versions imprimées du XVIe siècle jusqu’à la
Bibliothèque bleue au XIXe siècle, la mère donne naissance à des jumeaux
dans la forêt. Une ourse s’empare de l’un d’eux, et l’autre est recueilli par le
roi Pépin : le premier, Orson, grandit comme un homme sauvage, élevé par
l’ourse comme s’il était l’un de ses oursons (voir Figure 35). Le second,
Valentin, grandit à la cour et devient un chevalier accompli98. Le destin
opposé des jumeaux met en évidence les fonctions distinctes de la nature et
de la culture dans l’éducation d’un enfant : lorsque Valentin capture Orson,
celui-ci ne sait pas parler. De plus, le lait de l’ourse l’a rendu velu comme
elle. Si la forêt lui a permis de croître en force et en vigueur, il lui faudra
acquérir l’humanité qui lui manque par le baptême et par l’apprentissage du
langage et des bonnes manières. Bien que Perceval ne soit pas un homme
sauvage, il a lui aussi grandi dans la « Gaste Forest soutainne99 » auprès de
sa mère, qui s’est bien gardée de lui donner l’éducation d’un chevalier, dans
l’espoir d’épargner sa vie (elle a déjà perdu son mari et deux fils). La forêt
préserve de la vie en société : y grandir revient à vivre dans l’ignorance, ce
qu’illustrent les questions naïves que le jeune Perceval pose aux chevaliers
rencontrés dans la forêt, ainsi que ses maladresses envers les demoiselles ou
son ignorance des usages de la cour.

Figure 35 : L’ours, Le Livre de chasse, que fist le comte Febus de Foys, seigneur de Bearn, Gaston
Phébus, BnF, ms. Fr. 616, fol. 27 v°, XVe s.

Or, cette opposition entre nature et culture est résolue dans Tristan de
Nanteuil. Né en mer, pendant une tempête, le petit Tristan est séparé de ses
parents. Il est sauvé par une sirène, qui l’allaite, puis par des pêcheurs dont
la femme donne également le sein au bébé. Une « cerve » – inspirée peut-
être du souvenir de Cernunnos, dieu-cerf des Celtes, symbole à la fois de
puissance virile et de fécondité – s’empare enfin de l’enfant et l’emporte
dans la forêt. De même que le poète de Lion de Bourges préfère parler d’un
lion plutôt que d’une lionne, de même celui de Tristan de Nanteuil féminise
le masculin « cerf » plutôt que de parler d’une biche (voir Figure 36). Il faut
dire que cette cerve est particulièrement féroce : elle tue hommes, femmes
et enfants, et s’en prend de préférence aux païens qu’elle dévore. Mais elle
prend soin de Tristan, qu’elle nourrit de beurre et de fromage, de viande
cuite et crue et de bon pain de froment100. Cette nourriture volée aux
humains indique que Tristan, tout sauvage qu’il soit, échappe à l’animalité.
L’adolescent qu’il est devenu a le corps velu, mais un beau visage clair. Il
vit nu, mais des anges lui ont appris à parler, et même plusieurs langues :
La cerve m’a nourry moult tres longue saison,
Et ly ange des cieulx, quant j’estoie enfançon,
M’aprint et doctrina au vouloir de Jhesum ;
Tant que jë eux .vii. ans, fut a ma nourrisson.
Or n’est language ou monde que moult bien ne savon…
La cerve m’a élevé pendant très longtemps, et quand j’étais tout petit, un ange des cieux
m’instruisit et m’enseigna selon la volonté de Jésus. Telle fut mon éducation jusqu’à mes sept
ans. Il n’y a pas de langage en ce monde que je ne maîtrise à la perfection101.
Figure 36 : Lion ressuscitant son petit - cerf, Bible latine, Paris, m034, fol. 1 r°, XIVe s. ©
Bibliothèque Mazarine.

En Tristan de Nanteuil se rejoignent l’éducation de la nature et celle des


hommes, sous l’impulsion de Dieu. La cerve est pour lui une mère
nourricière, mais elle représente aussi un Dieu sachant et guerrier, assisté de
surcroît par un ange. Dans cette nature à la fois magique et divine, Tristan
ne saurait être ignorant. La connaissance et la révélation de la vraie foi lui
sont données en dehors de tout enseignement humain. Dieu pourvoit à tout
au sein de la forêt matricielle.
Heureux ceux qui vivent dans la forêt, car tout leur sera révélé : dès lors
que la sombre forêt, lieu d’ignorance, est habitée par Dieu, les animaux
s’associent aux humains pour défendre la vraie foi. Les pécheurs retrouvent
la voie de la sagesse, et les enfants qui y sont nés sont, par nature ou par
miracle – on ne sait tant les deux se confondent – pourvus de toutes les
qualités inhérentes au héros guerrier ou au saint. Ainsi que l’écrit Mircea
Eliade,
[l]’enfant abandonné à la Terre Mère, par elle sauvé et élevé, ne peut plus partager le destin
commun des hommes, car il répète le moment cosmologique des commencements et pousse
au milieu des éléments et non pas au milieu de la famille. C’est pour cela que les héros et les
saints se recrutent parmi les enfants abandonnés : par le simple fait de l’avoir protégé et
préservé de la mort, la Terre-Mère (ou les Mères-Eaux) l’a voué à un destin grandiose,
inaccessible aux mortels de la commune espèce102.

Dans la littérature médiévale, c’est la forêt, obscure et profonde, qui en


vient à jouer le rôle de mère salvatrice et christianisée. La forêt devient le
lieu du miracle, la terre de prédilection des anges qui s’y incarnent pour
annoncer la volonté de Dieu : c’est ainsi que dans la suite de Tristan de
Nanteuil Blanchandine, qui cache son sexe sous des habits d’homme, est
entraînée dans la forêt en poursuivant un cerf providentiel, à la rencontre de
son destin. La chasse devient calvaire, car le cerf s’enfonce au « plus
dru103 », et Blanchandine est déchirée par les ronces et les épines d’une
forêt pénitentielle. Elle accueille la souffrance et l’accepte comme Jésus a
accepté les tourments et la mort. Cet enchaînement de motifs devenus
traditionnels dans la littérature du XIVe siècle se termine sur une scène
originale : un ange apparaît alors à Blanchandine et lui propose de choisir
son sexe. Veut-elle rester femme, ou devenir un homme ? Comme elle croit
– à tort – que son époux Tristan est mort, et qu’elle désire le venger sur le
champ de bataille, Blanchandine choisit d’être un homme. Par la voix de
l’ange, Dieu omniscient pourrait dire à Blanchandine que Tristan est
vivant ; mais il ne le fait pas. De fait, c’est une autre question qui se pose au
sein de la forêt : celle de l’identité. Qui suis-je vraiment ? Et qui devenir ?
Lieu de transfiguration spirituelle, la forêt, par la vertu de Dieu, devient
alors le cadre d’une métamorphose physique :
La belle Blanchandine ens ou bois demoura.
Oyés qu’i lui advint, et on vous le dira :
Nouvelle char li vint, en aultre se mua
Et devvint ung vrai homs…
La belle Blanchandine reste dans la forêt. Écoutez ce qui lui advint, et on vous le dira : il lui
pousse un nouveau morceau de chair, elle se métamorphose et devient véritablement un
homme104…

La chanson de geste tardive, qui croise motifs romanesques et épiques,


renouvelle ainsi l’imaginaire de la forêt : abritant sous son feuillage un
merveilleux populaire autant que chrétien, la forêt est un monde magique.
Ce syncrétisme des légendes conduit à voir dans la forêt une mère qui
nourrit et éduque, protectrice et cruelle à l’instar de Dieu. Nul n’entre
impunément dans une forêt : on en sort touché par la grâce, métamorphosé,
purifié. Il y a, dans toute forêt, un mystère. Que son sous-bois cache un
ange ou une fée, la forêt transforme l’être humain de bien des manières.
Forêts allégoriques :
roman et poésie à la fin du Moyen Âge
« Je gravis les rochers, les montagnes, je m’enfonce dans les vallons,
dans les bois, pour me dérober autant qu’il est possible au souvenir
des hommes et aux atteintes des méchants. »
Jean-Jacques Rousseau, Rêveries du promeneur solitaire
(Septième promenade), 1782.

Permanence romanesque…
À la fin du Moyen Âge, la sensibilité a changé. Les modes d’écriture
aussi. Y a-t-il une appréhension nouvelle, directe et objective de la réalité et
en particulier des lieux où se placent l’action romanesque et la rêverie
poétique ? Les allusions aux paysages, aux forêts, vergers, clairières et
fontaines, demeurent rares, voire absentes. L’univers romanesque garde
cependant en mémoire les schémas narratifs anciens ancrés dans le
merveilleux et la fiction. Le succès du roman de Mélusine105 repris à la fin
du XIVe siècle par Jean d’Arras, puis par Coudrette le prouve : la forêt où le
jeune seigneur de Lusignan tue son seigneur lors d’une partie de chasse, où
il erre longuement avant de rencontrer la fée dont il tombe amoureux, est
toujours chargée de valeur symbolique et n’a pas besoin d’être décrite.
Adaptées en prose, rassemblées dans de vastes compilations, les aventures
des chevaliers arthuriens les conduisent toujours vers des forêts celtiques
pour abolir les dernières coutumes d’un monde originel qui ne connaît pas
les règles de la chevalerie et de la courtoisie. Ainsi Perceforest106, immense
ensemble romanesque composé vers 1340 pour Guillaume Ier de Hainaut,
retrace les origines de l’Angleterre en reliant l’histoire d’Alexandre et celle
du Graal. Alexandre confie l’Écosse à Gadifer et l’Angleterre à Betis, son
frère. L’île est alors encore couverte de forêts peuplées d’êtres et de lieux
merveilleux. C’est après avoir pénétré dans les bois maléfiques de
Darnantes et en avoir supprimé les enchantements que Betis prend le nom
de Perceforest. Froissart imagine quant à lui le vaste roman de Melyador107
dans lequel le motif de la chasse au cerf ouvre la quête du héros, qu’il
s’agisse de Camel de Camois ou de Sagremor, le fils du roi d’Irlande. La
forêt demeure ainsi le lieu privilégié où le chevalier doit s’enfoncer s’il
cherche des aventures et veut prouver sa valeur.
Vers la fin du XIVe siècle un autre roman, Ysaÿe le Triste108, reprend et
poursuit l’histoire de Tristan et Yseut. L’auteur imagine que leur fils Ysaÿe,
né dans une forêt, est confié par sa mère à un ermite, lequel remet l’enfant à
quatre fées vivant dans la « Verde Forest ». Le schéma est repris ici au
roman de Lancelot qui raconte comment Lancelot est élevé par la Dame du
lac. À l’adolescence, Ysaÿe revient vers le monde des hommes et s’engage
dans de multiples aventures afin de faire cesser le déclin de la chevalerie.
Les épisodes situés dans la forêt sont nombreux, colorant le récit du
souvenir de légendes anciennes. Dans la forêt de Darnantes se trouve la
tombe de Merlin, où Ysaÿe peut interroger le devin. Le héros et ses
compagnons traversent des lieux inquiétants : la « Gaste Forest » où tous
les arbres sont secs, la Forêt aux aventures où vit un chevalier faé, le
Chevalier sauvage, la Forêt aux lions gardée par deux frères redoutables, la
Forêt de l’estrange pas, royaume où il faut pénétrer en combattant, ou
encore la Forêt noire hantée par un géant. Les péripéties s’enchaînent pour
prouver comment Ysaÿe, tout comme les chevaliers arthuriens qui l’ont
précédé, est capable de vaincre les derniers enchantements d’un monde
primitif et sauvage – incarné par la forêt – afin de restaurer les valeurs de la
chevalerie.
Les romans d’aventure du XVe siècle conduisent le plus souvent leurs
héros dans d’autres contrées, loin des forêts bretonnes. Les lieux de
l’action, parfois précisés par des toponymes empruntés à la réalité,
n’introduisent pas pour autant de distinction entre réel et imaginaire. Dans
les romans composés notamment pour la cour de Bourgogne – Jean
d’Avesnes, Gilles de Chin, Le Roman de la Violette ou encore Baudouin de
Flandre109 –, les aventures sont situées dans les forêts du Nord et des
Flandres : forêt d’Ardenne, forêt de Mormal ou forêt de Valois. La précision
géographique ne donne cependant qu’une illusion de réalité et n’entame pas
la part de rêve que conserve la forêt médiévale : Jean d’Avesnes combat un
dragon dans la forêt de Valois, épreuve annonçant son avenir valeureux ;
Gérard de Nevers, dans Le Roman de la Violette, défend une jeune fille
abandonnée dans une clairière. Baudouin de Flandre poursuit un énorme
sanglier noir depuis Noyon jusqu’à la forêt de Mormal : c’est là qu’il
rencontre une créature magnifique, fille d’un roi d’Orient, qui chevauche
seule un palefroi noir, là qu’il devient la victime d’un enchantement
maléfique. C’est dans cette même forêt que Jean d’Avesnes s’enfuit et se
réfugie lorsqu’il est éconduit par la dame qu’il aime. Pendant sept années, il
vit dans un arbre creux, se nourrissant d’herbes et de racines et se
transformant en « homme sauvage » ; nu, recouvert de poils, il se confond
avec le monde de la forêt. La dame retrouve son ami en traversant la forêt
d’Ardenne, alors qu’elle vient se recueillir à l’abbaye de Saint-Hubert
d’Ardenne. L’être étrange qu’est devenu le jeune chevalier est d’abord
confondu avec un loup. Il reprend son apparence humaine en quittant la
forêt et en retrouvant l’amour de son amie.
Le motif de l’homme sauvage s’impose en effet à la fin du Moyen Âge
dans l’imaginaire des hommes, dans les contes et les romans, dans les
enluminures qui ornent les manuscrits, dans les tapisseries qui agrémentent
les demeures, et même dans les spectacles et les fêtes. Le 26 janvier 1393 à
la cour de France, à l’occasion d’un bal déguisé pour fêter le remariage
d’une demoiselle d’honneur, le roi Charles VII et quelques amis, pour se
distraire, se déguisent en « hommes sauvages » : vêtus de costumes sur
lesquels poils et plumes sont collés, velus de la tête aux pieds, ils poussent
des cris d’animaux et divertissent la foule. Mais une torche brandie par le
duc d’Orléans enflamme les danseurs : le roi ne doit son salut qu’au geste
de la duchesse de Berry qui l’enveloppe de sa robe pour étouffer le feu ;
mais quatre hommes meurent, brûlés vifs. Ce bal, resté célèbre sous le nom
de bal des Ardents, témoigne tragiquement de la mode pour les « hommes
sauvages » (voir Figure 37).

… et renouveau poétique
C’est sans doute davantage dans les œuvres poétiques que se développent
une sensibilité originale et une nouvelle façon d’évoquer des paysages et
des lieux qui repose sur un usage systématique de l’allégorie. L’influence
des poètes courtois du XIIe siècle, mais surtout du Roman de la Rose
composé au siècle suivant, y est déterminante. L’univers mental évoqué
dans cet art d’aimer est mis en scène grâce à une technique d’écriture
transposant une réalité vers une senefiance. Les poètes du Moyen Âge
finissant reprennent et amplifient ce procédé afin de dire leurs sentiments et
leurs états d’âme.
Charles d’Orléans110 surtout est l’héritier de cette tradition et excelle dans
ce jeu poétique qui lui permet de montrer les cheminements de sa pensée et
de son cœur. Le thème de l’exil, l’éloignement de la France, les deuils
successifs qu’il connut, ses désespoirs amoureux, le sentiment du temps qui
passe colorent son œuvre de mélancolie. Ballades et rondeaux se succèdent
en dessinant un paysage mental qui repose sur des analogies entre le monde
visible et les états d’âme du poète. La forêt, toujours inquiétante pour les
hommes de cette époque, lui fournit le lieu qui caractérise le mieux ses
angoisses et ses doutes : l’action décrite dans les poèmes est alors située de
façon significative « en la forest d’Ennuyeuse Tristesse » (ballade LXIII),
« en la forest de Longue Actente » (ballade CV, rondeaux CCXXV et CCXXVIII),
« en la forest de ma Pensee » (rondeau CXCVII) ou dans « le boys de
Merencolie » où se trouve « l’ermitage de Pensee » (ballade XLIII). Ainsi
dans la ballade LXIII, composée en Angleterre, se croisent plusieurs motifs
souvent associés :
Figure 37 : Le Bal des Ardents, Chroniques, Jean Froissart, BnF, Fr. 2646, f. 176, XVe s.

En la forest d’Ennuyeuse Tristesse,


Un jour m’avint qu’a par moy cheminoye,
Si rencontray l’Amoureuse Deesse
Qui m’appella, demandant ou j’aloye.
Je respondy que, par Fortune, estoye
Mis en exil en ce bois, long temps a,
Et qu’a bon droit appeller me povoye
L’omme esgaré qui ne scet ou il va.
Dans la forêt de Pesante Tristesse, un jour que je cheminais, solitaire, il arriva que je
rencontrai la déesse de l’Amour, qui me héla, demandant où j’allais. Je répondis que j’étais
exilé dans ce bois par Fortune, depuis longtemps déjà, et qu’à bon droit je pouvais m’appeler
l’homme égaré qui ne sait où il va (ballade LXIII).

L’exil, la mort de l’être aimé et la folie qui s’empare de l’amant, tout se


conjugue pour accabler l’homme. La forêt porte en elle le désespoir du
poète qui trouve dans ce lieu l’expression de sa tristesse. Voyageur esgaré,
il voit que la forêt porte les stigmates de la tempête qui a abattu ses arbres et
détruit ce qui faisait sa richesse. Lui aussi est accablé alors qu’il a tout
perdu :
En la forest de Longue Actente,
Par vent de Fortune Dolente,
Tant y voy abatu de bois
Que, sur ma foy, je n’y congnois
A present ne voye, ne sente.
Pieça, y pris joyeuse rente,
Jeunesse la payoit contente,
Or n’y ay qui vaille une nois,
En la forest de Longue Actente.
Dans la forêt de Longue Attente, je vois tant de bois abattu par la tempête de Mauvaise
Fortune que, par ma foi, je n’y reconnais à présent plus aucun chemin ni sentier. Jadis, j’y
avais une rente de joie, Jeunesse la payait comptant – aujourd’hui je ne possède plus rien qui
vaille même une noix, dans la forêt de Longue Attente (rondeau CCXXV).

Pourtant, autrefois la forêt pouvait le rendre heureux et l’enrichir en lui


fournissant des rentes grâce aux coupes des arbres et aux ventes. Désormais
il n’y a plus rien. Elle peut même devenir le lieu de rencontres dangereuses,
comme des voleurs ou des brigands prêts à trahir :
En la forest de Longue Actente,
Forvoyé de joyeuse sente
Par la guide Dure Rigueur,
A esté robbé vostre cueur…
En la forêt de Longue Attente, fourvoyé loin des gais chemins, votre cœur a été dérobé par la
guide Cruelle Rigueur… (rondeau CCXXVIII)

Faut-il que le poète s’acharne et cherche son chemin dans le malheur ?


Faut-il qu’il traverse la forêt avec une escorte de fourriers et d’officiers ?
Au bout du chemin il arrivera à la « cité de Destinée » et sera hébergé dans
« l’hôtellerie de Pensée » (ballade CV).
Autre motif lié à la forêt, la chasse, si prisée au Moyen Âge, sert de cadre
pour dire les refus et les espérances du poète :
Ainsi que chassoye aux sangliers,
Mon cueur chassoit aprés Dangiers
En la forest de ma Pensee.
Lors mon cueur lascha sus levriers,
Lesquelz sont nommez Desiriers ;
Puis Esperance l’asseuree,
L’espieu ou poing, sainte l’espee,
Vint pour combatre voulentiers,
Ainsi que chassoye aux sangliers.
Tandis que je chassais les sangliers, mon cœur chassait Refus dans la forêt de ma Pensée.
Alors mon cœur lâcha sur lui les lévriers nommés Désirs ; puis Espérance, sûre d’elle, épieu
au poing et épée ceinte, arriva pour combattre avec ardeur, tandis que je chassais les sangliers
(rondeau CXCVII).

La plupart des poètes suivent cette mode allégorique. Alain Chartier


rappelle que Pitié a été prise en embuscade par Danger, Refus et Crainte
dans « la gaste Forest de Longue Actente111 ». René d’Anjou, dans le Livre
du Cœur d’amour épris112, imagine que le poète-amant aime une dame dont
il ne connaît pas les sentiments, et rêve qu’il part en compagnie du
chevalier Désir afin de conquérir l’amour de cette dame. Leur quête
commence par une aventure à l’orée d’une grande forêt : ils découvrent le
pavillon d’Espérance « en pays estrange et contree descongneue » (III, 13).
Leur étape suivante est l’ermitage où les accueille une naine ; puis,
s’enfonçant plus profondément dans le sous-bois, ils arrivent à la Forêt de
Longue Attente (voir Figure 38). Ils franchissent des broussailles épaisses là
où des paysans avaient taillé du bois et rassemblé des fagots. Les branches
et les épines sont si drues qu’elles égratignent les visages des chevaliers et
lacèrent leurs chevaux (XII, 18). Ainsi ils arrivent au cœur de la forêt où les
attendent des aventures merveilleuses. Le paysage, même rapidement
esquissé, souligne la difficulté de la quête des chevaliers.
D’autres poètes reprennent cette métaphore. En 1459, Jacques Milet
décrit, en un long poème intitulé « La Forest de Tristesse », le voyage d’un
amant repoussé par une « dame sans merci ». Le poète se représente en
songe, égaré dans cette forêt gardée par la terrible Mélancolie :
C’est icy la forest d’ennuy,
Ou arbre nesung fruict ne porte
Et n’y peut vivre en paix nulluy,
Tout est layt et de fausse sorte,
Tout ainsi qu’elle se comporte.
Melancolie en est la dame
Et n’est creature si forte
Qui contre elle droit y reclame.
C’est ici la forêt de chagrin, où aucun arbre ne porte de fruit. Nul n’y peut vivre en paix, tout
est laid et faux, comme l’est son comportement. Mélancolie en est la dame, et il n’y a pas de
créature si puissante qu’elle puisse se dresser à bon droit contre elle113.
Figure 38 : Cœur et Désir dans la forêt de Longue Attente, Le livre du cuer d’amours espris, René
d’Anjou, BnF, Fr. 1509, f. 10 v°, XVIe s .

Dans cette forêt, véritable cauchemar pour les amoureux, il ne voit que
cadavres et gens désespérés, il n’entend que cris et plaintes. Attachée à un
arbre, avec une chaîne d’Amer Souvenir, une jeune femme descoulouree
adresse une complainte à la reine des cieux. La pièce a sans doute eu du
succès et Simon Greban, dans la complainte qu’il compose à l’occasion du
décès de Jacques Milet en 1466, représente dans une forêt la désolation des
neuf Muses qui pleurent la mort du poète.
Lieu de la mélancolie, des dangers et des rencontres périlleuses, la forêt
est tout naturellement associée par les poètes à la mort. Le Chevalier
délibéré, composé par Olivier de La Marche en 1483 représente, lui aussi,
un héros habité par la mélancolie. Ce n’est plus l’amour qui le fait souffrir,
mais le sentiment que le temps passe et qu’il est, à l’automne de sa vie,
condamné à une fin prochaine. Il lui faut en effet comme tous les hommes
affronter deux chevaliers, qui sont au service de la Mort, Antique et Débile.
La forêt où il risque de les rencontrer emprunte alors son nom à la
mythologie :
Ces deulx chevaliers trescrueulx
En la grant forest d’Atropos
Tiennent le Pas Perilleux,
Tres horrible, tres merveilleux,
Sans avoir jour ne nuit repos
Et continuent leur propos
De tant combatre et de ferir
Que faire tout homme mourir.
Ces deux chevaliers fort cruels, dans la grande forêt d’Atropos, défendent le Pas Périlleux,
singulièrement horrible et effroyable. Sans jamais prendre de repos, jour et nuit, ils s’attachent
à un seul but : combattre et frapper, tant et si bien que c’est la mort qui attend tous les
hommes114.

La pensée de la mort se fait obsédante dans les œuvres du Moyen Âge


finissant et donne à la forêt sauvage une signification profonde et terrible.
En guise de conclusion : de forêts en forêts
« Bäume sind offensichtlich vernünftiger als wir,
sie streben immer nach dem Licht. »
Les arbres sont de toute évidence plus raisonnables que nous,
ils recherchent toujours la lumière.
Anke Maggauer-Kirsche, 1998

L’homme médiéval connaît bien la nature. Il sait exploiter la forêt pour sa


subsistance, pour nourrir ses bêtes, pour se soigner ou pour construire. C’est
un univers qui lui est familier, au moins à ses marges – la forêt profonde
restant peu explorée. En dépit de cette vision très pratique de la forêt,
l’image qu’il en donne dans les textes littéraires renvoie indéniablement à
l’imaginaire. Il n’y a pas de description réaliste des espaces boisés, ni dans
le roman, ni dans la chanson de geste : la forêt est avant tout une terre de
symboles.
Vaste territoire veiné de sentiers, elle attire à elle tout un peuple divers qui
la traverse ou s’y dissimule. Les charbonniers et les forestiers y travaillent :
si les premiers incarnent l’humilité et la piété, les seconds, souvent agressifs
ou prêts à trahir ceux qui se cachent dans les bois, jouent généralement un
rôle néfaste dans les textes littéraires. Les ermites exaltent leur foi dans un
désert qu’ils ont à cœur de défricher, afin de faire entrer ordre et lumière
dans la forêt sauvage. Les bandits cherchent à y commettre les crimes les
plus noirs, et les exilés, eux aussi hors la loi, souhaitent tout simplement s’y
fondre. Les femmes qui la traversent y courent de nombreux dangers, tandis
que le chevalier errant y vient en quête d’aventures. Les chasseurs peuvent
y rencontrer la mort ou l’amour. Les désespérés y aspirent à l’oubli. Les
enfants abandonnés y trouvent une mère. La forêt accueille tout le monde
(voir Figure 39).

Figure 39 : Meliadus caché dans la forêt, Guiron le Courtois, Bernarbò Visconti, BnF, NAF 5243,
fol. 38 v°, XIVe s.

Ce désert très fréquenté suscite donc les désirs les plus contradictoires :
les uns rêvent d’y laisser libre cours à leurs pulsions les plus féroces, les
autres aspirent à faire la paix avec eux-mêmes et avec Dieu, d’autres encore
voient dans la forêt une alcôve destinée aux plaisirs sexuels. Lieu sombre et
mystérieux, la forêt est enfin la matrice du héros, l’endroit où il va naître et
s’accomplir sur un plan spirituel ou guerrier. À l’image de ces bêtes
sauvages qui recueillent et élèvent des nouveau-nés humains, la forêt, en
définitive, fait grandir les humains qui la traversent. Autant elle peut tirer
l’homme vers le bas et l’animalité, autant elle peut nourrir l’âme et le cœur,
faisant surgir le plus pur idéal – un idéal que l’étroitesse des liens sociaux,
dans la cité, ne laisse pas germer et s’épanouir. N’est-elle pas une
cathédrale dont les vivants piliers, dans leur verticalité, s’enfoncent sous la
terre tout en tendant vers les cieux ? La forêt, séjour de la femme sensuelle
comme de la mère protectrice, apparaît comme une divinité première
investie par le Dieu chrétien.
Ainsi ouverte à tous les imaginaires, la forêt transforme profondément
ceux qui la traversent. De la naissance à la mort, ses sentes et ses pistes sont
autant de voies pour le cheminement de l’âme humaine, perpétuellement
égarée entre le bien et le mal. Sous ses frondaisons, dans le mouvement
perpétuel de l’ombre et de la lumière, la forêt se révèle entre refuge et
cauchemar, pénitence et pulsion, animalité et sacré : la forêt, pour l’homme
médiéval, est une âme115.
CHAPITRE 2
La forêt dans l’hagiographie
Anne Wagner et Monique Goullet

La forêt est le désert de l’Occident, la solitude sauvage où s’installent les


moines. Dans le contexte qui est le nôtre, les termes qui désignent cet
espace sont silva et saltus, avec des sens très proches et très larges en même
temps : ce sont des espaces boisés, sans plus. Quant au mot médiéval
forestis, on a vu qu’il revêt à l’origine un sens technique, à savoir un
territoire soustrait à l’usage général et dont le roi se réserve la jouissance ;
on parlera alors de « forêt royale » ou de « chasse réservée au roi »1. Ainsi,
en 648, le mot forêt se trouve dans un diplôme de Sigebert III concernant
l’abbaye de Stavelot ; les termes en sont : « dans notre forêt nommée
Ardenne, vaste solitude où se reproduisent les bêtes sauvages » ; le roi
Sigebert donne ainsi à l’abbé Remacle une terre inculte, bois ou marais, qui
est une « forêt » (forestis) régalienne, où a pu s’établir un monastère2.
La forêt est pleine de ressources. C’est une réserve de gibier, un espace de
cueillette (baies, fruits sauvages, miel, cire), un lieu d’exploitation du bois,
de la verrerie et de la métallurgie, un territoire de pacage pour les animaux.
C’est une source de revenus, elle est donc disputée. Les miracles de saint
Rémi décrits par Hincmar de Reims au XIe siècle racontent qu’au temps de
Louis le Pieux, ses forestiers envahirent une portion de la forêt que Rémi
avait achetée de son vivant dans les Vosges, affirmant que cette forêt
appartenait au fisc impérial plutôt qu’à saint Rémi. Devant les protestations
des hommes placés sous la puissance du saint, l’un des forestiers, en
discutant, vint vers ses porcs qu’il avait fait paître dans cette forêt, et trouva
parmi eux un loup. Montant à cheval, il le poursuivit, voulut le frapper et
tomba, sa tête heurta une branche et il mourut : c’est ainsi que le saint
défend avec énergie la propriété de sa forêt3.
Les arbres sont un lien fort entre paganisme et christianisme. Les récits
hagiographiques font une large place à des arbres remarquables, qu’ils
soient païens ou christianisés. On connaît l’épisode du pin de saint Martin,
qu’on lit au chapitre XIII de Sulpice Sévère : Martin voulant abattre un pin
sacré, il fut placé par les païens du côté où l’arbre devait tomber ; le saint
détourna le pin, qui s’abattit du côté opposé, emportant ainsi la victoire
contre les lois de la nature.
En revanche, Grégoire le Grand rapporte qu’à l’arrivée de Benoît au mont
Cassin :
[…] il y avait là un temple très ancien où, selon le rite antique des païens, un culte était rendu
à Apollon par les pauvres imbéciles d’une population agricole. Tout autour avaient poussé des
bois consacrés aux démons ; encore en ce temps-là une foule d’infidèles prenait beaucoup de
peine, dans son inconscience, à des sacrifices sacrilèges. Dès son arrivée, l’homme de Dieu
brisa l’idole, renversa l’autel, rasa les bois ; dans ce temple d’Apollon, il bâtit un oratoire à
saint Martin et, à l’emplacement de l’autel d’Apollon, un oratoire à saint Jean4.

Au VIIIe siècle, dans son action évangélisatrice, le missionnaire anglo-


saxon Boniface abat le chêne de Geismar (en Thuringe) consacré à Thor et
construit un lieu de culte avec le bois de cet arbre sacré5. C’est aussi dans
une des versions de sa Vita que sainte Geneviève voit sa flottille bloquée
par un arbre tombé dans la Seine ; par ses compagnons elle fait couper
l’arbre, emporté ensuite par le courant, pendant qu’elle prie ; dans une autre
version, l’arbre est emporté sans un coup, seulement sur la prière de
Geneviève. Dans les deux cas, deux serpents s’éloignent de l’endroit, signes
de la victoire de la sainte sur le mal, païen ou biblique6.
L’aristocrate Wulfoald, quant à lui, rapporte du mont Gargan des reliques
de Michel, au VIIIe siècle. Après une chasse, il banquette avec ses gens, et le
clerc qui les accompagne oublie le reliquaire sur un arbre qui grandit
miraculeusement : signe de la volonté divine, c’est là que Wulfoald fonde le
monastère de Saint-Mihiel. L’arbre fut inclus dans l’autel, une branche,
dont les fruits guérissaient les malades, en sort encore à l’époque du récit7.
Edina Bozóky souligne à ce propos que c’est l’édification d’un bâtiment de
culte qui permet la récupération de ces lieux sacrés. Il arrive que, par leurs
reliques, les saints continuent d’exercer une action vivifiante sur la nature :
lors du transfert des reliques de sainte Gudule, en hiver, un arbre, planté au
bord du chemin, s’inclina au-dessus du cercueil et se couvrit de feuilles et
de fleurs, puis il vint de lui-même se planter devant l’église. Ainsi, la nature
si souvent hostile devient, par l’intermédiaire des saints, porteuse du
message chrétien8.
Un texte riche : la Vie de saint Evroul
Dans son Histoire ecclésiastique, Orderic Vital (peu après 1141),
reprenant une Vie ancienne (Vita Ebrulfi), raconte en détail l’histoire de la
fondation du monastère Saint-Evroult-Notre-Dame-du-Bois (Orne) ; le texte
qui suit rassemble plusieurs thèmes qui caractériseront la relation entre les
saints et la forêt :
Lorsque le glorieux confesseur Evroul commença à être honoré par les frères parce qu’il
possédait la grâce de la sainteté, craignant de tomber dans le péché d’orgueil et désireux de se
consacrer à la contemplation de Dieu seul, il prit avec lui trois moines qu’il avait associés à
ses entretiens familiers et qu’il savait être les plus prêts à ce combat pour la perfection, et il fit
en sorte de gagner le désert au plus vite. Ils traversèrent le Hiémois et arrivèrent au lieu-dit
Montfort. Comme c’était un lieu plaisant, qui abondait en forêts et en sources, ils y
séjournèrent et, menant là quelque temps une vie solitaire, ils y vécurent saintement. Mais
parce que dans le voisinage se trouvaient les deux châteaux d’Exmes et de Gacé, où beaucoup
de gens venaient régler leurs affaires judiciaires, les serviteurs de Dieu avaient à supporter très
souvent des désagréments de la part de cette foule d’arrivants […]. C’est pourquoi un grand
concours de gens, importants ou de condition moyenne, desquels le noble héros avait été
connu du temps où il occupait une position très haute dans le siècle, venaient lui rendre visite
alors qu’il s’était déjà consacré avec ferveur à la contemplation intérieure ; et, avec leurs
multiples conversations de nature utilitaire, ils le dérangeaient dans sa méditation céleste.
Aussi les vénérables hommes désertèrent-ils le lieu, et à cet endroit les générations suivantes
construisirent en l’honneur de saint Evroul une église qui existe encore aujourd’hui.
Puis ces amoureux du désert entrèrent dans une forêt appelée Ouche selon les affirmations des
habitants. Effrayante en raison de la densité des arbres, cette forêt qui abritait des bêtes
féroces était soumise à de nombreuses incursions de brigands. Lorsqu’ils parcoururent d’un
pas dépourvu de peur ces vastes lieux de solitude sans trouver d’endroit où installer un abri
pour leurs dévotions, le bienheureux Evroul, brûlant du souffle de sa conscience pure, pria le
Seigneur en disant : « Seigneur Jésus-Christ qui, pour Israël ton peuple marchant à travers le
désert, t’es montré un guide très fiable sous la forme d’une colonne de nuées et de feu, à nous
qui voulons échapper à la condamnation de la servitude en Égypte, daigne montrer avec
clémence un lieu de liberté convenant à notre faiblesse ! » [voir Exode 13, 21]. Aussitôt
achevée cette prière, un ange du Seigneur apparut à l’homme de foi, venant lui indiquer ce
qu’il cherchait. En le suivant ils parvinrent à des sources d’une eau parfaitement potable, qui,
après quelques divagations, rejoignaient un grand plan d’eau stagnante. Tombant à genoux, ils
rendirent d’immenses louanges à Celui qui leur avait montré ce lieu, Dieu qui jamais ne
dédaigne ses serviteurs qui espèrent en Lui. Une fois terminée l’action de grâce, en invoquant
le nom de Dieu, ils construisirent, avec des branchages et des feuillages, une hutte suffisante
pour le nombre d’habitants. Ils l’entourèrent d’une petite clôture faite du même matériau et
restèrent là, ayant obtenu le refuge de quiétude qu’ils désiraient […].
Donc, tandis que par leur parfaite vigilance ils faisaient progresser en eux l’homme intérieur
et que ni l’âpreté du lieu, ni la férocité des bêtes sauvages ne les détournaient de leur projet, il
arriva qu’un des brigands qui habitaient la forêt fît un détour chez eux. Et plein d’étonnement
devant leur constance et leur persévérance dans le service de Dieu, il leur dit : « Moines, quel
trouble vous a contraints à venir en ces lieux ? Quelle idée avez-vous eue de choisir pour
demeure une telle solitude ? Ce n’est pas un très bon lieu que vous avez trouvé ! Savez-vous
que c’est un lieu de brigands, et non d’ermites ? Les habitants de ce bois vivent de rapines et
ne veulent pas pour voisins des gens qui vivent de leur propre travail. Vous ne pouvez pas
demeurer longtemps en sécurité ici. En outre vous avez trouvé une terre inculte, infertile et
rebelle à votre travail. » À cela, en homme éloquent, le père Evroul répondit en reprenant
chaque point : « Frère, en vérité ce qui nous a conduits ici n’est pas quelque trouble soudain,
mais la prescience de Dieu tout-puissant. Et nous ne sommes pas arrivés ici à la suite d’une
usurpation, mais pour pleurer nos péchés plus librement. Et puisque le Seigneur est avec nous,
placés sous sa protection nous ne craignons pas les menaces des hommes, puisque Lui-même
a dit : “Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui n’ont que faire de l’âme” [Matthieu 10,
28]. Quant au dernier argument que tu as avancé concernant le travail, tu sauras que le
Seigneur a pouvoir de préparer pour ses serviteurs une table pour les restaurer en plein désert.
Et à cette opulence tu peux participer toi aussi, si tu renonces au mal que tu commets et si tu
promets de servir, avec une parfaite dévotion, Dieu qui est la vie et la vérité. Mon fils, comme
le dit le prophète, si le pécheur se repent des fautes qu’il a commises, quel que soit le moment
et quel que soit ce qu’il a fait, notre Dieu les voue à l’oubli [Ézéchiel 18, 21-22]. Ne
désespère donc pas de la bonté de Dieu à cause de la monstruosité de tes crimes, mon frère, et
suis l’exhortation du psalmiste : “Détourne-toi du mal et fais le bien !” [Psaume 33, 14], en
tenant pour certain que “les yeux du Seigneur sont sur les justes et ses oreilles ouvertes à leurs
prières” [Psaume 33, 15]. Mais je ne veux pas que tu ignores non plus que le même prophète,
immédiatement après, profère cette terrible parole : “Mais les yeux du Seigneur sont sur ceux
qui font le mal, pour qu’Il extermine leur mémoire de dessus la terre” [Psaume 33, 16]. Car si
le regard de la miséricorde divine est présent auprès des justes pour exaucer leurs prières, il
est clair, sans doute aucun, qu’Il se détourne des impies pour punir efficacement leur
impudence un jour ou l’autre. »
À ces mots le brigand, touché par la grâce céleste, s’en retourna chez lui. Et le lendemain
matin, renonçant à tout ce qu’il possédait, muni seulement de trois pains cuits sous la cendre
et d’un rayon de miel, à marche rapide il s’en retourna auprès des serviteurs de Dieu et,
tombant aux pieds de saint Evroul, il lui donna cela en offrande pour entrer en ce lieu. Et
bientôt, inspiré par le Saint-Esprit, il promit de mener une vie meilleure et fut le premier à
faire là profession monastique. Suivant son exemple, de nombreux brigands de cette forêt
furent convaincus par le saint homme de se faire moines ou de renoncer au vol et de cultiver
la terre. La rumeur répandant partout le nom et le mérite du saint homme, depuis les lieux
voisins des gens vinrent aussi le trouver par désir de contempler son visage angélique et
d’entendre ses mots très agréables ; et après lui avoir fourni ce qui était nécessaire
corporellement, ils s’en retournaient chez eux pleins d’allégresse après avoir été nourris
spirituellement. Or certains d’entre eux, pour mériter de profiter de ses entretiens, le priaient
de les admettre dans une communauté si spirituelle. Et bientôt, à cause du nombre des
arrivants, la forêt avait perdu le nom de solitude9.

On trouve dans ce texte remarquable le thème du refuge en forêt, dans un


lieu protégé du monde, celui de la réalité de la forêt hostile qu’il faut
apprivoiser, celui des ressources boisées qui permettent la construction du
monastère, celui des brigands qui peuplent la forêt mais y trouvent
finalement leur salut, celui du désert enfin remplacé par un lieu spiritualisé
et civilisé.
La forêt purificatrice
À la manière de saint Evroul, de nombreux personnages des Acta
sanctorum, pleins d’interrogations existentielles, touchés par la grâce,
cherchent dans la forêt un endroit abrité des tentations mondaines, l’endroit
de leur rédemption. Des ermitages, des monastères, sont fondés dans ces
déserts. En Flandre, pendant trois jours, Vulmer se fait « dendrite », à savoir
un ermite dont la particularité serait de vivre dans les arbres10. En Lorraine,
Jean de Gorze, à la recherche d’une vie bonne, se tourne d’abord vers deux
maîtres messins « réputés et connus pour leur vie de chasteté ». Durant un
temps assez long il s’attache à eux et se construit dans leur voisinage une
cellule de reclus. Mais, gêné par l’incommodité de l’endroit qui se trouve
au milieu de la ville, et méditant de se retirer plutôt au fond des forêts, il
décide de surseoir à son projet. Il poursuit sa quête d’abord à Verdun auprès
d’un autre reclus urbain, et « comme il avait appris qu’un autre solitaire
demeurait dans le voisinage de cette cité, au fond de la forêt d’Argonne, il
alla le trouver avec la même pressante ferveur, pour voir s’il pourrait
satisfaire à cet endroit l’envie qu’il avait conçue d’habiter un ermitage11 ».
Guibert de Nogent, au début du XIIe siècle, raconte l’histoire d’Évrard de
Breteuil, vicomte de Chartres, qui, en 1073, abandonne la vie mondaine et
cherche la solitude. Au terme d’une longue réflexion, en compagnie de
quelques confidents, il se réfugie dans une forêt, où il trouve sa subsistance
et se fait charbonnier12. La Vie de Bernard de Tiron par Geoffroy le Gros
décrit les solitudes aux confins du Maine et de la Bretagne, seconde Égypte
peuplée d’ermites, dont un nommé Pierre, qui se nourrit des jeunes pousses
des arbres et a construit une maison avec des écorces. Bernard, et d’autres,
le rejoignent. Il marche tout droit au nord dans un endroit appelé
Mempisco, où se trouve une forêt extraordinaire dans laquelle il rencontre
un arbre creux ; il s’y introduit et y habite durant trois jours et trois nuits ;
ensuite, il va avec ses paniers dans la forêt qui entoure sa nouvelle demeure,
arrache buissons d’épines et de ronces, dépouille de leurs fruits noisetiers et
autres arbres sauvages, trouve au creux d’un tronc un essaim d’abeilles avec
de la cire et du miel en telle quantité qu’on croirait ces richesses sorties de
la corne d’abondance elle-même13.
Ces personnages, seuls ou en petits groupes, vivent des ressources de la
forêt et commencent à l’aménager, à la débarrasser de ses caractères de
sauvagerie pour en faire un lieu favorable à la vie spirituelle et matérielle.
La forêt apprivoisée
Le saint est un défricheur. Les défrichements se font certes à la force des
bras, mais souvent avec quelques aides miraculeuses. Dans La Vie de saint
Lunaire, on mesure bien la difficulté du travail de défrichage : le lieu où
doivent s’installer Lunaire et ses compagnons, dans la forêt bretonne, près
de Dinard, leur a été désigné miraculeusement par un oiseau :
Après cela, les frères se préparèrent ensemble à travailler : ils commencèrent à abattre la forêt
et à brûler, tandis que quelques-uns d’entre eux traînaient le bois coupé et le jetaient dans la
mer, car ils se trouvaient sur le rivage. Ils firent cela pendant quatre semaines complètes. Au
chant du coq, ils célébraient les vigiles nocturnes et les laudes matutinales […]. Donc, comme
ils faisaient cela chaque jour sauf le dimanche, ils commencèrent à se décourager et à se lasser
à cause de l’ampleur du travail. Ainsi, ils se rendirent auprès de leur maître saint Lunaire et
commencèrent à grands cris à lui dire : « Seigneur et père, nous t’en supplions, abandonne ce
lieu. » […] Au matin, saint Lunaire emmena ses frères ; ils le suivirent jusqu’à la forêt où
d’ordinaire ils travaillaient et, grâce à l’oraison et la prière de son serviteur saint Lunaire, ils
découvrirent que la forêt avait été projetée au fond de la mer : sur tout ce champ, il ne restait
ni épines, ni chardons, ni aucune plante, rien qui fît obstacle à la roue ou à l’araire […]. La
prière achevée, ils se relevèrent et virent flotter sur la mer la forêt rassemblée et ballottée
comme des oies sur une rivière lorsque souffle le vent14.

On retrouvera saint Lunaire un peu plus loin, aux prises avec les brigands.
En Hainaut, Ghislain nettoie le sol, arrache de ses mains ronces et racines
pour construire son monastère15. La situation d’Hilaire de Mende est plus
dramatique encore : il s’établit dans une cellule mais va souvent, la nuit,
prier dans la basilique du saint martyr Privat. Une fois, en pleine nuit, alors
qu’il revient de la basilique dans sa cellule, il est élevé dans les airs et
déposé dans une horrible forêt de buissons entourée de denses broussailles.
Il est retrouvé au bout de trois jours, en train de psalmodier, et, pour le
dégager, ses frères doivent ouvrir un chemin à la hache16 (voir Figure 1).
Figure 1 : Saint Jérôme, ermite, S. Hieronymi espistolarum tomus secundus, BM Besançon, ms 172,
fol. 1, XVe s.

L’ermite irlandais Rouin quant à lui s’adjoint des compagnons et se met,


coupant les ronces, arrachant les racines, à construire la demeure qu’il a
longtemps désirée. Ce qui servait de repaire aux bêtes sauvages devient
maison de prière. Au milieu des broussailles, on peut voir se dresser
l’étendard de la croix salvatrice. Le chœur des psalmistes fait résonner les
hymnes de louange à Dieu, au lieu où se faisaient entendre le hurlement du
loup, le jappement du renard, le doux gazouillement du rossignol, les cris de
bêtes et d’oiseaux de toutes sortes. Ce lieu solitaire devient un lieu consacré
à la louange divine : c’est l’abbaye de Beaulieu près de Verdun17.
Fraimbault, ermite dans une grotte au bord de la Seine au VIe siècle,
devient moine puis, à l’invitation de l’évêque du Mans, va fonder dans le
Maine des ermitages en défrichant la forêt18. Le duc d’Aquitaine offre à
l’abbé Géraud une forêt entre Dordogne et Garonne où il fonde en 1079 la
Sauve-Majeure, c’est-à-dire la « grande forêt » (« sauve » = « sylve ») : « la
forêt poussait tout autour si dense tout en épines et en ronces, que personne
ne pouvait s’approcher de l’église, il fallait d’abord faire un chemin par le
glaive ou n’importe quel outil de fer »19. On remarque donc que la forêt
n’est pas décrite comme une haute futaie mais plutôt comme un ensemble
d’arbustes impénétrables.
La forêt de tous les dangers
Même une fois nettoyée de ses ronces et broussailles, la forêt ne devient
pas nécessairement idyllique : les brigands y habitent encore, s’y adonnant
à toutes sortes de mauvaises actions, des rapines jusqu’au meurtre.
Dans les Dialogues de Grégoire le Grand, on lit l’histoire d’Isaac. Ce
dernier déjoue la tromperie d’étrangers vêtus de haillons venus lui
demander des vêtements. L’homme de Dieu les écoute puis dit à un de ses
disciples : « Va en tel endroit de cette forêt, cherche au creux d’un arbre, et
rapporte-moi les vêtements que tu y trouveras. » Le disciple trouve des
habits et les apporte à son maître qui, les montrant aux étrangers qui
sollicitent sa charité, leur dit : « Tenez, vous êtes nus, prenez ces
vêtements. ». Ils reconnaissent alors les habits qu’ils viennent de quitter et
sont accablés de honte19.
Les voleurs sont souvent plus violents et dangereux : ainsi ils cherchent à
tuer Laumer installé dans un ermitage en forêt du Perche20. Parfois, ces
marginaux peuvent être ramenés à de meilleurs sentiments. Ainsi des
brigands bourguignons volent les vêtements de Marien21, sauf son
manteau ; il les rappelle en disant : « Vous avez oublié cette bourse dans
mon manteau. » Ils lui prennent tout et le laissent nu ; mais le soir, ils se
retrouvent à la porte de sa cellule : Marien les accueille, leur lave les pieds
et l’un d’eux se convertit.
De même Térence, futur évêque de Metz, refusant le siège de Vienne,
s’enfuit vers Trèves et se cache dans un endroit couvert de ronces et
d’épines qui sert de refuge à des brigands. Un jour que leurs rapines ont été
plus abondantes et qu’ils cherchent à se cacher dans ce lieu désert, ceux-ci
arrivent à son ermitage. Térence croit qu’ils vont l’égorger, quand survient
une troupe qui cherche les voleurs. Pensant que Térence est l’un des leurs,
ou un receleur, les soldats veulent le mettre à mort. Térence leur dit :
« Laissez partir ceux-ci indemnes, et pour l’amour de Dieu condamnez-moi
seul. » En l’entendant et remarquant son visage rayonnant d’une céleste
clarté, ils tombent à ses pieds et disent : « Père saint, oublie nos mauvais
desseins à ton égard. » Ils laissent aller les voleurs qui se convertissent et
expient leur faute dans un monastère22.
Cependant, la forêt n’est pas toujours rédemptrice, car les malfaisants
arrivent parfois à leur fin : la forêt est le lieu d’exécution de Léger sur ordre
d’Ébroïn23. C’est aussi dans une forêt que le roi Edmond est martyrisé par
les Vikings : le 20 novembre 869, il est percé de flèches, puis décapité ; par
la suite, ses sujets cherchent sa tête « dans les bois, fouillant partout dans
les buissons et les ronces »… Or, un loup est envoyé par Dieu pour protéger
cette tête contre d’autres animaux, et ce sont les Angles qui la retrouvent,
car elle dit dans leur langue : « Here, here24 ».
La forêt est un lieu idéal de guet-apens, et d’exécutions. En 655, Feuillen
et ses compagnons, rentrant de Nivelles à Fosses, sont assassinés par des
bandits dans la forêt épaisse qu’ils devaient traverser ; leurs corps sont
cachés mais retrouvés par Gertrude et enterrés à Nivelles25. C’est un lieu
d’embuscades préméditées. La mort de l’archevêque de Cologne Engelbert
est racontée dans toute sa dramaturgie par Césaire de Heisterbach : le comte
Frédéric d’Isenberg, cousin d’Engelbert, abuse de sa position comme avoué
d’Essen. L’archevêque veut protéger les religieuses de cet établissement et,
le 7 novembre 1225, se rend à Soest pour tenter en vain de faire la paix,
avant de partir à Schwelm consacrer une église. Frédéric le rejoint ; au
crépuscule, dans un chemin creux, les soldats de Frédéric cernent
l’archevêque et les quelques fidèles qui l’accompagnent. L’un d’eux, voyant
les soldats de Frédéric tirer l’épée, s’écrie : « Seigneur, montez votre
destrier, car la mort est ici. » Les soldats, voyant le prélat suivre ce conseil,
se précipitent sur lui, l’un d’eux le frappe à la cuisse. Engelbert essaie de
s’échapper à cheval à travers les rangs de ses agresseurs, mais le chemin est
si encaissé qu’il est impossible d’en sortir. Jeté à bas de son cheval, il saute
dans les fourrés. Frédéric crie : « Tuez ce brigand, tuez-le, il chasse les
nobles de leur héritage et ne pardonne à personne ! » Un coup l’atteint à la
tête, un poignard lui tranche la main, une épée le transperce ; il meurt de
quarante-sept blessures dans ce défilé26.
Mais souvent, comme on l’a vu dans la Vie de saint Evroul citée plus haut,
la forêt devient lieu de conversion à une vie honnête ; certains brigands se
font même moines dans le monastère qu’ils ont voulu attaquer.
La vie de la forêt
Défrichée, mise en valeur ici et là par les moines, la forêt reste le territoire
des bêtes ; les miracles mettant en scène la relation entre les saints et la
sauvagerie animale sont légion. La forêt est le domaine d’animaux
potentiellement dangereux (feræ, dites bêtes féroces), dont la force était
déjà valorisée dans les civilisations celte et germanique, y compris dans
l’onomastique : Wolfgang signifie « qui marche [gang] comme un loup
[wolf] », Evrard vient de eber, « sanglier », et hard, « fort », etc. Les
animaux sauvages sont souvent les supports du paganisme et de la vie
mauvaise contre lesquels lutte l’Église27. Ainsi que l’a souligné Michel
Pastoureau, l’ours s’est vu chargé de péchés capitaux : luxure, goinfrerie,
colère, envie et paresse ; il est le symbole païen de force et de fécondité, et
ne peut entrer dans le giron de l’Église qu’à condition d’être soumis28 (voir
Figure 2).

Figure 2 : L’ours, Psautier à l’usage de Limoges, BM Besançon, ms 140, fol. 159 v°, XIIIe s.

L’animal sauvage est domestiqué par le saint, qui en fait une bête de
somme, ou une sorte d’animal de compagnie. L’hagiographie abonde en
saints apprivoisant des ours ; ceux-ci restent pourtant des animaux de la
nature sauvage et c’est ce que souligne la Vie de saint Gall († c. 650) par
Wetti. Gall, compagnon de Colomban, est resté au pays des Alamans et
s’est retiré dans un ermitage sur la rive du lac de Constance. Un ours
descendu de la montagne détruit le bois qui devait servir à la construction
de sa cabane. Gall lui ordonne de jeter les débris au feu, lui offre du pain,
mais ensuite le fait s’éloigner de la vallée en disant : « Au nom de mon
Seigneur Jésus-Christ, éloigne-toi de cette vallée. À toi les montagnes et les
collines, mais ne nuis ici ni aux bêtes ni aux hommes29 ».
Allant à Rome, saint Corbinien fait halte à la lisière d’une forêt ; un ours
en sort et dévore son cheval. Corbinien dit à son serviteur : « Prends ce
fouet, approche-toi de l’ours, donne-lui une correction et châtie-le pour son
méfait. » Comme le serviteur n’ose pas le faire, l’homme de Dieu dit : « Va,
n’aie pas peur de lui, mais agis ainsi que je te l’ai ordonné, puis garnis-le du
bât et charge mon bagage sur son dos et fais-le marcher jusqu’à Rome, avec
nos chevaux. » L’ours porte le bagage jusqu’à Rome, d’où le saint le
renvoie30.
D’après les Dialogues de Grégoire le Grand, en 471, en Ombrie, l’ermite
Florent, se sentant seul, prie Dieu afin d’obtenir de l’aide ; il voit venir un
ours qui se couche à ses pieds. Florent a quatre brebis : il les confie à l’ours
qui devient leur berger. Celui-ci les ramène à midi lorsque Florent ne jeûne
pas, et à trois heures lorsqu’il jeûne. Mais des moines jaloux tuent l’ours.
Florent sort le chercher et tombe sur son cadavre. Il pleure la perte de l’ours
et la méchanceté des moines, et dit : « J’espère que Dieu punira les
coupables ! » Et en effet ! les moines moururent31.
Il arrive que l’ours soit un messager de la volonté divine, et désigne le lieu
où se construira le monastère. Sainte Richarde bâtit l’église Saint-Pierre-et-
Saint-Paul d’Andlau là où une ourse lui en montre l’emplacement32. Dans
la Vie de Ghislain, une ourse poursuivie par Dagobert se réfugie sous le
manteau du saint ; les chiens n’osent pas l’attaquer. Le roi reparti, l’ourse
vole un panier qui contient les vêtements liturgiques et le saint la poursuit.
Après avoir suivi un jeu de piste qui implique un aigle et des bergers, il
retrouve l’ourse dans sa tanière, où elle et ses petits jouent avec les
vêtements conservés dans le panier. Ghislain les chasse, récupère son bien
et fonde là son monastère33.
La proximité du saint avec le monde animal le rend parfois suspect.
D’après sa légende tardive, Ronan, un Irlandais installé dans la forêt
bretonne, ordonne à un loup de relâcher le mouton volé à un fermier. La
femme du fermier, qui a enfermé sa fille dans un coffre où elle est morte,
accuse alors le saint d’être un loup-garou et d’avoir dévoré son enfant –
mais le saint ressuscite la jeune fille34.
La chasse
La forêt est le lieu d’une des activités majeures de la société médiévale :
on y chasse, pour la subsistance, pour l’entraînement militaire et pour le
plaisir ; un chasseur sachant chasser… est un homme, ce que dit la Genèse,
10:8-9 : « Kush [petit-fils de Noé] engendra Nemrod, qui fut le premier
potentat sur la terre. C’était un vaillant chasseur [robustus venator] devant
Yahvé, et c’est pourquoi l’on dit : “comme Nemrod vaillant chasseur devant
Yahvé”. » Cette expression proverbiale laisse voir un chasseur adjoint de
Dieu ; ce qui n’est pas souvent le cas dans les textes hagiographiques,
l’aristocrate, voire le roi, rencontrant parfois des saints qui s’opposent à sa
pratique cynégétique, car l’église est lieu d’asile et la chasse est l’occasion
de manifestations miraculeuses.
Dans la Vie de saint Calais35, le chasseur est le roi Childebert ( † 558).
Dans un endroit désert (in solitudine), un bubalus se trouve là, qualifié de
taurus silvaticus, énorme et sauvage, d’une taille et d’une férocité
extraordinaires. Malgré le terme employé, il ne s’agit pas d’un buffle, qui
est asiatique ou africain. En revanche, au Moyen Âge, il existait dans les
forêts européennes des aurochs tout aussi puissants et impressionnants ; les
derniers ont disparu en Pologne au XVIIe siècle. Tous les jours l’animal
dépose sa férocité devant Calais, le saint de Dieu, et il baisse la tête comme
pour recevoir une sorte de bénédiction, jusqu’à ce que le saint puisse le
caresser de sa main. Le serviteur de Dieu, flattant la tête et le col de la bête,
délivre ce présage aux frères : « Ce bubalus porte la marque d’un homme
puissant, qui viendra vers nous avec indignation ; mais contraint par la
providence divine, il s’éloignera avec une grande mansuétude. » Chose que
plus tard l’événement confirme. Lorsque Childebert roi des Francs arrive au
Mans, il y séjourne un bon moment. On lui parle de la taille énorme et
sauvage de ce buffle : entendant cela, le roi fait ses préparatifs de chasse,
entre dans une région boisée inhabitée (heremum)36 et demande où se
trouve la bête. Aux premiers coups de trompette, hurlements et aboiements,
l’animal, perturbé, se réfugie auprès de Calais. La chasse est donc
infructueuse. Entre le roi, qui a suivi le bubalus, et Calais s’ensuit alors une
longue discussion qui aboutit à la « conversion » du chasseur à de bons
sentiments de générosité pour l’Église ; Childebert offre des terres au saint,
qui lui donne en retour une coupe inépuisable. On retrouve ici le thème de
l’ermite qui légitime le pouvoir : sans que la coupe soit à proprement parler
le saint Graal, elle comble les vœux de celui qui la détient37 (voir Figure 3).

Figure 3 : Chasse à l’aurochs, Natura rerum, Thomas Cantimpratensis, BM Valenciennes, ms 320,


fol. 82 v°, XIIIe s.

Les Celtes, déjà, avaient associé le sanglier à la divinité, le dieu Lug, et en


avaient fait un gibier de rois, un mets choisi pour les festins et l’objet d’une
chasse : chasser un animal considéré comme courageux et fort devient un
combat réel et/ou symbolique38. Le christianisme hérite de cette pratique.
Les sangliers sont souvent présents dans tous ces récits de chasse « à
miracles ». Ainsi, un sanglier poursuivi par la meute du noble franc Attila,
homme par ailleurs plein de vertus, se réfugie auprès de saint Basle, qui
immobilise miraculeusement les chasseurs. Attila, séduit par ces
manifestations d’union entre la bête sauvage et le saint, fait plusieurs
donations ; dès lors ce bois de la Route (Rigetii saltus) devient interdit aux
chiens et aux chasseurs, qui n’osent pas pénétrer dans cet enclos boisé
(intra illius aggestum silvulæ)39. Saint Marien40, moine à Saint-Germain
d’Auxerre, est choisi par son abbé pour garder les troupeaux dans la forêt.
Or, outre les bœufs et les vaches, les animaux sauvages viennent vers lui
pour être nourris. Un jour, un sanglier pourchassé se réfugie dans sa cellule
puis repart quand les chiens se sont éloignés. On retrouve donc bien ici la
notion d’espace sanctuarisé par la présence du saint, qui en fait un refuge
inviolable (voir Figure 4).
Figure 4 : Le sanglier, Les miracles de la Vierge, Gautier de Coincy, BM Besançon, ms 551, fol. 20
v°, XIIIe s.

Une autre anecdote, moins connue, est présente dans la Vie de saint
Hubert : un sanglier, poursuivi dans la forêt jusqu’à la porte de l’abbaye de
Saint-Hubert, échappe miraculeusement aux chasseurs quand ceux-ci
refusent de l’offrir au saint comme ils l’avaient promis41.
Les Gesta de Toul relatent la légende de fondation de l’abbaye de
Bouxières : le frère de l’évêque, chassant sur les bords de la Meurthe, voit
ses chiens refuser de forcer un sanglier réfugié dans un buisson, où il
aperçoit les ruines d’un autel42. Pierre de Maillezais raconte la découverte
du lieu sacré oublié dans l’île couverte d’une forêt de chênes et de hêtres,
entourée par un marais ; c’est un « repaire des bêtes sauvages » et des
oiseaux. Un sanglier d’une taille exceptionnelle attire un chevalier vers les
ruines du sanctuaire : quand ce dernier lui jette une pierre, il reste aveugle et
paralysé jusqu’à la fondation du monastère43.
Au XIIIe siècle, le sanglier perd cette qualité de gibier privilégié au profit
du cerf, symbole christique puisqu’il peut manger des serpents venimeux, et
aussi symbole de renaissance puisqu’il perd ses bois et que ceux-ci
repoussent (voir Figure 5).
Figure 5 : Le cerf, Psalterium, ad usum conventus cujusdam ordinis Cisterciensis, BM Besançon, ms
54, psautier de Bonmont, fol. 60 v°, 1260.

Dans la célèbre légende de saint Gilles, attestée dès le Xe siècle, c’est un


roi encore qui se trouve confronté à l’alliance entre une bête – peu ! –
sauvage et un saint homme. Voici la version qu’en donne la Légende dorée
de Jacques de Voragine :
Gilles […] s’enfonça plus avant dans le désert. Il y trouva une grotte, une source et une biche
qu’on eût dite placée là par le ciel pour lui servir de nourrice : à heures fixes, elle lui offrait la
nourriture de son lait. Les serviteurs du roi venant à chasser par là, ils virent la biche, se
désintéressèrent des autres bêtes et la poursuivirent avec leurs chiens.

Puis, en résumé, les chiens se découragent dans la poursuite de l’animal et


retournent en hurlant auprès des chasseurs qui finissent par blesser saint
Gilles lui-même en tentant d’abattre la biche. Le roi, comprenant le
caractère sacré de ces événements, suit le conseil de Gilles et fait construire
là un monastère. Par ses larmes et ses prières, après bien des résistances, le
roi réussit à persuader saint Gilles d’en accepter la charge44.
Une légende parallèle, elle aussi célèbre, est celle de saint Hubert devenu
le patron des chasseurs, mais elle est plus tardive (XVe siècle) ; elle rapporte
comment Hubert, chassant dans la forêt d’Ardenne un Vendredi saint, voit
apparaître un cerf portant un crucifix entre ses bois. Cette vision annonce la
conversion de celui qui deviendra le premier évêque de Liège45.
L’aristocrate, voire le roi, rencontrent ainsi quelquefois des saints qui
s’opposent à leur pratique cynégétique. Les cerfs, bien qu’ils soient parfois
mangés, sont en général protégés. Le cerf peut être miraculeux et porteur de
la parole divine ; mieux, un porteur de légendes. Dans la Légende dorée
encore, Julien l’Hospitalier d’une part, et saint Eustache d’autre part, sont
porteurs de romans-fleuves hagiographiques célèbres autour du cerf dans
l’Occident et l’Orient médiéval46 (voir Figure 6).

Figure 6 : Chasse au cerf, Les miracles de la Vierge, Gautier de Coincy, BM Besançon, ms 551,
fol. 7, XIIIe s.

Un autre récit concernant les cerfs se lit dans la Vie de saint Lunaire.
Fatigués par trois semaines de labour, les moines songent à fuir, mais un
ange réconforte Lunaire, lui ordonne de préparer des instruments aratoires
et lui dit :
« Saint Lunaire, recouvre ton courage et sois fort, puisque ta prière a été exaucée et que tes
larmes ont obtenu ce que tu as demandé ; ton Seigneur et maître Jésus-Christ te prescrit de
fabriquer six jougs et tous les instruments propres au labour de la terre ; place-les dans le
champ dont le bois a été projeté dans la mer, et là, tu verras un grand miracle accompli sur
terre grâce à toi par Dieu tout-puissant pour que Son nom soit aussi loué et béni parmi les
habitants de cette région. » S’éveillant de ce songe, il narra dans l’ordre à ses frères ce qu’il
avait vu, puis il agit comme le lui avait ordonné et prescrit l’ange et fit porter ces choses dans
le champ, selon la prescription du Seigneur. Le matin, après les laudes matutinales, il sortit et
vit douze très grands cerfs debout dans ce champ entourant un autre cerf qui gisait mort et
qu’ils avaient tué de leurs bois. Saint Lunaire, à ce spectacle, en rendant grâce au Père, au Fils
et au Saint-Esprit, alla dans le champ avec ses frères. Les cerfs, qui ne paraissaient pas
sauvages mais apprivoisés, l’attendaient sans bouger. Saint Lunaire fit écorcher le cerf mort et
découper dans sa peau des lanières avec lesquelles les autres cerfs furent attelés sous les
jougs. Ce jour-là, ils ne firent rien d’autre que de louer Dieu et Ses œuvres admirables.
Le lendemain, ils se rendirent en obédience et leurs regards découvrirent les cerfs, debout
autour de l’araire, qui attendaient la venue de saint Lunaire. À son arrivée, il fit atteler les
cerfs comme des bœufs domestiques et se mit à labourer son champ du matin jusqu’à none :
ils tiraient ainsi, grâce à l’admirable dessein de Dieu tout-puissant, tous ensemble d’un seul
accord, sans qu’il y ait besoin de les aiguillonner, toute la journée, jusqu’à l’heure de les
détacher. Cette heure passée, ils se plaçaient au bout du champ et personne ensuite ne pouvait
les en faire bouger jusqu’à ce qu’ils fussent détachés et dételés des jougs. Ils le firent chaque
jour, ne partant que pour paître toute la nuit et revenant le matin, deux par deux, à leur joug.
Ils firent cela jusqu’à ce que le champ, d’où le bois avait été jeté dans la mer, fût tout entier
labouré. Ils firent cela ainsi, de la même manière, pendant cinq semaines et trois jours.
Ensuite, tous les douze cerfs vinrent assemblés en troupeau et se placèrent devant saint
Lunaire comme pour lui demander la permission de le quitter. Il leva la main, les bénit et dit :
« Allez en paix. » Vite ils repartirent et ne réapparurent ensuite nulle part dans toute cette
région47 [voir Figure 7].

Figure 7 : Le cerf, Les miracles de la Vierge, Gautier de Coincy, BM Besançon, ms 551, fol. 7 v°,
XIIIe s.

Les animaux de la forêt participent ainsi à la mission religieuse des saints,


en particulier en désignant le lieu d’installation du futur monastère. Le
thème du cerf sauvé des chiens de chasse par le saint se trouve dans les
Gesta Dagoberti48. Dagobert poursuit un cerf à travers la forêt jusqu’aux
ruines de Saint-Denis où les chiens ne peuvent entrer. En Normandie, un
cerf pourchassé se réfugie à Saint-Wandrille49 et c’est à la suite de cette
manifestation miraculeuse que le duc Richard facilite la restauration du
monastère. D’après sa Vie tardive, Meinulf observe un troupeau de biches
(ce doit être une abbaye de femmes) à un endroit lumineux. Quand il
obtient de Charlemagne la permission de construire le monastère, il trouve
là un grand cerf qui porte dans ses bois une croix brillante et qui se
prosterne50.
D’autres animaux qui ne sont pas chargés de la même connotation
symbolique apparaissent rarement dans les textes, quoique Godric, mort en
1170, retiré dans la solitude de Finchale près de Durham, accueille lapins et
lièvres poursuivis par les chasseurs. Sous les formes animales les plus
dangereuses, c’est souvent le diable et ses suppôts qui interviennent,
comme pour saint Antoine au désert :
Gisant à terre, terrassé par la douleur que lui causaient ses blessures, de toute la force de son
courage, il provoqua les démons au combat. Ils lui apparurent sous diverses formes de bêtes
sauvages, et le déchirèrent à nouveau très
cruellement, de coups de dent, de corne et de griffe. Puis une étrange splendeur apparut
soudain, qui mit en fuite tous les démons51.
Le diable impose aussi des visions animales à saint Bavon qui résiste.
Guthlac ( † 715) s’installe dans les Fens, « eaux stagnantes et
fangeuses, sombres étendues liquides envahies par le brouillard, îlots
couverts de bois et traversés par le cours sinueux des rivières » où
personne ne vivait « en raison des visions de démons qui habitaient
là » : ce lieu hanté n’est pas destiné aux hommes52 (voir Figure 8).

Figure 8 : Les démons dans la forêt, Les miracles de la Vierge, Gautier de Coincy, BM Besançon, ms
551, fol. 8 r°, XIIIe s.
Il serait sans doute présomptueux de décrypter ces textes à la loupe
animale ! Mais la forêt, quelle qu’elle soit, peut aussi se révéler comme un
souvenir de paradis perdu.
L’éden, et après ? La Vie de saint Guénolé par Gurdisten fait valoir l’aspect
édénique du locus amoenus, « lieu de plaisance », où sera fondée l’abbaye
de Landévennec :
Une fois l’hymne dit, ils entrèrent dans une forêt jouxtant le rivage ; alors, après avoir cherché
une vallée ils trouvèrent un emplacement accessible, découpé en quelque sorte par une
fortification de montagnes d’un côté et par des prairies de l’autre, finissant d’un même côté de
la mer et du fleuve. C’était un lieu très plaisant, qu’aucun vent ne pouvait atteindre sauf s’il
venait de l’orient, une sorte de paradis éblouissant au lever du soleil, produisant chaque année
fleurs et bourgeons, un lieu destiné et préparé par Dieu pour ses serviteurs, un jardin décoré de
toutes les sortes de couleurs de fleurs, mais bien plus tard il s’illustra encore de la douce
fragrance des saints corps qui reposent là en nombre si grand qu’on ne saurait les compter. Le
privilège de ce lieu fut que, selon la règle ordonnée par Guénolé aucune femme ne devait
souiller l’entrée du lieu. C’est donc là qu’ils s’installèrent, les frères s’adonnant à un travail
sans relâche, tandis que Guénolé, leur abbé, s’adonnait attentivement à la prière53.

Le saint instaure ainsi le royaume de Dieu sur un coin de terre abandonné,


voire consacré aux dieux païens. C’est donc ici un bois sacré païen qui est
christianisé ; mais plus que la forêt à proprement parler, ce sont des arbres
remarquables qui font l’objet d’anecdotes dans l’hagiographie.
La forêt qui marche
En 592-593, Frédégonde dicte sa stratégie en réunissant ses troupes
camouflées derrière des branches coupées dans la forêt54. Au Xe-XIe siècle,
un hagiographe anonyme, vraisemblablement moine de Malmédy, écrit une
Passio Agilolfi. On ne sait alors rien du saint. On dit qu’il a traversé
l’Ardenne, partout salué par les foules, qu’il est arrivé à Malmédy où il a
reçu un accueil triomphal ; qu’il aurait dit une messe avant d’aller
rencontrer Chilpéric et Raginfred, aurait traversé les prés verdoyants et, tel
un agneau, serait devenu la proie des loups, son sang couleur de rose
irriguant l’herbe verdoyante. Apprenant la nouvelle, les habitants se mettent
en route, trouvent la dépouille à Amblève et la transportent à Malmédy. Le
talent d’inventeur et d’écrivain de l’hagiographe sait créer une atmosphère,
inventer des quiproquos, forger des images et des expressions fortes comme
celles de la silva mobilis (« la forêt qui bouge ») et du rex arboreus (« le roi
arbre »).
Pour le lecteur d’aujourd’hui, le miracle d’Agilolf fait irrésistiblement
penser à l’épisode shakespearien de la forêt qui marche (Macbeth, V, 4).
Macbeth est assiégé ; les troupes de Macduff et de Malcom se préparent à
l’attaquer et mettent en œuvre un plan de camouflage : quand ils passeront
dans la forêt de Birnam, les soldats couperont des branches, derrière
lesquelles ils se cacheront pour avancer. Cette technique n’est pas rare à
l’époque : dans La Geste des Danois, Saxo Grammaticus (1150-1220)
raconte comment Éric déguise une flotte en forêt pour encercler des pirates.
Il ordonne à ses hommes de couper des branches et de les tenir en main
pour ne pas manquer d’être protégés quand ils seront à découvert55. En
outre, pour alléger leur fardeau, il leur demande d’enlever certains de leurs
vêtements et de libérer leurs épées de leurs fourreaux. Une sentinelle
ennemie, ébahie devant ce spectacle, va trouver Sigar dans sa chambre et
lui annonce qu’il a vu des feuilles et des arbustes marcher comme des
hommes. Cet épisode de La Geste des Danois fait partie d’une liste de
plusieurs stratagèmes militaires, dont une variante aquatique de la forêt qui
marche : les bateaux sont camouflés sous des feuillages et donnent
l’impression extraordinaire d’une forêt qui navigue56.
Ainsi, tout au long du Moyen Âge, la forêt conserve quelque chose de sa
férocité et de sa magie primitives, combattues, souvent victorieusement, par
l’action des saints qui s’y installent, apprivoisent les bêtes sauvages,
défrichent, humanisent et sanctifient l’espace. Les vies de saints, les récits
de miracles sont remplis d’anecdotes qui ont la forêt comme toile de fond.
Ces légendes ont bien sûr une vocation évangélisatrice : elles montrent la
puissance de Dieu face à la nature, et partant, celle du saint qui poursuit
l’œuvre créatrice. Elles donnent aussi des renseignements sur les relations
quotidiennes des hommes avec le milieu a priori hostile de la forêt, qui se
trouve ainsi intégrée dans l’espace christianisé – sans jamais rejoindre le
jardin d’Éden, le paradis perdu, promis par Isaïe (Isaïe 41:18-20) :
Je ferai jaillir des fleuves sur les collines, et des sources au milieu des vallées ; je changerai le
désert en étang, et la terre aride en courants d’eau ; je planterai dans le désert le cèdre,
l’acacia, le myrte et l’olivier ; je mettrai dans les lieux stériles le cyprès, l’orme et le buis, tous
ensemble ; afin qu’ils voient, qu’ils sachent, qu’ils observent et considèrent que la main de
l’Éternel a fait ces choses, que le Saint d’Israël en est l’auteur.
Les textes de la littérature nous dévoilent une forêt imaginée, rêvée,
utilisée pour une démonstration symbolique. C’est là une forêt telle que la
voyaient les hommes de l’époque, avec leurs yeux de contemporains. Mais
notre esprit cartésien veut aussi savoir quelle était la forêt « réelle » comme
nous l’entendons aujourd’hui. Pour cela, d’autres textes, d’autres sciences
existent. Il y a des textes juridiques, des textes gestionnaires. Il y a
l’archéologie, la dendrochronologie, la palynologie… En croisant
l’ensemble de toutes ces connaissances, on peut peut-être parvenir au plus
près de ce qu’étaient les forêts du Moyen Âge.
CHAPITRE 1
La forêt ressources
Corinne Beck et Fabrice Guizard

Les espaces forestiers du royaume de France sont des espaces toujours


plus humanisés. Toutefois, dès le haut Moyen Âge, un contraste s’établit, et
se renforce ensuite, entre une forêt méditerranéenne de plus en plus fragile
et dont l’érosion semble irréversible et une forêt septentrionale aux
ressources en apparence considérables. Car, même au Nord, bien des
régions ne connaissent – et plus particulièrement au cours des derniers
siècles médiévaux – que des forêts éclaircies, pénétrées par des prés de
fauche, des enclos de pâture, entrecoupées de clairières où ont été établies
des fermes, bordes, granges monastiques ou laïques, certaines dédiées à une
exploitation pastorale spéculative (porcs ou moutons)1.
Espaces multifonctionnels, les forêts médiévales sont des forêts
nourricières qui ont un rôle majeur dans l’économie rurale : celle-ci
reposant sur un équilibre entre l’exploitation des espaces boisés et celle des
terroirs cultivés, apportant des compléments de ressources indispensables à
la vie quotidienne.
La forêt, richesse et abondance
Les hommes recherchent une grande variété de produits dans l’incultum
(les terres incultes dont les bois). Outre leur viande, les animaux sauvages
fournissent peaux et fourrures, même si la sauvagine reste marginale face à
l’utilisation des animaux domestiques, et ce durant tout le Moyen Âge. Une
région particulièrement abondante en cerfs est tout de même une
opportunité pour la tannerie locale. Charlemagne autorise par exemple en
774 l’abbaye de Saint-Denis à chasser le cerf et le chevreuil, afin que les
peaux permettent aux moines de recouvrir les livres2. À l’époque
carolingienne, la fourrure est présente partout, elle est même utilisée pour
les vêtements liturgiques. Parmi les bêtes sauvages, le renard et le blaireau
semblent être les plus recherchés pour leur fourrure, mais beaucoup d’autres
sont susceptibles de fournir les pelleteries. Un capitulaire de 808 mentionne
notamment la martre, la loutre, l’écureuil, le castor… alors abondants en
Europe3. On utilise également de la fourrure de loup, de putois et
d’hermine. Les bois constituent de véritables réserves de ressources
diverses, et pas seulement en situation de pénurie ou de crise. Les gens du
haut Moyen Âge font preuve d’un certain pragmatisme dans l’exploitation
du sauvage.
Les hommes parcourent les bois, suivent les chemins bordant leurs
champs ou les rivières, à la recherche de fruits secs et de fruits charnus sur
des arbres et des arbustes, dans les buissons. La forêt est largement
pourvoyeuse d’arbres fruitiers4 (pommiers, pruniers, néfliers, merisiers,
châtaigniers, noisetiers), ainsi que de baies diverses (mûres, fraises,
framboises dans une moindre quantité), des champignons ou encore des
truffes comme dans le nord de la Bourgogne à la fin du Moyen Âge. Si les
restes de prunelles, de mûres et de fraises apparaissent souvent dans les
remplissages des fosses d’aisances montrant qu’il ne s’agit pas d’une
simple nourriture d’appoint, les textes, en revanche, sont en général peu
diserts sur ces ressources comestibles sans doute parce que cette activité de
cueillette n’est pas l’objet d’une réglementation et échappe donc en très
large partie aux redevances seigneuriales. Quant aux petits ligneux,
l’archéobotanique éclaire les aspects plus méconnus de leur statut
polyvalent. Souvent issues de formations basses, ces essences sont
exploitées par les paysans sans être véritablement cultivées. En effet, la
fructification des noisettes, des prunelles et autres baies est favorisée par
des coupes. Celle-ci est encore améliorée lorsque ces essences sont en
lisière. Sans que les textes le mentionnent clairement, il se peut que la forêt
fasse l’objet d’entretiens plus ou moins réguliers, surtout en zone de contact
avec l’agrosystème. C’est également en forêt que l’on prélève les essaims
d’abeilles que l’on place en ruche ou simplement que l’on transporte dans le
tronc d’arbre découpé. Pendant longtemps, cette opération se répète chaque
année puisqu’il faut détruire l’essaim en général pour récupérer le miel et la
cire. À la fin du Moyen Âge, ce sont des forestiers professionnels, les
bigres, qui se chargent de cet élevage5.
Les forêts servent encore de carrières de matériaux tant d’amendement
des sols que de construction : des marnières, des lavières, des « perrières »
sont exploitées le plus souvent ponctuellement, le temps d’épuiser le filon
ou le banc. Cette exploitation, dont la toponymie conserve parfois le
souvenir, a assurément entraîné des modifications précoces dans la
topographie des lieux que l’on mesure toujours très mal, faute d’études
précises. Elles ont été également des lieux d’une intense activité
métallurgique, ainsi en Normandie, dans la Meuse, en Ariège ou encore en
Champagne dans la forêt d’Othe où une enquête archéologique a permis de
révéler les déchets d’extraction et les vestiges de la transformation du
métal6.
Les grands domaines laïcs et ecclésiastiques sont adossés à des massifs
dans lesquels les intendants ont pour tâche d’organiser un essartage
judicieux, de préserver l’abattage des arbres, de percevoir les taxes dues
pour le pacage des porcs. À Boissy-Maugis, le forestier de l’abbaye de
Saint-Germain-des-Prés fournit de la forêt du Perche, outre du bois, du miel
et de la cire7. Les droits d’usage de plus en plus répétés dans la
documentation révèlent combien la forêt est également un élément familier
de l’environnement du paysan.
Avec la féodalité, la jouissance de ces ressources s’effectue de plus en
plus dans le cadre de la seigneurie. Les espaces boisés appartenant aux
seigneurs, ce sont ces derniers qui décident de l’accès ou non à ces forêts,
aux hommes de leur seigneurie, gratuitement ou moyennant redevance,
avec une liberté totale ou mesurée, à titre temporaire ou définitif. Si un peu
partout, les usages forestiers les plus importants portent sur les deux
grandes catégories de ressources que sont le bois en tant que matériau d’une
part, les fruits des arbres et l’herbe des sous-bois d’autre part, des disparités
peuvent exister. Usages ligneux et usages pastoraux ne sont pas
pareillement autorisés et répartis dans les forêts médiévales. C’est ainsi que
dans les forêts ducales bourguignonnes, aux XIVe et XVe siècles, prédominent
les usages concernant la fourniture de bois.
Partout, le temps et l’espace de la jouissance de l’usage sont strictement
encadrés afin de limiter les abus, d’éviter les contestations et aussi de
maintenir au mieux les massifs forestiers. Outre la quantité ou le volume de
bois que les usagers peuvent prélever ou emporter, les textes définissent
souvent les conditions d’enlèvement : les instruments autorisés, les moyens
de transport (avec ou sans charrette, à dos d’homme, à dos de cheval ou
encore d’âne) – le moyen de transport utilisé déterminant alors le montant
de la redevance dont l’usager doit s’acquitter. Ainsi dans les bois de
l’Autunois, au XIVe siècle, où
chaque usaigier pour prendre dudit bois et porter pour la necessité de leurs hostelz, pour
chars IIII deniers, pour charrettes II deniers, pour chevals II deniers et pour couls I denier,
sens vendre8.

Résultant de conventions, d’accords de partage ou encore de donations,


organisant les rapports entre pouvoir seigneurial et habitants, des droits
d’usage sont accordés, dont les principes sont réaffirmés avec force. Ils sont
définis comme des droits de subsistance et non de profit : il est interdit aux
bénéficiaires d’en vendre les produits et d’en tirer rétribution. Ces droits
s’exercent sur une assiette géographique déterminée – canton de bois,
portion de forêt – où les habitants ayants droit – seuls habitants de la
seigneurie – doivent trouver facilement de quoi suffire à leur usage.
En dépit de ces prescriptions, les conflits d’usage ne manquent pas durant
tout le Moyen Âge. Un document montre la manière dont on règle les droits
divers qui pèsent sur la forêt. Au temps de Louis le Pieux (r. 814-840) sans
doute, l’abbaye de Saint-Gall détentrice d’anciens bois fiscaux entend
percevoir une redevance des paysans alentour s’ils veulent continuer à
couper du bois ou faire paître leurs porcs. Les paysans se plaignent et un
jugement est rendu :
Depuis ces rivières vers le bas, tous les habitants, en même temps que la famille du saint
Untel, y auront droit d’usage pour couper bois et merrain et pour la glandée de leurs porcs et
la paisson de leurs troupeaux, mais sous cette condition que le forestier du saint les invite et
exhorte à ne pas se nuire à eux-mêmes ni dommager la sainte Église en secouant trop fort les
arbres à glands9.

Cette formule éclaire bien l’opposition entre la coutume du libre usage


pour tous de l’espace inculte et le souci de préserver les ressources
forestières et de défendre les droits du propriétaire. Si ces deux intérêts sont
très tôt entrés en opposition, les sources dont on dispose n’en ont gardé que
peu de traces pour la Francie du haut Moyen Âge.
Tout pareillement, aux derniers siècles du Moyen Âge, sur les ressources
forestières se sont focalisés des intérêts bien divergents qui ont généré une
multitude de conflits (conflits intra-seigneuriaux portant sur la délimitation
et la reconnaissance des droits de chacune des parties, différends opposant
pouvoir seigneurial et communautés paysannes ou communautés entre
elles), une multitude d’abus et d’infractions, que relatent registres de justice
et comptabilités seigneuriales (usages insuffisants, tentatives
d’appropriation, abus de pouvoir, ventes accaparées par quelques-uns…).
Ces conflits peuvent être récurrents comme le litige opposant le seigneur
d’Avesnes à l’abbaye de Liessies au sujet des bois de Cartignies, de
Fourmies et du Fresseau dans le Hainaut : une première mention en fait état
en 1182 ; en 1618 un document le rappelle encore10.
Une pratique de la chasse de plus en plus contrôlée
Au haut Moyen Âge, les populations barbares installées en Gaule
exploitent les espaces forestiers selon leurs habitudes de prédation sur la
faune sauvage. Les massifs sont restés libres d’accès et tout homme libre
peut chasser gros et petits gibiers qu’il trouve dans les bois. La propriété sur
les espaces sauvages évolue au cours de la période. L’importance de la
chasse noble et sa valeur symbolique expliquent que les souverains décident
très tôt que dans certaines forêts royales la chasse au gros gibier leur est
réservée. Les aurochs, gibiers de grande valeur chez les premiers Francs,
disparaissent du paysage des forêts occidentales entre la fin du VIIIe et le
tout début du IXe siècle. Les sangliers et les grands cervidés remplissent les
tableaux de chasse (voir Figure 1). Plus rarement, et de façon beaucoup
moins ostentatoire dans la documentation écrite, le loup et l’ours sont
traqués. Car la chasse princière entre dans les manifestations de ses
largesses : la venaison partagée nourrit sa suite (l’ours est probablement
consommé, pas le loup). La mention d’oiseaux de proie plutôt de bas vol
(autour, épervier), dans les quelques textes qui en parlent, suggère une
pratique de chasse en milieu fermé. Les difficultés de l’affaitage (dressage
des oiseaux) font que cette activité est davantage réservée à une élite.

Figure 1 : Chasse à l’ours et chasse au vol, Les miracles de la Vierge, Gautier de Coincy, BM
Besançon, ms 551, fol. 13 v°, XIIIe s.

À l’époque romaine, les espaces sauvages étaient publics. N’importe qui


avait le droit de chasser n’importe quel gibier, sauf si la silva faisait partie
d’une propriété privée et défendue par des barrières. En dehors de ces
propriétés privées, il existe toujours au haut Moyen Âge des bois communs
(silvæ communis) où n’importe qui, y compris les paysans, a le droit de
prélever sur la faune sauvage. Selon la qualité des équipages et des moyens
cynégétiques dont ils disposent, les puissants s’exhibent dans des chasses à
courre au cerf, au sanglier, qui les distinguent des chasseurs ordinaires11.
Cependant, la plus grosse part de l’incultum, comme les vastes forêts
vosgiennes et ardennaises, devient des domaines réservés appelés forestes
où la chasse à la grande faune est sévèrement contrôlée. Ainsi des gens du
voisinage se rendent-ils parfois coupables de braconnage12. La notion de
forestis correspond d’abord à un statut juridique, celui d’un espace dont la
jouissance est réservée, improprement traduit par « forêt royale », car à
l’origine, cela inclut un environnement varié (bois, landes, marais). Même
si les sources nous parlent presque exclusivement de celles du roi, ces mises
en défens concernent également des forêts privées. L’inforestatio (le fait de
transformer un territoire de l’incultum en forestis) traduit un changement
entre le VIIe et le IXe siècle dans la façon d’appréhender les espaces
sauvages. Cela permet de rationaliser une gestion extensive des forêts en
organisant l’approvisionnement de la cour, tout en réglementant la chasse
autour des résidences royales13. Cette forestis est donc une sorte de
circonscription administrative à la tête de laquelle se trouve un forestarius.
Les forestes sont données ou concédées en bénéfice notamment en faveur
de monastères. Dès l’époque carolingienne, des pans entiers de forestes
passent ainsi aux mains des grands. Progressivement, les restrictions au
libre usage de la silva en dehors des grandes forestes se multiplient14.
Les grandes familles s’aménagent également des espaces privés et clos,
les breuils (brogilus), constitués en bonne partie de forêts, mais aussi de
terrains découverts, de points d’eau, de landes. Dans ces parcs à gibiers, les
grands chasseurs se soucient de préserver la qualité du couvert végétal,
l’alternance de terrains ouverts et fermés et l’abondance de l’eau afin de
fixer la faune. Conscients de la diversité du gibier dans un milieu favorable,
les propriétaires « cultivent » les bois : des campagnes de reboisement sont
parfois menées afin de préserver l’espace couvert, tout en ménageant des
lignes forestières qui défendent les limites d’un territoire. Ainsi, la
reconstitution de la forêt de la Guerche au Bas-Empire ou au haut Moyen
Âge15 est une entreprise volontaire qui s’inscrit dans le cadre de la gestion
des forêts carolingiennes16.
À partir de Charlemagne, se développe une forme particulière de privilège
en faveur des églises, le souverain leur concédant l’exclusivité du produit
de la chasse dans certaines forêts17. À l’inverse, la chasse peut être exclue
de la donation d’une forêt. Progressivement, l’objet de la donation se
déplace vers le droit de chasse18. En 869, Charles le Chauve concède aux
moines de Saint-Denis le droit de pêche et de chasse dans la villa de
Marnay19. En 915, Charles le Simple précise en donnant à Saint-Lambert de
Liège la forêt dépendant de la villa de Theux que toute chasse serait
désormais interdite sans autorisation de l’évêque20. À partir de la fin du
IXe siècle, dans l’espace oriental, l’autorisation de chasser concédée par le
roi avec la forestis relève d’un ban de la forêt.
Peu à peu, le Wildbann, le ban de la forêt, s’étend à d’autres usages qui
peuvent être octroyés en même temps que le droit de chasse.
Le mouvement de restriction commencé à l’époque carolingienne
s’accélère au cours des siècles suivants. À côté des forestes carolingiennes
vont être créées des zones protégées d’étendue plus restreinte portant le
nom de defensa (défens en français). À l’intérieur de ces défens,
temporaires ou définitifs, marqués par des limites, les seigneurs entendent
exercer à titre exclusif le droit de chasse et de pêche ; celui-ci devient un
monopole portant le nom de garenne.
Aux XIe et XIIe siècles, dans presque toutes les régions de l’Europe
occidentale, à la suite de la transformation de l’espace agricole, la liberté de
chasser – le privilège ancestral de tout homme libre – va être
progressivement grignotée, limitée. Après les grandes attaques de
défrichement liées à la croissance démographique et à la recherche de
terres, les espaces forestiers sont menacés par la surexploitation, le
surpâturage, l’essartage pratiqués tant par les seigneurs laïcs que les
établissements religieux. En de nombreux endroits, commencent à se faire
sentir les effets de la diminution lente et continue des surfaces boisées. Les
non-nobles se voient alors interdire la chasse de la plupart des bêtes
sauvages dans les forêts ou des cantons de forêt. Toutefois, les
communautés paysannes de certaines régions frontalières ont conservé plus
longtemps leurs droits de chasse : ainsi en Hainaut, dans les Vosges, le
Dauphiné, le Béarn. Mais la protection forestière n’est pas tout, ce sont
d’abord des motivations d’ordre sociopolitique (marquer plus fortement un
pouvoir) qui vont accentuer encore ce processus de privatisation par la
création de garennes21. Et en même temps, les modalités de la chasse
tendent à se modifier, l’activité cynégétique devenant une fin en soi, un
sport et une passion pratiqués par quelques-uns.
Le terme garenna n’apparaît qu’au XIIe siècle, et d’abord dans des actes de
la chancellerie des rois anglo-normands. En France, le mot fait son
apparition dans les toutes premières années du XIIIe siècle. Les historiens ont
beaucoup discuté de l’origine de ce terme avant de s’accorder sur une
étymologie germanique indiquant une idée de défense ou de prohibition.
Sur le plan juridique, il est interdit à toute personne autre que le titulaire du
droit – le seigneur – de pénétrer dans une garenne pour y chasser et y
prendre du gibier sans une autorisation expresse de ce dernier. Et la création
de ce droit a été vue par certains historiens comme une manifestation de la
violence seigneuriale. Monopole de chasse et de pêche sur un territoire
d’une certaine étendue mis en défens, une parenté entre droit de garenne et
forestis carolingienne a souvent été relevée par les historiens du droit.
Aux XIIIe et XIVe siècles, ce droit de garenne subit des atteintes avec la
multiplication des délits de braconnage s’exerçant sur les cervidés, parfois
sur les sangliers, surtout et pour des raisons évidentes, sur les lièvres, lapins
et oiseaux plus faciles à piéger. Le plus souvent, c’est le fait de braconniers
« par nécessité », cherchant à faire face à une conjoncture difficile, mais
figurent également de véritables « professionnels » de la chasse clandestine
possédant et entretenant chiens, furets et tout un arsenal de pièges, écoulant
les produits de leur activité à des marchands, attestant en filigrane
l’existence de circuits parallèles de la viande et des peaux de lapin22.
Surtout, il faut compter avec le poids de plus en plus lourd du contrôle
royal. En France, dès le début du XIVe siècle, les rois capétiens puis valois,
qui cherchent à rétablir leur suprématie puis à la conforter solidement, vont
restreindre la chasse à leur seul profit ou, au moins, en limiter strictement
l’exercice. Désormais, l’établissement de toute nouvelle garenne est soumis
à l’autorisation du roi. Pour des raisons politiques, ces autorisations sont
très peu nombreuses, se raréfient même assez vite. Et les droits de garenne
qui se sont conservés portent désormais sur de petites réserves où l’on ne
peut garder que du menu gibier. Le droit de garenne se confond alors avec
un monopole de jouissance de certaines catégories d’animaux (lièvres et
lapins) qui acquièrent ainsi un statut particulier.
À la fin du Moyen Âge, la chasse est devenue un privilège ; les espaces
boisés, désormais jalousement gardés par des agents forestiers, se sont
progressivement fermés à une exploitation commune, collective, considérés
comme des réserves personnelles du seigneur. La pratique de la chasse
n’apparaît plus comme un droit mais comme une concession octroyée par
ceux qui en ont l’exclusive et qui peut être suspendue à tout moment.
Charles VI promulgue en 1396 une ordonnance interdisant aux roturiers de
chasser. Louis XI a même à la fin du Moyen Âge tenté d’exclure la
noblesse, comme un moyen d’affirmer son autorité sur les féodaux.
Dans les forêts usagères ouvertes aux communautés paysannes, si le droit
de chasse subsiste, celui-ci est nettement menacé par une réglementation
multipliant les interdictions dans le temps et l’espace. La chasse noble
prime les usages forestiers engendrant jusqu’à la Révolution française des
conflits parfois violents entre puissants et communautés paysannes.
La forêt, une grande ressource pour l’élevage
La pratique de l’élevage du bétail en forêt est non seulement courante au
cours du Moyen Âge, mais essentielle pour l’équilibre économique des
exploitations paysannes en raison de l’insuffisance des prés de fauche. L’un
des rôles premiers de l’espace boisé est d’être un lieu de pâture et de
fourrage23.
Les études bio-archéologiques montrent pour les forêts méridionales une
utilisation pastorale de la forêt. Plusieurs études, notamment
ethnographiques, mettent l’accent sur le rôle des formations boisées comme
fourrage et litière pour le bétail.
Durant le haut Moyen Âge, on s’approvisionne probablement aussi en
fourrage dans les zones ligneuses : feuillages, glands, fougères, genêts…
ont pu être utilisés aussi bien pour nourrir les bêtes que pour confectionner
leur litière. Les données carpologiques (paléo-semences) et
anthracologiques (charbons de bois), en révélant la présence de ces espèces,
suggèrent une telle interprétation. Les expériences zootechniques menées
dans le marais Vernier (Eure) dans les années 1980 avec un troupeau de
bovins de race rustique (West Highland cattle) ont montré que ce fourrage
du sauvage n’était pas moindre que la réserve nutritive offerte par les vaines
pâtures sur terres cultivées24.
Chevaux, bovins en été, porcins en automne au moment de la glandée,
voire moutons, placés généralement sous la protection d’un bouvier ou d’un
porcher, arpentent les couverts forestiers « fructifères » (forêts de chênes, de
hêtres). Les espaces boisés sont essentiels à l’agriculture et notamment à
l’élevage des porcs : c’est à cet égard que l’on qualifie une forêt de
fructuosa ou non25. Certains polyptyques (registres fonciers de grands
domaines du haut Moyen Âge) apprécient même la dimension des bois
d’après le nombre de porcs qui peuvent y trouver leur subsistance. Selon les
indications étudiées dans le polyptyque de l’abbaye de Saint-Bertin, on a pu
déterminer que 85 ha de bois sont censés pouvoir nourrir 100 porcs. En fait,
pour les bois comme pour les terres, les proportions varient
considérablement : le domaine du Mont-Blandin de Saint-Pierre de Gand
possède une seule couture (terre en culture) de 25 ha et, sur les pentes
occidentales de la colline, une petite chênaie d’environ 40 ha pouvant
nourrir 50 porcs. En contraste, le domaine ardennais de Villance a, entre ses
coutures éparpillées, des espaces boisés d’une superficie d’au moins
340 ha26. Tant pour le domaine royal d’Annappes que pour les terres de
Saint-Bertin ou de Saint-Amand, la forêt ne paraît pas dépasser le quart ou
le tiers de toute la villa, ce qui est inférieur à ce que relève par exemple le
polyptyque de Saint-Germain-des-Prés. L’importance de la forêt dans
l’économie rurale à l’époque carolingienne est en effet particulièrement
visible dans ce polyptyque qui décrit 40 000 ha de terres dont 17 000, soit
40 %, sont dévolus aux massifs forestiers27.
Certaines portions de domaines, rares, peuvent être constituées
exclusivement de terres de l’incultum, comme au début du VIIe siècle cette
petite terre de Saint-Fargeau, près d’Auxerre sur le Loing, léguée à l’Église
pour l’hospice des pauvres avec ses bâtiments, ses prés, ses forêts, ses
troupeaux de vaches et ses troupeaux de porcs28. Il faut bien que cela
rapporte pour que ce don ait le caractère généreux que l’évêque d’Auxerre
lui donne : il s’agit surtout de l’élevage, dont la production pourra être
vendue ou bien destinée à réconforter les pauperes, les gens qui dépendent
de l’Église.
Tout au long du Moyen Âge, les sous-bois s’offrent au
« pasturaige », « vain pasturaige », ou « champoiaige » permettant aux
paysans d’envoyer leurs bétails essentiellement durant les mois d’été plus
propices à l’herbe et aux feuilles, hors du temps de « vive pâture » ou de
paisson des porcs en automne au moment de la glandée (voir Figure 2).
Quant aux chèvres, hormis en quelques lieux comme les forêts de l’abbaye
de Marchiennes en Hainaut29, elles en sont exclues par les coutumes en
raison des dommages qu’elles causent aux jeunes pousses.
Un certain nombre de règles encadrent la dépaissance forestière : les
zones sur lesquelles s’exerce la vaine pâture sont limitées à certaines parties
de forêt et toujours hors des espaces mis en défens (coupes de bois,
garennes pour éviter de nuire au gibier). Par ailleurs, dans bien des régions,
l’entrée du bétail dans les bois est étroitement surveillée avec obligation
d’emprunter certains chemins déterminés dont la toponymie a conservé le
souvenir, ceci pour éviter l’abroutissement des jeunes pousses par les
animaux. Ces troupeaux sont placés sous la garde d’un vacher, porcher ou
berger, mais les délits de défaut de garde sont si fréquents aux XIVe et
XVe siècles que l’on peut se demander si la présence d’un pâtre est
systématique. Sans doute les animaux bénéficient-ils d’une certaine semi-
liberté, expliquant alors les mentions de trouvailles de « veau sauvage »
(jeune né en forêt) relevées dans les comptabilités des Eaux et Forêts
bourguignonnes.

Figure 2 : La glandée, Psautier à l’usage de Limoges, BM Besançon, ms 140, fol. 4, XIIIe s.

Quant aux bénéficiaires, seuls les ayants droit – habitants riverains de la


forêt – peuvent en jouir. Ces modalités ne sont pas sans introduire de
grandes inégalités entre communautés villageoises, non seulement entre
celles bénéficiant de droits d’usage et celles qui en sont dépourvues, mais
également au sein même des premières selon les dispositions plus ou moins
avantageuses qui leur ont été accordées.
Par ces usages pastoraux dans les forêts médiévales, une concurrence
écologique, notamment alimentaire, s’est bel et bien installée entre animaux
d’élevage et animaux sauvages. L’introduction de chevaux, de bovins, de
porcs, quelquefois en troupeaux considérables, a limité immanquablement
les espaces et restreint la satisfaction des besoins vitaux nécessaires à la
survie du grand gibier. C’est ainsi que les droits de pâturage, des ventes de
paissons ont pu s’effacer devant la sauvegarde du gibier. Ce souci de
conservation du gros gibier ne relève pas de préoccupations
environnementales au sens contemporain de l’expression, mais de la
nécessité de sauvegarder le capital cynégétique en vue de satisfaire les
plaisirs du monde aristocratique (tout comme la chasse aux loups en
Bourgogne ducale aux XIVe-XVe siècles). En 1442, le gruyer du duc de
Bourgogne suspend la vente de la paisson de la forêt d’Argilly :
pour la preservacion des pors sauvaiges estans esdis bois, pour le nourrissement desquelx il
vouloit la paisson et glans diceulx pour la dite année estre gardée30.

