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ARCHITECTURE N°8
Direction de ce numéro
Florence Delmotte et Michel Hubert
Comité de rédaction
Bernard Deprez, Jean-Louis Genard, Maurizio Cohen et Guy Pilate
Traduction
Laura Austrums, AdK Translations et Florence Delmotte
Conception graphique
La Lettre volée, Bruxelles
Crédits photographiques
Couverture : Michel Hubert, La Cité administrative de l’État (1958-?), juillet 2008.
T H E S T A T E A D M I N I S T R A T I V E C I T Y
Sommaire
Michel Hubert
Chapitre premier – Un passé bien présent
Le site de la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme bruxellois . . . . . . . 14
Olivier Paye
Chapitre II – Le schéma directeur, un nouvel instrument régional d’action publique
Des principes généraux à leur première mise en œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Benoit Moritz
Chapitre III – L’élaboration du schéma directeur « Botanique », vue de l’intérieur. . . . 102
Florence Delmotte, Ludivine Damay, Philippe Huynen et Christine Schaut
Chapitre IV – L’histoire du projet au fil des débats publics . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
Fafit assez rare pour être souligné, le présent ouvrage 1 est le fruit d’une recherche authen-
tiquement collective et qui n’a pas été menée sur commande. L’initiative en revient au Réseau
interdisciplinaire de recherche sur Bruxelles des Facultés universitaires Saint-Louis 2 qui, après
un travail similaire sur la crise du logement à Bruxelles 3, souhaitait fin 2005 se pencher sur
les mutations de l’urbanisme bruxellois. L’inauguration, pour le site de la Cité administrative
de l’État (CAÉ) jouxtant les Facultés, d’un nouvel outil régional d’action publique, le « schéma
directeur », représentait dès lors une occasion rêvée. Cet outil, dont la mise en œuvre est au
centre de ce travail, est, en effet, destiné à devenir l’instrument privilégié pour orienter l’amé-
nagement des « zones leviers » régionales, définies dans le plan régional de développement
(PRD) de 2002 comme des territoires « qui conjuguent de fortes possibilités d’attraction rési-
dentielle avec d’autres dimensions du développement futur de la région 4 ».
Peu utilisée à Bruxelles jusque-là 5, la notion de « schéma » (à valeur « indicative ») émerge
en Belgique et à l’étranger dans le courant des années 1980, dans le cadre d’initiatives qui
sont d’abord communales, et s’oppose à la notion de « plan » (à valeur « réglementaire »),
dont elle vise à remédier à certains défauts — en particulier leur manque de souplesse et,
partant, leur inaptitude de plus en plus manifeste à appréhender le caractère évolutif de
l’urbanisme et de l’aménagement du territoire contemporains. Les « schémas » ou autres « schémas
directeurs » sont ainsi, depuis plus de vingt ans, considérés comme des « plans de la deuxième
génération », qui renvoient à une planification « opérationnelle ou active » et révèlent l’impor-
tance de la dimension « politique », notamment parce que, le plus souvent, ils ne concernent
pas seulement l’aménagement du territoire proprement dit mais « s’aventurent dans des domaines
propres à l’économie, au social ou à l’environnement 6 ». L’originalité de ce type d’outil est
de ne pas se contenter de proposer un programme de développement théorique, « sur papier »,
mais de viser à en établir la faisabilité, en examinant en particulier « les moyens opéra-
tionnels (leviers d’action, programmes, outils existants ou à créer, etc.), les moyens financiers,
les acteurs et leur nécessaire coordination, ainsi qu’un phasage réaliste des travaux à mener 7 ».
En ce sens, le schéma directeur reflète bien le souci du plan régional de développement
d’« accorder une attention particulière [aux] processus d’élaboration et à la capacité de
6 F l or e nc e D el m ot te et Mi chel Hubert
mobilisation des acteurs » et de chercher à établir des « coalitions de développement réunis-
sant autour d’objectifs communs les habitants et les acteurs politiques, économiques,
administratifs, associatifs et académiques 8 ».
A-t-on bien affaire, avec l’outil « schéma directeur », à un « urbanisme à pensée faible »
typique de l’« imaginaire aménageur postmoderne »9, à un « urbanisme réflexif 10 », ou encore
à un « urbanisme de projet » plus « contextuel », qui suppose au minimum un débat public
voire s’accompagne de l’inclusion dans la procédure d’élaboration, en amont donc de la
définition du projet, des acteurs concernés afin que ceux-ci s’impliquent comme partenaires
ou adhèrent simplement aux décisions à prendre 11 ? Telles étaient les questions que nous
nous posions au départ de cette recherche. Ces questions paraissaient d’autant plus perti-
nentes que le ministre-président Charles Picqué, à la tête du nouveau gouvernement régional
(2004), avait décidé d’insérer la « participation des habitants », considérée comme un « prin-
cipe essentiel de la démarche intégrée de développement local 12 », au sein de ce nouvel
instrument que devait constituer le schéma directeur, et d’attribuer au Brusselse Raad voor
het leefmilieu (BRAL) et à Inter-Environnement Bruxelles (IEB) une mission d’organisation de
la concertation avec les habitants au sujet de plusieurs schémas directeurs, en particulier les
schémas directeurs « Botanique », « Tour et Taxis », « gare de l’Ouest » et « Europe », qui sont
étudiés dans cet ouvrage.
Tout cela se passe alors que le premier projet de réaménagement de la place Flagey se
voit contesté au point de susciter une importante mobilisation citoyenne autour d’un « concours
à idées » 13 et que les pouvoirs publics échouent à dessiner l’avenir de deux sites majeurs
pour le développement de Bruxelles : Tour et Taxis et le quartier européen. Se trouve-t-on
pour autant à un tournant de l’urbanisme bruxellois comme d’aucuns l’estiment 14 ? Depuis
1995 et l’occupation de l’hôtel Central, situé face à la Bourse dans le centre de Bruxelles,
certains signes avant-coureurs, dont l’émergence d’acteurs informels d’un genre nouveau 15,
semblent accréditer cette hypothèse. Quoi qu’il en soit, le questionnement de celle-ci est en
filigrane de plusieurs des contributions proposées dans ce qui suit.
Quant à la dynamique de recherche qui a conduit au présent ouvrage, lequel n’est donc
pas une simple compilation d’études ou de réflexions portant sur des sujets proches, elle
trouve sa source dans un séminaire organisé en 2005 aux FUSL par le Réseau interdisci-
plinaire de recherche sur Bruxelles et consacré au thème de la proximité. Il abordait, entre
autres, le problème suivant : comment des acteurs divers peuvent-ils se rapprocher, s’inter-
connecter autour de territoires tels que ceux qui allaient faire l’objet de schémas directeurs
et comment cela influe-t-il sur la manière dont ces territoires peuvent être régulés ? Une approche
Introduction 7
centrée sur le concept de gouvernance allait ainsi nous servir de premier cadre d’analyse
dans la mesure où, à la différence de la communauté politique des citoyens, la communauté
d’action publique unie par la gouvernance n’est pas définie a priori. Cette piste semblait
pertinente dès lors que les territoires envisagés, même s’ils font l’objet d’une reconnaissance
juridique en tant que zone levier ou en tant que zone d’intérêt régional, ne correspondent
pas au découpage institutionnel classique. En effet, les possibilités de participation ne repo-
sent pas seulement ici sur des titres juridiques mais aussi sur des « autorisations pratiques à
agir », à conquérir sur la base d’actions volontaires par les « parties prenantes » (« intéres-
sées » ou « impliquées »). C’est d’ailleurs pourquoi il a semblé nécessaire de mettre en place
des dispositifs de construction de confiance, d’apprentissage mutuel et de microconsensus
opérationnels dans une mise en coalition des différents acteurs qui donne priorité aux « effets
d’entraînement (collectif) 16 ».
Ce qui nous importait était donc de partir de l’analyse de situations — et pas seulement
des intentions réelles ou supposées des acteurs — et de nous intéresser « à la production et
à la mise en œuvre des règles du jeu dans des situations urbaines complexes 17 ». Nous nous
sommes ainsi attachés à l’examen d’un certain nombre de questions concrètes. Celle d’abord
de la définition des périmètres dans lesquels les schémas directeurs devaient être élaborés.
Celle ensuite de la désignation, de la sélection, de l’entrée en jeu et du rôle des différentes
« parties concernées » dans les processus d’élaboration des schémas directeurs et, au-delà,
dans la dynamique de constitution des éventuelles coalitions de développement, ainsi que
de l’échelle (locale, régionale, métropolitaine…) à laquelle les différents acteurs situaient
leurs interventions. Celle encore des « opérateurs (individuels et collectifs) de rapprochement »
entre acteurs et des différentes ressources (dans leur diversité et leur inégale répartition) à
la disposition des acteurs. Celle, enfin, des procédures formelles et informelles mises en
place pour impliquer des acteurs aux ressources différentes, et des techniques de commu-
nication et d’information utilisées pour ce faire. Avec, en toile de fond, cette interrogation
cruciale pour la Région de Bruxelles-Capitale : comment faire de ces sites de véritables
zones leviers pour le développement régional sans porter préjudice aux populations souvent
fragilisées qui les entourent et tout en permettant une participation citoyenne qui soit à la
hauteur des enjeux ?
