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LES CAHIERS DE LA CAMBRE

ARCHITECTURE N°8

La Cité administrative de l’État


Schémas directeurs et action publique à Bruxelles

THE STATE ADMINISTRATION CITY


2
Michel Hubert, La Cité administrative de l’État (1958-?), 2008
Les Cahiers de La Cambre – Architecture
Nouvelle série, n° 8, janvier 2009

Publication de l’Institut supérieur d’architecture de la Communauté française – La Cambre


19 place Flagey, B-1050 Bruxelles
T : +32 2 640 96 96 / F : +32 2 647 46 55 / E : isacf.cahier@lacambre-archi.be
www.lacambre-archi.org

Direction de ce numéro
Florence Delmotte et Michel Hubert

Comité de rédaction
Bernard Deprez, Jean-Louis Genard, Maurizio Cohen et Guy Pilate

Traduction
Laura Austrums, AdK Translations et Florence Delmotte

Conception graphique
La Lettre volée, Bruxelles

Crédits photographiques
Couverture : Michel Hubert, La Cité administrative de l’État (1958-?), juillet 2008.

Cette publication a reçu le soutien du ministère de la Communauté française de Belgique, du ministère de la


Recherche scientifique de la Région de Bruxelles-Capitale et du programme « Prospective Research for Brussels ».

© 2009 ISACF – La Cambre et La Lettre volée


La Lettre volée
T/F : + 32 2 512 02 88 / E : lettre.volee@skynet.be
www.lettrevolee.com

Les opinions émises n’engagent que leurs auteurs.


LES CAHIERS DE LA CAMBRE
ARCHITECTURE N°8

La Cité administrative de l’État


Schémas directeurs et action publique à Bruxelles

T H E S T A T E A D M I N I S T R A T I V E C I T Y
Sommaire

Florence Delmotte et Michel Hubert


Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

Première partie – De la Cité administrative de l’État


au schéma directeur « Botanique » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Michel Hubert
Chapitre premier – Un passé bien présent
Le site de la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme bruxellois . . . . . . . 14
Olivier Paye
Chapitre II – Le schéma directeur, un nouvel instrument régional d’action publique
Des principes généraux à leur première mise en œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Benoit Moritz
Chapitre III – L’élaboration du schéma directeur « Botanique », vue de l’intérieur. . . . 102
Florence Delmotte, Ludivine Damay, Philippe Huynen et Christine Schaut
Chapitre IV – L’histoire du projet au fil des débats publics . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122

Deuxième partie – Regards croisés sur l’action publique urbaine,


ses nouveaux outils, acteurs et enjeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161

Ludivine Damay et Florence Delmotte


Chapitre V – Une expérience bruxelloise entre gouvernance et participation . . . . . . . 162
Jean-Louis Genard et Christine Schaut
Chapitre VI – La tour et la dalle : analyse d’une controverse . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184
Mathieu Berger, Florence Delmotte, Julie Denef et Abdelfattah Touzri
Chapitre VII – Voies et voix de la gare de l’Ouest . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
An Descheemaeker
Chapitre VIII – Tour et Taxis
ou les ambivalences de l’urbanisme participatif à Bruxelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240
Vincent Calay
Chapitre IX – Ville-quartier ou ville-monde ? Le schéma directeur du quartier européen
comme mise à l’épreuve de l’urbanité de la ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256
Kristof Van Assche
Chapitre X – Rassemblez les citoyens et intégrez-les !
Des théories aux pratiques de l’urbanisme participatif aux États-Unis et en Europe . . . 279

Florence Delmotte et Michel Hubert


Des enjeux pour la ville et l’action publique à Bruxelles
Réflexions conclusives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299

English translations and abstracts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311


Les auteurs / The authors . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317
Introduction

Florence Delmotte et Michel Hubert

Fafit assez rare pour être souligné, le présent ouvrage 1 est le fruit d’une recherche authen-
tiquement collective et qui n’a pas été menée sur commande. L’initiative en revient au Réseau
interdisciplinaire de recherche sur Bruxelles des Facultés universitaires Saint-Louis 2 qui, après
un travail similaire sur la crise du logement à Bruxelles 3, souhaitait fin 2005 se pencher sur
les mutations de l’urbanisme bruxellois. L’inauguration, pour le site de la Cité administrative
de l’État (CAÉ) jouxtant les Facultés, d’un nouvel outil régional d’action publique, le « schéma
directeur », représentait dès lors une occasion rêvée. Cet outil, dont la mise en œuvre est au
centre de ce travail, est, en effet, destiné à devenir l’instrument privilégié pour orienter l’amé-
nagement des « zones leviers » régionales, définies dans le plan régional de développement
(PRD) de 2002 comme des territoires « qui conjuguent de fortes possibilités d’attraction rési-
dentielle avec d’autres dimensions du développement futur de la région 4 ».
Peu utilisée à Bruxelles jusque-là 5, la notion de « schéma » (à valeur « indicative ») émerge
en Belgique et à l’étranger dans le courant des années 1980, dans le cadre d’initiatives qui
sont d’abord communales, et s’oppose à la notion de « plan » (à valeur « réglementaire »),
dont elle vise à remédier à certains défauts — en particulier leur manque de souplesse et,
partant, leur inaptitude de plus en plus manifeste à appréhender le caractère évolutif de
l’urbanisme et de l’aménagement du territoire contemporains. Les « schémas » ou autres « schémas
directeurs » sont ainsi, depuis plus de vingt ans, considérés comme des « plans de la deuxième
génération », qui renvoient à une planification « opérationnelle ou active » et révèlent l’impor-
tance de la dimension « politique », notamment parce que, le plus souvent, ils ne concernent
pas seulement l’aménagement du territoire proprement dit mais « s’aventurent dans des domaines
propres à l’économie, au social ou à l’environnement 6 ». L’originalité de ce type d’outil est
de ne pas se contenter de proposer un programme de développement théorique, « sur papier »,
mais de viser à en établir la faisabilité, en examinant en particulier « les moyens opéra-
tionnels (leviers d’action, programmes, outils existants ou à créer, etc.), les moyens financiers,
les acteurs et leur nécessaire coordination, ainsi qu’un phasage réaliste des travaux à mener 7 ».
En ce sens, le schéma directeur reflète bien le souci du plan régional de développement
d’« accorder une attention particulière [aux] processus d’élaboration et à la capacité de

6 F l or e nc e D el m ot te et Mi chel Hubert
mobilisation des acteurs » et de chercher à établir des « coalitions de développement réunis-
sant autour d’objectifs communs les habitants et les acteurs politiques, économiques,
administratifs, associatifs et académiques 8 ».
A-t-on bien affaire, avec l’outil « schéma directeur », à un « urbanisme à pensée faible »
typique de l’« imaginaire aménageur postmoderne »9, à un « urbanisme réflexif 10 », ou encore
à un « urbanisme de projet » plus « contextuel », qui suppose au minimum un débat public
voire s’accompagne de l’inclusion dans la procédure d’élaboration, en amont donc de la
définition du projet, des acteurs concernés afin que ceux-ci s’impliquent comme partenaires
ou adhèrent simplement aux décisions à prendre 11 ? Telles étaient les questions que nous
nous posions au départ de cette recherche. Ces questions paraissaient d’autant plus perti-
nentes que le ministre-président Charles Picqué, à la tête du nouveau gouvernement régional
(2004), avait décidé d’insérer la « participation des habitants », considérée comme un « prin-
cipe essentiel de la démarche intégrée de développement local 12 », au sein de ce nouvel
instrument que devait constituer le schéma directeur, et d’attribuer au Brusselse Raad voor
het leefmilieu (BRAL) et à Inter-Environnement Bruxelles (IEB) une mission d’organisation de
la concertation avec les habitants au sujet de plusieurs schémas directeurs, en particulier les
schémas directeurs « Botanique », « Tour et Taxis », « gare de l’Ouest » et « Europe », qui sont
étudiés dans cet ouvrage.
Tout cela se passe alors que le premier projet de réaménagement de la place Flagey se
voit contesté au point de susciter une importante mobilisation citoyenne autour d’un « concours
à idées » 13 et que les pouvoirs publics échouent à dessiner l’avenir de deux sites majeurs
pour le développement de Bruxelles : Tour et Taxis et le quartier européen. Se trouve-t-on
pour autant à un tournant de l’urbanisme bruxellois comme d’aucuns l’estiment 14 ? Depuis
1995 et l’occupation de l’hôtel Central, situé face à la Bourse dans le centre de Bruxelles,
certains signes avant-coureurs, dont l’émergence d’acteurs informels d’un genre nouveau 15,
semblent accréditer cette hypothèse. Quoi qu’il en soit, le questionnement de celle-ci est en
filigrane de plusieurs des contributions proposées dans ce qui suit.
Quant à la dynamique de recherche qui a conduit au présent ouvrage, lequel n’est donc
pas une simple compilation d’études ou de réflexions portant sur des sujets proches, elle
trouve sa source dans un séminaire organisé en 2005 aux FUSL par le Réseau interdisci-
plinaire de recherche sur Bruxelles et consacré au thème de la proximité. Il abordait, entre
autres, le problème suivant : comment des acteurs divers peuvent-ils se rapprocher, s’inter-
connecter autour de territoires tels que ceux qui allaient faire l’objet de schémas directeurs
et comment cela influe-t-il sur la manière dont ces territoires peuvent être régulés ? Une approche

Introduction 7
centrée sur le concept de gouvernance allait ainsi nous servir de premier cadre d’analyse
dans la mesure où, à la différence de la communauté politique des citoyens, la communauté
d’action publique unie par la gouvernance n’est pas définie a priori. Cette piste semblait
pertinente dès lors que les territoires envisagés, même s’ils font l’objet d’une reconnaissance
juridique en tant que zone levier ou en tant que zone d’intérêt régional, ne correspondent
pas au découpage institutionnel classique. En effet, les possibilités de participation ne repo-
sent pas seulement ici sur des titres juridiques mais aussi sur des « autorisations pratiques à
agir », à conquérir sur la base d’actions volontaires par les « parties prenantes » (« intéres-
sées » ou « impliquées »). C’est d’ailleurs pourquoi il a semblé nécessaire de mettre en place
des dispositifs de construction de confiance, d’apprentissage mutuel et de microconsensus
opérationnels dans une mise en coalition des différents acteurs qui donne priorité aux « effets
d’entraînement (collectif) 16 ».
Ce qui nous importait était donc de partir de l’analyse de situations — et pas seulement
des intentions réelles ou supposées des acteurs — et de nous intéresser « à la production et
à la mise en œuvre des règles du jeu dans des situations urbaines complexes 17 ». Nous nous
sommes ainsi attachés à l’examen d’un certain nombre de questions concrètes. Celle d’abord
de la définition des périmètres dans lesquels les schémas directeurs devaient être élaborés.
Celle ensuite de la désignation, de la sélection, de l’entrée en jeu et du rôle des différentes
« parties concernées » dans les processus d’élaboration des schémas directeurs et, au-delà,
dans la dynamique de constitution des éventuelles coalitions de développement, ainsi que
de l’échelle (locale, régionale, métropolitaine…) à laquelle les différents acteurs situaient
leurs interventions. Celle encore des « opérateurs (individuels et collectifs) de rapprochement »
entre acteurs et des différentes ressources (dans leur diversité et leur inégale répartition) à
la disposition des acteurs. Celle, enfin, des procédures formelles et informelles mises en
place pour impliquer des acteurs aux ressources différentes, et des techniques de commu-
nication et d’information utilisées pour ce faire. Avec, en toile de fond, cette interrogation
cruciale pour la Région de Bruxelles-Capitale : comment faire de ces sites de véritables
zones leviers pour le développement régional sans porter préjudice aux populations souvent
fragilisées qui les entourent et tout en permettant une participation citoyenne qui soit à la
hauteur des enjeux ?
En novembre 2005, l’importance et l’actualité que ces préoccupations nous semblaient
revêtir nous amenèrent à déposer un premier projet de recherche qui leur était spécifique-
ment consacré auprès de l’administration bruxelloise de l’Aménagement du territoire et du
Logement en vue d’un soutien financier et, surtout, d’avoir accès, comme observateurs, à

8 F l or e nc e D el m ot te et Mi chel Hubert
certains lieux de la négociation (par exemple, le comité d’accompagnement du futur schéma
directeur « Botanique »). Notre proposition déboucha sur une fin de non-recevoir, à la fois
parce que le dispositif d’accompagnement des premiers schémas directeurs avait déjà fait
l’objet d’une difficile mise au point que les responsables administratifs et politiques ne comp-
taient pas renégocier avec notre arrivée, et sans doute aussi parce que nos interlocuteurs ne
souhaitaient pas voir ces premières expériences observées et analysées par des tiers.
Qu’à cela ne tienne, nous allions poursuivre nos travaux avec nos propres ressources. Le
Réseau interdisciplinaire de recherche sur Bruxelles s’est alors ouvert à d’autres partenaires
pour constituer un groupe de recherche informel baptisé « Groep Levier », avant tout dési-
reux de suivre de près la mise en œuvre des premiers schémas directeurs en Région bruxelloise 18.
Les réflexions en cours suscitèrent à ce point l’intérêt qu’une trentaine de personnes rejoi-
gnirent les membres du noyau dur des FUSL, « chercheurs » (qu’ils soient professeurs, assistants,
doctorants, étudiants…) issus de plusieurs universités (FUSL, ULB, VUB, UCL, KUL, Fucam) et
d’écoles d’architecture (La Cambre, Sint-Lukas) francophones et flamandes, et « acteurs asso-
ciatifs », en particulier ceux (au sein du BRAL et d’IEB) chargés d’organiser la participation
autour de l’élaboration des schémas directeurs déjà prévus. Ce groupe réunissait ainsi un
grand nombre de compétences, théoriques et pratiques, relevant de disciplines aussi diverses
que la sociologie, la science politique, la géographie, la philosophie, l’urbanisme ou le
développement territorial.
La raison d’être du « Groep Levier » fut d’abord de constituer, tout au long de la dizaine
de réunions organisées à ce jour, un lieu d’échange d’informations sur l’actualité des sites
étudiés et de débat à la suite de lectures ou d’interventions d’acteurs clés (bureaux d’études,
responsables politiques…) que nous invitions à notre table. De manière tout aussi inédite, il
permit ensuite de faire se rencontrer les travaux (notamment doctoraux et post-doctoraux)
menés auparavant de manière isolée et de mettre en commun leurs apports. Outre cet effort
collectif réalisé en séances plénières, des groupes de travail se mirent rapidement sur pied
pour étudier de plus près l’élaboration des schémas directeurs concernant les différents sites
et se partager les tâches relatives au recueil des informations, à l’observation des réunions
publiques et aux entretiens avec les participants aux processus en cours.
Au moins au début, notre présence à certaines réunions en tant que membres du Groep
Levier, en particulier à celles qui nécessitaient une invitation, ne manqua pas de susciter,
selon les cas, étonnement (Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils là ?), prudence (Faut-il les autoriser
à participer aux réunions ? Ne risquent-ils pas d’être en surnombre ou dans une position de
surplomb par rapport aux participants « ordinaires » ? Quel rôle leur donner ?), méfiance

Introduction 9
(Que vont-ils écrire sur nous ?), mais aussi sympathie vis-à-vis d’universitaires désireux de
collaborer avec les acteurs locaux et de leur apporter soutien et compétences — quitte à
nourrir des attentes parfois démesurées…
Une autre difficulté de ce genre de travail mené d’initiative réside dans la coordination
des agendas et des activités de recherche, quand la plupart des membres du « Groep Levier »
le sont sans disposer de temps et de moyens spécifiques pour contribuer à l’avancement des
travaux. À cet égard, l’inscription de notre recherche à partir de janvier 2007 dans le cadre
du programme « Prospective research for Brussels » de la Région de Bruxelles-Capitale fut
décisive puisqu’elle permit d’engager une chercheuse post-doctorante à temps plein sur le
projet et comme co-animatrice du « Groep levier » et coordinatrice supplémentaire de ses
activités, dont la réalisation de ce livre, décidée peu après.
Mais avant tout, l’ouvrage doit bien sûr beaucoup à tous ceux qui acceptèrent d’y contri-
buer et d’apporter leur pierre à la première concrétisation d’envergure du travail mené
collectivement depuis trois ans. Le pari, ici, était double : conserver une unité de propos tout
en valorisant le pluralisme des approches. Ainsi, il s’agissait de maintenir un fil conducteur
autour d’un objet — la CAÉ et les premiers schémas directeurs — et de ses enjeux pour la
ville et l’action publique à Bruxelles. Mais il s’agissait aussi d’honorer la diversité des points
de vue, présente dès le départ dans le projet du Groep Levier, ouvert aux acteurs et aux
professionnels de l’urbanisme et de la participation, à leur réflexion et à leur critique propres.
Il s’agissait, enfin, de respecter et de mettre en valeur la diversité des méthodes, des grilles
d’analyse et des référents théoriques.
Le livre comporte deux parties. La première est entièrement consacrée au schéma direc-
teur « Botanique » (qui couvre principalement l’ancienne Cité administrative de l’État). Elle
expose d’abord les principaux éléments historiques qui ont précédé et nourri ce schéma
directeur et une mise en contexte de ce nouveau dispositif. Elle offre aussi une présentation
du schéma et de sa conception par son principal auteur ainsi qu’une reconstruction de la
procédure d’élaboration à travers son volet public, par lequel les « habitants » ont été asso-
ciés à l’histoire du projet. Au-delà du cas de la Cité administrative, l’ouvrage propose, dans
une seconde partie, une analyse croisée des enjeux urbanistiques et démocratiques que
soulève, pour la Région bruxelloise dans son ensemble, l’expérience de différents schémas
directeurs (le schéma directeur « Botanique » mais aussi les schémas directeurs « Tour et Taxis »,
« gare de l’Ouest » et « Europe » ou « quartier européen »). Sont alors mis en question les
divers aspects — esthétiques, théoriques, politiques et sociaux — que recèlent l’urbanisme
procédural et participatif et les instruments mis à son service. L’ensemble débouche ainsi

10 F l or e nc e D el m ot te et Mi chel Hubert
sur la tentative d’un premier bilan sur les schémas directeurs, quelques mois à peine après
l’adoption des premiers, alors que certains des projets concernés entrent dans une phase
de planification plus « classique » et que les premières réalisations concrètes ne représentent
encore qu’un lointain horizon… et un possible parmi d’autres.

1. La publication de cet ouvrage a bénéficié d’un subside 5. Seule la procédure de préparation des « contrats de
du ministre de la Recherche scientifique de la Région de quartier » prévoit la mise au point d’un « schéma direc-
Bruxelles-Capitale, ainsi que du soutien du programme teur » précisant la nature des opérations et le calendrier
« Prospective Research for Brussels » (Institut d’encoura- annuel de leur réalisation (art. 5 de l’ordonnance du
gement de la recherche scientifique et de l’innovation 7 octobre 1993 organique de la revitalisation des
de Bruxelles). quartiers).
2. Ce réseau s’est mué en 2008 en Institut de recherche 6. Bernard PÂQUES, Aménagement du territoire : plani-
interdisciplinaire sur Bruxelles (IRIB). Il associe différents fication, Facultés universitaires Saint-Louis, notes pour le
centres de recherche et chercheurs dont les travaux portent DES en droit de l’environnement, 2005, p. 7 sqq.
sur plusieurs aspects importants de la problématique 7. Cahier spécial des charges relatif à l’élaboration du
bruxelloise et qui sont désireux de mettre, de manière schéma directeur de la zone levier n° 6 « Botanique »,
coordonnée et interdisciplinaire, leurs compétences au p. 11.
service de recherches sur Bruxelles. Voir le site Internet 8. PRD, Conditions transversales de mise en œuvre du
de l’IRIB : www.fusl.ac.be/irib. projet de ville, 2002, p. 5-6.
3. Nicolas BERNARD et Werner VAN MIEGHEM (s.l.d.), 9. « Une pensée faible est une pensée devenue plus incer-
La Crise du logement à Bruxelles : problème d’accès et / ou taine, plus complexe, moins systématique et par-là même
de pénurie ?, Bruxelles, Bruylant, 2005. moins polémique, moins constituée en doctrine » (Yves
4. Région de Bruxelles-Capitale, Plan régional de déve- CHALAS, L’Invention de la ville, Paris, Anthropos, 2000,
loppement (PRD), 1. Attractivité résidentielle, 2002, p. 18. p. 152).

Introduction 11
10. Voir, notamment, François ASCHER, Les Nouveaux cadre de BRXLBRAVO le 2 mars 2007, la troisième saison
Principes de l’urbanisme. La fin des villes n’est pas à l’ordre des conférences l’Institut bruxellois d’architecture (IBAI)
du jour, La Tour d’Aigues, L’Aube, « Poche essai », 2004 en mai 2008 et une journée d’études de l’UAB Brussels
(2001) et Alain BOURDIN et Ariella MASBOUNGI (s.l.d.), Stadsplatform le 13 juin 2008.
Un urbanisme des modes de vie, Paris, Le Moniteur, 2004. 15. Jacqueline GROTH et Éric CORIJN, « Reclaiming
11. Alain AVITABILE, « Le projet urbain : une culture du Urbanity: Indeterminate Spaces, Informal Actors and Urban
territoire et de l’action urbaine » in Yves CHALAS (s.l.d.), Agenda Setting. A Case Study in Helsinki, Brussels and
L’Imaginaire aménageur en mutation. Cadres et référents Berlin », Urban Studies, vol. XLII, n° 3, 2005, p. 511-534.
nouveaux de la pensée et de l’action urbanistiques, Paris, 16. Cette perspective théorique a été introduite, dans le
L’Harmattan, 2004, p. 27-58. séminaire, par Olivier Paye et Ludivine Damay. Voir
12. PRD, Priorité 4, section 3.1. notamment : Patrick LE GALÈS (s.l.d.), Gouvernement et
13. Voir Les Cahiers de La Cambre – Architecture, n° 3, gouvernance des territoires, Paris, La Documentation fran-
« De la participation urbaine. La place Flagey », Bruxelles, çaise, 2006 ; Jean-Philippe LERESCHE, « Gouvernance
La Lettre volée, 2005. et coordination des politiques publiques » in Jean-
14. Benoit Moritz, auteur principal des schémas direc- Philippe LERESCHE (s.l.d.), Gouvernance locale,
teurs « Botanique » et « Tour et Taxis » et rédacteur du coopération et légitimité. Le cas suisse dans une pers-
chapitre III du présent ouvrage, parle d’un « deuxième pective comparée, Paris, Pédone, 2001 ; Olivier PAYE,
tournant » (voir Christophe MERCIER et Benoit MORITZ, « La gouvernance : d’une notion polysémique à un concept
« Logements publics : du “nimbysme” au “wimbysme” ? », politologique », Études internationales, vol. XXXVI, n° 1,
La Revue nouvelle, Bruxelles, février 2008, p. 77-88 ) mars 2005, p. 13-40 ; Gerry STOKER, « Cinq proposi-
en référence au livre de Jacques ARON (Le Tournant de tions pour une théorie de la gouvernance », RISS,
l’urbanisme bruxellois. 1958-1978, Bruxelles, Fondation n° 155, mars 1998, p. 19-30.
Joseph Jacqmotte, 1978) rendant compte de ce qui aurait 17. Alain BOURDIN, Marie-Pierre LEFEUVRE et Patrice
été le « premier tournant » dans les années 1960-1970. MELÉ (s.l.d.), Les Règles du jeu urbain. Entre droit et
Différents moments de débat ont été organisés à Bruxelles confiance, Paris, Descartes & Cie, 2006, p. 14.
autour de cette question, notamment une soirée dans le 18. Voir www.fusl.ac.be/gl.
Première partie / De la Cité administrative
de l’État au schéma directeur « Botanique »
Chapitre premier
Un passé bien présent
Le site de la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme bruxellois

Michel Hubert 1

L’objet de ce premier chapitre est à la fois de retracer l’histoire du site de la Cité adminis-
trative de l’État et de mettre en évidence un certain nombre de thématiques déjà apparues
dans le passé et qui ont refait surface à l’occasion de l’élaboration du schéma directeur
« Botanique », lequel sera exposé en détail dans les chapitres suivants. Malgré son nom 2,
l’enjeu central et premier de ce schéma directeur est bien, en effet, le réaménagement de
l’ancienne Cité administrative de l’État et son articulation avec les espaces environnants, en
premier lieu desquels figure le parc du Jardin botanique 3.
Situé à flanc de coteau, orienté à l’ouest, le site de la Cité administrative de l’État, d’une
longueur d’environ 600 mètres sur 100 (soit un sixième de la longueur nord-sud du penta-
gone qui constitue le centre de Bruxelles), est bordé au nord par la petite ceinture (boulevard
périphérique qui entoure le Pentagone) et le Jardin botanique, à l’est par le quartier Notre-
Dame aux Neiges, à l’ouest par ce qui reste du quartier dit des «Bas-Fonds» (composé aujourd’hui
de logements sociaux, de bâtiments administratifs, d’établissements scolaires, d’une univer-
sité, d’un hôpital…) et au sud par une série de bâtiments administratifs (principalement la
Banque nationale). L’ensemble (en ce compris la tour des Finances) représente 6,42 hectares.
Les transformations successives du quartier où se situe actuellement la Cité administrative
de l’État sont particulièrement exemplaires des mutations urbaines qu’a connues Bruxelles,
depuis son accession au statut de capitale de l’État-nation belge jusqu’à la crise institution-
nelle et identitaire actuelle 4. C’est aussi ce qui justifie que l’on s’y intéresse ici.

Des controverses dès l’origine du quartier

La connexion de la rue Royale avec les Bas-Fonds et l’émergence de la question du panorama 5

Au début du XIXe siècle, Bruxelles est encore enserrée dans les limites de ses remparts et séparée
des villages environnants par de vastes zones non bâties. L’industrialisation accélérée, tout

14 Mi c h el H ub er t
Fig. 1. Plan de la situation de la Cité administrative. (Source : MSA-Lion.)

d’abord autour du canal, fait sortir la ville de ses limites. L’urbanisation du quartier qui nous
intéresse a débuté avec la décision, prise en 1821, de prolonger la rue Royale vers la porte
de Schaerbeek, en amputant et en remblayant partiellement le grand jardin du couvent des
Oratoriens qui se trouvait à cet endroit et donnait un aspect champêtre à tout l’espace situé
entre la place de Louvain et le futur boulevard Adolphe Max (Fig. 2). La différence de niveau
ainsi créée était telle que le quartier situé en contrebas reçu le nom de « Bas-Fonds » et que
se posa très rapidement la nécessité à la fois de construire un mur de soutènement le long
de la nouvelle voirie et de lotir le flanc de la colline, tout en valorisant le panorama sur la
ville basse ainsi créé.
Suite à divers aléas, il fallut attendre vingt-cinq ans après le prolongement de la rue Royale
pour que s’impose l’idée de construire une place de plain-pied avec la rue Royale (l’actuelle

U n pas s é b ien p ré s e n t. L e site de la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme bruxellois 15


Fig. 2. Vue du couvent des Oratoriens et alentours. (Source : Archives de la Ville de Bruxelles.)

place du Congrès) et un marché couvert en contrebas. Sur la base de ce programme, un


concours d’architecture — pratique courante à l’époque 6 — fut lancé le 29 mai 1847 qui
donna lieu au dépôt de cinquante-deux projets d’aménagement. Toutefois, aucun projet ne
reçut une adhésion suffisante pour être exécuté. Quelques mois plus tard, Jean-Pierre Cluysenaar,
qui venait de construire les galeries Saint-Hubert et la galerie Bortier ainsi que le marché de
la Madeleine (dont la façade, rue Duquesnoy, cache aujourd’hui le casino de Bruxelles), et
qui avait été consulté pour l’établissement du programme du concours, propose une solution
pour laquelle le conseil communal marque son accord. Le projet prévoyait, pour agrandir au
maximum l’étendue du panorama, une place légèrement inclinée — elle l’est toujours — bordée
de deux rampes curvilignes, la descente vers le marché se faisant par un escalier monumental.
L’intérêt de l’aménagement de Cluysenaar, outre son style architectural de type éclectique,
était qu’il faisait la part belle au panorama en l’ouvrant à quiconque passait par la rue
Royale (la place reçut d’ailleurs le nom de « place des Panoramas ») 7, ce qui ne fut plus
possible avec la construction de l’esplanade de la Cité administrative de l’État puisqu’il est
désormais nécessaire de faire le détour par celle-ci pour avoir accès au panorama (l’espla-
nade est, en effet, surélevée par rapport à l’ancien escalier de Cluysenaar). Ce point est
central pour notre propos puisque la question du panorama et celle de l’escalier monumental
seront clairement sur la table lors de l’élaboration du schéma directeur «Botanique» (voir partie II).
En raison de divers problèmes techniques, l’ensemble architectural de Cluysenaar ne fut

16 Mi c h el H ub er t
Fig. 3. L’escalier monumental et le marché couvert conçus par Jean-Pierre Fig. 4. L’ancien panorama depuis la place
Cluysenaar. (Source : Archives de la Ville de Bruxelles.) du Congrès. (Source : archives privées.)

entièrement terminé qu’en 1857. Le marché couvert ne rencontra jamais le succès escompté
et fut transformé dès 1886 en asile de nuit et, ultérieurement, en dépôt pour le théâtre de
la Monnaie. La destruction de cet ensemble pour faire place à la Cité administrative de l’État
se fit dès lors dans l’indifférence générale.
La question du « panorama », liée à celle du « paysage », mérite qu’on s’y attarde un instant.
Pour Augustin Berque 8, il aurait existé dans l’histoire deux grandes « sociétés paysagères » :
la Chine à partir de la dynastie Song (960-1279) et l’Europe à partir du XVe siècle. Le
paysage peut ainsi être considéré comme un genre culturel, un « dispositif spatial » au sens
de Michel Lussault, une manière de voir et d’assembler les choses. Le point de vue qui permet
au paysage d’exister serait avant tout « celui d’un regard sensible : celui de l’acteur spatial,
de l’individu qui regarde une fraction d’espace à l’horizontale ou, mieux encore, oblique-
ment lorsqu’il se trouve sur un point haut, ou en contre-plongée 9 ». Pour cet auteur, le
paysage-panorama, « caractérisé par le nécessaire déplacement du regard qui embrasse,
peu à peu, la totalité qui se refuse à une seule vue d’ensemble 10 », est, avec le paysage-
panoptique 11 et le paysage-mouvement 12, une des formes visuelles idéal-typiques du paysage.
Ces types de paysages auraient été forgés pour une bonne part par le tourisme et la décou-
verte. Et, pour qu’ils soient reconnus, il faut que les acteurs en intègrent les codes, c’est-à-dire
les prescriptions relatives aux bonnes façons de regarder et de voir, diffusées par des repré-
sentations linguistiques, artistiques (peinture, cinéma, photographie…) et littéraires.

U n pas s é b ien p ré s e n t. L e site de la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme bruxellois 17


Si des dispositifs paysagers furent mis en place dans divers parcs publics à Bruxelles —
entre autres au bois de la Cambre, au parc de la Woluwe et, au cours de la seconde moitié
du XXe siècle, dans des jardins aménagés par l’architecte paysagiste René Pechère sur lesquels
nous reviendrons —, le paysage urbain y fut relativement peu valorisé en tant que tel. Le
point de vue de la place des Panoramas fait toutefois partie de ce que d’aucuns appelèrent
les « terrasses de Bruxelles 13 » pour désigner les points de vue dégagés le long de la partie
de l’« axe royal » allant de la place Poelaert à la porte de Schaerbeek. Il fut le premier à
être aménagé, avant le point de vue de la place Poelaert et celui de la Montagne de la
Cour. La tradition n’existe pas non plus à Bruxelles de rendre accessibles au public les pano-
ramas visibles du haut des édifices. Seules quelques réalisations modernistes ont fait de la
valorisation de leur sommet une attraction, à l’instar d’exemples nord-américains : l’Atomium
avec son restaurant panoramique et la première tour Rogier (dite « tour Martini ») avec son
bar panoramique qui embrassait tout le centre de la ville et qui était fort fréquenté dans les
années 1960-1970 par les célébrités et personnalités de passage 14. De toute manière, ces
quelques réalisations n’ont pas donné lieu — sauf au Mont des Arts avec le jardin Pechère
et la perspective sur la vieille ville réaménagée suite au percement de la jonction Nord-Midi
(voir infra) — à un refaçonnement du paysage urbain pour le rendre plus attractif et plus
lisible 15. Tout récemment cependant, en 2007 et 2008, lors du Marché international des
professionnels de l’immobilier (Mipim) à Cannes, l’on s’est inquiété, à l’occasion de la réflexion
relative au schéma directeur du quartier européen (voir chapitre IX), du « skyline » qu’offrait
ce quartier et de la nécessité d’y construire un « signal » fort, par exemple deux très hautes
tours dont les derniers étages pourraient « accueillir des touristes cherchant à avoir une vue
plongeante sur le quartier européen, voire un musée », comme l’expliquait Jean-Michel Jaspers,
l’un des auteurs du projet 16. Plus généralement, la publication Change Brussels Capital of
Europe 17 a relancé le débat sur la forme urbaine que devrait prendre Bruxelles et les nouveaux
paysages qui pouvaient s’en dégager.

La construction d’un mémorial à l’Indépendance et le réaménagement


du quartier Notre-Dame aux Neiges

Jean-Pierre Cluysenaar avait prévu d’agrémenter d’une statue la place des Panoramas. Lors
des fêtes de l’Indépendance de septembre 1849, parmi de nombreuses autres suggestions,
l’idée du ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Rogier, fut retenue d’élever un mémo-
rial à l’Indépendance. Le programme du concours d’architecture, ouvert dans la foulée, apparut

18 Mi c h el H ub er t
toutefois fort contraignant, le choix de la colonne comme symbole de l’Indépendance semblant
notamment anachronique à certains. Même l’emplacement du mémorial sur la place des
Panoramas (devenue, suite à cela, place du Congrès) fut controversé. C’est finalement Joseph
Poelaert, l’architecte du Palais de Justice, qui fut chargé de réaliser la colonne, de même
que les hôtels particuliers, de style néo-renaissance italienne, qui entourent la place. Est-ce
l’estompement du sentiment national belge qui explique le peu d’intérêt que la place du
Congrès a suscité bien plus tard, lors de l’élaboration du schéma directeur « Botanique », si
ce n’est auprès de quelques habitants du quartier Notre-Dame aux Neiges ? Toujours est-il
que l’aménagement de cette place et sa liaison avec l’esplanade de la Cité administrative
n’ont pas été intégrés dans le périmètre du schéma directeur.
La colonne, enfin inaugurée en 1859, constitua le point de mire du quartier Notre-Dame
aux Neiges dont le réaménagement entre 1875 et 1885 se fit selon les courants dominants
de l’urbanisme de l’époque, n’hésitant pas à niveler le terrain et à percer des voies recti-
lignes pour découvrir le panorama 18. L’urbanisation initiale de ce quartier date cependant
du début du XIXe siècle et coïncide avec l’industrialisation 19. Composé essentiellement
d’ouvriers et d’indigents vivant dans des conditions d’hygiène et de confort déplorables, il
est sujet aux épidémies, dont une de choléra en 1866. Longtemps retardée par la priorité
budgétaire accordée aux travaux d’assainissement de la Senne 20, la transformation du quar-
tier, décidée sous le mayorat de Jules Anspach, semble davantage motivée par une perspective
monumentale et prestigieuse que par la sollicitude envers la santé des habitants du quartier.
Il s’agit avant tout de substituer un quartier de luxe à un quartier populeux avec les mêmes
méthodes que celles utilisées pour le voûtement de la Senne, en particulier le recours à la
concession privée. Créée dix ans plus tôt, la Compagnie immobilière de Belgique joua un
rôle de premier plan dans le choix du projet de réaménagement du quartier Notre-Dame
aux Neiges et dans son financement. Il est intéressant de noter que c’est la même Compagnie
immobilière de Belgique (Immobel) qui se retrouve aujourd’hui dans l’actionnariat du
RAC Investment Group, actuel propriétaire et promoteur de l’ancienne Cité administrative
de l’État, dont le siège se trouve précisément rue de l’Enseignement, au cœur du quartier
Notre-Dame aux Neiges
Déjà, la question de « l’attractivité résidentielle » était posée par Jules Anspach : « Auparavant,
la propriété foncière était, en quelque sorte, délaissée dans les parties basses de la Ville.
La progression de la valeur des immeubles était assez lente dans les autres parties de notre
territoire et l’on voyait en même temps s’élever rapidement, en dehors de Bruxelles, des quar-
tiers très importants et habités par une population riche. Cet état de chose tenait à une

U n pas s é b ien p ré s e n t. L e site de la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme bruxellois 19


circonstance spéciale : c’est qu’un grand nombre de familles, ayant fait fortune, quittaient
la ville, fuyant une insalubrité reconnue et d’anciennes et incommodes habitations, pour aller
s’établir dans les communes suburbaines. De sorte qu’il se produisait ce double phénomène :
que d’un côté la population aisée et, par suite, la matière imposable, diminuaient sur notre
territoire tandis que, de l’autre, nous avions à faire face à des dépenses plus considérables
que les communes voisines 21 ». Autrement dit, comme le souligne Demey, ce n’est pas d’abord
le recours au privé qui force à « gentrifier », comme nous le dirions aujourd’hui, ce quartier
populaire, c’est surtout la volonté politique d’enrayer l’exode urbain de la population aisée.
Le parallèle avec la situation actuelle est saisissant. Dans le contexte institutionnel parti-
culier dans lequel évolue la Région de Bruxelles-Capitale (RBC), il y va, on le sait, d’une
nécessité budgétaire vitale : si elle veut subsister en tant qu’entité relativement autonome, la
RBC n’a d’autre choix que de parvenir rapidement à maintenir et à attirer sur son sol les
habitants disposant de revenus « moyens ». Soit de rester, devenir ou redevenir « attractive »
pour cette catégorie socio-économique. Il s’agit, pour le plan régional de développement
(PRD), de la toute première de ses « priorités 22 », et elle est directement liée au développe-
ment de « certaines zones leviers », « spécifiquement consacrées à la fonction résidentielle »
ou « qui conjuguent de fortes possibilités d’attraction résidentielle avec d’autres dimensions
du développement futur de la région » : « L’objectif est de maintenir, voire de renforcer, leur
potentiel comme tissu résidentiel de qualité. […] Il s’agit d’assurer un développement optimal
de ces zones et de perpétuer leur fonction d’accueil d’une population qui, en l’absence d’un
environnement de qualité, serait tentée d’opter pour une émigration hors des limites régionales» 23.
À l’époque, la seule opposition au projet d’Anspach émane de la population du quartier,
qui s’organise en comité de défense (sans doute un des premiers du genre) et exige qu’au
moins la construction d’habitations sociales précède les expropriations et le début des travaux
d’assainissement. Une première pétition, rassemblant 930 signatures et suivie de deux autres,
est déposée à la députation permanente de la province en mai 1874. Le comité est même
reçu par le ministre de l’Intérieur. Il faut dire que la transformation du quartier concerne quelque
630 maisons et près de 10 000 personnes et que certains, au conseil communal et jusqu’au
Sénat, estiment que, pour son édification morale et son éducation, il est préférable que la
classe ouvrière reste mêlée à la population aisée et puisse occuper des habitations salubres,
proches de son lieu de travail. Sous une forme plus paternaliste, on retrouve là l’idée de
mixité sociale, souvent mise en avant aujourd’hui, notamment dans les débats entourant l’éla-
boration du schéma directeur «Botanique» (voir chapitre IV). L’opposition au projet, plus marquée
qu’à l’occasion du voûtement de la Senne, ne parvient toutefois pas à ses fins : tout au plus

20 Mi c h el H ub er t
les démolitions sont-elles quelque peu étalées dans le temps, mais le peu de logements sociaux
construits sont livrés largement après les premières démolitions et insuffisants en nombre.
L’impression générale qui se dégage de l’analyse de cette deuxième entreprise d’assai-
nissement à grande échelle d’un quartier de Bruxelles, après le voûtement de la Senne, est
celle d’un immense gâchis 24 : l’offre, dictée par les besoins de la spéculation (parcelles trop
petites, absence de jardins, etc.), n’attira pas la haute bourgeoisie et la noblesse, davan-
tage séduites par les quartiers Louise et Léopold plus spacieux. Les pôles d’attraction que
devaient être le Cirque royal, l’Eden théâtre, le Bain royal ou la galerie du Parlement furent
très vite des échecs commerciaux. Après les démolitions et l’exode des habitants du quar-
tier, certains terrains restèrent longtemps vides avant d’être reconstruits. Le privé en déroute
appela la Ville à la rescousse, qui finit par racheter à bon compte une grande partie du
patrimoine immobilier.
Encore propriétaire aujourd’hui d’une grande partie du quartier, la Ville a entrepris sa
rénovation après avoir envisagé, à la fin des années 1960, de démolir la place de la Liberté
au profit d’un complexe de bureaux. Cette place, ainsi que d’autres éléments du patrimoine
du quartier, sont classés depuis 1988. Le caractère « parisien » de Notre-Dame aux Neiges
y a ramené des habitants qui, au nombre d’un bon millier aujourd’hui, doivent toutefois
s’accommoder de l’occupation d’un grand nombre d’hôtels de maître par des bureaux 25,
du manque de commerces et de services de proximité, et d’une circulation et d’un parking
envahissants que la Ville peine à canaliser. Pour ce quartier, le réaménagement futur de la
Cité administrative de l’État ne sera pas sans incidence : des aspects tels que l’accès au
parking, l’augmentation du nombre de logements en lieu et place des bureaux ou la créa-
tion de commerces et services de proximité peuvent en améliorer l’habitabilité. C’est dans
ce contexte qu’il faudra comprendre (voir chapitre IV) les interventions de certains habitants
et commerçants du quartier Notre-Dame aux Neiges dans les débats publics accompagnant
l’élaboration du schéma directeur « Botanique ».

L’éventration des Bas-Fonds par la jonction Nord-Midi 26

L’urbanisation rapide de Bruxelles au XIXe siècle s’accompagne du développement du moyen


de transport privilégié à l’époque : le chemin de fer. L’idée de relier les gares du Nord (celle
de l’Allée verte) et du Sud (celle des Bogards) de Bruxelles est consécutive à la naissance
du chemin de fer belge en 1835. Une première liaison ferrée d’une seule voie sera d’ailleurs
mise en service entre ces deux stations dès 1841, à même les boulevards. Le projet de

U n pas s é b ien p ré s e n t. L e site de la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme bruxellois 21


remplacement de cette liaison par une autre, plus appropriée, n’a plus véritablement quitté
les responsables de la Ville et de l’État jusqu’à la réalisation de la jonction Nord-Midi que
nous connaissons aujourd’hui. En souhaitant créer une gare centrale et la liaison nord-sud
qui l’accompagnait nécessairement, la Ville était soucieuse d’attirer à elle le mouvement du
commerce et de l’industrie suscité par le chemin de fer, tout en profitant des travaux pour
assainir en profondeur les quartiers traversés, tel le quartier de la Putterie (où sera installée
la gare Centrale), comme ce fut le cas ailleurs avec le voûtement de la Senne. Pour l’État et
sa société des chemins de fer, il s’agissait de trouver une solution pour faire face à l’accrois-
sement énorme du nombre de voyageurs 27, les gares de rebroussement du Nord et du Midi
provoquant d’importants encombrements à l’origine de retards et d’accidents. Parmi toute
une série de propositions, c’est le tracé de Frédéric Bruneel qui fut retenu, pour plusieurs
raisons, notamment techniques, trop longues à résumer ici 28. Les travaux ne débutèrent qu’en
1903 et furent interrompus à plusieurs reprises — pendant les deux guerres, bien évidem-
ment mais aussi suite aux multiples tergiversations de l’État — pour n’aboutir à l’inauguration
de la jonction qu’en 1952.
Un élément décisif pour l’aboutissement du projet fut la création en 1935 de l’Office national
pour l’achèvement de la jonction Nord-Midi (ONJ). Parmi les décisions prises d’emblée par
l’ONJ qui nous intéressent particulièrement ici, figurent la création de deux haltes supplé-
mentaires (Chapelle et Congrès), le recul de la gare du Nord imposé par le relèvement des
voies et la construction sous le boulevard du Jardin botanique d’un tunnel routier parallèle
à la jonction ; débouchant à ciel ouvert au cœur du Jardin botanique, ce tunnel était destiné
à faciliter l’accès à la gare du Nord via un nouveau boulevard — le boulevard Saint-Lazare —
et à assurer la continuité du nouveau boulevard surplombant la jonction depuis la gare de
la Chapelle. Ces trois décisions, prises dans l’entre-deux-guerres, seront en partie remises
sur la table du schéma directeur « Botanique » dans le cadre des réflexions relatives à l’acces-
sibilité de la Cité administrative de l’État et à l’aménagement de ses abords. Sera également
posée la question du poids des bâtiments que la jonction pourrait supporter dans la partie
de la Cité (les parkings) jouxtant le boulevard Pacheco.
Adjugé pendant la guerre, le tronçon de la jonction qui traverse les Bas-Fonds est le dernier
à être réalisé dans le Pentagone dans l’immédiat après-guerre. La destruction de ce qui
restait du quartier se fera sans résistance et sans réaction dans la presse 29. La lassitude liée
à la durée de ce chantier pharaonique entamé quarante ans plus tôt et l’impatience de le
voir enfin aboutir expliquent sans doute ce silence. Il faut dire que, dans son ensemble,
l’expropriation de plus de 12 000 personnes au total pour la réalisation de la jonction Nord-

22 Mi c h el H ub er t
Midi n’a pas fait naître de mouvement de protestation organisé, la population subissant
assez passivement la situation.
À son tour, l’ancien hôpital Saint-Jean, construit en style néo-classique par Henri Partoes
entre 1838 et 1841 et mitoyen de ce qui n’était encore à l’époque que la Faculté univer-
sitaire Saint-Louis 30, sera démoli en 1951 (il était désaffecté depuis 1935) pour permettre
le raccordement du boulevard de la Jonction (devenu boulevard Pacheco) avec le boulevard
du Jardin botanique. Transformé en parking provisoire pour l’Expo 58, le site accueillera le
siège du Crédit communal de Belgique (devenu Dexia) et la galerie du Passage 44. Inaugurés
en 1969, ils sont l’œuvre de Marcel Lambrichs, également associé, on le verra, à la construc-
tion de la Cité administrative de l’État.
Avec Thierry Demey, on peut dire que le percement de la jonction Nord-Midi a grande-
ment participé à la désertification du centre de Bruxelles, dont la population n’a cessé de
décroître depuis 1900 31, et au renforcement de la fonction administrative dans sa partie
est, déjà traditionnellement consacrée aux fonctions officielles. C’est dans ce contexte qu’il
faut comprendre le choix de la localisation de la Cité administrative de l’État dans les Bas-
Fonds sur lequel nous reviendrons un peu plus loin : le Pentagone n’était plus considéré comme
« porteur » pour l’habitat au contraire de la deuxième couronne, en pleine urbanisation.

La Cité administrative comme réponse à la croissance de l’État unitaire

L’émergence de l’option centralisatrice

Dès le début des années 1920, plusieurs commissions d’études sont constituées pour cher-
cher des remèdes au mauvais fonctionnement des services administratifs de l’État, notamment
dû à l’accroissement rapide du nombre de fonctionnaires 32, à la dispersion dans la ville
des différents services et à l’absence d’un statut unifié des agents de l’État. En 1929 déjà,
l’architecte Stanislas Jasinski (1901-1978), dont le frère Stéphane (1907-2000) allait être
le principal décorateur de la Cité administrative, présentait, de sa propre initiative, un projet
pour une « centralisation de tous les locaux d’administration ministérielle » en plein centre-
ville, entre la Bourse et la gare du Midi 33.
La dispersion des services était particulièrement marquée à Bruxelles : en 1954, l’État y
occupait 330 immeubles, pris pour la plupart en location, parfois dans d’anciennes habi-
tations privées, peu fonctionnelles, aux conditions d’hygiène et d’éclairage rudimentaires.
Cette situation obligeait à de nombreux déplacements entre les différentes implantations d’un

U n pas s é b ien p ré s e n t. L e site de la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme bruxellois 23


Fig. 5. Projet de centralisation administrative (Stanislas Jasinski, 1929). (Source : Archives d’architecture moderne.)

même ministère, réduisait l’efficacité et le contrôle du travail, et avait pour effet un manque de
lisibilité de l’organigramme administratif et d’importantes pertes de temps pour les administrés.
Le rapport de Louis Camus, commissaire spécial à la réforme administrative sous le deuxième
gouvernement tripartite (catholique-socialiste-libéral) Van Zeeland, publié au Moniteur en
1937, présenta pour la première fois une étude qui se voulait complète et détaillée des
causes et remèdes du mal qui frappait l’administration centrale. Le rapport portait princi-
palement sur la définition d’un statut des agents de l’État et s’attachait à l’amélioration des
conditions de travail et à l’augmentation de la productivité des services publics. Il s’agissait
en somme de transposer dans le domaine de l’administration l’organisation scientifique et
rationnelle de la production fordiste. Ceci passait, selon Louis Camus, par une centralisa-
tion des services dans des bâtiments adaptés. L’idée d’une Cité administrative de l’État était
lancée 34. En raison des restrictions budgétaires et des priorités de l’après-guerre, celle-ci
faillit cependant ne jamais voir le jour. Une nouvelle commission nommée en 1952 par le
gouvernement social-chrétien homogène de M. Van Houtte et présidée par Max-Léo Gérard
préconisa, en effet, de renoncer « à la centralisation à outrance au profit d’un regroupe-
ment, par affinités, dans quelques complexes répartis à travers la ville 35 ». Il ne fallait pas
traîner puisque cette commission avait conclu que plus de trente immeubles, à la limite de
l’insalubrité, devaient être abandonnés d’urgence. Le gouvernement socialiste-libéral
d’Achille Van Acker, installé en avril 1954, trancha toutefois en faveur de l’option centrali-
satrice et fit du lancement de la construction de la Cité administrative de l’État un objectif
de la législature (déclaration gouvernementale du 10 novembre 1954). L’objectif est atteint

24 Mi c h el H ub er t
Fig. 6. Projet de « Nouveau Bruxelles » pour le quartier Nord
(Victor Bourgeois, 1930). (Source : Archives d’architecture
moderne.)

avec la pose de la première pierre par le roi Baudouin, le 21 avril 1958, en présence des
principaux ministres du gouvernement 36. Quatre jours après l’inauguration de l’Expo 58, la
Belgique pouvait ainsi montrer que, dans ce domaine également, elle s’engageait résolu-
ment dans la voie de la modernité.

Le choix des Bas-Fonds

La question du choix de l’emplacement de la Cité administrative de l’État était déjà abordée


par Louis Camus dans son rapport de 1937. La proximité du Parlement était pour lui le
critère à privilégier. Après avoir évalué l’intérêt de différentes implantations (Putterie, ancien
hôpital Saint-Jean…), il jeta son dévolu sur les îlots compris entre les rues de la Croix de fer
et de Louvain et le boulevard du Régent avec possibilité d’extension vers les rues de
l’Enseignement et de la Presse. « Un vaste ensemble d’immeubles en éventail ou en forme
de peigne avec dégagements, précédés de jardins, aurait ainsi remplacé progressivement
le quartier Notre-Dame aux Neiges, considéré comme terne et banal 37. »

U n pas s é b ien p ré s e n t. L e site de la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme bruxellois 25


Au moment où le gouvernement Van Acker décide de reprendre l’étude d’implantation de
la Cité administrative de l’État, les critères de localisation ont quelque peu changé : c’est
désormais la surface disponible et les facilités d’accès et de parking qui priment sur la proxi-
mité du Parlement. C’est ainsi que deux sites plutôt excentrés sont envisagés : le Tir national
(où sont implantées aujourd’hui la RTBF et la VRT) et la Plaine des manœuvres (sites actuels
de l’ULB et de la VUB). Dans une déclaration publique de janvier 1955, le Premier ministre
fait d’ailleurs part de sa préférence pour cette dernière localisation. Réalisant que ce site
n’était plus la propriété de l’État (il avait été cédé à la Ville de Bruxelles) et soumis à la pres-
sion des agents de l’État originaires de province (plus de la moitié des effectifs totaux) qui
préféraient une implantation proche de la gare centrale récemment inaugurée, Achille Van
Acker se rabat alors sur le quartier des Bas-Fonds, qui présentait le double avantage d’être
situé à proximité des axes de communication (gares et petite ceinture) et du Parlement et
d’être, pour plus de la moitié, propriété publique (ONJ) suite au percement de la jonction
Nord-Midi. Après une visite du Premier ministre sur les lieux le 27 juin 1955, la décision
est prise le 8 juillet par le gouvernement d’implanter la Cité administrative de l’État dans les
Bas-Fonds, à proximité de la colonne du Congrès, sans que cela suscite de contestation.
Tout en n’étant pas opposé au projet, le bourgmestre de la ville, M. Van de Meulebroeck
(figure libérale marquante mais en fin de carrière à l’époque 38), regrette simplement de ne
pas avoir été consulté sur le choix du lieu d’implantation. Un seul conseiller, Léon Schalkens
(1902-1971), du Parti pour la liberté et le progrès (PLP), se préoccupera de cette concen-
tration administrative dans la ville : « Finalement, tout le quartier du boulevard de la Jonction
sera devenu une cité administrative avec la Banque nationale, la Sabena, la gare Centrale,
etc. Lorsque nous aurons la semaine de cinq jours, ce beau quartier dans le centre de la
ville sera, pendant plus de la moitié du temps, une ville morte. On peut d’ailleurs déjà s’en
apercevoir maintenant après 5 heures du soir. Ni la Société des chemins de fer, ni les Tramways
bruxellois ne sont contents. De même, la population de Bruxelles-Ville sera encore une fois
amputée de plusieurs milliers d’habitants 39 » L’association Défense de Bruxelles s’interroge
elle aussi sur l’impact de la concentration de 20 000 fonctionnaires, notamment sur leur
santé. Ceux-ci risquent, en effet, de « se trouver encaqués dans une ruche énorme aux cellules
indifférenciées avec l’obligation d’y mener une existence en vase clos, hors du temps et sans
contacts humains avec le public qu’il lui appartient de servir 40 ».
En résumé, on peut considérer que le choix de l’implantation de la Cité administrative de
l’État est d’abord une conséquence de l’histoire et du tracé de la jonction Nord-Midi. En libé-
rant d’importants espaces en surface, propriété des pouvoirs publics, la jonction rendait en

26 Mi c h el H ub er t
effet possible la réalisation d’un projet de l’envergure de la Cité de même que la construc-
tion d’un troisième axe important de circulation nord-sud (à mi-hauteur entre les boulevards
centraux et la rue Royale), le long duquel allaient pouvoir s’établir, de manière monumentale,
plusieurs symboles de la Belgique unitaire : outre la Cité administrative, y furent entre autres
édifiés le siège du Crédit communal de Belgique, de la Régie des télégraphes et des télé-
phones (RTT), de la Banque nationale, de la Sabena et du Parti socialiste unitaire (PSB-BSP),
le nouvel Hôtel des monnaies, la Bibliothèque royale, et l’Office national de l’emploi (Onem).

La construction de la Cité administrative de l’État et ses avatars

La conception moderniste de la Cité

Revenons-en à la construction de la Cité administrative de l’État. La décision d’implantation


prise, le gouvernement nomme un collège de cinq architectes qui se réunit pour la première
fois le 12 octobre 1955. La pratique du concours architectural, à laquelle les autorités (à
tout le moins communales) eurent abondamment recours au XIXe siècle, semble avoir fait long
feu 41. Dans son rapport de 1937, Louis Camus émettait déjà des doutes quant à l’intérêt
de cette pratique — les architectes n’y consacreraient ni le temps ni l’attention nécessaires
en raison de son caractère aléatoire —, a fortiori pour l’édification d’une Cité administra-
tive dont le programme nécessite une longue étude des besoins des services concernés pour
que l’immeuble de bureau soit « aussi efficient qu’une usine 42 ».
Le nombre relativement élevé d’architectes désignés pour faire partie du collège est, d’après
Demey, probablement dicté par des questions d’équilibre politique : Jean Gilson du Groupe
Alpha était étiqueté chrétien, Georges Ricquier passait pour un libéral, les trois autres —
Hugo Van Kuyck, Marcel Lambrichs et Léon Stynen — étant censés être apparentés à la
famille socialiste. Quoi qu’il en soit, il s’agissait d’architectes expérimentés et bien établis
et ayant passé la cinquantaine, à l’exception de Marcel Lambrichs et de Jean Gilson, respec-
tivement âgés de 38 et 43 ans .
Grand navigateur, concepteur de plusieurs bateaux, Hugo Van Kuyck (1902-1975), s’était
illustré pendant la seconde guerre mondiale comme un des architectes du débarquement.
En 1954, suite à un concours restreint, il est chargé de la construction du siège de la Prévoyance
sociale (inauguré en 1957) en haut du Jardin botanique. Il s’agit d’un immeuble « exem-
plaire des premières tours construites à Bruxelles avec soubassement dans l’alignement des
gabarits voisins 43 » et du premier mur-rideau en aluminium réalisé dans la ville. Par la suite,

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outre la conception de plusieurs pavillons pour l’Expo 58, Van Kuyck signera notamment
de nombreux sièges de sociétés privées dont celui de la Société générale de Belgique, rue
Ravenstein (1974-1979).
L’œuvre de Marcel Lambrichs (1917-1986) s’est partagée essentiellement entre Léopoldville
(devenue Kinshasa), où il réalisa de nombreux bâtiments publics et privés sur la base d’un
plan urbanistique conçu par Georges Ricquier, et Bruxelles, où il fut notamment associé à
la construction de la tour du Midi (1961-1976). Suite à la construction, avenue Marnix, du
siège bruxellois de la Banque Lambert (1959) par l’architecte américain Gordon Bunschaft,
il « expérimente les possibilités esthétiques des éléments de façade préfabriqués en béton
architectonique 44 » et construit le siège du Crédit communal (1964), jouxtant la Cité admi-
nistrative de l’État, et celui de la CGER (1974), rue du Marais. Il est aussi co-auteur, avec
Lodzia Brodzki, du siège de la société CBR (1968-1970), chaussée de La Hulpe.
L’essentiel du travail à la fois urbanistique et architectural de Georges Ricquier (1902-1963)
fut réalisé dans l’ancien Congo belge. À la demande de la commission d’urbanisme de l’Office
national pour l’achèvement de la jonction Nord-Midi, il fut chargé, en 1941, avec trois autres
architectes, « d’étudier, sur les plans urbanistique et architectural, divers points cruciaux sur
le futur tracé de la Jonction ». C’est ainsi qu’il « dessinera, en 1944, dans le cadre de cette
mission, le tout premier projet monumental pour une “Cité administrative” à construire sur le
site des “Bas-Fonds” » 45. Dans les années 1950, il réalisera encore quelques projets à Bruxelles,
ainsi que le grand palais de la section du Congo belge et du Ruanda-Urundi à l’Expo 58.
Jean Gilson (1912-2000), actif principalement en Belgique et dans l’ancien Congo belge,
fut mandaté par le Groupe Alpha qui fut l’« un des principaux représentants de l’aménage-
ment de la ville à grande échelle, marqué par les principes de la charte d’Athènes 46 ». Ce
groupe fut ainsi l’auteur du plan régional pour Bruxelles (1948-1957), réalisé à la demande
du ministère des Travaux publics et qui se caractérisait par « un zonage strict, avec le déve-
loppement de cités satellites et d’une ceinture verte — concept qui est également à la base
de l’avant-projet de plan de secteur (1962-1970) 47 ». Il fut également associé, notamment
avec le Groupe Structures, auteur du plan Manhattan pour le quartier Nord, à la construc-
tion du centre Monnaie (1967-1971) et, via l’un de ses collaborateurs, Alberto Vanderauwera
(1918-1998), à la construction de la tour édifiée en 1965-1966 à la place de la Maison
du Peuple de Victor Horta. Jean Gilson lui-même fut l’un des auteurs du Berlaymont, siège
de la Commission européenne.
Enfin, aîné du groupe, Léon Stynen (1899-1990) fut, avec Paul De Meyer, l’architecte de
l’immeuble de la RTT (1959-1965), sis au boulevard de l’Impératrice, non loin de la Cité

28 Mi c h el H ub er t
Fig. 7. Urbanisation sur le tracé de la jonction Nord-Midi : projet
de Cité administrative de Georges Ricquier, boulevard Pacheco,
1944. (Source : Archives d’architecure moderne.)

administrative de l’État. « Fortement influencé par “L’Esprit nouveau” parisien et l’école hollan-
daise moderne, ses réalisations les plus intéressantes sont à Anvers et à la côte. Enseignant
puis directeur de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, il fut le successeur de H. Teirlinck
à la direction de La Cambre (1950-1964) 48. » « Léon Stynen est un des rares modernistes
qui, dans l’entre-deux-guerres, réussit à réaliser quelques édifices publics, un genre où il se
montre très ouvert à la nouveauté 49. »
Van Kuyck et Lambrichs préconisèrent de construire, pour la Cité administrative de l’État,
« trois ou quatre immeubles de 20 étages en peigne, l’un derrière l’autre, dans un axe nord / sud
entre le Botanique et la rue Montagne de l’Oratoire. Implantés sur une esplanade basse
construite sur pilotis, ils sont séparés par des cours intérieures 50 ». Les inconvénients princi-
paux de la proposition — l’ombre créée par des immeubles mis en rangs d’oignons, alors
que le rapport Camus insistait sur la qualité du cadre de vie des fonctionnaires et l’impos-
sibilité de prolonger la place du Congrès dont le panorama devait être préservé — ont fait
pencher la décision en faveur du projet présenté par Jean Gilson. « Au centre de sa compo-
sition, une tour de 135 mètres de hauteur, comprenant 40 étages, orientée dans le sens du
boulevard Pacheco et implantée sur un jardin situé à un niveau intermédiaire entre la rue
Royale et le boulevard Pacheco. Comme toile de fond de ce jardin, un immeuble allongé
de hauteur moyenne — cinq étages sur 200 mètres et 16 mètres de profondeur — masque
l’arrière des immeubles de la rue Royale. Au niveau supérieur, une vaste esplanade prolonge

U n pas s é b ien p ré s e n t. L e site de la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme bruxellois 29


Fig. 8. Maquette de la proposition de
1956 pour la Cité administrative de
l’État. (Source : Archives d’architecture
moderne.)

la place du Congrès jusqu’au boulevard Pacheco et à la Montagne de l’Oratoire du côté de


laquelle un immeuble en forme de U de hauteur moyenne avec cour d’honneur intérieure est
prévu pour accueillir les ministères des Affaires étrangères et des Colonies. Sous l’esplanade
et les jardins, dont la présence est rendue possible par la différence de niveau entre la rue
Royale et le boulevard, des parkings accessibles à la fois par le boulevard Pacheco et la rue
Royale sont prévus pour 5 000 véhicules 51 ». C’est cet avant-projet qui sera présenté au ministre
des Travaux publics le 1er septembre 1956 et qui servira de base à la suite des travaux.
On peut sans doute voir les architectes de la Cité comme des héritiers de la charte d’Athènes
issue du 4e Congrès international d’architecture moderne (CIAM) qui se déroula en 1933 sur
un paquebot entre Athènes et Marseille, à défaut d’avoir pu se tenir à Moscou 52. La charte
préconisait de lutter contre le désordre urbain en rationalisant la ville selon ses quatre grandes
fonctionnalités : habiter, travailler, se récréer et circuler (entre les trois zones précédentes). Il
s’agissait de faire « table rase » de la ville historique et de donner à l’architecture le rôle de
fer de lance de l’urbanisme nouveau « envisagé non plus comme esthétique des villes, mais
organisation des fonctions de la vie collective grâce aux techniques nouvelles ». Un rapport
étroit était ainsi établi entre l’architecture et l’économie générale, rapport défini « en termes
de rendement, une notion qui justifie autant la rationalisation et la standardisation de la
production que la simplification des modes de vie » 53.
Les architectes de la Cité ne figurent toutefois pas parmi l’avant-garde des architectes belges
qui, à la suite de Le Corbusier, prirent une part active dans les réflexions relatives à la ville

30 Mi c h el H ub er t
fonctionnelle. Il faut se rappeler, en effet, que le 3e CIAM s’était tenu à Bruxelles en 1930 54.
Aucun des trois architectes de la Cité (Stynen, Van Kuyck et Ricquier) qui étaient en âge d’y
participer n’y joua un rôle actif, même si Léon Stynen était assez proche de Le Corbusier,
qu’il connaissait personnellement 55. L’œuvre de Stynen était avant tout architecturale et d’inspi-
ration classique. Il ne s’aventura pas dans des projets futuristes comme le firent à cette époque
Victor Bourgeois 56 (voir, par exemple, son projet de « Nouveau Bruxelles » pour le quartier
Nord en 1930) ou Stanislas Jasinski, déjà cité. Le projet de la Cité administrative, même
s’il fait table rase du passé — sans grand mérite si l’on peut dire puisque le « sale boulot »
d’arasement était, comme on l’a vu, déjà réalisé grâce aux travaux de la jonction —, est
plutôt de l’ordre du projet ponctuel, le dessein étant ici sans commune mesure avec celui de
Brasilia où il s’agissait, à partir des principes de la charte d’Athènes, de créer, dans un site
vierge, une ville entière. Construite pour l’essentiel à la même époque (1956-1960), on
retrouve toutefois à Brasilia, avec l’« Esplanade des ministères », une proximité sémantique
qui rappelle la filiation commune des deux projets 57.
Au final donc, les architectes de la Cité étaient des architectes expérimentés, mettant en
application des principes architecturaux auxquels, certes, ils adhéraient, mais sans en avoir
été pour autant les instigateurs et sans avoir véritablement cherché à les dépasser. Ce qui
caractérise, en effet, cette génération, c’est l’idée que les avant-gardes avaient établi les
balises théoriques et que le temps d’agir — de construire — selon ces principes était arrivé.
Léon Stynen, notamment, intervenait régulièrement dans ce sens et les revues d’architecture
de l’époque étaient vides de contenus théoriques, se référant toujours aux discours des années
1920-1930. Dans ce sens, les architectes de la Cité relevaient davantage de la « tendance
orthodoxe », poursuivant sur la voie tracée par l’avant-garde des années vingt, plutôt que
de la « tendance organique [qui] cherche à transfigurer la modernité par un langage poétique »
ou de la « tendance ludique » (style 58 et autres) qui « se plaît à égayer l’architecture fonc-
tionnelle par des lignes décoratives et des couleurs vives » 58.
À cet égard, il est intéressant de noter que Léon Stynen se retira de l’équipe en 1959
« pour des raisons de convenance personnelle » qui s’avérèrent être des objections de fond.
D’après Albert Bontridder qui lui consacra une biographie, Léon Stynen constata très vite,
en effet, que les travaux du groupe le menaient dans une voie pour laquelle il ne voulait
pas engager sa responsabilité. « Déjà il lui était difficile d’admettre l’implantation du Centre
Administratif dans le centre de la ville, mais il lui était encore plus difficile, sinon impossible,
d’accepter un programme limité à la construction d’immeubles de bureaux, excluant de la
conception générale tout élément de vie sociale, d’activité culturelle et de détente qu’il jugeait

U n pas s é b ien p ré s e n t. L e site de la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme bruxellois 31


indispensables pour le développement harmonieux du nouveau quartier 59 ». Pour Patrick
Burniat 60, Léon Stynen est un rationaliste, une personnalité à mi-chemin entre Henry van de
Velde et Le Corbusier, partageant avec ce dernier une même attitude critique à l’égard du
processus de modernisation. À la fois convaincu de la nécessité d’un nouvel ordre archi-
tectural et urbain privilégiant une rationalité fordiste, ils se montraient tous deux critiques à
l’égard de la seule prise en compte de telles finalités « instrumentales », accordant tout autant
d’importance aux autres termes qui composent une synthèse architecturale harmonieuse :
poésie, fonctions vitales, etc. C’est dans ce sens que Stynen, comme Le Corbusier, est critique
à l’égard du processus de modernisation mené par l’État, et que l’on doit comprendre sa
position vis-à-vis de l’absence de mixité fonctionnelle du programme de la Cité administra-
tive 61. La monofonctionalité de la Cité — nom bien mal choisi si on voit la cité comme une
ville mixte — sera au cœur des critiques développées plus tard, notamment par l’Atelier de
recherche et d’action urbaines (ARAU) et exprimées jusque dans les débats entourant l’élabo-
ration du schéma directeur « Botanique » (voir infra).

Une laborieuse mise en œuvre, la crise du centralisme et les premières critiques

Les travaux à peine entamés, le programme de la Cité administrative est déjà quelque peu
remis en question suite aux réticences du ministère des Affaires étrangères et de celui des
Affaires économiques d’intégrer la Cité. De son côté, le ministère des Colonies devient obso-
lète suite aux événements de 1960. L’aile en U destinée initialement aux Affaires étrangères
sera dès lors entièrement revue et donnera lieu au bâtiment G, haut de onze étages. C’est
ce bâtiment que le schéma directeur « Botanique » prévoit aujourd’hui de démolir pour laisser
la place à un immeuble de logements.
L’étalement des crédits est tel qu’en 1963 il n’y a qu’un seul côté de la Cité dont le gros
œuvre est terminé. Le déménagement des fonctionnaires commencera en juin 1966 et s’éta-
lera jusqu’à la fin de l’année 1968, au fur et à mesure de l’achèvement des travaux ; « 3 827
fonctionnaires occupent désormais les 141 621m2 de bureaux de la Cité 62 ». Les jardins,
dessinés par l’architecte René Pechère 63 et aménagés au-dessus des parkings, ne seront
terminés qu’en 1977, en même temps que les passerelles piétonnes enjambant le boulevard
Pacheco et reliant la Cité administrative au siège du Crédit communal et au côté est du
boulevard Pacheco. Relevant du principe de la séparation des circulations piétonne et auto-
mobile typique de l’architecture fonctionnaliste 64, ces passerelles, qui n’étaient pas prévues
dans le projet initial, peuvent être aussi considérées comme une réponse au problème du

32 Mi c h el H ub er t
manque de liaison est-ouest du site. Leur utilisation ne fut toutefois pas un succès.
La présence de passerelles est associée également à ce qu’il est convenu d’appeler l’« urba-
nisme de dalle » qui, dans l’architecture fonctionnaliste, permettait — comme dans le cas de
la Cité administrative — de couvrir certaines infrastructures, notamment des parkings, par
une vaste esplanade piétonne, agrémentée éventuellement de jardins, voire de rattraper une
différence de niveau 65.
Quant à la tour, dont le principe était acquis dès 1956, sa réalisation prit quinze ans (de
1968 à 1983) et elle mit à disposition environ 200 000 m2 supplémentaires (dont près de
130 000 m2 de bureaux hors-sol). D’après ses promoteurs, sa nécessité se voyait justifiée,
d’une part, par les avantages pratiques qu’elle offrait (plus économique à la construction,
plus efficace à l’usage par une diminution des déplacements horizontaux) et, d’autre part,
par l’espace libéré au sol qui rendait possible la création du jardin et ménageait l’échappée
vers le panorama de la ville.
Comme la question des gabarits fut également très présente lors des discussions autour
du projet de schéma directeur (voir chapitre VI), il est intéressant de signaler ici que la
construction en hauteur a occupé très tôt en Belgique, et à Bruxelles en particulier, une place
de choix dans les réflexions et les pratiques architecturales. Lors du troisième CIAM qui, on
l’a vu, s’était tenu à Bruxelles en 1930 avec pour thème central la question du lotissement
rationnel, le modèle de la cité-jardin, pour lequel Bruxelles s’était largement fait connaître
au cours des années précédentes, avait été disqualifié par Le Corbusier en tant que vecteur
d’individualisme au profit du modèle des « villes en concentration, bâties en hauteur, rassem-
blant les habitants dans un même phénomène social solidaire et réduisant au minimum [leur]
superficie au sol 66 », considéré comme une meilleure solution au problème de l’habitat écono-
mique. Cette remise en question, appuyée par de nombreux autres orateurs, conduisit les
architectes belges à revoir leur conception du développement urbain et à considérer qu’il
était possible d’envisager une ville densément peuplée mais aérée grâce à la construction
en hauteur et à la séparation et à la hiérarchisation des différents modes de déplacement.
Est-ce ce qui amena Jean-Jules Eggericx, actif au sein des CIAM et auteur notamment des
cités-jardins Floréal et du Logis, à construire en 1934-1937 les immeubles jumeaux Léopold
et Albert, d’une quinzaine d’étages, au coin du square de Meeus et de la rue du Luxembourg ?
Il est plus probable que ces réalisations en hauteur s’inscrivaient plutôt dans une dynamique
de développement d’immeubles à appartements de luxe initiée, dès les années 1920, par
le financier Lucien Kaisin : le fameux Résidence Palace (1922-1927), rue de la Loi, de l’archi-
tecte Michel Polak, ainsi que les Pavillons français (1931), un immeuble de quinze étages

U n pas s é b ien p ré s e n t. L e site de la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme bruxellois 33


construit rue du Noyer, et la Résidence de La Cambre (1938-1939), premier véritable gratte-
ciel bruxellois avec ses dix-sept étages, boulevard Général Jacques, tous deux de Marcel
Peeters s’inspirant de l’Art déco new-yorkais 67. Après la seconde guerre mondiale, ce type
d’immeubles se généralisa, tant pour la résidence de la classe moyenne — rappelons-nous
notamment le succès des immeubles de la société Etrimo — que pour le logement social,
sans que le modèle de la cité-jardin disparaisse entièrement pour autant. La réalisation embléma-
tique du logement social en hauteur fut sans conteste la Cité modèle réalisée par Renaat
Braem et ses collègues, qui devait symboliser les idées progressistes belges à l’occasion de
l’Expo 58 et s’inspirait très clairement de la charte d’Athènes et de la Cité radieuse du Corbusier.
Il faut signaler que Jan Van Hoenacker, Jos Smolderen et Émile Van Averbeke anticipè-
rent le mouvement de la construction en hauteur en Belgique en construisant dès 1927-1932
la Boerentoren (devenue KBC) à Anvers qui, avec ses vingt-six étages, fut le premier gratte-
ciel en Europe et le plus haut jusque dans les années 1950 — ce qui ne représentait toutefois
que le tiers de ce qui se construisait à l’époque aux États-Unis. Il s’agissait d’un complexe
multifonctionnel composé d’une banque, de restaurants et d’appartements destinés à des
Anversois fortunés. Il fallut attendre 1958 et la tour Martini (place Rogier) pour avoir un
autre exemple, encore plus complet et quasi unique en Belgique, d’immeuble multifonctionnel
de grande dimension (bureaux, appartements, théâtre, magasins…). Juste avant, en 1957,
la tour de la Prévoyance sociale, construite par Van Kuyck, fut la première tour entièrement
dévolue aux bureaux à Bruxelles 68. Elle fut suivie par d’autres mais, à part dans le quartier
Nord, ces tours restèrent des objets isolés dans leur environnement immédiat.
Pour en revenir à la tour de la Cité administrative, ce n’est pas celle projetée par l’avant-
projet de 1959 (qui guida la réalisation du reste de la Cité) qui fut réalisée 69. Celle-ci fut
reculée par rapport au boulevard du Jardin botanique, réorientée vers l’axe est-ouest, carrée
plutôt que rectangulaire, plus compacte et moins haute et recouverte de vitres réfléchissantes
plutôt que d’un mur rideau transparent 70. Ces modifications, en particulier le changement
d’orientation et les vitres réfléchissantes, furent décisives en ce qu’elles fermaient le site au
lieu de l’ouvrir, rendaient très difficiles les circulations piétonnes depuis le boulevard du
Jardin botanique et dégageaient moins bien les bâtiments dans l’espace, comme l’ont montré
notamment Benoit Moritz et Maurizio Cohen dans le film d’Yves Cantraine 71. Il est dès lors
étonnant que la contrainte du maintien de la tour (dont la rénovation s’achève en 2008)
n’ait pas davantage pesé sur l’élaboration du schéma directeur « Botanique », comme si
l’exclusion de la tour du périmètre de la zone d’étude — résultat de la vente sur laquelle
nous reviendrons — n’avait aucun impact sur les qualités et les potentialités du site. L’ARAU

34 Mi c h el H ub er t
Fig. 9. Contre-projet de l’ARAU (dessin de Fernand Joachim, 1972) dont la figuration s’acompagnait de la légende suivante :
« le nouveau tissu avec habitations et animation urbaine envahissant comme un organisme naturel la monofonctionnalité
officielle ». (Source : Wonen-TA/BK, n° 15/16, août 1975, p. 57.)

ne s’y est d’ailleurs pas trompé qui, en 1972, soit au moment où les fondations de la tour
s’achevaient, proposait un schéma de réaménagement du site qui supprimait la tour et réins-
taurait la mixité fonctionnelle dans le quartier par la construction de logements et de commerces 72.
Malgré l’impact de la proposition de l’ARAU dans la presse, le projet de construction de
la tour ne fut pas abandonné. Le ministre des Travaux publics de l’époque, Jos De Saeger,
qualifia la proposition de « sorte de faux village de loisirs à la mode 73 », impayable compte
tenu du prix du terrain à cet endroit et de la perte d’attractivité résidentielle du centre-ville
à cette époque. La construction de la tour fut toutefois quasi interrompue de 1974 à 1978
en raison de nouvelles restrictions budgétaires, mais aussi d’une remise en question de l’op-
tion centralisatrice à l’heure où les premières structures régionales se mettaient en place suite
à la réforme constitutionnelle de 1970.

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Fig. 10. La Cité administrative complétée (1984). (Source :
Archives d’architecture moderne.)

Vie et mort de la Cité administrative de l’État

La Cité administrative étant condamnée, bien avant son achèvement complet, par la décen-
tralisation de l’État belge lancée par la révision constitutionnelle de 1970, il n’est pas étonnant
qu’elle ne fonctionna à plein régime que pendant une quinzaine d’années à peine après
l’inauguration de la tour en 1983. Au cours de cette période, près de dix mille fonction-
naires y travaillèrent.
Comme l’a bien montré le film d’Yves Cantraine en 2006, l’image de l’usine fordiste à
laquelle Louis Camus lui-même comparait l’immeuble de bureau saute aux yeux quand on
pense aux 340 000 mètres carrés de surface utile (hors parking et sous-sol compris), aux
sept kilomètres de couloirs, au restaurant aux 10 000 repas quotidiens, au dispatching central,
à l’héliport, à l’imprimerie intégrée, aux 1 800 emplacements de parkings, ou à la gare et
à la station de métro qui crachaient chaque jour leurs milliers de fonctionnaires. Qu’on l’aime
ou non, la Cité, qui avait pour utopie de vouloir réunir l’ensemble des services de l’État de
la Belgique unitaire, a créé un environnement humain qui a laissé des traces : les témoi-
gnages d’anciens travailleurs du site (voir à nouveau le film de Cantraine et d’autres réalisations
de PTTL, BNA, 68 septante 74…) convergent pour souligner leur attachement à ces lieux, aux
relations qui s’y sont nouées, aux souvenirs qui y ont été laissés, au climat de brassage et
d’entente intercommunautaire qui y régnait.

36 Mi c h el H ub er t
Au cours de cette période, les controverses à propos de la Cité furent mises quelque peu
en sourdine. Différents projets pour l’habillage de l’énorme bloc en béton cachant les cages
d’ascenseur côté Jardin botanique furent envisagés mais jamais concrétisés. Le jardin Pechère
fut inscrit à l’Inventaire du patrimoine (arrêté du gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale du 16 mars 1995) et la halte de Bruxelles-Congrès (construite en 1952 par l’architecte
Maxime Brunfaut) sur la liste de sauvegarde. Les quelques réflexions formulées en termes de
réaménagement portèrent essentiellement sur la liaison du site avec le Jardin botanique. En
1978 déjà, les Archives d’architecture moderne avaient présenté un projet de couverture
de l’avenue Victoria Regina (partie de la petite ceinture qui borde, à ciel ouvert, le Jardin)
avec la suppression partielle du boulevard Saint-Lazare. Cette idée fut reprise en 1985 par
l’Agglomération bruxelloise (ancêtre de la Région de Bruxelles-Capitale) et en 1998 par la
Fondation roi Baudouin (en même temps que deux autres hypothèses d’intervention). À la
fin des années 1990 également, un groupe de parlementaires Écolo organisa une confé-
rence de presse sur la verdurisation de la petite ceinture qui reprenait l’idée du rétablissement
d’une liaison à niveau entre le boulevard du Jardin botanique et le parc.
Le 20 décembre 2001, suivant une politique budgétaire engagée en 2000, le gouverne-
ment fédéral Verhofstadt I vend la tour des Finances et les parkings sous le jardin Pechère
à la société d’origine hollandaise Breevast Belgium NV 75. Deux ans plus tard, le 16 avril
2003, le reste de la Cité est vendu au même investisseur. En 1999 déjà, André Flahaut,
ministre de la Fonction publique sous le dernier gouvernement Dehaene, évoquait l’idée d’une
vente à un seul propriétaire en vue d’une rénovation et « d’y amener d’autres activités 76 ».
Fin 2004, les derniers fonctionnaires quittent les lieux ; les bâtiments sont entièrement vides.
La principale motivation de ces ventes était de faire entrer de l’argent frais dans les caisses
de l’État pour réduire la dette et surtout, à plus brève échéance, atteindre l’équilibre budgé-
taire pour l’année. Elles résultaient aussi de l’incapacité des pouvoirs publics de mener à
bien la rénovation (et le désamiantage) d’immeubles de grande taille dont ils étaient proprié-
taires (voir à ce sujet la saga de la rénovation du Berlaymont, siège de la Commission
européenne). Dans un rapport publié en août 2006, la Cour des comptes a toutefois vive-
ment critiqué la manière dont l’État fédéral a conduit ces opérations. En particulier, la précipitation
avec laquelle la vente de la tour des Finances fut menée (l’appel d’offres a été lancé le
2 août 2001 et la vente conclue le 20 décembre) aurait donné lieu à de graves négligences.
Ainsi, aucune estimation n’aurait précédé la vente, qui portera sur un montant de 276,5 millions
d’euros, et le contrat de sale and lease back, grâce auquel l’État s’engageait à reprendre en
location le bâtiment pour une période de trente ans, aurait été calculé à partir d’hypothèses

U n pas s é b ien p ré s e n t. L e site de la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme bruxellois 37


Fig. 11 et 12. La tour des Finances avant et après rénovation, vue depuis le Jardin botanique. (Photos Michel Hubert.)

« erronées » ou « peu pertinentes » 77. Quant aux bâtiments de la Cité elle-même, ils ont fait
l’objet d’une première estimation à 74 millions, revue par deux fois à la baisse par la Régie
des bâtiments (sous la responsabilité du secrétaire d’État Rik Daems) : une première à 70 millions
et une seconde à 50 millions. Cette baisse a été motivée par le coût du désamiantage et
par le fait que la Cité ne serait pas relouée à long terme. Le prix de vente final ne fut toute-
fois que de 27,1 millions, faute d’une offre plus élevée. Au total, le montant des locations
payées par l’État pour les deux années d’occupation suivant la vente s’est élevé à près de
80 % du prix d’achat et est donc retourné à l’acheteur, ce qui fait que, de toute évidence,
cette opération ne fut « absolument pas rentable pour les autorités fédérales 78 ».
Début janvier 2007, la presse révélait que la société immobilière Robelco, concurrent de
Breevast lors des appels d’offres de 2001 pour la tour et de 2003 pour le reste de la Cité,
avait déposé plainte contre Breevast devant le tribunal de première instance de Bruxelles,
en s’appuyant notamment sur certains éléments du rapport de la Cour des comptes pour
arguer que, pour la tour, l’État aurait conclu un contrat de location avec Breevast avant
même qu’il y ait eu un accord au sujet de la vente. Il ne nous appartient pas ici de trancher
le différend. On peut néanmoins observer qu’avec un loyer de base de 24,8 millions d’euros
par an, réévaluable en fonction des travaux et déjà ajusté à 42,7 millions, pour une durée

38 Mi c h el H ub er t
de location prolongée jusqu’au 31 décembre 2034, l’État belge s’est engagé pour la seule
tour des Finances dans un investissement démesuré. Au total, la faible rentabilité des deux
opérations de vente pour l’État belge semble couronner de bien mauvaise façon une aven-
ture de cinquante années. Elle donne par contre les coudées franches au nouveau propriétaire
qui aura tout le loisir de négocier un réaménagement des lieux conforme à ses intérêts.

Un nouvel avenir pour la Cité ?

En menant à bien — certes non sans peine ! — son projet de réaliser une Cité administra-
tive à Bruxelles, l’État belge unitaire a joué un rôle de premier plan dans l’urbanisme bruxellois.
En vendant la Cité (et bien d’autres bâtiments dans la foulée : ministère de l’Emploi et du
Travail, complexe Egmont, Institut national de statistiques, Moniteur belge…), l’État fédéral
signe en quelque sorte son retrait définitif de la scène urbanistique bruxelloise et ouvre une
nouvelle ère 79. Dorénavant, les autorités régionales bruxelloises, instituées en 1989 avec
l’urbanisme et l’aménagement du territoire dans leurs attributions, n’ont plus qu’une maîtrise
foncière limitée — la Région de Bruxelles-Capitale aurait d’ailleurs été bien en mal de racheter
elle-même la Cité. Et, si elles veulent voir aboutir dans un délai raisonnable la réaffectation
de grands sites urbains comme celui de la Cité, elles devront nécessairement jouer un jeu
coopératif subtil avec les autorités communales, d’une part, et avec les investisseurs privés,
d’autre part ; pour paraphraser Bourdin et ses collègues, les règles du jeu urbain semblent
plus que jamais se situer désormais entre droit et confiance 80. Commence alors ce que l’on
pourrait appeler une course de vitesse entre les pouvoirs publics, entre eux et vis-à-vis du
nouveau propriétaire, pour mener les réflexions et mettre en place le cadre juridique pouvant
guider la réaffectation du site.
En 1999, soit bien avant la vente de la Cité par l’État, dans la perspective du départ
prochain de plusieurs administrations et de la mise en œuvre du plan communal de déve-
loppement (PCD) 81, la Délégation au développement du Pentagone (DDP) est chargée par
la Ville de Bruxelles d’organiser une table ronde rassemblant les acteurs intéressés par ce
dossier. Lors de la première réunion de cette table ronde, le 12 février, se trouvent ainsi
représentés, outre la Ville : l’État belge, la Communauté française (qui, contrairement aux
Régions flamande et wallonne, a toujours l’intention de se maintenir sur le site), la Région
de Bruxelles-Capitale, plusieurs écoles d’architecture, des associations (l’Atelier de recherche
et d’action urbaines, Inter-Environnement Bruxelles, les comités d’habitants et de commer-
çants du quartier Notre-Dame aux Neiges) 82 et certaines sociétés riveraines (Crédit communal

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de Belgique, Banque nationale, City Parking, Foyer bruxellois, Codemer, Sopima…). Au fil
de la dizaine de réunions qui suivront, les réflexions mettront notamment en avant les prio-
rités suivantes : réintroduire de la mixité fonctionnelle sur le site, améliorer les cheminements
piétons entre le bas et le haut de la ville, améliorer l’aspect du boulevard Pacheco (rétré-
cissement de la voirie, suppression des passerelles), remodeler l’esplanade pour améliorer
la vue panoramique sur la ville, améliorer l’accès au Jardin botanique.
En 2001, le plan régional d’affectation du sol (PRAS) place l’ensemble de la Cité admi-
nistrative — à l’exclusion de la tour des finances, qu’il situe en zone administrative, et des
abords de celle-ci, en zone d’équipements d’intérêt collectif ou de service public 83 — dans
une zone d’intérêt régional (ZIR n° 11 « Cité administrative »), c’est-à-dire « affectée aux loge-
ments, aux commerces de proximité, aux bureaux, aux activités productives et aux équipements
d’intérêt collectif ou de service public 84 ». Plus précisément, le programme de la ZIR prévoit
qu’au moins 35 % de la superficie totale de plancher soit affecté au logement. L’idée de
mixité fonctionnelle, déjà avancée lors de la table ronde, est donc retenue, même si l’exclu-
sion de la tour des Finances du périmètre en réduit considérablement la portée et que le
mode de calcul des 35 % de logement fera plus tard l’objet d’âpres négociations. La ZIR
prescrit également que l’ensemble devra viser à « l’amélioration de la perméabilité piétonne
et cyclable du site et à l’aménagement du boulevard Pacheco entraînant la réduction de sa
largeur carrossable », en précisant que « l’accès vers le boulevard Saint-Lazare sera main-
tenu » 85. Autrement dit, l’amélioration des circulations sur le site est prévue conformément
au souhait général mais, s’il s’agit d’améliorer l’accès au Jardin botanique en couvrant l’avenue
Victoria Regina, le boulevard Saint-Lazare qui sépare aujourd’hui le Jardin botanique en
deux devra être conservé. C’est du moins ce que l’on peut lire entre les lignes, compte tenu
de l’exigence de la commune de Saint-Josse-ten-Noode qui craint que la suppression de ce
boulevard et la réunification du Jardin botanique réduisent l’accessibilité de la commune 86.
En 2002, l’ensemble du site de la Cité administrative et de ses abords (y compris le Jardin
botanique et la tour des Finances) est ensuite placé par le plan régional de développement
(PRD) dans une zone levier (n° 6 « Botanique ») 87, dont le développement sera jugé priori-
taire, avec cinq autres sur quatorze, par l’accord de gouvernement bruxellois de 2004. Un
nouvel outil, le « schéma directeur », est mis en avant pour la première fois dans cette accep-
tion (voir chapitre suivant), comme l’instrument privilégié du développement des zones leviers.
Étant donné que les prescriptions du PRAS doivent être coulées dans un plan particulier
d’aménagement du sol (PPAS), la Ville de Bruxelles, dont c’est la tâche, entame la prépa-
ration de ce PPAS (PPAS 99-03 « Pacheco ») dans le but de « définir les intentions de la Ville

40 Mi c h el H ub er t
en ce qui concerne l’aménagement de l’ensemble du site de la CAÉ 88 ». On peut considérer
qu’il s’agit là d’un acte politique des autorités de la Ville, et en particulier de l’échevin de
l’Urbanisme de l’époque Henri Simons (Écolo, passé au PS après les élections de 2006),
qui souhaitent présenter un cadre juridique clair aux futurs investisseurs à la veille de la
vente de la Cité par l’État. Le « dossier de base », arrêté le 23 septembre 2002, promeut
cinq grands principes d’aménagement : à côté de ceux déjà bien souvent avancés (réta-
blissement des liaisons est-ouest et nord-sud, recréation d’un quartier multifonctionnel, accueil
des grands projets métropolitains et régionaux, intégration de la dimension déplacements
autour du site), apparaît, pour la première fois aussi nettement, l’idée de « respecter et inté-
grer les patrimoines ». Par rapport au patrimoine moderniste tout d’abord 89, le dossier affirme :
« Certains éléments architecturaux sont devenus une partie de notre patrimoine collectif et
méritent à ce titre d’être pris en considération dans l’aménagement futur. De contrainte, les
éléments patrimoniaux doivent devenir des atouts du développement 90. » C’est bien d’élé-
ments architecturaux dont il s’agit : jardin Pechère, certains immeubles de part et d’autre de
l’esplanade (blocs C, D, F), le grand restaurant (dont il est dit par ailleurs qu’il est suscep-
tible d’accueillir des activités culturelles telles qu’un musée d’art moderne ou un centre de
congrès), la halte de la gare du Congrès… Les conceptions urbanistiques de la Cité conti-
nuent pourtant à poser problème : « L’esplanade est probablement la partie la plus difficile
à aménager » et son niveau devra « être modifié de façon à créer un raccord plus harmo-
nieux avec le boulevard Pacheco » 91, un front bâti devrait également être établi au droit de
la différence de niveau entre le jardin Pechère et l’esplanade… Le dossier voit aussi dans
la rénovation de la Cité une opportunité de rétablir les alignements anciens : du côté sud,
en reconstruisant le long des rues Montagne de Sion et Montagne de l’Oratoire ; du côté
nord, en redonnant « un socle de commerces et de bureaux au pied de la tour des finances,
sur trois de ses côtés, permettant une meilleure urbanité liée à une continuité construite et
un extérieur activités / commerces à la porte de Schaerbeek 92 ». Enfin, la colonne du Congrès
et sa place constituent aussi des éléments patrimoniaux à prendre en compte.
L’élaboration du PPAS n’ira pas plus loin que le « dossier de base ». La Ville est consciente
que sa marge de manœuvre est réduite. Les hypothèses évoquées dans le dossier « sont trop
sommairement décrites pour accompagner le cahier des charges de la vente éventuelle, cette
année encore, du reste de la CAÉ 93 » et doivent encore faire l’objet de négociations avec
la Région qui doit, par un arrêté, édicter les grandes lignes du futur PPAS (voir chapitre II).
Pour les pouvoirs publics, il est donc trop tard pour fournir un cadre juridique clair aux futurs
investisseurs et prendre la main. La Ville annonce toutefois qu’« afin de garantir le respect

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des intentions du PRAS et de la Ville, celle-ci pourra exiger, pour chaque demande de permis
d’urbanisme introduite avant l’entrée en vigueur du PPAS, le respect du quota minimum de
35 % de logements 94 ».
Début 2003, le gouvernement régional — et singulièrement sa composante MR, parti sorti
en 2000 de la majorité à la Ville de Bruxelles — s’inscrit plus activement dans le processus
réflexif. Le secrétaire d’État MR à l’Aménagement du territoire, Willem Draps, commande
une étude au bureau Altiplan, intitulée « Étude préalable à la mise en œuvre de la ZIR n° 11
“Cité administrative“ ». Il s’agit de la première étude fouillée sur le sujet. Elle fournit un certain
nombre d’informations utiles concernant l’échéance des baux de location 95, les impossibi-
lités techniques attachées au pertuis de la jonction Nord-Midi 96, etc. Elle tient compte des
principes mis en avant par la Ville dans le dossier de base pour le PPAS « Pacheco » et les
met en plans, concluant que « la confrontation des principaux outils urbanistiques mis en
œuvre ou en projet par les deux niveaux de pouvoir [régional et communal] montre que les
objectifs et moyens pour modifier la situation existante se rejoignent particulièrement bien
sur la zone étudiée » et qu’« aucune contradiction notoire n’apparaît 97 ». Le rapport final,
remis le 12 décembre 2003, développe le projet de la Région qui inclut notamment, photos
d’exemples étrangers à l’appui, la reconstruction d’immeubles mixtes (hôtel, logement,
commerces, bureaux) dans l’alignement du boulevard du Jardin botanique (rez + 8) et de
la rue Royale (rez + 6), au pied de la tour. Les auteurs de l’étude reconnaissent toutefois
que « le projet de rénovation de la tour des Finances n’est pas entièrement coordonné avec
ce plan 98 ». Au contraire du projet de la Ville, les aménagements en termes de circulation
sur le site 99 nécessitent le remplacement du jardin Pechère « par un nouveau jardin appro-
prié aux nouveaux tracés de circulation et aux nouvelles affectations 100 ». Enfin, l’intérêt
patrimonial des bâtiments de la Cité réside, pour les auteurs de l’étude, « dans leur volu-
métrie plus que dans leurs détails constructifs. […] Leur reconstruction totale ou partielle serait
dès lors acceptable 101 ». Au-delà des propos consensuels, notons qu’il s’agit bien là de diver-
gences majeures avec la position de la Ville.
De son côté, pour faire face au défi qui l’attend, le nouveau propriétaire de la Cité crée
une société, le « RAC Investment Group », dans laquelle il cède la moitié de ses droits de
propriété sur la Cité administrative (hors tour des Finances) à deux opérateurs bien implantés
à Bruxelles : Dexia (25 %) et Immobel / Compagnie immobilière de Belgique (25 %). Pour la
tour, Breevast fait appel au bureau d’architecture M. & J.-M. Jaspers – J. Eyers & Partners,
qui présente un projet provisoire à Cannes au Mipim 2003. Le permis d’urbanisme, dont
la demande est introduite le 18 juillet 2003, est délivré un an plus tard, enclenchant ainsi

42 Mi c h el H ub er t
la rénovation des 200 000 m2 du bâtiment 102. Celle-ci débute en janvier 2005 par les travaux
de désamiantage (1 000 tonnes d’amiante sont extraites en 57 semaines). L’énorme bloc
en béton contenant les cages d’ascenseurs est démantelé et l’entrée de la tour placée du
côté du boulevard du Jardin botanique. La façade en verre reçoit un nouvel habillage, sans
grande originalité, et une nouvelle couleur. Suite à la démolition des deux passerelles surplom-
bant le boulevard Pacheco, l’accès aux jardins Pechère est amélioré grâce à de nouveaux
escaliers au coin des boulevards du Jardin botanique et Pacheco. En moins de quatre ans
à peine (janvier 2005-mai 2008) 103, les travaux réalisés contrastent avec les quinze années
nécessaires à la construction initiale. Toutefois, cet aménagement ne tient que très partiel-
lement compte du souhait de la Ville et de la Région de voir reconstruit le front bâti le long
du boulevard du Jardin botanique et de la rue Royale. Seul un nouvel immeuble de bureaux
a été édifié le long de la rue Royale qui vient encore renforcer le caractère monofonctionnel
des lieux et montre l’indépendance du propriétaire par rapport aux souhaits des pouvoirs
publics, souhaits qui n’ont encore aucune existence légale.
Au même moment, l’avenir de la Cité interpelle également un certain nombre d’« acteurs
informels émergents » qui se sont fait connaître à Bruxelles à partir du milieu des années
1990. Ces acteurs, structurés sous la forme de « collectifs » ou de « fondations » éphémères
et composés essentiellement de jeunes intellectuels et artistes, ont joué un rôle important dans
la mise à l’agenda urbain de certains sites ou problèmes et dans l’enrichissement du débat
à leur sujet 104. Constitué début 2001 pour lancer la réflexion autour de la destruction des
tours modernistes Martini et Lotto, le collectif Disturb, composé principalement de jeunes
architectes, urbanistes, géographes…, a été le premier à s’intéresser à la Cité après son
abandon par l’État 105. Le 10 novembre 2003, alors que l’étude Altiplan touche à sa fin,
Disturb, en collaboration avec City Mine(d), organise un débat autour de la question « Quel
avenir pour la Cité administrative ? » dans la salle polyvalente de la Cité avec la participa-
tion de divers intervenants politiques, associatifs, académiques et administratifs. Il est intéressant
de noter que ce débat, qui réunira près de trois cents personnes et aura un impact média-
tique important, se tiendra en l’absence du nouveau propriétaire, qui décline l’invitation. Le
futur auteur principal du schéma directeur « Botanique », Benoit Moritz, membre de Disturb,
y participera en revanche, mais pas à ce titre, de même que Xaveer De Geyter, dont le
projet remportera en 2006 le concours pour le réaménagement de la place Rogier 106.
Fort de ce succès, Disturb organisera les 19, 20 et 21 mars 2004, en collaboration avec
City Mine(d), le bureau d’architecture V+ 107 et Gwenaël Breës 108, un week-end de réflexion
dédié à la Cité administrative sur le site même. Intitulé « MapRAC 109 », il rassemblera environ

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Fig. 13. Session de travail au MapRAC dans le
grand restaurant de la Cité. (Source : City Mine(d).)

cent cinquante personnes (architectes, urbanistes, sociologues, historiens, géographes, artistes…)


concernées par le devenir du site et de la ville en général. La crainte des organisateurs est
celle d’un démantèlement total et donc d’un nouveau chantier lourd et particulièrement long
pour Bruxelles, sans débat public préalable. Un document de synthèse publié suite au week-
end en reprend la structure : une première partie regroupe le résumé des cinq ateliers « état
des lieux » (« Procédure », « Socio », « Archi », « Urbanisme », « Mobilité ») et une deuxième
les visions à court et long termes 110. On retrouve parmi les responsables des ateliers des
membres de Disturb, des enseignants ou assistants à l’Institut supérieur d’architecture de La
Cambre, des chercheurs de l’Université libre de Bruxelles (ULB), certains portant plusieurs
de ces casquettes. La réflexion se situe à différentes échelles : locale, régionale, internationale.
Certaines idées forces développées dans les ateliers se retrouveront dans l’action du nouveau
gouvernement régional issu des élections de juin 2004 111, dont celles de « marché de défi-
nition », de « schéma directeur » ou encore d’une « agence régionale d’urbanisme ». L’atelier
« Urbanisme » animé par Benoit Moritz (au titre d’assistant à La Cambre) insiste en particu-
lier sur la nécessité de réfléchir à la fois à l’avenir de la Cité et à celui de l’ensemble de la
jonction Nord-Midi pour en faire un axe structurant et fédérateur. La revendication immé-
diate issue de MapRAC est que « soit mise en place par les pouvoirs publics et les propriétaires
privés une réflexion sur l’utilisation à court terme du site et de ses bâtiments ». À part quelques
opérations ponctuelles dans les mois qui suivront, cette revendication ne sera pas rencontrée.
Parmi ces opérations ponctuelles 112 figure néanmoins le festival PleinOPENair organisé
par le cinéma Nova et City Mine(d) sur le site et qui amènera du 9 août au 4 septembre 2004

44 Mi c h el H ub er t
un grand nombre de visiteurs attirés par les multiples projections, concerts et animations qui
y furent organisés 113. Dans le cadre de ce festival, l’association Brusselse Raad voor het
leefmilieu (BRAL) organisera deux promenades guidées (les 29 août et 5 septembre) intitu-
lées « Toer déZIR » et reliant la réflexion relative à la Cité à celle d’autres ZIR (Gaucheret
dans le quartier Nord, Tour et Taxis 114, Schaerbeek Formation…). Cette initiative est impor-
tante à un double titre. Non seulement elle établit une connexion avec les autres ZIR. Mais
elle marque aussi l’entrée du BRAL sur le terrain de la Cité administrative, soit d’une asso-
ciation active depuis de nombreuses années sur d’autres sites (Tour et Taxis, quartier Nord…)
et qui entend mettre en avant le « schéma directeur » comme procédure participative pour
orienter la réaffectation de ces zones. Fin 2004, dans son « werkingsprogramma 2005 »,
le BRAL mettra d’ailleurs l’accent sur l’importance des ZIR et d’y développer une méthodo-
logie participative. Ce document sera envoyé aux différents ministres du nouveau
gouvernement issu des élections régionales de juin. Fin décembre, le cabinet du ministre-
président Charles Picqué demande au BRAL de « faciliter la concertation entre les habitants
et le gouvernement » lors de l’élaboration du schéma directeur d’un certain nombre de ZIR,
en particulier la Cité administrative et Tour et Taxis. Ainsi, entre la ZIR n° 11 « Cité admi-
nistrative », la zone levier n° 6 « Botanique », le PPAS 99-03 « Pacheco », les mobilisations
citoyennes et les initiatives du nouveau propriétaire, l’incertitude est totale en 2005, mais
tous les acteurs sont en piste. La suite de l’histoire est racontée aux chapitres suivants.

Conclusion

À maints égards, l’histoire du site de la Cité administrative de l’État apparaît comme un


formidable condensé de l’histoire de l’urbanisme bruxellois, voire de l’évolution qu’a connue
l’urbanisme en général dans de nombreuses villes européennes.
La physionomie actuelle de ce morceau de ville est principalement le résultat de trois grandes
mutations qui trouvent encore aujourd’hui des prolongements dans les réflexions suscitées
par la réaffectation du site. L’urbanisation du quartier Notre-Dame aux Neiges, à l’est du
site, fut tout d’abord typique de l’urbanisme du XIXe siècle, caractérisé par le nivellement des
sols, la création de perspectives et une vision somme toute plus esthétique que fonctionnelle.
Se font l’écho de cette époque les questions du panorama et de l’escalier monumental, soule-
vées par plusieurs participants au débat actuel, et encore celles de l’attractivité et de la
mixité sociale, cette dernière étant entendue très clairement à l’époque comme l’introduc-
tion de catégories sociales aisées dans des quartiers initialement populaires. La pratique du

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concours d’architecture, mise en œuvre pour l’aménagement de la place des Panoramas
(devenue place du Congrès) et déjà controversée alors, est également revenue à l’ordre du
jour, notamment, on y reviendra dans le chapitre suivant, à l’initiative de la société Breevast,
propriétaire de la Cité. Enfin, le peu de prise en compte du quartier Notre-Dame aux Neiges
et de la place du Congrès dans le schéma directeur « Botanique » — en raison du décou-
page administratif de la zone levier opéré a priori — pose question compte tenu de la
nécessité, reconnue par tous, de recréer des liaisons entre l’est et l’ouest du site, le haut et
le bas de la ville.
La construction en sous-sol de la jonction ferroviaire Nord-Midi entamée en 1903 et achevée
en 1952 est la deuxième évolution marquante pour le quartier. Réalisation majeure de la
fin de l’ère industrielle, cette jonction consacre le chemin de fer comme mode de transport
privilégié des personnes et des marchandises et est inaugurée au moment précis — et combien
paradoxal — où surgit le take off automobile 115. Cette construction laisse le quartier des
Bas-Fonds éventré et réalise la « table rase » qui rendra possibles la centralisation des admi-
nistrations de l’État jusque-là éparpillées et l’édification, en plein centre-ville, d’une immense
Cité pour les accueillir. Cela étant, les lenteurs de la construction tant de la jonction que de
la Cité, comme celles de la transformation du quartier du Midi actuellement, montrent les
difficultés des pouvoirs publics à réaliser des projets de grande envergure lorsqu’ils sont aux
prises tout à la fois avec leurs propres contradictions et des difficultés budgétaires considé-
rables. La jonction Nord-Midi laisse aussi aux opérateurs d’aujourd’hui des contraintes techniques
imposées par la présence en sous-sol d’un pertuis à maintenir en bon état et à ne pas surcharger.
Enfin, la construction de la Cité administrative de l’État apparaît comme le résultat de la
rencontre entre, d’une part, les exigences fonctionnelles d’un système bureaucratique dési-
reux de se calquer sur l’organisation fordiste de la production et, d’autre part, une architecture
moderniste, elle aussi fonctionnaliste. L’abandon de la Cité par l’État 116 laisse ainsi un patri-
moine situé de manière exceptionnelle dans la ville et représentatif d’une époque marquée
par la foi dans le progrès. Mais il représente surtout aujourd’hui un enjeu et un défi énormes :
comment pallier les inconvénients de l’urbanisme de dalle — les problèmes de traversée, le
manque d’animation… — et à ceux du maintien d’une tour exclue du périmètre du schéma
directeur et qui, contrairement au souhait de ses concepteurs initiaux, ferme le site plutôt
qu’elle ne l’ouvre ? Conçus aussi à l’époque des « Trente Glorieuses » et réalisés pour l’Exposition
universelle de 1958, les tunnels de la « petite ceinture », qui jouxte la Cité administrative,
relèvent de la même vision fonctionnaliste de la ville et de la mise en œuvre des principes
du « traffic engineering » qui montrent plus que jamais leurs limites 117. L’enfouissement de

46 Mi c h el H ub er t
la partie de la petite ceinture qui longe le parc du Jardin botanique fait d’ailleurs partie du
programme du schéma directeur « Botanique » (voir chapitre III) avec pour objectif de réduire
l’impact visuel et physique de cette infrastructure.
On le voit, les trois périodes marquantes qui ont été évoquées dans ce chapitre ont en
commun d’avoir donné naissance à des réalisations urbanistiques d’envergure sur un mode
résolument « hiérarchique », sans réelle implication dans la décision des niveaux de pouvoir
inférieurs (en l’occurrence la Commune puisque la Région de Bruxelles-Capitale n’existait
pas encore) et sans mise en place de dispositifs consultatifs ou participatifs impliquant les
citoyens à quelque échelle que ce soit. Or c’est précisément l’un des objectifs du « schéma
directeur » examiné dans la suite de cet ouvrage de tenter de proposer un mode de gestion
impliquant davantage, en amont de la décision, tous les acteurs concernés.
En 2001, la vente par l’État fédéral de la tour des Finances, puis du reste de la Cité admi-
nistrative en 2003, marque sans conteste la fin d’une ère et le début d’une nouvelle. L’État-nation
belge a vécu et cesse d’être un acteur foncier de premier plan, à Bruxelles comme ailleurs 118.
Ni la Région de Bruxelles-Capitale, ni les Communes (la Ville de Bruxelles dans le cas qui
nous occupe) ne sont en mesure d’assurer la succession de l’État central sur ce plan. Bien
plus, Région et Ville se sont dans un premier temps engagées dans une course de vitesse
marquée par une âpre concurrence pour tenter d’imposer un cadre juridique au privé. Dans
la partie, la Ville sera la première sur la balle en organisant dès 1999 une table ronde sur
l’avenir de la Cité et en définissant en 2002 un certain nombre de principes de base pour
le réaménagement du site, et ce dans le cadre d’un plan particulier d’aménagement du sol
(PPAS) dont l’élaboration sera vite interrompue. Il faudra dès lors attendre 2004 et que majo-
rités régionale et communale soient identiques pour que les deux niveaux de pouvoir marchent
de concert. Trop tard pour reprendre véritablement l’initiative. Autrement dit, un temps précieux
aura été perdu sans que la question de la juste articulation entre niveau communal et niveau
supérieur (régional aujourd’hui, national jadis) soit entièrement clarifiée, comme l’attestent
les négociations toujours en cours en 2008 entre Ville et propriétaire à propos de la manière
dont le schéma directeur peut être accommodé et coulé dans le PPAS que la Ville se doit
cette fois d’achever.
Enfin, alors que l’avenir de la Cité a donné lieu à une mobilisation citoyenne et réflexive
d’une ampleur exceptionnelle, l’implication ultérieure de deux de ses acteurs clés dans le
dispositif d’élaboration du schéma directeur — Benoit Moritz comme chargé d’étude 119, le
BRAL comme animateur de la participation — a peut-être eu comme effet involontaire d’assou-
pir quelque peu cette mobilisation par la suite, par la confiance placée dans ces deux acteurs

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voire le souci de ne pas en contester la légitimité 120. Il n’est dès lors sans doute pas éton-
nant, comme on le verra (voir le chapitre VI), qu’un acteur associatif historiquement contestataire
— l’Atelier de recherche et d’action urbaines (ARAU) — et resté largement à l’écart de la
mobilisation citoyenne de 2003-2004 ait été l’un des seuls à exprimer des réserves majeures
par rapport au schéma directeur et au processus « participatif » qui y a conduit.

