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9782218077678
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COLLECTION M O N D E NOIR P O C H E
sous la direction de Jacques Chevrier
avec la collaboration de Paul Désalmand
L'Homme de la rue
Pabe Mongo
Roman
Quand l'antilope
change de forêt
1. Franc CFA.
S u r ces entrefaites, tante Mézénie arriva, chargée
d'une antilope, d'un pangolin, d'une vipère et d'une tor-
tue qu'elle jeta devant le boucher.
- L'antilope vingt morceaux, le pangolin cinq, la vipère
dix, la tortue trois, ordonna-t-elle en entraînant les fil-
les avec elle.
Resté seul, Wamakoul travailla encore plus vite. « Où
est-ce qu'elle trouve une telle variété de gibier ? se
demandait-il. Même à Mbamé, on ne trouve plus de pan-
golin. »
Une heure plus tard, sa besogne était achevée. Il lava
la viande sous le robinet et la transporta à la cuisine.
Puis, quelque peu désœuvré, il s'installa sur un banc sous
la véranda et se mit à contempler les piétons et les engins
qui passaient sur la route. C'était du mouvement, du
bruit et des couleurs. C'était de la vie, ou plutôt de l'ani-
mation dont le sens vital lui échappait encore. Mais il
avait tout son temps.
CHAPITRE II
Le comédien
change de costume
1. Rastas : longues tresses à mèches portées aussi bien par les femmes
que par les hommes, et dont la mode viendrait des Antilles.
Wamakoul tomba presque amoureux de Beti Beti,
malgré son gigantisme, ses fards criards et cette idée sau-
grenue qu'elle avait de ficeler ses grandes jambes dans
un pantalon étroit. Cela donnait un boudin articulé,
une sorte de clarinette debout dont le son, malgré tout,
charmait.
Marthe Zambo par contre, miniaturisée comme un
objet d'art japonais, tâchait d'augmenter sa stature par
des talons en échasse et son gabarit par une robe en para-
chute. La douceur de sa voix pouvait guérir un cancé-
reux et les coquetteries de ses yeux allumaient des feux
sur plus d'un spectateur.
Anne-Marie Nzié, la voix d'or, était huppée comme
une grue. Elle revêtait la tenue traditionnelle de la danse
Ozila. Elle ne chantait que des chansons patriotiques ou
des berceuses. Certains de ses fans n'hésitaient pas à la
comparer à Miryam Makeba. Pourquoi pas ?
Toute la population du pays devait s'être regroupée
dans la capitale. Des observateurs étaient venus du
monde entier. Plus de deux mille invités dont les louan-
ges unanimes ne pouvaient pas être feintes. Tout le
monde s'accordait à dire que le pays venait de se doter,
pendant les deux dernières années, de plus d'infrastruc-
tures qu'en vingt-trois ans. C'était une œuvre impres-
sionnante par sa qualité et sa diversité. Jamais le quali-
ficatif de « Bâtisseur de la nation » ne fut plus employé
qu'en cette semaine culturelle. Aux yeux de certains,
même, tout était désormais accompli. La nation était
bâtie, le peuple uni, adulte et prospère, à en juger par
la splendeur de sa culture. Il ne restait plus au bâtisseur
qu'à se coucher dans le magnifique mausolée qu'il venait
de construire et à recevoir le culte des ancêtres.
Vox populi, vox dei. Les commérages du peuple se
révélèrent des prophéties. La grande magnificence de la
fête n'avait d'égal que la splendeur de la chanson du
cygne avant sa mort.
Nous étions à la fin d'un règne et d'un empire.
CHAPITRE XXIII
Nouvelles alliances