Fre o

Vous aimerez peut-être aussi

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 94

N o u s voyons trop grand

A u c u n d'entre nous n'a jamais vu u n atome,


et nous ne possédons m ê m e pas en nous quelque intuition
qui nous aiderait à visualiser u n phénomène à l'échelle atomique.
L a découverte de la mécanique quantique
et d u principe d'incertitude
a démontré que non seulement l ' h o m m e pouvait s'arracher
à des notions profondément enracinées,
mais encore découvrir
et accepter des faits qu'il était pourtant incapable
de se représenter visuellement.
Lev D . Landau (1908-1968)

[D'après Alexandre Dorozynski, Landau, l'homme qu'on n'a pas laissé mourir,
Paris, Laffont, 1966. (Reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.)]

Médaille conçue par Siv Holme Muse


Médaille frappée par la Monnaie de Paris
Photographie : Unesco/Claude Michel
Niels Bohr
et l'infiniment petit

3 Presentation

5 Niels Bohr : un aperçu de sa vie et de son œuvre


Jergen Kalckar

15 Niels Bohr et la coopération scientifique internationale


Peter Robertson

23 L e m o n d e sans frontières de Niels Bohr


Erik Rüdinger

27 L'idéal d'un m o n d e sans secrets ni barrières


Niels Bohr

39 L'exemple de Niels Bohr


S. T. Belyaev

51 Compléments naturels
K. C. Cole

55 U n e rencontre inoubliable et une profonde amitié


Wang Gan-chang

63 Niels Bohr, physicien et chef d'école


Pierre Aigrain

69 Les modules de base de la nature : comment on conçoit aujourd'hui


la structure de la matière
D. A. Akyeampong

83 Tribune des lecteurs

© Unesco 1985
I S S N 0304-2944
ISSFAF 35 (1) 1-86 (198s)
Avis aux lecteurs
Impact : science et société est publié régulièrement par l'Unesco non seulement en
anglais et en français, mais également en chinois, en russe et en coréen. Pour
obtenir des informations concernant ces trois dernières éditions, prière de
s'adresser à :
Chinois. T h e Association for the Journal of Dialectics of Nature, c/o Academia
Sinica, 20th Building, Friendship Hotel, Box 300, Beijing (République
populaire de Chine).
Russe. T h e U S S R State Committee for Publishing, c/o T h e U S S R National
Commission for Unesco, 9 Prospekt Kalinina, Moskva G - 1 9 ( U R S S ) .
Coréen. Commission nationale de la République de Corée, P . O . Box Central 84,
Séoul (République de Corée).

Les auteurs sont responsables du choix et de la présentation des faitsfigurantdans leurs articles ainsi que des
opinions qui y sont exprimées, lesquelles ne sont pas nécessairement celles de l'Unesco et n'engagent pas
l'Organisation.
Les références supplémentaires de la rubrique intitulée « Pour approfondir le sujet >, qui apparaît à la fin
de certains articles, sont normalement choisies par la rédaction de la revue.
Les textes publiés peuvent être librement reproduits et traduits (sauf lorsque le droit de reproduction ou de
traduction est réservé) à condition qu'il soit fait mention de l'auteur et de la source.
Présentation
Afin de célébrer le centenaire de la naissance de Niels Henrik David Bohr,
physicien danois qui élabora la théorie de la physique quantique, nous
présentons un numéro réalisé spécialement pour marquer cette date importante
dans l'histoire des sciences exactes et naturelles.

O n appelle mécanique quantique la physique mathématique qui traite


des mouvements d'électrons, de protons, de neutrons et d'autres
particules subatomiques. C'est le résultat de recherches effectuées au
cours d u xx e siècle, et Bohr est universellement considéré c o m m e le père
de la physique non newtonienne aux niveaux atomique et subatomique.
L a nouvelle physique nous permet de distinguer les mouvements
prévisibles au niveau macroscopique (par exemple, les orbites des
planètes autour d'un soleil central) des mouvements indéterminés ou
incertains des électrons autour d'un noyau atomique au niveau
microscopique. L a théorie fondamentale a conduit à des applications
précises en ce qui concerne la supraconductivité : transmission de
l'énergie électrique, accélérateurs et réacteurs à fusion ; circuits intégrés
— ceux des microprocesseurs, des ordinateurs, des télécommunications
par des moyens audiovisuels et par satellite — dans le domaine de la
microélectronique ; masers et lasers en optique ; ou encore en chimie, où
l'on peut déterminer les caractéristiques (stabilité, solubilité...) de
millions de substances.
Les profils multiples figurant sur la médaille reproduite sur le
frontispice et représentant le grand physicien danois né en 1885 reflètent
les impressions de l'artiste qui les a dessinés.
Les travaux de physique théorique effectués par Bohr l'ont amené à
produire, en 1913, le premier modèle atomique qui était en accord à peu
près satisfaisant avec les données expérimentales. L'hypothèse de Bohr
intégra le modèle de l'atome nucléaire d'Ernest Rutherford et le concept
de quantum d'action proposé par M a x Planck en 1900. D e là sa théorie,
présentée sous forme de « postulats quantiques »$ pour expliquer la
stabilité des structures atomiques dans l'interaction atome-radiations
électromagnétiques et donc, par exemple, la nature des spectres atomiques
et des rayons X .
Les travaux de Bohr complétaient ceux de Planck et ceux d'Einstein*.
Ils furent repris et développés, à partir de 1925, par Werner Heisenberg,
Louis de Broglie, Erwin Schrôdinger, Paul Dirac, M a x Born et d'autres.
Ces derniers, poursuivant ses travaux de précurseur, construisirent la
mécanique quantique et démontrèrent de manière frappante la valeur de
la coopération internationale en matière de recherche scientifique.
Les conceptions et la méthodologie de cette mécanique quantique
enrichie (que l'on désigne sous le n o m d'école de Copenhague) ont,
depuis, guidé tous les progrès accomplis dans le domaine de la physique
atomique, nucléaire, moléculaire et dans celui de la chimie.
Les idées de Bohr conduisirent, bien entendu, à des débats de
caractère physique, épistémologique et philosophique ; elles amenèrent le
savant danois à élaborer de nouvelles hypothèses traitant d u déterminisme,
de la théorie de la mesure, d u rationalisme néo-positiviste et de
l'idéalisme.
Avant et pendant la deuxième guerre mondiale, Bohr s'est dévoué pour
la cause de l'humanité en protégeant nombre de scientifiques victimes d u
régime hitlérien. L a guerre terminée, le physicien danois m e n a une
importante action en faveur de la paix : avec tact et mesure, il fit
pression sur les gouvernements afin de limiter la prolifération de l'arme
nucléaire. A u début des années 1950, il joua, en collaboration avec
P Unesco et la communauté européenne des physiciens, u n rôle actif dans
la création de l'actuel laboratoire européen de physique des particules (le
C E R N — Centre européen de recherche nucléaire). Il poursuivit ces
entreprises jusqu'à sa mort, en 1962. L'exemple de Bohr reste toujours
vivant. •

* Voir le siècle d'Einstein (thème), Impact : science et société, vol. 29, n° i, 1979.
Un physicien danois, ancien collaborateur direct de Niels Bohr et qui a continué à rr»
travailler dans des domaines qui intéressaient celui-ci, décrit de manière systématique, 0
et non sans émotion, l'évolution des travaux de précurseur grâce auxquels, aidé d'un «
cercle étroit d'étudiants et de chercheurs, Bohrjeta les bases de la physique quantique
- - - -il^
moderne. §

Niels Bohr : un aperçu de sa vie \


et de son œuvre I
Jorgen Kalckar

Jergen Kalckar, qui a travaillé avec Niels Bohr de 1957 à 1962, est professeur
associé à l'Institut Niels-Bohr de l'Université de Copenhague. Il est l'auteur
d'articles sur la théorie de la relativité et les bases de la théorie des quanta. Il a
publié ses souvenirs de Niels Bohr. Il a aussi dirigé la publication des sixième et
septième volumes des œuvres de Niels Bohr : Collected works (North-Holland
Publishing Co.), où sont rassemblés les travaux de Bohr qui ont contribué à
l'élucidation des bases de la théorie des quanta. Adreñe : Niels Bohr Institutet,
Kebenhavns Universitet, Blegdamsvej 17, 2100 Copenhague (Danemark) ;
tél. : (01) 42-16-16.
1

Niels Henrik David Bohr est né à Copenhague le 7 octobre 1885. Son père,
Christian Bohr, était un physiologiste de réputation internationale, u n scientifique
original et extrêmement doué ; il s'intéressait beaucoup aux questions philoso-
phiques générales et faisait preuve d'une grande ouverture d'esprit sur le plan
politique. E n 1881, il avait épousé Ellen Adler, jeune et belle étudiante d'honorable
extraction. Ensemble, ils avaient fondé u n foyer réputé pour son climat intellec-
tuellement stimulant, sa largeur de vues et sa tolérance, au sein duquel Niels et son
jeune frère Harald (qui devait devenir l'un des grands mathématiciens de son
temps) purent grandir et mûrir harmonieusement dans les meilleures conditions
possible1.
Les dons exceptionnels d u jeune Niels Bohr se manifestèrent dès sa plus tendre
enfance. Son père le considérait c o m m e le penseur de la famille et les souvenirs
de ses camarades d'école et d'université attestent la forte impression faite par le
jeune génie sur tous ceux qui l'approchèrent. E n 1903, il entama ses études de
physique à l'Université de Copenhague ; en 1904, sa condisciple et amie Helga
L u n d (qui devait devenir une directrice d'école renommée) écrivait dans une lettre
à u n parent : « L e génie. C'est merveilleux de connaître u n génie. J'en connais u n
que je côtoie m ê m e chaque jour. Il se n o m m e Niels Bohr et je vous en ai déjà
parlé. Il se montre de plus en plus remarquable, ce qui ne l'empêche pas d'être le
jeune h o m m e le plus gentil, le plus modeste que vous puissiez imaginer2. » E n 1907,
Bohr obtint la médaille d'or de l'Académie royale danoise des sciences et des lettres
pour une étude sur la détermination de la tension superficielle des liquides ; c'est
le seul travail expérimental que nous ayons de lui.
Le jeune étudiant s'intéressa très vite au phénomène de la radioactivité. L e
texte suivant, qui est tiré du manuscrit d'un exposé qu'il fit en 1905 à l'occasion
d'un séminaire, montre combien il était déjà alors profondément préoccupé par
le m o n d e de l'atome et atteste la maturité et la maîtrise surprenantes avec lesquelles
dès l'origine il appréhenda l'essentiel des aspects nouveaux, encore mal connus,
de ce m o n d e : « Parler d'une durée de vie moyenne sans en préciser le point de
départ a u n sens en l'espèce parce que les atomes, en quelque sorte, ne vieillissent
pas avant de se désintégrer, si bien que la probabilité de désintégration est la m ê m e
à tout instant de leur vie3. »
E n 1911, Bohr obtint son doctorat en défendant une thèse sur la théorie des
électrons appliquée aux métaux et, l'année suivante, il se fiança à Margrethe
Norlund. Ils se marièrent le I er août 1912 et, dès les premiers temps de leur union,
Margrethe Bohr fut, avec le dévouement et la compréhension dont elle ne cessa
jamais de faire preuve, l'indispensable soutien de son époux. Bohr lui attribua le
mérite d'avoir élevé leurs enfants, déclarant que, pour sa part, il s'était borné à
« formuler une ou deux observations en relisant les épreuves ». E n fait, Margrethe
et Niels Bohr menèrent ensemble une longue vie de labeur et fondèrent u n foyer
où leur famille put s'épanouir pleinement dans l'harmonie, la détente et la joie,
dont le vaste cercle toujours croissant des amis et visiteurs put apprécier l'hospi-
talité et dont le savant, jour après jour, tira une force et une inspiration renouvelées.
Les deux années 1911 et 1912, extrêmement fructueuses, furent déterminantes.
Bohr travailla avec J. J. T h o m p s o n à Cambridge et avec Ernest Rutherford à
Manchester ; les idées nouvelles mûrirent dans son esprit. L'année 1913 fut celle
des réalisations et marqua u n nouveau départ. C'est alors que la théorie de la
constitution des atomes fut publiée. Désormais, Bohr n'était plus u n jeune savant
qui travaillait en solitaire, il était devenu le chef defiled'une orientation nouvelle
de la physique.
>
8
Ses travaux de précurseur sur la constitution des atomesfirentse rencontrer pour a
la première fois deux grands courants de la physique européenne : le premier <°
procédait de l'étude des propriétés thermodynamiques de rayonnement electro- "O
magnétique, à laquelle Boltzmann, W i e n , Planck et Einstein avaient beaucoup
contribué ; le second, des recherches expérimentales faites sur la radioactivité et la '£a
structure de l'atome par les Curie en France et surtout par Rutherford et son groupe «
à Manchester. Assez curieusement, au départ, il n'y avait guère eu d'interaction. -S
L a communication scientifique au-delà des frontières était alors, au début du g,
xx e siècle, nettement plus lente que de nos jours. C'est ainsi que, pendant u n ^
certain temps, l'étude d u noyau atomique resta une spécialité britannique et que, *
de longues années durant, le quantum d'action fut un sujet de recherche spéci- ^
fiquement allemand. Niels Bohr a souvent dit combien ses propres travaux avaient _g
été favorisés par le fait qu'il était né dans u n petit pays où l'on ne pouvait pas ,§
s'offrir le luxe d'être unidirectionnel et où, par conséquent, la jonction entre les «>
deux grands courants jusqu'alors séparés s'était produite. g
L a découverte par M a x Planck, en 1900, du quantum universel d'action devait
inaugurer une ère nouvelle dans le domaine des sciences exactes et naturelles, bien
que lui-même ait pour sa part évité très soigneusement d'en tirer la moindre
conclusion radicale. Sa découverte était la suivante : dans l'équilibre thermique
entre la matière et le rayonnement électromagnétique, l'échange d'énergie ne peut
se faire entre les éléments avoisinants et les modes vibratoires individuels, auxquels
le rayonnement peut se réduire, que par quantitésfinies,dont la valeur est toujours
un multiple entier de hv, v désignant la fréquence de l'onde considérée et h l'unité
universelle d'action. O n assistait, en l'occurrence, à l'apparition inattendue de
l'atomisme dans la conception de l'énergie, ce que révéla très nettement l'analyse
faite par Einstein en 1905 de l'effet photoélectrique. Einstein montra que, dans le
cas d'un rayonnement incident monochromatique de fréquence v, l'intensité et la
distribution d'énergie dans les électrons libérés par le rayonnement (dont la théorie
ondulatoire classique ne permettait pas de rendre compte) s'expliquaient simple-
ment par le postulat selon lequel le rayonnement électromagnétique se comportait,
dans son interaction avec la matière, c o m m e u n flux de corpuscules de photons.
Chaque photon était porteur d'un quantum d'énergie hv unique, qui ne pouvait
être absorbé qu'intégralement par les électrons du métal.
Malgré les progrès décisifs ainsi réalisés, on se trouvait face à u n dilemme
sérieux dans la mesure où les effets d'interférence connus, caractéristiques du
rayonnement électromagnétique, demeuraient incompatibles avec toute conception
corpusculaire du rayonnement. C o m m e Bohr le soulignait, cela était compliqué
par la reconnaissance du fait qu'en réalité la définition m ê m e de l'énergie des
corpuscules de lumière était fondée sur la fréquence obtenue par l'analyse des
spectres d'interférence à partir de la théorie ondulatoire. Cette « dualité onde-
corpuscule » devait ultérieurement se révéler un élément essentiel de la description
du comportement des particules atomiques, c o m m e la célèbre démonstration par
Davidsson et Germer des phénomènes d'interférence provoqués par des électrons
passant à travers un cristal devait le rendre particulièrement évident. Alors m ê m e
que ces nouvelles régularités fondamentales étaient mises en évidence, montrant
que les théories physiques classiques ne permettaient pas d'expliquer l'interaction
du rayonnement et de la matière, Rutherford et son groupe franchirent une étape
capitale dans l'étude de la structure de la matière. L a découverte en 1911 du noyau
atomique, où, malgré la partie infime du volume de l'atome qu'il occupait, la masse
atomique était presque entièrement concentrée, constitua véritablement le premier 7
élément de connaissance expérimentale solide qui permet des spéculations théo-
riques sur la constitution de l'atome. L e modèle de Rutherford, dans lequel le
noyau lourd de charge positive était entouré d'un nuage d'électrons de charge
négative en nombre suffisant pour former un atome électriquement neutre, s'écar-
tait aussi radicalement de la théorie électromagnétique classique que le faisaient
les idées de Planck et d'Einstein puisque, selon la théorie de Maxwell, u n tel
système devait être instable en raison de la déperdition d'énergie occasionnée par
le rayonnement, les électrons (qui décrivaient une orbite spiroïdale) devant
fusionner très rapidement avec le noyau.

3
C o m m e Bohr lui-même l'a indiqué (The Rutherford Memorial Lecture)1, il fut dès
l'origine convaincu que le quantum d'action était la clé du problème de l'atome.
La m ê m e opinion fut émise par d'autres, sans que toutefois cela ouvrît de nouveaux
horizons. A quoi la réussite de Bohr fut-elle due ? A son sens exceptionnel de la
cohérence logique ? A la combinaison d'une audace extrême, inspirée par une
intuition de la physique hors du c o m m u n , et d'une attention minutieuse au moindre
détail pertinent ? Les voies d u génie sont impénétrables et, tout compte fait, on
ne peut que s'émerveiller de la conjonction de cette infaillible sûreté de jugement
et de la constante richesse d'inspiration qui anima le savant du début à lafinde
sa vie.
Dans ses écrits de 1913, qui firent date5, Niels Bohr explicita au m o y e n de deux
postulats en quoi il s'écartait fondamentalement de l'électrodynamique classique.
L e premier de ces postulats posait l'existence de certaines configurations stables
des électrons, ou « états stationnaires » de l'atome, dans lesquels aucun rayonnement
ne se produisait. L e second faisait la liaison entre les travaux de Planck et ceux
d'Einstein, posant que l'électron, en effectuant une transition d'un état stationnaire
à un autre, émettait ou absorbait un rayonnement dont la fréquence était égale au
quotient par la constante de Planck de la différence entre les niveaux énergétiques
des deux états. L a mécanique newtonienne avait tout d'abord été utilisée, pour
décrire les orbites de l'électron dans les états stationnaires, mais elle ne pouvait
évidemment rendre compte de la stabilité de ces états ni du mécanisme de transi-
tion d'un état à l'autre.
Dans le cas le plus simple, celui de l'atome d'hydrogène, Bohr put exprimer
l'énergie de chaque état stationnaire en fonction de l'unité élémentaire de charge, e,
de la masse de l'électron, m , et de la constante de Planck, h. Conformément au
second postulat, les fréquences du rayonnement émis ou absorbé par l'atome furent
données par le quotient par h d'une série de valeurs exprimant les différences
d'énergie de ces états. L e spectre de raies ainsi obtenu correspondait exactement
aux régularités empiriques établies par Rydberg et Balmer au sujet des fréquences
des spectres atomiques. Les années suivantes, Bohr étendit son analyse aux spectres
d'autres éléments, y compris les effets Zeeman et Stark, dans lesquels les raies
spectrales étaient décomposées si l'atome émettant le rayonnement était placé dans
un champ magnétique ou électrique, respectivement. Il donna chaque fois une
explication qualitative, m ê m e si, d'une façon générale, la correspondance ne fut
pas aussi complète que dans le cas simple du spectre de l'hydrogène.
L'ampleur et l'importance des travaux de Niels Bohr se faisaient de plus en plus
manifestes jusque dans les cercles les plus éloignés du sien. E n 1916, alors qu'il
n'avait que trente et un ans, on lui offrit une chaire spécialement créée à son inten-
tion à l'Université de Copenhague et il devint professeur de physique théorique.
Cinq ans plus tard, en 1921, l'institut qui porte maintenant son n o m fut inauguré
et depuis lors des physiciens d u m o n d e entier se rencontrèrent à Blegdamsvej et ^
participèrent à ses travaux. C'est d e cette é p o q u e q u e date u n aspect primordial §
de l'œuvre de B o h r , qui apporta des éclaircissements essentiels sur les lois régissant a
o
les propriétés physico-chimiques des éléments.
T3
4-1
O
o
•p
e
A u xrx siècle, à partir d e données empiriques, Mendeleiev avait m i s a u point le S
« tableau périodique » dans lequel les éléments étaient classés suivant les poids -a
atomiques croissants. C e tableau était remarquable par la périodicité des p r o - 3,
priétés physico-chimiques des éléments qu'il faisait apparaître. Cette périodicité g,
était si bien définie q u e Mendeleiev put attirer l'attention sur certains éléments *
m a n q u a n t s signalés par des blancs dans le tableau. jj
B o h r se rendit i m m é d i a t e m e n t c o m p t e q u e , si l'origine des processus radioactifs _g
devait être recherchée dans la constitution intrinsèque d u n o y a u , les propriétés ,§
physico-chimiques ordinaires des éléments reflétaient les propriétés des électrons
périphériques. Étant d o n n é l'importance d e la m a s s e d u n o y a u et le faible v o l u m e o
g
qu'il occupait (par rapport à l'ensemble d e l'atome), la constitution d u système
électronique devait dépendre presque exclusivement d e la charge électrique totale
d u n o y a u . Ses entretiens avec H e v e s y convainquirent rapidement B o h r q u e le
« n u m é r o a t o m i q u e », qui donnait la position d ' u n élément dans le tableau d e
Mendeleiev, devait être égal à la charge nucléaire, exprimée par u n multiple d e
l'unité élémentaire d e charge électrique ( n o m b r e d e charge) 6 . B o h r supposait d o n c
déjà q u e les propriétés physico-chimiques d ' u n élément étaient caractérisées d e
façon unique par le n u m é r o atomique. S'appuyant sur les indications fournies e n
abondance par la spectroscopic — il convient de mentionner particulièrement à cet
égard les images saisissantes d e spectres d e rayons X dues à M o s e l e y — et sur les
n o m b r e u x apports théoriques importants d e S o m m e r f e l d et d'autres savants (qui
perfectionnèrent encore le m o d è l e atomique original de B o h r ) , il parvint p e u à p e u
à appréhender avec précision la base atomique des propriétés physico-chimiques
des éléments. E n particulier, la périodicité d u tableau d e Mendeleiev fut associée
à u n e disposition caractéristique des électrons e n couches autour d u n o y a u d e
l'atome. É v i d e m m e n t , les résultats obtenus par B o h r étaient pour u n e b o n n e part
intuitifs, étant d o n n é q u ' u n facteur aussi capital q u e le principe d'exclusion d e
Pauli était encore inconnu*.
L'application par B o h r d e cette théorie à la prédiction des propriétés d e l'élé-
m e n t 7 2 , qui n'avait pas encore été découvert, devait jouer u n rôle particulier.
D a n s ce cas, les conclusions fondées sur l'extrapolation d e la périodicité étaient
ambiguës. N é a n m o i n s , o n estimait généralement q u e l'élément aurait les m ê m e s
propriétés q u e les « terres rares » qui le précédaient i m m é d i a t e m e n t dans le tableau
périodique.
Selon le m o d è l e d e B o h r , la série des terres rares devait se terminer par l'élé-
m e n t 71 et, de ce fait, la répartition des électrons e n couches était, p o u r l'élément 7 2 ,
très différente, analogue à celle d e l'élément 4 0 (zirconium). D ' o ù il ressortait
i m m é d i a t e m e n t qu'il était vain d e chercher l'élément m a n q u a n t dans des é c h a n -
tillons d e m é t a u x correspondant à des terres rares ; cet élément devait plutôt se
trouver, si B o h r avait raison, dans des minéraux contenant d u zirconium. L e s
recherches furent entreprises e n 1922 par Coster et H e v e s y à C o p e n h a g u e . L'étape

* E n 1925, Wolfgang Pauli formula le principe selon lequel deux électrons ne peuvent
jamais occuper simultanément le m ê m e état quantique. 9
_g cruciale fut franchie juste après que Bohr eut quitté Copenhague pour recevoir
•g le prix Nobel de physique à Stockholm. Quelques jours plus tard, dans le discours
^ qu'il prononça à l'occasion de la remise du prix, il put informer son auditoire qu'il
S avait reçu de Hevesy et Coster un message annonçant la découverte de l'élément 72
§ dans du minerai de zirconium. Hevesy et Coster appelèrent le nouvel élément
hafnium, d'après Hafnia, n o m latin de la ville de Copenhague.
L a décennie qui suivit est considérée par ceux qui participèrent à la recherche
c o m m e l'âge d'or de la mécanique quantique. O n n'avait guère vu auparavant
réunis en un m ê m e lieu autant de jeunes savants aussi doués que ceux qui entou-
raient Bohr à l'Institut de Copenhague : Klein, Kramers, Heisenberg, ainsi que
Pauli, Ehrenfest, G a m o w , Bloch, Casimir, Landau, Weisskopf et beaucoup
d'autres. Dans un ouvrage qui lui était consacré7, certains de ces savants ont évoqué
l'époque où naquit la science nouvelle de la structure de la matière, fruit de dis-
cussions animées et d'un dur labeur, menés dans u n climat d'humour et d'enthou-
siasme. C'est alors que s'épanouit pleinement le style très personnel de Bohr
— le Kopenhagener Geist, selon le mot de certains de ses élèves — style qui marqua
d'une empreinte si profonde toute la physique atomique.
Malgré le succès impressionnant de la théorie de Bohr, laquelle avait permis
d'expliquer u n si grand nombre des régularités empiriques observées en ce qui
concerne la structure de la matière, le caractère heuristique de la description donnée
jusque-là était fortement ressenti, à commencer par Bohr lui-même. Toute
l'approche du savant et de ses collaborateurs était fondée sur le principe de corres-
pondance, qui exprimait une profonde similitude structurelle entre les régularités
quantiques et les lois de la physique classique. Entre les mains de Bohr, le principe
de correspondance devint une idée directrice extrêmement féconde pour l'exploi-
tation et l'organisation du m o n d e des phénomènes quantiques. Toutefois, pour
pouvoir déterminer si le principe de correspondance devait être considéré c o m m e
le corollaire des postulats quantiques ou s'il fallait lui attribuer un caractère diffé-
rent, un formalisme général de la théorie quantique englobant postulats et principe
de correspondance était évidemment indispensable. A u début des années 1920,
la tâche paraissait gigantesque. L e problème fut néanmoins résolu avec une rapi-
dité remarquable grâce à l'active collaboration de toute une génération de
physiciens8.
L a mise en place par Heisenberg du formalisme de la mécanique quantique et
son développement ultérieur par Bohr, Dirac, Schrôdinger et beaucoup d'autres
non seulement dotèrent les physiciens d'un outil adéquat pour traiter systémati-
quement tous les aspects de la constitution de l'atome, mais permirent aussi de
résoudre les contradictions apparentes résultant de la dualité onde-particule. L a
clé du problème fut donnée par les relations d'incertitude de Heisenberg, qui
découlaient directement du formalisme quantique et qui exprimaient une limi-
tation réciproque de la possibilité de déterminer une paire quelconque de variables
cinématiques conjuguées (par exemple les coordonnées de position) et la c o m p o -
sante correspondante de la quantité de mouvement.
Grâce à une analyse perspicace des conditions implicites de la définition et de
l'observation des concepts physiques classiques (comme la position ou la quantité
de mouvement) dans le domaine de la physique quantique, Bohr fut en mesure
d'interpréter le contenu des relations d'incertitude et de montrer comment elles
exprimaient l'impossibilité d'utiliser le m ê m e dispositif d'observation pour définir
des variables c o m m e la position et la quantité de mouvement d'un objet atomique.
Bohr démontra ainsi, du m ê m e coup, comment exclure toute contradiction de la
description des propriétés de type ondulatoire ou particulate de ces objets en
10 soulignant le caractère mutuellement exclusif des dispositifs permettant d'observer
et de définir ces propriétés. C'est dans ce contexte que pour la première fois, £
en 1927, Bohr employa le terme de complémentarité, qui désignait une forme de g
description englobant deux aspects mutuellement exclusifs de l'expérience a
complète9. M

D a n s la description idéalisée de la physique classique, le dispositif d'observation S


n'intervenait explicitement à aucun stade. Cela était d û à la divisibilité illimitée -ë
de tout processus dans le schéma classique, divisibilité qui rendait négligeable le 3.
rôle des instruments de mesure. Certes, pour déterminer la position d'un objet ¡^
matériel, il était indispensable d'établir u n lien rigide entre cet objet et les corps m
lourds qui définissaient le cadre de référence, alors que la mesure de la quantité
de m o u v e m e n t présupposait que le corps soumis à l'expérience était libre de se •O
mouvoir sous l'influence d'une force donnée (produite, par exemple, par u n dis- ¿j
positif à ressort approprié). Pourtant, cela n'excluait nullement la détermination
simultanée de la position et de la vitesse d'un objet ; la divisibilité illimitée de tout
processus physique, déjà mentionnée, permettait d'affaiblir arbitrairement l'inter-
action de l'objet et du dispositif de mesure, ou m ê m e de tenir compte explicitement
de l'influence de cette interaction.
S'agissant des phénomènes quantiques, où l'existence du quantum d'action
conférait aux processus élémentaires u n caractère global nouveau, la situation
était radicalement différente. D è s lors que l'on voulait subdiviser u n phénomène
quantique, il fallait apporter au dispositif de mesure une modification précise qui
était incompatible avec l'apparition d u phénomène original. Si l'on considérait,
par exemple, u n faisceau monochromatique d'électrons provenant d'une source
quelconque et passant par une série de diaphragmesfixesavant d'être détectés sur
une plaque photographique, on était en présence d'un processus fermé, dont on ne
pouvait tirer aucune information concernant la trajectoire décrite par u n électron
en observant la position de la trace laissée par son impact sur la plaque photo-
graphique. Seule la distribution statistique des traces pouvait entrer dans la des-
cription de l'expérience susmentionnée et le spectre des interférences reflétait
les dimensions d u dispositif ainsi que la longueur d'onde associée au m o u v e m e n t
de l'électron. Pour subdiviser le processus et répondre au point de savoir si l'élec-
tron était passé par une région spatiale déterminée avant d'arriver à la plaque
photographique, il fallait obligatoirement modifier la disposition des diaphragmes
de façon à empêcher absolument le phénomène original observé sur la plaque de
se produire.
Cette analyse pénétrante, dont l'élaboration et le perfectionnement devaient
occuper Bohr jusqu'à la fin de sa vie, fut, par sa profondeur et par la s o m m e très
caractéristique d'intuition personnelle et d'intelligence logique qu'elle supposait,
u n événement extraordinaire dans l'histoire des sciences exactes et naturelles et
de la philosophie10. Seule lui est comparable l'analyse faite par Einstein des condi-
tions de l'application sans équivoque des concepts d'espace-temps, qui jeta les
bases de la théorie de la relativité. Notre vision de la place de l ' h o m m e dans la
nature, que nous observons, mais dont nous continuons à être partie intégrante,
fut irrévocablement et radicalement transformée par l'œuvre de Niels Bohr.

Tandis que s'élargissait ainsi l'horizon philosophique, l'exploration expérimentale


d u m o n d e des atomes avait atteint u n point tel qu'il était devenu possible d'étudier n
les processus nucléaires n o n seulement à travers les transmutations radioactives
naturelles, mais, plus systématiquement et à une plus grande échelle, à travers
les réactions induites par collision entre des noyaux projectiles artificiellement
accélérés et des noyaux-cibles. Bien que, dans beaucoup de cas, le processus pût
être suffisamment expliqué par application des méthodes de la mécanique quantique
au noyau projectile se déplaçant sous l'effet d'un potentiel construit de façon
appropriée, on constatait souvent, surtout lorsque les neutrons rencontraient une
cible constituée de noyaux lourds, des phénomènes caractéristiques de résonance
très différents par nature de ceux que produirait u n modèle simple de potentiel.
Dans une nouvelle et brillante étude, Bohr montra que cette observation pouvait
être interprétée c o m m e la preuve de la formation d'un état intermédiaire de vie
relativement longue, le « noyau composé ». E n raison de la forte concentration d'un
grand nombre de nucléons (protons et neutrons) dans u n noyau lourd, l'énergie
cinétique d u projectile était immédiatement distribuée entre les nucléons consti-
tutifs, et la désintégration consécutive de l'état intermédiaire instable pouvait
donc être considérée c o m m e le résultat statistique d'une compétition entre les
différents modes possibles de désintégration11.
L'application de ce modèle au processus defissiondes éléments les plus lourds,
découvert expérimentalement en 1938 par H a h n et Strassman, fut particuliè-
rement spectaculaire. L e processus consistait à diviser u n noyau lourd, c o m m e celui
de l'uranium, en deux fragments à peu près égaux, par exemple en l'excitant par
un bombardement de neutrons. Immédiatement après cette découverte, Meitner
et Frischfirentsensiblement progresser l'interprétation d u phénomène en souli-
gnant la perte critique de stabilité des noyaux de charge élevée par suite de l'oppo-
sition des forces d'attraction nucléaire et de répulsion électrostatique. E n 1939,
Bohr publia, en collaboration avec Wheeler, une étude approfondie d u mécanisme
defission12.Alors que les modes de désintégration d u noyau composé examinés
jusque-là pouvaient être comparés à l'évaporation de molécules d'une goutte de
liquide chauffée par l'énergie cinétique apportée par la particule incidente, le
processus defissioncorrespondait à une division de la goutte de liquide résultant
des oscillations de forme auxquelles elle était sujette.
Résultat d'une démonstration particulièrement lourde de conséquences, il
fut établi que lafissionde l'uranium induite par impact de neutrons lents était
presque entièrement attribuable à l'isotope rare U 2 3 5 (dont l'abondance par rapport
à U 2 3 8 était inférieure à 1 % ) , qui, avec le neutron incident, formait le noyau
composé instable de U 2 3 6 . L e rôle de U 2 3 5 s'expliquait par le fait que l'énergie de
liaison d'un neutron dans u n noyau c o m m e U 2 3 5 , qui contenait un nombre impair
de neutrons, était sensiblement plus forte qu'elle ne l'était dans u n noyau
c o m m e U 2 3 8 , qui contenait u n nombre pair de neutrons. Ainsi le noyau composé
formé par capture d'un neutron lent par U 2 3 6 est produit dans un état de plus grande
excitation que le noyau composé formé par capture d'un neutron lent par U 2 3 8 .