La forêt matériau
La forêt est le réservoir de cette formidable matière première qu’est le
bois. Le ramassage du bois de chauffe et du bois vert n’impliquant pas de
taxe, l’emploi de ce matériau est important : colombages, palissades,
charpentes, échalas, instruments agricoles, mais aussi ustensiles culinaires
et, bien sûr, sous la forme de combustible – sans parler de produits comme
l’écorce de bouleau ou de résineux pour fabriquer des torches31, de l’écorce
de chêne pour tanner les peaux. Les pinèdes des Vosges fournissent chaque
année aux clercs de Reims et aux différents monastères fondés par Rémi de
la poix pour enduire les tonneaux de vin32. La navigation est également
consommatrice de bois. Abbon évoque poétiquement à la fin du IXe siècle
les bois utilisés sur les chantiers navals : sapins, chênes, ormes, aulnes33.
Ermold le Noir se plaint du déboisement des Vosges organisé par les
marchands frisons qui abattaient sur place une grande quantité d’arbres
acheminés ensuite vers le Rhin pour y être emportés, comme nous allons le
voir en détail plus loin34.
À Psalmodi dans le Midi, l’analyse des bois d’œuvre carbonisés des
niveaux de démolition de la période VIIIe-Xe siècles révèle l’absence de bois
exogènes à la région. La forêt locale est donc largement une réserve de
merrains. Mais il semble que certaines régions ont du mal à se procurer du
bois de bonne qualité. Il doit y avoir des flux réguliers entre les zones de
production et les régions de consommation ou d’écoulement. Au nord, les
fouilles du comptoir commercial de Dorestad ont montré qu’il fut presque
entièrement construit avec du bois prélevé dans les massifs de Rhénanie
moyenne35. Mais sans doute plus que le bûcheron, c’est le charbonnier qui
est le plus grand destructeur de forêts. Tout dépend bien sûr des besoins des
fours locaux. À la fin du Moyen Âge, la consommation des grandes forges
peut être considérable : certains textes du XVIe siècle permettent d’estimer à
15-20 ha de forêt par an la consommation d’une seule grosse forge, soit 300
à 400 ha nécessaires à sa pérennité. Dès le XIVe siècle, un peu partout déjà
se font sentir des signes de faim de bois36.
À la fin du Moyen Âge, les forêts continuent d’offrir des essences variées,
fournissant autant de ressources en bois différentes. Les analyses
palynologiques et des ressources textuelles plus abondantes et précises
permettent de se faire une idée de la composition des boisements : chêne,
hêtre, frêne, charme, tremble, érable, orme, châtaignier, mais aussi aulne,
saule et bouleau, cornouiller ou encore cerisier, pommier et poirier
sauvages, ou encore sapin, pin et mélèze. Certaines de ces essences ont été
particulièrement surveillées et protégées tels le hêtre et le chêne en raison
de leur double intérêt économique puisqu’ils fournissent concurremment les
faînes et les glands pour les porcs et le bois de construction. La variété des
essences, leur mélange (les peuplements monospécifiques contemporains
étant alors inexistants) tout comme des conditions écologiques différentes
(exposition, nature du sol, pente, etc.) donnent à ces forêts médiévales des
faciès bien divers.
Tout le matériel ligneux est utilisable et utilisé selon les besoins : du bois
aux écorces collectées pour le tannage, des branches aux souches, du bois
vif au bois mort et chablis pour le chauffage, du chêne au tremble, au saule
et au noisetier. Bois de construction (merrain), mais aussi bois pour clore,
pour fabriquer des échalas pour les vignes, pour l’artisanat (cerclerie,
vannerie, saboterie) et bien sûr pour le chauffage de la maisonnée comme
pour alimenter les activités proto-industrielles (métallurgie, verrerie, tuiles,
fours à chaux, fabrication de tanin, etc.). En effet, lieu de production du
principal voire du seul combustible qu’est le charbon de bois, la forêt est
indispensable à la pratique quotidienne de nombreux métiers ruraux et
urbains.
Dans le courant du XIIIe siècle et surtout aux XIVe et XVe siècles, la
documentation plus abondante et plus spécifique fait état de l’existence de
deux régimes sylvicoles : la « haulte forest », « haulte futaye » ou « bois de
forest » d’une part, les « bois revenans » ou « bois revestuz qui ne sont point
bois pourtant ou il puisse venir paisson » d’autre part se côtoyant le plus
souvent dans un même espace forestier. La première désigne la futaie de
grande taille peuplée de chênes et de hêtres de plus de 40 ans ; la seconde
est constituée de taillis composés d’arbres jeunes de moins de 30 ans,
exploités en courte révolution – dix ans, voire vingt ans, comme a soin de le
préciser la coutume de Bourgogne37 – destinés tant au bois de feu, à faire du
charbon qu’à la fabrication d’outils et d’objets.
Quant aux méthodes d’exploitation des espaces forestiers, différents
modes de traitement sont mis en œuvre, bien souvent sous la surveillance
obligatoire des forestiers : coupe au pied, c’est-à-dire à l’unité en
choisissant les arbres et au gré des besoins (furetage ou jardinage), coupe à
l’unité de surface (arpent, quartier…) appelée aujourd’hui coupe par
assiette, coupe rase ou coupe avec réserve de baliveaux, coupe à « fleur de
terre » ou de « charbonnier » pour permettre aux rejets de se former, coupe
de proche en proche… Chacun de ces modes a contribué à façonner la
physionomie des peuplements forestiers.
Qu’ils soient destinés au bois de construction, de feu, à faire du charbon…
les bois destinés à la vente sont comptés ou arpentés, « signez et marqués »
du marteau des officiers forestiers seigneuriaux. Ce qui n’empêche
nullement, sur le terrain, que les acheteurs effectuent au préalable une visite
des lieux avec les officiers forestiers seigneuriaux afin de reconnaître les
limites des ventes. À partir de la seconde moitié du XVe siècle, les sources
font état de la présence d’« arbres de liziere » que l’on conserve pour
matérialiser les limites. Et depuis l’ordonnance royale promulguée à Melun
en 1376, il y a obligation de laisser des arbres pour servir de semenciers
(baliveau, « estalon ») afin de repeupler les bois : 8 à 10 baliveaux par
arpent. Si l’obligation de préserver des baliveaux est respectée, en revanche
le nombre de semenciers maintenus est très variable d’une région à l’autre :
25 baliveaux à l’arpent dans le Verdunois et 13 à 21 dans la forêt de Nieppe
en Flandres au XIVe siècle, 4 à 15 en Touraine au XVe siècle38.
Dès la première moitié du XIIIe siècle – ainsi en Hainaut –, plus
généralement un peu partout aux XIVe-XVe siècles, les sources comptables
révèlent l’émergence d’une prise de conscience des modifications de la
couverture végétale. Celles-ci sont toujours présentées comme des
dégradations par les rédacteurs des comptes, résultant de phénomènes
météorologiques (tempêtes, grands froids), d’incendies ou encore de
maladies cryptogamiques comme ces attaques d’insectes qui ont dévasté en
1435 la forêt d’Argilly dans la plaine de Saône. Aucune paisson n’a pu
avoir lieu cette année-là, faute de fruits « pour les chenilles et canceres qui
ont mangiez les arbre39 ». À ces premières causes s’ajoute, notamment au
XIVe siècle et dans la première moitié du siècle suivant, l’insécurité liée aux
conflits armés (guerre de Cent Ans). En 1422 en Hainaut, les forestiers de
Mormal abattent les arbres pour couper l’accès à la forêt « pour doubte dou
passaige des gens darmes40 ».
En 1432 en Bourgogne, pour défendre le territoire de la châtellenie de
Montcenis en Chalonnais, des chênes sont abattus au bois de Montporcher
« pour berrer les cheminz pour la doubte des ennemis41 » (les Écorcheurs).
Les officiers forestiers ne manquent pas non plus d’incriminer les
communautés usagères et la réglementation se durcit. En 1431-1432,
l’administration comtale décide l’arrêt de la pratique de la paisson dans les
bois d’Hesdin en Flandres42. Se multiplient alors au cours du XVe siècle les
condamnations à des amendes pour abus d’usages et leurs suspensions.
Mais toute la difficulté pour l’historien est d’estimer le degré de crédibilité
à accorder à de telles observations : sont-elles fondées ou ne reposent-elles
pas sur des interprétations subjectives, rapportant des situations exagérées ?
Attachés de par leur fonction au monde seigneurial, les forestiers, aptes à
dénoncer les abus causés par les usagers, ne traitent que très rapidement de
ceux provoqués par les maîtres des forêts.
Quoi qu’il en soit, apparaît peu à peu la nécessité de suivre des règles
pour assurer une production ligneuse durable. Et ce d’autant plus que,
depuis le courant du XIIIe siècle, avec le développement des villes, des
activités artisanales ou « proto-industrielles », les besoins en bois ont
augmenté considérablement, constituant une menace pour l’équilibre des
forêts. Une surveillance accrue des forêts se fait jour : sont entreprises des
visites, véritables tournées d’inspection effectuées par les officiers
supérieurs des Eaux et Forêts comme dans le domaine ducal bourguignon43.
De l’état des bois et de leurs peuplements dépend leur rentabilité financière.
Ainsi voit-on en 1464, à la veille des ventes des glandées, le lieutenant de la
forêt de Mormal, accompagné de « six marchands, six sergents, trois guides
et le clerc du recepveur en nombre de seize chevaulx et XVIII personnes »
venir visiter l’état de la paisson44.
Jusqu’alors le repeuplement des forêts s’effectuait par réensemencement
naturel, par rejet de souche ou en réservant des baliveaux lors des coupes.
Dès la fin du Moyen Âge, apparaissent ici et là (en France du Nord comme
dans le duché de Bourgogne) des tentatives de repeuplement par
plantations. Cette pratique concerne tout d’abord le chêne et témoigne
d’une certaine prise de conscience que la régénération des bois doit être non
seulement aidée mais organisée pour en assurer le devenir. Sans rejeter
toute sensibilité à l’environnement, ce sont des préoccupations d’ordre
économique qui sous-tendent ces mesures : comment éviter aux
propriétaires des bois une diminution des revenus issus de leur
exploitation ?
CHAPITRE 2
Des bois pour construire
Bois proches et bois lointains,
les rivières et le flottage du bois
Jean-Marie Yante
À la fin du Moyen Âge, les multiples usages du bois stimulent et
rentabilisent l’exploitation des forêts et posent de récurrents problèmes
d’acheminement à destination des contrées et centres populeux. Avec
forcément des variantes régionales, le bois entre dans la construction des
maisons particulières urbaines et rurales, des édifices religieux et publics,
des ponts et des enceintes. Il sert aussi à la tonnellerie, à la fabrication des
roues et des charrettes, ainsi qu’à la construction des bateaux et des
barques. À l’époque préindustrielle, il constitue une indispensable source
d’énergie pour des activités domestiques ou artisanales. L’emploi du
charbon de bois est essentiel dans l’industrie métallurgique.
Le flottage permet le transport rapide et à coût modéré d’importantes
quantités de bois de chauffage ou de construction et, en sus, favorise une
meilleure conservation du matériau grâce au dessévage, c’est-à-dire
l’extraction de la sève des bois afin de les protéger contre les parasites. Il
convient de distinguer le flottage à bûches perdues ou boloyage, consistant
à jeter le bois dans les cours d’eau afin qu’il soit emporté par le courant, et
le flottage en trains ou voilage impliquant l’assemblage des planches et
autres bois de construction. Cette seconde forme de flottage ne s’avère
possible que sur des cours d’eau relativement importants.
Après la coupe et le séchage des bois, ceux-ci sont transportés au bord des
rivières. Les techniques de confection des trains de bois ont
vraisemblablement peu évolué entre le bas Moyen Âge et le XIXe siècle, qui
voit l’apogée du flottage sur plusieurs cours d’eau français. Sur les ports, où
sont amenés mairien (bois de construction) et planches sciées, les flotteurs
préparent les éléments constitutifs d’un train, flotte ou voile. Ils superposent
7, 8 ou 10 planches de même dimension, les serrent avec des harts (liens
formés de jeunes pousses de hêtre, de chêne ou de sapin tordues à chaud),
rapprochent l’une contre l’autre ces piles de planches et les accouplent au
moyen de traverses. Ces unités de flottage, appelées bossets en Lorraine et
aux confins des Vosges, sont reliées bout à bout par des harts et constituent
une flotte. Le même procédé prévaut pour l’assemblage du mairien1 (voir
Figure 1). Plutôt que de flottes ou voiles, les comptes du péage de Nancy
sur la Meurthe, dans le dernier quart du XVe siècle, parlent de corroyes. Il
s’agit, des termes mêmes du tarif, de « huict plainches de hault, VIII de
loing et VIII de travers », soit 512 planches en 8 bossets2.

Figure 1 : Schéma d’assemblage d’un train de planches sur la Sarre. Guatelli Olivier, Raon-l’Étape.
Le flottage du bois et les « oualous » (1830-1899), Raon-l’Étape, 1991 (d'après R. Descombes).

Le flottage des bois implique une réglementation stricte, réalisant un


compromis entre les intérêts des flotteurs et ceux des riverains. Le
lancement de grandes quantités de bois à pleine vitesse provoque
inévitablement des dégâts et des accidents. Par ailleurs, d’autres usagers de
l’eau, les propriétaires ou exploitants de moulins et de scieries notamment,
doivent ouvrir leurs écluses pour permettre le passage des bois et, de la
sorte, sont contraints à des périodes d’inactivité. Afin de se pratiquer dans
les meilleures conditions, le flottage impose aux riverains l’entretien des
berges et des cours d’eau. Quant aux flotteurs, il leur incombe d’acquitter
divers droits de passage, d’effectuer les réparations nécessaires et
d’indemniser les victimes de dégâts ou d’un chômage forcé3.
Le flottage est attesté de bonne heure en Gaule. À l’époque gallo-romaine,
un constructeur de radeaux de flottage est mentionné à Lyon ; des
corporations de ratiaires, en fait de flotteurs, sont connues à Saint-Jean-de-
la-Porte (Savoie) et à Genève4.
Des recherches plus ou moins récentes ont fait connaître les modalités et
l’importance du flottage sur quelques fleuves et rivières de l’actuel Grand
Est français, notamment la Moselle, son affluent la Meurthe et la Meuse. Le
cas de l’Yonne, voie d’acheminement des bois du Morvan vers le marché
parisien, appelle quelques précisions. Sans prétendre nullement à
l’exhaustivité, on évoquera enfin brièvement le flottage sur quelques autres
cours d’eau du pays.
L’utilisation du sapin comme motif décoratif sur des poteries sigillées de
l’officine de Haute-Yutz près de Thionville, vers 180-200 après J.-C.,
pourrait être un indice du flottage antique de résineux sur la Moselle5. Vers
1120-1130, des trains de bois passent au large de Toul6. Les comptes du
péage lorrain de Sierck, à mi-chemin de Metz et de Trèves, constituent une
source exceptionnelle pour l’étude de la navigation au XVe siècle et dans la
première moitié du XVIe, mais ils sont très inégalement répartis dans le
temps : 4 pour les exercices 1424-1428, 6 pour le dernier quart du
XVe siècle, 9 complets et 2 à l’état fragmentaire pour les années 1520
à 1549. 2 flottes de bois, dirigées par un Messin, sont imposées en
octobre 1425. C’est dans le dernier quart du siècle que ce trafic constitue
une donnée essentielle de la vie de la rivière. 55 800 planches y sont alors
dénombrées et devraient provenir du massif vosgien du Donon. Bergarten,
dont sont originaires les responsables de 8 convois, est la dénomination
allemande de Baccarat et, à dix reprises, mention est faite de Raon, à
identifier à Raon-l’Étape, grand port aux bois de la montagne vosgienne.
Des Messins interviennent à vingt-quatre reprises pour un total de
23 550 planches. Plus de 10 000 unités sont imposées au cours de trois
exercices, avec un maximum de 19 400 en 1486. La plupart des bois
descendent le cours entre le début mars et la fin juin. L’importance des
flottes s’avère très variable : 17 sur 49 ne dépassent pas les 500 planches et
29, le millier ; 3 trains sont par contre constitués de 3 000 à 4 000 unités.
Dans la première moitié du XVIe siècle, les bois vosgiens renforcent leur
présence sur la Moselle. En un peu plus de neuf ans, 165 flottes totalisent
environ 300 000 planches. Il en passe plus de 40 000 au cours des années
1530, 1537, 1545 et 1549 (maximum de 48 600 à la dernière date). Les trois
quarts des trains comptent plus de 1 000 unités. L’un d’eux atteint les 8 000.
Les Vosgiens, essentiellement de Bergarten/Baccarat (168 450 planches) et
de Raon, gardent la haute main sur ce trafic. Dans une faible mesure, le
relais est assuré par des flotteurs de Metz, Thionville, Trèves, Coblence et
même Andernach sur le Rhin, à moins qu’il ne s’agisse de particuliers ou de
marchands ayant acheté ces planches en amont de Sierck et les déclarant à
leur nom7.
À Metz, la Moselle s’adjuge un rôle essentiel dans l’approvisionnement
urbain en bois de chauffage, en provenance notamment des territoires
barrois, lorrain et luxembourgeois. Aux XVe et XVIe siècles, la cité reçoit des
massifs proches de la Haute-Meurthe, plus particulièrement du secteur de
Raon-l’Étape, les bois de conifères nécessaires pour la construction.
Jusqu’au milieu de la décennie 1480, les bateliers locaux prennent le relais
vers l’aval des voileurs vosgiens. Les flotteurs de la région de Raon-l’Étape
leur ravissent alors un quasi-monopole, à la faveur vraisemblablement de
tensions entre la cité et les duchés de Lorraine et de Luxembourg8.
Le compte d’un impôt temporairement perçu dans le duché de
Luxembourg, en réaction à une fiscalité lorraine, révèle encore le passage
sur la Moselle à Thionville, entre mai 1561 et septembre 1571, de 70 flottes
de bois vosgiens, totalisant quelque 120 000 planches. 28 sont dirigées par
des voileurs de Raon-l’Étape ; 14 autres s’inscrivent à l’actif d’habitants de
Remiremont sur la Haute-Moselle9.
Dès le début du XIVe siècle, le flottage est bien implanté sur la Meurthe et
ses affluents. Un accord est passé en 1302, pour quatre ans, entre le duc
Ferry III de Lorraine, le comte de Salm et l’abbé de Senones concernant le
transport du mairien descendant du val de Senones et de celui de Celles-sur-
Plaine. À la fin du siècle, les habitants de Raon-l’Étape saisissent le duc
Jean Ier de Lorraine d’une plainte contre les receveurs de Deneuvre et
Ménil, en aval de leur ville, appliquant des taux plus élevés que par le
passé10. À l’époque moderne et jusqu’à l’extrême fin du XIXe siècle, les
habitants de Raon-l’Étape, au point de rencontre du massif vosgien et de la
Meurthe lorraine, jouent un rôle important dans la préparation des trains de
bois et leur acheminement11 (voir Figure 2). Pour les années 1476 à environ
1540, les comptes du péage de Nancy permettent d’apprécier le volume du
trafic à quelque 60 km du port de jetage et de cerner les rôles respectifs des
Raonnais et autres voileurs. Ces comptabilités ont présentement été
dépouillées jusqu’en 1500. L’importance du trafic dépend tout à la fois de
l’ampleur des coupes dans le massif vosgien, de la demande en aval et des
conditions météorologiques très variables d’année en année : minimum de
11 impositions en 1492, maximum de 33 en 1489. L’activité fluctue
naturellement selon les saisons : le froid et les glaces interrompent plus ou
moins durablement le flottage en hiver, tandis que la sécheresse estivale
risque de faire échouer les trains. À 128 reprises, sur un total de
317 passages, les trains de bois servent de support à d’autres articles de
commerce : 104 chargements de vin et 27 passages de meules sortant des
carrières de grès vosgien. La grande majorité des flotteurs sont originaires
de Raon-l’Étape ou des environs immédiats (236 impositions). Baccarat, à
une dizaine de kilomètres en aval, est mentionné à 49 reprises. Quelques
individus réapparaissent de compte en compte, ainsi Hermant de Raon
totalisant 50 passages entre 1476 et 1498 (en 15 exercices) et le grant
Claude de Raon acquittant 35 fois le droit entre 1489 et 1500. Pour cerner
au mieux le dynamisme de ces transporteurs, il conviendrait d’établir leur
éventuelle participation au commerce d’autres articles12.
Figure 2 : Port aux planches de Raon et Laneuveville au XVIIIe s., auteur inconnu, hôtel de ville de
Raon-l’Étape. (photo mairie de Raon-l’Étape-Vosges-France)
Sur le versant alsacien du massif vosgien, un capitaliste strasbourgeois et
le sire de Landsberg s’associent en 1476 pour exploiter le droit de flottage
sur la Bruche13. Ce n’est par contre qu’au XVIe siècle que cette activité est
attestée sur la Thur proche de Thann14. Elle est également mentionnée sur
le Doubs en 1318, mais n’y acquiert quelque ampleur qu’à la fin du
XVIIe siècle15. Dans l’est de la France actuelle, le flottage se pratique encore
sur la Sarre, notamment à destination du marché de Trèves16.
La Meuse se révèle une importante route du bois, comme l’attestent les
tarifs des péages jalonnant son cours moyen et celui de ses affluents
ardennais. Au milieu du XIe siècle déjà, le comte de Namur lève une taxe sur
le bois de construction que le fleuve amène à Dinant. Liège, au moins dès le
début du XIVe siècle, et Maastricht en aval s’avèrent d’importants marchés
de ce matériau et alimentent notamment la Gueldre et la Hollande, contrées
pauvres en forêts. Des débouchés sont également attestés en Flandre,
notamment à Bruges dès le XIIIe siècle. Dans la seconde moitié du
XVe siècle, plus précisément entre 1463 et 1493, il passe annuellement en
moyenne 139 givées (ou trains de bois) au péage de Vireux-Wallerand, en
amont de Givet, et le trafic s’accroît au XVIe siècle : 204 givées entre 1532 et
1561. Chaque train de bois pouvant compter de 300 à 540 troncs, le chiffre
de 60 000 à 380 000 grumes par an a été avancé. Elles passent groupées
avant les bateaux, car elles constituent un obstacle voire un danger pour la
navigation. Sur la Meuse moyenne, le bois de chauffage (leigne), objet d’un
commerce local, est transporté par navée ou nacelle. Il en va de même du
bois travaillé sur les lieux mêmes de l’abattage et destinés notamment à la
fabrication de charrettes et de tonneaux17.
Le flottage des bois du Morvan à destination du marché parisien a nourri
une légende tenace, celle de l’invention du flottage en 1549 par Jean
Rouvet, marchand de la capitale, et a conduit à l’érection en son honneur
d’une statue sur le pont de Clamecy en 1828. Ce qui est en cause n’est pas
le flottage en trains, déjà attesté à Paris en 1415 dans une ordonnance de
Charles VI, mais bien une innovation en matière de flottage à bûches
perdues, grâce au système de la retenue des eaux. Il s’agit de retenir
par escluses en saisons plus commodes les eaues des petites rivières et ruisseaux qui sont au-
dessus de Cravant [au confluent de l’Yonne et de la Cure], de leur donner la force en les
laissant puis après aller, et d’emmener les busches que l’on y jette à bois perdu jusques audict
port de Cravant, où l’on les recueille et accommode l’on par trains sur les rivières d’Yonne en
la sorte qu’on les veoit arriver en la dicte ville de Paris18.

En 1546, un maître de forges du Nivernais, Gilles Desfroissiz, sollicite de


la Ville de Paris la somme de 2 000 écus afin de rendre la Cure navigable.
Son premier essai de flottage à bûches perdues n’est pas un succès. La Cure
est une rivière particulièrement difficile et irrégulière. Charles Le Conte,
« maître des œuvres de charpenterie de l’hôtel de ville » (de Paris), obtient
de meilleurs résultats sur l’Yonne, cours d’eau moins capricieux. Il pratique
le flottage en trains, avec des bûches liées et constituant des espèces de
radeaux. La voie est tracée : il convient d’établir sur l’Yonne et la Cure de
vastes barrages, dénommés pertuis, qu’on peut ouvrir successivement au
moment où arrive le flot pressé des bûches, créant de la sorte un courant
violent et ininterrompu pendant toute la durée de l’opération. C’est ainsi
que, dans la seconde moitié du XVIe siècle, un approvisionnement régulier et
important en bois du Nivernais et du Morvan vient pour un temps libérer
Paris de toute disette en combustible19.
On mentionnera encore que le flottage est attesté sur la Seine dès le
XIIIe siècle20, sur l’Oise21, ainsi que sur l’Isère et le Rhône savoyards22. Liés
en radeaux (les rags), la plupart des bois abordent aux différents ports de
Toulouse grâce au réseau de la Garonne et de l’Ariège23. En 1541, un
mandement du Parlement ordonne de laisser passer sur la Garonne à
Bordeaux les bois qu’Henri II, roi de Navarre, a fait couper dans ses forêts
du Périgord, d’Albret et du Limousin, pour les transporter à La Rochelle. À
la même époque, les bois nécessaires à la construction des galères, en
provenance des forêts du Dauphiné, sont pareillement acheminés par
flottage sur les chantiers marseillais24. Enfin, dans le Roussillon,
particulièrement sur la rivière la Têt, le flottage à bûches perdues, manada
en catalan, est occasionnellement attesté dès le XIVe siècle25 (voir Figure 3).
Figure 3 : Rivières servant au flottage du bois.

Les forêts de chêne


du centre-est de la France
Olivier Girardclos et Christophe Perrault
Qu’est-ce que les données de datations dendrochronologiques (fournies
par la mesure des cernes de croissance des arbres) dans les bâtiments en
restauration et/ou étudiés par l’archéologie peuvent nous apprendre sur la
forêt, d’avant, pendant et après la guerre de Cent Ans (1337-1453) ? Il
s’agit de restituer l’aspect des forêts où étaient exploités les bois de la
construction.
Le chêne est le bois de construction presque exclusif dans le centre-est de
la France, ce qui nous contraint à observer la forêt par le prisme d’une seule
essence. Une lecture écologique des données conserve toutefois un sens
dans les zones où les peuplements sont actuellement dominés par des
chênes, du hêtre et du charme26. Les bois archéologiques et les plus gros
charbons de bois gardent en mémoire certaines dimensions des arbres ou
des branches dont ils sont issus. Le potentiel de restitution de ces restes
matériels concerne alors la structure forestière, c’est-à-dire des aspects de la
distribution des diamètres des tiges ou des troncs ainsi que la relation entre
le diamètre et l’âge. On peut donc réduire la question : existe-t-il une
variabilité temporelle des caractéristiques des bois de chêne d’architecture
datés par la dendrochronologie et peut-elle renseigner sur la structure des
forêts exploitées ?
Du point de vue de l’économie forestière, le chêne utilisé en architecture
est un produit ligneux qui touche au prestige et ses grandes dimensions
incitent à considérer son rôle comme important dans la structure des forêts.
Cependant en forêt coexistent d’autres essences, utilisées comme bois de
feu et comme bois d’artisanat.
Les dates dendrochronologiques renseignent sur les pratiques forestières à
l’aide du produit ligneux, mais la « conduite des peuplements forestiers »
répond à la complexité d’un ensemble de demandes qui ne pourrait être
abordé uniquement par l’étude des bois et sans considération des
dimensions non marchandes de la forêt médiévale.
La zone d’étude fournit, pour la période médiévale, des données
principalement acquises dans des bâtiments en restauration. La méthode
utilisée et les hypothèses émises n’ont de sens qu’à une échelle régionale et
pour des périodes relativement longues. Les sites analysés sont localisés
dans les régions actuelles de Franche-Comté, de Bourgogne, du Centre,
dans une partie sud-est de l’Île-de-France et le sud de la Champagne. Les
données sont continues dans le temps entre 750 et la fin du Moyen Âge,
mais avec un degré de précision très hétérogène. Une diminution du nombre
d’arbres abattus est par exemple visible entre 1300 et 1420 : elle recouvre
pour une bonne part la guerre de Cent Ans.

Vers une lecture écologique des données dendrochronologiques


De nombreux ouvrages permettent d’aborder la méthode de datation
fondée sur la mesure des cernes de croissance des arbres27 y compris dans
l’espace numérique28.
Un bois transformé provient d’un arbre, mais plusieurs bois ont pu être
tirés du même arbre. Cet arbre ne parle pas que de lui, il enregistre dans ses
cernes les variations de son environnement. Sous un climat moyen, le
potentiel de croissance dans une station forestière (zone aux caractéristiques
écologiques homogènes) est principalement lié à l’endroit précis où a
poussé cet arbre (au fond d’un vallon, sur un plateau ou un versant…) et
aux caractéristiques physiques et chimiques du sol présent à cet endroit. Ce
potentiel contraint une biomasse maximale (ensemble de la matière
organique disponible en un lieu, d’origine végétale et animale) du
peuplement forestier. Cette biomasse varie spatialement en fonction des
différentes contraintes écologiques. Dans le temps, la biomasse maximale
des peuplements varie peu. Elle évolue lentement en raison des variations
climatiques à long terme ou des apports de fertilisants des milieux ; par
exemple, l’augmentation de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère du
XXe et du début du XXIe siècle favorise la croissance des arbres (voir
Figure 1). Dans le cas des essences plutôt héliophiles (aimant la lumière)
comme le chêne, chaque individu au cours de son développement, depuis le
stade de plantule jusqu’à sa maturité, acquiert progressivement une forme
très dépendante de l’espace colonisable et de la concurrence avec ses
voisins les plus directs29. Dans un même peuplement forestier, les
dimensions et la forme des chênes sont donc très dépendantes de la
compétition entre les individus.
Dans les forêts exploitées depuis de longues périodes, comme c’est le cas
dans le centre et l’est de la France, le cycle de formation et de
renouvellement de la forêt peut être simplifié en peu d’étapes. Une période
d’abattage est suivie d’une régénération, puis d’une période de
reconstitution de l’état forestier. Les pratiques sylvicoles, si elles sont
codifiées dans un système cultural, comportent deux leviers principaux pour
reconstituer l’état forestier : le mode de régénération des arbres et la
répartition de la biomasse par le biais de la gestion de la compétition. Les
chênes peuvent être régénérés par rejet de souche ou par fructification puis
germination. La compétition entre individus est gérée par les éclaircies, des
abattages sélectifs peuvent maintenir des individus totalement libres des
influences de leurs voisins, alors qu’en absence totale de participation de
l’homme les mécanismes naturels de l’auto-éclaircie fonctionnent.

Figure 1 : Évolution de la largeur du cerne moyen en fonction de l’âge de l’arbre.

Puisqu’au cours de son développement l’arbre acquiert une forme


contrainte en partie par son environnement compétitif immédiat, l’évolution
de la largeur des cernes en fonction de l’âge prend des allures différentes
selon la structure forestière. L’étude de la structure des peuplements anciens
repose sur une comparaison de cette évolution avec celle de peuplements de
référence provenant d’arbres vivants. La démarche de recherche
d’« analogues » est assez générale en paléo-écologie, à ceci près que nous
ne cherchons pas des forêts vivantes dont la structure serait analogue à une
forêt du Moyen Âge disparue. Ce sont les mécanismes de compétition entre
les arbres dans une forêt actuelle qui sont analogues à ceux du passé. La
difficulté réside dans la recherche de forêts où les pratiques sont
diversifiées, hors des standards de la production.
Les largeurs de cerne en fonction de l’âge représentent l’accroissement
annuel du rayon de l’arbre, en millimètres par an, au cours de son
développement. Dans un environnement presque libre de compétition à
Oussières (Jura), la largeur diminue faiblement avec l’âge de 3 mm à plus
de 2 mm vers 150 ans (voir Figure 1). Sous un régime de taillis sous futaie,
les houppiers des arbres dominants sont rarement en contact. L’évolution de
la largeur du cerne montre d’abord une diminution de 2,5 à 2 mm, puis un
retour jusque vers 30 ans à 2,5 mm et une diminution à 1,5 mm vers
150 ans, probablement car les arbres de futaie sont recrutés parmi les semis
et subissent en premier lieu la compétition des rejets de souche. En futaie
reproduite par semis, le système le plus abondant en forêt publique
aujourd’hui, la densité est plus élevée. La concurrence est maintenue par un
contact constant entre les houppiers. Les largeurs de cerne diminuent de 2 à
1,25 mm vers 100 ans puis 1 mm vers 150 ans au moment de l’abattage30.
Autour du village de Chantrans, sur le premier plateau du Jura, nous avons
pu étudier31 un taillis régulier de chênes résultant de rejets de souche,
abandonné (et donc non éclairci) par manque d’intérêt économique de 1950
à 2012. L’épaisseur des cernes est comparable au milieu ouvert uniquement
sur environ cinq-huit ans, puis elle diminue rapidement vers 1,5 mm à
30 ans et en dessous de 1 mm vers 40 ans, par manque d’éclaircie.

Les variables utilisées


Des prélèvements sont effectués par carottage, plus exceptionnellement en
tranche, dans les structures en bois – charpente, plafond, pan de bois, etc. –
des bâtiments étudiés. Sur chaque prélèvement une série de largeurs de
cerne est mesurée du plus ancien, proche de la moelle au centre, vers le plus
récent. Après le processus de datation, une année de formation est attribuée
à chaque cerne. Celle du plus récent de la série est la plus proche de la date
d’abattage de l’arbre. Elle ne correspond à l’année près à cette date
d’abattage que si la zone cambiale est conservée sur le prélèvement (la zone
cambiale, localisée immédiatement sous l’écorce, est le siège des divisions
cellulaires qui génèrent le bois chaque année). Des cernes sont détruits,
lorsque la périphérie de la bille de bois est taillée – pour équarrir une poutre
par exemple – ou endommagée. Dans ce cas, la date du cerne le plus récent
est nécessairement suivie de celle de l’abattage. Si la zone cambiale est
endommagée mais que de l’aubier est conservé, il est alors possible
d’estimer une date plus récente que l’abattage.
Dans cette recherche, des approximations doivent être faites de façon à
utiliser le plus de données possible, y compris anciennes. Le nombre de
cernes mesurés correspond exactement à l’âge de l’arbre à trois conditions :
si la zone cambiale est conservée, si la moelle est conservée, et si le
prélèvement a lieu à la base de la bille.
La somme des largeurs de cerne d’une série a été considérée comme une
estimation minimale du rayon de l’arbre. Lorsque le bois est taillé, cette
estimation souffre des mêmes approximations qui conduisent aussi à des
valeurs sous-estimées.
En 2017 ont été publiés les travaux d’une recherche sur la charpente du
XIIIe siècle de la cathédrale de Bourges32 à partir d’environ
300 prélèvements obtenus en suivant un protocole d’échantillonnage
spécifique qui avait pour but de recueillir les séries les plus complètes
possible. Seulement 6 % d’entre elles sont sans aubier, alors que cette
valeur atteint 35 % dans l’ensemble de la base de données utilisée par les
spécialistes, et la zone cambiale est présente sur 70 % des échantillons
contre 31 % dans cette base de données. Par ailleurs, les éventuels cernes
perdus en direction de la moelle ont été systématiquement estimés.

Le matériel étudié
Dans le centre et l’est de la France, les chênes appartiennent en grande
majorité à deux espèces, le chêne sessile et le chêne pédonculé. Le chêne
pubescent est plus rare, mais localement présent notamment sur les sols les
plus secs, en Bourgogne par exemple.
La répartition géographique dans le centre et l’est de la France des
données dendrochronologiques est évaluée en représentant le nombre de
séries individuelles par commune (voir Figure 2). La densité montre très
clairement la zone d’étude dans l’aire du chêne en Franche-Comté,
Bourgogne et région Centre ; les sites sont également assez abondants dans
la partie sud-est de l’Île-de-France, en Essonne principalement et dans une
partie sud de la Champagne autour de Troyes. Avant 1150 environ les
données sont nettement plus parcellaires, limitées à quelques sites répartis
dans la zone d’étude. Avant 1420, les sites sont plus abondants dans le
centre de la France qu’en Bourgogne et surtout en Franche-Comté, où les
données ne sont véritablement importantes qu’à partir de la fin du Moyen
Âge et pour le XVIe siècle. Le nombre de bois disponibles est concentré dans
les villes principales de ces régions en raison du nombre de constructions
bien entendu, mais également des programmes d’étude, par exemple le
ravalement des façades à Orléans et Troyes.
La distribution temporelle des données est fournie en comptabilisant le
nombre de dates d’abattage par année (voir Figure 3). Pendant la période la
plus ancienne, les sites sont peu nombreux, toutes les années ne sont donc
pas représentées, mais dès 1100 environ, les dates d’abattage sont
continues. Les courbes montrent un décalage chronologique vers le passé en
fonction des cernes détruits par le façonnage ou l’érosion. Ce décalage peut
être important pour quelques bois les plus taillés, mais de façon plus
générale, il n’est notable que dans la période 1400-1500.
Figure 2 : Distribution géographique des sites datés, représentation du nombre de séries individuelles
par commune. La zone d’étude est figurée en vert clair.
Figure 3 : Variabilité temporelle du nombre de dates d’abattage par an.

Les séries les plus anciennes proviennent de sites archéologiques très


différents comme des pêcheries en Saône-et-Loire à Tournus, des
inhumations en sarcophages à Cluny ou le plancher d’un refuge souterrain
proche du château de Sublaines dans l’Indre-et-Loire. Les bois de bâtiments
les plus anciens proviennent de la crypte de l’abbaye Saint-Germain à
Auxerre dont la date du cerne le plus récent est 811 ; également de
l’Hostellerie Saint-Hugues de Cluny dont la charpente apparente
partiellement d’origine est datée de 1109. La diminution, commencée vers
1270-1280, suivie d’une période de stagnation de 1300 à 1420-1450, ne
peut pas être expliquée par le manque d’intérêt des recherches. De même,
l’augmentation rapide de 1420 à 1500 correspond à une meilleure
conservation des bâtiments de la fin du Moyen Âge, mais elle est suivie par
une inversion qui paraît brutale après 1500 jusqu’en 1580. Ces variations
correspondent bien à une dynamique d’exploitation en lien avec celle de la
construction, mais partiellement seulement car il est possible que dès 1530-
1550, les bâtiments soient moins intensément étudiés.
Les phases retenues ont une délimitation précise liée à la distribution des
dates d’abattage, cependant elles peuvent être rapprochées de périodes
importantes de l’architecture des bâtiments du Moyen Âge. De l’origine des
données en 750-800 à 1148, date d’abattage des arbres mis en œuvre dans la
collégiale romane de la Bussière-sur-Ouche en Côte-d’Or, le peu
d’informations disponibles rend difficile l’interprétation des résultats. De
1149 à 1300, un ensemble de données suffisant permet de décrire la forêt
pour une période qui correspond à l’installation de l’architecture gothique
avant la guerre de Cent Ans, guerre presque entièrement recouverte par la
stagnation des abattages de 1300 à 1420. De 1420 à 1500, l’augmentation
des abattages coïncide avec une fin du Moyen Âge où la construction est
active. Les données sont particulièrement denses à cette période dans les
centres urbains d’Orléans, Troyes, Blois, Tours.
L’exploitation des forêts de chênes au Moyen Âge se caractérise donc par
deux périodes de forte sollicitation séparées par une période de moindre
récolte pouvant avoir des effets sur le « stock » d’arbres sur pied. La
quantité de données diminue après 1500, mais elles restent très abondantes
pour caractériser les arbres mis en œuvre à la charnière entre le Moyen Âge
et l’époque moderne.

Que nous disent les chênes des bâtiments de la forêt médiévale ?


Pour l’acquéreur d’un arbre, l’évaluation en forêt de son potentiel est
probablement une démarche très ancienne. Il s’efforce d’estimer la quantité
de telle ou telle marchandise qu’il pourrait tirer de l’arbre et déterminer la
quantité d’arbres nécessaires pour le chantier qui l’occupe. Les estimations
individuelles arbre par arbre sont rapidement complétées par celle de la
« possibilité » du peuplement forestier : pour obtenir ce qui est nécessaire à
son chantier, peut-il s’adresser à une faible surface ou doit-il dépasser les
limites d’une forêt33 ? Les chênes de construction ont probablement été
longtemps évalués à l’aune du côté et de la longueur de la poutre que le
charpentier en obtiendrait après équarrissage. L’exploitation apparaît alors
sous la dépendance directe de plusieurs choix technologiques qui agissent
très fortement sur le diamètre minimum de l’arbre nécessaire : équarrir avec
des « flaches » (des creux laissant apparaître l’aubier) plus ou moins
importantes le long de la poutre ou au contraire à « vives arêtes » ; accepter
ou non une décroissance du parallélépipède en un tronc de pyramide de la
base vers le bout le plus fin ; purger totalement ou non l’aubier.
Il apparaît clairement que les choix du charpentier en forêt sont d’abord
motivés par les dimensions des arbres et très peu par leur âge, qui du reste
est mal perceptible sur le terrain.
L’utilisation de la circonférence ou du diamètre est probablement plus
adaptée en forêt. Les projections graphiques sur la période comprise entre
750 et 1580 montrent une forte dispersion du rayon entre 5 cm et 20 cm,
soit 10 à 40 cm de diamètre (voir Figure 4 en bleu). Cependant, la presque
totalité des bois datés paraît nettement moins diversifiée que les classes
utilisées actuellement. Ces bois datés présentent un diamètre compris entre
7,5 et 22,5 cm pour les petits bois et de 22,5 à 47,5 cm pour les bois moyens
(voir Figure 4). L’évolution du rayon est faible ; la plus forte est observée
en Île-de-France et en Bourgogne où le rayon moyen augmente toutefois de
moins de 3 cm entre 1148-1300 et 1500-1580. En région Centre et en
Champagne, la progression est plus faible, au plus 1,5 cm. Même si, dans
toutes les régions, le rayon des chênes utilisés en construction augmente au
cours du Moyen Âge, la pente de cette augmentation reste donc faible et
l’inflexion ne concerne que la transition avec la période moderne. Cette
lente augmentation de la moyenne masque dans certains cas une certaine
diversification. Cependant, elle n’est véritablement perceptible que dans la
région Centre et en Champagne, où toute la période 1420-1580 voit à la fois
l’utilisation d’arbres plus fins et plus gros qu’entre 1148-1300.
Figure 4 : Évolution au cours du Moyen Âge du rayon (en bleu) et de l’âge (en vert) au moment de
l’abattage des chênes.

L’âge au moment de l’abattage considéré pour l’ensemble des régions est


presque systématiquement compris entre 40 et 200 ans environ (voir
Figure 4 en vert). Cette limite inférieure correspond au seuil de datation des
séries de largeurs de cerne et probablement aux dimensions minimales des
bois d’architecture. En moyenne, les chênes datés ont été abattus vers
82 ans. Dans leur grande majorité, les chênes du Moyen Âge auraient donc
été récoltés nettement plus jeunes que dans les forêts d’aujourd’hui où ils
atteignent souvent 120 à 150 ans. Pour chaque région, la tendance entre
1148 et 1580 est systématiquement à la hausse. L’évolution montre donc
des caractères communs relativement détaillés entre l’Île-de-France, la
Champagne et la région Centre ; par contre, la dispersion des données est
nettement plus forte et la tendance bien moins prononcée en Bourgogne.
Dans un bassin d’approvisionnement régional et sur la durée des phases
considérées, la dispersion des données montre que les arbres ne sont pas
exploités à diamètre ou âge constant, ni même standardisé. Par contre, une
tendance claire est notée au cours du Moyen Âge et sa transition avec
l’époque moderne.
L’accroissement annuel du rayon des chênes au cours de leur
développement est comparé entre les périodes 1148-1300 et 1500-1580. Le
fait de choisir des arbres un peu plus gros impose-t-il d’attendre plus
longtemps, ou la productivité annuelle permet-elle de compenser cette
différence ?
La largeur de cerne en fonction de l’âge des arbres médiévaux est
comparée au référentiel construit à partir d’arbres vivants (voir Figure 5).
Les arbres anciens indiquent une forte diversité, cependant la largeur
moyenne évolue régulièrement quand les données sont suffisantes. Des
augmentations des largeurs de cerne sur quelques années, appelées
« reprises de croissance », sont régulièrement observées pour quelques
arbres ; elles sont la conséquence de coupes spécifiques. Cependant, elles
ne sont perceptibles dans l’accroissement en fonction de l’âge que dans une
conduite des peuplements où les coupes ont lieu à des âges réguliers, ce qui
est typique d’une gestion en taillis sous futaie. La diminution régulière des
largeurs de cerne des chênes du Moyen Âge est, au contraire, liée à une
gestion où les reprises de croissance induites par les coupes sont
asynchrones et de faible amplitude. Ceci est typique de la conduite des
arbres sur une seule strate de hauteur, en futaies.
Figure 5 : Comparaison de l’évolution de la largeur du cerne moyen de chênes médiévaux et d’arbres
vivants en fonction de l’âge.

L’accroissement annuel en fonction de l’âge des arbres anciens présente


une allure proche de celle des futaies actuelles dans de nombreuses périodes
et des régions différentes. Une comparaison de données du Moyen Âge
montre pour l’est de la France (voir Figure 5) une diminution régulière qui
suit la forme observée dans les futaies actuelles, mais systématiquement,
après un âge d’environ 30-40 ans, le niveau de croissance sur le rayon est
inférieur. La productivité annuelle totale devrait aussi prendre en compte la
hauteur des arbres. Mais les données vont clairement dans le sens de forêts
du passé moins productives que celles d’aujourd’hui. En conséquence, loin
de montrer des forêts anciennes claires, voire dégradées ou vides de
ressources, les chênes de construction proviennent très souvent de
peuplements plus denses que les futaies actuelles. Il apparaît alors que les
éclaircies et l’ensemble des travaux dans la sylviculture actuelle sont
responsables d’une bonne part du maintien de la productivité au cours de la
vie des arbres d’aujourd’hui.
La diminution de la productivité des forêts du Moyen Âge reste toutefois
bien plus lente que celle qui a pu être observée dans des taillis actuels. Dans
ces taillis, la reconstitution du peuplement a reposé sur le recépage complet
des souches, puis a été abandonné par manque d’intérêt du propriétaire de
1950 à 2012. En 2012, la densité est élevée à un peu moins de 1 700 tiges
par hectare, ce qui occasionne des phénomènes d’auto-éclaircies, c’est-à-
dire de dépérissement et de mortalité des brins les plus dominés. La
comparaison avec les chênes du Moyen Âge prouverait que, certes les
éclaircies sont peu fréquentes, mais elles n’étaient tout de même pas
totalement absentes. D’ailleurs, des « reprises de croissance » sont
régulièrement observées.
Au début de la vie des chênes médiévaux, pendant environ vingt ans, et au
plus quarante, l’accroissement du rayon est plus rapide que dans les futaies
actuelles et tend à rejoindre celui observé dans les situations ouvertes (voir
Figure 5). Deux hypothèses peuvent expliquer cette différence : soit la
reproduction par rejets de souche est favorisée, soit la croissance des semis
est moins limitée par la densité. Les brins de taillis issus de souches
bénéficient d’apports de réserves pendant quelques années au début de leur
développement. Dans les faits, la mobilisation de ces réserves est complexe
et ne semble réellement bénéficier à la tige que si le système racinaire n’est
pas trop grand et ancien34. Par ailleurs, sur des tiges de franc-pied et de
taillis de chêne sessile sélectionnées dans des conditions de croissance très
similaires, y compris en termes de densité, l’avantage de croissance des
brins de taillis existe mais reste faible35. Les différences observées entre
taillis et futaie au niveau des peuplements ne sont donc pas directement
liées au mode de reproduction lui-même, mais peut-être davantage à ses
implications sur la densité. En effet, dans un premier temps, les brins de
taillis sont plus espacés que les semis, et dans un second temps plus serrés.
La croissance de jeunes semis « aussi bien espacés » que les brins de taillis
est également rapide, par exemple dans les milieux ouverts.
Les données utilisées montrent des différences chronologiques et
régionales notables. En Île-de-France et particulièrement en région Centre,
l’accroissement en fonction de l’âge est clairement plus élevé entre 1148-
1300 qu’entre 1500-1580. Les forêts de la période ancienne de ces régions
sont donc les plus productives. En revanche, en Bourgogne, le niveau de
productivité est assez élevé et ne change pas véritablement. Il est possible
que les deux secteurs ne soient pas soumis exactement aux mêmes pratiques
pour conduire les peuplements. Les 346 séries provenant de la cathédrale de
Bourges peuvent être comparées à 352 autres issues de différents sites de la
région Centre. Les résultats sont similaires, à l’exception notable des vingt-
six premières années où les cernes formés par les arbres utilisés dans la
cathédrale sont particulièrement larges. De l’âge de 10 à 20 ans, ils égalent
ou dépassent ceux produits par les chênes presque libres de compétition
pendant dix ans. À tout âge, ils dépassent la production du taillis actuel qui
a été étudié pour les comparaisons, probablement en bonne partie à cause
des conditions de station. Frédéric Épaud décrit un peuplement régénéré par
voie végétative, en recépant les souches, conduit ensuite de façon très
dense, très proche des conditions d’auto-éclaircie pendant cinquante-
soixante ans36, ce qui correspond à l’âge moyen au moment de l’abattage
dans la période 1148-1300 ; il va lui-même nous le décrire un peu plus loin.
La comparaison avec les autres sites de la région montre que les forêts
mises à contribution pour la cathédrale sont plus productives pendant vingt-
six ans.
Il apparaît donc, de façon générale pour l’aire d’étude, que la productivité
des forêts au moment de transition entre le Moyen Âge et l’époque moderne
ne permet certainement pas de sélectionner des arbres plus gros. Bien au
contraire, l’âge au moment de l’exploitation est allongé, car la productivité
baisse conjointement à la récolte de bois un peu plus gros.
La lecture des données de datations dendrochronologiques montre une
augmentation globale du diamètre et de l’âge des chênes au moment de leur
abattage sur cette période. Ces chênes sont abattus petits, tout au plus vers
25-30 cm de diamètre (sous l’écorce) et seulement 3 à 6 cm plus gros à la
fin du Moyen Âge. Ils sont aussi abattus jeunes, en moyenne à 82 ans.
Entre 1148 et 1300, les dates d’abattage sont nettement plus abondantes
avec le début de la construction gothique. Par contre, leur nombre baisse
puis stagne entre 1300 et 1420 au moment des crises du bas Moyen Âge,
dont la guerre de Cent Ans, pour repartir en forte hausse de 1420-1450 à
1500. L’exploitation des chênes indique donc deux périodes de forte
sollicitation séparées par une période de moindre récolte.
L’âge au moment de l’abattage est particulièrement faible, 60 ans environ
entre 1148 et 1300. Pendant la période où l’exploitation est délaissée, il
augmente de façon plus marquée en région Centre et Île-de-France et moins
nettement en Bourgogne. Il atteint environ 80 ans au cours du bas Moyen
Âge, et enfin 100 ans de 1500 à 1580. Délaisser les chênes semble donc
avoir induit leur vieillissement. Mais l’âge n’est pas directement corrélé à
l’intensité de l’exploitation, car il n’y a pas de retour à de jeunes chênes
pendant le renouveau du bas Moyen Âge, ni à la charnière avec l’époque
moderne.
L’accroissement en fonction de l’âge des chênes de forêts anciennes
comparé à celui d’arbres vivants montre, de façon générale, qu’elles sont
plus denses que les futaies actuelles. Loin d’indiquer des forêts ouvertes,
dégradées ou sans ressources en bois, les chênes de construction
proviennent de forêts qui ne sont pas suffisamment éclaircies pour
maintenir la productivité annuelle. Les chênes abattus entre 1148 et 1300 et
entre 1500 et 1580 se sont développés dans des futaies denses. Mais leur
niveau de production est nettement différent sur les premières années de vie
des arbres. L’exemple de la cathédrale de Bourges montre une forêt du
XIIIe siècle très adaptée à la production de jeunes chênes de faible diamètre
et grande longueur alors que les forêts d’après la guerre de Cent Ans sont
beaucoup moins productives. Conjointement, les arbres recherchés sont
plus gros. Ce système aboutit alors à l’exploitation d’arbres toujours plus
vieux.
La structure des forêts médiévales subit donc une très forte transformation
de 1150 à 1500. Elle trouverait un point de départ dans le vieillissement des
chênes consécutif au ralentissement des exploitations, mais les pratiques
sylvicoles des XIIe-XIVe siècles et du bas Moyen Âge induisent également
des croissances différentes des chênes.
Les forêts et le bois d’œuvre
dans le Bassin parisien
Frédéric Épaud
Aux XIIe-XIIIe siècles, le dynamisme économique poussé par l’essor
démographique se traduit par une multiplication des chantiers de
construction tant sur l’habitat urbain essentiellement en pan de bois, les
cathédrales, les abbayes, que sur les modestes églises paroissiales. Dans ce
contexte, on voit apparaître et se diffuser largement dans le Bassin parisien
la charpente gothique, qui accompagne le renouvellement architectural avec
des structures de couvrement plus adaptées mais nettement plus
consommatrices que les charpentes romanes en bois longs et fins en raison
du redressement de la pente des toits de 45° à 60° 37.
On a souvent considéré que cette prolifération des chantiers, l’expansion
des villes ainsi que l’émergence des charpentes gothiques ont provoqué une
ponction importante dans le potentiel forestier, alimentant ainsi le mythe
des grands défrichements. Il est désormais plus probable au regard des
récentes études archéologiques sur les bois consommés dans les charpentes
médiévales que cela a plutôt suscité une meilleure gestion des peuplements
sylvicoles à des fins de produire massivement des bois d’œuvre de qualité
standardisés dans de nombreux massifs forestiers.

Les bois utilisés dans les charpentes médiévales : la poutre qui cache la
forêt
- Des bois équarris
Les charpentes médiévales du Bassin parisien consomment de manière
quasi exclusive des chênes équarris à la doloire qui conservent le cœur de
l’arbre dans la pièce (bois de brin). Ils sont généralement façonnés et mis en
place peu après leur abattage. Dans l’ensemble, les bois sont plus ou moins
sinueux mais leur courbure naturelle n’a jamais été considérée comme un
handicap par les charpentiers, ni lors de leur sélection, ni lors de leur mise
en œuvre qui montre une parfaite maîtrise des ajustements des courbures
aux assemblages. La présence quasi systématique d’aubier prouve que
l’équarrissage des grumes a été minimal et que les chênes abattus
correspondaient de très près aux sections recherchées par les charpentiers.
Cette économie du dégrossissage représentait un gain de temps non
négligeable, mais elle prouve surtout que le potentiel forestier permettait de
satisfaire la demande des nombreux chantiers du bâtiment en chênes
parfaitement calibrés aux besoins. Les rares exceptions où l’on voit des
éléments sciés au XIIIe siècle, issus du débitage de bois surdimensionnés,
sont liées à l’absence de futaies à proximité du chantier comme pour la
charpente du bras sud de la cathédrale de Bayeux vers 1225. À partir de la
fin du XIVe siècle, les bois sciés se rencontrent plus souvent dans les
charpentes, mais il faut attendre la fin du Moyen Âge et surtout l’époque
moderne pour que l’emploi du bois débité sur quartier se généralise avec
une plus forte consommation de chênes aux troncs épais, trapus et noueux.
Ce changement témoigne d’une modification profonde des ressources
ligneuses avec le développement du taillis sous futaie et une mutation de la
propriété forestière.

- Des bois fins et élancés


Dans les charpentes gothiques des XIIe-XIIIe siècles, on constate une très
forte proportion (90-95 %) de bois homogènes issus de chênes de faible
diamètre de 20 à 25 cm en pied de fût, le reste correspondant à des bois de
35 à 50 cm de diamètre pour les pièces maîtresses (entraits, poinçons), avec
des longueurs allant de 8 à 14 m. Les charpentes de la cathédrale de Lisieux
érigées autour de 1200 ont consommé plus de 900 chênes dont 97 % d’entre
eux n’avaient que 22 cm de diamètre en pied pour 9 m de long. Vers 1230,
celles de la cathédrale de Rouen ont nécessité l’abattage de 1 200 chênes
dont 92 % avaient aussi 22 cm de diamètre en pied pour 10 m de long. De
même, les 900 arbres abattus en 1256-1258 pour la gigantesque charpente
(100 m de long) de la cathédrale de Bourges (voir Figures 1 et 2) étaient
pour 94 % d’entre eux de 23 à 28 cm de diamètre et de 14 m de longueur38.
On retrouve ces valeurs dans les mêmes proportions dans la plupart des
charpentes d’églises, de cathédrales, de logis, de granges ou d’abbayes du
Bassin parisien de cette période. Nous sommes donc bien loin de cette
image d’Épinal des énormes chênes au tronc épais abattus pour les
charpentes des cathédrales gothiques.
Outre leur faible diamètre, ces bois ont surtout un défilement moyen très
faible, autour de 2 cm par mètre comme ceux de la cathédrale de Bourges
(1,6 cm par mètre). Cet indice, qui correspond au nombre de centimètres
que le fût perd sur sa circonférence par mètre de hauteur, définit la forme
plus ou moins tronconique du fût et renseigne sur la densité du peuplement
comme on l’a vu plus haut. D’aussi faibles défilements, propres aux fûts
filiformes quasi cylindriques sur toute leur hauteur, signifient que la futaie
était très densément peuplée, au maximum des capacités biologiques du
chêne. À noter aussi que la faible quantité de nœuds de branches
charpentières le long des bois témoigne d’un houppier peu développé en
partie sommitale, indice là encore d’une forte densité des peuplements.

- Des arbres jeunes


On constate également que ces bois minces consommés massivement
dans les charpentes gothiques du Bassin parisien sont issus d’arbres jeunes
à peine matures avec un début de croissance très rapide. En Normandie,
entre 1180 et 1230, on voit l’emploi quasi exclusif d’arbres de 50 cernes
pour un diamètre de 22 cm en moyenne39. Les bois de la cathédrale de
Bourges ont un âge moyen de 56 ans avec une forte croissance radiale
(2,1 mm en moyenne par an) pour 14 m de longueur. D’autres études
réalisées en région Centre sur 28 charpentes des XIe-XIVe siècles ont aussi
permis de caractériser l’emploi de bois jeunes à forte croissance juvénile
uniquement aux XIIe-XIIIe siècles40. D’autres études le confirment pour la
même période comme celle des charpentes de l’abbaye de Fontevraud en
Anjou41.

Le type de futaie exploitée


- Des jeunes futaies hyperdenses
Plus de 90 % des chênes destinés aux charpentes gothiques comme celle
de Bourges sont donc des arbres jeunes avec une forte croissance juvénile,
au fût de faible diamètre, fin, au profil très élancé et régulier sur une grande
hauteur, avec peu de branches et un houppier comprimé à la cime entre 15
et 20 m de hauteur. Leur faible défilement témoigne d’une compression
maximale du milieu et d’une très forte densité du peuplement forestier42.
Ces arbres proviennent donc de hautes futaies où la densité du peuplement
est maximale et où la forte mise en concurrence entre les sujets les a
contraints à croître rapidement en hauteur vers la lumière et non en
épaisseur. Toutefois, cette hyperdensité du peuplement ne suffit pas à
expliquer les fortes croissances radiales et la jeunesse de ces arbres puisque
des chênes d’une cinquantaine d’années avec des fûts aussi longs, fins et
élancés sont introuvables dans les futaies actuelles (voir Figure 3), ce qui
suppose un mode de régénération particulier et des conditions sylvicoles
très éloignées des modèles d’aujourd’hui basés sur la régénération naturelle
par semis et sur le principe des éclaircies.

Figure 1 : Charpente de la cathédrale de Bourges mise en œuvre en 1256-1258 avec des bois de brin
longs et très fins, équarris a minima (cliché F. Epaud).
Figure 2 : Charpente de la cathédrale de Bourges de 1258. Bois de brin équarris à la doloire,
légèrement courbes et présentant de l’aubier aux arêtes (cliché F. Epaud).

- Un régime de taillis
Que ce soit à Bourges ou sur d’autres charpentes des XIIe-XIIIe siècles du
nord-ouest de la France43, les croissances des jeunes chênes au fût élancé
montrent toujours une forte vigueur dans les vingt-trente premières années
avec des cernes de croissance larges puis un ralentissement drastique
marqué par des cernes étroits. L’hypothèse de futaies régénérées selon le
régime du taillis par rejet de souche et non par semis naturel apparaît
comme la plus probable. En effet, le rejet bénéficie des apports nourriciers
de la souche porteuse qui lui assurent une croissance juvénile supérieure à
celle d’un semis. Le taillis atteint donc sa maturité plus rapidement qu’un
peuplement issu d’un semis naturel. De ce fait, les tiges s’élancent plus vite
en hauteur et ont tendance à dépasser les semis de même âge et à les
étouffer. Les croissances des rejets de souche se caractérisent en effet par de
fortes croissances radiales durant vingt à trente ans, puis par un
ralentissement rapide qui est lié à la formation d’un système racinaire
indépendant de la souche mère et à la mise en concurrence des tiges entre
elles. Les rejets de souche sont donc non seulement capables de fournir un
fût adulte et viable, mais ils bénéficient d’un rythme de croissance supérieur
à celui d’un brin issu de germination. Leur développement spectaculaire
produit donc en quelques décennies seulement un fût fin et très long, soit le
matériau de construction idéal et parfaitement adapté aux besoins des
charpentiers et au travail d’équarrissage.
Par ailleurs, la très forte croissance juvénile des rejets de souche exclut la
possibilité d’un semis par régénération naturelle (glands issus des bois de
réserve) pour combler les vides dans le peuplement. En effet, dans les taillis
de chênes, les semis qui peuvent s’installer disparaissent tous dans les
premières années, étouffés par les rejets qui les dépassent rapidement. Le
régime du taillis de chênes est donc exclusif et ne tolère aucun semis.
Figure 3 : Forêt de Bercé (Sarthe). Chêne au fût de 28 cm de diamètre en pied et de 16 m exploitable
sous le houppier, proche des arbres utilisés dans les charpentes gothiques mais bien plus âgé : 80 ans
contre 50 ans au XIIIe s. (cliché F. Epaud).

- Des coupes « pres et raz de terre »


Pour permettre une bonne régénération de ces taillis par rejets de souche,
le recépage (action de couper un arbre près de terre afin d’obtenir de
nouvelles pousses depuis la souche) doit se pratiquer en automne-hiver et
s’effectuer au plus près du sol, car il permet de dynamiser la repousse, de
favoriser l’affranchissement des rejets et d’éviter l’épuisement de la
souche44. La scie était proscrite pour l’abattage, encore au XVIIe siècle où
elle est accusée d’anémier la souche45. Tous les textes mentionnant les
coupes de bois au Moyen Âge sont unanimes et recommandent, comme la
coutume de Touraine de 1584, de couper le bois « par le pied a raz de terre
[…] afin que le pied des souches puisse en rejecter46 ». Cette pratique du
recépage s’est maintenue à l’époque moderne avec l’exploitation « à tire et
aire » imposée par l’ordonnance de 1669 qui reposait exclusivement sur la
capacité des feuillus à rejeter et dont seule la coupe au plus près du sol à la
cognée garantissait le renouveau du peuplement sans que l’homme n’ait eu
à agir entre chaque coupe47. Dans le Bassin parisien, les vieilles futaies
domaniales (Réno-Valdieu, Perche, Bercé, Perseigne, Tronçais…) issues
des réformes de Colbert ont ainsi été régénérées par rejets de souche48 et il
est fortement probable que les taillis de chênes exploités aux XIIe-
XIVe siècles pour la construction l’eussent été également « pres et raz de
terre ».

- Des coupes à blanc dans des peuplements homogènes


L’approvisionnement des chantiers s’opère le plus souvent durant
l’automne-hiver en un minimum de coupes afin de limiter le coût de la
main-d’œuvre à mobiliser pour l’abattage, le débardage et le transport des
grumes. De nombreuses charpentes médiévales sont ainsi constituées de
bois issus d’une seule campagne d’abattage comme celle de la grange Saint-
Lazare de Beauvais dont les 760 chênes furent abattus l’automne-
hiver 1219-1220. La standardisation des bois observés dans ces charpentes
gothiques (âge, croissance, diamètre, forme, défilement…) et leur abattage
en une seule campagne supposent dans la plupart des cas un
approvisionnement non pas par furetage (bois sélectionnés et coupés
isolément au sein du peuplement) mais par coupe à blanc dans un
peuplement homogène. Si les questions d’ordre logistique justifient la
coupe de surface pour l’abattage de hauts fûts et le débardage, la similarité
des bois s’explique surtout par un prélèvement dans des peuplements
équiens (de même âge) et homogènes liés au régime du taillis. Ces parcelles
exploitées témoigneraient donc d’une gestion spécifique à laquelle
répondrait la coupe de surface pour la régénération d’un peuplement
régulier aux arbres de même âge.

- Des enclos de protection du taillis ?


Pour aboutir à une hyperdensité du taillis, celui-ci devait être laissé en
autorégulation sans intervention humaine, sans coupe d’éclaircie,
dépressage, détourage ou balivage (abattage sélectif de sujets dans un
peuplement très dense afin de favoriser le développement des arbres-
objectifs ainsi conservés). Le peuplement s’autorégulait de lui-même avec
une mortalité naturelle des tiges dominées (auto-éclaircie). Les textes ne
mentionnent jamais de coupe d’entretien des taillis. Aucun personnel
n’existait d’ailleurs au sein des seigneuries pour effectuer ce travail. Les
seuls prélèvements qui existaient étaient des nettoiements ou expurgades
qui consistaient à prélever le bois mort et le mort-bois dans le cadre des
droits d’usage lorsque ceux-ci n’étaient pas tout simplement interdits sur
ces parcelles habituellement mises en defens après la coupe. Encore à
l’époque moderne, les taillis et taillis sous futaies étaient exploités
uniquement lors de l’abattage et de la vidange, en préservant au mieux la
capacité de rejeter des souches, puisqu’aucune autre intervention humaine
ne se faisait alors49.
Au Moyen Âge, à l’issue d’une coupe rase, la régénération du taillis par
rejets de souche était protégée de la faune sauvage et du sylvopastoralisme
puisque la forêt médiévale était largement exploitée pour l’élevage des
porcins, bovins et ovins, ce qui représentait une menace pour la
régénération des parcelles. L’interdiction du pâturage varie en France de
deux à cinq ans après la coupe50, sauf exception comme en Normandie au
XIVe siècle où elle atteint douze à quinze ans51. La mise en defens des jeunes
taillis s’accompagne d’une suspension des droits d’usage et de la mise en
place de talus, de fossés et de plantation de haies. Au XIIIe siècle en
Touraine, la création de fossés autour des coupes semble aller de soi comme
encore au XVe siècle où les textes stipulent même les dimensions des fossés
en largeur et profondeur. Sur les talus, des haies étaient créées comme le
relate un acte de vente de 1498 :
[…] feront lesdits acheteurs les hayes de pau, perche, espines et autre bois autour de ladite
monstrée [coupe] en maniere que les bestes n'y puissent passer comme il appartient a bonnes
tailles sans fere dommage audit reject52.

Les enclos qui sont détectés grâce au lidar (relevé microtopographique du


sol par un scanner aéroporté) dans les massifs forestiers comme ceux de la
forêt de Bercé (Sarthe), de formes polygonales fermées, fossoyés et talutés,
pourraient correspondre à ces mises en defens de parcelles en
régénération53.

- La surface forestière sollicitée


Les seules densités connues concernent des populations issues d’une
régénération naturelle par semis, non d’une futaie sur souche. Ainsi, des
peuplements témoins de chênaies en secteur ligérien régulés uniquement
par la mortalité naturelle et n’ayant connu aucune intervention humaine
excepté le nettoiement des bois morts présentent une densité de 1 700 tiges
par hectare à 60 ans54, ce qui constitue un rapport a minima comparé à
l’hyperdensité des futaies sur souche exploitées au XIIIe siècle. De plus, il
faut aussi supposer que dans le cas d’une coupe à blanc, même s’il s’agit de
peuplements homogènes, le rendement de bois utiles au chantier d’après
l’expérimentation est d’un arbre sur quatre abattus en prenant l’estimation
la plus faible.
Ainsi, on peut estimer que l’abattage des 1 170 chênes nécessaires à la
construction du grand vaisseau de la cathédrale de Bourges correspond à
une coupe à blanc d’à peine 3 ha pour l’évaluation la plus large. On est
donc là encore très loin des idées reçues sur la pénurie en bois liée à la
construction des cathédrales et aux « grands défrichements » dont il faut
bien sûr minimiser l’importance. L’étendue des forêts médiévales du Bassin
parisien et ce mode de production de bois d’œuvre ont permis de pourvoir
largement aux besoins des nombreux chantiers de construction durant tout
le Moyen Âge, ce que confirment l’absence de réemploi dans les charpentes
médiévales, des structures très consommatrices en matériau, et la qualité
des bois d’œuvre employés durant cette période. Le texte de l’abbé Suger
qui relate des difficultés à trouver 12 longues poutres pour sa basilique vers
114455, texte longtemps surinterprété pour évoquer une supposée pénurie de
bois d’œuvre, est à relativiser car ces 12 bois, destinés vraisemblablement
aux entraits, ne pouvaient avoir plus de 10 m de long et plus de 50 cm de
diamètre d’après les charpentes gothiques connues du XIIe siècle. Ils n’ont
donc rien d’exceptionnel pour l’époque, et ce texte ne sert qu’à promouvoir
les mérites du célèbre abbé.

Une sylviculture au service de la construction


D’après les bois consommés dans les charpentes des XIIe-XIIIe siècles du
Bassin parisien, les chênaies exploitées se caractérisent par des hautes
futaies sur souche aux peuplements hyperdenses issus du régime de taillis.
Leur régénération par coupe à blanc et recépage aurait bénéficié d’une mise
en defens de plusieurs années, matérialisée probablement par un enclos afin
de protéger les rejets. Dès lors, le taillis aurait été laissé en autorégulation
sans aucune intervention humaine pour maintenir la densité au maximum
des capacités biologiques du chêne et garantir ainsi une forte compétition
entre les sujets, une croissance très rapide en hauteur et un fort élancement
des tiges.
Il est donc impropre de parler de « sylviculture » comme on l’entend
aujourd’hui, où les peuplements bénéficient de nombreux aménagements
tout au long de leur croissance (cloisonnements culturaux, dépressage,
élagage, façonnage, coupes d’éclaircies tous les huit-douze ans) afin
d’optimiser la production de gros bois à grain fin. Pour le Moyen Âge, il
s’agit plutôt d’une non-gestion par l’homme puisque ces peuplements ne
bénéficient d’aucun traitement particulier, d’aucune éclaircie ni d’entretien
des sujets, sinon d’une protection de la parcelle au moment de sa
régénération et du maintien de l’hyperdensité du taillis jusqu’à la prochaine
coupe à blanc, faite pres et raz de terre. Ces coupes de surface, nécessaires
à la régénération, garantissent en outre une récolte rapide du matériau à
moindre coût dans des forêts denses encore dépourvues de chemins. Ainsi,
ce mode de gestion consiste à laisser faire la nature, à optimiser sa
prodigalité et les facultés régénératives des rejets de souche en la protégeant
des hommes et des animaux par la mise en defens.
Les peuplements équiens issus de cette pratique sylvicole assurent ainsi
une production massive d’un matériau de construction idéal et standardisé
avec des bois fins, résistants, flexibles, de faible diamètre (20-25 cm), de 10
à 14 m de longueur, exploitables au bout d’une cinquantaine d’années
seulement. Ces bois sont précisément adaptés aux techniques médiévales de
mise en œuvre qui témoignent d’une parfaite connaissance des propriétés
mécaniques du bois. L’équarrissage à la hache, en préservant le cœur de
l’arbre au centre de la poutre, confère une stabilité du matériau qui ne se
déformera pas au séchage, contrairement aux bois sciés ou sur-équarris. Par
leur faible diamètre, ces bois sont équarris a minima en gardant souvent
l’aubier aux arêtes et en respectant le fil du bois et ses courbures, ce qui
limite les pertes de matière, le temps de façonnage et ainsi son coût. Cette
taille permet par conséquent de conserver l’intégrité des capacités de
résistance du bois dans la charpente, surtout en flexibilité pour de grandes
longueurs malgré leur finesse. Enfin, les croissances rapides aux cernes
larges confèrent au matériau une bien meilleure solidité en charpenterie par
rapport aux bois aux croissances lentes qui, eux, sont plutôt utilisés en
menuiserie en débit radial.
Les charpentes gothiques qui se diffusent largement aux XIIe-XIIIe siècles
dans le Bassin parisien sont majoritairement à chevrons formant fermes
(charpentes constituées d’une succession de fermes rapprochées). Ces
structures sont très consommatrices de ces bois standardisés longs et fins
pour les nombreuses fermes qui les composent, et surtout pour les chevrons
des toitures à fortes pentes. Les grandes charpentes des cathédrales
gothiques, avec leurs versants de 12 à 16 m de long dressés face aux vents,
ne pouvaient être réalisées qu’avec des bois d’œuvre de cette qualité. L’aire
de diffusion de ces charpentes gothiques semble signifier que cette pratique
sylvicole de taillis de chênaies était pratiquée dans la plupart des massifs
forestiers du Bassin parisien du XIIe au XIVe siècle.

La dégradation des futaies médiévales


Au sortir de la guerre de Cent Ans, avec les nombreuses reconstructions
des XVe-XVIe siècles, on constate un renouvellement des formes des
charpentes et un changement du type de bois consommé qui se confirmera
dans les siècles suivants. Les ouvrages utilisent de plus en plus pour les
pièces maîtresses (entraits, poinçons…) des bois surdimensionnés alors que
les pièces secondaires sont majoritairement issues du débitage sur quartier à
la scie, parfois dès la seconde moitié du XIVe siècle. Les charpentes de
combles délaissent selon les régions les structures à chevrons formant
fermes au profit des fermes et pannes (charpente constituée de fermes
espacées de plusieurs mètres et portant des pannes pour fixer le
chevronnage), plus économes en matériaux et qui facilitent surtout la
consommation de bois débités pour les chevrons qui ne sont plus sollicités
par des assemblages. La consommation des bois de brin équarris longs et
fins tend à disparaître du paysage architectural au profit de bois de plus fort
diamètre. Les charpentes adoptent les fermes à portique qui conviennent
aux bois courts et épais, le plus souvent débités en deux pour constituer la
paire d’arbalétriers. Dans la construction en pan de bois des XVe-
XVIe siècles, le constat est le même avec une plus large utilisation de poutres
de forte section pour l’ossature et de bois sciés pour le solivage et les
éléments secondaires de plus faible section avec des compositions de façade
employant davantage de pièces courtes et sciées. Certaines techniques
comme le renfort métallique des assemblages ou le moisage (prise en
tenaille d’un ensemble de bois par deux pièces parallèles reliées par des
clés) se diffusent dans ce contexte pour s’adapter à des bois plus
vulnérables aux déformations. Le sciage se diffuse donc largement comme
une adaptation technique au changement du matériau ligneux.
Cette évolution résulte d’une modification de la gestion seigneuriale des
ressources forestières et des pratiques sylvicoles que l’on voit apparaître dès
le XVe siècle. Les futaies sont de plus en plus gérées par faire-valoir indirect,
baillées à cens ou à rente à des marchands de bois qui acquièrent
progressivement le monopole des coupes et des ventes avec une logique
commerciale de profit à court terme et de contrôle spéculatif des stocks. On
voit ainsi se généraliser le prélèvement par furetage qui profite à
l’adjudicataire en sélectionnant les meilleurs bois, laissant une forêt
dégradée et éclaircie. Les ordonnances condamnant le furetage se
multiplient au XVIe siècle devant le développement de cette pratique. Les
futaies régressent au profit du taillis sous futaie qui tente de concilier les
besoins des chantiers de construction, des usagers et des industries de plus
en plus consommatrices en charbon de bois et en bois de chauffe.
Les bois issus des baliveaux des taillis sous futaies et de ces forêts éclaircies
sont plus courts, de plus fort diamètre, noueux, et leur débitage à la scie
devient dès lors nécessaire afin de les adapter en section aux besoins de la
construction.
À l’époque moderne, la crise forestière s’amplifie avec l’expansion du
taillis sous futaie et la généralisation du furetage laissant des forêts ouvertes
et dégradées. Les ordonnances de Colbert de 1661 et 1669 chercheront à y
remédier sans réel succès. La médiocre qualité des bois utilisés dans les
charpentes des XVIIe-XVIIIe siècles en témoigne avec l’emploi généralisé de
pièces courtes, épaisses, courbes, noueuses, flacheuses et débitées à la scie.
Le réemploi de vieux bois devient systématique afin de répondre aux
difficultés d’approvisionnement alors qu’il était exceptionnel au Moyen
Âge. Dans les charpentes d’époque moderne, la large diffusion des fermes à
portiques, dont l’ossature n’est constituée que d’arbalétriers courts, et des
structures à la Philibert Delorme (n’utilisant plus que des planchettes
assemblées entre elles en lieu et place de véritables poutres) répond d’une
adaptation nécessaire des techniques et de l’architecture à la pénurie de bois
de qualité longs et fins à l’échelle du pays entier.
En parallèle à cette dégradation progressive des forêts, on constate un
changement général du regard porté sur le bois dans l’architecture. Avec la
Renaissance et le retour de la mode antique pour la pierre, les charpentes
médiévales voûtées des logis sont dissimulées par des plafonds, et celles qui
restent visibles dans les églises sont systématiquement lambrissées. Les
pans de bois perdent peu à peu leur décor sculpté tandis que les bois qui
étaient nus et apparents au Moyen Âge se recouvrent de peintures à
l’époque moderne avant d’être complètement masqués par du plâtre pour
imiter les façades maçonnées. De même, les voûtes lambrissées des églises
finissent par être entièrement plâtrées. Il faudra attendre l’abandon du
charbon de bois dans l’industrie, la création de l’École forestière de Nancy
en 1824 et d’un nouveau Code forestier pour voir les hautes futaies
reconquérir lentement le territoire français. Comme en écho, la
redécouverte du Moyen Âge à travers le romantisme et les premières
restaurations du patrimoine médiéval vont permettre au bois de revenir peu
à peu dans le paysage architectural sous le Second Empire et surtout la
IIIe République.
La charpente de
Notre-Dame de Paris
Georges-Noël Lambert, Patrick Hoffsummer,
Virginie Chevrier
Après le terrible incendie qui a détruit la charpente de la cathédrale Notre-
Dame de Paris en avril 2019, il a paru judicieux d’apporter une modeste
contribution à la connaissance de ce qui est désormais parti en fumée. En
effet, nous détenons des données sur cette charpente issues de trois
campagnes de prélèvements dendrochronologiques qui ont eu lieu en 1991,
1994 et 1996. Environ 70 prélèvements ont ainsi été réalisés par Vincent
Bernard (université de Rennes, CReAAH, UMR 6566), Patrick
Hoffsummer (université de Liège) et Georges-Noël Lambert (chercheur
CNRS honoraire et collaborateur de l’université de Liège). La campagne de
1994 a donné lieu au rapport de DEA de Virginie Chevrier56 (université de
Franche-Comté, Chrono-écologie, actuellement Chrono-environnement,
UMR 6249) ; ces données ont permis de réaliser un rapport regroupant
l’ensemble des datations qui a été transmis à la Mairie de Paris.
La moyenne des âges cambiaux des arbres employés dans cette charpente
se situe autour de 100 ans, maximum 120 ans (la zone cambiale, localisée
immédiatement sous l’écorce, est le siège des divisions cellulaires qui
génèrent le bois chaque année).
49 échantillons en chêne datent de la seconde moitié du XIIe siècle (date
d’abattage des arbres la plus ancienne en 1156, avec le cambium conservé)
au XVIIIe siècle. Mais la majorité de la charpente a été mise en place au
XIIIe siècle (avant 1226), à l’exception :
- de la flèche de Viollet-le-Duc, inaugurée en 1859 ;
- d’un lot de remplois du XIIe siècle, regroupés notamment vers la façade
ouest ;
- d’une reprise du XIVe siècle, autour de 1360 ;
- d’une réparation au début du XVIIIe siècle, autour de 1725.
Ces données sont actuellement mises à jour et ont été transmises à
plusieurs dendrochronologues français afin d’assurer leur sauvegarde. Par
ailleurs, le rapport de Virginie Chevrier propose un relevé exhaustif des
marques de charpentier qui sont d’un réel intérêt pour identifier la ou les
filières d’ouvriers ou compagnons qui ont monté cette charpente.
Les données acquises et résumées ci-dessus ont été intégrées dans le
Corpus tectorum des charpentes du nord de la France et de Belgique, publié
par les éditions du Patrimoine en 200257. Les charpentes de Notre-Dame
ont été intégrées dans l’inventaire des toitures de cet ouvrage, décliné en
groupes typologiques du XIe au XIXe siècle. Les toitures de Notre-Dame y
tiennent une place importante parmi les charpentes à chevrons formant
ferme (charpentes constituées d’une succession de fermes rapprochées)
divisées en travées. Elles présentent la spécificité d’avoir des fermes
principales dont l’entrait est tenu par un système de suspension,
caractéristique de l’inventivité des charpentiers du XIIIe siècle, système que
l’on retrouve notamment dans les cathédrales de Meaux et d’Auxerre. Leur
disparition le 15 avril 2019 est donc une véritable catastrophe pour le
patrimoine de l’humanité.
La charpente du chœur de la cathédrale Notre-Dame de Paris n’était pas la
charpente primitive. La surélévation des murs au niveau de l’abside et du
chœur qui, d’après Viollet-le-Duc, aurait été exécutée après l’incendie
d’une première phase, autorisa l’ajout d’entraits à la base de la charpente au
lieu d’entraits retroussés au-dessus d’une voûte dépassant des murs
gouttereaux. La charpente analysée date donc d’une deuxième étape du
chantier, vers 1220, mais réutilisant des bois provenant d’une phase plus
ancienne. De nombreuses mortaises, encore visibles et inutilisées dans la
nouvelle disposition, permettaient d’identifier des remplois datés autour de
1160 et 1170, ce qui n’est pas très éloigné de la période proposée pour la
pose de la première pierre de l’édifice. Quoi qu’il en soit, le chœur fut
consacré en 1182 et la date de l’agrandissement des fenêtres hautes, peu
après 1220, correspondrait à celle de la modification de la toiture qui a
disparu en avril 2019.
Au lendemain de l’incendie, les bois brûlés accumulés dans les décombres
conservent un potentiel scientifique très important. On peut se réjouir que la
campagne de 1991-1996, liée à une activité de recherche dans un cadre
académique, ait déjà permis de récolter 70 échantillons. Le potentiel de tels
édifices est toutefois bien supérieur si l’on veut approfondir certaines
questions.
Il faudrait ainsi se concentrer sur l’évolution complexe d’un chantier
médiéval, et encore tirer des cernes de croissance des arbres utilisés des
informations sur la typologie des massifs forestiers exploités, sur
l’influence des conditions écologiques sur la croissance des arbres,
notamment l’évolution des conditions climatiques locales et globales : ces
dernières données viendront alimenter l’étude des changements climatiques
du dernier millénaire. Les campagnes récentes à Beauvais ou à Bourges ont
permis de récolter entre 150 et 300 bois. Habituellement, on se serait
satisfait des 70 premiers échantillons comptant sur la possibilité de
retourner dans la charpente pour des études plus approfondies. La récente
catastrophe à Notre-Dame change brutalement la donne.
Il conviendrait maintenant d’échantillonner de manière méthodique le
matériel encore disponible après cet incendie.

Figure 1 : P. Hoffsummer et G.-N. Lambert prélevant un échantillon dans la charpente de Notre-


Dame de Paris en 1991 (cliché C. Huyghens).
Figure 2 : V. Chevrier traçant un croquis de situation des échantillons prélevés dans la charpente de
Notre-Dame de Paris. Les notes des croquis sont ensuite reportées sur les plans de l’architecte (cliché
G.-N. Lambert, 1993).
Figure 3 : Charpente de la nef, à gauche, un entrait suspendu à un poinçon muni d’un étrier bloqué
par des clavettes (cliché P. Hoffsummer, 2009).
Figure 4 : Charpente de la nef, console appuyée sur le mur et suspente latérale avec étrier et clavettes
pour éviter la flexion de l’entrait (cliché P. Hoffsummer, 2009).
Figure 5 : Plateau d’enrayure dans la charpente au-dessus de l’abside (cliché P. Hoffsummer, 2009).
Figure 6 : Charpentes à chevrons-formant-ferme, à arbalétriers monoxyles, où alternent fermes à
entrait et fermes à entrait retroussé, contreventées par des liernes ou des filières, renforcées de sous-
arbalétriers d’inclinaison plus douce que les versants et dont les poinçons sont dédoublés.
a : Paris, cathédrale Notre-Dame, charpente du chœur, vers 1220 avec des réemplois datés 1160 et
vers 1170.
b : Auxerre, Yonne, cathédrale Saint-Étienne, toiture du chœur, 1234, 1235-1236.
c : Meaux, Seine-et-Marne, cathédrale Saint-Étienne, toiture du chœur, début XIIIe s.
Figure 7 : Charpentes à chevrons-formant-ferme, à arbalétriers monoxyles, où alternent fermes à
entrait et fermes à entrait retroussé, contreventées par des liernes ou des filières, renforcées de sous-
arbalétriers d’inclinaison plus douce que les versants, éventuellement équipées de suspentes.
a : Anthisnes, province de Liège, église Saint-Laurent, toiture de la nef, 1459-1463.
b : Floreffe, province de Namur, abbatiale, toiture de la nef, 1227-1237.
c : Paris, ancien prieuré de Saint-Martin-des-Champs, toiture du réfectoire, début XIIIe s., 1215-1220.
d : Paris, cathédrale Notre-Dame, toiture de la nef, vers 1220, 1275, 1310 et 1330.

Bois des villes et bois des champs,


de la Flandre à l’Ardenne
Patrick Hoffsummer, Pascale Fraiture,
Kristof Haneca
Comme on l’a vu, la dendrochronologie permet de dater les bois de
charpentes anciennes, de structures archéologiques et de certaines œuvres
d’art à l’année près, car les arbres produisent des cernes de croissance dont
l’épaisseur est influencée par le climat qui évolue dans le temps. Cependant,
d’autres facteurs liés à la biologie de l’arbre et à son environnement font
que cette méthode de datation est assez complexe58. Les chênes de plaines,
à croissance rapide, isolés dans la campagne ou alignés dans les haies d’un
paysage ouvert, sont particulièrement difficiles à dater et se rencontrent
souvent en Belgique. Depuis 1982, environ 840 sites ont produit des
données exploitables à propos du Moyen Âge et des Temps modernes. On
trouve dans le patrimoine bâti et le mobilier de ce pays, fortement urbanisé
dans le Nord, tous les types de croissance : lente, rapide, perturbée par
l’émondage, marquée par les coupes d’éclaircie (voir Figure 1).

L’espace médiéval de l’actuelle Belgique et ses zones boisées


Si la Belgique n’existe pas au Moyen Âge, son étendue actuelle couvre
une grande partie d’anciens territoires du bas Moyen Âge au cœur de
l’Europe féodale : comtés de Flandre, du Hainaut et de Namur ; duchés de
Brabant, de Limbourg et de Luxembourg ; principautés de Liège et de
Stavelot. On y trouve quelques grandes villes comme Anvers, Gand,
Bruges, Bruxelles, Louvain et Liège, riches en patrimoine bâti, dont de
magnifiques charpentes. Le bord de mer longe une région de plaines
sablonneuses traversées par l’Escaut ; le relief s’anime un peu dans le
centre avant d’être coupé par la Sambre et la Meuse ; enfin, le sud-est de
ces vallées est dominé par le vieux massif ardennais, prolongement de
l’Eifel continentale. Le paysage forestier naturel, postérieur à la dernière
glaciation, ne comportait pas d’essences montagnardes. Le hêtre dominait le
plateau des Hautes Fagnes, entre 600 et 700 m, point culminant de la
Belgique au nord-est de l’Ardenne. Depuis le Néolithique et les premiers
défrichements, deux grandes forêts subsistent au nord de la Gaule franque :
la silva Arduenna à l’emplacement de l’Ardenne actuelle, et la Carbonaria,
la Charbonnière – un toponyme qui ferait référence à l’exploitation du
charbon de bois –, davantage centrée sur le Brabant et le Hainaut59.
Figure 1 : Échantillons dendrochronologiques issus de charpentes de monuments en Belgique.
1, Liège, cathédrale Saint-Paul, croissance lente (de 1431 à 1593) avec une vitalité plus forte au
début, puis un ralentissement marqué par de légères reprises au moment de coupes d’éclaircies,
origine probable Ardennes.
2, Gand, ancienne Halle aux viandes (Vleeshuis), croissance rapide, échantillon non daté
(probablement XVe s.), origine locale.
3, Gand, chapelle de l’ancien hôpital de la Biloque, croissance lente, avec des traces d’émondage ;
bois importé des Ardennes, d’un site forestier qui couvre la période 1075-1254.

La forêt ardennaise demeure relativement dense au Moyen Âge même si


d’importants centres domaniaux, des abbayes en particulier, s’installent
progressivement au début de la christianisation. Cette image est confirmée
par l’analyse des plus vieux restes de charpentes trouvés au-dessus de la nef
de l’église Saint-Denis à Liège où des entraits de la première charpente
proviennent de chênes abattus puis équarris entre 1012 et 1019 après J.-C.
Leur croissance avait débuté en 644 ! S’agissant des grosses poutres, le
premier cerne de la séquence (644) est probablement proche de la souche,
ce qui permet d’estimer l’âge des chênes de moins d’un mètre de diamètre
au collet à près de 380 ans. De tels individus proviennent d’une futaie
serrée comme il devait en subsister avant les grands défrichements
postérieurs à l’an mil60.
En revanche, l’image d’une Charbonnière compacte et dense,
infranchissable – au point que certains y ont vu l’origine de la frontière
linguistique entre le nord et le sud du pays (sic) – est aujourd’hui
abandonnée. Les spécialistes de l’histoire forestière ont montré le caractère
composite des espaces boisés, émiettés, imbriqués avec les habitats et les
cultures. La nature des sols sablonneux, couplée à une pression
démographique (réseau routier, villæ, abbayes), aurait facilité la dégradation
et le morcellement de la forêt en partie démembrée dès le haut Moyen Âge,
dans la Flandre intérieure, d’Audenarde à Gand61.
Pendant la période carolingienne et post-carolingienne, on note la
prééminence de fonctions bien typiques de la forêt : le panage des porcs et
le prélèvement des produits forestiers, le ramassage et la coupe du bois pour
la construction. Les coupes occasionnelles de bois d’œuvre, appelées
« furetage », furent très courantes avant la fin du Moyen Âge et l’extension
des coupes dites réglées62. Aux XIIe-XIIIe siècles, les lambeaux de cette forêt
sont des espaces boisés qui restent importants, malgré les grands
défrichements autour des villes du Hainaut et du Brabant. C’est le cas de la
forêt de Soignes, à proximité de Bruxelles, une vaste étendue boisée
d’environ 10 000 ha selon le premier mesurage réalisé au XVIe siècle. Il faut
imaginer des futaies avec taillis, la prééminence de l’un sur l’autre
dépendant de facteurs locaux, notamment la proximité des habitats et
l’intensité des exploitations. L’absence de concurrence produisait des arbres
aux silhouettes trapues et des troncs avec de nombreux gourmands et
nœuds63. La technique de construction des charpentes de toiture dans le
Brabant64 en est le reflet : elle fait un usage de bois courts et noueux, et les
structures sont différentes de celles d’autres chantiers médiévaux65,
alimentés par des chênes plus rectilignes.
Derrière ces formes d’exploitation dominantes se cache toutefois une
diversité plus grande qu’il n’y paraît. Sur certains échantillons, les
dendrochronologues détectent des séries de cernes tellement serrés qu’il
n’est possible d’interpréter ces anomalies que comme des stress de
croissance dus à la pratique de l’émondage (voir Figures 2 et 3) ou de la
gestion en taillis à courte révolution. C’est le cas sur des bois de la
charpente de l’ancienne grange de Ter Doest, près de Bruges.

Le bois dans la construction


Aux XIIe et XIIIe siècles, on constate une croissance démographique dont
l’urbanisation fut un corollaire important. L’augmentation des
défrichements et la commercialisation grandissante des forêts
transformèrent profondément le rapport de l’homme aux espaces boisés66.
Cette pression sur la forêt se marque notamment par la récolte du bois
d’œuvre. La demande est très forte à partir des XIIe et XIIIe siècles, dans les
grandes villes du Nord67 comme Bruges, Gand, Audenarde, Louvain,
Bruxelles, mais aussi le long de la Meuse, à Dinant, Namur, Huy, Liège,
Maastricht68.

Figure 2 : Lissewege (Flandre occidentale), grange de Ter Doest, 1370-1385. Cernes larges suivi des
cernes très minces causés par l’émondage. Le début de chaque cerne est marqué par un triangle blanc
(cliché K. Haneca).

Les ressources locales


Les centres domaniaux de l’Ardenne s’approvisionnent dans des espaces
boisés qui demeurent importants au Moyen Âge. Au VIIe siècle
probablement, la construction d’une impressionnante structure charpentée
traversant la tourbière des Hautes Fagnes, un segment de la route allant de
Trèves à Maastricht, puise du bois dans la hêtraie dominante. La voie sera
réparée avec du chêne daté du début du IXe siècle69. Les églises de Theux et
de Bastogne sont couvertes de charpentes en chêne local à croissance plutôt
lente, abattus du XIe au XIVe siècle, faciles à dater en dendrochronologie70.
Il n’empêche que les fermes du plateau ardennais construites à l’extrême
fin du Moyen Âge présentent des cernes à croissance plus rapide, reflet des
défrichements aux alentours des hameaux qu’elles occupent. On le voit sur
les communes de Stoumont et de Lierneux. Le phénomène est plus fréquent
encore dans les charpentes du Hainaut, du Brabant et de Flandre. Dans le
domaine du mobilier, il n’est pas rare de trouver des statues ou des retables
sculptés dans le même type de bois dont il est parfois possible d’identifier
l’origine mosane, comme dans le cas de certaines sculptures.
À défaut de chêne, on recourt même à des essences d’opportunité. Au
Moyen Âge, dans les peuplements hétérogènes de la Charbonnière, des
essences de bois blanc – fruitiers, frênes, peupliers – se mêlaient
naturellement aux chênes et aux hêtres. Les études d’archéologie du bâti
dans la région bruxelloise ont permis de découvrir plusieurs charpentes de
l’architecture rurale ou vernaculaire qui utilisent du merisier, du peuplier, de
l’orme ou du frêne. Un cas analogue a été observé dans une maison à pans
de bois de la fin du XVe siècle à Dinant.
Figure 3 : Détail de La Journée sombre, Pieter Bruegel l’Ancien (1565) : homme en train d’émonder
un arbre, Musée d’histoire de l’art de Vienne, Autriche.

Les exigences des grands chantiers sont telles que les constructeurs
renoncent parfois à s’approvisionner à proximité des villes importantes.
Mais comment remédier aux carences ? Dès le XIIe siècle, et jusqu’au début
des Temps modernes, les chevrons et autres pièces de grandes charpentes
mesurent 18 cm sur 20 cm de section, davantage pour les entraits. Dans les
grands édifices du XIIIe siècle, la longueur de ces bois atteint régulièrement
une douzaine de mètres71. Cette manière de construire exige des bois de
bonne qualité, longs et rectilignes. Dans le nord de la France, l’actuelle
Belgique et les Pays-Bas, c’est le chêne qui est généralement choisi, pour
autant qu’il soit d’une certaine qualité. Au besoin, il est importé des forêts
ardennaises.

Les importations à moyenne et longue distance


Les bords de mer, les fleuves et les rivières sont un moyen de transport
privilégié au Moyen Âge. Le bateau est utilisé quand le transport se fait à
contre-courant : bois de chauffe, bois de sciage de petites dimension,
planches. Le flottage se prête idéalement au transport des marchandises
pondéreuses telles que le bois d’œuvre, comme nous l’avons vu plus haut.
Ici, le flottage sur la Meuse depuis Givet (voir Figure 4), dans les Ardennes
françaises, est attesté dès le XIe siècle. Les pièces sont reliées entre elles au
moyen de liens, usage attesté par les trous obliques aménagés dans les
arêtes des grumes. Le bois flotté était échoué puis traîné sur le rivage,
comme le montre d’ailleurs cette vue du port aux bois de Liège en 1558.
Les grandes villes mosanes sont les premières bénéficiaires de ce marché.
Les charpentes du XIe au XVIe siècle, à Liège et Maastricht, regorgent de
chênes à croissance lente, en provenance des rives de la Haute-Meuse et des
Ardennes.

Figure 4 : Liège, le quai sur Meuse en 1558, Archives de l’État à Liège.


Des destinations plus lointaines ont été observées. Après avoir descendu
la Meuse, le bois était flotté le long de la côte pour atteindre les ports de la
mer du Nord (voir Figure 5) : parmi les destinations, les grandes villes
flamandes, mais d’abord Dordrecht, aux Pays-Bas, qui était une plaque
tournante du marché du bois à l’étranger72. Beaucoup de charpentes datées
du XIIIe siècle à Bruges73 et à Gand, comme celle de l’ancien hôpital de la
Biloque à Gand ou du vieil hôpital Saint-Jean à Bruges, étaient construites
avec le même type de chênes que les toitures des monuments mosans. On
sait que l’échouage était également pratiqué en région flamande même si les
ports flamands et brabançons importants, comme Bruges et Anvers,
disposaient de véritables quais équipés de grues actionnées par des roues
d’écureuil. Les rivières et les ports devinrent des voies
d’approvisionnement pour le bois de construction et la création de canaux a
permis d’ouvrir de nouvelles liaisons : celui de Lieve, creusé à partir de
1269, reliait Gand au port de Damme (voir Figure 6).

Les importations à très longue distance


S’agissant d’œuvres d’art (sculpture, peinture sur bois), d’objets tels que
des tonneaux recyclés comme cuvelage de puits, de second œuvre dans
l’architecture (bardage, plafonds, menuiserie), la dendrochronologie
identifie aussi des provenances beaucoup plus lointaines, des régions en
bordure de la mer Baltique. Le commerce du bois balte fut très intense
depuis le Moyen Âge jusqu’au XVIIe siècle, en particulier par l’intermédiaire
des marchands de la Ligue hanséatique. Danzig (aujourd’hui Gdańsk) fut un
port important, où le bois des forêts du centre de la Pologne était acheminé
par flottage sur la Vistule, puis embarqué sur des navires pour gagner les
grands ports européens. Le bois se présentait notamment sous la forme de
grandes planches (minces comme les spreidsel, ou plus épaisses comme les
wagenschot), sciées par le destinataire en fonction du produit final. Le bois
balte était revendu par des détaillants ou par des vendeurs ambulants. Aux
Pays-Bas, Amsterdam était un important marché pour ce type de produits
semi-facturés, de même que Deventer, Hasselt, Kampen, Wesel. Plusieurs
plafonds construits avec du chêne « balte » ont été datés de la fin du
XVe siècle et de la première moitié du XVIe siècle à Louvain, Anvers et
Bruges. Il en est de même à propos des recouvrements de façades en pans
de bois74. Du bois balte se retrouve enfin dans les pièces mobilières comme
la peinture flamande sur panneaux75.

Figure 5 : Localisation de charpentes médiévales de la Flandre à l’Ardenne (Xe-XIIIe s.).


Le diamètre des pastilles est proportionnel au nombre de témoins disponibles.
En gris, localisation des massifs forestiers subsistant au Moyen Âge.
Comté de Flandre ; 1 : Bruges ; 2 : Damme ; 3 : Furnes ; 4 : Gand ; 5 : Courtrai ; 6 : Lissewege ; 7 :
Audenarde ; 8 : Ename ; 9 : Roselaar ; 10 : Ypres. Tournaisis ; 11 : Tournai. Duché de Brabant ; 12 :
Antwerpen (Anvers) ; 13 : Bruxelles ; 14 : Louvain ; 15 : Nivelles ; 16 : Ottignies-Louvain-la-Neuve,
Mousty ; 17 : Tirlemont ; 18 : Woluwé-Saint-Lambert. Comté du Hainaut ; 19 : Bury ; 20 : Soignies ;
21 : Soignies, Chaussée Notre-Dame. Comté de Namur ; 22 : Andenne, Sclayn et Seilles ; 23 :
Floreffe ; 24 : Namur. Principauté de Liège ; 25 : Amay ; 26 : Dinant ; 27 : Huy ; 28 : Liège ; 29 :
Seraing ; 30 : Saint-Trond ; 31 : Theux ; 32 : Tongres. Duché de Limbourg ; 33 : Anthisnes, Saint-
Laurent (1459-1463). Principauté de Stavelot ; 34 : Stoumont. Duché du Luxembourg ; 35 :
Bastogne ; 36 : Burg-Reuland, Weweler, chapelle Saint-Hubert, abside (1461). (Infographie E.
Delye).
Figure 6 : Perforations ayant servi à la construction des trains de bois flotté.
1, Liège, cathédrale Saint-Paul, charpentes de 1255 à 1330 ; 2, Liège, église Saint-Denis, charpente
de 1299-1301 ; 3, Bruges, Ancien hôpital Saint-Jean, salle des maladies du sud: (1285) ; 4, Gand,
église paroissiale de Mariakerke, charpente du chœur, (1261-1283).

