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UNIVERSITÉ PARIS VIII — VINCENNES — SAINT-DENIS

ED 159 — ÉCOLE DOCTORALE ESTHETIQUE, SCIENCES ET


TECHNOLOGIE DES ARTS
EA 1573 — SCÈNES DU MONDE, CRÉATION, SAVOIRS CRITIQUES

Thèse pour l’obtention d’un doctorat en


esthétique, sciences et technologie des arts

Présentée et soutenue publiquement le 18 mai 2016 par :

Juliana COELHO DE SOUZA LADEIRA

Titre :
ENTRE MONDES : VOYAGES, RÉCITS ET ENTRELACEMENTS
DE PRATIQUES AUTOUR DU TOPENG BALINAIS

Directeur de recherche :
Monsieur Jean-François DUSIGNE
Jury :

M. I Made BANDEM, professeur docteur, directeur du STIKOM/Bali


(Indonésie)
Mme Hélène BOUVIER, chargée de recherche, UMR THALIM, (CNRS,
Université Paris 3, ENS)
M. Jean-François DUSIGNE, professeur des universités, Université
Paris VIII — Vincennes — Saint-Denis (France)
M. Guy FREIXE, professeur des universités, Université de Franche-Comté
(France)
Mme Maria Thais LIMA SANTOS, professeur docteur, Université de São
Paulo (Brésil)

1
UNIVERSITÉ PARIS VIII — VINCENNES — SAINT-DENIS
ED 159 — ÉCOLE DOCTORALE ESTHETIQUE, SCIENCES ET
TECHNOLOGIE DES ARTS
EA 1573 — SCÈNES DU MONDE, CRÉATION, SAVOIRS CRITIQUES

Thèse pour l’obtention d’un doctorat en


esthétique, sciences et technologie des arts

Présentée et soutenue publiquement le 18 mai 2016 par :

Juliana COELHO DE SOUZA LADEIRA

Titre :
ENTRE MONDES : VOYAGES, RÉCITS ET ENTRELACEMENTS
DE PRATIQUES AUTOUR DU TOPENG BALINAIS

Directeur de recherche :
Monsieur Jean-François DUSIGNE

Jury :

M. I Made BANDEM, professeur, directeur du STIKOM/Bali (Indonésie)


Mme Hélène BOUVIER, chargée de recherche, UMR THALIM, (CNRS,
Université Paris 3, ENS), ARIAS
M. Jean-François DUSIGNE, professeur des universités, Université
Paris VIII — Vincennes — Saint-Denis (France)
M. Guy FREIXE, professeur des universités, Université de Franche-Comté
(France)
Mme Maria Thais LIMA SANTOS, professeur, Université de São Paulo
(Brésil)

2
Je dédie ce travail à mes parents,
Suelene Coelho et Francisco Cézar de Souza Ladeira
(in memoriam)

3
REMERCIEMENTS
Ce travail a bénéficié du soutien et de l’encouragement d’un certain nombre de
personnes que je tiens à remercier vivement :

Tout d’abord, Jean-François Dusigne, qui m’a ouvert les portes d’ARTA et qui a
accepté de reprendre cette recherche déjà en cours en toute générosité. Son calme,
son écoute attentive et ses orientations précieuses m’ont aidé à trouver le fils rouge
de ce travail.
Les artistes interviewés pour cette recherche : Ni Nyoman Candri, I Made
Bandem, I Ketut Kodi, I Made Djimat, Rucina Ballinger, Ana Teixeira, Stéphane
Brodt, Ivaldo Bertazzo, Felisberto Sabino, Eugenio Barba, Julia Varley, Roberta
Carreri, Lucia Bensasson et Ducio Bellugi-Vannuccini, qui ont partagé leurs
souvenirs de Bali de manière tellement généreuse. J’espère être à la hauteur de leur
confiance. Frédéric Tellier qui s’est rendu disponible à maintes reprises pour les
discussions autour du topeng.
Un remerciement spécial à Ni Nyoman Candri et sa famille, pour m’avoir accueilli
de manière si chaleureuse dans leur maison.
Je remercie profondément Cristina Wistari Formaggia, pour m’avoir présenté le
topeng et m’avoir accueilli à Bali.
Béatrice Picon-Vallin pour m’avoir dirigé au début de cette recherche et pour les
conseils apportés au long de cette période.
Fernando Antônio Mencarelli qui a été le codirecteur informel de cette recherche
à ses débuts et qui m’a toujours apporté de bons conseils.
Les professeurs de l’INALCO, ainsi que les collègues de la Licence en indonésien,
qui ont contribué énormément à ma compréhension de Bali et de l’Indonésie.
Michel Picard qui a généreusement apporté de précieux conseils au long de cette
thèse.
Deborah Gail Dunn qui s’est rendue disponible pour les échanges sur le topeng.
Arnaud Gueret, mon compagnon, qui a eu une écoute attentive et calme et qui a
réalisé une grande partie de la révision de ce texte. Merci, pour être à mes côtés
dans les moments les plus difficiles et aussi les plus heureux de ce parcours. Je
remercie infiniment toute la famille Gueret pour leur soutien, ainsi que toute ma
famille au Brésil.
Mes collègues de doctorat, Marcela Moura, Vanessa Monteiro, Leonel Martins,
Dorys Calvert, pour les discussions et le soutien mutuel. Je remercie en spécial Ana
Wegner et Rodrigo Scalari pour toute aide apporté dans les moments difficiles.
Mon spécial remerciement à Rafaella Uhiara, ma fidèle amie.
Mes amis balinais qui m’ont toujours invité aux cérémonies, à des diners et à des
discussions enrichissantes : I Wayan Bawa, I Made Cat, Kadek.
Merci à Melissa Van Drie pour la traduction en anglais du résumé, ainsi que pour
accepter être l’interprète d’I Made Bandem.
Un remerciement spécial à la Fondation CAPES du Ministère de l’Éducation
brésilien qui a financé une grande partie de cette recherche et les recherches de
terrain.

4
RÉSUMÉ

ENTRE MONDES : VOYAGES, RECITS ET ENTRELACEMENTS DE


PRATIQUES AUTOUR DU TOPENG BALINAIS

Le témoignage de quelques artistes balinais et non balinais est le point de départ


de cette recherche sur les pratiques du topeng balinais, ainsi que les enjeux
interculturels qui ont été soulevés à partir de ces expériences. Depuis la
colonisation néerlandaise, l’île de Bali est un lieu d’attraction qui exerce une
influence directe ou indirecte sur certains artistes européens et nord-américains.
Dans le milieu théâtral, cette influence a été plus fortement ressentie à partir du
récit-témoignage d’Antonin Artaud sur le théâtre balinais. Ce récit posera les bases
de la création d’une imagerie de Bali et de ses manifestations performatives. À
partir des années 1970, de nombreux artistes de théâtre voyagent à Bali pour
apprendre in loco ces manifestations artistiques, en particulier le topeng.
Inversement, des artistes balinais voyagent à l’étranger et s’établissent dans d’autres
pays. Pour les artistes non balinais, le voyage à Bali a provoqué des moments de
bouleversement divers. Ces moments ont été identifiés comme des instants de
perception directe de l’altérité. Cette recherche essayera de confronter les
apprentissages et les bouleversements des artistes balinais et non balinais pour
essayer de comprendre les différents rapports au masque et à l’apprentissage de la
danse. Pouvons-nous établir des lignes de transmission de ces pratiques ? Quels
rapports ces artistes étrangers ont entretenu avec le topeng, avec Bali et les Balinais
eux-mêmes ? Quelle est la perception de certains artistes balinais de ces étrangers ?
Les différents aspects de la notion de taksu, couramment traduite par « présence de
scène », seront approchés, pour essayer de comprendre les enjeux liés à ses
différentes formulations. Finalement, pour moi, le voyage à Bali a signifié une
transformation de ma cartographie personnelle, un changement de perspective
m’amenant ainsi à repenser ce binôme Orient-Occident, tant présent dans les
discussions concernant l’Asie.
Mots-clés : Bali, topeng, voyages, Antonin Artaud, récits, masque, pratiques
interculturelles

5
ABSTRACT
BETWEEN WORLDS : J O U R N E Y S , N A R R A T I V E S , A N D
INTERWEAVING PRACTICES SURROUNDING BALINESE TOPENG

Personal accounts of certain Balinese and non-Balinese artists are the point of
entry of this research conducted on practices of the Balinese topeng art form, as
well as the intercultural issues often emerging in such experiences. Since the
Dutch colonisation, the island of Bali has signified a place of attraction, which has
exercised direct and indirect influence on certain European and North American
artists. In the theatrical milieu, this influence has been most strongly felt from the
narrative-testimony of Antonin Artaud on Balinese theatre. Artaud’s narrative
would found the bases for the creation of a Balinese imaginary and its multiple
performative manifestations. Beginning in the 1970s, many theatre artists voyaged
to Bali to learn in loco about these different artistic manifestations, specifically
topeng. Inversely, certain Balinese artists would voyage abroad, establishing
themselves in other countries. For non-Balinese artists, the trip to Bali has
prompted different types of upheaval. Such disruptive moments have been
described as instances in which otherness is directly perceived. This research
addresses the learning processes and the upheavals of Balinese and non-Balinese
artists, attempting to understand the different links to the mask and to the
teaching and learning of dance. Can we establish the means in which these
practices are transmitted? What relations have foreign artists maintained with
topeng, with Bali, with the Balinese, themselves? How do certain Balinese artists
perceive foreigners? The different aspects of the notion taksu, frequently translated
as “stage presence” will be analysed to better comprehend the issues surrounding
its diverse formulations. Finally, engaging a personal viewpoint, my own voyage to
Bali signified a transformation of my cartography, a change of perspective that
permitted rethinking the binary East-West, which is so predominant in discussions
concerning Asia.
Key words : Bali, topeng, journey, Antonin Artaud, narratives, mask,
interculturel practices

6
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS 4

RÉSUMÉ 5

ABSTRACT 6

SOMMAIRE 7

INTRODUCTION 9

PARTIE 1 LES ARTISTES-VOYAGEURS, CRÉATEURS DE CARTOGRAPHIES 25

CHAPITRE I ITINÉRAIRES ET RENCONTRES: LES PREMIERS ARTISTES VOYAGEURS


D’EUROPE ET D’AMÉRIQUE DU NORD 26

CHAPITRE II AUTOUR DU TEXTE « SUR LE THÉÂTRE BALINAIS » : LES VESTIGES DE LA


RENCONTRE D’ANTONIN ARTAUD AVEC LA TROUPE BALINAISE 83

CHAPITRE III LA CARTOGRAPHIE DES ITINÉRAIRES : LES ARTISTES VOYAGEURS


INTERVIEWÉS 120

PARTIE 2 LES VOYAGES À BALI ET LES RENCONTRES 166

CHAPITRE IV LES CHOCS DES RENCONTRES : BOULEVERSEMENTS 167

CHAPITRE V POUR ESSAYER DE COMPRENDRE L’ÉNIGME TOPENG 188

CHAPITRE VI L’APPRENTISSAGE DU TOPENG : PERCEPTIONS 235

CROISÉES DU CORPS DE LA DANSE BALINAISE 235

CHAPITRE VII L’APPRENTISSAGE DU TOPENG : PERCEPTIONS CROISÉES DU MASQUE 282

CHAPITRE VIII TAKSU : DÉFINITIONS CROISÉES AUTOUR DE CETTE NOTION 296

CHAPITRE IX NOUVELLES CARTOGRAPHIES : LES TRACES, LES RÉMINISCENCES DE


L’EXPÉRIENCE DU VOYAGE 323

OUVERTURES CONCLUSIVES 340

BIBLIOGRAPHIE 347

BIBLIOGRAPHIE DE RÉFÉRENCE 358

TABLE DE MATIERES 391

ANNEXES 396

ANNEXE 1 LES ENTRETIENS 397

ANNEXE 2 RÉSUMÉ BIOGRAPHIQUE DES INTERVIEWÉS 579

ANNEXE 3 GLOSSAIRE 591

ANNEXE 4 TABLEAU COMPARATIF : 604


ANNEXE 5 VIDEOS 608

7
C’est une image qui convient à une traduction: la queue de la
comète suit de près l’original, et voilà qu’en un point
indéterminé, elle semble vouloir graviter seule, se détacher pour
se laisser capter par un astre différent, mais elle demeure toujours
tributaire du corps dont elle émane; la queue et la comète,
l’original et la traduction, le serpent qui se mord la queue, le
début et la fin d’un unique parcours...
Son regard quitta la statue et se posa sur moi; il ajoute sur un ton
plaisant, riant presque :
— Ou d’un unique dilemme.1

Je changeai de place, m’éloignai de lui, afin d’apercevoir son


visage; je le décrirais en détail, si la description ne faussait
toujours tout. Et puis, l’insaisissable ne peut être reproduit mais
doit être recréé (...)2

1
- É uma imagem possível para evocar uma tradução : a cauda do cometa seguindo de perto o cometa, e num
ponto impreciso da cauda, esta parece gravitar sozinha, desmembrar-se para ser atraída por outro astro, mas
sempre imantada ao corpo a que pertence; a cauda e o cometa, o original e a tradução, a extremidade que toca
a cabeça do corpo, inicio e fim de um mesmo percurso...
Desviou os olhos da estatua para mim e acrescentou num tom de brincadeira, quase rindo :
- Ou de um mesmo dilema. Milton Hatoum, Récit d’un certain Orient: roman, Paris, Editions
du Seuil, 1993, p. 163-164.
2
Eu me deslocava, me aproximava e me distanciava dele, com o intuito de visualizar o rosto; queria descrevê-
lo minuciosamente, mas descrever sempre falseia. Além disso o invisível não pode ser transcrito e sim
inventado. Ibidem, p. 156.

8
INTRODUCTION
Entre mondes
Une comédienne brésilienne qui s’intéresse au topeng balinais, à la suite d’une
expérience d’apprentissage avec une danseuse italienne, en France. C’est ainsi que
nous pourrions résumer l’événement déclencheur de cette présente recherche.
Mon premier contact avec le topeng balinais concentrait déjà les éléments d’une
rencontre culturellement entrelacée. Ce fut à ARTA, l’Association de Recherches
sur les Traditions de l’Acteur, à la Cartoucherie de Vincennes, que s’est déroulée
cette expérience. La pédagogue italienne Cristina Wistari Formaggia assurait son
deuxième stage de topeng seule dans cette maison qui l’avait accueillie à de
nombreuses reprises aux côtés d’I Made Djimat et de Ni Nyoman Candri. ARTA
avait été elle-même inauguré par un atelier de topeng, dispensé par I Made Djimat
et Cristina Wistari. Tous les territoires représentés par ces différentes personnes
furent réunis pendant ces journées d’apprentissage. La comédienne brésilienne,
maintenant chercheuse, qui vous présente ce travail, venait d’arriver en France,
grâce à une bourse du Programme Alban de l’Union européenne pour l’Amérique
latine. À l’époque, elle était désireuse d’approfondir le langage du masque théâtral
et c’est alors que l’atelier de topeng lui a ouvert des portes inattendues.

Mon premier contact avec un masque a eu lieu au début de la Licence en Théâtre


de l’Université Fédérale de Minas Gerais, dans le cadre de l’atelier d’Improvisation
I. Durant ce cours, j’avais travaillé sur des masques neutres, amplement employés
dans le domaine de la formation de l’acteur, comme outil pédagogique pour le
développement de la sensibilité et de l’expressivité du corps de celui-ci. À cette
occasion, cette rencontre ne m’avait pas spécialement marquée. Mon intérêt pour
le masque au théâtre est apparu bien plus tard, après d’autres expériences
professionnelles. En 2004 et 2005, j’étais comédienne au sein de la compagnie
Teatro da Figura, à Belo Horizonte, au Brésil, et je participais à la création du
spectacle « Jogo do Bicho » (Jeu des Animaux). Pendant cette période, nous nous
étions immergés dans une recherche pratique sur un jeu du comédien entrelaçant
le grotesque et l’espace urbain et humain du centre-ville de Belo Horizonte. Ce
spectacle était subventionné par la Mairie de Belo Horizonte et, à la fin de

9
l’année 2005, nous fûmes invités à en présenter la première en Colombie, à
l’occasion du « Festival de Teatro Callejero de Messitas del Colegio ». De plus,
parallèlement à ce processus, nous avons mené une réflexion afin de trouver quel
serait l’entraînement le plus adéquat pour l’acteur qui porte le masque, en nous
inspirant de certains éléments de la danse et de la théâtralité de la fête du cavalo-
marinho, qui a lieu à Pernambuco, État du Nord-est brésilien. Cette fête, mise en
scène à l’occasion des festivités de Noël et en hommage aux Rois Mages, comprend
de nombreux jeux de masques. Elle dure une nuit entière durant laquelle un
ensemble de masques (dont le nombre avoisine en principe les soixante-dix) est
mis en scène pour raconter l’histoire du Capitaine Marinho, qui donnait lui-même
une fête en hommage aux trois Rois Mages d’Orient. Alors, pendant toute la nuit,
on assiste à la succession des masques qui se présentent avec leurs danses et leurs
discours, et jouent en improvisant avec le public et le banco, un petit orchestre
d’instruments traditionnels. Nous nous sommes rendus à Pernambuco de
décembre 2004 à janvier 2005 pour réaliser des recherches pratiques avec les
« maîtres » de cette fête.

Cette expérience, conjuguée au savoir que j’avais retiré d’ateliers divers et de ma


pratique du jeu masqué et non masqué en tant que professeur du cours de Licence
de théâtre de l’Université Fédérale de Minas Gerais, m’amena à rechercher
d’autres travaux sur le jeu masqué en France et ailleurs. En 2006, afin
d’approfondir le langage du masque, je m’engageai dès mon arrivée à Paris dans
trois expériences de jeu masqué à ARTA : un atelier creuset de kyôgen appelé
« Beckett et le Kyôgen », dirigé par Ippei Shigeyama, Lucia Bensasson et Jean-
François Dusigne, l’atelier hebdomadaire « Jeu masqué : avec ou sans masque »
mené par Lucia Bensasson et deux ateliers de topeng, dirigés par Cristina Wistari
Formaggia. Au cours du premier semestre 2008, je me rendis à Bali pour creuser
cette recherche autour des masques balinais.

Le premier séjour
Si l’événement déclencheur de ce travail doctoral est ce premier atelier de topeng à
ARTA, ses questionnements fondamentaux tirent leur origine de ce premier

10
séjour à Bali, en 2008. À l’époque, je poursuivais une recherche de master 3 portant
sur la construction d’un personnage masqué avec les masques du topeng balinais.
Lors de ce séjour, j’ai été confrontée à la culture balinaise par la voie de
l’expérience directe et en passant par l’apprentissage d’une danse balinaise sous la
conduite de Cristina Wistari Formaggia. De plus, au cours de ce séjour, j’ai assisté
aux répétitions hebdomadaires de gambuh4 du Gambuh Desa Batuan Ensemble, de la
ville de Batuan. Outre le gambuh, cette troupe travaillait également à la réalisation
de deux pièces : une adaptation parodique de Hamlet, mise en scène par Cristina
Wistari Formaggia, renfermant quelques Bondres du topeng, et une adaptation de
Médée, mise en scène par Eugenio Barba. La première pièce faisait partie du
spectacle « Ur-Hamlet », également mis en scène par Eugenio Barba, et la seconde
fut représentée à Holstebro, en juin 2008. La mise en scène de « The Marriage of
Medea » mélangeait divers éléments de théâtre-dansé balinais tels que le gambuh, le
topeng, le legong et le wayang kulit.

Ce premier séjour à Bali fut marqué par des sentiments et des perceptions divers,
conflictuels. L’opportunité qui m’a été donnée d’avoir partiellement partagé mon
premier séjour avec Cristina Wistari m’amena inévitablement à observer ses
rapports avec les Balinais qu’elle côtoyait à ce moment-là, ainsi que les conflits au
sein desquels elle se trouvait. À l’époque, il était possible de percevoir clairement la
place marginale et fragile qu’elle occupait, ainsi que les tensions inhérentes au fait
d’être la kepala, autrement dit, la tête de la troupe Gambuh Desa Batuan Ensemble.
À travers ses commentaires et échanges, elle livrait également son point de vue et
ses opinions sur les Balinais et leur culture. Étant donné que le contexte dans
lequel elle se trouvait n’était nullement harmonieux, j’imagine que ses
commentaires étaient bien loin de refléter l’enchantement qu’elle avait éprouvé
pendant ses premières années à Bali. De plus, quelques mois après nos adieux à
Ubud, elle fut internée à Hostelbro et, quelques semaines plus tard, elle décédait à
Milan, sa ville natale. De ce fait, mon premier séjour m’avait fortement alertée sur
les tensions interculturelles susceptibles d’émerger lors d’une telle expérience

3
Cette recherche de master a reçu le soutien du Programme Alban, dispensant des bourses de haut
niveau pour l’Amérique latine, financé par la Banque Santander et l’Union européenne.
4

11
d’immersion au sein d’une autre culture. Ainsi, le fait d’avoir témoigné des
conflits de Cristina Wistari, me poussa à vouloir connaître l’expérience d’autres
artistes étrangers sur le terrain balinais.

La problématique centrale
La question de l’entrelacement culturel se pose inévitablement chez les praticiens
de la scène à l’occasion des expériences de création qui intègrent différentes
cultures. Cette recherche doctorale vise à analyser les relations entre les sujets dans
les pratiques artistiques théâtrales confrontées à la tradition balinaise. Elle envisage
une approche de la problématique des entrelacements culturels autour des danses
classiques balinaises, en particulier du topeng, au moyen de l’expérience théâtrale
de la chercheuse et de plusieurs artistes balinais, brésiliens, états-uniens et
européens5. Le corpus fondamental de cette recherche est constitué d’entretiens
menés auprès de Ni Nyoman Candri, d’I Made Bandem, d’I Ketut Kodi, d’I Made
Djimat et de Rucina Ballinger, à Bali ; d’Ana Teixeira, de Stéphane Brodt, d’Ivaldo
Bertazzo et de Felisberto Sabino, au Brésil ; d’Eugenio Barba, de Julia Varley et
Roberta Carreri, au Danemark et enfin, de Lucia Bensasson, Duccio Bellugi-
Vannuccini et Frédéric Tellier en France.

En tenant compte du corpus d’entretiens explicité ci-dessus, cette recherche essaye


de répondre à la question suivante : quels rapports établissent les praticiens de ces
territoires lors de leur confrontation au topeng et à Bali ? Dans un premier temps,
nous voulions identifier les itinéraires de voyage de ces praticiens pour tenter de
dessiner cette cartographie mouvante de déplacements et de rencontres. Il s’agit
également d’identifier les « ponts de transferts » qui sont créés lorsque ces artistes
se rencontrent et de comprendre les enjeux liés à ces transferts. Si la rencontre de
ces artistes brésiliens, états-uniens et européens fut initialement circonscrite dans le
cadre de l’apprentissage du topeng ou de l’observation de la danse balinaise, l’étape
suivante, à savoir, le voyage à Bali, a suscité d’autres rencontres, tout aussi
importantes que celle de l’apprentissage du topeng. L’environnement balinais a

5
Il est vrai qu’il s’agira ici de se rapprocher géographiquement d’une île, d’un pays et d’un
continent, en les traitant comme des unités territoriales uniformes et équivalentes. Les spécificités
de chacun de ces territoires seront mises en évidence tout au long de ce travail.

12
engendré chez eux des bouleversements qui, pour quelques-uns, ont
profondément modifié la manière dont ils concevaient le théâtre.

En outre, il parut nécessaire de situer ces itinéraires dans une perspective


historique plus vaste, car les déplacements initialement étudiés sont circonscrits au
champ théâtral. Les artistes interviewés dans cette recherche ont réalisé leurs
déplacements à Bali entre 1974, année du premier voyage d’Eugenio Barba et
2011, date de mon dernier voyage à Bali. Cependant, il exista également par le
passé des itinéraires d’artistes balinais, européens et nord-américains. La proximité
des enjeux suscités par cette génération antérieure avec ceux analysés dans ce
travail est telle que nous avons choisi de les approfondir. Cette première
génération avait joué un rôle important dans la création d’un imaginaire sur les
formes des spectacles balinais et sur l’île elle-même. Ainsi, il s’avère important de
comprendre la création de l’image de Bali dans le monde, profondément liée à la
colonisation néerlandaise et à l’incorporation ultérieure de l’île à la république
indonésienne.

Comme dans un jeu de miroir, les praticiens balinais ont été interrogés sur le
topeng, sur leur rapport avec les artistes-élèves étrangers ainsi que sur leurs
collaborations à l’étranger. Comprendre avec davantage de profondeur le contexte
balinais s’est également avéré crucial pour l’analyse de ces enjeux et transferts.
Pour finir, en tant que chercheuse, comédienne et apprentie du topeng, j’ai
également vécu les enjeux de l’apprentissage et fait l’expérience de l’étonnement
du voyage, ressentis qui seront analysés dans cette recherche. Ainsi, j’ai
continuellement navigué dans le double rôle d’observatrice et de sujet de la
recherche, en essayant de prendre la distance nécessaire pour analyser cette
problématique rhizomatique. Les aspects liés à l’usage des éléments du topeng ou
des manifestations balinaises en tant qu’éléments esthétiques appropriés à la mise
en scène de ces artistes seront certes évoqués, mais ne seront toutefois pas traités
en profondeur dans le cadre de ce travail.
L’étude critique des descriptions de Bali

13
Les Balinais les plus âgés font référence à l’époque antérieure à la colonisation
néerlandaise en employant l’expression degas guminé enteg qui signifie « le temps où
le monde était stable ». Initialement, les rapports entre les Balinais et les étrangers
européens et nord-américains étaient circonscrits à un contexte colonial. Après la
colonisation, Bali fut irrémédiablement placée dans une démarche économique
capitaliste, très centrée sur l’exploitation touristique, phénomène qualifié par
certains auteurs de « modernisation » de Bali. Les frictions entre une logique
qualifiée de « traditionnelle », terme renvoyant souvent à « ce qui est antérieur à la
colonisation » ou à « ce qui n’est pas mélangé », et une autre dite « moderne », qui
relèverait d’une influence « occidentale », sont très présentes lorsque l’on veut
décrire un aspect de la culture et de la société balinaise. Cependant, une telle
« modernisation » n’est pas un chemin à sens unique du centre colonisateur vers
ses périphéries. À l’inverse, les échanges sont multidirectionnels et ainsi, on
pourrait considérer les modernités comme multiples 6. Comme le démontre le cas
balinais, les échanges entre « artistes » vont toujours se faire lors de la rencontre. La
mondialisation récente et les développements technologiques n’ont eu de cesse
d’accélérer ce processus et de promouvoir d’autres territoires d’échange. De ce fait,
afin de problématiser ce qui est perçu comme étant de l’ordre du « traditionnel »,
comme le topeng, il est fondamental de connaître l’histoire de l’île. Par exemple, en
ce qui concerne les danses balinaises, parfois, ce qui est aujourd’hui considéré
comme « traditionnel » ne l’était pas il y a cinquante ans. Tel est le cas de la
version de la danse rejang dewa actuellement très répandue dans l’île. Dans
l’entrecroisement de pratiques, d’influences et d’assimilations présentes à Bali, le
binôme constitué par « l’indigène » et son possible opposé « le métropolitain » ne
serait pas forcément approprié :

« Indigène » continue de désigner ceux dont le savoir s’exprime à


l’aide de l’« orature » ou par des moyens visuels plutôt qu’à l’écrit,
et qui suivent les principes d’une « sagesse » plutôt que d’un
« savoir rationnel ». Alors que la globalisation prend de
l’ampleur, il devient difficile sinon impossible de séparer
l’« indigène » de son contraire, qu’on pourrait nommer le
« métropolitain ». C’est-à-dire qu’il est aussi probable de retrouver
des pratiques non écrites dans les œuvres d’artistes de New York,
6
Shmuel Noah Eisenstadt, Comparative civilizations and multiple modernities, Leiden : Boston, Brill,
2003, 488 p.

14
São Paulo, Tokyo… que dans les cultures « premières ». La notion
même de « premier » ou d’« indigène » s’est évaporée en même
temps que celles de « sauvage » et d’« état sauvage ». Tout a été
cartographié ; tout est visible via le GPS ; et ce qui survit à l’état
« sauvage » est en fait en zone protégée.7

De plus, il est vrai que l’utilisation du terme « indigène » ou de son synonyme


« sauvage » est due à l’histoire des colonisations européennes dans diverses parties
du globe. En outre, avoir une vision globale de l’histoire récente de Bali dans une
perspective critique, a exigé d’appréhender des contenus qui ne sont pas propres à
ma formation initiale, à savoir les études théâtrales. Réaliser un panorama
historique des images de Bali construites par des artistes et ethnologues étrangers
nécessite de disposer parallèlement de connaissances concernant le discours
anthropologique existant sur l’île et d’adopter une démarche critique à son égard.
Du fait que l’île était un terrain d’études privilégié, particulièrement au cours du
siècle dernier, les descriptions étrangères de Bali constituent une partie importante
du corpus du discours anthropologique lui-même. Alors, comprendre ce discours
anthropologique sur l’île s’est avéré être une tâche d’une grande complexité, car
comme explicité ci-dessus, j’ai suivi des études théâtrales et ne possédais pas de
formation préalable en histoire ou en anthropologie. Il n’a donc nullement été
question d’effectuer ici une étude ethnologique, ni anthropologique à propos de
Bali et des Balinais. Ainsi, c’est à partir de ce point d’énonciation qu’ont été
analysées les données recueillies par le biais des entretiens, de l’observation de
terrain, des voyages, des diverses pratiques théâtrales, de la pratique de la danse, de
la lecture et de la réflexion sur des livres et articles.

Nous avons évité d’établir des rapports entre certains aspects de la scène et de la
religiosité balinaises, et d’autres contextes dans le monde. À plusieurs reprises, telle
ou telle caractéristique balinaise pouvait en évoquer une autre, liée à une forme
religieuse brésilienne ou à un type de spectacle. Ainsi, même s’il aurait été possible
de tracer des analogies entre ces formes si diverses, ce type d’exercice a été évité.
Des analogies pourraient, semble-t-il, être établies au moyen d’une étude plus
approfondie du contexte brésilien, ce qui n’est pas le cas dans ce travail.
7
Richard Schechner « Les « points de contact » entre anthropologie et performance
»,
Communications, Seuil, Paris, vol. 92 / 1, avril 2013, p. 129.

15
De ce fait, dans le premier chapitre de ce travail, Itinéraires et rencontres : Les
premiers artistes-voyageurs d’Europe et d’Amérique du Nord, il s’agira d’examiner ces
discours tout en essayant de les contextualiser historiquement. On tentera de faire
une sorte d’anthologie critique des récits portant sur Bali, en accordant une
attention particulière aux plus populaires d’entre eux. Les récits divers, littéraires
ou oraux, les photographies et les registres audiovisuels vont s’enchevêtrer dans la
création d’une imagerie balinaise qui, par conséquent, s’entremêle avec celle de
l’Asie et « de l’Orient ». Les discours scientifiques et fictionnels contribuent
grandement à la construction de narrations consacrées à Bali. Le fait qu’ils aient
été réalisés par une majorité de non-Balinais, nous a fait comprendre qu’il
s’agissait de discours portant sur un Autre et un Ailleurs. Dans ce premier
chapitre, cet Autre est représenté par les Balinais et l’Ailleurs est multiple : la
danse balinaise, Bali, l’Asie, « l’Orient », entre autres fantasmes et rêves.

Dans l’élaboration du récit-mémoire individuel des praticiens interviewés, les récits


des autres voyageurs et observateurs qui ont écrit sur Bali exercent leur influence.
Ces écrits sont pris en compte consciemment ou inconsciemment. Le cas des
textes d’Antonin Artaud est l’exemple le plus flagrant pour les praticiens de
théâtre s’intéressant à Bali. Il sera procédé à une investigation de ces récits, ainsi
que des enjeux de la venue des praticiens balinais à Paris dans le deuxième
chapitre intitulé Autour du texte Sur le Théâtre Balinais : les vestiges de la rencontre
d’Antonin Artaud avec la troupe balinaise. Il s’agit du premier voyage des praticiens
balinais à l’étranger. Il instaure aussi, en quelque sorte, le grand flux de praticiens
balinais en situation de voyage.

Le voyage
Pour de nombreux praticiens voyageurs, le premier voyage à Bali représentait une
sorte de voyage initiatique comportant des découvertes et des apprentissages qui
allaient les marquer à jamais. D’autres, comme Ariane Mnouchkine ou Eugenio
Barba, avaient déjà réalisé un grand voyage initiatique auparavant. Entre 1963 et
1964, Ariane Mnouchkine avait fait un grand périple en Asie et en 1963, Eugenio

16
Barba avait effectué son premier voyage d’études en Inde. Lors de ces voyages, ils
firent tous deux une rencontre fondatrice, Eugenio Barba avec le kathakali et
Ariane Mnouchikine avec le kabuki au Japon. De même, les artistes étrangers
interviewés ont parcouru l’Asie en faisant de leurs périples une sorte de voyage de
découverte. Ainsi, le troisième chapitre, La cartographie des itinéraires des artistes
voyageurs interviewés, représentera une tentative pour cerner le premier contact que
ces artistes avaient eu avec Bali et les rapports qu’ils ont entretenus avec l’île par la
suite.

Il semble que ces voyages contemporains peuvent être un héritage des Grands
Tours du XIXe siècle, durant lesquels des aristocrates européens voyageaient à
travers les régions les plus lointaines d’Europe. En allant de maître en maître, en
visitant des pays distants et en observant les coutumes locales, ces jeunes
aristocrates s’octroyaient un parcours initiatique, dans l’intention de faire un
apprentissage du monde :

L’enquête n’est pas seulement le recueil de données, la phase


empirique d’une démarche scientifique. Elle est toujours aussi
formation par l’expérience et les expériences qu’elle suscite.
Initiation et formation, au monde et au métier. La construction
qualitative des matériaux de l’enquête est d’abord un
déplacement dans l’espace social. Un changement de place, donc
de point de vue. Ces voyages dans l’espace géographique et dans
l’espace social, sont porteurs par eux-mêmes d’effets de
connaissance sur les modes de vie, les valeurs, la diversité du
monde, et par là remettent chacun à sa place.8

Dans cette recherche, les voyages de ces praticiens sont considérés comme un outil
de formation et de compréhension du monde. Ils constituèrent également des
déclencheurs de changement de la cartographie personnelle de chacun, en les
obligeant à redéfinir leur place dans le monde. L’expérience du voyage fut ainsi
appréhendée comme une connaissance du monde qui oscillait continuellement
entre la subjectivité du voyageur et l’objectivé des lieux et événements vécus. Ce
mouvement évoque le caractère instable et mobile de l’action consistant à voyager.

8
Pinçon Michel, Pinçon-Charlot Monique, « Conclusion. L’enquête, voyage initiatique », Voyage
en grande bourgeoisie, Paris, Presses Universitaires de France , «Quadrige», 2005, p.175-176
URL : www.cairn.info/voyage-en-grande-bourgeoisie--9782130554202-page-175.htm.

17
Ce n’est pas une coïncidence si les images de voyages produites par des praticiens
en situation « entre » étaient souvent liées à l’imagerie du flottement, suggérée par
les « îles flottantes » proposées par Eugenio Barba, ou « l’acteur flottant » évoqué
par Yoshi Oida.

Les récits
C’est la fonction fabulatrice qui est à la racine de notre identité
personnelle : nous sommes ce que nous racontons. (...) nous
disposons d’une mémoire spécialisée dans le récit, la mémoire
épisodique, qui garde les traces d’événements particuliers, situés
dans le temps et l’espace.9

L’expérience en salle d’apprentissage, lors de voyages et de rencontres, constitue


l’événement moteur de cette recherche dotée d’une particularité : il s’agit d’une
expérience racontée. Ainsi, il a été demandé aux praticiens invités de retracer leur
expérience du topeng et leurs voyages à Bali. Ils ont généreusement répondu aux
questions. Ces dernières ont essayé de tirer doucement le fil ténu de la mémoire,
pour exploiter, de manière plus ou moins approfondie, les moments réels
d’expérience. À l’image du conteur chez Walter Benjamin, ils ont raconté ce qu’ils
avaient vécu dans un Ailleurs, tout en réalisant une articulation personnelle entre
la chronologie, la description du temps, et la topographie, la description des lieux
et territoires.

Alors, dans les conditions de cette recherche, le récit est tributaire du réel, car il
tente de tenir compte de l’expérience du voyage et de la pratique du topeng. Il se
veut également une mimèsis de la réalité vécue, en ayant un effet de réel.
D’ailleurs, en sciences humaines, la description joue un rôle décisif dans la
création de cet effet de réel, et s’avère indispensable à la légitimation de la thèse du
chercheur. Cependant, pour en revenir aux récits de cette recherche, ils sont en
quelque sorte des otages de la mémoire et de la perception du réel propre au sujet,
car c’est à partir de celles-ci que la narration fragmentée de l’entretien se façonne
délicatement. De ce fait, en prenant les questionnements de la chercheuse pour

9
Jean Molino et Raphaël Lafhail-Molino, Homo fabulator : théorie et analyse du récit, Montréal,
Leméac, 2003, p. 48.

18
point de départ, les artistes ont essayé de tisser les mémoires de voyages et de
pratiques. Bruno Latour a défini l’exégèse comme la mère des sciences, puisque le
travail scientifique essayerait de mettre ensemble des traces hétérogènes. Ainsi,
selon lui, toutes les sciences seraient tributaires de l’interprétation du chercheur,
réalisée à partir de l’interprétation de traces. En quelque sorte, ces entretiens ont
été menés afin d’examiner ces traces de la mémoire, ces réminiscences de
l’expérience de ces artistes avec la danse balinaise et leurs voyages à Bali.

Cependant, est-ce que lors de leurs voyages ces artistes auraient eu une imagerie
préconçue de Bali ? Le discours scientifique et le discours fictionnel pèsent-ils
différemment dans la création de cette imagerie ? Par imagerie, l’on entend un
ensemble d’images, de figures, de métaphores, regroupées autour d’un contexte
quelconque. Cet ensemble peut être constamment transformé et resignifié par sa
commercialisation et son assimilation. Ainsi, dans le quatrième chapitre, Les chocs
des rencontres : bouleversements, c’est cette question qui sera traitée. L’hypothèse
émise est que le sentiment de bouleversement, évoqué par certains praticiens,
serait en réalité l’indice d’un contact sans filtre avec une réalité quelconque.
Ensuite, le chapitre suivant : Pour essayer de comprendre le topeng, représentera un
effort de compréhension du topeng balinais, à l’aide des entretiens réalisés à Bali et
des ouvrages disponibles concernant ce sujet. Le topeng balinais sera examiné en
tant qu’événement complexe, puisqu’à partir de son étude il est possible de saisir
certains aspects de la société balinaise.

La situation limitrophe des récits oraux recueillis en vue de cette recherche.


Lors des entretiens, les artistes ont été invités à exposer leurs expériences à Bali,
dans une démarche proche du récit oral de voyage. Ces récits ont émané
d’observations objectives sur le topeng et l’environnement balinais, mais ils étaient
également imprégnés de subjectivité et modelés à partir de la mémoire de chaque
artiste. Alors, dans l’objectif de cette recherche transdisciplinaire, sous quel prisme
analyser ces récits ? S’agit-il de porter sur ces témoignages un regard
anthropologique, d’analyse littéraire, ou même postcolonial ?

19
Interculturalité, transculturalité, cross-cultural, m u lt ic u lt u r al i t é o u
entrelacement de cultures ?
Il semble désormais important de se pencher sur certains concepts liés à
l’interaction de cultures dans le champ théâtral. Premièrement, pour essayer de
définir le transculturel, il est possible de prendre l’exemple des pratiques du
Centre International de Recherches théâtrales, le CIRT, dirigé par Peter Brook,
qualifié par Patrice Pavis de « transculturel mystique »10:

Les acteurs ne représentent ni leur culture d’origine ni un


contexte qu’il s’agit d’identifier pour situer la fable. La
multiplicité des allusions culturelles prémunit de toute lecture
unilatérale, dégage un substrat commun, universalise les conflits
et rapports humains.11

Ainsi, d’après Patrice Pavis, le transculturel dans le champ théâtral serait la quête
d’une transcendance des cultures pour atteindre une culture universelle, dans une
tentative pour retrouver une « culture indéfinissable ». On peut donc relever
l’existence d’une équivalence entre la transculturalité et le concept d’archétype
chez Carl Gustav Jung. Il convient tout d’abord de se demander s’il est possible de
chercher une « universalité » à travers des processus de créations menés par un
metteur en scène anglais, pourvu de son propre background culturel, et d’une
certaine vision du monde et des cultures. Il convient alors de se demander si la
question de l’universalité de la transculturalité n’est pas déjà fausse, car il s’agit
d’une universalité guidée par une vision locale. Le concept de cross-cultural
(pourrait-il être traduit par « culturalité croisée » ?) est présenté comme le lieu de
non-négation des cultures existantes, sous la présence de ces influences et de ces
fragments, dans le cadre d’une performance particulière. Ainsi, ces traits culturels
seraient maintenus distinguables, lisibles, sans constituer une nouvelle forme
métisse, ou créole12, comme Ian Watson préfère la désigner. Ces multiples
influences seraient gérées par un centre qui fait la médiation du discours final et

10
Patrice Pavis, Vers une théorie de la pratique théâtrale: voix et images de la scène, 4e édition revue et
augmentée, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2007, (« Perspectives »),
p. 240.
11
Ibidem, p. 243.
12
L’emploi du mot « créole » est une référence au phénomène de la créolisation décrit par Édouard
Glissant.

20
qui serait au cœur de cette transaction. Les spectacles d’Ariane Mnouchkine,
notamment le cycle des Shakespeare, sont des exemples de ce que Watson nomme
cross-culturel.

La notion de multiculturalisme est amplement discutée dans l’ouvrage de Richard


Schecnner, By the Means of Performance. L’idée de multiculturalisme serait très
proche de l’exemple urbain des grandes villes, où différentes communautés se
regroupent en quartiers, les uns créant des rapports avec les autres, de manière
plus ou moins harmonieuse, tout en conservant leurs contours. En définitive,
l’interculturalisme serait la pratique créolisée, l’union d’influences diverses qui
créerait une nouvelle forme, une néocréation. Finalement, c’est la notion
d’entrelacement culturel (interweaving cultures) qui sera abordée dans ce travail.
Après avoir approché la question de l’interculturalité, Erika Fischer-Lichte a
travaillé la notion d’entrelacement culturel pour penser les rapports des praticiens
de théâtre dans ce contexte de modernités multiples :

Comme ces termes ne sont pas encore chargés d’un certain


bagage historique, nous avons pensé à les présenter pour observer
toutes ces formes nouvelles et différentes d’interaction et de
coopération dans la performance. Nous ne nous intéressons pas
uniquement aux productions qui utilisent des éléments d’ici ou
de là, mais également aux collaborations ayant lieu dans le plus
grand monde du théâtre — et aussi à celles dans une culture et
dans ses diversités internes.13

C’est l’évocation du caractère multidirectionnel des pratiques artistiques qui


conduit à s’approcher de la notion d’entrelacements culturels, puisqu’elle
implique la perception d’une construction collective de la tessiture des pratiques
par les échanges et rencontres entre praticiens et non une création autocentrée et
unidirectionnelle. Les catégories explicitées ici sont pensées dans le cadre de

13
As these terms are not already loaded with a certain historical baggage, we thought, let’s introduce them in
order to look at all these new and different kinds of interaction and cooperation in performance. We do not
only concern ourselves with productions which use elements from here or there, but also with the collaborations
taking place in the larger world of theatre – also those within a culture through its internal diversities.
(Traduction libre) Erika Fischer et Rustom Bharucha-« Dialogue: Erika Fischer-Lichte and Rustom
Bharucha », Textures – Online Platform for Interweaving Performance Cultures, Freie Universität
Berlin, Août 6, 2011, p. 5.

21
l’analyse sémiologique des spectacles. Lors des pratiques d’apprentissage et
d’entraînement, ces concepts devraient être resignifiés, puisque les frontières et les
zones de contacts entre les praticiens sont autres, favorisent d’autres enjeux de
perméabilité. Ce que l’on observe est une absorption sélective et sur différents
niveaux : de la forme extérieure à sa compréhension interne, au niveau musculaire
et articulaire. Tout cela dans le mouvement dans lequel cette forme s’insère.

Perméabilité
Cela vient de la perméabilité, des échanges. Après tout, les
échanges, c’est vouloir recevoir. C’est recevoir. Si on a un gros
imperméable bien fermé, bien français, il n’y aura pas d’échange,
même s’il y a dix ateliers par semaine !14

Les images constamment évoquées par les artistes lors de ces expériences dans un
autre contexte culturel renvoient aux métaphores circonscrites dans le champ
sémantique de l’absorption, de l’eau. Le praticien et surtout le praticien voyageur
sont perçus comme une « éponge », comme le décrit Ariane Mnouchkine,
lorsqu’elle évoque son premier voyage en Asie : « Enfin, on pourrait dire je n’ai pas
du tout voyagé comme une chercheuse mais comme une éponge. » 15 Ainsi, nous
avons choisi d’adopter le terme « perméabilité » afin de désigner la capacité
d’assimilation plus ou moins prononcée du praticien face à une pratique autre et
nouvelle. Ainsi, la perméabilité des praticiens étrangers et balinais sera analysée
dans les deux chapitres consacrés à l’apprentissage du topeng : L’apprentissage du
topeng : perceptions croisées du corps de la danse balinaise et L’apprentissage du topeng :
perceptions croisées du masque. Le sixième chapitre sera centré sur la problématisation
du terme balinais taksu, fréquemment traduit par « présence de scène ». Ce terme
est associé à une définition complexe à Bali. Il est possible de constater que les
praticiens étrangers ont tendance à faire usage de ce vocable en favorisant un
aspect lié à leur travail personnel. L’usage qu’en fait Eugenio Barba sera étudié
avec une attention particulière. Il s’agit ici d’analyser les complexités liées à la

14
Ariane Mnouchkine a employé ce terme pour faire référence à la vie de la troupe. Josette Féral,
Dresser un monument à l’éphémère : rencontres avec Ariane Mnouchkine, Nouv. éd. revue et corrigée,
Paris, Ed.Théatrales, 2001, p. 71.
15
org. Catherine Naugrette, Jean-François Dusigne et Ariane Mnouchkine, « La célébration de
l’instant : Conversation », in Les Voyages ou l’ailleurs du théâtre, Hommage à Georges Banu, Belgique,
Bruxelles, Alternatives théâtrales, 2013, p. 36.

22
traduction de termes, en particulier de ceux qualifiés d’« intraduisibles ». Pour
finir, il s’agira d’examiner les transformations cartographiques que l’expérience du
voyage à Bali a pu occasionner chez les praticiens interviewés et chez la chercheuse
elle-même. C’est surtout lors de ce premier voyage à Bali qu’a eu lieu une
confrontation persistante entre ce que j’avais lu auparavant et ce lieu qui ne me
semblait pas tellement exotique. Bali a été un troisième lieu qui m’a permis de
nuancer d’une autre manière la place que j’occupe, en tant que Brésilienne, au
sein du monde, autrement dit, que je percevais une certaine contradiction de mon
point d’énonciation, qui me semblait brésilien à l’époque. Dans le dernier
chapitre, Nouvelles cartographies : Les traces, les réminiscences et de l’expérience du voyage,
l’idée d’Orient et d’Occident sera pensée à travers l’analyse de ces bouleversements
cartographiques.

Le travail sur les données primaires : les entretiens


Le noyau central de cette recherche est l’ensemble des entretiens menés à Bali, en
Indonésie, à Paris, en France, à Hostelbro, au Danemark et à Sao Paulo et Rio de
Janeiro, au Brésil, entre 2011 et 2013. Dans un premier temps, un travail de
transcription a été réalisé avec plus ou moins de difficultés, puisque les textes
sources étaient en français, portugais, anglais et indonésien. Ensuite, un long
travail de traduction a été entrepris. Les entretiens en indonésien ont été
retranscrits et retraduits après notre travail, respectivement par Hanny Wishnuardi
et Suci Erina Suburi, cette dernière étant chargée de cours à l’INALCO, Institut
National des Langues et Civilisations Orientales. J’ai décidé d’opérer ainsi, car
l’indonésien est encore une langue dont je n’ai pas la maîtrise.

C’est l’option de mettre en évidence les discours des praticiens interviewés qui a
été choisie, pour éviter à plusieurs reprises la paraphrase. Cela correspond
également au désir de rapporter au premier plan leurs voix. Dans ce travail, on se
permettra d’écrire à la première personne lorsqu’il s’agira d’évoquer des
événements ou un ressenti personnels.

23
Pour les recherches de ce travail, un voyage de recherche de champ à Bali a été
réalisé d’une durée totale de trois mois, en 2011. L’année suivante, c’est à
Hostelbro, au Danemark, qu’ont été effectuées des recherches dans les archives de
l’Odin Teatret, en particulier dans les fonds Cristina Wistari. Pendant les
années 2010 et 2012, nous avons également suivi les cours de la Licence
d’indonésien à l’INALCO, en tant qu’étudiante et auditrice libre. En septembre
2014, à la Bibliothèque de la SOAS — School of Oriental and African Studies de
l’Université de Londres, ont été consultés quelques ouvrages inaccessibles en
France. Enfin, des recherches ont été également réalisées dans les fonds de la
Bibliothèque Nationale de France, de la BULAC — Bibliothèque universitaire des
langues et civilisations, de la Maison de l’Asie, ainsi que dans les Bibliothèques du
Musée Guimet et du Quai Branly.

24
PARTIE 1
LES ARTISTES-VOYAGEURS, CRÉATEURS DE
CARTOGRAPHIES

25
CHAPITRE I
ITINÉRAIRES ET RENCONTRES:
LES PREMIERS ARTISTES VOYAGEURS D’EUROPE
ET
D’AMÉRIQUE DU NORD

26
1. Introduction : de sauvages à artistes, l’évolution du portrait et des
récits sur les Balinais
Avant de nous concentrer sur les itinéraires et sur l’expérience des artistes
interviewés pour cette recherche, il semble fondamental d’examiner
historiquement la constitution d’une certaine imagerie de Bali et de ses arts
spectaculaires. Le foisonnement d’images et de sentiments que l’île suscite a en
effet été progressivement construit par les témoignages des étrangers, spécialement
européens et américains16, tout au long de ces 400 années d’histoire partagée.
Entre administrateurs coloniaux, anthropologues et artistes, ces étrangers ont
produit des documents qui ont fait rayonner l’île autour du monde et ont
influencé les artistes interviewés directement ou indirectement. Il est fondamental
de préciser que cette recherche se concentre sur les étrangers européens et
américains.

La définition de ce panorama historique permet d’accompagner la mutation du


portrait de l’île en fonction du rapport économique et social que ces étrangers
vont entretenir avec Bali et les Balinais. Il permet également de comprendre les
configurations des rencontres entretenues entre étrangers et Balinais au fil de ces
années. À partir de là, sera tracée une carte historique des flux et des déplacements
afin de saisir les routes de transmissions et les ponts de transferts. Cette démarche
clarifie les dynamiques des voyages et des transmissions, les influences et les idées
reçues. Les situer historiquement, permettra de mieux comprendre la dynamique
et le flux de ces rencontres et surtout l’imaginaire de fond que l’île a engendrés au
fil des temps.

L’histoire de Bali, de même que celle des autres îles de l’archipel indonésien, a été
marquée par le colonialisme néerlandais. Progressivement et surtout au début du
XXe siècle, la politique colonialiste a favorisé l’ouverture de l’île au tourisme, ce
qui a engendré des changements irréversibles dans ses structures sociétaires et
économiques. Finalement, ce bref recul historique met en évidence à quel point

16
Pour désigner les habitants des États-Unis d’Amérique, l’on emploiera le terme États-uniens et
États-uniennes ; pour les habitants du continent américain dans son ensemble, le terme Américains
et Américaines.

27
les artistes en voyage furent responsables de la propagation de visions, d’analyses et
même de préjugés sur la culture qu’ils côtoyaient.

Si l’on considère l’histoire de Bali, il semble que deux évènements cruciaux ont
joué un rôle dans l’ouverture de l’île aux étrangers : la colonisation néerlandaise et
son incorporation à la République indonésienne. Le premier a précisément fondé
ses actions d’exploitation de l’île sur le tourisme élitiste, ouvrant l’île au
capitalisme. Quant au second, il a intensifié le projet de transformation de l’île
pour qu’elle devienne le centre touristique de l’archipel. C’est dans cet arrière-plan
historique, que les différents touristes et artistes-visiteurs furent accueillis à Bali et
que de nombreux artistes balinais allèrent se produire à l’étranger.

2. Les premières rencontres

Beaucoup de choses ont été oubliées sur l’image que Bali renvoie
au monde. Les premiers écrivains européens l’ont autrefois vue
comme pleine de menaces, une île de vols et de meurtres,
symbolisée par l’épée onduleuse du monde malais, le kris. Bien
que l’image du vingtième siècle de l’île comme un paradis
luxuriant vienne des écrits précédents sur Bali, ceux-ci ont été
sélectivement mentionnés, quand ils n’ont pas contredit l’idée de
l’île d’Éden. Les propos négatifs globaux des écrits occidentaux
précédents sur Bali ont été rejetés.17

Selon les sources disponibles, les Portugais auraient été les premiers Européens à
arriver à Bali, au début du XVIe siècle, à l’époque des grandes navigations. Ils
avaient probablement effectué quelques incursions dans l’île, sans grande
répercussion et sans prêter beaucoup d’attention à Bali. À l’époque, leur intérêt se
concentrait sur le commerce des épices, qu’ils pratiquèrent d’abord à Malacca et
postérieurement aux Moluques. Il est également possible que l’explorateur et le
corsaire Francis Drake et Thomas Cavendish soient passés par cette île. Lors de
leur expédition, Fernand de Magellan et son équipage avaient aperçu une île,

17
There is much that has been forgotten in the world’s image of Bali. Early European writes once saw it as
full of menace, an island of theft and murder, symbolized by the wavy dagger of the Malay world, the kris.
Although the twentieth-century image of the island as a lush paradise drew on the earlier writings about Bali,
these were only selectively referred to, when they did not contradict the idea of the island of Eden. The overall
negative intent of the earlier western writings about Bali has been discarded. (Traduction libre) Adrian
Vickers, Bali: a paradise created, Tokyo; Rutland, Vt., Tuttle Publishing, 2012, p. 26.

28
qu’ils appelèrent « Java Minor »18. Or il est possible de vérifier que Bali avait figuré
sur les premières cartes portugaises et espagnoles de la région sous les noms de
Bally, Bole, Bale, et parfois « Java Minor ».

19

En haut à droite, les illustrations évoquent possiblement Borobodur et un temple balinais.


Sur cette carte, Bali est représentée à l’envers.

Datant de 1609, le récit inaugural 20 du navigateur hollandais Cornelis de


Houtman présente une brève et première description de cette île, désormais

18
Willard Anderson Hanna, Bali chronicles: fascinating people and events in Balinese history, Singapore,
Periplus Editions, 2004, p. 37.
19
L’île de Bali représentée sur une carte de la version française de l’ouvrage d’Houtman. Willem
Lodewijcksz, Premier livre de l’histoire de la navigation aux Indes Orientales, par les Hollandais: et des
choses à eux advenues ensemble les conditions, les meurs, & manières de vivres des nations, par eux abordées
Plus les monnoyes, espices, drogues, & Marchandises, & le pris d’icelles Davantage les decouvremnes &
apparence, situations, & costes maritimes des contrees le tour par plusieurs figures illustre ..., Amsterdam,
Cornille Nicolas, 1609.
20
On a consulté l’ouvrage traduit en français, datant de 1609. Il semble qu’il s’agisse d’une
traduction raccourcie de l’original, car des anecdotes diverses, présentées dans l’ouvrage de Willard
A. Hanna, n’y figurent pas. L’une d’entre elles, présentée par Willard A. Hanna, concernant la
rencontre des navigateurs de Cornelis de Houtman et du Portugais Pedro de Noronha, s’avère
intéressante. Ce dernier fut l’un des survivants du naufrage d’un navire envoyé par le
gouvernement de Malacca (le siège portugais dans l’archipel) à Bali, en 1585. Le Dewa Agung invita
les survivants à rejoindre le royaume à son service, en leur offrant des maisons et des femmes, mais
en leur interdisant de retourner à Malacca. Quelques années plus tard, lors d’un entretien avec
Houtman, Pedro de Noronha demanda des nouvelles du Portugal et affirma qu’il était maintenant
assez content de vivre à Bali avec sa femme et ses deux enfants.

29
désignée dans ce registre sous le nom de Bali. Dans le chapitre Description de l’île de
Bali, les habitants de l’île sont initialement décrits en ces termes :

L’île de Bali est située a l’Est de la grande Isle de Java. (...) Ils ont
un Roy, qui commande impérieusement fur toute l’île. Ils sont
Payens, adorant ce qui vient le matin premier à l’encontre. Ils
sont vêtus comme ceux de Java, & des îles circonvoisines. 21

Avant d’arriver à Bali, l’équipée de Cornelis de Houtman (1595-1597), avait


précédemment fait face à de nombreux problèmes tout au long du voyage. En
arrivant sur l’île, le navigateur semblait enchanté par celle-ci qu’il nomma Jonck
Hollandt, ou Jeune Hollande. Cornelis de Houtman partit en excursion dans l’île
accompagné, entre autres, d’Arnouldt Lintgens, capitaine de l’un des navires et de
Jan, « le Portugais », un esclave métis qui faisait office de traducteur. Parmi les
rencontres entre les navigateurs et les Balinais, l’une en particulier a fait l’objet de
toute notre attention. Il s’agit d’une leçon de géographie demandée par le Dewa
Agung aux présents :

Le Dewa Agung a immédiatement appelé Lintgens pour recevoir


une leçon sur la géographie mondiale et ce dernier était heureux
de lui rendre service. La leçon a commencé par les îles de l’Asie
du Sud-Est et le Dewa Agung a exprimé sa déception en
constatant que Bali « était si petite ». Ensuite, ce fut le moment
de l’Empire « du Grand Turc », qui l’a énormément
impressionné. Et puis, finalement, le continent européen. Il a
exigé de Lintgens une explication très détaillée des Pays-Bas et du
port d’Amsterdam et ensuite le parcours par lequel l’expédition
avait voyagé jusqu’à l’Est. Questionné par le Dewa Agung sur qui
était le plus grand, la Chine ou la Hollande, Lintgens a répondu
en traçant les frontières des Pays-Bas si imaginatives qu’elles
incluaient la Scandinavie, l’Autriche et une partie généreuse de la
Russie Impériale.22

21
Willem Lodewijcksz, op. cit. p. 49.
22
The Dewa Agung called at once for a lesson in world geography, and Lintgens was happy to oblige. The
lesson started with the islands of Southeast Asia, the Dewa Agung expressing great disappointment to find that
Bali “showed so small”. Next came the Empire of the “Great Turk”, which mightily impressed him. Finally
came the European continent, Lintgens being required very clearly to explain about the Netherlands and the
port of Amsterdam and then the route by which the expedition had travelled to the East. Upon being queried
by the Dewa Agung which was the larger, China or Holland, Lintgens replied by tracing boundaries of the
Netherlands so imaginative as to include Scandinavia, Austria, and generous portion of Imperial Russia .
(Traduction libre) Willard Anderson Hanna, op. cit., p. 39.

30
Le monde inconnu décrit par le Néerlandais suscita un fort intérêt chez le roi
balinais, de même que l’exagération d’Arnouldt Lintgens au sujet de la taille de
son pays. Le Dewa Agung était également curieux des coutumes européennes et
spécialement du système de justice et de punition des assassins et voleurs. Quant
aux Néerlandais, leur attention se porta tout particulièrement sur les costumes
religieux. Un intérêt spécial fut accordé à la scène des veuves accompagnant leurs
défunts maris à la crémation, pour ensuite se jeter elles-mêmes dans le feu. Cette
coutume, connue sous le nom de sati23, serait par la suite utilisée pour prouver la
prétendue sauvagerie des Balinais. La sati allait être également considérée comme
la coutume la plus aberrante des Balinais, selon les témoignages des voyageurs
suivants.

24

Une illustration représentant la sati à Bali dans l’ouvrage de Cornelis de Houtman.

23
Il est très probable que les commentaires sur la sati soient exagérés. Ce sujet est clarifié par la
note suivante de Adrian Vickers : Although, as Van der Kraan reghtly points out, these cases were not
alawys the sacrifice of widows, they have become know as “widow sacrifice” in most of the literature, and I
have retained as a translation of the two Balinese terms mabela (self-stabbing as an act of loyalty to the
death), and masatia (throwing oneself into the funeral pyre as a act of loyalty). Van der Kran confuses these
two terms. Linda Connor and Mary Ida Bagus have carried out subsequent research on the various accounts
and oral history that shows that, more often than not, low-ranking servants and concubines were the ones who
died. Adrian Vickers, op. cit., p. 30.
24
Willem Lodewijcksz, op. cit. p. 51.

31
Dans l’ensemble de l’ouvrage, une place importante est réservée à la description
des matières potentiellement commercialisables, ainsi qu’aux éléments de la nature
comme les plantes et les animaux. La description des Balinais se restreint aux
commentaires sur leur religion et la richesse des rajas, les rois balinais.

D’autres rencontres espacées allaient succéder à l’expédition de Cornelis de


Houtman, mais sans toutefois engendrer d’alliance effective entre les Néerlandais
et les Balinais. La présence portugaise25 dans l’archipel allait être graduellement
remplacée par celle de la Compagnie des Indes Orientales, la VOC 26. L’île ne
disposant pas d’épices, la VOC ne s’intéressera pas beaucoup à Bali jusqu’à la fin
du XIXe siècle. Le commerce avec l’île était essentiellement basé sur le trafic
d’esclaves : pratique courante depuis le Xe siècle dans la région. La création de
Batavia, ainsi que de liaisons commerciales qui ont été fondées par la suite, fit
considérablement augmenter le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants
balinais et non balinais négociés par les rajas27. Ainsi, la nouvelle demande
d’esclaves dans l’archipel a stimulé la quête de ce type de travailleurs par les rajas
balinais et par conséquent engendré des guerres entre royaumes.

La succession de rébellions d’esclaves balinais, réputés pour devenir amuk28, et


plusieurs désaccords et mésententes avec les rajas allaient changer progressivement
l’image de Bali. Les rajas passèrent pour des despotes décadents, craints pour leur
pouvoir guerrier et connus pour leur luxe démesuré. Les Balinais allaient acquérir
25
Les Néerlandais profitèrent de l’attention que les Portugais portaient à leurs autres découvertes
en Amérique pour progresser en termes de conquête dans les îles de l’archipel. Le texte Itinerario de
Huygen van Linschoten aborde ce thème. Publié à Amsterdam en 1596, ce texte ouvrait les
chemins maritimes de l’océan Indien aux Européens. Il offre des informations économiques et
nautiques au sujet de l’océan, ainsi qu’une description des comptoirs d’épices et des cultures non
chrétiennes. La décadence du gouvernement portugais à Goa y est évoquée, de même que la
faiblesse de leur contrôle sur Bantam, postérieurement rebaptisée Batavia par les Néerlandais.
D’après la carte de l’archipel fournie dans cet ouvrage, une petite île est dessinée à côté de Java,
sous le nom de Java Minor, ce qui laisse supposer qu’il s’agit de Bali. Arun Saldanha, « The
Itineraries of Geography: Jan Huygen van Linschoten’s “Itinerario” and Dutch Expeditions to the
Indian Ocean, 1594–1602 », Annals of the Association of American Geographers, vol. 101 / 1, janvier
2011, Malden, États-Unis, p. 149-177.
26
La Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, la Vereenigde Oost-Indische Compagnie ou VOC,
était l’entreprise la plus puissante au monde entre les XVIIe et XVIIIe siècles.
27
Adrian Vickers, op. cit., p. 33.
28
Mot indonésien souvent traduit par: colère, folie furieuse. in Pierre Labrousse et Farida
Soemargono, Dictionnaire général indonésien-français, Paris, Association Archipel, 1984, (« Cahiers
d’Archipel », 15), p. 25.

32
une réputation de peuple violent, certainement due aux révoltes d’esclaves
balinais. De plus, la sati, le sacrifice de veuves, était une coutume continuellement
citée, comme une preuve évidente de la sauvagerie de ce peuple. Toujours en
1799, Dirk van Hogendorp décrivait les Balinais comme « farouches, sauvages,
fourbes et belliqueux »29, bien loin de l’image d’artistes en profonde harmonie avec
la nature qu’ils auraient postérieurement.

3. La courte présence britannique : Bali en tant que musée vivant de


Java
En conséquence des guerres napoléoniennes, les Indes orientales néerlandaises
furent occupées par les Britanniques, sous l’administration de Thomas Stamford
Raffles30, entre 1810 et 1916. Pendant cette période, deux récits fondateurs pour
l’analyse européenne de Bali furent écrits : The History of Java, de Raffles et History
of Indian Archipelago, de John Crawfurd31.

Ces ouvrages et leurs auteurs contribuèrent à faciliter la compréhension du


contexte de l’ethnologie de l’époque et ses reflets dans la politique colonialiste qui
allait postérieurement être mise en place à Bali. Thomas Stamford Raffles publia
en 1817 les deux volumes de son The History of Java, dans lesquels il défendait la
thèse de l’ancienneté de l’héritage hindou à Java. Bali et Lombok étaient jugées
comme des appendices de Java. Ainsi, Bali commença à être considérée comme un

29
Hogendorp, Drik van apud Jean-François Guermonprez, « La religion balinaise dans le miroir de
l’hindouisme », Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient, Paris, vol. 88 / 1, 2001, p. 271-293.
30
Thomas S. Raffles est né dans un navire en 1781. À l’âge de 14 ans il entra à l’ East India
Company et étudia diverses langues ainsi que les sciences naturelles. Dix ans plus tard, il devint
assistant du gouverneur de Penang (dans l’actuelle Malaisie). Après le recul britannique de
l’archipel malais, il partit vers le nord de l’archipel et fonda le port de Singapour. De retour à
Londres, il consacra la fin de sa vie aux études orientalistes.
31
John Crawfurd était un orientaliste écossais, philologue et sanskritiste, employé par l’East India
Company. Formé en médecine, il fut affecté pendant cinq ans en Inde (1803-1808). En 1808, on le
transféra à Penang, dans l’archipel malais, où naquit son intérêt pour la langue malaise. En 1811,
avec l’invasion britannique, il décrocha un poste important au sein de l’administration. En 1820, il
participa à des missions diplomatiques en Thaïlande et au Vietnam. En 1823, il remplaça Thomas
S. Raffles dans la fondation de Singapour. De retour au Royaume-Uni, dans les années 1830,
Crawfurd se consacra aux études et écrits orientalistes. Il s’essaya, sans succès, à une carrière
politique au Parlement. Ses textes et communications racistes ne sont pas cités dans les
bibliographies fournies par l’Encyclopédie Britannique, ni sur Wikipedia, ni même dans les textes
de Michel Picard, Jean-François de Guermonprez, Adrian Vickers ou Willard A. Hanna.

33
« musée vivant » de l’ancienne Java et l’un des derniers refuges de
l’« hindouisme »32 dans l’archipel :

Le caractère le plus intéressant des Balians provient du cadre de


leur gouvernement, leur code et leurs lois et le système de leur
religion. J’ai, dans une partie de ce travail, particulièrement
décrit, et à d’autres reprises relaté, les traces d’Hindouisme sur
Java ; et si ces traces n’ont pas été trouvées et manifestées chez
eux, leur interprétation a été manifestée par ce qui arrive à Bali. 33

Dans cet ouvrage figure un premier et seul commentaire concernant les arts
balinais : « Dans les arts, ils sont considérablement derrière les Javanais, même s’ils
semblent capables de les surpasser rapidement » 34. Da ns History of Indian
Archipelago, de John Crawfurd, un chapitre est entièrement consacré à la religion
de Bali et de même que dans le récit de Thomas S. Raffles, cette dernière est
continuellement décrite comme hindouiste. Se rapprochant de l’analyse de Raffles
sur le contexte balinais, mais en l’étudiant plus en profondeur, John Crawfurd a
lui aussi soutenu que la religion balinaise était un vestige de la religion de Java et
l’île comme son musée vivant. Il décrivait également les danses et les performances
dramatiques de l’archipel, sans faire de mention spéciale à Bali et en soulignant les
formes javanaises :

L’amour de la danse, dans une variété de formes, est une des


passions de prédilection des Indiens insulaires. En effet, c’est en
quelque sorte plus qu’un divertissement, se mélangeant souvent
avec les affaires les plus sérieuses de la vie. La danse, comme ils la
pratiquent, n’est pas un art, ni comme il existe parmi les sauvages
d’Amérique, ni parmi les Hindous et les Mahometans d’Inde
Occidentale. Comme ces derniers, ils ont des femmes dédiées à
la danse, qui se produisent sur commande; mais, comme les
premiers, ils dansent eux-mêmes de temps en temps dans des

32
Selon Jean Gelman Taylor, ce serait les marins indiens présents dans l’expédition de Thomas S.
Raffles qui auraient identifié ces traces hindouistes à Bali. Cette thèse a été formulée pour la
première fois dans son ouvrage : Jean Gelman Taylor, Indonesia: peoples and histories, New Haven
London, Yale University Press, 2003. 443p.
33
But the most interesting character of the Bàlians arises out of the frame of their government, the code of
their laws, and the system of their religion. I have, in one part of this work, particularly described, and in
others repeatedly alluded to, the traces of Hinduism on Java; and if these traces had not been decided and
manifest in themselves, their interpretation would have been rendered manifest by what occurs in Bali .
(Traduction libre) Thomas Stamford Raffles, The History of Java, p. ccxxxv
34
In the arts they are considerably behind the Javans, though they seem capable of advancing rapidly.
(Traduction libre) Ibidem. p.ccxxxiii

34
cortèges publics et à des occasions plus sérieuses. La danse fait
partie des solennités.35

Si The History of Java concentrait sa description sur la grande île de l’archipel, ce


même ouvrage allait cependant consacrer une annexe à Bali et à Lombok. À son
tour, History of Indian Archipelago s’intéressait à certaines coutumes et mœurs des
habitants de tout l’archipel, accordant une place importante à celles des Balinais.

Le récit de John Crawfurd ratifiait les descriptions de Raffles en y ajoutant


davantage de précisions et en développant une classification des êtres, ou « races »,
rencontrés dans l’archipel. Le discours de Crawfurd, dans History of Indian Archipel,
faisait de l’homme de l’île de Java, et par conséquent de Bali, un être supérieur, car
les Balinais étaient considérés comme une race témoignant de qui étaient les
Javanais avant l’islamisation, l’Islam apparaissant comme le facteur ayant conduit
ces derniers à la décadence.
John Crawfurd, par exemple, décrivait en détail l’aspect physique des races de
l’archipel afin de mesurer celle la plus développée36 :

Toutes les facultés de leurs esprits sont dans un état


comparativement faible; leur mémoire n’est ni fidèle, ni fiable;
leur imagination dévergondée et enfantine; et leur raison, plus
défectueuse que le reste quand appliquée sur n’importe quel
sujet au-dessus de la pensée la plus commune, est généralement
fausse et erronée. Aucun homme ne peut dire son propre âge ni
la date de n’importe quelle transaction remarquable dans
l’histoire de sa tribu ou de son pays. [...] La faiblesse de leur
raison et la lubricité de leur imagination les rend crédules et
superstitieux dans un étonnant degré.37
35
The love of dancing, in a variety of shapes, is a favourite passion of the Indian islanders. It is somewhat
more, indeed, than an amusement, often mingling itself with the more serious business of life. Dancing, as
practised by them, is neither the art, as it exists among the savages of America, nor among the Hindus and
Mahomedans of Western India. Like the latter, they have professed dancing women, who exhibit for hire; but,
like the former, they occasionally dance themselves, and in public processions, and even more serious occasions,
dancing forms a portion of the solemnities. (Traduction libre) John Crawfurd, History of the Indian
Archipelago Containing an Account of the Manners, Arts, Languages, Religions, Institutions, and Commerce
of its Inhabitants, Edinburgh, Archibald Constable and Co., [etc.], 1820, p. 121.
36
Selon Ter Ellingson, c’est à John Crawfurd que l’on doit entre autres la résurgence du mythe du
bon sauvage de Rousseau, en tant que manoeuvre idéologique : The myth and the attribution of it to
Rousseau was reintroduced by a racist faction in the Ethnological Society of London as part of a coup which
aimed to divert the society from its anti-racist, pro-human rights roots (...)
http://www.theguardian.com/world/2001/apr/15/socialsciences.highereducation
37
All the faculties of their minds are in a state of comparative feebleness; their memories are treacherous and
uncertain; their imaginations wanton and childish; and their reason, more defective than the rest, when exerted

35
38

La représentation d’un Balinais (à droite) et d’un habitant de Papua (à gauche).

À plusieurs reprises, des remarques comme celle-là sont faites dans l’ouvrage. Déjà
dans ce récit, les observations les plus élogieuses portent sur leurs capacités plus
liées aux arts, l’imitation et la musique :

on any subject above the most vulgar train of thought, commonly erroneous and mistaken. No man can tell his
own age, nor the date of any remarkable transaction in the history of his tribe or country. (...) The weakness of
their reason, and the pruriency of their imagination, make them to a wonderful degree credulous and
superstitious. (Traduction libre) John Crawfurd, op. cit., p. 46.
38
Thomas Stamford Raffles, op. cit.

36
Ils possèdent deux qualités dans un degré qui devance de loin
leurs autres pouvoirs. – En commun avec tous les semi-barbares,
ils sont de bons imitateurs; mais à cet égard ils ne sont pas à la
hauteur des Hindous. Ils dépassent ceux-ci, et, je crois, tous les
autres semi-barbares, dans leur deuxième qualité: leur capacité
pour la musique. Ils ont des oreilles d’une délicatesse
remarquable pour des sons musicaux et sont aisément éduqués à
jouer, sur n’importe quel instrument, les airs les plus difficiles et
complexes.39

Dans d’autres articles, écrits postérieurement, Crawfurd affirmait la supériorité des


civilisations de Java, Bali et Lombok en comparaison avec d’autres populations de
l’archipel, qu’il assimilait à des barbares :

Dans cet Archipel, partout où il y a des plaines sans forêt avec un


sol fertile, on trouvera toujours une civilisation très respectable;
et partout où la terre est couverte d’une forêt dense, nous
sommes certains de rencontrer une certaine barbarie. Bien
qu’exactement la même race habite d’autres endroits, Java et les
deux petites îles immédiatement à l’est de celle-ci appartiennent à
la première classe d’îles. (...) Les trois îles contiennent environ
douze millions d’habitants civilisés, dans la possession des arts
utiles et d’une langue écrite, inventée dans l’île principale, depuis
des temps immémoriaux.40

Les œuvres de Thomas S. Raffles et de John Crawfurd 41 ont posé les jalons d’une
manière de regarder et d’analyser Bali et l’archipel malais. Leurs analyses ne se
limitaient pas seulement à la vision colonialiste et orientaliste britannique
caractéristique de l’époque. Elles exposaient la nature du regard du colonisateur

39
Two qualities they possess in a degree which far outstrips their other powers. - In common with all
semibarbarians, they are good imitators; but in this respect they fall short of the Hindus. They exceed these,
however, and, I believe, all other semibarbarians, in the second quality, their capacity for music. They have
ears of remarkable delicacy for musical sounds, and are readily taught to play, upon any instrument, the most
difficult and complex airs. (Traduction libre) John Crawfurd, op. cit., p. 47.
40
In this Archipelago, wherever there are plains forest-free with a fertile soil, there will always be found a very
respectable civilisation; and wherever the land is covered with a dense forest, we are certain to encounter a
certain barbarism. Although exactly the same race inhabits others localities, Java, and the two small islands
immediately to the east of it, belong to the first class of islands. (...) The three islands contain between them
about twelve millions of civilized inhabitants, immemorially in possession of the useful arts and of a written
language, invented in the principal island. (Traduction libre) John Crawfurd« On the Conditions
Which Favour, Retard, or Obstruct the Early Civilization of Man », Transactions of the Ethnological
Society of London, 1 janvier 1861, p. 168.
41
John Crawfurd a présenté son ouvrage History of Indian Archipelago comme le résultat d’une
résidence de neuf ans sur l’archipel malais. Après avoir rejoint l’équipe médicale du Prince de
Wales, il fut envoyé à Java en 1811.

37
sur les peuples soumis42. Thomas S. Raffles, et surtout John Crawfurd, allaient être
considérés par la suite comme des ethnologues. Ce dernier en particulier ferait une
carrière d’ethnologue et orientaliste en Angleterre. En effet, la plupart des
premiers ethnologues étaient des fonctionnaires des métropoles qui, parallèlement
aux tâches administratives, se consacraient à l’observation des peuples colonisés.
Dans les articles qu’il écrivit par la suite, John Crawfurd se dédia à l’étude
ethnologique des peuples de l’archipel, mais également des Portugais et Espagnols,
par exemple. Au fil de ses articles, les habitants de l’archipel allaient être comparés,
mesurés et classifiés entre eux.

Ces écrits ultérieurs de John Crawfurd sont également un exemple des théories
racistes43 courantes dans le milieu anthropologique de l’époque. Son article On the
Malayan Race of Man and Its Prehistoric Career, lui aussi consacré à l’exploration de
l’archipel malais44, analysait la race de l’homme malais tout en affirmant la
supériorité de la race européenne face à ces peuples. Crawfurd a également produit
de nombreux écrits ethnologiques portant sur la théorie de la race aryenne ou
indo-germanique, sur la classification des races des hommes à partir de la mesure
et du format du crâne, entre autres. Dans son texte On the Conditions Which
Favour, Retard, or Obstruct the Early Civilization of Man , il affirmait, d’un point de
vue scientifique, l’excellence et la supériorité de la race de l’homme blanc
européen sur les autres « races » du monde, et parmi les Européens, la supériorité
des Britanniques. Ainsi, le facteur le plus déterminant du progrès d’une
civilisation serait alors d’après lui la race :

42
Dans History of Indian Archipelago, le discours de John Crawfurd allait épisodiquement faire des
remarques sur le « regard », les « conceptions » et même certaines actions des Néerlandais vis-à-vis
des peuples de l’archipel, en particulier des Javanais. Dans leur majorité, ces considérations avaient
une tournure dépréciative, dubitative du jugement des Néerlandais envers ces peuples colonisés.
Un tel mouvement discursif semble vouloir désavouer les anciens conquérants pour peut-être
légitimer leur propre présence dans l’archipel.
43
En tant qu’exemple de la pensée de Crawfurd sur les races du monde, l’extrait suivant s’avère
intéressant : The Negroes of Africa are in physical strength nearly equal to Europeans, et least equal to
chinese, and far superior to Hindus; but in intelectual endowment - and hence in civilisation - they are far
beloweven the last of these. John Crawfurd, « On the Conditions Which Favour, Retard, or Obstruct
the Early Civilization of Man »... op.cit p. 160.
44
John Crawfurd, « On the Malayan Race of Man and Its Prehistoric Career » in Transactions of the
Ethnological Society of London, 7, 1 janvier 1869, p. 119-133.

38
Dès lors, la notion de race va être rigidifiée, au moment où se
produit le pire de la colonisation. Pendant toute cette ère, le
classement des êtres humains devient un enjeu capital,
particulièrement dans le monde occidental, avec pour objectif de
justifier ce qu’on inflige aux autres. Aussi oubliera-t-on alors les
intuitions remarquables de Helder qui, à la fin du XVIIIe siècle,
écrivait : « Il n’y a ni quatre, ni cinq races humaines ; les
populations forment une nappe continue dont les ombres
s’étendent sur tous les temps et tous les continents. » (...) Du
temps de Darwin et de Haeckel, on lisait beaucoup les récits de
voyageurs, et ceux-ci laissaient dans le vague les relations entre le
monde et le monde animal. Certains récits fantastiques parlaient
d’hommes à queue, les orangs-outangs étaient présentés comme
des hommes des bois (ce qui est conforme à l’étymologie de leur
nom malais). On n’hésitait pas à présenter des soi-disant hybrides
de grands singes et hommes. Autant dire que la notion n’était
pas encore bien comprise, quoique Buffon ait proposé, depuis
longtemps, de la clarifier par le critère d’interstérilité entre les
espèces. Comment a-t-on abouti à cette confusion ?45

Dans ces écrits, le métissage et l’hybridité des races sont considérés comme des
processus qui entraîneraient la dégénérescence des peuples, des religions et des
cultures, raison et facteur de l’infériorité de certaines races et civilisations. Ces
ouvrages ont-ils influencé postérieurement les orientalistes intéressés par Bali ? Il
nous semble probable que cette direction épistémologique ait pu donner une
caution anthropologique et scientifique pour la démarche ultérieure de
préservation de la pureté de la culture balinaise, considérée comme supérieure à
d’autres de l’archipel.

Selon eux, la race javanaise, et, par conséquent, celle balinaise, occupaient une
position de supériorité au sein de l’archipel. Cet aspect, très présent dans leurs
écrits, met en évidence le rapport que certains ethnologues orientalistes de
l’époque entretenaient lors de la rencontre avec l’Autre.

45
Une introduction aux sciences de la culture, éds. François Rastier et Simon Bouquet, 1ère éd, Paris,
Presses universitaires de France, 2002, (« Formes sémiotiques »), p. 40. Nous partageons la thèse
d’André Langaney selon laquelle les êtres humains seraient une espèce et le concept de race, en
tant que sous-espèce, ne pourrait être appliqué. Dans son texte Enjeux pluridisciplinaires des théories de
l’hominisation, le microbiologiste explique brièvement comment le concept de race et également les
hypothèses sur la genèse de l’humanité sont extrêmement conditionnés à l’époque et au contexte
culturel des scientifiques, sans oublier les enjeux économiques et géopolitiques du milieu
académique.

39
4. Sur les débuts de l’anthropologie sur le terrain balinais
Depuis ses origines, la pensée anthropologique 46 s’est emparée de l’analyse des
notions de culture et d’ethnie. En tant que science de l’homme, et surtout plus
fréquemment identifiée à l’étude des peuples colonisés, l’anthropologie a influencé
la pensée politique des différentes époques depuis ses prémices. En outre, comme
on l’a vu auparavant, les premiers ethnologues étaient notamment des
fonctionnaires des métropoles coloniales. En tant que science humaine, fille des
Lumières et du colonialisme, les débuts de l’anthropologie et ses rapports étroits
avec le système colonial ont souvent été omis :

Au cours des premières décennies de son existence,


l’anthropologie avait mis en valeur l’idée de progrès, tant
matériel que moral, qui avait marqué l’évolution de l’humanité,
des sociétés inférieures aux sociétés supérieures dont la Grande-
Bretagne représentait le pinacle. Volens nolens, l’anthropologie
vantait l’avènement de la science et des techniques qui devait
résoudre les problèmes de l’humanité et faire accéder tous les
hommes à la civilisation, en éliminant son obscurantisme. 47

En effet, les registres de voyages concernant l’île de Bali nous intéressent, en


particulier les études anthropologiques qui occupent une place centrale. Il existe
des registres européens sur l’Inde et la Chine, par exemple, ce même depuis
l’Antiquité, en passant par les registres de Marco Polo, des missionnaires jésuites
lors de la période des grandes navigations. À l’inverse, Bali allait commencer à être
brièvement décrite et analysée par des voyageurs européens grâce aux rapports de
Thomas S. Raffles et John Crawfurd et ce plus intensément après l’effective
colonisation néerlandaise, presque un siècle plus tard.

La courte présence britannique dans l’archipel et les œuvres qui ont été produites
allaient changer la perspective des registres européens sur Bali et la religion
balinaise. Ce point de vue allait être spécialement repris par les études
néerlandaises. Ce fut après ce séjour britannique que l’administration néerlandaise

46
Bien qu’il s’agisse d’une thèse partagée par nombre d’anthropologues, nous faisons ici référence
au livre de Jean-Loup Amselle, Logiques métisses: anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Paris,
Payot, coll.« Bibliotheque scientifique Payot », 1990. 257 p.
47
Robert Deliège, « Des catégories coloniales à l’indigénisme. Heurs et malheurs d’un parcours
ethnologique », L’Homme, 187/188, 1 juillet 2008, p. 424.

40
commença à prêter attention à Bali, en établissant comme principe de colonisation
la préservation de la religion et de la culture de cette île. Postérieurement, celle-ci,
qui jusqu’alors ne présentait pas le moindre intérêt commercial, connut une
nouvelle forme d’exploitation commerciale : le tourisme.

5. La colonisation néerlandaise tardive de Bali : domination sous


imposition et violence
En 1816, les Néerlandais reconquirent l’archipel. Graduellement, leur intérêt et
leur présence augmentèrent à Bali, puisqu’ils visaient l’expansion de l’Empire
colonial. Divers conflits entre les intérêts néerlandais et ceux des rajas balinais
allaient servir de prétexte à des interventions armées au nord de Bali, d’abord par
le port de la ville de Singaraja. Après trois guerres et la mort de nombreux Balinais,
les Néerlandais prirent le contrôle du nord en destituant les rajas des royaumes48
de Bulélèng et de Jembrana, zone de l’île qui fut annexée aux Indes Néerlandaises
en 1850.

48
Un royaume était appelé negara, qui signifie également, état, nation en balinais et en indonésien.

41
49

La carte de Bali de l’artiste néerlandais Nieuwenkamp.

Pour essayer de maintenir leur pouvoir et une « relative autonomie », les rajas des
royaumes de Karangasen, Gianyar et Bangli se soumirent progressivement aux
Néerlandais. Afin de soumettre les derniers royaumes, l’armée coloniale allait faire
preuve de violence et férocité. La résistance balinaise fut à la hauteur, et se
manifesta sous la forme de trois puputan. Puput signifie « finir » et dans ce contexte,
le puputan renvoyait à la lutte rituelle menée jusqu’à la mort. Un premier puputan
eut lieu lors d’une première vague d’interventions de l’armée néerlandaise à
Bulèleng en 1846 et fut ainsi représenté par Le Petit Journal parisien :

49
Gregor Krause, Karl With et Walter E. J. Tips, Bali: people and art, Bangkok, White Lotus Press,
2000, p.119.

42
50

Cette illustration parue au Le Petit Journal. Supplément du dimanche évoque le puputan de Buleleng.

Cette image théâtralise le puputan balinais, tout en créant une aura héroïque
autour du raja, représenté en haut. La notice qui accompagne l’illustration ainsi
que le petit recueil, donnent un aperçu des idées relatives à Bali qui étaient en
vogue à ce moment-là. Il est à noter que même la dénomination Petite Java y est
présente.

50
Le Petit journal. Supplément du dimanche, [s.n.] (Paris), 1884, p. 328.

43
51

L’article du Le Petit Journal sur Bali et le puputan de Buleleng.

Quelques années plus tard, une première investiture armée vers le royaume de
Bandung allait être justifiée par les conflits générés par le non-respect par
l’administration néerlandaise des droits traditionnels balinais de récupération des
épaves naufragées. Contrairement aux lois néerlandaises, dans la coutume
balinaise, le contenu d’une épave naufragée sur la côte de l’île appartenait
légitimement aux Balinais. En 1904, un bateau chinois s’échoua sur la plage de

51
Ibidem, p. 322.

44
Sanur et fut pillé. Recevant le soutien des rajas de Tabanan et Klungkung, le raja
de Bandung refusa de payer les dédommagements exigés par les Néerlandais52.

En 1906, les forces armées néerlandaises commencèrent leur offensive contre les
deux maisons royales de Bandung53. Face à la défaite imminente, les deux maisons
s’unirent et, au cours de la nuit précédant l’attaque, célébrèrent des rites funéraires
finaux, avant même de se donner la mort. Le lendemain, vêtus de costumes
cérémoniaux blancs, portant leurs kriss54, les rajas, leurs femmes et enfants, la cour
et les prêtres marchèrent directement sur l’armée. Ils accomplirent le puputan 55: ils
se donnèrent la mort au moyen de leurs propres kriss ou en marchant droit sur
l’armée néerlandaise qui ne cessait de tirer. Après cette exécution en masse, le
palais fut pillé et détruit. L’une des rares photos de cet événement montre la masse
de corps sans vie sur le sol, devant l’armée néerlandaise :

52
Cet épisode est très couramment évoqué lors des présentations de topeng.
53
Dans son article A Puputan Tale: The Story of a Pregnant Woman, Helen Creese présenta et
commenta une série d’articles parus dans le quotidien Bali Post en 1977, lors des commémorations
de la date des puputan, sous le titre de The Story of a Pregnant Women (Cerita Seorang Wanita Hamil
Muda) . Helen Creese, « A Puputan Tale: “The Story of a Pregnant Woman” » , Indonesia, octobre
2006, p. 137. I Made Bandem a écrit et mis en scène une pièce de théâtre : The Conquest of Bali,
narrant ces événements avec les personnages communs au répertoire balinais, tels Punta et Kartala.
Stephen Phillip Policoff, I Made Bandem, Fredrik Eugene De Boer. The conquest of Bali : a spectacle.
Hartanto Art Books, Denpasar, Bali, 1996, 50 p.
54
Les kriss sont des épées traditionnelles et ont une forme ondulée. Elles font encore partie des
costumes des personnages masculins dans les formes scéniques balinaises.
55
Les ouvrages de référence concernant cet épisode sont : Vicki Baum, Sang et Volupté à Bali, L e s
Éditions du Sonneur,(Traduit de l’allemand par Maurice Bet), 2014, 464 p. et Willard A
Hanna, Bali profile : people, events, circumstances (1001-1976), New York, American Universities Field
Staff, 1976, 140 p.

45
56

Une des rares photos du puputan de Badung, en 1906.

En 1908, un deuxième puputan eut lieu à Klungkung, également suivi d’un pillage
néerlandais. Klungkung, la plus prestigieuse maison royale de Bali, avait la
réputation de commander les autres. Elle symbolisait le dernier bastion de l’ordre
précolonial balinais et son anéantissement marqua la fin de l’indépendance
balinaise et de la dynastie de Majapahit, et l’asservissement de l’ensemble de l’île à
la domination coloniale. Ces événements allaient marquer profondément les
habitants de l’île, de même que l’expansion néerlandaise dans l’archipel :

Loin d’être un événement isolé ou fortuit, la conquête de Bali


s’est effectuée dans un contexte d’expansion territoriale qui, à
partir de la consolidation du pouvoir hollandais à Java, a vu la
transformation de ce qui n’était jusqu’alors qu’une entreprise
commerciale (représentée par l’action de la VOC) en un projet
d’exploitation économique nécessitant l’imposition d’une
domination politique. La mise en œuvre de ce projet impliquait
la soumission des régions demeurées sous l’autorité des
souverains indigènes et le renforcement de l’administration
coloniale, ce qui a conduit vers 1910 à la formation d’un
véritable empire des Indes néerlandaises.57

56
Stephen Policoff, op. cit., p. 53.
57
Michel Picard, « La polémique entre Surya Kanta (1925-1927) et Bali Adnjana ( 1924-1930) ou
comment être balinais à l’ère du progrès », In: Archipel, vol. 58/3, 1999, L’horizon nousantarien.
Mélanges en hommage à Denys Lombard (Volume III) p. 5.

46
Jusqu’à ce moment-là, les échanges commerciaux avec Bali s’étaient faits
principalement par l’intermédiaire de l’initiative privée. La conquête de Bali était
synonyme de soumission de l’île à un gouvernement extérieur, situation qui
perdurerait après l’indépendance.

a. La « politique éthique » néerlandaise: etische koloniale politie

L a Politique éthique, adoptée par l’administration coloniale des


Indes Néerlandaises comme ligne directrice au début du
vingtième siècle, n’avait pas pour seul but l’élévation et le
développement de la société « autochtone » : elle allait de pair
avec des expéditions militaires à grande échelle. La mission
néerlandaise d’apporter « la civilisation moderne » à l’archipel a
été basée sur l’idée que « l’élévation » de la population pourrait
seulement être réalisée en établissant un contrôle colonial ferme.
Donc, « le fardeau de l’homme blanc » néerlandais, ou mission
civilisatrice, était dans de grandes parties de l’archipel
accompagnée par une violence intimidante, créant un régime de
crainte qui a résonné dans la mémoire locale pour les années à
venir.58

Dans cette perspective néocoloniale, le gouvernement appliquait déjà à Bali depuis


1901 une « Politique Éthique » qui visait à établir une mission civilisatrice pour
abolir l’esclavage et tout ordre contraire à celui de la métropole. Cette politique
éthique avait également pour objectif de mettre fin à toutes les pratiques
considérées comme aberrantes telles que la sati, coutume consistant pour les
veuves à se donner la mort pendant les crémations, à plusieurs reprises décrite par
les visiteurs extérieurs européens, comme nous l’avons vu auparavant.

L’avènement de la photographie a accompagné la conquête néerlandaise. Ainsi, les


moyens de communication étaient plus rapides et les nouvelles de la violence
meurtrière de la conquête n’allaient pas tarder à porter largement préjudice à
58
The Ethical Policy, which the colonial administration in the Netherlands Indies adopted as a guideline at
the beginning of the twentieth century, was not only aimed at uplifting and developing ‘native’ society: it went
hand in hand with large-scale military expeditions. The Dutch mission to bring ‘modern civilisation’ to the
archipelago was based on the idea that the ‘uplifting’ of the population could only be achieved by establishing
firm colonial control. Therefore, the Dutch ‘white man’s burden’, or mission civilisatrice, was in large parts of
the archipelago accompanied by intimidating violence, creating a regime of fear that resonated in local memory
for years to come. (Traduction libre) Henk Schulte Nordholt, « Modernity and cultural citizenship in
the Netherlands Indies: An illustrated hypothesis » , Journal of Southeast Asian Studies, Singapure,
vol. 42 / 03, octobre 2011, p. 435.

47
l’image de cette politique coloniale. Après la mauvaise publicité en Europe des
deux dernières attaques à Bandung et à Klungkung, les Néerlandais décidèrent de
remanier leur politique à Bali. Pour ce faire, ils l’orientèrent vers la construction
de l’image d’une métropole soucieuse de la préservation de la culture balinaise.

b. La colonisation néerlandaise : le renversement politique et social


de Bali
L’introduction et l’instauration de cette politique éthique et de la nouvelle
administration coloniale allaient engendrer une large transformation de la société
balinaise. À Bali, cette politique se voulait éclairée et centrée sur la préservation de
la culture, en essayant de la protéger des influences extérieures. En concordance
avec cette politique, le développement du tourisme apparaissait comme la solution
économique la plus appropriée pour l’exploitation commerciale de l’île. Dans un
premier moment, l’administration coloniale essaya de contrôler le flux de
touristes, en cherchant une clientèle de millionnaires et en faisant de Bali une
destination touristique de luxe.

La compréhension que les Néerlandais avaient de Bali était liée aux politiques
coloniales qui y étaient menées. Les orientalistes néerlandais commencèrent à
s’intéresser à Bali en 1846. Cependant, ils allaient intensifier considérablement
leurs recherches à son sujet après la pacification de l’île. En ce qui concerne la
religion de l’île, hormis quelques voix dissonantes59, les nouvelles études
orientalistes portant sur la religion balinaise allaient suivre et approfondir le
cheminement ouvert par Thomas S. Raffles et John Crawfurd. L’interprétation
balinaise des emprunts à l’Inde fut analysée comme la preuve d’une hindouisation
dégénérative : ayant l’Inde pour modèle, la religion balinaise serait un amalgame
relativement mal réussi des croyances autochtones et de l’héritage hindou. Ainsi,
les orientalistes néerlandais considéraient Bali comme un « musée vivant » de la
civilisation hindoue javanaise :

59
Jean-François de Guermonprez cite en note de bas de page les études de Roelof Goris et Victor
Emmanuel Korn comme des descriptions dissonantes de la société balinaise, sous l’angle de la
description de la religion de l’île.

48
Cette vision orientaliste de Bali aura des conséquences décisives
pour l’avenir de l’île. Car si les administrateurs coloniaux
connaissaient mal la société sur laquelle ils venaient d’étendre
leur empire, ils avaient en revanche une certaine idée de ce
qu’elle devait être, et ils se sont employés sans tarder à la rendre
conforme à l’image qu’ils s’en faisaient.60

Ainsi, les Néerlandais allaient s’efforcer de préserver Bali des possibles menaces
politiques étrangères, venues de l’Islam ou des mouvements communistes nés à
Java et à Sumatra, tout en maintenant les entreprises européennes loin de Bali.

c. L’administration coloniale (1882 - 1942)

Si elle vaut au gouvernement néerlandais son meilleur titre de


gloire en faisant de Bali une vitrine du colonialisme éclairé, cette
politique de protectionnisme culturel n’a pas empêché pour
autant l’occupation coloniale d’altérer profondément la société
balinaise. L’enrôlement des anciens rajas dans l’administration
néerlandaise, l’imposition de taxes et de corvées, l’introduction
d’une économie monétaire et l’accès d’une frange de la jeunesse à
une éducation européenne ont déstabilisé les rapports qui
prévalaient jusqu’alors entre la paysannerie et les élites
traditionnelles.61

L’administration coloniale continuerait à faire appliquer une série de mesures qui


bouleverseraient les relations sociales, économiques et culturelles de l’île. Les
frontières antérieurement floues entre les différents royaumes balinais seraient
délimitées et donneraient le jour à des régences 62 ou kabupaten. L’administration
coloniale fut progressivement transférée à la noblesse, les anciens rajas étant
devenus les régents et les intermédiaires entre la population et les Néerlandais. Si,
d’une part, cette mesure représentait une manière de rétablir la position d’autorité
politique et religieuse des rajas, faisant ainsi bénéficier les brahmanes63 et anciens rajas
de privilèges, d’autre part, ceux qui étaient auparavant rois à Bali furent
transformés en fonctionnaires du gouvernement, occupant une place
intermédiaire entre l’ordre colonial et la population. De ce fait, les rajas avaient
60
Michel Picard et Marie-Françoise Lanfant, Bali: tourisme culturel et culture touristique, Paris,
l’Harmattan, 1992, (« Tourismes et sociétés »), p. 26.
61
M. Picard et M.-F. Lanfant, Bali..., op. cit., p.26.
62
Michel Picard, « La polémique entre Surya Kanta (1925-1927) et Bali Adnjana (1924-1930) ou
comment être balinais à l’ère du progrès »... op.cit. p. 5.
63
Une des quatre wangsa ou « classe » à Bali. Ils sont les membres du groupe aristocratique des
pedanda, à savoir, ceux qui officient les rites.

49
pour rôle de faire valoir les mesures coloniales sur l’île. Ce mouvement a
déclenché par la suite des tensions et engendré une polarisation de la société
balinaise64. Par ailleurs, il a également durci artificiellement la hiérarchie des
« classes65 », jusque-là fluide et mobile.

Une série de travaux publics ont été réalisés, notamment la construction de routes
qui allait énormément faciliter la circulation dans l’île. Les Néerlandais
instituèrent une économie monétaire, des impôts, une corvée. Cette dernière,
considérablement lourde pour les sudra66 Balinais, conduirait à un important
appauvrissement de la population. Il existerait un consensus général selon lequel la
colonisation aurait été ressentie uniquement par une partie de l’élite. Cependant,
la réorganisation sociétale promue par les Néerlandais consistait en une
« rationalisation » structurelle qui a touché différentes sphères de la vie
quotidienne des Balinais :

Les états, les quartiers, les villages, la main-d’œuvre et la culture


du riz ont tous été soumis « à la rationalisation » néerlandaise et
dans ce processus Bali a été drastiquement réorganisée. L’effet
évident de tout cela était l’appauvrissement de Bali par les
Néerlandais, ou ce que les chercheurs appellent maintenant « le
développement du sous-développement », en somme, l’idée que
l’exploitation coloniale et la réorganisation de la vie qui l’a
accompagnée ont mené directement à la pauvreté continue du
Tiers-Monde et la dépendance continue du Troisième Monde sur
le Premier Monde. 67

64
Adrian Vickers, op. cit., p. 186.
65
À Bali, le terme employé, wangsa, peut également être traduit par : nation, peuple, tribu et
famille. Un synonyme est warga.
66
Une des quatre wangsa ou « classe » à Bali. Ils sont les membres du wangsa le plus inférieur,
appartenant au peuple, également appelés jaba.
67
States, districts, villages, labour, and rice farming were all subjected to Dutch “rationalization”, and in the
process Bali was drastically reorganized. The net effect of all this was the impoverishment of Bali under the
Dutch, or what scholars now call “the development of underdevelopment”, that is, the idea that the colonial
exploitation and the reorganization of life which accompanied it has led directly to the continued poverty of
Third World and the continued dependence of the Third Word on the First World. (Traduction libre)
Adrian Vickers, op. cit., p. 187.

50
L’expression degas guminé enteg68 ou « le temps où le monde était stable », qui
demeure employée aujourd’hui par les plus âgés, fait référence à Bali avant la
colonisation. Ce changement inexorable de l’île s’est profondément fait sentir
auprès de la population, car, en réalité, ce nouvel ordre a conduit à un profond
désordre :

La population ne travaillait plus pour le palais, mais pour l’état


colonial. La corvée était dirigée à des travaux publics utilitaires,
loin des vanités de rois et de leurs palais. Ceci signifie que la
population a dû faire beaucoup de travail manuel gratuitement
pour les Néerlandais, un travail qui ne donnait pas lieu à un
retour spirituel comme dans le cadre d’un travail effectué pour la
royauté. Soudainement, tous les privilèges ont été perdus. Les
artistes devaient faire la même corvée que tous les autres et les
membres des clans, qui avaient précédemment eu un statut
spécial, ont été relégués à travailler toute la journée dans des
équipes de route, contre aucun paiement. De plus, on avait
coutume de dire qu’il s’agissait là du prolongement de leurs
devoirs traditionnels. 69

L’affaiblissement du pouvoir des rajas balinais, qui étaient quant à eux les anciens
et traditionnels sponsors des formes spectaculaires, allait engendrer la décadence de
certaines formes, notamment du gambuh, danse de cour par excellence.

En ouvrant Bali à l’ordre capitaliste, l’administration coloniale déclencha


également un processus de transformation profond de son organisation
économique et sociale. Dans cette réorganisation administrative, une nouvelle
forme d’organisation sociale fut créée, un « village administratif », qui allait
influencer la conception balinaise de la religion et de la tradition :

En introduisant ainsi une dichotomie entre l’autorité


coutumière, laissée aux Balinais, et une autorité administrative
qu’ils s’appropriaient, les fonctionnaires coloniaux pouvaient
68
Cette expression est reprise par Gregory Bateson et Adrian Vickers. Gregory Bateson, Steps to an
ecology of mind, University of Chicago Press ed, Chicago, University of Chicago Press, 2000, p. 121.
et Adrian Vickers, op. cit., p. 187.
69
People no longer worked for the palace but for the colonial state. Corvée labour was directed to utilitarian
public works, away from the vanities of kings and their palaces. This meant that people had to do a lot of free
manual labour for the Dutch, work that did not have the spiritual returns of working for royalty. Suddenly all
the privileges were lost. Artist had to do the same corvée as everybody else, and members of the clans that had
previously had special status relegated themselves working all day on road gangs, for no pay, and were told that
this was a continuation of their traditional duties. (Traduction libre) Adrian Vickers, op. cit., p. 189.

51
gouverner Bali tout en prétendant maintenir la société balinaise
en l’état. Cette volonté de préserver l’ordre social traditionnel
amena le gouvernement à promouvoir l’étude du « droit
coutumier » (adatrecht), dans le but d’en codifier les règles (Korn
1932). Ce qui eut pour effet de transformer des normes de
conduite flexibles, négociables en fonction du contexte, en
prescriptions légales immuables, ratifiées par l’appareil
bureaucratique de l’État colonial.70

L’administration coloniale ouvrit également des écoles, en premier lieu dans le


nord de Bali, à Singaraja. La création de ces dernières, où tout d’abord les
membres des triwangsa71, puis les sudra allaient étudier, a permis pour la première
fois aux Balinais d’avoir accès à des contenus « européens ». Elles ont largement
favorisé l’émergence d’une élite intellectuelle progressiste, avec des différences et
des conflits internes latents. Les membres de cette élite ont étudié l’indonésien et
le néerlandais, et se sont même parfois rendus à Java et en Europe pour compléter
leurs études72. Pour l’administration coloniale, il était important de disposer de
modérateurs balinais parlant le néerlandais et l’indonésien.

Ce processus de scolarisation apporté par les Néerlandais a engendré une


considérable modification de la perception de cette élite balinaise sur son identité
religieuse, par exemple. C’est au contact avec les autres, les non-Balinais, que ses
membres se sont vus contraints d’expliquer et de formuler dans de nouvelles
70
Michel Picard, « Religion, tradition et culture: La construction dialogique d’une identité
balinaise » in L’Homme, 163, juillet 2002, p. 110.
71
À Bali, il existe un système de classes. Les triwangsa sont les trois classes, comportant
traditionnellement les prêtres (brahmana), les administrateurs et guerriers (kastrya) et les
commerçants (wésia). Le peuple est appelé sudra ou jaba. Ces deux termes signifient «extérieur».
72
De manière générale dans l’archipel, une classe moyenne serait un véhicule de modernisation et
postérieurement jouerait un rôle décisif dans l’indépendance indonésienne. L’hypothèse de Henk
Nordholt est que la classe moyenne de l’archipel était davantage intéressée par le style de vie de la
modernité que par l’indépendance. En ce sens, il est compréhensible que les Indonésiens n’aient
pas refusé le modernisme apporté par la colonisation, bien au contraire. Dans une large mesure,
cela impliquait la consommation de biens nouveaux et, par conséquent, l’entrée effective du
capitalisme de consommation dans les sociétés de l’archipel. Nordholt a réalisé ces analyses à partir
de la littérature disponible, spécialement sur les affiches de publicité de l’époque, pour la plupart,
javanaises : The advertisements and school posters show us imposed ideas about modernity and cultural
citizenship within a colonial context, but do not tell us anything about the way this was experienced by
members of the indigenous middle classes. It is my hypothesis that this image wielded an enormous appeal on
the members of the (lower) middle classes in the colony which helped them to formulate their own ideas about
progress and modernity and lifestyle that expressed these notions. Cela nous semble une hypothèse valable
pour Bali dans une moindre mesure. Cela se vérifierait spécialement pour le contexte balinais plus
tardivement, que dans le reste de l’archipel, surtout Java. Henk Schulte Nordholt, « Modernity and
cultural citizenship in the Netherlands Indies: An illustrated hypothesis », Journal of Southeast Asian
Studies, Singapure, 42-03, octobre 2011, p. 451.

52
tournures et références leur société et religion. Or il s’agissait là d’une tâche d’une
grande complexité étant donné la nature même de la religion-tradition balinaise,
davantage orientée vers l’orthopraxie que dans l’orthodoxie :

Les membres de cette intelligentsia se sont appliqués à donner


sens à la situation provoquée par l’ouverture forcée de leur
espace social à ce qu’ils percevaient comme l’avènement des «
temps modernes ». Mais en l’occurrence, ils n’étaient pas
seulement confrontés à l’ébranlement des références qui réglaient
jusqu’alors leur existence, ils avaient encore à se situer par
rapport à des discours étrangers leur signifiant qui ils étaient et
comment ils devaient se comporter. De sorte qu’au moment
même où les bouleversements occasionnés par l’occupation
coloniale incitaient les Balinais à s’interroger sur les fondements
de leur identité, le regard inquisiteur de l’Autre, en leur sein, leur
enjoignait d’en rendre compte explicitement en des termes
accessibles à des non-Balinais. 73

Les conséquences de la colonisation sont mises en évidence dans cette citation : la


problématique interne concernant l’identité balinaise allait nécessairement passer
par le questionnement sur la nature de la religion et par d’autres aspects comme la
tradition et la culture. C’est ce qui a transformé le paradigme souligné par Michel
Picard en grand défi. En accentuant leur singularité et en contrôlant
artificiellement sa préservation, les Néerlandais ont fait de la « balinité » un enjeu
même pour les Balinais :

Les orientalistes et fonctionnaires en poste dans l’île ont


entrepris de leur apprendre à être authentiquement Balinais : tel
était en effet le but proclamé de la politique culturelle conçue
sous le nom de « Balinisation de Bali » (Balisering) qui visait à
rendre la jeunesse balinaise consciente de son patrimoine
culturel (...).74

Dans ces itinéraires complexes, des étrangers75 vinrent habiter à Bali et des Balinais
partirent étudier à l’étranger. Ce contact entre Balinais et étrangers 76 au sein des
écoles, dans le commerce et l’administration, engagerait une autre discussion

73
M. Picard, « Religion, tradition et culture »..., op. cit., p. 121.
74
Ibidem, p. 111.
75
On entend par étrangers les non Balinais, y compris les natifs des autres îles de l’archipel.
76
Bali comptait déjà à l’époque des colonies chinoises et d’autres javanaises, cependant en petit
nombre.

53
encore plus ample sur l’identité balinaise. Pour la première fois, en proie au besoin
de se définir comme « nous » en contraste avec les « autres », les Balinais allaient
commencer à se penser en tant que peuple77.

Dans ce contexte de préservation des traditions culturelles et de promotion du


tourisme, les « manifestations spectaculaires balinaises », qui jusque-là n’avaient pas
attiré beaucoup l’attention des étrangers européens, tendirent progressivement à se
transformer en l’un des premiers produits de consommation de l’île.

6. Les artistes étrangers et la construction d’une imagerie sur Bali


Dans ce contexte d’apparence calme et de domination néerlandaise, le flux
d’artistes et d’anthropologues s’intensifia et grâce à lui, progressivement, la
réputation idyllique de paradis terrestre de l’île se constituerait. Ainsi, en premier
lieu, il s’avérera intéressant d’identifier les premiers flux d’artistes européens et
nord-américains78 à Bali, pour essayer de définir les mouvements de ces voyageurs
et de postérieurement dessiner les routes et parcours d’influence qu’ils ont laissés.
Il s’agit de situer ces routes dans une perspective historique, afin de comprendre
comment les artistes ont endossé un rôle fondamental dans la création de l’image
de Bali à l’étranger et comment les voyages des Balinais ont eux aussi favorisé son
affirmation. La nécessité d’un tel travail nous a semblé évidente lors de la
réalisation des entretiens de cette recherche, puisque l’analyse des discours et des
témoignages de ces artistes, qui a commencé à se développer à Bali à partir des
années 1970, a mis le doigt sur des problématiques déjà présentes dans ces
premières rencontres auxquelles il est fait référence dans le présent chapitre.

Bien que le but ne soit pas d’assembler la totalité de la production discursive


réalisée sur Bali durant ces années, il semble nécessaire toutefois d’identifier
certains dispositifs discursifs principaux : des récits de voyage, des ouvrages
77
Michel Picard, « La polémique entre Surya Kanta (1925-1927) et Bali Adnjana (1924-1930) ou
comment être balinais à l’ère du progrès »... op.cit. p. 31.
78
Les Nord-américains sont entendus comme les habitants du subcontinent d’Amérique du Nord,
formé par trois pays principaux: le Mexique, les États-Unis d’Amérique et le Canada. Ce terme
semble approprié, étant donné la forte implication du couple mexicain Rose et Miguel Covarrubias
dans la construction de l’île au début du XXe siècle.

54
descriptifs à caractère ethnologique/ anthropologique, réalisés par des amateurs ou
professionnels; des photographies ou livres de photos, des enregistrements
sonores, des créations fictionnelles, telles que des romans et films et pour finir, des
publicités touristiques. Parfois dans certains ouvrages, le commentaire des
coutumes, la description ethnologique et le récit personnel d’expériences
s’entrecroisent, comme c’est le cas dans A House in Bali de Colin McPhee, entre
autres.

Certes, ces dispositifs se conjuguent au sein des œuvres elles-mêmes, comme par
exemple, l’usage abondant de la photographie, du film et des enregistrements
sonores dans les récits de voyage et dans les études anthropologiques. Ils ont été
employés en tant qu’outils illustratifs, de validation et même en tant que
méthodologie de recherche, tel est le cas chez le couple Gregory Bateson et
Margareth Mead. De leur côté, les films de nature fictionnelle, liés à l’exploitation
commerciale de l’imagerie de l’île paradisiaque, se sont également efforcés de
présenter un aspect documentaire. Il s’agit de vendre ce qu’est la vraie Bali,
l’authentique Bali, ce qui n’a été pas commercialisé et auquel seuls les « voyageurs
initiés » pourraient avoir accès. De cette manière, le voyage au paradis 79 découvert
est complet. Loin d’être exclues de ce mécanisme, les danses et les formes
théâtrales balinaises sont, comme nous le verrons plus loin, parallèlement aux
cérémonies religieuses, des chefs-d’œuvre mis à profit par l’exploitation
commerciale de l’île, sous la forme de danses divulguées aux touristes.

7. Les premiers artistes voyageurs et la naissance du tourisme à Bali

Tout le monde à Bali semble être un artiste. Les coolies et les


princes, les prêtres et les paysans, les hommes et les femmes
peuvent de la même façon, danser, jouer des instruments de
musique, peindre, ou sculpter le bois et la pierre. Il était souvent
surprenant de découvrir qu’un village pauvre et délabré a hébergé
un temple élaboré, un grand orchestre, ou un groupe réputé
d’acteurs. 80
79
Selon Michel Picard, il s’agit même de la construction du dernier paradis sur terre.
80
Everybody in Bali seems to be an artist. Coolies and princes, priests and peasants, men and women alike,
can dance, play musical instruments, paint, or carve in wood and stone. It was often surprising to discover that
an otherwise poor and dilapidated village harbored an elaborate temple, a great orchestra, or a group of actors
of repute. (Traduction libre) Miguel Covarrubias, Island of Bali, Singapore, Periplus Editions, 2008,
p. 135.

55
Les propos du dessinateur et ethnologue mexicain Miguel Covarrubias, datant des
années 1930, résonnent davantage de nos jours et semblent résumer l’impression
encore vivante que l’île de Bali suscite. Si l’on ne peut pas nier l’importance de ce
qui est qualifié d’« art » dans la société balinaise, effectivement, l’île et ses habitants
continuent à avoir la réputation d’île regorgeant d’artistes innés et accomplis.

Toutefois, depuis le début de l’exploitation coloniale néerlandaise, le rôle des


artistes étrangers, spécialement européens et nord-américains, admirateurs ou
apprentis des arts balinais, s’est avéré très significatif, voire fondamental, dans la
promotion et dans l’action consistant à faire découvrir l’île au monde. Leurs
œuvres écrites, photographiques et filmiques ont fortement collaboré à la diffusion
d’une imagerie « paradisiaque » de cette île des dieux, ou des démons, selon le goût
et la préférence de l’écrivain :

Parmi les visiteurs, il faut accorder une considération particulière


à la petite communauté d’étrangers qui séjournèrent à Bali au
cours de l’entre-deux-guerres. Des artistes et des intellectuels pour
la plupart - sans oublier une poignée d’aventuriers et de
commerçants -, ces résidants étrangers constituèrent l’avant-garde
aussi bien que la caution culturelle du tourisme élitaire de
l’époque coloniale. À ce titre, leur rôle fut de médiateurs entre
Bali et les touristes, non seulement en accréditant et en diffusant
l’image de l’île comme paradis en Occident, mais encore et
surtout en identifiant la société balinaise à sa culture - réduite en
la circonstance à ses manifestations artistiques et cérémonielles.
Leur influence sur les modalités de la mise en tourisme de Bali
s’est exercée de plusieurs façons. 81

Également pour Michel Picard, l’attribution de Bali à sa culture, par


l’intermédiaire du tourisme, allait avoir des conséquences décisives pour l’île et
influencerait la manière dont les Balinais se percevraient. Ainsi, comme le regrette
Geoffrey Robinson82, les recherches sur les arts et la religion balinaise réalisées au
fil des années ont prédominé dans l’ensemble des études portant sur Bali. De ce
81
Michel Picard et Marie-Françoise Lanfant, Bali: tourisme culturel et culture touristique, Paris,
l’Harmattan, 1992, (« Tourismes et sociétés »), p. 30.
82
Geoffrey Robinson, The dark side of paradise: political violence in Bali, Ithaca, Cornell University
Press, 1995, 341 p.

56
fait, une historiographie récente de l’île, post-colonisation, a été reléguée au second
plan.

a. Bali et les Balinaises

De Bali sauvage, les Néerlandais et ensuite les autres visiteurs


européens de l’île l’ont transformée en Bali femelle (l’île des
femmes souriantes aux seins nus) puis en Bali cultivée (l’île où
tout le monde est un artiste). La tradition savante néerlandaise a
fourni les images de richesse culturelle et artistique qui ont été
postérieurement reprises par les anthropologues. Ces images ont
agi comme un contrepoint aux images plus stéréotypées de Bali
fournies par les promoteurs du tourisme. 83

Pionnier parmi ces artistes promoteurs de Bali, Wijnand Otto Jan Nieuwenkamp
(1874 — 1950)84, dessinateur et explorateur néerlandais, a séjourné à cinq reprises
à Bali entre 1904 et 1937 (1904, 1907, 1918, 1925, 1937). W. O. J. Nieuwenkamp
était le premier artiste étranger à en avoir exalté les splendeurs naturelles et les richesses
culturelles.85. En plus de dessiner Bali, il a également « découvert » plusieurs sites
qui allaient par la suite devenir des points touristiques très visités, comme par
exemple, le complexe de Goa Gajah. Sa collection de dessins ethnographiques est
remarquable et en 1906, il publia un livre d’illustrations qui allait susciter l’intérêt
pour Bali aux Pays-Bas.

Cependant, ce furent les 400 photographies de Gregor Krause publiées dans le


livre Bali : Volk, Land, Tänze, Feste, Tempel 86 qui eurent un relatif succès en Europe
et incitèrent plusieurs autres artistes à visiter l’île. Gregor Krause était un médecin
allemand au service de l’armée néerlandaise qui a servi à Bali entre 1912 et 1914.
Son album de photos, l’un des premiers ouvrages photographiques sur l’île, a été
plusieurs fois réédité depuis 1920. En France, ce livre fut publié pour la première

83
From savage Bali, the Dutch and then the other European visitors to the island turned to female Bali (the
island of bare-breasted smiling women) then to cultured Bali (the island where everyone is an artist). The
Dutch scholarly tradition provided the images of cultural and artistic richness that were later taken up by
anthropologists. These images acted as a counterpoint to the more stereotypical images of Bali provided by
tourism promotion. (Traduction libre) Adrian Vickers, op. cit., p. 114.
84
Bruce W. Carpenter, W.O.J. Nieuwenkamp : first European artist in Bali /, Abcoude, The
Netherlands :, Uitgeverij Uniepers:, 1997, 208 p.
85
Michel Picard, « B.W. Carpenter, W.O.J. Nieuwenkamp : First European Artist in Bali »,
Archipel, 1998, p. 234-.
86
Traduction libre : Bali : Peuple, Pays, Danses, Fêtes et Temples

57
fois en 1930. En le découvrant de nos jours, il est possible de se faire une idée de
son impact. Les beaux clichés en noir et blanc donnent à voir les scènes du
quotidien balinais, les femmes au marché, les danses, les cérémonies, les
crémations, les temples, la nature tropicale exubérante, associés à un commentaire
écrit ajouté. Il est indéniable qu’une partie considérable de ces clichés porte sur
les scènes de bains, féminins et masculins, ainsi que sur les portraits des jeunes
filles aux seins nus, parfois dans leur quotidien, comme au marché, parfois en
train de poser.

87

Un exemple de scène de bain collectif registrée par Gregor Krause.

87
Gregor Krause, Karl With et Walter E. J. Tips, op. cit., p. 118.

58
88

Une balinaise prise en photo lors de son bain.

88
Ibidem, p. 112.

59
89

Une balinaise prise en photo lors de son bain.


Ainsi, ce livre a surtout contribué à diffuser en Europe l’image de Bali en tant
qu’île aux seins nus. Selon Michel Picard et Adrian Vickers 90, ce fut précisément
grâce à la beauté des femmes balinaises, qui ont fait office de thème de
prédilection des clichés des photographes dans l’île au début des années 1920, que
Bali allait occuper une place incomparable sur la scène internationale. Ce livre
allait aussi influencer Miguel et Rosa Covarrubias 91 et Vicky Braum dans le choix
de Bali en tant que destination de leurs voyages. Selon Picard :

89
Ibidem, p. 114.
90
Respectivement dans les ouvrages : Michel Picard et Marie-Françoise Lanfant, op. cit.. Adrian
Vickers, op. cit.
91
Voici l'extrait où Miguel Covarrubias avoue l'influence des photos de Gregor Krause : But only six
years ago, when I sailed with Rose for the remote island, no one seemed even to have heard of the place; we
had to point it out on the map, a tiny dot in the swarm of islands of east Java. We had seen a splendid album
of Bali photographs (Bali, by Gregor Krause), and gradually we had developed an irresistible desire to see the
island, until one spring day of 1930 we found ourselves, rather unexpectedly, on board the Cingalese Prince, a
freighter bound for the Dutch East Indies Island. Miguel Covarrubias, op. cit., p. xxv.

60
L’accueil réservé à cet album, dont témoignent ses rééditions
successives, n’est sans doute pas étranger au soin que mettait son
auteur à souligner la plastique des corps et au goût qu’il
manifestait pour le thème de la Balinaise au bain. 92

Ainsi, les représentations des Balinaises aux seins nus en vinrent rapidement à
apparaître sur les cartes postales de Bali et devenir l’une des images les plus
utilisées afin d’illustrer les publicités de voyage, en tant qu’icônes du tourisme
dans l’île, avant les artistes. Gregor Krause allait également photographier les
danses à Bali, et les décrirait brièvement dans le contexte d’une cérémonie:

L e gamelang93 sonne plein, séducteur et parfois passionné.


Soudain, lors d’un accord puissant de tous les instruments, un
jeune fils du prince se met debout dans la petite ouverture de
l’entrée, complètement encadré par l’immobilité rigide des
danseurs. Les torches éclairent et jettent une lumière magique sur
la grande couronne de fleurs d’or qu’il porte sur la tête, sur les
longs tissus en soie pendant devant et derrière, d’un vert brillant
avec la décoration appliquée en or, sur les ornements remplis de
pierres brillantes sur le cou, l’épaule, les bras et les chevilles et sur
l’épée Kriss derrière la ceinture. Ses deux mains portent un
plateau d’or rempli de fleurs fortement parfumées. Ses yeux sont
éclatants d’un ravissement extasié. Sans presque changer de
position, il descend — presque imperceptiblement — pas à pas, les
marches qui mènent à la cour.
Il reste encore debout immobile, comme un Dieu, comme les
vieilles poésies en kawi94 les décrivent. Cette apparition est si
élevée, sérieuse et pure, que tout ce qui est mortel semble s’en
être enfui.

Des harmonies étranges sonnent à nouveau. Les doigts et les


orteils des danseurs commencent à bouger lentement. Ce
mouvement se reproduit tout le long du corps. Tout d’un coup,
lors d’un nouvel accord, la position change pour une autre. Les
sons de gamelang deviennent plus passionnés, les intervalles de
changement entre les positions se raccourcissent, à peine visibles
à nos yeux.95

92
Michel Picard et Marie-Françoise Lanfant, op. cit., p. 32.
93
L’instrument collectif balinais, majoritairement des percussions, ayant des formations diverses
selon la cérémonie ou la manifestation artistique.
94
Kawi - Langue ancienne, le vieux javanais.
95
The gamelang sounds full, enticing and sometimes passionate. Suddenly, at a powerful chord of all
instruments a young son of the prince stands in the small entrance opening, completely framed by the rigid
immobility of the dancers. Torches flame up and throw a magical light on the great golden flower crown which
he wears on his head, on the long silk cloths hanging down in front and behind, shining green with applied gold
decoration, on ornaments studded with sparkling stones on the neck, shoulder, arms and ankles and on the
costly kris in the back of the belt. He both hands carries a golden platter filled with strongly scented flowers.
His eyes are glowing with ecstatic rapture. Seemingly without changing his posture, he walks down - almost

61
Dans son bref récit, l’étonnement et l’émerveillement débordent de la description
de la somptuosité des costumes ainsi que le sentiment d’étrangeté que la danse lui
inspire. Il ne s’est pas privé de décrire également les danses liées à la transe, ce qui
indique l’attrait que les formes balinaises les plus spectaculaires avaient, non
seulement pour Krause, mais également pour la plupart de voyageurs.

96

Un spectacle donné à l’extérieur d’un temple.

b. L’arrivée des premiers résidents et touristes dans les années 1920


et 1930 : le monde découvre Bali

imperceptibly - the few steps leading into the courtyard. Still he stands motionless, like a god, as the old Kawi
poems describe them. So lofty, serious and pure is this apparition that everything mortal appears to have fled
from it. Strange harmonies are resounding. Fingers and toes of the dancers begin to move slowly. This
movement is reproduced along the entire body. Suddenly, at a new chord the posture has changed to another.
The gamelang sounds become more passionate, the intervals between the changing postures, become shorter
hardly visible to our eyes. (Traduction libre) Gregor Krause, Karl With et Walter E. J. Tips, op. cit.,
p. 38-39.
96
Ibidem, p. 132.

62
En 1924 a été officiellement effectuée l’ouverture de l’île de Bali aux touristes, à
l’aide de l’inauguration de lignes hebdomadaires maritimes, par la compagnie
gouvernementale KPM. Parallèlement à l’arrivée des touristes, on observa
également l’augmentation progressive des séjours d’anthropologues et d’artistes à
Bali que l’on est en droit de considérer comme les meilleurs agents de publicité de
l’île, car leurs témoignages certifiaient artistiquement et scientifiquement 97 le
caractère exceptionnel de la culture balinaise. C’est probablement suite à la lecture
de l’ouvrage de Gregor Krause, que Walter Spies décida de partir aux Indes
Néerlandaises en 192398.

c. Walter Spies

Un personnage en particulier va être au centre de notre attention durant cette


époque de l’entre-deux-guerres et de la préindépendance indonésienne : Walter
Spies. Il s’agissait de l’un des résidents européens les plus influents dans la période
antérieure à la Seconde Guerre mondiale et d’un profond connaisseur de l’île. En
plus d’avoir été un organisateur de séjours pour les expatriés et touristes étrangers
à Bali, il est également un exemple clé du rapport que les artistes étrangers ont
entretenu avec les Balinais. Les échos de cette relation se font encore sentir dans
l’île. Walter Spies a étudié en profondeur la danse et la culture balinaises, du fait
qu’il avait été, dans la période citée plus haut leur promoteur le plus cultivé aux
yeux des visiteurs étrangers. Walter Spies nous intéresse en raison du rôle
important qu’il a joué à cette époque-là, et également, car sa manière de vivre à
Bali est aussi un exemple de la façon dont y vivaient les expatriés.

97
Michel Picard et Marie-Françoise Lanfant, op. cit., p. 30.
98
Dans une revue consacrée aux lettres de Spies, Louis-Charles Damais commente : (...) C’est,
semble-t-il, cette dernière année que Walter Spies leur montra un livre sur Bali, comportant surtout
des photographies et que Walter Spies déclara : « C’est là que je veux aller ». On voit que c’est donc
cet ouvrage qui semble avoir donné à Walter Spies l’idée d’aller en Indonésie pour avoir l’occasion
de retrouver Bali. Bien que le titre « Bali inconnu » ne convienne pas, on peut se demander s’il ne
s’agit pas de la première édition (1920) du livre de Gregor Krause qui fut pendant deux ans (entre
1912 et 1914) comme docteur en médecine au service du Gouvernement indo-néerlandais. Louis-
Charles Damais, « Hans Rhodius : Schonheit und Reichtum des Lebens, Walter Spies (Malér und
Musiker auf Bali 1895-1942) », Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient, 1967, p. 706.

63
Walter Spies est né à Moscou en 1895 dans une famille de riches commerçants
allemands basés en Russie, son père étant consul d’Allemagne. Depuis son enfance
il côtoyait les artistes moscovites de l’époque, tels que Stravinsky et Rachmaninov.
Pendant la Première Guerre mondiale, il fut interné à Sterlitamak, dans les Urals :

(...) Spies s’est pris d’amitié pour les habitants locaux et puisque
les règlements le permettaient, il a rapidement déménagé dans
une famille appartenant à une tribu Tatare. (...) Il était
totalement heureux dans ce Nouveau Monde ; concrètement
enchaîné, mais intérieurement en liberté. Les termes de
l’emprisonnement n’étaient pas du tout oppressants. (...) Spies
faisait la cueillette avec les fils des paysans, les bûcherons et les
bergers. Ils se sont liés d’amitié immédiatement ; ils lui ont
enseigné les bois, les cris des oiseaux et les traces des animaux de
régions sauvages. Ils parlaient de leurs vies. (...) L’importance de
ces années ne peut être assez soulignée. Là, parmi les
campagnards simples de l’Oural, Spies a découvert sa propre
identité. (...) Non moins significatif que le thème de l’amour de
la Nature simple et primitive, est le thème du dévouement au
moment présent, exprimé d’une manière très directe dans une
lettre de 1917 : « je ne travaillerai jamais pour le futur, mais je
jouirai toujours du présent quel qu’il soit. Le présent a toujours
quelque chose d’agréable à offrir ; mais quel est l’avenir pour
moi, si demain peut-être que je ne serai plus ici. De cette façon, je
serai toujours heureux, d’autant plus que j’ai le don de m’adapter
à l’environnement comme un caméléon. 99

Quelques années plus tard, il partit en Allemagne où il participa activement au


mouvement expressionniste des artistes du die Brücke et de l’École d’Émile-Jacques

99
(...) Spies took up with the local inhabitants, and since the regulations permitted it, he soon moved in with a
family belonging to a Tatar tribe. (...) He felt utterly happy in this new world; nominally in chains, but
inwardly liberated. The terms of the confinement were not at all oppressive. (...) Spies went out foraging with
the peasants’ sons, woodcutters and herdsmen. They made friends instantly; taught him the lore of the woods,
the cries of the birds and the tracks of the wilds animals and talked to their lives. (...) The significance of those
years cannot be emphasized enough. Here, among the simple country folk of the Urals, Spies discovered his
own identity. (...) No less significant than the theme of the love of simple and primitive Nature, is the theme of
dedication to the present moment, which is stated in very forthright fashion in a letter of 1917 : " I will never
work for the future, but always just enjoy the present, whatever it is. The present always has something nice to
offer; but what’s future to me, if tomorrow perhaps I’ll no longer be here. This way I’ll always feel happy,
especially since I have the knack of adapting to my surroundings like a chameleon. (Traduction libre) Hans
Rhodius, John Darling et John Stowell, Walter Spies and Balinese art, Zutphen New York, Published
under the auspices of the Tropical Museum, Amsterdam, by Terra Heinman-Imported Books,
distributor, 1980, p. 11-12.

64
Dalcroze à Hellerau.100 À Berlin, sous la protection financière de F. W. Murnau 101,
Walter Spies travailla en tant que directeur artistique pour ses films et réalisa des
décors destinés à des spectacles, en poursuivant la peinture. C’est lors d’une
exposition de ses tableaux à Amsterdam que le jeune Spies rendit de nombreuses
visites à l’ancien Koloniaal Instituut, récemment devenu le Tropenmuseum. Ainsi,
progressivement, il sera de plus en plus attiré par l’Orient102:

Selon moi, depuis que j’ai passé ces trois ans d’internement avec
les Bashkirs et j’appris à voir, à sentir et à savoir ce qu’est la vie
réelle, il ne va plus m’être possible de me sentir à la maison en
Europe... Pour m’acheter un sentiment d’appartenance à ici, je
devrais abandonner ce qui constitue tout mon être et, d’une
certaine façon, je devrais me vendre. Mais je ne peux pas faire
cela, au lieu de cela je préfère quitter ces gens et essayer de me
trouver une nouvelle maison. 103

Désenchanté par l’Allemagne de l’époque104, Spies décida de partir aux Indes


orientales à bord du cargo Hamburg, le 23 août 1923. Il débarqua tout d’abord à
Java en octobre, à Bandung, où il travailla en tant que musicien dans un cinéma.
En novembre, il déménagea à Yogyakarta et fut ensuite embauché en tant que
musicien par le sultan de Yogyakarta. Il resta à Java pendant quatre ans, pour

100
The Hellerau interdisciplinary ideal was absorbed by Spies during his time in Dresden and applied in Berlin
and then in Ubud. Additionally, the concentration of artistic activities in a garden city (Gartenstadt) was an
achievement associated with Hellerau that could easily be adapted to the rural context of Ubud. Pour plus de
précisions sur les années formatrices de Walter Spies en Allemagne, l’influence de
l’expressionnisme et des artistes du die Brucke, spécialement l’École de Helleau, et son influence
ultérieure dans le rapport de Walter Spies avec Bali, se reporter à l’article suivant : Simone Wesner,
Michael Hitchcock et I Nyoman Darma Putra, « Walter Spies and Dresden: The Early Formative
Years of Bali’s Renowned Artist, Author and Tourism Icon » , Indonesia and the Malay World,
vol. 35 / 102, juillet 2007, p. 211-230.
101
Walter Spies et F. W. Murneau ont entretenu une relation d’amitié et amoureuse qui se
poursuivit au fil des années. Le film Tabou, de Murneau avait été initialement pensé pour être
tourné à Bali.
102
Hans Rhodius, John Darling et John Stowell, op. cit., p. 19.
103
For me, since I spent those three years of internment with the Bashkirs and learned to see, feel and know
what real life is, it is no longer going to be possible to feel at home in Europe... To purchase a sense of
belonging here, I would have to surrender what it is that constitutes my whole being, somehow have to sell
myself. But I can’t do that, instead I prefer to go away from all these people and try to find myself a new
home. (Traduction libre) Ibidem.
104
« Les lettres 20 et 21 (p. 127-131) nous ramènent un mois en arrière, en juillet 1923. Dans la
première, il explosait contre la vie en Allemagne et les gens eux-mêmes; tout y était épouvantable, la
vie, le pays, etc. Il était bien décidé, dit-il, à s’en aller, avant que l’hiver n’arrive. Rien ne pourrait
l’en empêcher. Il pensait s’engager comme matelot sur un navire et aller n’importe où, mais « de
préférence en Australie, une île des mers du Sud, en Asie orientale, en Inde ou en Afrique du Sud
».» Louis-Charles Damais, op. cit., p. 706.

65
finalement rejoindre Bali, à l’invitation du prince d’Ubud, Cokorda Agung Gede
Sukawati. Walter Spies a résidé sur l’île de 1927 à 1942, année de sa mort105.

En plus des six langues qu’il parlait, dont le malais 106, Spies apprendra rapidement
le balinais, apprentissage qui a contribué au fait qu’il ait été le résident de
référence des étrangers séjournant dans l’île. Sa curiosité anthropologique pour la
culture balinaise a fait de lui un grand connaisseur et admirateur, comme en
témoigne Beryl de Zoete, en 1937 :

Walter Spies, qui est presque également aussi doué en peinture


qu’en musique, a vécu pendant quinze ans dans les Indes
orientales néerlandaises et sa connaissance de tout ce qui est
vivant sur Bali, des orchidées jusqu’aux danseurs, et sa générosité
à partager cela sont presque devenues une légende. 107

Il est le personnage clé de cette période, car c’est par son intermédiaire que l’île a
été présentée aux voyageurs, artistes et anthropologues de l’époque. Parmi les
visiteurs qui ont été guidés par Spies figuraient le couple d’anthropologues
américains Margareth Mead et Gregory Bateson, l’anthropologue Jane Belo et son
mari musicien et ethnomusicologue Colin McPhee, le plasticien et ethnologue
mexicain Miguel Covarrubias et sa femme, la photographe Rosa Covarrubias, la
spécialiste de danse Clarie Holt et son compagnon, l’archéologue néerlandais
Willem Stutterheim, et la critique de danse anglaise Beryl de Zoete. Cette liste
n’est pas exhaustive et le mythe autour de Spies est énorme. Les œuvres produites
par ces voyageurs sont parmi les plus populaires sur l’île.

105
En raison de sa nationalité allemande, lors de la Seconde Guerre mondiale, Walter Spies fut
arrêté et envoyé dans un camp d’internement à Sumatra. Il mourut lors du bombardement du
navire Van Imhoff, par l’aviation japonaise. Le bateau transportait des prisonniers de Guerre vers
une prison à Ceylan. Les marins néerlandais n’ont pas libéré les prisonniers mais les ont laissés
couler avec le navire.
106
Simone Wesner, Michael Hitchcock et I Nyoman Darma Putra, op. cit., p. 213.
107
Walter Spies, who is almost equally gifted as painter and musician, has lived for fifteen years in the Dutch
East Indies, and his knowledge of everything alive on Bali, from orchids to dancers, and his generosity in
sharing it, have almost became a legend. (Traduction libre) Walter Spies et Beryl De Zoete, Dance &
drama in Bali, Hong Kong; North Clarendon, VT, Periplus Editions; Distributor, North America,
Tuttle Pub., 2002, p. ix.

66
Walter Spies parvenait à entretenir simultanément de bonnes relations avec les
Néerlandais de l’administration coloniale et de coopération et d’amitié avec les
Balinais. Il réunissait les qualités nécessaires pour être un intermédiaire habile
entre l’administration coloniale, les administrateurs et artistes balinais, et les
étrangers de passage. Walter Spies initiait les étrangers à Bali, en partageant ses
connaissances, mais également en traduisant les formes « artistiques » balinaises. Il
a fortement contribué au nouveau marché des spectacles pour touristes qui
venaient à peine de voir le jour, en adaptant les danses pour le public étranger :

Selon Cokorda Gede Putra Sukawati, ce sont les qualités de Spies


en tant qu’organisateur et présentateur qui ont permis aux
artistes locaux de commercialiser leurs marchandises et ainsi il a
été très apprécié dans ce qui était après tout encore une
économie rurale relativement pauvre. Spies avec Bonnet mettent
en route l’idée des festivals et des représentations pendant la nuit
comme une forme de revenu venu des touristes et des membres
du régime colonial. C’était Spies qui encourageait constamment
des artisans Balinais à améliorer la qualité de leurs produits,
qu’avec du recul on pourrait décrire comme « valeur ajoutée ».
Spies est aussi resté loyal à l’intérêt des artistes du Brucke dans
l’art non occidental, aidant à trouver les bases des collections du
musée de Bali. 108

Les premiers touristes à avoir visité Bali dans les années 1920 et 1930 furent
essentiellement des milliardaires, parmi lesquels des stars hollywoodiennes comme
Charles Chaplin et Paulette Godard ou le chef d’orchestre Leopold Stokowski.
Charles Chaplin a réalisé au moins deux voyages à Bali et Leopold Stokowsi fut
fasciné par le gamelan, en essayant même de produire la tournée d’un ensemble en
Europe. L’évaluation de Bali réalisée par Noel Coward 109 s’avère elle aussi
intéressante et fut partagée par Chaplin, dans le livre d’or du Bali Hotel, au début
des années 1930 :

108
According to Cokorda Gde Putra Sukawati, it was Spies’ qualities as an organiser and presenter that
enabled local artists to market their wares and thus he was much appreciated in what was after all still a
relatively poor rural economy. It was Spies along with Bonnet who set in motion the idea of festivals and
evening performances as a form of income from tourists and members of the colonial regime. In particular, it
was Spies who constantly encouraged Balinese artisans to raise the quality of their products, which with
hindsight one would describe as a drive for ‘value added’. Spies also remained loyal to the Brucke artists’
interest in non-western art, helping to lay the foundations of Bali’s museum collections. (Traduction libre)
Simone Wesner, Michael Hitchcock et I Nyoman Darma Putra, op. cit., p. 227.
109
Noël Peirce Coward était un dramaturge britannique, également scénariste, compositeur, acteur,
producteur et réalisateur à Hollywood.

67
Comme je l’ai dit ce matin à Charlie
Il y a beaucoup trop de musique à Bali,
Et bien que cet endroit soit ravissant,
Il y a aussi trop de danse.
Il paraît que chaque Balinais natif,
De l’utérus au tombeau est créatif,
Et bien que les résultats soient tout à fait intelligents,
Il y a trop d’effort artistique. 110

Chaplin a entrepris au moins deux voyages sur l’île. Son premier voyage a coïncidé
avec l’arrivée du cinéma parlant, ce qui représenta une transformation
traumatisante pour lui. Bali, plus que les autres destinations où il s’était rendu lors
de son premier voyage, semble effectivement l’avoir marqué :

Combien c’est différent, pensais-je, de tout ce que j’ai jamais vu.


Combien je ressentais d’être éloigné du reste du monde.
L’Europe et l’Amérique semblaient irréelles, comme si elles
n’avaient jamais existé. (...) Comme c’est agréable d’être loin de la
civilisation, soulagé des chemises empesées et des cols
amidonnés. (...) que veut dire une carrière, un sujet de
civilisation dans cette manière naturelle de vivre ? 111

Chaplin écrivit même un scénario inspiré de l’île de Bali, dont le titre envisagé
aurait été The Southern Cross : l’histoire d’un prince balinais qui a fait ses études en
« Occident ». Il retourna sur l’île totalement désenchanté par le monde
« occidental » et décida de délivrer son peuple de l’emprise coloniale.

Dans un petit extrait filmique du séjour de Chaplin 112 à Bali, nous pouvons voir le
comédien en train de parodier une danse et de réaliser un gag pour le plaisir des
Balinais présents. Ce même extrait nous permet d’apercevoir Walter Spies en sa
compagnie. Grâce à lui, Charlie Chaplin et d’autres touristes ont bénéficié d’un
séjour privilégié sur île. En suivant attentivement Spies, ils ont eu l’occasion de
séjourner à l’intérieur de l’île, dans le village d’Ubud, et de visiter des sites
110
As I said this morning to Charlie /There is far too much music in Bali, /And although as a place it’s
entrancing, /There is also a thought too much dancing. /It appears that each Balinese native, / From the
womb to the tomb is creative, /And although the results are quite clever, / There is too much artistic
endeavor. (Traduction libre) Robert Pringle, A short history of Bali: Indonesia’s Hindu realm, Crows
Nest, N.S.W, Allen & Unwin, 2004, (« Short history of Asia series »), p. 147.
111
Raphaël Millet, « Chaplin à Bali », Positif: Revue Mensuelle de Cinéma, vol. 640, 2014, p. 107.
112
« Charlie Chaplin - Trip to Java and Bali [1932] », 2012.

68
privilégiés. Pour ce faire, Spies louait des chambres dans sa maison à Ubud et
jouait le guide touristique. Curieusement, il habitait dans le même site à Ubud où
quelques années plus tard allait vivre Cristina Wistari : Campuhan113, le lieu de
jonction de deux rivières.

d. La peinture à Ubud
Auparavant connu en tant que peintre, Walter Spies allait contribuer, de manière
décisive, à un renouveau de la peinture balinaise, spécialement dans le village
d’Ubud. Il est réputé pour avoir incité les peintres balinais à explorer d’autres
styles et scènes, ainsi qu’à commercialiser leurs œuvres auprès des touristes. Cela
signifiait choisir d’autres thèmes en dehors de ceux du traditionnel Wayang, centré
sur les épopées du Ramayana et du Mahabharata. Alors, c’est ainsi que les peintres
allaient commencer à travailler sur des scènes du quotidien balinais. Au sein du
cercle des peintres formés à Ubud, Spies endossait spécialement le rôle de
présentateur et d’intermédiaire entre les peintres balinais et les clients américains
et européens. Outre l’échange commercial-artistique, il ne se privait pas de
suggérer des modifications aux tableaux afin de favoriser une meilleure réception
chez les clients étrangers. En plus d’adapter la peinture balinaise aux goûts des
visiteurs et acheteurs étrangers, Walter Spies allait aussi collaborer à l’adaptation
de formes spectaculaires balinaises aux formats et cadres européens, comme nous
le verrons plus avant.

En 1935, il a participé à la fondation d’une association d’artistes peintres à Ubud,


l a Pita Maha, avec le peintre allemand Rudolf Bonnet, Cokorda Gede Agung
Sukawati, Cokorda Gede Rai et Gusti Nyoman Lempad. Selon certaines sources,
la transmission de nouvelles techniques se faisait surtout par l’intermédiaire de
Rudolf Bonnet :

113
Tous deux ont habité dans la propriété du prince d’Ubud, Cokorda Gede Agung Sukawati,
aujourd’hui devenue un luxueux hôtel. Il va sans dire que la clientèle touristique qui passait par sa
maison allait également contribuer à la création de l’aspect paradisiaque de l’île. Campuhan est
également considéré comme un endroit très chargé de sacralité par les Balinais.

69
(...) Bien que Spies soit sans aucun doute une source
d’inspiration pour des peintres balinais, Bonnet était l’influence
principale en termes de technique et de style. Bonnet a passé du
temps à instruire la population locale. Il était l’académicien et le
professeur, tandis que Spies était « l’artiste » et le membre de
l’avant-garde. À bien des égards les Balinais jugeaient plus facile
d’apprendre par Bonnet qui était considéré comme étant à leur
niveau, tandis que Spies était plus retenu dans une certaine
crainte, ne résistant pas à sa nature amicale. Agung Rai soutient
que Spies impressionnait profondément les Balinais par sa
capacité de concentration et par son habileté à engager
entièrement son esprit, avec son « ... âme et ses mains travaillant
ensemble ».114

À ce propos, Nicola Savarese 115 a fait un bref commentaire sur le rapport entre
Walter Spies et les peintres balinais dans son article 1931 : Antonin Artaud Sees
Balinese Theatre at the Paris Colonial Exposition :

Après la mort de Spies en 1942, Soekawati a poursuivi son


travail, en continuant à promouvoir particulièrement l’art de la
peinture, tout en n’hésitant pas à « contaminer » la peinture des
Balinais par des suggestions faites par des artistes occidentaux. 116

Dans cet article, Nicola Savarese ne fait pas référence au rôle de Walter Spies dans
l’association Pita Maha, ni dans l’adaptation et la commercialisation de formes
scéniques balinaises. Ce que nous retenons de cet extrait est l’utilisation du terme
« contaminer », selon lequel ce serait alors Cokorda A.G. Sukawati qui aurait laissé
contaminer la peinture balinaise par des suggestions d’artistes occidentaux. Un tel
processus aurait, selon lui, été entrepris après la mort de Spies. Premièrement, le
114
(...) although Spies was undoubtedly a source of inspiration for Balinese painters, it was Bonnet who was
the main influence in terms of technique and style. Bonnet spent time instructing the local people and was the
academic and teacher, whereas Spies was the ‘artist’ and member of the avant-garde. In many respects the
Balinese found it easier to learn from Bonnet who was regarded as being on their level, whereas Spies was held
in some awe, not withstanding his friendly nature. Agung Rai argues that Spies deeply impressed the Balinese
with his ability to concentrate and to fully engage his spirit, with his ‘... soul and hand working together’ .
(Traduction libre) Simone Wesner, Michael Hitchcock et I Nyoman Darma Putra, op. cit., p. 227.
115
Il s’avère pertinent de présenter cette précision de Nicola Savarese principalement du fait qu’il
s’agit d’un chercheur du domaine théâtral. Aussi bien l’article cité antérieurement, que son ouvrage
constituent des références importantes pour l’étude de la rencontre entre la troupe balinaise et
Antonin Artaud, lors de l’Exposition Coloniale de 1931. Nous traiterons de son approche dans le
chapitre consacré à l’étude du texte Sur le Théâtre Balinais, d’Antonin Artaud.
116
After Spies death in 1942, Soekawati carried on his work, continuing to promote the art of painting in
particular, not hesitating to “contaminate” Balinese painting with suggestions made by Occidental artists.
(Traduction libre) Nicola Savarese et Richard Fowler, « 1931: Antonin Artaud Sees Balinese
Theatre at the Paris Colonial Exposition », TDR (1988-), vol. 45 / 3, octobre 2001, p. 65.

70
terme « contaminer » nous semble inapproprié du fait de la nature du rapport dans
lequel il s’inscrit. La notion de pureté ou de sainteté est en effet implicite dans le
verbe « contaminer ». Comme l’ont fait remarquer plusieurs chercheurs, celles-ci
sont tout à fait étrangères à la dynamique des Balinais, habitués à incorporer des
influences diverses dans leurs œuvres. L’idée que les formes expressives balinaises
étaient immuables avant la rencontre avec des Européens/Américains s’avère tout
autant sous-jacente à ces notions. Finalement, dans ce bref commentaire, la
responsabilité de cette « contamination », explicitement jugée négative, semble être
uniquement attribuable au prince d’Ubud. Or, le rapport d’échange artistique
entre Balinais et étrangers, Européens pour la plupart à ce moment-là, paraît
extrêmement complexe, et au moins dans le champ de la peinture, l’analyse de
Louis-Charles Damais semble plus pertinente dans le cadre de cette discussion :

C’est une légende très répandue parmi les Européens et par eux.
On oublie tout simplement qu’une des caractéristiques du style
de Walter Spies, le fini extraordinaire des plantes et des arbres
par exemple, se trouve déjà dans les illustrations sur olles (feuilles
de palmier) et qu’on pourrait tout au plus parler de rencontre.
Ce que Walter Spies semble avoir fait, c’est d’encourager des
Balinais à peindre et à sculpter des sujets autres que ceux du style
traditionnel des langsé. Un seul artiste balinais montre une
influence directe de Walter Spies, c’est A. Gdé Soberat, et
pourtant il ne peut être question de confondre les œuvres de l’un
et de l’autre. Il est donc injuste de dire que les Balinais ont
« imité son style en le combinant avec leur propre peinture
traditionnelle des temples ». (...) Il serait d’ailleurs parfaitement
impossible qu’une « imitation » d’un peintre étranger ait pu
produire chez tant de peintres tant de si belles toiles, s’il n’y avait
pas eu à Bali même quelque chose de préexistant : dans le cas
présent, l’art des illustrations sur feuilles de palmier où seule la
couleur manquait, et les langsé qui connaissaient la couleur. 117

Les flux des contacts ont favorisé les échanges entre artistes et la création de
nouveaux styles et par conséquent, l’émergence de nouveautés esthétiques. À
l’évidence, Spies n’était pas seulement réputé à Bali uniquement pour ses tableaux
et pour ses compétences artistiques, mais aussi pour son adaptabilité et sa
perméabilité au mode de vie balinais :

117
Louis-Charles Damais, op. cit., p. 712.

71
Les membres de Pita Maha réagissaient avec enthousiasme aux
peintures de Spies avec leurs scènes légendaires et leurs lumières
mystérieuses. Ils ont aussi salué son amour de la nature et ses
tentatives de capturer le jeu des lumières à travers les rizières avec
cette brume montante à l’aube. Sa capacité à traverser une variété
de médias l’a également fait gagner en respect, justement parce
que les habitants ruraux d’Ubud étaient habitués à occuper leurs
mains par un certain nombre d’occupations et professions
différentes pour survivre. Le fait que Spies pourrait exceller de
tant de façons différentes a favorisé sa réputation locale de
génie.118

Le propos n’étant pas ici de lister de façon exhaustive toutes les activités de Walter
Spies à Bali, il convient juste de signaler également qu’il fut compositeur et
« traducteur » de la musique balinaise. En tant que photographe, il a publié des
photos de Bali dans le livre de Roelof Goris 119, Bali services religieux et cérémonies,
qui a été présenté lors de l’Exposition universelle de 1931, à Paris. C’est également
à lui que l’on doit la majorité des photos des danses balinaises qui illustrent son
ouvrage, Dance and Drama in Bali, coécrit avec Beryl de Zoete. Tout comme les
clichés photographiques, les films de fiction tournés à Bali à partir des
années 1920 promurent aussi une image particulière de Bali.

8. Les films sur Bali

Un drame de coutumes bizarres et grotesques... sorcellerie, magie


et charme sensuel des sirènes sauvages. Les jouissances de
l’amour dans l’île de Bali. Le dernier paradis sur terre. 120

Cet homme ayant été un personnage clé pour les expatriés, les voyageurs, les
Balinais et l’administration néerlandaise, Walter Spies était fréquemment invité à
participer à des projets en lien avec la culture balinaise. Ainsi, il a assisté à la

118
The members of Pita Maha responded enthusiastically to Spies’ paintings with their legendary scenes and
mysterious lighting. They also warmed to his love of nature and his attempts to capture the play of light across
the rice fields with this mist rising at dawn. His ability to work across a variety of media also earned him a
great respect, not least because in rural Ubud people were used to turning their hands to a number of different
occupations and professions in order to survive. The fact that Spies could excel in so many different ways
boosted his reputation locally as a genius. (Traduction libre) Simone Wesner, Michael Hitchcock et I
Nyoman Darma Putra, op. cit., p. 227.
119
Roelof Goris, Bali, services religieux et cérémonies: Ouvrage édité par la Koninklijke Paketvaart
Maatschappij, Batavia, Java, Imp. G. Kolff, .
120
Les écrits de l’affiche du film Goona-goona. (Traduction libre) A Drama of Weird and grotesque
customs... witchcraft, sorcery and sensous charm of savage sirens. Love’s revels on the island of Bali. Last
paradise on earth.

72
réalisation de plusieurs films sur l’île 121. D a n s Goona-Goona, An Authentic
Melodrama of the Island of Bali, l’un de ces films les plus connus, réalisé par André
Roosevelt et Armand Denis en 1932, il a assuré la préparation des comédiens
balinais et des danses lors du premier tournage 122. Cette œuvre raconte123 une
histoire d’amour qui vire à la tragédie, entre un prince balinais éduqué en Europe,
Okah, et une Balinaise de classe inférieure, Dasnee. Dans le film, goona-goona124 est
une poudre magique, un stimulant sexuel utilisé par le prince pour avoir des
rapports sexuels avec Dasnee. L’énoncé situé à la droite de l’affiche du film insiste
sur les attraits de l’histoire : Goona -goona, la poudre de l’amour. La Balinaise aux
seins nus et la promesse d’une histoire d’amour « exotique et pimentée »
complètent la publicité de l’affiche. Ici, la fiction semble être la synthétisation de
l’imagerie balinaise en vogue à l’époque. D’un côté, on remarque l’érotisation des
Balinais, surtout des Balinaises, de l’autre, la promesse de l’authenticité et du
dépaysement. La prédiction d’un ailleurs enchanté n’est pas uniquement liée à
Bali. Il s’agit là d’un phénomène lié à l’imagerie de l’Orient en général. Il est
intéressant de noter la quête d’authenticité proclamée déjà dans le titre de ce film :
an authentic melodrama of Bali. Ce dernier a été également présenté à Paris pendant
l’Exposition coloniale de 1931125.

121
Malgré le manque de référence, nous citons deux films sur Bali qui furent antérieurs à l’arrivée
de Spies : Cremation et Sang Hyang and Kecak Dance (1926)de Geoffrey Gorer et Calon Arang (1927),
dont le réalisateur demeure inconnu.
122
Goona-goona est aussi apparu sous le titre The Kriss. Concernant sa collaboration, Spies
témoigne : I’m doing the directing and most of the work; a certain Mr Roosevelt turns the handle. I’ve got a
marvellous, very simple story for it and have found some very good actors. Hans Rhodius, John Darling et
John Stowell, op. cit.
123
« Goona-Goona; An Authentic Melodrama of the Isle of Bali (1932) - Full Synopsis - TCM.com »,
[En ligne: http://www.tcm.com/tcmdb/title/525095/Goona-Goona-An-Authentic-Melodrama-of-
the-Isle-of-Bali/full-synopsis.html]. Consulté le1 octobre 2013.
124
Selon Miguel Covarrubias, c’est le terme balinais pour « magie ». Miguel Covarrubias, op. cit.,
p. 354.
125
La lettre 67 parle du film qu’il aida André Roosevelt à faire, qui fut présenté à l’Exposition coloniale de
Paris en 1931 sous le titre : Le kris. Louis-Charles Damais, op. cit., p. 711.