7
Par une coïncidence étrange, le traité contenant la théorie de la fission nucléaire
fut publié dans le numéro de Physical review daté d u I er septembre 1939, c'est-à-
dire le jour m ê m e où la deuxième guerre mondiale éclata. C o m m e d'autres savants,
Bohr s'était rendu compte dès le départ qu'il était possible de libérer l'énergie
nucléaire ; toutefois, il ne pensait pas que les énormes difficultés techniques que
cela supposait pourraient être surmontées dans u n avenir prévisible.
Dès le début des années 1930, les nuages qui obscurcissaient l'horizon politique
avaient aussi projeté leur ombre sur la collaboration scientifique internationale.
Q u a n d le régime nazi était arrivé au pouvoir en Allemagne, les savants étaient venus
>
en grand nombre se réfugier à Copenhague, où Bohr leur avait offert son aide. ^
Parmi ceux qui restèrent quelque temps dans cette ville, on peut citer James Franck, g
Hevesy, Placzek et Frisch. Lorsque la guerre éclata et que le Danemark fut occupé o
par les Allemands en 1940, les relations étroites entretenues par Bohr, ses élèves "S
et ses collaborateurs du m o n d e entier cessèrent provisoirement. •*
E n 1943, pour échapper à l'occupant nazi, Bohr et sa famille durent quitter le ?
Danemark pour la Suède. D e là, ils gagnèrent le R o y a u m e - U n i , où le savant tra- S
vailla pour le British Atomic Energy Project et apprit que la mise au point d'une -a
arme dotée d'une capacité de destruction redoutable progressait. E n Grande- 3,
Bretagne et, ensuite, lorsqu'il participa au projet de Los Alamos, Bohr éprouva, £
c o m m e beaucoup des autres grands savants concernés, une inquiétude grandis- *
santé devant l'évolution politique que laissait présager la fabrication de la b o m b e 3
atomique. Pourtant, son attitude fut sensiblement différente de celle de ses émi- ja
nents collègues. N o n que ce formidable accroissement du potentiel de destruction ,g
de l ' h o m m e lui inspirât moins d'horreur, mais l'optimisme profond et constructif «>
qui était partie intégrante de sa personnalité de créateur le poussait à concentrer g
son attention sur la chance unique qu'offrait une situation radicalement nouvelle13.
A maintes reprises, il s'efforça de convaincre les dirigeants politiques qu'il était
urgent d'entreprendre une action c o m m u n e pour empêcher une utilisation désas-
treuse d u terrible pouvoir que l ' h o m m e détenait désormais. Il insista avec force
sur le fait que la simple reconnaissance c o m m u n e de la situation critique dans
laquelle se trouvait la civilisation pouvait ouvrir la voie à une action internationale
sans précédent en vue de créer un m o n d e ouvert, où les différends ne seraient plus
réglés par les armes. E n 1950, il présenta ses vues dans une lettre ouverte à l'Orga-
nisation des Nations Unies 11 et, jusqu'à la fin de sa vie, il s'employa activement à
trouver le meilleur m o y e n de promouvoir la paix.
Pour Bohr, la science fut toujours indissociable de la vie. Il voyait dans la
recherche scientifique une expression très élaborée d u désir c o m m u n de tous les
h o m m e s d'explorer le m o n d e dans lequel ils vivent et dont ils font eux-mêmes
partie. Aussi s'intéressa-t-il vivement aux aspects sociaux de l'activité scienti-
fique, et la faveur dont jouissait la science dans la société danoise des années i960
était attribuable à son influence éclairée plus qu'à n'importe quel autre effort
individuel. Il n'accordait pas moins de valeur à la généralisation de la coopération
internationale, à laquelle sont dus dans une si large mesure les progrès rapides
faits par la science à l'époque moderne et qu'il considérait c o m m e u n m o y e n de
vaincre les préjugés individuels, nationaux ou politiques. Parmi les organisations
internationales auxquelles il apporta une contribution décisive figure le C E R N ,
grand centre de la physique expérimentale européenne*. Mais surtout l'atmosphère
internationale qui règne au sein de l'institut de Niels Bohr, où aujourd'hui encore
des physiciens de l'Est et de l'Ouest travaillent ensemble et sympathisent, est u n
héritage précieux pour la jeune génération.

8
L a vie et l'œuvre de Niels Bohr ne sont que deux aspects d'une m ê m e destinée.
Seule une personnalité aussi exceptionnelle était capable d'une œuvre aussi vaste,

* L e C E R N , créé au début des années 1950 pour une part grâce à l'aide et aux
encouragements de l'Unesco, est maintenant connu c o m m e le Laboratoire européen
de la physique des particules ; il se trouve dans une zone située de part et d'autre de la
frontière entre la Suisse de l'Ouest et la France du Sud-Est. 13
labeur de toute une vie. Cette réussite fut la pierre angulaire de son existence, si
riche et si scrupuleusement consacrée au service de la vérité..Le sort lui fut clé-
ment et lui accorda beaucoup de joies ; et la part de souffrance humaine qu'il
reçut en partage accrut sa sagesse et sa perspicacité, si bien que, dans ses vieux
jours, il apparut c o m m e u n vivant symbole de tout ce qui, en l'homme, est véri-
tablement grand et digne d'être aimé. •

Notes

i. O n trouvera une évocation très vivante de la jeunesse de Niels Bohr dans le premier
chapitre de S. Rozenthal (dir. publ.), Niels Bohr, his life and work as seen by his friends
and colleagues, Amsterdam, North-Holland, 1967.
2. S. Rozenthal, op. cit.
3. Ibid.
4. T h e Rutherford Memorial Lecture (1958), Proc. Phys. Soc. (Londres), vol. 78, 1961,
reproduit dans Niels Bohr, Atomic physics and human knowledge (vol. II), N e w York,
John Wiley & Sons, 1963 (Niels Bohr, Physique atomique et connaissance humaine,
Paris, Gauthier-Villars, 1972).
5. N . Bohr, Phil. Mag., vol. 26,1913, p. 1, 476, 857, reproduit dans Niels Bohr: on the
constitution of atoms and molecules, Copenhague, Munksgaard et N e w York, Benjamin,
1963.
6. T h e Rutherford Memorial Lecture, op. cit.
7. S. Rozental, op. cit.
8. N . Bohr, « Die Entsstehung der Quantenmechanik », dans : Werner Heisenberg und
die Physik unserer Zeit, Braunschweig, Vieweg u. Sohn, reproduit dans Physique
atomique et connaissance humaine, vol. II, op. cit.
9. N . Bohr, The quantum postulate and the recent development of atomic theory (Atti del
Congresso Internazionale dei Fisici, C o m e , 1927), reproduit sous forme de supplément
à Nature, vol. 121, 1928, p. 78 et 580, puis dans Atomic theory and the description of
nature, Cambridge, Cambridge University Press, 1961.
10. Voir en particulier N . Bohr, « Discussion with Einstein on epistemological problems
in atomic physics », dans : A. Einstein, philosopher-scientist, Evanston, T h e Library of
Living Philosophers Inc., 1949, p. 201. Reproduit dans Niels Bohr, atomic physics and
human knowledge, N e w York, John Wiley and Sons., 1958.
n . N . Bohr, « Neutron capture and nuclear constitution », Nature, vol. 137, 1936, p. 344.
12. N . Bohr, J. A . Wheeler, « T h e mechanism of nuclearfission», Phys. Rev., vol. 56,
1939, p. 1065.
13. Sur les activités de Bohr pendant les années de guerre, voir le texte d'Aage Bohr,
dans S. Rozenthal, op. cit.
14. Voir ci-après l'article d'Erik Rüdinger, à la suite duquel la lettre ouverte de Bohr est
reproduite.
Dans la plupart des domaines scientifiques, il paraît aujourd'hui tout à fait normal
que les chercheurs puissent librement voyager et collaborer avec leurs collègues du
monde entier qui ont les mêmes centres d'intérêt. Pourtant, cette idée n'est apparue
qu'assez récemment en Europe, après la première guerre mondiale. L'un de ses
principaux promoteurs à l'époque fut le physicien danois Niels Bohr. L'auteur du
présent article examine le rôle que Niels Bohr et son Institut de physique théorique
de Copenhague ont joué dans les années 1920 pour faire de la physique une
discipline internationale.

Niels Bohr et la coopération


scientifique internationale
Peter Robertson

Peter Robertson a obtenu en 1973 une maîtrise de physique à V Université de


Melbourne. Après de nombreux voyages en Amérique du Nord et en Europe, il a
travaillé comme rédacteur à la revue Nuclear physics à Copenhague. Pendant cette
période (1975-1978), il a fait des recherches et écrit un ouvrage intitulé T h e early
years: the Niels Bohr Institute 1921-1930. A son retour en Australie, il a été
nommé « Research Fellow » au département d'histoire et de philosophie des sciences
de l'Université de Melbourne. Depuis 1980, il est rédacteur en chef de /'Australian
journal of physics. // écrit actuellement un livre sur l'histoire de la radio-astronomie
en Australie. Adresse : Australian Journal of Physics, CSIRO, 314 Albert Street,
East Melbourne, Vie. 3002 (Australie).
o L'Institut Niels-Bohr de Copenhague a été inauguré le 3 mars 1921. A u début,
C il occupait un petit bâtiment de trois étages et employait une poignée de physiciens ;
•§ mais il s'est rapidement développé et, en quelques années, a donné naissance à une
* école de physique rarement égalée par son niveau et par la diversité de ses décou-
Ü vertes. Les traditions qui devaient devenir le propre de l'institut étaient déjà
^ fermement établies quelques années après son inauguration. Les physiciens venus
du m o n d e entier pour travailler avec Niels Bohr et ses collègues danois ont prouvé,
c o m m e jamais auparavant, la fécondité de la coopération internationale dans les
sciences. Sous la houlette de Bohr, ce groupe international a constitué une avant-
garde à la recherche des lois qui régissent le comportement et les propriétés de
la nature au niveau de l'atome. Les découvertes faites pendant les premières années
de l'institut ont joué u n rôle majeur ; elles ont non seulement fait progresser notre
connaissance de l'atome, mais aussi transformé radicalement notre compréhension
des lois fondamentales de la physique.
L a création de l'institut de physique théorique a donné à Niels Bohr la possibilité
de mettre en pratique sa croyance en l'utilité de la collaboration internationale
dans la recherche scientifique. Dans sa jeunesse, il avait été profondément influencé
par les années passées au laboratoire de Manchester, en Angleterre (1912 et
1914-1916). C'est là qu'il avait élaboré une théorie de l'atome qui fut l'un des
tournants de l'histoire de la physique moderne et assura la renommée de Bohr,
considéré c o m m e l'un des plus grands physiciens du X X e siècle.
L e séjour de Bohr à Manchester a aussi été important parce que c'est là qu'il a
rencontré Ernest Rutherford et fait connaissance avec son groupe de brillants
physiciens britanniques et étrangers. L e laboratoire de Manchester était devenu le
centre de recherches le plus fécond et le plus stimulant dans le domaine de la
physique, au cours des quelques années qui ont précédé la première guerre m o n -
diale. L a période que Bohr a vécue dans le laboratoire de Rutherford, où u n
groupe de physiciens très productifs et très créatifs, venus de plusieurs pays,
étaient réunis sous la conduite d'un animateur enthousiaste, fut une expérience
inoubliable. A son retour à Copenhague, Bohr écrivit à Rutherford : « Je pense très
souvent à tout ce que j'ai appris pendant m o n séjour à Manchester, non seulement
par vos conseils, mais aussi par l'expérience que j'ai acquise en Angleterre, et
j'essaie de diverses manières d'introduire ici les méthodes anglaises dans m o n
travail à l'université. »

L'institut de physique théorique

E n avril 1916, Bohr est devenu titulaire de la chaire de physique théorique nouvel-
lement créée à l'Université de Copenhague. Malheureusement, ce poste était grevé
de lourdes tâches d'enseignement et, ce qui était plus grave, l'université ne possédait
ni laboratoire ni matériel de recherche expérimentale adaptés aux études théoriques
de Bohr sur l'atome. A u début de l'année 1917, il prit donc l'initiative de présenter
une proposition détaillée, soutenant que l'université devrait créer u n petit institut
de physique théorique et doter ainsi le pays d'un centre où puissent s'épanouir
l'enseignement et la recherche en physique. Cette proposition était d'autant plus
attrayante pour les autorités qu'un cercle d'amis de Bohr, appartenant aux milieux
des affaires et de l'université, avaient lancé u n appel et recueilli les fonds néces-
saires à l'achat d'un terrain pour édifier le bâtiment, à proximité du centre de
Copenhague.
Les travaux de construction de l'institut ont c o m m e n c é en novembre 1918, mais
ils se sont heurtés d'emblée à de nombreuses diflicultés. A u Danemark, la guerre
16 fut suivie de deux années de troubles politiques et sociaux sans précédent. Les
travailleurs se battaient pour l'amélioration de leurs conditions de travail, leur
principale revendication étant la journée de huit heures. U n e série de grèves
retarda considérablement la construction de l'institut. E n outre, dans certaines
professions d u bâtiment, les salaires doublèrent presque en u n an et le coût des
matériaux de construction augmenta aussi très fortement. E n définitive, le coût
de la construction de l'institut et de son équipement, limité à un modeste matériel
d'expérimentation, atteignit plus du double de l'estimation initiale.
Ces difficultés économiques consécutives à la guerre n'étaient nullement limitées
au Danemark. Dans toute l'Europe septentrionale et orientale, des forces politiques
et sociales similaires étaient à l'œuvre, ce qui ne contribuait guère à encourager
la coopération et la compréhension entre les pays d'Europe dévastés par la guerre,
dans le domaine scientifique encore moins qu'ailleurs.
Q u a n d l'institut fut achevé, en mars 1921, Bohr avait déjà c o m m e n c é d'inviter
des physiciens des pays Scandinaves voisins ainsi que d'autres pays qui étaient en
guerre peu de temps auparavant. Parmi les premiers visiteursfiguraientle vieil
ami et mentor de Bohr, Ernest Rutherford, qui dirigeait à l'époque le laboratoire
Cavendish, et Arnold Sommerfeld de Munich, qui avait fait d'importants progrès
dans le développement et l'application de la théorie atomique de Bohr pendant les
années de guerre. U n autre vieil ami de Bohr, rencontré à l'époque de Manchester,
le physicien hongrois George de Hevesy, séjourna six ans à Copenhague. Son séjour
fut surtout marqué par la découverte — en collaboration avec le Hollandais
Dirk Coster — de l'élément 72, baptisé hafnium d'après l'ancien n o m latin de
Copenhague.
Outre ces savants précédés d'une solide réputation, Bohr invita aussi plusieurs
jeunes physiciens qui étaient au début de leur carrière. L e Suédois Oskar Klein et
le Norvégien Svein Rosseland, parmi les premiers d'une longue série, vinrent se
mettre sous la tutelle de Bohr pour faire le long et difficile apprentissage indis-
pensable à un chercheur avant qu'il ne puisse voler de ses propres ailes. L a plupart
des premiers visiteurs de l'institut bénéficiaient de l'aide financière que Bohr
avait réussi à obtenir de la Fondation Rask-0rsted. Cette fondation, n o m m é e
d'après deux célèbres Danois d u XIXe siècle, le philologue Rasmus Rask et le
physicien Hans Christian 0rsted, avait été créée après la guerre sous l'effet de la
très vive inquiétude ressentie au Danemark devant l'état déplorable des relations
internationales. D'influentes personnalités des milieux scientifiques et parlemen-
taires estimaient que, pour un pays neutre c o m m e le Danemark, la meilleure façon
de s'acquitter de ses obligations était de prendre des initiatives pour ranimer et
promouvoir la coopération internationale dans le domaine scientifique. Les prin-
cipaux buts de cette fondation étaient d'offrir des bourses à des savants étrangers
pour faire de la recherche au Danemark et de subventionner la participation à des
congrès internationaux, la venue de conférenciers étrangers et l'envoi de confé-
renciers danois à l'étranger. C e fut la première fondation du m o n d e à sefixerpour
objectif fondamental d'aider des savants d'autres pays, et elle servit à bien des
égards de modèle à d'autres initiatives similaires, c o m m e l'International Education
Board de N e w York, fondation Rockefeller.
A u c u n savant n'a fait plus que Niels Bohr pour traduire dans les faits les prin-
cipes internationalistes qui avaient inspiré la création de la Fondation Rask-0rsted.
Dans les années 1920, treize physiciens étrangers ont travaillé à l'institut de
Copenhague grâce à des bourses de la fondation, et de nombreux visiteurs venus
pour de courtes périodes ont reçu une aide financière, notamment le physicien
allemand M a x Born, l'Anglais O w e n Richardson et l'Autrichien Erwin Schrôdinger
(tous futurs prix Nobel).
g La science en Europe dans les années 1920
W
4-»
u
u
•g II est difficile aujourd'hui de se faire une idée de l'hostilité qui régna pendant des
^ années entre les pays qui avaient été ennemis pendant la première guerre mondiale.
" Dans le domaine de la physique, il n'y avait, pour ainsi dire, aucune c o m m u n i -
^ cation entre des pays c o m m e le R o y a u m e - U n i et l'Allemagne, pas m ê m e d'échange
de revues scientifiques. E n 1923 encore, Ralph Fowler, du Laboratoire Cavendish, se
plaignait à Bohr que sa bibliothèque ne recevait pas la principale revue de physique
allemande, Zeitschrift fur Physik ; de m ê m e , il était presque impossible de se
procurer en Allemagne les revues britanniques Philosophical magazine et Nature
pendant les premières années de la République de Weimar.
Les savants étaient aussi responsables que quiconque de la « guerre froide » qu'a
connue le m o n d e scientifique dans les années d'après-guerre. Ainsi, les prestigieux
congrès Solvay décidèrent d'exclure les physiciens allemands ou ressortissants des
autres puissances centrales. Cette décision était tout à fait contraire à l'esprit des
deux congrès internationaux tenus avant la guerre. L e premier, en 1911, avait été
le fruit d'une association entre le physicien et chimiste allemand Walter Nernst
et le riche industriel belge Ernest Solvay. Sur la suggestion de Nernst, Solvay
décida que la meilleure façon de servir ses convictions internationalistes ainsi qué
son vif intérêt pour les sciences physiques serait de parrainer une série de congrès
qui réuniraient des physiciens et des chimistes de premier plan de tous les pays
pour examiner les importantes questions d u m o m e n t . Les idéaux qui avaient
présidé aux deux premiers congrès en 1911 et en 1913 avaient été réduits en miettes
par les événements survenus en Europe. A u premier congrès de l'après-guerre,
en 1921, Nernst lui-même n'avait pas été épargné par l'exclusion frappant les
savants allemands. Einstein, la seule exception, avait probablement été invité par
le Comité Solvay parce qu'à l'époque il avait u n passeport suisse, mais il refusa
l'invitation. Trois ans plus tard, au congrès de 1924, Einstein fut de nouveau le
seul physicien d'origine allemande invité, mais, c o m m e il l'expliqua dans sa lettre
de réponse, accepter aurait été trahir ses collègues allemands : « A m o n avis, il
n'est pas juste de laisser la politique intervenir dans les questions scientifiques, ni
de considérer les individus c o m m e responsables des actes d u gouvernement d u
pays auquel ils se trouvent appartenir. »
Niels Bohr se rendait bien compte que les physiciens invités par le Comité Solvay
étaient choisis autant en raison de leur nationalité que de leur talent. E n 1921, il
avait été trop malade pour assister au congrès et, en 1924, l'arrivée d'une invitation
le plaça devant u n grave dilemme. E n raison de la neutralité d u Danemark pendant
la guerre, s'il prenait le parti des physiciens allemands, il risquait de compromettre
ses relations avec les physiciens des anciens pays alliés. Bohr reconnaissait la grande
utilité de ces réunions pour le progrès de la physique et sa participation contri-
buerait en tout cas à élargir la représentativité internationale du congrès. D'autre
part, il savait aussi qu'en acceptant l'invitation d u Comité Solvay, largement
dominé par les Français et les Britanniques, il paraîtrait approuver tacitement la
décision d'exclure les physiciens allemands. Après des mois de réflexion, il décida
de refuser l'invitation.
L e Comité Solvay n'était pas seul à boycotter la science allemande. Après la
guerre, l'Allemagne avait été exclue de la majorité des conférences et des organi-
sations scientifiques internationales, et totalement bannie de l'organisation la plus
influente de toutes, le Conseil international de la recherche. Celui-ci avait été créé
en 1919 après une série de réunions tenues à Londres et à Paris, à une époque où le
souvenir de la guerre était encore douloureusement présent dans la mémoire des
18 savants des pays alliés. Leur sentiment de solidarité était si fort que certains des
germanophobes les plus extrémistes voulurent m ê m e exclure les pays neutres. L a -g
Hollande et les pays Scandinaves n'ont été invités à devenir m e m b r e s d u conseil o
que plus tard, et sans être aussi bien représentés q u e les pays alliés. U n e grande g
partie des organismes scientifiques créés par le Conseil international de la recherché 8
au début des années 1920 avaient appliqué u n e politique similaire. L ' U n i o n inter- -S
nationale de physique pure et appliquée ( U I P P A ) , créée en 1922 avec le m a n d a t si
« d'encourager et d'aider la coopération internationale dans le domaine de la <g
physique », ne comprenait pas de physiciens allemands, autrichiens et hongrois. g
C e n'est q u e lorsque l'Allemagne devint m e m b r e de la Société des Nations '§
en 1926 q u e les relations scientifiques internationales commencèrent à s'améliorer. g
Les obstacles mis à l'admission des anciennes puissances centrales dans la plupart S
dès organisations scientifiques internationales furent levés ; les savants purent de "g,
nouveau voyager dans toute l'Europe pour donner des conférences et assister à o
des réunions.
o
Le rôle de l'institut de Copenhague •§
Rares furent ceux qui accueillirent cette normalisation des relations scientifiques m
V
avec autant de satisfaction q u e Bohr. Il avait combattu toutes les tentatives faites %
pour isoler les savants allemands par représailles, eu égard au rôle joué par l'Alle-
m a g n e dans la guerre. Résistant à cette vague de germanophobie, il avait gardé
une position neutre et essayé d'empêcher la rupture d u dialogue entre les physiciens
des c a m p s adverses. A u début des années 1920, époque o ù les échanges de physi-
ciens entre le R o y a u m e - U n i et l'Allemagne étaient presque inexistants, il fit de
nombreuses visites dans les deux pays ; de m ê m e , il publiait ses principaux
travaux à la fois dans des revues britanniques et allemandes à u n e époque o ù lès
échanges de publications étaient très limités. Outre ces initiatives personnelles de
Bohr, l'institut de C o p e n h a g u e a aussi joué u n rôle important en l'espèce : il offrait
u n terrain de rencontre neutre, o ù des physiciens de différents pays pouvaient
travailler côte à côte. A u début de 1926, lorsque l'Allemagne réintégra la c o m m u -
nauté internationale, onze physiciens des anciens pays alliés et six des anciennes
puissances centrales avaient déjà travaillé pendant de longues périodes à l'institut.
A l'époque, C o p e n h a g u e était le seul centre o ù la coopération scientifique inter-
nationale se pratiquait à ce niveau.
L e succès avec lequel B o h r réussit à attirer des physiciens à C o p e n h a g u e au
début des années 1920 n e fut pas sans poser de problèmes. Sans compter l'équipe
danoise, le n o m b r e de physiciens invités passa de cinq en 1921 à treize en 1924
et il devint donc de plus en plus difficile de leur fournir des conditions de travail
convenables. A cette époque, l'institut n'occupait q u ' u n petit bâtiment de trois
étages ; le sous-sol et le rez-de-chaussée étaient affectés à la recherche expéri-
mentale, aux ateliers et aux bureaux ; les deux étages supérieurs, conformément
à la tradition universitaire danoise, étaient réservés au logement de B o h r et de sa
famille. E n raison des contraintes économiques qui pesaient sur le pays, il ne
fallait guère compter sur l'octroi de crédits publics supplémentaires pour agrandir
l'institut si p e u de temps après sa construction, d'autant q u e cette extension
aurait eu pour but principal d'offrir de meilleures conditions de travail à des
savants étrangers. B o h r décida de chercher plus loin et d e m a n d a u n e subvention
à l'International Education Board, organisme alors r é c e m m e n t créé aux États-
Unis d'Amérique. Manifestement, la réputation de l'institut de C o p e n h a g u e
s'était largement répandue dans le m o n d e , car l'International Education Board
lui accorda en n o v e m b r e 1923 une subvention de quarante mille dollars, la première
octroyée par cette fondation à u n e institution scientifique. 19
§ Grâce à ces fonds, o n put construire en 1924-1926 u n e résidence séparée pour
C Bohr et u n laboratoire annexe à l'arrière d u premier bâtiment. Fidèle à lui-même,
•g il participa à toutes les étapes de la conception et de la construction des nouveaux
^ bâtiments. C'est probablement l'époque de sa vie o ù il dut le plus payer de son
& temps et de son énergie. Parallèlement à l'extension de l'institut, la théorie ato-
&> m i q u e dont il avait jeté les bases en 1913 trouva u n aboutissement spectaculaire
avec la formalisation mathématique de la mécanique quantique en 1925-1926.
Bien qu'il n'ait publié lui-même aucune contribution directe à cette théorie
nouvelle, il était à cette époque devenu le chef defileincontesté d u groupe inter-
national des physiciens des quanta. Il a joué u n rôle décisif en guidant et en inspi-
rant la jeune génération de physiciens qui vinrent à Copenhague, parmi lesquels
figuraient W e r n e r Heisenberg, Wolfgang Pauli et Paul Dirac. Il a joué u n rôle d e
coordinateur grâce à ses relations personnelles avec le n o m b r e croissant de visiteurs
venus à l'institut, à ses fréquentes visites dans les autres grands centres de recherche
et à u n e correspondance extraordinairement volumineuse ; à une époque, il
échangeait des lettres avec presque tous les physiciens atomistes en activité pendant
cette période.

L'attachement de Bohr au Danemark

L e succès de l'institut au milieu des années 1920 a montré que Bohr avait eu raison
en 1916 de quitter Manchester et de revenir au D a n e m a r k pour essayer d'y déve-
lopper la physique. A plusieurs occasions, il résista à la tentation de poursuivre
sa carrière ailleurs. Il refusa les chaires de professeur qu'on lui offrit à Berlin (1920),
à Cambridge (1923) et aux États-Unis d'Amérique (1924), toutes assorties d'une
rémunération beaucoup plus élevée et, dans la plupart des cas, de conditions de
recherche nettement meilleures que celles dont il jouissait, comprenant qu'il était
possible de créer au D a n e m a r k u n centre de recherche capable de rivaliser avec les
autres centres européens et avec ceux des États-Unis d'Amérique. D e toute façon, il
aurait beaucoup répugné à rompre les liens étroits qui l'attachaient à son pays. Il
appréciait beaucoup le m o d e de vie danois, et la culture danoise avait à ses yeux
une harmonie toute particulière. Par la force des choses, u n petit pays c o m m e le
D a n e m a r k devait être sensible et réceptif à l'influence culturelle de grands pays
c o m m e le R o y a u m e - U n i et l'Allemagne. Ces influences étrangères ont conduit
le D a n e m a r k à porter u n regard cosmopolite sur le reste d u m o n d e tout en pré-
servant les éléments traditionnels de sa propre culture. Bohr avait connu cette
caractéristique de la culture danoise dans son propre parcours intellectuel. Il
avait appris très tôt l'anglais et l'allemand, appréciait la littérature anglaise, était
capable de réciter de longs passages des poètes allemands et, en m ê m e temps,
se prit d'un grand intérêt pour la vision particulière de la vie exprimée dans les
ouvrages des philosophes et écrivains danois. Sa trajectoire témoigne bien de
l'aptitude particulière des Danois à enrichir constamment leur culture e n alliant
à leur propre patrimoine le meilleur de ce qu'ils pouvaient emprunter à l'étranger.
A ses yeux, le D a n e m a r k était idéalement placé pour promouvoir la coopération
scientifique internationale. A v e c le m o n d e anglo-saxon à l'ouest, les pays germa-
niques au sud, les pays slaves à l'est et les autres pays nordiques au nord, il occupait
une position géographique privilégiée pour recevoir des physiciens venus de tous
les horizons. E n outre, une assez longue tradition de neutralité politique en faisait
u n terrain de rencontre acceptable pour des physiciens originaires de pays qui
n'étaient pas en bons termes. Outre ces avantages géographiques et politiques,
l'atmosphère culturelle d u D a n e m a r k était particulièrement propice à la formation
20 d'un groupe de physiciens étrangers. L e peuple danois s'était toujours enorgueilli
de sa réputation d'hospitalité. Pour les Danois, les relations entre leur pays et le -j
reste du m o n d e s'exprimaient par l'adage suivant : « C e qui est le droit des Danois o
par la naissance est le droit de tous en vertu des lois de l'hospitalité. » «j
a
La collaboration à Copenhague '£
§•
Dans les années 1920, soixante-trois physiciens venus de dix-sept pays ont fait de <o
longs séjours de travail à l'institut de Bohr. L'institut est ainsi devenu un centre g
de premier plan pour la coopération scientifique internationale, inaugurant une §
tradition qui se poursuit jusqu'à nos jours. Il a joué u n rôle particulièrement g
important à la suite de l'accession au pouvoir du régime nazi en Allemagne en 1933, "§
événement qui a montré, une fois de plus, à quel point l'idéal fragile de Tinter- "g,
nationalisme scientifique dépend de l'évolution politique générale. Bohr a été pour §
beaucoup dans la création d'un comité destiné à aider les savants réfugiés qui o
avaient soit démissionné en signe de protestation, soit été mis à pied en application $
des lois racistes adoptées en Allemagne. U n e grande partie de la centaine de js
physiciens qui ont quitté leur poste dans les universités ou instituts de recherche pqo
allemands après 1933 ont trouvé u n refuge provisoire à Copenhague grâce à ce .3
comité, avant de repartir pour prendre de nouvelles fonctions au Royaume-Uni g
ou aux États-Unis d'Amérique. C o m m e pendant la première guerre mondiale et
dans les années qui l'ont suivie, la coopération scientifique internationale en
Europe a périclité pendant une dizaine d'années, avant de se relever progressive-
ment après la deuxième guerre mondiale. Fidèle à sa longue tradition, l'institut de
Copenhague a, de nouveau, rempli une fonction importante en donnant aux
physiciens du m o n d e entier un terrain de rencontre. Il est significatif qu'après la
rupture entre les États-Unis d'Amérique et l'Union soviétique le premier article
publié conjointement par u n physicien américain et u n physicien soviétique ait
émané de l'institut ; plus récemment, des physiciens de trois grandes puissances
(États-Unis d'Amérique, Union soviétique et Chine) ont régulièrement travaillé
côte à côte à l'institut.
L'importance que Bohr attachait à la collaboration internationale était un aspect
essentiel de sa conception de la science c o m m e activité humaine. Il pensait que les
progrès de la science seraient favorisés par des échanges libres et ouverts d'idées
et de démarches différentes, proposées par des savants de nationalités et de cultures
variées. A de nombreuses reprises, dans ses écrits non scientifiques, il a souligné
à quel point cet aspect international de la science avait joué un rôle décisif dans
l'évolution de la physique atomique. Dans les années 1920, la physique atomique
avait atteint un tel degré de complexité qu'aucun physicien ne pouvait espérer en
maîtriser toutes les facettes, ou élaborer tout seul une théorie quantique satis-
faisante. L'époque où u n physicien travaillant dans u n relatif isolement pouvait
faire une découverte capitale c o m m e celle de la mécanique quantique était pour
l'essentiel révolue. La mécanique quantique et la nouvelle théorie atomique étaient
l'aboutissement de la coopération de physiciens originaires de nombreux pays.
Outre son utilité pour le progrès scientifique, Bohr estimait que la coopération
internationale était importante de façon plus générale. Étant donné la nature
objective de la science, il était plus facile pour des savants de nationalités différentes
de trouver des domaines d'intérêt c o m m u n et d'établir des relations personnelles
que pour des chercheurs s'intéressant à d'autres disciplines c o m m e l'histoire ou
l'économie. Par ces liens tissés au-dessus des barrières nationales, culturelles et
politiques, Bohr pensait que la science pouvait beaucoup contribuer à promouvoir
la compréhension et la coopération entre les peuples du m o n d e .
Il est significatif qu'en recevant le prix Nobel de physique à Stockholm, en 1922, 21
o Bohr choisit de conclure son allocution de remerciement en portant « un toast au
S développement vigoureux de la collaboration internationale au service de la
S science ». •

Pour approfondir le sujet

M O O R E , R . Niels Bohr: the man, his science and the world they changed. N e w York,
Alfred A . Knopf, 1966.
R O B E R T S O N , P . The early years: the Niels Bohr Institute 1921-1930. Copenhague,
Akademisk Forlag, 1979.
R O Z E N T H A L , S. (dir. publ.). Niels Bohr: his life and work as seen by his friends and colleagues.
Amsterdam, North-Holland, 1967.

Clean Energy

A n international symposium-workshop
on particulate
and multi-phase processes
will be held concurrently with the 16th Annual Meeting of the Fine Particle
Society at Miami Beach, Florida (United States) from 22 to 26 April 1985.
Contact: Prof. T . Nejat Veziroglu, Director
Clean Energy Research Institute
School of Engineering and Architecture
University of Miami, B o x 248294
Coral Gables F L 22124 ( U S A )
Telephone: + 1 305 284-4666
Lorsque les chercheurs entrevirent la possibilité d'exploiter la puissance énorme de îo
l'atome à desfinsautres que civiles, Niels Bohr lança une mise en garde contre les 0
dangers d'une bombe atomique. Il allait consacrer sa vie à cette cause humanitaire, ^
faisant tout ce qui était en son pouvoir pour contrôler l'énergie la plus formidable !§
jamais libérée par l'homme. §

Le m o n d e sans frontières 5
de Niels Bohr |
Erik Rüdinger

Erik Rüdinger est l'archiviste de l'Institut Niels-Bohr, où il s'occupe également de la


publication de tous les ouvrages du physicien (dont beaucoup, il convient de le noter,
ne sont encore disponibles qu'en langue danoise). L'auteur peut être contacté au
Niels Bohr Institutet, Kebenhavns Universitet, Blegdamsvej IJ, 2100 Kebenhavn O
(Danemark) ; téléphone : (01) 42-16-16. 23
Dès la jeunesse de Niels Bohr, la coopération scientifique internationale a été
partie intégrante de sa vie quotidienne. D e sa première visite au laboratoire
d'Ernest Rutherford à Manchester en 1912, Bohr tira une profonde conviction des
bienfaits de cette coopération et une forte impression de la capacité de Rutherford
de l'orienter et de la canaliser pour le plus grand profit du progrès scientifique.
Aussi, lorsqu'en 1920 il ouvrit à Copenhague son propre institut de physique
théorique, il tira largement parti de cette expérience : alliée à son ouverture sur le
m o n d e et à son aptitude à s'entourer de physiciens de nationalités diverses comptant
parmi les plus talentueux, elle allait lui permettre de faire de son institut u n pôle
de la recherche sur l'atome et, éventuellement, sur son noyau. C'est là que Bohr
créa ce climat que ses élèves appelèrent plus tard 1' « esprit de Copenhague » et
dont l'internationalisme était précisément u n élément essentiel.
C'est pourquoi, lorsque dans les années 1930 u n nombre croissant de savants
fuirent l'Allemagne nazie, Bohr était mieux placé que quiconque pour faire
quelque chose. Avec l'humanité qui le caractérisait, il se dépensa sans compter
pour venir à leur secours chaque fois qu'il le pouvait, et ses nombreuses relations
de par le m o n d e ne contribuèrent pas peu au succès de ses efforts.
Lorsque, vers la fin de 1938, l'un de ces réfugiés, Otto Robert Frisch, lui apprit
que les physiciens allemands Otto H a h n et Fritz Strassman venaient de découvrir
la fission nucléaire, Bohr était sur le point de s'embarquer pour les États-Unis
d'Amérique. Pendant la traversée, il acquit la conviction que les neutrons lents à
l'origine de lafissionobservée provenaient de l'uranium 235, isotope rare de cet
élément. Cette conclusion était loin d'être évidente : de fait, plusieurs physiciens
éminents la mettaient en doute. Lorsqu'il apparut que Bohr avait raison, le soula-
gement fut grand — et en premier lieu chez Bohr lui-même —, car l'éventualité
d'une réaction nucléaire en chaîne, entraînant la possibilité de produire des
bombes d'une puissance destructrice inimaginable, paraissait dès lors exclue (du
moins dans un avenir prévisible) en raison des limites de la technologie.
L a deuxième guerre mondiale allait toutefois modifier radicalement cet état de
choses. Lorsque, devenu à son tour u n réfugié fuyant le Danemark occupé par les
nazis, il arriva au R o y a u m e - U n i en 1943, Bohr apprit bientôt les efforts gigan-
tesques entrepris dans ce domaine par les Américains et les Britanniques, qui
redoutaient que l'Allemagne les devance dans la course à la « b o m b e atomique ».
Il fut associé au projet en qualité de m e m b r e de l'équipe britannique et, avec son
fils Aage, il passa aux États-Unis d'Amérique la plus grande partie des années qui
devaient s'écouler jusqu'à lafinde la guerre.