Le mélange des ressources


On observe des provenances différentes et variées sur certains sites,
décalées dans le temps ou contemporaines. Il en est ainsi en Flandre, dans
les faubourgs de la ville médiévale d’Ypres, dominés par une économie de
taillis sous futaie. On y a trouvé des bois de construction du XIIIe siècle
typiques de ce milieu (à croissance rapide) autant que des bois importés, à
croissance lente, issus d’une forêt plus dense. À Belsele (Flandre orientale),
les charpentes de l’église paroissiale sont construites avec du bois de deux
types : à croissance lente pour la première phase (1266-1296) tandis que la
seconde, du XVe siècle probablement, n’a pu être datée avec précision car
les cernes sont trop larges. Cette croissance rapide peut être interprétée
comme l’indice d’une régénération forestière après des défrichements.
Des situations sont plus contrastées encore. Au bas Moyen Âge, Bruges
est un des ports de la Ligue hanséatique, mais l’économie est aussi tournée
vers le bassin mosan. Cela n’empêche pas la « Venise du Nord », dans le
dernier quart du XVe siècle, d’utiliser des coupes de bois dans un rayon de
30 km à peine.
Qu’il s’agisse d’étudier les textes ou les données matérielles à l’aide de la
dendrochronologie, une relation forte existe donc entre la dégradation des
forêts et l’accroissement démographique du Moyen Âge central. Les
défrichements amorcés dès le haut Moyen Âge ont été particulièrement
importants au nord de l’actuel Belgique, autour des grandes villes
flamandes et brabançonnes. Les lambeaux de l’ancienne Charbonnière, au
sud de Bruxelles, et de la forêt ardennaise, demeurée plus compacte, furent
des sources d’approvisionnement importantes en bois de construction et,
dans une certaine mesure, pour la sculpture et le mobilier. Selon les sites
d’habitats ou les grandes villes, cet apport peut aussi être mélangé à du bois
local de moins bonne qualité. Le flottage du bois sur la Meuse a favorisé
l’exportation massive de chênes exploités dans le massif ardennais tandis
que la flotte marchande se chargeait de l’importation des planches de
qualité supérieure depuis la Baltique. De toutes ces forêts disparues, il ne
reste aujourd’hui que le bois du patrimoine monumental et mobilier.
CHAPITRE 3
Défricher, couper du bois pour produire
Nommer les défrichements
Aude Wirth-Jaillard
Le médiéviste s’intéressant aux défrichements effectués sur un territoire
précis n’a qu’assez rarement à sa disposition des textes dans lesquels
apparaissent des mentions explicites de ce type d’opérations ; il doit donc
trouver des voies autres que les sources écrites pour mener à bien ses
travaux. L’archéologie en est une, mais, si des fouilles et les recherches
associées n’ont pas été entreprises sur cette zone au cours des dernières
décennies, elle nécessite la disponibilité du terrain et des moyens importants
afin de le soumettre aux travaux des archéologues ; elle ne se prête donc
que rarement à une recherche dans une telle optique. L’étude des toponymes
et microtoponymes constitue une autre de ces voies. Fondée sur l’analyse
linguistique, enrichie par les données historiques et géographiques ainsi que
par la cartographie, elle offre une approche intéressante pour mieux cerner
la nature des terroirs et aménagements anciens (voir Figure 1).
Dans la toponymie des défrichements, nombreux sont les étymons, c’est-
à-dire les mots à l’origine de ces noms de lieux, représentés. Certains se
retrouvent dans des zones très vastes et sont bien connus ; c’est le cas, en
particulier, d’essart et d’artigue et de leurs dérivés, à l’origine, entre autres,
des Essarts (Vendée), d’Isserteaux (Puy-de-Dôme) et de Certines (Ain)
pour le premier, d’Artigat (Ariège), d’Artigues (Hautes-Pyrénées) et de
Lartigue (Gers) pour le second. D’autres, en revanche, connaissent une
diffusion plus restreinte, parfois limitée à la microtoponymie ; bousigue et
starpe, par exemple, en font partie.
Figure 1 : Noms de lieux autour de la forêt de Chaux au XVIIe s., Département du Doubs-Archives
départementales, 1FI11, Jean Vernier 1624.

Deux types répandus : artiga/artigue et essart


Le type artiga (forme de l’occitan)/artigue (forme du français) a une
origine incertaine, très discutée par les linguistes : certains y voient un mot
du substrat ibère ou bascoïde, peut-être en lien avec le substantif basque
arteagea, « bois de chênes verts ; défrichement (basse Navarre) », lui-même
issu de arte, « chêne vert » ; d’autres pensent qu’il a pour étymon un
substantif gaulois *ARTIKA1. Il désigne une terre récemment défrichée,
quelles qu’aient été les modalités de cette opération et la nature du lieu
avant celle-ci : forêt, bois, mais aussi lande, friche, palus, etc. Employé
dans la langue française au moins jusqu’au XVIIIe siècle, il se retrouve dans
la toponymie d’une grande partie du sud-ouest du domaine gallo-roman2.
La plus ancienne attestation d’un toponyme formé sur un mot de la
famille d’artigue semble dater de 817 (in pago Ausciensi… villam quæ
dicitur Exartigat) et concerne Chartigat, lieu-dit de Castelnau-Barbarens
(Gers). Par la suite, les mentions de ce type restent assez rares aux Xe et
XIe siècles, et apparaissent principalement à la limite de la zone d’expansion
du type, comme avec Artiga de Girolmo, sur le territoire de la commune de
Saint-André-de-Roquelongue (Aude) et datant de 965, ou Artiges, sur la
commune de Sexcles (Corrèze), attesté dès le XIe siècle (Artigias). Le
nombre de nouvelles mentions ne cesse d’augmenter aux XIIe et XIIIe siècles,
pour se réduire aux XIVe et XVe siècles ; cette tendance est conforme à ce que
l’on sait par ailleurs sur l’histoire de la forêt, marquée par une période de
grands défrichements entre le Xe et le XIIIe siècle3.
Au cours du Moyen Âge, le mot artigue et ses dérivés sont à l’origine
d’un grand nombre de noms de lieux. Le simple se retrouve, avec ou sans
l’article défini, dans Artigue, Artigues, Lartigue, Artige, Artigas, Les
Artigues ; les dérivés, dans Artigal, Artigau, L’Artigal, Les Artigals, Artigol,
Lartigolle, Artigoules, Artigalou, Artiguette et Lartiguette, etc. L’emploi de
certains de ces dérivés est bien attesté dans le lexique ; c’est le cas, par
exemple, d’artigal, mot de l’ancien gascon ayant le sens de « terre
défrichée4 ». D’autres, en revanche, ne nous ont été transmis que par
l’intermédiaire de la toponymie.
Les composés ne sont pas rares : Artiguelongue, tout comme Longue
Artigue (Longa Artiga en 1199, grangia de Artigalonga en 1206, maison
dépendante de l’abbaye de Cadouin selon le Dictionnaire topographique du
département de la Dordogne5), trouve probablement son origine dans le
défrichement le long d’un bord de bois, formant ainsi une nouvelle parcelle
allongée ; Artigueardoune, dans un brûlis. Artiguemayou devait être de
taille importante, Artiguemezan, occuper une position médiane ;
Artiguevieille a son pendant Artiguenave, Malartigue s’oppose à
Bellartigue. D’autres constructions font référence à leur initiateur, comme
Artiguemartin, Artiguemerly ou Artiga Senta Crois, près de Bordeaux
(1257)6.
Charles Higounet, à partir de la cartographie de plusieurs milliers de
toponymes et de microtoponymes issus de ce type lexical et de ses dérivés,
a dressé une typologie des paysages d’artigues7. Il distingue notamment de
grands terroirs de ce type trouvant leur origine dans des entreprises
collectives de défrichement, comme la commune d’Artigue (Haute-
Garonne) qui, dominant la vallée de Luchon, est entourée sur trois côtés par
la forêt. D’autres grands terroirs sont dus à l’expansion ou à l’essaimage
d’une communauté ; le nouvel habitat d’Artiguillon, dans le grand bois de
Plantier, est issu de la vieille paroisse de Saint-Germain-d’Esteuil
(Gironde). Enfin, il y a aussi des entreprises bien plus modestes, sur la
lisière des forêts, et qui pour certaines sont reboisées depuis. C’est le cas, en
Gironde, de l’Artigue, à Saint-Médard-d’Eyrans, et de l’Artigue à Arbanats,
de nos jours quartier de forêt.
Plus répandus encore sont les toponymes et microtoponymes construits à
partir d’essart et de ses dérivés. Ce substantif, qui a le sens de « lieu
défriché, fonds cultivé provenant d’un récent défrichement », voit ses
premières mentions écrites apparaître dans des textes en français en 1120. Il
a pour étymon un type bas latin *exsartum, « défrichement », attesté dans la
loi des Burgondes sous la forme exartum et lui-même issu d’un verbe
*exsarire formé sur le latin classique sarire, « sarcler »8.
Ces noms de lieux sont principalement, mais pas uniquement, localisés
dans la partie nord du domaine gallo-roman ; ils se rencontrent en effet
aussi dans une zone incluant la Bourgogne, le domaine franco-provençal
ainsi que l’Ouest (Charente, Vendée, Indre-et-Loire, Dordogne)9. En France
du Nord au moins, selon Robert Fossier, les défrichements nommés à partir
de ce type semblent avoir été surtout des entreprises modestes, menées par
des petites gens10. En font partie : Les Essarts (Vendée), Les Essards
(Indre-et-Loire, des Essarz en 1247), Esserts-Blay (Savoie, Essertis au
XIVe siècle), Les Essarts-Sabout (commune de La Cerlangue, Seine-
Maritime, Les Essarts Sabout en 1430), Les Grands-Essarts (commune de
Grandpuits, Seine-et-Marne, Aux Grands Essars en la paroisse de
Grantpuis en 1443) ou encore Essert (Yonne, Eisars vers 1145 et Essarz et
Essars en 1164), dont le Dictionnaire topographique précise qu’il tire son
nom des défrichements effectués par les moines de Reigny au XIIe siècle.
À la famille lexicale d’essart appartiennent les étymons des noms de lieux
comme Le Sart ou Les Sarts, Les Petits Sarts (très nombreux exemples dans
la microtoponymie, entre autres, des Ardennes, par exemple, dans la
commune de Donchery : et cil qui sont et seront demourant el sart Saint
Maar entour Donchery en 1258)11. Sur des dérivés d’essart ou de sart ont
été formés les toponymes ou microtoponymes Certeau (commune
d’Autremencourt, Aisne, Sartels en 1116), Essertaux (Somme, Sartelli en
1190), Essertines-en-Châtelneuf (Loire, de Xartinis au XIe siècle), Certines
(Ain, Essartines vers 1225), Isserteaux (Puy-de-Dôme, Issartelis en 1254).
La seule microtoponymie des Ardennes12 recense également Le Sarty
(communes d’Arnicourt, de Blombay, de Chilly, etc.), Les Certys
(commune de Seuil), Le Sarté (commune de Matton-et-Clémency), Les
Sartais (commune de Villers-Cernay), Grand Sartaux (commune de
Landrichamps), Les Sarteaux (commune de Saint-Laurent), Lessartage
(commune de Mairy), Le Sartelet (commune d’Ambly-Fleury), etc.
Enfin, parmi les composés peuvent être cités Esserval-Combe et Esserval-
Tartre (Jura), Boussard (commune de Senonches, Eure-et-Loir, Biaussart en
1230), Mortcerf (Seine-et-Marne, Mauressart au XIe siècle), formé avec le
nom de personne Maur13 et où essart ne se reconnaît pas immédiatement,
ou encore Gespunsart (Ardennes, Gebuinsart au IXe siècle), composé avec
le nom d’homme d’origine germanique Gibuin, et dont la structure
déterminant-déterminé témoigne d’un mode de formation antérieur au
XIIe siècle14.

Un exemple de types régionaux méconnus : les toponymes issus de


substantifs formés à partir du verbe (ex)stirpare
Plusieurs déverbaux à l’origine de toponymes sont issus du verbe latin
(ex)stirpare, « déraciner, arracher »15. C’est le cas, notamment, de starpe,
substantif ayant le sens de « lieu défriché, essart » et qui n’est guère relevé,
dans le lexique, que dans une charte lorraine (Meurthe-et-Moselle) datant
de 1242-1243 :
Que li sires Othes, li chevaliers de Seinte-Marie desouz Asmance, a vandu à priour de Port
son bois que gist on finage d’Arc, qui ast des la-voe dou Chaminel jusqu’a feel et dou feel
jusqu’à starpes de Sasureiz, et des starpes de Sasureiz en ci cum li munnans on vai jusqu’a
bois sein Clement et en jusqu’a Sein Nicholai.
Que le sire Othes, le chevalier de Sainte-Marie sous Amance, a vendu au prieur de Port son
bois qui se trouve au finage d’Arc, qui est limité depuis la voie du Chaminel jusqu’au hêtre et
du hêtre jusqu’à l’essart de Sasureiz, et de l’essart de Sasureiz en continuant on va jusqu’au
bois Saint Clément et de là jusqu’à Saint Nicolas16.

Il ne semble pas non plus avoir eu de continuateurs dans les parlers


contemporains.
Nombreuses sont en revanche les formations toponymiques, localisées
dans la moitié nord du domaine gallo-roman, et plus particulièrement dans
le Nord-Est, qui se rattachent assurément à ce type. Le domaine lorrain a La
Starpe (commune de Cheniménil, Vosges), Les Starpes (commune du
Tholy, Vosges), Les Tarpes (commune de Mangonville, Meurthe-et-
Moselle), Les Étrappes (commune de Hennemont, Meuse), le Haut des
Trappes (commune d’Anthelupt, Meurthe-et-Moselle), etc. ; le domaine
comtois, Les Étarpes (commune de Tarcenay, Doubs) et le Bois des Étarpes
(commune d’Épeugney, Doubs) ; le domaine bourguignon, L’Étrape-Saine
(commune de Mont-Saint-Sulpice, Yonne) et Les Étropes (commune
d’Alligny-en-Morvan, Nièvre), tandis que, dans le domaine wallon, ce
substantif a abouti aux nombreux toponymes en ster. Le même étymon se
retrouve également dans des formations du Centre et de l’Ouest, comme
L’Étrape (écart de la commune de Genillé, Indre-et-Loire), L’Étrape (écart
de la commune de Saint-Alban, Côtes-d’Armor) ou le Bois des Étrapes
(bois de la commune de Triguères, Loiret). Un dérivé en -eux a quant à lui
été particulièrement fécond dans une zone incluant la Haute-Saône et le
Jura, avec L’Étrapeux (commune de Velesmes-Échevanne, Haute-Saône),
Les Étrapeux (communes de Bourguignon-lès-la-Charité, Échenans-sous-
Mont-Vaudois, Fontenois-la-Ville et Lomont, Haute-Saône) et la Prairie
des Étrapeux (commune de Thervay, Jura). D’autres formations appartenant
à la même famille peuvent également être citées, comme Les Étrepées
(commune de Loisy-en-Brie, Marne), L’Étrapelot (commune de Haute-
Amance, Haute-Marne), Les Étrapis (communes d’Arthonnay et de Mailly-
le-Château, Yonne) ou le Bois des Attrapis (commune de Villiers-le-Bois,
Aube, Les Attrapis et Les Étrapis en 1518).
Tous ces exemples sont tirés de la microtoponymie. Étrappe, en revanche,
désigne un chef-lieu de paroisse du département du Doubs. Sa localisation
dans la zone de fréquence des noms de lieux issus de déverbaux de
(ex)stirpare et ses attestations anciennes (Estrapes et Extrapes en 1140,
entre autres) permettent cependant de le rapprocher des formations
précédentes, dont il se distingue toutefois non seulement par le fait qu’il
désigne un habitat important, mais aussi par l’absence, dans sa formation,
de l’article défini. Or, les formations toponymiques ayant pour étymon un
lexème seul, dépourvu de l’article, sont de façon générale plus anciennes
que celles le présentant, et peuvent être datées, dans la Galloromania,
d’avant 70017. Indirectement, le nom de lieu Étrappe permet donc
d’avancer que le lexème est une formation ancienne de la langue, antérieure
à 700, tandis que les nombreux microtoponymes formés à partir de celui-ci
et des autres déverbaux de (ex)stirpare permettent d’affirmer que ces
formations lexicales ont connu, durant la période médiévale, une diffusion
assez large dépassant le nord-est de la Galloromania. Grâce à sa
composante linguistique, la toponymie nous oriente également vers deux
points : le premier est que, dans le cas d’Étrappe, le défrichement à
l’origine du nom propre peut dater du début du haut Moyen Âge ; le second,
tiré de l’absence de ce type dans les parlers modernes et contemporains,
incite à penser que les toponymes qui en sont issus sont dans leur globalité
anciens.

La toponymie, témoin de modes de défrichements variés


Les circonstances et les modalités des défrichements ont varié au fil du
temps mais aussi en fonction des individus qui les ont entrepris et des
caractéristiques du paysage d’origine. Ces motivations et mises en œuvre se
laissent appréhender, au moins partiellement, avec leur variété, dans la
toponymie. Dressant une telle typologie, Pierre-Henry Billy18 distingue
ainsi les formations liées à la couverture végétale de celles trouvant leur
origine dans un accroissement de la superficie arable et de celles rappelant
l’action de défricher elle-même.
À la première catégorie appartiennent les toponymes formés à partir
d’étymon désignant une forêt, un bois, des broussailles, une friche, un
tronc, une souche, etc. Bo(z)iga/bousigue, mot d’origine gauloise signifiant
« terre en friche19 », se rencontre dans le domaine occitan, par exemple à
travers Les Bouzigues (commune de Nîmes, Gard, locus ubi vocant Bodigas
en 1046) et Boussugues (commune du Vigan, Gard, territorium de las
Bozigas en 1331) ; tronchet, diminutif de tronc ayant le sens de « petit tronc
d’arbre ; souche20 », est à l’origine du Tronchet (commune de Pommeuse,
Seine-et-Marne, Tronchet au XVe siècle et le hameau du Tronchet en 1512),
tandis que la formation avec l’aboutissement du suffixe etum est
probablement plus ancienne ; elle se retrouve dans Tronchoy (Yonne,
Troncheium en 1108) et Le Tronquay (Eure, Troncheium vers 1188,
Trunkeium en 1197).
La deuxième catégorie se rapporte à l’accroissement de la superficie
arable. Elle est représentée par des formations signifiant « prendre »,
« acquérir », « ouvrir grand » ou « terrain neuf ». Dans les Ardennes21, de
nombreux microtoponymes sont ainsi formés avec le substantif féminin
prise, issu du verbe prendre : Les Prises (commune d’Anchamps), La
Longue Prise (commune de Chéhéry) ou Les Prises Mayot (commune de
Rocroi) témoignent de la vivacité de ce type, attesté au moins depuis le
XVIe siècle dans cette partie du domaine d’oïl (a la prinse de Petit Jehan en
1546). Le sens de ce mot n’est pas totalement clair, mais il est probablement
lié au défrichement ; la date de ses attestations, sa localisation et les formes
graphophonétiques sous lesquelles il apparaît laissent penser qu’il s’agit
d’une formation relativement tardive. Les dérivés formés à partir de
l’adjectif novus et ses aboutissements dans les parlers de la Galloromania
ont quant à eux pu désigner des terrains neufs ; des toponymes comme
Neaux (Loire, in villa quæ Novals en 1020), La Noaille à Champagnac-la-
Noaille (Corrèze, La Noalhia à la fin du XIIIe siècle) ou encore Esnouveaux
(Haute-Marne, Novals en 1181) ont donc pu concerner, au moment de leur
désignation, des terres nouvellement défrichées22. Dans son emploi dans le
lexique, ce type féminin novale est attesté à partir de l’ancien français avec
le sens de « champ nouvellement défriché et cultivé (et soumis à la
dîme)23 » et se maintient dans le français régional au moins jusqu’au
XIXe siècle. Avec le même sens, la Suisse romande (Neuchâtel) a un autre
substantif dérivé, masculin, nouvelis, attesté en 133824.
La dernière catégorie est celle des toponymes trouvant leur origine dans
l’action même du défrichement. Les noms formés avec essart appartiennent
à cette catégorie, tout comme ceux qui rappellent des opérations d’abattage
d’arbres : Les Abattis (commune d’Écouis, Eure), le Pré d’Abatis
(commune des Petites-Armoises, Ardennes), la Bâtie (commune de Prez,
Ardennes25) et Ébaty (Côte-d’Or, Les Bateyz en 1190, Les Batis prope
Cropeaus en 1264) ont ainsi pour étymon le substantif masculin abattis,
« espace de la forêt où les arbres ont été taillés, taillis » et « coupe faite
dans un bois », dérivé formé à partir du verbe abattre attesté dans le lexique
depuis 117326.
Les défrichements peuvent également avoir été effectués grâce au feu : le
substantif masculin de l’ancien français arsis a les sens de « lieu d’un
incendie ; endroit où l’on a pratiqué l’écobuage ; amas de charbon ou de
cendres chaudes » mais aussi, sous sa variante arseiz, celui de « bois où on
a mis le feu27 » ; il est à l’origine des microtoponymes comme Les Arsis
(commune de Marseilles-lès-Aubigny, Cher), Les Arsiz, lieu-dit à Saint-
Denis-d’Augerons (Eure) attesté en 1297, et Larcy à Neuilly-le-Brignon
(Indre-et-Loire). Appartenant à la même famille lexicale et ayant un sens
comparable, arse se retrouve dans des noms comme Les Arces ou Les
Arses ; ce substantif ne semblant plus en usage dans la langue après le
XVIe siècle, ces formations ont de grandes chances d’être médiévales28.
Quant au verbe latin ustulare, « brûler », il est à l’origine des verbes u(s)ler
et brûler, dont des dérivés se retrouvent, pour le premier, dans Le Bois des
Ullés (commune des Corvées-les-Yys, Eure-et-Loir, Nemus des Ulleiz en
1259) et Les Ulis (Essonne, As Usleiz en 1231) et, pour le second, dans Le
Brulis (commune de Chaintreaux, Seine-et-Marne, Le Bruslis en 1566) et
Les Brûlis (commune de Fontains, Seine-et-Marne, Brusleis en 1172).
Le verbe couper est pour sa part représenté à travers son dérivé coupeis,
« bois nouvellement coupé », en usage dans la langue entre le XIIIe et le
XVIIIe siècle et qui se trouve à l’origine d’un microtoponyme de la commune
d’Herpy, dans les Ardennes, absent du cadastre napoléonien mais bien
attesté dans les sources anciennes avec des mentions comme in valle de
Coppis subtus Germani montem désignant « la vallée de Coppie sous le
mont Germain » (1239), la val de Coppy (1454), la valée de Coppie (1462)
ou encore tout le grant Coppy sur le mont est aussi a terrage (1462)29. La
microtoponymie du département des Ardennes, pour ne citer qu’elle, atteste
plusieurs autres formations sur ce même verbe par le biais des noms de
lieux Le Pré de la Coupe (commune de La Chapelle), Couparé (Chéhéry),
Coupassay (Mouzon), Coupatelle (commune de Pouru-Saint-Remy) ou
encore Les Coupagnères (Voncq)30. L’absence d’attestations datant du
Moyen Âge ne permet cependant pas d’affirmer de façon catégorique qu’il
s’agit de formations datant de cette époque. De façon générale, c’est
également le cas pour un grand nombre d’autres types qui ne peuvent donc
pas non plus être rattachés avec assurance à cette période.
Enfin, les formations en Cern- trouveraient leur origine dans des
substantifs formés sur le verbe cerner comme cerneux, cernier ou cerneau
qui ont pu désigner des résultats de défrichements effectués en cercle ou en
faisant périr les arbres en enlevant une partie de leur écorce ; à Bouconville
(Ardennes), Les Cerneaux voisinent ainsi avec les toponymes Bois de Roi et
Bois de Forge31. En Suisse romande, un cernil est un abatis réalisé dans une
forêt ou un pâturage ; le mot, attesté dès 1348, a donné les toponymes des
Cernis et du Cerny en Savoie et en Suisse.

Les limites de la toponymie


Les quelques exemples qui précèdent le montrent : l’étude des toponymes
repose d’abord et principalement sur une discipline, la linguistique, à
travers des analyses de philologie, de phonétique historique, de lexicologie
et de dialectologie ; elle est aussi grandement soutenue et confirmée par
d’autres, à savoir l’histoire, la géographie physique, l’archéologie ou encore
la cartographie. En retour, on l’a vu, la toponymie apporte son expertise à
ces différents domaines. C’est alors un cercle vertueux.
Ce cas de figure ne doit cependant pas masquer les limites et difficultés
liées à l’analyse des noms de lieux. Il ne faut par exemple pas oublier que la
désignation d’un habitat a pu suivre celui-ci alors même qu’il était déplacé
et n’avait donc plus de lien direct avec l’emplacement d’origine qui avait pu
motiver la nomination. Le paysage peut avoir changé depuis l’époque
d’attribution du nom, mais l’emplacement aussi.
Le risque de circularité est un autre piège possible : la configuration
contemporaine d’un terroir dont la désignation est issue d’un type lexical
obscur mais représenté par ailleurs à travers d’autres microtoponymes peut
motiver une interprétation de ce dernier ; à leur tour, les noms de lieux
similaires peuvent se voir alors expliqués à la seule aune de cette analyse de
départ. Si celle-ci est fausse, l’erreur aura des conséquences non seulement
sur l’interprétation de cette série de toponymes, mais aussi sur la
reconstitution des états anciens de la langue et sur celle de la nature des
terroirs médiévaux.
La linguistique ne peut pas totalement pallier l’absence ou la limitation
des données issues des autres disciplines. Sans attestations anciennes,
notamment, la datation des toponymes reste, dans la grande majorité des
cas, imprécise : la plupart des types lexicaux ont été en usage dans la langue
durant plusieurs siècles, et un nom de lieu ayant pour étymon un lexème
peut par conséquent avoir été créé à n’importe quel moment au cours de
cette période. L’ordre des termes, s’il s’agit d’un composé, et l’absence ou
la présence de l’article ne constituent que des éléments plaidant en faveur
d’une interprétation mais ne permettant pas, en l’absence d’attestations
anciennes pertinentes, d’écarter de façon définitive les autres, une réfection,
une modernisation ou une réinterprétation (motivée par exemple par
l’analogie avec une autre) demeurant toujours possibles. Seule l’existence
d’attestations anciennes identifiées sans doute possible et datant de cette
période permet donc d’affirmer qu’un nom de lieu dont l’étymon est encore
vivant dans la langue après la période médiévale est bien une création du
Moyen Âge.
La conservation d’attestations anciennes ne suffit d’ailleurs pas toujours à
établir, sinon les faits passés dans leur réalité, du moins un consensus entre
les spécialistes des différentes disciplines s’intéressant à la même zone
d’étude et aux mêmes matériaux et les envisageant dans l’optique avec
laquelle ils ont été formés. Longtemps, la toponymie a été employée comme
un substitut à l’archéologie, les données archéologiques étant à l’époque en
nombre limité ou d’interprétation délicate. Le développement de la
prospection, à partir des années 1980, par ramassage systématique après le
labour des champs ainsi que, dans les années 1990, l’importance croissante
de l’archéologie préventive et, plus récemment l’utilisation des
photographies aériennes et des données lidar (voir d’autres chapitres de cet
ouvrage, notamment le Chapitre 3 de la 3e partie) fournissent une
abondance de données nouvelles qui ont pu être confrontées aux études qui
avaient été tirées de l’analyse linguistique de la toponymie. La discordance
entre les analyses linguistiques des uns et ce que les autres constatent à
travers l’archéologie est parfois importante, appelant par conséquent à une
grande prudence dans l’interprétation32. Cette confrontation permet
cependant aussi de confirmer l’intérêt notamment des microtoponymes
cadastraux pour faciliter le repérage de certains sites. Comme toute
discipline relevant des sciences humaines, la toponymie n’est en effet pas
une science exacte, mais un domaine où la prudence doit toujours être
conservée puisqu’il repose sur l’interprétation.
L’évolution des espaces cultivés
Sylvie Bépoix
Aujourd’hui, pour accroître la production agricole, on utilise des moyens
sophistiqués intégrant la chimie, ce qui n’est pas nécessairement positif en
raison des conséquences souvent très néfastes qui en découlent. Il faut
considérer qu’il s’agit d’une réponse choisie pour répondre à un besoin,
nourrir une population qui augmente. Quel fut le choix opéré face à cette
nécessité dans une époque où les possibilités nous apparaissent très
contraintes ? Les hommes du Moyen Âge ont fait à peu près la même chose
que leurs ancêtres des temps antérieurs, n’usant pas de pratiques très
novatrices. Même si le Moyen Âge voit se diffuser un outillage plus
spécialisé et de nouvelles méthodes culturales, pour accroître de manière
significative la production, la meilleure manière reste l’augmentation de la
superficie cultivée. Notons que les techniques employées sont absentes des
textes médiévaux ; si certains auteurs choisissent de transposer à l’époque
médiévale des façons de procéder connues pour des périodes ultérieures,
cela contribue un peu trop, à notre sens, à l’idée d’une histoire immobile33
(voir Figure 1).
Figure 1 : Défrichements et travaux des champs, Livre des prouffits champestres et ruraux, Pierre de
Crescence, Bibliothèque de l’arsenal, ms 5064 réserve, fol. 198 v°, XVe s.

La pratique des défrichements est évidemment ancienne et n’est pas née


au Moyen Âge. Mais longtemps a prévalu l’idée selon laquelle la superficie
cultivée aurait quasiment stagné jusqu’aux environs du XIe siècle, période
où, la population augmentant de façon importante, il devient nécessaire
d’accroître dans une mesure concomitante les espaces exploités. Dès lors,
persiste l’idée que le Moyen Âge entrait dans le cercle vertueux de son âge
d’or marqué par une forte croissance, accroissement démographique et
hausse des rendements en étant les bases dans le monde rural. Mais on sait
désormais que les défrichements ont existé depuis une période largement
antérieure. Après un abandon de terres cultivées lié aux troubles provenant
des grands mouvements de population, les premiers signes de
redéploiements se manifestent dès le milieu du VIe siècle. Le contexte est
favorable aux défrichements venant mordre sur la lisière des espaces
incultes permettant ainsi aux cultivateurs de compléter leurs unités
d’exploitation. Tout cela s’effectue en parallèle à l’abandon d’une
agriculture extensive au profit d’une exploitation combinée du cultivé et de
l’inculte. S’ajoutent à ces phénomènes les installations monastiques : des
textes nous dévoilent par exemple leurs entreprises de défrichement dans
les grands massifs forestiers des Ardennes ou dans la solitude des hauts
plateaux jurassiens34. À la fin du VIIIe siècle, des capitulaires, textes
législatifs issus du pouvoir royal, montrent l’existence d’une conquête sur
l’inculte que les autorités cherchent à limiter. Ces initiatives provenant de
simples paysans déplaisent au pouvoir en place en raison de l’impossibilité
à les contrôler35. N’oublions pas également l’importance pour les puissants
de conserver des espaces pour la chasse. Mais il est difficile d’établir la
réalité de l’application de ces textes qui nous montrent des déclarations
d’intention : on ne sait pas si la royauté parvenait réellement à les faire
appliquer. Néanmoins, cela inscrit, de par leur mention, la réalité de
défrichements notables au cours de cette période. Jusqu’au IXe siècle des
phases de croissance vont se succéder ; dès lors, la conquête sur les terres
incultes devient nécessaire pour éviter une situation de surpeuplement sur
les espaces déjà exploités. Une des particularités du phénomène au cours de
cette période paraît être son inscription sur de courtes distances.
Les partages de territoires, les conflits, qui se produisent dans le courant
du IXe siècle entre les descendants de Charlemagne contribuent à freiner ce
mouvement d’extension des surfaces exploitées. Les raids vikings,
hongrois, sarrasins participent également à leur diminution, voire entraînent
un recul des champs cultivés, comme cela se produit fréquemment en
période troublée. La situation politique contracte donc l’économie du
IXe siècle, recomposant les patrimoines fonciers. Pourtant, des colonisations
de terres incultes persistent en raison des difficultés de circulation qui
réduisent à presque rien les échanges de produits complémentaires, ce qui
requiert de développer des comportements autosuffisants. Puis, la situation
politique qui se stabilise sous l’égide des seigneurs avec la mise en place du
système féodal, voit les défrichements se développer dans un nouveau
cadre. Ceux-ci, contrairement à la période précédente, sont mieux visibles
dans les textes, principalement à cause du développement de l’écrit. Les
actes montrant l’existence de défrichements deviennent très nombreux,
contribuant d’ailleurs à l’idée, dépassée on l’a vu, qu’ils avaient débuté à ce
moment-là. Cette période que l’on peut positionner entre la fin du IXe et le
XIIe siècle correspond donc au moment où les seigneurs imposent leur
pouvoir sur les terres et sur les hommes. En parallèle, cette période de
transition voit augmenter les implantations humaines sous forme de
regroupements. Le phénomène n’est pas nouveau, le village ne naît pas au
Xe siècle, mais cette forme d’installation s’accélère à partir de cette période.
Les habitants se rassemblent autour de centres religieux, politiques, souvent
sous l’impulsion des seigneurs. Cela s’accompagne d’une recomposition de
l’espace. Des fronts pionniers s’ouvrent alors, permettant l’agrandissement
voire le renouvellement des exploitations paysannes. À l’origine, ces
mouvements sont issus de l’initiative paysanne qui pousse à l’extension de
vieux terroirs ou à la reconquête de secteurs dépeuplés soit par la guerre,
soit par les menaces extérieures. Dans l’espace méditerranéen, le bail « à
complant » est attesté : un maître du sol confie des parcelles à des paysans
qui doivent les mettre en valeur. Au bout d’un certain nombre d’années, la
parcelle est divisée en deux et revient pour moitié au seigneur et pour
moitié au défricheur en pleine propriété. Vers l’an mil, ce type de contrat se
développe en Provence, en Dauphiné, là où les guerres entre membres de
l’aristocratie et les déprédations des Sarrasins avaient vidé les campagnes.
Ce mouvement de conquête des sols paraît profiter aux paysans
indépendants dans un contexte favorable d’abondance de terres
disponibles36. On estime donc que jusqu’au XIe siècle au moins persiste une
petite propriété paysanne qui a développé de nouvelles pratiques de
défrichement dans l’espace méditerranéen37. Cependant, progressivement,
au XIIe puis au XIIIe siècle, les seigneurs qui s’imposent reprennent le
contrôle des opérations et les nouveaux exploitants réalisent le travail de
défrichement au bénéfice complet du puissant qui récupère en totalité la
terre gagnée sur l’inculte. Les exploitants qui la cultivent deviennent alors
les hommes du seigneur. Ce principe est appliqué avec plus ou moins
d’ampleur par les détenteurs de la terre. La conquête agraire au cours de
cette période est donc majeure. Pour Marc Bloch, il s’agit du « plus grand
accroissement de la surface culturale dont notre sol ait été le théâtre, depuis
les temps préhistoriques38 ». L’espace cultivé connaît donc une extension
inconnue jusqu’alors en raison de la nécessité de multiplier les champs de
céréales, car on assiste à une « céréalisation » de la société39. Il faut nous
arrêter sur ce vaste mouvement de recul de l’arbre, d’autant que nous
détenons de nombreux textes, bien que ceux établissant un habitat soient
plus nombreux que les documents mentionnant directement les
défrichements. Les attaques contre les forêts font alors largement reculer
leurs lisières. Des massifs immenses se rétractent pour subsister sous forme
de bosquets, réserves à gibier seigneuriales, voire parfois disparaissent
totalement. On est passé d’un essartage fréquemment temporaire laissant
ensuite la forêt se reconstituer, à un défrichement souvent définitif40. Ainsi,
plusieurs textes témoignent de l’ampleur des forêts entourant la ville de
Paris vers l’an mil : l’immense forêt-frontière de l’Yveline, celle de Brie
dont il ne reste aujourd’hui que des vestiges comme l’actuel bois de
Vincennes ou celui de Boulogne41. Charles Higounet a réalisé en son temps
une étude particulièrement détaillée des défrichements effectués dans le
Bassin parisien42. L’auteur y démontre sans ambiguïté l’ampleur du
phénomène dans cet espace circonscrit autour de ce qui devient la capitale
du royaume de France à l’époque de Philippe Auguste (r. 1180-1223). Ce
travail a sans doute contribué à l’idée que les défrichements effectués par
les cultivateurs au cours de cette période sont essentiellement à l’origine du
recul de l’arbre dans l’espace médiéval européen des XIe-XIIIe siècles.
Pourtant, les lieux dont il est question ont leur importance, en particulier ici
la proximité d’une ville qui s’accroît fortement et se compose d’habitants ne
produisant pas leur alimentation. L’implantation d’une céréaliculture
abondante aux portes de Paris se révèle en fait une nécessité. Il faut donc se
garder de généraliser, comme bien souvent pour le monde médiéval.
L’accroissement démographique a très certainement engendré de nombreux
défrichements et donc fait reculer les forêts, pourtant, d’autres besoins que
la production de céréales ont pu participer à ce phénomène. Charles
Higounet avait remarqué que les défrichements restaient inachevés. Par
exemple, en Yveline au milieu du XIIIe siècle, persistent de grandes taches
forestières qui ont été conservées jusqu’à nos jours43 (voir Figure 2).
Si l’on s’en tient aux défrichements effectués par les cultivateurs, on
constate l’existence de modalités très diverses. Plusieurs phases ont existé,
de façon différenciée dans l’espace. Dans les régions d’anciennes cultures
de la France du Nord, là où le semis de peuplement était déjà relativement
dense, les entreprises individuelles sont celles qui ont gagné le plus de
terres nouvelles44. Les débuts touchent des bosquets, des bois de petite
taille, sans découler véritablement d’une pression de la population. Peut-
être faut-il attribuer ces premières attaques à une amélioration de
l’outillage, mieux adapté à l’abattage des arbres. Souvent, les essarteurs
défrichent même des ensembles plutôt modestes, taillis, landes de buissons
comme en témoigne la chronique de Morigny sur la mise en valeur de
friches dans les premières années du XIIe siècle à Maisons-en-Beauce :
Il mit en culture ce lieu longtemps inculte ; tantôt avec la charrue, tantôt avec des houes, tantôt
avec les autres armes des paysans, il faisait arracher les broussailles, les tribules, les fougères,
les buissons et les autres encombrements adhérents aux entrailles de la terre45.
Figure 2 : Les forêts de l’Ile de France de l’an mil et d’aujourd’hui. (DAO : M. Thivet, d'après C.
Higounet)

Au début, les paysans eux-mêmes, en quête de terre, opèrent par une sorte
de grignotage souvent imperceptible d’une année sur l’autre. Ce type
d’agissements peut couvrir alors de longues périodes. Le cultivateur mord
un peu plus chaque année sur la lisière d’un bois, trace discrètement un
sillon supplémentaire, déplace légèrement une borne. En 1223, cinq
laboureurs de Surcamps en Picardie sont accusés d’avoir grignoté
25 « verges », c’est-à-dire 2 ares, en dix ans, soit en moyenne environ un
sillon tous les deux ans pour chacun d’entre eux46. En général le pouvoir,
mis devant le fait accompli, reconnaît l’avancée sur l’inculte, effectuée
souvent de façon désordonnée. Ainsi, le roi Louis VI (r. 1108-1137) est à
l’origine d’un acte où il autorise les habitants de Corbreuse, village au sud-
est de Rambouillet, à prendre du bois dans la forêt. Il agit ici en seigneur,
leur permettant également de cultiver les terres qu’ils exploitent depuis le
règne de son père Philippe Ier à condition qu’ils concèdent avoir pratiqué
des empiètements sur la forêt à la fin du XIe siècle et au début du XIIe siècle.
Louis VI reconnaît donc l’action déjà réalisée sous réserve de déclaration et
permet, en outre, de faire de nouveaux défrichements. Conscient de ne
pouvoir endiguer le mouvement d’extension des terres cultivées au
détriment de la forêt, « il lui donne une consécration officielle qui lui
permet de pouvoir le réglementer47 ». Dans ce cas précis, les défrichements
sont désormais autorisés sous forme de cultures itinérantes avec des
moissons effectuées pendant deux ans sur les essarts avant de les
abandonner et se transporter dans d’autres parties de la forêt pour un
nouveau cycle de deux ans. Mais pour quelques cas retrouvés dans les
archives, combien d’actes invisibles car absents des sources écrites ? Pour
certains auteurs, ce type de défrichement a représenté la part de retrait de
l’arbre la plus importante en superficie48. Mais l’intervention active des
seigneurs, qu’ils soient laïques ou ecclésiastiques, se révèle également
prépondérante dans le cadre de véritables entreprises de défrichement qui
vont se développer au XIIe siècle. Contrairement à la première vague, la
seconde voit des entreprises beaucoup plus ambitieuses s’attaquer
franchement à de grands massifs forestiers avec une ampleur due sans doute
à l’accroissement démographique. Les méthodes utilisées apparaissent
multiples. Toujours dans le Bassin parisien étudié par Charles Higounet, on
croise de véritables entrepreneurs de défrichement. Par exemple, en 1185
dans la forêt de l’Ouye, au sud du village de Corbreuse cité précédemment,
un dénommé David est autorisé par le chapitre de Paris à essarter
200 arpents de bois à ses frais. 100 arpents une fois labourés doivent revenir
au chapitre, l’autre moitié étant laissée au défricheur, chargée d’un cens de
30 sous par an49. Les entrepreneurs peuvent aussi être des moines
cisterciens. Dans la seconde moitié du XIIe siècle, une donation de bois aux
moines de Chaalis indique précisément que les cisterciens pourront
« rumpere, extirpare, eradicare, colere et arrare », c’est-à-dire ouvrir la
forêt, défricher, dessoucher, cultiver et labourer quand et comme ils le
voudront50. Leur rôle est cependant ambigu. Ils ont traditionnellement été
considérés comme d’audacieux défricheurs à l’époque de leur vocation
pionnière jusque dans les années 1180. Mais les granges, ces centres
d’exploitation qu’ils installent dans les déserts humains, prennent
fréquemment le relais d’exploitations préexistantes, les expulsions de
paysans ne sont pas dans ce cadre des faits exceptionnels. De plus, leur
volonté marquée de préserver leur isolement les fait maintenir et
sauvegarder de larges écrans forestiers. Selon les régions, les défrichements
cisterciens peuvent donc apparaître soit systématiques et massifs, soit
insignifiants. En revanche, on oublie trop souvent le rôle des ermites qui
participent activement au grignotage des forêts mais qui ont laissé très peu
de traces dans les archives en raison de la suspicion qu’ils suscitent aux
yeux des autorités religieuses, l’isolement pouvant aller de pair avec la
déviance religieuse. Leurs défrichements, parfois abondants, ont sans doute
préparé le terrain aux Cisterciens51 (voir Figure 3).
Figure 3 : Moine cistercien coupant un arbre, Moralia in Job, BM Dijon, ms 173, fol. 41, XIIe s.

Une autre méthode consiste à organiser un véritable peuplement – on le


perçoit à travers certaines chartes. Il peut s’agir d’hostises, c’est-à-dire des
villages de défricheurs ; une charte d’établissement d’hôtes attribue à
chacun un lot à bâtir et des arpents à cultiver. Les hôtes sont privilégiés, car
ils bénéficient de multiples avantages : des redevances allégées ou annulées,
la disparition des corvées ou la fin de l’obligation de rejoindre les armées
du seigneur en cas de conflit par exemple. Insensiblement, les hostises
passent à des fondations de villages beaucoup plus encadrées. La nuance est
ténue entre les hostises et les villeneuves, il y a beaucoup de caractères
communs. La villeneuve est peuplée d’hôtes que le seigneur attire avec des
privilèges de tous ordres, mais ils n’ont plus l’initiative de leur
établissement. L’autorité fondatrice fournit les éléments de l’implantation,
la villeneuve est aménagée et la résidence y est obligatoire52. En 1146, une
charte de peuplement est établie par les moines de Saint-Denis. Quelques
années plus tard, l’abbé du lieu, Suger, en dresse un bilan :
À Vaucresson, nous avons fondé un village et bâti une église et une domus et nous avons fait
défricher à la charrue la terre inculte. Ceux qui s’occuperont de cette fondation sauront mieux
ce qu’on en tirera, puisqu’il y a déjà soixante hôtes et que beaucoup d’autres veulent encore
venir53.

Hostises ou villeneuves sont nombreuses sur les fronts pionniers, centres


de peuplement à partir desquels s’organisent les défrichements. Mais pour
être capable de lancer ce genre d’entreprise, il faut nécessairement détenir
des biens fonciers suffisants, il s’agit alors d’un véritable investissement.
Toutefois, les textes ne nous disent pas d’où proviennent les individus
établis dans les nouveaux villages. Certains aspects pratiques nous
échappent même s’il paraît vraisemblable que ces installations aient en
priorité attiré les populations non libres des domaines anciens, car elles
offrent toutes la suppression du servage. Grâce à l’existence d’une
documentation abondante sur ce thème, on sait que de nombreux seigneurs
s’allient dans le cadre de contrats dits de pariage et de nombreuses
entreprises de défrichement nous apparaissent par ce biais. Ainsi, le roi
Philippe Ier (r. 1060-1108) fonde un village en forêt de Cruye en association
avec les chanoines de Saint-Cloud54. Cette grande vague de fondations allie
donc deux types d’établissement, sous la forme d’extension des terroirs
anciens ou d’installation dans de nouveaux terroirs. On peut discerner,
principalement à la fin du XIIIe siècle, un dernier mouvement de colonisation
de l’espace en général à l’initiative de paysans, qui se manifeste par une
implantation intercalaire aux marges des villages. Des écarts sont créés dans
les zones de friches séparant les vieux terroirs, conduisant à l’installation de
fermes isolées, souvent encloses de haies vives ou mortes55.
Néanmoins, toutes ces vagues de défrichement ne débouchent pas sur des
paysages figés. De nouveaux espaces mis en culture semblent parfois
abandonnés très rapidement après la fondation ou un peu plus tardivement
sans que l’on en comprenne véritablement les raisons ni que l’on parvienne
à connaître le devenir de ces nouvelles terres – retournent-elles ou non à la
friche ? Le phénomène de défrichements du Moyen Âge central n’est pas
une expansion continue et irrévocable, mais il semble plutôt correspondre à
des flux et reflux plus ou moins notables. Il s’avère alors difficile de donner
un terme définitif à ce mouvement de façon uniforme. Si, dès les
années 1250-1260, les régions du nord du royaume voient les défrichements
s’amenuiser voire à peu près cesser, dans l’espace plus méridional ils se
poursuivent jusqu’au XIVe siècle.
Le décalage chronologique et géographique se retrouve à la fois dans les
aspects démographiques et l’extension de l’espace cultivé, démontrant ainsi
le lien de cause à effet. Mais on le note également dans des espaces
périphériques comme le comté de Bourgogne, actuelle Franche-Comté, où
les défrichements débordent largement le XIIIe siècle, car c’est seulement à
partir de cette période que la région les voit se multiplier à une cadence
rapide et une grande ampleur, peut-être en raison du cloisonnement de
l’espace et des reliefs56. Ponctuellement toutefois, les cultures continuent
leur avancée sur des sols de plus en plus médiocres. Peu de régions ne
décèlent pas de percées locales pour répondre à une pression
démographique constante jusque dans la première moitié du XIVe siècle. Ces
conquêtes tardives ne sont pas toujours couronnées de succès et retournent
souvent à la friche au bout de quelques années d’exploitation. Il n’est pas
rare que des villages, nés de défrichements imprudents sur des sols trop
ingrats, soient abandonnés. Cependant, le tournant majeur provient
évidemment de la grande peste qui a entraîné une longue période, entre
1350 et 1450, de véritable contraction de l’espace humanisé, la nature
reprenant alors ses droits. Des sources abondantes signalent des terroirs
revenus à la friche, des vignes en désert, des hameaux en ruine. On retrouve
la multiplication de facteurs défavorables des débuts du Moyen Âge :
guerre, insécurité, chute de la démographie qui génèrent un lent processus
de dégradation s’étalant sur des dizaines d’années. À proximité d’Aix-en-
Provence, le village de Puyricard a été étudié de près, dévoilant son
évolution et son agonie57. Il subit un premier coup avec l’épidémie de peste
en 1348. Pourtant, l’abandon du village lui-même n’intervient qu’en 1379
tandis que l’exploitation de son terroir se poursuit à l’instigation de
populations intermittentes venues de la ville voisine. La guerre de Cent Ans
reprenant de plus belle à la fin du XIVe siècle, en 1400 le village et ses
champs sont définitivement abandonnés. Le phénomène qui voit la
population se déplacer dans un lieu sûr, si possible fortifié, tout en
continuant l’exploitation des cultures, est attesté dans plusieurs lieux58.
Néanmoins, force est de constater au cours de cette période un retrait des
cultures souvent massif. Les terres en friche forment des plaques plus ou
moins étendues entre lesquelles des villages réduits à l’état de hameaux
concentrent les espaces cultivés au plus proche des habitations. Le
phénomène se trouve évidemment accentué dans certaines zones très
touchées par les conflits et les troubles comme la Normandie ou encore le
Bassin parisien. Cependant, lorsque la reprise revient au cours de la seconde
moitié du XVe siècle, les espaces sont réoccupés assez facilement sans avoir
besoin de recourir à des défrichements de grande ampleur. Les possesseurs
du sol s’adaptent, louant à cens, en fermage, en métayage, des parcelles
avec comme condition le nettoyage des ronces et des broussailles. En 1498,
un habitant de Monségur en Bordelais reçoit 80 journaux de terre
« a present en grans boys et buyssons pour convertir en terres labourables,
prés, vignes et autres » dans un délai d’un an59.
En définitive, on ne peut qu’approuver le constat énoncé par Marc Bloch
sur l’extension des espaces cultivés. Le recul de l’arbre apparaît également
comme une évidence. Mais si le lien peut être établi entre les deux
phénomènes, il n’est cependant pas exclusif. On ne peut plus être
totalement d’accord avec Guy Fourquin lorsqu’il affirme que « les grands
défrichements qui s’étalèrent en France de la fin du Xe siècle à une date
variable dans le cours du XIIIe siècle ont marqué le plus grand retrait de
l’arbre, de la friche, de l’eau depuis la préhistoire60 » dans une approche
limitée à l’extension du terroir cultivé. Et comme cela a été dit plus haut,
c’est donner un peu trop d’autorité au témoignage de l’abbé Suger
considérant au XIIe siècle que la possibilité de trouver en forêt d’Yveline
12 fortes poutres pour la charpente de la nouvelle abbatiale de Saint-Denis
relève du miracle61. La forêt proche est devenue sans doute plus facile à
pénétrer, d’où le sentiment, pour certains, de son amenuisement. Et attribuer
entièrement le recul de la forêt aux défrichements agricoles est certainement
excessif, car c’est oublier bien vite d’autres activités fortement prédatrices
pour les arbres. Quant à connaître véritablement la part qu’ils ont prise et
l’importance réelle du recul, y parviendra-t-on jamais ?
Brûler pour produire
Christelle Balouzat-Loubet
La forêt, qui occupe encore aujourd’hui 37 % du territoire lorrain
(entendu comme l’ensemble Meurthe-et-Moselle, Moselle, Meuse et
Vosges), a très tôt joué un rôle dans l’essor proto-industriel de la région.
Traités jusqu’au XIXe siècle en taillis sous futaie, les massifs forestiers
lorrains associent feuillus et résineux. La forêt est particulièrement présente
sur le versant lorrain du massif vosgien, où le taux de boisement atteint
70 % environ. La hêtraie-sapinière, dominée par le sapin, y est le
peuplement dominant mais il faut noter la présence d’aulnes, de chênes, de
charmes, d’épicéas, d’alisiers, de sorbiers62. Les autres massifs lorrains sont
des forêts de feuillus.
Tous ces massifs forestiers permettent d’assurer l’approvisionnement des
populations en bois de chauffage et bois d’œuvre tout en favorisant
l’exploitation des ressources locales : à compter du XIIe siècle, la forêt
lorraine alimente en combustible bois les ateliers de potiers et de sauniers,
les fours des verriers et les fourneaux des métallurgistes.
Ces activités sont essentiellement documentées par deux types de sources.
Les fouilles archéologiques, qui ont mis au jour plusieurs vestiges, comme
des fours, des puits, des forges ou encore des tessons de poterie. Ces
découvertes sont utilement éclairées par les textes d’archives –
comptabilités, chartes – qui montrent le rôle essentiel joué dans l’essor de
cet artisanat par les seigneurs et princes lorrains, mais surtout par les
moines, en particulier cisterciens. La Lorraine est en effet une terre
d’implantation cistercienne importante, avec des fondations nombreuses au
XIIe siècle : les abbayes de Lachalade (1128), Saint-Benoît-en-Woëvre
(1128), Droiteval (1128), Les Vaux-en-Ornois (1133), Beaupré (1135),
Sturzelbronn (1135), Haute-Seille (1140), Châtillon (1142), Écurey (1144),
L’Étanche (1148), Lisle-en-Barrois (1151), Clairlieu (1151) participent pour
la plupart aux grands défrichements et à la mise en valeur des espaces
forestiers lorrains.
Les textes évoquent souvent les importantes concessions forestières
nécessaires à ces activités artisanales puis proto-industrielles, mais
contiennent bien peu de données précises pour mesurer précisément
l’ampleur des prélèvements. On ne peut qu’en constater l’importance alors
que le bois ou le charbon de bois sont les seuls combustibles utilisés
jusqu’au XIXe siècle.
Les exploitants des forges, verreries ou sauneries usent de diverses
solutions pour se procurer le combustible : l’utilisation libre du bois dans un
espace donné en échange d’une redevance versée au seigneur ; le
prélèvement dans leurs propres forêts ; l’achat. La plupart des activités
évoquées s’implantent au sein d’un massif forestier (voir Figure 1), ce qui
facilite l’approvisionnement en bois, mais en cas de besoin la ressource
peut être acheminée par boloyage ou par voilage. Cette technique de
transport est utilisée sur la Moselle, entre Remiremont et Épinal, et sur la
Meurthe, à partir de Raon-l’Étape63, comme cela a été présenté plus haut.

La céramique
Si la faïencerie prend son essor en Lorraine au XVIIIe siècle seulement, la
poterie ou céramique y est attestée dès l’âge du fer. À l’époque médiévale,
la production est essentiellement destinée à satisfaire la demande
domestique (vases, vaisselle, carrelage, céramique de poêle) ; elle est
connue grâce aux fouilles de châteaux ou de villes. Les ateliers produisent
une poterie mate, mélange d’argile et de sable, recouverte d’un enduit
transparent à base de plomb (vernis plombifère), qui protège les éventuels
décors portés sur la céramique64. Cette technique de poterie vernissée se
généralise au XIIe siècle tandis que la faïence n’apparaît que tardivement, au
XIVe siècle : la technique de la faïence est la même que pour une céramique
classique, mais l’objet est recouvert à la sortie du four par un émail
stannifère, c’est-à-dire un enduit blanc composé de sels d’étain tandis que
des oxydes métalliques sont utilisés pour y tracer des décors.
Figure 1 : Principaux massifs forestiers et activités proto-industrielles en Lorraine.

Le four de potier évolue peu jusqu’au Moyen Âge. Comme le montrent


par exemple des fouilles réalisées par l’Institut national de recherches
archéologiques préventives (Inrap) en 201065, il s’agit d’une structure
creusée dans le sol et divisée en trois espaces distincts : une fosse d’accès,
pour alimenter le foyer en bois durant la cuisson ; un alandier, ou conduit de
chauffe, où est installé le foyer, qui raccorde la fosse d’accès à la chambre
de cuisson ; une chambre de cuisson, dans laquelle circulent les flammes.
Elle est séparée du laboratoire, la seule partie du four qui soit en élévation,
hors sol, par la sole, sur laquelle repose la céramique. Le laboratoire est
ouvert en partie haute pour laisser s’échapper les gaz de combustion et les
fumées et favoriser une bonne circulation de l’air dans le four.
Cette activité céramique est peu exigeante en combustible : la cuisson de
l’argile ne nécessitant pas des températures très élevées, les quantités de
bois utilisées restent faibles. Par ailleurs, toute qualité de bois est
susceptible de convenir, si bien que les fours peuvent être installés dans tous
les massifs forestiers. Ils sont à l’origine itinérants, avant que n’apparaissent
quelques centres de production : Grosbliederstroff, près de Sarreguemines
(four du XIe siècle) ; le quartier du Pontiffroy à Metz (fin XIIIe-début
XIVe siècle)66 ; Sarrebourg et Rémelfing (XIVe siècle).

Le sel
Jusqu’au XIXe siècle et la découverte du sel gemme, le sel est obtenu par
évaporation. La saunerie est donc une activité fortement consommatrice en
combustible, qui se concentre en Lorraine dans trois bassins salifères : le
plus important est le Saulnois, dans la vallée de la Haute-Seille, avec Vic-
sur-Seille, Moyenvic, Marsal, Dieuze, Val-de-Bride, Saléaux, Amelécourt,
Château-Salins et Lindre-Basse ; autour de Nancy, avec Rosières ; le bassin
de Sarralbe. Cette activité nécessite des investissements importants : des
puits d’une dizaine de mètres sont creusés pour accéder aux sources d’eau
salée et équipés de fourches ou « cigognes » pour l’évacuation de l’eau ; à
proximité, l’atelier de fabrication abrite la poêle et le foyer ; des granges
abritent les stocks de bois ; les ouvriers disposent de logements sur site.
L’ensemble des bâtiments est regroupé dans un espace clos, la « place à
sel » ou « sesse », qui marque de son empreinte le paysage. Les chaudières
sont alimentées en permanence – il faut compter douze à dix-huit heures de
chauffe pour une évaporation complète –, d’où un besoin très important en
bois. Les résineux, de combustion rapide, étant moins adaptés que le hêtre
ou le chêne, il est parfois nécessaire d’acheminer le bois par flottage malgré
la proximité d’une forêt.
Comme la céramique, la saunerie est une activité ancienne, le sel étant
exploité dans la vallée de la Seille dès le VIe siècle avant J.-C. à Marsal. À
l’époque mérovingienne, les salines y étaient aux mains de laïcs qui firent
des concessions à l’aristocratie locale et à des établissements religieux. Dès
le VIIIe siècle, des abbayes bénédictines allemandes (Saint-Maximin et
Saint-Marie d’Oeren de Trèves, Saint-Sauveur de Prüm et
Ettenheimmünster), alsaciennes (Saint-Pierre-et-Saint-Paul de
Wissembourg, Saint-Maur de Marmoutier, Saint-Léger de Murbach, Saint-
Grégoire de Munster, Ebersmunster) et franc-comtoises (Luxeuil)
détiennent des emplacements salifères à Vic-sur-Seille, Moyenvic et
Marsal. Les abbayes champenoises et bourguignonnes de Morimond, La
Crête et Clairvaux possèdent également des places à sel à Marsal,
Moyenvic et Vic-sur-Seille67.
À compter du Xe siècle, les évêques de Metz mettent la main sur le
Saulnois, contrôlant Marsal et Vic-sur-Seille, tandis que les évêques de Toul
s’imposent à Moyenvic et ceux de Verdun à Dieuze. Cette période est aussi
celle des concessions aux abbayes, locales ou extra-régionales, qui
s’investissent dès lors dans la gestion de salines68, comme Saint-Benoît-en-
Woëvre, qui obtient de l’évêque de Metz, en 1138, une poêle à sel à Marsal,
moyennant une redevance en sel ou en argent ; en 1159, l’abbaye de
Beaupré prend possession de cinq places à sel, trois à Vic-sur-Seille, une à
Marsal et une à Moyenvic ; en 1191, l’abbaye de Haute-Seille obtient deux
emplacements supplémentaires à Marsal. Il n’y aurait eu pas moins de
90 salines monastiques au XIIIe siècle en Lorraine69.
À compter du XIIIe siècle, de nouvelles salines apparaissent ou gagnent en
importance, en particulier Rosières70. Autre exemple, la saline de
Guermange, mentionnée pour la première fois en 133471. Les évêques de
Metz changent de politique et cherchent à imposer leur monopole sur le
Saulnois. Dans le même temps, les ducs de Lorraine, attirés par les profits
générés par cette exploitation, s’implantent dans les salines, dont ils
finissent par partager l’exploitation avec les évêques de Metz au XIVe siècle.
Les premiers possèdent Marsal, Moyenvic et Vic-sur-Seille, les seconds
contrôlent Rosières, Dieuze, Amelécourt, Château-Salins et Lindre-Basse72.
Si la lutte est si âpre entre les protagonistes lorrains, c’est que le sel est
une ressource particulièrement précieuse, comme en témoignent d’ailleurs
les fortifications qui entourent les salines. Mettre la main sur une place à sel
signifie s’assurer des revenus importants grâce au cens réclamé aux
exploitants en échange de la concession de l’emplacement et, souvent, du
droit de fourniture en bois. Ces ressources sont encore accrues par
l’instauration de la gabelle au début du XVe siècle.

Le verre
Dans un article de 2010, Philippe Jéhin qualifie le verre de « sous-produit
de la forêt73 ». De fait, c’est la forêt qui fournit aux artisans verriers les
ingrédients nécessaires à sa fabrication : le sable, dont la pureté détermine
la qualité du verre produit, l’argile et le combustible. Le sable fournit la
silice, dont la température de fusion est abaissée grâce au salin. Ce salin est
obtenu par le lessivage de cendres végétales, essentiellement issues des
fougères, riches en potasse, mais également de pousses de hêtre et,
éventuellement, de branchages et petits bois d’autres essences. C’est en fait
l’activité la plus consommatrice de bois : pour obtenir 100 kg de potasse, il
faut brûler 180 m3 de bois74, si bien que sur 100 cordes de bois, 95 sont
brûlées sur place pour être réduites en cendres alors que 5 seulement
servent au chauffage des fours. Ces fours sont de deux types : les fours de
fusion, des coupoles maçonnées en briques réfractaires ou en pierres
locales, dont la température est portée à 1 400 °C, ont une consommation
que l’on peut raisonnablement estimer à une trentaine de stères par coulée
(1 corde vaut environ 3 stères)75 ; les « fours à recuire », qui atteignent des
températures moindres mais tout de même assez élevées pour éviter le
brusque refroidissement des produits. Finalement, la production d’1 kg de
verre nécessite 1 m3 de bois76. Le hêtre – dont les pousses, nous l’avons vu,
entrent dans la composition du salin –, le charme et le chêne sont privilégiés
pour leurs qualités calorifiques.
Les verreries s’implantent donc au cœur des forêts et de préférence à
proximité d’une rivière qui puisse fournir du sable de qualité et la force
nécessaire à la mise en action des soufflets hydrauliques. À l’époque
médiévale, les installations, qui nécessitent peu d’investissement, restent
itinérantes : les maîtres verriers n’hésitent pas à déplacer leur activité de
quelques kilomètres lorsque les ressources en bois sont épuisées. La
production, saisonnière, se concentre sur quatre ou cinq mois de l’année : le
printemps est la saison du débardage des bois abattus et de la préparation du
salin ; la fabrication du verre se concentre sur les mois d’hiver. Jusqu’au
XIVe siècle, la technique pour fabriquer du verre à vitre repose en partie sur
l’utilisation d’un procédé identique à celui du verre soufflé pour la
réalisation d’objets, tels que des verres ou des cruches. Il s’agit de souffler
des cylindres de verre qui sont ensuite aplatis et découpés. Le verre plat est
obtenu à partir d’une boule de verre soufflée et ouverte. Cette technique,
dite « au manchon » ou « en table », est utilisée en Lorraine jusqu’à la fin
du XVIIe siècle77.
L’art du verre est pratiqué dans les forêts lorraines dès le XIIe siècle, sous
l’égide des monastères cisterciens, puis, grâce à l’arrivée de verriers de
Flandre ou de Bohême au XIVe siècle, il s’épanouit véritablement à compter
du XVe siècle. Cette activité est encouragée par les princes, qui profitent des
productions verrières – en 1480, René Ier équipe les fenêtres de sa nouvelle
chambre au château d’Einville de verre de Darney – mais, surtout,
perçoivent des taxes, soit sur les bois qu’ils concèdent, soit sur les produits
finis78. Une charte du 18 avril 1408 nous apprend ainsi que Robert, duc de
Bar, percevait un impôt de 12 deniers sur les verres produits par l’une des
verreries de l’abbaye de Lisle-en-Barrois79. C’est néanmoins la « charte des
verriers », accordée en 1448 par le duc de Lorraine Jean de Calabre aux
maîtres verriers et confirmée par son successeur, qui donne une forte
impulsion à cette activité :
[…] Item, pourront les dits veriers prendre, couper et remporter bois, c’est a sçavoir mairiens
pour les edifices et reffaisons à faire en leurs maisons et ez verrieres, et bois aussi pour ardoir
[bois de chauffage], tant pour les necessitez de leurs mesnaiges que pour lesdites verrieres,
lequel bois ils prendront et pourront prendre ez bois de monseigneur, environ lesdites
verrieres, en lieu convenable, au moins de dommaige que faire se pourra pour monseigneur,
et au plus grand proffit et aisance que faire se pourra pour lesdits ouvriers. Pourront aussi les
dits ouvriers verriers prendre, cueillir par les bois de monseigneur, et emporter fouchieres
[fougères] et toutes autres herbes propres et convenables pour le fait de leur mestier […]80.

Pour attirer les maîtres verriers dans la région, la charte leur accorde
d’importants privilèges, pour certains directement liés à l’exercice de leur
activité : liberté de couper le bois et récolter les herbes dont ils ont besoin ;
pour d’autres allant bien au-delà : droits de pêche, de chasse et de glandée
dans les forêts, droit de construire un moulin pour y moudre leur grain.
En Vôge (sud des Vosges), la production est importante dans la forêt de
Darney. La charte de 1448 mentionne trois verrières en activité, dont la date
de fondation exacte reste inconnue : Bisval (Briseverre), les Auffans et
Jacob (Henricel ou Hennezel). Par la suite sont fondées les verrières de la
Fontaine Saint-Vaubert (1475), Lichécourt (1487), Fays d’Houseraile
(1491), Onzaines (1492), Thiétry (1494), Regnévelle (1496) et Rochiers
(1496). Ce sont de véritables dynasties, les Hennezel, Thiétry, Thysac et
Bisval, qui contrôlent la production.
L’art du verre se diffuse ensuite vers les autres espaces favorables à la
verrerie, en particulier l’Argonne, où chaque monastère cistercien possède
au moins un four de verrier depuis le XIIe siècle. Les moines attirent sur
leurs domaines des artisans spécialisés pour tirer profit de leurs forêts et
assurer leur approvisionnement en verre. Des fouilles ont révélé la présence
de deux ateliers sur le domaine de Lachalade : celui de La Chevrie, et celui
de Pérupt (ou Pairu). Le premier fonctionnait probablement dès le
XIVe siècle tandis que le second était déjà en activité au tournant des XIIe-
XIIIe siècles. Il était même en fonction avant 1180, comme en atteste la
découverte, dans les couches supérieures de fouille, de deux monnaies
datant des règnes de Louis VIII et Philippe Auguste81. Les deux ateliers
auraient cessé de produire durant la guerre de Cent Ans. Pairu est
définitivement abandonné tandis que La Chevrie est rouvert en 1495. La
charte de 1408 évoquée ci-dessus atteste également l’existence d’une
verrerie sur le territoire de l’abbaye de Lisle-en-Barrois (voir Figure 282).

Figure 2 : Tableau des fondations de verreries au XVe s.

La métallurgie du fer
Une autre richesse de la Lorraine médiévale est la minette, un minerai de
fer qu’il est possible d’exploiter dans des gisements superficiels. Le minerai
de meilleure qualité se trouve dans la région de Longwy, dans les basses
vallées de la Saulx et de l’Ornain, mais d’autres gisements existent en forêt
de Haye, au sud de Neufchâteau, au nord de Dun-sur-Meuse et autour de
Commercy, dans les vallées de l’Orne et de la Fensch. Les monastères
jouent encore une fois un rôle essentiel dans l’essor de l’artisanat du fer en
Lorraine aux XIIe-XIIIe siècles, comme en témoignent 17 chartes, rédigées
entre 1161 et 1240, qui encouragent et encadrent cette activité83. Ce sont
eux qui, les premiers, sollicitent des seigneurs un droit d’usage du bois pour
pouvoir alimenter des forges en charbon de bois.
Durant le haut Moyen Âge, et parfois jusqu’au XVe siècle, le fer est
élaboré dans des bas-fourneaux à soufflerie manuelle, en une seule
opération de réduction sans fusion, ce que l’on appelle la réduction directe.
Le minerai, qui contient de l’oxyde de fer et des impuretés, est lavé puis
placé dans un four de réduction chauffé à haute température (1 200-
1 300 °C) à l’aide de soufflets actionnés à la main, où sont jetées des
couches superposées de minerai de fer et de bois ou charbon de bois. Le
charbon chauffe le minerai mais fournit également le carbone indispensable
à la réduction : le minerai de fer étant un oxyde, la réduction consiste à en
éliminer l’oxygène. Le charbon capte l’oxygène, qui devient monoxyde de
carbone puis gaz carbonique.
La première étape est de produire du charbon de bois. La transformation
du bois en charbon se fait par pyrolyse84. Les charbonniers construisent une
meule, c’est-à-dire un empilage de bois, sur un ou plusieurs étages, d’abord
vertical puis oblique au fur et à mesure que la meule grandit. Celle-ci est
recouverte de végétaux et de terre pour être pratiquement étanche à l’air, qui
doit parvenir à l’intérieur par des canaux de ventilation soigneusement
placés et contrôlés. Seule doit pénétrer la quantité d’oxygène nécessaire à la
combustion du bois qui, une fois la meule allumée, ne doit pas s’enflammer.
Le processus de carbonisation dure plusieurs jours ou semaines, l’humidité
est extraite du bois et les gaz produits par la réaction sont brûlés. Il ne reste
plus que le squelette carboné des cellules ligneuses. La quantité obtenue
représente environ 20 à 25 % du poids originel, sans qu’il soit possible de
donner des chiffres plus précis : le rendement dépend également du type de
bois utilisé.
En Lorraine, Édouard Ier de Bar accorde un bail pour la construction
d’une forge hydraulique en 1323. Cette mutation technique annonce les
premiers hauts-fourneaux : dans ces fourneaux devenus hauts (4-5 m),
associés à un moulin à eau actionnant un ou des soufflets hydrauliques, la
température atteint désormais plus de 1 500 °C, autrement dit le seuil de
fusion du fer. Ce dispositif permet d’obtenir de la fonte, un mélange en
fusion composé de fer et de carbone, facile à mouler. Une fois extraite du
fourneau, la fonte doit être affinée avant d’être forgée, c’est pourquoi on
parle de réduction indirecte. On désigne aussi cette technique par
l’expression « procédé de type wallon », car ce système est au point dès la
fin du XVe siècle en Wallonie avant de se répandre en Europe, surtout après
1450, d’abord en France puis en Angleterre. L’opération nécessite
l’utilisation d’un foyer d’affinage dont la température doit être portée à plus
de 1 100 °C environ pour que la fonte entre en fusion et forme finalement
une loupe constituée de fer et d’oxyde, qu’il faut, comme dans le procédé
direct, chauffer et marteler pour obtenir des lingots de fer.
Cette technique, qui nécessite une très grande force hydraulique pour
actionner les soufflets du haut-fourneau, ceux de l’affinerie et le marteau,
est particulièrement destructrice pour la forêt tant elle nécessite une
consommation de charbon de bois abondante. L’enjeu est alors de concilier
les usages traditionnels de la forêt que sont le chauffage, le pâturage et la
construction avec ces nouvelles activités très prédatrices.
Certaines affaires jugées par les ducs de Lorraine témoignent de
l’importance prise par ces nouveaux usages de la forêt. En 1334, par
exemple, le chapitre de Saint-Dié se plaint que l’abbaye d’Étival, qui a
installé des forges dans ses forêts, prélève tant de bois pour fabriquer le
charbon nécessaire à leur fonctionnement que la situation en devient
préjudiciable aux droits d’usage accordés aux chanoines85. L’émergence
d’activités proto-industrielles, très rémunératrices, fait donc évoluer la place
de la forêt du domanial vers le spéculatif, et soulève pour la première fois la
question du renouvellement de la ressource.
Face à ces nouveaux enjeux, le duc Raoul émet une ordonnance sur les
forêts le 16 novembre 1340 :
Par ordonnance du 16 novembre 1340, Raoul défendit aux gouverneurs des salines de faire
abattre des bois sans la participation des officiers de gruerie. Il ordonna aux gardes de faire
leurs rapports dans les vingt-quatre heures de la reprise [réprimande] et fixa les amendes à dix
livres par personne reprise [réprimandée] ; et à l’égard du bétail à quarante sols par bête
appartenant à des particuliers et à soixante livres pour les troupeaux des communautés, les
dommages-intérêts à la même somme dans tous les cas. Il fixa la défense des taillis à dix ans
de recrue [repousse] et le nombre des étalons de chêne à trente par coupe, à peine de dix livres
d’amende contre les officiers. Il déclara les gardes responsables des forêts, régla leurs gages à
vingt livres et que leurs rapports feraient foi jusqu’à la même somme86.

Ce document nous renseigne tout d’abord sur l’évolution des structures


administratives dévolues à la gestion des bois. Alors que les actes émis sous
les règnes précédents évoquaient des « forestiers », l’ordonnance de 1340
mentionne désormais un office de gruerie et des gardes assignés à la
surveillance des forêts. Ces gardes préexistent à l’ordonnance, puisqu’ils
sont déjà cités en 1339, dans un acte en faveur des chanoines de la
collégiale Saint-Georges87. En revanche, les gruyers apparaissent
uniquement dans deux actes postérieurs, l’un de 1341, par lequel Raoul
donne à l’abbaye de Molesme et au prieuré Notre-Dame de Nancy le droit
d’usage dans ses bois de Haye, à l’endroit désigné par ses gruyers88, l’autre
de 1342, dans lequel il concède à l’église Notre-Dame de Bouxières le droit
d’affouage dans les bois de Haye, le plus près possible de Bouxières, à
l’endroit désigné par le gruyer89. Aux structures administratives
embryonnaires des périodes précédentes semble donc succéder un système
organisé, sans doute mis en place au moment de la promulgation de
l’ordonnance. Les fonctions de gestion et de surveillance sont désormais
distinctes, revenant respectivement aux gruyers et aux gardes. Cet effort de
rationalisation de l’économie forestière, accompagné de la mise en place
d’offices nouveaux, est d’autant plus notable que Raoul est le premier duc
de Lorraine pour lequel sont attestés des registres de comptes. Sont en effet
conservés dans la collection Lorraine de la Bibliothèque nationale de
France un compte du bailliage des Vosges pour 1333-1334 et un compte du
prévôt de Marimont, aujourd’hui Marimont-lès-Bénestroff, pour 134190.
L’amélioration de la gestion de l’espace forestier se place donc dans un
souci de normalisation administrative à l’échelle du duché.
Par ailleurs, l’ordonnance de 1340, en imposant un temps de révolution
minimum de dix années et en limitant la quantité de bois prélevée à chaque
coupe, cherche à protéger l’espace forestier de la surexploitation.
Antérieure de six années à l’ordonnance de Brunoy, promulguée par le roi
de France Philippe VI le 29 mai 134691, considérée comme le premier Code
forestier édicté par un souverain, elle montre que le duc de Lorraine est
précocement sensibilisé à la question de la pérennité de la ressource, se
plaçant ainsi dans une démarche que l’on qualifierait aujourd’hui de
développement durable. Il ouvre la voie à ses successeurs, qui développent
la législation forestière : le 27 janvier 1390, Jean Ier ordonne la fabrication
d’un marteau marqué d’un alérion (deux ailes symbolisant un aigle) pour
marquer les arbres à couper, fixe de nouvelles amendes pour punir les
infractions en milieu forestier ; le 27 février suivant, il fixe le temps de
révolution minimum à huit ans. Par un acte daté du 3 février 1443, René Ier
(r. 1431-1453) décrète que l’usage non autorisé des bois pour le bétail est
puni de 25 livres d’amende pour les communautés, 5 livres pour les
particuliers. Les autres délits sont passibles de 15 livres de pénalité s’ils
sont commis de jour, 20 livres s’ils ont lieu la nuit. Le 20 avril 1446, Jean II
(r. 1453-1470) établit un grand gruyer avec juridiction sur l’ensemble des
forêts du domaine ducal (Lorraine et Bar)92.
L’exemple du sel en Franche-Comté
Sylvie Bépoix, Émilie Gauthier
Déjà au Ier siècle avant J.-C., Strabon cite la Séquanie, c’est-à-dire
l’actuelle Franche-Comté, comme région productrice des meilleures
salaisons de toute la Gaule93. On peut donc imaginer que la production de
sel dans de telles contrées fort éloignées de la mer est très ancienne, comme
l’ont confirmé les recherches archéologiques récentes94. Pour le Moyen
Âge, la première mention effective de salines dans les textes apparaît au
VIIIe siècle, mais cette activité devient très présente dans la documentation
après l’an mil. Les sources salines sont très nombreuses en Franche-Comté,
toutes ne sont pas exploitées et certaines sont même abandonnées pour des
raisons diverses. Ainsi le site de Les Nans dans le Jura où affleure une
source salée est un lieu de production qui s’interrompt au cours du Moyen
Âge. La datation au radiocarbone y suggère une activité entre le VIIe et le
XIIIe siècle, mais par décision de la comtesse de Bourgogne Marguerite de
France (r. 1361-1382), un colmatage volontaire du puits à l’aide de copeaux
et de sciure a lieu au XIVe siècle. La faible salinité de la source explique sans
doute cette courte durée d’exploitation ainsi que la volonté de monopole de
centres plus productifs. Les analyses polliniques réalisées dans les
remplissages sédimentaires liés à la production permettent d’évaluer
l’ampleur des transformations environnementales provoquées par le besoin
en combustible en révélant un couvert forestier pratiquement inexistant
durant la pleine période d’exploitation de la source salée. Les déboisements
ont certainement été très importants, cependant il est possible qu’une partie
de la forêt, traitée en taillis, reste polliniquement invisible parce que
peuplée d’individus jeunes et immatures. Certains auteurs avancent
l’utilisation d’individus coupés à l’âge de neuf ans, or rares sont les
essences pollinisant si jeunes95. Un hêtre ne le fait qu’exceptionnellement
avant l’âge de 60 ans. L’étude pollinique fournit peut-être une image
exagérément amplifiée du déboisement où ne transparaît donc pas le
maintien d’une population de jeunes arbres96. Mais les besoins en
combustible sont bien effectifs.
Les modes d’obtention de ce sel contenu dans le sol sont évidemment
déterminants pour comprendre à quel point cette activité se révèle
extrêmement prédatrice pour l’environnement boisé. À partir des XIVe et
XVe siècles, la production comtoise s’est surtout concentrée à Salins, ville
qui compte au Moyen Âge deux entreprises très importantes, la Grande
Saunerie et le Puits à Muire, auxquelles s’ajoute une petite unité de
production, la berne de Rosières, qui n’extrait pas elle-même la saumure
contrairement aux deux autres. En raison de son activité, Salins est dès le
XIIIe siècle un centre économique incontestable97. Le feu permanent
entretenu dans la ville pour la production de sel conduit à de fréquents
incendies qui la détruisent plusieurs fois en grande partie, générant alors de
gros besoins en bois de construction en 1336, 1408, 1422, 1442, 1445,
1469, dates où les textes mentionnent des sinistres. Parfois, les flammes
épargnent la ville comme en 1409 où un incendie dévaste seulement trois
chaudières, mais l’événement est si fréquent qu’il va pousser à une
reconstruction en pierre des bâtiments jusque-là en bois.
La première étape pour obtenir du sel consiste à récupérer la saumure, la
muire, dans une grande cuve en bois jusqu’au XIIe siècle, époque où on la
reconstruit en pierre. De là, les longues canalisations, en bois encore,
amènent le liquide vers chaque unité de production : les chaudières ou
bernes. Au XIIIe siècle l’entreprise du Puits à Muire compte 57 bernes ;
malheureusement, aucun document ne fournit le nombre de chaudières de la
Grande Saunerie et la quantité d’unités de production a beaucoup varié au
fil des siècles98. En 1512, Philippe de Vigneulles voyageant avec sa famille
décrit ses pérégrinations parmi lesquelles une visite de la saunerie de
Salins99. Il explique ainsi le fonctionnement d’une chaudière qu’il nomme
poêle :
Voici comment sont lesdites poêles, et les bâtiments où elles sont, avec les fourneaux dessous.
Pour chacune des poêles, il y a un grand étage comme une grange, au milieu de laquelle est
une grande fosse large et plate en son centre, à la manière d’un four à pain, sauf que la bouche
est au-dessus large et ronde, et que ce four est six ou huit fois plus grand que celui du
boulanger. Sur chaque bouche de four se trouvent des poêles plates, suspendues en l’air à des
pièces de fer ou à des chaînes par des arceaux. Il y a toujours un feu extraordinaire en ces
fournaises ; l’eau y bout et cuit jusqu’à sa transformation en sel, et l’on nous montra dans
l’une des poêles le sel qui était déjà presque fait.

Depuis le XIe siècle les contenants sont en fer et reposent sur le fourneau à
demi enfoncé dans la terre. Pour éviter qu’ils n’écrasent de leur poids les
parois du fourneau, ils sont suspendus à l’aide de barres de fer formant des
crochets, les chaînes. Des piles en maçonnerie soutiennent deux poutres
parallèles ou pannes. Sur ces poutres, des traversiers, pièces en bois de
sapin, permettent de suspendre les chaînes, leur autre extrémité venant se
fixer par des anneaux au fond de la chaudière100 (voir Figure 1).
La description de Loys Gollut, chroniqueur comtois du XVIe siècle, détaille
la méthode permettant l’obtention du sel. Une première cuisson dure quatre
heures à feu très violent suivie de quatre autres heures à feu modéré qui
décroît, enfin, la cuisson se termine à feu doux. L’ensemble du processus,
nommé cuite, correspond à dix-sept ou dix-huit heures de travail et chaque
chaudière effectue une série de seize cuites consécutives, la remandure,
avant une pause et des réparations si cela s’avère nécessaire101. On
comprend dès lors l’énorme besoin de matière première de cette industrie
conduisant à une surexploitation des forêts alentour pendant plusieurs
siècles. La difficulté essentielle va alors résider dans la bonne régulation de
l’apport de bois, car un manque de matière première contraint les officiers
des entreprises à prendre des mesures rapides pour éviter d’importantes
fluctuations dans le rendement du sel, comme le fait de l’acheter plus cher.
Une délibération du 17 août 1467 énonce :
[…] en regart qu’il n’y avoit guere bois en ladite saulnerie et qu’il n’en y venoit point, ont
conclud et deliberé […] de haulcer le bois et mectre le cent dudit bois qu’est à 3 solz
9 deniers estevenants à 5 solz estevenants102.
Figure 1 : Une chaudière au début du XVIIe s., Anatoile Chastel, BM Besançon, col. Chifflet, 44,
fol. 72.

Pour un meilleur rendement, une certaine qualité du bois est exigée. Les
« fasseurs », coupeurs en chef d’un quartier de forêt, la « fassure »,
encourent parfois les reproches d’amener « mauvais et petit bois ». Les trois
qualités essentielles pour approvisionner les bernes sont l’essence, la
grosseur et la qualité. Les fasseurs surveillent les coupes de bois, veillant
aux dimensions des bûches ou fassins qui doivent avoir la « grosseur d’un
bras » et une longueur de 6 pieds et demi. Mais en 1424, un texte nous
apprend que les dimensions ne sont plus respectées. Les essences les plus
appréciées sont le hêtre et le charme, tandis que tremble et sapin sont
considérés comme des catégories inférieures ne fournissant pas
suffisamment de flammes. Le chêne pose plus de questions, car il est absent
des sources. Tremble et sapin donnent un feu qui dure moins longtemps et
de plus, qui ne produit pas de bon charbon. En effet, la braise est extraite du
fourneau avec une longue pelle puis éteinte avec de l’eau. Le charbon
obtenu sert dans une autre étape de la production, le séchage. Les pains de
sel, les salignons, sont placés sur un brasier de charbon pendant environ dix
heures. Le charbon extrait des chaudières ne suffisant pas, il faut donc en
acheter103.
On l’a compris, la saunerie est extrêmement dépendante de son
approvisionnement en bois. Dans le cas de Salins, il provient des forêts
appartenant aux propriétaires de l’entreprise mais aussi, en cas de besoin, de
celles détenues par des communautés d’habitants ou des propriétaires
privés104. Mais les premiers fournisseurs de bois restent les propriétaires de
la saunerie, les principaux détenteurs appartenant aux plus grandes familles
nobles de la région, dont celle du comte de Bourgogne. Leurs forêts doivent
fournir un nombre de bûches proportionnel à leurs parts respectives dans
l’entreprise, un texte de la fin du XVIe siècle rappelle :
[…] qu’estoient tenuz lesdits partagiers de fournir les bois necessaires pour la cuitte des
muyres d’icelle saulnerie, chascun selon et a l’équivalent de sa portion des muyres et de ce
qu’ilz possedent en icelle et pour ce avoient en propriété plusieurs bois et notables bois, tant
de taillis [que] de hault en fustée aux environs de Salins105.

On ne sait à quand remonte cette obligation connue par des textes pour le
XIVe siècle106. Mais pour ces propriétaires, « les parçonniers », seuls le
travail de transformation du tronc en bûches ainsi que le transport sont
rémunérés par les officiers de la saunerie, tandis que les achats effectués
auprès de communautés d’habitants ou de particuliers comprennent
également la valeur du bois lui-même107. À 3 lieues à la ronde, environ
15 km, le bois est réservé à la saline. Pourtant, l’approvisionnement de la
Grande Saunerie se révèle un problème de plus en plus pesant à partir de la
seconde moitié du XVe siècle. De nombreuses difficultés sont perceptibles,
liées à l’organisation de l’exploitation des bois des parçonniers. Ils sont en
fait constitués pour partie de bois « banaux » réservés au seigneur et pour
partie de bois communs où le seigneur partage la jouissance avec ses
hommes vivant dans les villages alentour. Ces derniers ont développé des
pratiques de prélèvement liées à leurs besoins et considérées comme des
usages dont on ne peut les priver. Pourtant, à l’extrême fin du XVe siècle,
une ordonnance est promulguée, étendant l’institution des fassures aux bois
dits communs. À partir de là, les ordonnances vont se multiplier, montrant
une réelle volonté de la part des autorités de réduire les usages des
communautés pour mettre définitivement la main sur un combustible
devenu de plus en plus rare. Tout cela met en lumière les concurrences à
l’œuvre pour l’utilisation des produits ligneux. Il y a donc une prise de
conscience que la forêt n’est pas inépuisable et que la situation n’est pas
très favorable dans la région de Salins108. En découle une volonté de
réglementer les usages et l’exploitation de la sylve. Pourtant, les mesures
prises ne peuvent empêcher la « disette de bois » qui se fait jour dès la fin
du Moyen Âge, établissant des relations conflictuelles entre les différents
consommateurs. En 1529, la comtesse de Bourgogne Marguerite d’Autriche
promulgue une ordonnance : toutes les autorités du comté doivent empêcher
les communautés
qui de toute ancienneté ont accoustumé de venir charrier et amener bois et charbon audit
Salins pour la cuyte desdites muyres et sescher le sel, les convertissent en autres usaiges,
menent, distribuent et vendent ailleurs mesmes en certaines forges a faire fer puis nagueres
dressées et mises sus en notredit comté, esquelles forges se consume si grosse quantité de bois
que par briesve succession de temps, les bois desdits villaiges seront totalement depeuplez,
ruynés109.

On peut donc légitimement s’interroger sur l’existence aux alentours de


Salins d’une sylviculture spécifique : les bois destinés à fournir les bernes
de la Grande Saunerie bénéficient-ils d’un régime particulier pour pouvoir
satisfaire les besoins de l’entreprise ? Jusqu’à l’ordonnance forestière de
Colbert au XVIIe siècle, la sylviculture est avant tout « réaliste », plus
préoccupée de pourvoir aux besoins des hommes que de la forme à donner à
cet effet110. À Salins, cela se traduit, au cours du XVe siècle, par
l’introduction d’un mode d’exploitation plus régulier que celui pratiqué par
les paysans qui coupent en « champelant » : « couper le gros bois et laisser
le petit ». Ainsi en 1473, des officiers de la saunerie réclament
l’exploitation d’une fassure de sept ans en sept ans111. Mais à la fin du
XVe siècle, la Grande Saunerie est réduite à chercher les compléments de
son approvisionnement en achetant des coupes de bois, car les moyens
habituels ne suffisent plus.
Pour connaître la quantité de bois nécessaire à chaque cuite, des
expériences vont être menées, dont la première disponible dans les sources
a lieu en 1458112. Elle établit une consommation de 11 stères par bouillon,
le bouillon étant la quantité de muire utilisée pour une cuite. Ce calcul
permet, pour cette date, une estimation de la consommation globale
annuelle en bois de la Grande Saunerie à environ 11 000 t113. Jusqu’à la fin
du XVe siècle, 14 expériences vont se dérouler. Cependant, leur objectif
paraît plutôt de déterminer la quantité de sel produite au lieu de la matière
première nécessaire114. L’importante difficulté d’une possible estimation
provient de la variation du paramètre pris en compte suivant le centre
d’intérêt de celui qui la formule et du sens de sa démonstration ; par
exemple, le propriétaire insiste sur les coûts et le forestier sur les surfaces
exploitées. Et il faudrait également tenir compte des variations épisodiques
comme en janvier 1491 ces « grandes froidures au moyen desquelles l’on
gaste ne consume plus de bois que en aultre temps115 ». Un point commun
paraît malgré tout discernable : pour tous, cette consommation difficilement
chiffrable se caractérise par son importance116.
En 1527, les besoins annuels de la Grande Saunerie sont évalués à
10 millions de fassins pour la cuite de la muire, plus 2 ou 3 000 charges de
charbon de bois pour le séchage du sel. À cette date, les hautes futaies dont
on tirait naguère d’importantes ressources sont à peu près épuisées et la
production de bois-taillis ne couvre plus que la moitié des besoins de
l’entreprise. Malgré la sylviculture plus effective mise en place à partir du
milieu du XVIe siècle, l’approvisionnement des salines est rendu toujours
plus difficile en raison des énormes besoins. On sait que dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle, le manque de bois a conduit à la construction de la
saline d’Arc-et-Senans aujourd’hui classée au patrimoine de l’Unesco.
Cette délocalisation avait pour but de se rapprocher de l’immense forêt de
Chaux, considérée comme le deuxième massif forestier français
aujourd’hui. On peut donc estimer que l’industrie du sel est la première
activité xylophage implantée en Comté et sa ponction sur la sylve dura près
d’un millénaire117.
CHAPITRE 4
Forêts gérées, forêts préservées
Des chartes de franchises aux ordonnances forestières : droits
et obligations des communautés
Jean-Marie Yante
La concession de chartes de franchises, urbaines ou rurales, s’inscrit dans
le contexte de la croissance démographique et de l’essor économique du
XIIe siècle et d’une partie du XIIIe siècle. Des princes territoriaux et des
seigneurs locaux sont alors amenés à octroyer à leurs sujets des privilèges
plus ou moins étendus. Ces concessions, orales et/ou écrites, mettent fin à
des prélèvements et des exigences arbitraires. Les chartes de franchises,
comme actes du pouvoir seigneurial réglant les relations avec les
communautés et garantissant les droits de celles-ci1, procèdent d’impératifs
divers selon les lieux et les décennies : disparition de sources de conflits et
de tensions, préoccupations de peuplement ou de défense militaire, mise en
valeur de nouvelles terres, stimulation d’activités artisanales et/ou
commerciales, grignotage des positions de dynastes ou lignages voisins.
Elles sont également rédigées dans l’intérêt des seigneurs et traduisent une
volonté de centralisation administrative et d’unification juridique2.
Les bénéficiaires de ces octrois ont suscité de longs débats. La thèse
considérant les chartes comme des textes affranchissant des serfs a été
combattue3, mais on hésite aujourd’hui à affirmer qu’elles étaient
exclusivement réservées à des hommes libres4. D’autant plus que, comme le
constatait déjà Fernand Vercauteren en 1966,
on ne croit généralement plus aujourd’hui qu’un clivage parfait existait au Moyen Âge entre,
d’une part, hommes totalement libres et, d’autre part, individus privés complètement de la
liberté personnelle5.

On notera encore que le mot « franchise » doit être employé au pluriel et


non au singulier, car le phénomène des affranchissements consiste
généralement en la concession ou la reconnaissance de différents privilèges,
franchises ou libertés à des communautés locales et non en un passage des
populations du statut de servage à celui de liberté6.
Le présent propos n’est point d’évoquer, région par région, la chronologie
des chartes de franchises et leur plus ou moins grande précision et libéralité
en matière de droits forestiers. Au sein d’une même principauté, le
phénomène accuse de notables différences selon l’importance locale de la
sylve. Ainsi dans le Dauphiné, l’exploitation des massifs du Briançonnais et
de l’Oisans provoque-t-elle une forte organisation des communautés et la
réglementation de leurs droits d’usage7. En Picardie, les abus qui se
commettent dans les bois, lésant à la fois les paysans usagers et le seigneur,
amènent dans les « lois » une extrême minutie dans la description des
larcins et la tarification des amendes8. On envisage ici successivement les
clauses à caractère forestier dans trois chartes ayant servi d’archétypes pour
de nombreuses localités de la France actuelle, les adaptations engendrées
par les contextes locaux (à partir du cas du comté de Hainaut), les multiples
ajouts, restrictions et précisions qu’a connus au fil des décennies la charte
de Beaumont de 1182, la codification des coutumes, enfin les ordonnances
royales de la première moitié du XVIe siècle.

Quelques archétypes de chartes de franchises


La plus ancienne charte de franchises conservée en France, celle de Lorris
dans le Gâtinais, est concédée en 1134 par le roi Louis VI le Gros et
confirmée en 1155 par un diplôme de Louis VII. L’article 29 stipule que les
habitants prendront le bois mort hors de nostre forest, c’est-à-dire en dehors
des bois royaux réservés pour la chasse. Aucune redevance ne leur est
imposée. La charte de Lorris connaît un immense succès et devient aux XIIe
et XIIIe siècles la loi d’un grand nombre de villages du centre de la France9.
De quelques années sa cadette, la charte de Prisches, de 1158, sert de
modèle à une trentaine de localités du Hainaut et du Vermandois. Elle
stipule que le bourgeois n’est redevable d’aucun droit de pacage dans les
bois seigneuriaux10.
Octroyée en 1182 par l’archevêque de Reims Guillaume aux Blanches
Mains, beau-frère du roi Louis VII, aux sujets de ses domaines d’Argonne,
la charte de Beaumont sert elle aussi de modèle à de nombreux diplômes
dans les comtés de Champagne, de Bar, de Luxembourg et de Chiny. La
localité bénéficiaire est située dans une région forestière que le prélat veut
faire prospérer en la défrichant. Le document ne livre que peu
d’informations relatives aux droits d’usage dans les bois. Il se contente de
renvoyer aux dispositions antérieurement convenues avec les habitants des
domaines voisins de Létanne et de Yoncq et avec les prémontrés de
l’abbaye de Belval. Au chapitre des amendes, la charte tarifie ce qui est
encouru pour la fabrication de cendres ou de charbon dans le bois
seigneurial11.

Des adaptations aux contextes locaux : le cas du comté de Hainaut


Les adaptations d’une charte type aux contextes locaux se révèlent parfois
de véritables défigurations. Non seulement on s’écarte de la lettre mais
parfois aussi de l’esprit du texte, à tel point qu’Alain Girardot a pu écrire
que « la loi de Beaumont est entrée “dans la peau” des seigneuries et non le
contraire12 ».
Il s’avère instructif de parcourir les principales dispositions des chartes de
franchises du comté de Hainaut, principauté englobant des territoires
aujourd’hui français et d’autres appartenant à la Belgique. Aux XIIIe-
XIVe siècles, la sylve devait couvrir un tiers du territoire. Certaines contrées
sont plus boisées que d’autres, ainsi la région à l’est de la Sambre, autour de
Trélon et de Chimay13. Pour les 45 localités présentes dans le corpus des
chartes-lois (et règlements d’avouerie) conservées, 14 documents incluent
des clauses à caractère forestier. Ceux-ci ont été produits entre 1158 (charte
de Prisches) et 1300, la période la plus féconde s’étendant du milieu du
XIIe siècle aux environs de 125014.
Les dispositions les plus fréquentes sont relatives à la répression
d’infractions. À une seule reprise, à Somain en 1219, le seigneur (en
l’occurrence l’abbaye de Cysoing) se réserve la vente du bois. À cette
époque, le souci est avant tout de pourvoir aux besoins des populations
locales. Les usagers ont l’interdiction formelle de faire commerce du bois.
Il n’est toutefois pas exclu qu’en d’autres lieux, le seigneur vende une partie
du bois disponible afin d’accroître ses revenus.
Les sanctions infligées aux délinquants sont le plus souvent liées à deux
types de délits : la coupe de bois et le pâturage non autorisé d’animaux. La
coupe n’est pas interdite mais est soumise à une série de conditions, dont le
non-respect entraîne des poursuites. Les restrictions procèdent de deux
impératifs : sauvegarder les privilèges du seigneur et/ou préserver la forêt
en ne coupant pas certaines essences. Ainsi la charte de Fontaine-l’Évêque
(1212) prohibe l’abattage du chêne, qui ne peut être coupé avant un grand
nombre d’années, et celui du hêtre, servant principalement à la confection
d’outils agricoles, de charrettes et de clôtures. Le tenancier est toutefois
autorisé à prendre 15 mesures de chêne pour construire une maison ou
réaliser une charrette ou un araire. Quand infraction il y a et que sanction
s’ensuit, celle-ci prend en compte l’intention sous-jacente. À Lallaing, en
1300, l’amende est majorée si la coupe de bois se fait nuitamment (60 sous
au lieu de 10). La situation s’avère assez similaire à propos du pâturage des
animaux. Ce n’est pas le fait de paître en forêt qui entraîne la
condamnation, mais la façon dont celui-ci a lieu. À Busigny (1201 ou
1202), la charte-loi prend en considération l’intention de la personne
responsable du délit et l’impact de l’infraction sur la forêt. Si un cheval, une
vache ou une chèvre est surpris dans les bois, le propriétaire doit payer
12 deniers, alors que s’il s’agit d’une brebis, on n’en doit que 2. Et si le
propriétaire jure que l’animal était perdu ou échappé, donc qu’aucune
infraction volontaire n’a été commise, nulle amende n’est exigée et la bête
lui est restituée.
Une distinction doit être opérée entre gros et menus usages. Les premiers
concernent la fourniture de bois et le pâturage des animaux, tandis que les
seconds désignent le ramassage de bois mort pour le feu ou de végétaux
pour la litière du bétail. Peu à peu, les seigneurs tentent de contrôler et de
limiter ces droits. Concernant les gros usages, les paysans ne pourront
ramener du bois en grande quantité sans l’autorisation préalable du seigneur
ou de son forestier. Dans certaines communautés, chevaux, bovins, porcs,
chèvres et moutons peuvent aller paître dans la forêt, où ils se nourrissent
de glands, faînes, herbes et brindilles. Ces animaux dégradent
l’environnement en broutant les jeunes pousses et en se nourrissant
d’écorces, mais leur présence, pas trop importante, peut s’avérer bénéfique.
Ainsi, en grattant le sol, les porcs aident à la régénération des plantes. Le
panage ou la paisson est le droit d’usage le plus fréquemment mentionné
dans les chartes du Hainaut. Dans le cas de Prisches et de quelques autres
localités, aucune redevance n’est exigée.
Les menus usages, rarement détaillés dans les documents, ne sont pas
contestés aux habitants et aucune redevance n’est exigée en contrepartie. La
seule limitation est évoquée dans le diplôme du Quesnoy (avant 1180), où
la quantité de petit bois sec, trouvé à terre, ne peut dépasser la charge qu’un
individu est capable de porter sur ses épaules.
Alors qu’en d’autres régions, les droits de chasse sont fortement limités à
partir du XIIIe ou du XIVe siècle15, les habitants du comté de Hainaut
parviennent à les conserver assez durablement, du fait vraisemblablement
de l’étendue des espaces forestiers permettant que les activités paysannes ne
gênent pas les chasses seigneuriales. Seuls les habitants du Favril (1174) et
de La Flamengrie (1268) ont le droit de chasser le gros gibier comme les
cerfs et les sangliers, encore que le seigneur se serve largement sur les
prises : la moitié au premier endroit, le quart au second. À Landrecies
(1196 ?) est autorisée la chasse de toutes espèces d’oiseaux, de loutres,
lièvres, renards et autres petites bêtes.
À Lallaing (1300) est prohibée la chasse aux faisans, perdrix et lapins. Et,
au fil des ans, les restrictions se multiplient.