En novembre 2005, l’importance et l’actualité que ces préoccupations nous semblaient
revêtir nous amenèrent à déposer un premier projet de recherche qui leur était spécifique-
ment consacré auprès de l’administration bruxelloise de l’Aménagement du territoire et du
Logement en vue d’un soutien financier et, surtout, d’avoir accès, comme observateurs, à
8 F l or e nc e D el m ot te et Mi chel Hubert
certains lieux de la négociation (par exemple, le comité d’accompagnement du futur schéma
directeur « Botanique »). Notre proposition déboucha sur une fin de non-recevoir, à la fois
parce que le dispositif d’accompagnement des premiers schémas directeurs avait déjà fait
l’objet d’une difficile mise au point que les responsables administratifs et politiques ne comp-
taient pas renégocier avec notre arrivée, et sans doute aussi parce que nos interlocuteurs ne
souhaitaient pas voir ces premières expériences observées et analysées par des tiers.
Qu’à cela ne tienne, nous allions poursuivre nos travaux avec nos propres ressources. Le
Réseau interdisciplinaire de recherche sur Bruxelles s’est alors ouvert à d’autres partenaires
pour constituer un groupe de recherche informel baptisé « Groep Levier », avant tout dési-
reux de suivre de près la mise en œuvre des premiers schémas directeurs en Région bruxelloise 18.
Les réflexions en cours suscitèrent à ce point l’intérêt qu’une trentaine de personnes rejoi-
gnirent les membres du noyau dur des FUSL, « chercheurs » (qu’ils soient professeurs, assistants,
doctorants, étudiants…) issus de plusieurs universités (FUSL, ULB, VUB, UCL, KUL, Fucam) et
d’écoles d’architecture (La Cambre, Sint-Lukas) francophones et flamandes, et « acteurs asso-
ciatifs », en particulier ceux (au sein du BRAL et d’IEB) chargés d’organiser la participation
autour de l’élaboration des schémas directeurs déjà prévus. Ce groupe réunissait ainsi un
grand nombre de compétences, théoriques et pratiques, relevant de disciplines aussi diverses
que la sociologie, la science politique, la géographie, la philosophie, l’urbanisme ou le
développement territorial.
La raison d’être du « Groep Levier » fut d’abord de constituer, tout au long de la dizaine
de réunions organisées à ce jour, un lieu d’échange d’informations sur l’actualité des sites
étudiés et de débat à la suite de lectures ou d’interventions d’acteurs clés (bureaux d’études,
responsables politiques…) que nous invitions à notre table. De manière tout aussi inédite, il
permit ensuite de faire se rencontrer les travaux (notamment doctoraux et post-doctoraux)
menés auparavant de manière isolée et de mettre en commun leurs apports. Outre cet effort
collectif réalisé en séances plénières, des groupes de travail se mirent rapidement sur pied
pour étudier de plus près l’élaboration des schémas directeurs concernant les différents sites
et se partager les tâches relatives au recueil des informations, à l’observation des réunions
publiques et aux entretiens avec les participants aux processus en cours.
Au moins au début, notre présence à certaines réunions en tant que membres du Groep
Levier, en particulier à celles qui nécessitaient une invitation, ne manqua pas de susciter,
selon les cas, étonnement (Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils là ?), prudence (Faut-il les autoriser
à participer aux réunions ? Ne risquent-ils pas d’être en surnombre ou dans une position de
surplomb par rapport aux participants « ordinaires » ? Quel rôle leur donner ?), méfiance
Introduction 9
(Que vont-ils écrire sur nous ?), mais aussi sympathie vis-à-vis d’universitaires désireux de
collaborer avec les acteurs locaux et de leur apporter soutien et compétences — quitte à
nourrir des attentes parfois démesurées…
Une autre difficulté de ce genre de travail mené d’initiative réside dans la coordination
des agendas et des activités de recherche, quand la plupart des membres du « Groep Levier »
le sont sans disposer de temps et de moyens spécifiques pour contribuer à l’avancement des
travaux. À cet égard, l’inscription de notre recherche à partir de janvier 2007 dans le cadre
du programme « Prospective research for Brussels » de la Région de Bruxelles-Capitale fut
décisive puisqu’elle permit d’engager une chercheuse post-doctorante à temps plein sur le
projet et comme co-animatrice du « Groep levier » et coordinatrice supplémentaire de ses
activités, dont la réalisation de ce livre, décidée peu après.
Mais avant tout, l’ouvrage doit bien sûr beaucoup à tous ceux qui acceptèrent d’y contri-
buer et d’apporter leur pierre à la première concrétisation d’envergure du travail mené
collectivement depuis trois ans. Le pari, ici, était double : conserver une unité de propos tout
en valorisant le pluralisme des approches. Ainsi, il s’agissait de maintenir un fil conducteur
autour d’un objet — la CAÉ et les premiers schémas directeurs — et de ses enjeux pour la
ville et l’action publique à Bruxelles. Mais il s’agissait aussi d’honorer la diversité des points
de vue, présente dès le départ dans le projet du Groep Levier, ouvert aux acteurs et aux
professionnels de l’urbanisme et de la participation, à leur réflexion et à leur critique propres.
Il s’agissait, enfin, de respecter et de mettre en valeur la diversité des méthodes, des grilles
d’analyse et des référents théoriques.
Le livre comporte deux parties. La première est entièrement consacrée au schéma direc-
teur « Botanique » (qui couvre principalement l’ancienne Cité administrative de l’État). Elle
expose d’abord les principaux éléments historiques qui ont précédé et nourri ce schéma
directeur et une mise en contexte de ce nouveau dispositif. Elle offre aussi une présentation
du schéma et de sa conception par son principal auteur ainsi qu’une reconstruction de la
procédure d’élaboration à travers son volet public, par lequel les « habitants » ont été asso-
ciés à l’histoire du projet. Au-delà du cas de la Cité administrative, l’ouvrage propose, dans
une seconde partie, une analyse croisée des enjeux urbanistiques et démocratiques que
soulève, pour la Région bruxelloise dans son ensemble, l’expérience de différents schémas
directeurs (le schéma directeur « Botanique » mais aussi les schémas directeurs « Tour et Taxis »,
« gare de l’Ouest » et « Europe » ou « quartier européen »). Sont alors mis en question les
divers aspects — esthétiques, théoriques, politiques et sociaux — que recèlent l’urbanisme
procédural et participatif et les instruments mis à son service. L’ensemble débouche ainsi
10 F l or e nc e D el m ot te et Mi chel Hubert
sur la tentative d’un premier bilan sur les schémas directeurs, quelques mois à peine après
l’adoption des premiers, alors que certains des projets concernés entrent dans une phase
de planification plus « classique » et que les premières réalisations concrètes ne représentent
encore qu’un lointain horizon… et un possible parmi d’autres.
1. La publication de cet ouvrage a bénéficié d’un subside 5. Seule la procédure de préparation des « contrats de
du ministre de la Recherche scientifique de la Région de quartier » prévoit la mise au point d’un « schéma direc-
Bruxelles-Capitale, ainsi que du soutien du programme teur » précisant la nature des opérations et le calendrier
« Prospective Research for Brussels » (Institut d’encoura- annuel de leur réalisation (art. 5 de l’ordonnance du
gement de la recherche scientifique et de l’innovation 7 octobre 1993 organique de la revitalisation des
de Bruxelles). quartiers).
2. Ce réseau s’est mué en 2008 en Institut de recherche 6. Bernard PÂQUES, Aménagement du territoire : plani-
interdisciplinaire sur Bruxelles (IRIB). Il associe différents fication, Facultés universitaires Saint-Louis, notes pour le
centres de recherche et chercheurs dont les travaux portent DES en droit de l’environnement, 2005, p. 7 sqq.
sur plusieurs aspects importants de la problématique 7. Cahier spécial des charges relatif à l’élaboration du
bruxelloise et qui sont désireux de mettre, de manière schéma directeur de la zone levier n° 6 « Botanique »,
coordonnée et interdisciplinaire, leurs compétences au p. 11.
service de recherches sur Bruxelles. Voir le site Internet 8. PRD, Conditions transversales de mise en œuvre du
de l’IRIB : www.fusl.ac.be/irib. projet de ville, 2002, p. 5-6.
3. Nicolas BERNARD et Werner VAN MIEGHEM (s.l.d.), 9. « Une pensée faible est une pensée devenue plus incer-
La Crise du logement à Bruxelles : problème d’accès et / ou taine, plus complexe, moins systématique et par-là même
de pénurie ?, Bruxelles, Bruylant, 2005. moins polémique, moins constituée en doctrine » (Yves
4. Région de Bruxelles-Capitale, Plan régional de déve- CHALAS, L’Invention de la ville, Paris, Anthropos, 2000,
loppement (PRD), 1. Attractivité résidentielle, 2002, p. 18. p. 152).
Introduction 11
10. Voir, notamment, François ASCHER, Les Nouveaux cadre de BRXLBRAVO le 2 mars 2007, la troisième saison
Principes de l’urbanisme. La fin des villes n’est pas à l’ordre des conférences l’Institut bruxellois d’architecture (IBAI)
du jour, La Tour d’Aigues, L’Aube, « Poche essai », 2004 en mai 2008 et une journée d’études de l’UAB Brussels
(2001) et Alain BOURDIN et Ariella MASBOUNGI (s.l.d.), Stadsplatform le 13 juin 2008.