73
L’affiche états-unienne du film: Goona-Goona, Love Powder.

Ce film a obtenu un tel succès dans le New York des années 1930 que goona-goona
est devenu le synonyme américain du sex appeal. Les propos de Miguel Covarrubias
témoignent en ces termes de sa notoriété :

Cependant, la petite île lointaine est seulement devenue une


nouveauté pour le reste du monde occidental avec l’apparition, il
y a quelques années, d’une série de films documentaires sur Bali
où un fort accent fut mis sur le sex-appeal. Ces films étaient une
révélation et maintenant tout le monde sait que les filles
balinaises ont de beaux corps et que les insulaires mènent une vie
qui est une sorte de comédie musicale de vie pleine de rites
bizarres, pittoresques. Le titre de l’un de ces films, goona-goona, le
terme Balinais pour « la magie », est devenu à l’époque le terme
Newyorkais pour le charme sexuel. 126

126
However, the remote little island only became news to the rest of the Western world with the advent, a few
years ago, of a series of documentary films of Bali with a strong emphasis on sex appeal. These films were a
revelation and now everybody knows that Balinese girls have beautiful bodies and that the islanders lead a
musical-comedy sort of life full of weird, picturesque rites. The title of one of these films, goona-goona, the
Balinese term for “magic”, became at the time Newyorkese for sex allure. (Traduction libre) Miguel
Covarrubias, op. cit., p. 354.

74
Postérieurement, goona-goona127 va devenir en outre le terme employé par les
studios de Hollywood pour baptiser une série de films produits à l’époque, ayant
pour cadre le Sud-Est asiatique et les îles du Pacifique. Ces films mêlaient une
approche esthétique soi-disant « anthropologique » à des histoires d’amour, ne se
privant pas de montrer les femmes indigènes des îles aux seins nus. Les films
artistiques et anthropologiques qui ont suivi ces œuvres ont encore renforcé cet
imaginaire. La confusion entre film anthropologique et pure fiction semble
demeurer jusqu’à aujourd’hui.

Le documentaire L’Île des Démons, de 1931, réalisé par le Baron von Plessen et
pour lequel Walter Spies était le conseiller artistique, s’inspirait de l’approche
« anthropologique fictionnelle ». Dans ce film, la principale innovation apportée
par Spies était la modification du kecak128, danse collective masculine réservée aux
usages rituels. Pour les besoins spectaculaires des tournages, le nombre des
participants s’élevait à cinquante danseurs. Après le tournage du film, cette danse a
été transformée en un spectacle, qui a rencontré un grand succès auprès des amis
de Spies et des visiteurs. Une version de ce kecak est encore présentée à Bali et
figure parmi les danses auxquelles assistaient le plus les touristes de passage sur île :

Il semble que les Balinais s’en soient rapidement désintéressés.


Toujours est-il qu’il devint populaire parmi les touristes sous le
nom de Monkey Dance, en référence au chœur d’hommes
jouant le rôle de l’armée des singes envoyés par le prince Rama
pour retrouver la belle Sita, son épouse bien-aimée enlevée par le
démon Rawana.129

Selon Michel Picard, deux villages, Bedulu et Bona, ont revendiqué l’utilisation du
chœur accompagnant le sanghyang dedari130 et le kecak. I Wayan Lambak, danseur

127
Même F. W. Murneau, ami de longue date et bienfaiteur de Walter Spies en Allemagne, allait
de son côté réaliser l’un de ses films, Tabou. Initialement pensé pour être mis en scène à Bali, le
tournage à été finalement réalisé dans les îles du Pacifique. Pendant ses années à Berlin, Spies était
assistant artistique dans des films de Murnau.
128
D’abord, il s’agissait d’un cœur masculin qui accompagnait le sanghyang dedari. Il a été
chorégraphié et reformulé à partir des années 1930 étant une des formes touristiques les plus
présentées.
129
Michel Picard et Marie-Françoise Lanfant, op. cit., p. 165.
130
Le sanghyang dedari est une forme spectaculaire balinaise liée à la pratique de la transe. Sanghyang
signifie « céleste » ou « déité » et dedari « jeune fille .

75
réputé et chauffeur de Spies, avait mis en œuvre ces changements à Bedulu, son
village natal. D’ailleurs, il a fait fréquemment référence à Wayan Lambak dans
l’extrait consacré au kecak dans Dance and Drama in Bali131. Il nous semble
également que le kecak décrit par Spies et de Zoete était déjà la version modifiée
par Limbak. Il convient de ne pas s’attarder ici sur les détails de cette adaptation,
car plus avant la naissance de l’adaptation des danses balinaises pour les touristes
sera abordée de façon plus précise.

Parmi les films documentaires dont Spies contribuera à la réalisation figurent


également Isle of Paradise (1932), réalisé par Charles Trego et Island of Bali, de
Miguel Covarrubias, qui consiste en un témoignage filmé de la vie quotidienne
balinaise de l’époque, suivi de la narration de quelques extraits de son livre. Si,
d’une part, ces films ont perpétué l’image de l’île aux seins nus, de l’autre, c’est
l’imaginaire de l’île aux artistes qui a commencé à être conçu. Postérieurement, on
va s’intéresser à cet autre succès en lien avec Bali qu’est le film Legong, the dance of
the virgins, de 1935. L’accueil de ce film fut excellent en Europe et aux États-Unis 132.
Une critique d’Anne Dessuant datant de 2012, montre combien la friction et la
confusion entre fiction et documentaire demeurent un sujet d’actualité. Le genre
de ce film est présenté comme une élégie balinaise :

Dans la lignée d’un Flaherty (Nanouk l’Esquimau), il porte un


regard dénué de tout jugement occidental sur le peuple balinais,
avec même une forte tendance admirative. Curieux de capter la
vie de ce peuple du bout du monde, La Falaise fait plus un travail
d’anthropologue que de cinéaste, à l’image des cartons, qui ne
reproduisent pas les dialogues mais expliquent les coutumes.
Pourtant, sans jamais atteindre la puissance dramatique du

131
It is impossible to write about the Ketjak without particular mention of the great Baris dancer, Limbak,
who was responsable for the development of the most famous group of Ketjak, that of north Bedoeloe, and who
still dominates and inspires it. It’s true that the creative effort which produced the astonishing ensemble we
have attempted to describe was particulary inspired by certain Europenas who felt that Limbak’s great gifts as
a dancer had not found their full expression in Baris, and urged him to make something splendid out of the
Kejkak group of his own village. But the Ketjak was of a purely Balinese inspiration . Walter Spies et Beryl
De Zoete, op. cit., p. 83.
132
L’extrait suivant de critique du quotidien Le Temps atteste l’accueil favorable du film en France :
« Legong (la Danse des Vierges) vient d’entrer dans sa deuxième semaine. C’est un roman d’amour
dans le cadre merveilleux que constitue Bali, l’île merveilleuse, et dont le film interprète
splendidement l’enchantement coloré. » « Legong: La danse des vierges », Le Temps (Numéro 26900),
Paris, France, 27 avril 1935.

76
Tabou de Murnau, le film nous émeut souvent, grâce à son
interprète principale, au charisme naturel.133

L’affiche états-unienne de Legong - The dance of the virgins, de 1935.

En 1935, les seins balinais sont légèrement couverts sur l’affiche états-unienne de
1935. Ce qui frappe dans cette pièce est la vraisemblance qu’on lui attribue au
moyen de la mise en relief plusieurs fois du mot native et par le biais du
commentaire true actually (sic) filmed in Bali : une superposition de l’affirmation
d’authenticité.

133
La comparaison avec Nanouk l’Esquimau s’avère étrange car l’histoire de « Legong : La danse
des vierges » est purement fictionnelle. De son côté, dans Nanouk, Flaherty a essayé artificiellement
de construire un recueil anthropologique, en présentant le « quotidien » de Nanouk et de sa
famille. « Legong: Dance of the Virgins », [En ligne: http://television.telerama.fr/tele/films/legong-
dance-of-the-virgins,45808522. php]. Consulté le 3 octobre 2013.

77
L’affiche suédoise du film Legong.

L’affiche suédoise préfère souligner l’imaginaire flou des mers du Sud, où Bali est
une île parmi les autres. En suédois le titre du film est Söder Havets Paradis /Legong
ou « Le paradis des mers du Sud/Legong » . Legong, la danse, est elle aussi
minimisée. Bali n’est pas particulièrement représenté. Tout ceci fait penser à un
paysage tahitien, par exemple. Cet affiche peut également évoquer les pièces
publicitaires de la KPM, et ainsi le voyage aux mers lointaines.

L’affiche française du film Legong.

78
L’affiche française mélange les scènes quotidiennes et celles du film. Le contexte
balinais est davantage présent et valorisé : on perçoit le personnage principal aux
seins nus, la danse legong accompagnée d’un gamelan, la forêt, un meru (tour), une
crémation au fond et une foule de personnes. Le legong est l’une des formes les
plus présentées aux touristes de nos jours. L’exploitation touristique de l’île,
surtout à partir des années 1970, accentua la vulgarisation de la danse.

Ces films peuvent également être considérés comme une forme d’exploitation
commerciale de l’authenticité, de l’exotisme, du regard anthropologique et
également de commercialisation des corps des Balinaises. Si à l’époque il était
interdit que les seins des Américaines apparaissent sur les pellicules, la censure
envers les seins des Balinaises n’existait pas. Ces œuvres et affiches évoquent la
nécessité commerciale de consolider la différence avec l’Autre, tout en renforçant
le caractère authentique des créations. Elles s’inscrivent également dans un besoin
d’ailleurs, d’exotisme et de dépaysement.

9. Sur le début de la commercialisation des danses à Bali


Les formes spectaculaires qui ont été observées par tous les artistes interviewés,
mais également par Antonin Artaud en 1931, par exemple, étaient déjà des
adaptations de danses balinaises conçues pour un public étranger. Dans un
premier moment, ces adaptations ont été faites afin de modeler les danses au goût
européen, en éliminant les éléments considérés comme excessivement grotesques,
tels que les sacrifices d’animaux, ou en filtrant les éléments les plus spectaculaires,
à l’image des moments de transe collective où les masques les plus effroyables
apparaissent, comme ceux de Rangda134 et du Barong135.

Il semble que l’on ne doive pas exclusivement l’émergence de la formule « danse


pour les touristes » à des artistes étrangers résidents, mais qu’elle ait découlé d’une
134
Masque appartenant à une forme spectaculaire qui représente l’histoire de la veuve de Girah, le
calonarang. Elle est nommée elle également Calonarang. Lorsque la veuve prend le masque de
Rangda, elle déclenche un duel de sorciers.
135
Nom générique qui nomme des créatures mythiques : Barong Ket, Barong Bangkal, Barong
Machan, Barong Lembu et Barong Asu. Le masque et le costume sont animés par deux hommes. Il
est également présent dans le calonarang.

79
collaboration entre tout à la fois les Balinais danseurs et les administrateurs
néerlandais liés au tourisme. Le corpus de danses et les formes spectaculaires
balinaises n’auraient jamais été non plus strictement formalisés et figés. Le fait que
certaines nouvelles formes spectaculaires soient apparues et que d’autres soient à
l’inverse tombées en désuétude n’est pas un processus uniquement propre aux
contacts des Balinais avec les Européens, mais au mouvement des formes
scéniques balinaises. Ce qui apparaît comme nouveau avec l’émergence du
tourisme dans l’île est la chorégraphie des danses et les modelages de spectacles
essentiellement réalisés pour un public étranger, contre rémunération.

a. Dance and Drama in Bali


Les premiers articles sur les formes spectaculaires balinaises datent de
l’année 1921, quand l’artiste suédoise Tyra de Kleen, publie l’article Bali : its
dances and customs. Tyra de Kleen publiera d’autres ouvrages sur Bali : Mudras : the
ritual hand-poses of the Buddha priests and the Shiva priests, of Bali en 1922 et Temple
dances in Bali, en 1923. Cependant, l’ouvrage de Walter Spies et Beryl de Zoete
Dance and Drama in Bali, est certainement un récit fondateur concernant l’analyse
des arts scéniques balinais, de par l’amplitude et le détail des descriptions qu’il
contient. Tout d’abord publié en 1938, ce livre demeure incontournable sur les
arts scéniques de l’île, un guide de référence fréquemment consulté concernant les
danses balinaises dans les années qui précédèrent le boom touristique de l’île. La
description fournie par Dance and Drama in Bali, révèle nombre d’éléments au
sujet de cette Bali encore peu affectée par le tourisme de masse. Il en est de même
du livre Island of Bali de Miguel Covarrubias, ouvrage qui, bien qu’ayant décrit des
danses et le contexte de la danse à cette époque-là, semble fort éloigné du contexte
actuel.

Beryl de Zoete et Walter Spies mettaient déjà en garde leur lecteur, dans leur
introduction, sur la difficile tâche de classer et compiler les danses et drames
balinais. Chaque village disposant de multiples variantes de celles-ci, les répertorier
toutes s’avère tout simplement impossible dans le cadre d’une seule étude :

80
Ce livre est seulement une introduction à la danse de Bali. Pour
être complet il devrait donner une image générale, non
seulement de la danse balinaise, mais également de la danse qui
survit toujours sur les autres îles de l’archipel indonésien, pour
que l’on puisse déterminer le rôle qu’elles ont joué dans la
formation des danses à Bali. (...) Bali seule fournit une telle
variété et une telle richesse de matériel que l’on ne peut pas
prétendre en donner une image complète, mais seulement
répondre à un certain nombre de questions que l’on se pose soi-
même et à celles des autres, obtenir des critiques et peut-être des
confirmations d’ethnologues et des voyageurs dans d’autres pays.
(...) Chaque village à Bali vaut une monographie ; chaque danse
et chaque gamelan.136

Il s’agit là d’un récit qui allait être amplement reproduit, y compris dans ses
malentendus, puisque les difficultés de traduction des formes spectaculaires
balinaises se prêtent à des inexactitudes :
Le pionnier Dance and Drama in Bali de De Zoete et Spies se
donne la tâche de présenter une variété des principaux genres de
théâtre balinais à des lecteurs ne disposant pas de connaissance
antérieure sur l’Indonésie. Cependant, Spies était une figure
complexe et ambiguë dans la romanticisation de l’île, ayant aidé à
forger le récit hégémonique que des travaux ultérieurs
reproduiront — en grande partie sans critique. 137

Il est difficile de connaître avec précision l’affluence touristique au début de


l’exploration coloniale. Cependant, il est certain que depuis le début de
l’exploitation touristique de l’île, les « spectacles de danses indigènes » figuraient
parmi les activités proposées aux visiteurs, dans le Bali Hotel à Denpasar 138. Après
les seins des Balinaises, ce sont les danses balinaises qui sont devenues les cartes
postales de Bali. Il est important de souligner que les Balinais eux-mêmes n’ont pas

136
This book is only an introduction to the dancing of Bali. To be complete it would have to give a general
picture not only of the Balinese dancing but of the dancing which still survives in other islands of the
Indonesian archipelago, and to determine the part they played in shaping the dances in Bali. (...) Bali alone
provides such a variety and such wealth of material that one cannot pretend to give a complete picture even of
that, but only to answer a few of one’s own and another people’s questions, to elict criticisms and occasionnally
perhaps confirmations from ethnologists and travellers in other countries. (..) Every village in Bali is worth a
monograph; every dance and every gamelan. (Traduction libre) Walter Spies et Beryl De Zoete, op. cit.,
p. 8.
137
De Zoete and Spies’s pioneering Dance and drama in Bali set itself the task of introducing the various
main genres of Balinese theatre to a readership with no background to Indonesia. However, Spies was a
complex and ambiguous figure in the romanticisation of the island and in helping to forge the hegemonic
account that subsequent works replicate – largely uncritically. (Traduction libre) Mark Hobart,
« Rethinking Balinese Dance », Indonesia and the Malay World, vol. 35 / 101, mars 2007, p. 108.
138
Michel Picard et M.-F. Lanfant, Bali..., op. cit., p. 30.

81
cessé de créer des danses et formes théâtrales au fil des années, avant ou après la
colonisation néerlandaise et l’entrée de l’île dans le capitalisme.

L’idylle des étrangers à Bali fut brusquement interrompu lors de la Seconde


Guerre mondiale, quand les Japonais prennent le contrôle de l’île en 1942.
L’occupation va bien se dérouler jusqu’au renversement de la guerre. Les Japonais
vont alors imposer le travail forcé, la production contrainte de riz et Bali passe par
une période de grande famine. Après la guerre, commence le processus
d’indépendance indonésienne, comme nous les verrons plus avant.

82
CHAPITRE II
AUTOUR DU TEXTE « SUR LE THÉÂTRE
BALINAIS » :
LES VESTIGES DE LA RENCONTRE D’ANTONIN
ARTAUD AVEC LA TROUPE BALINAISE

83
La révélation du Théâtre Balinais a été de nous fournir une idée
physique et non verbale, où le théâtre est contenu dans les
limites de tout ce qui peut se passer sur une scène,
indépendamment du texte écrit, au lieu que le théâtre tel que
nous le concevons en Occident est en partie lié avec le texte et se
trouve imité par lui.139

L’ordre chronologique de l’écriture de divers textes rend évident


que la pensée qui souligne l’une des plus importantes manifestes
théâtral du 20e siècle a commencé à prendre forme dans la revue
d’une performance vue dans un pavillon d’une exposition
exotique, coloniale. Cette déclaration peut sembler bizarre,
même un peu impertinente, puisqu’elle concerne un travail tel
que « Le Théâtre et Son Double », un livre qui est encore
considéré aujourd’hui l’expression de l’une des visions théâtrales
les plus fascinantes de tous les temps. 140

Cristina, comment es-tu arrivée à Bali ?


C’était grâce au livre d’Antonin Artaud, « Le Théâtre et son
Double ». À l’époque, j’étais en voyage en Inde et j’ai trouvé ce
livre en italien à Bénarès, la ville sacrée. Ce livre m’a parlé, il m’a
donné envie d’aller à Bali pour voir le théâtre métaphysique
décrit par Artaud.141

139
Antonin Artaud, Le Théâtre et son double / Le Théâtre de Séraphin, Paris, Folio, 1985, p. 105.
140
The chronological order of the writing of the various texts makes it evident that the thinking that underlines
one of the most important theatrical manifestos of the 20th century began to take form in a review of a
performance seen in a pavilion at an exotic, colonial exhibition. This statement may seem bizarre, even a little
irreverent, when made with respect to a work such The Theatre and Its Double, a book that still today is
considered to be the expression of one of the most fascinating theatrical visions of all time. (Traduction libre)
Nicola Savarese et Richard Fowler, op. cit., p. 52.
141
Cristina Wistari Formaggia et Juliana Coelho, « Entretien avec Cristina Wistari Formaggia ».

84
1. Introduction
La vulgarisation des images de Bali et de ses habitants n’a pas été faite
exclusivement par le biais de ces voyageurs étrangers, comme étudié dans le
chapitre précédent. Tout au long du siècle dernier, le flux de déplacements
d’artistes balinais à l’étranger fut également considérable et débuta dans le
contexte des Expositions coloniales. C’est ainsi qu’en 1931, pour la première fois,
une troupe balinaise partit se produire à l’étranger. La rencontre d’Antonin
Artaud avec cette troupe et les enjeux autour de sa perception de cette rencontre
seront le sujet principal de ce chapitre.

Il est bien connu que l’émerveillement d’Antonin Artaud devant la représentation


des performeurs balinais à l’Exposition coloniale internationale de Paris en 1931 a
produit l’un des textes les plus intrigants et remarquables de son livre Le Théâtre et
son double : « Sur le théâtre balinais ». Cette expérience a également eu des
répercussions sur un autre texte de la collection, « Théâtre oriental, théâtre
occidental », y compris sur la totalité de l’ouvrage. Ses critiques et propositions
pour le théâtre « occidental » ont été faites en prenant le théâtre balinais pour
exemple de modèle réussi. À partir de la lecture de ses textes et de l’étude du
contexte dans lequel ils ont été écrits, il semble clair qu’Artaud a essayé de
comprendre cette forme spectaculaire en ce qu’elle pourrait contribuer à la
création d’une nouvelle forme théâtrale en France. Autrement dit, il était intéressé
par ce que le théâtre balinais aurait pu apporter à sa conception d’un théâtre
nouveau, régénéré. Les visions qu’Artaud a eues à partir du spectacle balinais, qui
s’apparentaient parfois à de véritables révélations, ont fortement inspiré des
générations d’artistes de la scène et en inspirent encore.

Ainsi, le texte et l’ensemble de Le Théâtre et son double ont eu des échos au fil du
temps et directement ou indirectement influencé les rapports des artistes
européens et américains avec Bali. Ce passage de l’entretien de Cristina Wistari
Formaggia cité ci-dessus met en évidence à quel point le témoignage d’Artaud
marque encore les artistes de la scène qui se rendent à Bali. Par exemple, selon
Cristina Wistari, Le Théâtre et son double a été le grand tournant de sa vie, car ce fut

85
en raison de l’influence que ce texte eut sur elle qu’elle décida de partir pour la
première fois à Bali. Elle décida d’y retourner ensuite une seconde fois, pour
finalement choisir l’île comme résidence pendant environ 25 ans. Chez les artistes
interviewés à l’occasion de cette recherche, et pour une grande partie d’autres
encore, les textes d’Antonin Artaud ont représenté les premiers contacts avec Bali.
Ainsi, quelle serait l’influence directe des textes d’Artaud sur la perception que ces
artistes ont eue de Bali et des performances balinaises ? Lors de leurs expériences à
Bali, ont-ils réinterprété les écrits et la révélation d’Artaud ou les ont-ils confirmés ?
Comment les perceptions d’Artaud sur le théâtre balinais ont-elles été critiquées ?

Quant à elle, la déclaration de Nicola Savarese est revenue à l’origine du mythe :


une rencontre théâtrale. Fin juillet 1931142, Antonin Artaud vit le programme des
spectacles balinais qui se produisaient à l’Exposition coloniale internationale, au
pavillon des Indes Néerlandaises, à Vincennes. Cette rencontre et la succession des
faits qui ont suivi, conduisent à souscrire aux analyses de Patrica Clancy 143 et
Nicola Savarese144 qui soutiennent l’importance fondatrice de l’expérience
balinaise pour l’élaboration de l’ensemble de textes d’Antonin Artaud sur le
théâtre à cette époque-là. « Sur le théâtre balinais » fut le premier texte de la
collection présentée au Le Théâtre et son double à avoir été écrit. De nos jours, seules
des suppositions peuvent être faites par rapport à cette rencontre. L’héritage actuel
de cette rencontre, est représenté par les vestiges laissés par Antonin Artaud,
textes, lettres et manuscrits, ainsi que d’autres traces, éparpillées de-ci de-là, qui
aident progressivement à traiter le sujet. Ainsi, cette question sera clarifiée à partir
des données factuelles de l’époque : programmes, reportages et articles de presse,

142
Nous ne disposons pas d’informations précises à ce sujet. Fin juillet est la période probable pour
Patricia Clancy et début août pour Nicola Savarese. Étant donné qu’Artaud adressa une lettre à
Louis Jouvet dans laquelle il s’exprimait au sujet du théâtre balinais le 02 août 1931, les
considérations de Patricia Clancy semblent, à ce propos, justifiées. Patricia A. Clancy, « Artaud and
the Balinese Theatre », Modern Drama, vol. 28 / 3, 1985, p. 397.
143
Patricia A. Clancy, op. cit.
144
L’article de Patricia Clancy, ainsi que les textes de Nicola Savarese, sont les recueils les plus
complets concernant le contexte dans lequel la troupe balinaise est entrée en scène lors de
l’Exposition coloniale ainsi que sa rencontre avec Artaud. Dans ce chapitre, l’objectif ne consistera
pas à refaire une investigation déjà menée par Nicola Savarese, mais surtout à apporter des
informations complémentaires à cet égard. Nicola Savarese et Richard Fowler, op. cit. et Nicola
Savarese, Parigi/Artaud/Bali: Antonin Artaud vede il teatro balinese all’Esposizione coloniale di Parigi del
1931: conferenza-spettacolo, L’Aquila, Textus, 1997, 299 p.

86
des critiques de spectacles balinais et le manuscrit du texte « Sur le théâtre
balinais »145.

Les enjeux de cette rencontre seront examinés dans ce chapitre, tout en


distinguant quelques commentaires autour de la présentation de la troupe au
pavillon néerlandais, pour ensuite analyser le texte « Sur le théâtre
balinais », ainsi que quelques critiques notoires de celui-ci, et les retombées des
textes d’Antonin Artaud sur les artistes faisant l’objet de cette recherche. Pour ce
faire, les questions suivantes seront traitées : la rencontre avec la troupe balinaise a-
t-elle conforté la vision du théâtre qu’Artaud avait déjà diffusée ? Ainsi, a-t-il trouvé
ce jour-là l’incarnation de ce qu’il imaginait conceptuellement ? Ou encore, a-t-il
commencé à imaginer concrètement la possibilité d’un théâtre nouveau, à partir
de cette rencontre ?

Le seul ouvrage à se consacrer exclusivement à cette rencontre est le livre de Nicola


Savarese, Parigi/Artaud/Bali : Antonin Artaud vede il teatro balinese all’Esposizione coloniale di
Parigi del 1931146, qui reprend le cheminement commencé par Patricia A. Clancy,

145
Artaud, Antonin, « Fonds Antonin Artaud - XIV Le Théâtre de l’Atelier, le Théâtre Alfred Jarry,
Le Théâtre et son Double, autres projets. », Bibliothèque National de France, cote NAF 27441.
146
La rencontre balinaise d’Antonin Artaud a été étudiée par Savarese dans des écrits et ouvrages
antérieurs: Nicola Savarese, Teatro e spettacolo fra oriente e occidente, Roma, Laterza, 1992, 541 p.,
(« Biblioteca universale Laterza », 364). et Nicola Savarese, Richard Fowler et Vicki Ann Cremona,
Eurasian theatre: drama and performance between East and West from classical antiquity to the present ,
Updated version, Holstebro Malta Wroclaw [etc.], Icarus Pub. Enterprise Routledge, 2010.
Le livre Parigi/Artaud/Bali : Antonin Artaud vede il teatro balinese all’Esposizione coloniale di
Parigi del 1931 : conferenza-spettacolo est malheureusement en rupture de stock, et les bibliothèques
françaises n’en possèdent aucun exemplaire. Nous l’avons consulté à Holtelbro dans les archives de
l’Odin Teatret. Ce livre semble constituer un excellent recueil d’informations autour de la
rencontre artaudienne avec l’ensemble balinais. Cependant, on déplore le manque de quelques
ouvrages essentiels pour les études balinaises contemporaines, tels que Bali, Paradise created ou Bali,
tourisme culturel et culture touristique, respectivement publiés en 1989 et en 1994. Comme Nicola
Savarese a porté une attention particulière à cette période que sont les années 1930, ces ouvrages,
parmi d’autres, offrent une compréhension plus vaste sur les rapports entre Balinais et étrangers.
Ainsi, nous regrettons l’absence d’un approfondissement sur le contexte balinais de l’époque, les
débuts de l’exploitation touristique de l’île et pour finir, sur le thème plus important, de la place
des étrangers européens dans le modelage des danses en vue de l’exploitation commerciale.
Heureusement, Nicola Savarese a repris l’essentiel de ses recherches concernant cette
rencontre dans le remarquable article: 1931: Antonin Artaud Sees Balinese Theatre at the Paris Colonial
Exposition, Savarese, Nicola et Fowler, Richard, publié dans The Drama Review, l’année 2001. Ainsi,
pour plus de précisions sur le sujet de l’organisation de l’Exposition coloniale elle-même, il est
envisageable de consulter cet article.
Dans l’article « Artaud et le théâtre balinais : Les spectacles de 1931 », Elsa Clave essaye de
retracer et décrire les spectacles balinais vus par Antonin Artaud dans l’Exposition coloniale.
Cependant, le programme de l’exposition n’est pas présenté, uniquement des communications

87
où elle observe, de même que Savarese, le manque d’études dédiées au rapport
entre Antonin Artaud et la présentation de la troupe balinaise 147. Nous partageons
son étonnement face au constat que le contexte des danses balinaises présentées à
l’Exposition coloniale soit si peu étudié. Ainsi, on peut se demander : quels étaient
les spectacles présentés à l’Exposition coloniale ? Quel était le cadre de cette
première tournée d’une troupe balinaise à l’étranger ? Antonin Artaud avait-il une
idée de ce qu’il pourrait y voir ?

Ce n’était pas la première fois qu’Antonin Artaud assistait aux danses qualifiées
d’« orientales ». En 1922, il avait assisté au spectacle des danses cambodgiennes,
lors de l’Exposition coloniale à Marseille. Dans une lettre adressée à Génica
Athanasiou148, datant du 20 juillet 1922, il avait écrit : J’ai visité ici l’Exposition
coloniale. J’ai eu une impression de désolation, et aussi de calme et de fraîcheur. Du soleil,
des robes claires. J’ai pensé à tes robes. On n’y trouve pas davantage de précisions
concernant le spectacle cambodgien ni d’autres spectacles de l’Exposition de
Marseille de 1922. Il avait certainement vu les danses cambodgiennes, mais elles
ne l’avaient guère frappé. Néanmoins, même si Artaud ne fut pas touché par la
présentation cambodgienne à Marseille, on pourrait supposer qu’il souscrivait à
une certaine imagerie de l’Orient fréquente à l’époque.

2. Les événements autour du texte : « Sur le théâtre balinais »

orales avec l’ethnologue Catherine Basset. D’ailleurs, Anna Décoret-Ahiha emploie également la
description de Catherine Basset dans son ouvrage : Les danses exotiques en France: 1880-1940.
Comme Nicola Savarese a publié le programme officiel, c’est sa version de danses que sera
considérée dans ce chapitre. Elsa Clave, « Artaud et le théâtre balinais: Les spectacles de 1931 »,
Revue d’histoire du théâtre, n°2, 2006.
147
Dans cet article de 1985, Patricia A. Clancy observe : Critics and biographers alike point out the
importance of this turning-point in Artaud’s thinking on the theatre, but apart from Grotowski’s two-
paragraph accusation of complete misreading, none has compared Artaud’s impression with Balinese theatre
as it was and is, or tried to reconstruct what he actually saw and what it was meant to convey. Patricia A.
Clancy, op. cit., p. 397.
148
Génica Athanasiou fut probablement le grand amour d’Artaud et la première femme de sa vie.
C’est avec elle qu’il a réussi à entreprendre la relation amoureuse la plus durable, entre 1922 et
1927. Elle a conservé les lettres d’Artaud, publiées dans l’ouvrage auquel nous avons eu recours
pour cette citation : Antonin Artaud, Lettres à Génica Athanasiou précédées de deux poèmes à elle
dédiés..., Paris, Gallimard, 1969, (« Le point du jour »). p 25.

88
Prenons en compte la succession d’événements liés à l’écriture de ce texte. Il s’agit
là d’indices importants puisqu’ils démontrent à quel point Antonin Artaud a été
impacté par la troupe balinaise. Il s’est rendu à l’Exposition coloniale entre juillet
et début août 1931, possiblement sous l’influence des critiques positives que les
spectacles balinais avaient reçues de la presse. Par exemple, un ami d’Artaud, le
poète Florent Fels149, avait écrit une revue très élogieuse les concernant dans le
magazine Vu : journal du dimanche, comme il sera examiné plus loin.

Associant le théâtre balinais au modèle de théâtre à suivre, dans une lettre datant
du 2 août 1931, Artaud s’adressa à Louis Jouvet en ces termes : Je suis collant et
tenace, car j’ai l’impression d’avoir quelque chose à dire (...) 150. Ensuite, il s’est exprimé
au sujet de l’inutilité de la parole et de nos préoccupations sentimentales ou
psychologiques, pour finalement s’intéresser surtout au thème :

(...) de la nécessité pour le théâtre de chercher à représenter


quelques-uns des côtés étranges des constructions de
l’inconscient, tout cela en profondeur et en perspective, sur le
plateau, dans des hiéroglyphes de gestes qui soient des
constructions désintéressées et absolument neuves de l’esprit,
tout cela est comblé, satisfait, représenté, et au-delà par des
surprenantes réalisations du Théâtre Balinais qui est un bon
camouflet au Théâtre tel que nous le concevons. 151

Son enthousiasme concernant le théâtre balinais a fait l’objet de plusieurs lettres à


Jean Paulhan, éditeur de La Nouvelle Revue Française. Quelques jours après, le 05
août 1931, le thème du spectacle balinais apparaissait dans une lettre envoyée à
Jean Paulhan. Le 1er octobre 1931, le texte d’Artaud, « Le Théâtre Balinais, à
l’Exposition Coloniale », fut publié dans le numéro 271 de La Nouvelle Revue
Française. Le manuscrit de ce texte est daté du 11-12 août 152. De ce fait, il a
149
Il est fort probable qu’Artaud ait décidé d’aller voir les spectacles balinais en ayant été influencé
par les commentaires de Florent Fels.
150
Antonin Artaud, Œuvres complètes. 3: Scenari. A propos du cinéma. Lettres, Nouv. éd. revue et
augm, Paris, Gallimard, 1978, p. 217.
151
Ibidem, p. 218.
152
« Frappé par cette découverte, il rédige des notes dont ce manuscrit constitue la mise au net
préparée pour l’impression par Jean Paulhan, en vue de la parution d’un article dans le n° 271 de
la NRF, le 1° octobre 1931. Datées des 11 et 12 août 1931, ces remarques font état du choc ressenti
face à un spectacle qui réalisait « avec la plus extrême rigueur l’idée d’un théâtre pur » et dont les
éléments sont immédiatement analysés. » Bibliothèque nationale de France, Antonin Artaud, Paris,
Bibliothèque nationale de France : Gallimard, 2006, p. 114.

89
probablement travaillé intensivement ce texte, entre le jour où il est allé voir les
spectacles et l’achèvement de ce premier manuscrit 153. Presque la totalité de ce
premier texte publié constituerait la première partie de « Sur le théâtre balinais »,
la deuxième partie étant constituée de notes prises sur des manuscrits et des lettres.
L’ensemble des textes, articles, conférences et lettres qui formeraient Le Théâtre et
son double a été tout d’abord transmis à Jean Paulhan le 6 janvier 1936, entre son
retour du Mexique et son voyage en Irlande154.

Le bouleversement produit par les spectacles balinais a engendré une réflexion


beaucoup plus profonde sur le théâtre de son époque. Dans l’une des lettres qu’il
adressa à Jean Paulhan, datée du 6 septembre 1931, il a décrit son éblouissement
devant un tableau flamand du XVIe siècle, qu’il avait découvert lors d’une visite au
Louvre juste quelques jours après sa visite à l’Exposition coloniale :

Avez-vous remarqué au Louvre les peintures d’un certain Lucas


Van den Leyden. Ce n’est pas sans ressemblances avec le Théâtre
Balinais. Et cela donne l’idée d’un certain théâtre supérieur,
d’inspiration certainement ésotérique comme doit être tout vrai
théâtre qui se respecte. Il y a autant de différences entre cette
peinture peu connue […] et la soi-disant grande peinture des
Titien, des Rubens, des Véronèse, de Rembrandt même, et autres
façonniers émérites et artisans d’un plâtras où se joue seulement
l’épiderme de la lumière, des formes et des significations, —
qu’entre le théâtre d’initiés ancestraux des Balinais et notre sale
théâtre à nous.155

L’œuvre à laquelle Artaud a fait référence est celle-ci :

153
Artaud was so struck by the Balinese dancers that he spent most of the summer writing several versions of
what was to become his article on “Le Théâtre Balinais, à l’Expostion Coloniale”, which appeared in the
Nouvelle Revue Française in October.
154
C’est dans une lettre écrite lors de son voyage en bateau en direction du Mexique qu’Artaud a
annoncé à Jean Paulhan le nom de son livre : « J’ai trouvé pour mon livre le titre qui convient. Ce
sera : Le théâtre et son double. ». L’envie de publier ses écrits sur le théâtre avait surgi en 1935.
Finalement, son livre parut le 7 février 1937, dans la collection Métamorphoses chez Gallimard.
Antonin Artaud, op. cit., p. 234. Florence Braunstein, « Le théâtre et son double, livre de Antonin
Artaud » , Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 3 août 2015. URL :
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/le-theatre-et-son-double/
155
Antonin Artaud, Œuvres complètes, V: Autour du « Théâtre et son double » et des “Cenci”,
Nouvelle éd. revue et augmentée, Paris, Gallimard, 1979, (« Œuvres complètes /Antonin Artaud »),
p. 55.

90
Loth et ses filles, tableau anonyme attribué à Lucas de Leyde.

Le tableau Loth et ses filles, classé comme anonyme au Musée du Louvre, mais
attribué à Lucas de Leyde, est un portrait juxtaposé de différentes scènes de
l’épisode biblique de la chute de Sodome et Gomorrhe représentant la destruction
de ces villes, la fuite de Loth et de ses filles, la femme de Loth transformée en
statue de sel et l’inceste qui s’ensuivit entre le père et ses filles.

Le rapprochement entre ce tableau et les spectacles balinais auxquels il avait assisté


laisse supposer à quel point ces derniers l’avaient bouleversé et comment ils ont
passionnément influencé ses pensées pendant la période d’écriture du texte et
encore bien après. Dans cette association entre le théâtre balinais et ce tableau,
nous pourrions penser à une quête de correspondances esthétiques entre ce dont il
a témoigné et certaines formes plastiques européennes. Ainsi, peut-être a-t-il été

91
attiré par le cheminement esthétique que ce tableau lui proposait, puisqu’un
chemin s’avérait indispensable pour réinventer le théâtre européen. Ainsi, voici
l’une des questions qu’il aurait pu se poser : comment réinventer le théâtre en
France et avec quels codes esthétiques, alors que les codes asiatiques étaient si
hétérogènes ?

En outre, le thème du tableau Loth et ses filles était également cher à Artaud : la
chute de Sodome et Gomorrhe est l’allégorie de la destruction d’un monde
corrompu marqué par les vices. L’univers du tableau est en quelque sorte une
métaphore de la décadence qu’il ne retrouvait pas uniquement au théâtre, mais
également dans presque tous les secteurs de la société européenne. D’après lui,
dans cette Europe des années 1930, le théâtre ne pourrait plus être appelé théâtre
et cette affirmation est assez fréquente dans ses textes et ses lettres de l’époque. Il
exprimait une envie récurrente de rupture avec ce théâtre dégénéré de cette
période et également le sentiment qu’une catastrophe se préparait et que cette
civilisation était vouée à une fin imminente. Selon Brunel 156, Artaud était (...)
marqué par les grandes visions pessimistes d’Oswald Spengler (Le Déclin de l’Occident,
1918) et de René Guénon157 (La Crise du Monde moderne, 1927). Ainsi, pendant la
période d’élaboration du Théâtre de la Cruauté, le théâtre occidental allait être
continuellement associé aux mots décadence, dégénérescence, impureté, faux, perversion.

Loin d’être le fruit d’une hallucination, le texte « Sur le théâtre balinais » d’Artaud
a été consciencieusement travaillé, du moins sa première partie. Un nouvel indice
de sa préoccupation concernant ses analyses du théâtre balinais apparaît dans une
autre lettre datant du 30 octobre 1931, dans laquelle il demanda à Louis Jouvet
son opinion concernant le théâtre balinais : J’aimerais bien que vous ayez lu dans la
Nouvelle Revue Française d’octobre mon article sur le Théâtre Balinais et que vous m’en
parliez158. Le 8 décembre 1931, Artaud a participé à un débat organisé par le

156
Pierre Brunel, Théâtre et cruauté ou Dionysos profané, Paris, France, Librairie des Méridiens, 1982,
p. 41.
157
Françoise Bonardel est du même avis. Artaud ou la fidélité à l’infini, Editions Pierre-Guillaume de
Roux, 2014, rééd. 430 p.
158
Antonin Artaud, op. cit., p. 229.

92
groupe l’Effort, intitulé « Destin du théâtre », à la salle Iéna, à Paris159. Deux jours
plus tard, le 10 décembre 1931, à l’amphithéâtre Michelet de la Sorbonne, il a
dispensé la conférence « La Mise en scène et la métaphysique », à l’occasion d’un
événement organisé par le Groupe de recherches philosophiques et scientifiques pour
l’examen des tendances nouvelles, fondé et animé par le docteur René Allendy160, son
ancien psychiatre. Dans la presse, cette dernière conférence était annoncée sous le
titre « La Mise en scène et le théâtre ». D’ailleurs, la première version de la
conférence est intitulée « Peinture »161. Aussi bien la conférence que le texte « La
Mise en scène et la métaphysique », dont la première version fut publiée dans le
n° 221 de La Nouvelle Revue Française du 1er février 1932, auraient pour point de
départ une analyse du tableau Loth et ses filles.

Ce qui est assez intéressant est la confrontation entre le tableau lui-même et sa


description faite par Artaud, puisque de nombreuses incohérences et inventions
peuvent y être relevées. Sa description peut être considérée comme une véritable
mise en scène personnelle de l’œuvre. Voici dans cet extrait, comment il a dépeint
Loth et ses filles dans ce tableau :

Une tente se dresse au bord de la mer, devant laquelle Loth, assis


avec sa cuirasse et une barbe du plus beau rouge, regarde évoluer
ses filles, comme s’il assistait à un festin de prostituées. Et en
effet, elles se pavanent, les unes en mères de famille, les autres en
guerrières, se peignent les cheveux et font des charmes, comme si
elles n’avaient jamais eu d’autre but que de charmer leur père, de
lui servir de jouet ou d’instrument.162

Cependant, la confrontation entre le tableau et sa description de la scène ne


présente guère de concordance. Dans ce tableau, l’une des filles de Loth, assise à
ses côtés, semble repousser les avances de son père, tout en tournant la tête. Loth,
à l’inverse, l’enveloppe de ses bras, laisse une main sur celle de sa fille, et l’autre
proche de son cou et de l’un de ses seins. La comparaison de la description
159
Artaud a semblé déçu par cette communication, car il a jugé que le public était trop hétérogène,
et n’était pas prêt à recevoir l’analyse métaphysique et générale qu’il avait présentée.
160
René Allendy a cofondé la Société Psychanalytique de Paris. Il a accompagné Artaud pendant
l’année 1927, et avait Anaïs Nin comme patiente.
161
Antonin Artaud, Oeuvres complètes. 5. Autour du Théâtre et son double et des Cenci, Paris, Gallimard,
1964, p. 252.
162
Antonin Artaud, op. cit., p. 49.

93
d’Artaud avec le tableau lui-même montre à quel point ce dernier se montrait
inventif dans sa description du concret. En décrivant ce tableau dans son texte de
« La Mise en scène et la métaphysique », il a cherché à trouver des éléments de
correspondance, pour parvenir à un théâtre à l’état pur :

Une forme de cette poésie dans l’espace, — en dehors de celle qui


peut être créée par des combinaisons de lignes, de formes, de
couleurs, d’objets à l’état brut, comme on en trouve dans tous les
arts, — appartient au langage par signes. Et on me laissera parler
un instant, j’espère, de cet autre aspect du langage théâtral pur,
qui échappe à la parole, de ce langage par signes, par gestes et
attitudes ayant une valeur idéographique tels qu’ils existent dans
certaines pantomimes non perverties.163

Ces aspects concrets décrits par Antonin Artaud renvoient aux spectacles balinais
auxquels il a assisté à Vincennes. Alors, cette évidence renforce l’importance de ces
derniers dans la formulation de sa pensée sur le théâtre de l’époque : car il y en a
d’autres comme le théâtre oriental heureusement qui ont su conserver intacte l’idée du
théâtre164. Ainsi, quels étaient les spectacles présentés à l’Exposition coloniale ?
Quel était le cadre de cette première tournée d’une troupe balinaise à l’étranger ?
Antonin Artaud avait-il une idée de ce qu’il pourrait y voir ?

3. L’Exposition coloniale en synthèse


L’Exposition coloniale de 1931 fut dans son ensemble, l’un des plus remarquables
événements du genre et le plus grand réalisé par la République française au siècle
dernier. Entre les mois de mai et de novembre, 33 millions de visiteurs se sont
rendus au Bois de Vincennes pour visiter le gigantesque parc d’attractions censé
représenter les gloires des métropoles et leurs colonies. Entre autres, elle
s’inscrivait dans la lignée d’événements consacrés à la présentation des peuples

163
Ibidem, p. 59.
164
Ibidem, p. 55.

94
indigènes en Europe 165, et parallèlement, au renforcement de l’image
prétendument bienveillante des métropoles à l’égard de leurs colonies.

À partir du XIXe siècle, les états européens se partageaient encore une grande
partie du territoire du globe, dans un contexte de domination colonialiste. La
relation entre ces états et leurs colonies était extrêmement hétérogène. Ces
systèmes de domination trouvaient leur source dans tout un édifice juridique, politique,
iconographique (images fixes et cinéma), propagandiste, mais aussi scientifique 166. En
France, aussi bien que dans d’autres pays d’Europe, les exhibitions et expositions
coloniales et universelles étaient à la fois un moyen d’affirmation du pouvoir des
métropoles, et une manière de promouvoir le système colonial comme la meilleure
façon d’administrer le globe. Par exemple, les textes du guide officiel de
l’Exposition coloniale de 1931 faisaient référence à « la grande famille de
l’humanité », composée par des Européens et, pour employer la dénomination
courante, des « indigènes », tout en évoquant l’importance et la nécessité de la
colonisation, sans faire guère mention des conditions d’existence dégradantes
auxquelles ces « indigènes » étaient soumis.

165
Si l’on se remémore l’épisode nommé « fête brésilienne » par Ferdinand Denis, c’est-à-dire de
l’entrée royale inattendue de Henri II et Catherine de Médicis, on pourra peut-être trouver
l’origine lointaine de la mise en spectacle de l’exotique. En effet, en 1550, afin de commémorer la
présence française au Brésil, ainsi que l’alliance entre les tupinambas et les commerçants
normands, ces derniers organisèrent une entrée royale singulière. Après l’entrée proprement dite
du roi, suivie par un cortège d’ambassadeurs et d’habitants de la ville, les représentations qui ont
suivi, au lieu de dépeindre des thèmes religieux, ont mis en scène la vie des indiens brésiliens
tupinambas. Ensuite fut reconstituée une bataille navale fictive entre Français et Portugais. Pour ce
faire, 50 indiens venus du Brésil et 250 matelots normands ont été engagés. Ce n’était pas la
première fois que des indiens d’Amérique venaient en France, mais il s’agit possiblement de la mise
en scène la plus importante qui ait été proposée jusque-là. Beatriz Perrone-Moisés, « L’alliance
normando-tupi au XVIe siècle: la célébration de Rouen » , Journal de la société des américanistes,
vol. 94 / 94-1, juillet 2008, p. 45-64e t Catherine Hodeir et Michel Pierre, L’exposition coloniale:
1931, Bruxelles [Paris], Éd. Complexe, 1991, (« Mémoire du siècle » , 5 8) , p. 15.
http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?document-la-fete-cannibale-de-1550.html
166
Blanchard Pascal, « Décolonisons nos mentalités ! » , Revue internationale et stratégique, 2009,
p. 122.

95
167

Une affiche de l’Exposition Coloniale de 1931.

À l’époque, la France était une métropole qui s’étendait sur les cinq continents et
disposait d’une population totale de 60 millions d’habitants d’outre-mer, contre
40 millions de métropolitains. Pour l’Exposition coloniale de 1931, deux valeurs
de la grande France se voulaient représentées : la diversité et le rayonnement.
Ainsi, en plus de vouloir matérialiser le rôle bienveillant de l’ensemble de l’édifice
colonial, c’est-à-dire ses actions et ses valeurs, les expositions universelles et
coloniales ont été l’occasion pour les métropolitains de découvrir les « indigènes ».
De ce fait, ces rencontres allaient forcément changer la perception esthétique et
artistique des métropolitains. On leur proposerait de découvrir des civilisations
autres ainsi que leurs œuvres artistiques, ces dernières étant parfois considérées
comme riches et complexes. Afin d’apporter davantage d’authenticité à cette
entreprise, l’environnement créé se voulait être un échantillon fabriqué de la vie
167
Parmi de nombreuses affiches de l’Exposition coloniale de 1931, nous avons choisi celle où les
Balinais sont représentés.

96
dans les colonies, produit dans un cadre de domination. L’impression d’altérité
qui se dégageait de cette confrontation était tributaire de cette mise en scène
arbitraire des peuples colonisés. Le rapport de pouvoir entre les spectateurs et les
performeurs était inégal, puisque ces derniers, soumis à des privations
considérables lors de leurs séjours en Europe et mis en scène dans un dispositif
similaire à celui des animaux des zoos animaliers, se voyaient contraints de
caricaturer la vie en colonie :

Ces exhibitions d’indigènes s’imposent en France dans le dernier


tiers du XIXe siècle comme le premier espace de rencontre avec
« l’Autre ». Phénomène majeur de la culture de masse, elles se
déroulent jusqu’aux débuts des années 1930. Leur succès est dû à
la fascination pour les peuples et les contrées exotiques. Ces
exhibitions constituent également des dispositifs culturels par
lesquels se vulgarise l’idée de « race » et de « différence ». Les
anthropologues utilisent d’ailleurs, jusqu’au début du XXe siècle,
les « spécimens humains » présentés dans ces « zoos humains »
pour leurs propres recherches anthropométriques. Travaux
savants, spectacles populaires des « sauvages » (y compris sur les
scènes de théâtres ou de music-hall) et discours coloniaux
s’articulent de manière complexe et non systématique, délimitant
les contours d’un univers mental où la supériorité raciale et
culturelle de l’Occident légitime – voire rend nécessaire – la
domination coloniale.168

L’envie d’authenticité était importante puisqu’elle révélait un appétit de vérité, de


voir les autres mondes tels qu’ils étaient. Dans ce cadre, chaque exposition essayait
de surpasser la précédente. À l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931, l’envie
d’exactitude et de rigueur dans le champ de l’authenticité apparaissait déjà dans le
guide officiel :

Vous ne trouverez pas ici une exploitation des bas instincts d’un
public vulgaire. [...] Point de ces bamboulas, de ces danses du
ventre, de ces étalages de bazar qui ont discrédité bien d’autres
manifestations coloniales, mais de vraies reconstitutions de la vie
tropicale avec tout ce qu’elle a de vrai pittoresque et de
couleur.169

Blanchard Pascal, op. cit., p. 122.


168

André Demaison, A Paris en 1931. Exposition coloniale internationale. Guide officiel. Texte de A.
169

Demaison, Paris, Mayeux, p. 18.

97
D’après l’examen des critiques des spectacles à l’Exposition coloniale, nous
percevons à quel point le programme balinais a été salué à ce sujet. Les spectacles
balinais ont fait sensation et, contrairement au très attendu ballet du Cambodge,
ils ont été spécialement applaudis pour leur originalité et leur haut degré
d’authenticité. Cependant, dans quelle mesure étaient-ils réellement authentiques ?

Le discours d’Antonin Artaud sur le théâtre balinais était également à contre-


courant de ce rapport de supériorité/infériorité entre métropoles et colonies créé
par l’appareil colonial. Au lieu de prôner les vertus de l’Europe, Artaud, de même
que les surréalistes, allait critiquer durement le système colonial, en pointant ses
contradictions et sa décadence. Malgré son succès, l’Exposition coloniale de 1931
a rencontré une opposition forte de la part du groupe surréaliste ainsi que des
communistes. Les surréalistes ont même organisé une contre-exposition au siège
du Parti Communiste, qui a réuni seulement 5000 visiteurs.

170

Plan général de l'Exposition colonial à Vincennes.

4. Les spectacles balinais à l’Exposition coloniale de 1931

170
« [Plan général de l’Exposition coloniale internationale de Paris de 1931] », [En ligne :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84590341]. Consulté le 3 février 2016.

98
a. Le pavillon des Pays-Bas
Situé dans l’allée sud de l’Exposition, le pavillon néerlandais 171 était dans son
ensemble formé des créations inspirées de plusieurs bâtiments du patrimoine
ancien de l’archipel. Il avait été dessiné par les architectes P. A. J. Moojen et W. J.
G. Zweedijk. Composé de différentes sections, le pavillon était conçu dans
l’objectif de représenter la grandeur et l’importance de l’empire colonial
néerlandais tout en présentant l’héritage artistique de l’archipel.

172

La façade principale du Pavillon des Pays-Bas à l’Exposition coloniale.

171
L’article de Nicola Savarese fournit davantage de précisions concernant le pavillon néerlandais.
Nicola Savarese et Richard Fowler, op. cit.
172
Fotograf Unbekannt, « Exposition Coloniale Internationale, 1931, Paris, Pavillon des Pays-Bas,
Facade Principale », ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv / Fotograf: Unbekannt, Fotograf /
Fel_056749-RE / Unbekannt, Nutzungsrechte müssen durch den Nutzer abgeklärt werden, .

99
173

Le pavillon néerrlandais de l'Exposition coloniale de 1931 sous un autre angle.

À l’intérieur du pavillon se trouvait le village indigène, composé de reproductions


de portes, d’autels, de murs et de tours de l’île de Bali. La cour intérieure du
bâtiment principal consistait en une reproduction de la cour intérieure d’un
temple balinais, associée à des murs typiquement balinais décorés et à un candi
bentar, l’entrée caractéristique des temples à Bali. En passant par cette entrée, le
public accédait à un jardin qui faisait face au théâtre. Alors, on peut imaginer
l’atmosphère dans laquelle les spectateurs étaient subitement plongés avant
d’accéder au théâtre où se déroulaient les spectacles balinais. Le décor avait pour
rôle de les mener au cœur d’un temple, en reproduisant l’environnement des
festivals balinais.

Parmi les documents présentés à l’Exposition coloniale, figuraient le film Goona-


goona : an authentic melodrama of the isle of Bali, proposé sous le nom The Kriss, ainsi
que le livre de Rudolf Goris, illustré par des photographies de Walter Spies, The
Island of Bali : Its Religions and Ceremonies 174. Artaud avait-il eu accès à ces
documents ? A-il eu accès au livre de Gregor Krause, paru quelques années

173
Fotograf Unbekannt, « Exposition Coloniale Internationale, 1931, Paris, Pavillon Neerlandais »,
ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv / Fotograf: Unbekannt, Fotograf / Fel_056780-VE /
Unbekannt, Nutzungsrechte müssen durch den Nutzer abgeklärt werden.
174
Adrian Vickers, op. cit., p. 153.

100
auparavant ? Artaud a-t-il écrit « Sur le théâtre balinais » uniquement à partir de
son expérience en tant que public ? Les données recueillies dans le cadre de cette
recherche ne permettent pas de répondre à ces questions.

b. Le programme des spectacles175

Quand le gouvernement néerlandais a invité la troupe de


musiciens et de danseurs de Cokorda Gede Raka Soekawati à se
produire à l’Exposition coloniale de Paris en 1931, son
programme était assez semblable aux performances touristiques
données au Bali Hotel.176

La programmation officielle comportait deux programmes différents de


manifestations balinaises. Il semble que le premier ait été le permanent,
Participation néerlandaise, l’Exposition coloniale : Programme de la musique et des
danses177, et comportait les spectacles programmés lors de toute l’exposition. Il était
composé des attractions suivantes :

1. Gong — Un épilogue musical


2. Danse du Gong
3. Legong
4. Angkloeng — Un intermède musical
5. Tjalong Arang178

175
Il semble qu’il existait une différence entre le programme officiel de l’exposition et d’autres
documents, tels que le Programma van musiek en dansen door een gezelschap van Bali, de Tjokorda
Gede Soekawati. Michel Picard fait référence à ce document pour annoncer un programme très
différent de l’officiel dans son article Dance and Drama in Bali. Malheureusement, nous n’avons pas
eu accès à l’article de Soekawati en question pour clarifier cette information. Le consensus général
est que le programme était formaté pour être présenté à un public étranger: Au sujet des danseuses
javanaises et balinaises de la section néerlandaise, André Demaison, auteur du dit guide, affirma : « Leurs
costumes de danses sont authentiques et leurs instruments de musique d’origine parfaitement pure » et
d’ajouter « […] c’est la première fois en Europe que l’on pourra faire connaissance avec les danses des Indes
d’une manière parfaitement authentique » (138). Pourtant, le programme donné par la troupe balinaise se
composait d’une succession de danses appartenant à différents genres artistiques, certaines traditionnelles et
d’autres de création récente, dont le principe avait été élaboré dès les années 1920 à l’intention des touristes
arrivés dans l’île (Basset, 1998). Il ne s’agissait donc pas d’un spectacle « purement » balinais dans la mesure
où, tel qu’il était agencé, il s’adressait à un auditoire non autochtone. Anne Decoret-Ahiha, « L’exotique,
l’ethnique et l’authentique », Civilisations. Revue internationale d’anthropologie et de sciences humaines,
janvier 2006, p. 159.
176
When the Ducht government invited Cokorda Gede Raka Soekawati’s troupe of musicians and dancers to
perform at the Paris Colonial Expositions in 1931, the program were fairly similar in design to the tourist
performances given at the Bali Hotel. (Traduction libre) Picard, Michel, « Dance and Drama in Bali »,
in Being Modern in Bali: Image and Change, New Haven (Conn.), Yale Southeast Asia Studies, ,
(« Monograph 43/ Yale Southeast Asia Studies »), p. 129.
177
Nicola Savarese, op. cit. p.37-45.
178
Voici l’enregistrement réalisé lors de l’Exposition coloniale « [Musée de la parole et du geste]. ,
Tjalon Orang: théâtre balinais / Voix, choeur, gamelan et vièle rebab », 1931.

101
Le second programme des spectacles, Programme Officiel des fêtes du 7 au 13 juillet,
était légèrement différent :
1. Gong — Un épilogue musical
2. Danse du Gong
3. Gebiar
4. Djanger
5. Lasem
6. Legong
7. Rakasasa
8. Barong

102
179

La page de couverture du Programme de la musique et des danses balinaises présentées à


l’Exposition coloniale de 1931.

Parmi les danses présentées, quelques-unes étaient des créations relativement


récentes, comme le kebyar180, et le janger181. Par exemple, le style kebyar surgit à
partir des années 1920, comme un mouvement révolutionnaire de la musique et
de la danse. Le kebyar duduk182 fut créé par le danseur I Ketut Maria et réalisé dans
la position accroupie. Aucune danse de la cour intérieure du temple n’était

179
Nicola Savarese, op. cit., p. 37.
180
Style de danse et de musique née aux années 1920.
181
Style de théâtre-dansé chanté ayant un coeur de filles.
182
Duduk signifie assis en indonésien ou malais. En réalité, la danse était d’abord qualifiée de kebyar
jongkok, c’est-à-dire de kebyar accroupi. Le terme duduk a été ajouté postérieurement, alors que cette
danse faisait déjà partie du répertoire du Bali Hotel à Denpasar. Michel Picard, op. cit., p. 153.

103
présentée, ce qui démontre que ce programme était surtout tourné vers le
divertissement. Le calonarang183 fait néanmoins exception. Malgré le fait qu’il
s’agisse d’une performance présentée près des cimetières et carrefours, le
calonarang a été considéré comme une performance ayant un haut niveau de
sacralité. Comme évoqué dans le chapitre précédent, ce fut l’une des premières
performances à avoir été chorégraphiée, grâce aux éléments fortement
spectaculaires qui la composaient : la transe collective, simulée ou non, et les
personnages masqués de Rangda et du Barong, ce dernier animal mythique étant
qualifié par Antonin Artaud de « dragon ». Parmi les masques balinais, celui de
Rangda et du Barong sont particulièrement porteurs d’un pouvoir sacré, la sakti.

Ainsi, l’utilisation de ces masques à l’étranger, pour un public non balinais et dans
un cadre non cérémoniel poserait un problème intéressant aux Balinais 184. Les
masques présentés à l’Exposition coloniale ont été tout spécialement
confectionnés pour cette occasion. Selon une enquête menée par Michel Picard
auprès des membres de la troupe, les masques utilisés à Paris n’avaient pas été
consacrés. Par conséquent, ils étaient dépourvus de leur pouvoir rituel. L’auteur
précise que ses informateurs lui ont donné des explications contradictoires et
ambiguës à ce sujet. Par exemple, la majorité des interviewés lui ont expliqué que
la sortie à l’étranger d’objets consacrés n’était pas appropriée et c’était pour cette
raison que les masques n’avaient pas passé les rites nécessaires. Cependant, un
autre informateur a évoqué une autre explication : les masques n’avaient pas été
consacrés simplement par manque de temps.

c. L’ensemble balinais : les danseurs et les musiciens


Déjà avant les présentations aux Pays-Bas et à Paris, lors de l’Exposition coloniale
de 1931, une troupe de danseurs balinais le Janger Kedaton et le Gamelan Belaluan
se sont produits dans un festival à Batavia, en 1929, invités par Cokorda Gede
Raka Sukawati185. Le programme des spectacles balinais annonçait qu’ils étaient
composés d’un total de cinquante et une personnes, dont quatorze femmes et
183
Voir note 134.
184
Nous reprenons ici une enquête menée par Michel Picard, dans son texte « Dance and Drama In
Bali ».
185
Michel Picard, « Dance and Drama In Bali », Being Modern in Bali, New Haven : Yale Southeast
Asia Studies, 1996, p.127

104
trente-sept hommes. Même si l’identité de l’ensemble des performeurs n’était pas
précisée, les noms de quelques interprètes avaient été affichés : I Dewa Gde
Raka186, jouant le Roi Erlangga, Djero Tjandra, tenait le rôle du Patih, Tjokorda
Gede Rai Sajan, dans celui de Pandoeng et Ni Rimpeg, interprétant Laroeng. Le
conducteur du gamelan, nommé chef d’orchestre, était I Dewa Gde Mandra,
présenté en tant que joueur de Kedang. Et enfin, pour ce qui est des décors, les
responsables officiels étaient Tjokorda Agoeng et Tjokorda Oka Toeblen. Le
Cokorda Gede Raka Sukawati (ou Tjokorda Gede Raka Soekawati dans l’ancienne
graphie) dirigeait cette troupe. Sur les photos suivantes, apparaît Cokorda Gedé
Raka Sukawati, parmi quelques danseuses :

187

Cokorda Gedé Raka Sukawati entouré des danseuses.

186
Dans le corps du texte, l’écriture du programme a été conservée. Si le spectacle avait lieu à notre
époque, les noms des performeurs et musiciens seraient écrits de la sorte : I Dewa Gede Raka, Jero
Candra, Cokorda Gede Rai Sajan, Ni Rimpeg, I Dewa Gede Mandra, Cokorda Agung, Cokorda
Oka Tublen.
187
Agence de presse Meurisse Agence photographique, « Exposition Coloniale, pavillon de la
Hollande : danseuses de Bali: [photographie de presse] / Agence Meurisse», [En ligne:
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9029244h]. Consulté le 3 février 2016.

105
188

Cokorda Gedé Raka Sukawati entouré des danseuses.

Cokorda Gede Raka Sukawati a joué un rôle fondamental dans la promotion des
arts à Peliatan et Ubud. En tenant compte du contexte de l’époque, du laissez-
passer dont bénéficia Walter Spies pour se rendre à Ubud et de son amitié avec
Cokorda G. R. Sukawati, il est possible d’affirmer que Walter Spies a pu
probablement influencer la troupe balinaise qui se rendait à l’Exposition coloniale,
même si aucune preuve concrète attestant de cela n’a pu être avancée. L’influence
de Walter Spies n’aurait pu se diffuser sans le consentement et les encouragements
de Cokorda G. R. Sukawati, comme en témoigne l’enquête menée par Mark
Hobart :

En 1971, le témoignage que Cokorda Gede Agung Sukawati m’a


donné avait des aperçus fascinants de la façon dont les Balinais
déterminaient constamment les prédilections néerlandaises. En
vivant en face du Bali Hotel à Denpasar et en devenant guide,
Cokorda déduisait ce que les Européens voulaient comme art. En
comprenant que le Balinais ne pourrait ni apprécier, ni offrir ce
que les maîtres coloniaux voulaient, la famille a décidé de séduire
à Ubud le seul étranger qu’ils connaissaient et qui semblait avoir
les qualifications justes, le chef de musique du Sultan
d’Yogyakarta de ce temps-là, un certain Walter Spies. Le résultat

188
Agence de presse Meurisse Agence photographique, « Exposition Coloniale, pavillon de la
Hollande : danseuses de Bali : [photographie de presse] / Agence Meurisse », [En ligne :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9029280c]. Consulté le 3 février 2016.

106
a été un chapitre célèbre dans l’histoire de la romantisation de
l’île.189

Le succès que les danses balinaises ont rencontré à Paris lors de cet événement
largement médiatisé a ouvert les portes de la danse balinaise au monde. La
participation de la troupe a possiblement sensibilisé aux possibilités commerciales
de ces formes artistiques :

Le premier véhicule majeur de la vente de la culture était la très


réussie tournée européenne d’une troupe balinaise en 1931,
menée par Cokorda Gede Raka Sukawati et présentant les
légendaires Anak Agung Gede Mandra et Made Lebah. Cette
tournée a démontré le pouvoir de séduction et la viabilité des arts
balinais et les potentiels bénéfices de la vente de la musique.
Certains Balinais, tout comme Walter Spies, ont pris conscience
de l’émergence de l’apparition de Bali dans la conscience
mondiale et ont mis en œuvre de nouveaux sites touristiques. 190

Toute tentative de découvrir l’identité d’une partie des artistes balinais présents à
l’Exposition coloniale, n’aboutit malheureusement qu’à des indices éparpillés. Par
exemple, lors d’une proposition de tournée aux États-Unis en 1952, le
compositeur et musicien Anak Agung Gede Mandera, issu du village de Peliatan,
confia en ces termes à John Coast son expérience parisienne :

« Beh ! Je voudrais aller à l’étranger de nouveau. Est-ce que Tuan


sait que du temps des Néerlandais, Tjokorda Sukawati nous a
amenés à l’Exposition de Paris avec l’orchestre dont vous parlez ?
Mais nous étions cachés, nous les Balinais, comme des serfs et
nous avons vu très peu de Paris ou des étrangers. Mais

189
In 1971 the late Cokorda Gede Agung Sukawati gave me his account, which contained fascinating
glimpses of how Balinese purposefully set about determining Dutch predilections. Living opposite the Hotel
Bali in Denpasar and through becoming a guide, the Cokorda inferred what Europeans wanted was art.
Realising that Balinese could neither yet appreciate nor deliver what the colonial masters wanted, the family
decided to lure to Ubud the only foreigner they knew who seemed to have the right qualifications, the then
bandmaster to the Sultan of Yogyakarta, a certain Walter Spies. The outcome was a celebrated chapter in the
history of the romanticisation of the island. (Traduction libre) Mark Hobart, op. cit., p. 116-117.
190
The first major vehicle in selling culture was the wildly successful European tour of a Balinese troupe in
1931, led by Cokorda Gede Raka Sukawati and featuring the legendary Anak Agung Gede Mandra and
Made Lebah. This tour demonstrated the seduction and viability of Balinese arts and the potential profit in
selling music. Several Balinese, as well as Walter Spies, became aware of Bali’s emergence mergence in world
consciousness and set up new tourist venues. (Traduction libre) David Harnish, « Teletubbies in
Paradise: Tourism, Indonesianisation and Modernisation in Balinese Music » , Yearbook for
Traditional Music, vol. 37, janvier 2005, p. 109.

107
aujourd’hui, l’Indonésie est un pays libre et tout serait très
différent. »191

D’après l’ouvrage Pragina192 d’I Wayan Dibia, deux pragina balinais ont fait partie
du Seka Gong Peliatan Gianyar, qui s’est produit aux Pays-Bas et à l’Exposition
coloniale de 1931. Pragina est le terme qui qualifie le performeur accompli, qui
fera l’objet d’une étude bien plus approfondie dans le cinquième chapitre. Le
premier, I Nyoman Kakul193, comédien danseur de Batuan, a formé des
générations de performeurs à Bali, ainsi que des étrangers. Lors de son premier
séjour à Bali, Ariane Mnouchkine alla observer I Nyoman Kakul dispenser ses
cours à Batuan. Le nom du second, pragina, cité par I Wayan Dibia apparaissait
également sur le programme officiel de l’Exposition. Il s’agissait de Cokorda Oka
Tublen194, facteur de masques très réputé à Bali, originaire du village de
Singapadu.

Quelques années plus tard, aux environs de 1948, Cokorda Oka Tublen,
accompagné de I Made Kredek et de I Wayan Grya, chorégraphièrent la danse
Barong. Depuis ce temps-là, et jusqu’à nos jours, cette danse est présentée à
Batubulan, ainsi que cela fut exposé dans le premier chapitre. Selon I Wayan Dana
et Matthew Isaac Cohen195, I Ketut Maria ou I Ketut Mario, le célèbre inventeur et
interprète du kebyar duduk faisait également partie du groupe. Miguel Covarrubias,
au sujet de I Ketut Mario expliqua ceci :

Il y a quelques années, un jeune homme d’origine modeste a fait


sursauter le sud de Bali avec une nouvelle danse qui combinait la
virilité robuste des danses héroïques (baris) avec la délicatesse du
legong. (...) La nouveauté consistait dans le fait que le danseur ne
se levait jamais de terre, bougeant uniquement à partir de la

191
« Beh ! I would like to go abroad again.The Tuan knows that in the Dutch time we were taken by
Tjokorda Sukawati to the Paris Exposition with the orchestra you are talking about ? But we were hidden
away, we Balinese, like serfs, and we saw little of Paris or foreigners. But today, Indonesia is a free country
and it would be all quite different. » (Traduction libre) John Coast, Dancing out of Bali., London, Faber
and Faber, 1954, p. 42.
192
Wayan Dibia, Pragina, Malang, Sava Media, 2004.
193
Pada tahun 1931, Nyoman Kakul memeperoleh kesempatan untuk bertandang ke Prancis dan Belanda
bersama Seka Gong Peliatan-Gianyar. Wayan Dibia, Pragina, Malang, Sava Media, 2004, p. 27
194
I Made Bandem a fait référence à Cokorda Oka Tublen dans son entretien.
195
Matthew Isaac Cohen, Performing otherness: Java and Bali on international stages, 1905-1952,
Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2010,. p.144.

108
taille, accentuant encore davantage les mouvements du torse, des
bras et des mains et concentrant l’attention sur l’expression du
visage du danseur. En utilisant son corps comme un instrument
de musique sensible, le jeune danseur interprétait même les
humeurs les plus délicates du meilleur orchestre de l’île, le gong
Pangkung de Tabanan. (...) Le nom de Mario est devenu aussi
connu pour le voyageur mondial que celui de Mei Lan-Fang,
Shan Kar, ou Escudero.196

Ainsi, tous les indices indiquent que la troupe qui est venue en Europe en 1931
était constituée de performeurs accomplis et talentueux. Ces performeurs étaient
réputés à Bali, certains d’entre eux étaient déjà connus des Européens à l’époque
grâce aux voyageurs européens et américains du début du siècle dernier.

d. Les rencontres parallèles : le cercle d’admirateurs de Bali s’élargit


Ces représentations de la troupe balinaise à Paris en 1931 ont également permis à
d’autres artistes de découvrir certains spectacles balinais. Colin McPhee 197,
l’ethnomusicologue, assista aux présentations pendant son séjour en France, ce qui
influença définitivement sa vie et déclencha son envie de partir à Bali. Ce fut
également à cette occasion que Claire Holt, danseuse et chercheuse lettone, fit
également pour la première fois la découverte des danses balinaises à Paris, ce qui
la pousserait à se rendre postérieurement à Bali afin d’y effectuer des recherches.
Entre deux séjours à Bali, Miguel et Rosa Covarrubias se rendirent à l’Exposition
coloniale pour voir leurs amis balinais qui s’y produisaient. Dans son récit Island of
Bali, Miguel Covarrubias a décrit en ces termes l’état de la troupe balinaise198 :

196
Some years ago a young man of humble birth startled South Bali with a new dance with combined the
rugged manliness of the heroic dances (baris) with the delicacy of the legong. (...) Its novelty consisted in the
fact that the dancer never raised himself from the ground, moving only from the waist up, giving greater
emphasis to the movements of the torso, arms, and hands and focusing attention on the dancer’s facial
expression; In using his body like a sensitive musical instrument, the young dancer interpreted even the most
delicate moods of the island’s finest orchestra, the gong Pangkung of Tabanan. (...) The name of Mario became
as well known to the world traveler as that of Mei Lan-Fang, Shan Kar, or Escudero. (Traduction libre)
Miguel Covarrubias, op. cit., p. 213.
197
Colin McPhee a entendu pour la première fois des enregistrements de gamelan lors d’une fête à
New York, en 1929 : In Paris again, in 1930, McPhee met the Mexican artist and traveler Miguel
Covarrubias, and his wife Rose, who had just arrived from Bali. They further fueled his interest in Bali. Here
too, MchPee heard gamelan live for the first time, performed at the Colonial Exhibition by a group of Balinese
dancers and musicians from the village of Peliatan led by the great Balinese musician Anak Agung Gede
Ngurah Mandera. It was to change his life forever. The gamelan music of Bali became an obsessive passion for
McPhee, totally permeating his musical life. Colin McPhee, A House in Bali, Boston, Mass., Periplus
Editions, 2000, p. 6.
198
Miguel Covarrubias, op. cit., p. xxx.

109
Les Balinais appartiennent à leur environnement de la même
façon qu’un colibri ou une orchidée appartiennent à une forêt de
l’Amérique centrale, ou un sidérurgiste appartient à la crasse de
Pittsburgh. C’était déprimant de voir nos amis balinais
transplantés à la Foire de Paris. Ils avaient froid et ils étaient
malheureux là-bas au milieu de l’été, tremblant dans des
manteaux lourds ou enveloppés dans des couvertures comme des
Peaux-Rouges. Cependant, ils se sont transformés en beaux et
normaux Balinais, aussitôt qu’ils sont revenus de leur expérience
malheureuse.199

Malheureusement, nous n’avons pas eu accès aux témoignages directs des


participants de la troupe balinaise, hormis à celui d’Anak Agung Gede Mandera
évoqué précédemment. En effet, très peu de données concernant l’expérience
vécue à l’Exposition coloniale selon la perspective des performeurs et musiciens
balinais ont pu être recueillies.

4. Quelle était la réception de la presse des spectacles balinais ?

Nuits coloniales ! Non point peut-être, telles qu’on les voit aux
colonies, mais telles qu’on les rêve en songe. Dès l’entrée de
l’Exposition les pylônes lumineux dans l’aventure des Colonies
ouvrent toute grande la porte de l’évasion vers les nuits
imaginaires. (...) Croyons à l’irréel, à la fantasmagorie, comme si
nous avions été transportés, endormis, par quelque magicien,
pour nous réveiller aux pieds de Schéhérazade contant la mille et
deuxième nuit : la nuit coloniale.200

Ce petit extrait de Louis Daney, publié dans le Figaro du 10 août 1931, fait
référence aux Nuits Coloniales, l’un des évènements organisés en parallèle de
l’Exposition. Ce texte est un aperçu de ce qu’était l’attente du public et de
l’expectative d’une partie de la grande presse concernant les spectacles de
l’Exposition. L’ambiance était marquée par les rêveries, propices aux
fantasmagories et au fantastique. La presse avait largement recours à ce

199
The Balinese belong in their environement in the same way that a humming-bird or an orchid belongs in a
Central American jungle, or a steel-worker belongs in the grime of Pittsburgh. It was depressing to watch our
Balinese friends transplated to the Paris Fair. They were cold and miserable there in the middle of the summer,
shivering in heavy overcoats or wrapped in blankets like red Indians, but they were transformed into normal,
beautiful Balinese as soon as they returned from their unhappy experience. Ibidem, p. 9. Dans un autre
extrait, Miguel Covarrubias décrit l’accueil de la troupe balinaise à Paris : On the way back we stopped in
Paris, where the Colonial Exposition was going on. There we find friends from Bali - the Cokordes of Ubud,
feudal lords of Spies’s village, the leaders of the troupe of dancers and musicians that were the sensation of the
exposition. (Traduction libre) Ibidem, p. 8.
200
Louis Daney, « Nuits Coloniales », Figaro: journal non politique, Paris, France, août 1931, p. 4.

110
vocabulaire afin de décrire les spectacles présentés à l’Exposition. Ainsi, plus avant
nous verrons que le récit d’Artaud était en quelque sorte en concordance avec
celui de la presse. Avant la venue d’Artaud, plusieurs revues positives s’intéressant
aux spectacles balinais étaient parues dans la presse dont la couverture médiatique
s’est intensifiée après l’incendie du pavillon néerlandais à l’aube du 28 juin 1931.
En effet, on a noté une évolution et une complexification de l’analyse des
spectacles balinais au fil des mois. Dans sa globalité, la troupe balinaise a fait
sensation, du fait qu’il s’agissait vraisemblablement de la grande surprise de
l’Exposition. La presse était peut-être déçue par les danses cambodgiennes, qui
avaient ébloui la capitale en 1889.

La première critique parmi celles qui ont pu être rassemblées 201 émana d’un article
anonyme ayant pour titre L’Exposition — Les danses de Bali à Vincennes et daté du 20
juin 1931. Publié dans le Je suis partout, l’auteur commençait par regretter en partie
l’annulation de la venue des danseurs javanais. Il pronostiqua que les Balinais
obtiendraient du succès, même si leurs spectacles étaient moyennement salués par
l’auteur. Dans sa globalité, on n’y retrouva pas encore l’enthousiasme qui suivrait
dans d’autres critiques :

Est-ce à dire que les manifestations balinésiennes de Vincennes


passionneront le public à un moindre degré ? C’est plutôt le
contraire qu’il y a lieu de prévoir. Le succès de la première
représentation le prouve.202

À plusieurs reprises, l’auteur a comparé les danses de Bali à celles de Java. Il


convient de se remémorer qu’en 1889, les danses javanaises avaient également fait

Le livre de Nicola Savarese présente une sélection d’articles plus étendue.


201

Anonyme, « L’Exposition : Les danses de Bali à Vincennes» , Je suis partout, Paris, France, juin
202

1931. p.10.

111
sensation lors de l’Exposition universelle203. C’est ainsi que l’auteur anonyme a
qualifié et décrit les danses de Bali :
L’art chorégraphique de Bali, bien que basé sur les mêmes
légendes héroïques et sacrées, est plus spontané, plus libre, plus
personnel et, partant, plus accessible aux Occidentaux. Ce n’est
pas un art de cour exigeant des qualités spéciales et une longue
initiation. Humbles et aristocrates, pauvres et riches, le
pratiquent en commun en tous lieux, en toutes occasions. Il est
une fonction de la vie religieuse et sociale. Loin de s’en tenir
strictement à des canons immuables, de village à village, danseurs
et musiciens rivalisent d’ardeur innovatrice. 204

Ici, nous retrouvons une interprétation intéressante de la danse balinaise,


puisqu’elle est présentée comme ayant un caractère plus novateur et moins rigide
que les danses javanaises ou cambodgiennes. D’ailleurs, il semble primordial de
comparer continuellement les danses balinaises à ces dernières, tendance qui va
être suivie par les autres critiques. Ensuite, ce fut au tour du poète et ami
d’Antonin Artaud, Florent Fels, de rédiger une critique parue dans Vu : journal de
la semaine, du 08 juillet 1931. Le texte de Florent Fels est le plus élogieux et
poétique consacré aux spectacles balinais parmi le reste du corpus recueilli :

Il est cependant un spectacle de la plus haute valeur esthétique,


et d’une inoubliable beauté. Près des palais des Indes
Néerlandaises, de cette merveille qui contenait les plus
somptueux joyaux d’art de l’exposition, où les vitrines s’étoilaient
de l’éclat des ors, des pierres précieuses enchâssés dans les bijoux
les plus rares et le plus délicats que des mains subtiles et fines
d’asiatiques aient ciselés et portés, près de cet atroce monceau de
cendre205, subsiste encore, simple, net, parfait, comme tout ce
que l’on construit en Hollande, le théâtre de Bali. C’est là que,
chaque soir, danseuses et danseurs de Bali, s’animent au son du
Gamelan.206

203
Voici un aperçu de la réception de la presse des danses javanaises lors de l’Exposition universelle
de 1891 : « Elles n’ont pas en ce moment de rivales à l’Exposition Universelle. Aucun spectacle
n’est plus inattendu, ni plus curieux, et nos yeux d’Occidentaux blasés sont hypnotisés par ce
troublant kaléidoscope qui grise et fascine comme le parfum empoisonné d’une fleur de
mancenillier... ». « Le corps de ballet se compose de cinq femmes et d’un homme, personnage
effacé qui danse seulement avec la bonggens (sic); cette bayadère populaire, tant soit peu
courtisane, va modestement de village en village, là où on l’appelle et où on la paie.. » Denys
Lombard, « Le Kampong javanais à l’Exposition Universelle de Paris en 1889 » , Archipel,
vol. 43 / 1, 1992, p. 115-130.
204
Anonyme, op. cit.
205
En référence aux restes du pavillon néerlandais ravagé par l’incendie.

112
Entremêlées à des descriptions de la danse aux tons lyriques, Florent Fels fournit
quelques informations factuelles sur le contexte balinais. Entre autres, il fait
référence à l’inexistence du mot art dans la langue balinaise. Il ne s’est pas privé de
décrire ces informations factuelles de manière imaginative :

En langue balinaise, pas de mot pour désigner l’art et les artistes.


L’art est un sentiment profond, indéfinissable et indéfini, non
pas un fait. D’autant que l’art se manifeste aussi bien dans l’art
de peintre et orner sa maison pour un homme, de se parer et
d’être belle pour une femme, de se tenir décemment, de marcher
avec noblesse et distinction. (...) La danse est un rite, danse
poème, mouvement créé par l’esprit possédé ou conquis. 207

Par la beauté des gestes et mouvements, par la complexité des enchaînements


employant tout le corps et au moyen de la musique du gamelan, les danses
balinaises acquirent également un statut de « beauté primitive savante » :

Les doigts bougent insensiblement, les poignets puis les avant-


bras se déroulent en lianes, les mains deviennent fleurs, le torse,
le corps ondulent, les pieds posés légèrement de côté dans une
contrainte qui en déploie les séductions sont gagnés de cette
houle, tout le corps décrit une guirlande baroque. La tête est
portée comme un joyau insensible, les yeux dessinés, allongés,
impassibles, ouverts sur l’infini. Le Gamelan, orchestre de gongs,
de cistres, de flûtes, semble plus évoquer des génies épars que
commander à la danse. Les hommes saints, les vulgaires, les
bouffons, sont tentés par les nymphes. Les héros combattent les
dragons tout éclaboussés d’or. Car tout ceci s’étend en une
patine dorée, rutilante. Les séductions des nymphes ne sont que
des transparentes allusions. (...) Même à l’Exposition Coloniale,
en ce théâtre de Bali, il semble que l’on soit aux extrêmes de la
sensibilité asiatique, aux confins d’une beauté primitive et
savante.208

Le 15 juillet 1931, le texte intitulé Bali, signé par Claude Eylan, fut édité dans la
Revue des Deux Mondes. Plus qu’une chronique des danses présentées à Vincennes,
il s’agissait d’une étude proprement dite sur l’île de Bali, fournissant un nombre
considérable d’informations factuelles à ce sujet. En 1932, le même auteur publia

206
Florent Fels, « À l’Exposition Coloniale : Danses de Bali» , Vu : journal de la semaine, juillet
1931, p. 995.
207
Ibidem.
208
Ibidem.

113
« L’île en transe (Bali) »209, un roman narrant les aventures d’un certain Mads
Nielsen, probablement inspiré de Mads Johansen Lange210, l’un des premiers
Européens à avoir habité et ouvert un entrepôt commercial dans l’île.

Plus tard, André Levinson, critique d’art et érudit russe, publia deux textes portant
sur les danses balinaises. Dans une première critique exclusivement dédiée à Bali,
parue dans le Candide du 30 juillet 1931, la première partie de l’article fut
consacrée à une introduction à la géographie et à la religion de l’île. Là, l’auteur a
explicitement fait référence au livre de Gregor Krause sur Bali, tout en décrivant
l’île comme le dernier paradis en Orient :

Mais qu’est-ce que c’est Bali ? C’est, au sud de Java, la perle de


l’archipel aux Sirènes, le dernier survivant des paradis terrestres,
l’Otaïti indonésien, mais ayant plus longtemps sauvegardé sa
manière d’être. (...) La Hollande, tout comme la France, respecte,
voire cultive les croyances et traditions des pays colonisés. 211

Dans la description de la religion de l’île, la panique est évoquée :

Bali, refuge naturel des vaincus, laisse percer, sous l’influence


hindoue, sa religion primitive, autochtone, le sentiment
« panique » qui divinise et anime tout ce qui entoure l’homme.212

Curieusement, afin de décrire de la danse, l’auteur a employé le terme


« hiéroglyphes » avant Antonin Artaud :
Ces enfants-danseurs cultivés en serre chaude disposent de tout
un vocabulaire d’hiéroglyphes — qui sont un grimoire pour nous
autres, blancs — gestes descriptifs ou symboliques, « gestes de
beauté » ou de politesse, gestes purement décoratifs, imitant les
volumes et arabesques de l’ornement floral. 213

André Levinson a insisté, dans son analyse, sur le caractère rigoureux de


l’apprentissage de la danse. Il est intéressant de noter également l’emploi de
l’expression « texte chorégraphique » :

209
Claude Eylan, L’Ile en transe (Bali)., impr.-édit. Plon, 8, rue Garancière, 1932, 241 p.
210
Eva Berg Gravensten et Bertrand Angleys, Mads Lange, roi de Bali: un pionnier danois et son temps,
Paris [Boulogne-Billancourt], Esprit ouvert Ginkgo, 2007, (« Esprit d’exploration »). 137 p.
211
André Yacovlev Levinson, « Les danseurs de Bali », Candide, Paris, France, juillet 1931.
212
Ibidem.
213
Ibidem.

114
C’est là un langage indiciblement nuancé, éloquent, pour qui sait
le déchiffrer, mais dont les formes sont fixes et l’emploi
rigoureusement prescrit. Les danseuses n’improvisent pas : elles
récitent par cœur un texte chorégraphique invariable. 214

Comme Artaud le notera postérieurement, la danse balinaise est, pour Levinson,


un langage à déchiffrer, faisant directement écho aux mouvements musicaux. Il
poursuit son analyse ainsi : chaque mouvement, chaque « clignement de
paupières » répond à une arrière-pensée qui échappe à notre enlignement des barbares
blancs (...)215. Après avoir mis en évidence les mouvements de tête des danseuses qui
font vibrer les diadèmes qu’elles portent, le terme « arrière-pensée » évoque
évidemment ce qu’Artaud allait postérieurement définir comme le fait de
« répondre à une intellectualité ». Il en fut de même pour la référence aux
diadèmes portés par les danseuses, également repérés par Florent Fels. Ensuite, il
parle élogieusement des jeunes danseuses : (...) les jeunes insulaires de Bali
216
appartiennent à ce que l’espèce humaine compte de plus naturellement noble. . Ici, on
retrouve la danse et les danseuses balinaises liées aux idées de noblesse, ainsi qu’à
celles de sagesse, présentes dans l’article de Florent Fels. Enfin, un dernier court
paragraphe a été consacré au Baris, dont le danseur avance avec grandezza. Le
combat du Tjalon Arang est évoqué comme un ballet héroï-comique, qui a généré
chez lui des impressions terrifiantes. Il reprend, alors, un sentiment présenté au
début de la chronique, celui de la peur, et décrit le ressenti terrifiant que ce ballet
a suscité en lui: la terreur, certes, mais nuancée par son côté comique :

(...) un combat singulier entre le saint George çivaïte et le roi de


la forêt, monstre légendaire, dont deux hommes, dissimulés dans
sa carcasse, mettent en mouvement le masque terrifiant et
burlesque, jouet géant épouvantail fantastique où la frayeur
superstitieuse est comme neutralisée par un sous-entendu
d’humour.217

Un nombre considérable d’éléments sont tout à la fois évoqués dans la chronique


de Levinson et présents dans le texte d’Antonin Artaud, Le Théâtre Balinais à
214
Ibidem.
215
Ibidem.
216
Ibidem.
217
Ibidem.

115
l’Exposition Coloniale : la peur, la terreur, les gestes qui ont une arrière-pensée et
spécialement l’emploi de l’adjectif « hiéroglyphes ». Bien évidemment, nous ne
savons pas si Artaud avait lu ce texte avant d’écrire le sien. Étant donné le nombre
important d’évidences, nous pouvons uniquement le supposer.
Dans un deuxième article, paru dans le numéro du mois d’août de la Revue l’Art
Vivant, André Levinson esquisse un travail d’ethnologue de la danse asiatique.
Concernant la présentation des danses balinaises — trop peu connues du public —
(elles) sont une merveilleuse aubaine pour l’aventurier passif et l’explorateur en chambre. Le
mot « hiéroglyphes » est à nouveau employé plus avant dans le texte pour qualifier
les mouvements des danseuses cambodgiennes :

En même temps, le jeu des mains et la gesticulation des doigts,


chironomie et dactylogie pour s’exprimer comme les Grecs,
poignets qui virent, phalanges qui se retroussent, écriture
conventionnelle comportant des centaines d’hiéroglyphes sont
empruntés aux moudras du bouddhisme (...)218

Seul le dernier grand paragraphe de cette chronique est dédié au spectacle balinais,
décrit comme ayant « un perfectionnisme moins escarpé » que celui de ses voisins
cambodgiens. Levinson enchevêtre des commentaires sur le style de la danse et des
considérations d’ordre anthropologique :

Le mélange des races et des cultures dont est fait leur art diffère
de consistance d’avec le ballet cambodgien. L’atavisme de la
tribu, l’animisme primitif des Malais perce sous les formes de
l’hindouisme transplanté dans ce terroir par l’envahisseur. 219

La terreur et l’humour mélangés sont encore une fois évoqués : « Le spectateur


indigène, pris d’abord de frayeur, démasque la supercherie et l’obsession
démoniaque est évincée par l’allégresse du jeu : le Fafner balinais est racheté par
l’humour. »220. André Levinson était un orientaliste érudit qui a réalisé un travail
précurseur d’ethnoscénologue. Dans ses chroniques sur le théâtre balinais, il a
clairement présenté ses propres positions politiques 221, son point de vue envers la
218
André Levinson, « Le spectacle exotique à l’Exposition Coloniale » , L’Art Vivant, août 1931,
p. 374.
219
Ibidem.
220
Ibidem.
221
Politiquement, le point de vue d’André Levinson a consisté à soutenir les systèmes colonialistes
de l’époque, à la différence des surréalistes qui condamnaient l’exposition et la colonisation. Il est

116
colonisation, en entremêlant une analyse fine des danses, une mise en contexte de
celles-ci et une tentative de classification des danses du Sud-est asiatique. Ses textes
avaient des prétentions différentes de celles d’Antonin Artaud. Il voulait informer,
analyser, comprendre, dresser des rapprochements ou des hypothèses, et
finalement, classifier les danses avec les moyens que son époque lui fournissait. Les
textes d’Artaud sur le théâtre balinais à l’Exposition coloniale n’avaient pas la
même prétention.

Le 10 août 1931, un peu avant qu’Antonin Artaud ait achevé son manuscrit 222,
parut dans le Figaro la critique faite par Gérard Houville, pseudonyme de Marie
Louise Antoinette de Heredia. Selon elle, les artistes du théâtre de Bali offrent des
spectacles fort curieux et de la plus bizarre beauté 223. Sa description donne un aperçu de
l’atmosphère globale que dégageait le pavillon néerlandais détruit à ce moment-là
de l’année qui s’avère intéressante dans le cadre de cette recherche, car il est fort
probable qu’Artaud soit allé voir ce programme après l’incendie du pavillon
néerlandais :

Bali, l’île de Bali, baptisée ou non par ce personnage légendaire,


est presque tout entière une des belles possessions de la Hollande
dans le grand archipel asiatique, et à l’Exposition de Vincennes,
elle a bâti son charmant théâtre dans un lieu qui, le soir, semble
un peu écarté et, sous les lumières atténuées, un peu mystérieux.
(...) En face, des ouvriers, malgré l’heure nocturne, se hâtent à la
reconstruction du pavillon aux belles tours qui était un des chefs-
d’œuvre de l’Exposition et qui fut, hélas ! Victime du feu.224

À en croire la description de danses que l’auteur présente, il est probable qu’elle se


soit rendue au programme produit pendant les fêtes de juillet. Son récit cherche à
animer les sens du lecteur, tout en frôlant le domaine du surnaturel et du
religieux. Par exemple, les musiciens ont « assez l’air de marmitons démoniaques »,
en référence au gamelan. Le spectacle balinais lui procure un sentiment d’étrangeté.

très probable qu’Artaud partageait le même avis politique sur la colonisation que les surréalistes.
222
Entre le 11 et le12 août 1931.
223
Houville, Gérard, « Chronique des Théâtres de Paris: Pavillon de Hollande - Théâtre Balinais:
Troupe de danseurs et danseuses de l’île de Bali, sous la direction de Tjokorde Gde Rake
Soekawati », Figaro: journal non politique, Paris, France, août 1931.
224
Ibidem.

117
Le jeu de l’« acteur-danseur » et la performativité des spectacles constituent la
plateforme à partir de laquelle l’imagination de l’écrivain va s’envoler :

Le programme affirme qu’il veut nous suggérer « l’état d’âme


d’un jeune homme solitaire et le jeu amoureux d’une jeune fille
coquette », ce dernier jeu symbolisé par un éventail tout à coup
déployé et battant en minauderies. Mais le jeu de l’acteur-danseur
est bien plus intéressant si on ne sait pas ce qu’il cherche à
représenter et si on s’imagine qu’il s’évertue en efforts toujours
vains de monstre mi-animal, mi-humain, voulant devenir tout à
fait créature humaine.225

L’histoire racontée ici n’est guère importante, car elle n’est pas comprise
oralement, ou simplement parce que l’enjeu de la conquête peut-être considéré
comme trop banal. Le chroniqueur n’est pas ethnologiquement intéressé par ces
danses. Ces formes codifiées étaient tellement nouvelles et fraîches à ses yeux,
qu’elles sont devenues la base suggestive d’une rêverie fantastique. L’étonnement
envers les mouvements si exotiques et jamais vus, se poursuit dans sa description
du Legong :

Il paraît qu’elles miment un « conte déterminé ». Peu nous


importe. Ce qui nous fascine c’est leur visage puéril, si rond sous
le diadème aux fleurs de métal, tremblantes sur des tiges flexibles
et qui semblent aussi danser, leurs bizarres mouvements de cou,
les petits gestes de leurs petites mains, le tressaillement étrange
qui ondoie en leur corps de poupée et qui est leur art suprême. 226

Le vocabulaire surnaturel et ésotérique est encore repris dans cet extrait :


(...) et par cette longue traîne d’étoffe colorée, qui serpente, qui
les suit ou les attache, elles semblent faire partie encore de la
prairie, ou de la terre. Il s’agit de se libérer, de s’arracher. Parfois,
apparaît le pied, le pied laid et noir, toujours nu, qui fait songer à
la légende des sabots de bouc de la reine de Saba. Ces pieds-ci
sont de diablotins et comme noircis par la flamme, semblant
d’autant plus noirs que les ronds visages sont fardés, éclaircis de
roses, et de blancs nacrés.227

Après la description de ce qui nous semble être les danses Raksasa et Tjalong Arang
émerge le constat final et général :
225
Ibidem.
226
Ibidem.
227
Ibidem.

118
Victoire d’Ardjoena et de nouveau final et admirable
groupement multicolore et chatoyant de toute la troupe de ces si
curieux artistes de Bali. En somme, art encore en évolution,
puéril, animalesque, émouvant par son symbolique désir de
transformation et de perfection.228

Le reportage de Gérard Houville évoque certains aspects également repérés par


Antonin Artaud, tels les diadèmes portés par les jeunes filles, ou leurs pieds nus
qui s’apparentaient à des sabots démoniaques. Les évidences montrent
qu’Antonin Artaud s’est possiblement inspiré des articles de l’époque, notamment
ceux de Florent Fels et d’André Levinson. L’emploi du terme hiéroglyphe l’atteste.
Certes, l’analyse de ces reportages donne à voir un panorama critique diversifié.
Cependant, les articles lus démontrent que ces auteurs ne se privaient pas de
fleurir leurs descriptions, en employant des comparaisons poétiques et des
métaphores. La description qu’en a fait Antonin Artaud a accompagné cette
tendance tout en la surpassant. Ce qui a été observé comme étant des inventions
d’Artaud sur le théâtre balinais figurait aussi chez des écrivains de son temps. Il
convient de se souvenir également qu’Artaud était un homme de théâtre et un
poète, entre autres. Si sa verve poétique lui a fait décrire si poétiquement les
danses balinaises, c’est probablement parce que son bouleversement et son
émerveillement furent dans cette même mesure saisissants. Les critiques d’Artaud,
en particulier celles plus contemporaines, ont souvent oublié de placer Antonin
Artaud dans son temps, faisant ainsi démériter son témoignage, au détriment d’un
manque d’objectivité ethnographique. Pour tant, que signifiait voir de telles danses
à cette époque-là ? Les écrits de la presse ont surtout analysé les spectacles balinais
en tant que danses. Alors que ces critiques les voyaient comme des danses, Artaud
les a déchiffrés comme étant du théâtre. Certes, dans les formes balinaises en
général, ce qui est couramment nommé danse et théâtre est difficilement
dissociable. Ce point peut représenter un aspect important du bouleversement
d’Artaud, puisqu’en voyant ces formes en tant que théâtre possible, elles ont
acquis une force expressive hautement inspiratrice qui allaient l’influencer sa
conception du Théâtre de la cruauté.

228
Ibidem.

119
CHAPITRE III
LA CARTOGRAPHIE DES ITINÉRAIRES :
LES ARTISTES VOYAGEURS INTERVIEWÉS

120
Voyage :
A. − Déplacement que l’on fait, généralement sur une longue
distance, hors de son domicile habituel. 1. Déplacement
considéré en fonction de la nécessité que l’on a de se rendre
dans un lieu déterminé.229

229
« Voyage », Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, Paris, France, CNRS/ ATILF.

121
1. Introduction
Au début du XXe siècle, Edward Gordon Craig imaginait et écrivait sur le théâtre
oriental sans jamais l’avoir vu. De nombreux textes évoquent le caractère
essentiellement immobile des voyages des européens en Asie entre la fin du XIXe
et le début du XXe siècle. Dans, « Les voyages des découvreurs d’Amériques
théâtrales », Béatrice Picon-Vallin met en évidence le comportement pionnier des
artistes japonais, comme Kawakami et Sada Yacco, attirés par le théâtre européen :

Ces voyages inauguraux entre l’archipel nippon et l’Europe


voient les Japonais plus mobiles, plus avides que les Occidentaux
dans la première moitié du XXe siècle. Un Meyerhold, par
exemple, plonge aux sources livresques, étudie les estampes,
fréquente les spécialistes russes du Japon (...) Pour lui, le voyage
en Asie est d’abord un voyage immobile (...) 230

Les artistes balinais pourraient s’inscrire autrement dans un mouvement similaire


de rencontre d’autres terres. L’observation des itinéraires de ces artistes montre
que leurs déplacements sont aussi importants que ceux des Européens et des
Américains, influençant de nombreux artistes et étudiants de théâtre. Les facteurs
qui ont favorisé ces flux diffus de voyages seront étudiés dans ce chapitre à partir
des exemples d’artistes interviewés.

Le siècle dernier a été particulièrement propice aux échanges intercontinentaux. À


partir des années 1920, mais surtout à la fin des années 1970, le nombre d’artistes
de la scène européenne, ou venus des Amériques, à entreprendre des voyages hors
de leur continent d’origine pour découvrir des régions lointaines a énormément
augmenté. Par exemple, les voyages accomplis par Peter Brook, Jerzy Grotowski,
Eugenio Barba ou encore Ariane Mnouchkine ont influencé leurs pratiques
théâtrales. Ils ont marqué leur perception du théâtre et de la performance, leur
rapport avec les comédiens, et leur conception de la mise en scène. Parfois, les
voyages ont même influencé la composition de leurs groupes. L’augmentation des
voyages des artistes est sans doute un réflexe lié à la vulgarisation et à la

230
org. Catherine Naugrette et Béatrice Picon-Vallin, « Les voyages des « découvreurs d’Amériques
théâtrales » », in Les Voyages ou l’ailleurs du théâtre, Hommage à Georges Banu, Belgique, Bruxelles,
Alternatives théâtrales, 2013, p. 139.

122
popularisation du tourisme et de l’acte de voyager. Il existe une volonté des artistes
étrangers interviewés de se distinguer des touristes de masse, et une quête du
« pittoresque » et de l’« authentique », parfois semblable à la quête d’évasion et de
dépaysement produite par le tourisme. L’artiste étranger à Bali est en quête du
« vrai », de l’« originel », évitant ce qu’il considère comme « contaminé ». De plus, à
Bali, ces artistes voyageurs231 ont confronté in loco leurs « imaginaires » et
« imageries » qu’ils avaient de l’île aux expériences qu’ils ont vécues.

Cette recherche doctorale se concentre sur des artistes étrangers qui ont eu un
rapport direct avec le topeng balinais et qui ont ensuite entrepris plusieurs voyages à
Bali, dans le but d’approfondir leur apprentissage ou d’établir de nouveaux
rapports artistiques avec les Balinais. La plupart des artistes étrangers désireux
d’apprendre le topeng sont venus d’univers théâtraux particuliers, généralement
avec une pratique corporelle préalable et surtout avec un intérêt pour le travail du
masque. Les praticiens balinais interviewés ont eu un contact intensif avec
l’étranger et le voyage lui-même, excepté I Ketut Kodi. De même, ces praticiens
balinais ont confronté leur culture aux diverses autres.

Ce présent chapitre présente les premiers itinéraires de voyage des praticiens


interviewés pour tenter de cartographier les routes parcourues et les lieux
d’échanges. Comme le corpus de base de cette recherche est le témoignage de ces
artistes, cette articulation entre cartographie et temporalité débute à partir des
années 1960. Il s’agit ici de comprendre le contexte de leur premier voyage à Bali
ou hors Bali, leurs premières impressions, les voyages postérieurs, pour finalement
comprendre quelles relations ont été tissées par la suite. De même, il est important
de signaler que le choix des artistes interviewés est profondément lié à l’expérience
et au vécu de la chercheuse elle-même sur le terrain, et à son parcours de
praticienne. De ce fait, ce choix privilégie les expériences brésiliennes et
européennes. Le témoignage de Rucina Ballinger, bien que représentatif du
contexte états-unien, n’est pas concluant. De ce fait, il ne sera pas abordé en
profondeur dans cette recherche. Ce contexte mériterait une réflexion plus
231
Dans ce travail, « artistes étrangers » désigne les artistes non balinais interviewés pour cette
recherche.

123
approfondie vu le nombre important d’artistes et de chercheurs états-uniens qui se
sont rendus à Bali, et réciproquement, d’artistes balinais vivant aux États-Unis.

Les personnes interviewées sont nommées à la fois « artistes » et « praticiens »,


soient-elles Balinaises ou étrangères. De multiples enjeux sont liés à ce choix,
puisqu’avant la colonisation néerlandaise, le mot « art » n’existait pas en langue
balinaise. Cependant, les Balinais interviewés pour cette recherche se sont produits
dans un cadre international et de cette manière présentés en tant qu’artistes.

a. Sur l’absence de l’expérience du CIRT — Centre International


des Recherches Théâtrales
En France, deux entretiens téléphoniques ont été menés avec Tapa Sudana 232 et un
entretien avec Alain Maratrat, deux anciens comédiens du CIRT — Centre
International des Recherches Théâtrales, dirigé par Peter Brook. En amont, en
octobre 2011, le comédien javanais Mas Soegeng avait été contacté, lors de la
présentation de son spectacle Voyage au pays du masque, au Local, à Paris. À cette
occasion, son conseil fût de joindre Tapa Sudana. Ce dernier est un acteur balinais
habitant en France depuis les années 1970, qui a collaboré avec Peter Brook à
cette période-là. Dans son texte, Mensonge et adjectif superbe233, Peter Brook décrit
son rapport avec le masque en tant qu’objet théâtral. Il décrit également la
première expérience de ses acteurs avec le masque balinais. L’acteur balinais dont
Peter Brook parle, et qui introduit les masques au groupe, est Tapa Sudana.
Malgré plusieurs demandes, Tapa Sudana n’a pas souhaité donner d’entretien.
Néanmoins, son arrivée en France, lors de la présentation de la tournée du
spectacle La Sorcière de Dirah, sera abordée brièvement. Alain Maratrat a accordé
un entretien personnel le 1er avril 2014. Cependant, lors de cette entrevue, son

232
Tapa Sudana est un comédien balinais habitant en France depuis 1974. Il part pour une tournée
européenne de deux ans autour des spectacles Ketjak Teges et La Sorcière de
Dirah, mis en scène par Sardono. En France, il travaille avec Peter Brook pendant près de 12 ans.
Il a tourné avec Robert Altman et Dai Sijie, entre autres. Selon la biographie disponible sur son
blog, La Sorcière de Dirah, il réalise une tournée européenne dans les villes suivantes: Paris, Nancy,
Rome, Florence, Genève, Amsterdam, Holsterbro (à l’Odin Teatret). En 1976, il se produit lors
d’un colloque d’Eugenio Barba à Belgrade et au Théâtre des Nations.
233
Le masque: du rite au théâtre: table ronde internationale organisée à Paris les 2,3, 4 décembre
1981 et les 28, 29, 30 avril 1982 sous le titre « Le masque dans les rituels et au théâtre » , éds.
Odette Aslan, Denis Bablet et Groupe de recherches théâtrales et musicologiques (Paris), Paris,
CNRS Ed., 2005.

124
expérience avec le théâtre balinais, a été vaguement évoquée. Ainsi, l’expérience du
CIRT avec les masques balinais ne sera pas abordée.

Frédéric Tellier, comédien et membre fondateur de la compagnie Théâtre du Lin,


basée à Amiens, a été interviewé en 2011. Frédéric Tellier a découvert le topeng lors
d’un stage conduit par Cristina Wistari Formaggia à ARTA. Depuis lors, il a
accompagné régulièrement Cristina Wistari, en plus de coorganiser quelques-uns
de ses ateliers et conférences en France. En 2010, il a publié le livre Terre d’encens,
où il s’exprime sur son expérience à Bali de 2002 à 2009 et sa relation avec
Cristina Wistari. Son expérience ne sera pas traitée dans ce travail, puisque son
rapport avec Bali s’est considérablement approfondi au cours de ces dernières
années. De plus, le témoignage recueilli dans le cadre de son entretien est
amplement repris dans son ouvrage cité ci-dessus. D’autres praticiens auraient pu
être invités, soit dans le contexte brésilien, soit dans le contexte européen 234 ou
américain. Finalement, Ariane Mnouchkine a été contactée à deux reprises, sans
donner suite à la demande d’entretien adressée. Puisque le vécu d’Ariane
Mnouchkine est décisif et a une influence directe dans les activités du Théâtre du
Soleil, il sera étudié dans cette recherche.

b. Cartographies et itinéraires
Les deux cartes suivantes dressent une représentation cartographique des artistes
interviewés. La première établit les lieux d’origine de chacun et la deuxième leur
lieu de résidence en 2016. Dans ces deux premières cartes, je m’inclus en tant que
praticienne-chercheuse pour que mon parcours soit également présenté.

Dans le contexte français, je pense fortement à la recherche menée par Catherine Germain,
234

dont le spectacle Le Voyage du Penasar m’a énormément touché.

125
126
127
2. Les itinéraires premiers des artistes interviewés
a. Les missions culturelles indonésiennes
L’ensemble des voyages des artistes interviewés peut être considéré comme un
micro aperçu exemplaire des déplacements des artistes balinais et des artistes
étrangers à Bali. D’abord, on observe les Balinais en situation de voyage pour les
missions culturelles indonésiennes, comme c’est le cas d’I Made Bandem. Les
premiers voyages d’I Made Bandem font partie des missions culturelles promues
par le gouvernement indonésien235. Il participe à une mission en 1963, à
Malacanang, aux Philippines. En 1965, il part en Chine, en Corée du Nord et au
Japon236. Après l’indépendance indonésienne, pendant le gouvernement de
Soekarno, des missions culturelles sont organisées pour promouvoir la jeune
nation à l’étranger. La diffusion des manifestations spectaculaires indonésiennes,
particulièrement celles originaires de Bali et de Java, était un moyen d’afficher
l’unité nationale à l’étranger. Pour cela, des artistes sont engagés dans tout
l’archipel.

Dans leur ensemble, ces missions voulaient exprimer la confiance et la fierté de la


jeune nation. L’envoi des artistes à l’étranger commence même avant les missions,
puisqu’en 1952 un groupe d’artistes de Bali et de Java va à Ceylan, pour
235
Un panorama des missions culturelles indonésiennes est présenté dans l’article : Performing
Indonesia Abroad, de Jennifer Lindsay. Le témoignage de quelques artistes qui ont voyagé est exposé
dans cet article. Sur les souvenirs de voyage de Suanti, une des participantes de la première mission
en 1954 : Like others who took part in these tours, she remembers the excitement of meeting and forging
friendships with fellow artists from all over Indonesia, of learning and sharing with them new dances and
songs, of travelling together to new places, of witnessing the speed of progress of another new nation, of feeling
part of the potential for similar progress in Indonesia, of being appreciated as an artist and treated with
respect, and the deep pride she felt at representing her country. In short, the excitement of being young, of being
part of something new, and of having meaning in the larger world. Like the nation of Indonesia itself.
Jennifer Lindsay, « Performing Indonesia abroad », in Heirs to world culture: being Indonesian 1950-
1965, Leiden, KITLV Press, 2012, (« Verhandelingen van het Koninklijk Instituut voor Taal-, Land-
en Volkenkunde », 274). p.195. Le contexte des groupes balinais participant aux missions est étudié
dans un autre article du même ouvrage: Darma Putra, I Nyoman, « Getting organized: culture and
nationalism in Bali, 1959-1965 », in Heirs to world culture: being Indonesian 1950-1965, Leiden,
KITLV Press, 2012, (« Verhandelingen van het Koninklijk Instituut voor Taal-, Land- en
Volkenkunde », p. 274.
236
Voici l’extrait de l’entretien: En 1963, le gouvernement m’a envoyé aux Philippines et je me suis
présenté à Malacanang. À cette époque, j’ai présenté le kebyar duduk et j’ai joué la percussion pour les
groupes. À peu près 50 personnes de Bali et autres 65 personnes de toute l’Indonésie, de Sumatra à Java et de
Solo. J’ai eu contact avec différentes cultures et j’étais plus intéressé par apprendre d’autres styles. Et en 1965,
le gouvernement m’a envoyé en Chine et aussi en Corée du Nord, au Japon. Tous ces voyages ont duré jusqu’à
la création d’une grande école communiste en Indonésie. Là, ils ont arrêté d’envoyer la mission culturelle à
l’étranger.

128
l’Exhibition de Colombo. Les missions commencent officiellement en 1954, avec
un voyage en Chine. En 1956-1957, quatre Balinais, Wayan Likes, Ni Nyoman
Artha, Wayan Badon et Wayan Mudana enseignent à l’Académie de danse de
Beijing, en Chine. Ces missions pouvaient être de différents niveaux
d’importance. Certaines étaient une initiative du gouvernement indonésien et
d’autres une invitation venue d’un autre pays, ces dernières considérées comme de
haute importance. Ainsi, les artistes faisaient partie du corps diplomatique et
accompagnaient le gouvernement en mission. Les autres missions pouvaient être
des tournées d’étudiants ou des tournées de spectacles ayant des intérêts
commerciaux où les présentations pouvaient être vendues. Jusqu’à 1965, le
gouvernement a organisé dix missions de haut niveau et de longue durée, dans les
pays suivants: au Pakistan, en Tchécolosvaquie, en Pologne, en Hongrie, au
Vietnam du Nord, aux États-Unis, à Singapour, au Cambodge, au Japon, en
Thaïlande, aux Philippines, en France, aux Pays-Bas, en Égypte et en Tasmanie. À
ces grandes missions s’ajoutaient d’autres de taille moins importante. À travers ces
voyages, les artistes indonésiens, et par conséquent les Balinais également, se sont
largement exposés dans le monde:

L’exposition à l’étranger lors des missions culturelles, dans les


mondes socialistes et non socialistes, a donné aux artistes une
expérience commune qui leur a produit une manière de parler
des arts et de la nation, et une expérience comparative qui les a
stimulés à penser aux arts en Indonésie en termes nationaux. Elle
a aussi donné des modèles à être développés chez eux, de ce qui
pourrait être imité, de que ce qui devrait être évité, et à ce sujet,
les artistes sont devenus de plus en plus divisés. 237

En outre, les voyages et les séjours des praticiens balinais interviewés à l’étranger
sont dans leur majorité restreints à deux cadres. Le premier est le cadre
pédagogique, où ces praticiens sont invités à donner des ateliers à l’étranger, sous
forme d’exportation technique de leur savoir-faire. Dans le deuxième cadre,
l’artistique, ces Balinais sont invités à se produire dans divers pays lors de tournées

237
Exposure abroad on the cultural missions, in both the socialist and non-socialist worlds, gave artists a
common experience that provided them with a way to talk to each other about arts and the nation, and a
comparative experience that stimulated them to think about the arts in Indonesia in national terms. It also
gave models for developments at home, both as to what might be emulated, and what should be avoided, and
in this artists became increasingly divided. (Traduction libre) Jennifer Lindsay, op. cit., p. 216.

129
de spectacles. Aux États-Unis, on observe un établissement plus durable des
praticiens balinais, qui vont s’expatrier et travailler comme professeurs dans les
universités. Là-bas, les départements d’ethnologie, de musicologie, de théâtre et de
danse (drama and dance), entre autres, vont faciliter l’échange de pratiques entre les
praticiens balinais et les autres professeurs.

I Made Bandem fait ainsi partie de ces artistes. En 1964, il finit ses études au
KOKAR, le Conservatoire de Musique à Denpasar, et en 1965, il voit pour la
première fois un spectacle de danse d’une compagnie américaine à Jakarta. En
1968, il part aux États-Unis, étant un des premiers praticiens balinais à étudier la
musique et le théâtre dans une université américaine. Il passe deux ans à
l’Université d’Hawaï, avec une bourse d’études du East-West Center et du John D.
Rockfeller Fund et poursuit ses études à l’Institut d’Ethnomusicologie de
l’Université de Californie, l’UNCLA, à Los Angeles. Il achève sa Licence et un
Master en ethnologie de la danse, respectivement en 1970 et 1972. En 1977, il
retournera aux États-Unis, rencontrera Frederik deBoer, professeur à l’Université
de Wesleyan, et sous sa direction entamera un travail de thèse porté sur le gambuh
et finira son doctorat en 1980. En collaboration avec Frederik deBoer, il écrira
Kaja and kelod : balinese dance in transition, publié en anglais en 1981 et 1995 et en
indonésien en 2004. I Made Bandem a publié encore de nombreux articles en
anglais et en indonésien sur les formes spectaculaires et la musique balinaises. De
plus, il a exercé de nombreuses activités pédagogiques aux États-Unis, depuis 2007,
lui et sa femme Ni Luh Shuasti sont professeurs invités au College of Holy Cross au
Worcester, au Massachusetts. Les premiers déplacements d’I Made Bandem,
compris entre les années 1963 et 1977, ont été cartographiés de la manière
suivante :

130
131
I Made Bandem est clairement influencé par toutes les collaborations que lui et sa
famille ont pu établir au long des années avec des artistes étrangers. Il est
confronté à des formes théâtrales autres, comme la danse moderne et le ballet
classique, la danse yougoslave, japonaise, coréenne et des danses de Thaïlande. La
rencontre avec d’autres cultures est perçue par lui comme un énorme avantage,
puisque cela permet une compréhension globale des cultures du monde :

Cela nous donne un sens large de la compréhension des


différentes cultures. Et ceci m’a beaucoup aidé à aimer ma propre
culture. Après ce que j’ai éprouvé à l’étranger, j’apprécie et j’aime
vraiment ma propre culture... Autrement, je ne serais pas un
danseur. Je ne comprenais pas beaucoup ce qui était derrière la
danse, derrière le drame dansé masqué. Il faut apprendre le
contexte culturel. La comparaison avec différentes cultures du
monde m’a donné une compréhension très profonde et interne
de ma culture. Sans aller aux États-Unis, sans aller à l’Ouest, je
ne crois pas que j’aurai pu écrire un livre sur la danse balinaise.
Ce n’est pas seulement la méthode, c’est la façon de penser, de
comprendre...238

Les voyages et les séjours à l’étranger ont sur lui un effet d’ouverture,
d’élargissement de la compréhension de l’autre, de lui-même et de sa propre
culture. Il évoque cet effet à plusieurs reprises. De plus, l’expérience d’I Made
Bandem à l’étranger, ainsi que celle d’autres artistes balinais, ont influencé
l’enseignement dispensé dans les institutions de danse à Denpasar.

b. Les tournées à l’étranger


I Made Djimat239est réputé pour être le meilleur danseur balinais contemporain. Il
a participé à de nombreuses missions culturelles entreprises par le gouvernement
indonésien et il est continuellement invité à se produire et à dispenser des ateliers
à l’étranger. Les itinéraires premiers d’I Made Djimat sont l’exemple d’une autre
forme très courante de déplacement des artistes balinais à l’étranger : les tournées
de spectacles. Après avoir joué aux côtés d’une troupe invitée à Adélaïde en 1969,
il participe à une tournée à Hong Kong en 1971. L’année d’après, il se produit à la
première édition du Festival d’Automne, à Paris, aux côtés de la troupe de Sebatu :
238
I Made Bandem et Juliana Coelho, « Entretien avec I Made Bandem ».
239
Wayan Dibia, Pragina, Malang, Sava Media, 2004, p. 78.

132
Ballet de Bali Gamelan de Sebatu. L’année suivante, il réalise une tournée aux États-
Unis avec sa propre troupe. Il est probable que les tournées successives à l’étranger
et la réputation grandissante d’I Made Djimat à Bali aient favorisé ses séjours à
l’ambassade indonésienne en France, en 1978, et en Italie, de 1979 à 1982, où il a
enseigné et s’est présenté régulièrement.

240

I Made Djimat se présente dans le spectacle


« Ballets de Bali – Gamelan de Sebatu » au Festival d'Automne de 1972, à Paris.

241

L’affiche du Festival d’Automne de 1972.

240
« Ballets de Bali », [En ligne: http://www.festival-automne.com/edition-1972/ballets-bali].
Consulté le 24 février 2016.
241
« Ballets de Bali », [En ligne: http://www.festival-automne.com/edition-1972/ballets-bali].
Consulté le 24 février 2016.

133
134
Entre 1970 et 1977, I Made Djimat est enseignant intermittent de l’ASTI,
l’Académie Indonésienne de Danse. Il est invité à participer aux les éditions des
années 1995, 1996, 1998 et 2000 à l’ISTA, l’International School of Theatre
Anthropology menée par Eugenio Barba, aux côtés de Cristina Wistari Formaggia et
d’autres membres de son groupe Panti Pusaka Budaya. En 1989, I Made Djimat
inaugure ARTA en France avec un atelier de topeng. Il a été également le
coordinateur artistique du Gambuh Preservation Project, mené par Cristina Wistari. I
Made Djimat est très probablement le praticien balinais qui s’est le plus produit et
qui est le plus reconnu à l’étranger et à Bali même. Puisqu’il est reconnu, les
étudiants étrangers le demandent davantage, puis le recommandent comme
professeur à d’autres étudiants étrangers. I Made Djimat exprime à maintes
reprises la joie de se présenter dans un contexte touristique ou à l’étranger.

Les itinéraires d’I Made Bandem et I Made Djimat sont complémentaires et sont
représentatifs des déplacements des artistes balinais dans les années 1960-1970.
D’un côté, le gouvernement réalise des investissements considérables dans la
promotion de la nouvelle nation et emploie les formes spectaculaires comme
vitrine. De l’autre, les spectacles balinais continuent à être sollicités à l’étranger,
comme en attestent les successives tournées des Balinais.

3. Les artistes étrangers interviewés: les pionniers


Avant les années 1950, le nombre de voyages ponctuels à Bali est peu comparable
au tourisme de masse d’aujourd’hui. Le flux de voyageurs augmente
considérablement à partir de l’ouverture de l’aéroport international Ngurah Rai en
1969, plus précisément à partir de 1975, quand le gouvernement indonésien
autorise l’atterrissage de plusieurs compagnies aériennes étrangères sur l’île. 242 Le
développement et l’accessibilité financière aux moyens de transport avantagent, en
partie, l’augmentation des voyages à Bali. Nul ne peut aussi exclure la différence
du taux de change monétaire dans la promotion de ces voyages à l’intérieur de
l’île. Dans le cadre des artistes qui voyagent à Bali, cet aspect facilitera notamment

242
Michel Picard et Marie-Françoise Lanfant, Bali: tourisme culturel et culture touristique, Paris,
l’Harmattan, 1992, (« Tourismes et sociétés »), p. 55.

135
l’apprentissage auprès de maîtres balinais et l’achat de masques et de costumes 243.
Dans l’ensemble d’artistes réunis ici, Eugenio Barba, Ariane Mnouchkine, Ivaldo
Bertazzo et Rucina Ballinger sont les pionniers dans cette démarche. Même si
chacun représente un contexte d’origine bien précis, leurs voyages en Asie, et par
conséquent à Bali, représentent une période où le chemin vers l’« Orient » pouvait
être réalisé plus facilement pour les raisons présentées précédemment. À cette
période-là, nous sommes loin des périples des artistes voyageurs des années 1920-
1930, contraints à des mois de voyage en navire, et dont la plupart étaient issus de
milieux aisés.

a. Eugenio Barba
Parmi les artistes étrangers interviewés, Eugenio Barba fut le premier à se rendre à
Bali, en 1973. Accompagné de Ferruccio Marotti, professeur à l’Université de
Rome, ils ont créé un centre244 à Bali, où Eugenio Barba était le conseiller
artistique. À l’occasion, il ambitionnait d’amener la danse Barong en Europe,
réalisation qui n’a pas eu de suite. À partir de 1976, il commença à inviter des
familles balinaises à aller à l’étranger, spécialement pour des rencontres
pédagogiques : d’abord la famille d’I Made Bandem, puis celle d’I Made Pasek
Tempo, ensuite le groupe d’I Made Djimat et finalement, le groupe de la ville de
Batuan, commandé par Cristina Wistari.

Eugenio Barba n’évoque pas un bouleversement particulier provoqué par


l’expérience balinaise. Si les ensembles balinais ont toujours eu leur place lors des
sessions de l’ISTA245 et dans les créations du Theatrum Mundi, c’est avec l’ensemble
mené d’abord par I Made Djimat et postérieurement par Cristina Wistari
Formaggia, qu’Eugenio Barba réalisera deux grandes productions : Ur-Hamlet et Le
Mariage de Médée. Après la mort de Cristina Formaggia, l’Odin Teatret crée une
fondation pour soutenir le projet de préservation du gambuh, à Batuan. Le

243
Cet aspect est clairement évoqué par Ivaldo Bertazzo et Ana Teixeira dans leurs entretiens
respectifs.
244
La nature et les activités de ce centre ne sont pas détaillées dans son entretien.
245
Depuis sa conception, l’ISTA est associée au voyage, à la rencontre, aux déplacements. Eugenio
Barba raconte que ce nom lui est venu lors d’un voyage de train au Japon en juin 1980. À
l’occasion, il réalisait une visite à Tadashi Suzuki.

136
Gambuh Desa Batuan Ensemble est considéré par l’Odin Teatret comme membre
permanent du Theatrum Mundi.

Malgré l’évidence, il nous semble incontournable de dire que le cheminement


artistique d’Eugenio Barba est profondément influencé par les voyages et les divers
déplacements qu’il a effectués, et qu’il réalise encore, au fil des années. Pour lui, le
voyage est un bâtisseur d’imaginaires incontournable. Son identité théâtrale est
décrite comme un territoire flottant, une identité qui n’est pas associée à un
endroit circonscrit géographiquement : « mon corps est mon pays »246. Eugenio
Barba souligne l’importance de comprendre son parcours théâtral pour
comprendre son rapport avec l’Asie, et par conséquent Bali. Dans ses débuts au
théâtre, ses références sont les premiers réformateurs du premier quart du XIXe
siècle : Constantin Stanislavski, Gordon Craig, Adolphe Appia, Vsevolod
Meyerhold et Jacques Copeau, ainsi que ceux d’une deuxième génération, Bertolt
Brecht et Antonin Artaud. Alors, ces références sont approchées à travers des livres
et des photographies, des voyages immobiles. Le théâtre asiatique est devenu son
deuxième point de référence et source d’inspiration. Ses premiers voyages vers les
territoires théâtraux d’Asie se font également par les ouvrages disponibles :

Et mon second point de référence devient les acteurs asiatiques.


J’en connaissais très peu, car il n’y avait pas beaucoup
d’information. Il n’y avait pas beaucoup de littérature en ce
temps-là. Je n’ai pu recueillir que peu d’information, en lisant des
livres. Par exemple, sur Mei Lanfang, un grand acteur chinois,
parce que Eisenstein avait écrit des articles très intéressants. Et
c’est ce noyau de littérature très modeste, très limité qui m’a aidé
à imaginer un acteur asiatique qui soit capable de fasciner, de
charmer le spectateur.247

Ces écrits sur l’Asie sont des perceptions et observations d’autres metteurs en
scène, puisque c’est Sergei Eisenstein qui écrit sur Mei Lanfang, ou Antonin
Artaud qui décrit le théâtre balinais. Cependant, ils n’ont jamais visité la Chine ou
Bali. Alors, en ayant ces écrits et ces images comme premières références, il
effectue ses premiers voyages d’étude en Asie. Après le séjour de quatre ans en

246
Eugenio Barba, « La voie du refus », Jeu, 1984, p. 276.
247
Eugenio Barba et Juliana Coelho, « Entretien avec Eugenio Barba »

137
Pologne, et probablement influencé par Jerzy Grotowski, Eugenio Barba part pour
son deuxième voyage en Inde : Cette fois-ci, j’allais apprendre une chose
professionnellement utile. Je cherchais « le théâtre indien ».248 Pour lui, l’Inde est le lieu
d’attraction premier. Là, il passera par l’expérience de voir et d’expérimenter le
kathakali en tant qu’apprenti. La découverte du kathakali249 est pour lui une
expérience fondatrice250 bouleversante qui ira influencer directement le
développement des questionnements centraux de L’Anthropologie théâtrale.
Puisque là, dans la déterritorialisation complète que cette expérience lui procure, il
découvre la puissance scénique de l’acteur de kathakali :

J’avais fait une expérience en 63, j’étais allé en Inde, et j’avais


littéralement découvert le kathakali que personne ne connaissait.
Et là, j’ai fait cette étrange expérience. Je ne comprenais pas la
langue, je ne comprenais pas les conventions, tous les thèmes
qu’ils traitaient dans leurs spectacles ne m’intéressaient pas,
c’était religieux, etc. Mais quand même, pendant de longues
parties de ces spectacles, qui duraient toute la nuit, j’étais très
pris par ce qui se passait. Et ma question était : comment est-il
possible que cet acteur, dont l’histoire qu’il me raconte ne
m’intéresse pas, et dont j’ignore toutes les conventions de jeu,
puisse me toucher ?251

Dans cet extrait, les questionnements débutants d’une recherche qu’il mènera à
vie, celle de la quête des principes universels de la présence scénique de l’acteur
peuvent être identifiés. Son approche de la notion de « présence » de l’acteur sera
analysée dans le cinquième chapitre. Suite à ce voyage en Inde, il écrit un long

248
« Ce que j’ai vécu au Kerala est gravé à jamais dans ma mémoire. Les enfants sont admis à l’école
à environ 9 ou 10 ans. Je commençais à travailler à l’aube, seul, encore engourdi en répétant les pas
de la marche fatigante du kathakali. Ils étaient gentils et curieux. Ils sont devenus mes
compagnons. » Sette ano dopo ero di nuovo in viaggio verso l’India su una machina di seconda manoche non
sapero guidare. questa volta volevo imparare qualcosa di profissionalmente utile. Cercavo "il teatro indiano".
A New Delhi, l’avrei potuto conoscere. (Traduction libre) Eugenio Barba, La terra di cenere e diamanti. Il
mio apprendistato in Polonia, Bologna, Il Mulino, 1998, p. 72.
249
Le kathakali est une forme de théâtre dansé originaire du Kerala, en Inde. Le spectacle est chanté
par deux chanteurs et interprété par des acteurs-danseurs. Kathakali signifie littéralement
« représentation de contes ».
250
Quello che vidi in Kerala si incise per sempre nella mia memoria. I I bambini veniamo ammessi alla scuola
attorno ai 9 o 10 anni. Iniziavo a lavorare all’alba, da soli, ancora intorpiditi dal sono, ripetendo i passi della
faticosa camminata Kathakali. Erano gentili e curiosi. Diventarono i miei compagni. Ancora pìu della
bellezza degli spettacolli, era la mia incapacità di capire che mi sorprendeva. Perché, comme spettatore
europeo, ero ammaliato da questi attori di cui non afferravo la storia rappresentata, né il senso del loro
messagio, né la loro lingua o le convenzioni della recitazione? (Traduction libre) Ibidem, p. 73.
251
Eugenio Barba et Juliana Coelho, op. cit.

138
article sur le kathakali252, qui est publié en Italie, en France, aux États-Unis et au
Danemark. Cet essai, produit après cette première expérience théâtrale en Asie et
combiné avec son séjour aux côtés de Jerzy Grotowski en Pologne, annonce déjà
les bases de ses futures recherches. Pour Nicola Savarese, toute personne ayant une
connaissance minimale du travail de l’Odin Teatret ou des écrits d’Eugenio Barba
sur l’entrainement du comédien : ne trouvera pas difficile de reconnaître dans certaines
parties de son essai sur le kathakali non seulement beaucoup d’analogies, mais également
une correspondance réelle avec les conditions de son propre théâtre, avec la discipline qui
fait partie de son environnement de travail et même avec ses choix terminologiques. 253 Alors,
dix ans après son voyage en Inde, il va à Bali et entame plusieurs collaborations
avec des artistes balinais.

Les premiers itinéraires d’Eugenio Barba ont été cartographiés ainsi :

252
Eugenio Barba et Simonne Sanzenbach, « The Kathakali Theatre » , The Tulane Drama Review,
vol. 11 / 4, juillet 1967, p. 37-50.
253
(...) will not find difficult to recognize in certain parts of his essay on kathakali not only many analogies but
an actual correspondence with the conditions of his own theatre, with the discipline which is part of its
working atmosphere and even with its choice of terminology. (Traduction libre) Nicola Savarese, Richard
Fowler et Vicki Ann Cremona, Eurasian theatre: drama and performance between East and West from
classical antiquity to the present, Updated version, Holstebro Malta Wroclaw [etc.], Icarus Pub.
Enterprise Routledge, 2010, p. 556.

139
140
L’ISTA a été un des lieux privilégiés des collaborations entre Eugenio Barba, les
comédiens de l’Odin Teatret, et les artistes balinais. Les ensembles balinais sont
présents dans toutes les sessions de l’ISTA, à l’exception de la troisième, nommée
« Dialogue entre Cultures » et réalisée en France du 12 au 26 avril de 1985, à Blois
et à Malakoff. Dans cette recherche, l’ISTA — International School of Theatre
Antropology est le lieu-événement qui a le plus favorisé la confrontation de ces
praticiens balinais à d’autres traditions théâtrales. Pour I Made Bandem, et pour
bien d’autres254, l’expérience avec Eugenio Barba a été sa meilleure collaboration
dans le champ théâtral. Inversement, les sessions de l’ISTA ont été également le
lieu de découverte des formes spectaculaires de l’Asie pour les comédiens de
l’Odin Teatret et beaucoup d’autres.

254
Cela m’a été témoigné par divers participants de la troupe Gambuh Desa Batuan Ensemble. De
plus, I Nyoman Catra décrit l’influence du travail développé à l’ISTA et au Theatrum Mundi pour
ses échanges artistiques ultérieurs, dans l’article suivant : « Finding equilibrium in desequilibrium:
the impact of ISTA on its Balinese participants », in Ian Watson, Catra, I Nyoman, Ron Jenkins,
(éds.). Negotiating cultures: Eugenio Barba and the intercultural debate, éds. Ian Watson, Catra, I
Nyoman et Ron Jenkins, Manchester; New York, Manchester University Press: Distributed
exclusively in the U.S.A. by Palgrave, 2002, (« Theatre »), p. 59.

141
142
b. Les premières rencontres de Julia Varley et Roberta Carreri, les
danseurs balinais à l’ISTA
En septembre 1980, la première session de l’ISTA a eu lieu à Bonn, en Allemagne.
Là, Roberta Carreri a son premier contact avec les artistes balinais. Ses premières
impressions concernant cette rencontre sont liées à la particularité rythmique et les
mouvements précis des Balinais, qui contrastaient davantage avec ceux d’autres
artistes asiatiques présents. Deux principes de la danse balinaise l’ont fasciné lors
de ces rencontres : le travail avec les pieds, où les orteils sont presque toujours
relevés et le travail conscient du regard. Une autre partie importante de son
expérience avec les artistes balinais venus à l’ISTA, a lieu lors des créations du
Theatrum Mundi. L’ensemble des artistes invités à l’ISTA, issus de plusieurs
traditions théâtrales, va être invité à ces créations. Ces créations étaient et sont
encore dirigées par Eugenio Barba. Il propose également la thématique de chaque
spectacle. Roberta Carreri travaille directement avec les praticiens balinais. Dans ce
cadre, la communication entre la comédienne et les comédiens balinais se fait sur
le plan physique. Selon elle, la formalisation des mouvements des Balinais facilite
cette communication :

Pour moi c’était extrêmement facile de communiquer avec les


danseurs balinais, parce qu’ils avaient une présence extra
quotidienne, qui était extrêmement formalisée et claire. Le
moment d’attaque, comme le moment de séduction, c’était très
clair, très sharp, et alors je me suis sentie toujours très en syntonie
avec leur façon d’être sur scène.255

Pour Julia Varley, la première rencontre avec les artistes balinais s’est faite en
1990, lors de la session de l’ISTA de Bologne. Par la même occasion, ils ont
travaillé ensemble lors de la création du Theatrum Mundi256, The Crossing. Lors de
cette session, le contraste entre les ensembles balinais et japonais est l’aspect qui la
frappe le plus :

Ce dont je me souviens le plus est la collaboration avec eux et le


contraste entre leur rythme et celui des Japonais. Les Japonais
255
Roberta Carreri et Juliana Coelho, « Entretien avec Roberta Carreri », 2012.
256
Le thème de cette cinquième session d l’ISTA était « Historiographie Théâtrale », et elle s’est
déroulée entre le 28 juin et le 18 juillet 1990. Toute la troupe de l’Odin Teatret a participé à la
création de la performance The Crossing, avec l’ensemble du Theatrum Mundi. A partir de cette
session, la troupe a continuellement participé à des créations du Theatrum Mundi, et aussi en tant
que comédiens qui démontraient les principes de l’anthropologie théâtrale.

143
ont un type de flux/flowing et un rythme lent, accompagné d’une
accentuation à la fin, tandis que les Balinais ont à tous moments
des accentuations et le rythme est très rapide. Je me souviens
particulièrement de Tempo qui marchait. Il jouait le vieil
homme, le Topeng tua. Il marchait doucement et même ainsi,
son rythme était encore assez rapide, spécialement si on le
compare à nos rythmes, en tant qu’Européens de l’Odin Teatret
ou aux Japonais.257

L’impression première de Julia Varley est proche de celle de Roberta Carreri. La


capacité de créer des scènes et d’improviser ensemble est observée ensuite. Les
scènes proposées par Eugenio Barba, lors des créations du Theatrum Mundi, lui
permettent des possibilités de jeu avec les praticiens balinais. Elle a des perceptions
très diverses de ces collaborations puisque plusieurs ensembles balinais ont
travaillé avec le groupe. Ainsi, après avoir travaillé avec la famille d’I Made Pasek
Tempo et d’I Made Bandem, c’est le groupe d’I Made Djimat qui collaborera avec
l’Odin Teatret. Ce qui la surprend chez ce dernier groupe est leur capacité à mener
une représentation entière avec seulement quatre à cinq performeurs. Pour Julia
Varley, le rôle de Cristina Wistari était fondamental pour l’adaptation
dramaturgique du répertoire balinais qu’ils présentaient :

Je pense que Cristina avait un grand rôle, puisqu’elle voulait


amener quelque chose qui avait une dramaturgie complète. Je me
souviens d’eux pendant les présentations. Ils sortaient du plateau
et après revenaient en courant, puisqu’ils jouaient aussi de la
musique. C’était un va-et-vient.258

De plus, il faut toujours se souvenir du rôle de traductrice de Cristina Wistari dans


les rencontres avec les Balinais qu’elle accompagnait à l’étranger. Concernant la
collaboration avec I Made Djimat, Julia Varley a un souvenir très précis de
l’énergie que ce danseur dégageait sur scène :

Nous avions une scène d’amour, Cokorda et moi. Il était en


Rangda et moi en Mr. Peanuts. Elle était drôle, marrante. Quand
je l’ai faite avec Djimat... (rires), c’était comme... Djimat est
extrêmement fort en tant que performeur. Alors, cette sensation
d’électricité, que j’avais ressentie avec les Balinais depuis le début,

257
Julia Varley et Juliana Coelho, « Entretien avec Julia Varley », 2012.
258
Ibidem.

144
était très, très puissante avec lui. On se tenait les mains et je
pouvais vraiment sentir un : Pffffff. C’était très fort.259

Avec le groupe actuel, le Gambuh Desa Ensemble de Batuan, Julia Varley ressent
surtout la joie de jouer ensemble, puisqu’ils sont perçus comme un groupe ayant
une grande capacité d’improvisation. J’ai discuté avec deux comédiens du groupe
sur leurs ressentis concernant l’expérience avec l’Odin Teatret. Ils ont été tous très
reconnaissants de cette expérience. Ils ont évoqué également avoir beaucoup
appris lors de création du Theatrum Mundi. Cette reconnaissance semble être une
constante chez les praticiens balinais, puisqu’I Made Bandem et I Nyoman Catra
l’évoquent également.

Les expériences vécues au sein de l’ISTA vont être employées ultérieurement par
des artistes balinais dans d’autres contextes. Par exemple, I Nyoman Catra a
notamment employé la méthodologie apprise auprès d’Eugenio Barba, pour
développer ses créations aux États-Unis :

En Amérique, je continue à examiner ces ressemblances et ces


différences, en utilisant le modèle d’exploitation que j’ai appris à
l’ISTA. À Salento, Barba nous a demandé d’utiliser des
techniques traditionnelles pour donner vie à l’histoire
occidentale de Faust. En Amérique, j’utilise des techniques
traditionnelles pour donner vie à d’autres classiques occidentaux
c o m m e Les Bacchantes, d ’Eu ripe des et L a T e m p ê t e , de
Shakespeare.260

I Nyoman Catra décrit la transposition d’un modus operandi de mise en scène.


Ainsi, la collaboration lors des sessions de l’ISTA va inciter les artistes balinais à
s’engager dans des mises en scène interculturelles aux États-Unis et à Bali. De plus,
ces échanges influenceront également l’enseignement aux Académies à Denpasar.

259
Ibidem.
260
In America, I am continuing to investigate these similarities and differences, using the model of exploration
I learned at ISTA. In Salento, Barba asked us to use traditional performance techniques to bring to life the
western history of Faust. In America, I am using traditional performance techniques to bring to life other
western classics like The Bacchae by Euripides and Shakespeare’s The Tempest. (Traduction libre)
« Finding equilibrium in desequilibrium: the impact of ISTA on its Balinese participants », op. cit.,
p. 60.

145
c. Rucina Ballinger
Les travaux dans le champ théâtral commencent dans les universités états-uniennes
lors des années 1920, réalisés par des académiciens venus des départements de
littérature. C’est entre les années 1950 et 1970 que les études théâtrales ont acquis
des bases plus solides261 dans le milieu académique, ce qui ouvre également la porte
à l’étude du théâtre asiatique. Quelques facteurs ont collaboré au développement
de ces études aux États-Unis. D’abord, la fin des colonies européennes du Sud-Est
asiatique favorise l’ouverture de ces pays au monde. Après l’indépendance, les
nouvelles élites indonésiennes vont voir les Européens avec suspicion, puisqu’ils
représentaient une sorte de perpétuation du colonialisme. Les chercheurs états-
uniens ont alors eu la possibilité d’établir des recherches de terrain et d’implanter
le champ des études asiatiques dans les départements de théâtre des universités.
D’autre part, le gouvernement états-unien va largement financer des recherches sur
ce territoire récemment ouvert et de ce fait considéré comme géopolitiquement
stratégique262. De plus, les artistes balinais vont être largement accueillis aux États-
Unis comme partie intégrante de cette stratégie gouvernementale.

Dans les années 1970, des artistes balinais sont déjà présents dans les universités
états-uniennes, tel est le cas d’I Made Bandem. Ainsi, en tant qu’étudiante de
danse, c’est à l’Université d’Indiana que Rucina Ballinger a eu son premier contact
avec la danse balinaise, dans le cadre de ses études de danse, religion et folklore.
Après avoir étudié la danse balinaise et le gamelan avec I Nyoman Wenten263
pendant un été, dans un programme de l’American Society for Eastern Arts program,
elle décida de partir à Bali en 1974. Lors de ce premier séjour, elle reste seize mois
261
Comme ces auteurs venaient de la littérature, une place importante est donnée aux théâtres
japonais et chinois dont les traditions possèdent un corpus de textes écrits plus important. Parmi
ces pionniers, majoritairement formés par des hommes, puisque les femmes se concentraient dans
les départements de danse, il y a ces chercheurs intéressés par le théâtre asiatique (Asian theatre) et
ceux particulièrement intéressés par le terrain balinais. Parmi ces auteurs américains, A. C. Scott
qui publiera l’ouvrage The Theatre in Asia, en 1972 et Faubion Bowers, auteur de Theatre in the East:
A Survey of Asian Dance and Drama, publié en 1956. Kathy Foley, « Founders of the Field: South and
Southeast Asia Introduction », Asian Theatre Journal, vol. 28 / 2, 2011, p. 437-442.
262
La fondation des études balinaises aux départements de théâtre dans les universités américaines
est traitée dans les articles : Kathy Foley, « Founders of the Field: South and Southeast Asia
Introduction » , Asian Theatre Journal, vol. 28 / 2, 2011, p. 440. Siyuan Liu et David Jortner,
« Founders of the Field II: Introduction » , Asian Theatre Journal, vol. 30 / 2, 2013, p. 271-275. et
Stephen Snow, « Intercultural Performance: The Balinese-American Model », Asian Theatre Journal,
vol. 3 / 2, 1986, p. 204.
263
http://www.ethnomusic.ucla.edu/i-nyoman-wenten-bio-1

146
sur l’île, premièrement à Batuan, puis à Peliatan. À l’époque, elle était désireuse
d’apprendre la danse et le théâtre dans un contexte où ils n’étaient pas encore
séparés de la vie religieuse264. Son premier professeur était I Nyoman Kakul avec
qui elle a suivi des cours de topeng et de gambuh. Lors de ce premier voyage, elle a
encore étudié le legong et le pejeng avec Sang Ayu Ketut Muklin et le taruna jaya265
avec Ibu Arini Alit à Denpasar. De retour aux États-Unis, elle devint cofondatrice
du Gamelan Sekar Jaya dont elle fut membre actif de 1979 à 1985. En 1978, elle
finalisa son master en Asian Studies et Dance ethnology à l’Université d’Hawaï. Elle
retourna à Bali pour trois mois en 1980, pour des études en langue indonésienne.
Elle s’établit définitivement à Bali en 1985, pour des raisons principalement
familiales, puisqu’elle se maria avec Anak Agung Gede Putra Rangki, membre de
la famille royale de la ville de Kapal, régence de Mengwi. Depuis lors, elle
s’immergea totalement dans la culture balinaise et entreprit diverses actions de
promotion de celle-ci. Rucina Ballinger a également publié un livre sur les formes
spectaculaires balinaises aux côtés d’I Wayan Dibia : Balinese Dance, Drama and
Music: A Guide to the Performing Arts in Bali.

Les itinéraires de Rucina Ballinger sont représentatifs du flux d’étudiants et


chercheurs états-uniens à partir des années 1970 à Bali. Comme elle, de nombreux
étudiants américains se sont rendus à Bali et en retournant aux États-Unis,
plusieurs d’entre eux vont écrire des travaux sur leurs expériences notamment
John Emigh, Ron Jenkings, Ana Daniel et Leonard Pitt. De plus, ils vont travailler
comme pédagogues, ce qui favorisera encore plus la diffusion de l’île aux États-
Unis et les conséquents séjours d’autres étudiants à Bali.

264
« Je suis arrivée en 1974 pour étudier la danse et le théâtre, car je voulais être dans un pays où la
danse et la religion étaient encore très fortement liées. Quand je suis arrivée, j’ai étudié avec I
Nyoman Kakul, un professeur de topeng et de gambuh très renommé. Avec lui, j’ai étudié ces deux
formes. Il était le rival de Djimat. Je n’étais pas autorisée à aller chez Djimat, où Cristina allait
étudier après. Je suis restée seize mois et j’ai également étudié le legong et le pejeng avec Sang Ayu
Ketut Muklin et le taruna jaya avec Ibu Arini Alit à Denpasar.» Rucina Ballinger et Juliana Coelho,
« Entretien avec Rucina Ballinger », 2011.
265
Le pejeng et le teruna jaya sont des formes de théâtre dansé resevé aux femmes.

147
148
c. Ivaldo Bertazzo
À notre connaissance, Ivaldo Bertazzo, pédagogue et chorégraphe brésilien, est le
premier danseur brésilien à aller à Bali. À partir des années 1960, il voyage en
Europe, en Asie et au Moyen-Orient, tissant un lien spécialement étroit avec l’Inde
et Bali. En 1975, il crée l’École du Mouvement — La Méthode Bertazzo, à São
Paulo, et ne cesse de se développer et de se former — kinésithérapie, études
anatomiques de l’appareil locomoteur et biomécanique humaine. Sa première
rencontre avec une forme spectaculaire balinaise a eu lieu à Paris, au début des
années 1970. Conseillé par sa professeure de bharatanatyam266, il va voir I Made
Djimat, qui se produisait au Théâtre du Lucernaire. Cette présentation fut pour
lui un choc : J’étais fou ! Djimat était dans sa jeunesse, magnifique. Il avait une force
terrible.267

Après ce grand bouleversement, Ivaldo va lui demander en coulisses d’étudier avec


lui à Bali. Quelques mois après, il part à Bali pour la première fois. Après ce
séjour, Ivaldo Bertazzo retourne continuellement, totalisant environ vingt-cinq
séjours à l’heure actuelle. Tout son apprentissage de la danse balinaise, ainsi que
de la danse indienne, contribuera énormément à la création de sa méthode du
mouvement :

Djimat était un homme du monde, un malin. (...) Je pensais qu’à


Bali, il suffisait de sortir de l’avion et on était déjà devant la porte
du professeur de danse. Je suis arrivé en 1976. Je n’ai pas trouvé
Djimat tout de suite, mais une semaine après. Donc, j’ai étudié
avec lui à Batuan et j’habitais à Peliatan. Il n’y avait pas beaucoup
de choses. À Ubud, il y avait seulement deux restaurants. Kuta
n’était rien. Alors, j’ai eu ce privilège, puisque j’étudiais avec lui
deux, trois, quatre heures par jour, en fait quand il n’était pas
dans les temples. Je pouvais payer. C’était très bon marché, alors
on pouvait se permettre d’avoir trois ou quatre heures avec
Djimat tous les jours.268

Bali demeure pour lui un lieu d’affection privilégié, où il souhaite passer les
derniers jours de sa vie. Son rapport étroit avec l’île l’a fait inviter I Made Djimat

266
Forme de théâtre-dansé indien.
267
Ivaldo Bertazzo et Juliana Coelho, « Entretien avec Ivaldo Bertazzo ».
268
Ibidem.

149
et Crisitina Wistari à se produire au Brésil et à dispenser des ateliers à São Paulo,
en 1986 et 1998. Le parcours d’Ivaldo Bertazzo est assez novateur dans le contexte
brésilien. Cependant, puisqu’il est danseur et chorégraphe, son expérience à Bali
n’a pas eu d’impact direct sur le théâtre brésilien. Pour lui comme pour Ana
Teixeira, Paris a été une étape préliminaire dans leurs itinéraires de découverte des
danses balinaises.

4. La rencontre du Théâtre du Soleil à Paris

C’était fascinant, c’était comme si on avait rencontré nos cousins


éloignés.269

La rencontre avec des masques balinais d’Ariane Mnouchkine et Lucia Bensasson,


ainsi que de tous les comédiens du Théâtre du Soleil à cette époque-là est due à la
coïncidence de deux événements : les répétitions du spectacle L’Âge d’or et la
tournée du spectacle La Sorcière de Dirah, à Paris. Pour Lucia Bensasson, L’Âge d’or
était cette grande recherche menée par le Théâtre du Soleil autour de la commedia dell’arte :
l’idée de monter un spectacle de comédie nouvelle avec des masques de la commedia
dell’arte.270 Pour la troupe, il s’agissait de retrouver, de façon surtout empirique,
une grammaire du masque. La troupe a aussi fait appel à l’expérience d’autres
groupes qui menaient des recherches autour de la commedia dell’arte à l’époque,
comme le Piccollo Teatro de Milano, et à des livres également. Le processus de
répétition du spectacle s’est avéré long, environ un an et demi, ce qui a favorisé la
maturation du langage du masque. À l’époque, Ariane Mnouchkine et tout
l’ensemble du Théâtre Soleil ignoraient l’existence des masques balinais.

269
Lucia Bensasson et Juliana Coelho, « Entretien avec Lucia Bensasson ».
270
Ibidem.

150
151
Ainsi, pendant les répétitions de L’Âge d’or, la troupe indonésienne menée par
Sardono Waluyo Kusumo arrive à Paris. En France, La Sorcière de Dirah a fait sa
première le 28 février 1974, à salle de la Gaîté-Lyrique du Théâtre National de
Chaillot271. C’était un spectacle conçu pour le concours du Centre International
du théâtre de La Haye, la mise en scène et la chorégraphie étant signées par
Sardono, avec l’assistance de mise en scène d’I Wayan Dija 272. Parmi les comédiens
de la troupe figuraient Tapa Sudana et Mas Soegeng, ainsi que le réputé I Nyoman
Pugra. Le spectacle a été répété à Bali et à Jakarta avant de se produire en Europe.
Ce spectacle produisit une grande fascination et un bouleversement chez Lucia
Bensasson, duquel elle garde ce souvenir : c’était un mélange d’acteurs balinais et
javanais qui étaient dans la tradition balinaise. Et ça a été un très grand choc pour nous de
les voir. C’était tellement magnifique, j’étais très fascinée. 273 Grâce à un ami d’Erhard
Stiefel, une rencontre entre les deux troupes est fixée:

Nous y sommes tous allés, en emportant avec nous une valise


remplie des masques que j’avais fabriqués. Pugra a regardé mes
masques, il a pris celui de Pantalon, l’a mis, et a commencé à
jouer avec la démarche de ce personnage, alors qu’il ne
connaissait pas du tout ce masque, qu’il ne connaissait même
rien de notre civilisation. C’était extraordinaire. Des comédiens
de sa troupe ont mis leurs propres masques, d’autres ont pris les
miens, et ils se sont lancés dans une improvisation très
impressionnante. En partant, Ariane a offert le masque de
Pantalon à Pugra. Ce n’est que bien plus tard que nous avons pu
analyser le fait que des masques d’origines différentes pouvaient
fonctionner ensemble.274

Pour Erhard Stiefel, le plasticien et sculpteur responsable de la confection des


masques de L’Âge d’or, la rencontre avec les masques japonais et balinais a été
fondamentale pour son métier de créateur de masques. Par la suite, il s’est
constamment inspiré des masques balinais, ainsi que des japonais du noh, pour les
créations du Théâtre du Soleil : Leurs masques et leur jeu m’ont tellement fasciné que je

271
Georges Banu, « Deux versions d’une légende », Travail Théâtral, septembre 1974, p. 132-134.
272
Théâtre national de Chaillot, Programme: Histoires extraordinaires, Récits légendaires, contes
fantastiques; La sorcière de Dirah; Légende balinaise, Paris, France, Theatre National de Chaillot, 1974.
273
Lucia Bensasson et Juliana Coelho, op. cit.
274
Béatrice Picon-Vallin, « Un vrai masque ne cache pas, il rend visible », [En ligne :
http://www.theatre-du-soleil.fr/thsol/sources-orientales/des-traditions-orientales-a-la/l-influence-de-
l-orient-au-theatre/un-vrai-masque-ne-cache-pas-il]. Consulté le 5 novembre 2013.

152
leur ai volé des idées275. Pour L’Âge d’or, la couleur rouge et quelques traits du
masque de Max sont inspirés d’un masque de bondres. Ensuite, il en
confectionnera un autre ressemblant à celui-ci, le masque du Pandapa, souvent
utilisé au Théâtre du Soleil.

La troupe recherchait à faire vivre une tradition théâtrale qui s’est éteinte en
Europe et par coïncidence, elle découvre avec l’ensemble balinais une tradition
théâtrale où le masque est encore très vivant. De plus, les demi-masques du topeng,
les bondres, sont les personnages comiques qui commentent le quotidien, ce qui
correspondait également à la recherche thématique de L’Âge d’or. L’utilisation des
masques balinais eux-mêmes est entrée au Théâtre du Soleil peu après L’Âge d’or.
Le relais d’un grand nombre de comédiens issu du Théâtre du Soleil a contribué à
la diffusion de leur connaissance. Pendant le processus de création des Shakespeare,
en 1981, des masques balinais ont été employés lors des répétitions du spectacle
La Nuit des Rois. En principe, l’idée était de les utiliser sur scène, ce qui n’a
finalement pas été réalisé. C’est dans la mise en scène de L’Histoire terrible et
inachevée de Sihanouk, le roi du Cambodge, qu’un masque doublement inspiré du
Topeng tua et du Bondres Bendesa apparaitra, porté par Guy Freixe. C’est le
personnage du Roi Défunt, Norodom Suramarit, père de Norodom Sihanouk.

Peu d’informations sur les voyages d’Ariane Mnouchkine à Bali sont disponibles.
Son premier voyage sur l’île s’est déroulé lors des vacances collectives d’été, encore
pendant les répétitions de L’Âge d’or :

Plus tard, je suis allée à Bali, où j’ai rencontré un autre acteur:


Kakul. Il était très radical par rapport à Pugra et Sardono qui
s’étaient ouverts à l’institution à Denpasar et aux tournées à
l’étranger. Il était tout aussi grand que Pugra, mais il ne sortait
pas de son village et ne jouait que dans les temples. J’ai passé
trois semaines à le regarder enseigner parmi ses poules.276

À l’époque du voyage à Bali, Ariane Mnouchkine avait déjà réalisé son grand
voyage formateur, celui de l’Asie entre 1963 et 1964. Le voyage à Bali fut un séjour
275
Ibidem.
276
Ibidem.