C o m m e n t transformer une nouvelle arme en source de bienfaits ?

C e bref rappel biographique montre qu'il n'est guère surprenant que, en raison de
son ouverture au m o n d e et de ses préoccupations humanitaires, Bohr se soit vive-
ment é m u des perspectives créées par cette nouvelle arme terrifiante. Celui-ci
possédait toutefois, profondément ancré en lui-même, un indomptable optimisme ;
il entreprit de chercher comment cette menace pesant sur l'humanité pourrait être
transformée en une promesse d'avenir.
Bohr s'aperçut bientôt que, du simple fait qu'elle existait, l'arme atomique
n'exigeait rien de moins qu'une approche radicalement nouvelle des relations inter-
nationales. Dans ces conditions, il avait le sentiment que l'esprit de franchise et la
libre circulation des informations qui prévalaient par-delà les frontières au sein de
la communauté internationale (dont il était lui-même u n m e m b r e eminent) pour-
raient servir de modèle. U n e course aux armements sans précédent, menaçant en
dernière analyse l'existence m ê m e de l'humanité, lui paraissait ne pouvoir être
évitée au lendemain de la guerre que dans u n monde sans frontières, o ù les nations ¿i
accepteraient de mettre en c o m m u n leurs expériences et leurs ressources, de se M
soumettre aux mesures nécessaires d'inspection et de contrôle. U
C'est dans cette optique que Bohr envisageait la possibilité de transformer la Z
nouvelle arme en source de bienfaits. Si, d u fait des progrès de la science et de la -d
technique, les h o m m e s politiques et les h o m m e s d'État parvenaient à se convaincre S
de la nécessité d'une approche aussi radicalement nouvelle des relations internado- 'îj
nales, cette prise de conscience ouvrirait sans doute la voie au renforcement de la §
coopération et de la confiance mutuelle entre les nations, renforcement que Bohr *
s'était lui-même attaché à promouvoir à une échelle plus modeste avec les scienti- §
fiques travaillant dans son institut. _y
Profondément réaliste à l'égard des choses humaines, il comprit que l'on ne g
pouvait espérer voir les nations cesser de se faire la guerre tant que subsisterait S
t>
la possibilité qu'une nation triomphe de l'autre. Seul le constat qu'à l'ère des j
armes nucléaires aucune victoire de ce genre n'était désormais possible permettrait
d'entrevoir une révolution aussi fondamentale dans l'histoire de l'humanité que
celle que représenterait la fin des guerres entre les nations.
Bohr s'adressa ensuite aux h o m m e s politiques placés au plus haut niveau, à qui
il fit part de ses idées sous forme de propositions concrètes élaborées avec son
habituelle minutie. Il rédigea des m é m o r a n d u m s détaillés, soumettant en premier
lieu ses vues au président Franklin D . Roosevelt. Celui-ci semblait considérer
avec sympathie les efforts d u physicien, mais le destin voulut que le second m é m o -
randum, adressé par Bohr à Roosevelt en date d u 24 mars 1945, ne parvînt pas à
son destinataire avant sa mort, le 12 avril de la m ê m e année.

Une nouvelle chance pour les idéaux humanitaires

Après la deuxième guerre mondiale, la situation internationale se détériora. Lors-


qu'il devint de plus en plus évident que la course aux armements précisément
prédite par Bohr se matérialisait, sa déception fut naturellement très vive. Il
continua, malgré tout, à explorer de nouvelles approches de ce problème. D a n s cette
recherche, son institut — qui, aujourd'hui encore, reste u n lieu de rencontre pour
les savants venus de tous les horizons nationaux et culturels — fut pour lui une
source d'inspiration.
E n 1950, Bohr publia une lettre ouverte aux Nations Unies, dont le texte est
reproduit à la suite de cet article : il y faisait part à la communauté internationale
de ses profondes convictions et de ses propositions, fruit d'une longue réflexion.
E n 1956, il écrivait à nouveau au Secrétaire général des Nations Unies. Peut-
être le centenaire de la naissance de Niels Bohr oifrira-t-il, cette année, l'occa-
sion de redécouvrir sa vision d ' u n m o n d e sans frontières et ce défi lancé à la
civilisation. •

Pour approfondir le sujet

B O H R , A . « T h e war years and the prospects raised by the atomic weapons ». D a n s :


S. Rozenthal (dir. pub.), Niels Bohr, his life and work as seen by his friends and
colleagues. Amsterdam, North-Holland, 1967, p. 191.
B O H R , N . « Science and civilization ». The times (Londres), n août I945-
. « A challenge to civilization ». Science, vol. 102, 1945, p. 363.
. « Lettre ouverte aux Nations Unies », 9 juin 1950 (texte reproduit ci-après).
. « Lettre au Secrétaire général des Nations Unies », 9 novembre 1956.
G o w r N G , M . Britain and atomic energy, 1939-1945. Londres, Macmillan & C o . , 1964. 25
CLARTES
REVUE TRIMESTRIELLE
D'INFORMATION
Parce que les
champs' d'investigation de la
pensée sont immenses et toujours
plus diversifiés, C L A R T É S , outre son
encyclopédie en 50 volumes, publie également une Revue
trimestrielle C L A R T É S .
Dans chaque numéro de cette Revue encyclopédique
C L A R T É S vous trouverez, traités par les plus grands
spécialistes actuels, les principaux événements scientifiques,
techniques ou médicaux de notre M o n d e . C L A R T É S propose
également, en fonction de l'actualité, des fiches.résumant
l'œuvre et la vie des écrivains et artistes que l'on célèbre
ou découvre dans le m o n d e entier, Enfin, pour dégager
de la quotidienneté les grandes lignes de l'histoire
contemporaine, René R é m o n d signe dans chaque numéro
sa Chronique historique.

Dossiers 1983-1984 : D'autres thèmes abordés :


• La génétique et le genre humain. O La bioastronomie.
• Caraïbe aux voix multiples. O Le Q.I. ; quotient incongru?
• Les défis de l'Avenir. O Le poids des nations.
s
• D e s médecins et des h o m m e s . Ó La littérature pour enfants.
• Le cerveau et l'esprit. O etc.

/ Veuillez enregistrer m o n abonnement pourl an


\
à la Revue trimestrielle C L A R T É S pour le prix de 62 F (4 numéros).
I
nom
adresse . I
signature

Bon à retourner aux Editions C L A R T É S


123, rue d'Alésia - 75678 Paris Cedex 14
Y
I
« ...seule Vabolition de toutes barrières peut faire naître la confiance et garantir la m
sécurité collective. » C'est ce qu'écrivait Niels Bohr dans une lettre ouverte aux 0
G
Nations Unies datée du 9 juin 1950. Cette lettre fut remise au Secrétaire général n
quelques jours plus tard et en même temps rendue publique. La « bombe atomique » de ^
l'époque a été remplacée par la bombe à hydrogène, qui fait appel non plus à la §
fission nucléaire, mais à la fission thermonucléaire. Trente-cinq ans plus tard, le "2,
message de Niels Bohr n'a rien perdu de son actualité. <a

L'idéal d'un m o n d e sans secrets .§


ni barrières
Niels Bohr

La lettre ouverte signée par Niels Bohr est reproduite telle qu'elle a paru dans le
n° 2 du volume 1 d'impact : science et société, page 74 de l'édition française.
Les progrès actuels de la science et de la technologie exigent u n ajustement des
relations internationales et, désirant exposer quelques idées sur ce sujet, j'ai tout
naturellement songé à m'adresser à cette Organisation, créée pour encourager les
diverses nations à résoudre, dans u n esprit de coopération, toutes les questions
d'intérêt c o m m u n . E n effet, si ces progrès sont pleins de promesses pour le bien-
être de l'humanité, ils ont en m ê m e temps placé entre les mains des h o m m e s de
formidables moyens de destruction et posé de la sorte à toute notre civilisation u n
problème d'une gravité exceptionnelle.
L a part que j'ai prise pendant la guerre aux travaux anglo-américains de
recherche atomique m ' a fourni l'occasion d'exposer aux gouvernements en cause
les espoirs et les dangers que, selon moi, l'aboutissement de tels travaux risquait
de faire naître sur le plan des relations internationales. J'ai répugné à prendre
part à aucun débat public en la matière tant que l'on a p u espérer voir aboutir
rapidement les négociations entamées au sein des Nations Unies en vue de conclure,
quant à l'utilisation de l'énergie atomique, u n accord garantissant la sécurité
collective ; mais, devant la gravité de la situation actuelle, il m ' a semblé qu'un
exposé relatant m o n expérience et mes idées contribuerait peut-être à donner u n
nouveau tour aux débats engagés sur cette question qui influe si profondément sur
les relations internationales.
C'est sous m o n entière responsabilité et sans avoir consulté aucun gouvernement
que je retrace ici les premières réactions d'un h o m m e de science à qui il a été
donné de suivre de très près les événements. Par ce compte rendu et ces réflexions,
je m e propose de montrer que le progrès scientifique a déterminé dans les ressources
de l'humanité une véritable révolution qui offre des possibilités uniques de
compréhension et de coopération entre les nations. Je désire en outre souligner le
fait que, malgré les déceptions passées, il est encore possible de saisir ces occasions
en unissant tous les espoirs et tous les efforts.
L'ampleur et l'intensité sans précédent de la coopération internationale ont
favorisé de façon décisive le progrès rapide de la science moderne, notamment
celui des audacieuses recherches entreprises sur les propriétés et la structure de
l'atome. E n échangeant leurs idées et les résultats de leurs expériences, les savants
du m o n d e entier se sont donné u n mutuel encouragement, et ils ont senti grandir
en eux l'espoir que, grâce à des contacts toujours plus étroits, tous les peuples
pourraient travailler en c o m m u n au progrès de la civilisation dans tous les domaines.
Malgré tout, il était impossible à quiconque réfléchissait sur les divergences qui
existent dans les traditions culturelles et l'organisation sociale des différents pays
de n'être pas profondément pénétré des difficultés qu'il faudrait surmonter pour
découvrir une méthode c o m m u n e permettant de résoudre nombre de problèmes
humains — difficultés que les tensions croissantes qui précédèrent la deuxième
guerre mondiale vinrent encore multiplier en opposant d'innombrables obstacles
aux relations entre pays. L a coopération scientifique internationale n'en continua
pas moins à contribuer de façon décisive aux progrès qui, à la veille des hostilités,
ont ouvert la perspective de libérer l'énergie atomique en quantités considérables.
Aiguillonnés par la crainte d'être devancés, divers pays se mirent à étudier en
secret la possibilité d'utiliser cette source d'énergie à des fins militaires. Je ne
savais rien du plan c o m m u n anglo-américain jusqu'au m o m e n t où, après m'être
échappé du Danemark occupé pendant l'automne 1943, je m e suis rendu en
Angleterre sur l'invitation d u gouvernement britannique. C'est alors seulement
qu'à titre confidentiel je fus mis au courant de cette grande entreprise, déjà très
avancée.
Tous ceux qui participaient à la recherche atomique avaient naturellement
conscience des graves problèmes que l'aboutissement des travaux poserait à
l'humanité. Sans parler d u rôle que les armes atomiques pourraient jouer dans la ¡3
guerre en cours, il était évident qu'une grave et constante menace planerait sur la 'g
sécurité du m o n d e tant que n'auraient pas été universellement acceptées et appli- _g
quées des mesures propres à empêcher que cette nouvelle et redoutable source g
d'énergie ne soit utilisée à des fins de destruction.
o
A u x prises avec ce problème capital, j'ai eu le sentiment que la nécessité m ê m e S
OT
de déployer des efforts concertés pour écarter de la civilisation d'aussi graves
menaces fournirait des occasions uniques d'éliminer les divergences entre les g
nations. Il m e semblait par-dessus tout qu'en se concertant le plus tôt possible u
sur le meilleur m o y e n de garantir collectivement la sécurité future les nations a
alliées dans la guerre pourraient contribuer de façon décisive à créer l'atmosphère B
de confiance mutuelle qui permet seule la coopération dans les nombreux autres §
domaines d'intérêt c o m m u n . ^
A u début de 1944, j'eus la possibilité d'attirer sur ces considérations l'attention !g
des gouvernements américain et britannique. Dans l'intérêt de la compréhension •o
internationale, il n'est peut-être pas inutile que je rappelle ici quelques idées qui,
à l'époque, ont fait l'objet de sérieuses délibérations ; je citerai donc des extraits
d u mémoire que j'ai soumis au président Roosevelt lors de la longue entrevue qu'il
m'accorda en août 1944. Outre une étude des bases scientifiques d u plan relatif
à l'énergie atomique, données qui sont maintenant du domaine public, ce mémoire,
daté d u 3 juillet, contenait les passages suivants, relatifs aux conséquences poli-
tiques que pourrait entraîner l'exécution de ce projet :
« Il n'est pas douteux que l'imagination la plus féconde ne saurait prévoir les
conséquences que cette recherche entraînera dans u n avenir où les immenses
sources d'énergie libérées révolutionneront vraisemblablement l'industrie et les
transports, mais l'essentiel pour le m o m e n t est qu'une arme de puissance jusqu'alors
insoupçonnée est en passe d'être créée et qu'elle modifiera de fond en comble la
physionomie des guerres futures.
» E n dehors de la question des délais dans lesquels cette arme sera mise au point,
et du rôle qu'elle pourra être appelée à jouer dans le présent conflit, ce fait nouveau
suscite u n certain nombre de problèmes sur lesquels il est urgent de se pencher.
E n fait, à moins qu'il ne soit possible de s'entendre à temps pour contrôler l'emploi
des nouveaux éléments radioactifs, tout avantage momentané, m ê m e important,
risque d'être annulé par la menace perpétuelle qui pèsera sur la sécurité du m o n d e .
» Sitôt entrevue, la possibilité de libérer des quantités considérables d'énergie
atomique a naturellement donné matière à de profondes réflexions sur la question
d u contrôle ; mais plus la recherche scientifique progresse dans ce domaine et plus
il s'avère que les mesures ordinaires ne seraient ici d'aucun secours ; en cette
matière, la terrifiante perspective d'une compétition future entre les différents
pays pour la possession d'une arme aussi formidable ne saurait évidemment être
évitée que par la conclusion d'un accord universel et sincère.
» A ce propos, il importe de noter que cette entreprise, si gigantesque qu'elle soit,
s'est jusqu'ici montrée beaucoup plus modeste qu'il n'était prévu et que la suite
des travaux a constamment révélé de nouveaux procédés capables de faciliter la
production des substances radioactives et d'en augmenter les effets.
» Si donc l'on veut éviter une course secrète aux armements atomiques, il faut
que tous les pays fassent preuve d'une plus grande sincérité quant à leurs efforts
industriels et à leurs préparatifs militaires et qu'ils s'accordent, en matière d'échange
d'informations, des concessions telles qu'elles seraient à peine concevables si
chacun n'était certain de bénéficier, en compensation, d'une assurance collective
contre des dangers d'une gravité sans précédent.
» Certes, l'établissement de mesures efficaces de contrôle posera, sur le plan 29
is technique et administratif, des problèmes épineux, mais il est une considération
W qui doit passer avant toute autre : c'est que l'exécution de ce projet devrait,
•fj semble-t-il, non seulement rendre nécessaire, mais encore rendre plus facile, en
Z raison de l'urgence qu'il y aurait à instaurer la confiance réciproque, l'emploi de
nouvelles méthodes pour la résolution des problèmes internationaux.
» A première vue, alors que presque tous les pays sont engagés dans une lutte à
mort pour la liberté et l'humanité, il peut sembler que le m o m e n t soit bien mal
choisi pour songer à conclure u n accord par lequel chaque nation prendrait des
engagements quant à ce projet.
» Il faut se rappeler d'abord que la puissance militaire des pays agresseurs
demeure considérable, bien que leurs espoirs initiaux de domination mondiale
aient été frustrés et que leur capitulationfinalene laisse plus guère de doute; Mais,
m ê m e après cette capitulation, les nations unies contre l'agression pourront
connaître de graves causes de discorde en raison de leur divergence d'attitude
devant les problèmes sociaux et économiques.
» Malgré tout, en y regardant de plus près, il semble que ces circonstances
m ê m e s doivent contribuer à faire de ce projet u n m o y e n particulièrement efficace
de ranimer la confiance mutuelle. E n outre, à bien des égards, la situation actuelle
paraît offrir des occasions exceptionnelles qui pourraient être perdues si l'on déci-
dait d'attendre, pour les saisir, la suite des événements militaires et la mise au point
définitive de la nouvelle arme.
» L e m o m e n t semble donc extrêmement favorable à une initiative que prendrait
le c a m p qui, par chance, tient la tête dans la course engagée en vue de maîtriser
les puissantes forces de la nature jusqu'ici hors de l'atteinte des h o m m e s .
» Sans rien enlever aux importantes possibilités militaires que ce projet comporte
dans l'immédiat, une initiative de nature à prévenir une compétition fatale pour la
possession de cette arme formidable contribuerait à extirper toute cause de méfiance
entre les puissances dont la collaboration amicale est une question de vie ou de
mort pour les générations futures.
» Il semble en effet que chacun des alliés ne pourra être assuré de la sincérité
des intentions de ses partenaires que lorsque les nations unies auront déterminé les
concessions que les diverses puissances sont prêtes à faire pour faciliter u n accord
sur des mesures de contrôle efficaces.
» Les h o m m e s d'État responsables sont naturellement seuls à m ê m e de connaître
les possibilités réelles qu'offre la situation politique. Il semble toutefois de très bon
augure que l'espoir en une future coopération internationale harmonieuse, unani-
m e m e n t exprimé par toutes les nations unies, soit si remarquablement étayé par les
possibilités uniques qu'a amenées le progrès scientifique à l'insu du public.
» E n abordant le problème de façon à offrir une garantie collective contre d'aussi
terribles menaces, sans cependant refuser à aucun pays la possibilité de participer
à l'essor industriel que promet l'aboutissement des recherches actuelles, tout porte
à croire que l'on comblerait les v œ u x de chacun et que l'on pourrait compter, en
retour, sur une coopération loyale dans l'application d u contrôle très étendu qui
s'impose.
» Il semble que l'on puisse, dans cet ordre d'idée, attendre beaucoup de la
collaboration scientifique internationale, qui, depuis des années, n'a cessé d'ouvrir
de si magnifiques perspectives à l'effort c o m m u n de l'humanité. Grâce aux relations
personnelles qu'ont ainsi nouées les savants d u m o n d e entier, il serait m ê m e pos-
sible de prendre, sans aucun engagement, des contacts préliminaires.
» Il est à peine besoin d'ajouter qu'en présentant les observations et suggestions
qui précèdent, je n'ignore nullement combien difficile et délicate sera la tâche des
30 h o m m e s d'État qui auront à négocier u n accord acceptable pour toutes les parties
en cause ; je n'ai voulu q u e signaler dans les circonstances actuelles certains élé- S
m e n t s propres à favoriser les efforts déployés p o u r q u e ces recherches servent les 'ë
intérêts permanents et c o m m u n s d e l'humanité tout entière. » J|
Naturellement, e n e m p ê c h a n t le public d e connaître et d e discuter ouvertement -g
u n e question d ' u n e telle importance p o u r la vie internationale, le secret dont o n a j2
entouré ce projet n'a fait q u e compliquer la tâche des h o m m e s d'État. Je n'ignorais 8
M
pas le caractère extraordinaire des décisions qu'imposait l'initiative envisagée, mais
il m e semblait q u e les grandes chances qui s'offraient encore seraient perdues si, g
dans leurs plans concernant le m o n d e d'après-guerre, les nations alliées n e tenaient u
•a
pas c o m p t e des problèmes q u e soulèvent les découvertes atomiques. a
J'ai développé cette opinion dans u n m é m o i r e complémentaire o ù j'ai poussé plus o
avant l'étude d u p r o b l è m e technique d u contrôle. Je m e suis n o t a m m e n t efforcé §
d'insister sur le fait q u e la seule franchise mutuelle, si manifestement indispensable ^
d e nos jours à la sécurité c o m m u n e , suffirait à favoriser la c o m p r é h e n s i o n inter- <S
nationale et à frayer le c h e m i n à u n e coopération durable. O u t r e certaines obser- :,-•
valions aujourd'hui dénuées d'intérêt, ce m é m o i r e , e n date d u 2 4 m a r s 1 9 4 5 ,
contient les passages ci-après :
« Il est u n point essentiel q u e n o u s n e devons pas oublier : la découverte dont il
s'agit e n est à ses débuts. U n avenir sans doute très proche dévoilera des m é t h o d e s
permettant d e simplifier la production des substances radioactives et d ' e n multi-
plier les effets a u point q u e toute nation dotée d e grandes ressources industrielles
pourra disposer d e m o y e n s d e destruction dont la puissance dépasse tout ce qu'il
était permis d'imaginer jusqu'ici.
» D a n s ces conditions, l'humanité courra des dangers sans précédent si des
m e s u r e s n e sont pas prises e n t e m p s utile p o u r prévenir u n e course désastreuse à
des a r m e m e n t s aussi formidables et p o u r exercer u n contrôle international sur la
fabrication et l'utilisation d e ces substances capables d e libérer u n e telle quantité
d'énergie.
» C o m m e le souligne le m é m o i r e e n question, p o u r q u ' u n accord constitue u n e
garantie contre des préparatifs secrets visant à s'emparer d e ce n o u v e a u m o y e n d e
destruction, il devrait comporter des m e s u r e s exceptionnelles. Il faudrait e n effet
n o n seulement assurer la possibilité p o u r tous d'être pleinement informés des
découvertes scientifiques, mais encore obtenir q u ' u n contrôle international puisse
s'exercer sans entraves sur toutes les grandes entreprises techniques, tant indus-
trielles q u e militaires.
» A cet égard, il est u n autre fait qu'il convient d e souligner : sans parler m ê m e
d u détail des procédés techniques, particulièrement c o m p l e x e , le degré d e spécia-
lisation qu'exige la production des substances radioactives et les conditions très
particulières dans lesquelles elles peuvent être utilisées c o m m e explosifs à grande
puissance faciliteront considérablement ce contrôle et assureront s o n efficacité,
p o u r v u seulement q u e le droit d e regard soit garanti.
» L e s détails d e l'organisation d ' u n contrôle efficace devraient être fixés avec la
collaboration d e savants et d e techniciens n o m m é s par les g o u v e r n e m e n t s inté-
ressés. U n comité p e r m a n e n t d'experts, rattaché à u n e organisation internationale
de sécurité, pourrait être chargé d e se tenir a u courant des nouvelles découvertes
scientifiques o u techniques et d'indiquer éventuellement c o m m e n t les mesures d e
contrôle devraient être modifiées.
» L e s r e c o m m a n d a t i o n s d e ce comité technique permettraient à l'organisation
en question d e fixer les conditions dans lesquelles l'exploitation industrielle des
sources d'énergie atomique pourrait être autorisée ainsi q u e les restrictions qui
e m p ê c h e r o n t tout assemblage explosif d e substances radioactives.
» Alors qu'à u n m o m e n t décisif p o u r le sort d u m o n d e r h u m a n i t é doit faire face 31
is à la nouvelle situation créée par le progrès scientifique, il semble qu'on puisse se
M féliciter, signale ce m é m o i r e , que les mesures appelées par cette situation s'harmo-
•fj nisent si parfaitement avec l'espoir en u n e future coopération internationale,
¡? unanimement exprimé par les nations unies contre l'agression.
» D'autre part, la nouveauté m ê m e de cette situation doit fournir u n e occasion
unique de se libérer de tout parti pris ; l'entente réalisée sur cette question essen-
tielle pourrait m ê m e faciliter considérablement le règlement d'autres problèmes
sur lesquels les peuples sont historiquement et traditionnellement divisés.
» C'est ainsi que le libre accès à l'information, indispensable à la sécurité c o m -
m u n e , devrait en m ê m e temps viser plus loin en détruisant les obstacles qui
s'opposent à la connaissance réciproque de la vie spirituelle et matérielle des
divers pays, seule base durable d u respect et de la bonne volonté mutuels.
» E n se sentant les artisans d'un progrès qu'il faut en effet surtout attribuer à la
collaboration scientifique internationale, et qui est plein de promesses pour le
bien-être de l'humanité, les savants des divers pays resserreraient encore les Hens
étroits noués par eux dans les années qui ont précédé la guerre. D a n s les circons-
tances actuelles, ces liens pourraient se révéler particulièrement précieux lorsque le
m o m e n t sera venu pour leurs gouvernements respectifs d'étudier et d'adopter des
mesures de contrôle.
» D a n s les consultations préliminaires entre gouvernements, dont l'objet pri-
mordial serait d'inspirer confiance et de dissiper les inquiétudes, il ne devrait y avoir
à débattre que de l'attitude éventuelle de chaque partenaire au cas o ù les perspec-
tives que laisse entrevoir à tous le progrès de la physique se préciseraient au point
d'imposer des mesures exceptionnelles.
» E n tout cas, l'entente semble peu douteuse dès que les parties en cause auront
eu le loisir de méditer sur les conséquences qu'entraînerait leur abstention, et de se
convaincre des avantages d'un accord qui garantirait la sécurité collective, sans pour
autant refuser à quiconque l'accès aux nouvelles sources de prospérité matérielle.
» Toutes ces occasions risquent cependant d'être perdues si l'initiative en ques-
tion n'est pas prise alors que le problème peut être débattu dans u n esprit amical.
E n temporisant pour "voir venir", o n risquerait, surtout si, dans l'entretemps, la
rivalité précipitait les préparatifs, de donner à cette tentative une allure de coer-
cition qu'aucune grande nation ne saurait tolérer.
» Il est à peine besoin d'insister sur les avantages de toute nature qu'il y aurait,
lorsqu'il faudra révéler au m o n d e l'existence d u formidable engin de destruction
t o m b é aux mains des h o m m e s , à pouvoir lui dire, en m ê m e temps, que cet i m m e n s e
progrès scientifique et technique a contribué à consolider la base d'un avenir de
coopération pacifique entre les peuples. »
E n évoquant ces jours passés, les mots m e m a n q u e n t pour décrire fidèlement le
fervent espoir qui régnait de voir le progrès scientifique inaugurer une ère nouvelle
d'harmonieuse coopération internationale et la crainte de laisser échapper la
moindre occasion de la faciliter.
Jusqu'à la fin de la guerre, par tous les m o y e n s dont u n savant peut disposer,
je m e suis efforcé de montrer combien il était important de peser toutes les consé-
quences politiques de ces recherches et j'ai insisté pour qu'avant qu'il ne soit
question d'utiliser l'arme atomique les nations s'appliquent d'abord à écarter de
concert les nouvelles menaces qui pesaient sur la sécurité d u m o n d e .
Q u a n d j'ai quitté l'Amérique, en juin 1945, les derniers essais relatifs à la b o m b e
atomique n'avaient pas encore eu lieu ; j'ai ensuite séjourné en Angleterre de cette
date jusqu'en août 1945, époque à laquelle l'utilisation de la nouvelle arme fut
officiellement annoncée. Rentré peu après au D a n e m a r k , je n'ai été mêlé depuis
32 lors à aucun projet atomique secret, qu'il fût militaire o u industriel.
Photo i. Première photographie d u personnel de l'Institut de physique théorique en 1921.
Debout, à partir de la gauche : J. C . Jacobsen (Danemark), Svein Rosseland (Norvège),
George de Hevesy (Hongrie), H . M . Hansen (Danemark) et Niels Bohr. Assis : James
Franck (Allemagne), Hans Kramers (Pays-Bas) et la secrétaire Betty Schultz. (Photo
prêtée par les Archives de l'Institut Niels-Bohr.)

Photo 2. L'Institut Niels-Bohr peu après l'achèvement des travaux d'agrandissement