De la charte de Beaumont à l’Arche de Beaumont


Après l’affranchissement, les droits d’usage sont fréquemment
subordonnés à une série de conditions particulièrement strictes : obligation
pour le bénéficiaire de tenir résidence depuis un an et un jour, de faire feu et
ménage à part, d’acquitter une plus ou moins modique redevance et de ne
prendre du bois que sur désignation, limitation du droit de pâturage au seul
bétail détenu en propre, accès interdit dans les jeunes tailles16.
Ainsi, au fil des décennies, certaines dispositions des chartes types
connaissent de multiples ajouts, restrictions ou précisions. Lentement
élaborée au cours des siècles, l’Arche de Beaumont est un recueil de
pratiques et de décisions judiciaires issues de besoins et d’intérêts
nouveaux, venues se mêler au texte primitif de la charte de Beaumont, s’y
adjoindre, modifier certains points, en abroger d’autres, l’enrichir
d’additions importantes17. En se limitant à un texte de la dizaine des
manuscrits connus, en l’occurrence celui dit de Montmédy (département de
la Meuse), daté de 1589, on peut relever 8 articles relatifs aux bois et à leur
gestion. Des stipulations concernent la vente du bois (5º), les dégâts aux
arbres portant fruits (18º), la protection des jeunes pousses, tant dans les
bois seigneuriaux que dans ceux des communautés (42º), la chasse (55º),
l’interdiction de couper les arbres portant fruits (59º), les prérogatives des
forestiers (60º), leur commissionnement (69º), enfin la fabrication et la
vente de charbon ou de cendres (84º). Bien sûr, il conviendrait, autant que
faire se peut, d’en dater les différentes strates18.
5. L’octroy est eslargi par les seigneurs aux bourgeois [de] l’usage et cours des eaues et bois,
ainsy come il leurs sera assigné et montré, en condition qu’ilz ne les pourront vendre ny
mectre hors du lieu, sans et sinon au prouffict et raugmentation de la ville là ou le bois est
ressortissant, sur peine et dangier [de perdre] ledit bois et retourner au seigneur dont premier
il sera venu.
[…]
18. Gasté des arbres. L’homme qui fera faulcement mourir arbre portant fruict par malengin,
sera a la volunté du seigneur ; et qui les couppera ou desbranchera, sera a soixante solz
d’amende, voulant le consentement du seigneur.
[…]
42. Bois. On doibt garder les destructions des bois et les recrues d’iceulx espécialement en
mars, avril et may, sur l’amende de soixante solz, tant aux bois seigneuriaulx come a ceulx de
bourgeoisie, car le dommaige pourroit venir contre le bien publicque et contre tous estatz.
[…]
55. Amendes et paines de chasseurs sans droict. L’homme trouvé chassant es bois du seigneur,
sera a soixante solz d’amende, et aussy es garennes, si c’est de jour ; et si c’est de nuit, il sera
a la volunté du seigneur, corps et avoir, voires si la garenne estoit closse ; et s’elle n’estoit
closse, n’y auroit que soixante solz.
[…]
59. Usances de bois. Les hommes n’auront usances es bois jusques a ce qu’ilz leur seront
monstrez, ou et comment et les conditions qui seront déclarées es lettres des chartes a eulx
données ; si c’est bourgeoisie il y aura cincq solz d’amende (si c’est de fief, 60 sols), et n’y
pourra coupper arbre portant fruict, comme chesnes, fougs, pommiers, poiriers, si ce n’est
pas la délivrance des jurez pour édiffier la ville et sur le lieu.
60. Forestiers. Les forrestiers jurez et sermentez auront crédict et seront creux a leurs
rapport, auquel rapport faisant ilz doibvent dire : je l’ay prins en tel lieu, a telle heure, en tel
jour ou peu près ; si c’est le lieu seigneurial, il y a soixante solz d’amende, et si c’est
bourgeoisie, il y ait cincq solz.
[…]
69. Forestiers. Les forrestiers commis par justice ne seront qu’ung an sans renouveller leurs
serment, et ne porteront foi que pour ung an a leurs rapportz, et si faulte estoit trouvée a leurs
serment, escherroient a amendes arbitraires au contenu du délict.
[…]
84. Le bourgeois qui sera trouvé faisans charbons ou cendre, pour porter vendre hors du ban
du lieu ou le bois apartient, sera a dix solz d’amende19.

Des coutumes aux ordonnances royales


de la première moitié du XVIe siècle
Les coutumes, rédigées à partir de la fin du XVe siècle, réservent une
attention inégale aux droits d’usage en matière forestière. Au moment de
leur rédaction, les communautés villageoises sont représentées soit par leurs
marguilliers (membres du conseil de fabrique des paroisses), soit par des
notaires, soit par les officiers des justices seigneuriales, qui interviennent
lors des conflits forestiers. Les documents réservent généralement une très
large place aux questions de pâturage puisqu’on l’a vu, jusqu’au début du
XVIe siècle, la forêt est essentiellement une vaste zone de pacage palliant la
rareté des prés. Les coutumes s’intéressent également, quoique dans une
moindre mesure, aux usages de bois d’œuvre et de bois de chauffage, ainsi
qu’aux questions de chasse. La plupart des textes ne réservent pas de
chapitre spécial aux dispositions forestières. Ces clauses sont intercalées
dans différentes rubriques.
On conserve pour la Normandie un recueil des coutumes spécifiques pour
les forêts royales datant du début du XVe siècle, connu sous le nom de
Coutumier des forêts d’Hector de Chartres, du nom du maître des Eaux et
Forêts de Normandie et Picardie. Pour la Bretagne, le cartulaire de l’abbaye
de Redon contient les usemens de la forêt de Brécilien (Brocéliande ou
Paimpont) datant de 1467.
La grande majorité des droits d’usage sont fixés et limités depuis le
XIIIe siècle. Ils font en quelque sorte partie des tenures des paysans. Depuis
l’ordonnance de Philippe VI de 1346 (dite ordonnance de Brunoy), il n’est
théoriquement plus accordé de nouveaux droits dans les forêts royales.
Les droits d’usage sont multiples. Ils concernent le bois de feu, limité
généralement au bois mort et aux morts-bois, le bois d’œuvre ou de
marronnage destiné à la construction ou à l’entretien des maisons et édifices
divers, au charpentage, à la menuiserie, à la fabrication des instruments
aratoires et autres outils, enfin, généralement absent des textes, le bois « à
faire cendre ou charbon ». Des dispositions réglementent la délivrance du
bois de marronnage, limitent celle-ci aux besoins propres de l’usager et
interdisent toute revente. Certaines coutumes reconnaissent le droit de
ramasser les fruits sauvages et de récolter la cire et le miel, prévoient
l’écorçage des arbres et concèdent aux usagers les chablis, c’est-à-dire les
arbres renversés ou déracinés par la violence des vents. En matière de droits
de pâturage, lesquels s’étendent bien au-delà des espaces boisés, les
coutumes s’avèrent relativement prolixes. Des clauses concernent le
panage, à savoir la nourriture des porcs, commençant généralement à la
Saint-Michel (29 septembre) ou à la Saint-Remi (1er octobre), quand les
glands commencent à tomber. Jusqu’au XVIe siècle, les revenus du panage
excèdent fréquemment ceux des coupes dans les forêts de chênes. La
pénétration en forêt des moutons et des chèvres est souvent sujette à des
restrictions, car ces bêtes ne se contentent pas de brouter les feuilles mais
coupent les jeunes rejets. Si la présence de chevaux dans les massifs boisés
est un fait avéré, les coutumes ne spécifient normalement pas leur
admission. À quelques exceptions près, le pacage du gros bétail (vaches et
bœufs) n’est autorisé qu’en journée. Quel que soit le type d’animal, des
espaces leur sont interdits, tout au moins à certaines époques de l’année.
C’est le cas des garennes réservées en toutes saisons. L’accès des jeunes
taillis est strictement réglementé. Essentiellement seigneurial au Moyen
Âge, le droit de chasse peut faire l’objet de concessions à des vassaux ou à
des sujets. Le plus souvent, les seigneurs se réservent la chasse des grosses
bêtes et, afin de mieux défendre leurs prérogatives, constituent peu à peu de
grandes garennes ceintes de murs. Une évolution est patente aux XIVe et
XVe siècles. S’observe alors une restriction accentuée des droits des
communautés et des paysans au profit des nobles et surtout du roi.
En contrepartie de ces usages, les bénéficiaires acquittent diverses
redevances ou sont astreints à des services ou corvées. Des abus d’usage,
tels des coupes d’arbres indues ou des pâturages excessifs, entraînent des
amendes ainsi que, souvent, la perception de dommages et intérêts, ou la
restitution de l’objet enlevé.
Force est de constater que les coutumes sont presque toujours muettes en
matière d’aménagement et de mise en valeur des massifs. On peut y voir
l’indice d’une sylviculture encore dans l’enfance. Ces documents ne sont
pas davantage loquaces à propos des usages industriels et du commerce
extérieur à la seigneurie20.
À l’aube du XVIe siècle, les changements rapides de l’économie française
rendent obsolètes, en tout cas insuffisantes les dispositions coutumières. Les
bois font de plus en plus l’objet d’un commerce étendu et le développement
du flottage, pratique séculaire, facilite l’approvisionnement des villes et de
l’industrie. Une législation royale réglemente peu à peu l’exploitation
industrielle et commerciale des forêts, se substituant à une exploitation
patriarcale. Les techniciens de la table de marbre, juridiction des Eaux et
Forêts près le Parlement de Paris, prennent l’initiative des ordonnances de
mars 1517 et janvier 1519.
La première impose que, dans toutes les forêts royales, les ventes de bois
soient désormais adjugées à la chandelle éteinte et au plus offrant et dernier
enchérisseur. Elle rappelle aussi aux gruyers l’obligation de marquer de leur
marteau, avant toute exploitation, les baliveaux (jeunes arbres destinés à
constituer la haute futaie) et les « pieds corniers » (arbres marquant la limite
d’une coupe). Il s’en faut que ce texte soit appliqué à la lettre. L’ordonnance
de 1519 s’avère encore plus importante, car elle vise à prévenir de fréquents
abus et dégradations dans les massifs. Abordant la question des délits, elle
livre le premier Code pénal forestier et, en cette matière, servira encore de
modèle à Colbert. Les délits de pâturage sont uniformément et sévèrement
réprimés. À l’exception du bétail des usagers pouvant exhiber un titre, toute
bête trouvée en forêt, quelle qu’en soit l’espèce, est désormais confisquée et
une amende est infligée au propriétaire. En l’absence d’autorisation,
l’enlèvement de terres, minerais, bois et cendres à des fins artisanales ou
industrielles est puni d’une amende arbitraire et de la confiscation des
outils, ouvrages et attelages. L’ordonnance tente de prévenir le grand danger
du défrichement et, consciente des insuffisances et divergences des
coutumes à cet égard, définit les circonstances aggravantes en cas de délit,
notamment arbres abattus de nuit et prise en considération de la qualité des
coupables, des sanctions particulièrement lourdes étant prévues pour les
officiers forestiers, les marchands de bois et les usagers.
La crainte d’un manque de bois est le principal aiguillon de la politique
royale. Pour la première fois, des mesures prises sous le règne de
François Ier restreignent les droits des propriétaires particuliers. Une
première ordonnance est prise en 1520, mais il faut encore attendre deux
décennies pour que soient édictées des prescriptions générales applicables à
tout le royaume21.
Gestion et conservation :
des forêts lorraines aux ordonnances royales
François Lormant
Des capitulaires carolingiens du IXe siècle (sur les droits d’usage) à
l’ordonnance de Brunoy de 1346, comme plus tard l’ordonnance française
« sur le fait des Eaux et Forêts » de 1669, l’abondante législation
révolutionnaire et le Code forestier de 1827, les règles forestières
poursuivent un objectif identique : mettre sur pied une administration et une
organisation forestières capables de gérer la forêt, de fournir le maximum
de bois (bois de chauffage, bois d’œuvre, bois de merrains et bois de
service), tout en préservant le maintien et le renouvellement des forêts
(donc en faisant de la gestion et du développement durable), en interdisant
particulièrement les défrichements excessifs et les abus de droits d’usage
des populations riveraines des massifs : droit au bois et aux produits de la
forêt, droit de pâturage…
Du règne de Philippe Auguste jusqu’à celui de Louis XIV, le pouvoir
royal devient de plus en plus fort et centralisateur. Progressivement, les
notions de puissance publique, d’intérêt général, se diffusent au travers
d’ordonnances royales, qui se substituent au droit coutumier (tout en en
tirant l’essentiel). La mise en œuvre de ces ordonnances forestières se fait
initialement au travers de l’administration royale à caractère général (baillis
ou sénéchaux) puis au travers d’une administration plus spécifique :
l’administration forestière. En effet, à mesure que l’étendue des forêts du
domaine royal augmente, que le bois devient une matière première
recherchée sur le plan économique et sur le plan stratégique (marine et
fortifications), le besoin d’une administration plus spécialisée pour la
gestion de ce domaine, se fait sentir. C’est tout au début du XIIIe siècle qu’on
voit apparaître une telle administration, qui enlève progressivement à la
compétence des baillis la matière des Eaux et Forêts et aux tribunaux
ordinaires, la poursuite des délits commis en forêts. Les ordonnances de
1219 et 1223 mentionnent pour la première fois des « Maîtres des Eaux et
Forêts ». L’ordonnance de Brunoy en 1346 retire définitivement toute
compétence aux baillis et organise l’administration forestière. La place de la
forêt dans la vie des hommes et le poids du domaine royal ne peuvent en
effet que donner une place importante à la réglementation forestière et à
l’administration forestière (voir Figure 1).

L’exemple de la forêt lorraine


Les duchés, de Lorraine puis celui de Bar, découvrent l’indépendance
avec Gérard d’Alsace (r. 1048-1070), le premier duc de Lorraine.
S’appuyant sur ses richesses naturelles (eau, bois) et son climat, le territoire
est une terre d’accueil. À partir du XIIe siècle, l’essor démographique
provoque l’extension des terres sur les friches et les forêts. Les seigneurs
utilisent la faculté d’essarter leurs forêts. Selon Charles Guyot, « il s’agit
d’un élément important de la propriété forestière22 ». La récolte des bois est
encore jugée secondaire, car ce matériau reste à vil prix. Les créations
monastiques demeurent aussi nombreuses qu’aux siècles précédents,
attestant de la très forte vitalité de cette période. Le mouvement monastique
dynamise la mise en valeur des campagnes ouvertes. Le morcellement des
terres résulte de ces progrès économiques et démographiques. Il est à
l’origine de la rotation triennale des cultures, complétée par l’usage
réglementé de l’utilisation indivise du saltus, c’est-à-dire des terres non
cultivées, éventuellement vouées à l’élevage ou plus précisément au pacage,
des espaces inoccupés ou boisés. Comme on vient de le voir ci-dessus,
partout l’usage au bois est un droit précaire, révocable. L’usager doit
demander l’obtention des produits forestiers, en particulier pour les bois de
construction et de marronnage. L’usage est délivré, limité aux besoins du
foyer, utilisé en bon « père de famille ». L’usufruit est seul accordé. Il est
interdit d’anticiper la valeur du fonds. L’usage stipule le paiement de
redevances très variées. Le seigneur peut se réserver une partie de l’espace
à son seul profit. Il cantonne alors une partie des bois appelés bambois :
bois fermé aux usagers ou dégrevé d’usage. Il peut également
« apportionner la forêt » en accordant aux paysans une surface suffisante
pour satisfaire les besoins des ayants droit. Les opérations de cantonnement
visant à éteindre définitivement l’usage sont parfois très précoces.

Figure 1 : Baruch écrivant ; Bible, Besançon, ms 0004, fol. 346, XIIIe s.


Dès le XIe siècle, la forêt soutient l’essor industriel lorrain. Les
acensements ou contrats d’exploitation industriels dessinent une multitude
de petites enclaves localisées au cœur des bois. Dès la conquête romaine, la
Lorraine est le pays du sel, du fer et du verre. Les trois activités exigent des
quantités croissantes de bois pour alimenter les « bouches à feu ». Durant
tout le Moyen Âge, l’extraction du sel, déjà connue depuis la préhistoire,
assoit la prospérité de la région. De nombreux contrats d’acensements sont
conclus, alors que le parc des salines ducales s’accroît au détriment de
celles appartenant aux évêques de Metz. À la fin du XVIe siècle, le duc de
Lorraine détient le monopole de la fabrication du sel dans ses États, et
conclut de nombreux contrats d’approvisionnement des salines23. Les mines
de plomb et d’argent contribuent à la prospérité du val de Saint-Dié entre le
XIVe et le XVIIe siècle. Les charbonniers sont installés partout, notamment
dans le massif de Haye surplombant Nancy. Ils y réalisent des coupes « à
blanc-étoc » (abattage de la totalité des arbres d’une parcelle, d’une
exploitation forestière, synonyme de coupe rase) dans une forêt ressemblant
à une hêtraie pure. Les gros bois sont fendus, assemblés en meules et
carbonisés. L’industrie du verre modifie également précocement le tissu
forestier, engendrant des défrichements considérables, agrandis par les
grignotages accompagnant la prospérité24. Les renouvellements de la
charte, en 1448 par le duc René Ier (r. 1431-1452), puis en 1469 par Jean de
Calabre (Jean II d’Anjou, r. 1452-1470), provoquent la création de
nouvelles usines au cours du dernier tiers du XVe siècle.
Jusqu’à la guerre de Trente Ans (1618-1648), les forêts lorraines sont
pourtant sous-exploitées. Les comptes des grueries montrent des profits
médiocres. Les droits de glandée représentent partout une part importante
des revenus perçus. Les ventes de bois d’œuvre et de combustible sont
parfois dérisoires. La forêt reste avant tout un espace nourricier. Faute de
moyens suffisants de vidange, planches et bûches sont peu exploitées et
servent surtout à satisfaire des besoins locaux. Jusqu’au XVIe siècle, le bois
est peu vendu. L’essentiel des revenus provient des redevances usagères et
tout d’abord de la glandée. Les premiers règlements visant à organiser la
croissance des forêts feuillues datent du XIVe siècle. Ils sont surtout repris à
partir du milieu du XVIe siècle, sous le règne du duc Antoine (1508-1544).
L’essor des salines de Lorraine, des verreries, des faïenceries et de
l’industrie nécessitent en effet des ressources toujours plus nombreuses et
renouvelées. Le système du jardinage ayant jusqu’alors prévalu est
progressivement abandonné dans les forêts feuillues. Cet antique procédé,
qui consistait à couper la forêt par pied d’arbre en fonction des besoins, se
maintient seulement en montagne où il est encore très tardivement appliqué.
Tout au long de l’histoire des duchés, les princes édictent ainsi des lois
très sages : ils gèrent leur patrimoine forestier en bons pères de famille,
n’entamant nulle part l’héritage reçu. L’ancienne législation forestière
lorraine est très prudente. Elle accumule le matériel sur pied et fait naître un
patrimoine de qualité. Cette réussite est seulement compatible avec une
faible ponction annuelle réalisée sur les bois. Dans les forêts feuillues, on
s’est longtemps contenté d’extraire les bois « dépérissants » ou « tarés ».
Jusqu’au XVIe siècle, les règlements forestiers établis par le grand gruyer
s’attachent en priorité au statut juridique des bois fortement grevés d’usages
rapailles (taillis, bois où la coupe est libre) dans la montagne, bois indivis,
glandée, paisson, panage…, soumis à une durée limitée dans le temps. Les
porcs ne peuvent être mis en panage qu’après visite des lieux par les agents
forestiers, le panage tout comme la glandée ne pouvant avoir lieu que dans
les espaces déclarés défensables. En 1506, une ordonnance du duc René II
(r. 1473-1508) reprend celle du duc Raoul (r. 1329-1346), qui impose à
chaque coupe de laisser « 30 beaux brins de l’âge du taillis par arpent », soit
20 ares. Vers 1550, les plans de balivage se précisent et les révolutions entre
deux coupes s’établissent désormais à vingt, trente ou quarante ans. Le
système du « tire-et-aire », qui désigne une méthode d’exploitation totale ou
presque de proche en proche, tout de suite et sans intermission, de la vieille
vente à la nouvelle en allant toujours devant soi et ne laissant que les arbres
réservés, n’est pas appliqué en Lorraine. Au contraire, la législation lorraine
apparaît constamment très souple et adaptée aux circonstances et aux lieux.
La coutume de Lorraine, rédigée en 1594 mais qui correspond à la mise par
écrit d’anciens usages, indique encore que les taillis « doivent être
aménagés suivant la qualité des sols25 » (titre 15). Les ordonnances ducales
et la coutume encouragent donc la création de futaies à réserve de chênes,
de fruitiers et de hêtres.

L’administration forestière
C’est tout au début du XIIIe siècle – en France comme dans les duchés
indépendants de Lorraine et de Bar – que l’on voit véritablement apparaître
une administration forestière. Dès l’origine, le souci du propriétaire
forestier, fut-il le roi, lui impose de gérer les droits d’usage qui concernent
une grande partie de la population. Cette gestion se fait conformément à des
coutumes locales, orales à l’origine et découlant souvent de la période
gallo-romaine. Progressivement, ces droits font l’objet de chartes écrites
aux XIIIe et XIVe siècles26. En effet, à partir du Xe siècle, la propriété
forestière dans le royaume de France se répartit entre le souverain et les
seigneurs. Le domaine royal est d’environ 200 000 ha sous Saint Louis
(Louis IX, r. 1226-1270), à peine plus en 1789 ; le domaine seigneurial
d’environ 700 000 ha. À partir des XIIe et XIIIe siècles, l’Église devient
également un riche propriétaire terrien et forestier : on estime qu’à la
Révolution française, 800 000 ha de forêts ecclésiastiques sont nationalisés.
Enfin, la propriété forestière communale se développe à partir du
XVIe siècle : elle est ainsi de 1 500 000 ha en 178927.
Les origines de l’administration forestière en Lorraine sont fort obscures :
comme il est fait mention d’ordonnances forestières dès le commencement
du VIIe siècle, on peut conjecturer que, dès cette époque, les ducs songent à
organiser cette partie importante de leur domaine. « On ne peut cependant
rien préciser à cet égard, parce que les textes anciens ne nous sont pas
parvenus28. » Toutefois, dans toutes les justices rurales, à côté du maire et
des échevins, du doyen et du banvard (le gardien du ban, c’est-à-dire des
droits du seigneur), « on trouve le forestier, qui cumule quelquefois les
fonctions du maire29 ». Ce forestier des anciennes justices est choisi tantôt
par les habitants, tantôt par le seigneur, ou encore au moyen de
combinaisons diverses ; quel que soit son mode de création, « il a autorité
sur l’ensemble des propriétés du ban, et ses attributions ne consistent que
dans la constatation des délits ; très souvent, il y a concurrence entre lui et
le banvard ou messier30 », messier étant encore un autre terme pour
désigner un agent du seigneur. D’ordinaire, il est à la fois l’homme du
seigneur et celui de la communauté, surveillant les forêts de l’un et de
l’autre. Les forestiers des justices rurales peuvent être considérés comme les
premiers représentants d’une administration forestière dans notre pays.
Beaucoup de seigneuries, même importantes par leur superficie boisée,
n’ont jamais eu d’organisation forestière plus compliquée. Et cependant, ces
membres des anciennes justices ne répondent pas à tous les besoins d’une
administration complète : simples gardes, ils ne s’occupent que de la
répression des délits et la gestion proprement dite leur est étrangère. De
plus, comme leur compétence est bornée à l’étendue du ban ou finage, les
massifs considérables qui constituent souvent des bans à part, sans relation
nécessaire avec les communautés voisines, échappent à leur action. Aussi, à
côté de la justice rurale, les grands propriétaires laïques et ecclésiastiques,
les maisons religieuses de la montagne instituent de bonne heure, non
seulement des gardes spéciaux pour leurs forêts, mais encore toute une
hiérarchie d’officiers supérieurs chargés de la gestion forestière. Le duc de
Lorraine, comme le plus grand propriétaire, leur avait sans doute donné
l’exemple. À chaque stade de son ascension politique, de suzerain à
souverain, à l’issue de la période féodale, le pouvoir royal comme le
pouvoir ducal codifient un certain nombre de règles de gestion de la forêt,
qu’elles concernent les plans technique, juridique ou administratif.
Au-dessous des bailliages, véritables provinces qui divisent la Lorraine,
l’unité administrative est la prévôté. Le prévôt est essentiellement le chef de
la haute justice locale ; à côté de lui, le capitaine est le chef militaire et le
receveur s’occupe de la partie financière. Mais ces trois offices sont
rarement distincts dans le même lieu : parfois le capitaine et le prévôt ne
font qu’un ; ailleurs, le capitaine ou le prévôt cumule les fonctions du
receveur. La gestion des forêts, considérée comme dépendant des finances,
peut donc appartenir à un prévôt ou à un capitaine, plus fréquemment à un
receveur. Toutefois, dès le XIVe siècle, apparaît un officier spécial, le gruyer
– de l’allemand grün, « vert » –, dont l’origine est sans doute antérieure, et
qui, à partir de cette époque, s’occupe exclusivement des forêts. Il n’y aura
jamais cependant autant de grueries que de prévôtés, et, dans les contrées
où les bois ont moins d’importance, le receveur conserve l’intégralité de la
gestion du domaine ; il prend alors le double titre de receveur gruyer et a
sous ses ordres les officiers ordinaires des grueries. Dans chaque gruerie on
trouve, à côté du gruyer, un contrôleur et un arpenteur. Le gruyer est le chef
du service, comme le rappelle une ordonnance du 16 novembre 1340 dans
laquelle « le duc Raoul fait défense aux gouverneurs des salines d’abattre
des bois sans les officiers de gruerie31 ». Le gruyer est un administrateur. Il
a l’initiative et l’exécution de tous les actes qui intéressent la forêt et qui
sont fréquemment énumérés dans les ordonnances : martelage des coupes,
ventes et délivrances, surveillance des gardes et visites régulières. Le gruyer
est également un comptable. Il reçoit les deniers provenant des revenus du
domaine et paie les dépenses autorisées. Chaque année, son compte de
gestion énumère les différentes opérations auxquelles il a pris part, expose
la situation de chaque forêt, les délits, le résultat des ventes, donne enfin la
balance des sommes perçues et versées. Pour ces deux missions, le gruyer
n’agit jamais seul : à ses côtés, dès le commencement du XVIe siècle, existe
un autre officier, le contrôleur, dont le titre indique bien les fonctions. Le
contrôleur n’administre pas, n’effectue ni recette ni dépense. Il participe
cependant nécessairement à tous les actes d’administration et la
comptabilité n’est régulière que s’il l’a certifiée. C’est ainsi qu’il assiste aux
balivages, avec son marteau spécial : au gruyer appartient le choix des
arbres, la direction de l’opération, la marque principale faite à la racine ; le
contrôleur se borne à frapper de son marteau le corps de chaque pièce ainsi
désignée. Il accompagne de même le gruyer aux deux visitations annuelles,
et doit se trouver aux ventes. Le contrôleur dresse aussi son compte de
contrôle, reprenant les mêmes articles que celui du gruyer, et atteste de
quelle manière les faits se sont réellement passés. Dans l’ordre
hiérarchique, le contrôleur a le grade le moins élevé : ses gages sont moitié
moindres que ceux du gruyer qui d’habitude est choisi parmi les anciens
contrôleurs pour remplir par avancement la charge de la gruerie. Mais dans
le service, le contrôleur n’est nullement un subordonné : il agit à côté du
gruyer et ne dépend que de leur supérieur commun. Enfin, il existe un
troisième officier, l’arpenteur juré, dont le titre indique la fonction spéciale.
Si les gruyers sont souvent d’anciens contrôleurs, ou des receveurs du
domaine, les contrôleurs eux-mêmes sont choisis parmi les habitants du
lieu, des tabellions par exemple ; les traditions administratives peuvent ainsi
se transmettre, et la forêt gagne certainement à cette stabilité des agents
chargés de sa gestion. Les gruyers ont un chef, le grand gruyer, dont la
charge importante est confiée à un membre de la noblesse qui appartient
presque toujours à la cour ducale par d’autres fonctions honorifiques. Dès
1464, on trouve un grand gruyer pour la Lorraine et dès 1550 pour le
Barrois. Ces deux grands gruyers remplissent essentiellement des charges
judiciaires, et reçoivent le serment des officiers et gardes. Toutefois, ils font
parfois aussi des visitations, par eux ou leurs lieutenants, et vérifient ainsi la
gestion des gruyers. Ils ont pour mission principale de veiller à la
conservation du sol domanial en réprimant les anticipations. Alors,
l’arpenteur général les accompagne pour faciliter l’application sur le terrain
des titres de concession.
Il existe enfin une dernière catégorie d’agents : les commissaires
extraordinaires de la Chambre des comptes, dont les attributions forestières
sont toutes différentes. Ils n’ont que des missions temporaires, dans un but
nettement déterminé : établir un règlement pour une forêt ou pour une
gruerie, décider une coupe extraordinaire importante, etc. La Chambre des
comptes délègue alors un ou plusieurs commissaires pour aller sur les lieux
et produire un rapport sur la question. Ces commissaires sont souvent des
membres de la Chambre elle-même, ou le grand gruyer en exercice avec un
gruyer particulier. Parfois encore, ils sont choisis parmi des fonctionnaires :
receveur du domaine, maître de la monnaie, mais que leurs connaissances
spéciales imposent. Ces commissaires procèdent à leur enquête, assistés des
officiers locaux, ils préparent un projet de règlement ou de décision, discuté
devant la Chambre, pour être ensuite revêtu de la sanction ducale. Les
règlements ainsi élaborés forment dès lors « la loi de la forêt que le gruyer
est chargé d’appliquer, et qu’il transcrit en tête de ses comptes annuels32 ».
En résumé, toute cette hiérarchie du XVIe siècle aboutit à la Chambre des
comptes, un des grands corps de l’État ducal, qui détient la haute gestion du
domaine ducal, très important en Lorraine, et d’où se tirent les revenus les
plus considérables du souverain. Elle administre, elle juge, elle légifère, ses
membres constituent un petit parlement. Ils ont la haute main sur tous les
officiers, et notamment sur ceux des Forêts. La Chambre des comptes de
Lorraine est aussi ancienne que le pouvoir ducal lui-même33. Enfin, à côté
de ces officiers, la gruerie comprend également un personnel subalterne en
nombre variable selon l’étendue de la circonscription, composé des gardes à
cheval et des sergents gardes à pied, qui assurent les missions de
surveillance et de constat des délits. Leur nomination relève de la
compétence exclusive du supérieur hiérarchique des gruyers : le grand
gruyer.

La marche vers la centralisation administrative


Par l’ordonnance de Brunoy du 29 mai 1346, le roi de France Philippe VI
de Valois décide de ne plus accorder de droits d’usage dans les forêts du
domaine royal : « le Roy n’accordera à l’avenir aucun usage dans ses
forests » (article 19). Il prescrit que :
des agents des Eaux et Forêts soient tenus de temps en temps de visiter tous les espaces
boisés, d’y enquêter et de les faire exploiter, afin qu’ils se puissent perpétuellement soustraire
en bon état34.

Mais peu à peu, parallèlement à l’individualisation de services forestiers


destinés à la gestion du domaine royal, il y a formulation progressive de
règles de gestion qui s’imposent à tous les propriétaires, au nom de l’intérêt
public – et donc de la conservation du patrimoine – : par exemple,
l’interdiction de défricher les bois à moins de 6 lieues de la Seine et de ses
affluents, imposée aux propriétaires particuliers (ordonnance de 1520) ;
l’obligation de constituer une « réserve » de 30 baliveaux par hectare et
d’un tiers de la superficie pour croître en futaie (ordonnance de 1597). Avec
Louis XIV et Colbert, la législation forestière entre dans une nouvelle phase
centralisatrice. Quand François Ier édicte l’ordonnance de mars 1515 portant
règlement général des chasses et des forêts, il se place dans le cadre de
l’affirmation du pouvoir royal, s’appropriant les forêts par le biais de la
chasse. L’ordonnance du 13 août 1669, prise par Louis XIV sur le rapport
de Colbert, constitue quant à elle la première grande loi sur la forêt. La
troisième partie de cette ordonnance, la plus importante politiquement,
précise, encore plus clairement que celle de mars 1515, la mainmise du
service royal sur le contrôle des forêts ecclésiastiques, des paroisses, des
communautés et même des bois des particuliers, avec un droit de visite
permanent et certaines contraintes ayant trait, par exemple, à la
réglementation du nombre de réserves à maintenir, tant pour les taillis que
les futaies, les âges des coupes, la vente des bois. Surtout, avec cette
ordonnance, les forêts sont véritablement perçues comme une ressource
imposant une organisation et des règles de gestion et d’exploitation
particulières, que l’on qualifie encore de nos jours de « régime forestier »
qui peut être défini comme un ensemble de règles spéciales de gestion,
d’exploitation et de police des forêts publiques. Le terme de « régime
forestier » est apparu sous ce nom en France, où il n’a cependant jamais été
défini par un texte juridique. Aujourd’hui, les forêts « relevant du régime
forestier » sont astreintes à un régime obligatoire de planification de leur
gestion par un aménagement forestier garantissant une gestion durable qui
intègre les interventions directement liées à la gestion courante (interdiction
de coupes, limitation du passage des véhicules…).
En fonction de la qualité de leur propriétaire, se distinguent plusieurs
catégories de forêts qui relèvent donc d’un héritage de l’histoire. Certaines
sont domaniales et appartiennent au duc de Lorraine. Elles relèvent alors
exclusivement de la gruerie. D’autres sont patrimoniales et relèvent de
modalités d’organisation et de gestion particulières, notamment celles
affectées aux salines et les bois réservés à la Marine royale, qui supportent
un droit de regard important de la gruerie, similaire au système du « régime
forestier » contemporain. Parmi les forêts patrimoniales, distinguons enfin
celles des communautés laïques et religieuses de celles des seigneurs et des
particuliers.
Un grand office des forêts dans le comté de Bourgogne
Pierre Gresser
C’est aux environs de l’an mil que naît le comté de Bourgogne qui, en
1032, devient une principauté du Saint-Empire romain germanique. Or,
particularité de son histoire médiévale, à deux reprises au bas Moyen Âge
(1330-1361 et 1384-1477) elle a pour princes les ducs de Bourgogne. Cette
double union bourguignonne se traduit par bien des conséquences pour les
Comtois parmi lesquelles une forte influence administrative. C’est ainsi
qu’est créé un grand office, la gruerie, à l’instar de celui qui existait à
l’ouest de la Saône.
Résumer son histoire, c’est rappeler ses origines, son développement
contrasté, définir les cadres administratifs et naturels dans lesquels elle
évolua. Mais c’est aussi présenter le personnel qui en assura le bon
fonctionnement. Quant aux domaines qui relevaient de sa compétence, ils
soulignent d’inévitables différences avec la Bourgogne ducale, tout en
montrant les limites de la centralisation voulue par les ducs-comtes valois
de 1384-1477.

Origines, essor et cadres


Grâce à la conservation d’une remarquable série de 116 comptes de
gruerie et d’autres registres financiers portant sur le domaine comtal,
l’histoire de l’institution a donné lieu à une étude dans laquelle nous
emprunterons une partie de notre propos35. Mais le nouvel office du comté,
créé dans le prolongement de celui du duché, ne saurait être détaché d’un
mouvement plus large. En effet, dans bon nombre de régions et comme
nous venons de le voir en Lorraine, dès la fin du XIIIe siècle apparaissent des
structures destinées à mieux administrer et gérer les eaux et forêts.
Dans le duché de Bourgogne, c’est au cours de la première moitié du
XIVe siècle que la gruerie fait son apparition et s’impose lentement à partir
de 1313, date du premier gruyer Jean d’Oliferne. Avant cette date, le duc
contrôlait les forêts qui relevaient des châtelains. Pendant plusieurs
décennies les gruyers ont du mal à s’imposer. Pour Jean Richard, c’est avec
Geoffroy Laurent d’Aignay, institué en 1337, que le gruyer du duché paraît
contrôler toute l’administration des eaux et forêts. Mais le même auteur de
préciser qu’en 1347, Eudes IV transforme la gruerie « en un grand office
héréditaire, en faveur de Renaud de Gerland, qui aurait transmis à ses
héritiers le gouvernement des forêts, bois, étangs et rivières du
domaine36… ». En fait, en 1349 à la mort de Renaud, ses enfants étant
mineurs, l’office revient successivement à deux autres gruyers avant
Geoffroy de Blaisy (1352-1360) donnant à l’institution une impulsion
remarquable37.
À l’est de la Saône, même si aucun texte ne le prouve explicitement, tout
incite à penser que la gruerie apparaît à l’instigation du premier duc-comte
de Bourgogne (Eudes IV, 1330-1349). Le 2 décembre 1336, Huguenin de
Bannans rend compte de sa comptabilité de gruyer pour l’exercice du
25 mars 1335 au 30 novembre 1336, cette chronologie prouvant qu’il était
déjà en fonction en 1335. Après lui, la succession des gruyers révèle une
hésitation entre une direction unique et une responsabilité dédoublée :
unique avec Perrenot de Grozon (1337 ?), dédoublée sous Nicolas de
Florence (1338-1340 : bailliage d’Amont) et Jacquet Bergeret (1338 :
bailliage d’Aval) ; unique sous Nicolas de Florence jusqu’en 1349 et
Richard de la Loige (1353-1361) ; à nouveau dédoublée en 1361 (Jean de
Bonnay : bailliage d’Amont) et 1361-1362 (Aubert de Plaine : baillage
d’Aval). Il est remarquable que la chronologie des décennies d’affirmation
de l’office soit la même de part et d’autre de la Saône.
Passé le milieu du XIVe siècle, la gruerie du comté de Bourgogne se
développe indépendamment des crises : début du Petit Âge glaciaire, crise
économique, guerre de Cent Ans dont les Compagnies qui sévirent à partir
de 1360, Écorcheurs après 1435… En revanche, à partir des guerres de
Bourgogne et de la mort du Téméraire, le ciel s’assombrit et l’orage éclate.
Aucun compte de gruerie n’est élaboré du 30 septembre 1474 au 1er janvier
1479 (coupure de cinq ans). Il en est de même pour le trésorier de Vesoul,
responsable de la comptabilité de la gruerie du baillage d’Amont : aucun
registre ordinaire du 30 septembre 1475 au 1er octobre 1480. Un historique
détaillé devrait prendre en compte le changement du personnel et surtout un
effondrement des revenus à la suite de l’aliénation du domaine par
Louis XI38. Au total, une grave secousse mais pas une rupture, puisque la
gruerie continue d’exister jusqu’à la conquête française par Louis XIV et
l’introduction du régime de l’ordonnance de 1669, par un édit d’août 1692.
Comme pour les eaux courantes et surtout stagnantes (les étangs), le
ressort forestier de la gruerie évolue au cours du siècle et demi de son
histoire médiévale. Mais, avant les hommes, priorité à la nature. La carte de
localisation des seigneuries boisées révèle qu’à l’exception d’Ornans,
Montrond, Monnet et Orgelet sur la chaîne jurassienne, toutes les autres
localités sont au bord (Salins, Arbois, Poligny et Voiteur) ou à l’ouest du
Jura. Cela explique que les arbres étaient tous des feuillus. À la différence
du duché, il est impossible de calculer les superficies boisées, mais il est
évident que d’une châtellenie à l’autre, grandes étaient les différences.
Se jouant du relief, c’est à partir du XIVe siècle que le domaine comtal est
structuré en deux puis trois bailliages se confondant en deux trésoreries. Au
nord, le bailliage d’Amont : trésorerie de Vesoul ; au centre et au sud,
bailliage d’Aval, avec en plus celui de Dole en 1422 : trésorerie de Dole
dans les deux cas. Cette centralisation n’empêche pas l’existence de
châtellenies qui rendent leur comptabilité directement à la Chambre des
comptes à Dijon. Parmi elles, certaines ont dans leurs recettes un poste de
gruerie : Faucogney, dans le bailliage d’Amont ; Orgelet dans le bailliage
d’Aval (voir Figure 1).

Un personnel spécialisé
Ayant presque toujours à sa tête un seul gruyer, l’office se dote d’un
personnel spécialisé. Or, dans ce domaine, grande est la différence entre les
deux principautés bourguignonnes. Dans le duché, à partir de Geoffroy de
Blaisy (1352-1360), c’est une centaine de personnes qui est placée sous
l’autorité du gruyer, et Frédéric Amblard d’énumérer 1 maître arpenteur,
9 maîtres forestiers, 85 forestiers et gardes des étangs. En outre, ajoutons
2 vendeurs à gages, 1 louvier, le clerc du gruyer et des commis. La
documentation a même permis de dresser la répartition des différents
acteurs bailliage par bailliage39. Mais tout autre est la situation sur les terres
comtoises.
Comme nous l’avons dit précédemment et de manière fort semblable au
duché, au XIVe siècle le comté connaît l’existence d’un ou deux gruyers,
preuve d’une hésitation administrative. Mais, sous les ducs-comtes valois
(1384-1404), un seul homme se trouve à la tête de l’institution comtoise. Si
les officiers antérieurs à 1384 sont de véritables professionnels, des
hommes de terroir, les seconds se soucient moins des eaux et forêts
comtales : ils reçoivent l’office parmi d’autres charges. Au total, entre 23 et
26 officiers œuvrent de 1335 à 1469. De ces hommes nous savons quelles
étaient leurs origines géographiques : la Comté dans la grande majorité des
cas. Certes, Nicolas de Florence renvoie à une origine italienne. Mais en
dehors de Girard Denisot (1397-1402), qui proviendrait des environs de
Langres, et de Jean Gaude de Chalon (1402-1404), les maîtres de l’office
sont comtois. Soulignons qu’il n’y a pas là une originalité, car les ducs-
comtes de Bourgogne valois recrutent essentiellement sur place le personnel
qu’ils utilisent dans leurs deux principautés.
Figure 1 : La gruerie en comté dans la première moitié du XVe s.

Socialement, plus de la moitié des gruyers sont des nobles, André de


Toulongeon (1422-1432), Pierre de Vaudrey (1432-1448) et Philippe de
Vaudrey (1469 ?) faisant même partie de la haute noblesse. Ce sont les
princes ou princesses qui choisissent les responsables de l’office, tout du
moins à partir de 1361, et qui peuvent les révoquer quand ils le désirent. À
la mort des ducs-comtes de Bourgogne, les gruyers conservent
provisoirement leurs fonctions en attendant une confirmation de leurs
tâches. Entre leur désignation et leur entrée en fonction s’écoule un temps
plus ou moins long. Le poste des dépenses des comptes de gruerie permet
de suivre leur rémunération, modeste si on la compare à d’autres membres
de l’administration princière. Sans parler du chancelier (plusieurs milliers
de livres par an), dans la seconde moitié du XIVe siècle le gruyer perçoit
40 livres estevenantes (monnaie de compte du comté de Bourgogne) par an
et la moitié quand la fonction est partagée entre deux officiers, c’est-à-dire
des sommes proches de celles des châtelains. À partir de 1384 il reçoit
60 livres. Quant à leur activité, elle ne se limite pas toujours aux eaux et
forêts, car on la trouve citée parfois avec d’autres responsabilités : militaires
par exemple.
Dans la mesure où les gouverneurs assument les mêmes fonctions que les
gruyers, il paraît logique de les placer en tête des officiers qui participent au
fonctionnement de l’office, avant les lieutenants généraux et les procureurs.
Mais, à la différence de ces derniers, leur existence est ponctuelle. Le
22 avril 1402, Philippe le Hardi nomme Jean Gaude gruyer à la place de
Girard Denisot. Puis, le 13 juin, le prince autorise son nouveau responsable
des Eaux et Forêts à se faire remplacer pendant deux ans. Pour accomplir la
décision comtale, le gouverneur du comté de Bourgogne institue Humbert
Bonami d’Augerans (lieutenant général du gruyer) gouverneur de la
gruerie, fonction qu’il assume jusqu’en mai 1404. Plus tardivement, la mort
du gruyer Pierre de Vaudrey explique la nomination de Louis Morel, en
1450, à la place de l’officier décédé, en attendant qu’un des enfants du
défunt succède à son père. Ce principe de l’hérédité de l’office vaut à Louis
d’être gouverneur de la gruerie de 1450 à 1458, Philippe de Vaudrey
n’accédant aux responsabilités paternelles que l’année suivante. Même s’ils
ne sont pas à la charge financière de la gruerie, les lieutenants généraux ne
sauraient être occultés. Alors que les lieutenants apparaissent à partir de
1353, il faut attendre 1373-1374 pour relever Jean Carondelet porteur de ce
titre, que l’on suit pendant une partie du XVe siècle. En 1427, la nomination
de Jacquot Vurry comme receveur et procureur de la gruerie par Philippe le
Bon reproduit dans la Comté ce qui existe dans le duché. En tant que
receveur, l’officier encaisse les revenus de l’office et en rend compte
chaque année à la Chambre des comptes à Dijon. En tant que procureur, il a
la charge de l’entretien des étangs, participe aux jours de justice et procès
relevant du gruyer, ordonne les enquêtes nécessaires pour le bon
fonctionnement de l’institution. Jacquot Vurry, appelé « procureur et
receveur » à partir de 1428, cède son poste à son fils Jean dix ans plus tard.
Ce dernier assume sa fonction jusqu’en 1447 vraisemblablement, puis
Henri Vincent (1447-1461), Jean Hugonnart (1461-1467) et Jean Druet
(1467-1469) se succèdent avec régularité. Le procureur de la gruerie ne
disparaît pas avec la mort du Téméraire, Jean de Morans occupant ce poste
de 1479 à 1490.
De la première moitié du XIVe siècle jusqu’à la souveraineté française
(1477-1493), l’histoire des receveurs de l’office se divise en deux périodes
distinctes. Alors que depuis les origines jusqu’à 1384 les gruyers assument
la tâche de receveurs, à partir de Philippe le Hardi (1384-1404) ces derniers
deviennent des personnages différents. C’est vraisemblablement parce que
l’institution est naissante que dès Huguenin de Bannans les gruyers ont la
charge de la comptabilité. Après les années de formation (1335-1349),
l’essor de la gruerie dans la seconde moitié du XIVe siècle ne change rien à
l’affaire, tout du moins jusqu’en 1364. L’existence de deux officiers pose la
question de savoir qui fut receveur dans le baillage d’Amont. Sous les ducs-
comtes valois, la situation évolue en se clarifiant. Dans la trésorerie de
Dole, aucun des gruyers n’est receveur. Dans la trésorerie de Vesoul, ce sont
les trésoriers qui intègrent dans leur comptabilité ordinaire celle de la
gruerie, sauf de 1428 à 1441 où elle revient aux trésoriers dolois. À ce
schéma général il convient d’ajouter des exceptions. Première d’entre elles :
les recettes des châtellenies de Gray et d’Apremont qui, en 1375, cessent de
relever du trésorier de Vesoul pour revenir au trésorier de Dole. De 1400 à
1468, les six receveurs des deux seigneuries établissent les recettes et les
dépenses des rivières, étangs et bois pour les remettre aux receveurs de la
gruerie, afin qu’elles soient incorporées dans leur comptabilité spécifique.
Quant à la seconde, elle découle de l’existence des châtellenies autonomes
qui ne passent pas par l’intermédiaire des trésoreries de Dole et de Vesoul
pour rendre leur comptabilité à la Chambre des comptes de Dijon, mais le
font directement. Tel est le cas de Faucogney-et-la-Mer, d’Orgelet et de
Monnet.

Administration et gestion des forêts comtales


Responsables de l’administration et de la gestion des eaux et forêts, les
gruyers nous ont laissé la preuve de leurs actions dans la comptabilité dès la
première moitié du XIVe siècle. À intervalles irréguliers, les gruyers font
inspecter les forêts ou se déplacent eux-mêmes pour connaître l’état de la
sylve comtale. Sous Marguerite de France, le compte du 29 septembre 1372
au 29 septembre 1373 en contient deux exemples. D’une part, Jehanin
Quarondelet et Oudat de Brans se rendent dans la forêt de Vaivres (à l’ouest
de Poligny) pour y constater les dommages commis. D’autre part, Estevenin
Vurry accompagné de quatre hommes gagne la forêt de Vernois (à l’ouest
de Voiteur) en vain, car aucun méfait n’est constaté. Au retour, ils
inspectent la forêt de Mouchard. Ces cas, très ciblés, ne sauraient occulter
les inspections plus larges. Toujours sous la même comtesse de Bourgogne,
le registre du 8 décembre 1373 au 2 décembre 1374 cite le gruyer, Jean
Quarondelet, le lieutenant général du gruyer, le Gaigneur de « Gevrey »
(Gevry), le forestier Brullefert, qui pendant huit jours parcourent les forêts
d’Ornans, Quingey, Fraisans, Arbois et Poligny car d’aucuns « les
destruoient » (détruisaient).
À en juger par les premiers comptes de la seconde moitié du XIVe siècle, la
gruerie a des sources de revenus forestiers diversifiés : « pesnaige »
(paisson), vanniers, amendes des bois banaux, vente de bois, conduite. En
fait, cette liste ne reste pas inchangée jusqu’à la fin du XVe siècle et nous
n’évoquerons que les postes les plus importants par ordre de croissance de
leurs recettes. Comme toutes les autres forêts, celles des comtes et
comtesses ont pour utilité première de fournir du bois d’œuvre et du
combustible. La comptabilité de la gruerie est moins généreuse dans ce
domaine que pour le « pesnage » et les « amendes des bois banaux ». Mais
tout le couvert forestier ne relève pas de l’office. Une vision d’ensemble
révèle que les dons sont fort variables d’un prince à l’autre, Marguerite de
France étant la plus généreuse en la matière. Pendant son principat, c’est au
total 5 723 chênes qui sont délivrés gratuitement, sans que l’on en connaisse
la grosseur. Un tel nombre s’explique par le contexte particulièrement
difficile de l’histoire comtoise pendant la seconde moitié du XIVe siècle40,
évoqué précédemment à propos de l’essor et du déclin de l’office. Quant
aux ventes, leur examen montre que les acheteurs sont d’une grande
diversité : parfois des villageois contraints de reconstruire leur maison à la
suite d’opérations armées ; des professionnels à la recherche de la matière
première indispensable à l’exercice de leur métier. Parmi ces derniers,
signalons les vanniers proches de la forêt de Chaux qui n’ont pas besoin de
troncs pour fabriquer leurs corbeilles, mais aussi des artisans produisant de
la vaisselle en bois. Au sein des acheteurs, les sujets désireux d’acquérir du
bois de chauffage forment un ensemble très ouvert. Il suffit de penser aux
activités comme la métallurgie, les fours à chaux ou à poix, les tuileries, la
fabrique des briques, les poteries et verreries. Mais de toutes les entreprises,
celles qui consomment le plus de bois sont les trois salines de Salins,
comme nous l’avons vu plus haut. Leur approvisionnement en
« chevasses » (bûches calibrées) nécessite une administration particulière,
sous la responsabilité du trésorier de Salins41.
Parmi les responsabilités forestières de la gruerie, le « pesnaige » est si
important qu’il forme un poste des recettes de la comptabilité. La
signification du terme ne fait pas l’unanimité chez les auteurs qui ont
abordé ce sujet. En 1893, Auguste Coulon dans sa thèse établit une
distinction entre le « panage », droit d’envoyer les porcs dans les forêts, et
la « glandée », possibilité de cueillir des glands et des faînes. En 1974, à
partir des comptes de gruerie du duché de Bourgogne, Marie-Thérèse
Santiard conclut que glandée, panage et paisson sont « trois termes
pratiquement interchangeables, et évoquent une même réalité : l’envoi des
porcs pour y consommer les glands (et aussi les faînes), qui forment
l’essentiel de leur alimentation ». En ce qui concerne le comté de
Bourgogne, si les termes « pesnaige », « pesnege », « paisson », « pesson »
traitent de l’envoi des porcs dans les bois pour s’y nourrir, le poste
détaillant cette pratique est systématiquement libellé « pesnaige ». Le
registre du 3 décembre 1358 au 2 décembre 1359 contient la précision
précieuse « pas de pesnaige car pas de pesson », incitant à définir le
premier mot comme la redevance perçue sur les porcs qui gagnent les
frondaisons. Dans le compte de Nicolas de Florence du 12 juillet 1338 au
25 décembre 1340, se relèvent les premiers renseignements sur le
« pesnaige ». Ensuite la mention continue d’apparaître avec des lacunes
liées à la perte des documents, jusqu’en 1489-1490. Pendant tout le bas
Moyen Âge, le nombre des forêts ouvertes aux porcs à l’automne varie,
augmentant et parfois diminuant, comme l’ensemble des composantes du
domaine comtal. En règle générale, la paisson commence à la Saint-Michel
(29 septembre), mais parfois avant cette date. Fréquemment elle s’achève le
30 novembre, pour la Saint-André. Quelques dates tardives (Pâques) posent
la question d’une « arrière-paisson », affirmée par certains auteurs (22 mars
au 25 avril). C’est le gruyer qui donne l’accord aux paysans pour engraisser
leurs porcs des fruits des arbres. Dans l’immense majorité des cas, il s’agit
de villageois vivant à proximité des espaces boisés. Mais à ces riverains il
convient d’ajouter ceux qui font de nombreux kilomètres avec leurs
troupeaux, leur déplacement s’effectuant en fonction d’itinéraires que l’on
aimerait connaître. Il est impossible de savoir exactement le nombre de
porcs soumis au « pesnaige ». Pour certaines forêts, seuls les revenus sont
relevés, les rôles contenant les détails étant perdus. Il y a en plus les
particuliers, voire les communautés, exemptés de la redevance. Malgré ces
réserves, les calculs font apparaître de grandes différences d’une année à
l’autre. Quant à la tarification, elle varie en fonction de la grosseur des
animaux : 6 deniers pour un porc « d’aluchage » (pourceau) ; 12 deniers
pour un porc « d’amas » adulte. Mais la « paisson » est également amodiée.
Pendant tout le bas Moyen Âge, la « paisson » et le « pesnaige » forment
une des deux principales ressources forestières dépendant de l’office.
Avec le « pesnaige », l’autre poste des recettes forestières de la
comptabilité renferme les résultats de l’action judiciaire des gruyers. En
effet, de 1338 à 1490, la justice est une fonction majeure de la gruerie, qui
est rendue dans le cadre des jours de justice tenus par les titulaires de
l’office ou leurs lieutenants. Mais ce qui frappe le plus, c’est la
disproportion existant entre les fautes (« mesus ») commises dans les bois et
celles qui relèvent des eaux, c’est-à-dire essentiellement des étangs. Cette
différence quantitative s’explique par le fait qu’en superficie, les forêts
étaient beaucoup plus importantes que l’eau en amont des chaussées. Mais
nous ne saurions exclure le fait qu’il est plus facile de sortir subrepticement
un poisson d’un étang, qu’un chêne d’un bois comtal. Cet aspect étant traité
au sein de cet ouvrage, nous nous permettons d’y renvoyer le lecteur.
Comme bien d’autres comptabilités médiévales, celle de la gruerie est
structurée en deux parties : les recettes et les « missions » (dépenses). Elle
permet donc de calculer ce que rapportent les forêts et ce que coûtent leur
administration et leur gestion, ce second aspect n’étant pas évident à mettre
en valeur dans la mesure où certains officiers œuvrent en même temps pour
les eaux et les bois. Par exemple, le même juge prononce le même jour au
même endroit les sanctions contre les braconniers aquatiques et forestiers.
Nous nous sommes employé à chiffrer le montant des ressources pour le
XIVe siècle : les amendes rapportent 4 670 livres estevenantes ; le
« pesnaige » 3 562 livres estevenantes ; les ventes du bois 2 403 livres
estevenantes ; la vannerie, « conduite » (droit d’accès), affouage et divers,
763 livres estevenantes. Cela donne un total de 11 398 livres estevenantes42.
Retenons cependant la grande variabilité due à des facteurs multiples. Mais,
plus que sa participation modeste aux recettes princières, l’existence de la
gruerie nous paraît l’expression d’une prise de conscience que la sylve
mérite un traitement spécifique, même si nulle part nous n’avons trouvé
trace d’une véritable sylviculture dans les registres financiers de l’office.
Braconniers et voleurs de bois :
les mesusants forestiers
Pierre Gresser
La Franche-Comté se caractérise, pendant tout le Moyen Âge, par
l’importance de son couvert forestier. Composés de feuillus et de résineux,
les bois sont la propriété de laïcs et d’ecclésiastiques, tous définissant des
règles d’accès fort variées aux frondaisons, dont les chartes de franchises
sont en partie les témoins43. Sachant que les revenus des forêts, pour
l’essentiel, se trouvent regroupés en deux postes, les « pesnaige » et les
amendes des bois banaux, c’est à partir des centaines de feuillets rassemblés
sous ce dernier titre que l’historien peut présenter une problématique des
délinquants forestiers du comté de Bourgogne aux deux derniers siècles
médiévaux.

Les rouages judiciaires


Au cours de la période envisagée, la seconde union bourguignonne a des
conséquences positives sur la rédaction du déroulement des « jours de
justice ». Jusqu’à l’avènement de Philippe le Hardi comme comte de
Bourgogne en 1384, c’est en vain que l’on chercherait les dates des
jugements et tous les officiers qui condamnent les fautifs. Cependant,
exception confirmant la règle, les gruyers sont parfois cités. De 1384 à
1477, si les responsables de l’office n’assument pas en permanence leur
fonction judiciaire, leurs remplaçants sont explicitement nommés. Par
conséquent, pendant près d’un siècle, la justice apparaît à travers les lieux
où elle est rendue, les dates des jugements, les juges, les noms des
« mesusants », leurs délits et les amendes qui leur sont infligées.
Parmi les informations dont on dispose pour retracer l’histoire de la
justice de la gruerie aux XIVe et XVe siècles, la localisation des « jours » est
la mieux documentée, après les années de gestation de l’office dans la
première moitié du XIVe siècle. Dès le compte du gruyer Richard de la Loige
du 29 septembre 1353 au 29 septembre 1354 apparaît un poste « Amendes
des bois banaux », qui les énumère à Gray, Montmirey, Orchamps, Dole, La
Loye, Poligny et Santans. Et l’on pourrait poursuivre la liste des localités
concernées, ce qui retracerait l’évolution du ressort de l’office jusqu’à la fin
du XVe siècle, sans oublier la trésorerie de Vesoul et les recettes particulières
limitées chacune à une châtellenie.
Au total, ce sont 31 localités où se tiennent les assises, par regroupement
en fonction des trésoreries et des châtellenies particulières : dépendant de
Dole, 20 ; de Vesoul, 5 ; de recettes particulières, 6. La répartition dans
l’espace souligne la rareté des châtellenies comtales sur la chaîne
jurassienne (Ornans, Montrond, Monnet et Orgelet) et la forte concentration
du domaine comtal à l’ouest, sur le rebord des plateaux de Salins à
Montmorot et dans les vallées et les plaines du bas pays : la Saône, entre
l’Ognon et la Loue, Colonne étant dans la Bresse comtoise. Les délinquants
sont jugés dans des villes (Vesoul, Gray, Dole, Salins, Arbois, Poligny), des
bourgs (Orgelet par exemple), mais aussi des villages (La Loye, Santans et
Colonne).
Curieusement, les scribes n’éprouvent pas toujours le besoin de
mentionner les dates auxquelles les « mesusants » sont jugés par les
officiers de la gruerie. Cela explique l’obligation de recourir à la
chronologie des exercices financiers, ce qui n’est pas très précis. Mais,
progressivement, le besoin de savoir quand les gruyers ou leurs
représentants se déplacent s’impose, ce qui permet de suivre les juges dans
l’espace et dans le temps.
S’il ne saurait être question d’énumérer toutes les références
chronologiques des « jours » pendant plus d’un siècle, quelques
observations générales s’imposent néanmoins à leur sujet. Pour des raisons
variées, il n’y a pas d’assises chaque année, cette absence pouvant
concerner une seigneurie, plusieurs et, rarement, l’ensemble du ressort de la
gruerie. Par exemple, du 11 février au 29 août 1370, des 13 sièges cités le
gruyer n’en a « rien adjugé ni reçeu ». Si on laisse de côté des cas de figure
ponctuels, il est certain que deux causes principales justifient parfois ce
vide juridique : les opérations armées et les épidémies. Parmi les premières,
le XIVe siècle fournit un bon exemple de l’impact de la soldatesque sur la
justice. Après le traité de Brétigny de 1360, le comté de Bourgogne subit les
« Compagnies » composées de mercenaires sans solde, pendant une
décennie. Or, tous les comptes de 1359 à 1361 et de 1368 à 1370
mentionnent l’absence d’amendes à cause des guerres ou des Compagnies
de 1363-1364 à 1367-1368. Quant aux épidémies, après la peste noire de
1348-1350, les terres comtoises connaissent toutes une série de récurrences.
Si l’étude n’est pas simple, l’expression « grant mortalitey » incite à voir en
elle une réapparition de la peste en des lieux et à des dates variées. On
comprend que les juges s’abstiennent de se rendre dans les secteurs
contaminés.
À regarder l’ensemble des dates des « jours », elles sont moins fréquentes
au cours de l’hiver que pendant les autres saisons, ce qui paraît normal.
Quant à la fréquence annuelle des assises, à partir du XIVe siècle elle
augmente. Le tableau consacré à la justice dans la trésorerie de Dole de
1428 à 1441 en fournit une bonne illustration (voir Figure 1). En revanche,
à partir de la mort du Téméraire (1477) et la mainmise française sur le
comté de Bourgogne, l’office s’amenuise considérablement.
Figure 1 : Les jours de justice dans la trésorerie de Dole (1428-1441).

Quelle que soit la période envisagée, le déroulement des « jours »


nécessite la présence des braconniers, des témoins des faits, des rapporteurs
et de juges. Du milieu du XIVe siècle jusqu’à Philippe le Hardi, les textes
sont très généreux en mentions des témoins et des rapporteurs. Puis,
curieusement, jusqu’en 1477 c’est le vide total. Par exemple, le compte du
29 septembre 1353 au 29 septembre 1354 contient 54 délits avec les noms
de ceux qui ont constaté les méfaits et des rapporteurs des « mesus ». En
fait, il paraît vraisemblable que témoins et rapporteurs sont les mêmes
personnes, les forestiers se trouvant souvent cités. Parfois, il y a deux
rapporteurs comme en 1353-1354 où à Gray, Jean Bardot de Velesme est
condamné à 15 sous d’amende pour avoir tranché un chêne, cette coupe
illicite ayant été rapportée par Lou Rosselat et Étienne de Velesmes. Alors
que les gruyers ou leurs lieutenants sont parfois les témoins de fautes
commises dans la sylve comtale, leur fonction essentielle consiste à juger
les « mesusants ». Après le compte de 1338 dans lequel le gruyer Jacquet
Bergeret condamne cinq coupables, il faut attendre la seconde union
bourguignonne (1384-1477) pour trouver souvent les responsables de
l’office en tant que juges. Si les gruyers agissent seuls, il leur arrive de se
faire remplacer par leurs lieutenants. Les années où les deux officiers
interviennent individuellement ne sont pas rares.

Quels « mesusants » ?
Si le terme de « mesusant » désigne tout délinquant, sous la plume des
rédacteurs des comptes de gruerie il cible tous ceux qui braconnent dans les
forêts et les eaux. Alors que les premiers sont très nombreux, les seconds
constituent une minorité telle qu’elle se trouve dispersée parmi les
coupables regroupés dans le poste « Amendes des bois banaux »44.
A priori on pourrait penser qu’il suffit de compter les « mesusants »
énumérés dans la comptabilité pour aboutir à un résultat précis par exercice
financier et connaître le total de ceux qui ont commis des délits dans les
forêts comtales. En fait, c’est une mission impossible pour plusieurs
raisons, qui condamnent le médiéviste à une approche non exhaustive de la
réalité. Parmi toutes les causes expliquant notre méconnaissance, il y a
d’abord parfois le silence des textes, soit parce que les forestiers ne trouvent
pas les braconniers en train de commettre leurs délits, soit parce que les
registres énumèrent les amendes mais pas ceux qui en sont la cause. Dans le
premier cas, il est évident que le manque de constat ne signifie pas
l’absence de coupables. Mais il faut joindre aux facteurs responsables de
méconnaître les faits, des événements, comme la météorologie, la peste et la
guerre. En 1398-1399, il n’y a pas de justice du gruyer à Ornans à cause de
la neige. En 1400, c’est « pour cause de mortalité » qu’il en est de même à
Arbois, Fraisans, Gendrey, La Loye, Santans, Orchamps, Ornans et
Quingey. De 1360 à 1370, la présence des routiers rend compte du
dérèglement de la justice à Dole, en 1363-1364, par exemple. En outre, sans
qu’il soit possible de les énumérer, des fluctuations politiques et
administratives complexes justifient les lacunes dans la comptabilité. Il
suffit qu’une châtellenie passe entre les mains d’un seigneur par don
princier pour que la gruerie cesse d’en comptabiliser les revenus. Enfin
demeure la rédaction des textes qui manque parfois de rigueur : combien de
« valets » pris en défaut ? Combien de fils, de filles, d’enfants, voire
d’habitants de tel ou tel village (voir Figure 2) ?
Une étude pointilleuse des amendes enregistrées dans la châtellenie de
Montrond45, sur le plateau du Jura à l’est de Poligny, nous a permis de
dénombrer 1 427 « mesusants » entre 1374-1376 et 1428 (la comptabilité ne
cite plus les détails des « jours » à partir de 1429). De ce nombre
approximatif, nous ne retiendrons que deux caractéristiques. D’une part, il
est l’addition de braconniers quantitativement très variable d’un exercice
financier à l’autre : du 2 décembre 1374 au 24 juin 1376, 3 coupables ; du
1er mai 1422 au 8 mars 1423, 88 fautifs. D’autre part, au cours de la
séquence chronologique documentée, il y a une tendance à l’augmentation
des Comtois qui sont jugés. Il serait intéressant de savoir s’il s’agit d’un
phénomène local ou général. Dans le second cas, quelles en sont les
causes ? La connaissance des braconniers implique la recherche de leurs
lieux d’origine. À ce sujet, les difficultés rencontrées s’inscrivent dans une
problématique qui dépasse le cadre de notre propos. Très souvent, le
prénom et le nom sont suivis d’un toponyme : lieu de naissance du coupable
ou localité de résidence ? Quant aux toponymes, leur identification n’est
pas toujours évidente. C’est donc une recherche de grande ampleur qu’il
faudrait entreprendre pour mesurer les déplacements effectués pour voler du
bois. Le recours à des charrettes est indispensable dans certains cas. Un
regard sur la châtellenie de Montrond a le mérite de localiser ceux qui sont
traduits devant le tribunal de la gruerie. La cartographie des lieux d’origine
des « mesusants » fait ressortir trois localités principales : Crotenay
(189 mentions), Le Pasquier (167) et Champagnole (99). Si les deux
premiers villages jouxtent la forêt de la Faye de Montrond, Champagnole
s’en trouve plus éloigné. Mais il faudrait connaître le couvert forestier aux
XIVe et XVe siècles. Au total, 455 références géographiques de proximité
pour 842 mentions, ce qui paraît logique. En revanche, il est surprenant de
constater que certains sujets viennent depuis Salins, Ivory, Champagny,
Chaux, Moutaine, au nord de la carte, c’est-à-dire à plus d’une dizaine de
kilomètres pour commettre leurs méfaits. Même si elles sont peu
fréquentes, les informations sociales et familiales concernant les
braconniers ne sauraient être négligées, car elles complètent l’approche des
coupables qui comparaissent lors des « jours » de la gruerie. En
commençant par l’opposition entre laïcs et ecclésiastiques, les calculs
soulignent sans surprise la supériorité numérique des premiers par rapport
aux seconds : réciproquement, 59 et 11 pour un modeste comptage de
70 « mesusants » identifiés. Disons de ces derniers qu’il s’agit de 9 prêtres
et curés, 1 prieur et 1 vicaire. Parmi les laïcs, 8 nobles (1 monseigneur,
2 chevaliers et 5 écuyers), 2 détenteurs d’une autorité, 1 maire, 1 sergent.
Suit la longue liste des artisans et autres travailleurs regroupés par ordre
alphabétique : chapuis, charbonnier, charreton, cordier, corvoisier, faivre,
fournier, grangier, maçon, meunier, pêcheur, pelletier, rouhier, serrurier,
vannier. Classons à part un messager et les valets. Mais il convient de
joindre à cette énumération ceux dont la fonction n’est pas évidente à
préciser : bergier, clerc, cuturier, maître.

Figure 2 : Un exemple d’origine des mesusants forestiers en Comté aux XIVe et XVe s.

Au total, il s’agit d’une faible minorité par rapport à tous les


« mesusants » dont on peut affirmer qu’il s’agit de paysans. Certes, cet
inventaire mérite d’être amplifié et nous ne saurions exclure des habitants
des villes responsables de méfaits dans les forêts proches de leurs localités.
Parmi les notations nous permettant de connaître un peu mieux les fautifs,
les liens de parenté ne sont pas sans intérêt : « fils de » signifie
vraisemblablement que le coupable était mineur ; « frère de » ne renvoie
pas au père pour une raison qui nous échappe. Le terme « genre » peut
signifier rejeton (descendant, enfant) mais aussi gendre. Quant aux hoirs
(les héritiers), le substantif est bien connu. Remarquons que les femmes ne
sont pas absentes mais qu’elles demeurent très minoritaires. Le fait que ce
soit le mari qui paie l’amende démontre qu’elles sont mariées. En revanche,
pour des raisons évidentes, les veuves doivent acquitter la peine pécuniaire
prononcée par le juge.

Les délits
Les fautes commises par les braconniers en forêt ne sont pas
systématiquement citées. Mais dans l’immense majorité des cas, les scribes
mentionnent les « mesus » dont on peut faire la typologie avec une relative
précision. Parfois, une certaine imprécision existe quant à la localisation des
fautes et le calcul du nombre de méfaits demeure approximatif.
Même si notre exploitation n’est pas exhaustive, les centaines de données
collectées pour la seconde moitié du XIVe siècle autorisent à dégager des
caractéristiques qui, fort vraisemblablement, ne changent pas pendant le
XVe siècle. Tout du moins on peut le penser, au vu de l’étude exhaustive des
délinquants qui sévissent dans les bois de la châtellenie de Montrond. En
commençant par les délits les plus imprécis, nombreux sont les cas où les
fautifs sont « pris » ou « trouvés » dans la sylve princière, sans que l’on
sache ce qu’ils y faisaient. Pour nous limiter à la décennie 1353-1354 à
1362-1363, c’est au total 69 « mesus » de ce type que contient le poste des
« Amendes des bois banaux », le minimum étant de 3 en 1354-1355 et le
maximum de 27 en 1362-1363. Est-ce le fait que les sujets condamnés n’ont
pas le droit de pénétrer dans les forêts qui explique leur répression ? Il
faudrait connaître le statut juridique des lieux concernés pour répondre, car
il existe des bois banaux (réserves seigneuriales) et des bois communaux.
Toujours est-il que l’on s’attendrait à lire « pris » ou « trouvé » en train de
faire un acte délictueux. Par leur fréquence, les vols de bois l’emportent sur
tous les autres « mesus » jugés par la gruerie. Si la majorité des coupables
est prise in situ, d’autres fautifs se font arrêter alors qu’ils transportent du
bois avec des charrettes, ce qui n’est pas discret. Signalons que parfois le
bois volé est découvert chez le voleur où à proximité de sa maison. Dans la
châtellenie de Poligny est pratiquée la « cerche », c’est-à-dire une recherche
organisée des bois volés46. La coupe des arbres est connue grâce à
l’abondance des renseignements qui les concerne. Les verbes « abattre »,
« couper », « trancher » sont cités 60 fois de 1353-1354 à 1362-1363 sans la
mention des essences. En revanche, 115 fois il s’agit du chêne, 38 fois du
« foul » (hêtre), 4 fois du pommier, 3 fois du poirier, c’est-à-dire des
essences protégées. Par « sauce » tranché sur la chaussée du pont
d’Apremont, il faut comprendre un saule. Le tremble apparaît en 1359-1361
et le « coudre » (coudrier, c’est-à-dire noisetier) en 1363-1364. La
châtellenie de Montrond nous met en présence du charme. La mention de
l’écorce à plusieurs reprises (1354-1355, 1356-1357, 1357-1358…) fait
penser au tanin, c’est-à-dire à cette substance provenant du chêne, entre
autres, et rendant les peaux imputrescibles. Mais les bois n’étaient pas
toujours définis par leur essence. C’est ainsi que les textes citent le bois vif,
bois vieux, le menu bois, le bois mort et le mort-bois. Certains passages
nous incitent à penser que dans l’esprit du rédacteur il n’y a pas toujours
une distinction nette entre le bois sans sève et les essences secondaires. Une
grande inconnue : pas un mot sur la taille des arbres. Le relevé du nom des
pièces de bois ouvragées fait apparaître les « aissannes », « essannes »
(bardeaux), les « billons » (quelle acception ?), les « chevrons », le
« dental » de la charrue. La viticulture et la vinification sont à l’origine de
vols de bois : pour faire des « paisseaux » (échalas) et des perches pour les
vignes, le « merrin » étant réservé aux tonneaux, ou une essence non
précisée destinée à la fabrication des cercles de la tonnellerie.
Ce qui précède pourrait laisser croire que les « mesusants » ne
s’approvisionnent frauduleusement en bois que pour utiliser ce dernier à des
fins multiples. En fait, plus d’une fois il est question de la vente par les
braconniers de ce dont ils se sont emparés, la recherche d’un peu d’argent
étant leur seule motivation. La liste précitée implique d’être étoffée par
d’autres « mesus » mais beaucoup moins nombreux : essartages illicites,
feux volontaires47 et, ce qui peut paraître surprenant, rarement la chasse des
animaux sauvages ou le pacage. Compte tenu de l’importance de la paisson,
les manquements aux règles régissant son bon déroulement ne manquent
pas. Mais il y a aussi d’autres comportements qui sont sanctionnés, comme
des tensions entre personnes : injures, violences physiques…
Concluons par des résultats chiffrés pour la seconde moitié du
XIVe siècle48. Les revenus bruts, et non pas les bénéfices obtenus, atteignent
11 398 livres estevenantes. Or, avec 4 670 livres, les amendes des bois
banaux représentent 41 % de la somme perçue (voir Figure 3). L’évolution
de ce que rapportent les amendes, calculée en moyennes mobiles sur 10
exercices, fait ressortir une nette progression à partir de 1370 et surtout dans
la dernière décennie du siècle.

Figure 3 : Évolution des amendes forestières entre 1362 et 1400 en Comté (moyennes mobiles sur 10
exercices). Pour l’année 1370, il existe deux exercices financiers différents. Les années 1375, 1383,
1384 et 1385 ne sont pas documentées.

La forêt rêvée se révèle finalement largement exploitée. Les frondaisons


médiévales semblent abondamment parcourues pour être mises à profit,
gérées, surveillées. Et ce bois utilisé nous apprend beaucoup de choses
encore aujourd’hui. Nous pouvons désormais partir à la découverte de
forêts particulières dont la localisation géographique conduit à des
contraintes ou des spécialités.
CHAPITRE 1
À l’Ouest,
des ressources forestières diversifiées
Vincent Bernard, Corentin Olivier, Aurélie Reinbold,
Yann Couturier, Jean-Charles Oillic, Dominique Marguerie

Doit-on aborder la question du bocage dans un ouvrage consacré à la forêt


médiévale ? Dans l’ouest de la France où les grands massifs forestiers sont
rares et où l’ouverture des paysages s’est opérée précocement et
durablement dès la protohistoire, il va de soi que ce type de structure
paysagère qui intègre talus, fossés, murets, clôtures, haies vives sur talus ou
non… joue encore aujourd’hui pleinement son rôle de carte postale d’une
Bretagne, d’un pays d’Auge ou d’un Anjou rêvés. D’autres formes
paysagères dans les campagnes médiévales telles que les haies, les plesses
(terrains parfois forestiers, parfois habités, clos d’une haie vive entrelacée),
les taillis, les futaies, les touches (tusca, « boqueteau »), les noés (terres
grasses humides servant de pâturage), les breils (petits bois clos), les bois
(nemus), les arbres isolés, les boisements plus ou moins dégradés, les landes
plus ou moins boisées revêtent dans ce cadre spatio-temporel une
importance capitale. Il semble ainsi difficile de ne pas étudier la forêt dans
l’Ouest sans prendre en compte les paysages boisés hors des massifs
forestiers, car leurs histoires sont parallèles, en particulier à partir du Moyen
Âge tardif. Cette période voit, en effet, le développement du bocage en
parallèle du contrôle des usages dans les forêts royales et de la réduction de
la place accordée à l’utilisation collective des terres pour le parcours du
bétail1. Il s’agit donc, au travers de ce tour d’horizon des différentes formes
paysagères présentes dans l’Ouest, de lever toute ambiguïté sur le
vocabulaire employé dans ce cadre, pour considérer avec précaution
« haies » et « bocage » comme des zones ou des ressources forestières
potentielles, pouvant varier par leurs formes, leurs superficies, leurs
fonctions…
Ces espaces boisés aux multiples facettes de l’Ouest médiéval, dans
lesquels les bêtes d’aumailles (bovidés, et par extension, animaux pâturant
en forêt)2 tenaient une place importante pour la gestion des sous-bois,
parvenaient donc à reconstituer, par leur densité, par leur diversité
biologique, par les ressources ligneuses, fourragères et cynégétiques qu’ils
offraient, un succédané de forêt dans des régions où elles étaient rares. Cette
histoire des paysages tracée à la lumière de l’archéologie, de la
dendrochronologie et de la palynologie propose de reconstituer à la fois la
composition, la densité des peuplements sylvicoles, mais aussi les pratiques
sylvo-pastorales qui se développaient dans ces espaces.
Le bocage existait-il au Moyen Âge ?
Au sens historique, le bocage est une construction du XVIe-XIXe siècle3. On
ne parle pas de bocage auparavant, notamment pour l’époque médiévale.
Les historiens ont montré la mise en place progressive à partir du XIIIe siècle
d’un réseau de haies. Daniel Pichot a proposé le terme d’embocagement
pour définir le lent processus de mise en place d’un réseau de haies qui
débute autour du XIIIe siècle :
La naissance du bocage ne présente pas un caractère soudain mais résulte d’un long
mouvement, sans doute discontinu, avec ses hésitations et ses retours en arrière. Reste à se
demander pourquoi une sensible accélération du processus de clôture semble pouvoir
s’enregistrer à la fin du Moyen Âge et aux temps modernes4.

Les haies indiquées au Moyen Âge central dans les actes diplomatiques de
l’ouest de la France ne constituent pas un bocage : les haiæ mentionnées
dans le cartulaire de Redon délimitent les parcelles sur un côté, parfois
deux, jamais plus5. Il ne peut donc s’agir d’un bocage comme on l’entend
au sens historique avec la clôture systématique des parcelles sous la forme
d’un réseau de haies, associée à un régime spécifique6. De plus, haia
possède plusieurs sens. Dans l’Ouest, ce terme recouvre trois notions
différentes jusqu’au XIIIe siècle. Il définit un espace boisé assez vaste, une
bande forestière formant séparation, souvent maintenue sur des limites
paroissiales ou de seigneuries, ou encore une haie séparant deux parcelles et
plantée sur des talus7. Ce dernier sens devient plus courant au XIIIe siècle et
quelques parcelles sont entièrement closes8. Aux XIVe-XVe siècles, la haie
porte encore le sens d’un large espace boisé intégré à la forêt, mais surtout
celui d’une haie séparant deux parcelles et plantée sur des talus. La haye de
Bouessay, par exemple, relève des forêts de Rennes9.
De même, certains historiens avaient assimilé le terme de bosc (boscum) à
la présence du bocage. Or, selon Daniel Pichot et Élisabeth Zadora-Rio, il
définirait davantage un paysage boisé et renverrait à la forêt telle qu’on la
conçoit aujourd’hui, s’opposant à plano qui correspondrait au paysage
ouvert des campagnes10. La première mention d’un « bocage », relevée par
Paul Vidal de La Blache dans le Roman de Rou vers 1170 (« cil del bocage
e cil de plain »), témoigne de cette opposition entre un paysage boisé et des
champs ouverts, et non de l’existence d’un bocage11. Enfin, parcellaire et
bocage doivent être dissociés12. La transmission ou l’absence de
transmission entre les formes parcellaires protohistoriques ou
altomédiévales et celles du cadastre napoléonien ne présage pas de
l’ancienneté ou du caractère récent du bocage. Selon Magali Watteaux,
[o]n voit alors se dégager de ces travaux [archéologiques] autre chose que le bocage. On voit
émerger l’histoire du parcellaire avec ses discontinuités et ses transmissions. Il y a donc
intérêt à ne pas mettre sous la seule appellation de « bocage » une série très riche de faits
archéologiques et morphologiques13.

Pour ce qui concerne la foresta, on l’a vu, il s’agit, à l’époque


carolingienne, d’un domaine juridique assimilé à une réserve de chasse
essentiellement royale, mais aussi seigneuriale ou ecclésiastique14. Autour
du XIe siècle en France, foresta commence à désigner une étendue boisée,
sans implication d’interdiction de chasser15, alors qu’en Angleterre, le
terme de forêt conserve ce sens de réserve cynégétique16. Aux XIe-
XIIIe siècles, dans l’Ouest, la foresta ne recouvre plus cet aspect, mais décrit
un territoire juridique regroupant un ensemble de paysages plus ou moins
ouverts, à l’intérieur desquels on pouvait retrouver des villages et des
parcelles cultivées.
Ainsi, ces formes « forestières » extrêmement variées combinant des
peuplements forestiers appartenant à différentes strates de végétation, mais
aussi des milieux franchement ouverts, ont été mises à contribution dans
l’approvisionnement en bois de construction des populations médiévales. À
l’image des new forests britanniques, on passe indifféremment de la futaie
claire au taillis dense, de la clairière au hallier (gros buisson touffu), des
landes aux pâturages et aux champs. Dans cet espace, différentes activités
se croisent, les travaux d’abattage et d’émondage maintenant un herbage
suffisant pour le bétail, le bois récolté fournissant des réserves de
combustible – du fagot, mais également du charbon –, des pieux et des
manches d’outils, mais aussi du bois d’œuvre. Ce modèle paysager
accueillant des activités agrosylvopastorales avait été qualifié de « pâtures
sous futaie17 », mais il faut reconnaître que cette expression est par trop
restrictive puisqu’elle écarte d’autres types de formations (taillis, landes,
zones humides…). Seuls les woodlands anglais18, les forêts de têtards en
Pays basque19, dans une moindre mesure les dehesas espagnoles ou les
wooded pastures scandinaves20, parviennent à rendre compte aujourd’hui
de cette diversité.
Des arbres émondés
Parmi les données paléo-environnementales les plus nombreuses et les
plus précises en termes de datation, celles issues d’études
dendrochronologiques menées dans le quart nord-ouest de la France
fournissent des informations aussi précieuses qu’inédites. Pour la période
500-1500, ce sont 7 079 échantillons de bois secs et gorgés d’eau qui ont
été datés, appartenant à 390 charpentes historiques et sites archéologiques.
Bien sûr, l’intérêt de ces jalons chronologiques dépasse le simple exercice
métrologique et la présence du dernier cerne de croissance formé par l’arbre
avant son abattage livre, certes, une date d’une redoutable précision. Mais,
plus encore, ce sont les détails concernant le cadre et le rythme de
développement de l’arbre, les stress liés à la météorologie ou à la
sylviculture qu’il a enregistrés tout au long de sa vie qui nous intéressent
ici. Sa morphologie constitue, en outre, un moyen simple et efficace pour
approcher son environnement d’origine. À ces approches classiques
s’ajoute par exemple la « signature dendrologique de l’émondage21 » qui
permet d’assurer la caractérisation microscopique de cette pratique
bocagère et d’aller au-delà des simples observations de terrain en
déterminant le rythme des récoltes de branches.
Cette palette d’outils conduit à définir une chaîne de production d’un bois
d’œuvre – en l’occurrence le chêne – d’un genre nouveau qu’une maille
forestière parfois peu dense rend pour le moins original dans sa forme, dans
ses qualités mécaniques et dans l’usage qui en est fait en charpenterie (voir
Figure 1).
Le chêne de type bocager se distingue de ses congénères forestiers par une
forme plus ramassée, avec un centre de gravité nettement plus bas, et un
développement de branches sur l’ensemble du tronc. Il est clair que le
développement de ces arbres dans notre secteur d’étude n’est pas
uniquement le fait d’activités anthropiques et qu’il est également
conditionné par des sols localement pauvres, peu épais et des vents intenses
et prolongés. Les exemples archéologiques vont dans ce sens et montrent
des fûts ne dépassant jamais 10 m de longueur22 ; et lorsque l’architecture
imposait des portées plus importantes, il était d’usage de conserver, au-delà
de la bille, la fourche et le départ des plus grosses branches pour compenser
les quelques dizaines de centimètres manquants. À ce titre, le plafond de la
salle basse du château de La Roche-Jagu à Ploëzal (Côtes-d’Armor), bâti
dans une phase située entre 1406 et 1410, a de quoi surprendre : dès son
entrée au rez-de-chaussée, le visiteur est frappé par la présence de poutres
fourchues (voir Figure 2) employées ici dans un souci évident de couvrir les
7,50 m de largeur, module inhabituel en Bretagne, équivalent par exemple à
la largeur de la nef de la cathédrale de Tréguier. L’utilisation de ces bois
dans cette entrée faisant office de salle de réception d’un des plus imposants
manoirs bretons, propriété d’une des plus puissantes familles du duché23,
répond probablement à un déficit de chênes de grandes longueurs.
Ces arbres sont fréquemment sinueux et fournissent un cadre formidable à
l’expression du savoir-faire des charpentiers lorsqu’ils sont au défi
d’intégrer des pièces aux courbures multiples au sein de constructions. À de
nombreuses reprises, ils ont démontré tout l’intérêt de tels bois lorsqu’il
s’agit de coller à l’extrados d’une voûte – sa partie extérieure convexe – ou
d’une maçonnerie, celle du déambulatoire de la cathédrale de Bayeux par
exemple24 (Calvados). La présence de nœuds et de brognes associés à des
chancres répartis le long des fûts rappelle que ces arbres étaient élagués,
voire émondés régulièrement afin de laisser entrer la lumière dans les sous-
bois pour favoriser la croissance des herbages, mais aussi pour produire des
fagots, éventuellement du fourrage et de la litière. Cette pratique de
l’émondage existe certainement depuis l’apparition de l’élevage ; les
exemples appartenant à la fin du Néolithique en sont la preuve25. Pour la
période médiévale, elle réapparaît timidement dans le Finistère autour de
l’abbaye de Landévennec dans la seconde moitié du VIIIe siècle et dans le
sud de la Picardie dans la première moitié du IXe siècle26 où ces arbres
côtoient des perches issues de taillis à développement rapide mais aussi,
comme dans l’exemple breton, de très vieux chênes de 200 ans et plus.
D’un point de vue anatomique, ces bois émondés des VIIIe-IXe siècles,
comme ceux des XIIe-XIIIe siècles retrouvés en fouilles à Rennes place Saint-
Germain27, présentent trois à quatre cycles successifs d’émondage sous
forme de chutes brutales de croissance, réponses des chênes au traumatisme
de la suppression de leur appareil photosynthétique. Le rythme des coupes,
de six à dix-sept ans, reste encore irrégulier. Il traduit peut-être la récolte de
produits aux calibres variés ou un programme de taille plus aléatoire –
d’autres ressources devant être accessibles – que celui établi dès le début du
XVe siècle dans le Trégor tout d’abord, puis sur un large espace de la
péninsule armoricaine avec la naissance des réseaux bocagers28. À cette
période, les émondages sont organisés de manière plus rigoureuse, tous les
neuf ans en moyenne (sept à treize ans, c’est d’ailleurs l’âge des branches
élaguées visibles sur les pièces de charpente), bientôt calés dès l’époque
moderne sur la durée des baux de location des terres29. On peut imaginer
que, durant la période médiévale, une plus grande variété de formes
d’arbres et de saisons de récoltes – de branches et de feuillage – devait
exister, tenant compte de la grande diversité des espèces qui se prêtent à
l’émondage ou au recépage pour des besoins multiples. Mais
malheureusement, seuls les chênes nous sont parvenus.
Figure 1 : Caractéristiques dendrologiques des bois d’œuvre : 1170-1220 (ci-dessus) et 1450-1500
(page suivante).
Le code couleur employé ici correspond aux classes âge les plus représentées :
- classe 1 : jeunes arbres (<50 ans) à croissance lente (<150 mm/an), interprétés comme des arbres
dominés des sous-étages d’une futaie par exemple ;
- classe 3 : jeunes arbres (<50 ans) à croissance très rapide (>250 mm/an) qu’on pourrait associer à
des arbres de taillis de type rejets-de-souche ;
- classe 7 : arbres les plus âgés (>100 ans) à croissance lente (<150 mm/an), comme de vieux
semenciers issus de futaies.
Nuage de point : répartition du corpus en fonction de ces caractéristiques.
Diagramme en secteurs : proportion de chacune des classes.
Pour la période 1170-1220, les jeunes perches de taillis à croissance rapide/très rapide sont
majoritaires et se déploient largement dans le quart nord-ouest de la France, alors que les vieux
chênes de futaie (~ 8% du corpus) sont principalement issus du Massif armoricain.
Entre 1450 et 1500, les proportions s’inversent au profit de chênes mâtures (>50 ans) aux croissances
moyennes à lentes qui représentent presque 70% de l’ensemble des bois datés. Des zones, à la
périphérie de Rennes par exemple, conservent des arbres jeunes à croissance très rapide. On perçoit
ici très bien le regain forestier consécutif au ralentissement d’activité des années 1350-1450. © Yann
Couturier.
Figure 2 : Poutres fourchues du château de La Roche Jagu à Ploëzal (Côtes-
d’Armor). Datations dendrochronologiques : 1406-1410 © Vincent Bernard.
L’utilisation d’arbres émondés n’est pas l’apanage des constructions
vernaculaires les plus modestes puisqu’on les retrouve dans des édifices
aussi prestigieux que des cathédrales30 (Bayeux, Quimper, Saint-Brieuc,
Saint-Pol-de-Léon, Vannes) ou des châteaux et manoirs31 (La Roche-Jagu,
Troguéry ou Taden dans les Côtes-d’Armor ; Caden, Kerleguen ou Kergal
dans le Morbihan ; Maillé, Kermadec, Trémédern, Saint-Jean-Balanant dans
le Finistère ; Porcaro, La Havardière ou Bas Rocher en Ille-et-Vilaine ;
Saulges en Mayenne : voir Figure 3). La proportion des charpentes réalisées
à partir de chênes émondés est encore modeste avant le XVe siècle, mais elle
se développe fortement à l’approche du XVIe siècle pour devenir écrasante
jusqu’au début du XXe siècle. Les données polliniques pour la Haute-
Bretagne et la Mayenne rendent compte d’un essor de la chênaie entre le
XVe et le XVIe siècle, ce que confirme la dendrochronologie pour la période
consécutive à la guerre de Cent Ans en Normandie (en particulier sur le
littoral de la Manche)32, et dès 1350 dans le Maine (massif forestier de la
Grande Charnie)33 (voir Figure 2). L’hypothèse de l’« embocagement » du
paysage a été avancée34, ce qui peut se traduire par un essor du chêne mais
aussi intégrer le développement de taillis et futaies, en particulier sur les
métairies, une gestion différente des forêts ou encore d’autres formes de
plantations comme les prairies complantées (prés et champs cultivés et
plantés d’arbres fruitiers ou non)35. Le signal pollinique de l’embocagement
ne se trouverait-il pas noyé au sein de cette reconquête forestière générale
qui voit, dans l’Ouest, le développement de formes forestières très variées ?
Cette reprise d’activité forestière est d’ailleurs le reflet de la reprise
économique de cette période. Elle est plus précoce dans une large partie du
Maine, en Anjou et en Bretagne qu’en Normandie36 et s’accompagne peut-
être d’un processus d’embocagement plus poussé qu’auparavant.
En dépit d’une image négative, ces bois émondés ou tors fournissent un
bois d’œuvre d’une qualité appréciée pour sa capacité à répondre aux
efforts de compression ou de rotation. En fait, la flexion ne représente pas
un problème particulier compte tenu des dimensions modestes des
structures bretonnes et du surdimensionnement des pièces. Leur emploi par
les différentes couches de la société médiévale en Bretagne, en Basse-
Normandie ou dans le Maine démontre que ce bois de qualité « charpente »
– pour reprendre une terminologie contemporaine – pouvait s’adapter à tout
type de chantier et que les paysages environnants devaient être gérés de
façon comparable sur de vastes étendues pour contraindre ainsi
l’approvisionnement en bois d’œuvre.
Figure 3 : Comparaison entre deux charpentes médiévales bretonnes.
Haut : charpente à chevrons formant fermes du chœur de l’abbatiale de Redon (Ille-et-Vilaine),
XIIIe s., employant des bois longilignes bien calibrés.
Bas : charpente à fermes et pannes de la salle du manoir de Kermadec à Pencran (Finistère), début
XVIe s., utilisant des chênes de type « bocager ». © Corentin Olivier.

La forêt de Paimpont : un cas à part au XIIIe siècle ?


Les difficultés que rencontre le dendrochronologue pour dater des séries
de cernes inférieures à 60 ans provenant de structures à la charnière des XIIe
et XIIIe siècles tendent à se résorber, mais elles traduisent une généralisation
de l’exploitation du taillis à cette période. Ainsi, entre 1180 et 1230, on
observe l’emploi d’arbres hyper-standardisés dans le quart nord-ouest de la
France, d’environ 30 cm de section, longs de 15 à 18 m, très rectilignes et
âgés de moins de 60 ans. De la Picardie au Poitou, une énorme majorité des
bois abattus dans cette fenêtre de temps très restreinte répond à ces critères,
ce qui accentue encore l’impression de brièveté et de généralisation du
phénomène. Sachant que la régénération d’un taillis s’opère principalement
par voie végétative, c’est-à-dire que des rejets repartent de la souche à la
suite d’un recépage, on est en mesure de déterminer, à partir d’arbres de 45
à 60 ans coupés par exemple dans les années 1220, une phase de
régénération remontant à quarante-cinq/soixante ans en arrière, soit entre
1160 et 1175. Dans les faits, les variables sont plus nombreuses et on peut
considérer que cette phase fantôme d’abattage-régénération a marqué de
façon profonde un très vaste territoire dans le milieu du XIIe siècle, puis au
début du XIIIe siècle. Il s’agit d’une période caractérisée par un essor
architectural, économique et démographique sans précédent37 qui a
nécessité la production rapide, dans des cycles brefs, d’arbres parfaitement
calibrés (voir Figure 4).

Figure 4 : courbe d’âge moyen des chênes exploités entre 500 et 1500 (vert) ; répartition
chronologique des plus vieux chênes (rouge) et des plus jeunes (bleu). Les chênes de 280 ans et plus
sont tous datés du début du VIIe s. Pendant la période 1180-1230, les arbres les plus vieux ne côtoient
qu’à de rares exceptions les plus jeunes au sein de taillis-sous-futaies ; ce sont de loin les taillis qui
dominent et quelques vieilles futaies se distinguent à Paimpont, Rennes ou Laval. © Yann Couturier.

Le recours à cette pratique forestière empirique du taillis s’avère ainsi


justifié, répondant parfaitement aux exigences des maîtres d’œuvre des XIIe-
XIIIe siècles, que ce soit pour des édifices de taille modeste, comme l’église
Sainte-Anne de Norrey-en-Auge (Calvados) ou de grande envergure,
comme la cathédrale Saint-Maurice d’Angers (Maine-et-Loire), tous deux
datés de 1225 par la dendrochronologie. Toutefois, la conduite de parcelles
en taillis doit prévoir le renouvellement de souches qui peuvent s’épuiser
assez rapidement. Aussi, il était important de favoriser le développement de
nouveaux plants à partir de semences,
de ne pas couper en temps de sève, couper à ras de terre pour éviter l’épuisement des souches,
clore les parties coupées pour éviter que les jeunes pousses ne soient abîmées par le gibier et
le bétail, en général pendant trois ans38.

Bien évidemment, ces mises en défens n’étaient pas toujours respectées,


sources de bien nombreux conflits39. Les blessures répétées – des écorçages
notamment – conservées dans des bois archéologiques provenant du Trégor,
du pays de Rennes, du Cotentin pointent jusqu’au XIIIe siècle les difficultés,
non pas à faire respecter des règlements dont on ne sait pas réellement s’ils
existaient déjà (quelques ordonnances existaient précocement en Touraine
dès le XIIIe siècle)40, mais plutôt à faire coexister des usages différents au
sein d’un même espace forestier.
Dans ce contexte sensible d’usages forestiers et de contraintes liées à la
pérennité des surfaces de taillis, on observe dans l’ouest de la France entre
le début du XIe et le XIIIe siècle, soit en deux siècles à peine, une nette
accélération des rythmes d’exploitation forestière. Ainsi, vers l’an mil, l’âge
moyen des arbres exploités est encore de 70 ans ; il passe à 50 vers 1080,
pour remonter très légèrement à 55 ans vers 1100. Puis il va chuter
pratiquement en continu jusqu’au début du XIIIe siècle, passant de 35 ans
vers 1180 à 30 ans dans les années 1220. Il s’agira du point le plus bas de
cette courbe après celui des années 1320 où les chênes ne sont plus que de
25 ans d’âge moyen (voir Figure 4). Cette plongée vertigineuse marque
indéniablement un très fort impact anthropique sur le potentiel forestier. Ces
observations se placent dans le contexte d’intensification des activités
agricoles, de l’expansion démographique et l’envol économique qui
caractérisent l’Ouest à cette période dès le XIe siècle mais surtout aux XIIe-
XIIIe siècles41. On passe donc avant 1150 d’une situation diversifiée où
toutes les classes d’âge sont représentées, depuis l’utilisation des bois les
plus vieux jusqu’aux bois les plus jeunes, à une situation remarquable, dès
la fin du XIIe siècle, par son homogénéité à travers l’ensemble des territoires
étudiés. Ces bois, élevés en rangs serrés, répondent parfaitement aux
caractéristiques de charpentes à chevrons formant fermes et deviennent
ainsi un des supports à partir duquel l’architecture gothique a pu s’exprimer.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’apparition, timide tout d’abord,
d’un nouveau type de charpente dès le début du XIIIe siècle – la charpente à
fermes et pannes –, plus économe en bois a priori que sa contemporaine,
n’infléchit pas le point d’inflexion de la courbe des âges des bois abattus, et
ne libère donc en rien la pression imposée aux surfaces forestières
exploitées. Mais c’est sans compter les énormes besoins en bois-énergie qui
vont dévorer des massifs forestiers entiers à cette même période, celui de la
Grande Charnie en Mayenne42 ou celui de Paimpont en Ille-et-Vilaine par
exemple.
Alors qu’on constate de façon écrasante ce rajeunissement des forêts,
voire la surexploitation du taillis, les chênes sélectionnés pour les
charpentes de l’abbatiale de Paimpont mises en place dans les années 1230
font figure d’exception : aucun des éléments architecturaux conservés ne
présente un âge inférieur à 150 ans – plusieurs dépassant les 200 ans ont
commencé leur vie à la fin du Xe siècle. Cette homogénéité de la futaie de
chêne est conforme à l’analyse des données historiques qui décrit un massif
forestier relativement stable depuis le XIIe siècle43, sans doute du fait de la
pression exercée par les moines bénédictins, propriétaires des lieux, pour
protéger cet espace en tant que lieu d’isolement et de prière, mais aussi en
tant que source appréciable de revenus de toutes natures. Les séquences
polliniques font état, entre le VIe et le XIe siècle, d’une période de recul des
activités anthropiques44. La courbe croissante du bouleau et du chêne en
même temps que la diminution sensible des plantes cultivées renforcent
l’idée d’une reconquête de la forêt. Au cours de la période suivante qui
s’étend jusqu’au XVIe siècle, une ouverture importante et rapide du paysage
est constatée, suivie d’une phase de reboisement tout aussi vive. En effet, au
milieu de la période médiévale, il se produit un très fort retrait de
l’ensemble des ligneux sur l’ensemble du massif, à l’exception du hêtre.
Cette ouverture, qui s’accompagne d’une hausse des plantes anthropiques
(céréales, sarrasin et sans doute chanvre), correspond peut-être à cette
vague des XIIe-XIIIe siècles qui voit un emballement dans l’exploitation du
taillis. Pourtant, il est souvent délicat de vouloir associer des cycles naturels
et anthropiques mis en évidence par des disciplines dont les pas de temps
sont aussi éloignés que ceux de la dendrochronologie (année) et de la
palynologie (décennie voire siècle). Il n’en demeure pas moins que la
protection d’une partie de la forêt de Paimpont convertie en futaie pendant
plus de deux cents ans, des années 990 à 1230, ne peut que relever d’une
autorité puissante. Cette gestion de l’espace forestier sur plusieurs siècles
préfigure donc les règlements forestiers qui fixeront dès les XIIIe et
XIVe siècles ces pratiques.

Du Xe au XIIIe siècle : la fin des expérimentations sylvicoles ?


