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AIMER LA

LITTÉRATURE
en analysant les textes et les œuvres
Pour le lycée

... des corpus thématiques


... des œuvres de genres différents

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Molière,
L'École des
femmes, 1662
L'auteur (1622-1673) à
l'époque de L'École des
femmes
N. Mignard, Molière dans le rôle de César dans
"La mort de Pompée" de Corneille, vers 1650.
Huile sur toile, 75 x 70. Musée Carnavalet,
Paris.

Après la période de l'Illustre théâtre",


fondé en 1643 avec Madeleine Béjart,
et les difficultés financières alors
rencontrées, Molière s'installe dans la
salle du Petit-Bourbon, qu'il partage
avec les Comédiens Italiens. Il
trouvera en eux une inépuisable
source d'inspiration. La Troupe prend
le nom de "Troupe de Monsieur", frère
du Roi.
Vient alors le temps des succès avec,
notamment, Les Précieuses ridicules
en 1659 et L'École des femmes en
1662. Mais immédiatement débutent
les polémiques et les conflits avec
ceux que Boileau nommera les "mille
esprits jaloux": pédants, soutenus par
le célèbre Chapelain, partisans de
Corneille qui le jugent attaqué,
comédiens rivaux de l'Hôtel de
Bourgogne, avec, à leur tête, l'acteur
Montfleury... sans oublier un bon
nombre de "Précieuses" et de "petits
marquis...
Les attaques vont bon train,
renforcées par le mariage, en 1662,
avec Armande Béjart, sœur de
Madeleine selon l'acte notarié, fille de
celle qui fut longtemps la compagne
de Molière, selon les ennemis de celui-
ci. Elle a vingt ans de moins que lui...
on imagine aisément les commérages
!

Molière n'en connaît pas moins la


gloire, en jouant pour les Grands,
pour la Cour, à la demande du Roi qui
le pensionne. Paradoxe que cette
gloire éclatante qui se heurte à
d'incessants obstacles... comme pour
mieux s'affirmer ! Dans ses "placets"
au Roi, Molière en appelle à son
puissant protecteur, mais il ne renie
rien de sa liberté d'auteur, "le devoir
de la comédie étant de corriger les
hommes en les divertissant."
Pour en savoir plus sur la vie de
Molière : un site très complet

Le contextetraditionnelle
L'image des
femmes
Vers 1600, c’est le règne des contes,
des farces et des fabliaux, genres
littéraires hérités du moyen-âge : l’on
s’y moque des femmes et de leurs
multiples défauts, et des maris
trompés. Cela reflète une société où la
femme est le jouet de l’homme. De
plus pour l’Église, depuis le péché
d’Ève, la femme est un objet de
tentation et elle est vouée à la
perfidie.

La violence d'un mari jaloux


À cette époque, le mariage est une
:
institution qui ne repose pas sur
l’amour mais sur la puissance de
l’autorité. Être amoureux ne garantit
en rien le mariage car les filles sont
livrées aux hommes par des marchés
entre les pères de famille. L’épouse n’a
que des devoirs : elle tient le ménage
et assure la descendance de son mari.
Lorsqu’elle est mariée, elle est coupée
du monde, son mari en fait ce qu’il
veut car elle n’a aucun droit, pas
même celui de gérer l’argent de sa dot
ou d’éventuels héritages. Mais dans
l’ensemble les femmes ne se rebellent
pas et acceptent de garder le silence :
sans éducation, elles n’ont pas d’autre
choix. Parfois même elles sont
satisfaites de leur condition car, à
l’époque, c’est le mariage ou le
couvent.
Les hommes, eux, pensent qu’il est
bénéfique d’épouser de jeunes filles
naïves : ils auront plus facilement de
l’autorité sur elles. Ainsi les
couvents se chargent de les rendre les
plus innocentes possible. Au moment
de leur mariage, elles savent le plus
souvent à peine lire et écrire ; de la
sorte elles peuvent être soumises et
obéissantes à leur mari. Il fait ainsi
office de second père, en manifestant
sa toute-puissance. C'est cette
conception qu'exprime le personnage
d'Arnolphe chez Molière.
Cependant, malgré une surveillance
très présente, l’homme n’est pas à
l’abri d’une infidélité de sa femme.
Elle cherche parfois la consolation
auprès d’hommes plus séduisants.
:
D'après Abraham Bosse, Conversation de
dames en l'absence de leurs maris : le dîner,
XVII° siècle

La Préciosité : une nouvelle


image des femmes
Mais, peu à peu intervient une prise de
conscience. Au XVIIe siècle, se
développe un mouvement de
contestation : la Préciosité. Les
Précieuses veulent qu’on « donne du
prix » à la condition féminine et elles
revendiquent l’égalité entre l’homme
et la femme. Ce sont des
femmes souvent fortunées, parfois
veuves, qui, grâce à leur situation,
sont libres et, surtout, montrent
qu’elles sont autonomes et
indépendantes.
Pour qu’il y ait une égalité parfaite
entre l’homme et la femme, cette
dernière doit être instruite. Elles
réclament donc le droit de recevoir
une véritable éducation. Elles-mêmes
instruites, les Précieuses tiennent
salon dans les "ruelles". Elles y lisent
les romans à la mode, y reçoivent de
"beaux esprits", conversent autour de
leur sujet favori, l'amour.
Pour en savoir plus sur la
Préciosité
Le théâtre au XVII° siècle
Dans quels théâtres se jouent les
pièces ? Quelles sont les conditions
:
des représentations ? À quelles règles
obéit le théâtre classique ? En quoi
consiste l'idéal de "l'honnête homme"
? Autant d'éléments qui permettent de
mieux comprendre la comédie de
Molière.
Pour répondre à ces questions :
cliquer sur l'image