153
d’étude, avec un but précis : découvrir plus ces masques. En plus du travail du
masque, Ariane Mnouchkine est revenue également sur son expérience vécue à
Bali pour penser l’espace de présentation et l’accueil proposés par le Théâtre du
Soleil à ses spectateurs:

Je me souviens de soirées passées à Bali dans un village: les gosses


viennent voir un bout du spectacle et repartent, ils vont acheter
un cornet de crevettes, ou ils dorment sur les genoux de leur
mère. Ici, nous avons toujours eu deux tentations: celle de
captiver totalement le spectateur et celle de le laisser libre. Il faut
qu’il respire, qu’il ne soit ni oppressé ni contraint, et en même
temps nous voulons qu’il soit tellement captivé qu’il ne bouge ni
ne parle. Pour parvenir à cet équilibre, nous avons besoin d’un
certain type d’espace, d’un certain type de musique, de rythme.
Tout cela est en effet profondément organique. Il s’agit d’une
union entre l’esprit et le corps. Au théâtre, si le corps n’est pas
bien, l’esprit ne peut pas fonctionner correctement. Mais s’il n’y
a que l’esprit qui est sollicité, alors le corps ne sent rien, et il n’y a
pas d’émotion. Or, au théâtre, l’émotion est le véhicule de la
compréhension.277

Ariane Mnouchkine a effectué d’autres séjours à Bali, ces fois-ci en étant


accompagnée par I Made Djimat. L’expérience d’Ariane Mnouchkine avec les
masques balinais, et tout son rapport avec l’Asie en général, a influencé plusieurs
générations de comédiens qui sont passées par le Théâtre du Soleil. À leur tour,
ces comédiens en ont également influencé d’autres, apportant les masques balinais
au sein de leurs compagnies, comme dans l’exemple de l’Amok Teatro.

Les déplacements du Théâtre du Soleil, ainsi que plusieurs autres artistes envers le
masque ont fait partie des recherches autour de l’objet masque 278 au cours du XIXe
siècle. Dans le cas du Théâtre du Soleil, cette recherche s’est placée dans une
lignée particulière, une lignée de jeu de l’acteur inscrite dans les parcours et
recherches de Jean Copeau, Jacques Lecoq et Ariane Mnouchkine, comme le

277
Béatrice Picon-Vallin, « L’Orient au Théâtre du Soleil : le pays imaginaire, les sources concrètes,
le travail original », [En ligne : http://www.theatre-du-soleil.fr/thsol/sources-orientales/des-
traditions-orientales-a-la/l-influence-de-l-orient-au-theatre/l-orient-au-theatre-du-soleil-le]. Consulté le
28 octobre 2015.
278
Ces recherches sont amplement discutées dans l’ouvrage suivant de Guy Freixe : Guy Freixe, Les
utopies du masque: sur les scènes européennes du XXe siècle, Vic-la-Gardiole, Entretemps, 2010, 379 p.,
(« Les voies de l’acteur. Grand format », no 2).

154
présentent les travaux de Guy Freixe à ce sujet 279. L’influence d’Étienne Decroux
est également à prendre en compte chez les comédiens intéressés à un jeu non
naturaliste.

À partir des années 1970, plusieurs comédiens étrangers sont venus et viennent
encore en France à la recherche d’un jeu du comédien non naturaliste, lié à un
certain rapport avec le public et où l’improvisation est un recours de création de
base. En France, ils ont étudié à l’École Jacques Lecoq ou chez Étienne Decroux,
par exemple, avant d’aller à Bali pour apprendre le topeng. Par exemple, Leonard
Pitt, comédien et pédagogue américain, résident à Paris de 1963 à 1970, où il a été
élève et assistant d’Étienne Decroux. Il a réalisé des séjours à Bali en 1970 et 1978
et de retour aux États-Unis, il va enseigner à San Francisco 280. Grâce à lui,
Deborah Gail Dunn, auteur d’une thèse sur le topeng balinais en 1980, est partie à
Bali et au Japon pour étudier le jeu masqué et la confection des masques.

a. Lucia Bensasson
En 1989, Lucia Bensasson a créé aux côtés de Claire Duhamel et sous l’inspiration
et l’impulsion d’Ariane Mnouchkine ARTA — Association des Recherches sur les
Traditions de l’Acteur. Le premier atelier accueilli par cette « école » est celui de
topeng, conduit par I Made Djimat, assisté de Cristina Wistari. Lucia Bensassson se
rend pour la première fois à Bali en 1991. Là, elle a accompagné I Made Djimat
lors de ses déplacements dans l’île — tant pour les festivités dans les temples, que
pour les présentations aux touristes. À partir du premier stage de topeng accueilli
par ARTA en 1989, Lucia Bensasson invite régulièrement les praticiens de topeng
pour enseigner, respectivement, I Made Djimat, Cristina Wistari Formaggia et Mas
Soegeng281. Avec Jean-François Dusigne, ils ont entrepris à ARTA une recherche
sur les masques balinais et la dramaturgie contemporaine, un temps suspendu par

279
Guy Freixe, La filiation Copeau, Lecoq, Mnouchkine: une lignée du jeu de l’acteur, Lavérune,
Entretemps, 2014, 304 p.
280
Une serie d’articles sur les fondateurs du champ d’études de théâtre asiatitique aux États-Unis a
été par le Asian Theatre Journal, édité par Kathy Foley : Foley Kathy, « Fredrik deBoer » , Asian
Theatre Journal, 28-2, 2011, p. 475-482. , Kathy Foley, « John Emigh » , Asian Theatre Journal,
vol. 28 / 2, octobre 2011, p. 451-462., Kathy Foley, op. cit.. et Siyuan Liu et David Jortner, op. cit.
281
Le processus de création d’ARTA, ainsi que les ateliers de topeng accueillis dans la maison, sont
racontés dans l’ouvrage suivant :Jean-François Dusigne, Les passeurs d’expérience: ARTA, école
internationale de l’acteur, Montreuil-sous-Bois, Éd. Théâtrales, 2013, p. 45.

155
le décès prématuré de Cristina Wistari. De plus, Lucia Bensasson emploie
également les masques du topeng dans ses ateliers pédagogiques. Jean-François
Dusigne continuer à employer pédagogiquement les masques de topeng. ARTA est
probablement le centre en France qui a accueilli le plus de comédiens venus de
Bali pour des activités pédagogiques, ce qui a favorisé la diffusion du topeng en
France.

156
157
c. Ana Teixeira et Stéphane Brodt
Issue de la rencontre entre une metteur en scène brésilienne, Ana Teixeira, et un
comédien français, Stéphane Brodt, l’Amok282 Teatro est une compagnie de
théâtre très active au Brésil. Depuis 1998, la compagnie se consacre à la recherche
continuelle sur les techniques de l’acteur et sur la mise en scène. Ses spectacles ont
reçu les plus importants prix du théâtre brésilien et ont été amplement reconnus
par le public et par la critique. Le corps de l’acteur a une place centrale dans les
mises en scène d’Ana Teixeira.

Le rapport de Stéphane Brodt avec l’Asie existe aussi depuis son expérience au
Théâtre du Soleil et à ARTA. Son envie d’aller à Bali vient spécialement de son
intérêt pour le travail du masque, mais également des divers ateliers qui ont lieu à
ARTA et au Théâtre du Soleil. Avant de se rendre à Bali, Stéphane Brodt a suivi
deux cours de topeng à la Cartoucherie, dispensés par I Made Djimat et Cristina
Wistari. Au total, Ana Teixeira et Stéphane Brodt ont réalisé quatre voyages à Bali.
Le premier était en 1993, lorsque Stéphane Brodt était encore comédien du
Théâtre du Soleil, et les suivants en 1994, 1995 et 1997. Lors de ces trois séjours,
Stéphane Brodt a suivi des cours de topeng auprès d’I Ketut Kantor, fils d’I
Nyoman Kakul, à Batuan et avec deux autres professeurs. Il a suivi aussi des cours
d e baris et de chant avec Ida Bagus Alit, encore à Batuan. De son côté, Ana
Teixeira a travaillé le legong, le teruna jaya et le topeng tua.

J’avais quelques adresses données par des acteurs plus vieux du


Soleil. Je n’avais pas tellement envie de voir Djimat, parce que je
le trouvais, je ne sais pas s’il faut dire ça... Mais, je trouve qu’il a
beaucoup de qualités, il travaille beaucoup en Occident et parfois
il y a quelque chose qui se perd dans les gens qui sont très
reconnus, très demandés en Occident. Donc, j’ai cherché sur
place, j’ai cherché à avoir des adresses de professeurs, de maîtres
qui étaient des Balinais, des gens qui n’étaient jamais sortis de
Bali, qui donnaient des cours aux Balinais aussi. 283

282
Amok en indonésien, mot dérivé de l’amuk en malais, signifie « folie furieuse »,
« colère ». C’est un terme largement utilisé à Bali pour décrire les attaques de furie des personnes
pendant la transe.
283
Kathy Foley, « John Emigh », Asian Theatre Journal, vol. 28 / 2, octobre 2011, p. 451-462.

158
Son intérêt d’aller à Bali est surtout lié au travail du masque qu’il découvre auprès
d’Ariane Mnouchkine, qu’il perçoit comme un pont vers l’Asie. Les voyages à Bali
sont des expériences qui l’ont profondément marqué. Avant tout, ce sont des
voyages de formation que lui permettent une découverte du monde :

Là, j’avais vingt-deux, vingt-trois tans, sac à dos… On allait dans


des camions aux cérémonies. Cela marque pour une vie, parce
que c’est le genre de voyage que tu fais... et le premier c’était Bali.
On avait les yeux… Encore une fois, je me rappelle une phrase de
Copeau ou Dullin : « Ne perdez jamais ce regard un peu perdu
de ceux qui cherchent. Le regard de ceux qui croient avoir trouvé
s’éteint ». Et voilà, on avait le regard de nos vingt ans…284

Ainsi, à l’époque de cet entretien, en 2012, le voyage à Bali fut ressenti de manière
presque nostalgique. Ces voyages formateurs vont influencer le travail et les
recherches théâtrales de l’Amok Teatro, car ils lui ont ouvert « les portes de la
curiosité sur toutes les formes de théâtre ». L’Amok Teatro a était le premier groupe
à employer les masques balinais en tant qu’outil pédagogique au Brésil. Depuis
leur arrivée au Brésil en 1998, jusqu’aux environs des années 2010, le groupe a été
le seul à travailler ainsi.

284
Ibidem.

159
160
5. Cristina Wistari Formaggia
Née en Italie en 1948, Cristina Wistari Formaggia, a vécu à Bali de 1983 jusqu’à sa
mort en 2008. Dans les années 1970, elle commence une série de voyages qui l’ont
amenée à découvrir plusieurs pays d’Asie. En 1977, elle part en Inde. À Bénarès,
Cristina Wistari retrouve un livre, oublié ou laissé par un autre voyageur : « Le
Théâtre et son Double ». Ensuite, elle voyage encore à Mirthila, au Rajasthan, en
Birmanie, en Thaïlande, à Singapour et, finalement, en Australie. En 1980, quand
elle décide de partir de Sydney à Bali, elle subit un terrible accident de voiture, et
frôle le risque de paralysie. Six mois après, sa récupération est totale et elle part à
Bali, pour la première fois :

La première fois à Bali, je n’ai pas dansé. J’ai simplement


beaucoup regardé les spectacles de danse. À l’époque, l’île était
magnifique. Très peu de touristes, pas de voitures... et comme
c’est arrivé à presque tout le monde qui la visite, j’en suis tombée
amoureuse. C’est plus tard, en 1983, après avoir commencé à
danser le kathakali en Inde, que j’y suis retournée.285

Rapidement, elle rencontre I Made Djimat, dont elle n’avait jamais entendu parlé
auparavant. En observant I Made Djimat enseigner, elle décide de l’avoir en tant
que professeur. Elle s’initie alors au topeng, au calonarang, et postérieurement au
gambuh, s’entrainant environ quatre heures par jour, pendant plusieurs années :

Je suis prise dans une spirale trop rapide pour être arrêtée. Je
dansais dans les cérémonies des temples, je participais aux rituels
sacrés. S’agit-il de la réalisation ultime ? La danse devient une
sorte de renoncement où tout le reste est abandonné. La femme
a abdiqué, elle est subjuguée par un désir impérieux. Elle a une
aspiration absurde de vouloir casser toutes les règles d’une société
hiérarchisée qui va toujours la considérer comme une étrangère,
ce que je suis. Le voyageur finit par faire une halte. La danse est-
elle une sublimation ? Ou une sorte d’intoxication ? Une passion
folle qui dicte les pulsations de mon cœur ?286

Pedant les années vécues à Bali, Cristina Wistari a eu un rôle particulièrement


important pendant la « rennaissance » du gambuh. À partir de 1993287, elle a
285
Cristina Wistari Formaggia et Juliana Coelho, « Entretien avec Cristina Wistari Formaggia »,
2007.
286
Cristina Wistari Formaggia, « Foreign Landscapes », The Open Page, Travel, mars 2002, p. 34.
287
Michel Picard, « Le gambuh: grandeur, décadence et renaissance (?) du théâtre à Bali », Archipel,
vol. 55 / 1, 1998, p. 141-190.

161
coorganisé le Gambuh Preservation Project, grâce au soutien institutionnel d’I Made
Wianta, peintre célèbre, et financier de la Fondation Ford. Le projet fut scindé en
deux parties : la préservation et la documentation du gambuh. Pour cela, le projet
assurait l’enseignement des vieux maîtres aux jeunes générations et la préparation
d’un projet de documentation qui a donné lieu à plusieurs enregistrements
audiovisuels et audio, lancés sous la forme d’un DVD sur le gambuh et d’un CD du
groupe, nommé à l’époque Seka Gambuh Pura Desa Adat Batuan. Plus important,
elle a publié un grand ouvrage sur le gambuh, publié en indonésien. La
documentation avait également pour but de laisser aux générations futures
l’empreinte des vieux maîtres. Profondément passionnée par le gambuh, Cristina
Wistari souhaitait restituer au gambuh le prestige international que d’autres formes
scéniques asiatiques ont, tels le noh et le yinjun.

Aux côtés d’I Made Djimat, elle a vécu un partenariat artistique, pédagogique et
amoureux. Elle l’accompagna sur plusieurs ateliers pédagogiques, dont l’atelier
inaugural d’ARTA, à la Cartoucherie de Vincennes. À partir de 1995 et jusqu’à
leur séparation en 2004, ils ont été invités à plusieurs reprises à l’ISTA. Elle
continua sa participation à l’ISTA, accompagnée d’autres membres du Gambuh
Desa Batuan Ensemble. Cristina Wistari commença alors à dispenser plusieurs
ateliers en Europe et au Brésil, en plus de recevoir des étudiants dans sa maison à
Campuhan, à Ubud.

Elle participa et promut fortement le Topeng Shakti, le premier groupe de topeng


constitué uniquement de femmes. Il était formé par Ni Desak Nyoman Suarti,
Cristina Wistari, Ni Nyoman Candri et Cok Agung Isteri. Rucina Ballinger a
rejoint également le groupe pendant une très courte période. En 2000, elles se
sont produites au Bali Arts Festival, en 2001, au Festival Magdalena, au Danemark
et, en 2003, au Festival de l’Imaginaire en France 288. Ces tournées ont été
produites par Cristina Wistari et ont été considérées comme des missions
culturelles par le gouvernement indonésien. La tournée a reçu alors l’approbation
du Département de la culture et du LISTIBIYA, la Commission d’Évaluation et
Margaret Coldiron, Carmencita Palermo et Tiffany Strawson, « Women in Balinese Topeng:
288

Voices, Reflections, and Interactions », Asian Theatre Journal, vol. 32 / 2, 2015, p. 466.

162
Promotion de la Culture, ainsi qu’un grand espace dans la presse à Bali. Après la
tournée européenne, Desak Suarti quitta le groupe. Le Topeng Shakti continua ses
activités à Singapadu et se présenta lors de cérémonies et de spectacles pour les
touristes. Si le Topeng Shakti a rencontré des difficultés à ses débuts, il a également
ouvert la voie à d’autres groupes formés par des femmes. Le travail de production
de Cristina Wistari a été essentiel pour la création d’un certain prestige autour du
groupe, cela spécialement grâce à la tournée en Europe.

En 2004, Cristina Wistari et I Made Djimat cessèrent leur collaboration et


l’ensemble de gambuh289 se divisa. Elle prit sa direction et le groupe continua à se
produire régulièrement à Batuan, tous les 1 et 15 du moins. Le groupe continua à
participer au Theatrum Mundi, mis en scène par Eugenio Barba, et spécialement
dans les spectacles Ur-Hamlet et The Mariage of Medea290. En 2008, lors de la
présentation de The Mariage of Medea au Danemark, Cristina Wistari fit de gros
malaises, et fut internée médicalement au Danemark puis à Milan. Atteinte d’un
cancer, elle décèda en Juillet 2008.

6. Feslisberto Sabino
Felisberto Sabino est professeur de théâtre à l’Université de São Paulo, au Brésil.
Les folguedos brésiliens, tels le bumba-meu-boi et le maracatu291, figurent parmi ses
principaux intérêts de recherche. Pour comprendre son envie d’aller à Bali, il faut
prendre en compte son parcours d’enseignant chercheur. À l’Université de São
Paulo, Felisberto Sabino dispense les cours de Théâtre de Formes Animées 1 et 2
et de Dramaturgie. Ses thématiques de prédilection sont alors le masque et la
marionnette. Comme beaucoup d’artistes au Brésil, il a également eu son premier
contact avec Bali, par le livre « Le Théâtre et son Double », et directement avec les
masques balinais, avec l’Amok Teatro. Son premier séjour à Bali en 2012 a été

289
Actuellement, le Gambuh Desa Batuan Ensemble se produit chaque 1er et 15ème jour du mois à
Batuan. Il peut se présenter également dans des tournées à l’extérieur de Bali. En 2001, le groupe a
été récompensé par le prix Wijaya Kusuma, décerné par le gouvernement indonésien.
290
En 2008, lors de mon premier séjour à Bali, j’ai accompagné les répétitions du spectacle The
Mariage of Medea, ainsi que des répétitions et des cours de gambuh, deux fois par semaine.
291
Le bumba-meu-boi et le maracatu sont deux folguedos brésiliens, fêtes religieuses dramatiques
dansées. Elles sont liées au syncrétisme religieux, mélangeant des croyances catholiques et celles des
religions afro-brésiliennes. Le maracatu est un folguedo typique de l’État de Pernambuco et le bumba-
meu-boi a lieu dans plusieurs endroits du pays, se concentrant dans les régions nord et nord-est.

163
circonscrit à un projet de recherche pratique qu’il a mené à l’Université de São
Paulo :

Alors, j’avais eu ce contact préalable ici et j’ai décidé de créer un


projet que j’ai nommé « Un dialogue entre Orient et Occident ».
Je crois qu’au Brésil on parle d’une perte du côté sacré, de cet
aspect qu’uniquement l’Orient aurait, comme si ce rapport était
presque inhérent au corps oriental. Cependant, quand j’ai passé
un temps au Nord-Est, à Pernambuco, dans une recherche avec le
cavalo-marinho et après un autre temps au Maranhão, cherchant le
bumba-meu-boi, j’ai observé que même si ce n’est pas de la même
manière que Bali, il y a un aspect du sacré, dans le contexte
religieux qui entoure cette manifestation. Pas dans la
manifestation qui est réalisée pour les touristes, comme à Bali,
mais dans celles qui se déroulent à la campagne, à Martinha, à
Penalva qui sont des villes du Maranhão ; ou à Condado à
Pernambuco. Il y a cet aspect ici au Brésil, qui est lié à la religion
chrétienne, plus précisément au catholicisme.292

Son envie d’aller à Bali fut influencée par une curiosité concernant le travail du
masque, mais principalement pour observer le contexte religieux dont les
manifestations spectaculaires balinaises font partie. Les déplacements et recherches
de Felisberto Sabino dans les régions nord et nord-est du Brésil lui permettent
d’observer les formes spectaculaires balinaises sous une autre perspective. Il n’est
pas aussi influencé par la culture européenne que l’est Ana Teixeira, par exemple.
De ce fait, il constate des liens et des rapprochements inattendus entre Bali et le
Brésil. Felisberto Sabino a aussi écrit le premier article publié au Brésil sur le
topeng293.

7. Ni Nyoman Candri et I Ketut Kodi


Née en 1950 à Singapadu, Bali, I Nyoman Candri est une des artistes balinaises le
plus réputées, particulièrement connue pour sa maîtrise de l’arja. En 1972, elle est
nommée professeure « remarquable » à l’ASTI, l’Académie Indonésienne de
Danse, et enseigne les tembang, les chants de l’arja. Cette même année, elle se
produit au Japon et en 1983 à New York. Pendant quatre ans, elle fait partie du
Topeng Shakti, troupe de topeng uniquement composée par des femmes, où elle

292
Felisberto Sabino et Juliana Coelho, « Entretien avec Felisberto Sabino », 2012.
293
Felisberto Sabino da Costa, « Em Bali, homens usam flores na orelha: protocolo de uma
experiência com o Topeng Pajegan », Sala Preta, vol. 12 / 1, juin 2012, p. 88-100.

164
tient spécialement le rôle de Wijil. Elles se produiront à l’étranger, et en France,
dans le cadre du Festival de l’Imaginaire, en 2005. Elle enseigne aussi au Japon,
aux États-Unis, en Italie et en France. En 2002, elle réalise un atelier, L’acteur et le
conteur dans le théâtre balinais, à ARTA, à la Cartoucherie de Vincennes, aux côtés
de Cristina Wistari Formaggia. Elle a participé à trois sessions de l’ISTA : celles de
1987, à Salento, de 1990, à Bologne, en Italie et celle de 1994, à Londrina, au
Brésil. De plus, Ni Nyoman Candri participe aux créations du Theatrum Mundi,
mises en scène par Eugenio Barba, notamment les dernières Ur-Hamlet et Le
Mariage de Médée. I Ketut Kodi faisait partie de l’ensemble balinais venu à la
session de 1987 de l’ISTA, à Salento.

I Ketut Kodi est le fils d’I Wayan Tangguh, l’un des plus célèbres sculpteurs de
masques de Bali, récemment décédé. I Ketut Kodi est spécialement réputé pour
son rôle de Wijil /Kartala et pour être dalang. En tant que formes qui privilégient
surtout le discours oral, elles sont très peu appréciées du public étranger. De ce
fait, des artistes comme I Ketut Kodi vont être moins demandés à enseigner à
l’étranger.

165
PARTIE 2
LES VOYAGES À BALI ET LES RENCONTRES

166
CHAPITRE IV
LES CHOCS DES RENCONTRES :
BOULEVERSEMENTS

167
Laissez-moi essayer d’expliquer ce concept. Nous (et par « nous »,
j’entends les êtres humains, qu’ils soient des Européens ou des
Chinois ou des Indiens) voyageons et explorons le monde
portant avec nous quelques « livres de référence ». Nous ne
sommes pas obligés de les apporter avec nous sous leur forme
physique. Je veux dire que lorsqu’on voyage, on porte avec soi
une vision préétablie du monde qui est celle de notre tradition
culturelle. Curieusement, nous voyageons grâce à notre
connaissance antérieure de ce que nous sommes sur le point de
découvrir, puisque des livres déjà lus nous ont indiqué ce que
nous étions censés trouver. L’influence de ces « livres de
référence » est telle que les voyageurs, quelles que soient leurs
découvertes et les réalités perçues, vont tout interpréter et tout
expliquer en fonction de ces ouvrages.294

En détaillant les propriétés des entités mentionnées dans le récit,


la description construit peu à peu dans l’esprit du lecteur un
monde ou plus exactement un quasi-monde, un analogue du
monde connu qui peut différer plus ou moins de lui. 295

294
Eco, Umberto, « Ils cherchaient des licornes », Alliage - Revues électroniques de l’université de Nice,
Décembre 1999.
295
Jean Molino et Raphaël Lafhail-Molino, op. cit., p. 293.

168
1. Introduction
L’expérience consistant à vivre un sentiment de bouleversement lors de leur voyage
à Bali a été exprimée par plusieurs praticiens brésiliens et européens interviewés
dans le cadre de cette recherche doctorale. Chacun de ces praticiens interviewés a
décrit un instant différent et particulier au cours duquel ce sentiment bouleversant
a émergé. Pour la majorité, ce moment a découlé d’un choc entre une image ou
une idée préalablement établie sur l’île et la réalité rencontrée lors du voyage. En
2011, lors de sa deuxième recherche de terrain à Bali, l’intérêt pour cette notion
de bouleversement n’était pas encore présent dans les questionnements de la
chercheuse. De ce fait, les questions posées aux praticiens balinais n’étaient pas
orientées vers cette thématique. I Made Bandem se souviendrait malgré tout d’un
épisode très bouleversant pour lui qui sera analysé à la fin de ce chapitre.

En effet, le voyage dans un pays étranger peut engendrer un choc perceptif dû au


contact inévitable avec un environnement nouveau. Cela demeure encore vrai
malgré la différence entre le voyageur d’aujourd’hui et celui du début du siècle
dernier. Le flux d’informations, d’images et de vidéos des endroits les plus insolites
de la planète est maintenant accessible sur le web. Grâce à cette abondance
d’images, on pourrait à tort croire connaître ces endroits. Cependant, nous
constatons que l’expérience réelle en environnement étranger s’avère encore
puissante et bouleversante.

Le présent chapitre se concentre sur la notion de « bouleversement » qui sera


abordée à partir des témoignages des praticiens qui ont affirmé avoir vécu cette
expérience à Bali : Roberta Carreri, Lucia Bensasson, Ana Teixeira, Ivaldo Bertazzo
et Felisberto Sabino. Chez Eugenio Barba et Ariane Mnouchkine, ce
bouleversement a été ressenti de manière plus flagrante lors de leurs voyages
réalisés précédemment. Eugenio Barba a perçu ce bouleversement lors de son
séjour en Inde, en faisant l’expérience du kathakali. Pour ce qui est d’Ariane
Mnouchkine, l’ensemble de son premier voyage en Asie, le grand périple qu’elle a
accompli entre 1963 et 1964 fut un événement majeur et fondateur. L’un des

169
bouleversements de ce voyage consista justement en la découverte des formes
théâtrales japonaises :

Plus tard, quand je suis retournée au Japon, en 2001, j’ai


retrouvé à Asakusa — le quartier des plaisirs de Tokyo — le théâtre
où j’avais vu du Kabuki pour la première fois. C’était un théâtre
minuscule, où j’ai eu le choc de ma vie en voyant un acteur dont
je ne saurai jamais le nom. Avec un simple tambour, il jouait à
lui seul une bataille. Cet homme, en deux heures de théâtre, m’a
tout appris. Il m’a montré que le théâtre était toujours possible,
qu’il pouvait tout raconter. J’ai compris que même dans le
théâtre le plus misérable qui soit, si un acteur a du cœur, il peut
nous transporter au fond des steppes les plus lointaines. C’était
en 1963. Je ne saurai jamais qui était cet acteur, mais dans ma
malle aux trésors, il occupe une grande place. 296

Ainsi, avant de se rendre à Bali, tous ces praticiens avaient une idée mentale et
particulière de ce que pouvait être cette île, ses danses et formes théâtrales, son
contexte religieux et culturel. Certains d’entre eux avaient déjà participé à des
ateliers avec des artistes balinais en voyage ou s’étaient même consacrés à la lecture
d’ouvrages sur l’île. Si l’on en croit leur témoignage, ces artistes voyageurs avaient
également une image, ou plutôt, un imaginaire fictionnel de Bali. S’y rendre pour
un voyage d’études, même s’il était initialement restreint au contexte de
l’apprentissage d’une danse, a signifié pour eux la confrontation de cet imaginaire
antérieur avec l’expérience du réel de l’environnement balinais.

2. La présentation de la problématique

L’investigation de la notion de « bouleversement » s’est avérée pertinente, car ce


terme a été constamment évoqué dans les témoignages de ces artistes. En réalité,
bien loin d’être une expérience banale, ce bouleversement semble les avoir
profondément marqués et est demeuré le meilleur souvenir de leurs voyages 297. De
ce fait, il convient de se pencher sur la singularité du bouleversement chez chacun

296
Béatrice Picon-Vallin, « L’Orient au Théâtre du Soleil : le pays imaginaire, les sources concrètes,
le travail original », [En ligne : http://www.theatre-du-soleil.fr/thsol/sources-orientales/des-
traditions-orientales-a-la/l-influence-de-l-orient-au-theatre/l-orient-au-theatre-du-soleil-le]. Consulté le
28 octobre 2015.
297
Le mot voyage est employé au pluriel, car chacun de ces artistes a entrepris plusieurs voyages à
Bali.

170
de ces artistes, en proposant une réflexion davantage focalisée sur le moment
précis ayant donné lieu au bouleversement. Il s’agit d’un point commun, d’un
même phénomène éprouvé, assimilé et interprété de manière singulière par la
subjectivité de chaque artiste. De plus, d’un côté, elle aide à comprendre certaines
particularités des rapports recueillis dans les récits des artistes interviewés. Ce
chapitre se penchera dans son intégralité sur ce choc perceptif qui allait engendrer
un changement de perspective chez eux. D’un autre côté, ce moment de
bouleversement allait influer sur les choix de ces artistes et leurs parcours
artistiques.

La totalité de ces artistes étant étrangers, on remarquera que ce bouleversement est


intervenu face à une altérité, représentée par le monde balinais. Ici, l’altérité sera
définie comme la reconnaissance de l’autre, et l’autre comme ce ou celui qui est
étranger à nous. De plus, cet étranger ne serait pas uniquement circonscrit hors
des frontières d’un pays natal. Il serait ce ou celui qui est perçu comme inconnu.
Sachant que l’étranger est façonné à partir de notre propre subjectivité, il est
toujours tributaire de nous-mêmes. Dans les exemples analysés, le monde balinais
représente cette altérité redevable à notre propre subjectivité et à celle de ces
artistes.

Ainsi, c’est sur ce rapport avec l’altérité que repose la question centrale de ce
chapitre : l’analyse de ces expériences de « bouleversement » peut-elle contribuer à
l’appréhension de nos rapports et de nos expériences avec autrui ? Les moments de
bouleversement analysés sont les indices d’un renversement soudain de perspective
où la reconnaissance de l’autre est altérée. De ce fait, penser le bouleversement en
tant que notion pourrait contribuer à une meilleure compréhension des rapports
que ces artistes entretiennent avec l’altérité et par conséquent, avec leur propre
subjectivité.

Renvoyer l’autre à soi semble être une première étape permettant de comprendre
ce bouleversement, puisqu’il s’agit également de remettre en question la myriade
d’images et de récits imaginaires créés à partir de Bali. Imaginer un théâtre sacré

171
implique de l’imaginer avec nos outils et nos références habituels. De même,
concevoir le sacré se fait à partir de nos références, celles-ci étant, pour la plupart,
chrétiennes. Alors, on pourrait supposer que lors du voyage de terrain, ces artistes
s’attendaient non seulement à rencontrer cette culture autre, mais également les
scènes de ce « récit imaginaire ». Ajoutons à cela la subjectivité de chaque artiste,
dont les origines diverses ont forgé des rapports singuliers avec le terrain balinais :
Roberta Carreri est italienne (plus précisément milanaise), Ana Teixeira et Ivaldo
Bertazzo sont originaires de São Paulo et Felisberto Sabino vient de Januária, un
petit village du nord de l’état de Minas Gerais, au Brésil, Lucia Bensasson est une
Tunisienne, qui s’est expatriée en France. Chez la plupart de ces artistes, ce
schéma de pensée ou cet imaginaire rêvé ont basculé face à la brutalité de
l’expérience du contact réel. Nous nommons bouleversements, ces basculements et
renversements soudains, vécus comme une déterritorialisation temporaire.

3. Définitions de la notion de bouleversement


Avant de se pencher sur les bouleversements autour de l’expérience balinaise, il
semble nécessaire de clarifier le terrain et d’introduire certaines considérations sur
la problématique du bouleversement dans une perspective phénoménologique.
Premièrement, examinons la nature de ce terme. Dans la langue française, la
notion de bouleversement associe deux actions voisines : la perturbation physique
et organisationnelle et l’émoi profond298. Ainsi, l’aspect sémantique de ce mot
rejoint le sens que nous voulions aborder. Dans une perspective concrète ou
abstraite, un bouleversement met une chose en complet désordre, la bouscule et la
renverse. Le bouleversement est également de l’ordre de l’émerveillement, de ce
qui frappe vivement notre champ émotionnel.

Ici, nous identifions comme bouleversement trois actions « intérieures »


distinctes : le renversement de perspective, le soudain étonnement éclaircissant et
l’émerveillement. Entre l’action et le sentiment, le bouleversement auquel il est fait
298
Afin de préciser les définitions du verbe « bouleverser », citons par exemple celles proposées par
les dictionnaires le Trésor de la Langue Française et le Larousse. Le premier distingue les
définitions suivantes : Retourner, mettre sens dessus-dessous. Au fig. Agiter, troubler, émouvoir
profondément. Quant au dictionnaire Larousse, il propose: Mettre en complet désordre un lieu, des choses.
Modifier totalement quelque chose, en faire disparaître l’organisation. Troubler profondément quelqu’un, lui
causer une émotion violente.

172
référence a agi intérieurement chez ces artistes, dans le champ de leur subjectivité.
Le fait que cette expérience de désordre temporel ait touché ces artistes lors d’une
expérience concrète, sur le terrain balinais et pourtant étranger à tous, s’avère
particulièrement intéressant. On parle ainsi de l’éclosion de ce sentiment de
bouleversement lors d’une expérience concrète à la fois d’une forme spectaculaire
balinaise et de l’environnement balinais.

Ainsi, dans le contexte présenté, ce moment de bouleversement serait-il une prise


de conscience soudaine du sujet observateur envers le contexte observé ? D’une
prise de conscience dans le sens de cet instant où quelque chose devient
intelligible et évident. Est-il également le symptôme d’une déterritorialisation
temporaire ? Le terme « symptôme » est intentionnellement employé, car chez
chacun de ces artistes ce bouleversement a apporté un émoi profond et une
implication à la situation en tant que sujets incarnés.

C’est dans cet aspect que la réflexion de Maurice Merleau-Ponty sur la


phénoménologie de la perception nous intéresse, car nous plaçons le
bouleversement en question dans le champ de la perception. Ce philosophe
prétend qu’une conception de la perception ne peut être « naturaliste » ni
« objectiviste », car il est impossible de donner un sens cohérent à l’action
prétendue du monde sur le corps et du corps sur l’âme 299. Selon lui, la perception
est également une « lumière naturelle » réservée au sujet incarné, car il est lui-
même incarné dans une nature. De ce fait, il sera question d’analyser l’expérience
du bouleversement chez ces praticiens avec l’aide de la pensée de Maurice Merlau-
Ponty sur la perception.

En outre, ce sont les artistes voyageurs qui seront étudiés. Leur approche de la
culture balinaise s’avère en effet singulière, car elle englobe l’observation de
l’environnement balinais et la pratique des techniques de représentation de cette
culture, la danse et le jeu. En apprenant les chorégraphies et en jouant les masques
d u topeng, ces artistes ont proposé un vécu « incarné » de la culture balinaise. Ils
299
Maurice Merleau-Ponty et Alphonse de Waelhens, La structure du comportement, Presses
universitaires de France, 1960, p. 233.

173
ont doublement éprouvé l’apprentissage d’une structure corporelle autre et
l’expérience vécue en environnement balinais. Par conséquent, ce sont des sujets
qui ont expérimenté une perception incarnée de cette culture. Leur expérience de
terrain a également renfermé des rapports de différentes natures avec les Balinais :
tantôt celui de l’apprenti, du metteur en scène, du producteur de tournées tantôt
celui du comédien partenaire sur scène.

4. Les coïncidences et la beauté du topeng : les bouleversements de


Lucia Bensasson
En tant qu’élément théâtral présent sur scène le masque est l’outil qui relie les
expériences bouleversantes chez Lucia Bensasson. Ainsi, l’expérience consistant à
voir une représentation de topeng à Bali est vécue comme un choc.
Postérieurement, cette expérience l’influencerait davantage dans ses choix
artistiques. Cependant, l’événement fondateur de sa passion pour le masque fut
un spectacle vu durant son enfance et dont le souvenir est demeuré encore très
vivant :

Je crois que pour moi le plus grand choc au théâtre c’était le


topeng et le bunraku. Et aussi dans mon enfance, après je me suis
rappelée de cela, dans mon enfance, j’étais en Tunisie et j’avais
une passion pour le théâtre. J’allais le dimanche au théâtre et
c’était un grand bonheur. Je voyais un tas de choses, être au
théâtre me plaisait énormément. Et puis tout d’un coup, j’ai eu
un grand choc : c’était l’Arlequin serviteur de deux maîtres, de
Strehler. Et ça, c’était une émotion extraordinaire, vraiment
extraordinaire... quand tout d’un coup un spectacle… je crois que
cela a été mon premier grand choc théâtral. C’était l’Arlequin.300

Ici, on constate que ce bouleversement pourrait revêtir en quelque sorte la forme


d’un retour à l’enfance. Les coïncidences, le fait qu’elle ait été bouleversée face à
un spectacle masqué, pourraient être considérés comme une envie de revenir à
l’expérience première devant l’Arlequin serviteur de deux maîtres. Il se peut que les
bouleversements ultérieurs renvoient à l’envie de revoir et ressentir le choc
premier :

300
Lucia Bensasson et Juliana Coelho, op. cit.

174
Je crois que les premiers chocs sont les plus grands, après on
essaye de remettre sa mémoire. Mais, je crois que c’est toujours la
première fois que l’on se dit : c’est la plus belle.301

Ainsi, la question initialement posée portait sur les raisons de ce bouleversement.


Autrement dit, qu’est-ce qui, objectivement, aurait pu susciter cet état :

Il est toujours difficile de dire ce qui nous bouleverse.


Effectivement, c’est... des coïncidences, je dirai. D’une certaine
manière, c’est du théâtre masqué, mais masqué différemment et
dans des lieux de théâtre traditionnels. (...) Et c’est très beau ! Je
ne sais pas quoi vous dire. J’étais bouleversée par la beauté. 302

La beauté est perçue par Lucia comme extraordinaire, miraculeuse. Le champ du


miraculeux est également celui du surnaturel et du magique. La beauté enchante,
ce qui crée un lien avec l’état d’enchantement de l’enfance.

5. La « brutalité » inattendue de la scène balinaise

De l’avis de Roberta Carreri, c’est le grand contexte du topeng qui l’a tout d’abord
frappée. La profusion303 des stimuli esthétiques a continuellement mis en éveil ses
sens. La beauté est associée à tout cet ensemble :

C’est la beauté. C’est la beauté. C’est la sensation de rentrer dans


un lieu magique, dans un rêve. Tout l’or qui brille et la musique.
La musique est extraordinairement forte. La musique balinaise
rentre vraiment dans mon cerveau. C’est presque animal, la
fascination. C’est une musique qui fascine, qui séduit, avec des
rythmes très organiques. C’était une fascination visuelle, pour la
beauté, comme pour tous les détails. La beauté du geste autant
que la beauté des ornements, autant que la beauté des gens, de la
musique, et puis l’encens. C’est comme s’ils essayaient de frapper
et de séduire tous mes sens. Je trouve extrêmement séduisant. Et
puis je n’ai pas besoin de comprendre ce qu’ils disent pour me
laisser transporter dans cet univers et enjoy. (...) Ainsi, n’importe
qui est séduit par le spectacle balinais. N’importe qui, je crois. 304

La beauté était perturbatrice, touchait ses sens les plus primaires, mais ce n’est pas
ce qui la bouleversait vraiment. L’ISTA, International School of Theatre Antropology,
301
Ibidem.
302
Ibidem.
303
D’ailleurs, la profusion d’événements dans les cérémonies est un aspect lié à la notion même de
beauté à Bali : ramé.
304
Roberta Carreri et Juliana Coelho, op. cit.

175
est une école itinérante dirigée depuis 1980 par l’Odin Teatret. C’est dans ce cadre
que Roberta Carreri a découvert le théâtre balinais. Son premier voyage à Bali
remonte aux années 1990. Le sentiment de bouleversement qu’elle a alors éprouvé
était justement lié au choc entre un contexte imaginé et le réel de la scène
balinaise :

Je vais dire une chose qui peut être provocante. Mais j’ai connu
le théâtre balinais en Europe, dans le contexte de l’ISTA. Cela
signifie que j’ai vu le spectacle sur une scène qui était très propre
avec un fond noir. C’était magnifique de les voir, car ils étaient
tellement différents du contexte dont ils sortaient vraiment. Et
puis quand je suis allée à Bali, ce qui m’a frappée c’est le grand
contexte, le monde. L’univers dans lequel ils bougeaient était
tropical, tout à fait en harmonie avec eux. Mais la scène était très
pauvre et très rough, très dure. Elle n’était pas soignée. Et cela m’a
beaucoup frappée, parce que je pensais que tout l’aspect religieux
exigeait aussi un sol comme celui du théâtre noh, bien poli.
Tandis que là, non, c’était la terre ou le ciment. Je ne voyais pas
cet endroit comme plein de possibilités. Je voyais quelque chose
de dur.305

Roberta Carreri a été tout d’abord frappée par l’harmonie entre l’environnement
balinais et les comédiens. Cependant, le fait qu’elle n’ait pas trouvé à cette
occasion l’image qu’elle avait initialement créée pour ce lieu religieux balinais l’a
davantage bouleversée. Il convient de préciser qu’à Bali un grand nombre de
présentations se déroulent à l’intérieur des temples et en concomitance avec des
rites divers. En outre, les temples se trouvent en plein air. Nous pouvons saisir la
déception générée par son expectative envers la scène balinaise. Son témoignage
semble révélateur, car Roberta Carreri a clairement exprimé l’attente que cet
ensemble couramment nommé « théâtre asiatique » ou « théâtre oriental » soit
uniforme.

De ce fait, Roberta Carreri reflète la tendance qu’ont les artistes à uniformiser


l’espace scénique du temple balinais et celui du noh japonais, car il s’agit dans les
deux cas d’un « théâtre oriental » ainsi que d’une forme spectaculaire liée à un
contexte religieux. Roberta Carreri, de même qu’une grande partie des artistes
européens et brésiliens, a eu un contact préalable avec des récits oraux et écrits

305
Ibidem.

176
concernant Bali. Parmi ces récits, il faut accorder une importance particulière aux
textes « Sur le théâtre balinais » et « Théâtre oriental et théâtre occidental »
d’Antonin Artaud. Ces derniers ont été cruciaux en termes de formation d’un
imaginaire de danses de Bali et pour affirmer celui d’un « théâtre oriental ». Ce fut
en grande partie à cause de ces textes, que pendant des années, le théâtre qualifié
d’« oriental » serait conçu comme un ensemble en opposition au théâtre
« occidental ».

Merleau-Ponty pensait la perception comme ce contact naïf avec le monde et on


peut dire que le voyage de Roberta Carreri à Bali lui a permis de renouer avec une
naïveté du regard. Il considérait que la perception n’appréhendait pas uniquement
l’instant saisi, mais était redevable aux expériences ultérieures :

Or, si la perception est ainsi l’acte commun de toutes nos


fonctions motrices et affectives, non moins que des sensorielles,
il nous faut redécouvrir la figure du monde perçu, par un travail
comparable à celui de l’archéologue, car elle est ensevelie sous les
sédiments des connaissances ultérieures. 306

Le bouleversement vécu par Roberta Carreri allait justement renverser ses


connaissances, son imaginaire de Bali. Il allait réveiller la naïveté de son regard. La
brutalité du sol en ciment du lieu où se déroulaient simultanément les
présentations de topeng et les prières des Balinais a généré chez elle un sentiment
d’étrangeté. C’est en voyant ce sol brut couvert par les restes d’offrandes défaites,
pas magiques, selon ses propres termes, qu’elle s’et rendu compte de la singularité
du terrain balinais. Elle se retrouva momentanément déterritorialisée dans son
bouleversement. Ce sentiment d’étrangeté lui a permis de percevoir l’altérité du
terrain balinais, dans cet ensemble auparavant uniforme qu’était le « théâtre
oriental ».

6. Le théâtre pour les dieux n’est pas une légende à Bali

306
Maurice Merleau-Ponty et Jacques Prunair, Parcours deux: 1951-1961, Lagrasse, Verdier, 2001,
(« Verdier philosophie »), p. 40.

177
Aussi bien Ana Teixeira que Stéphane Brodt ont fait référence à un événement
qui les a profondément marqués lors d’un voyage à Bali. Voici le témoignage
d’Ana Teixeira :

Alors, vous me demandez qu’est-ce qui peut avoir transformé ou


« bouleversé » mon parcours... Je dirais qu’il y a eu un événement
spécialement marquant. C’était lors d’une cérémonie, dans une
maison. Il s’agissait d’une cérémonie post enterrement, pour les
morts, et plusieurs choses y avaient lieu. Il y avait un théâtre de
marionnettes, il y avait des masques, des jeux. Il y avait tellement
de choses, même des coqs ! Il y avait un peu de tout ! Tout d’un
coup nous avons entendu quelqu’un frapper sur une boîte : tac,
tac, tac, tac... C’était un manipulateur qui ne jouait un spectacle
de wayang kulit devant personne. Cela m’a touchée énormément !
Il n’y avait personne et néanmoins c’était merveilleux. Mais
personne ne le regardait. Il le faisait pour les dieux vraiment. Ce
n’était pas, disons, une légende. Il faisait cela vraiment pour les
dieux. Cela m’a beaucoup marquée, car cela donne un sens
complètement différent à l’acte théâtral.307

Le bouleversement ressenti par Ana Teixeira s’avère particulièrement intéressant.


Le souvenir du moment est précis et est demeuré très vivant dans sa mémoire. Ana
Teixeira fut frappée par la confirmation d’un fait qu’elle jugeait de l’ordre du
fictionnel, de la légende. Elle savait que l’on pouvait trouver à Bali une forme de
« théâtre sacré », dans les formes de spectacle liées à des cérémonies religieuses.
Cependant, l’image de ce que pouvait être réellement ce « théâtre sacré » était loin
de ce qu’elle avait concrètement vécu. Il existait une distance entre ce qui avait été
imaginé et l’événement concret. Il se peut que l’image floue et générale qu’elle
avait du « théâtre sacré », se soit tout à coup cristallisée devant elle, de manière
inespérée, sous la forme de ce dalang308 joueur de wayang kulit lemah309.

Si d’une part, l’événement décrit par Ana Teixeira est de l’ordre de l’expérience
esthétique, de l’autre, il le dépasse. Sa connaissance préalable du théâtre balinais,

307
Ana Teixeira et Juliana Coelho, « Entretien avec Ana Teixeira », 2012.
308
Le dalang est le marionnettiste sacerdotal du wayang kulit, forme spectaculaire commune à Bali et
à Java. À Madura, le dalang renvoie à une sorte de manipulateur du topeng madurais. Pour plus de
précisions sur le topeng madurais, se reporter aux travaux d’Hélène Bouvier.
309
Le wayang kulit lemah est la version diurne et cérémonielle du wayang kulit. Le spectacle décrit par
Ana Teixeira et Stéphane Brodt correspond à cette forme, qui est présentée en concomitance avec
d’autres formes et rites lors de diverses cérémonies.

178
en tant qu’élément d’une religion ou en tant que théâtre rituel, apparaît alors
comme illustrative et superficielle, car elle n’embrasse pas la complexité perceptive
du phénomène. À ce moment-là, ce fut l’ampleur de l’action de ce dalang qu’elle
perçut. Pour l’analyse phénoménologique, la pensée objective ignore le sujet de la
perception. Elle se donne en effet le monde tout fait, en tant que milieu de tout
événement possible, et traite la perception comme l’un de ces événements 310. Selon
Merleau-Ponty la perception est seulement possible dans un corps incarné. C’est ce
corps qui réunit les concepts de nature naturée et nature naturante
traditionnellement distingués dans la philosophie européenne. La nature
naturante serait la raison, l’esprit, caractéristiques de l’homme et par là même la
nature naturée le corps et tout ce qui est de l’ordre de l’existant, du concret. De ce
fait, la perception serait alors le lien entre nature naturante et nature naturée. Il
s’agirait d’une sorte de « lumière naturelle », attribuée à un sujet percevant et
incarné pour cela.

Il semble que l’expérience d’Ana Teixeira se rapproche précisément de cet énoncé.


Ana fut un sujet incarné face un événement réel qui suscita cet instant bref et
révélateur de conscience. C’est une sorte de lumière de compréhension venue de
l’expérience directe, qui lui a permis de prendre toute la mesure de ce théâtre dans
un contexte religieux. Mieux qu’une expérience de plus dans son voyage, ce
moment de bouleversement lui a permis de questionner le rôle du théâtre dans
son propre contexte d’origine. En outre, cela lui a procuré un sens totalement
inédit de cette pratique. Elle a déclaré que les traces de cette expérience
accompagnaient les principes de travail de sa compagnie jusqu’à présent : Cette
expérience, évidemment, est imprégnée en moi jusqu’à aujourd’hui. Je crois que c’est ce qui
est le plus imprégné311.

7. Le retour à l’enfance brésilienne : le voyage à Bali, voyage au passé


Chez Felisberto Sabino le bouleversement est lié à un rapport particulier entre
étrangeté et familiarité. Il a éprouvé un choc géographique intense, eu l’impression

310
Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1963, p. 240.
311
Ana Teixeira et Juliana Coelho, op. cit.

179
qu’il réalisait un mélange entre voyage concret et voyage dans le temps, lors de son
premier séjour à Bali en 2011 :

Je suis de Minas Gerais, j’ai grandi là-bas et j’ai environ 50 ans.


Alors, quand je suis allé à Bali... Je parle des villages moins
centraux. Il y a là-bas un certain rapport dans la campagne, dans
les rapports familiaux, dans les relations entre les gens, qui m’a
beaucoup rappelé une région du Minas Gerais, la zone Est. Cela
m’a beaucoup rappelé la vallée du Jequitinhonha, un endroit que
je fréquentais enfant. (...) Ils vivent dans un espace-temps qui est
le XXIe siècle, mais en même temps je me suis senti dans mon
enfance, dans les années soixante-dix, à Jacinto (village). Le
voyage m’a offert cela, une certaine brésilité (brasilidade). Et moi,
je n’avais jamais imaginé pouvoir être proche de cela à Bali... 312

L’environnement balinais a suscité en lui un véritable voyage « à la madeleine de


Proust ». L’odeur de la fleur de frangipanier, omniprésente dans les offrandes
balinaises, l’a transporté au Brésil, dans l’État de Minas Gerais de son enfance. Il
semblerait qu’il ait entrepris une véritable archéologie de la mémoire :

Alors, c’était tellement bizarre. J’étais là-bas et les choses qui


m’ont semblé étranges n’étaient pas les choses exotiques, mais
celles de tous les jours, les choses que j’avais déjà éprouvées une
fois dans ma vie, dans un autre lieu, à une autre époque. Cette
connexion m’a fait faire un tour en moi-même. Les choses
exotiques, les bâtiments, la température du lieu, les costumes, ces
choses que l’on trouve normalement bizarres, ces choses-là ne
m’ont pas semblé étranges. Je les avais déjà vues, ou je les
attendais. Mais marcher dans une rue sans éclairage, par
exemple, cela m’a ramené dans les années 60. C’était comme si
j’avais été chez moi. (...) Alors c’est cela qui était le plus drôle : je
suis allé de l’autre côté du monde pour ressentir des choses que
je n’avais pas ressenties depuis très longtemps, dans un pays
censé être différent...313

Le bouleversement de Felisberto Sabino ne fut pas uniquement dû à sa


confrontation avec un environnement autre. Bali a renvoyé Felisberto Sabino dans
le Brésil de son enfance et ne l’a pas confronté au choc bouleversant de l’exotisme.
D’après lui, le bouleversement correspond au renvoi à soi et à un espace-temps de
l’enfance, ce dernier étant, parallèlement et de façon ambiguë, autre et personnel.

312
Felisberto Sabino et Juliana Coelho, op. cit.
313
Ibidem.

180
Un autre aspect de ce bouleversement sera traité dans le dernier chapitre, où sera
examiné ce rapport avec l’exotisme stéréotypé, généralement associé à Bali.

8. Bouleversé par la sensation physique en regardant la danse


Ivaldo Bertazzo a relaté avec justesse une expérience bouleversante dans le cadre de
laquelle il a découvert un sanghyang dedari314 auquel il a assisté à la fin des
années 1970. Il a qualifié cet instant de bouleversant et d’unique, car il n’avait
jamais auparavant vu quelque chose de semblable dans sa vie :

Vous avez mentionné le sanghyang dedari auquel vous avez assisté.


Est-ce que ce fut pour vous un choc, il vous a transformé ?

D’abord, c’était une nuit de pleine lune, au milieu d’une forêt,


dans un petit temple. Il y avait très peu de gens et il y avait un
grand silence. L’odeur de l’encens qu’amènent les petites-filles en
état de transe et la sonorité du gamelan qui les réveille, tout cela
m’a impressionné. Il n’y a pas eu un rituel agressif ou violent, il y
avait une douceur. Alors, au milieu de cette nuit, sans éclairage,
sans rien, je regardais ces deux petites filles danser
extraordinairement avec les yeux vraiment fermés ! Tout cela te
donne une sensation de connexion. À quel niveau... je ne sais
pas. Je ne suis pas spécialiste pour vous parler des énergies
subtiles de l’univers, mais j’étais très impressionné par la
sensation physique que cette expérience m’a inspirée. Regarder
une telle chose m’a semblé comme recevoir un souffle divin. Je
parle rarement en ces termes. Il s’agissait d’une sensation
physique. Les deux, trois jours ayant suivi cette expérience, je me
disais : Je ne veux rien faire qui puisse m’enlever cette sensation !
C’était une offrande. La danse en ce sens est une offrande.
C’était un cadeau dans ma vie.315

Ivaldo Bertazzo a expliqué avoir entretenu un rapport très étroit avec l’île. Selon
lui, cett relation serait probablement à relier avec l’époque où il était étudiant en
danse balinaise. La pratique quotidienne et rigoureuse de la danse lui apportait des
moments qu’il définit comme « de connexion ». On pourrait dire que la sensation
de connexion s’avère cruciale dans l’expérience balinaise d’Ivaldo Bertazzo.

314
Le sanghyang dedari est une forme spectaculaire balinaise liée à la pratique de la transe. Sanghyang
signifie « céleste » ou « déité » et dedari « jeune fille ». Le sanghyang dedari, l’une des douze formes de
danse sanghyang répertoriées, est exécutée par deux filles préadolescentes. Effectivement, il s’agit
d’une danse rarement présentée dans sa forme rituelle. Une version pour les touristes est présentée
à Ubud, à Batubulan ainsi que dans d’autres endroits touristiques.
315
Ivaldo Bertazzo et Juliana Coelho, op. cit.

181
L’expérience du sanghyang dedari a été probablement la plus radicale,
bouleversante, de sa vie. Face à un tel témoignage, pouvons-nous dire que cette
expérience vécue se soit située dans les limites du transcendantal ? Effectivement,
la notion de transcendance reprise par Maurice Merleau-Ponty pourrait éclairer
cette question :

Avec le monde naturel et le monde social, nous avons découvert


le véritable transcendantal, qui n’est pas l’ensemble des
opérations constitutives par lesquelles un monde transparent,
sans ombres et sans opacité, s’étalerait devant un spectateur
impartial, mais la vie ambiguë où se fait l’Ursprung316 des
transcendances, qui, par une contradiction fondamentale, me
met en communication avec elles et sur ce fond rend possible la
connaissance.317

Au lieu d’être mis uniquement sur le plan de la rationalité, le sens du concept de


transcendantal a été modifié par Merleau-Ponty. Il serait impliqué dans la facticité
de l’existence, de la perception elle-même. Le transcendantal est ici interprété
comme un chemin de connaissance d’un sujet incarné. Ivaldo Bertazzo a semblé
dépassé par cet événement tout en éprouvant à cette occasion une sensation
physique d’extrême bonheur, qu’il a qualifiée de « souffle divin ». Si l’on pouvait
parler de transcendance pour l’exemple d’Ivaldo Bertazzo, il semble que cette
expérience ait été vécue et ressentie directement par le corps. Il convient alors de
supposer qu’Ivaldo Bertazzo a acquis une connaissance incarnée par l’expérience
concrète d’avoir assisté à ce sanghyang dedari.

Cependant, la répercussion de cet événement sur le corps même d’Ivaldo Bertazzo


continue à nous intriguer. Généralement, le témoignage d’un si grand niveau de
bonheur physique éprouvé lors de l’expérience ayant consisté à regarder une forme
spectaculaire est rarement exprimé. En outre, il a affirmé n’employer l’expression
« souffle divin » que rarement, ce qui met en évidence le caractère exceptionnel de
cette expérience. D’un autre côté, on se retrouve face à l’impossibilité de
comprendre ce phénomène, comme s’il pouvait uniquement être saisi par son
expérience même.

316
De l’allemand, « origine ».
317
Maurice Merleau-Ponty, op. cit., p. 419.

182
9. Être en transe en dehors de Bali : le bouleversement d’I Made
Bandem en Italie
Lors de son entretien, I Made Bandem a évoqué délibérément un épisode
particulièrement bouleversant qui s’est déroulé lors de la Ve session de l’ISTA,
dans le village de Nardo, en Italie, en 1987 :

En 1987, Swuasthi, Candri, Kodi, Cokorda Raka Tisnu, et moi,


environ onze personnes, avons présenté à Nardo, en Italie.
Eugenio Barba m’a demandé de présenter une réminiscence, une
trace de réminiscence de la danse de transe à Bali. Pour cette
occasion, nous avons programmé de leur présenter un moyen de
transe connu comme sanghyang jaran318, le « cheval à bascule ».
Cette danse de transe n’est pas censée être exécutée à l’extérieur
de Bali parce que c’est une danse sacrée. J’ai demandé à Cokorda
Raka Tisnu et à Kodi, des sculpteurs de masques, de faire un
« cheval à bascule ». Ce sont des gens très doués. Ils se sont
vraiment concentrés sur la confection du « cheval à bascule » avec
de la fibre ou du prasok. C’est comme la fibre du Barong, c’est le
prasok. Ils ont fait le « cheval à bascule » dans cette fibre. Candri
apprenait à tous les danseurs le vrai chant du sanghyang. Elle
connaît les chants Sanghyang. Nous nous sommes entraînés et,
plusieurs fois, nous avons eu une bonne répétition. Ainsi,
pendant la présentation, nous avons apporté notre gamelan
belaganjur319 dans le cortège. Nous avions fait des offrandes pour
la présentation. Après avoir commencé le sanghyang jaran,
accompagné par le gamelan belaganjur et le kecak, presque tout le
monde était en transe dans la présentation, y compris moi. Cela
signifie que taksu était là. C’était très sérieux, avec une très bonne
présence de scène. Nous nous sommes tellement impliqués dans
la présentation, même si nous étions au village de Nardo, en
Italie. Nous étions devant l’église, avec une ferme d’oliviers
autour de nous. Le problème est que nous sommes tous entrés en
transe. J’ai marché sur un bol de porcelaine et mon tendon s’est
presque coupé. Du sang s’est répandu... Après cela, ils m’ont

318
Comme cela a été vu, le mot sanghyang signifie divinité et fait référence aux danses de transes
rituelles qui ont un caractère sacré pour les Balinais. Jaran signifie cheval. Dans le sanghyang jaran, le
« cheval à bascule », quatre danseurs, deux hommes et deux femmes sont mis en transe par le cak, le
chant et des encens. On peut aussi le voir dans les présentations destinées aux touristes. Dans
l’ouvrage Dance and Drama in Bali, une toute autre description est donnée du sanghyang jaran.
319
« Un des nombreux types de gamelan trouvés à Bali, le beleganjur (le gamelan martial) était
traditionnellement associé à la guerre et à des événements rituels tels que les crémations et les
cortèges des cérémonies de temples. Cependant, à partir de 1986, une nouvelle forme compétitive
très virtuose et fortement énergique de beleganjur est devenue populaire, attirant spécialement des
jeunes hommes (…) Bien que l’ensemble beleganjur soit toujours une partie indispensable des rituels
de crémation, la popularité de ce nouveau style de concours est telle que son répertoire a presque
supplanté les formes traditionnelles. » Margaret Sarkissian, Journal of Southeast Asian Studies, Vol 32,
N°1 (Feb. 2001), p.119. Revue du livre : Michael H. Bakan, Music of Death and New Creation :
Experiences in the World of Balinese Gamelan Beleganjur, Chicago and London, The University of
Chicago Press, 1999, 384 p.

183
emmené aux urgences à Lecce, à deux heures de Nardo, parce
que mon pied était dans un très mauvais état. 320

I Made Bandem fut complètement bouleversé par cette expérience. Au-delà de la


dimension de risque pour sa santé, car il aurait pu avoir des complications avec
son pied, il fut bouleversé par la possibilité de rentrer en transe en dehors de Bali.
En fait, avant cette expérience, il croyait que la transe pouvait uniquement arriver
dans l’île.

Cet épisode a été évoqué lors de notre entretien avec Eugenio Barba. Il a donné sa
version de l’événement, certainement celle du spectateur et a expliqué que sa
proposition était de réaliser un « troc » avec l’ensemble balinais. Lors de ses
interactions avec les différents artistes du monde, il a fréquemment proposé le
dispositif du « troc », à savoir que les membres de l’Odin Teatret et la communauté
en question, c’est-à-dire un groupe de théâtre ou une institution, étaient invités à
partager une forme structurée de performance. Comme Eugenio Barba l’a précisé
lors de son entretien, le « troc » qu’il proposait avec l’Odin Teatret avait fonction
de simulacre, de faire semblant. Nardo se situait alors dans la province de Lecce,
une région où le tarentisme était très pratiqué jusqu’aux années 1950 :

Bon, quand Bandem arrive, on lui propose un troc de simulacre.


Un simulacre c’est faire semblant. En faisant un simulacre de
transe tarentelle et un simulacre de transe balinaise. Tous les
Balinais savent le faire, car tous les enfants savent imiter les gestes
et les comportements de la transe. Est-ce que tu penses que
quand les touristes vont voir le Barong pour les touristes les gens
vont tomber en transe ? C’est simulé. Donc, on propose cela à
son groupe, s’ils sont intéressés et ils disent oui, ils acceptent. Il y
a la tarentelle avec un musicien et ils commencent. Prends en
compte que Bandem n’est jamais tombé en transe. C’est un peu
comme les ogans du candomblé qui ne tombent pas en transe
quand ils jouent des atabaques. Ils ne peuvent pas tomber en
transe. Cela était la chose la plus étonnante, pour lui aussi
d’ailleurs. Il était très choqué lui même, parce qu’il est tombé en
transe.321

320
I Made Bandem et Juliana Coelho, « Entretien avec I Made Bandem », 2011.
321
Eugenio Barba et Juliana Coelho, op. cit.

184
Eugenio Barba et les autres participants observaient le déroulement du « troc ». Au
moment où I Made Bandem a marché sur le bol et s’est grièvement blessé, les
autres participants se sont arrêtés. Selon Eugenio Barba, ils faisaient véritablement
semblant d’être en transe :

Tout le monde faisait semblant d’être en transe. Mais c’est lui qui
est vraiment entré en transe. Quand il est tombé en transe, tous
les autres se sont arrêtés. C’était très amusant pour nous qui
observions, parce qu’on ne comprenait pas pourquoi ils avaient
arrêté toute la cérémonie. Tandis que lui, était en train de
continuer. Ce qui était frappant est que dès le début, il marche
sur cette bouteille cassée et commence à perdre du sang. C’est
cela qui a dérouté tout le monde. Mais son groupe faisait
semblant d’être en transe, parce que c’est évident qu’ils n’étaient
pas en transe, c’était un simulacre, une espèce de simulacre.
Pourquoi était-ce dramatique ? Parce que ça ne s’était pas bien
passé, parce qu’il a marché sur une bouteille cassée, et c’est pour
cela que c’était dramatique. Il a perdu beaucoup de sang, il a dû
aller à l’hôpital, il a été recousu… Mais autrement, ça serait une
chose intéressante au niveau personnel. Cette personne qui
n’avait jamais... qui avait assisté à des centaines de cérémonies
comme lui-même m’a raconté... Pour lui, c’était un mystère :
« Comment moi qui ai été présent à des centaines de cérémonies
dans ma vie, soudain en Italie, je tombe en transe ? »322

En confrontant ces deux versions, on peut observer plusieurs choses intéressantes :


tout d’abord, la croyance d’I Made Bandem selon laquelle la transe était
uniquement possible à Bali et son étonnement ultérieur devant ce qui lui était
arrivé. Il est possible que ce sentiment ait découlé de la perception de la transe en
tant que phénomène de visitation restreint au contexte balinais et au propre à un
certain « ethnocentrisme » balinais. Deuxièmement, cet événement met en
évidence la manière dont la frontière entre le faire semblant et le faire pour de vrai
chez les performeurs balinais est subtile. I Made Bandem a précisé que l’ensemble
de la préparation pour le « troc » avait été soigné avec beaucoup d’attention dans
l’objectif de la présentation. À la suite de l’accident, les participants balinais se
sont réunis pour discuter des raisons de l’échec de la présentation :

Alors, nous avons fait une introspection. Qu’est-ce qui n’allait


pas ? Nous sommes tous entrés en transe, nous avons fait une

322
Ibidem.

185
offrande pour nous présenter, nous avons eu une bonne
présentation, mais là, du sang avait coulé de mon pied… Qu’est-
ce qui n’allait pas ? Enfin, nous avions oublié de faire une
cérémonie de sacrifice. Quand cette transe danse est faite à Bali,
nous devrions aussi faire un sacrifice. Du sacrifice de sang de
poulet pour la terre, pour terre de mère, pour l’Univers. Mais
nous ne l’avons pas fait… Peut-être, c’était ce qu’il manquait.
Mais autrement, j’ai réalisé que nous pouvions faire une bonne
présentation de transe hors de Bali, si nous le faisions très
sérieusement.323

Le contenu de la discussion, les offrandes demandées et qui n’avaient pas été faites
sont loin d’évoquer une représentation ayant eu uniquement un but de
divertissement. En réalité, cet acte d’introspection est courant chez les Balinais. Là,
ils s’étaient réunis afin de réfléchir sur la non-réussite de la présentation. Dans
cette situation, l’on perçoit à quel point les frontières entre le « faire semblant »,
pour une présentation, et faire pour une cérémonie sont totalement enchevêtrées.

La raison finale qui a émergé afin de justifier cet événement qui a mal tourné est le
manque d’offrandes. Il s’agissait pourtant d’un simulacre, alors pourquoi était-il
nécessaire de réaliser une offrande ? Le fait de faire un simulacre était-il vraiment
compris en tant que tel ? Comment était géré le cas des présentations pour les
touristes à Bali ? Ou bien ces deux sphères sont-elles continuellement entremêlées
chez un performeur ? En outre, l’on observe une différence importante en matière
de perception de ce qui est considéré comme surprenant ou préoccupant pour les
deux groupes : les participants balinais et les spectateurs. Pour les Balinais, quelque
chose de très grave était arrivé, puisque du sang avait coulé. Pour les spectateurs, il
s’agissait juste d’un malheureux accident.

En nous en tenant au contexte de voyages d’artistes de théâtre à Bali, nous avons


essayé de comprendre si l’analyse des expériences de bouleversement pourrait
contribuer à l’appréhension de nos rapports avec autrui. Afin de répondre à cette
question, dans le témoignage de chaque artiste le moment précis du
bouleversement a été identifié. Ensuite, il s’est montré nécessaire de comprendre

323
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.

186
le contexte de ce moment, pour ensuite tenter de saisir ce bouleversement dans
une perspective phénoménologique.

À partir des exemples analysés, on constate l’importance de la confrontation entre


les connaissances préalables sur une culture et l’expérience perceptive directe de
l’observateur. Ce dernier est considéré comme un sujet incarné. De ce fait, le
bouleversement a été traité en tant que symptôme ou résultat d’une délocalisation
temporaire et d’une soudaine prise de conscience sur un aspect déterminé de la
culture balinaise. Finalement, le bouleversement, tel qu’il fut exprimé par ces
artistes, pourrait être un signe de « lumière » perceptive envers une culture
étrangère, révélant des aspects inattendus de celle-ci.

187
CHAPITRE V
POUR ESSAYER DE COMPRENDRE
L’ÉNIGME TOPENG

188
Le mot Bali signifie entre autres « faire des offrandes ».
Un voyageur étranger va sans doute remarquer dans l’île le va-et-
vient incessant des offrandes rituelles, sans se rendre compte à
quel point cet ensemble d’actions est d’importance primordiale.
Autrefois, l’île était appelée aussi bumi banten, ce qui signifie
littéralement terre d’offrandes.

189
1. Introduction:

Comment raconter de manière linéaire une forme, une


représentation qui est traversée par tellement d’aspects ?

Une observation courante chez les chercheurs, observateurs, anthropologues


étrangers ou Balinais est la variabilité des formes que peuvent prendre les
spectacles, les coutumes et les rituels à Bali. Le lieu, l’occasion et le calendrier
jouent un rôle considérable dans la configuration de ces formes. D’autre part, ce
qui est constant dans une ville ou région ne le sera peut-être pas forcément dans
une autre. Un type de danse sera enseigné dans une ville avec des accents
différents de ceux qu’aura cet enseignement dans une autre. Par ailleurs, ce qui
était enseigné par le passé ne le sera peut-être plus aujourd’hui et l’accent mis sur
d’autres aspects sera privilégié324. Bali change tout en essayant de conserver son
altérité religieuse, culturelle et sociale.

Une multiplicité d’aspects qui traversent la société balinaise, entre ses savoirs et ses
coutumes, est inscrite dans le topeng. La manière balinaise de voir le monde (ou
plutôt les mondes) imprègne la structure et la fonction du topeng. Le défi majeur
de ce chapitre consistait alors à traduire cette forme pluridimensionnelle. Du
visible à l’invisible, une représentation du topeng pajegan ou sidhakarya articule
continuellement le monde invisible et atemporel (niskala) et le monde visible et le
temporaire (sekala) ; le macrocosme (buana agung) et le microcosme (buana alit). La
matérialité de ce qui est visible sert à agir dans la dimension invisible. Le passé et
l’ancestralité sont représentés sous la forme de personnages masqués qui sont
invoqués afin qu’ils nous rendent visite dans ce monde intermédiaire où nous
vivons (madya). Ces personnages jouent et improvisent les histoires du passé en les
mêlant aux sujets du présent qui concernent les spectateurs vivants et non vivants.

L’un des plus grands plaisirs balinais est de se plonger dans cette atmosphère
complexe, pleine de monde, polyphonique et extrêmement vivante des

324
Pour délimiter cette première observation nous pensons surtout aux avis de I Made Bandem,
Rucina Ballinger, Cristina Wistari Formaggia et aux textes d’Adrian Vickers sur le gambuh, Fred B.
Eiseman et Sthephen Davis.

190
cérémonies, que l’on appelle ramé325. Les cérémonies balinaises ont pour point
commun la concomitance et la profusion d’événements en leur sein. Les festivals
des temples, les marches et batailles de coqs en sont les exemples les plus flagrants.
Le concept de ramé s’avère intéressant ici, puisqu’il a un rapport avec la beauté :
multiplicité et profusion. La notion même de beauté est liée à cette profusion dans
laquelle chacun a son rôle et son action. Dans le contexte cérémoniel, le praticien
du topeng doit participer au karya, au travail, et ainsi, contribuer à sa réussite :

Chaque personne impliquée dans la cérémonie accomplit sa


propre tâche. Elles semblent être sans connexion, mais en réalité,
elles travaillent comme des parties d’un tout pour l’achèvement
réussi de la cérémonie. Les couleurs, les actions, les sons et les
odeurs envahissent les sens. Tous ces inputs sensoriels ont pour
objectif d’entretenir l’équilibre entre les éléments de la nature,
d’inviter les ancêtres et les divinités à leurs sièges temporaires
dans le temple et de maintenir à distance les entités qui
dérangent. L’interprète du topeng, aussi bien que les autres
interprètes impliqués dans la cérémonie, doit aussi contribuer au
travail (karya) et il le fait en incarnant le son.326

Dans ce chapitre, une interprétation métaphysique de plusieurs aspects visibles du


topeng pajegan sidhakarya émane de nos sources balinaises. L’action rituelle
primordiale du topeng pajegan ou sidhakarya est également visible et agit sur le
monde invisible en rapport direct avec l’action rituelle de l’officiant pedanda. Dans
la perspective envisagée, le topeng sidhakarya se situe dans un territoire frontière,
de même que d’autres représentations balinaises. Même si, dans ce travail, les
sources balinaises sont privilégiées, il est également articulé sur les investigations
de chercheurs étrangers, qui ont aussi essayé de comprendre et de traduire cette
culture. Nous avons traduit des sources balinaises orales, comme des entretiens, et
écrites, sous la forme d’extraits de livres et d’articles.
325
Ramé vient du sanskrit ramya « beau ». Ce terme est utilisé en Indonésie, pour qualifier
l’événement réussi, beau, car profus et animé. Notes prises lors des cours de Catherine Basset, à
l’INALCO.
326
Cada pessoa envolvida na cerimônia cumpre sua própria tarefa. Elas parecem estar desconectadas, mas na
verdade estão todas trabalhando como partes de um todo para conseguir concluir a cerimônia. Cores, ações,
sons e cheiros invadem os sentidos. Todos esses inputs sensoriais tem o objetivo de manter o equilíbrio entre os
elementos da natureza, convidar os ancestrais e as divindades para os seus santuários temporários no templo e
manter à distância entidades que perturbam. O performer topeng, assim como os outros performers envolvidos
na cerimônia, também tem que contribuir com o trabalho (karya) e ele faz isso incorporando o som.
(Traduction personnelle) Palermo, Carmencita, « Respirando para dentro da máscara O corpo
toma forma no teatro-dança balinês topeng : uma experiência», in Teatro de Máscaras, Florianópolis,
UDESC, 2012, pp. 153-166.

191
Malgré le risque d’exhaustivité explicative sur Bali, il semble essentiel de réfléchir
différemment sur le topeng. Le restreindre à une perspective centrée sur ses aspects
performatifs, ou autrement dit « artistiques », paraît problématique et inexact. La
complexité fait partie des enjeux. Il est également essentiel de comprendre qu’il
s’agit d’entreprendre un essai de compréhension plutôt qu’une description. Nous
avons un point de vue particulier, brésilien et nos expériences directes à Bali ont
probablement joué un grand rôle dans ce choix énonciatif. Finalement, la vidéo 1,
présente dans les annexes de ce travail, réunit des extraits de quelques
présentations de topeng pajegan, filmés en 2011, lors de cérémonies diverses.

2. Éclaircissements préliminaires à propos de l’absence du mot « art »


dans la langue balinaise
Aujourd’hui, le mot employé à Bali pour désigner l’« art » est un emprunt de
l’indonésien : seni327. La langue balinaise ne comprend pas l’« art » comme une
dimension abstraite ou de la créativité individuelle 328. En balinais également, la
différence entre le « danseur » et le « comédien » n’est pas établie. Les Balinais vont
les appeler « pragina »,329 ce qui signifie « quelqu’un qui rend beau ». Pour I Wayan
Dibia330 et I Made Pasek Tempo331, ce mot est spécialement employé pour désigner
le performeur accompli, celui qui maîtrise la danse, la musique, qui connaît
différents types de textes et qui excelle également dans l’enseignement. Pradnian ou
pradnyan, peut être traduit par éthique, comportement, sagesse et capacité. Une
personne habile peut être appelée tukang/juru332, qui peut être traduit par

327
Est-il possible que seni dérive du latin ?
328
Le texte La danse balinaise est-elle un art ? de Michel Picard, offre une intéressante réflexion sur le
changement de paradigme vécu par la société balinaise dans la conceptualisation de ses danses et
drames. L’on discutera plus loin des implications du tourisme et des voyages internationaux dans la
danse balinaise. Michel Picard, « La danse balinaise est-elle un art ? », Autrement, hors série n°6,
"Bali. L'ordre cosmique et la Quotidienneté", Février 1993, pp. 173-181.
329
I. W Dibia, Rucina Ballinger et Barbara Anello, Balinese dance, drama & music: a guide to the
performing arts of Bali, Tokyo, Tuttle, 2004, p. 8.
330
I Wayan Dibia, Pragina: Penari, Aktor, dan Pelaku Seni Pertunjukan Bali, Malang, Sava Media, p.
12
331
Eugenio Barba, The Paper Canoe: A Guide to Theatre Anthropology, Routledge, 2003, p. 93.
332
Ces deux mots sont également employés en indonésien – question à Jérôme Samuel : tukang et
juru sont-ils issus de l’indonésien ?

192
« personne habile » ou « artisan ». Ce terme est également utilisé pour faire
référence au performeur.

En balinais, le vocabulaire de la danse et celui du théâtre sont liés à une activité


concrète, inséparable de son contexte, qui n’est pas perçue comme faisant partie
d’un registre relevant de l’art333. Le vocabulaire de la danse, y compris du topeng, va
indiquer une description du mouvement ou une image dérivée de ce mouvement,
comme nous le verrons dans le chapitre consacré à la danse du Topeng keras.

Pour ce qui est couramment appelé théâtre, théâtre d’ombres ou danse les Balinais
emploient les termes sesolahan ou igelan (respectivement dans les registres « haut »
et « bas » de la langue). Ces mots désignent l’acte consistant à jouer en tant que
comédien ou marionnettiste. La base « solah334 » signifierait « les mouvements du
corps dans la danse ou les mouvements physiques », ainsi qu’« acte, activité,
attitude corporelle, conduite, caractère ». Par conséquent, masolah o u ngigel,
peuvent être compris comme jouer sur scène : perform, take part in a exibition, dance
play (band); have good manners335.

En indonésien, les mots art, danse, jeu et chant sont distingués. Et c’est d’abord à
cette langue que les Balinais ont eu recours336 pour apprendre les mots et notions
inexistants dans la leur. La base tari est employée afin de désigner la danse et sa
dérivation, penari, renvoie au danseur. De la base main (jeu) dérive le nom pemain,
l’acteur. Ainsi, pemain topeng fait référence à l’acteur-danseur du topeng, cette forme

333
Catherine Basset et Michel Picard, op. cit. p. 117.
334
Dans le dictionnaire Balinais-Anglais, figurent ces deux définitions : the movements of body in
dancing, physical excercise et deed, activity ; bodly attitude, conduct, behavior. Dans les textes de Hobart
(2007) et Picard (1993), la traduction par « conduite, caractère » prévaut. Norbert Shadeg, Tuttle
Balinese-English Dictionary, Bilingual, Tuttle Publishing, 2007, 508 p.
335
Ibidem, p. 254.
336
Le processus d’assimilation de ces mots est inconnu. Selon diverses hypothèses, on y a eu
recours après l’incorporation de Bali à la République Indonésienne, où il a commencé à être
employé par l’administration coloniale lors de la colonisation hollandaise, qui utilisait le malais, ou
à partir des voyages des Balinais, spécialement des artistes, qui ont commencé à traduire ces termes.
Il s’agit là d’hypothèses encore inexplorées par la chercheuse. Celle-ci n’a pas trouvé dans les
ouvrages consultés une réflexion plus approfondie sur cet aspect. OBS : L’indonésien, la forme
linguistique pratiquée en Indonésie, est dérivé du malais, de même que le malaisien celle de la
Malaisie. Ces deux formes sont très proches, malgré des différences régionales. (L’indonésien lui-
même se caractérise par de fortes différences régionales et des mélanges avec les langues natives de
région de l’archipel).

193
mettant l’accent sur le jeu, même si cet acteur est également danseur. Cependant,
penari est également employé. Les chercheurs balinais qualifient le topeng en
indonésien de dramatari ou monodrama337, respectivement traduisibles par théâtre-
dansé et monodrame. En observant les choix liés aux emprunts des termes de
l’indonésien, il est possible d’affirmer que les Balinais identifient une spécificité
du topeng par rapport à d’autres formes spectaculaires338.

L’absence du mot « art » dans la langue balinaise démontre d’emblée le contexte


auquel ces manifestations, que les étrangers qualifiaient d’artistiques,
appartenaient. Cependant, les Balinais différencient les spécificités des activités
performatives. Il existe une distinction entre ce qui est danse, ce qui est de l’ordre
du jeu et de la parole et du chant. L’intégration de ces activités ne les prive pas de
leur distinction technique. Un riche vocabulaire décrit les mouvements du corps,
la parole et les chants, la complexité des costumes et du maquillage, les offrandes
et les mantras.

Si aujourd’hui la notion de seni est répandue et assimilée au vocabulaire balinais


peut-on encore affirmer que cette notion existe sur l’île ? Il serait intéressant
d’analyser quelles sont les significations données à la notion de seni à Bali pour
essayer de comprendre la nature de cet emprunt. Si la langue balinaise s’est formée
à partir de divers emprunts n’a-t-elle pas également incorporé ce terme et la notion
qui lui est intrinsèque339 ?
337
Dramatari est employé par divers auteurs, comme le démontrent plusieurs ouvrages en
indonésien, notamment I. Wayan Dana, Topeng Sidhakarya, Kerjasama Galang Press, Yayasan
Adikarya IKAPI, dan Ford Foundation, 2002., 134 p.
Bandem et deBoer parlent du topeng pajegan en tant que monodrame. I Madé Bandem,
Institut Seni Indonesia et Badan Penerbit, Kaja dan Kelod: tarian Bali dalam transisi, Yogyakarta,
Badan Penerbit Institut Seni Indonesia, 2004. p.68. On est en droit de penser que cette définition
vient de la traduction de l’anglais vers l’indonésien de dance-drama.
338
Horbart propose une intéressante réflexion par rapport à l’utilisation hégémonique du mot
« danse » afin de décrire la complexité des formes de la scène balinaises. Il considère ce choix
comme un héritage colonialiste et orientaliste européen : The question is what have people represented
as dance – and, more important, represented dance as – under different circumstances and to whom? For Bali,
a plethora of possibilities present themselves. Among the most obvious are theatre/dance as a religious offering
required to complete rites; as the practice of disciplined self-transformation; as exemplifying techniques of
mastery over body and mind; theatre as social commentary and criticism; and more recently Balinese ‘dance’ as
a brand label, a means of livelihood or a way out of poverty. The pre- sumption that we know what dance is
and how to translate it is old fashioned Eurocentrism refried. Mark Hobart, op. cit., p. 121.
339
Il nous semble qu’avec l’action des Académies d’Arts à Denpasar (actuelle ISI et ancienne ASTI
et STSI) le mot seni ait effectivement été incorporé au vocabulaire balinais.

194
Alors, à partir de quelle perspective traduire en français le pragina balinais et
l’action qu’il réalise ? Devons-nous recourir au vocabulaire anglo-saxon et
emprunter le concept de performeur 340 ? Si le terme performeur peut englober, de par
son adaptabilité, les notions d’acteur, de danseur et aussi d’officiant dans une
cérémonie, la poésie intrinsèque au mot pragina nous échappe. La danse doit être
belle et la beauté est un attribut si important qu’il s’insère dans le nom de celui
que l’exécute. Ou devons-nous par souci et soin ethnosociologique employer et
assimiler les mots originels pragina et masolah ? Mais si les mots indonésiens pemain
topeng et seni sont aussi employés par les Balinais, devons-nous simplement les
traduire en français ?

Une discussion importante autour de la construction identitaire balinaise depuis


son incorporation à l’empire néerlandais a été proposée par Michel Picard. La
balinité (kebalihan) serait conçue comme une totalité homogène et fonctionnelle
englobant agama (religion), adat (tradition) et budaya (culture). En faisant référence
aux nouveaux termes employés par les Balinais afin de construire leur discours, il
fait l’observation suivante :

Mais si l’on doit convenir que les Balinais ne sont pas en mesure
de choisir les termes de leur discours, il faut reconnaître en
revanche qu’ils se sont approprié ces termes et les ont interprétés
en fonction de références et de finalités qui leur sont propres. 341

Face à la pluralité du vocabulaire balinais, le choix a été opéré de traduire ces


termes en observant cette diversification. Dans ce travail, l’exécutant du topeng sera
appelé « acteur » et/ou « danseur », selon l’activité décrite. Pour faire en sorte de
La question des emprunts en langue balinaise s’avère délicate, car elle englobe des enjeux
de la République Indonésienne. Dibia insiste sur l’idée que le déclin de la langue balinaise dans la
société contemporaine s’apparenterait à une menace à l’encontre du topeng : If Topeng will face some
obstacles, one of them will be the decreasing use of the Balinese language (bahasa Bali). During the 1970s,
after the removal of the Bahasa Bali program from the core curriculum of school programs, Balinese students
have been encouraged to speak more Bahasa Indonesia at school and most classes are taught in this language,
rather than Balinese. Meanwhile, people of the middle class tend to prefer speaking in Bahasa Indonesia even
at home with their families and relatives. The decline of Balinese language is actually a threat to all forms of
traditional Balinese performing arts. I wayan dibia, « Topeng a masked dance theatre of Bali », Seoul,
South Korea, IMACO - International Mask Arts & Culture Organization, 2008.
340
Le sens de performeur employé ici s’insère dans les discussions des Performance Studies.
341
Michel Picard, « Religion, tradition et culture: La construction dialogique d’une identité
balinaise », L’Homme, 163, juillet 2002, p. 108.

195
demeurer aussi proche que possible de la nature de la manifestation étudiée, pour
le moins complexe, le topeng sera par la suite plutôt désigné par le vocable
« représentation » ou « forme » que par les termes « théâtre » ou « danse ». Le mot
représentation semble juste dans la mesure où il peut comprendre l’aspect de
« mise au présent » de l’ancestralité qui est au cœur du topeng. La réflexion de Peter
Brook à ce sujet paraît pertinente :

Le mot français « représentation » apporte une réponse [à la


contradiction « contenue » dans le mot « répétition »]. Une
représentation, c’est le moment où l’on montre quelque chose
qui appartient au passé, quelque chose qui a existé autrefois et
qui doit exister maintenant. (...) En d’autres termes, une
représentation, c’est une mise au présent, qui doit favoriser un
retour à la vie que la répétition avait nié, mais qu’elle aurait dû
sauvegarder.342

Le topeng met au présent et en jeu les légendes et les personnages ancestraux en les
articulant avec les sujets du présent, dans le sens d’époque actuelle, et de l’instant,
dans la conjoncture immédiate de l’occasion où il est donné. L’idée de visitation
des ancêtres s’avère centrale dans le topeng et également dans la religion et au sein
de la culture balinaise. Catherine Basset clarifie encore l’importance du mot
représentation dans cette perspective :

« Performance » (litt. action), trop largement valable, ne permet


pas de distinguer, entre les performances conjuguées, notamment
de différents initiés, celles qui sont dramatiques ou théâtrales. Le
terme de « représentation », ramené à sa composition linguistique
de re-présent-ation (sans la notion ajoutée de « pour un public de
spectateurs ») vaut pour l’ensemble et pour ses parties même
infimes, et permet de mettre en relief les spécificités. En ce sens,
il peut être entendu à la fois : comme représentation (symbole),
re-présentation (action cyclique, bali/wali, retour, réitération),
présent (bali/wali, reversement, « offrande », renouvelée, toujours
neuve), remettre au présent (bali/wali, inversion, réversion pour
le somya « rajeunissement »), rendre présent (incarner, se-solah-an,
« comportement », terme pour danse et théâtre), et présentation
(aspect didactique du théâtre comme ordre Dharma et messages
verbalement délivrés).343

342
Peter Brook, L’espace vide: écrits sur le théâtre, Paris, Éd. du Seuil, 1977, p. 181.
343
Texte fourni en cours.

196
Quand il sera fait référence à une forme essentiellement dansée, le terme employé
sera « danse ». Pour ce qui est des formes qui se situent dans un ensemble compris
comme « théâtral », tel est le cas du wayang kulit, le théâtre de marionnettes, ce sera
le terme « théâtre » qui sera employé. Si le topeng est délimité à ses aspects
spectaculaires, le définir en tant que théâtre-dansé serait également adéquat.
L’effort de précision pour définir et traduire le topeng met en valeur
l’indissociabilité entre théâtre et danse dans cette forme spectaculaire. Pour
désigner l’ensemble des manifestations performatives balinaises c’est l’expression
« forme spectaculaire » qui sera employée. Pour spectaculaire il convient de se
reporter à la définition suivante du Dictionnaire Trésor de la Langue Française :

Spectaculaire
3 — a) Qui concerne les spectacles, les représentations théâtrales,
musicales, chorégraphiques. (...) b) Qui produit, qui cherche à
produire un effet visuel, émotionnel. 344

Cette problématique ne s’insère pas uniquement dans l’ordre de la traduction des


termes. L’assimilation de ces mots est inscrite dans un contexte sociohistorique
plus large intimement lié à la colonisation néerlandaise et à l’exploration
touristique de l’île :

De fait, tant que les spectacles destinés aux touristes se


contentaient d’accommoder à leur convenance des danses déjà
dégagées de leur contenu théâtral comme de leur fondement
rituel, personne n’y trouvait à redire, puisque, après tout, les
Balinais ne faisaient jamais qu’adapter au goût d’un public
étranger des spectacles conçus dès l’origine comme un simple
divertissement. Mais lorsque l’industrie touristique s’immisça un
peu trop ouvertement dans des danses jusque-là réservées à un
usage rituel, les autorités culturelles et religieuses de l’île s’en
émurent et décidèrent qu’il était temps d’intervenir.345

Avec l’indépendance indonésienne, en 1949, Bali va être le lieu privilégié


d’implémentation d’une politique de développement touristique, cette fois-ci
menée par le gouvernement indonésien. Les contacts entre Balinais et non-Balinais
ont mené les premiers à employer plus couramment l’indonésien, puisque, depuis

344
« Trésor de la langue française informatisé (TLFi) CD-ROM. CD-ROM. », CNRS ed., 2004.
345
Catherine Basset et Michel Picard, op. cit. p. 174.

197
les années 1950, cette langue est enseignée obligatoirement dans les écoles
primaires et l’enseignement du balinais fût supprimé dans les années 1970.
Officiellement, l’île de Bali est aujourd’hui une des trente-quatre provinces de
l’Indonésie, l’indonésien étant la langue officielle du pays et, le balinais, la langue
locale de l’île. Actuellement, l’usage du balinais est réservé aux contextes familiaux,
religieux et sur la scène. En outre, dans les centres urbains, la pratique de
l’indonésien et même de l’anglais est fortement encouragée, en détriment du
balinais. Ainsi, on observe une « Indonésiation » et dans une certaine mesure une
« Javanisation » de Bali. 346

Ce basculement entre le balinais et l’indonésien se ressent au cœur des


changements des rapports sociaux de l’île, puisque cette dernière ne possède pas
de niveaux de langue importants. Pour I Gusti Made Sutjaja 347, un de ces
changements est la modification des rapports de niveaux de la langue balinaise,
surtout parmi les plus jeunes. Dans l’interaction publique quotidienne, la forme
alus, ou raffiné, du balinais va être privilégiée. Les personnes des wangsa élevés
tendent à employer aussi un niveau alus dans leurs rapports avec des Balinais d’un
rang inférieur et vice-versa. Aussi, entre sudra, ce même niveau de la langue pourra
être employé pour montrer du respect envers l’interlocuteur.

3. Les danses balinaises et la progression du tourisme : vers la


catégorisation de danses
L’absence du mot art en langue balinaise démontre d’emblée le contexte dans
lequel ces formes spectaculaires, que les étrangers qualifiaient d’artistiques,
appartenaient. Elles étaient fortement entrelacées à la structure religieuse et
communautaire de l’île et difficilement conçues séparément. De plus, l’éventail de
ces formes est énorme et très diversifié.

346
Michel Picard, « Dance and Drama in Bali in Adrian Vickers, (dir.) Being modern in Bali: image
and change, New Haven, Yale center for international and area studies, (« Yale Southeast Asia
studies Monograph », 43), 1996 p. 117
347
I Gusti Made Sutjaja, « Balinese Transmigrants in Lampung » in Adrian Vickers, (dir.) Being
modern in Bali: image and change, New Haven, Yale center for international and area studies, (« Yale
Southeast Asia studies Monograph », 43), 1996, 256 p.

198
Les premiers étrangers européens, depuis les premiers récits hollandais (Cornelis
de Houtman) jusqu’aux britanniques Thomas S. Raffles et John Crawfurd, ont
déjà souligné la maîtrise des Javanais (et par conséquent des Balinais, car ils
concevaient Bali comme une extension culturelle javanaise) dans les champs de la
musique et de la danse. Les danses balinaises allaient susciter l’intérêt des étrangers
aussi bien pour leur beauté esthétique et maîtrise technique, qu’en raison du
caractère spectaculaire de leurs rites de possession.

Cependant, la progression du tourisme allait radicalement faire basculer cette


réalité. La croissante arrivée des touristes a fait émerger la nécessité de séparer ce
qui était de l’ordre du divertissement de ce qui concernait l’usage cérémonial et
sacré. Lors des premiers séjours touristiques, aucun problème ne se posait encore,
car les danses présentées étaient considérées par les Balinais comme des
divertissements.

Progressivement, les Balinais commencèrent cependant à chorégraphier et


présenter des danses basées sur des transes de possession à usage essentiellement
sacré. Le rôle des étrangers348 ne peut être négligé dans ce processus de
commercialisation des danses, même si les Balinais y ont aussi joué un rôle
important. La danse cak et le Barong, d’abord présentés à Batubulan, constituent
l’un de ces exemples les plus flagrants. En 1971, un séminaire intitulé « Danse
sacrée et profane » fut organisé par le LISTIBIYA, la Commission d’Évaluation et
Promotion de la Culture. L’objectif était de délimiter dans l’ensemble des formes
balinaises les frontières entre le sacré, le séculaire et le profane. Le fait que ce
séminaire se soit tenu en langue indonésienne n’a pas contribué à la délimitation
des termes « sacré » et « profane ». À l’image du balinais, l’indonésien ne
connaissait pas ces termes et des néologismes sur la base du latin furent alors
créés : sakral et provan349.

348
Progressivement une forme de spectacle aujourd’hui très courante dans l’île est devenue : le
spectacle pour les touristes. Ce processus sera analysé dans un deuxième temps, car il a aussi des
interfaces avec les rapports entretenus par les artistes étrangers désirant apprendre la danse
balinaise. Les danses deviennent une source de gain et les danseurs plus primés ou plus connus
tendent à se consacrer exclusivement à la danse, tel est le cas de I Made Djimat.
349
Pour une réflexion sur ce processus, il convient de consulter le texte La danse balinaise est-elle un
art ? de Michel Picard. Catherine Basset et Michel Picard, op. cit., p. 173.

199
Une classification350 fut alors établie entre les formes wali (sacrées), bebali
(cérémoniales) et bali-balihan (séculaires). Le rapport entre le lieu de représentation
et le temple (pura) est énormément révélateur en ce qui concerne la sacralité de la
forme. Bandem et deBoer ont eu recours à cette classification en considérant le
rapport entre le lieu de représentation, à l’intérieur et à l’extérieur, et le pura.
Même si ce séminaire s’est achevé sur un document délimitant les frontières
« sacrées » et « profanes » des danses balinaises, les notions qui en ont été tirées ne
firent pas l’unanimité parmi les participants :

Au lieu de concevoir le problème qu’ils étaient censés résoudre


comme un effort de discrimination entre deux domaines sinon
indifférenciés, du moins qu’ils n’étaient pas accoutumés à
distinguer en termes de « sacré » et de « profane », certains
participants en sont venus à parler des « danses sacrées et
profanes » comme une seule et même catégorie, cumulant ainsi
sur les mêmes danses les attributs du sacré et du profane,
manifestement confondus à leurs yeux ! 351.

4. La cartographie cosmique
À Bali, les temples (pura) sont insérés dans une cartographie cosmique particulière
qui guide le système d’orientation spatiale de toute l’île. La carte Nawa-sanga, les
neuf directions plus le centre, indique les directions sacrées et une complexité
d’autres attributs. La chaîne de montagnes, en particulier le volcan Gunung Agung
situé au nord-est, est le point de repère premier 352. Les montagnes sont le lieu
d’habitation des divinités et des ancêtres divinisés (utama) et d’où naissent
beaucoup de rivières. La mer est l’endroit des forces maléfiques 353, dangereuses et
impures (nista). Entre les deux, dans le monde intermédiaire (madya), habite
l’humanité. Du Gunung Agung vers la mer est formé l’axe kaja-kelod354, qui reflète
350
Lors de ce séminaire cette classification fut d’abord proposée par I Gusti Bagus Sugiwa, selon
Bandem et deBoer. I. Made Bandem et Fredrik Eugene De Boer, Kaja and kelod: Balinese dance in
transition, Kuala Lumpur New York, Oxford University Press, 1981, p. 24.
351
Catherine Basset et Michel Picard, op. cit.p.177.
352
Le rapport intrinsèque des Balinais aux repères sacrés d’orientation est attesté par des auteurs
divers : Belo, Covarrubias, Spies et Zoet, Hobart, Howe, Stuart-Fox, Ramseyer, Geertz, Hooykaas,
Basset, Wassman et Dasen, Shadeng et d’autres chercheurs de l’île.
353
Les Balinais entretiennent un rapport différent avec le bien et le mal. Cet aspect sera investigué
postérieurement.
354
Ke vers aja la montaigne / Ke vers lod (mèr).

200
métaphysiquement une gradation de la pureté originelle qui se dégrade des
montagnes (kaja) jusqu’à la mer (kelod). Il s’agit d’une conception cosmologique
concentrique, étant donné que Bali est une l’île, où le Gunung Agung est le centre
et la mer, la périphérie 355. À cette ligne orientatrice sont adjointes cinq autres
directions, à commencer par le « lieu où le soleil naît » kangin et celui où il se
couche kauh. L’emplacement le plus sacré se situe à la confluence kaja-kangin356. Le
Gunung Agung est placé kaja et aussi kaja-kagin. Métaphoriquement, quand elle est
alignée, la « boussole interne » balinaise pointe toujours vers le Gunung Agung,
cependant la direction montrée est simultanément kaja et kaja-kangin.357

355
Catherine Basser propose, entre autres, une intéressante analyse du gamelan balinais et des
royaumes concentriques.
356
L’axe kaja-kelod, ainsi que les autres directions sacrées proposées par la carte Nawa-sanga (les neuf
directions) seront examinés dans le chapitre dédié à la danse du topeng keras.
357
Nathalie Lancret, La maison balinaise en secteur urbain: étude ethno-architecturale, Paris,
Association Archipel, coll.« Collection Jeanne Cuisinier », n˚ 29, 1997, p. 7.

201
358

Carte topographique de Bali.

358
Carte topographique de Bali. « NASA Earth Observatory :», 30 novembre 2011,
http://earthobservatory.nasa.gov/IOTD/view.php?id=4171.

202
359

La Gunung Agung vu de la route jalan Raya Mas, vers le sud-est de l’île.

359
Photo prise par l’auteur.

203
La pensée balinaise, la configuration des villes (desa) et des temples (pura),
l’architecture360 de toutes sortes de bâtiments, la configuration interne des espaces
ainsi que les formes spectaculaires sont orientées selon le Nawa-sanga. Ces
directions sont tellement intimement liées à la conception balinaise du monde (ou
plutôt des mondes) que son sens dépasse les frontières des dimensions purement
physiques et géographiques361.

362

Un nawa-sanga accroché devant une maison au village de Tenganan.

D’une manière générale, trois différents temples (pura) existent dans les villages
balinais : le pura puseh (temple des origines), le pura desa (temple du village) et le
pura dalem (temple des profondeurs, de l’intérieur, aussi appelé temple de la mort).

360
Les principes de l’architecture balinaise sont régis par des traités, en particulier les Asta-Kosala
Asta Kosali et Asta Patali, originellement écrits en vieux javanais. L’architecture des maisons, des
temples et la configuration des villages respectent ces directions, de même que les niveauxu haut
(ulu) et bas (tebèn). Les mesures sont à l’échelle humaine et basées sur les parties du corps humain.
361
L’entrée du terme kaja dans le dictionnaire est accompagnée d’une longue explication sur le
terme, jugé aussi par Shadeng comme d’une importance fondamentale pour la vie religieuse et
quotidienne à Bali : Since the sea is regarded as belonging to the underworld, and the hills as the home of the
gods, these words have not only a physical and geographical, but also a religious and emotionnally significance,
kaja being ‘lucky, happy, good’, kelod ‘unlucky, unhappy, bad’, and thèse notions dominâtes Bali life : the Bali
people think interms of compass-directions in every sphere i.e. ‘put it on the nort-west corner of the table’ ; move
a little bit further west (…) » Norbert Shadeg, Tuttle Balinese-English Dictionary, Bilingual, Tuttle
Publishing, 2007, p. 172.
362
Photo prise par l’auteur.

204
Chacun de ces pura va occuper un lieu dans le village coutumier en concordance
avec la Nawa-sanga et l’axe kaja-kelod. Ainsi, le pura puseh se trouve plus à kaja en
hauteur (ulu) que les autres, suivi du pura desa, souvent construit au centre du
village. Le pura dalem sera généralement placé vers kelod, suivi du cimetière, localisé
dans l’endroit le plus bas (tében) du village. À l’intérieur des pura, la cour la plus
sacrée, le jeroan, est placée vers kaja et ulu. En raison d’une dégradation de la
pureté, le jaba tengah, la cour du milieu, est un espace transitoire entre les dieux et
le monde séculaire de l’humanité. Le jaba (la cour), est l’espace situé le plus vers
kelod et constitue le lieu de socialisation et de restauration. L’endroit dans le pura
où la forme spectaculaire est présentée reflète son degré de sacralité.

Cependant, des formes spectaculaires considérées d’un très haut degré de sacralité,
comme celles liées au couple Barong et Rangda, vont être présentées dans des lieux
jugés impurs ou dangereux comme les cimetières et les croisements de rues.
Comme il sera observé plus avant, la pureté et l’impureté sont des gradations en
mouvement. Plus qu’un système équilibré, il conviendrait plutôt de conceptualiser
le cosmos balinais en tant que cycle constant de transformation de forces,
mouvement entre les pôles positifs et négatifs, toujours susceptibles d’évoluer 363.
Barong et Rangda sont considérés comme des divinités (dewa), leurs masques
considérés comme les plus sacrés font l’objet d’un traitement spécifique.
L’histoire de calonarang met en scène ces deux personnages masqués. Il s’agit
également d’une forme rituelle dont l’objectif est de rétablir l’équilibre des forces.
Une partie du calonarang est censée être présentée dans le cimetière, endroit
puissant, de grande concentration de sakti. Elle est assimilée à une forme wali364.
Dans la vidéo 3, présente dans les annexes de ce travail, j’essaye d’articuler
quelques rapports entre le corps du danseur et les directions sacrées.

5. L’actuelle classification des formes spectaculaires balinaises et son


rapport avec le lieu de présentation
363
Michele Stephen, « Returning to Original Form: A Central Dynamic in Balinese Ritual »,
Bijdragen tot de Taal-, Land- en Volkenkunde, vol. 158 / 1, janvier 2002, p. 61-94.
364
La description des formes spectaculaires balinaises établie par Bandem et deBoer suit la logique
de la sacralité rituelle intrinsèque de la forme en parallèle à celle du lieu où les présentations sont
réalisées. Ainsi, les lieux de présentations sont décrits dans la gradation qui suit l’axe kaja-kelod. La
carte cosmique balinaise sera examinée avec plus de détail dans le prochain chapitre.

205
Wali signifie365 littéralement « offrande » et « cérémonie d’offrande », et est
également synonyme du mot Bali. Les formes spectaculaires wali sont considérées
comme des rites à accomplir ou des offrandes en soi. Elles sont toujours en
connexion avec une cérémonie religieuse et sont considérées comme étant celles
les plus sacrées366 . Elles sont généralement présentées dans la partie la plus sacrée
du temple, le jeroan. Parmi les formes wali l’on retrouve le berutuk, le rejang, le baris
gede et baris pendet, le mendet, le sanghyang dedari, le gabor, le wayang lemah (la version
journalière du wayang kulit, présenté sans rideau) et le topeng pajegan ou sidhakarya367.

Toutes ces formes appartiennent à ce qui pourrait être appelé


l’aspect commun de la culture balinaise, centré sur le village, et
impliquent une forte participation du public. Généralement, le
degré d’entraînement et le talent exigé pour ces performances
n’est pas mesuré par les standards balinais. Cependant, des
aspects esthétiques sont importants chez certaines d’entre elles
(...) La transe est fréquemment présente dans ces genres, et ainsi,
la p r é s o m p t i o n d e p o s s e s s i o n p a r l a d i v i n i t é o u
occasionnellement, d’esprits démoniaques. Les danses wali sont
présentées en connexion avec les rituels religieux, et sont souvent
données dans un contexte des programmes élaborés des festivals
du calendrier religieux balinais. 368

Etant donné que la fonction de la danse varie selon son contexte, la limite entre
les danses wali et bebali est relative. Le topeng pajegan peut être inscrit dans les
classes wali ou bebali selon l’occasion. Le topeng de pur divertissement, bali-balihan,
est nommé le topeng panca.

Une danse peut avoir eu historiquement un usage séculaire, et avoir été ensuite
absorbée par l’usage cérémoniel, tel est le cas du gambuh. Le gambuh, le wayang

365
Wali signifie aussi retourner. Selon Catherine Basset, sémantiquement Wali est équivalent à
Bali. Le sens de retour est intrinsèquement lié au sens / objectif d’un rituel à Bali, ce qui fera plus
avant l’objet d’une analyse.
366
I. Made Bandem et Fredrik Eugene De Boer, op. cit.
367
On propose ici une association entre les classifications de Bandem et deBoer et Dibia et
Ballinger.
368
All of theses forms belong to what might be call communal, village-centred aspect of Balinese culture, and
involve strong element of audience participation. Typically, the degree of training and basic talent required of
these performers is not demanding by Balinese standards. Aesthetic factors, however, are important in some of
them (…) Trance is often present in these genres, and with it, the presumption of possession by divine or,
occasionally demonic spirits. Wali dances are performed in connection with religious rituals, and are often
given in the context of the elaborate schedule of festivals of the Balinese religious calendar. (Traduction libre)
I Made Bandem et Fredrik Eugene De Boer, op. cit., p. 1.

206
wong et le wayang kulit figurent parmi les formes bebali, présentées dans la cour du
milieu jaba tengah. Ces formes sont également présentées lors des festivités
religieuses, mais revêtent une connotation sacrée moins élevée que les formes wali.
Une approche dramatique et narrative est quasi présente, le wayang wong narrant
les histoires du Ramayana, le gambuh du Malat et le wayang kulit racontant
majoritairement des épisodes du Mahabharata, mais pouvant aussi utiliser le
répertoire du Malat, du calonarang et même de l’arja.

À la différence des formes wali, les bebali sont dirigées vers l’auditoire et ne sont
pas inhérentes à un rite ; néanmoins, elles sont explicitement religieuses dans leur
intention, car elles doivent distraire les divinités présentes, et en même temps les
spectateurs humains. Les invités célestes sont traités comme des dignitaires en
visite qui doivent être amusés pendant les longues heures d’une journée de
festival369. Ces formes seraient liées à l’héritage javanais de Bali, qui a des racines
dans le sous-continent indien. Les systèmes de classes (warga ou couleur) et le
gouvernement centré sur le roi (les royaumes concentriques) sont un héritage de
cette époque. Enfin, les formes bali-balihan, « celles destinées à être vues » sont
présentées dans la jaba « dehors » — la cour la plus kelod du temple, la plus basse et
la moins sacrée. La jaba est dédiée aux divertissements et le commerce y est
autorisé. Dans ce lieu de rencontres et de divertissements, où il est permis de
manger et jouer, l’atmosphère est toujours festive.

Parmi les formes bali-balihan figurent le legong, le kebyar, l’arja, le parwa, le baris
moderne, le topeng panca et le prembon (combination). Le prembon date des
années 1940, plusieurs formes y sont mélangées : gambuh, baris, topeng et arja. Le
topeng prembon est une combinaison entre le topeng panca et l’arja, très commun à
Singapadu. Ces formes séculières descendent des formes bebali et peuvent
intervenir dans des événements religieux. À ces occasions, le danseur adopte une
posture de dévotion envers la danse et l’espace de présentation et est aussi purifié.

369
(Traduction libre) They are, none the less, explicity religious in intention, for they are meant to entertain
the divinities présent, as well the humans spectators. The celestial guests are treated as visiting dignitaries who
must be kept amused during the long hours of the festival day. I. Made Bandem et Fredrik Eugene De
Boer, Kaja and kelod: Balinese dance in transition, Kuala Lumpur New York, Oxford University Press,
1981, p. 26.

207
Parmi les formes d’usage réservées à des lieux séculiers on trouve les variations de
joged, le janger, le cakapung, le gebyong et le godogan. Catherine Basset l’observe
aussi : « il est remarquable que plus on descend vers l’aval, plus le mode de
représentation descend vers l’aval, plus le monde de représentation est
matériellement massif et sonore, plus y a des mots et des sons musicaux et plus ils
prennent corps. »370.

5. La méditation de Durga : la naissance du topeng et du wayang371

I Ketut Kodi évoque l’histoire du wayang le Durga Lalana (La méditation de


Durga372). Elle raconte la naissance du wayang, du topeng et de tous les arts. Il y a
longtemps, de nombreux malheurs sont survenus dans le royaume : les gens
mouraient et beaucoup étaient tombés malades, en dépit des efforts du roi et de
ses ministres. Alors, Sanghyang Trisamaya (un dieu réunissant Brahma, Visnu et
Iswara/Siwa) est descendu des cieux pour y intervenir. Il a créé un sanggar373 et un
groupe d’acteurs et de danseurs. Tous les ministres ont alors été instruits par
Sanghyang Trisamaya dans le but de promouvoir une cérémonie accompagnée par
u n pandita (prêtre) nommé Sidhayoga, symbolisant le pouvoir des arts dans la
pacification des bhutakala374.

a. Les racines historiques du topeng : quelques pistes


La plus ancienne référence connue concernant l’existence des masques à Bali est le
Prasasti Bebetin375 qui date de l’année Caka,376 en 818 ou 896 apr. J.-C. Il est
probable que les formes scéniques étaient déjà développées à cette époque-là, y
compris celles masquées377. Ce manuscrit décrit l’utilisation des masques :

370
Actes de colloque international p. 24. Texte fourni par Catherine Basset.
371
Kathy Foley et I Nyoman Sedana, « Balinese Mask Dance from the Perspective of a Master
Artist: I Ketut Kodi on “Topeng” », Asian Theatre Journal, vol. 22 / 2, octobre 2005, p. 206.
372
La puissante déesse Durga est la manifestation destructrice d’Uma, l’épouse de Shiva.
373
Sanggar est employé en indonésien pour désigner le lieu de travail sanggar kerja, mais aussi le lieu
sacré, temple. En balinais, « lieu sacré ».
374
Les bhuta-kala sont des forces maléfiques, chthoniennes, des fragmentations du temps.
375
Le Prasasti est un manuscrit ancien, généralement sous la forme de feuilles métalliques. I. W
Dibia, Rucina Ballinger et Barbara Anello, op. cit., p. 64.
376
Le calendrier balinais traditionnel diffère du romain.
377
D’après, I. W Dibia, Rucina Ballinger et Barbara Anello, op. cit., p. 64., Bandem et Bandem, I
Made. “Topeng Gajah Mada di Blahbatuh.” Bali Post. January 23, 2011, sec. Berita Kabupaten.

208
petapukan, partapukan, tapuk, signifiant « couvrir ». Il fait référence aux différentes
activités des performeurs, comme l’aide à l’entretien du temple entre autres :

Aussi, ici devraient se réfugier et vivre des orfèvres, des forgerons,


des coopersmiths, des pamukul (des musiciens), des pabunjing (des
musiciens, des batteurs, des flûtistes), des danseurs de topeng, des
interprètes de wayang (marionnette d’ombres), ainsi, leur tikasan
(une sorte d’impôt) doit être donné au Temple du Feu. 378

Cependant, on ne sait si la forme masquée mentionnée était proche du topeng


d’aujourd’hui. Ce qui semble évident est que l’utilisation des masques à Bali est
plus ancienne que la conquête de Majapahit.

b. Le babad Blabatuh et les vestiges historiques du topeng


À Bali et à Java, les chroniques généalogiques et les histoires des dynasties sont
appelées babad. Cependant, les babad balinais auraient des contenus, formes et
fonctions différents de ceux javanais. Les babad constituent en même temps des
traces historiques dont les contenus sont évoqués en tant que base discursive de la
« dramaturgie improvisationnelle » du topeng. La nature des babad ne trouve pas de
définition appropriée sans une réflexion sur leur place dans le contexte balinais. Il
est à la frontière entre histoire et littérature, fiction et faits réels :

Chercher à séparer « le fait » « de la fiction » ou de « l’histoire » de


la « littérature » dans les babad balinais est une démarche fausse.
Chaque babad doit être examiné individuellement et chaque
travail peut être vu à partir de nombreuses perspectives, y
http://www.balipost.co.id/mediadetail.php?module=detailberita&kid=2&id=47222. Dibia, I
Wayan. “Topeng a masked dance theatre of Bali.” Seoul, South Korea: IMACO - International
Mask Arts & Culture Organization, 2008. http://www.worldmask.org/english/sub5/sub1.asp?
bseq=5&mode=view&cat=&aseq=54&page=1&sk=&sv=.
Partapuka ou atapukan, les mots pour décrire le masque, sont aussi évoqués dans les
Prasasti Tengkulak (1049-1077 apr. J.-C.), Prasasti Belantih A (1058 apr. J.-C.), Prasasti Julah (1065
apr. J.-C.) et Prasasti Pandak Bandung (1065 apr. J.-C.), selon Bandem :
Prasasti itu meliputi prasasti Bebetin (896 M), prasasti Tengkulak A (1049-1077 M), prasasti
Belantih A (1058 M), prasasti Julah (1065 M), prasasti Pandak Bandung (1071 M), dan lain-lain,
kesemuanya menyebutkan pertunjukan topeng sebagai partapuka atau atapukan. I Made Bandem,
« Topeng Gajah Mada di Blahbatuh », Bali Post, Bali, 23 janvier 2011.
378
Also if there should take refuge and live there goldsmiths, blacksmiths, coopersmiths, pamukul (musicians),
pabunjing (musicians, drummers, flutists), topeng dancers, wayang (shadow puppet) performers, then their
tikasan (a kind of tax) must be given to the Fire Temple. (Traduction libre) Lansing fait référence au
deuxième plus ancien manuscrit de Bebetin. Cette citation est une traduction de Lansing de
l’extrait de l’ouvrage suivant : Roelof Goris, Inscripties voor Anak Wungçu, Bandung, N. V. Masa
Baru, 1954, (« Prasasti Bali », 1-2), p. 55. J. Stephen Lansing, « The “Indianization” of Bali », Journal
of Southeast Asian Studies, vol. 14 / 2, septembre 1983, p. 420.

209
compris historiques. N’importe quelle discussion compréhensive
des babad balinais exigera évidemment une analyse historique et
littéraire. 379

Une étude approfondie des babad peut éclairer quelques faits sur l’historiographie
balinaise. Cependant, ils ont la particularité de représenter le passé selon la
perspective du clan historiographié. Dans le temple Pura Penataran Topeng, à
Blabatuh, se trouve une collection de manuscrits (lontar380), wayang (marionnettes)
et de masques. Ces objets appartenaient à la famille Djelantik, un clan kastrya. Ce
sont les plus vieux masques de Bali, jugés tellement sacrés qu’ils ne peuvent pas
être photographiés.

L’un des lontar de la collection, le babad Blabatuh381, narre la chronique du clan


Djelantik. Bandem souligne que ce babad raconte l’histoire du point de vue de la
famille, de ses exploits et d’une manière légendaire. Son début commence sous le
roi Dalem Watu Renggong, ou Batu Renggong (1460-1550 apr. J.-C.), jusqu’à
1779.

Selon ce babad, ces premiers masques seraient arrivés à Bali après une expédition
vers Blambangan, royaume localisé dans l’actuelle île de Java. A la fin du XVIe
siècle, le Dalem (roi) Watu Renggong envoya une expédition à Blambangan,
commandée par les Patih (ministre) Ularan et le Patih Djelantik. Suite à l’invasion,
le palais du roi de Blambangan fut dégradé et le Patih Djelantik mourut au
combat. Un panier de masques fut remporté comme butin 382. Les masques seraient
restés inutilisés pendant un siècle, jusqu’à une date comprise entre 1665 et 1686.
379
It is largely a spurious undertaking to seek to separate ‘fact’ from ‘fiction’ or ‘history’ from ‘litterature’ in
Balinese babad. Each babad work must be examined indivually, and each work can be viewed from a number
of perspectives, including the historical one. Any comprehensive discussion of Balinese babad works will
obviously require both historical and literary analysis. (Traduction libre) Helen Creese, « Balinese babad
as historical sources: a reinterpretation of the fall of gèlgèl » , Bijdragen tot de Taal-, Land- en
Volkenkunde, 147-2/3, 1er janvier 1991, p. 239. Dans cet article, Creese livre une intéressante
analyse de la chute de Gégel, assumant une perspective historique de différents documents, dont le
babad Dalem. L’utilisation des babad en tant que source historiographique s’avère délicate, du fait
de leur caractère « auto-referenciel ».
380
Les lontar étaient des manuscrits inscrits sur des feuilles de palmier. Etant donné qu’ils avaient
été réalisés à partir de ce matériel périssable, leur préservation à travers le temps est due à des
copistes.
381
I Made Bandem et Fredrik Eugene De Boer, op. cit., p. 47.
382
Les masques du topeng ne seraient pas les seuls à détenir ce pouvoir, les dessins du style wayans
khas le possèderaient également, selon une autre histoire.

210
Un descendant du Patih Djelantik et aussi Premier ministre, I Gusti Pering
Djelantik composa alors un théâtre-dansé, sous le règne du Dalem Dimadé, le
petit-fils du Dalem Watu Renggong. Les masques capturés furent utilisés pour ce
théâtre-dansé et la représentation fut donnée sous le nom de topeng pajegan383.
Cette forme commença à être représentée à chaque odalan, tout d’abord à Gegel,
puis à Klungkung, en fonction des déménagements de la cour. Finalement, suite à
un coup d’État à la cour de Klungkung, la famille Djelantik s’exila à Blabatuh, où
elle emporta les masques. Bandem et deBoer soulignent que la famille Djelantik a
préservé jusqu’à nos jours son prestige et son pouvoir à Bali.

Parmi les vingt-et-un masques de la famille Djelantik, six sont des masques entiers
qui possèdent une languette en bois au niveau de la bouche, grâce à laquelle le
danseur tenait le masque sur son visage, en la mordant. Ils sont probablement les
plus anciens et les quinze autres ont été possiblement sculptés à leur image. Les
débuts de la culture de cour à Bali remontent à environ cinq siècles avant la
colonisation hollandaise, plus intense après 1908. Au cours du XIVe siècle, le
royaume Majapahit, l’état hindo-bouddhique de Java, s’étendait de la Chine
jusqu’aux frontières de l’Inde. Sous le commandement du légendaire Patih Gajah
Mada, il renversa le souverain balinais et installa sur le trône un roi javanais. Cet
événement coïncida avec l’apogée de la culture de cour indo-javanaise du royaume
Majapahit, qui semble avoir connu son âge d’or à Bali sous la dynastie des
Gégél384, au cours du règne du déjà mentionné Dalem Watu Renggong.

Au cours du XVIe siècle, avec la chute du règne Majapahit suite à l’invasion de


Java par les musulmans, l’aristocratie, le clergé, les hommes de lettres et les artistes
allèrent trouver refuge à Bali où ils inaugurèrent une ère de grande richesse
marquée par la culture javanaise teintée d’éléments indobouddhiques :

(…) L’importance de la “conquête de Bali” par Majapahit réside


surtout dans l’interprétation mythique que lui ont donnée les
Balinais, et en particulier dans le fait que l’aristocratie locale y

383
Moerdowo affirme que le topeng était déjà bien connu dans la littérature du Negarakrtagama
(texte javanais de Majapahit des XIIIe et XIVe siècles).
384
Royaume balinais, aujourd’hui situé dans la province de Klungkung.

211
fonde la légitimité de son statut en prétendant descendre des
nobles javanais qui sont établis à Bali après la soumission de l’île.
(…) [Au début du XVIe siècle] à la chute de Majapahit (qui a
consisté en fait en un affaiblissement progressif du royaume face
à la montée de principautés islamisées à Java), la légende veut que
les princes et les prêtres, les lettrés et les artistes, fuyant l’avancée
inexorable de l’Islam à Java, aient émigré en masse à Bali
transférant ce faisant l’héritage hindouiste de Majapahit à la cour
de Gégél et inaugurant une ère de splendeur qui sera
rétrospectivement perçue comme l’âge d’or de Bali. 385

L’héritage javanais fut revendiqué par les trois wangsa386 (classes) ou trigwangsa, les
nobles qui prétendaient être les descendants des princes javanais conquérants de
Bali. Les communautés non soumises à Majapahit s’isolèrent précisément dans les
régions montagneuses et préservèrent leur organisation sociale et religieuse. Ces
villages étaient appelés Bali Aga. Selon le modèle trigwangsa, plus une famille était
ancienne, plus son statut social était élevé. En revanche, l’imposition de ce lignage
noble par les conquérants indo-javanais a entraîné un conflit de pouvoir entre les
chefs des clans balinais conquis. Les problèmes qui dérivent de l’interprétation du
passé balinais sont divers, tout spécialement en ce qui concerne la culture de
transmission éminemment orale. Le topeng jouait alors un rôle très important de
légitimation des récits.

À la différence des autres manifestations artistiques inspirées du Maharabharata


et/ou du Ramayana, ou du Malat, le cycle de l’histoire du roi Panji, les histoires
racontées au topeng tirent leurs racines des babad. En général, dans une
représentation de topeng, une partie ou un argument d’un babad est choisi. Ce
choix va varier selon l’occasion pour laquelle la représentation est donnée. Étant
donné que les babad sont des chroniques des généalogies, le topeng est également
un lieu d’affirmation et/ou de revendication de l’origine, c’est-à-dire de statut dans
la hiérarchie sociale traditionnelle.

Mais, les arguments du topeng ne se nourrissent pas seulement des babad : l’acteur
peut chercher l’inspiration dans le Mahabharata, le Ramayana, dans les chansons

385
Catherine Basset et Michel Picard, op. cit., p. 220.
386
L’influence indienne se ressent dans la tripartition des classes wangsa ou warna (couleur).

212
kidung et également dans le Malat387. De plus, il doit toujours considérer le village
(desa), le temps (kala) et la situation (patra), lors du choix de l’argument qui sera
joué. I Ketut Kodi évoque également d’autres sources du topeng :

J’ai lu beaucoup de kakawin (des vieux récits poétiques javanais)


e t geguritan (des récits poétiques javanais). Après tout, la
connaissance n’est pas dans un seul livre ! Pour le topeng, je
transforme le kekawin dans la forme de tembang (le moyen
javanais poétique). Vous devez vraiment connaître toute la
littérature à Bali pour être chevronné. Par exemple, si vous faites
le Mahabharata, l’épopée des héros Pandawa, vous devez
vraiment connaître le Ramayana, l’histoire du Roi Rama, parce
que cette histoire précède chronologiquement le Mahabharata.
L’histoire balinaise du topeng sera ensuite les deux.388

Lors d’un topeng, le narrateur, ou Penasar, peut évoquer la généalogie du groupe


commanditaire et ses hauts faits passés, en attribuant ses qualités aux personnes
présentes. Si les nobles triwangsa représentaient, dans le topeng, les princes javanais
ou javano-balinais, d’autres clans balinais réclamaient, quant à eux, d’autres
représentations. Ces clans revendiquaient pour leur part des origines javanaises
antérieures à celles des nobles triwangsa. De tels enjeux pouvaient être mis en scène
par le topeng :

Et leur Topeng est donné pendant l’office de grands-prêtres de


leur propre clan, car ils refusent l’eau lustrale (symbole et
véhicule du pouvoir des ancêtres) consacrée par les grands-prêtres
Brahmana, toujours en raison de cette question de hauteur et de
pureté de la « source ». D’autres groupes et clans balinais vont au
contraire mettre en scène leur alliance avec les Javanais ou les
Triwangsa. C’est pourquoi prêter attention à ce qui se dit dans le
Topeng nous en apprend beaucoup sur la société balinaise et sa
manière de se resituer toujours par rapport au passé.389

Par ailleurs, la revendication d’une ancestralité, l’instruction religieuse et


l’enseignement philosophique sont des éléments dramaturgiques à incorporer au
discours de la scène. Dans cet objectif, les légendes du passé sont transformées

387
John Emigh, « Playing with the Past: Visitation and Illusion in the Mask Theatre of Bali », The
Drama Review: TDR, vol. 23 / 2, juin 1979, p. 25.
388
Kathy Foley et I Nyoman Sedana, op. cit., p. 172.
389
Catherine Basset, « Le Topèng », [En ligne: http://www.theatre-du-soleil.fr/thsol/sources-
orientales/les-sources-orientales/bali/le-topeng/le-topeng-573]. Consulté le 30 juin 2013.

213
selon les circonstances. À ce sujet, I Ketut Kodi commente son adaptation d’une
histoire du Dalem Watu Reggong, qui était à l’origine d’une cérémonie (yadnya) :

Ici, j’ai fait une variation de l’histoire, pour que le roi de Gegel
regrette ses actions. Ainsi, Watu Renggong demande des excuses
à Astapaka, mais Astapaka dit, « Non vous aviez raison. En tant
que roi vous devez tester tous ceux qui arrivent à Bali. Si vous ne
le faites pas, vous n’êtes pas un homme prudent. »
Voilà maintenant comment il en est pour les dirigeants à Bali. Si
de nouvelles personnes arrivent à Bali elles doivent être
examinées. Tous ne viennent pas pour rendre Bali meilleure. De
plus, maintenant [après l’attentat à la bombe en 2002 à Kuta]
c’est déjà prouvé ! (...)
Cette histoire porte sur l’âge d’or de Bali. J’utilise d’habitude
cette histoire [sur la manière dont le spirituel et le politique
doivent travailler ensemble] quand mon public est bupati [des
régents] ou des représentants gouvernementaux. Si je pense à
faire une autre histoire et un maire apparaît, je change l’histoire.
J’utilise l’occasion pour instruire. 390

6. Le topeng wali : une offrande spectaculaire, un rite à accomplir


Les dimensions rituelles (wali) et de pur divertissement (bali-balihan) du topeng
peuvent être respectivement observées sous les formes du topeng pajegan et du
topeng panca et topeng prenbom. Le topeng panca (cinq) va être joué par plusieurs
acteurs et le prenbom est une forme qui mélange le topeng et l’arja.
L e topeng wali cérémonial était traditionnellement joué par un seul acteur. Il est
qualifié de topeng pajegan391, aussi appelé topeng sidhakarya ou topeng wali392 et se
situe à la frontière entre rite religieux et forme spectaculaire. Selon Bandem, le
mot topeng a l’étymologie suivante :

390
I made a variation in the story here. I made the king of Gegel regret his actions. Thus, Watu Renggong
apologizes to Astapaka, but Astapaka says, “No you were right. As a king you should test everyone coming to
Bali. If you don’t, you are not a careful man. » That’s how it is for leaders in Bali, now. If new people come to
Bali they should be examined. Not all of them are coming to make Bali better. What is more, now [after the
2002 bombing in Kuta] there is already proof! (…) This story is about the golden age of Bali. I usually use this
story [about how the spiritual and political have to work together] when my audience is bupati [regents] or
government officials. If I am planning to do another story and a mayor turns up, I change the story. I use the
opportunity to instruct. (Traduction libre) Kathy Foley et I Nyoman Sedana, op. cit., p. 206-207.
391
En balinais, quand quelqu’un achète toute une récolte, on dit qu’il majeg la récolte, c’est-à-dire,
qu’il fait tout par lui-même. Le mot pajegan est dérivé de majeg. I. Made Bandem et Fredrik Eugene
De Boer, op. cit., p. 48.
392
L’on peut également trouver différents styles de topeng en Indonésie, comme le topeng gedog de
Java, qui fait usage de masques très divers. Les styles de topeng diffèrent également d’une région à
l’autre sur l’île balinaise : topeng pajegan, sidhakarya ou wali, topeng panca, topeng prembon et topeng
Bondres.

214
Le mot topeng vient du mot tup qui signifie « couvert ». Puisqu’il
est un signe de la langue qui est fréquemment une forme formative
(formation des mots) alors le mot tup a été ajouté au mot eng
pour devenir postérieurement tupeng. (Si en indonésien tutup
signifie aussi fermer, en balinais son sens est plutôt lié à couvrir)
Tupeng va subir quelques altérations de prononciation jusqu’à
devenir topeng. A Bali, selon la description de cet ouvrage, le mot
topeng signifie effectivement « couvert » et dans la langue balinaise
fréquemment tapel (masque).393

À travers une succession de ces derniers, l’acteur-danseur, ou les acteurs-danseurs,


mettent en scène les histoires de leurs aïeux, en créant ainsi un lien avec la société
contemporaine balinaise. La visitation mythique des ancêtres aura lieu dans un
dialogue avec le présent. À travers ses personnages comiques, le topeng constitue le
lieu d’enseignement philosophique et religieux, de commentaire social et
d’affirmation de la généalogie de l’un à travers l’humour. Dans le topeng wali, la
fonction rituelle et cérémoniale est exercée par son dernier personnage, le
Sidhakarya. Une visitation ancestrale a lieu sur scène394.

Un acteur-danseur de topeng doit être complet et mûr. Il lui faut danser des
chorégraphies élaborées, chanter, travailler sur différents registres linguistiques,
connaître la littérature (sastra) et les textes philosophiques et religieux, articuler les
légendes balinaises à la réalité du présent en improvisant. Principalement, il doit
être autorisé et apte à accomplir le rite final en parallèle avec le pedanda (prêtre).
Pour être purifié et autorisé à le réaliser, l’acteur passe par une cérémonie appelée

393
Kata topeng berasal dari kata tup yang berati tutup. Karena ada gejala bahasa yang disebut formative
form (pembentukan kata) maka kata tup ditambah saja dengan kata eng yang kemudian menjadi tupeng.
Tupeng kemudian mengalami beberapa perubahan pengucapan sehingga menjadi topeng. Di Bali sesuai
dengan penjelasan buku ini memang kata topeng berati tutup dan di dalam bahasa Bali disebut tapel. I
Made Bandem in I. Wayan Dana, op. cit., p. vii.
Spies et Zoete ont proposé l’étymologie suivante en complément : (...) for topeng simply
means ‘something pressed against (the face), i.e a mask. Walter Spies et Beryl de Zoete, Dance &
Drama in Bali, Tuttle Publishing, 2001, p. 178. Cependant, nous privilégions la proposition
balinaise faite par Bandem.
394
« Ancestral visitation » est une expression qui a été utilisée par Emigh dans sa description d’un
Topeng Pajegan donnée par I Nyoman Kakul. La transcription des dialogues de la présentation
s’avère aussi très complète. Il s’agit de deux très beaux et complets documents portant sur ce thème :
I Nyoman Kakul, I Made Bandem et John Emigh, « Jelantik Goes to Blambangan: A “Topeng
Pajegan” Performance », The Drama Review: TDR, vol. 23 / 2, juin 1979, p. 37-48.

215
mawinten. Ce topeng wali est également communément joué par un pedanda ou par
un dalang395 (marionnettiste)396.

Il était à l’origine joué par un seul acteur qui devait être capable de porter tous les
masques. Cependant, il jouait en particulier avec les masques dont il avait une
parfaite maîtrise. Aujourd’hui deux ou trois acteurs, voire plus, peuvent se relayer
dans la présentation, chacun jouant les personnages dans lesquels il excelle. En
effet, un acteur qui excelle dans les personnages keras (forts, durs, vigoureux)
pourra éprouver davantage de difficultés à jouer des rôles manis (doux, fins,
raffinés) tels que ceux de rois ou de reines 397. La constitution physique de l’acteur
et son habileté s’avèrent déterminants dans la définition de cette inclination vers
les caractères keras o u manis. C’est pourquoi, bien que l’ambiance du topeng soit
majoritairement masculine, il est possible de voir des femmes jouer des
personnages masculins manis, comme le Topeng tua ou le Dalem (roi). Le topeng
est majoritairement une forme masculine, dans laquelle les hommes vont aussi
interpréter des rôles féminins. Des femmes les interprètent rarement, et lorsque
c’est le cas, elles le font généralement par l’intermédiaire de leur père ou d’un
parent398.

a. Les cérémonies
Un grand ensemble de cérémonies et rites balinais sont réunis dans un groupe
nommé panca yadnya. Ces cinq principales cérémonies sont le dewa yadnya (rites
aux dieux et déesses), le resi yadnya (rites destinés aux prêtres), le bhuta yadnya (rites
aux bhuta-kala), le pitra yadnya (rites aux âmes humaines), le manusa yadnya (les rites
de passage). Les représentations de topeng wali sont liées aux odalan (cérémonies des

395
L’une des formes le plus complexes à apprendre est le wayang. Le dalang (le marionnettiste) est
aussi un initié. Il doit être capable de jouer tous les rôles, de tenir le spectacle pendant des heures
et de connaître un vaste répertoire littéraire et philosophique, entre autres.
396
I Wayan Dibia, op. cit.
397
Juliana Coelho, Cristina Wistari Formaggia, « Entretien avec Cristina Wistari Formaggia ».
398
Tel est le cas de Ni Nyoman Candri, Ni Wayang Sekariani, la nièce de Djimat et Murdi, la fille
de Pugra. Le Topeng Shakti fut une troupe d’exception. Cristina Wistari jouait le topeng wali, sans
pour autant être autorisée à porter le masque du Sidhakarya. Cependant, le Topeng Shakti demeure
dans le cadre du topeng panca et des formes bali-balihan.

216
temples), aux crémations (ngaben) et aux manusa yadnya (rites de passage). Ces
cérémonies peuvent être considérées comme incomplètes si le topeng wali en est
absent. Elles sont réalisées en parallèle. Généralement, un wayang lewah, la forme
du wayang kulit diurne, est également représenté simultanément. C’est l’apparition
du Dalem Sidhakarya, masque caractéristique et majeur du topeng pajegan, qui clôt
la représentation, que l’histoire contée soit achevée ou non.

Ce masque blanc, entier, est propre399 au topeng wali et n’est pas autorisé aux
femmes. Il s’agit du masque qui « accomplit le travail religieux ». Il possède un
degré supérieur de sacralité, après les masques du Barong et de Rangda. C’est pour
pouvoir porter ce masque que l’acteur doit passer par des rites de purification
(mawinten), et connaître les mantras et les paroles sacrées :

Contrairement aux interprètes de gambuh et des danses wali, le


danseur de topeng pajegan n’est pas habituellement un membre
d’un groupe, mais un professionnel engagé pour l’événement.
Peu de villages peuvent se vanter d’avoir un membre possédant
toutes les qualifications nécessaires exigées pour les rôles du
topeng pajegan. À l’image du sculpteur de masques, le danseur de
topeng doit connaître le code spécial de son métier — le Bebali
Sidha Karya — qui préconise les prières, les offrandes et les
tabous comportementaux. 400

Bandem parle à plusieurs reprises de l’enseignement de son père à ce sujet :


l’acteur-danseur du topeng doit se marier avec ses masques, dormir avec eux, pour
pouvoir comprendre leur caractère. Initialement, nous essayerons de tracer ici une
structure du topeng wali à partir des témoignages des artistes interviewés et de notre
propre observation réalisée à Bali en 2009 et 2011. La symbologie des masques et
de l’espace sera aussi évoquée, ainsi qu’un commentaire sur l’histoire de chaque
masque entier.
399
Même s’il est propre à une danse wali, le masque du Sidhakarya peut apparaître dans les topeng
panca, prembon et même dans les spectacles destinés aux touristes. Malheureusement, nous n’avons
pas investigué le lien entretenu par l’acteur qui le joue dans des spectacles qui ne sont pas
cérémoniaux.
400
Unlike the performers of Gambuh and of the wali dances, the Topeng Pajegan dancer is not usually a
member of the group celebrating the occasion, but a professional engaged for the event. Few villages could hope
to boast a member possessing all the necessary qualifications for the demanding Topeng Pajegan role. Like the
mask-maker, the topeng dancer needs to know the special code of his craft - the Bebali Sidha Karya - which
prescribes prayers and offerings and behavioural taboos. (Traduction libre) I. Made Bandem et Fredrik
Eugene De Boer, op. cit., p. 55.

217
b. La métaphysique de la « sortie »401 de scène
Présenté dans la cour la plus sacrée du temple jeroan, le topeng sidhakarya est une
offrande spectaculaire. Un rideau délimite la frontière entre les coulisses et la
scène, respectivement métaphores du ventre de la mère et du monde. Le rideau
langseh, est symboliquement l’organe sexuel féminin par lequel les personnages
naissent sur scène. Pour l’ouvrir, la concentration maximale d’énergie est requise
par le danseur, tout comme pour l’enfant au moment de la naissance. L’acteur-
danseur ne « rentre » pas sur scène, il « sort »402 par la porte/l’organe sexuel
féminin. Il s’agit d’un accouchement où le lieu de concentration du sacré figure
dans les coulisses. C’est la sortie du ventre à la vie, tel qu’en témoigne I Keut Kodi :

Dans cette danse, chacun doit aussi représenter le moment de la


sortie de la porte (candi, la porte qui est aussi la porte du temple)
comme une image de la naissance, c’est comme naître du ventre
de la mère403.

La sortie de scène représente cycliquement et doublement la mort et la mère :

(…)Premièrement, c’est comme un symbole de naître de la mère.


Elle est finalement le symbole de la terre. Puisqu’elle est le
symbole de la terre, naître de la mère est comme naître de la
terre. Nous retournons après à la terre, le symbole de la mort. 404

La terre est alors le ventre fertile d’où la vie germe et également le dernier
réceptacle de la matière. Ibu Pretiwi405 est la déesse balinaise de la terre :

401
La perspective de « sortie » ou lieu d’ « entrée » ne se restreint pas à la scène. Selon Winner,
plusieurs termes balinais : Presume a perspective of ‘coming out’ from some implied Inside : thus a doorway
is a pemedalan, a place to come out, rather than as it is in English an ‘entranceway’, and a clan is a
semetonan, ‘people of one emergence’, those who have emanated from a single ancestral source. Winner apud
Leo Howe, Hinduism & hierarchy in Bali, Oxford Santa Fe, NM, James Currey School of American
Research, 2001, (« World anthropology »), p. 121.
402
Catherine Basset souligne également la différence de perception entre l’« entrée » et la « sortie »
de scène. « En quelque sorte les ancêtres (appelés « sources ») descendent se matérialiser en ce bas
monde et guider les vivants. »
403
Ibu Pretiwi
404
I Ketut Kodi et Juliana Coelho, « Entretien avec I Ketut Kodi ».
405
Dans son article « Offerings to Durga and Pretiwi in Bali » Francine Brinkgreve examine les
offrandes consacrées à Ibu Pretiwi et à Durga à Bali, ainsi que le rapport entre ces deux déesses. Si
elles n’apparaissent pas conjointement dans aucune forme spectaculaire, dans les offrandes
(banten), leur rapport est toutefois mis en évidence. Francine Brinkgreve, « Offerings to Durga and
Pretiwi in Bali », Asian Folklore Studies, vol. 56 / 2, janvier 1997, p. 227-251.

218
Son nom Ibu, la Mère, souligne le fait qu’elle porte les graines de
toute nouvelle vie dans son utérus. Sa fertilité rend la vie possible
sur la terre, y compris celle des êtres humains. Le concept de la
terre comme un utérus ou un vaisseau, le conteneur de la vie, a
un rapport avec l’idée de l’origine et de la source ancestrale de la
vie. Ibu, Ibu Pretiwi, ou paibon sont des noms d’un autel dans le
temple des ancêtres, dont les trois compartiments, dédiés aux
divinités Brahma, Wisnu et Siwa, symbolisent le cycle de la
naissance, de la vie et de la mort. Parfois ibu, ou paibon, est le
nom du temple des ancêtres lui-même. 406

En établissant la double nature symbolique de la terre, mère créatrice de la vie et


dernier réceptacle dans la mort, Kodi fait référence à ces deux déesses balinaises
Ibu Pretiwi et Durga :

Durga est plus que la déesse de mort, complémentaire de la


déesse de la fertilité. Par son pouvoir sur la mort, elle peut
protéger et supporter la vie. Elle est la Grande Déesse, qui
combine en elle-même « la grâce de tous les dieux », qui est
indépendante et puissante, qui inclut tout. Elle contrôle la
totalité de la vie. 407

Les personnages sortent et retournent à la mère terre, le ventre qui permet la vie et
qui accueille la mort. L’élément de la porte-vagin, concrétisé par le rideau langseh,
s’avère très important. Même s’il n’est pas physiquement présent, faute de
contraintes de lieu, le danseur va y faire allusion en le mimant, dans un
mouvement appelé mungkah lawang408. Le topeng wali va toujours commencer par
une introduction, prenant la forme d’une sortie successive de deux ou trois
personnages archétypaux masqués : le Topeng keras (fort), le Topeng tua (vieux) et,
optionnellement, le Topeng keras lucu (drôle) ou Topeng manis (doux). Ces

406
Her name Ibu, Mother, emphasizes the fact that she carries the seeds of all new life in her womb. Her
fertility makes possible life on earth, including that of human beings. The concept of the earth as a womb or
vessel, a container of life, is related to the idea of the origin and ancestral source of life. Ibu, Ibu Pretiwi, or
paibon are the names of a shrine in an ancestor temple, whose three compartements, dedicated to the deities
Brahma, Wisnu, and Siwa, symbolize the cycle of birth, life, and death. Sometimes ibu, or paibon, is the name
of the ancestral temple itself. (Traduction libre) Ibidem, p. 246.
407
Durga is more than the goddess of death, complementary to the goddess of fertility. Through her power over
death she is able to protect and sustain life. She is the Great Goddess, who combines in herself “the grace of all
gods”, who is independent, all encompassing, and powerful. She controls the totality of life. (Traduction libre)
Ibidem, p. 248.
408
Mungkah lawang, qui peut être traduit par ouvrir la porte. I. Made Bandem et Fredrik Eugene De
Boer, op. cit., p. 49.

219
masques entiers de caractère noble vont s’exprimer à travers la danse. Cette
introduction est appelée pengelembar.

7. Le pengelembar : L’introduction dansée


a. Le Topeng keras
L e gamelan commence à représenter le thème du Topeng keras. Si l’espace de
représentation comporte un rideau, il commencera à trembler. C’est lle mungkah
lawang, qui signifie « ouvrir la porte ». En l’absence de rideau, le danseur se placera
assis sur une chaise. S’il ne dispose pas de chaise, il le réalise debout. Le rideau
commence à s’ouvrir pour dévoiler ce premier personnage : le Topeng keras. Les
masques classiques du topeng représentent un archétype et non un individu
particulier. La combinaison entre l’expression du masque, des mouvements, des
gestes conventionnels et le contexte peut aboutir à un certain type de personnage
légendaire.

Le Topeng keras est le premier ministre, le Patih, qui représente le noble guerrier,
chef exécutif du Dalem (roi). Le Patih Gaja Mada et le Patih Djelantik sont
communément représentés par ce masque, mais pas exclusivement. Il peut
également être employé afin de symboliser un autre Patih du roi.

Selon les babad, du fait qu’il est né d’une noix de coco, Gajah Mada est d’origine
mystérieuse409; il serait l’incarnation de Wishnu. Sous la dynastie Majapahit, Bali
était une province de Java et certains Balinais se réfèrent encore à Majapahit
comme à leur royaume d’origine. Gajah Mada était le grand Patih, le puissant
ministre qui avait été envoyé conquérir Bali et qui devint le roi de Bedulu,
succédant au Roi Tapa Oeloeng. Gajah Mada est également un personnage
historique symbole de l’unité de l’archipel indonésien.

Pendant les répétitions de la danse du Topeng keras, Pak Kodi a employé à


plusieurs reprises l’image de l’accouchement, lors de l’ouverture du rideau, le

409
Walter Spies et Beryl De Zoete, op. cit., p. 185.

220
mungkah lawang. C’est sur ce moment-là que toute l’énergie doit être concentrée.
Lors de notre apprentissage auprès de Kodi, il nous a donné des instructions très
précises par rapport au moment d’ouvrir le rideau (lagnsé). Ana Daniel fait
référence à une instruction analogue donnée par I Nyoman Kakul : Quand vous
ouvrez le rideau, vous devez être préparé à vous battre! A ce moment précis, tout est une
question de pouvoir. Cette pause est celle qui contient le plus de tension, pourtant elle doit
transmettre un contrôle total et de l’équilibre.410

b. Le deuxième masque : Le Topeng tua (vieux)


Ensuite c’est le Topeng tua qui fait sa sortie sur scène. Ce masque, qui incarne la
sagesse de la vieillesse, constitue l’archétype de la dévotion et de la bonté. Il évoque
un vieux ministre ou dignitaire âgé. Le Topeng tua ne joue pas de rôle dans
l’histoire qui sera contée postérieurement et ne rentrera pas de nouveau sur scène.
Cependant, l’on dit que sa danse purifie l’atmosphère de la représentation. Il
combine une grande dignité, la force intérieure et l’innocence des enfants. Il
symbolise également un rappel à notre condition d’êtres mortels : il n’a plus la
robustesse physique ni la puissance énergique d’un jeune Patih.

Au début de sa danse, il est assis sur une chaise et hésite à se lever. Il commence sa
chorégraphie par des mouvements lents, qui s’accélèrent progressivement. Il fait
preuve de force et de vigueur dans de petites actions, et peut agir de façon
amusante comme, par exemple, lorsqu’il découvre une puce dans ses vêtements. Il
essaie de marcher plus vite et perd l’équilibre, manquant presque tomber par terre.
Il s’arrête alors et reprend un peu son souffle. En fonction de l’acteur, le Topeng
tua peut être interprété de manière plus ou moins noble ou comique.

c. Le troisième masque : le Topeng gilah (drôle)


Une fois le Topeng tua achevé, un dernier masque keras peut faire sa sortie sur
scène : le Topeng buduh ou gilah qui signifient respectivement « bête » e t
« drôle ». Ce masque possède une expression très drôle, et ses traits peuvent
410
When you open the curtain, you must be prepared to fight! In this moment, all is decided about you power.
This pose is the one with the most tension, yet it must convey total control and poise. (Traduction libre) Ana
Daniel, Bali, behind the mask, 1st ed, New York, Knopf: distributed by Random House, 1981,
p. 139.

221
beaucoup varier selon le masque. Il commence à esquisser une danse similaire à
celle du Topeng keras, mais sur le ton de la parodie : il peut tout à coup s’arrêter
pour se gratter le dos, ou même les fesses. Il combine des gestes et des pas formels
à des actions amusantes.

d. Sur le pengelembar

Selon I Ketut Kodi411, le pengelembar était autrefois plus long, et comporter trois,
voire quatre masques entiers : Topeng keras manis (homme fort/mâle), Topeng
buduh et Topeng tua. Aujourd’hui, on représente généralement seulement deux
masques, le Topeng keras et le Topeng tua. Selon lui, il était indispensable qu’au
moins ces trois masques décrits apparaissent. I Ketut Kodi explique cette nécessité
par le symbolisme des masques : le Topeng keras représenterait la naissance
(utpeti), le Topeng buduh correspondrait à la vie (setiti) et le Topeng tua à la mort
(pralina). Le premier est sérieux, tandis que le deuxième se situe dans une quête
constante, à droite, à gauche : il éprouve la vie.

Ensuite apparaît le Topeng tua: raffiné, sérieux, qui étudie la meilleure façon de
faire les choses dans le monde. Ensuite, le cycle recommence. Ce dernier parle de
la vie : de la relation entre le roi et le ministre, entre le ministre et le peuple, le roi
et le prêtre, les humains et les dieux. Il s’agit de définir la manière dont on doit se
comporter pour mener une vie harmonieuse (hita). Il y est également question du
rapport aux parents, aux personnes, dans le contexte social. Ainsi, ce qui est
développé dans l’histoire est lié au fait de préserver hita, la vie.

Cette partie dansée ne fait pas partie de la structure dramatique de l’histoire qui
sera racontée plus tard, et qui débute par l’arrivée sur scène du Penasar. Ces
masques sont introduits par le biais de la danse. Le danseur pourra allonger ou
raccourcir la chorégraphie selon les besoins de la cérémonie ou de la
représentation. La maîtrise de l’acteur est liée à la perfection avec laquelle il
exécute ces mouvements. Il pourra effectuer des changements rythmiques selon
l’occasion et selon son interaction avec le gamelan.

411
Kathy Foley et I Nyoman Sedana, op. cit., p. 209.

222
e. Le gamelan
Toutes les formes scéniques balinaises sont accompagnées d’un gamelan, à savoir
de l’ensemble des percussions pour la plupart métalliques, accompagné ou non
d’autres instruments. Catherine Basset le définit en tant qu’instrument collectif 412,
il est selon lui l’un des reflets de la cohésion collective balinaise. Ses configurations
sont variées et dépendent du contexte, de la cérémonie, ainsi que de la forme
scénique. Dans le topeng, le comédien dirige partiellement le gamelan. Nous
évoquerons cet aspect plus en détail dans le chapitre consacré à la danse du
Topeng keras.

Catherine Basset, « Au delà des apparences: morphologie des esthétiques et cosmologie à Bali »,
412

Le Banian, 2010, p.63-107.

223
224
8. Punta, le serviteur et traducteur du roi et son frère Kartala : la
paire comique panakawan
Notre chanson (kidung) retient la nuit.
Forte et belle, elle nous libère du mal
Elle évite toute maladie.
Les fantômes et les démons tremblent.
La sorcellerie n’est pas brave contre cela,
Ni ne le sont les talismans du vide.
Le feu devient eau.
Les voleurs fuient loin.
La colère ne peut pas nous toucher.
Les périodes d’obscurité disparaissent complètement. 413

Après la sortie des masques entiers, c’est Penasar kelihan ou Punta, le serviteur du
roi, qui entre en scène en chantant son kidung caractéristique. Punta est le maître
de cérémonie et le narrateur de l’action représentée. Traducteur et serviteur du roi,
il est très fier de son importante fonction. Il représente le serviteur fidèle et
orgueilleux qui ne cesse de faire des compliments à son seigneur et de louer le
royaume de ce dernier. Avant son entrée en scène, les spectateurs l’entendent crier
et chanter les paroles de son roi. Il appartient au caractère keras. Il est corpulent,
vigoureux, vif et un peu bête, ce qui contribue à faire de lui l’objet des moqueries
de son jeune frère Kartala.

Le Penasar kelihan est le frère aîné de Kartala, aussi appelé Wijil ou Penasar
celihan. Dans le tandem comique, il incarne la figure opposée à celle de son frère
sérieux et fier, car il fait systématiquement des commentaires amusants. Son
discours regorge de plaisanteries déconcertantes. Wijil ou Kartala est le personnage
préféré du public. Il est vivant, respire la bonne humeur et la gaieté. Il imite son
grand frère et se moque de sa démarche pompeuse, créant toujours des situations
drôles et gênantes. Les caractéristiques de ce masque sont susceptibles de varier,
mais sa couleur beige et ses fines moustaches demeurent constantes. Dans le topeng
panca, il est généralement joué par un acteur mince, ce qui permet de conférer
davantage de légèreté au personnage. À travers ses plaisanteries émanant de son
esprit intelligent, Wijil va transmettre par à l’aide de l’humour le contenu
philosophique et éducatif de la représentation.
413
I Ketut Kodi, I Gusti Putu Sudarta, I Nyoman Sedana, I Made Sidia et Kathy Foley, « “Topeng”
Sidha Karya: A Balinese Mask Dance », Asian Theatre Journal, 22-2, 1er octobre 2005, p. 180.

225
Le récit commence par l’entrée en scène de deux serviteurs du roi, Punta et Wijil,
qui tiendront le rôle de narrateurs pendant toute la durée du spectacle.
L’apparition de ces personnages dépend grandement des danseurs et de leur
disponibilité pour jouer. Ces serviteurs, qui portent des demi-masques,
introduisent l’archétype du Dalem.

a. La littérature et la langue, la multiplicité de registres et de modes


À travers la figure du Penasar en particulier, l’acteur du topeng va jouer avec une
multiplicité de registres linguistiques, et les utiliser en les adaptant aux modes et
aux coutumes communes. Ainsi, dans une représentation l’acteur pourra employer
le sanskrit, le kawi, le javanais moyen, le balinais élevé, moyen et bas et de
l’indonésien moderne, le bahasa indonesia. Selon l’occasion, même l’anglais peut
être utilisé.

En raison de son caractère essentiellement oral, la littérature balinaise trouve dans


les formes spectaculaires son mode d’expression et de transmission. Dans le topeng
en particulier, cette transmission s’effectue en étant associée à une continuelle
recontextualisation de l’histoire des ancêtres, qui s’adapte ainsi à l’époque
contemporaine, aussi bien en ce qui concerne la généalogie que dans l’utilisation
du large spectre de registres et de modes linguistiques. La littérature balinaise
s’inspire des modèles javanais et est rarement écrite en balinais pur. Ces modèles
sont composés de différents codes linguistiques que sont le javanais ancien, le
javanais moyen, et le javanais moderne. Le kawi, aujourd’hui employé par des
acteurs de topeng et de gambuh, était d’un usage poétique courant à Java et à Bali
entre le XIIe et le XVe siècle.

Si la langue balinaise emploie divers codes linguistiques, elle s’articule autour de


trois modes : le haut, le bas, et la forme intermédiaire sont respectivement
nommés brahmana, ksatrya et wesia. Le choix du niveau de langue dans lequel on
s’exprimera se fait en fonction du contexte et de la wangsa (classe) de son
interlocuteur. Ainsi, dans la vie quotidienne, dans la littérature ou dans les formes
spectaculaires, un individu de wangsa inférieure, appartenant au peuple (sudra),

226
s’adressera à une personne de wangsa plus élevée en employant le haut niveau de
langue, et recevra une réponse dans un niveau de langue plus bas. Dans la
littérature, par exemple, Un roturier « bouffe », un petit noble « mange », un prince « se
restaure » ; le premier a des « panards », le second des « pieds », le troisième est appelé
« Jambe de Dieu » 414.

Les Penasar conduisent l’histoire. De même que les Bondres, les personnages
comiques populaires que l’on présentera plus loin, ils jouent avec la complexité
linguistique de la langue balinaise et font référence au présent lorsqu’ils rapportent
une histoire passée, en faisant appel aux sujets de la société balinaise
contemporaine.

9. L’entrée du Roi : Le Dalem

L’entrée du Dalem, le roi, est annoncée en kawi par le Punta. Le masque du


Dalem représente l’archétype du roi sage et compréhensif. Il s’agit d’un masque
blanc très raffiné, aux traits fins et purs, rehaussé d’une couronne dorée et de la
marque dorée du troisième œil, qui représente son intelligence, sa sagesse et son
importance. Il symbolise également la perfection androgyne et la pureté, qu’il
exprime également à travers sa danse. Ses mouvements sont gracieux, délicats, et
s’inspirent également de la danse gambuh.