en 1926. A gauche, le premier bâtiment de 1921 et, entre celui-ci et la nouvelle villa
résidentielle à droite, une partie de l'annexe abritant le laboratoire. (Photo prêtée par les
Archives de l'Institut Niels-Bohr.)
Niels Bohr jeune chercheur. (Photo reproduite avec l'aimable autorisation d'Erik
Rüdinger, Copenhague.)
Lorsque la guerre eut pris fin et, avec elle, le grand danger d'oppression qui «3
menaçait tant de peuples, le m o n d e entier éprouva u n immense soulagement. L a ^
situation politique était pourtant lourde de sombres présages. Les divergences de j§
-
vues entre pays victorieux aggravaient inévitablement les controverses soulevées g
par le règlement de la paix. A rencontre des espoirs en u n avenir de coopération S
féconde qui s'exprimaient de toutes parts et que reflétait la Charte des Nations S
Unies, u n m a n q u e de confiance réciproque ne tarda pas à se manifester. ™
L'apparition de nouveaux obstacles à la libre circulation internationale de l'infor- g
mation vint encore augmenter cette méfiance et cette inquiétude. D a n s le domaine 0
de la science et surtout de la physique atomique, les restrictions et les secrets g
constamment jugés nécessaires pour des raisons de sécurité vinrent entraver la 6
coopération internationale au point que la communauté mondiale des savants s'en §
trouva scindée en deux. ^
Malgré tous les efforts, les négociations menées au sein des Nations Unies n'ont *g
pas encore abouti à u n accord sur les mesures propres à écarter les dangers de :r
l'arme atomique. Plus que toute autre chose peut-être, la stérilité de ces négocia-
tions a montré qu'une atmosphère de plus grande confiance est indispensable si
l'on veut aborder de façon constructive des questions d'intérêt général aussi
essentielles que celle-ci.
Sans u n libre accès à tous les renseignements qui peuvent influencer les relations
entre pays, il semblait difficile de songer à améliorer réellement la situation
mondiale. Chacun admettait, il est vrai, que tout accord international sur l'énergie
atomique devait reposer essentiellement sur une certaine franchise réciproque,
mais il devint de plus en plus évident qu'un premier geste décisif de franchise
s'imposait pour préparer la voie aux accords de ce genre.
D a n s l'état actuel des choses, u n m o n d e sans secrets ni barrières, où chaque
pays serait parfaitement renseigné sur la situation sociale et les entreprises tech-
niques des autres, y compris leurs préparatifs militaires, peut sembler n'être
qu'un idéal de réalisation extrêmement lointaine. Malgré tout, si l'on veut assurer
une sincère coopération en faveur d u progrès de la civilisation, il est indispensable
que les nations entretiennent des relations de cet ordre ; de plus, une déclaration
c o m m u n e d'adhésion à de tels principes ne manquerait pas de créer une atmo-
sphère très favorable aux efforts concertés en vue de la sécurité universelle. Il m e
semblait en outre qu'étant en mesure de fournir des renseignements précieux
les pays qui avaient ouvert la voie à ce nouveau progrès technique étaient tout
désignés pour prendre l'initiative, en proposant résolument une absolue franchise
réciproque.
J'ai cru devoir attirer l'attention d u gouvernement américain sur ce point sans
soulever publiquement une question aussi délicate. E n 1946 et 1948, j'ai profité
de m e s séjours aux États-Unis, où j'allais participer à des conférences scientifiques,
pour suggérer à quelques h o m m e s d'État américains de prendre cette initiative.
Pour préciser les idées qui ont été discutées à ces occasions et au risque de répéter
des arguments déjà avancés, je crois devoir citer u n mémoire d u 17 mai 1948
soumis au secrétaire d'État pour servir de base aux conversations qui se sont
déroulées à Washington en juin 1948 :
« A u cours des quelques dernières dizaines d'années, l'évolution sociale et poli-
tique a entraîné des divergences profondes dans les attitudes prises envers nombre
d'aspects des relations humaines. Ces divergences devaient inévitablement amener
de graves tensions dans les relations internationales à la fin de la deuxième guerre
mondiale. Pendant le conflit, l'effort de défense c o m m u n e avait fait reléguer ces
divergences au second plan, mais il était évident que, pour réaliser, c o m m e le
désiraient tous les pays unis contre l'agression, l'espoir d'une coopération cordiale 33
dans un climat de véritable confiance, il fallait aborder les relations internationales
M de façon radicalement nouvelle.
r| » L a nécessité de rectifier ces relations s'imposait d'autant plus que les immenses
Z progrès scientifiques et techniques, s'ils sont pleins de promesses pour le bien-être
de l'humanité, ont en m ê m e temps placé entre les mains des h o m m e s de formi-
dables moyens de destruction. E n fait, de m ê m e que par le passé le progrès tech-
nique avait amené à reconnaître la nécessité de procéder à certains ajustements
au sein des sociétés civilisées, nombre des barrières qu'il avait jusqu'alors semblé
nécessaire d'élever entre les divers pays pour sauvegarder les intérêts nationaux
allaient désormais, de toute évidence, constituer des obstacles à la sécurité
commune.
» E n donnant aux divers pays matière aux réflexions c o m m u n e s les plus graves,
cette question de vie ou de mort pour la civilisation devrait leur fournir une
occasion unique de coopérer de façon continue pour résoudre les problèmes
essentiels. C'est pourquoi, alors m ê m e que la guerre se poursuivait encore, il a été
jugé opportun, pour jeter les bases d'un progrès futur, de prendre sans attendre
une initiative de nature à inspirer confiance en montrant à tous les partenaires la
véritable situation à laquelle il leur faudrait faire face, chaque pays se déclarant
prêt à faire lui-même, quant à ses prérogatives nationales traditionnelles, les
importantes concessions qui seraient exigées de tous.
» O r , depuis la guerre, les années n'ont fait qu'accentuer les divergences de
points de vue ; la situation actuelle est particulièrement angoissante en ceci que,
privé des contacts nécessaires, chacun a été amené à déformer les faits autant que
les intentions et, par suite, à accroître la méfiance et la suspicion n o n seulement
entre les diverses nations, mais encore entre les divers groupes d'un m ê m e pays.
Les espoirs qui avaient présidé à la création de l'Organisation des Nations Unies
ont donc été maintes fois déçus et tout accord sur le contrôle de l'arme atomique
s'est notamment révélé impossible.
» Dans la situation actuelle, alors qu'augmente l'angoisse de l'avenir et que le
fossé se creuse entre les divers pays, il semble que, pour changer le cours des
événements, il faille frapper u n grand coup et faire appel aux plus hautes aspira-
tions de l'humanité. L'atmosphère favorable paraît pouvoir être créée en prenant
position pour un m o n d e sans secrets ni barrières, où le libre accès à la connaissance
réciproque favoriserait la compréhension mutuelle. Il est évident, en effet, que le
respect et la bonne volonté entre les divers pays ne sauraient être durables sans le
libre accès aux informations sur les différents aspects de la vie dans tous les pays.
» E n outre, les espoirs et les dangers qu'offre de nos jours le progrès technique
ont rendu particulièrement manifeste la nécessité d'un effort délibéré de franchise,
condition primordiale d u salut et du progrès de la civilisation. Certes, les propo-
sitions soumises à la Commission de l'énergie atomique des Nations Unies en vue
du développement c o m m u n et concerté des nouvelles ressources reposent sur une
claire notion de ce principe, mais les difficultés qui s'opposent, dans la conjoncture
actuelle, à la conclusion d'un tel accord montrent elles-mêmes qu'il est indis-
pensable de placer résolument au cœur du débat le problème de la franchise.
» Il semble donc qu'il faille étudier soigneusement les résultats que pourrait
avoir l'offre, faite au m o m e n t opportun, de mesures immédiates et réciproques
tendant à enfiniravec les secrets et les barrières qui existent entre les nations. Ces
mesures devraient faciliter, de façon appropriée, l'accès aux renseignements de
toute nature sur la situation et l'évolution des divers pays ; tous les associés seraient
en mesure de juger sainement de la situation réelle à laquelle ils ont à faire face.
» U n e telle initiative peut paraître sortir d u cadre de la prudence diplomatique
habituelle ; pour la voir sous son véritable jour, il ne faut cependant pas oublier
que des propositions de ce genre, si elles étaient favorablement accueillies, entrai- j>
•V
neraient une amélioration radicale de la situation internationale et fourniraient des
occasions entièrement nouvelles de coopération confiante permettant de s'entendre g
sur les mesures propres à éliminer efficacement les dangers c o m m u n s . 'S
» D e m ê m e , on aurait grand tort de renoncer à cette initiative en arguant des S
difficultés qu'il y aurait à être suivi, car, quelle que soit la réaction immédiate 8
qu'elle provoquerait, il suffirait que l'offre en fût faite pour que la situation se ™
trouve profondément modifiée dans u n sens éminemment favorable. E n fait, ce §
serait prouver au m o n d e que l'on est prêt à entrer dans une communauté des u
nations où seuls une conviction honnête et le bon exemple détermineraient les g
rapports mutuels et la destinée c o m m u n e des peuples. c
» Plus que tout autre, un tel geste aurait chance d'emporter l'adhésion des peuples §
qui, dans le m o n d e entier, luttent pour les droits fondamentaux de l ' h o m m e et il ^
renforcerait considérablement la position morale de tous les partisans d'une véri- Ig
table coopération internationale. E n m ê m e temps, ceux qui répugneraient à ;r
s'engager dans cette voie se trouveraient placés dans une position difficilement
défendable, car leur opposition équivaudrait à avouer qu'ils ne sont pas très sûrs
que leur cause paraîtrait juste une fois exposée sans réserves au m o n d e entier.
» Quoi qu'il en soit, il semble qu'en exigeant avant toute chose l'abolition des
barrières on ouvrirait des possibilités entièrement nouvelles ; qu'on les exploite
avec persévérance, et il se pourrait que l'humanité fasse u n grand pas dans la voie
de cette coopération pour le progrès de la civilisation qui est plus urgente et, il se
pourrait, plus proche que jamais, en dépit des obstacles actuels. »
Peut-être les considérations exposées dans ce mémoire paraîtront-elles uto-
piques ; peut-être est-il difficile de discerner toutes les conséquences de mesures
qui n'auraient rien de conventionnel — d'où les hésitations des gouvernements à
se déclarer en faveur d'une suppression complète de tout secret et de toutes
barrières. Il reste qu'une telle attitude serait conforme aux véritables intérêts de
toutes les nations, quelle que soit leur organisation sociale et économique, et que
les espoirs et les aspirations exprimés dans ce mémoire sont, de toute évidence,
c o m m u n s à tous les peuples d u m o n d e .
Bien que peut-être il puisse aider chacun à prendre conscience des difficultés
devant lesquelles chaque nation s'est trouvée d u fait de la concomitance d'un
profond bouleversement d u m o n d e et d'une véritable révolution dans les possibi-
lités de la technique, le présent exposé ne tend nullement à donner à penser que la
situation n'offre plus les possibilités uniques que j'ai évoquées plus haut. Bien au
contraire, il a pour objet de mettre en lumière la nécessité d ? examiner de nouveau,
sous tous leurs aspects, les voies et moyens de la coopération afin d'écarter les
menaces mortelles qui pèsent sur la civilisation et d'orienter le progrès scienti-
fique vers les intérêts durables de l'humanité tout entière.
Pendant les dernières années, des événements politiques de portée mondiale
ont accru la tension entre les nations ; dans le m ê m e temps, l'idée que de grands
pays peuvent rivaliser pour la possession des moyens d'annihiler les populations
de vastes régions, et m ê m e de rendre temporairement inhabitables certaines parties
du m o n d e , a jeté partout confusion et alarme.
C o m m e il ne saurait être question, pour l'humanité, de renoncer aux perspec-
tives de progrès matériel que lui ouvre l'énergie atomique, le salut de la civili-
sation exige une transformation radicale des rapports entre nations. O r — et
c'est là le n œ u d du problème — l'assurance que le progrès scientifique sera utilise
au mieux des intérêts de l'humanité présuppose chez les nations précisément la
m ê m e attitude qu'exige leur coopération dans tous les domaines de la culture.
Il est d'autres domaines de la science où les progrès récents nous placent devant 35
une situation semblable à celle qui résulte du développement de la physique ato-
mique. L a science médicale elle-même, si riche de promesses pour l'amélioration
de la santé mondiale, a inventé des moyens d'anéantissement d'une puissance
terrifiante qui feront peser une lourde menace sur la civilisation à moins qu'on ne
parvienne à établir, sur des bases solides et universelles, la confiance et le sens
des responsabilités.
E n tout ce qui touche les rapports entre nations, la situation présente exige une
attitude exempte de toute idée préconçue. E n fait, il est aujourd'hui plus néces-
saire que jamais de prendre pleinement conscience des devoirs et des responsa-
bilités qu'implique le civisme mondial. Alors que les progrès de la science et de la
technologie ont indissolublement lié les destins de toutes les nations, c'est sur des
fondements culturels profondément différents que, dans le m o n d e entier, les
peuples s'appuient pour s'affirmer vigoureusement en tant que nations pour orienter
leur évolution sociale.
U n m o n d e sans barrières où chaque nation ne peut se distinguer que par sa
contribution au patrimoine culturel c o m m u n , et par l'expérience et les ressources
dont elle est à m ê m e de faire profiter les autres, tel est le plus haut idéal que nous
puissions nous proposer. Mais l'exemple ne peut avoir de valeur, en pareille
matière, que si les nations renoncent à l'isolement et autorisent la libre discussion,
par-dessus les frontières, des valeurs culturelles et des faits sociaux.
Les citoyens d'une nation quelconque ne peuvent conjuguer leurs efforts en vue
du bien c o m m u n que si la situation générale d u pays est parfaitement connue de
tous. D e m ê m e , pour que les nations coopèrent réellement à la résolution de pro-
blèmes d'intérêt c o m m u n , il faut qu'elles aient librement accès à toutes les infor-
mations importantes intéressant leurs rapports. A u x considérations d'idéal o u
d'intérêt national qu'on peut invoquer pour défendre les restrictions apportées
à l'information et aux échanges, il faut opposer les avantages que procurerait
l'abolition de telles barrières : enrichissement mutuel et relâchement des tensions.
Pour réaliser un équilibre harmonieux entre la vie de l'individu et l'organisation
de la société, il a toujours fallu, et il faudra toujours, résoudre bien des problèmes
et lutter pour bien des principes. Cependant, pour que chaque nation puisse
bénéficier de l'expérience des autres et ne point se méprendre sur leurs intentions,
il faut que partout l'on puisse accéder librement à l'information, échanger libre-
ment des idées.
Il faut reconnaître, à cet égard, que l'abolition des barrières supposerait un chan-
gement de méthodes administratives plus profond dans les pays où de nouvelles
structures sociales s'élaborent dans u n isolement temporaire que dans les pays
dont la politique intérieure et extérieure repose sur une longue tradition. Il est
donc nécessaire et urgent que chaque peuple soit prêt à aider les autres à surmonter
des difficultés de ce genre.
L a technique a maintenant atteint un degré de développement tel que les moyens
de diffusion de la pensée permettent d'assurer l'harmonie et la coopération entre
les h o m m e s , mais tel aussi qu'elle peut avoir des conséquences fatales pour la
civilisation, à moins qu'on n'admette que les différends internationaux doivent
être réglés par voie de consultations avec pleine liberté d'accès à toutes les infor-
mations pertinentes.
L e seul fait que la connaissance est la base m ê m e de la civilisation désigne i m m é -
diatement l'abolition des barrières c o m m e le m o y e n de surmonter la crise actuelle.
Quelles que soient les instances internationales, judiciaires ou administratives
qu'on doitfinalementcréer pour régler les affaires mondiales, il ne faut pas oublier
que seule l'abolition de toutes les barrières peut faire naître la confiance et garantir
la sécurité collective.
Tout élargissement de nos connaissances comporte pour les individus et les S
nations des responsabilités accrues par la possibilité qu'il donne de modeler les 'g
conditions de la vie humaine. Il ne faut pas négliger le brutal avertissement que J
-
l'humanité vient de recevoir ; il ne saurait manquer de provoquer une prise de g
conscience collective de la gravité d u choix qui s'impose actuellement à notre s
civilisation. C'est là, et là seulement, que réside notre unique chance d'amener 5
les nations à coopérer au progrès de la civilisation humaine sous tous ses aspects. ™
C'est aux Nations Unies que j'adresse les considérations ci-dessus dans l'espoir §
qu'elles pourront contribuer à faire aborder avec plus de réalisme les problèmes u
graves et urgents qui se posent à l'humanité. Les arguments que j'ai développés g
tendent à montrer que toute initiative en faveur de l'abolition des obstacles à B
l'information et aux échanges, d'où qu'elle vienne, revêtirait une importance §
extrême, car elle nous permettrait de sortir de l'impasse actuelle et encouragerait ^
les autres à s'engager dans la m ê m e voie. Les efforts de tous les partisans de la 4¡j
coopération internationale, individus ou nations, ne seront pas de trop pour que r1
dans tous les pays la voix de l'opinion, toujours plus forte et plus claire, s'élève
pour réclamer u n m o n d e sans secrets ni barrières. •

Creativity and Innovation Network


The international review and forum for all those concerned
with discovery processes

Contents of Vol. 10, N o . 4, October-December 1984 include:


Stimulating industrial innovation: The Dutch experience, by Jan Buijs, Project
Industríele Innovatie
Employment needs a redirection of economics, by /. D. S. Appleton, Liverpool
Polytechnic
The counselling function and role in effective management, by Douglas
K. Carnahan, General Manager, Computer Peripherals Bristol Division,
Hewlett-Packard Company
Crosswords and management thinking, by Pippa Carter
and Norman Jackson, University of Aston Management Centre
Directions of innovation in China, by John Bessant, Innovation Research Group,
Brighton Polytechnic
Revolt among the chickens, by Pegasus
And regular features: N e w s and development digest; Book selection; Letters;
Fuzzy corner; Grill; and It makes you think!
Subscription details, etc., available from:
Marketing/Subscription Manager, Creativity and Innovation Network, R o o m 3.1,
M B S , University of Manchester, Booth Street West, Manchester M l 5 6PB,
United Kingdom.
Saviez-vous que
les éducateurs, les chercheurs et les étudiants
peuvent utiliser les bons Unesco pour acheter
livres, périodiques, films
œuvres d'art, partitions musicales
récepteurs de radio et de télévision
machines à écrire
matériel scientifique
machines-outils
bandes magnétiques
instruments de musique
appareils de mesure ?

Les bons Unesco peuvent également être utilisés pour payer des
souscriptions à des publications de caractère éducatif, scientifique ou
culturel et pour acquitter des droits d'inscription universitaire ou
des droits d'auteur

(Des coupons sans valeur nominale peuvent être valorisés pour


des sommes de 1 à 99 cents.)

C o m m e n t cela fonctionne-t-il ?
Dans chaque pays utilisateur, un organisme — le plus souvent la commission
nationale pour l'Unesco — est responsable de la vente des bons.
Écrire au Service des bons de l'Unesco, 7, place de Fontenoy,
75700 Paris (France) pour obtenir une liste des principaux fournisseurs
ayant adhéré au programme ainsi que le n o m et l'adresse du Service
de vente des bons Unesco dans votre pays.
Vous payez les bons en monnaie nationale et vous les joignez à la c o m m a n d e que
vous envoyez au fournisseur des marchandises que vous désirez acquérir.
« Une chose qui demeure », dit un scientifique soviétique de ses contacts et de ses
entretiens avec Niels Bohr au cours d'un séjour à Copenhague dans les années 1950,
« c'est une admiration franche et inaltérable pour l'homme. » Chaleureux et humain)
ayant aussi une profonde connaissance de la théorie de la structure de l'atome, Bohr
reste dans les mémoires comme un grand scientifique qui non seulement a largement
contribué à faire comprendre à l'humanité la nature de la matière, mais a également
joué un rôle unique en tant que guide, assistant, ami et critique de bon nombre de
jeunes scientifiques.

L'exemple de Niels Bohr


S. T . Belyaev

Spartàk Timofeevitch Belyaev, physicien soviétique et membre de l'Académie des


sciences de l'URSS, a travaillé de 1952 à 1962 à l'Institut de l'énergie atomique
I.-V.-Kourtchatov et occupe depuis 196$ le poste de recteur de l'Université de
Novossibirsk. Il est à l'heure actuelle directeur du département de physique générale
et nucléaire de l'Institut de l'énergie atomique I.-V.-Kourtchatov. Ses principaux
travaux se situent dans le domaine de la physique nucléaire théorique et il est
l'auteur de plus de soixante-dix ouvrages scientifiques.
u Pendant des décennies l'Institut de physique théorique de Copenhague a été
£> L a M e c q u e des physiciens du m o n d e entier. C'est pourquoi il n'est guère difficile
w d'imaginer ce que ressentaient les deux jeunes physiciens soviétiques — l'un de
h mes collègues et m o i - m ê m e — venus en 1957 y suivre u n stage d'un an. L a guerre
00 froide était déjà du passé ; la première conférence de Genève sur l'utilisation de
l'énergie atomique à des fins pacifiques avait eu lieu et la communication
d'I. V . Kourtchatov à Harwell avait inauguré une ère de coopération internatio-
nale dans le domaine de la synthèse thermonucléaire. Et nous voici à Copenhague,
où nous s o m m e s envoyés par l ' U R S S , nous, les premiers stagiaires depuis la
guerre.
L'Institut de physique théorique, créé en 1921 à l'intention de Niels Bohr,
s'est progressivement agrandi depuis lors et, aux théoriciens, sont venus s'adjoindre
des expérimentateurs, mais les principes fondamentaux de son fonctionnement
sont demeurés inchangés. L e personnel permanent est très réduit ; les chercheurs
de l'institut sont dans l'ensemble des invités venus de divers pays pour u n ou
deux ans. C e sont aussi bien des savants célèbres que des jeunes faisant montre
d'un talent prometteur, que rapproche en général une orientation scientifique
c o m m u n e . D è s leur arrivée, les nouveaux venus reçoivent les clés de leur bureau
et de la porte d u bâtiment. Tout est fait pour favoriser des échanges intensifs
d'idées. L'institut organise chaque semaine u n séminaire auquel u n certain nombre
de savants travaillant dans les principaux laboratoires du m o n d e sont invités à
participer pour parler de leurs travaux les plus récents. Entre deux séminaires les
échanges de vues et les discussions se poursuivent sans discontinuer dans les
bureaux. Outre les séminaires, il y a des cycles réguliers de cours auxquels assistent
aussi des étudiants de l'université. A lafinde la matinée, la tradition veut que tous
aillent prendre leur lunch dans la grande salle à manger, qui est meublée d'énormes
tables c o m m u n e s . Les chercheurs déballent les fameux sandwichs danois, si
réputés pour leur diversité, qu'ils ont apportés de chez eux, et les dégustent en
buvant d u lait ou d u café qu'ils se procurent au buffet. Les échanges de vues et les
discussions agrémentés de notes griffonnées sur les serviettes en papier se pour-
suivent également dans la salle à manger, mais les propos débordent très souvent
le cadre de la physique. Bien que les groupes soient multinationaux, les problèmes
de langue disparaissent rapidement, et tous apprennent vite à s'exprimer dans u n
anglais approximatif. Les difficultés psychologiques ou ethniques de c o m -
munication disparaissent également grâce aux réceptions que les habitants de
Copenhague organisent périodiquement chez eux et aux joyeuses fêtes de l'institut.

Ambiance démocratique et sollicitude envers les autres

L e déroulement des séminaires donne une bonne idée du style de travail de


l'institut. Certains intervenants présentaient des travaux contestables et m ê m e
erronés, mais les critiques étaient toujours très mesurées et l'auditoire faisait en
sorte que l'intervenant comprenne lui-même ses erreurs ou ses lacunes. L a dis-
cussion se poursuivait parfois après lafindu séminaire au sein d'un cercle plus
restreint, jusqu'à ce que tous les différends aient été aplanis. N o u s étions très
frappés par le caractère démocratique des échanges et par l'absence de barrières
entre experts et débutants. Chaque invité était l'objet d'une sollicitude qui n'avait
rien d'importun et qui ne s'étendait pas seulement à son travail, mais également
à ses loisirs et à son insertion dans la vie quotidienne de Copenhague. M ê m e la
répartition des invités dans les différents bureaux était mûrement pensée. Tout
cela créait une atmosphère propice à la créativité, disposait aux contacts scienti-
40 fiques et stimulait l'efficacité du travail.
Ces conditions ne m'avaient pas particulièrement fait réfléchir à l'époque, mais
maintenant je comprends que c'était précisément Niels Bohr qui suscitait autour M
de lui cette atmosphère créatrice et stimulante. 15
L u i - m ê m e n'avait guère de temps à consacrer aux nouveaux problèmes de la Z
physique. L'établissement d'un recueil de ses articles, son travail à l'Académie •«
des sciences et à la Commission atomique du Danemark, les préparatifs de l'ouver- ^
ture à Risso d'un centre atomique doté d'un réacteur et d'un accélérateur de par- 6
ticules, tout cela exigeait beaucoup de temps. Mais la vie de l'institut (son enfant g
chéri) lui tenait vraiment à cœur. Bohr s'efforçait de ne pas manquer les confé- J
rences et séminaires intéressants, participait aux discussions, entourait les invités
de l'institut d'une attention constante et les recevait régulièrement chez lui. Il
habitait dans u n grand hôtel particulier qui appartient au Fonds Carlsberg et dont
l'usage est concédé à vie au citoyen le plus eminent d u Danemark. L'hôtel parti-
culier est de style classique (plafonds à moulures, bas-reliefs, sculptures de
Thorvaldsen, orangerie) et ce cadre ne s'accordait guère avec les réceptions qui
n'avaient rien de guindé, mais étaient au contraire bruyantes et simples.
E n tant que citoyens de l ' U R S S , nous étions l'objet d'un intérêt particulier de la
part de Bohr. J'ai le souvenir de quelques entretiens tranquilles et prolongés à
l'institut et à son hôtel particulier. Il nous posait beaucoup de questions sur ses
relations et amis russes, sur Kapitsa, T a m m , F o k et surtout Landau. U n b o n
sourire éclairait toujours son visage et il nous parlait avec animation d u séjour
tumultueux de Landau à Copenhague, de ses excentricités et de ses bons
mots.
L e lancement d u premier satellite artificiel (peu de temps avant notre arrivée)
renforça sensiblement l'intérêt de l'institut pour la recherche scientifique sovié-
tique. Bohr s'intéressait très vivement à l'état de la science dans notre pays, et
s'efforçait d'en comprendre la structure et l'organisation. E n outre, les souvenirs
qui lui étaient restés de ses voyages et les questions qu'il posait sur des gens qu'il
connaissait lui permettaient de mieux visualiser nos récits.

Le rôle particulier de Bohr dans l'histoire


de la physique quantique

A l'époque, Bohr consacrait beaucoup de temps à la préparation de son recueil


d'articles. C'est pourquoi peut-être il revenait si souvent dans ses conversations
sur l'époque tumultueuse de la naissance de la mécanique quantique et rappelait
ses entretiens avec Einstein, ses discussions avec Pauli, Heisenberg et d'autres
membres d u cercle de Copenhague. O n sentait que l'histoire de la physique
quantique, c'était sa vie, et qu'elle était devenue partie intégrante de lui-même
non pas en tant que série d'arides faits scientifiques, mais par l'intermédiaire
d'êtres vivants, de relations, de discussions, de convictions, de désaccords et de
réconciliations personnelles. L a physique quantique était née d u travail de ce
cercle. Mais Bohr avait eu u n rôle spécial et beaucoup plus important que ne pour-
rait le laisser supposer le volume de ses œuvres. Les récits animés de Bohr révé-
laient l'image d'un éducateur et d'un penseur plein de sagesse qui avait su travailler
en compagnie de personnalités extrêmement douées, mais nullement simples,
quand elles n'étaient pas caustiques et peu maniables — les « farouches génies »
fondateurs de la physique quantique. Sa tâche avait précisément été de leur expli-
quer leurs positions mutuelles, de renforcer la confiance en soi de chacun et de
préciser leurs arguments dans les discussions critiques.
N o u s travaillions facilement et avec abnégation à l'institut. Il s'est écoulé depuis
lors plus d'un quart de siècle, mais je continue à éprouver une profonde reconnais-
o sanee et des sentiments particulièrement affectueux à l'égard de l'institut de
Á Copenhague.
W C'est peut-être parce que mes rencontres et mes entretiens avec Niels Bohr se
h déroulaient avec simplicité et sans problèmes et qu'ils n'avaient rien d'extra-
c/i ordinaire que je n'en ai pas gardé les détails à la mémoire, ne conservant que
l'impression extrêmement vivace et précise de la fascination qui émanait de cet
homme.
J'ai par la suite rencontré Niels Bohr à Moscou, au cours de sa dernière visite
en U R S S , en 1961 : à l'Institut Kourtchatov, où je travaillais alors, au séminaire
de P. L . Kapitsa à l'institut de physique, à l'Université de Moscou et à une récep-
tion à l'ambassade d u Danemark. Je m e souviens de quelques détails de ces
rencontres et de certaines déclarations de Bohr qui m'ont toujours donné à réfléchir.
E n lisant les mémoires et en écoutant les réminiscences de gens qui ont bien connu
Bohr, je m e suis toujours efforcé de rapprocher ce que j'écoutais et lisais de m a
propre « image de Bohr » et de la façon dont je l'avais perçu et saisi. C'est ainsi
que je continue à porter, depuis plus d'un quart de siècle déjà, u n intérêt profond
et qui ne s'est jamais démenti à la personnalité de cet h o m m e , qui était vraiment
un grand h o m m e , à ses travaux, ses idées, sa pensée et ses méthodes de raisonne-
ment. Cette image ne relevait pas seulement de l'histoire ; il s'agissait pour m o i
de quelque chose de plus important et qui m e touchait de plus près.
Tout cela m ' a convaincu qu'aujourd'hui encore son rôle est très grand, que
nombre de ses idées demeurent actuelles, non seulement en physique, mais aussi
dans les autres sciences, non seulement pour ce qui est des problèmes scienti-
fiques, mais aussi en ce qui concerne les problèmes humains. Aujourd'hui encore,
la vie et l'œuvre de Niels Bohr sont pour nous riches d'enseignements.

Simplicité, clarté et pensée logique

Il n'y a pas longtemps, j'ai eu l'occasion de lire la critique d'un article théorique
destiné à une grande revue de physique. J'ai été frappé par cette phrase qui, dans
l'esprit du critique, massacrait complètement l'article : « Cet article ne contient
m ê m e pas une seule formule. » Il est certain que la physique théorique fait forte-
ment appel aux mathématiques et que c'est en fait une physique mathématique.
L'utilisation de formules mathématiques complexes est pratiquement une question
de prestige ; les auteurs font souvent étalage avec satisfaction de leur connaissance
des nouveaux domaines des mathématiques et de leur capacité d'utiliser des idées
et constructions mathématiques hier encore inconnues en physique. Cette épi-
démie a touché également d'autres sciences. Il serait déplacé de s'élever contre
cette tendance parfaitement naturelle si les formules n'éclipsaient pas, mais au
contraire soulignaient et développaient les aspects proprement physiques d'un
phénomène et de tel ou tel « fragment » de la réalité. Les travaux de Niels Bohr
sont à cet égard exceptionnels. Les mathématiques qu'il emploie sont très simples,
les problèmes sont posés avec netteté et la pensée exprimée avec une clarté et une
logique sans égales. Son œuvre fondamentale, consacrée au problème de la capture
des neutrons par les noyaux et où est exposée la théorie entièrement nouvelle du
noyau composé, ne comprend pas une seule formule. L a sage simplicité de l'ana-
lyse à laquelle il procède dans son ouvrage consacré au mouvement des particules
atomiques dans la matière est source de grande satisfaction esthétique.
L'élaboration de la mécanique quantique est essentiellement le fait de deux
centres scientifiques : Gottingen et Copenhague. Gottingen était sous la forte
influence du grand mathématicien Gilbert, qui est l'auteur de la déclaration,
42 peut-être u n peu facétieuse, mais néanmoins importante : « L a physique est beau-
coup trop compliquée pour les physiciens. » C'est lui qui entreprit sérieusement JS
de transcrire les théories physiques dans un langage mathématique rigoureux. L e M
chef du « centre quantique » de Gôttingen, M a x Born, qui avait suivi les cours de ^
Gilbert, aimait à répéter : « Les mathématiques sont plus savantes que nous. » Il %
n'est pas étonnant que ce soit précisément dans la création d'une formulation %
mathématique nouvelle et originale de la mécanique quantique que l'école de ^
Gôttingen a joué un rôle eminent. Mais l'originalité de cette formulation mathé- Ë«>•
matique n'était que la concrétisation des lois propres à la théorie quantique que g
la sage intuition des phénomènes physiques de Bohr avait permis de révéler. i-J

« La plus belle manifestation de musicalité dans le domaine de la pensée »


L a découverte par Planck d'une nouvelle constante, le « quantum d'action », ouvrit
une ère nouvelle en physique, mais Pélucidation initiale de phénomènes isolés ne
fournissait pas une base suffisante pour progresser plus avant sur cette voie. L e
grand tournant fut pris par les travaux de Bohr sur la constitution des atomes et des
molécules (1913). Voici comment Einstein décrit l'évolution de la théorie des
quanta pendant les années d'avant-guerre dans ses Notes autobiographiques :
« Toutes mes tentatives [...] avaient entièrement échoué. C'était c o m m e si le sol se
dérobait sous m e s pieds ; et, dans ces sables mouvants, impossible de trouver un
coin de terre ferme sur quoi bâtir quelque chose. Q u e cette base si fragile et
contradictoire ait suffi à Bohr, avec son instinct et sa sensibilité extraordinaires,
pour découvrir les lois fondamentales des raies spectrales et de la structure élec-
tronique des atomes, en expliquant leur signification pour la chimie, voilà qui,
pour moi, tenait du miracle et m'apparaît encore aujourd'hui tenir du miracle.
C'est la plus belle manifestation de musicalité qu'on puisse imaginer dans le
domaine de la pensée. »
E n 1922, Bohr fit une série de sept conférences sur la théorie de la structure de
l'atome à Gôttingen. Il n'y avait rien d'exceptionnellement nouveau dans ces confé-
rences, mais l'école de Gôttingen fut stupéfiée par la méthode de raisonnement du
maître. Oskar Klein, qui accompagnait Bohr, en témoigne de la façon suivante :
« Chacune de ses affirmations soigneusement formulées dévoilait le long chemi-
nement d'une réflexion sous-jacente : on pouvait immédiatement sentir que les
résultats auxquels il était parvenu étaient moins dus à des calculs et à des démons-
trations qu'à u n sens aiguisé du sujet et à des hypothèses intuitives. Et il n'était
certes guère facile pour lui de justifier ces résultats devant l'école de Gôttingen,
qui était d'inspiration strictement mathématique. » Mais Bohr réussit quand m ê m e
à séduire deux jeunes élèves du cercle de Gôttingen, Pauli et Heisenberg, qu'il
invita à travailler à Copenhague.
Bohr et son institut de Copenhague devinrent le centre des recherches et des
échanges de vues sur les aspects méthodologiques et théoriques de la mécanique
quantique. Ils contribuèrent aussi à la mise en évidence de ses lois physiques pro-
fondes et des principes d'interprétation de son langage mathématique.

Crise temporaire et discussions orageuses


L a période d'élaboration de la mécanique quantique a abondé en crises et impasses
momentanées. Des débats et échanges de vues tumultueux imprimaient de nou-
velles impulsions à la recherche et l'orientaient sur de nouvelles voies. C'est ainsi
que peu après son retour de Copenhague à Gôttingen, au printemps 1925,
Heisenberg eut l'idée d'appliquer l'algèbre matricielle à la mécanique quantique.
Presque en m ê m e temps, Schrôdinger proposait sa théorie ondulatoire et d é m o n - 43
¡u trait ensuite l'équivalence de la mécanique des matrices et de la mécanique ondu-
¿" latoire. Mais l'élaboration de la mécanique quantique n'était pas achevée avec la
w découverte des principales équations. Il fallait encore repenser des concepts fonda-
it mentaux, c o m m e ceux de causalité, de déterminisme, de description exhaustive
co de la réalité et de spécificité des processus de mesure des édifices atomiques. L'élu-
cidation de ces questions, l'élaboration d'un système logiquement cohérent d'inter-
prétation de la mécanique quantique, la mise au point des aspects méthodologiques,
philosophiques et de l'appareil conceptuel de la théorie quantique, tout cela
constitue l'apport scientifique fondamental de Niels Bohr. L'élaboration de la
mécanique quantique repose à la fois sur une conceptualisation mathématique et
sur des principes régissant son interprétation en termes de physique, sans lesquels
la mécanique quantique n'existerait pas en tant que théorie scientifique.
L'importance en physique de la démarche intuitive et la nécessité de percevoir
l'essence physique des phénomènes sous la complexité des formules m a t h é m a -
tiques, tel est l'enseignement important et encore très actuel que nous pouvons
tirer des travaux de Bohr.

Bohr et Einstein : la différence


entre leur manière d e travailler

D a n s l'histoire de la physique du xx e siècle, le n o m de Niels Bohr est souvent associé


à celui d'Albert Einstein, ce qui n'est pas seulement d û au fait que leurs discussions
ont joué u n grand rôle dans l'interprétation des principes de la mécanique quan-
tique. Niels Bohr a plus d'une fois attiré l'attention sur les ressemblances qui
existent entre les problèmes épistémologiques de la physique quantique et ceux
de la théorie de la relativité. Les relations entre Einstein et Bohr offrent matière à
une réflexion aussi approfondie que diverse. U n grand nombre d'ouvrages et de
monographies leur ont été consacrés. N o u s voudrions insister ici non pas sur les
ressemblances, mais sur les différences entre les méthodes de travail de ces deux
géants de la science. S'il fallait caractériser d'un mot la façon de travailler d'Einstein,
on pourrait lui appliquer le terme de « reclus ». Einstein préférait travailler dans la
solitude et la tranquillité pour se concentrer au m a x i m u m . Il nous est difficile de
citer des disciples immédiats d'Einstein ou de parler d'une école d'Einstein au sens
propre. L'institut de Niels Bohr, au contraire, a été pendant de longues années le
point de ralliement des jeunes talents. O n saurait difficilement surestimer son rôle
en tant que maître et assistant, ami et critique. D'autant que l'interprétation de la
mécanique quantique est née de longs débats et d'épuisantes discussions.
Bohr se donnait beaucoup de mal pour clarifier les arguments de ses jeunes
élèves et leur faire comprendre la nécessité d'approfondir leurs recherches. L a
longue et pénible discussion qu'il eut avec Heisenberg en 1927 à propos de l'ouvrage
bien connu de ce dernier sur les relations d'incertitude est particulièrement révé-
latrice à cet égard. Bohr, qui était u n h o m m e doux et délicat de nature, devenait
ferme et inébranlable lorsqu'il s'agissait de questions de principe. O r il estimait
en l'occurrence que le travail de Heisenberg n'était pas suffisamment pensé et
que son argumentation présentait des lacunes et des carences. Celui-ci n'était
pas d'accord et faisait état de l'approbation de Pauli. Cette discussion affecta
considérablement le jeune Heisenberg, les relations entre les deux h o m m e s en
furent perturbées et les contacts cessèrent. Bohr avait toujours eu de l'admiration
pour les capacités de Heisenberg. Aussi, la légèreté d'esprit dont avait fait preuve
ce dernier au cours de l'analyse d u problème l'accablait. Mais la véritéfinitquand
m ê m e par triompher. Heisenberg devait écrire par la suite : « A u bout de quelques
44 jours, nous nous accordâmes à reconnaître qu'on pouvait publier l'article à condi-
tion d'en modifier quelques passages ; et je dois avouer que ces modifications Ja
o
furent des améliorations importantes. J'ajoutai une note à lafinpour dire que M
j'avais discuté de m o n travail avec Bohr et que ces discussions avaient entraîné u
des modifications importantes de m o n texte. » %
o
•a

Le « secret » du succès de Bohr auprès des jeunes


E
Pendant de nombreuses années, l'institut de Copenhague fut le théâtre de « ren- g
contres familiales » entre les jeunes théoriciens les plus éminents du m o n d e entier J
qui venaient y parler de leurs nouveaux travaux et en débattre avec passion.
E n 1961, une conférence de Bohr au séminaire de P . L . Kapitsa à Moscou donna
lieu à u n entretien à bâtons rompus. A une question de Landau, qui demandait
quel secret il fallait posséder pour attirer à soi tant de jeunes talents, Bohr répondit :
« Il n'y a aucun secret. C'est tout simplement que je n'ai jamais eu peur d'avoir
l'air bête devant les jeunes. » C'est évidemment une plaisanterie, mais elle est
révélatrice. Les rapports de Bohr avec ses élèves et avec les jeunes en général
étaient dénués de toute condescendance. Il supportait patiemment les excentri-
cités parfois bruyantes de ses jeunes élèves et participait souvent de manière active
à la gaieté générale. C'est ce dont témoignent, en particulier, les trois volumes
manuscrits intitulés Jocular physics, qui ont été rédigés par ses élèves et amis pour
ses cinquantième, soixantième et soixante-dixième anniversaires. L e ton de sage
ironie qui transparaît dans la réponse de Bohr à la question de Landau est
également caractéristique de sa personnalité. A ce propos, il faut signaler
q u ' E . M . Lifchitz, qui interprétait la réponse de Bohr en russe, c o m m e n ç a par se
tromper et la traduisit de la manière suivante : « C'est tout simplement que je
n'ai jamais eu peur de leur dire qu'ils étaient des imbéciles. » Les auditeurs, qui
avaient immédiatement remarqué l'erreur, éclatèrent de rire : cette réponse aurait
peut-être été la réponse « exacte » dans le cas de l'irascible Landau, qui, dans ses
relations avec ses très nombreux élèves, était extrêmement exigeant et appliquait,
pour l'évaluation des travaux théoriques, des critères d' « exactitude » très
rigoureux.
Les rapports empreints de sagesse, attentifs et paternels de Niels Bohr avec
ses jeunes élèves, son art d'orienter, de stimuler leur progression sans les accabler
de son autorité (et, évidemment, sans considérer que son aide lui donnait u n
droit de coauteur), tout cela est encore une leçon que nous donne Niels Bohr.