1. Ma gratitude va à Patrick Burniat, Florence Delmotte, CFC-Éditions / Paul Legrain, 1990), et tome II : De l’Expo
Marie Demanet, Jean-Louis Genard et Benoit Moritz pour 58 au siège de la CEE (Bruxelles, Paul Legrain, 1992).
leurs commentaires féconds sur une version antérieure 6. Le collectif Disturb, dont fait partie Benoit Moritz, le
de ce texte. chargé d’étude qui reçut la mission d’élaborer le schéma
2. Le nom de schéma directeur « Botanique » est celui directeur « Botanique » (voir chapitres II et III), milite depuis
de la zone levier à laquelle il s’applique. Comme nous le début des années 2000 pour la réintroduction des
le verrons au chapitre suivant, la délimitation de cette concours d’architecture à Bruxelles, moyen clé selon lui
zone a subi des évolutions importantes ; dans une certaine d’enrichir le débat urbanistique (http://www.disturb.be).
mesure, cette délimitation fait aussi partie de la mission 7. Des servitudes de hauteur dans les Bas-Fonds garan-
assignée aux auteurs du schéma directeur. tissaient également le panorama.
3. En tant que tel, le Jardin botanique n’est donc pas au 8. Augustin BERQUE, Les Raisons du paysage. De la
cœur des préoccupations du schéma directeur Chine antique aux environnements de synthèse, Paris,
« Botanique », qui devrait néanmoins viser à en améliorer Hazan, 1995.
l’accessibilité et la tranquillité. Sur l’origine et l’histoire 9. Michel LUSSAULT, L’Homme spatial. La construction
du Jardin botanique, lire Denis DIAGRE, Le Jardin bota- sociale de l’espace humain, Paris, Le Seuil, « La couleur
nique de Bruxelles (1826-1912) : miroir d’une jeune des idées », 2007, p. 136.
nation, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, Faculté 10. Ibid., p. 139.
de philosophie et lettres, Thèse de doctorat en histoire, 11. Paysage que l’on peut « saisir d’un seul coup d’œil,
2006 et Jean-Claude RICQUIER et al., Le Botanique de après une phase de décryptage éventuel » (id.).
1829 à nos jours, Bruxelles, CFC-Éditions / Les Éperon- 12. Paysage « marqué par le déplacement continu de la
niers / La Lettre volée, 1993. séquence paysagère devant l’observateur qui, bien
4. Jean-Louis GENARD, « Quelle identité pour Bruxelles ? », qu’en mouvement, paraît être un point fixe » (id.). De plus
Les Cahiers de La Cambre – Architecture, n° 5, « Bruxelles en plus présent aujourd’hui, il est organisé par les opéra-
l’Européenne. Capitale de qui ? Ville de qui ? », Bruxelles, teurs des grands aménagements routiers ou ferroviaires.
La Lettre volée, 2006, p. 254-282. 13. Marcel SCHMITZ, Figures de Bruxelles, Bruxelles,
5. Pour les données historiques relatives au quartier, nous Art et techniques, 1944, p. 23-25.
nous basons principalement sur Thierry DEMEY, Bruxelles. 14. Les connaisseurs savent que, depuis quelques
Chronique d’une capitale en chantier, tome I : Du voûte- années, l’on peut profiter aussi du restaurant panora-
ment de la Senne à la jonction Nord-Midi (Bruxelles, mique aménagé sur le toit du musée des Instruments de

48 Mi c h el H ub er t
musique et de la vue au sommet de la basilique de 43 millions de voyages sur le réseau belge en 1880 à
Koekelberg ou de l’arc du Cinquantenaire. 123 millions en 1900 et au double vingt ans plus tard.
15. Parlant du paysage visible depuis la place des 28. Ibid., p. 199-200, pour plus de détails.
Panoramas, Marcel SCHMITZ écrit : « Cette absence totale 29. Sur les Bas-Fonds, voir « Le quartier des Bas-Fonds »,
de dessin accable l’esprit. Elle donne l’impression d’un Cercle d’Histoire de Bruxelles et extensions, n° 96, 2007,
entassement auquel aucun ordre, aucune pensée direc- p. 3-13.
trice n’ont présidé. La contemplation s’en détourne » 30. La Faculté universitaire Saint-Louis est issue d’une
(Figures de Bruxelles, op. cit., p. 23). section de philosophie créée au sein de l’Institut de
16. Co-auteur aussi de la rénovation de la tour des commerce Saint-Louis, transféré à cet endroit en 1858
Finances. après vingt années d’existence à Malines (Gaston
17. Joël CLAISSE (s.l.d.), Change. Brussels, Capital of BRAIVE, Histoire des Facultés universitaires Saint-Louis.
Europe, Bruxelles, Prisme, 2004. Des origines à 1918, Bruxelles, Publications des Facultés
18. Inspiré par les travaux de Georges-Eugène universitaires Saint-Louis, 1985).
Haussmann, qui redessina Paris dès le milieu du XIXe siècle, 31. Depuis le sommet historique de 183 686 habitants
et d’Ildefonso Cerda, auteur du plan de Barcelone et de en 1900, la population du centre de Bruxelles n’a cessé
la Teoria general de la urbanization (1867), cet urba- de diminuer jusqu’au milieu des années 1990 (environ
nisme fait la part belle aux « perspectives » selon une 40 000 habitants) pour remonter depuis (plus de 47 000
conception que l’on pourrait qualifier, elle aussi, de en 2007).
« paysagiste », comme celle qui a sous-tendu l’aména- 32. S’appuyant sur le rapport de la commission parle-
gement de certains jardins. mentaire mixte du 22 décembre 1951, Thierry DEMEY
19. Pour un exposé détaillé de l’urbanisation de ce quar- cite les nombres suivants de fonctionnaires des admi-
tier, voir Thierry DEMEY, Bruxelles. Chronique d’une nistrations centrales : 28 184 en 1885, 50 000 en 1911
capitale en chantier, I, op. cit., p. 95-118. et 95 116 en 1950 (Bruxelles. Chronique d’une capi-
20. Pour l’historique du voûtement de la Senne : ibid., tale en chantier, II, op. cit., p. 67).
p. 39-93. 33. Guido Jan BRAL, La Cité administrative de l'État,
21. Cité in ibid., p. 102. Bruxelles, Région de Bruxelles-Capitale, « Bruxelles, ville
22. PRD, Ma ville, mon avenir, 2002, p. 5. d'art et d'histoire », 2007, p. 8.
23. PRD, 1. Attractivité résidentielle, 2002, p. 18. 34. Centralisation et rationalisation ont conduit à la
24. Thierry DEMEY, Bruxelles. Chronique d’une capitale construction un peu partout en Belgique et à l’étranger
en chantier, I, op. cit., p. 114. de « cités administratives ». Elles se sont toutefois souvent
25. Sans compter la rue Royale, entièrement dévolue cantonnées à des niveaux de pouvoir inférieurs (régional,
par le PRAS aux bureaux et aux hôtels. provincial, communal) sans atteindre — à l’exception
26. Sur l’histoire de la jonction Nord-Midi, voir Thierry du cas de Brasilia, sur lequel on reviendra — l’ampleur
DEMEY, Bruxelles. Chronique d’une capitale en chan- de la Cité administrative de l’État de Bruxelles : géné-
tier, I, op. cit., p. 181-246 ; sur son impact aujourd’hui, ralement, il s’agissait d’un seul immeuble et non d’un
voir Serge JAUMAIN (s.l.d.), Bruxelles et la jonction Nord- agencement de plusieurs édifices. C’est ainsi qu’à peu
Midi. Brussel en de Noord-Zuidverbinding, Bruxelles, près à la même époque, Liège (administration commu-
Archives de la Ville de Bruxelles / Studia Bruxellæ, 2004. nale, 1967), Lille (administration municipale, 1958),
27. D’après DEMEY (Bruxelles. Chronique d’une capi- Moscou (district fédéral central, 1963), Atlanta (État de
tale en chantier, I, op. cit., p. 194), on est passé de Géorgie, 1966), Seinäjoki en Finlande (administration

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municipale, 1968) ou Bordeaux (administration munici- fut pas achevée à temps pour accueillir les expulsés. C’est
pale, 1974), par exemple, reçurent leur « cité admi toutefois dans cet ensemble que se recruteront les quelques
nistrative » (voir la base de données internationales d’ou- habitants des Bas-Fonds qui participeront, cinq décen-
vrages d’art sur http://fr.structurae.de/structures). Plus nies plus tard, aux séances publiques organisées en vue
récemment, on lisait dans Le Soir : « Rationaliser. Opti- de l’élaboration du schéma directeur « Botanique » (voir
maliser. Centraliser. Lors de son discours d’investiture, chapitre IV).
le bourgmestre de La Louvière Jacques Gobert (PS) avait 37. Ibid., p. 70.
marqué son intention de rassembler sur une seule 38. Né en 1876, il décède en 1958.
implantation l’ensemble des services administratifs louvié- 39. Ibid., p. 83.
rois. Neuf mois plus tard, la cité administrative de La 40. Le Soir du 19 mai 1956, cité in ibid., p. 86.
Louvière prend forme » (Fabrizio SCHIAVETTO, « La cité 41. Il serait intéressant de faire un historique de la pratique
administrative se dessine », Le Soir, 11 septembre 2007). des concours architecturaux en Belgique et à Bruxelles
Quant à l’ensemble EUR à Rome dont on peut se demander et des arguments mis en avant pour les promouvoir ou
s’il ne représente pas un autre exemple de cité admi- les décrier, jusqu’à leur timide réémergence aujourd’hui.
nistrative de grande ampleur, il le devint par accident 42. Cité in Thierry DEMEY, Bruxelles. Chronique d’une
puisqu’il fut construit pour accueillir l’exposition univer- capitale en chantier, II, op. cit., p. 16.
selle de 1942, qui n’eut jamais lieu en raison de la guerre 43. Jacques ARON, Patrick BURNIAT et Pierre PUTTE-
et de la défaite de l’Italie fasciste — EUR, aussi appelé MANS, Guide d’architecture moderne. Bruxelles et
E42, est l’acronyme de Esposizione Universale Roma. environs 1890-1990, Bruxelles, Didier Hatier, 1990,
Du style néo-classique typique des régimes totalitaires p. 132.
(voir Leonardo BENEVOLO, Histoire de l’architecture 44. Guido Jan BRAL, La Cité administrative de l'État,
moderne, III. Les conflits et l’après-guerre, Paris, Dunod, op. cit., p. 12.
« Espace & Architecture », 1979, p. 45-46), EUR est 45. Ibid., p. 11.
devenu un complexe administratif malgré lui, sans 46. Ibid., p. 15.
résulter du même processus réflexif (tant sur le plan de 47. Id.
la rationalisation administrative que du fonctionnalisme 48. Jacques ARON et al., Guide d’architecture moderne,
architectural, voir infra) et bien avant que d’autres villes op. cit., p. 151.
n’envisagent la construction de centres d’affaires excen- 49. France VANLAETHEM, « Modernisme » in Françoise
trés comme la Défense à Paris ou les Docklands à Londres. AUBRY, Jos VANDENBREEDEN et France VANLAETHEM
35. Thierry DEMEY, Bruxelles. Chronique d’une capitale (s.l.d.), L'Architecture en Belgique. Art nouveau, art déco
en chantier, II, op. cit., p. 69. et modernisme, Bruxelles, Racine, 2006, p. 371.
36. Le manque de prise en compte du problème du relo- 50. Thierry DEMEY, Bruxelles. Chronique d’une capitale
gement du millier d’habitants, la plupart indigents, qui en chantier, II, op. cit., p. 85.
vivaient encore dans les Bas-Fonds et une mauvaise coor- 51. Ibid., p. 85-86.
dination entre l’administration des Bâtiments et le bureau 52. L’URSS était considérée comme « un terrain d’ex-
des architectes sont à l’origine du retard dans les expro- périmentation privilégié pour l’urbanisme vu le défi sans
priations et dans le début des travaux qui aurait dû avoir égal posé par la construction de l’homme nouveau et la
lieu deux ans plus tôt (Ibid., p. 86-88). La construction ville socialiste » (France VANLAETHEM, « Modernisme »,
par le Foyer bruxellois du complexe d’appartements situé loc. cit., p. 383). Une importante consultation sur Moscou
entre les rues de l’Ommegang et de la Blanchisserie ne « ville verte » fut d’ailleurs lancée en 1930.

50 Mi c h el H ub er t
53. Ibid., p. 382. opérations, bien qu’il fût l’aîné du groupe et celui qui
54. Le premier CIAM se tint en 1928 à La Sarraz, en bénéficiât de la plus grande notoriété. Le Premier
Suisse, et le 2e à Francfort en 1929. ministre Van Acker l’y incitait en privé, mais un tel mandat
55. Au milieu des années 1920, la production de Stynen, ne lui fut pas officiellement confié, en raison de la mise
jeune architecte brillant, était « assez éclectique » et son en minorité du gouvernement à ce moment. Stynen avait
univers de référence « instable » (ibid., p. 368). besoin de cette notification car, disait-il, « il n’est pas
56. Victor Bourgeois est, avec Huib Hoste, l’un des deux dans ma nature, et cela ne correspond pas à mes convic-
Belges comptant parmi les architectes fondateurs des tions, d’exercer une autorité qui n’a pas été définie dans
CIAM. le cadre précis d’un mandat en bonne et due forme »
57. Avant que Brasilia ne soit construite pour devenir la (Léon STYNEN cité in Albert BONTRIDDER, id.).
nouvelle capitale du Brésil, un autre projet vit le jour au 62. Thierry DEMEY, Bruxelles. Chronique d’une capitale
lendemain de la révolution brésilienne de Getulio Vargas en chantier, II, op. cit., p. 90. Il s’agit de la superficie
de 1930, qui amena les artistes d’avant-garde, et singu- sans les parkings et les commerces. Le schéma directeur
lièrement les architectes modernistes, à faire partie de « Botanique » (disponible sur http://www.cae-rac.be) offre
l’élite dirigeante. Il s’agit du concours pour la construc- des chiffres plus précis, bâtiment par bâtiment. Le total
tion du ministère de l’Éducation et de la Santé à Rio de général de la Cité (sans la tour) est de 224 770 m2 (dont
Janeiro. Les meilleurs architectes modernistes participè- 129 674 m2 en sous-sol).
rent à ce concours qui eut un grand retentissement. Lucio 63. René Pechère (1908-2002), « notre Magritte des
Costa et Oscar Niemeyer, qui furent plus tard les concep- jardins », comme le titrait Guy DUPLAT dans La Libre
teurs de Brasilia, furent chargés de l’exécution du projet. Belgique du 13 février 2008, a réalisé, outre les jardins
En 1936, ils firent appel à Le Corbusier comme consul- de l’Expo 58, tous les jardins qui bordent le boulevard
tant. Le bâtiment fut terminé en 1946. « C’est la première (que l’on peut qualifier de « boulevard de la Belgique
réalisation d’un type d’édifice auquel Le Corbusier pensait unitaire ») construit au-dessus de la jonction Nord-Midi :
depuis longtemps — le gratte-ciel cartésien avec fonc- ceux du Mont des Arts, de la Cité administrative et du
tion de direction, projeté sans succès pour Paris, Alger, Jardin botanique. À propos des jardins de la Cité, auxquels
Nemours, Buenos Aires — et où tous les points de son il travailla à partir de 1956, il a écrit : « J’aurais aimé
programme architectural sont rigoureusement appliqués noyer ces bâtiments modernes dans un immense tapis de
[…], d’abord dans ses aspects fonctionnels » (Leonardo fleurs parsemé asymétriquement de nombreux carrés
BENEVOLO, Histoire de l’architecture moderne, III, op. comme un tableau de Paul Klee. Ils auraient été reliés
cit., p. 353). Les architectes de la Cité administrative de par une promenade dallée également asymétrique. J’ai
Bruxelles ne purent pas ne pas prendre connaissance fini par me ranger à la volonté unanime d’un projet rythmé.
de cette réalisation. Le projet a dépendu du manque de terre à de nombreux
58. Caroline BERCKMANS et Pierre BERNARD, Bruxelles endroits. Par exemple, les arbres n’ont pu être plantés
‘50 ‘60. Architecture moderne au temps de l’Expo 58, que lorsque l’épaisseur en était suffisante. […] C’est donc
Bruxelles, Aparté, 2007, p. 19. un jardin dont la conception a dépendu plus d’une réalité
59. Albert BONTRIDDER, Léon Stynen, sa vie, son œuvre, technique à la cadence des poutrelles que d’une volonté
Anvers, Comité Stynen, 1979, p. 177. psychologique » (René PECHÈRE, Jardins dessinés.
60. Communication personnelle. Grammaire des jardins, Éditions de l’Atelier d’art urbain,
61. Alors que le dialogue était difficile avec les autres 1987, cité in Parcs et jardins, au fil des saisons, Gembloux,
architectes, Léon Stynen ne reçut pas la direction des Fédération wallonne horticole, hiver 2008, p. 65).

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64. Selon le même principe, et pour ne citer que quelques 71. Yves CANTRAINE, Het Rijksadministratief Centrum.
exemples bruxellois, une longue passerelle permettait de Histoire(s) d’une utopie à vendre, film documentaire,
surplomber l’essentiel du site de l’Expo 58 et une circu- Bruxelles, Les mots bleus, 2006, 94 min.
lation piétonne surélevée fut préconisée également dans 72. « La Cité administrative de l’État », Wonen-TA / BK,
le projet « Manhattan » d’aménagement du quartier Nord. n°15-16, août 1975, p. 56-57. En 1982, les Archives
65. Comme dans le cas de la cité universitaire d’Essex d’architecture moderne (in ARAU, La Reconstruction de
en Angleterre ou du centre-ville de Louvain-la-Neuve. Bruxelles, Bruxelles, Archives d'architecture moderne,
66. Cité in France VANLAETHEM, « Modernisme», Bruxelles, 1982), présenteront, dans la même veine, un
loc. cit., p. 383. projet d’implantation d’équipements publics au boule-
67. D’inspiration plus nettement moderniste, il faut citer, vard Pacheco avec une meilleure perméabilité du site à
de la même époque, l’immeuble dit « le Tonneau » (1938- partir du boulevard grâce à des escaliers monumentaux
1940), avenue Général de Gaulle, des architectes au droit de la colonne du Congrès (projet des architectes
Jean-Florian Collin et Stanislas Jasinski, déjà cité plus Birkiye, Biusieau et Neirinck).
haut. Les immeubles mentionnés ici ont fait l’objet d’un 73. Dans Le Soir des 16 et 17 juillet 1972.
regain d’intérêt ces dernières années et ont tous été classés 74.Voir http://www.pttl.be, http://www.bna-bbot.be et
par la Région de Bruxelles-Capitale. http://www.6870.be.
68. Il est intéressant de mentionner que Victor Horta lui- 75. Le site Internet www.breevast.be indique que
même projeta à la fin des années 1930 et avant 1947 « Breevast Belgium fait partie du groupe immobilier
(année de sa mort) un immeuble-tour pour ce site, ainsi Breevast BV Constitué en 1963, Breevast BV est spécia-
que pour celui où se situe aujourd’hui la galerie lisé dans la promotion, l’exécution et la gestion de projets
Ravenstein. d’immobilier de bureaux, commercial et résidentiel en
69. Le rôle de Van Kuyck dans le comité des architectes Europe centrale et occidentale et en Amérique du Nord.
de la Cité devint important après le départ de Léon Stynen Afin de répartir les risques, l’entreprise cherche à diver-
en 1959 et le décès de Georges Ricquier en 1963 (ils sifier son portefeuille entre différents secteurs et pays.
ne furent ni l’un ni l’autre remplacés). En étroite colla- Son siège central est établi à Amsterdam. Breevast Belgium
boration avec Lambrichs, il se penche exclusivement sur exerce les mêmes activités sur le territoire belge et accom-
la conception de la tour des Finances et mourra en 1975, pagne également des projets initiés au grand-duché de
alors que celle-ci atteignait le troisième étage (voir Guido Luxembourg. Son siège central se situe à Anvers, dans
Jan BRAL, La Cité administrative de l’État, op. cit., p. 12). le bâtiment classé de l’architecte Léon Stynen », dont on
70. Caractéristique du Style international, cette technique se rappellera qu’il est aussi l’un des architectes de la
de la façade-rideau, qui connut un développement remar- Cité administrative.
quable à l’époque, fut utilisée intensivement partout ailleurs 76. Vincent CARTUYVELS et Jacques BORZYKOWSKI,
dans la Cité. Elle repose sur un déplacement vers l’in- La Cité dans tous ses états, film documentaire, Bruxelles,
térieur du système porteur du bâtiment, constitué d’une Centre vidéo de Bruxelles / Arcadia / RTBF, 2000, 30 min.
ossature de béton et / ou d’acier. « Dans ces immeubles 77. La Vente de patrimoine immobilier par la Régie des
entièrement vitrés, la recherche architecturale de la façade bâtiments, rapport de la Cour des comptes transmis à
se résume à un dessin rigoureux et rythmé distribuant, la Chambre des représentants, Bruxelles, 2006, p. 4.
sur une surface quadrillée, fins châssis et panneaux 78. Ibid., p. 5.
opaques » (Caroline BERCKMANS et Pierre BERNARD, 79. C’est vrai aussi pour les deux autres Régions, cf.
Bruxelles ‘50 ‘60, op. cit., p. 70). les débats entourant la vente et la réaffectation de la

52 Mi c h el H ub er t
tour des Finances de Liège (Roland PLANCHAR, « Liège de base, Les options d’aménagement, 23 septembre
s'émeut d'un “pataquès“ de Reynders », La Libre Belgique, 2002, p. 2. Étude préalable à l’élaboration du PPAS.
11 avril 2008). 89. Ce patrimoine, en particulier la promenade et les
80. Alain BOURDIN, Marie-Pierre LEFEUVRE et Patrice luminaires, fut mis en évidence pour la première fois par
MELÉ (s.l.d.), Les Règles du jeu urbain. Entre droit et le film Monsieur (Films de l’étang, Belgique / France, 1990,
confiance, Paris, Descartes & Cie, 2006. 73 min) réalisé par Jean-Philippe Toussaint d’après son
81. Les différents niveaux planologiques dont il est ques- roman éponyme (Paris, Minuit, 1986).
tion à partir d’ici seront explicités dans le chapitre suivant. 90. COOPARCH-RU, PPAS 99-03 « Pacheco », Dossier
La Ville avait déjà placé la Cité administrative en « zone de base, op. cit., p. 3.
de développement » dans son plan communal de déve- 91. Ibid., p. 5.
loppement. Celui-ci prévoyait de construire du logement 92. Ibid., p. 4. Ces idées avaient été notamment déve-
à front du boulevard Pacheco, de rétablir une liaison aisée loppées par des projets d’étudiants en architecture du
entre le haut et le bas de la ville et d’étudier la faisabi- professeur Pieter T’Jonck (université de Gand), montrés
lité de la reconversion partielle de la Cité en logements. et commentés lors d’un débat organisé par Marie-Laure
82. Le Brusselse Raad voor het leefmilieu (BRAL), qui jouera Roggemans dans le cadre de « Bruxelles 2000 ».
plus tard un rôle important dans le processus d’élabo- 93. La Ville demande toutefois que le cahier des charges
ration du schéma directeur (voir infra), s’était fait excuser de la vente impose le recours à un ou plusieurs concours
à cette première réunion. internationaux d’architecture pour garantir la qualité archi-
83. On ne trouve pas de justification de cette exclusion tecturale des projets. Cette demande ne sera pas suivie
dans les attendus du PRAS. On est dès lors en droit de d’effet.
se demander si elle ne résulte pas de pressions de l’État 94. COOPARCH-RU, PPAS 99-03 « Pacheco », Dossier
fédéral soucieux de ne pas mettre en péril son opéra- de base, op. cit., p. 7.
tion de sale and lease back par de longues procédures 95. C’est ainsi qu’on apprend que le bail accordé à
administratives lors de l’attribution du permis de réno- City Parking pour l’exploitation des parkings arrive à
vation (voir infra). échéance en 2012 et celui pour la station-service en 2017.
84. PRAS, « Dispositions relatives à l’affectation du sol », 96. Seule une surcharge limitée peut être envisagée le
2001, p. 42. Voir carte au chapitre II. long du boulevard Pacheco et le renouvellement de la
85. Id. chape d’étanchéité doit être possible en toute circonstance.
86. Cette décision est prise alors qu’une étude est en 97. ALTIPLAN, Rapport intermédiaire du 31 mars 2003,
cours en vue de la « requalification du Jardin botanique » p. 35.
dans le cadre de l’accord de coopération entre l’État 98. ALTIPLAN, Rapport final du 12 décembre 2003, p. 8.
fédéral et la Région de Bruxelles-Capitale (Initiative IX. 7 99. D’après le rapport, les traversées est-ouest devraient
de l'accord Beliris). se faire, à l’aide notamment d’escaliers, au droit de la
87. Cette zone levier en forme de fer à cheval (voir carte rue de l’Association, de la rue Vésale (au travers du socle
au chapitre II) inclut aussi la place Rogier et redescend du bâtiment F) et de la colonne du Congrès.
vers la place De Brouckère en reprenant la rue Neuve 100. ALTIPLAN, Rapport final, op. cit., p. 11.
et le boulevard Adolphe Max. Voir la carte n° 2 du PRD 101. ALTIPLAN, Note de synthèse du rapport final du
et le point 1.3. du PRD, Conditions transversales de mise 12 décembre 2003, p. 4.
en œuvre du projet de ville, 2002, p. 3-4. 102. La procédure de délivrance du permis fut particu-
88. COOPARCH-RU, PPAS 99-03 « Pacheco », Dossier lièrement rapide grâce au fait que la demande fut

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introduite avant l’ordonnance du 19 février 2004 impo- alternatif mais veulent seulement un autre type de débat
sant une étude d’incidence pour des modifications telles public. Cette opposition maintient, en effet, une vision
que celles proposées pour la tour des Finances (cette verticale selon laquelle le « top » devrait savoir ce qu’il
ordonnance transposait, avec retard, dans le champ d’ap- veut et avoir un agenda clair. Voir Jacqueline GROTH
plication spécifique de l’ordonnance organique de la et Éric CORIJN, « Reclaiming Urbanity: Indeterminate
planification et de l’urbanisme, certains éléments spéci- Spaces, Informal Actors and Urban Agenda Setting. A
fiques non encore transposés de la directive 97/11 du Case Study in Helsinki, Brussels and Berlin », Urban
3 mars 1997, en même temps qu’elle transposait la Studies, vol. XLII, n° 3, p. 511-534.
nouvelle directive 2001/42 relative aux incidences de 105. L’objectif de ce collectif est de « promouvoir le débat
certains plans et programmes). La remarquable chapelle autour de l’architecture et l’urbanisme à Bruxelles, revoir
de Stéphane Jasinski (voir photos dans Guido Jan BRAL, les procédures, réfléchir les nouvelles formes de partici-
La Cité administrative, op. cit.) fut, quant à elle, démontée. pation, favoriser la qualité architecturale, et revaloriser
Sera-t-elle reconstruite un jour ? le patrimoine d’après-guerre » (http://www.disturb.be,
103. Alors que le bâtiment est remis, comme prévu, en site consulté le 16 avril 2008).
mai 2008 à l’État fédéral en vertu de l’accord de sale 106. L’ensemble des participants à ce débat furent :
and lease back, la réinstallation du ministère des Willem Draps (secrétaire d’État à l’Aménagement du terri-
Finances dans les lieux est reportée de plusieurs mois toire), Henri Simons (premier échevin de la Ville de
en raison d’un recours relatif à l’attribution du mobilier Bruxelles), François Thiry (rédacteur en chef d’A+),
de bureau. Pendant ce temps, l’État belge paie le loyer Christian Lasserre (économiste, ULB), Benoit Moritz
de la tour vide. La gabegie n’est décidément pas terminée. (urbaniste, auteur du masterplan du quartier européen,
104. La première action marquante fut sans conteste l’oc- assistant à l’ISACF – La Cambre), Gwenaël Breës (cinéma
cupation en janvier 1995 de l’hôtel Central à l’abandon Nova, PleinOPENair, milieu associatif), Xaveer De
en face de la Bourse, au centre de Bruxelles, une action Geyter (architecte-urbaniste), Thierry Decuypere (archi-
menée à l’initiative de la fondation Pied-de-biche / stich- tecte, assistant à l’ISACF – La Cambre), Éric Corijn
ting Open Deur avec le soutien du Beurschouwburg situé (sociologue, VUB), Chantal Dassonville (architecte,
face à l’hôtel abandonné et pâtissant de la décrépitude Communauté française) et Marie Demanet (Délégation
du centre-ville. D’autres actions analogues furent menées au développement du Pentagone). Les titres indiqués sont
ensuite comme l’occupation de la gare du quartier Léopold ceux repris du site Internet de Disturb.
par le collectif éphémère BruXXel, créé en octobre 2001 107. Le bureau V+ (« Vers plus de bien-être », en réfé-
à l’initiative du cinéma Nova (http://www.nova- rence au slogan qui accompagnait les travaux de la
cinema.com) et de City Mine(d) (http://www.city jonction Nord-Midi dans les années 1950), créé en 1998,
mined.org), à l’occasion de la présidence belge de l’UE associe trois jeunes architectes : Thierry Decuypere, Jörn
et à l’approche du sommet de Laeken, ou encore l’oc- Aram Bihain et Shin Hagiwara. Ceux-ci considèrent l’ar-
cupation de divers immeubles visés par des projets chitecture comme « avant tout un engagement politique,
immobiliers de prestige (Heron City, hôtel Tagawa, quar- un acte culturel, une poésie du centimètre, une revendi-
tier Midi…) dans un contexte de crise du logement. cation sociale, une préoccupation écologique, un
Comme le notent Groth et Corijn, il ne faut pas voir dans étonnement philosophique, un désir d’espace, une
ces expériences de simples exemples de planification source de rêve… » (http://www.vplus.org, consulté le 4
« bottom-up » (ou « grass-roots ») vs « top-down » car ces mai 2008). V+ a réalisé, dans le milieu associatif et
acteurs informels ne luttent pas pour imposer un plan culturel, diverses interventions temporaires et a construit

54 Mi c h el H ub er t
en 2008 le cinéma Sauvenière à Liège et le « Pavillon 116. À l’exception de la tour des Finances bientôt réin-
du bonheur » à l’occasion du cinquantième anniversaire vestie par le ministère du même nom, après rachat et
de l’Expo 58. rénovation du bâtiment par le privé (opération de sale
108. Gwenaël Breës est l’un des piliers du cinéma Nova, and lease back).
du PleinOPENAir (festival de cinéma d’été en plein air) 117. Michel HUBERT, « L’Expo 58 et le “tout à l’auto-
et du comité Midi. mobile“. Quel avenir pour les grandes infrastructures
109. « Map en référence à la carte, résultat graphique routières urbaines à Bruxelles ? », Brussels Studies, n° 22,
synthétique ambitionné à l’origine du projet mais aussi 20 octobre 2008, p. 1-17 (www.brusselsstudies.be).
en référence au projet barcelonais MAPAS ayant inspiré 118. Les multiples ventes de biens publics par l’État fédéral
la méthodologie de travail du week-end [Mapas : qui se succéderont à partir de 2001 ne manqueront pas
réflexions autour des enjeux liés à la construction du Forum de choquer et de poser question par l’absence de prise
2004 de la culture à Barcelone]. RAC sont les initiales en compte de leurs conséquences à long terme, tant sur
pour Rijks Administratief Centrum » (http://www.map le plan urbanistique (absence totale de concertation avec
rac.org). les nouveaux pouvoirs responsables) que sur le plan de
110. Id. l’efficacité économique pour l’État fédéral (amené à
111. Une coalition PS-CDH-Écolo remplacera le gouver- devenir locataire à prix fort de certains biens à peine
nement MR-PS sortant. Plusieurs membres actifs de Disturb vendus).
ou proches du collectif assumeront des responsabilités 119. Le bureau MSA a reçu la mission d’élaborer le
dans différents cabinets ministériels socialistes et écolo- schéma directeur « Botanique » (voir http://www.cae-
gistes. Cela peut expliquer en partie la présence, au sein rac.be) suite à un marché public européen dans lequel
du gouvernement, de certaines thématiques issues du plusieurs bureaux d’études renommés ont concouru (voir
MapRAC. chapitre II). La collaboration de MSA avec les Ateliers
112. On peut aussi citer la conférence du sociologue et Lion (http://www.atelierslion.com), ainsi qu’avec d’autres
urbaniste François Ascher organisée le 17 novembre 2005 partenaires associés, a permis de composer une équipe
dans le grand restaurant de la CAÉ à l’initiative de la multidisciplinaire dont la qualité et la méthodologie ont
Ville de Bruxelles et de l’Institut d’urbanisme de l’ULB ou emporté l’adhésion du maître d’ouvrage, la Région de
encore, du 11 au 13 mai 2006, le « Festival de la ville » Bruxelles-Capitale.
organisé, également dans le grand restaurant, par la 120. Inter-Environnement Bruxelles (IEB), le pendant fran-
Politique des grandes villes (gouvernement fédéral), ainsi cophone du BRAL, qui aurait pu être mobilisé dans le
que la fête de clôture de la Zinneke Parade, dans les processus d’élaboration du schéma directeur « Botanique »,
jardins Pechère. Ces événements furent sans doute les se devait de laisser le champ libre au BRAL en raison
dernières activités publiques organisées sur le site avant d’un partage du terrain entre ces deux organisations,
longtemps. IEB ayant été chargé par le pouvoir politique de l’ani-
113. Voir http://2004.pleinopenair.org. mation de la participation autour d’autres schémas
114. C’est à la même époque qu’est abandonné un directeurs (« gare de l’Ouest », « quartier européen »…).
premier PPAS élaboré par la Ville de Bruxelles pour le Quant aux acteurs « informels » actifs en 2003-2004, il
site de Tour et Taxis. est vrai que, compte tenu du caractère relativement éphé-
115. Peter SCHOLLIERS, « Consommation de classe, mère de leur mode d’action, ils ont délaissé la Cité
consommation de masse : l’auto en Belgique depuis administrative pour d’autres enjeux : Micronomics pour
1900 », Les Cahiers de la Fonderie, n° 13, p. 2-10. Citymin(e)d, quartier Midi pour Gwenaël Brees.
Chapitre II
Le schéma directeur, un nouvel instrument régional d’action publique
Des principes généraux à leur première mise en œuvre

Olivier Paye

Les zones leviers sont un instrument nouveau


qu’il faudra mettre à l’épreuve d’essai 1.

La présente contribution porte sur la période de mise en place du processus d’élaboration


du schéma directeur (SD) pour la Cité administrative de l’État (CAÉ). Cette période s’étend
grosso modo de la mi-2004 à la fin 2005. Elle débute, suite aux élections régionales de
juin 2004, par l’arrivée d’un nouveau gouvernement régional et d’un nouveau ministre-prési-
dent. C’est ce dernier qui fera prendre à l’histoire récente du site une tournure relativement
orginale en proposant de recourir, pour cadrer son redéveloppement, à un « nouvel » instru-
ment d’action publique : le schéma directeur. Après avoir présenté cette démarche et le
contexte politique dans lequel elle intervient, nous nous attacherons à saisir les caractéris-
tiques générales qu’est censé revêtir un SD, en tant qu’instrument supplémentaire d’action
publique dans le domaine de l’aménagement du territoire en Région bruxelloise. Nous expo-
serons ensuite la place conférée à la CAÉ dans les différents plans régionaux et communaux
existants au moment du lancement du processus d’élaboration d’un SD à son propos, ainsi
que les mobilisations sociales dont elle faisait alors l’objet. Nous disséquerons pour suivre
les dispositions de la procédure mise en place par le gouvernement régional pour sélec-
tionner le bureau d’études chargé d’élaborer ce schéma. Enfin, nous commenterons les
conséquences du choix du bureau retenu et évoquerons la façon dont celui-ci a affiné la
méthode de travail proposée dans son offre.

Tester l’instrument et associer les habitants : une double initiative du gouvernement Picqué III

Juillet 2004, un nouveau gouvernement régional se constitue sous la présidence de Charles


Picqué (PS), qui avait déjà été le premier ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale
de 1989 à 1999. Le nouvel exécutif s’appuie sur une majorité parlementaire dont ont été

56 Oliv ie r P a y e
évincés les libéraux francophones (Mouvement réformateur, MR, formation fondée à partir
du Parti réformateur libéral et du Front démocratique des francophones), composante prin-
cipale de la majorité précédente, alors que les élus du Centre démocrate humaniste (CDH,
anciennement Parti social-chrétien) et d’Écolo participent cette fois à la majorité avec les
représentants socialistes. Côté néerlandophone, la majorité reste inchangée, chacun des
trois partis traditionnels (libéral, social-chrétien et socialiste) comptant un membre au sein
du nouvel exécutif régional. Charles Picqué reprend dans ses attributions la charge de l’amé-
nagement du territoire, précédemment exercée par le secrétaire d’État Willem Draps (MR).
Très rapidement, il apparaît que les démarches entreprises par Willem Draps en vue de
définir de nouveaux principes de développement pour la CAÉ (voir chapitre premier) ne
vont pas être poursuivies. En premier lieu en raison du fait qu’elles ne bénéficiaient pas suffi-
samment du soutien des autorités de la Ville de Bruxelles 2, sur le territoire de laquelle se
situe la CAÉ et dont dépendent donc tant l’élaboration des plans particuliers d’affectation
du sol (PPAS, voir Encadré n° 1) que l’octroi des permis d’urbanisme (voir Encadré n° 2). À
la suite des élections communales d’octobre 2000, la Ville était, il est vrai, gérée par un
collège placé sous la direction du bourgmestre Freddy Thielemans (PS), avec Henri Simons
(Écolo) comme premier échevin, également en charge de l’urbanisme comme dans la majo-
rité précédente. Le nouveau collège s’appuyait ainsi sur une majorité qui, comme celle qui
sera constituée au niveau régional à l’été 2004, exclut les réformateurs du MR tout en incluant,
côté francophone, les élus socialistes (groupe le plus important au sein de la majorité commu-
nale), les démocrates humanistes et les écologistes.
Fin 2004, le ministre Picqué va prendre une double initiative pour stimuler le redévelop-
pement de la Cité administrative, mais aussi d’un certain nombre d’autres sites considérés
comme d’intérêt régional 3 tels que Tour et Taxis, le quartier de la gare du Midi, celui de la
gare de l’Ouest à Molenbeek ou encore de la Toison d’Or à Ixelles. D’une part, il va décider
de recourir à l’élaboration préalable d’un « schéma directeur ». Même si la notion de schéma
directeur a déjà été utilisée antérieurement dans le domaine de l’action publique régionale
en matière d’aménagement du territoire (voir plus loin), le plan régional de développement
(PRD) de 2002 4 en use pour désigner un outil de planification publique propre aux sites
d’intérêt régional intégrés dans des « zones leviers » (ZL). Cette dernière notion, également
introduite par le PRD de 2002, désigne des périmètres comprenant un ou plusieurs sites
d’intérêt régional qui nécessitent des efforts particuliers pour favoriser leur (re)développe-
ment 5. Quatorze zones leviers 6 ont été ainsi retenues dans le PRD, dont la ZL n° 6 « Botanique »
dans laquelle se situe la CAÉ (voir Fig. 1). Le premier avis de marché en vue de sélectionner

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 57


un auteur de projet pour élaborer un schéma directeur à leur sujet concerne la ZL n° 5 « Tour
et Taxis » 7. Celui relatif à la ZL n° 6 « Botanique » sera publié en juin 2005 8. Il sera suivi
par d’autres appels semblables 9.

1. PRD, PRAS, COBAT & co.


Quelques éléments pour se retrouver dans la jungle des
acronymes

Créée en 1989, la Région de Bruxelles-Capitale (RBC) Le COBAT opère entre les quatre principaux instru-
se voit dotée, comme les autres Régions belges, des ments juridiques d’aménagement du territoire en RBC
compétences étatiques en matière d’urbanisme et d’amé- une double division des rôles que l’on peut schématiser
nagement de son territoire. Elle hérite ainsi de l’ensemble comme suit :
des instruments d’action publique établis en la matière 1° Au PRD, l’indication des priorités du développe-
par l’État unitaire, principalement dans la loi organique ment régional — dont le contenu ne se réduit pas au
de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme du 29 simple aménagement du territoire — et la sélection de
mars 1962. Progressivement, la RBC va néanmoins se ZIP (zones d’intervention prioritaire) 16 établies en fonc-
construire son propre arsenal réglementaire et planolo- tion de ces priorités et sur lesquelles l’intervention publique
gique au travers d’une série de nouveaux supports, souvent dans ses différentes dimensions est appelée à se concen-
dénommés par leur acronyme : le PRD (plan régional de trer. Au PRAS, le zonage fonctionnel (par superficie
développement) dont la première version date de 1995 d’emprise au sol des différentes « fonctions » urbaines)
et la seconde de 2002, le PRAS (plan régional d’affec- et protectionnel (exemple : les ZICHEE, zones d’intérêt
tation du sol) adopté en 2001 10 et le RRU (règlement culturel, historique, esthétique ou d’embellissement) et les
régional d’urbanisme) dont la version la plus récente date prescriptions qui s’y rapportent. Qu’elles soient graphiques
de 2006 11. Ces outils régionaux ont chacun leur « équi- ou littéraires, ces prescriptions peuvent revêtir un aspect
valent » au niveau communal 12 : le PCD (plan communal programmatique, comme dans le cas des ZIR (zones d’in-
de développement), le PPAS (plan particulier d’affecta- térêt régional) ou des ZIRAD (ZIR à aménagement
tion du sol) et le RCU (règlement communal d’urbanisme). différé) 17. Cet aspect programmatique réside dans
Le cadre juridique qui chapeaute l’ensemble de ces instru- l’obligation juridique qu’ont les pouvoirs publics de n’au-
ments et en établit la portée et les relations est le COBAT toriser des interventions urbanistiques que si elles sont
(code bruxellois de l’aménagement du territoire) 13. Ce conformes à une situation souhaitée, distincte de la situa-
dernier a remplacé en 2004 l’ancienne OOPU (ordon- tion de fait existante au moment de l’élaboration du PRAS.
nance organique de planification urbaine) qui avait été 2° Au niveau régional, les orientations de portée géné-
adoptée dès 1991 14. rale, qu’elles soient indicatives (PRD) ou réglementaires
Lorsqu’il fut promulgué pour la première fois, en 1995, (PRAS). Au niveau communal, la précision de ces orien-
le PRD contenait certaines dispositions de portée expli- tations, tant au plan « politique » (PCD) que « juridique »
citement réglementaire. À la suite de la création du PRAS (PPAS), même si dans certaines circonstances excep-
en 2001, le PRD actuel — adopté en 2002 — se veut tionnelles les dispositions des PPAS peuvent déroger aux
de portée seulement indicative. Néanmoins, il se situe dispositions du PRAS.
à un échelon supérieur à celui du PRAS. Selon le COBAT, Il découle de ces considérations qu’un même site peut
en effet, si le PRAS revêt bien une portée réglementaire, relever de plusieurs zonages et des prescriptions et
il doit néanmoins « s’inscrire dans les orientations » du programmes qui s’y rapportent, établis dans le PRD, le
PRD 15. PRAS, un PCD et, le cas échéant, un PPAS.

58 Oliv ie r P a y e
D’autre part, le ministre-président accepte une proposition soumise par le Brusselse Raad
voor het leefmilieu (BRAL) et décide de conventionner cette association pour l’année 2005,
ainsi que son alter ego francophone, Inter-Environnement Bruxelles (IEB), pour mener des
activités en vue de « faciliter la concertation entre les habitants et le gouvernement de la
Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de l’élaboration de schémas directeurs de zones
d’intérêt régional ou de zones Leviers 18 ». La convention sera reconduite pour l’année 2006 19.
C’est le BRAL qui reçoit la mission pour la CAÉ et pour Tour et Taxis, site géographique-
ment proche de celui de la CAÉ 20.
La double démarche à laquelle a recours le ministre Picqué pour définir de nouveaux
projets de développement au bénéfice de certaines zones d’intérêt régional (ZIR), dont la
ZIR n° 11 « Cité administrative », cadre bien avec le « projet de ville » tel qu’il a été forma-
lisé dans le PRD de 2002. Adopté par l’exécutif régional précédent, le PRD n’a pas été
adapté par le nouvel exécutif, ce qui en souligne le caractère relativement consensuel. D’une
part, le PRD stipule : « Certaines zones leviers qui conjuguent de fortes possibilités d’attrac-
tion résidentielle avec d’autres dimensions du développement futur de la Région retiennent
l’attention spécifique du gouvernement. Soit que leur potentiel résidentiel risquant d’être écorné
par d’autres fonctions, il conviendrait par conséquent de le protéger ; soit que ce potentiel
gagnerait à être valorisé, ce qui renforcerait les autres vecteurs de développement et démul-
tiplierait l’attrait global de la zone. Le schéma directeur servira d’outil de planification de
ces zones 21 .» De l’autre, il indique : « La participation active des habitants est un principe
essentiel de la démarche intégrée de développement local. Il s’agit bien de l’encourager
afin que les habitants deviennent de véritables acteurs du développement urbain. La Région
et particulièrement les pouvoirs locaux veilleront à les associer à la mise en œuvre du projet 22 ».
L’innovation du ministre Picqué tient alors dans l’insertion de l’impératif de « participation
des habitants » au sein de ce « nouvel » instrument de développement urbain que constitue
le schéma directeur des zones leviers.
Une telle jonction, en effet, ne figurait pas, ou en tout cas pas de façon explicite, dans le
PRD. En revanche, elle était bien présente dans l’accord de gouvernement de juillet 2004
qui fondait la nouvelle majorité régionale. Dans la section intitulée « Investir les espaces inoc-
cupés », cet accord affirme ainsi : « Les affectations futures de ces sites doivent être définies
préalablement aux plans d’aménagement et au regard des besoins du quartier dans sa
globalité. Un schéma directeur fixera le cadre du développement des ZIR en prévoyant un
programme des opérations à mener, une évaluation des instruments urbanistiques existants
ou à mettre en œuvre, un timing des opérations, ainsi qu’une évaluation financière des

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 59


projets à réaliser et la définition de leur mode de financement. […] Sa procédure d’élabo-
ration devra être précisée. Il conviendra d’associer étroitement les communes et de se concerter
parallèlement avec les représentants des acteurs socio-économiques. [D’autre part], afin de
permettre aux habitants d’appréhender le projet et de contribuer au processus de dévelop-
pement de leur quartier, il est important que la procédure d’élaboration comprenne également
une phase participative de consultation de la population. Cela doit se faire au moment de
l’élaboration du schéma directeur 23. »
On retrouve également cette articulation dans les considérants des arrêtés du gouverne-
ment régional par lesquels celui-ci a conventionné le BRAL et IEB pour organiser la concertation
avec les habitants au sujet des schémas directeurs à élaborer concernant certaines zones
leviers. Il y est, en effet, affirmé que « le gouvernement souhaite assurer un développement
global et cohérent des ZIR et des ZL principalement par le biais de l’élaboration de SD »,
en même temps qu’il « souhaite placer la participation des habitants au centre des politiques
d’aménagement du territoire ». En conséquence, le gouvernement régional trouve « impor-
tant que la procédure d’élaboration des SD comprenne une phase participative de consultation
de la population, afin de permettre aux habitants d’appréhender le projet et de contribuer
au processus de développement de leur quartier » 24. On remarquera déjà au passage le
glissement sémantique opéré entre « concertation » et « consultation ».
Si le gouvernement de la RBC a choisi la Cité administrative, avec Tour et Taxis, pour
étrenner le schéma directeur, c’est vraisemblablement, entre autres raisons, parce qu’il esti-
mait que le test avait de grandes chances de se révéler concluant et qu’il pourrait alors servir
d’exemple pour d’autres sites d’intérêt régional. Ce pari pouvait se fonder sur le fait que,
dans les deux cas, les deux exécutifs concernés, régional et communal, reposaient sur une
majorité semblable (une coalition socialiste, écologiste et sociale-chrétienne), et plus encore
dans les dossiers urbanistiques puisque les responsables principaux, compétents dans cette
sphère d’intervention publique, étaient socialistes — le ministre-président Picqué à la Région 25
et le bourgmestre Thielemans à Bruxelles-Ville — et Écolo — l’échevin communal de l’urba-
nisme Simons 26. Il semble qu’il existait, en outre, de bonnes relations, tant du point de vue
des rapports humains que sur les questions de fond, entre les élus concernés, mais aussi et
peut-être surtout entre les conseillers qui, au sein de chacun des trois cabinets, ont été les
moteurs du dossier : Ariane Herman 27 du cabinet Picqué, à la manœuvre générale, Dan Sanders
du cabinet Thielemans et Philippe Itschert du cabinet Simons 28.
Témoignage et concrétisation de ce climat institutionnel et relationnel favorable, la confé-
rence de presse commune tenue par le ministre-président et l’échevin de l’urbanisme de

60 Oliv ie r P a y e
Bruxelles-Ville le 27 juin 2005, soit quelques jours après le lancement par la Région des
appels d’offre restreints pour l’élaboration des schémas directeurs « Tour et Taxis » et « Botanique»,
qui sont annoncés à cette occasion. On y évoque également la création au sein de l’AATL
(administration de l’Aménagement du territoire et du Logement) d’une nouvelle cellule « ZIR »
chargée de l’encadrement administratif des processus d’élaboration des schémas directeurs
qui devraient être lancés au fur et à mesure pour les quatorze ZIR établies par le PRAS
adopté en 2001 29. L’accent est mis par le ministre-président sur la « nouvelle méthode » qui
devrait être utilisée pour réaliser le redéploiement souhaité des sites en question, méthode
dont l’originalité résiderait dans une « phase participative » préalable aux décisions poli-
tiques, plus précisément dans la « concertation avec tous les acteurs liés de près ou de loin
au site, autorités politiques, propriétaires, voisins, forces économiques et sociales avant de
décider des normes réglementaires 30 ».
Mais quel est donc cet instrument « nouveau » d’action publique régionale par lequel les
responsables régionaux et de la Ville de Bruxelles entendent donner une « deuxième vie » à
la CAÉ ? Quelles sont ses spécificités ? Qu’est-il censé apporter de plus que les instruments
déjà existants ? C’est ce dont nous allons traiter au point qui suit, consacré à la présenta-
tion des caractéristiques que revêt un schéma directeur « sur le papier ». Nous tenterons
essentiellement de dégager des réponses au double questionnement suivant. D’abord, quelle
est la part que les options de développement retenues dans un schéma directeur doivent à
des orientations qui sont imposées a priori et quelle est la part qu’elles doivent à des processus
de délibération collective dont l’issue est ouverte ? Ensuite, quelle est la nature de ces processus
de délibération collective, et existe-t-il des différences selon les catégories d’acteurs appelés
à y être associés ?

Le schéma directeur, un instrument d’action publique pour les zones leviers

Selon le PRD de 2002, le schéma directeur est « l’instrument de base qui organise la ZL 31 ».
Avant même de se demander ce qu’est un schéma directeur, il faut donc chercher à savoir
en quoi consiste une zone levier.

Qu’est-ce qu’une zone levier ?

Désignant une catégorie particulière de zone d’intervention prioritaire (voir Encadré n° 1), le
concept de zone levier renvoie, d’après le PRD de 2002, « à la nécessité de mieux organiser

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 61


l’intervention régionale et de mieux coordonner les interventions d’autres acteurs sur des
espaces urbains qui, soit présentent une opportunité majeure pour le développement régional,
soit nécessitent un effort — ponctuel ou durable — pour les tirer d’une situation jugée problé-
matique 32 ». Les ZL doivent permettre en particulier de promouvoir « l’attractivité résidentielle »
de la Région. Ce principe figure dans la priorité 1 du PRD : « Renforcer l’attractivité rési-
dentielle et favoriser l’équilibre social en améliorant la qualité de l’environnement urbain,
au travers d’une politique intégrée et ambitieuse notamment en matière de rénovation urbaine,
d’espaces publics, d’équipements collectifs, de propreté et de patrimoine ».
Quatorze zones leviers ont été retenues dans le PRD. Leur sélection a été effectuée après
une étude fouillée des sites potentiels, qui a procédé en trois phases, usant à chaque fois
d’une grille multi-critères spécifique 33. Au final, « [l]es critères permettant de délimiter les
zones leviers cités de manière exhaustive et non cumulative sont les suivants :
— espace dont le développement nécessite l’intervention de deux ou plusieurs Communes
(PPAS) ;
— existence d’un projet d’importance supra-local (ou dont les conditions de succès dépen-
dent de l’intervention d’autres Communes ou de la Région) ;
— persistance d’une friche urbaine majeure ou d’un problème récurrent d’aménagement
ou de développement ;
— existence d’une ZIR ou d’une ZIRAD fixée dans le PRAS ;
— nécessité d’organiser le développement de l’espace situé aux abords d’un nœud de
communication ;
— nécessité de coordonner des interventions issues de différents programmes (revitalisa-
tion, réaménagement d’un axe structurant, etc.) 34 ».
On le voit, la présence d’une zone d’intérêt régional (ZIR) ou d’une zone d’intérêt régional
à aménagement différé (ZIRAD) au plan régional d’aménagement du sol (PRAS) n’a été
considérée ni comme un élément nécessaire ni comme un élément suffisant 35. Par ailleurs,
les zones leviers retenues au plan régional de développement de 2002 et qui intègrent une
ZIR ou une ZIRAD recouvrent le plus souvent des périmètres bien plus larges que lesdites ZIR
ou ZIRAD. C’est le cas, on le verra, pour la ZL n° 6 qui abrite la Cité administrative. C’est
« que les périmètres des ZL ont été tracés sur le projet de plan [régional de développement]
en tenant compte du fait qu’il fallait prendre en compte certains éléments et une zone d’in-
fluence de ces éléments, selon les conclusions de l’étude préalable. […] [De toute façon,]
ces périmètres peuvent être précisés lors de l’élaboration détaillée du contenu des SD 36 ».
Ceci s’explique dès lors que « [l’]instrument de base qui organise la zone levier est le schéma

62 Oliv ie r P a y e
directeur. Il trace le contour précis de la zone et détermine les principales options d’inter-
vention qui y seront développées, ainsi que les moyens requis 37 ».

Qu’est-ce qu’un schéma directeur ?

« [L]’objet […] du SD est de déterminer les principales options d’intervention qui seront déve-
loppées dans la ZL ainsi que les moyens requis 38. » Après avoir rapidement évoqué les
utilisations passées auxquelles la notion de schéma directeur pouvait faire référence, nous
présenterons les trois caractéristiques majeures qu’un tel schéma est censé revêtir par rapport
aux autres instruments d’action publique dans le domaine de l’aménagement du territoire
en Région bruxelloise. À savoir : traduire de façon plus opérationnelle et plus intégrée les
orientations de développement d’un site ; permettre une meilleure exploitation des instru-
ments juridiques existants ; (se) fonder (sur) la construction d’un large consensus autour du
programme de développement à élaborer.

Une appellation préexistante pour un instrument relativement neuf

Le schéma directeur fait partie des « outils actuels de planification » visés dans la priorité 5
du PRD qui s’intitule : « Mettre en œuvre une politique efficace de l’aménagement du terri-
toire fondée sur une planification en matière d’affectation du sol qui s’inscrit dans les orientations
du PRD, des réglementations adaptées en matière d’urbanisme et mettre en place des instru-
ments efficaces de politique foncière. » La systématisation recommandée de son usage pour
les périmètres urbains assimilés à des zones leviers participe de la volonté des rédacteurs
du PRD de produire une politique d’aménagement du territoire plus efficace. Souvent présentée
comme une « méthode nouvelle » (rappelons-nous les propos du ministre-président tenus lors
de la conférence de presse Ville-Région du 25 juin 2005), l’appellation « schéma directeur »
que consacre le PRD en 2002 avait déjà cours dans le domaine urbanistique à l’étranger
— en particulier en France —, en Belgique et en Région bruxelloise 39.
Ainsi, dans le cadre de la politique de revitalisation urbaine menée par les pouvoirs publics
bruxellois depuis les années 1990, l’appellation « schéma directeur » sert à désigner l’un
des documents principaux que doit comporter tout « programme de revitalisation » à réaliser
dans le cadre d’un « contrat de quartier » 40. Dans ce document, partie du « dossier de base »,
se trouvent formalisées et « échéancées » toutes les opérations « socio-urbaines » qui seront
menées dans un délai de quatre ans dans un quartier « fragilisé » préalablement retenu par

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 63


l’exécutif régional, sur proposition d’une commune, pour pouvoir bénéficier de subsides publics,
régionaux et communaux. Force est pourtant de constater qu’on parle plus souvent du
« programme » que du « schéma directeur » quand on évoque l’instrument de cadrage des
opérations à entreprendre dans une zone relevant d’un contrat de quartier. De fait, aux dires
mêmes des rédacteurs de l’arrêté établissant le PRD, l’appellation « schéma directeur » puise
plus directement son inspiration d’expériences antérieures n’ayant pas pour cadre le dispo-
sitif « contrat de quartier ». Sont expressément cités « le SD de la zone Canal, le SD de l’espace
Bruxelles-Europe, le SD des abords de la gare du Midi 41 », soit trois expériences de déve-
loppement portant sur des sites qui ont été retenus comme zones leviers par le PRD.
Toutefois, au-delà de ce qui peut distinguer les usages préexistants des schémas directeurs
dans le cadre des contrats de quartier et en dehors de ceux-ci, il semble qu’ils partageaient
une commune vocation à incarner un « programme de développement » en lien avec une
zone déterminée. La Commission régionale de développement (CRD) avait d’ailleurs suggéré
de retenir l’appellation « programme de développement » plutôt que celle de SD pour dénommer
cet instrument propre au développement des zones leviers. Et si les auteurs de l’arrêté PRD
n’ont pas suivi cette suggestion, c’est pour la seule raison que « l’appellation proposée par
la Commission pourrait laisser penser que toutes les ZL sont des zones en retard de déve-
loppement, ce qui n’est pas le cas 42 ».

Une conception plus intégrée et plus opérationnelle du développement d’un site

Appréhender le schéma directeur au sens du PRD, comme un programme de développe-


ment, paraît constituer une bonne entrée pour en saisir l’une des vocations spécifiques. Il
s’agit d’un programme et pas simplement d’un plan, d’un programme de développement et
pas simplement d’affectation (fonctionnelle). Il est ainsi suggéré de prendre en compte, de
manière plus large et plus intégrée, les différentes dimensions de l’organisation et de l’anima-
tion sociales qui sont souhaitées dans un périmètre, souhaits qu’il s’agit de traduire de façon
précise dans un « plan d’actions » établi à la fois dans l’espace et dans le temps. Porteur
d’une stratégie, à la fois globale et détaillée, de développement socio-urbanistique pour une
zone, le SD tel que conçu dans le PRD se veut plus « dynamique 43 » que les instruments exis-
tants, renvoyant à une « planification active 44 » plutôt que passive, à un « urbanisme de projet 45 »
plutôt que de protection (voir Encadré n° 2).
De façon générale, le schéma directeur est le plus souvent présenté comme un outil doté d’une
opérationnalité plus grande que d’autres instruments. C’est vrai par rapport aux instruments

64 Oliv ie r P a y e
planologiques régionaux et sans doute aussi par rapport aux plans communaux de déve-
loppement. Cela l’est moins, on y reviendra, par rapport aux PPAS qui, intervenant après
les schémas directeurs en ce qui concerne les zones leviers, sont conçus pour être « plus
précis 46», donc en un sens plus opérationnels. Cependant, c’est uniquement sous l’angle
d’une plus grande précision dans la spatialisation des options retenues. Pour le reste, le
schéma directeur se veut effectivement plus opérationnel, que ce soit en termes de mobili-
sation des « preneurs d’initiative », de synchronisation des différentes interventions, publiques
et privées, attendues pour concrétiser les options prises, ou d’évaluation préalable des moyens
que celles-ci impliquent. Concrètement, d’après le PRD, ces schémas directeurs « prendront
en considération les éléments suivants :
— les mesures spécifiques visant à encourager la rénovation ou la création de logements ;
— le phasage dans le temps des mesures d’aménagement liées aux projets de rénovation
ou de développement ;
— le type d’activités liées à d’autres fonctions qui sont privilégiées sur la zone et leur
localisation ;
— les mesures à prendre en termes d’aménagement des espaces publics et d’embellissement ;
— la définition des projets d’équipements collectifs ou des infrastructures ainsi que leur ampleur;
— les liaisons de transport à créer, la définition de la hiérarchie des voiries et des moda-
lités qui doivent leur être affectées ;
— les modes d’intervention publique (programmes intégrés, primes, outils incitatifs spéci-
fiques) qui doivent garantir le développement harmonieux de la zone 47 ».
On le voit, le schéma directeur ne se limite pas à un zonage fonctionnel et protectionnel
équivalant à autant d’injonctions à « ne pas faire », adressées aux éventuelles initiatives prove-
nant de propriétaires actuels ou futurs de parcelles de la zone considérée, desquelles est
attendue la dynamique de redéveloppement d’une zone. Plutôt que de laisser venir les initia-
tives, formalisées le plus souvent par le dépôt d’une demande de permis d’urbanisme (ou
de lotir), en les attendant avec un ensemble de prescrits à respecter, le SD cherche à les
mobiliser, à interagir avec celles qui existent déjà ou sont pressenties, en vue de construire
avec leurs auteurs un projet de développement commun.

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 65


2. Le permis d’urbanisme, opérateur réglementaire
entre l’organisation publique du territoire
et le droit de propriété privée

Comme dans la plupart des pays occidentaux, la ques- dépendante des initiatives que veulent bien prendre les
tion du (re)développement d’espaces urbains s’inscrit en propriétaires. Sauf à être ou devenir eux-mêmes proprié-
Région de Bruxelles-Capitale dans un cadre juridique taires de terrains ou de bâtiments — ce qui a également
articulant, d’une part, une compétence générale d’ac- fini par constituer l’un des instruments d’intervention
tion au bénéfice d’autorités publiques considérées publique en la matière —, les pouvoirs publics ne peuvent,
comme dépositaires de l’intérêt général et, d’autre part, en effet, entreprendre eux-mêmes d’actions à caractère
une compétence particulière d’action reconnue à tout urbanistique, si ce n’est dans les parties d’un périmètre
propriétaire d’une parcelle de cet espace, compétence qualifiables d’espace public et qui relèvent dès lors de
fondée sur des prérogatives personnelles attachées au leurs compétences d’action générale.
droit de propriété. Le droit de propriété est un droit de Pour (re)développer un périmètre, les pouvoirs publics
l’homme consacré dans la Constitution belge, à l’art. 16 doivent donc le plus souvent compter, ne serait-ce que
du Titre II, ainsi que dans de nombreux textes conven- partiellement, sur l’initiative éventuelle des propriétaires
tionnels ou coutumiers internationaux 48. La définition privés des biens immobiliers situés dans ce périmètre.
principielle de sa portée se trouve exprimée dans le célèbre Du fait de cette situation, certaines personnes privées en
art. 544 du Code civil : « La propriété est le droit de sont venues à se spécialiser dans l’acquisition de
jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, parcelles ou de bâtiments afin d’en modifier l’état pour
pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les en tirer profit. Pour pouvoir être réalisés, les projets déposés
lois ou par les règlements. » par ces promoteurs immobiliers doivent cependant
« Selon ce libellé, la liberté est le principe et la limi- obtenir une autorisation préalable de la part des auto-
tation l’exception », écrit Bernard Pâques. Il ajoute rités publiques compétentes qui, en RBC, sont en règle
cependant : « Aujourd’hui, il faut admettre que cette façon générale les exécutifs communaux 50, agissant sous la
de présenter les choses s’est inversée. Toute parcelle du tutelle de la Région.
territoire est nécessairement couverte par un plan d’amé- En RBC, cette autorisation préalable revêt d’ordinaire
nagement et son affectation est donc légalement la forme d’un « permis d’urbanisme 51 ». Pour obtenir ce
déterminée. La plupart des actes et travaux nécessitent sésame, une demande doit être introduite dans les formes
un permis d’urbanisme ou de lôtir. La police est donc auprès de l’administration de la commune concernée 52,
devenue la règle et la liberté l’exception. En réalité, les qui instruira le dossier dans un délai déterminé, variable
autorités publiques se sont progressivement affranchies selon les caractéristiques de la demande. Ce délai s’al-
des contraintes mises en place par le souci de respecter longera si l’instruction doit comprendre une phase de
le droit de propriété, pour ainsi pratiquer des politiques consultation dans le cadre de « mesures particulières de
de plus en plus interventionnistes » 49. publicité » (voir Encadré n° 3) et / ou une demande d’avis
L’interventionnisme public en la matière s’est opéré auprès du fonctionnaire délégué désigné par la Région.
principalement au travers de plans prescrivant une orga- Il s’agit dans ce cas d’un avis conforme, c’est-à-dire que
nisation de l’espace différenciée selon des « fonctions » les autorités communales ne peuvent décider d’accorder
dévolues à des zones et des usages spécifiques du sol un permis qu’en se conformant strictement à l’avis rendu
(planification dite spatiale ou passive). Ce faisant, les par ledit fonctionnaire.
pouvoirs publics ont établi des bornes juridiques aux inter- Autorisant des projets précis d’intervention sur le sol
ventions projetées par les propriétaires sur leur bien, ou le bâti d’un périmètre, le permis d’urbanisme est ’instru-
permettant ainsi de canaliser les modifications des sols, ment le plus opérationnel qui permette aux autorités
bâtis et voiries envisagés par ceux-ci. Dans ce cadre, la publiques de réguler les initiatives privées en matière
dynamique urbanistique reste toutefois fondamentalement urbanistique. Il se caractérise par une certaine souplesse.

66 Oliv ie r P a y e
D’un côté, le permis d’urbanisme peut accorder, en les établis dans les plans publics d’aménagement du terri-
justifiant, des dérogations par rapport aux prescrits règle- toire n’est pas toujours suffisant pour qu’un permis
mentaires généraux existants (sauf s’ils sont établis dans d’urbanisme soit accordé. Les autorités publiques respon-
le cadre du PRAS). Dans ce cas, le permis sera toujours sables peuvent, en effet, conditionner l’octroi des permis
rendu sur avis conforme du fonctionnaire délégué et, le d’urbanisme à leur propre conception du « bon aména-
plus souvent, soumis aux mesures particulières de publi- gement des lieux » concernés par la demande de
cité. D’un autre côté, le respect des prescrits généraux permis 53.

Est-ce à dire pour autant que ce projet commun est « entièrement à construire avec toutes
les parties prenantes », pourvu que ses caractéristiques finales respectent les prescrits régle-
mentaires — comme on l’a parfois entendu de la bouche d’acteurs impliqués dans le processus
d’élaboration du SD « Botanique » ? Non, car le contenu de tout schéma directeur doit s’inté-
grer dans le « projet de ville » établi dans le PRD. Les futurs SD doivent en particulier tenir
compte de la priorité 1 du PRD, qui affirme notamment : « La Région se doit d’offrir à ses
habitants un tissu résidentiel de qualité. Un effort important doit être réalisé pour que la ville
attire par ses atouts, qui doivent avoir quelque chose d’original. Cet objectif passe néces-
sairement par une politique intégrée et ambitieuse, entre autres en matière : de rénovation
urbaine; d’espaces publics ; de propreté et de sécurité ; d’équipements collectifs ; de valori-
sation du patrimoine 54. » Du coup, quelle que soit l’ouverture à la participation dont les
autorités publiques ou l’auteur de projet feront montre dans le processus d’élaboration d’un
schéma directeur sur une zone levier, certaines options de développement doivent être consi-
dérées comme irrecevables a priori, car allant à l’encontre des orientations du PRD. Cela
étant, il ne faut pas surestimer cette restriction à la marge de manœuvre laissée par le SD
aux parties impliquées dans la définition collective du programme de développement d’une
ZL. Les orientations de fond qui donnent corps au « projet de ville » que recèle le PRD sont,
en effet, établies à un degré relativement élevé de généralité, ce qui facilite le consensus à
leur propos et laisse ouvert un large éventail de possibilités de traduction plus concrète dans
des options de développement spécifiques à chaque site.

Un outil à portée indicative appelé à potentialiser les instruments existants

Conçus comme plus opérationnels que les autres instruments planologiques, les schémas
directeurs n’ont pas vocation à « se substituer aux outils et plans existants à valeur régle-
mentaire et sont d’ailleurs dépourvus de force obligatoire et de valeur réglementaire 55 ».
D’autant que « leur objectif est de générer de tels plans 56 ». Ainsi, ces schémas « permettront

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 67


[…] une identification plus précise des outils urbanistiques existants, appelés à intervenir
dans la réalisation de ces schémas (PPAS, permis d’urbanisme d’ensemble, permis de lotir,
RCU, expropriations 57 ». Doté d’un « caractère strictement indicatif 58 », un schéma directeur
est donc explicitement appelé à s’inscrire pleinement dans le cadre dessiné par les instru-
ments de planification et de programmation régionaux et communaux en vigueur. En particulier,
« [l]e schéma directeur préfigurera les grandes tendances d’aménagement ou de réaména-
gement d’un territoire pour lequel le recours à un PPAS s’avérerait insuffisant pour définir
des programmes portant sur des zones relativement vastes 59 ».
L’articulation entre schéma directeur et PPAS semble ainsi particulièrement cruciale, puisque
le schéma, instrument régional à portée indicative, est conçu pour prendre place, chrono-
logiquement, juste avant l’élaboration par les Communes, agissant sous tutelle régionale,
d’un PPAS, un texte qui revêt, lui, une portée réglementaire. Procéduralement, dans le cas
où la zone concernée par un PPAS relève d’une zone d’intérêt prioritaire — ce qui est le
cas des zones leviers —, le gouvernement régional peut décider l’établissement par la commune
d’un PPAS relatif à cette zone 60. Il appartiendra alors au gouvernement de « traduire » les
options de développement retenues dans le SD qu’il aura approuvé dans l’arrêté invitant la
commune concernée à établir un nouveau PPAS ou à réviser le PPAS qui existerait déjà.
Équivalent communal du PRAS, auquel il ne peut déroger que de façon exceptionnelle
(voir Encadré n° 1), le PPAS est appelé à intégrer des prescrits plus précis que ceux contenus
dans le PRAS et portant notamment sur l’implantation et le volume des constructions, ainsi
que sur l’esthétique des constructions et leurs abords 61. Si l’on prend au sérieux l’affirma-
tion selon laquelle le schéma directeur n’a pas vocation à remplacer les instruments existants,
il faut en déduire que ce schéma ne devra pas être aussi précis qu’un PPAS concernant la
description des interventions urbanistiques à entreprendre sur une zone. De ce point de vue,
le degré d’opérationnalité d’un schéma directeur reste inférieur à celui d’un PPAS.

Un instrument d’aménagement du territoire


destiné à forger un consensus entre les acteurs concernés

De portée indicative mais dotés d’un caractère élevé d’opérationnalité afin de rendre plus
efficaces les instruments de la politique régionale d’aménagement du territoire existants, les
schémas directeurs devraient « permettr[e] une meilleure coordination entre les différents acteurs
concernés 62 ». En effet, ces schémas directeurs « ser[ont] élaboré[s] en vue de concilier au
mieux les objectifs et les attentes des différents acteurs et de transcender d’éventuelles logiques

68 Oliv ie r P a y e
concurrentielles 63 ». Le recours aux schémas directeurs pour (re)développer une zone levier
s’inscrit ainsi clairement dans une approche de l’action publique de type partenarial, selon
lequel les autorités publiques et les acteurs privés entrent en relation sur un mode réticulaire
plutôt que pyramidal 64, « horizontal » plutôt que « vertical », suivant donc le modèle de « la
gouvernance » plutôt que celui du « gouvernement » 65.
Cette vocation particulière des schémas directeurs semble devoir être mise en lien avec la
deuxième condition transversale de mise en œuvre du projet de ville retenue par le PRD,
intitulée « Un consensus fort, mobilisant l’ensemble des acteurs du développement urbain ».
Dans la section du PRD qui lui est consacrée, on peut lire : « Ce consensus qui doit permettre
de mobiliser tous les acteurs du développement urbain, c’est-à-dire les habitants, le monde
associatif, les milieux économiques, les pouvoirs publics, […] ne pourra être atteint que si
chacun a le sentiment d’y être impliqué. […] L’institution régionale ne peut pas porter seule
le développement de la ville. À l’instar d’autres villes européennes, il faut rallier l’ensemble
des acteurs urbains autour du projet de ville et les associer à des réalisations concrètes […].
Il manque à Bruxelles des “coalitions de développement” réunissant autour d’objectifs communs
les habitants et les acteurs politiques, économiques, administratifs, associatifs et académiques.
Ces “coalitions de développement” supposent la mise en commun de ressources, l’engage-
ment et la prise de responsabilité dans les projets 66. »
La rhétorique utilisée dans la deuxième condition transversale du PRD est emblématique
d’une conception de l’action publique pouvant se revendiquer de « la gouvernance 67 ». On
notera qu’elle inclut « les habitants » parmi les « acteurs concernés ». L’assimilation n’a pas
qu’une portée symbolique. En effet, « ces acteurs sont concernés par l’ensemble des processus
de concertation et de participation permettant l’élaboration, l’adoption et la réalisation des
plans et des projets tant au niveau du quartier que de la commune et de la Région. Les
processus, éminemment démocratiques, méritent d’être évalués et, le cas échéant, améliorés
notamment en termes de communication 68 ».
Force est pourtant de constater que, dans les passages du plan régional de développe-
ment qui sont consacrés aux schémas directeurs, « les habitants » ne semblent pas être considérés
comme des « parties prenantes », qui seraient à traiter sur le même pied que d’autres acteurs
dont le schéma directeur doit chercher à concilier les attentes et qu’il doit associer à son
élaboration. Il est dit, par exemple, que « [l]e schéma directeur est un instrument dynamique
permettant de concrétiser les objectifs de consensus large, de cohérence de l’action des
pouvoirs publics et de partenariats public / privé développés dans les conditions transver-
sales 69 ». Si donc des acteurs particuliers sont mis en exergue dans le processus de mobilisation

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 69


et de concertation que doit impliquer l’élaboration d’un schéma directeur, il s’agit plutôt
d’autres catégories d’acteurs que « les habitants ». Lesquels ?
Premièrement, il s’agit des acteurs économiques privés. Ce sont eux qui sont visés par la
5e condition transversale du PRD qui en appelle à la promotion des « partenariats public / privé »
et qui dit ceci : « Les moyens des pouvoirs publics sont limités. Il est donc essentiel de mobi-
liser le secteur privé, des particuliers aux grands investisseurs, dans le cadre de la politique
de rénovation urbaine ou de la réalisation de grands projets. […] Afin d’accélérer le processus
de revitalisation entamé ces dernières années, la Région et le secteur privé se doivent de
développer une réelle culture de partenariat, fondée sur des objectifs et un cadre clairs et
stables. Les projets d’investissement d’une certaine ampleur, soumis par le secteur privé,
doivent bénéficier d’un accompagnement spécifique de qualité. Cette culture de partenariat
doit tenir compte des contraintes de rentabilité du secteur privé tout en amenant ce dernier
à rencontrer les objectifs d’intérêt général définis par les pouvoirs publics. »
Deuxièmement, il s’agit des acteurs publics autres que le ministère de la Région de Bruxelles-
Capitale. Ces acteurs-là sont visés par la 3e condition transversale du PRD intitulée « Cohérence
de l’action des différents pouvoirs publics » et qui affirme : « Le problème de coordination
des différents intervenants publics est particulièrement aigu à Bruxelles. […] Un effort plus
important devra donc être réalisé pour rendre l’action des différents pouvoirs publics plus
transparente, cohérente et efficace. Dans le cas de projets précis d’une certaine ampleur,
des structures de gestion spécifiques devront sans doute être mises en place afin d’assurer
l’efficacité des partenariats. »
Parmi les acteurs publics ici visés, « les communes bruxelloises sont des interlocutrices privi-
légiées dans la mise en œuvre [du] plan régional : outre le fait que de nombreuses politiques
indiquées dans le plan régional doivent être exécutées par — et avec la collaboration —
des Communes (problèmes de sécurité, de propreté, d’aménagement des espaces publics,
etc.), certains domaines d’action qui relèvent des compétences communales sont critiques
pour le développement régional et l’attractivité urbaine, comme les équipements de proxi-
mité, la mobilité, et les services à la population 70 ». Les relations Communes-Région sont
ainsi appelées à se fonder davantage sur la recherche d’orientations politiques communes
que sur l’exercice autonome par chaque niveau de pouvoir de ses prérogatives institution-
nelles propres. L’objectif est d’éviter que la collaboration Région-Communes se joue à la
manière d’une partie de ping-pong : au pouvoir d’initiative réglementaire des Communes
répond le pouvoir de la tutelle de la Région de censurer ces initiatives communales, mais
rarement de s’y susbtituer. De sorte qu’en cas de désaccords persistants ou d’indifférence

70 Oliv ie r P a y e
réciproque chaque niveau de pouvoir « renvoie la balle » à l’autre, avec pour conséquence
un blocage de l’action publique.
Ces considérations suggèrent que la coordination entre acteurs qu’est censée générer l’élabo-
ration d’un schéma directeur concerne d’abord et avant tout les autorités communales impliquées,
ensuite les acteurs économiques privés et enfin seulement les habitants. Cet ordre de prio-
rité se reflète en partie dans l’exposé de la procédure d’adoption des schémas directeurs
dans le plan régional de développement. Selon ce plan, « [l]e gouvernement désigne un
auteur de projet qu’il charge de l’élaboration du schéma. Il désigne également un comité
d’accompagnement qui regroupe l’ensemble des acteurs intéressés comprenant notamment
les communes concernées. Le résultat de l’étude est soumis à une consultation publique et,
ensuite, à la Commission régionale de développement (CRD). Le schéma directeur est adopté
par le gouvernement après avis de la CRD 71 ».
Si l’on met de côté la phase de consultation de cette commission, qui intervient tout à la
fin du processus d’élaboration du schéma, juste avant son adoption par le gouvernement
régional, on peut alors circonscrire deux phases durant lesquelles l’auteur du projet de schéma
est tenu d’avoir des échanges avec des « acteurs extérieurs ». La première phase a lieu tout
au long du processus et a pour cadre un comité d’accompagnement dont tout « acteur inté-
ressé » a vocation à faire partie, mais qui doit au moins comprendre « les communes concernées ».
La seconde n’intervient qu’à la fin du processus, puisqu’elle porte sur « le résultat de l’étude »
et tient dans une consultation publique — dont les modalités ne sont pas précisées. En tout
cas, il n’est pas fait référence à la procédure habituelle de consultation publique en matière
d’aménagement du territoire et de l’urbanisme en Région de Bruxelles-Capitale, celle asso-
ciée aux « mesures particulières de publicité » (voir Encadré n° 3).
Certes, il n’est pas exclu que « les habitants » puissent être associés tout au long du processus
d’élaboration du schéma directeur, sur le mode de la concertation, par le biais d’une présence
au sein des comités d’accompagnement, il apparaît toutefois plus probable qu’ils soient seule-
ment amenés à s’exprimer à la fin du processus, sur le mode de la consultation. En l’absence
de précision, c’est aux pouvoirs publics régionaux qu’il appartiendra d’établir si, pour les
habitants, la balance doit pencher du côté de la « concertation tout au long du processus »
ou bien de la simple « consultation sur les résultats du processus », notamment lorsqu’ils rédi-
geront les avis de marché destinés à sélectionner le bureau chargé d’élaborer le schéma.
Maintenant que nous avons présenté les caractéristiques principielles d’un schéma direc-
teur selon le PRD, nous allons à présent mettre en lumière le cadre spécifique dans lequel
s’est inscrit le processus d’élaboration du schéma directeur pour la zone levier « Botanique ».

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 71


3. L’enquête publique et l’audition
devant la commission de concertation

Dès 1979, le plan de secteur pour l’agglomération bruxel- endroits publics situés dans la zone sur laquelle porte la
loise comprend une procédure de consultation publique demande ou le projet soumis à l’enquête. Ils peuvent
dans le domaine de l’aménagement du territoire et de également être diffusés par d’autres biais, par voie de
l’urbanisme, suite notamment à une série de luttes urbaines presse par exemple, ou consultables en ligne sur des
qui souhaitaient voir pris en compte « l’avis des habi- sites web.
tants 72 ». Les fondements généraux, toujours en vigueur, La commission de concertation est un organe créé
de cette procédure sont définis dans le COBAT parmi au sein de chaque commune. Elle se compose de cinq
les « mesures particulières de publicité » (MPP) 73. La procé- membres : l’échevin de l’urbanisme de la commune
dure en question concerne tout projet public de plans concernée qui la préside (et qui peut être accompagné
d’affectation ou de développement et de règlements d’ur- de membres de son administration), deux représentants
banisme ainsi que toute demande de permis d’urbanisme de l’AATL de la Région — l’un de la direction de l’ur-
qui comprendrait des dispositions pour lesquelles des banisme, l’autre de la direction des monuments et sites —
prescrits réglementaires exigent l’application des MPP et deux représentants des organismes para-publics que
ou qui viserait à obtenir une dérogation aux prescrits sont la SDRB (Société de développement pour la Région
réglementaires en vigueur. La procédure s’articule autour de Bruxelles-Capitale) et l’IBGE (Institut bruxellois de
de deux phases : l’« enquête publique » d’un côté, « la gestion de l’environnement).
commission de concertation » de l’autre. Cette commission est chargée de rendre un avis motivé,
Durant l’enquête publique, « quiconque le souhaite » adopté à la majorité de ses membres, auprès du collège
peut aller consulter le dossier à l’administration commu- des bourgmestre et échevins de la commune concernée
nale, recevoir des explications supplémentaires à ce sujet par le dossier. Cet avis prend en considération les opinions
auprès du fonctionnaire ou du service désigné, adresser qui ont été émises dans le cadre de l’enquête publique
par écrit ou oralement ses observations et « réclamations » et lors de la partie publique de la réunion de la commis-
au service de l’urbanisme de la commune et demander sion. En effet, si l’avis de la commission fait in fine l’objet
à être ensuite entendu par la commission de concerta- d’une délibération à huis clos, il est précédé par une
tion. Nul besoin donc d’exciper d’une qualité particulière réunion publique à laquelle a été convoquée, outre les
pour exprimer son avis. Il n’est pas nécessaire par exemple demandeurs, toute personne qui en a fait la demande
d’être domicilié dans la commune. Le simple fait de au cours de l’enquête publique. Chaque participant au
souhaiter donner son opinion suffit pour que l’avis soit volet public de la réunion de la commission peut en outre
officiellement pris en compte et pour donner le droit à se faire accompagner par deux conseillers. Si l’on peut
être entendu par la commission de concertation. donc effectivement parler de concertation ici, celle-ci se
Une enquête publique dure en général deux semaines. déroule essentiellement entre les membres de la commis-
Sa durée et son objet, ainsi que d’autres éléments sion. Il ne s’agit pas d’une concertation avec le public,
pratiques, sont annoncés par des avis standardisés, les vis-à-vis duquel les échanges s’opèrent principalement
fameuses affiches rouges. Ces avis sont placés dans des sur le mode de la consultation 74.

72 Oliv ie r P a y e
Le schéma directeur pour la CAÉ et son contexte :
prescriptions juridiques, orientations politiques et mobilisations sociales

Zonages et programmes de développement préalables

Le site de la CAÉ se trouve inscrit dans des zones spécifiques, tant au PRAS (texte à valeur
réglementaire) que dans le PRD et dans le PCD de la Ville de Bruxelles (textes de portée
essentiellement indicative).

La Cité administrative dans la ZIR n° 11 du PRAS de 2001

Au PRAS, la CAÉ est reprise en tant que ZIR n° 11. Juridiquement, son aménagement doit
donc faire l’objet de l’élaboration d’un PPAS par la commune concernée 75, PPAS censé
« préciser des dispositions du PRAS ». Le gouvernement régional est ainsi habilité à prendre
l’initiative de charger la commune d’élaborer, dans un délai donné, un tel PPAS, confor-
mément aux principes que le gouvernement aura arrêtés 76. « En l’absence de tels plans,
seuls sont autorisés les actes et travaux conformes à la prescription relative à la zone de
forte mixité et au programme des zones concernées, après que ces actes et travaux auront
été soumis aux mesures particulières de publicité 77 » (enquête publique et commission de
concertation, voir Encadré n° 3).
En ce qui concerne la ZIR n° 11, le programme spécifique est le suivant : « Cette zone est
affectée aux logements, aux commerces de proximité, aux bureaux, aux activités produc-
tives et aux équipements d’intérêt collectif ou de service public. La superficie de plancher
affectée aux logements ne peut être inférieure à 35 % de la superficie totale de plancher
dans la zone. La composition urbaine de l’ensemble vise à l’amélioration de la perméabi-
lité piétonne et cyclable du site et à l’aménagement du boulevard Pacheco entraînant la
réduction de sa largeur carrossable. L’accès vers le boulevard Saint-Lazare sera maintenu 78. »
Soulignons ici que la ZIR n° 11 n’intègre pas la tour des Finances, avec pour conséquence
que tout projet d’intervention sur celle-ci échappe aux contraintes juridiques spécifiques pesant
sur les ZIR. La société Breevast, propriétaire de la tour et copropriétaire du restant de la
Cité, l’a bien compris et a introduit en 2003 une demande de permis d’urbanisme pour un
projet de rénovation de la tour. Malgré le souhait des milieux associatifs de voir le sort de
la tour joint au reste de la Cité 79, le permis fut obtenu en 2004, les travaux commencèrent
en janvier 2005 et se sont terminés le 30 avril 2008.

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 73


Fig. 1. Les zones leviers dans le plan régional de développement de 2002.

74 Oliv ie r P a y e
La Cité administrative dans la ZL n° 6 « Botanique » du PRD de 2002

Au PRD, la CAÉ figure, avec la tour des Finances cette fois, parmi les quatorze zones leviers,
mais pas parmi les six qui ont été retenues comme prioritaires 80. Elle se trouve englobée
dans la ZL n° 6 « Botanique » 81, qui s’étend de part et d’autre de la rue Royale et du boule-
vard du Jardin botanique, s’étirant jusqu’à la place Rogier et aux boulevards du centre.
Cette zone est donc beaucoup plus large que la ZIR n° 11 du PRAS.
Les auteurs de l’arrêté établissant le PRD justifient la qualification de zone levier au béné-
fice de ce périmètre de la manière suivante : le statut de zone levier permet ici « d’appréhender
des sites qui bien que n’étant pas proches fonctionnent de manière commune, tels le boule-
vard Botanique, la porte de Schaerbeek, la place Rogier et les boulevards centraux vers la
place de Brouckère ». Ils notent « que cette zone comprend plusieurs “immeubles tours” dont
la réaffectation doit être envisagée ; qu’elle comprend également des espaces publics struc-
turant d’importance régionale dont le réaménagement est à l’étude et qu’elle comprend
également la Cité administrative classée en zone d’intérêt régional n° 11 du plan régional
d’affectation du sol »82.
On le sait, pour le PRD, l’outil propre au développement des zones leviers est le schéma
directeur qui n’a toutefois qu’une portée indicative et n’a pas pour vocation de se substituer
aux autres instruments existants, notamment de portée réglementaire, en particulier le PPAS.
Comme les ZL sont des ZIP, le COBAT habilite le gouvernement régional à prendre l’initia-
tive de charger la commune concernée d’élaborer un PPAS dans un délai donné, conformément
aux principes que le gouvernement aura arrêtés pour le développement de ces zones 83. Si
la situation est donc similaire de ce point de vue à ce qui prévaut pour une ZIR, il faut souli-
gner que les protections juridiques prévues par le PRAS pour les ZIR en l’absence de PPAS
traduisant le programme prévu (voir supra) n’ont pas d’équivalent pour les zones leviers.

La CAÉ dans plusieurs zones du PCD de 2004 de la Ville de Bruxelles

Faisant référence au programme établi par le PRAS pour la ZIR n° 11, le plan communal
de développement adopté en avril 2004 par la Ville de Bruxelles envisage ceci dans ses
lignes de force : « La reconstruction, à front du boulevard Pacheco, le long de la Cité admi-
nistrative de l’État, ainsi que sur la dalle, dans l’axe de la rue du Congrès, d’un ensemble
mixte de logements de qualité et de grandes infrastructures. En ce qui concerne la Cité admi-
nistrative de l’État proprement dite, elle devrait être partiellement reconvertie en logements.

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 75


Si une étude de faisabilité doit être menée au préalable au niveau des sources possibles de
financement de cette opération, des projets d’études sont engagés au niveau fédéral 84. »
Le PCD comporte trois cartes spatialisant les trois « objectifs majeurs » du « projet de ville ».
Sur la carte n° 1, « revitalisation de l’habitat », la zone de la CAÉ est inscrite en zone de
« revalorisation prioritaire de la fonction résidentielle », dans laquelle on prévoit de mener
des « opérations de logement localisées » à concurrence de 25 000 m2 et de créer un espace
vert. Sur la carte n° 2, « soutenir un développement économique intégré », la zone de la
CAÉ figure dans une grande zone plus vaste où il s’agit de « rétablir la mixité des fonc-
tions », avec l’indication pour la CAÉ de l’objectif spécifique de « reconvertir le site », le
boulevard Pacheco étant classé comme « axe structurant prioritaire pour la Ville ». Sur la
carte n° 3, enfin, « promouvoir un environnement durable », la zone de la CAÉ intègre un
« espace vert à créer » et un « projet de maillage vert communal ». Sur aucune de ces cartes
la tour des Finances n’est détachée du reste de la Cité.

Les mobilisations autour du développement de la Cité au moment du lancement du SD

En juin 2005, le lancement par le gouvernement régional de l’appel d’offres restreint destiné
à sélectionner un auteur de projet pour l’élaboration du schéma directeur pour la ZL n° 6
« Botanique » intervient en même temps que se clôturent deux initiatives. Ces initiatives prises
par les propriétaires, d’un côté, le gouvernement régional, de l’autre, ont deux traits en
commun : elles impliquent des personnes ou des groupes déjà mobilisés autour de la recon-
version du site de la CAÉ au cours des années 2003-2004 et elles visent à cadrer les orientations
de développement de la CAÉ 85.

Le « groupe de travail international pour la restructuration de la CAÉ »


animé par le bureau d’architectes Polaris conventionné par la société propriétaire du site

En septembre 2004, alors que le festival PleinOPENair organisé sur le site de la CAÉ se
termine (voir chapitre précédent), la société propriétaire du site va suivre les conseils de
Disturb, l’une des associations les plus impliquées dans la mobilisation autour du devenir
de la CAÉ, et s’adresser au bureau Polaris Architects pour coordonner l’organisation d’un
« concours à idées » auprès de jeunes architectes-urbanistes européens 86.
Fondé en 2001 par François Thiry et d’autres, Polaris Architects se distingue par l’ambi-
tion de promouvoir des pratiques architecturales innovantes, tant dans leur concept que dans

76 Oliv ie r P a y e
leurs dynamiques de production. Le bureau réalisa, par exemple, en 2003 une enquête sur
les pratiques culturelles architecturales dans le cadre du futur Livre blanc de l’architecture
promu par l’institut supérieur d’architecture La Cambre 87. Ce travail aboutit, entre autres, à
la collation d’un « ensemble de projets culturels, expérimentaux, didactiques, militants, artis-
tiques, reflets des débats qui animent la société contemporaine 88 ».
Rédacteur en chef de la revue belge d’architecture A+, intervenant au débat « Quel avenir
pour la Cité administrative ? » organisé en novembre 2003 par les associations Disturb et
City Mine(d), François Thiry fait partie de l’équipe qui, au sein de Polaris, se charge de la
mission confiée par les promoteurs. Plutôt que d’organiser un concours d’architecture « clas-
sique », le Polaris suggère de réunir, sous « la forme non concurrentielle d’un groupe de
travail » , cinq architectes-urbanistes européens sélectionnés d’après des critères préétablis
par le bureau (il y en aura finalement quatre, l’un déclinant l’offre) : « Âgés de trente à
quarante-cinq ans, ils représentent une génération émergente de concepteurs actifs au niveau
européen, expérimentés en partenariats publics-privés, très spécialisés en urbanisme straté-
gique, lauréats de prix et concours internationaux 89 ».
Ces architectes-urbanistes furent invités à travailler sur des scénarios spécifiques mais de
façon collective, sur la base d’un même cahier des charges et en participant à des « work-
shops » communs dans lesquels des experts extérieurs étaient invités. Les quatre scénarios
furent présentés à leur commanditaire début juin 2005 90. Le rapport de synthèse les expo-
sant sera retenu parmi les « documents à consulter » dans le cahier des charges relatif à
l’appel d’offres restreint lancé par le gouvernement régional pour le schéma directeur de la
zone levier « Botanique ».
La démarche entreprise par les propriétaires du site via le bureau Polaris mérite qu’on
s’y arrête. En ne se contentant pas d’attendre passivement qu’un schéma directeur soit adopté,
les propriétaires contribuent de toute évidence à mettre de la pression sur les pouvoirs
publics afin qu’ils arrêtent rapidement un programme pour la Cité administrative, qui permette
aux promoteurs d’entreprendre les interventions jugées nécessaires pour rentabiliser leur
achat. Dans le même temps, l’initiative est originale en ce qu’elle marque un rapproche-
ment entre le monde des promoteurs et la mouvance associative militante de l’architecture
belge contemporaine. Symbole de cette conciliation, le recours par les propriétaires au
concours d’architecture, procédure revendiquée par les « jeunes architectes-urbanistes mili-
tants » auprès des pouvoirs publics bruxellois pour le redéveloppement des zones urbaines
stratégiques. On peut même dire que, ce faisant, les propriétaires du site agissent… comme
des pouvoirs publics, ou plutôt agissent comme les pouvoirs publics devraient le faire dans

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 77


l’esprit de la « génération émergente et militante » des architectes-urbanistes.
Il est vrai que le recours au dispositif du concours fait figure de phase transitoire et consul-
tative dans l’élaboration du projet confiée par les propriétaires dès 2003 à deux bureaux
d’architectes, Jaspers - Eyers & Partners et KPF. Toujours est-il qu’il est symptomatique que
les propriétaires du site ne se présentent pas seulement comme des « promoteurs immobi-
liers » mais aussi comme des « développeurs de projet 91 », producteurs d’un concept global
de développement pour une zone. Soit l’objectif que les pouvoirs publics régionaux ambi-
tionnent justement d’atteindre par le biais de l’élaboration d’un schéma directeur.
En recourant à la démarche inspirée par le bureau Polaris, « le maître d’ouvrage adopte
une stratégie anticipatrice, à l’écoute des diverses parties en présence et susceptible de
contribuer à la réflexion en cours des pouvoirs publics, dans la perspective du futur plan
particulier d’affectation des sols (PPAS) 92 ». En se situant en amont de l’introduction d’une
demande de permis (voir Encadré n° 2), il se comporte ici comme une autorité publique
pourrait le faire. Il fait d’ailleurs usage d’instruments semblables : expertise extérieure pour
la conception du projet, appel d’offres restreint, cahier des charges, comité d’accompa-
gnement (les propriétaires du site et le bureau Polaris encadrant le travail des
architectes-urbanistes sélectionnés au sein du groupe de travail international), etc.
Plus encore, les promoteurs-développeurs de la CAÉ semblent reprendre à leur compte la
démarche partenariale d’action publique évoquée dans la troisième condition transversale
du PRD. Disant vouloir alimenter la réflexion des pouvoirs publics préalablement à la prise
de décision, les propriétaires de la Cité en sont ainsi venus, par l’entremise de Polaris, à
associer aux travaux du groupe de travail international des représentants des autorités commu-
nales (dont Philippe Itschert du cabinet Simons) et régionales (dont Benoît Périlleux, directeur
de la cellule « études et planification » de l’AATL, et Ariane Herman du cabinet Picqué) 93.
Pareille association marque « concrètement » la volonté des propriétaires de la CAÉ de traiter
les autorités publiques comme des partenaires et d’être traités en retour comme tels par ces
mêmes autorités publiques. L’image renvoyée est bien celle d’une alliance entre forces du
marché et autorités étatiques pour une cause commune, soit l’essence même du concept de
partenariat privé-public 94.

La « plate-forme locale » animée par le BRAL conventionné par le gouvernement régional

Tandis que, sur l’invitation de Disturb, les promoteurs mettaient en place un processus d’éla-
boration, par de « jeunes architectes-urbanistes européens », de divers scénarios de

78 Oliv ie r P a y e
reconversion du site acceptables pour eux, peu après, à l’invitation du BRAL, le gouverne-
ment régional confiait à cette association la mission de « faciliter la concertation entre les
habitants et le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de l’élabo-
ration de plans de développement de Zones d’intérêt régional ou de zones leviers 95 ».
En l’absence de comités de quartier solides dans les quartiers environnants (essentiellement :
Notre-Dame aux Neiges, Saint-Josse / Botanique et les Bas-Fonds), le BRAL prend le parti de
constituer une « plate-forme locale », regroupant au départ une petite dizaine de personnes,
pas nécessairement des riverains 96, dont une part significative provient du mouvement asso-
ciatif 97. Au cours du premier semestre 2005, deux réunions seront tenues, l’une d’information
et de préparation, l’autre sous la forme d’un « atelier de quartier » destiné à produire une
analyse de la situation quartier par quartier et des liens, actuels et souhaités, reliant ces
quartiers à la CAÉ.
Une troisième réunion a lieu début juillet pour établir un rapport de synthèse des réunions
précédentes (Encadré n° 4). Ce rapport figurera lui aussi, comme la synthèse du « concours
à idées » lancé par les propriétaires du site, parmi les « documents à consulter » indiqués
dans le cahier des charges auquel fait référence l’appel d’offres restreint lancé en juin 2005
pour sélectionner un auteur de projet pour le SD « Botanique » (voir infra). La réalisation de
ce travail de synthèse est quelque peu précipitée, du fait que le cabinet Picqué refuse d’ac-
céder à la demande de la plate-forme locale, relayée par le BRAL, de pouvoir faire des
commentaires sur le cahier des charges, qui « déterminera le travail du bureau d’études »,
avant qu’il soit rendu public. La proposition fut jugée « trop compliquée » et de nature à
retarder la procédure que le cabinet souhaitait lancer « le plus vite possible ». En revanche,
le cabinet se montre favorable à l’idée que le BRAL lui transmette un rapport reprenant les
idées des habitants dans un délai lui permettant d’en tenir compte pour la rédaction du
cahier des charges 98. Ce qui fut donc fait.

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 79


4. Les dix souhaits de la plate-forme locale
mise sur pied par le BRAL 99

1. Pas de bureaux supplémentaires, mais des logements Pechère ») le rendant plus sûr, l’ouvrant aux activités récréa-
destinés à favoriser la mixité sociale. tives et sportives et le connectant mieux au parc de l’ancien
2. Une ou plusieurs écoles et crèches. Jardin botanique situé de l’autre côté du boulevard du
3. Une infrastructure sûre de jeux et de sports Jardin botanique.
4. Une maison inter-quartiers. 9. Une accessibilité du site de la CAÉ plus grande pour
5. Des commerces visant les besoins des habitants (boulan- les personnes à mobilité réduite.
gerie, superette, laverie, etc.). 10. La mise en sous-terrain des boulevards de la petite
6. Des cafés et restaurants sur le site de la Cité, ouverts ceinture et la mise en surface du croisement entre les
en particulier le soir. boulevards Saint-Lazare, Pacheco et du Jardin botanique,
7. Des places de parking pour les habitants et futurs utili- cet aménagement devant permettre entre autres la réali-
sateurs du site de la CAÉ. sation d’une grande « promenade verte » reliant le Jardin
8. Une restructuration de l’espace vert actuel (« les jardins botanique à la gare Centrale, via la Cité administrative.

La procédure de sélection d’un auteur de projet


pour l’élaboration du schéma directeur « Botanique »

Les derniers éléments du « contexte immédiat » du processus d’élaboration du schéma direc-


teur pour la Cité administrative concernent la procédure d’appel d’offres destinée à désigner
le chargé d’étude ainsi que la sélection proprement dite de ce dernier, que nous aborde-
rons pour finir. Deux documents vont retenir ici plus particulièrement notre attention : l’avis
de marché et le cahier des charges. Nous serons particulièrement attentifs à repérer dans
ces textes la présence d’éléments neufs dans la mission d’élaboration du SD pour la zone
levier n° 6, par rapport aux caractéristiques générales établies par le PRD au sujet des
schémas directeurs. Nous centrerons donc notre analyse sur le double questionnement suivant.
D’abord, dans quelle mesure les options de développement qui vont être définies dans le
SD « Botanique » découlent-elles d’orientations définies voire imposées a priori ou, à l’in-
verse, de processus de délibération collective dont l’issue est ouverte ? Ensuite, quelle est la
nature de ces processus de délibération collective et existe-t-il des différences selon les caté-
gories d’acteurs appelés à y être associés. Aussi, après avoir présenté le cadre général de
travail défini dans la procédure de sélection de l’auteur de projet, nous nous demanderons
quelle place le processus d’élaboration du schéma directeur « Botanique » est censé laisser
à des discussions avec des acteurs autres que les autorités publiques. Nous nous interroge-
rons ensuite sur la présence ou non de parti pris en faveur de certaines orientations de fond

80 Oliv ie r P a y e
pour le redéveloppement de la Cité administrative, qui s’imposeraient a priori au processus
d’élaboration du schéma directeur « Botanique » proprement dit.

Une procédure de travail plus précise et une zone plus réduite que la ZL n° 6 « Botanique »

L’avis de marché publié dans le Bulletin des adjudications le 24 juin 2005 précise qu’il
s’agit d’un « appel d’offres restreint 100 », auquel seront invités à répondre un minimum de
cinq candidats et un maximum de huit parmi tous ceux qui auront valablement postulé avant
le 20 juillet 2005 101. Cet appel s’inscrit dans le cadre d’un « marché soumis uniquement à
la publicité belge 102 » mais ouvert à tout candidat qui a « son siège dans un État membre
de l’Union européenne ou dans un pays [assimilé par la réglementation en vigueur sur les
marchés publics ayant trait aux travaux publics] » 103. L’interlocuteur pour la Région est le
directeur de la direction « études et planification » de l’AATL, Benoît Périlleux. Suite à l’appel,
cinq candidats seront sélectionnés mi-septembre 104 et invités à remettre leurs offres avant
le 5 décembre 2005 105.
Les candidats présélectionnés auront à tenir compte d’un cahier des charges élaboré entre-
temps par l’AATL. Comme on l’a déjà dit, le cahier des charges mentionne, parmi les « documents
à consulter à titre d’information », tant la note de synthèse élaborée par le BRAL que les
projets présentés dans le cadre du groupe de travail international mis sur pied par les proprié-
taires du site 106. Y figure aussi l’« étude préalable à la mise en œuvre de la ZIR 11 » commandée
au bureau Altiplan par le secrétaire d’État à l’urbanisme du gouvernement régional précé-
dent, Willem Draps. Ces documents sont donc à consulter seulement « à titre d’information »,
ce qui les différencie des « documents à consulter impérativement », lesquels comprennent le
PRD, le PRAS, le PCD de la Ville de Bruxelles et le plan Iris (plan régional de déplacement).
Première surprise à la lecture de l’avis de marché : bien que celui-ci renvoie au « périmètre
indicatif de la zone levier n° 6 “Botanique” [qui] est repris sur la carte n° 2 du PRD 107 », il
restreint cependant fortement l’espace sur lequel le schéma directeur à élaborer doit porter
(voir Fig. 2 ; les parties hachurées sont les parties de la ZL n° 6 soustraites à l’étude). « La
zone d’étude du SD portera sur environ 16 hectares et se limitera à la partie de la zone
comprenant la Cité administrative, le Jardin botanique et le boulevard Saint-Lazare. La partie
de la zone levier comprenant la place Rogier et les boulevards du centre est donc exclue
de la zone d’étude. » Mais, poursuit l’appel d’offres, « l’aspect mobilité et accès de la CAÉ
à la gare Centrale sera toutefois pris en considération […]. Il en sera de même pour l’aspect
mobilité entre l’est et l’ouest de la zone levier » 106. Si la zone soumise au schéma directeur

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 81


a finalement été recentrée sur la CAÉ, en revanche ce resserrement n’a pas eu pour effet
d’exclure la tour des Finances du périmètre, à la différence de ce qui avait prévalu dans la
ZIR n° 11 du PRAS de 2001 (voir supra). Cependant, la réintégration de la tour dans la
Cité au sein de la zone soumise à SD intervient alors que le permis d’urbanisme autorisant
la transformation-rénovation de la tour a déjà été délivré et que les travaux sont en cours.
De plus, les prescriptions pour la ZIR n° 11 en matière de superficie plancher affectée aux
logements (au moins 35 %) restent appliquées hors tour des Finances.
L’avis de marché de juin 2005 présente de façon générale le schéma directeur à élaborer
de la manière suivante : « Le SD est l’outil de planification de base qui organise la zone
levier. Il a pour objet d’indiquer les actions à entreprendre pour appliquer les objectifs du
PRD dans les différentes zones leviers. La finalité du SD est opérationnelle : il doit permettre
une meilleure coordination entre les différents acteurs concernés et une identification plus
précise des mesures à entreprendre ultérieurement. » L’appel d’offres poursuit : « Il s’agit d’un
document d’orientation qui fixe une perspective générale de développement, garantit la cohé-
rence dans les interventions régionales, communales ou autres et organise le développement
d’un point de vue pratique. Il est élaboré notamment en vue de concilier au mieux les objec-
tifs et attentes des différents acteurs et de transcender d’éventuelles logiques concurrentielles .»
Enfin, l’avis de marché conclut : « Le SD n’entre pas en concurrence avec les outils plano-
logiques réglementaires existants et ne s’y substitue pas. Il est dépourvu de toute force obligatoire
et de valeur réglementaire. La Ville de Bruxelles élaborera ultérieurement un ou des plans
particuliers d’affectation du sol qui fixeront les contraintes juridiques et urbanistiques des
constructions à ériger. » 109 Pas de surprise ici, puisqu’on retrouve synthétisées les trois carac-
téristiques générales attribuées à un SD par le PRD : sa portée juridique indicative, sa vocation
programmatique et opérationnelle, son souci de concilier l’action et les positions « des diffé-
rents acteurs concernés », en particulier les autorités régionales et communales, et ce dans
le respect des objectifs du PRD.
La mission, à exécuter dans un délai de six mois, recouvre cinq volets qui seront assimilés
dans le cahier des charges à cinq étapes appelées à se succéder, hormis le volet « consul-
tation de la population » qui se veut plus transversal 110 :
« 1. État des lieux sommaire : les enjeux de la zone en termes de développement urbain
durable ; la situation de droit ; les éléments majeurs de la situation de fait ; les projets passés
et en cours ; les acteurs majeurs concernés par le développement de la zone.
2. Mise au point d’un programme de développement.
3. Détermination des moyens nécessaires à la mise en œuvre : le SD détaillera l’ensemble

82 Oliv ie r P a y e
Fig. 2. La partie de la zone levier n° 6 « Botanique » sur laquelle doit porter le schéma directeur dans l’avis de marché.
(Source : MSA-Lion.)

des éléments programmatiques requis pour sa mise en œuvre. Ceux-ci comprennent les moyens
opérationnels (leviers d’action, programmes existants, etc.), les moyens financiers, les acteurs
et leur nécessaire coordination ainsi qu’un phasage réaliste des travaux à mener. Ces éléments
opérationnels devront être étroitement coordonnés pour mener à bien le programme de déve-
loppement. Le détail des moyens opérationnels sera décrit en fonction des priorités retenues
pour le SD et le phasage du programme de développement.
4. La consultation de la population.
5. La rédaction d’un rapport final bilingue français / néerlandais accompagné d’une
synthèse 111.»