La structure de L'École des


femmes
Pour lire L'École des femmes
Un quiproquo : le double lieu
L’existence d’un double lieu est
mentionné par Arnolphe dans la scène
d’exposition, quand il explique à
Chrysalde : « [… comme ma demeure
/ À cent sortes de monde est ouverte
à toute heure, / Je l’ai mise à l’écart,
comme il faut tout prévoir, / En cette
autre maison où nul ne me vient voir. »
(vers 143-146) Il s’agit là de la
précaution prise par Arnolphe pour
isoler Agnès de tout contact social,
qui révèle déjà l’abus d’autorité sur la
jeune fille, quasiment séquestrée.
:
Décor créé par Christian Bérard pour la mise
en scène de Louis Jouvet au théâtre de
l'Athénée, en 1936
Ce double lieu, associé au double nom
du personnage, est la source du
quiproquo sur lequel est
fondée l’intrigue de la pièce. Là
encore, la scène d’exposition nous
apporte l’information. Chrysalde
utilise le nom d’Arnolphe : « il me
vient à la bouche, / Et jamais je ne
songe à Monsieur de la Souche », le
nouveau « nom de seigneurie » adopté
par Arnolphe. Il était, en effet,
fréquent, à cette époque, d’acheter un
titre de noblesse, et Arnolphe
revendique hautement, auprès de
Chrysalde, sa volonté : « Mais enfin de
la Souche est le nom que je porte : «
J’y vois de la raison, j’y trouve des
appas ; / Et m’appeler de l’autre est ne
m’obliger pas. » (vers 184-186)
Tout comme Chrysalde, Horace ne
connaît le héros que sous son nom
d’Arnolphe, alors que, pour le tuteur
de celle qu’il aime, Agnès, « C’est, je
crois, de la Zousse ou Source qu’on le
nomme : / Je ne me suis pas fort arrêté
sur le nom ; » (Acte I, 4, vers 328-329).
Il n’apprendra ce double nom qu’à la
fin de la pièce (Acte V, scène 7), et
comprendra alors son erreur, cause de
tant de péripéties.
:
Illustration pour l'édition de 1719 de L'École
des femmes : Agnès entre Arnolphe et Horace.

Les confidences d'Horace


De là vient la structure de l’intrigue,
organisée autour de cinq rencontres :
à chaque fois, Horace se confie à
Arnolphe, sans la moindre crainte.
- Acte I, scène 4 : Il lui confie sa
rencontre avec Agnès et son amour
naissant. Arnolphe va tirer profit
de cette confidence : il coupe cours à
l’amour naissant d’Agnès en lui
annonçant son projet de l'épouser et
en lui interdisant de revoir le jeune
homme.
- Acte III, scène 4 : Il lui confie la ruse
d'Agnès (une lettre avec un naïf aveu
d'amour) qui détruit la première
"précaution" de celui-ci : l'obliger à
renvoyer Horace en lui jetant un
« grès ».
- Acte IV, scène 6 : Il lui confie son
projet de rendez-vous secret dans la
chambre d'Agnès. Arnolphe charge
alors ses serviteurs de l’en empêcher.
- Acte V, scène 2 : Horace, qui a déjoué
la ruse d'Arnolphe, lui confie son
projet d'enlever Agnès et lui demande
son aide. Après l'enlèvement, il lui
remet Agnès.
- Acte V, scène 6 : Horace confie à
Arnolphe le projet de son père de le
marier, et lui demande son aide.
Arnolphe fera tout, au contraire, pour
en dissuader Oronte.
Ainsi, chaque "confidence" d'Horace
entraîne une "précaution"
d'Arnolphe, mais chaque
:
d'Arnolphe, mais chaque
"précaution" se révèle inutile et se
retourne contre lui.

Le comique dans L'École


des femmes
Pour découvrir le comique
Dans sa Préface, écrite après les
critiques adressées à sa pièce, Molière
insiste sur son but premier, faire rire
le public : « Bien des gens ont frondé
cette comédie ; mais les rieurs ont été
pour elle, et tout le mal qu’on en a pu
dire n’a pu faire qu’elle n’ait eu un
succès dont je me contente. »
Pour provoquer le rire, il dispose d’un
double héritage, venu de l’antiquité
romaine, elle-même héritière de la
comédie grecque.
D’un côté, il y a Plaute, qui, après
Aristophane, privilégie les procédés
de la farce, jeux cocasses sur les mots,
gestes excessifs, jusqu’à la grossièreté
parfois. Cette tendance est renforcée,
chez Molière, par sa collaboration
avec les Comédiens italiens qui
mettent en scène la commedia
dell’arte.
De l’autre côté, il y a Térence qui,
après Ménandre, veut surtout mettre
en évidence le ridicule des caractères
et des mœurs en élaborant des
situations plus complexes.

En unissant ces deux tendances,


Molière parvient ainsi à toucher aussi
bien le public populaire, celui du
« parterre », que les spectateurs plus
raffinés, même si certains se
montrent choqués par des effets
comiques jugés de « bas niveau ».
Mais surtout il s’agit pour lui de
critiquer les mœurs de ceux qui ne
:
critiquer les mœurs de ceux qui ne
sont guidés que par une obsession,
qu’il ridiculise à plaisir, et de dénoncer
certains abus de la société de son
temps.

Gilles Comode, Patrick Paroux et Joanna


Jianoux dans la mise en scène de Philippe
Adrien

Le comique de gestes
On reconnaîtra d'abord le comique né
des gestes, des mouvements, des
mimiques, explicitement signalés
dans les didascalies. Héritage de la
commedia dell'arte, il se manifeste à
travers le jeu bouffon des deux
serviteurs, Georgette et Alain. C'est
notamment le cas des bousculades
entre eux, et des coups reçus à l’acte I,
scène 2, qui suscitent chez eux une
véritable terreur face à leur maître. On
note aussi le comique de répétition,
comme le chapeau ôté de la tête
d'Alain trois fois dans cette scène, ou
la répétition du rejet d’Horace à la
scène 4 de l’acte IV.
:
Les révérences d'Agnès

Il faut aussi imaginer les gestes et les


mouvements nés du texte, et que
l'acteur, guidé par son metteur en
scène, va créer librement. C'est
notamment le cas pour les deux
protagonistes par exemple pour la
gestuelle dans le récit d’Agnès (Acte II,
5) avec les révérences répétées de
celle-ci pour mimer la rencontre. Pour
Arnolphe, on peut imaginer à l’acte I,
scène 4, ou à l’acte III, scène 4, après
qu'Horace lui a lu la lettre d'Agnès, les
mimiques suggérées par les apartés,
ou sa toux forcée :
"ARNOLPHE, à part. - Hon ! chienne !
HORACE. - Qu'avez-vous ?
ARNOLPHE. - Moi ? rien ; c'est que je
tousse."
Le comique de mots
On retrouve les personnages comiques
chers à Molière : le valet, ici doublé du
paysan. Ces rôles lui permettent de
jouer sur les accents, le patois, les
fautes de langue, tels "les biaux
messieurs" dont parle Georgette.
Mais la pièce comporte les principales
caractéristiques du comique de mots,
à commencer par le "bon mot"
d’Agnès cité à l’acte I, scène 4 par
Arnolphe : "si les enfants qu'on fait se

faisaient par l'oreille".