L'importance d'un libre échange de points de vue

Les discussions entre Bohr et Einstein, qui se sont étalées sur plusieurs années,
occupent une place unique dans l'histoire de la physique d u xx e siècle tant par
l'importance et la profondeur des sujets traités que par la tension psychologique
et le caractère dramatique de la situation. Bohr a lui-même plus d'une fois déclaré
que ces discussions avaient joué u n grand rôle dans l'interprétation et le dévelop-
pement des bases fondamentales de la mécanique quantique. E n 1949, dans u n
article destiné à u n recueil spécialement consacré à Einstein, Bohr écrivait que,
pour contribuer à u n « volume dans lequel les chercheurs contemporains rendent
h o m m a g e à Albert Einstein pour son gigantesque apport aux sciences naturelles
et dans lequel ils expriment la reconnaissance de notre génération tout entière
pour la voie que son génie a tracée [...], je ne pourrais guère faire mieux que
d'évoquer ces discussions, qui (bien qu'elles n'aient pas débouché sur u n accord
total) ont été pour moi extrêmement précieuses et stimulantes ». Et Bohr ajoutait
plus loin : « ...tant ce libre échange de points de vue était fructueux dans un domaine 45
o o ù les nouveaux résultats nous contraignaient de temps à autre à réviser nos
cfl

¿? conceptions. »
M Einstein a lui-même contribué de manière importante au développement de la
h physique quantique par sa théorie de l'effet photoélectrique (1905) et par sa théorie
e/i du rayonnement et de l'absorption de la lumière (1917). Mais il lui était impossible
d'accepter le caractère proprement statistique de la description des phénomènes
par la mécanique quantique parce qu'il estimait que cette description était
incomplète : «... cette description va tellement à l'encontre de m a sensibilité scienti-
fique que je ne saurais renoncer à chercher u n système théorique plus complet »,
devait-il écrire par la suite. E n vue de démontrer que la mécanique quantique ne
reflétait pas pleinement la réalité, Einstein proposait diverses « expériences m e n -
tales », au cours desquelles il s'efforçait d'arriver à une description plus détaillée
des phénomènes que ne le permet la mécanique quantique.

La rivalité Bohr-Einstein

Bohr détectait des inexactitudes dans la formulation d u problème ou des facteurs


qui n'avaient pas été pris en considération et tranchait constamment à l'avantage
de la mécanique quantique. Einstein ne s'avouait pas battu et ses « expériences »,
qui étaient de plus en plus élégantes et raffinées, orientaient la discussion vers des
questions épistémologiques de plus en plus fondamentales. Il y eut, suivant l'expres-
sion de Bohr, des périodes « tout à fait dramatiques ». Il faisait allusion notamment
aux discussions publiques qui eurent lieu aux congrès Solvay de 1927 et 1930, au
cours desquels la majorité de l'élite scientifique prit ouvertement parti pour
Einstein et ses positions, tandis que Bohr ne disposait, pour résoudre chaque
problème posé par Einstein, que de quelques heures par jour ou d'une nuit seule-
ment. Bohr aimait à rappeler les détails de cette période « héroïque ». Je m e
souviens de la manière dramatique dont, gesticulant et très é m u , il décrivait
en 1961 les péripéties de ce duel en s'efforçant de transmettre son émoi à ses
auditeurs.
L a controverse entre Bohr et Einstein est instructive à bien des égards, surtout
parce que malgré la passion et l'intransigeance qui la caractérisaient, elle était
empreinte de la plus grande dignité et d'un profond respect mutuel. L a joie de la
victoire ou l'amertume de la défaite n'étaient que des manifestations superficielles
qui demeuraient toujours secondaires par rapport à la vérité scientifique.

« 77 ne faut pas " comprendre " là mécanique quantique... »

Jusqu'à la fin de sa vie, Einstein ne put accepter les principes de la mécanique


quantique et continua à attendre, à chercher une description « plus détaillée » et
plus complète des particules. Malheureusement, m ê m e les génies n'acceptent pas
toujours les nouvelles idées ou ne s'y font qu'avec peine, surtout si cela nécessite
une révision décisive de certains concepts, c o m m e c'était le cas de la mécanique
quantique. Aujourd'hui encore, l'assimilation et l'acceptation de la mécanique
quantique ne sont pas faciles m ê m e pour les étudiants. Je m e souviens de ce mot
de Lev Landau devant u n auditoire d'étudiants : « Il ne faut pas " comprendre "
la mécanique quantique, il faut simplement s'y habituer. » C'est une remarque
d'une grande profondeur. E n effet, « comprendre », c'est se référer à quelque chose
que l'on connaît déjà. Mais il était certainement plus facile de s'habituer et de se
faire à la mécanique quantique dans l'atmosphère d'échanges d'idées et de débats
continuels qui régnait à Copenhague. L'isolement dans lequel travaillait Einstein
46 ne s'y prêtait pas.
Pauli, sentant apparemment que les discussions animées de Copenhague lui
manqueraient lorsqu'il accepta d'occuper une chaire à Zurich (1927), écrivit à
Krônig pour l'inviter à être son assistant : « Cela n'entraînera pas pour vous de
lourdes responsabilités. Votre tâche sera de m e contredire chaque fois que je dirai
quelque chose, en m'opposant des arguments soigneusement étayés. »
Lorsqu'il s'agit de rechercher, de mettre en lumière et de cerner la vérité, il est
extrêmement important d'avoir u n bon adversaire. Et Bohr n'aurait p u rêver
adversaire plus sage, plus obstiné et plus attaché à ses principes, mais en m ê m e
temps plus amène et plus délicat qu'Einstein.

Bohr était capable de changer d'opinion avec dignité

Je m e permettrai ici une petite digression. Il n'est pas rare que des travaux très
importants passent inaperçus de ceux qui en sont les contemporains, que la stature
d'un savant et l'importance de ses découvertes ne soient reconnues que par les
générations suivantes. N o u s avons également p u constater que les auteurs de
retentissantes découvertes ont souvent des prédécesseurs qui sont soit leurs contem-
porains, soit fort peu anciens par rapport à eux, ce qui donne lieu à des querelles
sur l'antériorité de la découverte. Cette situation est parfois le fait de la mauvaise
foi ou d u hasard, mais il arrive aussi très souvent que l'inventeur initial n'ait pas
eu conscience de l'importance de sa découverte, ou n'ait pas voulu (ou osé)
s'employer activement à en convaincre les spécialistes. L'exemple de Bohr est
très instructif à cet égard également. Ses premiers travaux sur la théorie des spectres
atomiques (1913) contredisaient totalement la théorie classique de l'électromagné-
tisme. Il lui fallut beaucoup de courage scientifique, voire d'audace, non seulement
pour se décider à les publier, mais encore pour entreprendre énergiquement d'en
faire comprendre la portée. Bohr fut par ailleurs le premier à noter les faiblesses
de sa théorie et n'hésita pas non plus à les exposer sans ambages. L'élaboration
des bases de la mécanique quantique devait, par la suite, ressembler à une sorte
d'assaut orchestré et m e n é par Niels Bohr. Cette méthode de travail n'était pas
sans comporter de nombreux risques d'erreur, et la carrière de Bohr n'en est pas
exempte (sa déclaration de 1924 touchant la non-conservation de l'énergie dans
les processus atomiques en est u n exemple). Mais il savait modifier franchement
et dignement son point de vue en fonction des facteurs objectifs. Bohr nous a
donné une éclatante leçon d'audace et d'impartialité scientifique ainsi que l'exemple
d'une lutte honnêtement et activement menée pour faire triompher des idées
nouvelles.

Changer notre manière de voir le monde

C e qui intéressait Bohr dans la science, c'étaient les questions les plus difficiles,
celles qui réclamaient des approches totalement nouvelles, remontaient aux bases
m ê m e s de l'explication physique du m o n d e et touchaient à des problèmes philoso-
phiques et épistémologiques. L e principe de la correspondance et surtout la théorie
de la complémentarité (« méthode complémentaire de description »), qui ont été
formulés par Bohr pour résoudre certains problèmes pratiques de la physique
quantique, constituent une contribution importante à la théorie de la connaissance.
L e principe de la correspondance a été formulé par Bohr pour « sauver » son
modèle atomique (1913) en rupture avec la physique classique, mais encore
dépourvu des bases solides de la mécanique quantique. Peut-on s'écarter totale-
ment des données de la physique classique ? Après tout, il existe toute une classe
de phénomènes dont elle rend compte avec exactitude. Peut-on établir un lien entre
u la description classique et la description quantique ? L e principe de la correspon-
dí dance permettait précisément d'établir ce lien : aux plus grandes orbites quantiques
M correspond u n rayonnement de l'électron qui se rapproche beaucoup d u rayonne-
h m e n t de type classique.
oó A l'heure actuelle, ce principe, qui a acquis u n contenu épistémologique plus
général, est à la base de toute une dialectique des échanges entre « anciennes » et
« nouvelles » théories scientifiques. U n e théorie nouvelle et plus générale ne peut
pas entièrement rejeter une théorie plus ancienne, mais doit l'inclure en tant que
cas particulier, et faire appel à elle dans le domaine où elle s'applique. Cette
formulation générale d u principe de correspondance a une signification heuristique
très importante, et pas seulement pour la physique.
Plus grande encore est l'importance de la théorie de la complémentarité, dont
la généralité, le c h a m p d'application et l'interprétation philosophique demeurent
controversés aujourd'hui m ê m e . Elle a été formulée de façon définitive en 1927.
O n ne peut décrire les phénomènes quantiques de façon complète et exhaustive
qu'en utilisant deux séries mutuellement exclusives (« complémentaires ») de
conceptions classiques. Ainsi, les relations d'incertitude de Heisenberg sont
l'expression mathématique d ' u n cas particulier des relations de complémentarité.
Bohr s'est plus d'une fois efforcé de fonder, d'expliquer et de préciser sa conception
en soulignant que la méthode complémentaire de description était nécessaire
parce que notre langage (« classique ») ne convenait pas pour décrire une réalité
essentiellement différente, à savoir la réalité « quantique ». L'importance d u rôle
de la théorie de la complémentarité ne s'est pas limitée à l'interprétation de la
mécanique quantique. « N o u s avons reçu une leçon dans le domaine de la théorie
de la connaissance également, et cette leçon concerne des problèmes qui dépassent
de très loin les limites de la physique », écrivait Bohr en concentrant son attention
en premier lieu sur la biologie et la psychologie. Ses idées sur la question ne furent
jamais définitivementfixées.Fendant de nombreuses années, Bohr revint plusieurs
fois sur le contenu philosophique de la théorie de la complémentarité et sur le
rôle qu'elle pouvait avoir en dehors de la physique. Il existe encore des témoi-
gnages (plus ou moins dignes de foi) selon lesquels Bohr aurait déclaré avoir
découvert des échelles complémentaires de description de la réalité dans les diffé-
rents domaines de l'activité humaine.

Vérité et clarté
U n jour, après u n cours, l'un des étudiants ayant d e m a n d é quel était le terme
complémentaire d u concept de « vérité », Bohr répondit : « Clarté ». Cela fait déjà
de nombreuses années que je ne cesse de m'émerveiller de la profondeur de cette
déclaration. Il est évident que le « mensonge » n'est pas l'aspect complémentaire
du concept de « vérité » (mais seulement une autre gradation de la m ê m e échelle),
alors que l'aspect complémentaire en est précisément la « clarté », c'est-à-dire
l'explication simple, ne souffrant pas d'exceptions d'un phénomène quelconque.
L a « vérité », c'est l'assemblage de divers faits, tous incontestables, mais pouvant
se contredire les uns les autres et ne pas former u n tableau général « clair ». Toute
notre conception de la réalité et de la pensée objective se ramène à manier en alter-
nance ces deux procédés, à savoir recueillir et expliquer les divers faits, ensuite
les regrouper dans le cadre d'une théorie claire et bien équilibrée. D a n s la plupart
des cas, les nouveaux faits qui ne cadrent pas avec la théorie générale sont ignorés
ou accueillis avec méfiance. Ces deux types complémentaires de perception de la
réalité coexistent manifestement dans notre m o d e de pensée. Par ailleurs, certaines
48 personnes ont une préférence marquée pour la vérité (ce sont les critiques et les
Photo 3. Niels Bohr au cours de la visite de l'Institut de physique et de chimie de
l'Académie de Beijing, le 4 juin 1937.

Photo 4. Margrethe Bohr, recevant chez elle le jour de Noël 1981 de jeunes scientifiques
chinois, évoque avec eux son voyage en Chine.
Niels Bohr en 1954. (Photo reproduite avec l'aimable autorisation d'Erik Rüdinger,
Copenhague.)
analystes) et d'autres pour la clarté (ce sont les traditionalistes). Je ne sais pas si ja
c'est ce que Bohr avait en vue, mais pour m o i cet exemple est une illustration M
vivante du fait que la méthode complémentaire de description a enrichi notre j§
réflexion. Et la pensée de Bohr, qui ne se limitait pas aux problèmes pratiques Z
de son domaine scientifique, mais s'efforçait de s'élever jusqu'aux conceptions -o
philosophiques et épistémologiques, est digne d'émulation. ^
Ë
<D
X
La position de Bohr sur les questions „"
touchant la guerre et la paix
D a n s u n article consacré au centenaire de la naissance de Niels Bohr, on ne saurait
passer sous silence le rôle que ce savant a joué pour résoudre les problèmes
c o m m u n s à toute l'humanité, en particulier sa position sur les questions touchant
la guerre et la paix. Bohr a plus d'une fois été placé devant u n choix difficile. Je
citerai quelques exemples.
E n 1938, lors du Congrès international d'anthropologie et d'ethnologie, il pro-
nonça u n discours intitulé « L a philosophie de la science et les cultures des
peuples », dans lequel il parla de l'heureuse complémentarité des diverses cultures
et de la « suffisance nationale caractéristique de toute culture repliée sur elle-même ».
Sur quoi, les membres de la délégation allemande quittèrent la salle avec ostentation.
E n 1943, Bohr dut fuir le Danemark occupé, alla en Suède, puis gagna l'Angle-
terre dans des conditions dramatiques puisqu'il était caché dans la soute à munitions
d'un avion militaire. Il participa au « projet atomique » qui déboucha sur l'invention
de la b o m b e atomique, mais rompit totalement avec ces activités immédiatement
après la guerre.
E n 1944, il entreprit, non sans risques et en tout cas sans succès, de convaincre
Roosevelt et Churchill de la nécessité de conclure u n accord international sur le
contrôle des armements nucléaires.
D a n s u n m é m o r a n d u m spécial transmis à Roosevelt, Bohr déclare qu'il est très
important que les alliés préservent l'unité acquise au cours de la guerre, et qu'il
est indispensable à cettefind'interdire immédiatement après la guerre tout emploi
militaire de l'énergie atomique et de rendre son utilisation pacifique libre et
accessible à tous les pays.
E n 1950, il adressa à l'Organisation des Nations Unies une lettre ouverte dans
laquelle il insistait sur la création d'un m o n d e capable d'assurer le développement
pacifique et la coopération de tous les États, et exhortait « tous les partisans de
la coopération internationale, qu'il s'agisse de personnalités individuelles ou de
peuples tout entiers, à unir leurs efforts en ce sens ». Et, bien que Bohr reconnût
lui-même que cet appel s'apparentait à une utopie, il était convaincu que l'huma-
nité n'avait pas d'autre issue que de transformer cette utopie en réalité. E n 1955,
il exposa les m ê m e s idées dans son discours d'introduction à la première Conférence
de Genève sur l'utilisation de l'énergie atomique à des fins pacifiques.

Son objectif principal

C'est pendant ces années-là que Bohr se rendit compte que la recherche des voies
et moyens pour empêcher la guerre nucléaire et promouvoir la coopération
internationale était devenue le principal objectif de sa vie. Q u a n d je travaillais à
Copenhague, il revenait constamment sur ces questions d'ordre mondial lors de
nos entretiens, s'efforçant de « sentir » les conditions de vie dans notre pays et
notre attitude vis-à-vis de ses propositions. Ses questions étaient souvent extrê-
m e m e n t concrètes ; il s'intéressait à l'opinion de gens qu'il connaissait bien person- 49
> nellement. Et il était clair qu'il percevait le sens des concepts abstraits de « peuple »,
>> « pays » et « nation » à travers le prisme de son expérience vécue et de ses relations
PQ personnelles avec des êtres en chair et en os.
A cette époque-là, Niels Bohr était au faîte de la gloire et indiscutablement la
personne la plus célèbre d u Danemark après le roi. L e temps était bien révolu
où, c o m m e tous ses collaborateurs, il se rendait à l'institut à bicyclette. Maintenant,
c'était u n chauffeur en uniforme qui l'y conduisait dans une grande limousine
noire (ce qui était véritablement un cas rare à Copenhague, où la bicyclette demeu-
rait le principal m o y e n de locomotion). Mais il était resté aussi charmant, attentif,
simple et timide que par le passé. O n pouvait souvent le voir, après que sa magni-
fique limousine l'eut déposé à l'institut, traverser la rue et aller s'acheter des
sandwichs pour le lunch dans une toute petite boutique. Sa silhouette u n peu
corpulente paraissait voûtée, c o m m e s'il ressentait presque physiquement tout le
poids des problèmes de l'humanité qu'il avait décidé avec abnégation de prendre
sur ses propres épaules et comprenait subitement la faiblesse, l'impuissance de
l ' h o m m e seul. Mais Niels Bohr comprenait aussi qu'il n'aurait pas p u agir
autrement. •

La revue trimestrielle
Nouvelles de la Science et des Technologies
(lancée en d é c e m b r e 1983) a pour objectif d e faire connaître l'état d e s
recherches et d e s activités scientifiques d e la c o m m u n a u t é d e langue française.

Trois rubriques : Articles de fond


Vie des laboratoires
Sommaires des revues

Numéros déjà parus : Pharmacologie - Ingénierie génétique 1/1983


U n m o n d e à découvrir (Equipe I. Prigogine) 1/2/1984
Les parcs industriels à vocation scientifique 3/1984

Numéros à paraître : L'apport de la R. et D . dans le c o m m e r c e extérieur 4/1984


La micro-électronique 1/1985
Recherche et technologie nucléaires en Belgique 2/1985
La résonance magnétique nucléaire 3/1985

Les articles sont rédigés par des experts universitaires


et / ou des chercheurs et managers industriels.

Tarif Abonnement . 1.000 F.B.


Le numéro ... 250 F.B.

Paiement S G B 210-0070855-97 du G O R D E S
C C P 000-0337577-17 du G O R D E S
chèque bancaire (sauf France) ou mandat postal
adressé au G O R D E S
C P . 124 - Bureau 1105 - Av. Jeanne 44 - B - 1 0 5 0 Bruxelles
Tél. : 0 2 / 6 4 7 8 9 9 4
50
Parce que l'on peut décrire un phénomène de différentes façons, ce qui a un sens dans ,0
un contexte donné n'en a pas dans un autre. Il y a soixante ans, la complémentarité "
a
était absolument indispensable pour échapper aux contradictions apparentes de la n
physique des quanta. L'action des ondes lumineuses était inconciliable avec le mouvement ^
des particules qui ressemblent à des électrons, et c'est le concept de complémentarité §
de Niels Bohr qui démontra que, dans le domaine de la science, l'autre face de la ^
vérité n'est pas forcément une hérésie. ,»
.s

Compléments naturels E
K . C. Cole

Karen Christine Cole, qui a fait des études de lettres, est l'un des auteurs de la revue
mensuelle de vulgarisation scientifique Discover. Cet article est reproduit avec
l'aimable autorisation de la rédaction du périodique (© 1983 par Time, Inc.).
•3 Les physiciens aiment à se répéter une conversation qui eut lieu entre deux lauréats
'-' du prix Nobel, Félix Bloch et Werner Heisenberg, il y a plusieurs années. Ces deux
<-> grands savants marchaient le long d'une plage et Bloch expliquait à Heisenberg le
i¿ sens d'une nouvelle théorie sur la structure mathématique de l'espace. A u bout
d'un m o m e n t , Heisenberg répondit : « L'espace est bleu et les oiseaux y volent. »
L'histoire est célèbre parce qu'elle illustre ce que de nombreux physiciens
pensent être la principale contribution de la théorie quantique. Cette contribution
n'était pas une découverte au sens strict du mot : il ne s'agissait ni d'une particule,
ni d'un nouvel objet ou d'un événement extraterrestre, ni m ê m e d'une théorie
ou d'une équation ; c'était plutôt une position philosophique qui permettait aux
h o m m e s de science de donner un sens à une quantité de paradoxes qui semblaient
rendre la physique moderne quasi impénétrable. Il s'agissait de la notion de
complémentarité. L'histoire de Heisenberg et Bloch en est une parfaite illustration :
on peut parler du m ê m e sujet de deux façons très différentes, et ce qui a un sens
dans un contexte peut n'en avoir aucun dans un autre.
L a notion de complémentarité était absolument indispensable pour échapper
aux contradictions créées dans les années 1920 par les nouvelles idées de la phy-
sique quantique. Les ondes lumineuses semblaient faites de particules, et l'on
savait que les particules c o m m e les électrons se comportaient à la manière d'ondes.
O n pouvait repérer la position d'une particule, mais on perdait alors la trace de
son déplacement ; inversement, on pouvait suivre son déplacement, mais il fallait
alors renoncer à connaître sa position. Toutes les formes stables de la matière
dans l'univers tiraient leur forme de quantités indivisibles d'énergie vibratoire
désignées sous le n o m de quanta ; cependant, si l'on essayait de sonder ce quantum
pour voir de quoi il était fait, il s'évanouissait aussi complètement qu'un flocon
de neige dans la p a u m e de votre main.
C e fut le physicien Niels Bohr qui invoqua la complémentarité pour essayer de
maîtriser ces contradictions essentielles. Il déclara que la réalité des phénomènes
de la nature exigeait des descriptions complémentaires, c'est-à-dire impliquant
plusieurs points de vue. Peu importe qu'on ne puisse pas déterminer simultanément
le déplacement et la position d'une particule ; il n'est pas non plus possible de voir
en m ê m e temps les deux faces d'une pièce de monnaie. Il est nécessaire de donner
des descriptions complémentaires pour comprendre entièrement u n phénomène, de
m ê m e qu'il est nécessaire de mélanger toute une g a m m e de couleurs pour obtenir
du blanc pur. Les compléments sont le yin et le yang de la science. O u encore,
c o m m e l'écrit le physicien Emilio Segré : « L a science a ceci de particulièrement
beau que des points de vue qui paraissent diamétralement opposés, une fois placés
dans une perspective plus large, apparaissent vrais tous les deux. »

L a complémentarité est bien autre chose qu'une version personnelle d u « d'une


part-d'autre part » à l'usage du physicien. N o n seulement deux opinions opposées
peuvent être vraies, mais deux opinions vraies peuvent s'exclure mutuellement.
Par exemple, tout le m o n d e comprend que les ondes et les particules sont des
concepts mutuellement exclusifs. U n e particule est c o m m e une balle de fusil :
c'est u n objet fini, manifestement de nature matérielle, qui occupe une place
définie dans l'espace et dans le temps. U n e onde ressemble davantage à un m o u -
vement. C'est une forme abstraite et continue. U n e onde n'a pas plus de rapport
avec une particule que les vagues de la mer n'en ont avec u n banc de poissons
nageant en profondeur. Et, cependant, les expériences confirment que les particules
52 élémentaires tiennent également de l'onde et de la particule, phénomène qui a fait
dire à u n physicien que la nature se comporte selon la théorie quantique (les "3
particules) les lundis, mercredis et vendredis, et selon la théorie ondulatoire les g
mardis, jeudis et samedis. o
C e qui est difficile dans le cas de la complémentarité, c'est de savoir quand u n g
des points de vue est pertinent. C o m m e l'a remarqué le physicien Jacob Robert |
Oppenheimer, « plus le premier point de vue s'applique étroitement à une situation, ^
plus le second est inadapté ». S
Dire que « l'espace est bleu » n'a rien d'une relation mathématique, mais, U
inversement, une équation serait un très mauvais m o y e n de décrire l'impression
que fait le ciel quand on se promène sur la plage un jour d'été. Plus une particule
se comporte c o m m e une particule, moins elle se comporte c o m m e une onde, de
m ê m e que plus la position d'une particule se précise, plus son déplacement devient
flou (et inversement).
Naturellement, le mot de complémentarité vient de la technique des couleurs.
L e bleu et l'orange sont complémentaires parce que leur combinaison donne du
blanc : le spectre complet. Il est vrai aussi qu'ils s'excluent mutuellement. L e bleu
est une couleur qui ne contient pas d'orange, de m ê m e que l'orange ne contient
pas de bleu. Si l'on enlève le bleu du blanc, il reste l'orange. U n complément
est une sorte d'ombre. La nuit est à la fois l'ombre et le complément du jour.

Dans les cas extrêmes, si l'on se concentre étroitement sur un aspect-d'une situation,
on risque de détruire l'autre. Bohr devait pratiquer le ski, car il a comparé ce
phénomène aux efforts que l'on peut faire pour analyser les plus petits mouvements
du christiania, ou virage parallèle. Dès que l'on s'efforce de le faire, « le christiania
cesse d'exister et devient u n virage en stem ordinaire, de m ê m e que l'état quan-
tique redevient un déplacement classique lorsqu'on l'analyse très finement ». L'état
quantique, c o m m e l'arabesque que fait la ballerine ou c o m m e le chant d'un
oiseau, ne garde ses propriétés que pour autant qu'il continue à former un tout.
Cela ne veut pas dire que l'on ne peut pas décomposer ces choses en notes, en
mouvements ou en molécules, cela signifie seulement qu'on peut observer un
animal sur le vif, ou bien le disséquer au laboratoire et que ce sont deux façons
complémentaires d'explorer la nature.
Joseph Weizenbaum, professeur d'informatique au M I T , a dit à peu près la m ê m e
chose récemment lorsqu'il a expliqué qu'il était dangereux de faire la part trop
belle aux ordinateurs : « Prenons le cas du microscope. Il agrandit énormément
les objets, certes, mais en fait il empêche aussi de voir le reste du m o n d e . O r il
y a des moments où l'on ne peut pas voir deux choses à la fois : pour distinguer
les détails, il faut renoncer à voir l'organisme entier. Mais il ne serait pas raison-
nable pour autant de dire que ce que vous voyez ressemble en quoi que ce soit
à la réalité essentielle de l'organisme lui-même. »
Weizenbaum, auteur de Computer power and human reason (Pouvoir de l'ordi-
nateur et raison humaine), craint que, si la sociétéfilele parfait amour avec les
ordinateurs, ce soit parce que la pensée scientifique est en voie de devenir « impé-
rialiste ». Cela ne veut pas dire que la pensée scientifique est mauvaise en soi,
cela veut dire seulement qu'elle est dangereuse lorsqu'elle supplante toutes les
autres approches. « Si l'on voulait comprendre la dépression des années 1930 sans
autres documents que les statistiques d u Ministère d u travail, et si l'on refusait
par exemple de lire des romans c o m m e ceux de John D o s Passos parce que la
littérature n'est pas scientifique, ce serait une mauvaise chose, car, très profondé-
ment, on apprend davantage en lisant ces romans. » 53
3

Les craintes de Weizenbaum ne sont pas nouvelles. M a x Born, lauréat d u prix


Nobel, a échangé une longue et célèbre correspondance avec Albert Einstein
touchant plusieurs conséquences troublantes de la nouvelle physique, notamment
le point de savoir si la notion de cause et d'effet pouvait encore avoir u n sens,
compte tenu de la théorie quantique, ou bien si, c o m m e Einstein refusait de
l'admettre, elle signifie que « Dieu joue aux dés avec l'univers ». Born conclut
que tout le mal vient d u fait que la philosophie c o m m e la science se plaisent à
émettre des jugements catégoriques et sans appel. Il écrit : « Si la théorie quantique
a une quelconque importance philosophique, c'est parce qu'elle démontre la
nécessité de la dualité et de la complémentarité [...] O n pourrait ainsi éviter bien
des controverses inutiles. »
O n s'est demandé pendant des siècles si la lumière était essentiellement une
onde ou essentiellement une particule. Aujourd'hui, cela semble aussi superflu
que de demander si l'espace est bleu ou s'il a des propriétés mathématiques.
Chacune de ces propositions est vraie si elle est placée dans le contexte qui lui
convient. Cela ne veut pas dire que la « vérité dernière » se trouve entre les deux :
la complémentarité n'est pas le compromis. Il faudrait plutôt la comparer aux
côtés d'une boîte ou aux facettes d'un problème. Vous voyez des choses différentes
selon que vous regardez tel ou tel côté de la boîte ; c'est pourquoi la lumière — et
d'une façon générale l'énergie et la matière — se présente sous forme d'amas ou
de quanta d a m certaines expériences, et se comporte c o m m e des ondes dans
d'autres.
Accepter la complémentarité, cela signifie simplement que l'autre face de la
vérité n'est pas nécessairement une hérésie. A Einstein, qui se plaignait que la
théorie quantique abandonne la nature au hasard, Born répondait qu'être incapable
de tout prévoir ne signifie pas que la nature est aléatoire : les lois d u hasard aussi
sont des lois de la nature.
Aujourd'hui, on trouve absurde que des esprits prisonniers de dogmes religieux
rigides aient p u juger hérétique de considérer que le Soleil était au centre d u
système solaire. Mais des h o m m e s de science c o m m e Weizenbaum craignent
aujourd'hui que les gens ne soient à ce point aveuglés par leurs nouvelles perspec-
tives scientifiques qu'ils considèrent les perspectives affectives et morales c o m m e
des hérésies. Peut-être oublient-ils — ou d u moins veulent-ils ignorer -r-> que
l'espace est bleu.
Si tel est le cas, ce serait une terrible ironie, car, c o m m e l'écrivait Born, « cet
assouplissement des règles de la pensée m e semble le plus grand bienfait que nous
ait apporté la science moderne [...]. Croire qu'il n'y a qu'une vérité et qu'on la
possède m e paraît la cause la plus profonde de tous les m a u x qui affectent
l'humanité ». •
Lorsque Niels Bohr se rendit en Chine en 1937, il devint immédiatement un héros
populaire : des milliers de gens écoutèrent ses conférences à la radio ou lurent les
articles qui lui étaient consacrés dans la presse. Alors que la Chine nouvelle venait à
peine de naître, il prit l'initiative sans précédent d'organiser entre les scientifiques
chinois et ceux de son pays natal, le Danemark, des échanges qui se sont poursuivis
jusqu'à nos jours. Dans les pages qui suivent, un eminent scientifique chinois brosse
le portrait d'un grand ami du peuple chinois.

Une rencontre inoubliable


et une profonde amitié
Wang Gan-chang

Le professeur Wan Gan-chang est président honoraire de la Société nucléaire


chinoise, vice-président de la Commission des sciences et de la technologie du
Ministère chinois de l'industrie nucléaire, vice-président de la Société chinoise des
sciences et de la technologie et directeur honoraire de l'Institut chinois de l'énergie
atomique. Son adresse : Institute of Atomic Energy, P . O . Box 275, Beijing (Chine).
tí C'est avec grand plaisir que j'ai accepté l'invitation que m ' a faite le responsable
•g de la publication de contribuer à ce numéro anniversaire. Ayant eu l'insigne
à honneur de rencontrer en Chine, pendant m a jeunesse, le grand h o m m e et le
Ü grand savant que fut Niels Bohr, je suis heureux de la responsabilité qui m'échoit
d'évoquer u n souvenir qui m'est cher et de retracer la longue et solide amitié
qui unit les scientifiques chinois et danois.
Les années 1920 furent une période extrêmement féconde pour le développement
de la physique. C'est à cette époque que fut conçue la théorie quantique moderne,
qui a révolutionné les voies de la connaissance humaine. Niels Bohr a joué, à la
tête de son institut, u n rôle déterminant dans cette évolution historique d u savoir
scientifique. Je n'essaierai pas de retracer ici l'histoire de cette percée considérable
accomplie dans la connaissance de la structure et des propriétés de la nature, ni
de présenter u n exposé général de l'œuvre scientifique fondamentale de Bohr et
du rôle majeur que celui-ci a joué dans l'histoire. D'autres l'ont déjà fait, et son
œuvre continuera de susciter de nombreuses exégèses. Je préfère évoquer u n
aspect que je considère c o m m e particulièrement remarquable : l'action incessante
menée par Niels Bohr pour promouvoir les échanges et la coopération culturelle
et scientifique entre les pays. Chacun sait qu'il a effectué une visite en Chine
en 1937, mais bien peu aujourd'hui, notamment parmi les jeunes, connaissent les
détails de cette visite. Il m ' a donc semblé intéressant de rappeler la chaleur de
l'accueil qu'il a reçu et l'espèce de fascination qu'ont exercée en Chine, aussi
bien sur les scientifiques que sur le grand public, les conceptions de Bohr concer-
nant l'atome et son noyau.
Invité par une dizaine d'institutions scientifiques et d'organisations culturelles,
Bohr débarqua à Shanghai le 20 mai 1937, arrivant d u Japon avec sa f e m m e
Margrethe et sonfilsHans-Henrik. Ils séjournèrent trois jours à Shanghai avant
de se rendre successivement à Hanzhou, Nangjing et enfin Beijing. L e 7 juin, au
terme d'une visite historique pleinement réussie, Bohr quittait Beijing par le
train pour regagner Copenhague via la Sibérie. Juste u n mois plus tard, la guerre
de résistance contre l'agression japonaise éclatait.

U n e visite historique

E n dépit des difficultés qui assaillaient le peuple et les scientifiques chinois au


cours de ces années tristes, la communauté scientifique chinoise, notamment
les physiciens, témoigna u n grand intérêt pour la théorie des quanta élaborée par
Bohr à propos de l'atome et de son noyau. Les visites qu'il effectua dans de n o m -
breuses villes et les conférences qu'il y donnafirentsensation parmi la communauté
scientifique et technique. D e nombreux journaux et périodiques publièrent en
première page des articles consacrés à l'admirable personnalité de Bohr et à son
apport considérable à la science moderne. D è s le lendemain de son arrivée en
Chine, Bohr donnait sa première conférence sur le noyau de l'atome dans la salle
des sciences de l'ingénieur de l'Université de Jiao-Tong à Shanghai, devant u n
auditoire d'environ six cents personnes qu'il tint en haleine durant plus de deux
heures ; pendant ce temps, des milliers d'habitants de la ville, dont certains
n'avaient pas de connaissances de physique, écoutaient attentivement sa conférence
retransmise en direct par la radio de Shanghai avec la collaboration technique de
la Shanghai Telephone C o m p a n y . Partout, Bohr toucha des auditoires beaucoup
plus vastes que ceux auxquels il s'adressait directement dans les salles où il donnait
ses conférences. C'est ainsi que la radio de la province d u Zhejiang retransmit
également en direct dans toute la province, afin de satisfaire le public qui désirait
l'entendre, une conférence qu'il donna dans u n amphithéâtre de m o n université,
l'Université d u Zhejiang, où deux cents personnes à peine pouvaient prendre
place. Je ne crois pas qu'une conférence scientifique ait souvent suscité u n tel
enthousiasme ailleurs dans le m o n d e .
Bohr était très sensible à la beauté de notre pays, à sa longue histoire, à son
ancienne civilisation et il fondait de grands espoirs sur notre action culturelle et
éducative. E n dépit d'un emploi du temps très chargé, il visita u n grand nombre
de sites, de lieux historiques, d'instituts et d'universités. C e fut u n réel plaisir
pour m o i de rencontrer Bohr à Hangzhou, où j'avais été n o m m é professeur de
physique à l'Université d u Zhejiang, et je passai en sa compagnie des moments
inoubliables. Accompagnés d u D r H u Gang-fu, qui dirigeait le département scien-
tifique de l'université, les Bohr arrivèrent à Hangzhou de Shanghai par le train et
descendirent à l'hôtel Xi-Leng, où je fis la connaissance de Niels Bohr. Après
avoir pris le thé et des rafraîchissements, nous allâmes visiter u n site magnifique
n o m m é San-tan-Yin-Yue, qui signifie « les trois étangs où se reflète la lune », situé
au centre du lac de l'Ouest. A u cours de la soirée, un banquet fut donné en l'hon-
neur des Bohr au restaurant D a - H u a par Z h u Ke-zhen, président de l'Université
du Zhejiang, aujourd'hui décédé.
L e lendemain matin, les Bohr visitèrent plusieurs lieux touristiques célèbres,
tels que le tombeau du général Y u e , les temples de Ling-Yin, les neuf ruisseaux et
dix-huit ravins. Bohr fut particulièrement sensible au calme, à la solitude d u site
de Ling-Yin et fut séduit par les grands temples.
A u cours de la visite, il lui arriva d'évoquer, avec beaucoup de verve, ses idées
nouvelles concernant le noyau de l'atome, notamment le modèle qu'il avait conçu
de « la goutte liquide composée ». Il nous dit de nous représenter le noyau c o m m e
une coupelle contenant de petites billes. Si une bille venue de l'extérieur pénètre
dans la coupelle, elle frappera la première bille qu'elle rencontrera et lui c o m m u -
niquera une partie de son énergie, et ces deux billes en mouvement iront ensuite
frapper d'autres billes, provoquant des collisions en chaîne. Ces collisions se
poursuivront jusqu'à ce que toutes les billes de la coupelle soient en mouvement.
A ce stade, l'énergie de la première bille sera distribuée entre toutes les billes pré-
sentes, rien ne distinguant plus alors la première bille des autres. Mais, ensuite,
le système composé devra trouver u n m o y e n de libérer son énergie excédentaire.
Bohr concluait en disant qu'il ne s'agissait là que d'une métaphore, qui permettait
toutefois de décrire c o m m o d é m e n t ce qui se passe lorsqu'un neutron rapide vient
frapper u n noyau et est capturé pour constituer u n système composé qui subira
peut-être ensuite une désintégration.