Le masque du Dalem est utilisé pour les rois manis. Il peut représenter le Dalem
Watu Renggong, le Dalem Arsa Wijaya et d’autres, ce qui renvoie à la diversité des
personnages que les masques entiers peuvent figurer :

En effet, le masque utilisé pour Dalem Waturenggog peut être


également employé pour n’importe quel autre roi raffiné ; et le
masque du Sri Dalem Blambangan peut également être employé
pour le dieu Mahadewa dans son aspect terrible. Le but n’est pas
de présenter ces figures « comme elles étaient », mais comme elles
doivent être imaginées. L’histoire est un échafaudage utilisé pour
montrer des images en essence des possibilités humaines. 415
414
Catherine Basset, op. cit.
415
Indeed, the mask used for Dalem Waturenggog could also be used for any other refined king; and the mask
of the Sri Dalem Blambangan can also be used for the god Mahadewa in his terrible aspect. The point is not
to present these figures “as they were,” but as they ought to be imagined. The story is a scaffolding used to show

227
Bien que le système wangsa constitue un important auxiliaire dans l’étude du
comportement des individus au sein de lasociété balinaise, il n’est pas déterminant
en ce qui concerne le personnage qu’un acteur jouera, ni les relations entre les
acteurs et les masques joués. Ainsi, dans un topeng, un danseur sudra pourra
endosser le rôle du Dalem ou du Patih, selon ses compétences, tandis qu’un
danseur brahmana pourra, de la même façon, jouer un Penasar ou un Bondres.

10. Les Bondres : les maladies, les excentricités, le comique du


peuple

Les Bondres sont les demi-masques parlants, les personnages comiques du peuple,
dont les formes sont très diverses. Généralement, leur volume est exagéré ou bien
ils subissent une déformation flagrante, ce qui expose plus clairement leur
caractère. Certains possèdent un thème du gamelan et une danse leur est associée.
Usuellement, chaque acteur dispose de son propre ensemble de masques, ce qui
permet d’effectuer une nette distinction entre les répertoires de chacun. Les
dialogues comiques sont toujours improvisés et beaucoup plus présents que les
actions physiques sur scène.

Si, dans la première partie, l’auditoire était confronté au passé, à ses héros et à des
événements mythiques relatifs à l’au-delà, dans cette deuxième partie, ce sont des
figures plus proches des humains qui sont mises en scène, ce qui permet de créer
ainsi un lien très concret avec le présent. Cette partie comique de la représentation
est très appréciée des Balinais, qui connaissent déjà les personnages et s’attendent
à assister à des situations amusantes accompagnées de plaisanteries.

essentialized images of human capabilities. (Traduction libre) John Emigh, op. cit..

228
229
230
231
11. Le Sidhakarya : quand l’acteur devient prêtre
Le topeng wali détourne l’attention des spectateurs de la cérémonie durant laquelle
le prêtre (pedanda) prononce des mantras et sacralise l’eau en sonnant la cloche, en
effectuant des mudras et en réalisant d’autres actes rituels. La présence du topeng
incite les spectateurs à porter leur attention sur la musique, la danse, les
plaisanteries et l’histoire, sans oublier les forces maléfiques, masquant ainsi
l’action rituelle du pedanda.

a. L’histoire de Sidhakarya
Selon la légende416, le Dalem Watu Renggong aurait mis en œuvre une cérémonie
appelée nanglukmerana à Besakih, temple mère de tous les temples, pour apaiser
bhutakala, les forces maléfiques. Un vieil homme vêtu pauvrement et originaire
d’outre-mer, brahmana Sangkya, est alors arrivé pour aider à la préparation de la
cérémonie. Son apparence lui a valu d’être battu et banni. Immédiatement après,
les récoltes ont été perdues, les gens sont tombés malades ou se sont retournés les
uns contre les autres. Le Dalem a fait rechercher le coupable de ces maux, afin de
sauver le royaume. C’est alors qu’il s’est souvenu du vieux brahmana, qu’il avait
ordonné de battre, et s’est rendu compte qu’il avait lui-même condamné son
royaume au malheur. En réalité, le vieillard banni était le frère spirituel du roi, fils
du prêtre qui avait aidé à installer le Père de Watu Renggong sur le trône.
Brahmana Sangkya fut retrouvé et réalisa une cérémonie en lançant du riz de
quatre couleurs dans les quatre directions cardinales. Il fut nommé brahmana
Sidhakarya, ce qui signifie « le brahmana qui accomplit le travail rituel ». Dès lors,
sa présence à travers ce masque sera exigée dans toutes les cérémonies. Souvent, il
s’empare un moment d’un enfant de l’auditoire, suscitant ainsi beaucoup
d’excitation et de rire, pour ensuite le faire sortir et lui donner quelques pièces de
monnaie.

b. Celui qui travaille avec les forces du bhur (le monde d’en bas) :
les bhuta-kalas
416
Kodi raconte les histoires de Durga Lalana et du Dalem Waturenggong dans l’entretien Kathy
Foley et I Nyoman Sedana, « Balinese Mask Dance from the Perspective of a Master Artist: I Ketut
Kodi on “Topeng” », Asian Theatre Journal, 22-2, 1 octobre 2005, p. 206.
I Ketut Kantor et I Ketut Wirtawan racconte la même histoire que Kodi, cependant le
nom du brahmana est autre : Ida Brahmana Walaskia I. W Dibia, Rucina Ballinger et Barbara
Anello, op. cit., p. 65.

232
Le but de la cérémonie de Sidhakarya est de harceler les forces maléfiques, bhuta-
kala, pendant un moment. Cet événement symbolise leur expulsion temporaire,
d’une manière positive (somia) puisqu’on leur fait des offrandes et qu’on leur
donne de l’argent417. Cependant, les bhuta-kala ne sont pas exorcisés : le rapport
entre les forces maléfiques et bénéfiques est autre.

Selon Michelle Stephen418, pour les Balinais, toutes les formes destructives et
dangereuses du monde résultent du couple divin Siwa et Uma. Le but premier du
rite balinais est de faire retourner les forces maléfiques sous leur forme bénéfique
originelle. De ce point de vue, le rapport avec le mal n’est pas éliminatoire 419. Le
rituel est le moyen à partir duquel les bhuta-kala, les forces destructrices seront
transformées en un état créatif et positif originel. Comparer les bhuta-kalas aux
démons judaïco-chrétiens serait alors erroné. Il conviendrait plutôt de concevoir
l e s bhuta-kala en tant qu’éléments fragmentés et les cérémonies comme des
restituteurs.

Dans la représentation du topeng sidhakarya, le pedanda est en aval kaja. Il bénit de


l’eau au moyen des mantras en apportant Siwa420 dans son corps. À partir de cette
action extrêmement importante, l’eau est transformée en tirtha, élément de base de
toute offrande (banten) et cérémonie (yadnya) balinaise :

Le Sidhakaya remonte vers l’amont, vers le grand-prêtre, et utilise


le même mantra de Siwa en dix aksara (Dasaksara) que le grand-
prêtre, mais pour consacrer les offrandes posées au sol, destinées
à attirer et rassembler les bhuta-kala, ou monde Bhur du bas. Ainsi
l’inframonde (Bhur) est à son tour purifié à la source, et la
consécration de l’eau est bouclée. 421

Le Dalem Sidhakarya clôt la représentation et le rite s’achève. Les acteurs gardent


leurs masques dans le panier et rangent les coiffes. Les dernières offrandes sont
417
I Ketut Kodi[et al.], op. cit., p. 176.
418
Michele Stephen, op. cit.
419
I. W Dibia, Rucina Ballinger et Barbara Anello, op. cit., p. 72. The main rôle of Rangda and Barong
in a performance-ritual is to re-etablish balance. Rangda ephitomises black magic and destruction, Barong
white magic and protection. They confront one another and fight but neither wins. The Balinese ackknolodge
that negativity exists in each of us and is manifested as bhuta-kala.
420
Jean-François Guermonprez, op. cit.
421
Catherine Basset, Actes de colloque p. 24. Texte fourni en cours.

233
présentées à Wishnumurti. Vient ensuite le moment pour l’acteur de retourner à
la maison, s’il est dans un temple, ou de manger le repas qui est toujours offert, s’il
est chez quelqu’un. L’atmosphère est toujours décontractée et festive.

234
CHAPITRE VI
L’APPRENTISSAGE DU TOPENG : PERCEPTIONS
CROISÉES DU CORPS DE LA DANSE BALINAISE

235
Quand un acteur balinais entre en scène, ce qui me fait
frissonner, ce n’est pas le geste qui ne peut être compris que par
certains, mais le rapport au ciel, à la terre, à la musique. Ce que
l’on garde, c’est l’élan que va avoir le guerrier avant de
s’élancer.422

422
Ariane Mnouchkine, Béatrice Picon-Vallin, « L’Orient au Théâtre du Soleil: le pays imaginaire,
les sources concrètes, le travail original », [En ligne: http://www.theatre-du-soleil.fr/thsol/sources-
orientales/des-traditions-orientales-a-la/l-influence-de-l-orient-au-theatre/l-orient-au-theatre-du-soleil-
le]. Consulté le 28 octobre 2015.

236
1. Introduction
L’apprentissage du topeng, aussi bien pour les Balinais que pour les étrangers, passe
nécessairement par celui de la danse. Les premiers masques approchés sont les
masques entiers, plus fréquemment ceux du Premier ministre guerrier, le Topeng
keras, du vieux premier ministre, le Topeng tua, et celui du roi, le Dalem, joués
lors de l’introduction dansée, appelée pengelembar. Ces masques s’expriment à
travers la danse pure, dépourvue de paroles, en relation étroite avec le gamelan.
Ainsi, en général, c’est la danse du Topeng keras qui est travaillée 423 en premier
lieu. Généralement, l’apprenti aura déjà appris le baris424 auparavant. Cette
dernière est une danse initialement guerrière et cérémonielle, qui possède
plusieurs variantes. Il s’agit en général de la première danse apprise aux jeunes
garçons à Bali. Elle est associée à une vaste gamme de mouvements et de codes
corporels, ce qui donnera ultérieurement à l’apprenti de l’aisance pour exécuter les
autres danses masculines. À une époque plus lointaine, le gambuh était aussi
enseigné aux jeunes enfants425 comme danse de base.

Le topeng est une danse que l’on apprend après avoir acquis une certaine maturité
en tant que danseur, surtout le topeng pajegan. Il faut se souvenir du contexte dans
lequel le praticien présente le topeng, en particulier le topeng pajegan. Dans les
temples ou lors des cérémonies diverses, une profusion d’actions se déroule
presque en concomitance. Cette ambiance de profusion, ramé, est l’atmosphère à
laquelle l’apprenti devra faire face. De plus, en ce qui concerne le topeng pajegan,
pour porter le Topeng Sidhakarya, le performeur devra également avoir bénéficié
423
Pour certains élèves, I Made Djimat va plutôt les initier à la danse du Topeng dalem.
424
Extrait de l’article de I Made Bandem sur le baris : « Elle est censée être la danse la plus basique
de Bali, mais est encore très énergétique. C’est pour cette raison qu’elle convient parfaitement bien
pour débuter l’apprentissage des personnages masculins balinais. Selon Bandem, le mot baris dérive
de bebarisan qui signifie lignée ou formation en ligne. En tant que danse guerrière et rituelle, cet
alignement fait référence à l’ancienne formation des anciens soldats des rajas. Les baris viennent
probablement des danses martiales, et on pourrait compter presque vingt types de baris,
généralement nommées par le type d’arme portée par le ou les danseurs : baris tumbak, presi, djodjor,
dadap, panah, omah, pendet, tamiang, melampahan. » (Traduction Iibre) Made Bandem, « The Baris
Dance », Ethnomusicology, vol. 19 / 2, mai 1975, p. 259-265.
425
Selon Deborah Gail Dunn : In the last generations, dancers like Ketut Rinda began their training by
learning the basic elements and roles of gambuh. this required that they master the feminine styles as well as
different kinds of masculine roles. D’après Michel Picard, c’est au Conservatoire et à l’Académie
Indonésienne de Danse que l’on doit le remplacement du gambuh par le baris, en tant que danse
première à enseigner. Cependant, les artistes interviewés, ont tous reconnu avoir déjà commencé
par apprendre le baris lorsqu’ils étaient enfants, ce bien avant la création de ces écoles.

237
d’une initiation particulière. Finalement, le topeng constitue une forme
spectaculaire qui est apprise assez tard, au début de l’âge adulte, puisqu’il nécessite
une maturité créative beaucoup plus importante que les autres danses.

La danse et les arts performatifs sont largement intégrés dans la vie quotidienne
balinaise, sans cependant faire de tous les Balinais ce qui est couramment appelé
des « artistes ». Contrairement à la vision courante, très influencée par l’ensemble
du processus de romanisation de l’île, comme on l’a vu dans le chapitre premier,
les Balinais ne sont pas tous des artistes innés426. Néanmoins, l’importance de la
place que les formes spectaculaires occupent au sein de la société balinaise est
encore incontestable, aussi bien en raison de leurs fonctions sociales et
cérémonielles, que de leur importance à l’intérieur de l’industrie touristique. Les
théâtres dansés sont des formes publiques, largement présentées dont
l’apprentissage se fait également de manière intrinsèquement communautaire.

2. Réunir/rassembler le buana alit et le buana agung


D’après I Ketut Kodi et pour tant d’autres, taksu était plus présent par le passé. Il
estime qu’un praticien qui a taksu est capable de marier le microcosme, le buana
alit, et le macrocosme, le buana agung :

Un artiste ne peut pas juste rester assis à la maison, se réveiller,


dormir et après aller jouer la nuit. S’il fait cela, il ne sera pas
capable de réfléchir à la situation sociale de l’existence. Il doit
connaître le buana agung. Dans le passé, on aurait entendu parler
d’un artiste qui était mêlé à des combats de coqs, car là-bas, on
pouvait écouter ce qui se passait dans la société. Parfois, il
pouvait s’asseoir dans un warung (petit restaurant), pour boire et
écouter les gens parler. Il pouvait s’associer à des fermiers, à des
joueurs, des voleurs et des voyous. Il devait être l’ami de tout le
monde. Ainsi, à mon avis, l’artiste doit marier le microcosme et
le macrocosme. Cela inclut sastra (littérature) et ilmu (la
connaissance ésotérique), mais cela doit être à l’intérieur. 427
426
Nous faisons référence ici à la célèbre phrase de Miguel de Covarrubias.
427
An artist cannot just sit at home, wake, sleep and then perform in the evening. If he does that he won’t be
able to reflect the social situation of the living. He has to know the buana agung. Maybe in the past you
would hear of an artist who was involved in cockfights, because there he would hear what was going on in the
social life. Sometimes he would sit at the warung [food stall], drinking and listening to the voices of people. He
would associate with farmers, with gamblers, with thieves and rogues. He has to befriend the whole world. So
in my thinking the artist has to wed the microcosm and the macrocosm. This includes sastra [literature] and
ilmu [esoteric knowledge], but these have to be inside. (Traduction libre) I Ketut Kodi[et al.], op. cit.,
p. 209-210.

238
Avant toute chose, du fait que les formes performatives font partie de la vie
quotidienne, déjà dans le ventre de la mère, les enfants sont immergés dans la
sonorité du gamelan. À leur plus jeune âge, ils sont présentés à l’environnement du
temple, de ses cours intérieures et extérieures, où se déroule une multiplicité de
types de spectacles dansés et joués, prenant pour certains la forme d’événements
aux buts rituels aux caractéristiques techniques très simples comme la transe, aux
formes associées au pur divertissement ; tout cela en concomitance avec plusieurs
types de gamelans, des chants et narrations (kidung), dans une profusion de couleurs
et d’odeurs. Ainsi, depuis leur tendre enfance, les Balinais sont visuellement
éduqués dans cette ambiance hautement esthétique. Au voyageur, cet
environnement confère une expérience d’une profonde synesthésie. Tout voyageur
étranger confronté à cette réalité est immédiatement frappé par cela, comme nous
l’avons vu dans les chapitres précédents. Pour un apprenti étranger, tout ce
contexte est également à appréhender, comme en témoigne Cristina Formaggia :

Il faut aussi s’imprégner de la culture, pour arriver à comprendre


comment cela marche au niveau artistique. Les Balinais voient le
topeng dès qu’ils sont enfants, ils écoutent la musique dans le
ventre de la mère. Ils connaissent par cœur les personnages et les
différents genres théâtraux. Et pour un Occidental... tout est à
apprendre. 428

Nous savons que la danse balinaise présente une codification et une structuration
corporelles très complexes à affronter. Pour les étrangers, il s’agit de codes
corporels qu’ils ne peuvent associer à aucune référence préalable dans leur culture
d’origine. Par exemple, la chercheuse a senti son corps s’ouvrir à cette nouvelle
forme dynamique, se modeler à cette forme, et parallèlement, un dressement très
précis du corps. Alors, dans ce chapitre, il sera question de tenter de répondre aux
interrogations suivantes en analysant les témoignages des artistes interviewés :
comment se consacrent — ils à l’apprentissage de la danse à Bali ? Pourquoi ont-ils
débuté cet apprentissage ? Comment ont-ils « incorporé » ou « assimilé » cet
apprentissage ? Quelle est la perception que les artistes interviewés ont eue de la

428
Cristina Wistari Formaggia et Juliana Coelho op. cit.

239
danse balinaise ? Comment cet apprentissage est-il perçu par les Balinais
interviewés ?

3. L’apprentissage du topeng à Bali : l’exemple des artistes


interviewés429
Il sera ici fait référence au parcours d’apprentissage qui se fait en général à Bali, à
partir des quatre artistes balinais interviewés : I Made Bandem, I Made Djimat, Ni
Nyoman Candri et I Ketut Kodi. Il est difficile de retracer un parcours
d’apprentissage homogène à travers toute l’île, puisque les variations sont grandes,
y compris au sein d’un même village. De plus, les rapports d’apprentissage se
transforment continuellement. Par exemple, le parcours pédagogique des quatre
artistes interviewés dans le cadre de cette recherche met en évidence cette
hétérogénéité. Tous les quatre ont débuté leur formation à la maison, influencés
par leurs familles. I Made Djimat et Ni Nyoman Candri n’ont pas étudié à l’ASTI,
l’Académie Indonésienne de Danse, par exemple. Dans son parcours d’excellence,
I Made Djimat a suivi le cheminement qui était courant jusqu’à la création de
l’ASTI. Ni Nyoman Candri a appris le baris et le topeng, danses usuellement
réservées aux hommes. I Made Bandem a bénéficié d’un parcours d’apprentissage
chez le maître et intégré l’ASTI alors qu’elle venait de voir le jour. I Ketut Kodi, le
plus jeune des artistes, a suivi un parcours auprès du maître et en parallèle à
l’ASTI. Les écoles de danse à Denpasar ont connu plusieurs dénominations
institutionnelles au long des années — ASTI, STSI et ISI — sujet qui sera abordé
plus avant. De ce fait, ce sera le terme générique « Académie » que l’on utilisera
pour la désigner tout au long de ce texte.

a. L’apprentissage en famille
Si l’on prend en compte les différents profils de ces artistes, il est possible
d’affirmer que de manière générale, dans une famille au sein de laquelle les
parents et grands-parents exercent une ou plusieurs fonction(s) dans l’ensemble
des activités des formes spectaculaires, il est très probable que cette connaissance
sera transmise dans le cadre familial. Les Balinais interviewés ont en commun

429
En dehors de l’observation même sur le terrain et des entretiens réalisés, divers textes ont servi à
composer ce chapitre : Ballinger, Bandem, Gail Duhn, Emigh, Ana Daniel et plusieurs autres
articles.

240
l’appartenance à des familles « artistiquement réputées » à Bali et à l’extérieur.
Voyons les récits de Bandem, Djimat et Kodi, sur ce début d’apprentissage en
famille :

Mon père a commencé à m’apprendre à danser quand j’étais


jeune. J’avais environ six ans. Au début, il ne m’a jamais
vraiment dit comment faire de la danse. À chaque fois qu’il me
mettait au lit, avant de dormir, quand j’étais allongé sur l’oreiller
sur le lit, il me demandait d’ouvrir d’un coup mes yeux. (Pak
Bandem montre avec ses yeux comment il faisait). C’est la façon dont
il m’a appris la danse baris. J’ai commencé mes études en danse
balinaise par le baris, ou danse guerrière. C’était le baris
melampahan430, le solo dramatique du baris. (...) Il m’amenait au
lit et, avant de dormir, il me demandait d’ouvrir les yeux. Il ne
m’expliquait jamais rien. Il me demandait de lever les sourcils
comme ça (Pak Bandem montre avec ses yeux comment il faisait). Et
de cette position, allongé sur l’oreiller, il me demandait d’aller
d’un coup de droite à gauche. Comme ceci, en comptant : « 1, 2,
3, 4, 5, 6, 7 et gong et 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et gong. ». Pendant au
moins trente minutes jusqu’à une heure, toutes les nuits.
Seulement pour apprendre à ouvrir les yeux d’un coup et pour
lentement faire des progrès. Dans la leçon suivante, il m’a
montré comment lancer un regard en tournant les yeux. L’action
de jeter un coup d’œil est très importante dans différentes formes
de la danse balinaise. Jeter un coup d’œil, le mouvement des
yeux, comme ceci : (il montre le mouvement). Nous tournons le
centre des yeux en les arrêtant de cette manière. Il m’a aussi
expliqué comment faire un mouvement croisé des yeux. Il n’a pas
expliqué pourquoi, il enseignait techniquement comment le
faire. Et après, il m’a montré comment faire le mouvement des
yeux flirteurs (il montre le mouvement). Après ce mouvement, il a
commencé à m’expliquer que la danse balinaise avait une nature
très expressive et que les mouvements des yeux étaient très
importants. Les yeux peuvent donner des expressions différentes :
la tristesse, le flirt et l’amour, la folie et les expressions de combat
et ainsi de suite. 431

Pour l’enfant I Made Bandem, ces premières leçons techniques s’attachent au


mouvement des yeux, réalisé dans un cadre de grande décontraction et d’intimité
avec le père, le moment d’aller au lit. Puisque l’apprentissage à Bali s’est fait de
430
« Le baris melampahan (le baris dramatique) est la danse baris la plus impressionnante et brillante. C’est
une forme de drame dansé balinais dont l’histoire vient des deux grandes épopées indiennes le Ramayana et le
Mahabharata et est racontée sous forme de dialogues. Ceci est en kawi, le vieux Javanais, qui n’est pas
compris par l’auditoire. Dans cette pièce, le Pensasar, les clowns, sont les interprètes des histoires. Lorsque ce
baris est joué par un seul danseur, le soliste personnifie les héros du Ramayana, Mahabhrata, ou d’autres
histoires, plus couramment l’Ardjuna Wiwah. » (Traduction libre) I Made Bandem, « The Baris Dance »
Ethnomusicology, vol. 19, n°2 (May 1995) University of Illinois Press, p.261.
431
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.

241
génération en génération et a débuté dans plusieurs cas à la maison, il est
également très lié à la famille et à la ville du performeur. I Made Bandem et I
Ketut Kodi viennent du même village, Singapadu. Il est intéressant de noter que
les premiers souvenirs d’apprentissage d’I Ketut Kodi sont également liés au
moment du coucher. Aujourd’hui performeur de topeng et dalang, le souvenir le
plus fort d’I Ketut Kodi sont les histoires racontées au pied de son lit :

Quand j’étais petit, mes grands-parents me racontaient des


histoires lorsqu’ils me mettaient au lit. Déjà, je pleurais avec des
histoires des personnes qui étaient très pauvres. Alors, je
comprenais déjà la nature des histoires. À part les histoires des
rajas, ils me racontaient aussi des histoires du théâtre d’ombres,
d u wayang, puisque mon grand-père était facteur de
marionnettes. Alors, Twalen et Merdah, les personnages clowns
du théâtre d’ombres, je les connaissais. Ainsi, j’ai appris des
histoires du topeng et du wayang. Peut-être que j’ai été amené à
devenir un Penasar, grâce à cette connaissance qui m’a été
transmise par mon grand-père.432

Concernant I Made Djimat, véritable enfant prodige, l’apprentissage a d’abord


commencé par l’observation des cours de son père. À l’époque, I Made Djimat
avait quatre ans. En 1952, les distances entre villages se parcouraient en bicyclette
ou à pied. Sa description évoque une coutume qui était courante à Bali et
nettement plus rare de nos jours - l’hébergement de l’apprenti par son maître :

Alors, je danse depuis l’âge de 4 ans et demi, c’est à cet âge que
j’ai commencé. Puisque mon père, mon père naturel, enseignait
la danse balinaise. Pendant qu’il enseignait à deux personnes le
baris, ces personnes ont habité chez nous pendant trois mois, ici à
Batuan. Ils ne comprenaient pas la chorégraphie, et pendant trois
mois je regardais. Alors, j’ai compris la chorégraphie. À l’âge de
cinq ans, je dansais déjà le baris. Je demandais à mon père à
danser comme lui, au Pura Dalem de Batuan, le Pura Dalem Alas
Arung Batuan. J’ai continué à danser le baris et à l’âge de six ans
je suis allé à l’école. À l’école, chaque année je dansais. 433

432
When I was young I was told stories by my grandparents whenever they put me to sleep, and I would already
cry with tales of the people who were poor. So I already understood tha nature of narrative. Besides the stories
of the raja (kings), they would tell me stories of the shadow puppet theatre, the wayang, since my grand-father
was a maker of puppets. So for example, Twalen and Merdah - which shadow puppet clown was which - I
knew. Therefore, I learned stories of both topeng and wayang. Maybe I was drawn to become a penasar, a
topeng clon, because of this knowlodge I got from my grandfather. (Traduction libre) Kathy Foley et I
Nyoman Sedana, op. cit., p. 201.
433
I Made Djimat et Juliana Coelho, « Entretien avec I Made Djimat », 2011.

242
À plusieurs occasions, Djimat affirme avoir appris la chorégraphie du baris
uniquement en observant les cours prodigués par son père. Ni Nyoman Candri a
également commencé son apprentissage par le baris, guidée par son père, à l’âge de
sept ans. C’est également lui qui lui a appris l’arja et fait découvrir les masques du
topeng. En plus d’avoir joué aux côtés du Topeng Shakti, Candri a sporadiquement
joué le topeng pajegan, et a même porté le Topeng Sidhakarya, lors d’une cérémonie
dans le temple familial434. Une fois qu’elle a commencé à maîtriser le baris et le
legong, son père l’a initiée au chant :

C’est mon père qui m’a appris à chanter, la répétition avait lieu
dans la rivière. Je me trempais dans la rivière en chantant à haute
voix… On chantait comme ce que je vous montre là (elle chante).
Tous les jours on s’entraînait jusqu’au vomissement. Mon père
disait « allez, allez, continue à chanter », jusqu’à l’épuisement.435

C’est également à l’âge de douze ans, qu’elle joua pour la première fois le topeng
prembom. Quand son père représentait le topeng ou l’arja, elle le suivait lors de ses
déplacements. Les enfants nés dans une famille d’artistes accompagnent leurs
parents ou d’autres membres de leur famille sur les lieux de leurs représentations.
Par conséquent, ils seraient amenés à assister à leur habillement, leur maquillage,
ainsi qu’aux rituels intervenant avant les représentations :

Alors, j’apprenais plutôt à travers lui quand nous dansions


ensemble ou quand je le voyais danser, comme public. En tant
que jeune Bandem, mon père m’amenait comme assistant
lorsqu’il allait présenter l’arja dans les villages. Je me réveillais au
milieu de la nuit et je le voyais danser... J’étais tellement fier de
lui, je l’aimais ! Quand il dansait, je venais seulement pour le
voir… Et je rigolais, je pleurais… C’est une façon d’apprendre
aussi… En imitant et en apprenant.436

b. L’apprentissage en tant qu’affaire publique


Au sein d’une société qui privilégie la communauté à l’expression individuelle, on
ne sera pas surpris que l’apprentissage soit traité comme une affaire publique.
Ainsi, les cours ne se déroulent pas dans des salles fermées et les apprentis sont
434
Carmencita Palermo , op. cit.
435
Ni Nyoman Candri et Juliana Coelho, « Entretien avec Ni Nyoman Candri », 2011.
436
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.

243
depuis tout jeunes exposés à l’observation et au regard critique de la famille du
maître, des autres apprentis et de la communauté elle-même. Quand les répétitions
se font dans un bale banjar, elles sont ouvertes à tous les passants. Ces derniers
peuvent faire des compliments, des commentaires, émettre des critiques, et même
des moqueries. À chaque erreur des apprentis, les moqueries sont présentes. Ils
vont également être corrigés par le maître devant tous, ce qui fait partie du
processus d’apprentissage. Il faut être préparé aux yeux d’un public très critique et
exigeant comme le sont les Balinais.

Lors de mon dernier voyage en 2011, j’ai eu la chance de suivre les répétitions de
la troupe d’arja de Singapadu, qui se préparait pour les présentations au Bali Arts
Festival à Denpasar. La direction de la présentation était prise en charge par Ni
Nyoman Candri et I Ketut Kodi. Ainsi, deux fois par semaine, comédiens-
danseurs-chanteurs et musiciens se réunissaient chez Ni Nyoman Candri pour les
répétitions. Les performeurs étaient constitués d’artistes mûrs et également
d’apprentis de Candri. Moi, j’observais les répétitions et à côté des apprentis, j’ai
vécu un moment intéressant. Une élève de Candri, attendait pour entrer en scène.
Elle me disait : « Saya takut ! Takut ! » Elle avouait qu’elle avait très peur de rentrer
en scène. Elle est alors entrée, tout s’est très bien passé. À la fin, je lui ai demandé
comment elle se sentait et elle m’a répondu : « Tout va bien, je n’ai plus peur ! »

c. Bayun kalangan et l’apprentissage de la scène


Lors des cérémonies, le principal but d’une présentation est d’être une offrande.
Dans ces circonstances, les exigences techniques peuvent être moins importantes.
Ainsi, l’apprenti peut également être amené à se produire sans être complètement
prêt. Par exemple, I Made Bandem se souvient d’une présentation qu’il a donnée à
un très jeune âge :

Quand j’avais six ans, il y a eu une grande procession dans mon


village lors d’un festival d’un temple. Mon père m’a habillé avec
les costumes du baris et m’a demandé de prétendre être Adjurna.
Nous sommes arrivés au temple à six heures de l’après-midi et
mon père m’a demandé de faire quelques danses de dévotion aux
gens. Cela c’était avant d’apprendre à danser. Comme j’avais déjà
vu mon père danser plusieurs fois, j’ai fait quelques mouvements.

244
Je crois que mon père a alors pensé que j’avais du talent,
puisqu’après il a commencé à m’apprendre à danser.437

Le fait de présenter très tôt pourrait avoir d’autres buts que la participation à la vie
communautaire. D’une certaine manière, cette pratique peut enseigner l’humilité
et fortifier l’apprenti438. Comme l’observe également Edward Herbst, les enfants
sont encouragés à se produire lors des événements cérémoniels dès lors qu’ils
atteignent un niveau basique de compétences : Une raison évidente est que
l’expérience de se produire publiquement est la seule manière de se relaxer dans cette
situation439. Certaines techniques de présentation peuvent être développées
uniquement lors de la performance elle-même. Ces occasions offrent à l’apprenti
une interaction avec l’audience, l’occasion de jouer avec des praticiens plus âgés et
expérimentés et, qui plus est, l’opportunité de le faire avec le gamelan. Selon I
Wayan Dibia, les anciens nomment cela bayun kalangan440, ou la force/l’énergie du
plateau, qui signifie l’habileté spontanée à répondre aux autres artistes et au public
sur la scène. De ce fait, pour pouvoir acquérir cette force, il est très important que
les jeunes apprentis puissent bénéficier de plusieurs occasions pour se présenter.
Passer par la scène est une méthodologie d’apprentissage.

Dans le topeng, l’apprenti va adopter le style de son professeur, jusqu’à ce que la


chorégraphie « soit rentrée », c’est-à-dire, masuk441. Effectivement, lors de mes
premiers cours avec I Ketut Kodi, il m’a demandé de montrer ce que je savais.

437
Quando eu tinha seis anos de idade houve uma grande procissão na minha vila, durante o festival do
templo. Meu pai me vestiu com um figurino Baris e pediu que eu fingisse ser Ajurna. Nos chegamos ao templo
às seis da tarde, e là meu pai fez com que eu executasse algumas danças de devoçao para outras pessoas. Isto
foi antes que eu sequer tivesse aprendido à dançar. Como eu jà tinha visto meu pai dançar vàarias vezes, eu
fiz alguns movimentos. Acho que meu pai pensou que eu tinha talento, pois a partir dai passou a me ensinar à
dançar. (Traduction libre) I Made Bandem et Eugenio Barba, « Tradição como mudança e
continuidade », in A Tradição da ISTA, Londrina, FILO - Festival Internacional de Londrina, 1994,
p. 132.
438
Ces commentaires découlent des discussions informelles auxquelles j’ai été associée à Bali, de
mes observations ainsi que d’informations tirées de l’ouvrage suivant : I. W Dibia, Rucina Ballinger
et Barbara Anello, op. cit., p. 14.
439
One obvious reason is that the experience of performing publicly is the only way to learn to relax in that
situation. (Traduction libre) Ed Herbst, « Intrinsic Aesthetics in Balinese Artistic and Spiritual
Practice », Asian Music, vol. 13 / 1, janvier 1981, p. 45.
440
I. Wayan Dibia (I.), Arja: A Sung Dance-drama of Bali : a Study of Change and Transformation, 1992,
p. 124. et Edward Herbst, Judith Becker et Rene T. A. Lysloff, Voices in Bali: Energies and Perceptions
in Vocal Music and Dance Theater, Middletown, Wesleyan University Press, 1997, p. 121.
441
Tiffany Strawson, « Dance training in Bali: intercultural and globalised encounters » , Theatre,
Dance and Performance Training, vol. 5 / 3, septembre 2014, p. 298.

245
Ainsi, après lui avoir montré la chorégraphie que j’avais apprise avec Cristina, il
m’a dit deux choses. D’abord que j’avais une bonne technique et ensuite, que cela
c’était le style Djimat, et qu’avec lui la chorégraphie serait un peu différente. En
outre, plusieurs apprentis, étrangers ou balinais, témoignent qu’une fois la danse
e s t masuk, c’est-à-dire, comprise par l’apprenti, le professeur l’encourage à
improviser au niveau de sa structure.

c. Le rapport professeur/apprenti
On ne croise jamais deux professeurs à Bali, jamais. J’étudiais le
legong avec un autre professeur, mais pas le topeng.442

Comme on l’a observé précédemment, les Balinais interviewés sont issus de


familles d’artistes réputés, et par conséquent, l’apprentissage de la danse a en
premier lieu commencé pour eux à la maison. Chez ces artistes, l’activité principale
de la famille était la présentation de spectacles, l’enseignement ou la confection de
masques, dans le cas d’I Ketut Kodi. Au sein d’autres familles, lorsque les parents
observent un talent particulier chez un enfant, ils vont le conduire chez un
professeur, pour qu’il puisse débuter la danse. Le maître n’est pas financièrement
rémunéré pour ce service, cependant il occupera une place particulière au sein de
la famille de l’apprenti. Lorsqu’un élève débute son apprentissage chez un
professeur, il n’ira pas voir un autre professeur pour la même danse en même
temps. Hormis la possibilité d’apprendre chez un maître, généralement avec des
cours particuliers ou avec deux ou trois apprentis, il est également possible
d’apprendre la danse dans un banjar443, dans un sanggar, c’est-à-dire un ensemble de
danseurs ou de musiciens. Un ou deux danseur(s) connu(s) du banjar peuvent
donner des cours dans un sanggar444 auxquels tous les apprentis de la communauté
ont ainsi la possibilité de participer.

Chez les Balinais interviewés, on relève un processus d’apprentissage qui passe par
le contact avec plusieurs professeurs. I Made Djimat, I Made Bandem, I Ketut
Kodi et Ni Nyoman Candri ont eu des professeurs aussi bien chez eux qu’ailleurs.
442
So, you don’t cross teachers in Bali at all. Even though I was studying legong with another teacher, but not
for topeng. (Traduction libre) Rucina Ballinger et Juliana Coelho, op. cit.
443
Les banjar sont les hameaux locaux.
444
I. W Dibia, Rucina Ballinger et Barbara Anello, op. cit., p. 15.

246
Par exemple, pour l’apprentissage du baris, I Made Bandem a également bénéficié
de l’enseignement du professeur I Nyoman Kakul :

Je n’ai pas étudié le baris seulement par mon père. Il était très
enthousiaste et il a aussi cherché d’autres professeurs pour moi. Il
m’a emmené dans un village appelé Batuan et il a contacté son
ami, I Nyoman Kakul. Il présentait beaucoup avec mon père. Il
était très bon en baris et mon père m’a emmené là-bas pour
étudier avec lui. Donc, autour du CM1, j’avais entre dix, onze
ans et je me présentais déjà avec mon père dans différents
villages. Il se présentait avec I Wayan Geriya, Cokorda Raka
Tublen, Made Ken Ho. Ils avaient un groupe de topeng à
Singapadu, avec lequel ils présentaient le topeng panca. Parfois
Kakul se joignait à eux, car il dansait le baris. Mon père invitait
toujours Kakul à se présenter avec eux, aussi pour rivaliser avec
moi.445

I Made Bandem évoque ici un autre point très important dans l’apprentissage de la
danse et qui explicite un aspect du rapport entre maître et apprenti, à savoir la
mise en compétition :

En tant qu’étudiant, je devais concourir continuellement avec


mon professeur. Kakul était mon professeur, aussi mon père,
mais tout le temps nous devions nous présenter pour des
compétitions, dans l’objectif de nous affronter, pour dépasser
mes capacités dans la danse et pour apprendre plus d’expressions
dans la danse baris.446

Ainsi, défier le professeur est une manière de surpasser ses connaissances acquises,
tout autant pour l’apprenti, que pour le professeur. En se mesurant régulièrement,
l’apprenti doit nécessairement employer une attention et une énergie beaucoup
plus importantes afin d’atteindre le niveau de son maître. D’ailleurs, il existe un
nombre considérable de concours à Bali, pour toutes les formes spectaculaires.
Enfin, une fois que le professeur accepte l’élève, un jour propice dans le calendrier
sera choisi pour le premier cours. C’est ainsi qu’ont débuté les cours prodigués par
les trois professeurs à Singapadu.

445
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.
446
Ibidem.

247
d. Apprentissage total ou segmenté de la danse : l’imitation
L’apprentissage de la danse passe nécessairement par l’imitation directe du
professeur qui répète continuellement la chorégraphie durant chaque session. Une
fois la chorégraphie assimilée, les éléments techniques sont approfondis.
Musicalement, le professeur peut chanter la mélodie du gamelan lors des cours ou
faire jouer un enregistrement du gamelan. Plus rarement, un petit gamelan
l’accompagne et toute opportunité de danser avec un gamelan est saisie.
Lorsqu’elles sont nécessaires, les explications à l’oral prennent la forme
d’indications techniques très précises. On a observé deux types d’apprentissages
chorégraphiques coexistant actuellement à Bali. Le premier est perçu comme le
traditionnel. La chorégraphie est entièrement répétée par le maître et l’apprenti
doit l’assimiler complètement. Apprendre par l’imitation consiste également à
apprendre à regarder et apprendre avec le regard. Du point de vue de l’apprenti
étranger, cela peut engendrer d’énormes difficultés. Pour Rucina Ballinger, cet
aspect fut l’un de plus difficiles au début de son premier séjour à Bali :

Bon, étudier la danse à Bali est très différent d’étudier la danse


dans le monde occidental, puisque l’on ne la segmente pas. On
n’apprend pas les pas et après on les met ensemble pour faire la
danse. On apprend la danse entièrement et après on travaille le
raffinement des mouvements. Cela était très difficile pour moi,
car il fallait mémoriser la danse entière et après travailler les
fondements.447

Une deuxième méthodologie d’apprentissage conçoit la chorégraphie de manière


fragmentée. Elle est associée à l’apprentissage institutionnalisé par les Académies
d’art. La pédagogie de la STSI — Sekolah Tinggi Seni Indonesia est décrite par
Carmencita Parlermo, performeuse italienne qui a intensivement travaillé à Bali
entre 1993 et 2004, qui a suivi le cursus de la STSI et l’apprentissage auprès des
professeurs dans les villages :

Parallèlement, j’étudiais à la STSI. Dans les cours de danse de la


première année, remplis d’étudiants, je devais d’abord apprendre
la technique, en apprenant les pas avec précision et ensuite
composer ces pas-là dans une chorégraphie. Je vivais dans deux
mondes différents. Les cours de technique topeng pour les
447
Rucina Ballinger et Juliana Coelho, op. cit.

248
étudiants de la troisième année étaient moins remplis. Environ
vingt étudiants devaient apprendre une chorégraphie fixe d’un
personnage stéréotypé de la cour, avec un masque, guidés par un
instructeur, une fois par semaine, pendant un mois. Il n’y avait
pas de temps pour travailler la caractérisation du masque, pour
exploiter le contexte de la danse et son rapport avec les demi-
masques, les personnages comiques. Les cours de topeng du
département de pedalangan (les marionnettes) avaient une
atmosphère différente : il y avait peu d’étudiants, entre 5 et 8,
avec un intérêt plus important pour le topeng, puisque la
structure et les fonctions de ce dernier sont très proches du
wayang kulit (le théâtre d’ombres). Dans tous les cours, l’étude
était analytique, ayant pour but de comprendre la technique, la
structure de la danse, sans avoir le temps de travailler la création
du rôle.448

Si l’enseignement décomposé est plus directement associé à la pédagogie des


Académies d’Art, I Made Bandem témoigne que l’enseignement, tel qu’il était
transmis par son père, entremêlait la décomposition de la danse et la pratique de
son intégralité :

Mais mon père, de manière singulière, utilisait les deux


méthodes. Il analysait déjà la danse. Ce n’était peut-être pas de
l’analyse, mais de la décomposition : « Bandem, maintenant tu vas
apprendre les mouvements des yeux. Bandem, maintenant tu vas
apprendre la marche. ». Et après les mouvements des mains. Et à la
fin, il combinait les deux. Il pensait que ceci n’était pas suffisant
non plus. Il dansait devant moi et on dansait ensemble sur le
plateau.449

Coldiron, Palermo et Twason identifient dans ce changement pédagogique


proposé par les Académies d’art à Denpasar, une influence due au grand flux
d’artistes balinais travaillant dans les universités américaines. Comme I Made
Bandem en témoignait longuement lors de son entretien, l’expérience d’enseigner

448
Ao mesmo tempo, eu estudava no College of Indonesian Arts [Faculdade de Artes Indonésias], STSI. Nas
aulas de dança do primeiro ano, repletas de alunos, eu tinha que primeiro aprender a técnica, aprendendo
todos os passos com precisão, e depois compor aqueles passos em uma coreografia. Eu vivia em dois mundos
diferentes. As aulas de técnica topeng (alunos do terceiro ano) eram menos cheias. Em torno de 20 alunos do
terceiro ano tinham que aprender uma coreografia fixa de um personagem da corte estereotipado com máscara,
guiados por um instrutor, uma vez por semana por quatro semanas. Não havia tempo para aprender como
caracterizar a máscara, explorar o contexto da dança e a sua relação com as meias-máscaras, os personagens
cômicos. As aulas de dança topeng no departamento de pedalangan (bonecos) tinham uma atmosfera
diferente: eram poucos alunos (de 5 a 8) com maior interesse na performance topeng em geral porque a sua
estrutura e função são próximas da performance do wayang kulit (teatro de sombras). Em todas as aulas, o
estudo era analítico, visando entender a técnica, a estrutura da dança, sem ter o tempo nem a oportunidade de
focar na criação do personagem. (Traduction libre) Carmencita Palermo, op. cit.
449
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.

249
aux États-Unis l’a obligé à considérablement adapter ses contenus aux contraintes
des institutions et des élèves :

Maintenant en Amérique et en Europe, car nous avons appris


quelques méthodes occidentales, je décompose la danse, je leur
donne des explications détaillées. Même si les étudiants en
Amérique ou en Europe n’ont pas besoin d’explications
détaillées de ma danse. L’agem, par exemple, les positions des
mains, des coudes, des épaules avec une très longue description.
Ils n’ont pas besoin de cela, car il n’y a pas le temps de
mémoriser tous les mots balinais. Mais, je dois le faire, je dois
l’écrire. De cette manière, pour toutes les danses que j’enseigne
en Occident : le kecak, le baris, le legong, le pendet ou le janget, j’ai
tout écrit et j’explique les détails. Ils ne lisent pas. Je les interroge
et ils ne savent pas les aspects techniques. La combinaison des
deux méthodes est, je pense, la meilleure.450

Un autre élément d’apprentissage lié à l’Académie est l’usage de miroirs dans les
classes de danse, pratique qui s’est étendue aux villages. On a également observé
que dans ses ateliers à ARTA et à Bali même, Cristina Wistari Formaggia,
enseignait la chorégraphie de manière partiellement décomposée. Une partie de la
matinée était réservée à des exercices qui privilégiaient les différentes marches, les
divers pas, les mouvements des bras, de la tête et des yeux, en plus des exercices
précis pour la tonification musculaire des jambes. Au fur et à mesure, ces éléments
étaient additionnés les uns aux autres. L’autre partie du cours était consacrée à
l’apprentissage de la chorégraphie du Topeng keras, celle-ci était également
décomposée en plusieurs parties.

e. L’enseignement dans l’Académie de Denpasar

J’ai fait partie de la première génération d’étudiants de l’ASTI


pendant un an, car après cela, je suis allé étudier aux États-Unis.
Cette école était établie à Bali vraiment pour la préservation et le
développement de l’art, de la musique, de la danse et de l’art de
la marionnette balinaise. Il y a eu une période sombre à Bali en
1965 : l’école communautaire réformée, des disputes entre des
Partis : le Parti National, le Parti Communiste, le Parti
Religieux... Quand l’école communautaire a échoué en 1965,
beaucoup, beaucoup de comédiens et de compositeurs sont
décédés. Nous avons perdu une génération à cette période-là.
450
Ibidem.

250
C’est pour cela que l’École était née sous l’idéal de
l’apprentissage de la culture balinaise pour son développement et
sa préservation.451

Entre 1965 et 1966, Bali et toute l’Indonésie passent par une période ténébreuse
de luttes politiques entre le Parti communiste (PKI) et le Parti nationaliste (PNI) et
d’opposions contre la réforme agraire, entre autres. Pendant cette période, s’étant
caractérisée par les massacres de Bali 452, presque 80.000 habitants de l’île furent
assassinés, soit 5 % de sa population totale. Ainsi, le témoignage d’I Made Bandem
met en évidence le contexte conflictuel de la post-colonisation néerlandaise et de la
post-indépendance pendant lequel les écoles institutionnelles d’art ont vu le jour à
Bali.

Ainsi, à partir des années 1960, l’apprentissage des formes performatiques et de la


musique purent se transmettre dans un cadre institutionnalisé, premièrement dans
l e K O K A R — Konservatori Karawitan, ou le Conservatoire de Musique.
Postérieurement, le Conservatoire est devenu le SMKI, le Sekolah Menengah
Karawitan Indonesia, ou le Lycée Indonésien de Musique. Créé en 1967, l’ASTI,
Akademi Seni Tari Indonesia ou l’Académie Indonésienne de Danse est devenue la
STSI, Sekolah Tinggi Seni Indonesia ou l’École Supérieure d’Arts Indonésienne, en
1992. En 1996, la STSI s’est transformée en ISI — Institut Seni Indonesia ou Institut
d’Arts Indonésien de Denpasar. Ainsi, si au départ la création de ces institutions
répondait à un réel besoin de « patronage » des formes performatives balinaises,
elles furent aussi responsables, entre autres, d’un changement important dans
l’enseignement de la danse à Bali. Or, la création des Académies de danse tout au
long de l’archipel a été financée par la République indonésienne. Si les cours
balinaises avaient pour habitude de se distinguer les unes des autres, en
promouvant des différences dans les styles de danse, le gouvernement indonésien
voulut délibérément uniformiser les danses de l’archipel et celles de Bali en

Ibidem.
451

En 2015, une intense agitation a été observée chez une partie des Balinais et Indonésiens au sens
452

où beaucoup de silence persiste autour de cette période. Pour une analyse approfondie : Geoffrey
Robinson, op. cit.

251
particulier453. Au sein de ces académies, les formes spectaculaires répondent à un
intérêt national.

Après avoir fait son apprentissage dans le système « traditionnel », I Made Bandem
a étudié au KOKAR, et ensuite, pendant un an, à l’ASTI. Nombre d’étudiants ont
eu un parcours similaire. De ce fait, il nous semble que l’enseignement des
Académies était initialement pensé pour être complémentaire de la formation dite
« traditionnelle ». Cependant, au fil des années, la pédagogie utilisée dans ces
écoles va en venir à modifier l’enseignement même dans les villages : Une fois
formés, les étudiants retournent généralement dans leurs villages où ils enseignent les normes
et les styles appris à Denpasar 454. Un exemple de standardisation des danses est le
rejang dewa455, danse qui a été chorégraphiée par Ni Luh Swasthi Wijaya Bandem
en 1988, à la SITI456. Cette version, composée de différents éléments tirés d’autres
types de rejang, est actuellement dansée à presque toutes les occasions où le rejang
est nécessaire. La chorégraphie et les costumes sont similaires, sans variations
régionales. De plus, au sein des Académies est apparu un nouveau type de danse le
sendratari, c’est-à-dire de formes contemporaines basées sur des styles traditionnels
et de la pantomime, généralement joués par plusieurs performerus.

D’autres formes d’enseignement de la danse ont également été créées. Par


exemple, au début des années 1970, furent lancées des émissions de télévision
proposant un apprentissage de la danse. Tel fut le cas notamment pendant les
années 1980, avec l’émission Bina Tari, conduite par Ni Ketut Arini Alit457. Si d’un
côté, ces émissions étaient l’occasion de dispenser des leçons de danse aux
habitants des villes éloignées de l’île, elles ont aussi beaucoup contribué à la
standardisation de la danse.

453
Adrian Vickers, Being modern in Bali: image and change, New Haven (Conn.), Yale center for
international and area studies, 1996, (« Yale Southeast Asia studies. Monograph », 43), p. 140.
454
Once graduated, the students generally return to their village where they teach the norms and the styles
learnt in Denpasar. (Traduction libre) Michel Picard, op. cit., p. 140.
455
Il y a une grande variété de rejang, une danse considérée wali.
456
I. W Dibia, Rucina Ballinger et Barbara Anello, op. cit., p. 56.
457
Ibidem, p. 16.

252
4. Les perceptions des étrangers interviewés : le territoire du corps
Les praticiens étrangers qui veulent apprendre le topeng sont confrontés en premier
lieu à la danse balinaise masculine. Ainsi, préalablement, ils font face aux
complexités psychomotrices inhérentes à cette danse. Si l’apprenti ne s’avère pas
suffisamment préparé, le professeur pourra lui apprendre d’abord le baris. Chez les
praticiens étrangers interviewés, nous observons que l’apprentissage de la danse et
du masque les ont confrontés à différents défis. Ainsi, comment perçoivent-ils la
danse balinaise ? De quelle manière ont-ils assimilé cet apprentissage dans leur
travail ? Voyons d’abord comment l’apprentissage de la danse a trouvé un écho
chez ces praticiens.

a. Pokok : le fondement

Avec Kakul, ce que l’on a fait dans les premiers mois lorsque j’ai
étudié avec lui, il m’a fait travailler sur mes jambes, sur la marche
de base. Pendant à peu près trois ou quatre mois, je ne me
souviens plus combien de temps, mais c’était beaucoup de temps.
Aujourd’hui, même une semaine serait considérée comme
beaucoup de temps ! Il voulait être sûr que j’avais bien cette
fondation dans mes jambes. C’était la manière dont on
enseignait à cette époque-là. Maintenant, tout le monde veut
apprendre le plus grand nombre de danses possibles et tellement
rapidement ! Donc, cela m’a donné une bonne base, autant pour
l e baris que pour le topeng. Alors, pour faire le topeng, je devais
apprendre le baris de la manière dont ils dansaient et je devais me
concentrer sur les jambes et leur position.458

Le témoignage de Rucina est un exemple de la méthode d’apprentissage qualifiée


de « traditionnelle », celle du village, du sanggah. À cette époque-là, la durée
d’apprentissage était plus longue, en particulier pour les étudiants étrangers. Un
autre aspect fondamental est souligné ici par Rucina : le pokok ou le « fondement ».
Pokok est une notion essentielle non seulement dans le champ de la danse. Ce mot
indonésien peut signifier à la fois « le tronc » et « le fondement ». En musique, il
s’agit de la ligne mélodique principale (...) the source or root-tones from which
458
With Kakul what we did actually is the first couple of months I studied with him, he worked on my legs, on
the basic walk. Yes, there were three or four months, I can’t remember how long, but it was a long time, but
even a week would be a long time for us you know! But just to make sure that I got that foundation in my legs
right. And that’s how they used to teach in those days. But nowadays everybody wants to learn as many dances
as possible so quick! So that gave me a very good fondation for both baris and topeng. So for topeng I had to
learn baris, the way they dance, and I had to focus on the legs and their position. (Traduction libre)
Ballinger, Rucina et Coelho, Juliana, op. cit.

253
everything else germinate459. Le fondateur de la famille est nommé pokok canalso, la
souche d’un arbre est le pokok kayu, la source d’eau, pokok yeh. Pokok correspond à
la base d’où la danse peut fleurir :

POKOK ! D’abord, tu établis une relation avec la terre, le


fondement/la base. Plante tes pieds et sens-les s’enraciner vers le
bas. Tout ton corps est la racine qui grandira du cœur jusqu’aux
cieux. Vous devez être capable de dessiner votre expression de ces
profondeurs. Alors, vous pouvez danser avec un masque qui vous
plaît ; vous pouvez balancer la couronne d’un Guerrier
férocement ; vous pouvez lancer votre geste au vent. Orteils en
haut.460

Dans cet extrait, Kakul fait des remarques à son étudiant, Leonard Pitt, sur
l’importance de la base et donc sur la pratique de l’agem kanan (droite) ou kiri
(gauche), c’est-à-dire la position de base qui donne forme à cette fondation. Il en
est de même de la pratique de différentes marches : malpal, malpal baris, etc. Ana
Teixeira évoque également le grand nombre d’heures durant lesquelles elle et
Stéphane Brodt ont travaillé la marche avec I Nyoman Kantor. Nous avons
particulièrement travaillé sur les marches et sur l’agem avec Cristina Formaggia.
Quand nous avons commencé avec I Ketut Kodi, il nous a directement fait
travailler le Topeng keras, en disant que nous avions déjà une bonne technique,
certainement due au travail réalisé avec Cristina. L’agem est une position de base
asymétrique, où tout le poids est sur une jambe. Cela peut être considéré comme
un rappel au besoin de contrôle humain dans le déséquilibre. Toutes les danses
commencent et finissent par l’agem, dans sa forme masculine ou féminine.

Un autre point initialement signalé par Rucina Ballinger est le changement de


processus d’apprentissage des étudiants étrangers à Bali. Actuellement, on constate
que les professeurs les plus habitués à avoir des étudiants étrangers adaptent
constamment leur répertoire aux contraintes de ces derniers. Par exemple, Tiffany

459
Colin McPhee. “The Five-tone Gamelan Music of Bali”. The Musical Quarterly 35.2 (1949), p.
259.
460
Pokok ! First, you establish a relationship to the earth, a foundation. Plant your feet and feel them extend
down. Your whole body is the root that will grow from the core up towards the heavens. You must be able to
draw your expression from those depths. Then you can dance with a mask if you please; you can shake the
crown of a Warrior with fierceness; you can toss a gesture to the wind. Toes up . (Traduction libre) Ana
Daniel, op. cit. p.xix

254
Strawson observe comment I Made Djimat et Ida Bagus Alit, praticiens habitués à
l’enseignement à l’étranger, peuvent adapter les chorégraphies des danses au temps
dont dispose l’étudiant. Étant donné que les praticiens étrangers passent
généralement peu de temps à Bali, ils essayent de profiter au maximum de leurs
séjours. Ainsi, les professeurs doivent créer des stratégies d’apprentissage pour ces
étudiants, telles que condenser les cours et les chorégraphies, permettre
l’enregistrement des cours pour la pratique a posteriori de l’étudiant, ou donner des
indications fragmentées afin que ce dernier puisse expérimenter un peu de tout :

Ils sont habitués au désir de « raccourcir » de la plupart des


étudiants étrangers qui veulent avoir un « produit » à ramener à
la maison après un mois ou jusqu’à la fin de leur programme
d’études. Ils sont prêts à enseigner un ensemble de chorégraphies
sur une partie de musique enregistrée qui peut être apprise et
présentée postérieurement dans leurs pays. Ils divisent les
chorégraphies pour l’apprentissage rapide, comme des
« exemples » du topeng pour une dissémination facile. Bien sûr,
c’est ce que les étudiants veulent. Les professeurs préparent les
étudiants pour une performance réussie dans une version plus
facile. Cela est possible en renversant la stratégie d’enseignement
traditionnelle.461

b. « Le corps qui s’organise se structure, en créant continuellement


du langage », par Ivaldo Bertazzo
Parmi les artistes étrangers interviewés pour cette recherche, et à l’exception de
Cristina Wistari qui avait été précédemment interviewée, Ivaldo Bertazzo est celui
qui a le plus intensivement travaillé la danse balinaise. De ce fait, Ivaldo Bertazzo a
une connaissance incarnée de la danse balinaise acquise au fil des années. Alors,
du fait qu’Ivaldo est aussi danseur et pédagogue du mouvement, sa perception de
la danse et son processus d’apprentissage se sont avérés fort intéressants. Pour lui,
la première approche fut extrêmement difficile, tout d’abord parce qu’il ne
connaissait pas les codes, ni les raisons pour lesquelles les danses sont structurées
d’une telle manière. Son expérience du bharatanatyam semble ne pas l’avoir aidé à
affronter la danse balinaise. Dans le topeng, corps et costumes sont organisés pour
461
They are very familiar with the ‘fast track’ desire of most international students to get a ‘product’ to take
home within the month or however long the programme of study. They are willing to teach a set choreography
to a recorded piece ofmusic that can be learnt and re-produced later in their own country. They devise
choreographies for rapid learning, as ‘examples’ of topeng for easy dissemination on return to the home country.
This, of course, is what most students want. The teachers prepare the student for a successful performance of
an easy version. This is made possible by a reversal of the usual teaching strategy. (Traduction libre) Tiffany
Strawson, op. cit., p. 294.

255
montrer le masque. Une attention toute particulière est centrée sur la manière
dont le danseur bouge le visage, puisqu’il est masqué :

C’était extrêmement difficile ! Ce n’était pas du tout facile.


Premièrement, parce que l’on ne comprend pas très bien
pourquoi on doit monter les épaules tellement haut. C’est pour
montrer le masque. Alors, moi, en tant que danseur-performeur,
avec des gestes amples... Il fallait construire cette structure où
l’expression vient d’une modification minimale du menton, du
regard, de tout ce continent qui est le corps, pour exposer le
masque... le plus difficile c’était de comprendre pourquoi je
faisais cela.462

Toutes les danses de l’introduction du topeng, le pengelembar, ont cette particularité


exprimée par Ivaldo, puisqu’il s’agit de danses dans lesquelles le masque doit être
mis en valeur. Ces masques ne supportent pas les mouvements brusques ou trop
amples, comme l’explique en effet Bandem :

Et quand vous dansez avec le masque, vous ne pouvez pas bouger


votre visage trop fort. Vous ne pouvez pas le faire parce que le
masque est déjà épais sur votre visage. Un peu seulement… en
contrôlant d’ici (il montre l’estomac). Ainsi, si vous devez faire un
mouvement appelé nyegut463, l’accord avec la tête, vous ne pouvez
pas le faire comme ceci. Vous ne pouvez pas le faire comme dans
le baris ou dans le kebyar, parce que vous portez un masque. Juste
un peu… de manière serrée… et montez votre visage comme cela
(il montre). Vous ne voulez pas que le masque bouge de trop
comme ça. C’est un mouvement très serré et très contrôlé d’ici (il
montre l’estomac). Vous ne devez pas lâcher le mouvement du
masque et c’est pourquoi vous devez le contrôler si bien. 464

Le corps du danseur est totalement organisé, unifié, puisque les mouvements sont
retenus, contrôlés à partir d’une région : la partie supérieure de l’estomac. Cette
région est censée avoir un rapport direct avec le contrôle d’énergie du corps,
ngunda bayu, et son importance dans la conception du terme taksu de la danse
balinaise, sera examinée dans le prochain chapitre. De cette manière, pour que le
danseur puisse mettre le masque en évidence, il doit incarner cette construction.
C’est une articulation musculaire et osseuse très fine et qui a été très clairement

462
Ivaldo Bertazzo et Juliana Coelho, op. cit.
463
Nyegut : Un mouvement de tête qui signifie être en accord, consentir.
464
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.

256
ressentie par Ivaldo. Finalement, l’expérience de la danse balinaise lui apprend une
nouvelle forme d’organisation du corps :

Oui, concepts d’unité. Par exemple, la manière dont les


articulations organisent ce corps dans l’espace. Alors, comment
les muscles se structurent et même quand ont fait quelque chose
de très petit. Il y a une transmission musculaire, de muscle à
muscle, d’os à os... et cela donne une notion d’unité, au moindre
geste. L’Occidental a le rêve d’un jour se lâcher et se relaxer et
paradoxalement, il veut se détacher de la matière beaucoup plus
qu’un Oriental. L’Oriental a la pleine certitude qu’il se détachera
de la matière le jour de sa mort, et qu’il ira autre part. Même si la
question de la transcendance existe, dans la libération de ce voile
de la vie que la religion transmet, le corps ne se lâche pas, il
n’existe pas ce « se lâcher ». Le corps s’organise, se structure, se
construit sans cesse en langage.465

Inévitablement toutefois, cette dernière perception d’Ivaldo Bertazzo renvoie sans


doute à la perception même qu’Antonin Artaud a eue. L’évidence de la complexité
de ces danses, ce même quand elles sont observées, est un réflexe de l’engagement
organisationnel du corps dans ses moindres détails. Ce dernier est organisé pour
trouver une unité, une cohérence musculaire intérieure :

Nous avons philosophiquement ce concept (se détacher), nous


avons le syndrome du détachement. Je voyais ces corps qui
arrivaient de l’Occident avec cela (il se secoue les épaules et la
colonne). Cela ne sert à rien en Asie, à rien. Si tu fais un mudra, ici
tout est organisé (il pointe son poignet), ici tout est organisé (il
pointe son coude), ici tout est organisé (il pointe ses épaules). Il y a
toute une structure pour que les mains puissent changer de
position. C’est très complexe. On commence à peine à penser à
cela.466

De plus, dans la danse, une tension perpétuelle semble agir continuellement.


Ivaldo Bertazzo explique cette tension en évoquant le caractère isométrique de la
danse. Il ne s’agit pas d’une hyper contraction, mais le relâchement complet n’est
jamais présent :

La danse balinaise est essentiellement une isométrie. C’est


comme porter un frigo et l’amener du rez-de-chaussée jusqu’au
premier étage. Quand un cours de danse balinaise finit, tu as
465
Ivaldo Bertazzo et Juliana Coelho, op. cit.
466
Ibidem.

257
amené ce frigo du rez-de-chaussée jusqu’au premier étage, tout
seul. Si tu te relâches, le frigo va te tomber dessus. J’ai beaucoup
souffert physiquement.467

Bertazzo a une approche profondément mûre de la danse balinaise et du topeng en


particulier. Ainsi, selon lui, pour comprendre la danse, il est fondamental de
comprendre la culture, le contexte balinais : petit à petit, j’ai commencé à rentrer dans
cette culture et j’ai commencé à comprendre ce que je faisais. Pour ceux qui ont vécu
plus longuement à Bali, la nécessité de comprendre le contexte dans lequel la
danse est réalisée devient progressivement urgent.

Si les professeurs balinais ressentent la différence culturelle comme l’une des


difficultés majeures pour l’apprentissage du topeng par un étranger, les apprentis
étrangers ont également exprimé et ressenti cette difficulté. Ainsi, le besoin
d’assimiler le contexte et de s’imprégner de la culture est l’un des objectifs des
voyages à Bali :

Dans la journée, tu vas te promener et tu arrives chez quelqu’un


que tu connais, Kodi. Quand je suis arrivé, il était petit. Dans la
journée, son père fabriquait des masques et la nuit, il jouait du
gamelan. Et tu te dis, mon Dieu, cette musique est si complexe.
Les gens qui étudient Stockhausen, qui étudient le
contemporain, le dodécaphonique, viennent étudier cette
musique, et cet artisan, ce sculpteur de masques, joue aussi de
cette chose, qui n’a pas forcément un chef d’orchestre ou un
conducteur. Lui, il a les sens aiguisés à un tel niveau... Le
musicien occidental a tellement de mal à subdiviser ses propres
sens. Alors, je pense que l’on pénètre très rapidement, si l’on
arrive par cette voie, puisque tout est très explicite. Les personnes
qui travaillent avec le topeng, avec la voix... L’usage de la voix est
très complexe. Et même un clown, il y a un total manque de
pudeur et en même temps une structure. Aller aux temples m’a
beaucoup aidé, de même qu’aller chez le sculpteur qui joue aussi
du gamelan, de rentrer dans ce réseau de musiciens qui partent le
soir pour jouer du gamelan et qui, pendant la journée, sont
artisans. C’est très spécial de faire cette route, puisque l’on
apprend dans l’essence.468

467
Ibidem.
468
Ibidem.

258
c. Une confrontation de techniques : Ana Teixeira
Ana Teixeira a travaillé le legong, le teruna jaya et le topeng. Ce dernier auprès de I
Ketut Kantor, le fils d’I Nyoman Kakul. Cette expérience d’apprentissage et de
découverte du topeng, et d’autres danses balinaises, fut l’occasion pour Ana
Teixeira de se confronter sur une tradition autre, tout en établissant un dialogue.
Ce rapport est ainsi qualifié de « dialogue entre traditions », entre elle et son
professeur de teruna jaya, par exemple :

Elle me passait des choses et je lui disais : « Tu sais, dans ma


tradition, on fait comme cela avec le bras. » (Ana fait le
mouvement) On avait tellement de choses qui se ressemblaient, il y
avait tellement de points communs. Donc, je pense que j’ai eu ce
plaisir d’aller à la rencontre d’une autre culture, de voir tous les
points d’intersection entre ma tradition et sa tradition, d’établir
un dialogue avec cela. Cependant, ce n’était jamais dans le sens
de m’approprier cela. Je n’ai jamais utilisé la technique balinaise
ou la danse balinaise dans mon travail après. À part le fait de
garder cet aspect cérémoniel, car cela a une résonance avec ma
formation.469

Deux points retiennent l’attention dans cet extrait de l’entretien d’Ana Teixeira.
Premièrement, cette confrontation fait qu’il explose une technique antérieurement
apprise. Ana Teixeira avait initialement une formation en danse. Ensuite, pendant
sept ans, elle s’est formée au mime corporel d’Étienne Decroux. Alors, elle a
expliqué cette expérience avec le mime corporel de la façon suivante:

Puisque je venais déjà d’un langage physique, alors, j’ai dû bien


tout délimiter. Le comédien, quand il construit l’espace, la valeur
de la pause est beaucoup plus importante que celle du
mouvement. Les principes étaient opposés. Le tronc a une valeur
importante chez Decroux, le jeu avec la gravité, la pesanteur, qui
donne toute cette valeur dramatique au mouvement. Enfin, il
voyait sous l’angle des oppositions. Alors, pendant sept ans je me
suis entraînée à pouvoir séparer le théâtre de la danse et de toutes
les autres formes, y compris le théâtre parlé. 470

Techniquement, elle observe un rapprochement entre le mime et les danses


balinaises qu’elle a travaillées, au niveau des règles corporelles. Par exemple, Ana

469
Ana Teixeira et Juliana Coelho, op. cit.
470
Ibidem.

259
cite la notion de dynamorythme (...) qui est la réunion de la puissance, de l’énergie et
du rythme :
La danse balinaise est remplie de tout ce vocabulaire, de ces
ponctuations, de ces lignes directes que l’on fait toute une autre
chose, le stacatto... tout cela était là aussi. En même temps, toute
cette sinuosité du corps, tout le travail du tronc, des oppositions,
puisque le travail du mime corporel est celui, d’à tout instant,
construire un corps par les oppositions. 471

Si, d’un côté, la découverte de ces points communs entre la danse balinaise et le
mime corporel s’avère enrichissante, de l’autre, ce lieu du « théâtre-dansé » lui faire
repenser ses rapports avec les techniques théâtrales et avec les danses jusque-là
apprises :
Tu n’as pas besoin de justifier pourquoi tu danses, puisque la
danse se justifie par elle-même. Le mime corporel, cette
technique qu’il a inventée, est l’étude de tout ce que fait l’être
humain dans toutes les situations de la vie où il ne danse pas. Il
disait qu’au théâtre, nous devons avoir un but, tu as besoin d’une
raison pour te lever, t’asseoir, pour regarder. 472

Étant donné qu’Ana Teixeira a été formée en tant que danseuse et que mime
corporel, qui correspondent à deux champs bien définis, la danse balinaise
constitue la possibilité pour ces expériences de renouer entre elles:

Alors, tout cela était techniquement là, et en même temps, il n’y


avait pas cette rupture entre une forme et une autre. Je me
souviens de ma professeure, par exemple. Quand on travaillait le
teruna jaya, je me souviens de ses indications, elle me parlait des
choses par rapport à la situation, d’être une femme, une guerrière
qui part dans la forêt. Elle me donnait un contexte qui m’aidait à
donner un sens au mouvement. Decroux disait quelque chose de
fondamental : la danse n’a pas besoin d’une raison, de
justificatifs.473

En même temps, Ana Teixeira retrouve la rencontre avec une expérience


corporelle qui se rapproche de sa formation en mime corporel dramatique et
ensuite, le nœud, à savoir, une danse qui est du théâtre et qui doit être jouée.

471
Ibidem.
472
Ibidem.
473
Ibidem.

260
Dans l’expérience avec la danse balinaise, par exemple, tout cela
a explosé et c’était très intéressant. Peut-être parce que c’était
l’occasion où j’ai commencé à me relier et à me dire : « Regarde,
c’était bien, tu as appris une tradition ». Cela est très important,
savoir d’où tu viens.474

Un autre point suscité par le témoignage d’Ana Teixeira renvoie à la question de


l’appropriation culturelle. On observe que le mime corporel est perçu par Ana
Teixeira comme appartenant à « sa tradition ». Après des années d’apprentissage
en France, il s’agit d’une technique totalement assimilée et incarnée dans son
corps. Ainsi, elle n’est pas perçue en tant que technique étrangère, française. Peut-
être s’est-il agit d’une technique qui a formé son identité d’artiste. De l’autre, on
perçoit qu’elle s’inquiète de ne pas s’être « s’approprié » la technique balinaise
dans son travail ultérieur. La confrontation entre ces deux points paraît
intéressante. D’un côté, le mime corporel ne semble pas être une technique
étrangère, ou autre. Alors, implicitement, l’appropriation de cette technique serait
légitime. Cependant, Ana Teixeira a pris tout particulièrement garde à ne pas
s’approprier la danse balinaise, ce qui a posé problème lors de l’analyse de son
entretien, car l’Amok Teatro réalise un travail pédagogique important sur les
masques balinais. Ainsi, ce travail n’est-il pas perçu comme une appropriation
culturelle ? Alors, ne le serait-il pas de cette manière-là parce que cette utilisation a
été antérieurement légitimée par Ariane Mnouchkine ? En outre, pourquoi
l’appropriation serait-elle vue par extension comme négative ? Qu’est-ce que
s’approprier une culture ?

La discussion sur l’appropriation culturelle s’avère complexe. Dans son principe le


plus basique, elle se caractérise par une relation d’utilisation d’un élément d’une
culture, généralement considérée comme minoritaire, par une autre. Cet élément
peut aussi bien être une icône ou un symbole, comme les masques ou des éléments
de la danse balinaise. Il existe dans la notion d’appropriation un rapport de force
entre ces deux cultures, où la culture, jugée minoritaire et opprimée, serait
destituée de ses éléments constituants. Ces derniers seraient alors « appropriés »
par une culture économiquement et politiquement plus puissante, qui à son tour,

474
Ibidem.

261
resignifierait ces éléments à son gré ou sans considération de la culture source.
Dans la notion d’appropriation, celle d’achat est également présente. Ainsi, on
peut interpréter l’affirmation d’Ana Teixeira comme une préoccupation de ne pas
utiliser arbitrairement les éléments de la culture balinaise dont elle a fait
l’expérience.

Cependant, chez les praticiens balinais interviewés, ou même chez d’autres avec
lesquels a eu lieu un échange, aucune préoccupation majeure pour ce sujet n’a été
observée, du moins pas au niveau de l’assimilation et de l’utilisation d’éléments de
la culture balinaise pratiquées par les praticiens étrangers interviewés. En général,
les Balinais semblent savoir que les praticiens étrangers utiliseront leurs masques et
techniques dans leurs pays d’origine et résidence. Dans le cas des masques,
puisqu’ils ne sont pas vraiment vivants, qu’ils ne sont pas passés par divers rites, ils
ne sont pas considérés comme effectivement puissants. Ce sont encore de simples
objets.

d. Apprendre le ressenti/rasa
Apprendre les mouvements et les chorégraphies peut demander du temps à
l’apprenti, mais il s’agit d’aspects considérés comme relativement faciles par
Rucina Ballinger. Le véritable défi que représente la danse est, selon elle,
l’apprentissage de ce qu’elle nomme feelingness, qui peut être traduit par le ressenti.
Il s’agit du rasa, l’un des principaux aspects de la danse et du taksu, qui sera traité
dans le chapitre suivant :

Probablement ce n’est pas vraiment les mouvements, puisque les


mouvements je peux les faire relativement bien. Je pense que
c’est essayer de capturer le ressenti et l’expression du visage,
puisque l’on exprime l’essence de la danse uniquement à travers
les yeux et la bouche, sans trop d’expressions faciales. Je pense
qu’au début c’était bien difficile, car j’étais très jeune. Internaliser
la danse et l’extérioriser. Plus âgée je suis devenue, plus mûre, ma
danse est devenue.475

475
But probably it is not so much the movements because the movements I can imitate and do fairly well. I
think that is trying to capture the feeling and the expression in the face, how you express the essence of the
dance just through your eyes and through your mouth without a lot of facial expression. In the beginning I
think that was pretty hard also because I was still young. And trying to internalise that and externalise it. The
older I got I think more mature my dance came. (Traduction libre) Rucina Ballinger et Juliana Coelho,
op. cit.

262
L’apprentissage du « sentiment » est quelque chose que Rucina Ballinger perçoit
comme étant directement associé à la respiration.

e. Apprendre les principes : l’expérience de l’Odin Teatret


Premièrement, il est important de ne pas étendre les témoignages recueillis à la
totalité des expériences vécues à l’Odin Teatret. Selon Eugenio Barba, les formes
balinaises sont en premier lieu une source d’inspiration :

Tout d’abord, certaines formes de spectacles balinais sont pour


moi comme des exemples parfaits de ce qu’est la dramaturgie
organique de l’acteur. Ce sont des danses en réalité. Mais la
manière dont tout le corps est décomposé en parties et en
exprimant des tensions différentes... c’est une espèce
d’orchestration de différentes parties du corps. Cela est vraiment
très intéressant, fascinant. C’est une espèce de point de référence
quand on travaille sur un processus d’apprentissage qui essaie de
retrouver dans le corps de l’acteur des possibilités de détruire les
réflexes conditionnés d’une culture.476

Selon Eugenio Barba, il y a une décomposition du corps, qui pour un acteur autre
peut engendrer un déconditionnement des réflexes de sa culture de base ou même
des techniques théâtrales de base. Ce déconditionnement est envisagé comme une
décolonisation. Lors de mon entretien avec Eugenio Barba, qui s’est déroulé dans
une tension subtile, l’affirmation suivante m’a particulièrement étonnée :

Donc, les acteurs balinais, quand je les vois, ils ne m’apprennent


rien, parce que ce n’est pas cette convention que je cherche. Mes
acteurs ont bâti leur propre convention. L’Odin Teatret c’est un
des rares théâtres en Europe qui joue de manière très stylisée.
Mais, c’est une stylisation qui n’appartient pas à un genre,
comme au kathakali, ou au kabuki, mais c’est une stylisation très
personnelle de chacun des acteurs. Donc, je ne suis pas intéressé
à faire apprendre à mes acteurs le baris. Ce qui m’intéresse, c’est
de voir comment l’acteur balinais est capable de danser, de
chanter, de jouer des instruments et de réciter des pièces. C’est
cela l’inspiration : est-il possible d’avoir un acteur qui n’est
spécialisé en rien ? C’est-à-dire seulement spécialisé à être
danseur, dans la danse classique ou la danse moderne, ou alors,
dans le chant ou dans la voix, comme les chanteurs d’opéra, ou
dans l’interprétation des textes ?477

476
Eugenio Barba et Juliana Coelho, op. cit.
477
Ibidem.

263
De prime abord, c’est possiblement l’affirmation catégorique suivante : (...) les
acteurs balinais, quand je les vois, ils ne m’apprennent rien (...) qui m’a choquée,
d’autant plus qu’Eugenio Barba s’était dit très influencé par les terminologies des
acteurs asiatiques et avait prétendu se les être appropriées par le biais d’une
continuelle observation de leurs techniques et de l’emploi systématique de leurs
théâtres dansés pour les mises en scène du Theatrum Mundi. Cet artiste, de par
cette affirmation m’a donc tout abord semblé manquer largement de
reconnaissance vis-à-vis des praticiens qu’il avait côtoyés au long de ces années.
Était-ce son caractère provocateur qui l’avait incité à s’exprimer ainsi, c’est tout du
moins ce que l’on pouvait en premier lieu penser, car à partir de ce moment-là, il a
évoqué certaines questions pragmatiques concernant le moment de sa
confrontation à une tradition comme celle de la danse balinaise. Dans des formes
spectaculaires aussi esthétiquement hétérogènes que celles d’influence europeo-
américaines, comment pouvons-nous construire des ponts ?

En prenant cette question comme ligne directrice, Eugenio Barba a analysé le


panorama théâtral sous la perspective de ses conventions. Ainsi, selon lui, cette
question ne se restreint pas à une différence de cultures, mais est également en
lien avec une divergence entre les conventions théâtrales :

Au théâtre, il y a deux conventions seulement. Dans le monde


entier, à toutes les époques, il a toujours existé deux conventions.
Toute la manière moderne de faire du théâtre contemporain
concernant l’acteur, pas seulement à l’Odin, mais dans le monde
entier, consiste à inventer son propre langage artistique sur
scène, dans la convention de la ressemblance. 478

478
Ibidem.

264
Ainsi, les deux conventions se situent à deux pôles différents : celui de l’artifice et
celui du naturalisme479, un point de vue proche de ce que Jerzy Grotowski 480 a
qualifié de lignée organique et de lignée artificielle du jeu de l’acteur. L’exemple
du théâtre asiatique en général, et du balinais en particulier, va surtout lui servir
d’inspiration, puisqu’il travaille dans une convention autre, tout en étant dans ce
pôle qualifié d’« artificiel » :

La question est la suivante : c’est évident que quand je vois le


ballet classique, quand je vois le baris balinais, quand je vois une
danse du théâtre noh, ou une partie d’un spectacle de noh, en
quoi peuvent-elles m’aider, moi, en tant que metteur en scène ou
acteur occidental ? Elles ne peuvent pas m’aider. Elles peuvent
m’inspirer. Mais concrètement, soit je les copie, donc je deviens
un acteur de noh, ou bien je ne peux rien faire de tout cela. Et
c’est pour cela que l’on ne peut pas utiliser les acteurs qui
travaillent dans une autre convention. 481

Il est fondamental de noter qu’ici le regard d’Eugenio Barba est celui du metteur
en scène, et qu’il diffère pourtant en partie de la perception des comédiennes
interviewées. Par conséquent, son point de vue est de celui qui « voit », et qui
observe ces pratiques et la manière dont elles influencent les pratiques des
comédiens. Les comédiennes de l’Odin Teatret interviewées ont en commun une
démarche assez proche des expériences avec les formes artistiques balinaises. Ces
praticiennes ont assimilé des éléments dans une sorte d’apprentissage des
479
Voici l’extrait de l’entretien : « Une convention qui a toujours été la convention dominante
jusqu’au vingtième siècle : c’est la convention que le corps est artificialisé, rendu artificiel, ce que
l’on appelle la stylisation. Alors, le ballet classique, la commedia dell’arte, tout le théâtre classique
d’Asie et même ici jusqu’au début du vingtième siècle il y avait une très forte stylisation, c’est-à-dire
une espèce d’artificialité, aussi bien dans la manière de parler, que dans la manière de se comporter
sur scène. Avec la véritable révolution d’un amateur, c’est-à-dire d’Antoine, qui prend des amateurs
et les fait, dans son théâtre libre à Paris, se comporter d’une manière, soit distante naturelle, c’est-à-
dire de ne pas utiliser la convention de la stylisation. Alors s’ouvre une autre manière d’être sur
scène, qui est immédiatement reprise par le spectacle qui devient le spectacle central du vingtième
siècle : le cinéma. C’est-à -dire que la convention de l’acteur de cinéma ne peut pas être stylisée,
mais doit être une convention de la vraisemblance du comportement de la vie quotidienne. Ce
comportement de la vraisemblance est celui qui domine partout au cours du vingtième siècle. Il y a
très peu de lieux de théâtre, de metteurs en scène, d’ensembles qui utilisent une convention
stylisée, car cela prend beaucoup de temps à apprendre. »
480
« Si le théâtre est plutôt de la lignée « artificielle » au sens noble du terme (l’art !), comme à
l’Opéra de Pékin, c’est le signe gestuel qui décide ; ce n’est pas cent pour cent fluide mais très net et
là ce sont les mains... il y a une articulation des formes dans les mains qui sont claires pour les
Chinois qui connaissent la convention, c’est comme un langage. » Jerzy Grotowski, « La Lignée
organique au théâtre et dans le rituel », Collège de France, 2008, (« Livre Qui Parle, Collection
Collège de France »).
481
Eugenio Barba et Juliana Coelho, op. cit.

265
principes. Pour Roberta Carreri, les éléments de la danse balinaise ont été
incorporés à son training. Ensuite, ils ont été réélaborés et assimilés à son travail
personnel. Ce sont les éléments qui l’ont touchée en premier, comme la tension
des pieds et surtout le travail avec le regard482 :

Alors, quand je suis revenue à Hostelbro, après deux semaines à


l’ISTA de Bohn, je commençais à incorporer dans mon
entraînement des principes que j’avais appris, soit dans la danse
balinaise, soit dans la danse indienne, soit dans la danse
japonaise. Ils sont devenus une partie de mon entraînement :
maintenir dans le corps cette tension, cette intention, que j’avais
apprise dans la danse balinaise, par exemple. Alors, comment
développer une forme d’entraînement balinais, comme je
l’appelais, avec la force du regard, avec l’intensité du regard ?483

En 2012, j’ai réalisé un atelier avec Roberta Carreri à l’occasion de la présentation


de Chronicles of Life, de l’Odin Teatret, au Théâtre du Soleil. Dans le cadre de cet
atelier, Carreri m’a effectivement proposé un exercice très intéressant où ces deux
champs du regard, celui du danseur balinais 484 et celui du butoh étaient présents.
Comme j’avais suivi des formations de butoh auparavant au Brésil, ainsi que de
danse balinaise, ces deux références étaient très claires. Roberta Carreri a évoqué
ces deux formes de regard, qu’elle considère comme deux pôles opposés, et qui
sont le regard du danseur balinais et celui du butoh dans son entretien :

Dans la danse butoh et dans la danse japonaise, il y a vraiment


tout ce travail d’absence du regard. Le regard de l’absence, le
regard du fantôme. C’est le « fantôme de » qui fait et qui raconte
l’histoire. Dans la danse balinaise au contraire, le focus des yeux
est très fort. Alors, c’est entre ces deux pôles qu’il se développe.
Je peux le reconnaître. Mais en même temps, ma mère avait des
yeux balinais quand elle me regardait comme ça, sans dire un
mot, quand j’étais en train de prendre une tartine. (rires) C’était
482
Voici l’extrait de l’entretien : « Cela n’empêche pas qu’il y ait deux principes dans la danse
balinaise qui m’ont fascinée : le travail avec les pieds, cette tension dans le gros orteil et le fait d’être
plus petit que ce que l’on est en réalité, de se baisser en doublant les jambes et en levant les
épaules. Mais surtout le travail avec les yeux. C’était la chose la plus fascinante pour moi, parce
qu’il y avait un travail conscient vers le regard, même derrière le masque. » Roberta Carreri et
Juliana Coelho, op. cit.
483
Ibidem.
484
À Bali, j’ai entendu une observation très intéressante d’un comédien balinais avec lequel j’ai
discuté, mais qui a préféré rester dans l’anonymat. Il m’a révélé que les Balinais avaient une très
bonne vue à 360°. Et qu’ils vont toujours nous observer beaucoup, spécialement quand ils nous ne
connaissent pas, ce qui fait qu’ils peuvent continuer à regarder dans une direction, apparemment
opposée à celle où vous êtes, tout en observant chacun de vos mouvements du « coin » de l’œil.

266
des yeux très forts ! Et bien sûr, il y a tout le travail avec les rasa,
de la danse indienne. Comme je te dis, je ne sens pas de
frontières en moi.485

Sur les indications de Roberta Carreri, l’exercice consistait à adopter ce regard vide
et flou qui semble voir à l’intérieur de soi, pour progressivement changer de regard
en faveur de celui de la danse balinaise. Effectivement, dans cet exercice
apparemment simple nous pouvons percevoir concrètement ces deux qualités de
regard. Pour Roberta Carreri, il ne s’agissait pas de reproduire exactement ce qui
était appris par les expériences de transmission directe. Ce qui a été enseigné doit
être assimilé et réélaboré :

Cela signifie qu’en réalité, je n’ai pas continué à répéter les pas
ou les chorégraphies que j’avais apprises à Bohn, mais je les ai
digérées dans mon langage physique qui était celui de
l’entraînement de l’Odin théâtre. De cette façon, j’enrichissais
mon entraînement.486

Le rapport qu’elle entretient avec l’expérience de la danse balinaise est similaire à


d’autres qu’elle a vécus. Ces expériences ont été assimilées non seulement dans
son training, mais aussi dans sa création artistique. Chez Carreri, les frontières
entre training et travail ne sont pas clairement définies :

Il n’y a pas de frontière, parce que toutes les informations, toutes


les inspirations que j’ai reçues, je les ai incorporées, je les ai
transformées et elles font partie de mon histoire. (...) De la même
façon, quand je joue c’est moi qui joue. Et moi, je suis l’addition,
pas mathématique, de toutes les informations que j’ai reçues.
Mais cette addition est passée par un processus d’osmose. Ainsi,
il n’y a pas de frontière, de mon point de vue. 487

Cette façon d’assimiler une technique étrangère nécessite effectivement une


considérable perméabilité du praticien. De plus, lors des expériences ponctuelles
décrites par Roberta Carreri, le temps d’assimilation est limité. Dans ce contexte,
on pourra se confronter aux limites de l’apprentissage de ces formes, puisqu’elles
sont spécialisées et fortement codifiées. De plus, son apprentissage exige un

485
Roberta Carreri et Juliana Coelho, op. cit.
486
Ibidem.
487
Ibidem.

267
investissement de temps considérable. Alors, on pourrait penser que la
perméabilité de chaque praticien serait tributaire du temps consacré à cette
expérience.

En outre, la question de la spécificité d’une forme, ou autrement dit, de la


difficulté de sa transposition en dehors de la convention théâtrale dont elle est
originaire, se pose également pour d’autres formes comme la pantomime ou le
ballet classique, par exemple. À ce sujet, Julia Varley commente :

(...) si l’enfant décide de faire du ballet classique ici en Europe, et


ensuite décide d’aller à l’étranger. Le problème avec le ballet
classique comme avec la danse balinaise, c’est que l’on devient
spécialiste de la forme. Le training du Tascabile ou celui que
l’Odin a fait avant n’est pas spécialisé. Ainsi, c’est beaucoup plus
facile d’adapter la même capacité à moduler les énergies. Alors, si
tu fais du ballet classique, un danseur de ballet trouverait très
difficile de s’adapter à la danse balinaise. Je pense que c’est plus
facile pour quelqu’un qui ne s’est pas spécialisé, et qui après va à
Bali. Bien sûr, tu dois y rester pour longtemps, pour t’entraîner.
Mais je pense que c’est possible. Ce n’est pas quelque chose qui
descend des arbres. C’est de l’entraînement, de la répétition, de
l’incarnation. C’est prendre cette force. 488

D’après Julia Varley, les formes théâtrales classiques européennes et asiatiques


pourraient s’avérer utiles à tout praticien, même à ceux qui travaillent dans une
convention théâtrale non artificielle. Elle observe que ces formes apprennent les
principes de la présence sur scène :

Vous pouvez utiliser la tradition classique en Asie et en Europe,


ce qui a été appris au fil des siècles, pour faire quelque chose de
contemporain. Bien évidemment, si quelqu’un travaille avec une
thématique liée à aujourd’hui, ce n’est pas facile de le faire avec
la danse Odissi. Parler de l’addiction aux drogues avec cette
danse est bizarre. Je n’arrive pas à imaginer comment cela peut
fonctionner. Cependant, tout ce qui a été appris à travers la
488
(...) if it was a child that started to do classical ballet here in Europe, then decides to go abroad. What is
the problem with the classical ballet, as with the Balinese dance, is that you specialize in a form. The training
that Tascabile or Odin had done before is not specialized. So, is much more easy to adapt the same capacity of
modulating energy to another form. Then, if you are doing classical ballet, a ballet dancer would find very
difficult to then adapt to the Balinese dance form. So it would happen I think more easier with somebody who
has been training, not specializing since they were a children, and then go to Bali. Of course you have to stay a
long time to the training. But I think it is possible. It’s not a question of coming from the trees. It’s training,
it’s repetition, it’s embodying, it’s getting that strength. (Traduction libre) Julia Varley et Juliana Coelho,
op. cit.

268
danse Odissi ou la danse balinaise, les principes de la présence de
scène, cela peut être utilisé dans une autre forme et être
confronté à des thèmes différents.489

Julia Varley touche à un sujet que l’on juge particulièrement sensible pour les
praticiens qui apprennent les formes dites « classiques ». La question revient
également à se demander comment créer les ponts entre ces formes et les contextes
théâtraux divers :

Pour regarder au-delà de la forme, on n’a pas besoin de faire la


forme. Mais, quelle est l’information qui est passée à travers cette
forme, quels sont les principes qui nous guident ? Nous pouvons
beaucoup apprendre cela par la forme.490

L’apprentissage des principes qualifiés d’« universels » du jeu du comédien est


l’une des voies parcourues par l’Odin Teatret au fil des années. Un point sensible
que nous pouvons identifier dans cette démarche concerne le temps consacré à
l’apprentissage. Dans le cas de la danse balinaise, son apprentissage nécessite une
durée et un dévouement considérables pour sa maîtrise. Évidemment, chaque
forme demande un temps d’apprentissage propre : la maîtrise du kathakali
nécessite un temps différent de celui destiné à l’apprentissage du mime corporel
ou du ballet classique. Alors, l’on peut se demander si cette « distillation » de
principes proposée par l’Odin ne serait pas tributaire du niveau
d’approfondissement atteint par le praticien dans cette pratique. Ainsi, on
pourrait tout d’abord penser que différents niveaux de perméabilité résulteraient
de divers principes « distillés ». Deuxièmement, le praticien pourrait se trouver en
proie à l’appréhension superficielle de la danse, ou à l’opposé, dans une pratique
tellement approfondie de la danse que cette « distillation » deviendrait difficile. Il
489
You can both in Asia and in Europe use the classical tradition, what has been learned for centuries to do
something that is contemporanery. And obviously if one wants to talk or have a theme which has to do with
today, it is not easy to do that with an Odissi dance. To talk about drug addicts with this dance, it’s strange. I
couldn’t think it could function. But all that has been learned through the Odissi dance or through the
Balinese dance, the principles of stage presence, can be very well used in a different form confronting different
themes. (Traduction libre) Ibidem.
490
You can both in Asia and in Europe use the classical tradition, what has been learned for centuries to do
something that is contemporanery. And obviously if one wants to talk or have a theme which has to do with
today, it is not easy to do that with an Odissi dance. To talk about drug addicts with this dance, it’s strange. I
couldn’t think it could function. But all that has been learned through the Odissi dance or through the
Balinese dance, the principles of stage presence, can be very well used in a different form confronting different
themes. Ibidem.

269
s’agit là de questions qui ne se résument pas à la danse balinaise, puisque l’on peut
les retrouver lors de toute pratique corporelle approfondie, du mime au ballet
classique. En analysant les exemples des artistes interviewés, d’Ana Teixeira, à
Ivaldo Bertazzo, en passant par les rencontres de l’ISTA, on se demande
précisément si cette « distillation » ne serait plus clairement réalisée par le
praticien, balinais et non balinais, dans des lieux à partir desquels ces pratiques
peuvent être confrontées.

Il convient à présent de revenir à la question posée par Eugenio Barba, à savoir :


comment ces formes peuvent-elles nous aider, si nous ne voulons pas faire
exclusivement du topeng, par exemple ? La pratique du topeng offre précisément, de
prime abord, la double possibilité du travail avec la danse et le masque balinais.
Étant donné que les comédiens de l’Odin Teatret n’ont pas de travail considérable
à réaliser avec les masques du topeng, leur rapport concerne plutôt la danse
balinaise. Alors, la voie ouverte par l’Odin Teatret semble être celle de la
fragmentation des formes pour une assimilation postérieure, des microfragments
corporels où les principes pré-expressifs de l’anthropologie théâtrale ont été
identifiés et incorporés au training personnel chez chaque acteur ou actrice. La
pratique d’enseignement des actrices sera de cette manière également influencée
par cette opération. En ce sens, ni les comédiennes de l’Odin Teatret interviewées
ni Eugenio Barba ne revendiquent de faire « de la danse balinaise ». Ils considèrent
en revanche ses formes comme des sources d’inspiration et d’apprentissage.

L’autre point intéressant concernant les rapports entre l’Odin Teatret et les formes
spectaculaires d’Asie, y compris les formes balinaises, a pour objet le vocabulaire
employé lors des échanges. Dans le huitième chapitre, cette question sera
examinée, à partir du terme taksu. Alors, dans le cadre de rencontres pédagogiques
auxquelles les membres de l’Odin Teatret ont participé tout au long de ces années,
inévitablement, la question du vocabulaire employé lors des sessions de travail s’est
posée. En ce sens, les praticiens se confrontent à la difficulté de trouver une
terminologie qui soit efficace et qui puisse communiquer efficacement. Julia
Varley travaille ainsi :

270
En écrivant sur mon travail ou en faisant des démonstrations de
travail, j’essaye de trouver une terminologie à moi. Ainsi, je
n’emploie pas une terminologie qui vient d’autres. Peut-être cela
veut dire la même chose. La centralité des hanches, du koshi491, ce
point qui est ici au milieu (elle touche le bas de son dos). Je n’ai pas
besoin de dire que c’est exactement ici. Mais, si je travaille avec
quelqu’un d’autre, je tire sa hanche vers le bas et je sais
l’importance de l’énergie qui vient des pieds et qui passe par tout
mon corps avant d’en ressortir. Alors, je dois créer une
connexion avec le sol qui s’exhalera à travers mon corps et cela
doit respirer, il doit y avoir un rythme et différentes modulations
d’énergie.492

La question de la terminologie est confuse et l’intention ici n’est pas réfléchir de


manière concluante à cela. Cependant, on relève l’existence d’une double
démarche chez Julia Varley. D’un côté, il y a la création d’une terminologie propre,
particulière. De l’autre, on remarque l’emploi concomitant de termes originaires
d’autres cultures théâtrales qui sont repris lors de démonstrations de travail ou
d’ateliers, comme c’est le cas pour le terme koshi, dans l’extrait ci-dessus. La
question de la terminologie s’avère particulièrement sensible lors des échanges
entre praticiens, puisqu’il s’agit de partager verbalement des expériences émanant
du domaine de la pratique théâtrale :

Alors, oui, nous employons différents mots, puisque je pense que


c’est important de donner une terminologie personnelle, puisque
l’on parle de choses dont il est difficile de parler. Il s’agit d’une
expérience physique. C’est une expérience qui concerne tout
votre être et à chaque fois que l’on donne un mot à cela, on sait
qu’il y manque quelque chose. Cela est vrai pour nous, comme
pour n’importe quelle forme asiatique. Quand ils essayent de
donner un nom aux choses ou les décrire, ils savent qu’il y
manquera quelque chose. Alors, c’est comme si l’on voulait
donner plusieurs noms différents et que peut-être que quelqu’un
va comprendre l’un de ces noms ou peut-être l’autre. 493
491
Koshi : terme employé dans la tradition japonaise pour désigner la hanche, le centre d’équilibre
du corps.
492
Writing about my work or making work demonstrations, I try to find a terminology that is my own. So, not
use a terminology that comes from others. Maybe it means the same thing. (...) The centrality of the rips, of the
koshi, this point that is in the middle here (she points her back). I don’t need to say that is exactly there, but I
know if I’m working with somebody else, I take her hips down and I know how important is the energy that
comes from the feet is and how it goes through my whole body to go out. So I have to create a connection from
the ground to going out within my body and how this has to breath, so it has to have a rhythm, different
modulations of energy. (Traduction libre) Julia Varley et Juliana Coelho, op. cit.
493
So yes, we use different words because I think it is important to give a personal terminology, because we are
talking about things that are very difficult to talk about. It’s a physical experience. It’s an experience that has
to do with your whole being. And every time you give a word you know something is missing. And it goes for us

271
Le choix de Julia Varley, ainsi que de Roberta Carreri, est celui de la formulation
d’un vocabulaire propre, créé à partir d’allusions poétiques ou d’images qui
évoquent des perceptions corporelles. De ce fait, certains termes peuvent être
employés en concomitance, comme c’est le cas de koshi et base, utilisés en tant que
synonymes. De cette manière, le terme dit « étranger » est assimilé lors des
communications et utilisé comme le synonyme d’un autre. Une telle démarche est
amplement utilisée par Eugenio Barba dans ses textes, particulièrement dans le
« Dictionnaire d’Anthropologie Théâtrale ». Parmi les termes balinais qu’il utilise
on trouve agem, keras, manis, bayu, cesta kara et taksu. Dans le sixième chapitre,
seront examinés avec davantage d’attention les termes taksu et bayu, qui ont été
source de quelques questionnements.

f. L’influence de la méthodologie d’apprentissage


L’une des questions posées aux praticiens étrangers, en particulier ceux qui sont
également pédagogues, était la suivante : dans quelle mesure l’expérience balinaise
a-t-elle influencé leurs propres pratiques pédagogiques ? Stéphane Brodt, par
exemple, s’est dit influencé par les professeurs balinais, tout en avouant ne pas
pouvoir formuler verbalement avec précision les lieux de résonance de cette
influence. Pour d’autres, le rapport démonstration-imitation proposé par
l’expérience balinaise n’a pas fait évoluer de façon majeure leurs pratiques
d’enseignement. La façon dont l Made Djimat conduisait les cours a
particulièrement influencé Ivaldo Bertazzo, puisque Djimat était jeune, alors j’ai
appris avec lui comment mener le corps d’un danseur :

Alors, la plus grande influence en Indonésie c’était le toucher


dans le sens d’apprendre à un corps le mouvement. Il n’y a pas
cela en Inde. Ils sont superbes dans la thérapie médicinale, avec
le massage Ayurveda. Mais avec les Balinais, ce sont les
articulations, les insertions, les tendons. Alors le massage et le
geste sont très proches. Cela je l’ai également appris là-bas,
comme dans n’importe quel endroit.494

as it goes for any of the Asian forms. When they try to give it a name or to describe it, they know that a lot of
things are missing. So it’s like we need to give a lot of different names and maybe somebody will understand
one of them or the other. (Traduction libre) Ibidem.
494
Ivaldo Bertazzo, Ana Marta Nunes Zanolli, Geni Gandra[et al.], Corpo vivo: reeducação do
movimento, São Paulo, SP, Edições SESC SP, 2010, 255 p.

272
On relève chez lui plusieurs couches de perméabilité, puisque son expérience à
Bali a directement influencé la création de sa méthode d’enseignement du
mouvement. Parmi les principes appris, certains ont été particulièrement saisis :

Oui, il y a des choses. La « coxo-fémorale » et comment on utilise


le mouvement du bassin pour régir le déplacement du tronc. Le
minimalisme qui existe dans la modification du regard et de
l’intention du regard et comment cela est résolu par le corps.
Cela nous marque beaucoup.495

Finalement, l’expérience d’apprentissage à Bali, auprès d’I Made Djimat a


influencé sa méthodologie d’enseignement, notamment le rapport corporel qui
peut s’établir entre maître et élève :

Le professeur d’Occident nous apprend ce qui est bien, sans


critique, il est devant et il explique, il montre et on crée une
imagerie, puisque cela fait partie de ta culture. Là-bas, non.
Fréquemment, il t’accompagne au corps à corps. On est
« coincé », Occidental. L’Oriental, il a beaucoup de restrictions
dans sa sexualité, dans la hiérarchie sociale. Ils ne sont pas
comme nous, libres pour faire l’amour. Nous avons une libido
dans une société plus libérée, entre guillemets. Mais on n’a pas ce
professeur qui te touche, qui se colle à toi, et on sent le moindre
changement de son corps. Sensoriellement, on doit être
tellement attentif, puisque l’on accompagne chaque contraction
à lui. Dans notre « tête carrée » occidentale, il y a quelqu’un qui
te « baise » par-derrière. Mais, non. Quand on a cette ouverture
pour ressentir un autre corps qui nous conduit... J’ai eu ce
privilège. Alors c’est le point que j’ai le plus capté, lors de mon
premier voyage : apprendre à l’élève par le toucher.496

Outre la manipulation directe du corps du praticien ici évoquée, I Ketut Kodi 497
parle de la place du toucher dans l’apprentissage de manière très particulière, en
comparaison avec les autres praticiens balinais interviewés. Selon lui, le toucher est
transmetteur de connaissance, il est parfois suffisant d’être aux côtés de quelqu’un
qui a la connaissance et qui vous touche : J’apprends même en étant autour de

495
Ivaldo Bertazzo et Juliana Coelho, op. cit.
496
Ibidem.
497
By even being around someone who has knowledge, I am learning, and just being touched on the head is
enough. So the seed was already planted. (Traduction libre) Kathy Foley et I Nyoman Sedana, op. cit.,
p. 202.

273
quelqu’un qui a de la connaissance. Avoir la tête touchée par cette personne suffit,
puisqu’ainsi le grain est déjà planté.498

g. Le don du maître: le ressenti d’apprentissage de Felisberto


Sabino

La décomposition du corps du danseur à partir de ses articulations a été le


principal objet d’attention de Felisberto Sabino, d’après lequel cet aspect crée une
sorte de « marionnettisation » du corps. Cela a été particulièrement intéressant
pour lui, puisqu’il s’est également consacré à l’étude et à l’enseignement des
marionnettes à l’Université de São Paulo. Ainsi, voir ce rapprochement entre le
corps dansé et le corps « marionnettisé » lui a précisément ouvert les yeux sur
l’importance que revêtaient les articulations du corps. Néanmoins, ce qui l’a
davantage frappé est un aspect plus subjectif de l’apprentissage de la danse :

La chose que je trouve la plus intéressante chez Djimat, c’est ce


que Mauss appelle le don. Il a une joie dans le sourire, dans le
regard, lorsqu’il t’apprend quelque chose et au moment de te la
transmettre. C’est comme si, lorsqu’il te transmet quelque chose,
il te donnait un cadeau. De ce fait, on doit cela à lui quelque
part. Il ne s’agit pas uniquement d’un paiement, mais c’est
comme si tu devais rétribuer cela d’une certaine manière. Il te
donne quelque chose et il t’implique dans cette chose. Cela peut
paraître un peu cliché, mais il y a là la notion de maître. En ce
sens, je le vois en tant que maître : il te donne quelque chose et
après tu seras responsable de cela. Moi, je cherche plutôt cela.
Ainsi cette joie dans l’enseignement, dans la façon de montrer les
choses. Cela fait partie de la vie quotidienne et je crois que c’est
la chose la plus importante qui me soit restée. 499

Ainsi, Felisberto Sabino s’intéresse à un aspect majeur de l’apprentissage, qui est le


rapport établi entre le professeur et l’apprenti. En associant son expérience à la
théorie du don de Mauss, il amplifie les relations d’échange qu’il a vécues, c’est-à-
dire les transactions et les transferts. Dans l’introduction la plus récente de l’« Essai
sur le don » en français, Florence Weber500 différencie ces deux instances de

498
Ibidem.
499
Felisberto Sabino et Juliana Coelho, op. cit.
500
Nicolas Olivier, « Marcel Mauss, Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés
archaïques », Lectures, février 2008.

274
l’échange, exprimées par ces deux termes. Les transactions engloberaient des
prestations dites « exigibles », qui appartiennent à des sphères marchandes ou
cérémonielles. En contrepartie, lors des transferts, les prestations ne seraient pas
exigibles. Felisberto Sabino décrit une relation qui a une double dimension. D’un
côté, il est étudiant d’I Made Djimat et de ce fait, ils entretiennent une transaction
monétaire d’apprentissage : le premier paye pour les cours que le second dispense.
Il s’agit d’une transaction dont la prestation est exigible. Cependant, il se sent
encore redevable à I Made Djimat de la connaissance partagée. Nous pourrions
évoquer ici, la question soulevée par Marcel Mauss lui-même, dans « L’Essai du le
Don » : quelle force y a-t-il dans la chose qu’on donne qui fait que le donataire la rend ?

Afin de répondre à cette question, Mauss va avoir recours à un concept présent


dans la société maori501 de Nouvelle-Zelande : le « hau », autrement dit, la force des
choses. Selon l’interprétation que propose Mauss de ce concept, les choses
données seraient dotées d’un esprit, puisqu’elles sont en quelque sorte magiques,
et découlent de l’obligation du donataire à les rendre. Cela expliquerait également
le fait que la chose donnée contiendrait les traces de ses anciens propriétaires : Le
hau est donc la trace de la personnalité de chacun des propriétaires de l’objet : le contre-don
permet de rendre hommage au donateur et d’éteindre la dette.

5. Apprendre à un étranger : les enjeux soulevés

Il faut vingt ans pour apprendre le topeng, pas un an ou deux ans.


Il y a ceux qui l’apprennent en très peu de temps, mais les
sentiments n’y sont pas.502

Les artistes balinais ont évoqué quelques difficultés lorsqu’ils enseignent aux élèves
étrangers. I Made Djimat et I Ketut Kodi ont d’abord souligné la différence
culturelle. D’après Kodi, deux choses posent problème, le corps et la différence
culturelle :
501
Mauss, Marcel, « Les dons échangés et l’obligation de les rendre (Polynésie) », in Okwui
Enwezor, (éd.). Intense proximité: une anthologie du proche et du lointain, éd. Okwui Enwezor, Paris :
Paris La Défense, Artlys ; Centre national des arts plastiques, 2012, p.112.
502
I Made Djimat et Juliana Coelho, op. cit.

275
Il est plus difficile d’enseigner aux Européens ou aux Américains.
Pourquoi ? Parce qu’ils ont une culture différente et des
physiques différents. Vous, même si vous êtes Européenne, vous
avez presque la même taille que les Asiatiques. Il y a d’autres amis
qui sont très grands, mais pas vous. Alors pour vous, ce n’est pas
trop difficile. Avec Samir, c’est plus compliqué parce qu’il a la
taille européenne, très grande.503

Dans cet extrait, Kodi compare les deux étudiants étrangers auxquels il enseignait
à l’époque : Samir, un comédien italien, et moi. Lors des cours, il me répétait à
plusieurs reprises qu’il était plus facile de m’apprendre la danse qu’à Samir,
puisque j’avais un body Asia, c’est-à-dire, un corps asiatique. Autrement dit, j’avais
un corps plus petit que celui de Samir qui mesurait environ 1,80 m :

Vous êtes comme les Asiatiques, c’est bien, presque comme les
Balinais, cela ne pose aucun problème. Si le danseur est grand, il
doit faire un mouvement avec la taille en position basse, cela
devient difficile. Samir, quant à lui, comme il a un cou long, qui
ne bouge pas bien, parce qu’il faut avoir un cou court pour
maîtriser les danses balinaises. Si c’était possible, il faudrait ne
pas avoir de cou pour exécuter des danses balinaises (rires).504

I Made Djimat souligne également cette différence entre les étudiants de diverses
origines :

Il est plus facile d’enseigner aux Japonais et aux Indiens


puisqu’ils sont asiatiques. C’est plus rapide d’enseigner aux
Asiatiques. Pour les Européens, c’est plus long. Cristina, une
Italienne, elle a appris la danse pendant douze ans : quatre
heures le matin, quatre heures l’après-midi, tous les jours sauf le
dimanche depuis 1983 jusqu’en 1995.505

De plus, la différence de culture est également considérée comme une difficulté


majeure pour l’apprentissage du topeng, en effet selon I Ketut Kodi :

Ensuite, la culture pose des problèmes. Il faut que les Européens


arrivent à comprendre la culture afin de sentir l’âme de la danse.
Les Balinais ne doivent pas apprendre la culture puisqu’ils vivent
503
I Ketut Kodi et Juliana Coelho, « Entretien avec I Ketut Kodi », 2011.
504
Ibidem.
505
I Made Djimat et Juliana Coelho, op. cit.

276
dans leur culture. C’est pour cela que les problèmes de culture et
de taille physique deviennent complexes entre les Européens, les
Américains et les Asiatiques.506

Effectivement, la compréhension du contexte auquel le topeng appartient est jugée


fondamentale par les professeurs balinais. Néanmoins, les praticiens étrangers de
cette recherche ont effectué des voyages d’apprentissage à Bali, sans accomplir
toutes les étapes de l’apprentissage. Ils ne sont pas dans le deep training507, n’ont pas
participé aux rites nécessaires et à l’apprentissage des offrandes préparés pour les
présentations508.

a. L’apprenti comme un enfant

À mon avis, ce n’est pas trop difficile. Tu es rapide sauf au niveau


de la prononciation des dialectes en l’occurrence la lettre R.
Quant aux chansons, certains arrivent à imiter la langue des
Balinais. D’après mes expériences, tous mes élèves ont réussi à le
faire comme Chelsea et vous, qui avez rapidement tout appris. Je
suis fière de vous.509

D’après Ni Nyoman Candri, l’adulte étranger débute son apprentissage comme un


enfant balinais. De ce fait, c’est comme un enfant qu’il est initialement traité.
Selon elle, lors des premiers cours de voix, le maître ne doit en aucune manière se
montrer rude ou impoli avec l’enfant/élève. Le « non » est en principe interdit, car
l’élève pourrait craindre le processus d’apprentissage. Curieusement, ce
mouvement n’annule guère l’habileté dialogique ni le goût que les performeurs
balinais ont pour l’improvisation verbale. De plus, de l’avis de Ni Nyoman Candri,
il est fondamental que le professeur adapte ses cours à l’étudiant étranger :

Dans le cas du professeur et de ses élèves, le professeur ne va pas


se fâcher contre les élèves qui sont lents. Il faut que le professeur
sache comment capter leur attention. Je ne vous ai pas enseigné
la danse de la même façon qu’avec Chelsea. Dans votre cas, je
chercherai une autre méthode si vous n’avez pas compris la
première méthode. Chaque élève a sa propre façon de
506
I Ketut Kodi et Juliana Coelho, op. cit.
507
Ce terme a été tiré de l’article de Tiffany Strawson, auteur qui se place dans ce niveau de
pratique du topeng. Tiffany Strawson, op. cit., p. 292.
508
En cours, Catherine Basset observait que la confection des offrandes devait être une partie très
importante de l’apprentissage, ce même pour les étrangers.
509
Ni Nyoman Candri et Juliana Coelho, op. cit.

277
comprendre, donc cela influence la méthode d’enseignement.
Chaque élève est différent, les enseignants doivent étudier la
psychologie des élèves. On ne doit pas abandonner les élèves qui
sont lents. Il faut étudier la façon d’être d’un individu. Si une
méthode échoue systématiquement, il faut en adopter une autre.
Il n’y a pas de mauvais élèves si les enseignants sont intelligents.
L’enseignant doit apprendre aussi. Je ne me suis jamais fâchée
avec les élèves qui sont lents. Je suis patiente si mes petits élèves
comprennent lentement. En communiquant avec eux, en
plaisantant, on recommence dès le début. Il ne faut pas que l’on
soit en colère face à ce type d’élèves.510

6. Les échanges économiques


De manière générale les praticiens du topeng, ainsi que d’autres formes
spectaculaires, accomplissent un devoir rituel et sont en quelque sorte faiblement
rémunérés. En réalité, les praticiens reçoivent une petite rémunération lorsqu’ils se
présentent dans les temples et dans les cérémonies particulières. On ne connaît pas
exactement le montant moyen qu’ils touchent, mais il semble que ce montant
varie selon le prestige du danseur. Lorsque j’accompagnais à la maison un danseur
qui m’avait invitée à assister à sa présentation de topeng, il se plaignait du montant
reçu. En arrivant chez lui, il m’a montré l’argent qu’on lui avait donné et dit que
c’était très peu et qu’il ne pouvait pas vivre avec cela. Un autre danseur du même
village a également rapporté qu’il préférait se présenter à l’étranger, parce que le
public était attentif, et de plus, il était certain d’obtenir une bonne rémunération.
Ces deux praticiens de Batuan voyagent régulièrement à l’étranger afin de réaliser
des ateliers et pour participer à des projets artistiques.

Ainsi, quels sont les rapports économiques entretenus entre les apprentis étrangers
et les professeurs balinais ? Premièrement, les rapports avec les apprentis étrangers
interviewés passent par la rétribution des cours. Il s’agit là d’un sujet qui peut
s’avérer délicat, puisque les tarifs ne sont pas toujours appliqués de la même
manière à tous les apprentis. Actuellement, le tarif moyen de l’heure de cours
tourne autour des dix dollars. La question de la rémunération des professeurs m’a
semblé importante lors de l’entretien avec I Made Djimat. Avant de m’entretenir
avec lui, ce dernier m’a interrogée sur le tarif demandé par les professeurs de

510
Chelsea était une autre étudiante de Ni Nyoman Candri. Ibidem.

278
Singapadu. Je lui ai expliqué ce qui leur était accordé et il m’a répondu : « vous
avez de la chance ».

Ma première expérience avec Cristina Wistari a eu lieu dans le cadre d’un atelier
payé à ARTA. Ensuite, à Bali, les tarifs étaient très clairement établis. En 2011, j’ai
décidé de travailler à Singapadu, en poursuivant l’apprentissage du topeng avec I
Ketut Kodi et en m’initiant au chant et à la danse féminine, respectivement avec
Ni Nyoman Candri et Cok Pring. Après quelques cours, Ni Nyoman Candri m’a
invitée à rester chez elle et m’a clairement annoncé qu’à partir de là je faisais partie
de la famille, de la maison. Elle m’a alors alloué une chambre dans une résidence
secondaire de la famille et m’a invitée à partager les repas à son propre domicile,
ainsi qu’à participer aux différentes activités de sa famille. Lors des discussions
autour de leur rémunération, tous m’ont dit « non, il n’y a pas besoin ». Du fait de
mon insistance, ils m’ont demandé de payer « ce que je voulais ».

Tiffany Strawson, dont l’expérience est notamment circonscrite à Batuan, auprès


d’I Made Dimat et Ida Bagus Alit, évoque la « commodisation » de l’enseignement
de la danse, et dans cette sphère, elle est traitée comme un produit comme un
autre. En plus des cours particuliers, certains professeurs vont proposer différentes
formules de cours, comme c’est notamment le cas d’I Made Djimat, mais pas
uniquement. Les apprentis étrangers occupent également une place considérable
du fait qu’ils connaissent certains professeurs dans leurs pays d’origine ou de
résidence. Une fois le lien tissé entre eux, ils promeuvent généralement des ateliers
et des présentations de leurs professeurs à l’étranger, en plus de les recommander
auprès d’autres collègues. Il y a ainsi un réseau indirect qui se crée. Par exemple,
les comédiens du Théâtre du Soleil vont généralement aller à Batuan, étudier avec
I Made Djimat.

Toujours concernant cette question, Strawson évoque l’amour de l’argent et des


richesses, ainsi que le penchant fortement matérialiste des Balinais, comme un
élément de la culture. Selon elle, Ida Bagus Alit 511 interprèterait un ancien lontar

511
Tiffany Strawson, op. cit., p. 300.

279
de cette manière-là. La vie des Balinais serait alors divisée en périodes de sept ans
et entre l’âge de vingt-huit ans et celui de cinquante-six ans, tout serait mis en
œuvre pour acquérir le plus possible de biens matériels. Ainsi, ils seraient
encouragés socialement à prospérer économiquement. Une telle description nous
semble bien plus contemporaine que la règle traditionnellement établie. Rucina
Ballinger témoigne de ce changement dans la culture balinaise elle-même :

Quand je suis venue pour la première fois, Bali était très


différente de ce qu’elle est maintenant. Il y avait très peu de
voitures, juste un téléphone à Ubud. Il n’y avait pas d’électricité
ni de télévision. C’était plus « primitif » on pourrait dire... On
n’avait pas tellement de voitures et très peu de restaurants, très
peu d’hôtels. L’industrie du tourisme avait juste commencé, car
l’Aéroport international a été construit en 1975, quand je suis
partie. Le boom a commencé dans les années 1980. Les gens
étaient plus... Ils n’étaient pas aussi concernés par le matérialisme
qu’ils le sont aujourd’hui. Je crois que maintenant ils ont besoin
d’avoir une voiture, une moto, une belle maison... Ils ont besoin
d’avoir des choses. Et ce n’était pas le cas avant, ils étaient plus
concentrés sur la communauté. Ils n’avaient pas accès à la
télévision, donc ils ne savaient pas comment le monde extérieur
vivait. Moi, j’habitais dans une petite cabane. Je m’entraînais
quatre heures par jour, six jours par semaine. Je me présentais un
peu dans l’île avec Pak Kakul le topeng. Je n’étais pas si bonne,
vous savez, mais c’était une chose amusante pour nous deux. Et
en voyageant partout je rencontrais des personnes, toutes sortes
de Balinais merveilleux. Je ne peux pas dire qu’ils n’étaient pas
éduqués parce qu’ils n’avaient pas d’accès au monde extérieur
puisqu’il n’existait ni la télévision ni l’électricité. Les gens avaient
l’habitude de brancher leurs radios sur la batterie, la batterie des
motos. Les personnes étaient plus insulaires et définitivement
moins concentrées sur l’argent que c’est le cas aujourd’hui. 512

512
When I first came Bali was very different then it is now. Very few cars, Ubud had one telephone, no
electricity, and no television. It was much more “primitive” you could say... We didn’t have lots of roads,
definitely very few restaurants, very few hotels. The tourism industry was just stating, because the International
Airport was built in 1975, when I left. The booming started in the 1980’s. People were more... they were not
as concerned with materialism as they are now. I think now they have to have a car, a motorcycle, a nice
house... they have to have things. And it was not like this before. There was more focus on the community.
They didn’t have access to television, so they didn’t know how the outside world lived. I lived in a small hut. I
practiced four hours a day, six days a week. I performed quite a bit around the island with Pak Kakul doing
topeng. I was not that good at it, you know, but it was a fun thing for both of us to do. And travelling around
I met people, all kinds of wonderful Balinese. I would not say they were not well educated... because there was
no access to the outside world. There was very few access to the outside world, as there were no television or
electricity. People used to hook up the radios to the battery, to the motorcycle battery. People were much more
insular and definitely not focus on money like it is now. (Traduction libre) Rucina Ballinger et Juliana
Coelho, op. cit.

280
Si ce rapport direct à l’argent est observé de manière générale, on peut se
demander s’il est également vrai envers les étrangers, apprentis ou touristes. Si
cette question peut choquer, ne serait-ce pas parce qu’en toile de fond demeure de
manière très forte cet imaginaire de l’île paradisiaque. Évoquer l’amour de l’argent,
peut conduire à imaginer que tous les apprentis étrangers qui viennent à Bali vont
aussi réaliser en grande partie des ateliers de topeng ou des masques balinais dans
leurs pays et aussi demander de l’argent pour cela.

281
CHAPITRE VII
L’APPRENTISSAGE DU TOPENG :
PERCEPTIONS CROISÉES DU MASQUE

282
Les arts que j’aime le plus sont danser dans le topeng et jouer au
wayang. Ce sont des arts que vous pouvez modeler selon vos
intérêts. Le topeng est comme un creuset d’idées. Pour faire du
topeng, vous devez être bon en danse, en dialogue, en chant, lire
beaucoup de philosophie et connaître la vie sociale. 513

Sur l’ensemble de ces trois voyages, je me suis fait aussi une petite
collection de masques. J’ai commencé à travailler avec eux à
Paris, mais c’était surtout ici, au Brésil que j’ai commencé à les
utiliser comme un instrument de pédagogie, en fait. Et depuis,
c’est l’un des outils fixes de travail. On a d’autres techniques : le
travail de la voix, le travail du corps que l’on développe. Mais
c’est l’un des outils fixes du travail de la compagnie,
indépendamment des thèmes que l’on traite. Régulièrement, on
revient, on donne des stages, etc. Donc, je suis resté assez fidèle
aux masques balinais.514

Quand j’avais treize ans, je me suis rendu compte que ma voix


était moins performante, j’avais l’impression de sentir quelque
chose à l’intérieur d’une autre personne et ma chorégraphe était
trop rapide. Maintenant, après quarante et un ans, l’âme du
gambuh pénètre dans le corps. Je fais du topeng pajegan depuis
quarante et un ans, j’ai tant d’expériences, beaucoup de hauts et
de bas. Il faut que j’apprenne seul en me regardant devant le
miroir, pour après créer moi-même des mimiques accompagnées
de l’âme.515

513
The arts I like best are dancing in topeng and playing the wayang. They are arts you can mold to your own
interests. Topeng is like a container for ideas. To do topeng, you have to be good at dance, at dialogue, at
singing, read a lot of philosophy, and know social life. (Traduction libre) Kathy Foley et I Nyoman
Sedana, op. cit., p. 205.
514
Stéphane Brodt et Juliana Coelho, op. cit.
515
I Made Djimat et Juliana Coelho, op. cit.

283
1. Introduction
Cet extrait de l’entretien de Stéphane Brodt donne un aperçu de l’usage habituel
que les praticiens étrangers font du masque balinais du topeng. Dans la plupart des
cas, ces artistes se sont intéressés au topeng parce qu’ils voulaient découvrir ces
masques. Ce chapitre s’intéressera à l’expérience et au rapport que les artistes
interviewés ont entretenu avec les masques balinais du topeng. Premièrement,
seront examinés les rapports que les Balinais entretiennent avec ces masques. Ici, il
sera fait quasiment exclusivement référence aux masques et au contexte du topeng.
Les formes spectaculaires masquées comme le wayang wong ou même les masques
tels que le Barong et la Rangda ne seront pas évoqués, puisqu’ils font rarement
l’objet d’études de la part des praticiens étrangers. Certains masques sont presque
exclusivement utilisés par des Balinais et appartiennent à l’univers masculin,
comme celui de Rangda. Aucun témoignage ne mentionne apparemment leur
usage dans un contexte rituel par un étranger. Rucina Ballinger a étudié le rôle de
Rangda. Cependant, elle a joué ce rôle sans masque dans la présentation d’un
calonarang au Pura Dalem Pule à Mas, en 2014 516. Très peu de femmes ont porté ce
masque et il existe diverses histoires autour du malheur qui a touché celles qui ont
osé le porter517. Les femmes sont perçues comme étant doublement dangereuses.
D’une part, elles seraient plus vulnérables aux forces maléfiques de la magie noire,
spécialement à cause du sang de leurs règles. D’autre part, selon la tradition
tantrique balinaise, l’énergie féminine, la sakti518 est la force de vie, la force de
Shiva : « Du point de vue philosophique, la femme est une créature
spirituellement supérieure, l’énergie à travers laquelle la vie est possible. La figure
du Sidakarya dans le Topeng Sidakarya peut être plus proche des traditions
balinaises bouddhistes que des shivaïtes. »519
516
Margaret Coldiron, Carmencita Palermo et Tiffany Strawson, op. cit., p. 488.
517
Sukmawati, la fille de l’ancien président Sukarno, a étudié ce personnage dans les années 1970.
Apparemment, elle est devenue temporairement perturbée à cette époque.
518
Selon Carmencita Palermo : Women have the capacity to become high priestesses-pedanda and from
some perspectives are regarded as spiritually superior to men. According to Balinese philosophy, an unmarried
man cannot become pedanda because males are not complete by themselves: they do not have male and female
elements necessary for an individual to be balanced. By contrast, an unmarried woman can become a pedanda
because she has within herself, as woman, both male and female elements. According to the tantric tradition,
the female energy, shakti, is inseparable from the male, spirit. Because shakti is the life force of the male
element, the life force of Siva, the male cannot exist without shakti. (Traduction libre) Carmencita
Palermo, op. cit.
519
From the philosophical point of view the woman is a spiritually superior creature, the energy through which
life is possible. The Sidhakarya figure in Topeng Sidhakarya may be more closely related to Balinese Buddhist

284
Il n’existe pas, à proprement parler, d’apprentissage du jeu du masqué à Bali. Pour
ce qui est des masques entiers du topeng, lors du processus d’apprentissage, ils
seront utilisés uniquement à la fin, au moment où la danse est aisément réalisée
par l’apprenti. Plus fondamentale, la maîtrise du masque par le praticien est liée à
sa capacité de transformation, envisagée comme un grand défi, aussi bien pour le
topeng que pour d’autres formes spectaculaires. Dans le topeng, les demi-masques
passent par l’usage de la parole parlée et chantée, de l’improvisation, de la
traduction, des obligations rituelles, tout cela en jouant concomitamment
plusieurs personnages. Comme l’évoque I Made Djimat, l’apprentissage du topeng
est continuel, le praticien ne cessant de s’améliorer. Dans la vidéo 2, présente dans
les annexes de ce travail, I Made Bandem présente quelques masques du topeng :
Topeng Sidhakarya, Topeng keras, Topeng dalem et deux Bondres.

2. Apprendre les masques

Après m’avoir appris le baris, mon père m’a enseigné comment


faire le topeng. Dans les présentations de topeng, la danse, la
transformation des personnages est très importante. Vous
connaissez la danse déjà. La manière dont j’ai appris la
caractérisation du topeng ou du gambuh, c’était à travers l’histoire,
à travers la littérature. Qui est ce personnage ? C’était un grand
roi, par exemple. Un roi fort et brave ou une sorte de prêtre.
Lisez la plupart de la littérature de ce masque pour apprendre sa
caractérisation et ensuite prenez le masque avec vous tout le
temps.520

À plusieurs reprises, I Made Bandem évoque la nécessité d’acquérir des


connaissances sur les caractères du topeng, en particulier les masques nobles
entiers, par la littérature. Initialement, nous devons prendre en compte que la
notion de littérature doit ici être élargie, afin de comprendre non seulement les
textes écrits, mais également la littérature orale, autrement dit, la connaissance
orale des histoires. En plus de ces masques, les Penasar doivent également se

traditions than Sivaite ones. (Traduction libre) Ibidem.


520
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.

285
nourrir de la littérature. Leurs rôles en tant que narrateurs de la représentation
leur permettent de conduire l’histoire racontée.

Dans le cinquième chapitre, l’ensemble des connaissances que le praticien du


topeng doit acquérir tout au long de sa formation et de sa vie ont été évoquées car
dans l’île, le discours est porteur d’enseignements philosophiques et religieux, de
revendications, de critiques sociales et est un moyen d’articulation des mythes
ancestraux avec la contemporanéité. De ce fait, ces discours peuvent revêtir
diverses formes : le dialogue improvisé, le chant et le dialogue chanté. Ces formes
doivent s’articuler lors de la performance, à l’occasion d’une cérémonie religieuse
ou simplement dans une forme spectaculaire ayant pour but le divertissement. En
outre, apprendre les personnages masqués exige du praticien qu’il se transforme.

Pour l’apprentissage des personnages, il convient ici de se remémorer que, comme


on l’a vu dans le cinquième chapitre, originellement, la notion de jeu du
personnage est exprimée en balinais par le terme masolah, qui veut dire « conduite »
ou « caractère ». Les personnages de ces formes sont en quelque sorte des
archétypes et trouvent des correspondants dans d’autres formes. Les voix de ces
personnages sont reconnues par tous les Balinais, puisqu’ils les entendent durant
toute leur vie. Il s’agit là d’un aspect important de la transformation du praticien.
Par exemple, I Ketut Kodi s’est exprimé sur le topeng en insistant beaucoup plus
sur les défis vocaux que sur les aspects corporels de cette forme. Lors d’un
entretien personnel avec le professeur de son père Pak Sadeg de la ville de Batuan,
ce dernier lui a donné les conseils suivants :

Il m’a dit que si vous voulez devenir un danseur de topeng vous


devez avoir une voix aiguë, une voix moyenne, une voix basse.
Dans sa terminologie cela était mamanyak. Peut-être que ce terme
vient de banyak, qui signifie « beaucoup ». Cela signifie que vous
pouvez déplacer votre voix, partout, facilement.521

a. Le travail vocal du comédien


521
He said that if you want to become a topeng dancer you have to have a high voice, a middle voice, a low
voice. In his terminology this was mamanyak - maybe that term comes from banyak, which means "many" - it
means you can move your voice, here and there, easily. (Traduction libre) Kathy Foley et I Nyoman
Sedana, op. cit., p. 202.

286
Techniquement, je ne fais pas seulement référence au
mouvement et à la danse, mais aussi à l’articulation de la voix. Si
vous devenez un bouffon, si vous devenez un clown, comment
vous allez articuler votre ucap522, votre dialogue. Pour ceci, la
technique est nécessaire. Candri peut vous donner les voix
différentes du wayang : les hommes âgés, les Penasar, le Tualen523
et les voix basses.524

L’univers vocal balinais est constamment mis à l’écart et s’avère moins étudié par
les acteurs ou même par les chercheurs étrangers. Les premiers sont généralement
davantage intéressés par les masques, par l’entraînement corporel, et les effets
« extraquotidiens » que la pratique de la danse balinaise peut éventuellement leur
apporter. Si, historiquement, la danse balinaise a suscité une fascination
incontestable auprès des audiences européennes et américaines, l’improvisation
orale et le chant ont été relégués à un plan secondaire d’appréciation. D’un côté,
ils sont difficilement traduits, car ils sont en grande partie improvisés sur scène. En
revanche, à Bali, le discours oral et l’habileté vocale sont des atouts du performeur,
aussi importants que l’aisance et la maîtrise technique physique. Néanmoins, la
maîtrise technique n’est pas uniquement exprimée par celle des danses.

Ainsi, avoir une belle voix et maîtriser le discours oral s’avère fondamental. Par
exemple, le danseur balinais le plus connu à l’étranger, I Made Djimat, un
véritable enfant prodige de la danse, a avoué qu’à un certain moment de son
apprentissage il estimait qu’il n’avait pas une belle voix. Il s’est donc énormément
entraîné. Concernant l’entraînement de la voix, I Ketut Kodi s’exprime ainsi :

Dans le cours de chant, avec Ibu Candri, c’est pareil : le moment


d’inspirer, de retenir, de respirer et donc là aussi de gérer des
énergies. Un bon danseur doit d’abord avoir une belle voix.

522
Ucap : mot
523
Tualen, également appelé Malen, est un personnage de clown-serviteur dans la tradition du
wayang balinais dont l’origine est divine. L’histoire raconte qu’il a été créé par la poussière du corps
de Sanghyang Tunggal (le Dieu Suprême) et a été appelé pour habiter parmi les hommes vertueux.
C’est une source de connaissances. Il a un troisième œil qui indique son regard vers l’intérieur et
démontre sa sagesse. Il est le père d’un autre personnage, Merdah. I W. Dibia et Rucina Ballinger,
Balinese dance, drama and music, Tutlle, Singapore, 2004, 112 p.
524
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.

287
Ensuite, il doit savoir gérer ses énergies. (...) Ibu Candri vous l’a
dit. C’est la technique et les sentiments/le rasa.525

Le terme employé afin de « gérer les énergies » est ngunda bayu. Selon certains
auteurs, ce savoir serait intimement lié à la transformation, à l’incarnation du
masque chez le praticien. Il est constamment évoqué par les praticiens et les
chercheurs étrangers et fera l’objet d’une étude plus attentive dans le prochain
chapitre, puisqu’il est également lié à la notion de taksu. Encore une fois, le
contexte balinais est complexe, les formes artistiques ayant des variations
considérables d’un village à l’autre.

L’apprentissage vocal se fait différemment, puisque les voix des personnages sont
connues de tous, ce sont aussi des voix archétypiques : l’apprenti doit déjà les
connaître. Étant donné que j’étais intéressée par l’apprentissage vocal du topeng,
j’ai suivi des cours avec Ni Nyoman Candri. La vidéo 4 présente dans les annexes
de ce travail présente quelques extraits de l’enseignement vocal dispensé par Ni
Nyoman Candri. Ainsi, aussi bien pour le chant que pour la danse, le processus est
d’abord centré sur une dynamique d’exposition du maître, suivie de la répétition
de l’élève. Par exemple, nous avons débuté l’apprentissage des tembang macapat et
des voix des personnages du wayang kulit. Les tembang macapat sont des vers, les
chansons du répertoire d’arja. Il existe différents types de tembang associés à une
métrique, un schéma rythmique et une longueur propres. Il est important de
mentionner que les comédiens d’arja doivent être capables de chanter les tembang
en dansant, d’incarner leurs rôles, de raconter l’histoire, de travailler des dialogues
improvisés et non improvisés, dans les différentes atmosphères de jeu. Une grande
partie du dialogue chanté est également improvisée. Par conséquent, de même que
pour d’autres formes spectaculaires, dans le topeng, la créativité (perkembangan) des
praticiens s’avère essentielle.

En outre, en ce qui concerne le travail vocal, la forme même du masque est un


grand guide pour le praticien, comme le décrit I Made Bandem dans l’exemple du
Sidhakarya :

525
I Ketut Kodi et Juliana Coelho, op. cit.

288
En tenant celui-ci, d’abord mon père me demandait toujours
d’ouvrir mes dents, en essayant d’imiter son caractère. Quand
vous jouez ce masque, de derrière le masque, vous devez exprimer
exactement ceci. Et il me demandait juste d’ouvrir mes dents et la
bouche comme ça (il montre). Et de bouger le sourcil comme son
caractère... sauvage (il montre)… en imitant le visage du masque.526

Quand I Made Bandem parle d’« imiter son caractère », il fait référence au visage
même du masque, à la forme de son visage et aux expressions qu’il renferme. Cette
indication fut également donnée par d’autres praticiens balinais : le visage du
praticien doit se métamorphoser derrière le masque. Autrement dit, le praticien
doit reproduire derrière l’expression du masque qu’il porte. De plus, pour les
demi-masques parlants, le praticien doit en quelque sorte prolonger l’expression
du bord du masque jusqu’à sa mandibule. Cela contribue également à donner une
forme à la bouche du praticien, et à faciliter la sortie du son. Il s’agit d’une
indication concrète pour la transformation.

b. Les Bondres
Comme déjà évoqué antérieurement, l’apprentissage des demi-masques n’est pas
systématisé à Bali. Traditionnellement, l’apprenti est « jeté dans l’eau » directement
sur scène. On observe chez I Made Djimat, l’enseignement de « partitions brèves »
pour les Bondres. Ainsi, certains personnages sont enseignés avec une petite danse
introductrice ou une partition de gestes propres527.

De même que pour la danse, une petite cérémonie, par exemple, dans un temple
familial du professeur, représentera l’occasion où l’apprenti pourra s’exposer avec
moins de pression. Parmi les étrangers interviewés, seules Cristina Wistari et
Rucina Ballinger ont fait cette expérience. En ce sens-là, son témoignage illustre
bien le défi que constitue cette démarche pour un étranger :

J’ai joué les Bondres dans les années 1970. Kakul m’a dit : « Tu
dois faire le Bondres dans ma langue ». Je ne parlais pas très bien
le balinais à cette époque-là. Je parlais indonésien, mais je ne
connaissais pas l’histoire, alors j’étais terrifiée. C’était dans un
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.
526

527
Il convient de se demander si cette méthodologie d’apprentissage des Bondres n’est pas une
contribution de Cristina Wistari.

289
mariage à Batuan, je me souviens très bien. J’ai fait le Topeng
keras. Il m’a donné un masque. Je l’ai mis vite sans même avoir le
temps de le voir, et il m’a dit : « Va demander oleh-oleh. Va
demander de la présence. » (...) Je ne l’ai pas fait très bien et
alors, son fils qui dansait m’a demandé de sortir de scène. Le
lendemain, les personnes du village m’ont dit : « Ton Topeng
keras est très bien, mais ne fais pas le clown. ». Maintenant, je
suis un clown. Cela a pris du temps, plusieurs années, mais
maintenant l’humour ressort. Mais, je ne le fais pas avec le topeng,
je le fais avec d’autres masques, alors, c’est un peu différent. J’ai
étudié le Topeng tua et le Topeng dalem, mais celui qui a
résonné le plus était le Topeng keras. Quand Cristina et moi,
nous avons commencé le Topeng Shakti, j’ai fait un peu de
Topeng keras et de Topeng keras lucu.528

La description donnée par Rucina Ballinger de sa première improvisation avec un


Bondres, donne un aperçu de la difficulté qu’il y a à jouer ces masques dans le
contexte balinais pour un étranger. Il est nécessaire d’articuler l’improvisation
verbale et une ligne dramaturgique connue par les Balinais, dans une variété de
langues qui sont étrangères pour ces artistes.

c. Les rites à passer : se marier avec les masques

C’est pourquoi il me demandait de dormir avec le masque. Il m’a


demandé de me marier avec les masques parce que l’on doit
connaître les personnages. Ainsi, pour faire un bon personnage
de ce masque, vous devez dormir avec le masque, dormir et
étudier son caractère.529

Lors de l’entretien avec I Made Bandem, l’extrait « (...) vous devez dormir avec le
masque (...) » m’a énormément frappée. D’un côté, parce que cette démarche nous
semble judicieuse pour la pratique du masque en général et de l’autre, car elle m’a
528
I did Bondres once in the seventies and Kakul told me, he said : “You have to do a Bondres on my
language.» I didn’t speak balinese very well then. I spoke indonesian, but I didn’t know the history, so I was
scared to death. I did the topeng keras, it was for a wedding in Batuan I still remember very clearly. He just
gave me a mask, I put it on even without looking what it looked liked and he said: “Go for ask for oleh-oleh.
Go ask for presence. » (...) I didn’t do very well and then, his son that was dancing, told me to go out of stage.
The next day the people in the village said: “Your topeng keras is very good, but don’t do the clown work.” And
now I am a clown. It’s taken many years, but now the humour comes out. But I don’t do it with the topeng, I
do with other masks, so it is a little bit different. I studied topeng tua and I studied topeng dalem, but what
resonated most with me was topeng keras. When Cristina and I started with the Topeng Shakti group I did a
couple of topeng keras and topeng keras lucu, the funny mouth. (Traduction libre) Rucina Ballinger et
Juliana Coelho, op. cit.
529
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.

290
intriguée. Il est bien vrai que des expressions telles que menunggal topeng, c’est-à-
dire, se marier avec les masques, ou « être un seul », en termes de rapport entre le
masque et le comédien sont couramment employées. De plus, une indication
courante donnée aux danseurs-chanteurs-joueurs est de kawin dengan musik, « se
marier avec la musique » ou autrement dit, menyatu, « être musique ». Cela ne se
restreint pas au rapport avec le masque. Le danseur doit aussi kawin dengan musik,
« se marier avec la musique » ou autrement dit, menyatu, « être musique »530,
puisque toute forme performative balinaise est accompagnée de la musique, jouée
par le gamelan.

Cependant, pour le praticien balinais cette expression est plus qu’une métaphore.
L’un des rites que le praticien du topeng doit accomplir est justement le mesapakan.
Lors de cette cérémonie, l’apprenti va se marier avec les masques ou les coiffes
d’un personnage. Il lui faut également passer par des cérémonies de purification,
mewinten, qui sont généralement au nombre de trois : mewinten alit, une simple
purification avec des fleurs, le mewinten madnya, la purification moyenne, dans un
temple et enfin, la mewinten agung, ou grande purification, à l’occasion de laquelle
on passera trois à quatre jours dans un temple, à recevoir de l’eau sacrée et des
offrandes en grandes quantités. Parmi ces trois cérémonies mewinten, la dernière
est généralement réservée aux prêtres et aux praticiens du topeng531. En
accomplissant ces obligations, le praticien obtient un statut plus élevé. Les
masques passent également par le melapas, un rituel où un objet est transformé en
une nouvelle entité. Ainsi, d’ordinaire l’objet devient sacré.

Néanmoins, certains praticiens évoquent le fait qu’il n’existerait pas forcément de


rapport entre la transformation du praticien et les cérémonies mentionnées. De
même, le fait que la présentation ait lieu lors de cérémonies ne garantit pas sa
réussite. Selon I Gusti Ngurah Windia, le praticien est « quelqu’un avec le
masque ». Pour d’autres :

530
Carmencita Palermo, op. cit.
531
I. W Dibia, Rucina Ballinger et Barbara Anello, op. cit., p. 17.

291
Conviction, concentration et visualisation du personnage-masque
à travers la méditation sont les ingrédients indispensables pour
une bonne performance, selon un pedanda Buddha. Celui qui
porte le masque doit être capable de visualiser les caractéristiques
des personnages, qui sont des figures très connues dans les
histoires représentées lors des performances de topeng et
convaincre le public qu’il regarde le personnage et non un
performeur.532

3. Sous le rayonnement du Théâtre du Soleil


Ainsi, du fait que l’apprentissage des Bondres n’est pas systématique, un certain
dilemme se pose lorsque certains praticiens intéressés par ce travail vont à Bali.
L’un des comédiens du Théâtre du Soleil, ainsi que Lucia Bensasson, avouent
avoir été déçus par le jeu des Bondres qu’ils ont observé à Bali. Le jeu des Balinais
semble moins physique, dépourvu d’une construction corporelle du personnage et
trop centré sur le discours. Ariane Mnouchkine a parfaitement saisi cette
dynamique verbale des masques balinais. Ainsi, lorsqu’elle travaille ces masques
elle souligne leur « caractère » parleur, par opposition à d’autres masques comme
ceux de la commedia dell’arte. Effectivement, Ariane Mnouchkine a en quelque
sorte inauguré cette voie, puisque le Théâtre du Soleil a été l’un des premiers
groupes en France à utiliser les masques du topeng dans son travail. De plus,
l’expérience du Théâtre du Soleil a influencé des générations diverses, en France et
à l’étranger. Par exemple, c’est avec l’Amok Teatro que ces masques ont fait leur
entrée au Brésil. Par conséquent, il existe une similarité dans leur usage, une
correspondance importante avec celui du Théâtre du Soleil : Je sais que ma
pédagogie de masque est très liée à Ariane, parce que c’est une méthode de travail avec le
masque533.

L’intérêt d’Ariane Mnouchkine pour les masques est bien connu. Son utilisation
au Théâtre du Soleil a marqué le parcours de la troupe et de nombres de
comédiens qui y ont travaillé. Sous l’impulsion de Mnouchkine plusieurs
comédiens et comédiennes se sont rendus à Bali, dont Lucia Bensasson, Duccio

532
Carmencita Palermo, op. cit.
533
Stéphane Brodt et Juliana Coelho, op. cit. Ana Teixeira souligne cette influence en ces termes :
« Après, avec le temps, il a découvert ses propres chemins, il a développé ses propres méthodes.
Mais, au début, il a apporté l’expérience du Soleil et l’approche d’Ariane avec le masque. »

292
Bellugi-Vannucinni, Stéphane Brodt et Guy Freixe. D’après Ariane Mnouchkine,
le masque « (...) c’est l’Autre mis en forme »534. Le vocabulaire qu’elle emploie
laisse entendre qu’il s’agit d’un objet qui permet au comédien d’accéder à des
champs mystérieux : « Vous mettez un masque et quand vous vous regardez dans la
glace, vous êtes devenu l’Autre. Et si vous n’obéissez pas à l’âme de cet autre, vous
êtes fichu. »535. Ainsi, parmi l’ensemble des masques, elle accorde une préférence
toute particulière aux masques balinais et japonais :

J’ai un faible pour les masques balinais et japonais. Les Balinais


pour tout ce qui est farce et parce qu’ils sont si musicaux, si
bavards et si drôles ; les Japonais parce que ce sont les plus beaux,
les plus tragiques, les plus humains et divins. Ils ont dépassé ceux
de la commedia dell’arte, un peu abstraits.536

Le travail du masque s’est progressivement développé au sein de la troupe, à partir


du spectacle L’Âge d’or, comme nous l’avons vu dans le premier chapitre. Il
s’agissait alors d’un processus d’apprentissage collectif, autodidacte. Le travail
d’Ariane Mnouchkine n’a pas consisté à rechercher anthropologiquement le jeu
des masques balinais. D’ailleurs, elle a évoqué vouloir conserver une certaine
ignorance des cultures asiatiques qu’elle apprécie tant. De ce fait, son travail avec
ces masques a consisté à les employer en tant que masques théâtraux. Ainsi, c’est
tout le travail de transformation du comédien qu’elle approchera à travers les
masques, mais pas seulement. Les masques sont des instruments d’improvisation
pour le comédien, cette faculté qu’elle définit comme une « musculation de
l’imagination ». De plus, le comédien masqué doit nécessairement modifier son
corps, sa gestuelle, et trouver ainsi un jeu corporel artificiel, par opposition au jeu
naturaliste. Ainsi, à travers les masques, qu’ils soient balinais, japonais ou de la
commedia dell’arte, Mnouchkine cherche à révéler les lois du théâtre, tout du moins
de son théâtre. Cette direction est ainsi reprise par Stéphane Brodt à l’Amok
Teatro :

Donc, j’aime bien cette idée en fait, de travailler avec le masque


pour retrouver l’esprit, l’essence du théâtre, de toute forme de

534
Ariane Mnouchkine et Fabienne Pascaud, L’art du présent, Paris, Plon, 2005, p. 192.
535
Ibidem.
536
Ibidem.

293
théâtre. Ce que nous avons continué à développer avec l’Amok,
c’est un peu ça, c’est ce qui m’est resté. En fait, je crois que les
masques du Soleil, dans ma formation, sont plus forts que ceux
que j’ai rencontrés à Bali. Et même si ceux que j’ai rencontrés à
Bali étaient merveilleux, merveilleux. L’étude des voix, l’étude du
travail du masque. J’assistais à beaucoup de cérémonies. C’était
un type de théâtre que l’on a découvert à l’époque et qui était
merveilleux.537

Grâce au Théâtre du Soleil et à ARTA, plusieurs grands stages de topeng ont été
organisés à Paris. I Made Djimat était le praticien balinais le plus fréquemment
invité, aux côtés de Cristina Wistari Formaggia. Ainsi, selon Lucia Bensasson, ces
ateliers à la Cartoucherie lui ont offert de nouvelles manières de voir le masque:

En même temps, c’était la découverte de comment le masque,


avec cette posture, est extrêmement vivant. C’était
impressionnant de voir Djimat, qui mettait ces masques à côté de
son visage et qui avait la tête de ces masques-là. Il montrait le
personnage, puis il mettait son masque à côté et on voyait sa
tension qui devenait celle du masque. Donc, les acteurs
travaillaient les codes, le corps du masque. En réalité, c’est ce qui
se passe à Bali, c’est-à-dire que le danseur ne porte pas le masque
que pour danser. L’apprentissage se fait sans le masque. C’est le
corps du masque qui est enseigné, les codes du masque. Ce n’est
qu’au bout de six mois qu’un acteur est autorisé à porter un
masque.538

Dans la perspective du Théâtre du Soleil et des praticiens qui sont influencés par
cette expérience, le masque balinais est employé en tant qu’outil 539 pour le
comédien. Le masque est un moyen, un instrument permettant de découvrir ou
redécouvrir les lois du théâtre :

Ce n’est pas une formation spécifique pour ceux qui veulent faire
du masque. En fait, elle cherche des lois, elle révèle des lois du
théâtre avec le masque qui sont communes à toutes les formes de
théâtre. C’est une idée, une manière d’aborder le plateau, une
manière d’aborder le personnage, le personnage sans ou avec
masque. Le respect. L’idée qu’il y a un personnage. Il faut que tu
te mettes derrière le masque, il faut que tu te mettes derrière le
personnage. Ce sont des codes qui sont valables pour toute
forme de travail. L’idée que tu ne peux pas t’imposer au masque,

537
Stéphane Brodt et Juliana Coelho, op. cit.
538
Lucia Bensasson et Juliana Coelho, op. cit.
539
En ce sens, Nathalie Gauthard a écrit un mémoire de master 1 portant sur l’utilisation des
masques balinais en tant qu’outil pour le comédien.

294
il faut que tu te mettes au service du masque. Après, quand tu
enlèves le masque, si tu vas approcher n’importe quel
personnage, c’est le même fonctionnement. Au théâtre, le corps
entier est masque.540

540
Stéphane Brodt et Juliana Coelho, op. cit.

295
CHAPITRE VIII
TAKSU : DÉFINITIONS CROISÉES AUTOUR
DE CETTE NOTION

296
1. Introduction541
Ce chapitre portera sur l’examen de la signification de taksu en tant que notion
complexe dans le contexte balinais, ainsi qu’à son utilisation par des auteurs et
praticiens étrangers. Le mot taksu est exclusivement balinais542, même si son
étymologie peut éventuellement venir du sanskrit. L’intention est d’essayer de
saisir les différents aspects que cette notion englobe auprès des praticiens balinais.
Ainsi, il ne s’agira en aucun cas de la circonscrire ou la réduire, et pas non plus de
la traduire, mais d’essayer de comprendre son usage diffus et sa signification
hétéroclite.

Prendre en compte le caractère multiple de la notion de taksu est d’une


importance fondamentale. Cette multiplicité comprend de façon cohérente et
concomitante plusieurs significations dans des situations et pour des contextes
différents. Autrement dit, taksu peut connaître différentes manifestations. Enfin,
ces praticiens balinais vont s’exprimer sur le taksu du point de vue des praticiens,
observateurs et connaisseurs. Cela n’est pas une affaire facile. I Ketut Kodi et Ni
Nyoman Candri, par exemple, ont éprouvé des difficultés à définir taksu. Pour
certains543, taksu est circonscrit aux praticiens de la scène et aux guérisseurs, pour
d’autres, il pourrait être accessible à toute personne habile dans son travail.

Dans le chapitre précédent, le mot taksu a été évoqué, sans y prêter une attention
particulière. Par exemple, dans un extrait de son témoignage, I Made Bandem s’est
exprimé au sujet du manque de taksu dans l’ISI Denpasar. Effectivement, lors de
mon séjour à Bali en 2011, j’ai assisté à une discussion 544 entre I Made Bandem et

541
Trois thèses non publiées travaillent sur cette problématique de manière très intéressante et
complète, englobant les multiples significations de taksu : Topeng of Bali : Continuity and Change,
d’Elisabeth Young, Topeng Pajegan : the mask dance of Bali, de Deborah Gail Dunn et Towards the
Embodiment of the Mask : Balinese Topeng in Contemporary Practice, de Carmencita Palermo. On est
ainsi très redevable à ces trois travaux, entre autres, et l’on recommande vivement ces trois thèses
pour une appréhension plus approfondie du topeng.
542
Stephen Davies, « Balinese Aesthetics » , The Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol. 65 / 1,
janvier 2007, p. 21.
543
I. W Dibia, Rucina Ballinger et Barbara Anello, op. cit., p. 11.
544
La discussion tournait autour des propos d’un professeur de l’ISI sur les élèves de l’école, le
manque de taksu, et à la fin, a traité de la commission du gouvernement de Papouasie-Nouvelle-
Guinée qui s’était rendue à Bali pour réaliser des affaires. J’ai plus ou moins compris les arguments
de la discussion sans pour autant en saisir les nuances ou les opinions personnelles. De temps en
temps, Pak Bandem traduisait ce qui se passait.

297
certains professeurs de l’ISI dont le sujet était le manque de taksu observé par ces
professeurs dans cette école : « Il n’y a pas taksu là-bas ». Dans son entretien, I
Made Bandem est revenu sur ce thème, en établissant un rapport entre
l’enseignement de la danse balinaise dans les universités états-uniennes et celui
dispensé à Bali :

Par exemple, à l’Université, il y a les mêmes questions


concernant l’enseignement de la danse qu’ici. On ne peut pas
être très complet et il y a toujours quelque chose qui manque. Je
vous ai parlé du manque dans l’ASTI Denpasar 545, il manque un
peu de taksu là-bas, ils mettent plus d’accent sur la technique. 546

Plus loin dans son discours, il revient sur ce fait :

Maintenant à l’ASTI, ils utilisent cette méthode bien sûr, sauf


qu’il y manque taksu. Et savez-vous pourquoi ? Parce qu’ils sont
très à l’instant près dans les cours. Seulement la technique. Après
un mois de création, ils dansent et ils se présentent. Ensuite, ils
oublient. Il n’y a pas de temps, il n’y a pas de temps dépensé en
compréhension, en appréciation, en étude approfondie par
l’expérience. L’ASTI me préoccupe en ce moment, car ils n’ont
pas beaucoup de bagage culturel pour discuter avec le public. 547

La problématique de l’enseignement au sein de l’ISI Denpasar avait brièvement été


abordée dans le chapitre précédent. Si l’on se penche sur cette réunion, si on
méconnaît l’acception du mot taksu, on pourrait déjà penser à une notion qui
s’oppose à la technique et différente de la maîtrise technique des arts performatifs.
De plus, à plusieurs reprises, I Made Bandem évoque taksu comme un contre-
argument pour la technique. De ce fait, nous avons demandé aux praticiens
balinais interviewés « qu’est-ce que c’est taksu ? ». Il convient d’examiner comment
ils se sont exprimés à ce sujet.

2. Tasku en tant que le charisme, la présence sur scène


La définition la plus courante de taksu est présentée en ces termes par I Made
Bandem : « le pouvoir intérieur, le charisme, la bonne présence de scène »548. C’est

545
I Made Bandem cite le nom ASTI en faisant référence à l’ISI Denpasar.
546
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.
547
Ibidem.
548
On juge que cette définition a refait surface chez la plupart des auteurs.