:
L'École des femmes de…

Mise en scène de L'École des femmes par


Didier Bezace, 2001
Parfois c’est le contexte qui rend le
mot plaisant, comme la comparaison
d'Alain, "la femme est justement le
potage de l'homme" (II, 3) ou les
tautologies : v. 423-425 et 446. Enfin
Molière ne recule pas devant
l’équivoque, avec la répétition du «
le… », qui laisse le spectateur – et
Arnolphe – imaginer un geste à
connotation sexuelle.

Mise en scène de Robert Manuel, 1995 :


Emmanuelle Livry et Michel Galabru

Le comique de caractère
Le comique de caractère naît toujours
d'un décalage par rapport à la norme
sociale. Chez Arnolphe, l'obsession de
ne pas être "cocu" tourne à la
monomanie, et le rend ridicule, par
exemple quand il tombe dans l'excès
en parodiant le tragique (III, 5). Quant
:
en parodiant le tragique (III, 5). Quant
à Agnès, sa naïveté est tellement
exagérée qu'elle fait sourire,
notamment quand elle fait le récit de
sa rencontre avec Horace, ou qu'elle
prend au sens premier le discours de
la vieille entremetteuse.
Deux caractères comiques

Le comique de situation
Le comique de situation est la base
même de l’intrigue de la pièce, avec
les confidences d'Horace sur ses
projets, dues au quiproquo sur son
double nom. Arnolphe tente en vain de
le combattre : chaque précaution se
retourne contre lui. Mais il est obligé
de garder le silence, face à Horace. Le
public, complice, rit alors des
apartés, par exemple " Ah! je crève..."
quand il écoute le portrait fait de lui (I,
4), ou apprend la ruse d'Agnès (III, 4),
et du ton tragique qu'il adopte alors. Il
en va de même face à Agnès avec le
rôle des apartés quand il écoute le
récit de la rencontre d'Horace et
l'éloge du jeune homme.
Conclusion
Mais Molière s'écarte de la farce par
un emploi du comique plus original :
il le fait intervenir au moment où la
tension dramatique pourrait rendre la
situation des personnages pathétique,
ou bien quand le conflit s'intensifie.
Faire rire est donc le moyen de créer
un mouvement de bascule, en
ramenant le public vers ce qui n'est,
après tout, que du théâtre, fiction,
illusion... Il enrichit ainsi la comédie,
tout en donnant aux metteurs en
scène une totale liberté

d'interprétation. Certains choisiront


d'accentuer le poids du comique,
:
d'accentuer le poids du comique,
d'autres, au contraire, suivront le
sentiment de Musset qui déclare à
propos de Molière, comme le
remarque Musset en 1840 dans son
poème "Une soirée perdue" : "Cette
mâle gaieté, si triste et si profonde
/ Que, lorsqu’on vient d’en rire, on
devrait en pleurer."

Le dénouement de L'École des


femmes
Pour découvrir le dénouement

ECOLE DES FEMMES …

Le dénouement avec Michel Galabru


Le dénouement classique doit
répondre à trois "règles". Il doit
être complet : le plus souvent, il réunit
sur scène tous les personnages,
comme dans cette pièce ; il doit être
rapide ; enfin, il doit être nécessaire,
c’est-à-dire satisfaire la logique de
l'intrigue, mais aussi la morale. Mais
que penser de l’arrivée du père
d'Agnès en compagnie de celui
d’Horace ? Est-elle vraisemblable ?
Les caractéristiques du
dénouement
Molière réalise un dénouement
rapide : trois scènes suffiront, dont la
scène 8, très brève, pour dénouer
l'intrigue. Elle reposait sur le
:
l'intrigue. Elle reposait sur le
quiproquo que l'on retrouve au début
de la scène 7 : Arnolphe, à qui Horace
a demandé son aide pour empêcher
son père de le marier, se retourne
contre lui, à sa grande surprise : "Ah !
traître !". Or, il suffira d'une phrase de
Chrysalde, "C'est Monsieur de la
Souche, on vous l'a déjà dit", pour
qu'Horace comprenne le
machiavélisme d'Arnolphe et sa propre
erreur. Tous les personnages sont alors
présents sur scène pour assister à sa
"chute" et à son humiliation, le
dénouement est donc bien complet.

Molière recourt à la technique


du « deus ex machina », héritée de la
comédie antique. Un personnage,
souvent un dieu ou un envoyé des
dieux, descendait d'une "machine" sur
scène, et venait tout arranger en
révélant la vérité : une naissance
secrète, un enfant enlevé... Or, ce
procédé n'est guère vraisemblable,
car tout semble se résoudre au
dernier moment, comme par miracle !
Pour échapper à ce reproche, Molière
prend donc soin d’annoncer ce retour,
dès la scène 4 de l'acte I : on y apprend
l’arrivée prochaine du père d'Horace
accompagné d’un « seigneur
Enrique », mais Horace déclarait alors
: "La raison ne m'en est pas connue".
Elle est précisée à la scène 6 de l'acte
V, qui se présente comme l'ultime
péripétie : "il m'a marié sans m'en
récrire rien" avec la "fille unique"
d'Enrique, déclare Horace. Pourtant au
moment même où il veut « respecter la
vraisemblance », Molière s’amuse à
subvertir cette exigence, en renforçant
l’invraisemblance du double retour par
des répliques symétriques, des
:
des répliques symétriques, des
distiques (2 vers), dans lesquels
Oronte et Chrysalde enchaînent les
explications en se faisant écho. Si l'on
imagine que la mise en scène place
Arnolphe entre eux deux, cela ne peut
que produire un effet comique qui
achève de détruire toute illusion de
vérité.
Ainsi la vérité sur la naissance d'Agnès
produit un retournement de situation
brutal, un coup de théâtre. Face à
cette découverte, Arnolphe pousse un
dernier cri, "Oh!", et la didascalie
précise "ne pouvant parler". S'agit-il
d'un cri de colère, ou d'un constat
d'échec, souligné par la réplique
précédente de Chrysalde qui le réduit
au silence ? Pour le spectateur, c'est,
en tout cas, une satisfaction de voir
les excès d'Arnolphe ainsi punis, la
morale est sauve.
La leçon donnée par Molière
Bien sûr, le but de Molière est d'abord
de faire rire : il reprend pour cela un
des thèmes favoris de la farce, le mari
trompé et l'inépuisable ruse
féminine, et un personnage de la
commedia dell’arte, l’amoureux
étourdi. Mais, à son époque, les goûts
ont évolué sous l'influence de la
Préciosité et de son intérêt pour les
péripéties amoureuses. De plus, il
considère que toute comédie doit
aussi "instruire" le public.