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 83


Une concertation à géométrie variable

Dans notre analyse des dispositions du PRD relatives aux schémas directeurs, on s’était posé
la question de savoir si la catégorie d’« acteurs intéressés » recouvrait ou non « les habi-
tants », sachant qu’une des spécificités de ces schémas semble résider dans sa vocation à
concilier les attentes des « acteurs concernés » autour d’un projet de développement commun
et concerté en rapport avec une zone levier. On avait conclu que si rien n’excluait une
réponse positive à cette question, rien n’excluait non plus une réponse négative. Les docu-
ments balisant la procédure de sélection d’un chargé de projet pour l’élaboration d’un SD
pour la CAÉ apportent-ils des éléments susceptibles de faire pencher la balance dans un
sens plutôt que l’autre ? Oui et non. S’ils apportent, en effet, certaines précisions, celles-ci
maintiennent néanmoins une ambiguïté que ne dissipe que partiellement le dispositif concret
prévu par le gouvernement régional pour accompagner le processus d’élaboration du schéma
directeur par le chargé d’étude (voir plus loin).
La réponse à la question de la place occupée par la délibération collective dans le processus
d’élaboration d’un schéma directeur, de la portée de cette délibération et des acteurs diffé-
rents qui peuvent s’y trouver associés tient déjà pour une bonne part dans la distinction
opérée par le PRD entre une phase de concertation avec les « acteurs intéressés », appelée
à se dérouler tout au long du processus d’élaboration du schéma, et une phase de consul-
tation avec l’ensemble du « public », prévue en fin de processus et portant sur les résultats
de ce processus.
Premier élément marquant que l’on peut relever dans l’appel d’offres : le gouvernement
régional prévoit explicitement que « la consultation de la population […] s’appuie sur la
mission confiée par la Région au BRAL en vue de faciliter la concertation entre les habitants
et le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de l’élaboration de
schémas directeurs de zones d’intérêt régional ou de zones leviers » (art. 25 du cahier des
charges). Ce faisant, le gouvernement demeure dans la lignée des engagements généraux
pris précédemment et qui faisaient se rejoindre deux volets du projet de ville que le PRD
n’avait pas explicitement joints : les schémas directeurs comme outils de redéploiement des
zones leviers et la participation des habitants aux décisions publiques en matière d’aména-
gement du territoire. Cette jonction repose sur l’intégration de l’impératif procédural de la
participation des habitants au sein même de l’instrument des schémas. Le gouvernement
régional va ainsi plus loin, dans le sens de « la participation des habitants », que ce que le
PRD avait prévu pour l’élaboration des schémas directeurs pour les zones leviers. Il va égale-

84 Oliv ie r P a y e
ment « plus loin » dans cette direction en établissant que « la consultation de la population
doit être entamée dès les prémisses de l’étude » (art. 25 du cahier des charges), et non pas
tenue « en bout de course », comme l’envisageait le PRD.
Là où les choses s’obscurcissent à nouveau, c’est dans la description des personnes appe-
lées à bénéficier de cette « consultation dès les prémisses de l’étude » et dans la confusion
entre consultation et concertation dans certains passages des documents produits par le
gouvernement régional (voir art. 17 112 et 23 113 du cahier des charges), confusion dont la
présence avait déjà été relevée dans l’ordre de mission du gouvernement au BRAL (voir supra).
Hormis justement la mission de « concertation » confiée au BRAL, centrée sur « les habi-
tants », les autres moments de « consultation » évoquent essentiellement des discussions à
mener avec « les acteurs ». Et lorsque le « tout public » est évoqué, c’est davantage sur le
mode de l’information, de la « communication », que de la concertation (cf. les « assemblées
générales »). Certes, a priori rien n’interdit de compter « les habitants » parmi « les acteurs ».
En revanche, il est malaisé de considérer que les habitants puissent être inclus dans les caté-
gories spécifiques d’acteurs, mentionnées, par exemple, dans le cahier des charges : « acteurs
majeurs » (art. 17), « acteurs stratégiques » (art. 25), « acteurs qui mettront en œuvre les
mesures préconisées » (art. 23), « acteurs impliqués dans le programme de développement »
(art. 23). Par « acteurs concernés », il semble donc qu’il faille entendre ici des personnes ou
groupes de personnes qu’on estime être en position de prendre (directement) part à la mise
en œuvre des actions de développement envisagées ou détenant un levier de l’action collec-
tive à produire à l’instigation des pouvoirs publics. Clairement, il s’agit surtout des acteurs
publics, ou para-publics, et des acteurs économiques. Du reste, le relevé des « acteurs qui
mettront en œuvre les mesures préconisées » auquel doit procéder le schéma directeur
« Botanique » est explicitement inscrit dans la perspective de la promotion des fameux parte-
nariats public-privé auxquels appelait le PRD : « Le schéma directeur doit aboutir au
développement de la zone levier via des partenariats entre pouvoirs publics et acteurs immo-
biliers et économiques privés » (art. 23 du cahier des charges). Les acteurs dont il est question
représenteraient ainsi tout à la fois une des dimensions et une des solutions du « problème
à résoudre » par l’intervention publique. Si les pouvoirs publics se veulent « efficaces », ils
se doivent d’établir « les acteurs » présents ou potentiels sur lesquels ils doivent ou peuvent
compter et de prendre en compte leurs souhaits et capacités opérationnelles, ce en vue de
maximiser les ressources mobilisables à l’appui d’un projet commun, lequel dépendra de la
capacité des pouvoirs publics de coordonner l’action de ces acteurs. On se situe donc bien
dans un modèle d’action publique marqué du sceau de la gouvernance.

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 85


En conclusion, on peut dire que les modalités de délibération collective prévues dans le
processus d’élaboration du schéma directeur à produire pour la CAÉ varient selon qu’il
s’agit de prendre en considération « les acteurs » (organismes publics ou para-publics et grou-
pements économiques privés) ou « les habitants ». Si les modalités et objectifs de la discussion
avec — ou entre — les premiers sont relativement bien développés dans le cahier des charges,
ce n’est pas le cas en ce qui concerne les seconds, la question étant renvoyée à la conven-
tion conclue à ce sujet entre le gouvernement régional et le BRAL. Enfin, si l’opérateur de
« la concertation avec les acteurs » est le bureau d’études, c’est un autre opérateur, le BRAL,
qui est chargé spécifiquement de « la concertation avec les habitants ».
Dans ce contexte, un point crucial par rapport à la question qui nous occupe a trait à
l’articulation qui sera établie entre ces deux canaux distincts de participation, plus précisé-
ment à la manière dont la mission sous-traitée au BRAL sera raccrochée au processus général
d’élaboration du schéma piloté par le bureau d’études. De quelle façon les méthodologies
envisagées par chacun des deux opérateurs en ce qui concerne la participation des acteurs
en général, d’une part, et des habitants en particulier, d’autre part, vont-elles se rencontrer ?
Sur ce point, le cahier des charges apporte déjà une partie de réponse en définissant la
composition et les règles de fonctionnement de l’instance chargée du suivi du processus
d’élaboration du SD « Botanique », à savoir le comité d’accompagnement, censé « veiller au
bon avancement des différentes tâches de la mission » (art. 43).
Les modalités de son fonctionnement sont les suivantes. C’est le cabinet du ministre-prési-
dent qui convoque le comité d’accompagnement selon l’état d’avancement des travaux (art. 44).
« Le chargé d’étude tient le comité d’accompagnement régulièrement informé de l’évolution
de l’étude. Il répondra aux demandes et aux observations du comité d’accompagnement »
(art. 46). « Le cas échéant, le chargé d’étude étudie les points complémentaires ou supplé-
mentaires que le comité d’accompagnement jugera indiqués d’approfondir à la lumière des
premiers éléments de l’étude » (art. 47). Enfin, si la règle de fonctionnement du comité d’ac-
compagnement est le consensus, le cahier des charges précise : « En cas d’absence de
consensus au comité d’accompagnement, la responsabilité des décisions revient au pouvoir
adjudicateur » (art. 47), c’est-à-dire la Région représentée par le ministre-président (art. 1).
Quant à sa composition, « présidé par le ministre-président et assisté par la secrétaire d’État
chargée de l’urbanisme, le comité d’accompagnement est composé de (représentants des
parties suivantes) :
— AATL (MRBC, direction de l’Aménagement du territoire et du Logement) ;
— AED (MRBC, direction de l’Équipement et des Déplacements) ;

86 Oliv ie r P a y e
— IBGE (Institut bruxellois pour la gestion de l’environnement) ;
— SDRB (Société de développement pour la Région de Bruxelles-Capitale) ;
— SLRB (Société du logement de la Région de Bruxelles-Capitale) ;
— STIB (Société des transports intercommunaux de Bruxelles) ;
— SNCB (Société nationale des chemins de fer belges) ;
— la Ville de Bruxelles ;
— Saint-Josse ;
— propriétaires des sites stratégiques ».
Le cahier des charges ajoute toutefois : « En fonction de l’ordre du jour […], les repré-
sentants des ministres concernés et le BRAL sont invités au comité d’accompagnement » (art. 44).
Le BRAL n’en est donc pas membre à part entière, alors qu’il l’aurait souhaité, de même
qu’il souhaitait que des habitants puissent l’être 114. On peut en conclure que la structure la
plus permanente de délibération collective prévue dans le cadre du processus d’élaboration
du SD « Botanique » concerne, dans un premier cercle, un grand nombre d’acteurs publics
ainsi que les propriétaires du site et, dans un deuxième cercle, d’autres représentants d’ac-
teurs publics et le BRAL. « Les habitants » n’en font pas partie. Même pas indirectement par
le biais d’une organisation représentative. En effet, le BRAL avait dès le départ explicitement
refusé d’être considéré dans ce cadre comme « le représentant du point de vue des habi-
tants ». Il se voyait — dans le cadre de cette mission — comme un relais fonctionnel permettant
à la structure de pilotage de l’élaboration du SD « Botanique » de tenir compte de « l’avis
des habitants » aux différentes étapes du processus 115.

Un certain parti pris sur les orientations substantielles du schéma directeur « à élaborer »

Si l’avis de marché publié fin juin 2005 insiste surtout, pour la présélection, sur les capa-
cités techniques à réunir dans le chef des candidats, il souhaite aussi recevoir « une liste de
références relatives à des études similaires […] ayant abouti ou non à des réalisations concrètes
dans les trois dernières années. Pour maximum trois des références citées que le candidat
juge comme étant les plus pertinentes par rapport au marché, il établira une note synthé-
tique […] mettant en évidence : sa capacité à intégrer dans les projets le contexte
socio-économique et culturel de ceux-ci ; sa capacité à intégrer dans les projets la faisabi-
lité financière ; sa capacité à travailler en collaboration avec une équipe multidisciplinaire,
et à communiquer avec les destinataires de ses projets (riverains, population, commerçants,
comité de quartier […] ; sa vision de l’aménagement d’une telle zone urbaine 116 ».

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 87


Figure ainsi explicitement parmi les critères de présélection la vision de l’aménagement
que les candidats ont pu développer dans des études précédentes. Cependant rien ne permet
encore de conclure à une volonté du gouvernement régional de prendre déjà parti en faveur
de certaines options de développement pour la Cité. L’attention portée à cet élément peut,
par exemple, s’expliquer par la volonté du gouvernement de s’assurer que la vision qui sera
développée dans le SD « Botanique » par l’auteur de projet a des chances de s’inscrire dans
la perspective du « projet de ville » du PRD. Étant entendu que si celui-ci recèle une série
d’orientations de fond en matière de développement urbain, ces orientations, on l’a vu, sont
exprimées à un niveau de généralité suffisamment élevé pour laisser ouvert un vaste éven-
tail de traductions concrètes pour tel ou tel site.
En revanche, plusieurs dispositions du cahier des charges, notamment celles relatives à la
définition du contenu minimal des offres, contribuent bel et bien à réduire l’amplitude des
options de développement qui pourraient être retenues dans le cadre de l’élaboration du
SD « Botanique ». À commencer par la disposition exigeant que les offres contiennent déjà
« une esquisse de SD » (art. 27). Laquelle comprend (art. 28) :
« — un premier diagnostic des grands enjeux, potentiel et problèmes / contraintes à résoudre
pour le développement de la zone ;
— une vision stratégique ou conception générale du programme de développement de la
zone, au regard notamment :
– de l’équilibre entre des ambitions métropolitaines (levier pour le développement
de la Région de Bruxelles-Capitale, symbole urbain, projet « phare » au sens du PRD)
et un quartier autosuffisant,
– des fonctions à intégrer sur le site et de la mixité tant fonctionnelle (répartition
commerce / bureaux / logements / équipements, etc.) que sociale (ex. type de loge-
ment y compris standing) à y promouvoir,
– des enjeux en matière de mobilité, d’environnement, de patrimoine, des structures
urbaines et des liens à créer avec les quartiers avoisinants ;
— un phasage du développement de la zone ;
— des premières pistes en vue de la faisabilité de la mise en œuvre du développement
de la zone : pistes financières, politiques, sociales, réglementaires, etc., notamment au niveau
de la coordination des acteurs ».
On le voit, plus qu’une méthodologie, ce qui est demandé des candidats présélectionnés
(qui seront d’ailleurs indemnisés à hauteur de 7 500 euros pour ceux qui ne seront pas sélec-
tionnés 117), c’est un véritable premier projet de schéma directeur. Une ébauche dans laquelle

88 Oliv ie r P a y e
ils sont déjà invités à développer une vision stratégique particulière pour le développement
du site, et ce avant même le début du processus d’élaboration du schéma proprement dit.
Certes, les orientations de développement qui seront retenues dans le schéma directeur ne
sont pas prédéfinies dans le cahier des charges. Mais à partir du moment où la sélection
des offres s’effectue sur la base d’un premier projet de schéma directeur, on peut conclure
à une réduction de la marge qui sera laissée ouverte lors des moments de délibération collec-
tive que doit comprendre le processus d’élaboration du schéma, que ce soit avec « les acteurs »
ou avec « les habitants ». La lecture de la section du cahier des charges consacrée aux critères
d’attribution du marché conforte cette conclusion. La vision stratégique développée par les
candidats y est élevée au rang des premiers critères sur base desquels « la meilleure offre »
sera retenue. En effet, ces critères sont, par ordre décroissant d’importance, les suivants
(art. 42) :
« — la qualité de l’esquisse proposée et notamment les aspects suivants :
– le premier diagnostic, la capacité à cerner et à exprimer les enjeux, potentiels et
problèmes / contraintes à résoudre pour le développement de la zone,
– la vision stratégique proposée,
– la démonstration de l’opérationnalité de la mise en œuvre de la vision stratégique
(faisabilité),
– la réflexion sur le phasage du développement de la zone ;
— la qualité de l’équipe qui sera chargée du projet et des personnes chargées des diffé-
rentes tâches ;
— la qualité de la méthodologie envisagée ;
— le prix proposé ;
— la clarté de l’offre, y compris sa structure, la qualité de sa rédaction et de sa présentation».
À lire ce dernier extrait, pas de doute : la sélection qui doit intervenir est amenée à s’effec-
tuer sur la base d’une méthodologie particulière de travail, certes, mais plus encore à partir
d’une vision stratégique et d’une conception générale spécifique du programme de déve-
loppement proposé pour la zone. Cela méritait d’être relevé car souvent, dans la suite de
l’histoire, les acteurs les plus impliqués invoqueront, à propos de la sélection du concepteur
du projet, un ordre de priorités inversé entre méthodologie et orientations substantielles.

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 89


La sélection du bureau MSA-Lion et la mise au point de la participation
des habitants en accord avec le BRAL

Peu nous importe ici que, dans la réalité, les choses se soient passées différemment ou non
de ce que le cahier des charges impliquait. Ce qui compte pour notre propos est d’acter le
fait que, avec la sélection de MSA-Lion intervenue dans le courant du mois de décembre
2005, le gouvernement régional a aussi opté pour une certaine approche du redéploiement
de la Cité administrative, à intégrer dans le schéma directeur : l’approche patrimoniale,
comme on l’appellera par la suite. Ce choix a pu reposer sur des motifs « idéologiques »,
liés à une conviction de principe selon laquelle la reconversion de toute zone levier devrait
tendre à conserver le plus possible le patrimoine existant. Il a pu aussi se fonder sur des
motifs « pragmatiques » liés au caractère « réaliste », à la « faisabilité » des préprojets de
schéma contenus dans les offres remises par les différents candidats 118. Ou bien sur un
mélange des deux types de motifs. À nouveau, peu importe. Ce qui compte, ici, c’est que
le choix de MSA-Lion conditionnait déjà les options de développement qui pouvaient être
retenues in fine dans le SD en les liant à une vision stratégique préétablie.
Du reste, certains des principaux intéressés ne s’en défendent nullement. Ainsi, lors de la
conférence de presse du 17 octobre 2006, dans laquelle il annonce que le gouvernement
régional a approuvé en première lecture le projet de SD pour la CAÉ, le ministre-président
justifie le choix du bureau retenu à la suggestion de son cabinet de la façon suivante : « Le
postulat de base du bureau d’études était : “Maintenir l’identité de la Cité en exploitant sa
différence morphologique.” C’est ce postulat qui nous a convaincu au moment d’opérer le
choix du bureau. Concrètement, l’aménagement de la CAÉ doit être pensé en intégrant la
CAÉ dans la ville [et en] exploitant son potentiel et ses spécificités dans le cadre d’un déve-
loppement. Cela implique le maintien de l’intégrité physique et architecturale de la Cité tout
en améliorant les liaisons / interfaces entre la Cité et l’ensemble de la Région […] 119. »
Il reste que, contrairement à ce qui a pu être dit par différents acteurs, ce choix-là d’emblée
ne permettait plus de dire que « tout était ouvert », que toutes les options étaient a priori
discutables collectivement — à condition d’être conformes aux grandes orientations du projet
de ville contenu dans le PRD —, que ce soit avec « les acteurs » ou avec « les habitants ».
Poser ce constat n’empêche pas de reconnaître que le choix de MSA-Lion se justifie aussi
par la présence dans son offre d’une méthodologie de travail particulièrement participative.
Le bureau MSA avait, en effet, déjà obtenu par le passé plusieurs conventions de la part
des pouvoirs publics bruxellois, notamment dans le cadre de programmes de revitalisation

90 Oliv ie r P a y e
urbaine (quartiers d’initiative et contrats de quartier) dans lesquels il s’était distingué par des
dispositifs innovants en matière de participation des habitants 120.
Dans le cas de la CAÉ, Benoit Moritz est le responsable principal du projet au sein de
MSA. Enseignant à La Cambre, membre de Disturb, il fait partie de cette nouvelle généra-
tion de « jeunes architectes-urbanistes militants » actifs lors des mobilisations associatives autour
du redéploiement de la Cité. Il fut notamment impliqué dans le colloque « Quel avenir pour
la Cité administrative ? » puis dans le MapRAC (voir chapitre précédent). Pour la circons-
tance, MSA s’est allié au bureau français dirigé par Yves Lion. Architecte-urbaniste de réputation
internationale, celui-ci bénéficie d’une expérience reconnue dans le domaine des « grands
projets urbains d’équipements collectifs » et marquée par un souci constant de la qualité du
logement et des espaces publics 121.
Une fois la sélection de MSA-Lion entérinée, MSA et le BRAL, qui avaient déjà eu l’occa-
sion de se côtoyer dans le cadre d’autres programmes de revitalisation urbaine, vont se
mettre rapidement en rapport pour déterminer dans quelle mesure la mission de concerta-
tion avec les habitants confiée par le gouvernement régional au BRAL peut se connecter au
processus d’élaboration du schéma directeur piloté par MSA.
Dès la fin octobre 2005, soit avant l’échéance de la procédure de sélection de l’auteur
de projet, le BRAL avait présenté au cabinet Picqué une note contenant un programme et
une méthode de travail concernant sa mission et la façon dont celle-ci pouvait s’intégrer
dans le processus d’élaboration du SD « Botanique » 122. De nombreux éléments suggérés
dans la note seront acceptés par le cabinet, notamment la tenue d’« assemblées générales »
d’information, au début et à la fin du processus, l’organisation de deux « ateliers de la cité »
dans les deux premières phases, l’organisation de deux « ateliers régionaux » autour de l’es-
pace constitué par les ZL n° 5 « Tour et Taxis » et n° 6 « Botanique » et le recours à différents
supports de communication (journal de quartier, folders, etc.). Certaines suggestions sont
cependant écartées, notamment celles qui concernent la composition du comité d’accom-
pagnement (voir supra) ainsi que le fait de pouvoir filmer les réunions de ce comité afin que
les membres de la plate-forme locale puissent être informés de façon précise des délibéra-
tions tenues en son sein 123. MSA intégrera la partie commune proposée par le BRAL au sein
du dispositif, finalisé avant le lancement du processus d’élaboration du schéma proprement
dit, le 1er février 2006 124. Benoit Moritz lui-même présentera le dispositif lors de deux réunions
organisées par le BRAL : celle de la plate-forme locale le 1er février 2006 aux Facultés univer-
sitaires Saint-Louis et la première « assemblée générale » le 21 février 2006 dans les bâtiments
de la CAÉ (voir chapitres III et IV).

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 91


La procédure finalement retenue pour l’élaboration du SD « Botanique » intègre principa-
lement trois grandes modifications par rapport à ce que le cahier des charges envisageait.
D’abord, on l’a dit, elle intègre les dispositifs organisés par le BRAL dans le cadre de la
mission de concertation avec les habitants pour laquelle il a été conventionné par le gouver-
nement régional. Ensuite, les étapes séquençant le processus se voient modifiées. Si elles
sont toujours au nombre de quatre, leur contenu a été reprofilé comme suit : la première
consiste à se faire une image du site et de ses enjeux, la deuxième à déterminer les équi-
pements publics fédérateurs du développement, la troisième à produire un ou plusieurs scénarios
de développement pour le site et, dans la quatrième, « le politique décide ».
Le dernier élément novateur qu’intègre la procédure établie par le bureau d’études consiste
en la création d’une table ronde tripartite réunissant, autour du chargé d’étude, des repré-
sentants de la RBC, de la Ville de Bruxelles et de la Commune Saint-Josse, une table ronde
dont les réunions sont programmées à la fin de chacune des quatre phases évoquées ci-
dessus, alors que celles du comité d’accompagnement sont prévues au début de chacune
de ces phases. Cette innovation « institutionnelle » est tout sauf anodine. Elle entraîne, en
effet, dans les faits un changement du statut du comité d’accompagnement, puisque celui-ci
se voit transformé en une instance consultative où seront davantage abordées des questions
techniques. La « vraie » délibération, celle qui aboutit à des décisions, est transférée vers ce
nouveau lieu institutionnel que représente la table ronde tripartite.
Si on compare le dispositif qui s’établit au moment du lancement du processus d’élabo-
ration du SD « Botanique » au cadre général défini dans le cahier des charges, on voit que
la procédure définitive est plus inclusive à l’égard des habitants, du fait de l’intégration des
dispositifs de concertation conçus et organisés par le BRAL. Dans le même temps, elle est
aussi moins inclusive — du moins formellement — à l’égard, d’une part, des organismes
publics autres que ceux possédant des compétences générales d’action (la Région et les
deux Communes) et, d’autre part, des propriétaires du site, néanmoins consultés à chaque
étape. Cela s’explique directement par la réduction de fait du poids du comité d’accom-
pagnement dans le pilotage du processus, dont le centre nerveux réside désormais dans
cette nouvelle instance de concertation que constitue la table ronde tripartite Région-Communes.
Dans le concept définitif, le moteur de la véritable délibération collective, celle qui débouche
sur des décisions et des avancées dans le processus, est bien un binôme Région-Communes,
ainsi que le suggéraient les considérations générales contenues dans le PRD à propos de
l’élaboration des schémas directeurs… mais non le cahier des charges balisant l’appel d’offres
pour l’élaboration de celui du Botanique.

92 Oliv ie r P a y e
Conclusion

Délimitée par la formation du nouveau gouvernement régional, à l’été 2004, et le début


officiel, le 1er février 2006, de la mission d’élaboration du schéma directeur « Botanique »
par le bureau sélectionné, la période analysée dans cette contribution se caractérise par
deux éléments majeurs. Il s’agit, d’une part, de la mobilisation de multiples acteurs — asso-
ciations, propriétaires du site, architectes-urbanistes, etc. — qui tous ont planché sur des
scénarios globaux de redéploiement de la Cité ou émis des suggestions plus spécifiques à
ce sujet. Il s’agit, d’autre part, de la mise en place par les pouvoirs publics régionaux, sous
l’impulsion du cabinet du ministre-président Charles Picqué, d’une procédure définissant dans
le cas de la CAÉ les modalités d’élaboration d’un schéma directeur, cette « méthode nouvelle »
conçue pour impulser le redéveloppement de la plupart des sites d’intérêt régional consi-
dérés comme zones leviers et dont la CAÉ constitue l’un des premiers terrains d’expérimentation.
Tel qu’il est décrit, à la fois de façon générale dans le PRD et de façon particulière dans
l’appel d’offres pour la ZL n° 6 « Botanique », le schéma directeur est censé tirer sa force,
et sa légitimité, d’une source autre que la contrainte juridique, puisqu’il est explicitement
défini comme ayant une portée juridique seulement indicative. Son efficacité propre se trouve
dès lors conditionnée par le fait que les options de développement profilées pour un site
revêtent un caractère opérationnel très poussé. Celles-ci doivent également faire l’objet d’un
large consensus entre tous « les acteurs concernés », et pas seulement d’un accord des auto-
rités publiques régionales. Le programme de développement en question se doit ainsi d’être
élaboré dans une perspective qui se veut à la fois réaliste et délibérative.
Réaliste, au sens où le schéma directeur doit présenter, dans un concept cohérent, un
ensemble d’actions de développement, dont la faisabilité du point de vue technique, juri-
dique, financier et actoriel est clairement attestée et dont la mise en œuvre opérationnelle
est soigneusement détaillée par rapport aux moyens nécessaires, aux opérateurs respon-
sables, aux phasages de début et de fin des procédures et travaux, etc. Délibérative, dans
la mesure où ce programme de développement doit avoir fait l’objet d’une « large concer-
tation entre tous les acteurs », y compris avec « les habitants », vis-à-vis desquels un dispositif
spécifique de concertation est établi ; mais aussi, et peut-être surtout, avec les acteurs suscep-
tibles de prendre effectivement part à la mise en œuvre du plan d’action retenu, par exemple
en vertu de critères de faisabilité.
Réaliste et délibératif, mais en fait surtout réaliste, avec toute l’ambiguïté liée à cette idée
qui peut cacher, derrière des considérations d’apparence technique (faisabilité, efficience,

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 93


etc.), des choix plus directement politiques, peu ou prou dictés par des préférences de prin-
cipe concernant le développement urbain. Surtout réaliste parce que, en la circonstance,
choix a été fait par le cabinet Picqué, d’une part, de demander d’emblée aux candidats à
la mission d’élaboration du SD « Botanique » un préprojet de schéma et, d’autre part, d’éva-
luer celui-ci, dans la perspective de la sélection du chargé d’étude, notamment à l’aune des
premières « pistes de faisabilité » de la mise en œuvre de la vision stratégique générale qui
y était développée. Insistons-y : c’est dans ce cadre que s’est effectué le choix du bureau
MSA-Lion. Celui-ci a donc validé, dès avant le lancement du processus d’élaboration du SD
« Botanique » proprement dit, une certaine vision stratégique dans laquelle devait s’inscrire
la construction, pour partie collective, du programme de développement pour la zone. Dès
ce moment, l’ouverture du processus à la délibération collective se voyait doublement limitée.
Limitée d’abord quant à son objet : on vient de le voir, toutes les options de développement
ne sont plus a priori également envisageables. Limitée ensuite quant à ses participants, puisque
la délibération collective s’opérera à géométrie variable, dans des lieux institutionnels diffé-
rents (table ronde tripartite, comité d’accompagnement, assemblées générales et ateliers),
qui n’incluent pas les mêmes participants et n’ont pas la même place ni le même poids déci-
sionnel dans le processus.
À ce stade du récit, on peut ainsi acter l’existence de pratiques ayant eu pour conséquence
de réduire d’emblée et de façon significative la palette des options « réellement » envisa-
geables et la gamme des acteurs en position de pouvoir « vraiment » les définir. De ce point
de vue — et sous réserve d’un changement de direction dans la suite de l’histoire —, on ne
peut que constater un écart entre la réalité et la plupart des déclarations publiques, procla-
mant avec insistance que le schéma directeur « Botanique » fut bel et bien le fruit d’« une
concertation de tous les acteurs 125 », si toutefois on définit la concertation comme une déli-
bération ouverte, et non comme une simple consultation à visée d’abord informative.
Qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas de dénoncer une intention cachée des acteurs
régionaux impliqués dans le choix du bureau. Cette piste nécessiterait pour être vérifiée
qu’on rapporte la preuve que les acteurs ont eu conscience de cet état de fait et qu’ils se
sont résolus à cacher cette réalité aux autres acteurs, en particulier au « grand public ».
Certes, nous ne nous sommes pas donné les moyens de vérifier une telle hypothèse, par
ailleurs toujours difficile à établir par le biais de méthodes de type sociologique car néces-
sitant de sonder des intentions et non d’observer des pratiques. Cependant, nous parierions
plutôt sur l’hypothèse inverse, conjecturant que, dans l’esprit des acteurs régionaux impli-
qués, le souhaitable est d’évidence sous la dépendance du faisable et qu’il appartient aux

94 Oliv ie r P a y e
pouvoirs publics, en tant que gardiens de l’intérêt général, d’être les gardiens du faisable.
Si notre hypothèse est la bonne, alors les acteurs en charge du pilotage des processus d’élabo-
ration de schémas directeurs seraient à l’avenir sans doute avisés d’expliciter davantage
ces fondements implicites, afin de minimiser le risque de malentendus et les soupçons d’instru-
mentalisation pesant sur les procédures participatives incluses dans l’élaboration de tels schémas.

1. Arrêté PRD, Considérants, 2002, p. 258 Europe, Toison d’Or, Heysel, Hôpital militaire, Schaerbeek
2. Entretien avec Michel De Bièvre, administrateur délégué Formation, RTBF-VRT, Delta, gare de l’Ouest, (PRD,
de Breevast, réalisé le 14 novembre 2006. Conditions transversales, section 1.3, § 4 et cartes
3. La notion de « site d’intérêt régional » n’a pas de portée annexées).
juridique. Elle recouvre au minimum les « zones d’intérêt 7. Voir Bulletin des adjudications, 18 novembre 2004
régional » (ZIR) et les « zones d’intérêt régional à aména- (appel d’offres général) et 3 juin 2005 (appel d’offres
gement différé » (ZIRAD), définies dans le plan régional restreint). En ce qui concerne la ZL n° 14 «gare de l’Ouest»,
d’affectation du sol (PRAS), ainsi que les « zones leviers » la SNCB étant le propriétaire principal du site, c’est le
(ZL), définies dans le plan régional de développement service public fédéral Mobilité et Transports qui a émis
(PRD) (voir Encadré n° 1). un avis de marché (Bulletin des adjudications, 22 octobre
4. Arrêté PRD, 2002, publié au Moniteur belge le 2004) en vue d’élaborer non pas explicitement un SD
15 octobre 2002 (texte disponible sur: http://prd.iris mais bien un « plan pilote dans la perspective de la restruc-
net.be/fr, site consulté le 6 mars 2008). Toutes les réfé- turation de la gare de l’Ouest et de ses environs ».
rences à l’arrêté PRD dans cette contribution proviennent 8. Ministère de la RBC, Avis de marché n° 8400, Bulletin
de cette source. des adjudications, 24 juin 2005, p. 8342-8346.
5. Sur le caractère central de la présence de sites d’inté- 9. Voir Bulletin des adjudications, 26 mai 2006 (pour
rêt régional dans la définition d’une ZL au PRD, voir les la ZL n° 13 « Delta »), 15 octobre 2007 (pour la ZL n° 12
considérants préalables au PRD, Arrêté PRD, p. 260-261. « RTBF-VRT ») et 17 janvier 2008 (pour la ZL n° 11
6. Érasme, Forest, Midi, Canal, Tour et Taxis, Botanique, « Schaerbeek Formation »).

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 95


10. Moniteur belge, 14 juin 2001, http://geowebas1.ci. Droit Fiscalité belge, 2005 (http://www.businessand-
irisnet.be/PRAS/FR/Frame-menufr.htm (site consulté le 25 law.be/article912.html, site consulté le 6 mars 2008).
mars 2008). 15. COBAT, art. 23. Voir aussi Arrêté PRD, Considérants,
11. « Le règlement régional d’urbanisme (RRU) définit un p. 2-3. Pour plus de précisions quant à la portée dès
certain nombre de règles urbanistiques que les nouveaux lors quand même partiellement réglementaire du PRD,
bâtiments doivent respecter. Ces règles concernent les voir Bernard PÂQUES, Aménagement du territoire : plani-
caractéristiques des constructions et de leurs abords, les fication, op. cit., p. 16.
normes d’habitabilité des logements, les chantiers, l’ac- 16. Art. 17 du COBAT. Le PRD de 2002 établit quatre
cessibilité des bâtiments pour personnes à mobilité réduite, types de ZIP : les zones de programmes de revitalisa-
l’isolation thermique des bâtiments, les dispositifs de publi- tion, dans le cadre des contrats de quartier ; les ZL, dont
cité et les enseignes, la voirie, ses accès et ses abords. » on va reparler, les espaces de développement renforcé
Voir http://www.ieb.be/article/382 (site consulté le 6 du logement et de la rénovation (EDRLR) et les « autres
mars 2008). zones d’intervention prioritaires spécifiques » (zones
12. En RBC, comme dans les autres Régions, les établies dans le cadre de l’aide fournie par les fonds
Communes bénéficient de la prérogative constitutionnelle structurels européens, politique de revitalisation des noyaux
de prendre des initiatives sur toute question d’intérêt commerciaux, maillage vert et bleu…).
communal. Mais elles ne peuvent exercer cette préro- 17. PRAS, chapitre G, sections 18 (ZIR) et 19 (ZIRAD)
gative que sous la tutelle légale et d’opportunité de la et chapitres J (ZIR) et K (ZIRAD).
Région sur le territoire de laquelle elles se trouvent. En 18. Le BRAL avait évoqué cette thématique dans son
revanche, il n’y a plus aujourd’hui d’autorité provinciale programme de travail (« werkingsprogramma ») pour
sur le territoire de la RBC. C’est donc l’autorité régio- l’année 2005, introduit fin 2004 auprès du cabinet Picqué
nale qui y exerce les compétences que les Provinces en vue d’obtenir une subvention annuelle de la part du
exercent toujours dans les deux autres Régions du pays. gouvernement régional. À l’invitation du cabinet, le BRAL
13. Moniteur belge, 26 mai 2004. Le COBAT est, en a élaboré une proposition de travail en bonne et due
2008, en cours de modification. forme à ce sujet, laquelle donna lieu à un convention-
14. On peut trouver une présentation didactique de ces nement pour l’année 2005 portant sur un montant de
différents instruments dans le PRD (Priorité 5, section 1.2), 57 300 €(information transmise par An Descheemaeker,
ainsi que dans le chapitre premier (« Les règles du jeu ») coordinatrice du BRAL et membre du Groep Levier).
de la brochure Le Permis d’urbanisme en RBC. Guide 19. Pour l’année 2006, la convention porte sur 60 300 €
pratique, éditée par l’AATL en octobre 2007 pour le BRAL et 114 669 € pour IEB, chargé des zones
(http://www.bruxelles.irisnet.be/fr/citoyens/home/urba- gare du Midi, gare de l’Ouest et Toison d’Or (Matongé).
nisme/brochures.shtml, site consulté le 26 mars 2008). Voir « Environnement. Pour favoriser la participation
Voir aussi la rubrique « vos questions » sur le site web citoyenne… », La Tribune de Bruxelles, 15 décembre
de l’ARAU : http://www.arau.org/al_faq.php (site 2005, p. 4.
consulté le 25 mars 2008). Pour un point de vue juri- 20. On trouvera une synthèse des activités menées en
dique, voir la partie III de Bernard PÂQUES, 2005 par le BRAL dans le cadre de cette convention
Aménagement du territoire : planification, Facultés dans la partie du rapport d’activités 2005 de l’association
universitaires Saint-Louis, notes pour le DES en droit de intitulée « Participatie rond de ontwikkeling van de goog’s »
l’environnement, 2005 et Diane de LANNOY, (« Participation autour du développement des zones à
« L’aménagement du territoire et l’urbanisme en RBC », développer par le biais d’une concertation commune »).

96 Oliv ie r P a y e
21. PRD, Priorité 1, section 2.1. cabinet Picqué, avant d’intégrer la direction de la réno-
22. PRD, Priorité 4, section 3.1. Cette citation est extraite vation urbaine de l’administration de l’Aménagement du
d’une section relative au « volet social » de la politique territoire et du Logement (AATL) du ministère de la Région
de rénovation urbaine, de protection et d’amélioration de Bruxelles-Capitale (MRBC), où elle était en charge
de l’habitat. On trouve toutefois mention d’un « souci des contrats de quartier.
constant de gestion participative » à la priorité 1, égale- 28. Entretiens avec Benoit Moritz le 3 octobre 2006 et
ment, dans l’introduction. avec Ariane Herman le 14 décembre 2006.
23. Accord de gouvernement 2004, p. 34 (voir sur 29. « Région de Bruxelles-Capitale : La Cité et Tour et
http://www.bruxelles.irisnet.be/fr/region_de_bruxelles- Taxis remis en selle », La Libre Belgique, 28 juin 2005.
capitale/autorites/gouvernement/accords_et_arretes. Les quatorze ZIR figurent au chapitre J du PRAS.
shtml, site consulté le 25 mars 2008). 30. « Région de Bruxelles-Capitale : La Cité et Tour et
24. Arrêté du 8 décembre 2005 relatif à la subvention Taxis remis en selle », loc.cit.
octroyée à IEB (consultable sur le site du Groep Levier 31. PRD, Partie II, « Conditions transversales de mise en
(http://centres.fusl.ac.be/GL), rubrique « Documents », œuvre du projet de ville », Condition 1.3.
sous-rubrique « gare de l’Ouest » (site consulté le 25 mars 32. Id.
2008). 33. Arrêté PRD, Considérants, p. 254-256. Voir le docu-
25. Les autres responsables politiques régionaux plus ment administratif intitulé « Préparation des options
particulièrement concernés par le dossier CAÉ au sein stratégiques du PRD 2001 ».
de l’exécutif bruxellois étaient : la secrétaire d’État PS 34. PRD, Partie II, « Conditions transversales… »,
Françoise Dupuis, chargée de l’urbanisme ; le secrétaire Condition 1.3.
d’État SP.A (socialiste flamand) Pascal Smet, du fait de 35. Ainsi, certaines ZL n’intègrent pas de ZIR ou de ZIRAD
sa responsabilité en matière de mobilité ; la ministre Écolo (c’est le cas de la ZL n° 9 « Heysel », par exemple), alors
de l’environnement (et des espaces verts régionaux) que certaines ZIR n’ont pas donné lieu à des ZL (c’est le
Évelyne Huytebroeck ; le secrétaire d’État PS Emir Kir, cas de la ZIR n° 9 « Charles-Albert », par exemple). Sur
en charge de la protection des monuments et sites. Seul les liens entre ZL et ZIR / ZIRAD, voir Arrêté PRD,
le cabinet de la première sera associé explicitement au Considérants, p. 260-261.
comité d’accompagnement du processus d’élaboration 36. Ibid., p. 259.
du SD « Botanique » (voir cahier des charges, art. 43). 37. PRD, Partie II, « Conditions transversales… »,
La Commune de Saint-Josse, voisine de la zone de la Condition 1.3.
CAÉ, et sur le territoire de laquelle se situent certaines 38. Arrêté PRD, Considérants, p. 261.
parties de la ZL n° 6 « Botanique » (l’avenue Victoria Regina 39. Voir les références citées par Bernard PÂQUES,
et le parc du Jardin botanique) en sera également membre, Aménagement du territoire : planification, op. cit., p. 7-
par le biais du cabinet de son bourgmestre, également 10. Notons que le concept de schéma directeur est aussi
en charge de l’urbanisme, le socialiste Jean Demanez. d’usage dans d’autres domaines, en informatique par
26. Henri Simons quittera Écolo pour le PS à l’issue des exemple.
élections communales d’octobre 2006, marquées par le 40. Voir MRBC, Ordonnance du 7 octobre 1993 orga-
rejet de la composante Écolo de la majorité communale nique de la revitalisation des quartiers, modifiée par les
à Bruxelles-Ville. ordonnances des 20 juillet 2000, 27 juin 2002 et
27. Juriste et conseillère en aménagement du territoire, 23 février 2006. Voir http://www.quartiers.irisnet.be
Ariane Herman avait déjà fait partie précédemment d’un (site consulté le 26 mars 2008), où l’on trouvera aussi

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 97


une présentation didactique du dispositif des contrats de 53. Bernard PÂQUES, Aménagement du territoire : plani-
quartier en RBC. Voir également le site de l’asbl Le Centre fication, op. cit., Partie I, p. 4.
urbain, rubrique « contrats de quartier : mode d’emploi » 54. PRD, Priorité 1, Introduction. Voir en particulier la
(http://www.curbain.be/fr/renovation/information/contr section 2.1 « Zones leviers et attractivité résidentielle ».
atdequartiermodedemploi_RDQ.php, site consulté le 26 55. Arrêté PRD, Considérants, p. 252-253. Voir aussi
mars 2008). PRD, Priorité 1, section 2.1 et Priorité 5, section 1.6.
41. Arrêté PRD, Considérants, p. 252. 56. Arrêté PRD, p. 252-253.
42. Id. Sur le rôle de la CRD, voir aussi le chapitre IV. 57. PRD, Priorité 5, point 1.6.
43. Ibid., p. 252-253. 58. Arrêté PRD, Considérants, p. 252-253.
44. Bernard PÂQUES, Aménagement du territoire : plani- 59. PRD, Priorité 5, point 1.6.
fication, op. cit., Partie I, p. 1. 60. COBAT, art. 53.
45. Voir, par exemple, Alain AVITABILE, « Le projet 61. COBAT, art. 41, 3e et 4e alinéas. Voir Bernard
urbain : une culture du territoire et de l’action urbaine » PÂQUES, Aménagement du territoire : planification,
in Yves CHALAS (s.l.d.), L’Imaginaire aménageur en muta- op. cit., Partie III, p. 5.
tion : cadres et référents nouveaux de la pensée et de 62. PRD, Priorité 5, section 1.2.6.
l’action urbanistiques, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 27- 63. PRD, Priorité 1, section 2.1.
58 ; Yves CHALAS, L’Invention de la ville, Paris, 64. François OST et Michel VAN DE KERCHOVE, De
Anthropos, 2000. la pyramide au réseau ? Vers un nouveau mode de produc-
46. Arrêté PRD, Considérants, p. 260-261. tion du droit ?, Bruxelles, Publication des Facultés
47. PRD, Priorité 1, section 2.2. universitaires Saint-Louis, 2000.
48. Voir par exemple l’article 17 de la Déclaration univer- 65. Olivier PAYE, « La gouvernance. D’une notion poly-
selle des droits de l’homme. sémique à un concept politologique », Études
49. Bernard PÂQUES, Aménagement du territoire : plani- internationales, vol. XXXVI, n° 1, mars 2005, p. 13-40 ;
fication, op. cit., Partie 1, p. 2. Revue internationale des sciences sociales, n° 155, « La
50. Dans certaines circonstances, le COBAT accorde Gouvernance », 1998.
au « fonctionnaire délégué » de la Région et non au collège 66. PRD, Partie II, 2e condition transversale.
communal des bourgmestre et échevins la compétence 67. Olivier PAYE, « Gouvernance, contrat, partenariat…
de délivrer un permis directement. Les nouvelles manières d’être de la politique », Démocratie,
51. Voir le titre IV, chapitre premier du COBAT. Pour n° 22, 15 novembre 2005, p. 1-5 ; Patrick LE GALÈS,
un aperçu didactique des pouvoirs et procédures en « Régulation, gouvernance et territoires » in Jacques
matière urbanistiques en RBC, voir la rubrique « urba- COMMAILLE et Bruno JOBERT (s.l.d.), Les Métamorphoses
nisme » de l’espace « citoyens » du site web de la RBC, de la régulation politique, Paris, LGDJ, 1999.
http://www.bruxelles.irisnet.be/fr/citoyens/home/urba- 68. PRD, Partie II, 2e condition transversale.
nisme.shtml (site consulté le 26 mars 2008). Voir aussi 69. Arrêté PRD, Considérants, p. 253.
la brochure éditée par l’AATL, Le permis d’urbanisme 70. PRD, Partie II, 3e condition transversale.
en RBC, op. cit. 71. PRD, Partie I, Priorité 5, section 1.6.
52. Voir l’arrêté du gouvernement de la Région de 72. Voir le chapitre « L’opinion de la publicité-concer-
Bruxelles-Capitale du 17 janvier 2002 déterminant la tation » in René SCHOONBRODT, Vouloir et dire la ville,
composition du dossier de demande de permis d’urba- Bruxelles, Archives d’architecture moderne, 2008,
nisme, Moniteur belge, 3 mai 2002. p. 186-207.

98 Oliv ie r P a y e
73. COBAT, titre IV, chapitre IV, section III « Mesures parti- proviennent de ce document ainsi que de cet autre docu-
culières de publicité ». On trouvera une présentation ment également produit pas Polaris Architects pour RAC
didactique de la procédure participative établie dans le Investment Group : Groupe de travail international pour
cadre de ces MPP dans le chapitre V « La demande de la restructuration de la CAÉ. Cahier des charges.
permis » de la brochure de l’AATL, Le permis d’urbanisme Version 2.0, Bruxelles, 2005. Ces deux documents sont
en RBC, op. cit. consultables sur le site web du Groep Levier,
74. Sur la différence entre ces termes, voir Olivier PAYE, http://centres.fusl.ac.be/GL/ (site consulté le 26 mars
« Les différents modèles de participation en Belgique » 2008).
in Décroissance : révolutionner nos modes de ville ?, Actes 87. Jean-Louis GENARD et Pablo LHOAS (s.l.d.), Qui a
de la 37e École urbaine de l’ARAU, Bruxelles, ARAU, peur de l’architecture? Livre blanc de l’architecture contem-
2007, p. 125-136. poraine en Communauté française de Belgique, Bruxelles,
75. PRAS, section G, prescription 18, al. 2. La Lettre Volée / ISACF – La Cambre, 2004. Voir le chapitre
76. COBAT, art. 54. écrit à ce sujet par François THIRY.
77. PRAS, section G, prescription 18. 88. Projet « Pratic » (http://www.pratic.be, consulté le
78. PRAS, section J. 28 mars 2008).
79. « La Tour des finances attend », Le Soir, 31 mars ; 89. Polaris Architects, Groupe de travail…, op. cit., p. 6.
« La Tour des Finances : du logement sur le toit de 90. Polaris Architects, Nouveaux scénarios…, op. cit.
Bruxelles ? », communiqué de presse commun IEB / BRAL, 91. Polaris Architects, Groupe de travail…, op. cit., p. 5.
11 janvier 2007 (http://www.ieb.be/article/79, site 92. Id.
consulté le 27 mars 2008). 93. Polaris Architects, Groupe de travail…, op. cit., p. 6
80. Ces six ZL prioritaires sont : Érasme, Europe, gare et 8.
de l’Ouest, Midi, Neder-over-Hembeek et Tour et Taxis, 94. La force de l’image fut telle que le cabinet Picqué
conformément à la déclaration gouvernementale du dut bien préciser, lors des réunions du comité d’accom-
5 octobre 2001 de la majorité régionale précédente pagnement des missions confiées au BRAL et à IEB (voir
(Arrêté PRD, Considérants, p. 259). D’autre part, la CAÉ, ci-dessous), que le concours à idées était « une étude
à nouveau amputée de la tour des Finances, est égale- lancée par le privé, que ça sert à eux et pas au gouver-
ment reprise dans le PRD parmi les « espaces de nement. Les deux démarches [concours à idées et SD]
développement renforcé du logement et de rénovation » seront complètement séparées » (PV du comité d’ac-
(EDRLR) (voir PRD, carte n° 3). compagnement du 17 mars 2005, point 7).
81. PRD, carte n° 2. 95. Voir supra, note 19.
82. Arrêté PRD, Considérants, p. 256-257. 96. Michel Hubert participa ainsi dès le départ à cette
83. COBAT, art. 53, 1° et art. 54, 3°. plate-forme locale, en tant que « professeur en sociologie
84. Lignes de force du PCD, p. 36. Le PCD a été approuvé urbaine à Saint-Louis [situé dans les Bas-Fonds] et […]
par un arrêté du gouvernement de la RBC le 2 décembre actif dans l’organisation NoMo-Autrement Mobile » (PV
2004 (http://www.brucity.be/artdet.cfm?id=168&n de la première réunion du 16 mars 2005). Toutes les
Language=1, site consulté le 27 mars 2008). informations dont il sera fait mention au sujet des acti-
85. Voir chapitre I. vités de cette plate-forme proviennent des documents
86. Polaris Architects, Nouveaux Scénarios pour la Cité suivants, aimablement mis à notre disposition par le BRAL :
administrative, Bruxelles, 2005, p. 7. Toutes les infor- PV des réunions de la plate-forme locale des 16 mars
mations dont il va être question dans cette section 2005 et 27 avril 2005 (« atelier de quartier ») ; PV des

Le schéma di recteur , un nouvel instrument régional d’action publique 99


réunions du comité d’accompagnement de la mission doit sans doute être reliée aux initiatives publiques desti-
confiée au BRAL et à IEB par le gouvernement régional nées à la « relooker », en cours ou en discussion depuis
des 17 mars et 8 septembre 2005 ; Activiteitenverslag 2003.
2005 (rapport d’activité 2005 du BRAL) ; Werking BRAL 109. Id.
vzw in 2006. Participatie rond de ontwikkeling van de 110. Section 3.1.4 et art. 3.5 du cahier des charges.
goog’s, op. cit. Merci également à An Descheemaeker, 111. Id.
chargée de mission avec Steyn Van Assche pour cette 112. « Les acteurs majeurs concernés par le dévelop-
convention, pour ses informations orales et écrites au pement de la zone » (art. 17) : « Le schéma directeur doit
sujet des activités menées par le BRAL dans ce cadre. servir d’outil de communication et de concertation entre
97. Certains ont pu se mobiliser dans le cadre de dispo- acteurs. Pour ce faire, un inventaire des acteurs et groupes
sitifs participatifs précédents, comme dans le cas du d’acteurs majeurs à considérer dans le cadre du déve-
quartier des Bas-Fonds qui avait fait l’objet d’un loppement de la zone, ainsi que de leurs attentes, sera
programme « Quartier d’initiative » en 2000 (entretien réalisé. »
avec Ariane Herman, 14 décembre 2006). 113. « Les acteurs qui mettront en œuvre les mesures
98. Le BRAL essuiera un peu plus tard un autre refus de préconisées » (art. 23) : « Le schéma directeur doit aboutir
la part du cabinet Piqué qui n’accédera pas à sa demande au développement de la zone levier via des partenariats
d’organiser une séance d’information pour les candidats entre pouvoirs publics et acteurs immobiliers privés.
présélectionnés sous la forme d’une promenade L’ensemble des acteurs impliqués dans le programme de
commentée par les habitants des quartiers environnants développement sera pris en considération. Le rôle et la
de la Cité afin que les soumissionnaires puissent être mission de chaque type d’acteurs seront clairement établis
éclairés par « le point de vue des habitants » avant de et précisés en fonction du phasage du programme de
remettre leur offre. Le cabinet invoquera une impossibi- développement. Les partenariats, éventuellement inno-
lité juridique pour justifier son refus. vants, coordinations, processus de concertation et de
99. Tirés du document intitulé Synthèse des réunions CAÉ, participation nécessaires à la réussite du programme de
s.l.n.d. développement seront précisés. Une attention toute
100. Avis de marché, section IV, p. 8346. particulière sera donnée à l’information et à la commu-
101. Id. nication entre acteurs. »
102. Ibid., p. 8342. 114. Werking BRAL vzw in 2006. Participatie rond de
103. Ibid., p. 8344, section III. ontwikkeling van de goog’s, op. cit., p. 4-5.
104. Il s’agit des bureaux Clerbaux-Pinon, Cerau, 115. Ibid., p. 5.
Agora, Novatec, MSA-Lion. 116. Avis de marché, section III, art. III.4.
105. Cahier des charges, art. 35, p. 16. Le cahier des 117. Ibid., section V, art. V.3.
charges est consultable sur le site internet du Groep Levier 118. Lors de l’entretien du 14 décembre 2006, Ariane
(http://centres.fusl.ac.be/GL). Herman a insisté sur le caractère à la fois réaliste et opéra-
106. Cahier des charges, p. 29. Voir le point 1.3 de tionnel de l’offre remise par le bureau MSA-Lion, laquelle
l’avis de marché. contrastait selon elle avec les « fantasmes irréalisables »
107. Avis de marché n° 8400, section II.1.5, p. 8343. que l’on pouvait trouver dans d’autres projets.
Toutes les informations relatives au périmètre de la zone 119. Texte de la conférence de presse, p. 3.
sur lequel doit porter le SD sont extraites de cette section. 120. Entretien avec Benoit Moritz réalisé le 3 octobre
108. Id. L’exclusion de la place Rogier et de ses abords 2006.

100 Oliv ie r P a y e
121. Voir, par exemple, la notice de présentation réalisée 124. Voir Ateliers Lion architectes urbanistes et MSA,
par le ministère français de l’Écologie, du Développement Schéma directeur zone Levier n° 6 Botanique, version
et de l’Aménagement durables lors de la remise du grand de septembre 2006, p. 6. Les autres informations provien-
prix de l’urbanisme 2007 à Yves Lion (http://www.ecolo- nent également de cette source, ainsi que de l’entretien
gie.gouv.fr/Yves-LION-Grand-Prix-de-l.html, site consulté déjà cité, réalisé avec Benoit Moritz.
le 29 mars 2008) 125. Propos tenus par Jean de Salle, président de la CRD,
122. Werking BRAL vzw in 2006. Participatie rond de dans un entretien paru dans Le Soir le 13 décembre 2006
ontwikkeling van de goog’s, op. cit. sous le titre : «Urbanisme. Le schéma directeur “Botanique”
123. Ibid., p. 4-5. Voir aussi BRAL, Het Participatieluik présenté au public : “une concertation de tous” ».
in de planningsmethodologie voor het richtschema RAC-
Kruidtuin, s.l.n.d.
Chapitre III
L’élaboration du schéma directeur « Botanique », vue de l’intérieur

Benoit Moritz

1997-2000

La Ville de Bruxelles publie dans le cadre de son plan communal de développement une
carte reprenant une liste d’immeubles jugés inadaptés — parce que trop élevés — situés
dans le Pentagone et qu’il convient de démolir et de remplacer par des immeubles dont la
morphologie correspondrait davantage au tissu urbain historique du centre-ville de Bruxelles.
L’esprit de cette carte est alors largement marqué par la démolition, en 1993, de l’immeuble
de bureaux dit « la tour Bleue » (situé rue du Pont-Neuf) et par son remplacement par des
immeubles aux gabarits traditionnels.
Je prends connaissance de cette carte quelques années plus tard, au début des années 2000 ;
je travaille alors dans un grand bureau d’urbanisme bruxellois. Je ne comprends pas cette
carte, son sens, sa finalité, sa vision cachée… En quoi la démolition des tours existantes est-
elle une priorité sociale, urbanistique ?
Ce moment de découverte correspond à l’amorce d’un premier débat sur la mise en œuvre
de la politique de démolition : la tour dite « du Lotto » (au coin des rues Cardinal Mercier et
de Loxum, près de la gare Centrale) pour laquelle il existe un projet de rénovation devrait
être le premier bâtiment à en être victime. Quinze autres bâtiments atypiques sont dans le
collimateur des autorités de la Ville, dont l’ensemble des bâtiments de la Cité administrative
de l’État. Dans le cadre du débat sur la tour du Lotto, la Ville, sous l’autorité de son bourg-
mestre François-Xavier de Donnea, propose au promoteur d’adapter son projet de rénovation
du bâtiment ; la démolition de la tour s’impose et, en contrepartie, l’espace public aux abords
est sacrifié dans le cadre du projet de reconstruction de manière à permettre au promoteur
de conserver un nombre de mètres carrés identique à celui dont il disposait à l’origine. À
partir de cet exemple, la politique de démolition des tours peut se résumer de la façon
suivante : la hauteur de l’immeuble est diminuée au détriment de son emprise au sol qui est
élargie sur l’espace public, gratuitement cédée en échange au promoteur.
Comme de nombreuses personnes, je m’interroge sur les conséquences de la mise en

102 B e n o it Mo r it z
Fig. 1. Les immeubles à démolir (entourés d’un liseré noir) dans la version provisoire de 1997 du plan communal de
développement. (Source : Ville de Bruxelles.)

œuvre de cette politique de démolition des tours : l’espace public est sacrifié, la ville est
homogénéisée dans sa forme. Le discours sur la ville est dominé par l’idée d’une ville construite
sur un seul modèle, celui de la ville bourgeoise du XIXe siècle. Paradoxalement, nous sommes
en 2000, année durant laquelle Bruxelles est capitale européenne de la culture…

2000-2004

Avec mon ami d’études Jean-Marc Simon, je fonde en 2001 le bureau MSA. Nous réali-
sons quelques projets d’architecture mais aussi, et surtout, nous avons l’occasion de travailler

L’élaboration du schéma directeur « Botanique », vue de l’intérieur 103


à la réalisation de programmes de contrats de quartier. Nous nous engageons dans des
méthodes d’urbanisme processuel : travail en phases, par étapes, dans le cadre de processus
structurés laissant largement la place à des dispositifs de discussion ouverts.
En 2003, nous collaborons avec les bureaux L’Escaut et 02 Consult à l’élaboration du
programme de base du contrat de quartier « Maritime » ; il s’agit de travailler sur le quartier
jouxtant le site de Tour et Taxis. Depuis 1995, celui-ci est le théâtre d’une lutte urbaine contre
la réalisation du projet Music City, qui supposait la construction d’une méga salle de concerts
de 12 000 places (Forest National en compte 7 000) et vient alors d’être abandonné. La
tension est forte et la méfiance est grande entre les habitants et les autorités communales. Au
cours d’une première réunion publique, le comité de quartier « Maritime » transmet au bourg-
mestre de Molenbeek-Saint-Jean, Philippe Moureaux, un « manifeste pour la cohésion sociale »,
document dans lequel il lui fait part de ses inquiétudes. Il exprime également son souci de
voir le contrat de quartier profiter à un maximum d’habitants situés dans le territoire concerné
par le programme et manifeste son intérêt à participer de manière active à la définition même
du programme de revitalisation. Une habitante déclare alors : « Le bureau d’études, c’est nous ! »
Cette première réunion publique déclenche un processus dont les conséquences se mesu-
rent encore aujourd’hui. Nous, MSA, L’Escaut et 02 Consult, proposons au maître d’ouvrage
(la commune) d’associer les habitants et les associations à la constitution du programme du
contrat de quartier. Un dispositif complet d’information et de participation est mis en place,
en particulier à travers l’instauration d’ateliers de travail 1. Au départ, ces méthodes inspi-
rent la méfiance, tant de la part du maître d’ouvrage que de la part des habitants. Le premier
a peur de se lancer dans un processus qui lui échapperait. Les seconds se demandent s’il
ne s’agit pas d’un alibi pour leur faire avaler un projet déjà approuvé. Peu à peu toutefois,
les appréhensions initiales disparaissent et mènent contre toute attente à des résultats d’une
très grande qualité. Fin 2003, le programme du contrat de quartier est approuvé par la
commune et par le gouvernement régional. En novembre de cette même année, à l’occa-
sion du 30e anniversaire du BRAL 2, la méthodologie d’élaboration du programme de base
fait l’objet d’un exposé de ma part à l’ensemble des acteurs du monde associatif bruxellois
intéressés de près ou de loin par les problématiques d’aménagement urbain.
En 2004, soit un an après cette première expérience, le quartier Maritime se voit octroyer
un nouveau contrat de quartier portant sur le solde de territoire non couvert par le premier.
Mon bureau, associé à L’Escaut, est alors appelé par les habitants et les associations du
quartier pour poursuivre l’expérience. Au cours de cette deuxième étude, la méthodologie
participative sera affinée. De nouveaux outils sont mis au point parmi lesquels un atlas de

104 B e n o it Mo r it z
quartier qui servira de document de base aux « marches exploratoires » effectuées dans le
quartier. L’atmosphère était alors tout autre.

Entre-temps

Entre 2000 et 2004, le discours dominant sur l’aménagement urbain semble changer, du
moins connaît-il une évolution. En 2000-2001, le débat fut vif concernant l’élaboration d’un
nouveau plan d’affectation des sols pour Bruxelles (le désormais célèbre PRAS). Les démo-
litions des tours du Lotto et Martini ont fait couler beaucoup d’encre. Un nouveau plan
régional de développement a été élaboré et la critique à son égard est elle aussi très forte.
L’année 2003 semble être une année charnière : beaucoup de voix s’élèvent contre les
premiers projets d’aménagements de la place Flagey, contre la vente de la Cité adminis-
trative de l’État et son projet de rénovation, contre les premières esquisses d’aménagement
du site de Tour et Taxis. De nouveaux acteurs urbains prennent la parole 3, se coalisent à
l’occasion de débats ou d’événements de manière à faire émerger l’amorce d’un nouveau
discours sur Bruxelles, probablement dans la continuité de celui sur Bruxelles comme ville
hybride et multiculturelle initié à l’occasion de Bruxelles 2000. Je me sens proche de ces
mouvements, j’y adhère entièrement du point de vue des idées : j’ai le sentiment que le
discours sur l’aménagement doit être renouvelé et qu’on ne peut se contenter de discours
sur l’esthétique. Surtout, à l’aune de mes expériences dans le cadre des contrats de quar-
tier, j’ai l’intime conviction que de nouvelles formes de dispositifs de projets doivent être
mises en œuvre. C’est en particulier l’angle d’attaque préconisé par le collectif Disturb
auquel je m’associe.
Durant cette période, de premiers liens sont établis autour du site de la Cité administra-
tive sur lequel mon bureau aura à intervenir quelques années plus tard. En novembre 2003,
je participe ainsi à une table ronde sur l’avenir de la Cité (« En Rac ») organisée par Disturb
en collaboration avec Citymine(d). J’y suis invité en qualité de co-auteur de
l’OmbudsplanMédiateur. En avril 2004, j’anime ensuite un atelier de travail consacré à la
thématique urbanistique dans le cadre des ateliers MapRAC 4.
À côté de ce foisonnement de nouvelles idées, mon bureau connaît une certaine évolu-
tion. En 2003, les bureaux Aries et Idom nous associent à une réflexion sur l’aménagement
du quartier européen à Bruxelles, une mission initiée conjointement par le cabinet du Premier
ministre et le cabinet du ministre-président de la Région bruxelloise. Il s’agit d’une occasion
unique pour le petit bureau que nous sommes de nous exprimer sur des changements possibles

L’élaboration du schéma directeur « Botanique », vue de l’intérieur 105


dans les modes de production et de gestion de la ville. En particulier, nous tentons d’insuffler
une dimension culturelle à l’outil du projet d’urbanisme qui n’est alors considéré à Bruxelles
que comme un outil technique de gestion de la ville. Nous insistons aussi sur les aspects de
définition de projets et de mise en œuvre, en particulier en proposant l’instauration d’un
aménageur public — une sorte de maîtrise publique d’ouvrage déléguée unique pour le
quartier européen — auquel seraient associées toutes les instances publiques belges, bruxel-
loises et européennes concernées. Le nom donné à ce projet, OmbudsplanMédiateur, traduit
les dimensions processuelles et opérationnelles que nous entendions mettre en avant 5.
Ce projet, comme beaucoup d’autres à Bruxelles, ne sera pas concrétisé, suite aux revers
politiques que connaîtront nos commanditaires 6. Pour autant, il a été pour MSA une première
occasion de se confronter à la grande échelle et il nous a permis de prendre conscience et
connaissance de la multitude d’acteurs qui participent potentiellement au débat urbain bruxel-
lois. Il aura également été l’occasion d’une rencontre structurante pour l’évolution de notre
bureau : celle de l’urbaniste français Yves Lion, invité en février 2004 au sein d’un groupe
d’experts à formuler un avis sur l’OmbudsplanMédiateur.

2004-2005

En mai 2004, la Ville de Luxembourg lance une procédure de concours international afin
d’engager une large réflexion urbanistique à propos de la zone dite « porte de Hollerich »,
une zone couvrant 120 hectares situés en entrée de ville. Ce concours est l’occasion d’une
première collaboration de travail fructueuse avec l’agence parisienne que dirige Yves Lion.
En novembre 2004, en effet, un jury international présidé par Hans Thoolen, architecte-urba-
niste en charge du développement urbain de la ville de Breda, désigne deux premiers prix
ex æquo et notre équipe se voit attribuer le troisième prix. Au-delà de la satisfaction que
nous procure cette bonne collaboration, nous mettons en place un modus operandi qui se
révélera particulièrement porteur pour la suite : le travail de production du projet est effectué
au sein de notre bureau bruxellois et Yves Lion intervient comme mentor pour insuffler inspi-
rations et lignes de conduite.
Une nouvelle occasion de collaborer se présente à nous en juin 2005, au moment où le
nouveau gouvernement bruxellois issu des élections régionales de juin 2004 lance une procé-
dure de désignation d’un auteur de projet pour l’élaboration du schéma directeur n° 6
« Botanique ». Une candidature conjointe avec Yves Lion nous apparaît alors comme une
évidence. Yves Lion dispose du bagage nécessaire pour aborder ce projet d’un point de

106 B e n o it Mo r it z
vue conceptuel : il a l’expérience de la grande échelle et, surtout, son agence amorce un
travail de domestication de l’urbanisme de dalle sur le site de Massena-Bruneseau à Paris
(zone d’aménagement concerté Paris Rive Gauche). MSA dispose quant à lui d’une bonne
connaissance de la problématique de la Cité administrative et, surtout, il dispose d’une exper-
tise désormais reconnue quant à la mise en place de processus innovants de projets urbains.
En février 2005, nous avions, en effet, été retenus par un jury indépendant parmi les « 12 figures
émergentes de l’architecture en Communauté française de Belgique 7 ». La lecture a poste-
riori du rapport du jury nous ayant sélectionné me paraît éclairante sur l’idée générale qu’on
se fait de MSA à l’époque : « Le jury a souligné l’intérêt de l’usage des compétences spéci-
fiques de l’architecte dans des pratiques instituées qui permettent de les transformer. Le jury
souhaite mettre en évidence l’importance du travail mené par MSA en amont des pratiques
conventionnelles des architectes et la particularité de jeunes architectes déterminés à réaliser
des projets publics d’études urbaines. »
D’autres compétences sont adjointes au tandem d’urbanistes que nous formons grâce au
rapprochement avec les Ateliers Lion. Yves Lion amène dans ses bagages deux bureaux
avec lesquels il collabore fréquemment : le bureau suisse CITEC, compétent en matière de
mobilité, et le bureau Menighetti, pour les aspects de programmation urbaine. L’expert belge
en économie de projet Modus Expert vient compléter l’équipe. Aucun de ces bureaux n’est
lié au milieu bruxellois de la promotion immobilière ; cette dimension me paraît essentielle
alors que nous allons travailler dans une situation que je sais tendue entre les pouvoirs publics
bruxellois et les propriétaires du site de la Cité administrative qui ne manqueront certaine-
ment pas de faire jouer leurs influences au cours du processus.
Notre candidature est rentrée en juillet 2005. En novembre 2005, nous sommes présé-
lectionnés et invités avec quatre autres bureaux à remettre une offre pour début janvier 2006.
Un cahier des charges accompagne la présélection : il est demandé aux candidats de travailler
sur la méthodologie du projet ainsi que sur le développement d’une première vision du réamé-
nagement de la Cité administrative.

L’offre Ateliers Lion – MSA

Sans m’étendre sur l’entièreté de l’offre, je voudrais néanmoins m’arrêter ici sur deux éléments
qui me paraissent essentiels (au-delà du coût des études qui constitue toujours chez un maître
d’ouvrage public un critère de sélection). Il s’agit d’une part de la méthodologie de travail
que nous défendons et qui se décline dans un processus de projet progressif dans le temps.

L’élaboration du schéma directeur « Botanique », vue de l’intérieur 107


Il s’agit d’autre part de la vision du réaménagement de la Cité administrative que nous
proposons et qui est scénarisée autour d’une structure stable d’espaces publics.

La méthodologie

Le processus de projet s’appuie sur l’expérience que nous avons acquise au cours de l’éla-
boration des programmes de base pour les contrats de quartier. Nous envisageons ainsi de
découper le processus en quatre grandes phases, chacune devant faire l’objet d’un nombre
important de discussions à différents niveaux et, à un moment donné, d’une approbation
constituant la base de travail de la phase suivante.
— La première phase consiste à « se former une image commune du site et de ses enjeux ».
Il s’agit ainsi de mieux cerner les enjeux liés au développement de la zone levier concernée
en multipliant les sources et en nous appuyant tant sur les documents écrits que sur une
concertation large avec les acteurs.
— La deuxième phase est consacrée à la définition des espaces et équipements publics
considérés comme les éléments fondateurs du réaménagement de la Cité administrative.
L’espace public défini au sens large (boulevards, Jardin botanique, esplanade) est au cœur
du projet. Il s’agit en particulier de le réfléchir comme élément fondateur et structure du redé-
ploiement fonctionnel de la Cité.
— Une fois cette structure d’espaces publics définie, trois scénarios de projet portant sur
les options fonctionnelles et de formes de la Cité administrative doivent être à leur tour définis.
— Enfin, la quatrième phase porte sur le développement du scénario qui aura été choisi
par le maître d’ouvrage.
Je tiens à rappeler ici que le schéma directeur « Botanique » constituait en 2006 le premier
schéma directeur mis en œuvre par la Région ; pour cette raison même, tout était à inventer
en termes de méthodologie de projet mais aussi en termes de résultats à obtenir.
À côté de la structuration du processus d’élaboration du schéma directeur en quatre phases
qui doivent être approuvées par un « comité d’accompagnement » regroupant une multitude
d’acteurs (politiques, administratifs, fonciers, etc.), nous proposons dans le cadre de l’offre
d’ouvrir encore davantage la discussion à travers des « dispositifs de participation » : les
« ateliers de la Cité ». Il s’agissait principalement pour nous d’ouvrir la discussion à des
acteurs qui n’étaient pas forcément institutionnels en vue de nourrir le projet et les réflexions
des décideurs politiques au cours des différentes phases. Nous envisageons aussi les ateliers
de la Cité comme une instance d’avis auprès des décideurs politiques, en particulier au

108 B e n o it Mo r it z
moment où des choix doivent s’opérer sur des scénarios. Comme nous le verrons, ce moment
n’aura en réalité jamais lieu. Je reprends ici le descriptif de l’outil tel que formulé dans le
cadre de notre offre :
« La méthodologie telle que nous la présentons prévoit l’instauration des” ateliers de la
Cité”. Il s’agit de moments de discussions privilégiés avec une plateforme d’acteurs émanant
de la société civile et intéressés par le développement de la zone levier. Il est prévu que les
ateliers se réunissent en réunions de travail intensif à l’occasion :
— des discussions préalables des enjeux et des éléments de diagnostic ;
— de la détermination d’un noyau dur de négociation + présentation, amendement et vali-
dation de trois scénarios à étudier ;
— d’une prise d’opinion relative au développement des trois scénarios.
Les réunions prendront la forme d’ateliers de travail intensif basés sur un matériel préala-
blement préparé par le bureau d’études. Les modalités exactes et précises du déroulement
de ces ateliers seront discutées ultérieurement avec le maître d’ouvrage et avec le BRAL 8. À
ce stade nous pensons que la logistique doit être assurée par le BRAL. De même, nous propo-
sons que le BRAL, en sa qualité de partie neutre et de modérateur, se charge de la retranscription
des éléments d’informations recueillies au cours des journées de travail. Notre rôle consis-
tera principalement à fournir le matériel d’informations de base ainsi que de participer aux
discussions afin d’alimenter le débat. »
À côté des ateliers et en amont des réunions du comité d’accompagnement qui doivent
valider les phases, l’instauration d’un organe de discussion politique était également proposée :
les « tables rondes tripartites ». Composées de représentants politiques issus des communes
concernées par le projet, de représentants des cabinets régionaux concernés et des repré-
sentants du maître d’ouvrage (le cabinet du ministre-président et son administration, l’AATL,
l’administration de l’Aménagement du territoire et du Logement), les tables rondes doivent
se réunir aux moments où une décision politique stratégique doit être prise. Dans le schéma
de base que nous proposons, les décisions doivent être alimentées par ce qui aura été discuté
au sein des ateliers ainsi que par les éléments techniques qui auront été amenés par l’au-
teur du schéma directeur.
Le processus proposé était donc très structuré mais en même temps assez complexe. À
l’époque et aujourd’hui encore, ma conviction est qu’à un projet urbain complexe ne peut
correspondre qu’un processus complexe d’élaboration et de décisions. Là se situe aussi
probablement l’un des défauts du processus mis en place : la complexité du processus n’a
jamais été expliquée et dès lors, je pense, jamais saisie par les participants aux ateliers.

L’élaboration du schéma directeur « Botanique », vue de l’intérieur 109


Par ailleurs, ce processus a sous-estimé l’importance d’un des acteurs principaux du schéma
directeur : le propriétaire du site, uniquement associé par le biais des discussions au sein
du comité d’accompagnement.

La vision de l’aménagement du site

En tant qu’urbaniste, une de mes principales convictions est qu’un site n’est jamais vierge
et qu’un projet est toujours issu d’une stratification d’idées inscrites dans le territoire. Cette
conviction que nous partageons avec Yves Lion constitue ce que l’on pourrait appeler l’angle
d’approche de tout projet d’urbanisme développé chez MSA. Il est aussi un des principes
fondateurs d’un urbanisme durable. Une autre conviction fondamentale que nous partageons
avec Yves Lion est que l’espace public dans sa structure est le support de tout développe-
ment urbain. Si les programmes changent dans le temps, les espaces publics, eux, survivent
à ces changements : à Bruxelles, la structure des espaces publics du quartier Léopold est
une parfaite démonstration de ce fait. Il faut donc concevoir des espaces publics perfor-
mants, généreux, qui soient pertinents quels que soient les programmes. C’est à partir de
ces deux convictions, qui sont aussi des postulats de projets, que nous avons élaboré notre
vision de l’aménagement du site dans le cadre de l’offre.
Sur la base du premier postulat, nous avons ainsi privilégié une valorisation de l’identité
singulière de la Cité administrative, fondée sur un urbanisme de dalle qui serait domestiqué.
Ce choix s’appuyait en particulier sur l’histoire récente de la Cité, attestant sa valorisation
possible 9. Il résultait aussi de notre conviction profonde qu’il importe de concevoir la ville
comme un système stratifié de modèles urbains variés se superposant les uns aux autres ;
c’est le modèle de la ville multi-couches tel que développé par l’architecte allemand Oswald
Mathias Ungers 10. Ce choix s’appuyait enfin sur la mise à disposition des premières esquisses
de réaménagement émanant du concours international d’urbanisme que le propriétaire du
site avait organisé 11 : tous les projets démontraient et valorisaient, en effet, le potentiel archi-
tectural et urbanistique de la reconversion de l’urbanisme de dalle. Les résultats des ateliers
MapRAC auxquels j’avais largement contribué représentaient sans aucun doute aussi une
référence solide sur laquelle s’appuyer.
La concrétisation du deuxième postulat constituait certainement notre contribution la plus
fondamentale en termes de proposition de réaménagement du site, en particulier parce que
nous formalisions une structure d’espaces publics permettant d’améliorer les connexions entre
différentes composantes qui se présentaient de manière très fragmentée. Dès l’offre, nous

110 B e n o it Mo r it z
Fig. 2. La schématique du schéma directeur « Botanique », une illustration des principes d’implantations, de programmation et de
liaisons. (Source : MSA-Lion.)

proposions ainsi de réfléchir à la manière dont le Pentagone pourrait mieux se lier au Jardin
botanique, en particulier à partir d’un travail sur la mise à niveau du carrefour Pacheco /
Botanique. Nous avions aussi la conviction que les relations entre le niveau de la dalle de
la Cité et celui du boulevard Pacheco devaient être améliorées à hauteur de la halte de
chemin de fer Congrès. Enfin, à l’endroit de la place du Congrès, les relations entre le niveau
du boulevard Pacheco et celui de la rue Royale devaient sans aucun doute être améliorées,
comme l’avaient déjà démontré par le passé nombre de contre-projets émanant de l’ARAU.
La valorisation de l’identité de la Cité nous a également poussés à proposer des amélio-
rations dans la manière dont les différentes composantes de la Cité sont reliées entre elles.
Des propositions sont ainsi formulées pour mieux faire fonctionner la rue de Rivoli, rue piétonne
desservant dans sa longueur les différentes entités bâties du complexe administratif. Suivant
notre approche, c’est ainsi sur cette nouvelle trame spatiale que devraient s’installer les diffé-
rents programmes urbains introduisant de la mixité fonctionnelle et sociale sur le site,
principalement dans les bâtiments existants.

L’élaboration du schéma directeur « Botanique », vue de l’intérieur 111


2006 : la course contre la montre ou six mois pour élaborer un schéma directeur

Fin janvier 2006, nous sommes désignés par la Région. Nous avons désormais six mois
(délai imposé par le cahier des charges) pour réaliser ce premier schéma directeur bruxel-
lois. La motivation du maître d’ouvrage (l’AATL) met en particulier en avant la qualité de la
méthodologie que nous proposons de même que l’option urbanistique de ne pas faire « tabula
rasa de la tabula rasa », c’est-à-dire de considérer la Cité administrative telle qu’elle existe
comme point de départ de la réflexion sur sa reconversion.
Début février, de premiers contacts ayant été pris avec les différents acteurs, le travail peut
commencer. Nous sommes tenus par les délais contractuels d’études qui fixent la remise
finale du document au mois de juillet 2006, mais aussi par les élections communales d’oc-
tobre qui approchent à grands pas et qui peuvent faire émerger de nouvelles majorités au
sein des communes concernées (Ville de Bruxelles et Saint-Josse). Il s’agit donc pour nous
de terminer dans les délais afin de ne pas recommencer tout le travail qui aura été mené
avec les acteurs politiques en place.
Je ne reviendrai pas ici sur la manière dont le processus s’est finalement déroulé, d’autres
articles dans cette publication s’en chargent. Il me semble par contre opportun de dresser
un premier bilan rétrospectif par rapport au déroulement du processus d’élaboration du
schéma directeur et aux réflexions auxquelles il m’a mené.
Tout d’abord, je voudrais m’arrêter sur la logique même de ce processus. Cette logique
est guidée par celle de l’acteur public et de ses méthodes, qui sont par essence fonda-
mentalement différentes de celles d’un promoteur privé. Elle est motivée par le fait que la
Cité administrative, bien que vendue, en deux parties — en 2001 et 2003 — à des proprié-
taires / promoteurs privés 12, est inscrite au PRAS comme zone d’intérêt régional, une
classification permettant au gouvernement régional de fixer les orientations d’aménagement
dans un arrêté gouvernemental.
Agissant pour les pouvoirs publics, notre intervention s’inscrit par ailleurs dans le cadre
d’un marché public répondant à des règles bien précises d’un point de vue légal, se déployant
dans un large processus de collaboration et de discussion entre administrations et acteurs
politiques. Ce travail est forcément plus lent que celui qui serait mené dans le cadre d’un
marché privé. Nous travaillons en réalité avec une multitude de maîtres d’ouvrages publics
détenant chacun une part du pouvoir décisionnel alors que le promoteur, lui, travaille pour
lui-même et est à même de produire rapidement des documents.
Il s’est ainsi rapidement avéré que le propriétaire du site n’était pas intéressé par le processus

112 B e n o it Mo r it z
d’élaboration, par phases, que nous avions mis en place et qu’au contraire il voulait aller
rapidement « au fait » du schéma directeur, c’est-à-dire à la définition des options d’amé-
nagement. Assez typiquement, nous nous sommes trouvés confrontés à deux logiques en
opposition. D’un côté, une logique publique préoccupée par des études objectives et soucieuse
de concertation, du moins d’une discussion ouverte. De l’autre côté, la logique des proprié-
taires / promoteurs privés désirant avancer rapidement avec le moins de discussions possibles
et surtout faisant valoir leurs droits sur leurs biens 13. Cette situation a été pour nous une véri-
table découverte — nous n’avions jusque-là travaillé que pour des maîtres d’ouvrage publics —
et a bouleversé en grande partie la méthodologie assez « théorique » que nous avions imaginée,
en particulier le rôle des ateliers de la Cité.
Deuxième élément, si le travail par phases a été effectivement réalisé, il n’a pas entière-
ment porté ses fruits. Les tables rondes tripartites ont bien eu lieu aux moments stratégiques
et chacun des participants a respecté la règle de ne jamais revenir en arrière sur une déci-
sion collégialement entérinée. Avec le recul, je pense pouvoir affirmer que c’est le bon
fonctionnement de ce lieu de discussion qui a permis au schéma directeur d’être achevé
dans les temps. Mais d’un autre côté, les ateliers de la Cité organisés par le BRAL n’ont eu
qu’un succès relatif (d’autres articles de cette publication reviennent sur cet aspect). Je retien-
drai ici tout spécialement le mélange des genres dans l’origine des participants à ces ateliers,
comprenant à la fois des habitants et des usagers des quartiers limitrophes désireux de réel-
lement contribuer à la réflexion, des universitaires venant observer le processus (ou nous
mettre sous surveillance ?) et des participants en réalité proches des propriétaires / promo-
teurs venant défendre ou mettre en avant des intérêts particuliers. Les ateliers de la Cité ont
été organisés à deux reprises ; le troisième atelier prévu initialement et destiné à donner un
avis sur un choix entre trois scénarios n’a finalement jamais eu lieu, faute de scénario à
choisir… J’y reviendrai.
Un troisième élément qu’il me paraît important de mettre en avant réside dans la portée
du travail que nous étions en train de réaliser et la bonne compréhension de ce qu’est un
schéma directeur. Si pour nous, au regard de la définition donnée dans le PRD de 2002,
il était clair qu’il s’agissait d’un travail de définition des principes de réaménagement de la
Cité, d’autres y voyaient au contraire presque l’idée d’un projet finalisé dans son détail.
Parmi ces « autres », il convient bien sûr de citer les propriétaires / promoteurs, mais aussi
certaines administrations et un groupe de pression influent dans le débat bruxellois, l’ARAU
pour ne pas le citer. Tout au long de notre travail, nous avons ainsi oscillé entre la mise en
avant de principes généraux de reconversion, d’un côté, et, de l’autre, la vérification, voire

L’élaboration du schéma directeur « Botanique », vue de l’intérieur 113


la démonstration, de l’applicabilité de ces principes par des détails en plans ou en images.
Le sujet du schéma directeur, un ensemble architectural très construit, ne nous a pas non
plus aidé à éviter les écueils de cette « entrée dans le détail des choses ».
Quatrièmement, je voudrais revenir sur la discussion entretenue avec les proprié-
taires / promoteurs. Comme je l’ai déjà souligné, il me semble que ceux-ci n’étaient pas
intéressés par le processus mis en place. Il y avait dès le début un décalage entre notre
travail et la logique de leur projet. Il y a eu malgré tout et de manière assez surprenante un
accord sur un équilibre des fonctions et leur organisation dans le site (en particulier sur l’im-
plantation de la fonction logement), mais aussi un désaccord sur les options fondamentales
d’aménagement. À nouveau, il s’agit ici d’une opposition de logiques de projets. Sous l’argu-
ment de la demande du marché, les propriétaires / promoteurs envisageaient la reconversion
du site suivant une logique de découpes, voire de lotissements, en entités monofonctionnelles
bien séparées les unes des autres. Les pouvoirs publics pour lesquels nous travaillions envi-
sageaient au contraire de conserver l’intégrité architecturale de la Cité administrative — c’était
également notre point de vue — et concevaient la reconversion des bâtiments existants selon
une logique de stratification des fonctions. Cette confrontation d’idées est apparue au terme
du quatrième mois, au moment où les propriétaires / promoteurs nous ont présenté un projet
dessiné par le bureau américain d’architecture KPF. À partir de ce moment-là, une logique
de confrontation des idées progressivement s’est imposée. Alors que la concertation avait
bien lieu entre acteurs publics, elle était rendue difficile avec les propriétaires / promoteurs ;
les ateliers de la Cité s’en sont trouvés pris en otage et vidés de leur sens dès qu’il a été
clair que les propriétaires / promoteurs désiraient imposer leurs visions et étaient entrés dans
une logique d’affrontement. Je situerais ce moment au mois de mai 2006, moment où l’en-
semble des acteurs publics nous ont demandé d’abandonner l’idée de travailler sur l’hypothèse
de trois scénarios et de nous concentrer sur le développement d’une seule option, opposable
à celle des propriétaires / promoteurs : celle d’une Cité administrative non pas découpée en
parties mais domestiquée par de nouveaux dispositifs d’accès au niveau de la dalle, dans
une optique de préservation et de valorisation dans son intégrité architecturale, avec de
nouvelles fonctions occupant les immeubles existants à l’exception de l’immeuble G, à démolir
pour faire place à un nouvel ensemble habité.
Cette logique de confrontation s’est poursuivie jusqu’au terme de l’élaboration du schéma
directeur. En juillet 2006, grâce au soutien des participants aux tables rondes tripartites —
qui auront résisté jusqu’au bout aux « assauts » menés par les propriétaires / promoteurs tentant
d’imposer leurs « logiques urbanistiques » de découpage du site et instrumentalisant au passage

114 B e n o it Mo r it z
l’ARAU 14 —, le projet de schéma directeur était déposé auprès de notre maître d’ouvrage.
Le 30 novembre 2006, le gouvernement régional approuvait le projet définitif après consul-
tation de la Commission régionale de développement. Dans la foulée, une conférence de
presse était organisée par le ministre-président de la Région en l’absence des proprié-
taires / promoteurs. Ceux-ci ont quant à eux continué à instrumentaliser, dans des réunions
publiques ou privées, une question architecturale (« construire ou pas un grand escalier à
l’arrière de la colonne du Congrès ») alors que là ne se situait pas l’enjeu fondamental du
schéma directeur. Les différends étaient par ailleurs plus profonds que cette simple ques-
tion : est-il admissible pour un pouvoir public quel qu’il soit de devoir accepter une fonction
non prévue dans le PRAS (l’implantation d’un hôtel) ou encore d’accepter le fait accompli
du dépôt d’une demande de permis d’urbanisme portant sur la réaffectation en fonction
administrative de la plupart des bâtiments de la Cité alors que le schéma directeur vise
précisément à instaurer la mixité fonctionnelle ? Était-il également admissible pour un pouvoir
public d’entériner la logique de monofonctionnalité des immeubles (en particulier de l’en-
semble composé des immeubles D / F et du grand restaurant) que les propriétaires / promoteurs
souhaitaient imposer ?
Dans le fond, le dialogue entre acteurs publics et privés a bien eu lieu, mais ce fut un
dialogue de sourds entre des gens qui, bien que parlant la même langue, ne veulent finale-
ment pas se comprendre, n’y sont pas prêts, faute sans doute d’une tradition d’écoute mutuelle.

Épilogue – partie 1 : l’approbation du schéma directeur et après ?

Le schéma directeur a été approuvé par le gouvernement régional en novembre 2006 et


traduit le 28 juin 2007 dans un arrêté du gouvernement. Celui-ci devrait constituer la réfé-
rence légale de toute opération de réaménagement de la Cité administrative et donner une
ligne de conduite au futur plan particulier d’affectation du sol à réaliser par la Ville de
Bruxelles. L’arrêté du gouvernement est en soi une sorte de cahier de charges de tout projet
d’urbanisme sur la Cité administrative. J’invite toute personne intéressée par les finalités d’un
schéma directeur à lire ce document puisqu’il expose clairement les options d’interventions
sur la Cité administrative et laisse la porte ouverte à de multiples formules d’aménagements.
En novembre 2007, je reçois une série de coups de fil de plusieurs confrères architectes.
Certains d’entre eux — que l’on peut considérer comme figurant parmi les meilleurs archi-
tectes — sont consultés dans le cadre d’un concours organisé par les propriétaires / promoteurs
en vue de définir une implantation pour les presque 48 000 m2 de logements à construire.

L’élaboration du schéma directeur « Botanique », vue de l’intérieur 115


Fig. 3. La proposition de JDS
(Julien De Smedt Architects) dans
le cadre du concours privé organisé
par le RAC Investment Group en
novembre 2007.
© JDS Architects.

Fig. 4. Illustration du projet. (Photo : Bénédicte Martinez Jamart. Rendu : JDS Architects.)
Cette proposition de JDS Architects intègre les principes du schéma directeur « Botanique » repris dans l’arrêté du gouvernement.
Une solution originale et performante est trouvée pour le franchissement de la déclivité. L’implantation des logements se fait dans un
ensemble habité dont la morphologie constitue en soi une prise de position par rapport au lieu et à l’histoire de la Cité administrative.

116 B e n o it Mo r it z
Entre-temps, le processus de discussion avec les autorités publiques s’est complètement enlisé
et les propriétaires / promoteurs désirent reprendre l’initiative. Je leur transmets l’arrêté du
gouvernement. Quelques mois plus tard, je découvre par hasard les différentes esquisses de
mes confrères : ils démontrent de manière sérieuse et raisonnée comment les principes du
schéma directeur peuvent être appliqués sur le site et peuvent conduire à des formules d’im-
plantation et à des partis d’aménagements variés. Certains confrères vont encore plus loin
dans la démonstration d’une possible domestication de l’urbanisme de dalle… Malheureusement,
ces projets ne sont pas rendus publics. Quel dommage pour la Cité administrative, et quel
dommage pour le débat urbanistique bruxellois qui a bien besoin d’ouvertures.
Comme je le laisse sous-entendre, peu de décisions ont été prises entre novembre 2006
et aujourd’hui (juillet 2008). En revanche, beaucoup de choses se sont passées :
— les demandes de permis d’urbanisme portant sur la rénovation des bâtiments exis-
tants (C, D et F) ont fait l’objet d’études d’incidences dont les conclusions sont, sous l’angle
urbanistique, grosso modo défavorables aux projets et plutôt favorables aux options du
schéma directeur ;
— les propriétaires/promoteurs ont organisé un concours propre qui n’a jamais eu de lauréat;
— la Ville de Bruxelles vient récemment 15 de lancer le cahier des charges préalable à
l’élaboration d’un plan particulier d’affectation des sols portant sur la Cité administrative.
Il y a peu, on apprenait par voie de presse que les propriétaires / promoteurs avaient
décidé de confier l’étude d’un plan d’urbanisme à un artiste s’étant fait remarquer par l’instal-
lation d’une œuvre d’art monumentale dans le haut de la ville.
Une note d’espoir, toutefois : fin 2006, notre interlocuteur au sein du groupement des
propriétaires / promoteurs de la Cité administrative quitte ce groupe et prend en charge pour
la société T&T Project le développement du site de Tour et Taxis pour lequel nous sommes
également en charge de la conception du schéma directeur. À l’aune de l’expérience de la
Cité administrative, son attitude se situe clairement dans une démarche de négociation avec
les interlocuteurs publics, régionaux et communaux. Début juillet 2008, le schéma directeur
« Tour et Taxis » est approuvé en première lecture par le gouvernement régional. Le repré-
sentant de la société T&T Project est cette fois-ci invité à la conférence de presse annonçant
cette approbation et est assis à côté du ministre-président de la Région.

L’élaboration du schéma directeur « Botanique », vue de l’intérieur 117


Épilogue – partie 2 : un avenir pour les schémas directeurs ?

Au moment de l’écriture de cet article, deux schémas directeurs ont été approuvés par le
gouvernement régional bruxellois (« Botanique » et « quartier européen »). Le schéma direc-
teur « Tour et Taxis » sera probablement approuvé en deuxième lecture au moment de la
publication de cet ouvrage. D’autres schémas directeurs seront alors encore en cours d’élabo-
ration (« Delta », « gare de l’Ouest » et « RTBF-VRT ») ou en phase de désignation d’un bureau
d’études (« Schaerbeek Formation »). Au total, le gouvernement régional issu des élections
régionales de 2004 se sera ainsi attelé à l’élaboration de six schémas directeurs.
Pour partie, la présente publication peut être considérée comme une évaluation de l’éla-
boration, voire de la mise en œuvre, de ces premiers schémas directeurs. Ayant activement
participé à l’élaboration de deux schémas directeurs, je voudrais pour finir contribuer à ce
travail de synthèse et plus particulièrement tenter de dégager plusieurs pistes visant à l’amé-
lioration concrète du dispositif dans ses usages présents et futurs.
Avant cela, je voudrais d’abord réaffirmer ici ma conviction quant à la nécessité et à la
pertinence de l’outil schéma directeur en tant qu’outil de définition, de négociation et d’en-
gagement des pouvoirs publics sur un projet d’urbanisme. Indéniablement, sur le fond, la
dimension transversale et projectuelle inhérente à cet outil constitue une amélioration au
regard des pratiques de planification en vigueur à Bruxelles jusqu’à la mise en place d’un
nouveau gouvernement régional en 2004 16, pratiques jusque-là assumées par différentes
majorités politiques bruxelloises depuis la création de la Région bruxelloise. Selon moi, l’outil
schéma directeur constitue donc un outil nécessaire dans l’enchaînement des différents moments
d’un projet urbain — des « intentions de projet » aux « documents à valeur réglementaire,
on passe ainsi par un « plan directeur » et sa « programmation » puis par un « masterplan » 17
— et on le retrouve par ailleurs sous d’autres formes ou appellations là où existent des
exemples réussis de projets d’urbanisme (le « consensusnota » à Anvers dans le cadre du
projet SpoorNoord, le « plan directeur » du projet Esch-Belval à Esch-sur-Alzette, le
« Masterplankonzept » à Hafencity-Hambourg, pour n’en citer que quelques-uns).
Sur la forme, de nombreuses critiques — auxquelles je souscris partiellement — peuvent
être émises. Mais en complément de celles-ci, je voudrais prendre le risque de formuler
quelques recommandations permettant de mieux faire fonctionner l’outil, et surtout de le
rendre opérationnel dans ses aspects de mise en œuvre. À défaut de repenser ces aspects,
les schémas directeurs — quels qu’ils soient — risquent, en effet, de rester de pieux vœux
urbanistiques, sans lendemain.

118 B e n o it Mo r it z
Mes recommandations sont à ce stade de ma réflexion au nombre de cinq. Une évalua-
tion plus complète, inscrite dans un processus de réflexion plus partagé, permettrait
vraisemblablement d’en dégager d’autres.
1. Le gouvernement régional — probablement le prochain — se doit de définir des prio-
rités à la fois en termes d’étude et de développement des sites : quel site est considéré comme
prioritaire pour le développement régional ? Par où faut-il commencer ? Est-il bien raison-
nable d’ouvrir, sans perspective globale à ce sujet, les réserves foncières de Tour et Taxis,
de la gare de l’Ouest, de Schaerbeek Josaphat, de Delta, sans compter les réserves foncières
dégagées dans le quartier Nord par le PPAS « Willebroeck » et celles encore disponibles
ailleurs et qui ont besoin d’un sérieux coup de pouce de la part des pouvoirs publics (je
pense au quartier du Val d’Or à Woluwé-Saint-Lambert, par exemple) ? Ne risque-t-on pas
de créer une « sur-offre » ? Par ailleurs, pour certains de ces sites, la question du dévelop-
pement urbain nécessaire et du nécessaire développement immobilier qui en découle doit
également être posée. En un mot : doit-on forcément tout urbaniser ? Il me paraît primordial
de réfléchir et de répondre d’abord à cette question.
2. Si le gouvernement régional veut réellement s’engager dans le développement des sites
qui représentent d’importantes réserves foncières, il doit réellement se donner les moyens de
la mise en œuvre ; les structures et modes d’action administratifs en vigueur apparaissent,
en effet, inadéquats par rapport aux enjeux spécifiques de ces grandes réserves foncières
et au type de projets qu’elles nécessitent. Quatre suggestions en découlent selon moi.
Premièrement, en amont des schémas directeurs, le gouvernement doit se doter d’outils
opérationnels du point de vue de l’organisation, de la coordination et de l’évaluation de
projet, ce que l’on appelle en France des « structures d’aménagement » (ou aménageurs).
Idéalement, une structure travaillant à l’échelle de la Région devrait être établie. À titre d’exemple,
la Ville d’Anvers s’est dotée au sein de son administration d’une « planningcel », une cellule
engagée dans une véritable culture du projet urbain.
Deuxièmement, si elle doit réellement fonctionner, cette structure d’aménagement doit se
voir déléguer, dans des périmètres définis, des champs de compétences (et des budgets),
actuellement dévolus à des administrations régionales ou communales, principalement dans
les domaines de la planification, de la coordination d’études, voire de la réalisation.
Ensuite, à l’issue de l’élaboration d’un programme de schéma directeur, il doit y avoir un
engagement ferme de la part des pouvoirs publics quant aux moyens financiers qui seront
dégagés pour la réalisation des projets, sous forme, par exemple, d’un plan pluriannuel d’inves-
tissements publics. Il est, en effet, nécessaire de crédibiliser l’engagement pris sur le long terme.

L’élaboration du schéma directeur « Botanique », vue de l’intérieur 119


Enfin, quand un schéma directeur fait intervenir dans sa réalisation des investissements
privés ou qu’il concerne en tout ou en partie des terrains privés, des engagements fermes
doivent être signés afin de garantir le bon suivi des projets et des choix.
3. Il ne faut pas ou plus déléguer à d’autres — bureaux d’études ou associations, par
exemple — des décisions ou des missions qui sont de la responsabilité des pouvoirs publics
et plus précisément de la compétence d’une structure d’aménagement : l’organisation géné-
rale du processus de projet, la participation des citoyens, les relations avec le secteur privé,
la recherche et le montage de partenariats public / privé.
4. En matière de participation, les règles du jeu doivent être plus clairement établies, les
enjeux explicités, les rôles de chacun définis, la communication la plus transparente possible
vis-à-vis des acteurs impliqués. À défaut de clarifier ces points, c’est l’idée même de parti-
cipation qui est mise en péril. Par ailleurs, l’idée a souvent été émise de mettre le programme
élaboré dans le cadre d’un schéma directeur à l’enquête publique : pourquoi pas ?
5. Plus généralement, il faut créer une culture bruxelloise du projet urbain. Il convient, en
effet, de sortir la Région bruxelloise de sa frilosité et de réellement s’investir dans des projets
ambitieux en termes d’urbanisme, d’architecture et de développement durable. Mais pour y
arriver, il faut surmonter les deux obstacles majeurs qui s’opposent à l’émergence de cette
culture. D’ une part, la Région bruxelloise n’a pas été capable jusqu’à ce jour de faire aboutir
un projet urbain de qualité et il n’y a donc pas, de ce fait, d’enthousiasme ni même de réel
intérêt de la part de la population, des associations, des acteurs publics ou privés pour le
type de démarche que cette ambition nécessite. D’autre part, il existe au sein du personnel
politique et administratif très peu de compétences spécifiques relatives aux grands projets
urbains, précisément parce qu’il n’y a pas de tradition bruxelloise dans ce domaine et donc
pas d’enseignement adapté dans les milieux académiques et professionnels.
Ne nous le cachons pas : ces recommandations suggèrent finalement qu’une véritable
refondation du système bruxellois s’impose quant à la gestion et à la production de la ville
et toute tentative en ce sens se heurterait certainement à de nombreuses résistances. La Région
bruxelloise fêtera en 2009 ses vingt années d’existence sans avoir été capable de mener à
bien un seul grand projet urbain. Dans une interview récente, l’architecte Leo Van Broeck 18
estimait que « Bruxelles était une des seules grandes villes en Europe qui ne peut pas faire
l’objet d’un voyage d’étude d’architecture contemporaine ». L’on ajoutera : ni d’urbanisme.
Ne s’impose-t-il pas, dès lors, d’enfin tenter autre chose ?

120 B e n o it Mo r it z
1. Voir Christophe MERCIER et Benoit MORITZ, «Logements 12. La société néerlandaise Breevast à laquelle s’adjoind-
publics : du “nimbysme” au “wimbysme” ? », La Revue ront la Compagnie immobilière de Belgique et la banque
nouvelle, Bruxelles, février 2008, n° 2, p. 77-88. Dexia. Ces trois sociétés forment le RAC Investment Group.
2. Voir www.bralvzw.be. 13. Nous nous sommes aussi rapidement rendu compte
3. Citymine(d), Disturb, cinéma Nova, Recyclart, etc. Voir que les propriétaires / promoteurs n’étaient pas du tout
le chapitre I pour plus de détails sur cette période. intéressés par l’élaboration d’un schéma directeur qu’ils
4. Voir www.maprac.org. considéraient en soi comme une contrainte inutile. Il convient
5. Voir Benoit MORITZ, « OmbubdsplanMédiateur : une de rappeler ici que, en effet, le choix de l’auteur du schéma
nouvelle chance pour le quartier européen ? », Les directeur a été imposé par la Région aux propriétaires /
Cahiers de la Cambre – Architecture, n° 5, « Bruxelles promoteurs.
l’Européenne. Capitale de qui ? Ville de qui ? », Bruxelles, 14. Voir le communiqué de presse de l’ARAU du
La Lettre Volée, 2006, p. 208-219. 18 octobre 2006, dans lequel l’association exprime son
6. En 2004, la candidature de Guy Verhofstadt à la adhésion à l’iconographie produite par les proprié-
présidence de la Commission européenne n’est pas taires / promoteurs. L’illustration des promoteurs est
retenue. En 2004 également, le MR dont étaient issus légendée de la façon suivante : « Les propriétaires du
les précédents ministres-présidents connaît un revers aux site ont présenté, lors de la séance du 4 septembre avec
élections régionales et est renvoyé dans l’opposition. les riverains, une alternative proposant un vaste escalier
7. « (Re)Nouveaux plaisirs d’architecture. 12 figures émer- descendant depuis la colonne du Congrès jusqu’à
gentes de l’architecture en Communauté française de l’angle du boulevard Pacheco et de la rue de la Banque. »
Belgique », une réalisation et une exposition du Centre Cette option va dans le sens préconisé par l’ARAU à
international pour la ville, l’architecture et le paysage savoir un lien visible et direct entre le boulevard et la
(CIVA) et l’ISACF – La Cambre, février 2004. place du Congrès. L’iconographie du schéma directeur
8. Le BRAL est associé à la réflexion en sa qualité de exprime quant à elle « la Cité modèle, à Laeken,
relais vis-à-vis des habitants et associations. Cette mission construite dans les années soixante » [sic].
spécifique lui a été attribuée par le gouvernement régional 15. Décision du conseil communal du 21 avril 2008.
en 2005. Voir chapitre II pour plus de détails. 16. Souvenons-nous, par exemple, des polémiques qui
9. Voir à cet égard le travail de fin d’études de Lydie ont entouré l’élaboration et le contenu même du dossier
HOLDERS, CAÉ. Analyse des discours écrits relatifs à de base du PPAS « Tour et Taxis » de 2004 (voir
son histoire, ISACF – La Cambre, juillet 2008. www.bralvzw.be/stadsprojecten/thurntaxis).
10. Voir Oswald Mathias UNGERS et al., The Dialectic 17 Voir à ce sujet Alain AVITABILE, La Mise en scène
City, trad. Francisca Garvie, Milan, Skira, 1997. du projet urbain. Pour une structuration des démarches,
11. « Nouveaux scénarios pour la Cité administrative de Paris, L’Harmattan, 2005.
l’État », concours organisé par l’agence luxembourgeoise 18. Lire l’interview de Leo Van Broeck, architecte-urba-
Polaris Architects en 2005 pour le RAC Investment Group. niste et professeur d’architecture à la KUL, sur le site de
Ont participé à ce concours les bureaux d’architectes Disturb (www.etcomment.org/article.php?lang-
Plot (Danemark), HUB (Belgique), A.K.T. (Allemagne) et =fr&id_rubrique=13&id_article=117&parent=0).
S333 (Pays-Bas). Voir chapitre II pour plus de détails.
Chapitre IV
L’histoire du projet au fil des débats publics

Florence Delmotte, Ludivine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen

Dans les textes et les discours 1, le caractère concerté du schéma directeur (SD) apparaît
central. Sa principale innovation, en effet, est d’associer à son processus d’élaboration, en
amont donc de la définition du projet, toutes les parties potentiellement concernées : non
seulement les autorités publiques et les acteurs privés propriétaires du site mais aussi les
habitants, riverains, usagers et autres citoyens. En ce qui concerne la Cité administrative de
l’État (CAÉ) — ou la zone levier « Botanique » — la procédure proprement dite devait durer
six mois et inclure un volet public, essentiellement composé de réunions d’information et
d’ateliers à vocation participative. Au chapitre précédent, le principal auteur du schéma
(Benoit Moritz, du bureau MSA temporairement associé aux Ateliers Lion) explique comment
il a conçu ce volet public et participatif en plusieurs phases, comment il a travaillé avec le
Brusselse Raad voor het leefmilieu (BRAL), chargé par la Région de l’organiser pratiquement,
et donne son point de vue sur l’expérience dans son ensemble. Dans la seconde partie de
cet ouvrage, plusieurs contributions analysent les impensés et les difficultés de la participa-
tion dans les schémas directeurs bruxellois en particulier — celui de la CAÉ (chapitres V et
VI) et d’autres schémas en cours d’élaboration —, et dans l’urbanisme procédural en général.
Avant cela, il nous paraissait pertinent de dérouler le fil des débats publics que plusieurs
membres du Groep Levier ont pu suivre, dans leur quasi-intégralité dans le cas de la Cité
administrative de l’État.
Rétrospectivement, la procédure d’élaboration du schéma directeur « Botanique » fait appa-
raître cinq temps forts au niveau des événements publics : la première réunion d’information
en février 2006, les deux « ateliers de la Cité » en mars et en avril, la seconde réunion
d’information en septembre et enfin la journée de lancement du schéma directeur (après son
approbation par le gouvernement) en décembre de la même année. Toute observation est
forcément partielle, voire partiale ; nous tentons néanmoins de relater fidèlement ce que nous
avons eu l’occasion de voir et d’entendre au cours de ces rencontres et de ces discussions.
Nous avons, par ailleurs, tâché de replacer les différents épisodes du volet public dans le
cadre plus large de la procédure, laquelle comprend évidemment des réunions non publiques,

122 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


dont nous faisons état au besoin. Nous mentionnons également les réactions dans la presse
et le milieu associatif, puisqu’elles sont par définition elles aussi publiques.

La première réunion d’information, le 21 février 2006, à la CAÉ :


un premier rendez-vous chahuté

Le soir du 21 février 2006, à l’invitation du BRAL, quatre-vingts personnes environ prennent


place dans une salle désaffectée, située dans le bâtiment H de la Cité administrative. Une
lettre d’invitation, des affiches dans les commerces du quartier, un mail circulant parmi les
« initiés » les ont conviés à ce premier grand rendez-vous public. Le message du BRAL s’adresse
aux riverains et indique qu’un projet de rénovation est en cours, qu’une nouvelle procédure
est lancée et que, dans ce cadre, « le gouvernement veut collaborer avec toutes les personnes
concernées », le BRAL ayant reçu « la mission d’impliquer autant que possible les riverains
et les usagers de ce site ». On ne parle pas ici de consultation ni de concertation mais bien
d’information et d’une possibilité de poser des questions, « le bureau d’études choisi (MSA-
Lion), le BRAL et le ministre compétent » se chargeant d’y répondre. Sur les affiches, la présence
du ministre-président Picqué était même annoncée.