Encadré par deux périodes d’intense exploitation du taillis, le Bas-Empire
romain et les années 1180-1230, le premier Moyen Âge présente un bilan
forestier extrêmement contrasté. Il pourrait même être qualifié
d’aboutissement d’une longue période d’expérimentations sylvicoles tant
les signaux dendrologiques sont nombreux et bien réglés dès la fin du
IXe siècle.
Les forêts des VIe-VIIe siècles ne nous sont pas bien connues, du fait du
faible nombre de sites de cette période. Pourtant, certaines constantes
semblent se dégager au sein d’une large palette de formes forestières. En
Armorique, l’installation de moines à Landévennec (Finistère) implique,
dès le VIIe siècle, un abattage massif d’arbres d’âges et de calibres très
variés pour une architecture encore exclusivement en bois. La forêt y
semble prospère et les ressources étendues, si l’on considère que ces
abattages se prolongent avec une intensité croissante pendant près de cinq
siècles. Mais ici comme à Saint-Pol-de-Léon (Finistère), à Penvénan ou
Lannion (Côtes-d’Armor) dans le nord-ouest de la Bretagne45, il est
frappant de constater que de très gros et très vieux chênes – certains
avoisinent 1,80 m de diamètre pour plus de 400 ans – ont été abattus en
divers endroits presque simultanément et exclusivement pendant le
VIIe siècle (voir Figure 4). Cette utilisation d’arbres hors normes est inédite
depuis le Néolithique et il serait tentant de l’associer à la seconde vague
d’émigration bretonne du début du haut Moyen Âge. De nombreuses Vies
de saints relatent, en effet, des épisodes miraculeux à la suite de l’abattage
d’arbres vénérés par les populations païennes, comme celle de Martin qui a
probablement servi de modèle à celle de Boniface46. Moins connue, celle en
Bretagne de Carantec relate son affrontement avec le seigneur local
Dulcinius afin de prendre possession de l’île Callot – en face de Saint-Pol-
de-Léon, évêché d’un des plus célèbres saints fondateurs de Bretagne, Pol
Aurélien – pour y installer son ermitage. C’est au prix du foudroiement
divin d’un chêne géant, que la « vraie » foi peut être imposée.
En contexte estuarien, de vastes pêcheries se développent en Europe du
Nord-Ouest sous la pression des abbayes, à partir du VIIIe siècle en Irlande et
en Grande-Bretagne47, dès la fin du VIe siècle à Champeaux, au nord de la
baie du Mont-Saint-Michel (Manche). Mais partout, la construction et
l’entretien de ces structures, couvrant plusieurs hectares et soumises aux
marées et tempêtes, impliquent une telle consommation en bois d’œuvre
que seule la gestion de parcelles de taillis, entièrement dévolues à cette
activité, est en mesure de répondre à ces besoins. Mais, à aucun moment
pendant le haut Moyen Âge, une surexploitation des ressources littorales ne
semble mettre en péril l’équilibre forestier, grâce à une rotation dans
l’emploi d’arbres jeunes et vieux, chênes et bois blancs. En revanche,
autour de villages du Bassin parisien, la gestion ou l’accessibilité des forêts
ne semblent pas toujours aussi aisées : ainsi, le rythme des abattages
s’accélère avec une rapidité telle qu’il semble difficile de trouver un chêne
de plus de 40 ans au milieu du IXe siècle, alors que les plus gros arbres
sélectionnés un siècle auparavant n’excédaient déjà plus 80 ans.
C’est pourtant dans ce contexte de très forte sollicitation des surfaces
forestières qu’apparaissent dans le nord-ouest de la France les preuves de
principes de sylviculture de mieux en mieux réglés.
Qu’il s’agisse du hourd du château de Laval en Mayenne vers 1222, du
quartier Saint-Germain à Rennes entre 1080 et 1129 et des abbatiales de
Saint-Martin-de-Boscherville (Seine-Maritime)48 vers 1150 et de Paimpont
vers 1230, les choix des bâtisseurs se sont tournés vers des chênes de plus
de 200 ans dont les croissances lentes à très lentes évoquent celles d’arbres
de haute futaie soumis à une forte concurrence, peut-être avec des individus
plus jeunes présents dans les sous-étages, mais dont l’architecture n’a pas
conservé la trace. Ces exemples ont mobilisé de grandes quantités de vieux
chênes (plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines) de grosses sections
(50 à 70 cm), fendus pour certains, puis équarris pour obtenir de longues
pièces de charpentes (8 à 12 m). Une telle quantité d’arbres de belle venue
implique obligatoirement que la gestion des parcelles a été conduite en
futaie. Cela signifie qu’avant de produire ces chênes aux fûts élancés et
dépourvus de branches, il aura fallu sélectionner les baliveaux d’avenir, les
élaguer, supprimer les plants mal conformés fourchus ou tors, puis contrôler
la densité autour des arbres retenus. Tous ces traitements ont été enregistrés
dans les cernes de croissance de ces chênes pendant près de deux cents ans.
Ainsi, dans leurs phases juvéniles, quelques bourrelets cicatriciels
accompagnés de chutes de croissance rappellent les caractéristiques de
l’émondage et correspondent en fait à la taille de mise en forme des sujets.
Dans les années suivantes, l’exploitation régulière des brins des sous-étages
permet de libérer momentanément la pression exercée autour des arbres
d’avenir et se manifeste par des cycles de brèves reprises de croissance. À
cette occasion, des blessures sur les arbres laissés sur pied ont pu être
engendrées lors de coupes d’éclaircie par la chute des arbres supprimés ou
par leur débardage. Le fait que ces blessures apparaissent simultanément à
différentes hauteurs, selon un rythme régulier d’une dizaine d’années, et
qu’elles s’accompagnent de reprises de croissance et de broussins
(excroissances ligneuses), confirme bien l’origine anthropique de ces
signaux. Ce cas particulier a été documenté à Saint-Martin-de-Boscherville
où des sections complètes de poutres ont pu être prélevées de façon
exceptionnelle. De telles observations ont également été menées par Jean-
Yves Hunot à l’abbaye de Fontevrault (Maine-et-Loire). Ces anomalies de
croissance ne sont pas visibles sur toute la circonférence de l’arbre et
nécessitent, pour être mises en évidence, une vue d’ensemble. Cette
corrélation entre des ouvertures ponctuelles de la parcelle et des anomalies
de croissance chez plusieurs sujets suggère que ces arbres appartiennent
vraisemblablement à la même parcelle. On pourrait donc voir à travers
l’exemple de Saint-Martin-de-Boscherville, après celui de Paimpont évoqué
précédemment, un cas rare de sélection et de mise en réserve de grands
semenciers dès le Xe siècle, et cela bien avant les premières réglementations
forestières des XIIIe et XIVe siècles. Cette conduite aussi précoce que
rigoureuse du potentiel forestier en Normandie et en Bretagne doit être mise
en rapport avec la gestion de domaines détenus par de grands propriétaires.
Ainsi, on suppose que la forêt de Boscherville a pu être donnée par le duc
Robert le Magnifique (r. 1027-1035) à Rabel, issu de la famille des
chambellans de Normandie et officier commandant la flotte ducale49 (voir
Figure 5).
Quant à l’entretien de parcelles en taillis sous futaie, il favorise, par
l’entrée de lumière dans la parcelle après suppression d’arbres dominés ou
de peu de valeur, d’une part la germination de graines et de ce fait le
renouvellement de la population, et d’autre part la croissance radiale
d’arbres laissés sur pied comme semenciers. Ce traitement, qui sous-entend
une régénération de sa population à la fois par voie sexuée (graines) et par
voie végétative (rejets de souche, drageons, marcottes), explique que de
vieux arbres à croissance relativement lente puissent côtoyer des sujets
beaucoup plus dynamiques dans leur développement. Ainsi, les arbres
réservés au sein d’un taillis sous futaie auront deux, trois fois et plus l’âge
du taillis. C’est de cette manière que l’on observe parmi les pièces
d’architecture, à l’abbaye de Bonport50, dans les pêcheries littorales de
Saint-Pair-sur-Mer ou de Servel-Lannion51, un mélange regroupant une
majorité de chênes et de bois blancs de 15, 30, 60 ans issus du taillis, et en
proportion beaucoup plus faible, des chênes de 120, voire 180 ans,
correspondant aux arbres de réserve arrivés à maturité. Les plus gros sont
utilisés prioritairement comme entraits de longues portées, ou plus
modestement comme pieux refendus, les plus jeunes pour toutes les autres
pièces de la structure. Un cycle complet d’exploitation d’une parcelle
avoisine en général cent vingt à cent trente ans, ce qui implique deux
rotations de soixante années à huit de quinze ans selon la destination des
bois exploités. À Bonport, on retrouve de longues rotations, alors qu’en
contexte littoral, où les structures doivent être entretenues annuellement, les
rotations sont bien plus brèves. Si l’on considère les règles d’exploitation
qui s’établiront progressivement au cours du Moyen Âge central, 8 à
10 baliveaux par arpent devaient être conservés afin d’assurer le
renouvellement et la pérennité de la surface forestière. Il n’est donc pas
étonnant que ces quelques semenciers abattus en fin de cycle soient
tellement minoritaires et ne représentent finalement que 5 à 10 % à peine
des arbres utilisés.

Figure 5 : Bûcherons et paysans au travail pour abattre, émonder, élaguer et recéper. Les outils
employés sont tous différents, parfaitement adaptés à la tâche. Les Géorgiques, Virgile, XVIe s.
CHAPITRE 2
Les contrées méridionales
Forêts méditerranéennes
Frédéric Guibal
Après des débuts de l’économie agropastorale attestés par des signaux qui
apparaissent dans le courant du VIe millénaire avant J.-C.1, les massifs
forestiers méditerranéens du sud-est de la France, jusqu’alors perturbés par
les seuls incendies liés à la foudre ou provoqués par les chasseurs, par
d’éventuels coups de vent et des attaques de ravageurs, connaissent les
premiers déboisements liés à la conquête de la terre. Aux âges des métaux,
les attaques vis-à-vis de la forêt s’intensifient : la forêt est un bien commun
qui regorge de ressources dans lesquelles on puise sans compter. Puis la
romanisation réduit considérablement le couvert forestier pour composer
des paysages assez proches de l’actuel. Vient le haut Moyen Âge qui voit
s’amorcer, tant en Provence qu’en Languedoc, une séquence de périodes
plus ou moins stables, marquées par de fortes fluctuations démographiques
rythmées par les famines, les épidémies et les guerres. Les diminutions de
la pression anthropique sur l’environnement, au fil des campagnes
dévastées, des réserves pillées, des migrations paysannes pour trouver
refuge dans les villes, entraînent une reconquête des friches, broussailles et
forêts. Une fois les dangers et les épidémies passées, les paysans reviennent
à leurs terres ou aux surfaces incultes qu’ils défrichent et mettent en
culture ; l’habitat se réorganise. La croissance démographique redémarre en
milieu rural et entraîne une extension des surfaces agricoles cultivées ou
bien leur réaménagement pour les rendre plus productives.
Tels sont souvent décrits les épisodes majeurs de l’histoire des forêts de
cette région. Mais un schéma aussi appuyé ne saurait refléter de façon fidèle
une réalité à l’évidence plus complexe, déclinée dans la diversité des
bioclimats, des écosystèmes, des modes de gestion du milieu, des terroirs et
des populations humaines propres à ce territoire.
Pour aborder les forêts médiévales de cet espace, nous limiterons celui-ci
au territoire des régions continentales actuelles françaises soumises à un
climat méditerranéen, c’est-à-dire un climat à étés chauds et secs : cela
correspond à la zone littorale et à l’arrière-pays, jusqu’aux premiers
versants du Massif central et des Alpes du Sud. Les connaissances
proviennent de trois types de sources : les études paléo-environnementales,
les vestiges archéologiques et les sources écrites.

L’apport des données paléo-environnementales


Pollens et spores fossiles, charbons de bois, graines et restes d’insectes
coléoptères trouvés sur des sites naturels constituent des paléo-bio-
indicateurs de premier choix pour reconstituer les grands traits de l’histoire
passée des forêts. Ces indicateurs peuvent aussi apparaître sur des sites
habités, dans des accumulations de déchets d’activités vivrières, artisanales
ou industrielles, voire d’objets résultant d’une production humaine2.
Cependant, à la différence des régions soumises aux climats océanique ou
continental, la région méditerranéenne, par son caractère xérique, n’est
guère riche en zones sédimentaires humides propices à la bonne
conservation des matériaux organiques et des paléo-bio-indicateurs. C’est
plutôt dans l’arrière-pays, aux confins de la Haute-Provence et du monde
alpin ou aux limites du Languedoc (Cévennes, Haut-Languedoc, Aude) et
des influences océaniques, que ce type de milieu va abonder, ainsi que dans
les zones lagunaires littorales et marécageuses proches de l’embouchure des
cours d’eau. Autant dire que l’éclairage donné livrera souvent une
perception régionale procurée par des échantillons très localisés.
Bien souvent, le taux de sédimentation des zones humides
méditerranéennes est d’une lenteur telle que les sédiments n’offrent qu’une
modeste résolution chronologique, ce qui gêne la reconstitution dans le
temps des séquences polliniques fondées sur la détermination et le
comptage des grains de pollen et des spores fossiles. Par ailleurs, la période
médiévale constitue la partie ultime de ces séquences dont l’interprétation
est rendue délicate par le fait qu’elles peuvent être soumises à des
remaniements. Malgré cela, tous les travaux révèlent l’état ouvert du milieu
forestier médiéval : les épisodes de déboisement sont attestés par une chute
marquée des courbes des pollens des taxons arboréens (un taxon est un
ensemble d’êtres vivants qui appartiennent à un même groupe de la
classification : espèce, genre, famille, etc.), par le dynamisme des
fréquences des marqueurs de l’anthropisation et par l’apparition de
charbons d’essences de milieux ouverts3.
Les pollens piégés dans les niveaux médiévaux des sédiments de la basse
vallée du Rhône révèlent un état en partie hérité de l’Antiquité, caractérisé
par l’ouverture très nette des formations à chêne caducifolié et à pin, tandis
que les formations mésophiles à saules et aulnes des bords de cours d’eau
deviennent de plus en plus discrètes4, le tout étant corroboré par la présence
de restes d’insectes coléoptères caractéristiques des milieux ouverts5. Dans
des sédiments marins de la région marseillaise, Jacques Bernard6 a montré
une très forte augmentation des taux de pollens de pin d’Alep tandis que
ceux des autres essences régressent, vraisemblablement liée à la capacité du
pin à se régénérer dans un contexte où les défrichements et les incendies se
multiplient.
La séquence pollinique de Marsillargues (Hérault) met en évidence, à
partir du VIIe siècle, la progression des Cupressacées, famille d’arbustes qui
compte notamment le genévrier, quasiment inexistants auparavant. Or, les
genévriers sont des marqueurs de friches participant à l’évolution post-
culturale et précèdent la reconstitution d’un sol et d’un couvert forestiers.
Accompagnant le déclin global de la chênaie, la progression des genévriers
à Marsillargues semble refléter la pratique d’essartages temporaires. Dans
l’est du Languedoc, le processus de déboisement de la chênaie et les
indicateurs d’anthropisation déjà perceptibles s’intensifient vers la fin du
Xe siècle et le début du XIe siècle : la progression des espèces à feuillage
persistant (chêne vert, Éricacées, buis) marque l’ouverture de la forêt,
conjointement à un essor agricole (voir Figure 1) qui se traduit par une
augmentation des pollens de céréales, olivier, vigne, châtaignier et noyer7,
le XIIIe siècle apparaissant comme l’apogée du phénomène8. Plus en altitude,
sur le flanc sud-ouest du mont Lozère, les déboisements augmentent à partir
du VIIIe siècle, puis s’accentuent avec le développement d’une activité
métallurgique consommatrice de bois attestée par l’installation d’ateliers de
plomb argentifère aux XIe et XIIe siècles, dont la présence est confirmée par
les charbons de bois de hêtre associés aux nombreux sites à scories9. Dans
les Alpes méridionales, au lac de Faudon, après un essor des pinèdes entre
le Ve siècle et le début du IXe siècle, des déboisements importants détruisent
totalement la hêtraie-sapinière, accompagnés d’une explosion des activités
agropastorales qui s’accroît encore aux Xe et XIe siècles et atteint son apogée
au XIIIe siècle10. Partout, les déboisements liés à la conquête de la terre
aggravent l’érosion transportant une sédimentation qui, peu à peu, comble
les zones lacustres littorales.
La pédoanthracologie, fondée sur l’identification des charbons de bois
enfouis dans les sols, offre l’avantage d’être applicable sur sols secs,
abondants en région méditerranéenne, qu’ils soient calcaires ou siliceux11.
Elle renseigne les essences présentes et reconstitue les dynamiques
forestières sur le site échantillonné. Dans le massif des Maures,
l’augmentation de la fréquence des charbons de pin maritime, chêne-liège,
ciste, bruyère et arbousier semble indiquer une augmentation de l’emprise
de l’homme sur son milieu marquée par une amplification du régime des
feux12. En Languedoc, les analyses anthracologiques font état d’une
disparition de la ripisylve humide au profit de terres céréalières et de
prairies humides à partir des années 1020-1040. D’après Aline Durand13, la
réorganisation de l’agrosystème nécessitant de gagner des surfaces pâturées
provoque la multiplication des incendies qui favorisent les associations
forestières ou semi-forestières à pin : très pyrophyte, cette essence prend
alors son essor dans la moyenne vallée du Rhône.
Figure 1 : Diagramme pollinique de l’étang de Palavas, Hérault
(Azuara et al., « Late Holocene Vegetation Changes in Relation With Climate Fluctuations and
Human Activity in Languedoc (Southern France) », Climate of the Past, 11, 2015, p. 1769-1784).

Les témoignages archéologiques


En raison des médiocres conditions de conservation des matériaux
organiques offerts par les sols et le climat méditerranéens, les vestiges
archéologiques (bois, graines) constituent des corpus difficilement
exploitables pour renseigner l’état de la forêt médiévale. En revanche, les
bois d’œuvre utilisés pour la charpente et les plafonds représentent une
source digne d’intérêt.
À l’abbaye de Psalmodi proche d’Aigues-Mortes, Aline Durand a
identifié parmi les restes carbonisés provenant de bois de construction (IVe-
XIIe siècle) du sapin, du frêne, du pin d’Alep et du chêne caducifolié14.
Si les planchers et les charpentes des édifices méditerranéens revêtent une
importance tant au niveau de la technique de construction que des décors
peints, les pièces de bois qui les constituent, étudiées sous l’angle du tissu
vivant dont elles sont issues, renseignent indirectement sur les forêts
médiévales locales. Ainsi, au cours de plus de trente années de tentatives de
datation dendrochronologique de ces édifices, nous n’avons qu’à deux
reprises été amené à rencontrer une espèce méditerranéenne pour la
confection de la charpente : il s’agissait d’une série de chevrons en chêne
(vraisemblablement le chêne pubescent local, mais la similitude anatomique
du bois des chênes caducifoliés nous empêche d’en être complètement
certain) d’une maison de la rue des Fontaines à Taulignan (Drôme) et de
poutres de plafond d’une maison de village à Peyriac-Minervois (Aude).
Partout ailleurs, soit dans près d’une quarantaine d’édifices localisés de
l’Aude au Var, aucune essence méditerranéenne forestière n’a été identifiée
dans la moindre charpente : ni pin d’Alep, pin pignon, pin maritime, ni
chêne pubescent, ni chêne vert. Les essences identifiées sont, de loin le plus
représenté, le sapin, puis le mélèze, l’épicéa, et le pin sylvestre, à une seule
reprise. Même si le sapin est rencontré en Haute-Provence et le pin
sylvestre sur les versants nord des chaînons méditerranéens, il s’agit
d’essences qui relèvent moins de la région biogéographique
méditerranéenne que de la région euro-sibérienne où elles abondent dans les
étages de végétation montagnard et subalpin. Leur présence sous forme de
poutres de plafond ou de pièces de charpente à Avignon, Arles, Montpellier,
Narbonne ou Lagrasse témoigne d’une véritable importation de bois au
Moyen Âge en région méditerranéenne pour pallier une carence en bois
d’œuvre locaux de qualité15.
Dès les XIIe et XIIIe siècle, la Provence, et plus particulièrement ses cités
urbaines, ont consommé du bois d’œuvre. La demande croissant avec le
développement du pays, les Marseillais constatent, aux XIVe et XVe siècles,
leur dépendance vis-à-vis de l’arrière-pays, comme le montre cet extrait
emprunté à Denis Furestier :
Quelques chevrons et quelques poutres équarris dans des résineux nous arrivaient de Cassis,
de La Ciotat ou de La Cadière, et quelques radeaux de la vallée de l’Argens. Il fallait faire
venir le bois d’assez loin, notamment de la région alpestre de la haute Durance dont les sapins
renommés nous arrivaient par voie d’eau16.

Les importations de bois de construction sont attestées par des contrats de


commande, de transport ou de vente, et par les tarifs et comptes des
multiples péages dressés sur la route de ce matériau17. Sur l’Aude, des
documents nous indiquent qu’en 1227 des droits étaient perçus pour les bois
passant par la ville de Limoux. Les villes de Basse-Provence occidentale
étaient alimentées pour l’essentiel par les forêts du Genevois (Belley), du
Vercors (Die, Sassenage), du Grand Buëch, du Dignois, de l’Ubaye et du
Gapençais. Pour les plus longues distances et pour les pièces les plus
importantes, le transport par voie d’eau – quand celle-ci existait – était le
plus souvent employé. Les grumes de bois étaient assemblées en radeaux
pour approvisionner les régions situées en aval. Les travaux de Denis
Furestier18 sont, sur cet objet, éloquents. La plus ancienne mention
retrouvée de radeaux est un acte daté du 28 juillet 1094 dans lequel le
marquis et comte de Provence exempte l’abbaye de Saint-Victor de
Marseille des droits auxquels il aurait pu prétendre sur les radeaux de
l’abbaye descendant par la Durance ou par le Rhône. Un siècle plus tard, en
1190-1193, le comte de Forcalquier demande aux habitants de Cucuron
(Vaucluse) de veiller sur les trains de bois que l’abbé de Boscodon (Hautes-
Alpes) entendait envoyer en Provence19. Il en résulta qu’à compter du début
du XIVe siècle, une véritable hémorragie affectait les forêts de Provence
alpine qui ravitaillaient jusqu’au marché génois20. D’Avignon à Lagrasse,
les plafonds et charpentes conservent de nombreuses traces archéologiques
du transport du bois par flottage depuis les régions de montagne. Les coins
qui bloquaient les ligatures chargées de maintenir les grumes en radeau sont
toujours pris dans de nombreuses poutres ; recoupés par les charpentiers,
ces éléments affleurent au ras des pièces de charpente (voir Figure 2). Le
nombre élevé de liens retrouvés sur les charpentes du Midi rhodanien et de
la Basse-Provence atteste, comme les sources d’archives, l’importance de
l’emploi du bois de construction d’importation dans la charpenterie de la
région méditerranéenne. Les contraintes associées à la rareté, les distances à
parcourir et les péages à franchir eurent pour inconvénient de faire grimper
le prix du bois, aussi les charpentiers provençaux rhodaniens
s’employèrent-ils à trouver des solutions architecturales associant économie
de matériaux et performances techniques21.

Figure 2 : Solives de l’hôtel Arlatan à Arles (Bouches-du-Rhône) : chevilles de blocage des ligatures
des radeaux (cliché F. Guibal).
Figure 3 : Traces d’encastrement des bois de charpente, Montpaon (Fontvieille, Bouches-du-Rhône)
(cliché F. Guibal).

Un autre ensemble de données indirectes provient des bois architecturés


issus de la construction rupestre médiévale en Basse-Provence. Là, sur
quelques promontoires, subsistent les vestiges d’un habitat adossé au rocher
dans lequel les traces d’encastrement d’éléments en bois architecturés
apparaissent sous la forme de trous creusés ou réservés dans la paroi (voir
Figure 3). Les bois se limitent à des fragments carbonisés, témoins de
l’incendie des sites, piégés dans les sols, au pied des parois. L’identification
anatomique des charbons a mis en évidence l’emploi d’une essence locale,
le pin d’Alep, et d’essences importées, le mélèze et l’épicéa22,
vraisemblablement utilisées pour les pièces de plus grandes dimensions
(voir Figure 3).

Les sociétés humaines et la forêt


Ces témoignages archéologiques nous apprennent que la forêt
méditerranéenne médiévale était difficilement en mesure de répondre aux
besoins des cités en bois de construction. Mais quelles ressources offrait
donc cette forêt ?
L’une des ressources premières d’une surface boisée est d’être un lieu de
pâture et de fourrage. En région méditerranéenne où une partie de la
croissance végétative se déroule en saison sèche, les prairies naturelles ne
suffisent pas à nourrir le bétail et la jachère ne produit pas suffisamment
d’herbe : le pacage en forêt est alors une nécessité. Glands, faînes, fougères,
genêts et feuilles mortes sont aussi ramassés, aussi bien pour nourrir les
bêtes que pour confectionner leur litière.
Mais la forêt ne sert pas qu’à l’élevage. Elle fournit aussi le bois : bois de
feu à usage domestique ou artisanal (verrerie, poterie, tuilerie, briqueterie,
plâtre, fours à chaux), bois d’activités minières et métallurgiques, bois de
construction et de menuiserie, tonnellerie, broquerie, vaisselle. La
transformation in situ de la matière ligneuse constitue aussi une source de
revenus considérable : charbonnage, gemmage et production dérivés de la
distillation du bois (goudrons, poix). Dans l’arbre, d’autres organes que le
tronc ou les branches (écorces, feuilles et fruits) sont recherchés pour la
levée du liège, l’écorce à tan et à colorants, et les châtaignes23. Ajoutons la
cueillette de denrées alimentaires tels les champignons, les asperges et baies
sauvages, les plantes aromatiques, le ramassage du bois mort pour les
besoins domestiques principalement et la récupération des mousses, des
feuilles, de l’humus, des produits de débroussaillage qui permettent aux
plus pauvres de fertiliser la terre par la pratique du soutrage (enlèvement de
la couche superficielle du sol afin de récupérer entre autres le fumier
décomposé produit par les bêtes paissant en forêt). Toutes les richesses de la
forêt sont exploitées et, afin d’éviter les difficultés de transport des
matériaux et les dépenses qui s’ensuivent, de nombreuses activités sont
fixées dans la forêt même : charbonnières, fours à chaux, fours à poix y
abondent. Verreries, poteries, tuileries, briqueteries sont souvent en lisière,
installées à proximité des ressources en bois de chauffe24.
Source de multiples usages, la forêt est vite victime de la prospérité
qu’elle offre, car les défrichements la diminuent, les troupeaux
l’endommagent et les coupes abusives l’affaiblissent, ce qui explique les
litiges sur les droits d’usage qui mettent en jeu le droit de couper et de
ramasser du menu bois pour se chauffer ou « lignérer », le droit de se
procurer le bois de construction ou « bosquérer » et le droit de faire paître
son troupeau25.
Par la pratique du feu courant, des brûlis et de l’essartage, cultivateurs et
éleveurs gagnent sur les bois des terres de cultures temporaires ou des
terrains de parcours pour leurs troupeaux. Bien que perturbées par la
détérioration de la végétation, les terres bénéficient de la fumure apportée
par les bêtes. Parcourant la forêt, le bétail y puise les éléments fertilisants
qu’il restitue sous forme d’excréments. Rien ne se perd puisque la richesse
de la forêt utilisée par l’élevage profite aussi à l’agriculture ; l’espace rural
est donc organisé pour servir les besoins de l’ensemble de la communauté et
éviter tout conflit. Or, ces différentes utilisations des bois ne tardent pas à
devenir concurrentes. Chaque usager veut profiter, au mieux de ses intérêts,
des richesses de la forêt et s’inquiète des profits qu’en tire son voisin. Les
forêts voient ainsi s’opposer ceux qui entendent les défricher, ceux qui
veulent y faire pâturer leurs troupeaux ou ceux qui exploitent le bois.
Espaces limités et convoités, les forêts deviennent un espace conflictuel qui
doit dans le même temps satisfaire l’éleveur, l’agriculteur et l’artisan.
Toujours latents, ces conflits s’exacerbent en cas de pénurie ou de hausse
des besoins26.
Si la forêt foisonne de ressources, elle est aussi source de menaces. En
Haute-Provence et dans les Alpes du Sud, longtemps, nous dit Thérèse
Sclafert,
le recul des arbres fut enregistré comme une victoire. Voisine des lieux habités, la forêt
constituait un danger perpétuel : impénétrable au regard, elle limitait le champ où s’exerçait la
vigilance, sa profondeur favorisait les embuscades et exposait aux attaques soudaines ; les
bêtes sauvages qui se multipliaient dans son obscurité tranquille s’abattaient sur les cultures
ou décimaient le troupeau. Les voyageurs ne s’y engageaient pas sans effroi27.

Enfin, aux yeux du paysan, dont les récoltes sont souvent précaires, la
forêt apparaît comme une ennemie qui attire à elle tous les sucs de la terre
pour nourrir une végétation inutile.
Signalés dès les plus anciens textes, l’essartage et le fournelage
(arrachage et amas de végétaux qui sont incendiés) se font aux dépens des
bois et des garrigues dont le terme apparaît dans la première moitié du
XIe siècle, en différents endroits de Haute-Provence et de Provence littorale.
Substituer la terre cultivable au bois improductif est le geste spontané du
moine comme du paysan. En Haute-Provence, en 1266, les moines du
monastère de Gruis, près de Sisteron, mettent le feu à une partie de la forêt
de Malefougasse située au sud de la montagne de Lure, pour gagner des
terres labourables28.
Dans ces pays de climat sec, à la topographie souvent mouvementée, où
les surfaces enherbées sont réservées pour les troupeaux, les bois ne
peuvent manquer de solliciter l’activité du cultivateur. La meilleure terre
est, en effet, celle où les arbres, établis depuis longtemps, conservent un
humus plus ou moins profond, mais toujours fertile. Il suffit de le mettre à
nu. La nécessité de s’adresser à l’humus forestier comme source nutritive
des végétaux cultivés donne lieu à des procédés variés, signale Georges
Kuhnholtz-Lordat29, pour le rendre utilisable. À l’origine, le but des
incendies ne paraît pas être l’obtention de cendres, mais la simple mise à
découvert de l’humus et le nettoiement pour la culture. Les textes nous
disent comment on y parvenait : on pratiquait l’essartage ou le fournelage
du bois, deux termes indiquant des procédés et des résultats à peu près
similaires. Cette conquête de la terre ne se faisait pas sans grand effort : il
fallait, d’abord, amonceler des broussailles, des arbrisseaux, que l’on
recouvrait d’herbes et qui formaient autant de fours, ou fournelles, auxquels
on mettait le feu. Le mode de déblaiement par le feu était peu coûteux et,
dans l’immense majorité des cas, donnait de meilleurs résultats que les
extirpages mécaniques qui, en région méditerranéenne, favorisent l’érosion
par ruissellement, amorce de l’érosion torrentielle.
Qu’entend-on par essarter ? Essarter, ou pratiquer le sartage à feu couvert,
consiste à arracher et couper tous les bois d’essences de la sous-strate
forestière connus sous le nom de mort-bois, soulever à la pioche les
herbacées et faire des petits fourneaux auxquels on met le feu. Lorsque
l’incinération est terminée, on répand les cendres et la terre brûlée. On
ensemence le sol en céréales pendant quelques années, pour recommencer
de même à intervalles réguliers, environ tous les dix ans. Appliqué de la
sorte, sous climat humide, l’essartage amende le terrain par l’apport des
cendres, le rend plus pénétrable aux racines et élimine les essences
indésirables. Sous climat chaud et sec, là où le sol est maigre et pauvre en
matière organique, cette opération se révèle nuisible car elle ne fournit
qu’un engrais factice et réduit le terrain à l’état de sable en lui enlevant son
peu de cohésion. Sur les pentes un peu raides, elle devient désastreuse, car
elle livre le sol à la merci des eaux. Une pratique commune consistait aussi
à brûler la terre avec les végétaux qui la recouvrent et les racines présentes
dans les horizons supérieurs du sol, en établissant des fourneaux. On traitait
non seulement les champs cultivés, les vieilles prairies, mais aussi les
garrigues, les terrains de parcours et de pâturage, les landes et les versants
des montagnes. Les défrichements étaient des entreprises individuelles mais
en principe et, pour un temps du moins, acceptées et contrôlées par les
pouvoirs seigneuriaux. Croyant suppléer à l’engrais qui leur manquait, par
la combustion d’une faible quantité de végétaux, les cultivateurs se hâtaient
de recueillir plusieurs récoltes successives de céréales mais ne concevaient
pas que, pour obtenir un médiocre accroissement de revenu, ils dévoraient
le capital. Qu’arrivait-il ? La fine couche de terre végétale donnant toujours
sans rien recevoir, lavée par les pluies, épuisée par une culture forcée, ne
tardait pas à devenir stérile ; le paysan la délaissait alors, pour la défricher
une deuxième, une troisième fois, après un certain intervalle de temps30.
Les cendres forestières issues du fournelage, riches en potasse, étaient
répandues, mais lorsque l’épandage n’alternait pas avec celui des engrais
organiques, la terre s’épuisait vite. Parfois pour enrichir la terre, le bois
voisin était attaqué ; buis et jeunes chênes étaient arrachés pour faire
décomposer leurs branches et feuilles qui fournissaient un engrais excellent.
Il n’est donc pas exagéré de conclure que l’impact des cultures était
désastreux pour les espaces boisés sur lesquels on les avait créées et aux
dépens desquels on s’ingéniait à les maintenir.
Le recul progressif des bois et des garrigues était loin de se traduire par
une extension des cultures. Au bout de quelques années, quand la récolte ne
payait plus l’effort déployé, il fallait abandonner la terre à elle-même. Sous
climat chaud et sec, sur des sols souvent pentus et peu profonds, la terre,
privée de la protection des bois qui avaient reculé à cause d’elle, ne pouvait
régénérer son humus et devenait d’une instabilité extrême que ne pouvait
corriger une végétation s’appauvrissant de plus en plus. Soleil, eau et vent
pouvaient impunément conjuguer leurs forces pour mettre à nu la roche-
mère que la végétation recouvrait à peine. Sans doute quand les conditions
étaient particulièrement favorables, des jeunes plants d’arbre
réapparaissaient ici et là sur le champ abandonné, prêts à reconquérir leur
place primitive, mais le cas était probablement rare ; le plus souvent, les
plants naissants, piétinés ou dévorés par les troupeaux, ne parvenaient ni à
se développer ni même à se maintenir.
Les lignes précédentes ont montré l’ampleur des ravages des défricheurs
de la forêt. D’autres ravages, tout aussi funestes, furent l’œuvre des
troupeaux, à tel point qu’il est bien difficile d’établir la part qui revient à la
culture et à l’élevage dans la déforestation. À côté de la cueillette des
denrées alimentaires et de la collecte du bois pour le chauffage, la
construction ou l’outillage agricole, une autre ressource est liée à l’élevage
puisqu’on ramasse en forêt les feuilles mortes pour la litière, les glands pour
l’engraissage des pourceaux, et qu’on pratique le pacage et le pâturage des
troupeaux. Comme il n’existe pas assez de prairies naturelles pour nourrir le
bétail, et comme la jachère, exposée à la sécheresse de l’été, ne produit pas
assez d’herbage, le pacage est une nécessité. La forêt va alors vite se
dégrader à cause de la surcharge de bétail ; les moutons arrachent les
broussailles et l’herbe qui retiennent le sol, leur piétinement achève de le
rendre instable et provoque le ravinement au moment des pluies. De plus, il
faut compter avec l’abondance des chèvres qui rongent l’écorce des arbres
et étêtent les pousses, et l’habitude de certains bergers qui mettent le feu à
la forêt pour qu’au printemps l’herbe tendre croisse sur le brûlis. Feux
d’installation et feux d’entretien sont pratiqués pour créer et maintenir le
pâturage au détriment du boisement préexistant, les seconds relevant plus
d’un désir que de la réalité, car les feux périodiques entraînent
inexorablement l’appauvrissement du pâturage en bonnes espèces
alimentaires. Ainsi, la forêt a été dévastée par les troupeaux.
Arrive alors un moment où les populations exercent une pression de plus
en plus forte sur les espaces boisés pour satisfaire leurs usages domestiques,
alimenter les industries en matière première ou en matière énergétique et
servir les besoins de l’agriculture et de l’élevage (voir Figure 4). La
multiplicité de ces usages ne peut qu’entraîner des conflits.

Les mesures de protection


En Languedoc, les défrichements du IXe au XIe siècle ont largement réduit
les massifs forestiers au point d’entraîner une réglementation des droits
d’usage à partir de 115031. Seule la coupe des branches mortes est autorisée
puis l’interdiction devient totale. Chêne vert et chêne pubescent deviennent
interdits de coupe afin d’assurer la révolution des taillis qui demande une
vingtaine d’années. Les premières mises en défens apparaissent vers 1034
près de Sauve (Gard) et se généralisent, en plaine et en garrigue, dans le
dernier quart du XIIe siècle, du fait de la surcharge pastorale32.
En Provence aussi, certains seigneurs se rendent compte que le pacage du
bétail et les droits d’usage endommagent la forêt. Au XIIIe siècle, dans les
monts de Vaucluse, région montagneuse située au nord-est du département,
Isnard d’Agout, baron de Sault, reconnaît au prieur du monastère Saint-
Christol-d’Albion le droit de faire paître ses troupeaux dans les bois et d’y
prendre du feuillage pour les nourrir, de couper des arbres pour bâtir ou
réparer ses maisons, et de confectionner toutes sortes d’ustensiles, tous ces
usages étant limités aux seuls besoins du monastère. De même, Isnard
autorise sept chefs de famille qu’il accueille pour peupler le château de
Saint-Christol, à prendre du bois pour leur feu, à couper des arbres pour leur
maison, mais leur interdit de tirer tout bois hors du terroir sans son
autorisation, et de ne faire aucune coupe contre sa défense33. En 1273, une
sentence établie entre les coseigneurs de Saint-Christol et l’abbaye de
Sénanque ne restreint pas l’engraissement du bétail sur les terres incultes,
mais réglemente l’accès à la forêt. Le troupeau du monastère peut y
pénétrer jusqu’à la Saint-Michel en même temps que celui des habitants.
Les moines peuvent faire ramasser les glands par dix hommes lorsque les
habitants du village le font aussi, mais l’Église se réserve le privilège de
glandée quinze jours avant tout le monde. L’abbaye, quant à elle, ne peut
faire paître plus de trente chevaux ou vaches. Pour protéger cette forêt, les
seigneurs mettent des secteurs en défens. Malgré cela, des bois de
construction sont vendus illicitement34.
Figure 4 : Troupeau d’ovins au milieu des pins d’Alep dans le massif des Alpilles (cliché L. Roux).

Une charte établie le 8 septembre 1321 règle les questions de pâture, de


coupe de bois et de glandée entre les représentants de la communauté de
Sault, et ceux des communautés de Monieux, Durfort et Saint-Trinit, y
compris son prieur, sur la demande de Raymond d’Agout, le seigneur. Il y
est dit que la glandée sur les terres ensemencées est réservée à ceux qui les
cultivent, sous menace d’amende pour les contrevenants. Sur les friches, la
glandée est libre. Il est interdit à toute autre personne qu’au propriétaire de
couper au pied ou de tailler un arbre à feuilles caduques sur une terre
travaillée ou dans un pré. Mais une plus grande licence est accordée pour la
fabrication, sans intention commerciale, des instruments nécessaires à la
culture. Pour les fours à chaux et la fabrication du charbon de bois, un
accord est passé entre les communautés. Sur les terres incultes, après
autorisation expresse du seigneur propriétaire du terrain, les habitants des
communautés impliquées peuvent couper arbres et arbustes sauf ceux à
feuilles caduques qui ne peuvent être qu’émondés. Cette permission, placée
sous la menace d’une amende, ne s’étend pas à l’exploitation
commerciale35. Dans ces droits de ban et usages dans les forêts, il est aussi
question de corvées pour le ramassage et le transport des glands. Il est
également institué un défens pour les porcs du seigneur, un autre pour ceux
des habitants, le reste des glands étant commun aux deux parties. Le
propriétaire de tout porc errant sur des terres mises au ban paie une amende.
Le Comtat Venaissin, où les statuts villageois sont aussi nombreux que
précoces, est une région vauclusienne de riche plaine agricole à l’ouest et de
moyennes montagnes arides à l’est qui offre un terrain très favorable pour
une étude des réglementations consacrées à la forêt ; le travail de Nicolas
Leroy36 à ce sujet fait autorité, car il permet de comprendre les rapports de
force et les préoccupations qui ont pu conduire à des réglementations
concernant l’exploitation de la forêt.
En 1297, à la suite de l’atteinte portée par les villageois de Venasque aux
droits des villageois du Beaucet sur l’exploitation des richesses forestières
de la montagne de Venasque, un arbitrage est rendu par l’évêque de
Carpentras, Bérenger, pour régler le différend entre les deux communautés.
L’arbitrage reconnaît à la communauté du Beaucet le droit d’exploiter la
forêt dans les termes mêmes de la demande qui lui a été adressée, sans
aucune limite pour la coupe du bois, mais réservant en faveur des seigneurs
de Venasque une taxe sur les produits de la forêt. Aucun document ne
permet cependant de s’assurer du respect par les habitants de Venasque des
droits de leurs voisins du Beaucet. Les usages reconnus à ces derniers vont
implicitement être remis en cause par les statuts de 1464. De fait, la
montagne de Venasque se trouve dévastée par une exploitation abusive et
désordonnée. S’il n’est pas remédié à cette situation, la communauté court à
la catastrophe : la montagne deviendra infertile, ce qui conduira à la
dépopulation du lieu. En d’autres termes, l’état de la forêt de Venasque met
en cause la survie même de la communauté. La communauté dans son
ensemble se sent concernée par la conservation de la forêt et demande à son
seigneur, l’évêque de Carpentras, Jean de Montmirail, d’intervenir. À
l’image de la plupart des villages comtadins de l’époque, c’est de la
communauté que viennent les statuts. Le parlement général du village,
l’assemblée des habitants ou tout au moins des chefs de famille, formule
des conclusions, présentées par les deux syndics et leur conseiller, au
seigneur, aussi passif en 1464 qu’en 1297. Le texte de Nicolas Leroy est
instructif :
Il n’est dès lors pas étonnant que la communauté dans son ensemble se sente concernée et
demande à son seigneur d’intervenir. Il est, également, remarquable que cette situation ne soit
imputée à personne en particulier. Il n’est à aucun moment question de rivalités entre
communautés, notamment avec celle du Beaucet, tout au moins explicitement. Celles-ci se
retrouvent en effet dans l’esprit du texte. La cause de la dévastation de la forêt de Venasque
est son exploitation désordonnée, un usage trop intensif et trop peu contrôlé37.

La survie de la forêt est au cœur des préoccupations de la communauté et


les statuts forestiers prennent les mesures qui doivent permettre de l’assurer.
Contrairement à ce qui peut se trouver dans d’autres réglementations
villageoises, les statuts de 1464 ne prévoient jamais une interdiction
générale de couper ou de ramasser du bois mais veillent à assurer la défense
des arbres. Il est donc question de l’écorçage des arbres, de la dimension
des haches autorisées pour les coupes, de la fabrication du charbon de bois.
La communauté avait-elle conscience de l’inefficacité des mesures trop
générales ?
L’interdiction d’arrachage de l’écorce des chênes, pratique répandue en
raison de l’importance du tan pour les tanneurs, est justifiée par le fait que
l’écorçage provoque la mort des arbres. La fabrication du charbon n’est pas
interdite, mais le bois utilisé pour sa préparation doit provenir des seuls
rameaux pouvant être coupés depuis le sol ou de souches. Il est aussi
interdit d’arracher les chênes ou d’en abattre, si ce n’est avec une petite
hache. Dans les deux cas, c’est donc la croissance des seuls grands arbres
qui est protégée et il n’est guère question des jeunes arbres qui, eux,
peuvent être coupés ou arrachés. D’autres mesures veillent à interdire
l’accès des bois aux étrangers et à ce que la vente du bois à des étrangers ne
soit possible qu’à la condition que le vendeur apporte ce bois à la résidence
de l’acheteur avec ses propres animaux. Il semble donc que la vente aux
étrangers soit rendue difficile, ce qui permet de limiter les coupes, mais ce
qui implique surtout que les étrangers ne puissent eux-mêmes venir prendre
du bois dans la forêt de Venasque. Au final, l’objectif de la réglementation
est davantage la conservation de la forêt que sa pérennité. Comme tous les
villages de Haute-Provence, Venasque est menacé par les violentes
précipitations orageuses propres à la région. Sa forêt est sa meilleure
défense contre l’érosion qui risque de rendre son territoire inculte. Il est
donc vital pour les villageois de maintenir les arbres les plus grands, ceux
dont les racines profondes retiennent la terre. Le réalisme les poussant à ne
pas interdire toute exploitation de la forêt, celle-ci porte donc sur les arbres
les plus jeunes. Un siècle après, en 1568, les mesures prises s’avèrent
inadaptées ou insuffisamment appliquées. Le territoire de Venasque étant
dévasté, le parlement général du village se tourne à nouveau vers son
seigneur, l’évêque de Carpentras Paul Sadolet, pour réclamer une
prohibition générale de coupe dans des défens inconnus du texte du
XVe siècle.
Dans la plaine comtadine, la forêt ne joue pas le même rôle qu’à
Venasque. Bien que l’érosion ne soit pas une menace pour la survie des
communautés, la protection de la forêt est une question centrale dans les
réglementations qui intéressent aussi bien les seigneurs que les habitants.
Mais, tandis qu’à Venasque, la gravité de la situation justifiait une union
autour de la défense des forêts, en plaine, la forêt, malgré son recul, est
l’objet de rivalités dans lesquelles l’intérêt poursuivi est rarement l’intérêt
général de la communauté. Pour limiter l’exploitation des forêts de plaine,
la mise en défens est la méthode la plus radicale. Toute forêt appartenant à
un particulier peut être défendue. Le propriétaire a la possibilité d’assouplir
la mesure en autorisant le ramassage du bois, sa coupe, la chasse ou
d’autres utilisations de sa forêt par les personnes de son choix, moyennant
la perception d’une redevance. À la différence des terres et forêts usagères
soumises aux contraintes communautaires et réglementations villageoises,
le défens offre au propriétaire le droit de décider de qui accédera à sa forêt.
Autre méthode d’encadrement de l’exploitation des forêts de plaine, les
droits d’usage, très variables d’une localité à l’autre, visent à apporter une
aide à la survie des seuls habitants de la communauté. Des interdictions de
principe révèlent le souci des propriétaires, généralement les habitants les
plus influents du village, de contrôler l’accès à leurs bois. Les
réglementations mentionnent que le propriétaire peut autoriser l’entrée dans
sa forêt, le ramassage, voire la coupe de bois, de façon limitée. Les coupes
ne concernent pas tous les arbres, les arbres fruitiers (dont les chênes qui
fournissent les glands aux porcs du village) en sont souvent exclus, mais
c’est surtout l’origine des bénéficiaires qui entre en compte dans ces
permissions : il est ainsi généralement précisé que seuls les membres de la
communauté peuvent jouir de la forêt voisine, à l’exclusion des étrangers.
Dans le même sens s’inscrivent les mesures qui interdisent la vente du bois
ou sa sortie du territoire du village.
Si la finalité des réglementations de la forêt de plaine est la même qu’à
Venasque, les causes sont différentes. En plaine, la forêt est perçue comme
une source de matières premières dont il faut éviter l’épuisement alors que
sur les hauteurs, sa disparition menace la survie de la communauté. En
plaine, l’âge et les dimensions des arbres importent peu, seule leur présence
préoccupe les autorités villageoises, d’où des mesures parfois prises pour
assurer le renouvellement de la forêt, mais qui reflètent un individualisme
foncier aux prises avec les droits communautaires. Uniquement considérée
comme réserve de matières premières, la forêt de plaine est, bien plus que la
forêt de montagne, l’objet de conflits. Moins que le bûcheron, le principal
danger est le bétail visé par des réglementations destinées à éviter le
piétinement ou l’abroutissement des jeunes plants. Les communautés font
valoir leurs usages forestiers, présentés comme des coutumes, auxquels les
seigneurs s’opposent. Les tensions règnent au sein des populations, entre les
propriétaires forestiers et les habitants moins bien lotis, attachés à leurs
droits d’usage dans les bois.
Les différences entre la montagne et la plaine apparaissent clairement. La
forêt rapproche les intérêts sur les hauteurs, elle les oppose ailleurs. Source
de matières premières, la forêt devient l’enjeu de rivalités que l’on retrouve
dans les réglementations villageoises qui traduisent les rapports de force
entre tous les protagonistes. Là où le pouvoir seigneurial est fort,
l’exploitation de la forêt est soumise à sa volonté. À l’inverse, en l’absence
du seigneur, la gestion de la forêt est laissée à la communauté elle-même et
reflète les tensions entre les propriétaires forestiers et les autres habitants.
Entre ces deux extrêmes, les statuts apparaissent comme des compromis
plus ou moins équilibrés, mais contrairement à Venasque, l’intérêt général
de la communauté est rarement pris en compte : seul est défendu l’intérêt
particulier38.
Héritière d’une longue exploitation antique, la forêt méditerranéenne
médiévale dispense de nombreuses ressources mais se révèle pauvre en bois
de construction de qualité. Dans une région où sécheresse, température,
vent et insolation rendent, une fois les cultures abandonnées, la reconquête
forestière plus difficile que sous d’autres climats, la résilience des
formations forestières ne s’en manifeste pas moins.
Les sources écrites nous apprennent que ces forêts fragiles et précieuses
n’étaient pas un espace de la liberté, mais de la contrainte et du conflit39. Le
lecteur du XXIe siècle, sensibilisé à la question de la durabilité des
ressources de la planète, ne manquera pas de voir dans les rapports entre les
sociétés humaines et la forêt méditerranéenne médiévale une illustration de
la théorie des biens communs énoncée par Garrett James Hardin40. De fait,
la surexploitation de la ressource forestière, renouvelable et collective,
d’accès libre mais limitée, eut souvent pour effet d’aboutir à des tragédies.
Cependant, ce texte n’offre qu’un éclairage partiel sur la forêt
méditerranéenne médiévale. Le sujet pourrait être approfondi : les études
paléo-environnementales doivent dépasser les questions de dynamique
végétale pour raconter une histoire spatialement plus précise, les études
archéologiques du bâti doivent s’intéresser davantage à l’architecture
vernaculaire provençale et languedocienne, et les textes doivent élargir leur
échelle spatiale et viser une perception diachronique.
Les forêts montagnardes du versant nord des Pyrénées
Vanessa Py-Saragaglia, Sylvain Burri, Léonel Fouédjeu Foumou
Le versant nord des Pyrénées, et en particulier sa partie orientale, a
constitué un véritable creuset pour l’histoire environnementale et forestière
française. De nombreuses recherches, souvent avant-gardistes, y ont été
menées pour caractériser les interactions complexes entre le climat, la
végétation et l’humain durant les onze mille dernières années41. Elles ont
largement contribué au renouvellement des connaissances, mais aussi au
développement méthodologique de l’écologie historique et de l’étude de
végétaux fossiles (pollens, graines, charbons) archivés dans les lacs et les
tourbières et même dans les sites archéologiques. Ces montagnes sont
encore aujourd’hui le laboratoire de nouvelles expérimentations
méthodologiques pour affiner la résolution spatiale et temporelle des
données paléo-écologiques et ainsi restituer une image plus fidèle des
paysages et de leurs évolutions42.
Ces travaux démontrent l’anthropoconstruction, c’est-à-dire la
construction humaine, des forêts actuelles. En effet, comme ailleurs, les
hommes ont façonné les forêts et les zones incultes boisées pour répondre à
leurs besoins en combustible domestique, artisanal (terre cuite, verre,
forges) et industriel (sidérurgie), en bois d’œuvre (bâtiment), et en une
multitude de matières premières végétales et animales (feuilles, écorces,
matières dures animales, peaux, fourrures, denrées alimentaires, etc.) pour
les artisanats (tannerie, teinturerie, etc.). Ce façonnage s’est traduit par la
valorisation ou bien l’élimination de certaines essences et par la mise en
place de modes de gestion complexes dans une perspective plus
économique qu’écologique au sens moderne du terme. Malgré une emprise
et une pression humaines croissantes sur les forêts pour produire des
ressources, un paradoxe interpelle : des forêts anciennes et matures existent
aujourd’hui en divers secteurs du versant nord des Pyrénées. Leur récent
inventaire a mis en évidence un nombre et une superficie supérieure à la
moyenne française43. Ces vieilles forêts qui sont le cœur vert des Pyrénées,
offrent de nombreux services écosystémiques (ceux rendus par les
écosystèmes aux sociétés) et représentent un patrimoine naturel et
historique exceptionnel aujourd’hui menacé par les changements globaux
(dérèglement climatique, pollutions, industries). Elles gardent en mémoire
leurs usages passés et constituent d’importants réservoirs de biodiversité
qu’il s’agit d’étudier et de préserver. Réparties de façon discontinue et
inégale sur toute la chaîne, elles se concentrent dans les Hautes-Pyrénées et
les Pyrénées-Atlantiques, tandis qu’elles sont plus disséminées en Ariège et
dans les Pyrénées-Orientales. De très rares analyses dendrochronologiques
datent l’installation de vieilles forêts pendant la fin du Moyen Âge et
l’époque moderne44. Si des facteurs environnementaux expliquent la
préservation de certaines d’entre elles situées dans des « niches » et/ou des
stations refuges peu accessibles, le maintien ou la disparition d’autres est
surtout le fruit d’une histoire qu’il s’agit de retracer. Si la période comprise
entre le milieu du XVIIe siècle et le début du XXe siècle a été étudiée en
plusieurs secteurs en raison de l’importante augmentation de la
documentation écrite issue de la réformation des Eaux et Forêts et de la
rationalisation de la gestion forestière au sein d’une institution centralisée45,
le long Moyen Âge et le début des Temps modernes demeurent globalement
méconnus.
Pourquoi ce manque d’intérêt pour cette période, pourtant perçue par les
historiens, les géographes et les palynologues46 comme un rouage majeur
de la construction des paysages pyrénéens ? D’abord parce que les
spécialistes des végétations passées se sont de fait plus consacrés aux
périodes plurimillénaires du Néolithique et de l’âge du bronze47, mieux
appréhendées par l’étude des archives sédimentaires (lacs, tourbières). Et
aussi parce que c’est au Néolithique que s’est enclenché le processus de
destruction de la forêt primaire, héritée de la colonisation postglaciaire, en
très haute montagne comme en plaine. Puis c’est à l’âge du bronze que se
sont déployées, avec une forte variabilité valléenne, les sociétés
agrosylvopastorales et pastorales, entraînant un premier abaissement de la
limite supérieure des forêts, le déboisement de pans de montagnes et la
perturbation des écosystèmes montagnards subnaturels ou encore vierges.
Bien que déployée sur un millénaire, l’époque médiévale est le plus
souvent décrite succinctement dans un paragraphe d’article, et ceux qui y
sont consacrés sont rares48. Ce serait comme si le Moyen Âge n’avait rien à
dire, ou plutôt qu’il avait déjà tout dit ; comme si le schéma évolutif des
forêts durant ce millénaire, avec ses grandes phases de rétractation et
d’expansion, avait été uniforme et synchrone à l’échelle des Pyrénées, voire
des montagnes médiévales d’Europe occidentale ; comme si le scénario
était déjà connu à l’avance et ne méritait pas des arrêts sur images et des
gros plans. La micro-histoire révèle au contraire que derrière cette
apparente uniformité se cache une multitude de trajectoires locales ou
valléennes49. Or, changer d’échelle d’étude, c’est aussi entrer dans la
complexité. Par ailleurs, c’est se confronter à la difficulté de jouer avec des
archives, des indicateurs, des représentations, des qualités de données et des
cadrages différents en fonction des phases et des disciplines. Car
contrairement à leurs héritières, les forêts médiévales ne se laissent pas si
facilement dévoiler. Elles restent entraperçues. On les saisit par bribes, « en
négatif » des pâturages ou carbonisées dans les séquences sédimentaires, ou
encore au prisme des usages et des pratiques sidérurgiques et pastorales
parfois dévoilés par les textes et l’archéologie. En effet, le versant nord des
Pyrénées, contrairement au versant sud, souffre d’une documentation écrite
médiévale peu abondante à l’exception notable des Pyrénées orientales50.
Autant de facteurs qui expliquent qu’une synthèse interdisciplinaire sur les
forêts médiévales pyrénéennes n’ait encore jamais été écrite. Il s’agit ici
d’en proposer un premier jalon en regroupant et croisant des données
d’origines variées.

L’emprise et les fluctuations de la couverture forestière


L’histoire des forêts est faite de flux et de reflux sous l’effet combiné de
l’action humaine, du climat et d’autres facteurs naturels comme les
incendies et les tempêtes. Si le climat et ses aléas ont eu une influence jugée
« limitée » sur la dynamique forestière médiévale, la société en a été le
principal moteur. Aussi les respirations de la forêt suivent le pouls de
l’économie et des activités humaines.
Comprendre la genèse de la forêt médiévale nécessite de regarder ce qui
la précède. En l’absence de textes, les seules données dont nous disposons
sont celles des pollens et des micro-charbons fossiles. Mais ces derniers
peinent à caractériser ce qui se passe entre la fin du deuxième âge du fer et
l’époque romaine en raison de la minceur des sédiments formés durant
quelques siècles (Ier siècle av. J.-C. aux IVe-Ve siècles ap. J.-C.). Ils ne
donnent qu’une vision lissée des dynamiques végétales masquant une
diversité de situations particulières. Ils montrent globalement une
diminution des principales essences arborées (pin, hêtre, chêne et sapin
surtout) et l’augmentation concomitante des plantes herbacées qui reflètent
une phase de défrichement avec la fixation des terroirs de fond de vallée et
une expansion des activités agropastorales en altitude (voir Figure 1). Les
données archéologiques croisées avec celles des pollens et des traces de
pollutions en métaux lourds, étudiées dans la tourbière de Quinto Real dans
la vallée de Baïgorry, démontrent que l’intensification des activités
agropastorales combinée aux activités minières et métallurgiques y a
participé51. Certains secteurs au contraire, comme l’Ariège (Ranques,
Pailhères), le massif du Canigou (Les Cortalets) et la Haute-Cerdagne (Pla
de l’Orri) dans les Pyrénées orientales, connaissent une phase de maintien
des forêts d’altitude ou de recolonisation des forêts montagnardes52. Or, la
fouille des bas-fourneaux de Lercoul (Ariège)53 et l’étude des mines et des
ferriers du Canigou54 démontrent que ces massifs forestiers abritaient
également une activité minière et métallurgique. Ce constat interroge : soit
l’intensité des activités diffère d’une région à l’autre, soit la métallurgie ne
peut expliquer à elle seule le recul des forêts.
Figure 1 : Carte : localisation des principaux lieux mentionnés dans le texte et des séquences
polliniques présentées sous la carte (© Fouédjeu F. Léonel).

Graphique : évolution des principales essences forestières (pins, sapin, hêtre, chêne) à partir des
données polliniques enregistrées dans cinq tourbières pyrénéennes d’après Galop, La Forêt, l’homme
et le troupeau dans les Pyrénées : 6000 ans d’histoire de l’environnement entre Garonne et
Méditerranée, contribution palynologique, Toulouse, 1998 et « Les transformations de
l’environnement pyrénéen durant l’Antiquité : l’état de la question à la lumière des données
polliniques », Aquitania, 13, 2005, p. 317-327.

Au tout début du Moyen Âge (Ve-VIIe siècles), les forêts de basse et


moyenne altitude (sapin, hêtre et chêne) commencent à reculer
significativement sur l’ensemble du massif pyrénéen et ce processus
s’affirme sans se relâcher aux VIIIe et IXe siècles (Roques Blanques, Sost,
Cuguron, Artxilondo, voir Figure 1). Ce morcellement des forêts « par le
bas » coïncide avec une « remontée altitudinale » des terroirs agraires. Elle
se traduit par une hausse de la représentation des plantes liées aux cultures
et des céréales qui signe la mise en place d’une agriculture pérenne55. La
couverture forestière a été aussi diminuée « par le haut » avec un
démembrement des pinèdes à crochets subalpines en lien avec l’expansion
des pâturages d’altitude qui se traduit aussi par une augmentation de la
représentation des plantes pastorales et nitrophiles. Bien que pointilliste, la
documentation écrite altomédiévale laisse entrapercevoir la création de ces
nouveaux terroirs agricoles et l’installation des domaines pastoraux par les
établissements monastiques56. Cette évolution générale a connu des
intensités variables et des rythmes différents localement. La création de
nouveaux terroirs agropastoraux gagnés sur les forêts est bien saisie dans
les Pyrénées centrales et le massif du Canigou dès le VIe siècle. L’étude des
replats de charbonnage donne des informations complémentaires sur la
localisation altitudinale de la limite supérieure de la forêt dense. La datation
radiocarbone d’un replat de charbonnière localisé à 1 750 m d’altitude, sur
la soulane asylvatique (adret non forestier) (voir Figure 5, page 291) du pic
des Trois-Seigneurs (Suc-et-Sentenac), suppose qu’elle atteignait au moins
cette altitude vers le VIe siècle (voir Figure 2). Dans la haute montagne
d’Enveitg en Cerdagne, une progression des forêts est enregistrée et les
prémices de l’expansion agraire ne surviennent qu’à la fin du VIIIe siècle. Si
l’intensification agropastorale peut en partie expliquer le phénomène
général, il faut garder à l’esprit les autres prélèvements possibles. Bien que
l’activité métallurgique semble baisser d’intensité57, voire cesser dans
certains secteurs, des ateliers sont encore actifs, comme celui d’Angoustrine
en Cerdagne daté des VIIe-IXe siècles58. En outre, de récentes découvertes
archéologiques ont révélé une autre facette de l’économie forestière
altomédiévale : la production de goudron (appelé ailleurs la poix), extrait de
la cuisson du bois et utilisé pour divers usages (imperméabilisation,
protection des bois, calfatage des bateaux, soins vétérinaires, etc.). En effet,
un atelier est en fonction aux Ve-VIe siècles à Bolquère59 (Cerdagne), et fait
écho à plusieurs fours actifs entre les IIe et VIIe siècles en Andorre60
montrant qu’il ne s’agit pas d’un fait isolé. En Andorre comme en
Cerdagne, l’extraction du goudron des pins montagnards a pu contribuer à
la réduction du couvert forestier sans que ce soit pour l’heure quantifiable.
Figure 2 : Localisation des sites charbonnés de la vallée de Soulcem (en haut) et des charbonnières
de la vallée de Suc-et-Sentenac (en bas) sur la carte de végétation actuelle. (© Fouédjeu F. Léonel).

Aux Xe-XIIIe siècles, l’étude des pollens détecte d’est en ouest de la chaîne
pyrénéenne une phase d’expansion agropastorale. La couverture forestière,
qui s’était rétractée par endroits sur les flancs montagnards, se morcelle
sous l’effet du « gonflement » des terroirs agropastoraux, avec somme toute
des nuances locales traduisant ici ou là un relâchement de la pression durant
des pas de temps qu’il est difficile d’évaluer. Par endroits, notamment dans
les Pyrénées orientales (versant sud du Carlit), l’étude combinée des pollens
et des micro-charbons (Pla de l’Orri) montre que les défrichements
pastoraux utilisant le feu ont provoqué la diminution drastique des forêts
d’altitude (pin et sapin), ce qui est par ailleurs étayé par les sources du
XIe siècle. Les textes confirment qu’en plusieurs endroits de la chaîne, la
majorité des estives sont en place dès le XIe siècle. Les textes qui sont le
reflet d’une économie monastique tournée principalement vers le
pastoralisme, ne parviennent pas à documenter la forêt en dehors des
prélèvements en bois des bergers. Les témoignages archéologiques sont
ténus mais attestent dans les régions les mieux documentées comme la
vallée d’Ossau et la montagne d’Enveitg, des occupations de la haute
montagne (cabanes pastorales) à cette période et dès le haut Moyen Âge61.
Or, la modification des forêts qui se traduit par la diminution croissante et
parfois radicale du sapin au profit du hêtre (Pailhères, Argentières,
Ranques) ou généralement par la chute des courbes de pollens d’arbres
(chêne, sapin, hêtre) et d’arbustes (noisetier) (Piet, vallée d’Ossau), suggère
un accroissement des prélèvements de bois à toutes les altitudes62 (voir
Figure 1). Il ne peut être expliqué à partir de la seule pression agropastorale,
aussi son origine est à rechercher dans les autres activités consommatrices
de bois. On sait par exemple que l’activité minière et métallurgique se
poursuit dans la partie orientale des Pyrénées au Xe siècle et surtout au
XIIe siècle63. Les indices de charbonnage datés de cette période en Ariège
(Lercoul, Suc-et-Sentenac, Aston) laissent supposer qu’il en est de même.
De plus, l’échelonnement des charbonnières entre 1 200 et 1 650 m
d’altitude témoigne de cette exploitation des forêts montagnardes (voir
Figure 2).
Cette phase de régression et de morcellement de la couverture forestière
semble atteindre son apogée au cours de la première moitié du XIVe siècle
où s’intensifient la production sidérurgique et l’exploitation commerciale du
bois d’œuvre64. Plusieurs écrits témoignent de la dégradation de certains
bois et pointent la nécessité de les protéger un temps pour permettre leur
régénération. Cette situation est dénoncée à l’échelle des comtés de
Cerdagne et de Roussillon par l’ordonnance générale de 1345. La même
année, un officier de l’administration qui s’occupe des forêts s’inquiète de
l’état de dégradation des bois de Seix en Couserans65. Ainsi, les textes
resserrent la datation du premier minimum forestier dans la première moitié
du XIVe siècle alors que les archives sédimentaires peinent à le situer
précisément. Les pollens décrivent ensuite un phénomène inverse, avec une
« rétractation » des terroirs agropastoraux, une baisse de fréquentation des
pâturages, et un processus de reforestation dans certaines vallées. Des
espaces sont reconquis par les pinèdes, le hêtre ou des essences pionnières
(aulne, bouleau, noisetier) dans les Pyrénées occidentales (Argentières,
Ranques, Piet) comme orientales (Plat de l’Orri, Les Cortalets). Ce
phénomène situé entre les XIVe et XVe siècles est à dater plus
vraisemblablement de la seconde moitié du XIVe siècle. En effet, la crise
démographique du milieu de siècle, liée aux épidémies de peste noire, et les
troubles économiques dus aux faits d’armes ayant agité la région, ont
engendré un relâchement de la pression humaine sur les forêts. Les textes le
confirment et le nuancent à la fois. Dans les années 1380-1390, plusieurs
communautés des Pyrénées orientales décrivent les effets néfastes du retour
des forêts, notamment la prolifération de bêtes sauvages (sangliers, ours,
loups) qui détruisent les cultures, et dont certaines s’invitent en ville à la
nuit tombée66. Elles obtiennent du roi le droit d’abattre des arbres et d’user
du feu pour éloigner ces bêtes et remettre les terres en culture. Il s’agit donc
là d’un défrichement de terres anciennement cultivées, d’un retour à une
situation d’avant crise. Un répit tout relatif est aussi perçu en Cerdagne où
le roi déplore dès 1380 la quasi-disparition de certaines de ses forêts
(Camporells, Pas de la Case, Barres)67. Ces exemples montrent que si la
pression anthropique a diminué, la détente fut de courte durée (une
vingtaine d’années) du moins dans les zones basses. De plus, les
représentants du roi ne relâchent pas pour autant leur surveillance des forêts
royales. Si certains contrats d’exploitation traduisent un contrôle moins
restrictif qu’auparavant (bail de mouline à Prats-de-Mollo en Vallespir en
1366), il ne faut pas y voir seulement les effets d’une ressource qui s’est
régénérée mais aussi la volonté du pouvoir de redynamiser une économie en
berne68. Même après la peste, on ne fait pas feu de tout bois. D’ailleurs,
cette tendance à la recolonisation forestière n’est pas perçue uniformément.
Dans les Pyrénées ariégeoises, l’étude des pollens détecte au contraire une
stabilisation des milieux ouverts et des végétaux inféodés à l’humain. Elle
est attribuée au développement florissant de la métallurgie du fer
particulièrement vigoureux en raison de la présence de la grande mine de
fer de Rancié. Jusqu’à présent pratiquée au cœur des forêts montagnardes,
cette métallurgie s’est développée sur les cours d’eau principaux des hautes
vallées glaciaires avec l’introduction de la forge hydraulique à réduction
directe appelée « mouline » au début du XIVe siècle et sa diffusion69. Cette
innovation technique engendre un saut quantitatif de la production
sidérurgique, et par conséquent de la consommation en charbon de bois, mis
en lien avec la régression des forêts montagnardes (sapinières et chênaies)
qui s’accélère à partir des XVe-XVIe siècles pour ne plus décélérer jusqu’au
XIXe siècle. Pourtant, la localisation au cœur de l’étage montagnard (voir
Figure 2) de plusieurs charbonnières datées entre la fin du XIIIe et la fin du
XVe siècle prouve l’existence de forêts encore denses malgré la faim des
moulines. Par ailleurs, la détection de nombreux replats de charbonnage
dans l’espace supraforestier actuel révèle que la limite supérieure de la forêt
charbonnée, entre la fin du Moyen Âge et les Temps modernes, est souvent
située très en amont de la limite supérieure des forêts actuelles. Elle a
atteint les 2 100-2 200 m d’altitude dans certaines hautes vallées (Soulcem,
voir Figure 2). Dans le Pays basque, la même tendance de recul des forêts
en lien avec le développement minier est établie pour la fin du XVe et le
XVIe siècle. Cependant, le recul continu des forêts n’est pas propre aux
régions d’intense activité métallurgique, comme le montre globalement la
synthèse des séquences polliniques pyrénéennes70. Cette conclusion nous
invite à changer d’échelle pour regarder de plus près les effets des activités
humaines sur le fonctionnement des forêts.

Impact des sociétés sur les écosystèmes forestiers


Dans son acceptation la plus simple, la forêt est une terre relativement
grande avec un couvert d’arbres dont la hauteur est relativement haute et la
densité supérieure à 10 % (nombre de tiges par hectare). La forêt est plus ou
moins stratifiée. Dans les zones tempérées, on reconnaît quatre strates :
mousses, herbes (graminées, fougères) ; ligneux sous-arbustifs (bruyères,
myrtilles) ; arbustes (houx, sorbiers) et jeunes arbres ; grands arbres. Les
espèces emblématiques des montagnes pyrénéennes sont le sapin blanc
(Abies alba) et le hêtre (Fagus sylvatica), et dans une moindre mesure le
pin à crochets (Pinus uncinata). Elles constituent les peuplements
« relictuels » de vieilles forêts (2,5 % de la surface forestière) qui sont
principalement des sapinières (avec un peu de hêtre) et des sapinières-
hêtraies. La forêt n’est pas seulement un ensemble d’arbres et de plantes,
c’est un écosystème complexe et riche. Elle renferme tout un ensemble de
végétaux, d’animaux, de champignons, de bactéries, etc., dont l’activité
interagit du sous-sol au sommet de la canopée. Cette activité est réglée par
le cycle forestier (sylvigénétique) qui lorsqu’il n’est pas perturbé par
l’intervention humaine ou par un phénomène naturel, peut durer trois cent
cinquante à quatre cents ans (voir Figure 4). Il se décompose en cinq
phases : la régénération de la forêt dans un milieu ouvert ; la phase initiale
où la forêt est jeune et dense ; la phase optimale où la forêt est mature avec
des arbres de grande taille ; la phase terminale avec des vieux et gros arbres
et beaucoup de bois mort ; et la phase de déclin avec des arbres
dépérissants, du bois mort en abondance et diversifié, et l’ouverture du
milieu. En effet, la chute d’une cohorte de vieux arbres morts ouvre la forêt.
À l’échelle de la trouée, les semis peuvent se développer et créer une unité
de régénération où le cycle reprend à la phase initiale. La forêt non
impactée par l’homme est donc un emboîtement de stades de croissance.
L’intervention humaine depuis le Néolithique a perturbé les écosystèmes
forestiers. Les prélèvements et les défrichements périodiques en sont
devenus progressivement une caractéristique ou plus encore une
composante. Ils sont à l’origine de la diversification de leurs trajectoires
dynamiques, induisant des modifications de populations et de communautés
végétales et animales, ou encore de certaines conditions stationnelles (sols
ou conditions micro-climatiques). Ils peuvent aussi être à l’origine du
blocage de ces dynamiques au stade de pelouse, de lande ou de fruticée
(arbustes et arbrisseaux). Les activités pastorales bloquent la végétation au
stade de pelouse ou de prairie, en empêchant les ligneux de se développer.
Lorsqu’elles sont pratiquées au cœur de la forêt où le bétail se nourrit des
plantes herbacées mais aussi des ligneux bas, des rejets de souche, des
jeunes pousses, des fruits et des feuilles, elles entraînent en détruisant les
semis et les jeunes plants, un blocage de la régénération des peuplements.
Le broutage des pousses modifie le port du hêtre en provoquant la
formation de très nombreux rejets, et il tue la flèche des jeunes sapins. Par
ailleurs, les jeunes pousses peuvent encore être fragilisées par les feux
courants utilisés pour nettoyer les sous-bois et favoriser le développement
de la strate herbacée.
Le fait le plus marquant rapporté par l’étude des paléovégétations
pyrénéennes est l’installation de la hêtraie-sapinière, ou tout du moins
l’immixtion croissante du hêtre dans les sapinières. Émergeant discrètement
il y a environ cinq mille ans, le hêtre a pris une place de plus en plus
importante jusqu’à devenir l’essence dominante voire exclusive. Son
expansion va de pair avec la progression des activités humaines entraînant
l’élimination de peuplements, des éclaircissements et des prélèvements. En
effet, en hêtraie-sapinière, les trouées de surface supérieures à 500 m2 sont
rapidement colonisées par le hêtre. D’autres essences émergent lors de
trouées de taille plus importante comme le sorbier et le bouleau. Par
ailleurs, le hêtre ayant la capacité de rejeter de souche est plus compétitif
que le sapin qui se régénère par voie de semis. Le hêtre est donc favorisé
aux dépens du sapin par le développement des activités humaines.
Dans les études des pollens, la hêtraie-sapinière apparaît comme la
formation dominante des forêts montagnardes médiévales (voir Figure 1).
Mais elle peut revêtir de multiples visages : hêtraie piquetée de sapins,
sapinière piquetée de hêtres, hêtraie-sapinière où les deux espèces co-
dominent, etc. La pinède à crochets, elle, se déploie en altitude à des stades
de succession forestière différents (pionnier, post-pionnier, mature) liés aux
aléas des reprises et déprises. Les données issues de l’analyse des charbons
de bois conservés dans les replats de charbonnières en Ariège (voir
Figure 3) offrent un éclairage à haute résolution spatiale sur l’écosystème
forestier montagnard. Les recherches menées dans la forêt domaniale de
Lercoul71, située dans le massif de la mine de Rancié, ont montré que le
charbonnage y a pris place entre les Ve et VIIIe siècles dans une hêtraie
« clairiérée et piquetée de sapins », avec une strate arbustive composée de
noisetier et de buis. La présence dans les charbons d’essences pionnières,
c’est-à-dire aptes à coloniser des terrains nus, comme le genévrier et le
bouleau, indique que cette forêt est retournée, par endroits, à un stade de
moindre maturation (régénération dans un milieu ouvert) soit par des
ouvertures pour le pâturage (éclaircies), soit par la répétition de
prélèvements de bois72. Bien que ces deux hypothèses ne soient pas
incompatibles, les auteurs ont plutôt opté pour la seconde, car ils ont
retrouvé les vestiges de bas-fourneaux ayant fonctionné entre les IIIe et
VIe siècles.
Figure 3 : Processus de reconstitution de la forêt charbonnée et des pratiques sylvicoles associées (©
Fouédjeu F. Léonel).

L’étude des charbonnières datées entre l’an mil et le XIIIe siècle montre
une utilisation du hêtre presque exclusive pour la plupart d’entre elles.
Celle-ci a été interprétée comme le résultat de l’exploitation d’une hêtraie
en taillis où le sapin tiendrait une place réduite car se régénérant
difficilement sous l’effet des coupes périodiques. L’étude des replats de
charbonnières d’une autre forêt, celle de Bernadouze dans la haute vallée de
Suc-et-Sentenac (Ariège), apporte des éléments complémentaires73. Le
charbonnage médiéval y a démarré entre la fin du IXe et le tout début du
XIe siècle dans une hêtraie-sapinière où le hêtre dominerait. La présence
significative d’essences pionnières (bouleau, aulne) et post-pionnières
(merisier, chêne, sorbier) suppose que cette forêt ait fait l’objet de trouées
suffisamment importantes pour permettre à ces essences de lumière de
cohabiter avec les dryades (sapin, hêtre). Par ailleurs, la composition des
charbonnières révèle la cohabitation d’arbres d’âges différents. Dans les
deux sites, l’étude des charbons montre l’existence d’une hêtraie-sapinière
dont les proportions de hêtre et de sapin varient d’une forêt à l’autre.
L’interprétation de ces variations est sujette à débat : s’agit-il d’un reflet
fidèle de la composition de la végétation arborée ou bien d’une vision
déformée de celle-ci par les pratiques des hommes qui sélectionnent le hêtre
plus compétitif ? Cela dépend des cas. Le sapin est toujours présent à
Lercoul entre les XIVe et XVe siècles où il devient mieux représenté dans la
composition des charbonnières, bien qu’il soit minoritaire par rapport au
hêtre. Il est accompagné d’essences arbustives (noisetier), pionnières
(aulne, bouleau, genévrier) et même d’essences post-pionnières (sorbier,
chêne, merisier). Cette composition suppose la coexistence de peuplements
à différents stades de maturation, donc de fermeture, avec une régénération
du sapin. Cette essence très tolérante à l’ombre peut patienter sous le
couvert de ses concurrents deux cents ans en attendant une ouverture
propice à sa croissance. À Bernadouze entre la fin du XIIIe et la première
moitié du XVe siècle, les charbonniers utilisent presque exclusivement le
hêtre probablement traité en taillis fureté, dans une forêt où le sapin semble
réservé à d’autres fins comme la production de bois d’œuvre. Les essences
pionnières (saule) et post-pionnières (merisier) sont très discrètes dans les
assemblages. L’analyse des charbons de sapin, dont la présence est
significativement plus importante dans les charbonnières datées entre la fin
du XVe et la première moitié du XVIIe siècle, révèle qu’il s’agissait
principalement de rebuts d’exploitation (branches, houppiers) charbonnés
sur place avec le hêtre. Les sapins arrivés à maturité pour une exploitation
ont donc été prélevés à cette période. La composition des charbonnières
révèle en filigrane la présence d’espèces pionnières (bouleau et saule) et
post-pionnières (pin sylvestre, merisier, chêne, sorbier) indiquant une
diversité des peuplements probablement liée à une imbrication de
différentes unités de régénération et de maturité. Elles donnent l’image d’un
taillis sous futaie jardinée avec des trouées. Quelques textes contemporains
confirment et complètent cette image au travers le plus souvent
d’interdiction ou d’autorisation de coupe ou de charbonnage de telle ou telle
essence. Ainsi le bail de la mouline d’Albiès (Ariège), en 1326, exclut le
chêne et le bouleau des essences qui peuvent être charbonnées (non
mentionnées). La présence du bouleau est attestée à la même période à
Lercoul. Sur le torrent de Saleix en Vicdessos, le bail d’une scie
hydraulique du XIVe siècle précise qu’elle sert à débiter du bois de sapin et
de pin74 prouvant ainsi l’existence de peuplements relativement matures.
De même, seul le chêne est mentionné pour les forêts du Couserans pour
signifier qu’il est exclu de l’accord de 1347-134875 (35). En revanche, les
textes catalans témoignent d’un large éventail d’essences dans le Conflent
et le Vallespir : sapin (Py, 1312 ; Prats, 1314 ; Saint-Guillem-de-Combret,
1321), bouleau, frêne et érable (Prats-de-Mollo, 1314). L’ordonnance royale
de 1345 complète cette liste sans qu’on puisse cette fois-ci les rattacher à
des forêts particulières et localisées. Elle interdit à tout homme d’abattre
sapin, pin, hêtre, buis, frêne dans l’ensemble des forêts royales du
Roussillon et de Cerdagne pour quelque usage que ce soit. Seul le sapin est
précisément mentionné en raison de sa valeur économique poussant les
autorités à le préserver jusqu’à ce qu’il soit propre à l’exploitation pour en
tirer poutres, solives, planches, antennes, ancres, etc. Le sapin est
omniprésent dans les baux de scieries hydrauliques et les contrats de coupe
et de flottage de bois d’œuvre. Les pins montagnards sont également très
prisés comme bois d’œuvre. A contrario le hêtre, rarement mentionné en
tant que tel, apparaît le plus souvent en négatif par la « non-interdiction » de
le couper. Ainsi, si les charbonniers qui aliment la forge de Prats-de-Mollo
en 1314 n’ont pas le droit de couper les sapins, les bouleaux, les frênes et
les érables, il leur reste néanmoins le hêtre et tout le cortège des autres
essences pionnières et post-pionnières. Le règlement de 1311 concernant les
forêts des Ayades et de Saint-Guillem-de-Combret (Vallespir) montre par
ailleurs que le hêtre est le bois le moins prisé pour faire des cercles de
tonneaux. Le noisetier et l’érable, le bouleau et le frêne sont les essences les
plus recherchées. À côté du frêne, le hêtre sert également à faire des
hampes. Le chêne – auquel s’ajoute localement le châtaignier – est utilisé
pour la confection de vases vinaires et barriques. Le buis sert quant à lui à
la confection de peignes76. Dans le Vallespir, les teinturiers de Céret
s’approvisionnent en combustible dans des formations forestières ouvertes,
sans doute de plus basse altitude, où les essences arbustives (noisetier),
pionnières (aulne, saule) et post-pionnières (chêne, orme) sont présentes en
abondance au vu des quantités importantes consommées. Les commandes
de bois d’œuvre révèlent également l’exploitation des pinèdes d’altitude
fournissant poutres et solives qui alimentent le marché de la construction de
Perpignan. L’ensemble du faisceau d’informations prouve que les forêts
montagnardes sont bel et bien des hêtraies-sapinières, gérée en taillis de
hêtre sous futaie de sapin, et suffisamment clairsemées pour laisser des
essences pionnières et post-pionnières se développer.

Figure 4 : Cycle sylvigénétique d’une forêt naturelle et d’une forêt exploitée pour le charbonnage et
le bois d’œuvre (© Fouédjeu F. Léonel).

À l’époque moderne, les forêts de Lercoul et de Bernadouze empruntent


des trajectoires diamétralement opposées. La première est transformée en
sapinière entre le XVIe et le milieu du XVIIe siècle, moment où elle apparaît
dans les archives de la réformation des Eaux et Forêts. Elle résulte de
pratiques sylvicoles (éclaircissement du hêtre en taillis et du sapin),
favorisant le développement d’une futaie de sapins de « belle venue ». Une
partie des bois issus des éclaircissements successifs ou des coupes de
jardinage a été charbonnée sur place donnant des compositions de
charbonnières associant le sapin et le hêtre jusqu’au XVIIe siècle. Les textes
ne précisent pas si la structure de cette forêt était « régulière », avec des
arbres d’une même classe d’âge, ou « irrégulière », avec des arbres d’âges
et de dimensions différents. Au contraire, celle de Bernadouze a vu
l’élimination du sapin au profit d’une hêtraie monospécifique réglée en
taillis (voir Figure 4), mise en place entre la deuxième moitié du XVIIe et le
début du XIXe siècle. Ces études révèlent donc que ces deux forêts sont très
anciennes, c’est-à-dire qu’elles ont connu une continuité de l’état boisé sur
une longue période atteignant le millénaire voire davantage. Elles sont aussi
totalement « anthropoconstruites », car fréquemment rajeunies par les
pratiques sylvicoles. Elles sont composées aujourd’hui d’un peuplement
d’une futaie jardinée dont les arbres les plus âgés ont entre 120 et 160 ans
pour celle de Bernadouze.

Figure 5 : Exemple de charbonnières actuelles au cœur des hêtraies-sapinières du Maramures


(Roumanie). (cliché : V. Py-Saragaglia)
Les données concernant les Pyrénées occidentales sont plus
fragmentaires. Elles reflètent un état de la recherche et de la conservation
des sources écrites. Les données palynologiques y montrent le profil de la
hêtraie-sapinière (massif d’Iraty) et de la hêtraie-chênaie (Quinto Real) plus
bas en altitude. Le roi de Navarre tire des revenus de ses hêtraies dès 1293,
et possède aussi des chênaies et des noyeraies à Aincille, Saint-Jean-le-
Vieux et Béhorléguy (Pyrénées-Atlantiques). Les premières coupes
commerciales de sapin ne semblent prendre place qu’au XVIe siècle, période
marquée également par la reprise de l’activité minière et métallurgique
autour de la mine de Banca et une hausse de la pression pastorale77. Bien
que les archives sédimentaires enregistrent une diminution des pollens de
hêtre et de sapin au cours de l’époque moderne, les données
dendrochronologiques montrent le maintien du hêtre dans la forêt d’Iraty du
XVIe siècle à nos jours (âge estimé de l’arbre le plus ancien : 478 ans)78. La
continuité de l’état boisé et l’âge pluricentenaire des arbres prouvent
l’ancienneté de cette forêt et sa maturité, qui est une autre particularité, plus
rare, des peuplements anciens.
Une autre question est de savoir si les forêts médiévales, soumises à une
pression anthropique importante, ont pu atteindre par endroits un degré de
maturité avancé. Les forêts matures ou « vieilles » se caractérisent par une
abondance de bois mort diversifié, et des arbres très gros et âgés (200 à
300 ans, voire plus) portant les stigmates de la vieillesse (cavités, fentes,
champignons saproxyliques) qui servent d’habitat à toute une diversité
d’espèces exigeantes (insectes, petits mammifères, amphibiens, oiseaux,
champignons, etc.). Aujourd’hui, ces forêts sont considérées comme des
lieux exceptionnellement riches en termes de biodiversité que l’on cherche
à préserver. Il serait intéressant de savoir si de tels peuplements existaient
au Moyen Âge. On peut raisonnablement penser que cela a pu être le cas de
peuplements situés dans des zones escarpées et difficilement accessibles.
Or, comme il est presque impossible de trouver des arbres vivants nés au
cœur de cette période, il faut se tourner vers des arbres fossiles issus de
vestiges archéologiques (bois de charpente) ou d’archives sédimentaires.
Une étude en cours de Vincent Labbas se penche sur l’existence et l’analyse
dendrochronologique de tels bois. La détermination de leur âge pourrait
témoigner du degré de maturité atteint par certains peuplements et à quel
moment précis ils l’atteignent. Les contrats de coupes de bois, lorsqu’ils
précisent les dimensions des pièces (longueur, circonférence ou diamètre),
pourraient également servir à évaluer un âge moyen des arbres exploités.
D’autres indicateurs peuvent être considérés, comme le bois mort. Si ce
dernier est omniprésent dans les archives, sa présence est délicate à
interpréter et nécessite un examen attentif. Il est généralement perçu comme
le résultat de l’élagage naturel des branches et du dépérissement des arbres.
Or, de nombreux textes donnent à voir une tout autre réalité. Ils
mentionnent l’utilisation d’arbres morts gisant à terre, parfois en grande
quantité79. Mais ces arbres semblent être le plus souvent des rebuts de
l’exploitation du bois d’œuvre et non issus d’une mortalité naturelle. Ainsi,
ils ne peuvent être interprétés en termes de maturité des peuplements
forestiers. Enfin, les animaux sauvages sont une composante essentielle de
l’écosystème forestier presque insaisissable, et ce dans toutes les sources.
Seules quelques mentions éparses indiquent la présence de sangliers, de
cerfs, de loups et d’ours aussi bien dans les Pyrénées centrales
qu’orientales80.

Les sociétés et l’écosystème forestier : régulation, pratiques, réactions


Les conditions d’accès aux ressources forestières diffèrent en fonction de
la nature domestique ou commerciale du prélèvement. Dans le premier cas,
il est réalisé en vertu des droits d’usage et s’exerce librement, c’est-à-dire
sans paiement de redevance aux autorités compétentes (seigneurs, consuls).
Ces droits d’usage, anciennement établis et tacitement reconnus par les
seigneurs et les communautés d’habitants, sont couchés sur le parchemin à
partir du XIIIe siècle sur l’ensemble de la chaîne pyrénéenne. Leur
énumération est parfois très générale comme à Ax (1241) et Montgailhard
(1259) dans le comté de Foix ou à Seix (1280) en Couserans, où les
hommes jouissent du droit d’user des bois, des eaux et des montagnes81. Par
la suite, les règlements coutumiers détaillent certains usages mais leur
énumération en donne une vision restreinte. Les plus courants sont la
collecte du bois mort pour le combustible domestique et le prélèvement du
bois d’œuvre nécessaire à la construction et à la réparation des habitations,
des annexes agricoles et d’équipements divers (Foix, 1290 et 1317 ; Miglos,
1302-1305 ; Léret et Louzourm, 1319). Certaines communautés jouissent
aussi du droit de faire du charbon de bois (Vicdessos, 1294 ; Aspet, 1382) et
de prélever des écorces, riches en tanins et en matières tinctoriales
(Vicdessos, 1294 ; Léret et Louzourm, 1319). D’autres peuvent prélever du
bois de résineux pour la confection de torches (Jujols, 1306). Il en est de
même du droit de dépaissance du bétail, de la récolte d’herbe en forêt (Foix,
1290 ; Jujols, 1306) et des prélèvements en bois des bergers comme c’est
particulièrement le cas en Basse-Navarre et en Haute-Bigorre82. La chasse à
courre ou au vol peut être pratiquée avec toutefois l’obligation de reverser
une pièce de venaison au seigneur du lieu pour tout sanglier, cerf et ours
abattu (Foix, 1290). Enfin, les habitants peuvent se fournir en poissons,
notamment en truites, dans les lacs et les rivières qui traversent les bois
(Foix, 1290 et 1317). Généralement, ces droits d’usage ont cours
uniquement sur le territoire de la communauté ou de la seigneurie dont ils
dépendent. Plus rarement, deux communautés voisines, comme Miglos et
Château-Verdun en Ariège au début du XIVe siècle, peuvent s’accorder pour
jouir de droits, réciproques ou non, sur une partie du territoire de l’autre.
Dans ce cas précis, certains usages sont libres de redevance, mais d’autres
comme le charbonnage, le fagotage ou la production de cendres sont soumis
à une autorisation et au paiement d’une redevance. Des communautés,
comme celles de Jujols (1306) en Vallespir et de Py (1312) en Conflent,
obtiennent des droits d’usage dans des forêts royales où le nombre d’arbres
autorisés à abattre est parfois limité (Urbanya, Nohèdes et Monteilla
(village abandonné situé aujourd’hui sur la commune de Nohèdes) 1311 ;
Py 1312). Certains droits peuvent parfois être soumis ou non à redevance.
Par exemple, les communautés de Querol, Quers et Cortvassill (Cerdagne)
peuvent couper gratuitement du bois de feu et de construction à des fins
domestiques (1308). Par contre, ils doivent verser une redevance pour
l’herbe qu’ils fauchent dans la forêt royale, mais aussi pour le bois qu’ils
coupent pour la confection de cercles de tonneaux, de timons et de ceps
d’araires, sans que sa dimension commerciale soit précisée. De telles
concessions existent dans de petites seigneuries comme en Haute-Bigorre
(Léret et Louzourm, 1319). Certains règlements font état de défens royaux
et seigneuriaux où le seigneur interdit l’usage communautaire. Mais la mise
en défens ne signifie pas une protection intégrale des ressources, car les
seigneurs se réservent des quartiers de forêts pour les exploiter en propre.
L’imprécision des droits d’usage et des règlements ainsi que l’absence de
quantification des prélèvements sont souvent interprétées comme la
perception d’une ressource abondante, voire illimitée. Or ces droits sont par
essence limités, puisqu’ils sont restreints aux usages domestiques. Ceux à
enjeux économiques sortent de ce cadre et relèvent d’une tout autre
réglementation. C’est le cas de nombreuses activités artisanales et
industrielles dont la diversité et l’intensité sont très variables sur le versant
nord des Pyrénées. En effet, alors que de véritables districts industriels se
dessinent en Haute-Ariège et dans les Pyrénées orientales (Haut-Vallespir,
Capcir, Conflent), d’autres secteurs plus à l’ouest semblent rester à l’écart
de l’industrialisation. De même, l’économie des Pyrénées orientales
apparaît plus diversifiée (métallurgie, bois d’œuvre et de marine,
teinturerie) que celle de l’Ariège qui semble dominée par la seule
sidérurgie. Cette dernière est de loin celle qui a exercé la plus forte pression
sur les forêts. Sa croissance, liée à la généralisation de la mouline, a
entraîné des besoins accrus qui se traduisent par la multiplication des
charbonnières dont la production demeure impossible à quantifier. Il en est
de même du nombre de moulines ayant fonctionné simultanément et de leur
consommation en charbons de bois ; consommation à laquelle s’ajoute celle
des forgerons présents en grand nombre à certains endroits83. Les moulines,
attestées pour la première fois en Vicdessos en 1299, se diffusent
rapidement dans le comté de Foix où 25 sont décomptées dans la première
moitié du XIVe siècle contre seulement 5 en Vallespir vers 1350. La pression
nouvelle exercée par le charbonnage sur la forêt contraint rapidement les
autorités à encadrer et à réglementer l’activité. Dans le Haut-Comté de
Foix, la codification de la pratique du charbonnage se met en place dès
1303. Elle oblige les charbonniers à utiliser d’abord le bois mort, puis des
arbres verts qui leur seront indiqués par les gardes forestiers comtaux. De
surcroît, ils doivent utiliser toutes les parties de l’arbre. Cette mesure
connaît une forte opposition des communautés de Vicdessos qui font appel.
Le résultat de ce dernier n’est pas connu et il est difficile d’apprécier
l’application de ce règlement. L’encadrement peut aussi se traduire par la
restriction des essences autorisées pour le charbonnage. En 1326, les
exploitants de la mouline comtale d’Albiès s’engagent à ne pas charbonner
le chêne et le bouleau dans le territoire de la seigneurie. Un autre bail en
1327 prévoit que les preneurs puissent s’approvisionner à l’extérieur de la
seigneurie où est située la mouline, traduisant une volonté de diversification
des sources d’approvisionnement. Cette dernière se manifeste aussi dans
l’accord conclu entre le comte de Foix, la communauté de Vicdessos et le
vicomte de Couserans et Bruniquel en 1347-1348 par lequel la communauté
de Vicdessos obtient le droit de charbonner en Couserans, en échange
duquel elle s’engage à approvisionner en minerai de fer les forges de
Massat et d’Ercé. Cet accord déplace une partie des besoins accrus de
l’industrie de Vicdessos sur les forêts voisines du Couserans. Bien que la
quantité de charbon autorisée à produire ne soit pas spécifiée, le
prélèvement n’en demeure pas moins codifié et restreint. Il est interdit de
charbonner du chêne ainsi que tous les arbres sur pied d’un diamètre
inférieur à une main, c’est-à-dire les jeunes arbres indispensables à la
régénération du couvert forestier. Ce charbon doit de plus être strictement
réservé aux besoins des habitants de Vicdessos et ne pas faire l’objet de
commerce. Le vicomte de Couserans s’assure ainsi la possibilité d’utiliser
ses forêts pour d’autres fins. En dehors des possessions comtales, la
législation semble avoir été moins stricte ; ainsi en 1340, un co-seigneur
d’Ax reçoit de la comtesse de Foix l’autorisation d’édifier des forges et des
moulines et d’user des forêts « à ses plaisirs », sans que l’on connaisse pour
autant sa mise en œuvre pratique. La communauté de Vicdessos, au début
du XIVe siècle, exerce une surveillance plus stricte. Elle obtient que le droit
de pâture revendiqué par deux autres villages dans le bois de Teilhet, situé
non loin de Lercoul et des mines, où ils prélèvent par ailleurs du bois et
fabriquent du charbon, soit circonscrit précisément. De surcroît, elle limite
leurs droits et y interdit le charbonnage, sûrement pour préserver l’usage de
cette forêt à l’exploitation des mines. Cette spécialisation de l’économie
serait certainement à nuancer. Certains indices montrent que l’exploitation
du bois d’œuvre y tenait une place (scie hydraulique de Saleix ; petit
artisanat du bois à Miglos), mais elle ne semble pas avoir pris une tournure
industrielle en l’absence de marché. Même la ville de Toulouse n’absorbe
que peu de bois d’œuvre de l’Ariège et du Haut-Couserans, ses besoins
étant satisfaits par celui des nombreuses forêts voisines et de celles du
Comminges.
En Roussillon, la situation est différente car dès l’origine la mouline est
intimement liée à la scierie hydraulique84. Les baux d’amodiation de
scieries et de moulines dans les forêts royales montrent clairement une
volonté de conjuguer les deux activités en respectant leurs besoins propres.
Cela implique une gestion particulière, alliant sur un même territoire
clairement défini la production de bois combustible et de bois d’œuvre. Les
différentes essences poussant ensemble sont alors réparties entre les deux
activités en fonction de leurs propriétés physiques. Ainsi, les essences
propres à produire du bois de construction et de marine, à savoir ici le
sapin, sont le monopole des scieries et sont exclues du charbonnage. Par
exemple, en 1321, une scierie et une mouline fonctionnent simultanément
sur un même périmètre. Les charbonniers y ont le droit de charbonner tous
les arbres sauf les sapins sur pied. En revanche, ils peuvent utiliser les
déchets de son exploitation (branches, houppier, base du tronc, etc.). C’est
aussi le cas dans un contrat de charbonnage conclu pour une durée de dix
ans dans les bois royaux de la vallée de Conat (Haut-Vallespir), en 1369, où
une scierie hydraulique est en activité. Les beaux arbres sont marqués par
les gardes forestiers et exclus du charbonnage. Par ce moyen, les deux
activités n’entrent pas en concurrence mais au contraire se complètent.
D’autres essences peuvent être exclues du charbonnage, comme le bouleau,
le frêne, l’érable, sans doute pour les réserver à d’autres productions
artisanales. En effet, on sait que le roi tire des revenus substantiels des petits
artisanats du bois pour lesquels ces mêmes essences sont employées. La
réglementation des prélèvements en bois évite de mettre en concurrence
différentes activités, comme la confection de cercles de tonneaux (Carança,
1309) et de mortier ou bien de fustes (maisons en rondins) et de bois de
marine (Prats-de-Mollo, 1318). Par cette gestion différenciée des ressources
destinées à des usages particuliers, le roi s’assure une maximisation des
revenus de l’exploitation de ses forêts. Afin d’assurer le combustible
nécessaire pour une mouline, l’encadrement s’effectue également en
circonscrivant précisément la zone d’approvisionnement qui lui est propre
et où il interdit d’en édifier d’autres. Il est prévu dans les premiers temps
que la mouline puisse consommer tout le combustible (essentiellement du
hêtre au vu des interdits) présent dans son périmètre (Prats-de-Mollo, 1314 ;
Formiguères, 1323). Deux solutions sont prévues en cas de tarissement de
la ressource : soit le déplacement de la mouline, soit un approvisionnement
extérieur en accord avec d’autres seigneurs. D’autres fois, les exploitants
obtiennent des autorités un élargissement de leur zone d’approvisionnement
(Saint-Guillem-de-Combret, 1332). Ces largesses semblent cesser
rapidement puisque dès 1326 plusieurs moulines royales doivent
s’alimenter uniquement en charbon produit à partir de bois mort (Prats,
1326 et 1339). L’approvisionnement en charbon peut faire l’objet d’une
redevance perçue en sus de la rente de la mouline (Prats, 1326). De plus, la
localisation des places de carbonisation est parfois réglementée : elles
doivent être situées à une distance minimale des boisements. Les consuls
des communautés de Prats sont nommés pour surveiller l’application du
texte qui prévoit que le détenteur de la mouline rétribue un garde forestier
(Prats, 1339). Un contrat de charbonnage dans la vallée de Conat en 1339
régule l’intensité de la production en fixant à quatre le nombre de
charbonniers autorisés à travailler, avec une seule hache par personne. Ces
nouvelles clauses montrent clairement un changement dans la perception
par l’autorité royale des risques du charbonnage sur les peuplements
forestiers (surexploitation et risques d’incendie). Cette prise de conscience
se traduit par l’ordonnance royale de 1339 concernant les forêts de la vallée
de Conat (Conflent) puis l’ordonnance générale de 1345. La pression accrue
sur les forêts engendre une concurrence entre les diverses exploitations
commerciales, mais aussi entre celles-ci et certains droits d’usage comme la
dépaissance des troupeaux. Dans la forêt des Ayades (Haut-Vallespir, 1311),
ils pouvaient paître en forêt du 1er mai à la fin du mois de juin avant la
montée aux estives. Cette conflictualité est ressentie dans le Haut-
Vallespir85, où vers 1330, les consuls de Prats-de-Mollo se plaignent auprès
du roi de la dégradation des bois qui ne peuvent plus servir d’abri à leurs
troupeaux lors des intempéries. Des réserves dans lesquelles la coupe de
bois est proscrite sont alors créées. Malgré la gestion mise en place dans les
exploitations, la dégradation de certains bois oblige le roi à légiférer plus
fermement pour enrayer le processus. Ainsi, l’ordonnance générale de 1345
portant sur l’ensemble des forêts royales du Roussillon (Capcir, Cerdagne,
Vallespir, Conflent) interdit à tout homme de couper ou d’abattre sapin, pin,
hêtre, buis et frêne pour faire des fustes à vendre, du charbon, des cendres
ou tout autre chose. Il restreint le droit de charbonnage (quelle que soit sa
destination) aux seuls bois gisant à terre et la carbonisation en meule est
abandonnée au profit de celle en fosse pour réduire les risques d’incendie.
Cette production doit par ailleurs prendre place dans les endroits les moins
dommageables. Le pastoralisme n’est pas en reste. Aucun troupeau n’est
autorisé à entrer dans les forêts royales et le ramage qui leur est destiné est
limité aux seules branches situées dans la moitié inférieure des arbres.
Enfin, les officiers royaux peuvent mettre en défens les bois les plus
dégradés, donc arrêter pour un temps l’exploitation de leurs ressources et
ainsi permettre leur régénération. Si cette ordonnance marque un tournant
dans la réglementation forestière et traduit la prise de conscience d’une
ressource limitée dont il faut veiller à assurer la durabilité, elle ne signe pas
pour autant la fin de l’exploitation forestière. D’ailleurs les communautés
sont maintenues dans leurs droits d’usage, bien que les bois à couper leur
soient désormais désignés par les gardes forestiers. Il serait ainsi exagéré de
voir dans cette ordonnance une conscience « écologique » : la durabilité de
la ressource est d’abord la condition du maintien des revenus du roi. Par
cette ordonnance, on interdit aux habitants des comtés de couper du bois
d’œuvre pour le commercialiser, mais nul ne dit que le roi ne continue pas à
l’exploiter en propre : les concessions de scieries et de moulines du
XVe siècle le prouvent bien. Une série de contrats de coupe noués entre des
fustiers de Perpignan et des hommes du Conflent montre la quantité
minimale du bois d’œuvre qui a pu être extraite de ces forêts pour
l’année 1455 : 380 poutres et 72 soliveaux de pin, 548 soliveaux de sapin. Il
en est de même des quantités de bois combustible (chêne, aulne, orme,
saule) brûlées dans les ateliers de teinturiers au XVe siècle. Ces quantités
considérables montrent que la gestion mise en œuvre a permis le maintien
de boisements denses et à haute valeur commerciale soutenant le
développement économique de ces vallées.
Ce tour d’horizon met en lumière une forêt montagnarde mosaïquée, riche
et diversifiée. Sa couverture, on ne peut le nier, s’est réduite par le haut et
par le bas avec le développement, la fixation et le gonflement des terroirs
agraires et pastoraux. Bien que le mouvement général au cours du Moyen
Âge soit à la régression, avec certes des relâches de courte durée, la forêt
s’est maintenue par le biais de la réglementation et de la mise en place de
pratiques sylvicoles à même de satisfaire la pluralité des besoins des
communautés et de l’industrie sur la durée. Pour répondre à ces derniers, les
forêts ont été façonnées de façon à offrir des ressources variées sur un
même espace. Aussi elles se caractérisent par un emboîtement de stades de
maturation lié à l’ouverture de trouées, aux éclaircissements et à la mobilité
des prélèvements. Cette imbrication permet une diversification de la
composition des peuplements avec le développement, aux côtés du sapin et
du hêtre, de nombreuses essences transitoires ou nomades (pionnières et
post-pionnières). Celles-ci constituent pour les communautés un réservoir
de matières premières et de combustibles aux propriétés différentes. Créer
et maintenir une telle mosaïque suppose une gestion complexe et durable de
taillis de feuillus, en particulier de hêtre, sous une futaie jardinée de sapin.
Ce dernier, naturellement moins compétitif que le hêtre, a de fait régressé
sous l’effet combiné de son exploitation commerciale et de l’expansion de
la hêtraie. Néanmoins il n’a pas été éliminé et demeure en proportions
variables au sein de la hêtraie tout au long du Moyen Âge. Le maintien de
certaines essences à forte valeur commerciale (pin et sapin), tout en
assurant l’approvisionnement en combustible de l’industrie, a nécessité la
mise en place d’une gestion appropriée. Celle-ci est née de la prise de
conscience par les pouvoirs et les communautés de l’inadéquation entre la
disponibilité, les rythmes de régénération de la ressource et l’accroissement
de la consommation industrielle. Face à la mise sous tension des
peuplements à la fin du Moyen Âge, les autorités élaborent des réponses
variées pour éviter l’épuisement de la ressource par la surexploitation :
restrictions spatiales, temporelles et taxonomiques des prélèvements.
Atténuer l’impact tout en maximisant les profits passe aussi par la volonté
de réduire les pertes, ce qui est particulièrement visible pour le charbonnage
où les exploitants sont contraints à utiliser toutes les parties des arbres
abattus et à recycler les rebuts d’exploitation du bois d’œuvre. De même,
les autorités cherchent à concilier l’ensemble des usages, domestiques et
commerciaux, en combinant des filières telles que le charbonnage et la
production de bois d’œuvre. Si ces mesures témoignent d’un savoir
« écologique » ou du moins d’une connaissance empirique du
fonctionnement de l’écosystème forestier (processus de régénération,
rythmes et cycles de végétation), elles visent avant tout à assurer une
certaine « durabilité » de l’exploitation et des revenus qui en découlent.
Cette rationalisation n’est pas uniforme en fonction des régions et des
propriétaires fonciers. Elle ne doit pas être généralisée ni idéalisée, ainsi
que l’attestent de multiples contre-exemples.
Le croisement des sources suggère donc une pluralité des trajectoires
forestières liée à des particularités économiques régionales et locales.
L’absence de vieilles forêts dans le Haut-Vicdessos et leur dissémination
dans les Pyrénées orientales sont peut-être le reflet de l’intensité des
prélèvements de l’industrie sidérurgique qui s’est maintenue jusqu’au début
de l’époque contemporaine. Mais rien n’est moins sûr puisque des vieilles
forêts existent dans d’autres régions minières comme le Pays basque. De
même, l’histoire forestière des régions pyrénéennes non soumises à
l’industrie métallurgique reste totalement à entreprendre. Saisir et retracer
ces trajectoires est donc un enjeu crucial pour comprendre l’état actuel des
forêts, où se côtoient des peuplements totalement artificiels,
anthropoconstruits, et des reliques de forêts « subnaturelles », et pour
imaginer leur gestion future86.
CHAPITRE 3
Une moyenne montagne occupée et exploitée
Les Vosges : des forêts et des chaumes
Carole Bégeot, Pascale Ruffaldi, Anne-Véronique Walter-Simonnet,
David Etienne, Anne-Lise Mariet, Émilie Gouriveau

Un environnement original
La forêt vosgienne est si dense et prégnante dans le paysage que l’on
pourrait croire qu’elle est le dernier bastion des forêts primaires en France.
L’expression « ligne bleue des Vosges », utilisée pour la première fois par
Jules Ferry en 1881 pour désigner cette longue ligne de crête densément
boisée, ne fait que renforcer cette impression.
Pourtant les structures forestières très fournies, que l’on a plaisir à
contempler aujourd’hui et qui font la richesse économique de cette région,
sont surtout héritées des évolutions paysagères et des aménagements qui se
sont opérés à la fin du XIXe siècle. La déprise agricole d’un secteur
géographique qui s’industrialise à grand pas, les changements de pratiques
culturales qui s’intensifient dans des espaces désormais dédiés et bien
séparés des espaces boisés auxquels s’ajoute l’application de nouvelles
législations forestières qui protègent et réglementent la forêt, engendrent
une reconquête forestière sans précédent largement aidée par les
reboisements1. C’est d’ailleurs à cette époque que l’épicéa fait une
apparition en force dans les forêts vosgiennes. Sans nier son indigénat dans
quelques rares stations isolées des Hautes-Vosges où il s’est installé il y a
environ deux mille ans2, l’épicéa est ici en limite d’aire de répartition
naturelle et ne serait pas aussi présent dans le paysage s’il n’avait été
largement privilégié dans les plantations où on le préfère souvent au sapin.
Ainsi, il occupe aujourd’hui d’importantes surfaces de l’étage montagnard,
c’est-à-dire au-delà de 900 m d’altitude, soit en mélange avec le hêtre et le
sapin, soit en peuplement pur. Le pin a également été fortement favorisé
tout comme d’autres essences plus exotiques comme le douglas ou le
mélèze. Hormis ces plantations qui peuvent venir brouiller la distribution
naturelle des ligneux, les essences qui peuplent le massif et ses marges
aujourd’hui sont issues d’une colonisation forestière spontanée entreprise il
y a environ dix-huit mille ans au sortir de la dernière période glaciaire.
À cette époque, un inlandsis couvre encore tout le nord de l’Europe et les
principaux massifs montagneux dont les Vosges, repoussant les arbres les
plus sensibles au froid et à la sécheresse dans des zones refuges
climatiquement plus clémentes, à savoir le sud de l’Espagne, de l’Italie et
dans les Balkans. Le brusque réchauffement qui met fin à cette glaciation
amorce une lente fonte des glaces et la migration progressive des arbres
depuis ces zones refuges en direction du nord et de l’ouest. Les chênes et
autres feuillus des climats tempérés, à l’exception du charme, s’étendent
dans le nord-est de la France et dominent entièrement les espaces boisés
entre le VIIe et le IVe millénaire avant J.-C. Le sapin ne s’installe
progressivement dans la région qu’à partir de 5 500 avant J.-C., puis le
hêtre près de deux millénaires plus tard3. Le charme vient en mélange des
forêts de feuillus de basse altitude seulement à partir de 1 000 avant J.-C. À
cette période, les grands traits du paysage forestier actuel sont en place, les
essences se distribuant selon un étagement où le sapin et le hêtre règnent en
maîtres dans les secteurs d’altitude et le chêne et le charme en plaine. Le
schéma de la figure 1, extrait de la flore forestière de montagne4, illustre
cette distribution actuelle de la végétation forestière, laquelle est tributaire
de la topographie et de la géologie. Le massif des Vosges présente un profil
très dissymétrique qui oppose le sud cristallin, aux altitudes les plus
élevées, et le nord gréseux, l’ouest en pente douce vers le Plateau lorrain et
le Bassin parisien, et l’est aux pentes abruptes au-dessus de la plaine
d’Alsace. Les Vosges gréseuses sont constituées de roches sédimentaires
dont l’altération donne naissance à des sols sableux plus ou moins argileux
et pauvres, alors que les Vosges cristallines ont des sols limoneux à limono-
sableux plus riches en matière organique. Le Plateau lorrain, partie orientale
du Bassin parisien, limité à l’est par les Vosges et à l’ouest par le massif
ardennais et les reliefs karstiques de Champagne, présente un paysage
entrecoupé de lignes de côtes (côtes de Moselle, côtes de Meuse, Argonne)
formé d’une succession de petites collines et de vallées ondulées orientées
nord-est/sud-ouest, oscillant entre 150 et 300 m d’altitude.
Aujourd’hui, sur le versant occidental de l’étage collinéen, les dépôts
calcaires accueillent les chênaies-charmaies dans lesquelles le hêtre peut
être l’essence dominante, surtout sur les terrains plus frais ou plus acides.
Des essences plus thermophiles comme le chêne pubescent se retrouvent
sur le versant alsacien, plus abrupt et plus sec. L’étage montagnard, entre
400 et 1 100 m d’altitude, est le domaine de la hêtraie-sapinière dominée
par le sapin jusqu’à 800 m puis, au-delà, le hêtre gagne en importance pour
former des hêtraies à formes rabougries sur les parties sommitales. À cet
étage, le pin sylvestre se joint au sapin sur les sols pauvres, particulièrement
sur les versants exposés au sud ou sur les sommets des plateaux gréseux.
Dans les Vosges cristallines, les secteurs d’altitude au-delà de 1 200 m sont
occupés par de vastes landes à haute diversité floristique bien connues sous
le nom de Hautes-Chaumes. L’origine de ces prairies fut longtemps sujette à
controverse, opposant les partisans de l’existence de chaumes pour partie
dites primaires, c’est-à-dire naturelles compte tenu du climat, à d’autres qui
soutiennent que les plus hauts sommets vosgiens étaient autrefois couverts
de forêt puis ont été défrichés pour créer des pâturages. Le profil b de la
figure 1 symbolise des arbres dans la partie sommitale optant ainsi pour la
seconde hypothèse, mais, plus largement, cette illustration qui compare la
végétation potentielle à la végétation actuelle pointe l’impact de l’homme
sur les paysages en soulignant notamment des défrichements dans les zones
de basse altitude ainsi que des changements dans la composition forestière.
Figure 1 : Etagement de la végétation sur les versants vosgiens.