L'évolution d'Agnès
La naissance de l'amour
L’acte I a présenté Agnès, sans qu’elle
ne paraisse en scène. Son
« innocence » a été soulignée par
Arnolphe, ainsi que son ignorance :
:
Arnolphe, ainsi que son ignorance :
« la rendre idiote autant qu’il se
pourrait ». La scène 5 de l’acte II
confirme cette présentation à travers
son peu de conversation, par l’aveu
naïf de sa rencontre avec Horace, et la
façon dont elle s’est fait duper par
l’entremetteuse.

La naïveté d'Agnès

Cependant la fin de la scène montre


déjà un éveil du sentiment amoureux,
qu’elle ne sait pas encore définir : «
[…] là-dedans remue / Certain je ne
sais quoi dont je suis toute émue. » (v.
563-564). Peu à peu, face aux propos
d’Arnolphe, elle accède à la
conscience de soi. Elle ose d’abord
le contredire : « Oh ! point. Il me l’a dit
plus de vingt fois à moi » (v. 593). Puis
elle met en doute, par ses questions,
la parole d’Arnolphe (v. 600 – v. 602).
Enfin elle formule un reproche
implicite : « Et je ne savais pas encore
ces choses-là ». À la fin de la scène 5,
on constate donc un début de
résistance, encore très timide
cependant.
La révolte de l'amour
C’est par Horace que nous apprenons
d’abord l’évolution d’Agnès dans les
deux actes suivants. La lettre qu’elle a
eu l’audace de joindre au « grès » jeté
révèle déjà la puissance de l’amour

(Acte III, scène 4). La décision qu’elle a


:
(Acte III, scène 4). La décision qu’elle a
été capable de prendre, recevoir
Horace dans sa chambre et le cacher à
l’arrivée d’Arnolphe (Acte IV, scène 6),
confirme le fait qu’elle est devenue
capable de lutter pour son amour.
L'acte V la montre pleinement
devenue femme. Arnolphe lui-même
signale cette évolution dans la scène 4
de cet acte : « Et vous savez donner
des rendez-vous la nuit / Et pour
suivre un galant vous évader sans
bruit. » Mais, en devenant femme, elle
a perdu son « innocence », dans le
sens étymologique du mot, c’est-à-dire
qu’elle a acquis le pouvoir de faire
souffrir l’homme, de « faire du mal ».
Parallèlement, elle a fait évoluer
Arnolphe, qu’elle oblige à un aveu
amoureux.

Isabelle Adjani dans le rôle d'Agnès


Incapable de créativité dans la parole
au début de la pièce, elle peut à
:
au début de la pièce, elle peut à
présent conduire un raisonnement, en
retournant contre Arnolphe ses
propres arguments : « J’ai suivi vos
leçons, et vous m’avez prêché / Qu’il
se faut marier pour ôter le péché ». De
même, elle sait comparer deux
conceptions du mariage, vu par
Arnolphe (« fâcheux et pénible ») et vu
par Horace : « rempli de plaisirs ».
Elle accède à la conscience, en étant
maintenant capable de définir ce
qu’elle ressent, et d’affirmer son
amour avec force : « Oui, je l’aime ».
De ce fait, elle s’affirme elle-même, en
répondant point par point à Arnolphe
dans la stichomythie. Elle a mesuré
son mépris envers elle, et ne se laisse
plus humilier. Au rappel grossier du
coût de sa nourriture, elle répond à
son tour avec mépris : « Non, il vous
rendra tout jusques au dernier
double. »

Une mise en scène de la Compagnie


Colette Roumanoff au théâtre Fontaine
Pour mesurer l'évolution
d'Agnès, l'œuvre intégrale
Elle a également pris conscience de
son ignorance, due à la volonté
d’Arnolphe, et exprime le désir
d’apprendre : « Je ne veux plus passer
pour sotte si je puis. » Cette
affirmation de soi va de pair avec une
:
affirmation de soi va de pair avec une
forme d’égoïsme, nécessaire pour se
protéger : ses réponses sont
blessantes pour Arnolphe, dont elle
rejette les déclarations d’amour.
Elle accède ainsi à la dignité.

Analyse de trois extraits :


acte III, scènes 2 et 4 - acte V,
scène 4

Acte III, scène 2 : Les devoirs du


mariage Pour lire l'extrait
(vers 679-728)

Frontispice de L'École des femmes, édition de


1663
INTRODUCTION

Les deux premiers actes ont permis


aux spectateurs de découvrir
"l'innocence" d'Agnès,
soigneusement entretenue par
Arnolphe qui a pris cette précaution
dans sa peur d'être fait "cocu" par
celle qu'il a bien l'intention d'épouser.
Mais Arnolphe a appris, par les
confidences d'Horace, ignorant qu'il
se livre précisément au tuteur
d'Agnès, comment ce dernier a pu
séduire celle-ci. Après le récit naïf de
leurs rencontres par Agnès,
:
leurs rencontres par Agnès,
Arnolphe interdit à la jeune fille de le
voir, lui ordonnant de jeter "un grès"
par la fenêtre pour le chasser: "Je suis
maître, je parle : allez, obéissez." (II,
5).
À l'acte III, il lui annonce qu'il est lui-
même son futur époux.
Quelles conceptions du mariage le
discours d'Arnolphe développe-t-il ?
LE PORTRAIT D'ARNOLPHE
Dans les actes précédents, Arnolphe
s'était déjà montré vicieux dans son
désir de mettre une si jeune fille dans
son lit, machiavélique dans tous les
calculs qu'il fait pour écarter son rival,
et ridicule dans son obsession du
cocuage et ses réactions excessives.