Un urbanisme des modes de vie, Paris, Le Moniteur, 2004. 15. Jacqueline GROTH et Éric CORIJN, « Reclaiming
11. Alain AVITABILE, « Le projet urbain : une culture du Urbanity: Indeterminate Spaces, Informal Actors and Urban
territoire et de l’action urbaine » in Yves CHALAS (s.l.d.), Agenda Setting. A Case Study in Helsinki, Brussels and
L’Imaginaire aménageur en mutation. Cadres et référents Berlin », Urban Studies, vol. XLII, n° 3, 2005, p. 511-534.
nouveaux de la pensée et de l’action urbanistiques, Paris, 16. Cette perspective théorique a été introduite, dans le
L’Harmattan, 2004, p. 27-58. séminaire, par Olivier Paye et Ludivine Damay. Voir
12. PRD, Priorité 4, section 3.1. notamment : Patrick LE GALÈS (s.l.d.), Gouvernement et
13. Voir Les Cahiers de La Cambre – Architecture, n° 3, gouvernance des territoires, Paris, La Documentation fran-
« De la participation urbaine. La place Flagey », Bruxelles, çaise, 2006 ; Jean-Philippe LERESCHE, « Gouvernance
La Lettre volée, 2005. et coordination des politiques publiques » in Jean-
14. Benoit Moritz, auteur principal des schémas direc- Philippe LERESCHE (s.l.d.), Gouvernance locale,
teurs « Botanique » et « Tour et Taxis » et rédacteur du coopération et légitimité. Le cas suisse dans une pers-
chapitre III du présent ouvrage, parle d’un « deuxième pective comparée, Paris, Pédone, 2001 ; Olivier PAYE,
tournant » (voir Christophe MERCIER et Benoit MORITZ, « La gouvernance : d’une notion polysémique à un concept
« Logements publics : du “nimbysme” au “wimbysme” ? », politologique », Études internationales, vol. XXXVI, n° 1,
La Revue nouvelle, Bruxelles, février 2008, p. 77-88 ) mars 2005, p. 13-40 ; Gerry STOKER, « Cinq proposi-
en référence au livre de Jacques ARON (Le Tournant de tions pour une théorie de la gouvernance », RISS,
l’urbanisme bruxellois. 1958-1978, Bruxelles, Fondation n° 155, mars 1998, p. 19-30.
Joseph Jacqmotte, 1978) rendant compte de ce qui aurait 17. Alain BOURDIN, Marie-Pierre LEFEUVRE et Patrice
été le « premier tournant » dans les années 1960-1970. MELÉ (s.l.d.), Les Règles du jeu urbain. Entre droit et
Différents moments de débat ont été organisés à Bruxelles confiance, Paris, Descartes & Cie, 2006, p. 14.
autour de cette question, notamment une soirée dans le 18. Voir www.fusl.ac.be/gl.
Première partie / De la Cité administrative
de l’État au schéma directeur « Botanique »
Chapitre premier
Un passé bien présent
Le site de la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme bruxellois
Michel Hubert 1
L’objet de ce premier chapitre est à la fois de retracer l’histoire du site de la Cité adminis-
trative de l’État et de mettre en évidence un certain nombre de thématiques déjà apparues
dans le passé et qui ont refait surface à l’occasion de l’élaboration du schéma directeur
« Botanique », lequel sera exposé en détail dans les chapitres suivants. Malgré son nom 2,
l’enjeu central et premier de ce schéma directeur est bien, en effet, le réaménagement de
l’ancienne Cité administrative de l’État et son articulation avec les espaces environnants, en
premier lieu desquels figure le parc du Jardin botanique 3.
Situé à flanc de coteau, orienté à l’ouest, le site de la Cité administrative de l’État, d’une
longueur d’environ 600 mètres sur 100 (soit un sixième de la longueur nord-sud du penta-
gone qui constitue le centre de Bruxelles), est bordé au nord par la petite ceinture (boulevard
périphérique qui entoure le Pentagone) et le Jardin botanique, à l’est par le quartier Notre-
Dame aux Neiges, à l’ouest par ce qui reste du quartier dit des «Bas-Fonds» (composé aujourd’hui
de logements sociaux, de bâtiments administratifs, d’établissements scolaires, d’une univer-
sité, d’un hôpital…) et au sud par une série de bâtiments administratifs (principalement la
Banque nationale). L’ensemble (en ce compris la tour des Finances) représente 6,42 hectares.
Les transformations successives du quartier où se situe actuellement la Cité administrative
de l’État sont particulièrement exemplaires des mutations urbaines qu’a connues Bruxelles,
depuis son accession au statut de capitale de l’État-nation belge jusqu’à la crise institution-
nelle et identitaire actuelle 4. C’est aussi ce qui justifie que l’on s’y intéresse ici.
Au début du XIXe siècle, Bruxelles est encore enserrée dans les limites de ses remparts et séparée
des villages environnants par de vastes zones non bâties. L’industrialisation accélérée, tout
14 Mi c h el H ub er t
Fig. 1. Plan de la situation de la Cité administrative. (Source : MSA-Lion.)
d’abord autour du canal, fait sortir la ville de ses limites. L’urbanisation du quartier qui nous
intéresse a débuté avec la décision, prise en 1821, de prolonger la rue Royale vers la porte
de Schaerbeek, en amputant et en remblayant partiellement le grand jardin du couvent des
Oratoriens qui se trouvait à cet endroit et donnait un aspect champêtre à tout l’espace situé
entre la place de Louvain et le futur boulevard Adolphe Max (Fig. 2). La différence de niveau
ainsi créée était telle que le quartier situé en contrebas reçu le nom de « Bas-Fonds » et que
se posa très rapidement la nécessité à la fois de construire un mur de soutènement le long
de la nouvelle voirie et de lotir le flanc de la colline, tout en valorisant le panorama sur la
ville basse ainsi créé.
Suite à divers aléas, il fallut attendre vingt-cinq ans après le prolongement de la rue Royale
pour que s’impose l’idée de construire une place de plain-pied avec la rue Royale (l’actuelle
16 Mi c h el H ub er t
Fig. 3. L’escalier monumental et le marché couvert conçus par Jean-Pierre Fig. 4. L’ancien panorama depuis la place
Cluysenaar. (Source : Archives de la Ville de Bruxelles.) du Congrès. (Source : archives privées.)
entièrement terminé qu’en 1857. Le marché couvert ne rencontra jamais le succès escompté
et fut transformé dès 1886 en asile de nuit et, ultérieurement, en dépôt pour le théâtre de
la Monnaie. La destruction de cet ensemble pour faire place à la Cité administrative de l’État
se fit dès lors dans l’indifférence générale.
La question du « panorama », liée à celle du « paysage », mérite qu’on s’y attarde un instant.
Pour Augustin Berque 8, il aurait existé dans l’histoire deux grandes « sociétés paysagères » :
la Chine à partir de la dynastie Song (960-1279) et l’Europe à partir du XVe siècle. Le
paysage peut ainsi être considéré comme un genre culturel, un « dispositif spatial » au sens
de Michel Lussault, une manière de voir et d’assembler les choses. Le point de vue qui permet
au paysage d’exister serait avant tout « celui d’un regard sensible : celui de l’acteur spatial,
de l’individu qui regarde une fraction d’espace à l’horizontale ou, mieux encore, oblique-
ment lorsqu’il se trouve sur un point haut, ou en contre-plongée 9 ». Pour cet auteur, le
paysage-panorama, « caractérisé par le nécessaire déplacement du regard qui embrasse,
peu à peu, la totalité qui se refuse à une seule vue d’ensemble 10 », est, avec le paysage-
panoptique 11 et le paysage-mouvement 12, une des formes visuelles idéal-typiques du paysage.
Ces types de paysages auraient été forgés pour une bonne part par le tourisme et la décou-
verte. Et, pour qu’ils soient reconnus, il faut que les acteurs en intègrent les codes, c’est-à-dire
les prescriptions relatives aux bonnes façons de regarder et de voir, diffusées par des repré-
sentations linguistiques, artistiques (peinture, cinéma, photographie…) et littéraires.
Jean-Pierre Cluysenaar avait prévu d’agrémenter d’une statue la place des Panoramas. Lors
des fêtes de l’Indépendance de septembre 1849, parmi de nombreuses autres suggestions,
l’idée du ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Rogier, fut retenue d’élever un mémo-
rial à l’Indépendance. Le programme du concours d’architecture, ouvert dans la foulée, apparut
18 Mi c h el H ub er t
toutefois fort contraignant, le choix de la colonne comme symbole de l’Indépendance semblant
notamment anachronique à certains. Même l’emplacement du mémorial sur la place des
Panoramas (devenue, suite à cela, place du Congrès) fut controversé. C’est finalement Joseph
Poelaert, l’architecte du Palais de Justice, qui fut chargé de réaliser la colonne, de même
que les hôtels particuliers, de style néo-renaissance italienne, qui entourent la place. Est-ce
l’estompement du sentiment national belge qui explique le peu d’intérêt que la place du
Congrès a suscité bien plus tard, lors de l’élaboration du schéma directeur « Botanique », si
ce n’est auprès de quelques habitants du quartier Notre-Dame aux Neiges ? Toujours est-il
que l’aménagement de cette place et sa liaison avec l’esplanade de la Cité administrative
n’ont pas été intégrés dans le périmètre du schéma directeur.