Le modale de Bohr et la fission nucléaire

L a théorie de Bohr joua u n rôle très important dans la découverte de la fission


nuclaire en 1939. L a veille de Noël 1938, m o n professeur, Lise Meitner, reçut
d'Otto H a h n une lettre dans laquelle celui-ci déclarait que lui-même et Fritz
Strassman se voyaient forcés de conclure que la substance non identifiée présente
parmi les produits d u bombardement neutronique de l'uranium était d u baryum,
ajoutant que cette conclusion surprenante les plongeait dans la perplexité. Lise
Meitner et son neveu, le D r Otto R . Frish, de Copenhague, passèrent quelques
jours ensemble à Gôteborg, en Suède, se creusant la cervelle pour arriver à
comprendre comment u n noyau d'uranium pouvait se scinder en deux fragments.
C'est finalement le modèle de la goutte liquide composée de Bohr qui les éclaira,
leur permettant de concevoir qu'un noyau d'uranium, qui constitue un système
composé, puisse subir u n processus defissionau m ê m e titre qu'une goutte de
liquide : la goutte s'étire d'abord pour prendre ensuite la forme d'un haltère dont
a les deux extrémités reliées par une mince tigefinissentpar se dissocier. L e terme
•g «fission» utilisé pour décrire ce phénomène a été emprunté à la biologie. Lorsque
¿ se répandit la nouvelle de lafissiondu noyau d'uranium, des équipes de chercheurs
O se mirent activement à l'œuvre dans les laboratoires du m o n d e entier pour mesurer
l'énergie libérée lors de chaquefissiond'uranium. A u début du printemps 1939,
Bohr démontra à l'aide de son modèle nucléaire composé que le matériau de
fission était l'isotope U 235 et non pas l'uranium 238. U n e fois encore, Bohr,
grâce à sa perspicacité et à sa clairvoyance, avait tracé la voie de l'évolution de la
physique et annonçait l'avènement de l'ère nucléaire. L a m ê m e année, Enrico
Fermi et ses collaborateurs mesurèrent le nombre m o y e n de neutrons émis à
chaquefissiond'uranium et s'aperçurent qu'il était supérieur à deux. Ainsi fut
proclamée la découverte d'une nouvelle source de puissance sans précédent :
l'énergie nucléaire.
E n considérant rétrospectivement la découverte de lafissionnucléaire, on s'aper-
çoit que le modèle nucléaire composé de Bohr a joué u n rôle déterminant dans
l'explication du nouveau phénomène. Selon moi, le modèle de Bohr est riche de
potentialités pour la solution de nouveaux problèmes relatifs aux réactions
nucléaires. L'essentiel de ce modèle réside dans l'excitation de toutes les particules
d'un noyau (les billes en mouvement de la coupelle) et dans la formation de tous
les états énergétiques possibles (le système composé). Toutefois, il ne donne aucune
explication spécifique de cette excitation, pas plus qu'il ne décrit les modalités
particulières de la désintégration du système. Il s'agit donc d'un guide facilitant
l'étude des différents types de processus nucléaires plutôt que d'un modèle expli-
catif. J'aime beaucoup ce modèle à cause de la simplicité et de la profonde vérité
qui le caractérisent. L ' u n de mes plus beaux souvenirs est celui de cette promenade
dans le cadre enchanteur du lac de l'Ouest à Hangzhou, au cours de laquelle
j'écoutais Bohr exposer, avec force gestes, ses grandes théories nouvelles.

Expliquer en termes simples


des concepts complexes

A u cours du séjour qu'il effectua en Chine, Bohr donna au total sept conférences
consacrées à l'atome, au noyau atomique, à la désintégration nucléaire et à la loi
de la causalité. Il eut également de nombreux entretiens avec les physiciens chinois
sur toutes les questions qui les intéressaient; cependant, il revenait sans cesse
sur les problèmes cruciaux auxquels les scientifiques de l'époque se trouvaient
confrontés. Ceux qui l'écoutaient n'apprenaient pas seulement beaucoup de phy-
sique et de notions nouvelles ; leur esprit tout entier en était éclairé. N o u s avons
toujours été extrêmement frappés par la façon qu'avait Bohr d'expliquer des
concepts complexes en termes simples et par la façon vivante dont il présentait sa
théorie du noyau atomique à l'aide d'auxiliaires pédagogiques de son invention,
c o m m e des boules de billard, par exemple, et avec le concours de sonfils,H a n s -
Henrik Bohr, qui projetait de nombreuses diapositives d'un grand intérêt. Je
crois savoir que le matériel pédagogique qu'utilisait Bohr est toujours çpnservé
à l'Institut Niels-Bohr.
Bohr était célèbre dans le m o n d e entier ; pour m a part, j'étais jeune et encore
novice en matière de recherche. J'étais donc quelque peu intimidé à l'idée de lé
rencontrer ; toutefois, m o n appréhension se dissipa dès que nous engageâmes la
conversation. Je m e rendis compte sur-le-champ que c'était u n h o m m e aimable,
d'un abord facile, dépourvu de toute prétention et toujours disposé à répondre
aux questions les plus diverses. Je m'intéressais à cette époque aux rayons cosr
miques, plus particulièrement au phénomène de cascade qui était depuis peu
l'objet d'observations. Je lui demandai quelle pouvait être l'origine de ces cascades ;a
et il m e répondit que l'on avait déjà la réponse à cette question : elles étaient S
produites par l'interaction électromagnétique. «
a
«2
Le débat Einstein-Bohr : « C'est moi qui ai raison, 2
Einstein se trompe » «
O n sait que ce que l'on a appelé le débat entre Einstein et Bohr a duré plusieurs g
dizaines d'années au début du xx e siècle ; toutefois, les deux h o m m e s étaient bons Ji
amis et ne cessèrent jamais de se tenir mutuellement en haute estime. L e rôle .sj
historique joué par leur polémique dans l'évolution de la science moderne a été •§
abondamment étudié et exposé par les historiens et les scientifiques. Je n'en g
parlerai donc pas et renverrai les lecteurs intéressés aux ouvragres traitant de cette v
question, tel Niels Bohr de Ruth M o o r e . Beaucoup de ceux qui avaient l'occasion g
de rencontrer Bohr, en particulier les jeunes, souhaitaient entendre de sa bouche a
u
ce qu'il pensait de ce fameux débat. Lorsque m o n collègue Shu Xin-bei demanda
à brûle-pourpoint à Bohr son avis sur la question, Bohr répondit sans détour que £
c'était lui qui avait raison et qu'Einstein se trompait. Sa franchise et sa droiture
firent sur moi une profonde impression.
A chaque étape de son séjour, Bohr visita plusieurs laboratoires, par exemple
l'institut de physique de l'Académie centrale de Shanghai, le laboratoire de phy-
sique atomique de l'Université centrale à Nangjing, l'institut de physique de
l'Université de Beijing. Il manifesta u n grand intérêt pour les travaux de recherche
en cours, bien que l'équipement et les moyens d'expérimentation dont disposaient
alors la plupart des laboratoires fussent rudimentaires. D'après ce que rapporte
le professeur Zheng Hua-zhi, un groupe de chercheurs du laboratoire de physique
de l'Université de Beijing avait entrepris de mesurer le spectre atomique complexe
d u benzène en utilisant l'effet R a m a n . Il avait identifié dans le spectre deux lignes
très proches l'uríe de l'autre : la ligne 991, très intense, et la ligne 984, très faible.
Lorsqu'on montra à Bohr la photographie du spectre, u n sourire de contentement
apparut sur son visage et il félicita les physiciens chinois d'avoir réussi à prendre
des clichés aussi nets de la ligne 984, travail qui demandait des centaines d'heures
d'exposition.

Une photographie historique

A u cours de leur séjour à Beijing, les Bohr furent accueillis partout avec enthou-
siasme et reçus en grande p o m p e . Bohr visita la plupart des institutions scienti-
fiques importantes de Beijing et rencontra des dizaines de scientifiques chinois de
premier plan, notamment le célèbre physicien W u Y o u - X u n , aujourd'hui décédé,
qui accompagna les Bohr dans leur visite d u M u s é e d u palais, de la Grande
Muraille et des tombeaux ming.
Lors de la visite que Bohr effectua à l'Académie de Beijing, une photographie
fut prise le 4 juin 1937 sur les marches d u bâtiment de l'Institut de physique et
de chimie (voir photo n° 3). Cette photo a été conservée c o m m e u n précieux
témoignage par le grand savant Y a n Ji-ci, qui aime à parler aux jeunes scientifiques
chinois des relations d'amitié qui ont existé dans le passé entre les scientifiques
de Chine et ceux d'autres pays en leur montrant des photographies historiques
telles que celle-là.
La visite de Bohr fut l'un des grands événements de l'histoire de la science
moderne en Chine. Elle a exercé une influence considérable et durable sur le
développement des rapports d'amitié et de coopération entre les scientifiques 59
u de nos deux pays. Elle est également devenue l'un des sujets de conversation les
•g plus fréquemment abordés lorsque Chinois et Danois se rencontrent. Sur la
¿ photo n° 4 , on voit Margrethe Bohr recevant chez elle, à Noël 1981, de jeunes
CJ scientifiques chinois et évoquant avec émotion le voyage qu'elle fit en Chine avec
jí son mari en 1937.
fe L'amitié entre les physiciens de nos deux pays ne s'est jamais démentie et les
échanges au niveau universitaire inaugurés par Bohr se sont poursuivis et déve-
loppés. A u cours des années qui ont précédé l'avènement de la Chine nouvelle,
quelques physiciens chinois de l'ancienne génération, dont Z h o u Pei-yuan, Zhang
Zhong-sui (aujourd'hui décédé) et H u N i n , ont effectué des séjours individuels
d'une durée variable à l'Institut Niels-Bohr. Depuis lors, beaucoup d'autres plus
jeunes ont suivi leurs traces. U n e vingtaine de physiciens sont allés étudier et
travailler à l'institut, où la durée m o y e n n e de leur séjour a dépassé u n an, et ces
physiciens constituent aujourd'hui une force très importante pour la science et la
technique chinoises.

Des liens d'amitié renforcés

Conformément au v œ u de son père, u n autre de sesfils,Aage Bohr, qui est égale-


m e n t lauréat d u Prix Nobel, a effectué deux visites en Chine, toutes deux fort
réussies. D'autres physiciens de l'Institut Niels-Bohr, notamment B . R . Mottelson,
lui aussi Prix Nobel, se sont rendus en Chine à des époques différentes. Toutes
ces activités ont resserré les liens entre les physiciens de nos deux pays et renforcé
l'amitié entre leurs peuples. Les relations de coopération et d'amitié entre nos
scientifiques, dont Niels Bohr avait été l'instigateur et qui ont ensuite été entre-
tenues par sonfilsAage Bohr, se perpétuent de génération en génération. Instaurées
à l'origine dans le domaine de la physique, elles se sont aujourd'hui étendues à
presque toutes les disciplines scientifiques et techniques. L ' « arbre de l'amitié »
planté par Niels Bohr voici quarante-sept ans afleuriet porté des fruits abondants.
Qu'avons-nous à apprendre de Bohr et de son institut ? J'ai entendu, à cet
égard, de nombreuses remarques et suggestions émanant de collègues et d'étudiants
qui ont travaillé à l'Institut Niels-Bohr ou qui se sont penchés sur cette question.
N o m b r e u x certes sont les enseignements qu'ils nous apportent, mais je mettrai
l'accent sur des aspects qui présentent une grande importance pratique pour la
réalisation de notre objectif de modernisation de la science et de la technique :
l'effort collectif, l'association de la théorie et de l'expérimentation, la coopération
internationale. Ces trois aspects sont, bien entendu, étroitement liés. L'effort
collectif est l'essentiel, et les deux autres aspects peuvent être considérés dans une
certaine mesure c o m m e des méthodes spécifiques concrétisant, dans différentes
situations, cet esprit d'effort collectif. Bohr a toujours estimé que le progrès de la
science dépendait de la coopération. C'est d'ailleurs l'idée dominante qui présidait
à la conduite de ses activités de recherche scientifique et au fonctionnement de
son institut. Lorsque Bohr décida de fonder u n institut de physique théorique, il
savait déjà quelles en seraient les caractéristiques. Il ne s'agirait pas d'un fief
réservé à tel ou tel : ce serait u n lieu ouvert à l'esprit de coopération, où régnerait
une atmosphère de travail stimulante, u n lieu où tous les scientifiques, quel que
soit leur pays d'origine, pourraient se rencontrer pour servir la science ; la théorie
y serait étroitement associée à l'expérimentation ; on y utiliserait des techniques
et des méthodes expérimentales modernes, mais point n'était besoin d'installations
somptueuses.
Naissance de l'Institut Niels-Bohr

L'Institut fut inauguré le 3 mars 1921. A u cours de ses dix premières années 5
d'existence, il apporta une contribution décisive à l'élaboration de la mécanique
quantique. C e résultat remarquable ne fut pas l'œuvre d'un individu particulier, !
mais le fruit des efforts collectifs d'une génération de chercheurs. L a renommée
de Bohr ainsi que le rayonnement de sa personnalité lui attirèrent le concours d'un
grand nombre de jeunes chercheurs de talent qui, au prix d'un travail sans relâche,
parvinrent à mettre au point les principes fondamentaux et la forme mathématique
de la mécanique quantique et à formuler ce qu'il est convenu d'appeler 1' « expli-
cation de Copenhague ». Tout au long de cette entreprise, la profondeur et la .5
créativité de la pensée de Bohr, sa vive intelligence et son esprit critique ouvrirent o
la voie et tracèrent le chemin jusqu'à la victoirefinale.O n peut retenir en conclusion a
que la mécanique quantique est l'œuvre d'une génération de héros brillamment
dirigés par Niels Bohr. a
8
Les résultats remarquables obtenus par l'Institut Niels-Bohr nous dominent o
une leçon fondamentale : nous n'atteindrons le but ambitieux que nous nous u
sommes fixé qu'en permettant à chacun de déployer pleinement sa créativité et a
son initiative. E n effet, presque toutes les réalisations importantes de la science
moderne sont aujourd'hui le fruit d'un labeur et d'un effort collectifs.
Niels Bohr ne s'est pas contenté de définir les principes devant présider à l'activité
de l'institut ; ce fut également un formidable lutteur qui ne se laissait pas effrayer
par les dangers et les difficultés, qui n'a cessé de se battre en dépit de tous les obs-
tacles pour mettre en pratique ses principes et qui est allé de victoire en victoire^

Plus international que l'ONU?

Les efforts considérables qu'a déployés Bohr pour promouvoir l'amitié et la coopé-
ration entre les scientifiques de nos deux pays appellent une dernière remarque.
Ainsi que je l'ai rappelé, Bohr est arrivé en Chine pour y donner une série de
conférences en 1937, année de chaos et de désastre ; son séjour fut une totale
réussite en dépit de la fatigue physique et nerveuse de Bohr, qui s'était rendu
précédemment dans plusieurs autres pays. Après la fondation de la Chine nouvelle,
nos efforts dans le domaine scientifique et technique se heurtèrent pendant long-
temps à des difficultés et à des obstacles considérables du fait du blocus économique
organisé par les superpuissances. A cette époque très difficile, l'Institut Niels-Bohr
devint à peu près le seul endroit au m o n d e où des chercheurs chinois pussent être
reçus. Certains membres de l'institut allèrent m ê m e jusqu'à prétendre que celui-ci
était encore plus international que l'Organisation des Nations Unies, où la R é p u -
blique populaire de Chine n'était pas représentée, alors qu'elle l'était à l'Institut
Niels Bohr. Pendant la révolution culturelle, la Chine connut dix années de boule-
versements durant lesquelles notre recherche scientifique fut paralysée, en raison
du sabotage organisé par la Bande des Quatre. C'est à cette époque qu'Aage Bohr,
fidèle aux principes idéologiques de son père, revint en Chine. Il donna des confé-
rences dans plusieurs grandes villes et demanda aux autorités compétentes
d'envoyer des chercheurs chinois à l'Institut Niels-Bohr. Son action fut d'un grand
secours aux physiciens et aux autres scientifiques chinois dans leur lutte contre la
Bande des Quatre.
N o u s n'oublierons jamais les amis qui nous ont aidés dans nos difficultés.
Niels Bohr était un grand ami des scientifiques et du peuple chinois, et il vivra à
jamais dans nos cœurs. Puisse la grande amitié entre les scientifiques et les peuples
de la Chine et du Danemark se perpétuer de génération en génération et demeurer
toujours vivante! • 61
LA REVUE DU PALAIS DE LA

découverte
vous intéressé !

• La chronique de Fernand L O T ,

• Le texte intégral de conférences prononcées au Palais de la Découverte, par exemple: Les


services de télécommunications, possibilités actuelles et perspectives, par J.-M. Chaduc ; Vaincre
le cancer, prévention et traitement, par Raymond Daudel ; Etat actuel de la prévision des sais-
ines, par G . Jobert ; Quelques concepts de Claude Bernard, leur intérêt actuel, par J.-L. Parrot ;
Y a-t-il des risques d'avitaminose en France?, par B . Wattier.

• L'annonce des cycles de conférences d'initiation aux sciences et techniques modernes.

• Le commentaire détaillé des expositions temporaires qui permet de bénéficier pleinement de


l'intérêt de l'exposition. U n bon nombre de celles-ci circulent ensuite dans les diverses régions
de France: « L E Q U A R T Z E T L E M O N D E D E S M I N E R A U X » ; « A U J O U R D ' H U I L A D E N T » ;
«VISIBLE-INVISIBLE, A S P E C T S D E L A P H O T O G R A P H I E SCIENTIFIQUE»; «EINSTEIN, S A
VIE, S O N Œ U V R E ».

• Des rubriques sur les expériences présentées au Palais de la Découverte.

• Le programme détaillé de toutes les activités du Palais de la Découverte.

><§
IMP. 84
f BULLETIN D'ABONNEMENT J

REVUE DU PALAIS DE LA DECOUVERTE


NOM PRENOM.
(Lettres capitales)
ADRESSE.

.PROFESSION.

10 numéros mensuels par an


France : 97 F. Étranger : 120 F (mandat international) Abonnement de soutien : 160 F
Règlement par chèque bancaire ou postal (3 volets)
à l'ordre du PALAIS D E LA D É C O U V E R T E
Avenue Franklin-D.-Roosevelt, 75008 Paris. Tél. : 359.16.65
Il faut au génie et à ses applications créatrices un substrat matériel, ainsi que fn
(souvent) des conditions idéalement propices à une gestion novatrice des chercheurs 0
a
et de leur travail. Niels Bohr a eu tout cela, un sort bienveillant ayant pourvu à tous n
ses besoins. Un physicien français plaide pour que des conditions analogues soient ¿~
offertes aux équipes de chercheurs d'aujourd'hui et esquisse en quelques traits le §
profil idéal d'un directeur de recherche, capable d'obtenir un travail optimal de ses Z
collaborateurs. Il expose sa thèse avec une pointe d'humour. <a

Niels Bohr, physicien .g


et chef d'école
Pierre Âigrain

L'auteur est un physicien de l'état solide, docteur de l'Université de Paris et de


l'ancien Carnegie Technological Institute (maintenant appelé Carnegie-Mellon
University). C'est aussi un scientifique polyvalent, chercheur et enseignant, qui a
administré l'enseignement de la physique, a collaboré à la recherche pour la défense
nationale et dirigé des travaux de recherche appliquée sur les produits de
consommation. Il a été secrétaire d'État à la recherche et à l'industrie (sous la
présidence de Valéry Giscard d'Estaing) et a joué un rôle de premier plan dans
l'effort déployé avec succès par la France pour moderniser et diversifier les branches
de son industrie qui font appel aux technologies avancées. Le professeur Aigrain est
actuellement conseiller scientifique du président-directeur général de la société
Thomson, 173, bd Haussmann, 75379 Paris Cedex 08 (France). 63
Introduction

Je n'ai pas eu la chance de connaître, autrement que très superficiellement, Niels


Bohr, l'homme. Mais quel est le physicien qui ne s'est intéressé, peu ou prou, à ce
problème passionnant : l'influence d'un h o m m e , Niels Bohr, sur la physique
— et plus spécialement la théorie quantique — rayonnant depuis un petit pays dans
le m o n d e entier ? Et cela à travers ses découvertes et ses travaux personnels, mais
aussi, et peut-être plus encore, grâce à son rôle de chef de l'école de Copenhague.
E n effet, si de nombreux théoriciens ont participé à l'élaboration de la théorie
quantique moderne, depuis M a x Planck et Albert Einstein jusqu'à Paul Dirac,
en passant par Arnold Sommerfeld, Louis de Broglie, Wolfgang Pauli, Werner
Heisenberg, M a x Born, Erwin Schrôdinger et bien d'autres, dont, bien entendu,
Niels Bohr, fort peu furent des chefs d'école. U n Einstein, u n Dirac travaillaient
seuls, ou avec u n assistant. Et beaucoup d'autres, s'ils eurent des élèves, s'ils
furent souvent de brillants professeurs, ne furent jamais les chefs d'une école aussi
prestigieuse que celle de Copenhague, où, d'ailleurs, beaucoup parmi eux, tels
Paul Dirac, Wolfgang Pauli, Lev Landau, Robert Oppenheimer, séjournèrent.
Il est probable que cette réussite unique de Niels Bohr tienne à de nombreux
facteurs dont certains seulement seront analysés ici : sa formation — son premier
maître, Christiansen, avait été u n brillant chef d'école — ; son caractère — cette
gentillesse et cette spontanéité dont parlent tous ceux qui le connurent bien — ;
les conditions — tant sur le plan administratif que financier — dans lesquelles
il travailla. N o u s reviendrons sur ces points, mais la nature des travaux personnels
de Niels Bohr permet aussi d'éclairer la question.

Bohr, le physicien théoricien pragmatique

Il serait fastidieux et inutile d'essayer de décrire ici en détail les travaux personnels
d u physicien théoricien que fut Niels Bohr. Les spécialistes connaissent fort bien
ces travaux et les autres seraient vite rebutés par le caractère technique de beau-
coup de ceux-ci. O n peut retenir cependant que, de sa découverte des règles de
quantification des orbites électroniques dans le modèle d'atome de T h o m s o n et
Rutherford jusqu'à la fameuse querelle plus philosophique que physique au
congrès Solvay de 1927 avec Einstein, il semble y avoir une certaine constante dans
l'approche que Niels Bohr avait de la physique théorique dans des domaines où
cette théorie est en voie de construction.
Pour simplifier, o n peut dire que Niels Bohr était u n théoricien pragmatique,
alors que la plupart des grands n o m s de la mécanique quantique étaient à la
recherche d'une théorie générale et complète dont on peut, par des raisonnements
mathématiques, tirer toutes les conséquences en accord avec l'expérience. Niels
Bohr considérait à juste titre que l'apport d'une brique à un édifice est la meilleure
méthode ( m ê m e imparfaite) pour aller dans la voie d u progrès. Lorsqu'en 1913
il proposa les règles de quantification, il n'avait évidemment pas les moyens de les
justifier par une théorie générale.
Cependant, ces règles permettaient de calculer correctement, à des effets d'ordre
supérieur près, les niveaux d'énergie (et donc le spectre) de l'atome d'hydrogène*.
Cela permet d'éliminer la difficulté inacceptable que l'on rencontre avec les théories

U n e explication simple d u spectre de l'atome : il consiste en une série de valeurs


définies d'énergie de quanta de radiation électromagnétique, caractéristique propre à
différents atomes.
classiques, qui prévoyaient des orbites électroniques instables par nature. L a théorie
de Bohr n'est certes pas complète, mais eût-il été possible à de Broglie, Schrôdinger y
et Heisenberg, travaillant en parallèle, d'en tirer la formulation moderne de la „_,
théorie quantique si cette étape n'avait pas été franchie, ce qui, par conséquent, .g
rendit possible une certaine généralisation des conditions de quantification par g
Sommerfeld en prenant pour base les travaux de Bohr ? g
C'est d'ailleurs cette approche pragmatique qui explique largement le désaccord ;§
de Bohr avec Einstein au congrès Solvay en 1927. Einstein ne disait pas que la jj
théorie quantique était fausse. L e succès remarquable de ses prévisions quanti- ^
tatives comparées avec l'expérience démontrait clairement que les résultats de la .3
théorie étaient valables. Mais Einstein considérait la théorie c o m m e incomplète, w
ne serait-ce qu'à cause de l'indétermination de certaines de ces prévisions dont ^
Heisenberg venait de démontrer qu'elle était une conséquence inéluctable de la ¡3
forme des équations de départ et de l'interprétation de la fonction d'onde de
Schrôdinger que proposait l'école de Copenhague autour de Niels Bohr.
Niels Bohr considérait, au contraire, que la théorie était suffisamment complète
pour le physicien plus pragmatique qu'il était. Heisenberg avait d'ailleurs illustré
sa démonstration mathématique des fameuses relations d'incertitude par la des-
cription d'un certain nombre d'expériences de pensée que Niels Bohr inter-
prétait c o m m e suit : la mécanique quantique accompagnée de l'interprétation de
Copenhague (le carré de la fonction d'onde est une densité de probabilité) n'est
pas plus indéterministe que ne le serait une théorie classique à partir d u m o m e n t
où l'on admet la quantification de l'énergie. E n effet, cette quantification introduit
une limite sur la précision avec laquelle peuvent être mesurées les conditions
initiales dans toute expérimentation, et cette incertitude sur les conditions initiales
conduit précisément à la m ê m e indétermination que la théorie quantique moderne.

L'un des principaux buts de la physique

Dans ces conditions, pourquoi se poser des problèmes dont la solution est impro-
bable, voire impossible ? A u contraire, Einstein, auteur des grandes synthèses que
furent la relativité restreinte puis la relativité générale, n'était pas arrivé et n'arriva
jamais à se satisfaire de cette approche pragmatique. Si l'énorme majorité des
physiciens ont choisi de suivre Bohr plutôt qu'Einstein et ses successeurs, c'est
peut-être qu'ils ont senti confusément que, du point de vue de la science, l'attitude
de Bohr était finalement plus constructive.
Niels Bohr n'aura pas connu les résultats de récentes expériences destinées à
vérifier ou infirmer les fameuses inégalités de Bell*, que pratiquement toute
théorie satisfaisant aux critères imposés par Einstein devrait vérifier ; dans certains
cas, les prévisions de la mécanique quantique infirment ces inégalités. Les expé-
riences les plus récentes, en particulier celle qui a été réalisée par A S P E C T à
Orsay et qui est la plus proche d'une véritable expérience critique ont, en la matière,
confirmé les prévisions de la mécanique quantique et donc infirmé les prévisions
de la quasi-totalité des théories satisfaisant aux critères de déterminisme, de localité
et de causalité que voulait imposer Einstein.
Bohr en eût-il tiré une satisfaction ? Il n'était pas h o m m e à se réjouir de la
défaite d'un adversaire et le fait qu'il défendait la théorie développée par son
école sur des bases pragmatiques signifiait qu'il n'eût pas été choqué d'un résultat

L e théorème de Bell s'applique à certaines inégalités expérimentales qui apparaissent


en particulier dans Pélectrodynamique quantique.
opposé qui eût simplement impliqué que de nouveaux progrès étaient encore
nécessaires. O n peut dire, en quelque sorte, que le chemin qui m è n e à la théorie
finale avait sans doute pour lui plus d'importance que cette théorie elle-même,
encore que le but de la physique soit bien, en dernière analyse, de développer les
grandes synthèses.
E n quoi cette attitude pragmatique influença-t-elle Niels Bohr en tant que chef
d'équipe ? O n peut dire qu'il fut avant tout tolérant avec tous ceux qu'il accueillait
et à qui il donnait moyens de travail, ambiance, conseils. Tout au début de sa
carrière, il avait souffert d'une certaine intolérance de la part de J. J. T h o m s o n ,
alors qu'il travaillait au laboratoire Cavendish en 1911. Cela l'avait conduit à
rejoindre Rutherford à Manchester pour terminer ses travaux. Il savait que, pour
être un véritable animateur, il fallait être prêt à accepter, ad referendum, des idées
nouvelles et à s'écarter de la voie que l'on s'est choisie. L e chef d'une école de
Physique ne peut pas être un dictateur ni m ê m e un chef de gouvernement.

Le fonctionnement de l'école de Copenhague

parce qu'il était ouvert aux idées nouvelles, doté d'une gentillesse qui ne se
démentait jamais, et compte tenu de son immense prestige de physicien, Niels
Bohr pouvait être un chef d'école idéal. Mais deux autres conditions devaient être
remplies pour que Copenhague, capitale d'un petit État, devienne le centre mondial
de la physique théorique : il fallait des moyens et, dans cette période d'évolution
extrêmement rapide des concepts, il fallait de la souplesse. Niels Bohr eut la
chance de trouver ces deux conditions réunies à Copenhague grâce à la Fondation
Carlsberg (on pourrait écrire un jour un livre entier sur l'influence de la bière sur
le développement de la physique théorique et il ne porterait pas uniquement sur
l'importante consommation de ce produit à l'occasion de conférences sur la phy-
sique, qui contribue à la qualité des contacts entre théoriciens).
Grâce aux revenus relativement élevés que Niels Bohr recevait de la Fondation
Carlsberg (comparés à ceux dont pouvaient disposer les théoriciens et m ê m e
certains expérimentateurs à cette époque), il avait la possibilité d'attirer les cher-
cheurs les plus prestigieux. Qui, à l'époque, dans ce domaine, ne rêvait de pouvoir
passer quelque temps au fameux 17 Blegdamsvej, siège de l'Institut Niels-Bohr ?
La souplesse avec laquelle Niels Bohr pouvait utiliser les moyens financiers
mis à sa disposition était elle aussi une condition essentielle de succès. U n e histoire
classique le démontre bien : passant à l'Université de Gôttingen, Bohr y avait
remarqué le jeune physicien Heisenberg dont les premiers travaux commençaient
à être connus. Sans avoir à en référer à u n quelconque comité, il put et n'hésita
pas à l'inviter à venir travailler avec lui à Copenhague. Heisenberg n'était alors
âgé que de vingt-cinq ans. Les étudiants de Gôttingen en furent si impressionnés
qu'au dîner du lendemain en l'honneur de Niels Bohr ils organisèrent une mise en
scène. Déguisés en policiers allemands, deux d'entre eux entrèrent dans la salle
et, s'approchant de Bohr, l'un d'eux lui dit : « Professeur Bohr, vous êtes accusé
de rapt d'enfant, je vous arrête ! »
Bien sûr, Bohr n'alla pas en prison, mais Heisenberg alla à Copenhague et la
liste de ceux qui se rendirent dans la capitale danoise (voir encadré) est réellement
impressionnante. Ils vinrent presque du m o n d e entier : d'Europe, des États-Unis
d'Amérique, d u Japon, d ' U R S S ; ils représentaient la crème de ceux qui firent
la physique des années 1920 à 1940 et, dans bien des cas, leur séjour à Copenhague
précéda leur notoriété. Lorsqu'ils quittèrent Copenhague, ils étaient enrichis sur
le plan scientifique, d'abord par leurs rapports et leurs discussions avec Bohr
— toujours disponible —, ensuite par les contacts qu'ils eurent entre eux. L e
Quelques étoiles au firmament de Copenhague

<u
Allemagne : M a x Def&riick, WemerHeisenberg, Cari Freiherr von Weizsàcker. -S
Autriche : Wolfgang Pauli. «
Belgique : Leon Rosenfeld. S
États-Unis d'Amérique : J. Robert Oppenheimer, J. C . Slater, R . C . Tolman. ••*
Japon : F . Nishina. j?
Norvège : S. Rosseland. ^
Pays-Bas : Hendryk B . G . Casimir, Hendryk A . Kramers. J
Royaume-Uni : P . A . M . Dirac, Neville F . Mott. m
Suède : 0 . Klein.
U R S S : G . G a m o v , Lev Landau.

Danemark avait certes produit de grands physiciens, c o m m e Ludvig V . Lorenz


(1829-1891), mais voilà que, d'un seul coup, ce petit pays devint pratiquement le
centre du monde en matière de physique théorique.
Il y a peut-être là des leçons à tirer pour les organisations chargées de la recherche
scientifique fondamentale. A u fur et à mesure que la taille du laboratoire croît
et que le budget augmente, elles tendent — c o m m e tous les organismes — à se
bureaucratiser. Y a-t-il encore dans le monde beaucoup d'endroits où un Niels Bohr,
s'il en existe, peut décider librement, sans en parler à un quelconque comité,
d'inviter un Heisenberg en moins de vingt-quatre heures ? Il faut aussi se poser la
question suivante : cela est-il concevable ? Les dépenses importantes que consentent
les collectivités publiques pour soutenir la recherche ne justifient-elles pas, vis-à-vis
des citoyens et contribuables, u n m i n i m u m de contrôle au niveau administratif et,
par conséquent, de bureaucratie ?
Il y aurait, bien sûr, une solution qui consisterait à traiter différemment les
Niels Bohr d'aujourd'hui (ou m ê m e ceux qui n'en ont pas tout à fait l'envergure)
et la majorité des patrons de laboratoire, dont l'apport collectif à la science est
considérable. Ils n'ont peut-être pas besoin de la souplesse dont bénéficiait Bohr,
mais tout le m o n d e y gagnerait s'ils n'avaient pas à faire face à une bureaucratie
dévorante. Cela pose naturellement u n autre problème : c o m m e n t détecter, dans
la masse des chercheurs, les chefs d'école potentiels d'aujourd'hui ?