Agnès et Arnolphe dans une mise en scène de


J. Lassalle à la Comédie française
Ici éclate son mépris pour Agnès. Il
est enfermé dans l'orgueil de sa
:
est enfermé dans l'orgueil de sa
propre supériorité comme en
témoigne le ton solennel adopté au
début du texte, avec "bénir l'heur de
votre destinée", comme si cet union se
faisait avec un dieu qui daignait
s'abaisser à épouser une simple
mortelle, ou "nœud glorieux" avec la
diérèse qui renforce l'adjectif. Il la
rabaisse totalement, par un lexique
péjoratif pour son origine sociale :
"bassesse", "le peu que vous étiez",
"vil état de pauvre villageoise".
Cela révèle aussi son égoïsme. À
travers la façon dont il présente ce
mariage, on comprend qu'en réalité la
condition sociale d'Agnès est pour lui
un avantage car il pourra mieux la
dominer grâce à la reconnaissance
qu'elle lui devra : "admirer ma bonté",
"l'honneur qu'il vous veut faire", à
mériter l'état où je vous aurai mise".
En même temps, il développe un éloge
de sa propre personne pour lui
montrer à quel point il lui fait une
faveur en l'épousant, mais sans
penser un seul instant aux sentiments
de la jeune fille. Il ne l'épouse en fait
que pour lui : "jouir de la couche et des
embrassements..." (vers 685-688)
Son aspect odieux est manifeste dans
ce passage.
L'IMAGE DU MARIAGE
Parallèlement Arnolphe se livre à une
violente critique des femmes. Dans le
mariage vu par Arnolphe, il n'existe
aucune confiance entre les époux
puisque la femme est, par nature, un
être corrompu qui ne pense qu'à "être
libertine et prendre du bon temps". De
plus, la société du XVII° siècle ayant vu
les Précieuses revendiquer leur
:
les Précieuses revendiquer leur
indépendance, il fait un portrait
péjoratif de ces "femmes d'aujourd'hui
qualifiées de "coquettes vilaines", et
de leurs "fredaines", c'est-à-dire leurs
aventures amoureuses avec les
"jeunes blondins".

Le terme "mariage" est amplifié par la


diérèse (vers 695) et associé à
"d'austères devoirs", repris au vers 714
: "Son devoir aussitôt est de baisser les
yeux". Le mariage n'est donc qu'un
ensemble de contraintes pour
l'épouse. Pour appuyer cette
conception, Arnolphe fait appel à
l'éducation religieuse reçue par Agnès
au couvent. Les jeunes séducteurs
deviennent donc des incarnations du
"malin" (du diable) et manquer à un
"devoir" est un péché, qui sera puni
comme tel : une vision de l'Enfer
destinée à faire peur à la future
épouse (vers 727-728) est alors
dépeinte.
Tout le discours vise à rabaisser la
femme à l'état d'esclave, comme le
montrent les négations : "Votre sexe
n'est là que..." ; elle est réduite à l'état
de "moitié". On notera le ridicule des
arguments : en quoi la "barbe" serait-
elle un signe de supériorité ?
L'absurdité du raisonnement
mathématique ressort : "Ces deux
moitiés pourtant n'ont point
d'égalité", avec la fausse symétrie de
"l'une" et "l'autre". Une série
d'exemples soutient cette
argumentation, en jouant sur une
triple gradation. La première porte sur
les hiérarchies évoquées (v. 705-708),
et est elle-même inférieure à une
deuxième gradation : l'énumération

des qualités exigées de la femme, avec


:
des qualités exigées de la femme, avec
le renchérissement des "et" (v. 709-
711). Arrive alors la troisième
gradation, qui définit le rôle de
l'époux tout-puissant : "son mari, son
chef, son seigneur et son maître".

Ecole des femmes III,2

Mise en scène de L'École des femmes par


Didier Bezace, 2001
Le mariage vu par Arnolphe
CONCLUSION
Ce texte dépeint une réalité sociale du
XVII° siècle : la femme mariée est
juridiquement mineure, dépendante
en tout du conjoint, et, à sa mort, de
son fils aîné.
Et cette conception est soutenue par
l'Église, à partir des épîtres de Saint-
Paul : pour lui la femme pécheresse
est un "cloaque". C'est ainsi que
l'Église éduque ainsi les filles dans les
couvents. Donc, en ridiculisant cette
conception, c'est aussi l'Église que
Molière attaque. Il va ainsi se faire ses
premiers ennemis, les "dévots", alors
puissants.
Molière se fait ici le défenseur de
l'égalité des sexes, conception très
moderne, puisqu'elle est encore loin
d'être réalisée au XXI° siècle.

Acte III, scène 4 : L'école de


l'amour
:
(vers 844-947)
INTRODUCTION

Après les confidences d’Horace,


Arnolphe a appris d’Agnès elle-même,
encore tout à fait innocente, sa
rencontre avec lui et son amour
naissant. Il interdit alors à la jeune
fille de le voir, lui ordonnant de jeter
« un grès par la fenêtre » pour le
chasser, et lui annonce que lui-même
va l’épouser : « Je suis maître, je parle
: allez, obéissez. » (II, 5) Puis il lui
annonce, dans la scène 2 de l’acte III,
qu’il est lui-même son futur époux,
en la félicitant de son obéissance.
Mais, à la scène 4, Horace arrive.
En quoi cette scène constitue-t-elle
un tournant dans l’intrigue ?
LA PRÉCAUTION INUTILE
Après de brèves salutations, des vers
844 à 852, le passage, qui répond à
l’interrogation d’Arnolphe, est
construit en deux temps, inverses, le
triomphe d’Arnolphe face aux échecs
d’Horace (vers 852-895) et son
dépit en apprenant la ruse d’Agnès
(vers 896-947), introduits par le
connecteur d’opposition « Mais ».
Déjà sa volonté d’abréger les
salutations révèle sa joie, son
impatience, son désir de savourer le
triomphe dont il est certain. En même
temps le terme qu’il choisit, « vos
amourettes », qui diminue la valeur
accordée à l’amour, montre le peu de
prix qu’il accorde à ce sentiment. Il se
réjouit donc par avance de l’échec de
son rival : « Oh ! oh ! comment cela ? »
en réponse au mot « malheur »
employé par Horace, est en fait un cri
de triomphe ; « La porte au nez »,
:
répété en écho à la phrase d’Horace,
montre qu’il est plein d’enthousiasme
en entendant Horace lui raconter la
façon dont ses ordres ont été bien
exécutés.