Connaît-on l’ancienneté de ces transformations ? Concernant l’origine des


Hautes-Chaumes, les travaux de Stéphanie Goepp5, basés sur la présence de
micro-charbons dans les sols des principaux sommets vosgiens, montrent
clairement que les arbres existaient à ces altitudes et réfutent ainsi la
naturalité de ces milieux ouverts. Les premiers défrichements par le feu ont
débuté dès l’âge du bronze, c’est-à-dire aux alentours de 2 500 avant J.-C.
Dès lors, on imagine que le domaine forestier a connu des flux et reflux,
relativement bien connus pour les derniers siècles, et surtout à partir du
XVIe, pour lesquels les historiens et géographes ont à leur disposition de
nombreuses sources ayant trait au passé mouvementé de la gestion
forestière et de l’évolution des espaces boisés6. Pour les temps plus anciens,
les documents se font plus rares. Concernant la période romaine, la table de
Peutinger ou les récits de César et de Pline renvoient cette entité
géographique qu’est le Vogesus Mons à l’image d’une immense contrée
sauvage densément boisée, utilisant le terme de silva alors employé pour
désigner de vastes ensembles forestiers7. Pourtant, le secteur n’est pas
vierge de toutes populations : en témoigne le réseau de voies de circulation
qui, pour beaucoup, contournent les secteurs d’altitude à l’exception de
celles franchissant les cols de Bussang, du Bonhomme ou de Saales (voir
Figure 2). Sans nier l’existence d’autres routes secondaires, cette carte
laisse toutefois imaginer l’existence encore de grands déserts forestiers,
surtout sur les reliefs.

Figure 2 : Monastères et voies romaines autour et dans le massif vosgien.


Au cours de la période mérovingienne, qui débute au VIIe siècle, le massif
vosgien et ses marges relèvent d’une même entité administrative, le
royaume d’Austrasie, qui va se morceler au cours des siècles suivants.
Ainsi, dès la fin du Xe siècle, les crêtes vosgiennes font frontière entre les
duchés de Lorraine et de Souabe jusqu’au début du XIIe siècle puis entre
divers comtés et abbayes jusque vers 1450. À considérer la carte des
monastères (voir Figure 2) ou encore la quantité de ruines de châteaux
féodaux témoignant de l’étendue du système castral, l’époque médiévale est
une période charnière pour la région qui voit les secteurs les plus reculés
s’humaniser. Les moines doivent évangéliser monts et vallées les plus
reculés et ils vont pour cela choisir la quiétude qu’offraient les forêts
profondes pour s’installer8. Pendant près de deux siècles, entre le VIIe et le
IXe siècle, puis entre les XIe et XIIe siècles en Alsace et en Lorraine, la
création de ces communautés religieuses, auxquelles s’adjoint la
population, va forcément avoir des conséquences sur les paysages et
notamment sur les forêts.
Même si les archives disponibles sont un peu plus nombreuses que pour
les époques précédentes grâce notamment aux écrits religieux, là encore, les
documents relatifs à ces évolutions restent parcimonieux. Le recours à
d’autres sources d’information qu’apportent les disciplines paléo-
environnementales permet de pallier le manque d’écrits pour aborder cette
question. L’étude des grains de pollen et des spores piégés et conservés
dans les sédiments des lacs et tourbières, dont le massif regorge, ou dans les
mares intraforestières que sont les « mardelles » retrouvées en nombre sur
les marges orientales du Bassin parisien, renseigne sur la nature des
essences forestières présentes et dans quelles proportions, et sur les
marqueurs de culture indirectement liés à l’évolution des surfaces boisées.
Les résultats de ces études (voir Figure 3) montrent que le haut Moyen
Âge est encore très forestier avec le hêtre dominant dans les hêtraies-
sapinières des zones de montagne. Comme l’a montré une étude sur la
représentation actuelle des espèces9, la présence de pollen de chêne en
altitude est due au transport par le vent depuis l’étage collinéen. On le
retrouve en mélange avec le charme qui domine ces forêts de feuillus,
lesquelles sont déjà affectées par la présence de cultures et autres espaces
ouverts. La figure 3 montre clairement que les peuplements de pins sur sols
sableux des Vosges gréseuses sont naturels. À partir de l’an mil on perçoit
une légère ouverture du milieu forestier sur les reliefs, plus encore en
moyenne montagne où l’on voit poindre des traces d’agriculture. Dans les
forêts de plaine, qui continuent de régresser au profit des cultures, le chêne
prend le dessus sur le charme. À la fin du Moyen Âge, on note encore une
présence significative des surfaces boisées des zones d’altitude, toujours
dominées par le hêtre. Les zones ouvertes sont toutefois bien présentes,
surtout vers 600 m d’altitude, et s’expriment ici par une surreprésentation
des pollens de pin et la présence de céréales. En plaine, l’anthropisation est
majeure aux dépens des surfaces forestières. Au nord des Vosges, le couvert
forestier qui se distingue vraiment par la présence de chêne et de pin,
semble moins affecté durant toute cette période.
L’évolution des surfaces et de la composition forestière est intimement
liée à l’utilisation que l’on peut faire de cette ressource. La destruction des
forêts peut donc être simplement le fait d’une augmentation de la surface
agricole, mais il ne faut pas oublier que le bois est également un bien
précieux du quotidien pour la construction et le chauffage. Dans le massif
vosgien et ses marges au sous-sol riche en ressources naturelles, il a
également accompagné le développement d’industries dont la nature est
bien différente selon les régions et qui va participer à façonner le paysage
forestier en donnant à chaque région une identité particulière.

Le Plateau lorrain
À l’est du Plateau lorrain, les mardelles (voir Figure 3 : sites 5, 6, 7, 8, 9
et 13) ou roselières (voir Figure 3 : site 4) offrent des informations
précieuses sur l’évolution du couvert forestier à basse altitude.
Dans ces zones de plaine, le second âge du fer et la période gallo-romaine
ont été des périodes d’intenses défrichements. Les recherches
archéologiques ont démontré la présence de nombreux habitats et
parcellaires antiques au sein de grands massifs forestiers pourtant
considérés comme « anciens » ou « immémoriaux »10. À partir du IIIe siècle
et jusqu’au début du XIe siècle, on observe l’abandon des villas antiques, la
chute de l’usage des voies romaines11 et une fermeture du paysage avec une
pression anthropique qui décroît fortement. Certaines zones défrichées et
exploitées durant l’âge du fer et la période gallo-romaine seront peu ou pas
réouvertes durant le Moyen Âge, qui est donc plus forestier, mais aussi une
période au cours de laquelle les sociétés s’implantent dans des espaces
géographiques différents de ceux occupés par les sociétés protohistoriques.

Figure 3 : Distribution des analyses palynologiques et évolution de la représentation pollinique des


principales essences d’arbres et des céréales.

La période antique montre une valorisation et une utilisation du sol


dominées par une pratique pastorale intensive et une pratique agraire
secondaire. À l’opposé, la période médiévale est caractérisée par un
développement des pratiques agricoles et la diversification des cultures
céréalières. L’ancien paysage de prairies évolue vers un territoire plus
fragmenté comprenant une production de céréales, des arbres cultivés et
plus occasionnellement des prairies. Les sols riches en argile ont été utilisés
pour l’agriculture à l’époque médiévale grâce à des innovations techniques
telles que l’utilisation de la charrue, du harnais, de la crête et du sillon12,
mais également en raison de l’essor démographique engendrant une
demande croissante de nourriture. Du VIe au XIe siècle, la pression
anthropique est faible. La reconquête des espaces pastoraux par les forêts
est marquée par une période de domination du charme, accompagné du
noisetier, du bouleau et du frêne13. Ce développement du charme est
rapidement suivi d’une expansion du chêne qui correspond certainement à
une sélection anthropique de cette essence pour la glandée ou pour une
utilisation potentielle de ces forêts en tant que vaine pâture14.
À partir du XIe siècle et jusqu’à la fin du Moyen Âge, la pression
anthropique augmente entraînant une nette diminution de la couverture
forestière. Dans l’histoire locale de cette région, cette période est marquée
par l’expansion de l’exploitation du sel local, pratique très consommatrice
en bois. Depuis la plus haute Antiquité au premier âge du fer (800 à 500
av. J.-C.), les premières traces d’une activité d’extraction du sel se sont
manifestées dans les Vosges à Moyenmoutier et surtout dans la petite région
du Saulnois (Salinensis Paganus) parcourue par la Seille où cette activité a
connu un développement remarquable. Après extraction, l’eau salée était
acheminée au moyen de conduites en bois vers des bâtiments où se
trouvaient les poêles à sel dans lesquelles on faisait s’évaporer la saumure,
ce qui nécessitait une grande quantité de bois comme nous l’avons vu
précédemment. Durant toute cette période, les forêts sont toujours dominées
par le chêne ; la représentation globale des arbres (chêne, charme et hêtre)
est constante. Ceci pourrait correspondre, selon les textes historiques, à une
pratique sylvicole d’exploitation en taillis et à courte rotation,
approximativement tous les trente-cinq ans15.
À partir du XIIIe siècle, la production de sel augmente fortement et se
retrouve être un enjeu économique majeur entre les ducs de Lorraine et
l’évêché de Metz. L’approvisionnement en bois pour les salines de Dieuze
devenant problématique, les autorités décident alors d’allouer plusieurs
massifs pour leur seul approvisionnement en bois afin d’assurer leurs
besoins en combustible. Ainsi les massifs actuels de Saint-Jean,
d’Assenoncourt et du Römersberg, bordant tous trois l’étang de Lindre,
passent sous la propriété des salines de Dieuze16.

Le centre des Vosges


Les activités pastorales des secteurs de montagne se manifestent
différemment du Plateau lorrain. Les principaux sommets du massif sont
connus pour avoir été des zones de pâtures dont les Hautes-Chaumes sont
encore le reflet aujourd’hui. L’origine de l’ouverture de ces milieux qui
remonte à l’âge du bronze a déjà été évoquée. S’ensuit une alternance de
phases de défrichement, d’abandon puis de recolonisation forestière
successives qui diffèrent selon les secteurs. Par exemple, les charbons de
bois dans les sols sont absents sur certains sommets au cours d’une période
allant du premier âge du fer au bas Moyen Âge alors qu’ils sont présents
aux mêmes périodes sur d’autres cimes, excepté toutefois au début du haut
Moyen Âge17 durant lequel ces zones semblent être délaissées. Ces mêmes
analyses montrent qu’au Moyen Âge ce sont des essences pionnières,
comme le genévrier, ou encore des arbres, comme le sapin et le hêtre, qui
sont brûlés, les premiers indiquant des feux d’entretien de milieux
précédemment ouverts que la pression de pâturage ne suffisait pas à
maintenir, les seconds montrant l’extension ou la réouverture de zones de
pâture.
Les données polliniques recueillies dans les sites d’altitude (voir Figure 3,
sites 12 et 15) confirment un abandon de ces milieux durant le haut Moyen
Âge, que marque une reconquête des milieux ouverts par le sapin et une
baisse de la diversité floristique des pelouses. Une reprise de la
déforestation, qui touche surtout le sapin, s’opère à partir du XIe-XIIe siècle,
les pâtures recouvrant leur biodiversité à laquelle s’ajoutent les bruyères qui
indiquent l’entretien par le feu de ces milieux. Ces défrichements sont sans
nul doute liés à l’installation des monastères dans les vallées qui, outre
l’élevage, s’adonnent à la culture de céréales sans doute rendue plus facile,
y compris en altitude, au moment de l’optimum climatique médiéval entre
1000 et 1300.
Dans les zones de moyenne montagne, aux environs de 600 m d’altitude
(voir Figure 3, sites 10 et 11), les phénomènes décrits sont sensiblement les
mêmes : une recrudescence des arbres, hêtre et sapin, au haut Moyen Âge et
une reprise des défrichements de ces deux essences à partir du XIe-
XIIe siècle. Les activités agropastorales sont enrichies ici par la culture du
chanvre. La fin du Moyen Âge est marquée par une baisse des activités
agricoles sans pour autant que la forêt ne revienne vraiment ; les hêtraies
semblent occuper les mêmes surfaces, ce qui n’est pas le cas du sapin qui
reprend un peu de terrain.
Un sous-sol riche en minerais métalliques de qualité (fer, cuivre, zinc,
plomb, argent…), associé à un couvert forestier dense, fait de cette région
une province de choix pour l’exploitation minière. Elle est par conséquent
un lieu d’approvisionnement privilégié en métaux, mais plutôt pour une
période postérieure au Moyen Âge. Durant les époques antique et
médiévale les traces d’exploitation sont beaucoup plus ténues (voir
Figure 4). La production et la transformation des métaux sont très
gourmandes en bois, qui sert de combustible sous forme de charbon dans
les ateliers de réduction pour porter le minerai à des températures très
élevées, plus de 1 200 °C. Le bois est aussi utilisé pour les activités
domestiques des mineurs ou encore pour étayer les galeries de mines.
Le district de Sainte-Marie-aux-Mines est l’un des sites les plus actifs
pour l’extraction du plomb au niveau européen durant le XVIe siècle. On y
trouve aussi des restes archéologiques médiévaux comme des résidus de
fonderie, des vasques de décantation de laverie ou encore des restes
d’ouvrages hydrauliques qui témoignent d’une activité minière médiévale
sur les coteaux du district de l’Altenberg18. L’ouverture de ces mines,
comme beaucoup sur le massif, était très vraisemblablement l’œuvre des
moines, dépendant ici du monastère d’Échery fondé en 938. Une analyse
des pollens réalisée dans cette vallée (voir Figure 4, site 14) ne reflète pas
de coupes forestières majeures au Moyen Âge mais atteste la présence de
forêts claires dominées par le hêtre, avec des indices de pâturage en sous-
bois19. L’activité de vaine pâture est reconnue à cette époque et ne fut sans
doute pas sans conséquence pour maintenir des milieux forestiers
relativement ouverts, à moins que ces éclaircies ne soient le fait de
l’abattage des arbres pour pourvoir aux activités minières. Céréales et
chanvre sont également ici présents.
Dans la vallée de la Bruche, au nord de Saales, l’exploitation du fer est
connue depuis l’Antiquité avec un maximum atteint au cours des XVe-
XVIe siècles, confirmée grâce à la découverte de très nombreuses mines,
hauts-fourneaux et forges20. La tourbière du Champ-du-Feu surplombe cette
vallée (voir Figure 3, site 12). Une évolution très irrégulière des
peuplements de sapin en altitude y est observée : très discret entre 500 et
800, il connaît une soudaine embellie entre 800 et 1000, puis un
effondrement avant une quasi-disparition vers 140021. Les excès
significatifs de plomb à partir de l’an mil, mesurés dans les mêmes
sédiments, semblent indiquer que ces défrichements servent l’activité
minière, à moins que ces zones n’aient été ouvertes pour créer les Hautes-
Chaumes encore présentes aujourd’hui. Les deux hypothèses ne s’excluent
sans doute pas : les arbres abattus pour laisser la place au pâturage ont pu
alimenter les charbonnières, qui elles-mêmes fournissaient le combustible
pour la réduction du minerai. Quelle que soit l’origine de ces déforestations,
elles ont pour conséquence la quasi-disparition des sapinières à cet endroit.
Figure 4 : Gisements et mines de Fer, Plomb-Argent et de sel autour et dans le massif vosgien.
Dans la même vallée, mais plus bas en altitude, ce sont les peuplements
de hêtres qui sont touchés à la même période (voir Figure 3, site 11). Les
essences utilisées pour l’activité minière semblent être prélevées sans
sélection dans un environnement proche des lieux de charbonnage, le sapin
en altitude, le hêtre en moyenne montagne. Comme cela a été observé dans
d’autres régions, les ateliers de métallurgie s’installaient ici probablement
non loin des charbonnières et le minerai, plus facile à transporter que le
bois, y était amené depuis les zones d’extraction22. Le hêtre domine presque
toujours dans les assemblages carbonisés, mais cela arrive souvent quand il
est dominant dans la végétation23. Par contre le hêtre, contrairement au
sapin, se prête facilement aux coupes répétées en rejetant de souche.
L’activité minière ou plus exactement l’activité de charbonnage sur les
secteurs de montagne l’a donc favorisé au détriment du sapin.

Les Vosges du Nord


Les Vosges du Nord se distinguent par un sous-sol gréseux surmonté de
sols acides et filtrants et un relief de collines et de plateaux dont les
altitudes s’échelonnent entre 250 m au nord et 1 000 m au sud. La présence
de l’homme y est antérieure au Moyen Âge, notamment autour de Bitche,
comme en témoignent les grains de pollens de plantes cultivées observés
dans les sédiments de la tourbière de la Horn24. Cette anthropisation est
néanmoins faible et la forêt domine, composée majoritairement de pin
associé au chêne et au hêtre, et, dans une moindre mesure, au charme et au
sapin. Au cours de la période mérovingienne, la christianisation de l’Alsace
passe par la fondation d’abbayes. Une première vague d’implantations a
lieu aux VIe et VIIe siècles en lisière du massif (abbayes de Neuwiller et de
Wissembourg) avec création de vastes domaines agroforestiers. Ces
abbayes ont un rôle pionnier. Les défrichements sont nombreux dans les
fonds de vallées ; les forêts des Vosges se peuplent et le château du
Wasenbourg (VIIe siècle) est construit en bordure du massif non loin de
Niederbronn. À la suite de ces défrichements, le hêtre décroît alors que le
chêne semble favorisé ; le pin reste néanmoins l’essence dominante.
Une deuxième vague d’implantations d’abbayes a lieu aux Xe et
XIIe siècles (abbayes de Graufthal, de Saint-Jean-Saverne et de
Sturzelbronn) et, entre le XIe et le XIIIe siècle, des châteaux sont construits à
l’intérieur du massif (Bitche, Falkenstein, Lutzelhardt, Wasigenstein,
Fleckenstein et Waldeck). L’empreinte des activités humaines se fait alors
plus importante. Si autour de Bitche le pin domine de plus en plus les
essences forestières, il n’en est pas de même plus à l’est. L’implantation de
l’abbaye de Sturzelbronn en 1135 est clairement liée à des défrichements
qui touchent essentiellement le pin et profitent au noisetier. Ces
défrichements sont contemporains d’une augmentation nette des activités
agropastorales et d’un développement du chêne, favorisé pour la glandée.
Un peu plus au sud, la construction du château de Waldeck au XIIIe siècle
provoque elle aussi un changement de répartition des essences forestières.
Alors que depuis le VIe siècle le pin et le hêtre reculent au profit du chêne, et
que la forêt régresse devant les activités agropastorales depuis le XIIe siècle,
la construction du château est accompagnée de défrichements qui
concernent toutes les essences forestières, le chêne compris, et d’une
nouvelle augmentation des activités agropastorales25. La fin du Moyen Âge
est accompagnée par une fermeture progressive du paysage, la forêt restant
dominée par le pin dans le nord du massif, et par le chêne autour du château
de Waldeck.
Dans les Vosges gréseuses, tous les ingrédients nécessaires à la fabrication
du verre sont présents26 ; l’industrie du verre semble s’y être développée
depuis le Moyen Âge et au moins depuis le XIVe siècle27. Il semble aussi
acquis qu’au Moyen Âge, pour limiter le transport de bois, les premières
verreries s’installent au cœur des forêts et sont nomades. Ces verreries ont
donc laissé très peu de traces, les surfaces déboisées étant très rapidement
recolonisées après leur abandon28. C’est effectivement ce qui transparaît
dans les analyses de pollens disponibles actuellement ; celles-ci ne mettent
pas en évidence de défrichements liés aux activités des verriers.
Ainsi la forêt vosgienne médiévale a évolué au gré de l’histoire politique
et démographique de cette région : le haut Moyen Âge correspond à un
retour de la forêt par rapport à la période antique, ce qui peut s’expliquer
par les troubles dus aux invasions. Ce phénomène a été observé très
nettement sur le Plateau lorrain. Ensuite, la dynamique des forêts suit
parfaitement le contexte économique d’une Europe en plein essor dès le
XIIe siècle puisque le massif se trouve à l’articulation des grands courants
d’échanges terrestres et fluviaux. Les forêts profondes constituent un lieu
privilégié pour l’installation de monastères qui y trouvent la quiétude
souhaitée mais également des ressources naturelles illimitées, capables de
faire vivre toute une communauté en y développant l’agriculture et la proto-
industrie qui vont façonner le paysage.
Au nord, les Vosges restent sans doute plus forestières en raison de la
contrainte du sol plus acide et filtrant, par conséquent moins favorable à
l’agriculture.
À la fin du Moyen Âge, une brève reconquête forestière est à mettre en lien
avec la période de peste noire et de famines du XIIIe au XVe siècle, qui a
conduit à la diminution d’au moins 50 % de la population dans le massif.
Malgré les pressions anthropiques subies durant près de quatre cents ans,
les forêts de montagne restent suffisamment importantes pour qu’on
commence à en faire commerce. Les nombreux documents évoquant le
flottage des résineux donnent toute l’ampleur des prélèvements qui ont eu
lieu dans la région. Les forêts sont également placées sous l’autorité ducale,
ce qui entraîne la mise en place d’une réglementation plus drastique tendant
à restreindre l’accès et l’utilisation à tous de la forêt pour en réserver
l’usage. À partir du XVIe siècle, les défrichements seront sans précédent.
La forêt de la montagne jurassienne : usages et nature
Valentin Chevassu, Vincent Bichet, Benjamin Diètre, Émilie Gauthier,
Olivier Girardclos, Hervé Richard
À l’instar des Vosges ou du Massif central, le Jura est un massif de
moyenne altitude dont les plus hautes crêtes dépassent à peine 1 700 m.
Pour autant, la montagne jurassienne se distingue par sa géomorphologie et
sa situation frontalière, entre France et Suisse. Constitué essentiellement de
roches sédimentaires calcaires, son relief est irrégulier de l’ouest vers l’est.
Depuis la plaine de Bresse et le bassin de la Saône à l’ouest, le Jura s’édifie
en plateaux d’élévation progressive de 500 à 800 m d’altitude. À partir de
800 m, la haute-chaîne plissée succède aux plateaux. Étroite et arquée,
longue d’environ 300 km du nord au sud, elle est constituée d’une
succession de plis géologiques qui dessinent d’étroites vallées longilignes et
des monts larges et peu acérés. La haute-chaîne fait frontière avec la Suisse,
à l’est, qu’elle domine par un dénivelé de près de 1 000 m.
Aujourd’hui, la haute-chaîne est le territoire de la forêt jurassienne (voir
Figure 1). Les monts, aux sols pauvres, sont dédiés à la hêtraie-sapinière qui
couvre l’essentiel des surfaces. Les vallées, aux sols plus épais et humides,
sont exploitées pour l’élevage laitier et le développement des
infrastructures.
La forêt « résineuse » (le sapin et l’épicéa sont les essences dominantes)
s’est développée à cette altitude au cours de la seconde moitié de
l’Holocène (dernière période interglaciaire toujours en cours commencée il
y a environ dix mille ans), favorisée par un climat frais et humide qui a
succédé à l’optimum climatique et sa forêt caducifoliée plus thermophile.
Figure 1 : La vallée de Chapelle des Bois et la haute-chaîne jurassienne (cliché P. Bichet).

Le haut Jura est une montagne anthropisée et la forêt une ressource


facilement accessible depuis la périphérie du massif. Les études paléo-
environnementales, menées à partir des archives sédimentaires des lacs et
tourbières de cette région, révèlent une « ouverture » d’abord ténue de
l’espace forestier primitif dès le Néolithique, puis un essor progressif de
l’agropastoralisme durant la protohistoire. Les activités humaines
deviennent plus lisibles au cours de l’Antiquité tandis que la transition avec
le haut Moyen Âge se marque par une déprise et une reconquête de la forêt
sur les espaces agricoles. La tendance s’inverse durant le Moyen Âge
central et la démographie de la haute-chaîne s’étoffe dès cette époque. Dès
lors, les archives écrites complètent nos connaissances et offrent
progressivement, souvent par bribes, une lecture mieux définie des relations
entre les hommes et la montagne. L’archéologie est moins prolixe pour
illustrer l’anthropisation historique de la haute-chaîne, le territoire ayant été
relativement délaissé par la recherche au cours des dernières décennies.
Dans ce contexte, il n’est évidemment pas possible de dessiner les
contours de la forêt médiévale jurassienne. Si l’analyse des grains de
pollens et des spores conservés dans les sédiments indique qu’elle domine
le paysage à cette période et que les résineux y sont largement majoritaires,
les textes et les indices archéologiques sont déficients pour la cartographier
et en définir les usages avec précision.
Pour remédier à cette carence, ou du moins tenter d’améliorer l’état de
nos connaissances, un programme de recherche29 se focalise sur un espace
restreint du haut Jura central, considéré peut-être hâtivement comme
emblématique du massif. Les contributions présentées dans ce chapitre
illustrent ce travail documentaire en cours qui tente, à partir des indices
d’occupation du milieu et d’exploitation des ressources forestières, de faire
émerger l’histoire de la montagne jurassienne et de sa forêt.

Production de poix et de chaux


Parmi les vestiges archéologiques repérés sur le terrain, à partir de
l’analyse de sources écrites, de prospections pédestres mais surtout des
cartographies lidar (Light Detection and Ranging – mesures topographiques
de haute précision obtenues par un capteur laser aéroporté) disponibles sur
cette région, les fours à poix et les fours à chaux constituent un témoignage
éloquent de l’usage des ressources de la forêt.
Jusqu’au XIXe siècle, les résines végétales constituent des matériaux
recherchés pour de nombreux usages en raison de leurs propriétés
imperméabilisantes, collantes, combustibles et antiseptiques. Les matériaux
et les mélanges obtenus après distillation de ces résines sont désignés par
les termes de poix ou goudron végétal. Résines et goudrons peuvent ainsi
servir à la confection de torches et de chandelles, à l’étanchéification des
tonneaux, des citernes ou des coques de bateau, au traitement des cuirs et
des cordages, voire être utilisés pour la médecine vétérinaire ou humaine.
Ces matières sont obtenues à partir de divers végétaux, en particulier les
espèces attachées aux Bétulacées (bouleau), aux Cupressacées (genévrier)
et aux Pinacées (pin, sapin, épicéa…). L’obtention de poix suppose ainsi la
présence de ces espèces en nombre suffisant : sur le territoire français, les
activités de production étaient donc restreintes essentiellement au pourtour
du bassin méditerranéen et aux principaux massifs montagneux. Dans le
Jura, les trois espèces potentiellement utilisables pour la production de poix
et présentes naturellement de manière abondante sont le sapin blanc (Abies
alba), l’épicéa commun (Picea abies ou Picea excelsa) et, en moindre
quantité, le genévrier commun (Juniperus communis). La résine peut être
récoltée de deux manières, soit par incision de l’écorce sur l’arbre vivant, à
la manière du « gemmage » encore pratiqué aujourd’hui dans les Landes,
soit par une chauffe progressive du bois coupé qui provoque l’exsudation
puis l’écoulement de la résine à la base du dispositif de chauffe. Ce
dispositif peut prendre des formes variées selon les périodes et les espaces
géographiques. De manière générale, le four destiné à produire le goudron
végétal est formé d’un espace servant à la chauffe progressive du bois
résineux par combustion interne ou externe, et d’une structure en creux qui
recueille le liquide visqueux issu de la distillation. Ces résines et goudrons
sont abondamment produits et utilisés en Europe depuis la préhistoire. Dans
le Jura, les premiers témoignages archéologiques et textuels d’une telle
activité datent du Moyen Âge. Toutefois, l’absence d’indices plus anciens
est surtout liée à un état de la recherche actuelle et ne signifie en aucun cas
que les forêts résineuses du massif n’ont pas été exploitées bien
antérieurement.
À partir des XIe-XIIe siècles, l’accroissement de la documentation écrite
relative à la montagne jurassienne suggère la place importante que la
production de poix occupe dans l’économie du massif. En 1169, une
confirmation des dons faits à l’abbaye de Montbenoît (Doubs) par les sires
de Joux mentionne le four à poix de l’abbaye, et l’interdiction faite à tout
autre que les moines d’utiliser la forêt voisine et de récolter la poix30. Dans
les années 1290-1300, une série de transactions témoigne des négociations
entamées par les Chalon-Arlay, puissant lignage seigneurial du Jura central,
pour bénéficier de droits d’achat et de préemption sur toute la poix produite
dans la haute-chaîne jurassienne de Morteau (Doubs) et Val-de-Travers
(canton de Neuchâtel, Suisse) jusqu’à Mouthe (Doubs). Les concessions
accordées par les différents seigneurs concernés mentionnent des lieux où la
production sera obligatoirement déposée avant achat ; elles établissent
également des tarifs fixes distinguant poix noire distillée et poix blanche,
récoltée par incision de l’écorce31. Cueillette de résine et fabrication de poix
apparaissent ensuite régulièrement dans les sources écrites à travers
l’ensemble de la chaîne jurassienne, même si les exportations semblent
moins nombreuses au cours de la période moderne. L’importance de cette
production pour la période médiévale a été soulignée depuis longtemps par
les historiens, par suite de quoi les très nombreux toponymes jurassiens
dérivés du terme « fourgs » ou « four » ont souvent été associés aux
structures de cuisson de la poix, même si cette hypothèse demeure presque
toujours invérifiable. Toutefois, face à l’abondance des sites de production
suggérée par les textes d’archives, les témoins archéologiques restent très
rares dans l’ensemble du massif. Les vestiges répertoriés se restreignent à
quatre sites signalés au XIXe siècle grâce à des découvertes fortuites,
brièvement décrits et non localisés.
Plus récemment, deux fours à poix médiévaux ont été mis en évidence
lors d’opérations de prospections archéologiques réalisées sur le plateau des
Fourgs (Doubs). Cette découverte a fourni l’occasion de documenter
archéologiquement pour la première fois ce type de sites emblématique de
l’économie jurassienne médiévale. Des fouilles archéologiques réalisées sur
le site de la Beuffarde et sur le site de Haute-Joux ont ainsi permis de
décrire en détail les moyens de construction, le mode de fonctionnement et
la chronologie des fours. Ces deux sites étaient signalés dans le paysage
actuel par de petits tertres aux formes irrégulières, au sein desquels la
présence abondante de matériaux chauffés avait été repérée. Les fouilles ont
révélé sous ces deux tertres des structures de chauffe adoptant un plan très
similaire. Les deux fours s’organisent autour d’une chambre de chauffe
formée par un espace circulaire de 3,50 à 4 m de diamètre, entouré de larges
parois de pierre et d’argile mesurant 1,70 à 2 m de large et ponctuellement
renforcées par une armature de bois. C’est à l’intérieur de cet espace fermé
qu’était entassé le bois résineux afin d’y subir une combustion lente
provoquant l’écoulement de la résine. Le fond de la chambre de chauffe
présente ainsi une large tache d’argile noirâtre, imprégnée de poix sur une
profondeur d’au moins 70 cm et dégageant à la fouille une intense odeur de
suie et de térébenthine (voir Figure 2). Une ouverture latérale de 50 cm à
1 m de large pourrait avoir servi comme évent permettant de contrôler la
combustion ou comme orifice de vidange pour l’enlèvement des matériaux
consumés. Une seconde ouverture débouche sur un caniveau par lequel la
poix s’écoulait en direction d’un bassin de refroidissement et de collecte,
situé légèrement en aval. Le four de la Beuffarde était ainsi doté d’un bassin
quadrangulaire mesurant 1,20 m de côté et construit en gros blocs calcaires
jointoyés à l’argile, tandis que le four de Haute-Joux était associé à une
cuve monoxyle de 2 m de long enterrée en contrebas de la chambre de
chauffe. Autour des deux fours, des négatifs de construction en bois
témoignent de la présence d’abris sur poteaux protégeant la structure de
chauffe et ses abords. On retrouve également d’importants niveaux de
cendre, charbons et matériaux rubéfiés rejetés en périphérie du four,
accumulés sur plus de 1,80 m d’épaisseur à la Beuffarde. Ces niveaux
charbonneux, comme les fortes imprégnations de poix à la base du four,
témoignent d’une utilisation des fours à maintes reprises et sur une période
plutôt longue. Cette utilisation a pu être datée précisément par analyse
radiocarbone des charbons et l’analyse dendrochronologique de pièces de
bois conservées par l’humidité. Les fours s’avèrent ainsi avoir été utilisés
tous deux entre la fin du Xe siècle et le début du XIIIe siècle, c’est-à-dire sur
une période en grande partie antérieure aux premiers témoignages écrits
concernant le village des Fourgs et la production de poix dans le massif
jurassien. Outre la longueur de la période de fonctionnement, on peut
également souligner le soin apporté à l’aménagement des deux sites, sur
lesquels on distingue diverses traces d’entretien et de reconstruction. Tout
cela évoque donc une production organisée autour d’équipements utilisés
dans la longue durée et peut-être de manière collective, bien distincts de
structures fonctionnant ponctuellement à l’occasion d’un chantier forestier.
Figure 2 : Le four à poix de Haute-Joux (Les Fourgs, Doubs) (cliché V. Bichet).

La présence de bois pour le feu et l’omniprésence de la roche calcaire


prédestinent également la forêt jurassienne à la production de chaux.
Produite par calcination du calcaire à une température voisine de 900 °C
dans un four auquel on donne, dans les sources textuelles, le nom de
chaufour ou de rafourg, la chaux est principalement utilisée pour la
construction comme liant dans les mortiers de scellement et les enduits. Son
usage s’est popularisé durant l’Antiquité et se développe considérablement
durant le Moyen Âge, accompagnant l’essor de la démographie et
l’augmentation croissante du bâti32. Elle est aussi produite pour des usages
annexes comme l’agriculture, où elle est utilisée par épandage (le chaulage)
pour corriger l’acidité des sols et favoriser la production végétale. On
l’utilise également sous sa forme primaire et déshydratée (la chaux
« vive ») pour détruire la matière organique, assainir les charniers et
prévenir des épidémies. Enfin, elle est mise en œuvre pour le lavage et le
traitement des cuirs mais aussi, en faible quantité et plutôt à partir de
l’époque moderne, pour la fabrication du verre.
La montagne jurassienne dispose de ressources calcaires illimitées dont la
nature est presque partout compatible avec la production d’une chaux de
bonne qualité. En outre, les sols sont peu épais et la roche souvent
affleurante est donc facile à exploiter. La disponibilité du bois,
indispensable à la lente calcination de la roche (la température de cuisson
doit être maintenue plusieurs jours pour obtenir de la chaux), est aussi un
atout évident de la forêt pour que s’y développe la production de chaux.
Pour autant, durant la période médiévale, la documentation écrite reste
assez discrète sur cette production de chaux, une activité qui se déroule
peut-être surtout dans un cadre domestique ou communautaire, ou en tout
cas plutôt hors du regard des autorités seigneuriales productrices d’archives.
Toutefois, à partir du XVe siècle, il est fait mention de fours dans les
comptabilités comtales. Seuls les registres de péages et les comptabilités de
chantiers de construction livrent ponctuellement des indications sur la
construction d’un four ou le transport de chaux. Des régions productrices
semblent alors se dessiner au sein de la haute-chaîne. Il faut cependant
attendre le XVIIIe et le XIXe siècle pour avoir des informations plus
abondantes sur la spécialisation de certains villages jurassiens dans la
« chaufournerie ». Dans la région de Saint-Claude (Jura), certains habitants
deviennent ainsi des artisans itinérants spécialisés dans la construction de
fours à chaux33. Au regard des rares mentions existantes dans les textes et
de quelques chaufours connus de prospecteurs locaux, l’analyse des
cartographies lidar menées récemment sur les espaces forestiers de la haute-
chaîne centrale, fut une véritable surprise. Les vestiges de près de 1 500
fours à chaux y ont été identifiés sur une emprise voisine de 1 200 km2
(voir Figure 3).
Figure 3 : Localisation des sites relevant de l’exploitation des ressources forestières aux époques
médiévale et moderne dans la haute-chaîne du Jura central. Concernant la poix, les symboles
renvoient soit à des fours identifiés, soit à des mentions figurant dans les textes (lieux de fabrication
ou de vente). Les cercles rouges numérotés renvoient aux 3 sites fouillés mentionnés dans le texte (1 :
four à poix de La Beuffarde ; 2 : four à poix de Haute-Joux ; 3 : four à chaux des Plans du Vitiau).

Les fours se présentent sous la forme d’un remblai en couronne de


quelques décimètres d’élévation pour 4 à 15 m de diamètre selon les cas, et
d’une dépression centrale plus ou moins étendue et profonde (voir
Figure 4). Les contrôles de terrain et une reconnaissance des structures par
des sondages à la tarière attestent de vestiges associés à la production de
chaux. De tels fours ont déjà été identifiés et partiellement étudiés aux
marges du Jura34.
Une opération archéologique réalisée sur un four aux Plans du Vitiau,
lieu-dit de la commune des Fourgs (Doubs), à quelques kilomètres des deux
fours à poix précédemment évoqués, a permis de mieux appréhender le
fonctionnent de ce type de chaufour. Un foyer central cylindrique de 1,85 m
de diamètre et 1,35 m de profondeur est partiellement enterré dans les
argiles du fond d’une doline karstique. La paroi du four, construite en gros
blocs calcaires, est aménagée en partie haute d’une ouverture qui constitue
la gueule du four, destinée à alimenter le foyer en bois et assurer la
ventilation et le tirage du four. C’est ce foyer, partiellement comblé et
démantelé, qui correspond à la dépression centrale qui marque les vestiges
du four. Le foyer et la gueule du four sont associés à une aire de travail qui
peut être plus ou moins aménagée. C’est là que se tient le chaufournier pour
conduire le feu et surveiller la calcination. Le foyer est ceinturé par un
remblai argileux épais de 1 à 2 m, interrompu au niveau de l’aire de travail,
qui assure l’isolation du four et permet de ne pas disperser l’énergie
thermique hors du foyer. La charge à calciner était disposée au-dessus du
foyer. Constituée de petits blocs calcaires concassés, elle était supportée par
une voûte de blocs disposés en encorbellement.
Figure 4 : Les vestiges d’un four à chaux (fin du XIIIe s.) aux Plans du Vitiau (Les Fourgs, Doubs)
(cliché V. Chevassu).

Le four du Vitiau témoigne de multiples utilisations, au minimum une


dizaine, qui se sont sans doute succédé sur une période assez courte. La
production de chaux du four est estimée entre 5,5 et 7 tonnes par cuisson et
les premières analyses anthracologiques semblent monter que le foyer était
alimenté par de la branche et des bois de résineux de petits calibres.
Parmi la variété de fours à chaux utilisés depuis l’époque antique, ce type
de four est caractéristique des fours dits à longue flamme et calcination
périodique, à gueule haute35. Cette typologie correspond habituellement à
des fours ruraux médiévaux et modernes. Le four du Vitiau est daté du
XVIe siècle. Un four voisin, situé à quelques dizaines de mètres, a été daté de
la limite XIIIe-XIVe siècle. Seuls quatre fours ont été datés sur la zone
d’étude, ce qui ne permet pas d’établir la chronologie de la carte des fours,
ni d’en définir leur nombre et leur localisation au Moyen Âge.
Néanmoins, leur nombre spectaculaire et leurs dimensions parfois
impressionnantes (les plus grands permettent de produire des dizaines de
tonnes de chaux par fournée) laissent envisager une production organisée et
généralisée à toute la zone étudiée durant les époques médiévale et
moderne. On peut dès lors imaginer une zone de chalandise qui dépasse les
besoins locaux et qui s’ouvre probablement aux zones urbaines de basse
altitude, en particulier le bassin lémanique dépourvu d’une géologie
favorable à la production de chaux. La question de la nature et de la
quantité du bois nécessaire au fonctionnement des fours est aussi une
question cruciale qu’il conviendra d’aborder afin d’envisager les éventuels
impacts de la production de chaux sur la forêt du haut Jura.

Les autres usages de la forêt


Autour de cette activité spécialisée qu’est la production de poix et de
chaux, la forêt jurassienne est bien évidemment exploitée pour de nombreux
autres usages. Tout d’abord, les besoins des communautés locales
apparaissent dans les écrits à partir du XIIIe siècle, grâce à la description des
droits d’usage concédés ou contestés dans les forêts des domaines
seigneuriaux. Ces documents accordent fréquemment aux habitants des
communautés voisines la possibilité de s’approvisionner en bois pour leur
chauffage et leurs constructions. Dans de plus rares cas, les usagers peuvent
également procéder à la fabrication de charbon et vendre le bois à des
consommateurs extérieurs. Ces exportations de bois peuvent en partie être
retracées à partir des XIVe-XVe siècles grâce aux registres comptables des
péages routiers et fluviaux. Des scieries hydrauliques sont également
mentionnées dans le massif à partir du XVe siècle. En revanche, les
prélèvements liés au petit artisanat n’apparaissent que par des indications
ponctuelles : en 1552, la fabrication de vases en bois est ainsi mentionnée
comme une spécialité de la vallée de Foncine36. Comme la plupart des
forêts médiévales, la forêt jurassienne est également un espace de pâturage
largement parcouru par le bétail. Il s’agit là encore d’une pratique
visiblement très répandue, mais évoquée plus ou moins précisément par les
textes et ne laissant pas ou peu de traces matérielles sur le terrain. Enfin, les
textes des XIIIe-XVIe siècles encouragent assez fréquemment les
défrichements et l’ouverture de nouvelles terres labourables ou pâturées au
sein des forêts d’altitude. Un traité de 1296 autorise ainsi les habitants du
val de Mouthe à « essarter », c’est-à-dire défricher, « tant il leur plaît » dans
les « joux » ou forêts de résineux37. Les forêts d’altitude jurassiennes
apparaissent donc soumises à de multiples droits d’exploitation collectifs
souvent enchevêtrés, partagés entre plusieurs seigneurs et différentes
communautés d’habitants parfois assez éloignées des forêts concernées. Un
exemple est fourni par la montagne du Noirmont, à l’est du val de Mouthe,
sujet d’interminables procédures judiciaires qui s’étalent entre le XIVe et le
XVIIIe siècle. Le même territoire est en effet exploité par huit à dix villages
différents qui y font pâturer leur bétail et y construisent des granges
d’estive, tout en utilisant également la forêt pour fabriquer du charbon et
prélever le bois d’œuvre et de chauffage qui leur est nécessaire.
À ces diverses pratiques s’ajoutent ensuite les besoins des établissements
artisanaux ou proto-industriels qui se développent autour de la haute-
chaîne. Le massif du Mont-d’Or et ses alentours offrent notamment des
ressources en minerai de fer exploitées assez anciennement. Les
découvertes archéologiques attestent la présence de sites de transformation
du minerai dès la période mérovingienne38. Les archives seigneuriales
mentionnent une activité d’extraction à partir du XIVe siècle, tandis que
hauts-fourneaux, mines et fonderies se multiplient plus largement entre la
seconde moitié du XVe siècle et le début du XVIIe siècle39. Ces divers
aménagements ont un impact direct sur les forêts alentour par leur forte
consommation de combustibles. Ainsi, en 1649, l’acte de reconstruction du
haut-fourneau de Rochejean (Doubs) donne de nombreux détails sur la forêt
voisine du mont de la Croix, que l’on voue à la production du charbon de
bois nécessaire au fonctionnement de l’établissement. Cette activité de
charbonnage reste par ailleurs souvent discrète dans les textes médiévaux
jurassiens. Elle laisse en revanche de nombreuses traces, bien repérables sur
le terrain ou grâce aux relevés lidar, sous la forme de plates-formes
circulaires de 5 à 10 m de côté sur lesquelles étaient construites les meules
de bois ensuite transformées en charbon. Autre industrie vorace en
combustible, la verrerie semble connaître dans le Jura central un
développement plus tardif. Seuls des verriers itinérants sont décrits au cours
de la période médiévale, et il faut attendre la seconde moitié du XVIe siècle
pour voir plusieurs verreries s’établir dans la vallée de Joux (canton de
Vaud, Suisse)40, avant d’être interdites au début du XVIIIe siècle en raison
des dégâts engendrés dans les forêts. D’autres fondations auront lieu durant
les XVIIe et XVIIIe siècles dans la région de Goumois, le val de Morteau et le
val de Mouthe, mais connaîtront, elles aussi, une existence assez brève41.
Outre de grandes quantités de combustible, la fabrication du verre nécessite
également l’utilisation de cendres potassiques issues de la calcination de
végétaux tels que la fougère ou surtout le hêtre, plus fréquent dans les forêts
jurassiennes. Autre prélèvement sélectif, la cueillette d’écorces destinées au
traitement des peaux dans les tanneries est évoquée par plusieurs querelles
de droits d’usage. Ainsi, plus tardivement, en 1633, les habitants du val de
Mouthe présentent une requête demandant la destruction d’un haut-
fourneau qu’ils accusent de ruiner les forêts par sa trop grande
consommation de combustible. Le seigneur du val, propriétaire du haut-
fourneau, réplique alors en attribuant ces mêmes dégradations aux activités
des habitants, producteurs de charbon et d’écorces42.
Malgré le rôle qu’elles ont pu avoir dans l’évolution du paysage comme
dans l’économie locale, beaucoup de ces pratiques forestières
n’apparaissent que ponctuellement dans les textes et ne laissent aucun
vestige matériel. Leur importance reste par conséquent souvent difficile à
quantifier, de même que les prélèvements pourtant intenses qu’elles ont pu
entraîner dans les forêts jurassiennes.

Les apports des analyses paléo-environnementales


Si les vestiges de fours témoignent de l’étendue de la forêt, et pour partie
de sa nature, l’analyse des grains de pollens et des spores conservés dans les
sédiments offre l’opportunité de dresser un portrait mieux défini du couvert
végétal de la montagne jurassienne au Moyen Âge. La végétation ancienne
du secteur étudié peut être restituée, en particulier, par l’interprétation de
deux analyses réalisées sur deux sites distants de 1 km l’un de l’autre et
situés à 1 100 m d’altitude de part et d’autre de la frontière franco-suisse.
La première analyse a été effectuée dans une tourbière de la combe de la
Beuffarde (Les Fourgs, Doubs) à proximité des vestiges du four à poix de la
Beuffarde ; la seconde correspond à la tourbière des Araignys proche du
village de L’Auberson (canton de Vaud, Suisse). Les tourbières sont en effet
d’excellentes archives sédimentaires qui conservent des grains de pollens
sur plusieurs millénaires ; leur identification permet de reconstituer
l’histoire de la végétation et, à travers elle, l’histoire de l’impact de
l’homme sur l’environnement, en particulier au cours de la période
médiévale.
Les deux sites étudiés offrent une image assez similaire de la végétation
au milieu du Ier millénaire après J.-C. (voir Figure 5). La forêt composée
principalement de sapin, d’épicéa et de hêtre domine le paysage régional.
Entre la fin du Ve siècle et l’an mil, quelques traces d’activités humaines
liées à l’agriculture et au pastoralisme sont perceptibles ; elles sont plus
évidentes à L’Auberson qu’à la Beuffarde. Le premier site est localisé dans
une zone de passage où existe probablement un foyer de peuplement. Dans
ce contexte, la diminution corrélative des grains de pollens d’arbres peut
être interprétée comme un indice de défrichement. Diverses céréales, dont
le seigle, sont cultivées ; le chanvre est aussi cultivé à proximité. Les
plantes des milieux ouverts et pâturés, comme le plantain et l’oseille, se
multiplient. Le site de la Beuffarde, situé dans une petite vallée encaissée,
semble rester plus forestier43 ; les quelques indices d’activité agropastorale
y sont ténus et correspondent peut-être à l’émanation des activités
reconnues dans le secteur voisin de L’Auberson.

Figure 5 : Diagrammes polliniques simplifiés et partiels : en haut, tourbière de La Beuffarde, (Les


Fourgs, Doubs) ; en bas, tourbière des Araignys, commune de L’Auberson (Vaud, Suisse) (analyses :
B. Diètre et E. Gauthier).
À partir de l’an mil, les défrichements se multiplient et le couvert forestier
recule à proximité des deux sites. La culture du chanvre, destiné au tissage,
connaît son plein essor mais les céréales sont également présentes malgré
l’altitude. Sur les deux sites apparaît une plante messicole, le bleuet, qui a
souvent été mis en rapport avec l’extension de la culture du blé et du
seigle44. L’Auberson semble être au cœur d’une zone active de peuplement
où le milieu est plus ouvert. Contrairement à la Beuffarde, la tourbière de
L’Auberson semble touchée à la fois par l’ouverture du milieu et un
assèchement entraînant le développement de la callune, une variété de
bruyère de la famille des Éricacées qui croît dans les tourbières sans arbres
du Jura. À la Beuffarde, les conséquences paraissent plus brèves et plus
localisées. Des activités agropastorales se développent dans cette petite
vallée, mais la présence d’au moins un four à poix fonctionnel entre la fin
du Xe siècle et le début du XIIIe siècle, et de plusieurs fours à chaux,
augmente les prélèvements des ressources forestières. Ainsi, les chutes de la
représentation du sapin et de l’épicéa peuvent être plus particulièrement
liées à ces activités. Enfin, la plupart des analyses palynologiques du massif
jurassien montrent une diminution des activités humaines accompagnée
d’un retour à la friche. Les zones ouvertes (prairies et cultures) se
transforment en friches annonçant la reforestation vers la fin du XIVe siècle
et au XVe siècle45. Cette dynamique particulière de la végétation a souvent
été mise en relation avec les épidémies de peste et les conflits qui affectent
la région à cette époque. Si une déprise agricole et une reforestation sont
effectivement visibles aux environs de la tourbière de la Beuffarde, le
diagramme pollinique de L’Auberson ne semble pas enregistrer ces
problèmes inhérents à la fin du Moyen Âge.

Le contexte de peuplement
Autour de cet état de la végétation se dessine également l’évolution
générale du peuplement et de la pression humaine sur les massifs forestiers
jurassiens. Dans ce contexte montagnard, l’occupation du sol durant les
périodes anciennes peut être restituée grâce à trois principaux types
d’informations. La première catégorie est constituée par les vestiges
archéologiques, c’est-à-dire toutes les traces matérielles laissées par
l’établissement d’un habitat ancien ou d’une activité humaine, des quelques
tessons de céramique retrouvés dans les labours aux ruines monumentales
d’un château ou d’une église. Depuis les XVIIIe-XIXe siècles, et même si la
recherche archéologique s’est peu intéressée à cette région au cours du
XXe siècle, l’accumulation d’observations effectuées par des professionnels
ou des amateurs d’archéologie, les découvertes fortuites réalisées lors de
travaux d’aménagement, les diverses opérations de fouilles et de
prospections archéologiques permettent de dresser des inventaires de ces
vestiges et d’évaluer, a minima, la répartition ancienne de l’habitat. Les
archives et les textes médiévaux ou modernes constituent une deuxième
source d’information, ici assez lacunaire jusqu’aux XIe-XIIe siècles mais
offrant ensuite des informations de plus en plus détaillées à mesure que l’on
progresse dans le temps. Enfin, comme décrit plus haut, les analyses paléo-
environnementales mettent en évidence la présence d’activités humaines et
de pratiques agricoles. Malgré des lacunes et des biais documentaires
encore nombreux, le cumul de ces différents types d’informations offre
donc une vision assez complète des dynamiques d’évolution du peuplement
autour des forêts jurassiennes.
Si l’on outrepasse les limites de la période médiévale, des indices paléo-
environnementaux et archéologiques encore diffus documentent la présence
de l’homme dans tous les secteurs de la montagne jurassienne dès le
Néolithique et l’âge du bronze. Il faut cependant attendre la période du
Haut-Empire romain (Ier-IIIe siècles ap. J.-C.) pour saisir plus précisément
les modalités d’occupation de la montagne jurassienne, grâce à une
amélioration de la documentation archéologique. Une opposition apparaît
alors entre des zones de plateaux largement cultivées, associées à un habitat
aisé bien reconnaissable archéologiquement, et des zones d’altitude très
boisées dans lesquelles les occupations humaines restent beaucoup plus
discrètes. L’Antiquité tardive (IVe-Ve siècles ap. J.-C.) est marquée par des
reforestations et une déprise agricole sur les plateaux et dans les zones
d’altitude, correspondant à des crises ou des mutations de l’exploitation du
territoire montagnard. Ces changements restent cependant très difficiles à
appréhender dans l’état actuel de nos connaissances : peu de sites d’habitat
sont répertoriés pour cette période, tandis que le mobilier archéologique
associé reste mal connu et difficile à dater précisément.
Durant les périodes mérovingienne et carolingienne (VIe-Xe siècles), les
données du paléo-environnement enregistrent une augmentation progressive
des activités agropastorales, même si une opposition perdure entre des
plateaux très exploités et une haute-chaîne encore largement forestière. Les
données archéologiques, quoique de qualité inégale, insistent également sur
le dynamisme des zones de plateaux, notamment dans les zones de passage
où se regroupent plusieurs fortifications de hauteur et nécropoles
aristocratiques. Les textes, encore rares, évoquent surtout les circulations et
les possessions éparses des grands monastères et des lignages
aristocratiques situés principalement sur les marges du massif.
Dans le Jura, comme dans la plupart des massifs voisins, le Moyen Âge
central (XIe-XIIIe siècles) est marqué par la régression du couvert forestier et
le très fort accroissement des activités agropastorales, en particulier dans les
vallées de la haute-chaîne encore très boisées. Une mutation intervient à la
même période avec la fondation de nombreux monastères et l’apparition de
plusieurs lignages de seigneurs châtelains implantés cette fois au cœur de la
montagne jurassienne. Ces créations peuvent être vues comme les
marqueurs d’un nouveau dynamisme dans des régions qui semblaient
jusque-là en marge des réseaux de pouvoir documentés par les écrits. Les
textes des XIe-XIIe siècles soulignent ainsi la distinction entre les plateaux
cultivés, divisés en de multiples finages et petits territoires seigneuriaux, et
les vallées de montagne vues comme de vastes espaces pastoraux et
forestiers occupés de manière plus diffuse. Ces vallées connaissent ensuite
une intensification et une fixation progressive du peuplement et des
pratiques agricoles, sous l’influence des pouvoirs locaux. À Mouthe, aux
Fourgs ou dans le val du Saugeais, divers contrats d’« abergements » datés
du XIIIe siècle témoignent ainsi de la fixation de populations extérieures
devant contribuer à une nouvelle mise en valeur des espaces d’altitude.
À partir des XIIe-XIIIe siècles, un peuplement stable est attesté à la fois sur
les plateaux et dans les fonds de vallées de la haute-chaîne. Les reliefs,
monts et combes d’altitude, restent en revanche peu documentés. Ces
espaces sont alors mentionnés uniquement en tant que terres de parcours
collectives, exploitées de manière temporaire pour le pacage des animaux et
le prélèvement de ressources forestières. De la fin du XIIIe jusqu’au
XVe siècle se dessine ensuite une période de déprise agricole, accompagnée
par l’abandon de quelques fortifications et sites d’habitat. Dans le Jura,
cette tendance est plus sensible dans la haute-chaîne que dans les zones
basses. Il s’agit toutefois d’un phénomène général, lié aux recompositions
politiques et aux crises militaires, climatiques ou épidémiques qui
caractérisent le Moyen Âge tardif.
Les XVIe-XVIIe siècles sont, a contrario, marqués par une intense
déforestation, sensible tant dans la documentation paléo-environnementale
que dans les textes, à travers la multiplication des conflits concernant
l’utilisation des boisements. Les dévastations entraînées par les guerres du
XVIIe siècle (1634-1644, 1668, 1674) ne semblent entamer que brièvement
cette dynamique. Les créations d’établissements proto-industriels
métallurgiques ou hydrauliques très consommateurs en combustibles, mais
aussi les pâtures d’estive liées à un développement croissant de l’élevage du
gros bétail, se multiplient depuis la seconde moitié du XVe siècle. L’essor de
ces activités, liées à de nouvelles pratiques économiques et aux
investissements de la petite bourgeoisie locale, entraîne une forte pression
sur les ressources forestières et leurs différents usages. Dans le même
temps, les reliefs de la haute-chaîne jurassienne, auparavant décrits comme
des pâturages forestiers sujets à des droits d’usage communautaires, se
parsèment alors de nombreux enclos, écarts, hameaux et granges d’estive
qui témoignent d’une appropriation graduelle des espaces d’altitude par des
particuliers. Cette dynamique est notamment illustrée par la constitution
progressive du village de Chapelle-des-Bois dans une combe surplombant
le val de Mouthe, hameau temporaire au début du XVIe siècle, puis habitat
permanent et enfin communauté paroissiale à part entière au XVIIIe siècle.

Une forêt médiévale à définir


Encore récemment considérée par les historiens comme un vaste « désert
forestier » conquis à la faveur du développement du monachisme médiéval,
la forêt jurassienne apparaît désormais comme une forêt ressource de
moyenne altitude, aisément accessible pour fournir les populations
riveraines et probablement exploitée bien antérieurement au Moyen Âge.
Le bois y offre de multiples ressources, mais le sous-sol est aussi
pourvoyeur de biens (le calcaire, le fer) et le gibier devait y être abondant.
La mention des usages de la forêt apparaît dans les textes principalement
au Moyen Âge tardif et au cours de l’époque moderne, ce qui n’exclut
évidemment pas une exploitation plus précoce : en témoignent les fours à
poix récemment découverts dont le fonctionnement est attesté près de deux
siècles avant les premiers écrits qui relatent cette activité. En 1847,
l’historien et archéologue Édouard Clerc écrivait :
Un préjugé s’est maintenu, funeste à notre archéologie, que sous l’Empire romain les vastes
chaînes du Jura, leurs étages inégaux et leurs vallées profondes étaient couvertes en entier de
forêts. L’étude en a donc été négligée comme inutile46.

On ne peut que lui donner raison ! La forêt n’est pas un espace vide. Au
contraire, elle peut être envisagée comme la justification du peuplement du
massif plutôt qu’apparaître comme un frein à son développement.
Les premières investigations archéologiques sont prometteuses.
Néanmoins, le chantier est important et nécessite, outre la reconnaissance et
l’interprétation fonctionnelle des vestiges existants, d’aborder également les
aspects quantitatifs de l’exploitation des ressources et d’en préciser la
chronologie. Quels bois pour quels usages ? Quels volumes de production à
quelles périodes ? Cette étape implique également le recours à l’archéologie
expérimentale. Les enjeux de connaissance sont aussi de définir quels ont
été les impacts de l’exploitation des ressources sur l’extension, la densité et
la typologie du couvert forestier pour comprendre la trajectoire anthropique
et écosystémique de la forêt jurassienne médiévale à la forêt d’aujourd’hui,
composante significative de l’économie régionale.
Des faînes, des glands et des châtaignes :
l’exploitation de la forêt morvandelle
Vincent Balland, Valentin Chevassu, Isabelle Jouffroy-Bapicot
Le massif du Morvan forme au cœur de la Bourgogne un territoire
montagnard bien spécifique, défini notamment par un sous-sol granitique et
des reliefs arrondis d’altitude modeste mais entaillés de vallées profondes.
La région se singularise ensuite par ses paysages, émaillés de haies
bocagères et de multiples hameaux, mais surtout marqués par
l’omniprésence des forêts. Les boisements couvrent en effet plus de 45 %
du territoire : ils sont surtout formés de résineux (pin Douglas, sapin et
épicéa) et de hêtraies-chênaies. Ces vastes forêts constituent à la fois une
caractéristique du paysage morvandiau et un élément central de l’économie
locale, sans avoir pourtant une origine très ancienne. En effet, l’extension
des espaces boisés s’est souvent réalisée au détriment d’anciens espaces
agricoles, à la faveur de l’exode rural et des réorientations économiques qui
marquent la région aux XIXe et XXe siècles. Des documents, tels que la carte
d’état-major (1828-1866), témoignent ainsi des paysages largement ouverts
et intensément exploités qui existaient au XVIIIe ou au XIXe siècle. Cette
reconquête forestière a engendré un maillage de micropropriétés forestières
caractéristique du Morvan actuel, même s’il existe çà et là quelques grands
massifs domaniaux et privés. L’arrivée des résineux est encore plus
récente : les premières plantations interviennent dans les forêts domaniales
de l’État au XIXe siècle, puis l’enrésinement s’étend plus largement après la
Seconde Guerre mondiale, avec l’introduction massive du pin Douglas,
essence originaire d’Amérique du Nord.
Ces traits paysagers considérés aujourd’hui comme caractéristiques du
Morvan sont donc très récents. Quel était l’aspect de la montagne
morvandelle et de ses forêts avant les mutations économiques des deux
derniers siècles ? Et dans quelle mesure les paysages actuels de la région
conservent-ils un héritage des périodes antérieures ? Quelle empreinte a
laissée à cet égard le Moyen Âge, qui constitue par ailleurs une période
charnière pour la mise en place des peuplements ruraux actuels ?
Comprendre plus en profondeur l’histoire des paysages morvandiaux,
valorisés notamment dans le cadre d’un parc naturel régional, devrait
également permettre d’orienter les politiques de gestion des espaces boisés
actuels.
Plusieurs travaux ont porté sur l’évolution des paysages : une synthèse
récente sur l’histoire du couvert végétal du Morvan a été réalisée sur la base
de l’étude des grains de pollens conservés dans les tourbières, et des
recherches portant sur les vestiges archéologiques et les sources écrites sont
en cours. Ces travaux concernent des aires chronologiques et spatiales
différentes (voir Figure 1) : les analyses paléo-environnementales
documentent l’évolution de l’ensemble du massif depuis dix mille ans, alors
que les recherches archéologiques et historiques, restreintes à sa partie sud,
se sont principalement concentrées sur les périodes antique, médiévale et
moderne. Ces recherches croisées fournissent un ensemble de données
pluridisciplinaires et complémentaires qui permettent d’appréhender
l’histoire de la forêt médiévale, sa structure et sa place dans le système
socio-économique.
Figure 1 : Périmètres étudiés au sud du Morvan : principaux massifs forestiers, noms de lieux
mentionnés dans le texte et sites de prélèvements palynologiques.

L’apport de différentes disciplines


La palynologie a permis de documenter plus de dix mille ans d’histoire de
la végétation du massif47, en portant une attention particulière aux relations
entre les sociétés humaines et leur environnement depuis le Néolithique, il y
a environ sept mille ans48. Pour le Moyen Âge, 9 sites répartis sur
l’ensemble du massif (voir Figure 2) permettent de suivre les évolutions de
la forêt. Les diagrammes simplifiés illustrent la répartition proportionnelle
des grains de pollens issus de chacun de ces sites, du Ve au XVe siècle.
L’histoire de la forêt médiévale s’inscrit dans le prolongement d’une
période d’ouverture à l’échelle du massif centrée sur la fin de l’âge du fer et
l’Antiquité. Toutefois, le couvert forestier au début de la période médiévale
représente encore au moins 50 % de la somme pollinique totale sur
l’ensemble des sites analysés. Il faut y ajouter des boulaies et/ou des
formations d’aulnaies de zones humides, comme à Poil en piémont sud, au
Grand Montarnu dans le Haut-Morvan, ou encore à Nataloup dans le nord
du massif.
Les recherches archéologiques menées dans l’extrémité sud du Morvan
(voir Figure 3) visent à restituer l’évolution des occupations humaines
anciennes au sein du massif et sur son piémont sud-est49. Le territoire
étudié a été prospecté systématiquement afin de répertorier tous les indices
permettant de cartographier la répartition de l’habitat ancien, mais aussi les
zones « vides » dépourvues de vestiges archéologiques. Les inventaires
réalisés comprennent également les vestiges médiévaux monumentaux,
assez nombreux en Sud-Morvan, tels que les éléments d’architecture
religieuse, les châteaux ou les mottes castrales.
Les sources écrites médiévales permettent elles aussi de positionner sur la
carte des sites d’habitats, des lieux de culte, des fortifications, des activités
humaines… associés ou non à des vestiges encore visibles sur le terrain.
Dans le Sud-Morvan, c’est seulement à partir des VIIIe-XVe siècles que les
archives ecclésiastiques commencent à fournir de telles informations, mais
de manière très lacunaire et inégalement réparties. Il faut ensuite attendre
les XIVe et XVe siècles pour avoir dans les textes un aperçu global de
l’occupation du sol susceptible d’être confronté de manière systématique
avec les données archéologiques. Concernant plus particulièrement la
gestion forestière, un corpus documentaire est actuellement réalisé dans le
sud-est du Morvan notamment grâce à la présence des châtellenies de
Glenne et Roussillon (voir Figure 1), deux seigneuries acquises au début du
XIVe siècle par les ducs de Bourgogne. Un censier (manuel des cens et
redevances) est alors composé par l’administration ducale. Ce document ne
précise pourtant pas les bois qui sont sous la domination du duc : « Item ne
sunt pas cy precisez li boix pour la grant quantité qui y est50 ». La priorité
du censier consistant à énumérer les recettes annuelles, il écarte sans doute
le recensement des bois dont les coupes et revenus interviennent de manière
irrégulière. Il faut attendre quelques années pour qu’enfin le patrimoine
forestier ducal des deux châtellenies puisse être appréhendé à travers
d’autres sources. De nombreux documents de gestion du duché de
Bourgogne sont conservés, en particulier des comptabilités domaniales, du
XIVe siècle jusqu’à la première moitié du XVIe siècle. Pour l’étude de la forêt,
l’historien bénéficie des comptes de la gruerie qui présentent, année par
année, de manière lacunaire cependant, les recettes et les dépenses réalisées
au sein des bois domaniaux ducaux. Pour le Moyen Âge tardif, d’autres
documents permettent d’avoir une idée du patrimoine forestier du duché ou
d’évaluer l’existence des forêts détenues par d’autres propriétaires ou
tenanciers. C’est le cas des terriers, compilation des biens et droits d’une
seigneurie, suivis de déclarations de tenanciers. Des quelques massifs
forestiers possédés par les monastères autunois dans le Sud-Morvan, seuls
quelques documents ont été conservés pour le Moyen Âge dans le périmètre
de l’étude. Ceci explique donc une focalisation sur l’espace ducal.
Figure 2 : Résultats des analyses polliniques dans le Morvan pour le Moyen Âge, diagrammes
polliniques simplifiés.
Les taxons forestiers dominants, le hêtre et le chêne, sont figurés, de même que les arbres introduits
et cultivés depuis l’antiquité romaine, le châtaignier et le noyer. Les taxons ligneux inféodés aux
zones humides, ici l’aulne et le bouleau, ont été retirés de la somme pollinique totale car ils induisent
une surreprésentation de la flore locale. Figurés à part, car exclus de la somme pollinique totale, ils
n’en sont pas moins riches d’une information précieuse sur les formations forestières de zones
humides. (I. Jouffroy-Bapicot)
Figure 3 : Répartition des occupations humaines et des principaux ensembles forestiers dans le sud
du Morvan durant le Moyen Âge tardif (V. Balland, V. Chevassu).

Les données palynologiques donnent une information chronologique


continue dans le temps, qui est qualitative et quantitative en termes de
représentation pollinique, mais qui comporte toutefois deux limites
majeures. La première d’entre elles est relative à la production et la capacité
de dispersion du pollen, toutes deux différentes d’une espèce à l’autre.
Ainsi, la proportion de pollen d’un taxon n’est pas directement transposable
en surface de végétation. La seconde concerne la chronologie et la
comparaison des enregistrements entre eux. La datation des séquences par
le radiocarbone attribue à chaque échantillon une date estimée qui comporte
toujours une certaine marge d’incertitude et, selon les séquences, le nombre
de ces échantillons relatifs au Moyen Âge peut être très variable (voir
Figure 2). Si les données archéologiques bénéficient d’une attribution
chronologique plus fine et d’une localisation dans l’espace plus précise, les
activités d’exploitation de la forêt laissent peu de traces matérielles : en
l’absence d’approches spécifiques, c’est bien souvent par le vide que
l’espace forestier médiéval se définit sur les cartes archéologiques. De
même, les formes plus modestes d’habitat rural sont difficiles à identifier.
En Morvan, la large extension des boisements et la rareté des parcelles
labourées restreignent les opportunités de mise au jour de vestiges
archéologiques. L’habitat rural médiéval, constitué en grande partie de
matériaux périssables tels que le bois ou le chaume, et associé à un mobilier
céramique difficile à dater, est souvent compliqué à décrire par le biais de
prospections archéologiques. Enfin, les archives comportent aussi de
nombreuses zones d’ombre. Dans les comptabilités, la finalité essentielle
reste la mention des sommes obtenues au moment des ventes ; de ce fait, le
volume d’arbres exploité par essence est difficilement estimable, et les
recettes n’indiquent que rarement la surface de l’assiette des coupes. De
plus, la représentativité spatiale des activités développées dans les
documents de gestion seigneuriaux peut être mise en doute. En effet, les
terriers et comptabilités surreprésentent l’économie domaniale à travers des
mentions de plusieurs massifs liges (qui dépendent entièrement d’une seule
seigneurie) ou partables (partagés entre plusieurs seigneuries ecclésiastiques
ou laïques). Ces derniers sont répartis de manière éparse et leur surface est
très disparate, allant de 2 à 3 000 arpents. Ils ne regroupent pourtant pas
l’ensemble des surfaces occupées par la forêt, comme en témoignent les
mentions de confronts (zones mitoyennes d’une parcelle) qui évoquent
d’autres possessions forestières seigneuriales dont, bien souvent, les
archives n’ont pas été conservées. De plus, les terriers indiquent
sporadiquement la présence de bois détenus par des tenanciers ou des
communautés villageoises. Enfin, on ne peut exclure complètement la
présence d’espaces forestiers détenus en propre par des riverains dès la
période médiévale.
Malgré tout l’exploitation des archives permet d’évaluer, en partie,
l’importance de la dimension socio-économique des forêts, et également de
déterminer l’encadrement religieux et aristocratique du massif du Morvan.
Par ailleurs, les données archéologiques et palynologiques qui sont
disponibles du Ve au XVe siècle permettent de documenter le début de la
période médiévale, qui n’est présente que de manière très lacunaire par les
textes. Ainsi, au-delà de leurs limites, les approches paléo-écologique,
archéologique et historique offrent aujourd’hui un jeu de données qui
permet de tracer les grandes lignes de l’histoire forestière médiévale du
Morvan, notamment pour la partie sud du massif.

Massifs et peuplements forestiers


La localisation et l’étendue des espaces forestiers dessinées en creux par
les données archéologiques suggèrent une évolution des formes
d’occupation tout au long de la période médiévale, et démontrent aussi la
présence de différences marquées entre l’habitat du Haut-Morvan et celui
des zones basses.
Si nos connaissances restent encore très lacunaires à propos de la période
alto-médiévale (Ve-Xe siècles), les quelques mentions textuelles et
découvertes archéologiques liées à des nécropoles, des lieux de culte ou des
sites d’habitat suffisent à attester une présence humaine répartie sur
l’ensemble du massif ou au moins dans ses vallées (voir Figure 3), associée
à un encadrement religieux qui semble déjà largement en place à la fin de la
période carolingienne (IXe-Xe siècles). La densité des sites répertoriés reste
toutefois très faible, surtout en comparaison du dense semis d’occupation
mis en évidence dans la même région pour l’Antiquité, mais, parallèlement,
les analyses palynologiques ne montrent pas d’extension des espaces
forestiers. Au contraire, dans le Haut-Morvan, notamment à proximité des
sources de l’Yonne, la baisse de représentation du couvert forestier est
marquée et certainement liée à une activité agropastorale proche dès les VIe-
VIIe siècles (voir Figure 2). Plutôt qu’un espace délaissé après l’Antiquité,
divers indices attestent par ailleurs une certaine stabilité du peuplement.
À l’image de l’habitat morvandiau actuel, le peuplement du Moyen Âge
central et tardif (XIe-XVe siècles) est très dispersé (voir Figure 3). Dans le
Haut-Morvan, les hameaux se répartissent sur les versants des principales
vallées et se regroupent rarement autour de l’habitat seigneurial ou du chef-
lieu paroissial. Les zones d’altitude paraissent en revanche désertes. Alors
qu’auparavant la présence d’élites aristocratiques n’est sensible que dans les
plaines périphériques, la période des XIe-XIIe siècles est marquée par
l’apparition de puissantes seigneuries châtelaines au cœur du Haut-Morvan.
Les châtellenies de Larochemillay, Glenne ou Roussillon sont ainsi
détenues par de puissants lignages locaux, vassaux des évêques d’Autun ou
des comtes de Nevers, et sont marquées dans le paysage par l’édification de
châteaux de hauteur. Ces seigneuries sont à chaque fois associées à des
domaines forestiers couvrant de larges étendues. Le passage de ces
châtellenies dans la possession directe des ducs de Bourgogne et leur
intégration aux comptabilités générales de la gruerie font apparaître durant
la seconde moitié du XIVe siècle les noms des différents massifs domaniaux
avec leur régime d’exploitation. Dans le Haut-Morvan, un vaste massif
nommé Faulin apparaît ainsi dans la documentation, divisé en différentes
grandes portions placées sous la domination de grandes seigneuries.
Aujourd’hui, cet espace correspond à une vaste zone forestière continue
d’environ 60 km2, située entre 550 et 900 m d’altitude autour du Haut-
Folin, point culminant du Morvan. Au Moyen Âge, ce secteur forme une
large zone de vide pour laquelle on ne trouve ni vestiges archéologiques ni
mentions textuelles d’habitat. Les données palynologiques de la tourbière
du Grand Montarnu, située à proximité du Haut-Folin, y ont enregistré une
majorité de pollens d’arbres. Tout indique ici la présence d’un vaste secteur
boisé, lié à plusieurs grands domaines seigneuriaux attestés dans les
archives. La même observation peut être faite plus au nord autour du mont
Moux, ou au sud pour le massif du Mont-Beuvray, au centre duquel un
couvent franciscain est fondé au XIVe siècle (voir Figure 2).
Les forêts ducales évoquées dans les comptes de gruerie sont clairement
dominées par la futaie, ou « haute forest », à l’instar des bois de Faulin, et
les essences dominantes sont le chêne et le hêtre, « arbres portant fruits »,
soit les glands et les faînes. On les retrouve également dans les rubriques
consacrées aux ventes des bois tombés sous la force des vents : seuls les
fous (hêtre, Fagus) et les chênes sont indiqués dans ces ventes. De même,
les données polliniques sur le Haut-Morvan, comme dans le Morvan des
collines, indiquent un couvert forestier dominé par la hêtraie-chênaie. Au
sein de cette forêt, la présence du charme demeure très discrète, les sols et
le climat du Haut-Morvan semblant n’avoir jamais été propices à
l’expansion de cette essence. Quant aux résineux, si caractéristiques des
paysages actuels du Morvan, ils sont absents de la documentation écrite. Et
si au cours de périodes antérieures les indices polliniques ont pu évoquer
des peuplements de sapins ou encore d’épicéas dans le Haut-Morvan, tout
au long du Moyen Âge les quelques grains observés proviennent
probablement de quelques individus isolés et/ou d’apports lointains, à
l’instar du pollen de pin. Quasiment partout et tout au long de la période,
c’est bien la dynamique du hêtre qui conditionne les variations de la courbe
générale des arbres et arbustes (voir Figure 2). Le chêne demeure plus
stable globalement, sauf dans le Morvan des collines, dans le secteur de
Nataloup, où il semble clairement favorisé à partir du XIIIe siècle et au
Moyen Âge tardif.
Les comptes de gruerie mentionnent également certains des massifs
ducaux en « partie bois revenants », c’est-à-dire en taillis, sans que l’on
puisse dire s’il existe des zones internes spécialisées ou s’il s’agit de taillis
sous futaie. Les portions forestières consacrées exclusivement aux bois
revenants sont plus rares. En termes d’essences, les comptabilités
mentionnent enfin des droits délivrés à des usagers de prendre des bois
blancs à l’instar de l’aulne « verne » ou du « tremble », cette dernière
appellation semblant regrouper indifféremment les essences à écorce lisse
telles que le peuplier et le bouleau. Cela renvoie aux peuplements ligneux
des zones humides. Dans le Haut-Morvan, les aulnaies tendent à disparaître
partout ; en revanche, le bouleau augmente fortement autour de l’an mil.
L’importance de cette augmentation des grains de pollen de bouleau traduit
certainement le développement de boulaies tourbeuses, peut-être liées à un
assèchement des tourbières à la faveur de l’optimum climatique médiéval.
Mais on ne peut non plus exclure une origine humaine, avec une phase de
plus faible pression ou de gestion sur cette ressource ligneuse.
La relative homogénéité de la forêt sur le massif du Morvan ne rend que
plus flagrante la différence avec celle située en piémont sud (voir Figure 2).
Ici, les arbres ne dominent pas la représentation pollinique, et surtout, le
hêtre ne tient qu’une place très modeste. De même, contrairement à la
répartition très inégale de l’habitat en Haut-Morvan, les points de
peuplement des secteurs de piémonts forment un maillage dense qui laisse
sans doute peu de place aux espaces forestiers, lesquels constituent des îlots
au sein de finages agricoles continus et intensément exploités. La propriété
forestière apparaît également très morcelée, avec de multiples fiefs de petite
importance formant une mosaïque de biens fonciers et de droits
seigneuriaux parcellisés et enchevêtrés. Un dense semis de mottes castrales,
maisons fortes et manoirs témoigne encore aujourd’hui de la présence de
ces petits domaines féodaux possédés par une aristocratie locale.
L’enregistrement pollinique de Poil, à proximité de la maison forte de
Montantaume, est un parfait exemple, avec une importante représentation
des activités agropastorales et des formations résiduelles de chênaie et
d’aulnaie alto-médiévales qui laissent ensuite place au châtaignier, lequel va
alors s’imposer durablement à partir de la fin du XIe siècle.

L’exploitation forestière sous contrôle seigneurial


Les données palynologiques documentent les activités agropastorales,
grâce à la présence et/ou l’abondance des plantes cultivées et favorisées par
les activités humaines (plantes messicoles – « mauvaises herbes » des
cultures –, rudérales – favorisées par le piétinement – et nitrophiles – qui
préfèrent les sols riches en nitrate ou azote). On remarque que durant le
Moyen Âge, si la représentation pollinique de la forêt diminue, les
marqueurs d’activités agropastorales n’augmentent pas toujours pour
autant. Par exemple, à Nataloup, la chute spectaculaire de la chênaie-hêtraie
à partir du IXe siècle n’est pas accompagnée d’une augmentation
proportionnelle des indicateurs agropastoraux. De même, l’augmentation de
la chênaie-hêtraie au Moyen Âge tardif n’est pas particulièrement
accompagnée d’une baisse des marqueurs agropastoraux. Cette observation
montre que les fluctuations du couvert forestier ne sont pas seulement liées
à la conquête ou l’abandon des terres agricoles, elle révèle plutôt une
gestion/exploitation de la forêt pour ses ressources, ce dont les sources
archivistiques attestent elles aussi. À ce titre, les documents de la gruerie
ducale font état de deux sources de revenus réguliers par ventes aux
enchères : d’une part, les ventes de droits de paisson (pâturage en forêt) et,
d’autre part, celles des ressources ligneuses.
Les gestionnaires du patrimoine ducal insistent sur l’importance des
« arbres portant fruits ». Ces derniers donnent en effet au détenteur
forestier l’occasion de dégager des revenus grâce à la vente de droits de
paisson à destination des troupeaux de porcs. Cette activité permet aux
adjudicataires d’engraisser leurs nourrains – soit de jeunes porcs issus de
« l’auge de mars » – avant leur abattage. La période de paisson se situe
généralement de début octobre à début décembre, lorsque glands et faînes
jonchent le sol forestier. D’ordinaire, dans le Haut-Morvan, ces droits sont
adjugés à des hobereaux locaux et bourgeois de la ville d’Autun sans que
l’on sache combien de bêtes sont emmenées dans les bois. Les revenus de
cette activité sont toutefois irréguliers et suivent les aléas des saisons. En
1391, par exemple, les paissons des bois de la châtellenie de Glenne
rapportent 16 francs dans les coffres ducaux contre 80 francs l’année
précédente. De plus, certaines années, aucune vente n’est effectuée du fait
de l’insuffisance des glands et des faînes. L’importance économique –
certes irrégulière – de ces pâturages porcins a certainement pu pousser la
gestion forestière à favoriser le peuplement du chêne et du hêtre au
détriment du mort-bois, c’est-à-dire des autres essences considérées à
l’époque comme subalternes (tremble, érable, bouleau, aulne, etc.). Les
forêts médiévales du Haut-Morvan ne semblent pas concernées par les
chasses au gros gibier du duc de Bourgogne, ce qui évite d’avoir à réduire
les paissons de porcs dans le but de préserver la faune cynégétique. Les
activités de chasse apparaissent toutefois de temps à autre, à travers des
droits concédés à de petits aristocrates locaux. Au XIVe siècle, le duc de
Bourgogne accorde ainsi aux seigneurs de la Boutière le droit de chasse « a
toutes bestes rousses et noires, quelque elles soient, a cor et a cris de chiens
et d’oiseaux, par tous les lieux et places que bon luy semblait » dans le
territoire de la châtellenie de Glenne. De plus, l’amodiation des chasses aux
écureuils dans le but de prélever leur fourrure est attestée à la fin de la
période médiévale (1484-1486)51.
L’exploitation des ressources ligneuses démontre une multifonctionnalité
des espaces forestiers. Les ventes de bois se font au pied ou à l’assiette de
surface déterminée en arpent, soit à peu près un demi-hectare. Dans ce
dernier cas, le plus courant, l’emplacement de la vente est délimité en
amont des enchères par des arbres de lisière sous les soins des officiers
ducaux de la gruerie. L’existence d’un marteau aux armes du duché
démontre la pratique du balivage pour les taillis, bien connue de la
réglementation, et sans doute, pour les futaies, du jardinage ou du furetage.
Dans les futaies, lorsque les ventes ne se font pas à l’assiette, elles sont
effectuées à l’unité, au pied, selon des critères de sélection inconnus. De
plus, en Morvan, les aléas météorologiques – orages et vents forts –
occasionnent des arbres chablis « cheoiz et arrachiez » qui sont ensuite
vendus. Pour les taillis, les terriers mentionnent certains bois « revenants »
qualifiés de « chauffage », à l’instar du bois de Vievoigne (forme ancienne
de Viévigne), dans la châtellenie de Roussillon « contenant environ dix
arpans qui se vend de vingt ans en vingt ans » (1468)52. Les indications des
temps de révolution des bois taillis comme celle-ci sont rares. Mais elles
montrent une cohérence de rotation à l’échelle de plusieurs arpents, et donc
l’existence de coupes à blanc, sans écarter la présence de baliveaux.
Corinne Beck a cependant démontré l’importance des fluctuations des
révolutions des coupes de taillis pour l’ensemble du duché de Bourgogne
aux XIVe et XVe siècles53. Toujours est-il qu’il est difficile d’évaluer le
volume de bois prélevé et l’importance de la coupe dans l’espace délimité :
les articles comptables ne détaillent que le nom des acheteurs, la parcelle
forestière concernée par la vente, son régime, et, comptabilité oblige, le
montant de la recette.
Quel que soit le mode de vente ou la quantité de bois vendu, le circuit et
les utilisations du bois nous échappent, hormis les indications de
prélèvement dans les bois pour l’entretien des bâtiments relevant du
domaine ducal. C’est par exemple le cas en 1384, lorsque Philippe le Hardi,
en tant qu’époux de la comtesse de Nevers Marguerite de Flandre, opère
des restaurations sur le château nivernais de Moulins-Engilbert.
10 000 « chambery » sont pris dans les bois de Faulin pour « chamberiler es
sales et chambres du chastel de Moulins-les-Engilbert », c’est-à-dire pour
lambrisser les intérieurs avec des planches à lambris54. Ces planches sont
d’ailleurs transportées depuis les « bois de Faulin jusques au chastel de
Moulins les Engilberz », ce qui signifie que le bois d’œuvre a préalablement
été débité et préparé au sein de l’espace forestier.
Dans le Haut-Morvan, quelques activités proto-industrielles seigneuriales
sont attestées dans la documentation. Les écorces sont prélevées pour
extraire le tanin utilisé ensuite pour le traitement des cuirs dans les
tanneries. Les comptabilités de la gruerie ducale sont ponctuées de ventes
d’écorces selon deux modes : la vente des seules écorces ou la vente des
écorces jointes au bois. Comme en 1391, Guillaume Duicon et Raolin
Lescheval achètent l’écorce du bois de Misieux sans que les quantités soient
précisées. La même année, Ginot Bouceart et Guillaume Goudre achètent le
bois et l’écorce du petit bois de la Fiole. La traite commence alors le
22 avril pour se terminer à la Saint-Ladre, c’est-à-dire le 17 décembre. Cet
intervalle doit permettre aux acheteurs de prélever écorces et bois dans les
temps correspondant à la nature de ces ressources ligneuses. En effet,
l’écorce est davantage chargée en tanin au printemps, c’est-à-dire au
moment où remonte la sève ; la coupe de l’arbre peut être effectuée après ce
premier prélèvement. Les essences ne sont pas précisées bien que le chêne
soit généralement une essence privilégiée pour cette activité. Plusieurs
attestations textuelles de moulins-battoirs à écorces témoignent aussi de
l’importance de l’activité à la fin du Moyen Âge dans le Haut-Morvan55.
Autre activité proto-industrielle associée à la mainmise seigneuriale sur
les grandes forêts morvandelles, la verrerie était sans doute présente dans le
Haut-Morvan dès le haut Moyen Âge. Des lieux-dits qui font
potentiellement référence à la fabrication de verre sont attestés dès le
IXe siècle, notamment dans les territoires de La Grande-Verrière et de La
Petite-Verrière (Saône-et-Loire), même si les preuves archéologiques et
textuelles manquent encore pour décrire ce développement précoce. Entre
la seconde moitié du XVe et la fin du XVIIe siècle, les archives documentent
cependant l’installation de trois ateliers tenus par des artisans spécialisés
venus de provinces voisines, sous l’impulsion de seigneurs désireux de
mettre en valeur leur large propriété forestière en y développant une
exploitation rentable mais fort consommatrice en bois et en cendre56. Ces
établissements tardifs laissent de nombreux vestiges encore visibles
aujourd’hui, tels que scories de verres et traces de bâtiments.

Des usages multiples des forêts par les riverains


On oublie souvent que la forêt médiévale fut un complément nécessaire
pour chaque exploitation paysanne, avant qu’une séparation ne prenne de
l'ampleur à partir du XVIe siècle entre les activités agropastorales et
forestières. Cette longue période est aussi marquée par un enchevêtrement
de droits à l’échelle de chaque parcelle. À ce titre, si l’usufruit de certains
bois est exclusif au détenteur, d’autres peuvent être ouverts aux usages des
habitants des communautés ou aux privilèges de quelques individus. C’est
le cas, par exemple, du bois de Faulin de la châtellenie de Roussillon en
1468 dans lequel
les habitants de Corcelles ont leurs usages en tous bois tant pour maisonner chauffaige
qu’autres leurs necessitez. Et aussi pour mectre leurs porcs yssus de leurs nourrain et auge du
mois de mars es paissons diceulx bois sans en payer autre redevance que celles qui doivent a
Monditseigneur sur leurs mex et heritaiges dudit Corcelles57.

En revanche, la portion de cette même forêt sous la domination de la


châtellenie voisine de Glenne est fermée à tout usage de communauté
rurale, excepté le droit de quelques seigneurs locaux de prélever tout bois
gisant à terre pour leur propre utilisation. Si les comptabilités nous
renseignent sur les bois dont la gestion est directement réalisée par la
seigneurie, d’autres espaces forestiers s’additionnent à ceux-ci. Les terriers
du XVe siècle mentionnent en effet, dans les déclarations de tenanciers,
d’une part les « commes » ou « terres sauvaiges » gérées par des
communautés et, d’autre part, des parcelles forestières, de taille modeste,
rattachées à des exploitations paysannes en échange de leurs cens et
redevances. Ces mentions de forêts, que l’on pourrait qualifier de
« paysannes », semblent avoir un profil hétérogène, souvent occupées « tant
en bois que terres et buissons ». Si les effets de la crise de la fin du Moyen
Âge sur l’enfrichement des terres agricoles peuvent être envisagés, il est
aussi probable que cet état puisse correspondre à des modes de gestion
particuliers de la part de la paysannerie. Ainsi, ces parcelles pouvaient être
ponctuées de zones de cultures temporaires qui alternaient avec des friches
permettant un pâturage extensif, pendant que d’autres parties étaient
consacrées aux arbres destinés à des prélèvements de bois de petits calibres
pour les besoins de l’exploitation. Les carences de la documentation écrite
et la rareté des vestiges matériels rendent difficile l’abord de la composition
de ces espaces et les besoins de la paysannerie.
Ce sont en fait des conflits ou des antagonismes relatifs aux usages qui
nous donnent le plus de renseignements. Les comptabilités de la gruerie
font état de revenus issus des exploits de justice pour mésusages dans les
bois ducaux. Le fait que ces délits soient observés peut paraître surprenant.
En effet, seuls un à deux forestiers exercent leur fonction par châtellenie,
soit dans des bois disséminés au sein d’un territoire qui dépasse largement
la centaine de kilomètres carrés. Que peuvent donc ces gardes face à
l’immensité des espaces qu’ils doivent contrôler ? Si des massifs sont
fermés aux usages des « habitants », force est de constater que ces derniers
se permettent tout de même quelques écarts difficilement quantifiables. Les
quelques « mésus » décelés par les officiers ducaux offrent à l’historien la
possibilité de mieux connaître le rôle de la forêt dans les activités rurales. À
titre d’exemple, en 1390, Martin et Étienne Vuchillon sont appréhendés par
le forestier qui les a trouvés revenant sur une charrette avec « certaines
quantités de fols » prélevées dans les bois de Faulin pour « faire chaussure
à charrue »58. Il faut noter la fréquence en Morvan de ce délit de vols de
bois destiné à la réparation des instruments aratoires. Ici, la chaussure de la
charrue désigne la pièce de bois la plus exposée lors des travaux des
champs à la détérioration, notamment dans les sols morvandiaux
caractérisés par des terres sableuses et par des rochers qui affleurent.
Hormis cet exemple, les délits les plus courants sont constitués par le vol
d’arbres sur pied ou de bois d’œuvre déjà équarris, et le pâturage non
autorisé des bestiaux. Suite à des conflits d’usage, certaines enquêtes
testimoniales, successions de témoignages de riverains, indiquent aussi des
pratiques paysannes. Les sources judiciaires peuvent être sujettes à caution
dans la mesure où chaque parti essaie d’emporter l’avantage sur l’autre ou
de faire valoir ses droits par une rhétorique plaintive. Cependant, les
enquêtes appuient l’importance des paissons des porcs de la paysannerie,
celle du ramassage du bois mort pour le chauffage ou la construction de
clôtures sèches temporaires autour des emblavures pour les protéger des
« bestes sauvaiges59 ».
D’après les données polliniques, la présence du noyer et du châtaignier,
deux essences introduites dans le Morvan durant l’Antiquité, s’étend
désormais sur l’ensemble du massif. La culture du châtaignier se développe
notamment dans la zone de piémont du Sud, comme le montre l’analyse du
site du Quart du Bois à Poil (voir Figure 2).
Constamment présent dès le début de la période médiévale, le pollen de
châtaignier atteint 40 % de la somme pollinique à la fin du Moyen Âge. À
titre de comparaison, les maximums enregistrés pour la même période dans
d’autres régions de France concernées par la culture du châtaignier sont de
5 % en Périgord60 et de 10 % dans le Limousin61. Les données paléo-
écologiques démontrent donc l’importance d’une sylviculture et/ou
arboriculture durable localement, même si les textes de la gruerie ne font
jamais état de châtaigniers dans les bois ducaux en dehors du pourtour
autunois62. Parfois, la présence de châtaigniers apparaît dans les
comptabilités à travers de courts inventaires de biens de tenanciers
mainmortables décédés, surtout dans le piémont morvandiau. On trouve
également quelques indications ponctuelles, à l’instar du rentier (daté de
1454) de la chapelle Saint-Martin du Beuvray qui évoque plusieurs
parcelles boisées mélangeant chênes, hêtres et châtaigniers, exploitées par
des habitants, des communautés ou des seigneurs63.
Les activités artisanales sont peu présentes dans la documentation écrite
et, à ce jour, difficilement documentées par les données archéologiques et
paléo-environnementales. Quelques textes médiévaux, notamment en 1424-
142564 mentionnent des activités de tonnellerie et de bûcheronnage ou des
batteurs à écorces, indépendamment d’un lien avec les forêts domaniales et
seigneuriales. Quant aux vestiges archéologiques, les espaces forestiers
actuels du Haut-Morvan conservent des traces de places à charbonnières, de
carrières ou de mines destinées à l’extraction de divers minerais présents
dans le Morvan. Ces structures, inégalement répertoriées, sont très rarement
datées. En revanche, sur la montagne d’Autun voisine, la réalisation de
relevés lidar suivie d’opérations archéologiques a permis de mettre en
évidence l’existence d’une multitude de structures d’exploitation, fours de
potiers, plates-formes charbonnières ou encore tranchées minières, dont
certaines ont pu être datées de la période médiévale. Les comptabilités de la
gruerie mentionnent d’ailleurs une activité importante de charbonnage
autour d’Autun dès le XIVe siècle.

