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Les Fausses confidences,


Marivaux, acte 2 scène 13 :
lecture linéaire
Par Amélie Vioux • 3 juillet 2020 • 5 commentaires

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Voici une analyse linéaire de l’acte II scène 13 des


Fausses confidences de Marivaux.

Le passage étudié va de « Araminte, d’un air délibéré : Il


n’y en aura aucune, ne vous embarrassez pas, et
écrivez…« ) jusqu’à la fin de la scène 13.

Les Fausses confidences, acte 2


scène 13, introduction
Marivaux est l’un des dramaturges français les plus
reconnus qui excella dans la comédie bourgeoise et
psychologique.

Ses intrigues complexes et virtuoses reposent souvent


sur des procédés d’interversions où maîtres et valets
échangent leurs rôles.

Le thème de la surprise de l’amour, central chez


Marivaux, permet le rire mais véhicule aussi la critique
sociale d’une société fondée sur le rang et l’apparence.

C’est le cas dans Les Fausses Confidences, comédie


en prose et en trois actes jouée pour la première fois en
1737.

Dorante, honnête petit bourgeois ruiné, aime en secret


Araminte, la haute et riche bourgeoise qui l’emploie.
Malgré leur écart de fortune, leur amour triomphera
grâce aux stratagèmes habiles du valet Dubois. (Voir la
fiche de lecture des Fausses confidences de
Marivaux)

Dans la scène 13 de l’acte II, les deux amants ne se


sont pas encore révélés leurs sentiments. Araminte fait
croire à Dorante qu’elle va épouser le comte afin
d’observer ses réactions.

Extrait étudié :
Araminte, d’un air délibéré.

Il n’y en aura aucune. Ne vous embarrassez pas, et
écrivez le billet que je vais vous dicter ; il y a tout ce qu’il
faut sur cette table.

Dorante.
Eh ! pour qui, madame ?

Araminte.
Pour le comte, qui est sorti d’ici extrêmement inquiet, et
que je vais surprendre bien agréablement par le petit mot
que vous allez lui écrire en mon nom. (Dorante reste
rêveur, et, par distraction, ne va point à la table.) Eh !
vous n’allez pas à la table ! À quoi rêvez-vous ?

Dorante, toujours distrait.


Oui, madame.

Araminte, à part, pendant qu’il se place.


Il ne sait ce qu’il fait ; voyons si cela continuera.

Dorante, à part, cherchant du papier.


Ah ! Dubois m’a trompé.

Araminte, poursuivant.
Êtes-vous prêt à écrire ?

Dorante.
Madame, je ne trouve point de papier.

Araminte, allant elle-même.


Vous n’en trouvez point ! En voilà devant vous.

Dorante.
Il est vrai.

Araminte.
Écrivez. « Hâtez-vous de venir, monsieur ; votre mariage
est sûr… » Avez-vous écrit ?

Dorante.
Comment, madame ?

Araminte.
Vous ne m’écoutez donc pas ? « Votre mariage est sûr ;
madame veut que je vous l’écrive, et vous attend pour
vous le dire. » (À part.) Il souffre, mais il ne dit mot ; est-
ce qu’il ne parlera pas ? « N’attribuez point cette
résolution à la crainte que madame pourrait avoir des
suites d’un procès douteux. »

Dorante.
Je vous ai assuré que vous le gagneriez, madame.
Douteux ! il ne l’est point.

Araminte.
N’importe, achevez. « Non, monsieur, je suis chargé de
sa part de vous assurer que la seule justice qu’elle rend
à votre mérite la détermine. »

Dorante, à part.
Ciel ! Je suis perdu. (Haut.) Mais, madame, vous n’aviez
aucune inclination pour lui.

Araminte.
Achevez, vous dis-je. « …qu’elle rend à votre mérite la
détermine. » Je crois que la main vous tremble ; vous
paraissez changé. Qu’est-ce que cela signifie ? Vous
trouvez-vous mal ?

Dorante.
Je ne me trouve pas bien, madame.