1er temps de la rencontre : la joie d'Arnolphe,


par la Compagnie Jean Thomas, Avignon
Mais, en même temps, Arnolphe est
obligé d’être hypocrite en continuant
à feindre d’être l’ami d’Horace. Il joue
l’ignorant par ses questions : « D’où
diantre ! a-t-il sitôt appris cette
aventure? » (v. 864), « Ils n’ont donc
point ouvert ? » (v. 876), « Comment,
d’un grès ? » (v. 880). Il accentue aussi
l’intérêt qu’il porte à cette aventure
amoureuse, en faisant semblant de le
plaindre : « Quel malheur ! » (v. 862),
« je trouve fâcheux l’état où je vous
vois » (v. 883) accentué par « Certes
j’en suis fâché pour vous, je vous
proteste » (v. 885). Il joue même à le
consoler, en feignant d’entrer dans son
:
consoler, en feignant d’entrer dans son
camp, de lui apporter son soutien :
« de vous raccrocher vous trouverez
moyen » (v. 887), « Cela vous est
facile » (v. 890). Une étape a donc été
franchie : Arnolphe ne se contente
plus de recevoir des confidences, il
savoure l’effet de son plan.
Puis Horace crée un effet d’attente,
par le connecteur d’opposition
« Mais », et la reprise du verbe : « ce
qui m’a surpris », « va vous
surprendre » (v. 896). On peut
imaginer le changement de visage
d’Arnolphe, inquiet, mais qui devra
attendre le vers 915 pour savoir quel
est cet « incident ».

2ème temps de la rencontre : le dépit et la


colère d'Arnolphe
On peut ensuite imaginer ses
réactions de dépit et de
colère par la série de questions à la fin
de la tirade d’Horace, avec la reprise
du même verbe (« n’êtes-vous pas
surpris? ») et l’interjection « Euh! » (v.
923) qui marque sa surprise devant le
silence d’Arnolphe, obligé de se
contraindre. Horace renforce ce
sentiments par ses impératifs
insistants, « Dites », « Riez-en donc un
peu » (v. 926), que
souligne la didascalie, répétée à cause
de l’insistance d’Horace : « un ris
forcé » , puisqu’il est obligé de rire
pour ne pas éveiller les soupçons
d’Horace. D’ailleurs l’aparté
:
d’Horace. D’ailleurs l’aparté
d’Arnolphe, avec son insulte à Agnès,
« friponne », révèle sa colère.
Enfin, il est obligé d’entendre sa
propre critique et de supporter les
éclats de rire d’Horace qui le peint
comme un homme ridicule avec ses
précautions inutiles : « mon jaloux »,
« cet homme gendarmé ».

Le comique de cette scène vient donc


de l'inversion de situation au cours du
dialogue. Le public rit du dépit
d’Arnolphe qui ne peut apparaître que
comme une juste punition d’avoir
voulu « tenir dans l’ignorance
extrême » (v. 933) Agnès, ce qui est
d’ailleurs confirmé par l’aparté
d’Arnolphe : « Contre mon dessein l’art
[de l'écriture] t[e] fut découvert. » (v.
946).
LA PUISSANCE DE L'AMOUR
Jusqu’à présent Horace faisait surtout
l’éloge de la beauté d’Agnès, qui avait
été présentée comme naïve et
innocence, image que ses réactions
face à Arnolphe avaient confirmée. Or,
ici le discours d’Horace a évolué.
Certes il évoque toujours Agnès
comme « cette jeune beauté » et parle
de « sa simplicité », mais on le sent
sincèrement touché par la sincérité
d’Agnès : « Tout ce que son cœur sent,
sa main a su l’y mettre » (v. 941), « la
pure nature » (v. 944). L’éloge éclate
pleinement dans l’énumération des
vers 942-943. La lecture de la lettre
révèle en effet l’habileté de la phrase
qui a accompagné le « grès », avec son
double sens : « je sais tous vos
discours » se comprend, pour
Arnolphe, comme « j’ai compris qu’ils
étaient mensongers », mais, pour
:
Agnès, cela signifie « je crois », et,
bien sûr, « voilà ma réponse » n’est
pas « le grès » mais la lettre.
Le public ne peut que se placer dans le
camp de ces deux jeunes amoureux,
touchants par leur vérité.
La lettre d'Agnès à Horace

Je veux vous écrire, et je suis bien en peine


par où je m’y prendrai. J’ai des pensées que
je désirerais que vous sussiez ; mais je ne
sais comment faire pour vous les dire, et je
me défie de mes paroles. Comme je
commence à connaître qu’on m’a toujours
tenue dans l’ignorance, j’ai peur de mettre
quelque chose, qui ne soit pas bien, et d’en
dire plus que je ne devrais. En vérité je ne
sais ce que vous m’avez fait ; mais je sens
que je suis fâchée à mourir de ce qu’on me
fait faire contre vous, que j’aurai toutes les
peines du monde à me passer de vous, et
que je serais bien aise d’être à vous. Peut-
être qu’il y a du mal à dire cela, mais enfin
je ne puis m’empêcher de le dire, et je
voudrais que cela se pût faire, sans qu’il y
en eût. On me dit fort, que tous les jeunes
hommes sont des trompeurs, qu’il ne les
faut point écouter, et que tout ce que vous
me dites n’est que pour m’abuser ; mais je
vous assure que je n’ai pu encore me
figurer cela de vous, et je suis si touchée de
vos paroles, que je ne saurais croire qu’elles
soient menteuses. Dites-moi franchement
ce qui en est : car enfin, comme je suis sans
malice, vous auriez le plus grand tort du
monde, si vous me trompiez. Et je pense
que j’en mourrais de déplaisir.
:
Gabriel-Jacques de Saint-Aubin, Le Triomphe
de l'amour sur tous les dieux, 1752. Huile sur
toile. Musée des Beaux-Arts de Rouen
Dans un second temps, Molière
profite de cette scène pour se livrer
à un éloge de l’amour. Il s’ouvre par
une formule empruntée à l’auteur
tragique Corneille : « l’amour est un
grand maître » (v. 900), repris par la
comparaison à « des miracles ». Ainsi
les termes sont choisis pour donner
l’impression d’un effet magique, tels
les verbes « surprendre » ou
« admirer », plusieurs fois répétés. De
même le mot « flammes », banal dans
le vocabulaire amoureux du XVII°
siècle, prend ici une autre valeur, celle
du feu de l’alchimiste qui transforme
le plomb en or : l’amour a transformé
l’Agnès naïve, un peu sotte même, en
une Agnès fine. Cet éloge est soutenu
par une série d’antithèses, qui
montre la puissance de ce
sentiment sur les traits de caractère :
vers 906-907.