De la forêt médiévale à la forêt moderne


La forêt morvandelle se transforme radicalement à partir du XVIe siècle,
principalement en raison du développement des exportations de bois de
chauffage par flottage vers Paris. Les propriétaires forestiers adaptent alors
leur mode d’exploitation en fonction de cette activité ; dans les grands
massifs domaniaux, les comptabilités des Eaux et Forêts décrivent
l’expansion du haut taillis. Ce régime, qui allonge la durée de rotation des
coupes à une trentaine d’années, permet de prélever de grosses bûches
propres au flottage. En outre, les coupes effectuées entre la fin du XVIe siècle
et le début du XVIIIe siècle montrent une régularisation par assiette (servant
de base au calcul) en arpents forestiers. Cette évolution se renforce après la
réforme des Eaux et Forêts de Colbert et laisse entrevoir la conception d’un
parcellaire forestier interne. Il est probable que les coupes médiévales, plus
opportunistes, ne bénéficiaient pas de cette rationalité. Ces nouveaux modes
d’exploitation ont un fort impact sur la chênaie-hêtraie, perceptible dans les
analyses paléo-environnementales à l’échelle du massif. En particulier, la
représentation pollinique du hêtre, bois de chauffage réputé, diminue
partout de façon drastique. Cette diminution ne doit pas laisser imaginer
une déforestation proportionnelle, mais plutôt une exploitation en taillis
furetés qui conduit à l’épuisement des souches et restreint la production
pollinique des arbres. Par ailleurs, la représentation du chêne demeure
beaucoup plus stable et les arbres cultivés sont de plus en plus présents,
notamment le châtaignier qui reste prépondérant sur le piémont sud. D’autre
part, l’essor du flottage entraîne du XVIe au XVIIIe siècle une multiplication
d’aménagements variés sur les cours d’eau du Haut-Morvan, pour permettre
des lâchers d’eau en direction des rivières flottables telles l’Yonne et la
Cure. Ces modifications du milieu ont visiblement défavorisé les essences
hygrophiles, comme l’aulne ou le bouleau, qui se raréfient dans les
enregistrements polliniques. Enfin, la répartition des espaces boisés change
et les grandes forêts seigneuriales sont partiellement démembrées. De
nouvelles formes de peuplement se développent alors dans des secteurs
d’altitude auparavant forestiers : une trentaine de hameaux et écarts
apparaissent ainsi entre 1475 et 1760 dans le massif du Haut-Folin.
Au Moyen Âge, comme aujourd’hui, le couvert forestier tenait
certainement une place importante dans le paysage de cette zone de
moyenne montagne qu’est le Morvan. Ici, pas de grande déforestation
médiévale à l’échelle des massifs domaniaux. L’importance et la trajectoire
de la forêt détenue par les tenanciers ou les communautés sont toutefois
plus difficiles à évaluer. Tout indique cependant que le Moyen Âge central
et tardif constitue une période de croissance du couvert forestier sur le
massif, certainement liée à une volonté de favoriser l’extension d’un milieu
qui représente d’importantes ressources économiques. En effet, quoique
vastes, ces boisements sont loin d’être des étendues « sauvages » mais
doivent plutôt être vus comme des forêts jardinées, gérées et exploitées
pour leur valeur économique, de l’exploitation du bois à celle des fruits de
la hêtraie-chênaie, notamment pour la paisson. Ce poids des usages semble
en particulier avoir été déterminant dans la construction de peuplements
forestiers dominés par la hêtraie-chênaie.
Ces forêts, multifonctionnelles, présentaient des statuts juridiques très
variés, qui ont certainement généré une grande diversité des régimes
d’exploitation et donc des paysages. Si aujourd’hui l’héritage médiéval
n’est plus vraiment perceptible dans la composition des peuplements
forestiers très marqués par les plantations de résineux, il peut être retrouvé
dans un aspect foncier, à travers la répartition des ensembles forestiers
actuels. La présence de grands massifs sur le Haut-Morvan pourrait ainsi
représenter une spécificité liée à l’histoire politique médiévale, celle des
grands massifs domaniaux.
Enfin, si le paysage forestier actuel du Morvan est caractérisé par des
plantations de résineux, interrompues par des prés où paissent des vaches
charolaises, au Moyen Âge il était composé de hêtraies-chênaies
assidûment fréquentées par les porcs, auxquelles s’ajoutait le châtaignier
sur les pentes les mieux exposées.
Aujourd’hui, les conséquences sur l’environnement du réchauffement
climatique et la volonté de proposer une transition vers une forêt plus riche
en biodiversité amènent à considérer de nouvelles pistes de développement
forestier en Morvan. La connaissance des boisements médiévaux pourrait
alors constituer une source d’inspiration pour proposer des modes de
gestion forestière et de sylviculture complémentaires et alternatifs aux
plantations de résineux.
Barthélemy l’Anglais,
Le Livre de la propriété des choses, XVe s.
CONCLUSION
De la forêt médiévale…
Hervé Richard
Pour de nombreuses raisons environnementales, climatiques,
géographiques et pédologiques, liées aussi à des pratiques locales, à des
modes d’exploitation originaux, à des histoires multiples, les espaces
forestiers ont connu des évolutions qui sont loin d’être uniformes. Les
chênaies et les hêtraies des plaines n’avaient ni le même aspect ni la même
densité que les forêts de résineux d’altitude ou les massifs forestiers
méditerranéens. Lorsque les sources écrites font défaut, les toponymes et
microtoponymes peuvent constituer des indices permettant de retracer cette
histoire complexe des forêts et des défrichements. Les approches paléo-
environnementales permettent « d’entrer » dans ces forêts, d’en connaître la
typologie, d’en identifier les essences, de reconstituer leurs évolutions
contraintes par la dynamique naturelle des paramètres environnementaux
locaux ou plus globaux et, dans le cas qui nous retient ici, par l’impact des
sociétés du Moyen Âge.
Nous savions que l’espace forestier médiéval avait été abondamment
transformé, utilisé et réduit. L’analyse des sources écrites permettait
d’appréhender la réalité des forêts de cette époque, de percevoir
l’imaginaire, la symbolique, la crainte qu’elles généraient. Nous pouvions
également en approcher les maintes exploitations et les modes de gestion.
Nous avons voulu aller au-delà de l’étude des textes en intégrant à cet
ouvrage les conclusions des démarches archéologiques et paléo-
environnementales. Habitués à décrire l’histoire des relations entre les
civilisations successives et leur environnement, nous savions que, dans
l’ensemble de l’Europe, les forêts avaient déjà connu des périodes de recul
et d’exploitation antérieures qui ne furent pourtant jamais aussi étendues,
aussi diversifiées et, surtout, à ce point prédatrices.
Après un haut Moyen Âge globalement très forestier où tout se passe
comme si dans certaines régions les campagnes étaient partiellement
désertées, la reprise des activités agropastorales – qui entraîne logiquement
des ouvertures de l’espace forestier – se dessine au cours du VIIe siècle.
Soulignons au passage que l’amorce de cette phase d’emprise agricole
s’inscrit plutôt dans une période de détérioration globale du climat,
prouvant que le moteur de ces premiers défrichements médiévaux est à
rechercher ailleurs. À partir des XIe-XIIe siècles, l’amplification des
défrichements devient évidente partout. Un signal sans ambiguïté est
confirmé par l’ensemble des approches, qu’elles soient textuelles,
archéologiques ou environnementales. Le recul des espaces boisés
s’accompagne d’un essor technique et démographique et, dans ce cas, il
s’inscrit bien dans l’optimum climatique médiéval (Medieval Warm
Period).
Dans les sources disponibles, les nombreux termes employés pour décrire
la forêt apparaissent durant le Moyen Âge. Les ouvrages savants donnent
alors une description de la forêt et des animaux qui y vivent. Ce lieu sombre
et inquiétant est le domaine du sauvage, de l’animalité où naîtront les héros
capables d’affronter ces dangers. Les animaux y sont potentiellement
menaçants et c’est encore un lieu de rapines souvent violentes. Ces périls,
ces actes héroïques, ces mystères seront à l’origine de légendes adaptées au
fil des temps dont certaines sont parvenues jusqu’à nous. Pourtant, si
certains religieux se retirent et s’installent dans ces nouveaux déserts
comme ermites, il est dit que la forêt disparaît en partie devant ce qui serait
l’action des saints défricheurs.
Ces milieux sont toutefois loin d’être exclusivement hostiles et répulsifs.
Ils fournissent une multitude de ressources. La chasse est assurément une
activité très importante ; elle fait rapidement l’objet d’une politique de
gestion destinée à la rendre encore plus rentable. Un droit de chasse et de
pêche s’impose. La forêt représente également une ressource primordiale
pour l’élevage dont la pratique est nécessaire en raison de l’insuffisance des
prairies de fauche dans la plupart des régions.
Les forêts sont avant tout le domaine des grands arbres, des sous-bois et
d’une variété de plantes essentielles à l’homme et au bétail. Très différentes
de la forêt contemporaine, les forêts du Moyen Âge offrent à profusion une
vaste diversité d’arbres fruitiers, de baies, de champignons, de racines ou de
fougères. Les intendants des grands domaines recherchent les hautes futaies
destinées au bois de construction, utilisé surtout dans les charpentes dont
l’étude permet aujourd’hui d’approcher le travail du bois et la sylviculture.
Les techniques de charpenterie et les bois utilisés peuvent ainsi dévoiler des
différences de savoir-faire et de pratiques selon que l’on est en ville ou à la
campagne, ce qui conduit à reconstituer des paysages et des typologies
forestières très diversifiés. Ces bois de construction et de chauffage peuvent
en outre venir de contrées plus lointaines, nécessitant des moyens de
transport et des itinéraires adaptés ; le flottage des bois devient alors
souvent indispensable.
Pourtant, c’est avant tout le bois-combustible qui est recherché. Ce
prélèvement quasi quotidien n’a qu’un impact limité sur les espaces boisés,
sans commune mesure avec les coupes destinées au bois-énergie nécessaire
à l’artisanat, voire parfois déjà à une forme de proto-industrie. Si les potiers
utilisent proportionnellement peu de bois, la réduction du fer, les verreries,
les fours à chaux et à poix, les salines en sont très consommateurs. Ceci
implique la mise en place d’une organisation structurée nécessaire à une
mobilisation efficiente des bois. Choix, débitage, stockage, transport…
faisaient appel à une multitude de métiers spécialisés. Si l’on sait que
souvent les branchages, les « mauvais bois » étaient utilisés, nous sommes
encore loin de pouvoir estimer la quantité de bois indispensable à ces
multiples ateliers. Des travaux d’archéologie expérimentale pourraient
permettre d’évaluer les volumes nécessaires à chacune de ces productions.
De telles mobilisations de bois impliquent d’en réglementer l’usage. Peu à
peu, les droits de coutumes sont subordonnés à des conditions plus strictes
réglant le statut du bénéficiaire, les règles de prélèvement et d’utilisation,
notamment pour le bétail. Les droits et les obligations des communautés
sont mis par écrit et ainsi s’élaborent des chartes de franchises et des
ordonnances forestières. La multiplication des établissements religieux et de
personnages nombreux jouissant de larges droits, les besoins croissants des
divers ateliers, commencent à affecter certains massifs et obligent les
autorités à légiférer. Parallèlement à la mise en place de services forestiers
gérant le domaine royal et les domaines des grands princes, des règles de
gestion sont adoptées et s’imposent à tous les propriétaires. La gestion, la
préservation des boisements et les règles édictées conduisent à la poursuite
des délinquants forestiers. Ces condamnations paraissent augmenter au fil
du temps, reflétant l’accroissement réel du nombre de délinquants comme
celui de la surveillance et de la répression.
Nous l’avons déjà souligné : l’espace forestier médiéval est multiforme,
tant dans sa composition, sa densité que dans son évolution. Sans prétendre
à l’exhaustivité, nous avons tenté de refléter au mieux cette complexité par
quelques focus territoriaux.
Dans ce sens, le paysage de l’Ouest est particulièrement signifiant. La
forêt médiévale de cette vaste région apparaît comme un mélange de zones
effectivement couvertes de forêts denses, mais aussi de landes, de zones
humides, de clairières, de champs et de prairies. Il faut toutefois nuancer
cette vision compartimentée de l’espace en fonction des lieux et des
époques, à l’exemple de certaines périodes plus favorables que d’autres aux
chênes majestueux et emblématiques.
Encore plus contrastée, la forêt méditerranéenne est composée d’une
mosaïque complexe de formations forestières et préforestières qui résultent
de processus multiples et surtout d’un impact humain omniprésent depuis le
Néolithique.
Les forêts de montagne occupent une place importante dans l’économie
médiévale. Elles sont comme partout – et plus encore – utilisées pour le
chauffage domestique. Le bois, souvent transformé en charbon de bois,
alimente aussi les ateliers de transformation locaux. Dans les vallées, les
défrichements tendent à faire remonter en altitude la limite des espaces
ouverts. Ils concernent aussi la limite supérieure des forêts, entre les
boisements de montagne et les pelouses d’altitude qui s’étendent sous la
pression des pâturages d’estive. Une telle complexité de situations nécessite
la mise en place de réglementations adaptées et déjà parfois d’une gestion
raisonnée de ces espaces particuliers.
Un peu moins contraintes par la topographie, les zones de moyenne
montagne subissent les mêmes assauts. Les plates-formes charbonnières, les
vestiges de fours à chaux et à poix, les sources salées, les excavations
fossiles ayant servi à l’extraction de minerai (fer, plomb, argent,...) sont
autant de traces archéologiques qui soulignent le besoin en bois des
populations locales. Déjà, les archives sédimentaires enregistrent
épisodiquement des paléopollutions d’origine métallurgique signant la
présence d’exploitations minières d’envergure.
La diversité des entités géographiques de ces montagnes et moyennes
montagnes se retrouve dans l’encadrement politique et administratif. Les
secteurs de basse altitude paraissent favoriser le développement de
nombreux lignages de notables et de petits aristocrates, quand les hautes
vallées et les zones d’altitude restent sous le contrôle de grands
établissements monastiques et de lignages châtelains.
De cette longue histoire on pourrait retenir une ouverture régulière des
forêts au cours du Moyen Âge, de plus en plus étendue au fil des siècles.
L’espace forestier reculerait alors inexorablement au profit des prairies, des
cultures, des villes, des villages et des hameaux. C’est globalement vrai.
Mais globalement seulement… En premier lieu, il semble que certaines
régions n’aient pas connu la déprise agricole des Ve aux VIIe-VIIIe siècles
(désignée sous le nom de migration period ou encore black ages) ou que,
du moins, cette déprise ait été limitée dans le temps et dans l’étendue des
territoires affectés. D’autre part, les défrichements concernaient des espaces
forestiers d’une grande hétérogénéité offrant des biomasses extrêmement
variées. Si de vastes zones ont été définitivement et totalement ouvertes à
cette époque, dans quelques régions les gros arbres étaient plus recherchés,
alors qu’ailleurs on se contentait de bois fins et élancés, de perchis et de
taillis. Le résultat de ces prélèvements prend alors des formes multiples,
incomparables d’un territoire à un autre. Enfin, l’ouverture de l’espace est
loin de ressembler à une courbe régulièrement croissante qui partirait d’un
territoire fermé par des forêts denses et profondes au début du VIIe siècle
pour aboutir à un paysage très ouvert et composite au milieu du XVe siècle.
Au cours de cette très longue histoire, des événements socio-économiques,
politiques et climatiques (la fin de cette période correspond aux prémices du
Petit Âge Glaciaire, Little Ice Age) vont accélérer le mouvement ou au
contraire parfois le ralentir, voire l’interrompre totalement comme ceci a été
démontré au XIVe siècle où les conflits et les épidémies de peste entraînent
une chute considérable des populations et donc un ralentissement important
des besoins et… une pénurie de bras défricheurs.
… à la forêt moderne
Emmanuel Garnier
Lorsque les États modernes s’engagèrent dans la voie de la centralisation
forestière à compter du XVIe siècle, les usagers de la forêt considérèrent avec
nostalgie la période médiévale. Bien que très largement exagéré, ce
sentiment contribua néanmoins à forger dans les esprits le mythe de la forêt
« pays de cocagne », au sens brueghelien du terme, et du « temps de l’âge
d’or », une époque au cours de laquelle l’usager aurait joui sans contrainte
de l’arbre1.
Pourtant, le présent ouvrage démontre à l’envi les premiers signes d’un
meilleur contrôle de la forêt avec, notamment, ces droits de garenne
instaurés entre les XIIIe et XIVe siècles qui n’ont d’autre finalité que de
restreindre le droit de chasse des riverains des bois au profit de concessions
(donc révocables) octroyées par l’aristocratie et la monarchie. C’est aussi
sensiblement à cette époque que les droits d’usage sont fréquemment
subordonnés à des conditions de jouissance plus strictes. Ces objectifs de
« rationalisation » de la ressource ligneuse s’accompagnent, lentement mais
sûrement, de la création d’une administration forestière dont les figures les
plus emblématiques sont les gruyers, les verdiers, les maîtres des Eaux et
Forêts ou encore les forestarii lorrains. Ces spécialistes de la chose
forestière retirent progressivement aux baillis et aux tribunaux ordinaires
leur compétence en matière d’Eaux et Forêts et de poursuite des « mésus »2.
Car les monarques ne sont pas en reste et le pouvoir royal comprend bien
qu’il doit codifier des règles de gestion de la forêt, qu’elles concernent le
plan technique, juridique ou administratif. À cet égard, l’ordonnance de
janvier 1519 constitue un jalon incontournable. En effet, sous prétexte de
prévenir les abus et dégradations en forêt, elle entend établir un code, qui
servira d’ailleurs de référence à Colbert, et transformer les forêts usagères
en espaces « de droit public ». Ainsi, dès le début du XVIe siècle,
l’ordonnance de François Ier impliquait que la coupe et l’usage des
particuliers n’étaient plus une liberté entière3.
Nonobstant ces faits historiques avérés, les signaux du refus, sinon de la
contestation, sont légion dans les archives modernes. Signe tangible de cet
attachement à l’héritage du Moyen Âge, la lettre de l’intendant d’Alsace,
Colbert de Croissy, révèle les difficultés rencontrées dans cette province
très particulariste pour appliquer les préceptes sylvicoles de l’ordonnance
française des Eaux et Forêts de 1669. Confronté à la résistance de ses
habitants, il constate, désabusé, qu’ils demeurent « idolâtres de leurs
libertés forestières et qu’ils ne rêvent que du Goldene Zeit [temps de l’âge
d’or] ». Près d’un siècle plus tard, et en dépit d’une vigoureuse offensive
royale qui culminera à la veille de la Révolution, force est de constater que
le mythe demeure bien vivace dans la mémoire collective. En faut-il une
preuve ? Les cahiers de doléances rédigés en 1789 se font amplement
l’écho de ce vain espoir, pour les communautés rurales et urbaines, de
reconquérir leurs droits anciens dont ils estiment avoir été floués par les
autorités royales et les grands propriétaires.
Il faut dire qu’entre-temps, elles avaient bien subi un train de mesures
d’une violence extrême ayant abouti à les exclure tout ou partie du domaine
de l’arbre. La « forêt usagère » d’antan était devenue une « forêt capital »…
Vers 1500, l’Europe sort exsangue de la guerre de Cent Ans et de la peste
noire qui auraient tué près de 25 millions de personnes, autrement dit 30 à
50 % de la population du continent. La saignée démographique se solde par
un retour de l’arbre et son corollaire, le recul de l’ager, faute de bras. La
période est donc favorable aux « gens des bois » que nobles et abbés
recherchent avec avidité pour faire reculer la forêt à coups de cognée. Sur le
plan social, la pénurie de main-d’œuvre profite aux habitants qui sont en
position de force pour négocier des droits forestiers. Aussi ressentent-ils
comme une rupture l’évolution brutale du XVIIe siècle, opérée à la faveur de
la construction des États modernes. Alors que ceux-ci s’engagent dans un
processus de centralisation et de domination fondé sur une pression fiscale
accrue, la construction d’un appareil militaire et un essor de l’urbanisation,
la forêt se mue progressivement en capital et en matériau stratégique. Le
premier coup de semonce se produit en 1669 lorsque Colbert promulgue
son « Ordonnance des Eaux et Forêts ». Comme il se plaît à le dire, il veut
« un corps de lois claires, précises et certaines » destiné à répondre aux
« nécessités de la guerre » et à « l’accroissement du commerce ».
En pratique, la généralisation du taillis sous futaie à l’ensemble des
massifs forestiers du royaume se traduit par une hécatombe ligneuse dans
les forêts montagnardes résineuses rendues plus vulnérables face aux
tempêtes4. D’ailleurs, le traumatisme que provoquent ces désastres parmi
les habitants contribue à la revendication d’un retour à une sylviculture
élaborée aux temps médiévaux dans le Jura, les Vosges, les Pyrénées et les
Alpes : le jardinage. De facto, ce système fondé sur un mode de
prélèvement ponctuel des sapins et des épicéas était beaucoup plus durable
que les coupes à blanc-étoc. Sur un plan plus politique, la contestation de
l’ordre forestier issu de la réformation de 1669 déboucha sur la
revendication d’un maintien des sylvicultures traditionnelles régionales.
De la sorte, la gestion plus intensive et la vision plus capitaliste
préconisées par le pouvoir central impliquent l’extinction des droits d’usage
des communautés. Il faut dire que la production industrielle reste largement
tributaire d’un approvisionnement soutenu en bois. Combustible par
excellence, il est surtout employé sous la forme de charbon produit par les
charbonniers au cœur même du sanctuaire sylvicole et dont on retrouve
toujours les ronds charbonnés dans de très nombreuses forêts, à l’exemple
des forêts normandes d’Écouves et d’Andaine5. Dans ces conditions, sa
proximité et son contrôle par les maîtres de forges sont primordiaux, le
combustible représentant les deux tiers du coût de fabrication du métal. Aux
forges s’ajoutent les verreries implantées au cœur même des espaces
sylvicoles et qui ne sont pas en reste. Située dans l’actuelle forêt domaniale
de Saint-Antoine, la verrerie comtoise de Miellin (Haute-Saône) consomme
en moyenne 22 000 à 30 000 stères de bois annuellement vers 1780. Tels
des prédateurs, maîtres de forges et maîtres verriers entreprennent une
migration originale, au gré de l’épuisement des écosystèmes ligneux
exploités. Entre le XVIe et le XIXe siècle, leur périple les conduit des monts
de Bohême (République tchèque) à la Forêt-Noire puis, de là, des Vosges au
Jura et à l’arc alpin.
Comment s’étonner alors qu’à la veille de la Révolution, le bois soit le
produit dont le coût augmente le plus en France. De fait, il a connu un
renchérissement de 91 % au cours du siècle en raison de sa raréfaction ! Et
la tendance durera jusqu’à ce que le charbon de terre prenne la relève dans
la seconde moitié du XIXe siècle. Pour la forêt, les conséquences de cette
exploitation spéculative se révèlent désastreuses vers 1820. Partout, en
montagne comme en plaine, l’arbre a battu en retraite pour atteindre un
étiage sylvicole estimé à seulement 7 millions d’hectares, c’est-à-dire moins
de 12 % du territoire national (31 % en 2019). Face à ce constat
apocalyptique, auquel on attribue aussi les catastrophes naturelles à
répétition, les autorités françaises décident de rétablir le patrimoine forestier
du pays. Tradition centralisatrice oblige, on fait le choix d’un nouveau Code
forestier promulgué en 1827. Il impose à nouveau des restrictions qui
pénalisent les sociétés rurales, plus particulièrement les communautés
pastorales montagnardes. Fortement inspirée par l’ordonnance de 1669, la
nouvelle législation se propose de « restaurer » la forêt par une intervention
volontariste sinon autoritaire de l’État, ce qui ne manque pas de relancer les
conflits. En Ariège, les éleveurs lèvent l’étendard de la révolte en 1829 en
raison des interdictions qui leur sont imposées en matière de pâturage, de
ramassage de bois, de chasse et de cueillette des petits produits forestiers
(champignons, herbes, fruits). Ils s’engagent dans une guérilla de quatre ans
contre les forestiers de l’administration, les gendarmes, les militaires
dépêchés par le roi, mais aussi contre les industriels et leurs charbonniers.
Déguisés en femmes, avec de longues chemises blanches ou des peaux de
mouton, les visages noircis pour ne pas être reconnus, ils donneront ses
lettres de noblesse à la fameuse « guerre des Demoiselles ». Sur le plan
purement sylvicole, le Code de 1827 accorde la priorité à la production de
bois d’œuvre et secondairement à la fonction protectrice, tout en faisant
émerger le rôle récréatif des forêts. Pour ce faire, on favorise les arbres à
croissance rapide et leur régularité, autant d’atouts pour augmenter les
recettes. Ainsi voit-on apparaître de nouvelles forêts composées de futaies
régulières dans lesquelles sont introduites des essences à croissance rapide,
souvent étrangères, comme les résineux (épicéa, pin noir d’Autriche, pin
laricio, pin cembro, etc.). Dans le même temps, les ingénieurs forestiers et
leurs homologues des Ponts et Chaussées se lancent dans le reboisement des
terrains de montagne dans le but avoué de lutter contre les inondations.
Mission sacrée du forestier de l’État, la restauration des forêts sera un
succès si l’on raisonne en termes de surface, de débouchés et de prévention
contre les désastres6.
Sur le long terme, la « restauration » forestière contribua à créer des forêts
monospécifiques et régulières, par conséquent moins résilientes face aux
aléas climatiques comme les tempêtes et les sécheresses. À ce titre, les
hécatombes observées lors de l’ouragan Lothar de décembre 1999 dans les
hêtraies et les pessières pures en France et chez nos voisins allemands et
suisses, produits de cette « restauration » du siècle précédent et des
reboisements post-Seconde Guerre mondiale, doivent interroger le
gestionnaire. Que dire aussi de la forêt résineuse des Landes, presque
entièrement privée, fruit d’une approche seulement spéculative de l’arbre ?
À elle seule, elle symbolise à l’extrême les méfaits d’une ligniculture dont
l’unique vocation est pécuniaire. Pourtant, les terribles incendies de 1949
ou encore les dommages très sévères de l’ouragan Klaus en 2009 auraient
dû interpeller propriétaires, gestionnaires et décideurs politiques sur la
question désormais stratégique des forêts durables à l’heure du changement
climatique et de l’anthropocène…
NOTES
Prologue
1. Jacques CHAURAND (dir.), Nouvelle histoire de la langue française, Paris, Éditions du Seuil, 1999,
p. 17-25 ; Alain REY, Frédéric DUVAL et Gilles SIOUFFI, Mille ans de langue française : histoire d’une
passion, I, Des origines au français moderne, Paris, Perrin, 2007, p. 22-54.
2. Walther von WARTBURG, Französisches etymologisches Wörterbuch: Eine Darstellung des
galloromanischen Sprachschatzes, 25 vol., Leipzig-Bonn-Bâle, Schröder, 1922-2002 (ci-après FEW),
1, 555b, *BROGILOS ; CNRS-Université de Nancy II-Atilf, Trésor de la langue française informatisé,
Paris, 2004, version Internet : http://stella.atilf.fr (ci-après TLFi) ; Atilf-Université de Lorraine-
CNRS, Dictionnaire du moyen français, Nancy, 2015 (http://www.atilf.fr/dmf) (ci-après DMF).
3. Egidio FORCELLINI, Lexicon totius latinitatis, 6 vol., Padoue, F. Corradini 1864-1926 ; Félix
GAFFIOT, Dictionnaire latin-français, Paris, Hachette, 1934.
4. Stéphane LEBECQ, Nouvelle histoire de la France médiévale, 1, Les Origines franques (Ve-
e
IX siècle), Paris, Éditions du Seuil, 1990, p. 19-20.
5. Jean-Pierre CHAMBON, « Zones d’implantation publique au haut Moyen Âge précoce dans le nord
de la cité de Besançon. L’apport de l’analyse diachronique des noms de lieux », dans Dieter
HÄGERMANN, Wolfgang HAUBRICHS et Jörg JARNUT (dir.), Akkulturation: Probleme einer Germanisch-
Romanischen Kultursynthese in Spätantike und frühem Mittelalter, Berlin, W. de Gruyter, 2004,
p. 221-256, ici p. 237-238.
6. « Lucus enim est arborum multitudo cum religione, nemus uero composita multitudo arborum ;
silua diffusa et inculta » ; cité et interprété par John SCHEID, « Religion, institutions et société de la
Rome antique », Annuaire du Collège de France, 108, 2008, p. 622-637, ici p. 628-629.
7. GAFFIOT ; FORCELLINI ; TLFi ; FEW, XI, 614b-615a, SĬLVA.
8. GAFFIOT ; TLFi ; FEW, XI, 616b-621a, SILVĀTICUS ; FEW, XI, 621b, SĬLVĔSTRIS ; DMF.
9. Jan Frederik NIERMEYER, Mediæ latinitatis lexicon minus, Leyde, E.J. Brill, 1976 ; Alain REY
(dir.), Dictionnaire historique de la langue française, 2 vol., Paris, Le Robert, 2016 ; TLFi ; FEW, III,
708b-710a, FORESTIS.
10. Jean-Pierre CHAMBON, « Toponymie et grammaire historique : les noms de lieux issus de cappella
et forestis et la diffusion spatiale de l’article défini dans la Galloromania », dans Danielle JACQUART,
Danièle JAMES-RAOUL et Olivier SOUTET (dir.), Par les mots et les textes : mélanges de langue, de
littérature et d’histoire des sciences médiévales offerts à Claude Thomasset, Paris, Presses de
l’université de Paris Sorbonne, 2005, p. 143-155, ici p. 149-150.
11. FEW, III, 708b, FORESTIS.
12. FEW, III, 709a, FORESTIS ; DMF.
13. FEW, XV/1, 192b, *BOSK- ; TLFi.
14. FEW, XV/1, 193a-204b, *BOSK- ; TLFi.
15. GAFFIOT ; FORCELLINI.
16. Cité par DMF.
17. FEW, VII, 92b, NEMUS.
18. Jacqueline PICOCHE et Christiane MARCHELLO-NIZIA, Histoire de la langue française, Paris,
Nathan, 1998, p. 344.
19. GAFFIOT ; FORCELLINI ; NIERMEYER.
20. FEW, V, 441a, LŪCUS ; DMF.
21. FEW, XVII, 486a-b, WALD ; DMF.
22. FEW, V, 82b, JURIS ; DMF ; Pierre-Henri BILLY, Dictionnaire des noms de lieux de la France,
Paris, Errance, 2011.
23. FEW, IX, 54b, *PLAXUS ; DMF.
24. FEW, XIII/1, 43b, TALIARE ; DMF.
25. FEW, XVI, 262a, *HULIS ; FEW, III, 371b, FAGUS.
26. FEW, III, 915b, FŪSTIS ; DMF.
PREMIÈRE PARTIE :
LA FORÊT RÊVÉE
Chapitre 1 :
La forêt dans la littérature
1. TITE-LIVE, Histoire romaine, traduit par A.-A.-J. Liez, N.-A. Dubois, V. Verger et É.-F. Corpet,
Paris, Garnier, 1860, vol. 2, livre IX, XXXVI.
2. SUÉTONE, « Vie d’Auguste », Vie des douze Césars, traduit par Théophile Baudement, révisé par
Jacques Gascou, Paris, Flammarion, 1990, XXIII.
3. TACITE, Annales, traduit, présenté et annoté par Pierre Grimal, Paris, Gallimard, 1993, livre I, 61.
4. Jules CÉSAR, La Guerre des Gaules, traduit, présenté et annoté par Maurice Rat, Paris, Garnier-
Flammarion, 1964, VI, 25-28.
5. Par exemple, ibid., III, 28-29.
6. Ibid., I, 41.
7. Cité par Benoît BEYER DE RYKE, « Le miroir du monde : un parcours dans l’encyclopédisme
médiéval », Revue belge de philologie et d’histoire, LXXXI. 4, 2003, p. 1253.
8. Mireille AUSÉCACHE, « Des aliments et des médicaments. Les plantes dans la médecine
médiévale », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 13, 2006.
9. Alice LAFORÊT, L’arbre et le livre au Moyen Âge. Encyclopédies et herbiers : les arbres dans le
savoir botanique occidental (XIIIe-XVe siècles), Paris, École nationale des Chartes, 2016, p. 196. Sur
l’éloge et les utilisations du tilleul, voir aussi Michel PASTOUREAU, « Introduction à la symbolique
médiévale du bois », L’arbre : histoire naturelle et symbolique de l’arbre, du bois et du fruit au
Moyen Âge, Paris, Cahiers du Léopard d’or, 1992, p. 35-36.
10. Ces deux manuscrits du Livre des simples médecines portent respectivement la cote de NAF 6593
et Ms-2888. Ils ont été tous deux numérisés et sont consultables sur Gallica (https://gallica.bnf.fr).
11. Pour une étude plus approfondie de la représentation de l’arbre dans les herbiers, voir Alice
LAFORÊT, « Peindre l’arbre au Moyen Âge. Les herbiers enluminés de la Bibliothèque nationale de
France », L’Histoire à la BnF, 10 mai 2017, https://histoirebnf.hypotheses.org/564.
12. Benoît BEYER DE RYKE, « Le miroir du monde… », op. cit., p. 1258.
13. Le Livre des propriétés des choses : une encyclopédie au XIVe siècle, texte introduit, mis en
français moderne et annoté par Bernard Ribémont, Paris, Stock, 1999, p. 257.
14. Ibid., p. 257-258.
15. Sur les encyclopédies au Moyen Âge, voir Benoît BEYER DE RYKE, « Le miroir du monde… », op.
cit., et, entre autres parutions, Bernard RIBÉMONT, Littérature et encyclopédies du Moyen Âge,
Orléans, Paradigme, 2002.
16. Michel PASTOUREAU, Bestiaires du Moyen Âge, Paris, Éditions du Seuil, 2011, p. 23.
17. Ibid., p. 131-134.
18. MARIE DE FRANCE, « Éliduc », Lais bretons (XIIe-XIIIe siècles) : Marie de France et ses
contemporains, édition bilingue établie, traduite, présentée et annotée par Nathalie Koble et Mireille
Séguy, Paris, Honoré Champion, 2018, v. 1032-1066.
19. Michel PASTOUREAU, Bestiaires du Moyen Âge, op. cit., p. 28.
20. PIERRE DE CRESCENS, Le Livre des prouffitz champestres et ruraulx touchant le labour des
champs, vignes et jardins, pour faire puys, fontaines, citernes, maisons et aultres édiffices…, Paris,
Le Noir, 1521, livre V, chap. X, fol. LI ; Fleur VIGNERON, « L’arbre dans le Livre des ruraulx proufis
du labour des champs de Pierre de Crescens », dans Valérie FASSEUR, Danièle JAMES-RAOUL et Jean-
René VALETTE (dir.), L’arbre au Moyen Âge, Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 2010,
p. 19-32.
21. Les Livres du roy Modus et de la royne Ratio, texte édité, introduit et annoté par Gunnar Tilander,
2 vol., Paris, Société des anciens textes français, 1932, §63.54-64 ; cité par Leslie C. BROOK,
« L’homme et la bête : leçons de morale dans un livre de chasse », Le Moyen Français, 55-56, 2004-
2005, p. 61.
22. Gaston PHÉBUS, Livre de chasse, ms. fr. 616, fol. 36v.
23. Ibid., fol. 103r.
24. Sur l’arbre dans les ouvrages savants du Moyen Âge, voir Alice LAFORÊT, L’Arbre et le livre au
Moyen Âge, op. cit., dont s’inspire toute cette partie.
25. La Chanson des quatre fils Aymon, texte édité, présenté et annoté par Ferdinand Castets,
Montpellier, Coulet et fils, 1909, v. 4085-4089 ; traduction d’après Les Quatre Fils Aymon ou Renaut
de Montauban, texte présenté et traduit par Micheline de Combarieu du Grès et Jean Subrenat, Paris,
Gallimard, 1983, p. 84.
26. Alain LABBÉ, « Pays et paysages du Languedoc dans l’épisode gascon de Renaut de
Montauban », Languedoc et langue d’oc, Perspectives médiévales, supplément au nº 22, 1996,
p. 120. Sur l’imaginaire de la forêt, voir aussi Francis DUBOST, « La forêt des légendaires effrois »,
Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale (XIIe-XIIIe siècles), l’Autre, l’Ailleurs,
l’Autrefois, Paris, Honoré Champion, 1991, p. 313-350.
27. CHRÉTIEN DE TROYES, Le Chevalier au lion, édition bilingue établie, traduite, présentée et annotée
par Corinne Pierreville, Paris, Honoré Champion, 2016, p. 184-185, v. 766-767.
28. « Halt sunt li pui e mult halt les arbres », La Chanson de Roland, traduit, préfacé et annoté par
Pierre Jonin, Paris, Gallimard, 1979, v. 2271.
29. Aiol : chanson de geste (XIIe-XIIIe siècles), 2 vol., texte édité par Jean-Marie Ardouin, Paris,
Honoré Champion, 2016, v. 1698-1703.
30. « Le partage des proies » (branche XVII), Le Roman de Renart, édité sous la direction d’Armand
Strudel, Paris, Gallimard, 1998, p. 668.
31. Le Moniage Guillaume : chanson de geste du XIIe siècle, texte édité par Nelly Andrieux-Reix,
Paris, Honoré Champion, 2003, v. 1150-1152.
32. Guillaume de Lorris, Le Roman de la Rose, texte établi par Daniel Poirion et présenté, traduit et
annoté par Jean Dufournet, Paris, Flammarion, 1999, v. 1358-1360.
33. Ibid., v. 1374.
34. CHRÉTIEN DE TROYES, Le Chevalier au lion, op. cit., v. 278. Ce géant est aussi un guide vers
l’autre monde.
35. Ibid., v. 498-499.
36. Ibid., v. 2806-2856.
37. MARIE DE FRANCE, « Bisclavret », Lais bretons…, op. cit., p. 308-333.
38. La Suite du roman de Merlin, texte édité par Gilles Roussineau, Genève, Droz, 2006 ; traduit par
Stéphane Marcotte, Paris, Honoré Champion, 2006, § 295 et 302.
39. ADENET LE ROI, Berte as grans piés, texte édité par Albert Henry, Genève, Droz, 1982,
laisses XXII et XXXIII.
40. Ibid., laisse XXXVIII.
41. Le Moniage Guillaume, op. cit., v. 1217. Gaut vient du germanique wald, « forêt ».
42. CHRÉTIEN DE TROYES, Érec et Énide, traduit, texte présenté et annoté par Michel Rousse, Paris,
Garnier-Flammarion, 1994, v. 2765-2924.
43. Le Haut Livre du Graal, texte édité, présenté et traduit par Armand Strubel, Paris, Librairie
générale française, 2007, p. 540-541.
44. Ibid., p. 542-543.
45. Die Chanson Garin de Monglene, II, texte édité par Max Müller, Greifswald, Adler, 1913,
v. 2769-2771.
46. RENAUT DE BEAUJEU, Le Bel Inconnu : roman d’aventures, édité par Gwladys Perrie Williams,
Paris, Honoré Champion, 1983, v. 631-866.
47. Florence de Rome : chanson d’aventure du premier quart du XIIIe siècle, texte édité par Axel
Wallensköld, 2 vol., Paris, Firmin Didot, 1907-1909, laisses CXLIV-CXLVIII. Notons tout de même
qu’une demoiselle en détresse n’est pas nécessairement sans défense : dans Aiol, Mirabel se défend à
coups de poing contre son agresseur, et en dernier recours lui empoigne les testicules avec une telle
force qu’il s’évanouit à quatre reprises (Aiol, op. cit., v. 6350-6355 et v. 6395-6402).
48. Le Couronnement de Louis : chanson de geste du XIIe siècle, texte édité par Ernest Langlois, Paris,
Honoré Champion, 1965, v. 113-114 ; Le Charroi de Nîmes : chanson de geste du Cycle de
Guillaume d’Orange, texte édité et traduit par Claude Lachet, Paris, Gallimard, 1999, v. 17-27.
49. Gaston PHÉBUS, Livre de chasse, op. cit., fol. 14r.
50. CHRÉTIEN DE TROYES, Érec et Énide, op. cit., v. 65.
51. Le Roman d’Auberi le Bourguignon, édité par Prosper Tarbe, Genève, Slatkine, 1974, p. 51-57.
52. Garin le Loherenc, édité par Anne Iker-Gittleman, 3 vol., Paris, Honoré Champion, 1996, laisses
XCIX-CIX.
53. BERTRAND DE BAR-SUR-AUBE, Girart de Vienne, édité par Wolfgang Van Emden, Paris, Société
des anciens textes français, 1977, laisses CLXXVIII-CLXXXII.
54. CHRÉTIEN DE TROYES, Érec et Énide, op. cit., v. 115-1044.
55. ADENET LE ROI, Berte as grans piés, op. cit., 3165-3166.
56. MARIE DE FRANCE, « Guingamor », Lais bretons…, op. cit., p. 696-741.
57. Huon de Bordeaux : chanson de geste du XIIIe siècle, texte édité et traduit par William W. Kibler
et François Suard, Paris, Honoré Champion, 2003, v. 3149-3185.
58. MARIE DE FRANCE, « Graelent », Lais bretons…, op. cit., v., 295-296.
59. Ibid., v. 331.
60. ALEXANDRE DE PARIS, Le Roman d’Alexandre, édité par E. C. Armstrong et traduit par Laurence
Harf-Lancner, Paris, Librairie générale française, 1994, v. 3457-3467.
61. La Suite du roman de Merlin, op. cit., § 4-7.
62. ROBERT DE BORON, Merlin : roman du XIIIe siècle, édité par Alexandre Micha, Genève, Droz,
2000, § 32 ; présenté, traduit et annoté par Alexandre Micha, Paris, Garnier-Flammarion, 1994, p. 83.
Dans le paragraphe suivant, le roi Pandragon cherche Merlin dans la forêt, et il lui apparaît sous la
forme d’un gardien de bêtes semblable à celui que rencontre Yvain dans Le Chevalier au lion.
63. La Suite du roman de Merlin, op. cit., § 17.
64. Le Haut Livre du Graal, op. cit., p. 622-625.
65. Ibid., p. 668-669.
66. Garin le Lorrain : chanson de geste du XIIe siècle, texte traduit par Bernard Guidot, Nancy-Metz,
Presses universitaires de Nancy-Éditions Serpentoise, 1986, v. 10001-10004.
67. Jean-Charles HERBIN, « Trois fuelles d’erbe a pris entre ses piez. Recherches sur la Mort Begon
dans Garin le Loherain », Le Moyen Âge, 2006, CXII, 1, p. 91, note 42.
68. Le Haut Livre du Graal, op. cit., p. 1050-1053.
69. Florence de Rome, op. cit., v. 3870. Sur la vie solitaire en forêt, voir Jacques LE GOFF, « Le
désert-forêt dans l’Occident médiéval », Un autre Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1999, p. 495-510
[première publication : Traverses, 19, 1980, p. 22-33].
70. CHRÉTIEN DE TROYES, Le Chevalier au lion, op. cit., v. 2840-2841.
71. Florence de Rome, op. cit., laisse CXXXVIII.
72. ADENET LE ROI, Berte as grans piés, op. cit., laisse XLIV.
73. Le Moniage Guillaume, op. cit., laisses XLII-XLIX.
74. Ibid., v. 5292-5297.
75. Florence de Rome, op. cit., v. 3859.
76. CHRÉTIEN DE TROYES, Le Chevalier au lion, op. cit., v. 2833.
77. « Nous vous mènerons alors aux aventures de ce pays », promettent trois demoiselles de la Suite
du Roman de Merlin, op. cit., § 438.
78. BÉROUL, Tristan et Yseut, édité et traduit par Daniel Poirion, dans Christiane MARCHIELLO-NIZIA
(dir.), Tristan et Yseut : les premières versions européennes, Paris, Gallimard, v. 1362-1424 et 2290-
2509.
79. Ibid., v. 2733-2744.
80. La Queste del Saint Graal : roman du XIIIe siècle, texte édité par Albert Pauphilet, Paris, Honoré
Champion, 1999, p. 62-71 ; La Quête du Saint-Graal, traduit par Emmanuelle Baumgartner, Paris,
Honoré Champion, 1983, p. 71-78.
81. BÉROUL, Tristan et Yseut, op. cit., v. 1637-1640.
82. GOTTFRIED DE STRASBOURG, Tristan et Isolde, traduit par Danielle Buschinger et Wolfgang
Spiewok, dans Tristan et Yseut : les premières versions européennes, op. cit., p. 601-603.
83. BÉROUL, Tristan et Yseut, op. cit., v. 2147-2220.
84. Ibid., v. 2295-2296.
85. La Mort le roi Artu : roman du XIIIe siècle, édité par Jean Frappier, Genève, Droz, 1996, § 201 ;
La Mort du roi Arthur, traduit d’après l’édition de Jean Frappier par Monique Santucci, Paris,
Honoré Champion, 1991, § 201.
86. Le Moniage Guillaume, op. cit., v. 45-49.
87. Ibid., v. 6785-6862.
88. Florence de Rome, op. cit., v. 5981.
89. La Chanson des quatre fils Aymon, op. cit., v. 3194-3196 ; traduction, op. cit., p. 70.
90. La Chanson des quatre fils Aymon, op. cit., v. 17987-17991 ; traduction, op. cit., p. 280-281.
91. La Chanson de Girart de Roussillon, texte traduit, présenté et annoté par Micheline Combarieu
du Grès et Gérard Gouiran, Paris, Librairie générale française, 1993, v. 7559-7561.
92. Ibid., v. 7672-7673.
93. Ibid., v. 7-8 de l’épilogue (p. 732-733).
94. Lion de Bourges : poème épique du XIVe siècle, 2 vol., texte édité par William W. Kibler, Jean-
Louis G. Picherit et Thelma S. Fenster, Genève, Droz, 1980, v. 449.
95. Sur la symbolique du lion, voir par exemple Christian HECK et Rémy CORDONNIER, Le Bestiaire
médiéval : l’animal dans les manuscrits enluminés, Paris, Citadelles & Mazenod, 2011, p. 375-381.
96. Lion de Bourges, op. cit., v. 90.
97. Doon de Maience, édité par François Guessard et Alexandre Peÿ, Paris, F. Vieweg, 1859, v. 1423-
1666.
98. Valentin et Orson: An Edition and Translation of the Fifteenth-Century Romance Epic, édité et
traduit par Shira Schwam-Baird, Tempe, Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies,
2011. Le texte peut se lire en français dans l’édition de colportage du XIXe siècle : Histoire de Valentin
et Orson, très-nobles et très-vaillants chevaliers, fils de l’empereur de Grèce, et neveux du très-
vaillant et très-chrétien Pepin, roi de France, Épinal, Pellerin, 1846.
99. CHRÉTIEN DE TROYES, Perceval ou le Conte du Graal, édité et traduit par Daniel Poirion, dans
Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1994, v. 75.
100. Tristan de Nanteuil : chanson de geste inédite, texte édité par Keith Val Sinclair, Assen, Van
Gorcum, 1971, v. 808-812 et 816-817. Sur cette chanson, lire l’étude d’Alban GEORGES, Tristan de
Nanteuil : écriture et imaginaire épiques au XIVe siècle, Paris, Honoré Champion, 2006. Sur le cerf,
figure de résurrection qui associe symboliquement le masculin et le féminin, voir Thierry ZARCONE et
Jean-Pierre LAURANT, Le Cerf : une symbolique chrétienne et musulmane, Paris, Les Belles Lettres,
2017, p. 36.
101. Tristan de Nanteuil, op. cit., v. 4516-4520.
102. Mircea ELIADE, Traité d’histoire des religions, Paris, Payot, 1975, p. 216-217.
103. Tristan de Nanteuil, op. cit., v. 16055.
104. Ibid., v. 16194-16197.
105. JEAN D’ARRAS, Mélusine ou la noble histoire de Lusignan : roman du XIVe siècle, traduit,
présenté et annoté par Jean-Jacques Vincensini, Paris, Librairie générale française, 2003.
106. Le roman de Perceforest a été édité en plusieurs volumes par Gilles Roussineau, Genève, Droz,
2007-2015.
107. Jean FROISSART, Melyador : roman en vers de la fin du XIVe siècle, 2 vol., édité par Nathalie
Bragantini-Maillard, Genève, Droz, 2012.
108. Ysaÿe le Triste, édité par André Giachetti, Rouen, Publications de l’université de Rouen, 1989.
109. L’istoire de tres vaillans princez monseigneur Jehan d’Avennes, édité par Danielle Quéruel,
Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997 ; Messire Gilles de Chin, natif de
Tournesis, édité par Anne-Marie Liétard-Rouzé, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du
Septentrion, 2010 ; GERBERT DE MONTREUIL, Histoire de Gérard de Nevers : mise en prose du Roman
de la Violette de Gerbert de Montreuil, édité par Matthieu Marchal, Villeneuve-d’Ascq, Presses
universitaires du Septentrion, 2013 ; Baudouin de Flandre, présenté, établi, traduit et anoté par
Élisabeth Pinto-Mathieu, Paris, Librairie générale française, 2011.
110. CHARLES D’ORLÉANS, Poésies, édité par Pierre Champion, Paris, Honoré Champion, 1923-1927.
111. Alain CHARTIER, « Coppie de la requeste faicte et baillie aux dames contre Maistre Alain », dans
Alain CHARTIER, Baudet HERENC et Achille CAULIER, Le Cycle de La Belle Dame sans Mercy : une
anthologie poétique du XVe siècle, édité par David F. Hult et Joan E. McRae, Paris, Honoré
Champion, 2003, p. 86.
112. RENÉ D’ANJOU, Le Livre du Cœur d’amour épris, présenté, établi, traduit et annoté par Florence
Bouchet, Paris, Librairie générale française, 2003.
113. La Forest de Tristesse de Jacques Milet, édité par Michèle Dorsemaine, Paris, École nationale
des Chartes, 1976.
114. OLIVIER DE LA MARCHE, Le Chevalier délibéré – The Resolute Knight, édité par Carleton
W. Carroll, traduit par Lois Hawley Wilson et Carleton W. Carroll, Tempe, Arizona, Arizona Center
for Medieval and Renaissance Studies, 1999, strophe 6.
115. Pour reprendre Gaston BACHELARD : « La forêt est un état d’âme » (La Poétique de l’espace,
Paris, Presses universitaires de France, 1961, p. 171).
Chapitre 2 :
La forêt dans l’hagiographie
Nos remerciements chaleureux à Monique Paulmier-Foucart, sans qui bien des choses nous auraient
échappé.
1. Voir l’article FORESTIS, forast-, dans le dictionnaire NIERMEYER, Mediae latinitatis lexicon minus,
Leyde, 1984, p. 443-444.
2. Josiane BARBIER, « Rois et forêts en Lotharingie pendant le premier Moyen Âge. L’Ardenne,
berceau de la forestis ? », dans Michel PAULY et Hérold PETTIAU (éd.), Der Wald im mittelalterlichen
Lotharingien – La forêt en Lotharingie médiévale, Université du Luxembourg, Publications de la
section historique de l’Institut grand-ducal, 2016, p. 197.
3. Monumenta Germaniæ Historica
(= MGH), Scriptores rerum Merovingicarum (SRM), III, p. 257, nº 27 : De miraculis ostensis in
forestariis Hludowici imperatoris qui partem silve, quam sanctus Remigius comparavit in Vosago,
invadere presumpserunt : « Miracles vus par les forestiers de l’empereur Louis [le Pieux], qui
s’étaient approprié une partie de la forêt que saint Remi avait achetée dans les Vosges », et texte
p. 323.
4. GRÉGOIRE LE GRAND, Dialogues, Les Éditions du Cerf, 1979, II, 8, 10-12, p. 169.
5. WILLIBALD, Vita Sancti Bonifacii, MGH, SRM, II, p. 343-344.
6. Joseph-Claude POULIN et Martin HEINZELMANN, Les Vies anciennes de sainte Geneviève de Paris,
Paris, Honoré Champion, 1986, p. 78.
7. Monique GOULLET, Michelle GAILLARD et Anne WAGNER, « La Chronique de Saint-Mihiel », dans
Sylvain GOUGUENHEIM, Monique GOULLET, Pierre MONNET et al., Retour aux sources : textes, études
et documents d’histoire médiévale offerts à Michel Parisse, Paris, Picard, 2004, p. 994-995.
8. Edina BOZÓKY, Le Moyen Âge miraculeux : études sur les légendes et les croyances médiévales,
Paris, Riveneuve éditions, 2010, p. 111-123.
9. La traduction française est d’Anne Wagner et Monique Goullet.
10. Anne-Marie HELVÉTIUS, « Ermites ou moines. Solitude et cénobitisme du Ve au Xe siècle
(principalement en Gaule du Nord) », dans Ermites de France et d’Italie (XIe-XVe siècle), Rome, École
française de Rome, 2003, p. 1-27 ; Vita sancti Vulmari, abbatis Silviacensis primi (BHL 8748), édité
par J. Mabillon, Acta Sanctorum Ordinis sancti Benedicti, III, 1, Mâcon, 1672, p. 233-239.
11. JEAN DE SAINT-ARNOUL, La Vie de Jean, abbé de Gorze, présenté et traduit par Michel Parisse,
Paris, Picard, 1999, p. 58-61.
12. Dominique IOGNA-PRAT, « Évrard de Breteuil et son double. Morphologie de la conversion en
milieu aristocratique (v. 1070-v. 1120) », dans Michel LAUWERS (dir.), Guerriers et moines :
conversion et sainteté aristocratiques dans l’Occident médiéval (IXe-XIIe siècle), Antibes, Éditions
APDCA, 2002, p. 537-555, spéc. p. 548.
13. Jacques LE GOFF, « Le désert-forêt », L’Imaginaire médiéval, Paris, Gallimard, 1991, p. 59-75.
14. André CARRÉE et Bernard MERDRIGNAC, La Vie latine de saint Lunaire, Landévennec, Centre
international de recherche et de documentation sur le monachisme celtique, 1991, § 9-10, p. 98-108
et 142-143.
15. Vita sancti Ausberti, Acta Sanctorum Belgii, Bruxelles, II, [12], p. 549.
16. Fernand PELOUX, Les premiers évêques du Languedoc : construction et déconstruction d’une
mémoire hagiographique au Moyen âge, thèse de doctorat, II, Vie d’Hilaire de Mende (BHL 3910-
3911), édition et traduction du manuscrit Mazarine 1711, Toulouse, Université Toulouse-Jean Jaurès,
2016, p. 118-119.
17. La Vie est éditée et traduite (en anglais) par Steven VANDERPUTTEN, Imagining Religious
Leadership in the Middle Ages: Richard of Saint-Vanne and the Politics of Reform, Ithaca (New
York), Cornell University Press, 2015, p. 262–83 ; Anne WAGNER, « Vie de saint Rouin », dans
Noëlle CAZIN, Marie-Hélène COLIN et Jackie LUSSE (éd.), Beaulieu-en-Argonne, abbaye en pays
frontière, Bar-le-Duc, Société des lettres, sciences et arts, 2004, p. 37-38.
18. AA SS Aug III, c. 301 : « Erat enim in loco densissima silva, sed tantum ille proprio sudore una
cum reliquis sociis & discipulis suis ibidem extirpavit, & labore suo acquisivit, fultus præfati
episcopi auxilio, ut etiam ejus adjutorio cellulam postmodum ædificaret, & monachos ac religiosos
viros inibi congregaret. »
19. GRÉGOIRE LE GRAND, Dialogues, édité et annoté par Adalbert de Vogüé, traduit par Paul Antin,
Paris, Éditions du Cerf, 1980, livre III, 14, 8, p. 309-311 (saint Isaac).
20. Vita Launomari abbatis Curbionensis, édité par J. Mabillon, Acta Sanctorum Ordinis sancti
Benedicti, I, Mâcon, 1669, p. 335-338.
21. Annuaire historique du département de l’Yonne, XVII, Auxerre, Perriquet et Rouillé, 1853,
p. 290.
22. La Vie de saint Térence (BHL 8005) est analysée et éditée par Monique Goullet : « Les saints du
diocèse de Metz (Sources hagiographiques de la Gaule) », dans Monique GOULLET et Martin
HEINZELMANN (éd.), Miracles, vies et réécritures dans l’Occident médiéval, Ostfildern, J. Thorbecke,
2006, p. 207 et 302.
23. Bruno DUMÉZIL (dir.), Le Dossier saint Léger, Paris, Les Belles Lettres, 2017, p. 11, c. 13.
24. Robert FOLZ, « Naissance et manifestation d’un culte royal saint Edmond roi d’Est-Anglie »,
dans Karl HAUCK et Hubert MORDEK, Geschichtsschreibung und geistliches Leben im Mittelalter:
Festschrift für Heinz Löwe, Cologne, Böhlau, 1978, p. 226-246.
25. Foillanus, BHL 3071, Acta Sanctorum Oct. XIII, p. 388-390.
26. Jacqueline E. JUNG, « From Jericho to Jerusalem: The Violent Transformation of Archbishop
Engelbert of Cologne », dans Caroline WALKER BYNUM et Paul FREEDMAN (éd.), Last Things: Death
and Apocalypse in the Middle Ages, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2000, p. 60-82.
27. Jean-Dominique LAJOUX, L’Homme et l’Ours, Grenoble, Glénat, 1996.
28. Michel PASTOUREAU, L’Ours : histoire d’un roi déchu, Paris, Éditions du Seuil, 2015.
29. BHL 3246, Vita Galli auctore Wettino, MGH, SRM, IV, c. 11, p. 263.
30. BHL 1947, Vita Corbiniani episcopi Baiuvariorum retractata B, MGH, SRM, VI, c. X, p. 609-
610 (Ubi ursum, qui saugmarium occidit, Romam portare saugmam iussit).
31. GRÉGOIRE LE GRAND, Dialogues, op. cit., III, 15, 2-4, p. 314-319.
32. Louis RÉAU, Iconographie de l’art chrétien, III, Iconographie des saints, Paris, Presses
universitaires de France, 1959, p. 1151 ; Michel PASTOUREAU, L’Ours, op. cit., p. 142-143. On peut
supposer la présence antérieure d’un sanctuaire celtique dédié à Artio, en particulier au vu des
aménagements de la crypte.
33. Anne-Marie HELVÉTIUS, « Le saint et la sacralisation de l’espace en Gaule du Nord d’après les
sources hagiographiques (VIIe-XIe siècle) », dans Michel KAPLAN (dir.), Le sacré et son inscription
dans l’espace à Byzance et en Occident, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001, p. 137-161.
34. Jun. I, Dies 1, c. 84 : la femme accuse le saint ; Biforme portentum, devorator hominum &
seductor ; parumne tibi erat meum mihi surripuisse maritum, nisi insuper & filiam devorares.
35. Vita Carileffi abbatis Anisolensis, MGH, SRM, III, Hanovre, 1896, p. 386-394, ici p. 391-392.
36. Eremus désigne une région boisée non habitée ; on trouve aussi l’expression in eremi vastitatem,
c’est-à-dire une terre inculte non occupée.
37. Voir dans ce volume (Première Partie, Chapitre 1), la forêt dans la littérature chevaleresque.
38. Jacques VOISENET, Bestiaire chrétien : l’imagerie animale des auteurs du haut Moyen Âge (Ve-
e
XI siècle), Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1994, p. 141.
39. ADSON DE MONTIER-EN-DER, Adsonis Dervensis opera hagiographica, édité par Monique Goullet,
Turnhout, Brepols, 2003 : Vita Basoli, c. 23, p. 214 et 240.
40. AA SS apr. II, c. 760.
41. Miracula s. Huberti (BHL 3997), Acta Sanctorum Nov. I, p. 824-825.
42. Gesta episcoporum Tullensium, MGH, SS, VIII, § 32.
43. Edina BOZÓKY, « La légende de fondation de Maillezais », dans Mathias TRANCHANT et Cécile
TREFFORT (dir.), L’Abbaye de Maillezais : des moines du marais aux soldats huguenots, Rennes,
Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 17-27 ; PIERRE DE MALLEZAIS, La Fondation de l’abbaye
de Maillezais : récit du moine Pierre, édité et traduit par Yves Chauvin et Georges Pon sous la
direction d’Edmond-René Labande, La Roche-sur-Yon, Centre vendéen de recherches historiques,
2001, p. 90-103.
44. JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée, édité sous la direction d’Alain Boureau, Paris,
Gallimard, 2004, p. 719-720. Le roi y est Charlemagne ; dans d’autres versions il s’agit de Flavius,
roi des Goths (BHL 93-96).
45. Alain DIERKENS et Jean-Marie DUVOSQUEL (éd.), Le Culte de saint Hubert au pays de Liège,
Bruxelles, Crédit communal, 1991.
46. JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée, op. cit., c. 30, « Saint Julien », p. 171-177 et 1142-
1245 ; « Saint Eustache », c.157, p. 881-888 et 1435-1437.
47. André CARRÉE et Bernard MERDRIGNAC, La Vie latine de saint Lunaire, op. cit., § 11, p. 144-145.
48. Gesta Dagoberti, MGH, SRM, II, p. 401-403.
49. Edina BOZÓKY, « La légende de fondation de Maillezais », op. cit.
50. AA SS oct. III, c. 211 : « Improviso miræ lucis splendorem aspexit in loco, ubi nunc idem
monasterium Deo auctore consistit. Vidit præterea copiosam cervarum multitudinem, modo stare,
modo circuire locum eundem… Cumque pervenisset ad locum, invenit iterum quoddam divinæ
revelationis memorabile sacramentum. Vidit enim præstanti corpore cervum, membra quidem
prostratum, sed cornua in sublime arrectum, utpote sic præstolantem Viri adventum. »
51. JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée, op. cit., c. 21, « Saint Antoine », p. 128-132 et 1123-
1125.
52. FELIX DE CROWLAND, Felix’s Life of Saint Guthlac, édité par Bertram Colgrave, Cambridge,
Cambridge University Press, 1985, p. 89 ; Stéphane LEBECQ, « Les saints anglais et le milieu marin.
Contribution de quelques textes hagiographiques à la connaissance du milieu littoral dans
l’Angleterre du début du Moyen Âge », Hommes, mers et terres du Nord au début du Moyen Âge, I,
Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2011, p. 211-222.
53. Marc SIMON, Louis COCHOU et Armelle LE HUËROU, « Traduction de la Vie longue de saint
Guénolé par l’abbé Gurdisten », dans Stéphane LEBECQ (dir.), Cartulaire de Saint-Guénolé de
Landévennec, Rennes, Presses universitaires de Rennes-Société d’histoire et d’archéologie de
Bretagne, 2015, p. 111-150.
54. Liber Historiæ Francorum, MGH, SRM, II, c. 36, p. 304-305.
55. Saxo GRAMMATICUS, La Geste des Danois – Gesta Danorum : livres I-IX, traduit par Jean-Pierre
Troadec, Paris, Gallimard, 1995, livre VII, c. VIII, 2-3, p. 306-307.
56. Ibid., livre V, c. IV, p. 200-201.
DEUXIÈME PARTIE :
LA FORÊT UTILISÉE
Chapitre 1 : La forêt ressources
1. Exemple des Bordes de Cestres sur les plateaux du Dijonnais : Patrice BECK, Frank FAUCHER et
Jean-Louis MAIGROT (dir.), Élevage et forêt sur la montagne dijonnaise à la fin du Moyen Âge : deux
établissements forestiers d’éleveurs en Terre de Saint-Seine (Saint-Martin-du-Mont, Côte-d’Or),
Drémil-Lafage, Éditions Mergoil, 2018.
2. Engelbert MÜHLBACHER (dir.), Die Urkunden der Karolinger, MGH, Diplomata Karolinum,
Hanovre, 1906, p. 126.
3. Alfred BORETIUS (éd.), Capitularia regum Francorum, I, MGH, Hanovre, 1883, p. 140 ; Robert
DELORT, « Les animaux et l’habillement », L’uomo di fronte al mondo animale nell’alto Medioevo,
Spolète, Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 1985, p. 673-700.
4. Marie-Pierre RUAS, « Lieux de cueillettes, lieux de culture : les fruits à la croisée des chemins »,
dans Marie-Pierre RUAS (dir.), Des fruits d’ici et d’ailleurs : regards sur l’histoire de quelques fruits
consommés en Europe, Paris, Omniscience, 2016, p. 287-322.
5. Philippe MARCHENAY, L’Homme et l’Abeille, Paris, Berger-Levrault, 1984, p. 82-83.
6. Patrice BECK, Philippe BRAUNSTEIN, Christophe DUNIKOWSKI et al., « La sidérurgie ancienne en
forêt d’Othe », dans Jean-Paul METAILIE (éd.), Protoindustries et histoire des forêts, Toulouse, CNRS
Éditions, 1992, p. 301-316.
7. Chris WICKHAM, « European Forests in the Early Middle Ages: Landscape and Land Clearance »,
L’ambiente vegetale nell’alto medioevo, Spolète, Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 1990,
p. 188.
8. Archives départementales de Côte-d’Or, B 4826-3, fol. 1.
9. Karl ZEUMER (éd.), Formulæ sangallenses miscellaneæ, nº 9, MGH, Leges, V, 1, Formulæ
merowingici et karoli ævi, Hanovre, 1882, p. 383-384.
10. Marie DELCOURTE-DEBARRE, Espaces forestiers et sociétés en Avesnois (XIVe-début du
e
XVIII siècle) : étude du paysage, thèse de doctorat en histoire et archéologie, Valenciennes, université
de Valenciennes, 2016, p. 265..
11. Ibid.
12. Jörg JARNUT, « Die frühmittelalterliche Jagd unter rechts- und sozialgeschichtlichen Aspekten »,
L’uomo di fronte al mondo animale nell’alto Medioevo, op. cit., p. 785.
13. Régine HENNEBICQUE, « Espaces sauvages et chasses royales dans le nord de la Francie (VIIe-
e
IX siècles) », Revue du Nord, Le paysage rural : réalité et représentations, 10, 1979, p. 41-42.
14. Régine LE JAN, « Le don et le produit sauvage au Moyen Âge », dans Simonetta CAVACIOCCHI
(éd.), L’uomo e la foresta (secc. XIII-XVIII), Florence, Le Monnier, 1996, p. 586.
15. Fabrice GUIZARD, « Les parcs à gibier carolingiens d’après les sources narratives », dans Andrée
CORVOL (éd.), Forêt et chasse (Xe-XXe siècles), Paris, L’Harmattan, 2004, p. 17-27.
16. Jean-Claude MEURET, Peuplement, pouvoir et paysage sur la marche Anjou-Bretagne : des
origines au Moyen Âge, Laval, Société d’archéologie et d’histoire de la Mayenne, 1993, p. 161.
17. Clemens DASLER, Forst und Wildbann im frühen deutschen Reich: Die königlichen Privilegien
für die Reichskirchen vom 9. bis zum 12. Jahrhundert, Cologne, Böhlau, 2001.
18. Régine LE JAN, « Le don et le produit sauvage au Moyen Âge », op. cit., p. 587-588.
19. Georges TESSIER (éd.), Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France, I, 220, Paris,
Imprimerie nationale, 1943, p. 553.
20. Philippe LAUER (éd.), Actes de Charles III le Simple, roi de France, 81, Paris, Imprimerie
nationale, 1940, p. 181.
21. Élisabeth ZADORA-RIO, « Parcs à gibier et garennes à lapins : contribution à une étude
archéologique des territoires de chasse dans le paysage médiéval », Hommes et terres du Nord : du
pollen au cadastre, 2-3, 1986, p. 133-139.
22. Corinne BECK, Les Eaux et Forêts en Bourgogne ducale (vers 1350-vers 1480) : société et
biodiversité, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 223-224.
23. Aline DURAND et Marie-Pierre RUAS, « La forêt languedocienne (fin VIIIe-XIe siècle) », dans
Andrée CORVOL (éd.), Les Forêts d’Occident du Moyen Âge à nos jours, Toulouse, Presses
universitaires du Mirail, 2004, p. 176.
24. André GRENOUILLOUX, L’élevage bovin dans le haut Moyen Âge occidental, Nantes, École
vétérinaire de Nantes, 1989 (thèse inédite).
25. Chris WICKHAM, « European Forests in the Early Middle Ages… », op. cit., p. 183.
26. Georges DESPY, « Villes et campagnes aux IXe et Xe siècles : l’exemple du pays mosan », Revue du
Nord, 197, 1968, p. 153-158.
27. Dieter HÄGERMANN, Das Polyptychon von Saint-Germain-des-Prés, Cologne, Bölhau, 1993.
28. Guy LOBRICHON et Monique GOULLET (éd.), Les Gestes des évêques d’Auxerre, I, Paris, Les
Belles Lettres, 2002, p. 103.
29. François DUCEPPE-LAMARRE, Chasse et pâturage dans les forêts du Nord de la France : pour une
archéologie du paysage sylvestre (XIe-XVIe siècles), Paris, L’Harmattan, 2006, p. 60-61.
30. Archives départementales de Côte-d’Or, B 2180.
31. ODON († 942), Vita Geraldi, I, c. 25, Patrologia Latina, 133.
32. FLODOARD, Histoire de l’Église de Reims, traduit par M. Lejeune, Reims, P. Regnier, 1854, c. 17,
p. 113.
33. ABBON, Le siège de Paris par les Normands, édité et traduit par Henri Waquet, Paris, Les Belles
Lettres, 1964, v. 34-35, p. 14-16.
34. ERMOLD LE NOIR, Poème sur Louis le Pieux et Épîtres au roi Pépin, édité et traduit par Edmond
Faral, Paris, Les Belles Lettres, 1964, v. 77-144, p. 208-213.
35. Dieter ECKSTEIN, Willem A. VAN ES et Ernst HOLLSTEIN, « Beitrag zur Datierung der
frühmittelalterlichen Siedlung Dorestad, Holland », Berichten van de Rijksdienst voor het
Oudheidkundig Bodemonderzoek, 25, 1975, p. 170-172.
36. Mathieu ARNOUX, « Le fer dans les campagnes médiévales (XIe-XVe siècles) », dans Mireille
MOUSNIER (éd.), L’artisan au village dans l’Europe médiévale et moderne, Toulouse, Presses
universitaires du Mirail, 2001, p. 187-202.
37. Coutume générale des pays et duché de Bourgogne avec le commentaire de Monsieur Taisand,
1747, Titre XIII, article I, p. 733.
38. Corinne BECK, Les Eaux et Forêts en Bourgogne ducale, op. cit. ; Alain GIRARDOT, Le Droit et la
Terre : le Verdunois à la fin du Moyen Âge, 2 vol., Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1992 ;
Gaëlle JACQUET, La forêt en Val de Loire aux périodes pré-industrielles : histoire, morphologie,
archéologie, dendrologie. L’exemple de l’Indre-et-Loire (Xe-XVIe siècles), thèse de doctorat en
histoire, Université de Tours, 2003 (inédit) ; Monique SOMMÉ, « Règlements, délits et organisation
des ventes dans la forêt de Nieppe (début XIVe-début XVIe siècle) », Revue du Nord, LXXII, 287, 1990,
p. 511-528.
39. Archives départementales de Côte-d’Or, B 4481, fol. 17.
40. Marie DELCOURTE-DEBARRE, Espaces forestiers et sociétés en Avesnois, op. cit., p. 314.
41. Archives départementales de Côte-d’Or, B 2797-1, fol. 1.
42. François DUCEPPE-LAMARRE, Chasse et pâturage dans les forêts du Nord de la France, op. cit.,
p. 86.
43. Archives départementales de Côte-d’Or, B 16, fol. 27.
44. Marie DELCOURTE-DEBARRE, Espaces forestiers et sociétés en Avesnois, op. cit. p. 293.
Chapitre 2 :
Des bois pour construire
Bois proches et bois lointains, les rivières et le flottage du bois
1. Schéma d’assemblage d’un train de planches sur la Sarre dans Olivier GUATELLI, Raon-l’Étape : le
flottage du bois et les « oualous » (1830-1899), Raon-l’Étape, Kruch Éditeur, 1991, p. 25 (d’après
René DESCOMBES, Le flottage des bois sur la Sarre, Lutzelbourg-Saint-Louis, Syndicats d’initiative,
1979).
2. Édition du tarif en vigueur en 1479-1480 : Odile SCHWEYER, Un péage lorrain : Nancy (1479-
1480), mémoire de maîtrise inédit, Vincennes, Centre universitaire de Vincennes, 1971, annexe III.
3. Arnaud VAUTHIER, « Le flottage du bois en Lorraine. Sa réglementation du XIVe au XVIIIe siècle »,
Le Pays lorrain, 82, 2001, p. 15-22.
4. Albert GRENIER, Manuel d’archéologie gallo-romaine, t. II, L’archéologie du sol, Paris, Picard,
1934, p. 543-544.
5. Gabriel STILLER, « Des potiers gallo-romains de la terrasse de Haute-Yutz (160 après J.-C.) à la
défense de Thionville par le général-comte Hugo (1814-1815) », dans Gabriel STILLER et Gervais
ANCEL, Thionville et sa rivière : la Moselle, Metz, Éditions Le Lorrain, 1964, p. 13 et 19.
6. Jean SCHNEIDER, « Les routes dans la Lorraine médiévale », Bulletin de la Société lorraine des
études locales pour l’enseignement public, 7, oct.-déc. 1958, p. 2.
7. Jean-Marie YANTE, Le Péage lorrain de Sierck-sur-Moselle (1424-1549) : analyse et édition des
comptes, Sarrebruck, SDV, 1996, p. 57, 73, 76 et 95-96 ; ID., Le Luxembourg mosellan : productions
et échanges commerciaux (1200-1560), Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1996, p. 172, 178-
179 et 184-185.
8. Frédéric FERBER, « Le bois et les flotteurs vosgiens à Metz à la fin du Moyen Âge », dans Jean-
Pierre HUSSON et Jean-Paul ROTHIOT (dir.), Eau, flottage et industries à Raon-l’Étape, Épinal-Saint-
Dié, Fédération des sociétés savantes des Vosges-Société philomatique vosgienne, 2010, p. 187-201 ;
Frédéric FERBER, Metz et ses rivières à la fin du Moyen Âge, thèse de doctorat d’histoire inédite,
Nancy, Université de Lorraine, 2012, p. 314-327 ; ID., « Le rôle de la Moselle dans
l’approvisionnement de Metz en bois de chauffage à la fin du Moyen Âge », Le Pays lorrain, 94,
2013, p. 169-172.
9. Édition du compte : Gabriel STILLER, Un siècle d’histoire thionvilloise (1559-1659), Metz, Éditions
Le Lorrain, 1959, p. 80-86. Présentation en tableaux : ID. et Gervais ANCEL, Thionville et sa rivière,
op. cit., p. 49-54. Contexte et analyse : Jean-Marie YANTE, « Réactions luxembourgeoises à la
politique douanière de Nicolas de Vaudémont et Charles III de Lorraine », Annales de l’Est, 36, 1984,
p. 193-214, spécialement p. 206-209.
10. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, B 488 (layette 11) et B 644 (layette 30) ;
Michel SCHNEIDER, Raon-l’Étape, des origines au XVIIIe siècle : histoire de trois communautés du
duché de Lorraine (Raon-l’Étape, Laneuveville, Vézeval), Raon-l’Étape, Kruch Éditeur, 1990, p. 78.
À propos du flottage sur la basse Meurthe, voir Jean-Luc FRAY, Nancy-le-Duc : essor d’une résidence
princière dans les deux derniers siècles du Moyen Âge, Nancy, Société Thierry Alix, 1986, p. 77-78
et 88, note 89.
11. Michel SCHNEIDER, Raon-l’Étape, des origines au XVIIIe siècle, op. cit., spécialement p. 76-80 ;
Olivier GUATELLI , Raon-l’Étape, op. cit., passim.
12. Analyse des comptes pour les années 1476 à 1500 : Jean-Marie YANTE, « Bois vosgiens au péage
de Nancy (1476-1500) », dans Wolfgang HAUBRICHS , Wolfgang LAUFER et Reinhard SCHNEIDER
(dir.), Zwischen Saar und Mosel: Festschrift für Hans-Walter Herrmann zum 65. Geburtstag,
Sarrebruck, SDV, 1995, p. 185-197.
13. Francis RAPP, « Routes et voies de communication à travers les Vosges du XIIe au début du
e
XVI siècle », dans Les pays de l’Entre-Deux au Moyen Âge : questions d’histoire des territoires
d’Empire entre Meuse, Rhône et Rhin, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et
scientifiques, 1990, p. 204.
14. Christine HEIDER, « Un aspect des relations entre la ville de Thann et l’abbé de Murbach : le
flottage du bois sur la Thur au XVIe siècle », Annuaire de la Société d’histoire des régions de Thann-
Guebwiller, 20, 2000-2003, p. 20-31.
15. André GIBERT, « Notes au sujet de l’ancien flottage du bois sur le Doubs », dans Mélanges
géographiques offerts par ses élèves à Raoul Blanchard à l’occasion du vingt-cinquième
anniversaire de l’Institut de géographie alpine de Grenoble, Grenoble, Institut de géographie alpine,
1932, p. 255.
16. Henri HIEGEL, La châtellenie et la ville de Sarreguemines de 1335 à 1630, Paris, Berger-Levrault,
1934, p. 459 ; Henri et Charles HIEGEL, Le bailliage d’Allemagne de 1600 à 1632, II, Agriculture,
industrie, commerce, Sarreguemines, Éditions Pierron, 1968, p. 192-195 et 249-250 ; Hans-Walter
HERRMANN, « Die Saarburger Zollregister von 1581, 1589 und 1614. Ein Beitrag zur Wirtschafts- und
Verkehrsgeschichte der Saargegend », Kurtrierisches Jahrbuch, 22, 1982, p. 81 et 106 ; Michael
MATHEUS, Trier am Ende des Mittelalters: Studien zur Sozial-, Wirtschafts- und
Verfassungsgeschichte der Stadt Trier vom 14. bis 16. Jahrhundert, Trèves, Trierer Historische
Forschungen, 1984, p. 48.
17. Marie-Louise FANCHAMPS, « Transport et commerce du bois sur la Meuse au Moyen Âge », Le
Moyen Âge, 72, 1966, p. 59-81 ; ID., « Le commerce sur la Meuse moyenne dans la seconde moitié
du XVe siècle et dans la première moitié du XVIe siècle d’après des comptes de tonlieux », dans
Histoire économique de la Belgique : traitement des sources et état des questions, Bruxelles,
Archives générales du Royaume, 1972, p. 292-293 et tableaux en annexe ; Marc SUTTOR, Vie et
dynamique d’un fleuve : la Meuse de Sedan à Maastricht, des origines à 1600, Bruxelles, De Boeck,
2006, p. 380-388.
18. Michel DEVÈZE, La vie de la forêt française au XVIe siècle, Paris, s.E.V.P.E.N., 1961, t. II, p. 34.
19. Ibidem, t. II, p. 34-39.
20. Corvée de transport du bois d’œuvre jusqu’à la Seine dans une seigneurie de Saint-Ouen de
Rouen en 1291 (Georges DUBY, L’Économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident
médiéval : France, Angleterre, Empire (Xe-XVe siècles). Essai de synthèse et perspectives de
recherches, t. II, Paris, Aubier-Montaigne, 1962, p. 712-713, nº 128.
21. André LESORT, « Le trafic du vin sur l’Oise au Moyen Âge », Bulletin philologique et historique
(jusqu’à 1610) du Comité des travaux historiques et scientifiques, I, 1960, p. 296.
22. Pierre DUPARC, « Un péage savoyard sur la route du Mont-Cenis aux XIIIe et XIVe siècles,
Montmélian », Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du Comité des travaux historiques
et scientifiques, I, 1960, p. 154 et 156.
23. Philippe WOLFF, Commerces et marchands de Toulouse (vers 1350-vers 1450), Paris, Plon, 1954,
p. 282-283, 422 et 561.
24. Michel DEVÈZE, La vie de la forêt française au XVIe siècle, op. cit., t. II, p. 39.
25. Jean-Gabriel GIGOT, « Transport des bois par flottage en Roussillon, avant 1660. Nouvel état de la
question », Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du Comité des travaux historiques et
scientifiques, I, 1963, p. 419-428.
Les forêts de chêne du centre-est
de la France
26. Frédéric ÉPAUD, La charpente de la cathédrale de Bourges : de la forêt au chantier, Tours,
Presses universitaires François-Rabelais, 2017.
27. Fritz SCHWEINGRUBER, Tree Rings: Basics and Applications of Dendrochronology, Dordrecht-
Boston, D. Reidel, 1998 ; Georges-Noël LAMBERT, « La dendrochronologie, mémoire de l’arbre »,
dans Alain FERDIERE (éd.), Les méthodes de datation en laboratoire, Paris, Éditions Errance, 1998,
p. 1369.
28. Laurent ASTRADE et Cécile MIRAMONT, Panorama de la dendrochronologie en France, Le
Bourget-du-Lac, Laboratoire EDYTEM, Université de Savoie, 2010 ; Georges LAMBERT, Catherine
LAVIER, Patricia PERRIER et al., « Pratique de la dendrochronologie », Histoire & Mesure, III, 3, 1988,
p. 279-308 ; Maurice Scellès et Romain Deplano, « La dendrochronologie en Midi-Pyrénées »,
Patrimoines en Occitanie, 1er avril 2012.,
29. Anne BARY-LENGER et Jean-Pierre NEBOUT, Les Chênes pédonculé et sessile en France et en
Belgique : écologie, économie, histoire, sylviculture, Alleur-Liège, Éditions du Perron, 1993.
30. Les données sur la futaie sont reprises d’une étude de la forêt d’Amance (54) vers 1994, où ce
traitement est mis en place dès le début du XIXe siècle alors qu’environ 250 arbres vivants prélevés
entre 1990 et 2010 en Franche-Comté provenant surtout de la forêt de Chaux et du massif des
Franches-Communes entre Lure et Quers (70) montrent des caractéristiques de taillis sous futaie à
maturité, vers 150-200 ans. Ces chênes actuels portent donc la trace d’une conversion plus ou moins
avancée des taillis sous futaie en futaie. Voir Michel BECKER, Tina NIEMINEN et François GÉRÉMIA,
« Short-Term Variations and Long-Term Changes in Oak Productivity in Northeastern France. The
Role of Climate and Atmospheric CO 2 », Annales des sciences forestières, LI, 5, 1994, p. 477-492.
31. Olivier GIRARDCLOS, André BILLAMBOZ et Pierre GASSMANN, « Abandoned Oak Coppice on Both
Sides of the Jura Mountains: Dendroecological Growth Models Highlighting Woodland Development
and Management in the Past », dans Holger GÄRTNER, Philippe ROZENBERG, Patricia MONTÈS et al.
(éd.), TRACE: Tree Rings in Archaeology, Climatology and Ecology, X, 2012, p. 7178.
32. Frédéric ÉPAUD, La charpente de la cathédrale de Bourges, op. cit.
33. Gustave HUFFEL, Économie forestière, II, Dendrométrie : la formation du produit forestier.
Estimations et expertises, Paris, La Maison rustique, 1919.
34. Roberto-Luis SALOMÓN, Maria VALBUENA-CARABAÑA, Luis GIL et al., « Clonal Structure
Influences Stem Growth in Quercus pyrenaica Willd. Coppices: Bigger Is Less Vigorous », Forest
Ecology and Management, 296, 2013, p. 108118.
35. Olivier GIRARDCLOS, Alexa DUFRAISSE, Jean-Luc DUPOUEY et al., « Improving Identification of
Coppiced and Seeded Trees in Past Woodland Management by Comparing Growth and Wood
Anatomy of Living Sessile Oaks (Quercus petræa ) », Quaternary International, 463, B, 2018,
p. 219-231.
36. Frédéric ÉPAUD , La charpente de la cathédrale de Bourges, op. cit.
Les forêts et le bois d’œuvre
dans le Bassin parisien
37. Frédéric ÉPAUD, De la charpente romane à la charpente gothique en Normandie : évolution des
techniques et des structures de charpenterie aux XIIe-XIIIe siècles, Caen, Publications du CRAHM,
2007, p. 16.
38. ID., La Charpente de la cathédrale de Bourges, op. cit.
39. ID., De la charpente romane à la charpente gothique en Normandie, op. cit., p. 16.
40. Gaëlle JACQUET, La forêt en Val de Loire aux périodes préindustrielles, op. cit., III, p. 425-434 ;
Frédéric ÉPAUD (dir.), Franck TOURNADRE et Julien NOBLET, Inventaire des charpentes d’églises
médiévales de la région Centre-Val de Loire, rapport final du programme CharpCentre, 2017.
41. Jean-Yves HUNOT, L’évolution de la charpente de comble en Anjou du XIIe au XVIIIe siècle, Angers,
Patrimoine d’Anjou : études et travaux, 1, 2001, p. 131-132.
42. Pierre CHAUDÉ, Tarif de cubage à décroissances variables pour les arbres sur pied, Paris, Sennac,
1946 ; L. BRICHET et J. DUTERME, Aide-mémoire du forestier : à l’usage des agents et préposés des
Eaux et Forêts, pépiniéristes, experts, régisseurs marchands de bois et propriétaires forestiers,
Gembloux, Duculot, 1931 ; Jacques PONCELET, Estimation et commerce du bois, Saint-Mard,
Carlsbourg, 1992.
43. Frédéric ÉPAUD, De la charpente romane à la charpente gothique en Normandie, op. cit., p. 23.
44. Michel DUCREY, « Sylviculture des taillis de chêne vert. Pratiques traditionnelles et
problématiques des recherches récentes », Revue forestière française, XL, 4, 1988, p. 302-313.
45. Andrée CORVOL, « Exploitation sylvicole et botanique forestière aux XVIIe-XVIIIe siècles », dans ID.
(dir.), La Forêt, Paris, Comité des travaux scientifiques et historiques, 1991, p. 303.
46. Gaëlle JACQUET, La forêt en Val de Loire aux périodes préindustrielles, op. cit., p. 402.
47. Andrée CORVOL, « Exploitation sylvicole et botanique forestière aux XVIIe-XVIIIe siècles », op. cit.,
p. 301.
48. Jean-Daniel BONTEMPS, Évolution de la productivité des peuplements réguliers et
monospécifiques de hêtre (Fagus sylvatica L.) et de chêne sessile (Quercus petræa Liebl.) dans la
moitié nord de la France au cours du XXe siècle, thèse de l’École nationale du génie rural, des eaux et
forêts, Nancy, 2006, p. 242-253.
49. Andrée CORVOL, « Exploitation sylvicole et botanique forestière aux XVIIe-XVIIIe siècles », op cit.,
p. 300.
50. Michel DEVÈZE, La vie de la forêt française au XVIe siècle, op. cit., p. 100.
51. Alain ROQUELET (éd.), La Vie de la forêt normande à la fin du Moyen Âge : le coutumier d’Hector
de Chartres, I, La Haute-Normandie, Rouen, Société de l’histoire de Normandie, 1984, p. XLIX.
52. Gaëlle JACQUET, La forêt en Val de Loire aux périodes préindustrielles, op. cit., annexe 7,
p. XXXIV.
53. Yann LE JEUNE, Cécile DARDIGNAC et Sophie DAVID, « Bercé avant la forêt. Premiers résultats de
l’exploitation des cartes anciennes et des données lidar sur la forêt de Bercé (Sarthe) », dans Revue
forestière française, 4-5, 2017, p. 519-543 ; Laëtitia NOËL, Essai d’interprétation d’un type de vestige
en milieu forestier : l’exemple des structures fossoyées en forêt de Bercé (Sarthe), mémoire de master
2 d’archéologie, université de Tours, 2007.
54. Jean PARDÉ, « Normes de sylviculture pour les forêts de chêne rouvre », Revue forestière
française, XXX, 1978, p. 14 ; Jean LEMAIRE, Le chêne autrement : produire du chêne de qualité en
moins de 100 ans en futaie régulière, Paris, Institut pour le développement français, 2010.
55. SUGER, De consecratione, 3, cité et traduit dans Erwin PANOFSKY, Architecture gothique et pensée
scolastique, traduit par Pierre Bourdieu, Paris, Éditions de Minuit, 1967, p. 61.
56. Virginie CHEVRIER, La charpente de la cathédrale Notre-Dame de Paris à travers la
dendrochronologie, 2 vol., mémoire de DEA en histoire de l’art et archéologie médiévale, universités
Paris-IV et Besançon, 1995.
57. Patrick HOFFSUMMER (dir.), Les charpentes du XIe au XIXe siècle : typologie et évolution en France
du Nord et en Belgique, Paris, Éditions du Patrimoine, 2002.
58. Georges-Noël LAMBERT, « La dendrochronologie, mémoire de l’arbre », op. cit.
59. Paulo CHARRUADAS, Chloé DELIGNE et Nicolas SCHROEDER, « De la Carbonaria à l’Arduenna.
Environnement, exploitation et paysages, du haut Moyen Âge à 1300 », dans Michel PAULY et Hérold
PETTIAU (éd.), Der Wald im mittelalterlichen Lotharingien – La forêt en Lotharingie médiévale, op.
cit., p. 79-86.
60. Sophie BLAIN, Christophe MAGGI et Patrick HOFFSUMMER, « Les charpentes de la collégiale Saint-
Denis à Liège (Belgique) : apports de l’archéométrie et de l’archéologie du bâti à l’histoire du site
(XIe-XVIIIe siècle) », Archéologie médiévale, 45, 2015, p. 85-116.
61. Paulo CHARRUADAS, Chloé DELIGNE et Nicolas SCHROEDER, « De la Carbonaria à l’Arduenna… »,
op. cit.
62. Paulo CHARRUADAS, « L’ombre de la forêt charbonnière, environnement, exploitation et paysages
forestiers aux confins du Hainaut et du Brabant des origines à 1300 », dans Michel PAULY et Hérold
PETTIAU (éd.), Der Wald im mittelalterlichen Lotharingien – La forêt en Lotharingie médiévale, op.
cit., p. 87-136.
63. Paulo CHARRUADAS, « Gérer et exploiter une grande forêt domaniale à l’ère préindustrielle.
Soignes, une forêt capitale ? », Bruxelles Patrimoines, 14, 2015, p. 6-16.
64. Armelle WEITZ, Paulo CHARRUADAS, Sarah CRÉMER et al., « Réalisation d’un inventaire
typologique et dendrochronologique des charpentes anciennes en région Bruxelles-Capitale », dans
Archaeologia Mediaevalis, 37, 2014, p. 123-125.
65. Patrick HOFFSUMMER, Les charpentes de toitures en Wallonie : typologie et dendrochronologie
(XIe-XIXe siècles), Namur, Ministère de la Région wallonne, Division du Patrimoine, 1995.
66. Paulo CHARRUADAS, « L’ombre de la forêt charbonnière…», op.cit.
67. Vincent DEBONNE et Kristof HANECA, « Baksteen en boomringen: een verfijnde bouwchronologie
van het hallenkoor van de Onze-Lieve-Vrouwkerk in Damme (prov. West Vlaanderen) », Relicta, 7,
2011, p. 67-100.
68. Patrick HOFFSUMMER (dir.), Les charpentes du XIe au XIXe siècle, op. cit., p. 249 ; Kristof HANECA,
Joris VAN ACKER et Hans BEECKMAN, « Growth Trends Reveal the Forest Structure During Roman
and Medieval Times in Western Europe: A Comparison Between Archaeological and Actual Oak
Ring Series (Quercus robur and Quercus petræa) », Annals of Forest Science, LXII, 8, 2005, p. 797-
805.
69. Marie-Hélène CORBIAU et Patrick HOFFSUMMER, « Waimes/Robertville : la Via Mansuerisca et la
découverte d’un véhicule », Vie archéologique, chronique de l’archéologie wallonne, 13, 2006,
p. 134-136.
70. Patrick HOFFSUMMER, Les Charpentes de toitures en Wallonie, op. cit.
71. Ibid.
72. Kristof HANECA, « Historisch bouwhout uit Vlaanderen: import uit noodzaak?
Dendrochronologisch onderzoek als bron voor houthandel en -gebruik », Bulletin KNOB, XIV, 3,
2015, p. 158-169.
73. Dirk Van EENHOOGE, Vincent DEBONNE et Kristof HANECA, Middeleeuwse dakkapen in Brugge en
ommland, een catalogus, Bruxelles, Agentschap Onroerend Erfgoed, 2018.
74. Pascale FRAITURE, « Études dendro-archéologiques de structures de second œuvre : prémices d’un
domaine de prometteur pour l’archéologie du bâti », dans Caroline BOLLE, Geneviève COURA et Jean-
Marc LÉOTARD, L’archéologie des bâtiments en question. Un outil pour les connaître, les conserver et
les restaurer, Namur, SPW Éditions, 2014, p. 141-161.
75. Pascale FRAITURE et Kristof HANECA, « Dendrochronological Analysis of the Panel Paintings »,
dans Monique MAILLARD-LUYPAERT, Frans Pourbus l’Ancien à Tournai : les panneaux peints pour
l’abbatiale Saint-Martin, histoire, iconographie, style, technique, restauration, Bruxelles, Institut
Royale du Patrimoine Artistique, 2017, p. 123-139.
Chapitre 3 :
Défricher, couper du bois pour produire
Nommer les défrichements
1. FEW, XXV, 388b-389a, *ARTĪKA.
2. Les artigues ont fait l’objet d’une belle étude de la part de l’historien Charles Higounet (Charles
HIGOUNET, « Les artigues du Midi de la France », dans Toponymie et défrichements médiévaux et
modernes, en Europe occidentale et centrale, Auch, Comité départemental du tourisme du Gers,
1988, p. 11-33). La plupart des mentions et des analyses présentées dans cette partie en sont extraites.
3. Ibid., p. 15-17.
4. FEW, XXV, 387a, *ARTĪKA.
5. La plupart des attestations anciennes citées dans cet exposé sont tirées soit des publications
mentionnées, soit de la réédition électronique de la collection des dictionnaires topographiques de la
France réalisée par le Comité des travaux historiques et scientifiques (http://cths.fr/dico-
topo/index.php).
6. Charles HIGOUNET, « Les artigues du Midi de la France », op. cit., p. 17-19.
7. Ibid., p. 25-32.
8. FEW, III, 318a-319a, *EXSARTUM ; TLFi.
9. Robert FOSSIER, « L’essart en France du Nord : toponymie et réalité », dans Toponymie et
défrichements médiévaux et modernes, en Europe occidentale et centrale, op. cit., p. 35-42, ici p. 38.
10. Ibid., p. 40 et 42.
11. Michel TAMINE, « Microtoponymie du défrichement dans les Ardennes (première partie) »,
Nouvelle revue d’onomastique, 23-24, 1994, p. 45-100, ici p. 53-60.
12. Ibid., p. 62-63.
13. Stéphane GENDRON, Les noms de lieux en France : essai de toponymie, Paris, Errance, 2003,
p. 222.
14. Michel TAMINE, « Microtoponymie du défrichement dans les Ardennes (première partie) », op.
cit., p. 51-52.
15. Ce type de formation a fait l’objet d’une recherche détaillée présentée dans Julia ALLETSGRUBER,
« Les déverbaux de (EX)STIRPARE dans la toponymie d’oïl : essai de mise au point », Nouvelle revue
d’onomastique, 51, 2009, p. 3-16.
16. Ibid, p. 5.
17. Jean-Pierre CHAMBON, « Toponymie et grammaire historique… », op. cit.
18. Pierre-Henri BILLY, « Toponymes de défrichement : origines et motivations. Les noms de
défrichement en France », dans Toponymie et défrichements médiévaux et modernes, en Europe
occidentale et centrale, op. cit., p. 73-76.
19. FEW, II, 424a, *BODICA.
20. DMF.
21. Michel TAMINE, « Microtoponymie du défrichement dans les Ardennes (suite) », Nouvelle revue
d’onomastique, 25-26, 1995, p. 67-108, ici p. 67-73.
22. Stéphane GENDRON, Les noms de lieux en France, op. cit., p. 223.
23. 1248 selon FEW, VII, 201b, NOVALIS ; DMF.
24. FEW, VII, 201b, NOVALIS.
25. Michel TAMINE, « Microtoponymie du défrichement dans les Ardennes (suite et fin) », Nouvelle
revue d’onomastique, 29-30, 1997, p. 119-168, ici p. 119.
26. FEW, XXV, 18b, ABATTUĔRE ; TLFi.
27. FEW, XXV, 145a, ARDĒRE.
28. FEW, XXV, 147b, ARDĒRE.
29. Michel TAMINE, « Microtoponymie du défrichement dans les Ardennes (première partie) », op.
cit., p. 70-71 ; FEW, II, 874a, CŎLĂPHUS.
30. Michel TAMINE, « Microtoponymie du défrichement dans les Ardennes (première partie) », op.
cit., p. 69-71.
31. Un exemple d’analyses ne convergeant pas est présenté dans Élisabeth ZADORA-RIO,
« Archéologie et toponymie : le divorce », Les Petits Cahiers d’Anatole, 8, 2001.
32. Michel TAMINE, « Microtoponymie du défrichement dans les Ardennes (suite et fin) », op. cit.,
p. 130-131 ; DMF.
L’évolution des espaces cultivés
33. Roland BECHMANN, Des arbres et des hommes : la forêt au Moyen Âge, Paris, Flammarion, 1984.
Nous nous garderons de faire de même et renvoyons à l’ouvrage aux pages 61 à 93.
34. Jean-Pierre DEVROEY, Économie rurale et société dans l’Europe franque (VIe-XIe siècle), I,
Fondements matériels, échanges et lien social, Paris, Belin, 2003, p. 28-39 ; Gérard MOYSE, Les
origines du monachisme dans le diocèse de Besançon (Ve-Xe siècle), Paris, thèse d’archiviste-
paléographe, École nationale des chartes, 1972 p. 172-175.
35. Laurent FELLER, Paysans et seigneurs au Moyen Âge (VIIIe-XVe siècles), Paris, Armand Colin,
2007, p. 29-32.
36. Fabrice MOUTHON, Les communautés rurales en Europe au Moyen Âge : une autre histoire
politique du Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 59-60.
37. Laurent FELLER, Paysans et seigneurs au Moyen Âge, op. cit., p. 114-116.
38. Marc BLOCH, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris, Armand Colin, 1999,
p. 57.
39. Samuel LETURCQ, La vie rurale en France au Moyen Âge (Xe-XVe siècle), Paris, Armand Colin,
2004, p. 159.
40. Roland BECHMANN, Des arbres et des hommes, op. cit., p. 67.
41. Samuel LETURCQ, La vie rurale en France au Moyen Âge, op. cit., p. 159.
42. Charles HIGOUNET, Défrichements et villeneuves du Bassin parisien (XIe-XIVe siècles), Paris, CNRS
éditions, 1990. C’est à peu près la seule étude existante à ce jour établie à ce degré de détail.
43. Ibid., p. 47.
44. Élisabeth CARPENTIER et Michel LE MENÉ, La France du XIe au XVe siècle : population, société,
économie, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 157.
45. Samuel LETURCQ, La vie rurale en France au Moyen Âge, op. cit., p. 160.
46. Ibid.
47. Cartulaire de l’église Notre-Dame de Paris, édité par Benjamin Guérard, I, Paris, Crapelet, 1850,
XVI, p. 258-259, introduction p. CCVII-CCVIII ; cité dans Charles HIGOUNET, Défrichements et
villeneuves du Bassin parisien, op. cit., p. 24.
48. Élisabeth CARPENTIER et Michel LE MENÉ, La France du XIe au XVe siècle, op. cit., p. 157.
49. Sur le personnage qualifié d’entrepreneur de défrichement, voir Simone LEFEVRE, « Un
entrepreneur de défrichement au XIIe siècle : David de la Forêt », dans Paris et l’Île-de-France,
XXVIII, Paris, Imprimerie municipale, 1977, p. 77-83 ; cité dans Charles HIGOUNET, Défrichements
et villeneuves du Bassin parisien, op. cit., p. 27.
50. Archives départementales de l’Oise, H 5262, original parchemin, sans date ; cité dans Charles
HIGOUNET, Défrichements et villeneuves du Bassin parisien, op. cit., p. 44.
51. Philippe CONTAMINE, Marc BOMPAIRE, Stéphane LEBECQ et al., L’économie médiévale, Paris,
Armand Colin, 2003, p. 170.
52. Charles HIGOUNET, Défrichements et villeneuves du Bassin parisien, op. cit., p. 47.
53. SUGER, De administratione sua ; cité dans Élisabeth CARPENTIER et Michel LE MENÉ, La France
du XIe au XVe siècle, op. cit., p. 41.
54. Hélène DÉBAX, La seigneurie collective : pairs, pariers, paratge, les coseigneurs du XIe au
e
XIII siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 35. La forêt de Marly dans les Yvelines
est appelée forêt de Cruye jusqu’au XVIIIe siècle.
55. Philippe CONTAMINE, Marc BOMPAIRE, Stéphane LEBECQ et al., L’économie médiévale, op. cit.,
p. 221.
56. Pierre GRESSER, André ROBERT, Claude ROYER et al., Les Hommes et la forêt en Franche-Comté,
Paris, Bonneton, 1990, p. 62 ; Élisabeth CARRY RENAUD, L’homme et la forêt dans la haute vallée du
Doubs à la fin du Moyen Âge : modalités et paradoxes d’une anthropisation tardive, thèse, Besançon,
Université de Franche-Comté, 2011, p. 365-366.
57. Noël COULET, Aix-en-Provence : espace et relations d’une capitale (milieu XIVe s.-milieu XVe s.),
Aix-en-Provence, Université de Provence, 1988, p. 213-219.
58. Élisabeth CARPENTIER et Michel LE MENÉ, La France du XIe au XVe siècle, op. cit., p. 409-413.
59. Philippe CONTAMINE, Marc BOMPAIRE, Stéphane LEBECQ et al., L’économie médiévale, op. cit.,
p. 388. Un journal correspond à ce qui peut être labouré en une journée.
60. Dans Georges DUBY et Armand WALLON (dir.), Histoire de la France rurale, 1, Des origines à
1340, Paris, Éditions du Seuil, 1975, p. 466.
61. Ibid., p. 469.
Brûler pour produire
62. Xavier ROCHEL, Gestion forestière et paysages dans les Vosges d’après les registres de
martelages du XVIIIe siècle : essai de biogéographie historique, thèse de doctorat, université de
Nancy-II, 2004, p. 7 et 15-16.
63. Ibid., p. 81-98.
64. Georges DEMEUFVE, « La céramique ancienne de la région Lorraine », Le Pays lorrain, 1, 1932,
p. 241-254 ; Maurice DAUMAS, Histoire générale des techniques, Paris, Presses universitaires de
France, 1996, p. 508-509.
65. « Archéologie expérimentale autour d’un four de potier du Moyen Âge dans le Loiret », INRAP,
25 janvier 2011, https://www.inrap.fr/archeologie-experimentale-autour-d-un-four-de-potier-du-
moyen-age-dans-le-loiret-1220.
66. Nathalie DAUTREMONT, André JANOT, Isabelle BOURGER et al., « Un four de potier du bas Moyen
Âge au Pontiffroy (Metz) », Les Cahiers lorrains, 2, 1988, p. 217-225.
67. Charles HIEGEL, « Le sel en Lorraine du VIIIe au XIIIe siècle », Annales de l’Est, 1, 1981, p. 3-48.
68. ID., « L’industrie du sel en Lorraine du IXe au début du XVIIe siècle », thèse d’archiviste-
paléographe, École nationale des chartes, Paris, 1961, p. 22.
69. ID., « Le sel en Lorraine du VIIIe au XIIIe siècle », op. cit.
70. ID., « Les nouvelles salines du Saulnois aux XIIIe et XIVe siècles », Annuaire de la Société
d’histoire et d’archéologie lorraine, 80, 1980, p. 51-67.
71. Robin DEGRON, « Historique de la forêt du Romersberg : une forêt de Lorraine sous l’emprise des
salines », Revue forestière française, 5, 1995, p. 590-597.
72. Olivier PETIT, « L’or blanc du Saulnois : l’exploitation du sel dans la haute vallée de la Seille
(VIIIe-XVe siècles) », Citadelle. Un autre regard sur le Moyen Âge, 12, 2006,
http://old.citadelle.org/magazine-12-130-L’or-blanc-du-Saulnois.cfm.
73. Philippe JÉHIN, « Verriers et forêts sous l’Ancien Régime en Alsace », Actes du Cresat, 7, 2010,
p. 1.
74. Guy-Jean MICHEL, Verriers et verreries en Franche-Comté au XVIIIe siècle, volume 1, Paris, Erti
éditions, 1989, p. 174.
75. Les chiffres peuvent varier en fonction de la taille et de l’activité des fours, mais la
consommation journalière de 30 cordes lorraines, soit 90 stères, évoquée par Gabriel Ladaique
(Gabriel LADAIQUE, « Verrières et verreries de 1369 à 1789 », dans Jean-François MICHEL [dir.], La
forêt de Darney : des arbres et des hommes, Langres, D. Guéniot, 2009, p. 202) semble une
estimation haute par rapport aux autres exemples contemporains : un four verrier aurait ainsi
consommé 40 à 60 stères par jour en Provence (Michel WANNEROY, « Les de Ferry, gentilshommes et
maîtres-verriers face à l’évolution de l’artisanat et de la demande de verre », Provence historique,
234, 2008, p. 381) ; le four reconstitué par Eva Van Eeckhout-Bartova sur l’archéosite de Blangy-sur-
Bresle consomme 25 à 27 m3 de bois pour cinquante heures de chauffe (Eva VAN EECKHOUT-
BARTOVA, « L’art du verrier », Histoire et images médiévales, 4, 2006, p. 44).
76. Germaine ROSE-VILLEQUEY, Verre et verriers de Lorraine au début des Temps modernes (de la fin
du XVe au début du XVIIe siècle), Paris, Presses universitaires de France, 1971, p. 79.
77. Jacqueline DU PASQUIER, Histoire du verre, II, Le Moyen Âge, Paris, Massin, 2005, p. 112.
78. Paul RODIER, Les verreries des hautes forêts de Darney, Épinal, H. Fricotel, 1909, p. 18.
79. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, B 523/301.
80. Paul RODIER, Les verreries des hautes forêts de Darney, op. cit., p. 6-8.
81. François JANNIN, « Fouilles des ateliers de verrerie de Perupt, La Chévrie, Parfonrup », Éditions
du Centre d’études argonnais, 1980 (D2), p. 5-46.
82. D’après Paul RODIER, Les verreries des hautes forêts de Darney, op. cit., p. 11 et Eva MENDGEN,
« La production en verre et en cristal », GR-ATLAS, 2008, http://gr-
atlas.uni.lu/index.php/fr/articles/wi55/gl103.
83. Koichi HORIKOSHI, L’Industrie du fer en Lorraine (XIIe-XVIIe siècles), Langres, D. Guéniot, 2007.
84. Cette technique est encore pratiquée par l’association « Les Charbonniers du Fleckenstein ». Leur
site en présente une belle explication, abondamment et utilement illustrée :
http://charbonniers.fr/histoire/une-technique-ancestrale).
85. Archives départementales des Vosges, G 233, fol. 120 et sq.
86. Guillaume de ROGÉVILLE, Dictionnaire historique des ordonnances, et des tribunaux de la
Lorraine et du Barrois, II, Nancy, Veuve Leclerc, 1777, p. 524, http://pulsar-bu.univ-
lorraine.fr/items/show/27.
87. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, G 419.
88. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, G 337.
89. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, H 3023.
90. Bibliothèque nationale de France, Coll. Lorraine, XLVIII, fol. 70, et III, fol. 36-45.
91. Ordonnances des roys de France de la troisième race, II, Ordonnances du roy Philippe de Valois
et celles du roy Jean jusqu’au commencement de l’année 1355, édité par E. de Laurière, Paris,
Imprimerie royale, 1729, p. 244-249 ; http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k118158p/f269.image.
92. Guillaume de ROGÉVILLE, Dictionnaire historique des ordonnances…, op. cit., p. 524.
L’exemple du sel en Franche-Comté
93. Claude-Isabelle BRELOT et René LOCATELLI, Un millénaire d’exploitation du sel en Franche-
Comté : contribution à l’archéologie industrielle des salines de Salins, Jura, Besançon, CRDP, 1981,
p. 8.
94. Olivier WELLER, Alexa DUFRAISSE et Pierre PÉTREQUIN (éd.), Sel, eau et forêt : d’hier à
aujourd’hui, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2008.
95. Max PRINET, L’industrie du sel en Franche-Comté avant la conquête française, Besançon,
Dodivers, 1900, p. 182.
96. Émilie GAUTHIER, Forêts et agriculteurs du Jura : les quatre derniers millénaires, Besançon,
Presses universitaires franc-comtoises, 2004, p. 99-118.
97. René LOCATELLI, Denis BRUN et Henri DUBOIS, Les salines de Salins au XIIIe siècle : cartulaires et
livre des rentiers, Besançon, université de Besançon, 1991, p. 28-33.
98. Ibid., p. 44.
99. Claude-Isabelle BRELOT et René LOCATELLI, Un millénaire d’exploitation du sel en Franche-
Comté, op. cit., p. 38-39 ; Philippe de VIGNEULLES, Relation d’un voyage de Metz à Saint-Claude
(Jura) aller et retour, et d’une visite à la Grande-Saunerie de Salins, 1512.
100. Max PRINET, L’industrie du sel en Franche-Comté avant la conquête française, op. cit., p. 172.
101. Georges PLAISANCE, « Salins, ses salines et ses bois », Le Barbizier, almanach populaire
comtois, 1952, p. 38-47.
102. Martine TOUBIN, Le conseil de délibération de la Grande Saunerie de Salins de 1466 à 1468,
mémoire de maîtrise, Besançon, Université de Franche-Comté, 1989.
103. Max PRINET, L’industrie du sel en Franche-Comté avant la conquête française, op. cit., p. 185-
187.
104. Catherine BÉBÉAR et Henri DUBOIS (éd.), Le livre des délibérations de la Grande Saunerie de
Salins (1466-1481), Ostfildern, Thorbecke, 2004, p. 24.
105. Archives départementales du Doubs, 1B 2107 ; cité dans Frédéric DAME, L’approvisionnement
en bois de la Grande Saunerie de Salins (XVe-début XVIe siècle), mémoire de maîtrise, Besançon,
Université de Franche-Comté, 1996.
106. Max PRINET, L’industrie du sel en Franche-Comté avant la conquête française, op. cit., p. 180.
107. Frédéric DAME, L’approvisionnement en bois de la Grande Saunerie de Salins, op. cit.
108. Ibid.
109. Archives départementales du Doubs, 1B239 ; cité dans Frédéric DAME, L’approvisionnement en
bois de la Grande Saunerie de Salins, op. cit.
110. Lucien TURC, « Sylviculture et paysages forestiers de la Franche-Comté médiévale », Nouvelle
revue franc-comtoise, 4, 1954, p. 201-210.
111. ID., « L’approvisionnement en bois de la saunerie de Salins », dans Procès-verbaux et mémoires
de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Besançon, 1947-1956, p. 150-172.
112. Archives départementales du Doubs, 1B 238 ; cité dans Frédéric DAME, L’approvisionnement en
bois de la Grande Saunerie de Salins, op. cit.
113. Henri DUBOIS, « L’activité de la saunerie de Salins au XVe siècle d’après le compte de 1459 », Le
Moyen Âge, LXX, 1, 1964, p. 419-471.
114. Archives départementales du Doubs, 1B207 ; cité dans Frédéric DAME, L’approvisionnement en
bois de la Grande Saunerie de Salins, op. cit.
115. Archives départementales du Doubs, 1B188, conseil du 10 janvier 1491.
116. Frédéric DAME, L’approvisionnement en bois de la Grande Saunerie de Salins, op. cit.
117. Ibid.
Chapitre 4 :
Forêts gérées, forêts préservées
Des chartes de franchises aux ordonnances forestières : droits et obligations des communautés
1. Charles-Edmond PERRIN, « Les chartes de franchises de la France. État des recherches : le
Dauphiné et la Savoie », Revue historique, 231, 1964, p. 34.
2. Claire BILLEN et Jacques NAZET « Pouvoir et liberté dans les chartes de franchises rurales : une
remise en question », dans Henri TRAUFFLER (éd.), Le pouvoir et les libertés en Lotharingie
médiévale, Luxembourg, Section historique de l’Institut grand-ducal de Luxembourg, 1998, p. 13-36.
3. Léo VERRIEST, « À qui ont bénéficié les “chartes-lois” du Moyen Âge ? », Revue d’histoire du
droit, 5, 1924, p. 432-444 ; ID., Institutions médiévales : introduction au corpus des records de
coutumes et des lois de chefs-lieux de l’ancien comté de Hainaut, I, Mons-Frameries, Union des
imprimeries, 1946, p. 219-237.
4. Léopold GENICOT, « Le servage dans les chartes-lois de Guillaume II, comte de Namur (1391-
1418) », Revue belge de philologie et d’histoire, 24, 1945, p. 97-99 ; ID., « Les institutions d’Europe
occidentale au Moyen Âge », Revue belge de philologie et d’histoire, 26, 1948, p. 737-739 ; Jacques
NAZET, « La condition des serfs dans les chartes-lois du comté de Hainaut (XIIe-XIVe siècles) », dans
Contributions à l’histoire économique et sociale, VI, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, 1970-
1971, p. 83-103.
5. Fernand VERCAUTEREN, « Les libertés urbaines et rurales du XIe au XIVe siècle », dans Les libertés
urbaines et rurales du XIe au XIVe siècle, Bruxelles, Pro Civitate, 1968, p. 14 – article reproduit dans
ID., Études d’histoire médiévale, Bruxelles, Pro Civitate, 1978, p. 329-341.
6. Jean-Marie CAUCHIES, « Libertés et liberté. Des franchises médiévales aux idéologies
contemporaines », dans Gaston BRAIVE et Jean-Marie CAUCHIES (dir.), La critique historique à
l’épreuve : liber discipulorum Jacques Paquet, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires
Saint-Louis, 1989, p. 149-173 ; Jean-Marie CAUCHIES, « “Liberté de quoi ?” Libertas, Libertates : le
singulier et le pluriel dans les chartes de franchises de l’espace médiéval belge », dans Henri
TRAUFFLER (éd.), Le pouvoir et les libertés en Lotharingie médiévale, op. cit., p. 151-164.
7. Pierre VAILLANT, Les libertés des communautés dauphinoises (des origines au 5 janvier 1355),
Paris, Recueil Sirey, 1951 ; Charles-Edmond PERRIN, « Les chartes de franchises de la France… »,
op. cit., p. 40-41 et 43.
8. Robert FOSSIER (éd.), Chartes de coutume en Picardie (XIe-XIIIe siècle), Paris, Bibliothèque
nationale, 1974, p. 69.
9. Maurice PROU, Les Coutumes de Lorris et leur propagation aux XIIe et XIIIe siècles, Paris, Larose et
Forcel, 1884, p. 33 et 139.
10. Jean-Marie CAUCHIES et Françoise THOMAS (dir.), Chartes-lois en Hainaut (XIIe-XIVe siècle) :
édition et traduction, Mons, 2005, p. 417, 23°.
11. Hubert COLLIN, « La charte de Beaumont en Argonne (1182) », Revue historique ardennaise, 12,
1977, p. 125-141, ici p. 134, art. VIII.
12. Alain GIRARDOT, « La détérioration des libertés de Beaumont : le cas lorrain, des origines à
1350 », dans La charte de Beaumont et les franchises municipales entre Loire et Rhin, Nancy,
Presses universitaires de Nancy, 1988, p. 158.
13. Gérard SIVÉRY, Structures agraires et vie rurale dans le Hainaut à la fin du Moyen Âge,
Villeneuve-d’Ascq, Publications de l’université de Lille-III, I, 1977, p. 80-89 ; Jean-Marie CAUCHIES,
« Les chartes-lois dans le comté de Hainaut (XIIe-XIVe siècle) : essai de bilan », dans La charte de
Beaumont et les franchises municipales entre Loire et Rhin, op. cit., p. 188-189.
14. Reprise synthétique des développements d’une précédente étude : Jean-Marie YANTE, « Chartes
de franchises et droits forestiers (XIIIe-XIVe siècles). Luxembourg, Namur, Liège, Hainaut », dans
Michel PAULY et Hérold PETTIAU (dir.), Der Wald im mittelalterlichen Lotharingien – La forêt en
Lotharingie médiévale, Luxembourg, Section historique de l'Institut grand-ducal de Luxembourg,
2016, p. 303-308. Tous les textes mis en œuvre sont édités dans Jean-Marie CAUCHIES et Françoise
THOMAS (dir.), Chartes-lois en Hainaut…, op. cit. La plupart des localités mentionnées appartiennent
au département français du Nord.
15. Roland BECHMANN, Des arbres et des hommes, la forêt au Moyen Âge, Paris, Flammarion, 1984,
p. 48-50.
16. Ainsi en est-il dans le duché de Luxembourg, dont certaines parties sont cédées à la France par le
traité des Pyrénées en 1659. Voir Marcel BOURGUIGNON, « Les droits d’usage dans le Luxembourg »,
dans ID., L’ère du fer en Luxembourg (XVe-XIXe siècles) : études relatives à l’ancienne sidérurgie et à
d’autres industries au Luxembourg, Luxembourg-Arlon, Les Amis de l’Histoire-Institut
archéologique du Luxembourg, 1999, p. 67 (réédition d’un texte de 1948).
17. Édouard BONVALOT, Le Tiers-État d’après la charte de Beaumont et ses filiales, Paris-Nancy,
Picard-Sidot frères, 1884, p. 253-257.
18. Nicolas VAN WERVEKE, « La loi de Beaumont d’après un manuscrit de 1589, venant de
Montmédy », Publications de la Section historique de l’Institut grand-ducal de Luxembourg, 52/2,
1911, p. 249-303.
19. Ibid., p. 256-257, 261, 268, 271-273, 275 et 279.
20. Michel DEVÈZE, La vie de la forêt française au XVIe siècle, Paris, s.E.V.P.E.N., p. 382.
21. Ibid., II, p. 30 et 75-93. Des rapprochements s’imposent avec les législations édictées dans
d’autres régions. Voir notamment Jean-Marie YANTE, « La législation forestière en Luxembourg. Des
règlements particuliers des XVe-XVIe siècles à l’ordonnance des Archiducs (1617) », dans Georges
MARTYN (dir.), Recht en wet tijdens het ancien régime – Le droit et la loi pendant l’Ancien Régime,
Bruxelles, Archives générales du Royaume, 2014, p. 97-109 ; Jean-Marie YANTE, « Ordonnances et
règlements pour les forêts princières luxembourgeoises (1495-1604) », Bulletin de la Commission
royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de Belgique, 54, 2013, p. 15-63.
Gestion et conservation des forêts lorraines
22. Charles GUYOT, Les forêts lorraines jusqu’en 1789, Nancy, Crépin-Leblond, 1886.
23. François LORMANT, « Du bois au charbon dans les salines lorraines, de la fin du XVIIIe siècle au
début du XIXe siècle », dans Maurice HAMON (dir.), Le Travail avant la révolution industrielle, Paris,
Comité des travaux historiques et scientifiques, 2006, p. 359-369.
24. Germaine ROSE-VILLEQUEY, Verre et verriers de Lorraine au début des Temps modernes, op. cit.
25. Charles GUYOT, Les forêts lorraines jusqu’en 1789, op. cit.
26. Ibid.
27. Gustave HUFFEL, Histoire des forêts françaises, de l’origine jusqu’à la suppression des maîtrises
des Eaux et Forêts, Nancy, École nationale des eaux et forêts, 1925.
28. Charles GUYOT, Les forêts lorraines jusqu’en 1789, op. cit.
29. Ibid.
30. Ibid.
31. Ibid.
32. Ibid.
33. Antoine de MAHUET, Biographie de la Chambre des comptes de Lorraine, Nancy, Charles
Poncelet libraire, 1914.
34. Ordonnance disponible en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k118158p/f269.item.
Un grand office des forêts dans le comté de Bourgogne
35. Pierre GRESSER, La gruerie du comté de Bourgogne aux XIVe et XVe siècles, Turnhout, Brepols,
2004.
36. Jean RICHARD, « Les institutions ducales dans le duché de Bourgogne », dans Ferdinand LOT et
Robert FAWTIER (dir.), Histoire des institutions françaises au Moyen Âge, I, Institutions
seigneuriales : les droits du Roi exercés par le Roi, Paris, Presses universitaires de France, 1957,
p. 242.
37. Frédéric AMBLARD, « La gruerie du duché de Bourgogne au temps de Geoffroy de Blaisy (1352-
1360) », dans Mémoires de la Société pour l’Histoire du Droit et des Institutions des anciens pays
bourguignons, comtois et romands, XLIV, 1987, p. 120-146.
38. Pierre GRESSER, « Les conséquences administratives, pour le domaine comtal, de la conquête du
comté de Bourgogne par Louis XI », dans Mémoires de la Société pour l’Histoire du Droit et des
Institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, LIV, 1997, p. 59-87. ID., « Les
conséquences financières, pour le domaine comtal, de la conquête du comté de Bourgogne par
Louis XI », dans Jean KERHERVÉ et Albert RIGAUDIÈRE (dir.), Finances, pouvoirs et mémoire :
mélanges offerts à Jean Favier, Paris, Fayard, 1999, p. 397-411.
39. Frédéric AMBLARD, « La gruerie du duché de Bourgogne au temps de Geoffroy de Blaisy (1352-
1360) », op. cit.
40. Pierre GRESSER, « Les donations de bois en Franche-Comté sous Marguerite de France (1361-
1382) », dans Mémoires de la Société pour l’Histoire du Droit et des Institutions des anciens pays
bourguignons, comtois et romands, LVI, 1999, p. 63-105.
41. Frédéric DAME, L’approvisionnement en bois de la Grande Saunerie de Salins, XVe-début XVIe,
mémoire de maîtrise, Besançon, 1996 ; Patricia GUYARD, Les forêts des salines : gestion forestière et
approvisionnement en bois des salines de Salins au XVIe siècle, 2 vol., Besançon, Association des
amis des archives de Franche-Comté, 2013.
42. Pierre GRESSER, « Nature et montant des recettes forestières du comté de Bourgogne au
e
XIV siècle, d’après les comptes de gruerie », dans Andrée CORVOL (éd.), Les forêts d’Occident du
Moyen Âge à nos jours, op. cit., p. 13-38.
Braconniers et voleurs de bois, les mesusants forestiers
43. Gisèle DAVID, « La forêt dans les chartes de franchises du comté de Bourgogne aux XIIIe, XIVe et
e
XV siècles », Mémoires de la Société pour l’Histoire du Droit et des Institutions des anciens pays
bourguignons, comtois et romands, LXVII, 2010, p. 21-47.
44. Pierre GRESSER, Pêche et pisciculture dans les eaux princières en Franche-Comté aux XIVe et
e e e
XV siècles, Turnhout, Brepols, 2008 ; ID., La pêche en Franche-Comté aux XIII -XV siècles : de l’eau
à la bouche, Besançon, Cêtre, 2010.
45. ID., « À propos de quelque 1 427 mesusants : problématique de l’étude des délits forestiers
d’après les comptes de la gruerie du comté de Bourgogne aux XIVe et XVe siècles », Publications du
Centre universitaire d’études régionales, 5, 1986, p. 27-154.
46. ID., « Une pratique méconnue : la “cerche” du bois dans le comté de Bourgogne aux XIVe et
e
XV siècles », dans Jean-Pierre CHABIN (dir.), La forêt dans tous ses états : de la préhistoire à nos
jours, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2005, p. 95-115.
47. ID., « Des “mesusants” et “mesus” méconnus : les pyromanes forestiers et les arbres incendiés
dans le comté de Bourgogne aux XIVe et XVe siècles (1re partie) », Mémoires de la Société pour
l’Histoire du Droit et des Institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, LXI,
2004, p. 39-75 ; ID., 2e partie, suite et fin, Mémoires de la Société pour l’Histoire du Droit et des
Institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, LXIII, 2006, p. 77-103.
48. ID., « Nature et montant des recettes forestières du comté de Bourgogne au XIVe siècle, d’après les
comptes de gruerie », op. cit.
TROISIÈME PARTIE :
FORÊTS DE PLAINE ET
DE MONTAGNE
Chapitre 1 : À l’Ouest,
des ressources forestières diversifiées
1. Annie ANTOINE, « D’un espace ouvert à un espace poreux. Bocage et élevage dans la France de
l’Ouest du Moyen Âge au début du XIXe siècle », dans Annie ANTOINE et Dominique MARGUERIE
(dir.), Bocages et sociétés, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 189.
2. Louis LANIER, Précis de sylviculture, Nancy, École nationale du génie rural, des eaux et des forêts,
1994, p. 457.
3. Magali WATTEAUX, « Sous le bocage, le parcellaire… », Études rurales, 175-176, 2005, p. 65.
4. Daniel PICHOT, « Images du paysage : les bords de la Vilaine au XVIe siècle », Mémoires de la
Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, LXXVIII, 2000, p. 276.
5. Magali WATTEAUX, « Sous le bocage, le parcellaire… », op. cit., p. 62.
6. Daniel PICHOT, Le village éclaté : habitat et société dans les campagnes de l’Ouest au Moyen Âge,
Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 250 ; Magali WATTEAUX, « Sous le bocage, le
parcellaire… », op. cit., p. 65.
7. Daniel PICHOT, Le village éclaté, op. cit., p. 253-254 ; Élisabeth ZADORA-RIO, « De la haie au
bocage : quelques remarques sur l’Anjou », dans Laurent FELLER, Perrine MANE et Françoise
PIPONNIER (dir.), Le village médiéval et son environnement : études offertes à Jean-Marie Pesez,
Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 681-682 ; Jean-Claude MEURET, Peuplement, pouvoir et
paysage sur la marche Anjou-Bretagne : des origines au Moyen Âge, Laval, Société d’archéologie et
d’histoire de la Mayenne, 1993, p. 443-460.
8. Daniel PICHOT, Le village éclaté, op. cit., p. 257.
9. Archives départementales de Loire-Atlantique, B 2451, Comptabilité des domaines, domaine de
Saint-Aubin-du-Cormier (1392-1412).
10. Daniel PICHOT, « Paysage et société féodale dans l’Ouest de la France », dans Annie ANTOINE et
Dominique MARGUERIE (dir.), Bocages et sociétés, op. cit., p. 266-267 ; Élisabeth ZADORA-RIO, « De
la haie au bocage… », op. cit., p. 671.
11. Magali WATTEAUX, « Sous le bocage, le parcellaire… », op. cit., p. 62.
12. Ibid., p. 62-66.
13. Magali WATTEAUX, « Le bocage : un paysage agraire surdéterminé pour les archéologues et les
médiévistes », dans Annie ANTOINE et Dominique MARGUERIE (dir.), Bocages et sociétés, op. cit.,
p. 122. Voir également Magali WATTEAUX, « Sous le bocage, le parcellaire… », op. cit., p. 66-68.
14. Charles PETIT-DUTAILLIS, « De la signification du mot “forêt” à l’époque franque. Examen
critique d’une position allemande sur la transition de la propriété collective à la propriété privée »,
Bibliothèque de l’École des chartes, 76, 1915, p. 124-125.
15. Ibid., p. 147.
16. Ibid., p. 143-149.
17. Vincent BERNARD, Frédéric ÉPAUD et Yannick LE DIGOL, « Bois de haie, bois de bocage, bois
d’architecture », dans Annie ANTOINE et Dominique MARGUERIE (dir.), Bocages et sociétés, op. cit.,
p. 213-230.
18. Olivier RACKHAM, Ancient Woodland: Its History, Vegetation and Uses in England, s.l.,
Castlepoint Press, 2003.
19. Alvaro ARAGON RUANO, El bosque guipuzcoano en la Edad moderna : aprovechamiento,
ordenamiento legal y conflictividad, Saint-Sébastien, Sociedad de Ciencias Aranzadi, 2001 ; Pierre
BALIE, « Les forêts de chênes têtards du Pays Basque », Revue des Eaux et Forêts, octobre 1933,
p. 745-754 ; novembre 1933, p. 825-833 ; décembre 1933, p. 905-915.
20. Ingvild AUSTAD, « Wooded Pastures in Western Norway: History, Ecology, Dynamics, and
Management », dans Maurizio G. PALOETTI, Wilhelm FOISSNER et David COLEMAN (dir.), Soil Biota,
Nutrient Cycling, and Farming Systems, Boca Raton (Floride), Lewis Publishers, 1993, p. 93-205.
21. Vincent BERNARD, Frédéric ÉPAUD et Yannick LE DIGOL, « Bois de haie, bois de bocage, bois
d’architecture », op. cit., p. 214-216 ; Frédéric GUIBAL, « Aspects de la dendrochronologie des
habitations seigneuriales de Bretagne », dans Tony HACKENS, Claudine TILL et André-Valentin
MUNAUT (dir.), Wood and archæology, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1988, p. 85-97 ; Sylvain
RENAUDIN, Les émondes de Haute-Bretagne : étude dendrologique du chêne et perspectives
archéologiques, mémoire de DEA, Rennes, université de Nantes-université de Rennes-I, 1996 ;
Pierre-Nicolas REY, Les arbres têtards : une pratique agroforestière remontant au Néolithique ?
Approche morpho-anatomique et isotopique intégrée du bois de frêne sur référentiel actuel et
charbons archéologiques, mémoire de master 2, Paris, Museum national d’histoire naturelle, 2018.
22. Marie-Dominique MENANT, « Distribution et aménagement », dans Claude MIGNOT et Monique
CHATENET (dir.), Le Manoir en Bretagne (1380-1600), Paris, Imprimerie nationale-Inventaire général,
1993, p. 70-101.
23. Jean-Jacques RIOULT, « Le château de La Roche-Jagu », dans Yves GALLET, François HEBER-
SUFFRIN et Éliane VERGNOLLE (dir.), Côtes-d’Armor : le beau Moyen Âge, Paris, Société française
d’archéologie, 2017, p. 131-155.
24. Frédéric ÉPAUD, De la charpente romane à la charpente gothique en Normandie, op. cit.
25. André BILLAMBOZ, « Tree-Ring Analysis in Archaeodendrological Perspective. The Structural
Timber from the South West German Lake Dwellings », dans Thomas s. BARTHOLIN, Björn
E. BERGLUND, Dieter ECKSTEIN et al. (dir.), Tree-Ring and Environnement, Lund (Suède), Lund
University, 1992, p. 34-40 ; Claire DELHON, Lucie MARTIN, Jacqueline ARGANT et al., « Shepherds
and Plants in the Alps: Multi-Proxy Archaeobotanical Analysis of Neolithic Dung from “La Grande
Rivoire” (Isère, France) », Journal of Archaeological Science, XXXV, 11, 2008, p. 2937-2952 ; Lucie
MARTIN et Stéphanie THIÉBAULT, « L’if (Taxus baccata L.) : histoire et usage d’un arbre durant la
préhistoire récente. L’exemple du domaine alpin et circum-alpin », dans Claire DELHON, Isabelle
THERY-PARISOT et Stéphanie THIEBAULT, Des hommes et des plantes : exploitation et gestion des
ressources végétales de la préhistoire à nos jours, Antibes, Éditions APDCA, 2010, p. 3-19 ; Dagfinn
MOE et Oliver RACKHAM, « Pollarding and a Possible Explanation of the Neolithic Elmfall »,
Vegetation History and Archaeobotany, I, 2, 1992, p. 63-68 ; Peter RASMUSSEN, « Pollarding of Trees
in the Neolithic: Often Presumed – Difficult to Prove », dans David E. ROBINSON (dir.).
Experimentation and Reconstruction in Environmental Archaeology, Oxford, Oxbow Books, 1990,
p. 77-98 ; Stéphanie THIÉBAULT, « Le contrôle des ressources dans les stratégies de pouvoirs. Les
ressources végétales : le cas du fourrage d’arbre dans les grottes bergerie », dans Le Contrôle des
ressources dans les stratégies de pouvoir, Nanterre, Cahier des thèmes transversaux ArScan, 2003,
p. 27-28.
26. Vincent BERNARD, Frédéric ÉPAUD et Yannick LE DIGOL, « Bois de haie, bois de bocage, bois
d’architecture », op. cit., p. 213-230.
27. Vincent BERNARD, « Étude des objets en bois », dans Laurent BEUCHET, Naissance et évolution
d’un quartier de Rennes, de l’Antiquité tardive à 1944, III, rapport de fouille, Rennes, INRAP,, 2017,
p. 134-267.
28. Vincent BERNARD, Frédéric ÉPAUD et Yannick LE DIGOL, « Bois de haie, bois de bocage, bois
d’architecture », op. cit., p. 213-230
29. Annie ANTOINE, Le paysage de l’historien : archéologie des bocages de l’Ouest de la France à
l’époque moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002 ; ID., « D’un espace ouvert à un
espace poreux… », op. cit., p. 185-200.
30. Vincent BERNARD, Frédéric ÉPAUD et Yannick LE DIGOL, « Bois de haie, bois de bocage, bois
d’architecture », op. cit., p. 213-230.
31. Corentin OLIVIER, La charpente comme vecteur de diffusion du gothique (XIIe-XVIIe siècles) en
Bretagne et ses marges ? Entre innovation, archaïsme, symbolisme et déterminisme environnemental,
thèse de doctorat, Le Mans, université du Mans, en préparation ; Vincent BERNARD, Yann COUTURIER,
Yannick LE DIGOL et al., « Production de bois d’œuvre et pratiques sylvicoles entre forêt et bocage :
dendro-archéologie des charpentes du territoire de Sainte-Suzanne (XIIe-XVIIIe siècle) », dans Christian
DAVY et Nicolas FOISNEAU (dir.), Sainte-Suzanne : un territoire remarquable en Mayenne, Nantes,
Éditions 303, 2014, p. 243-257.
32. Cyrille BILLARD et Vincent BERNARD (dir.), Pêcheries de Normandie : archéologie et histoire des
pêcheries littorales du département de la Manche, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.
33. Vincent BERNARD, Yann COUTURIER, Yannick LE DIGOL et al., « Production de bois d’œuvre et
pratiques sylvicoles entre forêt et bocage… », op. cit.
34. Dominique MARGUERIE et Jean-Charles OILLIC, « Pollens et haies du bocage dans le nord-ouest de
la France », dans Annie ANTOINE et Dominique MARGUERIE (dir.), Bocages et sociétés…, op. cit.,
p. 117.
35. Aurélie REINBOLD, Dynamiques de la végétation et structuration des paysages : étude
interdisciplinaire des paysages agropastoraux des campagnes médiévales du nord de la Haute-
Bretagne (XIe-XVIe s.), thèse de doctorat, Rennes, Université Rennes-II, 2017, p. 199-201.
36. Ibid., p. 191-192.
37. Michel LE MENÉ, L’économie médiévale, Paris, Presses universitaires de France, 2000 ; Philippe
BONNET et Jean-Jacques RIOULT. Bretagne gothique : l’architecture religieuse, Paris, Picard, 2010,
p. 3.
38. Gaëlle JACQUET-CAVALLI, « Les forêts tourangelles au Moyen Âge d’après les sources écrites »,
dans Élisabeth ZADORA-RIO (dir.), Atlas archéologique de Touraine, 53e supplément à la Revue
archéologique du Centre de la France, 2014.
39. François DUCEPPE-LAMARRE, Chasse et pâturage dans les forêts du nord de la France, op. cit.
40. Gaëlle JACQUET-CAVALLI, La forêt en Val-de-Loire aux périodes préindustrielles, histoire,
morphologie, archéologie, dendrologie : l’exemple de l’Indre-et-Loire (XIe-XVIe siècles), thèse de
doctorat, Tours, université François-Rabelais, 2003.
41. Daniel PICHOT, Le village éclaté, op. cit., p. 94-104 ; Julien BACHELIER, Villes et villages de
Haute-Bretagne : les réseaux de peuplement (XIe-XIIIe siècles), thèse de doctorat, Rennes, université
Rennes-II, 2013, p. 174, 262 et 502-503.
42. Jean-François BELHOSTE et Jean-Philippe BOUVET, « La sidérurgie avant le haut fourneau, de l’an
mil à la fin du XVe siècle », dans Jean-François BELHOSTE et Évelyne ROBINEAU (dir.), La métallurgie
du Maine : de l’âge du fer au milieu du XXe siècle, Paris, Éditions du Patrimoine, 2003, p. 45-55 ;
Vincent BERNARD, Yann COUTURIER, Yannick LE DIGOL et al., « Production de bois d’œuvre et
pratiques sylvicoles entre forêt et bocage… », op. cit.
43. Jean-Charles OILLIC, Végétation, peuplement, métallurgie en Brocéliande : étude
interdisciplinaire de la forêt de Paimpont (Bretagne, France) depuis la fin du Tardiglaciaire, thèse de
doctorat, Rennes, université Rennes-I, 2011.
44. Ibid.
45. Vincent BERNARD et Loïc LANGOUËT, « Early Middle Ages Fishweirs, Dendrochronology and
Wood Supply in Western France: The Case of the Léguer Estuary (Servel-Lannion, Northern
Brittany, France) », Journal of Wetland Archaeology, XIV, 1, 2014, p. 34-47.
46. Bernard RIO, L’arbre philosophal, Lausanne, L’Âge d’homme, 2001, p. 79.
47. Aidan O’SULLIVAN, « Place, Memory and Identity Among Estuarine Fishing Communities:
Interpreting Archaeology of Early Medieval Fish Weirs », World Archaeology, XXXV, 3, 2003,
p. 449-468.
48. Vincent BERNARD, Frédéric ÉPAUD et Yannick LE DIGOL, « Le bois : de la forêt au chantier », dans
Frédéric ÉPAUD, De la charpente romane à la charpente gothique en Normandie, op. cit., p. 9-46.
49. Ibid., p. 30.
50. Ibid., p. 9-46.
51. Cyrille BILLARD et Vincent BERNARD (dir.), Pêcheries de Normandie, op. cit.
Chapitre 2 :
Les contrées méridionales
Forêts méditerranéennes
1. Jean-Denis VIGNE et Daniel HELMER, « Nouvelles analyses sur les débuts de l’élevage dans le
centre et l’ouest méditerranéen », dans Jean VAQUER (dir.), Le Néolithique du Nord-Ouest
méditerranéen, Paris, Société préhistorique française, 1999, p. 126-146.
2. Aline DURAND, « À la recherche du paysage médiéval », dans Benoît CURSENTE et Mireille
MOUSNIER (dir.), Les territoires du médiéviste, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005,
p. 363-379.
3. Aline DURAND, « Les milieux naturels autour de l’an mil : approches paléo-environnementales
méditerranéennes », dans Pierre BONNASSIE et Pierre TOUBERT (éd.), Hommes et sociétés dans
l’Europe de l’an mil, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2004, p. 73-100.
4. Hélène TRIAT-LAVAL, « Pollenanalyse de sédiments quaternaires récents du pourtour de l’étang de
Berre », Ecologia mediterranea, nº 8, 1982, p. 97-115.
5. Valérie ANDRIEU-PONEL, Philippe PONEL, Hélène BRUNETON et al., « Palaeoenvironments and
Cultural Landscapes of the Last 2000 Years Reconstructed From Pollen and Coleopteran Records in
the Lower Rhône Valley, Southern France », The Holocene, X, 3, 2000, p. 341-355.
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18. Denis FURESTIER, « Les radeliers de la Durance », art. cit.
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26. Martine CHALVET, « Paysages et conflits en Provence (fin XVIIIe siècle-début XIXe siècle) », Rives
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28. Ibid.
29. Georges KUHNHOLTZ-LORDAT, La terre incendiée : essai d’agronomie comparée, Nîmes, Éditions
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30. Charles de RIBBE, La Provence au point de vue des bois, des torrents et des inondations avant et
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31. Aline DURAND, « Dynamique biogéographique des boisements forestiers en Languedoc durant le
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32. Ibid.
33. Thérèse SCLAFERT, « Les monts de Vaucluse : l’exploitation des bois, du XIIIe à la fin du
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XVIII siècle », Revue de géographie alpine, XXXIX, 4, 1951, p. 673-707.