La colonne, enfin inaugurée en 1859, constitua le point de mire du quartier Notre-Dame
aux Neiges dont le réaménagement entre 1875 et 1885 se fit selon les courants dominants
de l’urbanisme de l’époque, n’hésitant pas à niveler le terrain et à percer des voies recti-
lignes pour découvrir le panorama 18. L’urbanisation initiale de ce quartier date cependant
du début du XIXe siècle et coïncide avec l’industrialisation 19. Composé essentiellement
d’ouvriers et d’indigents vivant dans des conditions d’hygiène et de confort déplorables, il
est sujet aux épidémies, dont une de choléra en 1866. Longtemps retardée par la priorité
budgétaire accordée aux travaux d’assainissement de la Senne 20, la transformation du quar-
tier, décidée sous le mayorat de Jules Anspach, semble davantage motivée par une perspective
monumentale et prestigieuse que par la sollicitude envers la santé des habitants du quartier.
Il s’agit avant tout de substituer un quartier de luxe à un quartier populeux avec les mêmes
méthodes que celles utilisées pour le voûtement de la Senne, en particulier le recours à la
concession privée. Créée dix ans plus tôt, la Compagnie immobilière de Belgique joua un
rôle de premier plan dans le choix du projet de réaménagement du quartier Notre-Dame
aux Neiges et dans son financement. Il est intéressant de noter que c’est la même Compagnie
immobilière de Belgique (Immobel) qui se retrouve aujourd’hui dans l’actionnariat du
RAC Investment Group, actuel propriétaire et promoteur de l’ancienne Cité administrative
de l’État, dont le siège se trouve précisément rue de l’Enseignement, au cœur du quartier
Notre-Dame aux Neiges
Déjà, la question de « l’attractivité résidentielle » était posée par Jules Anspach : « Auparavant,
la propriété foncière était, en quelque sorte, délaissée dans les parties basses de la Ville.
La progression de la valeur des immeubles était assez lente dans les autres parties de notre
territoire et l’on voyait en même temps s’élever rapidement, en dehors de Bruxelles, des quar-
tiers très importants et habités par une population riche. Cet état de chose tenait à une
20 Mi c h el H ub er t
les démolitions sont-elles quelque peu étalées dans le temps, mais le peu de logements sociaux
construits sont livrés largement après les premières démolitions et insuffisants en nombre.
L’impression générale qui se dégage de l’analyse de cette deuxième entreprise d’assai-
nissement à grande échelle d’un quartier de Bruxelles, après le voûtement de la Senne, est
celle d’un immense gâchis 24 : l’offre, dictée par les besoins de la spéculation (parcelles trop
petites, absence de jardins, etc.), n’attira pas la haute bourgeoisie et la noblesse, davan-
tage séduites par les quartiers Louise et Léopold plus spacieux. Les pôles d’attraction que
devaient être le Cirque royal, l’Eden théâtre, le Bain royal ou la galerie du Parlement furent
très vite des échecs commerciaux. Après les démolitions et l’exode des habitants du quar-
tier, certains terrains restèrent longtemps vides avant d’être reconstruits. Le privé en déroute
appela la Ville à la rescousse, qui finit par racheter à bon compte une grande partie du
patrimoine immobilier.
Encore propriétaire aujourd’hui d’une grande partie du quartier, la Ville a entrepris sa
rénovation après avoir envisagé, à la fin des années 1960, de démolir la place de la Liberté
au profit d’un complexe de bureaux. Cette place, ainsi que d’autres éléments du patrimoine
du quartier, sont classés depuis 1988. Le caractère « parisien » de Notre-Dame aux Neiges
y a ramené des habitants qui, au nombre d’un bon millier aujourd’hui, doivent toutefois
s’accommoder de l’occupation d’un grand nombre d’hôtels de maître par des bureaux 25,
du manque de commerces et de services de proximité, et d’une circulation et d’un parking
envahissants que la Ville peine à canaliser. Pour ce quartier, le réaménagement futur de la
Cité administrative de l’État ne sera pas sans incidence : des aspects tels que l’accès au
parking, l’augmentation du nombre de logements en lieu et place des bureaux ou la créa-
tion de commerces et services de proximité peuvent en améliorer l’habitabilité. C’est dans
ce contexte qu’il faudra comprendre (voir chapitre IV) les interventions de certains habitants
et commerçants du quartier Notre-Dame aux Neiges dans les débats publics accompagnant
l’élaboration du schéma directeur « Botanique ».
22 Mi c h el H ub er t
Midi n’a pas fait naître de mouvement de protestation organisé, la population subissant
assez passivement la situation.
À son tour, l’ancien hôpital Saint-Jean, construit en style néo-classique par Henri Partoes
entre 1838 et 1841 et mitoyen de ce qui n’était encore à l’époque que la Faculté univer-
sitaire Saint-Louis 30, sera démoli en 1951 (il était désaffecté depuis 1935) pour permettre
le raccordement du boulevard de la Jonction (devenu boulevard Pacheco) avec le boulevard
du Jardin botanique. Transformé en parking provisoire pour l’Expo 58, le site accueillera le
siège du Crédit communal de Belgique (devenu Dexia) et la galerie du Passage 44. Inaugurés
en 1969, ils sont l’œuvre de Marcel Lambrichs, également associé, on le verra, à la construc-
tion de la Cité administrative de l’État.
Avec Thierry Demey, on peut dire que le percement de la jonction Nord-Midi a grande-
ment participé à la désertification du centre de Bruxelles, dont la population n’a cessé de
décroître depuis 1900 31, et au renforcement de la fonction administrative dans sa partie
est, déjà traditionnellement consacrée aux fonctions officielles. C’est dans ce contexte qu’il
faut comprendre le choix de la localisation de la Cité administrative de l’État dans les Bas-
Fonds sur lequel nous reviendrons un peu plus loin : le Pentagone n’était plus considéré comme
« porteur » pour l’habitat au contraire de la deuxième couronne, en pleine urbanisation.
Dès le début des années 1920, plusieurs commissions d’études sont constituées pour cher-
cher des remèdes au mauvais fonctionnement des services administratifs de l’État, notamment
dû à l’accroissement rapide du nombre de fonctionnaires 32, à la dispersion dans la ville
des différents services et à l’absence d’un statut unifié des agents de l’État. En 1929 déjà,
l’architecte Stanislas Jasinski (1901-1978), dont le frère Stéphane (1907-2000) allait être
le principal décorateur de la Cité administrative, présentait, de sa propre initiative, un projet
pour une « centralisation de tous les locaux d’administration ministérielle » en plein centre-
ville, entre la Bourse et la gare du Midi 33.
La dispersion des services était particulièrement marquée à Bruxelles : en 1954, l’État y
occupait 330 immeubles, pris pour la plupart en location, parfois dans d’anciennes habi-
tations privées, peu fonctionnelles, aux conditions d’hygiène et d’éclairage rudimentaires.
Cette situation obligeait à de nombreux déplacements entre les différentes implantations d’un
même ministère, réduisait l’efficacité et le contrôle du travail, et avait pour effet un manque de
lisibilité de l’organigramme administratif et d’importantes pertes de temps pour les administrés.
Le rapport de Louis Camus, commissaire spécial à la réforme administrative sous le deuxième
gouvernement tripartite (catholique-socialiste-libéral) Van Zeeland, publié au Moniteur en
1937, présenta pour la première fois une étude qui se voulait complète et détaillée des
causes et remèdes du mal qui frappait l’administration centrale. Le rapport portait princi-
palement sur la définition d’un statut des agents de l’État et s’attachait à l’amélioration des
conditions de travail et à l’augmentation de la productivité des services publics. Il s’agissait
en somme de transposer dans le domaine de l’administration l’organisation scientifique et
rationnelle de la production fordiste. Ceci passait, selon Louis Camus, par une centralisa-
tion des services dans des bâtiments adaptés. L’idée d’une Cité administrative de l’État était
lancée 34. En raison des restrictions budgétaires et des priorités de l’après-guerre, celle-ci
faillit cependant ne jamais voir le jour. Une nouvelle commission nommée en 1952 par le
gouvernement social-chrétien homogène de M. Van Houtte et présidée par Max-Léo Gérard
préconisa, en effet, de renoncer « à la centralisation à outrance au profit d’un regroupe-
ment, par affinités, dans quelques complexes répartis à travers la ville 35 ». Il ne fallait pas
traîner puisque cette commission avait conclu que plus de trente immeubles, à la limite de
l’insalubrité, devaient être abandonnés d’urgence. Le gouvernement socialiste-libéral
d’Achille Van Acker, installé en avril 1954, trancha toutefois en faveur de l’option centrali-
satrice et fit du lancement de la construction de la Cité administrative de l’État un objectif
de la législature (déclaration gouvernementale du 10 novembre 1954). L’objectif est atteint
24 Mi c h el H ub er t
Fig. 6. Projet de « Nouveau Bruxelles » pour le quartier Nord
(Victor Bourgeois, 1930). (Source : Archives d’architecture
moderne.)
avec la pose de la première pierre par le roi Baudouin, le 21 avril 1958, en présence des
principaux ministres du gouvernement 36. Quatre jours après l’inauguration de l’Expo 58, la
Belgique pouvait ainsi montrer que, dans ce domaine également, elle s’engageait résolu-
ment dans la voie de la modernité.