Araminte.
Quoi ! si subitement ! cela est singulier. Pliez la lettre et
mettez : « À Monsieur le comte Dorimont. » Vous direz à
Dubois qu’il la lui porte. (À part.) Le cœur me bat ! Il n’y a
pas encore là de quoi le convaincre.

Dorante, à part.
Ne serait-ce point aussi pour m’éprouver ? Dubois ne
m’a averti de rien.

Problématique
Nous verrons comment, dans cette scène à la fois
comique et galante, la fausse confidence d’Araminte
suscite chez Dorante un trouble révélateur de son amour
pour elle.

Annonce de plan linéaire


Nous pouvons observer trois mouvements dans cet
extrait.

Dans une première partie, de « Araminte, d’un air


délibéré : Il n’y en aura aucune, » à « procès douteux »,
Araminte demande à Dorante d’écrire au comte qu’elle
l’épouse afin de l’éprouver.

Dans une deuxième partie, de « Je vous ai assuré » à


« trouvez-vous mal ? », Dorante trahit son amour en
contestant le mariage.

Dans une troisième partie, de « Je ne me trouve pas » à


la fin de la scène, Araminte croit que son stratagème a
échoué, malgré le trouble révélateur de Dorante.

I – Araminte demande à Dorante


d’écrire au comte qu’elle
l’épouse
(De « Araminte, d’un air délibéré : Il n’y
en aura aucune », à « procès douteux »)
Dans la scène précédente, Araminte confie à Dubois à
propos de Dorante : « j’ai envie de lui tendre un piège. »
C’est justement ce piège qui prend forme sous les yeux
du spectateur à la scène 13 de l’acte 2 : Araminte feint
de vouloir épouser le comte pour éprouver les
sentiments de Dorante.

La didascalie témoigne de l’« air délibéré » d’Araminte,


qui affecte à l’égard de Dorante une détermination
indifférente. Ce n’est bien évidemment qu’un « air »
qu’elle se donne, soit un masque qu’elle porte pour
tenter de faire surgir la vérité des sentiments de Dorante.

Il s’agit bien d’une nouvelle scène de fausse


confidence : Araminte ment en confiant son projet de
mariage, afin de démêler les sentiments qu’éprouve
Dorante pour elle.

Les ordres à l’impératif qu’elle adresse à son intendant


témoignent d’une relation professionnelle
hiérarchisée, où Dorante est à son service : « Ne vous
embarrassez pas, et écrivez le billet que je vais vous
dicter ».

Marivaux s’amuse à renverser les attentes du spectateur


et les codes de la comédie, puisque la conversation
entre les amants est aux antipodes de la galanterie
amoureuse. Ce décalage suscite un effet comique.

Dorante est troublé comme l’indique l’interrogation


(« Et pour qui, madame ? » ), mais il est contraint de se
soumettre aux codes que sa situation professionnelle
exige, d’où son interrogation accompagnée d’une
adresse polie (« madame« )

Araminte explique à Dorante que la lettre annonçant le


mariage est « Pour le comte » et a pour but de « le
surprendre bien agréablement » car il est parti
« extrêmement inquiet« . L’antithèse « agréablement » /
« inquiet », qui évoque les sentiments du Comte crée un
effet comique car elle reflète aussi la succession
d’émotions qu’éprouve Dorante à cette nouvelle.

Araminte lui inflige volontairement une tâche


blessante : il doit écrire à son rival, pour lui annoncer
qu’il épouse celle qu’il aime « en [s]on nom ».

L’expression « le petit mot » est une litote cruelle car


cette lettre ravage intérieurement Dorante. La comédie
légère repose donc sur des procédés sadiques. La
fausse confidence suscite de vraies blessures.

L’adjectif de la didascalie (« Dorante reste rêveur »)


pouvait avoir au XVIIIe le sens fort d’« ému ». Dorante
est sous le choc.

Araminte l’interpelle, lui imposant son rythme, et


l’interroge : « À quoi rêvez-vous ? »

A cette question ouverte, Dorante, «toujours distrait. »,


répond « Oui, Madame » comme si on lui avait posé une
question fermée. Sa perte de maîtrise langagière
constitue une perte de pouvoir.