Une telle insistance montre bien qu’il


s’agit là du message inscrit dans le
titre même de la pièce : dans cette
« école », c’est l’amour qui joue le
rôle du maître, et nul ne peut lutter
contre lui, selon Molière.
CONCLUSION

Dans l’acte III, Agnès ne parle que


dans la scène 2, et il ne s’agit même
pas d’une parole personnelle,
puisqu’elle ne fait que lire "Les
Maximes du mariage". Cependant, elle
ne cesse d’être présente à travers les
monologues d’Arnolphe et le récit
:
monologues d’Arnolphe et le récit
d’Horace : le public mesure
l’importance de l'évolution de la
jeune fille, et cette scène constitue
bien un tournant dans l’intrigue.
Molière fait ici un plaidoyer en faveur
de la sincérité du cœur, de la vérité
des sentiments, que l’on retrouve dans
toutes ses pièces de théâtre. Toutes
révèlent, en effet, ses combats contre
les hypocrites, contre tous ceux qui
affectent des manières artificielles.
Ainsi, sa pièce est surtout un
plaidoyer en faveur de l'amour. Il a
donné à son Horace une dimension
que n'avaient pas les jeunes amoureux
de la commedia dell'arte : il n'est plus
seulement un jeune homme séduit par
la beauté physique, et un peu
écervelé, mais celui qui, touché par
Agnès, l'initie au bonheur d'aimer. De
même, Agnès ne reste par longtemps
la jeune fille sotte du premier acte :
elle devient très vite une femme prête
à se battre pour défendre son amour.
À plusieurs reprises dans la pièce,
Molière a insisté sur le fait que
l'amour possède une réelle puissance
: « l’amour est un grand maître », c'est
bien lui qui fait évoluer Agnès.

Acte V, scène 4 : Le triomphe de


l'amour
INTRODUCTION

Malgré les confidences successives


d’Horace, toutes les précautions
d’Arnolphe pour l’écarter d’Agnès, qu’il
veut épouser lui-même, ont échoué.
Horace a même réussi à enlever la
jeune fille. Mais, toujours confiant en
l’amitié d’Arnolphe, il lui confie Agnès.
Arnolphe, « le nez dans son manteau »
pour qu’Agnès ne le reconnaisse pas,
:
pour qu’Agnès ne le reconnaisse pas,
l’entraîne.
Quelle évolution psychologique des
personnages cette scène révèle-t-elle
?
UNE SCÈNE DE CONFLIT
Le conflit, qui éclate dès qu’Agnès
reconnaît Arnolphe, va croissant
jusqu’à la menace physique. Mais la
réaction soumise d’Agnès, au vers
1568, inverse la situation, en
contraignant Arnolphe à changer de
ton.

Le ton d’Arnolphe révèle, au début,


une véritable indignation face à la
fuite d’Agnès avec Horace. On relève
dans ses répliques toutes les
caractéristiques du registre
polémique, à commencer par un
lexique péjoratif, notamment les
nombreuses insultes envers Agnès
(« friponne », « coquine »,
« impertinente »), les jurons (« Tudieu
! « , « diantre ! », « Peste ! »), et
jusqu’à une comparaison animale qui
fait d’elle l’image du démon : « petit
serpent que j’ai réchauffé dans mon
sein ». Cela est renforcé par la
modalité exclamative, avec les
interjections, telles le « Ah ! »,
fréquent, qui ponctuent toute la
première tirade. Les questions
révèlent la blessure d’Arnolphe, et son
ironie est très amère : « Le deviez-
vous aimer, impertinente ? » (v. 1023)
ou aux vers 1530-1531. Enfin l’on
reconnaît la stichomythie, quand,
sous l’effet de la colère, les
personnages se répondent mot par
mot, par exemple des vers 1520 à
1533.
:
Acte III, scène 3 : Horace confie Agnès à
Arnolphe
Arnolphe semble découvrir une
nouvelle Agnès, qui représente
précisément ce qu’il affirmait détester
au Ier acte : « Voyez comme raisonne
et répond la vilaine! / Peste! une
précieuse en dirait-elle plus ? » (v.
1541-1542)
Les reproches adressés à Agnès
viennent surtout de sa jalousie, car il
a été obligé d’écouter les paroles
amoureuses échangées par les deux
jeunes gens : « Tudieu comme avec lui
votre langue cajole ! »(v. 1496). Ainsi il
lui reproche son inconduite, un
manque de morale : « des rendez-vous
la nuit », « vous évader sans bruit »,
« Suivre un galant n’est pas une action
infâme ? ». Mais derrière cette
jalousie, on sent la possessivité
d’Arnolphe, son égoïsme profond, et
son orgueil blessé, qui le conduisent
:
son orgueil blessé, qui le conduisent
jusqu’à la menace de violence : « une
gourmade », « quelques coups de
poing » (v. 1564-1567). À cela s’ajoute
le reproche le plus odieux, celui
d’ingratitude : « Malgré tous mes
bienfaits former un tel dessein ! » (v.
1502) De façon grossière, il lui
rappelle les dépenses faites pour elle,
« les obligations », « les soins d’élever
[son] enfance ». Ce conflit prouve
qu’Arnolphe reste incapable de
comprendre les effets d’un amour
sincère : « Il faut qu’on vous ait mise à
quelque bonne école. / Qui diantre
tout d’un coup vous en a tant appris
? » (v. 1497-1498).
Effectivement, on constate une réelle
évolution d’Agnès depuis l’acte II :
elle se révolte contre Arnolphe. On
observe d’abord son aptitude nouvelle
à raisonner, soulignée par Arnolphe.
Ainsi elle retourne contre Arnolphe
ses propres arguments : « J’ai suivi vos
leçons… » (v. 1510-1511) ; elle est
capable de comparer deux
conceptions du mariage, celle
d’Horace et celle d’Arnolphe aux vers
1514-1519 ; enfin elle peut se juger
elle-même, en prenant conscience de
son ignorance aux vers 1554-1559. De
plus, alors qu’elle n’était même pas
capable d’identifier ce sentiment dans
l’acte I, elle ose à présent affirmer son
amour pour Horace : « Oui, je l’aime ».
Par cette affirmation de son droit à
aimer (« Et pourquoi, s’il est vrai, ne le
dirais-je pas ? » au vers 1522), elle
reconquiert la dignité que lui refusait
Arnolphe, et devient capable de
distinguer le juste de l’injuste.
:
Capucine Ackermann dans le rôle d'Agnès