26 Mi c h el H ub er t
effet possible la réalisation d’un projet de l’envergure de la Cité de même que la construc-
tion d’un troisième axe important de circulation nord-sud (à mi-hauteur entre les boulevards
centraux et la rue Royale), le long duquel allaient pouvoir s’établir, de manière monumentale,
plusieurs symboles de la Belgique unitaire : outre la Cité administrative, y furent entre autres
édifiés le siège du Crédit communal de Belgique, de la Régie des télégraphes et des télé-
phones (RTT), de la Banque nationale, de la Sabena et du Parti socialiste unitaire (PSB-BSP),
le nouvel Hôtel des monnaies, la Bibliothèque royale, et l’Office national de l’emploi (Onem).
28 Mi c h el H ub er t
Fig. 7. Urbanisation sur le tracé de la jonction Nord-Midi : projet
de Cité administrative de Georges Ricquier, boulevard Pacheco,
1944. (Source : Archives d’architecure moderne.)
administrative de l’État. « Fortement influencé par “L’Esprit nouveau” parisien et l’école hollan-
daise moderne, ses réalisations les plus intéressantes sont à Anvers et à la côte. Enseignant
puis directeur de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, il fut le successeur de H. Teirlinck
à la direction de La Cambre (1950-1964) 48. » « Léon Stynen est un des rares modernistes
qui, dans l’entre-deux-guerres, réussit à réaliser quelques édifices publics, un genre où il se
montre très ouvert à la nouveauté 49. »
Van Kuyck et Lambrichs préconisèrent de construire, pour la Cité administrative de l’État,
« trois ou quatre immeubles de 20 étages en peigne, l’un derrière l’autre, dans un axe nord / sud
entre le Botanique et la rue Montagne de l’Oratoire. Implantés sur une esplanade basse
construite sur pilotis, ils sont séparés par des cours intérieures 50 ». Les inconvénients princi-
paux de la proposition — l’ombre créée par des immeubles mis en rangs d’oignons, alors
que le rapport Camus insistait sur la qualité du cadre de vie des fonctionnaires et l’impos-
sibilité de prolonger la place du Congrès dont le panorama devait être préservé — ont fait
pencher la décision en faveur du projet présenté par Jean Gilson. « Au centre de sa compo-
sition, une tour de 135 mètres de hauteur, comprenant 40 étages, orientée dans le sens du
boulevard Pacheco et implantée sur un jardin situé à un niveau intermédiaire entre la rue
Royale et le boulevard Pacheco. Comme toile de fond de ce jardin, un immeuble allongé
de hauteur moyenne — cinq étages sur 200 mètres et 16 mètres de profondeur — masque
l’arrière des immeubles de la rue Royale. Au niveau supérieur, une vaste esplanade prolonge
30 Mi c h el H ub er t
fonctionnelle. Il faut se rappeler, en effet, que le 3e CIAM s’était tenu à Bruxelles en 1930 54.
Aucun des trois architectes de la Cité (Stynen, Van Kuyck et Ricquier) qui étaient en âge d’y
participer n’y joua un rôle actif, même si Léon Stynen était assez proche de Le Corbusier,
qu’il connaissait personnellement 55. L’œuvre de Stynen était avant tout architecturale et d’inspi-
ration classique. Il ne s’aventura pas dans des projets futuristes comme le firent à cette époque
Victor Bourgeois 56 (voir, par exemple, son projet de « Nouveau Bruxelles » pour le quartier
Nord en 1930) ou Stanislas Jasinski, déjà cité. Le projet de la Cité administrative, même
s’il fait table rase du passé — sans grand mérite si l’on peut dire puisque le « sale boulot »
d’arasement était, comme on l’a vu, déjà réalisé grâce aux travaux de la jonction —, est
plutôt de l’ordre du projet ponctuel, le dessein étant ici sans commune mesure avec celui de
Brasilia où il s’agissait, à partir des principes de la charte d’Athènes, de créer, dans un site
vierge, une ville entière. Construite pour l’essentiel à la même époque (1956-1960), on
retrouve toutefois à Brasilia, avec l’« Esplanade des ministères », une proximité sémantique
qui rappelle la filiation commune des deux projets 57.
Au final donc, les architectes de la Cité étaient des architectes expérimentés, mettant en
application des principes architecturaux auxquels, certes, ils adhéraient, mais sans en avoir
été pour autant les instigateurs et sans avoir véritablement cherché à les dépasser. Ce qui
caractérise, en effet, cette génération, c’est l’idée que les avant-gardes avaient établi les
balises théoriques et que le temps d’agir — de construire — selon ces principes était arrivé.
Léon Stynen, notamment, intervenait régulièrement dans ce sens et les revues d’architecture
de l’époque étaient vides de contenus théoriques, se référant toujours aux discours des années
1920-1930. Dans ce sens, les architectes de la Cité relevaient davantage de la « tendance
orthodoxe », poursuivant sur la voie tracée par l’avant-garde des années vingt, plutôt que
de la « tendance organique [qui] cherche à transfigurer la modernité par un langage poétique »
ou de la « tendance ludique » (style 58 et autres) qui « se plaît à égayer l’architecture fonc-
tionnelle par des lignes décoratives et des couleurs vives » 58.
À cet égard, il est intéressant de noter que Léon Stynen se retira de l’équipe en 1959
« pour des raisons de convenance personnelle » qui s’avérèrent être des objections de fond.
D’après Albert Bontridder qui lui consacra une biographie, Léon Stynen constata très vite,
en effet, que les travaux du groupe le menaient dans une voie pour laquelle il ne voulait
pas engager sa responsabilité. « Déjà il lui était difficile d’admettre l’implantation du Centre
Administratif dans le centre de la ville, mais il lui était encore plus difficile, sinon impossible,
d’accepter un programme limité à la construction d’immeubles de bureaux, excluant de la
conception générale tout élément de vie sociale, d’activité culturelle et de détente qu’il jugeait
Les travaux à peine entamés, le programme de la Cité administrative est déjà quelque peu
remis en question suite aux réticences du ministère des Affaires étrangères et de celui des
Affaires économiques d’intégrer la Cité. De son côté, le ministère des Colonies devient obso-
lète suite aux événements de 1960. L’aile en U destinée initialement aux Affaires étrangères
sera dès lors entièrement revue et donnera lieu au bâtiment G, haut de onze étages. C’est
ce bâtiment que le schéma directeur « Botanique » prévoit aujourd’hui de démolir pour laisser
la place à un immeuble de logements.
L’étalement des crédits est tel qu’en 1963 il n’y a qu’un seul côté de la Cité dont le gros
œuvre est terminé. Le déménagement des fonctionnaires commencera en juin 1966 et s’éta-
lera jusqu’à la fin de l’année 1968, au fur et à mesure de l’achèvement des travaux ; « 3 827
fonctionnaires occupent désormais les 141 621m2 de bureaux de la Cité 62 ». Les jardins,
dessinés par l’architecte René Pechère 63 et aménagés au-dessus des parkings, ne seront
terminés qu’en 1977, en même temps que les passerelles piétonnes enjambant le boulevard
Pacheco et reliant la Cité administrative au siège du Crédit communal et au côté est du
boulevard Pacheco. Relevant du principe de la séparation des circulations piétonne et auto-
mobile typique de l’architecture fonctionnaliste 64, ces passerelles, qui n’étaient pas prévues
dans le projet initial, peuvent être aussi considérées comme une réponse au problème du
32 Mi c h el H ub er t
manque de liaison est-ouest du site. Leur utilisation ne fut toutefois pas un succès.
La présence de passerelles est associée également à ce qu’il est convenu d’appeler l’« urba-
nisme de dalle » qui, dans l’architecture fonctionnaliste, permettait — comme dans le cas de
la Cité administrative — de couvrir certaines infrastructures, notamment des parkings, par
une vaste esplanade piétonne, agrémentée éventuellement de jardins, voire de rattraper une
différence de niveau 65.
Quant à la tour, dont le principe était acquis dès 1956, sa réalisation prit quinze ans (de
1968 à 1983) et elle mit à disposition environ 200 000 m2 supplémentaires (dont près de
130 000 m2 de bureaux hors-sol). D’après ses promoteurs, sa nécessité se voyait justifiée,
d’une part, par les avantages pratiques qu’elle offrait (plus économique à la construction,
plus efficace à l’usage par une diminution des déplacements horizontaux) et, d’autre part,
par l’espace libéré au sol qui rendait possible la création du jardin et ménageait l’échappée
vers le panorama de la ville.