« La concertation, c’est un métier, et ce n’est pas le nôtre »

Les habitants présents — majoritairement des hommes âgés de la classe moyenne supérieure
venant probablement du quartier Notre-Dame aux Neiges — ont donc bravé la sinistrose
des lieux, affronté les dédales des bâtiments pour se retrouver dans cette grande salle vide
et désaffectée, au cœur même de la Cité administrative de l’État. La soirée débute par une
première déception : Charles Picqué est retenu ailleurs. Son absence suscite d’emblée des
réactions dans le public, dont celle-ci : « On n’est pas dupes. Picqué n’est pas là, il n’en a
rien à foutre de la participation des habitants ». Néanmoins, le politique sera représenté par
Ariane Herman, chef de la cellule aménagement du territoire au cabinet de Charles Picqué,
qui prendra la parole (suite à la brève introduction du BRAL) pour présenter le cadre dans
lequel s’insère la soirée. Ariane Herman indique l’existence de différents projets de schémas
directeurs sur quelques sites à Bruxelles qui sont des enjeux pour la Région. Elle décrit le
projet politique à la base de cette procédure : l’objectif est de réaliser une étude globale
pour cerner les enjeux, définir l’agenda, établir l’évaluation financière en parallèle avec le
promoteur privé. Le politique soutient en outre « une concertation la plus large possible avec

L ’histoire du projet au fil des débats publics 123


tous les acteurs concernés », avec tous les ministres, la Ville de Bruxelles, la commune de
Saint-Josse-ten-Noode, les « acteurs économiques » et les habitants. Mais, conclut-elle, « la concer-
tation c’est un métier, et ce n’est pas le nôtre » ; à charge du BRAL de mener à bien sa mission.
En un sens, cette petite phrase est significative du rôle que le politique acceptera de jouer
tout au long de cette réunion, voire au-delà. En effet, la représentante du ministre-président,
bien seule ce soir-là, ne répondra pas aux interpellations, même directes, des citoyens quant
à la procédure, ses enjeux, les marges de manœuvre réelles, le rôle des uns et des autres.
Le BRAL tentera donc de répondre aux habitants, tout en n’étant pas le mieux placé pour
cerner quelle place sera réservée à l’avis des citoyens dans la procédure. Aux questions
plus générales — sur l’option politique qui consiste à « encore construire des bureaux » plutôt
que du logement, sur l’historique du « délogement » des Bas-Fonds, sur la préservation du
patrimoine bruxellois — le politique ne répondra pas non plus.

La présentation des règles du jeu

C’est ensuite à Benoit Moritz d’exposer plus concrètement le processus en cours pour la Cité
administrative. Après avoir présenté le bureau d’études comme l’association momentanée
entre les Ateliers Lion et MSA, sélectionné après un appel d’offres, il avance son point de
vue sur la Cité administrative : il faut la « considérer comme un élément en soi, en valori-
sant l’existant » notamment « l’architecture des années 1960 et les jardins ». Il décrit aussi
ses expériences en matière d’urbanisme et de participation, notamment sur le quartier Maritime.
Pour lui, le rôle du bureau d’études est de faire du « conseil au pouvoir public dans une
démarche de négociation avec le promoteur ». Il ajoute que le bureau travaille « dans l’inté-
rêt général des citoyens » en vue « d’accrocher une dimension collective » contre les velléités
trop « privatives » des promoteurs. S’appuyant sur un diaporama, il montre alors le périmètre
de travail et insiste sur les problèmes de liaison entre les différents pôles. Ensuite, il évoque
le contexte de la construction de la CAÉ ainsi que sa vente, en 2001, à un consortium privé.
Il rappelle que la tour des Finances ne fait pas partie de la ZIR n° 11, pour laquelle le PRAS
(plan régional d’affectation du sol) détermine certaines affectations (dont 35 % minimum de
logement, des commerces, des bureaux, des espaces publics). Reste néanmoins à définir
« les actions, les programmes, les projets ».
Après cela, il explicite le planning général du projet qui vise une mise en œuvre début
2009. Il annonce l’adoption du schéma directeur pour septembre 2006, un arrêté gouver-
nemental pour octobre et l’inscription dans un PPAS (plan particulier d’affectation du sol)

124 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


Fig. 1. Trois parutions de 1010 Bxl, en
mars, septembre et décembre 2006,
accompagneront la procédure d’élaboration
du schéma directeur comme support au
volet participatif ou public de celle-ci.
Le titre de cette lettre d’information éditée
par le BRAL fait référence au code postal
de la Cité administrative de l’État.
(Photo : Michel Hubert.)

pour 2007. Le calendrier de la procédure d’élaboration du schéma directeur est ensuite


spécifié. Il comportera quatre phases. La première concerne les « enjeux », la seconde les
« espaces publics », la troisième la « définition des trois scénarios », la dernière le choix d’un
scénario et la finalisation du schéma directeur. La démarche est présentée comme relevant
d’une « concertation » avec l’ensemble des acteurs, dont les usagers, détenteurs d’une « parole
locale à faire émerger ». Cette émergence aura lieu dans des « ateliers de la Cité » qui seront
le lieu de la « coproduction d’idées ». Cette concertation n’empêche pas qu’il y aura des
discussions « bilatérales » avec certains acteurs (STIB, SNCB, acteurs institutionnels, promo-
teurs…). Benoit Moritz conclura par ces termes : « Je ne sais rien. On va voir ». Mais, déjà,
tous ne semblent pas le croire.
Après cette présentation générale, le BRAL revient plus précisément sur la question de la
participation. Steyn Van Assche et An Descheemaeker rappellent que le travail entamé avec
certains habitants dès 2005 a débouché sur un texte synthétisant leurs demandes. Les futurs
« ateliers de la Cité » s’inscriront, disent-ils, dans le prolongement de ce processus mais « le
travail se fera plus en profondeur », en plusieurs phases. Le BRAL indique que les ateliers
sont ouverts aux habitants des trois quartiers (Bas-Fonds, Notre-Dame aux Neiges, Saint-
Josse) ainsi qu’aux usagers. Les résultats seront communiqués au politique dans la table
ronde tripartite qui prendra les décisions. La phase sera clôturée après le comité d’accom-
pagnement qui regroupe le politique, les propriétaires, la STIB, la SNCB et les administrations.
La demande adressée aux habitants est de s’engager à participer à tous les ateliers pour
construire quelque chose de cumulatif, sur la durée. Le BRAL tente enfin de « décomplexer »

L ’histoire du projet au fil des débats publics 125


les habitants : « Même si vous n’avez pas d’idées concrètes, rien que par le fait d’habiter,
vous connaissez des choses qui sont importantes pour le quartier. Vous travaillez là, vous
connaissez votre quartier, alors travaillez avec nous. »

Ouvert ou fermé : le jeu est-il truqué ?

Une discussion s’ensuit, qui concerne d’abord les règles du jeu. Certains participants ont
l’impression qu’« on ne leur dit pas tout » ou se demandent dans quelle mesure ils pourront
réellement peser sur la décision. « Quelles sont les limites imposées par le politique ? Ça
représente quoi la concertation avec les citoyens : 5-10 % ? » demandera l’un. Par ailleurs,
quant aux « options » privilégiées par le bureau, elles ne semblent pas si ouvertes que cela
dans le chef de certains habitants. Du moins l’échange qui suit illustre-t-il bien un certain flou :
« Un habitant : Vous avez montré trois propositions de projets et vous avez insisté sur le
troisième scénario et donc on est quand même coincés !
Benoit Moritz : Ce ne sont que des images, des illustrations, mais les idées ont déjà complè-
tement changé.
L’habitant : Oui, mais en tant que citoyen, c’est important.
Benoît Morîtz : On ne vous cache rien, ce ne sont pas des projets, ce sont des images.
On fera des consultations sur ces trois scénarios.
Un habitant : Oui, mais vous aviez insisté sur le troisième projet et vous aviez dit que les
politiques et le promoteur aimeraient ce troisième projet.
Benoit Moritz : On va densifier, certainement, mais c’est ouvert. »
Cette dernière réponse atteste bien du caractère ambigu de l’ouverture proposée quant
au fond du projet. Sur l’urbanisme de dalle, sur l’option de conservation de la Cité, on peut
déjà avoir l’impression que les jeux sont faits. Certains citoyens s’interrogent pour le moins :
« Je suis un peu étonné que vous lui reconnaissiez une qualité architecturale. »

L’arbitre est-il dans notre camp ?

Quant aux rôles respectifs des trois intervenants dans le jeu tel qu’ils l’ont eux-mêmes présenté,
on s’interroge aussi. Celui du BRAL a d’abord été décrit par la représentante du cabinet
Picqué comme « un relais entre le gouvernement et les habitants ». Le BRAL doit « faire monter
les informations provenant des habitants » et répercuter les informations vers les habitants.
Le BRAL est aussi présent comme observateur dans le comité d’accompagnement qui reprend

126 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


tous les acteurs institutionnels. Le BRAL se présente lui-même comme organisateur du processus
participatif, comme facilitateur suscitant les paroles des habitants. Mais son rôle — il ne se
considère pas comme porte-parole, ni comme représentant 2, il est mandaté par le politique —
est questionné par certains, qui lui demandent de se positionner : « Vous êtes au service du
politique également ? » et « Vous ne pensez pas que le citoyen aurait besoin d’une asbl indé-
pendante ? » lance un citoyen de Saint-Josse. Clairement, cette interpellation renvoie à la
position difficile du BRAL : subsidié par le politique, il doit faire « remonter » les avis des
habitants tout en étant lui-même détenteur d’une « position » comme acteur associatif travaillant
sur le terrain bruxellois.
Benoit Moritz lui aussi se présente comme un acteur « intermédiaire », engagé par la Région
pour faire du « conseil » mais proche des habitants puisqu’il travaille « dans l’intérêt général
des citoyens ». Il fera d’ailleurs valoir son expérience antérieure comme reposant sur cette
proximité avec les habitants : « Mon expérience, c’est de travailler avec les quartiers. On
essaie de travailler au service des citoyens, dans l’intérêt des quartiers ». Mais les citoyens
s’interrogent là encore : le bureau d’études sera-t-il vraiment à leur écoute ? À un citoyen qui
reproche finalement au bureau d’études la même chose qu’au BRAL, c’est-à-dire un posi-
tionnement trop proche, voire à la solde, du politique, Benoit Moritz répond fermement :
« Je ne peux pas accepter de me faire passer pour quelqu’un au service du seul politique et
venant se remplir les poches. Bien sûr mon travail est rémunéré par le politique mais je
défends par rapport au politique un certain nombre d’idées ». Il se positionnera également
— et surtout — comme le défenseur du caractère public de l’espace de la Cité administra-
tive contre les velléités privatistes des promoteurs.

Le public, les absents, les sans-voix

Plusieurs constructions de la figure du public se rencontrent ou se chevauchent au cours de


cette réunion. La communauté potentielle touchée par la rénovation de la Cité, l’habitant
convoqué à participer ne sont pas clairement identifiés. Les termes mêmes révèlent un certain
flou. La lettre d’invitation convoque tantôt les « riverains », les personnes « concernées », ou
encore les « usagers ». La représentante du cabinet Picqué s’adresse aux « habitants ». Benoit
Moritz évoque « les citoyens », puis les « usagers » qui ont une « parole locale ». Le BRAL
parle, au sujet des ateliers, d’une ouverture plus large qu’aux seuls habitants des quartiers
environnants. Or la définition du participant légitime est un enjeu important puisqu’elle ouvre
ou ferme les portes du processus de participation. Portes qui se veulent d’ailleurs fermées à

L ’histoire du projet au fil des débats publics 127


des participants « sauvages », qui ne se seraient pas préalablement inscrits aux ateliers. Le
BRAL demandera aussi aux habitants qui s’engagent de venir à l’ensemble des ateliers —
trois sont prévus à l’origine — pour vraiment « construire quelque chose ensemble ». Le
participant doit donc être décidé, ouvert, constructif et appliqué… Par ailleurs, certains habi-
tants semblent inquiets de leur position dans un jeu aux contours imprécis : « On sait quel
est votre enjeu, mais on ne sait pas quel est le nôtre », résumera l’un.
Une autre figure publique est convoquée, celle des absents, voire des sans-voix : « Vous
parlez des habitants de Saint-Josse mais ils ne sont pas là ! Il n’y a pas de représentant des
populations immigrées de Saint-Josse », fera remarquer quelqu’un. Certains se feront alors
les porte-parole d’une collectivité, en justifiant cela par une attitude citoyenne. Mais d’autres
refusent qu’on parle en leur nom sous couvert de citoyenneté…
Enfin, un dernier acteur est évoqué par les participants et, bien que présent, il ne s’ex-
primera pas sur ses intentions. Les promoteurs sont, en effet, plusieurs fois mentionnés par
le bureau, le BRAL ou des habitants. On leur prête diverses intentions, questionne leurs futures
attitudes, leurs « velléités privatistes », leurs volontés sur la question des bureaux et des loge-
ments sans que jamais ils ne s’expriment. Les promoteurs : des sans-voix d’un autre type,
moins dépourvus que mystérieux ?

Le premier « atelier de la Cité », le 11 mars 2006, dans la salle Waldorf de l’hôtel Astoria

Les participants, le lieu et les objectifs

Lors de la première assemblée générale, chaque personne présente souhaitant participer


aux ateliers de la Cité avait été invitée à laisser ses coordonnées. Trois semaines plus tard,
on remarque que les participants les plus « bruyants » de la réunion du 21 février sont aux
abonnés absents : ont-ils négligé de se porter sur la liste, n’ont-ils pas été invités — ce qui
paraît peu probable —, ont-ils tous été empêchés, ont-ils décidé de ne pas participer ? Quoi
qu’il en soit, un peu plus d’une trentaine de personnes se retrouvent ce 11 mars, dont une
bonne vingtaine de « participants » au sens strict, en majorité des hommes, âgés de 35 à
55 ans environ. Le rendez-vous a cette fois été donné à l’hôtel Astoria, un cinq étoiles situé
non loin de la CAÉ, rue Royale. Le luxueux décor tranche avec l’environnement urbain et
sans doute avec les espaces habituellement fréquentés par les participants potentiels 3. En
outre, on se trouve là dans le fief d’un « participant » parmi les plus intéressés à faire passer
ses idées : le directeur de l’hôtel, qui se présente comme « Monsieur Robert, de l’Astoria ».

128 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


Fig. 2. Le premier « atelier de la Cité », hôtel Astoria,
11 mars 2006. (Photo : MSA.)

Ce premier atelier devait permettre de faire le point sur les opinions relatives à différents
thèmes : la mobilité et les infrastructures, les fonctions, la sécurité et la dénomination des
lieux. L’ambition est de cerner les enjeux autour des principes de l’aménagement des lieux,
indépendamment des modalités de mise en œuvre de celui-ci. Cet état des lieux était à son
tour censé alimenter la réflexion du bureau d’études et lui permettre au besoin d’étayer son
argumentation envers les autres instances impliquées dans la reconversion de la Cité. En
cours de réunion, on observe cependant que la question des modalités pratiques pèse indé-
niablement sur la tournure de certaines discussions : ainsi, la volonté de conserver la dalle
— et / ou la vue, considérée comme « imprenable » sur le vieux Bruxelles — ainsi que l’impossi-
bilité de construire à front du boulevard Pacheco ont tôt fait de casser les ailes à quelques rêves.

Le déroulement de la séance

D’après l’invitation du BRAL, la réunion devait débuter par un exposé des « objectifs » et des
« acquis ». Des prises de vue aériennes, des plans et des photos des divers espaces seraient
présentés aux participants, qui pourraient réagir et les annoter au moyen de gommettes de
couleur et de « post-it ». L’atelier se répartirait ensuite en sous-groupes d’une dizaine de parti-
cipants, chacun ayant son « encadrant » et un observateur saisissant les minutes. L’encadrant
rapporterait les discussions auprès des animateurs du BRAL, qui se chargeraient de mettre
en commun l’ensemble des informations et autres questions récoltées. En plénière, le BRAL
assurerait le retour de ces conclusions vers les participants.

L ’histoire du projet au fil des débats publics 129


C’est Benoit Moritz qui présente pour commencer « les objectifs et les acquis ». Il rappelle
que la discussion va couvrir la CAÉ et les alentours, avec comme questions centrales le nom
du lieu et l’emplacement des logements (évalués à ce stade à ± 500 pour environs 1 000 habi-
tants). Il énonce ensuite les « paramètres incontournables », comme l’existence d’un permis
de rénovation pour la tour (qui ne fait pas partie du périmètre sujet à la discussion) et d’un
permis de démolition pour les deux passerelles au-dessus du boulevard Pacheco. Il mentionne
encore les contraintes techniques : l’impossibilité de construire sur la jonction Nord-Midi
(c’est-à-dire à front du boulevard Pacheco), la reprise du jardin Pechère sur la liste de sauve-
garde et la quasi-impossibilité de rénover le bâtiment G, ce qui implique sa destruction. Les
participants sont ensuite invités à découvrir les différents panneaux de plans et photos et à
y apposer leurs commentaires.
En ce qui concerne la constitution des sous-groupes, elle n’a pas été entièrement décidée
a priori. Les responsables du BRAL ont cependant été conduits à redéfinir les contours de
certains groupes, et même à y imposer un animateur. De manière générale, les discussions
y ont été très diversement animées, très consensuelles pour certaines, très polémiques pour
d’autres. Enfin, la mise en commun des conclusions n’a pas réellement eu lieu, faute de temps
mais aussi parce qu’il est apparu que l’information récoltée était énorme et couvrait des
problématiques à la fois liées et abordées séparément. La synthèse qui suit le montre bien 4.

Des infrastructures, de la mobilité et des liens

Tout le monde semble d’accord pour dire que les liens doivent être améliorés. Entre le haut
et le bas de la ville de manière générale, il faut une meilleure accessibilité à la CAÉ à partir
des Bas-Fonds et à partir du quartier Notre-Dame aux Neiges. Il faut également améliorer
le passage entre la CAÉ et le Jardin botanique. Diverses idées sont lancées pour y parvenir.
La première est celle d’un « escalier » qui descend depuis l’esplanade, un escalier « large »
et qui « invite à la promenade ». Dans ce cas, il importe aux habitants que les vues soient
préservées. À partir du bas de l’escalier, il faudrait pouvoir se promener le long des boule-
vards Pacheco et de Berlaimont — qui pourraient être « verdurisés » — et pouvoir traverser
facilement, vers le Musée de la bande dessinée, vers la gare Centrale et le centre ainsi qu’en
direction du Botanique. Autre piste : améliorer la liaison avec la gare du Congrès et la signa-
lisation des entrées et sorties. À partir des Bas-Fonds, on insiste sur l’idée de traiter les abords
de la gare comme un lieu clé pour une meilleure liaison entre la CAÉ, les Bas-Fonds et la
rue Neuve, voire pour attirer les passants depuis celle-ci jusqu’à la CAÉ par la scénographie

130 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


de la rue. Un lien visuel est à cet égard important : les gens doivent « voir » qu’il y a un
parc un peu plus haut. Il est aussi proposé d’accorder plus d’attention au Passage 44 et à
la possibilité de se rendre à couvert depuis le boulevard du Jardin botanique jusqu’à la
gare du Congrès. Troisième proposition : le croisement à ciel ouvert du boulevard Pacheco
et du boulevard Saint-Lazare et la couverture de la petite ceinture. Bien qu’il y ait certains
doutes sur la faisabilité technique de cette dernière option, celle-ci apparaît aux participants
comme la meilleure.
Outre les escaliers, plusieurs options ont été envisagées pour combler la différence de
niveau est-ouest. D’abord celle d’un ascenseur à destination des personnes à mobilité réduite.
Cette proposition, de même que celle d’un escalator ou d’un tapis roulant, est toutefois criti-
quée, notamment du fait que de telles solutions — à condition que les installations ne soient
pas le plus souvent en panne ! — ne feraient pas disparaître le sentiment de rupture. Pour
certains, un plan incliné serait préférable à des escaliers. Pour d’autres, les détours impli-
qués renforceraient l’effet de barrière. Certains proposent de déplacer partiellement le jardin
sur l’esplanade et de créer un faible dénivelé. D’autres suggèrent de baisser le niveau de
l’esplanade, sur laquelle il faut monter avant de redescendre.
En termes de mobilité, les habitants des Bas-Fonds indiquent qu’il faudrait que plus de
trains s’arrêtent à Bruxelles-Congrès. Ils regrettent aussi que le bus 38 ne circule que le week-
end le long du boulevard Pacheco, ce qui est pour eux, et pour les futurs habitants et usagers
de la CAÉ, nettement insuffisant. Il y a d’autre part consensus sur le fait qu’il faut installer
une sortie de parking du côté du quartier Notre-Dame aux Neiges et que les parkings doivent
être accessibles (si possible à un tarif préférentiel) pour les habitants et les visiteurs des infra-
structures culturelles.

Les fonctions : place au logement, aux jeunes et au vert !

Quanr aux fonctions, la première question, en importance, concerne le logement : la plupart


des participants le situeraient à l’emplacement actuel du bloc G et vers la rue Montagne de
l’Oratoire, qui aurait alors une façade. Dans un groupe, on estime qu’il vaudrait mieux
laisser des bureaux face à l’immeuble « Dexia » et concentrer les logements à l’emplacement
du bloc G 5 pour que les habitants puissent profiter de la vue. De plus, cela rendrait l’es-
planade plus « vivante ». Autre proposition : remplacer « le G » par deux bâtiments parallèles
de la même hauteur que les autres bâtiments. On notera que l’idée de « même hauteur »
revient très souvent.

L ’histoire du projet au fil des débats publics 131


En général, le choix des participants se porte sur des logements de type mixte dans lesquels
il y aurait aussi de la place pour les grandes familles et les bas revenus. Certains — appa-
remment des commerçants — objectent toutefois : il y a certes un besoin en logements sociaux
mais ce n’est pas là qu’il faut les mettre. Certains se prononcent même résolument en faveur
de logements de standing. On suggère aussi que les rez-de-chaussée et les premiers étages
du bâtiment des Arcades sont idéaux pour des familles. Celles-ci pourraient utiliser de manière
optimale le parc en y assurant l’animation et le contrôle social. Enfin, on souhaite en général
augmenter la proportion de logement à 50 % au lieu des 35 % minimaux requis. Et personne
ne s’oppose a priori à l’existence de petits jardins privés ou semi-privés, qu’on pourrait par
exemple ouvrir la journée et fermer la nuit. En termes de fonctions, on notera aussi que la
demande d’une crèche revient régulièrement, comme un véritable besoin pour les quartiers
environnants et pour les futurs habitants et travailleurs du site.
Concernant « l’horeca » (les hôtels, restaurants et cafés) et les commerces, il importe — à
nouveau en lien avec les questions de l’animation et de la sécurité — que les différentes
tranches horaires soient couvertes. Les commerces de la rue de Rivoli devraient ainsi jouer
sur les rythmes jour / nuit. On énumère une boulangerie, des magasins divers, des restau-
rants et cafés (qui pourraient installer des terrasses couvertes), un salon-lavoir et enfin une
vidéothèque / magasin de nuit. Les habitants sont soucieux du fait que les activités commer-
ciales ne fonctionnaient pas dans cette rue et craignent que seuls des « snacks » qui ferment
en fin d’après-midi n’y soient rentables. Mais ils estiment aussi qu’un passage à travers le
bâtiment des Arcades vers la rue Vésale et des escaliers qui descendent sur le jardin Pechère
et la tour des Finances relieraient mieux cette rue et permettraient un passage plus intense.
L’esplanade offrirait également une bonne localisation pour les commerces et l’horeca. On
aborde aussi les nuisances que pourraient engendrer ces activités pour les futurs habitants.
Enfin, pour que les commerces et services de proximités soient fréquentés, il faut naturelle-
ment en assurer l’accessibilité. Pour les habitants des Bas-Fonds, ces activités de proximité
conviendraient bien sur le boulevard Pacheco.
Quant à la « culture », certains aimeraient voir se développer un prestigieux pôle culturel
qui attire une foule importante. Pour d’autres, le Botanique existe déjà, que la future infra-
structure culturelle pourrait compléter. Cette fonction est en général localisée dans l’actuel
« grand restaurant », sauf pour un groupe où elle se trouverait installée sous l’esplanade. En
passant, l’affectation du restaurant apparaît clairement comme un enjeu important : il fait
face au jardin et permet un contrôle social. Il semble également apprécié pour sa valeur patri-
moniale, qui fait que l’on n’aimerait guère le voir abattu. On suggère donc de le réaffecter

132 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


en un « complexe polyvalent », une installation culturelle d’envergure. Ce pourrait être aussi
le lieu d’une « grande bibliothèque » avec des espaces d’exposition ; il pourrait offrir des
locaux pour des cours du soir, ou encore une « maison interquartier ». On parle aussi d’un
cinéma, qui attirerait du monde le soir. Dans un groupe, on a plutôt parlé d’un théâtre en
vue de ne pas créer trop de nuisances.
Quant à l’espace vert, nombre de participants se disent attachés au jardin comme il est.
La proposition revient souvent de le rendre plus vert et plus fleuri… Plusieurs personnes trou-
vent aussi que les haies sont trop hautes et que cela procure un sentiment d’insécurité. Mais
quelqu’un d’ajouter : « C’est chouette pour les enfants qui y jouent à cache-cache ! » Quant
à la plaine de jeux existante, elle est considérée comme trop isolée. On déplore à nouveau
les haies. Les habitants pointent un paradoxe : le Jardin botanique est souvent rempli d’en-
fants alors qu’il n’y a pas d’infrastructure adaptée, des installations sont prévues sur la CAÉ
mais il y fait désert la plupart du temps. À nouveau, cela serait dû à la mauvaise accessi-
bilité de la plaine de jeux, à peine visible au point que beaucoup de gens ne savent même
pas qu’elle existe.
D’autres souligneront le manque évident d’équipements à destination des adolescents. Derrière
le Jardin botanique, les installations sont trop limitées. Mais ici encore, certains craignent le
vandalisme et les nuisances… Il faut donc prévoir un espace bien pensé et intégré pour les
jeunes. On indique alors une partie non utilisée du parking, située au-dessus de la jonction
et où l’on ne peut pas construire : elle pourrait dès lors être aménagée en centre sportif inté-
rieur. Cela permettrait aussi de ramener de l’activité sur le boulevard Pacheco. Ce centre
pourrait être utilisé autant par des navetteurs que par des Bruxellois et des habitants des
quartiers voisins. Pour compléter cette idée, quelqu’un propose même de transformer le mur
du boulevard Pacheco… en mur d’escalade !

Et la sécurité ?

La question de la sécurité, préoccupation récurrente, entre parfois en tension avec celle


concernant les nuisances, en particulier les nuisances sonores. Nombreux sont ceux qui s’in-
quiètent pour la tranquillité des employés des bureaux, des enfants des crèches, des habitants
des nouveaux logements : manifestations culturelles, cafés, etc., tout cela ne va-t-il pas amener
une « jeunesse qui traîne », un tapage nocturne, des détritus, du vandalisme ? Les solutions ?
Un « contrôle social » via la bonne implantation des fonctions, des gardiens de parc, la ferme-
ture de certains espaces et installations le soir. Tout le monde est cependant d’accord pour

L ’histoire du projet au fil des débats publics 133


dire que le site doit être « accessible » tout le temps, le droit à l’usage de l’espace public étant
très important. Ainsi, éclairer le site le rendrait non seulement plus attractif mais aussi plus sûr.

La dénomination des lieux : vive la Cité administrative de l’État ?

La tendance est claire sur ce point : il importe de garder le nom actuel pour des raisons
historiques. Cela n’exclut pas quelques propositions alternatives d’un nouveau nom, tels « la
Cité des Libertés » ou, tout simplement, « Meyboom » !

Le second « atelier de la Cité », le 22 avril 2006, aux Facultés universitaires Saint-Louis

Entre deux temps, des scènes disjointes (I)

Le 17 mars 2006, une première table ronde tripartite entre la Région, les communes et le
bureau d’études est organisée en vue de « valider politiquement le diagnostic et les objec-
tifs 6 ». Le 24 mars 2006, la première phase du processus conçu par le bureau se clôture
par un second comité d’accompagnement, qui « valide » à son tour les acquis de cette première
phase (consacrée à forger une image commune du site et des enjeux). D’après le compte
rendu réalisé par le bureau et mis en ligne ultérieurement dans les annexes au projet de
schéma directeur adopté, ce comité d’accompagnement avait plus précisément pour objet
de présenter le travail déjà réalisé par le bureau, d’exposer les résultats du premier atelier
de la Cité et d’en transmettre la synthèse (c’est le BRAL qui s’en chargera) et d’aborder des
points plus précis comme la situation urbanistique et la mobilité 7.
Un mois plus tard se tient le second atelier de la Cité. Il marque le début de la seconde
phase prévue par le bureau : « Définir une structure de l’espace et des équipements publics
comme éléments fédérateurs du développement ». Cet atelier est censé alimenter les réunions
tripartites ultérieures. Une lettre d’invitation 8 est distribuée par le BRAL dans les boîtes aux
lettres des quartiers concernés (les Bas-Fonds et le quartier Notre-Dame aux Neiges) qui
entourent la Cité administrative. Cette lettre s’adresse aux participants du premier atelier,
dont les résultats sont jugés positifs 9 et dont le compte rendu sera la base de travail pour le
deuxième atelier. La réunion est fixée aux Facultés universitaires Saint-Louis, le samedi 22 avril,
de 13 h 30 à 17 heures. L’ordre du jour est fixé comme suit :
« 1. approbation du compte rendu ;
2. le bureau d’études présente l’état d’avancement de la planification ;

134 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


3. nous nous divisons en quatre groupes pour discuter des questions de l’espace public
et des équipements publics ;
4. pause-café avec un casse-croûte ;
5. plénière : synthèse des résultats et discussion ».
Une trentaine de personnes assistent à cette réunion 10. Elles sont majoritairement issues
du quartier Notre-Dame aux Neiges, quelques-unes des Bas-Fonds et d’autres de Saint-Josse.
Après une brève introduction du BRAL, Benoit Moritz indique que la première phase a été
entérinée par la table ronde tripartite et le comité d’accompagnement et précise qu’« on a
fait une proposition sur les grands principes d’aménagement ». Il rappelle que cette phase
concernait le relevé de la situation existante qu’elle a été enrichie par les rencontres bilaté-
rales ainsi que par le premier atelier. Il annonce qu’à la fin de la seconde, « on saura la
quantité de bureaux et alors on travaillera sur un scénario ». « Nous ne sommes pas les archi-
tectes », néanmoins, les grandes lignes sont établies et notamment « l’optique de rénovation
plutôt que de reconstruction ». Benoit Moritz présente alors « la synthèse des avis qu’on a
obtenus » et les options qui sont déjà prises. Certains bâtiments sont conservés et rénovés
(le D et le C). D’autres ont « un avenir incertain », comme le bâtiment G qui semble difficile
à rénover, qui devrait abriter les logements et qui, pour cette fonction, n’est pas idéalement
situé. Diapositive à l’appui, il montre que les jardins et les parkings sont maintenus avec une
amélioration des liens pour en faciliter l’accessibilité. Le carrefour des boulevards Pacheco,
Saint-Lazare et Botanique est remis à niveau pour améliorer l’accès au Botanique. Les boule-
vards Pacheco et de Berlaimont sont redessinés. Les bus rouleront en site propre sur le boulevard
du Jardin botanique. Concernant les logements, il y aura des logements moyens avec une
aide à l’acquisition (du type de la Société de développement pour la région de Bruxelles-
Capitale) ainsi que des logements étudiants. Des commerces et des services de trois types
seront également proposés : « des équipements induits par les logements et les bureaux »,
des équipements partagés pour la CAÉ et les quartiers avoisinants ainsi que des « équipe-
ments pour la ville » de plus grande ampleur. Il estime que 7 000 personnes seront amenées
à travailler sur le site et qu’il y aura entre 1 000 et 1 500 nouveaux résidents.
Certains habitants réagissent à cette présentation, notamment sur la question des liens, de
la perméabilité du lieu. Certains estiment qu’on n’a pas assez tenu compte de la nécessité
de créer plus de passages verticaux. Benoit Moritz explique que l’idée de la rue Vésale n’a
pas été retenue pour des raisons techniques, liées aux différences de niveaux entre les jardins,
l’esplanade et la rue Vésale. Par ailleurs, certains souhaitaient une ouverture dans le grand
bâtiment (l’ensemble composé des bâtiments F et C), ce qui n’a pas été retenu non plus pour

L ’histoire du projet au fil des débats publics 135


des raisons qui renvoient à des questions d’opportunité et de choix esthétiques. Les accès
piétons aussi se voulaient plus nombreux. Benoit Moritz explique sur ce point comment la
perméabilité sera améliorée, via le parking, par la création de puits de lumière, d’escala-
tors intérieurs. Certains habitants se montrent sceptiques, notamment quant à la question de
la lisibilité du lieu et de la sécurité. Sur la question des logements, une personne pointe le
risque que les logements pour étudiants ne se transforment en logements pour d’autres types
de locataires, ce qu’il faudrait éviter en établissant des conventions avec les universités et
écoles. Le recteur des Facultés universitaires Saint-Louis, présent à la réunion, n’y est pas
opposé. Sur la question de la contre-indication à construire sur la jonction Nord-Midi, la
SNCB est claire. Benoit Moritz explique qu’on pourrait imaginer construire à ce niveau du
boulevard Pacheco mais que cela impliquerait de supprimer une bonne partie des jardins.
De manière générale, les habitants se positionnent difficilement face à des arguments de
type technique. À la suite de cette présentation, des travaux en sous-groupe sont proposés.
Trois sous-groupes sont créés dont un néerlandophone. Ils sont composés d’habitants mais
aussi d’un animateur et d’un rapporteur qui sera chargé de faire état des discussions, à la
fin de l’atelier, en séance plénière 11. Les sous-groupes fonctionnent sur base thématique :
les fonctions publiques, les équipements publics et les espaces publics.

Les enjeux liés à l’espace public

Dans le sous-groupe observé 12, consacré à l’espace public, personne ne revendique un


espace fermé qui serait privatisé sur l’ensemble de la Cité administrative, mais les échanges
de vues sont irréductibles à une opposition simpliste. Si l’espace doit être ouvert à tous, pour
certains, il ne doit pas l’être totalement ou / ni continuellement. Certaines portions de cet
espace peuvent ou doivent demeurer / devenir privatisées. Certains évoquent ainsi la néces-
sité d’un jardin privé pour la future crèche — régionale ? — qui permettrait de mieux « surveiller
» les petits. La nécessité d’avoir des jardins privés à destination des nouveaux habitants est
également controversée : certains n’y voient pas d’intérêt dès lors que les jardins Pechère
offrent un tel espace vert, d’autres souhaiteraient un espace délimité et réservé, d’autres
enfin souhaiteraient un espace semi-public, qui se clôt à certaines heures.
Une autre problématique concerne la création d’espaces publics spécifiques. Faut-il des
espaces distincts pour les personnes âgées, les adolescents, les enfants, les résidents, les
travailleurs ? Il semble qu’un groupe particulier soit en « déficit » d’espace : les adolescents.
Les habitants semblent opter pour un endroit spécifique plutôt que de laisser une utilisation

136 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


plus anarchique de l’espace public qui importune actuellement certains. Il s’agit de « cana-
liser » cette utilisation et le découpage spécifique est une solution. Ce dépeçage prend parfois
de drôles de proportions : « un petit parc pour des jeux d’enfants, un petit parc pour se
reposer, un petit parc pour les jeunes »…
L’espace public doit également être sécurisé et « domestiqué ». Toute la question de la sécu-
rité de cet espace public tourne autour de la question de la visibilité : il faut voir et être vu.
Dans cette optique, il faut améliorer l’éclairage, densifier la fréquentation, amener du passage
et de l’animation. Mais ce n’est pas suffisant. Pour mieux contrôler, il faut empêcher qu’on
puisse vouloir se soustraire à la vision de tous : « Ce qu’il faut faire dans ces petits machins
[cet habitant évoque les espaces fermés par une haie dans les jardins Pechère], c’est réduire
la hauteur […] Parce que ce qui crée l’insécurité, c’est qu’on est caché et qu’on ne sait pas
ce qui se passe derrière […] Si vous réduisez ça, par exemple, au niveau de la ceinture,
les gens ne peuvent plus se cacher et donc il n’y a plus d’insécurité… » Il faut aussi assurer
l’entretien de cet espace. Enfin, l’espace public doit être « attractif », il faut « attirer » les gens
qui sont trop souvent chez eux, enfermés, isolés. Pour cela, il faut que l’espace soit animé
d’activités, qu’il soit joli, qu’il offre une belle vue. Cette attractivité renvoie donc aux fonc-
tions qu’on va développer et à l’équipement qu’on va implanter. « L’accessibilité » (liée à
l’attractivité) est également un problème majeur pour le devenir de la CAÉ. Plusieurs parti-
cipants estiment que les liens vers la CAÉ qu’ils avaient proposés lors du dernier atelier ne
se retrouvent pas dans le projet. Ils trouvent que celui-ci ne propose pas grand-chose actuel-
lement pour améliorer les liaisons et passages. Les futures fonctions amèneront aussi de
nouveaux besoins : certains imaginent que l’accès à la crèche doit être pensé pour les auto-
mobiles, d’autres évoquent les poussettes ou encore un accès direct sur les jardins. On évoque
aussi les livraisons pour les commerces et l’horeca. Les habitants, unanimes, regrettent (notam-
ment pour l’accès aux jardins depuis les écoles de la rue du Marais) l’absence d’une passerelle,
même si le boulevard Pacheco est réduit. Ils lient l’existence de la passerelle à une question
de sécurité, donnant l’exemple de la passerelle légère et verte de Woluwe.

L’esthétique des uns et des autres

Dans ce même sous-groupe, on a parlé de l’esplanade et des aménagements possibles : un


habitant propose d’y installer un grand bassin d’eau, avec des fontaines et, par exemple,
une statue pour chaque pays d’Europe. Cette fontaine pourrait être animée par des jeux de
lumière le soir et par un accompagnement musical (lié aux jets d’eau). D’autres habitants

L ’histoire du projet au fil des débats publics 137


trouvent ça trop « grandiose », « trop majestueux ». Par ailleurs, la symbolique européenne
n’est pas forcément du goût de tous. L’escalier monumental revient aussi dans les échanges
et on regrette l’abandon de cette option. Celle de garder la dalle est également critiquée
comme « inesthétique ». Au niveau du boulevard Pacheco, des habitants soutiennent l’idée
de deux ronds-points, parce que c’est plus joli que des feux de signalisation, qu’on peut y
mettre une statue — certains proposent d’y placer l’effigie de Gaston Lagaffe ! — ou des
fontaines. La création des espaces verts et leur entretien, comme la question du paysage,
sont également liés à ce débat. On semble loin des préférences du bureau…

Les fonctions publiques et leur public potentiel

Dans les discussions, les fonctions et équipements publics souhaités renvoient à des « figures
du public » différentes qui parfois se rencontrent, parfois s’opposent. Les « Bruxellois », les
« employés », les « congressistes », les nouveaux et anciens habitants (des Bas-Fonds), les
jeunes, les personnes âgées ont-ils des besoins identiques ? Comment les faire cohabiter ?
Si la crèche peut mixer les publics en offrant des places d’accueil tant aux habitants qu’aux
employés des bureaux, la conciliation n’est pas toujours possible. Choisit-on de privilégier,
sur un espace déterminé, des fonctions destinées aux riverains ou plutôt de développer une
fonction d’intérêt régional ? Par exemple, développe-t-on un équipement de proximité à front
du boulevard Pacheco ou prévoit-on un espace de parking pour les cars de touristes, la capi-
tale en étant dépourvue ? Ces questions renvoient ainsi à des enjeux à différentes échelles
— tantôt régionales, tantôt locales — parfois difficilement compatibles. Soit un problème lié
à celui du nouveau « public » qu’on espère « attirer » sur le site. Un habitant évoque à plusieurs
reprises l’idée d’amener des touristes, des « eurocrates », des congressistes. Il estime qu’une
activité de commerce, d’horeca, couplée avec un aménagement de l’esplanade et une salle
de congrès amèneraient ces personnes sur le site, les feraient rester et consommer. Cette
situation créerait selon lui de l’emploi. Tous ne partagent pas cette vision idyllique. Les congres-
sistes consomment, certes, mais restent cloîtrés dans leurs hôtels. Quant aux emplois créés,
bénéficieront-ils vraiment aux Bruxellois ou aux « navetteurs » et de quel type seront-ils ? Les
gens s’interrogent…
De même, sur l’usage de l’esplanade le soir, tout le monde s’accorde sur l’idée qu’il faut
y développer « des activités », mais pas sur la nature de celles-ci. Entre « la petite musique
qui ne fait pas trop de bruit » pour les congressistes et autres touristes aux terrasses de café
et une offre socio-culturelle alternative, l’écart se creuse. Les activités « plus bruyantes » ne

138 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


nuiraient-elles pas aux nouveaux habitants de la Cité ? Pour le logement, l’option de la mixité
semble acceptée même si, là aussi, des inquiétudes pointent à propos du public potentiel
que ces logements amèneront : n’y a-t-il qu’un pas des étudiants aux précaires ? Quant à sa
localisation, certains l’imaginent concentrée, d’autres estiment au contraire que la mixité
fonctionnelle se verrait menacée par la concentration du logement en un lieu du site.

Les règles de la discussion

On le voit, si plusieurs points font l’objet d’un consensus, certaines questions sont plus polé-
miques et, à l’intérieur des groupes, certains habitants disposent de plus d’arguments, de
plus de poids dans la discussion. On observe aussi des stratégies de déplacement de la
discussion qui ne permettent pas de vider les conflits. C’est le cas dans un échange au sujet
de l’esplanade. Un habitant utilise des arguments esthétiques (la beauté d’un lieu agrémenté
d’une fontaine) couplés avec des arguments de « grandiosité », d’attractivité économique et
de développement de l’emploi et propose une fontaine illuminée. Un autre répond par des
préoccupations plus sociales sur les emplois précaires amenés par l’horeca, emplois occupés
par des non-Bruxellois. Pour éviter le débat, un troisième habitant tente de montrer que ce
n’est pas « essentiel », qu’il faut revenir à « une idée » pour faire vivre l’esplanade. Une autre
tactique observée consiste à « forcer la décision », par exemple en proposant de voter, dans
un jeu qui, a priori, n’avait pas élaboré de règles quant à la construction d’un accord collectif.

Le répondant politique

Du côté des politiques, seul l’échevin de l’urbanisme de Bruxelles-Ville, Henri Simons, présent
ce jour-là, répond vraiment aux demandes des habitants, met fin à certains « rêves », prend
position sur certaines propositions (comme la bibliothèque, le restaurant, etc.). Du côté du
cabinet Picqué, on opte pour une attitude plus en retrait et la représentante du ministre répond
très peu aux sollicitations sauf, parfois, pour témoigner d’un certain agacement devant la
méfiance des habitants. L’échange qui suit l’illustre bien.
« Un habitant : Et à tout hasard, est-ce qu’on peut connaître l’avis du cabinet Picqué. S’il
a une vue quelconque sur la chose ?
[Rires et bruits. Ariane Herman n’a pas encore pris la parole alors qu’Henri Simons s’est,
lui, expliqué sur ses options politiques.]
Ariane Herman : Oui, là c’est moi hein. Ben, je veux dire, en gros…

L ’histoire du projet au fil des débats publics 139


Henri Simons : On est à l’écoute.
Ariane Herman : On est à l’écoute…
L’habitant : Oui, oui, vous prenez note…
Ariane Herman : Des remarques que vous faites…
L’habitant : Non, mais des fois qu’il y aurait déjà des plans…
Ariane Herman, ironiquement : Oui, c’est ça. On a déjà, en fait, tout préparé. Mais on
fait semblant. »
On n’en saura gère plus sur l’avis du cabinet Picqué alors que les habitants soulignent
l’importance de connaître les options déjà prises.

La hauteur et la maquette

La question de la construction en hauteur révèle un autre type de problème, déjà soulevé


par les habitants. Henri Simons le résume en ces termes : « Si on fait 50 000 m2 de loge-
ment, où les habitants les souhaitent-ils ? Et comment ? Et est-ce que vous accepteriez que ce
logement soit construit en hauteur pour réussir ces 50 000 m2 ou pas ? C’est un débat diffi-
cile en ville, je sais que c’est un débat difficile à Bruxelles. Mais je vois mal comment…
50 000 m², c’est gigantesque. C’est énorme. Donc il faut faire des schémas en gros en disant
“est-ce qu’on les met en paquet, des trucs semi-hauts comme ça ?“, mais alors il y en a beau-
coup et il fait noir dans les cours. Ou bien est-ce qu’on en fait en hauteur, il fait très beau
mais il y aura une tour […]. » Ici encore, les arguments divergent : « la Cité a déjà une tour »,
il faut « privilégier la qualité de l’habitat », « la vue sera superbe sur la ville », il faut privilé-
gier « la vue de l’esplanade », « ce n’est pas esthétique », « personne ne voudra y résider »…
Une maquette est demandée, notamment pour visualiser la localisation du logement, les
rapports entre les bâtiments, et les enjeux d’une construction en hauteur. Maquette qui ne
verra pas le jour, contrairement à celle des promoteurs.

Quand les choses se précipitent jusqu’à la réunion publique du 4 septembre 2006

Entre deux temps, des scènes disjointes (II)

Le deuxième atelier de la Cité sera finalement le dernier : initialement prévu, le troisième


n’aura pas lieu. Selon le BRAL, c’est que le projet de schéma directeur proposé par le bureau
d’études a fait sortir les promoteurs de leur silence. Ils s’opposent aux options d’aménage-

140 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


ment qu’il contient et auraient déposé une demande de permis de bâtir ou seraient sur le
point de le faire. Pressées par le temps, d’autant que les élections communales approchent,
qu’elles risquent de changer la donne communale et de modifier les alliances tissées entre
les cabinets régionaux et les communes, les autorités décident d’accélérer le processus. C’est
donc à une soirée publique d’information sur le projet de schéma directeur que les partici-
pants de l’atelier seront conviés le 4 septembre 2006.
Avant cela, quatre réunions bipartites auront lieu (avec la SDRB, la Ville de Bruxelles et
les promoteurs) ainsi que trois tables rondes triparties (le bureau, les cabinets régionaux et
les communes pour mémoire). De ces différentes réunions, il n’y a à nouveau pas de trace.
Deux comités d’accompagnement se tiendront (les 4 mai et 12 juillet), dont les PV ont été
rendus publics. Ces comités d’accompagnement ne sont pas des lieux où l’on décide mais
la lecture de leurs PV nous apprend toutefois que, jusqu’au 12 juillet, les promoteurs ne pren-
nent pas la parole 13. C’est seulement à cette date, où Benoit Moritz, sur base d’un document
écrit, expose les propositions du schéma directeur, que l’acteur « promoteur » — Jean Thomas,
qui assiste pour la première fois à un comité d’accompagnement, et Marc Geens — fait
surgir la controverse : il n’est pas d’accord avec les propositions d’aménagement du site du
bureau d’études, il en a une autre vision, qu’il expose. Cette sortie étonne : lors du comité
du 4 mai, Benoit Moritz avait déjà présenté les principes de base du schéma directeur sans
provoquer de remous. Il était déjà question de préserver le panorama, d’installer une fonc-
tion culturelle forte, de maintenir le jardin et le « mur du boulevard Pacheco » à l’exception
de deux ouvertures destinées au parking. Il est vrai que, entre-temps, le projet s’est précisé
et qu’il est désormais figuré dans un document. On peut aussi penser que cette période a
été mise à profit par le promoteur pour produire le « contre-projet » présenté par Marc Geens
le 12 juillet. Celui-ci propose la recréation d’un escalier monumental, l’affectation du restau-
rant en fonctions administratives, la construction, entre l’esplanade et le boulevard Pacheco,
d’un immeuble-tour destiné à devenir un hôtel en vue de « sécuriser le site », et encore la
construction d’un immeuble de commerce entre le boulevard Pacheco et le jardin Pechère
supprimant le « mur ». On le voit, ces propositions, au contraire de celles du bureau d’études,
ne s’inscrivent pas du tout dans une volonté de préserver le site. Le PV de ce comité nous
indique que la phase 2 est cependant approuvée (on ignore dans quelles conditions). Il est
donc décidé que le projet du bureau sera présenté lors d’une séance publique d’informa-
tion le 4 septembre. Fin août, le BRAL promène en vélo le projet de schéma directeur dans
le quartier, tentant de susciter le débat avec des passants ou des participants des ateliers
prévenus de son passage.

L ’histoire du projet au fil des débats publics 141


Fig. 3. La réunion
publique d’information
du 4 septembre 2006 à
l’auberge de jeunesse
Jacques Brel. (Photo :
Michel Hubert.)

Le 4 septembre à 20 heures

Cette seconde réunion publique d’information clôture donc le processus participatif entamé
le 21 février 2006. Contrairement à la première qui s’est tenue sur le site même de la CAÉ,
elle a lieu dans une salle de l’auberge de jeunesse Jacques Brel. À l’entrée, les organisa-
teurs du BRAL sont inquiets. Non seulement les promoteurs sont présents en force (ils sont
au moins à quatre), mais ils amènent avec eux une maquette et des panneaux illustrant leur
vision de l’aménagement du site. À part cela, la salle est bien remplie. Se tiennent au premier
rang Ariane Herman et un autre membre du cabinet Picqué, le directeur de l’hôtel Astoria
et ses amis. Le dernier rang est occupé par le groupe des promoteurs, en costume et donc
facilement indentifiables. L’échevin Henri Simons et un membre de son cabinet se tiennent
un peu à l’écart, assis sur une table, ce qui leur donne une vision d’ensemble et de surplomb
sur la salle. Parmi les simples « habitants » (une quarantaine), des participants aux ateliers,
entre autres des membres du groupe des « Bas-Fonds », mais pas seulement. On reconnaît
encore René Schoonbrodt, ancien président de l’ARAU. La réunion se divisera en quatre
temps : celui des présentations, celui de l’exposé des grands axes du SD, celui des réac-
tions et de la controverse, le temps des positionnements enfin, notamment celui d’Henri Simons,
qui situe son discours hors de la controverse, et celui des promoteurs, qui présenteront leur
projet « alternatif » en fin de réunion.

142 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


Le temps des présentations

Ariane Herman introduit la soirée en présentant la méthodologie du schéma directeur. Steyn


Van Assche du BRAL traduit en néerlandais. Il jouera par la suite le rôle d’animateur, soutenu
en fin de réunion par An Descheemaeker du BRAL également. Benoit Moritz prend ensuite
la parole pour présenter les principes généraux du schéma directeur. Il évoque d’emblée
l’ensemble du processus participatif et fait savoir à ceux qu’il a déjà vus qu’il se souvient
d’eux. Il rappelle ensuite les missions confiées au bureau d’études, son rôle et la tempora-
lité du projet. Il reprécise aussi les limites du SD : fixer les grands axes de l’aménagement
sans entrer dans les détails. Ariane Herman et lui reprendront maintes fois cet argument
dans leurs réponses aux points controversés. Benoit Moritz reprend ensuite la méthodologie :
« Il y a eu tout un trajet. On n’est pas parti avec des idées préconçues… Il y a eu toute une
série de discussions au cours des six derniers mois. Les principes qui vont être proposés ici
sont le résultat de ces discussions, avec certains d’entre vous, avec d’autres types d’acteurs :
des propriétaires, le monde associatif, les techniciens, les sociétés de transport, etc. » Ces
affirmations seront quelque peu démenties au cours du débat.

Le temps de l’exposition

Dans l’exposé de Benoit Moritz, les axes directeurs sont au nombre de dix :
1. la mise à niveau du carrefour Pacheco/Botanique ;
2. l’organisation du boulevard Pacheco ;
3. l’affectation « logement » (35 % minimum au PRAS) : ces logements seraient implantés
dans un immeuble-tour 14 en lieu et place de l’actuel bâtiment G ;
4. les commerces de proximité ou équipements (crèches, salles de sport, pompiers…) au
pied des immeubles ;
5. l’accès jardin / esplanade / Pacheco via de nouveaux escaliers et des ascenseurs ;
6. les commerces et équipements au niveau du mur Pacheco (4 500 m2) ;
7. le programme de bureaux localisés dans trois immeubles ;
8. le maintien et la rénovation du jardin ;
9. l’adaptation du parking aux nouveaux usagers ;
10. la rénovation de la gare du Congrès.

L ’histoire du projet au fil des débats publics 143


Le temps des réactions et de la controverse

Certains éléments du débat sont strictement informatifs. Par exemple : le jardin Pechère sera-
t-il privé ou public ? D’autres prises de parole offrent un point de vue général sur le site, un
constat sur l’ouverture du site sur son environnement, ou encore des propositions en matière
d’affectations. Elles ne se focalisent pas sur des points précis. Certaines interventions, enfin,
se positionnent clairement par rapport à certains axes et s’inscrivent résolument dans le
registre de la controverse. Les objets de celle-ci sont essentiellement l’immeuble-tour — sa
forme, la verticalité, et la concentration qu’il suppose — et l’accessibilité du site — avec en
arrière-plan la question de l’escalier monumental. Les locuteurs ne sont pas les mêmes. Ceux
qui demandent des informations ou donnent leur point de vue général sont plutôt des habi-
tants ou des usagers « anonymes ». La controverse, quant à elle, opposera surtout René
Schoonbrodt et le directeur de l’hôtel Astoria et ses « amis », d’un côté, Ariane Herman et
Benoit Moritz de l’autre. Les habitants interviennent donc peu si ce n’est pour s’offusquer du
ton employé par les porteurs des controverses, par exemple en ces termes : « Ce n’est pas
parce que vous gueulez plus fort que vous avez raison » ou encore « Laissez-le terminer ».

Première controverse : le caractère peu prestigieux des affectations

La première controverse sera beaucoup moins âpre que la seconde, qu’elle introduit. Pour
une habitante, amoureuse du site, de son jardin et de son esplanade, le schéma directeur
ne profite pas du « paysage fabuleux » qu’offre le site pour faire quelque chose de « presti-
gieux » qui tire parti de la scénographie naturelle du lieu. Référence est faite à Beaubourg.
Le directeur de l’hôtel Astoria, dont c’est la première intervention ce soir-là, renchérit sur le
manque de prestige du projet, son absence de dimension internationale : « Ce n’est rien ! »
déplore-t-il : le projet « manque de grandeur, de supplément d’âme… de souffle » ; il est
« froid, il est mort », il est « fonctionnel, rationnel ». Il lui manque « une grande ambition ».
Sans précision d’affectation, la même esquisse quelques points de décor : un escalier monu-
mental, des fontaines… Il permet ainsi à la deuxième controverse de s’exposer.

Deuxième controverse : l‘immeuble-tour, l’escalier monumental et l’urbanisme de dalle 15

C’est René Schoonbrodt qui mène ici la charge. Il déplore la présence d’un immeuble-tour
au nom de sa proximité avec un monument historique, de son caractère daté, dépassé et

144 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


anti-écologique — « Les Écolos sont d’accord avec ça ? » demandera-t-il à nouveau à Henri
Simons — alors qu’il y a d’autres lieux où construire du logement, le long du boulevard
Pacheco par exemple. Plus largement, c’est l’urbanisme que l’immeuble-tour symbolise qui
est daté et indigne d’intérêt. Pour son contempteur, cet urbanisme est une parenthèse, voire
une anormalité dans l’histoire de la ville. Il faut, dit-il, revenir au cheminement historique :
« On doit arriver à la colonne du Congrès ». Il faut donc refaire l’escalier, éviter les détour-
nements qui empêchent le cheminement naturel, et donc casser la dalle. Il faut aussi réhabiliter
l’escalier monumental pour recréer la trace historique laissée par le XIXe siècle entre les Bas-
Fonds et le haut de la ville. L’argument de l’insécurité est également évoqué : la concentration
du logement en un seul lieu empêche un contrôle social dispersé et efficace, à l’inverse
l’escalier monumental, en accroissant l’accessibilité du site, concourt à sa sécurisation. Cette
controverse s’appuie, enfin, sur la dénonciation de la méthode employée, plus exactement
sur son dévoiement. Pour les animateurs de la controverse, la proposition de l’immeuble-tour
n’a pas été abordée lors des ateliers de la Cité : « Des idées parfois importantes pour le site
surgissent d’on ne sait où. »

Une première réponse substantielle : la production de la patrimonialité

En réponse, Benoit Moritz et, dans une moindre mesure, Ariane Herman, font d’abord valoir
un « point de vue patrimonial » : « L’escalier XIXe, c’est fini, on ne fait plus ça… Il n’y a plus
de roi ni d’empereur.» Alors que, dans les esprits encore marqués par les luttes urbaines
des années 1970, l’urbanisme fonctionnaliste est la cause de la destruction importante du
tissu urbain bruxellois, on le défend ici au nom… de son caractère patrimonial. La recons-
titution de l’escalier monumental qui, pour rappel, fut détruit par les travaux de la jonction
Nord-Midi, et la destruction de la dalle, témoin essentiel de l’urbanisme moderniste qui produisit
la Cité administrative 16, mettraient en question la forme historique de la Cité et sa qualité
patrimoniale. Non seulement ce lieu a des « qualités d’espaces assez extraordinaires », est
« en bon état », mais encore il témoigne d’un urbanisme qui a sa place dans l’histoire de
l’urbanisme bruxellois et occidental : l’urbanisme de dalle. À ce moment — et peut-être pour
la première fois, du moins en public — Benoit Moritz évoque ainsi un des postulats ou prin-
cipes de base de la réflexion autour du schéma directeur : « mieux faire fonctionner cet
urbanisme de dalle », ce qui impose de maintenir celle-ci ainsi que l’esplanade. C’est aussi
pour cette raison, dira Benoit Moritz plus tard dans le débat, que les logements sont concen-
trés dans un immeuble-tour.

L ’histoire du projet au fil des débats publics 145


L’euphémisation des désaccords

Autre argument invoqué dans un registre plus technique pour tempérer l’impression, domi-
nante dans l’assemblée, que le schéma directeur ne résout pas les problèmes d’accessibilité
du site : la difficile figuration d’un projet aux prises avec des problèmes d’échelle. C’est par
exemple ce qui explique que les nouveaux escaliers prévus paraissent « petits », Benoit Moritz
y insiste. Reste que le schéma directeur est pour la première fois figuré : l’immeuble-tour et
l’absence d’escalier monumental se voient clairement. À plusieurs reprises, Benoit Moritz et
Ariane Herman vont mettre l’accent à la fois sur l’aspect non fini du projet et sur le fait que
la figuration prête à se focaliser sur des « détails », tel l’escalier monumental selon Ariane
Herman. Le directeur de l’hôtel Astoria lui rétorque qu’il ne s’agit justement pas d’un élément
de détail. On ne peut lui donner tort : l’existence ou non d’un escalier monumental suppose
le maintien ou non de l’urbanisme de dalle. Le caractère anecdotique de la question de
l’escalier est d’ailleurs contredit par les défenseurs du SD eux-mêmes, quand ils font de la
valorisation de l’urbanisme de dalle un postulat de départ.
Plus généralement, quant à la procédure cette fois, certains participants des ateliers regret-
tent l’absence de débats concernant l’immeuble-tour et l’escalier. À ce sujet, Benoit Moritz
reconnaît que tout ne se dit pas en atelier — il y a des propositions qui s’élaborent en
« chambre close ». D’autre part, Henri Simons avait bien soulevé la question de l’immeuble-
tour lors du second atelier. On ne peut dès lors dire qu’on n’en a pas parlé. La discussion
est donc terminée car elle a déjà eu lieu. Ariane Herman coupe le directeur de l’hôtel Astoria
lorsqu’il évoque l’escalier monumental : « Vous avez déjà soulevé cela. On ne va pas refaire
tous les débats qui ont déjà eu lieu… Des conclusions ont été présentées… À vous entendre,
j’ai l’impression qu’on n’a réfléchi à rien et qu’on recommence le débat…» Ou de l’impor-
tance de la question du temps de la participation habitante et de la précision de la procédure.

Le contre-projet des promoteurs ou le renversement des mondes

Alors que la seconde controverse fait rage mais s’épuise aussi dans un brouhaha généra-
lisé, un des promoteurs, faussement ingénu, s’étonne que le BRAL, « en tant que représentant
des comités de quartier auprès du comité d’accompagnement », ne fasse pas état d’un projet
alternatif : celui des promoteurs. Si le BRAL justifie son silence par sa mission qui est d’animer
la participation et non de soutenir les comités de quartier, l’accusation est lancée. Elle permet
aux promoteurs de prendre place dans le débat mais pas dans la controverse. Il ne leur

146 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


restera plus qu’à attendre l’appel lancé par le directeur de l’hôtel Astoria en fin de réunion 17 :
« Quand va-t-on voir le projet du promoteur ? »
Silencieux jusqu’alors, les promoteurs / propriétaires sortent du bois in extremis. Un archi-
tecte expose leur projet et invite les participants à voir la maquette. Plus de dalle mais un
grand escalier. Le projet alternatif ne fait pas l’objet d’objections publiques. On voit même
poindre une connivence qui peut a priori paraître surprenante entre l’un des promoteurs et
l’ancien président de l’ARAU ; une alliance confirmée par le communiqué de presse de l’ARAU
du 18 octobre. Paradoxale à première vue, elle réunit des ennemis naturels : une associa-
tion de lutte urbaine et un promoteur. Mais elle unit aussi des acteurs qui se côtoient de
longue date, en quelque sorte de vieux « ennemis » qui se connaissent bien. Des individus
qui se tutoient, et maîtrisent en quelque sorte les positions de l’adversaire, peuvent les anti-
ciper et y répondre (voir chapitre VI). Le brouhaha se généralise. Il est plus de 22 heures.

Finalisation, approbation et médiatisation :


après six mois de gestation, le « premier schéma directeur bruxellois » est né.

Le dernier comité d’accompagnement (15 septembre)

Le 15 septembre 2006, le comité d’accompagnement approuve avec réserve(s) le « rapport


de phase trois » à l’occasion de sa dernière réunion 18. Celle-ci se tient peu après la réunion
publique d’information du 4 septembre. Au comité d’accompagnement, le bureau d’études
dit avoir, dans le rapport final, « tenu compte des différentes remarques formulées par les
différents intervenants ». Elles auraient été « intégrées et ont parfois dû faire l’objet d’arbi-
trages par le cabinet du ministre-président ». Il en résulte des « modifications par rapport à
la version précédente » et les plans indicatifs ont été adaptés. Parmi les réactions et commen-
taires à l’exposé de Benoit Moritz, il y a celui de Marc Geens qui rappelle les divergences
entre le contenu du schéma directeur et la vision urbanistique des propriétaires et insiste sur
le fait que ces divergences ont fait l’objet d’un courrier envoyé au cabinet du ministre-prési-
dent. À l’issue de cette dernière réunion, le projet est toutefois approuvé par le comité. Il
n’empêche, RAC Investment, le propriétaire, émet des réserves sur les sujets suivants, dont
on comprend désormais l’importance : l’affectation du grand restaurant et des locaux de la
rue de Rivoli ; le maintien de l’esplanade ; la construction d’une tour de logement à front du
boulevard Pacheco.

L ’histoire du projet au fil des débats publics 147


L’approbation du gouvernement (28 septembre)
et la conférence de presse de Charles Picqué (17 octobre)

Le 28 septembre, le gouvernement bruxellois approuve en première lecture le projet de schéma


directeur. Dans la foulée, le ministre-président de la Région, Charles Picqué, donne une
conférence de presse le 17 octobre. Il y précise qu’il s’agit d’un « événement important »,
d’une « étape fondamentale de la politique de l’aménagement du territoire » définie pour
cette législature. C’est, en effet, l’enjeu (« territorial, urbanistique, économique ») que repré-
sente la reconversion de cette « rupture dans la ville » qui « nécessite qu’on ne se limite plus
à une intervention passive des autorités publiques mais à un véritable aménagement actif »
et qui rend impératif d’avoir une « vision globale des projets à mener, en fonction des besoins
du quartier ». C’est à cette fin que Charles Picqué aurait « décidé d’élaborer un schéma
directeur », « préalablement à l’adoption de normes réglementaires relatives à l’affectation
du sol ». Ce schéma directeur, précise-t-il, représente un « document d’orientation », qui « fixe
une perspective générale de développement en conciliant au mieux les objectifs et les attentes
des acteurs concernés » — d’où la fonction des esquisses et maquettes : donner une « idée
générale », et non « dessiner les contours définitifs ».
Du point de vue de la procédure, poursuit Charles Picqué, « il ne s’agissait surtout pas de
répéter les erreurs d’antan ». Associer dès le début « l’ensemble des acteurs », y compris les
habitants, était donc « fondamental ». C’est pourquoi le ministre-président aurait « confié au
BRAL, dès 2005, la mission de relais entre eux et le gouvernement bruxellois consistant à
transmettre les souhaits des habitants vers le gouvernement et de transmettre aux habitants
les informations du gouvernement ». C’est, d’autre part, l’association momentanée du bureau
MSA et des Ateliers Lion qui a été désignée par le gouvernement en janvier 2006 pour
réaliser ce schéma directeur « car son offre répondait le mieux aux attentes du gouverne-
ment ». C’est le postulat de base du bureau, « maintenir l’identité de la Cité en exploitant sa
différence morphologique », qui aurait convaincu. Il impliquait le « maintien de l’intégrité
physique et architecturale » de la Cité tout en « améliorant les liaisons entre la Cité et l’en-
semble de la Région », notamment par « l’intégration d’équipements au service de la collectivité ».
Mais au delà, ce qui a « aussi retenu l’attention » de Charles Picqué dans l’offre de MSA-
Lion, c’est le « souci permanent de concertation ». Concrètement donc, « pendant six mois,
tous les acteurs se sont mis autour de la table pour discuter des grandes options d’aména-
gement du site » et c’est dans ce cadre que quatre objectifs principaux, prioritaires pour le
développement de la zone levier, ont été mis en avant.

148 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


Charles Picqué présente et justifie brièvement ces objectifs eu égard à des considérations
à la fois urbanistiques et esthétiques (sur l’articulation spatiale et fonctionnelle, le panorama
de l’esplanade, l’architecture de dalle, les qualités de la Cité et l’identité collective), régle-
mentaires (en référence au PRAS et à la définition des ZIR) et principielles voire politiques
(sur l’accès au logement et les fonctions de l’espace public). Benoit Moritz le relaiera pour
expliciter plus longuement les grandes orientations choisies et les paramètres techniques.
Charles Picqué explique ensuite que, comme le prévoit le PRD, le schéma directeur a été
transmis à la Commission régionale de développement (CRD) 19 qui a un mois pour rendre
son avis, après quoi le gouvernement se prononcera définitivement et devra élaborer l’ar-
rêté enjoignant la Ville de Bruxelles d’adopter un PPAS sur le site de la Cité. Ensuite, c’est
la cellule « ZIR », « créée par Charles Picqué début 2006 », qui sera chargée du suivi des
opérations à mettre en œuvre sur la zone levier.
Enfin, Charles Picqué annonce qu’une journée consacrée à ce projet aura lieu bientôt,
en tant qu’il « illustre la méthode de travail du gouvernement basée sur le dialogue et la
concertation » et signe le début du réaménagement d’une zone inoccupée depuis longtemps,
« ce qui sera bénéfique avant tout à tous les Bruxellois ». D’où la volonté de « marquer le
coup » en organisant en décembre une « journée d’études tout entière dédiée à ce schéma
directeur » : animations aux halles Saint-Géry, publication d’une brochure, site internet. En
conclusion, la manière dont ce schéma directeur a été élaboré aurait « permis de forger une
vision commune des pouvoirs publics sur l’avenir de cette zone levier ». C’est donc une « vraie
réussite » et Charles Picqué souhaite ainsi remercier tous ceux qui y ont contribué : le bureau
d’études, la cellule ZIR, ses collègues du gouvernement ainsi que les bourgmestres et éche-
vins de la Ville de Bruxelles et de la commune de Saint-Josse-ten-Noode.

Les réactions dans la presse et le communiqué de l’ARAU (18 octobre)

Le 18 octobre, deux articles dans la presse francophone font écho à la conférence de presse
de la veille. Dans La Libre, l’article « La Cité administrative en mutation », illustré d’une photo
du site en l’état actuel, se contente de rapporter la conférence de presse. L’accent est mis
sur le contenu du schéma directeur. Il est néanmoins fait mention de son caractère non (encore)
contraignant et du budget approximatif du projet (25 millions d’euros). À deux reprises, le
journaliste souligne le caractère « concerté » du projet, réduit ici au souci de se « prémunir
de recours ultérieurs ». François Robert signe dans le quotidien Le Soir un article plus spéci-
fiquement intitulé « Habiter la Cité administrative » et aux accents quasi dithyrambiques. L’article

L ’histoire du projet au fil des débats publics 149


est quant à lui illustré par une reproduction en couleurs de l’image de synthèse représentant
la mise en souterrain de la petite ceinture et la liaison du Jardin avec le Pentagone. L’article
revient brièvement sur la vente hâtive à Breevast de cette « énorme coquille de béton creux »
et sur les échecs du précédent gouvernement et de son secrétaire d’État à l’urbanisme Willem
Draps. Par contraste, la « méthode douce », utilisée suite à l’arrivée du gouvernement Picqué,
se serait avérée « payante », puisqu’il n’a fallu que six mois pour réaliser ce schéma direc-
teur, décrit comme un « cadrage faisant l’objet d’un large consensus », qui « donne les affectations
générales à un site selon une méthodologie basée sur la concertation de tous les acteurs, y
compris les habitants ». Ainsi les « ennemis d’hier » se sont-ils retrouvés autour de la même
table, le « coup de génie » ayant été d’inclure le Jardin et le boulevard Botanique, ce qui
aurait rendu « facile de trouver des compromis pour le reste », soit les affectations de la CAÉ
qui ont si longtemps opposé la Ville et la Région.
Le même jour, l’ARAU produit une conférence de presse titrée « Cité administrative de
l’État : l’ARAU remet en cause certains aspects du schéma directeur ». Le ton est tout autre.
Dans un texte relativement long, l’ARAU entreprend une déconstruction systématique des
principales options retenues pour le site de la Cité administrative — en matière de liaisons
avec la ville, de répartition du logement et de parti pris esthétique. L’ARAU fait aussi état
d’autres options possibles, fondées sur les idées défendues par l’association dès 1972, et
consensuelles dans la mesure où elles ont été reprises par différentes instances et
programmes (de l’Agglomération bruxelloise en 1985 jusqu’au PCD de Bruxelles-Ville en
2005). Le texte met enfin en avant des convergences substantielles entre son point de vue,
celui des promoteurs et celui des habitants.
En substance, fondé sur un « bon diagnostic », le schéma directeur « Botanique » propose
des « mauvais remèdes », « motivés par une approche dogmatique », quand la vente du site
impliquait — l’ARAU le souligne fortement — que la mise en œuvre du schéma directeur et
l’élaboration du PPAS tiennent compte « de l’intérêt des nouveaux propriétaires », les pouvoirs
publics ayant là, comme sur le site de Tour et Taxis, perdu la maîtrise du foncier tout en
restant responsables du cadre d’aménagement. L’ARAU juge certes « très positives » certaines
propositions. Mais par ailleurs, la proposition d’introduire du logement sous forme d’immeubles
barres en « U » accolés à une tour lui paraît critiquable et la sauvegarde de plus de 2000
places de parking peu utilisées n’est « pas raisonnable » face à la nécessité de réduire la
capacité à circuler en ville pour réaliser les engagements environnementaux pris par la Région
et l’État sur le plan international. En conséquence, le projet, pour l’ARAU, « doit être revu et
corrigé sur au moins trois aspects ».

150 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


Le premier concerne « l’amélioration des liaisons ». Elle ne serait pas substantielle dans le
projet : les nouveaux escaliers prévus ne résorbent pas l’effet barrière. C’est d’ailleurs pour-
quoi les propriétaires ont présenté lors de la séance du 4 septembre une alternative : un
« vaste escalier », option qui « va dans le sens préconisé par l’ARAU », celle d’un lien visible
et direct. Le second aspect a trait à « l’introduction de la mixité fonctionnelle ». L’ARAU juge
que l’implantation des habitations n’est pas satisfaisante. Le « parti architectural » et les propo-
sitions du schéma directeur seraient tout simplement « anti-urbains » dans la mesure où ils
conçoivent le site comme fermé sur lui-même (disposition des immeubles et hauteur de la
dalle) et disposent des volumes générant des « espaces insécurisés, vides et impropres à la
vie urbaine en raison des nuisances qu’ils génèrent » (vent, ombre, bruit). Cette situation se
verrait renforcée par la tour de logements prévue. À cela s’ajoute le fait que les logements
seraient concentrés sur une partie du site, ce qui conserve la « logique fonctionnaliste ». Pour
l’ARAU, cela atteste bien que « les choix posés par les auteurs du projet […] découlent d’une
approche fonctionnaliste », s’apparentant à une véritable « profession de foi ». En troisième
lieu, l’ARAU insiste sur le fait que l’option de la quatrième façade sur le boulevard Pacheco
doit encore être étudiée. L’alternative du promoteur, qui propose la construction d’immeubles
de logements de part et d’autre de l’escalier monumental, avec à leur base des commerces
de proximité, aurait dû être prise au sérieux. D’autant que construire une nouvelle tour s’oppo-
serait « au principe consensuel inscrit au PCD ». Pour suivre, l’ARAU note que « le maintien
des principaux éléments constitutifs du site de la [Cité administrative] (murs hors gabarits, passages
peu visibles, endroits insécurisés) et leur renforcement par l’implantation d’une tour supplé-
mentaire ont provoqué de vives réactions d’opposition auprès des habitants », « d’autant que
les habitants avaient eu l’occasion de s’exprimer lors d’ateliers de préparation du schéma
directeur provisoire mais que les auteurs du projet n’en ont pas tenu compte ».
En conclusion, le schéma directeur ne rencontre pas les enjeux de la réhabilitation du site
(logements, liaisons) et renforce les nuisances liées à l’urbanisme de dalle avec l’implanta-
tion d’une tour. En bref, l’ARAU « soutient donc les principes d’aménagement dévoilés par
les propriétaires en y apportant quelques amendements ». Considérer l’architecture de dalle
comme un patrimoine lui paraît discutable, d’autant que son intégrité est déjà « anéantie »
par le rhabillage de la tour des finances. Et de terminer en y insistant : « L’ARAU estime qu’il
faut empiéter sur les parkings pour construire, d’un côté un grand escalier monumental, de
l’autre une quatrième façade sur le boulevard Pacheco. » Isabelle Pauthier, la directrice de
l’ARAU, relaiera la charge lors de la conférence de presse organisée deux mois plus tard
aux halles Saint-Géry.

L ’histoire du projet au fil des débats publics 151


Fig. 4. Le vernissage de l’exposition dédiée
au schéma directeur « Botanique », le
12 décembre 2006 aux halles Saint-Géry.
(Photo : Michel Hubert.)

Une journée consacrée au schéma directeur (12 décembre)

Le 12 décembre 2006 se tient donc aux halles Saint-Géry la journée consacrée au schéma
directeur « Botanique », dominée par une conférence de presse en matinée et le vernissage
de l’exposition en soirée. Projetée sans date précise lors de la conférence de presse de
Charles Picqué le 17 octobre, elle est officiellement annoncée sur le site créé le 30 novembre.
Le BRAL prend en charge l’organisation du vernissage de l’exposition et y invite les « habi-
tants », notamment dans le n° 3 de 1010 Bxl 20. Ainsi qu’il l’annonçait déjà dans sa première
conférence de presse, le ministre-président souhaitait « marquer le coup ». Et, en effet, il s’agit
littéralement d’une présentation au monde et aux médias, où seront à nouveau loués les
caractères novateurs du schéma directeur en matière d’efficacité et de concertation. De fait,
les prises de parole qui, sur l’estrade et dans la salle, marquent la conférence de presse font
ressortir les idées force du processus d’élaboration du schéma et du contenu du projet, mais
aussi les zones d’ombres de l’un et de l’autre, incertitudes tant procédurales — concernant
les questions de la participation et du consensus visés — que substantielles — certaines
options semblant demeurer indécises et le document final ne revêtant pas le caractère d’une
contrainte réglementaire.
Rassemblant un grand nombre d’acteurs concernés par le schéma directeur (à l’exception
donc des habitants, conviés par le BRAL au vernissage en soirée), d’acteurs politiques et
institutionnels régionaux, d’associations et d’experts, cette journée commence par un discours
dans les deux langues du ministre-président. Celui-ci se félicite de l’élaboration du premier

152 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


schéma directeur, en attendant la très prochaine « reproduction de la formule » pour les sites
de Tour et Taxis, de la gare de l’Ouest et de Delta. Il insiste sur la vision globale portée par
le projet, sur « la concertation et le dialogue à la base du dispositif », qui permettent de « faire
l’économie de concertations publiques et privées houleuses » : en bref, sur l’efficacité de cette
étape supplémentaire qui permet finalement de gagner du temps. Comme il l’avait fait le
17 octobre, il remercie tous les partenaires, en particulier le bureau d’études, la cellule ZIR,
le BRAL et ses collègues au gouvernement. Il cède ensuite la parole à Benoit Moritz, qu’il tutoie.
À son tour, Benoit Moritz présente les partenaires, l’esprit et les grandes lignes. Pour lui,
c’est de manière transversale que s’est dégagée une « vision commune » : même s’il existe
certaines discordances, le schéma directeur « Botanique » a misé sur la « concertation préa-
lable avec l’ensemble des acteurs publics et privés », partant d’une « analyse de l’échec du
PPAS pour Tour et Taxis ». Cette expérience aurait permis de mesurer que les enjeux étaient
tels qu’une équipe « technique », via l’instrument classique d’un comité d’accompagnement,
n’était « pas suffisante » et qu’il fallait une équipe « politique ». Il mentionne également les
ateliers de la Cité et l’ouverture aux habitants et à toute personne intéressée. Il rappelle que
cette concertation a été organisée par le BRAL, suite à la « volonté politique de faire le lien »
et a nourri la réflexion du bureau d’études et du comité d’accompagnement.
Dans l’exposé du projet, Benoit Moritz ménage une ouverture aux propositions des promo-
teurs — « l’option prise quant à la dimension identitaire architecturale et patrimoniale peut
être discutée encore » —, notamment à propos de l’escalier, mais après avoir défendu l’op-
tion retenue (« de petits escaliers »), il ponctue : « à un moment, la position doit être claire :
le schéma directeur émane de la vision des pouvoirs publics ». L’ambiguïté est également
patente sur les « limites » réglementaires qui s’imposent à un document « ouvert », sur la répar-
tition du logement, par exemple, même si « les idées absurdes n’ont pas été retenues ». Pour
finir, Benoit Moritz met l’accent sur la dimension participative mais aussi sur la difficulté liée
à la multiplicité des acteurs, avant d’évoquer le suivi de la procédure, axé, sous l’égide de
la cellule ZIR, sur « la concertation », « la qualité architecturale », « la participation et le déve-
loppement durable » — soit une thématique fort peu présente jusque-là. Benoit Moritz cède
ensuite la parole au président de la Commission régionale de développement.
Jean De Salle rappelle d’abord que cette commission se compose de 48 représentants du
monde social et économique et qu’elle a eu un mois pour remettre un avis sur le nouvel
instrument (voir note supra). Il note la nouveauté de cette méthode, et loue, lui aussi, la rapi-
dité de la procédure. Comme c’est son rôle, la CRD a émis des critiques « positives et négatives »
même si elle a approuvé le projet. En résumé, reprend De Salle, elle souligne d’abord le

L ’histoire du projet au fil des débats publics 153


problème du périmètre : la zone d’impact excède la zone « Botanique » ; il faut donc, comme
souvent, « réfléchir plus loin ». « Le plus difficile » concernerait l’aspect « opérationnel », le
schéma directeur n’ayant pas de valeur contraignante pour les investisseurs : comment dès
lors lier les pouvoirs publics et les promoteurs privés ? Jean De Salle conclut toutefois son
intervention sur l’optimisme de la CRD à l’égard de la suite.
Vient ensuite le temps des questions. Isabelle Pauthier, de l’ARAU, commence en notant
que l’association n’a pas été invitée au processus, et s’est donc invitée aux réunions publiques.
Sa première « question » a trait au conformisme architectural qui consiste à vouloir domes-
tiquer une architecture fonctionnaliste et de dalle. Isabelle Pauthier dénonce ensuite « l’échec
d’une option à courte vue qui ne peut permettre la colonisation par la ville ». Elle en vient
alors à l’augmentation des places de parking, en contradiction avec le PRD. Son quatrième
point porte sur la tour de logements projetée, quand la proposition de construire sur le boule-
vard Pacheco n’aurait pas même été discutée par Benoit Moritz (qu’elle tutoie). Enfin, elle
revient « sur la ville et les piétons » : la proposition de reconstruire un escalier est ancienne,
elle a été autrefois acceptée par la Ville et c’est aujourd’hui également la proposition des
promoteurs. L’ARAU défend aussi cette option, ainsi que la réduction de la dalle qu’elle
implique, dans la perspective d’une plus grande occupation du site. Après elle, Claude van
den Hove, secrétaire de la Commission régionale de la mobilité, prend la parole pour défendre
un projet « réaliste » mais appuie le président de la CRD quant à la nécessité d’une vision
plus « globale ». Un membre du cabinet Smet (Mobilité) pose une dernière question sur les
coûts entraînés en termes de mobilité et de qualité de vie. Il revient alors « naturellement » à
Benoit Moritz de répondre : « Decrescendo », dit-il, en commençant par la dernière, « après,
on s’attaquera à l’ARAU ».
Benoit Moritz confirme d’abord que le coût des aménagements des espaces publics aux
abords revient aux pouvoirs publics. Ensuite, il affirme que la zone levier comprend la place
Rogier, et fait lien avec le projet de réaménagement en cours. Vient ensuite sa réponse à
Isabelle Pauthier. Tout d’abord, assure Benoit Moritz, « la discussion était ouverte à tous »,
associations également, « y compris pour les ateliers de la Cité », et « City Mine(d) » y a
d’ailleurs participé. « Si vous n’avez pas été associés à la discussion, lance Benoit Moritz,
c’est parce que vous n’êtes pas venus. » Sur l’architecture fonctionnaliste et la dalle, Benoit
Moritz invoque la figure d’Yves Lion et son principe de « ne pas faire table rase de la table
rase ». Il évoque aussi le film d’Yves Cantraine, Histoire(s) d’une utopie à vendre, qui montre
l’effectivité de « l’appropriation » du site par ses usagers, ainsi que l’avis des habitants, qui
« jamais n’ont remis en question la qualité du site ». Quant à la proposition d’un « grand

154 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


escalier », il se borne à arguer que « son monumentalisme n’est plus de ce siècle ». À la ques-
tion portant sur le(s) logement(s), Benoit Moritz répond que des questions techniques ont fait
privilégier la mixité à l’échelle du site, non à celle du bâtiment. Il est enfin question du chemin
de fer et de la controverse quant aux possibilités de construire au-dessus de la jonction, ce
qui implique par ailleurs la destruction des jardins Pechère et la perte de la qualité de vue.
« Tout cela », rappelle Benoit Moritz, a d’ailleurs fait l’objet de discussions préalables (il y
insiste) avec les acteurs, lesquelles ont été synthétisées en vue de définir un projet néces-
sairement « cohérent », au-delà de volontés parfois divergentes.
Charles Picqué reprend la parole pour le mot de la fin, remerciant par leurs prénoms les
intervenants et estimant le temps pour les questions « suffisant ». Pour lui, le processus consul-
tatif préalable à l’élaboration du document doit vraiment être souligné. Il souhaite que dans
un an, d’autres expositions soient consacrées à différents schémas directeurs qui attestent
que « la ville se reconstruit ». « On peut rêver la ville — j’ai aussi des rêves », ajoute le ministre-
président, mais ici, « on a à la fois un plan réaliste mais pas résigné », notamment du point
de vue financier. Certes, « le dossier ne se referme pas et on peut encore discuter, notam-
ment avec les communes », mais « on ne va pas changer les grandes lignes dans quinze
jours ». En un mot, le ministre-président dit vouloir « éviter l’autosatisfaction » tout en louant
le travail extraordinaire réalisé en plus de « quatre-vingts réunions ».

Un optimisme un peu forcé ?

Pour finir, et toujours au chapitre des réactions à l’officialisation et à la publicisation du


schéma directeur « Botanique », on mentionnera encore une prise de position qui déborde
le strict cadre chronologique ici fixé (celui de l’élaboration du schéma proprement dite).
C’est, en effet, le 12 février 2007 que le collectif Disturb publie un communiqué intitulé « La
cité du XXIe siècle se construit aujourd’hui 21 ». Significativement enthousiaste, le communiqué
atteste bien la partition de l’associatif bruxellois. Plus de deux mois après l’approbation du
schéma directeur, un de ses acteurs ressort de l’ombre pour se « réjouir de l’évolution de la
procédure » en matière de politique de la ville. Selon Disturb, en effet, le schéma directeur
concernant le site de la Cité administrative représente un « exemple pour Bruxelles, et l’en-
semble de la Belgique francophone, bien en retard en matière de participation dans la
gestion urbaine ». Pour Disturb, « Bruxelles change » donc, comme l’indiquent les projets des
places Flagey et Rogier ou de la Cité Administrative « qui voient naître de nouvelles manières
de faire la ville ». L’on assisterait « enfin à une redéfinition des modes de production urbaine »,

L ’histoire du projet au fil des débats publics 155


où les « usagers sont consultés en amont du processus décisionnel » et les « acteurs clés » mis
dès le départ « autour d’une table pour en dessiner ensemble les contours généraux ». On
serait ainsi entrés dans une « logique où l’on part du local (un site avec ses usagers) pour
tirer des conclusions sur le global (inscription du site dans son contexte régional) ». C’est
bien selon Disturb cette « nouvelle logique » qui aurait été « appliquée dans la méthodologie
de projet pour le schéma directeur “Botanique” » pour lequel « pas moins de quatre-vingts
réunions rassemblant habitants, usagers, associations, administration, responsables politiques,
propriétaires, ont été organisées ». C’est par suite « sur base de ces discussions que le schéma
directeur actuellement proposé a pu prendre forme, avec des approbations successives des
responsables politiques et des propriétaires du site ». Il s’agirait donc du « fruit d’un consensus »,
puisque le « résultat final n’a provoqué de levées de bouclier ni de la part des habitants ni
des associations ayant participé au processus ».
Disturb souligne également la qualité intrinsèque du projet, qui préserve « la philosophie
de l’urbanisme fonctionnaliste de la Cité administrative, tout en l’adaptant afin de solutionner
les problèmes qu’elle avait engendrés ». Pour le collectif, « le parti de respecter l’urbanisme
du site n’est donc pas nostalgique ». Au contraire, le schéma directeur « évite de tomber
dans le dogme d’un retour vers des principes d’aménagements du XIXe siècle (monumenta-
lité, symétries, etc.) ». Car ce n’est pas la forme ou l’esthétique de la Cité le problème à
régler, la « principale erreur » étant d’y avoir implanté 100 % de bureaux : « Dès qu’on recycle
l’usage du lieu, ses potentialités sautent aux yeux. Des soirées, des expositions, des projec-
tions de film en plein air, des concerts sont organisés dans ces différents espaces. La dalle
telle qu’elle existe aujourd’hui — piétonne, avec le panorama sur Bruxelles, ses jardins publics —
est un espace public d’observation unique de la ville, à deux pas de la Grand-Place. » Disturb
se réjouit donc de l’évolution de la procédure en cours, elle indique qu’il est « possible d’at-
teindre une planification de qualité en incluant l’ensemble des usagers aux prises de décisions ».
Disturb espère dès lors que la Région bruxelloise persévère en allant « plus loin encore dans
le processus ». Par exemple « en organisant des “marchés de définition” qui permettront de
comparer les options possibles d’un site » ou « en confrontant, en toute transparence, plusieurs
bureaux d’études dans un concours ». « La ville de demain, conclut Distrub, se construit aujour-
d’hui, avec les outils, les références culturelles et les techniques d’aujourd’hui ». À cet égard,
ce schéma directeur « fait mentir le travers typiquement bruxellois où chaque génération
détruit ce que la génération précédente a produit ».

156 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


Quelques enseignements du dernier épisode d’un feuilleton néanmoins « à suivre »…

En résumé, l’on peut dire que la dernière étape apparaît tout à la fois comme celle de la
finalisation technique, de l’approbation officielle et de la médiatisation à destination d’un
public plus large. Ces derniers mois voient aussi revenir à l’avant-scène des acteurs un temps
plus discrets, tant du côté des politiques que des associations. Du côté des acteurs politiques,
le ministre-président Charles Picqué endosse, en effet, un rôle de premier plan dans la média-
tisation du schéma. Au point de repersonnaliser le projet à son profit et de s’en attribuer la
paternité ? On peut se le demander. Il lie en tout cas son initiative à la « politique d’amé-
nagement actif » définie par le gouvernement pour cette législature et impliquant
fondamentalement une « vision globale des projets à mener » d’une part et la nécessité d’asso-
cier dès le début l’ensemble des acteurs concernés d’autre part. Ce schéma directeur — celui
qu’il a « décidé d’élaborer » pour la zone levier « Botanique » — représente ainsi une « étape
fondamentale », et son achèvement un « événement important ». Y compris politiquement parlant.
Du côté de l’associatif régional, on notera bien sûr la montée au créneau de l’ARAU, dont
l’action jusque-là se situe plutôt en marge — ou aux marges — d’un processus d’élabora-
tion qui l’aurait exclu (selon Isabelle Pauthier) ou auquel il aurait délibérément choisi de ne
pas participer (selon Benoit Moritz). On notera, à l’opposé, la prise de parole du collectif
Disturb en février 2007. Son communiqué salue pour sa part la naissance du premier schéma
directeur avec un bel optimisme, louant tout ensemble une procédure participative innovante,
le consensus recueilli par le projet et défendant les options substantielles retenues par celui-
ci, notamment sur le plan strictement esthétique et architectural.
Cette phase ultime convoque également de « nouveaux acteurs », au sens où ils ne sont
pas partie prenante de l’élaboration proprement dite du schéma directeur. On songe ici aux
médias, mais aussi aux acteurs institutionnels, telle la Commission régionale de développe-
ment. Dans son avis daté du 26 octobre, celle-ci « apprécie » l’innovation portée par le processus
d’élaboration du premier schéma directeur — notamment et en premier lieu du point de vue
de la « démarche participative » mise en place « dès la conception » — même si elle souligne
la « nécessité d’informer au mieux et de consulter réellement tous les acteurs concernés ». De
même, si la CRD « soutient » et « approuve » les objectifs définis et, globalement, les options
d’intervention choisies, elle joue son rôle critique, avant tout au plan de l’opérationnalité du
schéma directeur et des rôles respectifs des acteurs.
La dernière étape relègue enfin au second plan des personnalités jusque-là fort exposées,
et dont le rôle reste néanmoins central. C’est ainsi qu’Ariane Herman semble passer le flam-

L ’histoire du projet au fil des débats publics 157


beau à « son ministre ». S’il apparaît de toute évidence comme le concepteur du schéma
directeur, Benoit Moritz semble d’autre part redevenir un pur « expert ». Quant aux chers
« habitants », s’ils sont plus que jamais invoqués dans les discours de toutes les parties en
présence — de l’ARAU comme de Benoit Moritz, de Charles Picqué comme de la CRD —
il semble qu’on les voit encore moins souvent que précédemment. Il est vrai que le temps de
la participation ou de la consultation est dans cette étape révolu et que la conférence de
presse du 12 décembre a lieu en matinée alors que le vernissage de l’exposition qui leur
est plus spécifiquement destiné est organisé quant à lui en soirée.
Pour conclure, on dira qu’au-delà de la finalisation, de l’approbation officielle et de la
publicité qui la marquent, cette fin de la première période de l’histoire du schéma directeur
« Botanique » est tout entière marquée par une incertitude relative à la phase ultérieure. Toutes
les propositions consacrées par le schéma seront-elles bel et bien retenues et mises en œuvre ?
Si l’on pense à la force légale éminemment limitée du « texte », à l’adhésion qu’il n’a de
toute évidence pas remportée auprès des promoteurs et aux incertitudes, ne serait-ce qu’en
matière de délais et d’agenda, qui demeurent quant au suivi politique et réglementaire, rien
n’est moins sûr à ce stade. La question du suivi, tant au niveau de la mise en œuvre du
schéma directeur qu’à celui des suites données au processus participatif amorcé, est d’ailleurs
celle que continue de poser le BRAL, soit un des acteurs de premier plan de ce processus.
Quitte à renouer avec sa fonction première de fédération de comités de quartier, l’asso-
ciation promet, en effet, de ne pas relâcher l’attention durant les prochaines étapes. Et l’on
peut, en effet, penser que celles-ci s’avéreront déterminantes pour le succès de ce schéma
directeur comme pour les autres schémas dits « de la première génération ».

158 F l or e nc e D el m ot te , Lu divine Damay, Christine Schaut et Philippe Huynen


1. Voir en particulier le chapitre II. au-dessus de laquelle il ne peut y avoir de surcharges
2. « On [le Bral] ne représente personne. On travaille par rapport à l’existant), le patrimoine, les programmes
avec ceux qui viennent travailler avec nous et on fait connus et obligatoires, les servitudes publiques de vue
rapport au politique. » et de passage, les panoramas, le gabarit routier ».
3. Ainsi le choix du lieu n’est-il pas anodin. Ni l’hôtel, 8. Un mail circule aussi avec le même contenu.
ni les Facultés universitaires Saint-Louis (où aura lieu le 9. Dans cette lettre d’invitation, le BRAL évoque aussi les
second atelier le 22 avril) ne font partie des lieux fami- ateliers régionaux « TracT », du 29 avril : « Cet atelier
liers des habitants des quartiers voisins de la CAÉ. est ouvert à tout Bruxellois intéressé. Nous regarderons
4. Cette synthèse s’appuie ici sur le PV réalisé par le la Cité administrative de l’État en rapport avec Tour et
BRAL, transmis au Groep Levier (voir le statut de ce groupe Taxis dans une perspective régionale. » Du point de vue
dans l’introduction), dont plusieurs membres ont assisté du BRAL, l’idée d’un atelier régional visait une montée
aux travaux de l’atelier. en généralité sur les enjeux régionaux du développe-
5. Pour un plan de situation des différents blocs, voir la ment parallèle de deux sites en pleine mutation. La volonté
Fig. 1 du premier chapitre. est ici plus nette d’associer d’autres Bruxellois que les
6. MSA-Ateliers Lion Architectes Urbanistes, Projet de riverains, dont les acteurs associatifs concernés par le
schéma directeur zone levier n° 6 « Botanique », septembre développement urbain, que le BRAL a tenté d’associer
2006, p. 5 (http://www.cae-rac.be). On sait peu de à la préparation de cette réunion. La perspective régio-
choses de cette table ronde, si ce n’est que c’est un dispo- nale n’a pourtant pas suscité de réel engouement. Une
sitif conçu par le bureau d’études pour éviter les retours quinzaine de personnes seulement sont, en effet,
en arrière. C’est aussi une manière de « doubler » le comité présentes à Tour et Taxis le 29 avril et les débats qui
d’accompagnement par des acteurs exclusivement poli- auront lieu rencontreront peu d’écho.
tiques (voir chapitre II). C’est ainsi une instance 10. La partie suivante se base essentiellement sur des
d’entérinement prenant place juste avant le comité d’ac- notes d’observation prises lors de cette réunion, sur une
compagnement, destinée à construire une vision commune retranscription intégrale de passages enregistrés lors de
entre les acteurs publiques et le bureau d’études. D’après l’atelier ainsi que sur le compte rendu rédigé par le BRAL.
certains entretiens, on sait, enfin, que c’est un lieu fina- 11. En plus des notes d’observations et de la retrans-
lement très convivial, réunissant des personnes qui sont cription intégrale de certains passages enregistrés, ce
devenues proches et partagent des points de vue simi- qui suit se fonde sur le compte rendu réalisé par le BRAL
laires sur le futur de la Cité administrative. et sur le compte rendu effectué à son intention par Ludivine
7. Voir les annexes au projet de schéma directeur, p. 8-11 Damay en vue de réaliser la synthèse envoyée par mail
(http://www.cae-rac.be/cae-rac-Annexes-Bijlagen.pdf). le 25 avril 2006.
Il a surtout été question de présenter la situation existante, 12. Compte tenu des sources disponibles, c’est à ce
de décrire les quartiers, les équipements publics aux alen- dernier sous-groupe qu’on s’intéressera ici de plus près.
tours, de rappeler le contexte historique de la Cité ainsi 13. À moins bien sûr que leur parole n’ait pas été actée
que ses caractéristiques principales. Par ailleurs, le bureau dans les PV des comités d’accompagnement précédents.
a également mis en avant les contraintes liées au lieu : 14. Cette proposition fait réagir un seul participant, René
« le relief, les propriétés foncières, les gestionnaires des Schoonbrodt, qui interpelle avec force l’échevin de l’urba-
différents sites, les projets en cours, les alignements, le nisme : «Simons, tu es d’accord avec cette tour?» Des habitants
sous-sol (en particulier la trémie de la jonction Nord-Midi le prient de se taire. Benoit Moritz reprend sa présentation.

L ’histoire du projet au fil des débats publics 159


15. Pour l’analyse de cette controverse, de ses acteurs est globalement positif, malgré quelques nuances quant
et de l’importance des images, voir le chapitre VI. à la procédure et quant au fond. C’est suite à la remise
16. Voir chapitre I. de cet avis que le gouvernement approuvera, le 30
17. Avant cela, Henri Simon, échevin de l’urbanisme à novembre, le schéma directeur « Botanique » en seconde
Bruxelles, prendra assez longuement la parole, en situant lecture.
son propos hors de la controverse, tel un arbitre des 20. Ce numéro de la lettre d’information consacrée à
débats : « Je n’ai ni à défendre, ni à ne pas défendre le la CAÉ, intitulé « Un schéma directeur a vu le jour », paraît
dossier qui est là. Il est à réfléchir… On est là pour écouter entretemps. Dans l’éditorial, le BRAL mentionne la prise
les avis… On est là pour voir… Je soulève seulement en compte par le bureau d’études des résultats des deux
des questions », commencera-t-il. Les siennes porteront réunions publiques et des deux ateliers de la Cité. Il indique
avant tout sur l’immeuble-tour, sur l’escalier et sur les affec- que la procédure « n’est pas encore à sa fin » : « plusieurs
tations. Sur ces points, dont il résume les enjeux, Henri choix importants doivent encore être faits » lors de l’éla-
Simons se dit prêt à « re-réfléchir » en fonction de ce qui boration du PPAS et le BRAL continuera donc son travail
s’est dit ce soir-là. Notons que ce n’est pas l’avis de Benoit d’organisation de la participation des riverains et
Moritz, qui affirme que « le point de vue du schéma direc- usagers. Dans un encart, le BRAL invite le lecteur à l’expo-
teur » est celui des autorités publiques. sition consacrée au schéma directeur « Botanique » qui
18. On trouvera le procès-verbal à l’adresse : se tiendra du 12 au 31 décembre aux halles Saint-Géry.
http://www.cae-rac.be/cae-rac-Annexes-Bijlagen.pdf, La publication donne ensuite à MSA-Lion l’occasion de
p. 24-27. Rappelons que ce site est créé peu après l’ap- présenter le schéma : ses quatre « options principales »,
probation du SD par le gouvernement régional le 30 « quelques chiffres », le « plan des principales interven-
novembre 2006. Il comprend, outre le schéma directeur tions » et deux « images d’avenir », « purement indicatives ».
« Botanique » (intitulé Projet de schéma directeur zone Le BRAL conclut en rappelant les prochaines étapes et
levier n° 6 « Botanique », daté du septembre 2006 et le prolongement de la concertation « dans toutes les phases
signé par MSA-Ateliers Lion Architectes Urbanistes) et une de développement des projets ».
brochure le résumant, des annexes reprenant : la « Liste 21. Voir www.disturb.be, où l’association se présente
des entretiens et rencontres », les « PV des comités d’accom- comme suit : « Le collectif Disturb promeut un débat autour
pagnement », une « Identification des paramètres de l’architecture et l’urbanisme à Bruxelles, afin de revoir
structurant », les « Ateliers de la Cité : comptes rendus du les procédures, réfléchir les nouvelles formes de partici-
BRAL », une « Note historique » signée Iwan Strauven, une pation, favoriser la qualité architecturale, et revaloriser
« Note “Programmation” », une « Note “mobilité” » et les le patrimoine d’après-guerre. » Les signataires du « commu-
« Variantes non retenues ». La page d’accueil est signée niqué », soit les membres composant le collectif, sont ici
du ministre-président et annonce un suivi, notamment sur Maurizio Cohen, Antoine Crahay, Laurence Creyf,
l’avenir des zones leviers, sur le même site. Nicolas Hemeleers, Christophe Mercier, Yves Rouyet,
19. La CRD a rendu son avis le 26 octobre, dans les Céline Sabath, Iwan Strauven et Vanessa Tanghe. On
délais impartis. Cet avis est consultable en ligne se souviendra, par exemple, qu’Iwan Strauven avait signé
(http://crd-goc.be/FR/FR_avis.php?cat_id=37). Comme l’historique de la Cité reproduit dans les annexes au projet
le BRAL l’affirmera également, l’avis de la Commission de schéma directeur sur le site Internet officiel.
Deuxième partie / Regards croisés sur l’action publique
urbaine, ses nouveaux outils, acteurs et enjeux
Chapitre V
Une expérience bruxelloise entre gouvernance et participation

Ludivine Damay et Florence Delmotte

Cette contribution propose une analyse croisée de certains des enjeux sociopolitiques révélés
par la mise en œuvre du dispositif « schéma directeur » pour la zone levier « Botanique » 1
et des questionnements théoriques qui peuvent être associés à ces enjeux. Il s’agit plus préci-
sément de jeter un pont entre les débats portant sur les nouveaux modes de gouvernance
et / ou le développement de la démocratie participative ou délibérative, d’un côté, et l’étude
empirique d’une action publique concrète qui emprunte à ces catégories, de l’autre. En effet,
les pratiques censément innovantes qui caractérisent le dispositif « schéma directeur » sont
souvent labellisées participatives et citoyennes. Ce texte entend notamment sonder dans quelle
mesure elles participent davantage d’un nouveau type de gouvernance urbaine sans réel-
lement contribuer à approfondir l’implication citoyenne et à élargir la démocratie en actes.

Le « premier schéma directeur bruxellois 2 » :


la participation ou comment ne pas répéter les erreurs du passé

Selon le plan régional de développement (PRD) de 2002, la reconversion réussie des quatorze
sites définis comme « zones leviers » constitue la première des priorités pour la Région de
Bruxelles-Capitale. Pour le PRD toujours, cette reconversion devrait passer par la mise en
œuvre d’un nouvel « outil de planification » : « le schéma directeur », dont un trait dominant
serait, dans chaque cas, d’être « élaboré en vue de concilier au mieux les objectifs et les
attentes des différents acteurs et de transcender d’éventuelles logiques concurrentielles 3 ».
Ainsi, outre l’efficacité économique que vise ce nouvel instrument de la politique bruxelloise
de la ville, les autorités entendent également par son biais ne pas « répéter les erreurs du
passé 4», et donc associer à la définition des grandes orientations du redéveloppement des
zones leviers les acteurs potentiellement concernés par la réaffectation de celles-ci et les
aménagements qu’elle implique, au sein et aux alentours des sites, en matière d’équipe-
ments collectifs, de services, de mobilité et de transport par exemple. L’instrument procédural
que représente le schéma directeur est alors censé honorer une double promesse : favoriser

162 L u d iv i ne D am ay e t Florence Delmotte


un développement urbain à la fois performant, en termes d’attractivité territoriale à l’échelle
régionale, et socialement concerté. À Bruxelles, en effet, le souvenir des « luttes urbaines »
déjà évoquées à plusieurs reprises est tout aussi vivace que celui des échecs des grands
projets immobiliers qui les ont en réalité déclenchées 5.
C’est ce contexte qui explique que le premier des schémas directeurs prévus au PRD de
2002 à avoir été mené jusqu’à son terme — au terme de son élaboration du moins —, celui
relatif au réaménagement de la zone levier « Botanique » et à la réaffectation de la Cité
administrative de l’État située en son cœur, fut dès l’origine conçu comme une méthodo-
logie, une procédure — ou encore un « processus » — et non comme un plan 6. Ce contexte
éclaire aussi le fait que le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale ait confié la
réalisation de la procédure à un bureau d’études (MSA) qui adhérait pleinement à cette
conception, en vertu de son expérience acquise dans le domaine de la participation, à
travers notamment la réalisation de plusieurs « contrats de quartier » 7, et de la vision de la
ville et du « faire la ville » qu’il défendait avec son associé temporaire Yves Lion.
Dans l’esprit des concepteurs du projet, il est ainsi prévu d’emblée que la procédure d’éla-
boration du schéma directeur — qui, fort classiquement eu égard à ce que représente usuellement
un « schéma », vise à la définition des grandes orientations urbanistiques et fonctionnelles
du réaménagement de la zone — comporte une série d’étapes, ou de « phases ». L’ensemble
du processus est ainsi ponctué par des réunions ouvertes à tous (ou « assemblées générales »)
et des ateliers (les « ateliers de la Cité »), et jalonné par des réunions en comités plus restreints :
les « tables rondes tripartites » réunissant la Région, les communes et le bureau d’études, et
les réunions du « comité d’accompagnement » composé des autorités régionales et commu-
nales, du bureau d’études, du propriétaire du site et de l’associatif mandaté pour jouer le
rôle de relais. Ces réunions non publiques sont censées intégrer les résultats des premières,
c’est-à-dire, suppose-t-on, les suggestions, remarques et critiques émergeant des événements
organisés dans le cadre du volet public de la procédure : en un mot, les « idées » qui en
résultent, comme le résume évasivement la version finale du schéma directeur (c’est-à-dire
le rapport final approuvé par le gouvernement bruxellois le 30 novembre 2006 8). Soulignons
par ailleurs que, d’entrée de jeu, on trouve dans ce document final la présentation de ce
que ses auteurs appellent « un processus de projet lié à un dispositif innovant 9 », lequel expli-
cite comment a fonctionné le dispositif et reprend les quatre grandes « phases » d’élaboration
et, pour chacune, le chronogramme des réunions de même que leurs « acteurs ».
Pour le bureau d’études en charge, il s’agissait bien d’associer dès le début de la procé-
dure d’élaboration du projet toutes les parties potentiellement concernées par celui-ci. Sont

Une expéri ence bruxelloise entre gouvernance et participation 163


évidemment mentionnés la Région de Bruxelles-Capitale, commanditaire du projet, les asso-
ciés privés devenus propriétaires des bâtiments de la Cité administrative et des terrains (la
société RAC Investment), les deux communes (Bruxelles-Ville et Saint-Josse-Ten-Noode) sur
lesquelles s’étendent la zone et les entreprises fédérale et régionales gérant les transports
publics qui la desservent, en particulier la SNCB Holding. Mais encore est-il précisé : « D’autres
types d’acteurs non institutionnels interviennent également dans ce processus qui ne saurait
se limiter à une discussion entre administrations, pouvoirs politiques et propriétaires du site 10. »
Il s’agit donc aussi « des habitants et usagers fréquentant les quartiers aux abords », de même
que « le secteur associatif qui par le passé a été particulièrement mobilisé et actif par rapport
au devenir du site de la Cité 11 ».
Dans le rapport final, on retrouve donc explicitement une définition maximale des « acteurs ».
Certes, cette définition est allusive et se contente d’évoquer les habitants et associations
comme constituant ensemble les acteurs « non institutionnels » qui sont / seraient intervenus
dans le « processus ». En outre, de ce processus, on ne sait trop, au vu de certains détails,
s’il est, dans le rapport final, décrit et synthétisé sous l’angle de ses caractéristiques idéales
ou tel qu’il s’est réellement déroulé. La référence aux usagers, par exemple, renvoie à certains
points d’une discussion précoce — est-il nécessaire, souhaitable et / ou possible de les impli-
quer ou non ? — ainsi qu’à la clarification opérée par le BRAL (mandaté par la Région pour
organiser la concertation et jouer le rôle de relais auprès des habitants) autour de la première
assemblée générale en ce qui concerne la définition plus précise des publics appelés à parti-
ciper. Suite à cette clarification, il ne sera plus guère question de la participation des « usagers »,
à l’exception de cette mention dans le rapport final. Ce « détail » trahit en quelque sorte la
difficulté à concrétiser une perspective à très large visée inclusive. Néanmoins, on retrouve
bien celle-ci dans les discours tenus a priori et également a posteriori pour certains. L’on
songe encore ici aux déclarations du ministre-président et, dans une moindre mesure, à
celles du concepteur, concernant aussi bien le dispositif en tant que tel que son premier cas
d’application jusqu’à l’aboutissement. Au moins dans le chef des commanditaires politiques
régionaux et, surtout, des experts concepteurs du schéma directeur « Botanique », les discours
mettent presque toujours l’accent sur l’ouverture caractéristique du projet de redéveloppe-
ment de la zone en amont de sa définition et, plus globalement, sur l’ouverture de son outil
propre : quant à la définition des parties concernées, d’une part, quant au choix des possibles
en ce qui concerne la substance du projet, d’autre part.
Ainsi, on le voit, au-delà même des termes employés, la participation à laquelle il est
souvent fait référence de manière plus ou moins explicite dans les textes et les déclarations

164 L u d iv i ne D am ay e t Florence Delmotte


semble sous-tendue par une acception de cette notion floue pour le moins « proactive » —
en ce qui concerne la mobilisation d’acteurs et de publics divers, le souci de les réunir, de
les impliquer, de les consulter, de les informer, et le fait même d’avoir fait appel, à ces fins,
au BRAL et à ses trente années d’expériences est à cet égard parlant. Les mêmes (le poli-
tique et l’expert) semblent en outre user de la notion de participation en un sens assez
« maximaliste » — par exemple en défendant l’idée que le schéma directeur, dans son essence
même, pourrait, voire devrait, s’apparenter à un processus de co-décision ou de co-produc-
tion. Plus précisément, c’est en ces termes que le principal maître d’œuvre du schéma
« Botanique » résumait encore sa propre philosophie peu après la validation du projet par
les autorités régionales compétentes, tout en reconnaissant qu’on n’atteint pas un tel objectif
au premier essai. Autrement dit, si le schéma directeur ouvre une nouvelle ère dans la défini-
tion des projets urbains à grande échelle 12, le schéma directeur « Botanique » est une première.
À l’instar de ce qui s’est passé avec les « contrats de quartier » bruxellois (dispositif créé en
1993, quatre ans après la création de la Région bruxelloise), l’on ne peut juger du poten-
tiel « participatif » du dispositif à l’aune de sa première mise en œuvre seulement. Toutefois,
ses chevilles ouvrières et principaux défenseurs, au premier rang desquels le ministre-prési-
dent de la RBC toujours, considéreront que c’est bel et bien le volet ou le caractère « participatif »
du dispositif qui, avec le respect des délais initialement prévus pour l’élaboration du schéma
directeur « Botanique », méritent d’être loués et justifient de voir l’expérience reconduite.
Même si la « participation » n’est assurément pas — en tout cas pas seulement ou pas
d’abord — affaire de discours ou de rhétorique, on notera déjà qu’en dépit de ses multiples
occurrences par la voix du politique, de l’urbaniste et de l’associatif à différentes étapes de
la procédure, la définition de la notion ne se voit pas éclaircie mais encore davantage
brouillée par l’usage concurrent d’expressions qui ne sont guère plus explicites. « L’avis de
marché » émis par la Région de Bruxelles-Capitale évoque ainsi la « consultation de la popu-
lation » comme faisant partie des missions du bureau d’études 13. Dans le « cahier spécial
des charges », c’est le rôle de l’acteur associatif mandaté par la Région qui se voit, sinon
précisé, évoqué en des termes proches mais aussi flous puisqu’il s’agit, pour le BRAL, de
« faciliter la concertation entre les habitants et le gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale » ; d’organiser « la consultation des représentants des différents acteurs », ou « de la
population », ou encore la consultation « réalisée sous forme d’entretiens approfondis avec les
acteurs stratégiques, de réunions de travail en comités restreints dans le cadre du comité d’accom-
pagnement et de communications plus larges (assemblées générales ou tout public) 14 ». Par
hypothèse, on peut penser que cette relative imprécision conceptuelle répond tout simplement

Une expéri ence bruxelloise entre gouvernance et participation 165


à une profonde indécision politique quant aux attendus, aux moyens et à l’objet de ladite
« participation » dans le cadre des schémas directeurs naissants.
Patentes dans les discours, cette indécision et cette imprécision se trouvent en quelque
sorte confirmées dans les faits au cours de l’année 2006, c’est-à-dire dans la mise en actes
du dispositif suivant les initiatives conjointes des responsables régionaux et de l’acteur asso-
ciatif mandaté par ceux-ci d’après le plan ou la « méthode » projetée par MSA-Lion. Mais
avant de revenir dans le détail sur l’analyse de certains épisodes de la procédure concrète
qui nous ont semblé particulièrement évocateurs, un rapide retour sur les enjeux théoriques
généraux que rencontre la première expérimentation bruxelloise du « schéma directeur » appa-
raît nécessaire. Celle-ci, en effet, fait signe vers des questions qui n’ont rien de radicalement
original quand on considère les expériences qui nourrissent la littérature déjà considérable
produite sur les nouvelles manières de penser la démocratie et de la réaliser au niveau local.
L’expérience bruxelloise du schéma directeur entre plus précisément en résonance avec les
études dédiées aux politiques publiques urbaines de revitalisation des quartiers dévalorisés
ou « sensibles » ou de réaménagement des friches urbaines. Ici comme ailleurs, « qui parti-
cipe ? », « comment ? » et encore « pourquoi ? ». S’agit-il seulement pour les « participants »,
les « citoyens », le « public », de se prononcer « pour » ou « contre » un projet au moins pour
partie prédéfini, ou encore de répondre « oui » ou « non », comme dans la démocratie réfé-
rendaire, à une question précise, ou à un ensemble de questions précises ? Ou s’agit-il davantage
d’un processus à visée moins réactive, où la discussion, sinon la délibération, trouve sa
place dans l’élaboration, la définition même du projet ? Comme nous entendons justement
jeter un pont entre les questionnements théoriques qui se dégagent de ces analyses et l’étude
du cas qui, pour partie, a motivé les observations et les interprétations proposées dans ce
volume, il importe maintenant d’évoquer, fût-ce succinctement, quels questionnements d’ordre
plus général peuvent faire le lien entre les deux, donner aux expressions employées un contenu
plus précis, ou du moins circonscrire un tant soit peu les zones d’ombres laissées par leurs
usages concrets.