298
le praticien qui a le plus longuement parlé de ce sujet, puisque taksu est censé être
quelque chose auquel tous les artistes veulent accéder :

Maintenant, je parle de taksu. Ainsi, dans la danse balinaise, dans


la présentation, taksu est un aspect très important à atteindre.
Chaque personne qui joue, qu’importe où elle se présente, veut
atteindre taksu. Le pouvoir intérieur, le charisme, la bonne
présence de scène. Vous pouvez étudier la danse balinaise à partir
de deux aspects. Le premier est l’aspect physique, le mouvement,
l’aspect technique. Le mouvement : agem, tandang et tangkis. Tous
les mouvements en correspondance avec le costume, avec
l’expression. Vous devez comprendre tous les aspects techniques
de la danse à Bali. Et, après cela, nous pouvons parler de l’aspect
mental ou l’aspect spirituel, quel que soit le nom que vous lui
donnez. C’est la motivation pour la présentation. Parfois pour les
présentations sur une scène, parfois pour les présentations à buts
rituels, les cérémonies de mariage par exemple... Mais, il y a une
motivation pour faire chaque chose. 549

D’abord, Bandem explique que l’étude et la technique de la danse sont


fondamentales. Ensuite, il définit le besoin de travailler l’aspect mental ou spirituel
de la présentation, après quoi il les associe à « la motivation ». Observons
également que cette motivation serait aussi importante pour réaliser un spectacle
tant dans un but rituel que purement spectaculaire. Alors, à toutes ces occasions,
notamment dans le contexte du topeng, où le praticien doit jouer plusieurs rôles, la
transformation s’avère indispensable. Elle est nécessaire pour la création de l’unité
même avec le public :

Le défi est la transformation, la caractérisation. Il y a une


transformation en personnages pour créer une unité avec le
public. La présence de scène, taksu est la présence de scène.
Quand vous comprenez, quand vous maîtrisez les mouvements,
quand vous apprenez le contexte culturel, l’histoire, la
caractérisation du masque et aussi les différents personnages de
l’histoire, vous pouvez interpréter les personnages et les réunir
avec l’aspect technique de tout cela, et finalement, avoir une très
bonne présence de scène.550

Encore une fois, Bandem évoque le besoin d’union avec le public, qu’il redéfinit
ensuite par « présence de scène ». Les éléments techniques, historiques et culturels

549
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.
550
Ibidem.

299
ne sont pas oubliés ni mis de côté, mais évoqués comme étant nécessaires à cette
présence de scène. Le praticien doit savoir réunir l’ensemble de ces éléments, pour
avoir une bonne présence de scène, c’est-à-dire, taksu. Cependant, par la suite, il
parle de la spécificité du taksu dans le contexte balinais :

Cependant, le peuple balinais a en plus un Seigneur, ils ont un


code, ils ont un dharma. Dharma Pagambuhan, par exemple. Si
vous lisez la dissertation de Swuasthi, elle a trouvé de vieux lontar
en balinais du Dharma Pagambuhan. C’est le code et l’éthique
pour l’étude du gambuh. La caractérisation, les voix et les mantra.
Étant donné que taksu à Bali est aussi lié à un type d’autel et à
Dieu, quelle que soit la manière dont vous l’appelez. Nous
devons prier avant la danse. Lors de chaque présentation, il y a
d e s mantras qui unifient tous les aspects : spirituel, mental et
physique. Ils doivent être rassemblés et pour ce faire, vous devez
contrôler votre énergie. Le bayu est très important. Ainsi, tous les
Balinais essayent d’atteindre taksu dans différentes présentations.
Et je suis sûr que les étrangers peuvent aussi le faire. 551

Dans cet extrait, I Made Bandem évoque à nouveau le besoin d’unification, cette
fois chez le praticien lui-même. Les rituels réalisés et les mantras prononcés avant la
représentation ont pour but d’unifier ces aspects: Nous devons prier avant la danse.
Dans toutes les présentations, il y a des mantras qui unifient tout : l’aspect spirituel, mental
et physique. Le nom ou la définition théologique du Dieu ne seraient pas
nécessairement importants. Ainsi, bayu ou le contrôle de l’énergie s’avère
fondamental. Ce terme est constamment traduit par énergie et il sera analysé plus
avant. Finalement, même en considérant la particularité de l’aspect religieux
englobé dans taksu, I Made Bandem considère qu’il s’agit de quelque chose auquel
les étrangers peuvent avoir accès :

Si vous comprenez profondément la culture, si vous vivez ici pour


plus de temps, si vous apprenez par des professeurs différents, en
parlant avec des professeurs différents, si vous lisez toute la
littérature, je suis sûr que vous obtiendrez taksu. J’ai confiance en
cela.552

La notion de taksu n’est pas circonscrite au topeng. À l’inverse, elle est employée
pour toutes les formes de la scène. Dans le contexte du gambuh par exemple, aussi
551
Ibidem.
552
Ibidem.

300
bien Adrian Vickers, que Michel Picard évoquent la place sacrée privilégiée
occupée par les coiffures553. Elles sont considérées comme des objets qui favorisent
l’union entre le praticien et le taksu de chaque personnage. Vickers le traduit par
l’inspiration ou l’esprit de chaque personnage. Alors pour Vickers, s’il y avait un
taksu pour chaque personnage, taksu serait-il également esprit ? Pour Stephen
Davis554 également, le taksu est une énergie et une inspiration spirituelle que les
masques, les personnages, les marionnettes et les armes cérémonielles peuvent
avoir.

3. Tasku en tant que pasupati


Lors de son entretien, I Made Bandem a également évoqué le mot taksu lorsqu’il a
présenté quelques masques de la collection de sa famille dont certains lui avaient
été offerts par le raja de Klungkung, après avoir été confectionnés par un pedanda.
Bandem a ainsi parlé des inscriptions gravées à l’intérieur des masques :

Parce que celui-ci a été fait par un prêtre. Ceci est non seulement
une formule, mais il contient quelques mantras, de comment
inviter... Ici, taksu signifie le pouvoir. Le prêtre a donné du
pouvoir au masque pour qu’il devienne non seulement un
masque en bois, mais quelque chose d’autre... Il y a une âme
derrière lui. Puisque quand un masque est fait pour une
présentation, il faut avoir une âme dans le masque, une vie. Des
personnes comme le roi, quand il finit et il prend le masque, il a
besoin de pasupati555. Si vous ne jouez pas avec un masque, vous
pouvez aller à un temple et demander pasupati. Pasupati est le
pouvoir du Dieu Shiva pour qu’il fasse partie de votre esprit, de
votre formation, pour vous donner le pouvoir pasupati ou taksu.
À Bali, Shiva est le Dieu de la danse, n’est-ce pas ? Ceci décrit
quelques formules, différents caractères sacrés, inscrits par le
prêtre qui a fait ce masque. Puisqu’il a voulu le faire comme un
héritage. C’est un masque puissant, vivant. Quand vous jouez,
vous êtes vivant comme ce masque. Donc, cela est très important
pour eux, inscrire des mantras, des syllabes sacrées, des caractères
balinais sacrés.556

553
Stephen Davies, « Balinese Aesthetics » , The Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol. 65 / 1,
janvier 2007, p. 21.
554
Stephen Davies, op. cit.
555
J. Hooykaas, « The Mith of the young cowherd and the little girl », Bijdrgen tot de Taal-, Land-en
Volkenkunde, Deel 117, 2de Afl. (1961), p.270.
556
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.

301
Ici, tasku est perçu en tant que pasupati, à savoir le pouvoir attribué à Shiva.
Pasupati est un pouvoir qui peut être obtenu au moyen des inscriptions réalisées
par un pedanda. Certaines familles particulières peuvent posséder des masques
dont le pouvoir est réputé être transmis de génération en génération. Il existe des
masques spécifiques comme ceux du Barong et de Rangda, qui sont sortis du
temple uniquement pour participer à la présentation et sont immédiatement
restitués à la fin de la danse. Les masques, tout comme d’autres objets tels que les
instruments de musique et les marionnettes, peuvent avoir le taksu :

Avant la représentation, non seulement le kalangan mais


également les danseurs et leurs coiffes (gelungan), ainsi que les
musiciens et leurs instruments, doivent être purifiés, protégés et
consacrés par un prêtre (pamangku), au moyen d’offrandes, d’eau
lustrale et d’invocations. Pour nous en tenir aux danseurs, ils
sont susceptibles de se trouver en butte aux attaques de forces
hostiles durant leur prestation, contre lesquelles ils tentent de se
prémunir en plaçant certaines fleurs ou feuilles sur leur coiffe.
Par ailleurs, ils cherchent à s’associer le concours d’une
« inspiration » d’origine surnaturelle — le taksu — dans l’intention
de captiver les spectateurs et d’assurer le succès du spectacle.
Selon certains lettrés, cette inspiration n’appartient pas en propre
au danseur, mais lui vient du personnage qu’il interprète et elle
est censée résider dans la coiffe qui caractérise celui-ci. Enfin, il
existe tout un savoir ésotérique consigné dans des lontar (Dharma
Pagambuhan, Aji Gurnita), associant notamment certains
personnages du gambuh à des divinités, qui — même s’il est
largement oublié de nos jours — témoigne de l’aura de ritualisme
attachée à cet art. 557

Comme l’observe Michel Picard, certains lettrés assimilent le taksu à une


inspiration ou un esprit qui visite le danseur et non à une qualité innée de ce
dernier. La plupart des études et même des discussions que j’ai pu partager avec les
Balinais ont témoigné de cette conception, à l’exception d’un mangku558, qui est
également danseur de topeng et de gambuh, et qui a préféré rester dans l’anonymat.
À l’occasion, il m’a révélé, de manière assez éloquente, que ce n’était pas le
masque qui devait posséder le taksu, mais bel et bien le danseur. Ensuite, il a
affirmé que le masque était seulement un bout de bois.

557
Michel Picard, « Le gambuh : grandeur, décadence et renaissance (?) du théâtre à Bali », Archipel,
55-1, 1998, p. 155.
558
Le mangku est un sacerdote de classe sudra.

302
Toujours pour Adrian Vickers559, dans le théâtre masqué, les masques pourraient
avoir le pouvoir de permettre l’incarnation du personnage. Ainsi, la performance
n’est pas basée sur l’ego du performeur, puisque la qualité de la performance
émane de l’extérieur du performeur, étant lui-même un véhicule pour la
performance. Les histoires et les traditions liées à la forme théâtrale, ainsi que
l’existence même des personnages, s’avèrent fondamentales pour posséder cette
qualité560.

4. Le tasku : est-il un pouvoir inné, acquis ou sujet à visitation ?


Ainsi, une autre question posée à I Made Bandem concernait la nature de
l’acquisition du taksu. S’agit-il d’un pouvoir inné du praticien ou d’un pouvoir à
acquérir potentiellement :

En réalité, c’est une combinaison des deux, parce qu’« être né


avec » signifie avoir du talent. Si vous avez du talent, cela veut
dire que vous êtes rapide pour apprendre chaque aspect de la
danse que vous aimez présenter. Techniquement, je ne fais pas
seulement référence au mouvement et à la danse, mais aussi à
l’articulation de la voix. Si vous apprenez ceci, facilement vous
pouvez avoir le taksu. Ainsi, le taksu peut être pour tout le
monde, pas seulement pour le Balinais !561

Cependant, dans cet extrait, et pendant tout l’entretien, Bandem a


continuellement réaffirmé le rôle des cérémonies et des prières pour le taksu : (...)
Il y a un pouvoir qui rentre.

5. L’accumulation de la technique, du ressenti et du rituel

559
Adrian Vickers, Journeys of desire: a study of the Balinese text Malat / Adrian Vickers, Leiden, KITLV
Press, 2005, (« Verhandelingen van het Koninklijk Instituut voor Taal-, Land- en Volkenkunde;
217 »), p. 30.
560
En faisant référence à la peinture de la province de Karagasem plus avant dans son ouvrage et à
partir de l’observation du travail et de la discussion avec les peintres du village de Kamasan, Vickers
définit le taksu ainsi : (...) and in any case artists say that they work as a channel of an outside force, called
taksu, which may be interpreted in Western term as ‘inspiration. Taksu, however, is often considered as a kind
of immaterial being which harnesses the energy of a higher (usually unspecified) form of agent. Adrian
Vickers, op. cit.p. 201
561
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.

303
L’affirmation de Bandem peut être doublement comprise. Même s’il commence
par souligner la capacité de l’apprenti à apprendre rapidement la danse, il
réaffirme continuellement que l’apprentissage de la danse et de la parole est une
voie d’acquisition du tasku. Ici, le taksu est très clairement lié à l’apprentissage
technique et on sous-entend que la rapidité avec laquelle certains éléments
techniques sont appris serait un aspect qui contribuerait à l’acquisition du taksu.
En ce sens, I Ketut Kodi s’exprime ici sur une formulation d’I Wayan Dibia selon
laquelle le taksu serait l’association de la technique, du ressenti et du rituel :

Voici ce que disait le professeur Dibia : c’est un mariage entre la


technique, le ressenti562 et les rituels. Pour bien danser, il faut
rajouter la force de l’intérieur. Il y a les gestes calmes, d’autres
sont dynamiques.563

Kodi fait ici référence à la force qui vient de l’intérieur. Probablement, évoque-t-il
l’importance de savoir gérer les énergies du corps, comme on le verra plus loin. De
même, selon cette définition, l’aspect rituel serait lui aussi indispensable :

Les rituels, c’est parce que danser c’est faire un rappel aux Dieux
(dewa). On a des cérémonies qui font partie des rituels. Pas
seulement les rituels banten, les offrandes, mais il faut aussi se
rappeler Dieu ou prier les Dieux (dewa) qui règnent là où l’on
est.564

Chez Kodi, l’action de danser est particulièrement circonscrite au contexte


religieux, puisqu’il s’agit d’appeler les dewa de la région. Analogiquement, selon I
Made Djimat la prière peut être adressée au Dieu, dans n’importe quelle partie du
monde :

Comme vous aimez me regarder danser, vous allez aimer


apprendre cette danse avec moi parce que je suis en taksu. Les
Dieux sont déjà entrés dans votre corps et le mien, c’est cela ce
que l’on appelle taksu pour les hindouistes. Peut-être pour les
Brésiliens, vous avez aussi le taksu; comment prier. Le Dieu est
un, celui des chrétiens, celui des musulmans, celui des
hindouistes, notre Dieu est le même. Il n’y a pas beaucoup de

562
Erina Suburi et moi, nous avons traduit le mot rasa par le « ressenti ».
563
I Ketut Kodi et Juliana Coelho, op. cit.
564
Ibidem.

304
Dieux, juste un. Taksu vient uniquement de nous; on demande
de l’aide à Dieu, s’il souhaite nous l’offrir, le taksu viendra.565

I Made Djimat fait probablement référence ici à Dewa et Sanghyang Acintya


« L’indéfinissable » ou Sanghyang Widi Wasa « Le Vainqueur de l’ignorance »,
Sanghyang Tunggal, « l’unicité », ou Dewa Ratu. Le Taksu est perçu comme les
dieux qui sont rentrés dans le corps du performeur et qui pourtant pourraient
accéder à n’importe quel endroit du monde. Dans son entretien, lorsque I Made
Djimat a indiqué qu’il préférait se présenter à un public de touristes, il a évoqué sa
perception du taksu dans ce contexte :

Je préfère danser pour les touristes, car le taksu est présent si les
touristes sont intéressés par notre danse. Cependant, si bien
danser me paraît difficile dans la cérémonie, on n’éprouve pas de
plaisir. Aussitôt que la cérémonie commence, on danse en
suivant la cérémonie, tandis qu’avec les touristes, on ne danse
que pour eux. On les considère comme Dieu. Là, vous me
regardez danser, pour moi vous êtes Dieu. Je ferais tout pour que
Dieu soit content, c’est tout, c’est plus facile, c’est ça que je
préfère (rire). Jamais je ne me sens faible pour une performance
devant les touristes, au contraire, je sens jaillir une telle énergie ;
pas comme dans la cérémonie.566

Dans cet extrait, I Made Djimat parle de sa préférence partagée également par
d’autres praticiens. On a pu vérifier cela lors de notre séjour de 2011, en discutant
avec des praticiens. Sa perception du taksu semble ici être liée à son rapport avec le
public concret, dans des situations de présentation qui dirigent l’attention du
public vers le performeur.

6. Tasku comme communication : l’étymologie du mot


Ainsi, il semble évident que taksu est une notion intrinsèquement liée aux
contextes religieux, cependant pas uniquement, puisqu’elle est très amplement
employée dans le contexte de la scène. I Ketut Kodi présente également une autre
formulation de cette notion, cette fois-ci circonscrite à une proposition
étymologique du mot :

565
I Made Djimat et Juliana Coelho, op. cit.
566
Ibidem.

305
À mon avis, taksu vient du mot caksu qui signifie les yeux en
sanskrit. Ainsi taksu signifierait la communication entre les
regards des danseurs et ceux des spectateurs.
Cela peut se créer si les spectateurs rient quand je fais des
plaisanteries, si le public voit que je suis vieux quand j’interprète
un vieux personnage. C’est la communication entre l’audience et
le danseur. C’est la rencontre entre l’objet et le sujet, de là vient
le mot. Caksu : regarder et être regardé. L’objet et le sujet. 567

Ainsi, par extension, le tasku serait la communication par le biais du regard du


danseur et du spectateur. Dans cette perspective étymologique, taksu est clairement
expliqué comme un pouvoir relationnel, qui s’exprime en situation d’échange.

7. Pour avoir le taksu : savoir réguler les énergies/ngunda bayu

Pour moi, c’est ça le taksu, la gestion. Pour cela, on prie la nature


pour pouvoir maîtriser la technique et l’âme.568

Une autre conception du taksu a un rapport avec la maîtrise des énergies du corps-
voix :
Pour un danseur, l’important, c’est ngunda bayu. Nguloh veut dire
gérer des énergies. On se retient et on s’exprime. C’est
important. Dans les danses balinaises, l’essentiel c’est ngunda
bayu, gérer ses énergies. Car, ce qu’on appelle la vie c’est la
gestion des énergies. Il faut absolument maîtriser la gestion des
énergies quand on danse.569

Alors, ici, pour pouvoir recevoir le taksu, la maîtrise de la régulation des énergies
s’avère fondamentale. C’est pourquoi l’expression ngunda bayu est constamment
utilisée par les praticiens et les chercheurs balinais et étrangers. I Made Bandem
l’évoque également dans son entretien :

Néanmoins, pour faire la danse balinaise, le bayu est très


important. Le bayu est l’énergie. Le contrôle de l’énergie est une
partie très importante. Je vous ai dit que le centre d’énergie est ici
(il montre l’estomac). Amenez votre poitrine vers le haut. Plus tard,
quand vous faites un geste avec les mains, vous devez transposer
567
I Ketut Kodi et Juliana Coelho, op. cit.
568
Ibidem.
569
Ibidem.

306
le bayu jusqu’à votre main, en soulignant, et ensuite à votre pied,
puisque vous devez faire des pas précis dans chaque mouvement
dans le topeng ou dans le baris. Ainsi, le contrôle de l’énergie est
très important. La distribution de l’énergie vers les parties de
votre corps est très importante. Plus tard, ceci vous aidera aussi à
vous transformer dans les personnages. 570

Tout en expliquant les mouvements de la danse, Bandem désigne continuellement


cette région du haut de l’estomac, indiquant qu’il s’agit de la région d’où vient
l’énergie. Ce point est appelé pusat nabhi571, il se trouverait à l’intérieur du corps et
doit être consciemment travaillé. Quelques professeurs portent une attention
particulière à ce point du corps et au travail conscient de la respiration. En langue
balinaise, bayu peut signifier « la force, le souffle, le vent, une tempête, la rage ou la
force spirituelle ». Certains professeurs572 donnent des indications très précises
concernant la respiration pendant la danse et surtout avec le masque. La position
de base, l’agem, est un moment de retenue de la respiration, tandis que lors des
mouvements de transition, le tangkis, elle est libérée. Lors de la danse, tous les
éléments doivent être rassemblés :

Ils doivent être rassemblés et pour ce faire, vous devez contrôler


votre énergie. Le bayu est très important. Ainsi, tous les Balinais
essayent d’atteindre le taksu dans différentes présentations. Je suis
sûr que les étrangers peuvent aussi le faire.573

8. « C’est une habileté et le courage pour embrasser l’âme des


spectateurs »
Il convient de revenir ici au rapport fondamental entre l’audience et le praticien,
parfois difficile à formuler en discours. Selon Ni Nyoman Candri, par exemple, il
est compliqué de s’exprimer autour de cette notion :

Pour moi, le taksu est une « habileté ». Le taksu est présent quand
on n’a plus peur, qu’on est imbattable, intelligent. Il s’en va,
quand la peur, le trac, l’impuissance nous envahissent. C’est une
570
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.
571
Carmencita Palermo, op. cit., p. 158.
572
Par exemple, I Nyoman Kakul donnait à Rucina beaucoup d’indications à ce sujet :
« Décidemment, Kakul me donnait des instructions. Il parlait beaucoup de la respiration et de
comment l’on doit respirer lorsque l’on bouge. » (Traduction libre) Kakul very definitely gave
instructions. He talked a lot about the breath, how we breath when you move.
573
I Made Bandem et Juliana Coelho, op. cit.

307
habileté et le courage pour embrasser l’âme des spectateurs. Si,
malgré les efforts, le résultat reste mauvais, cela veut dire que le
taksu n’est pas présent, il s’en va. Il faut faire des efforts : paraître
intelligent quand il le faut, sourire si on exige le sourire, être en
colère si on nous le demande. Comme ça, le taksu s’imprègne
dans l’expression de notre sentiment. Difficile à expliquer ce
qu’est le taksu. Voire, on ne sait pas la forme du taksu. C’est une
sorte d’âme.574

Son ressenti de praticienne apporte des significations diverses au rapport entre le


performeur et le public sur scène. La notion de taksu en tant que pouvoir est sous-
entendue ici, puisque le courage et l’intelligence sont présents. On se sent
« imbattable ». Avoir le courage pour embrasser l’âme des spectateurs est une
formulation tellement poétique de ce rapport, qu’elle nous frappe davantage. Dans
cet extrait de l’entretien de Candri, réapparaît également l’appréhension du taksu
en tant qu’âme, esprit, entité qui visiterait le praticien. La question de la
transmission, autrement dit, de la communication, entre le praticien et public est
particulièrement soulevée par Ni Nyoman Candri :

Dès que le taksu passe, les spectateurs sentent ce que nous


voulons leur transmettre. Si les joueurs de gamelan font une
erreur, on pourrait le leur reprocher, mais avec le taksu, on arrive
à ne pas se plaindre et les spectateurs ne voient pas les
imperfections.575

Ce contact entre les praticiens et le public est tellement important et retient si


fortement l’attention des spectateurs que les erreurs, ou les fautes techniques, sont
reléguées au second plan. Ballinger et Dibia affirment que la précision technique
n’est pas essentielle pour le taksu : Il n’a pas tellement de rapport avec la précision
technique, puisqu’il y a des interprètes qui exécutent parfaitement leurs danses, mais ils
n’ont pas cette « petite chose en plus », tandis qu’il y a ceux moins habiles, mais qui savent
se lier avec leur public.576

574
Ni Nyoman Candri et Juliana Coelho, op. cit.
575
Ibidem.
576
Taksu is an energy, a type of spiritual charisma that exceptional artists (and healers) are blessed with. It
has little to do with technical precision, as there are performers who are perfect in their execution but lack that
extra something, while there are those less skilled but who are able to bind their audience with . (Traduction
libre) I. W Dibia, Rucina Ballinger et Barbara Anello, op. cit., p. 11.

308
Malgré les divers aspects soulignés par les praticiens balinais, ce qui est abordé
dans tous les témoignages est la nécessité de demander taksu aux dieux. Ce pouvoir
d’union qui existe pour établir le contact, d’être un, est merveilleusement défini
par l’expression « embrasser le spectateur ». J’ai également consulté différents
ouvrages dans lesquels les auteurs respectifs ont collecté ou reproduit des
témoignages dans lesquels d’autres praticiens balinais s’expriment à ce sujet. Dans
son ouvrage, Bali Behind the mask, Ana Daniel reproduit une indication d’I
Nyoman Kakul à ce sujet. Lors des préparations pour un odalan, il explique
ainsi les pré-requis nécessaires pour jouer le topeng pajegan :

Le Sidha Karya est le dernier et le plus difficile de tous les


masques à jouer. Mais, sans lui, le topeng pajegan n’est pas réussi.
Je dois faire des offrandes de riz venues du temple de Sidha
Karya, localisé au sud de l’île, très loin d’ici et je dois me
préparer, dans une contemplation profonde avant la
présentation. Si l’âme n’est pas complètement pure, c’est
dangereux de jouer tant de transformations. Mais, si je suis
connecté au taksu, je serai assez fort pour permettre à tous ces
esprits de passer par mon corps sans leur permettre de rester
longtemps ou de ruiner mon âme. Je dois faire des offrandes
pour me purifier. Ainsi, le taksu va rentrer et guider mes
mouvements. Je sais quand le taksu rentre et l’audience le sait
aussi.577

Dans cet extrait, le taksu est envisagé comme une vertu à laquelle nous pouvons
nous connecter dans l’objectif d’acquérir du pouvoir, qui permettrait la visitation
de plusieurs esprits, puisqu’il s’agit ici d’une performance de topeng pajegan, tout en
étant suffisamment protégé. Tasku est également perçu comme quelque chose qui
rentre dans le corps du performeur, qui guide ses mouvements et qui est peut-être
objectivement ressenti par lui. Essayer de transférer la notion de taksu à un
contexte autre que celui balinais peut poser certains problèmes, même si cela est
jugé possible notamment par I Made Bandem et I Made Djimat. L’appel aux

577
The Sidha Karya is the last, and the most difficult, of all masks to perform. But without him, the Topeng
Pajengan cannot be successfully completed. I must make special offerings of rice from the temple of Sidha
Karya, located in the south, very far from here, and must prepare myself in deep contemplation before the
performance. If the soul is not completely pure, there is danger in performing many transformations. But if I
connect with the taksu, I will be strong enough to allow many spirits to pass through my body without allowing
them to become lodged or blighted on my soul. I must make offerings that will purify me. Then the taksu will
enter and guide my mouvements. I know when taksu has enterred and the audience knows it as well.
(Traduction libre) Ana Daniel, op. cit., p. 138.

309
ancêtres divinisés est tellement fort à Bali, qu’une simple transposition par
l’expression « présence de scène » semble insuffisante : il n’y a pas une divinité
particulière pour la danse, pour la musique ou pour les marionnettes. Les performeurs prient
leurs ancêtres avant de partir de leurs maisons pour assurer le succès. Ils prient également
dans le temple où ils vont se présenter pour que le taksu descende dans leurs âmes 578.

Toujours d’après I Wayan Dibia et Rucina Ballinger 579, la transposition du taksu


dans le contexte occidental par la présence scénique ne serait pas suffisante,
puisqu’il existe essentiellement un rapport aux forces divines : l’audience mortelle
et divine doit être satisfaite. La frontière entre une performance faite devant des
touristes et une autre réalisée dans le cadre cérémoniel dans le contexte de la
musique et de toute performance est décidément très floue à Bali. Dans plusieurs
exemples tout au long de cette recherche, ont été décrites des situations où les
praticiens exécutaient les rites nécessaires dans le cadre touristique ou lors d’une
présentation à l’extérieur de Bali. De même, le taksu va être demandé lors de ces
mêmes occasions.

9. Taksu en tant qu’esprit qui visite


Deux thèses sur le topeng se sont confrontées à la question du taksu. Les
commentaires des praticiens interviewés coïncident ici avec d’autres, recueillis par
Elisabeth Young, dans les années 1970/1980. Elle précise que les termes et
expressions employés pour définir le taksu par ses informants étaient berjiwa,
kemasukan roh, qui peuvent être traduits par « être animé » et « être entré par un
esprit ». En 1982, Bandem a affirmé que le taksu des danseurs était à un degré
moins élevé la même force que celle qui anime les danseurs en transe. Selon lui, il
s’agit d’un roh suci, d’un esprit pur qui apporte intelligence et beauté au
performeur580. Plusieurs observateurs ont constaté que le praticien de topeng n’était

578
(...) there is no specific deity of dance or music or puppetery. Performers pray to their ancestors before
leaving home to ensure success. They also pray at the temple where they are performing for taksu to descend
into their souls. (Traduction libre) I. W Dibia, Rucina Ballinger et Barbara Anello, op. cit., p. 11.
579
Ibidem.
580
Deborah Gail Dunn, Topeng pajegan the mask dance of Bali, 1983, p. 126.

310
pas en état de transe581 ni avant, ni pendant, ni après la représentation, mais qu’il
serait « visité ». De ce fait, le tasku se manifeste également par le Dewa Taksu, l’une
des expressions du divin, qui peut habiter le corps du performeur 582. Le Dewa
Taksu est perçu de différentes manières, en tant que divinité mineure
accompagnant d’autres divinités ou les ancêtres divinisés, un compagnon des
divinités ou même en tant que Sanghyang Tasku. L’auteur raconte également
qu’un acteur de topeng avait affirmé que les Balinais auraient un Dieu Sanghyang
Hindi qui a de multiples manifestations, la plus importante étant la Trimurti, la
triade Bhrama, Wisnu et Shiva. Dewa Taksu serait ainsi l’une des manifestations
de Sanghyang Windi.

La religion balinaise n’est pas centrée sur la dévotion des images. De ce fait, les
statues et les images ne s’avèrent pas centrales dans l’agencement complexe des
rituels. Il ne s’agit pas d’une adoration des dieux. Plus importante encore, est la
notion de lieu de visitation ou d’hébergement que le siège d’un temple, une
pierre ou même un performeur peuvent avoir lorsqu’ils sont « visités » par des
divinités.

Il est assez intéressant de noter que l’autel est nommé pelinggih ou palinggih, en
balinais, mot qui peut être traduit par siège ou reposoir des dieux. De ce fait,
certains Balinais vont également décrire le praticien en tant que pelinggih, c’est-à-
dire un siège pour que les ancêtres puissent s’asseoir pendant un moment 583. Les
mots sanggah et pemarejan (ou marejan) désignent le temple familial respectivement
pour les sudra et le triwangsa. Ainsi, dans chaque maison il peut exister un sanggah
taksu, un autel consacré à demander le taksu584, qui est petit et construit en bois ou
pierre avec une niche pour placer les offrandes. Dans les grands temples, un autre
type d’autel existe, le peppelik o u panuman. Il s’agit d’un petit pavillon avec

581
Emigh, Young et autres. Miguel Covarrubias décrit une scène avec un danseur de topeng pajegan
et l’état de cet acteur comme étant une transe.
582
Elizabeth Florence Young, Topeng in Bali: change and continuity in a traditional drama centre /,
1980, p. 94.
583
Carmencita Palermo, op. cit.
584
For the taksu, lord and guardian of the temple, a small pavilion is a necessery feature of every temple.
(Hoooykas 1973 p. 19) The tasku shrines, in both humble houseyards and great temples, are a nexus between
gods and men. Elizabeth Florence Young, op. cit., p. 85.

311
quelques pierres qui seront visitées par les ancêtres divinisés pendant les odalan,
par exemple. Parmi ces pierres, ces sièges, on peut en trouver une qui est vouée à
être le siège de taksu, ici appelé « l’interprète »585.

a. Le balian taksu
Toujours dans cette logique de la visitation, le mot taksu est aussi employé afin de
définir le balian taksu. Le rôle du balian est multiple, celui de mage ou sorcier,
connaisseur de la magie blanche et noire, mais il est principalement vu comme
une sorte de guérisseur dans certains cas. Néanmoins, il existe le balian taksu, un
praticien qui se place comme un intermédiaire entre les esprits des ancêtres et les
humains. Il est fréquemment appelé pour aider à la résolution des problèmes au
sein des familles à travers le contact avec l’esprit d’un parent décédé, d’un ancêtre
ou même d’une déité (bhatara). Lors de ces travaux sur la transe à Bali, Jane Belo 586
a évoqué le balian taksu.

En outre, une autre analyse établit un rapport entre le taksu et les kanda empat.
Entre autres, les kanda empat, littéralement « quatre frères » ou « quatre sœurs »,
sont les quatre entités protectrices de chaque être humain, censées les
accompagner pendant toute leur vie. Il existe plusieurs formes de kanda empat au
long de la vie d’un être humain. Selon plusieurs chercheurs étrangers, cette
connaissance est censée être secrète et ne doit pas être ouverte aux non-initiés.
Ainsi, ce pouvoir doit être demandé au pellinggh taksu et dans des lieux sacrés
spécifiques ou par le biais de l’étude et d’un contact spécial avec ces kanda empat.
D’après d’autres chercheurs, l’union avec les kanda empat produirait une
accumulation de pouvoirs qui serait le taksu :

Cette inspiration est quelque chose que le performeur doit


invoquer lorsqu’il commence une performance. Cela déplace la
personnalité du performeur vers celle du personnage, en unifiant
les segments personnifiés qui constituent une personne selon la
cosmologie balinaise avec les forces extérieures à cette
personne.587

585
Julian Davison, Introduction to Balinese architecture, Singapore: North Clarendon, VT, Periplus;
Tuttle Pub. [distributor], 2003, 80 p., (« Periplus Asian architecture »), p. 37.
586
Jane Belo, Trance in Bali, New York, Columbia University Press, 1960, p. 246.

312
Ainsi, le taksu serait un pouvoir latent auquel on pourrait accéder par un mode de
vie pur, redevable et attentif aux obligations rituelles. Plus intéressant, le taksu est
un pouvoir intimement lié à l’expérience communautaire.

b. Les perceptions du performeur sur le taksu


Selon certains auteurs, le performeur sentirait l’agissement du taksu, à travers l’état
de concentration extrême, par le biais d’une non-rationalisation, de l’inexistence
de la peur et également de l’impression d’être protégé, et plus encore et
finalement, d’une aisance extraordinaire dans l’exercice des mécanismes de son
métier. Un autre peut associer l’entrée du taksu, ici compris comme dieu, au
moment où l’on sent la chair de poule588. Finalement, les différents aspects de
cette notion, loin d’être hétéroclites, convergent vers une compréhension plus
étendue de la présence scénique dans le contexte balinais.

10. Comment la notion de tasku est-elle articulée par d’autres


praticiens étrangers?
Quelques praticiens étrangers évoquent le taksu dans différents contextes de ces
travaux écrits sur Bali. En ce sens, selon Tiffany Strawson, les Balinais
reconnaissent que la maîtrise technique s’avère importante, spécialement quand
elle est apprise dès la petite enfance, puisqu’à partir de cet âge, la danse reste
davantage à l’intérieur. Elle rentre (masuk) plus facilement. L’auteur observe
également que les danseurs adultes plus âgés poursuivent un processus de
raffinement d’apprentissage de cette qualité intérieure. Elle remarque également
que la notion de « réussite » à Bali n’est pas mesurée au niveau de la maîtrise
technique, mais plutôt par « la connaissance spirituelle, la compréhension et la
capacité d’atteindre le taksu589 ». Herbst articule la notion de tasku avec celle
d’efficacité cérémonielle. Étant donné que les performances sont comprises
comme des offrandes, dans ce contexte, elles seraient importantes pour l’efficacité
587
This inspiration is something for the performer to call upon when begining the performance. It displaces the
personality of the performer with that of the caracter, by linking personified segments which make us a person
in Balinese cosmology with forces outside that person. (Traduction libre) Deborah Gail Dunn, op. cit.,
p. 132.
588
Elizabeth Florence Young, op. cit., p. 91.
589
Tiffany Strawson, op. cit., p. 300.

313
de l’ensemble cérémoniel : Finalement, l’efficacité de l’ambiance des offrandes
cérémonielles et la présence de déités qui transmettent le taksu au performeur sont des choses
nécessaires pour l’achèvement de certains buts esthétiques. En ce sens, l’efficacité est un
moyen pour une finalité esthétique.590 Selon Ron Jerkins, le sculpteur est censé penser
au danseur lorsqu’il fabrique un masque pour lui, et en contrepartie, le danseur de
topeng doit penser au sculpteur. Ainsi, quand l’équilibre entre l’archétype et les
dénominations physiques du masque ainsi que les mouvements du danseur est
atteint, le taksu serait présent. Le taksu consisterait en une sorte de lien entre
l’acteur et le masque, sans lequel les mouvements du danseur sont morts : Ces
danseurs sans taksu sont appelés de manière un peu péjorative des menuisiers, car ils ne
mettent pas d’âme dans leurs masques, ils font bouger du bois. 591. John Emigh présente la
notion de taksu sous une perspective de visitation des ancêtres. L’acteur de topeng
rentre généralement sur scène en venant de la direction kaja, celle du Gunung
Agung, c’est-à-dire la maison céleste des masques : « Le mot balinais qui signifie
‘présence’ d’un acteur est taksu — le même terme est utilisé pour désigner les
esprits des ancêtres. Le topeng dispose d’une tradition de visitation — mais dans le
topeng cette dernière est théâtralisée. Le danseur de topeng ne manifeste
aucunement de façon évidence qu’il se présente en transe. »592

On remarque aussi que chaque praticien-auteur va s’exprimer autour de cette


notion grandement influencée par le point de vue de son professeur. John Emigh
et Ron Jerkins, praticiens intéressés par le travail avec le masque, ont été apprentis
d’I Nyoman Kakul. Par conséquent, ils se sont exprimés autour de cette notion en
évoquant la visitation des ancêtres en tant qu’axe d’analyse privilégié. Étant donné
la difficulté qu’il y a à définir un terme aussi complexe, on observe que les auteurs
vont privilégier un aspect du tasku qui correspond le plus à ce qui les intéresse
davantage.

590
Ed Herbst, op. cit., p. 45.
591
These dancers without “taksu” are disparagingly called “carpenters”, because they don’t put a soul into
their masks, they just push around the wood. (Traduction libre) Ron Jenkins, « Becoming a Clown in
Bali », The Drama Review: TDR, vol. 23 / 2, juin 1979, p. 55.
592
The Balinese word for an actor’s “presence” is taksu - the same word used for the ancestral spirits. Topeng
draws from the tradition of visitations - but in topeng the tradition is theatricalized. The topeng dancer does
not show any evidence of performing in trance. (Traduction libre) John Emigh, op. cit., p. 16.

314
a. La formulation de taksu par Eugenio Barba et l’appropriation
d’un concept
Comme cela a été vu, la définition de taksu est multiple et englobe divers aspects
de la société balinaise. Ici, on s’intéresse à l’usage qu’Eugenio Barba fait de ce mot.
Le terme taksu est évoqué par lui et Mirella Schino dans les chapitres consacrés à
l’anthropologie théâtrale, à l’énergie, et l’organicité, dans le The Dictionnaire of
Theatre Antropology. Comme il s’agit de l’ouvrage sur l’anthropologie théâtrale
d’Eugenio Barba le plus largement répandu dans le milieu théâtral, c’est à partir de
ce livre que l’on se penchera sur l’emploi de ce terme 593. Le Dictionnaire est un
ouvrage complexe. Tout au long de ses divers articles, Eugenio Barba essaye
d’articuler des concepts et des notions émanant de lignes théâtrales hétéroclites.
De plus, il essaye d’élaborer une théorie universaliste et essentialiste sur la présence
de l’acteur. Malheureusement, lors de notre rencontre avec Eugenio Barba, je n’ai
pas remarqué la subtilité de sa formulation sur le tasku. De ce fait, je n’ai pas pu
confronter ma réflexion à ce sujet directement avec lui.

De plus, la notion de présence scénique de l’acteur est le point central de la


théorie barbienne. Par conséquent, les pratiques d’entraînement de l’acteur,
largement répandues par lui et par les comédiens de l’Odin Teatret, seraient le lieu
de développement de la présence : « On doit définir la présence d’une manière
extrêmement pragmatique. Qu’est-ce que la présence ? C’est ce qui agit sur le
spectateur (...) Tout l’entraînement a un seul objectif : bâtir la présence. »594 Cette
notion est également associée à d’autres notions développées par lui-même, telles
que le « bioscénique », la « pré-expressivité » et les « principes qui retournent ». Un
point mérite d’être souligné dans la démarche d’Eugenio Barba, à savoir la
nécessité de traiter cette question de manière pragmatique, en cherchant

593
Dans d’autres ouvrages, Eugenio Barba va reprendre les affirmations du Dictionnaire, par
exemple, dans The Paper Canoe. Il va plutôt évoquer ce terme dans ce livre : Translating the principles
of Asian performers into a European language, one uses the words like ‘energy’, ‘life’, ‘power’ and spirit for the
Japanese terms ki-ai, kokoro, io-in, and koshi, the Balinese taksu, virasa, chikara, and bayu, the Chinese kung-
fu, shun toeng, and the Sanskrit prana, shakti. The practical meaning of the principles of the performer’s life
are obscured by complex terms imprecisely translated. Eugenio Barba, The Paper Canoe: A Guide to Theatre
Anthropology, Routledge, 2003, p. 17.
594
Josette Féral, Mise en scène et jeu de l’acteur: entretiens, Montréal, Carnières Belgique, 2001, p. 96-
97.

315
l’efficacité des pratiques d’entraînement et du jeu de l’acteur. De ce fait, la
présence de l’acteur peut être construite, développée.

Puisqu’Eugenio Barba essaye de construire une réflexion transculturelle, il va


articuler ses réflexions aux notions ou aux termes qui désignent, ou semblent
désigner, la présence de l’acteur sur scène dans différents contextes théâtraux.
Ainsi, dans le « Dictionnaire d’Anthropologie Théâtrale », le terme taksu est
articulé à côté d’autres notions balinaises comme bayu et cestakara. Eugenio Barba
en fera un usage tout particulier, dans la version anglaise de cet ouvrage :

In Bali there are three words used to define the performer’s


presence: cesta kara, taksu and bayu. Cesta kara is the power that
the performer aquires with regular and rigourous training. Taksu,
on the other hand, is a kind of independent divine inspiration
which takes possession of the performer and which is not under
his control. A performer might say, ‘There was no taksu tonight’
or ‘There was no taksu tonight’, but the presence or the absence
of cesta kara depends entirely on him. Bayu, ‘wind’, and ‘breath’
(spiritus), is however the term normally used to describe the
performer’s presence; the phrase pengunda bayu refers to the
correct distribution of his energy. Like ki-hai in Japanese, the
Balinese term bayu is a literal description of the increase and
deacrease of a force which elevates the body and whose
complemantarity generates life.595

Selon I Made Bandem, cestakara est un mot du kawi et venu du sanskrit qui signifie
« comportement » ou « façon de jouer » 596. Ni Nyoman Candri évoque
l’intelligence, en employant cependant le terme pintar. En vérifiant les différentes
versions de ce livre en français et en anglais, j’ai constaté une considérable
différence entre les définitions. Premièrement, selon l’édition de 1985 :

À Bali, il existe deux autres mots pour définir la présence de


l’acteur : chikarà et taksù. Chikarà correspond à la force, au
pouvoir que l’acteur acquiert à travers l’entraînement régulier et
acharné ; à l’inverse taksù est plutôt une espèce d’inspiration
divine qui s’empare de l’acteur indépendamment de sa volonté.

595
Eugenio Barba et Nicola Savarese, A dictionary of theatre anthropology: the secret art of the performer,
2nd ed, London ; New York, Routledge, 2006, p.75.
596
Communication par mail le 5 février 2016 : The word cesta kara is Old Javanese (Kawi) word based
on Sanskrit means behavior or way of acting.

316
Un danseur pourra dire « ce soir il y avait ou il n’y avait pas
tasku », mais le manque de chikarà ne dépend que de lui. 597

Encore selon Bandem598, le mot chikara ou cikara signifie le « char » ou le « chariot


de cheval ». Publiée en 2008, la dernière édition française de l’ouvrage apporte une
version considérablement différente de cet extrait et plus proche de la version
anglaise de 2006 :

Dans le théâtre Nô, en particulier, nous trouvons un terme plus


large pour indiquer l’énergie de l’acteur : ki-ai. Il signifie accord
profond (ai) de l’esprit (ki : au sens de souffle comme pneuma et
spiritus, respiration) et du corps. Ki-ai équivaut au sanscrit prana
qui littéralement signifie pneuma et qui est utilisé par les acteurs
aussi bien en Inde qu’à Bali. À Bali, il existe deux autres mots
pour définir la présence de l’acteur : chikarà et taksù.
Chikarà correspond à la force, au pouvoir que l’acteur acquiert à
travers l’entraînement régulier et acharné ; à l’inverse, taksu est
plutôt une espèce d’inspiration divine qui s’empare de l’acteur
indépendamment de sa volonté. Un danseur pourra dire « ce soir
il y avait ou il n’y avait pas de taksù », mais le manque de chikarà
ne dépend que de lui.
Cependant bayu, « le vent, la respiration », est le terme qui définit
normalement la présence de l’acteur ; on utilise l’expression
« pengunda bayu » pour souligner la juste répartition de l’énergie
chez un acteur. Comme le ki-kai japonais, le bayu balinais
transcrit littéralement la montée et le déclin d’une force qui
soulève la totalité du corps et dont la complémentarité engendre
la vie. 599

Ainsi, dans les trois versions, Eugenio Barba définit le taksu comme une
« inspiration divine indépendante », ce qui semble en conformité avec les
témoignages des praticiens balinais. Cependant, il utilise le terme bayu, qui est
couramment usité par les Balinais pour faire référence à l’énergie, afin de définir la
présence de l’acteur. De ce fait, c’est précisément l’extrait de cette phrase qui nous
a dérangée : Cependant bayu, « le vent, la respiration », est le terme qui définit
normalement la présence de l’acteur. Dans aucun des témoignages des praticiens

597
Eugenio Barba, Nicola Savarese et Éliane Deschamps-Pria, Anatomie de l’acteur: un dictionnaire
d’anthropologie théâtrale, Rome Cazillac (France) Holstebro (Danemark), Bouffonneries, 1985,
(« Contrastes »), p. 58.
598
Communication par mail le 5 février 2016.
599
Eugenio Barba et Nicola Savarese, L’énergie qui danse : un dictionnaire d’anthropologie théâtrale, 2e
édition revue et augmentée., Montpellier, l’Entretemps éd, 2008, (« Les Voies de l’acteur. Grand
format 1 »), p. 63.

317
balinais, ni dans les ouvrages consultés pour cette recherche, je n’ai saisi ce à quoi
Barba faisait référence. Autrement dit, bayu n’est jamais employé en tant que
« présence » ou « charisme » de scène : c’est le terme taksu qui est utilisé. Même si le
mot tasku a de multiples significations dans le contexte balinais, on peut affirmer
qu’il désigne la présence du performeur.

Quelques pages plus loin, le terme taksu va être repris par Mirella Shino dans le
chapitre consacré à l’organicité. La chercheuse problématise la question en ces
termes : On ne retrouve pas le mot organicité ou présence dans les langues de travail des
autres traditions. Mais toutes ont des termes ou des métaphores pour indiquer cette qualité
de l’acteur. Elle reprend l’aspect non maîtrisable de la notion :

À Bali on parle de taksu, littéralement « le lieu qui reçoit la


lumière ». L’acteur est illuminé par des énergies « autres » qui
agissent sur le spectateur. C’est une espèce d’inspiration divine
qui prend possession de l’acteur et échappe à son contrôle.
Comme l’axé et le shinmyong, le taksu n’est pas décidé par l’acteur.
Un acteur pourra simplement constater : « ce soir il y avait taksu »
ou « ce soir il n’y avait pas taksu »600

Ainsi, dans le même ouvrage nous avons deux définitions différentes de


« présence » dans le contexte balinais, taksu et bayu. En analysant ce vrai jeu de
définitions proposé par Barba, on relève une certaine manipulation explicite des
notions. Dans le contexte balinais, les définitions strictes devraient être évitées,
puisque les sens ne sont pas totalement fermés et plusieurs interprétations et
définitions peuvent cohabiter. Par conséquent, l’approche de Barba peut
engendrer de la confusion au lieu de clarifier les choses, puisqu’en associant
l’énergie, bayu, à la présence de l’acteur, au lieu de taksu, on a l’impression qu’il
induit une définition de taksu plutôt liée à ses convictions théâtrales. De ce fait,
toute l’imprévisibilité et les rapports avec le spectateur, et surtout, avec les ancêtres
divinisés, qui sont renfermés dans la notion de taksu, sont mis de côté par Barba,
car ils ne peut pas les voir de manière pragmatique.

600
Ibidem, p. 163.

318
Cela ouvre une problématique intéressante puisque nous pouvons identifier là une
zone de conflit dans ces transferts de notions. Il apparaît que ce problème n’est
guère le point de vue pragmatique et essentialiste d’Eugenio Barba. Penser la
présence de l’acteur du point de vue biologique et psychophysique est une
démarche qui correspond à la nature incarnée du théâtre. Le problème repose sur
le manque d’approfondissement des termes qu’il emploie dans leurs contextes
respectifs. Effectivement, ce manque de contextualisation profonde du
phénomène artistique, du jeu de l’acteur lui-même, est l’un des aspects les plus
critiqués de l’anthropologie théâtrale :

Le but de Barba était toujours d’essayer de comprendre les


principes, par lesquels l’interprète construit la présence scénique,
pas pour produire une forme théâtrale homogène, mais pour
trouver des analogies qui permettraient la communication entre
des personnes de cultures différentes. Barba a dit que l’Odin, et
par extension l’ISTA, sont « une réunion par la différence »
(Copenhague ISTA en 1996). Il semble y avoir deux objections à
cela : premièrement, il y a ceux qui estiment que Barba essaye de
réduire la différence culturelle pour découvrir « un théâtre
universel » (voir l’essai de Shevtsova) et la seconde, il y a une
objection à la méthode d’analyse de Barba comme cela a été
démontré dans les sessions elles-mêmes.601

De plus, l’approche barbienne de la question de la présence interroge sur le fait


suivant : partageons-nous la même perception de la présence de l’acteur ? Dans cet
extrait, Eugenio Barba s’exprime sur le sens qu’il attribue à la qualité de scène
perçue chez un certain nombre de performeurs, « occidentaux » et asiatiques :

Certains interprètes asiatiques et occidentaux possèdent une


qualité de présence qui frappe immédiatement le spectateur et
l’engage lui ou son attention. Cela arrive même quand ces
interprètes donnent une démonstration froide, technique.
Pendant longtemps, j’ai pensé que c’était à cause d’une technique

601
Barba’s aim has always been to try to understand the principles, by which the performer constructs scenic
presence, not in order to produce a homogenized theatrical form, but in order to find analogies that enable
communication between people from different cultures. Barba has said that the Odin, and by extension ISTA,
is ‘a meeting through difference’ (at Copenhagen ISTA in 1996). There appear to be two objections to this:
firstly, there are those who feel that Barba is trying to reduce cultural difference in order to uncover a
‘universal theatre’ (see Shevtsova’s essay) and second, there is an objection to Barba’s method of analysis as
demonstrated within the sessions themselves. (Traduction libre) Negotiating cultures: Eugenio Barba and
the intercultural debate, éd. Ian Watson, Manchester; New York, Manchester University Press:
Distributed exclusively in the U.S.A. by Palgrave, 2002, p.xiii

319
particulière, d’un certain pouvoir qui exige que l’interprète soit
possédé, acquis à travers des années et des années d’expérience et
de travail. Mais ce que nous appelons la technique est en fait une
utilisation spécifique du corps. 602

De plus, la notion de présence peut être employée dans des sens très divers dans le
contexte européoaméricain, parfois même de manière contradictoire : talent ou
charisme personnel, don inné, type de jeu sur scène, capacité artistique 603. Il est
même curieux de penser que le concept de présence semble avoir été emprunté à
l’Orient, comme l’a signalé Josette Féral : un des concepts empruntés à l’Orient dont on
parle beaucoup aujourd’hui et que des gens comme Eugenio Barba utilisent dans leur
travail avec l’acteur est celui de la présence de l’acteur 604.

Si la question de la « présence de l’acteur » était l’une des préoccupations majeures


d’Eugenio Barba, pour Ariane Mnouchkine, ce concept n’est pas vraiment utilisé
directement :

La présence est en effet quelque chose que l’on constate, mais je


n’ai jamais travaillé avec cette notion. Je ne saurais pas comment
dire à un acteur d’être présent. Par contre, ce que je sais, ce que
j’essaye de faire avec l’acteur, c’est qu’il soit au présent, dans son
action, dans son émotion, dans son état et dans la versatilité de la
vie aussi. (...) Quant au concept même de présence de l’acteur,
là... Il y a des acteurs qui sont présents et d’autres moins. Un bon
acteur est présent. Cela va avec le don. Il n’y a pas de mauvais
acteur qui ait de la présence, ou alors il s’agit d’une mauvaise
présence. La présence progresse avec la capacité de nudité d’un
acteur.605

Ici, Ariane Mnouchkine évoque un autre aspect associé à la manière dont la


présence de l’acteur est pensée, en tant que nudité, et parfois même comme une
absence. Il s’agit possiblement d’une perception fondée par le travail continuel
avec le masque. J’ai interrogé Roberta Carreri au sujet de la perception de la

602
Certain Asian and Western performers possess a quality of presence that is immediately strikes the spectator
and engages him or her attention. This occurs even when these performers are giving a cold, technical
demonstration. For a long time I thought this was because of a particular technique, a certain power that
requires the performer possessed, acquired through years and years of experience and work. But what we call
technique is in fact a specific use of the body. (Traduction libre)
603
Josette Féral, op. cit., p. 50-55.
604
Josette Féral, op. cit., p. 42.
605
Ibidem, p. 42-43.

320
présence scénique. Étant donné justement que cette perception peut être
subjective, je lui ai demandé quels étaient les signes de la présence chez l’acteur
lorsqu’elle l’observait et si elle les percevait en elle-même. Premièrement, elle m’a
parlé de son ressenti en tant qu’actrice :

C’est d’être dans ce que l’on est en train de faire fraseggio.


Phrasing, en anglais. C’est un mot qui vient de l’univers musical.
Cela signifie que tu fais ce que tu fais, mais pas mécaniquement,
mais phrasing, en fraseggio. De cette façon-là, tu es présent, car en
réalité, tu es dans ce que tu fais, tu ne penses pas à autre chose.
Tu ne penses pas à ce que tu vas faire, ni à ce que tu as fait. Mais
tu es dans ce que tu es en train de faire. Phrasing, cela signifie que
tu décides l’intensité, la vitesse de chaque moment et tu le
décides avec tout toi-même, pas avec la tête. Alors, dans ce
moment-là, tu es présent.606

Quand Roberta Carreri s’exprime sur la perception de la présence chez l’autre,


chez celui qu’elle observe, sa réponse semble proche de ce que les Balinais
interviewés ont exprimé :

Lorsque je regarde un comédien, soit ça fonctionne, soit ça ne


marche pas. S’il me fait danser sur ma chaise, ça fonctionne. S’il
ne me fait pas danser sur ma chaise, ça ne fonctionne pas. (...) Je
voulais dire une chose que j’ai oublié de dire avant quand tu
m’as demandé si un acteur fonctionne ou ne fonctionne pas. Je
pense qu’un acteur fonctionne quand il me fait oublier moi-
même. Quand je le regarde, et je ne pense plus à moi-même, je
ne pense plus. Je suis dans ce que je vois, tu comprends ?607

Nous tous, en tant que public de théâtre, nous pouvons comprendre ce à quoi
Carreri fait référence : ne pas penser à soi-même signifie être en contact total avec
l’acteur/actrice. Il s’agit d’un rapport de nouement total avec ce qu’il exprime.
Cette perception évoque ce dont Nyoman Candri a parlé, à savoir d’« embrasser
l’âme du spectateur ».

Finalement, restreindre la notion de taksu à celle de la « présence de scène »


reviendrait à la voir dans sa superficialité. La « présence de scène » est en quelque
sorte l’un des aspects de cette notion et celui qui peut le plus facilement trouver

606
Roberta Carreri et Juliana Coelho, op. cit.
607
Ibidem.

321
une corrélation conceptuelle avec un contexte théâtral europeoaméricain.
Cependant, la notion de présence de scène dans ce contexte s’avère diffuse et
difficile à saisir et à expliquer objectivement. Chez nombre de metteurs en scène et
pédagogues, le concept de présence est également parfois diffus et spécifiquement
lié au comédien, à son jeu, à sa capacité artistique, à son talent ou charisme. Plutôt
que définir des règles de la présence, Peter Brook proposerait un chemin inverse,
commencer par l’interrogation sur la présence :

Pour moi, ce qui compte c’est qu’un acteur puisse se tenir


immobile sur la scène, et capter notre attention, alors qu’un
autre ne nous intéresse pas une seconde. Quelle est la différence ?
Où se tr ou v e- t-el l e , c h im iqu eme nt , p hy siqu em ent ,
psychiquement ? Qualité de vedette, personnalité ? Non. C’est
trop facile, ce n’est pas une réponse. Je ne connais pas la réponse.
Je suis pourtant certain qu’elle existe. Nous pouvons trouver dans
cette question le point de départ de tout notre art. 608

Finalement, on a constaté qu’il existait une multiplicité de perceptions du taksu


chez les artistes interviewés et que les artistes étrangers qui se confrontent à ce
terme ont tendance à expliquer le taksu sous un angle particulier, tout en
privilégiant un rapport direct avec leur travail.

608
Peter Brook et Jean-Claude Carrière, Points de suspension: 44 ans d’exploration théâtrale, 1946-1990,
Paris, Seuil, 1992, p. 325-326.

322
CHAPITRE IX
NOUVELLES CARTOGRAPHIES :
LES TRACES, LES RÉMINISCENCES DE
L’EXPÉRIENCE
DU VOYAGE

323
J.C. — Et pour toi, le Brésil serait-il en Occident ?
D.B.-V. — Peut-être que c’est ça qui me touche aussi. C’est un
peu comme la Corée. Une partie est totalement occidentalisée,
très, très moderne, avec des choses que l’on n’imagine même pas.
En même temps, quand j’y étais en 2001, tu vois encore des gens
avec des charrettes tirées par un âne au milieu de la rue à Séoul.
Donc, il y a ce mélange, comme ça, de technologie et encore
d’artisanat. Et au Brésil, tu as cela aussi. J’aime beaucoup cela.
On était dans un quilombo dans une montagne à côté de la mer.
C’était extraordinaire. Il y a encore des gens qui vivent bien avec
peu. Après, il y a des gens qui vivent mal avec peu, parce qu’il y a
encore, et peut-être il aura de plus en plus de gap entre les riches
et les très pauvres. Mais c’est un pays fantastique. 609

La recherche géographique qui rejetait jadis toute approche


réfutant l’objectivité absolue des faits spatiaux, qui sacrifiait aussi
l’espace de l’individu à celui des groupes, spécule de plus en plus
sur les thèmes de l’espace vécu ou de l’espace représenté.
Nombre de géographes élaborent dans ce sens de nouvelles
problématiques et proposent des méthodes d’investigation qui
dévoilent la dimension subjective de l’espace, ou mettent l’accent
sur les rapports individu-environnement. De fait, toute réalité
géographique résulte de représentations mentales individuelles,
mystérieusement validées par un certain sens commun, ou sens
social.610

609
Duccio Bellugi Vannuccini et Juliana Coelho, op. cit.
610
Guy Di Méo, « De l’espace subjectif à l’espace objectif : ’itinéraire
l du labyrinthe », Espace
géographique, vol. 19 / 4, 1990, p. 359-360.

324
Une cartographie personnelle redessinée grâce aux voyages
Il se peut que le lecteur se soit aperçu que les mots « Occidental » et « Oriental »
ont été rarement employés au cours de ce travail. Cela est délibéré, puisque les
notions inscrites, et représentées par ces mots ont été bouleversées lors de cette
recherche. Nous pouvons même dire que cela a touché notre propre identité.
D’une manière similaire à celle décrite par Felisberto Sabino dans le cinquième
chapitre, mon parcours de voyage du Brésil à la France et de la France à Bali a
provoqué un bouleversement profond dans ma cartographie personnelle.
L’affranchissement successif de ces frontières m’a permis de développer une vision
du monde dans une perspective absolument nouvelle, particulièrement due à la
confrontation de ma place en tant que Brésilienne dans le monde : un
questionnement lié aux notions d’identité et d’appartenance.

Le terme « cartographie » est ici employé dans le sens que lui confère la
Géographie contemporaine. Outre le fait qu’il désigne la science qui étudie et qui
créé des cartes géographiques, la cartographie est pensée en tant que théorie
cognitive de la représentation du monde. Elle est également envisagée en tant que
théorie sur les technologies à travers lesquelles la complexité du monde réel est
réduite à une représentation graphique. Ainsi les images, c’est-à-dire les cartes, sont
projetées pour que l’on puisse s’approprier intellectuellement le monde 611. Cette
représentation du monde est-elle fictionnelle, comme le pensait le géographe
brésilien Miton Santos ?

Cette expression « le monde entier » est une fiction. Le village


planétaire n’existe pas. Il s’agit d’une construction. Je me méfie
toujours de tout ce qui est présenté comme étant global, puisqu’il
y a une manque de sens dans ce concept. Notre monde est petit.
Mon point de départ ce sont les valeurs. Les valeurs peuvent
devenir mondiales, cependant leur point de départ est local. 612

611
Dictionnaire de la géographie, éds.Jacques Lévy et Michel Lussault, Paris, Belin, 2003, p. 135.
612
Porque « o mundo inteiro » é uma ficção. A chamada “aldeia global” não existe. É apenas uma construção.
Eu sempre desconfio de tudo o que é apresentado como sendo global, pois falta sentido a esse conceito. É um
mundinho este nosso. Meu ponto de partida são os valores. Estes podem até se tornar mundiais, mas o ponto
de partida é local. (Traduction libre) Milton Santos, « O mundo não existe », Revista Veja, le 19
novembre 1994

325
J’évoque ici une cartographie personnelle. De ce fait, on suppose que nous avons
tous à l’esprit une représentation imaginaire du monde. Tout comme une carte,
cette représentation est dessinée par nos réflexions et par l’assimilation de la
pensée des autres sur le monde. Ainsi, notre point de vue personnel et notre lieu
d’énonciation s’avèrent cruciaux pour la configuration de cette carte. D’une
certaine manière, cette représentation nous guide dans nos contacts avec l’Autre.
Par le biais d’un exemple personnel, j’exposerai la manière dont s’est opéré ce
changement de lieu d’énonciation et par conséquent, de cartographie personnelle.
Ainsi, ce chapitre analysera brièvement des notions complexes comme celles
d’«Orient» et «Occident», créés dans un contexte particulier, le européen.

Comme je l’ai évoqué en introduction, après avoir achevé ma Licence en Théâtre à


l’Université Fédérale de Minas Gerais au Brésil, j’ai déménagé en France afin de
poursuivre mes études à l’Université Paris 8. Ma première intention à l’époque
était également de continuer une recherche pratique dans le champ des masques
théâtraux, démarche que j’avais commencée auparavant au Brésil. Suite aux
ateliers de topeng suivis à ARTA, j’ai choisi cette forme scénique comme sujet de
mon mémoire de master : « La création d’un personnage masqué à partir de
l’expérience du topeng balinais ». Avant mon premier voyage à Bali, en 2008, je me
suis consacrée à la lecture de textes disponibles en anglais, français et italien sur le
topeng. Six mois après la soutenance de mon premier travail écrit sur le topeng, je
suis allée à Bali pour continuer mes études pratiques autour de cette forme
scénique.

Pour de multiples raisons, ce séjour a généré de nombreux questionnements, dont


certains sont traités dans cette recherche doctorale. Ce séjour a provoqué un grand
bouleversement chez moi qui m’étais attendue à découvrir un lieu exotique.
Pendant la période où j’ai vécu à Bali, j’ai continuellement eu la sensation
ambiguë de familiarité et d’étrangeté dans cette île. Le climat tropical, la végétation
luxuriante, le riz à table, les fruits, les gens accueillants et d’autres aspects m’ont
fait me sentir chez moi, plus qu’en France où j’habitais et où je pensais partager
une même « occidentalité », en outre un fond culturel de base occidentale. En

326
même temps, la culture balinaise s’avérait extrêmement différente de celle
brésilienne.

À Bali, en 2008, une confrontation continuelle a eu lieu entre ce à quoi je


m’attendais, ce que j’avais lu et l’expérience qui fut la mienne sur le moment.
Pendant quelques mois, à côté de l’apprentissage de la danse, j’accompagnais les
répétitions de gambuh au village de Batuan et les présentations de topeng. J’étais
logée chez une famille autochtone, ce qui m’a permis d’assister à plusieurs
cérémonies aux temples de l’île. J’ai vécu intensément la vie quotidienne des
villages d’Ubud, Peliatan et Batuan, situés à l’intérieur de l’îIe. Le côté touristique
de cette région m’évoquait même des endroits touristiques du Brésil et les rapports
que nous entretenions avec les gringos, c’est-à-dire les étrangers d’origine états-
unienne ou européenne.

Progressivement au cours de ce voyage, j’ai compris que ce qui était exotique pour
les auteurs européens et états-uniens, ne l’était décidément pas pour moi. Je
percevais notamment que la notion d’exotisme était couramment employée à
partir d’un lieu d’énonciation unique. L’exotisme serait présent dans ce qui ne
correspond pas aux formes « occidentales ». Même si les auteurs contemporains
n’emploient pas explicitement ce mot, la notion « d’exotisme » est implicitement
présente, déguisée par celle de l’esthétique du divers étant donné que le divers,
l’Autre, est encore identifié comme étant le non-Occidental dans le discours écrit
dominant. C’est pourquoi j’attendais aussi de Bali que ce soit un lieu « exotique et
particulier ».

C’est dans ce conflit entre ces « lieux d’énonciation de l’exotisme » que j’ai pris
conscience qu’il existait une certaine confusion dans mon point de vue antérieur à
ce premier voyage à Bali. J’avais automatiquement emprunté une perspective
« occidentale », sans me rendre compte de la complexité liée au lieu d’énonciation
brésilien, troublé et aussi révélé par la difficulté à définir un placement
cartographique du Brésil dans un monde divisé par le binôme Orient/Occident.

327
Au long des cinq dernières années, parallèlement à mes recherches doctorales, j’ai
informellement demandé quelle serait la place du Brésil dans cette carte qui divise
le monde entre l’Orient et l’Occident. Cela a été fait en Europe auprès de divers
publics, notamment dans les colloques et rencontres auxquels j’ai participé. J’ai
également posé cette question à Ana Teixeira et à Felisberto Sabino comme nous
le verrons plus loin. Pour la plupart des auditeurs non brésiliens et non latinos-
américains, la réponse était claire. Le Brésil ne fait pas partie de l’Occident. Il est
dans un ailleurs géographique, tout comme l’Afrique. Une minorité d’auditeurs a
évoqué le fait que les métropoles brésiliennes comme São Paulo et Rio de Janeiro
sont davantage occidentalisées. Certains hésitaient, sans savoir exactement, quelle
réponse donner. Cependant, pour le sens commun, le Brésil n’appartiendrait pas à
l’Occident. Les collègues brésiliens présents à ces sessions n’arrivaient pas à cacher
leur surprise face à cette constatation, puisqu’ils étaient les seuls dans le public à
considérer le Brésil comme un pays « occidental ». Ainsi, ce que j’ai d’abord perçu
comme un changement cartographique personnel est progressivement devenu
collectif, puisque je rencontrais des expériences de bouleversements
cartographiques similaires.

Cet étonnement a été également ressenti par d’autres artistes brésiliens en Europe.
L’anthropologue Hermano Viana commente ce décalage de perception identitaire
dans un article paru dans le quotidien O Globo, en 2012 :

Je me souviens aussi de ma découverte de notre existence en


dehors de l’Occident. C’était en 1989, je venais de revenir d’un
voyage en Afrique, où j’entendais les gens dire « Là, dans
l’Occident », comme s’il s’agissait d’une terre éloignée. J’ai
pensé : nous n’employons jamais cette expression au Brésil. Cela
devait être dû au fait que nous ne nous demandons pas notre
place dans le monde. On l’imagine bien au milieu de la
civilisation occidentale. Alors, j’ai ouvert le magazine français Art
Press et j’ai trouvé un article qui rassemblait des entretiens avec
cinq artistes non occidentaux. L’un d’entre eux était Cildo
Meireles. Pourquoi personne ne m’avait appris cela à l’École ?613

613
Ernesto Neto, ao montar exposição na França, foi surpreendido pela pergunta de uma finlandesa, que fazia
pesquisa universitária sobre arte brasileira: “como se sente trabalhando no Ocidente?” Assim descobriu que o
Brasil não era considerado país ocidental. Também me lembro da minha descoberta da nossa existência fora
do Ocidente. Era 1989, tinha acabado de voltar da África, onde ouvira as pessoas dizendo “lá no Ocidente”,
como terra distante. Pensei: nunca usamos essa expressão no Brasil; isso deve ser sinal de que não

328
Dans cet article, l’anthropologue cite également le bouleversement d’Ernesto Neto,
un artiste plasticien brésilien. Lors d’une résidence artistique à l’Atelier Calder en
2007, une étudiante finlandaise lui demande comment il se sentait en exposant en
Europe, d’où il répond : « Comme à la maison ! ». Suite à cette question, il
commence à interroger son entourage européen sur l’appartenance brésilienne à
l’Occident. Face aux réponses négatives, il ressentit une énorme légèreté :

De retour au Brésil, j’ai commencé à dire à tous que j’avais


découvert que nous n’étions pas occidentaux, créant la révolte
des plus instruits : « Comment ça ? Qui t’a dit ça ? », m’ont-ils
demandé. Je répondais, non sans une certaine jubilation : « Les
Européens ! »614

Comme Ernesto Neto, à chaque retour au Brésil, j’ai également commencé à


annoncer cette découverte autour de moi, à des collègues du théâtre, à des artistes,
à la famille et à des amis. Tous étaient étonnés et quelques-uns également révoltés.
Plus souvent les réactions de surprise étaient suivies des questions suivantes:
« Qu’est-ce que nous sommes alors ? » ou « Qu’est-ce qu’ils pensent que nous
sommes alors ? ».

Une question non abordée au théâtre


En 2002, j’ai participé à la deuxième édition de l’ECUM — Encontro Mundial de
Artes Cênicas (Rencontre mondiale des Arts de la Scène). L’ECUM était une
grande rencontre théâtrale organisée tous les deux ans à Belo Horizonte, au Brésil.
Lors des ECUM, pendant une semaine, plusieurs artistes de la scène, venus de
diverses parties du globe se réunissaient dans le cadre de conférences, de
démonstrations de travail, d’ateliers et de présentations de spectacles. La
thématique de l’édition de 2002 était Orient / Occident. Dans la programmation
des rencontres figuraient des artistes notamment connus pour leur rapport

questionamos nosso lugar no mundo, imaginado bem no meio da civilização ocidental. Então, abri a revista
francesa Art Press e encontrei artigo que reunia entrevistas com cinco artistas não-ocidentais. Um deles era
Cildo Meireles. Foi um terromoto identitário. Como ninguém tinha me ensinado essa lição na escola?
(Traduction libre) Hermano Vianna, « Além do Ocidente », O Globo, le 27 juillet 2012.
614
Collectif, « Êtes-vous Occidental ?», Le Monde, Hors série : L’histoire de l’occident : Déclin ou
métamorphose ?, juin 2014, p. 27.

329
artistique avec l’« Orient », comme Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil,
l’Amok Teatro, Jean-François Dusigne, entre autres, et des artistes asiatiques, tels
Wu Hsing-Kuo, Sadanam Balakrishnan, Khema da Costa et Upeka da Silva. Le
positionnement du Brésil dans ce binôme n’était pas à l’ordre du jour. Avec le
recul des années, je me rends compte que très probablement les Brésiliens et les
étrangers présents auraient des avis très distincts sur l’appartenance du Brésil à
l’Occident. Dans le champ théâtral dit occidental, le Brésil est encore vu comme
un pays « d’ailleurs », mais les praticiens brésiliens ne semblent pas en être
véritablement conscients.

Il est courant dans les discours du milieu théâtral que la notion d’Orient soit
souvent mise en opposition avec celle d’Occident. Dans le champ théâtral, ces
discours doivent beaucoup aux textes d’Antonin Artaud. Toute la réflexion qu’il a
menée sur cette opposition entre le théâtre oriental et le théâtre occidental lui est
venue de son expérience de spectateur du programme de spectacles balinais
donnés à l’Exposition coloniale de 1931, comme présenté dans le deuxième
chapitre de ce travail. En outre, le discours d’Artaud est en quelque sorte repris
par Ariane Mnouchkine, lorsqu’elle désigne le théâtre « occidental » comme celui
qui a créé les grands textes dramaturgiques et le « théâtre oriental » comme celui
qui a créé les grandes formes spectaculaires615. De même, quand la metteuse en
scène cite encore Antonin Artaud pour dire que « le théâtre est oriental ».

Ainsi, c’est le constat que les formes artistiques asiatiques sont perçues au Brésil à
travers une optique européenne qui m’a amenée à réfléchir sur l’origine des idées
préconçues liées à Bali, aux formes artistiques balinaises et à la notion d’« Orient ».
Au Brésil, les études sur les formes asiatiques sont rares, et plus concentrées sur le
Japon et l’Inde. Celles dédiées à Bali étaient inexistantes jusqu’en 2012. C’est
Felisberto Sabino qui a écrit les premiers articles sur le topeng au Brésil. Ces formes
sont couramment incluses dans un seul ensemble nommé « théâtre traditionnel
oriental », terme lui-même controversé et qui ne correspond pas à la diversité de
ces cultures. À l’exception de rares praticiens brésiliens qui se sont rendus

615
Josette Féral, Dresser un monument à l’éphémère, Paris, Editions Théâtrales, 1995, p. 62-63.

330
directement en Asie, ces pratiques nous ont été présentées par le regard des
praticiens et des auteurs de théâtre, pour la majorité européens, tels qu’Eugenio
Barba, Peter Brook et Ariane Mnouchkine. En quelque sorte, l’imaginaire d’un
« théâtre oriental » a été historiquement construit par des artistes européens, et
conséquemment reproduit par les artistes brésiliens. Ces transferts ont été opérés
surtout par leurs récits et témoignages des expériences interculturelles, mais
également par des pratiques transmises. Lors de sa réflexion sur le binôme
Orient/Occident, Jerzy Grotowski souligne déjà la difficulté à définir ces notions :
Qui sont les Orientaux, qui sont les Occidentaux ? Il n’y a pas un seul Orient, il n’y a pas
un seul Occident.616 Dans l’introduction de son texte, il annonce déjà la complexité
de la question tout en tenant compte des quelques exemples de cultures
complexes, comme celles d’Amérique Latine. Au Brésil, la problématique de
l’identification est encore complexe : Donc il y a en Amérique Latine une particularité,
même dans les conventions. Et les influences de la culture africaine par exemple au Brésil ?
Tout cela est donc très difficile à définir dans les termes Orient-Occident. 617 Jerzy
Grotowski considère l’héritage européen en Amérique, tout en identifiant
quelques-unes de ses particularités.

Dans la majorité des discours européens, « l’Occident » fait référence à l’Europe et


aux États-Unis et « l’Orient » renvoie à l’Asie. Lorsque l’Afrique est évoquée,
aucun de ces deux termes n’est employé. Comme pour l’Afrique, la question se
pose pour l’Amérique latine et plus spécifiquement pour le Brésil. La construction
dualiste d’un Orient et d’un Occident entraîne un rapport d’affirmation par
opposition entre ces deux lieux. Comment peut-on continuer à rassembler toute la
pluralité des peuples et manifestations artistiques en ces deux ensembles ?

L’Occident : une notion à multiples couches


D’abord, appréhendées comme des notions géographiques, « Orient » et
« Occident » sont des notions complexes, puisqu’elles peuvent être envisagées sous
plusieurs perspectives. Il s’agit également de notions généralistes, essentialistes et

616
Jerzy Grotowski, « Orient / Occident », Confluences - Le dialogue des cultures dans les spectacles
contemporains (sous la direction de Patrice Pavis), sans date, p. 233
617
Jerzy Grotowski, op. cit, p. 231

331
eurocentriques du monde, idéologiquement chargées. Ainsi, il est difficile de
traiter ces notions qui comprennent des perspectives et des disciplines si diverses
et liées à l’histoire et à la géopolitique mondiale.

D’abord, circonscrite à la frontière de la Grèce ancienne et avec la mer Égée


comme centre, le terme phénicien ereb désignait la partie du territoire à l’ouest ou
le couchant, et assoul le territoire placé à l’est de la mer, où le soleil se lève. En
latin, les deux racines prennent la forme occidere, signifiant « tomber » et orior,
« naître ». Au XVIIIe siècle, ces notions géographiques sont encore présentes dans
la définition proposée par d’Alembert, puisque dans l’Encyclopédie, l’Orient
s’entend de toutes les parties du monde qui sont situées à notre égard vers les lieux où nous
voyons lever le soleil. L’article de l’encyclopédie sur l’Occident reprend également des
notions géographiques, tout en établissant un rapport à la géopolitique de
l’époque :

Occident, dans la Géographie, s’applique aux pays qui sont situés


au coucher du soleil par rapport à d’autres pays, c’est ainsi qu’on
appelloit autrefois l’empire d’Allemagne l’empire d’occident par
opposition à l’empire d’orient qui étoit celui de Constantinople.
L’église romaine s’appelle l’église d’occident, par opposition à
l’église grecque, & c. Les François, les Espagnols, les Italiens, & c.
sont appelés des nations occidentales à l’égard des Asiatiques, &
l’Amérique Indes occidentales à l’égard des Indes orientales.618

L’Occident est une notion qui a été formulée et reformulée tout au long de
l’histoire. À chaque reformulation, l’Occident prend de nouveaux contours
géographiques, liés aux différents contextes religieux et politiques de chaque
époque. Notamment dans L’Europe et le mythe de l’Occident, Georges Corm
développe le concept d’« Occident » comme une « méga-identité » :

En dépit de cette réalité historique, tous les essayistes, historiens,


philosophes, sociologues européens du XXe siècle vont consacrer
cette notion d’Occident, méga-identité censée transcender toutes
les différences entre peuples européens, malgré les guerres et
déchirements religieux, nationalistes et idéologiques entre
Européens. L’Occident devient ainsi cette entité mythologique,
un imaginaire exubérant, mais aussi une frontière redoutable de
618
Jean le Rond d’Alembert, « OCCIDENT », Encyclopédie ou dictionnaire raisoné des sciences,
des arts et des métiers.

332
l’esprit, une machine à créer de l’altérité forte, voire radicale,
voire infranchissable, entre les peuples, les nations, les cultures et
les civilisations.619

Pour l’auteur, cette idée d’un « Occident » mythique trouve ses racines chez les
auteurs romantiques du XIXe siècle, et surtout chez les philosophes allemands.
Malgré la pluralité des perspectives, une des conceptions récentes d’Occident vient
probablement du contexte géopolitique de la Guerre froide et de l’alignement des
différents pays aux deux blocs. La création d’institutions comme l’OTAN a
favorisé l’ancrage de ce terme dans les discours et dans l’imaginaire collectif récent.
Ainsi, l’Occident se voit aujourd’hui porteur des valeurs démocrates,
individualistes, rationnelles et judéo-chrétiennes. La notion d’Orient, soit-il loin,
proche ou extrême, est nécessaire pour la construction idéologique, politique et
militaire de l’Occident même : Sans Orient, point de choc des civilisations, point de
crispations et de peurs, point de déploiement militaire ni de système d’alliances militaires
pour défendre le « monde libre » et ses valeurs contre l’ennemi.620

L’Orient remodelé par les théories postcoloniales


Si la notion d’Occident reste encore très présente dans les discours, mentalités et
imaginaires, celle de l’Orient a été bouleversée à partir des années 1970. Grâce aux
réflexions d’Edward Said, aux critiques de son travail majeur, L’Orientalisme, et au
champ des études postcoloniales, dans le milieu académique anglo-saxon, le mot
« oriental » comme synonyme d’Asie a été pratiquement banni. En quelque sorte,
l’Occident a perdu son alter ego621, puisque la création de la notion d’Orient a
collaboré à créer son identité même : l’Orient en tant que contre-Occident.

Ainsi, nommer ces territoires devient une tâche complexe. L’« Orient » devenant
un mot inadéquat, lié à l’ethnocentrisme européen, d’autres termes surgissent
pour essayer d’exprimer ce qui est hors de l’Occident. On va le remplacer par l’est
(east), par « marges », « périphéries » , non-Western ou non-Occidental. En France,

619
Georges Corm, L’Europe et le mythe de l’Occident, Paris, Découverte, 2009, p. 26
620
Georges Corm, op. cit, p. 36.
621
John McLeod, Beginning Postcolonialism, New York : Manchester University Press, 2010, p. 49

333
faute de trouver un autre nom, on entend la définition « extra occidental », où le
préfixe « extra » prend notamment son sens de « dehors, à l’extérieur » et non pas
le sens « fort, hors du commun ». Par exemple, dans le séminaire : « Au-delà de
l’Europe : la mode extra occidentale »622, réalisée en 2013 à l’INHA, le monde
extra occidental est le monde non européen. Dans l’ouvrage « Modernités
occidentales et extra occidentales », les auteurs se confrontent à la problématique
des contours frontaliers de l’Occident pour penser la notion de modernité. Dans
un premier temps, l’Occident retourne à l’Europe :

Et si introduire la dimension spatiale dans le contexte européen,


voire occidental, qui est celui dans lequel s’est historiquement
construit – avec toute sa variabilité – le concept de « modernité »,
multiplie les problèmes, que penser d’une ouverture de l’espace
aux domaines extra occidentaux ?623

Et puis, les frontières de l’Occident sont élargies, pour y englober et territorialiser


l’Amérique du Nord :

La « modernité », qu’elle soit esthétique ou sociétale, a longtemps


été considérée comme étant d’essence occidentale, voire
européenne. Henri Meschonnic écrivait ainsi : « La modernité.
Inutile d’ajouter : occidentale. La modernité est européenne. Et
si on appelle Occident l’Europe, plus l’Amérique du Nord, elle
est occidentale. »624

Êtes-vous occidental ?
En 2014, le plasticien Ernesto Neto participe également à un reportage du
magazine Le Monde Hors-série, dans un numéro intitulé L’Histoire de l’Occident :
déclin ou métamorphose ? Intitulé Êtes-vous occidental ?625, le reportage pose cette
même question à des personnalités de divers pays aux identités multiples et complexes,
selon la publication. Aux côtés du Brésil, les autres pays sélectionnés par les
éditeurs sont la Russie, l’Ukraine, Israël, l’Afrique du Sud, la Turquie, l’Australie
et le Canada. La lecture des différentes réponses de ces personnalités interviewées,
622
http://blog.apahau.org/tag/arts-extra-occidentaux/
623
Xavier Garnier et Anne Tomiche, « Introduction », Itinéraires [En ligne], 2009-3 | 2009, mis en
ligne le 10 février 2015, consulté le 31 janvier 2016. URL : http://itineraires.revues.org/439
624
Xavier Garnier et Anne Tomiche, op. cit.
625
Collectif, « Êtes-vous Occidental? » , Le Monde, Hors série: L’histoire de l’occident: Déclin ou
métamorphose?, juin 2014.

334
démontre que leur appartenance ou non à l’Occident est liée à leur identification
à l’héritage culturel européen.

Pourquoi ces pays ont été rassemblés ainsi ? La Turquie, la Russie et l’Ukraine sont
des pays à l’extrême frontière de l’Europe. De ce fait, ce sont des pays qui ont des
contacts fréquents et une histoire étroite avec l’Europe. À leur tour, l’Afrique du
Sud, l’Australie, le Brésil et le Canada sont des pays ayant une colonisation
européenne. Dans les deux cas, on suppose que ces pays sont perçus par les
éditeurs de la revue comme étant des périphéries occidentales.

Le Brésil : Un autre Occident ?


Comme nous avons vu, la majorité de l’élite universitaire brésilienne continue à
emprunter ce binôme Orient/Occident pour dessiner la cartographie du monde.
Dans la perspective brésilienne, il est intéressant de noter qu’il existe un Orient et
un Occident et que nous faisons partie de ce dernier. Les Brésiliens,
particulièrement l’élite universitaire, absorbent un point de vue « occidental » lors
des rapports envers les cultures asiatiques et cela est spécialement vrai dans les
champs du Théâtre et de la Danse. Interrogés sur la place du Brésil dans ce
binôme Orient versus Occident, Ana Teixeira et Felisberto Sabino sont unanimes :
ils le placent en Occident. La vidéo 5 626 présente dans les annexes de ce travail
approche leur témoignage. Même s’il n’a pas été directement interrogé à ce sujet,
Ivaldo Bertazzo emploie à plusieurs reprises le mot « Occidental » pour s’identifier.
Par exemple, dans l’extrait suivant : On est « coincé », Occidental ou encore ici : C’est
nous, les Occidentaux qui aimeraient mettre tout dans un dôme de verre.

Nous avons demandé à Ana Teixeira quelle était la place du Brésil dans le contexte
de ce binôme :

D’abord, je crois que dans notre histoire politique il y a un


mouvement plus important et conscient de se voir. Je dirais que
pendant beaucoup de temps je voyais le Brésil en tant
qu’Extrême Occident, pas en tant qu’Occident : très imprégné de

Extraits des entretiens d’Ana Teixeira et Felisberto Sabino, lors de confrontation à la question :
626

Comment pensez-vous le Brésil dans ce binôme Orient/Occident ?

335
la culture nord-américaine, avec une économie ultra capitaliste,
libérale. (...) Je crois qu’aujourd’hui on se voit plus lié à
l’Afrique... D’ailleurs, on la localise où ? Occident ? Orient ?
L’Afrique est toujours placée en tant que continent totalement à
part qui ne se situe dans aucun endroit de la planète. Alors, je
pense qu’aujourd’hui, la conscience de la culture africaine au
Brésil est considérablement plus importante qu’il y a quelques
années. C’est l’impression que j’ai. Les gens prennent plus
conscience aussi de leurs différentes racines : arabe, ibérique,
européenne, africaine, amérindienne. Le Brésil essaye de
comprendre son identité, indépendamment d’une identité
européenne. Et je remarque que même du point de vue de la
géopolitique internationale, le Brésil a un autre rôle aujourd’hui.
(...) Depuis quelques années, le Brésil se place de manière plus
indépendante, parlant par lui-même, il n’est pas toujours aligné
avec les Américains. Il se voit constitué de différentes cultures et
ces cultures-là sont valorisées. Pendant beaucoup de temps, seule
la culture européenne était valorisée. Aujourd’hui non. (...)
Finalement, je ne saurai pas te répondre « c’est comme ça ».627

Ana Teixeira perçoit l’Afrique dans un non lieu dans cette carte. Le Brésil serait
un « Autre Occident » ou même un « Extrême-Occident ». Cette formulation a été
déjà employée par l’historien brésilien Sérgio Buarque de Hollanda, pour désigner
le grand ouest brésilien, celui de conquête tardive. L’ambassadeur français Alain
Rouquié emploie également la notion d’Extrême Occident pour désigner
l’Amérique latine, notamment à cause de son héritage européen 628. Felisberto
Sabino appréhende cette question de manière similaire à celle d’Ana Teixeira :

En fait, je parle de mon expérience. Je crois que le Brésil est à la


fois dans et hors de l’Occident. Dans un certain sens, il est
dedans, comme si l’Occident était un vêtement, une peau, plus à
l’extérieur, mais si l’on va à la chair, je crois qu’il n’y est pas, car
nous avons quelque chose... Je ne sais pas si c’est lié à la forte
influence indienne, africaine... Nous sommes des Occidentaux,
mais pas comme les Européens. Je pense que l’influence de la
culture indienne et africaine a été déterminante pour notre
contradiction, cela nous a apporté des choses, nous avons un
rapport corps et esprit, plus proche de cette dimension du sacré
qu’un Européen, qu’un Français. C’est un ressenti. Je n’ai aucun
argument scientifique. Je suis dans le domaine de l’impression,
de la perception. Je crois que nous sommes « Occident », mais
d’une autre manière.629

627
Ana Teixeira et Juliana Coelho, op. cit.
628
Alain Rouquié, Introduction à l’Extrême Occident, Paris, Seuil, 1998, 439 p.
629
Felisberto Sabino et Juliana Coelho, op. cit.

336
Ana Teixeira et Felisberto Sabino, ainsi que d’autres Brésiliens, ne réalisent pas le
fait que cet Occident « officiel » ne considère pas le Brésil comme un pays
occidental. Dans le champ théâtral, le Brésil est encore envisagé comme un pays
« d’ailleurs ».

Dans l’imaginaire de ces artistes et académiciens, très attachés à l’Europe et aux


États-Unis, les principes qui définissent l’appartenance à l’Occident sont culturels
et historiques. Le Brésil a été colonisé par un pays européen, le Portugal. Autrefois,
le Brésil faisait partie des Indes occidentales, comme les colonies européennes en
Asie faisaient partie des Indes orientales. Boaventura de Sousa Santos 630 évoque le
rôle périphérique du Portugal dans l’Europe. Géographiquement et
politiquement, le pays s’est toujours situé aux marges de l’Europe, ayant un statut
imprécis par rapport à un « centre » européen. Alors la position subalterne de
l’empire portugais vis-à-vis de l’Angleterre aurait également contribué à forger cette
position périphérique du Portugal. Cette contradiction identitaire est en partie
reprise par les Brésiliens. Selon Heloisa Toller Gomes, les questions sur l’altérité et
l’identité ont toujours été complexes au Brésil :

Considérés comme « les autres » de l’Europe, avec leur


population fréquemment vue comme sous-race par les visiteurs et
les observateurs étrangers, les Portugais ont dupliqué contre leurs
colonies la discrimination et le mépris qu’ils ont sentis de la part
de l’Europe « plus civilisée » à leur endroit. On ne s’étonnerait
pas que la question de l’altérité soit remplie par des complexités
très particulières.
Les spécificités du colonialisme luso-brésilien ont dessiné les
traits structurels de notre formation populationnelle, culturelle et
idéologique, par conséquent de notre construction identitaire. 631

La valorisation des matrices formatrices du peuple brésilien, évoquée par Ana


Teixeira, semble cruciale pour une réflexion profonde sur le rapport identitaire
brésilien. Les travaux d’anthropologues tels que Darcy Ribeiro, aident à saisir cette
identité dans une perspective plurielle et continentale. Si comme l’a défini

630
Boaventura de Sousa Santos, « Between Prospero and Caliban: Colonialism, Postcolonialism,
and Interidentity », Review (Fernand Braudel Center), vol. 29 / 2, janvier 2006, p. 143-166.
631
(Traduction libre)

337
l’anthropologue, nous, les Brésiliens : Nous avons surgit de la confluence, de la collision
et du mélange de l’envahisseur portugais avec des Indiens sauvages et champêtres avec des
Noirs africains, les uns et les autres pris comme esclaves.632 À ce trio fondateur,
s’ajouteront au fil des années de nombreuses vagues d’immigration. La formation
culturelle brésilienne complexe a créé ce que l’anthropologue a nommé îles-Brésil.
Dans chaque partie du territoire, des matrices populationnelles variées vont se
reconfigurer de manière originale formant des noyaux culturels uniques. Dans ce
sens, les Européens et leur héritage vont être perçus comme « Occident » au Brésil.

La forte immigration japonaise, surtout dans les régions des états de São Paulo et
du Parana, et une immigration turque, libanaise et syrienne aux XIXe et XXe
siècles forgent dans ces communautés l’imaginaire de l’Orient distant, la terre
d’origine, en contraste avec cet Occident nouveau, représenté par le Brésil. Les
Amérindiens brésiliens identifient les non-Amérindiens brésiliens, en tant que
colons, en tant qu’hommes blancs, et pourtant en tant qu’Occidentaux. Ces
dernières années, une afroperspective commence à être revendiquée dans les
universités et dans l’enseignement fondamental à partir de la valorisation de
l’enseignement de l’histoire des royaumes africains et de l’apport afro-brésilien
dans la culture du pays. Ainsi, les notions d’« Occident » et d’« Orient » peuvent
avoir des nuances très particulières, si on étudie ces notions sous une perspective
brésilienne.

Le point de vue brésilien envers l’Orient est remis en question, car la majorité de
l’élite universitaire de ce pays continue à emprunter ce binôme Orient/Occident
pour dessiner la cartographie du monde et de ce fait à se penser et à s’identifier en
tant qu’occidentale. Par conséquent, des perspectives « européennes et nord-
américaines » sont empruntées pour penser l’Asie. À ce sujet, dans ce chapitre a été
exposée cette contradiction inhérente à l’identité brésilienne. Une
problématisation collective à ce sujet et un ajustement de perspective sont urgents
et indispensables pour une réflexion plus approfondie sur nos appartenances et

632
Surgimos da confluência, do entrechoque e do caldeamento do invasor português com indios silvicolas e
campineiros e com negros africanos, uns e outros aliciados como escravos. (Traduction libre) Darcy Ribeiro,
O povo brasileiro, Sao Paulo, Companhia das Letras, 2006, p. 17.

338
nos identités multiples. Finalement, la réflexion présentée ici est plus un appel à
mes collègues et compatriotes brésiliens à entreprendre une réflexion collective à
ce sujet.

339
OUVERTURES CONCLUSIVES
Frontières
Si la synthèse de ce travail pouvait être résumée par un seul mot, ce serait :
« voyage ». Ce sont les voyages qui ont déclenché tous les déplacements et
réflexions présentés au long de ces pages : du rapport du comédien avec le masque
jusqu’aux voyages réels. Les voyages pourraient être pensés comme des
mouvements éphémères où le temps du quotidien est suspendu. L’image du pont
pourrait ainsi être une des métaphores du voyage. Le pont est ce lieu de traversées,
mais également de réunion des personnes. Parcourir des ponts signifie aller d’un
territoire à un autre, généralement pour atteindre un lieu inconnu. Parcourir des
ponts c’est traverser des frontières. À son tour, la frontière est « un lieu à partir
duquel quelque chose commence à se faire présent »633. Dépasser les frontières
implique être en état d’ouverture : l’état fondamental de la création artistique et
du travail du comédien.

Dans cette recherche, le parcours artistique des interviewés s’entremêle à leurs


itinéraires de voyage. Lors d’une pratique artistique interculturelle, plusieurs
enjeux peuvent inciter la transformation de l’artiste, ainsi que de la personne
artiste. Le lieu même de relations interculturelles, surtout en territoire étranger, est
celui du pont qui exige la traversée des artistes. Les artistes sont confrontés
continuellement au flux de changements, d’informations connues et inconnues.
Ils sont engagés dans le jeu permanent de se faire comprendre et de comprendre,
de s’exprimer et d’écouter, de se laisser manipuler et de se positionner. Ces
parcours sont les lignes que j’ai essayées de tracer dans les cartographies au long de
ce travail. Elles s’entrelacent et forment de nouveaux ponts à chaque rencontre.

Le jeu des récits


Les mots des récits de voyage se gravent dans nos esprits. Les mots écrits sont ces
signes dessinés sur le papier des livres. Pour Jacques Derrida, il existe un jeu entre
les mots écrits, les signes, ses signifiants et ses signifiés. Puisqu’il développe la

633
Homi K. Bhabha, The location of culture, London New York, Routledge, 1994, 285 p.

340
notion de signifié et signifiant comme indissociables, il a exemplifié ce jeu lorsqu’il
évoque les divers signifiants du mot « eau » :

Lors de la lecture du mot « eau », on peut penser à des gouttes


d’eau, à un lac, au symbole chimique, etc. On ne pense pas
nécessairement à une image fixe de l’eau, à une représentation
mentale universelle. Aussi, chaque concept (signifiant) auquel
l’« eau » peut référer renvoie à un autre signifiant. Cette chaîne
de signifiant à signifiant, infinie, se traduit par un jeu sans fin et
ouvre le texte, le déplace, le rend mouvant. 634

Ainsi, le texte est le lieu d’un rapport de forces entre les différents signifiants de
chaque particule du discours : noms, adjectifs, verbes, etc. Derrida efface la
distinction linguistique traditionnelle entre signifiant/signifié, puisque pour
l’auteur du discours écrit, ils n’ont pas été créés de façon isolée. En outre, dans
Tristes tropiques, Claude Lévi-Strauss évoque la sonorité des mots qui produit des
associations inattendues dans l’esprit, de manière involontaire :

Le Brésil s’esquissait dans mon imagination comme des gerbes de


palmiers contournés, dissimulant des architectures bizarres, le
tout baigné dans une odeur de cassolette, détail olfactif introduit
subrepticement, semble-t-il, par l’homophonie inconsciemment
perçue des mots « Brésil » et « grésiller », mais qui, plus que toute
expérience acquise, explique aujourd’hui encore je pense d’abord
au Brésil comme à un parfum brûlé.635

Si un mot est passible d’une myriade de signifiants et d’associations si diverses, que


pouvons-nous dire d’un récit ? Lors de son arrivée à Rio de Janeiro en 1935,
Claude Lévi-Strauss avait le livre de Jean de Léry en mains : Je foule l’Avenida Rio-
Branco où s’élevaient jadis les villages tupinamba, mais j’ai dans ma poche Jean de Léry,
bréviaire de l’ethnologue.636 Dans cette étude ethnologique qui a les allures d’un
carnet de voyage, Lévi-Strauss recrée des récits et imagine une juxtaposition spatio-
temporelle de paysages à partir des récits d’autrefois, spécialement celui de Jean
Léry : Dans ce Rio qui m’est maintenant donné en pâture, c’est la saveur de cette histoire

634
Lucie Guillemette et Josiane Cossette, « Déconstruction et différance », En linge:
http://www.signosemio.com/derrida/deconstruction-et-differance.asp
635
Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Presses pocket, 1984, p. 48.
636
op.cit, p. 87.

341
que je cherche d’abord à discerner.637 Dans un bon nombre de pages de Tristes
Tropiques, les récits de Léry et de Lévi s’enchevêtrent. Chaque promenade dans ce
Rio de Janeiro des années 1930, le ramène à la France Antarctique des
années 1500, puisqu’il perçoit la ville en ayant le récit de Jean de Léry comme
filtre. Ses descriptions des paysages sont tributaires d’Histoire d’un voyage faict en la
terre du Brésil. Cet ouvrage est un des premiers récits sur le Brésil, à une époque où
la présence française prétendait y créer une colonie. Une des particularités du récit
de Jean de Léry est justement l’attention qu’il porte sur les Indiens tupinambas, les
dotant d’intelligence et même d’une certaine sagesse.

Ce rapport admiratif de Jean de Léry aurait-il influencé l’appréciation du jeune


Lévi-Strauss sur les Amérindiens et sur le Brésil même ? Dans ses souvenirs du
Brésil, Lévi-Strauss ne semble pas uniquement être tributaire de Jean de Léry, mais
de toute la présence française passée au Brésil. Ses exemples à l’égard de la France
Antarctique, sont une tentative de réécriture de l’histoire, tout en essayant de
rapprocher ce territoire et la France. Dans ces passages, on observe la volonté de
légitimer une inscription historique française au Brésil. D’abord, il démontre les
accords cordiaux entre Français et Amérindiens. Ensuite, c’est le nom « Brésil » qui
aurait été en réalité une invention française. Puis, ce serait Jean Cousin le premier
navigateur à arriver au Brésil, quatre ans avant même l’arrivée de Christophe
Colomb en Amérique centrale. Il évoqua tous ces faits dont on ne pourra jamais
vérifier leur véracité, comme lui-même l’affirme. Mais cela importe peu. Tous ces
événements « attestaient il y a quatre cents ans l’intimité régnant entre Français et
Indiens (...) ». Pour justifier l’invention de cette amitié « séculaire », il s’applique
encore à démontrer ce lien entre Français et Tupinambas, par des anecdotes
historiques: des interprètes normands devenus anthropophages et ayant épousé
des Indiennes ou l’explorateur allemand Hans Staden, prisonnier des
Tupinambas, qui essaya de se faire passer pour un Français pour éviter la mort. En
réalisant toute cette reconstruction de récits dans son propre récit, l’auteur
essaierait-il tout simplement de trouver une filiation historique avec le sujet de sa
recherche ?

637
Claude Lévi-Strauss, op.cit, p. 91

342
Les Tristes Tropiques
Pourquoi revenir sur l’expérience de Claude Lévi-Strauss au Brésil ? En tant que
Brésilienne, la relecture de Tristes Tropiques après tant d’années en France éveille en
moi un sentiment de malaise. En réalité, le titre de ce livre m’a toujours dérangé. Il
m’a toujours semblé être une association sémantique facile, faite pour rimer, pour
poétiser son récit. Il ne s’agit pas ici de discuter l’héritage scientifique de
l’ethnologue, à qui l’on doit entre autres la valorisation de ladite « pensée sauvage »
et la relativisation de la supériorité de l’Occident. Mais, pourquoi adjective-t-il
ainsi les tropiques ? Pourquoi sont-ils si tristes ? Pour l’auteur, ce qui est triste est la
destruction de ces mondes dits « sauvages » par l’Occident. Le Brésil des grandes
villes ne l’attire pas. Là, il retrouve des références trop proches et assez déformées
de l’Occident. Mais c’est principalement le sort tragique de l’Indien brésilien, leur
ethnocide lent et constant par l’homme blanc, qui le frappa le plus : Ce que d’abord
vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité 638.

En relisant Tristes Tropiques, je ressens un certain rapport ambivalent de l’auteur


avec le Brésil, avec le voyage. Au premier abord, il paraît conscient des pièges des
récits de voyage et il est le pire critique de ces idéalisations et fantasmes sur le
Nouveau Monde. Cependant, il a un rapport nostalgique envers un passé
imaginaire du Brésil, celui de la France Antarctique ou de la terre encore vierge.
Ses déceptions et difficultés dans le travail de terrain aux confins du Mato Grosso
l’amènent à envier ceux qui sont passés par ces terres-là avant lui. Il regrette ce
Brésil qu’il découvre, ce Nouveau Monde déjà découvert, tout en ayant cette
mélancolie d’un passé non vécu : une sorte de nostalgie du paradis perdu.
Le récit de Lévi-Strauss est évoqué à la fin de ce travail, car je ressens une certaine
nostalgie perpétuelle du passé chez quelques artistes interviewés, surtout chez ceux
qui sont liés direct ou indirectement à l’expérience du Théâtre du Soleil.

À mon époque, il n’y avait pas beaucoup de touristes...


638
Même si cette affirmation est bien au début de son récit et avant sa description des Indiens. Je
pense qu’elle pourrait faire référence à l’état déprimant que l’ethnologue retrouve dans certaines
tribus. Claude Lévi-Strauss, op. cit. p. 36.

343
Lors de son deuxième séjour à Bali, réalisé quelques années après le premier,
Miguel Covarrubias déplore déjà les changements apportés par le tourisme à l’île.
Dans la même époque, Walter Spies reprochait aux Balinais de ne pas exécuter
avec brio les danses lors des présentations pour les touristes. C’est la faute des
touristes si la danse balinaise est corrompue :

C’est en fait avoir une idée bien mince du sens artistique des
Balinais que de croire et surtout de prétendre que les arts balinais
disparaissent à cause du tourisme ou pour toute autre raison. Il y
a, surtout maintenant, des séances pour touristes où les danses
sont écourtées, et qui ont lieu en plein jour (pour pouvoir
prendre des photos en couleurs) au lieu de la nuit, etc., mais on
n’y verra aucun Balinais comme nous avons encore pu le
constater cette année. Mais lorsque des Balinais organisent une
danse pour eux-mêmes, ils se moquent totalement des touristes
européens ou autres qui peuvent se trouver présents et le public
balinais se charge de veiller à la qualité de l’exécution : lorsque ce
public trouve une exécution mauvaise, chacun rentre chez soi et
les exécutants se le tiennent pour dit.639

Mon expérience à Bali m’a permis de constater la même situation que celle décrite
par l’auteur, malgré le nombre considérable d’années passées. Les présentations
des Balinais donnés pour les Balinais sont d’une vigueur et d’un sérieux beaucoup
plus importants que celles données pour les touristes. Dès que l’on sort des
sentiers battus, on s’aperçoit rapidement que le temps court à différentes vitesses à
Bali et que derrière un magasin de peinture au bord d’une route, les personnes
prennent encore leurs bains dans les canaux des subak ou dans les rivières. Le
rapport avec le temps est encore très différent entre les grandes villes touristiques
et celles qui n’attirent pas une attention particulière des voyageurs.

Les voyages d’Eugenio Barba, Cristina Wistari, Stéphane Brodt ont eu lieu à des
moments très différents et pourtant ils affirment : à mon époque, il n’y avait pas
beaucoup de touristes. Comme si chaque voyageur prétendait assurer
l’authenticité de son expérience. Mais, depuis les années 1920, les artistes
étrangers voyageurs rencontrent une Bali déjà « domestiquée et contrôlée » par la
colonisation néerlandaise. Avant cela, des séjours touristiques seraient

Louis-Charles Damais, « Hans Rhodius : Schonheit und Reichtum des Lebens, Walter Spies
639

(Malér und Musiker auf Bali 1895-1942) », Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient, 1967, p. 75.

344
difficilement réalisables. Depuis lors, les séjours de ces artistes et des touristes se
font dans un cadre protégé. De plus, ces artistes étrangers bénéficiaient d’un
change « monétaire » très favorable. Ce change monétaire permettait à Walter
Spies d’avoir et de louer des maisons à des touristes, d’avoir des employés, entre
autres luxes. Au contraire du Japon, Bali est accessible. Alors, les artistes étrangers
peuvent se permettre d’acheter des collections de masques, de costumes et des
tissus fins que plusieurs danseurs de topeng ne pourraient pas imaginer s’offrir. Le
rôle de tout ce réseau d’échanges déclenché par les voyages dans le changement des
rapports des pratiques des artistes Balinais avec leurs formes artistiques est presque
ignoré. Une contradiction peut être perçue là, puisque ces praticiens étrangers ont
un regard critique envers les changements de la société balinaise, sans comprendre
ou peut-être sans vouloir comprendre leurs propres rôles dans ces transformations.

Pour les Balinais, le changement en soi n’est pas forcément vu comme négatif. I
Made Bandem affirme vouloir des changements dans la continuité. En réalité, les
plus dérangés par ces changements semblent être les artistes étrangers eux-mêmes
et évidemment, cela n’est pas vrai pour tous ces artistes. Par exemple, Stéphane
Brodt évoque le « danger du mélange », puisqu’il y aurait également un danger
dans ces eaux qui se mélangeraient trop. Cependant, il ne nomme ou ne définit
pas ce danger. À son tour, Ivaldo Bertazzo, souligne que c’est le manque de réseau
qui aurait des effets néfastes sur les formes traditionnelles. Ainsi, les Balinais
auraient des réseaux hautement développés et de ce fait, ils seraient capables
d’assimiler les influences de l’extérieur tout en maintenant la spécificité de leur vie
communautaire. Son point de vue est ainsi analogue à celui de Clifford Geertz :
Bali se transforme tout en restant elle-même. Ce champ de réflexion est vaste et
mériterait une réflexion plus approfondie, que je n’ai pas pu mener dans ce travail.

Sur la nécessité de confronter à nouveau les artistes balinais à certaines questions


Dans cette ouverture conclusive, je parle de quelques aspects qui m’ont dérangée
lors de cette recherche. Additionner le mot « ouvertures » au mot « conclusion »
souligne justement mon envie de tracer d’autres chemins postérieurs de recherche.
Les entretiens des artistes balinais ont été les premiers réalisés pour cette

345
recherche. J’ai ressenti à plusieurs reprises le besoin d’effectuer un nouveau voyage
à Bali pour confronter de nouveau les analyses et poser d’autres questions aux
praticiens balinais : comment voient-ils l’arrivée d’étrangers à Bali ? Quels sont les
enjeux entre tourisme et danse pour eux ? Quelle est l’image qu’ils ont des artistes
étrangers ? En ce qui concerne le bouleversement à l’étranger, quel est l’événement
qui les a bouleversés ? Cela m’aurait également permis de consulter d’autres
ouvrages essentiellement accessibles à Bali.

En ce qui concerne les textes d’Antonin Artaud, un deuxième pas dans cette
recherche serait leur analyse en collaboration avec des artistes chercheurs balinais,
pour essayer de saisir leur point de vue sur ces textes et sur les descriptions
qu’Antonin Artaud a fait de la danse balinaise. Finalement, à l’envie de poursuivre
la recherche de certains aspects analysés dans ce travail, s’ajoute le désir d’établir
des collaborations artistiques avec les artistes balinais.

346
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390
TABLE DE MATIERES
REMERCIEMENTS.....................................................................................................4

RÉSUMÉ.....................................................................................................................5

ABSTRACT.................................................................................................................6

SOMMAIRE................................................................................................................7

INTRODUCTION......................................................................................................9

PARTIE 1 LES ARTISTES-VOYAGEURS, CRÉATEURS DE CARTOGRAPHIES. 25

CHAPITRE I ITINÉRAIRES ET RENCONTRES: LES PREMIERS ARTISTES


VOYAGEURS D’EUROPE ET D’AMÉRIQUE DU NORD.....................................26
1. INTRODUCTION : DE SAUVAGES À ARTISTES, L’ÉVOLUTION DU PORTRAIT ET DES
RÉCITS SUR LES BALINAIS..................................................................................27
2. LES PREMIÈRES RENCONTRES.........................................................................28
3. LA COURTE PRÉSENCE BRITANNIQUE : BALI EN TANT QUE MUSÉE VIVANT DE JAVA
......................................................................................................................33
4. SUR LES DÉBUTS DE L’ANTHROPOLOGIE SUR LE TERRAIN BALINAIS....................40
5. LA COLONISATION NÉERLANDAISE TARDIVE DE BALI : DOMINATION SOUS
IMPOSITION ET VIOLENCE..................................................................................41
A. LA « POLITIQUE ÉTHIQUE » NÉERLANDAISE: ETISCHE KOLONIALE POLITIE...............47
B. LA COLONISATION NÉERLANDAISE : LE RENVERSEMENT POLITIQUE ET SOCIAL DE
BALI.........................................................................................................................48
C. L’ADMINISTRATION COLONIALE (1882 - 1942).....................................................49
6. LES ARTISTES ÉTRANGERS ET LA CONSTRUCTION D’UNE IMAGERIE SUR BALI.......54
7. LES PREMIERS ARTISTES VOYAGEURS ET LA NAISSANCE DU TOURISME À BALI......55
A. BALI ET LES BALINAISES........................................................................................57
B. L’ARRIVÉE DES PREMIERS RÉSIDENTS ET TOURISTES DANS LES ANNÉES 20 ET 30 : LE
MONDE DÉCOUVRE BALI...........................................................................................62
C. WALTER SPIES......................................................................................................63
D. LA PEINTURE À UBUD..........................................................................................69
8. LES FILMS SUR BALI......................................................................................72
9. SUR LE DÉBUT DE LA COMMERCIALISATION DES DANSES À BALI.........................79
A. DANCE AND DRAMA IN BALI..............................................................................80

CHAPITRE II AUTOUR DU TEXTE « SUR LE THÉÂTRE BALINAIS » : LES


VESTIGES DE LA RENCONTRE D’ANTONIN ARTAUD AVEC LA TROUPE
BALINAISE...............................................................................................................83
1. INTRODUCTION............................................................................................85
2. LES ÉVÉNEMENTS AUTOUR DU TEXTE : SUR LE THÉÂTRE BALINAIS....................88
3. L’EXPOSITION COLONIALE EN SYNTHÈSE.........................................................94
4. LES SPECTACLES BALINAIS À L’EXPOSITION COLONIALE DE 1931........................98
A. LE PAVILLON DES PAYS-BAS..................................................................................98
B. LE PROGRAMME DES SPECTACLES........................................................................101
C. L’ENSEMBLE BALINAIS : LES DANSEURS ET LES MUSICIENS...................................104
D. LES RENCONTRES PARALLELES : LE CERCLE D’ADMIRATEURS DE BALI S’ÉLARGIT.109
4. QUELLE ÉTAIT LA RÉCEPTION DE LA PRESSE DES SPECTACLES BALINAIS ?...........110

391
CHAPITRE III LA CARTOGRAPHIE DES ITINÉRAIRES : LES ARTISTES
VOYAGEURS INTERVIEWÉS...............................................................................120
1. INTRODUCTION..........................................................................................122
A. SUR L’ABSENCE DE L’EXPÉRIENCE DU CIRT — CENTRE INTERNATIONAL DES
RECHERCHES THÉÂTRALES.....................................................................................124
B. CARTOGRAPHIES ET ITINÉRAIRES........................................................................125
2. LES ITINÉRAIRES PREMIERS DES ARTISTES INTERVIEWÉS...................................128
A. LES MISSIONS CULTURELLES INDONÉSIENNES......................................................128
B. LES TOURNÉES À L’ÉTRANGER.............................................................................132
3. LES ARTISTES ÉTRANGERS INTERVIEWÉS: LES PIONNIERS..................................135
A. EUGENIO BARBA................................................................................................136
B. LES PREMIERES RENCONTRES DE JULIA VARLEY ET ROBERTA CARRERI, LES
DANSEURS BALINAIS À L’ISTA................................................................................143
C. RUCINA BALLINGER...........................................................................................146
C. IVALDO BERTAZZO.............................................................................................149
4. LA RENCONTRE DU THÉÂTRE DU SOLEIL À PARIS..........................................150
A. LUCIA BENSASSON.............................................................................................155
C. ANA TEIXEIRA ET STÉPHANE BRODT..................................................................158
5. CRISTINA WISTARI FORMAGGIA...................................................................161
6. FESLISBERTO SABINO..................................................................................163
7. NI NYOMAN CANDRI ET I KETUT KODI.......................................................164

PARTIE 2 LES VOYAGES À BALI ET LES RENCONTRES...................................166

CHAPITRE IV LES CHOCS DES RENCONTRES : BOULEVERSEMENTS........167


1. INTRODUCTION..........................................................................................169
2. LA PRÉSENTATION DE LA PROBLÉMATIQUE....................................................170
3. DÉFINITIONS DE LA NOTION DE BOULEVERSEMENT.........................................172
4. LES COÏNCIDENCES ET LA BEAUTÉ DU TOPENG : LES BOULEVERSEMENTS DE LUCIA
BENSASSON....................................................................................................174
5. LA « BRUTALITÉ » INATTENDUE DE LA SCÈNE BALINAISE..................................175
6. LE THÉÂTRE POUR LES DIEUX N’EST PAS UNE LÉGENDE À BALI........................178
7. LE RETOUR À L’ENFANCE BRÉSILIENNE : LE VOYAGE À BALI, VOYAGE AU PASSÉ. 180
8. BOULEVERSÉ PAR LA SENSATION PHYSIQUE EN REGARDANT LA DANSE..............181
9. ÊTRE EN TRANSE EN DEHORS DE BALI : LE BOULEVERSEMENT D’I MADE BANDEM
EN ITALIE......................................................................................................183

CHAPITRE V POUR ESSAYER DE COMPRENDRE L’ÉNIGME TOPENG........188


1. INTRODUCTION:.........................................................................................190
COMMENT RACONTER DE MANIÈRE LINÉAIRE UNE FORME, UNE REPRÉSENTATION QUI
EST TRAVERSÉE PAR TELLEMENT D’ASPECTS ?....................................................190
2. ÉCLAIRCISSEMENTS PRÉLIMINAIRES À PROPOS DE L’ABSENCE DU MOT « ART » DANS
LA LANGUE BALINAISE....................................................................................192
3. LES DANSES BALINAISES ET LA PROGRESSION DU TOURISME : VERS LA
CATÉGORISATION DE DANSES...........................................................................198
4. LA CARTOGRAPHIE COSMIQUE.....................................................................200
5. L’ACTUELLE CLASSIFICATION DES FORMES SPECTACULAIRES BALINAISES ET SON
RAPPORT AVEC LE LIEU DE PRÉSENTATION........................................................205
5. LA MÉDITATION DE DURGA : LA NAISSANCE DU TOPENG ET DU WAYANG.........208
A. LES RACINES HISTORIQUES DU TOPENG : QUELQUES PISTES.................................208
B. LE BABAD BLABATUH ET LES VESTIGES HISTORIQUES DU TOPENG........................209
6. LE TOPENG WALI : UNE OFFRANDE SPECTACULAIRE, UN RITE À ACCOMPLIR......214
A. LES CÉRÉMONIES................................................................................................217

392
B. LA MÉTAPHYSIQUE DE LA « SORTIE » DE SCENE...................................................218
7. LE PENGELEMBAR: L’INTRODUCTION DANSÉE................................................220
A. LE TOPENG KERAS..............................................................................................220
B. LE DEUXIEME MASQUE : LE TOPENG TUA (VIEUX)...............................................221
C. LE TROISIEME MASQUE : LE TOPENG GILAH (DRÔLE)..........................................222
D. SUR LE PENGELEMBAR.........................................................................................222
E. LE GAMELAN.......................................................................................................223
8. PUNTA, LE SERVITEUR ET TRADUCTEUR DU ROI ET SON FRÈRE KARTALA : LA
PAIRE COMIQUE PANAKAWAN..........................................................................225
A. LA LITTÉRATURE ET LA LANGUE, LA MULTIPLICITÉ DE REGISTRES ET DE MODES..226
9. L’ENTRÉE DU ROI : LE DALEM....................................................................227
10. LES BONDRES : LES MALADIES, LES EXCENTRICITÉS, LE COMIQUE DU PEUPLE. .228
11. LE SIDHAKARYA : QUAND L’ACTEUR DEVIENT PRÊTRE..................................232
A.L’HISTOIRE DE SIDHAKARYA...............................................................................232
B.CELUI QUI TRAVAILLE AVEC LES FORCES DU BHUR (LE MONDE D’EN BAS) : LES
BHUTA-KALAS...........................................................................................................233

CHAPITRE VI L’APPRENTISSAGE DU TOPENG : PERCEPTIONS..................235

CROISÉES DU CORPS DE LA DANSE BALINAISE.............................................235


1. INTRODUCTION..........................................................................................237
2. RÉUNIR/RASSEMBLER LE BUANA ALIT ET LE BUANA AGUNG............................238
3. L’APPRENTISSAGE DU TOPENG À BALI : L’EXEMPLE DES ARTISTES INTERVIEWÉS.240
A. L’APPRENTISSAGE EN FAMILLE.............................................................................240
B. L’APPRENTISSAGE EN TANT QU’AFFAIRE PUBLIQUE..............................................244
C. BAYUN KALANGAN ET L’APPRENTISSAGE DE LA SCENE..........................................244
C. LE RAPPORT PROFESSEUR/APPRENTI...................................................................246
D. APPRENTISSAGE TOTAL OU SEGMENTÉ DE LA DANSE : L’IMITATION.....................248
E. L’ENSEIGNEMENT DANS L’ACADÉMIE DE DENPASAR............................................251
4. LES PERCEPTIONS DES ÉTRANGERS INTERVIEWÉS : LE TERRITOIRE DU CORPS.....253
A. POKOK : LE FONDEMENT.....................................................................................253
B. « LE CORPS QUI S’ORGANISE SE STRUCTURE, EN CRÉANT CONTINUELLEMENT DU
LANGAGE », PAR IVALDO BERTAZZO........................................................................256
C. UNE CONFRONTATION DE TECHNIQUES : ANA TEIXEIRA....................................259
D. APPRENDRE LE RESSENTI/RASA...........................................................................262
E. APPRENDRE LES PRINCIPES : L’EXPÉRIENCE DE L’ODIN TEATRET.........................263
F. L’INFLUENCE DE LA MÉTHODOLOGIE D’APPRENTISSAGE......................................272
G. LE DON DU MAÎTRE: LE RESSENTI D’APPRENTISSAGE DE FELISBERTO SABINO......274
5. APPRENDRE À UN ÉTRANGER : LES ENJEUX SOULEVÉS.....................................276
A. L’APPRENTI COMME UN ENFANT.........................................................................277
6. LES ÉCHANGES ÉCONOMIQUES......................................................................278

CHAPITRE VII L’APPRENTISSAGE DU TOPENG : PERCEPTIONS CROISÉES


DU MASQUE..........................................................................................................282
1. INTRODUCTION..........................................................................................284
2. APPRENDRE LES MASQUES...........................................................................285
A. LE TRAVAIL VOCAL DU COMÉDIEN......................................................................287
B. LES BONDRES.....................................................................................................289
C. LES RITES À PASSER : SE MARIER AVEC LES MASQUES...........................................290
3. SOUS LE RAYONNEMENT DU THÉÂTRE DU SOLEIL..........................................292

CHAPITRE VIII TAKSU : DÉFINITIONS CROISÉES AUTOUR DE CETTE


NOTION.................................................................................................................296
1. INTRODUCTION..........................................................................................297

393
2. TASKU EN TANT QUE LE CHARISME, LA PRÉSENCE SUR SCÈNE..........................298
3. TASKU EN TANT QUE PASUPATI....................................................................301
4. LE TASKU : EST-IL UN POUVOIR INNÉ, ACQUIS OU SUJET À VISITATION ?..........303
5. L’ACCUMULATION DE LA TECHNIQUE, DU RESSENTI ET DU RITUEL...................303
6. TASKU COMME COMMUNICATION : L’ÉTYMOLOGIE DU MOT............................305
7. POUR AVOIR LE TAKSU : SAVOIR RÉGULER LES ÉNERGIES/NGUNDA BAYU..........306
8. « C’EST UNE HABILETÉ ET LE COURAGE POUR EMBRASSER L’ÂME DES
SPECTATEURS ».............................................................................................307
9. TAKSU EN TANT QU’ESPRIT QUI VISITE.........................................................310
A. LE BALIAN TAKSU................................................................................................312
B. LES PERCEPTIONS DU PERFORMEUR SUR LE TAKSU..............................................313
10. COMMENT LA NOTION DE TASKU EST-ELLE ARTICULÉE PAR D’AUTRES PRATICIENS
ÉTRANGERS ?................................................................................................313
A. LA FORMULATION DE TAKSU PAR EUGENIO BARBA ET L’APPROPRIATION D’UN
CONCEPT................................................................................................................315

CHAPITRE IX NOUVELLES CARTOGRAPHIES : LES TRACES, LES


RÉMINISCENCES DE L’EXPÉRIENCE DU VOYAGE..........................................323

OUVERTURES CONCLUSIVES............................................................................340

BIBLIOGRAPHIE...................................................................................................347
OUVRAGES....................................................................................................347
CHAPITRES DE LIVRES....................................................................................351
ARTICLES DE REVUES......................................................................................352
ARTICLES DE PRESSE.......................................................................................356
ENTRETIENS...................................................................................................357
CONFÉRENCES................................................................................................357
THÈSES........................................................................................................358

BIBLIOGRAPHIE DE RÉFÉRENCE......................................................................358
OUVRAGES....................................................................................................358
DICTIONNAIRES, ENCYCLOPÉDIES ET GRAMMAIRES.............................................367
REVUES ET ARTICLES SCIENTIFIQUES.................................................................367
ARTICLES DE PRESSE.......................................................................................382
PAGES WEB....................................................................................................384
BLOGS....................................................................................................................386
DOCUMENTS ICONOGRAPHIQUES.....................................................................386
ENREGISTREMENTS SONORES...........................................................................387
RESSOURCES AUDIOVISUELLES.........................................................................388
CONFÉRENCES ET ENTRETIENS.........................................................................389
MANUSCRITS ET DOCUMENTS D’ARCHIVE..........................................................389
THÈSES ET MÉMOIRES......................................................................................390

TABLE DE MATIERES...........................................................................................391

ANNEXES...............................................................................................................396

ANNEXE 1 LES ENTRETIENS..............................................................................397


ENTRETIEN AVEC I MADE BANDEM...................................................397
ENTRETIEN AVEC I KETUT KODI........................................................423
ENTRETIEN AVEC I MADE DJIMAT......................................................430

394
ENTRETIEN AVEC NI NYOMAN CANDRI............................................435
ENTRETIEN AVEC RUCINA BALLINGER.............................................441
ENTRETIEN AVEC EUGENIO BARBA...................................................452
ENTRETIEN AVEC JULIA VARLEY........................................................466
ENTRETIEN AVEC ROBERTA CARRERI...............................................480
ENTRETIEN AVEC LUCIA BENSASSON................................................488
ENTRETIEN STÉPHANE BRODT ..........................................................503
ENTRETIEN AVEC ANA TEIXEIRA........................................................519
ENTRETIEN AVEC FELISBERTO SABINO.............................................533
ENTRETIEN AVEC IVALDO BERTAZZO...............................................544
ENTRETIEN AVEC DUCCIO BELLUGI-VANNUCCINI.........................556
ENTRETIEN AVEC CRISTINA WISTARI FORMAGGIA........................571

ANNEXE 2 RÉSUMÉ BIOGRAPHIQUE DES INTERVIEWÉS............................579

ANNEXE 3 GLOSSAIRE.........................................................................................591

ANNEXE 4 TABLEAU COMPARATIF :................................................................604

ANNEXE 5 VIDEOS...............................................................................................608

395
ANNEXES

396
ANNEXE 1
LES ENTRETIENS

ENTRETIEN AVEC I MADE BANDEM


Réalisé à Singapadu, Bali, le 05 août 2011

Juliana COELHO – D’abord, merci beaucoup d’accepter cet entretien.


I Made BANDEM – Je vous en prie ! Je suis heureux de vous avoir ici, vous êtes
venue de tellement loin !
J.C. — J’ai quelques questions à vous poser concernant quatre domaines : votre
processus d’apprentissage de la danse, la danse balinaise elle-même, votre
expérience à l’étranger et l’ISI. Pourriez-vous commencer par nous raconter
comment vous avez appris la danse...
I. M. B. — Juliana, je m’appelle I Made Bandem. La lettre « I » désigne la personne
du sexe masculin. « Made » est le deuxième enfant né dans la famille et « Bandem »
est mon dernier nom. Donc, le nom « Bandem » vient en fait de mon clan. Il est
appelé le clan « Bandem ». Originalement, nous avons déménagé de l’Est de Java à
Bali vers le XIVe siècle. Notre clan est arrivé à Bali avec le premier roi de Java à
Bali. Il était le roi Kresna Kepakisan 640. Nous suivons le roi et le mot « Bandem »
signifie « jeter » de l’Est de Java à Bali, pour se transformer en duel ici à Bali. Je
suis né le 22 juin 1945, dans le village de Singapadu. J’ai appris la danse balinaise
d’abord par mon père. Il était I Made Kredek. Mon père était un très bon danseur
et il écrivait aussi des pièces. Sa spécialité était l’arja – l’opéra dansé et dramatique.
À Bali, nous appelons opéra l’arja, le théâtre total avec chant, danse, musique et
un costume très élaboré.

640
« À l’époque du grand Gajah Mada, l’île de Bali était envahie par les forces de Majapahit. Après
la conquête, l’île a été donnée en vassalité à Kresna Kepakisan, dont les frères aînés commandaient
Balambangan et Parusan. Ce Kresna Kepakisan était membre d’une famille Brahmana et Gajah
Mada a changé sa "caste". (…) Kresna Kepakisan était accompagné par plusieurs nobles Javanais qui
étaient installés en tant que vassaux du nouveau dirigeant et qui étaient les ancêtres des diverses
familles Wesia de l’île. » (Traduction libre) Hans Hägerdal, « Bali in the Sixteenth and Seventeenth
Centuries: Suggestions for a Chronology of the Gelgel Period », Bijdragen tot de Taal-, Land- en
Volkenkunde, Deel 151, 1ste Afl. (1995), p.103

397
Il était le maître d’arja du village de Singapadu et aussi de topeng, le drame dansé
masqué, qu’il a présentés pendant toute sa vie. Partout, il enseignait l’arja et le
topeng. I Made Kredek était le chorégraphe de la danse Barong and Kris pour les
touristes. Et aujourd’hui, elle s’appelle Barong and Kris dance. Vous pouvez la voir
aux alentours de Singapadu, à Batubulan, à Denpasar. Il y a aujourd’hui environ
quinze groupes de Barong pour les touristes. Ceux-ci viennent pour voir une
version courte de la danse Barong and Kriss, chorégraphiée par mon père, son ami I
Wayan Griya, le père de Docteur Dibia, et Cokorda Raka Teblun, le sculpteur de
masques de Singapadu. Ils ont mis en scène cette pièce ensemble. C’est l’histoire
de Kunti Seraya641. Cela s’est passé en 1948, trois ans après ma naissance.
Mon père a commencé à m’apprendre à danser quand j’étais jeune. J’avais environ
six ans. Au début, il ne m’a pas vraiment dit comment danser. À chaque fois qu’il
me mettait au lit, avant de dormir, quand j’étais allongé dans le lit, il me
demandait d’ouvrir d’un coup mes yeux. (Pak Bandem montre avec ses yeux comment
il faisait). C’est la façon dont il m’apprit la danse baris. J’ai commencé me étude de
la danse balinaise par le baris, ou danse guerrière. C’était le baris melampahan642, le
solo dramatique du baris. Elle est censée être la danse la plus basique de Bali, mais
très énergique. Pour cela, elle convient bien pour débuter l’apprentissage des
personnages masculins balinais. Il m’amenait au lit et, avant de dormir, il me
demandait d’ouvrir mes yeux. Il ne m’expliquait jamais rien. Il me demandait de
lever les sourcils comme ça (Pak Bandem montre avec ses yeux comment il faisait). Et
dans cette position, allongé sur l’oreiller, il me demandait d’aller d’un coup de
droite à gauche. Comme ceci, en comptant : « 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et gong et 1, 2, 3, 4,
5, 6, 7 et gong. ». Pendant au moins trente minutes jusqu’à une heure, toutes les
nuits. Seulement pour apprendre à ouvrir les yeux d’un coup et pour lentement
faire des progrès. Dans la leçon suivante, il m’a montré comment lancer un regard
en tournant les yeux. Le retournement des yeux est très important pour différentes
641
Histoire du Mahabharata.
642
« Le baris melampahan (le baris dramatique) est la danse baris la plus impressionnante et brillante.
C’est une forme de drame dansé balinais dont l’histoire vient des deux grandes épopées indiennes
l e Ramayana et le Mahabharata et est racontée en forme de dialogue. Ceci est en kawi, le vieux
Javanais, qui n’est pas compris par l’audience. Dans cette pièce, le Pasar, le clown, est l’interprète
des histoires. Lorsque ce baris est joué par un seul danseur, le soliste personnifie les héros du
Ramayana, Mahabhrata, ou d’autres histoires, plus couramment l’Ardjuna Wiwah. » (Traduction
libre ) I.M. Bandem, « The Baris Dance », Ethnomusicology, Vol. 19, N°2 (May 1995) University of
Illinois Press, p.261

398
raisons dans la danse balinaise. Jeter un coup d’œil, le mouvement des yeux,
comme ceci : (il exécute le mouvement). Nous tournons le centre des yeux en les
arrêtant de cette manière. Il m’a expliqué aussi comment faire un mouvement
croisé des yeux. Il n’a pas expliqué pourquoi, il enseignait techniquement
comment faire. Et après, il m’a montré comment faire le mouvement des yeux
flirteurs (il démontre le mouvement). Après ce mouvement, il a commencé à
m’expliquer que la danse balinaise avait une nature très expressive et que les
mouvements des yeux étaient très importants. Les yeux peuvent donner des
expressions différentes : la tristesse, le flirt et l’amour, la folie, les expressions de
combat et ainsi de suite. Après, il m’a parlé d’autres aspects techniques de la danse
balinaise, mais nous pourrons parler de cela après, ok ? Quand j’étais au 4e grade
(équivalent au CM2), je pouvais déjà danser le baris très bien.
Je n’étudiais pas le baris seulement par mon père. Il était très enthousiaste et il a
aussi cherché d’autres professeurs pour moi. Il m’a emmené dans un village appelé
Batuan et il a contacté son ami, I Nyoman Kakul. Il présentait beaucoup avec mon
père. Il était très bon en baris et mon père m’a emmené là-bas pour étudier avec
lui. Donc, j’avais entre dix et onze ans et je me produisais déjà avec mon père dans
différents villages. Il jouait avec I Wayan Geria, Cokorda Raka Tublen, I Made
Rengguh. Ils avaient un groupe de topeng à Singapadu, avec lequel ils jouaient le
topeng panca. Parfois Kakul les joignait, car il dansait le baris. Mon père invitait
toujours Kakul à se produire avec eux, aussi pour rivaliser avec moi. En tant
qu’étudiant, je devais concourir continuellement avec mon professeur. Kakul était
mon professeur, mon père aussi, mais tout le temps nous devions nous présenter
pour des compétitions, avec l’objectif de surmonter mes habilités dans la danse et
pour apprendre plus d’expressions dans la danse baris.
Ensuite, mon père m’a emmené au village de Sukawati, chez un professeur. Son
nom était I Dewa Made Doyotan. Il venait du banjar Babakan. Il était danseur de
kebyar duduk. C’est une danse de cour du style kebyar et mon père voulait que je
l’apprenne aussi. Pendant un an, je dansais le baris et j’étudiais le kebyar duduk avec
cet homme. Je pouvais danser le kebyar duduk et le baris. Bien sûr, j’ai eu d’autres
professeurs de baris par la suite. Avec ces deux habilités, je dansais dans différents
endroits, presque partout à Bali. J’étais associé à une troupe de legong du village de

399
Saba. Ils m’invitaient toujours à danser le baris, pour les rituels et pour les
présentations aux touristes. J’ai fini mes études à Singapadu, à la sekolah rakyat,
l’école publique, et mon père voulait que j’étudie dans l’école élémentaire à Ubud.
Donc, il m’a envoyé à Peliatan. Là-bas, j’étudiais aussi legong avec le Gamelan Gong
Peliatan. Je présentais le baris et le kebyar duduk avec Gamelan Gong Peliatan et
j’apprenais le style legong de Peliatan.
Ainsi, il n’y a pas de limite dans l’expérience de l’apprentissage de la danse à Bali,
parce que plus vous apprenez, meilleur vous serez dans un style et une meilleure
position vous aurez dans le statut de la danse. Comme mon père m’a enregistré
tardivement à l’école élémentaire, je ne suis pas allé à Ubud, je suis allé à
Sukawati. Et aussi parce que ma mère me voulait proche d’elle ! Elle était aussi
danseuse et avait l’habitude de jouer la Limbur643 de l’arja, la Reine mère, et mon
père le Penasar. Elle me voulait proche d’elle tout le temps. Elle aimait vraiment le
fait que je me présente beaucoup. D’une certaine manière, elle m’a presque
interdit d’aller à l’école ! « Pourquoi vas-tu à l’école ? » J’étais un jeune danseur qui
se produisait presque partout, de Denpasar à Gianyar, à Sanur, Peliatan... alors,
pourquoi j’aurai besoin d’aller à l’école ? C’est ce qu’elle disait. Pourtant, je me
suis forcé à aller à l’école à Sukawati. Pendant cette période, j’apprenais et je me
représentais en même temps. Autour de la 5e, mon père m’a appris l’arja. Il m’a
appris comment faire le Penasar, le Kartala. Il ne m’a pas appris la Mantri, Gaduh,
Condong ou un autre personnage féminin de l’arja. En m’apprenant le Penasar, il
se produisait avec moi tout le temps. À cette époque, il enseignait l’arja dans ce
village, au banjar Mukti, avec des groupes de jeunes. Ma sœur et moi, nous étions
déjà là. L’arja était appelé arja salya644, l’arja prise de l’histoire du Mahabharata. Le
Salya était nommé pour devenir le leader des troupes des Karauva contre les
Pandava.
Donc, cela était ma vie lorsque j’étudiais la danse. Après avoir fini les trois ans de
l’école élémentaire, j’ai continué à me produire. Pourtant, je voulais vraiment être

643
La Limbur est un personnage féminin de l’arja.
« La personnage Limbur, comme dans la parodie du Ratu de Karangsen, est devenu le
personnage favori de l’arja, avec ses trois drôles servantes. » (Traduction libre). I. M. Badem,
Fredrik Eugene deBoer, Kaja dan Kelod, Tarian Bali dalam Transisi. Dandan Penerbit, Institut Seni
Indonesia, Jogjakarta, 2004, 117 p.
644
Salya, le roi héro. I W Dibia, Arja, a sung dance-drama of Bali: a study of change and transformation,
UMI, 2001. p. 151

400
docteur. Savez-vous pourquoi ? Parce que mon père apprenait lui aussi comment
faire de la Médecine, usada. À Bali, c’est appelé usada. Il était un médecin de
village qui s’appuyait sur la littérature qu’il lisait. Il présentait de l’art et il
apprenait également la cosmologie, l’éthique, la philosophie et un type de
médecine ayurvédique par les lontar que nous avions là, dans notre autel.
Énormément de gens y venaient pour demander des médicaments. Il ouvrait ses
lontar, ses livres et il prenait le médicament nécessaire, selon les symptômes et la
maladie. Il aidait les gens dans les alentours.
Je voulais étudier au lycée pour devenir médecin. Je suis allé à Denpasar. Je
cherchais un lycée général où je pourrais apprendre des sujets scientifiques pour
devenir docteur, mais cela n’a pas marché... Quand je suis allé à Denpasar, mon
père travaillait déjà dans une station de radio. De 1966 à 1968, il était l’artiste
responsable de la transmission du topeng et de l’a r j a pour les Balinais. Il
m’emmenait toujours à Denpasar. En 1960, avant de finir l’école élémentaire, il
s’est présenté avec le groupe de la radio pour l’ouverture d’une nouvelle école d’art
appelée Conservatoire de Danse et Musique645 à Bali. À l’occasion, les grandes
étoiles et les maîtres de cette station de radio, une trentaine de personnes, jouaient
le gamelan et ils m’ont invité à jouer le baris. J’avais seize ans. Je finissais l’école à
Sukawati et il y avait cette école, ce Conservatoire, qui ouvrait à Denpasar. Je
voulais suivre un lycée normal, mais j’ai entendu un gamelan d’une école différente
là-bas. J’y suis allé et j’ai vu beaucoup d’amis de mon père : I Nyoman Rumad de
Denpasar et des artistes de la Radio Republic Indonesia enseignant dans ce
Conservatoire. Je m’y suis rendu, j’ai regardé un peu autour et ils m’ont demandé :
« Tu viens pour les auditions ? » et j’ai dit : « Peut-être oui ! ». Vous savez, dans
mon cœur, j’avais déjà le talent et le sentiment pour les arts par mon père.
Finalement, je me suis inscrit dans cette école. La première génération est de 1961.
Mon père m’a permis de faire cela. D’une certaine manière, il était très content
parce qu’il pensait que je pouvais continuer son héritage dans les arts et dans la
culture avec ce qu’on avait appris à la maison. J’y suis resté pendant trois ans. J’ai
arrêté de danser l’arja. J’ai continué le topeng parce que mon père me l’apprenait.
Mais c’était un peu comme dans un Conservatoire de l’Occident. On n’apprenait

645
KOKAR – Konservatori Karawitan Indonesia

401
pas seulement des aspects techniques de la danse balinaise, mais aussi de l’histoire,
l’anthropologie, la kinésiologie... Tous ces sujets que j’aimais apprendre pour avoir
un rapport plus scientifique de la danse balinaise. En fait, pendant ce temps-là, j’ai
appris plus de kebyar. J’ai eu divers professeurs de kebyar. Un des meilleurs
professeurs de cette époque (il est encore vivant aujourd’hui) est I Wayan Brata. Il
m’a entraîné dans différents styles de kebyar, comme de petites pièces de danse : la
danse du lion, du pêcheur, de ces types de kebyar mahaparti, kebyar veranata. Et je
présentais aussi ma danse de cour kebyar duduk.
Et j’ai rendu l’école connue ! J’ai appris par différents professeurs. J’ai appris plus
de baris par un professeur de Bongkasa/ Blahkiuh, son nom était Ida Bagus Made
Raka et plus de kebyar duduk par un professeur de Denpasar. Son nom était Hindi.
J’ai développé ma chorégraphie d’une manière de plus en plus professionnelle. Et
là, quand j’étais à peu près à la deuxième année de l’École, Mister Bratak m’a
engagé pour enseigner avec lui partout à Bali. Il y avait un groupe à Denpasar. Il
enseignait là-bas et il m’a demandé de leur apprendre le kebyar. Il m’a emmené à
Gianyar, Singaraja, Buleleng…
Quand j’ai fini le Conservatoire, en 1964, je voulais aller à Yogyakarta pour
continuer à étudier la danse, car il y avait là-bas une école appelée Académie
Nationale de Danse de Yogyakarta. Je pensais à connaitre plus la danse javanaise et
d’autres danses que les balinaises. Cela parce que, pendant mes trois années
d’études au Conservatoire, j’ai voyagé à l’étranger pour joindre la mission
culturelle indonésienne. En 1963, le gouvernement m’a envoyé aux Philippines et
je me suis présenté à Malacanang. À cette époque, j’ai présenté le kebyar duduk et
j’ai joué la percussion pour les groupes. À peu près 50 personnes de Bali et 65
personnes de toute l’Indonésie, de Sumatra à Java et de Solo. J’ai eu contact avec
différentes cultures et j’étais plus intéressé par l’apprentissage d’autres styles. Et en
1965, le gouvernement m’a envoyé en Chine et aussi en Corée du Nord, au Japon.
Tous ces voyages ont duré jusqu’à la création d’une grande école communiste en
Indonésie. Là, ils ont arrêté d’envoyer la mission culturelle à l’étranger.
(Le voisin commence à couper un arbre en faisant trop de bruit. Nous interrompons
l’entretien. Après une demi-heure, nous recommençons.)

402
I M. B. — Je vous racontais que je voulais aller à Yogyakarta pour étudier d’autres
danses de toute l’Indonésie. Mais mon professeur, qui était aussi à la tête du
conservatoire à Denpasar, ne m’a pas laissé partir, car il voulait que je sois
professeur là-bas. En 1965, il m’a nommé professeur de danse au lieu de
professeur de gamelan, parce que j’avais orienté mes études vers la danse balinaise
en étudiant et en enseignant en même temps. Et aussi grâce à la tradition de ma
famille, avec mon père. À chaque fois que je rentrais à la maison, il m’apprenait
comment danser d’autres formes, le topeng, par exemple. Il m’a beaucoup appris
sur la caractérisation. Et il m’a laissé un trésor !
Je vais revenir un petit peu, à l’âge de mes jeunes études avec mon père. Je vous ai
raconté qu’il m’a appris les mouvements des yeux. Après cela, il a commencé à
m’apprendre toute la danse baris. Comme je vous ai dit, le mouvement des yeux est
très important dans la danse balinaise. Quand j’ai commencé le baris, il m’a parlé
de quatre différents mouvements. La danse balinaise est constituée d’au moins
quatre types de mouvements. Le premier s’appelle agem, vous le savez. Toutes les
positions de base sont appelées agem. Après, l’agem, j’ai appris comment faire
l’angsel. Il est appelé aussi tangkis. Tangkis sont les mouvements de transition.
Donc, la transition d’agem à l’autre est appelée tangkis et un mouvement parmi
ceux-ci est appelé angsel. Et bien sûr, la danse balinaise est composée aussi des
mouvements locomotifs, différents styles de marche. Et après, le quatrième est
appelé tangkep, l’expression faciale.
Et puis, il y a aussi les mouvements plus expressifs, comme les gestes des mains,
par exemple. Vous les apprenez quand vous étudiez la danse balinaise. Il y a
beaucoup, beaucoup de types de mouvements des mains et des doigts et ils sont
basés sur des mudras. Le genre de mouvements est comme celui-ci (il démontre).
Postures hindoues rituelles des prêtres hindous balinais. Dans le Wayang, vous
verrez ce genre de mouvement (il démontre) et peut-être certains comme ceux-ci (il
démontre) et comme ceux-là (il démontre)... Et vous pouvez voir que ces mouvements
sont beaucoup utilisés dans le topeng, ils sont des sortes de mudras. Ils les utilisent
comme ça (il démontre). Celui-ci c’est pour prier (il démontre)... Des centaines de
mouvements, des mudras, sont utilisés dans la danse balinaise.
J.C. — Et quelle est leur signification ?

403
I. M. B. — Cela signifie... c’est celui qu’on appelle manganjali646 (il démontre), pour
l’humilité. Si vous parlez à une personne d’une classe plus élevée, vous devez
utiliser votre main comme ça pour faire preuve d’humilité. Dans les mouvements
de la danse, si vous voulez leur demander de s’en aller, vous le faites comme cela :
«S’il vous plaît, allez à l’avant.», «Continuez à danser.» (il démontre). Parfois, nous
utilisons celui-ci (il démontre) , tuding647, pour amener quelqu’un à s’en aller, à se
déplacer. Prenez le roi, par exemple. S’il demande à un clown de cette manière-ci
(Il démontre tous les mouvements), le clown doit repartir parce que cela signifie : «Je
vais danser» (le roi). Et là, il commence une pièce introductrice.
Ce sont quelques mouvements qui soulignent le contexte dramatique. Dans la
danse balinaise, beaucoup de mouvements proviennent du toucher du costume. Si
vous touchez les coiffes comme ça (il démontre), c’est le nabdab gelung648. Ou si vous
touchez le rankur, le keris (l’épée) ici, de cette manière-ci (il démontre), pour ajuster le
keris, cela s’appelle nabdab. Et parfois, vous faites celui-ci : vous prenez le saput et
vous le gardez en haut dans un mouvement appelé nabdad kampur649. Dans un
autre mouvement du Dalem, vous pouvez le prendre comme cela et puis vous
déplacer, c’est le nyambir. Ce mouvement est pour porter les coiffes jusqu’ici et
s’appelle ngambil. Donc, il y a beaucoup de mouvements, dans toutes les danses
balinaises, qui proviennent du costume, de l’endroit où vous portez le costume. Le
toucher de la coiffe, de l’épée, etc... Ils sont le vocabulaire des mouvements. Il y a
quelques mouvements d’animaux : des oiseaux, l’oiseaux Garuda et d’autres.
Quelques mouvements de la nature ont été pris et stylisés. Il y a une riche
ressource de mouvements dans la danse balinaise, non seulement de la vie
quotidienne, mais de la religion, de la nature...
Ensuite mon père m’a appris comment faire l’agem baris. J’ai un enregistrement
avec des exercices du baris. Vous pouvez le prendre et ensuite vous pouvez l’utiliser
pour votre propre étude. Dans la danse balinaise, il est très important d’avoir ces
genoux tournés vers l’extérieur. Nous avons cette position seulement dans la danse
balinaise et dans la danse javanaise. Probablement, cela est dérivé de la tradition

646
Deborah Gail Dunn, Topeng pajegan the mask dance of Bali, 1983, p. 204.
647
Tuding : Littéralement, l’index de la main. Pointer.
648
Nabdab : Arranger, remettre.
649
Kampur, kampuh : C’est un morceau de tissu utilisé pour porter les offrandes et un tissu utilisé
dans le costume du danseur. Saput, en bas balinais.

404
hindoue. Ils ont trouvé ce mouvement dans beaucoup de temples à Java, à
Borobudur, à Prambanan. Dans l’Est de Java, ils ont aussi un temple appelé
Penataran. Toutes les positions de la danse sont là-bas : les genoux tournés vers
l’extérieur, les orteils sont en haut. La posture peut être élevée comme celle-ci (il
démontre). Quand vous faites cette position élevée, vous avez l’estomac à l’intérieur,
votre poitrine en haut et vous placez votre main pour l’agem, par exemple, comme
ceci. Ceci est pour le baris agem, la position de base du baris. Ouvrez vos yeux si
grands que vous le pouvez et, ensuite, faites un petit coup et changez de position
pour ensuite faire un autre petit coup. Tout est très tendu dans les danses
balinaises. Il est important de souligner les mouvements tendus parce que vous
devez apporter toute l’énergie à toutes les parties de votre corps. Par ici c’est le
centre de votre énergie (il montre la région de l’estomac), mais vous devez l’apporter
aux différentes parties de votre corps : à vos mains quand vous déplacez ou à vos
yeux. L’énergie est contrôlée à travers le mouvement et va vers beaucoup de
directions différentes. Ceci est appelé agem, n’est-ce pas ? Ceci est la position de
base agem, agem kiri. La position kiri ou gauche. Et ceci est la position agem à droite,
parce qu’ici le poids va être derrière le pied droit et le pied gauche va être à l’avant
comme cela (il démontre). C’est la position élevée. Et vous pouvez faire un demi-
plié, bas comme ceci, pour le baris, toujours en bas. Ceux-ci sont l’agem kanan650 et
l’agem kiri, élevés et bas, ok ? Mais nous pouvons avoir d’autres agem aussi. Ainsi,
cette position de base651, appelée le nawa-sari dans le baris, est aussi appelée agem.
Vous pouvez voir beaucoup d’agem dans les statues dans les temples.
Ils restent comme ceci et après vous pouvez tourner vos mains selon les différents
personnages. Mais, dans l e baris, nous avons au moins celui-ci. Donc, il y a
différents agem : agem kanan, agem kiri, agem nawa-sari...
Je vous ai dit que le baris est important pour l’étude de base de la danse balinaise.
De son agem, vous pouvez faire l’agem du masque Jauk652, par exemple, en
tournant cette position. La danse de Jauk, ce personnage plus démoniaque. En
même temps, vous pouvez faire un agem pour topeng : il suffit de tourner un peu la

650
Kanan :Droite
651
Standing position :Traduit par position de base.
652
Le Jauk est un personnage présent dans le Calonarang. Son caractère alus est représenté par un
masque blanc et le keras par un masque rouge.