Comme la question des gabarits fut également très présente lors des discussions autour
du projet de schéma directeur (voir chapitre VI), il est intéressant de signaler ici que la
construction en hauteur a occupé très tôt en Belgique, et à Bruxelles en particulier, une place
de choix dans les réflexions et les pratiques architecturales. Lors du troisième CIAM qui, on
l’a vu, s’était tenu à Bruxelles en 1930 avec pour thème central la question du lotissement
rationnel, le modèle de la cité-jardin, pour lequel Bruxelles s’était largement fait connaître
au cours des années précédentes, avait été disqualifié par Le Corbusier en tant que vecteur
d’individualisme au profit du modèle des « villes en concentration, bâties en hauteur, rassem-
blant les habitants dans un même phénomène social solidaire et réduisant au minimum [leur]
superficie au sol 66 », considéré comme une meilleure solution au problème de l’habitat écono-
mique. Cette remise en question, appuyée par de nombreux autres orateurs, conduisit les
architectes belges à revoir leur conception du développement urbain et à considérer qu’il
était possible d’envisager une ville densément peuplée mais aérée grâce à la construction
en hauteur et à la séparation et à la hiérarchisation des différents modes de déplacement.
Est-ce ce qui amena Jean-Jules Eggericx, actif au sein des CIAM et auteur notamment des
cités-jardins Floréal et du Logis, à construire en 1934-1937 les immeubles jumeaux Léopold
et Albert, d’une quinzaine d’étages, au coin du square de Meeus et de la rue du Luxembourg ?
Il est plus probable que ces réalisations en hauteur s’inscrivaient plutôt dans une dynamique
de développement d’immeubles à appartements de luxe initiée, dès les années 1920, par
le financier Lucien Kaisin : le fameux Résidence Palace (1922-1927), rue de la Loi, de l’archi-
tecte Michel Polak, ainsi que les Pavillons français (1931), un immeuble de quinze étages
34 Mi c h el H ub er t
Fig. 9. Contre-projet de l’ARAU (dessin de Fernand Joachim, 1972) dont la figuration s’acompagnait de la légende suivante :
« le nouveau tissu avec habitations et animation urbaine envahissant comme un organisme naturel la monofonctionnalité
officielle ». (Source : Wonen-TA/BK, n° 15/16, août 1975, p. 57.)
ne s’y est d’ailleurs pas trompé qui, en 1972, soit au moment où les fondations de la tour
s’achevaient, proposait un schéma de réaménagement du site qui supprimait la tour et réins-
taurait la mixité fonctionnelle dans le quartier par la construction de logements et de commerces 72.
Malgré l’impact de la proposition de l’ARAU dans la presse, le projet de construction de
la tour ne fut pas abandonné. Le ministre des Travaux publics de l’époque, Jos De Saeger,
qualifia la proposition de « sorte de faux village de loisirs à la mode 73 », impayable compte
tenu du prix du terrain à cet endroit et de la perte d’attractivité résidentielle du centre-ville
à cette époque. La construction de la tour fut toutefois quasi interrompue de 1974 à 1978
en raison de nouvelles restrictions budgétaires, mais aussi d’une remise en question de l’op-
tion centralisatrice à l’heure où les premières structures régionales se mettaient en place suite
à la réforme constitutionnelle de 1970.
La Cité administrative étant condamnée, bien avant son achèvement complet, par la décen-
tralisation de l’État belge lancée par la révision constitutionnelle de 1970, il n’est pas étonnant
qu’elle ne fonctionna à plein régime que pendant une quinzaine d’années à peine après
l’inauguration de la tour en 1983. Au cours de cette période, près de dix mille fonction-
naires y travaillèrent.
Comme l’a bien montré le film d’Yves Cantraine en 2006, l’image de l’usine fordiste à
laquelle Louis Camus lui-même comparait l’immeuble de bureau saute aux yeux quand on
pense aux 340 000 mètres carrés de surface utile (hors parking et sous-sol compris), aux
sept kilomètres de couloirs, au restaurant aux 10 000 repas quotidiens, au dispatching central,
à l’héliport, à l’imprimerie intégrée, aux 1 800 emplacements de parkings, ou à la gare et
à la station de métro qui crachaient chaque jour leurs milliers de fonctionnaires. Qu’on l’aime
ou non, la Cité, qui avait pour utopie de vouloir réunir l’ensemble des services de l’État de
la Belgique unitaire, a créé un environnement humain qui a laissé des traces : les témoi-
gnages d’anciens travailleurs du site (voir à nouveau le film de Cantraine et d’autres réalisations
de PTTL, BNA, 68 septante 74…) convergent pour souligner leur attachement à ces lieux, aux
relations qui s’y sont nouées, aux souvenirs qui y ont été laissés, au climat de brassage et
d’entente intercommunautaire qui y régnait.
36 Mi c h el H ub er t
Au cours de cette période, les controverses à propos de la Cité furent mises quelque peu
en sourdine. Différents projets pour l’habillage de l’énorme bloc en béton cachant les cages
d’ascenseur côté Jardin botanique furent envisagés mais jamais concrétisés. Le jardin Pechère
fut inscrit à l’Inventaire du patrimoine (arrêté du gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale du 16 mars 1995) et la halte de Bruxelles-Congrès (construite en 1952 par l’architecte
Maxime Brunfaut) sur la liste de sauvegarde. Les quelques réflexions formulées en termes de
réaménagement portèrent essentiellement sur la liaison du site avec le Jardin botanique. En
1978 déjà, les Archives d’architecture moderne avaient présenté un projet de couverture
de l’avenue Victoria Regina (partie de la petite ceinture qui borde, à ciel ouvert, le Jardin)
avec la suppression partielle du boulevard Saint-Lazare. Cette idée fut reprise en 1985 par
l’Agglomération bruxelloise (ancêtre de la Région de Bruxelles-Capitale) et en 1998 par la
Fondation roi Baudouin (en même temps que deux autres hypothèses d’intervention). À la
fin des années 1990 également, un groupe de parlementaires Écolo organisa une confé-
rence de presse sur la verdurisation de la petite ceinture qui reprenait l’idée du rétablissement
d’une liaison à niveau entre le boulevard du Jardin botanique et le parc.
Le 20 décembre 2001, suivant une politique budgétaire engagée en 2000, le gouverne-
ment fédéral Verhofstadt I vend la tour des Finances et les parkings sous le jardin Pechère
à la société d’origine hollandaise Breevast Belgium NV 75. Deux ans plus tard, le 16 avril
2003, le reste de la Cité est vendu au même investisseur. En 1999 déjà, André Flahaut,
ministre de la Fonction publique sous le dernier gouvernement Dehaene, évoquait l’idée d’une
vente à un seul propriétaire en vue d’une rénovation et « d’y amener d’autres activités 76 ».
Fin 2004, les derniers fonctionnaires quittent les lieux ; les bâtiments sont entièrement vides.
La principale motivation de ces ventes était de faire entrer de l’argent frais dans les caisses
de l’État pour réduire la dette et surtout, à plus brève échéance, atteindre l’équilibre budgé-
taire pour l’année. Elles résultaient aussi de l’incapacité des pouvoirs publics de mener à
bien la rénovation (et le désamiantage) d’immeubles de grande taille dont ils étaient proprié-
taires (voir à ce sujet la saga de la rénovation du Berlaymont, siège de la Commission
européenne). Dans un rapport publié en août 2006, la Cour des comptes a toutefois vive-
ment critiqué la manière dont l’État fédéral a conduit ces opérations. En particulier, la précipitation
avec laquelle la vente de la tour des Finances fut menée (l’appel d’offres a été lancé le
2 août 2001 et la vente conclue le 20 décembre) aurait donné lieu à de graves négligences.
Ainsi, aucune estimation n’aurait précédé la vente, qui portera sur un montant de 276,5 millions
d’euros, et le contrat de sale and lease back, grâce auquel l’État s’engageait à reprendre en
location le bâtiment pour une période de trente ans, aurait été calculé à partir d’hypothèses
« erronées » ou « peu pertinentes » 77. Quant aux bâtiments de la Cité elle-même, ils ont fait
l’objet d’une première estimation à 74 millions, revue par deux fois à la baisse par la Régie
des bâtiments (sous la responsabilité du secrétaire d’État Rik Daems) : une première à 70 millions
et une seconde à 50 millions. Cette baisse a été motivée par le coût du désamiantage et
par le fait que la Cité ne serait pas relouée à long terme. Le prix de vente final ne fut toute-
fois que de 27,1 millions, faute d’une offre plus élevée. Au total, le montant des locations
payées par l’État pour les deux années d’occupation suivant la vente s’est élevé à près de
80 % du prix d’achat et est donc retourné à l’acheteur, ce qui fait que, de toute évidence,
cette opération ne fut « absolument pas rentable pour les autorités fédérales 78 ».