Participation, délibération, gouvernance : des éléments théoriques en tension

On vient de le suggérer : les expérimentations de dispositifs à caractère innovant qui tendent


à faire participer le citoyen sont foisonnantes, a fortiori dans le domaine des politiques
publiques urbaines. Bien qu’elles s’inscrivent pour partie dans le temps long — les procé-
dures d’enquêtes publiques, par exemple, existent en droit belge depuis le XIXe siècle 15 —,

166 L u d iv i ne D am ay e t Florence Delmotte


les formes qu’elles adoptent aujourd’hui sont multiples : on parle ici de « schéma directeur »,
là de « forum citoyen », d’« atelier d’urbanisme », de « budget participatif », de « contrat de
quartier », etc. Ces procédures plus ou moins neuves ou réactivées ont notamment pour point
commun de s’affranchir d’un certain formalisme juridique. Toutes s’accompagnent aussi d’un
vocabulaire très en vogue qui fait la part belle aux notions de « participation », de « consul-
tation », de « concertation », de « délibération » ou encore de « gouvernance urbaine ». Elles
s’adressent aux « habitants », aux « citoyens », aux « usagers », aux « acteurs clés » ou plus
simplement au « public ». Elles entendent « consulter », « informer », « écouter » ou encore
« s’ouvrir aux citoyens ».
Véritable incantation, aussi floue que puissante, la « participation » est généralement appelée
à redonner de la légitimité aux décisions politiques, voire plus directement aux acteurs et
institutions politiques elles-mêmes. Cela étant, elle sert aussi d’autres objectifs allant de la
modernisation administrative à la création ou à la revitalisation du lien social, en passant
par la prise de meilleures décisions, plus efficaces et opérationnelles. Ce flou conceptuel et
cette diversité des pratiques provoquent sans doute l’étonnement et le scepticisme. Nombre
de travaux insistent d’ailleurs sur l’aspect « gadget » — au mieux — ou « manipulateur » —
au pire — de ces pratiques 16. Pourtant, si le flou de ces concepts « fourre-tout » nourrit le
soupçon que l’on a affaire à une nouvelle illusion ou à des simulacres de démocratie quand
les politiques les invoquent, le même flou explique également une part du succès de ce
discours. Les mots d’ordre de ladite participation peuvent d’ailleurs trouver leur place aussi
bien dans la rhétorique de la Banque mondiale que dans celle des mouvements altermon-
dialistes… Comment, dès lors, une analyse de ces discours et de ces pratiques qui soit au
moins heuristiquement utile est-elle possible ?
Une première approche explorée dans certains travaux empiriques consiste à déterminer
le « degré de participation » des citoyens, souhaité ou atteint, dans le cadre d’une procé-
dure ou d’un dispositif du type de ceux évoqués plus haut 17. L’échelle de Sherry Arnstein 18
met ainsi en évidence l’importance de l’écart entre les degrés potentiels d’implication des
citoyens et distingue le plus finement possible entre une participation qui, manipulatoire,
n’en a en définitive que l’apparence, et une participation forte, allant jusqu’à des formes
d’autogestion. Comme le notent Donzelot et Epstein, si cette grille a recueilli un succès qui
la classe encore aujourd’hui parmi les analyses incontournables du genre, c’est « parce qu’à
propos d’un concept au contenu aussi étendu que vague, elle fournissait un principe très
clair de hiérarchisation des pratiques […] associées à ce terme et autorisait à dire ce qui
méritait ce nom et ce qui ne le méritait pas 19 ». Cela dit, cette typologie, si elle a le mérite

Une expéri ence bruxelloise entre gouvernance et participation 167


de clarifier le degré d’implication des citoyens et peut constituer une base d’évaluation des
procédures « participatives », ne prend pas en compte d’autres dimensions comme le degré
d’ouverture du jeu à certains acteurs (et pas à d’autres), la qualification de ceux-ci ou encore
la qualité de la procédure en elle-même. Or ces autres aspects, qui peuvent être passés sous
silence par une grille dont les origines anglo-saxonnes expliquent (en partie) le positionne-
ment et les accents sensiblement pragmatiques et communautaristes, méritent tout aussi bien
d’être questionnés.
La perspective choisie ici sera donc de présenter des conceptualisations différentes, qui
sont heuristiquement fécondes pour comprendre la réalité mais qui sont souvent écrasées
par le flou sémantique inhérent à la plupart des politiques concrètes. Grâce à ces concep-
tualisations, l’on remarque tout d’abord que, derrière le consensuel appel à la participation
qui marque nombre d’expérimentations récentes, se profile une absence de réflexion sur le
participant lui-même et sur les sélections qui s’opèrent pour désigner « le participant légi-
time ». La théorie permet ainsi de rappeler qu’il est nécessaire d’interroger ces catégories
sur lesquelles se fondera l’organisation de la procédure participative. S’agit-il d’un public
ouvert, constitué via un large appel sur une base volontaire ? S’agit-il plus précisément d’un
public « purifié 20 », c’est-à-dire détaché de ses attaches associatives, politiques ou commu-
nautaires, capable de s’investir sur un temps relativement long et désireux d’apprendre, de
se donner les moyens de tous ordres nécessaires à son implication effective ? S’agit-il encore
d’un public directement affecté par la question à traiter et dès lors perçu comme « expert »
d’un quotidien ? S’agit-il d’un public de « shareholders » (les actionnaires, littéralement, possé-
dant des droits de propriété) ou de « stakeholders » (les parties prenantes, concernés par tel
ou tel type d’enjeux) ? Enfin, s’agit-il d’un public constitué d’individus ou se construit-il sur la
base de collectifs déjà institués défendant une perspective particulière dans la manière d’aborder
les problèmes et dans le type de solutions qu’il faut leur apporter ?
Si, par ailleurs, la notion de participation renvoie le plus souvent à la théorie de la « démo-
cratie participative » 21 qui valorise la participation comme fin en soi, comme valeur essentielle
de la « vie bonne » pour tous 22, l’absence de réflexion sur le participant observée de manière
récurrente dans la pratique renvoie de manière générale à une autre question. Cette rhéto-
rique de la présence de « tous », cette vision d’une présence bonne et suffisante en soi, s’avère,
en effet, tout aussi aveugle ou peu inquiète des objectifs concrets et de l’opérationnalisation
de la démarche. Autrement dit, elle ne répond pas, le plus souvent, aux questions « la parti-
cipation pour faire quoi ? » et « comment ? ». Sur ces points, la nécessité d’impliquer différents
acteurs et de les faire dialoguer afin de prendre de meilleures décisions peut néanmoins

168 L u d iv i ne D am ay e t Florence Delmotte


faire également partie de ces nouvelles incantations de l’action publique au point qu’on a
pu évoquer l’idée d’un « impératif délibératif 23 ».
Pourtant — et une telle distinction théorique semble tout aussi intéressante du point de vue
heuristique —, la participation n’est pas la délibération. Si l’on « passe souvent insensible-
ment de l’une à l’autre notion, la démocratie délibérative étant souvent perçue comme une
sorte de variante contemporaine de la démocratie participative 24 », d’un point de vue analy-
tique, il importe de clarifier le débat. La participation renvoie alors à un idéal démocratique
pour lequel l’ensemble des citoyens non investis d’un mandat électif devraient être impliqués
directement dans la gestion des affaires publiques au-delà des périodes d’élections. La déli-
bération, quant à elle, concerne davantage la méthode utilisée afin de garantir de meilleures
décisions. Plus précisément, « la notion d’une démocratie délibérative est ancrée dans l’idéal
intuitif d’une association démocratique dans laquelle la justification des termes et des condi-
tions de l’association s’effectue au moyen de l’argumentation publique et de l’échange rationnel
entre citoyens égaux 25 ». Si ces deux notions, de participation et de délibération, ne s’ex-
cluent pas — en tout cas pas dans toutes les traditions philosophiques 26 —, elles sont irréductibles
l’une à l’autre. Nous y reviendrons.
Reste encore à évoquer une dernière notion clé : celle de « gouvernance », encore plus
englobante car au moins autant utilisée au plan des relations et de la vie politique interna-
tionales qu’aux plans national et local, et tout aussi instrumentalisée par les acteurs et les
observateurs que les notions de participation et de délibération 27. Au-delà de la dimension
floue qui l’apparente à la fois à un slogan et à un nouveau « mot du pouvoir » décrié 28, cette
notion de gouvernance peut donner d’autres clés de compréhension du phénomène « parti-
cipatif ». La notion de gouvernance possède elle aussi différents plans ou champs
d’application qui peuvent d’ailleurs être mobilisés simultanément. Elle appuie tantôt des visées
descriptives (la « gouvernance urbaine » qui décrit les transformations des modes d’action
publique locale, par exemple), tantôt prescriptives (il s’agit alors de définir les normes de
la « bonne gouvernance » qu’il convient d’adopter à tel ou tel niveau de pouvoir) ou encore
analytiques. En ce cas, elle entend fournir un cadre conceptuel permettant de comprendre,
d’interpréter, de déchiffrer une réalité nouvelle. Bien entendu, elle fait également partie de
ces notions « fourre-tout » en vogue et mises au service d’objectifs, de discours et de pratiques
idéologiquement opposés. Si on l’utilise sur un plan analytique, elle peut pourtant se révéler
pertinente et, pour notre propos, contribuer à dévoiler, comme en creux, une dimension
problématique des phénomènes observés : celle de la relative absence de considérations appro-
fondies sur la démocratie 29. Les approches en termes de gouvernance, en effet, insistent

Une expéri ence bruxelloise entre gouvernance et participation 169


plutôt sur d’autres dimensions, telles que la multiplication des acteurs ou des parties prenantes,
l’essor des partenariats entre institutions ou acteurs publics et acteurs, sociétés ou « parte-
naires » privés, la complexification de l’action politique et en particulier de la prise de décision,
les problèmes de coordination qui en découlent, les questions liées à l’imputation des déci-
sions et donc les enjeux en termes de responsabilités, l’élargissement et la complexification
des phénomènes d’interdépendance, etc. En bref, ces approches s’intéressent finalement très
peu aux questions de l’ouverture du jeu de la décision aux citoyens et aux associations, soit
à la question de la transparence et du contrôle civique.
Pour résumer, on peut considérer que ces trois notions, de « participation », de « délibé-
ration » et de « gouvernance », partagent des ancrages analytiques communs. Il y va notamment
de la perspective qu’elles dessinent, de manière parfois imprécise il est vrai, quant à la défi-
nition plus ouverte et plus large des acteurs engagés dans l’action publique. Ces nouvelles
« théories » récusent ainsi la primauté absolue du rôle de l’État et de ses organes centraux :
les institutions de la démocratie représentative et de l’administration ou de la bureaucratie
moderne. De manière générale, une sorte d’« idéologie de la gouvernance démocratique,
aujourd’hui largement répandue dans les milieux universitaires et dirigeants, intègre, en effet,
les principaux attendus des philosophies de la démocratie délibérative : valorisation du débat
et de la négociation, inclusion d’une pluralité d’acteurs, attention aux procédures, recherche
du consensus. Contre un modèle de décision centralisé, dans lequel l’autorité politico-admi-
nistrative continuerait à revendiquer le monopole de l’intérêt général… 30 ». Les notions
susnommées et les approches qui s’en dégagent recèlent néanmoins des divergences majeures
qu’il s’agit d’exploiter. En grossissant le trait et en lissant les différents courants à l’intérieur
de ces trois « paradigmes », l’on peut alors repérer deux points de fracture majeurs. D’abord,
sur les questions procédurales, si la participation peut très bien se contenter d’une « présence »,
la délibération s’inscrit plutôt dans une logique dialogique de production d’une décision
commune. Celle-ci suppose une argumentation rationnelle, voire raisonnable, qui n’exclut
pas l’existence de certains « rapports de force », ne fût-ce qu’au niveau de la maîtrise et des
« arguments » et des techniques d’argumentation elles-mêmes, mais qui exclut par contre
l’usage de l’intimidation, etc. La gouvernance, quant à elle, ne suppose pas réellement l’exis-
tence d’une délibération — du moins, elle ne la pense pas — et si la coordination est importante,
les approches centrées sur la gouvernance « ne distinguent pas entre la délibération et le
marchandage et ne s’intéressent pas au fait que ces deux dynamiques pourraient générer
des rationalités divergentes 31 ». Par ailleurs, la question de la transparence de la procédure
et du caractère public des interactions importe aussi dans la logique de la délibération.

170 L u d iv i ne D am ay e t Florence Delmotte


Quant au second type de questions, portant sur les acteurs, les analyses en termes de gouver-
nance mettent avant tout l’accent sur le partenariat avec ceux qui ressortissent au privé (et
au marchand surtout), et de même sur les réseaux d’action publique qui mixent des acteurs
privés et publics de différents niveaux de pouvoir. En d’autres termes, les citoyens et les asso-
ciations sont le parent pauvre de ces analyses. C’est exactement l’inverse en ce qui concerne
le modèle centré sur la notion de participation, qui valorise au plus haut point l’implication
des citoyens « ordinaires ». Enfin, pour les analyses en termes de délibération, on pourrait
dire que la question des acteurs n’apparaît pas toujours centrale. Certains auteurs admet-
tent par exemple que la délibération donnant lieu à des décisions soit restreinte aux seuls
représentants des citoyens 32, quand d’autres valorisent la participation directe de tous.
Aussi schématique, la présentation des grands types d’approches jugées pertinentes pour
notre propos ne permet évidemment pas de refléter la réalité des pratiques, en particulier
celles décrites plus haut en ce qui concerne le processus d’élaboration du projet de ville
dont il est question. Ces modèles aident toutefois à penser… les impensés de celui-ci, juste-
ment parce que, en isolant des « concepts » ou des « idées », voire des idéaux devant guider
les « bonnes pratiques » ou du moins les orienter, elles révèlent comme en négatif le carac-
tère hybride, contrasté, ambivalent des nouveaux modes d’action publique. Dans ce qui suit,
nous n’avons nulle prétention de formuler un verdict sur les procédures publiques observées
relatives au schéma directeur « Botanique », et ce d’autant moins que, comme nous l’avons
précisé, les théories sont, elles aussi, hybrides et tâtonnantes, à mi-chemin souvent entre la
visée analytique et la visée prescriptive et comportant nombre d’éléments communs, y compris
en leurs zones d’ombre. Le parti pris ici consiste bien plutôt à isoler quelques épisodes, dont
certains semblent anecdotiques, à la fois pour les rattacher aux questionnements mis en
évidence par les analyses théoriques et, à partir de ceux-ci, mettre en exergue les hésita-
tions inhérentes à la première mise en œuvre d’un nouvel outil.

Retour au cas « Botanique » : de quelques anecdotes éloquentes

Des scènes et des moments disjoints

Le 12 décembre 2006, une journée de « lancement » du schéma directeur « Botanique » est


organisée, à l’initiative du ministre-président de la Région bruxelloise, Charles Picqué, aux
halles Saint-Géry, dans le centre de Bruxelles. En matinée, les experts, les institutions et les
associations — en bref : les professionnels concernés par les projets urbains, et par celui-ci

Une expéri ence bruxelloise entre gouvernance et participation 171


en particulier — sont conviés par le politique à une conférence de presse. Celle-ci est bien
sûr ouverte à tous mais les « habitants » sont plus particulièrement invités au « drink » du
vernissage de l’exposition qui a lieu en fin d’après-midi le même jour au même endroit et
qui a été organisé à leur intention par le BRAL, soucieux du fait que les citoyens ordinaires
ne peuvent pas nécessairement se libérer de leurs occupations en journée.
L’existence de deux « moments » distincts à l’occasion d’un seul et même événement est
évidemment anecdotique. Et il n’est nulle raison de penser qu’elle révèle une « intention » ou
une « stratégie » particulière, contraire à « l’esprit » qui voudrait animer le nouveau dispo-
sitif : mettre, fût-ce de manière purement formelle, tous les acteurs ou parties concernées
autour d’une même table. Toutefois, l’anecdote illustre bien une certaine dualité des scènes,
entre lesquelles les acteurs peinent parfois à se rencontrer. Il y a bien, d’un côté, des espaces
ou des moments publics, plus ou moins largement ouverts — selon qu’il s’agisse des ateliers
participatifs ou des réunions d’information — et, de l’autre, des espaces et des moments où
un nombre restreint d’acteurs de premier plan négocient et décident.
La procédure elle-même, on l’a dit, prévoit des « tables rondes tripartites », réunissant les
autorités publiques concernées (Région et Communes) et des réunions du « comité d’ac-
compagnement », réunissant le bureau d’études, les autorités régionales et communales et
les promoteurs. Il fut également acquis que le BRAL pourrait être présent au comité d’ac-
compagnement en qualité d’observateur, et ce aux fins d’assurer (quand la procédure le
nécessiterait) le relais auprès du public ou des habitants, que l’associatif ne peut par contre
« représenter », comme il l’avait été demandé, étant donné sa mission de médiateur « neutre ».
Autrement dit, le dispositif — en soi peu disert : disons donc son interprétation dans la métho-
dologie conçue par le bureau d’études — prévoit deux scènes, l’une publique, l’autre pas,
et l’organisation de leur mise en phase. Mais ce n’est pas le principe de cette partition, sans
doute inévitable, des rôles, des espaces et des temps, qui pose a priori problème. C’est
plutôt le fait que cette dualité se voie accompagnée d’une déconnexion entre les deux espaces-
temps qui semble s’accroître au fil du processus d’élaboration. Notamment sous l’effet — on
y reviendra — de la montée en puissance du désaccord substantiel qui oppose, quant à
l’orientation générale du projet, les propriétaires / promoteurs d’un côté, les pouvoirs publics
et le bureau d’études de l’autre. L’observateur peut ainsi avoir l’impression que, pour certains
acteurs, l’important est de parvenir coûte que coûte à un accord, fût-il formel à nouveau,
dans le cadre et dans les délais prévus. Quitte à sacrifier une étape. Ainsi, le troisième et
dernier « atelier de la Cité » prévu n’aura pas lieu, officiellement pour cause de « vacances
scolaires », en réalité dans un contexte où il importe aussi de minimiser l’écho de ce qui se

172 L u d iv i ne D am ay e t Florence Delmotte


joue au sein d’un rapport de force entre pouvoirs publics et pouvoirs privés.
Ici comme ailleurs, il est évident que la pluralité des moments et des lieux de débat et de
décision ne va pas sans poser des problèmes de suivi et de lisibilité. Mais ces problèmes
se voient aggravés par le sentiment — favorisé par la nature de certains échanges observés
en public — qu’au-delà de la partition prévue et mise en œuvre, des tractations ont lieu en
marge du dispositif, au cours de rencontres informelles et au gré des affinités d’intérêt ou
des relations professionnelles, voire personnelles, préexistant entre certains des acteurs clés.
En bref, la multiplicité de scènes disjointes difficilement identifiables fait au moins planer le
doute quant au poids de certains acteurs — en tout premier lieu des citoyens ordinaires —
et de leurs préoccupations dans les discussions décisives, qui ont lieu ailleurs, en leur absence.
Bien sûr, certains acteurs jouent dans toutes les scènes. Mais si tel n’est pas le cas des habi-
tants, tel n’est pas non plus le cas des promoteurs — nous y reviendrons également. Vis-à-vis
des premiers, le BRAL assume seul le rôle de relais de ce qui se dit et se décide en comité
d’accompagnement, sans pouvoir donner aucune garantie aux habitants de la prise en compte
de leurs craintes et souhaits. In fine, on a même l’impression qu’il n’y va que de la respon-
sabilité de l’expert d’intégrer (ou pas) dans son projet ce qui se dit sur une scène et / ou sur
l’autre, d’une scène à l’autre et entre deux scènes… Un petit retour en arrière permettra peut-
être, dans les lignes qui suivent, d’étayer ce soupçon.

La maquette des promoteurs 33

La deuxième et dernière « réunion publique » d’information — « ouverte à tous » — concer-


nant le schéma directeur « Botanique » a eu lieu le 4 septembre 2006. Organisée à l’initiative
du BRAL dans la salle de réunion de l’auberge de jeunesse Jacques Brel, située non loin du
site de la Cité administrative, dans le quartier voisin dit de « Notre-Dame aux-Neiges », elle
clôture en réalité le volet participatif du processus d’élaboration du schéma qui s’était ouvert
le 21 février avec la première réunion d’information tout public 34. L’invitation précise qu’y
sera cette fois présentée la proposition de schéma directeur par le bureau d’études en charge,
qui répondra ensuite aux questions et remarques, de même que les pouvoirs publics et les
promoteurs du site.
Alors qu’ils s’étaient faits bien discrets dans la procédure, jusqu’à l’été 2007 et lors des
moments « participatifs » du moins, les propriétaires, aisément identifiables grâce à leurs
costumes sombres et leurs porte-documents, sont pour l’occasion présents en nombre. Il est
vrai qu’ils ont, eux aussi, un projet à présenter au public, par l’entremise de leur propre

Une expéri ence bruxelloise entre gouvernance et participation 173


expert puisqu’ils ont, eux aussi, fait appel à un bureau d’études. Cela dit, la présentation
de ce projet « alternatif » n’était pas prévue au programme de cette réunion publique, ce qui
avive le sentiment, outre l’effet de surprise voire de suspens suscité, que le dévoilement à
venir des projets propres aux promoteurs n’est pas loin de s’apparenter à un coup de force.
Durant la majeure partie de la soirée, les propriétaires resteront pourtant silencieux, se conten-
tant d’écouter poliment l’exposé du concepteur du projet « officiel » et d’assister aux controverses
nourries par les questions de la salle sans réellement y prendre part. De fait, la maquette
en bois qu’ils ont amenée avec eux et qu’ils découvriront plus tard (et dont les principes illus-
trés et commentés seront affichés sur les murs de la salle) ravira pratiquement la vedette au
schéma du bureau MSA. Pour l’observateur, ce soir-là, la scène est éloquente. Elle révèle,
en effet, une remise en cause du caractère consensuel, concerté et délibératif du dispositif
mis en œuvre. Nous retiendrons ici trois éléments qui permettent en tout cas de le penser.
D’abord, le contre-projet des propriétaires du site est véritablement « alternatif », exprimant
un profond désaccord quant aux options privilégiées que dessine le projet en voie d’achè-
vement : face à l’option patrimoniale de la rénovation proposée par MSA, ici plus de dalle,
et de nouveau un grand escalier, pour ne prendre que deux éléments emblématiques, et qui
déchaînent ce jour-là plus que jamais les polémiques. Ensuite, les promoteurs ont attendu,
bon gré mal gré, le dernier moment, et un moment public, pour le présenter non seulement
à l’assemblée des habitants et autres observateurs mais aussi pour la première fois à leurs
principaux interlocuteurs dans le processus d’élaboration du schéma directeur, interlocuteurs
avec lesquels ils se sont pourtant réunis à maintes reprises à l’occasion des réunions comité
d’accompagnement, supposé être une instance décisive. De la sorte, il semble qu’un acteur
au moins, et un acteur de premier plan, se défie assez ouvertement d’une procédure de
concertation dans laquelle il semble ne pas s’être investi, ou qui a minorisé son rôle, mais
dont il n’a peut-être pas — seul l’avenir du projet le dira — mesuré l’importance pour le
déroulement de ses propres « plans ». Enfin, les propriétaires ne se sont pas contentés d’images
comme support de l’exposé de leur projet — des images qui par leurs couleurs et leurs
graphismes étaient déjà beaucoup plus « attrayantes » que celles du schéma « officiel » et
évocatrices d’un futur site verdoyant, rutilant et animé… En présentant une maquette, conçue
par le bureau d’architectes américain KPF, le propriétaire / investisseur montre aussi — ou
rappelle — l’ampleur de ses moyens, en l’occurrence financiers, qui déterminent en grande
partie l’importance du rôle qu’il continuera de jouer et qui font qu’on ne peut se passer de
lui. Il est tout aussi éloquent — et quelque peu paradoxal — qu’il tente du même coup, et
avec un certain succès, de rallier à sa cause les habitants et l’ARAU (Atelier de recherche

174 L u d iv i ne D am ay e t Florence Delmotte


et d’action urbaines) 35. Deux coalitions semblent désormais se faire face, prise dans un
rapport de force où affleurent des différentiels de pouvoir évidents, et jouant sur différents
registres. Manifestement, l’on s’est fortement éloigné de la logique du dialogue et de l’argu-
mentation rationnelle sinon raisonnable qu’implique, au minimum, la délibération en son
concept mais aussi, plus largement, toute procédure de concertation véritable. L’exemple
qui suit l’illustre plus concrètement encore.

La dalle et l’escalier : des débats sans objet ?

Lors du premier atelier de la Cité, le 11 mars 2006, des groupes d’habitants sont formés.
On discute de différents points, dont le maintien de l’esplanade. Bien sûr, l’esplanade a ses
partisans. Mais l’unanimité est loin d’être présente. Certains habitants la jugent peu esthé-
tique, balayée par le vent, inutile, très peu pratique (« on monte pour redescendre » vers la
ville). Certains suggèrent que la rénovation devrait amener des bâtiments et des jardins « en
gradins avec des terrasses ». D’autres estiment qu’il faudrait recréer le fameux « escalier
monumental » de Cluysenaar 36. Prolongeant cette vision, certains ajoutent qu’il vaut encore
mieux tout démolir, entamer une rénovation audacieuse. Il vaut mieux qu’on ne « chipote
pas sur des petites choses ». Vouloir conserver à tout prix, ce serait passer à côté de l’occa-
sion de réinvestir l’espace. Cette dalle, est-elle bien nécessaire ? Est-il possible de la casser ?
Les réponses à ces questions trouvent difficilement place. L’ambiguïté n’est pas levée. Entre
la possibilité technique de détruire et de reconstruire (« il y a un problème de structure, les
bâtiments reposent sur le parking ») et le caractère « intouchable » de cette donne architec-
turale (l’urbanisme de dalle), le doute semble planer et planera encore sur ces questions tout
au long du processus participatif. Faut-il le faire ? Est-il possible de le faire ? Les habitants
ont pourtant besoin de le savoir. L’un d’entre eux dira : « On veut éviter de rêver parce qu’on
perd du temps. » De manière récurrente, on verra renaître ces demandes (casser la dalle,
revenir à une pente plus douce, recréer un grand escalier) et l’on comprendra que garder
l’esplanade et la dalle participe d’un parti pris architectural tout à fait estimable voire légi-
time — ou au moins valable parmi d’autres — mais qui n’a pas vraiment été affirmé au
départ, moins encore publiquement justifié et pleinement assumé par ses défenseurs.
Cette anecdote atteste certaines difficultés caractéristiques des processus participatifs, déjà
relevées par une littérature abondante 37. D’abord, elle démontre que « la participation » est
bien souvent un leitmotiv aux contours flous. En l’occurrence, les limites de « l’objet » du
débat ne sont pas clairement établies. Au fond, il s’agit de savoir ce qui est réellement mis

Une expéri ence bruxelloise entre gouvernance et participation 175


en débat et ce qui, à l’opposé, est non « négociable » et qui est déterminé ailleurs, sur une
autre scène, et qui peut relever de jugements esthétiques et architecturaux émis en amont,
comme par exemple la valeur de l’urbanisme de dalle. Comment infléchir un projet dont on
ne connaît pas les limites ? L’organisation de la consultation ne sert-elle alors qu’à « légi-
timer » des choix déjà pris ou à « désamorcer » la contestation, avec in fine, un projet qui,
d’« initial » à « final », ne fait que changer d’épithète ? Par ailleurs, elle interroge également
des enjeux procéduraux. S’agit-il, dans un processus « participatif », de récolter des avis et
de les juxtaposer ? S’agit-il de faire exister la participation pour elle-même, pour favoriser
une présence « bonne en soi » ? Au contraire, un processus de concertation n’implique-t-il
pas de soutenir le débat, d’approfondir les controverses, de souligner les positions antago-
nistes, d’argumenter afin, pourquoi pas, d’aboutir à un accord, sinon sur tout, à un « accord
sur les désaccords » ? On voit bien ici l’opposition entre une approche centrée sur la parti-
cipation et une autre, au cœur de laquelle la délibération prend place. Dans le cas qui nous
occupe, des avis divergents n’ont pas réellement pu se confronter ; ils continuent leurs chemins,
jusqu’au prochain croisement. Avec, sans aucun doute, le risque d’alimenter les frustrations
de participants qui ont « donné d’eux-mêmes », et avant tout de leur temps, sans avoir l’impres-
sion d’être entendus. D’autant qu’à cette incertitude à la fois procédurale et substantielle
quant à la définition de leur rôle et du poids de leur voix dans le processus d’élaboration
du projet de schéma directeur s’ajoute, dans le chef de tous les « acteurs » cette fois, une
autre inconnue de taille : le poids des principes du schéma directeur lui-même dans les
projets d’aménagement concrets à venir.

Des principes qui ne pèsent pas lourd ?

Le 25 septembre 2007, une commission de concertation concernant un permis de rénova-


tion du bâtiment C 38 se déroule au centre administratif de la Ville de Bruxelles. Les promoteurs
et les architectes y défendent une rénovation avec augmentation de la hauteur (+ 1,20 mètre)
d’un bâtiment affecté uniquement à des bureaux. Cette rénovation permettrait d’augmenter
la surface proposée de bureaux de plus de 1 600 m2. Dans la petite assemblée du jour, on
reconnaît, outre les architectes et les promoteurs, le BRAL et un habitant qui a suivi la procé-
dure « participative » d’élaboration du schéma directeur « Botanique ». Après la présentation
du projet devant la commission, la parole est à la salle. Le BRAL et « le représentant d’un
groupe d’habitants » (comme il se présente lui-même) font part de leurs inquiétudes. D’abord,
le BRAL exprime son souhait de voir les recommandations (notamment à propos de la mixité

176 L u d iv i ne D am ay e t Florence Delmotte


fonctionnelle du site) et les propositions du schéma directeur prises en compte. Il insiste sur
l’inefficacité de procédures parallèles, qui au mieux ne coïncident pas, au pire vont dans
des sens opposés. Les architectes et promoteurs ne contredisent pas ce point de vue, affir-
ment leur souhait de collaborer avec la Ville à un plan d’ensemble. Ils semblent simplement
demander, sans animosité, que le dossier avance. L’argument employé renvoie à une logique
marchande : le temps qui passe est une pure perte financière. Le représentant des habitants
regrette lui aussi qu’il n’y ait pas de plan d’ensemble et rappelle que « les habitants » ne
veulent pas d’une tour. Or, avance-t-il, plus on augmente les mètres carrés de bureaux sur
la Cité, plus l’objectif de caser 35 % de logements s’apparente à une improbable gageure.
D’autant plus, il le répétera avec force, qu’ils ne veulent pas d’une tour !
Cet exemple 39 montre que l’acceptation du schéma directeur n’empêche pas que l’his-
toire urbanistique suive son cours, que des permis introduits soient examinés indépendamment
ou presque des principes posés par ledit schéma, que des commissions de concertation se
tiennent auprès de la commune, que des promoteurs viennent y défendre leurs propres projets,
que des habitants ou des associations y soutiennent un autre point de vue. Des mois de
travail, de consultations publiques, de réunions de comité d’accompagnement, d’âpres négo-
ciations, d’élaborations de plans peuvent ainsi se voir contestés par des procédures plus
anciennes et plus contraignantes que le schéma directeur 40. Cette situation renvoie à diffé-
rents éléments. Tout d’abord, la multiplication des instruments juridiques qui encadrent
l’aménagement du territoire implique une complexification des règles dans ce domaine, selon
des temporalités qui peuvent se chevaucher, et ce sans que soient tranchées les nombreuses
questions quant à la hiérarchie entre ces règles et instruments 41. Par ailleurs, on voit ici
l’essor d’un droit basé sur des principes directeurs et non pas uniquement sur des règles
fixes. « Nouvel outil de planification 42 », l’instrument « schéma directeur » a justement valeur
indicative. On l’a dit d’emblée : il est dépourvu de force obligatoire et ne fait que définir
les « options d’interventions » et les moyens nécessaires, lesquels devront ensuite faire l’objet
d’autres plans d’aménagement.
Historiquement, l’usage même du terme « schéma » révèle bien le souhait d’inscrire la poli-
tique d’aménagement du territoire dans un mode de gestion et de prise de décision plus
souple, plus prospectif qu’auparavant 43. Cette évolution est plus largement caractéristique
de l’émergence d’un droit « néo-moderne » des politiques publiques, ou d’un droit « plus flexible,
plus flou, plus complexe et beaucoup moins prévisible 44 ». Certains auteurs évoquent encore
la figure du réseau pour évoquer l’évolution du droit qui suit, de fait, les modalités renou-
velées de l’action de l’État 45. Bien entendu, la thématique de la gouvernance coopérative

Une expéri ence bruxelloise entre gouvernance et participation 177


entre en résonance avec cette analyse : elle évoque aussi cette flexibilité, cette souplesse,
ce droit « mou », moins contraignant, et souligne ses conséquences, par exemple en termes
de perte de lisibilité, de dilution de la responsabilité et de déclin de l’opposabilité 46. Le
constat débouche inévitablement sur les questions suivantes, devenues cruciales. Dans un tel
contexte, à quelles conditions le consensus construit entre les parties prenantes de la déci-
sion (acteurs publics de différents niveaux, acteurs privés) en est-il un ? Par quoi se voit-il
borné ? Comment peut-il se faire respecter, garantir ? Et comment serait-il opposable à des
tiers tant qu’il conserve la forme molle de principes généraux, dont la mise en œuvre est
souvent renvoyée à un futur plus ou moins indéterminé ?

Un schéma hybride ou en demi-teintes

À l’aune des débats théoriques évoqués plus haut, les éléments relevés ci-dessus semblent
bien rapprocher le processus d’élaboration du schéma directeur « Botanique » de la mise en
acte d’une nouvelle forme de gouvernance urbaine, qui intégrerait ou tenterait d’intégrer,
sur un mode mineur, certaines pratiques participatives et délibératives.
D’abord, la scène ou le volet décrit comme « participatif » se voit intégralement doublé
d’un volet ou d’une scène dominée par le principe d’une gouvernance à niveaux multiples 47,
qui se réalise à travers les réunions tripartites, les bilatérales, les comités d’accompagne-
ment. Au-delà de ce qui les distingue, en termes d’acteurs en présence et d’impact de leurs
réunions dans le processus décisionnel, toutes ces instances liées à la mise en œuvre du
dispositif ont pour point commun de viser à réunir autour d’une même table les différents
acteurs publics concernés et les acteurs privés, ici propriétaires du site. Au vu de la complexité
du système institutionnel belge en général, et bruxellois en particulier, on peut d’ailleurs souli-
gner qu’il s’agit d’une prouesse en soi. Comme le soulignait, à propos d’un autre cas, le
fonctionnaire régional en charge : les promoteurs immobiliers, au moins, s’entendent et parlent
le plus souvent d’une seule voix. Rassembler et mettre d’accord Région et communes sur un
projet d’aménagement relevait jusqu’ici de la gageure. Il semble par ailleurs que le schéma
directeur ait, dans ce cas précis, contribué à la construction d’une « communauté » d’acteurs
publics partageant des cadres cognitifs communs et même à une ébauche de dialogue constructif
entre ces acteurs publics et les pouvoirs privés, en dépit ou par le jeu même d’oppositions
d’intérêt manifestes. Administrations, politiques, promoteurs et experts se partagent ainsi la
scène, coulisses comprises, où l’on tente de décider sur un mode qu’on pourrait qualifier de
« néo-néocorporatiste 48 ». Dans le même temps, c’est bien timidement que la « participation »

178 L u d iv i ne D am ay e t Florence Delmotte


s’immisce dans le dispositif. Son rôle n’est pas assuré par une mobilisation forte à l’intérieur
ou en marge de la procédure. Il faut, en effet, signaler que la participation s’est surtout dirigée
vers des habitants individuels et que les associations bruxelloises actives en matière d’urba-
nisme ont très peu pris part au dispositif (sauf peut-être à la sortie, que ce soit pour louer le
dispositif — comme Disturb 49 — ou pour le critiquer avec virulence — comme l’ARAU). La
procédure participative ne s’est pas donné les moyens de susciter un contre-pouvoir « citoyen » 50,
capable de dialogue et de résistance collective, de créativité dans les solutions proposées
et d’ouverture à la coopération. Faute, sans doute, compte tenu de la situation du site et de
son histoire propre, d’un public localement mobilisé préalablement au lancement de l’éla-
boration du schéma directeur 51. Ce qui fait dans ce cas de la participation citoyenne une
initiative quasi exclusivement « top down ». Partant, la place concrète de la participation ne
tient, en somme, qu’à deux fils : d’une part celui d’un acteur associatif, intermédiaire ou
médiateur, qui n’a sur la scène décisionnelle officielle qu’une position d’invité temporaire, de
rapporteur ; d’autre part celui du bureau d’études, sur lequel reposent non seulement, dans
ce cas au moins, la définition de la méthodologie et l’ampleur du volet public, mais égale-
ment le poids à attribuer, dans la conception du projet, à telle préoccupation, tel souhait,
telle critique exprimée par les habitants. C’est dire si, dans les faits, la dimension participa-
tive n’est pas première ni même essentielle, au-delà de la prolixité des discours à son propos.
On notera ensuite que le caractère peu transparent de la procédure officielle elle-même,
et pas seulement de ce qui semble se jouer à ses marges, rencontre également les critiques
souvent adressées aux nouvelles pratiques associées à la « gouvernance ». On pense notam-
ment au manque de lisibilité des différentes étapes et de la mise en liaison problématique
des différentes phases, au déficit patent de transparence quant à leur contenu et, de manière
générale, à l’absence de clarification de certaines questions pourtant cruciales qu’on pour-
rait une dernière fois résumer comme suit : qui décide de quoi dans quelle enceinte, quand,
comment, et pourquoi ? Il en résulte un doute profond quant au fait que le « public » ou « les
citoyens » aient ici nécessairement plus voix au chapitre que dans le cadre du fonctionne-
ment des institutions traditionnelles de la démocratie représentative. Mais s’il n’appartient
pas aux « profanes » de participer à la décision des « grandes orientations », qui sont l’objet
du schéma directeur, les experts et les politiques sont ici potentiellement tenus de justifier
presque en temps réel les options choisies parmi d’autres, ce qui sans conteste représente
une innovation. Sans doute, et fût-ce à des fins de légitimation dûment assumées, eût-il donc
été préférable que l’acteur politique assume la dimension essentiellement informative, consul-
tative sur certains points, du volet public de la procédure.

Une expéri ence bruxelloise entre gouvernance et participation 179


Enfin, tout semble attester la très grande faiblesse des principes et pratiques proprement
délibératifs dans la première mise en œuvre du dispositif. Il ne s’agit pas de verser dans
l’utopie de la délibération ou, bien que cela n’ait rien à voir, de dénier au conflit tout aspect
positif. Le problème, ici, c’est que l’on a implicitement tablé sur les mérites d’une procédure
délibérative sans se donner les moyens de la mener à bien. Ainsi, les contentieux entre
acteurs ne sont pas vidés car, en effet, les divergences de vues et les conflits d’intérêts ne
sont pas mis à plat et moins encore confrontés ; tout au plus sont-ils partiellement exposés.
De ce fait, alors que la construction de l’accord paraissait être la raison d’être du schéma
directeur qui, par la souplesse de ses modalités et son caractère non contraignant, devait
permettre d’envisager posément les différentes solutions et de débattre des désaccords pour
parvenir à un consensus solide, les désaccords en question se voient simplement transposés
à l’étape décisionnelle ultérieure. À cette étape, l’existence d’un schéma approuvé repré-
sente bien, au-delà de son caractère non réglementaire, un poids ; on ne peut l’ignorer totalement.
Il s’agit toutefois d’une contrainte ou d’un poids bien léger, à la mesure de la fragilité du
consensus sur lequel il repose en ce qui concerne les investisseurs privés, et de la fragilité
de la participation en ce qui concerne les citoyens ordinaires.

180 L u d iv i ne D am ay e t Florence Delmotte


1. Voir chapitre premier. Dans le chapitre III, Benoit Moritz, le principal auteur du
2. Cette simple expression de «premier» schéma direc- schéma directeur « Botanique », en résume la teneur.
teur bruxellois ne va pas de soi ; elle est de Charles Picqué 9. Ibid., p. 5 et suiv.
(voir note 6 infra). 10. Ibid., p. 7.
3. Plan régional de développement (PRD), Priorité 1, 2002. 11. Id.
Pour un exposé plus détaillé du contexte institutionnel et 12 Nous nous fondons ici sur l’entretien réalisé avec Benoit
politique, voir le chapitre II. Moritz aux FUSL à l’automne 2006 dans le cadre des
4. Charles Picqué, conférences de presse des 17 activités du Groep Levier et sur son intervention à BRXL-
octobre et 12 décembre 2006. BRAVO à La Cambre en mars 2007, dans laquelle il a
5. Voir Thierry DEMEY, Bruxelles. Chronique d’une capi- plus précisément évoqué les trois « phases » qui marquent
tale en chantier, II. De l’Expo 58 au siège de la CEE, l’histoire récente de l’urbanisme bruxellois : celle d’abord
Bruxelles, Paul Legrain, 1992. de l’urbanisme « technocratique », celle ensuite de l’urba-
6. Comme le rappelle Bernard PÂQUES (Aménagement nisme « consultatif », et la dernière, ouverte en quelque
du territoire : planification, Facultés universitaires Saint- sorte avec le concours « Flagey » en 2005 et, en 2006,
Louis, notes pour le DES en droit de l’environnement, avec les SD « Botanique » et « Tour et Taxis » et le concours
2005, p. 7 et suiv.), la notion de « schéma » (« à valeur « Rogier », celle de l’urbanisme « participatif », où il s’agi-
indicative ») émerge dans le courant des années 1980, rait non seulement d’« informer » et de « consulter », mais
dans le cadre d’initiatives qui sont d’abord communales, encore de « se concerter » et même de « coproduire ».
et s’oppose à la notion de « plan » (à valeur « régle- Cette idée, systématisée sous la notion de « deuxième
mentaire »), dont elle vise à pallier à certains défauts tournant », en référence au (premier) tournant dégagé
— en particulier son manque de souplesse, et partant par Jacques ARON (Le Tournant de l’urbanisme bruxel-
son inaptitude de plus en plus manifeste à appréhender lois. 1958-1978, Bruxelles, Fondation Joseph Jacquemotte,
le caractère évolutif de l’urbanisme et de l’aménagement 1978), a été développée et étudiée par la suite, notam-
du territoire contemporains. Les « schémas » ou autres ment lors du colloque « Le deuxième tournant de
« schémas directeurs » sont ainsi, depuis plus de vingt l’urbanisme bruxellois ? » organisé à Bruxelles le 13 juin
ans, considérés comme des « plans de la deuxième géné- 2008 par l’UAB Brussels Platform.
ration », qui renvoient à une planification « opérationnelle 13. Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Avis
ou active » et révèlent l’importance de la dimension « poli- de marché n° 8400, Bulletin des adjudications, 24 juin
tique », notamment parce que, le plus souvent, ils ne 2005, p. 8342-8346 (voir aussi le chapitre II).
concernent pas seulement l’aménagement du territoire 14. Voir ministère de la Région de Bruxelles-Capitale,
proprement dit mais « s’aventurent dans des domaines AATL, service Planification, Cahier spécial des charges
propres à l’économie, au social ou à l’environnement ». relatif à l’élaboration du schéma directeur de la zone
7. Voir à ce sujet Maurizio COHEN et Marie-Françoise levier n° 6 « Botanique ».
PLISSART, À Bruxelles, près de chez nous. L’architecture 15. Michel DELNOY, « Définition, notion de base, raison
dans les contrats de quartier, Bruxelles, ministère de la d’être et sources juridiques des procédures de participation
Région de Bruxelles-Capitale, direction de la Rénovation du public » in Benoît JADOT, La Participation du public
urbaine, 2007. au processus de décision en matière d’environnement et
8. Voir Ateliers Lion Architectes Urbanistes et MSA, d’urbanisme, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 7-28.
Schéma directeur zone Levier n° 6 Botanique, novembre 16. Voir, par exemple, l’article Loïc BLONDIAUX qui
2006 (consultable à l’adresse http://www.cae-rac.be). dénonce cette posture cynique : « Prendre au sérieux l’idéal

Une expéri ence bruxelloise entre gouvernance et participation 181


délibératif : un programme de recherche », Revue suisse pouvoir. Abécédaire critique, Bruxelles, Aden, 2007,
de science politique, 2004, vol. X, n° 4, p. 158-169. p. 262-267.
17. Jacques DONZELOT et Renaud EPSTEIN, « Démocratie 29. Claudette LAFAYE, « Gouvernance et démocratie :
et participation : l’exemple de la rénovation urbaine », quelles reconfigurations ? » in Caroline ANDREW et LINDA
Esprit, juillet 2006, p. 5-34. CARDINAL (s.l.d.), La Démocratie à l’épreuve de la gouver-
18. Sherry ARNSTEIN, « A Ladder of Citizen nance, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2001.
Participation », Journal of American Institute of Planners, Sur ce sujet, voir également différents travaux de Yannis
vol. XXXV, n° 4, juillet 1969, p. 216-224. PAPADOULOS, dont « Is “Governance“ a Form of “Deli-
19. Jacques DONZELOT et Renaud EPSTEIN, « Démocratie berative Democracy“? », ECPR Joint Session of Workshops,
et participation », loc. cit., p. 7. Turin, 22-27 mars 2002.
20. Kathrin BRAUN et Suzanne SCHULTZ, « Pure Publics 30. Loïc BLONDIAUX, « La délibération, norme de l’ac-
and Embodied Expertise: Participatory Governance tion publique contemporaine ? », Projet, n° 268, hiver
Arrangements in the Area of Human Genetics », ECPR 2001-2002, p. 86.
General Conference, Pise, septembre 2007. 31. Loïc BLONDIAUX et Yves SINTOMER, « L’impératif
21. Parmi les classiques de la pensée politique, on consi- délibératif », loc. cit., p. 29.
dère habituellement John Stuart Mill et Carole Pateman 32. Habermas distingue « d’un côté les délibérations qui
comme les principaux représentants de ce courant. sont menées pour parvenir à une décision et qui sont
22. Jon ELSTER, « The Market and the Forum: Three régulées par des procédures démocratiques et, de l’autre,
Varieties of Political Theories » in James BOHMAN et les processus informels de formation de l’opinion qui se
William REGH (s.l.d.), Deliberative Democracy: Essays déroulent dans l’espace public » (Jürgen HABERMAS, Droit
on Reason and Politics, Cambridge, MIT Press, 1997, et démocratie, op. cit., p. 332).
p. 3. 33. Voir aussi le chapitre VI consacré à la « controverse »
23. Loïc BLONDIAUX et Yves SINTOMER, « L’impératif majeure portant sur « la tour et la dalle » et aux enjeux
délibératif », Politix, n° 57, 2002, p. 17-35. de sa figuration.
24. Alban BOUVIER, « Démocratie délibérative, démo- 34. Pour la narration détaillée des différents épisodes
cratie débattante, démocratie participative », Revue de l’élaboration du schéma directeur dans son volet public,
européenne des sciences sociales, vol. XLV, n° 136, 2007, nous renvoyons le lecteur au chapitre précédent.
p. 5. 35. Voir le chapitre I pour le rôle historique de contes-
25. Joshua COHEN cité in Jürgen HABERMAS, Droit et tation de l’ARAU par rapport à la Cité administrative.
démocratie. Entre faits et normes, trad. Rainer Rochlitz 36. Voir le chapitre I.
et Christian Bouchindhomme, Paris, Gallimard, 1997, 37. Voir, par exemple, le numéro de Politix consacré à
p. 330. cette question : Politix, vol. XIX, n° 75, « Dispositifs parti-
26. Alban BOUVIER, « Démocratie délibérative, démo- cipatifs », 2006.
cratie débattante, démocratie participative », loc. cit., 38. Voir le chapitre I pour la localisation.
p. 5-34. 39. Cet exemple n’est pas isolé. D’autres commissions
27. Voir Olivier PAYE, « La gouvernance : d’une notion de concertation concernant la CAÉ se sont tenues depuis
polysémique à un concept politologique », Études inter- septembre 2006, concernant la rénovation et la réaf-
nationales, vol. XXXVI, n° 1, mars 2005, p. 13-40. fectation des bâtiments D et F cette fois. Là aussi, les
28. Voir récemment Corinne GOBIN, « Gouvernance » demandes de permis d’urbanisme ont été introduites dès
in Patrice DURAND (s.l.d.), Les Nouveaux Mots du 2006, soit près de trois ans après l’acquisition.

182 L u d iv i ne D am ay e t Florence Delmotte


Concernant le bâtiment C, le permis a d’ores et déjà été tale/competences_et_organisation/amenagement_du_terr
refusé. Concernant les bâtiments D et F, l’étude d’inci- itoire_et_logement.shtml).
dence est en cours au moment où nous écrivons (avril 43. Bernard PÂQUES, Aménagement du territoire : plani-
2008), laquelle devrait tenir compte des propositions et fication, op. cit., p. 7-10.
principes du schéma directeur. C’est du moins ce qu’a 44. Charles-Albert MORAND, Le Droit néo-moderne des
suggéré l’échevin de l’urbanisme de la Ville de Bruxelles, politiques publiques, Paris, LGDJ, « Droit et société »,
Christian Ceux, lors de la 39e École urbaine de l’ARAU vol. XXVI, 1999, p. 189.
en mars 2008. 45. Ibid., p. 16.
40. Cet instrument d’action publique, non contraignant, 46. Yannis PAPADOPOULOS, « Cooperative Forms of
a certes trouvé une consolidation sous la forme d’un arrêté Governance: Problems of Democratic Accountability in
gouvernemental en juin 2007. Celui-ci doit être suivi d’un Complex Environments », European Journal of Political
plan particulier d’affectation du sol qu’il incombe à la Research, n° 42, 2003, p. 473-501.
Ville de Bruxelles de réaliser et qui transformerait en 47. Liesbet HOOGHE et Gary MARKS, Multi-level
contraintes les propositions du schéma directeur. Le Governance and European Integration, Lanham, Rowman
problème, on l’aura compris, réside bel et bien dans le and Littlefield, 2001.
télescopage de procédures — schéma directeur et PPAS 48. Selon la définition classique du terme, qu’on trouve,
d’un côté, demandes de permis de l’autre — aux tempo- par exemple, dans Philippe SCHMITTER et Gerhard LEHM-
ralités distinctes — les demandes de permis ont été BRUCH (s.l.d.), Trends Toward Corporatist Intermediation,
introduites antérieurement à la finalisation du schéma Londres, Sage Publications, 1979.
directeur, les étapes de leur examen sont moins longues 49. Voir au chapitre premier le rôle de ce collectif.
que l’élaboration d’un PPAS, etc. 50. Archon FUNG et Erik Olin WRIGHT, « Le contre-
41. Le caractère prospectif et politique d’un tel outil inter- pouvoir dans la démocratie participative et délibérative »,
roge aussi les spécialistes quant à sa portée. Est-il, par trad. Marc Saint-Upéry, in Marie-Hélène BACQUÉ, Henri
exemple, opposable à des particuliers ? Cette question REY et Yves SINTOMER, Gestion de proximité et démo-
n’est pas aussi théorique qu’elle y paraît. Pâques note cratie participative. Une perspective comparative, Paris,
ainsi qu’en Flandre, le droit identifie les sujets de droits La Découverte, 2005, p. 49-80.
auxquels sont opposables les parties obligatoires des 51. Il semble que les divers collectifs qui, en 2003-2004,
schémas et que « ces dispositions ne s’appliquent (donc) s’étaient mobilisés pour le site, motivés par les enjeux
pas directement aux particuliers et ne régissent pas la extra-locaux qu’il représentait (son architecture, sa place
délivrance des permis de bâtir, de lotir, les certificats et dans la ville…) et non par un intérêt direct, soient partis
le renseignement d’urbanisme » (Bernard PÂQUES, vers d’autres combats après le rejet, par les propriétaires,
Aménagement du territoire : planification, op. cit., p. 10). de leur demande d’occupation précaire des lieux. La
42. AATL, Rapport annuel 2006 (consultable sur confiance de ces collectifs envers MSA et le BRAL, qui
http://www.bruxelles.irisnet.be/fr/region/region_de_bru leur étaient proches, peut aussi expliquer pour partie leur
xelles-capitale/ministere_de_la_region_de_bruxelles_capi- démobilisation.
Chapitre VI
La tour et la dalle : analyse d’une controverse

Jean-Louis Genard et Christine Schaut

Les débats publics qui ont ponctué l’élaboration du schéma directeur furent relativement
feutrés et pacifiés. Certes, la première information publique est troublée par des habitants
— que l’on ne reverra plus par la suite — doutant du contenu pleinement démocratique de
la procédure. Certes, çà et là, des habitants s’étonnent de l’absence de débats sur certains
points. Mais, lors de la dernière réunion publique du 4 septembre 2006, éclate une véri-
table controverse au sujet du maintien de la dalle et de l’esplanade ainsi que de la construction
d’une tour de logements. Cet article entend précisément analyser cette controverse, dont
l’intérêt se situe selon nous à plusieurs niveaux. Il est tout d’abord lié à notre champ profes-
sionnel, celui de la sociologie. Les travaux de Luc Boltanski et Laurent Thévenot portent ainsi
leur attention sur la manière dont les individus se justifient et justifient leur action en situa-
tion 1. Les arguments justificatifs varient en fonction des univers, des « cités » dans lesquels
ils se trouvent et auxquels ils font référence à ce moment-là. Pour les deux sociologues, les
moments de désaccord et de controverse sont des moments idéaux pour l’observation des
justifications car c’est là que les individus doivent argumenter, critiquer et résister à la critique,
chercher des alliés ou faire face à des adversaires imprévus. C’est donc au moment de ces
disputes que se révélerait le mieux ce que les acteurs ont « derrière la tête », parfois même
à leur insu, ainsi que leurs systèmes de références. Ensuite, s’agissant de notre objet empi-
rique, la controverse nous intéresse également car elle est révélatrice d’un ensemble de
basculements ou, à tout le moins, de « bougés » à propos de Bruxelles, de ses formes urbaines,
de ce qui y est digne ou non de souci patrimonial, de la manière aussi d’y « faire la ville ».
Soit donc des « bougés » qui dépassent de loin le cadre de la Cité administrative, même si
ce cas se prête particulièrement bien à leur expression.
Depuis l’avènement de la Région de Bruxelles-Capitale, l’imaginaire urbain s’inscrit majo-
ritairement, dans la continuité des luttes urbaines des années 1960 et 1970, dans la perspective
de la préservation de l’environnement urbain, de la conservation du patrimoine et de l’habi-
tat résidentiel 2. Toutefois, la définition de ce qui est patrimoine ou « patrimonialisable » est
bien sûr relative. Ainsi, le schéma directeur de la Cité administrative de l’État sera l’occasion

184 J e a n -Lo ui s G en ar d et Christine Schaut


d’une controverse passionnée à propos de ce qu’il y a lieu de considérer comme faisant
partie du « patrimoine ». Plus précisément, deux visions du patrimoine s’opposent : l’une
faisant de la Cité administrative de l’État un exemple représentatif de l’architecture moder-
niste, digne à ce titre d’être préservée, l’autre l’estimant indigne d’être protégée pour les
mêmes raisons. Sont ici en jeu, d’une part, la définition même de ce qui est digne d’être
« patrimonialisé » et, d’autre part, la légitimité des acteurs porteurs de définitions opposées
à ce propos.
La controverse mérite aussi d’être analysée car elle est portée par des acteurs de la ville
qui en instrumentalisent le sens à des degrés divers : le bureau d’études, les cabinets des
ministres régionaux, d’échevins et de bourgmestres, les associations, les habitants, les promo-
teurs. L’objet de cet article est donc aussi d’analyser le jeu de ces acteurs urbains, d’en
dégager les positionnements, les alliances et les oppositions en tentant d’en saisir le sens et
les évolutions car nous faisons l’hypothèse que la controverse à propos de la dalle et de la
tour met au jour de nouvelles configurations d’acteurs dont la composition doit s’appréhender
au croisement de différentes logiques, relationnelles, générationnelles, professionnelles et
politiques. Dans ces repositionnements des acteurs de la ville se profilent par ailleurs les
implications argumentatives d’un urbanisme qui se veut aujourd’hui procédural et partici-
patif et qui doit dès lors sans cesse jouer entre les engagements qu’il prend et assume et la
nécessité où il se trouve de laisser ouvertes ses propres propositions en les présentant comme
des hypothèses ou des scénarios amendables. Le suivi des argumentations nous permettra
ainsi de vérifier comment les tenants de cet urbanisme procédural se trouvent conduits à
osciller entre prises de positions et dénégations.
Enfin, cette controverse révèle l’importance de la figuration dans un projet d’urbanisme.
En effet, une partie de la controverse s’est cristallisée autour des représentations graphiques
de la Cité administrative de demain, l’image venant concrétiser les axes du projet de schéma
directeur et du contre-projet des promoteurs. Une véritable « guerre des images » s’est alors
déclenchée. En s’appuyant sur cette controverse locale, notre texte tâche donc aussi de traiter
la question et les enjeux de la figuration.
Dans un premier temps, on reviendra sur l’histoire de la controverse, sur son déploiement
dans l’espace et dans le temps et sur les acteurs qui vont lui donner chair. On s’attachera
ensuite à étudier les enjeux qu’elle dévoile quant aux difficultés de la figuration mais aussi
de son caractère « subjuguant » et décisif dans les prises de position à l’égard du projet
« schéma directeur ». Notons d’emblée que les limites de cet article correspondent à celles
de l’observation qui a permis de recueillir l’essentiel du matériel empirique. Nous n’avons

La tour et la dalle : analyse d’une controverse 185


pu observer de la controverse que sa partie publicisée, lors des « ateliers de la Cité » auxquels
étaient conviés essentiellement les habitants et des réunions publiques ponctuant le début et
la fin du processus participatif 3. Les scènes plus décisionnelles (les comités d’accompagne-
ment du schéma directeur mais aussi et surtout les réunions tripartites) et les « entre-scènes »,
les coulisses, n’ont pas fait l’objet d’observations directes. Certaines informations nous sont
parvenues au travers de témoignages ne rendant pas compte de la dimension discursive au
sein de laquelle se niche justement l’essentiel de la dynamique des controverses.

Le déploiement de la controverse : « Simons, tu es d’accord avec cette tour 4 ? »

Si le choix du bureau d’études par le gouvernement fut guidé, d’une part, par un parti pris
architectural, consistant à partir de l’existant et à chercher à l’améliorer, et, d’autre part,
par la méthode proposée reposant sur la construction d’accords phasés entre les différents
acteurs publics, les options qu’un tel choix impliquait ne furent guère l’objet d’une publici-
sation et encore moins de délibérations avec les partenaires, qu’il s’agisse des opérateurs
privés ou des usagers et habitants des abords de la Cité administrative. Certes, dès la première
réunion publique (le 21 février 2006), le représentant du bureau d’études évoque la néces-
sité de conserver l’identité du lieu, notamment « l’architecture des années 1960 et les jardins »,
de transformer plutôt que reconstruire. De même, très rapidement, le bureau d’études expose-
t-il aux habitants présents l’existence de trois scénarios en précisant que le dernier, visant à
densifier la Cité tout en sauvegardant la dalle, a ses faveurs. Toutefois, s’il promet que ces
trois scenarii seront bientôt mis en discussion, ce ne sera pas le cas en réalité, du moins de
manière directe. Dans les deux ateliers de la Cité, les ordres du jour portent sur les fonc-
tions, la mobilité, les espaces et infrastructures publics mais pas sur le maintien de la dalle
et ses conséquences — entre autres l’impossibilité d’envisager un escalier monumental —
ni sur l’érection d’une tour. Cela n’empêchera pas cependant que ces questions soient posées,
souvent incidemment. Ainsi, lors du premier atelier, une discussion surgit entre des habitants
à propos de la nature des fonctions à développer sur le site : doivent-elles être « grandioses »,
à destination d’un public international composé d’hommes d’affaires et de touristes, ou faut-
il au contraire favoriser les usages quotidiens réservés prioritairement aux habitants des
quartiers environnants ? Lors de cette discussion, la dalle est évoquée indirectement par les
habitants soucieux de conférer au lieu des fonctions et un cadre prestigieux et qui voient
dans le retour de l’escalier monumental une manière de redonner du lustre au site. Or, on
l’a dit, l’existence d’un escalier monumental met en question celle de la dalle. L’escalier

186 J e a n -Lo ui s G en ar d et Christine Schaut


monumental sera à nouveau évoqué lors du second atelier, où le maintien de la dalle sera
critiqué par certains. Henri Simons, alors échevin de l’urbanisme de la Ville de Bruxelles,
ose parler de ce qui peut fâcher et met en débat l’option d’une tour comme une réponse
possible à la nécessité légale d’implanter au minimum 35 % de logements sur le site. Les
habitants présents expriment leur désaccord. Si, pour certains, la tour s’impose — « la Cité
a déjà une symbolique de hauteur, a déjà une tour, il faut privilégier la qualité de l’habitat,
la vue sera superbe sur la ville, il faut privilégier la vue de l’esplanade » — d’autres la réfu-
tent pour des raisons semblables : « Ce n’est pas esthétique, personne ne voudra y résider… » 5.
Une maquette est alors réclamée par certains habitants. Elle ne verra pas le jour, du moins
pas en réponse à cette demande.
On le voit, la polémique est en germe dans les réunions publiques avec les habitants,
certains de ses points sont débattus, des positions commencent à se formaliser mais sans
que se dégagent les conditions d’une prise de décision. Le maintien de la confusion à propos
des options pourtant centrales amène ainsi à l’éclatement de la controverse lors de la dernière
réunion publique prévue dans le cadre de l’élaboration du schéma directeur (SD), le 4 septembre
2006. La réunion débute par la présentation par le bureau d’études des dix axes directeurs
du SD, parmi lesquels l’affectation des surfaces disponibles en logements et leur localisation
potentielle dans un immeuble-tour en lieu et place de l’actuel bâtiment G (axe 3) ainsi que
l’accessibilité entre le jardin, l’esplanade et le boulevard Pacheco via de nouveaux esca-
liers et des ascenseurs (axe 5). Cette présentation est soutenue par un diaporama dans lequel
figurent des images de la tour et des escaliers.
La controverse s’exprime avec d’autant plus de vigueur que plusieurs conditions favorables
sont réunies en cette soirée du 4 septembre : le changement de statut du promoteur qui,
d’observateur lors des ateliers, devient acteur actif en présentant lors de la réunion un contre-
projet mettant en question la dalle et en proposant la reconstruction d’un escalier
monumental ; la présence de l’ancien président de l’ARAU, à la fois viscéralement opposé
à l’urbanisme de la Cité administrative (représentatif à ses yeux du désastre urbanistique
qui a frappé l’histoire de Bruxelles durant le XXe siècle) et intrinsèquement attaché à celui
des XVIIIe et XIXe siècles qui permit la naissance de l’escalier monumental. Cette présence
« forte » sera soutenue par des habitants qui ont exprimé, lors des ateliers, leurs réticences
à l’égard de l’architecture de dalle et leur souhait de voir se reconstruire un grand escalier.
Enfin, et pour la première fois, des plans, des figures, des images, et une maquette du site
dans le futur sont montrées par les uns et les autres : par le bureau d’études lors de sa présen-
tation d’abord, par les promoteurs lors de l’exposition de leur contre-projet ensuite. On le

La tour et la dalle : analyse d’une controverse 187


voit : la « guerre des projets » s’appuie manifestement et peut-être avant tout sur celle des images.
Lors de cette réunion sont évoqués les principaux arguments sous-tendant la controverse
autour du maintien de la dalle et de la construction d’une grande tour de logements 6. Ces
deux éléments fonctionneront comme des objets polémiques, des catalyseurs appelant les
participants à se positionner « pour » ou « contre », à faire valoir leurs raisons. Les contro-
verses ne seront du coup ni abstraites ni désincarnées, les mots « patrimoine », « mixité »,
« quartier » renverront ainsi à des images mais aussi, on le verra, à des figurations qui aide-
ront à penser mais pourront par ailleurs bloquer les discussions.
L’essentiel des arguments ayant soutenu la controverse est évoqué dans le chapitre IV. Ils
s’articulent autour de différents enjeux, ceux-là mêmes autour desquels se pensent et se jouent
aujourd’hui l’architecture et l’urbanisme à Bruxelles et par rapport auxquels les acteurs doivent
se positionner et argumenter. Certains de ces enjeux trouvent leur source dans des combats
anciens, d’autres émergent à peine et, à ce titre, révèlent les évolutions de l’imaginaire de
la ville. Parmi les plus importants, qui ne manqueront pas d’apparaître lors des discussions,
on peut évoquer : le patrimoine, ce qu’il englobe et ce qu’il y a lieu d’en faire ; la mixité
fonctionnelle et le logement ; l’échelle à laquelle se conçoit cette mixité et plus généralement
celle (le quartier ou au-delà) à laquelle il convient de réfléchir les problèmes urbains ; la
construction en hauteur avec ses implications en termes de densification mais aussi en termes
d’image de la ville ; les destinataires des projets urbains (habitants actuels ou potentiels,
touristes, navetteurs, fonctionnaires européens, etc.) ; la participation, enfin, ses formes, sa
représentativité et l’autorité de ceux qui y prennent part. Ces enjeux autour desquels se joue
l’imaginaire de ce qu’est une « bonne » ville et une « bonne manière » de faire ville, mais
aussi l’idée de ce que pourrait ou devrait être Bruxelles, servent de cadre aux controverses
qui se font jour. Ils rendent « relevantes » les argumentations qui les prennent pour objet, ils
obligent ceux qui ne sont pas d’accord à contre-argumenter, et permettent ainsi que se dessi-
nent des positions ainsi que des alliances et des oppositions entre acteurs.
Ce que nous avons appelé les « bougés » dans les imaginaires de la ville s’opère à l’oc-
casion de controverses où des imaginaires concurrents se rencontrent, s’opposent et où leur
confrontation marque d’une façon ou d’une autre la ville de son empreinte. Les imaginaires
concurrents peuvent, en effet, cohabiter de manière parallèle sans que leurs oppositions
n’engagent réellement d’effets sur la ville. À l’inverse, des scènes peuvent se constituer où
ces imaginaires concurrents se croisent et où la controverse laisse alors des traces. Le passé
récent de Bruxelles nous a offert de telles scènes : le combat pour la défense de la tour
Martini a entraîné une réinterprétation de la valeur du patrimoine moderniste, celui à propos

188 J e a n -Lo ui s G en ar d et Christine Schaut


de la place Flagey a rouvert le débat à propos de la participation et des concours d’archi-
tecture 7. Ces controverses, quels que soient d’ailleurs leurs « vainqueurs », obligent chacun
à affûter ses arguments, elles permettent d’évaluer les alliés, les adversaires, de sentir les
rapports de forces, et elles publicisent des questions qui étaient jusque-là l’apanage de groupes
restreints. Les discussions autour du schéma directeur de la Cité administrative fournissent
une de ces scènes où vont se reconfigurer des discours et des positions d’acteurs, où vont
aussi se tester des pratiques nouvelles (par exemple, en matière de participation).
Même si ce qui se joue est plus englobant, souvent les enjeux de ces controverses s’arti-
culent sur l’une ou l’autre dimension spécifique, qui prend une place centrale dans les débats.
La plus explicite et la plus prégnante durant les discussions qui auront lieu à l’occasion du
schéma directeur de la Cité administrative est celle du patrimoine. Comme nous l’évoquions,
elle témoigne d’un déplacement dans les controverses sur l’urbanisme bruxellois, dont on
sait à quel point il est lié historiquement à la question de la préservation patrimoniale, voire
à sa « reconstruction ». La prégnance de la thématique patrimoniale sur les discussions sera
forte au point qu’aucun argument ne pourra l’évacuer. L’accord sur l’importance du patri-
moine constitue en quelque sorte un « lieu commun », un arrière-plan partagé lors des discussions,
dont l’objet se déplacera alors vers la définition de ce qui est « patrimonialisable » et de ce
qui ne l’est pas. Les contradicteurs estimeront que l’urbanisme de dalle est le contraire du
patrimoine puisque, historiquement, cet urbanisme a autorisé la destruction du patrimoine
du XIXe siècle, ici symbolisé par l’escalier monumental. En outre, l’urbanisme de dalle, ajou-
teront-ils, ne peut même plus être qualifié de « moderne » : il est lui-même dépassé, il « date ».
Les défenseurs du schéma directeur et de l’urbanisme de dalle s’empareront du même argu-
ment mais en le retournant : l’urbanisme de dalle est le témoin de son époque, il constitue
une trace de l’histoire de la ville et doit à ce titre être sauvegardé. Par ailleurs, en tant que
telle, la Cité administrative présente des qualités architecturales qu’il faut apprendre à recon-
naître et à apprécier. L’argumentation tente là de monter en généralité et de se placer sur
le terrain des adversaires : il ne s’agirait pas de répéter avec le patrimoine moderne les
erreurs du passé.
Même si la question patrimoniale occupera la place la plus importante dans les argumen-
tations des uns et des autres, d’autres thématiques s’y mêleront, mais souvent en y renvoyant.
Ainsi, la question de la tour focalisera à elle seule plusieurs des enjeux qui viennent d’être
énumérés. Celui de la mixité d’abord : les opposants à la tour feront valoir qu’une telle concen-
tration de logements se fera au détriment d’autres fonctions, comme les commerces ou équipements
collectifs. Cet argument sera contré par les défenseurs du schéma directeur qui noteront que

La tour et la dalle : analyse d’une controverse 189


la question de la mixité doit être posée à une autre échelle qu’à celle de la tour. En la posant
à l’échelle du quartier, la tour, en réintroduisant de manière ambitieuse la fonction logement,
permet au contraire, selon eux, une plus grande mixité des fonctions. Au-delà de la question
de la mixité, c’est aussi celle de la densité qui est posée : comment, en effet, satisfaire aux
exigences d’accroissement de la densité urbaine et respecter en même temps les contraintes
en termes de pourcentages de logements sur le site en refusant a priori cette typologie archi-
tecturale ? La controverse sur la tour est d’ailleurs intéressante à un niveau qui dépasse le seul
cas de la Cité administrative. Bruxelles est une ville peu dense par rapport à d’autres grandes
villes européennes. Elle est aussi, comme on le sait, encastrée dans un territoire exigu et enclavée
dans un espace périphérique qui lui est politiquement hostile. Par rapport à ces questions,
comme d’ailleurs par rapport à celle du statut de Bruxelles comme capitale européenne et
aux images de grandeur que cela suppose, la question des tours en vient à s’affirmer toujours
plus à l’avant-plan des enjeux urbanistiques. On voit ainsi se construire un registre argumen-
tatif favorable aux tours. C’est aussi dans ce cadre qu’il faut comprendre certains moments
de la controverse que nous analysons ici. Une controverse où se font également jour des argu-
ments évoquant positivement le potentiel architectural de la tour — la qualité de la vue sur la
ville — et son potentiel symbolique — son statut de repère urbain. Au niveau des procédures,
la tour sera aussi l’occasion de critiquer l’absence de débats participatifs autour des options
pourtant fondamentales du schéma directeur. Le contre-argument sera là particulièrement succinct :
Henri Simons, intervenant hors de la controverse, fera remarquer que discussion il y a eu,
qu’il a mis sur la table la question de la tour lors du second atelier de la Cité.
Nous l’avons déjà souligné, les controverses ne s’opèrent pas de manière désincarnée.
Elles s’articulent certes sur des concepts et des idées, mais à propos d’« objets » parmi lesquels
la dalle et la tour jouent, on vient de le voir, un rôle central. Face à l’argumentation « domi-
nante », portée par le bureau chargé de réaliser le schéma directeur et s’appuyant sur des
débats publics mais aussi sur des images et des esquisses, les opposants se trouvent a priori
en position infériorisée : ils doivent assumer la critique et peuvent se voir opposer l’objec-
tion : « La critique est facile, mais somme toute que veulent-ils ? » Ils ont donc intérêt à se
trouver des « appuis » concurrents 8 pour essayer d’accroître leurs chances de convaincre :
des chiffres ou des statistiques (nouveaux ou réinterprétés), des experts invités, des enquêtes
ou encore des témoignages ou des récits d’acteurs, mais aussi utiliser les moyens qui sont
ceux des acteurs de l’architecture auxquels ils s’opposent. Dans la tradition des luttes urbaines
bruxelloises, la pratique du contre-projet occupe d’ailleurs une position importante. Elle fut l’arme
centrale des mouvements urbains des années 1960 et 1970, et de l’ARAU en particulier.

190 J e a n -Lo ui s G en ar d et Christine Schaut


C’est cet outil qu’utiliseront les promoteurs pour prendre part à la controverse. Ainsi présen-
teront-ils un « contre-projet » proposant une Cité administrative dont la dalle a été cassée,
envisageant la reconstruction d’un escalier monumental et réintroduisant la mixité fonction-
nelle dans la fonction logement. La controverse ne se terminera pas là-dessus ; elle se prolongera
par deux conférences de presse de l’ARAU les 18 octobre (« L’ARAU met en cause certains
aspects du schéma directeur ») et 20 décembre 2006 (« Le schéma directeur Botanique :
l’ARAU s’oppose à l’urbanisme de dalle »). Les mêmes arguments y seront mis en avant. Ces
conférences de presse suivront celles du ministre-président qui, en tenant pour acquis certains
postulats urbanistiques du projet du schéma directeur tels le panorama de l’esplanade et
l’architecture de dalle, fera « comme si » la controverse était inexistante ou éteinte.
Que reste-t-il toutefois de celle-ci dans le schéma directeur « définitif » et dans l’arrêté gouver-
nemental du 29 juin 2007 énonçant les principes sur lesquels doit s’appuyer le plan particulier
d’affectation du sol que doit élaborer la Ville de Bruxelles ? Entre le 4 et le 15 septembre
2006, date à laquelle le schéma directeur est adopté par le gouvernement, le projet est
partiellement revu : y sont incluses la demande d’un nouvel escalier joignant le boulevard
Pacheco au niveau de la dalle dans l’axe du boulevard de Berlaimont ainsi que les diffé-
rentes variantes d’implantation des logements 9. Sans doute peut-on interpréter ces
modifications comme des tentatives de compromis voire comme des concessions qui ne modi-
fient pas pour l’essentiel les attendus du projet initial du bureau. Quant à l’arrêté gouvernemental,
il semble — par le biais d’expressions juridiques telles que « considérant que » — tenter la
réconciliation entre deux positions : d’une part, l’idée que les « conceptions modernistes de
l’aménagement urbain sur dalle » génèrent une rupture radicale « avec le tissu urbain tradi-
tionnel et sa notion d’îlot fermé » et à laquelle il s’agit de remédier « en assurant une meilleure
intégration de la Cité dans son environnement urbain » ; d’autre part, « les potentialités du
site » qu’il s’agit de valoriser. Plus concrètement l’aile des arcades (bâtiments F et D), en tant
qu’« élément structurant de cet ensemble », doit être sauvegardée comme doivent l’être aussi
l’« ouverture et [le] panorama sur la ville basse » favorisant la perspective sur la colonne du
Congrès. L’arrêté insiste encore sur l’importance de « l’unité de la composition d’ensemble
de la Cité administrative » qui s’exprime entre autres par le lien visuel existant entre l’espla-
nade et le jardin Pechère. L’arrêté insiste sur le caractère unitaire de l’ensemble et sur son
intégration, déjà opérée, dans l’environnement urbain (la ville basse, la colonne du Congrès,
la perspective qu’elle autorise) alors que les détracteurs de la Cité administrative dénoncent
quant à eux l’absence d’intégration. Sans surprise, les objectifs d’aménagement du site confir-
ment le schéma directeur, l’option du maintien de la dalle et de l’esplanade puisqu’« il y a

La tour et la dalle : analyse d’une controverse 191


lieu… de valoriser plus particulièrement la fonction de “balcon” ouvert sur le paysage de
la ville depuis l’esplanade », le maintien d’une « composition urbaine symétrique encadrant
l’ouverture » vers la place du Congrès et la recherche d’une meilleure accessibilité et d’une
meilleure articulation spatiale entre le haut et le bas de la ville en créant « de nouveaux esca-
liers ».
Depuis lors, un silence officiel règne autour du PPAS chargé de traduire l’arrêté gouver-
nemental. Au-delà de l’histoire qu’elle raconte, cette controverse nous invite alors à approfondir
deux questions : celle du poids de la figuration dans les débats architecturaux et urbanis-
tiques et celle du positionnement des acteurs de la ville.

L’impossible figuration ou la guerre des images

La pratique architecturale ne peut se comprendre sans les supports au travers desquels elle
se figure. Lorsqu’elle se conçoit entre pairs, sans doute peut-elle se contenter de supports
abstraits tels des plans. Dès lors qu’il s’agit de convaincre des publics non experts (des déci-
deurs politiques, des habitants, etc.), la figuration se trouve soumise à d’autres exigences
de lisibilité. Tout particulièrement lorsqu’il s’agit de porter la question architecturale dans le
débat public ou lorsqu’il s’agit de s’inscrire dans des processus participatifs où on peut
supposer que les publics apprécient de saisir ce qui se trouve derrière les discours. La ques-
tion se pose aussi quant au statut de ce qui est montré, en particulier quand un processus
participatif est censé alimenter le projet ou dans le cadre d’un urbanisme procédural supposé
baliser la voie et dessiner les cadres des réalisations architecturales qui feront l’objet de
concours ultérieurs. C’est d’ailleurs ce que défend de manière générale le bureau MSA chargé
du schéma directeur, et ce que présuppose plus précisément ce dispositif.
Durant l’élaboration de ce schéma et à l’occasion des débats qu’il a suscités, la question
de la figuration et de son statut s’est posée avec acuité. Lors des ateliers de la Cité, aucune
représentation du schéma directeur et du futur du site n’est proposée aux participants. Si
des désaccords à propos de l’esplanade et de la tour sont déjà observés lors du second
atelier, ils se construisent « dans le vent », sans l’aide d’images. C’est d’ailleurs pour répondre
à cette difficulté de se rendre compte de ce que « pourrait donner » une tour sur ce site que
des participants de ce second atelier réclameront une maquette. Lorsque le bureau d’études
présente ses premières représentations du site au cours du comité d’accompagnement de
juin 2006, les promoteurs s’y opposent pour la première fois. La controverse peut commencer.
Elle s’amplifiera en public à l’occasion de la réunion publique du 4 septembre 2006.

192 J e a n -Lo ui s G en ar d et Christine Schaut


Fig. 1. Maquette du contre-projet des promoteurs, réalisée
par le bureau américain KPF et présentée lors de la réunion
publique du 4 septembre 2006. (Photo : Michel Hubert.)

Deux anecdotes dénotent l’importance des dispositifs matériels tant comme appuis à la
controverse que comme producteurs de celle-ci. D’abord cette phrase : « Les promoteurs ont
une maquette ! » par laquelle l’un des animateurs de la réunion publique nous accueille ce
soir-là en tant qu’observateurs. D’après lui, la maquette, plus que les images numériques,
est un outil qui risque de faire pencher la balance en faveur du contre-projet. En trois dimen-
sions, elle est plus attrayante et plus parlante que les diapositives présentées par le bureau
d’études. Deuxième épisode marquant : lors de la réunion, confronté aux critiques, le bureau
d’études en vient à relativiser la portée des images qu’il avait pourtant apportées pour nourrir
la discussion. « Ce que vous voyez n’est pas ce que vous verrez, affirme-t-il. La tour est grande
et les escaliers proposés petits, mais c’est parce qu’il est malaisé de bien les figurer à ce
stade-ci, à cause de la grandeur du site et des difficultés d’échelle que sa figuration pose. »
L’euphémisation passe aussi par l’affirmation du caractère quasi « aléatoire » de la figuration
choisie : « celle-ci a été donnée à titre d’exemple, on aurait pu en choisir une autre ». De toute
façon, il s’agirait là de « points de détail qui distraient de l’essentiel : les dix principes du
schéma directeur ». Le bureau MSA se trouve en quelque sorte pris au piège de cette tension
entre son souci de rendre lisibles ses intentions par la figuration et le statut tout à fait hypo-
thétique de ce qu’il présente étant donné le caractère procédural et général du dispositif.
Considérés ensemble, ces deux épisodes sont significatifs. Ils attirent l’attention sur l’impor-
tance et le statut des appuis de la controverse. Ils nous obligent à saisir qu’en réalité celle-ci
se construit dans deux « milieux », par ailleurs interconnectés : celui du discours, des argu-
ments et des contre-arguments, mais aussi celui des objets qui aident à mettre des images
sur les discours tout autant sans doute que ceux-ci aident à mettre des mots sur des intuitions
spatiales. On le comprend à travers l’inquiétude d’un des animateurs de la réunion du
4 septembre : le statut même de la controverse se modifie lorsqu’elle cesse d’opposer ceux
qui ont à la fois les mots et les objets, d’un côté, et ceux qui n’ont que les mots pour dire

193
Fig. 2. Extrait du diaporama présenté le 4 septembre 2006 par
MSA-Lion : démolition du bâtiment G et construction à son emplace-
ment d’un nouveau complexe de logements (quatre dias de ce type
parmi les douze illustrant le schéma directeur). (Source : MSA-Lion.)

Fig. 3. Extrait du même diaporama : amélioration de


l’accessibilité des différents niveaux (cinq dias de ce
type parmi les douze illustrant le schéma directeur).
(Source : MSA-Lion.)

Fig. 4. Extrait du même diaporama : ouverture du


boulevard Pacheco avec commerces et équipements
(trois dias de ce type parmi les douze illustrant le
schéma directeur). (Source : MSA-Lion.)

leur opposition, de l’autre, pour en venir à mettre face à face des adversaires disposant des
mêmes appuis. Sans doute est-ce ce changement décisif dans les rapports entre partisans
et opposants au projet de schéma directeur qui conduira le bureau MSA à adopter une posi-
tion plus défensive, euphémisant la portée de ses propres figurations mais mettant aussi en
avant le caractère extrêmement coûteux de la maquette apportée par les promoteurs, et
induisant du coup le soupçon d’un rapport de force inégal entre ceux qui ont les moyens
(financiers) et ceux qui ne les ont pas.
Si on analyse dans le détail les images qui font l’objet de la controverse, plusieurs éléments
attirent l’attention quant au statut même de la représentation figurée dans le projet du bureau
d’études et dans le contre-projet des promoteurs.

194 J e a n -Lo ui s G en ar d et Christine Schaut


Fig. 5. « Connecting the City », la Cité administrative
avant / après dans le contre-projet du promoteur.
Photos d’une représentation du contre-projet du
promoteur (réalisée par KPF) prises lors de la réunion
du 4 septembre 2006. (Photos : Michel Hubert.)

Plans et images de synthèse face au dessin et à l’aquarelle

Pour illustrer la « Cité de demain », le bureau MSA a fait le choix de plans et d’images de
synthèse, contrairement aux images du contre-projet qui se présentent comme des dessins
aquarellés. Sans se prononcer sur les effets de ces deux modes de représentation, sans doute
disent-ils quelque chose sur le positionnement de ceux qui les défendent. Derrière l’opposi-
tion entre la modernité des technologies informatiques de la représentation virtuelle et le
caractère plus traditionnel du dessin, se profile aussi une tension entre un rapport plus distant
et plus froid à l’architecture et une architecture qui se prétend plus proche de la corporéité
et de la sensibilité. Cette impression est renforcée par l’usage des représentations d’humains.
Celles-ci sont rares dans le diaporama présentant le schéma directeur (on compte trois dias
où figurent des usagers du site sur les douze dias illustrant son futur). Le contre-projet, par
contre, ne manque pas de les faire figurer dans toutes les images publicisées : des cyclistes,
des promeneurs. L’évocation d’une urbanité « sociable et apaisée », sans doute à peine
urbaine, domine.
Lors de la réunion du 4 septembre, aussi bien les concepteurs du schéma directeur que
ceux du contre-projet appuient également leurs propos sur des représentations de la Cité
administrative telle qu’elle se donne à voir aujourd’hui. Mais, on l’imagine bien, l’usage
qu’ils en font est bien différent.

La tour et la dalle : analyse d’une controverse 195


Fig. 6. La Cité administrative vue par le
bureau d’études (extrait du diaporama
présenté le 4 septembre 2006).
(Source : MSA-Lion.)

La Cité administrative d’aujourd’hui comme soutien ou comme repoussoir

Par la centralité de la Cité administrative, par l’accentuation de ses couleurs, par sa lumière
qui déborde largement du site sur l’ensemble du quartier et par l’intitulé de son titre (« Quelle
cité pour demain ? »), une dia (Fig. 6) met en exergue les qualités actuelles du site et suggère
que le schéma directeur s’appuiera sur elles. On ne s’étonnera pas de constater que les
promoteurs du contre-projet procèdent de manière totalement opposée. En comparant la
situation actuelle avec le contre-projet, ils s’en servent à la fois pour mettre en valeur ce
dernier et dévaloriser l’existant de la Cité administrative, tentant ainsi de prouver la néces-
sité d’une intervention radicale. L’avenir riant, habité, rempli, coloré, humain, sécurisé,
accessible, arboré et transparent s’oppose au présent vide, sombre, opaque, minéral et
insécurisant du présent 10.
L’importance de la figuration comme enjeu ne se limitera nullement au moment de la polé-
mique mais se perpétuera durant la suite du processus comme l’atteste le communiqué de
presse de l’ARAU, « Cité administrative de l’État : l’ARAU remet en cause certains aspects
du schéma directeur », diffusé le 18 octobre 2006. L’association décide alors de faire sortir
la controverse du cercle de la participation interne au processus d’élaboration du schéma
directeur pour atteindre un auditoire plus large et pour en faire un enjeu plus ouvertement
public. Les images doivent servir à renforcer les arguments. Il s’agit cette fois de prendre à

196 J e a n -Lo ui s G en ar d et Christine Schaut


témoin une opinion publique qu’on peut supposer sensible aux critiques portées au nom
d’une architecture qui se veut à l’échelle de la ville et de ses habitants, en activant somme
toute le discours classique qui scande les luttes urbaines bruxelloises depuis les combats
urbains des années 1960 et 1970. À cette réserve près — nous y reviendrons — que les
jeux d’alliance se sont pour l’heure réorganisés, l’ARAU adoptant une position proche des
choix défendus par les promoteurs. Dans son communiqué, l’ARAU oppose, en effet, deux
représentations de la Cité administrative. La première provient du bureau MSA. Elle présente
une image surplombante de la Cité administrative avec, en premier plan, la tour des Finances
et, en arrière-plan, la barre de logements, toutes les deux semblant écraser le site. Cette
figure est commentée par l’ARAU qui voit dans la nouvelle future CAÉ l’évocation de la Cité
modèle à Laeken ; celle-ci semble servir de repoussoir. La seconde représentation est extraite
du contre-projet des promoteurs-propriétaires 11. Cette option est soutenue par l’association
parce qu’elle promeut « un lien visible et direct entre le boulevard et la place du Congrès 12 ».
Le choix de ces deux représentations par l’ARAU n’est pas dû au hasard. L’image choisie
du site revu et corrigé par le SD insiste sur la monumentalité du lieu, sur son caractère
surplombant et imposant. Elle met en avant-plan la tour des Finances, comme si l’ensemble
du projet s’y trouvait soumis. Aucune vie n’y est représentée. Elle souligne l’existence de
deux tours sur le site à venir, la nouvelle renvoyant, en miroir, à la première. À suivre l’argu-
mentation de l’ARAU, la tour des Finances et la tour de logements peuvent être vues comme
une anomalie d’échelle écrasant l’ensemble du site. Ainsi le couperet tombe : cela rappelle
la « Cité modèle » à Laeken, les années 1960, une architecture dévoyée et sans âme. La
seconde image, celle du contre-projet des promoteurs soutenu par l’ARAU, met par contre
la tour des Finances à distance pour se fixer sur l’escalier monumental qui reliera à nouveau
les quartiers des Bas-Fonds et la rue Royale, liaison sur laquelle on aperçoit de nombreux
petits personnages qui préfigurent l’apport possible de ce choix en termes de sociabilité
urbaine. Le choix de l’angle de vue privilégie ici les interventions nouvelles, en particulier
l’escalier monumental qui est à l’avant-plan ; il contribue aussi, par un effet de « grand-angle »,
à accuser à outrance l’échelle de la tour qui contraste alors radicalement avec celle mise
en œuvre dans les propositions du contre-projet.
Par la suite, tant dans le « projet final » de schéma directeur que dans la brochure éditée
par l’administration régionale à destination d’un large public, l’image qui fâche sera atté-
nuée tenant compte des remarques de participants à la réunion du 4 septembre : la tour
des Finances disparaît du champ, des escaliers latéraux entre le site et le boulevard Pacheco
font leur apparition, la tour de logements, agrémentée d’arbres et trouée, semble prendre

La tour et la dalle : analyse d’une controverse 197


Fig. 7. L’image euphémisée du projet de schéma directeur
parue dans BrU, la revue de l’administration de
l’Aménagement du territoire et du Logement.
(Source : MSA-Lion.)

des proportions plus conventionnelles, plus réduites. Et surtout, les images de synthèse déjà
présentées lors de la réunion sont assorties d’une mise en garde : « les plans et les illustrations
représentent une interprétation urbanistique et architecturale d’éléments de définition mis en
avant dans le schéma directeur. Ils n’ont pas de valeur contraignante et constituent une illus-
tration du potentiel urbanistique défini par les principales orientations prises dans le document ».
L’exemple de la Cité administrative, par la controverse que son futur suscite et le poids
des images, nous montre que les débats à propos de la ville et de son aménagement ne
peuvent guère se passer de figurations. Ces dernières ont le pouvoir d’évoquer, de faire
peur ou de rallier, auquel les discours ne peuvent prétendre. Cet exemple souligne ainsi
l’importance que peuvent revêtir, dans un dispositif participatif, une méthode et des outils
qui attribueraient une place centrale aux objets qui concrétisent les intuitions spatiales et qui
permettent de montrer ce qu’il est difficile de dire. Une réflexion sur cette question est essen-
tielle si l’on veut aller plus avant dans la logique participative, associer davantage les usagers
de l’espace et éviter les sentiments de frustration que ceux-ci ont exprimés lors de la réunion
du 4 septembre. Elle est essentielle si l’on veut que la participation ne laisse pas un goût
amer ou de trop peu et qu’elle n’apparaisse plus seulement comme un ensemble de procédés,

198 J e a n -Lo ui s G en ar d et Christine Schaut


certes intéressants, mais qui ne font en rien descendre les experts de leur position surplom-
bante, induite entre autres par leur maîtrise, loin d’être partagée, du langage spatial. Les
architectes possèdent leurs propres répertoires de fabrication d’objets, qui les aident à maté-
rialiser leurs intuitions et les font avancer dans leurs projets — esquisses, maquettes, prises
de vue, interviews… S’ils veulent réellement assumer leurs ambitions participatives, ils doivent
sans doute envisager de les partager, mais aussi en inventer d’autres, adaptés aux publics
avec lesquels ils travaillent.

Un nouveau jeu d’acteurs ?

Du côté des acteurs, l’histoire de l’élaboration du schéma directeur pour la Cité adminis-
trative constitue peut-être une sorte d’« idéal-type » des reconfigurations en cours dans le
paysage bruxellois. Entre les promoteurs, les associations, anciennes ou plus récentes, le
gouvernement régional, les communes, les habitants, on assiste à des jeux d’alliances et
d’oppositions intéressants à décrypter. Bien entendu, l’aménagement de la Cité adminis-
trative révèle en particulier des tensions autour de la définition du patrimoine, ce qui n’est
pas le cas d’autres zones leviers. D’autre part, le gouvernement régional ne bénéficie pas
forcément sur d’autres projets d’un appui aussi fort de la part d’un échevin de l’urbanisme,
qui partage dans le cas de la Cité les mêmes goûts architecturaux que les membres du
cabinet et le bureau d’études en charge. Cela étant, on peut penser qu’avec des intensités
et des mobilisations sensiblement différentes, de telles alliances et oppositions se constituent
ailleurs et en d’autres occasions.
On sait à quel point l’histoire récente de Bruxelles — les cinquante dernières années —
est marquée par les combats urbains. Des combats qui, à l’origine, opposaient des promo-
teurs d’un côté et des associations s’exprimant au nom de l’habitant de l’autre. Parmi celles-ci,
l’ARAU joua un rôle de premier plan, portant haut l’ambition de défendre le patrimoine exis-
tant et la reconstruction de la ville européenne classique, avec pour contrepoint une franche
hostilité à l’égard du fonctionnalisme et du modernisme tardif. Par la suite, d’autres asso-
ciations urbaines, Inter-Environnement Bruxelles par exemple, se sont inscrites, avec plus ou
moins de netteté, dans la même lignée politique. Progressivement, ce point de vue est devenu
une sorte d’évidence ; repris par les décideurs publics, présent dans des dispositifs juridiques
(par exemple la Commission royale des monuments et sites…), il a généré une certaine
culture de la participation, conduisant au développement d’un urbanisme privilégiant l’échelle
du quartier, la proximité et l’horizon de l’habitant.

La tour et la dalle : analyse d’une controverse 199


Depuis une dizaine d’années, cette configuration fait face à une redistribution des cartes
et des rôles des acteurs. De nouveaux mouvements socio-urbains émergent qui ne partagent
pas les options issues des combats anciens. Des voix s’élèvent pour que soit donnée une
place à l’architecture la plus contemporaine 13. On en vient à s’indigner des coups portés
aux réalisations architecturales modernistes au nom de leur valeur patrimoniale. On n’hésite
plus à glorifier la qualité esthétique des tours. L’exigence d’attractivité liée à la prise de
conscience de l’importance du statut de capitale européenne de Bruxelles met en question
un urbanisme qui se penserait avant tout à la petite échelle. Des revendications en faveur
de l’organisation de grands concours d’architecture problématisent le statut des dispositifs
existants, conduisant notamment l’ARAU à reprocher aux concours de court-circuiter les procé-
dures classiques de commissions de concertation.
Ces mutations dans l’imaginaire urbain bruxellois ne vont pas sans entraîner des trans-
formations dans les jeux d’acteurs et dans les alliances. Parce qu’il condense toute une série
d’enjeux (statut du patrimoine, échelle de la ville, dispositif participatif, etc.), le schéma direc-
teur de la Cité administrative semble un excellent analyseur de ces transformations.
L’élément le plus frappant est sans doute la rencontre qui a lieu ici entre le promoteur et la
stratégie du contre-projet, stratégie qui, rappelons-le, est dans l’histoire de l’urbanisme bruxel-
lois l’arme par laquelle les associations entendent s’opposer, au nom de l’habitant, aux projets
des promoteurs. Dans le cas étudié, non seulement ce sont les promoteurs qui utilisent l’outil
« contre-projet », mais ce dernier recueille dans ses grandes lignes la préférence de l’ARAU
qui n’hésitera pas à lui apporter son soutien dans son communiqué de presse du 18 octobre
2006. Ce rapprochement entre les adversaires d’hier peut vraisemblablement être interprété
comme un effet du discours hérité des années 1970 et désormais « incrusté » dans l’imagi-
naire de bon nombre d’acteurs de l’urbanisme bruxellois, y compris les promoteurs. Ceux-ci
ont évidemment tout à gagner de la compatibilité entre les attentes respectives des comman-
ditaires, de ceux appelés à délivrer les autorisations nécessaires ou encore des associations
dont ils connaissent les aptitudes de mobilisation citoyenne ou les capacités obstructives. Sans
doute se sont ainsi construits des connivences et des rapprochements qui, dans le cas de la
Cité administrative, vont se trouver mis à mal par un changement de référentiel 14.
Il convient ainsi de rappeler que le bureau MSA fait figure de « nouvel acteur » au regard
du contexte propre aux décennies précédentes. Il s’est notamment fait connaître en gagnant
le concours lancé par le gouvernement fédéral en 2003 pour l’aménagement du quartier euro-
péen. Un des atouts essentiels de ce projet était de mettre en place les bases d’un urbanisme
procédural dont la philosophie est finalement assez proche de celle du dispositif SD. Depuis

200 J e a n -Lo ui s G en ar d et Christine Schaut


2004, il est en charge de plusieurs contrats de quartier et d’un autre schéma directeur. Un
de ses associés, Benoit Moritz, est membre fondateur du mouvement Disturb, qui s’est fait
connaître en s’opposant à la destruction de la tour Martini. Comme le fait Disturb de manière
générale, le bureau MSA défend une démarche procédurale, ne privilégiant donc pas d’a priori
stylistique. Toujours à l’instar de Disturb, il défend dans ses propres pratiques la logique des
concours d’architecture, auxquels il doit d’ailleurs l’essentiel de ses activités. Les position-
nements de MSA sont en phase avec un ensemble de références que ses membres ont eux-mêmes
contribué, avec d’autres, à rendre crédibles et lentement à imposer. S’agissant des concours
d’architecture, les orientations de ce bureau s’inscrivent aussi en phase avec l’évolution des
cadres législatifs européens que le gouvernement bruxellois se doit d’implémenter, mettant
fin à des pratiques qui à vrai dire leur laissaient peu de place. Soit donc un ensemble de
références qui progressivement ont gagné les sphères de la décision politique.
Les autorités publiques bruxelloises ont dans le même temps commencé à intégrer une
nouvelle génération d’acteurs se distinguant par leurs compétences en matière urbanistique
et qui en viennent à occuper des positions stratégiques dans des cabinets ministériels. Des
acteurs sensibles à la fois au discours des nouveaux mouvements urbains bruxellois — certains
membres de Disturb sont « proches » de certains cabinets ministériels, d’autres se verront
confier des missions intellectuelles… — et / ou à l’obligation pour Bruxelles de se positionner
comme capitale européenne, de jouer le jeu de la concurrence sans cesse plus poussée à
laquelle se livrent les villes dans le contexte du déclin de l’État-nation — plusieurs colloques
seront ainsi organisés autour de cette question, à l’initiative, par exemple, des cabinets
Huytebroeck (les « Assises du tourisme »), Picqué (« Demain la ville ») ou Dupuis (sur la ques-
tion de la « densité »). En peu de temps, le discours sur la valeur d’une architecture contemporaine
de qualité a monté en crédibilité, problématisant voire plaçant en position défensive le discours
à dominante patrimonialiste, au point par exemple de mettre en question le statut des « avis
conformes » pris par la Commission royale des monuments et sites 15. L’importance prise
récemment par les zones leviers et les schémas directeurs — à côté des contrats de quar-
tier, qui constituaient jusqu’il y a peu le principal dispositif urbanistique proprement bruxellois —
traduit très clairement la volonté politique de penser la ville à une plus large échelle. L’annonce
faite par le ministre-président d’un projet de plan de développement international (PDI) en
2007, visant à assurer une plus grande attractivité métropolitaine à Bruxelles et largement
décrié par certains acteurs urbains et scientifiques au nom de sa vision libérale, l’illustre
encore avec force. Plus largement, le renouvellement des acteurs de l’urbanisme bruxellois
initiera des rapprochements majeurs entre cabinets ministériels et acteurs de l’urbanisme au

La tour et la dalle : analyse d’une controverse 201


travers de relations de confiance, voire amicales, entre des personnes bien souvent de la
même génération. Ce rapprochement conduira aussi à confier diverses missions de services
publics à des acteurs qui jusqu’il y a peu étaient encore des opposants (notamment sous le
gouvernement précédent). Le rapprochement est encore facilité par les « nouveaux » dispo-
sitifs tels les schémas directeurs et les contrats de quartier, qui redessinent les relations entre
l’ensemble des acteurs concernés dans une logique moins pyramidale et plus réticulaire,
favorisant la constitution d’un « monde commun » 16. Ce « bougé » se traduira aussi par l’ap-
parition de tensions entre cette nouvelle génération de décideurs et des membres des
administrations demeurant davantage attachés aux anciens référentiels. C’est notamment
pour cette raison que sera envisagée la création d’une agence bruxelloise d’urbanisme, que
d’aucuns perçoivent comme une atteinte aux prérogatives de l’administration 17.
C’est dans ce contexte qu’il convient de réfléchir aux recompositions des jeux d’acteurs
et, en particulier, au rapprochement qui, à l’occasion du schéma directeur de la Cité admi-
nistrative, va s’opérer entre le pouvoir politique, le bureau d’études MSA, mais aussi le BRAL.
Ce troisième acteur, comme son homologue IEB dans d’autres schémas directeurs, se verra
assigner une mission de service public consistant à organiser une participation qui, contrai-
rement à ce qui se passe dans les contrats de quartier, ne se trouve pas ici formalisée a priori.
De ce fait, ces institutions telles le BRAL et IEB, héritières des luttes urbaines des années 1960
et 1970, vont se retrouver dans un positionnement inhabituel de médiateurs ou d’accom-
pagnateurs, bien éloigné de leur position traditionnelle d’opposant et de défenseur des habitants
contre le pouvoir politique ou les promoteurs. Une position nouvelle qui va d’ailleurs susciter
bien des débats internes, certains membres de ces associations se demandant si, dans ces
jeux nouveaux, ils n’en viennent pas à perdre leur âme ou à tout le moins leur raison d’être.
On le voit, cette proximité nouvelle entre pouvoir politique, bureaux d’architecture et d’urba-
nisme et associations ne va pas sans poser question, en particulier à des acteurs qui,
idéologiquement, ont assumé plus tôt des positions contestataires et qui se retrouvent main-
tenant alliés de ceux qu’ils critiquaient auparavant. Là doivent se construire des jeux sur les
limites de la connivence et de l’adversité. Le soutien ostensible des décideurs peut devenir
un fardeau lourd à porter pour ceux qui se trouvaient il y a peu encore en position d’oppo-
sant, comme des connivences trop affichées peuvent semer le doute sur la liberté d’action
des uns et des autres. Là aussi peuvent se révéler des tensions au sein même du tissu asso-
ciatif : les uns sont entre-temps devenus les dépositaires de missions de services publics alors
que les autres sont restés du côté du contre-pouvoir. Peut-être est-ce précisément ce type de
tension que révèle l’absence de la plupart des initiateurs du MapRAC dans la procédure

202 J e a n -Lo ui s G en ar d et Christine Schaut


d’élaboration du schéma directeur. Une absence remarquée et regrettée, entre autres par
la conseillère du cabinet du ministre-président en charge du schéma directeur de la Cité
administrative : « On a essayé de les impliquer dans les ateliers, mais ça n’a pas fort marché.
Pourtant, on a communiqué très largement, on a utilisé les listes pour inviter tout le monde… »

Conclusion

D’entrée, nous avions évoqué l’intérêt que représente l’analyse sociologique des controverses.
Nous pouvons maintenant en préciser la teneur. Comme nous le rappelions, les controverses
sont l’occasion de mettre en présence des positions qui, sans elles, peuvent parfaitement se
développer parallèlement, en s’ignorant les unes les autres. La controverse les met à l’épreuve.
Elle oblige les adversaires à argumenter, elle les confronte aux limites de leurs évidences,
elle les conduit à amener des preuves, à trouver des alliés. En publicisant davantage les
positions, elle oblige à s’adresser à des auditoires plus larges, mais aussi à rencontrer des
arguments inattendus. S’il y a controverse, c’est aussi parce qu’il y a enjeu, un enjeu que
la controverse va en retour contribuer à qualifier et à construire.
Les analyses des controverses autour du schéma directeur de la Cité administrative ont
ceci d’intéressant que ces controverses ont constitué un moment de focalisation des reposi-
tionnements argumentatifs et actoriels au sein de l’imaginaire urbanistique bruxellois. Portées
par des mouvements émergents, des voix se sont élevées ces dernières années pour proposer
de nouvelles visions et pratiques urbanistiques à Bruxelles. Proposer du nouveau suppose
que tôt ou tard on se heurte à l’ancien et que se construisent des scènes où, sur des ques-
tions très concrètes, les adversaires s’affrontent. Nous pensons que le schéma directeur de
la Cité administrative est une de ces scènes, où chacun put mesurer son pouvoir de convic-
tion, la force et la faiblesse de ses arguments, où chacun put tester le soutien de ceux qui
étaient ses alliées, où chacun fut soumis à la critique et sommé de sortir ses « appuis », en
l’occurrence ses images, ses chiffres. Pour qu’il y ait controverse et non dialogue de sourds,
il fallait que s’imposent des « lieux communs », des thèmes à propos desquels on pouvait au
minimum se mettre d’accord pour considérer qu’il y avait un enjeu, et un désaccord. Ces
lieux communs furent bien entendu puisés dans les registres architectural et urbanistique :
patrimoine, densité, échelle, mixité, participation… ont constitué cet horizon commun des
disputes. Confrontée au cas concret de la Cité administrative, cette sémantique abstraite a
pu s’incarner dans des objets dans lesquels se matérialisaient les enjeux des disputes : la
dalle, la tour, l’escalier monumental… occupèrent là une place centrale.