405
main et cela devient un mouvement du topeng. Cela dépendra du personnage que
vous allez jouer plus tard dans le topeng.
Continuons. Il y a différents agem et il y a les tandang, les mouvements de marche.
Vous avez des mouvements de marche pour le baris, par exemple, des mouvements
lents : 2, 3, 4, 5, 6, 7, gong, 2, 3, 4, 5, 6, 7, gong, 2, 3, 4, 5, 6, 7, gong (il démontre). Il
y a une promenade lente (il démontre). Après celui-ci, vous pouvez faire une
promenade oscillante : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, gong, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, gong, 1, 2, 3, 4, 5,
6, 7, gong (il démontre). C’est une autre promenade oscillante. Et de celui-ci, vous
pouvez vous développer vers un autre gayal, aussi une promenade d’oscillation,
mais plus rapide : 2, 4, 6, gong, 2, 4, 6, gong, 2, 4, 6, gong (il démontre). Comptez
comme ça. Le dernier mouvement rapide s’appelle malpal. En faisant un pas à
chaque battement : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, gong, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, gong, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7,
gong (il démontre). Ensuite, vous continuez ce que vous figurez.
Ainsi, ceux-ci sont différents types de mouvements de marche. Plus tard, vous
pouvez les développer dans des personnages différents, mais ils sont la base parce
que le baris vous fournit la base. Et ensuite, après ces mouvements, je pense que
mon père m’a appris l’angsel, le tangkis. Le genre s’appelle tangkis et le mouvement,
angsel. Prenez le changement d’une position à une autre, par exemple : 1, 2, 3, 4, 5,
6, 7, gong, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, gong, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, gong. Ceci s’appelle angsel653
court parce qu’après que celui-ci, mon père m’a appris comment faire un long
angsel. Prenez par exemple, à partir d’ici : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, gong, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7,
gong. Ceci est un angsel long, il est appelé « mouvement de lion ».
Le mouvement d’yeux. Prenez ceci par exemple. C’est pour l’expression de l’amour
(il la démontre) et ensuite flirte et ensuite le geste de s’embrasser dans un contexte
dramatique plus expressif. Les mains sont très importantes. Vous pouvez
développer cette sorte de mouvement dans les différents styles. Par exemple : je
vous ai parlé de la marche, de la marche lente et oscillante... Moi, je le compte
pour vous, je le compte pour les gens. Mais mon père n’a jamais compté de cette

653
« (...) angsel bawak et angsel lantang, angsel court et long respectivement. Ceux-ci se différencient
dans l’utilisation de la phrase musicale, soit-elle courte ou longue. Différents signes sont employés
pour changer la dynamique de la musique. Le mot ngeradja singa, l’imitation d’un mouvement de
lion avec le tremblement de son cou, fait généralement référence à l’angsel lantang. » (Traduction
libre) I Made Bandem, The Baris Dance. Ethnomusicology, Vol. 19, N°2 (May 1995) University of
Illinois Press, p. 262

406
manière. Quand il m’apprenait, il comptait la danse avec le son du gamelan : Dang,
deng, dong, dang, deng, dong, le gong... et il faisait une marche non seulement chaque
gong, mais avant deux gongs (il le démontre). Il faisait un tas de variations
individuelles dans la marche. Ainsi, c’est la manière dont nous apprenions la
danse à Bali : en développant les mouvements de base vers les plus compliqués. Et
il me demandait toujours : « Tu peux créer des variations individuelles, des
improvisations, faire toi-même ! » C’était très important.
Néanmoins, pour faire la danse balinaise, bayu est très important. Bayu est
l’énergie. Le contrôle de l’énergie est une partie très importante. Je vous ai dit que
le centre d’énergie est ici (il montre l’estomac). Amenez votre poitrine vers le haut.
Plus tard, quand vous faites un geste avec les mains, vous devez transposer le bayu
jusqu’à votre main, en soulignant, et ensuite à votre pied, puisque vous devez faire
des pas précis dans chaque mouvement dans le topeng ou dans le baris. Ainsi, le
contrôle de l’énergie est très important. La distribution de l’énergie vers les parties
de votre corps est très importante. Plus tard, ceci vous aidera aussi à vous
transformer dans les personnages654.
Après m’apprendre le baris, mon père m’appris comment faire le topeng. Dans les
représentations de topeng, la danse, la transformation des personnages est très
importante. Vous connaissez la danse déjà. La manière dont j’ai appris la
caractérisation du topeng ou du gambuh, c’était à travers l’histoire, à travers la
littérature. Qui est ce personnage ? Par exemple, si vous jouez ce masque en
particulier. Ceci est le masque appelé Sidhakarya, vous le connaissez. Il est celui
qui fait le travail dans le topeng, dans la performance rituelle du topeng. Ainsi, pour
faire un bon personnage avec ce masque, vous devez dormir avec le masque,
dormir et étudier son caractère. Il était un grand roi, par exemple. Un roi fort et
brave, une sorte de prêtre. Lisez la plupart de la littérature de ce masque pour
apprendre sa caractérisation et ensuite prenez le masque avec vous tout le temps.
En tenant celui-ci, d’abord mon père me demandait toujours d’ouvrir mes dents,
en essayant d’imiter son caractère. Quand vous jouez ce masque, de derrière le
masque, vous devez exprimer exactement ceci. Et il me demandait juste d’ouvrir
mes dents et la bouche comme ça (il démontre). Et de bouger le sourcil comme son

654
Le mot character, de l’anglais, a été traduit par personnage.

407
caractère... sauvage (il démontre)… en imitant le visage du masque. C’est pourquoi il
me demandait de dormir avec le masque. Il m’a demandé de me marier avec les
masques parce qu’on doit connaître les personnages. Puisque quand vous utilisez
ce masque, par exemple, c’est la même chose (il démontre). Avec la voix aussi
« Hahahahah » (il fait la voix du personnage). En contrôlant la voix à partir des
différentes parties de votre corps et de la cavité buccale aussi. Puisque différents
personnages ont différentes voix. Et vous devez apprendre ce cri pour ce masque,
par exemple. C’est la manière d’apprendre la caractérisation.
Après, il m’a demandé d’apprendre sur ce masque : le Premier ministre. Ceci est le
Premier ministre (il montre le masque). Dans les mouvements du baris, nous avons
cet agem baris. Mais pour le topeng, vous devez changer un peu (il démontre). Et
quand vous dansez avec le masque, vous ne pouvez pas bouger votre visage trop
fort. Vous ne pouvez pas le faire parce que le masque est déjà épais sur votre
visage. Un peu seulement… en contrôlant d’ici (il montre l’estomac). Ainsi, si vous
devez faire un mouvement appelé nyegut655, l’accord avec la tête, vous ne pouvez pas
le faire comme ceci. Vous ne pouvez pas le faire comme dans le baris ou dans le
kebyar, parce que vous portez un masque. Juste un peu… de manière serrée… et
montez votre visage comme cela (il démontre). Vous ne voulez pas que le masque
bouge de trop comme ça. C’est un mouvement très serré et très contrôlé d’ici (il
montre l’estomac). Vous ne devez pas lâcher le mouvement du masque et c’est
pourquoi vous devez le contrôler si bien.
Et vous devriez apprendre qu’il est un Premier ministre. Quel est le rôle d’un
Premier ministre ? Qui est-il ? Un guerrier, le responsable de l’armée ? Qu’est-ce
qu’il fait dans la pièce ? Donc, vous devez apprendre de ce personnage du babad,
les chroniques de Bali, de la littérature, de l’histoire. Prenez par exemple, ceci est le
Premier ministre Djelantik656, il est un Premier ministre de la cour de Klungklung
qui a été affecté par le roi pour attaquer l’Île de Nusa Penida, par exemple. Vous
devez apprendre sa caractérisation de la littérature, avant d’essayer de le bouger. Ce
655
Nyegut : Un mouvement de tête qui signifie être en accord, consentir.
656
Walter Spies et Beryl de Zoete, Dance and Drama in Bali, Periplus Editions, Singapore, 2002
Personnage du babad, les chroniques des rois de Bali, répertoire principal du topeng.
« Quand Batoe Renggong de Gegel a su que sa jeune fiancée avait été séquestré, il envoie
son patih, Djelantik Poutra (le fils de la sangsue) pour faire la guerre à Blambangan et rendre sa
jeune fiancée. Il lui a donné le kriss Mertiwoe Djima. Djelantik a aussi pris avec lui sa propre kriss
magique. » p. 303

408
masque a des couleurs différentes. Pour les personnages courageux les couleurs
rouges ou brunes sont utilisées. Le rouge signifie courageux. Mais, regardez-le tout
le temps et voyez ses yeux. De quelle manière sont-ils rêveurs ? Continuellement,
vous devez imiter ce personnage.
Maintenant, nous allons voir le personnage du roi. Ce personnage est appelé
Dalem à Bali. Celui-ci était un cadeau du roi de Bali à mon père, parce qu’il était
un danseur du palais. Comme ces deux autres masques aussi, ils sont de
Klungkung. Ceci est un vrai trésor pour nous. Regardez-le toujours et souriez (il
démontre). Faites ceci, mais en souriant. Un mouvement très serré et raffiné.
Seulement un petit peu... En contrôlant d’ici. Puisque vous ne pouvez pas déplacer
ce masque comme ça, le mouvement vient d’ici (il montre l’estomac). Des
mouvements de danse raffinés, des personnages raffinés... Mais, en fait, pour faire
un mouvement raffiné, tout est très tendu et contrôlé par votre énergie d’ici (il
montre l’estomac). Prenez, par exemple (il démontre), un type de mouvement legato
très gentil pour ce personnage raffiné dans le drame dansé. Vous devez le
comprendre. Mon père m’a appris aussi des mouvements lents et une sorte de
mouvements très passionnés, différents des forts, des keras. Comme celui-ci aussi.
Il est un Bendesa657, un vieil homme. Ceci est un demi-masque, car il parle. Vous le
mettez et vous devez travailler avec votre bouche : - Puissant Roi Dieu ! Mon nom est
Bendesa Nusa. Je viens de l’île Bali appelée Nusa Penida. Vous devez apprendre à
déplacer votre mâchoire pour la caractérisation. Ainsi, nous devons apprendre
beaucoup de choses. Pour celui-ci (il prend un autre demi-masque), le mouvement
peut être différent. Il est plus réaliste. Quand vous marchez... (il a mis le masque et il
démontre). Voici la manière dont il marche. C’est la même marche à pied du baris,
mais vous devez vous déplacer en allant beaucoup en bas. Dans le topeng, la
caractérisation se fait par le mouvement, par la voix.
J.C. — Est-ce que les mouvements des demi-masques sont-ils codifiés aussi ? Tous
les acteurs les font de la même façon ?
I. M.B. — Il dépend du personnage. Les Bondres, par exemple, vous avez des sortes
différentes. Je n’ai pas apporté assez de Bondres. Vous connaissez, vous l’apprenez,
ils sont les gens du peuple, les excentriques à Bali, les maladies des gens. Après,

657
Le Bendesa est le dirigeant de chaque village balinais organisé en section coutumière.

409
vous pouvez essayer d’imiter quelques mouvements des gens excentriques. Ils sont
appelés Bondres à Bali. Ainsi, personnages différents ont des masques différents,
des mouvements et des voix différentes.
J. C. — Et pensez-vous que les étrangers peuvent toucher l’esprit, peut-être pas
l’esprit, mais le sens principal de ces masques ?
I. M. B. — Oui, je pense. Si vous avez le temps pour apprendre plus... Il y a un
temps d’apprentissage. Étant donné que la danse balinaise consiste en deux aspects
très importants. Maintenant, je parle de taksu. Ainsi, dans la danse balinaise, dans
la présentation, taksu est un aspect très important à atteindre. Chaque personne
qui joue, qu’importe où elle se présente, veut atteindre taksu. Le pouvoir intérieur,
le charisme, la bonne présence de scène. Et vous pouvez étudier la danse balinaise
à partir de deux aspects. Le premier est l’aspect physique, le mouvement, l’aspect
technique. Le mouvement : agem, tandang et tangkis. Tous les mouvements en
correspondance avec le costume, avec l’expression. Vous devez comprendre tous
les aspects techniques de la danse à Bali. Et, après cela, nous pouvons parler de
l’aspect mental ou l’aspect spirituel, quel que soit le nom que vous lui donnez.
C’est la motivation pour la présentation. Parfois pour les présentations sur une
scène, parfois pour les présentations à buts rituels, les cérémonies de mariage par
exemple... Mais, il y a une motivation pour faire chaque chose. Toute sorte de
stimulation : les gens vous demanderont de faire quelque chose comme une
présentation de théâtre dans les pays de l’Ouest et ils vous fourniront l’espace
nécessaire pour danser. Il faut avoir une motivation très forte et une stimulation
pour faire cela. Le défi est la transformation, la caractérisation. Il y a une
transformation en personnages pour créer une unité avec le public. La présence de
scène, taksu est la présence de scène. Quand vous comprenez, quand vous maîtrisez
les mouvements, quand vous apprenez le contexte culturel, l’histoire, la
caractérisation du masque et aussi des différents personnages de l’histoire, vous
pouvez interpréter les personnages et les réunir avec l’aspect technique de tout cela
et, finalement, avoir une très bonne présence de scène.
Cependant, le peuple balinais a en plus un Seigneur, ils ont un code, ils ont un
dharma. Dharma Pagambuhan, par exemple. Si vous lisez la dissertation de Swuasthi,
elle a trouvé de vieux lontar en balinais du Dharma Pagambuhan. C’est le code et

410
l’éthique pour l’étude du gambuh. La caractérisation, les voix et les mantras. Étant
donné que taksu à Bali est aussi lié à un type d’autel et à Dieu, quelle que soit la
manière dont vous l’appelez. Nous devons prier avant la danse. Lors de chaque
présentation, il y a des mantras qui unifient tous les aspects: spirituel, mental et
physique. Ils doivent être rassemblés et pour se faire, vous devez contrôler votre
énergie. Le bayu est très important. Ainsi, tous les Balinais essayent d’atteindre
taksu dans des différentes présentations. Et je suis sûr que les étrangers peuvent
aussi le faire.
Autrefois, je ne pensais pas que je puisse entrer en transe à l’extérieur de Bali.
J’étais persuadé que la transe pourrait seulement arriver à Bali. Ceci n’est pas vrai.
En 1987, Swuasthi, Candri, Kodi, Cokorda Raka Tisnu et moi-même, environ
onze personnes, avons présenté à Nardo, en Italie. Eugenio Barba m’a demandé
présenter une réminiscence, une trace de réminiscence de la danse de transe à
Bali. Pour cette occasion, nous avoins prévu de leur présenter un moyen de transe
connu comme Sanghyang Jaran658, le cheval à bascule. Cette danse de transe n’est
pas censée être exécutée à l’extérieur de Bali parce que c’est une danse sacrée. J’ai
demandé à Cokorda Raka Tisnu et à Kodi, des sculpteurs de masque, de faire un
« hobby horse ». Ils sont très doués. Ils se sont vraiment concentrés dans la
confection du « hobby horse » à base d’une fibre appelée prasok. C’est la même
fibre que celle utilisée pour le Barong, c’est le prasok. Ils ont fait le « hobby-horse »
avec cette fibre. Candri apprenait à tous les danseurs le vrai chant du Sanghyang.
Elle connaît les chants Sanghyang. Nous nous sommes très bien entraînés, et
plusieurs fois. Ainsi, pendant la présentation, nous avons apporté notre gamelan
belaganjur659 dans le cortège. Nous avions fait les offrandes pour la présentation.
658
Le mot Sanghyang signifie divinité et fait référence aux danses de transe rituelles. Elles ont un
caractère sacré pour les Balinais. Jaran signifie cheval. Dans le Sanghyang Jaran, le hobby horse, quatre
danseurs, deux hommes et deux femmes entrent en transe par le cak, le chant et des encens. Il peut
être vu aussi dans les présentations pour les touristes. Dans l’ouvrage Dance and Drama in Bali, une
toute autre description est donnée du Sanghyang Jaran.
659
« Un des nombreux types de gamelan trouvés à Bali, le beleganjur (le gamelan martial) était
traditionnellement associé à la guerre et à des événements rituels tels que les crémations et les
cortèges des cérémonies de temples. Cependant, à partir de 1986, une nouvelle forme compétitive
très virtuose et fortement énergique de beleganjur est devenue populaire, attirant spécialement des
jeunes hommes (…) Bien que l’ensemble beleganjur soit toujours une partie indispensable des rituels
de crémation, la popularité de ce nouveau style de concours est telle que son répertoire a presque
supplanté les formes traditionnelles. » Margaret Sarkissan, Journal of Southeast Asian Studies, Vol 32,
N°1 (Feb. 2001), pp.119-120.
Revue du livre : Michael H. Bakan, Music of Death and New Creation : Experiences in the
World of Balinese Gamelan Beleganjur, Chicago and London, The University of Chicago Press, 1999,

411
Après avoir commencé le Sanghyang Jaran, accompagné par le gamelan belaganjur et
le kecak, presque tout le monde était en transe dans la présentation, moi y compris.
Cela signifie que taksu était là. C’était très sérieux, avec une très bonne présence de
scène. Nous nous sommes fortement impliqués dans la présentation, même si
nous étions au village de Nardo, en Italie. Nous étions devant l’église, avec une
ferme d’oliviers autour de nous. Le problème est que nous sommes tous entrés en
transe. J’ai marché sur un bol de porcelaine et j’ai presque coupé un tendon. Du
sang s’est répandu... Après cela, ils m’ont emmené aux urgences à Lecce, à deux
heures de Nardo, car mon pied était dans un très mauvais état. Nous avons alors
fait une introspection. Qu’est-ce qui n’allait pas ? Nous sommes tous entrés en
transe, nous avons fait une offrande pour présenter celui-ci, nous avons eu une
bonne présentation, mais là, du sang avait coulé de mon pied… Qu’est-ce qui
n’allait pas ? En fait, nous avions oublié de faire une cérémonie de sacrifice.
Quand cette danse de transe est faite à Bali, nous devons faire un sacrifice. Du
sacrifice de sang de poulet pour la terre, pour terre de mère, pour l’Univers. Mais
nous ne l’avons pas fait… Peut-être, c’était ce qu’il manquait. Mais autrement, j’ai
réalisé que nous pouvions faire une bonne présentation de transe hors de Bali, si
nous le faisions très sérieusement. Comme vous. Vous étudiez la danse balinaise.
Si vous comprenez profondément la culture, si vous vivez ici pour plus de temps, si
vous apprenez par des professeurs différents, en parlant avec des professeurs
différents, si vous lisez toute la littérature, je suis sûr que vous obtiendrez taksu. J’ai
confiance en cela.
J.C. — C’est quelque chose que je voudrais vous demander. Taksu est quelque
chose avec laquelle on nait ou quelque chose que l’on peut obtenir ?
I.M.B. — En réalité, c’est une combinaison des deux, parce qu’« être né avec »
signifie avoir du talent. Si vous avez du talent, cela veut dire que vous êtes rapide
pour apprendre chaque aspect de la danse que vous aimez présenter.
Techniquement, je ne fais pas seulement référence au mouvement et à la danse,
mais aussi à l’articulation de la voix. Si vous devenez un bouffon, si vous devenez
un clown, comment vous allez articuler votre ucap660, votre dialogue. Pour ceci, la

384p.

660
Ucap : mot

412
technique est nécessaire. Candri peut vous donner les voix différentes du Wayang :
les hommes âgés, les Penasar, le Tualen661 et les voix basses. Si vous apprenez ceci,
facilement vous pouvez avoir taksu. Ainsi, taksu peut-être pour tout le monde, pas
seulement pour le Balinais ! Bien que j’aie des étudiants à l’étranger, ils
apprennent sérieusement, ils apprennent la danse en six semestres. Nous avons des
cérémonies et nous prions ensemble… Il y a un pouvoir qui rentre.
J.C — Vous m’avez montré à l’intérieur du masque de Sidhakarya quelques signes
écrits et vous m’avez dit que c’était écrit taksu...
I.M.B. — Parce que celui-ci a été fait par un prêtre. Ceci est non seulement une
formule, mais il contient quelques mantras, de comment inviter... Ici, taksu signifie
le pouvoir. Le prêtre a donné du pouvoir au masque pour devenir non seulement
un masque en bois, mais quelque chose d’autre... Il y a une âme derrière lui.
Puisque quand un masque est fait pour une présentation, il faut avoir une âme
dans le masque, une vie. Des personnes comme le roi, il prend le masque et ce
masque a besoin de pasupati662. Si vous ne jouez pas avec un masque, vous pouvez
aller à un temple et demander pasupati. Pasupati est le pouvoir du Dieu Shiva pour
qu’il fasse partie de votre esprit, de votre formation, pour vous donner le pouvoir
pasupati ou taksu. À Bali, Shiva est le Dieu de la danse, n’est-ce pas ? Ceci décrit
quelques formules, différents caractères sacrés, inscrits par le prêtre qui a fait ce
masque. Puisqu’il a voulu le faire comme un héritage. C’est un masque puissant,
vivant. Quand vous jouez, vous êtes vivants comme ce masque. Donc, cela est très
important pour eux, inscrire des mantras, des syllabes sacrées, des caractères
balinais sacrés.
J.C. — Je suis une actrice brésilienne qui est à Bali. J’achète quelques masques et
ensuite je retourne au Brésil avec ces masques... Est-ce ces masques ont cet aspect
sacré ?

661
Tualen, également appelé Malen, est un personnage clown-servant dans la tradition du Wayang
balinais. Il a une origine divine. L’histoire raconte qu’il était créé de la poussière du corps de
Sanghyang Tunggal (le Dieu Suprême) et il est appelé à habiter parmi des hommes vertueux. C’est
une source de connaissances. Il a un Troisième œil qui indique son regard vers l’intérieur et
démontre sa sagesse. Il est le père d’un autre personnage, Merdah.
I Wayan Dibia et Rucina Ballinger, Balinese dance, drama and music, Tutlle, Singapore,
2004, 112 p.
662
J. Hooykaas, The Mith of the young cowherd and the little girl, Bijdrgen tot de Taal-, Land-en
Volkenkunde, Deel 117, 2de Afl. (1961), pp. 267-278 «Pasupati, who is Siwa as a lingga- and
mountain-god. » p.270

413
I. M. B. — La confection d’un masque pour un musée est très importante pour la
préservation. Le sculpteur de masque prendra un temps pour préparer et faire ce
masque. La confection d’un masque pour une présentation 663, par exemple,
commence par la découpe du bois. Peut-être que vous l’avez lu dans les livres... On
ne découpe pas le bois non accompagné. On invite un prêtre ou un pemangku, un
prêtre de rang inférieur, pour couper le morceau de bois qui deviendra un
masque, indépendamment du masque : un Barong, une Rangda ou un Dalem. Il
faut une cérémonie spéciale pour couper le bois. On ne peut pas sculpter tout de
suite ce morceau de bois qui deviendra postérieurement un Dalem ou un
Sidhakarya. Il faut mettre le morceau de bois dans l’eau et faire une offrande pour
demander le pouvoir de Vishnu, le pouvoir de l’eau, qui va aider à donner du
pouvoir au masque. Ensuite, après des mois, le sculpteur, le sangging 664comme
Tangguh665, sort le masque de l’eau. Il est un sculpteur spécial. Comme sangging, il
était aussi bénit dans un temple ou dans un temple autel pour devenir un
sculpteur. Au moment de commencer à sculpter, il fait aussi des offrandes. Quand
le masque est fini, vous ne pouvez pas la porter tout de suite. Vous devez être béni.
Ainsi, il faut bénir les masques et faire une grande offrande de temps en temps.
Des offrandes pour donner du pouvoir au masque. Certains amènent le masque
au cimetière pour obtenir le pouvoir du Dieu de là-bas, comme pour le Barong et
Rangda.

Il y a un processus long et sacré dans la fabrication d’un masque de taksu, un


masque de pouvoir, comme un Barong ou une Rangda, ou même un autre masque
pour de présentation comme ceux-ci. Il y a une différence entre les masques des
magasins d’art et les masques que nous utilisons dans les représentations.
L’intention de ceci est très importante, la motivation. Quel masque est-il ? Bien
qu’il ait bonne mine, s’il n’y a pas de pouvoir à l’intérieur, votre présentation sera
très légère et il ne créera aucune énergie pendant la présentation. Le processus est
à travers des offrandes…

663
Le mot performance est traduit par présentation.
664
Sangging – Un artiste
665
I Wayan Tangguh : Un des plus réputés sculpteur de masques de Bali.

414
J.C. — Beaucoup d’étrangers viennent ici pour acheter des masques. Est-ce que ces
masques sont-ils considérés sacrés comme ceux-là ? Et si les étrangers ne
comprennent pas cela, s’ils ne font pas d’offrandes ni ne suivent la culture et la
procédure ?
I.M.B. — C’est une question très importante. C’est correct. Le pouvoir, le taksu est
vraiment très lié à la culture elle-même. En ce qui concerne la confection de
masques, le processus rituel est très important. Étant donné que les gens peuvent
créer des masques pour après les vendre dans les magasins d’art. Ils n’y ont pas de
pouvoir, aucun taksu. Mais, si vous voulez faire un masque pour danser, vous devez
suivre ce type de processus. Le processus de création d’un masque sacré. Vous
devez traiter avec le sculpteur de masques et après vous devez aller au temple pour
demander pasupati. Ensuite, vous vous mariez avec les masques, vous comprenez
les personnages, vous respectez les masques, vous ne les mettez pas n’importe où.
Vous ne pouvez pas marcher sur lui. Ainsi, vous devez... Comment on pourrait
dire ? Aimer vos masques.
J.C. — Mais vous devez être introduit par un Balinais pour le faire, non ?
I.M.B. — Oui, vous devez demander un prêtre de le faire. Quand vous faites de
masques chez Tangguh, il est un des meilleurs sculpteurs vivants. Si vous voulez
faire votre masque pour la danse, vous devez demander à Pak Tangguh de les
apporter à un temple proche d’ici, pour du pouvoir extra. Pasupati est un pouvoir
extra des Dieux, qui donne pouvoir aux masques. Ceci est appelé pasupati. À ce
moment-là vos masques seront différents des ceux des magasins d’art. Étant
chercheuse, vous devez comprendre cela aussi. Peut-être que vous ne serez pas une
danseuse, mais au moins vous allez comprendre le processus de création sacré d’un
masque comme étant un processus rituel. Pas à pas, à partir de l’abat de la viande,
non, de la coupure du bois et ainsi de suite. Un processus long. Si vous restez ici,
pendant quinze ans, vous pouvez devenir Balinaise ou même meilleure qu’une
Balinaise.
J.C. — En retournant un peu en arrière, à votre collaboration avec Eugenio Barba.
Quand est-ce qu’elle a commencé ? J’aimerais savoir comme est-ce qu’elle était
pour vous, une fois que vous avez eu contact avec des artistes de tout le monde. Et

415
la question est aussi la suivante : est-ce que ces échanges ont transformé votre
façon de voir l’art ? Comment ils vous ont changé ?
I.M.B. — Vous savez, en faisant du théâtre, ma meilleure collaboration était avec
Eugenio Barba. Il est venu ici vers 1974. Je lui ai rencontré à Bali. Notre première
collaboration était censée d’amener la danse Kriss et Barong de Batubulan à
l’Europe. Il était très intéressé à amener cette danse à l’Europe. Mais cela n’a pas
marché à cause de problèmes financiers, timing et d’autres. Il m’a invité à aller à
Rome avec Marotti666, de l’Université de Rome. Eugenio Barba avait des relations
avec lui et j’ai donné des conférences sur le théâtre et l’environnement, à des
endroits divers à Rome.
Nous avons parlé d’Antonin Artaud et des sujets divers autour de la culture et des
manifestations artistiques balinaises. Ensuite, en 1986, Eugenio Barba et moi,
nous avons commencé une collaboration. Il a invité Swuasthi et moi à nous
présenter à un endroit appelé Salento, en Italie. Il animait des ateliers et des
performances avec l’Odin Teatret. Il m’a demandé de faire des présentations de
topeng. Swuasthi, ma fille Ari et moi, nous avons fait des présentations et des
démonstrations de travail. Ma fille Ari avait à peu près neuf ans et a dansé du
legong à l’atelier et j’ai présenté du topeng. Après l’atelier, j’étais invité à me
produire à Pontedera et beaucoup de groupes m’ont invité à présenter du topeng.
Et ensuite, je suis allée à l’Amérique pour étudier pendant trois ans. En 1981,
Eugenio m’a recommandé et j’étais invité à enseigner le kecak et le topeng à Cardiff.
Et après, en 1984, 1985, 1986, nous avons maintenu contact et il m’invitait
presque toutes les années à aller en Italie pour faire partie de son groupe. Il
développait une école appelée « International School of Theatre Anthropology ». Il
m’a invité aussi à devenir un conseiller de ce groupe.
Presque toutes ces années, nous étions invités à aller en Italie, au Danemark.
Swuasthi, Candri et moi, nous sommes allés au Brésil pour dispenser un atelier
avec lui. Il créait un théâtre appelé Theatre Mundi en collaboration avec des
Indiens, des Chinois et des Balinais... Nous avons produit différentes histoires à
cette époque-là. Nous avons fait un concours avec des différents experts du théâtre.
Nous avons appris des aspects du théâtre indien et bien sûr, du théâtre moderne,

666
Feruccio Marotti

416
car il a une idée très forte du théâtre contemporain, en créant son propre style,
vous savez ? Ainsi, nous avons appris certains des approches occidentales, des
approches contemporaines du théâtre occidental. Cela, j’ai pu utiliser dans mon
« The Conquest of Bali » et dans des présentations que j’ai faites à Bali... C’est la
façon dont j’ai appris. Je pense qu’au futur, pour faire ceci un théâtre vivant, vous
devez faire au moins une collaboration. Ceci a aussi commencé pour moi quand je
suis allé étudier en Amérique. J’y ai étudié en 1968, en étudiant de la
méthodologie et de la danse occidentale. J’ai appris la danse moderne, j’ai eu
quelques classiques de ballet, j’ai appris un peu de danse yougoslave, japonaise,
coréenne et des danses de Thaïlande. Cela m’a apporté de différentes expériences,
en fait, pour me donner une compréhension plus large des cultures de danse du
monde. Quand j’ai appris, quand j’ai dansé la danse japonaise appelée bugaku, j’ai
aussi appris beaucoup sur l’histoire du bugaku. J’ai appris le patronat classique dans
des royaumes japonais, par exemple. Cela nous donne un sens large de
compréhension des différentes cultures. Et ceci m’a beaucoup aidé à aimer ma
propre culture. Après ce que j’ai éprouvé à l’étranger, je vraiment apprécie et aime
ma propre culture... Autrement, je ne serais pas un danseur. Je ne comprenais pas
beaucoup ce qu’était derrière la danse, derrière le drame dansé masqué. Il faut
apprendre le contexte culturel. La comparaison avec des différentes cultures du
monde m’a donné une compréhension très profonde et interne de ma culture.
Sans aller aux États-Unis, sans aller à l’Ouest, je ne crois pas que je pusse écrire un
livre sur la danse balinaise. Ce n’est pas seulement la méthode, c’est la façon de
penser, de comprendre...
Et j’ai eu des problèmes aussi. Comment traduire le théâtre balinais dans le théâtre
moderne ? Pas seulement traduire le balinais en l’anglais, mais traduire des idées
modernes du théâtre aux audiences occidentales. Beaucoup à apprendre, beaucoup
à apprendre ! Seulement avec la collaboration avec Eugenio Barba et Frederic De
Boer (il m’était possible de le faire). Il était professeur de théâtre et il m’a appris
comment étudier la dramaturgie et les différentes approches du théâtre. Bien sûr,
la meilleure expérience était avec Eugenio. Non seulement pour moi, mais pour
Swuasthi et Candri. Maintenant, il continue avec Candri. Ainsi, je crois que les

417
formes et les compréhensions hybrides sont très importantes, parce que grâce à
cette expérience on apprend le plus.
J.C. — Je vous invite à parler de l’École ASTI et des défis en enseigner dans le
format académique, comme nous parlions quelques nuits avant...
I.M.B. — Je vous ai dit que j’étais allé en Chine, en Corée, au Japon, seulement
pour des présentations. Je suis rentré à l’ASTI à Denpasar. L’ASTI, l’Académie de
Danse de l’Indonésie à Denpasar, était établi en 1970. J’ai fait partie de la
première génération d’étudiants de l’ASTI pendant un an, car après cela, je suis
allée étudier aux États-Unis. Cette École était vraiment établie à Bali pour la
préservation et le développement de l’art, musique, danse et l’art de la marionnette
balinaise. Il y a eu une période sombre à Bali en 1965 : l’école communautaire
réformé, des disputes entre des Partis : le Parti National, le Parti Communiste, le
Parti Religieux...
Quand l’école communautaire a failli en 1965, beaucoup, beaucoup de comédiens
et de compositeurs sont décédés. Nous avons perdu une génération cette période.
C’est pour cela que l’École était née sous l’idéal de l’apprentissage de la culture
balinaise pour le développement et la préservation. Je suis parti aux États-Unis en
1968, seulement une année après la création de l’ASTI. Là, j’ai étudié avec des
différents professeurs le style legong de Peliatan. Et, bien sûr, j’ai appris le gambuh
plutôt quand j’étais étudiant de l’ASTI. Même si je présentais déjà le gambuh du
style de Batuan. Mais, pendant cette période, j’ai appris le style Pedungan. J’ai eu
une bonne technique et une bonne expérience en gambuh. Ensuite, je suis allé aux
États-Unis. En même temps, j’enseignais la danse balinaise à l’extérieur. Et là, les
problèmes sont arrivés. Quand on enseigne à l’étranger, de manière interculturelle,
vous ne pouvez pas seulement présenter votre danse, n’importe laquelle, aux
étudiants de là-bas. Spécialement si vos étudiants sont en régime de crédit
semestriel et qui vont venir pour seulement un semestre. Peut-être pas comme toi,
autant chercheuse, vous avez plus de temps pour étudier de manière plus
professionnelle. Cela concerne les étudiants de là-bas. Par exemple, à l’Université,
il y a les mêmes questions de l’enseignement de la danse qu’ici. On ne peut pas
être très complet et il y a toujours quelque chose qu’il manque. Je vous ai parlé de
manque dans l’ASTI Denpasar, il manque un peu de taksu là-bas, ils donnent plus

418
d’accent sur la technique. Mais, à part ceci, il y a le problème des étudiants : qui
est-il ? Quel âge il a ? Sont-ils à l’école élémentaire, au collège ? Sont-ils des
danseurs professionnels ou des étudiants à l’Université ? Puisque quand j’étais à
l’UCLA, en Californie, je n’étais pas uniquement professeur de danse balinaise
aux étudiants de l’université, mais j’enseignais aussi à l’école élémentaire et au
collège. Pour un entraînement plus professionnel, peut-être, il y avait des gens de
l’Indonésie et des Philippines. J’étais aussi professeur des stars du cinéma à
Hollywood qui voulaient avoir une expérience dans les mouvements balinais
stylisés et non seulement dans le jeu réaliste. Ainsi, je devais considérer d’abord
qui étaient mes étudiants. Quand j’évoque la question de qui est mon étudiant, je
ne parle pas seulement de la différence d’âge, mais aussi du contexte culturel.
Comme en Indonésie. Il y a des étudiants qui viennent de Sumatra, Papua, Java...
On doit leur apporter formes différentes d’enseignement. Et, en Amérique, c’est
exactement comme cela. Puisque parmi les Américains, il y a des Africains qui
peuvent avoir de l’expérience dans les mouvements africains. Et on peut avoir des
étudiants chinois, qui peuvent avoir de l’expérience dans la danse chinoise, à
l’Opéra. Ceci va apporter énormément aux cours. C’est l’occasion où on peut
donner un bon cours, grâce aux différents contextes culturels des étudiants. Il faut
les considérer dans l’apprentissage, avant d’essayer d’enseigner n’importe quelle
danse.
Dans cette position, autant un professeur, on doit être professionnel. Même si
j’enseignais à l’Université en Amérique. On doit être au moins professionnel,
maîtrisant très bien notre domaine. On ne peut pas faire quelque chose de faux. Si
on veut faire de la vraie danse balinaise là-bas, il faut forcer notre
professionnalisme pour enseigner de la vraie danse balinaise. Ainsi, autant
professeur, on est un stimulateur. On donne de la motivation aux étudiants. Il
faut faire un très bon cours. On doit stimuler les étudiants à être plus intéressés à
l’apprentissage de la danse balinaise, même s’ils ne sont pas des danseurs.
Quelques étudiants de mon cours étaient dans l’école primaire… Mais, quand ils
sont dans ma classe, comme professeur, on doit montrer qu’on est un
professionnel, un bon professeur, qu’on peut stimuler l’étudiant, le motiver et
l’enseigner la danse balinaise telle quelle qu’on la conçoit. Il faut parler beaucoup

419
avec les étudiants, car on ne peut pas simplement rester devant le miroir à
enseigner le mouvement. Il faut expliquer le contexte culturel, l’ancestralité et
aussi l’histoire. On doit montrer quelques films sur Bali. Ainsi, ils sauront un peu
du contexte culturel de la danse balinaise.
Et aussi, autant professeur, vous devez demander l’école, l’université, quel type
d’équipement peuvent-ils vous offrir ? Est-ce qu’ils ont un studio ? Oui, ok. Ont-ils
un miroir ? Bien. Un appareil vidéo ? Vous pourrez vouloir montrer à vos élèves
des films plus techniques. De cette manière, ils peuvent étudier à la maison, car ils
auront un modèle à la maison. En enseignant le baris, je leur ai donné un modèle
de danse et ils peuvent le prendre pour apprendre. C’est très important de penser
à l’administration, en demandant quelques facilités. Et le quatrième... Ainsi, je
vous ai dit que le premier défi était l’étudiant, ensuite le professeur, le troisième
l’administration et le type de danse que vous allez enseigner lorsque vous
connaissiez les étudiants.
Et bien sûr, le quatrième, la base, c’est le curriculum. Ceci est très important. Un
curriculum d’exercices est très important, mais vous devez voir les différentes
habilités dans votre classe, car les étudiants ont des expériences différentes. Ainsi,
quand on fait un curriculum, on doit le diviser en différents curriculums, car dans
la danse balinaise il y a aussi kemampuan, compétence. Pourquoi nous apprenons le
baris pour un étudiant débutant ? Parce que le baris fournit assez d’éléments pour
l’étude, des éléments de la danse et vous pouvez improviser et faire des variations
individuelles. Ainsi, pour les étudiants masculins étrangers, comme à Bali, on les
apprend le baris. Si l’étudiant est très bien en baris, je développe le cours vers le
drame dansé masqué, le topeng, par exemple. Pour les femmes c’est le legong et vous
pouvez créer votre propre curriculum. Une méthode ? C’est très important. J’ai
appris la danse surtout par mes professeurs que par mon père. Mon père avait une
méthode très différente que j’ai aussi appris de lui. J’ai appris la danse par
différents professeurs : Kakul, I Mario... Et ils m’ont transmis la méthode de
l’imitation. Imiter les personnages, imiter les mouvements. Le danseur (professeur)
dansait devant moi pendant deux heures. J’ai étudié le legong avec mon professeur
de Peliatan, Ni Gusti Biang Segong. Un des meilleurs professeurs de cette époque.
En 1967, pendant un an, elle restait à danser devant moi. Il nous était demandé

420
de la suivre continuellement, de détailler le mouvement. Elle donnait déjà
l’expression complète du legong, la caractérisation. On n’apprend pas seulement
par la littérature. Aussi à travers le professeur, car il présente la danse correctement
et de manière très expressive. Alors, une méthode c’est le système d’imitation.
Mais mon père, de manière diverse, utilisait les deux méthodes. Il analysait déjà la
danse. Ce n’était peut-être pas de l’analyse, mais de la décomposition : « Bandem,
maintenant tu vas apprendre les mouvements des yeux. Bandem, maintenant tu vas
apprendre la marche. » Et après les mouvements des mains. Et à la fin, il combinait
les deux. Il pensait que ceci n’était pas suffisant non plus. Il dansait devant moi et
on dansait ensemble sur le plateau. Alors, j’apprenais plutôt à travers lui quand
nous dansions ensemble ou quand je le voyais danser, comme public. Autant
jeune Bandem, mon père m’amenait comme assistant lorsqu’il allait présenter
l’arja aux villages. Je me réveillais au milieu de la nuit et je le voyais danser... J’étais
tellement fier de lui, je l’aimais ! Quand il dansait, je venais seulement pour le
voir… Et je rigolais, je pleurais… C’est une façon d’apprendre aussi… En imitant et
en apprenant.
Maintenant en Amérique et en Europe, car nous avons appris quelques méthodes
occidentales, je décompose la danse, je leur donne des explications détaillées.
Même si les étudiants en Amérique ou en Europe n’ont pas besoin d’explications
détaillées de ma danse. Agem, par exemple, les positions des mains, des coudes, des
épaules avec une très longue description. Ils n’ont pas besoin de cela, car il n’y a
pas le temps de mémoriser tous les mots balinais. Mais, je dois le faire, je dois
l’écrire. De cette manière, pour toutes les danses que j’enseigne en Occident : le
kecak, le baris, le legong, le pendet ou le janget, j’ai tout écrit et j’explique les détails.
Ils ne lisent pas. Je les interroge et ils ne savent pas les aspects techniques. La
combinaison de ceci je pense que c’est la meilleure.
Alors, quand nous avons une présentation avec les étudiants, car le diplôme sera
obtenu par une présentation, je me présente toujours avec eux. Des centaines de
personnes viennent pour centaines d’étudiants. Généralement, nous avons la salle
pleine quand je me présente avec les étudiants. C’est comme ceci. Maintenant à
l’ASTI, ils utilisent cette méthode bien sûr, sauf qu’il y manque taksu. Et vous
savez pourquoi ? Parce qu’ils sont très à l’instant dans les cours.

421
J.C. — À l’instant ?
I.M.B. — Seulement technique. Après un mois de création, ils dansent et ils se
présentent. Ensuite, ils oublient. Il n’y a pas de temps, il n’y a pas de temps
dépensé en compréhension, en appréciation, en étude approfondie par
l’expérience. Je suis préoccupé pour l’ASTI à ce moment, car ils n’ont pas
beaucoup de bagage culturel pour discuter avec le public. Par exemple, nous avons
parlé de taksu avant. Dans les arts scéniques balinais, vous devez considérer trois
livres. Un s’appelle Prakempa667. Je l’ai traduit en Indonésien. Ce Prakempa est le
Code Seigneur du gamelan : cosmologie, éthique et des aspects techniques du
gamelan. Quand quelqu’un apprend le gamelan balinais, il doit lire ce livre appelé
Prakempa, dû à la description de la cosmologie, la philosophie, l’éthique et
l’esthétique de l’ensemble des gamelans balinais, par les Balinais. Encore de manière
très compréhensive, pas détaillée. Quelques-uns d’eux (des livres) sont détaillés. Si
vous voulez atteindre taksu en jouant gamelan vous devez livre ce livre. Le deuxième
livre s’appelle Dharma Pawayangan. Chaque dalang, chaque marionnettiste à Bali,
doit lire ce livre. Le même approche : de la cosmologie, la philosophie... Dharma
Pawayangan était traduit en anglais par Hooykaas668. Je pense qu’il avait environ
dix-sept Dharma Pawayangahan et avec un d’entre eux, il a fait une édition critique
du Dharma Pawayangahan. Comme dalang, vous devez le lire. Et Swasthi a trouvé
en 2007, le Dharma Pangambuhan : le Code Seigneur pour atteindre taksu dans la
danse. Cela commence par le Gambuh, mais c’est le même rapport pour n’importe
quelle danse à Bali. Ces trois livres doivent être lus par tous les artistes balinais
maintenant, quand ils développent leur propre chorégraphie en musique, danse et
dans l’art de la marionnette. Vous devez lire la thèse de Swasthi. Il y a quelque
Dharma Pangabuhan, en vieux javanais, traduit en Indonésien. Mon livre s’appelle
Prakempa en indonésien, mais j’ai quelque chose en anglais si vous voulez savoir
plus sur le gamelan balinais après. J’espère qu’il cela suffira et vous pouvez toujours
m’envoyer des e-mails !

667
I Made Bandem, Prakempa: Sebuah Lontar Gamelan Bali, Akademi Seni Tari Indonesia,
1986,112p.
668
C. Hooykaas, Kama and Kala, Materials for the Study of Shadow theatre in Bali, Verhandelingen
der Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen, afd. Letterkunde, nieuwe reeks,
deel 79 ; North-Holland Publishing Company, Amsterdam/London, 1973; 320 p., 96
photographies hors-texte.

422
_________________________________________________________________

ENTRETIEN AVEC I KETUT KODI


Réalisé à Singapadu, le 6 août 2011

Juliana Coelho — J’ai déjà lu votre entretien avec Mme Kathy Foley. Dans cet
entretien, vous avez raconté comment le topeng, les wayang kulit, le personnage de
Sidhakarya sont appris à Bali. Je voudrais aborder le topeng pajegan. Qui sont les
personnages et pourquoi ont-ils une danse qui les introduit ?
I Ketut Kodi — Parce que la danse introductoire, comme celle du Topeng keras
reste toujours présente dans toutes les performances de danses topeng à Bali, que ce
soit le pajegan, le Sidhakarya, le panca ou prembon.
Dans cette première danse, le masque prend la forme d’une tête humaine où l’on
voit bien les cheveux. Il y a d’autres formes de type comique ou qui représentent
une personne âgée. Le premier objectif est de donner aux spectateurs la
description des personnages qui vont apparaître sur scène, tels le gentil ministre, le
ministre intègre, les personnes âgées. L’exécution du topeng mobilise les symboles
de la vie passée, ceux de la vie actuelle et ceux de l’avenir. Deuxième objectif : la
danse préliminaire reflète le déroulement de la vie. Le Topeng keras est lié à la
période de la naissance, le Topeng lucu est associé au déroulement de la vie puis,
le Topeng tua représente la période de la mort. La naissance, la vie et la mort sont
inséparables, c’est ce que l’on appelle Tri Kona: Utpati, Stithi, Pralina. La naissance,
la vie et la mort. Vous voyez, la naissance dans la danse est décrite au moment où
le Topeng keras sort de la porte, sort du ventre de la mère. Le nouveau-né regarde
dans tous les sens, à gauche, à droite, en haut, en bas, vers le monde. L’étape
suivante, c’est la vie pleine d’agitation. Le danseur fait des allers-retours, comme
une roue qui revient sur elle-même, comme la vie qui s’écoule. Dans la vie, nous
trouvons des avancements, des retours, des mouvements de droite et de gauche. Le
bien, le mal : ceux qui avancent, ceux qui reculent.
Nous, nous croyons en Dieu, qu’il est en haut. De temps à autre, il (le Topeng keras)
regarde vers le haut, il regarde vers le bas. Enfin, nous atteignons le sommet de la
période de la vie que les êtres humains vivent parfois à l’approche de leur mort. La
mère est le symbole de la naissance, tandis que celui de la mort, c’est la terre.

423
Nous, les humains, nous retournons vers la terre. La mère est aussi le symbole de
la terre. Ces symboles signifient que nous sommes est nés de la mère, que nous
vivons sur terre et que nous retournerons à la terre, la mort.
La période de la vie sur terre est représentée par de nombreuses variations dans les
danses, symbolisant la créativité et la diversité de la vie. Les gestes varient selon les
mouvements de la vie. Cela dépend des conditions de l’époque où nous vivons.
Maintenant, je vais vous expliquer les gestes caractéristiques des danses de masque
balinaises. Premièrement, les mudras, gestes des mains. Je vous les montre, les voici.
Celui-ci est pour le rôle du prêtre, car à Bali, les mudras sont considérées comme
des gestes sacrés. Ces mudra, on ne les trouve pas dans n’importe quelle danse.
(Kodi montre quelques mudra) Les gestes de mudra, de même que les gestes du
Cosmos, sont classés dans le domaine du sacré. Contrairement à Bali, où les
positions des mains sont statiques, dans d’autres pays, les gestes sont plus
dynamiques. Il faut que les gestes forment un tout, entier. Il existe aussi les
masques qui symbolisent aussi bien la splendeur et la vie ordinaire, et décrivent la
vie de la couche sociale la plus basse jusqu’à la plus haute.
J.C — Pourriez-vous me parler de Penasar, Wijil et le Bondres ?
I.K.K. — Penasar, dans le topeng, représente la base, le peuple, le serviteur du roi.
C’est un personnage d’une grande habileté. Il peut prendre parfois le rôle de
panakawan, c’est-à-dire de « conseiller du roi ». Cela nous rappelle la signification
du mot de base de penasar : la base. Il est celui qui connaît les piliers de la vie, il
sait tout : comment est la vie d’un serviteur, d’un ministre, d’un roi. Les
personnages de Punta et Wijil sont du même type. Penasar est un marionnettiste,
celui qui invente les dialogues. En tant que narrateur, il fait le lien entre le
spectacle et le public, les danses et les spectateurs.
Il fait aussi le lien entre les textes et les contextes, entre les performances des
danseurs et les cérémonies qui accompagnent le topeng. Cela explique pourquoi
dans une telle représentation, jouer le rôle de Penasar est la partie la plus difficile.
C’est un personnage compliqué puisqu’il faut en même temps avoir une belle voix,
savoir danser, connaître la philosophie et être sensible aux situations. Le Penasar
joue au marionnettiste. Il est comme un metteur en scène ou un scénariste. Dans
les danses pajegan, panca, prembon, le personnage du Penasar est le metteur en

424
scène qui décide qui joue quoi. Tandis que dans les danses pajegan et prembon, c’est
lui qui gère le déroulement de l’histoire, dans quel contexte, quel style d’histoire,
quelle histoire à raconter. Dès que l’histoire se crée, il faut décider qui sont les
personnages et définir leur jeu, selon le thème de l’histoire convenue et le
contexte. Il doit imaginer le discours de chacun des personnages. L’étape suivante,
c’est de choisir la philosophie qui doit être exprimée. Comme le topeng est un
moyen d’éducation, on critique, on éduque les spectateurs, si bien qu’il y a ce lien
entre les performances et les cérémonies. Le Penasar joue le rôle d’un
marionnettiste dans la danse de masque.
J.C — Je vous ai vu jouer hier...
I.K.K. — C’était ça. La performance d’hier contient beaucoup de critiques. J’ai
critiqué la société dans le cadre de la civilisation actuelle. Dans cette performance,
nous avons parlé de kelian. Les dialogues traitaient le sujet suivant : Comment
devenir le chef/le dirigeant ? Quelle est relation entre le dirigeant et son peuple ?
Quelles relations entre les dirigeants en bas et en haut de l’échelle, comment
gouverner ? Il existe tant de critiques concernant le fonctionnement du
gouvernement. C’était une performance assez dure, chaude, pleine de critiques. Je
suppose que les spectateurs vous l’ont dit. Les Bondres soutient la société.
J.C — Quelle est la composition des personnages de Bondres ?
I.K.K. — Normalement, les Bondres sont légers, assez chauds. Il y a deux Bondres
qui commencent par faire des gestes lents afin de contrôler les énergies, les gestes
et la parole. Au début, ils sont doux, puis finissent par être assez durs. Ou bien,
parmi trois Bondres, il faut placer celui qui est le plus drôle, le plus comique à la
fin du spectacle pour éviter que les spectateurs se désintéressent. Les gestes du
premier, du second, du troisième doivent être légers et les dialogues comiques
assez chauds.
J.C — D’où vient votre inspiration pour les Bondres ?
I.K.K. — L’inspiration vient du contact avec les gens et de l’imagination qui
travaille ensuite. Quand je vous ai vu, nous avons discuté. J’y ai trouvé des
histoires drôles et des mots drôles que je pourrais saisir, rassembler et modifier lors
de la performance. C’est en rassemblant et en créant que l’histoire est née.
Ensuite, sur scène, souvent une idée apparaît de façon spontanée. Au moment où

425
on arrive, on entend les gens parler d’un sujet intéressant. Il y a l’imagination,
notre contact avec les gens, parfois notre lecture des journaux, et peut-être des
livres où on trouve de belles paroles. Aussi, en étant spectateur d’une autre
performance. L’inspiration vient aussi des parties des dialogues du masque qui
sont implicites, que nous ne dévoilons pas, que les acteurs oublient.
En résumé, la vie sociale, l’imagination, la lecture, l’observation d’un topeng, la
performance d’un danseur de Bondres ou d’un Chaplin, d’un Mister Bean,
contribuent à la création de l’histoire. On y trouve parfois des extraits que nous
pouvons récupérer, modifier et insérer dans l’histoire.
De même pour la création des masques. Elle est le fruit de l’imagination aussi. En
regardant les gens qui me plaisent, je les fabrique ensuite chez moi. De temps en
temps, les Bondres se créent en regardant les dessins animés comiques. Lorsque je
croise une personne drôle, je m’approche d’elle. Nous discutons de tout et de rien
juste pour que je puisse regarder de près son visage. Je fais le masque en imaginant
son visage, les mouvements de son visage. Cela m’arrive parfois d’obtenir un visage
drôle mais pas les mouvements. Je prends son visage puis j’invente ses
mouvements. J’ai vu une personne dont l’allure me semblait drôle mais pas son
visage ; donc j’ai pris son allure, ses gestes pour le topeng. Idéalement, le danseur de
topeng sait fabriquer des masques. À partir du masque, la danse se crée et vice-versa,
c’est à partir de la danse que le masque est né. J’observe le visage représenté par le
masque, je crée ensuite ses mouvements ou alors je regarde les mouvements puis je
crée son visage.
J.C — Et dans le topeng pajegan, comment les danseurs crée-t-il l’histoire ?
I.K.K. — Tout a été préparé à l’avance. Du danseur du masque de Sidhakarya ou
du masque qui fait le dialogue. On exige qu’il lise souvent, qu’il soit sociable afin
d’apprécier une situation. S’il y a des gens qui viennent, en me demandant
d’exécuter la danse du topeng pajegan à telle date, je leur demande d’abord pour
quelle cérémonie : dewa yadnya, manusia yadnya, buta yadnya, pitra yadnya, rsi yadnya.
On demande cela à celui qui la gère. Par exemple, quel genre de « dewoyannyo »,
et de quel clan vient-il : brahmana, pasek... Dès qu’on le sait, on cherche à avoir des
informations concernant le brahmana ou le pasek pour notre spectacle. Comme ça,
la performance correspondra à la famille, à la lignée. Il faut se renseigner

426
également sur la situation sociale sur place. Par exemple, il dit : « Dans ma société,
les gens se bagarrent, les jeunes fument et boivent souvent ». De là, on a l’idée.
Moi, en tant que le danseur de masque, je dois produire des critiques sur ce
phénomène social. Toutes ces questions, il faut qu’on les adresse à celui qui gère le
spectacle. Il se peut que d’autres danseurs réalisent la performance sans se
renseigner préalablement.
On peut sinon, venir directement sur place, s’asseoir dans une petite échoppe
(warung) et écouter ce qui se passe dans la société pour être au courant de
l’actualité. Il existe des bonnes sociétés, et des sociétés où les gens sont fainéants,
n’aiment pas travailler, sont perdus. Les artistes doivent aimer voyager, explorer.
Les artistes ne doivent pas rester à la maison. Ils doivent sortir afin de comprendre
la situation de la société.
J.C — Serait-il possible pour vous de me raconter le processus, à partir de la
sculpture du masque jusqu’à la danse ?
I.K.K. — En fait, à Bali, on choisit le bois. Les meilleurs bois pour le masque sont
les bois. Le bois, on le choisit pour la danse Barong où les danseurs sont de
grandes tailles. Ceux qui vont couper le bois, doivent faire une cérémonie. Un
autre objectif pour le bois : fabriquer le masque qu’on va vénérer, que l’on posera
dans un temple. On fait une cérémonie sacrée pour ceux qui cherchent du bois
dans un temple. Sinon, on achète du bois, deux ou trois pièces, pour faire un
Topeng keras, ou le masque du ministre. Parfois, au moment de la fabrication du
masque, on se trouve en échec. Le bois sélectionné ne correspond pas au Topeng
keras ou au Dalem, mais il peut servir pour un masque de Bondres. Donc, je
continue à le travailler. Ou le contraire, le processus de la fabrication du masque
ne correspond pas du tout à Bondres, mais à celui du Topeng tua ou du Topeng
dalem. Il peut arriver aussi que l’on crée un masque à cause d’une erreur. On
aurait souhaité faire un Topeng tua, mais une erreur se produit et voilà, on
modifie notre masque en Bondres. Voire, à la fin de la fabrication, on constate
qu’il y a un masque entier, un demi-masque ou un masque plus petit qu’un demi-
masque.
Avez-vous lu sans doute ma thèse à propos des Bondres qui s’intitule « Le masque
des Bondres dans le changement de la société balinaise » ? J’y ai traité les masques

427
entiers, les demi-masques, le masque kepehan, qui résultent d’erreurs dans le
processus de fabrication. Un artiste fait une erreur pendant le processus : le but
était de faire un Topeng tua mais il l’a mal coupé. Il modifie le masque en en
faisant un masque kepehan. Voilà donc le processus de la fabrication des masques.
On sait bien qu’il faut une journée entière pour fabriquer un masque, que le
résultat soit bon ou mauvais. Avec ce bois, par exemple, je peux rester des heures
sans me sentir mal, parce qu’il se crée le lien entre moi et le masque. Si je sens que
je vais réaliser un masque de bonne qualité, mon frère le sait, je me consacrerai
sérieusement à sa fabrication sans me lever. Le mauvais résultat vient du fait que
trop fréquemment on se lève, on boit, on discute, on doit se concentrer à
nouveau, on se relève. Ma relation avec le masque est alors souvent coupée. Selon
l’intuition de mon frère, mon masque sera de bonne ou de mauvaise qualité. Il me
demande si je me servirai du masque pour danser ou pour d’autres usages. Je suis
quelqu’un de très sérieux.
J.C — Une fois que le masque est prêt, il y a une cérémonie ?
I.K.K. — Oui, une petite cérémonie de lavage pour que le masque devienne
masque, pour transformer le bois qui contiendra désormais une âme ou
pasupati. L’âme pénètre dans le masque, qui devient vivant, un bois vivant. Une
petite cérémonie a lieu puis j’essaye le masque en me servant du miroir (Kodi
chante). Le dialogue, les gestes … Attendez, je vais dans la chambre. Je danse et je
vais faire la vidéo. (Des invités arrivent chez lui)
I.K.K. — Vous avez encore d’autres questions ?
J.C — Oui, sur taksu.
I.K.K. — On observe un mariage entre la technique, les sentiments, les rituels.
Voici ce que disait le Professeur Dibia : « Pour bien danser, il faut rajouter la force
de l’intérieur ». Il y a les gestes calmes, d’autres sont dynamiques. Les rituels, c’est
parce que danser c’est faire un rappel aux Dieux. On a des cérémonies qui font
partie des rituels. Pas seulement les rituels banten, les offrandes, mais il faut aussi se
rappeler Dieu ou prier les Dieux qui règnent là où l’on est.
A mon avis, taksu vient du mot caksu qui signifie les yeux en sanscrit : c’est la
communication entre les regards des danseurs et ceux des spectateurs. Cela peut se

428
créer si les spectateurs rient quand je fais des plaisanteries, si le public voit que je
suis vieux quand j’interprète un vieux personnage.
C’est la rencontre entre l’objet et le sujet, de là vient le mot caksu : regarder et être
regardé. L’objet et le sujet. Pour un danseur, l’importance, c’est ngunda bayu.
Nguloh veut dire gérer des énergies. On se retient et on s’exprime. C’est important.
Dans les danses balinaises, l’essentiel, ngunda bayu, gérer ses énergies. Car, ce qu’on
appelle la vie c’est la gestion des énergies. Il faut absolument maîtriser la gestion
des énergies quand on danse. Dans le cours de chant, avec Ibu Candri, c’est
pareil : le moment d’inspirer, de retenir, de respirer et donc là aussi de gérer des
énergies.
Un bon danseur, doit d’abord avoir une belle voix. Ensuite, il doit savoir gérer ses
énergies. Pour un chant bas, il doit commencer par une voix haute, pour finir par
la voix basse pour du chant. Il doit commencer par la voix basse s’il doit finit par la
voix haute d’un chant haut. Ibu Candri vous l’a dit. C’est la technique et les
sentiments. Pour moi, c’est ça taksu, la gestion. Pour cela, on prie la nature pour
pouvoir maîtriser la technique et l’âme.
J.C — La dernière question. Est-ce que c’est difficile d’enseigner le masque aux …
I.K.K. — Aux étrangers ?
J.C — Oui.
I.K.K. — Il est plus difficile d’enseigner aux Européens ou aux Américains.
Pourquoi ?
Parce qu’ils ont une culture différente et des physiques différents. Vous, même si
vous êtes européenne, vous avez presque la même taille que les Asiatiques. Il y a
d’autres amis qui sont très grands mais pas vous. Alors pour vous, ce n’est pas trop
difficile. Avec Samir, c’est plus compliqué parce qu’il a la taille européenne, très
grande. Ensuite, la culture pose des problèmes. Il faut que les Européens arrivent à
comprendre la culture afin de sentir l’âme de la danse. Les Balinais ne doivent pas
apprendre la culture puisqu’ils vivent dans leur culture. C’est pour cela, le
problème de la culture et de la taille physique deviennent complexes entre les
Européens, les Américains et les Asiatiques.
Un Européen ou un Américain, s’il était assez grand, cela devient difficile mais
dans c’est le contraire s’il est de la même taille que les Asiatiques. Vous êtes

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comme les Asiatiques, c’est bien, presque comme les Balinais, cela ne pose aucun
problème. Si le danseur est grand, il doit faire un mouvement avec sa taille, mais
en position basse et cela devient difficile. Samir, quant à lui, comme il a un cou
long, il ne bouge pas bien, parce qu’il faut avoir un cou court pour maîtriser les
danses balinaises. Si c’était possible, il faudrait même ne pas avoir de cou pour
exécuter des danses balinaises (rire).
On fait ces gestes-là, soulever ceci, il faut tenir ici, pas seulement ça… (en montrant
les gestes). Cela dit, la taille physique et la culture posent des problèmes. Bon, on
finit notre entretien.
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ENTRETIEN AVEC I MADE DJIMAT


Réalisée à Batuan, le 9 août 2011

Juliana Coelho — Je vous remercie beaucoup de votre temps, Bapak Djimat. Vous
pourriez me dire quand et où vous êtes né ? Puis, quand avez-vous commencé à
apprendre les danses balinaises ?
I Made Djimat — Oui. Mon nom est I Made Djimat. Je suis né le 12 mai en 1948.
J’ai soixante-trois ans maintenant. J’avais quatre ans et demi quand j’ai commencé
à danser. Pourquoi est-ce que j’ai commencé à danser dès l’âge de quatre ans et
demi ? C’est parce que mon père enseignait les danses balinaises. Il donnait des
cours à deux élèves et leur apprenait à danser le baris. Ils ont vécu trois mois chez
moi, ici à Batuan. Ils ne comprenaient pas beaucoup la chorégraphie, pas assez.
Quant à moi, au bout de trois mois, je l’avais maîtrisé. À l’époque, j’avais cinq ans.
Ensuite, j’ai demandé à mon de jouer cette danse avec lui au Pura Dalem Batuan,
précisément à Pura Dalem Alas Arung Batuan. Depuis cela je joue cette danse. À
l’âge de six ans, je suis allé à l’école. De l’âge de six ans jusqu’à l’âge de onze ans je
dansais sur scène dans mon école. Je suis allé à l’école pendant cinq ans puis j’ai
arrêté. Mon école s’appelait SR. Ensuite, j’ai commencé à aider ma mère à
enseigner la danse à ville de Karangasem (aujoud’hui Amlapura). Dans ce village, ma
mère assurait des cours d’arja, celui que l’on appelle prembon. J’enseignais les
danses des garçons telles que Penasar, Wijil, Patih, Jauk (personnages) et la danse de
lepak baris. Tandis que ma mère, elle, enseignait les rôles de Condong, Galuh,

430
Limbur, Desak, Liku (personnages de l’arja). Elle ne savait pas jouer les danses des
garçons, donc, c’est moi qui les enseignais. J’avais onze ans. J’enseignais pendant
deux ans jusqu’à l’âge de treize ans. Après mon mariage, mon père m’apprit le
topeng. Depuis lors, je joue le topeng et le topeng pajegan en 1970. Cela fait quarante
et un an que je joue le topeng pajegan dans les temples. Pour quarante et un ans, je
l’ai dansé seul. Actuellement, de temps en temps, je la danse avec deux ou trois
danseurs. Voilà mes origines. Donc, j’avais appris à danser avec mon père,
notamment le gambuh. Mon père savait danser et peindre.
J.C. — Que réprésente le Topeng keras ?
I.M.D. — Le Topeng keras ressemble au Premier ministre. Il défendrait le roi si le
peuple le contredisait. Il existe également le Topeng tua (le vieux), un autre
caractère du Premier ministre. Si le roi refuse, le Topeng tua vous demande de ne
pas le faire. Son rôle serait de donner des conseils. Le Penasar et la Wijil racontent
des histoires, que l’on nomme badad.
J.C. — Néanmoins, on trouve aussi les histoires contemporaines dans le topeng ?
I.M.D. — Oui contemporaines…
J.C. — Comment les danseurs interprètent-ils ces histoires ?
I.M.D. — D’habitude, le Penasar a d’abord l’air sérieux. Il établit quelques
contacts, mais pas beaucoup, avec les spectateurs. Ce sont plutôt les clowns qui
prennent contact avec les spectateurs. Moi, j’emmène avec moi mes cinq clowns
alors que d’autres personnes, deux ou trois selon les endroits. Ils parlent de la vie
des gens ordinaires.
J.C. — Qu’est-ce que le topeng apporte aux danseurs ?
I.M.D. — Les gestes de danse, son côté contemporain, son côté humoristique et les
sentiments.
J.C. — Qui a fabriqué le masque du touriste ?
I.M.D. — Le créateur du masque de touriste s’appelle Dewa Kebes (I Dewa Putu
Kebes). Sa maison est située près d’ici. C’est lui, le premier créateur du masque du
touriste, c’est un clown également. Il observe les gens, puis il les suit. Ensuite, il
fait les masques de ces gens-là. Lui, c’est un génie.
J.C. — Qu’est-ce est représenté les trois danses introductoires du topeng pajegan ?

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I.M.D. — Pourquoi trois ? Parce qu’à Bali, trois signifient Brahma, Wishnu,
Ishwara : les trois dieux importants. Wishnu représente l’eau, Brahma le feu,
Shiwa le vent. On les appelle Trisakti.
J.C. — Quels est le rôle du Sidhakarya dans la cérémonie ?
I.M.D. — Le Sidhakarya veut dire finir les travaux de tout le monde ; il donne la
révélation, il l’a transmise au dieu, aux dieux. C’est un personnage important, sans
lequel la cérémonie ne peut pas s’achever. Sidha veut dire « finaliser », karya
signifie « travail ». Donc, « finaliser le travail ». C’est le dieu Shiwa qui a donné ce
nom Sidhakarya.
J.C. — Vous assurez des cours de topeng aux étrangers, à beaucoup d’étrangers…
Est-ce difficile pour eux de comprendre le topeng ?
I.M.D. — Le topeng a deux fonctions : la danse et parler du contemporain. Puis, I y
a une troisième fonction : les clown. On peut dire que le Sidhakarya apprend et
qu’il finit son apprentissage. Les danseuses sont des femmes pouvant jouer avec
des spectateurs, des enfants, des personnes âgées. Ce n’est pas une danse sérieuse.
En ce qui concerne le Topeng keras, il est sérieux, il ne joue avec personne. Le
Topeng tua existe en toute sorte de façons. Cela lui permet de jouer avec ses
spectateurs. C’est amusant ! Je propose ce masque aux étrangers : les Européens,
les Américains, les Australiens sont intéressés, puisqu’il a une valeur
contemporaine dedans. Il n’est pas trop rigide, mais on peut jouer avec plein de
sentiments.
Il faut vingt ans pour apprendre le topeng, pas en un an ou deux ans. Il y en a ceux
qui l’apprennent en très peu de temps, mais les sentiments n’y sont pas. Quand
j’avais treize ans, j’ai réalisé que ma voix était moins performante. Ma chorégraphie
était trop rapide. Maintenant, au bout de quarante et un ans, l’âme du gambuh
pénètre dans le corps. J’ai fait le topeng pajegan depuis quarante et un ans, j’ai tant
d’expériences, beaucoup de haut et bas. Il faut que j’apprenne seul en me
regardant devant le miroir, puis je dois créer moi-même des mimiques
accompagnées d’âme. Enseigner, c’est aussi dur. Cela me fait plaisir d’avoir des
élèves intelligents. Si c’est difficile de donner, de transmettre les gestes, ce ne serait
pas facile non plus de les intégrer avec l’âme. Nous, les enseignants, on aime
donner et transmettre.

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J.C. — Monsieur, est-ce qu’il y a une différence entre les Japonais, les Européens et
les Brésiliens ?
I.M.D. — Oui, tout à fait. Les Japonais, les Indiens sont plus faciles à enseigner
puisqu’ils sont Asiatiques. Il est plus rapide d’enseigner aux Asiatiques. Pour les
Européens, c’est plus long. Cristina, une Italienne, elle a appris la danse pendant
douze ans : quatre heures le matin, quatre heures l’après-midi, tous les jours sauf le
dimanche, de 1983 jusqu’à 1995. Elle dormait à Ubud et moi à Batuan. Le matin,
j’allais là-bas et je l’enseignait pendant deux heures. Ensuite, je rentrais déjeuner.
Puis, retour dans l’après-midi à Ubud… Douze ans, ce n’était pas peu, huit heures
par jour (rires). Elle a commencé à apprendre la danse en 1983 et elle l’a arrêtée en
1995.
Pourquoi elle l’a arrêtée ? En 1999, si je ne me trompe pas, on a célébré
l’anniversaire de l’Odin Teatret. Ils voulaient emmener un jeune élève qui n’avait
appris la danse que pendant six ans, de 1993 à 1999. Je lui ai dit qu’il n’était pas
encore mûr. Mon groupe existe depuis 1971. Je l’avais créé ici. On était les plus
forts. Cristina a refusé. Elle voulais que celui qui n’avait appris que pendant six
ans participe aussi. J’ai décidé d’arrêter et j’ai refusé de collaborer avec elle. Il a
demandé au metteur en scène d’aller tout seul et de rejoindre le groupe que j’avais
créé. J’ai eu honte vis-à-vis du groupe ici. Voilà ce qui s’est passé et pourquoi elle a
arrêté ses cours avec moi en 1999. Probablement, elle vous l’a raconté ? Non, pas
encore ? Cristina a appris la danse pendant douze ans avec moi.
À cause de ses gestes durs, Fabianna (Fabianna Melo) a appris le baris et le topeng.
Elle apprécie baris. J’enseigne le baris, le topeng, en commençant par les bases et les
clowns. Je propose cinq clowns : la personne âgée, la personne ivre, le sourd, le
muet, la femme…
J.C. — Qu’est-ce que c’est taksu ?
I.M.D. - Taksu existe à Java. Cela vient de la cérémonie. Pour nous, les
hindouistes, où l’on danse, dans les temples, dans les hôtels, il nous faut des
offrandes. Avant de danser, on prie. Peut-être, on aura taksu ou pas, on ne le sait
pas. C’est Dieu seul qui sait. Taksu vient du Dieu. Quand taksu entre dans notre
corps, on danse et les spectateurs sont contents. Voici ce qu’on appelle taksu : le
contact.

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Comme vous aimez me regarder danser, vous allez aimer apprendre cette danse
avec moi, parce que je suis en taksu. Les Dieux sont déjà entrés dans votre corps et
le mien : c’est cela ce que l’on appelle taksu pour les hindouistes. Peut-être les
Brésiliens ont aussi taksu et savent comment prier. Le Dieu est un, Celui des
Chrétiens, Celui des Musulmans, Celui des Hindouistes, notre Dieu est le même.
Il n’y a pas beaucoup de Dieux, juste Un. « Taksu » vient de nous seul ; on
demande d’aide à Dieu, s’Il souhaite nous l’offrir, « Taksu » viendra. Tout ce qu’on
fait, si cela plaît aux gens, aux spectateurs, autrefois à Venise, en Italie, j’ai dansé
seul devant douze mille spectateurs. Qu’ils étaient ravis et à ce moment-là, « taksu »
y était présent…
J.C. — Monsieur, quelle est la différence entre danser pour les touristes et pour la
cérémonie ?
I.M.D. — Je ne vois pas la différence, tout est pareil. Comme toujours, cela me fait
plaisir de danser avec les touristes, je ne sais pas pour les autres personnes. Avec
vous, vous êtes touristes et moi, je suis danseur, j’aime danser pour vous pour que
vous m’appréciiez en retour. Contrairement à la cérémonie, dès qu’elle commence,
on danse. Je préfère danser avec les touristes, car « taksu » serait présent si les
touristes étaient intéressés par notre danse. Cependant, bien danser me paraît
difficile, et, dans la cérémonie, on n’y trouve pas le plaisir. Aussitôt que la
cérémonie commence, on danse en suivant la cérémonie tandis qu’avec les
touristes, on ne danse que pour eux. On les considère comme Dieu. Là, vous me
regardez danser, pour moi vous êtes Dieu. Je ferais tout pour que Dieu soit
content, c’est tout, c’est plus facile, c’est ça que je préfère (rire). Jamais, je ne me
sens faible pour une performance devant les touristes, au contraire, je sens jaillir
une telle énergie ; pas comme dans la cérémonie. Ma vie, depuis que je suis petit,
je l’ai vécue comme ça, je n’ai pas d’autre activité. Pas comme la plupart des
Balinais qui possèdent une rizière, un jardin, tant de cocotiers, je n’ai pas tout cela.
Je ne faisais que danser avec mon père et ma mère, pas comme mon grand-père qui
travaillait dans la rizière. Mes parents sont des artistes. Moi, je vis avec des parents
danseurs.
I.M.D. — Quand on apprend la danse baris, il faut que le corps se tienne debout
correctement. Pour la danse de baris, il faut que l’on mesure la position en

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fonction de notre taille. Sinon, ce que je fais habituellement, c’est tenir la tête de
mon élève pour qu’elle se tienne bien. Je ne fais pas beaucoup de gestes en tapant
les pieds. I y a beaucoup de techniques à apprendre et celles-ci restent difficiles.
Après, il y a le sens : comment sourire, comment se mettre en colère ou se sentir
embarrassé. Voilà tout ce que j’ai donné comme leçons dans la chorégraphie des
danses classiques. Pour les élèves adultes comme vous, il faut que vous appreniez
ces techniques. Quant aux enfants, juste un peu. J’exige que les élèves adultes
maîtrisent d’abord le ressenti puis la chorégraphie.
J.C. — Comment, quand est-ce que vous représenterez une danse dans la
cérémonie ? Que direz-vous aux danseurs lors du commencement de la cérémonie ?
I.M.D. — Je vous demande de danser sérieusement et sourire à l’intérieur du
cœur. Il faut sourire, même si vous êtes fâché ou triste. Puis, n’oubliez pas le corps.
Avant de danser, vous devez communiquer avec le Dieu de l’art, Shiwa. C’est très
important. Notamment avec les petits élèves, j’insiste beaucoup qu’ils demandent
au Dieu. Moi, j’y suis habitué. Lorsque je danse, je prie. Dieu vous accompagnera,
il vous me suivra. Il vous dira : « vous avez compris, mon grand ? »
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ENTRETIEN AVEC NI NYOMAN CANDRI


Réalisée à Singapadu, le 10 août 2011

Juliana Coelho — Merci Ibu. Tout d’abord, pourriez-vous me dire comment avez-
vous appris à chanter et à danser l’arja. Avec qui avez-vous appris à danser ?
Ni Nyoman Candri — Premièrement, j’ai appris à danser la danse baris avec mon
père à l’âge de sept ans. Pour se positionner bien droit, on pose à plat les pieds - en
balinais, on le nomme agem. La deuxième danse que j’ai apprise, c’est le legong, et
ensuite j’ai appris le rôle de la Condong kraton et le legong kraton. Mon premier
professeur de danse était Made Wase, originaire de Denpasar. Après lui, c’était
Dewa Made Doyotan de Sukawati mon professeur de danse de la Condong
Legong.
Avec mon père, après une représentation de baris, j’ai vu une cérémonie de topeng
pajegan comme celle de Pak Kodi. J’ai appris à chanter après avoir maîtrisé le
legong et baris. C’est mon père qui m’a appris à chanter, la répétition avait lieu

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dans la rivière. On se trempait dans la rivière en chantant à haute voix… On
chantait comme que je vous montre là (elle chante). Tous les jours on s’entraînait
jusqu’au vomissement. Mon père disait « Allez, allez, continue à chanter », jusqu’à
l’épuisement.
L’étape suivante, c’est l’arja. Tous les jours les gens du village venaient voir mon
père pour apprendre cette danse. Mon père passait la nuit ici et j’ai remarqué qu’il
y avait toujours des gens qui dansaient et qui chantaient. J’ai alors rejoint le
groupe d’arja et j’ai aussi participé aux répétitions. J’ai beaucoup dansé l’arja. Tous
les dimanches sur la chaîne de RRI (la chaîne publique de la radio indonésienne), on
entendait une émission d’arja. J’ai demandé au directeur de RRI si je pouvais
travailler là-bas. Ce n’est qu’après l’âge de dix-sept ans que j’ai commencé à
chanter et danser à la RRI. Je suis devenue danseuse d’arja et de calon arang. Tout
d’abord, dans l’arja, j’ai jouais le rôle de Mantri Manis, ensuite
de Condong. Comme je suis petite, Mantri Manis ne me convenait pas. Quand
j’était enfant, j’ai joué la Mantri Manis. Quand j’ai grandi et j’ai des enfants à mon
tour, je suis devenue Condong, celle qui accompagne la princesse. Mon père,
quant à lui, continuait à enseigner le janger dans les villages. Connaissez-vous le
janger ? Ce sont des chants tels Sekar Gadung (elle chante). Voilà ! J’ai suivi les
traces de mon père, et je enseignais le janger dans les villages pour continuer à
transmettre son savoir après sa mort et aussi l’arja et le calon arang. J’ai donc appris
et enseigné en même temps. Tous ces chants viennent de mon père.
J.C. — Quand est-ce que vous avez commencé à représenter l’arja seule ?
N.N.C. — À partir de l’âge de douze ans, je l’ai présenté lors d’un topeng prembon.
Mon père jouait le topeng. J’étais son assistante. Ensuite, j’ai commencé à présenter
l’arja. J’ai parcouru des villages à Singaraja, à Gianyar et à Badung. À l’âge de dix-
sept ans, travaillant à RRI et participant aux émissions, je dansais tous les soirs.
En 1982, j’ai été nommée professeur remarquable à ASTI. J’y assurais des cours
de tembang (chant traditionnel). À la même année, je suis partie au Japon, puis à
New York en 1983 et ainsi de suite. Je continue à apprendre maintenant encore, il
existe tellement de tembang que l’on ne connaît pas. Me voilà, à enseigner et à
apprendre toujours.
J.C. — Pouvez-vous me raconter un peu l’arja, ses personnages, et aussi le prembon ?

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N.N.C. — L’arja est inspiré des histoires de Panji. Il y a d’abord la Condong, puis
Putri, la princesse, comme dans le gambuh. On peut dire Galuh dans l’arja.
Il y a Limbur, la reine, Limur Raja Putri. Il y a les Penasar Punakawan : Punta et
Wijil. Mantri Manis dans l’arja. On trouve Penasar Buduh ou Penasar Mantri
Buduh, que l’on appelle également Mantri Keras. Dans la pièce, il y a le
personnage Liku, le fou. Dans l’arja, on reprend les histoires de Panji. Ce sont les
noms des histoires de Panji. Les disputes y sont présentes : entre Mantri Buduh et
Mantri Manis ou entre autres Galuh et Liku. Dès qu’il y a un problème, une
dispute éclate.
Quand je dansais le topeng prembon, on était toujours trois. Donc, il y a la Penasar
et Wijil, ainsi que le Topeng keras et le Topeng tua. Si le marionnettiste est là, on
danse à deux. Généralement, j’interprétais Mantri, le serviteur tout simplement.
Pour l’histoire de la guerre, j’interprétais le rôle de l’enfant, dans la danse du
topeng Gajah Mada.
J.C. — Gajah Mada ?
N.N.C. — Oui, tout à fait, Gajah Mada. Celui-ci a refusé de reconnaître son
propre enfant qu’il avait eu de la fille de Dukuh Kendang. Cet enfant avait
emporté avec lui un saput en tissu qu’il partageait avec son père. En se servant de
ce tissu, l’enfant est parti à la recherche de son père :
- « Qui es-tu ? »
- « Je suis le fils de Gajah Mada »
Gajah Mada, envahi de la colère, voulut le tuer. L’enfant a aussitôt sorti le tissu.
- « Ce tissu appartient à qui ? »
Gajah Mada se souvint alors du tissu qui formait un tout avec l’autre moitié.
- « C’est toi alors mon véritable enfant ».
C’est ce que l’on nous présentait souvent.
J.C. — Quand avez-vous débuté le wayang ?
N.N.C. — En 1979, la mort de mon père m’a attristé, car je ne savais pas quoi
apprendre, ni où. Finalement, j’au eu envie d’apprendre les marionnettes.
Nyoman Danreng de Sukawati m’a appris les wayang empat, les quatre
marionnettes : Malen, « la voix grave », Merdah, « la petite voix », Dalem, « le fou »,
Sangut, « le malade ». Je n’ai appris que ces quatre types de voix (elle chante).

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D’abord, tous les jours, la voix grave et la petite voix. Ensuite, j’ai commencé à
apprendre à parler des petits mots, des mots doux, des mots durs, sans les
marionnettes. On apprend premièrement à chanter. Après cela, j’ai appris jusqu’à
faire disparaître la voix (elle nous le montre) puis la voix est revenue.
Quand on apprend les wayang empat, les quatre marionnettes, on commence par
Malen. Il ne faut pas que l’on imite ou regarde les gens, mais plutôt notre
professeur. Lorsqu’on apprend la voix de Malen, le regard se fixe et doit se
concentrer vers Malen. Par exemple si on se positionne dans un endroit, et Malen
est placé dans un endroit opposé, notre professeur sera en désaccord. On m’a
appris comme ça. Comment augmenter et baisser la voix jusqu’à ce que je tousse.
Cela gratte ici. On m’a appris à parler et à communiquer après la maîtrise de ces
quatre voix.
Pour résumer, voici les paroles kawi. Ensuite, on nous confie des marionnettes. On
dit singgih quand on adresse la parole aux plus âgés, par exemple (en montrant le
geste). On étend la main vers le haut comme ça (en montrant le geste) entre le grand
frère, la grande sœur et le petit frère-la petite sœur. Avec les marionnettes, les
grandes, voilà les gestes (en montrant le geste). Le père, sa main se dresse vers le bas
(en montrant le geste). Chez les personnes plus âgées, lors qu’elles communiquent,
leurs mains se positionnent vers le haut tandis que chez les personnes plus jeunes,
le corps se courbe comme ceci. Elles se montrent contentes quand les vieux sont
contents. De même, elles imitent les vieux quand ils sourient ou sont accablés.
J.C. — Bien. Dans quelles occasions vous avez joué le wayang kulit ?
N.N.C. — Des personnes m’ont invitée plusieurs fois, pas autant que pour l’arja,
pour animer des cérémonies et à jouer le wayang kulit, parce qu’elles avaient un
vœu ou kaul, un désir d’avoir une fille. Au début, considérant qu’une femme
dalang était encore une nouveauté, on me demandait souvent de faire la
performance sur scène, mais plus maintenant. Presque tous les soirs, jusqu’à
aujourd’hui, je danse l’arja, le topeng prembon et calonarang. En cas de demande,
pour jouer le wayang kulit en Europe, je limite la durée de la représentation à vingt
minutes maximum à cause de mes pieds. Avant, j’arrivais à jouer pendant trois
heures. En fait, je ne suis pas dalang, mais danseuse. Puis, je suis devenue

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professeur de l’arja et de calonarang. Je ne suis pas capable d’assurer des formations
de dalang. La meilleure des dalang reste celle venant de Sukawati.
J.C. — Avez-vous apprécié de danser le topeng avec Cristina ?
N.N.C. — En tant que femme, le topeng me plaît beaucoup, car on peut faire ce
que les hommes font même si le résultat semble décevant.
Malgré tout, on en est très fier. Nous les femmes, on ne veut pas que les hommes
nous surpassent. Si les hommes savent danser le topeng, nous les femmes, on doit
aussi la maîtriser, comme vous par exemple. Avant, cette danse n’était exécutée
que par les hommes. Ce n’est plus le cas à l’heure actuelle.
J.C. — Avez-vous aimé jouer en Europe ?
N.N.C. — Oui, tout à fait. J’ai joué deux fois avec Cristina. Maintenant, à chaque
visite en Europe, je le fais avec Richard puis avec Mangku (I Wayan Bawa), si
Eugenio m’invite. Dans le gambuh (Ur-Hamlet), il y avait le topeng dans laquelle je
tenais le rôle de Wijil avec Mangku. Avec Richard, on danse à trois. Je suis la seule
danseuse. C’est triste parce qu’il n’y a plus Cristina. Chaque année, sa famille
m’invitait à participer à un atelier.
J.C. — Vous avez beaucoup d’étudiants étrangers comme moi et Chelsea. Trouvez-
vous difficile de nous apprendre le chant ?
N.N.C. — À mon avis, ce n’est pas trop difficile. Tu es rapide sauf au niveau de la
prononciation des dialectes en l’occurrence la lettre R. Quant aux chansons,
certains arrivent à imiter la langue des Balinais. D’après mes expériences, tous mes
élèves ont réussi à le faire comme Chelsea et vous, qui avez rapidement tout appris.
Je suis fière de vous.
J.C. — Qu’est-ce qu’il faut pour maîtriser le chant et la danse ?
N.N.C. — Il vous faut un grand cœur et la volonté d’être êtes la meilleure. N’ayez
pas peur. Si on a peur sur scène, les spectateurs nous mettent dans une situation
gênante. Il faut être sûrs de nous. Malgré ma petite taille et mes défauts, je me dis
que je suis belle. On se dit que l’on est belle afin que les spectateurs et nous, les
danseuses, devenions une. C’est se sentir unis avec les joueurs de gamelan, avec
tout le monde, en les rassemblant. L’essentiel est qu’il ne faut pas être timide et ni
avoir peur devant les spectateurs. Quand on est fâché, on se montre très fâché, et
c’est pareil lorsqu’on est triste ou content. C’est le facteur important à maîtriser

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pour devenir la danseuse comme moi. Le visage à présenter varie selon l’humeur
de notre rôle : se sentir belle même si on ne l’est pas, se sentir intelligente même si
on est stupide. C’est cela l’âme d’une danseuse.
J.C. — Qu’est-ce que c’est taksu ?
N.N.C. — Il est difficile de résumer la signification de taksu. Pour moi, taksu est
une « habilité ». Le taksu est présent quand on n’a plus peur, qu’on est imbattable,
intelligent. Il s’en va, quand la peur, le trac, l’impuissance nous envahissent. C’est
une habilité et le courage pour embrasser l’âme des spectateurs. Si, malgré les
efforts, le résultat reste mauvais, cela veut dire que le taksu n’est pas présent, il s’en
va. Il faut faire des efforts : paraître intelligent quand il le faut, sourire si on exige
le sourire, être en colère si on nous le demande. Comme ça, le taksu s’imprègne
dans l’expression de notre sentiment. C’est difficile à expliquer ce qu’est taksu. On
ne sait pas la forme de taksu. Dès que taksu passe, les spectateurs sentent ce que
nous voulons leur transmettre. Si les joueurs de gamelan font une erreur, on
pourrait leur reprocher, mais avec le taksu, on arrive à ne pas se plaindre et les
spectateurs ne voient pas les imperfections. C’est une sorte d’âme. Il en est de
même pour les danseuses, elles ne devraient pas faire de reproches aux joueurs de
gamelan en cas d’erreur. Elles sont amenées à donner des exemples et ensuite à
signaler ces erreurs à l’aide des gestes, une sorte de code. Il est obligatoire pour les
danseuses de maîtriser ces gestes.
Dans le cas du professeur et de ses élèves, le professeur ne va pas se fâcher contre
les élèves qui sont lents. Il faut que le professeur sache comment capter leur
attention. Je ne vous ai pas enseigné la danse de la même façon qu’avec Chelsea.
Dans votre cas, je chercherait une autre méthode si vous n’avez pas compris la
première méthode. Chaque élève a sa propre façon de comprendre, donc cela
influence la méthode d’enseignement. Chaque élève est différent, les enseignants
doivent étudier la psychologie des élèves. On ne doit pas abandonner les élèves qui
sont lents. Il faut étudier la façon d’être d’un individu. Si une méthode échoue
systématiquement, il faut en adopter une autre. Il n’y a pas de mauvais élèves si les
enseignants sont intelligents. L’enseignant doit apprendre aussi. Je ne me suis
jamais fâchée avec les élèves qui sont lents. Je suis patiente si mes petits élèves
comprennent lentement. En communiquant avec eux, en plaisantant, on

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recommence dès le début. Il ne faut pas que l’on soit en colère face à ce type
d’élèves.
J.C. — Vous aimez les danser dans d’autres pays ?
N.N.C. — Oui. Autre fois, je chantais. Je connais les chants et danses de Ur-
Hamlet, ceux du Brésil, d’Augusto, ceux de style mélancolique (elle les chante), ainsi
que ceux d’Inde. Je ne les connais pas par cœur, juste quelques paroles. Quand je
les chantais, il y avait aussi la musique et les accompagnements.
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ENTRETIEN AVEC RUCINA BALLINGER


Réalisée à Peliatan, le 15 juillet 2011

Juliana Coelho — I will start with some questions about how you arrived in Bali.
Why Bali ? What was your experience in dance at the time? You first came here to
dance in 1974...
Rucina Ballinger - Yes, I came here in 1974 to study dance and theatre because I
wanted to be in a country where dance and religion were still very strongly
interrelated. So, when I came I studied with I Nyoman Kakul, a very renowned
topeng and gambuh teacher. I studied those two forms with him. He was Djimat’s
rival. So, I was not allowed to go to Djimat’s house, where Cristina was studying
later. I was here for sixteen months and I also studied with two others teachers:
legong and pejeng with Sang Ayu Ketut Muklin and teruna jaya with Ibu Arini Alit
in Denpasar.
J.C. — And what was your experience in dance before coming here?
R.C. — I started studying dance very late when I was nineteen years old. And I
came when I was twenty-one. And I studied african and flamenco, bharatanatyam,
the indian dance, jazz and modern. For one summer I studied balinese dance and
gamelan. And I was very excited about it. So, I came to Bali to study more. I got a
small grant to study here for sixteen months. It was a part of my undergraduate
degree studies of dance. I thought I would might be here for two years, but finally,
I came for one year and four months.
J.C. — How was Bali at that time?

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R.B. — When I first came Bali was very different then it is now. Very few cars,
Ubud had one telephone, no electricity, and no television. It was much more
“primitive” you could say... We didn’t have lots of roads, definitely very few
restaurants, very few hotels. The tourism industry was just stating, because the
International Airport was built in 1975, when I left. The booming started in the
1980’s. People were more... they were not as concerned with materialism as they
are now. I think now they have to have a car, a motorcycle, a nice house... they
have to have things. And it was not like this before. There was more focus on the
community.
They didn’t have access to television, so they didn’t know how the outside world
lived. I lived in a small hut. I practiced four hours a day, six days a week. I
performed quite a bit around the island with Pak Kakul doing topeng. I was not
that good at it, you know, but it was a fun thing for both of us to do. And
travelling around I met people, all kinds of wonderful Balinese. I would not say
they were not well educated... because there was no access to the outside world.
There was very few access to the outside world, as there were no television or
electricity. People used to hook up the radios to the battery, to the motorcycle
battery. People were much more insular and definitely not focus on money like it
is now.
J.C. — So after studying for that time, when you came back later?
R.B. — I came back again in 1980, to study bahasa indonesia in a advanced
program. I got a grant from Cornelly University to do that. This was for three
months. Then I came to Bali, to study more dance. Then I was back to States for
five years and then I came back in 1985, he was dead. So in 1979 when I finished
graduated school, I got I masters in Asian Studies and Dance ethnology in Hawaii,
University of Hawaii. I moved to Saint Francisco and helped to co-found with ten
people Gamelan Sekar Jaya, which is still going very strong today, thirty and some
years later. And it is a group of Americans how played balinese traditional music
and dance.
J.C. — Could you speak a little bit more about how it was learning with Kakul?
R.B. — Well, studying dance in Bali is very different from studying it in the
western world because here you don’t break it down, you don’t learn the steps first

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and then you put them together to make a dance. You learn the entire dance first
and then you start to work on refining the movements. So it was very difficult for
me to do it because I had to memorize the whole dance and then start working on
the basis. With Kakul what we did actually is the first couple of months I studied
with him, he worked on my legs, on the basic walk. Yes, there were three or four
months, I can’t remember how long, but it was a long time, but even a week would
be a long time for us you know! But just to make sure that I got that foundation in
my legs right. And that’s how they used to teach in those days. But nowadays
everybody wants to learn as many dances as possible so quick! So that gave me a
very good foundation for both baris and topeng. So for topeng I had to learn baris,
the way they dance, and I had to focus on the legs and their position. And I also
studied gambuh with him. And for gambuh it was the whole dance, twenty minutes
and then back, started again from the beginning. Even thought I didn’t know the
movements, it was hard to follow because I was unfamiliar with the vocabulary.
I’ve studied a little bit of legong at the States but only for a few months, I didn’t
had that background.
J.C. — Which characters did you studied in gambuh?
R.B. — I started with Condong or Putri ? (she asks herself) One of those because I
do both. Probably Condong, because my body is much more up to Condong,
keras, strong.
J.C. — And there were others students with you?
R.B. — No. I studied alone. Others students would come to his house, balinese
students. There was one woman, Ana Daniel, who wrote Bali behind the mask and
who was there for a few months. But I had private lessons. We do it in his house
temple because it was the coolest place, as it was summer period. When he had
time because he was still at the rice fields, he was still a rice farmer. And he made
the hairdressers for the baris dancers. I remember that, he did exquisite
hairdressers. He liked fighting cocks, there was three or four grandchildren there.
There were always lots of people there.
J.C. — Did you watch his balinese students practicing?
R.B. — Yes, that’s how one learns too.

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J.C. — Why Djimat and Kakul were rivals? Why there are these fights between the
dancers?
R.B. — The original rivalry I don’t know why. I was just told, “Don’t go to his
house. You are my student.” So, you don’t cross teachers in Bali at all. Even
though I was studying legong with another teacher, but not for topeng. When I
moved to Ubud because I was living in Batuan for a while and then I moved to
Ubud. And at the banjar where I lived, they were having an odalan and they asked:
“Would you dance topeng?” and I asked “What troupe?” and they said “Djimat”.
Then, I said that I had to ask first for permission. So asked Kakul permission:
“May I dance?” and even I was any good, he said, “Make sure people know that
you are my student and not his.” So I did, I danced with Djimat. I don’t know why
they started; I was not interested in why.
J.C. — Still today there are this rivalry...
R.B. — Yes. Although Cristina tried to eradicate with that by having this one
dance troupe in Batuan. But one by one, they are different families, they dropped
out. Political and personal politics.
J.C. — What was the most difficult in learning the dance?
R.B. — Remembering the choreography it was always a problem for me in any
dance that I did. But probably it is not so much the movements because the
movements I can imitate and do fairly well. I think that is trying to capture the
feeling and the expression in the face, how you express the essence of the dance
just through your eyes and through your mouth without a lot of facial expression.
In the beginning I think that was pretty hard also because I was still young. And
trying to internalise that and externalise it. The older I got, I think more mature
my dance became.
J.C. — How did you learned this?
R.B. — Kakul very definitely gave instructions. He talked a lot about the breath,
how we breathe when you move. I had my legong teacher, because I studied with
her four hours a day and she was brilliant. She never had a western student before,
she taught for Balinese. So she saw that my focus was wrong she would chase me
around the Bali banjar, literally, and she hited me with a little grow: “You’re
thinking about your boyfriend, you’re thinking about shopping! You’re not

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focusing on the dance”. But it was four hours of dancing ! So, that helped. So you
know, I had to focus on, that was may meditation, this focus on learning the steps
and internalising what I was learning. I learned a lot by watching classes, by
watching performances, but I definitely learned the most by being taught.
Especially one-a-one in everyday class.
J.C. — Did you see foreigner people having classes?
R.B. — A little bit but not so much. When I first came here there was Ma sang in
My legong teacher, because I studied with her for a year. And there was one woman
and we studied together. There were people that came, but they were not that
serious, they came for a few weeks or a month, not a long term. Mainly, when I
saw lessons, I saw Balinese being taught.
J.C. — Ok, I would ask what you think is most difficult for a foreigner to learn...
R.B. — The feeling, the feeling. And there are certain movements that are difficult
to people to get: the little shoulders, the shakes ... but it’s the feeling. The Balinese
says that too, the Japanese are better in perfecting the movements then Caucasian
are, but the feelingness is something lost there. So when Sekar Jaya performed
against Sekar Djepun, which is a Japanese gamelan group, it was so funny because
the Japanese came out and they are all very tidy, even the girls had a udangan, they
were just exactly... They were so precise and the dancers came out and they were so
precise... but the feelingness is different. And when Sekar Jaya came out and their
clothes are like this, you know, Americans. And the dancing was, you know, a little
bit odd ... but the feelingness was there. There was more than ... Maybe because
Sekar Jaya have been together for so long, well Sekar Djepun as well... but it’s a
cultural thing. But Japanese have... I mean they’re some amazing japanese dancers
and musicians, and they have taksu, they have this special something in it. But
sometimes it is just so precise that sometimes it loses that feeling inside, that
spontaneity.
J.C. — And how you define what is taksu?
R.B. — Taksu is something that you ... tasku is very difficult to define. But you can
say it is a spiritual charisma, it is something that you get from God. The Balinese
would say from the higher source and it able you to do your art in a way that
attracts lots of people. So it is like a magnet. You can lose it for a night, you can

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lose it for a year, you can lose it forever. And we all know as artists that we have off
nights and on nights where we are really good that we’ve got our taksu. Painters
can have taksu. Most art forms can have taksu. Some people argue that whatever
you do in your job if you are really good at your job then you have taksu, like a taxi
driver, something like that. But I don’t agree with that. I think that it has to do
mainly with arts and healers. Healers and doctors can have taksu, they can have
something in their hands that heals people. And you can have dancers who are
beautiful and very precise but they are boring to watch. Because they don’t have
that live spirit. And then you can have people that their technique isn’t very good
but they bring something to the stage. You sit and you mesmerize, it’s like a
magnet. You want to watch then. And that’s what tasku does. It compels the
audience to want to watch you. And all balinese audience you know they talk to
each other, they feel asleep and when you are really good and really funny and
really on people will pay attention
J.C. — Which masks you danced in topeng?
R.B. — Topeng keras.
J.C. — And what about the Bondres?
R.B. — I did Bondres once in the seventies and Kakul told me, he said “You have
to do a Bondres.” And on my langage, I didn’t speak balinese very well then. I
spoke indonesien but I didn’t know the history, so I was scared to death. And I
did the Topeng keras, it was for a wedding in Batuan I still remember very clearly.
He just gave me a mask, I put it on even without looking what it looked liked and
he said: “Go for ask for oleh-oleh. Go ask for presence. » And it was a history when
a shipbrak of Bali and the king of Bali was being swed by the Chinese honnor
because of the boat it was capticing in Sanur. Everything that capcises they can
take it home. So there was a fight between the Duchts and the balinese. I was one
of the villagers that wanted to get my share. I didn’t do very well and then his son
that was dancing, told me to go out of stage. And the next day the people in the
village said: “Your Topeng keras is very good, but don’t do the clown work.” And
now I’am a clown. It’s taken many years but now the humour comes out. But I
don’t do it with the topeng, I do with others masks, so it is a little bit different. I
studied Topeng tua and I studied Topeng dalem but what rasonated most with me

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was Topeng keras. When Cristina and I started with the Topeng Shakti group I
did a couple of Topeng keras and Topeng keras lucu, the funny mounth.
J.C. — Why Topeng keras ? Is it due to your body type or special quality?
R.B. — I was told. Kakul said that’s what you have to learn. And you do what your
teachers tolds you. I went to Kakul because he was the teacher of my teacher in the
States. He just looked to me and said “strong male”. So I started with baris and
then I started doing topeng. I had no acting experience before I came here I did
dance but no acting experience ever. So it was a whole new thing to do that. Now I
fell more comfortable but it is still not more the movement when I’m speaking.
Except when I do the comedy.
J.C. — And how it was the topeng with Cristina, the Topeng Shakti?
R.B. — Topeng shakti it was interesting because Ibu Ari Ini that was my legong
teacher at the end of the last mileniun said to me: “Would it be cool to have one
all women topeng group?” She isn’t exactly a topeng dancer, but she can do
anything. I thought about that. I said “yes” and Cristina was already doing topeng.
So, I brooded up to her and ... « Yeah, yeha I want to do that too. There was a
women... so we talked about it and then we got Candri involved and Cok Agung
and .... was three and it was the five rest. I only performed with then once. It is
very hard to get women together in a big group because of rehearsal because there
are the ceremonies, their children get sick and the husbands were not there and
so. And rehearsal ... just seconds. For it’s not a big deal, but other people come
faraway so it is difficult and then I wrapped down. Cristina continued and took it
to Europe. And it was not my thing in that point, it was ten or fifteen years ago, I
was already middle aged ... Cristina was older than I but she had a much stronger
body. I haven’t doing topeng since Topeng Shakti. And I don’t think I will do it
anymore. The mask, you know because you practice with it, it is the breathing that
is so difficult... I like to do my comedy now.
J.C. — And you still practice the other dances a little bit?
R.B. — A little bit, not much.
J.C. — You’re concentrated on clowning. As I told you, I didn’t understand very
well but I saw the audience was really connected and involved with the
performance...

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R.B. — Yes I love make people laugh.
J.C. — Why you decided to settle down in Bali?
R.B. — I came here in 1985 to run abroad in a Program, that’s how I met my
husband. I was working here, I had a nice job, I nice husband and I said “Why not
?". I like it better, I like the weather, it’s hot. I like hot weather.
J.C. — So for all these almost forty years that you are here. What you observe that
most changed in balinese dance?
R.B. — Over those forty years? When I first came there was much little
contemporary dance going on. It was all the traditional dance. People were
breaking up the mould until the eighty’s. And in the 80’s they started doing, well
this began in the sixty’s, but the modern dances started at the eighty’s and tourism
was getting very big, so I think that would be easy to people to memorize and to do
and to perform for the tourists. And they lat. They didn’t have any spirit. So, if
they were being a bird, there wasn’t essence in those dances, the dances today lack
whatever you want to call it tasku, I don’t know what you want to call it. But they
are simpler in their choreography. They’re light, they’re light dancers, they are not
grounded. There are lots of dances now that are being done that I see in the
temple ceremonies and I had no idea how they call then, I don’t know their names
because they are brand knew. They do it for their exams at the University, at ISI.
Even in Peliatan there is a choreographer that does very, very modern dances
taking elements from the traditional costumes and they have a gamelan and the
movements are a little bit modern… it doesn’t work. For me it doesn’t work. Very
few fusion whether it came from Westerns doing the Balinese… it’s very hard to
have something that works and it doesn’t look like sticking “here there is a little of
Bali, here a little bit of samba or here is a little bit of whatever”. They are not really
integrated. People mix things with what they see at the television or maybe they
went abroad perform traditional dance and they see modern dance. But modern
dance in the West came out as a rebellion against ballet, they came out to express
their emotions which we don’t do in this culture. It is not important in the Arts
really to express your emotions… Traditionally. Nowadays it’s changing. But there
isn’t very much of the contemporary stuff that is really wow! But it’s still new, still
a infant. For me it is the classical that still holds the appeal. Cristina was much

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more … She thought that even legong, which was turned 50 years old, was not
classical enough for her. She liked the gambuh and the topeng only. But I enjoy
some of the dances, I enjoy. But the most part I prefer to watch the older dances
forms because they seam to have … they’re carried on the values of people that
come before, the ancestral. There are some values… attitude towards women for
example, attitude about cast I don’t like but those things can be changed in topeng,
you can modernize the clowning part, the social criticism, you can modernize that.
J.C. — Talking about topeng, there is a question that I didn’t make before… How it
was for a woman to dance it?
R.B. — It was ok for a foreigner woman, it was not all right for a Balinese. When I
studied Kakul had taught two of his nieces baris and they were ten or eleven years
old and his taught his daughter the Topeng dalem and male roles. But his was a
quite pioneer on that because in the seventies nobody did that. Sukarno’s
daughter came and studied Rangda, they were doing a calonarang I think. People
really got upset about that, a woman studying Rangda. And then she got very, very
sick. She got crazy for a while, she had to break down and she got very sick, so she
couldn’t do the Rangda. So people attribute that because she’s a woman. But I
think that even today, there is a couple of topeng troupes, not just Topeng Shakti,
all women. I think they’re tolerated, I don’t know how much they are encouraged.
So people said “All it’s ok that’s a women topeng group” and it is always not that
nice. But let’s not encourage other women to do topeng. I don’t see that.
J.C. — Why ?
R.B. — Because it’s women doing strong male roles and I think that threatens the
social fabric and doing something that is the male realm and they want to keep
that men doing that, not having women approaching that.
J.C. — What good dancers you can see in Bali today?
R.B. — A good dancer must have a good technique. One of the things that I
noticed in the dancers that dances in the tourist’s performances and of course they
perform also in temple ceremonies, they don’t go low enough. It’s the tenggah, they
don’t go low enough with their plié. It’s difficult so they don’t do that. I have a
expression to call that it’s the “brushing your teeth syndrome”. So you have
dancers that dances like: “Oh ok it’s like brushing my teeth”, because you’re

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dancing for tourists and they don’t understand the dance and it doesn’t matter if I
do well. The thing is that I feel that if you can you should try to dance for the gods
and you’re doing it not for money, not for the dollars, not for the glory, not for
fame but for God. So you want to do your best. So you can’t think about your
boyfriend, on shopping, whatever. I should be really present. That’s the difference
when you have somebody dancing for tourists and then they dance this exact
dance at night at the temple and because of context, the attitude must change. But
dancing once a week for tourists and then you put this same dance in a temple
context you may forget and dance like you dance for the tourists because you’re so
used to not dancing full. Does it make sense?
J.C. — Yes. And for you what makes a good dancer?
R.B. — You have to have a good technique, a good foundation. You have to have a
good interaction with the higher power, if call it God or whatever you call it, and
with the audience. And you have to be able internalize the essence of the dance
and be able to express that and that’s the hardest. It’s easier to learn technique and
it’s to learn a feeling. And it is hard for teachers to say how to express a feeling in
dance. Does it make sense?
J.C. — Yes, of course! And are you optimist towards the future of balinese dance ?
R.B. — I think that because there are still so many young people that love it and
enjoy it. The motivation may be not the purest money. You know ? “I want to go
abroad" and “I want to be discovered". But I think everybody, even in the West, if
you’re a performeur you want to be discovered, you want to travel. So what’s
wrong with that? But if you forget what the origins of the dance are, that they’re
sacred and they’re meant to be done for the ancestrals, for the Gods, then you lost
it. You lost the essence of the dance. But I see lots of young people, everywhere I
go, still doing it. And in one way it is as strong then it was in the seventies, but this
old new generation that’s doing modern, more modern dance. They studied the
traditional and now they’re doing the contemporary so they’re exploring how to
express themselves in a different way. But they still go back to the roots.
J.C. — You constantly talking about the feeling of the dance and the essence of the
dance. Do you think that this feeling can be reached by a foreigner and done
abroad?

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R.B. — No, a hundred percent no, I don’t think so. And I know that very Balinese
says: “They dance like a Balinese but…” there’s always that “but”. Even thought
I’m included in that… I would love to say: “Yes, she has captured the feeling bla,
bla, bla …” But there’s and probably always be a but. And there are lots of articles
in the paper where they say when one here wants to study dance in twenty years,
we’ll have go to Japan. Because that teaching in Japan and we’ll lost it so we’ll have
to go to Japan to study that. They are being funny but they are also giving a
warning: our children need to continue to perpetuating traditional arts and not
just go towards modern. And it is hard because everybody wants to be doing this,
and that (she makes the mimic of modern dance movements) you know and they want to
be modern, so it’s hard. I think it is hard for that younger generation to
understand the value of their traditional culture. When they go abroad and they
stay some years and then they will see other people who appreciate. And maybe
they’ll come back with fresh eyes and understanding a little bit better.
J.C. — In all these years in Bali how they changed the way how you feel art ? What
them gave to you in terms of understanding?
R.B. — Before I dance, before I perform, even with the comedy group, I pray. I
pray in my marerajan, in my temple. And in backstage I pray and I ask for task, this
power that can please the audience as well what I say that I want to please the
audience, I want please the gods and I want to make my family proud, my balinese
family proud. So whether it’s dong a comedy, whether I’m doing balinese dance
and it’s not the arrogant being proud but I don’t want to disappoint. So that’s my
feeling. And I think that those people that are most in touch with their spiritual
centre give much better performances. It’s a kind of meditation.
J.C. — Now you are completely integrated in the balinese culture but when you
feel in-between, between your own culture and the culture you adopted?
R.B. — I’m trying to think when I feel and when I don’t feel that because I feel a
kind in the middle a lot! Because I grow up as an American, let’s say 30 years of
my adult life… there are still so many things that are so western in my attitude.
Certain things that frustrated me about the culture here just because it’s not my
culture. It doesn’t mean it’s better or worst, it’s just not my culture, my original
culture. When I’m on stage I’m completely integrated with the Balinese. But I’m

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moving in many different worlds. I have a professional world that I work in with
Balinese and with Indonesians but it’s a modern world, it’s a western office.
There’s the world of the village and I can be completely integrated but then I talk
to women that never went to school, that don’t know how to read or write and I
have to be able to communicate with then and see what they talk about. And it
makes you see things in a different perspective: Do we have to talk about the world
news? Do we have opinions on everything ? Maybe it is just more easier to go to
your rice field and plant you rice and feed your kids and educate them… just have
a life like that. The Western’s mind is much more complicated, many questions,
too much analyzing all the time. Then you’re not happy because you’re analyzing
all the time. But I’m often bridging the two worlds. I’m married in the culture so
my husband and I, we’re constantly asking ourselves: How do we raise our
children? What values do we give them? I’m right, you’re right… you know… I
would not say it is a battle, but it is a constant dialogue.
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ENTRETIEN AVEC EUGENIO BARBA


Réalisé à Hostelbro, au Denmark, le 11 avril 2012

Juliana Coelho — Eugenio, merci d’accepter cet entretien, merci de me recevoir


ici. J’ai beaucoup de questions à vous poser, concernant votre expérience avec les
Balinais, avec la culture balinaise. J’aimerais commencer en vous demandant
quelle est la première fois que vous avez eu un contact avec la culture balinaise.
Qu’est-ce qui vous a poussé à aller à Bali, et qu’est-ce qui vous a plus marqué lors
de vos premiers contacts ?
Eugenio Barba — Pour comprendre toute ma relation avec le théâtre d’Asie, on
doit connaître ma biographie professionnelle. Quand j’ai commencé, je suis allé à
une école théâtrale à Varsovie dans les années soixante. En ce temps-là, il n’existait
pas en Europe d’autre culture théâtrale, d’autre théâtre, que le théâtre qui
présentait des pièces, parfois financé par l’État, par la municipalité, ou ce que l’on
appelait commercial, mais qui était de grande qualité, par exemple, Dario Fo. À
côté de cela, il y avait surgi une autre culture théâtrale, qui en partie s’opposait à ce
panorama théâtral, mais dont la révolte était alimentée, nourrie, par les écrivains

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de théâtre. C’était des écrivains comme Ionesco, Beckett, Adamov, Stanisław
Ignacy Witkiewicz en Pologne, Pinter en Angleterre. Les pièces étaient écrites
d’une manière telle que le jeu comme pratiqué dans le théâtre normal ne pouvait
pas être utilisé. Donc, ce sont les auteurs qui commencent à créer quelque chose
que l’on appelle l’avant-garde. C’est dans cette période que je commence à étudier
le théâtre, avec ces références. Quand je termine mes études en Pologne, je
commence, et je ne trouve pas de travail dans ce monde théâtral. Je suis obligé de
travailler avec des amateurs et je commence l’Odin théâtre. C’est un théâtre qui
commence comme un théâtre d’amateurs. Mon point de référence était toute la
grande réforme, qui était un grand mouvement théâtral, qui s’est déclenché en
Europe dans les premières vingt-cinq années du vingtième siècle, avec Stanislavski,
Gordon Craig, Appia, Meyerhold et Copeau, la première génération. Une seconde
génération avec Artaud et Brecht, et qui se termine avec la prise de pouvoir du
nazisme et du stalinisme.
Toutes ces grandes révoltes, ces réformes théâtrales, ont disparu de la culture
européenne, française, etc. En Russie aussi à cause du stalinisme. Mais en Pologne,
cette tradition est restée très vivante. Et c’est là que sont mes points de référence,
c’est-à-dire, les personnes que j’ai mentionnées : Stanislavski, Meyerhold. Tous les
grands metteurs en scène des années 20 en Russie : Eisenstein, Varkhtangov,
Tchecov. Je commence l’Odin Teatret. Cela est mon inspiration : les livres, les
photos que je peux trouver dans les livres. Il y a très peu d’information surtout sur
les Russes qui ont été bannis par le stalinisme. Il faut bien comprendre la situation
politique. Nous sommes dans les années soixante, avec la guerre froide en Europe.
Et mon second point de référence devient les acteurs asiatiques. Je connaisais très
peu, car il n’y avait pas beaucoup d’information. Il n’y avait pas beaucoup de
littérature en ce temps-là et le peu que j’ai pu recueillir, c’était en lisant des livres,
des informations. Par exemple sur Mei Lanfang, un grand acteur chinois, c’est
parce que Eisenstein avait écrit des articles très intéressants sur lui. Et c’est ce
noyau de littérature très modeste, très limité qui m’aide à imaginer un acteur
asiatique qui soit capable de fasciner, de charmer le spectateur.
J’avais fait une expérience en 63, j’étais allé en Inde, et j’avais littéralement
découvert le kathakali que personne ne connaissait. Là, j’ai fait cette étrange

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expérience. Je ne comprenais pas la langue, je ne comprenais pas les conventions,
tous les thèmes qu’ils traitaient dans leurs spectacles ne m’intéressaient pas, c’était
religieux, etc. Mais quand même, pendant de longues parties de ces spectacles, qui
duraient toute la nuit, j’étais très pris par ce qui se passait. Ma question était :
comment est il possible que cet acteur dont l’histoire qu’il me raconte ne
m’intéresse pas, j’ignore toutes les conventions de son jeu, mais quand même, il
me touche ?
C’est de là que je continue en éduquant mes acteurs. Je suis obligé d’éduquer mes
acteurs, ces jeunes qui avaient été refusés à l’école théâtrale. Avec eux, on se
demandait ensemble comment un acteur du théâtre noh pouvait bouger, comment
un acteur du kabuki. Et aussi Bali. Bali, en partie à cause d’Artaud, mais aussi
parce qu’il y avait Margaret Mead et Bateson, deux grands anthropologues qui
avaient écrit des articles sur Bali, ce qui m’avait beaucoup frappé.
J’ai eu l’occasion d’aller à Bali en 1973. J’y suis allé avec un ami qui était un
professeur à l’Université de Rome, Ferruccio Marotti, et ensemble, nous avons
commencé à voir beaucoup de spectacles. Ensuite, nous avons ensemble bâti un
centre à Bali. L’Université de Rome l’a payé et moi j’étais une espèce de conseiller
artistique. Et à partir de ce moment-là, je suis retourné régulièrement à Bali. En
1976 déjà, je commençais à inviter des familles dans différentes situations de
rencontre, surtout d’échanges pédagogiques. En 1976, c’était la famille Bandem, et
ensuite c’était la famille des Tempo d’un notre village de Bali, et ensuite il y a eu I
Made Dimat, jusqu’à maintenant. Donc celle-là a été ma première relation avec
Bali.
J.C. — Qu’est-ce qui vous a spécifiquement attiré à Bali ?
E.B. — Tout d’abord, certaines formes de spectacles balinais sont pour moi comme
des exemples parfaits de ce que c’est la dramaturgie organique de l’acteur. Ce sont
des danses en réalité. Mais la manière dont tout le corps est décomposé dans des
parties en exprimant des tensions différentes, c’est une espèce d’orchestration de
différentes parties du corps. Cela est vraiment très intéressant, fascinant, et une
espèce de point de référence quand on travaille sur un processus d’apprentissage
qui essaie de retrouver dans le corps de l’acteur des possibilités de détruire les
réflexes conditionnés d’une culture.

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J.C. — En quoi les Balinais vous ont appris…
E.B. — Ils ne m’ont pas appris, parce que tout cela, c’est une espèce d’observation.
La question est la suivante : c’est évident que quand je vois le ballet classique,
quand je vois le baris balinais, quand je vois une danse du théâtre noh, ou une
partie d’un spectacle de noh, en quoi peuvent elles m’aider, moi, en tant que
metteur en scène ou acteur occidentaux ? Elles ne peuvent pas m’aider. Elles
peuvent m’inspirer. Mais concrètement, soit je les copie, donc je deviens un acteur
de noh, ou bien je ne peux rien faire de tout cela. Et c’est pour cela que l’on ne
peut pas utiliser les acteurs qui travaillent dans une autre convention. Parce que ce
n’est pas un problème de culture ici. Au théâtre, il y a deux conventions
seulement. Dans tout le monde, dans toutes les époques, il a toujours existé deux
conventions.
Une convention qui a toujours été la convention dominante jusqu’au vingtième
siècle : c’est la convention que le corps est artificialisé, rendu artificiel, ce que l’on
appelle la stylisation. Alors, le ballet classique, la commedia dell’arte, tout le théâtre
classique d’Asie et même ici jusqu’au début du vingtième siècle il y avait une très
forte stylisation, c’est-à-dire une espèce d’artificialité, aussi bien dans la manière de
parler, que dans la manière de se comporter sur scène. Avec la véritable révolution
d’un amateur, c’est-à-dire d’Antoine, qui prend des amateurs et les fait, dans son
théâtre libre à Paris, se comporter d’une manière, soit distante naturelle, c’est-à-
dire de ne pas utiliser la convention de la stylisation. Alors s’ouvre une autre
manière d’être sur scène, qui est immédiatement reprise par le spectacle qui
devient le spectacle central du vingtième siècle : le cinéma. C’est à dire la
convention de l’acteur de cinéma ne peut pas être stylisée, mais doit être une
convention de la vraisemblance du comportement de la vie quotidienne. Ce
comportement de la vraisemblance est celui qui domine partout au cours du
vingtième siècle. Il y a très peu de lieux de théâtre, de metteurs en scène,
d’ensembles qui utilisent une convention stylisée, car cela prend beaucoup de
temps à apprendre. C’est un peu comme le ballet classique. Pour apprendre le
ballet classique, on doit y passer plusieurs années. La même chose pour un acteur
noh, pour un acteur kathakali, un acteur de Bali, des années et des années.

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Tandis que toute la manière moderne du théâtre contemporain pour l’acteur, pas
seulement à l’Odin, mais dans tout le monde, c’est d’inventer son propre langage
artistique sur scène, mais dans la convention de la ressemblance. Donc, les acteurs
balinais, quand je les vois, ils ne m’apprennent rien, parce que ce n’est pas cette
convention. Mes acteurs ont bâti leur propre convention. L’Odin Théâtre c’est un
des rares théâtres en Europe qui joue de manière très stylisée. Mais, c’est une
stylisation qui n’appartient pas à un genre, comme au kathakali, ou au kabuki, mais
c’est une stylisation très personnelle de chacun des acteurs. Donc, je ne suis pas
intéressé à faire apprendre à mes acteurs le baris. Ce qui m’intéresse, c’est de voir
comment l’acteur balinais est capable de danser, de chanter, de jouer des
instruments et de réciter des pièces. C’est cela l’inspiration : est-il possible d’avoir
un acteur qui n’est pas spécialisé en rien ? C’est-à-dire seulement spécialisé à être
danseur, dans la danse classique ou la danse moderne, ou alors, dans le chant ou
dans la voix, comme les chanteurs d’opéra, ou dans l’interprétation des textes ?
Donc, on peut dire que cela c’était très inspirant, de rencontrer des acteurs qui
avaient cette énorme panoplie, c’est éventail de possibilités, qui les faisaient passer
d’un genre spectaculaire à l’autre, qui en Europe sont divisés, séparés. C’est là
qu’était la grande inspiration. En plus, la grande inspiration c’est de voir la force
des signes physiques que les acteurs du théâtre noh, des théâtres asiatiques, étaient
capables de bâtir.
J.C. — Je pensais que la façon dont l’Odin travaillait depuis ces années était
beaucoup inspirée de l’Asie dans le sens de création d’un répertoire de, comment
dire… La façon dont je vois les comédiens démontrer leur travail, cela ressemble
énormément à la façon dont travaillent les acteurs balinais, par exemple. D’avoir
un répertoire et je pensais que cette manière était inspirée de l’Asie aussi...
E.B. — Tout le théâtre asiatique, tout, a un répertoire que la tradition passe à une
nouvelle génération. Ils apprennent un répertoire. Un acteur noh n’a pas
d’entrainement, un acteur noh apprend des pièces. La même chose dans le théâtre
kabuki, dans l’Opéra de Pékin, dans le théâtre balinais aussi. Il y a des danses et on
doit simplement apprendre ces danses. Alors, c’est tout à fait le contraire de
l’Odin Teatret. À l’Odin Teatret chacun doit bâtir en premier son propre
apprentissage. L’apprentissage, l’entrainement, le training, c’est une manière de

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travailler sur soi-même sans se spécialiser. Comment changer le principe de cet
entrainement d’une manière que cela puisse durer toute la vie.
Tandis qu’en général, l’entrainement est considéré comme une période qui dure
quelques années quand on est jeune. Le cas unique dans l’histoire du théâtre du
XXe siècle c’est qu’il y a des acteurs qui pendant 48 ans, régulièrement, ont
continué a faire un entrainement qui ne consiste pas à faire des exercices, c’est au
début qu’ils faisaient des exercices. Ensuite tout cela a changé. Si l’on étudie le
processus personnel de chaque acteur ici, pour ce qui concerne le training, c’est très
différent dans les différentes phases jusqu’au training bâtir un spectacle entier tout
seul. Ensuite, on présente au metteur en scène. Donc, tout cela est très, très
différent de l’Asie. En plus, les acteurs asiatiques doivent suivre les règles et la
structure, les partitions de spectacle qu’ils apprennent, tandis qu’à l’Odin Teatret
c’est tout à fait le contraire. Le moment fondamental est celui de la création d’un
nouveau spectacle. On doit inventer toute une série de nouveaux signes, de
nouvelles partitions, etc. Donc, c’est exactement à l’opposé.
J.C. — Mais dans les démonstrations de travail, au fur à mesure de les présenter
pendant tellement d’années, avec des changements bien sûr, j’ai l’impression que
les comédiens ont quand même presque un répertoire propre...
E.B. — C’est un répertoire propre qui ne va pas être passé à une nouvelle
génération.
J.C. — Oui, il n’est pas lié à une tradition, mais c’est un modus répertoire.
E.B. — Mais tous les théâtres de la grande réforme, en Pologne, quand j’ai travaillé
là-bas, ils avaient tous des répertoires, des pièces, cinq, six, huit pièces que les
mêmes acteurs étaient capables de faire. C’est l’histoire du Berliner ensemble. C’est
justement la grande vision de Stanislavski d’avoir un ensemble fixe qui reste et qui
bat un répertoire jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à aujourd’hui, on met en scène des
pièces mises en scène par Stanislavski avec de nouveaux acteurs. C’est tout à fait
différent. Les acteurs de l’Odin vont voir des acteurs asiatiques pour la première
fois dans les années 70, dix ans après la fondation de l’Odin. Ils ont déjà leur
propre style, c’était un style qui déchaine des années 79. Dans les années 70, il y a
toute une vague d’imitation de ce que l’Odin avait construit par sa manière
autodidacte et qui n’a rien à avoir avec le théâtre asiatique. Tu confonds deux

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choses. Tu confonds cette espèce de grande maitrise, de grande connaissance
technique, en disant « Ah oui, j’ai vu des maîtres asiatiques qui sont venus et qui
ont fait des démonstrations de travail, ils sont capables de faire cela. ». Tiens
présent que la démonstration de travail est une invention de l’Odin Teatret, qu’il
a passé aux Asiatiques. Tous les Asiatiques qui font des démonstrations de travail
aujourd’hui sont des années 70. Quand ils venaient on les demandait de faire une
démonstration de travail. Certains entre eux ne voulaient pas le faire. Et moi, j’ai
travaillé seulement avec ceux qui acceptaient de faire ce que... c’était
complètement inconcevable. Tiens présent que les Européens, par exemple... J’ai
demandé à beaucoup de monde, à des actrices très connues, à des acteurs très
connus. En Europe, ils ont toujours refusé parce qu’ils disaient : « Ah non, cela
c’est quelque chose que nous appartient. C’est le secret, ce n’est pas intéressant,
c’est banal. Souvent, le spectateur ne comprend pas. » C’est très intéressant de voir
comment en Occident et en Orient, les acteurs n’avaient pas envie de faire tout
cela. Maintenant, c’est devenu beaucoup plus normal. Tu vas en Amérique Latine,
tous les groupes de théâtre font de démonstrations de travail.
J.C. — Surtout des groupes de théâtre qui ont été influencés par vous, par l’Odin...
E.B. — Pas seulement. Mais le jeune qui voit un groupe comme le Lume ou le
Didaskali, dont les acteurs font des démonstrations de travail très intéressantes,
extraordinaires. Évidemment, qu’ils sont inspirés, eux aussi, à arriver à une
certaine phase de leur développement de se dire « Ah, moi j’ai travaillé de cette
manière-ci. ». C’est compréhensible. Mais, tout cela surgit par des chemins qui
n’ont rien à avoir avec l’Asie, qui sont typiquement occidentaux. Il y a un article
qui s’appelle, c’est en espagnol, vous pouvez demander à Valentina, qui s’appelle
« La danse de l’algèbre et du feu ». Là, je parle des démonstrations de travail.
J.C. — La danse balinaise est dans un cadre religieux, très complexe. Est-ce que
vous considérez cet aspect dans vos recherches ?
E.B. — Là, il faut parler en connaissance de cause. Tu es brésilienne. Tout le
monde sait qu’est-ce que c’est la samba. Au Brésil, elle surgit des rythmes qui
étaient dans les terreiros. Quand on laisse le terreiro religieux du candomblé et on les
amène dehors, les rythmes changent se transforment avec tout un autre caractère
et finalité. Tandis que le même quand on le fait dans le terreiros religieux du

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candomblé, ils ont une autre fonction. La danse afro-brésilienne, d’où vient-elle ?
Les danses des Orixas, des divinités du candomblé, que certains chorégraphes des
années 1950, de Rio, qui sont allés à Salvador. Ils ont commencé à prendre les
danses des Orixas, à les retravailler et à construire ce qu’aujourd’hui est considéré
au Brésil le style afro-brésilien de la danse. Tu as des danseurs qui sont liés au
candomblé qui quand ils vont au terreiro, ils sont des ogans, des officiants. C’est lui
qui domine partout.
Il y a très peu de lieux, des théâtres, des metteurs en scène, des ensembles qui
utilisent une convention qui a surgi dans le contexte de la cour de rajas. Ensuite,
les mêmes danses qui ont une finalité pour entretenir les rajas, l’aristocratie, les
riches... elles sont utilisées dans les cérémonies religieuses. Ce sont les mêmes
spectacles. Dans les spectacles des villages, les mêmes spectacles sont présentés aux
touristes aux hôtels. Moi, j’ai vu des spectacles d’une même troupe : la matinée
dans un temple et dans au soir dans un hôtel, le même spectacle. La différence est
que celui de l’hôtel était beaucoup mieux, car parmi les spectateurs il y avait
quelqu’un qui engageait la troupe. Donc, la troupe était très motivée pour montrer
qu’ils dansaient très bien.
J.C. — J’ai eu l’expérience inverse à Bali...
E.B. — Oui, mais le Balinais eux-mêmes savent que si je fais quelque chose dans le
temple, ce-là a une valeur pour la divinité, si je le fais pour les touristes il y une
autre. Quand les gens me posent cette question justement je me dis que ce sont
des personnes qui ne savent pas quel est le contexte. C’est comme si tu me disais,
quand tu vas aux toilettes tu es une personne et en même temps tu défèques et
après tu vas dans une église à prier. Ce sont des circonstances très différentes.
Alors, il n’existe pas d’art religieux absolu. Tu peux prendre des icônes religieux, tu
peux les mettre dans une église et tu peux les prendre et faire des icônes
aujourd’hui et les vendre à un musée. Il aura une autre valeur, une valeur
esthétique. Ce que tu peux discuter c’est quelle est la valeur de ce que tu es en
train de faire.
La culture balinaise était une culture où il y avait vraiment la présence des
ancêtres, cette espèce de culte des morts, toute en liaison avec leur temple, etc.
Quand je suis arrivé à la première fois, c’était quelque chose qu’était beaucoup

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plus forte dans les années 60. Cinquante ans presque se sont passés. Il y a une
modernisation vraiment très impressionnante de Bali qui empêche les gens d’avoir
le même temps qu’ils avaient avant. Avant les cérémonies duraient des heures,
pendant chaque jour, les offrandes de fleurs que tu devais faire, les femmes allaient
au temple. Maintenant, les femmes travaillaient et tout ça, ont va acheter les
couronnes. Cela change énormément tout ce que la religion créait de relation de
rythme, d’occupation de personnes au cours de la journée.
Cela dit, il y a de spectacles que tu peux voir, il y a de cérémonies très
spectaculaires aussi, qui contiennent aussi de spectacles, qu’il soit du gambuh, du
baris, du calonarang et les mêmes spectacles sont ensuite introduits dans des
contextes laïques. Mais, ce n’est pas cela que tu veux me demander. Tu veux me
demander une autre chose. Tu veux me demander qu’est-ce que ce passe quand on
prend, en réalité tu veux me demander cela : (Nous rions ensemble) si on prend une
forme spectaculaire, surgit ou présenté dans un contexte religieux, qu’est-ce que ce
passe quand on la prend et on la présente ailleurs.
J.C. — Cette une question aussi...
E.B. — C’est une question très simple : dans un contexte religieux, c’est une
cérémonie religieuse, si tu l’enlèves de cela, tu la présentes dans un spectacle, c’est
une cérémonie esthétique. Exactement comme dans la physique subatomique.
Parfois, tu as le même phénomène qui se présente sous forme d’onde, de vague et
parfois de particule. C’est ce qu’on appelle la Théorie des Complémentarités de
Bohr. La même chose, le même spectacle, tu peux le présenter dans une église ou
dans une cérémonie religieuse. Là, il a une valeur et une finalité et ensuite tu le
présentes comme spectacle dans ton village.
J.C. — En juillet dernier, j’étais à Bali et j’ai parlé à Bandem justement. Et il m’a
raconté un épisode : ils étaient en Italie, je ne souviens plus l’année, à Nardo et
vous lui aviez demandé de présenter une danse avec de la transe. En fait, il a voulu
parler de cette histoire qui lui a beaucoup frappé. Et il a raconté la suite, car cela
s’est très mal passé à la fin. Je me suis demandé quel était votre intérêt...
E.B. — Oui, moi j’étais intéressé... En Italie, il y a très peu, dans la région où on
était en train de faire l’ISTA, très peu d’exemples de transe et qui maintenant
n’existent malheureusement plus. Non, malheureusement. Parce que si une

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femme tombe en transe, immédiatement il y arrive des psychologues et psychiatres
et ils savent la guérir. Il n’y a aucun problème. Cela s’appelle le tarentisme. Le
tarentisme est un phénomène qui est surgi au XVIIe siècle, d’une manière que l’on
ne va pas aborder maintenant, dans cette région dans le talon d’Italie, Salento et
frappait surtout les femmes pauvres, paysannes, qui travaillaient dans la campagne.
Elles disaient qu’une tarentule, une araignée, les avait piquées. Donc, elles
commençaient à trembler et tout en tremblant, elles commençaient à se
déshabiller, à montrer leur nudité. La plupart étaient des femmes, mais il en avait
aussi des hommes. La société paysanne, quand se retrouvait avec cette situation,
qu’est-ce qu’elle faisait ? Ils savaient protéger et soigner ces personnes et soi-même.
Ils prenaient ces personnes, ils lui mettaient une grande chemise blanche et
ensuite, ils prenaient des musiciens, quatre musiciens : un accordéon, un violon,
un tambourin. Ils jouaient des mélodies qui sont la tarentelle. C’est une mélodie
très rapide. Qu’est-ce que se passait ? Là, c’est l’exemple que toutes les formes de
transe du monde le montrent : la transe est culturellement disciplinée. Ce n’est
pas une chose qui commence comme ça et on devient amok, non ! Cela
commençait à neuf heures du matin et la femme « tarentullé » dansait jusqu’à
midi. À midi, il y avait une pause, parce que les musiciens voulaient manger. Elles
se remettaient au lit et ils faisaient une pause, une siesta. Les musiciens
retournaient à quatre heures et ils jouaient pendant encore trois ou quatre heures.
Elles dansaient encore sur un drap blanc et après trois jours, elles étaient guéries.
Bon, quand Bandem arrive, on lui propose un troc de simulacre. Un simulacre
c’est faire semblant. En faisant un simulacre de transe à tarentelle et un simulacre
de transe balinaise. Tous les Balinais savent le faire, car tous les enfants savent
imiter les gestes et les comportements de la transe. Est-ce que tu penses que quand
les touristes vont voir le Barong pour les touristes les gens tombent en transe ? C’est
simulé.
J.C. — Mais pensez-vous que dans les temples, quand les gens... (il m’interrompe)
E.B. — Tu n’as pas vu des transes dans les temples. Tu as vu des spectacles pour les
touristes... le Barong.
J.C. — Je n’ai jamais vu ces spectacles dont vous parliez... (il m’interrompe encore une
fois)

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E.B. — C’est plein, Bali est pleine de ces spectacles. Si tu vas à Batubulan, il y a
trois différents théâtres. Dans la matinée, il y a deux spectacles dans chacun pour
tous les touristes qui viennent. Il en a à Batubulan et il en a dans d’autres villages
qui sont en train de se spécialiser. Dans le Barong, il y a une scène où la sorcière,
Rangda, attaque les personnes autour du Barong, du dragon, du lion, qui lui
attaquent. Elle renverse l’attaque de manière qu’ils s’autodétruisent et avec les
kriss, ils se frappent. Tout cela, ils le font... le sacerdoce les bénit et ils sortent
apparemment de la transe. Après, ils font la même chose. Mais tu as raison, tu
peux aller dans une cérémonie et tu peux voir des transes. Mais, ils sont toujours
extrêmement disciplinés. Même quand un homme part avec le kriss pour frapper
l’homme qui couche avec sa femme, par exemple, de cette manière-ci pour se
venger. Donc, cela est intéressant. Quand on étudie toutes les catégories ou
manifestions de la transe, qu’il soit des sufis en Afrique du Nord ou les xamans.
Partout, la transe est toujours réglée par un certain comportement et c’est la même
chose à Bali.
Donc, on propose cela à son groupe, s’ils sont intéressés et ils disent oui, ils
acceptent. Donc, il y a la tarentelle avec un musicien et ils commencent. Tiens
présent que Bandem n’est jamais tombé en transe. C’est un peu comme les ogans
du candomblé qui ne tombent pas en transe quand ils jouent des atabaques. Ils ne
peuvent pas tomber en transe. C’était ça la chose la plus étonnante, pour lui aussi
d’ailleurs. Il était très choqué lui même, parce qu’il est tombé en transe. Pourquoi
était-ce dramatique ? Parce que ce n’était pas bien passé, parce que lui a marché sur
une bouteille cassée, c’est pour cela que c’était dramatique. Il a perdu beaucoup de
sang, il a dû aller à l’hôpital, il a été cousu et c’était passé comme ça. Mais
autrement, ça serait une chose intéressante au niveau personnel. Cette personne
qui n’avait jamais... qui avait assisté à de centaines des cérémonies comme lui-
même m’a raconté... Pour lui, c’était un mystère : « Comment moi qui ai été
présent à centaines cérémonies dans ma vie, soudain en Italie, je tombe en
transe ? ». Mais qu’est ce qu’il vous a raconté ?

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J.C. — Il m’a témoigné qu’ils avaient beaucoup soigné cette présentation, qu’ils
avaient une très bonne concentration et intention envers ce moment et que tous
sont tombés en transe.
E.B. — Non, non, seulement lui. Tout le monde faisait semblant de faire la transe.
Mais c’est lui qui est entré vraiment en transe. Quand il est tombé en transe, tous
les autres se sont arrêtés. C’était très amusant pour nous qui observions, parce
qu’on ne comprenait pas pourquoi ils avaient arrêté toute la cérémonie. Tandis
que lui, il était en train de continuer. Ce qui était frappant est que dès le début, il
marche sur cette bouteille cassée et commence à perdre du sang. C’est cela qui a
dérouté tout le monde. Mais son groupe faisait semblant d’être en transe, parce
que c’est évident qu’ils n’étaient pas en transe, c’était un simulacre, une espèce de
simulacre.
Nous avons fait un troc une fois en Yougoslavie, dans un village des tziganes. Nous
leur avions proposé une espèce de cérémonie, une espèce de livre de danses, une
espèce de cérémonie dansée que les acteurs de l’Odin avaient inventée. Eux, ils ont
troqué avec le simulacre d’un mariage. Ils nous ont montré comment ils font un
mariage. C’est évident qu’il y avait la femme habillée comme ça, l’homme qui était
le marié, mais ce n’était pas un véritable mariage. C’était ça l’accord : nous vous
montrons un simulacre, une cérémonie laïque et vous nous montrez un simulacre
de quelque chose... Ils disaient : « Nous n’avons pas de théâtre, nous jouons de la
musique ». Mais nous étions très intéressés par ce qui est le côté spectaculaire de
quelque chose. Peut-être, c’est une cérémonie, comme ils ont proposé un mariage.
J.C. — Eugenio, j’aimerais vous poser des questions concernant Ur-Hamlet et
Médée. Pourquoi avez-vous voulu mettre en scène aussi l’ensemble balinais ?
E.B. — Cela était par amitié à Cristina Wistari. Cristina Wistari était une
italienne, danseuse qui a d’abord appris le kathakali en Inde et ensuite est arrivée à
Bali dans les années 80. Elle est tombée amoureuse du gambuh. Le gambuh, quand
je suis arrivée en 1973, c’est très difficile, non de voir un spectacle, c’était
impossible de voir un spectacle de gambuh. Il y a eu des vieux maîtres qui m’ont
montré des scènes, etc. Mais, je n’avais jamais vu de spectacles. C’était impossible.
Le gambuh est une forme qui surgit en 1400 à Java et c’est une typique forme de
théâtre dansé qui a comme thème les aventures d’un prince Panji, mais c’est d’une

463
lenteur... c’est extrêmement lent et sans utilisation des métallophones. C’est sont
des flûtes et des petites clochettes. Donc, c’était très, très particulier pour le
système sensible du spectateur européen, mais aussi balinais. Quand les Hollandais
arrivent à Bali, ils étaient déjà à Java, ils commencent à créer les métallophones, ce
qu’on appelle le gamelan. Mais toute la structure de la danse vient du gambuh.
Alors, il y a toutes les nouvelles danses qu’ils font, qu’ils créent, sont inspirées par
l e gambuh. Alors tu as toutes les nouvelles danses avec les métallophones, cette
espèce de rythme très particulier, très fort sur le système nerveux du spectateur et
de l’acteur. Tandis que le gambuh, lentement était en train de disparaître. Et cela
que Cristina arrive. Quand Cristina arrive, elle veut le sauver, elle veut danser le
gambuh elle-même. Elle a une relation avec un grand danseur qui s’appelle I Made
Djimat. Et I Made Djimat connaît le gambuh, parce qu’il l’a appris enfant et il est
un grand maître. Seulement qu’il ne le joue pas parce que personne ne veut le
voir, les Européens surtout, les Occidentaux ne l’achètent pas. En plus parce
qu’une compagnie de gambuh, c’est trente-deux personnes si tu veux voir un
spectacle. Mais, elle a réussi à travailler avec I Made Djimat justement parce qu’ils
étaient ensemble, parce qu’ils étaient un couple. Il fait cela et elle demande de
l’argent à la Ford Fondation. Elle fait un projet. Il y a encore trois vieux maîtres,
dans trois villages différents. Elle propose à la Ford Fondation que ces trois maîtres
enseignent gratuitement aux jeunes le gambuh. Et les enfants vont recevoir pour
leur présence l’équivalent d’un repas. Les maîtres vont être naturellement payés,
mais aussi les jeunes qu’y vont et qui reçoivent quelque chose en argent ou en
bouffe, ce qui permet à eux d’être motivées économiquement en réalité. Dans ce
projet de trois ans, elle réussit à mettre sur pied un ensemble à Batuan avec qui
elle travaille. C’est intéressant, car ces danseurs ne sont pas de danseurs
professionnels, mais ils sont de gens, un travaille dans un bureau de transport, un
autre est photographe, d’autres sont des paysans... Tout le monde a un autre
travail, mais le soir ils se réunissent et ils travaillent sur le gambuh.

Moi, j’avais connu Cristina dès qu’elle était arrivée à Bali et quand j’ai vu tous ses
efforts dans le spectacle de gambuh, j’ai voulu l’aider. Je ne savais pas comment
l’aider. Je me suis dit : « Bon, je vais l’inviter à l’anniversaire de l’Odin, en 1989 ». À

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l’occasion, c’était les trente cinq ans de l’Odin et la rencontre s’appelait « Les
Connaissances tacites ». C’était tous les processus de transmission d’une tradition
d’acteur et j’ai invité les traditions les plus anciennes : une grande compagnie de
théâtre noh est venue ici à Hostelbro, le gambuh. Ensuite une compagnie de
chamans (rires) et là, c’est très intéressant. Une cérémonie de chamans de la Corée.
Là on a fait une vraie cérémonie religieuse. Mais la même cérémonie religieuse est
devenue une forme spectaculaire en Corée. J’ai invité ce groupe et le ballet
classique ici à Hostelbro. Ensuite, j’ai trouvé, aussi pour Cristina, mais aussi pour
tenir l’ensemble le groupe de gambuh, des présentations à la Biennale de Venise et
à un Festival de Théâtre à Rome. Ensuite, j’ai essayé d’aider. C’est pour cela avec
les Balinais, pour que Cristina puisse gagner un peu d’argent pour son projet, car
après trois ans la Ford Fondation ne donnait plus d’argent. Elle avait rompu avec I
Made Djimat et elle était toute seule. C’est pour cela que je lui ai invité à l’ISTA.
Ensuite, quand ils m’ont demandé de mettre en scène une histoire de Hamlet, j’ai
pensé que toute la cour, le milieu de la cour pouvait être propice pour cette espèce
de spectacle gambuh, simplement un spectacle gambuh, qui était très raffiné. Cela
pouvait donner la sensation d’une espèce de luxe, une atmosphère dans laquelle il
y a beaucoup de conspiration contre le père d’Hamlet et contre Hamlet lui-même.
On voulait la première version de l’histoire de Hamlet. C’était un grand projet qui
s’appelait « Le Prince ». Pour des motifs économiques, on n’a pas pu faire cela.
Alors, j’ai décidé de tout changer et de faire cela de manière très simple, sans
éclairage, avec des touches et de prendre comme histoire l’originel écrit par un
moine, un prêtre danois, qui s’appelait Saxo, en latin. Et c’est cela. Mon intérêt ce
n’était pas pour le Balinais.
J.C. — Merci, Eugenio, je pense que c’est tout.
E.B. — Très bien, maintenant tu as tous les secrets...
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ENTRETIEN AVEC JULIA VARLEY
Réasilée à l’Odin Teatret, à Hostelbro, au Denmark, le 12 avril 2012

Juliana Coelho — Thanks for accepting this interview. I would like to ask you first
about your experience with the Balinese. I know that you have worked with
different ones. Which was your first contact, what impressed you the most? Is
there something that inspired your work or changed your work as an actress?
Julia Varley — I have to see the list of the ISTAs, but the first one I can think right
now was in 1990, the ISTA in Bologna. And we were working together for the
Theatrum Mundi. There it was I Made Bandem which came with various Balinese
who have been working in the school ASTI and also I Made Tempo was there.
Which I remember most was the collaboration with them and the contrast of the
rhythm that they had and the Japanese. The Japanese had I kind of flowing and
slow rhythm, which would come with an accent in the end, while the Balinese had
lots of accents all the time, and the rhythm tend to be quite fast. I remember
specially Tempo, when he had to have a walk, he had the old man, the Topeng
tua, and he was talking slowly but still his rhythm was quite fast when compared
our rhythms as Europeans, from the Odin or the Japanese. But at the same time it
was a very different kind of rhythm from the Indians, from Sanjukta Panigrahi.
With Sanjukta I would experience the complexity of the rhythm and with the
Balinese a kind of electricity of the rhythm, like sparks all the time. These were
probably the first things I noticed. Then with the Theatrum Mundi we went on
tour. There where I remember was Cokorda, that was a balinese Prince. And in
the moment in which we were preparing for the Theatrum Mundi, I was at the
steels and my chair felt off the table and he was dressed as Rangda and he had to
pull me up and he had long nails. It was a very funny situation that was created
behind the stage and it helps to possibility of collaborating more together in order
to start to build scenes. With I think developed much more when we were in
Brazil, in 1994. So the capacity of collaboration, of working together developed
more in Brazil and I remember specially improvisation that we made on strong

466
and soft energy for example with Padmini 669 another female dancer that were
there.
Then in the work we had a big change when we started collaborating with I Made
Djimat and Cristina Wistari. And that was for the ISTA in Sweden, in 1995. And
there what amazed me was the fact that in four and five people they manage to
make a whole performance when usually the balinese group that we had at ISTA
was eleven people, but what they presented before with Bandem and Swasthi, were
more numbers. They would present a legong kraton, a baris. There was never like a
full performance and that’s what happened with I Made Djimat and Cristina. And
I think that Cristina had a big role in wanting to bring something that had a full
dramaturgy. And I remember them during the performance. They would come out
the stage and then run back because they were playing the music at the same time
and go forwards and back.
In that moment, we started working with Djimat, The Theatrum Mundi roles
which we had worked on already with Mr. Peanuts and Cokorda specially because
we were doing a kind of comic scene, and Torgeil. It was a love scene. And
Cokorda and I, he had a Rangda and I had Mr. Peanuts and we did a love scene
which was comic, it was funny. When I did that with Djimat ... (laughts) It’s like...
Djimat is extremely strong as a performer. So this feeling of electricity, which I had
before from the beginning with the Balinese, became very, very powerful working
with him. Because we were holding hands. We could really fell..... « Prffffff ». It
was very strong.
Then, when we moved on working with the Gambuh group, I’ve retained much
more the playfulness of the Balinese groups, of the way of performing and less the
strength. Because the strength was much more something I felt with Djimat. And
with the Gambuh group, when we were improvising and doing scenes together, it
was more the comic, the playful, and the improvisation also. I remember here in
Holstebro improvising with one of them. It was the entrance of a performance and
we were doing things outside. And we started running, and then stopping and
jumping. There is a lot of capacity of improvising together.

669
Tjokorda Istri Putra Padmini

467
Then, the other big experience is to go to Bali and see the performances in Bali. I
remember the first gambuh I saw in the temple, with the firelights and with their
incredible rich costumes. The beauty of being in Bali, the aesthetic sense is so rich:
the gold and the colours and all the decorations, the umbuls-umbuls. The care they
give to which exists, which I often use as an example if I’m talking to theatre
groups, or the other day to the participants here. When people say: « We are poor,
we can’t buy costumes... ». In Bali, they are poor too. But the importance that they
give to the dances, to the rituals, which has to do also to the religion... The time
they use in making the offering and in preparing them, it makes the aesthetical
experience of being in Bali and seeing a performance there, in something which is
very enriching. It gives you really a lot. So then with the Gambuh, of course, the
rhythm of the Gambuh is different, is much slower then the other dances which
where developed afterwards. And also it has these longs flutes that continuously
play. They have this continuous breathing. So, it gives you much more these long
flow, which I had experienced much more with the Japanese. But with the
Gambuh, it comes to Bali as well. And also the difference between the song, the
text, the spoken text, in kawi and the spoken text in Balinese, which has different
musicalities too. That’s also very interesting as an actress to have the difference
between singing, singing the text, because the musicality of the kawi is quite
complex and then the speaking, which is the communication with the spectator.
And having all these levels is also very useful as an actress.
Then, one of the experiences which I think can be interesting for you to know
about is that during the last Festuge, last year I think, I Wayan Bawa came. And it
was the first time he was coming here alone. So, I worked with him to make a
work demonstration. In fact, we put up the work demonstration together. So the
collaboration was very interesting in trying to let him say things he thinks people
are not interested like: the very first thing he did, why was his father which was his
father, what did him learned from his father, and then when he started working
with Djimat, what did he learn there, the fact that he was doing the horse. What
were the first songs he learned, the first rules. It’s like working with him on this
work demonstration. I really went behind the scenes of the performance to try to
find out what was going on. But at the same time to see the differences ... the last

468
moment of the work demonstration, where he does the Sidhakarya, his capacity of
creating an energy which goes beyond the daily and which spectators leave as if he
was going into a transe, which is not. But he manages to engage such an energy
which is transmitted to the spectators. And that I think that is something that they
had developed from children through the participation in the ritual that they do
for in the temples. But also from this continuous performance, in the sense of
being aware to show not just for yourself but also for others.
Like if you think in Augusto Omulu, which is afro-brazilian. When I see the
candomblé’s rituals, the people that participate, they have a kind of energy within
the dances that they do in the rituals. But for Augusto, as if he comes from ballet
dance, the capacity of modulating this energy, is different from which I see in the
candomble’s terreiros. For the Balineses no, even within the ritual, there is a capacity
of engaging an energy with is also for spectators. It’s like the Gods are more
spectators, they are more present there in the life. And I think that this has to do
also with the richness of the costumes and the masks, the Barongs, the big animals
that they bring, the way that they go to the sea and have all these the figures of the
Gods taking the breath from the sea, how they arrange it all. There is a kind of
theatricality, which is more evident in their daily life. So, it is a combination that I
find very enriching to see.
Then there has been all the collaboration around Ur-Hamlet and The Marriage of
Medea. They are two very big productions that we have done with them. And that
was at a time that came up with. Inside the ISTA we were having a kind of crisis of
relationship with the masters. Tempo had died, Sanjukta had died, Katzuko
Azuma had died and I Made Djimat... Djimat is not very easy and there is also the
fact that he has a relationship with his son that is not easy either. And he had split
from Cristina’s. Then we had problems with the translations... There were lots of
conflicts which were unnecessary. Also when we had invited the Gambuh group to
Hostelbro for the “Tacit Knowledge”. We always insisted that we would pay the
same amount to all the dancers that came. But then, Djimat insisted that he
should be paid more than the others. And we didn’t like. So, there was a kind of
crisis.

469
And there, Trevor Davis asked Eugenio to make a performance at the Kronborg
Castle with the Theatrum Mundi ensemble which had to be something to do with
Shakespeare and Hamlet. Eugenio’s first reaction was no, I don’t want to do it.
And then, we came up with the idea of collaborating with the Gambuh Ensemble
from the village and Akira Mazui, which was a new Japanese from the Noh
tradition that had came just at the last ISTA as a guest. When we stated to work
with Ur-Hamlet, which was the first experience, what was amazing to see was the
capacity that they had of adapting their dances and choreographies to what we
needed for the performance. So, of course many things had to be quite a lot
shorter. And a lot of the discussion that was going on was with the music. Because
Eugenio would cut one part but they had to respect the music. So, it’s how to
adapt and the music that keeps his own form in the cycle. It has to go thought
although cutting what we needed for the situation of the performance. And there
Cristina was very important because of her understanding of the two sides. But
now with all the experience that we had putting up with the Ur-Hamlet, we are
able, and then Cristina died... It’s like, we are able to continue. There is a moment
in Ur-Hamlet where Bawa and Augusto fight, and I was worried because again they
had this incredible power they put in their performances.
They were very interested also in, there was a French singer that came and they
were learning songs that Brigitte proposed and they were also improvising. And we
collaborated with Candri, Ni Nyoman Candri, Bandem’s sister. She was brought
into the Gambuh and there was also a musician who was the musician that Candri
to come to a Transit Festival. That’s another line because there is all the women
that I have brought to the Transit Festival. So their collaboration with the female
topeng. That’s another story we can talk afterwards. There was Ketut, who was a
musician that worked with Candri at the wayang kulit, so he was also introduced.
So, within the gambuh there were foreigner elements that didn’t had to do with the
gambuh directly, but we manage to create a collaboration. And that’s when we
started working with them in other performances, which they could do when they
came on tour with the Ur-Hamlet. So within the village of Batuan, which is full
Gambuh, they also had topeng performances. They had what we call the “Bali
Jewells” which had legong kraton, baris and then has a clown scene - the clown scene

470
that we’ve done with the Ur-Hamlet, as an introduction to the Ur-Hamlet, there is
a clown version of the real Hamlet of Shakespeare, with the ghost, the king and
the queen and the priest, and Ofélia drowning. That was first made by Cristina.
They have kept it on. And then, there was also, during one of the stays in Bali,
together with Pino Confessa, who used to be the assistant with the groups of
Bandem during ISTA. Pino would translate to Indonesian. Then Pino was
becoming the Italian consul in Bali. He often came to the rehearsals. And he was
there when we were working on a concert. Because when they are on tour they
could also do a concert. So that was one point. And Pino said that it would be
interesting to have a cockfight. So, with in this concert there was also a moment
where they pretended they do a cockfight with the pats and the calls, the shouting
that happens. Which of course for spectators from another country it is very
interesting. They also introduced some of these dances that they have when a
women tries to seduce the man with the hand fan (joged). So together with the
gambuh, they also had tree other performances that they can do when they are on
tour.
When Cristina died and Eugenio and I went to see them, because it was the big
problem if they were going to continue or not with what happened. Of course the
economic question is very important. We tried to suggest that they could do one
of these performances for the tourists. The tourists are not so interested in gambuh
because it is much more refined. But they are not allowed to do the others
performances. They can, abroad, but not in Bali. Because in Bali they have the
village structure still so strong that they can do only the gambuh.
So what we try is to take them always on tour and they can earn some money and
keep going. We’ve started a fund, which we call “The Gambuh Fund” and Odin
Teatret pays the school because for us what is essential is that the gambuh school
continuous with children. And we pay them once a week to have the school and
then we pay them for the rehearsal of Ur-Hamlet and The Mariage of Medea which is
was another performance we made with them.
The last time we were in Bali, which was last January, we talked quite a lot with
Bawa, of how one can try to make more publicity and announcements. We tried
to find some people that could follow the group, to help them with all these

471
organisations. But at the end we had given Bawa the artistic responsibility and now
he is also administratively responsible. He keeps the accounts and send to us each
tree months for their use.
With The Mariage of Medea we did completely different because then there was
afterwards a trip that Eugenio and I had done to Bali and we had seen a lot of
processions. So we decided that the base of the Medea performance would be like a
procession with all the flags, with the umbul-umbul and with the costumes. And
them we chose one of the women for the role of Medea, it was Made, and we
worked a lot with the legong kraton, because of the doubling. The jealousy of Medea
seen as a kind of doubling of personality. In the Ur-Hamlet we had introduced a
very young girl, Phia. She was a little girl when we started and now he’s growing
very high. She worked a lot also. Ni Wayan Sudi is also an important element
within the group, because she is very strict and she has a very good preparation for
gambuh dance, for women.
I think that a lot of relationship was manage to develop with them, has become a
kind of family for them. The economical aspect of course it is important. They
came on tour here and when they come back they buy shops, but there is also a
personal attachment that is also very strong. When they left after the month and a
half that we had with the Ur-Hamlet, we were in Copenhagen. When they got on
the bus, the women were all crying. For them it’s very central in their experience
and the fact that they had manage to keep on as a group after Cristina died, I
think it tells something of the depth of the relationship which we manage to build
with them. We have shared so many experiences, so for me they are part of what I
do everyday in the same way of my colleagues at Odin.
I think it is a general question which has to do with the ISTA, the fact that how we
can collaborate with people who belong to very different genre of performances,
very different cultures. This has to do with impulses, strong and soft energy,
rhythm and a communication that goes through a physical presence and doesn’t
have anything to do with the stories that we tell or the meaning that we are trying
to express, but there is a kind of basic communication that we have always
developed within the ISTA and the Theatrum Mundi and that has gone deeper
and deeper as we started working with the Theatrum Mundi performance and

472
then with the Ur-Hamlet and The Mariage of Medea. And this last experience with
Bawa working on a working demonstration together... we were colleagues. Of
course I spent a lot of time correcting his English. But a part from that, we were
colleagues.
That’s also something that could be interesting to you. When we started ISTA,
definitely, the Asian Masters were Masters. Also in the relationship to us. Sanjukta
would always kiss Eugenio’s feet, but Eugenio always said “Stop”. But for us, they
were the masters. During the time, I think that many of the Asians considerate us
to be the Masters. Twenty five, thirty years had gone by and of course this changes
a little bit the relationships. And it is also because the master in the sense of guru is
starting to exists less and less in the Asian traditions because of modern well?,
because of having to work, children go to school. It’s changing so much. And this
also can be seen within our relationship as Odin Teatret with the Asian Masters. It
has changed.
Then, if you want to know more about the female and the women... with the
“Open Page”, I started trying to interview and trying to get behind the scene. Of
course when you are in Bali and you see these women not living out their power.
They never speak up. When I heard that Candri was the only women who could
be wayang, because she knew the ancient language and she was able to speak and
improvise on it. That meant something for me, I wanted to give them space, but
also talking with Cristina.
Cristina started a topeng group with women. So there was a gamelan of women. I
don’t remember her name, Swasthi. And also the music is usually men. So the fact
that there were musicians that were not men and topeng, which is usually a dance
belonging to the men, because of the strength which is needed for the mask, I was
very interested in contacting these women who were starting to go against the
tradition in that sense and show that could also present it. So I invited them to the
Transit Festivals. And this also kept the relationship and helped what them
happened with the ISTA and with the Ur-Hamlet. It’s like giving them a little bit of
space, then also helped the rest of the work.

473
J. C. — As we are talking about women, you said that Cristina had a very
important role at Djimat’s group in the sense of helping the structure. Could you
speak a little bit more about the role that she played?
J. V. — Cristina was incredibly fundamentalist in wanting to go to the origins. To
the spirituality also and in what she perceived in the balinese dance. The Balinese,
because of the tourism, which has very good effects because it means that the
dances will continuous, but many of the Balinese think that the European and the
foreigners who will come that they want the effect full moment, the fast moments,
the powerful moments, the moments. So they tend to show these numbers that are
stronger and they know which had more success. Cristina would fight against this
a lot. She proposed the calonarang to try and to go back to all the elements that
exists. So also the slower moments, the presenting of the characters, the moments
in kawi not just the clowns. And so to present something that exists also in Bali if
the tourists were not there. And this helped Djimat at that time to understand
that the quality that exists in the whole performances can function very well also
abroad, that it doesn’t has to be just the effect full numbers. And this came
through Cristina. It probably has also to do with the fact that Cristina had an
understanding of dramaturgy, which many of the Asians masters have without
knowing about it. It has always being very interesting. Sanjukta could say it very
clearly and also Augusto. When we work with the ISTA and we ask some
questions “why you do this or why you do that”. In the beginning the answer
would be: “Because I was told”. And then, they started understanding why. And so
they became much more aware of their own tradition because they started
understanding what was behind the rule in doing it in such a way. So, going back
to the original dramaturgy, to the original reason of why there was a certain form.
And so it is like, the Asian masters understood their own work better because of
the kind of questions we put to them during the ISTA. And Cristina did the same
in Bali. Her insistence on the original, on the rhythms, the original music, the
original sequence of characters, entrances and exits, gave them more awareness of
why it is like that. But that is more speaking to what happened to them then what
happen to us.

474
J. C. — I’m talking about Balinese forms but you may broad this for Asian forms of
theatre ?
J.V. — I think for me the example of beauty and generosity at the same time. The
Asian forms are beautiful. And in the western world, when you see something very
beautiful, usually the artist has a kind of self... importance. In the Asian, this self-
importance is more towards the tradition, more towards their own, what they had
developed in the form through the centuries. It’s like the individuality of the artist
comes from a long tradition. In the Western the individuality of the artist is
usually the individual. There is much more egocentrism. And so what for me is so
important is that we have an example in the Asian traditions of this incredible
beauty and this incredible power of their performances and in the same time
people which are generous and humble. They are not wanting to make themselves
bigger than they are. And I find that the artist that is a very important example for
me. And I know that within the Odin we always felt that what we have received we
must give. So the teaching and the pedagogy has always been central in our
theatre. Probably this comes partly from the example of the Asians. But there it’s
like you have to go back to Eugenio first seeing kathakali and what it meant for
him in the starting of Odin and then the structure of Odin, of what we then
developed afterwards.
We are talking of Asian masters that come from ancient traditions, classical
traditions. Now, I’ve just been to India, to the Magdalena Festival, which was
organized in India. There I met young people doing theatre that is just confused as
Europeans or South-Americans, North-Americans because it is like they refuse the
classical forms they have know references and they were thinking in just expressing
their selves. They are lost. It’s not a question about Asia and Europe. You can both
in Asia and in Europe use the classical tradition, what has been learned for
centuries to do something that is contemporanery. And obviously if one wants to
talk or have a theme which has to do with today, it is not easy to do that with an
Odissi dance. To talk about drug addicts with this dance, it’s strange. I couldn’t
think it could function but all that has been learned through the Odissi dance or
through the Balinese dance, the principles of stage presence can be very well used
in a different form confronting different themes.