La didascalie suivante montre qu’Araminte parle « à


part », de même que Dorante. Cette scène entre deux
personnages se déploie donc sur trois plans : le
dialogue entre les amants, et le dialogue de chacun
avec lui-même, et donc avec le spectateur. Si les
personnages se mentent, ils se disent toutefois la vérité
lorsqu’ils se parlent à eux-mêmes. Cette double
énonciation omniprésente (les répliques des
personnages s’adressent aussi au spectateur) fait le
charme et la complexité de cette scène galante.

Araminte jouit avec cruauté de ce stratagème amoureux,


et commente : « Il ne sait ce qu’il fait ».

Dorante, lui, se croit trompé par Dubois et se lamente :


« Ah ! Dubois m’a trompé« . Le comique repose sur ces
vertigineux entrelacements de mensonges qui se
répondent.

L’incapacité de Dorante à trouver du papier (« Madame,


je ne trouve point de papier.« ) illustre sa confusion et a
un effet comique : elle réduit l’intendant rigoureux au
rang d’incapable valet.

Par un nouvel impératif, Araminte bouscule son


intendant pétrifié : « Écrivez. »

La lettre dictée par Araminte est savoureuse pour le


spectateur car elle a un double sens : « Hâtez-vous de
venir […] votre mariage est sûr… ». En effet, la
promesse de mariage s’adresse apparemment au
Comte, mais le spectateur comprend qu’Araminte
adresse ces mots de façon détournée à Dorante.

L’impératif « Hâtez-vous » vise à inciter Dorante à se


révéler.

La surdité de Dorante semble confirmer à Araminte son


amour : « (À part.) Il souffre, mais il ne dit mot ; est-ce
qu’il ne parlera pas ? » Cet aparté à la forme
interrogative exprime les doutes d’Araminte : la
bourgeoise n’est plus aussi assurée.

II – Dorante conteste le mariage


en trahissant son amour
(De « Je vous ai assuré » à « trouvez-
vous mal ? »)
Araminte évoque le « procès douteux » qui l’oppose au
Comte. L’adjectif dépréciatif « douteux » rappelle que le
mariage est une union d’affaires. Or Dorante s’exclame,
contestant la pertinence de l’adjectif : « Douteux, il ne
l’est point. » L’antéposition de l’adjectif souligne
l’opposition ferme de Dorante.

Le sujet du procès est un moyen habile pour Dorante de


contester le mariage sans révéler son amour. Il s’empare
donc avec espoir de cette justification.

Mais Araminte écarte la remarque sèchement par


l’impératif « achevez » qui joue encore sur un double
sens : Dorante doit achever la lettre, mais c’est le cœur
de Dorante qu’Araminte achève.

Il en va de même pour la mention du « mérite » du


comte, dont la lettre fait l’éloge : l’aristocrate n’en a
visiblement pas, contrairement à Dorante, bourgeois
ruiné mais méritant. Marivaux dénonce ainsi
ironiquement une société inégalitaire qui n’est pas
fondée sur le mérite.

Dorante désespère en aparté : « Ciel ! je suis perdu ! » .


Le présent d’énonciation souligne la désillusion de
l’intendant qui ne voit pas d’issue à sa situation.

Araminte rejette de nouveau les contestations de


Dorante : « Achevez, vous dis-je… » Sa répétition
témoigne de son inflexibilité tout en créant une
connivence avec le spectateur qui, lui, démêle la
situation.

Araminte tente de provoquer la déclaration amoureuse


de Dorante par une suite d’interrogations brèves :
« Qu’est-ce que cela signifie ? Vous trouvez-vous mal ?
«.

Elle joue à être elle-même troublée, mais le spectateur


peut deviner que Dorante la trouble véritablement.

III – Araminte croit que son


stratagème a échoué
(De « Je ne me trouve pas bien, Madame
» à la fin de la scène 13)
La fausse confidence amoureuse d’Araminte condamne
Dorante à cette vraie confidence : « Je ne me trouve
pas bien, Madame. »

La surprise exclamative qu’affecte Araminte a un effet


comique : « Quoi ! si subitement ! cela est singulier. »

L‘aparté « Le coeur me bat » fait connaître son trouble


au spectateur.