La tour et la dalle : analyse d’une controverse 203


Les controverses obligent également les acteurs à « monter en généralité ». L’escalier monu-
mental n’est pas seulement cet escalier monumental : derrière lui se profile aussi une conception
de la ville, du vivre ensemble. Cette tour que l’on veut ajouter au site n’est pas seulement
une tour, c’est aussi un engagement sur un projet de ville, c’est l’affirmation d’une trans-
gression par rapport aux répertoires habituels.
Du coup, la controverse n’est pas non plus seulement cette controverse même si elle l’est
d’abord. Elle dit aussi des choses sur l’imaginaire urbain en train d’évoluer. Elle révèle des
mouvements dans les jeux d’acteurs, dans les rapports d’alliances ou de force. Le cas étudié
nous a montré une association déjà ancienne, l’ARAU, alliée de ces promoteurs dont elle
avait fait initialement ses ennemis ; il a mis en scène une association, le BRAL, chargée d’orga-
niser la participation et quelque peu encombrée par cette délégation de mission de service
public alors qu’elle avait fait de l’exigence de participation l’arrière-plan constant de ses
revendications ; il nous a présenté des promoteurs, plus habitués à d’autres scènes d’influence,
hésiter à prendre part aux processus participatifs et décider tardivement de s’y investir avec
force ; il a révélé les difficultés de positionnement de membres de cabinets ministériels invités
à intervenir dans des processus participatifs dont ils entendaient surtout être observateurs ;
il a indiqué les limites auxquelles se trouvaient confrontés les membres du bureau d’études
dès lors qu’il s’agissait de défendre un urbanisme procédural tout en cherchant à le repré-
senter ; il a mis en relief le désarroi des habitants face à des attentes participatives dont les
limites étaient loin d’être claires ; il a enfin commencé à donner quelques indications sur les
usages politiques ultérieurs de ces processus participatifs.
Mises ensemble, toutes ces incertitudes laissent soupçonner que les acteurs ne se sont pas
trouvés là face à des partitions bien connues mais au contraire face à des situations où il
s’agissait largement d’improviser. Nous y voyons un indice de l’existence de ce que nous
avons appelé un « bougé » dans l’imaginaire et les pratiques de la ville. Un « bougé » qu’il
faudrait rapporter à des reconfigurations globales d’acteurs et d’imaginaires urbains et qui
trouvera sans doute ses prolongements dans d’autres controverses, dans d’autres décisions
politiques ayant trait, par exemple, au PDI, à la création d’une agence d’urbanisme, au choix
d’édifier des tours, à la place de l’architecture contemporaine, à l’organisation de concours.
L’urbanisme des années 1960 fut longtemps un repoussoir dans une ville résolument tournée
vers des choix architecturaux postmodernes. Nous avons évoqué plusieurs indices qui lais-
sent penser que cette page se tourne lentement. Parce qu’elle est sans doute une illustration
majeure de cet urbanisme des années 1960, la Cité administrative constituait un cas d’espèce
idéal, où il était possible de tester comment et jusqu’où les manières jusque-là dominantes

204 J e a n -Lo ui s G en ar d et Christine Schaut


de penser l’architecture à Bruxelles pouvaient être transgressées : dire la beauté ou la réus-
site de la Cité administrative, voir dans les dalles ou dans la typologie des tours une richesse
patrimoniale, autant d’arguments dont la validité et la recevabilité n’étaient en rien garan-
ties d’avance. La dalle et la tour d’un côté, l’escalier monumental de l’autre furent l’occasion
d’une mise à l’épreuve des discours et des positions où purent se mêler arguments esthé-
tiques, techniques et fonctionnels mais aussi images de la ville et de l’urbanité. Implicitement,
ce fut aussi l’occasion de réarticuler des thématiques partagées — densité, mixité, urbanité
et patrimoine — avec des formes et des types architecturaux qui ne faisaient en rien consensus.
C’est peut-être avant tout à cet égard que l’on peut parler de recomposition des discours et
des arguments. Pour l’attester, sans doute faudrait-il élargir le cadre d’analyse et évoquer
des études récemment commandées sur les tours à Bruxelles et des colloques organisés sur
le même thème, ou encore les nouvelles orientations des politiques de classement patrimo-
nial vers les réalisations modernistes, notamment celles de l’après seconde guerre mondiale.
Enfin, le cheminement de notre analyse nous a conduits à accorder une attention spéci-
fique aux moyens de la figuration architecturale et urbanistique. Nous avons vu à quel point
les représentations pouvaient être mises en relation avec les positionnements des uns et des
autres. À quel point aussi les images constituent des « appuis » aux acteurs en présence. À
quel point, enfin, la capacité de montrer des images focalise ou déplace les controverses.
À cet égard, nos analyses livrent quelques « leçons » sur les usages et les méthodologies
de la participation. Contrairement aux dispositifs participatifs hérités des luttes urbaines des
années 1960 et 1970 — principalement les commissions de concertation —, les schémas
directeurs entendent s’appuyer sur des processus participatifs en amont, ex ante au moment
de la conception du projet. La figuration y joue un rôle absolument central. Celle-ci se produit
au cours d’une constante oscillation entre intuition et représentation sans que l’on puisse dire
si l’une précède l’autre. Comment, en effet, prétendre que l’architecte qui jette sur le papier
une première esquisse en avait d’abord le dessin « dans sa tête » ? Sans doute peut-on tout
aussi bien penser que c’est d’une certaine façon l’aisance de sa main qui le guide vers des
formes qui se dessinent et qu’il « saisit » au travers de son geste. Une participation en amont
ne peut faire l’économie de cette dimension intrinsèque de l’architecture, et elle doit le faire
en sachant que le public appelé à « participer » ne possède pas forcément de culture architec-
turale, et moins encore cette capacité de représentation et de figuration. Au-delà des questions
classiques relatives à la portée de la participation et à la clarification de ses limites, se pose
donc, au travers de la figuration, un enjeu méthodologiquement crucial dont l’observation
des différents schémas directeurs nous a montré l’importance. Une participation en amont

La tour et la dalle : analyse d’une controverse 205


se doit de tenir compte du fait que les controverses architecturales se meuvent dans deux
milieux, celui du discours et celui des images. Penser une participation en amont, surtout si
elle « tire » vers des ambitions, même modestes, de co-production, impose des exigences
méthodologiques extrêmement lourdes et expose au risque de la frustration des participants.
Elle en appelle aux capacités inventives des bureaux d’architecture ou des associations char-
gées d’implémenter une telle participation, à leur capacité de créer des dispositifs, des objets,
des questionnaires, des jeux… sans lesquels une telle participation risque fort de demeurer
peu (co-)productive. Là se situe peut-être une des limites actuelles des processus que les dispo-
sitifs des schémas directeurs nous ont offert d’observer.

206 J e a n -Lo ui s G en ar d et Christine Schaut


1. Luc BOLTANSKI et Laurent THÉVENOT, De la justifi- « Activating Pachecolaan » pour indiquer le renouveau
cation. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, du boulevard, « New Landmark » pour signaler que la
1991. Cité va être un repère pour la ville et ses usagers, « Public
2. Voir Vincent CALAY, « L’expertise de l’architecte à Realm » pour signifier l’animation créée dans le jardin
l’épreuve d’une mutation de l’imaginaire aménageur : Pechère.
le débat bruxellois dans la capitale de l’Europe comme 11. On peut s’étonner de l’usage par l’ARAU d’images
espace de définition de la réflexivité en architecture » in produites par des promoteurs. On y reviendra.
Fabrizio CANTELLI, Jean-Louis GENARD et Steve JACOB 12. « Cité administrative de l’État : l’ARAU remet en cause
(s.l.d.), Les Constructions de l’action publique, Paris, certains aspects du schéma directeur », communiqué de
L’Harmattan, 2007, p. 157-177. presse de l’ARAU diffusé le 18 octobre 2006, p. 8.
3. Voir les chapitres IV et V. 13. Voir notamment Jean-Louis GENARD et Pablo
4. Lors de la réunion publique du 4 septembre 2006, LHOAS (s.l.d.), Qui a peur de l’architecture ? Livre blanc
c’est en ces termes que René Schoonbrodt, ancien prési- de l’architecture contemporaine en Communauté fran-
dent de l’ARAU, apostrophe l’échevin de l’urbanisme de çaise de Belgique, Bruxelles, La Lettre Volée / ISACF – La
la Ville de Bruxelles. Cambre, 2004.
5. Voir le chapitre IV. 14. Cette connivence est particulièrement frappante lors
6. Pour un historique de l’émergence d’un urbanisme de de la réunion publique du 4 septembre 2006 durant
dalle et de la construction en hauteur en Belgique (ainsi laquelle Renée Schoonbrodt et Jean Thomas la figurè-
que, pour la Cité administrative de l’État, de l’escalier rent par des signes amicaux et dans leur discours :
monumental, du panorama et des concours d’architec- tutoiements, références à des histoires anciennes (« Ton
ture), voir le premier chapitre. hôtel, c’est grâce à moi que tu l’as obtenu ! »).
7. Voir Les Cahiers de La Cambre – Architecture, n° 3, 15. Ils ne sont pas les seuls à porter cette revendication,
« De la participation urbaine. La place Flagey », Bruxelles, soutenue aussi par les tenants d’une vision plus libérale
La Lettre volée, 2005. de la ville.
8. Voir Nicolas DODIER, « Les appuis conventionnels de 16. Loïc BLONDIAUX, « La délibération, norme de l’ac-
l’action. Éléments de pragmatique sociologique », tion publique contemporaine ? », Projet, n° 268,
Réseaux, n° 65, 1993, p. 63-86. 2001-2002, p. 88.
9. Voir le chapitre IV. 17. Il s’agira finalement d’une Agence de développe-
10. Autre élément sans doute intéressant à noter, les titres, ment territorial (ADT) qui reprendra en les élargissant les
en anglais, donnés à ces images : « Connecting the City » prérogatives du Secrétariat régional de développement
pour souligner les nouvelles accessibilités et perméabi- urbain (SRDU).
lités du site entre autres vers la colonne du Congrès,
Chapitre VII
Voies et voix de la gare de l’Ouest

Mathieu Berger, Florence Delmotte, Julie Denef et Abdelfattah Touzri

L’événement public comme point de départ

Le 18 avril 2007, Inter-Environnement Bruxelles (IEB), en charge du volet participatif de l’éla-


boration du schéma directeur pour la zone d’intérêt régional (ZIR) « gare de l’Ouest », organise
une réunion d’information au cours de laquelle le bureau d’études en charge (Clerbaux-
Pinon) exposera son projet et répondra aux questions d’élus locaux et d’habitants. Cet événement
montre la rencontre momentanée d’acteurs concernés par le schéma directeur à des titres
divers, évoluant sur des territoires et à des rythmes propres. Dans les prises de parole s’ex-
priment des préoccupations multiples. Celles-ci renvoient vers des enjeux (les espaces verts,
les frontières urbaines, la mobilité, la participation citoyenne…) qui, saisis par les acteurs
à des degrés inégaux et dans des formats différents, semblent résister à un travail politique
de traduction, de confrontation, de mise en commun et de projection.
Le ballet des interlocuteurs et des objets de discussion qui structure cet événement sert ici
d’illustration pour aborder l’histoire du projet et interroger plus largement un processus de
problématisation d’enjeux et de positionnement d’acteurs à travers une succession de phases
d’activité et de sommeil, de « coups » joués et d’actes manqués. L’observation de la réunion
publique, au-delà de l’événement ponctuel, déjà évocateur en soi, permet aussi d’introduire
une interrogation plus générale sur les attendus, les obstacles et les effets du volet public du
dispositif « schéma directeur » sur la production matérielle, idéelle et citoyenne de la ville.
La confrontation des cas de la gare de l’Ouest et de la Cité administrative de l’État, saisis
dans leur spécificité contextuelle et conjoncturelle, nous présente alors des expériences en
miroir et permet d’apporter une lumière nouvelle sur l’outil de projet urbain qu’est le schéma
directeur et sur ses limites 1.
La réunion publique d’information dont nous avons choisi de partir, celle du 18 avril 2007,
était censée, au moment de sa tenue, être la dernière du genre et clôturer le processus parti-
cipatif que prévoyait la procédure d’élaboration du schéma directeur « gare de l’Ouest ».
Elle a été organisée à l’initiative d’IEB, association mandatée par la Région aux fins d’assurer

208 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


Fig. 1. La zone levier et la zone d’intérêt régional « gare de l’Ouest ». (Source : Urba-UCL, 2008.)

Voies et voix de la gare de l’Ouest 209


la médiation avec les habitants et chargée d’informer, de mobiliser ceux-ci et, plus large-
ment, d’organiser la participation autour du projet de schéma directeur. Cette mission débute
en 2005, près d’un an avant le lancement de la procédure en janvier 2006, lorsque le
bureau d’études Clerbaux-Pinon (ACP) se voit désigné pour réaliser le projet. De l’avis des
chargés de mission successifs pour le site de la gare de l’Ouest, IEB a pris le parti de ne
pas établir de méthode précise a priori, tentant plutôt de caller ses interventions au fur et à
mesure sur le processus technico-administratif d’avancement du schéma directeur. Dans un
contexte où la mobilisation citoyenne est à l’origine peu présente autour du site de la gare
de l’Ouest, les nombreuses incertitudes planant sur le projet, en particulier les longs silences
accompagnant les études techniques, ne faciliteront pas la tâche de l’associatif, contribuant
même à la démobilisation de l’ensemble des acteurs en minant un climat de confiance déjà
fragile. Quoi qu’il en soit, les actions menées par IEB auront dès le départ pour but de consti-
tuer un noyau participatif durable, informé du projet et de son arrière-plan, sensibilisé plus
généralement aux questions abordées dans ce cadre et capable de réagir aux propositions
des concepteurs désignés par les autorités voire d’établir son propre diagnostic 2. Ainsi,
avant même que la procédure d’élaboration du schéma ne soit officiellement engagée, IEB
procédera à un travail d’information et de sensibilisation auprès des habitants 3 dans l’op-
tique de faire naître ultérieurement une dynamique collective sur base d’une transmission
des savoirs entre habitants, experts et politiques 4.
Après le lancement du schéma directeur en janvier 2006, IEB organisera et animera une
première réunion d’information en avril, qui sera suivie de trois ateliers dont les thèmes
abordés sont destinés à alimenter le projet du bureau d’études 5. Le premier atelier est consacré
à une présentation du contexte et à un recueil des demandes et souhaits, le deuxième aborde
la thématique de la mobilité et des déplacements et le troisième celle des espaces verts. Tel
que présenté et conçu, le travail réalisé dans ces ateliers semble s’apparenter à un travail
de coproduction du projet. Bien qu’il n’y soit pas contraint contractuellement, le bureau d’études
joue d’ailleurs le jeu d’une participation de ce type en assistant systématiquement aux ateliers,
ce qui apparaît aux yeux d’IEB comme le meilleur vecteur de communication entre habitants
et experts. Dans une certaine mesure, le projet présenté par le bureau d’études semble d’ailleurs
répondre aux préoccupations exprimées par les habitants et même reprendre un grand nombre
des propositions élaborées dans le cadre de ces ateliers. On peut du moins avoir cette
impression lors de la fameuse réunion d’avril 2007 qui, disait-on, fut présentée comme devant
être la dernière du genre : une ultime présentation au public du projet de schéma directeur
par ses concepteurs avant son acceptation au comité d’accompagnement, son approbation

210 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


par les autorités compétentes et son renvoi vers la Commune de Molenbeek, en charge de
l’élaboration d’un PPAS qui tienne compte de ses orientations.

Ébauche d’une « dernière » rencontre

Il est bientôt 19 heures ce mercredi 18 avril 2007. La soirée est belle et la place de la
Duchesse de Brabant réaménagée de frais. Là se trouve l’école communale n° 5 de Molenbeek,
dite « Chouette ». Le hall n’est pas plein mais il faut d’urgence rajouter des chaises pour que
puissent s’asseoir plus d’une cinquantaine de personnes. Sans doute Molenbeekois pour la
plupart, jeunes ou moins jeunes, certains sont venus en famille. Ils seront rejoints dans l’heure
qui suit par une quinzaine de retardataires. Les organisateurs de la soirée n’espéraient peut-
être pas que leur initiative rencontrerait un tel succès. Cette réunion d’information, au cours
de laquelle il est prévu que le bureau d’études présente les premiers éléments du projet
commandé par la RBC, est la première depuis près d’un an. Comme la plupart des invités
ne tarderont pas à l’apprendre, le processus lancé en 2005 et concrétisé avec les ateliers
du printemps 2006 s’est, en effet, interrompu du fait de l’étude technique entreprise sur le
tard pour répondre à une question cruciale : faut-il ou non enterrer les voies de chemins de
fer qui divisent le site ? Mais nous n’en sommes pas encore là. Des participants arrivent
encore, accueillis par les animateurs d’IEB, qui s’inquiètent de prendre leurs coordonnées
de manière à relayer l’information par la suite, leur proposent un jus de fruit issu du commerce
équitable et attirent leur attention sur la boîte marquée d’un « Laissez-nous vos remarques »
mise en évidence à l’entrée. Déjà assis au premier rang : d’un côté Philippe Moureaux,
bourgmestre de Molenbeek depuis 1992, de l’autre Ariane Herman, chef de cellule
Aménagement du territoire auprès du ministre-président de la Région Charles Picqué. Au
dernier rang, des personnes sont présentées par Sébastien François (l’un des deux chargés
de mission d’IEB et ce soir maître de cérémonie) comme les représentants de la plateforme
« Rives ouest ». Celle-ci rassemble des associations et des habitants désireux de suivre le
processus en cours pour le schéma directeur « gare de l’Ouest » et, surtout, le futur contrat
de quartier, à propos duquel une réunion est organisée le vendredi qui suit.
Celle de ce soir commence. Sébastien François introduit les deux experts du bureau, qui
successivement exposeront leur projet avant de répondre aux questions de l’assemblée. Deux
éléments clés sont également donnés dans cette courte présentation. D’abord, c’est à partir
des souhaits des habitants, tels qu’ils se sont exprimés lors des ateliers d’avril-mai 2006,
qu’ont été élaborées les réflexions visant à définir un projet « idéal », réflexions communi-

Voies et voix de la gare de l’Ouest 211


quées au bureau d’études et à la Région. Ensuite, précise encore le représentant d’IEB, le
bureau n’a fait à ce stade que définir les « premières options », les « grandes lignes » du
schéma directeur, lesquelles doivent encore être discutées tout en maintenant le cap de parvenir
à finaliser le projet avant les vacances d’été (2007). C’est sans micro, dans cette grande
salle à l’acoustique médiocre et en s’appuyant sur un diaporama didactique et complet mais
difficilement lisible, que Jean-Philippe Lens, le premier membre du bureau à prendre la parole,
entreprend de livrer au public ce qu’on peut considérer à sa suite comme les trois grands
points « de discussion ».

Trois points « de discussion »

Le premier n’en est pas réellement un. En ce qui concerne la question de l’abaissement de
la voie de chemin de fer, en effet, « les décisions sont prises » et il s’agira en fait de les justi-
fier, en explicitant les avantages et les coûts des deux options théoriquement possibles :
enterrer ou ne pas enterrer les voies. Tels qu’ils sont relatés par l’expert, les résultats de
l’étude technique font poindre des enjeux structurels et structurants, ayant essentiellement
trait à la mobilité, au sens large, et à la qualité de vie dans le voisinage. Sans oublier le
premier et dernier argument décisif : celui du coût. Si on ne tient pas compte de celui-ci, les
avantages et les désavantages des deux options semblent jusqu’à un certain point s’équili-
brer. L’abaissement des voies favoriserait évidemment la circulation transversale de part et
d’autre du site, dont on verra qu’elle constitue une préoccupation récurrente pour les
Molenbeekois, mais il empêcherait la Société des transports intercommunaux de Bruxelles
(STIB) de boucler la ceinture de métro et retarderait la construction du RER. Cette solution
offrirait également un meilleur dégagement paysager que le maintien des voies en surface,
bien que celui-ci soit de toute façon appelé à être, au moins partiellement, comblé par l’ur-
banisation de la zone. Elle permettrait surtout de limiter considérablement la pollution acoustique,
même si à court terme, les nuisances dues au chantier seraient bien supérieures en cas d’en-
terrement et — telle est l’option explicitement préconisée par le bureau — l’argent économisé
en cas de non-abaissement pourrait être utilisé pour partie aux fins d’une isolation phonique
performante. En outre, enterrer les voies forcerait à une dépollution totale des terres situées
sous le chemin de fer actuel, alors que le maintien des voies n’implique que de dépolluer
les terrains à bâtir, ceux-ci risquant alors d’être re-contaminés par les terrains ferroviaires
voisins demeurés potentiellement pollués 6. Le dernier argument, en faveur du maintien des
voies en surface est plus simple à comprendre même si, un an plus tard, il n’apparaîtra

212 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


toujours pas, tant s’en faut, comme des plus convaincants aux yeux des habitants : abaisser
ou enterrer les voies coûte — selon la nécessité ou non de dépolluer les terres — cinq à dix
fois plus cher que de ne pas le faire. Quoi qu’il en soit, la décision validée par le comité
d’accompagnement du projet (« On n’abaisse pas les voies »), et ici répétée trois fois, se
voit justifiée par le déséquilibre entre des avantages jugés « peu importants », du point de
vue paysager, de la mobilité et de la pollution, et des désavantages « énormes », en termes
d’exploitation des infrastructures de transport et de coût.
Alors que les questions techniques et financières ont de toute évidence été traitées et réso-
lues à un autre niveau ou sur une autre scène, il n’en va pas de même — « par contre »,
comme dit l’expert — du second point « de discussion ». Celui-ci a trait aux « affectations »
ou « fonctions » à pourvoir sur la zone. Celles-ci ont fait, font et feront bel et bien l’objet d’une
« discussion ouverte », à l’issue de laquelle le projet du bureau doit, selon son représentant,
« tenir compte de l’avis et des intérêts de tout le monde ». Dans le discours de l’urbaniste, sont
ainsi mis sur le même plan, ou presque, la Région (et son plan régional de développement
qui « donne des orientations pour ce site »), la Commune, la SNCB, la STIB, les habitants. La
voix couverte par un léger brouhaha qui va s’amplifiant, l’expert passe alors en revue divers
types de recommandations ou contraintes décisives établies par les textes. Parmi celles-ci, les
« obligations réglementaires » contenues dans le PRAS (plan régional d’affectation du sol) qui
prévoit 27 000 m2 de bureaux au maximum, 25 % de logement, un hectare d’espaces verts
et deux liaisons est-ouest au minimum. La question du lien serait également au cœur du PCD
(plan communal de développement qui donne les orientations stratégiques de la commune).
Le but, à ce niveau, est bel et bien que le schéma directeur « serve à lier le Molenbeek histo-
rique et le nouveau Molenbeek 7 ». S’ajoute à cet objectif communal fondamental une dimension
« transports » : avec les trois stations et quatre futures lignes de métro et la halte RER prévue,
il est ainsi question, pour la première fois ce jour, de l’ambitieux « pôle intermodal », atout
majeur du site. Côté mobilité, le plan communal insiste davantage sur l’importance d’une
relation piétonne — quand, ajoute le bourgmestre depuis la salle, Beekkant et la gare de
l’Ouest 8 sont de ce point de vue un « enfer ». Quoi qu’il en soit, il y va avant tout de la néces-
sité de « diminuer l’effet barrière » induit par le site ou encore, comme Philippe Moureaux y
insistera plus tard au cours du débat, de « recoudre la commune ».
La présentation en vient à aborder les souhaits émis, en termes de fonctions et d’équipe-
ments collectifs, par les habitants présents aux ateliers de 2006. Des habitants qui, ce soir-là,
s’étonnent de ne pas voir sur les documents du bureau une représentation graphique des espaces
verts, qui avaient pourtant fait l’objet des demandes parmi les plus explicites, notamment lors

Voies et voix de la gare de l’Ouest 213


des ateliers de 2006 9. Sont ensuite énumérées par l’expert toutes les (autres) propositions
émises un an auparavant — de l’espace pour le marché à la plaine de jeu, de l’auberge
de jeunesse aux appartements pour familles nombreuses, de l’espace citoyen au plan d’eau…
L’urbaniste évoque encore les écoles « pour le futur » suggérées par le secteur éducatif, qui
ne semble pas représenté ce soir. Et le souhait de la SNCB que soit prévu un « parking
temporaire » ; le concept « kiss’n ride » — traduit par « dépose minute » — provoque à nouveau
des rires dans le public. Si le fait que les intérêts de la STIB « restent flous » aux yeux du
bureau d’études ne suscite aucune réaction particulière, certains habitants riront encore lorsque
l’urbaniste énumérera, pour finir, tout ce que le projet prévoit, conformément à toutes ces
« contraintes », « demandes » et / ou « intérêts divergents » relevés par le bureau d’études. Car
en définitive, entend-on chuchoter dans la salle, où mettra-t-on tout cela ? À ce stade, il semble
bien qu’il s’agisse de répondre à toutes les attentes des uns et des autres sans devoir choisir
entre elles : des logements en tous genres, des petites entreprises pouvant utiliser la main-
d’œuvre locale « manuelle peu qualifiée », un « pôle éducatif » ou « bassin scolaire » prévu
en adéquation, des commerces et services de proximité, des antennes communale et de
police, une crèche, et pourquoi pas finalement une grande surface, a priori non autorisée,
et du vert, encore… Voire de présumer de certaines demandes : en l’absence d’investisseurs
privés pressentis, il est, en effet, question de la présence historique de la société Delhaize
dans le quartier, dont on pourrait attendre qu’elle soit intéressée par ces quelques milliers de
mètres carrés aux preneurs toujours incertains, ou du moins absents ce soir-là.
Bruno Clerbaux, principal associé du bureau, est un bon orateur, capable de faire preuve
de pédagogie et d’humour. L’attention se disperse toutefois un peu plus lorsqu’il prend le
relais pour « esquisser les grands principes », troisième et dernier volet des points mis en
« discussion ». Ces grands principes seraient également au nombre de trois, inextricablement
liés : les « contraintes techniques », essentiellement liées à la présence du chemin de fer,
définie comme une « super-contrainte » ; la « mobilité » dans toutes ses dimensions et à plusieurs
échelles ; le bâti et les « éléments de composition ». Le premier « principe », relatif au néces-
saire respect des contraintes techniques, impliquerait ainsi per se qu’il n’y ait « pas tant
d’espace que cela pour construire », puisqu’on ne peut bâtir sur des voies ferroviaires. Plus
qu’une contrainte, le second principe — la « mobilité » — fait figure d’enjeu majeur à plusieurs
égards. Il est d’abord question de la « carte de l’intermodalité », qu’il faudrait « jouer à fond »,
compte tenu tout à la fois d’une multiplicité des modes de transports publics desservant la zone
— bus, métro, train et futur RER — et des trois grands accès ou « nœuds » qui la définissent.
D’où ce que l’on peut considérer comme la réciprocité des atouts que représenteraient la

214 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


Région bruxelloise et la commune de Molenbeek l’une pour l’autre. Mais à ce dernier niveau,
il est aussi question du « liaisonnement » est-ouest, des voies piétonnes et de la « possibilité »
de créer une liaison motorisée. Quant au futur bâti et à son esthétique d’ensemble, l’impor-
tant, affirme l’urbaniste, ce seraient « les axes visuels, les perspectives et les éléments de repère »,
aujourd’hui absents en dehors de la seule « passerelle ». D’où l’éventualité d’utiliser, en les
terminant, les « immeubles hauts » des années 1960 et de créer une « vraie place de l’Ouest ».
Compte tenu de ces trois « principes », le problème soulevé par les habitants présents est
de savoir « où l’on va mettre les fonctions ». Pour Bruno Clerbaux, les choses sont claires :
« le bureau propose, les autorités ou les habitants disposent »… Reprenant ce qui semble faire
figure de priorité principale pour les habitants du quartier, le bureau propose donc de faire
des espaces verts un « parc » ou plus exactement une « bande » de 20 mètres de large allant
du nord au sud et courant tout au long du site. Ce parc assumerait tout à la fois une fonc-
tion « récréative », une fonction « paysagère » et, « dans le cadre du développement durable »,
assurerait une sorte de « continuité verte ». Les logements, quant à eux, « seraient construits le
long du vert », et les commerces et services de proximité autour des fameux « nœuds ». Quant
à l’esthétique, la question demeure de savoir si l’on construit « à l’ancienne » — à savoir « en
petits îlots » — ou « à la moderne », soit un « grand parc rempli d’immeubles ». À moins,
comme le suggère Clerbaux, de « varier les plaisirs », les deux options étant également inté-
ressantes. Et puis surtout, ne l’oublions pas : «Le schéma reste général et ce sont des propositions.»

Les préoccupations du public

À la salle maintenant. Des interrogations, des remarques, il y en aura, malgré l’heure qui
tourne et les premiers départs. Cet échange à bâtons rompus, cette succession désordonnée
de commentaires ou de questions et de tentatives de réponses fait cependant émerger un
certain nombre de « préoccupations ». La première concerne l’espace disponible à la construc-
tion. Plusieurs voix s’élèveront à nouveau pour douter que le site permette de répondre à
tous les souhaits exprimés et repris par le projet du bureau. La seconde a trait à la « fron-
tière » — ainsi que l’appelle le bourgmestre — que ce site ferroviaire représente pour la
commune : le seul passage prévu ne serait pas suffisant pour sortir de cette « galère » les rive-
rains, qui semblent approuver le choix de ce terme. Philippe Moureaux réclame notamment
un « passage motorisé de plus », pour les bus. Un habitant propose quant à lui une seconde
passerelle, « en oblique ». La réponse de l’expert est claire : sans abaissement, il apparaît
impossible de concevoir plus d’une liaison.

Voies et voix de la gare de l’Ouest 215


Les nombreuses interventions de Philippe Moureaux dans ce débat évoqueront la question
de la frontière, de la couture et de la liaison en la liant à celle du logement et de la mixité
sociale induite, dans cette commune pauvre, par la « mode » ou l’engouement croissant pour
« le canal », traditionnellement la partie plus pauvre de la commune. Pour le bourgmestre,
en effet, la frontière coexisterait avec une sorte de « glissement social » qui attire une popu-
lation nouvelle — par exemple, des « employés de cabinet », très nombreux, glisse Bruno
Clerbaux… L’un des paris de ce site, poursuit Moureaux, serait de s’inscrire dans le mouve-
ment dû à « l’effet Dansaert » en développant le logement à destination des revenus moyens
voire élevés, ce qui permettrait à tous de jouir des recettes fiscales qui s’en verraient accrues.
Le bourgmestre répond ainsi lui-même, bien qu’indirectement, à la question ironique d’un
habitant qui un peu plus tôt demandait qui, en dehors des destinataires de logements sociaux,
pourrait bien vouloir habiter « dans cette zone magnifique, avec ses voies à ciel ouvert ». La
réponse de l’expert met quant à elle l’accent sur les moyens techniques et la volonté poli-
tique d’investir par exemple dans une verrière qui protégerait les quais et atténuerait le bruit.
Après le bruit, les espaces verts et la dimension piétonne. Philippe Moureaux doute qu’on
puisse considérer la rambla ou « l’allée » comme un parc sans l’élargir au sud. À moins,
pour l’urbaniste, de faire de la future place de l’Ouest une place verte. « Et piétonne ? »
s’inquiète un riverain. Comment, ajoutera un autre, éviter que « la bande verte » se trans-
forme en parking quand le double bâtiment de la STIB offre déjà le triste spectacle d’un
« désert de béton » ? Certes, mais pour d’autres, comme pour cette dame âgée, les parkings
« ne sont jamais suffisants ». Ce sujet constitue, de même que la sécurité, un problème struc-
turel, et propice aux apartés dans le public. Restent encore pourtant deux points majeurs,
liés eux aussi à des préoccupations déjà évoquées : l’esthétique, d’une part, le temps, de
l’autre. La première ne passionne pas le public et l’une des seules remarques viendra à
nouveau du bourgmestre de Molenbeek. Celui-ci dit s’exprimer au titre de « simple citoyen »
en suggérant de « prévoir un édifice qui accroche l’œil », telle une tour, si ce n’est pas « aber-
rant », ou un « phare très moderne », qui serait « très bien » pour donner à Molenbeek « l’image
de modernité » qui lui fait défaut.
Reste ce qu’un habitant résume par ces mots : le « problème de la SNCB » et les interro-
gations qu’il laisse pendantes en termes de délais mais aussi de responsabilités des autorités.
C’est encore et toujours Philippe Moureaux qui prend la main pour répondre aux questions
ou les relayer : il dénonce les atermoiements de la SNCB, son silence, et en appelle à la
Région pour faire « pression » en vue de la vente des fameux terrains. Ici les remarques les
plus critiques fusent dans le public. L’un soupire qu’après deux ans de discussion rien de

216 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


concret n’apparaisse faute de disposer de ces terrains. L’autre lance « qu’on achète d’abord,
qu’on discute ensuite ». Un troisième ajoutera que tout le travail réalisé autour du projet de
schéma directeur ne fait qu’accroître la valeur du terrain. En chœur, Philippe Moureaux et
Ariane Herman répondront qu’ils — la SNCB — « n’ont pas besoin de ça pour faire monter
les prix ». Il s’agira, ce soir, d’une des seules interventions de la représentante des autorités
régionales. Car si le problème du planning préoccupe le public présent, elle n’a de toute
évidence pas de réponse autre qu’un laconique « On vous tient au courant » à apporter à
la question sibylline adressée par le bourgmestre « à la Région », après que l’associatif et
l’expert ont prudemment avancé que « l’idée » était que le projet de schéma directeur abou-
tisse pour fin juin 2007. Pour le reste, le flou demeure. Il est clair, résume Bruno Clerbaux,
« que les premiers coups de pioche sont pour dans des années ». Il conclut, faisant rire la
salle : « On est dans du long terme. » La faute à qui ? Apparemment au grand absent de ce
soir, la SNCB — telle est du moins la raison invoquée par les autres acteurs de premier plan
présents. Ceux-ci suggèrent aussi que l’avenir du projet et du site pourrait dépendre du futur
gouvernement fédéral, qui devrait renforcer la pression régionale déjà exercée sur la SNCB
par la définition d’une zone levier « gare de l’Ouest » dans le PRD de 2002.
Il est bientôt 22 heures quand un habitant adresse aux animateurs de la rencontre une
demande des plus claires et somme toute révélatrice de l’intérêt porté au projet : « Peut-on
consulter les ébauches présentées ou en avoir une copie ? » Et la réunion de s’achever dans
un moment d’embarras : « Non, les ébauches ne peuvent être distribuées, dans la mesure
où il ne s’agit, justement, que d’ébauches et de premières options. » « Mais on vous tiendra
au courant. C’est promis », tempère le chargé de mission d’IEB.

Suites, et fin ?

Neuf mois plus tard, le 30 janvier 2008, même jour, même lieu, même heure, ce n’est pas
un schéma directeur approuvé qui est présenté, contrairement à ce qui avait été prévu et
annoncé lors de la réunion d’avril 2007. C’est à nouveau un projet provisoire en voie d’achè-
vement, même s’il s’agit apparemment, à peu de choses près, du même. Aux dires d’IEB,
qui organise à nouveau cette réunion « d’information », l’initiative de celle-ci émane direc-
tement de la Région, et non plus du bureau d’études et d’IEB, qui s’étaient inquiétés, en
2007, du long silence qui avait suivi les ateliers du printemps 2006. Ce soir d’hiver, dans
le hall de l’école « Chouette », les chaises sont disposées en arc de cercle autour de l’écran
de projection. On verra et s’entendra mieux, bien que cela ne soit pas optimal, ce que

Voies et voix de la gare de l’Ouest 217


Fig. 2. Les habitants au travail lors des ateliers participatifs
animés par IEB en avril 2006. (Photo : IEB.)

Fig. 3. Le schéma de synthèse du projet porté par les habitants à


l’issue des ateliers d’avril et mai 2006. (Source : IEB.)

certains dans le public relèveront. Il n’y a pas de boissons prévues. Il y a moins de monde.
Il fait frisquet. Le bourgmestre, personnage central de la réunion précédente, n’est pas là.
Il sera excusé et représenté par l’échevine des Affaires sociales assise au premier rang, près
des concepteurs, et qui, de fait, animera voire présidera la réunion, donnant et reprenant
la parole, arbitrant les débats.
Cette réunion sera beaucoup moins structurée que la précédente. Au lieu de ce qui était
prévu — un exposé du projet suivi d’une séance de questions-réponses —, elle consistera en
une vaste discussion, plus polémique que la dernière. Comme si certains participants (habi-
tants, pour la plupart des habitués, ayant participé au processus depuis le début, membres
de comités de quartier, élus locaux ou responsables de contrats de quartier) avaient eu le
temps de réfléchir, voire, pour l’un d’entre eux au moins, de préparer un argumentaire, exemples,
chiffres, puis page web à l’appui. S’interroger et parfois prendre position : à nouveau sur
les espaces verts ou sur le rôle de la SNCB dans le projet, mais surtout sur la pertinence de
développer sur le site la fonction logement et sur la décision prise un an auparavant du main-
tien des voies, qui avait soulevé si peu d’objections lors de la précédente rencontre. Sur ce
point en particulier, les réactions du public sont telles qu’elles semblent obliger le bureau à

218 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


Fig. 4. Un des plans masses indicatifs présentés par le bureau d’études
aux habitants lors de la réunion du 30 janvier 2008 (plan réalisé pour
le SPF Mobilité et Transport, maître d’ouvrage du schéma directeur).
(Source : ACP Group.)

changer son fusil d’épaule : l’enterrement des voies non seulement coûterait trop cher mais il
est techniquement «impossible». En bref, une réunion où l’on s’interpelle, dans tous les sens du
terme, et durant laquelle le bureau aura bien du mal à présenter son projet dans son entièreté.
La représentation formelle du projet est également assez différente : pas de textes à l’appui
des propositions, résumées sous la forme de « schémas » ou de « plans ». Autre différence
sur ce point : des photocopies de ceux-ci (en noir et blanc ou grossièrement coloriées à la
main) sont disponibles. Cette revendication, émise lors de la réunion précédente, semble
ainsi avoir été prise en compte. Il n’empêche que, de manière générale, la question de la
procédure reviendra de manière récurrente tout au long de la réunion. Par exemple, à travers
les interventions d’une des habitantes, engagée dans la création d’un récent comité de quar-
tier : comment, à chaud, peut-on avoir un avis sur des problèmes techniques que l’on ne
maîtrise pas ? Et dans quelle mesure l’avis des habitants sera-t-il pris en compte ? En une
phrase : « où sont les cadenas ? » Enfin, last but not least, cette « rencontre » en appelle expli-
citement une autre, qui n’était pas prévue, et dont tout le monde semble approuver l’initiative,
prise par les habitants appuyés par IEB. Une semaine plus tard aura lieu, en effet, une
réunion animée par IEB mais où seuls les habitants sont invités. C’est à cette occasion que

Voies et voix de la gare de l’Ouest 219


pourront être débattues les propositions présentées en public par les experts, en l’absence
donc de tout représentant des autorités responsables, auxquelles seront transmises les ques-
tions, suggestions et critiques émanant des débats entre habitants, synthétisées par l’associatif.
Le 6 février, une vingtaine de personnes se retrouvent ainsi à la maison de quartier du
Karreveld 10. Il ne semble pas y avoir que des « habitués » mais pratiquement tous ceux qui
prendront la parole semblent bien connaître leur quartier et, pour certains, le dossier, y
compris en ses aspects les plus techniques. Si certains n’hésitent pas à exprimer leur décou-
ragement, après deux années passées à rediscuter des mêmes problèmes sans avoir l’impression
d’avoir pesé sur le projet, les mêmes et d’autres réaffirment leur volonté d’être constructifs.
L’innovation que constitue le mouvement inédit d’aller et retour de la discussion, matéria-
lisée par cette réunion à huis clos, semble pour partie nourrir cet espoir que leurs voix finiront
par être entendues. Alors que les débats, ce soir-là, semblent dans un premier temps partir
dans tous les sens, il en ressortira ainsi un certain nombre de points faisant l’objet de préoc-
cupations claires (les espaces verts), ou d’un consensus quant aux revendications (que le
mur « anti-bruit » ne se transforme pas en « mur de Berlin » molenbeekois, détériorant la situa-
tion qu’il s’agissait d’améliorer), ou encore de demandes précises d’informations (sur le chantier
de la STIB et ses nuisances, par exemple, ou encore sur la procédure participative elle-
même), ou, enfin, de propositions concrètes d’équipements collectifs correspondant à des
besoins sociaux collectivement partagés (accueil de la petite enfance, aide médicale urgente,
déchetterie…). Il s’agit, d’autre part, d’un véritable échange d’arguments où certains sont
amenés à revoir leurs positions, notamment en ce qui concerne l’enterrement des voies, la
voirie carrossable ou l’implantation du logement. Au moment où nous écrivons ces lignes
(juin 2008), reste évidemment à savoir, compte tenu des nombreuses autres incertitudes
pesant sur le projet, quelles suites la Région donnera aux « Propositions et remarques formu-
lées par les habitants » qu’IEB lui a transmises le 15 février 2008 suite à cette ultime « réunion
publique » (sic), dite aussi « de consultation » cette fois 11.

Des préoccupations exprimées aux enjeux urbains et modèles de ville

Les soirées que l’on vient d’évoquer — leur observation, leur mise en récit et la brève contex-
tualisation dans l’ensemble du processus que nous avons tentée — donnent un aperçu du
large panorama des préoccupations des différents acteurs. Manifestement, la zone et le
projet en cours cristallisent nombre d’attentes et d’enjeux, différenciés selon les acteurs, mais
mettent également en évidence des difficultés objectives, pour partie spécifiques à ce site

220 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


Fig. 5. La ZIR « gare de l’Ouest » vue depuis les logements de Fig. 6. La rue Alphonse Vandenpeereboom depuis la chausée
l’avenue de Roovere. (Photo : IEB.) de Ninove vers la passerelle. (Photo : Urba-UCL.)

ferroviaire en friche, traversant et scindant une commune pauvre, densément bâtie et peuplée.
Plus généralement, au-delà de leur hétérogénéité — mais aussi des difficultés de leur expres-
sion et des obstacles qui s’opposent à leur confrontation, sur lesquels nous reviendrons —
les préoccupations des différents acteurs illustrent bien, nous semble-t-il, la multiplicité et la
complexité des fonctions devant être remplies par la ville. À l’arrière-plan des paroles enten-
dues, en effet, la ville apparaît à la fois comme un espace de sociabilité et comme un espace
de production, mais aussi comme l’espace de différentes formes de mobilités (physique,
culturelle et sociale). Et, ce, à travers la panoplie de besoins, de problèmes ou de souhaits
évoqués par les uns et les autres, relevant de l’éducation, du logement, de l’emploi de la
main-d’œuvre locale, de l’esthétique, de l’environnement (en général et des espaces verts
en particulier), ou encore de la sécurité et de la qualité de l’habitat. C’est du moins ce que
notre approche inductive vise ici à montrer, en tentant de connecter les paroles entendues aux
manières de vivre, de penser et de faire la ville que dessinent certaines approches théoriques.

Des liens et des lieux

Dans le paysage urbain, la friche ferroviaire de la gare de l’Ouest représente un grand vide
traversé de quatre voies de chemin de fer et d’une ligne de métro. Elle sépare deux quar-
tiers aux caractéristiques urbanistiques et sociodémographiques très différentes. À l’est, le
Molenbeek historique présente un tissu urbain très dense, marqué par ses origines indus-
trielles ; la population y est principalement d’origine immigrée et se caractérise par un revenu
moyen très bas et un taux de chômage élevé. À l’ouest, le « nouveau Molenbeek » se distingue

Voies et voix de la gare de l’Ouest 221


par un tissu moins dense et principalement résidentiel. Les types de logements et de popu-
lations y sont plus diversifiés. Il y a aussi plus d’espaces verts. Quant au site de la gare de
l’Ouest lui-même, il a toujours été un vide : le chemin de fer est d’abord venu ceinturer la
ville et constituer dans un premier temps une limite entre ville et campagne avant que le
développement urbain ne se poursuive de l’autre côté de cette frange à partir du tracé de
la chaussée de Ninove. Il n’est donc pas étonnant que ce site clos soit surtout perçu par ses
bords. On notera d’ailleurs les différences de perception entre les habitants des barres de
logements à l’ouest, qui voient le site d’en haut et le considèrent comme une poche de verdure,
et les habitants de l’est, qui longent quotidiennement une haute palissade derrière laquelle
ils n’imaginent qu’un vaste dépotoir. Enfin, la gare de l’Ouest ayant dans le courant du XXe
siècle perdu son rôle de gare marchande et de voyageurs, cette « gare », du moins dans sa
position d’origine, n’a plus constitué réellement un élément de centralité pour les quartiers
alentours. Le développement actuel de « l’intermodalité » du site (en termes de transports)
entend d’ailleurs remédier pour partie à cet état de fait. Une première manière d’aborder
les préoccupations évoquées (dont cette dernière), tant du point de vue fonctionnel que symbo-
lique, consiste à examiner comment elles se cristallisent autour des objets constitutifs de la
morphologie urbaine 12, objets que nous proposons de rassembler autour de deux dimen-
sions du projet urbain : le lien et le lieu 13.
Dans le projet, la dimension du lien (ou la question des liens) transparaît surtout dans les
multiples questions relatives à la mobilité, lesquelles tantôt renvoient vers des enjeux régio-
naux de connectivité et d’intermodalité liés à la création d’un pôle d’activité dans un système
métropolitain 14, tantôt ont trait à des problématiques locales de desserte et de traversée d’un
vide urbain et de mise en relation de deux quartiers très différents. Dans certains discours
(celui de l’expert, de l’acteur régional, du bourgmestre), en effet, l’intermodalité et la connec-
tivité liées aux projets (en cours de réalisation) de la STIB et du RER sont présentées comme
des opportunités majeures pour le développement du site et des quartiers alentour 15. Cependant,
le manque de marques d’intérêt pour le développement immobilier du site ne semble pas
confirmer ce potentiel d’attractivité. Ce qui est clair, par contre, c’est que les notions d’inter-
modalité et de connectivité renvoient du point de vue symbolique aux relations que le site
et ses alentours vont entretenir au niveau supra-communal avec l’ensemble du territoire régional.
À côté de cela, les liens qui devraient être aménagés à travers le site répondraient davan-
tage à des besoins de proximité des quartiers situés en bordure. D’un point de vue fonctionnel,
il s’agit pour les habitants, en particulier ceux du « vieux Molenbeek », à l’est, d’accéder
aux différentes stations de métro mais aussi aux équipements, commerces et espaces verts

222 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


situés dans le « nouveau Molenbeek », à l’ouest 16. Au-delà, on peut se demander si la liaison
entre les deux quartiers ne correspond pas aussi à une volonté de rapprochement entre les
populations habitant de part et d’autre du site. Le souhait d’unification du territoire communal
apparaît en tous les cas clairement dans les stratégies de la commune 17. Le périmètre et le
nom du contrat de quartier « Rives ouest » peuvent d’ailleurs être considérés comme un autre
signe d’une préoccupation clairement exprimée par le bourgmestre, le bureau d’études en
charge et certains habitants.
La question du lien se pose donc du point de vue des relations sociales possibles entre
deux quartiers habités par des populations sensiblement différentes culturellement et socio-
économiquement. Mais la question des liens sociaux se pose aussi par rapport aux nouvelles
populations qui devraient venir habiter le site et au sein desquelles devrait également exister
une forte mixité, alors qu’on constate déjà que l’intégration de populations de la classe
moyenne se révèle malaisée dans d’autres quartiers de la même commune.
Ceci nous amène à aborder la dimension du lieu dans le projet. Cette dimension est avant
tout symbolique car elle concerne le sens que peut revêtir l’espace pour ses habitants, concep-
teurs et autres planificateurs. L’aménagement du site en un espace signifiant, la transformation
de l’espace en lieu est une des conditions de son appropriation par les uns et les autres.
Cependant, les éléments qui font sens sont divers et ils ne se rencontrent pas toujours.
Du point de vue fonctionnel, la question du lieu renvoie à l’« imagibilité 18 » et à l’attracti-
vité du site qui devrait en découler, comme condition de son développement économique
et résidentiel. Elle se traduit dans le choix des fonctions (économiques, résidentielles, services
et équipements) et se matérialise à travers des densités et des formes bâties ainsi que par
le dessin et la mise en forme de ses espaces ouverts 19. Derrière ces choix de fonctions et
de formes urbaines, la question se pose aussi de savoir qui va habiter le site et quels types
de populations, anciennes ou nouvelles, on souhaite voir fréquenter les lieux. Cela dit, les
prescriptions du PRAS sont, y compris en matière de densité démographique et spatiale,
extrêmement laconiques, et a fortiori le sont-elles sur le lien entre formes et typologies urbaines
ou du bâti. S’ajoute à cela le caractère minimal des réquisits réglementaires en matière de
fonctions à remplir (hors logement), d’espaces publics et d’espaces verts, dont les fonctions
à la fois locales et résidentielles (récréation, environnement, etc.) et de maillages (mobilité
douce, continuité verte) sont multiples.
En bref, la constitution d’un «lieu» semble dépendre de nombreux choix, relatifs aux prin-
cipes de composition du projet. Des choix et des principes qui semblent encore bien flous, sans
qu’on sache dans quelle mesure ce flou est dû à la nature même de l’instrument procédural

Voies et voix de la gare de l’Ouest 223


« schéma directeur » ou à l’indéfinition qui règne en termes de programmation des fonctions,
de densités et de morphologie sinon d’esthétique urbaine 20. À moins que cette « indécision »,
au sens fort du terme, renvoie vers une volonté — peut-être inconsciente, mais signifiante
par rapport à l’esprit de consensus lié au dispositif du projet — de concilier ou plutôt d’ad-
ditionner des préoccupations qui, en définitive, renvoient vers des modèles de ville distincts
sinon opposés. D’où, peut-être, un projet « fourre-tout » au lieu d’un projet partagé.

Entre « valeur d’échange » et « valeur d’usage »

Les préoccupations exprimées et les options discutées dans le cadre de la réunion du 18 avril,
envisagées premièrement dans la tension posée entre « liens » et « lieux » peuvent également
être abordées au prisme de la distinction classique qu’a proposée Henri Lefebvre entre « valeurs
d’échange » et « valeurs d’usage » 21. Pour cet auteur, la « valeur d’échange » renvoie à une
vision fonctionnelle de l’espace, reposant sur la primauté de l’accumulation et une logique
marchande ; la « valeur d’usage », quant à elle, témoigne d’une vision fondée sur la primauté
du lien social, supposant l’appropriation de l’espace, non la propriété.
Les valeurs d’usage s’illustreraient dans notre cas d’étude à travers la quête d’un territoire
à l’intérieur duquel se déploie pleinement une fonction générale de sociabilité. Elles s’ex-
primeraient dans les demandes concernant les espaces verts et récréatifs, dans celle d’un
espace citoyen et dans la proposition de créer une école de devoirs. Les valeurs d’échange
s’illustreraient pour leur part dans la recherche d’attractivité pour les entreprises et les classes
moyennes supérieures, le souci de dégager une image de modernité et, plus généralement,
à travers l’appel à favoriser le redéploiement de la fonction productive. Elles se matériali-
sent clairement à travers le développement de la fonction tertiaire (27 000 m2 de bureaux)
et le projet d’attirer des ménages à revenu moyen et élevé, tout en se justifiant par la néces-
sité de consolider la fonction redistributive locale à destination des populations les plus fragilisées
grâce à l’accroissement des ressources communales 22. À maints égards, le projet mis en
discussion paraît plutôt transcendé par des valeurs d’échange et une quête d’accumulation
économique — si l’on songe au souhait de développer le commerce de proximité, la pers-
pective de créer une surface de grande distribution et de redéployer les activités tertiaires.
Pour partie, il s’inscrit de la sorte dans une croyance attribuant à la ville une fonction écono-
mique spécifique, qui repose sur la juxtaposition et la superposition des activités productives
et de la fonction résidentielle, en mobilisant le principe de la proximité spatiale comme
permettant d’engranger des plus-values économiques.

224 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


Il est vrai que l’accent mis sur le redéploiement économique du site semble souvent primer.
Les politiques présents, soumis à la complexité du processus partenarial et aux injonctions
des dispositifs légaux, le PRAS notamment, apparaissent particulièrement soucieux du plein
redéploiement de la fonction productive, en dépit ou à cause de l’absence quasi totale d’inves-
tisseurs pressentis. Mais au-delà, les tentatives, même timides, de concilier les souhaits des
habitants, les revendications associatives et les impératifs socio-économiques traduisent bien
une démarche de compilation de demandes afférentes à l’« usage ». Le souci exprimé par
certains habitants concernant l’installation des entreprises dans le but d’offrir de l’emploi à
la main-d’œuvre locale permet d’envisager une sorte de jonction entre fonctions économiques
et sociales, entre valeurs d’échange et valeurs d’usage 23. Cette demande offre ainsi une
assise supplémentaire à l’option politique de favoriser l’installation des entreprises. En effet,
la question de l’emploi est un enjeu important et constitue l’une des questions les plus épineuses
que les autorités communales aient à gérer. Dans la commune qui connaît l’un des taux de
chômage les plus élevés de la Région, s’atteler à répondre à cette préoccupation afin d’offrir
de l’emploi aux jeunes Molenbeekois, réputés « faiblement qualifiés », apparaît comme une
nécessité. Un contexte propice à la convergence des intérêts sur cette question est donc créé.
En outre, le souhait formulé par le secteur de l’éducation d’installer sur le site plusieurs écoles
voire un « pôle éducatif » — « une école pour le futur » — mérite d’être interrogé sous plusieurs
angles : les préoccupations éducatives ne relèvent-elles pas aussi d’un enjeu de sociabilité,
d’appropriation du territoire et de pérennisation des liens sociaux ? À cet égard, la demande
des « acteurs de l’éducation » de réaliser un « pôle éducatif », et le fait que cette demande
ait été retenue par les auteurs du projet, reflète bien la réalité de cette préoccupation dans
une commune particulièrement jeune comme Molenbeek, hantée par les incertitudes quant
à l’avenir de ses jeunes 24.
À cet égard, la manière dont le bureau d’études semble avoir confectionné le projet présenté
traduirait une tentative d’aménagement du site de façon à rencontrer un maximum d’attentes
diverses, parfois complémentaires, parfois en opposition. Cette tendance à la compilation
traduirait alors une conception du bien commun selon laquelle l’intérêt collectif repose sur
les intérêts particuliers et qui privilégie l’appropriation collective de l’espace sur la recherche
des principes d’intérêt général en visant à réconcilier les deux segments d’une commune
fragmentée, à concilier les différentes fonctions de la ville et à générer des ressources pour
pouvoir les redistribuer.

Voies et voix de la gare de l’Ouest 225


Au-delà : une pluralité de manières de penser et de faire la ville

L’épisode relaté en début de chapitre, finalement assez révélateur de la réalité actuelle de


la « participation » organisée en matière de projets urbains à Bruxelles, montre comment les
prises de parole des uns et des autres traduisent une multitude de « préoccupations ». Nous
avons ci-dessus tenté d’établir certaines tensions à travers la distinction lien / lieu d’abord,
l’opposition « valeurs d’usage » / « valeurs d’échange » ensuite. On peut poursuivre cette explo-
ration des paradigmes à la fois reflétés et activés par ces préoccupations en ouvrant ces
oppositions binaires sur un modèle pluraliste des manières de penser et de faire la ville, un
modèle restituant la diversité des « univers de sens » et des « mondes » mobilisés par les diffé-
rents acteurs de cette réunion.
Une « préoccupation », en effet, en identifiant son objet (par exemple : les places de parking)
ainsi que les topiques plus générales auxquelles affèrent ces objets (la mobilité, le confort des
résidents) et en prescrivant des modes de traitement des objets dans cette topique (« il faut
plus de places de parking »), nous laisse imaginer, l’espace d’un instant, le « monde » depuis
lequel s’exprime la personne et ce à quoi correspondent la « ville bonne » et la manière de
la faire à l’intérieur de ce « monde ». Cela ne signifie aucunement que les locuteurs soient
irrémédiablement prisonniers d’un « monde ». Toutefois, si les préoccupations exprimables sur
l’espace public sont en principe infinies, on peut poser qu’il n’existe par contre qu’un nombre
limité de mondes, de « sphères de justice », pour parler comme Michael Walzer 25, ou de
« cités », pour reprendre un concept central chez Luc Boltanski et Laurent Thévenot. Ces « cités »
offrent ainsi à l’analyste un moyen de réduire le « bruit » des interventions et des énoncés à
contenu moral tout en conservant leur pluralité 26. Sous ce prisme, on imagine ainsi se profiler
dans les scènes décrites et évoquées plus haut différentes versions de la « ville bonne » :
— La ville fonctionnelle et technique, basée sur le modèle de la « cité industrielle ». Ce qui
importe ici, c’est la « faisabilité technique » du projet, la répartition équilibrée des « fonc-
tions », le fait que les « opérations » prévues soient « gérables ». Le modèle s’appuie sur la
maîtrise de certains outils de mesure spécialisés et sur des « études de faisabilité » et renvoie
donc typiquement au monde des experts ou des scientifiques.
— La ville marchande (« cité marchande »). Ce qui importe, c’est dans ce cas ce que le
projet de ville pourra rapporter comme argent, comme investissements, son potentiel « attractif »,
le fait, par exemple, qu’il permette la création d’un « pôle concurrentiel ».
— La ville politique et sociale (« cité civique »). Le projet doit d’abord profiter à la « collec-
tivité » et correspondre à l’« intérêt général » ; il faut qu’il soit le plus « représentatif » et implique

226 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


les « citoyens » et les « minorités » sur un mode « démocratique », selon des « procédures » et
des « règlements » qui respectent les « droits » de chacun, le projet visant la « solidarité », la
« cohésion », etc.
— La ville comme expérience esthétique (« cité inspirée »). Ce qui importe, c’est que le
projet soit « créatif », « artistique », réalisé par un bureau « indépendant » et des individus
« doués », privilégiant la « qualité architecturale » et « paysagère » voire des réalisations
« poétiques » au service du « flâneur », favorisant la « rêverie », etc.
— Le village dans la ville (« cité domestique »). Le projet doit faire preuve de « bon sens »,
s’appuyer sur les « habitudes » des « habitants », favoriser les relations de « voisinage » et
« familiales », respecter la « tradition » d’un quartier, développer les aires de jeux pour « enfants »
ou des lieux pour les « mamans » ou les « personnes âgées », aménageant des espaces de
« rencontre », de « bavardage » et d’« interconnaissance » dans la « rue » et dans le « quartier ».
— La ville écologique (« cité verte »). La priorité est que le projet soit inscrit dans le « long
terme » du « développement durable », favorisant les « espaces verts », les zones de « respi-
ration », l’usage de matériaux « écologiques », etc.
— La ville-réseau (« cité connexionniste »). Il importe que le projet contribue à la « mobi-
lité », à la « connectivité », à l’« accélération » des « déplacements », qu’il crée du « lien » entre
les espaces, etc.
Il faut bien sûr insister sur le fait que ces « modèles » sont le fruit d’une reconstitution, possible
parmi d’autres, qui fait appel à la théorie pour interpréter les paroles saisies et typifier leur
interprétation. Il va de soi que, telles qu’exprimées, les préoccupations entendues ne corres-
pondent pas totalement à un modèle ou à une « cité » bien identifiable. Bien sûr, en tant
qu’expert en chef, le représentant du bureau d’études se pose souvent, de manière prévi-
sible, en gardien de la ville fonctionnelle et technique en traitant la production urbaine en
termes de « fonctions » et en cadrant d’emblée le débat public à partir de « contraintes tech-
niques ». Mais généralement, les préoccupations avancées sont à la fois fragmentaires et
composites. Fragmentaires dans la mesure où les interventions consistent à pointer certains
aspects d’un problème, et certainement pas à restituer dans leur ensemble les enjeux, les
croyances, les stratégies organisant le « monde » depuis lequel le locuteur parle et le « sens
du juste » qui anime son propos. Composites dans la mesure où ces préoccupations asso-
cient dans leur expression des soucis concernant différents univers moraux et différents principes
de justice. De fait, les acteurs évoluent dans un monde complexe et, comme le dit l’expert
en réunion, il s’agit de « varier les plaisirs ». Parmi les agencements composites que propo-
sent les intervenants pour se justifier et convaincre, certains se laissent identifier plus facilement.

Voies et voix de la gare de l’Ouest 227


Par exemple, parler comme le fait l’expert d’une « continuité verte », c’est composer une
forme de bien commun à partir des cités que nous avons respectivement appelées « verte »,
« inspirée » et « connexionniste ». Ou encore, évoquer une « esthétique à l’ancienne », c’est
suggérer une composition associant les dimensions « domestique » et « inspirée ». La figure
de l’« entrepreneur public » qu’esquissent les interventions du bourgmestre renvoie quant à
elle une forme de compromis entre une cité « civique » et une cité « marchande ».
Nous n’irons pas plus loin dans l’analyse des « registres de justification ». La plupart des
« préoccupations », en effet, sont à ce point fragmentaires et composites qu’il semble diffi-
cile d’identifier ou de distinguer de tels registres. Presque toujours, dans les moments participatifs
observés, les énoncés des participants se présentent sous une forme brute, dense, non déployée,
hétérogène. De sorte que ce n’est qu’au prix d’un travail d’abstraction considérable — et
donc d’un arrachement des significations des énoncés aux conditions pratiques de leur fabri-
cation — qu’il nous est permis, à nous analystes, de dégager les « discours », « croyances »,
« représentations », « stratégies », « registres » d’arrière-plan, supposés sous-tendre les contenus
des échanges. Or il ne peut s’agir que d’un travail de traduction hasardeux, par le biais
duquel nous tirons des propos bruts vers des formes épurées de représentation du bien commun.
Ces épistémologies trouvent là leur limite, dans la mesure où les participants à ces réunions
ne se prêtent pas eux-mêmes à un travail réflexif consistant à préciser leur position, à se
référer explicitement à des formes de bien commun, à épurer un argument, à affirmer clai-
rement « ce qui importe ». En un mot, les approches discursives et représentationnelles semblent
rendre insuffisamment compte de ce qui se joue dans des assemblées participatives telles
que celles que nous avons observées, et lors desquelles les interventions « montent » rare-
ment et difficilement « en généralité » 27. Peut-être cependant ces approches ont-elles le mérite
de mettre en lumière, comme en négatif, ce qui précisément ne s’y joue pas, invitant, comme
nous l’annoncions, à réinterroger les attendus, les manquements et les obstacles caractéris-
tiques de la discussion publique dans un contexte particulier.

Organisation, coordination et synchronisation : de certains obstacles à la discussion publique

Selon les théoriciens du paradigme délibératif en philosophie politique s’inscrivant dans le


sillage des travaux de Jürgen Habermas, l’espace public, ici l’assemblée participative, offre
potentiellement un contexte favorable au travail d’argumentation et de « montée en géné-
ralité » des propos. Pris dans un rapport d’intersubjectivité, les locuteurs de l’assemblée doivent
avancer des propos intelligibles, sincères, défendables publiquement et adossés pour cela

228 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


à des formes de « raisons publiques » du type de celles dont Boltanski et Thévenot ont dressé
la typologie. Si les participants ne parviennent pas, ou trop rarement, à déployer un débat
appuyé sur des raisons publiques, c’est qu’interviennent divers obstacles. Certains de ces
obstacles concernent les manquements de la procédure participative mise en actes en termes
d’organisation, de synchronisation et de coordination. C’est de ces entraves au plein déploie-
ment d’un dialogue ou d’une délibération publique autour du projet de schéma directeur
« gare de l’Ouest » que nous nous proposons de traiter brièvement. À cette fin, il convient
de distinguer, d’une part, les obstacles qui concernent strictement l’économie de la discus-
sion dans la réunion qui nous a servi de point de départ et, d’autre part, les phénomènes
qui traversent un processus de concertation complexe et étalé dans le temps dont la réunion
d’avril 2007 ne constitue qu’un épisode. Cela étant, les deux niveaux sont également impor-
tants, et ils doivent être envisagés ensemble dans la mesure où la concertation est toujours
à la fois un événement limité dans le temps et dans l’espace (quelques heures dans un local
de réunion) et un processus long fait de multiples scènes 28. Considérons d’abord la réunion
du 18 avril 2007 sous l’angle de sa coordination micro-locale, de son développement séquen-
tiel et de l’économie des échanges qui l’organisent.

Interroger la coordination de la rencontre

L’on sait qu’un événement public, quel qu’il soit, ne peut tenir les participants ensemble que
deux à trois heures tout au plus. En termes absolus, le temps objectivement allouable aux
différents intervenants est donc forcément limité. Pour cette raison, la durée de l’exposé de
l’expert conditionne beaucoup la richesse et la sélection des informations présentées dans
la discussion ultérieure, qui ne reflète pas nécessairement l’ensemble du projet, ni sa complexité,
et dans laquelle les préoccupations des différents intervenants ne peuvent être pleinement
formulées. Notons que ce premier problème, celui de la limite et du mode de distribution
du temps de parole, se pose avec d’autant plus d’acuité dans un processus de concertation
comme celui du schéma directeur « gare de l’Ouest », où un nombre restreint de réunions
publiques ont été prévues et où il fallait profiter au maximum de chaque événement pour
entretenir une discussion publique de qualité. C’est d’ailleurs en partie pour y remédier qu’une
réunion supplémentaire fut demandée par les habitants et organisée par l’associatif en
février 2008, certes sur le tard et en l’absence des experts et des autorités locales.
Un deuxième problème concerne la focalisation de l’attention. Dans le meilleur des cas,
une réunion connaît à la fois des phases d’intensité — quand l’ensemble des participants

Voies et voix de la gare de l’Ouest 229


se trouve « absorbé » par la discussion — et des périodes de distraction et de dispersion de
l’attention. Dans la réunion observée, il arrive — lorsqu’il est question des prescriptions légales,
des arguments prudentiels, des contraintes techniques — que l’attention baisse, que le brou-
haha monte. Autrement dit, dans ces processus de concertation où il est tellement important
que les différents acteurs « se suivent », les décrochages sont vite arrivés et ont des effets sur
la qualité et l’à-propos des discussions ultérieures.
Troisième problème : le caractère incommensurable de préoccupations qui peinent même
à se confronter. On peut au moins identifier deux raisons à cela. Premièrement, certaines
préoccupations (ou les préoccupations de certains) apparaissent évidentes, importantes, prépon-
dérantes, fondamentales au point de n’être à aucun moment — ou très difficilement — interrogées
ou remises en question, quand d’autres préoccupations (ou les préoccupations d’autres), au
contraire, ne semblent aucunement contraindre les développements de la discussion et ne
sont pas honorées par les locuteurs suivants. La question de l’abaissement ou plutôt du non-
abaissement des voies de chemin de fer sur le site est ici exemplaire. La discussion démocratique
est verrouillée par ce qui est d’emblée présenté comme une « super-contrainte » ou plutôt de
« super-contraintes » visant à s’additionner : celle du coût puis celle de la faisabilité tech-
nique, quand la première se voit finalement contestée lors de la réunion publique de
janvier 2008. Quoi qu’il en soit, les préoccupations d’ordre technique et financier portées
par les experts en viennent à primer par leur propension exceptionnelle à l’objectivation, à
laquelle ne prêtent pas, ou bien moins, les préoccupations exprimées par des habitants qui
ne disposent pas, par ailleurs, des mêmes moyens (études, calculs) pour les étayer. En outre,
lorsque l’expert urbaniste ajoute qu’en cas d’abaissement les nuisances dues au chantier
seraient pires, c’est de manière bien arbitraire que le « court terme » est posé comme primant
sur le « long terme », sans davantage de discussion ou de clarification.
Tout se passe donc comme si non seulement certaines préoccupations en « écrasaient »
d’autres de leur poids « objectif », mais aussi comme si les préoccupations ne « s’adressaient »
même pas les unes aux autres. Ainsi, étrangement, si la « discussion » est à certains moments
« trop fermée » (c’est le cas lorsque sont présentées et alignées les super-contraintes), elle
s’avère par la suite « trop ouverte », flottant dans un « urbanisme de composition » qui se
confond un peu avec une politique du « tout est bon ! », voire du « cause toujours ! ». Les
préoccupations exprimées peinent, pour ne pas dire échouent, à se rencontrer et à se compléter.
Elles peinent tout autant à rentrer en confrontation, à se mettre à l’épreuve et à se criti-
quer les unes les autres. Elles semblent simplement « emplir » l’espace commun, sans résonance 29,
le temps de la prise de parole du locuteur et de la réponse éventuelle qui lui est donnée.

230 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


Soit autant d’interventions qui ne touchent pas au but, qui s’évanouissent sans être récupé-
rées par la suite, une succession de « tours pour rien ».
Cela nous amène vers un quatrième problème ou point de rebroussement identifiable grâce
à l’observation de cette rencontre : la logique de concertation s’y voit supplantée par une
logique de consultation. La concertation suppose, en effet, une forte mutualité et une acti-
vité réflexive orientée vers l’entente (A et B se concertent), alors que la consultation pose
une simple transitivité entre les acteurs (A consulte B). Un premier ensemble d’acteurs (A)
« expose » dans un premier temps les éléments qui importent, en l’occurence une série de
« faits indiscutables » (matters of fact) 30 ; ils installent et déroulent devant les invités une série
de « contraintes », de « fonctionnalités » et de « grands principes ». Ce premier moment de
la réunion est essentiellement le moment de A ; on ne voit et n’entend que A. Ensuite, dans
un deuxième temps, les personnes consultées (B) « expriment un avis », une « opinion », au
cours d’une discussion qui est essentiellement le moment de B ; on ne voit et n’entend que
B. Les temps de la réunion sont clairement compartimentés et, en quelque sorte, les préoc-
cupations exprimées lors des différents moments s’additionnent ou se croisent davantage
qu’elles ne se rencontrent ou ne se testent mutuellement.

Interroger la coordination du processus dans son ensemble

Le bon déroulement de la discussion publique n’est pas seulement tributaire d’un travail de
coordination interne aux limites spatio-temporelles de l’espace de la réunion. Il l’est aussi
de l’articulation favorable de cet espace-temps plus large que constitue, dans son ensemble,
le processus d’élaboration concertée du schéma directeur. Cela implique que la coordina-
tion problématique de l’arène publique développée autour du schéma directeur « gare de
l’Ouest » s’étudie également entre les réunions, d’une réunion à l’autre. À ce niveau supé-
rieur de coordination, plusieurs points critiques peuvent être également soulevés.

La dispersion comme règle, la convergence comme exception

Plutôt que de considérer, comme on le fait souvent, le présent « processus participatif » comme
un phénomène unifié, sinon continu, nous proposons de l’envisager sous l’angle d’une fragile
organisation de trajectoires au pluriel. Une arène publique n’est jamais, en effet, un espace-
temps homogène et linéaire mais bien la résultante de la coordination, toujours dépourvue
d’évidence, d’une série de « moments » et de « scènes » 31 entre lesquelles circulent et évoluent

Voies et voix de la gare de l’Ouest 231


les acteurs, ainsi que les informations et les intentions dont ils sont porteurs. En dehors de
ces moments et scènes, les différents acteurs du processus participatif s’occupent ou se préoc-
cupent de leur projet commun d’une manière qui est singulière à chacun, suivent des « allées »
divergentes et progressent selon des rythmes distincts. Ainsi l’existence même de l’arène
publique, du processus dans son ensemble, est-elle toujours vulnérable, dépendante de procé-
dures pratiques, d’initiatives plus ou moins réussies par lesquelles les personnes dont c’est
la charge cherchent à organiser la concordance des agendas particuliers, la cohérence des
démarches et la convergence concrète des différents acteurs dans des espaces de co-présence.
Bien sûr, on reconnaîtra que, dans le cas de projets de planification urbaine comme celui-
ci, certains « objets » se montrent particulièrement résistants au travail politique, difficilement
« gouvernables 32 ». Dans le cas étudié, l’« étude technique » sur base de laquelle devait être
prise la décision de l’enfouissement ou du non-enfouissement des voies ferrées s’est prolongée
de longs mois, durant lesquels le travail de discussion publique fut suspendu. Des délais
comme celui-ci, loin d’être rares dans des processus de « démocratie technique 33 », contri-
buent à désynchroniser les tâches, à engourdir les acteurs, à émousser les motivations de
chacun et la confiance mutuelle. Si l’attente des résultats ne fut pas la seule phase de sommeil
dans le cas du processus participatif autour de la gare de l’Ouest, cette latence pendant
laquelle les enjeux de la concertation sont retirés de la scène publique facilite l’isolement
des protagonistes : les experts se retranchent dans leur « laboratoire », les animateurs (IEB)
se voient découragés de toute initiative, les quelques citoyens ayant suivi les ateliers de
2006 se démobilisent — à quelques exceptions notables près. Et dans ces moments de
silence public, si le processus collectif stagne, les fantasmes de chacun concernant les acti-
vités et les motivations de « l’Autre » vont bon train.

Des horizons temporels distordus

Un processus tel que celui que nous étudions prend du temps. Beaucoup de temps, entrecoupé
qu’il est par ces « phases de sommeil » à l’impact négatif en termes de mobilisation. Dans
les réunions évoquées, il est malaisé pour chacun des acteurs de se localiser dans le processus
— mis à part pour le noyau dur d’habitants actifs depuis le début — et en tout cas de se
rendre compte et de rendre compte à l’autre de l’épisode qu’ils réalisent ensemble, tant l’his-
toire dans laquelle cet épisode prend place paraît insaisissable : l’encre ayant écrit les épisodes
précédents a pâli, et celle destinée à écrire les épisodes prochains vient à manquer. La
précarité de la « participation citoyenne » telle qu’elle s’offre à l’observation, tout particu-

232 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


lièrement lors de la réunion du 18 avril 2007, a beaucoup à voir avec la distorsion de ses
horizons temporels, passés et futurs. C’est pourquoi il doit paraître particulièrement difficile
à certains des citoyens présents lors de cette soirée de réaliser que le projet de schéma direc-
teur présenté par le bureau d’études a bel et bien profité de la participation citoyenne. Il
s’agit, en effet, de la participation d’autres citoyens, présents lors des ateliers organisés par
IEB un an plus tôt. Et cet apport, ou cette influence, s’est dilué, comme gommé par des
phases de cafouillage et de « silence public ». Ne reste donc, ou à peu près, que l’exposé
d’un expert. Pour les mêmes raisons, les perspectives futures de leur participation appa-
raissent incertaines aux yeux des citoyens concernés. On évoque bien l’étape suivante, à
savoir la réalisation à charge de la commune d’un PCA (plan communal d’aménagement).
On annonce aussi que se prolongera une dynamique de concertation avec les habitants
dans cette étape ultérieure. Il n’empêche que les suites de la première phase du processus
dans son ensemble sont floues.

Un moment démocratique continûment différé

Le troisième et dernier type d’enjeu que nous pointerons ici vaut vraisemblablement au-delà
du cas « gare de l’Ouest ». Il repose sur le constat suivant : le moment démocratique censé
plonger l’ensemble des acteurs dans une discussion publique ouverte sur les préoccupa-
tions, s’il constitue bien l’horizon des « rencontres » observées, reste largement insaisissable
tant il se trouve continûment différé. D’une manière assez typique, il est toujours soit trop
tôt soit trop tard pour entreprendre la discussion publique. Lors de la réunion d’avril 2007,
il est à la fois trop tard pour « revenir » sur certains aspects (tel l’enterrement des voies) et
trop tôt pour « s’avancer » sur une série d’autres éléments (garantir des équipements, préciser
des gabarits). À ce sujet, on pourrait dire ceci : pour les personnes en charge de l’élabo-
ration du schéma directeur et / ou pour ses commanditaires, aucun moment n’est bon pour
rencontrer une résistance. Car c’est bien de « résistance » qu’il s’agit quand on parle, dans
une logique de consultation, de s’enquérir de l’avis des résidents. D’un côté, il apparaît
coûteux, déraisonnable voire impossible de défaire ce qui a été fait et décidé. De l’autre,
il apparaît tout aussi inutile d’entamer des discussions portant sur des objets dont on ne
maîtrise pas encore les caractéristiques, qui n’ont pas encore été étudiés par les experts,
ou qui ne sont tout simplement pas au programme d’un projet qui ne porte que sur des
« grandes lignes ». Ainsi, dans le cadre pour la gare de l’Ouest, l’opération consistant à
abaisser ou à ne pas abaisser les voies ferrées ne semble pas pouvoir profiter du débat

Voies et voix de la gare de l’Ouest 233


démocratique : avant la fin de l’étude technique, il n’était pas possible d’évoquer le sujet
publiquement, et une fois l’étude finie, il n’était plus possible d’opter pour l’abaissement.
Le verdict, celui d’une certaine inconsistance de la participation, n’incrimine aucun acteur
en particulier. C’est sans doute le propre d’« héritages technologiques 34 », telle cette voie
ferrée, que de résister farouchement à la gouvernabilité. N’être pas parvenus à faire vivre
le « moment démocratique » de discussion équitable et argumentée sur des problèmes d’ordre
technique est donc irréductible à une « faute » des acteurs ou de certains d’entre eux. On
peut en revanche mettre en question cette idée sinon cette illusion, vivace dans le chef des
personnes en charge : demain, plutôt qu’aujourd’hui, sera le moment.

Conclusion : le caractère ambivalent de procédures absentes

On l’aura compris : l’histoire de l’élaboration du schéma directeur « gare de l’Ouest » est


largement dominée par un flou procédural qui confine au laisser-faire du point de vue de
la concertation, d’une part, et par l’incertitude quant à la réalisation concrète du projet dans
le futur, d’autre part. Soit deux traits qui s’accentuent mutuellement, minant la signification
même que les acteurs — quels qu’ils soient — devraient pouvoir donner au processus auquel
ils sont censés participer.
Du côté du processus participatif, en effet, aucune exigence de méthode n’est spécifiée à
l’associatif chargé de l’organiser et rien, dans le cahier des charges, ne contraignait le
bureau d’études à participer à la concertation ou à intégrer les propositions qui en sont
issues. De même, l’objet de la concertation — ce qui, dans le projet, est censé être soumis
à la discussion publique — n’est jamais précisément défini, au point qu’il est permis de
douter qu’il existe. Enfin, l’élaboration du projet, en son volet public au moins, apparaît
marquée par un tempo très lent bien qu’heurté, une quasi-absence de rythme et de conti-
nuité entre ses différentes phases, elles-mêmes déjà fort imprécises. D’un autre côté, on l’a
dit, le doute plane quant aux possibilités techniques et surtout financières de concrétiser le
projet de réaffectation et de revitalisation — fût-ce à « long terme », comme le précise l’expert,
et de quelque variante, plus ou moins ambitieuse, qu’il s’agisse. Et ce, compte tenu d’abord
de l’absence de maîtrise du foncier, conditionnée par une incertaine volonté de vendre de
la part de l’actuel propriétaire ; compte tenu, ensuite et surtout, de l’absence d’opérateurs
économiques prêts à investir sur la zone ; compte tenu, enfin, de la définition, elle aussi bien
incertaine, des priorités des autorités régionales dans le traitement des différentes zones leviers.
Un tel résumé de la situation de la gare de l’Ouest n’invite guère à l’optimisme. Cela dit,

234 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


on ne peut conclure en passant sous silence la constance, l’intensité et l’effet d’entraînement
de l’implication d’un noyau dur de citoyens habitant les quartiers voisins dans le cadre de
l’élaboration du projet de schéma directeur — mais aussi au-delà, dans tel contrat de quar-
tier, telle plate-forme participative ou tel autre comité de quartier ; comme si une certaine
dynamique participative existait malgré tout, trouvant de nouvelles voies en s’appuyant sur
de plus anciennes et investissant, d’une manière ou d’une autre, les différents dispositifs insti-
tutionnels. Singulièrement, en ce qui concerne le schéma directeur, le flou procédural, la
temporalité hasardeuse, l’indécision objective et l’incrédulité quant à la matérialisation du
projet contribuent au moins pour partie à maintenir en vie, voire à renforcer, l’engagement
participatif d’une fraction des habitants ; comme si c’était aussi et précisément parce que le
dispositif n’apparaissait pas bétonné ni le projet prédéfini de manière crédible qu’il restait
de l’espace pour la participation et la délibération.
Cette dimension, il est vrai, ne fut clairement identifiée qu’à l’occasion de la toute dernière
rencontre à ce stade : celle organisée « à huis clos » en février 2008 à l’initiative des habi-
tants pour donner suite directe à la réunion publique. Unique et non prévu, l’événement n’en
demeure pas moins hautement instructif. La réunion des habitants à la maison de quartier
du Karreveld montre, en effet, à l’observateur quelle peut être la diversité des visions du
monde coexistant au sein d’une seule et même catégorie d’acteurs, trop souvent décrite
comme unifiée. Elle démontre aussi comment, dans un autre contexte que celui de la réunion
publique — inévitablement formatée par l’exposé de l’expert et la séance de « questions-
réponses » —, il est possible que ces visions du monde différenciées s’expriment, se rencontrent,
se confrontent. Elle donne encore à voir le processus discursif qui permet d’aboutir à un
accord ou du moins de formuler un ensemble de propositions constructives, de critiques argu-
mentées, de questions précises destinées aux concepteurs et maîtres d’œuvre du projet.
Reste à savoir, dira-t-on, dans quelle mesure ces contributions citoyennes, précieuses ne serait-
ce que par l’expertise qu’elles mobilisent et expriment, remonteront effectivement vers les
décideurs et seront entendues. Cependant, la tenue même de cette réunion improvisée atteste
au moins de l’existence d’une commune volonté des acteurs que la rencontre, un jour, ait lieu.

Voies et voix de la gare de l’Ouest 235


1. Notre propos se fonde sur le suivi de l’ensemble de la participation citoyenne attendue dans le cadre du
la procédure d’élaboration du schéma directeur initiée contrat de quartier du même nom, qui participe d’un
en 2006. Il est issu de l’observation de certains épisodes outil de revitalisation à portée plus locale et dont les objec-
du volet public ou participatif de cette procédure, d’en- tifs plus opérationnels et les délais de mise en œuvre
tretiens avec les acteurs clés, de l’analyse des textes plus prévisibles sont sans doute mieux à même de motiver
officiels et autres documents relatifs aux projets pour la une participation des résidents de la zone.
gare de l’Ouest et d’enquêtes sociologiques de terrain 3. Dès juin 2005, IEB organisera diverses activités autour
non spécifiquement dédiées à l’analyse du schéma direc- du quartier (activités photo, mobilité, nature) et tiendra
teur mais centrées sur certains quartiers molenbeekois, des permanences dans les logements sociaux, dans les
leurs populations, leurs problèmes et la mobilisation autour espaces publics ou les lieux de passages dans le quar-
de projets urbains les concernant. Nous avons ainsi tier (voir Bruxelles en mouvements, n° 145, mai 2005
rencontré et interviewé : les chargés de mission d’Inter- et n° 154, novembre 2005). En octobre et novembre
Environnement Bruxelles (IEB) à différents moments 2005, IEB organise également des soirées débats et un
(François Dewez et Sébastien François en mai 2006, workshop avec des étudiants en architecture et en urba-
Sébastien François et Olivia Lemens en août 2007), Ariane nisme (voir Bruxelles en mouvements, n° 159, février
Herman, chef de cellule Aménagement du territoire auprès 2006). Si, de l’avis de l’acteur associatif, ce workshop
du ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale et ces conférences ont eu lieu trop tôt par rapport au
Charles Picqué (automne 2006, FUSL, dans le cadre des début du processus, la médiatisation de l’événement lui
travaux du Groep Levier) et Bruno Clerbaux, urbaniste, a donné un retentissement à l’échelle régionale. Surtout,
ACP Group (id.). Le corpus de textes comprend notam- les images et maquettes produites dans le cadre de ces
ment des documents de travail, notes méthodologiques activités ont fourni un précieux support visuel pour la
ou de synthèses et autres rapports réalisés par IEB mais réflexion ultérieure des habitants.
aussi des documents planologiques régionaux tels le plan 4. IEB assume non seulement sa mission d’information
régional de développement (PRD) et le plan régional d’af- des habitants, par la distribution de toutes-boîtes, les
fectation du sol (PRAS). Enfin, Abdelfattah Touzri a permanences, les réunions d’information et autres
consacré sa recherche doctorale aux minorités issues de rencontres organisées sur le terrain, mais l’association
l’immigration et aux dispositifs de revitalisation urbaine joue aussi un rôle de médiateur entre les habitants, les
dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean. Mathieu experts et les décideurs en réalisant des synthèses des
Berger a pour sa part participé à la conception et à l’éla- ateliers, schémas et autres notes qu’ils transmettent aux
boration de « diagnostics sociologiques » dans le cadre membres du comité d’accompagnement, aux réunions
des contrats de quartier « rives ouest » en 2007 et « écluse duquel IEB est admis au rang d’observateur. Les chargés
Saint-Lazare » en 2008. de mission s’interrogent néanmoins sur la place de l’as-
2. En termes de nombre de participants, la participation sociatif au sein de cette instance et, plus généralement,
demeurera toujours assez faible, sinon aux réunions d’in- sur l’intérêt que portent les membres du comité d’ac-
formation du moins aux ateliers. Rétrospectivement, l’acteur compagnement aux éléments apportés au projet par les
associatif se réjouit cependant de sa continuité dans le habitants.
temps et du caractère cumulatif du travail réalisé avec 5. Une première réunion d’information est organisée le
les habitants. Il se pourrait également que le travail de 19 avril 2006 et est suivie de trois ateliers participatifs
mobilisation sur ce cas ait favorisé l’émergence de la (les 29 avril 2006, 6 mai 2006 et 13 mai 2006). Voir
plateforme « Rives ouest » en tant que socle possible de Bruxelles en mouvements, n° 168, juin 2006.

236 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


6. À la demande de plusieurs personnes dans l’assis- répondre à la volonté de faciliter l’intégration d’un micro-
tance, l’urbaniste devra s’y reprendre à plusieurs reprises territoire à l’échelle d’une ville qui aspire à la
pour clarifier cet argument prudentiel. métropolisation. Devant permettre différentes formes de
7. Le site de la gare de l’Ouest matérialise une fracture mobilité, physique et sociale notamment, l’aménagement
sociale et urbanistique entre ce que l’on considère souvent du site semble, en effet, s’orienter vers la promotion et
comme « les deux Molenbeek ». On y reviendra. la création des conditions propices aux formes diverses
8. Il s’agit des noms des stations d’une des principales de mouvement et à la communalisation des ressources.
lignes de métro du réseau bruxellois. On pourrait même faire un pas de plus et s’interroger
9. En dépit de la présence d’une allée bordée d’arbres, sur l’existence d’une tendance chez certains acteurs à
la « rambla » dont il sera plus tard question, il n’y a pas voir en ce projet une opportunité d’accroître l’attracti-
de vert sur la diapositive présentée. vité d’un territoire selon une logique qui fait de la ville
10. Il s’agit en grande majorité d’habitants du quartier. un espace d’accumulation et de production tout en profi-
Trois membres d’IEB sont présents, dont l’un, molen- tant de l’effet de proximité entre population et activités
beekois, est également membre du nouveau comité de productrices. Cela dit, le souci de « valorisation » passe-
quartier, ce qu’il rappelle, assumant d’emblée sa double rait également par l’attention portée à l’image de
casquette. Les auteurs de cet article, membres du Groep Molenbeek en appelant à « prévoir un édifice qui accroche
Levier travaillant sur la gare de l’Ouest et présents à la l’œil » qui donnerait à la commune l’« image de moder-
réunion de la semaine précédente, ont également été nité » dont elle a besoin. Il est aussi question de la doter
invités à titre d’observateurs. d’«éléments de repères» et d’une «vraie place de l’Ouest».
11. Nous reprenons ici les termes utilisés par IEB dans On retrouve ici la dimension du lieu évoquée plus haut
la note du 15 février 2008. qui illustrerait peut-être aussi un registre de croyances foca-
12. Bernard DECLÈVE, « Scénographie des projets d’es- lisé sur l’intérêt du paysage, du design urbain, des aspects
paces publics urbains », Les cahiers de l’urbanisme, esthétiques et des éléments d’accroche visuelle.
n° 48-49, « Urbanisme et architecture. Je t’aime moi non 15. Ceci constitue d’ailleurs probablement l’une des
plus », Liège, ministère de la Région wallonne – DGATLP / raisons de l’inscription du site comme ZIR (zone d’intérêt
Pierre Mardaga, 2004, p. 20-35. régional) dans le PRAS et comme zone levier dans le
13. Voir Pierre VELTZ, Des lieux et des liens. Politique PRD de 2002.
du territoire à l’heure de la mondialisation, La Tour 16. Si la volonté de créer une traversée est évidente, le
d’Aigue, L’Aube, 2003. type de mobilité qui devrait prédominer sur le site
14. La « mobilité » semble être, comme dans le cas de (piétonne, transport en commun, voiture…) n’est pas clai-
plusieurs villes européennes, l’axe majeur autour duquel rement défini dans le projet et a fait l’objet de nombreux
s’articule le projet molenbeekois puisqu’elle est censée débats. Les contraintes techniques liées à la traversée
stimuler le redéploiement de la zone. Ainsi l’intermoda- des voies apparaissent cependant comme un élément
lité s’apparente-t-elle à une clef de développement. Avec déterminant.
Thierry Oblet, on peut alors se demander s’il ne s’agit 17. À ce sujet, le plan communal de développement (PCD)
pas d’une simple « croyance dans les effets structurants énonce : « Le site de la gare de l’Ouest doit devenir un
des transports ». Du moins présume-t-on que, sous l’effet espace charnière, un trait d’union entre deux parties de
de « flux », des activités économiques peuvent être géné- la commune trop longtemps séparées. Le paysage
rées. Et il apparaît assez clairement qu’en veillant tout urbain dense et le vert doivent s’y rencontrer et s’y inter-
particulièrement à la connectivité le projet est conçu pour pénétrer tout en valorisant la position élevée du site. Les

Voies et voix de la gare de l’Ouest 237


traversées à hauteur de Beekkant et de la place de l’Ouest 23. Il s’agirait d’ailleurs d’un « compromis » entre fonc-
doivent devenir un espace de liaison prioritaire. » La tions économiques et sociales typique en Région
section 2.9.1. du PCD relative à la prise en compte des bruxelloise, si l’on songe par exemple aux projets de
fonctions nationales et internationales insiste sur le lien « cohésion sociale » dans les contrats de quartier, quasi-
à créer entre « les deux Molenbeek ». Il souligne l’intérêt ment assimilés à des entreprises de réinsertion
de « l’insertion du site dans le contexte communal pour socio-professionnelle ou de mise à l’emploi des jeunes.
accroître la visibilité de la relation entre des axes de 24. La préoccupation éducative liée à la question de la
communication et la continuité urbaine », autrement dit, scolarité à Molenbeek apparaît comme fondamentale.
l’insertion du site dans le contexte supra-communal. Certains acteurs locaux se sont d’ailleurs donné une struc-
18. Nous empruntons à Kevin LYNCH ce terme qui ture, le « CRI », active notamment dans le même périmètre
désigne la capacité d’un objet de la structure urbaine à territorial. Le CRI s’identifie comme « un regroupement
provoquer auprès des usagers de la ville une image forte. volontaire de parents, d’écoles et d’associations qui parta-
Lynch utilise aussi le terme de « lisibilité », qui renvoie au gent le désir d’améliorer l’enseignement francophone
potentiel d’identification des éléments de la structure fondamental à Molenbeek-Saint-Jean ». Autour de cette
urbaine par ses usagers (voir L’Image de la cité (1960), initiative, on assiste à l’émergence d’une constellation
trad. Marie-Françoise Venard et Jean-Louis Venard, Paris, d’acteurs, associatifs en particulier, qui épinglent les diffi-
Dunod, 1969). cultés de l’enseignement francophone et illustrent
19. L’élargissement du concept d’espace public à celui l’importance de la question scolaire.
d’espace ouvert permet d’intégrer mais aussi de nuancer 25. Michael WALZER, Spheres of Justice, New York,
le rôle structurant d’une série d’espaces collectifs de la Basic Books, 1983.
ville (voir Sophie LE FLOCH et Anne-Sophie DEVANNE, 26. « L’attention aux différences dans les expressions d’un
« D’espace public en espaces ouverts. Exploration biblio- sens du juste est maintenue dans notre travail, par la
graphique sur le thème des interrelations entre personnes reconnaissance d’une pluralité des formes de généralité
et entre personnes et environnement physique », note de qui sont autant de formes de grandeur disponibles pour
travail, Cemagref, Bordeaux, mai 2004). justifier une action. Ce pluralisme […] conduit à s’inté-
20. Les pré-projets présentés lors des soirées d’information resser à une théorie de la justice qui tiendrait compte
ne reprennent finalement que quelques localisations de la diversité des façons de spécifier le bien commun »
majeures de fonctions qui s’appuient sur les éléments de (Luc BOLTANSKI et Laurent THÉVENOT, De la justifica-
centralité potentielle que sont les stations de métro, les tion. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard,
espaces publics et l’espace vert. 1991, p. 98).
21. Henri LEFEBVRE, La Production de l’espace, Paris, 27. Loïc BLONDIAUX, « Délibérer, gouverner, représenter :
Anthropos, 1974, p. 102. les assises démocratiques fragiles des représentants des
22. On notera à nouveau l’absence quasi totale d’in- habitants dans les conseils de quartier » in CURAPP /
vestisseurs ayant manifesté ouvertement leur intérêt pour CRAPS, La Démocratie locale. Représentation, partici-
ce site. Les potentialités de celui-ci avant tout en termes pation et espace public, Paris, PUF, 1999, p. 367-404.
d’accessibilité et de mobilité (le fameux « pôle inter- La notion de « montée en généralité » est de Luc
modal ») semblent toutefois autoriser les acteurs de premier BOLTANSKI et Laurent THEVENOT (De la justification,
plan à espérer que les valeurs d’échange peuvent être op. cit.).
développées sur le site de la gare de l’Ouest. 28. Mathieu BERGER, Répondre en citoyen ordinaire.

238 Ma t hi eu Ber ge r , Fl orence Delmotte, Julie Denef et Ab delfattah Touzri


Une ethnographie des compétences citoyennes dans un 32. Yannick BARTHE, Le Pouvoir d’indécision. La mise
dispositif de concertation bruxellois, thèse de doctorat en politique des déchets nucléaires, Paris, Economica,
en sociologie, Université libre de Bruxelles, 2008, p. 75. 2006.
29. Id. 33. Michel CALLON, « Quel espace public pour la démo-
30. Bruno LATOUR, Changer de société, refaire de la cratie technique ? » in Daniel CEFAÏ et Dominique
sociologie, Paris, La Découverte, 2007. PASQUIER (s.l.d.), Les Sens du public. Publics politiques,
31. Daniel CEFAÏ, « Qu’est-ce qu’une arène publique ? publics médiatiques, Paris, PUF, p. 197-221.
Quelques pistes pour une approche pragmatiste» in Daniel 34. Yannick BARTHE, « Rendre discutable. Le traitement
CÉFAÏ et Isaac JOSEPH (s.l.d.), L’Héritage du pragma- politique d’un héritage technologique », Politix, vol. XV,
tisme. Conflits d’urbanité et épreuves de civisme, La Tour n° 57, 2002, p. 57-78.
d’Aigues, L’Aube, 2002, p. 51-81.
Chapitre VIII
Tour et Taxis ou les ambivalences de l’urbanisme participatif à Bruxelles

An Descheemaeker 1

Tour et Taxis est un ancien site industriel à la veille de sa réaffectation. Étant donné sa taille
et sa situation, il représente l’un des principaux défis urbanistiques de la Région de Bruxelles-
Capitale. Le site appartient à un investisseur immobilier qui a déjà rénové et réaffecté en
2002 deux bâtiments en bureaux, commerces et lieux d’organisation d’événements. Soit
des îlots de luxe dans un quartier pauvre, densément peuplé, à la population faiblement
scolarisée, comptant de nombreux habitants d’origine immigrée et un taux élevé de chômage.
Le reste du site attend depuis vingt ans déjà une nouvelle affectation et n’est utilisé qu’occasion-
nellement pour de grandes manifestations (festival Couleur Café, Cirque du Soleil, etc.). Tout
comme pour la Cité administrative de l’État, le gouvernement bruxellois a décidé d’élaborer
un schéma directeur pour planifier le redéveloppement du site, c’est-à-dire, on l’a vu, une
procédure qui met l’accent sur la concertation entre les différents acteurs concernés. Une
forme de participation des habitants a donc été prévue pour Tour et Taxis, et ce dès le début
du processus de planification.
En qualité de fédération indépendante de comités d’habitants et de Bruxellois actifs, le
BRAL 2 suit l’histoire tumultueuse de Tour et Taxis de très près depuis de nombreuses années.
Car, en effet, ce n’est pas la première fois que des projets sont développés pour Tour et
Taxis. Dans ce cas comme dans d’autres, le BRAL vise une planification non seulement mieux
organisée mais qui tienne également compte des besoins des quartiers avoisinants, que
l’association a tenté de cerner au plus près en s’appuyant sur son expérience déjà longue.
Fin 2004, ce travail a débouché sur la proposition, acceptée par les autorités régionales,
que lui soit confiée la mission de « facilitation de la concertation entre les autorités et les
habitants ». Et ceci, pour Tour et Taxis et pour la Cité administrative de l’État, comme on a
déjà eu l’occasion de l’évoquer.

240 A n D es c he em a e k e r
Tour et Taxis : un peu d’histoire

Le site qui nous intéresse doit son nom à la famille Thurn und Taxis, fondatrice, en 1490,
du premier service postal officiel européen entre Bruxelles et Vienne. À la fin du XIXe siècle,
le site fut transformé en une plate-forme commerciale exceptionnelle pour l’époque, qui combi-
nait des activités ferroviaires, portuaires, d’entreposage et de douane. La Société du canal
et des installations maritimes de Bruxelles et la SNCB investirent toutes deux dans le déve-
loppement de cette plaine marécageuse. Cinq grands bâtiments furent érigés : le bâtiment
des douanes, l’entrepôt royal, les magasins, le bâtiment de la Poste et la gare de marchan-
dises. Ce complexe de bâtiments est un remarquable exemple du professionnalisme magistral
de la Belgique dans le domaine durant la période de l’industrialisation.
Les activités de transport à Tour et Taxis atteignent leur apogée dans les années 1960 —
plus de 3 000 personnes y travaillent alors 3 — et s’arrêtent progressivement vers la fin des
années 1980. À l’origine de ce déclin, on trouve entre autres la suppression des frontières
intérieures européennes, le raccourcissement du temps de stockage des marchandises et la
concurrence croissante d’autres modes de transport des marchandises, avant tout le trans-
port routier. Les activités cessent définitivement en 1993. Et depuis, excepté l’accueil de
plusieurs grands événements culturels ponctuels, aucune nouvelle affectation définitive n’a
encore été trouvée pour ce site.
Des idées et des projets, les investisseurs immobiliers en ont eu, mais aucun de ces projets
n’a jamais été réalisé. Soit qu’ils étaient financièrement irréalistes, soit qu’ils étaient beau-
coup trop éloignés des besoins des quartiers avoisinants. Le projet « Music City » lancé en
1992 a sans doute été le plus important de la série. Il prévoyait la construction d’une énorme
salle de concert pouvant accueillir 12 000 personnes, toutes sortes d’activités annexes (studios,
magasins, hôtels) et un grand parking. Ce projet prévoyait également la démolition de certains
bâtiments, ce qui aurait représenté une lourde perte pour le patrimoine industriel bruxellois.
Il fut donc vivement critiqué par les associations et comités de quartier, notamment le comité
Maritime, La Fonderie, Inter-Environnement Bruxelles (IEB) et le BRAL. Au-delà, ce projet donna
lieu à de nombreuses lettres de réclamation et articles de presse.
Après dix ans de lutte, ou presque, les investisseurs privés abandonnent donc le projet
Music City. En 2001, Leaseinvest et Robelco, les propriétaires de l’époque, mettent alors
sur pied la joint venture Project T&T. Cette société anonyme réunit les deux propriétés corres-
pondant aux zones d’intérêt régional (ZIR) 6A et 6B et les instigateurs de cette fusion décident
de concevoir un masterplan pour l’ensemble des trente hectares. C’est d’ailleurs à la même

Tour et Taxis ou les ambivalences de l’urbanisme participatif à Bruxelles 241


Fig. 1 et 2. Le site de Tour et Taxis et les quartiers environnants. (Source : BRAL et MSA.)

période que le PRAS (plan régional d’affectation du sol, 2001) 4 est approuvé et que le site
de Tour et Taxis est scindé en deux ZIR, ce qui permet au promoteur de développer la zone
6B (où se trouvent les bâtiments anciens) moyennant l’obtention d’un simple permis d’urba-
nisme. En 2002, la société propriétaire, Project T&T, obtient d’ailleurs ce permis et entame
la rénovation de l’entrepôt royal et des magasins. Des bureaux, des commerces et des struc-
tures d’accueil de grands événements y sont installés. Le développement d’une vision globale
au niveau de l’ensemble du site se fait par contre attendre.

De la protestation à la participation des habitants

La « plate-forme Tour et Taxis »

Au début des années 1990, la « Fondation Tour et Taxis 21 » voit le jour suite aux contes-
tations du projet Music City et à l’initiative de La Fonderie 5. Durant plusieurs années, cette
coalition d’associations et de comités de quartier suit les différents projets, réagit et propose
des alternatives. C’est ainsi que le groupe a entre autres gagné le combat pour le maintien
du patrimoine industriel de Tour et Taxis.
En réaction au PPAS (plan particulier d’affectation du sol), qui fit l’objet d’une enquête
publique début 2004, la Fondation fut élargie et donna naissance à la « plate-forme Tour
et Taxis ». Le plan d’affectation s’inspirait d’un arrêté du gouvernement clairement dicté par
les promoteurs. Pendant l’enquête publique, une vaste protestation s’éleva à nouveau contre
ce plan qui perdit finalement tout soutien. Des mois s’écoulèrent ensuite sans que les autorités
ne prennent la moindre décision. On attendait le nouveau gouvernement. Finalement, celui-ci

242 A n D es c he em a e k e r
décida de ne pas approuver le PPAS et de tout reprendre à zéro. La question était cepen-
dant : comment faire ?
Après l’enquête publique, la plate-forme Tour et Taxis profita de l’indécision des autorités
pour affiner sa réaction au PPAS et développa ce qu’elle considérait comme les treize prin-
cipes de base que devait respecter le développement de Tour et Taxis. Ces principes contenaient
des recommandations sur le patrimoine, la mobilité et les espaces verts mais aussi sur la méthodo-
logie de la planification elle-même. Fondé sur la conviction que la procédure d’enquête publique
arrivait trop tard dans le processus pour permettre une réelle concertation avec les habitants
utilisateurs et les associations, le texte proposait notamment la création d’une « plate-forme
de planification », envisageant une sorte de comité d’accompagnement qui permettrait de
rassembler tous les acteurs concernés dès le début de la procédure de planification : les
différentes autorités et leurs administrations, les investisseurs privés ainsi que les associa-
tions, comités de quartier et riverains. L’asbl BRAL, corédacteur au titre de membre de la
plate-forme Tour et Taxis, développa cette procédure plus en profondeur en s’inspirant d’exemples
réalisés à Anvers et à Amsterdam. Le BRAL proposait ainsi de mettre en place une procé-
dure de développement des zones leviers prévue par le PRD mais qui n’avait encore jamais
été utilisée, en l’occurrence celle des schémas directeurs, dans laquelle la concertation entre
les différents acteurs (dont les habitants du quartier) occupe une place centrale dès le début.

Le choix du schéma directeur

Le nouveau gouvernement régional arriva à la même conclusion (voir le chapitre II sur le


contexte de l’époque) : au vu du nombre d’acteurs concernés, chacun ayant des intérêts
propres et une vision différente de l’avenir du site, les méthodes de planification tradition-
nelles paraissaient particulièrement inappropriées. Le gouvernement décida donc d’utiliser
la procédure du schéma directeur en vue de concilier les attentes des différents acteurs. Les
différents niveaux publics (la Région de Bruxelles-Capitale, et les ministres concernés, la Ville
de Bruxelles et la commune de Molenbeek-Saint-Jean 6, leurs bourgmestres et échevins) et
leurs administrations respectives, les habitants des quartiers avoisinants, les investisseurs privés,
les sociétés de transport en commun (STIB, SNCB), la Société de développement régional
de Bruxelles (SDRB), le Port de Bruxelles, etc. devaient, en effet, grâce à ce schéma direc-
teur arriver à une vision commune concertée sur l’avenir de Tour et Taxis.
Le BRAL reçut également pour mission de « faciliter la concertation entre les habitants et les
pouvoirs publics ». Le double rôle du BRAL — son rôle d’acteur fédérateur et indépendant,

Tour et Taxis ou les ambivalences de l’urbanisme participatif à Bruxelles 243


de groupe de lobbying défendant les habitants, d’un côté, sa nouvelle fonction d’animateur
dans le processus de planification, de l’autre — n’a pas manqué de faire grincer des dents.
Du point de vue de l’association, il s’agissait toutefois d’une conséquence logique des actions
menées pendant de longues années dans le cadre du dossier Tour et Taxis. Sa vaste expé-
rience, ses nombreux contacts et sa connaissance de la situation complexe de Tour et Taxis
et de toute son histoire constituaient, en effet, un point de départ précieux dans le cadre de
l’organisation de la participation des habitants. Qui plus est, une fédération indépendante
jouit d’une plus grande latitude au niveau de la mise sur pied d’actions proactives dans le
cadre d’un processus de planification, ce qui s’est finalement avéré très utile (voir plus loin).

Six mois qui deviennent trois ans

En principe, la durée prévue pour l’élaboration du schéma directeur était de six mois. Début
juin 2008, le gouvernement a approuvé le schéma directeur en première lecture. Il faudra
encore attendre quelques mois avant son approbation finale. Que s’est-il donc passé pendant
ces six mois devenus trois ans ?

Un départ prometteur

Il a d’abord fallu attendre le lancement de la procédure de sélection du bureau d’études. Le


BRAL a utilisé cette période d’attente pour informer les habitants sur la nouvelle procédure.
Dans le prolongement de leur mobilisation dans le cadre du PPAS, les comités de quartier se
sont réunis dans deux ateliers pour réfléchir à l’avenir de Tour et Taxis, mais cette fois sans
plan existant et donc sans limitations. Le résultat de cette réflexion débouche, en août 2005,
sur le texte Thurn & Taxis, opnieuw... 7 (« Tour et Taxis, encore… »), le troisième manifeste
des habitants du quartier sur ce site. Dans ses grandes lignes, ce manifeste propose : 1° de
respecter le patrimoine ; 2° d’ouvrir le site et de le rendre accessible ; 3° de ne rien construire
et de commencer par réaffecter les bâtiments existants, ce site étant également précieux par
son espace non bâti ; 4° de réhabiliter, en le repensant, l’ancien modèle de cité et de prévoir
des habitations de type social (s’il fallait néanmoins construire). Accompagné d’une note
méthodologique (élaborée par le BRAL en concertation avec les comités), le texte est joint au
cahier des charges à l’intention des bureaux d’études sélectionnés. Ceux-ci ont donc pu intro-
duire leurs offres en s’appuyant sur la vision des comités de quartier quant à l’avenir de Tour
et Taxis et la méthodologie proposée. Après une année de procédure d’adjudication suite à

244 A n D es c he em a e k e r
la procédure d’appel introduite par l’un des bureaux, le marché est finalement confié en
juin 2006 au bureau d’études MSA-Lion. Le même bureau que pour la CAÉ.
MSA connaît bien le BRAL, le quartier Maritime, et plus généralement le contexte entou-
rant la réaffectation du site de Tour et Taxis ; de part et d’autre, on partage, en outre, une
vision analogue de la participation. Il est donc clair, au vu de ces différents éléments, que
le choix du bureau a joué en faveur de la participation des habitants et de l’ensemble de
la procédure de concertation préconisée par l’associatif. Ainsi, le 16 juin 2006, soit avant
même que la procédure ne soit officiellement lancée avec le comité d’accompagnement, le
BRAL organise un grand atelier en collaboration avec le bureau d’études. Au programme :
de l’information dans le cadre d’une réunion publique et au moyen d’un stand de rue, une
promenade de diagnostic sur le site, des ateliers et une séance plénière de discussion des
résultats de la journée avec tous les autres acteurs concernés — la Région, la Ville de Bruxelles,
la Commune de Molenbeek, le Port de Bruxelles et les promoteurs.