La révolte d'Agnès face à


Arnolphe
ARNOLPHE AMOUREUX
Découvrons-nous un nouvel Arnolphe
? C’est dans le monologue de la fin de
l’acte III, après avoir découvert la
lettre écrite par Agnès à Horace que,
pour la première fois, Arnolphe
déclarait : « Et cependant je l’aime »
(v. 998). Mais c’est uniquement ici
qu’il évoque cet amour, et on le sent
blessé et amer : « Je m’y suis efforcé
de toute ma puissance ; / Mais les
soins que j’ai pris, je les perdus tous. »
(v. 1537-1538) Il semble alors enfin
comprendre ce que lui expliquait
Horace : « Chose étrange d’aimer » (v.
1572) Il en arrive ainsi à supplier
Agnès (« aime-moi ») en se lançant
dans un long discours où il renonce à
tout ce en quoi il croyait, à commencer
par la soumission qu’il exigeait : « Tout
comme tu voudras tu pourras te
conduire » (v. 1596).
Mais le spectateur peut-il croire en la
sincérité de ce nouvel Arnolphe
? Difficilement, en raison de la
distanciation que Molière prend soin
de maintenir.
Arnolphe, en effet, n’a pas
vraiment changé, comme le montre
l’encadrement de son discours. Il
:
l’encadrement de son discours. Il
commence par une longue tirade dans
laquelle il continue à exprimer son
mépris pour les femmes, à travers un
long portrait où il énumère les défauts
(vers 1574-1579) de celles qu’il
désigne péjorativement par « ces
animaux-là ». Il est ponctué d’un
aparté, « Jusqu’où la passion peut-elle
faire aller ? », qui, plus que de
l’étonnement face à son propre
comportement, peut laisser supposer
que tout ce discours n’est qu’une
manœuvre de plus pour conserver
Agnès en triomphant de ce rival
auquel il ne cesse de se comparer :
« tu seras cent fois plus heureuse avec
moi » (v. 1591).
S’agit-il alors d’amour, ou d’un
orgueil qui ne peut supporter la
défaite ?

Arnolphe amoureux
La distanciation est également
due aux effets comiques produits par
une gestuelle que la didascalie, « Il
fait un soupir », permet d’imaginer :
Arnolphe imite tous les gestes des
galants, mais jusqu’à la caricature.
Ajoutons- y un lexique qui, en mêlant
le langage précieux (« traîtresse »,
« regard mourant », « soupir
amoureux », « cruelle », « te prouver
ma flamme »…) au langage familier
(« mon pauvre petit bec », « ce
morveux », » je te bouchonnerai »),
:
morveux », » je te bouchonnerai »),
rend cette éloquence totalement
ridicule. Les interrogations oratoires à
la fin de sa tirade tombent dans un
excès tel que ce discours amoureux
devient une caricature : « Veux-tu que
je m’arrache un côté de cheveux ? »
La tentative du héros pour se hausser
à la noblesse tragique, pour recourir
au pathétique afin de toucher Agnès,
ne sert en fait qu’à le transformer en
un prétendant ridicule.
Ainsi, son amour est nettement rejeté
par Agnès. Dès le début de la scène,
elle lui marque une absolue
indifférence : « Quel mal cela vous
peut-il faire ? » prouve qu’elle a très
bien compris ce qu’est l’amour
véritable, et n’a reconnu rien de tel
dans les discours d’Arnolphe. Mais
cette première réponse peut encore
passer pour l’effet de son
« innocence ». Elle est déjà nettement
moins « innocente » quand elle le
brave en le comparant ironiquement à
Horace dans les vers 1539-1540. Mais
elle ne l’est plus du tout à la fin de la
scène, quand elle le rejette avec
brutalité. « Innocence » signifie, en
effet, « incapable de nuire », or, ici
elle le blesse en profondeur, et
consciemment.
Mais le spectateur plaindra-t-il
Arnolphe ? Ne reçoit-il pas là le
résultat de son monstrueux égoïsme
?
:
Arnolphe aux pieds d'Agnès : l'inversion des
pouvoirs
CONCLUSION

Ce texte met donc en place une


inversion des rôles : c’est à présent
Agnès qui exerce sa domination sur
Arnolphe avec sa maîtrise du langage
et une claire conscience de ce qu’elle
attend de sa vie future. Elle a conquis
son identité de femme, et cette
revanche ne peut que réjouir le public.
Parallèlement la scène produit un
basculement du mensonge à la vérité.
Agnès avait grandi, en effet, dans un
mensonge, l’idée que l’amour était un
horrible péché, et Arnolphe aussi avait
entretenu l’illusion de ne pas être
trompé par une femme « sotte ».
À présent la vérité triomphe : l’amour
s'affirme pour ce qu’il est, « ce qui fait
du plaisir », et l’expression du cœur ;
Arnolphe est donc obligé de constater
que c’est une « chose étrange
d’aimer », acceptant en un éclair de
lucidité la leçon que Molière cherche à
donner dans sa pièce.
N’oublions pas que la pièce a été
composée l’année même où tant de
ses ennemis blâmaient Molière de son
mariage avec Armande Béjard, de
vingt ans plus jeune que lui. N’est-ce
pas là aussi la réponse qu’il leur
adresse ?
:
Le triomphe de l'amour : Agnès et Horace
réunis

Mais le dénouement lui donne une


force supplémentaire, car il a eu la
puissance de pousser les jeunes gens
l'un vers l'autre, alors même que leurs
pères les avaient promis l'un à l'autre.
Il devient donc un "surprenant
mystère", capable de créer en un être
l'instinct d'aimer ce qui, précisément,
lui est destiné : "Le hasard en ces
lieux avait prémédité, / Ce que votre
sagesse avait prémédité." (vers 1766-
1767)
Sa comédie est également un
plaidoyer en faveur de la nature. Il y
critique l'éducation donnée aux filles
dans les couvents, qui leur cache les
réalités naturelles de la vie. Elles
vivent ainsi dans un monde d'illusions,
où tout ce qui est naturel est présenté
comme un "péché". La dernière phrase
de Chrysalde, "rendre grâce au Ciel qui
fait tout pour le mieux", est une façon
d'affirmer que l'amour n'est pas
blâmable. Il reproche aussi aux
conventions sociales de contraindre la
nature, qui pousse la jeunesse vers la
jeunesse. Les mariages arrangés vont
contre cet instinct naturel, et contre
la volonté des jeunes gens, et sont
finalement causes d'adultère et de
malheur pour les familles.
Molière considère donc que la plus
grande règle est de suivre une morale
naturelle, celle qui préserve la vérité
des cœurs, sans tomber dans l'excès
:
des cœurs, sans tomber dans l'excès
d'une passion obsessionnelle, telle la
peur d'être trompé chez Arnolphe, et
en respectant la dignité et la liberté
d'autrui, tel Horace qui ne profite pas
de la naïveté d'Agnès.

Ghislaine Cotentin
Professeure agrégée de Lettres classiques

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