Elle tente une dernière fois d’obtenir des aveux en


confrontant Dorante à sa maladresse dans deux
exclamations comiques qui réduisent Dorante au rang
de valet maladroit : « Voilà qui est écrit tout de travers !
Cette adresse-là n’est presque pas lisible. »

Mais c’est la déception qu’elle confesse en aparté.


Araminte espérait en effet une confession plus franche.
Malgré le trouble certain de Dorante, elle estime que son
procédé a échoué comme l’exprime la négation partielle
: « Il n‘y a pas encore là de quoi le convaincre. »

Dorante décèle finalement le stratagème


amoureux : « Ne serait-ce point aussi pour
m’éprouver ? » La menteuse semble démasquée par
son amant ce qui crée une scène en forme de chiasme
comique car celui qui devait être piégé a décelé le
piège. Mais les doutes demeurent.

La dernière phrase évoque Dubois : « Dubois ne m’a


averti de rien » . L’évocation de l’ingénieux Dubois
montre combien Dorante le considère, à raison, comme
le metteur en scène principal de l’intrigue amoureuse.

Les Fausses confidences, acte 2


scène 13, conclusion
Dans cette scène à la fois comique et galante, la fausse
confidence d’Araminte suscite chez Dorante un trouble
révélateur de son amour pour elle. Néanmoins, les
amants n’ont encore aucune certitude et leurs véritables
sentiments restent masqués.

Cette scène 13 de l’acte II est particulièrement


savoureuse car Araminte prend le relais du valet Dubois
en initiant une fausse confidence pour tromper
Dorante. Les personnages se manipulent entre eux pour
démasquer la vérité.

Marivaux offre ainsi une pièce où la vérité naît du


mensonge, dans une société où les inégalités sociales
et les mœurs entravent l’expression sincère de l’amour.

Tu étudies Les Fausses


confidences ? Regarde aussi :
♦ Les Fausses confidences, acte I scène 2
♦ Les Fausses confidences, acte I scène 14
♦ Les Fausses confidences, acte II scène 10
♦ Les Fausses confidences, acte II scène 15
♦ Les Fausses confidences, acte III scène 1
♦ Les Fausses confidences, acte III scène 9
♦ Les Fausses confidences, acte III scène 8
♦ Les Fausses confidences, acte III scène 12
♦ Les Fausses confidences, acte III scène 13
♦ Le Jeu de l’amour et du hasard, acte I scène 1
♦ La Double inconstance, acte II scène 11
♦ On ne badine pas avec l’amour, Musset, acte 3 scène
3

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5 commentaires

Carla
17 avril 2022 à 19 h 40 min

Bonjour, vous m’avez bcp aidé pour réviser mon Bac


de Français, mais je me demandais sur quelle œuvre
il était possible de faire une ouverture ?
Merci d’avance

Répondre

elie
26 février 2022 à 10 h 31 min

Hello, je crois que « c’est écrit tout de travers » et


« cette adresse n’est presque pas lisible » constituent
une double énonciation (adresse des sentiments de
Dorante) et aussi une référence à l’écriture de la
pièce elle-même. Qu’en pensez vous ?
Pourriez vous développer l’analyse du chiasme svp ?
Elie

Répondre

lola
20 juin 2021 à 12 h 32 min

Merci madame, j’ai perdu cette analyse et pour le bac


oral de cette année sa me sauve alors encore une
fois merci ^^

Répondre

Elodie
28 décembre 2020 à 14 h 12 min

Bonjour madame,

J’espère que vous allez bien. Je trouve que ce devoir


est très complet, merci pour vos lectures
analytiques.Je poste ce commentaire car j’ai appris
qu’il y’avait également le champ lexical de la raison
entre les lignes 26 et 39. Mais malheureusement je
ne le trouve pas.

Merci et bonne journée,

Elodie

Répondre

Yanis
25 février 2022 à 17 h 37 min

Merci je suis d’accord avec vous


Il est fort agréable d’avoir de bonnes analyses à notre
disposition.

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