Une suite semée d’embûches

Si la procédure a donc bien démarré, ces débuts prometteurs ne furent qu’éphémères. Le


responsable du masterplan des promoteurs claque la porte et la Ville de Bruxelles, la Commune
de Molenbeek et la Région n’arrivent pas à se mettre d’accord. De plus, les élections commu-
nales approchent. Le processus de planification est mis au frigo.
D’un mal sort toutefois un bien : ce gel soudain permet de disposer de plus de temps pour
traiter les résultats de l’atelier et en faire un « manifeste ». Quatre mois de réunions, de coups
de téléphone, de mails, de discussions dans les rues, etc. débouchent sur une pétition de
principe largement soutenue qui a pris forme au niveau local mais a ensuite bénéficié du
plus large soutien du milieu associatif bruxellois, ce qui lui donne un poids supplémentaire
au niveau régional. Finalement, le manifeste T&T : TouT publiek 8 sort au bon moment. Les
discussions au niveau politique redémarrent début 2007 et le manifeste tombe à point. À
deux reprises — dont une fois avec un groupe de signataires —, le BRAL propose le texte
aux politiques. Les propriétaires reçoivent également une délégation de signataires. Il s’avé-
rera que les politiques se sont servis de ce manifeste comme base pour un atelier de réflexion
organisé par le bureau d’études pour les acteurs politiques.
Que de bonnes nouvelles ! Mais, cette recrudescence d’activités autour du projet connaît
ensuite une nouvelle période de mise en veille de quatre mois. Jusqu’à ce qu’en juin 2007,
le ministre-président annonce soudainement qu’un accord est intervenu entre les promoteurs

Tour et Taxis ou les ambivalences de l’urbanisme participatif à Bruxelles 245


Fig. 3. Avec les tentes du Cirque du
Soleil pour décor, le slogan « TouT
publiek » demande un site public et
des activités destinées aux habitants
du quartier (Photo : BRAL.)

et les autorités, à l’étonnement général, côté associatif et habitants. Les questions fusent. Après
enquête, il s’avère qu’un accord est, en effet, en préparation. Un certain scepticisme se déve-
loppe dans le chef des riverains et de l’associatif, qui diminue toutefois lorsque ceux-ci se
rendent compte que cet accord, quant à son contenu, s’inscrit en réalité dans le prolonge-
ment du manifeste. Cela étant, le « protocole d’accord » public / privé progresse à vue d’œil
et, en septembre, lors d’une réunion d’information publique, les propriétaires, la Région et
la Ville de Bruxelles présentent et commentent leur texte commun. Que les choses soient claires :
de la méthodologie initialement envisagée, on ne trouve plus la moindre trace à ce stade.
Cependant, la comparaison du protocole d’accord et du manifeste fait apparaître une vision
commune sur l’avenir de Tour et Taxis. Les deux textes ont de fait une majorité de points
communs : un site accessible, clairement relié aux quartiers avoisinants, organisé autour d’un
vaste espace public d’ouest en est et d’une large liaison verte nord-sud entre Laeken et Molenbeek.
Un deuxième élément structurant de ce projet pour Tour et Taxis est l’attribution à la gare
maritime d’un rôle d’espace public ouvert, librement accessible. En outre, une mixité des fonc-
tions est prévue pour toutes les zones constructibles. Cela dit, un protocole d’accord reste un
protocole d’accord : il parle, par exemple, de fonctions sans les définir précisément ni les
dénombrer. Plusieurs questions posées par le manifeste restent ainsi sans réponse.
Le protocole d’accord ressemble, certes, à un début prometteur sur la voie de la collabo-
ration entre le public et le privé. Fin 2007, cette collaboration prend toutefois un sérieux
coup dans l’aile. La SA Project T&T introduit, en effet, de manière tout à fait inattendue une

246 A n D es c he em a e k e r
demande de permis d’urbanisme pour l’ensemble, ou presque, de la zone concernée par
le schéma directeur. La raison officielle : l’ancien propriétaire (la SNCB) constate que le
dossier est bloqué et espère pouvoir utiliser la condition suspensive prévue dans le contrat
de vente avec les promoteurs pour annuler la vente et obtenir plus d’argent de son terrain.
Fin 2007, les promoteurs se seraient donc vus obligés de proposer un plan concret pour le
site car, de l’avis de la SNCB, le protocole d’accord ou même le (projet de) schéma direc-
teur ne suffisent pas pour entériner le contrat de vente. Comme, de toute évidence, T&T
Project n’imagine pas se débarrasser de son terrain, les promoteurs n’entrevoient dès lors
plus qu’une seule solution : introduire une demande de permis de bâtir.
S’il apparaissait que le contenu de la demande de permis introduite respecte bien les
propositions du schéma directeur, ce ne serait pas encore très grave. Mais ce n’est pas le
cas : le contrat de vente avec la SNCB oblige les promoteurs à développer 100 000 m2 de
bureaux. Étant donné la législation urbanistique actuelle, cela implique ainsi un projet total
de très certainement 400 000 m2 de nouvelles constructions, surface plancher au sol. Combiné
au projet de ménager un parc de dix à vingt hectares, l’ensemble débouche nécessairement
sur une densité de construction prévue invivable.

Les mérites et les écueils du schéma directeur : un premier bilan

Au moment où nous écrivons, le schéma directeur se trouve dans sa dernière ligne droite ;
vu les nombreux rebondissements qu’a connus ce dossier jusqu’ici, on ne peut en tout cas que
l’espérer. De toute évidence, il est donc trop tôt pour tirer des conclusions définitives. Trop tôt
aussi, en fait, pour évaluer les mérites de la nouvelle procédure. Il faudra pour cela attendre
l’exécution du projet finalement retenu pour la zone concernée. Si l’on se fonde sur les trois
dernières années, on peut néanmoins déjà pointer certains avantages et inconvénients. C’est
ce que nous faisons ici, en soulignant quelques écueils avérés de cette nouvelle procédure.

Intérêts publics versus intérêts privés

Tour et Taxis est une des grandes réserves foncières de la Région bruxelloise aux mains de
propriétaires privés. Étant donné la longue histoire du site, en particulier la succession de
projets avortés, le propriétaire se résout fin 2004, après le rejet du PPAS, à attendre que
soit enfin précisée définitivement la vision que les pouvoirs publics se font de l’avenir du site.
Par le biais d’un schéma directeur qui serait ensuite entériné par un arrêté du gouvernement

Tour et Taxis ou les ambivalences de l’urbanisme participatif à Bruxelles 247


et enfin traduit dans un nouveau PPAS, le gouvernement régional compte, en effet, établir
ce qui peut et ce qui ne peut pas être développé pour Tour et Taxis. Dans le cadre de ce
processus, la Région a décidé de consulter non seulement les investisseurs privés mais égale-
ment les habitants du quartier et les acteurs d’autres niveaux de pouvoirs publics concernés.
En un mot : les autorités décident et le privé exécute. À moins que ce ne soit pas aussi
simple ? Par exemple, qu’en est-il si la vision des riverains s’oppose à celle du promoteur
privé ? Quelle est la puissance du lobbying mis en place par le secteur privé ? Et quel sera
le degré de sensibilité des différents niveaux publics à ce sujet ? Car le moins qu’on puisse
dire, c’est que les autorités ont besoin des investisseurs privés pour développer Tour et Taxis.
Dans quelle mesure la Région défendra-t-elle dès lors la vision publique ?
Outre les divergences entre les intérêts des autorités, des habitants et du privé, il faut égale-
ment tenir compte d’une appréhension différente de ce que représente le temps pour chacun
des acteurs et de rythmes de travail par conséquent différenciés. La recherche et la construc-
tion d’un consensus, en effet, requièrent beaucoup de temps. À l’inverse, pour un investisseur,
le temps c’est de l’argent. Qu’en sera-t-il si la procédure traîne en longueur ? Combien de
temps les investisseurs privés pourront-ils faire patienter leurs actionnaires ? On l’a vu, en ce
qui concerne Tour et Taxis, ce conflit s’est traduit par l’existence de deux procédures paral-
lèles : d’un côté, le schéma directeur, de l’autre, la demande de permis de bâtir. Entre les
deux, seul l’avenir dira quel arbitrage et / ou quel compromis apportera — ou non — une
solution au conflit.

Une procédure participative insuffisamment précisée

Le schéma directeur « Tour et Taxis » est le deuxième d’une série que nous pouvons appeler
« de la première génération ». Pour partie, cela peut expliquer que les autorités n’aient pas
eu d’idée précise de ce que devait être exactement ce document directeur, ni de la manière
dont il allait être élaboré, raisons pour lesquelles elles ont d’ailleurs demandé au bureau
d’études de déterminer la méthodologie. Confronté à cette quasi absence d’une vision métho-
dologique claire de la part des pouvoirs publics, le BRAL a décidé, en concertation avec
les habitants du quartier, d’élaborer lui-même une procédure participative idéale, qu’il a
ensuite défendue auprès des autorités et des différents bureaux d’études dont la candida-
ture avait été retenue dans le cadre d’une première sélection. En définitive, il s’est agi là
d’un travail de lobbying utile puisque le bureau d’études finalement désigné a repris plusieurs
de ces suggestions dans sa méthodologie globale.

248 A n D es c he em a e k e r
Les autorités, par contre, n’ont pas répondu assez précisément à la question la plus impor-
tante : celle concernant les garanties que doit recevoir cette participation. Le processus de
planification approuvé par les autorités prévoit différents moments de concertation avec les
habitants mais, dans la réalité, il a souvent fallu improviser dans l’urgence. D’autant que,
quelques mois seulement après son lancement, la méthodologie précédemment adoptée est
presque entièrement bafouée. Le court-circuitage observé est bien sûr lié à certaines circons-
tances objectives. Il témoigne néanmoins d’un certain manque de volonté politique de poursuivre
le processus de planification tel qu’envisagé de manière concertée. Cela dit, un tel dévoie-
ment peut aussi s’interpréter comme une improvisation nécessaire témoignant d’une certaine
souplesse. Mais, quoi qu’il en soit, le caractère flou de la procédure et, surtout, les change-
ments non annoncés entravent bel et bien la participation des habitants telle qu’elle était prévue.
Par ailleurs, le cadre défaillant de la procédure dégage paradoxalement une certaine marge
de liberté, favorable aux initiatives des quartiers avoisinants. Une opportunité qui, dans le
cas de Tour et Taxis, a très concrètement été utilisée. Reste que, pour faire entendre leur voix
dans cette procédure de planification floue, les riverains doivent rester vigilants et assertifs
en permanence. À cette fin et dans ce contexte, la mission du BRAL s’avère là aussi des plus
utiles. Les succès en termes de participation sont, en effet, dus pour une grande part à la
créativité développée en la matière et à l’attention continue accordée à l’évolution du processus,
qui ont permis de s’adapter en temps réel, voire au besoin de changer son fusil d’épaule.
En définitive, il semble que dans les premiers schémas directeurs, tel « Tour et Taxis », non
seulement la procédure et ses différentes phases sont floues, mais les marges accordées à
la participation des habitants ne sont pas non plus suffisamment spécifiées. En particulier :
sur quels sujets les habitants du quartier ont-ils leur mot à dire et sur quels sujets n’ont-ils rien
à dire ? De même, les différentes étapes de la participation des habitants sont difficiles à
prévoir. Dans cette situation, l’improvisation et une concertation régulière entre le BRAL, le
bureau d’études et la Région ont été on ne peut plus nécessaires pour optimaliser la parti-
cipation des habitants.

Un rapport de force complexe dans un processus de planification complexe

On l’a dit, une des raisons pour lesquelles un schéma directeur a été élaboré en vue du redé-
veloppement de Tour et Taxis renvoie à la diversité des acteurs concernés. Ici aussi, comme
dans le cas de la CAÉ, ces acteurs ont tous été rassemblés dans le comité d’accompagne-
ment qui a suivi l’ensemble du processus de planification. Presque tous, devrait-on dire, car

Tour et Taxis ou les ambivalences de l’urbanisme participatif à Bruxelles 249


ici non plus les habitants du quartier n’y sont pas présents ni représentés. La Région esti-
mait, en effet, que les discussions au niveau du comité d’accompagnement seraient trop
techniques. De plus, qui y aurait représenté « les habitants » ? Afin de rendre les discussions
du comité d’accompagnement plus transparentes pour les habitants, le BRAL y a néanmoins
été invité en qualité d’observateur et d’intermédiaire. Cela lui a permis de rapporter les résul-
tats du travail présenté au comité d’accompagnement dans les quartiers avoisinants et, en
retour, les riverains ont pu, par le biais du BRAL, informer ce comité de l’évolution des choses
de leur côté. Mais le BRAL ne « représente » pas les habitants au sein du comité d’accom-
pagnement, où il n’a d’ailleurs pas le droit de vote. En un mot, les habitants n’ont aucun
pouvoir de décision officiel.
D’autre part, le caractère public des décisions est encore limité par le peu de pouvoir
attribué au comité d’accompagnement. Cet organe de décision officiel n’a, en effet, pour
compétence que celle d’approuver les résultats de chaque phase de planification. Avant que
le comité d’accompagnement ne se réunisse, plusieurs réunions bilatérales sont ainsi orga-
nisées entre le bureau d’études et les acteurs concernés ; des réunions trilatérales sont elles
aussi organisées entre les autorités publiques (Région, Communes). Et c’est donc à ce dernier
niveau que se situe le centre des décisions. S’il s’agit d’un choix délibéré du bureau d’études,
soucieux d’obliger les autorités à prendre leurs responsabilités, il en découle toutefois qu’au
sein du comité on n’a jamais réellement — ou très rarement — débattu au sens propre.
Dans la pratique, on constate donc que les investisseurs privés, le ministre-président de la
Région, la Ville de Bruxelles et la Commune de Molenbeek ont beaucoup plus de pouvoir
que les autres acteurs dans la procédure. Pour preuve : peu après son lancement, la procé-
dure a été suspendue précisément à cause d’une divergence de vue fondamentale entre ces
acteurs clés. Après des mois de discussions et de négociations, la planification reprend
ensuite, mais plus guère, dorénavant, en se fondant sur la méthodologie préalablement fixée.
Le protocole d’accord entre la Région, la Ville et le privé s’est d’abord exclusivement élaboré
sur une base bilatérale. L’accord une fois conclu, le comité d’accompagnement se réunit
une nouvelle fois et les habitants sont informés de son contenu. À ce stade, il est intéressant
de noter que, par-delà le caractère peu orthodoxe de cette manière de faire, l’accord est
finalement approuvé par les habitants, qui estiment que les principes de leur manifeste ont
été pris en compte par les politiques dans les négociations.

250 A n D es c he em a e k e r
Le manifeste des habitants : participation ou lobbying ?

Comme on l’a expliqué plus haut, le BRAL a utilisé le temps libéré par le blocage de la
procédure pour élaborer un manifeste des habitants porté par un grand nombre d’entre eux.
Ce manifeste trouve son origine dans les « ateliers Tour et Taxis » organisés en juin 2006.
Suite à ceux-ci, une synthèse a été rédigée… et tout aussitôt critiquée au motif qu’elle aurait
été trop détaillée et aurait trop mis l’accent sur les divergences de vues entre les habitants
eux-mêmes. En réponse, il fut décidé de se servir de certains éléments comme base d’un
texte consensuel : le fameux manifeste déjà évoqué.
Or, élaborer un manifeste et essayer ensuite d’y rallier les hommes politiques et les proprié-
taires fait bien davantage penser au bon vieux travail de lobbying qu’à une participation
en bonne et due forme. Là aussi, il est intéressant de souligner que cette manière de faire
semble d’emblée appréciée par les autorités. Sans doute dans la mesure où une vision « habi-
tants et associations » sans équivoque se prête idéalement à être utilisée comme base par
les pouvoirs publics en vue d’élaborer leur propre vision de l’avenir du site et de l’opposer
ensuite à celle des promoteurs, fût-ce aux fins de construire un consensus, ou un compromis
entre les deux. Dans les faits, c’est en ce sens que peuvent être interprétés le « protocole
d’accord » entre pouvoirs publics et privés ainsi que le rôle, qui renvoie bien à un travail de
lobbying, qu’y ont joué les propositions ou revendications des « habitants et associations »
contenues dans le manifeste.

Une participation limitée

En général, on constate que plus la participation des habitants est organisée dès le début
d’un processus, plus son influence sur la planification peut être importante. Mais cela rend
aussi l’organisation de la participation elle-même d’autant plus difficile. Réagir à un plan
existant est beaucoup plus simple, en effet, que collaborer activement à l’élaboration d’un
document du type « schéma directeur ». Du fait de l’histoire mouvementée de Tour et Taxis,
les habitants se sont, dès le départ, montrés engagés. Toutefois, malgré les différentes initia-
tives du BRAL et des comités de quartier, les discussions sur l’avenir de Tour et Taxis sont
souvent restées limitées à un noyau d’habitants du quartier.
Voici quelques éléments qui participent à expliquer l’implication relativement limitée des
habitants dans les discussions relatives au site.

Tour et Taxis ou les ambivalences de l’urbanisme participatif à Bruxelles 251


Un déficit de confiance dans la procédure

À Bruxelles, les décisions d’envergure relatives à l’aménagement urbain sont trop souvent
prises à huis clos. Le quartier Nord, le Midi, le quartier européen, etc. semblent presque
avoir été dessinés à la mesure des agents immobiliers. Ces antécédents génèrent très proba-
blement une certaine méfiance dans le chef des habitants vis-à-vis de la participation. Certains
habitants pensent — et le disent sans détour — que les autorités ne demandent leur avis
que pour faire passer le projet et le légitimer. Certains craignent que participer au processus
ne les entrave ultérieurement dans leurs éventuelles critiques à l’égard du projet. En outre,
le flou de la procédure et du calendrier du schéma directeur « Tour et Taxis » ne font qu’ac-
croître cette méfiance.

Un manque d’informations claires et de communication ouverte

En 2002, le propriétaire du site obtient un permis d’urbanisme pour la rénovation et la réaf-


fectation des bâtiments A et B, c’est-à-dire l’entrepôt royal et les magasins. L’entrepôt royal
est transformé en espace de bureaux, magasins et infrastructures publiques ; les magasins
sont utilisés comme lieux d’événements. Le terrain autour est utilisé comme parking à ciel
ouvert. Quelques années après, un autre permis est accordé pour l’extension et la réorga-
nisation du parking. Mais les riverains ont pu constater qu’entre-temps des chantiers ont
régulièrement été mis en œuvre et qu’une surface de plus en plus importante est utilisée
comme parking. Certes, il s’agit de travaux de rénovation et d’assainissement, mais égale-
ment d’asphaltage et d’un tassement des sols. S’agissant d’un patrimoine aussi important
(tant les bâtiments que les terrains), on s’attendrait à ce qu’un permis soit nécessaire.
Les habitants du quartier (avec ou sans le BRAL) ont à plusieurs reprises clairement exprimé
leurs préoccupations à ce sujet aux propriétaires et à la Ville de Bruxelles ; ils n’ont géné-
ralement pas reçu de réponse claire. Des informations précises et une communication sur
chacun des aspects du processus de planification et tout ce qui concerne plus généralement
le site s’avèrent pourtant essentielles à la relation de confiance entre les habitants, les auto-
rités et le privé. Partant, il est évident que des informations claires et accessibles constituent
la base et une condition sine qua non de la participation des habitants.

252 A n D es c he em a e k e r
Une procédure longue et complexe

Dans les quartiers bordant Tour et Taxis, on peut parler d’une certaine fatigue de partici-
pation : non seulement en raison de l’histoire déjà longue et tumultueuse du site, mais également
en raison de l’existence dans un même périmètre de nombreux projets — les contrats de
quartier, les jardins communautaires, l’inventaire d’immeubles vides, le centre communau-
taire, de multiples fêtes de quartier, etc. — qui ont chacun demandé beaucoup de temps et
d’énergie, et ceci souvent de la part des mêmes personnes. Il est dès lors inévitable que
toute tentative d’impliquer encore une fois ces personnes dans un processus de planification
long, complexe et loin d’être clairement défini se heurte à une certaine résistance. Le schéma
directeur à proprement parler n’est, en effet, que le début d’une longue procédure, et cette
« phase de départ » est aujourd’hui déjà en cours depuis près de trois ans. Si tout va bien,
il faudra encore au moins cinq ans avant que la moindre construction puisse voir le jour. Le
manque de clarté sur la procédure et sur le calendrier des opérations ne fait que rendre plus
difficile encore la collaboration des habitants du quartier.

Une barrière physique et mentale

En tant qu’ancienne zone de transport et de douane, le site de Tour et Taxis est isolé des
quartiers avoisinants par des grilles. Par le passé, les entrées donnaient sur la rue Picard,
faisant du site le centre névralgique du quartier Maritime. Le promoteur a toutefois fermé
celles-ci, leur préférant une nouvelle entrée avenue du Port, donnant sur le canal, et bien
plus éloignée des quartiers avoisinants. Ces décisions, combinées au type d’activités prévues
pour le site (bureaux, magasins de luxe et organisation d’événements), donnent aux habi-
tants du quartier l’impression que le site leur est moins que jamais destiné, et qu’ils pourront
de moins en moins avoir un impact sur les décisions prises à son sujet. Notons encore que
de nombreux habitants du quartier ne se sont même jamais rendus sur le site ou dans ses
bâtiments. Ils ne peuvent donc avoir aucune idée des potentialités qu’ils représentent pour
leur quartier.
Avec plusieurs partenaires locaux, le BRAL tente de réduire cette barrière en organisant
sur le site des activités avec et pour les habitants. Plusieurs fêtes de quartier y ont déjà eu
lieu, une plaine de jeux a été installée pour les enfants et un jardin collectif aménagé.
Progressivement, de plus en plus d’associations commencent à entrevoir les possibilités de
ce site et s’engagent dans son utilisation temporaire. On table ainsi sur le fait qu’à mesure

Tour et Taxis ou les ambivalences de l’urbanisme participatif à Bruxelles 253


que croîtra le nombre d’habitants du quartier qui viennent sur ce site et en parlent, se lève-
ront certains obstacles à la participation dans le processus de planification.

Conclusion

Jusqu’à ce jour, le projet de schéma directeur pour Tour et Taxis bénéficie généralement
d’un accueil positif, y compris auprès des habitants des quartiers voisins. La question reste
toutefois de savoir à quoi ressembleront concrètement les étapes suivantes, plus détaillées
et plus contraignantes, de la planification. De grands principes — tels l’accès public du site,
la construction d’infrastructures publiques ou l’aménagement d’un espace public — peuvent,
en effet, se concrétiser de multiples manières. Les habitants du quartier, soutenus par le BRAL,
devront donc veiller à ce que ces principes soient correctement interprétés et traduits. En ce
qui concerne une évaluation définitive, elle ne sera possible qu’après la réalisation du projet
final. Mais, vu les schémas directeurs prévus pour d’autres sites, il est important de dresser
un premier bilan dès aujourd’hui. De manière générale, on peut dire que cette procédure
a très certainement des mérites mais qu’elle fait encore ses maladies de jeunesse.
Un point positif est que la procédure « schéma directeur » crée un cadre de dialogue entre
les différentes parties concernées. Même si celui-ci reste relativement vague, il donne aux
habitants du quartier, qui font au premier chef partie des acteurs concernés, la possibilité de
participer aux discussions sur l’avenir de Tour et Taxis. Même si les centres de décision sont
ailleurs, cette évolution constitue peut-être le début d’un véritable renversement de tendance.
Cela n’empêche, on l’a vu, que pour exploiter au maximum la participation des habitants
ainsi rendue possible, il a fallu improviser, intervenir de manière proactive et se montrer créatif.
Le schéma directeur offre donc la possibilité d’impliquer et de mettre en présence les diffé-
rents acteurs concernés. Potentiellement, il favorise ainsi une collaboration constructive et
augmente les chances de réussite d’un projet, quel qu’il soit. Cependant, pour permettre à
ce processus de se dérouler au mieux et garantir de bonnes négociations, il est important
que les autorités sachent dans quelle direction elles veulent aller. Soit un élément qui faisait
défaut au moment du lancement du schéma directeur « Tour et Taxis ». Idéalement, en effet,
on peut penser que le privé ne devrait intervenir qu’une fois l’affectation des réserves foncières
établie. Cela seul permettrait véritablement à la Région de Bruxelles-Capitale de reprendre
la main sur la gestion de celles-ci. C’est pourquoi il paraît crucial que les autorités commen-
cent par développer leur propre vision de la ville — d’une façon participative et publique
de préférence — avant de lancer de nouveaux schémas directeurs.

254 A n D es c he em a e k e r
1. Coordinatrice du Brusselse Raad voor het leefmilieu 6. Bien que l’intégralité du site s’étende sur le territoire
(BRAL). Cet article est principalement écrit à partir du de la Ville de Bruxelles, la commune riveraine de
point de vue développé par cette association. Molenbeek a été impliquée dans l’élaboration du
2. Voir http://www.bralvzw.be. schéma directeur.
3. BRAL, Tour et Taxis. Fondre l’héritage (monumental) 7. Comités de quartier « Le Maritime » et « Marie-Christine /
dans un projet urbain concerté, Bruxelles, BRAL, 2004, Reine / Stéphanie », avec le BRAL, Thurn & Taxis,
p. 8. opnieuw..., 25 août 2005 (http://www.bralvzw.be/
4. Voir le chapitre II pour une présentation des différents node/148).
outils de la planification. 8. BRAL, Manifeste Tour & Taxis : TouT publiek, 22 mars
5. Centre d’histoire économique et sociale de la Région 2007 (http://www.bralvzw.be/node/269).
bruxelloise, voir http://www.lafonderie.be.
Chapitre IX
Ville-quartier ou ville-monde ? Le schéma directeur du quartier européen
comme mise à l’épreuve de l’urbanité de la ville

Vincent Calay 1

« Les recherches les plus récentes sur les transformations de la Ville-Région définissent Bruxelles
comme une “ville-monde” (la plus petite des villes-monde) c’est-à-dire à la fois comme une
“ville internationale“, une “ville transnationale“ et une “ville flexible“. […] Cette définition de
Bruxelles oblige à une réflexion renouvelée sur la planification de l’espace car ces transfor-
mations mettent à mal le découpage en zones géographiques sans les annuler complètement 2. »
Cette citation est extraite du projet de schéma directeur pour le quartier européen (SDQE),
projet publié en septembre 2006 sous la direction de Marie-Laure Roggemans, déléguée
de la Région de Bruxelles-Capitale au développement du quartier européen 3. En assimilant
d’emblée Bruxelles à une « ville-monde », ce texte subsume les propositions avancées dans
le schéma directeur sous un cadrage conceptuel qui saisit la ville dans des catégories cogni-
tives issues du monde académique 4. Conférant à ces catégories une valeur de réalité, le
texte du schéma directeur souligne « l’obligation » d’y satisfaire par une transformation des
outils d’aménagement élaborés par les institutions publiques. Le schéma directeur est ainsi
présenté comme l’inéluctable réponse institutionnelle aux changements enregistrés à l’échelle
internationale, indiscutable réalité issue de l’objectivation scientifique de la ville 5.
De ce fait, parler de « schéma directeur du quartier européen » revient à parler de Bruxelles
comme d’une ville insérée dans le « Monde », une « World City » où se concentreraient les
enjeux contemporains de la mondialisation auxquels les pouvoirs publics se doivent, néces-
sairement, de « faire face 6 ». Puisés dans une étude de l’Université libre de Bruxelles 7, trois
arguments étayent l’idée d’une telle réification de Bruxelles comme ville internationale à
travers le schéma directeur. Primo, la ville est un nœud important dans les réseaux globaux
par la présence d’institutions internationales publiques et privées sur son territoire. Secundo,
la ville est le lieu de vie d’une population multiculturelle qui la lie à un réseau d’échange
global. Tertio, la ville est globale car elle s’insère dans un monde où l’organisation du travail
est flexibilisée, et donc pluralisée dans ses temporalités et dans ses espaces. Ainsi se posent
dans les termes mêmes du schéma directeur les coordonnées du « challenge » que les pouvoirs

256 V in c e nt Ca la y
publics se doivent aujourd’hui d’affronter. De ce fait, le schéma directeur est théâtralisé
comme l’acteur principal du dessin d’une ville rentable et efficace, en phase avec ce qui est
présenté comme la nouvelle et indiscutable — car scientifique — « réalité bruxelloise ».
La mise en liaison de ce nouvel « acteur » de l’aménagement, d’un côté, et du quartier
européen, territoire éminemment controversé dans l’histoire de la ville 8, de l’autre, semble
dessiner, selon le point de vue, soit un « cocktail explosif », soit un « tandem de choc ». Que
peut-on faire du quartier européen dans une « ville mondiale » comme que Bruxelles ? Qu’y
a-t-il comme ressources mobilisables dans cet ensemble pour relever le défi « Bruxelles, ville
mondiale » ? Que doit-on changer dans cette partie de la ville pour que réussisse l’insertion
de Bruxelles dans la mondialisation ? Comment obtenir une concorde dans ce quartier qui
dessinerait avec force et évidence Bruxelles comme ville-monde ? Voilà, semble-t-il, les ques-
tions que pose ce schéma directeur.
Ainsi, par rapport aux autres schémas directeurs, celui-ci occupe une place particulière à
l’heure où Bruxelles se prévaut de plus en plus souvent de son statut de « capitale de l’Europe ».
En effet, depuis l’année 2001, l’assimilation de Bruxelles à l’Europe a fait l’objet d’un large
processus de publicisation. Celui-ci s’est construit à travers la multiplication de rapports,
d’ouvrages, de débats, de colloques ou d’expositions. Tous ces dispositifs ont dynamisé une
nouvelle assimilation de Bruxelles à l’Europe. Les répétitions générées par ces dispositifs ont
progressivement stabilisé le lien entre l’Europe et la ville, l’ont rendu plus évident. Dans le
même temps, chacun de ces dispositifs, s’il a répété l’association, a également traduit la
relation en formes singulières d’européanisation de la ville. Un tel processus de stabilisation
s’est d’ailleurs renforcé très récemment avec le lancement en 2007, par le gouvernement
bruxellois, d’un « plan de développement international » (PDI) où s’impose le répertoire du
marketing urbain.
C’est dans ce cadre que s’insère le SDQE. Cette contribution propose, dès lors, de l’appré-
hender sous deux aspects. Le premier renvoie à sa place dans l’ensemble hétérogène de
dispositifs qui travaillent à l’internationalisation de Bruxelles. Dans cet ensemble, on trouve
à la fois des expositions, narrant l’identité européenne de la ville, des dispositifs réglemen-
taires qui, d’un point de vue institutionnel, norment l’ordonnancement de la ville et des travaux
d’experts qui n’ont, a priori, qu’une valeur cognitive dans la mesure où ils collectent des
informations sur le territoire pour le rendre intelligible. Le schéma directeur « quartier euro-
péen » se situe, à l’évidence, dans la catégorie des dispositifs réglementaires. Toutefois, il
est nécessaire de comprendre sa place dans le processus d’internationalisation de Bruxelles,
c’est-à-dire de décrire les relations qu’il entretient avec les autres dispositifs pour cerner le

Ville-quartier ou ville-monde ? 257


processus par lequel un savoir territorial acquiert notoriété et force normative. Ce sera l’objet
de la première partie de l’article.
Concernant le deuxième aspect, l’ambition d’internationalisation portée par le projet de
SDQE, celle-ci doit également être prise au sérieux et analysée. Dans quelle mesure le SDQE
se profile-t-il comme outil de réalisation de Bruxelles comme ville-monde ? Qu’est-ce qu’il
mobilise comme personnes, comme objets, comme pratiques, comme visions du monde pour
dessiner la ville de cette manière, pour lui conférer un ordre particulier ? En bref, quelle ville
s’y dessine-t-il ? Pour répondre à ces questions, l’on se penchera sur les séances de concer-
tation tenues en février et mars 2007 sur le projet de SDQE. Plus spécifiquement, l’analyse
se centrera sur l’opposition entre la manière dont la ville est inscrite 9 dans le projet de
schéma directeur, d’un côté, et les réactions à ces inscriptions de la part du public présent
aux séances de concertation, de l’autre.
Ce cadrage m’amènera, dans une troisième et dernière partie, à discuter le mode parti-
culier d’internationalisation de la ville inscrit dans le schéma directeur. En effet, les formes
données à ce processus par les différents dispositifs évoqués, d’une part, les tensions entre
modes d’ordonnancement de la ville qui se font jour au cours de la concertation, d’autre
part, mettent bien en lumière les difficultés soulevées par la prétention du schéma directeur
à parler en termes unifiants et généraux à propos de la ville et de son internationalisation.
Ainsi, le SDQE sera présenté, à l’image du plan de développement international auquel il
se relie, comme le renforcement d’une approche aménagiste de l’internationalisation de la
ville qui, en limitant les acceptions données à l’internationalisation, exclut d’autres modes
de définition du processus, notamment en termes culturels.

Internationaliser Bruxelles : une nouvelle échelle pour ordonner la ville

Depuis octobre 2007, la question de l’internationalisation de Bruxelles a pris une signifi-


cation et une couleur apparemment inédites. Le 17 octobre, le ministre-président de la Région,
Charles Picqué, ouvre ainsi l’année parlementaire par une déclaration gouvernementale mettant
cette question au centre de la définition de la ville. Il a même choisi de faire de sa décla-
ration de politique générale une présentation des principaux axes du plan de développement
international réalisé par le cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers.
Cette présentation clôture une phase de l’internationalisation de la ville entamée vers l’année
2000. Sous l’impulsion d’un gouvernement présidé par un libéral, la question de l’interna-
tionalisation de la ville avait alors été recadrée dans une nouvelle version du plan régional

258 V in c e nt Ca la y
de développement (PRD, 2002) où elle avait pris une dimension plus significative que dans
la version précédente. Ce PRD articule l’internationalisation de la ville autour de deux dimen-
sions : d’une part, des politiques d’aménagement orientées vers l’international, c’est-à-dire
incluant l’introduction de grandes infrastructures dans la ville à l’image de modèles étran-
gers comme Bilbao ; d’autre part, la reconnaissance du multiculturalisme de la ville à travers
une politique événementielle rassemblant les dispositifs valorisant le pluralisme de la ville,
comme la Zinneke Parade. On peut ainsi lire : « Des villes telles que Bilbao, Lille, Glasgow
ou Barcelone, engagées dans un processus de rénovation urbaine ont choisi d’élaborer des
projets-phares originaux par leur contenu. Ces projets symboles dynamiques du Projet de
Ville n’auront un impact durable que s’ils intègrent tous les aspects de la politique urbaine
et sont pensés au profit des habitants. Les projets-phares peuvent être de deux types qui ne
sont pas mutuellement exclusifs. Soit il s’agit de projets événementiels, récurrents ou non,
sportifs ou culturels (Zinneke Parade, Euro 2000, Bruxelles 2000…), soit il s’agit de réali-
sations permanentes, fiables et fortes (musée Guggenheim à Bilbao…). En imposant des
échéances aux pouvoirs publics et en rassemblant les énergies des secteurs publics et privés
concernés, les projets-phares suscitent ou accélèrent l’aménagement d’infrastructures, ou la
créativité culturelle. L’identification et la réalisation de projets-phares forment donc un objectif
important pour le gouvernement de la Région 10. »
La question des outils de la rénovation urbaine, qui avaient surtout pris jusqu’alors la forme
locale des « contrats de quartier », se trouve reformulée. Elle se voit plus précisément retra-
duite par un cadrage international supporté par la notion de « projet phare ». La ville sort
alors de l’univers de la proximité établi par le dispositif des contrats de quartier pour être
reliée au lointain, à l’ailleurs de l’international, par celui des projets-phares. Aussi, en passant,
le caractère inédit du PDI doit-il être relativisé : son principal enjeu est de resserrer le processus
d’internationalisation autour de l’assimilation de Bruxelles à la « capitale de l’Europe » en
retraduisant les ambitions affichées par le PRD. Si l’on préfère, le PDI met en forme l’inter-
nationalisation de la ville via un « marketing urbain » développant une image européenne
de Bruxelles et via un « projet phare » dans le quartier européen qui mobiliserait un parte-
nariat entre les pouvoirs publics régionaux bruxellois et européens : « Le marketing de Bruxelles
devra s’appuyer sur un porte-drapeau, un fer de lance, un projet emblématique qui incar-
nera la vision politique d’avenir de la Ville-Région. Puisque l’Europe est un axe fort de cette
vision, le plan de développement international recommande que le projet sélectionné pour
jouer ce rôle soit un projet de partenariat entre Bruxelles et l’Europe. Un projet où Bruxelles
et l’Europe puissent développer ensemble un lieu d’expression de l’idée européenne dans

Ville-quartier ou ville-monde ? 259


ses aspects les plus nobles, qui soit également un bienfait pour le quartier européen dans
lequel il devrait s’inscrire. Un lieu qui permette à l’Europe de se rapprocher du citoyen, et
à Bruxelles de rehausser ses ambitions d’aménagement urbain 11 ».
Parallèlement à l’intégration de l’internationalisation de la ville dans les outils des poli-
tiques urbaines bruxelloises, la même idée a également connu d’autres mises en formes à
l’échelon européen. Quasi simultanément, le traité de Nice reconnaissait la permanence des
sommets européens à Bruxelles — ce que d’aucuns ont rapidement interprété comme une
reconnaissance du statut de Bruxelles comme « capitale de l’Europe 12 ». Les lectures que l’on
peut faire d’une telle décision varient toutefois selon les acteurs. Du point de vue des minis-
tères des Affaires étrangères et de l’Intérieur, par exemple, il s’agit d’une transformation de
la « politique du siège » qui dépasse les questions, routinières, de l’implantation de certaines
institutions sur le sol bruxellois et marque de nouveaux enjeux, notamment en termes de poli-
tique sécuritaire 13. Il est également intéressant de souligner que la perspective d’une permanence
des sommets a imposé de nouveaux développements immobiliers qui ont été saisis par les
pouvoirs publics fédéraux belges, en concertation avec les institutions européennes, comme
une occasion de développer une politique esthétique à l’égard de l’implantation européenne,
souci plutôt secondaire jusqu’alors 14.
À côté de ce processus de transformation des outils institutionnels de l’internationalisation
de Bruxelles, on observe par ailleurs des transformations dans la société civile bruxelloise
qui semblent aller dans le même sens. Le quartier européen, puis la ville dans son ensemble,
sont devenus, à partir du début des années 2000, des lieux de condensation d’une mobi-
lisation visant à instituer une identité européenne et internationale. Un des premiers acteurs
de ce mouvement est « le Fonds quartier européen » (FQE). Celui-ci met en exergue une iden-
tité transversale, c’est-à-dire qui rompt avec les clivages traditionnels opposant comités
d’habitants, pouvoirs publics, promoteurs immobiliers et propriétaires fonciers. L’ambition
affichée par le FQE est de mettre en relation les différents acteurs impliqués dans l’amélio-
ration de l’image du quartier européen 15. De fait, le FQE rassemble principalement de grands
propriétaires immobiliers du quartier. Cependant, le Fonds s’est récemment élargi aux promo-
teurs immobiliers et aux comités d’habitants, initialement exclus au motif d’un antagonisme
évident des points de vue, jugé contraire à la volonté de développer une vision cohérente 16.
Malgré le pluralisme que semble finalement refléter ce dispositif, il faut souligner, comme
l’indique le président du Fonds, que c’est la logique du « réseau » qui prime sur celle de la
« représentativité », à la différence de ce qui prévaut dans les instances de concertation.
Dans un texte de 2005, le même affirme : « Il est juste de dire que cette composition fut le

260 V in c e nt Ca la y
fruit progressif d’un certain nombre de cooptations et non le reflet d’un quelconque processus
de recherche objective de représentativité de ladite société civile […] 17. »
Dès lors, le Fonds rassemble principalement des propriétaires soucieux « d’une apprécia-
tion sur le long terme de leurs actifs immobiliers 18 ». Une telle assise du Fonds sur la « société
civile » assez particulière de ce quartier, couplée à son hébergement à la Fondation roi
Baudouin et à un financement par ses membres, lui a permis de soutenir une série d’initia-
tives, plus ou moins médiatisées, qui ont contribué à l’extension de la problématique de l’image
européenne à la ville dans son ensemble 19. Ces déplacements progressifs dans l’action du
Fonds lui ont permis de se poser, petit à petit, comme un point d’articulation des cadres
cognitifs nécessaires à la mise en œuvre de l’internationalisation du quartier européen et
de la ville dans son ensemble 20. Il n’est d’ailleurs pas surprenant de retrouver dans la problé-
matisation du quartier opérée par le Fonds d’étroits liens de parentés avec celle opérée par
le schéma directeur. Ainsi retrouve-t-on dans les fondements du projet porté par le Fonds
l’impératif premier d’une restauration de « l’image » du quartier, qui passerait par l’amélio-
ration de la mixité fonctionnelle, de la mobilité et de la qualité des espaces publics et des
développements privés 21. De manière similaire, le schéma directeur a construit son programme
de « développement » du quartier autour de sept « options de base » : la mobilité, la mixité,
la qualité des espaces publics, le respect du patrimoine, l’identification des quartiers, la qualité
urbanistique et architecturale et le désenclavement des parcs et des équipements culturels 22.
On le voit, la question de l’internationalisation de Bruxelles a organisé un faisceau de
dispositifs articulés autour d’un nombre restreint d’acteurs. Ces dispositifs ont constitué des
mises en scène de la ville permettant d’éprouver 23 son internationalisation. Il est, par exemple,
déjà perceptible que l’idée de lier la ville au monde international tranche avec les politiques
antérieures fondées sur la proximité. Et cela a bien évidemment suscité des tensions entre
ceux qui défendent exclusivement l’une ou l’autre perspective. En effet, comme indiqué, des
politiques de rénovation urbaine qui n’avaient pas été prioritairement pensées en termes
d’internationalisation ont connu de nouvelles traductions, modifiant certains outils stabilisés.
Ainsi, il est particulièrement intéressant de constater que les études sur le quartier européen
se sont multipliées à partir du début des années 2000, après une quinzaine d’années très
silencieuses à son égard 24. Celle qui a connu le plus grand succès médiatique, « le plan
médiateur », mérite d’ailleurs une attention particulière dans la mesure où le schéma proposé
repose sur une gestion du quartier européen fondée sur les principes déployés dans le cadre
des contrats de quartier. Cette étude proposait ainsi une plateforme de coordination entre
les différents acteurs impliqués dans le quartier, sur le modèle d’une gestion « participative »

Ville-quartier ou ville-monde ? 261


semblable à celle développée dans les contrats de quartier et qui contrastait avec la struc-
ture mise en place par le Fonds sur laquelle s’est appuyé le schéma directeur 25.
Ces différents éléments permettent de mieux saisir certaines des tensions qui peuvent surgir
dans l’implémentation de l’internationalisation de Bruxelles dans le quartier européen. Là se
jouent, en effet, des épreuves importantes pour la ville qui mobilisent les imaginaires de l’ur-
banité. La ville s’y retrouve tendue entre l’horizon du proche (le quartier) et celui du lointain
(la ville-monde) qui peuplent la ville de personnes, d’objets et de pratiques sensiblement
différents. Dans cette perspective, le terrain particulier des concertations sur le projet de
schéma directeur permet alors de cerner non seulement les épreuves qu’il inflige à des visions
stabilisées de la ville — autant dans les pratiques que dans les acteurs qui les mobilisent —
mais aussi le cloisonnement cognitif que cette internationalisation connaît autour de la ques-
tion de l’aménagement de la ville.

L’internationalisation de la ville en action : débats publics autour du SDQE

Comment le schéma directeur « quartier européen » met-il la ville à l’épreuve ? Comment se


nouent les relations entre modèles de villes ? Pour répondre à ces questions, je propose
d’étudier des situations spécifiques de controverses permettant de décrire les politiques d’inter-
nationalisation de la ville en action. À cette fin, j’ai choisi d’étudier dans le détail les manières
dont l’urbanité de la ville s’est vue mise à l’épreuve dans deux des quatre séances de concer-
tation organisée autour du schéma directeur 26. Ce centrage permet d’appréhender au plus
près les processus par lesquels se joue l’internationalisation de la ville dans des débats publics
réunissant représentants des pouvoirs publics, experts mandatés, représentants de comités
d’habitants et d’autres personnes parlant comme habitants de la ville. En outre, la descrip-
tion conjointe de la première séance, consacrée à la mixité et aux espaces publics, et de
la dernière, dédiée au patrimoine, à la culture et au tourisme 27, permet de souligner des
éléments de contraste particulièrement pertinents pour mon propos. Ainsi, la première a
porté sur les enjeux de proximité liés à l’aménagement du quartier et la seconde sur certains
enjeux de l’internationalisation de Bruxelles dans l’aménagement du quartier européen. Un
tel contraste entre les deux séances m’a amené à problématiser la tension entre les modèles
de villes en jeu dans le schéma à travers trois thématiques qui permettent de décrire le
processus de mise en scène 28 du schéma directeur en assemblées publiques.
Une première thématique renvoie aux modes d’organisation des débats en vigueur dans
les deux assemblées. En effet, dans chacune d’elles, une nette tension est apparue entre

262 V in c e nt Ca la y
familiarité et formalisme dans les relations entre personnes intervenant dans le débat, et dans
la mobilisation de compétences cognitives spécifiques. Cette tension s’est assimilée à deux
modes spécifiques de définition de la ville : la familiarité s’associant à un débat sur la ville-
quartier et le formalisme à un débat sur la ville-monde. Une deuxième thématique s’intéresse
aux types de spécifications de la ville abordée par les acteurs : comment les acteurs défi-
nissent-ils la ville ? Comment définissent-ils ce qui est urbain et ce qui ne l’est pas ? Comment
qualifient-ils certains objets par rapport aux spécifications de la ville avancées ? L’analyse
conjointe des modes de spécification d’une séance à l’autre questionne aussi leur opportu-
nité : un même acteur mobilise-t-il plusieurs types de spécifications de la ville, de quelle
manière et à quel moment ? Enfin, une troisième thématique renvoie aux objets mobilisés
dans l’assemblée pour construire la réalité territoriale débattue : comment ces objets sont-ils
convoqués au sein des assemblées ? Quelles démarches les acteurs adoptent-ils pour construire
les réalités en jeu à travers des objets spécifiques ? L’attention s’est portée vers deux objets
intensivement mobilisés par les représentants des pouvoirs publics et les experts : la carto-
graphie du quartier et un guide de visite.

Modes d’organisation des débats et modes d’ordonnancement de la ville

Lors de la première séance, la tension entre familiarité et formalisme s’est manifestée, tout
d’abord, dans les modes de présentation de soi et des autres dans l’assemblée. En effet,
très souvent le formalisme a présidé aux présentations, mais jamais complètement. Par exemple,
Bruno Clerbaux fut, dans un premier temps, présenté comme « un des urbanistes… des experts-
urbanistes chargés du volet mixité ». Celui-ci, assumant son rôle de spécialiste, a d’ailleurs
d’emblée indiqué : « Je laisse à Mme Roggemans le soin de dire ce qui est principal. » Mais,
comme je l’indiquais, ce registre n’a pas pour autant marqué l’entièreté des débats. Ainsi
Bruno Clerbaux, après avoir introduit « Mme Roggemans », s’est-il empressé de la qualifier,
non sans humour, de « notre grande prêtresse ». De même, ladite « grande prêtresse », dans
ses interactions avec le public, n’a pas hésité à introduire le tutoiement et l’interpellation par
le prénom. Par exemple, s’adressant à Marco Schmidt, membre du comité d’habitants
Association quartier Léopold (AQL) : « Marco, tu as bien fait de dire que le patrimoine doit
être adapté aux usages mais de même pour les typologies d’habitations .»
Une telle tension entre le formalisme de la présentation de soi et des autres et la familia-
rité transitant par l’humour, le tutoiement ou l’interpellation par le prénom s’inscrit dans le
prolongement d’une présentation hésitante de l’assemblée elle-même et de ce qui y était en

Ville-quartier ou ville-monde ? 263


jeu. L’introduction de la séance par le délégué d’IEB s’est ainsi opérée sur un ton assez
formel, mais avec de grandes ambiguïtés sur le processus à l’œuvre : « IEB est chargé de
mettre en œuvre un processus participatif […] une méthode participative […] une concer-
tation avec les acteurs publics et privés […] Aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur
l’espace public et la mixité des fonctions […] vous pouvez toujours nous envoyer vos remarques
ou les déposer à la sortie […] vous pouvez consulter l’avant-projet sur le site […]. »
Une telle incertitude dans les cadres contraignant le dispositif de débat a ouvert la voie à
des manières d’interagir qui n’étaient pas maîtrisées par le mandataire des pouvoirs publics
pour l’organisation de cette assemblée. Processus participatif, méthode participative ou concer-
tation avec les acteurs publics et privés ? Nul ne le savait vraiment. La faiblesse d’un cadrage
spécifiant la mission de l’assemblée et son implémentation, ainsi que l’absence d’une personne
s’assimilant à ce rôle de « cadreur » semble avoir généré une méthode de débat privilégiant
des cadres cognitifs et des modes de relations entre membres de l’assemblée acquis sur d’autres
scènes d’action. Autrement dit, par l’absence de méthode propre à cette assemblée, l’agen-
cement des débats semble s’être étroitement lié à des cadres cognitifs familiers à certains
acteurs et à des relations interpersonnelles issues d’une histoire entamée préalablement entre
certains de ses membres. La force de ces liens liés à cette double familiarité a donc restreint
le contenu des débats, limité par une forme relativement routinisée de spécification de la
ville, autant que l’émergence de nouvelles alliances entre membres de l’assemblée. Ce phéno-
mène a donc organisé une forme de discrimination entre un groupe de personnes maîtrisant
les compétences liées à cette familiarité et un groupe de profanes, sur ce point incompétents.
Dans ce contexte, l’accent porté par le mandataire des pouvoirs publics sur le rôle des
« remarques » prend une épaisseur particulière. En effet, celles-ci furent mises au cœur du
dispositif : des stylos billes en bois et du papier recyclé furent distribués en début de séance,
au moment de l’inscription sur le registre des présences. Ces outils équipèrent indifféremment
toutes les personnes intégrant l’assemblée, les habilitant à influencer la production du projet
débattu. Cet équipement était donc censé rendre compétents l’ensemble des participants. Plus
encore, il donnait théoriquement aux membres de l’assemblée des chances de s’exprimer —
le stylo et la feuille de papier par leur habilitation à la formulation de « remarques » devenant
les outils d’une égalisation des situations des participants. Le dispositif suppose néanmoins
d’autres compétences cognitives car la notion de «remarques» impose que l’opinion soit fondée
en raison et pertinente par rapport à l’ensemble qu’elle commente. Ainsi, en l’absence d’une
méthode de débat propre à cette assemblée, les « remarques » constituent le seul outil permet-
tant de remédier à la minorisation de certains de ses membres par la domination des personnes

264 V in c e nt Ca la y
familières des cadres cognitifs et des relations interpersonnelles en vigueur dans l’assemblée.
Par contraste, lors de la séance consacrée au patrimoine, à la culture et au tourisme, la
tension entre familiarité et formalisme dans la tenue des débats s’est configurée d’une tout
autre manière. En effet, contrairement à ce qui s’était produit lors de la séance consacrée
à la mixité et aux espaces publics, cette séance s’est organisée à titre principal sur un mode
formel, la familiarité des relations interpersonnelles et des cadres cognitifs y étant margina-
lisée. Cette inversion dans les modes d’organisation des débats ne peut être imputée à une
autonomie plus grande de l’assemblée, autonomie qui aurait été produite par un cadrage
mieux maîtrisé du dispositif délibératif. La difficile émergence de la familiarité doit plutôt
être reliée à la nouveauté et donc à l’étrangeté, pour les participants à la séance, des théma-
tiques et des personnes invitées à les présenter. Ce caractère étranger des personnes et des
cadres cognitifs fut d’ailleurs mentionné dès l’introduction de cette séance par Marie-Laure
Roggemans : « Dans les documents du schéma directeur, il n’y a pas de texte très déve-
loppé. C’est à travers le dialogue avec les acteurs culturels et touristiques que l’on va voir
la place de ces dimensions dans le quartier européen. » Aussi, une telle nouveauté implique-
t-elle l’introduction de cadres cognitifs étrangers aux modes familiers de définition de la ville
mais aussi la présence de nouveaux acteurs compétents sur ces matières, c’est-à-dire, égale-
ment, étrangers à l’histoire construite antérieurement au sein du « roupe des familiers » présent
dans l’assemblée. Dès lors, il est peu surprenant de voir que les rapports interpersonnels se
sont cantonnés dans le domaine formel et que les cadres cognitifs mobilisés par la critique
des membres du « groupe des familiers » ait pris principalement la forme de dénonciations
des modèles de ville liés aux thématiques abordées par les nouveaux acteurs.
Cependant, deux événements ont ravivé la tension entre formalisme et familiarité. Tout
d’abord, les principales réactions suscitées par l’exposé du projet de centre des visiteurs du
Parlement européen se sont faites sur le mode de l’indignation et de la dénonciation. Marco
Schmidt, porte-parole de l’Association quartier Léopold, lance sans attendre une objection
au projet, sans toutefois s’adresser directement à l’expert incriminé et prend plutôt à parti
un responsable local abstrait : « Kleinig n’a pas mentionné les Bruxellois… le lieu du Parlement
européen doit être un espace ouvert au plus large public possible… Or les espaces se sont
fermés… l’entrée se fait côté « mail » [par la dalle couvrant les voies de la gare du Luxembourg]
et non côté ville… il est donc plus difficilement fréquentable… […] Comment intègre-t-on la
proximité dans cet espace ? »
Ce porte-parole des habitants a ainsi souligné ce qu’il voyait comme une faille majeure dans
l’exposé du porte-parole du Parlement européen : l’absence d’intégration de la proximité dans

Ville-quartier ou ville-monde ? 265


un espace destiné à des visiteurs, absence symbolisée par une entrée par le complexe et
ne donnant donc pas sur une rue, forme assimilée à la ville et à son urbanité. La prise de
parole de l’habitant au nom des Bruxellois dans leur ensemble manifeste d’ailleurs la géné-
ralité de la critique adressée : c’est « Bruxelles » dans son ensemble qui est convoquée pour
exprimer au Parlement européen son étrangeté à la ville. La réponse à cette critique par le
porte-parole du Parlement européen pointe sans équivoque l’irréductible tension entre proxi-
mité et distance, tension liée à l’absence de familiarité entre personnes et cadres cognitifs :
« J’avais oublié de mentionner les Bruxellois… Oubliés dans la présentation, mais pas dans
le concept. Notre ambition, c’est de nous adresser à tous les Européens, touristes, visiteurs
et Bruxellois. ». Deux formes de généralités s’affrontent ici, l’identité des Bruxellois étant tenaillée
entre une ville, indéfectiblement liée à son habitant, et une citoyenneté européenne déta-
chée de la ville, mais rassemblant (paradoxalement ?) sur un même pied Bruxellois, touristes
et visiteurs. La réaction aux critiques d’Henri Bernard, également porte-parole des habitants,
témoigne tout autant de l’irréductibilité des modèles de ville proposés. En effet, répondant
à Henri Bernard qui lui demandait « comment fait-on vivre ensemble tourisme et résiden-
tiel ? », Alexander Kleinig insista, en fin de réponse, sur la nécessité d’une construction de
relations de bon voisinage, réinscrivant le Parlement européen dans l’échelle du proche à
travers des catégories cognitives pour le moins surprenantes : « C’est important qu’on se
comprenne comme des résidents et des bons voisins. »
Un deuxième événement, remarquable par sa mise en scène, fut l’intervention d’un autre
membre du « public », Isabelle Pauthier. Se présentant comme « directrice de l’ARAU, un
comité d’habitants », celle-ci lança : « Je vais mettre l’ambiance ! » L’intervention d’Isabelle
Pauthier, qui avait suivi avec attention les premiers échanges entre Alexander Kleinig et les
deux membres de l’AQL, introduisit dans les débats la familiarité des cadres cognitifs. En
effet, les réactions des deux premiers porte-parole des habitants s’étaient fondées sur une
dénonciation du projet du Parlement européen en raison de son étrangeté par rapport à un
espace habité. Isabelle Pauthier, au contraire, ne pointait pas ce caractère d’étrangeté mais
manifestait sa maîtrise des cadres cognitifs en jeu pour construire une critique interne très
dure tant à l’égard des différents projets soutenus par le SDQE en matière culturelle que vis-
à-vis du centre des visiteurs du Parlement européen. L’ambiance s’installa donc dans l’assemblée
par l’essor d’une controverse technique plutôt que par une dénonciation de portée géné-
rale 29, le tranchant de l’intervention s’assimilant à une injonction à la familiarité dans un
monde rendu abstrait par le caractère dénonciateur des premières critiques.

266 V in c e nt Ca la y
La réalité au pouvoir (I) : spécifications de la ville et types d’urbanités

La description conjointe des deux assemblées peut également se thématiser autour des modes
de spécification de la ville. Comment les acteurs de ces scènes d’action qualifient-ils la ville ?
Comment en construisent-ils les horizons ? Comment la peuplent-ils ? Comment l’investissent-
ils d’attentes spécifiques ? En bref, comment en dessinent-ils l’urbanité ? Ce processus interroge
la manière dont les acteurs spécifient l’urbanité de la ville en situation, c’est-à-dire celle dont
ils en produisent la réalité par un travail constant et changeant de distinction catégorielle
qui leur permet d’en saisir les limites et de se positionner par rapport à ce qui lui est étranger.
Ce travail influence autant la distribution du savoir sur la ville que les formes de relations
interpersonnelles ou les identités endossées par les acteurs. Ce travail de spécification s’ob-
serve dans la multiplication d’attitudes, de paroles et de dispositifs techniques déforçant le
débat en généralité à propos du schéma directeur. Cela transite au premier plan par un
compartimentage en thématiques qui font appel à des groupes d’experts différents et établis-
sent des assemblées à géométries variables. En effet, si certains membres du public demeurent
présents à toutes les assemblées — principalement les représentants des comités d’habitants
(l’AQL, l’ARAU et le GAQ, le Groupe d’animation du quartier européen) — d’autres membres
ne viennent qu’à l’occasion d’une seule discussion thématique comme porte-parole de grou-
pements ad hoc 30 Ce cloisonnement thématique, qui correspond d’abord aux choix opérés
par les organisateurs de séance et au découpage du texte du schéma directeur lui-même,
s’insère donc également dans une distribution du savoir selon les acteurs qui organise des
formes variées d’urbanités de la ville liées à des secteurs spécifiques de politiques publiques 31.
Un tel compartimentage marginalise la possibilité d’une dénonciation des fondements même
du schéma directeur et privilégie une critique « experte », interne, qui nécessite des compé-
tences cognitives particulières.
Ainsi, lors de la première séance, deux porte-parole d’associations d’habitants, l’ARAU
et l’AQL, ont ouvertement critiqué deux dispositifs techniques spécifiques : le projet d’une
passerelle piétonne au-dessus de la rue Belliard et le mécanisme des charges d’urbanisme.
Cette critique a acquis force et pertinence dans le débat par une construction de l’argu-
mentaire liée à des formes spécifiques de généralités dessinant un modèle de ville et une
forme d’urbanité particulière. Le premier a critiqué le dispositif architectural sur base d’un
référentiel historique et esthétique, arguant que ce dispositif renvoie aux principes d’un urba-
nisme fonctionnaliste séparant les circulations, ce qui ne correspond pas, pour lui, à une
ville souhaitable. Le second a critiqué le dispositif réglementaire des charges d’urbanisme,

Ville-quartier ou ville-monde ? 267


arguant qu’il masque une stratégie de reconquête de l’espace par les milieux de la promo-
tion immobilière. Sa critique s’est principalement construite en termes de justice sociale à
l’échelle du quartier. Pour lui, les charges d’urbanisme se réalisent sous la forme d’une compen-
sation financière ou de la construction de logements de luxe, vu le coût du mètre carré dans
ce quartier, alors qu’elles devraient permettre la construction de logement conventionné, ce
qui correspondrait à la demande des habitants du quartier, financièrement fragilisés, comme
les artistes, par exemple.
Par contre, la dénonciation complète du schéma directeur s’est révélée plutôt accidentelle
dans le cadre de cette première assemblée. En effet, renversant les conventions tacites régis-
sant les débats, un des membres de l’assemblée n’a pas hésité à se lancer, après un long
échange d’arguments entre Marie-Laure Roggemans, Bruno Clerbaux et les principaux porte-
parole des habitants liés à l’AQL ou à l’ARAU, dans une véritable « expérience disruptive 32 » :
« Je suis effrayée… [le quartier est] le lieu d’autoroutes urbaines, [il est] très pollué… […]
J’ai peur pour nos enfants plus tard avec les cancers, nous les habitants ; je ne vais pas aller
me promener rue de la Loi […] [Ce projet, c’est] beaucoup d’argent pour pas grand-chose
[…] rien pour les habitants […] je suis choquée de la privatisation des bâtiments publics
[…] comment peut-on donner de l’argent aux entreprises qui délocalisent ? […] les liaisons
piétonnes profiteront aux fonctionnaires et pas aux habitants. »
Une telle dénonciation du modèle de ville sous-jacent au schéma directeur provoque une
disruption qui révèle, en négatif, la force des normes tacites organisant les débats. Cette
habitante s’indigne et s’engage dans le monde personnellement, autant qu’affectivement,
par l’usage du « je ». Cette attitude contraste grandement avec le propos technique et distant
des échanges antérieurs qui permettent une insertion des acteurs dans un débat « public ».
En outre, la dénonciation que cette attitude ordonne invalide le schéma directeur dans sa
généralité et dans ses fondements. Dans la bouche de cette habitante, le schéma directeur
devient le lieu de cristallisation d’un monde effrayant et menaçant pour les riverains — dési-
gnés, du coup, comme des entités fragilisées — car il est pollué et dangereux pour la santé,
dépensier, ségréguant et dominé par les intérêts privés ou par ceux de l’Europe. L’habitante
indignée est choquée par l’appui donné par les pouvoirs publics à ce modèle de ville, car
elle attendrait plutôt d’eux qu’ils se soucient des plus faibles. Une telle réaction ne fut pas
relayée par le reste du public ; au contraire, un membre de l’AQL a rapidement réamorcé
le débat. Reprenant le cours de la critique interne, il a discuté la nécessité d’abandonner
les trottoirs et les pavés sur la chaussée d’Etterbeek pour renforcer son caractère et son iden-
tité structurante dans le quartier. Néanmoins, quelques minutes plus tard, Bruno Clerbaux,

268 V in c e nt Ca la y
endossant un rôle lui conférant des responsabilités assez éloignées de celles liées à sa
stature d’expert, répond à l’indignation de l’habitante : « Les quartiers que vous ne voulez
pas fréquenter vont changer. »

La réalité au pouvoir (II) : la carte et le guide comme productions actives d’urbanités

Dans la première séance, l’objet cartographique a joué un rôle central de condensation et


d’épaississement de la réalité du quartier. Présentée par Marie-Laure Roggemans comme
une « synthèse de la réalité existante », une carte est venue appuyer le projet normatif déve-
loppé dans le schéma directeur. Plus encore, cette cartographie du quartier est devenue
l’acteur central du travail d’objectivation des problématiques en jeu par l’expert et la porte-
parole des pouvoirs publics. Ce travail d’objectivation s’est principalement développé dans
un codage en couleur de la réalité. Marie-Laure Roggemans, présentant la carte, insista :
« Tout ce qui est bleu, c’est l’Europe, c’est du bureau ; tout ce qui est gris, c’est du bureau,
tout ce qui est brun, c’est culturel. »
Ces couleurs ont ensuite organisé la stratégie de « reconquête de la mixité » déployée par
les pouvoirs publics. Cette stratégie s’est articulée non seulement à un codage de la réalité
en couleurs mais aussi à un vocabulaire emprunté aux arts graphiques et au génie militaire.
Cette stratégie a démarré par un constat de Marie-Laure Roggemans : la géographie du
quartier montre l’existence d’« un véritable glacis administratif qui coupe la ville en deux
morceaux ». La réalité problématique est donc établie d’entrée de jeu : l’urbanité n’existe plus
dans ce « glacis administratif » car elle est figée en formes grisâtres sans relief et peu attrayantes 33.
De là, la mise en place de « leviers » nécessaires à la reconquête de la mixité. La stratégie
passe ici au premier plan en rapport étroit avec le coloriage de la réalité du quartier. Outre
la politique de regroupement de la Commission européenne qui n’est pas exprimée dans
des couleurs spécifiques, Marie-Laure Roggemans pointe un deuxième levier : « Les bâtiments
indiqués en jaune sont typologiquement de logement mais occupés par du bureau » ; puis
un troisième, accompagné d’une nouvelle couleur : « en orange, le logement qui suit les
projets d’initiative privée […] l’astérisque noire sur un morceau orange signifie “permis d’ur-
banisme”, ce qui permet la reconquête de la mixité ». Elle souligne même l’effectivité du
mouvement de reconquête : « Vous voyez déjà que l’orange commence à percoler entre le
nord et le sud. » Plus encore que la carte, c’est la couleur qui devient l’acteur central : c’est
à son expansion que correspondent la réalité mixte du quartier et la ville souhaitée. Par
ailleurs, Marie-Laure Roggemans sait garder le meilleur pour la fin : montrant la chaussée

Ville-quartier ou ville-monde ? 269


Fig. 1. Carte utilisée par Marie-Laure Roggemans lors de la première séance concertation pour décrire la « réalité » du quartier et
son projet de « reconquête de la mixité ». (Réalisation : ACP Group. Source : Région de Bruxelles-Capitale.)

d’Etterbeek sur le plan, elle identifie un « axe nord-sud » où peut se jouer toute la théâtrali-
sation du dégel de l’urbanité projeté : « Il y a un axe nord-sud récupérable pour restaurer
des cordons d’urbanité dans le damier vertical du XXe siècle. »
Cette seule phrase rassemble en un souffle le projet normatif du schéma directeur et la
définition de la réalité à laquelle il s’articule. La chaussée d’Etterbeek devient l’espace clé,
celui qui peut être récupéré aux mains de l’ennemi. Cette récupération d’un axe structurant
l’espace, ou la reconquête d’un territoire perdu, permettra la mise en œuvre d’une restau-
ration de l’ancien régime urbain par des cordons d’urbanité. Cette dernière locution est
véritablement intrigante car Marie-Laure Roggemans ne se contente par de parler de restau-
ration de l’urbanité autour d’un axe : cette restauration s’accompagne aussi de la création

270 V in c e nt Ca la y
de cordons d’urbanité, liens entre différents espaces où l’urbanité du quartier semble d’abord
se jouer dans la fragilité, mais aussi, tel un « cordon sanitaire », dans l’encadrement de
quelque chose que l’on ne voudrait pas voir se répandre. D’ailleurs, la constitution de ces
cordons est d’autant plus fragile qu’elle s’opérerait sur « un plan en damier vertical » où le
relief, la fragilité et la souplesse des cordons apparaissent encore plus ténus, plus timides,
plus difficiles à imposer.
Pour Marie-Laure Roggemans, ces « cordons d’urbanité » renvoient explicitement au commerce
conçu comme un élément clé de la reconquête de l’urbanité — car « le commerce fait beau-
coup pour la convivialité ». Ainsi, ces cordons d’urbanité deviennent des « relations entre
commerces » où l’urbanité se joue dans la convivialité. Par ailleurs, cette urbanité commer-
ciale renvoie elle aussi à une coloration et à une métaphore picturale. En montrant les traits
roses associés à la chaussée d’Etterbeek, Marie-Laure Roggemans indique un élément du
projet de schéma directeur : « Il faut étendre les liserés commerciaux. » Comment cette stra-
tégie du liseré commercial, fondée sur le principe de restauration de cordons d’urbanité,
s’implémente-t-elle alors ? « Dans la réalité, chaque fois qu’il y a possibilité, le rez-de-chaussée
est utilisé pour la mixité. » Nous y voici : tel est le dernier élément de la stratégie, la conver-
sion des rez-de-chaussée d’immeubles en surfaces commerciales garantes d’une restauration
de l’urbanité. Les rez-de-chaussée traduisent, sur le terrain, les liserés roses de la carte.
Une telle mise au centre de la cartographie et du codage de couleurs qui s’y associe
permet d’asseoir l’argumentation en partant d’un travail d’objectivation visuel de la mixité
à la fois poussé et simplifié. En effet, cette objectivation repose sur un important processus
réflexif mobilisant un vaste savoir et de nombreux acteurs. Cependant, le travail d’objecti-
vation est dans le même temps simplifié, car le cadrage cartographique et sa mise en scène
comme « synthèse de la réalité existante » appauvrissent considérablement le concept de
mixité, ils le réduisent à un dualisme opposant une catégorie monolithe de « logement » à
une autre de « bureau ». De même, la notion d’urbanité se voit réduite à la « convivialité »,
voire au « commerce ».
D’un autre côté, la cartographie a, dans ce contexte, rendu possible le développement de
la stratégie de « reconquête de la mixité ». Un tel usage de la cartographie a permis à la
description du réel de devenir une métaphore en couleur (usage des couleurs pour renforcer
le réalisme en montrant l’hétérogénéité d’un espace) et de la couleur (usage du vocabulaire
technique des arts graphiques pour décrire des hiérarchies dans le réel : glacis, liseré, etc.).
La cartographie et la personne dont la parole est devenue la légende de la carte ont ainsi
distribué le savoir à l’égard de l’espace et de son urbanité d’une façon très spécifique. Le

Ville-quartier ou ville-monde ? 271


cours d’action a ici transité par un dispositif technique qui a canalisé les problématiques et
en a limité les possibles par le tri permis par cette technique de coloration du réel. La réalité
fut ainsi mise en forme, apprêtée ; elle fut littéralement inscrite dans un code couleur qui a
permis l’orchestration de son intelligibilité et l’acquisition d’un pouvoir au sein de l’assem-
blée. En outre, le pouvoir de la cartographie est étroitement lié à la parole qui l’accompagne,
parole accentuant les contrastes entre couleurs, les hiérarchisant, construisant une descrip-
tion métaphorique approfondie de la réalité rendue, d’après ce travail de commentaire, par
la cartographie elle-même. C’est donc par cette alliance entre la parole d’un être humain
et les couleurs d’une cartographie que se sont construits à la fois la réalité d’un territoire
mixte et un projet normatif à son égard.
Dans la séance consacrée au patrimoine, à la culture et au tourisme, la place des objets
techniques fut très différente. Tout d’abord, contrairement à la séance consacrée à la mixité
et aux espaces publics, l’importance de la cartographie y est apparue très marginale. Il n’y
a pas eu de mise en scène d’un objet qui soit comparable à celle de la première séance. Un
objet s’est cependant présenté comme un dispositif permettant la production de formes spéci-
fiques d’urbanités et leurs mises à l’épreuve : assez incidemment, un guide touristique a joué
un rôle de polarisation d’une redéfinition des formes d’urbanités actives dans le quartier.
La présentation qu’a faite Patrick Balcaen (en charge du Tourisme au cabinet Huytebroeck)
du guide l’a très clairement positionné comme l’outil d’une politique permettant de créer un
lien entre l’Europe et Bruxelles. Destinant ce guide du quartier européen à un public de
Bruxellois et d’Européens, Patrick Balcaen a du même coup indiqué le message porté par
ce guide : « Appropriez-vous ce quartier. » L’ambition affichée est de créer « de nouveaux
flux à l’intérieur de Bruxelles ». En outre, l’itinéraire de visite du quartier européen défini par
le guide est présenté comme réflexif, c’est-à-dire qu’il est censé évoluer en fonction de la demande
des visiteurs. Est ainsi exprimée la nécessité de « faire vivre cet itinéraire […] que ça devienne
un lieu de référence à Bruxelles ». La présentation du guide est réalisée en circulant dans les
travées de l’assemblée, l’objet étant soumis à l’appréciation des différents membres du public.
La tentative d’insertion de ce « dispositif » a toutefois échoué. Une seule réaction a pu être
observée, sous la forme d’une dénonciation générale et lapidaire, insistant à nouveau sur
l’étrangeté des aspects européens du quartier : « Votre itinéraire est une traversée du désert. »
De plus, ce commentaire s’inscrit finalement à la marge des débats relatifs au centre des
visiteurs du Parlement européen et à sa double relation au « mail » et « à la ville » comme
évoqué précédemment.

272 V in c e nt Ca la y
Les limites d’une internationalisation par l’aménagement

La manière de définir l’urbanité de la ville est-elle jouée d’avance ? La familiarité des cadres
cognitifs et des rapports interpersonnels laisse entendre que, dans ces scènes de débat public,
se rejouent des alliances cognitives et personnelles antérieures qui soutiennent et perpétuent
des manières de débattre et de connaître la ville. L’emprise de cet univers familier dans la
mise en scène publique d’une concertation sur le schéma directeur réduit les formes prises
par la critique. Aussi cette domination de la familiarité entre-t-elle en tension avec une attente
de formalisme, exprimée de façon récurrente, où la tenue de rôle, la prise de parole et l’éga-
lisation des situations des membres de l’assemblée pourrait être rencontrée clairement et
efficacement. Une attente que les hésitations, incertitudes et précarités du dispositif ne semblent
manifestement pas rencontrer. Je parlerai dans ce cadre de la prégnance d’un imaginaire
urbain qui s’est répété et renforcé dans ces assemblées faute d’une mise à l’épreuve qui en
permette une mise en question véritable.
Où se construit le bien commun de la ville porté par le schéma directeur ? Il semble que la
combinaison de la familiarité des cadres cognitifs et des relations interpersonnelles couplée
à une segmentation des thématiques, l’évitement des croisements d’une séance à l’autre et la
relégation d’une discussion en généralité aient mené à l’absence de débat sur le modèle de
ville en jeu au sein de l’assemblée. Pourtant, le texte du projet de schéma directeur fonde son
argumentation sur un « constat » (Bruxelles est devenue une « ville globale ») et c’est ce constat
qui légitime, d’après le schéma, une redistribution des manières de penser le territoire du quar-
tier européen, en particulier dans son usage comme espace clé d’une image internationale
de la ville. Bien que ce principe semble orienter les articulations opérées par le schéma direc-
teur, ce n’est pas à ce niveau que les critiques ont émergé. Celles-ci se sont plutôt liées au
schéma directeur en organisant sa critique interne, les dénonciations étant marginalisées. Par
ailleurs, a contrario, les pans du schéma directeur liés à l’internationalisation ont plutôt suscité
la dénonciation au motif d’une inadéquation des dispositifs européens (centre des visiteurs du
Parlement européen et itinéraire de visite du quartier européen) avec l’urbanité du quartier.
Aussi le statut de ce processus hésitant de concertation sur le schéma directeur se précise-
t-il : il ne constitue pas le principal espace dans lequel les imaginaires de la ville sont débattus ;
il est l’élément d’une plus vaste arène où circulent cadres cognitifs et relations interpersonnelles
donnant corps au débat. Cela mène à s’interroger sur les lieux où le bien commun qui
oriente les propositions du schéma directeur s’est débattu et construit plus substantiellement.
Marie-Laure Roggemans a évoqué à ce sujet la nécessité de faire appel à des « groupes

Ville-quartier ou ville-monde ? 273


d’experts du quartier » lorsque les thématiques deviennent « trop complexes ». Qui sont ces
« groupes d’experts » auquel la représentante des pouvoirs publics se réfère de façon imper-
sonnelle et abstraite ? Il apparaît ici plus clairement que la mise au point du projet de schéma
directeur s’est fondée sur un travail discret et non médiatisé, où des décisions ont été prises,
où des choix dans le bien commun régentant la redistribution des savoirs sur le quartier se
sont opérés. Le Fonds quartier européen semble représenter ce type d’arène non médiatique
où le bien commun d’un espace est pensé en toute discrétion, où des savoirs sur la ville sont
mobilisés et discutés pour la refaçonner. C’est certainement vers cette assemblée de pairs
cooptés de la société civile que doit s’orienter le regard pour comprendre que la logique
dominante concerne avant toute chose l’amélioration de « l’image » du quartier européen.
Quel type d’action publique est à l’œuvre dans ces délibérations ? Il apparaît indéniable
que le projet normatif, l’objectivation cartographique et la description colorée du quartier
par la représentante des pouvoirs publics peuvent être rassemblés sous le terme de stratégie.
Plus qu’à une théorie de l’acteur ou à une théorie du développement territorial, ce terme
renvoie à la manière dont l’acteur lui-même décrit son projet normatif en utilisant une méta-
phore guerrière : « la bataille de la mixité ». La porte-parole des pouvoirs publics montre ses
alliés dans ce combat. Tout d’abord, la Commission européenne, qui va libérer de l’espace
pour du logement. Ensuite, les propriétaires d’immeubles de bureaux qu’il est possible de
reconvertir en logement. Ensuite encore, les promoteurs de logements qui se sont lancés dans
des projets pour lesquels des permis ont été octroyés. Enfin, les propriétaires et locataires
des immeubles où le rez-de-chaussée sera transformé en commerces. Quatre alliés pour recon-
quérir la mixité, restaurer l’urbanité, mettre en place des « cordons d’urbanité », développer
la convivialité, faire « percoler » le logement, pigmenter le « glacis » administratif. Les pouvoirs
publics se donnent à voir sur cette scène d’action comme les stratèges d’une « reconquête
de la mixité » qui s’assimile à une guerre de restauration de l’urbanité sur un territoire ennemi,
restauration armée notamment d’une cartographie des positions récupérables.
Mais d’où provient une telle stratégie ? Où et comment se sont joués les choix des posi-
tions ennemies récupérables ? Comment cette cartographie des positions permettant la
restauration de la mixité s’est-elle agencée ? Comment en est-on arrivé à ce type d’inscrip-
tion ? Évidemment, une telle présentation de la stratégie pose le public comme un allié potentiel
à conquérir, non comme le destinataire de ladite stratégie. C’est donc, à nouveau, du côté
du « groupe d’experts du quartier » qu’il faut chercher les justifications de ces choix. Se dessi-
nera ainsi l’arène dans laquelle se débat ce processus normatif cloisonnant l’internationalisation
de la ville dans des catégories cognitives liées à son bon aménagement.

274 V in c e nt Ca la y
1. Cette contribution est extraite d’une thèse de doctorat dant, autant la systématisation et la réification de l’hypo-
en sciences politiques et sociales en cours de finalisa- thèse que son usage à propos de Bruxelles sont
tion à l’Université libre de Bruxelles sur Les constructions controversés, au contraire de ce qu’affirment le schéma
publiques de la ville. Pragmatique de l’internationalisa- directeur et, plus largement, l’ensemble des acteurs plébis-
tion de Bruxelles, de Luxembourg et de Strasbourg. Elle citant une internationalisation de la ville. Ainsi, la critique
bénéficie pour sa réalisation du soutien du Fonds d’en- des travaux du GaWC à propos de Bruxelles par le socio-
couragement à la recherche de l’ULB. logue et urbaniste Guy BAETEN met en cause la
2. Marie-Laure ROGGEMANS (s.l.d.), Projet de Schéma mobilisation du concept dans l’analyse de la ville (voir
directeur du quartier européen, Bruxelles, septembre sa recension de l’ouvrage de Camilla ELMHORN,
2006, p. 5 (www.quartiereuropeen-europesewijk.be, Brussels: A Reflexive World City, Stockholm, Almqvist &
consulté le 31 janvier 2007). Wiksell International, 2001, parue dans Urban Studies,
3. Nommée par le gouvernement de la RBC le 29 vol. XXXIX, n° 1, 2002, p. 175-177). Il faut donc s’inter-
septembre 2005, sa mission principale n’a pas été publi- roger sur le processus à l’œuvre lorsque Peter Hall est
quement exposée. C’est à travers la presse que peut se invité comme « éminence grise » pour tirer les conclusions
lire le détail de sa tâche. Ainsi François ROBERT du colloque « Demain la ville » organisé en novembre
indique-t-il familièrement à propos de « Marie-Laure » dans 2007 par le Secrétariat de la Région au développement
Le Soir du 30 septembre 2005 (« Madame Europe urbain (SRDU). De même, le colloque du BRIO, « Brussels
arrive ») : « Dans sa nouvelle fonction (d’une durée de & Europe », organisé avec le soutien de la Fondation roi
cinq ans), elle travaillera en partenariat avec la Région Baudouin et de la Commission européenne en décembre
bruxelloise et le bureau de liaison Bruxelles-Europe, et 2006 avait fait appel à Peter Taylor, fondateur du GaWC,
non pas avec le Fonds quartier européen (interface entre mais aussi, pas moins, à Saskia Sassen, tous deux au
les intérêts publics et privés du quartier) comme on l’a titre d’experts de la ville-monde, pour « expliquer » à l’au-
cru jusqu’à tout récemment. Sa mission sera de faciliter ditoire bruxellois la place de Bruxelles dans la nouvelle
l’aménagement du quartier européen… dans la sérénité. » géographie mondiale des flux d’échange de biens, de
4. Dans les acceptions qui lui sont données aujourd’hui, personnes et d’informations entre villes.
la notion de « ville-monde » a émergé au cours des années 5. À ce sujet, la seule référence citée par le texte est le
1980 à travers les « Urban Studies » sous la forme d’une rapport de recherche publié par l’Université libre de
hypothèse heuristique (voir le texte fondateur de John Bruxelles en juin 2004 : Françoise NOËL et Christian
FRIEDMANN, « The World City Hypothesis », Develop- VANDERMOTTEN (s.l.d.), La Planification de Bruxelles
ment and Change, n° 17, 1984, p. 69-84). Elle a ensuite dans le cadre du développement des « villes-mondes ».
connu grande fortune dans les années 1990 avec les Il est plutôt surprenant de lire dans ce rapport : « Notre
travaux socio-économiques de David Harvey, de hypothèse de recherche s’organise à partir de l’idée qu’il
Saskia Sassen, de Peter Hall ou de Peter Taylor et, plus y aurait à Bruxelles la mise en place, encore émergeante,
largement, du GaWC (Globalization and World Cities de ce que nous avons appelé une « ville-monde » (p. 1).
Research Network) mais aussi, sur le plan culturel, avec L’usage du conditionnel dans la recherche tranche remar-
ceux de Sharon Zukin ou d’Edward Soja. Sa mobilisa- quablement avec l’indicatif du texte du schéma directeur,
tion récurrente dans les sphères académiques et qui dénote, lui, une réification massive de l’hypothèse
décisionnelles a d’ailleurs généré une réification progres- évoquée ci-dessus.
sive de l’hypothèse, qui s’est vue transformée en un postulat 6. Métaphore guerrière que l’on retrouvera plus tard dans
orientant les politiques urbaines contemporaines. Cepen- ce texte à propos de la « reconquête de la mixité ».

Ville-quartier ou ville-monde ? 275


7. Françoise NOËL et Christian VANDERMOTTEN une représentativité des édifices (discours du 26 novembre
(s.l.d.), La Planification de Bruxelles dans le cadre du 1996). Neil Kinnock prit ensuite position dans le même
développement des «villes-mondes », op. cit.. sens (discours du 25 novembre 2003). Son successeur,
8. Pour l’histoire des luttes urbaines qui ont animé cette Siim Kallas, a progressivement renforcé cette approche
partie de la ville des années 1960 aux années 1990, (discours du 22 mars 2005 et du 22 septembre 2005)
voir l’ouvrage de Carola HEIN, The Capital of Europe: pour la stabiliser dans un texte programmatique en
Architecture and Urban Planning for the European septembre 2007. Y est soulignée l’importance esthétique
Union, Westport, Praeger, 2004. et symbolique de certains développement immobiliers pour
9. Je fais ici référence à la notion d’inscription telle qu’elle l’institution : « La conception des immeubles de la
est définie par la « théorie de l’acteur réseau » développée Commission (et en particulier des grands projets emblé-
principalement par Bruno Latour, Michel Callon et John matiques) devrait être d’une très grande qualité
Law. Sur cette notion, voir notamment l’article de Bruno architecturale, ce qui soulignerait, dans une sorte d’af-
LATOUR, « Visualisation and Cognition: Drawing Things firmation symbolique positive et judicieuse, la nature de
Together » in Henrika KUKLICK (s.l.d.), Knowledge and la présence de l’institution et garantirait la fourniture de
Society: Studies in the Sociology of Culture Past and bâtiments hautement performants » (Commission des
Present, Greenwich, Jai Press, 1986, p. 1-40. Communautés européennes, Communication de la
10. Plan régional de développement (PRD), Priorité 10, Commission sur la politique d’installation des services
2002 (http://www.prd.irisnet.be/fr/priorites/prio- de la Commission à Bruxelles et à Luxembourg, 5
rite10.htm#, consulté le 27 juillet 2007). septembre 2007).
11. Plan de développement international (PDI), Schéma 15. De ce fait, il se positionne dans la filiation directe
de base, août 2007, p. 42-43. de Bruxelles « capitale européenne de la culture » (2000),
12. Par exemple, le collectif d’auteurs rassemblés par première grande tentative de gestion d’une politique cultu-
l’architecte Joël Claisse et l’éditrice Liliane Knopes indi- relle sur le territoire bruxellois sur base de coopérations
quait : « Depuis peu, depuis le traité de Nice, Bruxelles, diverses entre acteurs, biculturelles notamment. Le FQE
qui avait été jusqu’alors siège provisoire d’une série d’ins- se situe d’ailleurs dans la lignée des méthodes développées
titutions, en est devenue le siège définitif. Mais sera-t-elle par le comité du quartier des Arts ou le comité Loi. Pour
jamais vraiment la “capitale” de l’Europe ? » (Joël plus de détails, voir Alain DENEEF, « Le Fonds quartier
CLAISSE (s.l.d.), Change. Brussels, Capital of Europe, européen : une tentative originale d’influer sur le destin
Bruxelles, Prisme, 2004, p. 23). de la ville », Les Cahiers de La Cambre – Architecture,
13. Entretien avec Baudouin DE LA KHETULLE DE n° 5, p. 244-252.
RYHOVE, président du comité interministériel pour l’ac- 16. Alain Deneef parle d’ailleurs de promoteurs et de
cueil des organisations internationales, 7 avril 2006. comités d’habitants « modérés », marginalisant, par
14. Les commissaires européens chargés de la politique exemple, un comité comme l’Association du quartier
immobilière de la Commission se sont déclarés, depuis Léopold (AQL) pour son caractère trop radical et non
le milieu des années 1990, soucieux de la qualité de constructif dans les négociations (entretien avec Alain
l’environnement où se situent les institutions. Ainsi, en DENEEF, président du Fonds quartier européen, 23 janvier
1996, Erkii Liikannen déclarait sa volonté d’améliorer 2006).
la situation du quartier par un renforcement de l’image 17. Voir Alain DENEEF, « Le Fonds quartier européen,
européenne de Bruxelles, par une inscription des bâti- loc. cit., p. 246.
ments dans un environnement urbain de qualité et par 18. Id.

276 V in c e nt Ca la y
19. Depuis sa création, le Fonds a soutenu ou s’est vu d’agir dans le cadre d’un dispositif où se joue la sanc-
étroitement lié à des initiatives publiques telles que : la tion d’un échec ou la récompense d’une réussite (Lucien
concertation sur le plan médiateur pour le quartier euro- FRANÇOIS, Le Cap des tempêtes. Essai de microscopie
péen (2004) ; un colloque organisé par la Foundation du droit, Bruxelles, Bruylant, 2001). Dans son acception
for the Urban Environment de Pierre Laconte autour du scientifique, l’épreuve renvoie à l’expérimentation, à la
livre de Carola HEIN, The Capital of Europe (op. cit.) ; «mise à l’épreuve» des hypothèses dans le cadre de dispo-
l’exposition « Comment Bruxelles devint la capitale de sitifs d’expérimentation visant à établir un fait et à vérifier
l’Europe et ce quartier son quartier européen » qui se tient ou contredire un paradigme (Isabelle STENGERS,
au pied du Berlaymont depuis avril 2005; les tables rondes L’Invention des sciences modernes, Paris, La Découverte,
sur l’image de Bruxelles centrées sur son identité euro- 1993). Dans son acception phénoménologique enfin,
péenne tenues en mars et avril 2005 à la Fondation roi l’épreuve renvoie au ressentiment, au fait d’éprouver un
Baudouin ; l’exposition « Building for Europe » tenue en sentiment, de ressentir dans son corps une réalité (Michel
2007 dans l’ancienne gare du Luxembourg, devenue FOUCAULT, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1993 ;
propriété du Parlement européen ; l’exposition « Vision for Bruno LATOUR, Petites Leçons de sociologie des sciences,
Brussels » réalisée par le Berlage Institute et présentée au Paris, Le Seuil, 1996). Ces trois dimensions sont comprises
Palais des Beaux-Arts en 2007; le colloque du BRIO (VUB), dans la notion pragmatique d’épreuve employée dans
« Brussels and Europe », organisé en décembre 2006. ce texte. Cela signifie que les situations de débats mettent
20. Avec la mise en place d’une nouvelle association, à l’épreuve les grandeurs qui y sont invoquées dans le
l’Aula Magna (http://www.aula-magna.eu), également triple sens où elles constituent un dispositif où se joue la
présidée par Alain Deneef et dont l’initiative émane pour réussite ou l’échec de ces grandeurs, où ces grandeurs
partie de membres du Fonds quartier européen. sont testées pour être validées ou infirmées, où ces gran-
21. Voir la présentation du Fonds quartier européen sur deurs sont éprouvées, ressenties, inscrites dans les corps
le site de la Fondation roi Baudouin (www.kbs-frb.be). des participants et du public.
22. Marie-Laure ROGGEMANS (s.l.d.), Projet de Schéma 24. Entre l’étude Espace Bruxelles Europe réalisée en
directeur du quartier européen, op. cit., p. 7-9. 1987 pour le secrétaire d’État à la Région bruxelloise
23. La notion d’« épreuve » renvoie en particulier aux Jean-Louis Thys et le premier schéma directeur réalisé en
travaux de Luc BOLTANSKI et Laurent THÉVENOT sur 2001 pour le ministère de la Mobilité et des Transports,
les formes de la justice développée dans leur ouvrage les initiatives concernant le quartier se sont limitées à
De la justification. Les économies de la grandeur (Paris, l’organisation d’un concours, « Les Sentiers de l’Europe »,
Gallimard, 1993). Dans le domaine de la sociologie en 1997.
politique, elle a été exploitée de façon très convaincante 25. Que l’on peut plutôt relier à une plateforme de bonne
par Dominique LINHARDT dans son travail sur les gouvernance du quartier, où l’ensemble des stakehol-
« épreuves d’État » où l’auteur met à profit la notion dans ders sont intégrés au processus décisionnel.
un projet de pragmatique de l’État (« L’État et ses épreuves : 26. Assemblées réunies par Inter-Environnement Bruxelles
éléments d’une sociologie des agencements étatiques », (IEB) en février et mars 2007 à la demande de la RBC
Papiers de Recherche du CSI, n° 9, 2008). Plus large- et de sa déléguée au développement du quartier euro-
ment, j’emploie dans ce texte la notion d’épreuve dans péen, Marie-Laure Roggemans.
une triple acception : juridique, scientifique et phéno- 27. La première séance analysée s’est tenue au Muséum
ménologique. Dans son acception juridique, la notion d’histoire naturelle le 27 février 2007 dans un vaste audi-
renvoie à l’idée de « mise à l’épreuve », c’est-à-dire le fait torium. Elle était introduite par un représentant d’IEB et

Ville-quartier ou ville-monde ? 277


animée principalement par Marie-Laure Roggemans, Vouloir et dire la Ville. Quarante années de participa-
accompagnée de Bruno Clerbaux, architecte et urbaniste, tion citoyenne à Bruxelles, Bruxelles, AAM, 2007).
associé principal du bureau ACP. Cette séance s’est orga- L’expertise développée en cette matière a, plus tard, posi-
nisée en deux parties : dans un premier temps, l’exposé tionné l’ARAU comme acteur de la valorisation de la
de Marie-Laure Roggemans et les interventions plus ponc- ville intégré peu à peu au secteur du tourisme bruxellois
tuelles de Bruno Clerbaux ; ensuite, l’échange de vues en voie de professionnalisation.
entre, d’un côté, le public et, de l’autre, la représentante 30. Phénomène particulièrement sensible dans le cas de
des pouvoirs publics et l’expert. La dernière séance s’est la séance consacrée à la mobilité, où des représentants
tenue dans le même auditorium le 20 mars 2007. d’associations cyclistes ou de l’AED ont activement parti-
Introduite par Marie-Laure Roggemans, elle fut ensuite cipé au débat et défini les enjeux dans leur discussion
consacrée aux exposés successifs d’Alexander Kleinig, avec les experts présents (AED, STIB, SNCB, Stratec).
porte-parole du Parlement européen en charge des ques- 31. La ville mobile, mobilisée à la deuxième séance de
tions liées à la création d’un « centre des visiteurs » dans concertation, et entretenue par une multiplicité d’acteurs,
une des extensions récentes de l’Espace Léopold, et de renvoie à la mise en place d’horizons spécifiques à l’ur-
Patrick Balcaen, porte-parole de la ministre Huytebroeck banité de la ville, notamment liés à la répartition opérée
en charge du Tourisme à la Commission communautaire entre types de mobilités. Cette « ville mobile » renvoie à
française (Cocof), venu présenter le guide touristique du un secteur de politique public institutionnalisé : la mobi-
quartier, mis au point avec l’Université libre de Bruxelles, lité. De même, la « ville touristique » envisagée dans la
et l’initiative « BrusselsTofPeople », issue des recomman- dernière séance renvoie à un type de savoir spécifique
dations des « Assises du tourisme » tenues en 2004. Après ainsi qu’à des outils particuliers dessinant l’urbanité de
ces exposés, un débat s’est organisé avec le public. la ville d’une façon spécifique, elle aussi liée à une logique
28. Je reprends à dessein cette expression des travaux sectorielle en matières de politiques publiques.
de Latour pour mettre en exergue le caractère construit 32. Terminologie propre à l’ethnométhodologie. Il s’agit
de l’expérience pratiquée dans le cadre de cette assem- d’une technique d’enquête qui consiste à adopter, déli-
blée. Qu’est-ce qui se joue dans cette mise à l’épreuve bérément, une attitude opposée à celle attendue pour
du schéma directeur en assemblée publique ? Il est à la faire ressortir les normes tacites ordonnant une situation.
fois mis en scène, dans la mesure où ces assemblées répon- Voir John HERITAGE, « L’ethnométhodologie : une
dent à des formes variées de théâtralisation des débats, approche procédurale de l’action et de la communica-
et mis à l’épreuve, dans la mesure où cette assemblée tion » (1987), trad. Michèle Albaret et Louis Quéré,
teste la réalité mise en scène, la rend sensible et peut Réseaux, n° 50, nov.-déc.1991, p. 89-130.
susciter des formes variées de validation ou d’invalidation 33. La métaphore du « glacis » renvoie directement au
sur des points spécifiques ou de manière générale. répertoire technique de la peinture où le glacis est constitué
29. Cette intervention témoigne, en outre, d’une compé- d’une superposition de couches de peinture non pigmentée
tence spécifique du porte-parole de l’ARAU en matière pour fixer les couleurs sur le tableau. De même, la notion
touristique et culturelle, qui le distingue des autres porte- renvoie au répertoire militaire où le glacis constitue une
parole des comités d’habitants. En effet, cette association place dégagée jouxtant les limites d’une place forte, sans
a, dès son origine, associé l’organisation de visites de reliefs permettant la dissimulation, un vide garantissant
la ville à son action politique (René SCHOONBRODT, une vue dégagée aux abords immédiats de la forteresse.
Chapitre X
Rassemblez les citoyens et intégrez-les !
Des théories aux pratiques de l’urbanisme participatif aux États-Unis et en Europe

Kristof Van Assche

Des systèmes de planification et des démocraties en mutation

Les urbanistes et autres spécialistes de l’aménagement du territoire se sont récemment rendu


compte que les citoyens pouvaient utilement contribuer à l’amélioration de l’aménagement
de l’espace. Depuis les années 1990, une planification dite « interactive », « participative »
ou encore « collaborative » occupe une place de plus en plus prépondérante dans les théo-
ries urbanistiques 1. Les urbanistes, longtemps associés voire identifiés aux administrations
pour lesquelles ils travaillent, auraient redécouvert le citoyen comme une espèce en voie de
disparition. Ce changement d’approche s’est également traduit dans les études politiques
et l’administration publique, renvoyant au déplacement opéré du « gouvernement » vers la
« gouvernance ». L’avènement tardif, vers la fin des années 1990, du post-modernisme et des
théories usant de concepts constructivistes dans le champ de la planification a ainsi donné
l’impression d’une profonde transformation de la manière dont l’urbaniste conçoit la société 2.
Parallèlement à l’érosion de la foi en une planification centralisée et unilatéralement diri-
giste, s’est érodée la croyance en la capacité du planificateur à produire une organisation
spatiale idéale. La supériorité supposée de la vision des urbanistes sur l’espace et les popu-
lations qui l’habitent s’en est vue graduellement ébranlée. Après avoir longtemps prétendu
dire aux individus ce qui était bon pour eux, au moyen de plans et de règles élaborés et
imposés par une administration centrale, nombre d’urbanistes se sont aperçus qu’une telle
centralisation ne fonctionnait pas souvent de manière optimale et que le savoir « local » des
citoyens pouvait améliorer les plans destinés à tel ou tel territoire 3. Les citoyens doivent désor-
mais être pris en considération, non seulement pour éviter qu’ils s’opposent sans discernement
aux aménagements envisagés, mais aussi parce qu’ils peuvent les améliorer et parce que de
nouvelles conceptions de la démocratie s’imposent 4, et avec elles l’idée que la participation
directe des citoyens à la gouvernance locale représente un gain pour la démocratie — par
rapport à l’ancien système qui fait de la seule représentation la base du système démocratique.

Rassemblez les citoyens et intégrez-les ! 279


Le postmodernisme a d’abord été accueilli avec perplexité par l’ensemble des urbanistes.
Ainsi en 1998 le livre de Bent Flyvbjerg, Rationality and Power 5, a-t-il d’abord été violem-
ment critiqué avant de devenir un classique. Il met l’accent sur l’importance du discours et
on y retrouve l’idée que la réalité en général et le pouvoir de la connaissance en particu-
lier sont socialement construits. À partir des années 1990, les urbanistes reprennent ainsi
certaines des discussions qu’ont eues Habermas et Foucault dans les années 1970, lorsque
le modernisme était encore profondément ancré dans les discours dominants sur la planifi-
cation 6. Il n’empêche : le modernisme est toujours en vigueur dans ce domaine et il influence
même les modalités de la participation des citoyens 7.
L’œuvre de Foucault a fourni aux urbanistes ouverts d’esprit des outils pour conceptualiser
les idées des citoyens en tant que discours sur l’espace et pour réfléchir leur propre manière
de se représenter l’espace et son organisation. L’urbanisme, qui a dû lutter pour son indé-
pendance et pour se voir reconnu comme discipline dans les milieux tant professionnels
qu’universitaires, s’est, lentement certes, rendu compte de la fragilité de ses prétentions scien-
tifiques. De moins en moins nombreux sont ceux qui, au sein de la discipline, croient encore
en l’existence d’une structure spatiale optimale et de moyens scientifiques pour y parvenir,
telle une analyse objective de l’espace réel et de ses enjeux que seuls les urbanistes pour-
raient réaliser 8. Ces conceptions sont, en effet, de plus en plus considérées comme les mythes
ayant contribué à la grande histoire du grand modernisme 9.

Du modernisme au postmodernisme : une histoire complexe, des trajectoires diversifiées

Tout propos sur l’avènement du postmodernisme doit lui aussi être situé. Trois remarques
préliminaires sont à cet égard nécessaires.
Primo, on observe une certaine survivance du modernisme à maints égards. Au sein des
administrations, peu sont ceux qui ont réellement adhéré au postmodernisme, ce qui s’expli-
que sans doute par la rationalité bureaucratique de l’environnement de travail dans son
ensemble et par la croyance largement partagée dans la technologie sociale. La plupart des
urbanistes travaillent dans des administrations et s’identifient aux politiques élaborées en
leur sein. Dans ce domaine, les universitaires se limitent souvent à l’étude des politiques exis-
tantes, pour les légitimer ou les parachever 10. En d’autres termes, ils (re)produisent les mêmes
discours. C’est que la recherche et la critique universitaires sont mises à rude épreuve dans
un monde dominé par une profonde inquiétude de voir le chaos régner si les décisions admi-
nistratives n’étaient pas mises en œuvre. La croyance moderniste en une vision de surplomb

280 K r is t of V a n A s sc h e
des administrations sur le « jardin baroque » de la société 11 s’attarde ainsi dans les milieux
universitaires davantage dans ce domaine que dans d’autres, précisément en raison de cette
absence de frontière entre université et administration.
Secundo, il faut souligner la différence entre les ambitions des urbanistes et les réalisa-
tions concrètes. Dans quelques rares pays seulement, les projections pour un futur idéalement
organisé ont été véritablement mises en œuvre. L’Union soviétique était même peut-être l’ex-
ception à cet égard. Cela étant, la planification y était largement considérée comme une
ramification des sciences économiques, non comme une discipline indépendante. Au-delà,
les urbanistes — et les spécialistes en matière de politique publique, à commencer par
Wildavsky — ont souvent déploré la mise en œuvre laborieuse de leurs idées « objective-
ment vraies » et bienveillantes et la mécompréhension de leurs visions par la société. En de
nombreux endroits, particulièrement après la seconde guerre mondiale, des départements
d’urbanisme ont certes été créés, mais les urbanistes n’étaient jamais qu’une minorité d’esprits
éclairés autoproclamés et recherchant la reconnaissance de leurs pairs. Même aux Pays-
Bas, une minorité seulement de projets de construction ont réellement suivi les règles et les
plans établis. On peut avancer que le malentendu était probablement mutuel, que les urba-
nistes étaient trop imprégnés de l’idéologie moderniste pour observer la société d’un œil
avisé, pour comprendre ce que les gens voulaient, les raisons pour lesquelles ceux-ci se sont
opposés à certains plans et en quoi certaines de leurs idées pouvaient également s’avérer
utiles 12. La prise de conscience croissante du fait que les idées reçues des urbanistes n’étaient
pas plus objectives que certaines observations des citoyens a toutefois ouvert une perspec-
tive plus réflexive et une réévaluation des rôles des uns et des autres.
Tertio, toujours à propos de la transition du modernisme vers le postmodernisme, il faut
insister sur les spécificités propres à chaque pays, à chaque région, voire à chaque muni-
cipalité. La Belgique et les Pays-Bas, par exemple, ont des traditions différentes. Ainsi, les
Belges sont traditionnellement moins enclins que les Néerlandais à accepter une interven-
tion forte de l’État dans l’aménagement de l’espace. À l’inverse, les Pays-Bas, avec une
tradition social-démocrate et égalitaire fortement ancrée, ainsi qu’une prédilection pour une
esthétique moderniste en lignes droites et répétitives, étaient une terre bien plus propice au
développement et au maintien de la planification moderniste 13. L’État y a joué un rôle de
père, d’éducateur et même de prêtre pour la société, et on considérait qu’il était de son
devoir de s’occuper du logement en organisant sa construction à grande échelle et en l’incluant
dans un système de planification qui fixerait un environnement vivant sain, sûr et fonctionnel
pour la population. En Belgique en revanche, la propriété privée a toujours été encouragée

Rassemblez les citoyens et intégrez-les ! 281


en matière de logement et l’État n’a jamais véritablement acquis la capacité de développer
des projets publics de grande ampleur. Le succès de l’initiative privée à échelle réduite a
ainsi rendu plus difficile la conception d’un système de planification global qui limite l’ini-
tiative privée et le droit à la propriété. Par ailleurs, l’idée d’intérêt général doit être sans
cesse défendue, sans pouvoir être placée sous l’égide d’une seule instance. Aux États-Unis,
exemple encore plus extrême en ce sens, le droit à la propriété privée prédomine encore
davantage : tout plan peut très facilement être contesté pour peu qu’une poignée d’individus
estiment que leurs droits de propriétaires sont violés 14. La planification confine ainsi au mini-
malisme et ce sont les promoteurs privés qui en prennent l’initiative.
En bref, les rôles respectifs des urbanistes et des citoyens seront différents dans chaque
situation, et la transition du modernisme vers le post-modernisme acquerra une forme diffé-
rente selon le contexte. La Belgique a assigné un rôle important aux petits propriétaires et
à leurs visions du monde — en un sens, elle était postmoderne avant que le postmodernisme
ait été inventé. Les Pays-Bas, avec une longue et forte tradition de dirigisme étatique, appa-
raissent à l’inverse à bien des égards comme la quintessence de la planification moderniste,
tandis qu’aux États-Unis, ni les individus ni l’État ne décident de l’avenir de l’organisation
spatiale, mais bien les grands investisseurs. Les sociétés privées font de la recherche de
marché, étudient les préférences de nouveaux acheteurs tout en tendant à répéter les solu-
tions qui ont déjà porté leurs fruits. Le plus souvent, les concepteurs se fondent ainsi sur des
interprétations conservatrices des préférences moyennes des acheteurs sans trop se renou-
veler. L’innovation est chose ardue sur un marché « libre » comme celui-là 15. Aux États-Unis
plus que partout ailleurs, l’urbanisme universitaire tend donc à s’éloigner de la pratique, le
milieu académique en général étant d’ailleurs particulièrement isolé du reste de la société.
Il n’est sans doute pas étonnant que ce soit dès lors aux États-Unis, où les urbanistes ne
jouent qu’un rôle marginal dans les administrations, que les idées postmodernes aient émergé.
Compte tenu de cette histoire plus complexe et diversifiée qu’il y paraît à première vue,
comment poursuivre l’analyse des tentatives d’inclusion des citoyens ? Soulignons tout d’abord
que la littérature est dominée par la recherche anglo-saxonne. Il existe par ailleurs un certain
nombre d’auteurs provenant des social-démocraties d’Europe occidentale. Ce que soutien-
nent les uns et les autres est donc fondé sur des observations relatives à des systèmes de
planification différents. Or un simulacre de consensus représente un véritable danger dans
la mesure où les auteurs et les praticiens pensent qu’ils traitent des mêmes questions alors
que ce n’est pas le cas. Ainsi, les auteurs américains écrivent dans un contexte où ils doivent
en général se justifier davantage pour défendre la planification en tant que telle : la plupart

282 K r is t of V a n A s sc h e
des gens, y compris au sein de l’administration, n’y sont pas favorables. Même le droit de
déterminer des affectations par zone est sans cesse contesté, malgré quelques procès marquants
au début du XXe siècle 16. De ce fait, l’argument en faveur d’une plus grande implication des
citoyens dans les projets est différent : dans de nombreux cas, c’est tout simplement le seul
moyen pour que quelque chose soit fait.