Début janvier 2007, la presse révélait que la société immobilière Robelco, concurrent de
Breevast lors des appels d’offres de 2001 pour la tour et de 2003 pour le reste de la Cité,
avait déposé plainte contre Breevast devant le tribunal de première instance de Bruxelles,
en s’appuyant notamment sur certains éléments du rapport de la Cour des comptes pour
arguer que, pour la tour, l’État aurait conclu un contrat de location avec Breevast avant
même qu’il y ait eu un accord au sujet de la vente. Il ne nous appartient pas ici de trancher
le différend. On peut néanmoins observer qu’avec un loyer de base de 24,8 millions d’euros
par an, réévaluable en fonction des travaux et déjà ajusté à 42,7 millions, pour une durée
38 Mi c h el H ub er t
de location prolongée jusqu’au 31 décembre 2034, l’État belge s’est engagé pour la seule
tour des Finances dans un investissement démesuré. Au total, la faible rentabilité des deux
opérations de vente pour l’État belge semble couronner de bien mauvaise façon une aven-
ture de cinquante années. Elle donne par contre les coudées franches au nouveau propriétaire
qui aura tout le loisir de négocier un réaménagement des lieux conforme à ses intérêts.
En menant à bien — certes non sans peine ! — son projet de réaliser une Cité administra-
tive à Bruxelles, l’État belge unitaire a joué un rôle de premier plan dans l’urbanisme bruxellois.
En vendant la Cité (et bien d’autres bâtiments dans la foulée : ministère de l’Emploi et du
Travail, complexe Egmont, Institut national de statistiques, Moniteur belge…), l’État fédéral
signe en quelque sorte son retrait définitif de la scène urbanistique bruxelloise et ouvre une
nouvelle ère 79. Dorénavant, les autorités régionales bruxelloises, instituées en 1989 avec
l’urbanisme et l’aménagement du territoire dans leurs attributions, n’ont plus qu’une maîtrise
foncière limitée — la Région de Bruxelles-Capitale aurait d’ailleurs été bien en mal de racheter
elle-même la Cité. Et, si elles veulent voir aboutir dans un délai raisonnable la réaffectation
de grands sites urbains comme celui de la Cité, elles devront nécessairement jouer un jeu
coopératif subtil avec les autorités communales, d’une part, et avec les investisseurs privés,
d’autre part ; pour paraphraser Bourdin et ses collègues, les règles du jeu urbain semblent
plus que jamais se situer désormais entre droit et confiance 80. Commence alors ce que l’on
pourrait appeler une course de vitesse entre les pouvoirs publics, entre eux et vis-à-vis du
nouveau propriétaire, pour mener les réflexions et mettre en place le cadre juridique pouvant
guider la réaffectation du site.
En 1999, soit bien avant la vente de la Cité par l’État, dans la perspective du départ
prochain de plusieurs administrations et de la mise en œuvre du plan communal de déve-
loppement (PCD) 81, la Délégation au développement du Pentagone (DDP) est chargée par
la Ville de Bruxelles d’organiser une table ronde rassemblant les acteurs intéressés par ce
dossier. Lors de la première réunion de cette table ronde, le 12 février, se trouvent ainsi
représentés, outre la Ville : l’État belge, la Communauté française (qui, contrairement aux
Régions flamande et wallonne, a toujours l’intention de se maintenir sur le site), la Région
de Bruxelles-Capitale, plusieurs écoles d’architecture, des associations (l’Atelier de recherche
et d’action urbaines, Inter-Environnement Bruxelles, les comités d’habitants et de commer-
çants du quartier Notre-Dame aux Neiges) 82 et certaines sociétés riveraines (Crédit communal
40 Mi c h el H ub er t
en ce qui concerne l’aménagement de l’ensemble du site de la CAÉ 88 ». On peut considérer
qu’il s’agit là d’un acte politique des autorités de la Ville, et en particulier de l’échevin de
l’Urbanisme de l’époque Henri Simons (Écolo, passé au PS après les élections de 2006),
qui souhaitent présenter un cadre juridique clair aux futurs investisseurs à la veille de la
vente de la Cité par l’État. Le « dossier de base », arrêté le 23 septembre 2002, promeut
cinq grands principes d’aménagement : à côté de ceux déjà bien souvent avancés (réta-
blissement des liaisons est-ouest et nord-sud, recréation d’un quartier multifonctionnel, accueil
des grands projets métropolitains et régionaux, intégration de la dimension déplacements
autour du site), apparaît, pour la première fois aussi nettement, l’idée de « respecter et inté-
grer les patrimoines ». Par rapport au patrimoine moderniste tout d’abord 89, le dossier affirme :
« Certains éléments architecturaux sont devenus une partie de notre patrimoine collectif et
méritent à ce titre d’être pris en considération dans l’aménagement futur. De contrainte, les
éléments patrimoniaux doivent devenir des atouts du développement 90. » C’est bien d’élé-
ments architecturaux dont il s’agit : jardin Pechère, certains immeubles de part et d’autre de
l’esplanade (blocs C, D, F), le grand restaurant (dont il est dit par ailleurs qu’il est suscep-
tible d’accueillir des activités culturelles telles qu’un musée d’art moderne ou un centre de
congrès), la halte de la gare du Congrès… Les conceptions urbanistiques de la Cité conti-
nuent pourtant à poser problème : « L’esplanade est probablement la partie la plus difficile
à aménager » et son niveau devra « être modifié de façon à créer un raccord plus harmo-
nieux avec le boulevard Pacheco » 91, un front bâti devrait également être établi au droit de
la différence de niveau entre le jardin Pechère et l’esplanade… Le dossier voit aussi dans
la rénovation de la Cité une opportunité de rétablir les alignements anciens : du côté sud,
en reconstruisant le long des rues Montagne de Sion et Montagne de l’Oratoire ; du côté
nord, en redonnant « un socle de commerces et de bureaux au pied de la tour des finances,
sur trois de ses côtés, permettant une meilleure urbanité liée à une continuité construite et
un extérieur activités / commerces à la porte de Schaerbeek 92 ». Enfin, la colonne du Congrès
et sa place constituent aussi des éléments patrimoniaux à prendre en compte.
L’élaboration du PPAS n’ira pas plus loin que le « dossier de base ». La Ville est consciente
que sa marge de manœuvre est réduite. Les hypothèses évoquées dans le dossier « sont trop
sommairement décrites pour accompagner le cahier des charges de la vente éventuelle, cette
année encore, du reste de la CAÉ 93 » et doivent encore faire l’objet de négociations avec
la Région qui doit, par un arrêté, édicter les grandes lignes du futur PPAS (voir chapitre II).
Pour les pouvoirs publics, il est donc trop tard pour fournir un cadre juridique clair aux futurs
investisseurs et prendre la main. La Ville annonce toutefois qu’« afin de garantir le respect
42 Mi c h el H ub er t
la rénovation des 200 000 m2 du bâtiment 102. Celle-ci débute en janvier 2005 par les travaux
de désamiantage (1 000 tonnes d’amiante sont extraites en 57 semaines). L’énorme bloc
en béton contenant les cages d’ascenseurs est démantelé et l’entrée de la tour placée du
côté du boulevard du Jardin botanique. La façade en verre reçoit un nouvel habillage, sans
grande originalité, et une nouvelle couleur. Suite à la démolition des deux passerelles surplom-
bant le boulevard Pacheco, l’accès aux jardins Pechère est amélioré grâce à de nouveaux
escaliers au coin des boulevards du Jardin botanique et Pacheco. En moins de quatre ans
à peine (janvier 2005-mai 2008) 103, les travaux réalisés contrastent avec les quinze années
nécessaires à la construction initiale. Toutefois, cet aménagement ne tient que très partiel-
lement compte du souhait de la Ville et de la Région de voir reconstruit le front bâti le long
du boulevard du Jardin botanique et de la rue Royale. Seul un nouvel immeuble de bureaux
a été édifié le long de la rue Royale qui vient encore renforcer le caractère monofonctionnel
des lieux et montre l’indépendance du propriétaire par rapport aux souhaits des pouvoirs
publics, souhaits qui n’ont encore aucune existence légale.
Au même moment, l’avenir de la Cité interpelle également un certain nombre d’« acteurs
informels émergents » qui se sont fait connaître à Bruxelles à partir du milieu des années
1990. Ces acteurs, structurés sous la forme de « collectifs » ou de « fondations » éphémères
et composés essentiellement de jeunes intellectuels et artistes, ont joué un rôle important dans
la mise à l’agenda urbain de certains sites ou problèmes et dans l’enrichissement du débat
à leur sujet 104. Constitué début 2001 pour lancer la réflexion autour de la destruction des
tours modernistes Martini et Lotto, le collectif Disturb, composé principalement de jeunes
architectes, urbanistes, géographes…, a été le premier à s’intéresser à la Cité après son
abandon par l’État 105. Le 10 novembre 2003, alors que l’étude Altiplan touche à sa fin,
Disturb, en collaboration avec City Mine(d), organise un débat autour de la question « Quel
avenir pour la Cité administrative ? » dans la salle polyvalente de la Cité avec la participa-
tion de divers intervenants politiques, associatifs, académiques et administratifs. Il est intéressant
de noter que ce débat, qui réunira près de trois cents personnes et aura un impact média-
tique important, se tiendra en l’absence du nouveau propriétaire, qui décline l’invitation. Le
futur auteur principal du schéma directeur « Botanique », Benoit Moritz, membre de Disturb,
y participera en revanche, mais pas à ce titre, de même que Xaveer De Geyter, dont le
projet remportera en 2006 le concours pour le réaménagement de la place Rogier 106.