Le profil du chef d'école

L'exemple de Niels Bohr nous permet de voir quel devrait être le profil de ce chef
d'école à qui il conviendrait d'accorder des « passe-droits » administratifs.
Il doit certes bénéficier d'un grand prestige scientifique personnel, mais nous
avons v u que cela n'est pas suffisant bien qu'essentiel, car le prestige d'un chef
d'école est le phare qui attire les jeunes chercheurs brillants.
Il doit être ouvert et tolérant. L'expérience qu'un théoricien de haut niveau
acquiert au cours de sa carrière l'amène inéluctablement à préférer spontanément
telle approche d'un problème à telle autre — 1' « autre » approche ayant été vécue
dans le passé, dans u n autre contexte et dans des conditions difficiles. Cette expé-
rience lui est fort utile pour ses propres travaux, car elle lui évitera de perdre d u
temps dans des impasses. Mais, s'il cherche à trop imposer son point de vue et ses 67
S méthodes à ses jeunes collaborateurs, cela peut avoir u n effet sclérosant. L e brillant,
M mais rugueux Wolfgang Pauli découragea ainsi plus d'un jeune chercheur.
"*< L e chef d'école doit être disponible, prêt à aider de ses conseils ceux qui les
Ü solliciteront et être capable de créer une ambiance où tous auront envie de lui
£ demander ces conseils.
Sa tolérance sur les méthodes et les concepts doit s'accompagner d'une grande
rigueur dans le choix des collaborateurs dont il s'entoure. E n effet, tolérance n'est
pas laxisme !
Enfin ( m ê m e si cela semble plus terre à terre), la souplesse et la liberté totale
dont il jouit dans l'emploi des moyens qui lui sont confiés impliquent une certaine
rigueur personnelle quant aux méthodes de gestion, m ê m e s'il est aidé en la matière
par des adjoints administratifs.
Sans doute est-ce beaucoup demander à une seule personne. Les grands chefs
d'école sont et resteront rares. Peu seront aussi parfaits que Niels Bohr. Mais
sommes-nous en mesure de les détecter avec nos systèmes d'organisation et de
gestion de la recherche ? Malgré la rigidité des procédures administratives, est-il
possible de faire, en faveur de la science, des exceptions aux règles de décision ou de
contrôle qui s'imposent ? D e la réponse à ces questions dépendra l'apparition de
nouveaux Niels Bohr ou, au moins, de mini-Niels Bohr.

Conclusion

Ces quelques réflexions personnelles sur les leçons que l'on peut tirer de l'examen
de la vie d'un des plus grands physiciens de tous les temps ne font que très par-
tiellement justice à l'œuvre de Bohr et à l ' h o m m e qu'il fut. Il prouva, après sa cou-
rageuse et pittoresque évasion d u Danemark, qu'il savait être efficace malgré les
conditions difficiles qui lui furent imposées lorsqu'il travailla au projet Manhattan
à Los Álamos.
Si nous devons tirer une conclusion, ce ne peut être que celle-ci : Niels Bohr
nous a laissé u n patrimoine considérable en matière de physique, u n nombre
important de disciples et bien des leçons pour l'avenir de la science. •

68
En l'espace d'une génération, d'énormes progrès viennent d'être accomplis dans
l'identification, de plus en plus détaillée, des constituants de la matière et du
comportement de la matière. Un physicien d'Afrique de l'Ouest expose, simplement et
très expertement, ce que l'on sait à l'heure actuelle de la structure de la matière à
l'échelle microscopique et à des échelles encore plus infinitésimales. Il met l'accent sur
le rôle des accélérateurs dans le processus de découverte et se demande combien
d'autres particules encore plus élémentaires peuvent exister.

Les modules de base


de la nature :
c o m m e n t on conçoit aujourd'hui
la structure de la matière
D . A. Akyeampong

Docteur es sciences physiques mathématiques de l'Impérial College of Science and


Technology de Londres depuis 1966, Daniel Afedzi Akyeampong est chargé d'une
chaire de mathématique à l'Université du Ghana, à Legon, et enseigne actuellement
cette discipline en qualité de professeur invité à la Rivers State University of Science
and Technology, Private Mail Bag 5080, Port Harcourt (Nigeria). Il est également
membre de l'Académie ghanéenne des arts et des sciences et associé principal au
Centre international de physique théorique de Trieste (Italie). Il est l'auteur de
nombreux articles sur la théorie des particules élémentaires.
Introduction

§ L a curiosité est ancrée dans la nature humaine ; c'est cette insatiable soif de savoir
fc* qui, depuis des siècles, pousse l ' h o m m e à comprendre le m o n d e qui l'entoure et à
"*; s'interroger sur la composition de la matière. L'histoire de l'exploration de l'infi-
""J niment petit dans le m o n d e physique remonte à des temps reculés. A u V e siècle
Q avant notre ère, Démocrite et Leucippe proposent la théorie de l'atomisme, le
mot « atome » étant employé dans une acception moins précise que de nos jours.
Mais la profonde influence exercée par Aristote, en favorisant la théorie des
quatre éléments, l'air, la terre, l'eau et le feu, découragea la poursuite des recherches
atomistes. C e n'est qu'à l'époque de Galilée que la science acquiert suffisamment
d'autorité pour contester et évincer la conception aristotélicienne de l'univers.
L a théorie démocritéenne renaît au x v m e siècle lorsque Lavoisier constate que
toutes les substances sont composées d'éléments chimiques. A sa suite, Dalton,
Gay-Lussac, Avogadro et d'autres découvrent, au XIXe siècle, que « les éléments
chimiques sont eux-mêmes constitués d'atomes et qu'à chaque élément correspond
un type d'atome particulier pouvant se combiner avec d'autres atomes pour pro-
duire tout l'éventail des substances présentes dans le m o n d e qui nous entoure1 ».
L a connaissance à petite échelle du m o n d e physique a fait plus de progrès
pendant ce siècle qu'au cours de tout autre. E n 1911, Rutherford découvre que
l'atome de Dalton et de ses collaborateurs n'est pas indivisible, mais qu'il est
formé d'électrons de charge négative gravitant autour d'un noyau relativement
massif de charge positive.
Toutefois le modèle de Rutherford n'est pas sans poser des problèmes, car la
physique classique veut que l'atome décrive une trajectoire elliptique et irradie
de l'énergie sur une g a m m e de fréquences continue. O r , l'atome de l'hydrogène
(par exemple) ne perd pas d'énergie et son électron ne tombe pas dans son noyau.
L a physique connaît alors l'une des crises décrites par Robert Oppenheimer dans
The Flying trapeze: three crises for physicists2.
Niels Bohr a été le premier à fournir une explication à la stabilité de l'atome ;
celle-ci a largement contribué à faire admettre la mécanique quantique c o m m e
apportant les fondements théoriques de la compréhension moderne de la micro-
physique.
L'électron et le noyau étaient-ils les « atomes » de Démocrite, ou étaient-ils
eux-mêmes des objets composites ? Certains indices tendaient à prouver l'absence
de structure interne de l'électron. Mais le noyau était complexe et se subdivisait
en protons et en neutrons d'une taille mesurable d'environ io - 1 3 c m . D u moins
était-ce là l'idée simple que l'on se faisait de la question dans les années 1930 ;
depuis cette époque, des centaines de particules subatomiques liées par différentes
relations ont été identifiées. L a recherche d'objets de plus en plus petits se poursuit
et nous nous proposons ici de décrire les progrès accomplis à ce jour par les physi-
ciens dans la découverte des ultimes constituants de la matière depuis que Niels
Bohr leur a frayé la voie il y a une soixantaine d'années.

Les forces naturelles fondamentales

Quatre interactions fondamentales à l'œuvre dans la nature sont tenues pour


responsables du comportement observé de la matière. Elles sont c o m m u n é m e n t
appelées interaction forte, interaction électromagnétique, interaction nucléaire
faible et interaction gravitationnelle.
L'interaction forte est, c o m m e son n o m l'indique, la plus puissante de ces forces
fondamentales. D e portée extrêmement faible, ses effets ne sont ressentis que sur
des distances de io - 1 3 c m environ, soit approximativement le diamètre d'une par- «$
ticule subatomique. c§
L a deuxième interaction par ordre d'intensité est l'interaction électromagné- 8«
tique, qui représente à peu près le centième (io -2 ) de l'interaction forte. Son inten- ~ ™
sité diminue selon la loi bien connue de l'inverse carré et sa portée est (en principe) "° "Jj
infinie. L'interaction électromagnétique se manifeste entre toutes les particules g |
électriquement chargées et fait intervenir le photon (non chargé), porteur du c h a m p 0 §
de force électromagnétique. C'est elle qui lie les électrons au noyau de charge "^ S
positive pour constituer les atomes et qui lie également les atomes ensemble pour 3 -2
former les molécules — « elle est donc, par ses actions multiples, responsable de "§ J
tous les phénomènes chimiques et biologiques1 ». "^
Vient ensuite, toujours par ordre décroissant, l'interaction nucléaire faible, dont ^ |
l'intensité ne représente qu'environ io~13 de celle de l'interaction forte. Sa portée g
est encore plus courte que celle de l'interaction électromagnétique : pour y être -S
sensibles, deux particules doivent s'approcher à moins de io - 1 6 c m . Pour autant g"
que nous le sachions, elle n'a pas de pouvoir de liaison, mais est responsable de 8
la désintégration de nombreuses particules subatomiques, en particulier de certains §
noyaux radioactifs. Contrairement à l'interaction forte et à l'interaction electro- S
magnétique, l'interaction nucléaire faible est capable de faire la distinction entre S
les particules d'hélicité gauche et droite. (L'hélicité est une variable de base utilisée §
en mécanique quantique pour décrire les orientations relatives du spin et d u
m o m e n t linéaire propres aux particules dénuées de masse.)
L'interaction gravitationnelle est la quatrième et la plus faible, et pourtant le plus
évident des quatre types d'interactions. Elle influe sur toute la matière puisqu'elle
exerce en permanence u n effet d'attraction et a ( c o m m e l'interaction électro-
magnétique) une portée infinie. Mais, aux échelles atomique et nucléaire, son
intensité est très faible (environ io~39 fois celle de l'interaction forte). Ses effets sur
les particules subatomiques étant extrêmement réduits, elle a été négligée par les
chercheurs jusqu'à une époque récente.
Les objets porteurs de ces interactions fondamentales sont appelés collectivement
particules de jauge. L e photon en est une. Les autres seront présentées ci-après.

Classification des particules subatomiques

Toutes les particules, à l'exception de celles qui propagent les interactions fonda-
mentales, sont classées selon leur sensibilité aux deux interactions nucléaires. Celles
qui sont sensibles à l'interaction forte sont appelées hadrons (du grec hadros, solide
ou puissant) ; celles qui ne sont pas sensibles à l'interaction forte, mais réagissent à
l'interaction faible sont appelées Uptons (du grec leptos, signifiant petit ou ténu).
Jusqu'à une époque récente, tous les leptons connus étaient des particules de masse
nulle ou infime. Les particules appartenant à ces deux familles ont des propriétés
extrêmement différentes.
Les hadrons se subdivisent en deux classes. Ceux dont le spin est égal à u n
nombre demi-entier impair sont appelés baryons parce qu'ils sont censés être
relativement lourds (le proton et le neutron sont les plus c o m m u n s ) ; ceux dont le
spin est une valeur entière sont appelés mésons. Les masses des mésons qui ont
été découverts il y a une vingtaine d'années sont entre celles des leptons et celles
des baryons. Bien que la récente découverte de plusieurs mésons plus massifs que
les baryons prouve l'impropriété de ces termes, ils se sont imposés de manière
durable. L e pion de Hideki Y u k a w a est u n exemple de méson.
Chacune des particules subatomiques, qu'il s'agisse des leptons ou des hadrons,
est caractérisée par une série de nombres servant à son identification exclusive et 71
a définissant son comportement. C e sont les nombres quantiques des particules. Tous
g. les baryons, par exemple, ont u n nombre quantique baryonique non nul et tous les
es mésons u n nombre quantique baryonique nul. A chaque particule correspond une
h antiparticule, dont les nombres quantiques sont tout simplement les opposés
\ additifs des nombres quantiques de la particule. Pour des raisons historiques,
^ l'antiparticule de l'électron est appelée positron. Toutefois, d'une manière générale,
Q les antiparticules sont désignées par le préfixe anti, celle d u proton étant appelée,
par exemple, antiproton. L e photon, c o m m e le pion, est sa propre antiparticule.
Le nombre des hadrons découverts au cours des toutes dernières décennies
dépasse largement deux cents ; il semble qu'il en existe encore bien d'autres que
l'on devrait pouvoir observer lorsqu'on disposera d'accélérateurs plus vastes. Cette
pléthore d'objets « fondamentaux » n'est pas satisfaisante pour l'esprit et des doutes
sérieux ont été émis sur le point de savoir s'il s'agit véritablement de particules
élémentaires — c'est-à-dire de particules « ponctuelles » sans structure interne.
L e chaos apparent du m o n d e subnucléaire ayant préoccupé les physiciens, la
recherche d ' u n principe qui contribuerait à en faire jaillir l'ordre et la beauté a
abouti, au début des années i960, à la théorie de la « voie octuple ».

Comment le monde subnucléaire fut ordonné


Avant l'avènement de la voie octuple dans le m o n d e de la physique des particules,
les hadrons étaient déjà organisés en petites familles de particules appelées multi-
plets de spin isobarique (ou isospin). L a notion d'isospin, introduite par Werner
Heisenberg, est analogue à celle d u m o m e n t angulaire du spin ordinaire où, sous
l'effet de l'application extérieure d'un c h a m p magnétique, l'électron (par exemple)
peut exister dans deux états d'énergie qui deviennent indistinguables en l'absence
de ce champ. O n en déduit qu'en présence d ' u n c h a m p magnétique l'électron est
un doublet.
L e proton et le neutron ont le m ê m e spin et pratiquement la m ê m e masse,
mais ils ont des charges différentes. Cependant, ils interagissent fortement avec
à peu près la m ê m e intensité, ce qui laisse penser que les interactions nucléaires
sont indépendantes de la charge. Par analogie avec l'exemple précédent, si l'on
pouvait « arrêter » les interactions électromagnétiques, le proton et le neutron
dégénéreraient également jusqu'à devenir impossibles à distinguer l'un de l'autre.
O n peut donc dire que ces deux particules sont les manifestations d'un m ê m e état
de la matière, le nucléon. Afin de distinguer les deux états du nucléon, nous intro-
duisons — par analogie avec le spin ordinaire — l'artifice de l'isospin, conservé
par les interactions fortes, mais brisé par les interactions électromagnétiques des
nucléons. N o u s attribuons au nucléon u n isospin de 1/2, ceux de ses consti-
tuants z(Iz) étant par conséquent de ± 1/2. L e proton et le neutron sont ainsi
distingués l'un de l'autre par l'attribution d'un Iz de + 1/2 au premier et de — 1/2
au second.
Il est alors naturel d'étendre cette idée à tous les hadrons, ce qui amène à déduire
que ces objets se présentent sous la forme de familles restreintes appelées multiplets
d'isospin, les particules de chaque multiplet ayant le m ê m e m o m e n t angulaire de
spin et le m ê m e isospin (mais des Iz différents) et sensiblement la m ê m e masse
(mais des charges électriques différentes). Les multiplets comprennent u n , deux,
trois ou quatre membres, à savoir :
v)' = { , ' } , N = {p, n } ; n = {*+, TC°, T T } , N * = { N * + + , N * + , N * ° , N ' " } ,
les signes suscrits caractérisant les charges électriques des différents membres de
T2 la famille. L e premier a un isospin égal à zéro et est appelé singulet d'isospin ; le
deuxième a un isospin égal à 1/2 et est un doublet ; le troisième, l'isospin I = 1, «
est un triplet, etc. Vis-à-vis des interactions fortes, les membres de chaque multi- H
plet sont tous équivalents, car la charge électrique n'intervient pas. a
o
La voie octuple u
CO

a
E n 1961, Murray Gell-Mann et Yuval N e ' e m a n proposent séparément d'élargir *
cette idée de la classification des hadrons en multiplets d'isospin en les groupant en "^
multiplets plus vastes de huit membres quantiques. Gell-Mann a appelé cela la 3
« voie octuple », se rappelant cet aphorisme attribué au Bouddha : « Cela, ô moines, "§
est la noble vérité qui conduit à la cessation des souffrances : c'est la noble voie °
octuple : vue juste, intention juste, discours juste, action juste, vie juste, effort ¿¡j
juste, attention juste, concentration juste. »
Les théories de l'isospin et de la voie octuple se fondent sur une branche des
mathématiques appelée la théorie des groupes, inventée à la fin du xixe siècle par le
mathématicien norvégien Sophus Lie. L a « transformation » de Lie qui donne
l'isospin est appelée SU(2) et celle qui donne la voie octuple SU(3), ces symboles
signifiant respectivement groupes unitaires spéciaux (special unitary groups) de
matrices 2 X 2 et 3 x 3. Ces groupes sont « spéciaux » en ce sens qu'une condition
est imposée quant aux éléments des matrices : le nombre d'éléments indépendants
est réduit dans chacune d'elles, à savoir de quatre à trois dans le cas de SU(2)
et de neuf à huit dans le cas de SU(3).
L a théorie de la voie octuple exige que tous les hadrons soient des membres de
familles (multiplets) correspondant à des représentations du groupe SU(3). D u
point de vue mathématique, les multiplets de SU(3) peuvent donc avoir un, trois,
six, huit, dix membres ou davantage — tous les multiplets ayant un m ê m e m o m e n t
angulaire de spin. L e multiplet qui ne comprend qu'un m e m b r e est appelé sin-
gulet, le multiplet de trois membres est un triplet, celui de huit membres un octet
et celui de dix membres est appelé décuplet ou décimet.
Mais la physique ne retient que les multiplets d'un, huit ou dix membres. Pour
être plus précis, les mésons de spin — o forment u n singulet et u n octet, les
mésons de spin — 1 donnent une représentation identique, de m ê m e que les
baryons de spin — 1/2, tandis que les baryons de spin — 3/2 forment un décuplet.
Si la théorie était exacte, tous les membres d'un multiplet donné devraient avoir
la m ê m e masse. O r ce n'est pas le cas et l'on observe d'importantes différences de
masse à l'intérieur d'un m ê m e multiplet.
Les membres de chaque multiplet se distinguent l'un de l'autre par deux nombres
quantiques : Iz et Phypercharge Y . Traçons, pour chaque multiplet, le schéma
des Iz des particules rapportés à leur Y . N o u s obtenons ce résultat intéressant que
les hadrons forment des agencements ordonnés c o m m e sur les figures 1 et 2.
Chaque octet constitue un hexagone régulier comprenant une particule à chaque
sommet et deux particules au centre ; le décuplet forme u n triangle comprenant
une particule à chaque sommet, deux particules situées à égale distance sur les
lignes joignant les sommets et une particule au point intérieur.
Cette observation amenait à prédire l'existence d'une nouvelle particule, le Q~~,
singulet d'isospin d u décuplet dont les propriétés physiques peuvent être lues
directement sur le schéma. Il s'agit d'une particule de charge électrique — 1,
d'hypercharge — 2 et de masse égale à environ 1670 M e V . E n 1964, la découverte
d'une particule possédant précisément ces nombres quantiques a convaincu les
physiciens de l'exactitude de la théorie : tous les hadrons connus, sans exception,
s'insèrent parfaitement dans la représentation du SU(3), les mésons ne se présen-
tant qu'en multiplets de 1 à 8 membres et les baryons en multiplets de 1, 8 et
1'(uü, dd.is) (s)

a) Singulet de sp¡n-0 tf (ou x") b) Singulet de spin-1

y
K°(d¡) +1 K*(us) K'°íds) +1 K*+[us)

V1 , '
/ r¡Kuü, dd.ss) \ OJ°{UÜ, dd)

V
n{dü)\
•Vi

)
+V5
/n+(ud) ?~(dü) O
+1

P+(</<?)
/,

n°{uü, dd) p° (u¿, dd)

\ /
Klfü) -i /f°M K'isü) -1 K*°isd)

c) Octet de spi'n-0 d) Octet de spin-1

F I G . i. Représentation schématique de multiplets SU(3) de mesons, montrant les quarks


dont ils sont constitués.

Y
n(udd) +1 p(uud) N*-{ddd) N*°(udd) +1 N*+{uud) N*+*(uuu)

•y / . ,
rw*)^
r.
Muds)

(uA|
^

y
v.
/Z+(u</)
+'/, /,

\
3-(dss) •1 S°(uss)

a) Octet de spin-% 6) Décupletde spin-%

F I G . 2. Représentation schématique de multiplets SU(3) de baryons, montrant les quarks


dont ils sont constitués.

74
io membres. N o u s avons là une illustration du mot d'Eugène Wigner sur l'inconce- u%
vable efficacité des mathématiques pour décrire le m o n d e physique. BS

Les hadrons sont-ils des particules élémentaires? 7¡ u


TJTI
Ai 4>

La disposition ordonnée des hadrons est sans doute satisfaisante sur le plan esthé- gg
tique, mais « on est néanmoins intrigué par le fait que la nature semble ne favoriser *§
que trois représentations de SU(3) [...] parmi celles qui sont possibles1 ». U n e "° g
telle régularité ne peut être le fruit du hasard et il est évident que la nature essaye .| S
ici de nous révéler certains de ses secrets. Gell-Mann et G . Zweig ont été les pre- "g "3
miers à proposer une solution à l'énigme. Ils ont avancé que le choix par la nature B%
du singulet, de l'octet et du décuplet se comprenait si l'on supposait que les hadrons S3
n'étaient absolument pas des particules élémentaires, mais des constructions compo- '?
sées de plusieurs unités fondamentales de matière. Ces unités ont été appelées *j
quarks par Gellman et aces (as) par Zweig, mais seul le premier de ces termes y?
a été retenu par les physiciens. 8
Selon cette thèse, les quarks sont des membres de la représentation la plus g
simple « non triviale » du groupe SU(3), le multiplet de trois membres. Les quarks g
u
ont un m o m e n t angulaire de spin égal à 1/2, mais, à la différence des hadrons, leur
charge est fractionnaire. Si l'on a choisi la représentation la plus simple non triviale
de SU(3), c'est parce que tous les hadrons alors connus pouvaient être construits
à partir de trois quarks seulement. Nous décrirons ce modèle de manière assez
détaillée, car cela permettra de comprendre plus aisément pourquoi il a été appliqué
aux autres hadrons découverts ultérieurement.
Suivant en cela Gell-Mann, désignons les trois quarks par les symboles uy
d et s (up, dozen et strange). Les antiquarks correspondants seront appelés «, d et J.
Les nombres quantiques des quarks u, d et s sont récapitulés dans le tableau 1.
Les antiquarks correspondants auront des nombres quantiques opposés à ceux
qui sont indiqués dans le tableau. O n notera que ces nombres ne sont pas indé-
pendants ; par exemple, Q = Iz + Y / 2 et Y = B + S.
TABLEAU I. Nombres quantiques des quarks u, d et s.

Nombre
Charge Hypercharge Constituant Z baryonique Étrangeté
Quark Q Y Isospin Iz B S

u 2/3 1/3 1/2 1/3 0


d -1/3 1/3 -1/2 1/3 0
s — 1/3 -2/3 0 1/3 — I

Les baryons sont constitués de trois quarks liés et les mésons d'un quark et
d'un antiquark. Il ne peut exister d'autre combinaison formant un hadron. Il
s'ensuit, selon la théorie du m o m e n t angulaire, que les baryons ont nécessairement
un spin exprimé par un nombre demi-entier impair et les mésons un spin exprimé
par un nombre entier. Les figures 1 et 2 montrent les particules subnucléaires
connues dans les années i960, les quarks dont ils sont constitués étant indiqués
entre parenthèses. Nous pouvons remarquer sur les schémas 1 (c) et 2 (a) que les
quarks u et d suffisent à expliquer la structure de tous les hadrons rencontrés dans
la matière ordinaire. Ainsi, le proton et le neutron sont constitués des quarks u
et d, le premier comprenant deux quarks u et un quark d (et s'écrivant uud) et le
second d'un quark u et de deux quarks d (et s'écrivant udd) tandis que le pion de 75
a charge positive est constitué d ' u n quark « et d'un antiquark d (et s'écrit ud).
g* U n simple calcul montre que leurs nombres quantiques concordent avec les valeurs
g connues. Par exemple, si l'on se reporte au tableau i, la charge du proton est
S Q = 2/3 + 2/3 — 1/3 = 1, son nombre baryonique est B = 1/3 + 1 / 3 + 1/3 = 1,
et la troisième composante de son isospin est Iz = 1/2 + 1/2 — 1/2 = 1/2. Les
. autres nombres quantiques peuvent se calculer de la m ê m e façon.
A U n e particule contenant au moins u n quark s ou u n antiquark J — telle que
son nombre quantique net d'étrangeté S ne soit pas nul — est appelée particule
étrange. Les particules Á (uds), K ° (ds) et S (dss) sont des exemples de particules
étranges. U n autre calcul élémentaire montre que Pétrangeté ou S de A est égale
à — 1, celle de K ° est égale à 1, tandis que celle de S " est égale à — 2. Les baryons
neutres A 0 et S 0 sont constitués de la m ê m e combinaison de quarks, uds, mais la
structure d u méson neutre II diffère de celle de son partenaire r¡. Car tandis
que II est composé de uû et dd également répartis, v¡ comprend, outre ce qui
précède, une fraction de iï. Ainsi le schéma de l'octet de baryons diffère de celui
de l'octet de mésons. L e singulet de méson r{ (ou X o ) contient également en parts
égales les combinaisons uû, dd et s\. C o m m e on peut le constater sur les figures,
le schéma du méson de spin 1 est analogue à celui du méson de spin o — exception
faite de la composition en quarks des deux membres, pour lesquels I = 0 :
<p {si) et to (uû + dd). O n peut expliquer de la m ê m e façon la structure et les
propriétés des autres particules en se servant du tableau 1 et des figures 1 et 2 .
Cette démarche permet de vérifier si le modèle des quarks fournit bien tous les
nombres quantiques des hadrons connus.

Les quarks ont également une couleur

Étant des particules de spin — 1/2, les quarks devraient obéir auprincipe d'exclusion
de Pauli, selon lequel deux de ces particules ne peuvent en aucun cas exister
dans le m ê m e état quantique. Les particules dont le spin est une valeur entière
(les mésons et le photon) ne respectent pas ce principe ; on peut en collecter des
nombres arbitrairement grands dans le m ê m e état. Les particules obéissant au
principe de Pauli sont appelées fermions et celles qui ne le respectent pas bosons.
O n n'a jamais constaté de cas de violation de ce principe par des fermions. O n
explique aujourd'hui la structure de l'atome et la classification périodique des
éléments par le principe d'exclusion.
Les quarks constituant u n méson se conforment au principe d'exclusion puis-
qu'un quark et son antiquark ne peuvent posséder de nombres quantiques iden-
tiques. Mais, dans le cas des baryons, si l'on accepte le modèle ci-dessus, le principe
paraît violé, car il est possible d'identifier des baryons de forme N * + + («MM),
N * — (ddd) et £2— {sss) dont les trois quarks présentent le m ê m e nombre quantique.
Pour faire en sorte que les trois quarks composant u n baryon obéissent au
principe de Pauli, il est donc nécessaire d'attribuer à chaque quark u n nouveau
nombre quantique présentant trois valeurs possibles, de façon que l'on ne puisse
trouver deux quarks dans le m ê m e état quantique. Ce nouveau nombre quantique
est appelé la couleur, quoiqu'il n'ait rien à voir avec la perception chromatique.
O n avance ainsi que chaque triplet de quarks peut se présenter sous l'une des
trois « couleurs » suivantes : rouge, vert ou bleu. Les antiquarks possèdent les
anticouleurs : antirouge, antivert et antibleu. Les baryons apparaissent maintenant
c o m m e constitués de trois quarks ayant tous des couleurs différentes — les parti-
cules d'un multiplet étant en conséquence incolores. D e m ê m e , les mésons sont
7g constitués d'un quark d'une couleur donnée et d'un antiquark de Panticouleur
correspondante, donnant une particule neutre quant au nombre quantique qui u,jj
caractérise sa couleur. N o u s pensons que les particules colorées (telles que les gS
quarks) n'existent pas à l'état libre. s °
L'introduction de la couleur porte de trois à neuf le nombre des quarks connus : -3 w
M (rouge), M (vert), u (bleu) ; d (rouge), d (vert), d (bleu) ; s (rouge), s (vert) et T*^
Í (bleu). Cependant, il n'y a pas d'augmentation correspondante du nombre des g |
hadrons. "f S
•Sa
u »
^
•5*3
Les quarks et la couleur g ¿s
S3
L a théorie des quarks veut que les hadrons ne soient pas les ultimes •-) .2.
constituants de la matière c o m m e on le croyait initialement ; ce sont des «
objets complexes composés de particules plus élémentaires appelées quarks. 'g^
Chaque quark existe dans trois états, distingués par une propriété appelée g
couleur ; les hadrons sont tous incolores.
g
I
Puisque chaque quark peut se présenter dans trois couleurs, on peut postuler chez ou
les hadrons l'existence d'un autre groupe de symétrie SU(3). C e groupe est appelé
SU(3) couleur, ou SU C (3) ; à l'intérieur de ce groupe, un quark bleu, par exemple,
est transformé en quark vert, ou u n quark rouge en quark bleu. O n se rappellera
que, dans le groupe initial SU(3) de Gell-Mann et N e ' e m a n (faisant intervenir
l'isospin et l'hypercharge), u n quark u pouvait être transformé en quark d, ou u n
quark d en quark s. Ces deux groupes de symétrie n'étant pas identiques, nous les
distinguerons en appelant «, d, s les saveurs des quarks, chaque saveur existant
en trois sortes dont toutes les propriétés (à l'exception de la couleur) sont iden-
tiques (comme dans le cas de la couleur, cette « saveur » n'a rien à voir avec le
sens du goût). L e groupe de symétrie initial SU(3) est maintenant appelé
SU(3) saveur (flavour) ou SU F (3).
Les expériences de dimisión inélastique d'électrons-protons à haute énergie
conduites dans l'accélérateur linéaire de Stanford (Stanford Linear Accelerator
Center — S L A C ) vers la fin des années i960 ont fourni de nouvelles preuves
concluantes que le spin des constituants des protons est u n nombre demi-entier.

Les gluons
Il existe des indices convaincants que la force qui lie les quarks colorés à l'intérieur
d'un hadron est la véritable interaction nucléaire forte (celle que l'on observe
entre les hadrons étant u n vestige de cette m ê m e interaction fondamentale). D e
m ê m e que la force électromagnétique est véhiculée par les photons, l'interaction
nucléaire forte est transmise par huit particules dénuées de masse, de spin — 1
et de charge nulle : les gluons, ainsi dénommés parce qu'ils sont censés agglutiner
(glue) les quarks ensemble. N'étant ni u n hadron ni u n lepton, le gluon est une
particule de jauge. L'émission ou l'absorption d'un gluon par u n quark change la
couleur de ce dernier, mais non sa saveur. Tout c o m m e les quarks, les gluons
portent le nombre quantique correspondant à la couleur et, par conséquent, ne
devraient pas exister à l'état libre. L a distribution des hadrons observée dans
l'anneau de collision électrons-positrons Petra (en République fédérale d'Alle-
magne) étaie solidement l'hypothèse de l'existence des gluons.
Il importe de noter ici l'effet de l'interaction forte sur les hadrons séparés par 77
a une distance subnucléaire. A brève distance, les hadrons semblent constitués de
g. quarks qui n'interagissent pas, mais, à des distances plus grandes (environ io - 1 3 c m ) ,
§ une forte interaction se manifeste. E n outre, on n'a jamais observé de quarks isolés,
j? N o u s en concluons que l'interaction qui s'exerce entre les quarks est négligeable
"^ lorsque les particules sont proches l'une de l'autre, mais s'intensifie lorsqu'elles
*** s'écartent. Lorsqu'elles sont très éloignées, l'interaction devient si intense qu'en
Q fait aucune force extérieure (quelle que soit sa puissance) ne parvient à isoler les
quarks les uns des autres. O n pense que, de m ê m e que les gluons, les quarks sont
en permanence confinés à l'intérieur des particules qu'ils constituent.

Les particules dotées de charme

Jusqu'en 1974, on pouvait expliquer les propriétés de tous les hadrons connus à
partir des trois quarks u, d et s et de leurs antiquarks. L a découverte (vers la fin
de cette m ê m e année) du hadron J/iJ;, particule neutre de spin — 1 dont la structure
ne pouvait être constituée de quarks des saveurs existantes, a conduit à penser
que J/4* était formé de quarks d'une nouvelle saveur. E n effet, raisonnait-on, si
les quarks sont les ultimes constituants des hadrons, la découverte de nouvelles
sortes de quarks ne peut que rendre plus complexe la classe des hadrons.
Pour expliquer la composition de J/<Ji, on a donc avancé qu'il existait u n qua-
trième quark coloré, appelé quark « charmé » ou quark c, ayant une charge électrique
de 2/3 et porteur d'une unité d'un nouveau nombre quantique. Il devenait alors
facile de montrer que J/ip était constitué d'un quark c et d'un antiquark c (ou ce)
et possédait par conséquent u n charme caché, de m ê m e que le méson 9 était
doté d'une étrangeté cachée.
Par la suite, on a détecté plusieurs particules ayant u n nombre quantique non
nul de charme.

Les particules W et Z : le quark « top » et le quark « bottom »

D e remarquables progrès ont été accomplis dans ¡'elucidation d u phénomène de


l'interaction nucléaire faible. A l'heure actuelle, nous ne connaissons que six
particules qui sont sensibles à cette force lorsqu'elles se rapprochent les unes des
autres. Désignées par le terme générique de leptons, ces particules sont l'élec-
tron (e), le m u o n (¡x), le tau (T) et les neutrinos, qui sont associés à chacun d'eux
(dont le symbole est la lettre grecque nu) : v e , v^, vT. Tandis que les trois premières
sont massives et portent une charge électrique de — 1, leurs neutrinos sont sans
masse et électriquement neutres. Tout porte à croire que les leptons sont dépourvus
de structure interne et sont donc réellement élémentaires. Toutefois, à la différence
des quarks, ils ne subissent pas l'interaction nucléaire forte, encore que les leptons
chargés manifestent une interaction électromagnétique.
E n plaçant un électron lévogyre et son neutrino associé dans un doublet de SU(2)
et u n électron dextrogyre dans u n singulet de SU(2), Abdus Salam et Steven
Weinberg ont fait appel à la notion mathématique d'invariance de jauge et à u n
mécanisme appelé par les spécialistes « brisure spontanée de la symétrie » pour
démontrer que « l'interaction électromagnétique et l'interaction nucléaire faible
sont deux aspects différents d'une interaction plus fondamentale, de courte portée,
maintenant appelée interaction électrofaible, dont les effets se font sentir sur les
distances inférieures à io~1B c m ».
Il est aisé de généraliser cette théorie minimale pour y englober les leptons
observés et les différentes saveurs de quarks ; elle décrit avec exactitude les pro-
78 priétés observées des interactions faibles et électromagnétiques et ( c o m m e avec
toutes les bonnes théories) permet de faire plusieurs suppositions. L a plus impor-
tante est peut-être que les particules porteuses de l'interaction faible sont les parti-
cules de spin — i, W * et Z°. A la différence d u photon et des gluons, ces trois
A
§
a
particules sont massives et sont parfois appelées bosons vecteurs intermédiaires. — ~*
Elles sont le maillon entre les quarks et les leptons, modifiant la saveur des quarks, "O "°
mais n o n leur couleur, au cours d'un processus de diffusion et se désintégrant en gg
leptons. L a découverte des particules W en décembre 1982 et celle de la particule Z *S
en mai 1983 ont montré que la théorie et les résultats de l'expérimentation concor- "^ s
daient parfaitement. 4j .2
L a théorie a m è n e également à supposer que les quarks se présentent en paires, "g '3
dont u n élément possède u n e charge électrique de 2/3 et l'autre u n e charge ^
de — 1/3. A chaque paire de quarks sont associés u n lepton et le neutrino corres- «¿ g
pondant pour former u n e famille (ou u n e génération) dont la charge électrique "5"
totale est égale à zéro. ( O n se rappellera que chaque quark existe en trois couleurs.) .y
Les m e m b r e s de la première famille sont u, d, é~ et v e . L a deuxième famille £
comprend c, s, ¡J. et v^. L e tau et son neutrino doivent donc faire partie d'une 8
troisième famille de quarks et de leptons. C'est pour compléter cette famille que g
l'on a supposé l'existence d u quark top o u i~ (de charge 2/3) et d u quark bottom g
ou b~ (de charge — 1/3). u
O n a constaté q u ' u n m é s o n lourd ( T ) découvert en 1977 était constitué de la
combinaison de quarks bb. D e s indices de l'existence de hadrons de saveur ont
aussi été mis en évidence récemment par des expériences réalisées au Laboratoire
européen de physique des particules (au C E R N ) , mais cette existence reste à
confirmer3. Les masses des particules des familles quarks-leptons augmentent en
m ê m e temps que le n o m b r e des familles, la plus légère des trois familles étant la
première («, d, e, v e ) (voir tableau 2).