La participation aux États-Unis : les Américains et la participation

Quand un auteur américain écrit sur la participation des citoyens, il le fait dans un contexte
où, grosso modo, tout repose sur les citoyens et surtout sur les promoteurs, compte tenu de
l’importance du droit à la propriété que l’on vient d’évoquer. La planification et la concep-
tion de projets « progressistes » ne peuvent venir, la plupart du temps, que de promoteurs
« progressistes », éclairés par les idées de concepteurs « progressistes » et qui s’appuient sur
l’existence d’un groupe d’acheteurs « progressistes ». Même dans le cas du courant dit du
« New Urbanism » la participation des citoyens reste assez faible. C’est que, même lorsqu’un
conseil municipal est persuadé par l’urbaniste en charge de la nécessité de s’engager dans
une planification d’ensemble, l’exécution d’un tel plan s’avère le plus souvent difficile en
raison… des citoyens et des groupes de pression. Ainsi, pour les urbanistes américains plus
ambitieux, la question n’est pas tant celle de la participation des citoyens, mais plutôt celle
d’une participation citoyenne d’un genre différent. L’urbaniste progressiste espère que certains
groupes d’ordinaire silencieux et qui seraient mieux informés pourront parler à voix haute,
participer au processus décisionnel et construire un consensus susceptible de soutenir un
plan global qui puisse tenir durablement 17.
L’espoir existe donc que de nouvelles formes de participation puissent déplacer l’équilibre
des forces au sein du système de planification. L’on suppose — probablement à juste titre —
que les coalitions existantes de propriétaires fonciers et de lotisseurs créent des espaces qui
ne plaisent pas à tous les citoyens, et qu’elles ne privilégient pas non plus des espaces inno-
vants, qui transforment les alternatives et les attentes des citoyens. Dans les années 1990,
Patsy Healey, professeure influente de l’université de Newcastle, a ainsi promu le concept
de planification « collaborative 18 ». Elle plaide en faveur d’un « tournant communicationnel »
dans ce domaine, abandonnant la vieille ambition moderniste d’une planification centra-
lisée orientée vers une organisation spatiale optimale scientifiquement définie. Dans le même
temps, ses idées inspirées par Habermas ont été critiquées, de même que la possibilité de
les mettre en œuvre : des contextes communicationnels où toutes les parties prenantes peuvent

Rassemblez les citoyens et intégrez-les ! 283


s’asseoir à la même table sans différentiel de pouvoir préjudiciable, des situations où chacun
parvient à se faire entendre, sans crainte, où toutes les voix sont entendues et appréciées
sur un pied d’égalité, des lieux où le meilleur argument aura le dernier mot, en vertu d’une
analyse implicite ou explicite multi-critères… Tout cela fut considéré comme utopique, de
même que le postulat selon lequel la connaissance serait mise à la disposition de l’ensemble
des parties, le rôle des urbanistes étant celui d’un médiateur, d’un coordinateur dans certains
cas. En bref, l’idée qu’un bon plan est le résultat d’une bonne procédure, et non un plan
composé de tels ou tels éléments spatiaux, ne fait pas l’unanimité.
L’influence d’Habermas sur les théories urbanistiques remonte aux années 1970, lorsque
des théoriciens comme John Friedmann et l’omniprésent Andreas Faludi ont élaboré une
théorie procédurale de la planification (qui s’opposait aux théories fondées sur le contenu)
en s’appuyant sur les premiers travaux d’Habermas 19. L’évolution vers une planification « commu-
nicative », ou « collaborative » dans les années 1990, n’a pas entraîné d’éloignement vis-à-vis
d’Habermas dans la plupart des cas. Healey n’est pas une exception à cet égard. En général,
le nouveau paradigme a simplement concentré encore davantage l’attention depuis la « procé-
dure » vers la « communication », et l’a simultanément légèrement élargie, accentuant le rôle
des diverses parties prenantes et de leurs visions du monde. Les écrits d’Ernest Alexandre,
John Low, John Forrester et les premiers travaux de Jean Hillier peuvent être mentionnés.
Dans tous las cas, le cadre de pensée habermassien est resté prédominant, souvent combiné
avec le modèle du choix rationnel ou d’une phénoménologie diffuse 20. Les travaux ultérieurs
de Faludi ont suivi la même voie 21.
Nombre d’auteurs ont toutefois critiqué les présupposés modernistes de ces approches
centrées sur la procédure. S’appuyant sur Foucault et d’autres constructivistes, ils pointent
l’enchevêtrement du pouvoir et de la connaissance, accusent l’idée du meilleur argument
d’être un mythe, mettent en doute la représentation équitable des parties prenantes et ainsi
de suite. On retrouve aussi le soupçon traditionnellement partagé par un grand nombre
d’Américains envers les administrations et autres instances de planification. Les urbanistes
peuvent bien redéfinir leur rôle d’une façon plus modeste, beaucoup des autres acteurs impli-
qués dans un processus de planification collaborative supposeront toujours qu’il existe un
agenda caché. Souvent, il est très difficile de justifier pourquoi un processus doit être orga-
nisé d’une certaine manière, pourquoi certains groupes sont impliqués, certaines connaissances
mobilisées, de quelle manière on passe d’une étape à la suivante, et ce qui se produit exac-
tement avec l’entrée en scène des groupes d’usagers. De fait, même lorsqu’il n’y a aucun
agenda caché, la procédure participative ne peut pas se réduire à un algorithme, le processus

284 K r is t of V a n A s sc h e
est conduit par des discussions menées à partir de points de vue. Ainsi, la dimension ouverte
de la procédure, la place qu’y occupe l’interprétation, le temps et les connaissances dispo-
nibles qui s’en voient accrus et l’influence déterminante du planificateur sur la conception
du processus d’ensemble donnent généralement à celui-ci un poids considérable 22.
Un des arguments originaux en faveur de la planification collaborative était que celle-ci
rendrait la planification « plus démocratique ». Or, dans le contexte américain, cela signifie
parfois dans l’esprit des urbanistes « plus de planification »… fût-ce contre la volonté de la
majorité. Ainsi les partisans d’une démocratie plus « participative », d’une démocratie déli-
bérative ou discursive tantôt critiqueraient les versions modernistes de la planification
collaborative, tantôt soutiendraient à l’inverse ces hypothèses modernistes 23. Les nouveaux
modes de planification renvoient alors aux débats ouverts sur les nouvelles formes de démo-
cratie, parfois présentées comme une question de procédures à suivre définissables a priori :
l’on suppose que des procédures parfaites peuvent être élaborées et que ces procédures
résoudront tous les obstacles des démocraties représentatives existantes. L’on peut ainsi observer
une croyance latente tant dans certaines revendications pour une nouvelle démocratie que
dans celles pour une nouvelle planification 24. Dans le cas des États-Unis, ceci nourrit souvent
les soupçons parmi les citoyens qui apprécient le système actuel d’une faible planification
et les libertés qui lui sont associées. Sous cet angle, la planification collaborative ne signifie
pas toujours plus de démocratie.

Participation et démocratie en Europe : le cas des Pays-Bas

Passons maintenant à l’Europe. On se concentrera sur les Pays-Bas, bien qu’on puisse observer
des évolutions semblables en Allemagne, en Scandinavie et, dans un contexte différent, en
Belgique. Aux Pays-Bas, la littérature sur la planification collaborative a été intégrée assez
facilement — parfois au travers de critiques du système de planification en vigueur, bien
plus institutionnalisé et puissant qu’en Belgique, par exemple —, mais la plupart du temps
par les plus grands défenseurs du système de planification et de ses ambitions. Certains
déplorant que tant de projets ne puissent être facilement réalisés, un intérêt s’est développé
pour l’architecture procédurale et surtout pour les moyens de faire parler les parties prenantes
à l’intérieur et en dehors de l’administration. Très souvent, aux Pays-Bas, les citoyens sont
impliqués, mais dans un contexte préalablement et précisément défini et conçu par des spécia-
listes au sein de l’administration 25. Le processus décisionnel participatif est dans la pratique
délimité par une série de préalables définis par une armée d’experts dans diverses branches

Rassemblez les citoyens et intégrez-les ! 285


de l’administration, préalables qui passent encore pour un savoir objectif et intouchable 26.
Dans certains cas, le processus participatif peut donner à un plan un nouveau type de
légitimité et rendre sa mise en œuvre effective plus probable. Il arrive aussi que le nouveau
processus soit considéré comme utile parce que permettant de rassembler un certain nombre
d’acteurs gouvernementaux travaillant jusque-là de manière isolée et souvent les uns contre
les autres 27. La complexité de l’administration néerlandaise et son armée compartimentée
d’experts sont, en effet, considérées comme étant à l’origine de problèmes déplorés par les
responsables politiques et l’administration elle-même. De nouvelles formes de coordination
interne étaient donc nécessaires et l’inclusion concomitante d’acteurs non gouvernementaux
(par exemple, les citoyens) a en quelque sorte permis de faire d’une pierre deux coups.
Le cas néerlandais est instructif à bien des égards, entre autres parce qu’il fournit à la fois
un bon et un mauvais exemple, notamment pour la Belgique. Aux Pays-Bas, l’importance de
la planification est communément reconnue par les citoyens, les entreprises et les diverses
catégories d’experts extérieurs au champ 28. Dans la mesure où les politiques publiques ont,
en de nombreux domaines, une dimension et des conséquences spatiales, nombre de spécia-
listes ont commencé à se présenter comme des planificateurs voire comme des urbanistes,
adoptant chacun des perspectives fort différentes. Il est dès lors devenu très difficile de défendre
la figure et le rôle traditionnels de l’urbaniste détenteur du savoir légitime sur l’organisation
spatiale. Chaque type d’expert a, en effet, tenté de définir une structure spatiale de base,
à partir de laquelle les autres types de connaissances et d’utilisation du sol devraient être
définis : les hydrologistes ont voulu organiser les Pays-Bas autour de l’eau, les écologistes
autour d’une structure verte, les économistes agronomes autour des espaces présentant les
meilleures opportunités pour l’agriculture. Tous ces spécialistes ne se présentent pas eux-
mêmes comme parties prenantes (stakeholders), mais bien plutôt comme des experts en
planification essayant d’équilibrer les divers intérêts et d’être à l’écoute des différents groupes.
En d’autres termes, chacun veut être le chef dans un processus qui en a toujours un. Toujours
en vigueur, l’idée d’une planification forte implique la présence d’un chef, concepteur et
coordinateur de la procédure participative et souvent appelé l’« architecte du processus ».
On est ici bien loin de la situation américaine, où souvent ni les responsables politiques
locaux ni les citoyens ne sont d’accord sur les fondements mêmes du processus. Aux Pays-
Bas, les citoyens exercent très probablement une influence indirecte, par le biais des recherches
qui leur sont consacrées et qui sont menées par les administrations et les instituts de recherche
liés à ces dernières 29. On ne laisse pas les citoyens décider, mais on sonde leurs avis, on
traduit leurs visions et souhaits, et l’administration tâche de les mettre en application.

286 K r is t of V a n A s sc h e
Le modèle néerlandais ou l’histoire d’une symbiose

Aux Pays-Bas, on peut parler d’un phénomène d’agrégation d’un certain nombre de parties
prenantes dans le système de planification, d’organisations progressivement entrées en symbiose,
comme je l’ai ailleurs montré de manière détaillée 30. Les promoteurs, les universités, les insti-
tuts de recherche, les ingénieurs, de nombreuses organisations gouvernementales et
paragouvernementales ont besoin les uns des autres, définissent mutuellement leurs rôles, et
les individus passent souvent d’un groupe à un autre. Les entrepreneurs et les bureaux d’ar-
chitectes travaillent généralement pour le gouvernement, les concepteurs sont en étroite relation
avec les acteurs publics, les scientifiques travaillent à partir d’agendas de recherche définis
dans des ministères, les administrations guident les hommes politiques à travers leurs choix.
Une telle situation a du bon et du mauvais. D’un côté, une politique de planification globale
est possible. De l’autre, les citoyens et les idées vraiment neuves y font difficilement leur
place : à peine un correctif aux idées formées dans le réseau symbiotique est-il possible, ou
tout au plus un geste vers l’innovation, à moins que les idées nouvelles soient compatibles
avec le discours du réseau. Par ailleurs, chaque fois que des procédures de planification
interactive sont élaborées et mises en œuvre, cela tend à créer des ouvertures pour les citoyens
et, dans le même temps, à renforcer le réseau en place puisque le processus est générale-
ment conçu à partir d’hypothèses préexistantes partagées (par exemple : ceci constitue un
problème et exige telle solution).
Ainsi, quand une procédure de planification interactive est lancée dans une ville, les citoyens
l’intègrent généralement d’une manière prédéfinie. Les citoyens peuvent rarement remettre
en cause la définition des problèmes, des méthodes et des solutions ; il est plutôt préala-
blement établi que toutes les instances et savoirs existants seront mobilisés et pris en compte.
Dans la pratique, cette expertise accumulée et rarement mise en question se traduit par une
grande opacité vis-à-vis des citoyens participants, qui sont en quelque sorte dès le départ
voués à une certaine impuissance 31.
S’il arrive que le processus rencontre des difficultés, un certain nombre de notions socio-
logiques et de science politique sont invoquées afin d’expliquer pourquoi les choses n’ont
pas fonctionné et pour y remédier. Par exemple, la découverte des « réseaux » il y a quelques
années a mené à l’idée que ces réseaux pouvaient être mobilisés pour améliorer la capa-
cité décisionnelle de l’administration 32. Lorsque les écoles de gestion ont commencé à considérer
les communautés de pratiques et les réseaux de l’ombre comme importants pour le fonc-
tionnement des organisations, les Néerlandais ont très rapidement tenté d’organiser ces réseaux

Rassemblez les citoyens et intégrez-les ! 287


informels qui transcendent les frontières institutionnelles, de les formaliser et de les institu-
tionnaliser pour augmenter encore les performances du système. En fait, parallèlement au
mouvement en faveur de la planification interactive, l’ancienne tendance en faveur d’une
planification de plus en plus englobante a continué de se développer. Ainsi, un intérêt accru
pour l’archéologie et l’histoire culturelle s’est manifesté dans la politique nationale néerlan-
daise, d’abord défendu par l’ancien ministre de la Culture Van der Ploeg. Une série d’initiatives
ont mené vers davantage de prise en compte du patrimoine et vers une plus grande insti-
tutionnalisation du rôle des archéologues et des autres spécialistes de la culture dans un
système de planification déjà très élaboré 33. Les citoyens intéressés par la planification ont
été de ce fait encore plus marginalisés par le corps croissant des experts officiels.
J’apprécie personnellement l’ambition d’une cohérence globale dans la planification, comme
je mesure l’apport considérable d’une série de disciplines. Cependant, inclure toujours plus
d’experts et d’objectifs s’inscrit souvent en porte-à-faux avec l’ambition de rendre la démo-
cratie plus directe ou plus efficace. Dans nombre de cas, on ne peut pas vouloir en même
temps plus de démocratie, accorder plus d’importance aux souhaits et aux histoires singu-
lières des profanes, et être plus complet en termes d’expertise. Il est souvent impossible de
reconnaître tout à la fois les mérites des valeurs démocratiquement définies et ceux des valeurs
scientifiquement établies, comme il est probablement impossible de créer des situations qui
profitent de manière égale à toutes les catégories d’usagers. Chaque plan et chaque procé-
dure nécessitent d’être négociés, et certains plans fonctionneront mieux que d’autres. Certains
refléteront une opinion plus scientifique, d’autres une opinion plus populaire.
Dans la pratique, les urbanistes néerlandais ont noté que certains processus échouent en
raison d’un manque de confiance de la part de certaines parties prenantes. Malheureusement,
de manière générale, ils ne se sont pas demandés comment la confiance peut être construite
et mise à contribution et n’ont pas accepté l’idée qu’un processus parfait ne peut pas toujours
être élaboré — en particulier lorsque des objectifs contradictoires sont en présence 34. La foi
dans l’ingénierie sociale a du mal à disparaître. Les urbanistes néerlandais ont également
observé que ce sont souvent les mêmes citoyens qui participent, et que leurs passe-temps,
leurs connaissances ou leurs lacunes, leurs représentations plus ou moins fondées des enjeux
acquièrent une importance démesurée dans le processus, minant souvent les prétendues vertus
démocratiques de la participation 35. Il s’avère aussi que les représentants des citoyens passent
parfois des accords avec d’autres parties, et qu’il devient alors encore plus difficile de discerner
qui exactement s’accorde avec qui et à quel sujet. Là aussi, diagnostiquer correctement le
problème en vue de le résoudre est tout sauf chose aisée.

288 K r is t of V a n A s sc h e
Vers une conception procédurale souple et adaptée au contexte

L’étude de la situation néerlandaise et américaine, d’une part, la littérature consacrée à la


planification interactive, d’autre part, font apparaître, dans le chef de la majorité des urba-
nistes contemporains, une croyance immuable dans l’idéal habermassien de conversations
libres de toute domination entre les parties prenantes, une confiance inébranlable dans la
force du meilleur argument et dans la possibilité de concevoir et de mettre en œuvre des
procédures rationnelles parfaites 36. Les urbanistes américains et néerlandais, alors qu’ils
évoluent dans des contextes nationaux très différents, ont en commun d’avoir insisté sur le
besoin pour l’administration de s’ouvrir sur l’extérieur et sur la nécessité d’imaginer des
processus où les citoyens peuvent influencer les décisions en matière de planification. Aux
Pays-Bas — comme dans beaucoup d’autres pays européens —, pour différentes raisons,
on a voulu faire évoluer en ce sens le dirigisme étatique, mais sans toucher à la plupart de
ses prétentions modernistes, en particulier sans toucher à la prééminence du savoir expert
dans le domaine de la planification. Aux États-Unis, les urbanistes ont espéré que l’entrée
des citoyens (éventuellement « rééduqués ») rendrait possible une forme de planification qui
réponde aux besoins de la société.
Ainsi, il est clair que, la plupart du temps, les idéaux défendus par Habermas sous-tendent
l’analyse de situations réelles et sont même trop souvent confondus avec la réalité, comme
s’ils étaient déjà réalisés, ce qui rend plus difficile encore le travail à accomplir en vue de
les atteindre 37 : quand les stratégies, les phénomènes de pouvoir, les complexités de l’iden-
tité culturelle sont ignorés dans l’analyse de la situation existante, alors celle-ci devient beaucoup
plus rétive à la mise en place de dispositifs concrets qui pourraient l’améliorer. Au début du
XVI siècle, Machiavel mettait déjà en garde contre semblable confusion entre le rêve et la
e

réalité. Plus récemment, Foucault et ses successeurs ont mis en avant l’entrelacs complexe
de la connaissance et du pouvoir dans les politiques et les institutions gouvernementales
ainsi que dans les disciplines scientifiques 38. L’analyse contemporaine des politiques publiques 39
et la théorie postmoderne de la planification ont tenté de ramener Foucault sur le devant de
la scène pour souligner l’amnésie et l’aveuglement systémiques des urbanistes lorsqu’il s’agit
de leur propre rôle d’experts et du rôle potentiel des citoyens. Le débat Habermas-Foucault
a dès lors acquis une importance particulière au sein des débats en urbanisme bien plus
tard qu’en philosophie, en sociologie ou en histoire, précisément à cause de la prégnance
des discours institutionnalisés que Foucault a brillamment analysée 40.
La plupart des tentatives pour revitaliser les discours sur la planification — que ce soit

Rassemblez les citoyens et intégrez-les ! 289


dans la sphère académique ou au sein d’un mouvement plus large — prennent leur source
au sein même de ces discours, à l’intérieur des disciplines, des administrations et d’autres
organismes qui ne souhaitent pas perdre leurs positions ni se défaire de certitudes lentement
acquises. Entre autres aspects positivement appréciés par de nombreux scientifiques, la société
postmoderne se caractérise par une gestion indirecte et un gouvernement en réseaux mais,
de fait, ces phénomènes rendent plus difficiles le découplage, la suppression ou l’affaiblis-
sement de certains organismes que pourrait provoquer une participation plus effective des
citoyens à certaines prises de décision. Autrement dit, s’ils n’y sont pas obligés d’en haut,
et alors même qu’une telle perspective dirigiste et centralisatrice est considérée comme dépassée
et erronée, les experts et les bureaucrates concernés ne se retireront probablement pas spon-
tanément des positions que devraient occuper les citoyens. Pour les experts et les
bureaucrates, il est facile d’approuver du bout des lèvres les principes de la démocratie
discursive et délibérative ; en tirer les conséquences l’est bien moins, pour eux comme pour
d’autres, en l’absence d’une instance décisionnelle travaillant en ce sens.
J’ai ailleurs 41 avancé l’idée que, dans certains cas, le mode de planification « à l’an-
cienne », fondé sur une conception et une direction centralisée, demeure tout à fait opérationnel,
du moins si les citoyens auxquels le plan est destiné l’apprécient, estiment qu’ils améliorent
l’espace, résoud certains problèmes, crée certaines qualités et n’est pas excessivement onéreux.
Certains problèmes et certains lieux requièrent plus que d’autres qu’on soit directifs, certains
endroits sont plus que d’autres propices à l’approche conceptuelle ; c’est le cas, par exemple,
de l’architecture paysagère à l’échelle d’une région. En d’autres mots, je plaide ici en faveur
de procédures sur mesure, pour une approche du processus de planification qui soit appro-
priée au site, avec un caractère procédural plus ou moins élevé, plus ou moins conceptualisé,
directif et centralisé, incluant divers types d’experts selon les besoins dans chaque cas. Tout
projet n’a pas besoin qu’on fasse appel à un archéologue.
Ceci implique que la formule de la participation citoyenne ne saurait être purement déduite
d’un cadre juridique ou de procédures déterminées par la bureaucratie, ni dictée par l’une
des disciplines revendiquant un rôle clé dans la planification, ni par une littérature riche en
manichéismes lorsqu’il s’agit de planification collaborative 42. Cela ne revient pas à dire
« laissez faire, laissez passer ». Il s’agit plutôt de se prononcer en faveur d’un système de
planification qui favorise dans certains cas un schéma minimaliste et des stratégies beau-
coup plus strictes et élaborées dans d’autres.

290 K r is t of V a n A s sc h e
Bref discours sur l’utilité du savoir inutile et des individus

Le lecteur a probablement noté une tension dans les paragraphes précédents : l’auteur préco-
nise-t-il plus ou moins de gouvernement, plus ou moins de participation citoyenne, plus ou
moins de planification ? Je pense qu’une planification flexible et adaptée au lieu exige une
administration spécifique relativement importante, correctement reliée à d’autres départements
(l’environnement, l’hydrologie, les monuments, les sciences économiques, les transports). De
la même façon qu’au sein de toute armée qui se respecte nombre d’experts se forment et
s’entraînent au lieu d’être au front, une grande part de l’expertise disponible ne doit pas être
appliquée dans chaque plan, la capacité de direction, le pouvoir de gouverner ne doit pas
non plus être complètement utilisé. Ce n’est pas un gaspillage d’argent, mais un investisse-
ment à long terme dans une approche globale et spatiale de certains problèmes qui sont liés
les uns aux autres dans une démocratie (les modes de déplacement, le développement urbain,
l’écologie). Plus de planification n’est pas toujours meilleur, mais un bon système de planifi-
cation ne peut pas être créé à partir de rien. Il exige à la fois un engagement durable et une
certaine flexibilité. Il faut un bon potentiel institutionnel pour observer, analyser les questions,
les ressources, les problèmes, et pour élaborer des processus ajustés à la situation 43.
Dans une démocratie, ceci exigera un équilibre à redéfinir constamment entre démocratie
représentative et démocratie participative 44. Certaines décisions en matière de planification
peuvent être prises par les représentants élus, d’autres doivent l’être par le biais de la parti-
cipation directe. Il semble évident qu’une telle approche n’est envisageable que lorsque les
responsables politiques au niveau national comprennent l’importance de la planification et
intègrent les questions de planification dans leur programme de sorte que les électeurs sachent
à quoi s’attendre. Qui plus est, l’interaction « directe » n’existe jamais réellement ; elle implique
toujours une dose de représentation, et souvent par des biais moins contrôlés que dans un
système de planification très institutionnalisé. J’ai déjà fait allusion aux petits groupes de
citoyens motivés et capables de participer aux processus de planification, parmi lesquels
l’enseignant retraité mais inlassablement intéressé est un personnage type mais pas forcé-
ment représentatif, tant s’en faut.
Pour garantir une certaine équité dans le volet participatif, et sa faisabilité même, divers
types d’instances sont nécessaires et devraient dès lors être créées. Des organisations de
longue durée aussi bien que des associations à plus court terme : les associations liées à tel
ou tel projet, les comités de quartier, les réseaux divers, les organisations bénévoles, les
associations de conservation du patrimoine, etc ; soit une société civile bien développée et

Rassemblez les citoyens et intégrez-les ! 291


soutenue — ici aussi, je suis Healey, Innes et Booher, Sager ou encore Hajer.
Une augmentation du nombre d’acteurs de ce type signifie non seulement des possibilités
de participation accrues mais aussi une augmentation du nombre d’intermédiaires entre l’ad-
ministration et les citoyens, plus de complexité à gérer et davantage de zones d’ombre
potentielles. Cependant, si l’administration est suffisamment développée et efficace, cela
peut contribuer au bon développement des institutions et à un fonctionnement plus transpa-
rent de celles-ci. Si les choses fonctionnent bien, la simple existence d’un groupe prétendant
représenter les chiens orange dans une partie de la ville ne devrait pas lui donner le droit
d’être intégré dans un processus de planification.

Conclusion : l’éternel retour de la question « qui décide de quoi »

Mais qui dispose de ce droit ? On en revient ici à l’une des éternelles questions : qui est
censé organiser le processus, définir les enjeux, désigner les participants, apprécier les compé-
tences ? Dans de nombreux pays, les urbanistes s’accordent, en théorie et en pratique, pour
considérer qu’une certaine forme de participation citoyenne est souhaitable. Un consensus
semble également se dégager entre les politiques et les politologues, consensus selon lequel
améliorer la démocratie exige à la fois de la représentation et de la participation. Il est
cependant clair qu’aucune des réponses données dans la littérature et / ou mises en pratique
n’est applicable dans toutes les situations, qu’aucune n’est infaillible et que toutes contien-
nent des contradictions. C’est d’ailleurs pour cette raison que Jean Hillier insiste sur la nécessité
de cultiver une certaine « sagesse pratique ». À sa suite, je me prononcerai également en
faveur d’une architecture procédurale qui soit adaptée à chaque contexte spécifique. D’après
moi, ceci n’est possible que dans un État plus ou moins social-démocrate, où la connais-
sance et les ressources peuvent être mises à disposition assez facilement et où le pouvoir de
décision peut être exercé lorsque la situation l’exige.
Mais même ainsi, quelqu’un doit prendre la décision de lancer un processus à un moment
plutôt qu’à un autre et de l’organiser de telle ou telle manière. Or, étant donné qu’il existe
deux vecteurs d’accès au pouvoir (représentation et participation), l’initiative peut venir de
deux côtés, du haut ou du bas. En outre, les réglementations et les législations nationales et
locales peuvent donner des orientations et d’autres peuvent encore être apportées par des
organisations qui sont autant de lieux de rencontre et de discussion pour les acteurs concernés
(y compris non traditionnels). Ainsi, en dépit de l’existence de lignes directrices — qui doivent
à leur tour être débattues et / ou diffusées — des tensions surgiront forcément : dans certaines

292 K r is t of V a n A s sc h e
situations, l’État ne jouira pas d’une prépondérance garantie par la loi ou d’une autre manière 45,
et des problèmes seront soulevés qui ne sont pas reconnus comme tels par l’État, avec des
propositions de solutions qui n’émanent d’aucune branche de l’administration ni des insti-
tuts de recherche qui travaillent pour elle 46. Ces tensions ne sont pas mauvaises en soi, elles
traduisent simplement la friction entre des opinions divergentes, dont l’existence atteste d’ailleurs
le caractère véritablement démocratique d’un système — soit à nouveau un aspect déjà envi-
sagé par Machiavel il y a bien longtemps.
C’est dire si le consensus ne peut pas toujours être atteint et supposer inlassablement le
contraire risque d’aggraver l’injustice, comme je l’ai montré ailleurs à la suite de Neumann
et Miller 47. Les tensions ne peuvent être résolues que provisoirement. Et elles ne peuvent être
résolues de façon équitable que lorsque les perspectives des citoyens sont représentées à
un niveau supérieur à celui du processus de planification en cours, c’est-à-dire au niveau où
se décide la conception même du processus. Ceci constitue un autre argument à l’appui des
organismes publics-privés qui servent d’arènes à ces méta-décisions en matière de planifi-
cation. Le modèle américain du Planning Council et du Zoning Board n’est pas mauvais à
cet égard, même si dans ces instances les gens doivent être élus. Dans le cas de l’Europe,
quelque chose de semblable pourrait être utile pour rapprocher les citoyens du système de
planification et les y intéresser, mais d’autres organismes doivent être créés selon la spéci-
ficité des projets et de leurs enjeux, ainsi que des lieux où les acteurs concernés peuvent se
rencontrer et réclamer le lancement de programmes quand cela leur semble nécessaire.
Encore une fois, cela ne signifie en rien qu’on puisse supprimer complètement les tensions.
Les discours sont irréductibles les uns aux autres, les intérêts ne peuvent pas toujours être
conciliés, les conséquences ne sont pas toujours prévisibles, les décisions sur l’ordre des
priorités ne peuvent pas toujours faire l’objet d’une décision logique, les agendas cachés
ne peuvent pas toujours être évités ni révélés au grand jour et les situations gagnant-gagnant
sont rares. La planification fait le plus souvent des gagnants et des perdants, et vous y connaître
vous donne un avantage. En outre, décider d’intégrer tel ou tel acteur dans un processus de
planification est une question de pouvoir, et bien souvent une stratégie en vue d’augmenter
ses chances de victoire 48.
L’image de la planification comme lieu d’une communication idéale entre égaux est à
nouveau ici bien ternie. La prise de décision quant à l’élaboration d’un processus partici-
patif, l’élaboration du processus et le processus lui-même seront, en effet, souvent désordonnés,
de même que toute véritable démocratie l’est, dans la mesure où l’on ne peut présumer de
l’existence d’un accord fondamental sur rien, où tout ou presque peut potentiellement être

Rassemblez les citoyens et intégrez-les ! 293


remis en question. Dans le même temps, la démocratie présuppose le respect de certaines
règles du jeu, en particulier d’un cadre légal, qui peut lui aussi évoluer mais qui, en atten-
dant, structure les discussions, impose des limites, met de l’ordre dans le désordre 49.
Ceci vaut également pour la planification en tant qu’effort de coordination de l’organi-
sation spatiale dans une démocratie : plus l’histoire de la planification est longue, plus celle-ci
est acceptée et plus les gens réfléchissent en se référant aux formes et aux contenus de plans
antérieurs. Cela contribue à stabiliser la planification et à la rendre plus efficace. D’un autre
côté, cela peut réduire l’ouverture au changement, la possibilité d’un désordre créatif, soit
une condition de l’innovation et de la démocratie elle-même. C’est l’idée que des perspec-
tives et des souhaits inattendus peuvent se développer au cœur de la société puis doivent
se frayer un chemin jusqu’aux politiques et aux plans. Les changements sociaux, les chan-
gements affectant la planification (et sa théorie), les changements en politique (et dans l’analyse
politique) sont dans l’idéal intriqués même si divers, autorisant une infinité de points de vue
sur la société et bien des manières d’intégrer les citoyens dans cette société en évolution.

Post-scriptum : Bruxelles et la Belgique

Quid de la Belgique et de Bruxelles ? Je ne peux ici formuler que quelques remarques à ce


sujet. Tout d’abord, la complexité institutionnelle et culturelle de la Belgique atteint son paroxysme
à Bruxelles. Bruxelles représente un intérêt crucial pour chacune des Régions et Communautés
linguistiques alors que la planification est principalement du ressort de la Région bruxelloise
et des communes qui la composent. Il semble évident qu’un obstacle majeur à l’améliora-
tion de la gouvernance en la matière à Bruxelles et à une capacité institutionnelle accrue
réside dans l’autonomie et le pouvoir des communes, dans le même temps incapables de
gérer les complexités de la planification à l’échelle d’une métropole. Ceci dit, l’arrangement
institutionnel actuel représente un compromis politique fragile qui ne peut que difficilement
être remis en question par les urbanistes belges.
Une telle complexité institutionnelle et politique exige une régulation spécifique et des instances
d’interaction entre les divers acteurs publics concernés (Communes, administration fédérale,
Régions et Communautés, etc.) adaptées. L’histoire de la planification et du développement
urbain à Bruxelles a, en effet, montré que, faute d’une bonne gestion, cette complexité pouvait
mener à la création de baronnies locales et à dédaigner la participation citoyenne — les
choses sont suffisamment compliquées ainsi et de quoi les individus sont-ils « citoyens », en
fin de compte ? —, ainsi que mener à des structures de pouvoir peu saines où des élites

294 K r is t of V a n A s sc h e
financières non responsables politiquement s’entendent avec des hommes politiques parfois
intouchables parce que partie prenante de tel ou tel autre compromis politique fragile.
Chacun doit faire avec et dans cette complexité et il ne sert à rien d’en appeler à des solu-
tions simplistes et radicales. Un tel radicalisme serait tout à la fois improductif et préjudiciable
à la société dans son ensemble. Reste que rien n’est prévisible, et que le chaos et la lenteur
des processus au quotidien peuvent parfois décourager l’ensemble des participants et renforcer
les idées toutes faites hostiles à l’urbanisme participatif. Au-delà, il semble que, compte tenu
du contexte que l’on vient d’évoquer et d’un héritage problématique en matière de planifi-
cation et de développement, Bruxelles illustre bien les énigmes de la planification à l’époque
postmoderne : peu de certitudes existent, aucun savoir expert n’est tenu pour acquis, de
nouveaux modes de participation citoyenne sont à l’étude ou à l’essai, rares sont les préfé-
rences et les identités sociales dépourvues d’ambiguïté 50.
La planification est une activité politique soutenue par la science, et la politique nécessite
du courage. La planification à Bruxelles exige davantage de courage que sur les collines
vertes de Berkeley, en Californie, où tout le monde est de toute façon d’accord, davantage
aussi qu’à La Haye, où un grand nombre de choses peuvent être imposées aux citoyens. De
nombreux théoriciens de la planification interactive ou participative gagneraient beaucoup
à visiter Bruxelles, à étudier les processus de planification analysés dans le présent ouvrage,
processus où certains simplismes de leurs théories seraient brutalement mis en lumière. Toutes
les théories ont néanmoins leurs qualités, et beaucoup de leurs recettes peuvent être recom-
binées afin de créer des processus qui soient réellement adaptés à chaque contexte. Du
bricolage, en fait.

(Traduit de l’anglais par AdK Translations et Florence Delmotte)

Rassemblez les citoyens et intégrez-les ! 295


1. Voir Philip ALLMENDINGER, Planning Theory, 10. Voir Ronald VAN ARK, Planning, contract en commit-
Houndmills, Palgrave, 2001 ; Jean HILLIER, Shadows of ment, op. cit. et Kristof VAN ASSCHE, Over goede
Power: An Allegory of Prudence in Land-Use Planning, bedoelingen en hun schadelijke bijwerking. Over zelf-
Londres, Routledge, 2002 ; Tore SAGER, « Communicative referentie in de Nederlandse ruimtelijke ordening. Innonet
Planners as Naïve Mandarins of the Neo-Liberal State ? », report, Utrecht, Innovatienetwerk groene ruimte, 2006.
European Journal of Spatial Development, décembre 11. James SCOTT, Seeing Like a State, op. cit.
2005, p. 1-9. 12. Richard CARDOSO, « Context and Power in
2. Sur la première modernité dans la planification, voir Contemporary Planning », loc. cit. ; Jean HILLIER, Shadows
James SCOTT, Seeing Like a State, New Haven, Yale of Power, op. cit.
University Press, 1998. 13. Andreas FALUDI et Arnold VAN DER VALK, Rule
3. Patsy HEALEY, « Building Institutional Capacity Through and Order: Dutch Planning Doctrine in the Twentieth
Collaborative Approaches to Planning », Environment and Century, Dordrecht, Kluwer, 1994.
Planning A, vol. XXX, n° 9, septembre 1998, p. 1531- 14. Voir Rutherford Hayes PLATT, Land Use and Society,
1546. Washington, Island Press, 2004.
4. Voir, par exemple, John DRYZEK, Deliberative 15. John FORESTER, The Deliberative Practitioner:
Democracy and Beyond: Liberals,Critics, Contestations, Encouraging Participatory Planning Processes, Cambridge,
Oxford, Oxford University Press, 2000 ; Maarten HAJER MIT Press, 1999.
et Hendrik WAGENAAR (s.l.d.), Deliberative Policy 16. Rutherford Hayes PLATT, Land Use and Society, op. cit.
Analysis: Governance in the Network Society, Cambridge, 17. Judith INNES et David BOOHER, «Collaborative Policy
Cambridge University Press, 2003. Making: Governance Through Dialogue » in Maarten
5. Bent FLYVBJERG, Rationality and Power: Democracy HAJER et Hendrik WAGENAAR (s.l.d.), Deliberative Policy
in Practice, Chicago, Chicago University Press, 1998. Analysis, op. cit. ; Michael NEUMANN, « Communicate
6. Voir Jean HILLIER, Shadows of Power, op. cit. ; This! Does Consensus Lead to Advocacy and Pluralism ? »,
Samantha ASHENDEN et David OWEN (s.l.d.), Foucault Journal of Planning Education and Research, vol. XIX, n° 4,
Contra Habermas: Recasting the Dialogue Between 2000, p. 343-350.
Genealogy and Critical Theory, Londres, Sage, 1999 ; 18 Voir Patsy HEALEY, « The Communicative Turn in
Richard CARDOSO, «Context and Power in Contemporary Planning Theory and its Implications for Spatial Strategy
Planning: Towards Reflexive Planning Analytics», Working Formation » (1995) in Scott CAMPBELL et Susan FANSTEIN
Paper 128, University College London, Development (s.l.d.), Readings in Planning Theory, Malden, Blackwell,
Planning Unit, 2005. 2003 (1996).
7. Martijn DUINEVELD, Van oude dingen en de mensen 19. Andreas FALUDI, Planning Theory, Oxford, Pergamom
die voorbijgaan. Over de rol van cultuurhistorie in ruim- Press, 1973 ; voir aussi Fer KLEEFMANN, Handelen,
telijke planning, Utrecht, Eburon, 2006 ; Ronald VAN handelingscontext en planning. Een theoretisch-sociolo-
ARK, Planning, contract en commitment, Utrecht, Eburon, gische verkenning, Wageningen, Wageningen University
2005. Press, 1985.
8. Kristof VAN ASSCHE, Signs in Time: An Interpretive 20. Voir, par exemple, Willem SALET et Andreas
Account of Urban Planning and Design, the People and FALUDI (s.l.d.), The Revival of Strategic Spatial Planning,
their Histories, Wageningen, Wageningen University Amsterdam, Koninklijke Nederlandse Akademie van
Press, 2004. Wetenschappen, 2000 ; Philip ALLMENDINGER, Planning
9. James SCOTT, Seeing Like a State, op. cit. Theory, op. cit., p. 180-201.

296 K r is t of V a n A s sc h e
21. Voir Andreas FALUDI et Arnold VAN DER VALK, 33. Kristof VAN ASSCHE, Signs in Time, op. cit. ; Martijn
Rule and Order, op. cit. DUINEVELD, Van oude dingen en de mensen die voor-
22. Margo HUXLEY et Oren YIFTACHEL, « New Paradigm bijgaan, op. cit.
or Old Myopia ? Unsettling the Communicative Turn in 34. Ronald VAN ARK, Planning, contract en commitment,
Planning Theory », Journal of Planning Education and op. cit.
Research, vol. XIX, n° 4, 2000, p. 332-342 ; Michael 35. Voir Margo HUXLEY et Oren YIFTACHEL, « New
TEWDWR-JONES et Philip ALLMENDINGER, « Decon- Paradigm or Old Myopia ? », loc. cit. ; Jean HILLIER,
structing communicative rationality: A Critique of Shadows of Power, op. cit. ; Bent FLYVBJERG, Rationality
Habermassian Communicative Planning», Environment and and Power, op. cit.
Planning A, vol. XXX, n° 11, septembre 1998, p. 1975- 36. Jürgen HABERMAS, The Theory of Communicative
1989 ; Richard CARDOSO, « Context and Power in Action, Boston, Beacon University Press, 1981. Cette pers-
Contemporary Planning », loc. cit. ; Kristof VAN ASSCHE, pective est encore présente chez INNES et BOOHER
Signs in Time, op. cit. (« Collaborative Policy Making », loc. cit.), par exemple.
23. Voir, notamment, Maarten HAJER et Hendrik 37. Richard CARDOSO, « Context and Power in
WAGENAAR (s.l.d.), Deliberative Policy Analysis, op. Contemporary Planning », loc. cit. ; Kristof VAN ASSCHE,
cit. ; Tore SAGER, « Communicative Planners as Naïve Signs in Time, op. cit.
Mandarins of the Neo-Liberal State ? », loc. cit. 38. Voir Michel FOUCAULT, Il faut défendre la société.
24. Voir, par exemple, Walter KICKERT, Erik-Hans KLIJN Cours au Collège de France (1975-1976), Paris,
et Johannes KOPPENJAN, Managing Complex Networks: Gallimard, 1997.
Strategies for the Public Sector, Londres, Sage, 1997. 39. Pour un aperçu, on se référera à Hugh MILLER,
25 Voir Ronald Van Ark, Planning, contract en commit- Postmodern Public Policy, Albany, State University of New
ment, op. cit., et Martijn DUINEVELD, Van oude dingen York Press, 2002.
en de mensen die voorbijgaan, op. cit. 40. Voir Samantha ASHENDEN et David OWEN
26. Kristof VAN ASSCHE, Signs in Time, op. cit. (s.l.d.), Foucault Contra Habermas, op. cit.
27. Voir Ronald Van Ark, Planning, contract en commit- 41. Je me permets de renvoyer le lecteur à mes travaux
ment, op. cit., sur l’utilisation multiple des terres. de 2004 et 2006 déjà cités (Signs in Time et Over goede
28. Voir Andreas FALUDI et Arnold VAN DER VALK, bedoelingen en hun schadelijke bijwerking), ainsi qu’à
Rule and Order, op. cit. ; Kristof VAN ASSCHE, Signs l’article « Framing and Being Framed: A Brief Analysis
in Time, op. cit. of Context-Construction » in Sengul GUR (s.l.d.),
29. Martijn DUINEVELD, Van oude dingen en de Proceedings of the Livernarch IV conference, Trabzon,
mensen die voorbijgaan, op. cit. Trabzon University Press, 2007.
30. Voir Kristof VAN ASSCHE, Over goede bedoelingen 42. Voir, par exemple, la réfutation des critiques adres-
en hun schadelijke bijwerking, op. cit. sées à la planification collaborative chez Tore SAGER
31. Bent FLYVBJERG, Rationality and Power, op. cit. ; Jean (« Communicative Planners as Naïve Mandarins of the
HILLIER, Shadows of Power, op. cit. ; Martijn DUINEVELD, Neo-Liberal State ? », loc. cit.).
Van oude dingen en de mensen die voorbijgaan, op. cit. 43. Sur ce point, je suis d’accord avec Healey et Innes.
32. Voir, par exemple, Maarten HAJER et Hendrik Voir Judith INNES, « Group Processes and the Social
WAGENAAR (s.l.d.), Deliberative Policy Analysis, Construction of Growth Management », Journal of the
op. cit. ; Walter KICKERT, Erik-Hans KLIJN et Johannes American Planning Association, vol. LVIII, n° 4, automne
KOPPENJAN, Managing Complex Networks, op. cit. 1992, p. 275 et Patsy HEALEY, Collaborative Planning:

Rassemblez les citoyens et intégrez-les ! 297


Shaping Places in Fragmented Societies, Londres, Mac- Urban Planning Processes », Planning Theory, vol. V, n° 3,
millan, 1997. 2006, p. 255-270 ; Martijn DUINEVELD, Van oude dingen
44. Voir John DRYZEK, Deliberative Democracy and en de mensen die voorbijgaan, op. cit. ; Margo HUXLEY
Beyond, op. cit. et Oren YIFTACHEL, « New Paradigm or Old Myopia ? »,
45. Voir Rutherford Hayes PLATT, Land Use and Society, loc. cit.
op. cit. ; John FORESTER, The Deliberative Practitioner, 49. Je renvoie ici aux travaux de Niklas LUHMANN,
op. cit. dont Social Systems, Stanford, Stanford University Press,
46. Kristof VAN ASSCHE, Over goede bedoelingen en 1995. Sur ce point, on peut encore faire référence au
hun schadelijke bijwerking, op. cit. ; Martijn DUINEVELD, Machiavel des Discorsi et, plus généralement, à toute la
Van oude dingen en de mensen die voorbijgaan, op. tradition du républicanisme civique.
cit. ; James SCOTT, Seeing Like a State, op. cit. 50. Voir Philip ALLMENDINGER, Planning Theory, op.
47. Kristof VAN ASSCHE, Signs in Time, op. cit., et Over cit. ; Jean HILLIER, Shadows of Power, op. cit. ; Hugh
goede bedoelingen en hun schadelijke bijwerking, op. cit. MILLER, Postmodern Public Policy, op. cit. ; Kristof VAN
48. Voir Nikhil KAZA, « Tyranny of the Median and Costly ASSCHE, Signs in Time, op. cit.
Consent: A Reflection on the Justification for Participatory
Des enjeux pour la ville et l’action publiqu e à Bruxelles
Réflexions conclusives

Florence Delmotte et Michel Hubert

Cet ouvrage s’ouvrait sur le caractère authentiquement collectif du travail de recherche dont
il est le fruit. On soulignait aussi que l’on avait veillé à ne pas porter atteinte au pluralisme
des points de vue théoriques et méthodologiques adoptés par les différents auteurs. Témoignant
bien de cette diversité des approches et du souci de les voir s’enrichir mutuellement, la fina-
lisation du manuscrit fut marquée, jusqu’en ses tout derniers moments, par de nombreux
échanges passionnés et passionnants à propos de ce qui devait ou non figurer dans les
présentes conclusions. À ce sujet, certaines précautions s’imposent donc.
Les réflexions qui suivent n’ont pas pour ambition de faire le résumé, inévitablement réduc-
teur, de chacune des contributions. C’est néanmoins à partir de celles-ci que nous avons
tenté d’identifier certains des enseignements que l’on peut tirer des expériences relatives aux
premiers « schémas directeurs » bruxellois — d’abord celui qui concerne l’ancienne Cité admi-
nistrative de l’État, ensuite ceux du site de Tour et Taxis, de la gare de l’Ouest et du quartier
européen — au moment où ce dispositif est appelé à devenir un instrument privilégié de
l’action publique en matière d’urbanisme. Dans ces dernières pages, notre perspective est
avant tout analytique et évaluative, même si des recommandations plus directement opéra-
tionnelles peuvent en être déduites assez aisément. Certains auteurs se sont d’ailleurs avancés
sur ce terrain 1 et leurs propositions feront certainement partie des débats auxquels ce livre,
nous l’espérons, donnera lieu.
Dans ces réflexions conclusives et alors que l’ouvrage a pris le parti d’explorer de manière
minutieuse des situations bruxelloises concrètes, nous souhaitons également mettre en évidence
les enjeux plus généralement pour la ville et l’action publique que ces expériences révèlent.
Nous appelons ainsi de nos vœux la mise en perspective du cas bruxellois avec celui d’autres
villes belges ou étrangères confrontées à des enjeux de développement urbain similaires 2 et
où s’observent en particulier des tentatives plus ou moins fructueuses de conjuguer internationa-
lisation, attractivité territoriale, inclusion sociale et démocratie locale. Ainsi, plutôt qu’à l’hypothèse,
souvent défaitiste, de « l’exception bruxelloise », espérons-nous donner du grain à moudre à
une réflexion collective qui se voudrait à la fois ouverte et rigoureuse, critique et constructive.

Des enjeux pour la vi lle et l’action publique à Bruxelles. Réflexions conclusives 299
Un changement d’ère

L’histoire de la Cité administrative de l’État sur laquelle s’ouvre ce cahier est d’abord celle
du territoire sur lequel elle fut édifiée, un territoire plusieurs fois redéfini depuis le XIXe siècle 3.
Elle est aussi le reflet de la trajectoire accidentée et parfois paradoxale de l’histoire poli-
tique belge. Envisagée dès l’entre-deux-guerres dans une perspective fordiste de rationalisation
bureaucratique, conçue dans les années 1950 comme le symbole de la Belgique unitaire
dont il s’agissait de regrouper les administrations, la construction de la Cité, étalée sur près
de trois décennies, coïncide, en effet, avec la progressive fédéralisation de l’État belge. Et,
en 2001, la vente au privé de la Cité « de l’État » signifie bien qu’une page se tourne, pour
l’une comme pour l’autre. Dorénavant, le rôle de l’État fédéral en sera réduit, à Bruxelles
comme ailleurs, à celui d’un acteur immobilier, tantôt soucieux de valoriser ses biens pour
équilibrer son budget, tantôt prêt, comme dans le cas de la Cité, à jouer avec les règles
administratives ou urbanistiques pour accélérer une vente ou occuper les lieux selon ses
exigences. Aujourd’hui, ni l’État fédéral ni l’entité fédérée, en l’occurrence la Région, qui
en a pris le relais, entre autres sur le plan des compétences urbanistiques, ne sont plus en
mesure de mener seuls à bien de grands projets immobiliers comme celui de la CAÉ, d’abord
et avant tout parce que les pouvoirs publics n’ont plus une maîtrise suffisante du foncier.
Certes, à l’époque déjà, la Cité ne s’était pas construite sans mal, mais le contexte, celui
des « Trente Glorieuses », caractérisé par une foi dans l’avenir et le progrès qui n’est plus
de mise aujourd’hui, était alors bien différent. Surtout, il paraît désormais impossible de
planifier l’affectation future de sites d’une telle ampleur sans prendre en compte les souhaits
et les intérêts d’une multiplicité d’acteurs, de « stakeholders », susceptibles d’investir sur ces
sites ou, plus largement, d’en faire usage.
De toute évidence, nous sommes entrés dans une ère nouvelle où l’incertitude domine et
conditionne l’action. Les évolutions actuelles « peuvent inciter à remettre en cause toute idée
d’ordre social et à privilégier les références au chaos. Elles obligent à coup sûr à mobiliser
voire à inventer les instruments qui permettent de rendre compte d’un ordre instable, de
courte durée, résultant de processus de construction complexes. À l’échelle urbaine comme
dans d’autres domaines, ce sont les caractéristiques du jeu qui changent, aussi bien que ses
règles 4 ». C’était notamment l’ambition de ce livre de rendre compte de ces changements
à travers l’élaboration des premiers « schémas directeurs » en Région de Bruxelles-Capitale
et c’est la visée de ces réflexions conclusives d’en pointer les enjeux, dont certains résonnent
bien au-delà des frontières bruxelloises.

300 F l or e nc e D el m ot te and Mi chel Hubert


Des tentatives innovantes de donner un nouvel avenir à des sites emblématiques

L’apparition du schéma directeur comme nouvel outil d’action publique, en 2002 dans les
textes, et son inauguration, trois ans plus tard, pour donner une seconde vie au site de la
CAÉ, naît de la volonté renouvelée des pouvoirs publics de maintenir ou de ramener la Cité,
qui n’a plus d’« administrative de l’État » que le nom, au cœur de la cité. En effet, en ouvrant
le site sur la ville, en diversifiant ses fonctions et en associant de manière novatrice à son
futur les multiples catégories d’acteurs que ce futur concerne, le schéma directeur « Botanique »
réalisé en 2006 entend redynamiser les activités des quartiers socialement contrastés situés
aux alentours et faire de l’ensemble un des leviers du développement d’une Région encore
jeune — elle fêtera ses vingt ans en 2009 — et en mal d’habitants à revenus moyens et
élevés, sinon d’investisseurs.
Avec le lancement des premiers schémas directeurs — pour la CAÉ mais aussi pour Tour
et Taxis, plus tard pour la gare de l’Ouest et, avant cela, le quartier européen — la discus-
sion n’est plus confinée dans les seuls cabinets ministériels comme c’était généralement le
cas par le passé : les politiques saisissent l’occasion pour promouvoir une conception plus
participative de la démocratie à l’échelle locale et régionale. En vue d’associer les citoyens
bruxellois ou simples habitants, des associations indépendantes, le Brusselse Raad voor het
leefmilieu (BRAL) et Inter-Environnement Bruxelles (IEB) selon le cas, furent ainsi mandatées
pour organiser la concertation avec la population dans le cadre des premières mises en
œuvre du dispositif. Dans le même sens, on notera l’importance accordée à la méthodo-
logie de projet dans certaines des procédures de sélection, lesquelles ont conduit au choix
d’un bureau d’études défenseur d’un urbanisme procédural et participatif 5. Le tout accrédi-
tant l’hypothèse, sinon d’un « tournant » décisif, d’un véritable changement par rapport aux
modes de planification plus « classiques ».
La suite de l’histoire n’est cependant pas, tant s’en faut, toute tracée, et l’avenir de la Cité
comme celui de la ville-région bruxelloise reste incertain. Non que les fameuses tensions
communautaires, ou les réformes institutionnelles qui s’ensuivent, fournissent ici encore une
explication ultime et commode. Bien plutôt, le défi est d’abord de s’adapter au nouveau
contexte d’incertitude décrit plus haut, qui relève pour partie d’évolutions plus englobantes
telles que la construction européenne et la mondialisation de l’économie, ou l’affaiblisse-
ment des prérogatives de l’État-nation et la réduction de ses domaines d’intervention. Pour
la Région bruxelloise, l’enjeu est ensuite de surmonter d’une manière ou d’une autre les diffi-
cultés liées aux prérogatives importantes que conservent, plus que dans d’autres villes-régions,

Des enjeux pour la vi lle et l’action publique à Bruxelles. Réflexions conclusives 301
chacune des dix-neuf communes qui la composent en matière d’urbanisme, y compris lors-
qu’il s’agit de zones définies comme « d’intérêt régional » ou considérées comme « leviers »
pour le développement de la Région.
L’heure n’est certes pas venue de dresser le bilan définitif d’un instrument qui n’en est qu’à
ses premières expérimentations. Au moment où nous écrivons ces lignes (août 2008), trois
des schémas directeurs dont il a été question dans ce livre (« Botanique », « Tour et Taxis »
et « Europe ») ont été achevés par le bureau d’études en charge et approuvés par les auto-
rités publiques régionales et le quatrième, « gare de l’Ouest », est en attente d’une finalisation
à plusieurs reprises déjà annoncée comme imminente. Les quatre sont difficilement compa-
rables. Le quartier européen, pour commencer, représente un cas tout à fait spécifique, bien
sûr par ses enjeux, directement liés à la dimension européenne et internationale de Bruxelles,
mais également par son histoire et, de manière générale, parce qu’il ne s’agit pas là d’une
zone en friche ou d’un site abandonné à réaménager 6. Néanmoins, comme dans le cas
des schémas directeurs « Botanique » et « Tour et Taxis », de nombreuses études y ont été
menées et plusieurs essais de planification y ont échoué dans un passé récent. Quant au
site de la gare de l’Ouest, on rappellera qu’il est plus excentré et ne concerne finalement
qu’une seule commune, Molenbeek-Saint-Jean, même si son atout principal consistera, dans
un futur proche, en un pôle multimodal en matière de transports et de communications intra
et extra-régionales. Surtout, le site n’est pas à l’heure qu’il est propriété privée et le projet
de schéma directeur en cours semble n’avoir décidé ni les propriétaires actuels — la SNCB
Holding principalement — ni les acheteurs potentiels — d’hypothétiques investisseurs privés
entre autres — à passer à l’acte 7.
Les schémas directeurs « Botanique » (incluant la CAÉ) et « Tour et Taxis » apparaissent
donc comme les cas les plus emblématiques et les plus comparables. Pour commencer, ils
ont été réalisés par le même bureau d’études (MSA-Lion 8) et ils impliquent les mêmes acteurs
publics (la Région et la Ville de Bruxelles) et associatifs (le BRAL). Les deux programmes de
développement élaborés ont par ailleurs en commun de concerner des zones particulière-
ment cruciales pour la Région bruxelloise, en raison de leurs atouts indéniables — leur situation
centrale, leur étendue et leur patrimoine architectural, sa valeur fût-elle contestée, en bref
leur haut potentiel pour le développement économique régional —, mais aussi de leurs points
sensibles, tout aussi évidents. Par leur ampleur, ces friches nécessitent, en effet, pour être
revalorisées, des moyens financiers colossaux et leur potentiel et situation stratégiques rendent
pour le moins malaisée la définition de leur affectation future, objet de maintes controverses
ayant fait échouer de précédents projets 9. D’autant que les sites considérés ici, s’ils se trouvent

302 F l or e nc e D el m ot te and Mi chel Hubert


sur le territoire de la seule Ville de Bruxelles, concernent chacun une autre commune limi-
trophe. Et que, last but not least, ils ont tous deux été vendus à des promoteurs privés dont
les intérêts divergent sensiblement par rapport aux souhaits et préoccupations des pouvoirs
publics, mais aussi, dans le cas de Tour et Taxis surtout, par rapport à ceux des populations
majoritairement défavorisées habitant les quartiers alentours 10. Ce sont d’ailleurs ces facteurs
mêmes qui, sur ces deux dossiers en particulier, justifiaient en premier lieu d’expérimenter
un outil plus souple et plus proactif que les instruments de planification « classique » en vue
d’assurer un développement tout à la fois global, à l’échelle de la Région, réaliste, en termes
de temps et de moyens, efficace, du point de vue de la rentabilité des investissements, et
enfin concerté entre tous les acteurs publics et privés concernés. Ainsi du moins le plan
régional de développement (PRD) de 2002 expose-t-il les principes du schéma directeur
comme outil générique, en adéquation avec les caractères et besoins spécifiques définissant
les « zones leviers » 11.

Un essai de gouvernance non abouti

Comme en négatif, ces deux cas révèlent tout particulièrement l’importance du caractère
concerté du projet de développement conçu au moyen d’un schéma directeur. En effet, c’est
de la qualité de la concertation et, par le biais de celle-ci, de la « confiance » instaurée entre
les « partenaires » que dépendent les chances d’arriver à un accord quant aux grandes orien-
tations du projet, en termes d’esthétique architecturale et d’affectation fonctionnelle par exemple.
Et il s’agit là d’un point crucial puisque c’est cet accord qui conditionne le caractère opéra-
tionnel du projet et ses chances de concrétisation future dès lors qu’un schéma directeur, s’il
doit respecter certains prescrits préalables, tels ceux du plan régional d’affectation du sol
(PRAS), est par définition dépourvu de valeur juridiquement contraignante. Cette dimension,
l’absence de force légale opposable, est d’ailleurs le corrélat direct de la souplesse, du
dynamisme et de l’opérationnalité que l’on attend de ce nouvel instrument 12.
Or, certains éléments portent à croire que si cette concertation entre pouvoirs publics et
propriétaires privés a bien été prévue en théorie et même organisée dans la procédure
concrète, elle n’a pas abouti, à tout le moins pour la CAÉ 13, à un consensus achevé, à un
accord ferme et définitif, en bref à un projet commun, engageant les parties à faire tout ce
qui est de leur ressort pour qu’il soit traduit dans les faits. Certes, dans les cas de la CAÉ
et de Tour et Taxis, la procédure d’élaboration du schéma directeur lancée en 2006 est
bien arrivée à son terme. Néanmoins, la satisfaction manifeste des autorités publiques d’être

Des enjeux pour la vi lle et l’action publique à Bruxelles. Réflexions conclusives 303
parvenues à voir ces projets finalisés est à la mesure des difficultés rencontrées, du temps qui
fut nécessaire pour y parvenir et des incertitudes qui demeurent quant à la suite des opérations.
Il paraît clair, en effet, plus encore pour la CAÉ que pour Tour et Taxis, que les promo-
teurs n’ont approuvé que du bout des lèvres un projet dont, de toute évidence, ils estiment
qu’il ne rencontre pas, pas totalement ou pas suffisamment, leurs intérêts, fondés sur la renta-
bilisation rapide et optimale des investissements consentis. Les demandes de permis d’urbanisme
introduites par les propriétaires dès avant l’achèvement des schémas directeurs témoignent
ainsi, sinon de l’incompatibilité radicale des objectifs des acteurs privés et des pouvoirs
publics, de l’incapacité de la procédure à produire un consensus suffisamment fort pour
pallier l’absence de force légale contraignante du texte produit 14. Dans une telle situation,
il est naturel que les promoteurs des sites usent des moyens légaux traditionnels pour contourner
des contraintes qui n’en sont pas. En témoignent tout particulièrement les nouvelles tracta-
tions qui, au niveau strictement communal cette fois, ont pour enjeu la définition du plan
particulier d’affectation du sol (PPAS), un plan voué à donner rapidement une traduction
réglementaire au projet de schéma directeur, c’est-à-dire à respecter les grandes orienta-
tions qui font sa substance dans un plan plus précis. Rien n’est aujourd’hui moins sûr.
C’est dire aussi à quel point, jusqu’ici, les aptitudes du schéma directeur à optimiser l’usage
des procédures existantes et à coordonner l’action des différents niveaux de pouvoir régio-
naux et communaux sont loin d’être démontrées. L’adoption des schémas directeurs par le
gouvernement régional a somme toute inauguré une nouvelle période d’incertitude tant la
mise au point des PPAS — par des administrations communales mal préparées à cet exer-
cice, du moins pour des sites d’une telle ampleur et d’une telle complexité — s’annonce
longue et difficile, accréditant l’idée de la nécessité d’une seule procédure centralisée au
niveau régional. Tout en associant les communes, un instrument unique de planification rempla-
cerait sans doute avantageusement des procédures multiples dont la coordination apparaît
définitivement improbable, qui plus est au moyen d’un dispositif aussi lâche et sur lequel les
autorités régionales, une fois le projet élaboré, n’ont manifestement plus la main. Dans un
tel scénario, resterait toutefois à préciser, comme l’a souligné la Commission régionale de
développement (CRD) dans son avis sur le schéma directeur « Botanique »15, quelle place
serait réservée, d’une part, à l’enquête publique portant sur les propositions défendues dans
les schémas directeurs et, d’autre part, aux acteurs concernés ou intéressés autres que les
propriétaires et les pouvoirs publics — autres acteurs dont le nombre et la diversité tendent
manifestement à se réduire au fur et à mesure de l’avancement de la procédure, à l’opposé
de la constitution de véritables « coalitions de développement ».

304 F l or e nc e D el m ot te and Mi chel Hubert


Quoi qu’il en soit d’un avenir incertain, les deux expériences, au travers de leurs écueils
mêmes, font apparaître la concertation entre « stakeholders » comme la pierre d’achoppe-
ment du dispositif et des premiers projets concrets auxquels il a été appliqué. Elles attestent
dans le même temps l’importance du développement d’une culture partenariale propre au
nouveau mode de gouvernance souhaité. Soit donc une culture de la confiance qui semble
pour le coup aussi nécessaire que malaisée à construire. À ce sujet, on notera toutefois que
la construction d’un langage commun et d’une confiance réciproque est toujours un processus
long et complexe, qui se nourrit des expériences réussies de collaboration fructueuse aussi
bien que des enseignements tirés des échecs relatifs. Ainsi, si les premiers épisodes de la
série des schémas directeurs bruxellois apparaissent comme de mauvaise augure pour les
fameux partenariats publics / privés présentés comme vitaux pour l’avenir de Bruxelles dans
le PRD de 2002, sur le plus long terme tout dépendra des capacités, dans le chef des pouvoirs
publics, d’ajuster le tir à l’occasion des expériences ultérieures, notamment en ce qui concerne
la temporalité et le rythme de leur action. On se rappellera ici le retard accusé par les auto-
rités dans le lancement de la procédure d’élaboration de schémas directeurs concernant des
sites déjà vendus au privé, lequel retard les déforce encore dans leur capacité à orienter
réellement le développement de ces sites dans l’intérêt de « tous les Bruxellois ». En la matière,
le dossier « CAÉ » pourrait alors servir de leçon, en suggérant qu’un schéma directeur — s’il
ne peut plus désormais s’agir d’un cadre juridique plus contraignant — devrait être élaboré,
sinon avant, immédiatement après la vente. Les pouvoirs publics n’ont, de toute évidence,
pas grand-chose à gagner d’une situation où le promoteur privé est seul à la manœuvre.

La participation des citoyens, une ambition démocratique mal définie

On l’a rappelé, le PRD de 2002 défendait aussi un approfondissement de la participation


citoyenne et une association plus étroite des Bruxellois aux projets de développement urbain
via un projet de ville global et globalement concerté. Cette ambition s’est vue portée haut
au sortir des élections de 2004 par le nouveau gouvernement régional. Son ministre-prési-
dent décide, en effet, de relier le développement des zones leviers, par le biais des schémas
directeurs, à cet objectif politique qui vise à inclure davantage les habitants dans l’élabo-
ration des projets urbains d’envergure, plus ou moins sur le modèle des « contrats de quartier »
expérimentés à une autre échelle avec succès depuis plus de quinze ans. La participation
citoyenne est donc organisée dans le cadre des procédures d’élaboration des schémas direc-
teurs. Dans les cas envisagés plus haut, les pouvoirs publics ont délégué cette charge à des

Des enjeux pour la vi lle et l’action publique à Bruxelles. Réflexions conclusives 305
associations dotées d’une longue expérience en matière de mobilisation des habitants, asso-
ciations que les bureaux d’études ont pu, selon les cas, prendre l’initiative d’associer plus
ou moins étroitement à la définition de la méthodologie du projet, les modalités n’ayant pas
été prédéfinies par les commanditaires régionaux 16.
Malgré cela, la participation citoyenne tant annoncée est loin d’avoir tenu ses promesses 17.
Sur ce point, les processus décrits et analysés dans cet ouvrage reflètent d’ailleurs plus large-
ment les mutations souvent évoquées de la démocratie représentative contemporaine, lesquelles
paraissent tout particulièrement concerner la démocratie et l’action publiques locales, et plus
précisément encore la ville et l’aménagement urbain 18. À plus d’un titre, l’expérience bruxel-
loise illustre les difficultés de tous ordres qui se dressent face aux tentatives, plus ou moins
authentiques ou contraintes, d’inclure plus directement les citoyens dans la prise de décision
et d’imaginer pour ce faire de nouvelles pratiques, délibératives idéalement.
Dans le cadre des procédures d’élaboration des schémas directeurs étudiés, le problème
n’est pas d’abord que les initiatives, prises plus ou moins de concert par les associations,
les experts et les autorités en charge, n’ont pas attiré les foules. Il vient surtout du manque
total de définition a priori des acteurs et de leurs poids respectifs ainsi que des attendus de
la participation citoyenne dans son ensemble. De fait, très tôt se sont dessinés plusieurs
lieux : ici se réunissent les représentants des autorités régionales et communales qui finale-
ment décident du contenu du schéma avec le concepteur ; là se constitue un groupe d’acteurs
bien plus grand incluant les propriétaires avec lesquels les « vrais décideurs » sont peu ou
prou censés « se concerter » ; ailleurs encore, tous sont supposés rencontrer les citoyens lors
de séances plus ou moins ouvertes au « public » selon qu’il s’agit de réunions d’information
ou d’autres ateliers à l’accès plus restreint. Or, non seulement cette partition, sans doute
inévitable, fait bien vite apparaître comme illusoire le souhait, souvent exprimé par les prin-
cipaux responsables et concepteurs, d’un projet largement ouvert à la coproduction, mais
encore elle ne dissipe aucunement le flou procédural qui entache le volet public du processus
mis en œuvre. Qui est appelé à y participer ? Tout citoyen intéressé ? Seulement les Bruxellois ?
Seulement les riverains ou également les usagers ? Les collectifs ou autres comités de quar-
tiers sont-ils admis ou seuls des individus, et non des instances plus ou moins « représentatives »,
peuvent-ils faire entendre leur voix et défendre leurs préoccupations, besoins et intérêts ?
Cette voix, ou ces voix, sur quels aspects ou points précis ont-elles une chance d’être prises
en compte, si ce n’est sur les grandes orientations du projet ? Comment les assemble-t-on
avant de les transmettre « à qui de droit » ? Et que deviendront-elles une fois les projets adoptés,
dans la phase ultérieure de la mise en chantier ?

306 F l or e nc e D el m ot te and Mi chel Hubert


Faute d’une réflexion préalable sur ces questions essentielles — qui ressortissent en dernière
instance de la responsabilité et donc de la décision politiques — et par conséquent de réponses
précises sur ces différents points, la participation citoyenne tant annoncée s’est le plus souvent
réduite à un objet public non identifié, semant rapidement le doute et la démobilisation dans
le chef de ceux qu’elle était censée convaincre de son bien-fondé et de s’y investir, quand
elle n’a pas donné lieu à des jeux d’influence en coulisses de la part des « habitants » les
plus influents 19. Qui exactement peut participer à quoi au sujet de quoi, à quel moment,
pour combien de temps, de quelle manière et à quelles fins ? Autrement dit encore : qui
décide de quoi avec qui et comment ? De l’utopie de la co-décision aux ratés de la consul-
tation en passant par une concertation indécise à géométrie variable, peu semblent le savoir
et personne ne le dit. À ces écueils typiques de nombre de dispositifs dits participatifs s’ajoute
encore une absence d’anticipation des difficultés propres à la discussion publique d’un projet
abstrait par définition, résistant à la figuration mais propice, si l’on n’y prend garde, aux
interprétations fallacieuses et aux manipulations de tous ordres 20.
À bon droit, l’ensemble ne manque pas de renforcer le soupçon, présent à tort ou à raison
dès le départ, d’une opération médiatisée travestie, ne visant qu’à légitimer un projet et à
couper l’herbe sous le pied de la contestation. En dépit des bonnes intentions indéniables
dans le chef de nombre d’acteurs, le cafouillage généralisé risque ainsi de porter atteinte
aux innovations réelles néanmoins introduites — notamment en matière d’information du
public et de justification des décisions prises — et plus loin de jeter le doute sur la possibi-
lité même d’associer les citoyens aux grands projets urbains à Bruxelles, sinon sur le principe
même de cette inclusion. Il risque aussi de creuser davantage l’écart entre le politique et le
citoyen, alors qu’une motivation première était de le réduire. Il n’empêche que ladite « parti-
cipation » a paradoxalement été célébrée avec force a posteriori comme l’un des principaux
succès des premiers schémas directeurs.
Il est vrai que le relatif échec de la participation est loin d’avoir l’impact qu’ont d’autres
types d’échecs sur le bon déroulement futur des opérations. C’est que, d’un point de vue
pratique (d’aucuns diraient cynique) qui n’empêche pas de faire crédit aux acteurs poli-
tiques régionaux de leurs bonnes intentions à son endroit, l’« habitant », figure abstraite s’il
en est, n’est pas un « acteur stratégique » du même ordre que le promoteur immobilier proprié-
taire du site. De quelque manière qu’on considère les choses, écouter, convaincre ou contraindre
celui qui détient, sinon le pouvoir politique, les cordons de la bourse, est définitivement plus
crucial pour l’avenir d’un projet. Le cas de la gare de l’Ouest en est une éloquente démons-
tration par l’absurde. Dans le cas d’une hypothétique vente par la SNCB des terrains concernés

Des enjeux pour la vi lle et l’action publique à Bruxelles. Réflexions conclusives 307
par le schéma directeur, nul ne voit encore qui pourrait bien financer les investissements qui
s’imposent ; la participation s’y organise cependant, comme en dépit du caractère haute-
ment improbable de la traduction prochaine des préoccupations des Molenbeekois dans un
quelconque chantier 21. Car là aussi, ceux qui comptent, en réalité, ce sont les investisseurs,
fussent-ils absents. Abstraction faite des quelques milliers de voix qu’ils représentent, on peut
se préoccuper sincèrement des réalités vécues et des besoins des habitants. Reste qu’à l’échelle
d’un projet urbain de grande ampleur, les intérêts de ceux-ci ne pèsent pas lourd. À court
et moyen terme du moins. Le rythme des législatures ne permet pas souvent de penser au-
delà. La temporalité propre aux promoteurs privés permet rarement de penser jusque-là.

Un futur incertain

Participation imparfaite, donc, et gouvernance publique / privée bien fragile : ces déficiences
laissent incontestablement planer le doute quant au bon déroulement des étapes qui suivent
théoriquement l’élaboration des schémas directeurs. À ces incertitudes directement liées aux
procédures observées et toujours en cours, s’ajoutent un certain nombre de problèmes, de
portée plus générale, qui ne semblent pas encore avoir trouvé de solution et qui pèsent sur
le devenir des sites et quartiers concernés : celui de la coordination, dans le temps et dans
l’espace, des multiples projets de développement urbain régional en cours, qu’ils portent ou
non sur des zones leviers ; celui de l’harmonisation des divers instruments réglementaires ou
prospectifs qui leur sont associés ; celui de la définition des rôles respectifs des acteurs de
tous ordres qu’ils concernent ; celui, enfin, des moyens humains, techniques et financiers
nécessaires et disponibles.
Entre autres initiatives récentes, les schémas directeurs devaient plus largement, au-delà
des zones leviers qu’ils concernent, contribuer à la construction de « coalitions de dévelop-
pement », partant du constat repris par le PRD de 2002 que celles-ci faisaient cruellement
défaut à Bruxelles. Ils devaient aussi servir un développement global à l’échelle régionale
et intégré dans le temps, une « vision d’avenir » ambitieuse et cohérente étant également
supposée manquer à la Région. Le recul manque bien évidemment pour pouvoir anticiper
au stade actuel sur leur future action en ce sens. Les projets de développement visés par les
schémas directeurs n’en sont, on le sait, qu’à leurs débuts. Nous nous bornerons donc à
constater qu’à ce stade, l’élaboration des schémas directeurs n’a pas bénéficié d’une réflexion
d’ensemble, autour d’une conception partagée de l’urbanité et fixant l’ordre des priorités
pour le développement de ces sites 22.

308 F l or e nc e D el m ot te and Mi chel Hubert


Nul doute que l’Agence de développement territorial (ADT) créée en 2008 entendra, dans
une perspective cohérente et intégrée, contribuer à la coordination nécessaire, et aujour-
d’hui déficiente, des divers projets et outils de développement des zones leviers, des zones
d’intérêt régional et autres « périmètres d’intérêt régional » prévus par le nouveau code bruxel-
lois d’aménagement du territoire (COBAT), adopté en juillet 2008 par le gouvernement
bruxellois. L’ADT aura aussi certainement à cœur de stabiliser la confiance entre « stake-
holders » dans la durée, soit un objectif qui impliquera inévitablement la conclusion de
conventions entre partenaires publics et privés et la mise au point de calendriers de réali-
sation communs, comme l’a suggéré la Commission régionale de développement 23.
On peut encore s’interroger sur la manière dont les projets que l’outil schéma directeur
est appelé à servir se verront bientôt prolongés, intégrés ou abandonnés suite au lancement
prochain du fameux « plan de développement international » (PDI). Là encore, en un mot :
en matière de développement régional, qui décide de quoi à Bruxelles, avec qui, et pour
qui ? Pour l’heure, on ne peut que constater que, après les schémas directeurs, cette dernière
nouveauté a déjà fait couler beaucoup d’encre, et pas seulement dans la presse associa-
tive. D’autant que les nouveaux chantiers de l’action publique régionale en matière
d’aménagement du territoire urbain sont dès l’origine contaminés par l’histoire, déjà longue
à Bruxelles, des partenariats public / privé qui furent de véritables fiascos. Qu’on songe ici
à ce qu’il en fut du quartier Notre-Dame aux Neiges au XIXe siècle 24 ou du quartier Nord
au XXe. Sans parler de la gestion déplorable d’un dossier ouvert voici quinze ans et non
encore refermé à ce jour : celui du quartier du Midi.
Au moment où le récent COBAT introduit, au bénéfice du gouvernement bruxellois, de la
souplesse dans les procédures de modification du PRAS, dans l’abrogation de PPAS ou la
délivrance de permis d’urbanisme dans les nouveaux « périmètres d’intérêt régional » visés
par le PDI, l’actualité et l’importance de plusieurs des questions clés abordées dans cet ouvrage
se voient réaffirmées. La démocratie locale est-elle soluble dans le marketing urbain ? L’habitant,
son quartier, sa région ont-ils leur place dans une vision qui privilégie la concurrence entre
villes et leur positionnement stratégique ? Au-delà de la rime, attractivité (économique) et
mixité (sociale) peuvent-elles faire bon ménage ? À Bruxelles comme ailleurs, il n’y a sans
doute pas une seule manière de sortir des dilemmes de la gouvernance urbaine. Nous espé-
rons simplement avoir contribué quelque peu à leur décryptage.

Des enjeux pour la vi lle et l’action publique à Bruxelles. Réflexions conclusives 309
1. Voir le chapitre III, « L’élaboration du schéma direc- 9. Voir le chapitre VIII, « Tour et Taxis ou les ambiva-
teur “Botanique“, vue de l’intérieur », et le chapitre X, lences de l’urbanisme participatif à Bruxelles ».
« Rassemblez les citoyens et intégrez-les ! Des théories 10. Voir le chapitre VIII.
aux pratiques de l’urbanisme participatif aux États-Unis 11. Voir le chapitre II.
et en Europe ». 12. Id.
2. La contribution de Kristof Van Assche (chapitre X) va 13. Voir le chapitre III.
déjà dans ce sens. 14. Voir le chapitre V, « Une expérience bruxelloise entre
3. Voir le chapitre I, « Un passé bien présent. Le site de gouvernance et participation ».
la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme 15. Voir le chapitre IV, « L’histoire du projet au fil des
bruxellois ». débats publics ».
4. Alain BOURDIN, Marie-Pierre LEFEUVRE et Patrice MELÉ 16. Voir le chapitre II.
(s.l.d.), Les Règles du jeu urbain. Entre droit et confiance, 17. Voir le chapitre V, VII, VIII et IX.
Paris, Descartes & Cie, 2006, p. 27. 18. Voir le chapitre X.
5. Voir le chapitre II, « Le schéma directeur, un nouvel 19. Voir notamment le chapitre IX.
instrument régional d’action publique. Des principes géné- 20. Voir le chapitre VI, « La tour et la dalle : analyse
raux à leur première mise en œuvre ». d’une controverse ».
6.Voir le chapitre IX, « Ville-quartier ou ville-monde ? Le 21. Voir le chapitre VII.
schéma directeur du quartier européen comme mise à 22. Voir les chapitres III et IX.
l’épreuve de l’urbanité de la ville ». 23 Voir le chapitre IV.
7. Voir le chapitre VII, «Voies et voix de la gare de l’Ouest». 24 Voir le chapitre I.
8. Voir le chapitre III.
English translations and abstracts

Introduction based on this, an increasingly obvious structured urban development” that


Florence Delmotte and Michel Hubert inadequacy to deal with the evolving assumes at least a public debate or
nature of contemporary urban plan- is even accompanied by the inclusion
This volume 1, a sufficiently rare ning and land development. of the parties concerned in the devel-
achievement to make it noteworthy, “Programmes” and “development opment procedure, upstream
is the result of truly joint research that programmes” have therefore been therefore from the project definition,
was not commissioned by any considered as “second generation which enables them to become
authority. The initiative stems from the plans” for over twenty years, which involved as partners or simply to
interdisciplinary network for research relate to “operational or active” support the decisions that are
for Brussels at the Facultés Uni- planning and reveal the importance taken? 11 Such were the questions we
versitaires Saint-Louis (FUSL) 2 which, of the “political” dimension, notably posed at the outset of this research.
after undertaking similar work on the because most frequently, they do not These questions appeared to be
housing crisis at the end of 2005 in relate solely to land development as even more relevant as the Minister-
Brussels 3, wanted to consider the such, but “venture into other domains President Charles Piqué, the head of
changes in urban planning in relating to the economy, society or the new regional government (2004)
Brussels. The inauguration of a new the environment.” 6 The originality of had decided to introduce “inhabitant
regional tool for public action, the this type of tool is that it is not satis- participation”, considered as an
“development programme” for the fied with simply proposing a essential principle for the integrated
State’s administrative district (CAÉ) theoretical development programme local planning approach 12, within this
alongside the Faculties, thus provided “on paper”, but aims to establish its new instrument that should constitute
an ideal opportunity. The imple- feasibility, by examining in particular the development programme and
mentation of this new tool, on which “the operational means (levers for assigned the Brusselse Raad voor het
this research focuses, is actually action, programmes, existing or Leefmilieu (BRAL) and Inter-environ-
intended to become the preferred future tools, etc.), the financial nement Bruxelles (IEB) with a mission
instrument for guiding the develop- resources, actors and their necessary to organise consultation of inhabitants
ment of regional “leverage zones”, coordination, along with a realistic about several development prog-
as defined in the 2002 regional devel- scheduling of the work to be rammes, in particular the “Botanique”,
opment plan (PRD), as well as conducted.” 7 In this sense, the guide- “Tour et Taxis” “Gare de l’Ouest” and
territories “that have several poten- line clearly reflects the PRD’s concern “European District” programmes which
tial elements making them attractive to “pay particular attention to devel- have been studied in this publication.
residential areas and other future opment procedures and the capacity All of this happened whilst the first
development dimensions for the to mobilise actors” and seeks to estab- redevelopment project for the Place
region.” 4 lish “development coalitions that Flagey was being disputed, to the
Not often used in Brussels before unite the inhabitants and political, point of inciting major public mobili-
then 5, the concept of a “programme” economic, administrative, associative sation regarding an ideas competition 13
(with an “indicative” value) emerged and academic actors around and when the public authorities had
in Belgium and abroad during the common objectives.” 8 failed to draw up a plan for the future
1980s, in the context of municipal With such a “development scheme”, of two major sites to be developed
initiatives at first. They contrast with are we dealing with “weak urban in Brussels: Tour et Taxis and the
the notion of a “plan” (which has a development thought”, typical of the European district. But does this mean
“regulatory” value), several failings “post-modern developer’s imagina- that we are at a turning point in
of which it intends to remedy—in tion” 9, “reflexive urban planning”10? Brussels’ urban development as some
particular a lack of flexibility and Or is it a more “contextual”, “project- people believe? 14 Since 1995 and

English translations and abstracts 311


the occupation of the Central Hotel We were therefore interested to concerns to the Brussels department
opposite the stock exchange in the take the analysis of situations as a for urban planning and housing, in
centre of Brussels, certain premoni- starting point—rather than just the real order to receive financial support but
tory signs, including the emergence or supposed intentions of the actors— above all to have access, as
of a new kind of informal actor 15, and focus “on the production and observers, to certain negotiations
appear to support this theory. implementation of the rules of the (such as for example the accompa-
However this may be, the ques- game in complex urban situations” 17. nying committee for the future
tioning of them is implicit to several We thus strove to examine a certain “Botanique” development prog-
of the following contributions. number of practical questions. The first ramme). Our proposal only resulted
The research dynamic that led to of these was the definition of perime- however in a point-blank refusal, both
this publication, which is not simply ters in which the development because the accompaniment mech-
a compilation of studies or reflections programme should be prepared. anism for the first development
based on similar subjects, originated Then followed the designation, selec- programmes had already been
from a seminar organised in 2005 tion and participation and assignment finalised with such difficulty that the
at the FUSL by the interdisciplinary of roles to the various “concerned administrative and political managers
network for research for Brussels, on parties” in the development prog- did not intend to renegotiate further
the theme of proximity. One of the ramme preparation process and to our arrival, and probably also
subjects it considered was how the beyond this, in the dynamic to estab- because our interlocutors did not want
various actors could join together and lish potential development coalitions these initial experiences to be observed
interconnect around territories such and on the (local, regional, metro- and analysed by third parties.
as those to be covered by develop- politan, etc.) scales at which the Undaunted, we therefore pursued
ment programmes and how that various actors operate. There was our work using our own resources.
would influence the way in which also the issue of the “(individual or The interdisciplinary network for
these territories could be regulated. collective) rapprochement operators” research for Brussels then opened up
An approach focusing on the concept who provided an interface between to other partners to form an informal
of governance was to serve as the the actors and various (diverse and group known as the “Groep Levier”
first frame of reference. For unlike the unevenly distributed) resources avail- which above all aimed to closely
citizen community policy, the public able to the actors. Finally, there was monitor the implementation of the first
action community united by gover- the question of the formal and development programmes in the
nance is not defined from the outset. informal procedures that were intro- Brussels Region 18. Current reflec-
This approach appears in fact to be duced to associate the actors to the tions generated such interest that thirty
relevant in that, even though the terri- various resources, along with the or so people joined the members of
tories under consideration are legally communication and information tech- the FUSL hard core “researchers” (be
recognised as a leverage zone or an niques used for this. All of this was they professors, assistants, doctoral
area of regional interest, they do not placed against the backdrop of the or undergraduate students, etc.) from
fit into a classical, institutional divi- crucial question for the Brussels several French-speaking and Flemish
sion. Indeed, the possibilities for Capital Region: how to turn these sites universities (FUSL, ULB, VUB, UCL,
participation are not only based into effective leverage zones for KUL and Fucam) and architecture
here on legal titles, but also on “prac- regional development, without prej- schools (La Cambre, Sint Lukas),
tical authorisations to act”, to be won udicing the often fragile populations and “associative actors”, particu-
based on voluntary actions by “stake- surrounding them and enabling larly those (from within the BRAL and
holders” (parties affected or involved). citizen participation commensurate to the IEB) responsible for organising
This is also why it appeared neces- the issues at stake? participation in the preparation of the
sary to introduce mechanisms to build In November 2005, the importance already envisaged development
trust, mutual learning and operational and current relevance surrounding programmes. This group therefore
micro-consensus, bringing together these concerns in our view led us to managed to associate a wide range
the various parties and prioritising the submit an initial research project of academic and practical expertise,
“(collective) motivation effect.” 16 specifically focusing on these from disciplines spanning sociology,

312 English translations and abstracts


political science, geography, philos- the coordination of agendas and which preceded and nurtured this
ophy, urban planning and land research activities, when most of the development programme and places
development. “Groep Levier” members do not this new mechanism in context. It also
The purpose of the “Groep Levier” have the time or specific resources offers an overview of the programme
was first, during the ten or so meet- to contribute to the progress of work. as designed by its main instigator and
ings that have been organised to In this respect, the inclusion from a reconstruction of the preparatory
date, to set up a forum to exchange January 2007 of our research in the procedure through its public aspect,
information on the current situation Brussels Capital Region’s “Prospective in which the “inhabitants” were asso-
at the sites under study and for debate research for Brussels” programme ciated with the project. Beyond the
following the lectures and presenta- was crucial, as it enabled the recruit- case of the administrative district, part
tions made by key actors (research ment of a full-time post-doctoral two of the publication proposes a
offices, political managers, etc.) researcher for the project, who was comparative analysis of the urban
whom we invited to join us. In an also the joint organiser of the “Groep planning and democratic issues
equally unprecedented manner, it Levier” and an additional coordinator raised for the Brussels Region as a
then enabled an encounter with for its activities, including the publi- whole by the experience of the
research (doctoral and post-doctoral cation of this book which was various development programmes
theses), which had hitherto been decided shortly afterwards. (the “Botanique” development
conducted in isolation and to share But above all, this volume owes programme, as well as the “Tour et
their contributions. Apart from this much to everyone who accepted to Taxis”, “Gare de l’Ouest” and
joint effort conducted in plenary contribute to it, and to add their contri- “Europe” or European district devel-
sessions, working groups were soon bution to the first large-scale opment programmes). Various
set up to study more closely the prepa- achievement of joint work conducted aspects—aesthetic, theoretical, polit-
ration of development programmes over three years. There were two ical and social—are then questioned,
in relation to the various sites and to things at stake here: preserving a as found in procedural and partici-
share the tasks relating to data collec- united purpose whilst making the most pative urban planning and the
tion, observation of public meetings of the wide range of approaches. instruments placed at its service. This
and interviews with the participants Thus a main theme had to be main- all resulted therefore in an attempt
of the processes in progress. tained in relation to an object—the to offer an initial assessment of devel-
At the outset at least, our presence CAÉ and the initial development opment programmes, just a few
as members of the Groep Levier at programmes—and its impact on the months after the adoption of the first
certain meetings, particularly those city and public action in Brussels. But of them, whilst certain projects
requiring an invitation, inevitably it also involved honouring the diver- involved were entering a more “clas-
caused, according to the case, aston- sity of points of view which were there sical” planning phase and the first
ishment (Who are they and why are from the outset in the Groep Levier practical achievements were a long
they here?), caution (Should they be project, which was open to urban way off… and represented just one
allowed to attend meetings? Isn’t there planning and participation actors and of several possibilities.
a risk they will outnumber or domi- professionals, their reflection and their
nate the other “ordinary” participants? specific critiques. It also involved 1. The publication of this volume was partly
What role should they be given?), respecting and highlighting the diver- subsidised by the Minister for Scientific
suspicion (What are they going to sity of methods, frames of reference Research of the Brussels Capital Region,
write about us?), but also sympathy and theoretical referents. and was supported by the “Prospective
towards the students who wanted to The book is divided into two parts. Research for Brussels” programme (an insti-
work with the local actors and offer The first section looks specifically at tute to encourage scientific research and
them support and expertise—even to the “Botanique” development innovation in Brussels).
the point of nurturing sometimes programme (which covers princi- 2. This network was changed in 2008 into
excessive expectations… pally the former State administrative the Institut de recherche interdisciplinaire
Another difficulty with such work district). It starts with a presentation sur Bruxelles. It is made up of various
that is undertaken spontaneously is of the principal historic elements research centres and researchers, whose

English translations and abstracts 313


work covers several important aspects of nageur en mutation. Cadres et référents internationales, vol. XXXVI, n°1, 2005, pp.
the Brussels issue and who are interested nouveaux de la pensée et de l’action urban- 13-40; Gerry STOCKER, “Cinq proposi-
to make available their skills, in a coor- istiques, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 27-58. tions pour une théorie de la gouvernance”,
dinated and interdisciplinary manner, to 12. PRD, Priority 4, section 3.1. RISS, n° 155, March 1998, pp. 19-30.
research into Brussels. See the IRIB website: 13. Cf. Les Cahiers de La Cambre – Arch- 17. Alain BOURDIN, Marie-Pierre
www.fusl.ac.be/irib. itecture, n°3, “De la participation urbaine, LEFEUVRE and Patrick MELÉ, Les Règles
3. Nicolas BERNARD and Werner VAN La place Flagey”, Brussels, La Lettre volée, du jeu urbain. Entre droit et confiance,
MIEGHEM (eds.), La Crise du logement à 2005. Paris, Descartes & Cie, 2006, p. 14.
Bruxelles: problème d’accès et/ou de 14. Benoit Moritz, principal author of the 18. Cf. www.fusl.ac.be/gl.
pénurie?, Brussels, Bruylant, 2005. “Botanique” and “Tour et Taxis” devel-
4. Brussels Capital Region, regional devel- opment programmes and editor of
opment plan (PRD), 1. Attractivité chapter III of this publication, speaks of a A highly present past.
résidentielle, 2002, p. 18. “second round” (cf. Christophe MERCIER The site of the State’s
5. Only the procedure for the preparation and Benoit MORITZ, “Logements publics: administrative buildings,
of “contrats de quartier” (district contracts) du “nimbysme” ou “wimbysme”?”, La a short history of urban
envisages the preparation of a “schéma Revue nouvelle, Brussels, February 2008, planning in Brussels
directeur” (development programme), pp.77-88), referring to the book by Michel Hubert
specifying the nature of operations and Jacques ARON (Le Tournant de l’urban-
the annual calendar for their accomplish- isme bruxellois. 1958-1978, Brussels, This brief history of the district, its
ment (Article 5 of the organic ruling of 7th Fondation Joseph Jacqmotte, 1978) transformations and the administra-
October 1993 for the revitalisation of describing what was the “first round” in tive site itself until 2004 focuses on
districts). the 1960s and 70s. Various moments in the elements that resurfaced during
6. Bernard PÂQUES, Aménagement du the debate were organised in Brussels on debates which took place when the
territoire: planification, Facultés universi- this question, notably an evening as part development programme was being
taires Saint-Louis, notes pour le DES en droit of the BRXLBRAVO on 2nd March 2007, prepared. It addresses such issues as
de l’environnement, 2005, pp. 7 et seq. the third season of conferences at the Institut the panorama, administrative central-
7. Particular specifications relating to the bruxellois d’architecture (IBAI) in May isation, high-rise construction and the
preparation of the development programme 2008 and a study day at the UAB Brussels use of concrete slabs in urban devel-
for leverage zone n° 6 “Botanique”, p. 11. Stadsplatform on 13th June 2008. opment, as well as traffic problems
8. PRD, Transversal conditions for the imple- 15. Jacqueline GROTH and Éric CORIJN, and the consideration of citizens’
mentation of the city project, 2002, “Reclaiming Urbanity: Indeterminate opinions in urban planning decisions.
pp. 5-6. Spaces, Informal Actors and Urban
9. “A weak thought is a thought that has Agenda Setting. A Case Study in Helsinki,
become more uncertain, more complex, Brussels and Berlin”, Urban Studies, The development
less systematic and thereby less contro- vol. XLII, n°3, 2005, pp. 511-534. programme: a new regional
versial even, and less established in 16. This theoretical perspective was intro- instrument for public action.
doctrine.” (Yves CHALAS, L’Invention de duced in the seminar by Olivier Paye and General principles for its
la ville, Paris, Anthropos, 2000, p. 152). Ludivine Damay. Cf. notably Patrick LE initial introduction
10. Cf. notably François ASCHER, Les GALÈS (ed.), Gouvernement et gouver- Olivier Paye
Nouveaux Principes de l’urbanisme. La fin nance des territoires, Paris, La Documentation
des villes n’est pas à l’ordre du jour, La française, 2006; Jean-Philippe LERESCHE, This contribution outlines the general
Tour d’Aigues, L’Aube, “Poche essai”, “Gouvernance et coordination des poli- characteristics of the development
2004 (2001), and Alain BOURDIN and tiques publics” in Jean-Philippe LERESCHE programme as a “new” instrument for
Ariella MASBOUNGI (eds.), Un urbanisme (ed.), Gouvernance locale, coopération et public action in the Brussels Capital
des modes de vie, Paris, Le Moniteur, 2004. légitimité. Le cas suisse dans une perspec- Region. It reveals the political and insti-
11. Alain AVITABILE, “Le projet urbain: une tive comparée, Paris, Pédone, 2001; Olivier tutional context, as well as in terms of
culture du territoire et de l’action urbaine” PAYE, “La gouvernance: d’une notion poly- mobilisation, immediately prior to the
in Yves CHALAS (ed.), L’Imaginaire amé- sémique à un concept politologique”, Études launch of the “Botanique” development

314 English translations and abstracts


programme. The paper also sheds shops with local inhabitants, as the alliances between actors which
light on specific preliminary restric- required by the methodology devel- sometimes appear paradoxical and
tions relating to the State’s administrative oped by the research office in present a new landscape of urban
site and which were legally binding consultation with the BRAL. actors in Brussels, which is also
on the research office responsible for examined here.
the development programme. Finally,
it identifies the place assigned to asso- A Brussels experiment Platforms and forums at the
ciations (the Brusselse Raad voor het between governance and gare de l’Ouest
leefmilieu—BRAL—for the State’s participation Mathieu Berger, Florence Delmotte,
administrative site) mandated by the Ludivine Damay and Florence Delmotte Julie Denef and Abdelfattah Touzri
Government of the Brussels Capital
Region to organise the consultation This contribution invites us to draw a On 18th April 2007, Inter-
of the inhabitants in relation to devel- comparison between the debates on Environnement Bruxelles, responsible
opment programme projects. the new modes of governance and for the participative aspect of the
participative or deliberative democ- “gare de l’Ouest” development
racy and the empirical study of public project, organised an information
The preparation of the action that borrows aspects of these meeting during which the research
“Botanique” developme n t categories to implement the develop- office presented its project and
programme, seen from t h e ment programme mechanism for the answered questions from the public,
i nside “Botanique” lever zone. In this way, local politicians and inhabitants. The
Benoit Moritz the authors aim to demonstrate that paper begins with an account of this
the supposedly innovative practices event and the opportunity it provided
The author, who was the principal associated with the actual procedure for the parties involved in various
manager of the “Botanique” devel- emerge more from a new type of urban capacities to meet up, all of whom
opment programme study, presents governance than really contributing expressed significantly different
the programme as approved by the to greater civic involvement. concerns that appeared to resist the
Government and describes the plan- process of translation and veritable
ning methodology and visions which confrontation. The public meeting thus
he defended and implemented, The tower and the slab: served to initiate questioning as to what
together with his analysis of the prepa- analysis of a controversy issues were involved for everyone in
ration process from the inside. He Jean-Louis Genard and Christine the project and the visions of the city
situates this experience in the evolu- Schaut to which they refer. The episode is
tion of contemporary urban development also situated in the perspective of the
reflections and practices in Brussels The controversy of urban development succession of specific phases of
and concludes by identifying ways based on the use of concrete slabs, activity and rest in the preparation
of improving the development preserved by the research office’s of the “gare de l’Ouest” development
programme tool. project, along with the block of flats project. It then gives way to a more
that is yet to be built, is one of the general questioning of the expecta-
principal debates to have punctuated tions, obstacles and effects of the
The story of the project t o l d the various stages of participation mechanism for the physical and civic
t hrough public debates envisaged when the development construction of the city.
Florence Delmotte, Ludivine Damay, programme was being prepared. The
Philippe Huynen and Christine Schaut paper invites us to study the nature
of the arguments put forward by the
This chapter reconstructs the history various parties and the practical
of the process to draw up a devel- mechanisms used to justify the points
opment programme in 2006, based of view and opposing judgements.
on public meetings and various work- Furthermore, this controversy reveals

English translations and abstracts 315


Tour & Taxis or t h e a m b i v a- to planning, which until then had possible to resolve all the problems
lences of particip a t i v e u r b a n stabilised in the Region’s management posed by contemporary urban devel-
development in B r u s s e l s instruments focused around the inhab- opment. Based on a study of
An Descheemaeker itants and districts. Public debates on experiments undertaken in the United
the development programmes then States and the Netherlands, he main-
The story of the “Tour & Taxis” case sprang up as places of controversy, tains that any project necessarily has
speaks for itself in many respects. where old and new forms of envis- to adopt aspects from various concep-
Witnesses of Belgium’s past industrial aging urban planning confronted tual approaches, including sometimes
glory, the extent and architecture of one other. This chapter presents these “old-fashioned” ones, and thus pleads
the buildings make the site a main controversies in the case of the devel- the case for procedures that are
focus for development in Brussels. The opment programme for the European specifically adapted to contexts.
successive failures of large-scale district by focusing on the networks
redeployment projects are also of actors and areas they are involved
emblematic. They clearly demon- in. It highlights the process by which Questions for the city and
strate the difficulty of reconciling the cognitive boundaries were constructed public action in Brussels.
interests of private investment compa- within these forums for discussion and Conclusive reflections
nies—which now own the site—with how this process organised the Florence Delmotte and Michel Hubert
the concerns of public actors and the compartmentalisation of Brussels’s
needs of inhabitants. Since 2006, the internationalisation by marginalising Supported by critical proposals devel-
regional authorities have attempted other multicultural visions the city. oped by the authors, the conclusions
to deal with the challenge by means attempt to define new approaches to
of a development programme. Here reflect on urban planning in Brussels
also, they mandated the BRAL to Bring citizens together and today, its fundamental issues and
organise the consultation of the integrate them! Theories and instruments. Will the recently created
inhabitants, in this case already practices of participative Territorial Development Agency (ADT)
strongly mobilised through district urban development in the be capable of guaranteeing the
committees. Written from the view- United States and in Europe coherence of the major projects that
point of this association—the author Kristof Van Assche are in progress or to be launched in
is its coordinator—this chapter revisits the future? How can governance and
the shift from contestation to partici- Since the 1990s, the use of the terms public-private partnerships on the one
pation through a process that was “procedural”, “interactive” or “partic- hand be reconciled with participative
more chequered and took longer than ipative” urban development has urban development and procedural
expected, and attempts to establish become widespread in urban plan- democracy on the other? Finally, from
the initial results of the experience. ning circles, both in the academic the district contracts to the interna-
field and in political spheres. tional development plan, how should
“Modernist” urban development, urban planning be organised at the
District-city or wo r l d - c i t y ? perceived as outmoded and exces- various levels for the much needed
The development p r o g r a m m e sively centralised, appears to have development of Brussels? Further
for the European d i s t r i c t a s to make way for a more democratic debate is still required on these
a test of the city’ s u r b a n i t y method of decision-making, which is crucial issues for which solutions have
Vincent Calay supposed to result in more legitimate, not yet been found.
realistic projects. Whilst taking due
The appearance of the “development note of the criticisms directed at
programme” instrument coincided modernist urban planning, this contri-
with the arrival of an extraordinary bution aims to restate the need to
international connection in Brussels. remain equally critical of new
A change of scale was required as concepts. The author defends the
well as a change in the city’s approach notion that no single vision makes it
Les auteurs / The authors

Mathieu Berger est doctorant en sociologie Licenciée en géographie socio-écono- Docteur en sciences politiques, Olivier Paye
au centre METICES de l’ULB, chercheur mique de la Katholieke Universiteit Leuven est professeur aux FUSL où il dirige le
associé au Centre d’études des mouve- et porteuse d’un DES en coopération au CRESPO, le Centre de recherche en
ments sociaux (CEMS) de l’EHESS à Paris développement de l’Université libre de science politique. Ses travaux récents
et chercheur invité au département de Bruxelles, An Descheemaeker est coordi- portent sur la gouvernance, à la fois comme
sociologie de l’Université de Californie à natrice du Brusselse Raad voor het concept théorique et comme type singu-
Los Angeles pour l’année 2008-2009. Ses leefmilieu (BRAL). lier d’action publique.
travaux, inscrits dans une ethnographie de
la communication, portent sur les condi- Jean-Louis Genard est philosophe et Christine Schaut est docteure en sociologie
tions de possibilité de voix profanes dans docteur en sociologie. Directeur de l’Institut et chargée de cours à La Cambre et aux
des espaces de démocratie technique. supérieur d’architecture de la Communauté Facultés universitaires Saint-Louis, où elle
française – La Cambre à Bruxelles, il est mène ses recherches au Centre d’études
Chercheur à l’Université libre de Bruxelles, également chargé de cours à l’Université sociologiques. Ses travaux portent prin-
Vincent Calay est politologue et libre de Bruxelles et aux Facultés univer- cipalement sur les expériences participatives
géographe. Ses recherches portent sur les sitaires Saint-Louis. Il dirige le GRAP, locales et les modalités de l’engagement
processus de formation d’imaginaires de Groupe de recherches en administration en milieu populaire.
la ville. Il prépare une thèse de doctorat publique, attaché à l’ULB. Ses travaux
en sciences politiques et sociales sur les portent principalement sur l’éthique, la Abdelfattah Touzri est docteur en sciences
actions publiques de valorisation de responsabilité, le droit, les politiques sociales de l’Université catholique de
l’implantation de l’Union européenne à publiques, la culture, l’art et l’architecture. Louvain. Spécialisé en sciences de la popu-
Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg. lation et du développement, il travaille sur
Docteur en sociologie, Michel Hubert est des questions relatives à la politique de
Ludivine Damay est assistante et cher- professeur aux Facultés universitaires Saint- la ville et au développement territorial.
cheuse au Centre de recherche en science Louis où il dirige le Centre d’études
politique (CRESPO) des Facultés universi- sociologiques (CES) et préside l’Institut de Docteur en urbanisme, Kristof Van Assche
taires Saint-Louis à Bruxelles. Elle prépare recherche interdisciplinaire sur Bruxelles est chargé de cours à la St. Cloud State
actuellement une thèse de doctorat en (IRIB). Il est aussi directeur de Brussels University, Minnesota. Il a passé neuf ans
sciences politiques consacrée à la parti- Studies, la revue scientifique électronique aux Pays-Bas avant de s’installer aux États-
cipation dans les politiques publiques. pour les recherches sur Bruxelles. Ses Unis en 2005. Ses recherches l’ont aussi
travaux actuels portent notamment sur les porté vers l’Europe de l’Est et le Caucase.
Florence Delmotte est docteure en sciences pratiques et politiques de mobilité, les Il s’intéresse aux fondements culturels,
politiques de l’Université libre de Bruxelles, modes d’habiter et l’action publique politiques et environnementaux de l’amé-
chercheuse « Prospective Research for urbaine. nagement de l’espace selon une approche
Brussels » au Centre d’études sociologiques théorique d’inspiration constructiviste.
(CES) des Facultés universitaires Saint-Louis Philippe Huynen, sociologue et informati-
et chargée de cours à l’ULB. Ses recherches cien, est assistant chargé d’enseignement
portent d’une part sur les enjeux théoriques aux Facultés universitaires Saint-Louis à
des transformations de l’État et d’autre part Bruxelles.
sur les nouveaux modes d’action publique
urbaine à Bruxelles. Benoit Moritz est architecte diplômé de
l’Institut supérieur d’architecture de la
Julie Denef est architecte-urbaniste et assis- Communauté française – La Cambre et
tante à l’Unité d’urbanisme et de urbaniste diplômé de l’UPC-Barcelona.
développement territorial de l’Université Depuis 2001, il est associé avec Jean-Marc
catholique de Louvain. Elle y réalise une Simon au sein du bureau d’études et de
thèse de doctorat sur la coproduction des projets MSA. Parallèlement, il développe
espaces verts dans le contexte de la régé- une activité d’enseignement à La Cambre
nération urbaine. et à l’Institut supérieur d’urbanisme (ISURU).

L es auteurs 317
Mathieu Berger is preparing a doctorate After graduating in socio-economic geog- Olivier Paye is a doctor of political
in sociology at the METICES centre in the raphy from the Katholieke Universiteit sciences and professor at the FUSL, where
ULB. He is an associate researcher at the Leuven and taking a DES in development he is the director of the CRESPO, the polit-
Centre for the Study of Social Movements cooperation at the Université libre de ical science research centre. His recent
(CEMS) in the EHESS in Paris and a guest Bruxelles, An Descheemaeker is now the work has focused on governance, both as
researcher in the department of sociology coordinator of the Brussels environmental a theoretical concept and as a particular
at the University of California in Los association (BRAL). type of public action.
Angeles (UCLA) for the year 2008-2009.
His work, in the field of ethnography of Jean-Louis Genard is a philosopher and Christine Schaut is a doctor of sociology
communication, covers the conditions that doctor of sociology. He is the director of and lectures at La Cambre and the Facultés
offer the possibility of expression to the Institut supérieur d’architecture de la universitaires Saint-Louis, where she is
profane voices in spaces of technical Communauté française – La Cambre in conducting research at the Centre for
democracy. Brussels, whilst also lecturing at the Sociological Studies. Her work mainly
Université libre de Bruxelles and at the involves participative local experiences and
A researcher at the Université libre de Facultés universitaires Saint-Louis. He is the methods of active involvement in the civic
Bruxelles, Vincent Calay is a political scien- director of the GRAP, public administra- environment.
tist and geographer. His research covers tion research group, attached to the ULB.
the processes by which visions for the city His work mainly covers ethics, responsi- Abdelfattah Touzri is a doctor of social
are formed. He is preparing a doctorate bility, law, urban politics, culture, art and sciences at the Université catholique de
in political and social sciences on the architecture. Louvain. He specialises in population and
subject of public actions for promoting the development sciences and is working on
establishment of the European Union in Michel Hubert is a doctor of sociology and areas relating to city and territorial plan-
Brussels, Luxembourg and Strasbourg. professor at the Facultés universitaires Saint- ning policy.
Louis, where he is director of the Centre
Ludivine Damay is an assistant and for Sociological Studies (CES) and Kristof Van Assche is a doctor of urban
researcher at the political science research chairman of the Institute for Interdisciplinary development and lectures at St. Cloud State
centre (CRESPO) at the Facultés Research on Brussels (IRIB). He is also University, Minnesota. He spent nine
Universitaires Saint-Louis in Brussels. She director of Brussels Studies, the scientific years in the Netherlands before moving
is currently preparing a doctorate in polit- e-journal for research on Brussels. His to the United States in 2005. His research
ical sciences on the subject of participation current work involves the practices and poli- has also taken him to Eastern Europe and
in relation to public policies. tics of mobility, habitation modes and the Caucasus. He is interested in the
public urban action. cultural, political and environmental bases
Florence Delmotte received her PhD in polit- for spatial planning, taking a theoretical
ical sciences from the Université libre de Philippe Huynen, a sociologist and approach inspired by constructivism.
Bruxelles, and is a working on “Prospective computer scientist, works as an assistant
Research for Brussels” at the Centre for tutor at the Facultés universitaires Saint-
Sociological Studies (CES) at the Facultés Louis in Brussels.
universitaires Saint-Louis whilst also
lecturing at the ULB. Her research covers Benoit Moritz graduated in architecture
the theoretical issues involved in State trans- from the Institut supérieur d’architecture de
formations on the one hand and new la Communauté française – La Cambre and
modes of public urban action in Brussels qualified in urban planning at the UPC-
on the other. Barcelona. Since 2001, he has been
working in partnership with Jean-Marc
Julie Denef is an architect-urban planner Simon in the research and projects office
and assistant in the Urban development MSA. Alongside this, he also teaches at
and territorial planning unit at the Université La Cambre and at the Institut supérieur
Catholique de Louvain. Her doctoral thesis d’urbanisme (ISURU).
is studying the coproduction of planted
areas in the context of urban regenera-
tion.

318 T h e a ut ho r s
ISBN : 978-2-87317-340-1
Dépôt légal : Bibliothèque royale de Belgique : D/2009/5636/1

Cet ouvrage a été imprimé en janvier 2009 sur les presses de l’imprimerie SNEL Grafics (Liège).
Le 21 avril 1958, quatre jours après l’inauguration de l’Expo 58, le Roi Baudouin posait la
première pierre de la Cité administrative de l’État (CAE), exemple marquant autant que décrié
de l’entreprise moderniste à Bruxelles. Cinquante ans plus tard, la Cité revendue à des promo-
teurs privés est vide, et son avenir aussi incertain que celui de l’État belge qui voulait en faire
le symbole de son unité. En 2006, après plusieurs années de mobilisation autour des projets
de réaffectation du site, une procédure d’action publique innovante est lancée, qui conduit
en moins d’un an à l’adoption par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale d’un
« schéma directeur » pour l’aménagement futur de la Cité.
Ce huitième numéro des Cahiers de l’Institut supérieur d’architecture de la
Communauté française – La Cambre intéressera donc tous ceux qui se sentent concernés par
l’évolution de la ville en général et de Bruxelles en particulier et qui, plus largement, souhai-
tent mieux comprendre les pratiques nouvelles de l’urbanisme contemporain et les
transformations de l’action publique qui les accompagnent.

Photo de couverture © Michel Hubert

ISBN 978-2-87317-340-1

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