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Fête de saint Joseph

Lyon, 19 mars 2014

Sur de nombreuses icônes de Noël, Joseph est assis maussade, niché dans son
coin, détournant la tête loin de ce qui se passe, et devant lui se tient un personnage
ascétique, apparemment le prophète Isaïe ("la vierge enfantera"), qui cherche à lui faire
comprendre qu'il n'est pas un cocu. Ce qui s'exprime ici crûment, n'est-il pas également
suggéré de manière plus voilée dans certains de nos tableaux, où l'homme n'a rien de
mieux à faire que de tenir une lanterne d'écurie ou d'indiquer le chemin au berger qui
entre ?

Avant que Marie et lui aient habité ensemble, Joseph remarque ce qui se passe. Il
semble impossible que d'autres ne l'aient pas remarqué. Les racontars à son sujet sont
inévitables ; mais elle ne veut ni ne peut les faire taire. Les gens finiront par s'accorder,
comme le dit l'Évangile, sur le fait que l'enfant est celui de Joseph (« Celui-là n’est-il pas
le fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père », Jn 6,42). Pourtant, quelque chose
cloche à propos de cet enfant. Dieu n'est pas pressé. Des décennies plus tard, les
Évangiles feront la lumière sur ce mystère. Pour l'instant, Joseph n'est pas éclairé et il
est profondément préoccupé. Comment aurait-il pu avoir l'idée que c’était Dieu lui-
même qui était sur le point de prendre demeure dans son épouse ? Au silence de Marie
répond son intention de la répudier en secret. Mais par-là il l'exposerait quand même à
la honte. Aussi, au dernier moment, il est éclairé par un ange et il est averti de prendre
Marie chez lui. Dieu a le temps.

En fait Joseph ne comprendra jamais tout à fait. C’est un homme au cœur simple,
un homme juste, qui a été mis dans une situation qui ne manque pas d’abord de
l’e`rayer ; tout cela est pour lui incompréhensible. Par la suite la grâce va lui donner de
saisir quelque chose, mais pas tout. L'ange lui donne la certitude que ce qui se déroule
est quelque chose de juste, et il sait désormais que c'est là la route à suivre et que cette
route vient de Dieu. Il ne comprendra jamais totalement ce qui s'est passé dans la
Vierge Marie et il n’a pas besoin d’ailleurs de le comprendre, parce que sa mission n’est
pas comme celle de ces couples qui partagent une mission commune, comme on le
voit dans l’exemple de Benoît et Scolastique, de François d’Assise et Claire, Marguerite-
Marie et Claude, ou encore de François de Sales et Jeanne de Chantal. On ne peut pas
voir en Marie et Joseph comme en eux un couple constitué de deux êtres qui auraient
ensemble une seule mission. Pour Joseph, sa mission est une mission à côté d'une
autre (celle de Marie) et ce qu’il doit faire, c'est soutenir de manière très simple la
mission de Marie. Et quand il s’e`orce de lui prêter son assistance et d’être un père pour
l’Enfant, il a toujours conscience qu’il est là seulement comme un représentant. Quant
à lui il ne demande qu’une chose, c’est de savoir la route qu’il faut suivre. Sa
compréhension ne va pas et ne veut pas aller plus loin.

Contrairement à ce que laissent à penser les icônes de Noël et d’autres tableaux du


même genre, quand Joseph observe la Mère avec l’Enfant, il se rend compte que c’est
une grâce inouïe de pouvoir être là et de regarder et de se mettre à son service. Aux
côtés de Marie et de Jésus il grandit dans la foi et il grandit dans la joie, sans devoir
parcourir les rudes chemins de la Mère. Certes, tandis qu’il subvient aux besoins de
l’Enfant il n’est pas sans connaître des heures di`iciles, mais il n’en éprouve pas moins
de la joie : la joie de quelqu’un qui s’est o`ert à Dieu et qui est enveloppé dans un
mystère qui le dépasse totalement. Ainsi sa prière est-elle faite surtout d’action de
grâces. Ce n’est pas une grande prière à l’instar de celle de saints comme un Antoine de
Padoue, c’est une prière fidèle et pieuse et aimante. À peine a-t-il saisi quelque chose
du Fils, de sa croissance, de sa mission, qu’il l’insère aussitôt dans sa propre prière.

Depuis que l’ange lui a parlé, il a trouvé une fois pour toutes la paix, et cette paix
illumine tout ce qu’il fait. Il ne connaît pas l’agitation de celui qui calcule. Il sait que ce
n'est pas à lui de scruter les mystères auxquels il est associé. Il est sans curiosité. Il est
simplement pieux. Et cette piété à certains moments devient de la contemplation : il
contemple l’Enfant et la Mère et ce qui les unit. Mais elle est faite surtout de ce qu’on
pourrait appeler avec saint Ignace une attitude de sainte indi`érence.

Certaines tentations ne lui sont pas épargnées. Il est dans le monde, il a sa propre
maison dans le monde, mais il vit avec une femme vierge. Bien sûr il y a chez lui une
sorte de clôture, il tient un code de conduite qui lui est donné par Dieu. Mais il se trouve
dans l’état du mariage, et il doit en même temps se maintenir dans la continence.
Certes, il a toujours été chaste, mais il se préparait intérieurement au mariage. Et
maintenant il doit vivre ce mariage en écartant tout ce qui constitue la vie sexuelle d’un
homme normal. Dieu ne le ménage pas, on exige de lui quelque chose. Il est exposé.
C’est là le trait ignatien chez lui.

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