475
When we went to Brazil and we did the ISTA in Brazil and Nitis Jacon wanted us
to have something from Brazil at the ISTA and we see there is an enormous
richness in the theatricality in the dances or in the masks and in the puppets. And
why do the groups, the contemporary companies, they not use all of this, they have
poor costumes, they don’t attract. So this is in Asia, but it is in many others
countries. The classical forms or the folkloric dances, rituals can teach so much to
the young people that is wanting to make theatre. They want to make theatre
which deals with their problems today, but there is so much to learn from what
has been done before. To see beyond the form, you don’t have to do the form, but
what is the information, which is passed through that form, what are the
principles that guide you. That you can learn a lot from.
J.C. — But in this case, you are talking about theatrical principles. The Balinese
dance is inside a religious context that is also very linked to their daily life. And
these forms... do think that these forms are strictly theatrical?
J.V. — It is of course tide to the beliefs, the religious (...) What they have done
both in Bali and in Brazil. This creates a going beyond yourself as a performer. So
it is not just the theatricality as a form : the costumes, the beauty of the
movements. But it is also the capacity that you are doing this not for yourself, a bit
for something or someone else. And this is also an enormous lesson for people
how are doing theatre. How you take you job seriously, knowing that you are not
doing it for yourself but for the spectator. The relationship is not that one
(vertical) but this one (horizontal), but still the essential is the relationship. It not
stays here (she pointed her heart, inside) but it goes. So, you don’t have to believe
in a God to want to go beyond yourself, to transcend yourself and make something
that maybe feet into history, or feed in younger generations and feeds in
something that will continue not there (she points up her head) but maybe here (she
points in front of her).
I’ve often talked to Augusto about this because many young people that come and
learn from him are like fascinated by the religious element but they don’t
understand the essence which has to do in putting in motion a certain energy,
certain quality of energy and engagement which for him can be created because of
his beliefs, but that’s not the essential. The essential is actually how you in fact

476
transform your doing in something especial, not daily, but especial. It is like it
belongs to another reality, not your reality of your every day, saving energy and
doing as little as possible instead of as much as possible, but a reality where you
use all your energy and the more you give, the more important it is. And that does
not have to be determined by a religion. It can be determined by the fact that you
want to do your work well or that you want to attract spectators. But you have to
understand the importance is in going beyond you.
J.C. — I will ask something other and then I will come back to Bali. Your work, as
I know by seeing performances in video. The only one I saw in live was Ode to
progress and The Cronicle of Life and your work demonstration. Although I think, I
see changes ... I would like to know what is the place of Indian and Balinese
dance, you talk also about rasa, in your work. Is this consciously present in your
work ? Because you don’t say about it. I don’t know if it is for not confusing
people ...
J.V. — Writing about my work or making work demonstrations, I try to find a
terminology that is my own. So, not use a terminology that comes from others.
Maybe it means the same thing. So, in my terminology I use the change of
muscular tonus on the back, in your torso, and I use which I cal the breathing of
the cells. It’s like, I find very important in my work as an actress, when I work with
others, is to fell that the action is breathing. That it goes out and gets in, a breath.
And that’s probably the same. The centrality of the rips, of the koshi 670, this point
that is in the middle here (she points her back). I don’t need to say that is exactly
there, but I know if I’m working with somebody else, I take her hips down and I
know how important the energy that comes from the feet is and how it goes
through my whole body to go out. So I have to create a connection from the
ground to going out within my body and how this has to breath, so it has to have a
rhythm, different modulations of energy. So yes, we use different words because I
think it is important to give a personal terminology, because we are talking about
things that are very difficult to talk about. It’s a physical experience. It’s an
experience that has to do with your whole being. And every time you give a word
you know something is missing. And it goes for us as it goes for any of the Asian
Koshi - Terme employé dans la tradition japonaise pour désigner l’hanche, le centre d’équilibre
670

du corps.

477
forms when they try to give it a name or to describe it, they know that a lot of
things are missing. So it’s like we need to give a lot of different names and maybe
somebody will understand one of them or the other.
J.C. — You told me that you felt a very strong energy with Djimat and with
Augusto also. And do you think it is related how they, to how they learned this
way of performing or if it is related to ritual. And do you think that a foreigner
could achieve this ?
J.V. — Yes I think so. You know Teatro Tascabile. They are now very good
performers of the classical Indian forms. They have combined a knowledge which
comes form their own training with a very hard training in India. And I think that
the combination of these two has given them this possibility of being as strong.
Both Djimat and Bawa are keras, so their energy and power are felt in the strong
way. Someone like Cristina is much more manis, so he has a softer energy. I saw in
a film a boy from Chile that has been training in kalaripayat, a martial art in India
and he had the same strength as the Indians that were in the film. So yes, it is
possible. But of course, for those who had started as children, there is a difference.
When you grow up as a child and you embody all these forms since you’re a child,
it’s very different. So a foreigner would be in disadvantage.
Then there is the question, like if it was a child that started to do classical ballet
here in Europe, then decides to go abroad. What is the problem with the classical
ballet, as with the Balinese dance, is that you specialize in a form. The training that
Tascabile or Odin had done before is not specialized. So, is much more easy to
adapt the same capacity of modulating energy to another form. Then, if you are
doing classical ballet, a ballet dancer would find very difficult to then adapt to the
Balinese dance form. So it would happen I think more easier with somebody who
has been training, not specializing since they were a children, and then go to Bali.
Of course you have to stay a long time to the training. But I think it is possible. It’s
not a question of coming from the trees. It’s training, it’s repetition, it’s
embodying, it’s getting that strength.
I know also with performing at Odin that you get to a point that you know that
you ca let the horses go. Is that you know that you can let the power of what you
are doing decide. So you don’t have to control it. You control it because have

478
years, but you can also let it go. So it is a very balance. Of course the Balinese find
it because they participate since they are children and they can use it, use it. They
can also let their horses go in a way, which has a great impact to somebody who is
looking at. But I know that as Odin I can also reach that same power. It looks
different but is the same kind of power. So, it is not something which is tide to the
geography.
J.C. — You have seen all these masters teaching. Have their way of teaching. Have
their way of teaching changed or transformed your way of teaching ?
J.V. — I think for them it has transformed because obviously they are working with
grown bodies and foreigners. And it’s like, they need to invent explanations which
they never had before. They have to explain “put you toes up”, “find the strength”.
In their own tradition before it was not necessary because people just imitate it
and they could (she makes a gesture of a stick) stick in a back if it was not done
properly. They have changed. For me, one experience which I felt very strong was
the moment in which Djimat was teaching Ketut, demonstrating. But you could
see him taking the body and moving it. So, often when I teach, I also take the
body. It’s like trying pass the information from body to body touching. So this
physical contact I find very important. I probably did this also before seen them,
but it’s like you recognize what are you doing. It helps you to go on in the
teaching. Otherwise I don’t think so.
J.C. — The last question. The Odin Teatret is a laboratory, a research theatre
group in practice. What is your research right now ?
J.V. — I think one of the things which we are concentrated a lot at the moment is
in creating a younger generation, that is not Odin Teatret, but that can continue
to do the work that we’ve started. So, not preparing actors for the Odin but in
giving space, opportunities, tasks, for younger people who maybe, maybe, can
continue some of the work under a different name. I think that is definitely one of
the things I’m giving a lot of energy to it at the moment.

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ENTRETIEN AVEC ROBERTA CARRERI
Réalisée l’Odin Teatret, à Hostelbro, le 18 avril 2012

Juliana Coelho — Comme vous le savez, ma thèse porte sur les enjeux
interculturels liés à la danse balinaise classique. Quel était votre premier contact
avec cette danse et quelle sorte de contact d’apprentissage de technique de danse
avez-vous eu ?
Roberta Carreri — La première fois que j’ai eu un contact avec la danse balinaise,
c’était à Bohn, à l’ISTA de Bohn, la première ISTA, en 1980. C’était avec Tempo.
On a collaboré avec Djimat, mais on a collaboré aussi avec Tempo. Mais, dans
cette première fois, j’ai simplement vu le spectacle et j’ai fait un petit peu
d’entraînement avec les autres acteurs, avec les autres participants. Ce n’était pas
des leçons privées. J’ai fait des leçons privées avec Katsuko Azuma pour les danses
japonaises, avec Sanjukta Panigrahi, pour les danses indiennes, mais pas avec la
danse balinaise. Cela n’empêche pas qu’il y ait deux principes dans la danse
balinaise qui m’ont fascinée : le travail avec les pieds, cette tension dans le gros
orteil et le fait d’être plus petit que ce que l’on est en réalité, de se baisser en
doublant les jambes et en levant les épaules. Mais surtout le travail avec les yeux.
C’était la chose la plus fascinante pour moi, parce qu’il y avait un travail conscient
vers le regard, même derrière le masque.
Et alors, quand je suis revenue à Hostelbro, après deux semaines à l’ISTA de
Bohn, je commençais à incorporer dans mon entraînement des principes que
j’avais appris, soit dans la danse balinaise, soit dans la danse indienne, soit dans la
danse japonaise.
Elles sont devenues une partie de mon entraînement : maintenir dans le corps
cette tension, cette intention, que j’avais apprise dans la danse balinaise, par
exemple. Alors, comment développer une forme d’entraînement balinais, comme
je l’appelais, avec la force du regard, avec l’intensité du regard ?
Bien sûr, il y avait un travail sur le regard aussi dans la danse japonaise et dans la
danse indienne. En fait, j’ai composé les différentes informations que j’ai reçues
dans mon entraînement.

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Cela signifie qu’en réalité, je n’ai pas continué à répéter les pas ou les
chorégraphies que j’avais apprises à Bohn, mais je les ai digéré dans mon langage
physique qui était celui de l’entraînement de l’Odin théâtre. De cette façon,
j’enrichissais mon entraînement.
Après, quand nous avons commencé à travailler sur le Theatre Mundi, Eugenio m’a
fait travailler toujours avec des danseurs balinais : avec Tempo et avec le fils de
Djimat, Nyoman. Pour moi, c’était extrêmement facile de me communiquer avec
les danseurs balinais, parce qu’ils avaient une présence extra-quotidienne, qui était
extrêmement formalisée et claire. Le moment d’attaque, comme le moment de
séduction, c’étaient très clairs, très sharp. Alors, je me suis toujours sentie très en
syntonie avec leur façon d’être sur scène.
J.C. — Pour qu’on puisse comprendre mieux le travail avec le Theatre Mundi.
Comment travailliez-vous ensemble, vous proposiez des scènes ?
R.C. — C’est toujours Eugenio qui fait la mise en scène. Par exemple, il me disait
de prendre des fragments du spectacle Judith, des démarches de mon spectacle et
de les faire ensemble avec Tempo. Alors, il y avait un moment où Tempo
marchait, comme un vieux du topeng, et moi, comme Judith. Je le suivais. Ou bien,
il y avait des scènes que j’ai construites avec Nyoman où Eugenio voulait une
forme de danse d’amour, de séduction. Et alors là, j’ai créé toute une série de
réactions à ses actions. En réalité, on a construit une chorégraphie, dans laquelle je
lui disais « regarde » et il regardait, ou je lui indiquais par des gestes : « on peut
s’asseoir », etc.
Alors, c’était vraiment dans le domaine de l’action physique. Ce n’était pas avec
des mots, mais c’était une scène bâtie sur une séquence d’actions physiques.
Action et réaction. C’était Eugenio, bien sûr, qui décidait qui travaillait avec qui et
quel était le thème du travail. Le Theatre Mundi est comme un grand parapluie sous
lequel nous avons fait différents spectacles, qui pouvaient être Ego Faust ou bien
Médée. Alors, le thème changeait. De toute façon, dans tous les Theatre Mundi, j’ai
une relation directe avec l’ensemble balinais. Même dans Ur-Hamlet, le dernier, je
suis la mère de Hamlet et mon mari était Cristina Wistari. Après elle, c’était Bawa,
qui jouait Claudio. Alors, premièrement, le père d’Hamlet était Cristina Wistari et

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Claudio, son frère, était joué par Bawa. Tout l’ensemble de Gambuh était la cour.
Parmi eux, je bougeai. En réalité, c’était avec eux que j’avais un contact de scène.
J.C. — On pourrait dire que vous vous parliez avec votre répertoire et eux avec le
leur ?
R.C. — C’est ça.
J.C. — Et incorporiez-vous des éléments propres à leur jeu ?
R.C. — Je fais bien attention à ne pas le faire quand je travaille avec eux, pour
garder la différence. Mais c’est vrai qu’il y a une qualité de mouvement, de
l’action. Il y a comme une osmose.
Quand j’ai une scène avec Augusto Omulu, dans le spectacle Hamlet, la qualité de
mes actions change un peu, ce n’est plus en relation avec sa qualité d’énergie.
Cependant, quand je fais mes scènes avec les artistes balinais, alors ma qualité de
mouvement est influencée par cela. Mais je n’essaie pas de faire de la danse
balinaise. Pas du tout. Je fais mes actions, j’ai mes improvisations, j’ai mes images
dans la tête, ma façon de marcher. Je ne marche pas comme une Balinaise, mais
dans les moments auxquels j’ai des dialogues avec Hamlet, le père, alors, il est clair
que ma qualité de présence doit être en harmonie avec la sienne. Je ne sais pas si
c’est clair, ce que j’essaie de dire. Ce n’est pas dans l’apparence, ce n’est pas dans la
forme extérieure que je rentre en syntonie avec sa qualité de présence. C’est une
qualité intérieure.
J.C. — Je suis en train de penser en fait à la façon dont vous travaillez à l’Odin.
Quand vous travaillez la partition, quand vous avez la partition, après le texte.
Après elle se retransforme et vous avez des images qui ne sont pas forcement lié au
texte d’Hamlet. Eux aussi quand ils travaillent, par exemple par rapport à Medea, ils
parlaient le texte du gambuh, ils ne parlaient pas le texte traduit. Donc la
composition, le montage sont faits par Eugenio. D’une certaine manière, c’est
comme si vous travailliez de la même façon. C’est comme si à l’Odin travaillait à
l’asiatique, avec des codes propres.
R.C. — Je pense qu’Eugenio a été extrêmement influencé par le théâtre asiatique.
Mais il va vous en parler.

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J.C. — Et vous, avant d’avoir ces contacts avec l’Asie, avec le théâtre japonais.
Qu’est-ce que vous a frappé le plus quand vous avez regardé ce théâtre ? Avez-vous
des souvenirs de cela ?
R.C. — C’est la beauté. C’est la beauté. C’est la sensation de rentrer dans un lieu
magique, dans un rêve. Tout l’or qui brille et la musique. La musique est
extraordinairement forte. La musique balinaise rentre vraiment dans mon cerveau.
C’est presque animal, la fascination. C’est une musique qui fascine, qui séduit,
avec des rythmes très organiques. C’était une fascination visuelle, pour la beauté,
comme pour tous les détails. La beauté du geste autant que la beauté des
ornements, autant que la beauté des gens, de la musique, et puis l’encens.
C’est comme s’ils essayaient de frapper et de séduire tous mes sens. Je trouve
extrêmement séduisant. Et puis je n’ai pas besoin de comprendre ce qu’ils disent
pour me laisser transporter dans cet univers et enjoy. Tandis que dans le théâtre
japonais j’avais plus de mal, car le rythme, par exemple, est plus lent. Il y a tout ce
travail contre le rythme qui est banal pour eux. Quand (le rythme) est développé au
niveau du théâtre balinais, c’est fou, c’est énorme. Ainsi, n’importe qui est séduit
par le spectacle balinais. Je crois que n’importe qui.
J.C. — Et vous l’avez vu en Europe et êtes-vous allée à Bali ?
R.C. — Oui.
J.C. — Et le contexte religieux, comment le regardiez-vous ?
R.C. — Maintenant, je vais dire une chose qui peut être provocante. Mais j’ai
connu le théâtre balinais en Europe, dans le contexte de l’ISTA. Cela signifie que
j’ai vu le spectacle sur une scène qui était très propre avec un fond noir. C’était
magnifique de les voir, car ils étaient tellement différents du contexte, qu’ils
sortaient vraiment.
Et puis quand j’ai été à Bali, ce qui m’a frappé c’est le grand contexte, le monde.
L’univers dans lequel ils bougeaient était tropical, tout à fait en harmonie avec
eux, mais la scène était très pauvre et très rough, très dure. Elle n’était pas soignée.
Et cela m’a frappé beaucoup, parce que je pensais que tout l’aspect religieux
demandait aussi un sol comme celui du théâtre noh, bien poli.
Tandis que là, non, c’était la terre ou le ciment. C’était vraiment le temple de
Batuan. Peut-être que tu l’as vu, non ? Je n’arrive pas à le penser comme un

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temple. C’est un temple, bien sûr, mais où nous faisions nos répétitions, c’était un
endroit très brut, pas magique. Il devenait magique quand les acteurs, les danseurs
et les musiciens commençaient leur performance. Tandis qu’un théâtre, même
quand c’est vide, c’est magique, parce que c’est plein de possibilités, non ?
Je ne voyais pas cet endroit comme plein de possibilités. Je voyais quelque chose de
dur. Pour moi, c’était une grande différence de voir une troupe balinaise faire ce
spectacle dans un théâtre en Europe, ou de les voir faire ces représentations à Bali.
De plus, toutes ces représentations que j’ai vues, je les ai vu la première fois en
2005, 2006. D’une certaine manière, c’est très récent. E il y avait beaucoup de
spectateurs. Alors, la religiosité, je crois, avait laissé beaucoup le pas à la
performance, car c’était pour les touristes. Bien sûr, j’ai vu le kecak, bien sûr j’ai vu
le Barong, mais j’avais l’impression qu’ils le faisaient pour nous qui regardions, pas
pour eux. Bien sûr, Margaret Mead a eu d’autres expériences, parce que c’était un
autre temps.
Alors, le religieux, je le vois dans la façon dont laquelle ils vivent, dont laquelle ils
font les masques. Le religieux est dans le quotidien, dans la façon dont ils
s’habillent avec toutes les offrandes. C’est une religiosité très sensuelle, qui est une
forme de respect de son propre corps. Ce n’est pas du tout la forme de religiosité
chrétienne. C’est aussi fascinant, car c’est tellement différent et en même temps
très près de la terre. Ce n’est pas une religiosité intellectuelle, c’est une religiosité
qui passe à travers le corps. C’est l’impression que j’ai. Pour ça, peut-être, cela
communique très facilement avec d’autres cultures, car tout le monde a un corps.
Tout le monde peut s’identifier, peut apprécier, peut avoir de l’empathie. Ne pas
s’identifier, mais rentrer dans un rapport d’empathie, c’est ça.
J.C. — Roberta, vous avez vu aussi différents Balinais enseigner. Est-ce que leur
façon de le faire a changé la façon dont vous enseignez ?
R.C. — Non. Puisque depuis le début, ils travaillent sur les positions des jambes,
du torse, des épaules, qui sont des positions très artificielles, très dures
physiquement. Tandis que je ne travaille pas du tout de cette façon-là. Alors, dans
ce sens, je ne sens pas que leur façon d’enseigner m’a influencé.
J.C. — En observant votre processus d’entraînement et de création, je me demande
où est la frontière, ou même s’il y a une frontière.

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R.C. — Il n’y a pas de frontière, parce que toutes les informations, toutes les
inspirations que j’ai reçues, je les ai incorporées, je les ai transformées et elles font
partie de mon histoire. C’est comme pour vous, si je vous demande quelle est
l’influence de votre tantine sur votre façon de vous habiller. Maintenant, c’est vous
qui choisissez. De la même façon, quand je joue c’est moi qui joue. Et moi, je suis
l’addition, pas mathématique, de toutes les informations que j’ai reçues. Mais cette
addition a passé par un processus d’osmose. Ainsi, il n’y a pas de frontière, à mon
point de vue.
Je peux dire qu’il y a toujours un pourcentage, ou je ne sais pas combien, de mon
expérience avec la culture balinaise dans mon travail. Sûrement beaucoup avec le
travail avec les yeux. Surtout la conscience du pouvoir du regard.
Dans la danse butoh et dans la danse japonaise, il y a vraiment tout ce travail
d’absence du regard. Le regard de l’absence, le regard du fantôme. C’est le
« fantôme de » qui fait et qui raconte l’histoire. Dans la danse balinaise au
contraire, le focus des yeux est très fort. Alors, c’est entre ces deux pôles qui se
développe. Je peux le reconnaître. Mais en même temps, ma mère avait des yeux
balinais quand elle me regardait comme ça, sans dire un mot, quand j’étais en
train de prendre une tartine. (Rires) C’était des yeux très forts ! Et bien sûr, il y a
tout le travail avec les rasa5, de la danse indienne. Comme je te dis, je ne sens pas
de frontières en moi.
J.C. — Nous allons à l’autre côté du monde, au Brésil. Quels sont les Brésiliens
avec lesquels vous avez le plus travaillé ? C’était Augusto ?
R.C. — Non. J’étais au Brésil en 1978, et j’ai travaillé en réalité avec Mestre
Cebolinha du Mercado Modelo de Bahia. J’ai travaillé la capoeira avec lui pendant
un mois. Et puis j’ai vraiment regardé les cérémonies de candomblé, mais moi et
mon copain on était les seuls blancs dans cette situation. Alors là, vraiment, j’ai eu
la possibilité de rentrer dans une situation religieuse qui n’était pas performative,
qui était pour eux. Nous, nous étions des mouches blanches collées, invisibles.
Cela fait une grande différence. Et puis, j’ai aussi travaillé avec Augusto, mais
comme partner.

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J.C. — Et qu’est-ce que vous avez remarqué dans cette corporalité brésilienne, qui
est très influencée par la culture africaine ? Ou, avez-vous remarqué quelque chose
parmi les Brésiliens que vous avez rencontrés au niveau corporel ?
R.C. — C’est très facile de travailler avec Augusto, car il a une intelligence
physique énorme. Grâce autant à son expérience avec la danse classique, la danse
moderne, contemporaine, qu’avec tout son héritage de la danse des orixas.
C’est très facile parce qu’il a une mémoire physique très forte. Il a un grand
répertoire dans lequel il peut prendre ce qui est nécessaire pour l’instant et il le
rappelle.
Tandis qu’avec les Balinais j’avais beaucoup de mal, c’était toujours à moi de leur
dire : « Maintenant tu fais ça, maintenant tu fais ça ». (rires) Bien sûr, la sensation
du rythme, du timing, est très forte chez Augusto, et c’était toujours un grand
plaisir de travailler avec lui, pas de doute.
J.C. — Quand vous avez commencé à travailler avec les formes asiatiques, quelles
ont été vos difficultés, si vous en avez eu ?
R.C. — La forme asiatique avec laquelle j’ai eu le plus de mal c’est celle qui a eu le
plus d’importance pour moi, pour mon développement. Je m’identifiais beaucoup
avec la danse orissi et j’avais une grande empathie envers la danse balinaise. La
danse avec laquelle j’ai eu le plus de mal, c’était la danse japonaise.
Ce qui était le plus difficile pour moi, c’était de prendre la position de base du
théâtre no h ou du théâtre kabuki. C’est une position, mais c’est actif. Et elle ne
demande pas un effort physique éclatant, comme la position de base du théâtre
balinais. Mais tu es presque immobile tout simplement. Il faut simplement trouver
ton axe. Cela signifie sentir ton corps du dedans. Ce n’est pas une question de
bras, ce n’est pas une question de genoux, comme dans la danse orissi, ni comme
dans la danse balinaise. C’est une question de se sentir dedans. Et ça c’était
énormément difficile, parce qu’à l’Odin, on travaillait avec le torse ou la tête, les
bras, les jambes, mais pas avec l’axe. Et j’ai eu beaucoup de mal. J’ai pris des
semaines, pour rencontrer cette sensation de l’axe. Mais après, quand je l’ai
rencontré, c’était vraiment comme avoir rencontré la formule. Parce qu’après, quoi
que je fasse, je sais que sur scène si j’utilise mon axe, si je travaille avec ça, je peux
être présente. C’est pour moi le sens de la présence.

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Et c’est ça que je travaille quand je fais mes séminaires. C’est absolument quelque
chose que je veux transmettre. Bien sûr, ce n’était pas du tout confortable de
prendre la position de base de la danse balinaise, tous les muscles avaient mal,
mais c’était une limite physique qui n’était pas dure au-delà de la peine. Tandis
que le théâtre japonais requerrait vraiment une autre forme de présence qui était
introvertie plus qu’extravertie. Pour cela, la combinaison des tous les théâtres :
balinais, indien et japonais était géniale pour moi.
J.C. — Nous parlons de présence. Quand vous jouez et quand vous regardez,
qu’est-ce que c’est la présence pour vous ? Quels sont les signes de présence de
l’acteur ?
R.C. — C’est d’être dans ce que l’on est en train de faire fraseggio. Phrasing, en
anglais. C’est un mot qui vient de l’univers musical. Cela signifie que tu fais ce que
tu fais, mais pas mécaniquement, mais phrasing, en fraseggio. De cette façon-là, tu es
présent, car en réalité, tu es dans ce que tu fais, tu ne penses pas à autre chose. Tu
ne penses pas à ce que tu vas faire, ni à ce que tu as fait. Mais tu es dans ce que tu
es en train de faire. Phrasing, cela signifie que tu décides l’intensité, la vitesse de
chaque moment et tu le décides avec tout toi-même, pas avec la tête. Alors, dans ce
moment-là, tu es présent.
J.C. — Et quand vous regardez un comédien ?
R.C. — Quand je regarde un comédien, c’est si ça fonctionne ou si ça ne marche
pas. Si ça ne fonctionne pas, ça ne fonctionne pas. S’il me fait danser sur ma
chaise, ça fonctionne. S’il ne me fait pas danser sur ma chaise, ça ne fonctionne
pas.
J.C. — Roberta, vous avez déménagé de l’Italie au Danemark, vous êtes toujours
entre deux pays, deux mondes. Sentez-vous toujours entre deux mondes
différents ?
R.C. — Je suis dans mon monde, en fait, je suis dans le monde de l’Odin théâtre.
Quand je voyage, je voyage autant qu’actrice de l’Odin théâtre, avec toute mon
expérience. Et alors, je suis toujours dans mon monde. Mon monde c’est mon
identité professionnelle, qui est une grande partie de mon identité, tout court. De
ce fait, je peux aller au Brésil, je peux aller au Japon, en Amérique du Nord, en
Afrique, mais ce que j’amène, c’est mon expérience, que je vais partager avec les

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autres. Chaque endroit à ses caractéristiques, mais je suis dans mon monde. Je
peux voir ce que les acteurs font dans les différents pays, être inspirée par ce que je
vois, bien sûr, et ça va être une partie de mon univers, de mon expérience, ça va
entrer en moi, non ?
Je voulais dire une chose que j’ai oublié de dire avant quand tu m’as demandé si
un acteur fonctionne ou ne fonctionne pas. Je pense qu’un acteur fonctionne
quand il me fait oublier moi-même. Quand je le regarde, et je ne pense plus à moi-
même, je ne pense plus. Je suis dans ce que je vois, tu comprends ?
J.C. — Oui. L’Odin théâtre est un groupe de recherche continue. Quelle est
aujourd’hui la recherche du groupe, plus précisément votre recherche ?
R.C. — Ah, c’est bien que tu dises « votre », parce que ce n’est pas du tout le
groupe... (Elle fait un geste avec les mains qui vont en directions différentes). Pour
l’instant, la recherche est surtout sur la pédagogie, sur comment transmettre. Et
comment transmettre, pour moi, c’est qui est l’essentiel. En même temps,
comment le transmettre d’une façon qui ne soit pas ennuyeuse pour moi-même.
Comme ça, que je ne me fatigue pas d’écouter mes mots. Ça, c’est ma recherche.
maintenant.
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ENTRETIEN AVEC LUCIA BENSASSON


Réalisée à ARTA, à la Cartoucherie de Vincennes, en France, le 25 juin 2012

J.C. — Mon travail porte sur les relations, sur les enjeux interculturels autour des
danses balinaises et les rencontres entre différents artistes avec cette tradition.
Donc, j’ai deux ensembles de questions à vous poser : le premier est centré sur le
travail du masque en général et en particulier le masque balinais. Votre expérience
en tant que professeur et aussi en tant qu’observatrice, puisque beaucoup d’artistes
sont passés ici pour enseigner le topeng. L’autre ensemble, c’est autour de cet
accueil de différents artistes à l’Arta.
L.B. — D’accord. Il y a des questions qui s’entremêlent, je crois.
J.C. — Concernant les masques balinais, quel était votre premier contact avec ces
masques ?

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L.B – Alors, le masque balinais c’est quelque chose que l’on a découvert beaucoup
plus tard. Mon expérience vient du Théâtre du Soleil. Je pense que cette
découverte du masque balinais est vraiment liée à l’histoire de L’Âge d’or, qui a été
le grand travail, la grande recherche menée par le Théâtre du Soleil autour de la
commedia dell’arte. L’idée était de monter un spectacle de comédie nouvelle avec
des masques de la commedia dell’arte qui étaient des masques anciens, qu’on
appelait de la comédie ancienne. Donc, il y a eu tout ce travail autour de la
commedia dell’arte : retrouver la grammaire et essayer de savoir comment
fonctionnait le masque. C’était une découverte à travers les livres, mais surtout
empirique, parce que nous voulions retrouver notre grammaire. Par exemple, on a
fait venir un acteur du Piccolo Teatro de Milan et en fait... pour eux, il y avait eu
aussi une recherche à travers des livres puisque cette tradition avait disparu. Au
XVIIIe siècle, c’était un peu la fin de la commedia dell’arte. Donc, il fallait retrouver
comment fonctionnaient ces masques. Alors eux, ils ont essayé de les retrouver
avec une iconographie et c’est pourquoi Arlequin marche à partir d’une gestuelle
très iconographique. Ainsi, ils ont en fait recréé une tradition. Nous, nous avons
essayé de retrouver cela différemment. À la fois, de manière très iconographique,
mais surtout en essayant de trouver comment fonctionne le masque, comment
fonctionne les arrêts ou pourquoi un masque ne marche pas : soit parce qu’il est
en perpétuel mouvement et on ne le voit plus. S’il est en arrêt et tout tombe, il
n’existe pas non plus. Donc, il fallait retrouver tout cela. De ce fait, nous avons
mis un temps considérable, un an et demi, et ce travail a été excessivement
passionnant.
Les masques du topeng, on ne les connaissait pas. Bali, on ne savait pas où c’était...
Bon, j’exagère un petit peu ! Pendant cette année de recherche, il y a eu un
événement : la création, je crois, du premier Festival d’Automne. Michel Guy a fait
venir une troupe de topeng de Bali. C’était un mélange d’acteurs balinais et javanais
qui étaient dans la tradition balinaise. Et cela a été un très grand choc pour nous
de les voir. C’était tellement magnifique, j’étais très, très, très fascinée. On a eu
une rencontre un petit peu particulière, car les acteurs de topeng balinais sont
venus et ils ont essayé nos masques. On n’a pas fait l’inverse. C’était fascinant de
voir ce qui se passait quand ils mettaient le masque d’Arlequin ou de Pantalon.

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Tout de suite avec les acteurs, notamment avec le maître, qui s’appelait Pugra, il
n’existe plus. C’était fascinant, c’était comme si on avait rencontré nos cousins
éloignés. Il y avait cela notamment avec le demi-masque, avec ce qu’on appelle les
Bondres. Je pense que tu as découvert tous ces masques et que tu vas certainement
exprimer cela dans ton travail. Ce sont les masques de caricature, les villageois du
topeng balinais, et des masques entiers absolument magnifiques. Ils sont fascinants
et sont très liés à la musique.
J.C. — Dans cette première rencontre, qu’est-ce qui vous a fasciné le plus ?
L.B. — C’est la beauté, c’est la beauté du topeng. C’est l’étrangeté de cette musique
et c’est à la fois la fascination suscitée par les masques à la fois entiers et aussi les
masques... Enfin, c’est l’ensemble du spectacle. C’était un grand topeng. Cet
univers est d’une extrême beauté, et en même temps, ces masques, ces gens qui
pratiquaient, ces artistes qui étaient en fait des paysans et que le soir se
rassemblent et dansent comme ça des danses traditionnelles. Que cela perdure et
que ce soit encore vivant, c’est ça qui est extraordinaire. Nous, on est allée
rechercher des choses qui ont cessé dans notre occident. Alors que là, c’était lié à
un certain, le topeng pajegan, où l’acteur est seul, est encore lié aux rites, aux
temples. Les grands topeng sont vraiment spectaculaires. Et c’était très, très, très
fascinant.
Le spectacle de L’Âge d’or a mis beaucoup de temps à se faire, avec beaucoup
d’interrogations. Enfin, quand on essaye de retrouver une forme, c’est quand
même énorme. Alors, pendant l’été on se prenait nos vacances et on s’est séparés.
Ainsi, à la suite de l’arrivée de ces Balinais, Ariane a eu envie de voir d’un peu plus
près Bali. Elle est partie pour y rencontrer les Balinais, ces masques et pour
comprendre comment cela fonctionnait. Donc, il a eu cette rencontre-là aussi qui
a été extrêmement importante. Peu après L’Âge d’or, puisqu’on avait déjà fort à
faire, les masques balinais sont entrés au Théâtre du Soleil.
En 1981, nous avons préparé Les Shakespeare, qui était un énorme projet,
gigantesque. Richard II s’est fait très vite dans une forme soi-disant inspirée du
kabuki et de toutes ces choses-là. Mais, on a travaillé sur les comédies. Il y avait La
Nuit des Rois. Là, on a notamment travaillé avec de masques balinais. On s’est
amusé avec eux, on a improvisé. Finalement, ce n’était pas ce qui est resté, mais

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cela a fait partie du travail. En ce moment-là, moi, j’ai découvert le masque
balinais. J’en avais trouvé un et j’ai travaillé sur le personnage de Malvolio. J’étais
enceinte et j’ai travaillé sur ce personnage qui parlait un petit peu comme ça (elle
fait une démonstration). Donc, je l’avais découvert, mais évidemment de façon
empirique. Les Bondres étaient comme des personnages. On ne travaillait
absolument pas avec les masques entiers. Ainsi, les Bondres sont arrivés au Théâtre
du Soleil, comme des personnages, avec des noms qu’on leur donnait au fur et à
mesure que l’on les inventait.
J.C. — Comment c’était cette démarche de travail avec les Bondres ?
L.B. — C’était assez intéressant. On a travaillé ces masques avec le texte de
Shakespeare. C’est vrai qu’en ce moment-là, moi, j’ai trouvé que cela ne
fonctionnait pas mal pour ces esquisses. Il faut dire que c’était une idée et je crois
que l’idée première ce n’était pas génial. Comme dans les tragédies il y a eu très
peu de femmes, l’idée était que les femmes allaient jouer les comédies. Du coup,
tous les personnages, à l’inverse de Shakespeare qui montait ses pièces
uniquement avec des hommes, là, on avait décidé que les comédies c’était pour les
femmes. Au début, on s’est bien amusée. Mais, en fait, c’était une idée, c’était une
idée de troupe et finalement cela n’a pas fonctionné. Donc, tout le projet était
même transformé. Au début, on prenait des masques pour jouer certains
personnages masculins. Il y avait quelques masques qui ont circulé comme ça et on
les avait travaillés. Moi, je me rappelle de mon travail avec Malvolio avec un
Bondres. Et après, j’ai quitté le Théâtre du Soleil. J’ai quitté cette aventure
théâtrale. Mais, je sais qu’ils ont beaucoup travaillé avec ces masques. C’était
vraiment superbe et cela marché très bien.
J.C. — Après avoir quitté le Théâtre du Soleil, avez-vous développé votre travail
pédagogique ?
L.B. — Pas tout de suite. J’ai quitté le Théâtre du Soleil et j’ai poursuivi une
carrière plus individuelle. J’ai joué ailleurs et progressivement, dans un moment
donné ils m’ont sollicité pour venir enseigner. Donc, je n’avais pas pensé à cela
avant. J’ai commencé et je me suis dit de commencer par utiliser le matériau que
j’ai eu en tant que comédienne. C’était toujours de cette place-là que je me mets,
de cette expérience-là, pas forcément de la place de pédagogue. Là, je n’ai pas du

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tout commencé par travailler avec le masque. On travaillait avec des extraits de
pièces, sur des formes diverses. Ce n’est que vraiment après que j’ai beau pensé au
masque, au jeu masqué, au rapport masqué. Même s’il n’y a pas de masque, il y a
un certain type de rapport au public, un rapport qui fait partie d’un jeu masqué et
qui a été beaucoup présent dans mon expérience avec le Soleil. L’idée d’une école
est venue progressivement. Cette idée est venue d’une rencontre que j’ai eue avec
Ariane où nous parlions d’un projet d’École, en disant que ça serait bien de faire
une école. Et Ariane m’a dit : « Il ne faut pas faire une École de plus. Il faut faire
une École autre. » En ce sens, c’est fou la pertinence d’Ariane. Tout d’un coup,
elle mettait en lien les expériences qu’on a eues au Théâtre du Soleil et aussi en
dehors le Théâtre du Soleil. Tout ce qui a apporté le Théâtre des Nations, qui a
apporté après le Festival d’Automne. C’étaient ces rencontres avec ces grandes
formes traditionnelles du théâtre : la découverte du kabuki, du noh, du kyogen, du
bunraku. Le bunraku c’était quelque chose de grand choc aussi. Je crois que pour
moi le plus grand choc au théâtre c’étaient le topeng et le bunraku. Et aussi dans
mon enfance, après je me suis souvenue de cela, dans mon enfance, j’étais en
Tunisie et j’avais une passion pour le théâtre. J’allais dimanche au théâtre et c’était
un grand bonheur. Je voyais un tas de choses, être au théâtre me plaisait
énormément. Et puis tout d’un coup, j’ai eu un grand choc : c’était l’Arlequin
serviteur de deux maîtres, de Strehler. Et ça, c’était une émotion extraordinaire,
vraiment extraordinaire... quand tout d’un coup un spectacle… je crois que cela
c’était mon premier grand choc théâtral. C’était l’Arlequin. Il y a des rencontres
théâtrales comme ça avant même que l’on pense que l’on va faire du théâtre un
jour.
Donc, pour poursuivre, il y a eu la création de l’ARTA et le premier stage que l’on
a fait venir était le topeng balinais, avec un vraiment grand, grand maître qui est I
Made Djimat. Et I Made Djimat avait une disciple qui s’appelait Cristina Wistari,
que tu as bien connu. La première année, on n’avait pas ce lieu qui est là
maintenant, qui est une bénédiction pour nous. On était nomade. Donc, on avait
nos bureaux au Théâtre du Soleil. J’avais créée cela avec Claire Duhamel, qui
Ariane connaissait bien et qui était administratrice de Barrault. On a créé l’ARTA
ensemble. On organisait trois stages dans l’année et on allait voir nos voisins de

492
théâtre. Le premier stage de topeng était fait dans le Théâtre de l’Aquarium. Après
on a reçu une artiste indienne et ensuite, un acteur d’opéra chinoise. L’année
d’avant, je l’avais passé en Chine. Là, tout en coup, avec le topeng, c’était la
découverte, parce qu’avant je ne l’avais pas découvert, les codes de ce théâtre
extrêmement codifié et basé énormément sur la musique, sur le rythme et sur la
danse. Un théâtre dansé, et cela est magnifique. C’était la découverte de quelque
chose qui était extrêmement différent corporellement. C’était hallucinant.
Comment faire pour tenir son corps avec les épaules levées ? En même temps,
c’était la découverte de comment le masque, avec cette posture, est extrêmement
vivant. C’était impressionnant de voir Djimat, qui mettait ces masques à côté de
son visage et qui avait la tête de ces masques-là. Il montrait le personnage, puis il
mettait son masque à côté et on voyait sa tension qui devenait celle aussi du
masque. Dans le premier stage que l’on a fait de topeng, nous avons fait deux
groupes, parce qu’il avait beaucoup de monde, trente personnes. Donc, il avait un
groupe du matin et un groupe de l’après-midi. Progressivement, on a changé les
choses. Donc, l’idée c’était un mois de stage, d’entrée de jeu. Ainsi, il y avait deux
groupes qui travaillaient. Il n’était pas question, ce qui a beaucoup changé par la
suite, que les acteurs portent le masque. Donc, les acteurs travaillaient les codes, le
corps du masque. En réalité, c’est ce qui se passe à Bali, c’est-à-dire le danseur ne
porte le masque que pour danser. L’apprentissage se fait sans le masque. C’est le
corps du masque qui est enseigné, les codes du masque. Ce n’est qu’au bout de six
mois qu’un acteur est autorisé à porter un masque. Mais lors de la deuxième fois
ils sont revenus, puisqu’ils sont revenus vraiment régulièrement, on s’était dit que
ça serait bien de rallonger le temps, parce que finalement, le temps était d’un mois,
cependant divisé en deux. Donc, on a rallongé le stage, on décidé d’avoir qu’un
seul groupe qui travaillait plus intensément. À la fin, presque à la troisième
semaine, je ne rappelle plus très bien si cela s’est passé au deuxième ou au
troisième stage, il y a eu une tentative de faire porter les masques des Bondres.
Mais c’était assez simple d’une certaine manière, dans la mesure où finalement, ces
masques-là improvisent, même à Bali. Ces masques parlent, ils n’ont pas une
chorégraphie comme celle du Topeng keras, le topeng du ministre. En même
temps, la première chose qui était travaillée et qui est toujours travaillée, c’est

493
l’étude du masque du Topeng keras, qui est la base de l’étude du masque balinais,
du topeng balinais.
J.C. — Cette décision est venue de Djimat, de Cristina ou du groupe ?
L.B. — Elle est venue de la réflexion que l’on a essayé d’avoir au fur et à mesure
des stages que l’on a faits. On a expérimenté aussi. On ne savait pas comment,
quel serait l’impact, qu’est-ce que serait possible de faire. Le plus passionnant,
quand même, c’était tout le travail avec les Bondres et l’improvisation. Par rapport
à cela, je crois que l’on est dans le même niveau, sauf qu’ils ont une grande
pratique. Dans le topeng balinais, ces personnages sont finalement des entrées. Ils y
rentrent, ils font une petite chanson et après ils repartent. Par exemple,
l’expérience que l’on avait essayé de faire avec Shakespeare, c’était d’en faire de
vrais personnages avec le texte de Shakespeare. Ces expériences, on les a tentés
bien après. Là, je fais un raccourci dans le temps. Dans le stage avec Cristina en
2002, on a expérimenté le texte de Laurent Gaudé. C’était celui que tu as fait.
Malheureusement, je dirai que la mort de Cristina nous a empêchés de poursuivre.
Peut-être, il faudra trouver quelqu’un pour poursuivre cette expérience que pour
nous était débutante. Elle n’était pas extrêmement concluante encore. Alors,
Frédéric Tellier, un des acteurs qui était dans ce stage, a monté cette pièce. Je ne
l’ai pas vu, j’ai vu que d’extraits. Il m’a envoyé de vidéos. Donc, il a essayé
d’aboutir sur un texte, ce que je trouve vraiment intéressant. C’est une grande
difficulté, je trouve. C’est encore quelque chose qu’on interroge : est-ce que ce
masque sont que des outils pour des acteurs occidentaux ou peuvent devenir une
vraie matière théâtrale ? Effectivement, ça peut être un outil. Mais, il peut être
encore plus intéressant s’il est un objet théâtral de spectacle très exigeant qui soit si
beau. C’est ça la grande difficulté, c’est cette difficulté que l’on peut interroger,
que l’on interroge. Je pense que Guy Freixe s’interroge beaucoup à ce sujet dans
son livre sur les utopies du masque. C’est quelque chose que je m’interroge tous
les jours, puisque ce sont que des esquisses, des étapes... En même temps, je trouve
que c’est un outil extraordinaire. C’est un outil magnifique et je trouve que ces
masques-là ont une vie. Il y a aussi de bons masques et de masques pas très bons,
selon le facteur. Moi, ce que je trouve, je voudrais avoir trouvé dans ces masques,
c’est leur humanité et pas seulement leur caricature. Puisque souvent on arrive par

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le fait qu’il est borné, aveugle, sourd, qu’il a qu’une dent... Mais, je voudrais
trouver leur humanité. J’adore les masques où je trouve une grande humanité, par
exemple la Petite Dent. Dans les ateliers que j’ai dirigés, par des choses qui sont
apparues, on essaye de trouver leur humanité, l’intériorité de ces personnages,
pour qu’ils ne soient pas utilisés uniquement comme de caricatures.
J.C. — Et à propos de la corporalité de la danse ?
L.B. — C’est pour ça que c’est extraordinaire. C’est pour ça que je trouve que ce
sont les maîtres balinais qui doivent venir l’enseigner, parce que par rapport à cela,
moi, je me sens infirme. C’est pour cela que j’enseigne encore de façon très
empirique, de manière à faire sentir et à faire retrouver les règles. Parce que je
pense qu’il a de règles universelles par rapport au port du masque. Un masque, il
faut le faire apparaître, il faut le faire être dans un certain type de rapport avec le
public. Enfin, il y a des règles comme la rupture de rythme permanente. Alors, la
musique est là pour aider. Cela, je laisse aux maîtres balinais. Je trouve que c’est
extraordinaire de voir l’importance et la place du rythme et de la musique dans ce
théâtre dansé.
J.C. — Vous parliez du masque balinais comme outil du comédien pour accéder à
quoi exactement ?
L.B. — Pour accéder à un corps d’un acteur sur un plateau, au rapport direct au
public, à ce type de théâtre. Le type de théâtre que Meyerhold a appelé le théâtre
théâtral, le théâtre qui raconte.
J.C. — Une autre question, qu’est-ce qu’ils ont de particulier para rapport aux
masques de commedia ?
L.B. — Alors, c’est leurs cousins. La commedia dell’arte est assez... Peut-être que les
personnages sont plus subtils. On peut se dire qu’ils sont plus subtils que les
Bondres. Chez les Bondres, disons, ils ont une chose, par exemple, il y a le sourd...
Bon, il faut trouver ses contradictions. Ainsi, cela devient intéressant. Dans la
commedia dell’arte, ils sont plus que des caractères, ils ont aussi des rôles sociaux.
Arlequin est le valet. Il appartient à une tranche sociale différente de Pantalon.
Bon, il y a deux Pantalons : de Bisogonsi et le Magnifico. Ce sont des marchands. Ils
représentent une certaine force sociale, une classe sociale. Ils sont rangés par classe
sociale. En même temps, Pantalon a un caractère, il est avare. Et, il n’est pas

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qu’avare, il est aussi un amoureux. Mais, comme il est vieux, il devient pitoyable. Il
peut devenir pitoyable. Il y a ces doubles choses, il y a les contradictions et la
richesse d’un personnage. Finalement, ils sont très proches et cousins. On pourrait
les faire travailler ensemble et voir comment ils se regarderaient.
J.C. — Au Brésil, on parle de contre-masque d’un masque, c’est-à-dire le double de
ce masque, le domaine des contradictions, comme dans l’exemple que vous venez
de donner de Pantalon. Est-ce que les masques balinais auraient moins des
contradictions ?
L.B. — Voilà. Dans le topeng pajegan, ils sont moins sollicités. Bon, on raconte de
chroniques anciennes, du babad, du XVIIe siècle, qui sont des prétextes pour nous.
Il y a le rituel, c’est-à-dire, cela commence toujours avec le rideau qui va s’ouvrir, le
Topeng keras qui va rentrer, le caractère fort, le caractère du ministre, qui est un
masque entier. Ensuite, Topeng tua va arriver, le vieillard. Il y a un ordre. Et il
arrive le Penasar, qui est un masque assez complexe, qui est très important, qui est
le conteur. Il va raconter au public l’histoire de ses nobles, parce que c’est l’histoire
des rois qui va être racontée. Il va s’exprimer en différentes langues parfois noble,
parfois dialectale, vulgaire. Je ne sais pas comment les appeler, populaire. Ensuite,
il y a le roi. Il y a toujours cette espèce d’ordre qui est toujours le même, même si
les personnages changent ou les masques changent. En fin de parcours, on fait
venir les villageois. Ils vont improviser et vont raconter des anecdotes du village.
Tout le monde les attend parce que ça fait rire, c’est ce moment-là qui fait rire. Le
Penasar quelques fois aussi, mais c’est surtout les villageois qui vont faire rire, qui
vont improviser quelque chose qui n’a pas forcement à voir avec la vraie histoire.
Parfois, ils mélangent des faits et les gens les aiment bien parce qu’ils vont raconter
des bêtises. Mais, en fait, ce sont des entrées très courtes. Ils arrivent, la coquette
va montrer qu’elle est coquette, la grande-gueule va s’engueuler avec le public. Ce
qui est intéressant après c’est d’essayer de travailler avec ça. J’avais fait un atelier
avec un texte de Wadji et tout d’un coup, la grande gueule fonctionnait très, très
bien avec un personnage d’Incendies. C’est intéressant comme expérience. Après,
est-ce que l’on va monter un spectacle ? Je pense qu’ils peuvent surgir des
personnages de cette manière-là et cela peut devenir vraiment intéressant.

496
J.C. — Par rapport aux difficultés des élèves. Nous l’avons vu ici et même avec vous
au Théâtre du Soleil. Quelles étaient les grandes difficultés ? Ici, para rapport à
l’apprentissage de la danse, qu’est-ce que vous avez remarqué comme principale
difficulté ?
L.B. — Je trouve d’abord que l’apprentissage de la danse est la première grande
difficulté. Les postures corporelles ne sont pas celles d’un corps occidental. Les
épaules sont levées, les doigts sont retournés, ce qui est fascinant. Je n’ai jamais vu
un corps ainsi, même en ceux qui ont vraiment beaucoup travaillé. Je ne jamais vu
ces pieds-là. Puis, ce sont des corps qui sont formés, des corps que l’on forme dès
l’enfance. Bon, il y a qu’à voir Djimat en photo où il prend les enfants dans le
corps et il le façonne. Donc là, il y a une grande difficulté première. Les difficultés
peuvent être très excitantes, ce n’est pas que du négatif. Je pense qu’il a eu un
groupe qui n’a pas forcément travaillé avec Djimat, parce que l’on a eu une
continuité de travail avec Cristina, qui était très excité par une recherche
justement. Voir comment on pouvait utiliser tout cela au-delà d’un spectacle. En
fait, on savait que l’on ne monterait pas de spectacle balinais. Cela se monte à Bali.
Mais, la recherche était d’essayer de voir comment on pouvait adapter des textes
contemporains, ou pas contemporains, d’ailleurs. On avait envie de cette
expérience avec le texte de Laurent Gaudé. Il s’est prêté magnifiquement à ce
travail. Même avant, on a fait ce que l’on appelle un creuset à l’ARTA. Après un
stage, on a essayé de poursuivre un travail. Là, on l’a fait avec Jean François
Dusigne qui est de mes côtés depuis 1989. On avait essayé de travailler sur un
texte très ancien persan. Et on avait travaillé beaucoup sur les masques balinais.
On a essayé de voir si les démons (du texte) pouvaient être interprétés par des
personnages un petit peu démoniaques. Alors, dans ce début d’expérience,
Cristina était venue. Elle avait fait un travail. Moi, j’avais fait un travail de mon
côté et nous, on avait un petit peu travaillé ensemble. Il y avait aussi des masques
de la commedia dell’arte. On avait mélangé beaucoup de choses et on avait
expérimenté. Mais là encore, ce n’était pas très concluant. C’était encore une
étape. Pour cela, on a voulu la poursuivre avec l’expérience sur le texte de Laurent
Gaudé (Cendres sur les mains). À la fin du stage, il a eu une présentation de tous les
travaux et on a expérimenté quelque chose avec Cristina, mais en fait, elle n’était

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pas masquée. J’ai trouvé ce texte très difficile. Même après avoir demandé à
Laurent Gaudé. Je trouve qu’il y a des personnages... ce n’est pas évident le rapport
entre les fossoyeurs et la rescapée. Puisqu’après on a joué Médée Kali, monté par
Jean-François. Il m’a avoué qu’en fait il ne se préoccupait pas beaucoup des
acteurs. Lui, dans son écriture, il n’avait pas le spectacle en tête et d’une certaine
manière, il ne voyait pas cela comme son problème. Cela se sent dans son écriture.
Alors, comment interpeller cela ? Donc, on a fait une expérience avec Cristina,
j’avais envie d’essayer. Je lisais le texte et elle le dansait. On avait essayé avec un
masque entier, balinais, cela ne passait pas. Finalement elle l’a fait, mais sans
masque. En fait, tout cela vient de la même interrogation. C’était quelque chose
comme un début de recherche. Comment essayer de mettre ces outils ensemble ?
De voir comment on peut faire fonctionner un texte, un corps masqué. Puisque
même si Cristina n’était pas masqué, son corps est un corps dansé et masqué.
Quelquefois, quand je dis « jeu masqué avec ou sans masque », c’est pour voir qu’il
peut y avoir le masque sans le masque.
J.C. — Il y a eu Djimat et Cristina. Candri est venue aussi…
L.B. — Candri est venue aussi. Cela était justement le premier stage sans Djimat et
où on a fait venir Candri. Le stage était sur le théâtre d’ombres et le thème était le
Ramayana. C’était deux aspects du théâtre balinais. Le théâtre du topeng, où les
histoires sont quasi les mêmes. Dans le théâtre d’ombres, c’est plus le Ramayana.
C’était très intéressant cette confrontation. Ni Nyoman Candri était vraiment une
très belle actrice, avec une voix incroyable. Après, avec l’expérience qu’a faite
Cristina avec le théâtre de femmes de topeng balinais, elles sont venues présenter au
Festival de l’Imaginaire. J’avais téléphoné à la Maison des Cultures du Monde
pour dire qu’il avait un topeng de femmes. Elle avait vraiment créé une troupe et
c’était vraiment formidable. Notamment Ni Nyoman Candri qui était une actrice
incroyable. Tu as connu Candri, mais quand tu étais à Bali, c’est ça ?
J.C. — Oui, cette dernière fois, j’étais hébergée chez elle et j’ai fait de cours de
chant.
L.B. — Et en fait, c’était toi qui as vu la dernière Cristina. En ce moment, elle était
encore vivante, mais déjà malade.
J.C. — On ne le savait pas.

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L.B. — Même elle ne le savait pas. C’était terrible... Justement parce qu’en dehors
du plain humain, je dirai amicale, que l’on était lié, c’était aussi... On avait l’envie
de poursuivre un travail comme ça avec Cristina, d’expérimenter, de voir si l’on
pourrait aboutir à quelque chose. Justement en partant à la fois de codes, du corps
codé et peut-être trouver... je crois que l’on a essayé de comprendre l’apprentissage
de ce corps, de trouver la fluidité du jeu masqué et au-delà des postures. Parce que
quelquefois, je trouve que cela interrompe un peu la narration que l’on peut avoir.
C’est ça la difficulté. C’est la difficulté qu’on a eue avec L’Âge d’or. C’était de
trouver à la fois le corps masqué, ce corps arrêté, mais qui n’est pas un arrêt... c’est
qui est très difficile d’expliquer à un acteur. C’est que l’arrêt n’est pas « je laisse
tout, je laisse tomber. ». C’est de rester dans la tension du personnage, mais « tac »
et « tac » (elle montre). Mais de rester dans cette tension et pas « ah voilà, je
m’arrête. » C’est de trouver à la fois la fluidité du corps masqué qui est très
naturelle pour eux, parce qu’il y a cette musique qui est là. C’est de voir comment
on peut inscrire quelque chose qui soit important et qui ne soit pas simplement
une petite fable, qui soit jolie, simplement jolie, parce que ce que les Balinais font
c’est plus que joli.
J.C. — En parlant un peu de Cristina, elle était quand même une personne qui
faisait le pont...
L.B. — Tout à fait, elle faisait le pont. À la fois, je trouve que Cristina était d’une
très grande exigence et d’un respect encore plus important, je dirai même plus que
le Balinais, elle était dans un respect par rapport à la forme. Je pense que c’est une
lutte à mort qu’elle a menée et qui lui a usé. Alors qu’elle faisait très attention. Par
rapport au gambuh, ce qu’elle a fait comme travail par rapport à la culture
balinaise, c’est extraordinaire. Évidemment, ce débat qu’on avait ensemble nous
intéressait tellement et on voulait le poursuivre. Même dans l’histoire du masque,
c’est peut-être un peu prétentieux de dire ça, mais je trouve que Strehler et le
Théâtre du Soleil et Ariane ont tenté une aventure qui a été jusqu’au bout de cela.
Une, dans la création collective de L’Âge d’or, en prenant le temps, avec beaucoup
d’échecs. Mais, c’était vraiment... à chaque fois que quelqu’un comprenait quelque
chose, on se disait : « Qu’est-ce que s’est passé ? ». On essayait d’expliquer qu’est-ce
s’est passé pour montrer que tout d’un coup c’était juste. Chaque acteur qui avait

499
trouvé le masque avait trouvé peut-être quelque chose qui nous permettait
d’arriver à une définition : « Là, c’est juste, là, ce n’est pas juste. »
J.C. — Aviez-vous alors un travail de réflexion par rapport au masque...
L.B. — Ah oui. Au fur et à mesure, c’était passionnant. Cela a été extrêmement
riche, extrêmement passionnant. On est allé voir même d’autres formes que celle
de la commedia dell’arte. Il y avait des personnages que l’on avait tirés de ce que l’on
avait appelé de « théâtre chinois », par exemple. Cela n’était pas forcément du
théâtre chinois, mais ce que l’on retrouvait dans des écrits ou dans des choses que
des acteurs faisaient. Par exemple, un acteur qui arrivait avec son décor, qui créait
l’espace. Comme on était dans un espace nu, il fallait représenter le lieu où on
était. De là, « l’acteur décorateur ». Beaucoup se sont inspirées d’une certaine idée
du théâtre chinois. C’était très expressionniste. Nos sources étaient à la fois
l’imagination et la réalité : des masques blancs du cinéma muet, on a travaillé sur
le mélodrame, on a travaillé sur énormément de choses. De temps en temps, on
quittait les masques de commedia dell’arte pour essayer de comprendre comment
tout cela pouvait fonctionner. C’est qui était très riche et très passionnant.
J.C. — Pour revenir un peu sur ces trois expériences dont vous avez fait référence et
qui vous ont marqué énormément : Strehler, le topeng et le bunraku. Est-ce que
vous arrivez à cerner ce qui vous a frappé tellement ? Pourquoi ces expériences
vous ont bouleversé tellement ?
L.B. — (des rires) C’est toujours difficile de dire qu’est-ce que nous bouleverse.
Effectivement, c’est... des coïncidences je dirai. D’une certaine manière, c’est du
théâtre masqué, mais différemment masqué et dans des lieux de théâtre
traditionnels. Mais le bunraku, ce qui m’a fasciné ce sont ces marionnettes vivantes.
Ces marionnettes qui sont vraiment, qui vont bouleverser, qui vont pleurer. Dans
une pièce très classique où il y a un double suicide, c’est une espèce de Romeo et
Juliette japonais... Voir ces marionnettes... d’une beauté extraordinaire... Cela m’a
apparu miraculeux. La première fois que je les avais vus, c’était dans le cadre du
Théâtre des Nations. Après, je l’ai revu au Théâtre de la Ville et la fascination
n’était plus du tout la même. J’avais l’impression d’être tellement loin. Je ne sais
pas où j’étais placée à l’Odéon. Apparemment, j’étais très bien placée, parce que
c’était complètement bouleversant. Il y avait une proximité et une émotion

500
extraordinaires. Au Théâtre de la Ville, quand je les ai revues, j’étais un petit peu
déçue. Il y a quelque chose à avoir avec la proximité. Et c’est très beau ! Je ne sais
pas quoi vous dire. J’étais bouleversé par la beauté. La mise en scène de Strehler
était extraordinaire. Je l’ai revue après, un peu plus tard, à peu près à la même
époque. Je l’ai vu au Théâtre d’Aubervilliers. J’étais déjà au Théâtre du Soleil et on
répétait Les Clowns, qui est une forme théâtrale aussi très difficile et très complexe.
C’est aussi une forme qui a un certain rapport avec le public. Je crois que les
premiers chocs sont les plus grands, après on essaye de remettre sa mémoire. Mais,
je crois que c’est toujours la première fois que l’on se dit : c’est la plus belle.
J.C. — Êtes-vous allée à Bali ?
L.B. — Bien sûr. J’étais à Bali en 1991. Je ne me rappelle plus si c’était avant de
recevoir pour une deuxième fois Djimat. J’ai suivi Djimat dans le camion où il
allait. C’est là où je comprenais un petit peu Cristina dans son exigence. C’était
que Djimat, pour gagner sa vie, il allait dans des hôtels. Cristina n’y allait jamais. Il
allait dans des hôtels, donc je le voyais s’habiller avant de partir et ils arrivent au
Club Méditerranée où ils annonçaient la troupe folklorique... Les gens continuent
à se parler... c’est terrible ça. Mais en même temps, c’était intéressant de voir cette
réalité-là. Par contre, j’ai vu de très beaux topeng dans les villages. On a fait des
voyages à l’intérieur de Bali, dans des villages perdus et là, c’était vraiment dans le
temple. Donc, j’ai vu les deux aspects. J’ai vu dans des hôtels où les gens
mangeaient et on les faisait un simple extrait. Je disais à Djimat qui c’était terrible.
Donc, il y avait ce double aspect. En même temps, il faut vivre. Des fois, on est
plus royaliste que le roi. C’est une expression française pour dire ça. Mais c’est vrai
que Cristina soufrait beaucoup de ces choses-là. Ce que j’ai eu beaucoup de
bonheur à voir c’était un gambuh et les répétitions chez Djimat où il y a un temple.
Je ne sais pas si tu es allée chez Djimat. Ils ont répété le gambuh qui est d’une
beauté extraordinaire. Puis, j’ai assisté à une représentation de gambuh dans un
village. Cela était déjà plus rare. C’était une grande chance. J’ai pu aller aussi voir
le facteur de masque et voir les bons masques, les mauvais masques et il y a le
choix. Je dois dire que grâce à Cristina, je n’ai pas énormément de masques, mais
ceux que j’en ai, ils sont vraiment formidables. J’ai déjà vu ceux qui ont

501
énormément de masques, mais ils ne sont pas toujours de la même qualité. Le
sculpteur de masque c’est.
J.C. — C’est Tangguh ?
L.B. — Oui. Et à chaque fois, elle choisissait de bons masques.
J.C. — Le fait de voir le topeng pajegan et voir le contexte où il est… comment
pourrai-je dire...
L.B. — Le côté touristique ?
J.C. — Non, le côté religieux...
L.B. — Mais en même temps, il est très... c’est là aussi où on prête au religieux
toujours... Il y a des rituels, mais il y a une familiarité. Il y a même une photo où
on voit le spectacle et les spectateurs, ils sont de dos au spectacle. Même en Chine,
cela m’a fasciné aussi. Avant le spectacle, il y a un bruit terrible dans la salle. Le
spectacle commence et je me suis dit « Bon, tout va s’arrêter ». Pas du tout ! Les
personnes continuaient à parler. Et puis, tout d’un coup, il y a l’acteur ou le
moment qu’ils aiment. Ils s’arrêtent et ils sont là : « Ah, ahaaa ». Ils soutiennent
leur acteur. Pour nous, on n’a pas du tout le même rapport. Je pense qu’en Inde
c’est pareil. Le rituel fait partie du quotidien à Bali. Ils sont là, ils continuent et
tout d’un coup, il y a le vieux qui va les faire rire. Ils préfèrent d’entendre les
Bondres qui vont raconter des histoires et qui les font rire. En même temps Bali,
c’est beau. Ils passent leur temps à faire des offrandes. Il y a celles qui empilent
toutes leurs offrandes... J’ai rarement vu quelque chose de si beau. Il y a une espèce
d’harmonie, que l’on le retrouve dans leurs spectacles. En même temps, ce qu’était
bien dans ce temps où j’étais à Bali, c’était de voir toutes les formes de spectacle.
La grande force de Djimat, c’est qu’il est un danseur avant tout. Un grand danseur
qui connait toutes les formes de danse. Sa mère était aussi une grande danseuse.
Donc, il connait toutes les danses, toutes les formes de danses. C’est sur
commande, il faisait ce que vous vouliez.
J.C. — Le fait que le masque ait ce caractère sacré à Bali, est-ce que cela, dans un
moment, vous a posé de problème ? Cela vous avez fait hésiter en travailleur avec
le masque ?
L.B. — De toute manière, il y a un masque que je n’aurai pas, c’est celui qui
conclut l’histoire. Cristina ne pouvait pas le porter, mais qui portait Djimat par

502
contre. C’est le Sidhakarya et celui qui dans le temple conclut l’histoire. Celui-là,
je n’en ai jamais eu. Cristina, quand elle était face à ces masques, elle était comme
à Bali, elle se mettait en prière. Moi, je ne le fais pas. Je ne me sens pas de le faire.
Cela ne me correspond à rien et je ne veux pas faire ce faux semblant de me
prosterner devant le masque. Par contre, pour les masques, j’ai un grand respect. Je
ne pense pas qu’il faut le porter n’importe comment. Ce n’est pas un bout de bois.
C’est vraiment un personnage, c’est quelque chose d’important. C’est simplement
cela que j’essaye de transmettre aux gens sans un rituel, sans un faux rituel.
J.C. — Vous, les Français, vous dites souvent que l’on est habité quand on a le
masque. Quelle est la dimension de cela pour vous ?
L.B. — Quand on a trouvé un masque, il se passe quelque chose d’un peu magique
entre le masque et l’acteur. Ce que je ressens qu’il faut, ce qui est important, c’est
de se mettre au service du masque et non pas le masque à votre service. C’est
quelque chose d’absolument essentiel. C’est très bouleversant quand on sent qu’il
se passe quelque chose lorsqu’un acteur met un masque. En ce moment-là, j’ai
quelquefois l’impression que le masque vous emmène quelque part. Cela est dans
le champ du mystérieux et vous ne le contrôle pas toujours. Cela, c’est très beau.
De voir qu’il vous ouvre une imagination que vous ne pensiez pas avoir. Ou alors,
au contraire, qu’il vous met dans un état horrible et vous ne pouvez plus rien faire.
Mais, si vous l’avez bien vu avant, il a aussi la possibilité de vous emmener.
_________________________________________________________________

ENTRETIEN STÉPHANE BRODT - AMOK TEATRO

Réalisé à Rio de Janeiro, Brésil, le 28 juillet 2012

Juliana Coelho – D’abord, les questions que j’aimerais vous poser, à toi et à Ana,
sont autour de quatre sujets. D’abord, l’histoire de la rencontre avec le masque
balinais, par quel biais il s’est arrivé, comment s’était et qu’est-ce qui vous a amené
à aller à Bali...
Stéphane Brodt – On pourrait commencer par cela, non ? J’étais initialement
formé en France. Au départ, j’ai eu une formation un peu classique, française, avec
des personnes qui étaient liées à la Comédie Française, etc. Et je suis rentrée à

503
l’École Marceau, tu parlais de Lecoq. J’ai fait trois ans de l’École Marceau, du
mime, de l’acrobatie, du théâtre corporel. Je suis restée près de Lecoq aussi parce
que les Écoles étaient assez près. J’ai travaillé avec les derniers assistants d’Étienne
Decroux, si tu connais et dans leur compagnie aussi, L’Ange Fou avec Steven
Wasson et Corinne Soum. Dans le cadre de ces formations-là de théâtre corporel,
j’ai eu un peu d’accès à la commedia dell’arte, mais c’était très cliché. C’était un
abordage de base que ne m’avait pas spécialement réveillé une envie d’aller plus
loin. J’ai découvert les masques au Théâtre du Soleil. J’étais acteur d’Ariane
Mnouchkine pendant plusieurs années. Un des outils de travail de formation
d’Ariane est le masque : les masques de commedia, les masques balinais et le
Théâtre oriental, le Théâtre asiatique de manière générale. Donc, pour moi la
découverte du théâtre asiatique, elle vient du Théâtre du Soleil, de la proximité de
l’ARTA aussi, des invités qui viennent toujours au Théâtre du Soleil. À l’époque
où j’y étais, on a eu pour les acteurs du Soleil des maîtres de kathakali qui sont
venus, des maîtres du kyôgen japonais, des maîtres de Bali... Djimat qui venait
régulièrement avec Cristina. Et de là l’envie de connaître plus. Les masques
effectivement m’ont beaucoup intéressé. Je suis allé une première fois à Bali pour
étudier, quand j’étais encore acteur du Théâtre du Soleil. La première fois, c’était
avec Ana, c’était un voyage plus en Indonésie. Donc, on est resté très peu à Bali.
Mais ensuite, on y est retourné. On est resté trois mois pour étudier vraiment la
danse. On faisait des danses traditionnelles. Moi, je faisais du topeng classique. J’ai
travaillé le chant en balinais classique, en balinais ancien, ce qui était très difficile,
très intéressant. Je suis retourné une troisième fois quand j’ai quitté le Théâtre du
Soleil, avant de venir au Brésil. Sur l’ensemble de ces trois voyages, je me suis fait
aussi une petite collection de masques. J’ai commencé à travailler avec eux à Paris,
mais c’était surtout ici, au Brésil que j’ai commencé à les utiliser comme un
instrument de pédagogie, en fait. Et depuis, c’est un des outils fixes de travail. On
a d’autres techniques : le travail de voix, le travail du corps que l’on développe.
Mais c’est un des outils fixes du travail de la compagnie, indépendamment des
thèmes que l’on traite. Régulièrement, on revient, on donne des stages, etc. Donc,
je suis resté assez fidèle aux masques balinais. Mais, on n’est pas une compagnie
qui travaille avec le masque. Cela fait partie d’un ensemble de choses qui ont été

504
fortes dans un certain moment de notre formation, quand on était plus jeune. Il y
a vingt ans maintenant. Cela a été très, très fort et ce sont des marques qui sont
encore présentes. À tout point de vue : pour l’outil en lui-même, pour la forme de
théâtre qu’il représente, pour l’aspect de cérémonie, d’un théâtre sacré et de la
manière dont cela se travaille, etc. Ce sont des racines, des marques qui sont très
fortes dans le travail. Pourtant, si tu viens voir le travail qu’on fait maintenant, il
n’y en a rien à avoir avec le masque. On n’a jamais fait, on n’a jamais monté un
spectacle de masques. Mais ils sont rentrés sur un montage de Macbeth où il y
avait trois masques balinais. Et sur le montage d’une pièce de Schalon An-Ski qui
s’appelle Le Dibuk, où des masques balinais sont rentrés pour faire des juifs dans
une synagogue... Mais, pour résumer, c’est ça. Cela a été dans nos formations
d’étudiants, c’était un moment très important, le théâtre asiatique, Bali, puisqu’on
est allé trois fois.
J.C. — À Bali, à la première fois, avec qui avez-vous vous avez étudié ? Comment as-
tu découvert Bali la première fois ?
S.B. — J’avais quelques adresses des acteurs plus vieux du Soleil. Je n’avais pas
tellement envie de voir Djimat, parce que je le trouvais, je ne sais pas s’il faut dire
ça... Je trouve qu’il a beaucoup de qualités, mais il travaille beaucoup en Occident
et parfois il y a quelque chose qui se perd dans le gens qui sont très reconnus, très
demandés en Occident. Donc, j’ai cherché sur place, j’ai cherché à avoir des
adresses des professeurs, des maîtres qui étaient des Balinais, des gens qui n’étaient
jamais sortis de Bali, qui donnaient des cours aux Balinais aussi. Il y avait peu de
touristes à l’époque. Moi, j’ai travaillé avec de vieux maîtres, Ana faisait des danses
traditionnelles.
J.C. — Des danses féminines ?
S.B. — Elle a étudié le teruna jaya. Au départ, elle a étudié le legong qui était à la
base, ça fait vingt ans. Ensuite le teruna jaya qui était plus difficile. On faisait tout
le deux, ce qui était la base, le Topeng tua, un masque aussi, avec un autre
professeur, un vieux maître.
J.C. — C’était avec qui ? C’était Kakul ?
S.B. — Non, c’était avec... le nom m’échappe. J’ai travaillé la voix avec Ida Bagus
Alit, de Batuan, qui était un sculpteur. Il est acteur aussi et il avait un très bon

505
travail de voix. J’ai travaillé un peu de baris avec Ida Bagus... un autre Ida Bagus
aussi. Je ne me souviens plus. En fait, j’ai eu trois professeurs pour le masque : ce
vieux professeur de Topeng tua, qui était un vieux monsieur qui donnait de cours
aux enfants. Lui, il préparait les enfants. Son fils était professeur de musique, sa
fille était professeur de legong. Après, la deuxième fois, j’ai travaillé avec Alit et la
troisième fois avec un autre professeur. En dehors de deux cours avec Djimat au
Théâtre du Soleil. Mais en fait, le masque, ce que je trouve difficile pour les
Occidentaux de fois... De manière générale en Asie, il y en a qu’un Chinois qui
peut faire l’Opéra de Pékin, qu’Indien qui peut faire le kathakali... Je pense que
pour les Occidentaux c’est très intéressant du point de vue de l’anthropologie
théâtrale, d’étudier le théâtre balinais, etc. Mais je pense que c’est difficile... Il ne
faut pas chercher à faire du théâtre balinais, pour un Occidental, quand on vient
de Bali. C’est mon point de vue en tout cas. Il y a plein de choses qui dansent à
l’intérieur de toi-même, de ces formations-là. Il faut savoir les digérer, les mettre au
service de nos cultures qui sont des cultures plus occidentales. Ce pont, il était
déjà fait par Ariane parce qu’elle a une influence très grande du théâtre asiatique.
En même temps, c’est une metteur en scène d’occident. Et la manière dont elle
travaille avec les acteurs, avec le masque d’une manière générale... elle utilise le
masque pour révéler l’acteur lui-même, l’improvisation, la nécessité d’engager
l’imagination, l’émotion, le corps, la relation avec l’espace vide, avec le public, il
n’y a pas de quatrième mur, enfin. C’est qu’elle trouve, ce qu’elle cherche à faire
apparaître avec le masque sert à toutes les formes de théâtre que ça soit les Grecs
ou Shakespeare. Ce n’est pas une formation spécifique à ceux qui veulent faire du
masque. En fait, elle cherche des lois, elle révèle de lois du théâtre avec le masque
qui sont communes à toutes les formes de théâtre. Une idée d’une manière
d’aborder le plateau, d’une manière d’aborder le personnage, le personnage sans
ou avec masque, le respect. L’idée qu’il y a un personnage. Il faut que tu mettes
derrière le masque, il faut que tu te mets derrière le personnage. Ce sont des codes
qui sont valables pour toutes formes de travail. L’idée que tu ne peux pas t’imposer
au masque, il faut que tu te mettes au service du masque. Après, quand tu enlèves
le masque, si tu vas aborder n’importe quel personnage, c’est le même
fonctionnement. Je me souviens d’avoir lu un texte... Au théâtre, le corps entier

506
est masque. Donc, je me souviens quand je travaillais. Moi je suis entrée sur Les
Atrides, sur les grecs, dans les années 90. Je me souviens parfois on était avec
Eschyle, avec Euripide. On était dans la merde, les acteurs, on n’y arrivait pas. Elle
disait : « Bon, sortons les masques ! ». On mettait les masques derrière pour
retrouver l’essence du théâtre. Quand on se perdait, on ne se posait pas trop de
questions à analyser pourquoi on se perdait, pourquoi Shakespeare ou pourquoi
les grecs nous écrasent. Elle ne voulait pas que ça soit mentale. Pour retrouver le
théâtre, pour retrouver la bonne manière d’aborder les grands auteurs et les textes,
prenons les masques, retrouvons le théâtre. Parce que c’est simplement à travers le
théâtre qu’on peut aborder les textes classiques. Donc, j’aime bien cette idée en
fait, de travailler avec le masque pour retrouver l’esprit, l’essence du théâtre, de
toute forme de théâtre. C’est que nous avons continué à développer avec l’Amok,
c’est un peu ça, c’est-ce qui m’est resté. En fait, je crois que les masques du Soleil
dans ma formation sont plus forts que ce que j’ai rencontré à Bali. Et même si ce
que j’ai rencontré à Bali était merveilleux, merveilleux. L’étude des voix, l’étude du
travail du masque. J’assistais à beaucoup de cérémonies. C’était un type de théâtre
qu’on a découvert à l’époque et qui était merveilleux.
J.C. — Plus spécifiquement par rapport à Bali. Est-ce que vous avez rencontré de
choses que vous a transformé ou qui vous avez incorporé à votre travail ? Est-ce
que quelque chose vous a étonné ?
S.B. — Une fois on était invité... Comme on y a passé pas mal de temps, je pense
que s’est passé le même pour toi aussi. Parfois on était invité à certaines
cérémonies où on était les seuls touristes dans le temple. On voyait les masques.
J’imagine qu’un plus cela a dû changer. À l’époque les acteurs ne venait même pas
saluer, à l’époque les acteurs étaient des gens qui travaillaient dans les rizières. Il
n’y avait pas cette notion d’acteur professionnel, d’acteur qui vient recueillir les
applaudissements du public. Donc, on était invité à de cérémonies qui parfois
étaient liées aux temples, aux maisons, où il avait par exemple du wayang kulit, des
marionnettes, des gens dans un coin, un autre acteur qui faisait du topeng, les gens
passaient, les poules, un prêtre... Et une fois, on était invité dans une maison et
j’entendais des voix, de la musique. Je me suis rapproché avec Ana et il y avait un
type qui faisait du wayang kulit tout seul dans un coin... pour les dieux,

507
littéralement pour les dieux. Et il était concentré, il faisait tous les personnages et
personne ne le regardait. Les gens passaient, circulaient et il était vraiment pour les
esprits, comme ça. Cela m’a beaucoup marqué. Cette idée d’un théâtre qui est un
espace frontière entre le monde des morts et le monde des vivants. Le théâtre
sacré, le théâtre où... C’est Artaud qui disait : « Le théâtre ce n’est pas l’espace des
apparences, c’est l’espace des apparitions. ». Peut-être qu’à Bali... D’une manière
générale pour le théâtre asiatique, il y a cette idée-là, d’un théâtre de tradition
d’une part. Bon, c’était ma première rencontre avec ce genre de théâtre, de ce
savoir qui se passe de père en fils. Il n’y avait pas justement l’idée de l’acteur
professionnel. On travaillait avec des sculpteurs et les gamins ils avaient déjà des
marteaux et ils tapaient déjà comme ça sur des buts de bois. Ils vont devenir
sculpteurs sans y penser en fait. Je pense que pour le masque, c’est aussi important
quand on commence à parler de masque, de parler du jeu masqué et de la
tradition de confection de masques. Souvent en Occident, pour la commedia
dell’arte, les masques sont un peu morts. Ils sont de beaux objets, mais ils n’ont pas
de versatilité, ni une expression. Je trouve qu’un bon masque, fait para un vrai
sculpteur, malgré une fixité apparente, il a une versatilité infinie. Il peut pleurer, il
peut rire. Même ceux qui ont des yeux peints, je les ai déjà vus dormir... Et
l’acteur, il a besoin de cela. Sinon il est bloqué, c’est juste une image. Il doit
pouvoir tout jouer. Malgré le fait que j’aie une dent comme ça (il montre) ou un œil
comme ça. Il peut être père, il peut être préfet, il peut être policier, un voleur. Ils
peuvent révéler toute la nature humaine. Et la question du fabricant de masques
est très importante. Mais, j’avais lu aussi un texte sur cela, qui disait que les
balinais ou au Japon par exemple, ils ne travaillent pas sur le stéréotype, ils
travaillent sur l’archétype, parce qu’il y a des siècles où cela a été étudié. Malgré le
fait que d’un sculpteur à l’autre, il y a des nuances pour tel masque, pour un
masque de vieux, pour un Keto, mais la nature du masque, la manière de travailler
est la même. Elle vient de loin et cela c’est beau. Un théâtre de tradition, un
théâtre sacré dans ce sens-là. Mais, c’était très intéressant à travailler comme travail
corporel. J’ai adoré le travail de voix, j’ai adoré, mais je ne l’ai pas utilisé
directement pour notre théâtre. Je ne voyais pas l’intérêt de faire cela. Moi, j’ai

508
déjà vu les gens imiter le théâtre de Bali. On ne peut pas devenir un acteur
balinais.
J.C. — Tu as témoigné beaucoup de balinais à enseigner, la première fois était avec
Ida Bagus ...
S.B. — C’était Djimat, dans le cadre du Théâtre du Soleil, avec Ariane derrière qui
contrôlait un peu ce qu’il faisait, etc. Donc, c’était très particulier. Je connaissais
les masques de stages du Soleil aussi, mais c’était une autre image. Même s’il avait
beaucoup de costumes d’Inde, de Bali, d’autres endroits et de toutes les créations
du Théâtre du Soleil. Mais là où je vais réellement rencontrer des professeurs
c’était à Bali. On a rencontré pas mal de gens, j’ai vu pas mal de cours aussi et
c’était toujours chez l’habitant, au milieu des poules. C’est une manière de penser
la pédagogie qui est clairement totalement différente.
J.C. — Et cela vous a apporté quelque chose ?
S.B. — Oui, oui, bien sûr. Mais, je ne veux pas rentrer dans des clichés... mais, dire
exactement et avec le recul. Il fait si lointain... Je sais qui cela m’a marqué
profondément, mais je ne pourrais pas te dire précisément. Il n’y a rien qui me
vient de particulier et que je pourrais dire « Ah voilà, ça a été ça ». (Il fait une longue
pause) C’est tellement différent de nos traditions de théâtre. Il n’y a pas cette
question de mobilisation de l’émotion, de concentration avant. J’ai vu de fois des
acteurs et des sculptures à voir le masque, des masques qui avaient deux cents ans
et qui sont des œuvres d’art et ils étaient pendus sur le mur comme ça. Ou des
masques qui parfois étaient sortis, qui étaient des masques vraiment sacrés et qu’ils
sortaient pour le temple, deux ou trois fois par an et qui étaient « les » masques. Et
pourtant il y avait l’acteur qui fumait sa kretek juste avant et il mettait le masque
comme ça. Mais il y avait cette magie de certaines fêtes. Il y a aussi les masques de
topeng qui sont le peuple du village et il y a aussi Rangda, le Barong qui ont
d’autres significations, les esprits... Moi, je ne me suis jamais approché d’eux parce
que là, pareil, pour un occidental... J’ai vu des occidentaux acheter des masques de
sorcière et faire des choses qui n’avaient aucun sens, de les désacraliser... Cela
appartient à cette tradition. J’ai vu aussi et j’imagine qu’il y doit en avoir plus
maintenant, des fausses incorporations des balinais, où tu vois qu’ils sont là en
train de faire ça (il montre), mais ils ne sont pas vraiment dedans. Alors là, tu dis

509
« nhum, c’est dangereux. C’est l’Occident qui arrive et pour plaire aux
touristes... ». Par contre, parfois, j’ai vu de cérémonies où justement à la fin il y
avait Sidhakarya qui venait à la fin. Où les balinais, les enfants, les femmes ne
prêtait pas attention ou prêtait juste un peu d’attention, mais quand Sidhakarya
venait les femmes mettaient les enfants derrière, tout le monde faisait ça. Et on sait
que c’est cet acteur qui faisait, mais c’est Sidhakarya qui rentre, avec les encens et
tout le monde se recule. Ce sont des images fortes, fortes, parce que c’est sérieux,
pour eux c’est sérieux.
J.C. — Et dans un certain niveau, vous y croyez aussi ?
S.B. — Ah totalement, totalement. Je pense qu’il faut y croire. Maintenant, c’est
pareil : j’y crois là. C’est difficile de trouver l’équivalent. Moi, je passe des encens
sur le plateau tous les jours avant de commencer. Je pense vraiment à un espace
frontière. Il y a vraiment beaucoup de choses qui bougent (Stéphane fait des
mouvements avec ses bras vers le haut et le bas). J’étais formé au Théâtre du Soleil à
cela aussi. On n’aborde pas le plateau de manière réaliste. Il faut savoir y rentrer, il
faut savoir monter. On ne monte pas sur scène de n’importe quelle manière, on
ne sort pas n’importe quelle manière. Pour nous à l’Amok, la préparation est très
importante. Et nao tem chilique depois. Même si le spectacle est très intense
émotionnellement, ce n’est pas pour ça qu’on sort et qu’on a besoin de vingt
minutes pour se recomposer. Ça s’arrête, ça s’arrête. On retire le masque et c’est
fini. Ce que c’est difficile, c’est de rentrer, pas de sortir. Et pour laisser le
quotidien, que ça soit pour aborder un masque ou pour aborder Hamlet, c’est la
même chose. Il ne s’agit pas d’arriver et dire « Tiens, je suis Hamlet. ». Il a un
temps pour faire ce passage. Il y a un vrai temps pour sortir de Rio. Une demi-
heure avant que le public rentre, on est déjà sur scène dans les personnages. On ne
se parle plus déjà comme Juliana et Stéphane. C’est Lady Macbeth et Macbeth, on
se parle comme un roi et une reine, mari et femme. On rentre dans le jeu. Mais
cela est lié aussi au Théâtre du Soleil. On se met dans les coulisses. Si une
habilleuse change un roi, même si personne ne le voit, que cela se passe dans les
coulisses, quand elle se recule, elle se recule tête basse parce qu’elle n’est pas en
train de changer Stéphane, elle est en train de changer le roi. Le jeu continue
même quand le public ne voit pas. Je trouve cela c’est très important. Mais, cette

510
idée de Bali, que le théâtre est un espace qui touche, qui joue certaines énergies, je
trouve que c’est bien d’y croire. Sans faire de grandes cérémonies parce que sinon
on peut se perdre aussi là dedans. Ce n’est pas mécanique, le théâtre n’est pas
mécanique. Donc, tout ça a des répercussions sur l’ensemble. On a maintenant
quatorze de compagnie. On travaille ici, on travaille des thèmes très différents. On
est sur une trilogie sur la guerre. Quand il y a des moments, il y a certains
spectacles qui s’approchent plus de cette manière, de certains comportements,
d’autres non. Cela dépend du spectacle.
J.C. — Est-ce que cette expérience balinaise vous a confronté avec un défi concret
en tant que comédien ? Un défi d’y rentrer ou de comprendre la tête d’un
personnage...
S.B. — Un défi technique oui, mais on avait une bonne formation corporelle.
Donc, cela nous intéressait, c’était très intéressant. On aimait bien une autre
manière très différente de travailler, entre l’Asie, Orient et Occident. Donc, ça
c’était bien intéressant aussi, de comprendre ça. Les asiatiques, ils ont des
traditions d’acteurs, l’Occident a de traditions de textes, de dramaturgies depuis
les grecs. C’est l’espace du texte, etc. Pour eux, ce n’est pas si compliqué, c’est des
grandes épopées. Le personnage, tu le sais tout de suite quand il rentre s’il est
mauvais ou bon. C’est une autre manière de travailler. C’est vraiment très
différent. Donc, c’était très riche. Je ne suis plus jeune, j’ai quarante-cinq ans
maintenant. J’avais moins de trente ans, vingt-cinq, la première fois vingt-trois ans.
Donc... c’était tout. C’était manger chez le sculpteur avec toute sa famille et
travailler les masques aussi et voir les pigments naturels. C’était ce genre de choses
aussi, par exemple, le sculpteur. Il y avait des masques pour touristes avec la
peinture acrylique et puis il y avait les pigments naturels. Entre chaque couche, il y
avait des inscriptions en balinais, etc. Donc, c’était un ensemble sur une formation
qui nous a beaucoup marqué. Un respect pour ces formes de théâtre-là. Je pense
que pour importe quel acteur, n’est pas connaître ce théâtre c’est un manque
quelque part. Pas simplement de connaître, de s’intéresser, de lire un peu sur le
kathakali, mais je pense qu’un jeune acteur a presque le devoir d’essayer de
s’approcher, d’étudier ces formes-là. Maintenant, je pense qu’à chaque fois plus,
tout se mélange pour eux aussi. Il y a une grande influence du théâtre occidental.

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Je ne sais pas à long terme qu’est-ce que ça peut donner. Parfois il y a cette
différence très marquée : ce type de théâtre qu’il n’y a rien à avoir avec cet autre
type et les riches qui a rencontré... quand les eaux se mélangent trop... Même au
Brésil, il y a de plus en plus de personnes qui travaillent avec le masque, qui
donnent des cours, mais ça devient un peu n’importe quoi, n’importe quoi. Je sais
que ma pédagogie de masque est très liée à Ariane, parce que c’est une méthode de
travail avec le masque. Donc, à titre d’exemple, je montre des films sur Bali,
j’explique comment ça se passe là. Je fais partager un peu l’expérience. Mais ce
n’est pas ce que j’enseigne. Si c’était pour enseigner le théâtre balinais, je ferai
venir un acteur balinais. Ça c’est vraiment indispensable.
J.C. — Vous parlez souvent d’Orient et d’Occident. Et dans cet Occident, il y a la
France et le Brésil. Trouvez-vous vraiment que nous sommes dans le même
Occident ?
S.B. — Non, même quand je suis arrivé ici il y a dix-sept ans. Donc, c’est non. Mais
en même temps la communication a beaucoup changé aussi. L’internet, bien sûr.
Beaucoup plus d’intervenants occidentaux, d’Europe. Même des gens qui viennent
d’autres régions, par exemple, Eugenio Barba, des gens de Grotowski, des gens du
Théâtre du Soleil. Quand je suis venu, les gens connaissaient le Théâtre du Soleil,
mais il n’y avait pas de personnes, d’acteurs du Soleil vraiment qui y venait. C’était
plus lointain. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de communication. Que cela soit
même lié à des bourses d’études pour les brésiliens pour étudier en Europe. On a
l’impression que le monde est devenu beaucoup plus petit, plus accessible. Donc,
je pense qu’aujourd’hui la présence du théâtre occidental, du théâtre européen est
plus forte au Brésil. Je pense qu’il y a de belles traditions de théâtre. Moi, j’adore le
théâtre du Nord du Brésil, les repentistas et toutes ces improvisations de poètes, le
frevo, le maracatu, le mamulengo. Je les aime beaucoup. Ils sont très peu utilisés dans
les Universités, dans les Écoles brésiliennes, parce qu’il y a toujours cette soif de ce
qui vient de dehors. Et je pense que c’est dommage. Par nature les brésiliens y
connaissent, ils y vont, mais ne sont pas des matières obligatoires dans les
formations du comédien-acteur brésilien et je trouve que c’est dommage. C’est
dommage. Mais oui, je fais une différence. Je trouve que le théâtre brésilien est
plus près du théâtre européen d’une certaine manière, quant que le théâtre

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asiatique par les traditions qu’il a, des traditions millénaires, il a une force propre
par rapport au théâtre occidental. Il y a le théâtre occidental et le théâtre oriental.
Il ne se laisse pas digérer par le théâtre occidental. Au contraire, le théâtre
occidental a beaucoup été chercher, s’alimenter du théâtre oriental. En tout cas, à
partir de la deuxième partie du XXe siècle et à partir du XXIe siècle, toutes ces
influences ont été très fortes. Ana, elle fait partie de l’ECUM, tu connais l’ECUM.
J.C. — Je l’accompagne depuis le premier.
S.B. — Il y a eu une fois où le thème c’était la question du maître, la formation du
maître. Donc, il y a eu des intervenants orientaux. Il y avait Wu Hsing Kuo, je ne
sais pas si tu le connais, il est de l’Opéra de Pékin. Et je me souviens de sa
conférence. Il avait monté une adaptation du Roi Lear à l’Opéra de Pékin. Il avait
cette formation aussi à l’Opéra de Pékin, mais comme il disait, c’est une forme un
peu morte. Parfois il y a les spectacles traditionnels de l’Opéra de Pékin, mais
comment développer ça. Le monde continue à évoluer, comment faire dialoguer
ça. Et ce sont des formes carrées qui sont enseignées de cette manière-là et très
bien. Comme il disait « C’est merveilleux », mais elle devient une forme un peu
poussiéreuse où les gens vont voir ce théâtre qu’appartient à une autre époque. Et
lui, il avait essayé de faire cela. Il était aussi très critiqué en Chine par rapport à ça.
Mais il essayait de faire dialoguer sa formation à l’Opéra de Pékin avec d’autres
formes de théâtre. Donc, comme il disait, peut-être ce n’est pas exactement ça,
mais c’est à chercher comment faire.
J.C. — Et par rapport à votre pédagogie. Vous êtes le « gardien » du masque ici à
l’Amok. Il est vrai que je n’ai jamais assisté à un de vos cours ou ateliers et
j’aimerais savoir quel aspect pose plus de défi pour le comédien brésilien à votre
avis.
S.B. — Il y a une différence. Par exemple, tu peux faire un travail et après le faire
évoluer avec un groupe et il a d’autres défis qui apparaissent. Mais, je dirais que
comme règles de base, ce sont ces règles du Théâtre du Soleil et qui est
premièrement la croyance. L’improvisation c’est une de formes les plus puissantes
de la formation. L’acteur doit apprendre à improviser. Il doit apprendre à se
former avant d’aborder le texte. Donc, nos questions que ça soit avec le masque,
qu’il soit avec d’autres, c’est de comment préparer l’acteur à rencontrer le metteur

513
en scène, à rencontrer l’auteur. Comment préparer cet instrument. Je me souviens
d’avoir lu un texte de Charles Dullin, qui est un penseur français, qui disait que
parfois ça donne l’impression que l’acteur c’est comme s’il jouait de la guitare,
mais il ne savait pas que la guitare a six cordes. C’est comme s’il pensait que la
guitare n’a que deux cordes. Et il continue en disant qu’on a l’impression que
même les auteurs, ils écrivent des pièces comme si c’était des pièces pour une
guitare à deux cordes. Il dit, en musique, un musicien, il connaît tous les recours
de ses six cordes et celui qui écrit une pièce, un auteur classique, il connaît aussi
tous les recours du violon, de la guitare. Et l’acteur non. Il faut qu’il apprenne à se
connaître mieux. On n’a pas d’autre instrument. C’est ça notre instrument : notre
voix, notre émotion, notre imagination. Ariane disait qui c’est le muscle le plus
important. Cette capacité de se projeter, de voyager, de croire. Et il faut entraîner
cela. Pour nous, aujourd’hui, après dix-sept ans de Brésil et quatorze ans de
compagnie, on a différentes techniques, différents outils de travail. Mais, ils ont
tous, par des routes différentes, le même objectif, se complétant l’un à l’autre :
fortifier, préparer cet instrument, l’acteur. Le masque c’est l’ébauche de ce qui est
aller à la direction d’un personnage. Et c’est difficile, ça t’oblige à te modifier, à ne
pas se mettre devant le personnage, comme on parlait au début, mais se mettre
derrière. Qu’est-ce que cela impose comme changement à l’intérieur : un
changement de rythme. Ariane parle de musique intérieure du personnage et qui
est différente pour chacun de personnages. La musique dans la voix. Être entrainé
à cela. Par exemple, si tu travailles un vieux, la première chose c’est d’aller en
direction de la vieillesse. Mais, si tu fais un vieux esclave, ce n’est pas comme si tu
faisais un vieux roi ou un vieux conseiller du roi ou un vieux prêtre ou un vieux
commerçant. Ou une vieille occidentale ou un juge en occident ou un conducteur
de camion, de bemo à Bali. Donc, il a beaucoup de nuances à rencontrer. Et le jeu
avec l’autre surtout et l’improvisation.
Le masque c’est ça. Et c’est le théâtre, c’est aussi le jeu. C’est immédiatement cette
modification. Je pense que quand on travaille pour l’acteur et je sens cela très fort
chez les jeunes acteurs, on a des pudeurs, des résistances. Par exemple, pour un
musicien, s’il rate sa musique, il peut dire : « Ma musique n’était pas belle. Je vais
en faire une autre. » Si tu rates un dessin, tu dis : « Mon dessin n’était pas beau. ».

514
Mais, quand tu rates ton travail tu dis : « Moi, je n’étais pas bien. » Donc, c’est
directement toi. C’est difficile parce que tu es en même temps l’objet travaillé et
celui qui travaille. Il n’y a pas d’intermédiaire, il n’y a pas d’instrument. C’est toi
l’instrument. Donc, l’acteur, il a des réticences. Quand il est très proche de lui, il
ne sait pas quoi faire, il se bloque. En fait, le masque… c’est comme s’il te
permettait d’aller plus loin, de te révéler à travers lui, de t’ouvrir. Ce n’est pas qu’il
te cache, il te révèle. Il facilite ce voyage vers le théâtre : « Je suis un autre. Je me
regarde et je ne me reconnais pas. ». Le maquillage c’est la même chose. Avant
même d’aller vers le personnage, c’est se laisser soi-même. Je pense que pour le
théâtre, ce qui est important c’est dans le matériel humain. Mais, ce que je suis
moi, mes quarante-six ans de vie, même s’ils sont riches, ils ne me servent pas pour
être un roi. Je n’étais jamais roi dans ma vie. Ils ne me servent pas pour être un
assassin. Je ne vais pas chercher dans mon enfance, dans ma vie, les éléments pour
faire du théâtre. Ce n’est pas suffisant. Il faut que je me connecte avec quelque
chose qui est beaucoup plus ouverte, dans son humanité, qui est dans l’air. Et le
personnage me permet de faire ça. Donc, je dirais que le travail pour ouvrir les
scènes, pour rentrer dans le théâtre est la rencontre avec le personnage. Pour moi,
en tant qu’acteur aussi. C’est premièrement trouver un personnage et à ce
moment-là je peux regarder la scène, ce qu’il y a à faire, dialoguer avec toi au
travers le personnage. Si je me sens moi-même, Stéphane, il n’arrive pas. Je ne suis
pas intéressant. Donc, plus le personnage est proche de moi, plus je trouve ça
difficile. On parle souvent, même pour le masque, de masque neutre. J’ai déjà vu
des choses en France… à l’époque je ne savais pas bien, mais après… non c’est
terrible parce que la neutralité c’est souvent de rien faire. Tu n’as plus d’état, tu
n’as plus rien, tu es neutre. Comme de l’eau, de l’eau morte. Mais, en fait la
neutralité ce n’est pas ça. C’est neutraliser ma manière de réagir mon visage, mes
mains, mes gestes. Puisque c’est déjà un personnage, donc il faut que j’enlève cela.
Encore une fois, Macbeth ou un personnage de Nelson Rodrigues, il ne peut pas,
ça c’est Stéphane. Donc, neutraliser c’est retirer tout ce qui est mes références à
moi. Ma nature humaine, mon corps, mes mains, mes yeux, ils continuent d’être
là. Ce n’est pas que je m’annule. Donc, l’idée d’un masque neutre, de la neutralité,
c’est se laisser faire une page blanche, mais se mettre en disposition. Comme une

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araignée dans une toile. Toute vibration qui vient de l’extérieur à l’intérieur c’est
pour aller pousser un fil quand il apparait. Et c’est difficile de faire ça : se laisser et
aller vers autre chose. Puisque cette autre chose, au début quand tu vas construire
un personnage, il n’y a rien. Il y a un texte qui est là et qui te donne de gifles.
Donc, la tendance est d’aller vers moi parce que je veux avoir quelque chose. Il
faut dire : « Non, accepte ce vide. Accepte de tomber, tomber, tomber ». Et petit à
petit tu commences, comme un enfant, à marcher un peu. Mais il faut accepter de
commencer pour trouver un personnage, une nouvelle pièce à zéro. Et le masque,
il éduque à faire ça. Se laisser totalement, aller totalement vers l’autre. Je me
souviens de Cristina. Je me souviens de l’avoir vu raconter. Elle dansait le prince,
c’était une des rares femmes occidentales à danser le prince. Et plus les
personnages sont nobles, plus ils sont délicats et féminins dans leurs gestes. Je me
souviens de l’avoir entendu dire que quand elle dansait le prince, derrière, elle
l’embrassait en dansant tout le temps. J’ai trouvé une belle métaphore pour le
personnage. Toujours embrasser son personnage par derrière. J’ai trouvé une très
belle image pour un acteur. Le masque c’est cela. C’est ce voyage, c’est cette porte
d’entrée vers le théâtre. Il amène toutes les règles de base : être grand, ne pas être
réaliste. Je pense que le théâtre n’est pas l’espace du monde réel. C’est un autre
espace qui demande une forme, qui demande un corps différent, qui demande…
Donc, le masque il éduque à ça. Après, chacun fait sa sélection. Quel type de
théâtre je vais faire ? Quel type de pièce ? Mais vraiment, au Théâtre du Soleil je
me suis aperçu, parce qu’Ariane était très ferme là-dessus, des règles qui se
rencontrent dans le travail avec le masque qui ça soit avec les masques de la
commedia dell’arte ou les masques balinais. Les traditions elles-mêmes sont très
intéressantes. Mais en dehors de cette tradition, les règles qui se rencontrent, elles
sont applicables à toutes les formes des théâtre. Cela était… Elle insistait là-dessus
et je crois totalement à cela. Il faut savoir bien sûr amener. Mais ce que tu trouves,
les exigences que tu trouves pour le travail, elles sont valables, elles donnent des
armes pour n’importe quelle forme de théâtre après.
J.C. — Je parle de bouleversement aussi vers une forme artistique ou une
expérience théâtrale qui bouleverse, comme le théâtre balinais a bouleversé
Artaud. Avez vous eu une expérience théâtrale qui vous a bouleversé ?

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S.B. — Il y en a eu plusieurs… La rencontre avec Tadeuz Kantor, quand ils ont
présenté toutes leurs pièces à Paris. J’étais très jeune et le théâtre de Tadeuz Kantor
m’a beaucoup marqué. La rencontre avec le Théâtre du Soleil aussi, quand je suis
rentré. Puisque c’est une des dernières grandes compagnies. Tout ce qui cela
impliquait : un travail de groupe, de collectif. Decroux, comme maître de théâtre
occidentale et ce travail sur la corporalité de l’acteur et tout ce qui cela ouvrait
aussi. Le théâtre balinais oui, parce que c’était mon premier voyage en Asie.
Comme je te l’ai dit, on était jeunes. J’aurais pu faire ce voyage-là, j’espère que je
vais en faire encore d’autres à mon âge. Mais, la manière d’aller voir une tradition
à quarante-six ans, elle est différente. Là, j’avais vingt-deux, vingt-trois tans, sac à
dos… On allait dans des camions aux cérémonies. Cela marque pour une vie,
parce que c’est le genre de voyage que tu fais... et le premier c’était Bali. On avait
les yeux… Encore une fois, je me rappelle une phrase de Copeau ou Dullin : « Ne
perdez jamais ce regard un peu perdu de ceux qui cherchent. Le regard de ceux qui
croient avoir trouvé s’éteint. » Et voilà, on avait le regard de nos vingt ans… Mon
professeur de voix me disait, ce sont les mandi, les baignoires elles sont un peu
hautes, non ? Il me disait que pour travailler la voix, il fallait mettre de l’eau
jusqu’à ici. On était dans des losmen, j’avais une moto… C’était ces expériences-là.
Donc, c’est l’ensemble de la rencontre. À l’époque avec le théâtre balinais et l’Asie
en même temps. C’était un ensemble qui après a ouvert des portes de curiosité sur
toutes les formes de théâtre pour la continuation de tout notre parcours. Mais ce
premier voyage à Bali, nous a beaucoup, beaucoup marqué. L’ensemble de choses.
J.C. — Est-ce que vous retrouvez des ressemblances entre Bali et ici ?
S.B. — Non, peut-être la flore, peut-être les plantes. (Il parle à Ana) Je me rappelle
quand tu es allée la première fois, pour moi c’était nouveau le tropical. Mais non,
c’est hindouiste, c’est totalement différent. C’est une île... la présence des esprits,
cette relation entre le magique et le sacrée tout le temps… C’était incroyable ces
encens partout tout le temps. La présence du monde occulte tout le temps, pas
seulement dans le théâtre. Non, je ne vois pas. C’est très différent. La présence de
l’Afrique ici est très forte. Dans le théâtre pas du tout, pas dans la culture.
J.C. — Et une question qu’il n’y a pas de rapport directe avec mon travail, mais
une question personnelle à l’Amok. Il fait quatorze ans qui vous êtes au Brésil, dix-

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sept ans au Brésil et quatorze ans de compagnie. Est-ce que vous en avez déjà fait
un spectacle avec une thématique brésilienne ?
S.B. — Oui. Pour nous le théâtre il est universel. On ne cherche pas forcement à
faire du français. On cherche à dialoguer un peu avec notre époque, avec le temps.
Ces trois spectacles sur la guerre étaient vraiment liés à l’ECUM. Encore une fois
en 2006, le thème était le théâtre en temps de guerre. Il nous a beaucoup marqué,
ça nous a donné envie de travailler. On voulait d’ailleurs travailler sur le Brésil,
une troisième partie, mais on n’avait pas assez de recul pour pouvoir parler du
monde dans lequel on vit. Il y a beaucoup de choses à se dire sur la guerre urbaine,
etc. On a monté une pièce d’un auteur brésilien qui s’appelle Newton Moreno qui
s’appelle Agreste et qui se passe dans le Sertao. Pour moi, j’avais une certaine
réticence pendant un certain temps, parce que je me sentais très français. Je me
disais que les brésiliens doivent pouvoir faire ça beaucoup mieux que moi. Je n’ai
pas les racines pour cela. C’était une proposition, les gens nous ont proposé de
faire cela. En fait, j’ai trouvé très intéressant, justement parce que c’était dans
l’univers de la campagne, de l’intérieur du Brésil. On a été voyagé au Pérou, dans
d’autres traditions de cultures d’Amérique du Sud même pour les costumes. On
s’est pas senti dans l’obligation d’être très fidèle. Comme si un metteur en scène
allemand, français ou japonais prenait ce texte. Quelle lecture il ferait de ce texte ?
Ici, on est en train de monter une pièce de Serbie. Ana est brésilienne, moi, je suis
français, on travaille avec des acteurs brésiliens. C’est le contexte de la guerre entre
Serbes et Croates, mais on la monte ici. Donc, on dialogue aussi avec ce qu’on est.
Mais c’était très intéressante cette pièce du Sertao brasileiro. Une belle pièce.
J.C. — Une dernière question : avez-vous ce sentiment d’être entre deux mondes ?
S.B. — Oui, entre le deux. Oui, mais je me suis habitué avec ça, parce que je ne
serai jamais totalement brésilien et je ne suis déjà plus français. Je me sens très
brésilien quand je vais en France. Donc, je dialogue avec ces deux… J’ai passé la
moitié de ma vie en France, l’autre moitié au Brésil presque. C’est bien
apparemment. Je ne sais pas s’il va en avoir un troisième pays. Mais effectivement
on peut se plonger dans plein de cultures aujourd’hui. Elles sont beaucoup plus
accessibles. On parlait d’internet. Je conseille souvent à mes acteurs quand ils
travaillent sur internet de se brancher sur des radios, pendant qu’ils travaillent.

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Pour écouter toutes ces voix, pour écouter qu’est-ce qu’ils disent, le rythme de la
voix, le type de musique. C’est toujours très intéressant. On peut s’approcher et
voir plein de choses. Mais vivre quelque part, ça te marque d’une autre manière.
Ce qu’on est, je dirai pour l’Amok. L’Amok c’est une direction franco-brésilienne.
Ana a vécu presque dix ans en France. Elle est brésilienne et moi je suis français.
Et à l’heure actuelle c’est le mélange de deux parcours de vie. Mais oui, je me sens
entre le deux. Ça fait partie de l’expérience. Mais, j’imagine que pour toi aussi, si
tu vis en France. Ça fait dix-sept ans déjà, donc le Brésil me marque beaucoup.
Mais je suis très français quand même.
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ENTRETIEN AVEC ANA TEIXEIRA


Réalisée à Rio de Janeiro, le 28 de juillet 2012

Juliana Coelho — Tu as dit que ton histoire était différente de celle de Stéphane.
Comment était-elle ?
Ana Teixeira — Alors, mon expérience n’est pas passée par le Soleil puisque je n’ai
pas fait partie de cette expérience-là. Quand je suis allée en France, j’étudiais le
mime corporel d’Étienne Decroux. Mais, bien sûr, ce pont-là a été fait par
Stéphane, surtout avec les maîtres à Bali. En fait, mon premier contact avec l’Asie
était à travers d’un professeur de l’Université Paris 3 quand j’étudiais là-bas. Il
s’appelait Jacques Pimpaneau. Il était également le directeur du musée Kwok On,
qui n’existe plus à Paris. Ce musée du théâtre oriental était sa propre collection,
qui à son tour était formée des collections qui lui avaient été offertes par donation.
Il était un spécialiste de l’Opéra chinois, de l’Opéra de Pékin. L’Opéra de Pékin
était sa porte d’entrée au théâtre et il était aussi un spécialiste des langues et de la
culture chinoise. Alors, il a commencé à étudier le théâtre oriental, de l’Asie et de
l’Extrême-Orient et il a recueilli une collection énorme, qui était à l’origine du
musée Kwok On. Je crois que le musée a existé pendant très peu de temps. Il
donnait ses cours dans les musées et c’était délicieux.
C’est comme ça que j’ai eu mon premier contact avec le théâtre de l’Extrême-
Orient. Cela ma touché immédiatement. Ma première formation était de
danseuse. Quand je me suis installée en France et j’ai rencontré le théâtre

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d’Étienne Decroux, un théâtre que je ne connaissais pas. Je rencontrais une
tradition théâtrale et cela m’a impressionné. Étienne Decroux était le fondateur
d’une tradition et ce qu’il avait créé allait devenir un art à part. Il voulait un art à
part du théâtre parlé. Il ne voulait pas un art muet, mais qui soit séparé d’un
théâtre littéraire, il voulait un théâtre physique. Je me suis rendue compte
immédiatement qu’il y avait tout ce monde : une technique équivalente à celle de
la danse classique, qui était propre pour le travail du comédien, qui n’était pas
empruntée d’autres disciplines et qui avait cette dimension cérémoniale. Puisque
pour Étienne Decroux, le théâtre était une forme de cérémonie. Cela est une
chose qui m’a toujours touché. Donc, en ce sens — là, je pense que le théâtre
balinais, par exemple, est totalement différent du brésilien. Je trouve que le théâtre
brésilien souffre de son manque de cérémonial. En général. Si on regarde le vrai
théâtre, le théâtre brésilien de groupe, non. Quand on pense à Zé Celso, par
exemple, ou en passant par d’autres groupes plus « expérimentaux »... Je trouve
que Zé Celso est l’expression du théâtre brésilien cérémoniel, par exemple. Je
pense qu’il arrive à apporter cela au théâtre à sa manière. Cependant, en général,
cela n’existe pas au Brésil. Il n’y a pas cette dimension qu’existe au théâtre
asiatique et qu’il y avait chez Étienne Decroux.
Alors, tout mon éblouissement autour du théâtre de l’Extrême-Orient a surgi
d’une rencontre avec d’autres traditions. De plus, je me suis formée au long de
sept ans dans cette technique (le mime corporel). Quand je suis allée à Bali, j’étais
déjà très formatée dans ce langage, dans cette tradition. C’était magnifique de
confronter ces différentes traditions, car on s’aperçoit que cela te donne une
racine théâtrale, une racine. Je ne me suis pas fondue dans la culture balinaise. Je
ne me suis pas perdue dans une culture qui ne m’appartient pas. Je trouve qu’il est
très difficile qu’elle puisse nous appartenir. C’est un théâtre très fermé, qui est lié à
de multiples aspects de la vie balinaise, qui traverse l’économie, l’agriculture, la
religion, le culte aux ancêtres, puisque l’hindouisme balinais est très imprégné de
pratiques animistes. Alors, ce théâtre existe pour moi dans ce contexte-là. Et je ne
souhaitais pas faire cela.
À Bali, j’ai travaillé la danse, le legong, le teruna jaya, et j’ai travaillé le masque. Je ne
sais pas si Stéphane te l’a dit, c’était avec Kantor. Je pense qu’il est déjà décédé. Et

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c’était comme ça que je suis premièrement rentrée en contact avec le masque.
C’était dans cette culture-là. Je me souviens, par exemple, avec ma professeure de
legong. Elle me passait de choses et je lui disais : « Tu sais, dans ma tradition, on
fait comme cela avec le bras. » (Ana fait le mouvement) Il y avait tellement de choses
qui se ressemblaient, il y avait tellement de points en commun. Donc, je pense que
j’ai eu cette chance et ce plaisir d’aller à la rencontre d’une autre culture, de voir
tous les points d’intersection entre ma tradition et leur tradition et d’établir un
dialogue avec cela. Cependant, ce n’était jamais dans le sens de m’approprier de
cela, d’aucune manière. Je n’ai jamais utilisé la technique balinaise, la danse
balinaise, dans mon travail après. À part le fait de garder cet aspect cérémoniel, car
cela a une résonance avec ma formation. De plus, il y a le contact avec un maître.
Kantor était un vrai maître. À l’époque, son Topeng tua, le vieux, était très bon.
Les choses qu’il disait étaient très belles, des choses de maître : la principale qualité
d’un comédien, comment c’est le visage d’un comédien derrière le masque. Après,
plus tard, tous ses enseignements ont commencé à paraître dans mon travail de
metteur en scène, lorsque j’aide un comédien à se rapprocher d’un personnage.
Là, je pense qu’il s’agit de mêmes règles, le même processus. Se laisser pour aller à
la rencontre de l’autre.
J.C. — Chez Stéphane, l’expérience au Soleil est très forte, mais pour toi, il y a eu
cette découverte. La manière dont tu conduis un comédien, en tant que metteur
en scène, vient-elle du masque ?
A.T. — Je dirais que c’était le contact avec le masque, avec les règles du masque.
Comme je n’ai pas eu un autre professeur de masque à l’exception des maîtres
balinais, alors je crois que tout ce que je garde vient d’eux. Après, il y a eu mon
expérience même avec Stéphane. J’ai travaillé avec lui, dans la mise en scène en
France. Nous travaillions en échasses et masqués, dans la rue. Alors, mon premier
contact avec le masque était directement dans la rue, de manière très brute, avec
des échasses. Ensuite, pédagogiquement, quand Stéphane est arrivé au Brésil, il ne
parlait pas portugais, alors, je traduisais. C’était comme ça que j’ai commencé à
découvrir la pédagogie avec le masque, car je n’avais jamais enseigné avec le
masque. C’était avec Stéphane qui mettait en pratique ce qu’il avait vu au Soleil.
Après, avec le temps, il a découvert ses propres chemins, il a développé ses propres

521
méthodes. Mais, au début, il a apporté l’expérience du Soleil et l’approche
d’Ariane avec le masque.
Mon approche au masque a commencé comme ça. Mais le théâtre balinais ne m’a
pas marqué plus qu’une expérience... J’ai eu une expérience au Myanmar, avec la
danse siamoise. Cette expérience-là, par exemple, du point de vue technique, ce
n’est pas ce qui est resté. Mais, le Myanmar m’a laissé une marque,
incroyablement, d’un théâtre qui veut parler de son temps. Au Myanmar, en
étudiant la danse traditionnelle siamoise, je suis entrée en contact avec une
famille, et la moitié de la famille était en prison.
Une fois, le chef de la famille, celui qui tenait les choses, a commencé a faire une
présentation, montrant cette tradition-là et je voyais comme cette tradition était
une forme de résistance politique dans cette dictature-là, dans la misère extrême
qu’il y a au Myanmar. C’était quelque chose de très, très touchant. Tout le théâtre
de l’Extrême-Orient, le kathakali, par exemple, était très marquant aussi. Alors, la
rencontre avec le masque est encore une autre chose, puisqu’en tant que forme
théâtrale elle est très riche. Elle dialogue avec notre tradition théâtrale qui est la
commedia dell’arte, qui était la grande tradition théâtrale du comédien. Donc,
pour quelqu’un comme moi, qui vient d’un théâtre decrouxien, où le comédien
est l’artiste de la scène, évidemment, la rencontre avec le masque lui-même est très
fort.
Et ce n’était pas avec le masque de la commedia dell’arte, car je pense que c’est
une tradition compliquée puisqu’elle a de nombreux clichés attachés à elle, collés.
Alors, le masque balinais simplifie les choses concernant le travail du comédien. Il
est plus libre pour aller à la rencontre de cet archétype, si l’on peut dire cela.
Tandis que, quand on propose un Arlequin à un comédien, on a deux problèmes.
D’abord, il n’y a pas beaucoup de bons facteurs ou quand il y en a, ils sont très
chers. À Bali, cette tradition est encore vivante et accessible à nous. Donc, nous
avons une belle collection de masques traditionnels, qui sont très bien
confectionnés, qui aident vraiment le comédien. Un mauvais masque n’aide pas le
comédien. Il ne sert à rien en fait. Il est une déformation sous un autre visage.
J.C. — Concernant cette expérience que tu as vécue en Birmanie, arrives-tu à
formuler avec plus de profondeur la raison de cette importance ?

522
A.T. — Le théâtre comme une forme de résistance politique. Surtout cela. De plus,
le fait qu’il s’agissait d’une tradition qui était en train de mourir et cela est quelque
chose qui m’émoie énormément. Cette trilogie de la guerre (les spectacles que
l’Amok Teatro présentait à ce moment-là) est née de quelque chose très de proche de
cela. Elle est née de la rencontre avec les comédiens iraniens Siah-Bazi une
tradition qui est en train de mourir aussi, car le Siah-Bazi a été fermé par le régime
iranien. C’est une tradition qui va mourir. Cette rencontre m’a envoyé totalement
à l’expérience en Birmanie, puisque c’était une famille qui essayait de ne pas laisser
le théâtre et cette tradition-là mourir en fait.
Tout cela était très perturbateur, car toute la famille avait été arrêtée parce qu’ils
avaient participé au meeting d’Aung San Suu Kyi, qui était en prison. Mon Dieu,
c’était incroyable. Il avait construit dans son garage un théâtre où il recevait
quelques personnes seulement. À l’occasion, Stéphane et moi, nous étions le
public d’un énorme spectacle. Ensuite, nous sommes allés faire des cours là-bas et
l’on a fini par partager le drame qu’ils éprouvaient à ce moment-là. Alors, ce
contexte, plus le fait qu’il s’agissait d’une forme traditionnelle... tout cela me
touchait particulièrement. C’est très triste de voir une tradition mourir.
J.C. — Je passe à un autre point. Par rapport à la danse balinaise. Tu as découvert
cette danse à partir d’une autre logique, un autre ensemble de codes, celui du
mime corporel. Il n’y a pas eu un moment où tu as dû abandonner cela pour
rentrer dans un autre corps ?
A.T. — Oui, il y avait de choses. Une des choses difficiles quand je suis rentré à
l’école de Decroux, était le fait de venir de la danse. Je venais d’une danse qui ne
se pensait pas isolée d’autres formes. Alors, il y a une chose très intéressante. Je
suis allée à la rencontre de Decroux. Pour construire le socle et bâtir toute cette
grammaire corporelle pour le comédien, il a été obligé d’écarter le théâtre d’autres
formes, de la danse, du cirque, de l’acrobatie, de toutes autres techniques, pour
comprendre qu’est-ce qu’était le mouvement dramatique, ce qui est propre au
théâtre. Ils sont différents.
La danse, même du point de vue de la technique, la danse est expansive, elle désire
l’espace. Elle est composée d’une succession de pas en mouvement. Et tout le
principe du mouvement corporel pour Decroux est l’opposé : beaucoup plus le

523
torse que les extrémités. Ces dernières, pour lui, représentaient les gestes du
mensonge. Le visage, les mains, il ne trouvait pas ces organes nobles pour la
constitution d’un art, puisqu’ils ne sont pas impliqués lors d’un déséquilibre. Ce
sont des organes du quotidien. Alors, la question était comment aller à la
rencontre de ce qui avait pour lui la dimension statuaire, de la sculpture. Et en
établissant des comparaisons avec d’autres arts, il a commencé à créer son champ.
Alors, pour passer de la danse à un art du mouvement corporel, mais qui n’était
pas la danse, c’était très compliqué pour moi/cela a fait nœud très grand.
Comme je venais déjà d’un langage physique, alors, j’ai dû tout bien délimiter. Le
comédien, quand il construit l’espace, la valeur de la pause est beaucoup plus
importante que celle du mouvement. Les principes étaient opposés. Le tronc a une
valeur importante chez Decroux, le jeu avec la gravité, la pesanteur, qui donne toute
cette valeur dramatique au mouvement. Enfin, il voyait sous l’angle des
oppositions. Alors, pendant sept ans, je me suis entraîné à pouvoir séparer le
théâtre de la danse et de toutes les autres formes, y compris le théâtre parlé.
Quand je suis allée à Bali, il y avait beaucoup de points en commun dans les règles,
mais je suis allée à la rencontre d’un théâtre qui ne se dissocie pas de la danse. Il y
a l’idée du théâtre-danse. Cela était très intéressant. Decroux travaille avec la
notion de dynamorythme, qui est la réunion de la puissance, de l’énergie et du
rythme. La danse balinaise est remplie de tout ce vocabulaire, de ces ponctuations,
de ces lignes directes que l’on fait toute une autre chose, le staccato... tout cela
était là aussi. En même temps, toute cette sinuosité du corps, tout le travail du
tronc, des oppositions, puisque le travail du mime corporel est celui, d’à tout
instant, construire un corps par en oppositions. Alors, tout cela était
techniquement là, et en même temps, il n’y avait pas cette rupture entre une forme
et une autre.
Je me souviens de ma professeure, par exemple. Quand on travaillait le teruna jaya,
je me souviens de ces indications, elle me parlait des choses par rapport la
situation : d’être une femme, une guerrière qui part à la forêt. Elle me donnait un
contexte qui m’aidait à donner un sens au mouvement. Déjà Decroux disait
quelque chose de fondamental : la danse n’a pas besoin d’une raison d’être. Tu

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n’as pas besoin de justifier pourquoi tu danses, puisque la danse se justifie pour
soi-même.
Le mime corporel, cette technique qu’il a inventée, est l’étude de tout ce qui fait
l’être humain dans toutes les situations de la vie où il ne danse pas. Il disait qu’au
théâtre, nous devons avoir un but. Tu as besoin d’une raison pour te lever,
t’asseoir, pour regarder. Dans l’expérience avec la danse balinaise, par exemple,
tout cela a explosé et c’était très intéressant. Peut-être parce que c’était l’occasion
où j’ai commencé à me relier et à me dire : « Regarde, c’était bien, tu as appris une
tradition ». Cela est très important, savoir d’où tu viens.
Cependant, elle m’a donné une énorme liberté pour me rapprocher de cet héritage
librement. Aujourd’hui, je vois les gens dans cette tradition-là, très attachés au
théâtre de Decroux, aux lois qu’il a formulées. Cela empêche l’avancement du
théâtre decrouzien lui-même, le renouvellement du mime corporel, son dialogue
avec le public, puisque cette forme reste très fermée en tant que forme théâtrale. Je
pense que cela état le rôle du théâtre de l’Orient dans mon parcours. Il a explosé
tout cela et m’a fait regarder autres formes. Surtout, en retournant au Brésil,
regarder... Comme je te l’ai dit, nous avons besoin de savoir d’où on vient. Je suis
brésilienne. Je suis allée à la rencontre d’une forme très européenne. Je suis
paulista, je ne viens pas du Sertão. Je viens d’une ville qui a beaucoup de
références. Alors, je suis une personne avec beaucoup de références, y compris
dans la culture asiatique. Si quelqu’un me dit que cela est distant, pour moi, ce
n’est pas distant. J’ai grandi entourée de Japonais. Mais, ce sont des cultures très
fermées. São Paulo est une ville qui a des racines dans différentes cultures, dans la
pluralité. C’est mon Brésil. On vit constamment cela au Amok (Teatro), les gens
nous disent : « Vous traitez trop de thématiques non brésiliennes. ». Tu as fait cette
même question à Stéphane. Moi, je ne suis pas d’accord. Je pense que le Brésil est
tellement pluriel et, moi, je viens de l’intérieur...
J.C. — Ce n’était pas une critique...
A.T. — Oui, je comprends. Mais parfois, on l’entend comme une critique. Par
exemple, « Vous ne faites pas un théâtre brésilien. » Cependant, moi, je le
revendique : mon théâtre est brésilien. Je suis une personne de la fin du XXe et du
début du XXIe siècles, dans un monde globalisé. Je suis née et je viens d’une ville

525
cosmopolite et je toujours vécu en contact avec beaucoup de cultures. Beaucoup
de cultures du Brésil et d’ailleurs. Même, le fait d’avoir une racine très forte de
l’intérieur de São Paulo, dans la culture caipira. Cette culture a certainement une
influence aussi dans ma manière de travailler, puisque c’est imprégné en moi. Mais
moi, je circule avec liberté de l’Agreste à l’Aftheganistan, à Kabul.
Cela demeure une question... Il y a eu une chose très intéressante. Quand nous
étions à Bali, il y avait une Japonaise aussi. D’ailleurs, il y a beaucoup de Japonais
qui travaillent à Bali, ne c’est pas ? Je me suis demandé pourquoi des personnes
qui ont et qui viennent d’une tradition théâtrale tellement forte comme c’est le cas
du Japon allaient à Bali, pour travailler dans une culture qui n’était pas la leur.
Elle m’a dit qu’en réalité, toute la procédure était tellement chère, tellement
fermée, le théâtre japonais était tellement inaccessible, qu’ils allaient à Bali parce
qu’il y avait une tradition là-bas, ils aiment cela et c’est accessible à eux. Alors, en
fait, elle a remplacé sa culture pour une autre. En même temps, il y avait aussi une
autre personne d’ici. Elle avait une compagnie de danse au Brésil. On s’est
retrouvé là-bas et elle est allée faire quelques cours. Donc, il y avait la Japonaise,
cette danseuse et moi. C’était intéressant, car elle était une Brésilienne qui
n’abandonnait rien d’elle pour aller à la rencontre cela.
C’était très bizarre, car elle est passée pour cette expérience, cependant, je ne crois
pas que cela lui a laissé une trace. Elle avait ce genre de relâchement, qui est très
courant ici, un manque de discipline. Elle était relâchée, un peu larguée. La
professeure devait lui faire des remarques à chaque instant, pour lui réveiller. Une
avait tout laissé pour être là et l’autre n’abandonnait rien : c’était très contrastant.
Je me suis vue un peu dans entre ces deux lieux. Pendant le temps que je suis
restée à Bali, je suis allée à la rencontre de cet autre, de ce desconhecido, mais sans
perdre ma racine. Pour moi, c’est ce dialogue qui était intéressant. Dans un sens,
toute cette expérience était dans le dialogue.
Même du point de vue technique, il y avait des choses que je cherchais à Bali :
l’utilisation du poids, l’emploi de ces contradictions du corps, la manière de
travailler le dynamorythme, le travail du regard. Ce dernier est très fort à Bali et il
n’y a pas chez Decroux. Le regard chez Decroux est un regard distancié. Alors,
c’était vraiment un dialogue : je m’arrentais, je confrontais, je revisitais des choses

526
et cela nourrissait mon travail. Cela était très intéressant. Je pense que cela est
important lorsque l’on s’approche d’une culture comme la balinaise.
J.C. — Alors Ana, est-ce qu’il faut abandonner quelque chose pour aller à la
rencontre de l’autre ?
A.T. — Je pense qu’au moment, en toute rencontre, tu dois abandonner quelque
chose en toi. Je dis cela souvent aux élèves quand on commence un atelier, par
exemple. Parfois, il s’agit d’une rencontre d’une semaine, de quarante heures
ensemble. Les personnes viennent des lieux complètement différents, avec des
expériences complètement différentes. Je leur dis généralement cela : « Pendant ce
temps-là, nous devons être ici. » On doit tout questionner, mais si l’on fait un
atelier en le questionnant tout le temps, on n’arrive pas à expérimenter, puisque
l’on sera quelque part dehors, à observer. Je pense qu’il faut se donner, comme
dans n’importe quelle rencontre, comme lors de la rencontre avec une personne.
On doit abandonner quelque chose.
En mêmes temps, on ne peut pas se perdre complètement. Je pense qu’on doit être
vigilant. Là-bas, nous nous réveillons le matin très tôt et nous allions danser le
Topeng tua. On passait des heures en faisant la marche du Topeng tua. En ce
moment-là, on doit faire cela, n’est-ce pas ?
J.C. — As-tu dansé avec le masque ?
A.T. — Oui.
J.C. — Et comment ce s’est passé ? Comment était l’expérience de jouer ce
personnage masqué ?
A.T. — Ah oui. Dans la formation chez Decroux, l’usage du voile est très
important, c’est à dire cacher le visage. Ce n’est pas un masque, et non plus un
masque neutre. Il s’agit simplement de couvrir le visage. L’acte de couvrir le visage
nous apporte une conscience beaucoup plus importante de ce que l’on fait avec
notre corps. Alors, quand on met un masque, on n’efface pas uniquement soi-
même : quelque chose de ton identité, de ta personnalité s’en va. Il y a un « autre »
qui surgit et on est conscient qu’il s’agit d’un autre.
Si tu n’es pas conscient, s’il n’y a rien qui s’opère, alors, tu n’as même pas réalisé
que tu as mis un masque. Quand on est conscient que tu n’es plus une jeune
femme, mais un vieux, un vieil homme... Bien sûr, il s’agit d’une expérience très

527
forte, puisqu’il ne s’agit pas uniquement de se laisser, mais de se laisser pour être
un autre.
Mais je pense que cet aspect a été plus fort quand je faisais du masque dans la rue
en France. Pour moi, le plus grand défi du masque, ce n’était pas le masque dansé,
comme pour les masques entiers, mais c’était les Bondres. Puisque c’était un plus
grand défi, l’impact était plus important. Quand j’ai mis un demi-masque pour la
première fois et je suis allée joue dans la rue, directement, et je devais improviser
en parlant, alors là, c’était un choc, un choc. C’était cruel. Là, on voit clairement
que le comédien doit développer, éduquer et entrainer toute son imagination
verbale. Et la voix, toutes les possibilités de sa voix, puisque tu dois aussi être un
autre à travers de la langue parlée. Il ne suffit pas de se mouvementer et maintenir
le rythme de quelqu’un d’autre, il faut penser et articuler cette pensée en paroles,
comme quelqu’un d’autre. Cela est très révélateur. Les Bondres c’est une très
bonne formation. Concernant les masques, je pense que le plus difficile est de
parler. Comme je viens de dire, le problème avec la commedia dell’arte est justement
les clichés associés aux personnages, au Pantalone, au Dotore. Cela est très difficile
pour un comédien. On doit faire tout un travail avant même d’aller à la rencontre
d’Arlequin, pour se détacher de ses stéréotypes. Tandis qu’avec les masques
balinais, on a vraiment cette liberté. Ce qui est extrêmement beau dans le travail
avec les masque, c’est d’aller dans des différents régions et pays, et quand le
masque « apparait », il « apparait » avec les mêmes caractéristiques. C’est beau ! Les
voix se ressemblent. Ces comédiens ne se connaissent pas, ils ne connaissent pas le
masque, mais quand le personnage « apparait », il le fait vraiment. C’est tellement
beau et mystérieux.
J.C. — Dans ce contexte, quelle est la plus grande difficulté des étudiants ?
A.T. — Cela change par rapport au groupe, car le masque nous surprend aussi
dans cet aspect. Parfois, des comédiens qui ont un long parcours ne seront pas
forcément ceux à mieux approcher le travail avec le masque. Parfois, un comédien
débutant aura beaucoup plus de liberté, s’adaptant mieux à ce travail. Mais cela est
très variable. Je dirai que la première plus grande difficulté pour un comédien c’est
l’usage du corps. C’est la plus évidente pour moi. Le masque exige la création d’un

528
masque corporel immédiatement. Le masque apporte la conscience que tout le
corps est masqué.
Je crois que cela est le plus flagrant et le plus fréquent : le manque de conscience
que les comédiens ont de leurs corps et de la nécessité de modifier leurs corps. Et
aussi, que chaque personnage, celui de la dramaturgie écrite, n’importe quel
personnage, même le plus réaliste, il est un autre, il a un autre rythme. Il n’a pas le
même rythme que toi. De plus, ce rythme va changer en fonction de diverses
situations qu’il trouvera lors de son parcours. Et parfois, le corps du comédien
continue le même, toujours le même. La même énergie, la même forme. Cela est le
plus difficile. Il faut également modifier sa voix, son imagination. Le masque nous
impose une autre logique. En quelque sorte, ce n’est pas si différent du clown, de
la tradition clownesque. J’adore le clown, du clown qui parle. Je trouve aussi très
riche.
Alors, vous me demandez ce qui peut avoir transformé ou « bouleversé » mon
parcours… Je dirais qu’il y a eu un événement spécialement marquant. C’était lors
d’une cérémonie, dans une maison. Il s’agissait d’une cérémonie post enterrement,
pour les morts, et plusieurs choses y avaient lieu. Il y avait un théâtre de
marionnettes, il y avait des masques, des jeux. Il y avait tellement de choses, même
des coqs ! Il y avait un peu de tout ! Tout d’un coup nous avons entendu
quelqu’un frapper sur une boîte : tac, tac, tac, tac… C’était un manipulateur qui
ne jouait un spectacle de wayang kulit devant personne. Cela m’a touché
énormément ! Il n’y avait personne et néanmoins c’était merveilleux. Mais
personne ne le regardait. Il le faisait pour les dieux vraiment. Ce n’était pas,
disons, une légende. Il faisait cela vraiment pour les dieux. Cela m’a beaucoup
marqué, car cela donne un sens complètement différent à l’acte théâtral. Cette
expérience, évidemment, est imprégnée en moi jusqu’à aujourd’hui. Je crois que
c’est ce qui est le plus imprégné.
J.C. — Pour parler un peu de ce lieu de choc, de bouleversement. Est-ce qu’il a eu
d’autres expériences théâtrales qui t’ont fait tout repenser, qui t’ont produit cette
expérience du bouleversement ?
A.T. — Je crois qu’il est difficile d’élire une seule expérience. Possiblement,
Decroux. Decroux était un grand choc, puisque je suis allée faire le premier cours

529
un peu par hasard. Je n’ai jamais prétendu étudier cela. Aussi parce que le nom
qu’il a choisi pour sa tradition n’est pas très malheureux à mon avis : le mime
corporel. Généralement, on associe le mime à une autre tradition, qui n’a rien à
voir à celle d’Étienne Decroux. Lui, il venait de l’expérience du Vieux-Colombier,
du théâtre parlé, il a travaillé avec Charles Dullin, avec Antonin Artaud. Ainsi, il
venait d’un autre univers que celui de Marcel Marceau. Ce dernier était élève de
Decroux. Alors ces deux traditions ce sont confondues : celle de la pantomime
ancienne, reprise par Marcel Marceau et celle de Decroux. Il n’avait pas l’intention
de faire un art muet, un art du silence. Étienne Decroux était un grand orateur et
il voulait faire le mime vocal, une étude de la voix humaine pour le comédien.
Alors, là... c’était un choc. Je me suis complètement livrée ? à cette formation. À
part celle-là, je peux te donner d’autres exemples, depuis mon début. Par exemple,
c’est par les moyens des rencontres que ce projet actuel est né.
Antonin Artaud par exemple a été un mega rencontre, c’était un choc. Le plus
grand. Je n’ai jamais rencontré Antonin Artaud, mais la rencontre avec son œuvre,
avec sa vie, avec toute sa pensée. Tout cela est rentré dans notre travail, dans ma
vie, c’était le plus grand choc, le plus grand bouleversement... Alors, là tout se
relie, n’est-ce pas? Un théâtre cérémoniel, un théâtre qui rompt définitivement
avec une tradition littéraire pour fonder un de tradition physique, pour moi, ce
sont les points de rapprochement entre Artaud et Decroux. Et il y a toute cette
question du corps sans organes, de brûler en permanence les formes, et c’est tout
ce que l’on cherche. Et là, l’expérience du théâtre balinais a rendu cela très
concret. En regardant les grands acteurs-danseurs de Bali, en travaillant, en
dansant dans les cérémonies... Celle-là est vraiment l’image de ce qui a bouleversé
Artaud, par exemple. Là, on comprend le pour quoi. Comment une forme si
rigoureuse, si fermée, et en même temps si libre de soi-même, c’est-à-dire, elle se
réinvente à chaque fois. Pour moi, l’image des grandes performances de Bali, pour
moi, est celle-ci : ce brûler continuel des formes et continuellement produire de
nouvelles, même dans un canon si fermé.
C’est l’expression du corps en toute sa puissance et cela est très beau. Quand je
vois un baris, un bon baris, qui rentre et qui retient l’espace, prenant tout ce temps-
là pour avancer deux marches de la porte du temple.... Ce principe de la rétention

530
de l’espace, ce principe du corps dégage une telle énergie, et cela reste toujours. Le
nom de notre groupe (Amok) vient de là, de cette fièvre, cette énergie que l’être
humain porte, et qui fait de lui plus qu’un être humain.
J.C. — Fait-elle quoi de lui ?
A.T. — Fait de lui... je ne vais pas parler des dieux, que c’est un peu comment ils
identifient l’acteur, mais fait de lui un être humain héroïque. Héroïque dans le
sens wagnérien du terme. Il est plus qu’un être humain, c’est un être humain
différent de la vie de tous les jours, car il est potencializado. Il a plus d’énergie. Le
héros n’est pas dans le public. Pour que le héros soit en scène, il doit être très
différent de ceux qui sont assis au public. Dans ce sens-là, le théâtre balinais est
une leçon pour n’importe quel acteur. Le baris, quand il rentre, il n’est pas comme
le paysan qui le regarde. Il est plus puissant. Il est beau, il est tout le temps beau.
Il y a les comédiens du Siah-Bazi. Ils m’ont beaucoup marqué. La rencontre avec
Ariane Mnouchkine aussi. Plus récemment, il y a eu la rencontre avec Miguel
Rubio du Yuyachakani, un groupe péruvien, qui m’a énormément marqué,
énormément. Ce sont des rencontres qui nous font prendre une autre direction.
C’est comme si on conduisait une navette spatiale, et d’un coup, on rencontre
quelque chose qui nous fait changer totalement de direction. Il est difficile d’en
choisir une. S’il fallait absolument élire une, je dirais Artaud et Decroux. Mais...
même en dehors le théâtre. Je pense à Paulo Freire, l’éducateur, mon premier
maître. Ma première formation est en Pédagogie et j’ai travaillé pendant plusieurs
années dans l’alphabétisation d’adultes, avec la méthode Paulo Freire. Alors, après
beaucoup d’années, à présent, depuis la fin de l’année dernière, j’ai commencé à
relire Paulo Freire, en dialoguant. Cette une très belle re-rencontre. Cela me
bouleverse à l’instant, cela m’a fait changer mes paramètres. Il y a eu Angel Vianna
aussi. Beaucoup de gens magnifiques.
J.C. — Une question que j’ai faite à Stéphane aussi. Vous êtes venus de l’Europe à
ici. Penses-tu que nous sommes dans le même Occident de l’Europe ? Comment
vois-tu le Brésil dans ce rapport Orient et Occident ?
A.T. — Je dirais que le Brésil est en train de changer beaucoup et très vite. Surtout
ces dernières années que tu as passées à l’étranger. Je ne sais pas comment c’est
pour toi de revenir et voir tout cela. D’abord, je crois que dans notre histoire

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politique il y a un mouvement plus important et conscient de se voir. Je dirais que
pendant beaucoup de temps je voyais le Brésil en tant qu’Extrême Occident, pas
en tant qu’Occident : très imprégné de la culture nord-américaine, avec une
économie ultra capitaliste, libérale. Je dirais que l’on se voyait ainsi, en tant
qu’Extrême Occident et que depuis quelques années, on commence à se repenser,
à se voir et tout cela est un peu plus fluide. D’abord, je crois que dans notre
histoire politique il y a un mouvement plus important et conscient de se voir. Je
dirais que pendant beaucoup de temps je voyais le Brésil en tant qu’Extrême
Occident, pas en tant qu’Occident : très imprégné de la culture nord-américaine,
avec une économie ultra capitaliste, libérale. Tout cela a mijoté dans un chaudron.
Aujourd’hui, nous avons plus conscience du rôle de l’immigrant japonais, par
exemple.
Le Brésil essaye de comprendre son identité, indépendamment d’une identité
européenne. Et je remarque que même du point de vue de la géopolitique
internationale que le Brésil a un autre rôle aujourd’hui. Aujourd’hui, il est plus
intéressé en montrer sa personnalité face à la géopolitique internationale. Je crois
qu’il y a un changement là. Il y a un gain d’autonomie et ce gain n’arrive pas de
manière isolée. Il est en résonance à tous les mouvements de la société civile.
Depuis quelques années, le Brésil se place de manière plus indépendante, parlant
par lui-même, il n’est pas toujours aligné avec les Américains. Il se voit constitué
de différentes cultures et ces cultures-là sont valorisées. Pendant beaucoup de
temps, seule la culture européenne était valorisée. Aujourd’hui non. Toi, tu as
étudié le cavalo-marinho, il y a beaucoup de groupes qui étudient le jongo, le cavalo-
marinho, le boi... Finalement, je ne saurai pas te répondre « c’est comme ça ».
J.C. — Alors, dans cette perspective, ce binome Orient et Occident nous sert à quel
point ?
A.T. — Je crois qu’elle nous sert, n’est — ce pas ? Je pense qu’il y a un rôle
historique là. Je pense qu’elle nous sert, car tout qui nous distingue/nous fait
différent est très important. Je ne pense pas que l’on doit se perdre dans un
amalgame difforme où il n’y a plus de différence entre Occident et Orient. Il y a
des différences énormes, fondamentales, mais elles ne sont pas génériques, elles ne
couvrent pas la totalité de la question. Sans doute, nous ne sommes pas Orient. Je

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n’en ai aucun doute de cela. Nous avons une autre dynamique. Surement, nous ne
sommes pas non plus le même Occident que l’Europe, ou que l’Amérique du
Nord. Je ne sais pas...
J.C. — La réalité est plus pluriel aujourd’hui, non ?
A.T. — Oui elle est plurielle. Mais cela ne nous oblige pas à perdre les contours. Je
pense cela. Nous travaillons avec différentes cultures, autres cultures théâtrales.
Depuis beaucoup de temps, nous travaillons avec des minorités, par exemple.
Quand on a réalisé un travail sur les gitans, une grande question est apparue avec,
puisqu’ils ont commencé a apparaître. Quand on regarde autour, on n’y voit pas
des gitans au Brésil. Cependant, quand on a fait Savina, les gitans ont commencé à
apparaître. Ils venaient voir le spectacle, ils nous ont cherchés. Fréquemment, ils
venaient voir le spectacle avec leurs vêtements traditionnels. C’était une manière
d’affirmer leur culture, de signaler leur fierté de leur culture. On voit comment
cela est important.
En fait, dissoudre des préjugés, accepter l’autre n’est jamais dans le sens de faire
l’autre se ressembler à toi et de ce faire, perdre les différences. C’est toujours dans
le sens de regarder et respecter cette différence. Mais la différence, elle existe. Nous
ne sommes pas des Orientaux, surement. Nous sommes un type d’Occidentaux,
peut-être. Je pense qu’il y est important de voir cela. Il est important de dialoguer
avec d’autres cultures. Je pense que nous ne devons pas perdre de vue ce qui nous
sommes, d’où on vient, quelle est notre lignage ? Toujours. Dans tous les plans de
la vie, au théâtre, mais aussi dans tous les plans, justement pour pouvoir dialoguer.
Comme je t’ai dit, être à Bali et dialoguer, sans me fondre dans l’autre, ni
m’abandonner dans l’autre, sortir du lieu au je suis et qui m’empêche de voir
l’autre.
_________________________________________________________________

ENTRETIEN AVEC FELISBERTO SABINO


Réalisée à São Paulo, le 2 de juillet 2012

Juliana COELHO – Comment êtes-vous arrivé à Bali ?


Felisberto SABINO – Comment j’y suis arrivé... Alors, il y a un long parcours
antérieur ici au Brésil, car je travaille à l’Université de Sao Paulo et je travaille avec

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des masques. Un des cours que je dispense sont Théâtre d’Animation I et II et
Dramaturgie et une des thématiques de mon travaille sont les masques. Alors,
j’avais une connaissance théorique sur le masque balinais. J’avais eu un contact
avec le groupe Amok de Rio qui est aussi allé et avec d’autres personnes qui ont
travaillé avec Bali. Alors, j’avais eu ce contact préalable ici et j’ai décidé de créer un
projet que j’ai nommé « Un dialogue entre Orient et Occident ». Je crois qu’au
Brésil on parle d’une perte du côté sacré, de cet aspect qu’uniquement l’Orient
aurait, comme si ce rapport était presque adhérant au corps oriental. Cependant,
quand j’ai passé un temps au Nord-Est, à Pernambuco, dans une recherche avec le
cavalo-marinho et après un autre temps au Maranhão, cherchant le bumba-meu-boi,
j’ai observé que même si ce n’est pas de la même manière que Bali, il y a un aspect
du sacré, dans le contexte religieux qui entoure cette manifestation. Pas dans la
manifestation qui est réalisée pour les touristes, comme à Bali, mais celles qui se
déroulent à la campagne, à Martinha, à Penalva qui sont des villes du Maranhão ;
ou à Condado à Pernambuco. Il y a cet aspect ici au Brésil, qui est lié à la religion
chrétienne, plus précisément au catholicisme.
Alors, je crois que mon travail de recherche était celui-là : pas dans le sens de
réaliser un travail de prospection, mais d’observer et de desmistifier un peu.
Puisque pour un Occidental, je peux me tromper, car j’y suis resté seulement
quarente cinq jours. J’ai observé que la question de la religiosité à Bali... cela peut
paraître paradoxale... mais je l’ai trouvé profane à mes yeux, dans le sens qu’elle
fait partie d’un tout. Ce n’est pas comme quand nous travaillons des masques au
Brésil, surtout quand il s’agit de masques orientaux. En quelque sorte, nous
faisons une « représentation » de ce qui serait la religiosité de là-bas. Ainsi, il y a
plusieurs aspects qui n’ont pas de rapport avec notre réalité ici et on finit par
imiter quelque chose que ne fait pas partie de notre manière de faire ici.
Alors, quand je suis allé là-bas, au moins avec les personnes que j’ai eues contact,
Catra et Djimat par exemple, ils ont cet aspect sacré, cet aspect religieux, mais cela
est dans la vie de tous les jours, on ne le sépare pas de la vie. Bon, si je reviens à ta
question, ce qui m’a poussé à aller à Bali était une envie de vérifier cela. J’ai créé
un projet pour la FAPESP, il a été approuvé et je suis allé.
J.C. — Attends-tu y retourner ?

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F.S. — Oui, je l’espère... J’allais retourner en juillet, pendant ce festival annuel...
Oui, c’est ce festival où pendant un mois, du 15 juin au 15 juillet, plusieurs
troupes viennent se présenter. C’est comme le festival qui a lieu au Maranhão. Au
Maranhão, des bois de venus de plusieurs lieux e l’intérieur du Brésil se présente.
Lors de la Sainte Jean, par exemple, à Martinha, plusieurs bois se réunissent et
font une sorte de rencontre de bois, de bumba-meu-boi. À Bali, il a cette rencontre
des plusieurs arts. J’y retournerai surement à la fin de l’année. Je crois qu’il faut y
retourner plusieurs fois. Tout ce que je parle ici, c’est mon premier regard. Peut-
être lors de la deuxième fois, out sera différent.
J.C. — Entre les choses que vous aviez lues avant de voyager et les choses que vous
avez vues, est-ce qu’il y a eu d’autres conflits ?
F.S. — Je vais vous répondre, mais je ne sais pas si je réponds à votre question. Ma
première référence de Bali ne vient pas de cette recherche actuelle. Elle est
antérieure, de mon époque d’étudiant de théâtre. Elle vient du Théâtre et son
Double d’Artaud. Alors, à partir de cela et de la manière dont la question
artaudienne est pensée ici au Brésil, tout cela m’a amené à un imaginaire… J’ai
créé une « histoire » de Bali à partir de ce qu’Artaud a écrit. En fait, quand j’y suis
arrivé, je me suis aperçu qu’en même temps c’était cela et ce n’était cela. Il s’agit
d’un regard très particulier d’Artaud dans un contexte spécifique, dans les
années 1930. En 2010, on a une autre réalité. Cela m’impacté différemment. Je
pense que j’avais un Orient idéalisé, tant son côté culturel, quant sa vie
quotidienne. Il y a des endroits là-bas... Il y a des endroits qui ressemblent
tellement à ici.
J.C. — Parlez-moi un peu plus de cela.
F.S. — Bon, pour moi, puisque je suis de Minas Gerais, j’ai grandi là-bas et j’ai
environ 50 ans. Alors, quand je suis allé à Bali... Je parle des villages moins
centraux. Il y a là-bas un certain rapport dans la campagne, dans les rapports
familiaux, dans les relations entre les gens, qui m’a beaucoup rappelé une région
de Minas Gerais, la zone est. Cela m’a beaucoup rappelé la vallée du
Jequitinhonha, un endroit que je fréquentais enfant. Il y a certaines choses que les
personnes ont qui n’existent plus autre part. On se réveille avec le chant du coq, il
y a une façon de traiter les animaux, même de les tuer que... Ils vivent dans un

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espace-temps qui est le XXIe siècle, mais en même temps je me suis senti dans mon
enfance, dans les années soixante-dix, à Jacinto (village). Le voyage m’a offert cela,
une certaine brésilité (brasilidade). Et moi, je n’avais jamais imaginé pouvoir être
proche de cela à Bali, les liens familiaux, le quotidien, le travail... Même si c’est
très différent, je voyais des images proches de la vallée du Jequitinhonha... La
façon de préparer la nourriture, accroupie, la façon de couper les choses et de
verser dans quelque chose qui pourrait être une gamela. Je ne sais pas si cela est
important...
J.C. — Oui, très important...
F.S. — Tout m’était très proche. Une autre chose qui m’a également amené à mon
enfance : cette fleur des temples, cette fleur jaune de frangipanier. Dans la maison
de ma grand-mère, il y avait aussi un arbre à Frangipanier. Alors, je me suis senti
chez quand je me suis senti cette odeur. Cette odeur me conduisa au Brésil, à
Minas Gerais. Alors, je pensais : « C’est drôle, mais je suis ici et des choses comme
ça... on m’a donné l’étrangeté n’étaient pas des choses exotiques, étaient les choses
au jour le plus commun en jour, je l’avais vécu une fois dans ma vie, un autre
endroit, dans un autre temps, dans un autre...
Alors, c’était tellement bizarre. J’étais là-bas et les choses qui m’ont semblé étranges
n’étaient pas les choses exotiques, mais mes celles de tous les jours, les choses que
j’avais déjà éprouvées une fois dans ma vie, dans un autre lieu, dans une autre
époque. Cette connexion m’a fait faire un tour en moi même. Les choses
exotiques, les bâtiments, la température du lieu, les costumes, ces choses que l’on
trouve normalement bizarres, ces choses-là ne m’ont pas semblé étranges. Je les
avais déjà vues, ou je les attendais. Mais marcher dans une rue sans éclairage, par
exemple, cela m’a emmené dans les années 60. C’était comme si j’étais chez moi.
Cela est très bien. C’était différent d’aller en Europe, par exemple. Je me suis senti
plus bizarre en Europe qu’en Bali. Et cela est étrange. Paris est occidental et
spécialement pour ceux qui font du théâtre est une référence importante. Mais je
me suis senti à la maison à Bali et pas à Paris. Je trouve cela très bizarre. Je me suis
senti chez moi immédiatement. Je ne sais pas si c’est parce que nous sommes dans
l’autre côté du monde, mais dans la même latitude : le même climat, les pluies, les
fruits, la nourriture colorés... ces choses me contaminaient, m’accommodaient, me

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faisaient sentir à la maison. Alors c’est cela qui était le plus drôle : je suis allé de
l’autre côté du monde pour sentir des choses que je ne sentais pas depuis si
longtemps, dans un pays censé être différent... mais, je ne l’ai pas senti de cette
façon.
J.C. — Alors, dans ce sens, aujourd’hui, pensez-vous que nous serions dans cet
occident, comment voyez-vous cette division entre Orient et Occident, le Brésil en
cela ?
F.S. — En fait, je parle de mon expérience. Je crois que le Brésil est à la fois dans et
hors de l’Occident. Dans un certain sens, il est dedans, comme si l’Occident était
un vêtement, une peau, plus à l’extérieur. Mais si l’on va à la chair, je crois qu’il
n’y est pas, car nous avons quelque chose... Je ne sais pas si c’est lié à la forte
influence indienne, africaine... Nous sommes occidentaux, mais pas comme des
Européens. Je pense que l’influence de la culture indienne et africaine a été
déterminante pour notre contradiction, cela nous a apporté des choses, nous
avons un rapport corps et esprit, plus proche de cette dimension du sacré qu’un
Européen, qu’un français. C’est un ressenti. Je n’ai aucun argument scientifique.
Je suis dans le domaine de l’impression, de la perception. Je crois que nous
sommes « Occident », mais d’une autre manière.
J.C. — Par rapport à la corporéité de la danse balinaise, l’aviez-vous expérimenté
avant au Brésil ? C’est une contraction corporelle très diverse de la nôtre.
Comment ton corps a-t-il senti cela et comment l’avez-vous vécue ?
F.S. — J’avais expérimenté le kathakali, pas la danse balinaise. C’est de la danse
indienne, mais il y a une connexion. Comme je travaille avec les marionnettes,
alors, j’avais déjà cet exercice de ce corps articulé, pour après passer à l’objet. Je sais
que ce n’est pas la même chose dans la danse balinaise, mais les danses orientales
ont ce rapport très étroit avec les marionnettes, comme le bunraku. Il y a ces pièces
qui sont réalisées dans le kabuki, dans le noh et dans le bunraku, puisque ces formes
ont cette notion de « marionetisation » du corps de l’acteur. De toute manière, ce
n’était pas facile. Par exemple, l’ouverture des jambes, pour eux cela semble
naturel, mais ce n’est pas, c’est quelque chose construite. Avec le ballet classique,
on apprend cela.

537
J’ai appris un peu la sculpture avec I Dewa, par exemple. Alors, même la manière
dont ils s’asseyent les apporte cela. Ils ne s’asseyent pas comme nous. Ils
s’asseyaient, ouvrent leurs jambes comme ça. Il suffit de se lever et de danser. Pour
nous c’est plus difficile et maintenir cela tout le temps. Djimat me demandait
toujours d’ouvris les jambes, car la danse exige cette ouverture. En même temps,
quelques fois c’était un peu facile grâce à cette notion d’articulation des
marionnettes.
J.C. — Avez-vous joué avec le masque ?
F.S. — Oui.
J.C. — Comment était cette expérience ?
F.S. — J’ai travaillé deux masques, le Topeng tua et le Topeng keras. Dans un
premier moment, le Topeng tua était super. Je ne sais pas si c’était l’âge, ou
l’énergie plus à l’intérieur avec des mouvements moins vigoureux, mais c’était plus
tranquille. Alors, le Topeng keras, dans un premier moment c’était très difficile.
Quand je suis arrivé, Daniela, ton amie, était là-bas et Djimat ne donnait pas des
cours. C’était Nyoman Budi Artha. Alors, cela était une chose. Peut-être parce que
je suis plus zen, quand j’ai commencé les cours avec Djimat, tout était plus
tranquille. J’ai réussi à le faire et les gens me disaient que c’était bien. Bien, un
millimètre de ce que c’est vraiment bien, je pense. Pour faire cela, on doit le faire
beaucoup et vraiment rentrer dans la culture. Je pense que j’ai réussi à mieux faire
le Topeng keras et j’ai pensé que je ne serai pas capable. Peut-être il y a quelque
chose qui est « descendu » lorsque j’ai mis le masque.
C’était intéressant. Avec les Bondres, nous faisions une séquence de cinq ou six
avec leurs partitions. Dans ce moment c’était plus tranquille, puisque comme
Djimat dit, malgré le fait d’avoir une partition, les Bondres une grande liberté de
mouvement et de création. Alors, on a une base, mais on peut s’éloigner de cette
base. Ce n’est pas si marqué comme le Topeng tua, où on doit écouter le gong. À
chaque huit temps du gong, on a une partition. C’est quelque chose de paradoxal,
mais quand on voit les danseurs, parfois on pense qu’ils ne font pas la même
danse, puisqu’ils construisent un autre enchainement. Ce n’est pas la chorégraphie
que l’on apprend. C’est un certain enchaînement.