T A B L E A U 2. Les « familles » quarks-leptons modules de base


sur lesquels repose la construction de la matière

Quarks Leptons

Charge électrique 2/3 -1/3 — 1 0


Première famille u d e v„
Deuxième famille c s V- v
n
Troisième famille t b T vT

Quelques conclusions

L e m o n d e subatomique tel que l'on se le représentait il y a plusieurs décennies


— toutes les particules étaient élémentaires, mais certaines étaient plus élémen-
taires que d'autres — a cédé la place à une nouvelle configuration, o ù les modules
de base sur lesquels repose la construction de la matière et s'exerce l'action des
quatre forces naturelles fondamentales pourraient être les trois familles quarks-
leptons :
(M, d, e, v„), (c, s, ¡z, v^, (t, b, T , V T ) ,

où chaque quark existe en trois couleurs. L a charge électrique totale de chaque


famille est nulle et, à la différence des leptons qui peuvent exister à l'état libre,
les quarks sont en permanence confinés à l'intérieur des hadrons qu'ils forment.
Viennent ensuite les médiateurs des interactions fondamentales : le photon
propage le c h a m p électromagnétique. L e s particules W 1 1 " et Z ° transmettent 79
Electron

Quark

Structure de l'atome

La force forte La force


maintient le noyau électromagnétique
maintient l'atome

H*
Force faible: &
désintégration radioactive

Les quatre types de force

Les constituants fondamentaux de la matière Les vecteurs des forces

quarks leptons
Dans la matière
"U milîère"

que

haut électron photons


'

bas D
neutrino d'électron

O
étrange
D
muon -
/$$&$$$$$&

bosons W

A
ÏÏ ©
charmé
0
neutrino de m u o n
O
bosons Z

ï!
l-s
£ CD
0 s
dans
Dan

fond tau gluons


è
a
Particules et
sommett?) neutrino de tau(?)
vecteurs des forces

F I G . 3. Les trois jeux de diagrammes ci-dessus sont une récapitulation de l'état actuel
de nos connaissances sur la structure de l'atome, les vecteurs des forces et les particules
80 qui constituent la matière. (Schémas aimablement fournis par le C E R N , Genève.)
l'interaction nucléaire faible. Les huit gluons propagent l'interaction nucléaire '¿%
forte. L e graviten, qui est encore une particule théorique, véhicule la force 3§
gravitationnelle. «"
S'agit-il là des ultimes constituants indivisibles de la matière, des atomes dont ~ ~
parlait Démocrite ? Certes, l'idée que dix-huit quarks et six leptons soient les "O "°
particules fondamentales à l'origine de toute la nature peut paraître séduisante à g j|
quelques physiciens ; mais, malgré ses attraits, la théorie qui conduit à concevoir * g
ainsi la structure de la matière est jugée trop arbitraire par d'autres. C o m m e n t "^ £
expliquer, demandent-ils, la répétition des familles et pourquoi n'y a-t-il a priori -g .2
aucune raison pour que les charges des quarks et des leptons soient reliées par le "g jj
simple facteur de trois ? Se pose aussi une autre question, inéluctable : les quarks S ^
sont-ils constitués de particules encore plus élémentaires ? Hg
O n a proposé plusieurs théories pour tenter de répondre à certaines de ces g"
questions. Aucune d'entre elles n'a encore été étayée par l'expérimentation. Est-ce .s
le commencement de la fin pour la recherche de l'atome démocritéen — à supposer g
que les particules élémentaires se présentent bien sous la forme de familles de 8
fermions ? O u bien ne sommes-nous qu'à u n nouveau palier de l'édifice ? Les §
u
accélérateurs toujours plus puissants qui sont actuellement à l'étude nous livreront a
peut-être bientôt la clé d u mystère. •

Notes

W . K a u f m a n n , Particles andfields:readings from Scientific American, San Francisco,


W . H . Freeman, 1980. Cet ouvrage contient des références supplémentaires.
J. R . Oppenheimer, The Flying trapeze: three crises for physicists, Oxford, Oxford
University Press, 1964.
C . Sutton, New scientist, vol. 103, n° 1414, 1984. A u m o m e n t où cet article était mis
sous presse, le C E R N célébrait son trentième anniversaire.

Pour approfondir le sujet

C A L D E R , N . The key to the universe. Londres, B B C Books, 1977.


PoLKlNGHORNE, J. The particle play. San Francisco, W . H . Freeman, 1980.
W E I S S K O P F , V . « N e w Insights into the basic structure of matter », New horizons of
human knowledge, Paris, Unesco, 1981.

81
PROPHET
OR

PROFESSOR?
T h e Life and Work of
Lewis Fry Richardson
Oliver M Ashford
(World Meteorological Organisation, retired)

The first biography of Lewis Fry Richardson, noted for his pioneering work on the use of
numerical methods for weather prediction and, as a lifelong Quaker and pacifist, for his impor-
tant role in peace research. Although during his lifetime m a n y regarded him as a crank, since
his death in 1953 his importance as a 'founding father' of both these subjects has c o m e to be
acknowledged, and he is today something of a cult figure to those working in these fields. A
m a n of m a n y interests and talents, he is also k n o w n for his varied contributions to mathematics
and its applications in the social sciences, to the design of scientific instruments and to the field
of psychology.

Throughout his life, Richardson worked on a mathematical approach to meteorology in the


firm belief, against most contemporary opinion, that it should be possible to predict weather
scientifically and consequently with greater accuracy than ever before. In later years he worked
increasingly at his peace studies, to which he devoted all his energies on retirement, going on
to produce, in one of his books, an arms race model which is probably more widely used than
any other, even today.

Oliver Ashford, a friend of Richardson for m a n y years, gives a sympathetic account of his life
and work, drawing freely on unpublished papers and correspondence. The resulting portrait is
that of a modest, yet engaging character, whose story illustrates h o w m u c h he has contributed
to the positive progress of the twentieth century.

December 1984 xiv + 306pp 2 4 0 x 1 6 0 m m illus


hardcover ISBN 0-85274-774-8 £ 1 8 . 0 0 / $ 2 9 . 0 0
Tribune des lecteurs
Appel aux lecteurs

N o u s serons heureux de publier des lettres contenant des avis motivés


— favorables o u non — sur tout article publié dans Impact o u présentant
les vues des signataires sur les sujets traités dans notre revue. Prière
d'adresser toute correspondance au Rédacteur, Impact : science et société,
Unesco, 7 , place de Fontenoy, 75700 Paris (France).

« Impact » : un outil didactique

Un enseignant de Cherbourg nous donne son opinion sur l'utilité de notre


périodique dans sa profession.

J'ai trouvé des enseignants très intéressés par la présentation de votre périodique
sous forme de thèmes, car cela facilite l'exploitation scolaire de l'information. D e
m ê m e , le nombre d'articles publiés dans la revue en fait presque u n outil de
référence, d'autant plus crédible que les auteurs exercent leur activité dans la
discipline décrite.
Robert C O L L A S
LOMOND
PUBLICATIONS...
Introduces its latest release,
published in cooperation with Unesco

MODELS OF REALITY:
SHAPING THOUGHT AND ACTION
edited by J . G . Richardson, Unesco

Twenty-one chapters by a selection of world experts w h o discuss m o d -


eling from the perspective of several different disciplines, discussing not
only their usefulness, but also their limitations.

Contributors are:

Hin Bredendieck Kenneth I. Kraener John M. Richardson, Jr.


James Clayson Graham P . Little Blagovesl Sendov
Jay W . Forrester G e o r g e Marx Isabelle Stengcrs
Victor A. Gelovani James Grier Miller Veronica ôtolte - Heiskanen
Geoffrey &. Holisler Jessie I.. Miller Alissa SwcrdloLT
Edward Jacobsen llya Prigogine Pal Tama's
J.N.P.Jeffers Ester Tóth
RahatNabiKhan The Economist Editors

L o m o n d publishes semi-technical and policy related books with special emphasis on tech-
nological change: analysis, trends, impact, policy, control, and enhancement. Free catalog
upon request.

Jacques G . Richardson, editor. Models of Reality: Shaping Thought and Action. 1984.
3 2 8 pp. Index. $22.95 (microfiche: $15.00).

P.O. Box 88S, Mt. Airy, Maryland 21771 U.S.A.


Avenir...
L e prochain numéro d'impact : science et société (n° 138) aura pour thème :

Les phénomènes sonores


et l'ouïe

Parmi les auteurs : G . L . Fuchs (Argentine) : l'enseignement de l'acoustique ;


E . Swicker (République fédérale d'Allemagne) : physiologie et psychologie de
l'ouïe ; A . M . Faruqui (Pakistan) : pollution par le bruit ; I. Malecki
(Pologne) : les applications industrielles de l'acoustique ; F . Ingerslev (Danemark)
acoustique et coopération internationale ; H . V . M o d a k (Inde) : la musique
dans les temples indiens ; G u a n Ding-hua (Chine) : le son en mer, dans
l'atmosphère et sur terre.

N ° 139/140
La télédétection d e la surface d u globe

N° 141
Recherche, technologie de pointe et multinationales

N° 142
La structure de la cellule, ses fonctions

N° 143
La recherche scientifique et l'agriculture de demain

A l'agent de vente pour m o n pays


(ou à l'Unesco, PUB-Ventes, 7 , place de Fontenoy, 7 5 7 0 0 Paris, France)

Je désire souscrire un abonnement à i m p a c t (4 numéros par an)

Q Édition anglaise • française

Ci-joint, en paiement, la s o m m e de
(Prix, frais de port inclus : un an, 8 0 francs. Pour connaître le tarif de l'abonnement en
monnaie locale, consultez l'agent de vente pour votre pays.)

Nom

Adresse

(Prière d'écrire & la machine ou en majuscules d'imprimerie) Signature

• Nouvel abonnement n Réabonnement


M e gusta la gente que recurre
a mí en busca de ciencia y tecnología.
Su preferencia confirma
mi prestigio entre los que ofrecen
información especializada.
PUBLICATIONS DE L'UNESCO : AGENTS DE VENTE

A L B A N I E : N . Sh. Botimeve Nairn Frasheri, T I R A N A . E Q U A T E U R : D I N A C U R Cia. Ltda, Santa Prises n.» 296
A L G É R I E : Institut pédagogique national, it, nie Ali- y Pasaje San Luis, Oficina 101-102, casilla 112-B, Q U I T O .
Haddad, A L G E R . Office des publications universitaires Pour ¡es publications seulement : Nueva Imagen, 12 de
( O P U ) , 29, rue Abou-Nouas, Hydra, A L G E R . Pour les Octubre 959 y Roca, edificio Mariano de Jesús, Q U I T O .
publications seulement :BNAL,3, boulevard Zirout-Youcef, Périodiques et publications : Casa de la Cultura Ecuato-
A L G E R . Pour les périodiques seulement : E N A M E P , 20, rue riana. Núcleo del Guayas, Pedro Moncayo y 9 de Octubre,
de la Liberté, A L G E R . casilla de correos 3542, G U A Y A Q U I L . Casa de la Cultura
A L L E M A G N E (RËP. F E D . ) : S. Karger G m b H , Karger Ecuatoriana, avenida 6 de Diciembre n.° 794, casilla 74,
Buchhandlung, Angerhofstr. 9, Postfach 2, D-8034, QUITO.
G E R M E R T N G / M O N C H E N ; < Le Courrier de l'Unesco • (édi-E S P A G N E : Mundi-Prensa Libros S . A . , apartado 1223,
tions allemande, anglaise, espagnole et française) : M . Her- Castelló 37, M A D R I D I. Ediciones Liber, apartado 17,
bert B a u m , Deutscher Unesco-Kurier Vertrieb, Besalt- Magdalena 8, O N D Á R R O A (Vizcaya). D O N A I R E , Ronda
ttrasse 57, J300 B O N N 3 ; Pour les cartes scientifiques de Outeiro 20, apartado de correos 341, L A C O R U Ñ A .
seulement : Geo Center, Postfach 800830, 7000 S T U T T G A R T Librería Al-Andalus, Roldana 1 y 3, SEVILLA 4. Librería
80. Castells, Ronda Universidad 13, B A R C E L O N A 7.
A N G O L A : Distribuidora Livras e Publicaçôes, Caiza É T A T S - U N I S D ' A M E R I Q U E : Unipub, 205 East 42nd
Postal 2848, L U A N D A . Street, N B W Y O R K , N . Y . 10017. Pour les commandes de
A N T I L L E S F R A N Ç A I S E S : Librairie « A u Boul" Mich" • , livres et de périodiques : Box 433, Murray Hill Station,
1, rue Perrinon et 66, avenue du Parquet, 97200 F O R T - D B - N E W Y O R K , N . Y . 10017.
F R A N C E (Martinique). Librairie Carnot, 59, rue Barbés, E T H I O P I E : Ethiopian National Agency for Unesco, P . O .
97100 PoiNTB-A-PlTRE (Guadeloupe). Box 2996, A D D I S A B A B A .
A N T I L L E S N É E R L A N D A I S E S : G . C . T . V a n Dorp- F I N L A N D E : Akateeminen Kirjakauppa, Keskuskatu 1,
Eddine N . V . . P . O . Box 200, W I L L B M J T A D (Curaçao N . A . ) . 00100 H E L S I N K I 10. Suomalainen KÏrjakaupa O Y , Koi-
A R A B I E S A O U D I T E : Dar Al-Watan for Publishing and vuvaarankuja 2, 01640 V A N T A A 64.
Information, Olaya Main Street, Ibrahim Bin Sulaym F R A N C E : Librairie de l'Unesco, 7, place de Fontenoy,
Building, P . O . Box 3310, R I Y A D H . 75700 P A R I S ; C C P Paris 12598-48.
A R G E N T I N E : Librería El Correo de la Unesco, E D I L Y R G A B O N : Librairies Sogalivre à L I B R E V I L L E , P O R T - G E N T I L
S . R . L . , T u c u m á n 1685, 1050 B U E N O S A I R E S . et F R A N C E V I L L S . Librairie Hachette, B . P . 3923, LIBREVILLE.
A U S T R A L I E : Publications : Educational Supplies Pty G H A N A : Presbyterian Bookshop Depot Ltd. P . O . Box, 195
Ltd., P . O . Box 33, B R O O K V A L E 2100, N . S . W . Hunter A C C R A . Ghana Book Suppliers Ltd., P . O . Box 7869,
Publications, 58A Gipps Street, C O L L I N G W O O D V I C - A C C R A . T h e University Bookshop of Cape Coast. T h e
T O R I A 3006. Périodiques : Dominie Pty Ltd., P . O . Box 33, University Bookshop of Legon, P . O . Box 1, L B G O N .
B R O O K V A L E a m , N . S . W . Sous-agent : U N A A , P . O . G R È C E : Grandes librairies d'Athènes (Eleftheroudakis,
Box 175, 5th Floor, A n a House, 28 Elizabeth Street, Kauffman, etc.). John Mihalopoulos & Son S . A . ,
M E L B O U R N E 3000. International Booksellers, 75 H e r m o u Street, P . O . B . 73,
A U T R I C H E : Buchhandlung Gerold and C o . , Graben 31, THESSALONIKI.
A-IOII W l B N . G U A T E M A L A : Comisión Guatemalteca de Cooperación
B A H A M A S : Nassau Stationers Ltd., P . O . Box N-3138, con la Unesco, 3.* avenida 13-30, zona 1, apartado
NASSAU. postal 244, G U A T E M A L A .
B A N G L A D E S H : Bangladesh Books International Ltd., G U I N É E : Commission nationale guinéenne pour l'Unesco,
Ittefaq Building, 1 R . K . Mission Riad, Hatkhola, D A C C A 3. B¿P. 964, C O N A K R Y .
B A R B A D O S : University of the West Indies Bookshop, H A I T I : Librairie 1 A la Caravelle >, 26, rue Roux, B.P. m ,
Cave Hill C a m p u s , P . O . Box 64, B R I D G E T O W N . PORT-AU-PRINCB.
BBLGIQUE : Jean D e Lannoy, 202, avenue du Roi, H A U T E - V O L T A : Librairie Attie, B . P . 64, O U A G A D O U G O U .
1060 B R U X E L L E S . C C P 000-0070823-13. Librairie catholique • Jeunesse d'Afrique •, O U A G A D O U G O U .
B É N I N : Librairie nationale, B . P . 294, P O R T O NOVO. HONDURAS : Librería Navarro, 2.* avenida, n.* 201,
Ets Koudjo G . Joseph, B . P . 1530, C O T O N O U . Comayaguela, T E G U C I G A L P A .
B I R M A N I E : Trade Corporation no. (9), 550-551 Merchant H O N G - K O N G : Federal Publications ( H K ) Ltd.,2DFreder
Street, R A N G O O N .
Centre, 68 Sung W o n g Toi Road, T o k w a w a n , K O W L O O N .
B O L I V I E : Los Amigos del Libro : casilla postal 441 S, Swindon Book C o . , 13-15 Lock Road, K O W L O O N .
L A P A Z ; avenida de las Heroínas 3712, casilla 450, Government Information Services, Publication Section,
COCHABAMBA. Baskerville House, 22 Ice House Street, H O N O ¿ K O N G .
B O T S W A N A : Botswana Book Centre, P . O . B o x 91, H O N G R I E : Akadémiai KSnyvesbolt, Váci u . 22, B U D A -
GABORONE. PEST V . A . K . V . Konyvtárosok Boltja, Népkoztársaság
B R É S I L : Fundaçao Getúlio Vargas, Serviço de Publicaçôes, utja 16, B U D A P E S T V I .
caixa postal 9.052-ZC-02, Praia de Botafogo 188, Rio DE I N D E : Orient Longman Ltd. : Kamani Marg, Ballard Es-
JANEIRO (GB). tate, B O M B A Y 400038 ; 17 Chittaranjan Avenue, C A L C U T T A
B U L G A R I E : H e m u s , Kantora Literatura, bd. Rousky 6, 13; 36A Anna Salai, M o u n t Road, M A D R A S 2 ; 5-9-4'/'
SOPIJA. Bashir Bagh, HYDBRABAD-500001 (A.P.) ; 80/1 Mahatma
C A N A D A : Éditions Renouf Limitée, 2182, rue Sainte- Gandhi Road, BANGALORS-560001 ; 3-5-820 Hyderguda,
Catherine Ouest, M O N T R É A L , Q u é . H 3 H 1 M 7 . HYDERABAD-500001. Sous-dépôts : Oxford Book and Sta-
C H I L I : Bibliocentro Ltda.,Constitución n.° 7, casilla 13731, tionery C o . , 17 Park Street, C A L C U T T A 700016 i Scindia
S A N T I A G O (21). House, N E W D E L H I I I O O O I . Publication Unit, Ministry
C H I N E : China National Publications Import and Export of Education and Culture, Ex. A F O Hutments, D r . R a -
Corporation, P . O . Box 88, B E I J I N G . jendra Prasad Road, N E W D E L H I I I O O O I .
C H Y P R E : • M A M > Archbishop Makarios, 3rd Avenue, I N D O N É S I E : Bhratara Publishers and Booksellers, 29 JI.
P.O. Box 1722, N I C O S I A . Oto Iskandardinata III, J A K A R T A . Indira P . T . , Jl. D r . S a m
C O L O M B I E : Instituto Colombiano de Cultura, carrera 3 A , Ratulangi 37, J A K A R T A P U S A T .
n." 18/24, B O G O T Á . El Ancora Editores, carrera 6 A , I R A N : Commission nationale iranienne pour l'Unesco,
n.° 54-58 (101), apartado 035832, B O G O T A . Seyed Jamal Eddin Assad Abadi av., 64th St.,
C O M O R E S : Librairie M A S I W A , 4, rue Ahmed-Djoumoi, Bonyad Bdg., P . O . Box 1533, T É H É R A N . Kharazmie
B . P . 124, M O R O N I . Publishing and Distribution C o . , 28 Vessal Shirazi Street,
C O N G O : Librairie populaire, B . P . 577, B R A Z Z A V I L L E . Enghélab Avenue, P . O . B . 314/1486, TÉHÉRAN.
Librairies populaires à P O I N T E - N O I R B , L O U B O M O , N K A Y I , I R L A N D E : T h e Educational C o m p a n y of Ireland Ltd.,
M A K A B A N A , O W E N D O , O U E S S O et I M P F O N D O . Commission Ballymouni Road. Walkinstown, D U B L I N 12. Tycooly
nationale congolaise pour l'Unesco, B . P 493, B R A Z Z A V I L L E . International Publ. Ltd., 6 Crofton Tenace, D u n
C O S T A R I C A : Librería Trejos S . A . , apartado 1313, Laoghaire C o . , DUBLIN.
S A N JOSÉ. Librería Cultural « Garcia M o n g e >, Ministerio I S L A N D E : Snaebjôrn Jonsson & C o . , H . F . , Hafnarstraeu 9,
de la Cultura, Costado Sur del Teatro Nacional, apar- REYKJAVIK.
tado 10227, S A N JOSÉ. I S R A Ë L : A . B . C . Bookstore Ltd., P . O . Box 1283, 71 Al-
C Ô T E - D ' I V O I R E : Librairie des Presses de l'Unesco, lenby Road, T E L A V I V 61000.
Commission nationale ivoirienne pour l'Unesco, B . P . 2871, I T A L I E : L I C O S A (Librería Commissionaria Sansoni
ABIDJAN. S.p.A.), Via Lamarmora 45. casella postale 552, 50121 Fi-
C U B A : Ediciones Cubanas, O'Reilly n.° 407, L A H A B A N A . RBNZE. F A O Bookshop, Via délie T e r m e di Caracalla,
< Le Courrier • seulement : Empresa C O P R E F I L , Dra- 00100 R O M E .
gones n.° 456 e/Lealtad y Campanario, L A H A B A N A 2.
D A N E M A R K : Munksgaard Export and Subscription
JAMAHIRIYA A R A B E LIBYENNE : Agency for Devel-
opment of Publication and Distribution, P . O . Box 34-35,
Service, 35 Narre Ssgade, D K 1370, K O B B N H A V N K .
TRIPOLI.
E G Y P T E : Unesco Publications Centre, I Tallat Harb
J A M A Ï Q U E : Sangsier's Book Stores Ltd., P . O . Box 366,
Street, C A I R O .
E L S A L V A D O R : Librería Cultural Salvadoreña S . A . , calle 101 Water Lane, K I N G S T O N . University of the West Indies
Deleado, n.° 117, apartado postal 2296, S A N S A L V A D O R . Bookshop, M o n a , K I N G S T O N .
J A P O N : Eastern Book Service Inc., 37-3 Hongo 3-chome RÉPUBLIQUE A R A B E SYRIENNE : Librairie Sayegh,
Bunkyo-ku, T O K Y O 113. Immeuble Diab, rue du Parlement, B.P. 704, D A M A S .
J O R D A N I E : Jordan Distribution Agency, P . O . B . 375, RÉPUBLIQUE D E C O R É E : Korean National Commission
AMMAN. for Unesco, P.O. Box Central 64, SÉOUL.
K E N Y A : East African Publishing House, P . O . Box 30571, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ALLEMANDE :
NAIROBI. Librairies internationales ou Buchhaus Leipzig, Pots-
K O W E Ï T :The Kuwait Bookshop, Co. Ltd.,P.O. Box2942, fach 140, 701 LEIPZIG.
KUWAIT. R É P U B L I Q U E D O M I N I C A I N E : Librería Blasco, avenida
L E S O T H O : Mazenod Book Centre, P.O. M A Z E N O D . Bolívar n.° 402, esq. Hannanos Deligne, S A N T O D O M I N G O .
L I B A N : Librairies Antoine A . Naufal et Frères, B.P. 656, R É P U B L I Q U E - U N I E D E T A N Z A N I E : Dar es Salaam
BBYROUTH. Bookshop, P.O. Box 9030, D A R BS S A L A A M .
LIBÉRIA : Cole & Yancy Bookshops Ltd., P.O. Box 286, R É P U B L I Q U E - U N I E D U C A M E R O U N : L e secretaire
MONROVIA. général de la Commission nationale de la République-
LIECHTENSTEIN : Eurocan Trust Reg., P.O. Box 5, Unie du Cameroun pour l'Unesco, B.P. 1600, Y A O U N D E .
Librairie des Éditions Clé, B.P. 1501, Y A O U N D E . Librairie
L U X E M B O U R G : Librairie Paul Brack, 22, Grand-Rue, Saint-Paul, B . P . 763, Y A O U N D E . Librairie Aux Messa-
LUXEMBOURG. geries, avenue de la Liberté, B.P. 5921, D O U A L A . Librairie
M A D A G A S C A R : Commission nationale de la République Aux Frères Réunis, B . P . 5346, D O U A L A .
démocratique de Madagascar pour l'Unesco, B.P. 331, R O U M A N I E : I L E X I M , Import-Export,3 Calea 13 Decem-
A NX AN ANAR TVO brie, P . O . Box 1-136/1-137, B U C U R E U I .
M A L A I S I E : Federal Publications Sdn. B h d . , Lot 8238 R O Y A U M E - U N I : H . M . Stationery Office, 51 Nine Elms
Jalan 222, Petaling Jaya, S E L A N G O R . University of Malaya Lane, L O N D O N S W 8 5DR. Government bookshops : Lon-
Co-operative Bookshop, K U A L A L U M P U R 22-11. don, Belfast, Birmingham, Bristol, Edinburgh, Manches-
M A L A W I : Malawi Book Service, Head Office, P . O . ter. Pour les cartes scientifiques seulement : McCarta Ltd,
Box 30044, Chichiri, B L A N T Y R B 3. 122 Kings Cross Road, L O N D O N W C I X 9 D S .
M A L I : Librairie populaire du Mali, B.P. 28, B A M A K O . S É N É G A L : Librairie Clairafrique, B . P . 2005, D A K A R .
Librairie des Quatre-Vents, 91, rue Blanchot, B.P. 1820,
M A L T E : Sapienza's Library, 26 Republic Street, V A L L E T T A . DAKAR.
M A R O C : Toutes les publications : Librairie > A u x belles SEYCHELLES : New Service Ltd., Kingstate House,
images •, 282, avenue M o h a m m e d - V , R A B A T (CCP 68-74). P.O. Box 131, M A H É . National Bookshop, P . O . Box 48,
Librairie des Écoles, 12, avenue Hassan-II, C A S A B L A N C A . MAHÉ.
« Le Courrier » seulement (pour les enseignants) : C o m m i sS- I E R R A L E O N E : Fourah Bay, Njala University and Sierra
sion nationale marocaine pour l'Unesco, 19, rue Oqba, Leone Diocesan Bookshops, F R E E T O W N .
B.P. 420, A G D A L - R A B A T (CCP 324-45).
M A U R I C E : Nalanda Co. Ltd., 30 Bourbon Street, PORT- S I N G A P O U R : Federal Publications (S) Pte Ltd., Times
LOUIS.
Jurong, 2 Jurong Port Road; SINGAPORE 2261.
M A U R I T A N I E : G R A . L I . C O . M A . , 1, rue du Souk X , S O M A L I E : Modern Book Shop and General, P . O . Box 951,
avenue Kennedy, NOUAKCHOTT. M OGADISCIO.
M E X I Q U E : SABSA, Insurgentes Sur n.° 1032-401, S O U D A N : Al Bashir Bookshop, P . O . Box 1118, K H A R T O U M .
M E X I C O 12 D . F . Librería « El Correo de la Unesco •, SRI L A N K A : Lake House Bookshop, Sir Chittampalam
Actipan 66, Colonia del Valle, MÉXICO 12 D . F . Gardiner Mawata, P . O . Box 244, C O L O M B O 2.
M O N A C O : British Library, 30, boulevard des Moulins, S U È D E : Toutes les publications : A / B C . E . Fritzes Kungl.
MONTB-CARLO. Hovbokhandel, Regeringsgatan 12, Box 16356, S-103 27
M O Z A M B I Q U E : Instituto Nacional do Libro e do Disco S T O C K H O L M . < Le Courrier » seulement : Svenska F N -
(INLD), avenida 24 de Julho 1921, r/c e 1.° andar, F6rbundet, Skolgrind 2, Box 15050, S-104 65 S T O C K H O L M .
MAPUTO. Pour les périodiques seulement : Wennergren-Williams A B
N É P A L : Sajha Prakashan, Polchowk, K A T H M A N D U . Box 30004, S 104 25 S T O C K H O L M .
N I C A R A G U A : Librería Cultural Nicaragüense, calle 15 de SUISSE : Europa Verlag, Rámistrasse 5, 8024 Z U R I C H .
Septiembre y avenida Bolivar, apartado 807, M A N A G U A . Librairies Payot à Geneve, Lausanne, Bile, Berne, Vevey,
N I G E R : Librairie Mauclert, B.P. 868, N I A M E Y . Montreux, Neuchitel et Zurich.
S U R I N A M E : Suriname National Commission for Unesco,
N I G E R I A : The University Bookshop of Ife. The Univer- P.O. Box 2943, P A R A M A R I B O .
sity Bookshop of Ibadan, P . O . Box 286, I B A D A N . The
University Bookshop of Nsukka. The University Book- T C H A D : Librairie Abssounout, 24, av. Charles-de-Gaulle,
shop of Lagos. T h e Ahmadu Bello University Bookshop B.P. 388, N'DJAMBNA.
of Zaria. T C H É C O S L O V A Q U I E : S N T L Spalena 51, P R A H A I
N O R V È G E : Toutes les publications : Johan Grundt T a n u m , (.Exposition permanente). Zahranícni literatura, 11 Souke-
Karl Johans gate 41/43, O S L O 1. Universitets Bokhan- nicka, P R A H A I. Pour la Slovaquie seulement : Alfa Verlag,
delen, Universitetsentret, P . O . Box 3°7> B L I N D E R N Publishers, Hurbanovo nam. 6, 893 31 BRATISLAVA.
O S L O 3, T H A Ï L A N D E : Nibondh and C o . Ltd., 40-42 Charoen
N O U V E L L E - C A L É D O N I E : Reprex S A R L , B . P . 1572, Krang Road, Siyaeg Phaya Sri, P . O . Box 402, B A N G K O K .
NOUMEA. Suksapan Panit, Mansion 9, Rajdamnern Avenue,
N O U V E L L E - Z É L A N D E : Government Printing Office B A N G K O K . Sukait Siam Company, 1715 R a m a IV Road,
Bookshops : Retail Bookshop, 25 Rutland Street, Mail BANGKOK.
Orders, 8s Beach Road, Private Bag C . P . O . , A U C K L A N D ; T O G O : Librairie évangélique, B.P. 378, L O M É . Librairie du
Retail Ward Street, Mail Orders, P . O . Box 857, H A - Bon Pasteur, B . P . 1164, L O M É . Librairie universitaire,
M I L T O N ; Retail Cubacade World Trade Centre, M u l - B.P. 3481, L O M É .
grave Street (Head Office), Mail Orders Private Bag, T R I N I T É - E T - T O B A G O : National Commission for
W E L L I N G T O N ; Retail, 159 Hereford Street, Mailorders Unesco, 18 Alexandra Street, St. Clair, T R I N I D A D W . I .
Private Sag, C H R I S T C H U R C H ; Retail Princes Street, Mail T U N I S I E : Société tunisienne de diffusion, 5, avenue de
Orders, P . O . Box 1104, DUNEDIN. Carthage, T U N I S .
O U G A N D A : Uganda Bookshop, P . O . Box 7145, K A M P A L A . T U R Q U I E : Haset Kitapevi A.S., Istiklâl Caddesi n» 469.
P A K I S T A N : Mirza Book Agency, 6s Shahrah Quaid- Posta Kutusu 219, Beyoglu, ISTANBUL.
i-Azam, P . O . Box 729, L A H O R E 3. U R S S : Mezhdunarodnaja Kniga, M O S K V A G-200.
P A N A M A : Distribuidora Cultura Internacional, Apar- U R U G U A Y : Edilyr Uruguaya, S . A . , Maldonado 1092,
tado 7571, Zona s, P A N A M Á . MONTEVIDEO.
P A R A G U A Y : Agencia de Diarios y Revistas, Sra. Nelly A. V E N E Z U E L A : Librería del Este, avenida Francisco de
de Garcia Astillero, Pte. Franco n.° 580, A S U N C I Ó N . Miranda 52, edificio Galipán, apartado 60337, C A R A C A S .
P A Y S - B A S : Pour les publications seulement : Keesing D I L A E C.A., calle San Antonio entre av. Lincoln y
Boeken B . V . , Joan Muyskenweg 22, P . O . Box 1118, av. Casanova edificio Hotel Royal, local 2, apartado 50304,
1000 B C A M S T E R D A M . Pour les périodiques seulement : D . & Sabana Grande, C A R A C A S .
N . F A X O N B. V., P.O. Box 197, 1000 A D A M S T E R D A M . Y O U G O S L A V I E : Jugoslovenska Knjiga, Trg. Repu-
P É R O U : Librería Studium, Plaza Francia 1164, Apar- blike 5/8 P . O . B . 36, 11-001 B E O G R A D . Drzavna Zalozba
tado 2139, L I M A . Slovenije, Titova C . 25, P . O . B . 50-1, 61-000 L J U B L J A N A .
PHILIPPINES : The Modem Book Co., Inc., 922 Rizal Z A Ï R E : Librairie du C I D E P , B.P. 2307, K I N S H A S A I. C o m -
Avenue, P.O. Box 632, M A N I L A 2800. mission nationale zaïroise pour l'Unesco, Commissariat
P O L O G N E : Ars Polona - Ruch, KrakowskiePrzedmiescie 7, d'État chargé de l'éducation nationale, B.P. 32, K I N S H A S A .
00-068 W A R S Z A W A . ORPAN-Import, Palac Kultury, 00- Z A M B I E : National Educational Distribution C° of Zambia
901 WARSZAWA. Ltd., P . O . Box 2664, L U S A K A .
P O R T O RICO : Librería « Alma Mater », Cabrera 867, Rio Z I M B A B W E : Textbook Sales ( P V T ) Ltd., 67 Union
Piedras, PUERTO RICO 00925. Avenue, H A R A R E .
P O R T U G A L : Días & Andrade Ltda., Livraria Portugal,
rua do Carmo 70, LISBOA.

BONS DE LIVRES DE L'UNESCO


Utilisez les bons de livres de l'Unesco pour acheter des ouvrages et des périodiques de caractère éducatif, scientifique
ou culturel. Pour tout renseignement complémentaire, veuillez vous adresser au Service des bons de l'Unesco, 7, place
de Fontenoy, 75700 Paris. [96]

Vous aimerez peut-être aussi