34. Henri DUBLED, « Le pays de Sault aux XIIIe et XIVe siècles », op. cit.
35. Ibid.
36. Nicolas LEROY, « Réglementation et ressources naturelles : l’exemple de la forêt en Comtat
venaissin », Médiévales, 53, 2007, p. 81-92.
37. Ibid.
38. Ibid.
39. Jean-Paul BOYER, « Pour une histoire des forêts de Haute Provence (XIIIe-XVe s.) », op. cit.
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Les forêts montagnardes
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55. Didier GALOP , « La croissance médiévale sur le versant nord des Pyrénées à partir des données
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60. Hector A. ORENGO, Josep M. PALET, Ana EJARQUE et al., « Pitch Production During the Roman
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62. Didier GALOP, « Évolutions paléo-environnementales en vallée d’Ossau du Néolithique à
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(dir.), Estives d’Ossau, op. cit., p. 161-173.
63. Catherine VERNA, L’industrie au village, op. cit. ; Véronique IZARD, Les montagnes du fer, op. cit.
64. Catherine VERNA, L’industrie au village, op. cit.
65. Ibid. ; Véronique IZARD, Les montagnes du fer, op. cit.
66. Ibid.
67. Christine RENDU, « Quelques jalons pour une histoire des forêts en Cerdagne… », op. cit.
68. Catherine VERNA, L’industrie au village, op. cit ; Véronique IZARD, Les montagnes du fer, op. cit.
69. Catherine VERNA, Le temps des moulines : fer, technique et sociétés dans les Pyrénées centrales
(XIIIe-XIVe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 2001.
70. Didier GALOP, Damien RIUS, Carole CUGNY et al., « A History of Long-Term Human-
Environment Interactions in the French Pyrenees Inferred From the Pollen Data », op. cit.
71. Claude DUBOIS et Jean-Paul MÉTAILIÉ, « Anthropisation et dynamique forestière dans les Pyrénées
ariégeoises à l’époque gallo-romaine… », op. cit.
72. Ibid. ; Méline DI ROSA, Analyses anthracologique et dendro-anthracologique des sites de
charbonnage de la forêt de Lercoul, mémoire de master 2, Toulouse, université Toulouse Jean-Jaurès,
2017.
73. Vanessa PY-SARAGAGLIA, Mélanie SAULNIER, Raquel CUNILL ARTIGAS et al., « Long-Term Forest
Evolution and Woodland Uses in an Ancient Charcoal-Production Forest of the Eastern French
Pyrenees », op. cit.
74. Catherine VERNA, Les montagnes du fer, op. cit., 1994
75. Ibid. ; ID., L’industrie au village, op. cit.
76. Ibid.
77. Amaia LEGAZ et Delphine BROCAS, « Iraty, de la forêt mythique à la forêt sylvo-pastorale », dans
Andrée CORVOL (éd.), Les forêts d’Occident du Moyen Âge à nos jours, op. cit., p. 181-202.
78. Christine BOURQUIN-MIGNOT et Olivier GIRARDCLOS. « Construction d’une longue chronologie de
hêtres au Pays basque… », art. cit.
79. Catherine VERNA, L’industrie au village, op. cit. ; Véronique IZARD, Les montagnes du fer, op.
cit. ; Catherine VERNA, Le temps des moulines, op. cit.
80. ID., L’industrie au village, op. cit. ; Véronique IZARD, Les montagnes du fer, op. cit. ; David
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81. Catherine VERNA, Le temps des moulines, op. cit.
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83. Catherine VERNA, Le temps des moulines, op. cit. ; ID., L’industrie au village, op. cit.
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85. ID., Le temps des moulines, op. cit. ; ID., « Fer, bois, houille…», op. cit.
86. Sylvain BURRI, « Towards an Interdisciplinary Approach on Ancient Forests », dans Sandrine
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Chapitre 3 :
Une moyenne montagne occupée
et exploitée
Les Vosges : des forêts et des chaumes
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25. Ibid.
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28. Ibid. ; Philippe JÉHIN, Les forêts des Vosges du Nord du Moyen Âge à la Révolution : milieux,
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Notes de la figure 3
Everardus Jacobus de VALK, Late Holocene and Present Vegetation of the Kastelberg (Vosges,
France), Utrecht, Pressa Trajectina, 1981.
David ETIENNE, Pascale RUFFALDI, Jean-Luc DUPOUEY et al., « Searching for Ancient Forests… », op.
cit.
David ETIENNE et Pascale RUFFALDI, Analyse pollinique d’une mare intra-forestière en forêt
domaniale de Rambervillers (Vosges, Lorraine), rapport Office national des forêts, 2011.
Benoît FOREL, Fabrice MONNA, Christophe PETIT et al., « Historical Mining and Smelting in the
Vosges Mountains (France) Recorded in Two Ombrotrophic Peat Bogs », Journal of Geochemical
Exploration, CVII, 1, 2010, p. 9-20.
Émilie GOURIVEAU, Résilience des écosystèmes, op. cit.
Colin R. JANSSEN, Arie J. KALIS, G. TAMBOER-VAN DEN HEUVEL et al., « Palynological and
Paleoecological Investigations in the Vosges (France): A Research Project », Geologie en Mijnbouw,
LIII, 6, 1974, p. 406-414.
Anne-Lise MARIET, Carole BÉGEOT, Frédéric GIMBERT et al., « Past Mining Activities in the Vosges
Mountains… », op. cit.
Anne-Lise MARIET, Anne-Véronique WALTER-SIMONNET, Frédéric GIMBERT et al., « High-Temporal
Resolution Landscape Changes Related to Anthropogenic Activities Over the Past Millennium in the
Vosges Mountains (France) », op. cit.
Pascale RUFFALDI, David ETIENNE, Clément LAPLAIGE et al., « Dynamique holocène de la végétation
et impact anthropique dans les zones de basses altitudes de Lorraine (France) », Besançon, Actes du
XXIVe colloque APLF, septembre 2015.
Pascale RUFFALDI, Frédéric RITZ, Hervé RICHARD et al., « Analyse pollinique de la mardelle
d’Assenoncourt (Moselle, France)… », op. cit.
Dirk SUDHAUS et Arne FRIEDMANN, « Holocene Vegetation and Land Use History in the Northern
Vosges (France) », Quaternary Science Journal, LXIV, 2, 2015, p. 55-66.
La forêt de la montagne jurassienne : usage et nature
29. Vincent BICHET, Valentin CHEVASSU et Hervé RICHARD, Programme de recherche ArcheoPal
Haut-Jura central : rapport d’activités 2017. Secteur de Pontarlier, La Cluse-et-Mijoux, les Fourgs
et les Hôpitaux-Vieux (Doubs, France), Besançon, université de Bourgogne Franche-Comté, UMR
6249 CNRS Chrono-environnement, 2017.
30. Eugène DROZ, Mémoires pour servir à l’histoire de la ville de Pontarlier, Pontarlier, Faivre,
1840.
31. Bernard PROST et Étienne-Symphorien BOUGENOT (éd.), Cartulaire de Hugues de Chalon (1220-
1319), Lons-le-Saunier, Declume, 1904 ; Joseph BOURGON, Recherches historiques sur la ville et
l’arrondissement de Pontarlier, Pontarlier, Laithier, 1841.
32. Christophe VASCHALDE, Fours à chaux et chaufourniers en France méditerranéenne du Moyen
Âge à l’époque moderne : approche interdisciplinaire autour des techniques, des savoir-faire et des
artisans, Drémil-Lafage, Éditions Mergoil, 2018.
33. Marc FORESTIER, Construire avec les ressources naturelles du massif du Jura, Lausanne, Favre,
2015 ; Alphonse ROUSSET, Dictionnaire géographique, historique et statistique des communes de la
Franche-Comté et des hameaux qui en dépendent, classés par département : département du Jura,
Besançon, Bintot, 1853.
34. Catherine FRUCHARD, Analyse spatiale et temporelle des paysages de la forêt de Chailluz
(Besançon, Doubs), de l’Antiquité à nos jours, thèse de doctorat, Besançon, université de Franche-
Comté, 2014 ; Jean-Daniel DEMAREZ (dir.), La production de chaux en Ajoie (Jura, Suisse) de
l’époque romaine au XIXe siècle : recherches d’archéologie et d’histoire, Porrentruy, Office de la
culture-Société jurassienne d’émulation, 2014.
35. Ibid.
36. Gilbert COUSIN, Brevis ac dilucida Burgundiæ superioris, quæ Comitatus nomine censetur,
descriptio, Bâle, J. Oporinum, 1552 ; édité par Achille Chereau, Lons-le-Saunier, Gauthier, 1863.
37. Ibid.
38. Claude-Joseph PERRECIOT, De l’état civil des personnes et de la condition des terres dans les
Gaules, dès les temps celtiques, jusqu’à la rédaction des coutumes, Paris, Dumoulin, 1845.
39. Hervé LAURENT, Sylvie LAURENT-CORSINI et Michel MANGIN, « La sidérurgie ancienne dans la
région de Franche-Comté : trente années de recherches pluridisciplinaires sur la réduction directe
dans l’Est de la France (1981-2011) », dans Costanza CUCINI (dir.), Acta mineraria et metallurgica:
studi in onore di Marco Tizzoni, Bergame, Civico Museo Archeologico di Bergamo, 2012, p. 195-
204.
40. Marie-Claude MARY (dir.), La métallurgie comtoise (XVe-XIXe siècles) : étude du Val de Saône,
Besançon, Asprodic, 1994 ; Eugène DROZ, Mémoires pour servir à l’histoire de la ville de Pontarlier,
op. cit.
41. Auguste PIGUET, Les verreries de la vallée, Le Lieu, Le Pèlerin, 1998.
42. Guy-Jean MICHEL, Familles verrières et verreries dans l’est de la Franche-Comté au XVIIIe siècle,
thèse de doctorat, Besançon, université de Franche-Comté, 1989.
43. Jean MUSY, Mouthe : histoire du prieuré et de la terre seigneuriale, Pontarlier, La Gentiane
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44. Émilie GAUTHIER, « Évolution des activités agropastorales du Haut-Jura (France) au cours des
trois derniers millénaires », Quaternaire, XIII, 2, 2002, p. 137–147.
45. Jan Peter PALS et Bas van GEEL, « Rye Cultivation and the Presence of Cornflower (Centaurea
cyanus L.) », Berichten van de Rijksdienst voor het Oudheidkun-dig Bodemonderzoek, 26, 1976,
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46. Édouard CLERC, La Franche-Comté à l’époque romaine représentée par ses ruines, Besançon,
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Des faînes, des glands et des châtaignes : l’exploitation de la forêt morvandelle
47. Isabelle JOUFFROY-BAPICOT, Évolution de la végétation du massif du Morvan (Bourgogne-
France) depuis la dernière glaciation à partir de l’analyse pollinique : variations climatiques et
impact des activités anthropiques, thèse de doctorat d’archéologie option Paléoenvironnement,
Besançon, université de Franche-Comté, 2010.
48. Isabelle JOUFFROY-BAPICOT, Boris VANNIÈRE, Émilie GAUTHIER et al., « 7000 Years of Vegetation
History and Land-Use Changes in the Morvan Mountains (France): A Regional Synthesis », The
Holocene, XXIII, 12, 2013, p. 1888-1902.
49. Pierre NOUVEL, Valentin CHEVASSU, Stéphane IZRI et al., « Les opérations de prospections
inventaires menées par l’UMR 6249 Chrono-environnement en Bourgogne. Résultats de la campagne
2015 », dans Angélique TISSERAND (éd.), Journée d’actualité archéologique en territoire éduen,
Autun, Service archéologique de la ville d’Autun, 2017, p. 7-16.
50. Archives départementales de Côte-d’Or, B 400. « Viels terriers des châtellenies de Bourgogne »,
1323, censier de Roussillon et Glenne.
51. Compte de la châtellenie de Glenne, Archives départementales de Côte-d’Or, B 4885.
52. Terrier de la châtellenie de Roussillon, Archives départementales de Côte-d’Or, B 1291.
53. Corinne BECK, Les Eaux et Forêts en Bourgogne ducale, op. cit.
54. Comptabilité générale du comté de Nevers, Archives départementales de Côte-d’Or, B 5505.
55. Compte général de la gruerie, Archives départementales de Côte d’Or, B 1485.
56. Robert CHEVROT, « Faulin : une verrerie médiévale en Morvan », dans Hervé MOUILLEBOUCHE
(dir.), Chastels et maisons fortes, V, Chagny, Centre de castellologie de Bourgogne, 2015.
57. Terrier de la châtellenie de Roussillon, Archives départementales de Côte-d’Or, B 1291.
58. Compte général de la gruerie, Archives départementales de Côte-d’Or, B 1485.
59. Enquête sur les bois de Roussillon (châtellenie de Roussillon), Archives départementales de
Côte-d’Or, B 11 610.
60. Chantal LEROYER, « Apparition et diffusion du châtaignier (Castanea sativa) en Dordogne :
l’apport de la palynologie », dans Claire DEHLON, Isabelle THERY-PARISOT et Stéphanie THIEBAUT
(dir.), Des hommes et des plantes, op. cit., p. 211-224.
61. Yannick MIRAS, Pascal GUENET, Frédéric CRUZ et al., « Gestion des ressources naturelles dans le
Pays de Tulle : impacts paysagers et histoire du châtaignier (Castanea sativa Mill.) de l’Antiquité à la
Renaissance d’après la palynologie », Aquitania, 29, 2013, p. 311-330.
62. Enquête sur les bois de Roussillon (châtellenie de Roussillon), Archives départementales de
Côte-d’Or, B 11 610.
63. Rentier pour la chapelle Saint-Martin érigée au hault de la place du Beuvray, diocèse d’Autun,
publié dans Jacques-Gabriel BULLIOT, « Les foires de Bibracte », Mémoires de la Société éduenne, 7,
1878, p. 83-104.
64. Comptabilité du bailliage d’Autun, Archives départementales de Côte-d’Or, B 2365.
Conclusion
1. Emmanuel GARNIER, Terre de conquêtes : la forêt vosgienne sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard,
2004.
2. Ibid., p. 28-54.
3. Michel DEVÈZE, La vie de la forêt française au XVIe siècle, II, op. cit., p. 76-82.
4. Christian PFISTER, Emmanuel GARNIER, Maria-João ALCOFORADO et al., « The Meteorological
Framework and the Cultural Memory of Three Severe Winter-Storms in Early Eighteenh-Century
Europe », Climatic Change, CI, 1-2, 2010, p. 281-310.
5. Emmanuel GARNIER, « Les tempêtes des siècles : les écosystèmes forestiers normands à l’épreuve
des vents XVIe-XXe siècles », Annales de Normandie, 2009, p. 23-45.
6. ID., Terre de conquêtes, op. cit.
INDEX DES NOMS DE LIEUX
Ain, 20, 171, 174
Aincille – Pyrénées-Atlantiques, 291
Aix-en-Provence, 189, 377, 388
Albiès, 288, 295
Albret (forêt d’), 127
Allemagne, 38, 370
Alligny-en-Morvan – Nièvre, 175
Alpes du Sud, 260, 267, 389
Alsace, 215, 302, 304, 312, 354, 378, 394
Altenberg, 310
Amblève, 102
Ambly-Fleury – Ardennes, 174
Amelécourt, 193-194
Amsterdam, 167
Anchamps – Ardennes, 177
Andaine (forêt d’), 355
Andernach, 124
Andorre, 282
Angleterre, 75, 77, 198, 245, 366, 371
Angoustrine, 282, 391
Anjou, 79-80, 144, 217, 243, 250, 363, 372, 384
Annappes (domaine royal d’), 115
Anthelupt, 175
Anvers, 161, 167-168
Apremont – Haute-Saône, 228, 238
Araignys (tourbière des), 325-326
Arbanats, 173
Arbois, 225, 229, 232, 235
Ardenne, 65, 75-76, 85, 99, 102, 161, 164, 168, 363, 420
Argentières, 282-283
Argilly (forêt d’), 117, 119
Argonne, 89, 196, 208, 302, 381
Ariège, 109, 127, 171, 277, 280, 283, 286, 288, 293-295, 356, 389
Arles, 263, 265, 388
Armorique, 255
Arnicourt – Ardennes, 174
Arthonnay – Yonne, 176
Artigue – Haute-Garonne, 171-173
Artxilondo, 280
Aspet, 293, 390
Assenoncourt (massif forestier d’), 309, 394-395
Aston – Ariège, 283
Aude, 5, 15, 171, 173, 260, 263-264, 391, 419-420
Audenarde, 163, 168
Auffans (les) – verrerie, 196
Auge (pays d’), 243, 340, 343
Austrasie, 304
Autremencourt – Aisne, 174
Autun, 338, 341, 345, 397
Autunois (bois de l’), 109, 336, 345
Auxerre, 97, 115, 135, 155, 159, 365, 368
Avignon, 263-264
Ax, 293, 295
Ayades (forêt des), 290, 297
Baccarat (all. Bergarten), 123-124, 126
Baïgorry (vallée de), 280
Balkans, 302
Baltique (mer), 167, 170
Banca (mine de), 291
Barres (forêt de), 202, 283
Bas Rocher (château de) – Ille-et-Vilaine, 250
Basse-Navarre, 293, 392
Basse-Normandie, 250
Basse-Provence, 264, 266, 388
Bassin parisien, 142-144, 148, 150-152, 184, 186, 189, 256, 302, 306, 372, 376-377, 419
Bastogne, 164, 168
Bayeux, 143, 247, 250
Béarn, 113
Beaucet, 273
Beaulieu (abbaye de), 92
Beaumont, 208-211, 381
Beaupré (abbaye de), 191, 194
Beau-Repaire (monastère de), 65
Beauvais, 19-20, 30-32, 148, 155
Béhorléguy – Pyrénées-Atlantiques, 291
Belgique, 7, 154, 161-162, 166, 170, 209, 369, 371, 373, 382
Belsele – Flandre orientale, 170
Belval (abbaye de), 209
Bercé (forêt de) – Sarthe, 147-149, 373
Bernadouze (forêt de), 286, 288, 290-291
Béroul (forêt de), 64, 361-362
Beuffarde (la), 318, 321, 325-327
Biloque (hôpital de la) – Gand, 162, 167
Birnam (forêt de), 103
Bisval (Briseverre) – verrerie, 196
Bitche, 312
Blois, 136
Blombay – Ardennes, 174
Bohême, 195, 355
Boissy-Maugis, 109
Bolquère, 282
Bonhomme (col du), 304
Bonport (abbaye de), 258
Bordeaux, 52, 127, 173, 361
Boscherville (forêt de), 257
Boscodon – Hautes-Alpes, 264
Bouconville – Ardennes, 178
Bouessay (haye de), 245
Boulogne (bois de), 184
Bourges, 69, 72, 133, 141-142, 144-146, 150, 155, 362, 371-372
Bourgogne, 7, 68, 75, 108, 117, 119-120, 129, 133, 136, 138, 141-142, 174, 189, 200, 204-205, 223-
225, 227, 229-234, 331, 336, 338, 341-342, 368, 382-383, 395, 397, 420
Bourguignon-lès-la-Charité – Haute-Saône, 175
Bouxières (abbaye de), 97, 199
Brabant, 161, 163-164, 168, 374
Bresse, 232, 314
Bretagne, 90, 212, 243, 247, 250, 255-257, 366, 384-387
Briançonnais, 208
Brie (forêt de), 184
Brocéliande, 11, 38, 41, 212, 387
Brotonne (massif de), 13
Bruche, 126, 310, 394
Bruges, 126, 161, 163, 167-170
Bruxelles, 161, 163, 168, 170, 364, 366, 369, 371, 374, 380-381
Burbanche (forêt de la) – Ain, 20
Busigny, 209
Bussang (col de), 304
Bussière-sur-Ouche, 135
Caden (château de) – Morbihan, 250
Cadouin (abbaye de), 173
Callot (île), 256
Camporells (forêt de), 283
Canigou (massif du), 280, 391
Capcir (forêt de), 294, 297
Carança, 296
Carlit, 282
Carpentras, 273-274
Cartignies (bois de), 110
Castelnau-Barbarens – Gers, 172
Celles-sur-Plaine (val de), 124
Cerdagne, 280, 282-283, 290, 293, 297, 389-392
Céret, 290
Cévennes, 260
Chaintreaux – Seine-et-Marne, 178
Chalonnais, 120
Champagnac-la-Noaille – Corrèze, 177
Champagne, 20, 109, 129, 133, 136, 138, 208, 302
Champagnole, 235
Champagny, 235
Champ-du-Feu (tourbière du), 310
Champeaux – Manche, 256
Chantrans – Jura, 132
Chapelle-des-Bois, 329
Charbonnière (Carbonaria) – Ardennes, 161, 163-164, 170, 280, 374
Charente, 174
Chartres, 90, 212, 373
Château-Salins, 193-194
Château-Verdun – Ariège, 293
Châtillon (abbaye de), 191
Chaux (forêt de), 118, 172, 206, 229, 235, 266-267, 272, 316, 319-323, 327, 351-352, 371, 396
Chéhéry – Ardennes, 177-178
Cheniménil – Vosges, 175
Chilly – Ardennes, 174
Chiny (comté de), 208
Clairlieu (abbaye de), 191
Clairvaux, 55, 194
Clamecy, 127
Cluny, 133, 135
Coblence, 124
Cologne, 67, 93, 365, 368
Colonne, 29, 87, 232
Commercy, 197
Comminges (forêt du), 295
Comtat Venaissin, 272, 389
Conat (vallée de), 296-297
Conflent, 288, 293-294, 297
Constance (lac de), 88, 94
Coppie (vallée de), 178, 363
Corbreuse, 186
Cortvassill – Cerdagne, 293
Corvées-les-Yys – Eure-et-Loir, 178
Côte-d’Or, 135, 177, 367-369, 397
Cotentin, 253
Couserans, 283, 288, 293, 295
Cravant, 127
Crotenay, 235
Cruye (forêt de), 188, 377
Cucuron – Vaucluse, 264
Cuise (forêt de), 12
Cure, 127, 346
Cysoing (abbaye de), 209
Damme (port de), 167-168, 374
Danzig (Gdańsk), 167
Darnantes (bois de), 75
Darney (forêt de), 196, 378
Dauphiné, 113, 127, 183, 208, 380
Deneuvre, 124
Deventer, 167
Dieuze, 193-194, 309
Dignois (forêt du), 264
Dinant, 126, 163, 166, 168
Dinard, 90
Dole, 225, 228, 232-233, 235
Donchery, 174
Dordogne, 92, 173-174, 397
Dordrecht, 167
Dorestad, 118, 368
Doubs, 126, 172, 175-176, 317-320, 322, 324-326, 370, 377, 379-380, 395-396
Droiteval (abbaye de), 191
Dun-sur-Meuse, 197
Durance, 264, 388
Durfort, 272
Durham, 101
Ebersmunster (abbaye de), 194
Échenans-sous-Mont-Vaudois – Haute-Saône, 175
Échery (monastère d’), 310
Écosse, 75
Écouis – Eure, 177
Écouves (forêt d’), 355
Écurey (abbaye d’), 191
Éden (jardin d’), 102-103
Eifel, 161
Einville (château d’), 196
Enveitg (montagne d’), 280, 282, 389
Épeugney – Doubs, 175
Ercé (forge d’), 295
Escaut, 161
Espagne, 302
Essen, 93
Essonne, 133, 178
Étanche (abbaye de l’), 191, 198
Étival (abbaye d’), 198
Ettenheimmünster (abbaye de), 194
Eure, 115, 177-178
Exmes (château d’), 87
Falkenstein (château de), 312
Faucogney – Haute-Saône, 225
Faudon (lac de), 261
Faulin (bois du), 338-339, 342-344, 397
Faye de Montrond (forêt de la), 235
Fays d’Houseraile – verrerie, 196
Fensch (vallée de la), 197
Fens (les), 101
Finchale, 101
Finistère, 247, 250-251, 255
Fiole (bois de la), 342
Flandres, 75, 119-120
Fleckenstein (château de), 312, 378
Foix (comté de), 35, 293-295, 392
Foncine – Jura, 323
Fontaine-l’Évêque, 209
Fontaine Saint-Vaubert (la) – verrerie, 196
Fontains – Seine-et-Marne, 178
Fontenois-la-Ville – Haute-Saône, 175
Fontevraud, 144
Forêt-Noire, 355
Formiguères, 296
Fosses, 93, 108
Fourmies (bois de), 110
Fraisans, 229, 235
Franche-Comté, 129, 133, 154, 189, 200, 231, 371, 377, 379, 382-383, 390, 393, 395-397, 420
Francie, 110, 367
Fresseau (bois du), 110
Gacé (château de), 87
Gand, 115, 161-163, 167-169
Gapençais (forêt du), 264
Garonne, 92, 127, 279, 390
Gascogne, 38, 66
Gaule, 15-16, 26, 111, 123, 161, 200, 364-365, 393
Geismar (chêne de) – Thuringe, 86
Gendrey, 235
Genève, 123, 360-363
Genevois (forêt du), 264
Genillé – Indre-et-Loire, 175
Gers, 171-172, 375
Gironde, 173
Givet, 126, 166
Glenne (châtellenie de), 336, 338, 341, 343, 397
Goumois – Doubs, 324
Grand Buëch (forêt du), 264
Grande-Bretagne, 256
Grande Charnie (massif forestier de la) – Mayenne, 250, 254
Grande Saunerie (la), 201, 204-206, 379-380, 383
Grand Montarnu (tourbière du), 333, 338
Grandpuits – Seine-et-Marne, 174
Graufthal (abbaye de), 312
Gray, 228, 232, 234
Grosbliederstroff, 193
Gruis (monastère de), 268
Gueldre, 126
Guerche (forêt de la), 112
Guermange (saline de), 194
Hainaut, 75, 91, 110, 113, 116, 119, 161, 163-164, 168, 208-210, 374, 380-381
Hasselt, 167
Haute-Amance – Haute-Marne, 176
Haute-Ariège, 294
Haute-Bretagne, 250, 385-386
Haute-Cerdagne, 280
Haute-Joux, 318-319, 321
Haute-Marne, 176-177
Haute-Meurthe, 124
Haute-Provence, 260, 263, 267-268, 274, 388
Haute-Saône, 16, 175, 355
Haute-Savoie, 20
Hautes-Chaumes, 303-304, 309-310, 393-394
Haute-Seille, 191, 193-194
Hautes-Fagnes, 161, 164
Hautes-Pyrénées, 171, 277
Hautes-Vosges, 301
Haute-Yutz, 123, 369
Haut-Folin, 338, 346
Haut-Languedoc, 260
Haut-Morvan, 333, 337-342, 345-347
Haut-Vallespir, 294, 296-297
Havardière (château de la) – Ille-et-Vilaine, 250
Haye (forêt de/bois de), 197, 199, 217, 245, 394
Hennemont – Meuse, 175
Herpy – Ardennes, 178
Hesdin (bois d’), 120
Hiémois, 87
Hollande, 126
Horn (tourbière de la), 312
Hostellerie Saint-Hugues de Cluny, 135
Huy, 163, 168
Île-de-France, 129, 133, 136, 138, 141-142, 376
Indre-et-Loire, 135, 174-175, 178, 369, 386
Iraty (massif d’), 291-292, 390, 392
Irlande, 75, 256
Isère, 127, 385, 388
Israël, 57, 87, 103
Italie, 25, 302, 364
Ivory, 235
Jacob (Henricel ou Hennezel) – verrerie, 196
Jujols, 293
Jura, 14, 20-21, 131-132, 174-175, 200, 225, 235, 314, 316-317, 320-321, 323-324, 327-330, 355,
372, 379, 396
Kampen, 167
Kergal (château de) – Morbihan, 250
Kerleguen (château de) – Morbihan, 250
Kermadec (château de) – Finistère, 250-251
La Cerlangue – Seine-Maritime, 174
Lachalade, 191, 196
Lachalade (abbaye de), 191, 196
La Chapelle – Ardennes, 13, 178, 345, 397
La Chevrie, 196-197
La Crête, 194, 308
La Flamengrie, 210
La Grande-Verrière – Saône-et-Loire, 342
Lagrasse, 263-264
Lallaing, 209-210
La Loye, 232, 235
landes, 112, 184, 243, 245-246, 269, 303, 317, 351, 356
Landévennec (abbaye de), 102, 247, 255, 364, 366
Landévennec – Finistère, 102, 247, 255, 364, 366
Landrecies, 210
Languedoc, 259-263, 270, 359, 364, 388-389, 392
Lannion – Côtes-d’Armor, 255
Laonais, 13
La Petite-Verrière – Saône-et-Loire, 342
La Roche-Jagu (château de) – Côtes-d’Armor, 246, 250, 385
La Rochelle, 127
Larochemillay (châtellenie de), 338
L’Auberson – Suisse, 325-327
Laval, 252, 256, 367, 384
Le Favril, 210
Le Mans, 386
Le Pasquier, 235
Lercoul – Ariège, 280, 283, 286, 288, 290, 295, 391-392
Léret et Louzourm, 293-294
Les Cortalets, 280, 283
Les Fourgs – Doubs, 319, 322, 325-326, 395
Les Nans – Jura, 200
Les Vaux-en-Ornois (abbaye de), 191
Létanne, 208
Lichécourt – verrerie, 196
Liège (principauté de), 99, 112, 126, 154, 160-163, 166-169, 266, 366, 373, 381
Lierneux, 164
Liessies (abbaye de), 110
Lieve (canal de), 62, 167
Limbourg (duché du), 161, 168
Limousin, 127, 345
Limoux, 264
Lindre-Basse, 193-194
Lindre (étang de), 309
Lisieux, 143
Lisle-en-Barrois (abbaye de), 191, 196-197
Loisy-en-Brie – Marne, 176
Lomont – Haute-Saône, 175
Longwy, 197
Lorraine, 7, 89, 122, 124, 175, 190-200, 215, 217-219, 221, 223, 304, 309, 369-370, 377-378, 382,
394-395
Lorris dans le Gâtinais, 41-42, 208, 360, 381
Loue, 232
Louvain, 161, 163, 167-168
Luchon (vallée de), 173
Lure (montagne de), 268, 371
Lutzelhardt (château de), 312
Luxembourg, 124, 161, 168, 208, 363, 369, 380-381
Luxembourg (duché du), 124, 161, 168, 208, 363, 369, 380-381
Luxeuil, 194
Lyon, 123
Maastricht, 126, 163-164, 167, 371
Maillé (château de) – Finistère, 250
Mailly-le-Château – Yonne, 176
Maine, 90, 92, 250, 386
Mairy – Ardennes, 174
Maisons-en-Beauce, 184
Malefougasse (forêt de), 268
Malmédy, 102
Manche, 250, 256, 386
Mangonville – Meurthe-et-Moselle, 175
Mans (forêt du), 44, 92, 96, 386
Marchiennes (abbaye de), 116
Marimont-lès-Bénestroff, 199
Marnay (villa de), 112
Marsal, 193-194
Marseilles-lès-Aubigny – Cher, 178
Marsillargues – Hérault, 261
Martinbois (Martinbosc, Marenbois, Martini nemus, Martius nemus, Martinbosco), 19
Massat (forge de), 295
Massif central, 260, 314, 388
Matton-et-Clémency – Ardennes, 174
Maures (massif des), 261, 388
Mayenne, 250, 254, 256, 367, 384, 386
Melun, 119
Ménil, 124
Metz, 93, 123-124, 193-194, 217, 309, 365, 369-370, 377, 379
Meurthe, 97, 122-124, 191, 370, 393-394
Meurthe-et-Moselle, 19, 175, 190, 370, 378
Meuse, 109, 123, 126, 161, 163, 166-167, 170, 175, 190, 211, 302, 370-371
Miellin – Haute-Saône, 355
Miglos, 293, 295
Misieux (bois de), 342
Molesme (abbaye de), 199
Monieux, 272
Monnet, 225, 228, 232, 364
Monségur en Bordelais, 189
Montaigu – Notre-Dame de Montaigu, 12-13
Montantaume (maison forte de), 340
Montbenoît (abbaye de), 317
Mont-Beuvray, 339
Mont-Blandin de Saint-Pierre de Gand, 115
Mont Cassin, 86
Montcenis (châtellenie de), 120
Mont de la Croix, 324
Mont-d’Or (massif du), 324
Monteilla, 293
Montfort, 87
Montgailhard, 293
Mont Gargan, 86
Mont Lozère, 261, 394
Montmédy – Meuse, 211, 381
Montmirey, 232
Mont Moux, 338
Montpellier, 263, 359
Montporcher (bois de), 120
Montrond, 225, 232, 235, 237-238
Mont-Saint-Michel, 256
Mont-Saint-Sulpice – Yonne, 175
Morigny (chronique de), 184
Morimond, 194
Mormal (forêt de), 75-76, 120
Morteau – Doubs, 317, 324
Morvan, 123, 126-127, 331-333, 335-339, 341, 344-347, 397
Moselle, 123-124, 190-191, 302, 369-370, 393-395
Mouchard (forêt de), 229
Moulins-Engilbert (château de), 342
Moutaine, 235
Mouthe – Doubs, 317, 324-325, 329, 396
Mouzon – Ardennes, 178
Moyenmoutier, 308
Moyenvic, 193-194
Namur, 126, 160-161, 163, 168, 374, 380-381
Nancy, 122, 124, 153, 193, 199, 217, 357, 369-370, 373, 378, 381-383, 393
Narbonne, 263
Nataloup, 333, 339-340
Neuchâtel, 20, 177, 317
Neufchâteau, 197
Neuilly-le-Brignon – Indre-et-Loire, 178
Neuwiller (abbaye de), 312
Nevers, 76, 338, 342, 363, 397
Niederbronn, 312
Nieppe (forêt de), 119, 369
Nîmes – Gard, 47, 176, 360, 389
Nivelles, 93, 168
Nivernais, 127, 342
Nohèdes, 293
Noirmont, 324
Normandie, 100, 109, 144, 149, 189, 212, 250, 257, 372-373, 385-387, 398
Notre-Dame de Bouxières (église), 199
Notre-Dame de Nancy (prieuré), 199
Noyon, 12, 76
Ognon, 232
Oisans, 208
Oise, 127, 371, 376
Ombrie, 95
Onzaines – verrerie, 196
Orbe (vallée de l’), 14
Orchamps, 232, 235
Orgelet, 225, 228, 232
Orléans, 76, 133, 136, 359, 363
Ornain (vallée de l’), 197
Ornans, 225, 229, 232, 234-235
Orne (vallée de l’), 13, 87, 197
Ossau (vallée d’), 282, 391-392
Othe (forêt d’), 109, 367
Ouche (forêt d’), 13, 87
Oussières – Jura, 131
Ouye (forêt de l’), 186
Pailhères, 280, 282
Pailhères – Ariège, 280, 282
Paimpont (forêt de), 212, 252, 254-257, 387
Paris, 5-6, 72, 127, 154-156, 159-160, 184, 186, 214, 345, 357-373, 375-382, 384-393, 396, 398, 420
Pas de la Case (forêt de), 283
Pays-Bas, 166-167
Pays basque, 246, 284, 299, 384, 390-392
Penvénan – Côtes-d’Armor, 255
Perche, 92, 109, 148-149
Périgord (forêts du), 127, 345
Perpignan, 290, 297, 391
Perseigne, 148
Pérupt, 196
Petites-Armoises – Ardennes, 177
Pévèle (forêt de la), 49
Peyriac-Minervois – Aude, 263
Picardie, 186, 208, 212, 247, 252, 381
Pic des Trois-Seigneurs, 280
Piet, 282-283
Pla de l’Orri, 280, 282
Plans du Vitiau – Doubs, 320-322
Plantier (bois de), 173
Ploëzal – Côtes-d’Armor, 246, 249
Poil, 333, 340, 344
Poitou, 252
Poligny, 225, 228-229, 232, 235, 238
Pologne, 96, 167
Pommeuse – Seine-et-Marne, 177
Pontiffroy (quartier du), 193, 377
Porcaro (château de) – Ille-et-Vilaine, 250
Pouru-Saint-Remy – Ardennes, 178
Prats, 288, 296
Prats-de-Mollo, 283, 288, 290, 296-297
Prez – Ardennes, 177
Prisches, 208-210
Provence, 183, 259, 264, 268, 270, 377-378, 388-389, 392
Psalmodi (abbaye de), 118, 263
Puits à Muire (le), 201
Puy-de-Dôme, 171, 174
Puyricard, 189
Py, 288, 293
Pyrénées-Atlantiques, 277, 291
Pyrénées orientales, 278, 280, 282-283, 294, 299
Querol – Cerdagne, 293
Quers – Cerdagne, 293, 371
Quesnoy, 210
Quimper, 250
Quingey, 229, 235
Quinto Real, 280, 291
Rambouillet, 186
Rancié (mine de fer de), 284, 286
Ranques, 280, 282-283
Ranques – Ariège, 280, 282-283
Raon-l’Étape, 122-126, 191, 369-370
Redon (abbaye de), 212, 244, 251
Regnévelle – verrerie, 196
Reigny, 174
Reims, 13, 85, 117, 208, 368
Rémelfing, 193
Remiremont, 124, 191
Rennes, 154, 245, 247-248, 252-253, 256, 366, 376-377, 383-387
Réno-Valdieu, 148
Rhin, 67, 117, 124, 370, 381
Rhône, 127, 261, 263-264, 370, 387
Rochejean – Doubs, 324
Rochiers – verrerie, 196
Rocroi – Ardennes, 177
Rome, 46-47, 58, 60, 65, 95, 357, 360-362, 364
Römersberg (massif forestier du), 309, 394
Roques Blanques, 280
Rosières, 193-194, 201
Rouen, 144, 363, 371, 373
Roussillon, 67, 127, 283, 288, 295, 297, 336, 338, 341, 343, 362, 371, 391, 397
Roussillon (châtellenie de), 67, 127, 283, 288, 295, 297, 336, 338, 341, 343, 362, 371, 391, 397
Route (bois de la), 25, 45, 54, 61, 97, 102, 126, 164, 264, 371
Royallieu (abbaye), 13
Saales (col de), 304, 310
Saint-Alban – Côtes-d’Armor, 175
Saint-Amand, 115
Saint-André-de-Roquelongue – Aude, 172
Saint-Antoine (forêt de) – Haute-Saône, 355
Saint-Benoît-en-Woëvre (abbaye de), 191, 194
Saint-Bertin (abbaye de), 115
Saint-Brieuc, 250
Saint-Christol (château de), 270, 272
Saint-Christol-d’Albion (monastère de), 270
Saint-Claude – Jura, 320, 379
Saint-Denis, 100, 108, 112, 162, 169, 188, 190, 373
Saint-Denis à Liège, 100, 108, 112, 162, 169, 188, 190, 373
Saint-Denis-d’Augerons – Eure, 178
Saint-Dié (val de), 198, 217
Sainte-Anne de Norrey-en-Auge (église de) – Calvados, 253
Sainte-Baume, 11, 388
Sainte-Marie-aux-Mines, 310, 394
Saint-Empire romain germanique, 223
Saint-Evroult-Notre-Dame-du-Bois (monastère de) – Orne, 87
Saint-Fargeau, 115
Saint-Gall (abbaye de), 110
Saint-Georges (collégiale), 199
Saint-Germain d’Auxerre (abbaye de), 97
Saint-Germain-des-Prés (abbaye de), 109, 115, 368
Saint-Germain-d’Esteuil – Gironde, 173
Saint-Grégoire de Munster (abbaye de), 194
Saint-Guilhelm-le-Désert, 65
Saint-Guillem-de-Combret, 288, 290, 296
Saint-Hubert (abbaye de), 76, 97, 168
Saint-Jean-Balanant (château de) – Finistère, 250
Saint-Jean-de-la-Porte (Savoie), 123
Saint-Jean-le-Vieux – Pyrénées-Atlantiques, 291
Saint-Jean (massif forestier de), 167, 169, 309
Saint-Jean-Saverne (abbaye de), 312
Saint-Jean (vieil hôpital) – Bruges, 167, 169, 309
Saint-Lambert de Liège, 112
Saint-Laurent-en-Brionnais – Saône-et-Loire, 20
Saint-Lazare (grange), 148
Saint-Léger de Murbach (abbaye de), 194
Saint-Martin-de-Boscherville (abbaye) – Seine-Maritime, 256-257
Saint-Martin du Beuvray, 345
Saint-Maur, 13, 194
Saint-Maur de Marmoutier (abbaye de), 194
Saint-Maurice (cathédrale) – Angers, 253
Saint-Maximin et Saint-Marie d’Oeren (abbaye de) – Trèves, 194
Saint-Médard-d’Eyrans, 173
Saint-Mihiel (monastère de), 86, 364
Saint-Pair-sur-Mer (pêcheries de), 258
Saint-Pierre-et-Saint-Paul d’Andlau (église de), 95
Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Wissembourg (abbaye de), 194
Saint-Pol-de-Léon – Finistère, 250, 255-256
Saint-Sauveur de Prüm (abbaye de), 194
Saint-Trinit, 272
Saint-Victor de Marseille (abbaye de), 264
Saint-Wandrille (monastère de), 100
Saléaux, 193
Saleix, 288, 295
Salerne (école de), 28
Salins – Jura, 201, 204-205, 225, 229, 232, 235, 379-380, 383
Sambre, 161, 209
Santans, 232, 235
Saône, 119, 223-224, 232, 314, 396
Saône-et-Loire, 20, 133, 342
Sarralbe (bassin de), 193
Sarre, 122, 126, 369
Sarrebourg, 193
Sarreguemines, 193, 370
Saugeais (val du), 329
Saulges (château de) – Mayenne, 250
Saulnois, 193-194, 308, 377
Sault, 270, 272, 389-390
Saulx (vallée de la), 16, 197
Sauve – Gard, 92, 270
Sauve-Majeure, 92
Savoie, 123, 174, 178, 371, 380, 390
Schwelm, 93
Seille, 194, 308, 378
Seine, 86, 92, 127, 222, 371
Seine-et-Marne, 159, 174, 177-178
Seix, 283, 293
Sénanque (abbaye de), 272
Senonches – Eure-et-Loir, 174
Senones (val de), 124
Séquanie, 200
Servel-Lannion (pêcheries de), 258, 387
Seuil – Ardennes, 138, 174, 198, 357, 359, 365, 377
Sexcles – Corrèze, 173
Sierck (péage de), 123-124
Sisteron, 268
Soest, 93
Soignes (forêt de), 163, 374
Soissonais, 13
Somain, 209
Somme, 11, 94, 127, 132, 174, 199, 239, 282, 333, 335, 344
Sost, 280
Souabe, 304
Soulcem (vallée de), 281, 284
Stavelot (abbaye de), 85, 161, 168
Stavelot (principauté de), 85, 161, 168
Stoumont, 164, 168
Sturzelbronn (abbaye de), 191, 312-313
Sublaines (château de), 135
Suc-et-Sentenac – Ariège, 280-281, 283, 286
Suisse, 20, 177-178, 314, 317, 324-326, 396
Suisse romande, 20, 177-178
Surcamps – Picardie, 186
Taden (château de) – Côtes-d’Armor, 250
Tarcenay – Doubs, 175
Taulignan – Drôme, 263
Teilhet, 295
Ter Doest (grange de), 163-164
Thann, 126, 370
Thervay – Jura, 175
Theux (villa de), 112, 164, 168
Thiétry – verrerie, 196
Thionville, 123-124, 369-370
Tholy – Vosges, 175
Thur, 126, 370
Toul, 97, 123, 194
Toulouse, 127, 279, 295, 364-365, 367-368, 371, 387, 390-392
Touraine, 119, 148-149, 253, 386
Tournus, 133
Tours, 39, 136, 369, 371, 373, 386
Trégor, 247, 253
Tréguier, 247
Trémédern (château de) – Finistère, 250
Trèves, 93, 123-124, 126, 164, 194, 370
Triguères – Loiret, 175
Troguéry (château de) – Côtes-d’Armor, 250
Tronçais, 148
Troyes, 43-45, 50, 133, 136, 359-362
Ubaye (forêt de l’), 264
Urbanya, 293
Vaivres (forêt de), 228
Val-de-Bride, 193
Val-de-Travers – Neuchâtel, Suisse, 317
Vallespir, 283, 288, 290, 293-294, 297
Valois (forêt de), 9, 11, 75, 114, 222-223, 225, 228, 379
Vannes, 250
Var, 13, 263
Varus, 25-26
Vaucluse (monts de), 264, 270, 389
Vaucresson, 188
Velesmes-Échevanne – Haute-Saône, 175
Venasque, 273-275
Vendée, 171, 174
Vercors (forêt du), 264
Verdun, 89, 92, 194
Verdunois, 119, 368
Vermandois, 208
Vernois (forêt de), 228
Vesoul, 224-225, 228, 232
Vézelay, 69
Vicdessos, 288, 293-295
Vic-sur-Seille, 193-194
Vienne, 27, 49, 93, 165, 360
Vievoigne (bois de), 341
Vigan – Gard, 176
Villance (domaine de), 115
Villers-Cernay – Ardennes, 174
Villiers-le-Bois – Aube, 176
Vincennes (bois de), 184, 369
Vireux-Wallerand (péage de), 126
Vistule, 167
Vôge, 196
Voiteur, 225, 228
Voncq – Ardennes, 178
Vosges, 85, 113, 117, 122, 175, 190, 196, 199, 301-303, 306, 308-309, 312-314, 355, 363, 370, 377-
378, 393-395, 421
Waldeck (château de), 312-313
Wallonie, 198, 374
Wasenbourg (château de), 312
Wasigenstein (château de), 312
Wesel, 167
Wincestre (bataille de), 64
Wissembourg (abbaye de), 194, 312
Yoncq, 208
Yonne, 123, 127, 159, 174-177, 338, 346, 365
Ypres, 168, 170
Yveline (forêt de l’), 184, 190
INDEX DES NOMS PROPRES
Abbon, 117, 368
Agilolf, 102
Alamans, 94
Alexandre (roman d’), 54, 361
Alis, 69
Angles (les), 93
Anicia Juliana, 27
Antoine (duc de Lorraine), 59, 65, 101, 217, 366, 382-384, 386, 395
Antoine (saint), 59, 65, 101, 217, 366, 382-384, 386, 395
Apollon, 86
Arthur (roi), 38, 48, 55-56, 362
Attila, 97
Auberi le Bourguignon, 48, 360
Aubéron, 52
Aubert de Plaine, 224
Auguste, 25, 184, 197, 215, 229, 358, 396
Ax (co-seigneur d’), 293, 295, 399
Aymon, 61, 65-66, 359, 362
Bardot de Velesme, Jean, 234
Barthélémy l’Anglais, 30
Basile (saint), 13
Basle (saint), 97
Baudouin de Flandre, 75-76, 363
Bavon (saint), 101
Begon, 57-58, 361
Bègue, 48-49
Benoît (saint), 86, 358-359, 387, 390, 395
Bergeret, Jacquet, 224, 234
Bernard de Tiron, 90
Berry (duchesse de), 59, 76
Berthe (reine), 44-46, 49, 58, 67-69, 390
Betis, 75
Bisval, 196, 400
Blanchandine, 73-74
Bonami d’Augerans, Humbert, 227
Boniface (saint), 86, 256
Boscodon (abbé de), 264, 400
Bouceart, Ginot, 342
Bouchet, Guillaume, 19, 363
Boutière (seigneurs de la), 341
Brichemer (le cerf), 33
Brun (l’ours), 33, 379
Burgondes, 173
Calais (saint), 96
Calogrenant, 38, 41, 43, 47
Camel de Camois, 75
Capétiens, 114
Carantec (saint), 256
Carondelet, Jean, 227
Célestins du Mont-de-Châtres, 13
Celtes, 12, 72, 96
Césaire de Heisterbach, 93
César, 21, 26, 52, 304, 358
Chaalis (moines de), 186
Chalon-Arlay, 317
Charlemagne, 17, 49, 65, 69, 100, 108, 112, 182, 366
Charles d’Orléans, 76, 363
Charles Estienne, 19
Charles le Chauve, 112
Charles Le Conte, 127
Charles le Simple, 112
Charles le Téméraire (duc-comte de Bourgogne), 224, 228, 234
Charles Martel, 67
Charles VI, 114, 127
Charles VII, 76
Chartier, Alain, 79, 363
Childebert (roi), 18, 96
Chilpéric, 12, 102
Chilpéric Ier, 12
Chrétien de Troyes, 43-45, 50, 359-362
Cisterciens, 186-187, 191, 195
Claude de Raon (le grant), 126
Colbert, 148, 153, 205, 214, 222, 345, 354
Colbert de Croissy, 354
Colomban, 94
Corbinien (saint), 95
Coudrette, 74
Couserans (vicomte de), 283, 288, 293, 295, 401
Dagobert, 95, 100
Danois, 103, 366
Denisot, Girard, 225, 227
Desfroissiz, Gilles, 127
Dioscoride, 27
Doon de Mayence, 70
Druet, Jean, 228
Cuc de Lorraine, 196, 199-200, 215, 217, 219, 223
Duicon, Guillaume, 342
Ébroïn, 93
Edmond (roi), 93, 365, 368
Édouard Ier de Bar, 198
Éliduc, 33, 359
Éloi (saint), 12
Engelbert, 93, 365, 367
Énide, 45, 49-50, 360
Érec, 45, 47, 49-50, 360
Ermold le Noir, 117, 368
Esclados, 41, 43
Étienne de Velesmes, 234
Eudes IV (duc-comte de Bourgogne), 224
Eustache (saint), 12, 99, 366
Évrard de Breteuil, 90, 364
Evroul (saint), 13, 87-89, 94
Ferry III (duc de Lorraine), 124
Feuillen, 93
Florence de Rome, 46-47, 58, 60, 65, 360-362
Florent (ermite), 95
Foix (comte/comtesse de), 35, 293-295, 392, 402
Forcalquier (comte de), 264
Fraimbault (ermite), 92
François d’Assise (saint), 13
François Ier, 214, 222, 354
Francs, 12, 15, 96, 111, 341
Frédégonde, 102
Frédéric d’Isenberg, 93
Froissart, 75, 77, 362
Fromont, 49
Gadifer, 75
Gall (saint), 94
Garin de Monglane, 46
Garin le Lorrain, 48-49, 57-58, 361
Gaston Phébus, 35-37, 47, 71, 359-360
Gaude de Chalon, Jean, 225
Geneviève (sainte), 86, 364, 374
Geoffroy de Blaisy, 224-225, 382
Geoffroy Laurent d’Aignay, 224
Geoffroy le Gros, 90
Georges Chastellain, 19
Gérard d’Alsace (duc de Lorraine), 215
Gérard de Nevers, 76, 363
Géraud (abbé), 92
Germains, 12, 25-26
Gertrude (sainte), 93
Ghislain (saint), 91, 95
Gilles de Chin, 75, 363
Gilles (saint), 75, 98-99, 127, 357, 360, 362-363
Girart de Vienne, 49, 360
Gobain (saint), 13
Godric, 100
Gollut, Loys, 202
Gottfried de Strasbourg, 62, 361
Goudre, Guillaume, 342
Graal, 50, 56, 58-61, 75, 96, 360-362
Graelent, 52, 361
Greban, Simon, 80-81
Grégoire le Grand, 86, 92, 95, 363-365
Gudule (sainte), 86
Guenièvre, 60, 64
Guénolé (saint), 102, 366
Guibert de Nogent, 90
Guildeluëc, 33
Guillaume aux Blanches Mains (évêque de Reims), 208
Guillaume de Lorris, 41-42, 360
Guillaume d’Orange, 47, 58, 65, 360
Guillaume Ier de Hainaut, 75
Guilliadon, 33
Guingamor, 51-52, 361
Gurdisten, 102, 366
Guthlac, 101, 366
Hector de Chartres, 212, 373
Hennezel, 196, 403
Henri II (roi de Navarre), 127
Hermant de Raon, 126
Herpin, 69
Hersent, 33
Hilaire de Mende, 91, 364
Hincmar de Reims, 85
Hubert (saint), 12, 97, 99, 365-366, 381, 395
Hugonnart, Jean, 228
Huguenin de Bannans, 224, 228
Huon de Bordeaux, 52, 361
Isaac, 92, 364
Isaïe, 103
Isidore de Séville, 30
Isolde, 62, 361
Jacques de Voragine, 98, 366
Jacques (saint), 65, 79, 81, 98, 261, 357-358, 361, 363-366, 372, 380, 387
Jean d’Arras, 74, 362
Jean d’Avesnes, 75-76
Jean de Bonnay, 224
Jean de Gorze, 89
Jean de Morans, 228
Jean de Vignay, 19-20
Jean d’Oliferne, 224
Jean Ier (duc de Lorraine), 124, 200
Jean II (duc de Lorraine) – Jean II d’Anjou – Jean de Calabre, 200, 217
Joux (sires de), 20-21, 317, 324
Julien l’Hospitalier, 99
Kush, 95
Lancelot, 46, 50, 56, 60-61, 64, 75
Laumer, 92
Léger (saint), 30, 93, 365
Lescheval, Raolin, 342
Louis le Pieux, 85, 110, 368
Louis Morel, 227
Louis VI, 186, 208
Louis VII, 208
Louis VIII, 197
Louis XI, 114, 224, 382
Louis XIV, 215, 222, 224
Lug (dieu), 96
Lunaire (saint), 90-91, 99-100, 364, 366
Mabillette, 46
Macbeth, 10, 102
Macduff, 103
Malcom, 103
Malines (évêque de), 13
Malmédy (moine de), 102, 404
Marc (le roi), 58, 60, 62, 64, 183, 190, 366, 371, 376-377, 396
Marguerite d’Autriche (comtesse de Bourgogne), 205
Marguerite de France (comtesse de Bourgogne), 200, 228-229, 382
Marie de France, 33, 43, 51, 359-361
Marien, 92-93, 97
Marien (saint), 92-93, 97
Marke (roi), 62
Martin (saint), 86, 256, 344, 364-365, 385, 388
Meinulf, 100
Melyador, 75
Mélusine, 74, 362
Merlin, 43, 55-56, 75, 360-361
Mérovingiens, 9, 16-17
Michel (saint), 86, 94, 358-360, 363-365, 370-378, 381, 386, 388-390, 396, 398
Milet, Jacques, 79, 81, 363
Milon, 46-47, 58, 65
Modus (roi), 35, 359
Moniage, Guillaume, 40, 45, 65, 360-362
Morgane, 52
Navarre (roi de), 127, 172, 291
Neckam, Alexandre, 30
Nemrod, 95
Nicolas de Florence, 224-225, 230
Noble (lion), 11, 28, 33, 35, 57, 87, 97, 111, 114, 362
Noé, 95
Norbert (saint), 13
Ogrin, 60, 64
Olivier de La Marche, 81, 363
Orléans (duc d’), 76, 133, 136, 359, 363, 405
Orson, 70-71, 362
Oudat de Brans, 228
Pellinor (roi), 43-44
Pépin, 49, 71, 368
Perceforest, 75, 362
Perceval, 50, 56, 59, 71, 362
Perlesvaus, 56-57
Perrenot de Grozon, 224
Philippe Auguste, 184, 197, 215
Philippe de Vaudrey, 227
Philippe de Vigneulles, 201, 379
Philippe Ier, 186, 188
Philippe le Bon (duc-comte de Bourgogne), 227
Philippe le Hardi (duc-comte de Bourgogne), 227-228, 232, 234, 342
Philippe VI, 200, 213, 222
Pierre de Crescens, 34, 359
Pierre de Maillezais, 97
Pierre de Vaudrey, 227
Pinte (poule), 33
Platearius, 28-29
Pline, 26-27, 30, 304
Pline l’Ancien, 26-27
Pol Aurélien, 256
Privat (saint), 91
Quarondelet, Jehanin, 228-229
Rabel, 257
Raginfred, 102
Raoul (duc de Lorraine), 199, 218, 220, 370
Ratio (reine), 35, 359
Raymond d’Agout, 272
Remacle (abbé), 85
Rémi (saint), 85, 117
Renart (goupil), 33, 40, 360
Renaud de Gerland, 224
Renaut de Montauban, 38, 64-65, 69, 359
René d’Anjou, 79-80, 363
René Ier (duc de Lorraine), 196, 200, 217
René II (duc de Lorraine), 218
Richard de Fournival, 33-34
Richard de la Loige, 224, 232
Richarde (sainte), 95
Robert (duc de Bar), 174, 196, 257, 357, 361, 365, 367, 375, 377, 381-382, 391, 397
Robert le Magnifique (duc), 257
Roi Ermite, 57
Roland (Chanson de), 38, 359
Romains, 15, 25-26
Ronan (saint), 95
Rosselat, 234
Rouin (ermite), 92, 364
Rouvet, Jean, 126
Sagremor, 75
Saint-Cloud (chanoines de), 188
Saint-Denis (moines de), 100, 108, 112, 162, 169, 188, 190, 373, 406
Saint-Dié (chapitre de), 198, 217, 406
Saint Louis – Louis IX, 218
Sarrasins, 182-183
Saxo Grammaticus, 103, 366
Sigebert III, 17, 85
Simon le voyer, 51
Strabon, 200
Suétone, 25, 358
Suger, 150, 188, 190, 373, 377
Sulpice Sévère, 86
Tacite, 25, 358
Térence, 93, 365
Thiétry, 196, 408
Thomas de Catimpré, 30
Thor, 86
Thysac, 196
Tite-Live, 25, 358
Toulongeon, André de, 227
Tristan, 58, 60-65, 71-73, 75, 361-362
Tristan de Nanteuil, 71-73, 362
Valentin, 5, 70-71, 314, 331, 362, 395, 397, 421
Valois, 9, 11, 75, 114, 222-223, 225, 228, 379, 408
Vikings, 93, 182
Vincent de Beauvais, 19-20, 30-32
Vincent, Henri, 5, 19-20, 30-32, 154, 228, 243, 249, 292, 314, 331, 374, 384-387, 395, 420-421
Vital, Orderic, 87, 274
Vuchillon, Martin et Étienne, 344
Vulmer, 89
Vurry, Jacquot, 227-228
Wetti, 94
Wulfoald, 86
Ysaÿe le Triste, 75, 363
Ysengrin (loup), 33, 40
Yseut, 58, 60-65, 75, 361-362
Yvain, 38, 43-44, 47, 58, 60-61, 361
LISTE DES AUTEURS

BALLAND Vincent
Doctorant
MSH et laboratoire ARTEHIS (Archéologie, terre, histoire, sociétés), Dijon

BALOUZAT-LOUBET Christelle
Maître de conférences
CRULH (Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire, EA 3945), Nancy

BECK Corinne
Professeure des Universités émérite
ArScAn (Archéologies et sciences de l’Antiquité), Maison de l’archéologie et de l’ethnologie,
Nanterre

BÉGEOT Carole
Maître de conférences
Laboratoire Chrono-environnement, Besançon

BÉPOIX Sylvie
Professeure agrégée
Laboratoire Chrono-environnement, Besançon

BERNARD Vincent
Chargé de recherche CNRS
CReAAH (Centre de recherche en archéologie, archéosciences, histoire), Rennes

BICHET Vincent
Maître de conférences
Laboratoire Chrono-environnement, Besançon

BURRI Sylvain
Chargé de recherche CNRS
Laboratoire TRACES (Travaux et recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les
sociétés), Toulouse

CHEVASSU Valentin
Doctorant
Laboratoire Chrono-environnement et MSHE, Besançon

CHEVRIER Virgine
Chercheuse indépendante, Chaumergy

CORVOL-DESSERT Andrée
Directrice de recherche CNRS
Membre de l’Académie d’agriculture de France, Paris

COUTURIER Yann
Dendro-archéologue
Dendrotech, Betton

DIÈTRE Benjamin
Post-doctorant
Laboratoire Chrono-environnement, Besançon

ÉPAUD Frédéric
Chargé de recherche CNRS
Laboratoire Archéologie et territoires (CITERES), Tours

ETIENNE David
Maître de conférences
CARRTEL (Centre alpin de recherches sur les réseaux trophiques et les écosystèmes limniques), Le
Bourget-du-Lac

FOUÉDJEU F. Léonel
Doctorant
Laboratoire GEODE (Géographie de l’environnement), Toulouse

FRAITURE Pascale
Docteur en histoire de l’art et archéologie, responsable du Laboratoire de dendrochronologie de
l’Institut royal du patrimoine artistique, Bruxelles

GALLÉ Hélène
Maître de conférences Laboratoire ELLIAD (Édition, langages, informatique, arts, didactiques,
discours), Besançon

GARNIER Emmanuel
Directeur de recherche CNRS
Laboratoire Chrono-environnement, Besançon

GAUTHIER Émilie
Professeure des Universités
Laboratoire Chrono-environnement, Besançon

GIRARDCLOS Olivier
Ingénieur CNRS
Laboratoire Chrono-environnement, Besançon

GOULLET Monique
Directrice de recherche émérite CNRS
Laboratoire LAMOP (Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris), Paris
GOURIVEAU Émilie
Doctorante
Laboratoire Chrono-environnement, Besançon

GRESSER Pierre
Professeur des Universités honoraire
Université de Franche-Comté, Besançon

GUIBAL Frédéric
Chargé de recherche CNRS
IMBE (Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale), Aix-en-Provence

GUIZARD Fabrice
Maître de conférences
ArScAn (Archéologies et sciences de l’Antiquité), Nanterre

HANECA Kristof
Ingénieur (PhD) – dendrochronologue
Agence Patrimoine de Flandre, Bruxelles

HOFFSUMMER Patrick
Professeur
Laboratoire de dendrochronologie, Centre européen d’archéométrie, Université de Liège, Liège

JOUFFROY-BAPICOT Isabelle
Ingénieure CNRS
Laboratoire Chrono-environnement, Besançon

LAMBERT Georges-Noël
Chercheur honoraire du CNRS
Collaborateur de l’université de Liège, Conliège

LORMANT François
Ingénieur de recherches, HDR
Institut François-Gény, Université de Lorraine, Nancy

MARGUERIE Dominique
Directeur de recherche CNRS
ECOBIO (Écosystèmes, biodiversité, évolution), Rennes

MARIET Anne-Lise
Post-doctorante, ATER
Laboratoire Chrono-environnement, Besançon

OILLIC Jean-Charles
Consultant
ISATECH, Saint-Dolay

OLIVIER Corentin
Doctorant
CReAAH (Centre de recherche en archéologie, archéosciences, histoire), Le Mans

PERRAULT Christophe
Dendrochronologue gérant de société CEDRE (Centre d’étude dendrochronologie et recherche en
écologie), Besançon

PY-SARAGAGLIA Vanessa
Chargée de recherche CNRS
Laboratoire GEODE (Géographie de l’environnement), Toulouse

QUÉRUEL Danielle
Professeure des Universités émérite
Centre de recherche interdisciplinaire sur les modèles
esthétiques et littéraires (CRIMEL), Université de Reims
Champagne-Ardenne, Reims

REINBOLD Aurélie
Post-doctorante
CReAAH (Centre de recherche en archéologie, archéosciences, histoire), Rennes

RICHARD Hervé
Directeur de recherche CNRS
Laboratoire Chrono-environnement, Besançon

RUFFALDI Pascale
Maître de conférences
Laboratoire Chrono-environnement, Besançon

WAGNER Anne
Maître de conférences
Centre Lucien-Febvre, Université de Franche-Comté, Besançon

WALTER-SIMONNET Anne-Véronique
Maître de conférences HDR
Laboratoire Chrono-environnement, Besançon
WIRTH-JAILLARD Aude
Post-doctorante
Institute for Research in the Humanities – ICUB, Bucarest

YANTE Jean-Marie
Professeur émérite
Université catholique de Louvain, Arlon
Cette édition électronique du livre
La Forêt au Moyen Âge
a été réalisée le 4 octobre 2019
par Flexedo.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN 978-2-251-44988-3).

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