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J.C — Pouvez-vous parler un peu plus sur cette différence entre faire des cours avec
les deux. Nyoman est plus jeune, il est allé à Denpasar...
F.S. — Je ne ferai pas de jugement de valeur ici, en disant celui qui est le meilleur.
Mais, Nyoman, je ne sais pas si c’est parce qu’il fait partie d’une autre génération
ou parce qu’il apprend à un Occidental, je ne sais pas pour quoi, mais sa danse...
malgré le fait d’être plus énergétique, c’est une danse plus physique, il travaille plus
ce mouvement physique. Djimat a une force intérieure. Pour employer une image,
je dirai que Djimat est comme le feu en combustion, cette chose qui vient de
l’intérieur. Nyoman serait plus la flamme, cette chose qui bouge, qui danse. Avec
Djimat, il faut travailler le centre. Alors, moi, je m’identifiais plus avec cet aspect
plus à l’intérieur du corps. Dans cet aspect, je suis plus oriental. Le point de départ
de Nyoman est extérieur, les accents, la partition. Il passe les mouvements comme
s’il dansait et Djimat travaille plus avec l’idée d’énergie intérieure qui te porte.
Peut-être grâce à l’âge ou l’expérience, il nous apporte cet aspect de la sagesse du
corps... Quand on se rend compte, on est en train de faire des choses sans
s’apercevoir. Je ne sais pas si c’est clair.
J.C. — Je pense que oui (rires)
F.S. — (Rires) J’ai ressenti cette différence. Nyoman était plus occidental, dans le
sens qu’il était plus logos, plus tête, malgré la vigueur de son corps. Je m’exprime
comme ça pour que tu puisses comprendre. Djimat était plus au cœur, disons. La
pensée était ici (il pointe son cœur) et pas ici (il pointe sa tête).
J.C. — Est-ce qu’il a eu des choses dans la façon dont Djimat enseigne que vous
avez absorbé et qui a transformé votre pratique en tant que professeur ou artiste ?
F.S. — La chose que je trouve la plus intéressante chez Djimat, c’est ce que Mauss
appelle le don. Il a une joie dans le sourire, dans le regard, lorsqu’il t’apprend
quelque chose et au moment de te la transmettre. C’est comme si, lorsqu’il te
transmet quelque chose, il te donnait un cadeau. De ce fait, on doit cela à lui
quelque part. Il ne s’agit pas uniquement d’un paiement, mais c’est comme si tu
devais rétribuer cela d’une manière. Il te donne quelque chose et il t’implique
dans cette chose. Cela peut paraître un peu cliché, mais il y a là la notion de
maître. Dans ce sens, je le vois en tant que maître : il te donne quelque chose et
après tu seras responsable pour cela. Moi, je cherche plutôt cela. Ainsi cette joie

539
dans l’enseignement, dans la façon de montrer les choses. Cela fait partie de la vie
quotidienne et je crois que c’est la chose la plus importante que m’est restée. Le
quotidien, se réveiller tôt et voir le jour se lever. On commençait à six heures du
matin, pendant l’aube, et on travaillait jusqu’à huit heures, quand il faisait déjà
jour. On sentait ce parcours de la lumière, la sonorité du silence lorsque l’on se
réveillait et on allait s’entrainer. J’ai trouvé cela très intéressant. Il y avait
également une envie de faire les choses. Je pense que tout cela a été le plus
important.
J.C. — C’était un choc pour vous de reconnaitre toutes ces choses de votre enfance
à Bali. Est-ce qu’il y eut un autre bouleversement ?
F.S. — Je pense que cela a été le plus fort. Il y a d’autres plus petits, mais pas si
grands comme celui-là. Je ressentais une mélancolie en quelque sorte. Ce n’était
pas de la tristesse, mais un voyage à cette vie que j’avais déjà vécu et que je revivais.
Comme si le temps se concentrait dans une minute éternelle, un autre temps.
Dans ce sens, je pense que je ressentais ce que Lecoq évoque dans le travail avec le
masque neutre. On doit retourner à l’enfance, le rejeu, s’ouvrir à cet état
d’innocence, sans culpabilité. Ces choses du quotidien balinais, la mobilité, le
mouvement des villages, les offrandes, le mouvement de mettre les offrandes dans
tous les endroits, l’architecture... Même traverser la rue était une aventure,
puisqu’il n’y a pas de feu rouge. Les odeurs, l’encens... Ce sont des choses qui me
font penser au bumba-meu-boi, car il y a toujours de la nourriture dans les fêtes. À
chaque fois que nous allions aux temples, il y avait les présentations et les rituels,
mais il y avait aussi des choses à manger. Tout le monde mangeait. Ce banquet
c’est comme dans le Nord-est brésilien.
J.C. — Est-ce qu’il y a d’autres connexions entre les folguedos brésiliens et ce que
vous avez vu à Bali ?
F.S. — Il y a plusieurs questions. Nous pouvons discuter des analogies entre ces
formes spectaculaires pour beaucoup de temps. Par exemple, le rapport entre
personnage et masque, entre partition et masque, comme dans le cavalo-marinho,
par exemple. Les narratives également, les mythes, les fables, il y a des axes
dramaturgiques que peuvent être transformés. Ce temps étendu... ce temps étendu
est par tout à Bali. Le temps est travaillé autrement... et là je reviens à Minas

540
Gerais et aux années 1960. Dans des villes comme Sao Paulo ou Belo Horizonte, le
temps est différent, ce n’est pas ce temps étendu.
Il y a cette richesse des costumes, ces pierres et bordures, les couleurs, ces costumes
qui font de l’acteur une marionnette. Il y a ces choses que j’ai trouvé intéressantes :
le rapport avec improvisation. Avec Djimat, on apprenait une séquence, mais
quand on voyait les autres danseurs, les séquences étaient dansées différemment.
Alors chacun apporte sa particularité, sa touche à ce mouvement qui est en réalité
collectif. Il est en même temps particulier et collectif.
C’était intéressant de comparer ces choses. Il y a ce rapport aux archétypes, ce
rapport double qui a plusieurs couches : on travaille dans une tradition, mais le
contemporain est présent en tant que couche du quotidien. À chaque fois qu’il
parle, la répétition est l’événement à nouveau. Ce n’est pas la répétition pour la
répétition. C’est réactualiser la chose et l’intégrer au quotidien. Je sentais
l’actualité des choses et c’est justement la question du rite et du mythe : à chaque
fois que nous le répétons, nous le réactualisons, puisque nous apportons au mythe
notre vie. Cela est très intéressant. L’entrecroisement entre le travail du
performeur et la religiosité est tellement intéressant. On observe cela au Boi
également. La personne rentre dans l’église et tout d’un coup, elle va mettre ses
costumes et en même temps, elle boit une gorgée de cachaça... Il y a cet état
d’innocence que j’avais évoqué. Il n’y a pas de culpabilité.
J.C. — Vous avez accompagné Djimat dans les cérémonies. Et à la fin dans le
temple, quand Sidhakarya arrive, il y a un rite qui commence. Vous les avez
rejoints dans cette pratique ?
F.S. — Je le faisais assez souvent. Mais, je faisais mon rite balinais. Je l’ai fait avec
Nyoman et Putu, puisque j’allais aux festivités et aux temples avec eux. Alors, tous
ces rituels, celui où il faut boire de l’eau et prendre le riz ou aller à Tampaksiring
pour prendre le bain dans la source, je les ai faits. Je posais des questions sur les
conventions, où est-ce que je pouvais y aller, par où je pouvais passer. C’est drôle,
car je participais, mais je ne le ressentais pas comme quelque chose de bizarre, car
à l’intérieure de moi-même je le faisais à ma façon. Je ne comprenais pas ce qu’il
parlait, alors je juste répétais ce qu’ils faisaient. Mais, je me sentais très bien en le
faisant. Ce n’est pas quelque chose fake.

541
Je rentrais dans ce jeu, car je voyais que même pour eux, peut-être je me trompe,
chacun a sa manière de sentir, une façon de rentrer et de faire. Lors de
performances ou lors de rites. C’est quelque chose qui m’a beaucoup impacté
aussi : cette chose de rentrer sur scène et se présenter sans avoir un public.
Grotowski a travaillé de cette manière-là.
Alors, quand je suis allé à un Festival dans un temple, j’étais dans un état de
stupeur. Comme c’était l’anniversaire du temple, les personnes dansaient pour les
dieux, pour eux même et pas beaucoup de gens regardaient. Alors, il y avait un
gambuh ici, un théâtre d’ombres là-bas et après, il y avait un topeng : tout se passait
en même temps. De l’autre côté, il y avait un cortège qui passait avec des
personnes portant plusieurs choses. Et les personnes nem ai, des gens fumaient,
parlaient. Il y a ce chevauchement de couches.

Je pense que cela fait partie de la pratique : toutes les choses en même temps. Cela
arrive aussi au bumba-meu-boi. Ils sont assis et d’un coup, ils disent « Maintenant,
c’est mon tour. ». Ensuite, ils partent et mettent leurs costumes. Ils font ce qu’ils
doivent faire. Après, ils retournent, l’événement continue et dure deux, trois
heures, jusqu’à sa fin, même si personne ne le regarde. C’est une autre idée de
théâtre. C’est-à-dire, ce n’est pas du théâtre, nous l’appelons comme ça, mais c’est
quelque chose que je ne sais pas définir. J’ai trouvé très intéressant, même si à Bali
cela a lieu d’une autre manière. J’ai vu à Sao Paulo les expériences de Grotowski
sur le performeur, avec ces chants haïtiens, où il n’était pas censé d’avoir un
public. Travailler en contact avec le cosmos ou avec dieu, même quand le
performeur acte pour quelque chose ou pour soi-même. J’ai beaucoup aimé. Là, je
n’ai pas de filtre, je parle ce qui vient. Là, je me sens transporté à Bali. Je vous
parle sans avoir beaucoup réfléchi sur cela, je vous parle de mes sensations.
J.C. — J’ai encore une dernière question. Vous aviez une vision préétablie sur le
maître oriental ?
F.S. — Oui, j’avais. Comme je n’avais jamais travaillé de cette manière-là, juste des
ateliers ici. Quand on va là-bas, c’est très différent. Il y a un « mythe » qui est
tombé par terre là. Au moins Djimat, je ne l’ai pas trouvé rigide, je l’ai trouvé
ouvert et avec beaucoup de bonne humeur. J’étais très bien. Je l’ai vu aussi

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enseigner d’autres personnes. Il a un respect différent. Il n’y a pas cette révérence.
Il y a un rapport de joie et pas de souffrance.
J.C. — Comme vous travaillez aussi avec la marionnette, le wayang kulit ne vous a
pas attiré ?
F. S. — Oui, j’ai vu des présentations et après j’ai fait un atelier de confection des
dessins. Mais comme je suis allé pour le topeng, j’ai essayé de me concentrer là
dessus... c’est déjà beaucoup. Les quarante et cinq jours ont filé. Dans une
prochaine fois. Par chance, il y eut des choses qui me sont arrivées. Une fois à
Ubud, qui est une ville très touristique, je suis rentré dans un guesthouse. Et c’était
justement la guesthouse de Cokorda, un spécialiste de gamelans. Il y avait trois
gamelans chez lui. Chaque nuit, ils jouaient et ils apprenaient aux plus jeunes.
Nous discutions aussi. Malgré le fait d’être une petite ile, il y a tellement de choses.
J’ai observé le côté touristique aussi. C’est intéressant, mais c’est une autre chose.
À Pernambouc et au Maranhão, cela a lieu aussi. Il y a aussi les présentations que
les brincantes font pour les touristes, pour gagner de l’argent et les présentations
qu’ils font pendant les jours saints, pour les célébrations. En fait, je ne veux pas
comparer ces situations, mais tisser des rapports entre ces deux contextes malgré
leur différence. Ce n’est pas la même démarche de Barba, cette quête de principes.
Je pense que ces aspects sont très attachés au contexte. Je préfère observer le
dialogue.
J.C. - Cela est quelque chose que je touche dans mon travail aussi. Cet expérience
vous a fait repenser la manière dont Barba approche ...
F.S. — Je ne vois pas de cette manière-là : prendre les principes d’ici et là. Je pense
que c’est intéressant, mais ce n’est pas ma perspective. Je pense que ces principes
sont tellement intégrés dans leurs contextes. Quand on prend ces principes, bon,
ok, là on crée une troisième chose. Je le constate, c’est une troisième chose. On
peut prendre les principes de cette manière-là, mais on ne doit pas prétendre que
l’on rentre dans cette chose. Prendre le bumba-meu-boi, le théâtre balinais... c’est
faire un entrainement de l’acteur avec une troisième chose. Et une troisième chose
très distante. Je ne fais pas de jugement de valeur et je ne compare pas ces
contextes. Ce sont de perspectives différentes qui peuvent se toucher. Mais ce n’est
pas la même chose. Malgré les aspects qui se touchent. D’abord, il y a

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l’hindouisme balinais et ici nous avons cette perspective chrétienne. Le rapport
avec le temps est autre. Mais, c’est quelque chose qui appartient à l’humanité,
donc on peut y réfléchir et dialoguer. Cette chose que j’évoque, le fait d’être plus
proches d’eux, peut-être cela vient du fait que je sois de Minas Gerais. Là-bas, au
moins avec ma grand-mère, la religion est très proche des choses, les kermesses... la
religion est présente dans tellement de choses. Je perle des années 1960.
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ENTRETIEN AVEC IVALDO BERTAZZO


Réalisée à Sao Paulo, le 8 juillet 2012

Ivaldo Bertazzo — (sur Cristina) De toute manière, elle avait une connaissance à
transmettre, sur l’expérience de transmettre même. Probablement, cela était dû à
tous les défis qu’elle a eus avec son propre corps et qu’elle a réussi à les surmonter
très bien. Cela c’est un exemple de comment l’imaginaire d’une personne. As-tu vu
le clown qu’elle jouait ? Elle était magnifique, magnifique. Est-ce que tu as réussi à
la filmer ? As-tu vu le vieux italien qu’elle jouait ? C’était tellement drôle. Elle
disait : « Uni, duni, tre... » et puis, d’autres choses. C’était très bon/très réussi. En
même temps elle jouait ces clowns et elle était rigide, rigide... On riait ensemble de
cela, puisqu’elle était plus balinaise qu’un Balinais, n’est-ce pas ? Elle n’était pas
facile sur ce point-là. Alors, les questions...
Juliana Coelho — D’abord, je voulais te demander comment était ton premier
voyage à Bali.
Ivaldo Bertazzo — Bon, j’étudiais la danse indienne. Ce que j’ai bien étudié est le
bharatanatyam. Je suis allé à Madras pour l’étudier. Alors, mon début en Asie était
avec la danse indienne. Alors, un moment donné je suis à Paris et il y a au
Lucernaire Forum une danse topeng, quelque chose comme ça. Ma professeure de
danse indienne en France me dit : « Écoutes, il y a un monsieur se produisant au
Lucernaire. Il paraît que c’est très bien. Va aller le voir. Il fait du théâtre balinais. »
Je n’avais jamais vu cela auparavant. Alors je suis allée et quand je me suis assis et
j’ai vu... C’était une nuit de topeng. Djimat était dans sa jeunesse, superbe, avec une
vigueur incroyable. Imagine-toi qu’est-ce que c’est faire toute une nuit de topeng.
Tu as besoin d’une énergie corporelle gigantesque. Je suis devenu complètement

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fou ! Fou ! Il y avait Olivier aussi, qui jouait un kodok, un crapaud qui sautait par ci
et par là autour de lui. C’était lui qu’avait amené Djimat. Une personne qu’avait
appris tout cela avec grande spontanéité et que finalement, a fini pour aller en
prison à Bangli, à cause de drogues... quel historique.
J’étais complètement fou. Djimat était un homme du monde, malin. À la fin, je
suis allé le voir et je lui est dit : « Si je vais à Bali, est-ce que je pourrais apprendre
la danse balinaise avec vous ? Est-ce que je peux y aller ? » Et lui a dit : « Viens
quand tu veux ». Moi, je pensais qu’à Bali, il suffisait de sortir de l’avion et on était
déjà devant la porte du professeur de danse. Je suis arrivé en 1976. Je n’ai pas
trouvé Djimat tout de suite, mais une semaine après. Donc, j’ai étudié avec lui à
Batuan et j’habitais à Peliatan. Il n’y avait beaucoup de choses. À Ubud, il y avait
seulement deux restaurants. Kuta n’était rien. Alors, j’ai eu ce privilège, puisque
j’étudiais avec lui 2, 3, 4 heures par jour, en fait quand il n’était pas dans les
temples. Je pouvais payer. C’est très bon marché, alors on pouvait se permettre à
avoir trois ou quatre heures avec Djimat tous les jours.
Je voulais avoir du répertoire, je voulais apprendre. Cependant, il a été sage. Lors
de mon arrivée, il m’a passé tout ce qu’était très physiquement demandant.
J’appris le baris, j’appris quelque chose d’un art martial que je n’aime pas
beaucoup, j’appris à chanter et à jouer un peu de kecak et finalement, j’appris un
peu de danse féminine. Et aussi le kebyar. Alors, dans ce premier voyage, il ne m’a
pas appris le masque. Cela serait trop, car je renterais juste dans ce monde, dans le
théâtre aussi. Je suis venu de la danse, je n’étais pas un comédien. Après j’ai eu
l’occasion d’accompagner des comédiens qu’allaient à Bali. Ils apprenaient le
topeng et ils ne le faisaient pas avec ce corps, ils voulaient apprendre l’expression
corporelle. Alors, cela était mon début. J’ai eu le privilège de connaître Bali dans
cette simplicité.
Quand j’ai connu Djimat, j’avais déjà l’expérience indienne. Et cela est un
problème. Il m’a invité à rester chez lui. Je n’ai pas accepté, parce que quand on
reste proche du guru, du professeur, on reste trop attaché à son quotidien, trop
dépendant de leur rythme. Je me suis dit : « Non, je vais rester dans un endroit
proche et ainsi je fixe les rendez-vous et il devra me recevoir. » Quand on habite
ensemble, les cours sont faites quand il est disponible. Cela est très difficile, car, en

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fin de compte, on est là, on investit de l’argent pour apprendre et on a très peu de
temps, deux mois. Tu sais comment c’est : on devient fou, on ne veut pas perdre
du temps.
Alors j’habitais à Peliatan et je fis connaissance d’une personne très spéciale, qui
habitait à Bali parce que son frère habitait là-bas. Il était un grand connaisseur, il
parlait balinais, pas uniquement indonésien. On est devenus très amis,
aujourd’hui, il habite Paris, Alain Gemard. C’est un intellectuel. À l’époque, il
écrivait la préface d’un livre sur Rimbaud. Il y avait donc cet intellectuel, et moi,
qui apprenait la danse. Ainsi, son frère m’a fait connaître Bali en profondeur. Tu
connais Rio qui est photographe ? Ces parents sont indonésiens. Donc, j’ai connu
ces personnes qui savaient beaucoup sur Bali. Imagine-toi, des intellectuels
français, râleurs, ils voulaient uniquement le meilleur. Imagine, à cette époque
tout est meilleur de ce qui a aujourd’hui. Alors la première injection a été dans
cette période. Après là, je ne suis jamais arrêté d’y aller.
J.C. — Tu étais déjà allé en Inde avant d’aller à Bali.
I.B. — Oui, et je suis retourné plusieurs fois après.
J.C. — Alors, lors de cette première fois, ce nouveau corps ne t’a posé pas
beaucoup de problèmes. Cependant, est-ce qu’il a eu une question corporelle
particulièrement difficile ?
I.B. — C’était extrêmement difficile ! Ce n’était pas du tout facile. Premièrement,
parce que l’on ne comprend pas très bien pourquoi on doit monter les épaules
tellement en haut. C’est pour montrer le masque. Alors, toi, en tant que danseur «
perfomatique », avec des gestes amples. Construire cette structure où l’expression
vient d’une modification minimale du menton, du regard, de tout ce continent
pour exposer le masque... le plus difficile c’est de comprendre pourquoi je faisais
cela. Alors, je suis arrivé et j’ai rencontré un grand maître. Je suis resté là,
j’expérimentais physiquement, mais je n’avais pas une connaissance culturelle de
ce que je faisais. J’étais jeune, j’avais le corps pour faire cela. Petit à petit, j’ai
commencé à rentrer dans cette culture, et j’ai commencé à comprendre ce que je
faisais. Mais je beaucoup souffert physiquement. Djimat était jeune, alors j’appris
avec tous comment mener le corps d’un danseur.

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Le professeur dans l’Occident nous apprend ce qui est bien, sans critique, il est
devant et il explique, il montre et on crée une imagerie, puisque cela fait partie de
ta culture. Là-bas, non. Fréquemment, il t’accompagne au corps à corps. On est
« coincé », occidental. L’Oriental, il a beaucoup de restrictions dans leur sexualité,
dans la hiérarchie. Ils ne sont pas comme nous, libre pour faire l’amour, qui avons
une libido dans une société plus libérée, entre guillemets. Mais on a pas ce
professeur que te touche, qui se colle en toi, et on sent le moindre changement de
son corps. Sensoriellement, on doit être tellement attentif, puisque l’on
accompagne chaque contraction à lui. Dans notre « tête carrée » occidentale, il a
quelqu’un qui t’embrasse par-derrière! Mais, non. Quand on a cette ouverture
pour ressentir un autre corps qui nous conduit. J’ai eu ce privilège. Alors ce le
point que j’ai plus capté, lors de mon premier voyage : apprendre à l’élève par le
toucher.
Dans la journée, tu vas te promener et on arrive chez quelqu’un que tu connais,
Kodi. Quand je suis arrivé, il était petit. Dans la journée, son père confectionnait
des masques et la nuit, il jouait le gamelan. Et tu te dis, mon Dieu, cette musique
si complexe, les gens qui étudient Stockhausen, qui étudient le contemporain, le
dodécaphonique, viennent étudier cette musique, et cet artisan, ce sculpteur des
masques, qui joue aussi cette chose qui n’a pas un forcément un chef d’orchestre,
un conducteur et lui il a les sens très sensibles dans un tel niveau... et le musicien
occidental a tellement du mal a subdiviser ses propres sens. Alors, je pense que
l’on pénètre très rapidement, si l’on arrive pour cela, puisque tout est très explicite.
Les personnes qui travaillent avec le topeng, avec la voix... l’usage de la voix est très
complexe. Et même un clown, il y a un total manque de pudeur et en même temps
une structure. Aller aux temples m’a beaucoup aidé, ainsi comme aller chez
sculpteur qui joue aussi le gamelan, de rentrer dans ce réseau de musiciens qui
partent le soir pour jouer le gamelan et que pendant la journée sont artisans. C’est
très spécial de faire cette route, puisque l’on apprend dans l’essence. Il y a aussi
une peinture très particulière qui raconte beaucoup le Ramayana, le Mahabharata,
leurs choses traditionnelles, le Shrunala ?, le gambuh.
Je me demande, quel inconscient s’agit-il ? Cet inconscient collectif, cet enfant aux
genoux de sa mère encore, et tout le monde est en train de rigoler. Il est trois

547
heures du matin et ils sont encore dans le temple. C’est hallucinant. Cela existe
encore. Tu t’es aperçu de cela. Est-ce que s’est contaminé avec le monde
d’aujourd’hui ? Oui. Est-ce que s’est modifié ? Oui, un trafic épouvantable. Mais si
l’on rentre par l’intérieur, ils sont encore là. Cela est très rare et il s’agit d’un grand
phénomène.
J.C. — Je suis en train de te poser des questions par rapport aux sujets que tu
évoques, mais après j’ai des questions plus spécifiques. Tu as vu Bali se
transformer. Qu’est-ce que tu trouves plus préjudiciel ? Qu’est-ce que tu regrettes ?
I.B. — Absolument rien, car je n’ai pas ce « preciosismo » élitiste de dire que les
choses... Écoutes, au Brésil, il y a un artisanat très intéressant, très riche. Si on va à
Juazeiro do Norte, au Ceará, on arrive à trouver d’artisans d’une rareté, très
intéressants. Il existe une élite, avec ce genre de « preciosismo » au Brésil, qui les
mettent dans un dôme de verre pour qu’il ne soit pas dégradé. Cependant, ce qui
dégrade vraiment une tradition est le manque de réseau. Ce réseau que l’on essaye
de construire ici avec internet, ils les ont à Bali. Alors, pour quoi cela survit ?
Parce qu’ils ont transformé leur art à un public touriste qui arrive, en revanche, ils
ont un respect absolu quand ils vont au temple. « Ils ne rigolent pas» Ils ont une
grande intégrité intérieure. Alors, ces râlements... laissez-les. Ils vendent leur art au
touriste qui arrive. Mais ceux qui sont bons, et il en a beaucoup encore, le soir, ils
continuent à être rigoureux. Même Djimat : il est un homme du monde, un
vendeur de marchandises. Mais lui, si sa communauté lui demande de jouer un
Sidhakarya ou un Jauk pour une cérémonie ou une fête en particulier, n’importe
quelle occasion, il va le faire avec la plus grande rigueur. Ils ne manquent pas de
respect envers leurs réseaux. Cela est très rare.
C’est nous, les Occidentaux qui aimeraient mettre tout dans un dôme de verre.
Alors, dans ce dôme, l’artisan brésilien est en train de mourir, puisqu’élite le
veulent pures et de cette manière-là, ils n’arrivent pas à survivre. À Bali, ils existent.
Ce qui me dérange beaucoup aujourd’hui est le trafic qui a aujourd’hui. Mais les
Balinais sont très particuliers. Ils savent copier. Alors, ils cuisinent de la nourriture
italienne, chinoise, française, très bien. Alors, c’est très intéressant. S’il y arrive un
objet thaïlandais, ils le copient, cet objet rentre dans leur marché et après ils vont
l’exporter mieux que tout le monde. Quand un passe un galungan là-bas, ou un

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Nouvel An. Il y a tous les Barong qui sortent.... Wow ! Les Barong qui sortent
pour exposer... il y a beaucoup de bons encore. Alors, se tu penses à un danseur
aux années 1940. Cela, même moi, je n’ai pas connu, juste par les photos.
J’ai eu la chance de voir un sanghyang dedari. Est-ce que tu sais qu’est-ce que c’est
cela ? Vraiment, une nuit, dans un rituel où il y avait douze Balinais. Le sacerdoce
arrive, fait un rituel avec de l’encens et elles rentrent en transe. Il y avait un
gamelan en bambou, sorti du temple. Ils ont joué et je n’ai jamais vu quelque
chose de semblable dans toute ma vie. Alors, sans doute, dans les années 1930,
1940, quand les Européens arrivaient, ils rentraient dans un état fou. Cette
expérience je ne l’oublierai jamais. La qualité artistique de ces deux filles
véritablement en transe. On ne va pas retrouver cela aujourd’hui et s’il en a... Cela
s’est passé en 1978 et depuis cette époque je cherche voir un autre sanghyang dedari.
Tout le monde dit : « Ah, je ne sais pas...» . Il doit y avoir, mais ils ne te laissent pas
rentrer. Finalement, dans ce monde peuplé, où tout se modifie à chaque instant,
ils sont the best !
Quand on est là-bas, il y a beaucoup de sensations qui se mélangent et nous, nous
sommes mélangés à cela. Parfois, on pense que l’on a pris une drogue, que l’on est
totalement fou, car cette injection d’une nouvelle culture est très violente pour le
champ sensoriel humain. Cela est normal. Alors, indépendamment de cela,
comment utiliser cela en service du comédien occidental ? Il faut beaucoup en
discuter et comprendre la façon dont il construise la voix, la manière dont il
construit tout cet ensemble de puissance corporelle pour créer une structure. C’est
compliqué de digérer tout cela. Ce n’est pas facile.
J.C. — Comment étaient tes voyages après ? Pour quoi as-tu décidé d’y retourner ?
Pour quoi y retourner ?
I.B. — Bon, dans quelques endroits en Asie et en Indonésie aussi, nous pouvons
rencontrer cette simplicité des gens au quotidien. Il y a moins ce appel occidental
qui nous angoisse, ces questions liées à la consommation, à la vitesse... Je ne sais
pas. Il y a une façon agréable de vivre. C’est pour ces raisons-là que j’aime y
retourner. Aujourd’hui, je ne suis plus un pratiquant de l’art balinais. Je crois que
c’est le souvenir. Réfléchissons... Je pense que c’est le souvenir de ces moments où
j’étais tellement intégré lorsque je pratiquais la danse. J’étais un artiste ici au

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Brésil, j’enseignais, je recherchais. Je crois que les souvenirs que j’ai de cette
période, ce sont les moments les plus complets que j’ai eus dans ma vie. Alors, je
pense que je cherche un peu cela : retourner à ses sensations. Je crois que dans la
vie, nous allons toujours rechercher les choses qui nous ont frappés. Pour le bien
et pour le mal.
J.C. — Et votre deuxième voyage ?
I.B. — Je voulais apprendre tout cela et je ne réussissais pas. Apprendre cela était
une mission. Je voulais savoir cela, je voulais aller à ce monde-là. Ce n’était pas
facile. Quand j’y rentrais au Brésil, les personnes pensaient que j’allais pour fumer
de la marijuana. Je ne sais pas ce qu’ils pensaient que c’était l’Asie... Les personnes
parlaient de la faim, de la saleté, mais quand j’arrivais là-bas on trouvait de tout,
mais également de la bonté, de l’intégrité, de la civilité, des choses très raffinées. À
chaque fois que je revenais, j’écoutais : qu’est-ce que tu es allé chercher là-bas ? Je
crois qu’au début, je retournais les premières années pour apprendre la technique,
en Inde et à Bali. Et je crois que je suis devenu accro de vivre en Asie et j’aimerais
habiter là-bas.
J.C. — L’as-tu appris ?
I.B. — Pas comme j’appris en Inde. Au fur et à mesure des années, je commençais
à être plus vieux. Comme je ne la pratiquais pas ici, tout ce corps du topeng me
faisait mal. Les dernières fois, Cristina me censurait en disant « Tu es moins
passionné ». Après, je suis allé à Java pour étudier le Ramayana et je me sentais
plus confortable dans la danse javanaise. C’est également difficile, mais nous «
volons» autrement. On fait le garuda autrement. La Balinais est plus rustiques.
Quand ils regardent de la danse javanaise, ils disent : selamat tidur, « bonne nuit ».
Moi, j’adore, car j’adore le gamelan javanais.
J.C. — Comment as-tu réussi à développer ce que tu as appris là-bas dans votre
méthode, dans votre technique ?
I.B. — Oui, j’appris des concepts d’unité. Par exemple, la manière dont les
articulations organisent ce corps dans l’espace. Alors, comment les muscles se
structurent et quand ont fait quelque chose même très petit, il y a une
transmission musculaire, de muscle à muscle, d’os à os... et cela donne une notion
d’unité. Le moindre geste. L’occidental a le rêve d’un jour se lâcher et se relaxer et

550
paradoxalement, il veut se détacher de la matière beaucoup plus qu’un oriental.
L’oriental a une pleine certitude que le se détachera de la matière le jour de sa
mort, et ira autre part. Même si la question de la transcendance existe, de la
libération de ce voile de la vie que la religion transmet, le corps ne se lâche pas, il
n’existe pas ce « se lâcher ». Le corps s’organise, se structure, se construit sans cesse
en langage. Nous avons philosophiquement ce concept (se détacher), nous avons le
syndrome du détachement. Je voyais ces corps qui arrivaient de l’occident avec cela
(il se secoue les épaules et la colonne). Cela ne sert à rien en Asie, à rien. Si tu fais un
mudra, ici tout est organisé (il pointe sa poignée), ici tout est organisé (il pointe son
coude), ici tout est organisé (il pointe ses épaules). Il y a toute une structure pour que
les mains puissent changer de position. C’est très complexe. On commence à
penser à cela.
J.C. — Ce transfert a été le globale de l’expérience ou il y a quelque chose plus
spécifique, un mouvement par exemple...
I.B. — Oui, il y a des choses. La « coxo-feural » et de comment on utilise le
mouvement du bassin pour régir le déplacement du tronc. Le minimalisme qui
existe dans la modification du regard et de l’intention du regard et de comment
cela est résolu par le corps. Cela nos marquent beaucoup. La danse balinaise est
essentiellement une isométrie. Prend un frigo et essaye de l’amener du rez-de-
chaussée jusqu’au premier étage. Quand un cours de danse balinaise finit, tu as
amené un frigo du rez-de-chaussée jusqu’au premier étage, tout seul. Si tu te
relâches, le frigo va te tomber dessous. Alors, la plus grande influence en Indonésie
c’était le toucher dans le sens l’apprendre un corps au mouvement. Cela, il n’y a
pas en Inde. Ils sont superbes dans la thérapie médicinale, avec le massage
Âyurveda. Mais le Balinais, aux articulations, aux insertions, aux tendons. Alors le
massage et le geste sont très proches. Cela j’ai également appris là-bas, comme
n’importe quel endroit.
J.C. — Comment a été le travail avec les personnages du topeng ? As-tu eu des
difficultés en étant danseur ?
I.B. — Je n’ai pas appris beaucoup de choses, puisque j’étudiai beaucoup la danse
indienne en Asie. La danse indienne a une subdivision rythmique qui est très
différente du gamelan. Ce dernier comporte de l’improvisation. Nous avons une

551
ligne mélodique à suivre, mais si nous écoutons le gong, la percussion, nous
apprenons à être régis par cela. Alors, j’appris le Dalem, le prince, le Premier
ministre, le Topeng keras, le Topeng keras lucu. J’appris aussi un peu de danse
féminine, puisque j’avais des élèves femmes. Je ne voulais pas apprendre plus que
cela, parce que ce n’était pas possible. Alors, j’ai passé des années à faire la même
chose.
J.C. — Quelle était ton ressenti portant le masque et de la jouer en dansant ?
I.B. — Ils nous disent des choses comme : « Ne laissez pas le masque te dominer ».
Si on met le masque sans avoir une maîtrise physique, c’est ridicule, on ne
transmet rien de tout cela. Alors, on apprend une année entière, deux parfois, sans
avoir le masque. Puisqu’uniquement quand on sait construire le corps et modifier
les expressions faciales, que l’on peut mettre le masque. Alors, cette maitrise est
une science purement physique avant tout. Je crois que ceux qui sentent cette
chose dite « suprême » sont les Balinais au temple lors des rites. Mais,
essentiellement, l’artiste balinais est quelqu’un qui manipule l’émotion du public,
l’émotion esthétique. On construit des stratégies pour diriger le public vers
l’émotion que je veux. Cela est une science, ce n’est pas de la transe. Et ils ont
cette stratégie, puisque parfois ils vont attirer l’attention de tout un village. Avec
quelles ressources ? Avec des moqueries, en parlant du quartier, en racontant des
ragots, une dame qui a trahi son mari. Et de cette manière, il nous enveloppe. Il
sont très malins. Le public se concentre et rentre. C’est le public qui doit rentrer,
pas le comédien. C’est lui qui doit être une catharsis. Le théâtre grec connaissait
cela. La catharsis est dans le cœur et dans l’esprit du ressenti public. Je pense que
c’est cela. Je ne sais pas.
J.C. — Comment as-tu connu Cristina ?
I.B. — Lors de mon troisième voyage. Quand je suis arrivé, il y avait une Italienne
qui étudiait avec Djimat. Comme elle était sympathique, j’ai eu envie de
m’approcher. On a envie de s’approcher des Occidentaux qui sont là avec les
mêmes envies que nous. C’est très bête la compétition entre Occidentaux et cela
arrive assez souvent. Parfois, on rencontre quelqu’un qui est méfiant puisqu’il
pense que nous allons casser son état d’intoxication. Alors, Cristina ont s’est vite

552
approché. Après, j’ai commencé à avoir des cours avec Djimat chez elle et c’est là
que je me suis rendu compte qu’ils avaient une affaire.
Il est très difficile d’apprendre la danse asiatique à un Brésilien. Il n’a pas cette
discipline. D’abord, on doit embrasser une cause, on doit avoir un sens culturel
pour le faire. Il savoir qu’est-ce que cela veut dire. De la même manière que nous
étudions les Grecs, et après on va étudier la psychologie, le complexe d’Oedipe,
Médée. Quand on voit le Mahabharata et le Ramayana, il y a tous les archétypes de
l’homme et on peut s’enamourer de tout cela. Mais on doit comprendre la cause
que l’on embrasse. Parfois, il arrive un comédien un peu opportuniste, qui pense
qu’il va apprendre quelque chose et être le meilleur. Il pense qu’il va arriver sur un
plateau et faire quelque chose avec cela. Il va falloir se dédier beaucoup à cela.
Attendre et attendre que cette « injection » le transforme physiquement. On ne
peut pas rentrer dans le champ oriental sans lecture. Je pense que c’est difficile
pour un Brésilien. Je vois mes amis. Ceux qui sont allés étudier la danse indienne
aujourd’hui donnent uniquement des cours de danse indienne au Brésil. Même,
ceux qui ont été aller étudier le flamenco en Espagne, ils n’ont pas beaucoup
d’élèves. Nous, les Brésiliens, nous sommes régis par le champ émotionnel et en
plus, on veut libérer encore plus d’émotion. Cela induit à l’erreur. La danse
orientale, le théâtre oriental c’est de la structure : comment je m’illumine, je me
maquille, je m’habille, je me mets sur le plateau, dans quel angle, pour créer dans
le public une émotion esthétique. Parfois les gens confondent faire du théâtre en
orient et fumer de la marijuana. Je pense que j’ai un certain ressentiment contre
mes compatriotes.
J.C. — Le Brésil est un grand pays, as-tu retrouvé des ressemblences entre ici et là-
bas ?
I.B. — Moi, je n’ai pas beaucoup rencontré. Bon, si tu vas à un village de province,
et si tu rencontres une dame âgée qui est très intégrée dans ce qu’elle fait, dans
l’artisanat, dans sa façon de cuisiner... on peut rencontrer des similitudes entre le
Brérsil et Bali. On peut les rencontrer dans des moments. Comme quand on est
sur une plage et on parle avec quelqu’un. Sans doute. Mais, ils sont beaucoup plus
intégrés dans cet inconscient collectif. Ils sont très bien intégrés. Sur ce point-là,
nous sommes très différents. Nous avons beaucoup de choses à apprendre, avec les

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yeux des ceux qui apprennent.... Quels yeux apporter pur apprendre cela ?
Cependant, j’ai aussi rencontré beaucoup d’Européens sympathiques à Bali. C’est
très bien de voir la manière dont Duccio absorbait les choses. Peut-être parce que
la patronne l’exigeait et il voulait faire du bon boulot.
J.C. — Vous pouvez un peu plus sur cela.
I.B. — Il était sérieux. Il se préparait correctement pour les répétitions. Il allait avec
la bonne tenue. Il avait cette hygiène de vie mentale et physique pour le travail.
Cela est la première chose que nous fait s’enchanter par quelqu’un : le sérieux,
l’axe pour le travail. Je pense qu’il a absorbé très rapidement. Son jeu après au
Théâtre du Soleil a changé. De plus, elle permet ce genre de choses aux
comédiens. Il a appris plus que beaucoup de gens qui sont restés plus de temps.
J.C. — Vous avez mentionné le sanghyang dedari dont vous avez assisté. Si c’était
pour vous un choc, il vous a transformé ?
I.B. — D’abord, c’était une nuit de pleine lune, au milieu d’une forêt, dans un
petit temple. Il y avait très peu de gens et il y avait un grand silence. L’odeur de
l’encens qu’amène les petites-filles à l’état de transe et la sonorité du gamelan que
les réveille, tout cela m’a impressionné. Il n’y a pas eu un rituel agressif ou violent,
il y avait une douceur. Alors, au milieu de cette nuit, sans réflecteurs, sans rien, je
regardais ces deux petites-filles danser extraordinairement avec les yeux vraiment
fermés ! Tout cela te donne une sensation de connexion. À quel niveau... je ne sais
pas ? Je ne suis pas un maître pour vous parler des énergies subtiles de l’univers,
mais j’étais très impressionné par la sensation physique que cette expérience m’a
donnée. Regarder une telle chose m’a semblé comme recevoir un souffle divin. Je
parle rarement en ces termes. Il s’agissait d’une sensation physique. Les deux, trois
jours suivant cette expérience, je me disais : Je ne veux rien faire qui puisse m’enlever
cette sensation ! C’était une offrande. La danse dans ce sens est une offrande. Cela
était un cadeau dans ma vie. J’étais avec un ancien du Théâtre du Soleil qui
habitait chez Cristina. C’est lui qui a trouvé cela
J.C. — Retournons aux personnages. Comment ressentez-vous toute la partie
physique propre à chaque caractère ?
I.B. — Faire un vieux caractère est exhaustif. On interprète le corps d’un vieux. On
donne l’expression d’un vieux, mais sous tout ce costume-là, le travail corporel est

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très dur. Alors, je trouve qu’ils sont très malins, puisqu’ils construisent la danse
pour que le public ait le ressenti que ils veulent. Il n’y a pas cette folie de se dire :
« Aujourd’hui, j’étais Prospère dans la Tempête ». Je crois que c’est différent. Le
Balinais est lié aux ordres de son ancestralité, à un réseau, à une philosophie de
vivre, à la poésie de leurs livres. Nous rentrons beaucoup plus en transe qu’un
Oriental. Nous les Occidentaux.
J.C. — Comment cela ?
I.B. — Nous sommes plus émotifs. Nous rentrons au champ émotionnel vraiment.
Cela n’existe pas en Orient. Au moins, c’est mon impression.
J.C. — Dans toutes ces années là-bas, est-ce que l’aspect religieux vous a touché.
Est-ce que vous l’avez accédé en un niveau quelconque ?
I.B. — Vous avez une succession de personnages qui dansent les émotions
humaines, les pires : la rage, l’ambition, le désir, la jalousie, le pouvoir et la
manipulation. Ce sont des choses que nous devons dépasser pour atteindre un état
plus sublime. Les masques sont fermés. Alors, on n’utilise pas la voix. Il n’y a pas la
parole, il n’y a pas de communication directe. C’est délicieux la façon dont ils
traitent ces ordures humaines, avec un manque de pudeur. Il nous est difficile
d’atteindre cela. C’est vraiment du cirque. Quelques fois on se moquait en disant
qu’un Italien pourrait apprendre plus facilement qu’un Anglais, puisqu’ils ont
vraiment une école de clowns. La question religieuse me touche surtout par la
dame qui tisse la paille, qui cuisine le riz et le met dans cette première offrande du
jour que les fourmis vont manger devant la maison. Ce geste répétitif où elle se
concentre pour faire l’offrande, pour fabriquer ces trois cents petits paniers
pendant je ne sais pas combien de fois. Elle les fait, elle les met par terre et ensuite
le chien vient le manger. Elle se dédie à cela et après cela est donné à Dieu. Ce
virement, cette entrera, cela est un exercice quotidien très pur où on peut
apprendre. On n’apprend jamais pendant les rites... L’Occidental pense qu’il
pourra aller à un chaman, faire un rite de passage où il se transformerait et se
libérait de beaucoup de choses. Cela dans la loi du samsara, ce n’est pas possible.
La transformation vient après beaucoup de travail. On doit bosser dur pour arriver
à se libérer. De plus, faire beaucoup de gestes répétitifs, la répétition d’actions.
Alors, ce cela que j’ai appris de la spiritualité en Asie. Symboliquement,

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franchement, la bible est beaucoup plus pauvre que le Ramayana et le
Mahabharata.
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ENTRETIEN AVEC DUCCIO BELLUGI-VANNUCCINI


Réalisé à Paris, en France, le 14 mars 2013

Juliana Coelho - Comme je te disais, j’étais avec Cristina en 2007 à l’ARTA. Et


c’est pour cela que je suis allée à Bali. En fait, je suis venue en France pour faire
l’École Lecoq et finalement, j’ai fini par aller à Bali. Bon, tout d’abord, j’aimerais
savoir comment tu as rencontré les masques balinais pour la première fois. Et de
là, comment es-tu allé à Bali ?
Ducio Bellugi-Vannuccini — Alors, la première fois que j’ai rencontré les masques
balinais c’était au Soleil, grâce à Ariane. J’ai fait un stage en 1986, je crois, le
premier stage. Et c’était encore une époque où Ariane utilisait dans le stage le
masque. Maintenant, ça fait déjà quelques stages dans lesquels elle n’a pas utilisé
les masques. C’était donc, la première fois que je voilais de masques balinais.
Après, je suis rentré en 1987 au Soleil, dans le cadre d’un autre stage, toujours
avec les masques balinais et de la commedia dell’arte aussi. Et en vérité, quand j’ai
commencé à travailler sur le topeng, c’était grâce à Djimat, car il a donné un stage
ici, dans lequel ma première femme a participé. Donc, avec elle, en 1989, on est
partis trois mois à Bali. C’était comme ça que la relation est formée. J’ai travaillé
chez Cristina, ave Djimat, dans la maison de Cristina, à Ubud.
J.C. — Comment cela s’est passé ? As-tu travaillé avec les deux ensemble ?
D.B-V. — J’ai travaillé surtout avec Djimat. Il venait, on se retrouvait dans la
terrasse de chez Cristina et on travaillait avec lui. Après de temps en temps, l’après-
midi on travaillait avec Cristina aussi. Mais, sinon, disons, elle était là, parfois elle
travaillait ensemble aussi, mais c’était Djimat qui donnait les cours.
J.C. — Et comment c’était ta première fois à Bali ? C’était ta première fois en Asie
aussi ?
D.B-V. — Ce n’était pas ma première fois en Asie. Puisque l’on jouait, en 1987-
1988, c’est quand je suis rentré au Soleil, c’était lors de mon premier spectacle au
Soleil. On jouait L’Indiade. Donc, dès que j’ai eu du temps libre, je suis parti en

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Asie. C’était pendant les vacances. En moment donné, on avait trois semaines de
vacances, je ne me souviens plus pour quelle raison, et je suis parti avec une autre
collègue de la compagnie, dans le Kerala, en Inde. Donc, je dirais que mon
premier choc était à cette époque-là. Donc, je suis allé à Cheruthuruthi dans
l’école de Kalamandran pour voir le kathakali. Bali c’était une deuxième fois, un
deuxième voyage en Asie. Mais, bien sûr le choc était aussi grand parce que c’est
incroyable. Je dirais qu’à Bali c’était encore plus, dans le sens qu’à Bali, il y a... Moi
je suis retourné à Bali cet hiver, et j’étais étonné que dans un pays qui est en train
de changer beaucoup, de se moderniser beaucoup, bien sûr c’est très bien d’un
côté, mais il y a aussi beaucoup de choses qui se perdent. Mais, ils gardent quand
même une tradition extrêmement forte, un cérémoniel... Il y a des cérémonies tout
le temps. Moi, je trouve cela magnifique, mais je crois que cela pourrait être lourd
pour eux un moment donné faire à chaque fois faire ces choses-là. Mais je trouve
magnifique. Bien évidemment cela permet de garder une tradition, de voir que
dans un petit village, ils tous répètent, des vieux, des jeunes, des femmes ensemble
un kecak. C’est extraordinaire. Cela me touche énormément.
J.C. — Dans ce premier voyage en Inde. Est-ce que tu arrives à formuler pour quoi
c’était un choc ? Qu’est ce que t’as frappé ?
D. B-V. — C’est bien d’être concret. Alors, je peux dire qu’une chose très concrète
qui m’a impressionné, c’était les toilettes de l’arrêt de bus de Trivandrum. C’était
une grande pièce comme celle-là, où tout le monde est là, en train de faire ses
besoins, tout autour. C’est vrai que cela te change de point de vue. À part ça, c’est
vrai qu’ils ont un autre... Là aussi c’est mélangé. Je ne dis pas que c’est bien ou pas
bien. Ils ont un autre rapport au sacré. C’est drôle, ça fait que ce rapport au sacré
devient quotidien. Donc, il n’y a pas d’accent de sur plus. Ils sont là et ils font leur
tâche. Quand ils vont au temple, ils font leur tâche. Bien évidemment, alors le
choc ici c’était de voir une nuit de kathakali, dans une grande maison, mais avec
un petit plateau, une petite lumière qui lui éclaire, la lampe d’huile devant et dans
un moment donné toute le courant saute, il n’y a plus de courant, juste cette
lampe à huile, avec une vielle dame aux seins nus qui regarde cela toute la nuit.
Cela c’est... il y a des odeurs de cela qui te restent, qui te touchent. Des vraies
odeurs qui sont des moments de magie, il y a quelque chose de magique, que l’on

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a du mal à imaginer ici. On a du mal à reporter cela à ici, en Europe. Donc, c’était
en 1988. Surement, cela a dû changer. Mais être accueilli dans une grande fête...
La lumière n’a pas sauté. Il y eu un court-circuit et toute une colonne de choses
était brulée. C’est extraordinaire.
Après quand on y rentre dans le travail artistique ou dans ce qui était enrichissant
pour moi, artistiquement parlant, je ne parle pas de tout le contexte. Le style de
jeu, par exemple. La rigueur et la liberté. Cette rigueur des mouvements, ils ne
font pas n’importe quoi, le mouvement est précis. Et cette liberté de aussi... par
exemple, je me rappelle que dans la pièce que l’on voyait. Il y a eu un moment où
les deux singes rouges ont commencé à s’engueuler un contre l’autre et, assez rare,
il y avait une femme qui jouait un des personnages. (Il mimétisme la discussion des
singes) Rawrawrawraw. Et, un moment la femme a poussé un cri aigu et l’homme
ne pouvait pas y arriver. C’était extraordinaire. Il avait reçu cela et en même temps,
il ne pouvait pas surjouer cela.
J.C. — À cette époque, vous étiez dans un univers indien ici au Théâtre du Soleil.
Comment c’était ?
D. B-V. — C’était la raison pour laquelle j’ai voulu partir tout de suite. Je voulais
voir directement. C’est aussi un peu la façon dont on travaille ici au Soleil. On se
nourrit de tout cela. Donc, on ne va pas faire un indien juste en mettant une
moustache. Cela nous inquiète, je dirais. Donc, on regarde des films, on lit des
livres, on regarde des images. Pour cette création, moi je suis rentré au dernier
moment de la création. Mais pour préparer cette création, beaucoup de comédiens
avaient fait un travail en Inde avant. Quand on jouait, en vérité il y avait deux
spectacles. Le spectacle qui se passait sur le plateau et le spectacle qui se passait
dans les loges. Dans les loges on parlait que l’anglais, un anglais indien. Une fois
que tu rentres dans les loges, tu étais déjà dans le personnage. Tu arrivais à aller,
bien progressivement évidemment, on se maquillait. Moi, il fallait que je devienne
indien et il y avait du travail quand même. Mais on rentrait tout de suite dans cet
imaginaire et c’était une expérience magnifique. La vérité c’est que sur le plateau,
je venais de rentrer, je n’avais pas un rôle protagoniste. Mais dans les loges, il y
avait la possibilité d’alimenter cette recherche. C’est vrai que j’avais trouvé
beaucoup de choses là-bas.

558
J. C. — En Inde il y a eu ce premier choc, et à Bali, comment s’est passé ?
D. B-V. — À Bali... j’allais dire qu’à Bali j’étais un peu plus protégé, mais ce n’est
pas tout à fait vrai. Mais Bali, c’est quand même, c’est un endroit qui est beaucoup
plus facile que l’Inde. L’Inde c’est un pays plus violent. Ce n’est pas un hasard
qu’il y a eu Gandhi qui a fait un travail sur la non-violence. C’est un pays où les
choses peuvent flamber très vite et d’ailleurs, ça a flambé très vite et ça flambe
souvent assez vite, comme l’on peut voir au Bangladesh. À Bali... en vérité, on n’y
est pas arrivé directement. On est atterrit à Java. Non, on était passé par la
Thaïlande avant. J’ai passé une semaine en Thaïlande, une semaine à Java. C’est
après que je suis arrivé à Bali vraiment. Donc, on a eu le temps de s’habituer déjà
au climat, à la météorologie. Mais, c’est vrai qui c’est un pays plus facile. Les gens
sont extrêmement cordiaux, gentils. Oui, ils essayaient un peu de t’avoir un peu
dans les échanges ou te vendre les choses un peu plus chères, mais cela n’est rien.
L’agressivité est rare là-bas. Et en plus on avait quelqu’un, justement Cristina,
quelqu’un que l’on connaissait. Et c’est elle avec nous allions voir les choses. C’est
elle qui nous a amené chez Djimat, c’est elle qui nous a réservé un hôtel, le Sari
Bungalows que tu dois connaître, et où je suis retourné.
Donc, dans le travail du topeng, dans le travail artistique, j’avais déjà vu des choses
quand même. Ce n’était pas... Disons que le choc était plus atténué de ce point de
vue là ce qui était absolument impressionnant c’était de voir ces enfants qui
allaient voir une représentation dans un temple, ou par exemple, j’ai trouvé
extraordinaire cela, je n’étais pas conscient de cela : un moment donné, dans un
temple comme cette pièce (la salle à manger du Théâtre du Soleil) et ils jouent dans
un coin, vers là-bas. Et tu te demandes pour quoi ils font cela. Et tu te rends
compte que c’est parce qu’ils jouent pour les dieux. Et cela c’est très fort, cette
relation, qui est un peu animiste chez eux. Tout est dévoué aux dieux, aux
différents dieux. Et c’est fort. Bon je ne sais pas si pour quelqu’un qui est
brésilien... il doit comprendre bien cela. Moi, je suis italien laïque et donc je
n’avais pas ce vécu-là.
J.C. — Et pour quoi c’est fort ?
D.B-V. — Parce que cela te donne une relation concrète à une foi. Je te dis : je suis
laïque.

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J.C. — Laïque... athée ? Ou laïque...
D. B-V. — Laïque (rires). Bien évidemment, parce que je suis italien, je suis de
culture chrétienne, catholique. Je ne suis pas baptisé moi-même, mais forcément,
tu es issu de cette culture-là. Voir cette passion qu’ils ont, c’est surprenant. Ce
n’est pas le fait qu’ils ont une vie riche, leur vie est très modeste. Ils ont la chance
que tout pousse très facilement, donc ce n’est pas un pays hostile, ce n’est pas une
terre hostile comme peuvent l’être certains endroits du monde. Et je dirais qu’ils
revoient, qu’ils profitent de cela, de cette terre qui est bienveillante. Quoi que,
maintenant ils sont en train de l’abîmer cette terre, comme nous tous sommes en
train d’abîmer notre terre. Mais ils redonnent et c’est cela qui me touche.
J.C. — Et cela te touche aussi, car c’est lié à une forme artistique qui est dédiée à
un autre but... Est-ce que le contexte, dont les formes artistiques, là-bas t’a renvoyé
à ton contexte ici ?
D.B-V. — Ici quand on répétait L’Indiade, il y a une danseuse qui est venue et elle a
demandé à Ariane : mais, avant de rentrer sur scène est-ce qu’ils pensent à dieux ?
Et c’est vrai que c’est une question qui nous a touchés... quels dieux qu’ils soient...
qu’il soit un dieu du théâtre... Et c’est vrai qu’avant de rentrer sur le plateau, dans
le spectacle, il y avait un moment où on touchait le plateau vraiment.
J.C. — C’était une convention du spectacle ou c’était quelque chose de comédien ?
D.B-V. — C’était quelque chose... Le spectacle commençait comme ça : à part,
dans les loges, il y avait toute une préparation de nettoyage du plateau pendant
que le public entrait. C’était les personnages bien évidemment, mais c’était les
serviteurs du théâtre, les serviteurs de ce théâtre, de ce plateau. On attendait
l’arrivée des leaders, Nerhu, etc. Et c’est vrai que ce moment de... de lien, ce
moment de lien, c’est ce que je trouve très important. Et cela on le voit là-bas. On
voit qu’ils sont en lien avec quelque chose et c’est... Moi, je ne suis pas quelqu’un
de spécialement mystique, je suis même assez cartésien, assez concret sur les
choses, mais c’est vrai qui c’est quelque chose touchante. C’est quelque chose qui
m’intrigue, c’est quelque chose que je trouve, que pour un comédien... le lien fait
que nous devons incarner quelqu’un d’autre, on doit avoir un lien avec quelqu’un
d’autre. On est un peu un lien, comme chez les chamanes. Le travail de l’acteur est
quand même un peu chamanique qui part du concret. Mais il y a cela. Et eux, avec

560
le masque... cela est quand même formidable. Le topeng, cette incarnation de
quelqu’un d’autre à travers un masque... ils deviennent autres, autres. Et ils ont un
lien avec l’autre.
J.C. — Là, tu me parles de lien avec cette « entité personnage ». Tu parles dans le
sens, dans le contexte imaginaire, disons. Mais quand tu parles de lien quelle sorte
de lien est-il ? Je te demande cela, car ce sont des choses que l’on parle en tant que
comédien, mais je suis peut-être en train de me demander cela...
D.B-V. — C’est clair, car il y a du mystère. Il y a du mystère. Ce sont des choses
que l’on sent, d’ailleurs pas tout le temps. Des choses que parfois nous
surprennent. Quand on a fait, c’est un peu différent, mais quand on a fait
Tambours sur la digue, qui était une pièce inspirée des marionnettes jouées par
des acteurs, le texte d’Helène Cixous. Dans un moment nous avions beaucoup de
difficulté et là Ariane a dit, mettons le travail de côté, le texte de côté et on fait
d’improvisations, on fait d’autres choses, on se lave la tête. Et dans un moment j’ai
dit à des collègues : « bon, elle veut des marionnettes » et on avait cherché depuis
six mois, quatre cinq mois, mais on n’arrivait pas à trouver qu’est ce que c’était
une marionnette jouée par des acteurs. Il y avait les problèmes de la voix, etc.
Donc, je me suis dis, « je me mets un bâton dans les coudes, un turban au tour de
la taille pour que je puisse me tenir. J’ai mis devant moi un hakama, mais pas aux
jambes, les jambes étaient libres. Un hakama, c’est un pantalon japonais, qui fait
comme une jupe devant, dons mes pieds étaient libres. Et je dis « Je ne vais rien
faire ». On avait pris des prénoms japonais, je m’appelais « double suicide », pour
cette improvisation-là. En tout cas le plateau était constitué de façon qu’il avait
comme un canal au milieu. Donc, il y avait deux passerelles autour du canal et
après le plateau central. Donc, je rentre, poussé par deux autres personnes, comme
ça, et un moment il faut que j’aille au centre. Et donc, pour faire cela, j’ai donné
un signe, une impulsion, et je suis sauté. Il y avait Jean-Jacques qui accompagné
avec la musique. Et il y a eu un moment de suspension et après, je suis arrivé.
Alors, ce contact avec les autres membres de la compagnie, ce sont des liens qui
créent quelque chose. Cela crée quelque chose.
C’est comme ça avec des personnages. Un moment il y a un personnage qui arrive
comme ça qui te surprend. E ce sont des moments magiques. Tu ne peux pas

561
vraiment les analyser. Au moins je ne peux pas les analyser. Je me donne toutes les
possibilités pour voir et recevoir. Je me donne la possibilité d’avoir un corps qui
sait correspondre, qui puisse correspondre à un personnage. Donc, il faut un corps
entraîné. Je me donne la possibilité d’avoir l’imagination pour cela, pour que je
puisse être quelqu’un d’autre. Voilà. On essaye de se donner, d’enlever toutes les
barrières, qui nous font réfléchir à quelque chose et à ne pas recevoir quelque
chose. Bon, on s’éloigne du topeng là.
J.C. — Donc, ce moment de lien est un moment d’ouverture.
D.B.-V. — Oui, c’est un moment d’ouverture, mais ce n’est pas un moment
d’éparpillement. Si je dis quelque chose de cette façon-là (il parle doucement) tu as
ouvert les yeux et les oreilles. Je n’ai pas fait « ahhhhh » parce que si j’avais fait «
ahhhhh », j’aurais fait un son et tu n’aurais pas pu entendre. Au fond, tout est
assez concentré, je dirais. On dit que nous avons une sphère autour de nous. Il ne
faut pas la casser comme ça. On peut la tirer.
J.C. — Je vais retourner au topeng. Tu as travaillé intensément le mime. Et les
masques, tu les as rencontrés où ? Comment c’était la rencontre avec les masques
balinais ?
D.B.-V. — Je peux dire que j’ai rencontré les masques au Soleil. Les masques que,
par hasard, j’ai croisés dans les expériences auparavant, heureusement, je les ai
seulement croisés, je dirais. Puisque dans la commedia dell’arte, oui, j’avais vu des
choses, mais tellement cliché...tellement fausses, qu’heureusement je ne les ai pas
trop connus. Le masque neutre, chez Lecoq on faisait un peu le masque neutre.
Moi, chez Lecoq, j’étais dans ce que l’on appelle les cours d’initiation, les après-
midi, trois fois par semaine à l’époque. C’est vrai que c’était très bien pour un
travail du corps, de réception. Mais c’est vrai qu’après je n’ai pas continué à
travailler, car Ariane ne les travaille pas. Moi-même, je n’ai pas continué à
travailler. Donc, moi aussi, surement, parce qu’Ariane ne m’a pas poussé à ça. En
fait, moi même je ne me suis plus confronté à ça.
Finalement le travail avec le masque était au Soleil et c’était la rencontre avec
quelqu’un d’autre. De laisser son acteur ailleurs et laisser la place à quelqu’un
d’autre. À l’époque, c’était cela pour moi la grande nouveauté. Alors, c’est vrai que
le fait d’avoir fait des études corporelles m’a aidé et en même temps, j’ai mis du

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temps à me débarrasser d’eux. Car c’est vrai que le mime est aussi mon point
faible. On a des tiques. On peut se contenter d’avoir une coque extérieure. Et j’ai
mis du temps à m’en débarrasser et je dois dire, jamais autant maintenant, après
vingt-cinq ans au Théâtre du Soleil que Marceau est présent avec moi sur le
plateau, en même temps. Quand on a fait Tambours sur la Digue, oui, comme
c’étaient des marionnettes, il y avait forcement une chose qui venait de mon
instruction, de mon parcours académique. Ici dans ce spectacle, Les Naufragés, sans
y penser, il est là. Il y a un moment chaque soir après le spectacle où je pense à
Marceau, quand j’ai fait Darwin. Et pourtant, je le dis, j’ai mis du temps à me
défaire, parce que cette « façon de faire » peut te rattraper.
J.C. — Tu as était formé dans cette école et je vous demande comment s’est passé
la confrontation avec la danse balinaise chez Djimat.
D.B.-V. — J’ai eu la chance de rencontrer des grandes personnes du théâtre. C’est
vrai qu’ils ne t’apportaient pas qu’une technique, ils t’apportaient une pensée, un
esprit. Pour Djimat c’est un peu la même chose. Ce n’était pas tellement le fait
d’apprendre à danser le Topeng keras, la chorégraphie du Topeng keras, le
ministre, qui était important. Bien sûr, c’est important parce que tu as un corps, tu
as une écoute avec la musique. Tu as un entrainement physique et la douleur
physique de faire cela. Mais c’est de partir dans un autre monde, de partir dans un
autre.... où les choses nous répondent différemment. Le fait d’aller voir, par
exemple, quand il répétait. Voilà, c’est très basique. Voilà, il a une chorégraphie, il
te la montre, il se met devant toi ou à l’envers, il est capable de face et à l’envers.
Par exemple, quand il va enseigner la musique dans un village, il se met avec le
gamelan de face et il joue à envers et l’étudiant qui est en face de lui, joue
exactement ce qu’il joue à envers. Comme si je jouais de l’autre côté du piano.
C’est assez fou. On a une perspective qui est différente. La façon dont ils écoutent
la musique. D’abord ce sont d’autres rythmes, donc, forcément, c’est différent et
cela t’ouvre, cela t’ouvre à d’autres choses. Bien évidemment, quand tu vas voir un
spectacle... D’ailleurs, là je me suis faire avoir un spectacle. Djimat m’a dit cette
dernière fois, il m’a dit : « Viens voir, on va jouer au musée d’Ubud, à l’ARMA. »
Donc, je vais et, cela il ne faut peut-être pas le garder, mais c’est Djimat et ce n’est
pas bien. Après, deuxième fois où je me suis faire avoir. Donc, une troisième fois,

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non, non, non. La deuxième fois c’était quand il jouait chez lui pour les touristes
et la troisième fois, on va aller ailleurs, un peu plus loin. Donc on part en voiture,
tout le monde, toute la troupe, pour jouer dans une espèce de village qu’ils ont
refait où il y a la femme qui bat le riz, l’autre qui prépare les offrandes, comme si
c’était un village. Et les touristes, ils y arrivent, ils sont là-bas. Ils bouffent, ils
regardent, un de temps en temps, ils regardent un petit peu un petit spectacle. Par
contre, quand tu vas voir une cérémonie, où ils sont là, sans même pas un rideau,
sans rien. Ils jouent vraiment pour les dieux et là tout change, tout change. Ils se
donnent une liberté d’improviser totale et tout change. Voilà et pour quoi ?
J.C. — Tu fais référence aux dieux, mais en même temps, dans le temple il y a un
public connaisseur, qui écoute ce qu’ils disent et qui comprend.
D.B.-V. — Oui, je suis d’accord. Ce n’était pas le cas dans le village où les gens
mangeaient. Là le public s’en foutait totalement. Bon, ce n’est pas vrai qu’il s’en
foutait totalement, mais il s’en foutait pas mal. Au musée (ARMA) les gens
venaient pour voir un spectacle, donc ce n’est pas différent des gens qui viennent
ici et qui payent un spectacle ici, surtout des touristes. Là, ils n’avaient pas joué
dans un temple, ils avaient joué dans une maison. Il n’y avait presque pas du
public, il y avait quelques membres de la famille qui étaient là. La famille
s’occupait surtout à faire les cérémonies. Je ne me souviens plus, mais c’était par
rapport à quelqu’un qui était mort il y avait un an. Donc, il n’y avait presque pas
de public. Le public était nous. Il y avait un autre couple avec un nom européen.
Mais, il y avait une autre intention et une autre attention. C’est la nuit et le jour.
J.C. — Donc, la danse du Topeng keras n’était pas une difficulté pour toi.
D.B.-V. — C’est une difficulté qui demande. Mais ce n’est pas parce que tu as les
bras comme ça et les épaules en haut et tu dois te rappeler de la chorégraphie. Un
moment tu arrives à te rappeler de la chorégraphie. Mais, ce n’est pas pour cela
que tu es un danseur balinais. Il y a ce plus. Car tu restes encore dans l’exercice. Il
y a quelque chose de plus qui peut-être vient de cette différence entre jouer dans
un musée. Eux aussi ne l’ont pas tout le temps. Nous aussi nous pouvons jouer
une représentation qui est mieux que l’autre. Ce n’est pas que cela. Ce n’est pas
qu’une représentation était mieux que l’autre. Nous aussi, nous pouvons avoir un
public qui est moins réceptif qu’un autre. C’est la différence entre refaire une

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chorégraphie comme je le faisais et être un danseur balinais. Moi, je ne suis pas un
danseur balinais. Moi, je peux essayer de recevoir des choses, de m’y mettre,
d’imaginer des choses. Et si je dois faire une danse balinaise, ce n’est pas parce que
je me souviens d’elle qu’elle sera bien. Ce n’est pas cela qui sera bien. Bien
évidemment, il faut savoir cela pour s’en libérer. C’est comme je disais pour le
mime : il faut apprendre les techniques, il faut les étudier comme un pianiste.
C’est la base concrète, mais cela ne suffit pas.
J.C. — Avec le Topeng keras, tu as aussi dansé avec le masque...
D.B.-V. — J’ai dansé avec le masque à la toute fin.
J.C. — Et les Bondres, tu avais déjà travaillé avec eux ici, comment c’est passé avec
ce masque qui danse et qui est entier.
D.B.-V. — Un masque entier. En italien c’est aussi « une masque ». D’ailleurs je
préfère que ça soit « une masque » au féminin. Le fait qui ça soit un masque entier,
au fond, c’est plus facile dans une chorégraphie comme ça. Au fond, ce que j’ai
reçu, c’est ce que j’avais vu avant de ce personnage. C’est cela qui m’a aidé. Ce que
j’ai fait est resté dans l’exercice. Puisqu’on n’était pas dans l’improvisation, on était
dans une répétition, donc je ne peux pas te dire... avoir un masque, cela t’ouvre. Si
cela ne te bloque pas. Si tu n’es pas là en train de penser « qu’est-ce que je enfin
suis venu faire là! », « Pour quoi ça ne marche pas. »
J.C. — En t’écoutant parler de ce lieu où le comédien est « entre » et « avec » le
personnage
D.B.-V. — C’est un médium.
J.C. — Un médium. Est-ce que tu ressens quelque chose de particulier quand tu es
« dans le personnage » ou quand il t’échappe et après il retourne ou tu es tout le
temps avec lui... Comment cela se passe pour toi ?
D.B.-V. — Alors, le personnage t’étonne. Ce qu’il fait t’étonne. Mais il est vrai que
si tu es étonné, cela veut dire que tu es toujours là. Alors, il y a ces différentes
étapes. Mais c’est vrai que quand tu es là, tu ne vois pas le temps, tu ne penses pas.
Tu vis simplement, mais c’est quelqu’un d’autre qui vit. Forcément c’est ton corps,
ce sont tes larmes, c’est ton liquide lacrymal qui est là. Mais, ce n’est pas toi. C’est
vrai qu’il a des moments où ce n’est plus lui. Il a son autonomie de vol. Et là voilà,
tu essaie de retrouver de points de repère. Ça peut être des positions ou la voix

565
comment elle est sortie. Mais après il faut faire attention si tu ne fabriques quelque
chose ou si c’est un repère pour toi. Donc, tu essayes de trouver tes repères quand
tu sais que tu n’arrives pas à suivre le personnage, que tu n’arrives pas à lui laisser
vivre. Puisque c’est normal aussi dans une répétition. Dans un spectacle c’est
moins normal, cela veut dire qui tu es vraiment déconcentré. Cela veut dire qu’il y
a des choses parasites qui viennent ou cela veut dire que tu n’es pas... que c’est
seulement une fabrication de quelque chose. Mais pendant les répétitions, bien
évidemment, il y a des moments où... boum, ce n’est pas juste. Ce qu’il fait n’est
pas juste. Cela ce n’est pas parce que lui (le masque) n’est pas bien, mais ce parce
que toi tu ne le laisses pas la possibilité ou aussi la situation n’est plausible, n’est
pas juste. Parfois, il y a un problème avec l’espace. Peut-être parce que tu ne
connais pas toutes les facettes de ce personnage. Et c’est pour cela qu’au Soleil, un
même personnage est travaillé par beaucoup de monde. Jusqu’à très tard lors de
répétitions, on ne sait pas quel est l’acteur qui va jouer ce personnage. D’ailleurs,
on ne sait pas si l’on va jouer, tout court, dans la pièce. Et ce sont de choses qui
alimentent, tu découvres de choses. Les stages qui l’on donne au Soleil, il y a
quatre-cents personnes. Ce n’est pas toutes les quatre cents personnes qui vont
jouer sur le plateau. Où est-ce que l’on peut travailler ? C’est en regardant, en
écoutant ce qui se passe sur le plateau, donc, la création, la découverte même d’un
personnage.
J.C. — Je ressens le besoin de retourner un tout petit peu en arrière. Ariane dit que
les masques de la commedia dell’arte et ceux du topeng sont des cousins éloignés.
Pour toi, est-ce qu’il a une manière différente...
D.B.-V. — Alors, je pense qu’une différence entre les masques de la commedia
dell’arte et ceux du topeng, en tout cas pour moi quand je fais travailler d’autres
personnes, les masques de commedia ont de caractères très spécifiques. Pantalone
c’est Pantalone : le père avare, le marchand, tout cela. Alors, cela ne veut pas dire
qu’il ne peut pas se trouver dans une situation où Arlequin l’oblige à faire quelque
chose. Mais, il doit avoir une raison. Il a un caractère, il est inscrit
hiérarchiquement dans la société. Comme Arlequin, il est inscrit aussi, ses
positions y sont. Dans le topeng, même si chez eux ils ont de caractères précis, il y a
d’abord les masques entiers, après le Penasar qui donne la vois au prince, il

566
traduit, il parle à son compagnon Wijil et il y a les Bondres. Mais même les
Bondres, si tu penses, ils ont des caractères, celui qui bègue, celui qui est sourd, et
pour nous, moi je ne connais pas assez et d’une manière cela me libère totalement
pour que je sois en totale découverte. Donc, il n’y a pas ce poids d’une hiérarchie
sociale et je dirais, il n’y a pas ce poids d’un cliché corporel qu’il y a décimé la
commedia dell’arte. Tout le monde fait Arlequin comme ça (il fait des mouvements un
peu aléatoires). J’ai vu des cours, j’ai vu de gens qui enseignaient comme ça. Moi, je
pense que c’est terrible. Nous on dit, Ariane dit, « chaque forme naît avec sa
propre décadence. » Et cela pour toute forme. À chaque fois que l’on crée un
spectacle, on se dit « Attention, là on est déjà à la décadence de cette forme. »
Parfois, on n’a même pas terminé de trouver la forme et on est déjà dans sa
décadence. C’est ainsi pour le topeng, pour le kathakali, mais il y en a ceux qui
arrivent à résister à cela et il y a de formes qui ont plus de mal à résister. Il faut
dire que pour la commedia, c’est plus difficile de résister à sa décadence.

J.C. — Parmi toutes ces rencontres qui tu as eu lors de ta trajectoire qui t’ont
bouleversé ? Et si oui, est-ce que ces chocs-là ont été aussi des guides ?
D.B.-V. — Je pense que ma trajectoire... je ne sais pas si l’on peut l’appeler
trajectoire...
J.C. — Ton chemin
D.B.-V. — Oui, mon chemin artistique a été guidé par plusieurs choses. Je pense
qu’il a été guide par une passion. Et cette passion a été parce que j’ai rencontré de
gens qui ont alimenté cette passion. Marceau c’est quelqu’un qui a alimenté ma
passion. Decroux aussi. Il était un vieux fou qui ne peut pas te laisser insensible. À
école de Pina Bausch, j’ai rencontré de gens qui ont alimenté ma passion. Bien
évidemment, Ariane continue à alimenter ma passion. Mais dans la passion il y a
aussi souffrance et c’est vrai qu’il y a de la souffrance parce que c’est difficile. Et
c’est cela qui te pousse à aller plus loin. C’est vrai que j’ai eu la chance d’avoir
rencontré Ariane qui m’a poussé à aller plus loin, à aller chercher plus loin. Pour
quoi ? Parce qu’elle cherche plus loin. Cela est la raison primordiale pour laquelle
je suis encore au Théâtre du Soleil.

567
Dans ces rencontres, il y a eu le topeng, il y a eu différentes formes. Des formes que
je n’ai pas forcément étudiées. Par exemple, la première fois que j’ai vu le pansori,
j’étais très bouleversé par cette voix. Bon, je n’ai pas eu l’occasion de le travailler,
mais c’est quelque chose que te marque. Donc, grâce au Soleil, avant de la création
d e
Tambours sur la Digue, on était parti en Asie et je suis parti en Corée pour ça.
Après, nous avons rencontré d’autres choses, les percussions qui étaient après dans
le spectacle. Mais ce sont des rencontres comme ceux-là qui font que ton chemin
puisse avancer, des rencontres qui te passionnent. Alors, c’est vrai que j’ai eu aussi
la chance, et là c’est un cadeau de Dieu qui je remercie chaque jour, mais je sais
que marche après marche, je suis allé en avant. J’ai réussi à ouvrir certaines portes,
je ne suis pas resté devant mon premier mur. Cela c’est de la chance quelque part.
Puisque c’est une passion que c’est quand même... Peut-être en ce moment-là,
peut-être je serais moins passionné. C’est comme l’amour : tu peux aimer une
personne et dans un moment donné elle peut te montrer qu’elle ne t’amie plus.
Tu vas être un peu déçu, tu vas être un peu triste, mais à moment donné, il faut
oublier aussi. Moi, j’ai eu cette chance-là. Malgré de moment d’extrême difficulté,
car on rencontre des moments d’extrême difficulté, où tu doutes vraiment.
Quelqu’un un jour me disait : c’est étrange. Un boulanger, lui, il sait faire son
pain et voilà. Il sait qu’il sait faire son pain. Et jamais il ne se dira « Je ne sais plus
faire mon pain ». Nous, au théâtre, ce n’est pas tout à fait pareil. Oui, on sait faire
notre pain, mais il y a de moments où on n’arrive pas à faire notre pain. Et tu sais
qu’il peut arriver un moment où tu n’arrives plus à faire ton pain. En tout cas le
pain que l’on aime.
J.C. — Le voyage. Tu vines de l’Italie, tu habites en France depuis quelques années
déjà, tu as habité en Allemagne. En fait, j’ai deux dernières questions : pour toi, le
voyage a-t-il une place, une importance, dans l’apprentissage de l’acteur ? Pour
l’apprentissage du métier et du sens du métier aussi.
D.B.-V. — Pour moi, indubitablement, il y a eu une influence. C’est vrai que cela
nous fait une ouverture, une ouverture à recevoir. Il y a mille manières de voyager,
ça peut être dans une bibliothèque, en regardant des livres, en regardant des films.
Je serais moins catégorique, pour une question simplement de possibilité

568
économique. Et aussi parce qu’on peut mal voyager. On voit beaucoup de
touristes, et je pense qu’ils voyageaient mal, d’un club quelconque à un autre. Ils
auront « fait » la Tunisie, l’Indonésie... c’est une question de faire et ne pas de
recevoir. Mais c’est vrai que pour moi, cela m’a aidé. J’ai de la chance de parler,
puisque c’est vrai que j’ai quitté l’Italie très jeune. Je suis allé habiter en
Allemagne, j’ai étudié dans un Lycée américain, après je suis venu à Paris. Donc,
j’ai eu une certaine facilité en parler quelques langues. Ce n’était pas une facilité,
en fait, c’était très difficile au début. Mais, j’ai eu l’occasion d’apprendre plusieurs
langues. À l’époque, je me sentais déjà un citoyen européen. Je ne me sentais pas
appartenir à un clan, à une nation. Parfois tu rates de choses de cette tradition de
ce clan-là, de cette nation-là. Mais cela m’a permis d’avoir cette facilité de voyager
et c’était très enrichissant pour moi.
J.C. — Et sentes-tu étranger en France ?
D.B.-V. — Je sais que je suis étranger, parce que déjà pour la langue j’ai un accent.
Mais je ne sens pas le... je sais que je suis maintenant... tu vois, il y a des gens qui
ont vécu tellement de temps, l’Italie n’est pas loin d’ici. Je sais que je pourrai
retourner vivre en Italie. Il n’y a aucune question politique qui pourrait
m’empêcher de vivre là-bas, pour l’instant en tout cas. Ce n’est pas comme les
personnes qui venaient, par exemple, d’Argentine ou du Brésil, où un retour était
impossible. Après, l’éloignement était tellement long que le retour en arrière est
difficile. Moi, j’ai quitté l’Italie à l’âge de quatorze ans et c’est pour cela que je me
sens européen. C’est pour cela que je dis que je me sens européen. J’aimerais que
la situation de l’Europe soit différente, et c’est peut-être cela qui m’attriste. Je ne
suis pas Français. J’ai même entrepris le chemin administratif pour demander une
nationalité française. Quand il y a eu les élections où Sarkozy a été élu, j’ai pensé à
cela. Je ne pouvais rien faire contre cela et pour cela j’ai pensé à demander la
nationalité française. Mais, on avait tellement des problèmes en Italie avec
Berlusconi, et je ne pourrai aider ni l’un, ni l’autre et, finalement, je ne l’ai jamais
fait.
La difficulté en tant qu’acteur, la c’est vrai. J’ai eu la chance de travailler dans un
endroit comme le Soleil où cela n’est pas fondamental. Donc, on peut jouer, ne
peut trouver une façon de jouer un personnage, même s’il n’est pas français. C’est

569
vrai qu’ailleurs, cela serait beaucoup plus difficile. Au cinéma, c’est beaucoup plus
difficile, bien évidemment, car je ne pourrai pas jouer un Français. Donc, il faut
donner une raison pour qu’il soit italien ou autre chose. On peut tricher sur la
provenance un peu. Quand je travaille un texte, on aperçoit un accent, mais le jeu
c’est de ne pas comprendre quel accent.
Je me sens très bien à Paris. C’est vrai que je n’ai pas les mêmes bases culturelles
que les Français, mais maintenant je n’ai plus les mêmes bases que les Italiens.
Quand on me parle des choses qui se passent en Italie, j’écoute avec grande
attention et quand on me sort quelque chose de la France que je ne connaissais
pas, parce que je n’ai jamais étudié cela quand j’étais petit. Sinon, je me sens très
bien dans ce point de vue là.
J.C. — Voici une dernière question qui n’est pas sur la thèse. Tu es déjà allé
plusieurs fois au Brésil. Comment as-tu trouvé le pays ?
D.B.-V. — Alors, c’est tellement vaste que l’on a eu tellement d’expériences
différentes... D’abord, oui, c’est magnifique. C’est un pays qui est magnifique. Ce
qui me touche le plus probablement c’est le fait que, bon, il y a plein de difficultés,
mais c’est un pays qui regarde vers le haut. Ils sont dans une situation qui n’est
plus confortable que la nôtre, mais nous, on est avec ce poids de régression, d’une
dépression finalement. Et ce que je vois, comme ça, sûrement superficiellement, je
vois quand même qu’il y a un espoir, qu’il y a un optimisme. Et cela te fait
réfléchir quand tu reviens en Europe. Quand on a fait la dernière tournée en
Amérique du Sud et qui a duré quatre mois, c’était ça la chose qui m’a fait
réfléchir quand je suis retourné ici. Il y a des choses, c’est vrai... Ici, on se promène
dans les rues et on est tranquille. Au Brésil, on est un peu tout le temps attentif.
Tu as un sentiment d’insécurité qui est pesant. Chose qui, par exemple, tu n’as pas
du tout à Bali. C’est tellement tranquille. Après dans chaque ville, on trouve un
public qui est différent.
J.C. — Et pour toi, le Brésil serait-il en Occident ?
D.B.-V. — Peut-être c’est ça qui me touche aussi. C’est un peu comme la Corée.
Une partie est totalement occidentalisée, très, très moderne, avec des choses que
l’on n’imagine même pas. En même temps, quand j’y étais en 2001, tu vois encore
des gens avec des charrettes tirées par un âne au milieu de la rue à Séoul. Donc, il

570
y a ce mélange, comme ça, de technologie et encore d’artisanat. Et au Brésil tu as
cela aussi. Et cela j’aime beaucoup. On était dans un quilombo dans une montagne
à côté de la mer. C’était extraordinaire. Il y a encore de gens qui vit bien avec peu.
Après, il y a des gens qui vivent mal avec peu, parce qu’il y a encore, et peut-être il
aura de plus en plus de gap entre les riches et les très pauvres. Mais c’est un pays
fantastique. Le problème c’est la langue, le portugais j’arrive a le comprendre, mais
pour parler c’est très difficile. Je parle l’italien, l’espagnol, mais le brésilien, j’ai du
mal encore.
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ENTRETIEN AVEC CRISTINA WISTARI FORMAGGIA


Fait à Paris, France, le 12 mars 2007

Juliana Coelho — Cristina, je t’invite à parler un peu de la structure du topeng…


Cristina Wistari Formaggia — Le topeng fait partie du répertoire des danses
classiques de Bali. Il date au moins de cinq cents ans et raconte les histoires du
Babad, la chronique des royaumes indigènes. Dans le topeng pajegan, le danseur
exécute tout seul une danse rituelle, utilisant alternativement tous les masques. Il
finit toujours avec le masque du Dalem Sidhakarya, personnage magicien-
souverain qui accomplit les rites finaux. C’est le masque le plus important, qui
signifie « celui qui a accompli le travail ». Sa présence clôt la cérémonie religieuse.
En principe, le topeng pajegan est joué par une seule personne. Comme il est
difficile et très fatigant de jouer tous les masques, il y a parfois deux, ou trois
personnes maximum, qui le jouent. Il se joue à n’importe quelle heure, pendant la
journée ou le soir, en parallèle avec la cérémonie officiée par le grand prêtre. Sa
longueur est dictée par lui et non par les danseurs.
L’autre topeng s’appelle topeng panca (« cinq »). Il n’est pas aussi restreint que le
topeng pajegan. Il est libre et a un côté très ludique. Il est joué le soir, généralement
par cinq personnes, parfois même plus, selon la situation.
J.C. — Quels masques sont joués pendant le topeng?
C.W. F. — Le topeng utilise pour le caractère noble le masque entier qui ne parle
pas et qui ne s’exprime qu’à travers la danse pure. Le narrateur et les Bondres,
personnages comiques, utilisent les demi-masques ou les masques articulés.

571
L’acteur utilise tous les masques. Le spectacle commence généralement par deux,
au maximum trois masques entiers qui se présentent à travers la danse. Le premier
masque qui apparaît peut être le masque d’un vieux, le Topeng tua ou un autre
masque keras671. Ces masques sont les archétypes des premiers ministres, soit
jeunes et vigoureux, soit vieux et sages. Cette danse introductrice n’a rien à voir
avec l’histoire qui sera racontée plus tard.
Puis vient l’entrée des deux serviteurs du roi, Panasar/Penasar et Wijil qui portent
des demi-masques. Ils sont les narrateurs de l’histoire tout au long du spectacle et
ils présentent le Dalem, roi archétype, personnage central symbole de pureté et de
perfection. Le roi entre en scène et exécute sa présentation dansée. Dans la danse
balinaise l’entrée et la présentation d’un personnage sont toujours les choses les
plus importantes. Selon l’histoire, le roi rencontre un Premier ministre ou un
autre personnage. A partir de cette rencontre, le récit va se dérouler, autour
d’événements politiques et religieux qui surgissent dans le royaume. Ni le roi ni le
Premier ministre ne parlent. Ils se servent de la danse et du mime pour s’exprimer.
Ce sont les narrateurs qui racontent et qui parlent pour eux. Ils s’adresseront au
roi en kawi, une langue ancienne du moyen javanais, comme le latin pour nous.
Ensuite, ils traduiront les paroles en balinais, afin que le public puisse
comprendre.
Ensuite, c’est le moment de l’entrée des personnages comiques, les Bondres, les
villageois. Eux aussi portent des demi-masques ou des masques entiers articulés qui
leur donnent la liberté de la parole. Ils font partie de l’histoire et ils ont, eux, la
liberté de faire appel ou de parler de choses contemporaines en jouant à la fois
dans le passé et dans la modernité.
J.C. — Est-ce que cette partie avec les personnages comiques est toujours
improvisée ?
C.W.F. — Oui, c’est toujours improvisé. Il n’y a pas de texte. Chaque
acteur/danseur connaît très bien ces personnages. On parle de personnages qui
sont archaïques. La chorégraphie des masques entiers est presque toujours fixe.
Cependant, même à l’intérieur de cette chorégraphie, on a aussi la liberté de
L’art scénique balinais est régi par la dichotomie entre les principes keras ou kras (fort, vigoureux,
671

rude) et manis (doux, raffiné). C’est l’alternance continue entre les principes de base keras et manis
qui modèle la danse balinaise en général. Elle est appliquée aux personnages, aux chorégraphies,
aux mouvements et aux séquences dramatiques.

572
danser plus longuement ou de changer des petites choses. Mais la structure précise
de codes est toujours respectée. On ne peut pas inventer ou créer des
mouvements, ils sont toujours très codifiés.
Au moment où on passe aux personnages comiques, chacun a déjà travaillé ses
masques. Pourtant, cela veut dire qu’il les a travaillés selon la tradition: chaque
masque a une voix particulière, une façon de marcher particulière qui sont
communes à tous les danseurs, même si chacun ira y mettre quelque chose de
personnel. Le dialogue n’est jamais préparé, il est toujours créé au moment où
l’histoire est racontée.
J.C. — Il y a une façon a priori déterminée de jouer les masques balinais ?
C.W. F. — Les masques entiers sont « archétypiques ». Si on parle d’un masque
entier, en principe, on doit respecter la tradition, car c’est de la danse pure. Les
codes, les principes peuvent changer selon la région, par exemple. Au nord, on
aura un style, à l’est, un style un peu différent, pourtant un agem672 c’est toujours
un agem, une marche c’est une marche, un changement d’agem c’est un
changement d’agem. Tout est codifié, chaque mouvement a un nom et tout est très
structuré. Pour les masques entiers, ce qui compte c’est surtout la qualité du
mouvement. On reconnaît un bon acteur à son respect de certaines règles.
Nous sommes plus libres dans le jeu des demi-masques. Et même là, le sourd
marche d’une certaine manière, le malade, le bègue, le vieux, le chef du village
aussi. Chaque masque a une stylisation connue par les Balinais. Quand ils voient
un masque, ils savent comment il faut le jouer. Rien n’empêche l’acteur de créer sa
coloration à lui, plutôt en ce qu’il raconte que dans un changement
d’interprétation. Les voix des personnages ont des couleurs très particulières. Le
Penasar, par exemple. Si tu l’entends, c’est difficile de reconnaître l’acteur qui le
joue, car le masque doit avoir cette voix-là. Une voix elle aussi stylisée, une voix
particulière. On ne parle jamais avec notre voix normale et cela fait partie de la
transformation de l’acteur sur la scène. Rien n’empêche que, parfois, un danseur
joue un masque d’une manière un peu différente, mais toujours dans les codes de
la danse balinaise.
672
L’agem ou agam est l’une des positions de base les plus importantes du Topeng et de la danse
balinaise. L’agem marque le début puis la fin d’une phrase de danse. Il peut se présenter sous
plusieurs formes et existe suivant deux typologies : keras et manis. Il peut aussi être orienté vers la
droite ou vers la gauche: agem kanan et agem kiri.

573
J.C. — Cette façon de travailler les personnages me rappelle beaucoup la commedia
dell’arte...
C.W. F. — Oui et non, parce qu’il y a la musique, le gamelan, qui dirige beaucoup
et il y a la danse. Dans la commedia il y a l’acrobatie, plutôt que la danse. Le topeng
a un raffinement qu’on ne voit pas dans la commedia, par exemple. C’est toujours
plus terre à terre. On a essayé de reconstruire la commedia. Chacun essaie une
manière de faire vivre les masques. Le topeng est encore vivant, on a la possibilité
d’une expérience directe. C’est très précieux pour quelqu’un qui veut travailler le
masque.
J.C. — Et cette façon d’improviser, tout en connaissant très bien son masque...
C.W. F. — Exactement, si tu travailles, tu deviens quand même spécialiste de
certains masques. Selon la morphologie de ton corps, tu danseras certains masques
plutôt que d’autres. Bien qu’un acteur qui danse le topeng pajegan doit apprendre à
tout danser. Mais si tu es un danseur de masque keras, c’est rare que tu puisses
danser aussi un masque manis. Et vice-versa. Quelqu’un qui a une structure plutôt
forte et qui est danseur de masque keras n’arrivera pas à bien danser le roi ou la
reine, car son corps ne le lui permettra pas. Sa nature, son caractère ne le lui
permettront pas. La morphologie du corps détermine aussi le masque que tu vas
porter. En principe, il faut connaître tous les masques. Moi aussi, je connais tous
les masques. Mais chaque personne excelle dans un genre plutôt que dans l’autre,
soit keras, soit manis. Aussi, les narrateurs sont généralement des spécialistes.
Quand on danse dans un topeng panca, chacun joue où il est le plus fort. Il y a des
spécialistes narrateurs, danseurs, Bondres. Chacun développe une spécialité.
J.C. — Dans un entretien à Béatrice Picon-Vallin, Erhard Stiefel nous raconte une
de ses rencontres avec Pugra 673 qui a joué le masque de Pantalon
merveilleusement. Comment envisages-tu cette possibilité de jouer différents
masques, de traditions diverses ?
C.W. F. — Une fois que tu as compris, que ton corps, ton âme, ton esprit ont
compris comment marche un masque, tu peux passer d’un masque à l’autre.
Parfois c’est immédiat, tu le trouves immédiatement, c’est comme un miracle,
parfois il faut travailler dessus. Je pense qu’on peut tranquillement passer d’un

673
I Nyoman Pugra, acteur/danseur balinais.

574
masque à l’autre et aussi prendre un masque de commedia. Moi, je pense que
Pantalon est plus proche d’un masque de vieux Balinais qu’un Arlequin. S’il avait
pris un Arlequin, cela aurait pu être plus difficile, tu vois ? Parce que la manière de
dessiner l’Arlequin est plus abstraite et il y a l’acrobatie. L’Arlequin a aussi des
codes de marche et des façons de bouger, que nous, occidentaux, connaissons,
même si on ne les a pas appris. Donc, pour un Balinais c’est le même problème
culturel s’il n’a jamais vu ce masque, ça peut être aussi difficile pour lui de le
travailler. Tandis qu’un Pantalon est peut-être plus proche du monde de certains
masques balinais. C’est possible de toucher un autre masque et de le faire jouer
parce que les principes du masque sont les mêmes. Après, il faut changer de
caractère et commencer à donner la vie à ce masque.
J.C. — À ton avis, quels sont des principes de travail de l’acteur pour faire vivre le
masque ?
C.W. F. — Ah... c’est tout un travail du corps, c’est tout un travail physique. Si on
parle du masque balinais, c’est tout un travail physique très précis. Tout le travail
qu’on a commencé à toucher. D’abord, il faut travailler le corps, il faut arriver à
maîtriser le corps pour pouvoir arriver à insuffler la vie dans le masque. C’est tout
un travail de contrôle parce qu’au moment où on met le masque, on n’a plus
l’expression faciale. Donc, pour arriver à transmettre une émotion ou un état, il
faut le faire à travers le corps. Et pour arriver à cela, il faut le maîtriser. Et c’est-à-
dire, un travail du corps bien précis, bien maîtrisé... l’agem, déplacement du poids,
les arrêtes, la dynamique, l’espace.
Maintenant, dans mon travail, je m’intéresse plus à l’Occident. Je veux transmettre
ce que j’ai reçu de manière à ce que l’Occidental puisse apprendre plus vite. C’est
pour ça que j’ai adopté l’usage du texte dans les ateliers. Jamais, comme dans le
dernier stage674, où j’ai commencé à travailler les masques avec un texte, je n’ai vu
arriver un résultat aussi efficace et aussi rapidement. Avec le texte, tu tiens un
point d’appui. Tu sais déjà ce que tu dois dire, il faut trouver comment le dire.
Parfois, c’est trop de porter un masque et d’improviser.

674
Stage de topeng qui a eu lieu à ARTA – Association de Recherche des Traditions de l’Acteur, en
avril 2007.

575
Avant, dans tous les stages que l’on a donnés à l’ARTA (je suis venue avec mon
maître675), c’était l’horreur. Les gens entraient dans un état de confusion. On n’y
arrivait pas. Parfois on avait besoin d’arrêter le travail du masque. Et maintenant,
tu vois, on commence tout de suite à voir surgir le jeu, à le toucher, à explorer le
masque, à le regarder... C’est comme avoir confiance en lui.
J.C. — Cristina, comment es-tu arrivée à Bali ?
C.W. F. — C’était grâce au livre d’Antonin Artaud, « Le Théâtre et son double ». À
l’époque, j’étais en voyage en Inde et j’ai trouvé ce livre en italien à Bénarès, la ville
sacrée. Ce livre m’a parlé, il m’a donné envie d’aller à Bali pour voir le théâtre
métaphysique décrit par Artaud.
La première fois à Bali, je n’ai pas dansé. J’ai simplement beaucoup regardé les
spectacles de danse. À l’époque, l’île était magnifique. Très peu de touristes, pas de
voitures... et comme c’est arrivé à presque tout le monde qui la visite, j’en suis
tombée amoureuse. C’est plus tard, en 1983, après avoir commencé à danser le
kathakali en Inde, que j’y suis retournée.
Après le premier voyage à Bali, je suis retournée au Sri Lanka pour travailler avec
un sculpteur de masque — chose que j’avais commencé à faire à Bali. Ensuite, je
suis allée au Kerala, en Inde, pour travailler avec Guru Gopinath, un grand guru
de la danse kathakali. Pendant deux années, j’y suis restée pour travailler le
kathakali. Quelque temps après, séjournant en Australie, je pensais à retourner en
Inde. Mais avant, je me suis arrêtée six mois à Bali pour explorer le topeng et j’y suis
restée. J’ai compris que cette danse était plus proche de moi que la danse kathakali.
J.C. — Pourquoi ?
C.W. F. — Il me semblait que la danse kathakali était trop masculine. Dans le
topeng, je faisais des rôles masculins, mais les rôles masculins manis, c’est-à-dire
raffinés. Tandis que le kathakali est vraiment masculin. Même quand j’ai pensé
retourner en Inde, j’aurais voulu changer de style. Le kathakali était une très belle
expérience, je l’ai aimé, mais quelque part il était loin de mon âme. La danse
balinaise, celle que je danse, à travers son caractère androgyne, me semblait plus
proche de ce que je suis. Elle englobe à la fois le mouvement féminin et le
masculin. Il y a une sobriété.

675
I Made Djimat.

576
La danse féminine à Bali ne m’attire pas. Elle est extrêmement féminine, trop loin
de mon concept de la femme. C’est très beau à voir et je l’ai appris parce qu’il faut
l’apprendre. Mais, à part une sorcière que j’ai faite et qui est aussi androgyne — elle
doit avoir aussi une force masculine — je ne suis pas attirée par les rôles hyper
féminins.
J.C. — Pourquoi faut-il apprendre aussi cette danse féminine à Bali ?
C.W.F. — Parce qu’il faut faire un équilibre entre les deux. On ne peut pas
apprendre ce qui est masculin sans découvrir aussi l’univers des femmes, il faut
découvrir les deux. Et c’est très beau ! Moi j’adore la danser. Le gambuh, par
exemple. Je le répète toujours avec ma troupe, j’adore cette danse. C’est vraiment
d’une grande beauté, c’est un grand plaisir pour le corps ! Mais apprendre à jouer
cette danse, c’est autre chose. En plus, les danses que j’ai choisies peuvent se
danser à tous âges. Je peux les danser jusqu’à ma mort. Pour certaines danses, il
faut s’arrêter à un certain âge, car elles sont réservées aux jeunes filles. Ce qui est
beau à Bali c’est qu’il y a des danses pour tout le monde. On n’arrête pas à un
certain âge, on continue à danser, en les raffinant. On perce plus, on va plus à
l’intérieur du personnage.
J.C. — Comment se sont passés tes débuts à Bali ? Est-ce que c’était difficile ?
C.W.F. — Bien sûr, j’ai eu beaucoup de difficultés. D’abord parce que la danse
masculine et la danse balinaise sont très éprouvantes. C’est la plus éprouvante. Et
deuxièmement, c’est très difficile de comprendre et de jouer les rôles masculins. Et
c’était plus difficile parce que je n’avais pas commencé quand j’étais un enfant. Il
est évident que si tu commences quand tu es enfant, tout est plus facile. Cela est
vrai pour tout.
Il faut aussi s’imprégner de la culture, pour arriver à comprendre comment cela
marche au niveau artistique. Les Balinais voient le topeng dès qu’ils sont enfants, ils
écoutent la musique dans le ventre de la mère. Ils connaissent par cœur les
personnages et les différents genres théâtraux. Et pour un Occidental… tout est à
apprendre. Il y a continuellement des défis à relever. En tout cas... (Cristina fait une
petite pause) il y a une partie en eux qui accepte l’étranger et une partie qui le
refuse. Ce n’est pas évident de vivre dans une autre culture qui est tellement
différente de la nôtre.

577
J.C. — Cristina, le masque à Bali est sacré, le topeng est présenté dans une
cérémonie...
Le topeng, la danse et la musique sont liés aux rites religieux à Bali. Il n’y a pas de
rite religieux sans la danse et la musique. La danse et la musique, les objets,
comme dans le gambuh, tout est sacré, on ne les touche pas... on leur donne des
offrandes chaque jour. Selon les Balinais, le Dieu Bhrama demeure là. C’est pour
ça qu’on ne peut jamais mettre des choses sales. La même chose pour le masque.
Au moment où on arrive, où on va danser, pour mettre le masque, il faut toujours
faire une petite cérémonie. Pour que les dieux puissent revenir et repartir après la
cérémonie. Il y a toujours des offrandes, on ne danse pas sans elles. Le danseur
devient un lien entre la terre et le ciel.
J.C. — Est-ce que c’est possible de travailler cette dimension ici en Occident ?
C.W.F. — Oui et non, car tout cela est lié à une tradition particulière, c’est la
tradition hindouiste balinaise. Mais quand on danse, on est dans une ligne
verticale. Bon, si on ne danse que pour le public c’est autre chose... Je pense qu’un
bon acteur, un vrai danseur, doit apprendre à être en contact avec son âme, pour
arriver à nous. C’est la même chose... le temple est en nous (elle rit).

578
ANNEXE 2
RÉSUMÉ BIOGRAPHIQUE DES INTERVIEWÉS

I MADE BANDEM
Le parcours de I Made Bandem, tel qu’il nous l’a décrit lors de son entretien,
privilégie d’avantage le parcours d’étudiant et de professeur. Il est fondamental
également de comprendre que ce chemin-là a été parcouru en concomitance avec
celui d’administrateur et promoteur des arts balinais. Il dirige l’ASTI - l’Académie
de Danse de Denpasar entre 1981 et 1989. Son travail a contribué à la promotion
institutionnelle de cette école, qui s’est postérieurement transformée en STSI -
l’Académie des Arts Indonésienne. Bandem était son directeur jusqu’en 1997. Il a
été recteur du ISI - Institut Seni Indonesia - l’Institut d’Arts de Yogyakarta, à Java
pendant neuf ans. En 2002, il a créé également le STIKOM - Sekolah Tinggi
Manajemen Informatika dan Teknik Komputer, à Bali, un institut technique de
sciences de l’informatique. Aujourd’hui, il est un des superviseurs et un des
propriétaires de l’Institut qui accueille 7000 étudiants. Depuis 2007, lui et sa
femme Ni Luh Shuasti sont Visiting Fellow in Balinese Performing Arts au College of
Holy Cross in Worcester, au Massachusetts. L’énumération des activités de I Made
Bandem présentée ici n’est pas exhaustive, puisque ses activités sont très
diversifiées dans les domaines de l’art, de la pédagogie, de l’administration
également.

Tout au long de sa vie, I Made Bandem a cumulé des prix en Indonésie et à


l’étranger, dont l’International Music Prix de l’UNESCO, en 1994. En 1992, il
reçoit le prix « Adhi Karya Award », du ministère du Tourisme et des
telecommunications de l’Indonésie et en 1995, le Dharma Kusuma, donné par le
gouvernement balinais, pour son travail artistique. À l’étranger, Bandem a été
surnommé par le quotidien The New York Times le « Joe Papp of Bali », pour son
travail de promotion de la culture balinaise à l’étranger. Tant à l’étranger qu’à Bali,
il s’est produit devant des leaders mondiaux comme Ronald Reagan, Mao Zedong,
Nikita Khrushchev et la Reine Elizabeth II, entre autres. En plus de sa
connaissance profonde de la danse et de la musique balinaise, I Made Bandem est

579
un grand articulateur, un communicant et un très bon orateur. Il est toujours prêt
à expliquer un aspect de la danse, de l’histoire ou des aspects philosophiques de la
culture balinaise. Pendant notre séjour, il nous a fourni généreusement des livres
et des enregistrements vidéo de ses performances et démonstrations de travail.

I MADE DJIMAT
I Made Djimat est réputé pour être le meilleur danseur Balinais contemporain.
Enfant prodige, il raconte avoir appris le baris à l’âge de quatre ans en regardant les
élèves de son père, I Nyoman Raneh. I Made Djimat est né le 12 mai 1948, dans le
village de Batuan. Très jeune il commence à se représenter avec son père et à
l’école, qu’il fréquente jusqu’à l’âge de douze ans. Au même âge, il commence à
aider sa mère Ni Ketut Cenik dans l’enseignement de l’arja à au village (desa)
Karangasem (actuellement nommé Amlapura). Sa mère assurait les cours des
personnages féminins et lui, ceux des personnages masculins : Penasar, Wijil,
Patih, Jauk. Son père lui apprend encore le gambuh. Depuis jeune, il est primé par
plusieurs prix importants à Bali. Après son mariage en 1969, il apprit le topeng et
depuis cette époque, il présente le topeng pajegan. Il a participé à de nombreuses
missions culturelles entreprises par le gouvernement indonésien et il est
continuellement invité à se produire et à dispenser des ateliers à l’étranger. Entre
1970 et 1977, Djimat est enseignant non fixe de l’ASTI. Dans les éditions des
années 1995, 1996, 1998 et 2000, il est invité à l’ISTA, aux côtés de Cristina
Wistari Formaggia et d’autres membres de son groupe Panti Pusaka Budaya.
Comme nous l’avons évoqué précédemment, I Made Djimat inaugure l’ARTA,
avec un atelier de topeng. Il a été également le coordinateur artistique du Gambuh
Preservation Project, mené par Cristina Wistari. I Made Djimat est très
probablement le praticien balinais qui s’est le plus produit et le plus reconnu à
l’étranger676.

676
As a maestro he has a number of concepts and views. With regard to the elements of beauty in Balinese
Dance, he postulates three basic things: Taksu, manik, and pangus. He proposes the criteria of a good dancer.
According to him, a good dancer should possess abilities, enthusiasm, and discipline. He has also developed his
own unique teaching method. As a professional dancer he values a balance between his profession as an artist
and responsibility as a member of society at large. (Extrait de résume de thèse) I. Nengah Mariasa et >
Dr, I Made Djimat (1948- ) :: Seorang maestro tari Topeng Bali di era globalisasi, Universitas Gadjah
Mada, 2000.

580
NI NYOMAN CANDRI

Née en 1950 à Singapadu, Bali, I Nyoman Candri est une des plus réputées artistes
balinaises, particulièrement connue pour sa maîtrise de l’arja. Elle commence son
apprentissage à l’âge de huit ans, aux côtés de son père I Made Kredek, grand
danseur de Singapadu. Elle apprend d’abord le baris, danse généralement apprise
par les garçons. Ensuite, elle apprend le legong, le janger et spécialement l’arja, où
elle tient d’abord le rôle de Mantri Manis, rôle qui lui tient particulièrement à
cœur. Ensuite, à l’âge de vingt-cinq ans, elle est contrainte à passer au rôle de
Condong677. Elle apprend aussi le topeng et excelle dans le rôle de Wijil, qu’elle
apprend aussi directement de son père. Elle apprend le topeng prembon et se
présente régulièrement aux côtés de son père. Nyoman Candri est une des seules
femmes à Bali qui jouent aussi le wayang kulit. En 1964, Nyoman Candri devient
employée d’honneur à la Radio Republik Indonesia (RRI) à Denpasar, où elle a
côtoyé plusieurs artistes tels I Made Monog, Jero Suri ce qui la fait aussi mûrir en
tant qu’artiste. Nyoman Candri rencontre un grand succès à la radio et à la Télé
balinaise. Elle danse également tous les soirs. En plus de l’arja, Nyoman Candri
présente régulièrement le calonaragng et le prembon. En 1972, elle est nommée
professeur « remarquable » à l’ASTI et enseigne les tembang, les chants de l’arja.
Cette même année, elle se produit au Japon et en 1983 à New York, aux États-
Unis. Également dans les années 1970, Nyoman Candri commence son
apprentissage de l’wayang kulit (pedalangan678) auprès de I Nyoman Ganjreng, de
Sukawati et également, auprès de I Wayan Wija. Dans le Festival Wayang Dalang
Wanita (Festival des Femmes Marionnettistes Wayang) à Bali en 1979, Candri
tient la troisième position du concours. Avec sa maîtrise de l’arja, Nyoman Candri
devient interprète de wayang arja, une version de l’arja en marionnettes du
Wayang, qu’elle présente aux côtés de ses trois filles au Bali Arts Festival en 1981 et

677
CANDRI, Ni Nyoman et FORMAGGIA, Cristina Wistari, « The Hero Disguised as a Servant »,
The Open Page, Character, mars 2003, p. 78. p.78
678
Le dalang à Bali est le marionettiste et narrateur qui présente les histoires par la narration, le
chant le drama et l’humour. Les connaissances philosophiques et religieuses intrinsèques, la
technique et le repertoire du dalang est appelé pedalang. D’autres formes spectaculaires s’utilisent
également du dalalng en tant que narrateur, comme les sendratari, le kecak et le legong. I Nyoman
Sedana et Kathy Foley, « The Education of a Balinese Dalang », Asian Theatre Journal, vol. 10 / 1,
avril 1993, p. 81-100, p. 81.

581
1987. En 1988, elle reçoit le prix d’art Dharma Kusuma Madia du chef du
gouvernement de la province de Bali.

Pendant quatre ans, elle fait partie du Topeng Shakti, troupe de topeng uniquement
composée par des femmes, où elle tient spécialement le rôle de Wijil. Elles se
produiront à l’étranger, et en France, dans le cadre du Festival de l’Imaginaire, en
2005. Elle enseigne aussi au Japon, aux États-Unis, en Italie et en France. En 2002,
elle réalise un atelier, L’acteur et le conteur dans le théâtre balinais, à l’ARTA, à la
Cartoucherie de Vincennes, aux côtés de Cristina Wistari Formaggia. Elle
participe à trois sessions de l’ISTA: celles de 1987, à Salento, de 1990, à Bologne,
en Italie et celle de 1994, à Londrina, au Brésil. De plus, Ni Nyoman Candri
participe aux créations du Theatrum Mundi, mises en scène par Eugenio Barba,
notamment les dernières Ur-Hamlet et Le Mariage de Médée. Ni Nyoman Candri
continue à enseigner dans sa maison à Singapadu.

I KETUT KODI

I Ketut Kodi est fils d’I Wayan Tangguh, l’un des plus célèbres sculpteurs de
masque de Bali, récemment décédé. I Ketut Kodi est un performeur accompli et
respecté de topeng et il est également dalang, c’est-à-dire, marionnettiste de wayang
kulit. Le performeur de topeng pajegan, autant que le dalang ont des fonctions
fondamentales en différentes occasions de la vie religieuse à Bali. Ils sont censés
articuler la connaissance philosophique et religieuse avec le divertissement, en plus
de devoir accomplir des rites spécifiques en accord avec les cérémonies. Dans le
topeng pajegan, Kodi excelle particulièrement dans le rôle de Wijil, un des Bondres
les plus appréciés. Comme son père, Kodi est aussi en charge de la confection des
masques de la maison. Il est également professeur à la STSI à Denpasar. Il est
énormément demandé pour des représentations sur toute l’île, parfois plusieurs
fois par jour.

Il apprend à sculpter des masques avec son père I Wayan Tangguh et l’accompagne
lorsque ce dernier travaille avec son ancien professeur Cokorda Raka Tublen. I

582
Ketut Kodi se dit très attiré par l’histoire balinaise, qu’il étudiait avec grand
enthousiasme pendant ses années à l’école élémentaire. Par conséquent, ce goût
prononcé pour l’histoire de l’île l’aide aussi à l’apprentissage du topeng. Il
commence par étudier l’arja, tenant le rôle de Kartala et aussi le topeng prembon,
une forme qui entremêle les caractères de l’arja et du topeng panca, très populaire à
Singapadu. Il apprend aussi le baris, mais il excelle surtout dans les rôles de
Penasar, qu’il apprend de son maître I Made Kredek. Ce dernier l’initie également
à la lecture des lontar sur l’histoire de Bali et de Bangli. Les enseignements et les
histoires du wayang kulit sont aussi appris auprès de Kredek. Il rentre à la STSI en
1983 et a étudié avec des notables dalang balinais : Pak679 Rajeg, Pak Sumandhi,
Pak Wija, Pak Mawa, Pak Dewa Sayang, Ida Bagus Sarga et Pak Parsib. À Sukawati,
il étudie également avec Pak Wayan Nartha et Pak Dewa Ganjareng. Il a encore
poursuivi ses études avec Pak Sidja, du village de Bona. Kodi faisait partie de
l’ensemble balinais venu à la session de 1987 de l’ISTA, à Salento. I Ketut Kodi est
spécialement réputé pour son rôle de Wijil /Kartala et pour être dalang. En tant
que formes qui privilégient surtout le discours oral, elles sont très peu appréciées
du public étranger.

EUGENIO BARBA
Eugenio Barba est né en Italie, à Gallipoli, en 1936, fils de militaire. Après la fin
de ses études dans un de plus anciens lycées militaires, La Nunziatella, il
abandonne la carrière militaire et déménage en Norvège, en 1954. À Oslo, il
travaille d’abord en tant que marin et soudeur. Parallèlement, il suit des études en
langue et littérature françaises, en littérature norvégienne et en histoire des
religions. En 1956, il embarque sur le Talabot, un cargo norvégien, et fait la route
pour l’Asie. Le premier voyage en Asie se fait donc à bord d’un paquebot et il n’a
pas la possibilité de sortir souvent. En 1961, il part en Pologne pour étudier à
l’École Nationale de Théâtre de Varsovie. Après quelques mois, il abandonne
l’école pour rejoindre le Théâtre des treize rangs, postérieurement Teatr Laboratorium,
de Jerzy Grotowski, devenant son assistant de 1961 à 1963.

679
Pak est la forme réduite de Bapak, qui peut être traduit par « père » ou « Monsieur »

583
Eugenio Barba a mis en scène plus de soixante-seize spectacles tout au long de ces
cinquante ans de parcours théâtral, tant avec l’Odin Teatret, qu’avec l’ensemble
d u Theatrum Mundi. Parmi ses spectacles les plus répandus/ reconnus / sont :
Kaspariana (1967), Frai (1969), Min Fars Hus (La maison du père) (1972)
Come ! and the Day will be ours (1976-1980), Cendres de Brecht (1980), Oxyrhyncus
Evangeliet (1985), Talabot (1988), Kaosmos (1993), Mythos (1998), Andersen’s Dream
(2004), Ur-Hamlet (2006), Don Giovanni all’Inferno (2006), The Marriage of Medea
(2008) et The Chronic Life (2012). En 1979, il créeé l’ISTA, L’École Internationale
d’Anthropologie Théâtrale. Depuis son origine le nom ISTA est associé au voyage,
à la rencontre, aux déplacements. Eugenio Barba raconte que ce nom lui est venu
lors d’un voyage de train au Japon en juin 1980. À l’occasion, il réalisait une visite
à Tadashi Suzuki. Si les ensembles balinais ont toujours eu leur place lors des
sessions de l’ISTA et dans les créations du Theatrum Mundi, c’est avec l’ensemble
mené d’abord par I Made Djimat et postérieurement par Cristina Wistari
Formaggia, qu’Eugenio Barba réalisera deux grandes productions : Ur-Hamlet et Le
Mariage de Médée. Après la mort de Cristina Formaggia, l’Odin Teatret crée une
fondation pour soutenir le projet de préservation du gambuh, à Batuan. Le
Gambuh Desa Batuan Ensemble est considéré par l’Odin Teatret comme membre
permanent du Theatrum Mundi. Au long des décennies, Eugenio Barba et l’Odin
Teatret ont développé un rapport très étroit avec l’Amérique Latine, en créant un
réseau de groupes et artistes de plusieurs pays du continent.

RUCINA BALLINGER
Rucina Ballinger a commencé à étudier la danse tardivement, à l’âge de dix-neuf
ans, à l’Université d’Indiana, aux États-Unis. Elle a réalisé des formations diverses,
comme la danse africaine, le flamenco et le bharatanatyam. Après avoir étudié la
danse balinaise et le gamelan pendant un été à l’université et elle décida de partir à
Bali en 1974. Pendant ce premier séjour, elle reste seize mois dans l’île,
premièrement à Batuan, puis à Peliatan. De retour aux États-Unis, elle devient
cofondatrice du Gamelan Sekar Jaya et étant membre actif de 1979 à 1985. Elle
retourne à Bali pour trois mois en 1980, pour des études en langue indonésienne,
avant de finir son master en Asian Studies et dance ethnology à l’Université d’Hawaï.

584
Elle s’établit définitivement à Bali en 1985, pour des raisons principalement
familiales, puisqu’elle se marie avec Anak Agung Gede Putra Rangki, membre de
la famille royale de la ville de Kapal, en Mengwi. Depuis lors, elle s’immerge
totalement dans la culture balinaise et entreprend diverses actions de promotion
de celle-ci. Elle est actuellement ambassadrice de l’Anneke Linden Foundation,
dédiée au soutien des ONG qui soutiennent les personnes handicapées. En 2004,
elle co-écrit avec I Wayan Dibia le livre Balinese Dance, Drama and Music: A Guide
to the Performing Arts in Bali. Rucina Ballinger accompagne la scène et les
métamorphoses de la société balinaise de très près, d’un point de vue à la fois
intérieur et extérieur. Régulièrement, elle est invitée à présenter des conférences
sur Bali. Parmi ses diverses activés à Bali, actuellement, Rucina a un groupe de
théâtre comique avec deux autres femmes étrangères. Rucina Ballinger a participé
au début de la formation du Topeng Shakti. Aujourd’hui, elle se présente
régulièrement au Grup Gedebong Goyang, un groupe comique formé par des
femmes étrangères expatriées. Lors de notre séjour à Bali en 2011, nous avons
assisté à la présentation du groupe au Bali Arts Festival.

IVALDO BERTAZZO
À notre connaissance, Ivaldo Bertazzo, pédagogue et chorégraphe brésilien, est le
premier danseur brésilien à aller à Bali. Il est né à São Paulo en 1946, son père
étant libanais et sa mère italienne. Il commence à danser à l’âge de seize ans, étant
é l è v e d e p l u s i e u r s m a î t r e s i m p o r t a n t s T a t i a n a Leskova, Paula
Martins, Renée Gumiel, Ruth Rachou, Klauss Vianna et Marika Gidali. À partir
des années 1960, il voyage en Europe, en Asie et au Moyen-Orient, tissant un lien
spécialement étroit avec l’Inde et Bali. En 1975, il crée l’École du Mouvement —
La Méthode Bertazzo, à São Paulo, et ne cesse de se développer et de se former —
kinésithérapie, études anatomiques de l’appareil locomoteur et biomécanique
humaine. Sa méthode privilégie la conscience, l’autonomie et la structure du
mouvement corporel. En tant que chorégraphe, Ivaldo Bertazzo a créé plus de
nombreux spectacles, avec des danseurs professionnels, mais également avec des
danseurs amateurs, dans le cadre de plusieurs projets développés au sein des
communautés défavorisées au Brésil - notamment avec le complexe de la Maré,

585
une importante agglomération de favelas de la ville de Rio de Janeiro. Avec ce
dernier groupe il a mis en scène Mãe Gentil (2000), Folias Guanabaras (2001) e
Dança das Marés (2002). À São Paulo, dans le cadre du projet Dança Comunidade, il
met en scène Samwaad – Rua do Encontro (2003), présenté au Brésil, en France et
aux Pays-Bas et Milágrimas (2005), avec des participants d’Afrique du Sud. En
1987, Ivaldo invite Cristina Wistari Formaggia à danser au spectacle Terra da Boa
Esperança et aux côtés de Made Djimat, ils dispensent des ateliers de danse
balinaise à São Paulo. Elle y retournera en 1998 pour dispenser des ateliers aux
côtés d’I Made Djimat au SESC Ipiranga.

JULIA VARLEY

Julia Varley est née à Londres en 1954, ayant déménagé à Milan à l’âge de trois
ans. En Italie, elle s’est formée en Philosophie à l’Université de Milan. Elle a
travaillé dans plusieurs théâtres à Milan et en tant qu’assistante de production de
cinéma, avant de rejoindre l’Odin Teatret. Elle crée quatre démonstrations de
travail : The Echo of Silence, The Dead Brother, Text, Action, Relations and The Flying
Carpet. Depuis, 1990, elle participe à la conception et à l’organisation de l’ISTA et
de l’université Eurasienne de Théâtre, les deux événements étant dirigés par
Eugenio Barba. Elle est également une membre active du Magdalena Project, depuis
son début et éditrice de la revue Open Page, une revue dédiée au travail des femmes
au théâtre.
Julia Varley collabore régulièrement avec plusieurs comédiens, réalisant la mise en
scène de plusieurs projets. En tant qu’auteur, elle a écrit deux ouvrages Wind in the
West - a novel by a theatre character, publié au Denmark et Notes of an Odin Actress -
Stones of Water, publié en Italie, au Méxique, à Cuba, au Peru, en France et en
Angleterre. Ses articles ont été publiés dans les revues suivantes : The Mime Journal,
New Theatre Quarterly, Teatro e Storia, Conjunto, Lapis, The Open Page, Performance
Research, Teatro XXI and Máscara.

ROBERTA CARRERI
Née à Milan en 1953, Roberta Carreri est une comédienne, pédagogue, auteure et
organisatrice. Elle est formée en Publicité et Design et a étudié Histoire de l’Art à

586
l’Université Publique de Milan. Pendant un séjour de l’Odin Teatret à
Carpignano, elle rejoint le groupe en 1974. Son travail est profondément
influencé par les rencontres théâtrales qu’elle a faites au long des années. En tant
que pédagogue, elle a déjà dispensé de nombreux ateliers dans tout le monde. Elle
présente parallèlement sa démonstration de travail Traces in the Snow, qui est
aussi une autobiographie. Annuellement, elle organise et mène l’Odin Week, tant
à Holstebro, qu’à l’étranger. Roberta Carreri a écrit l’ouvrage Tracce, publié en
Italie, au Brésil, en Espagne, et en Angleterre, au Chili et en Argentine. Ses articles
ont été publiés dans les revues suivantes : New Theatre Quarterly, Teatro e Storia,
Máscara, The Open Page and Performance Research.

CRISTINA WISTARI FORMAGGIA


Cristina Wistari Formaggia est néé en Italie en 1948. Pendant les années 1970,
Cristina est Marketing Research Executive dans une agence de recherches de marché
américaine. Entre 1974 et 1975, elle crée avec des amis, parmi quelques collèges
de son ancienne agence de marketing, le restaurant Punto Rosso : un point de
rencontre de gauche et féministe. En 1976, elle voyage pour la première fois au
Népal en Inde, pour trois mois. À Mithila, elle retrouve une société matriarcale,
qui vénère la déesse Kali. Là, les traditions sont passées entre générations par le
Ramayana. En 1977, elle part en Inde et s’arrêtera, finalement à Bali, six ans après.
Pendant cette période-là, elle semble vivre en état de rêve. À Bénarès, Cristina
retrouve un livre, oublié ou laissé par un autre voyageur : « Le Théâtre et son
Double », d’Antonin Artaud. Ensuite, Cristina Wistari voyage encore à Mirthila,
au Rajasthan, en Birmanie, en Thaïlande, à Singapour et, finalement, en Australie.
En 1980, quand elle décide de partir de Sydney à Bali, elle subit un accident de
voiture qui l’a projetée à plus de 30 mètres. Avec la quatrième vertèbre de la
colonne cassée, elle frôle le risque de paralysie totale. Six mois après, sa
récupération est totale et elle part à Bali, pour la première fois. Entre son premier
voyage à Bali et son deuxième voyage, qui s’avère finalement être un
déménagement, Cristina Wistari passe deux années en Inde, en apprenant le
kathakali auprès du célèbre Guru Gopinath. Elle a vécu à Bali de 1983 jusqu’à sa
mort en 2008.

587
DUCCIO BELLUGI-VANNUCCINI
Duccio Bellugi-Vannuccini est comédien au sein du Théâtre du Soleil depuis
1987. Il est né en 1967, à Florence en Italie. Il a suivi diverses formations,
notamment au sein de l’École International de Mimodrame Marcel Marceau, de
l’École Internationale Jacques Lecoq, la Folkwang Hochschule, à l’École Anne
Fratellini et chez Étienne Decroux. Duccio a également travaillé aux cotés d’autres
metteurs en scène, comme Anne Sicco, Mario Chiapuzzo et Jorg Lensing. Il
dispense de nombreux stages dans divers pays du monde entier.

L’AMOK TEATRO : ANA TEIXEIRA ET STÉPHANE BRODT


Issue de la rencontre entre une danseuse brésilienne, Ana Teixeira, et un
comédien français, Stéphane Brodt, l’Amok680 Teatro est une compagnie de
théâtre très active au Brésil. Depuis 1998, la compagnie se consacre à la recherche
continuelle sur des techniques de l’acteur et sur la mise en scène. Ses spectacles
ont reçu les plus importants prix de théâtre brésilien et ont été amplement
reconnus par le public et par la critique brésiliens. Le corps de l’acteur a une place
centrale dans les mises en scène d’Ana Teixeira. Il est considéré comme le sujet
fondamental de l’acte théâtral pour le groupe. Parmi les spectacles de la compagnie
figurent : Cartas de Rodez (1998), récompensé par le prix Shell de meilleure mise en
scène et meilleur comédien et le prix Mambembe de meilleur spectacle. O Carrasco
(2011) a reçu le prix Governo do Estado do Rio de Janeiro de meilleur spectacle de
l’anée. Ana Teixeira a mis en scène Macbeth (2004), Savina (2006), O Dragão
(2008), Kabul (2009), Histórias de Família (2012) et Salina (A Última Vértebra)
(2015). Avec Stephane Brodt, elle met en scène les spectacles : Memórias do Velho
Mundo, O Dibuk et Agreste Malvarosa, de Nilton Moreno.
Diplômée en danse, Ana Teixeira a étudié et travaillé avec les chorégraphes João
Carlos Ramos, Jean-Marie Dulbrul et Angel Vianna. Elle est spécialiste dans le
système Laban. Elle a été professeure du cours de formation de danseur du Centre
d’Études du Mouvement et des Arts, dirigé par Angel Vianna, au Rio de Janeiro.

680
Amok en indonésien, mot dérivé de l’amuk en malais, signifie « folie furieuse »,
« colère ». C’est un terme largement utilisé à Bali pour décrire les attaques de furie des personnes
pendant la transe.

588
En 1989, elle part vivre en France. Elle a étudié à l’École de mime corporel
dramatique de Paris. Pendant sept ans, elle a étudié la technique d’Étienne
Decroux auprès de Steven Wasson et Corinne Soun. En 1992, elle a intégré la
compagnie de théâtre de L’Ange Fou. Aussi en France, elle a fait une Licence en
Études théâtrales à l’Université Paris 3.
Stéphane Brodt a été formé par l’École Catherine Brieux, à l’École Internationale
de Mimodrame Marcel Marceau et l’École de mime corporel dramatique de Paris.
En 1991, il rentre au Théâtre du Soleil, où il joue dans Les Artrides. Stéphane
Brodt et Ana Teixeira sont curateurs de l’ECUM — Rencontre mondiale d’Arts de
la Scène.

LUCIA BENSASSON
Née à Tunis, Lucia Bensasson a été comédienne au Théatre du Soleil de 1968 à
1983. Au fil des années, elle a joué dans de nombreuses mises en scènes et films.
En 1989, Lucia Bensasson crée aux côtés de Claire Duhamel et sous l’inspiration
et impulsion d’Ariane Mnouchkine l’ARTA — Association des Recherches sous les
Traditions de l’Acteur. Lucia Bensasson emploie également les masques du topeng
dans ses ateliers pédagogiques.

FELISBERTO SABINO
Felisberto Sabino est professeur des universités, spécialisé dans le théâtre de
marionnettes et les formes spectaculaires traditionnelles brésiliennes à l’Université
de São Paulo, au Brésil. Les folguedos brésiliens, tels le bumba-meu-boi et le
maracatu681, figurent parmi ses intérêts de recherche principaux. Pour comprendre
son envie d’aller à Bali, il faudrait comprendre de même son parcours
d’enseignant chercheur. À l’Université de São Paulo, Felisberto Sabino dispense
les cours de Théâtre de Formes Animées 1 et 2 et de Dramaturgie. Ses thématiques
favorites sont alors le masque et la marionnette. Il réalise des formations diverses

681
Le bumba-meu-boi et le maracatu sont deux folguedos brésiliens, fêtes religieuses dramatiques
dansées. Elles sont liées au syncrétisme religieux, mélangeant des croyances catholiques et celles des
religions afro-brésiliennes. Le maracatu est un folguedo typique de l’État de Pernambuco et le bumba-
meu-boi a lieu dans plusieurs endroits du pays, se concentrant dans les régions nord et nord-est.

589
aux Brésil et en France, notamment dans l’École Jaqcues Lecoq. Pendant l’année
2013, il a été professeur invité à l’Université de Kyoto.

590
ANNEXE 3
GLOSSAIRE

INTRODUCTION
Deux langues sont couramment employées à Bali, l’indonésien et le balinais.
L’anglais rudimentaire est également très répandu en fonction de la demande du
tourisme. L’indonésien est la langue officielle de la République indonésienne et
l’archipel compte avec environ 700 langues régionales, dont le balinais. Cette
langue emploie divers codes linguistiques et s’articule autour de trois modes : le
haut, la forme intermédiaire et le bas (brahmana, de ksatria et de wesia). De ce fait,
le mode linguistique dans lequel un Balinais s’exprimera suivra la « caste » de son
interlocuteur, ainsi que le contexte de cet échange. Un touriste à Bali est parfois
intrigué par la fréquence dont les Balinais posent la question : « Where are you
going? ». Cette habitude a certes une fonction de démontrer de l’intérêt et de
l’attention envers l’interlocuteur. Pourtant, elle est aussi une question
couramment posée entre Balinais que ne se connaissent pas. Selon la réponse de
l’interlocuteur, le locuteur saura de quelle classe il est et par conséquent, comment
se comporter envers lui. Un individu de caste inférieure, appartenant au peuple
(sudra), s’adressera à une personne de caste plus élevée en employant un haut
niveau de la langue, et recevra une réponse dans un niveau plus bas. Ce
mécanisme est présent dans la vie quotidienne, dans la littérature et dans les arts
scéniques.

La littérature balinaise s’inspire des modèles javanais et est rarement écrite en


balinais pur. Ces modèles sont composés de différents codes linguistiques : le
balinais, le javanais ancien, le javanais moyen, et le javanais moderne. Le kawi,
employé aujourd’hui par des acteurs de topeng et de gambuh, était d’usage poétique
et courant à Java et à Bali du XIIe au XVe siècle.

ALUS — Raffiné, fin, doux. Opposé à KASAR, grossier. Ce mot fait généralement
référence à des caractères dans les formes spectaculaires.

591
ARJA — Forme spectaculaire comique dansée, chantée et jouée. Ses origines
remontent au XIXe siècle.

AYAH — Travail communautaire cérémoniel, rémunéré de manière symbolique.

BALI AGA — Les communautés réputées être les premières, les plus anciennes à
Bali. Ils sont appelés « le peuple de montagnes », par les Balinais qui se prétendent
d’origine javanaise.

BALIAN — Guérisseur, magicien.

BANJAR — Association de quartier, collectivité de quartier, hameau.

BANTEN — Offrande

BARIS — Danse martiale masculine ayant différentes versions, configurations


rituelles et de divertissement. Le baris gede ou le baris pendet sont des formes
collectives et cérémonielles, tandis que le baris melapahan est dansé par un soliste
et d’abord dansé dans des occasions de divertissement.

BARONG — Nom générique qui nomme des créatures mythiques : Barong Ket,
Barong Bangkal, Barong Machan, Barong Lembu et Barong Asu. Le masque et le
costume sont animés par deux hommes.

BEBALI — Désignation des danses cérémonielles dansées dans la cour du milieu.


Elles se distinguent des danses WALI, considérées des véritables offrandes.

BENDESA — Le dirigeant de chaque village balinais organisé en section


coutumier.

BRAHMANA — Une des quatre wangsa ou « classe » à Bali. Ils sont les membres
du groupe aristocratique des pedanda, à savoir, ceux qui officient les rites.

592
BUANA — Univers, monde.

CALONARANG — Une forme spectaculaire qui représente l’histoire de la veuve


de Girah. Elle est nommée elle également Calonarang. Lorsque la veuve prend le
masque de RANGDA, elle déclenche un duel de sorciers. Peut être représenté avec
des marionnettes dans le wayang calonarang.

DALANG — Le marionnettiste ayant des valeurs de sacerdoce dans un cadre


cérémoniel.

DESA — Le village/le lieu.

DESA KALA PATRA — respectivement : Le lieu/le moment/l’occasion

GAMELAN – L’instrument collectif balinais, majoritairement des percussions,


ayant des formations diverses selon la cérémonie ou la manifestation artistique.

GURU — Professeur, enseignant.

JABA — À l’extérieur. C’est également le nom donné aux sudra, le peuple.

JERO — À l’intérieur. C’est le nom donné aux époux sudra/jaba des aristocrates.

JEROAN — La cour intérieure, celle plus à l’intérieur du temple.

KABUPATEN — Les régences à Bali.

KAJA — Vers l’amont, la montagne. Avec la direction KANGIN, c’est-à-dire le


levant, ces deux directions forment kaja-kagin, associés aux sources et au plus pur.

KALA — Le temps/le moment.

593
KARYA — Travail, notamment employé pour le travail lors d’un rituel.

KAWI — Langue ancienne, vieux javanais.

KEBYAR — Style de danse et de musique née aux années 1910.

KECAK (CAK) — D’abord, il s’agissait d’un cœur masculin qui accompagnait le


sanghyang dedari. Il a été chorégraphié et reformulé à partir des années 1930 étant
une des formes touristiques les plus présentées.

KELOD — Vers la mer. Associé à TEBEN, bas, inférieur.

KERAS – Fort, violent, abondant, dur, sévère, grave. L’idée de la polarité


masculine. Terme utilisé pour désigner tant le caractère d’un personnage comme
d’un mouvement.

LEGONG KERATON — Danse performée par deux jeunes danseuses. Son origine
remonte au XIXe siècle.

MAJAPAHIT — Royaume hindouiste javanais qui a dominé une partie de


l’archipel entre les XIIIe et XVe siècles. Avec l’avancée de l’islam dans l’archipel,
une partie de sa population serait déménagée à Bali au XVe siècle. Les Triwangsa
balinais revendiquent la descendance de Majapahit.

MANIS – Jolie, plaisant, doux, charmant, gentil, tendre. L’idée de la polarité


féminine. Terme utilisé pour désigner tant le caractère d’un personnage comme
d’un mouvement.

MERU — Une tour/autel.

MUDRA — Le geste.

594
NISKALA — Le monde/l’univers invisible.

NYEPI — Le premier jour du dixième mois Kedasa. Ils s’agit d’un jour de
méditation où personne ne censée sortir de sa maison.

ODALAN – Festival de célébration de l’anniversaire d’un temple.

PEDANDA — Le sarcerdoce brahmana.

PEMANGKU — Le sacerdoce affilié à un temple, sans forcement être du warna


brahmana.

PENASAR — Les serviteurs du roi. Le duo comique responsable pour la


construction de la narrative du topeng, comme dans d’autres formes
spectaculaires, faisant office de traducteurs du roi (Dalem).
Ils peuvent être nommés Penasar /Penasar Kelihan ou Wijil / Penasar Cenikan.

PREMBON — Mélange. Ce mot fait référence aux formes mélangées comme le


topeng prembon, où des éléments du topeng, de l’arja et d’autres formes
spectaculaires peuvent se mêler.

PURA — Temple. D’une manière générale, trois différents temples pura existent
dans les villages balinais : le pura puseh (temple des origines), le pura desa (temple
du village) et le pura dalem (temple des profondeurs, de l’intérieur, aussi appelé
temple de la mort).

PURI — Palais. La maison royale.

RANGDA — Voir CALONARANG.

SEKALA — Le monde visible. Les choses perçues par nos sens.

595
SENDRATARI — Danses dramatiques créées dans les années 1960 dans les
académies. Elles mélangent des éléments de diverses danses de l’archipel et ont été
créées pour atteindre un public étranger à l’île. Elles sont encore très populaires à
Bali.

SOLAH — Comportement.

SUDRA — Un individu appartenant au peuple.

TAPEL — Le masque.

TARI – La danse.

TARIAN – Le danseur.

TAKSU — Commument traduit par « présence de scène ». Inspiration divine. Pour


lus d’information, voire le chapitre 6.

TIRTA — L’eau lustrale consacrée par le pedanda ou le pemangku.

TRIWANGSA — Terme qui désigne les trois classes de l’aristocratie : brahmana,


satrya et wésia. Originellement, ces trois classes représentent respectivement les
sacerdoces, la noblesse et les guerriers/administrateurs des royaumes.

TOPENG – Ce qui se met sur le visage, le masque. Terme qui nomine également
les danses masquées traditionnelles tant à Java quant à Bali. À Madura, il existe
également une forme de topeng.

WALI — Offrande ou cérémonie pour les dieux (dewa yadnya).

596
WANGSA — Terme qui peut être traduit par : nation, peuple, tribu et famille. Un
synonyme est warga.

WARNA — Littéralement « couleur ». Terme employé comme synonyme de


WANGSA.

WAYANG KULIT — Théâtre d’ombres.

YADNYA — Sacrifice. Cérémonie où des rites des sacrifices se présentent. Il en


existe cinq types : dewa yadnya, aux divinités ; pitra yadnya, aux personnes décédées ;
manusa yadnya, aux personnes vivantes ; buta yadnya, aux forces et « démons », et
finalement, resi yadnya, aux prêtres.

MERARI – Danser.

GLOSSAIRE DE TERMES DE LA DANSE DU TOPENG KERAS

AGEM — Dans la danse balinaise, agem est la posture de base et également les
mouvements liés à cette base et qui sont réalisées sur place, sans déplacement.
L’agem marque le début puis la fin d’une phrase de danse.
La dichotomie keras/manis se manifeste également par ce biais : la jambe qui
soutient le corps est keras, tandis que l’autre qui touche le sol sans appuyer est
manis. L’agem peut être réalisé avec les jambes étirées ou fléchies. Si le poids du
corps sera alors porté par la jambe droite, il sera en agem kanan) ou par la jambe
gauche (l’agem kiri).
Cette position de base se définit par des épaules et des coudes levés, des poignets
un peu plus bas (celui qui correspond à la jambe keras est placé à hauteur du nez,
celui qui correspondant à la jambe manis étant au niveau du sein), et la tête est
tournée de 45° dans le sens de la jambe manis.

TANJEK — En agem kiri, s’il s’agit d’un tanjek kanan, la jambe gauche, avec une
forte impulsion de départ, sera lancée tendue, à gauche et à droite, avant de

597
reprendre sa position initiale. Au cours de ce mouvement, le pied gauche touchera
légèrement le sol à la fin, avant de revenir. Il est courbé et les orteils sont levés. Dès
la position initiale, il forme un angle de 45° avec le pied keras. Les mains
renforcent ce mouvement par un aller-retour autour de l’axe central de la colonne
vertébrale, en gardant les angles de l’agem.
TANJEK MANIS — En agem kiri plié, s’il s’agit d’un tanjek manis kanan, poser le
pied manis deux fois au sol, sans déplacer le poids en gardant la tête frontale. Au
moment de poser le pied au sol pour la troisième fois, changer d’agem en déplaçant
complètement le poids du corps. Alors, la tête se tournera de 45° vers la jambe
keras. En agem kanan plié, poser le pied manis deux fois au sol, sans déplacer le
poids. La tête reste à 45° vers la jambe keras. Au moment de poser le pied au sol
pour la troisième fois, changer d’agem en déplaçant complètement le poids du
corps. La tête retourne en position frontale et l’on revient à l’agem initial.

LES MARCHES
MAJALAN NAYOG (Baris) – La marche guerrière
JALAN /MAJALAN — Marcher
Marche de base de toutes les danses masculines, en spécial de la danse Baris. Il
s’agit d’une marche colorée avec quelques mouvements variés (nabdab gelung,
nabdab karna, nabdab gelung , etc) pour exprimer la grandeur, la majesté et
l’autorité.
En agem kanan plié avec la tête 45° vers la jambe keras, nous élevons la jambe manis,
le talon manis va en direction le genou keras, le pied manis touche le sol et avec une
impulsion très précise et tout un coup, nous changeons d’agem. Il faut élever au
maximum la jambe manis et être en plié maximum dans la jambe keras. La tête va
45° vers la jambe manis avec l’impulsion du pied. Les coudes se mouvront au
changement d’agem, mais les poignets resteront au niveau défini par l’agem : le
coud keras monte et le manis descend. Les pieds sont en flexion maximale par
rapport aux jambes.

MALPAL – Lutte, combat.

598
Il s’agit de la démarche de la danse Baris, effectuée rapidement. Il est nécessaire de
prendre soin de ne pas sauter à l’accélération du rythme de la marche. Plus en plié
possible, les jambes vont de l’intérieur à l’extérieur en petits pas. Le talon kiri
presque touche le malléole interne kanan avant d’aller en diagonal frontal. Les
orteils sont le plus haut possible. Parallèlement, la tête exécute l’elog, décrit au-
dessous, avec les yeux écarquillés.

NYREGSEG – Le pas nyregseg.


Cette marche se compose d’un déplacement consistant en six petits pas, 45° en
arrière, sur la pointe des pieds et les jambes pliées. Finir en agem par un tanjek.

LES ANGSEL
Il existe plusieurs sortes d’angsel dans la danse. Les angsels sont un des mouvements
qui demandent une accélération du gamelan. Le premier mouvement correspond à
un appui sur la jambe keras, le talon étant relevé et les coudes et les épaules
haussées. Il faut très bien marquer cet appui de la jambe keras. Nous débutons et
finissons les angsels en agem.

ANGSEL PENDEK
PENDEK — Court, bref.
L’angsel pendek est réalisé sans déplacement dans l’espace. Il s’agit de l’impulsion
décrite ci-dessus, achevée en agem plié.
ANGSEL KADO
KADO – En vain.
On commence par l’impulsion décrite ci-dessus. Si l’on est en agem kanan, quand
la jambe kiri manis touche le sol on effectue, très rapidement, un tanjek kanan et un
tanjek kiri, tous deux en plié. Immédiatement, on pivote vers la droite, pour ensuite
revenir en position frontale en agem kanan et terminer par un tanjek kiri.

ANGSEL TELU
TELU — Trois.

599
On commence par l’impulsion de l’angsel. Si l’on est en agem kanan, il faut faire
trois pas et terminer en agem kanan, en effectuant un tanjek kiri.

OYOD-OYOD — Sans déplacement, en suspension, ce mouvement correspond à


un balancement du poids entre les jambes droites et gauches. Il sera réalisé très
rapidement, les jambes étant fléchies.

MOUVEMENTS DES BRAS ET DES MAINS


NYAWIR — C’est un mouvement des bras et des mains. Placées au niveau de la
poitrine, les coudes étant levés, les mains suivent les directions diagonales à 45°
nord-est et nord-sud et, suivant une petite impulsion, les bras s’élèvent vers ces
directions. Les pouces et les index s’effleurent.

MATITIS — Ce mouvement revient à désigner la tête ou, plus précisément, la


couronne avec le majeur de la main gauche. Dans le matitis garuda, on indiquera la
tête avec les deux majeurs, chacun étant positionné d’un côté de la tête. Ce
toucher de couronne est réservé aux personnages nobles.

MOUVEMENTS DE LA TÊTE
ONGGET — L’ongget kanan s’effectue à partir de l’agem kiri. C’est un mouvement
rapide, comme un coup d’envoi sec, au cours duquel le coude gauche, les yeux
puis la tête se meuvent en diagonale, à 45° vers le nord, les genoux se plient et
reviennent à la position originelle agem kiri. L’ongget kiri est un mouvement
analogue, à ceci près que l’on partira, pour sa réalisation, de l’agem kanan. Dans
l’ongget, ce qui importe le plus est le mouvement du coude vers le haut et son
retour en impulsion. La tête accompagne le mouvement.

NGELOD – Aller vers la direction de la mer, descendre la montagne, aller vers la


direction kelod (sud).
Ce mouvement comporte une première partie manis et une deuxième partie keras :
la tête tombe de 45° vers la droite et se meut horizontalement (manis) jusqu’à son

600
brusque retour à la position d’origine (keras). Les yeux sont ouverts et le regard
accompagne le mouvement de la tête d’une façon très subtile.

NYEGUT-IN – La morsure.
Dans ce mouvement très précis, la tête, par une petite impulsion, est dirigée vers le
bas. Le regard se porte loin vers le bas en diagonale, avant de revenir vers le centre,
les yeux étant grands ouverts. Il existe également un double nyegut, lors duquel la
tête effectue deux petits mouvements vers le bas avant d’être ramenée vers le haut.

ELOG — La tête penche de 45° à droite et à gauche en restant frontale.

ENGGOT-AN — La tête se déplace horizontalement de droite à gauche, en


demeurant à la même hauteur.

SLEDET — Il s’agit d’un mouvement rapide, où les yeux puis la tête se meuvent en
diagonale, à 45° vers le nord, la gauche ou la droite.

MOUVEMENTS CHOREOGRAPHIQUES
BAPANG – Un type de tambour du gamelan balinais.
Partie de la danse accompagnée par le frappement du bapang, qui consiste en
quatre ou huit frappes dans une phrase mélodique (un gongan).

GAYAL-GAYAL – Partie de la danse dominée par les marches avec des pas en
swing, accompagné par une oscillation du corps vers les cotes gauche (kiri) et droite
(kanan).

MAJALAN TANJEK DUA – Mouvement de marche coloré par le pas modèle


précédent avec le poser du pied en tanjek.
NANGKIL – Être avec quelqu’un, apparaître avant.
Partie de la danse qui décrit un servant ou une servante face à son maître. Dans la
danse Legong du Palais (Lasem), la Condong exécute le nangkil.

601
NGARAS – Du mot aras qui signifie baiser, embrasser.
C’est la partie de la danse qui contient les mouvements de séduction ou de baise

NGIGELANG KEPET
NGIGELANG – Danser.
KEPET — Frapper, secouer, manipuler.
Morceau de la structure de la danse de la Condong du Legong Keraton qui contient
des mouvements de danse avec l’éventail après prendre deux fruits au sol.

NYAMBIR — Du mot sambir qui signifie kampuh : morceau de tissu utilisé pour
apporter des offrandes et/ou habille supérieure utilisé par les hommes.
Morceau de la structure de la danse du Topeng Dalem Arsawijaya qui contient les
mouvements de marche sur place, d’avancée et de retraite avec la deuxième main
tenant le kampuh.

OCAK-OCAKAN — Morceau de la structure de la danse Kekebyaran (Bebancihan)


qui contient un nombre de modèles de marches accompagnées d’une musique
dynamique. Comme dans le cas du Mergapati, cette partie apparaît normalement
au milieu de la danse.

PANYEMBRANA — Morceau de la danse de bienvenu, coloré par des


mouvements de la main au thorax, nyakup bawa (nyakup bring), qui expriment le
respect.

NYAKUP — Action de tenir ou frapper les mains ensemble, en signe de respect.

BAWA — Expression, visage brillant.

PEPESON – Du mot pesu, qui signifie sortir.


Ce morceau commence lorsqu’un nouveau danseur rentre ou part de l’entrée, a
fin de commencer une danse.

602
PENGADENG – Du mot adeng, qui signifie lente.
Ce morceau est dirigé par une musique lente. Normalement, il est contrasté par
des morceaux suivies d’une musique très rapide, par exemple le bapang becat
(rapide) et le bapang adeng (lent)

PENGAWAK — Du mot awak, qui signifie corps.


Cette structure donne forme à la partie principale, qui continent une large gamme
de mouvements formels et complexes.

PENGECET — Morceau de la danse qui contient des mouvements énergétiques et


dynamiques. Normalement, le pengecet est lié au pengawak.

PENGIPUK – Du mot ipuk, qui signifie séduction ou flatterie.


Le pengipuk comprend les mouvements qui décrivent être tenté ou être séduisant
ou le flirt, tant que à soi-même que avec un autre pair.

PEKKAD – Dans la langue balinaise, le mot makaad signifie aller et pakkad


l’événement du départ. Normalement, ce morceau clôt la danse.

PESIAT – Du mot siat, qui signifie la guerre. Morceau de la danse qui contient des
scènes de guerre jouées immédiatement avant la fin.

TANGKEP – 1. L’énergie. 2. La danse en accord avec la musique, se porter


correctement. Terme qui rassemble tous les types d’expression dramatique du
visage utilisés pour faire vivre et pour exprimer les mouvements de la danse.

603
ANNEXE 4
TABLEAU COMPARATIF :

Entre texte Sur le théâtre balinais et le manuscrit rédigé par Antonin Artaud.

SUR LE THÉÂTRE BALINAIS MANUSCRIT DACTILOGRAPHIÉ

ARTAUD, Antonin, Le Théâtre et son Bibliothèque National de France


double, Paris: Gallimard, 1985.

p. 87 f. 6
Et par langage je n’entends pas l’idiôme
Et par langage je n’entends pas parlé par les acteurs de ce spectacle au
l ’ i d i o m e a u p r e m i e r a b o r d premier abord insaisissable,
insaisissable,
p. 88 f.6

(...) après creusés même à l’esprit ! (...) après creusés même à l’esprit !

¶ ¶

Il y a là tout un amas (...) Et à quoi aboutit cette formidable


intellectualité, on pourrait dire intuitive
puisqu’elle n’aboutit à aucune donné
absolument précise et claire, puisqu’elle ne
comble pas la raison?
Rien de plus abstrait au fond de ce théâtre
qui fait fi du langage, qui se crée à soi-
même son langage d’attitudes et de signes,
qui meuble l’air d’hiéroglyphes vécus.
La gesticulation des Balinais!

Il y a là tout un amas (...)

p.89 f.7
C’est bien en fin de compte cette
impression de Vie Supérieure et C’est bien en fin de compte cette
dictée, qui est ce qui nous frappe le impression d’intellectualisme supérieur,
plus dans ce spectacle pareil à un rite dont les gestes de théâtre ne semblent plus
qu’on a profanerait. que les reflets, qui est ce qui nous frappe le
plus dans ce spectacle pareil à un rite qu’on
a profanerait.
p. 91 f. 9
La prodigieuse mathématique de ce
spectacle a mise à part (...)

604
L’intellectualité massive de ce spectacle a
mise à part (...)

p. 92 f. 10

............................. ................................

Un amas de sensations d’un


foisonnement et d’une richesse inouïe
arrivent sur nous, dont on ne sait pas
quelle partie de la sensibilité ou de
l’intellect les classer ou les introduire.
Cette spontanéité du plaisir et de la
sensation ne joue pas ici à plein et tout de
suite. Le spectacle du théâtre Balinais
parle un langage de mouvement et de
signes, qui semble avoir pour but de
remplacer ce qui appartient en général
aux mots.

Il y a un bourdonnement grave de choses


de l’instinct dans ce théâtre

Il y a un bourdonnement grave de
choses de l’instinct dans ce théâtre

p. 93 f. 10

elles semblent nous rendre d’une elles semblent nous rendre d’une manière
manière physique quelques-unes des physique quelques-unes des perceptions le
perceptions le plus secrètes de l’esprit. plus secrètes de l’esprit. Le théâtre Balinais
nous donne l’impression du théâtre pur
¶ en ce sens qu’il supprime l’auteur, que
Les thèmes proposés partent on derrière l’ordonnateur de ce merveilleux
pourrait dire de la scène (...) ensemble de manifestations scéniques, on
ne sent pas la présence d’un certain
nombre de thèmes apportés par ce qui
dans notre théâtre occidental moderne
correspond en général à l’auteur, mais
c’est cet ordonnateur, ou si l’on veut ce
metteur en scène, qui est lui-même son
propre auteur, son propre créateur,
travaillant avec des moyens exclusivement

605
scéniques et objectifs. Les thèmes proposés
partent on pourrait dire de la scène (...)

p.93 f.10

(...) de ce globe fermé et limité du (...) de ce globe fermé et limité du plateau.


plateau.


Ils vivent sur la scène comme dans leur
Ce s p e c ta cl e n o u s d o nn e un élément, hors duquel on a le sentiment
merveilleux composé d’images très net qu’ils périraient.
scéniques pures,

Ce spectacle nous donne un merveilleux


composé d’images scéniques pures,

p. 93 f. 10

(...) les acteurs avec leurs costumes (...) les acteurs avec leurs costumes
composent de véritables hiéroglyphes composent de véritables hiéroglyphes à
à trois dimensions qui vivent et se trois dimensions qui vivant et se mouvant.
meuvent.

p. 93 f.11

(...) de signes mystérieux qui (...) de signes mystérieux qui correspondent


correspondent à l’on ne sait quelle à l’on ne sait quelle réalité intellectuelle
réalité fabuleuse et obscure que nous obscure, et que nous autres, gens
autres, gens d’Occident, avons d’occident, avons définitivement refoulée.
définitivement refoulée.

p. 94 f.11

(...) pour l’élucidation de thèmes les (...) pour l’élucidation de thèmes les plus
plus abstraits; - et qu’elle invente un abstraits; - et même mieux que cela il
langage des gestes fait pour évoluer invente un langage des gestes fait pour
(...) évoluer (...)

p. 94 f.11

Car à côté d’un sens aigu de la beauté Car à côté d’un sens aigu et qui ne se
plastique ces gestes ont toujours pour dément jamais de la beauté des gestes
but final l’élucidation d’un état ou plastiques pris à tous les points de la
d’un problème de l’esprit. perspective du plateau, ces gestes à travers
une multitude inouïe d’évocations de
choses naturelles, ont toujours pour but
final l’élucidation d’un état ou d’un
problème de l’esprit.

606
p. 91 f. 12

Dans ce théâtre toute création vient Dans ce théâtre toute création vient de la
de la scène, trouve sa traduction et ses scène, toute conception passe à l’état
origines même dans une impulsion psychique, trouve sa traduction et ses
psychique origines même dans une impulsion
psychique secrète qui est la Parole d’avant
les mots.

607
ANNEXE 5
VIDEOS

VIDÉO 1
TOPENG PAJEGAN (quelques extraits)
Cette vidéo réunit des extraits de quelques présentations de topeng pajegan, filmés
en 2011, lors de cérémonies diverses.

VIDÉO 2
DÉMONSTRATIONS DE MASQUES DU TOPENG par I Made Bandem
I Made Bandem présente quelques masques du topeng : Topeng Sidhakarya,
Topeng keras, Topeng dalem, Bondres Bendesa, Bondres.

VIDÉO 3
LA COSMOLOGIE ET LE CORPS : Les rapports entre le corps humain dansé
et la cartographie cosmique balinaise
Les principes d’orientation sont des notions importantes et très développées dans
la pensée et dans le quotidien balinais. Dans cette vidéo, j’essaye d’articuler
quelques rapports entre le corps du danseur et les directions sacrées.

VIDÉO 4
TRANSMISSION ET APPRENTISSAGE DU RÉPERTOIRE VOCAL
BALINAIS
Extraits de l’enseignement vocal dispensé par Ni Nyoman Candri.

VIDÉO 5
Comment pensez-vous le Brésil dans ce binôme Orient/Occident ?
Extraits des entretiens d’Ana Teixeira et Felisberto Sabino, lors de confrontation à
la question : Comment pensez-vous le Brésil dans ce binôme Orient/Occident ?

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