Fort de ce succès, Disturb organisera les 19, 20 et 21 mars 2004, en collaboration avec
City Mine(d), le bureau d’architecture V+ 107 et Gwenaël Breës 108, un week-end de réflexion
dédié à la Cité administrative sur le site même. Intitulé « MapRAC 109 », il rassemblera environ
44 Mi c h el H ub er t
un grand nombre de visiteurs attirés par les multiples projections, concerts et animations qui
y furent organisés 113. Dans le cadre de ce festival, l’association Brusselse Raad voor het
leefmilieu (BRAL) organisera deux promenades guidées (les 29 août et 5 septembre) intitu-
lées « Toer déZIR » et reliant la réflexion relative à la Cité à celle d’autres ZIR (Gaucheret
dans le quartier Nord, Tour et Taxis 114, Schaerbeek Formation…). Cette initiative est impor-
tante à un double titre. Non seulement elle établit une connexion avec les autres ZIR. Mais
elle marque aussi l’entrée du BRAL sur le terrain de la Cité administrative, soit d’une asso-
ciation active depuis de nombreuses années sur d’autres sites (Tour et Taxis, quartier Nord…)
et qui entend mettre en avant le « schéma directeur » comme procédure participative pour
orienter la réaffectation de ces zones. Fin 2004, dans son « werkingsprogramma 2005 »,
le BRAL mettra d’ailleurs l’accent sur l’importance des ZIR et d’y développer une méthodo-
logie participative. Ce document sera envoyé aux différents ministres du nouveau
gouvernement issu des élections régionales de juin. Fin décembre, le cabinet du ministre-
président Charles Picqué demande au BRAL de « faciliter la concertation entre les habitants
et le gouvernement » lors de l’élaboration du schéma directeur d’un certain nombre de ZIR,
en particulier la Cité administrative et Tour et Taxis. Ainsi, entre la ZIR n° 11 « Cité admi-
nistrative », la zone levier n° 6 « Botanique », le PPAS 99-03 « Pacheco », les mobilisations
citoyennes et les initiatives du nouveau propriétaire, l’incertitude est totale en 2005, mais
tous les acteurs sont en piste. La suite de l’histoire est racontée aux chapitres suivants.
Conclusion
46 Mi c h el H ub er t
la partie de la petite ceinture qui longe le parc du Jardin botanique fait d’ailleurs partie du
programme du schéma directeur « Botanique » (voir chapitre III) avec pour objectif de réduire
l’impact visuel et physique de cette infrastructure.
On le voit, les trois périodes marquantes qui ont été évoquées dans ce chapitre ont en
commun d’avoir donné naissance à des réalisations urbanistiques d’envergure sur un mode
résolument « hiérarchique », sans réelle implication dans la décision des niveaux de pouvoir
inférieurs (en l’occurrence la Commune puisque la Région de Bruxelles-Capitale n’existait
pas encore) et sans mise en place de dispositifs consultatifs ou participatifs impliquant les
citoyens à quelque échelle que ce soit. Or c’est précisément l’un des objectifs du « schéma
directeur » examiné dans la suite de cet ouvrage de tenter de proposer un mode de gestion
impliquant davantage, en amont de la décision, tous les acteurs concernés.
En 2001, la vente par l’État fédéral de la tour des Finances, puis du reste de la Cité admi-
nistrative en 2003, marque sans conteste la fin d’une ère et le début d’une nouvelle. L’État-nation
belge a vécu et cesse d’être un acteur foncier de premier plan, à Bruxelles comme ailleurs 118.
Ni la Région de Bruxelles-Capitale, ni les Communes (la Ville de Bruxelles dans le cas qui
nous occupe) ne sont en mesure d’assurer la succession de l’État central sur ce plan. Bien
plus, Région et Ville se sont dans un premier temps engagées dans une course de vitesse
marquée par une âpre concurrence pour tenter d’imposer un cadre juridique au privé. Dans
la partie, la Ville sera la première sur la balle en organisant dès 1999 une table ronde sur
l’avenir de la Cité et en définissant en 2002 un certain nombre de principes de base pour
le réaménagement du site, et ce dans le cadre d’un plan particulier d’aménagement du sol
(PPAS) dont l’élaboration sera vite interrompue. Il faudra dès lors attendre 2004 et que majo-
rités régionale et communale soient identiques pour que les deux niveaux de pouvoir marchent
de concert. Trop tard pour reprendre véritablement l’initiative. Autrement dit, un temps précieux
aura été perdu sans que la question de la juste articulation entre niveau communal et niveau
supérieur (régional aujourd’hui, national jadis) soit entièrement clarifiée, comme l’attestent
les négociations toujours en cours en 2008 entre Ville et propriétaire à propos de la manière
dont le schéma directeur peut être accommodé et coulé dans le PPAS que la Ville se doit
cette fois d’achever.
Enfin, alors que l’avenir de la Cité a donné lieu à une mobilisation citoyenne et réflexive
d’une ampleur exceptionnelle, l’implication ultérieure de deux de ses acteurs clés dans le
dispositif d’élaboration du schéma directeur — Benoit Moritz comme chargé d’étude 119, le
BRAL comme animateur de la participation — a peut-être eu comme effet involontaire d’assou-
pir quelque peu cette mobilisation par la suite, par la confiance placée dans ces deux acteurs
1. Ma gratitude va à Patrick Burniat, Florence Delmotte, CFC-Éditions / Paul Legrain, 1990), et tome II : De l’Expo
Marie Demanet, Jean-Louis Genard et Benoit Moritz pour 58 au siège de la CEE (Bruxelles, Paul Legrain, 1992).
leurs commentaires féconds sur une version antérieure 6. Le collectif Disturb, dont fait partie Benoit Moritz, le
de ce texte. chargé d’étude qui reçut la mission d’élaborer le schéma
2. Le nom de schéma directeur « Botanique » est celui directeur « Botanique » (voir chapitres II et III), milite depuis
de la zone levier à laquelle il s’applique. Comme nous le début des années 2000 pour la réintroduction des
le verrons au chapitre suivant, la délimitation de cette concours d’architecture à Bruxelles, moyen clé selon lui
zone a subi des évolutions importantes ; dans une certaine d’enrichir le débat urbanistique (http://www.disturb.be).
mesure, cette délimitation fait aussi partie de la mission 7. Des servitudes de hauteur dans les Bas-Fonds garan-
assignée aux auteurs du schéma directeur. tissaient également le panorama.
3. En tant que tel, le Jardin botanique n’est donc pas au 8. Augustin BERQUE, Les Raisons du paysage. De la
cœur des préoccupations du schéma directeur Chine antique aux environnements de synthèse, Paris,
« Botanique », qui devrait néanmoins viser à en améliorer Hazan, 1995.
l’accessibilité et la tranquillité. Sur l’origine et l’histoire 9. Michel LUSSAULT, L’Homme spatial. La construction
du Jardin botanique, lire Denis DIAGRE, Le Jardin bota- sociale de l’espace humain, Paris, Le Seuil, « La couleur
nique de Bruxelles (1826-1912) : miroir d’une jeune des idées », 2007, p. 136.
nation, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, Faculté 10. Ibid., p. 139.
de philosophie et lettres, Thèse de doctorat en histoire, 11. Paysage que l’on peut « saisir d’un seul coup d’œil,
2006 et Jean-Claude RICQUIER et al., Le Botanique de après une phase de décryptage éventuel » (id.).
1829 à nos jours, Bruxelles, CFC-Éditions / Les Éperon- 12. Paysage « marqué par le déplacement continu de la
niers / La Lettre volée, 1993. séquence paysagère devant l’observateur qui, bien
4. Jean-Louis GENARD, « Quelle identité pour Bruxelles ? », qu’en mouvement, paraît être un point fixe » (id.). De plus
Les Cahiers de La Cambre – Architecture, n° 5, « Bruxelles en plus présent aujourd’hui, il est organisé par les opéra-
l’Européenne. Capitale de qui ? Ville de qui ? », Bruxelles, teurs des grands aménagements routiers ou ferroviaires.
La Lettre volée, 2006, p. 254-282. 13. Marcel SCHMITZ, Figures de Bruxelles, Bruxelles,
5. Pour les données historiques relatives au quartier, nous Art et techniques, 1944, p. 23-25.
nous basons principalement sur Thierry DEMEY, Bruxelles. 14. Les connaisseurs savent que, depuis quelques
Chronique d’une capitale en chantier, tome I : Du voûte- années, l’on peut profiter aussi du restaurant panora-
ment de la Senne à la jonction Nord-Midi (Bruxelles, mique aménagé sur le toit du musée des Instruments de
48 Mi c h el H ub er t
musique et de la vue au sommet de la basilique de 43 millions de voyages sur le réseau belge en 1880 à
Koekelberg ou de l’arc du Cinquantenaire. 123 millions en 1900 et au double vingt ans plus tard.
15. Parlant du paysage visible depuis la place des 28. Ibid., p. 199-200, pour plus de détails.
Panoramas, Marcel SCHMITZ écrit : « Cette absence totale 29. Sur les Bas-Fonds, voir « Le quartier des Bas-Fonds »,
de dessin accable l’esprit. Elle donne l’impression d’un Cercle d’Histoire de Bruxelles et extensions, n° 96, 2007,
entassement auquel aucun ordre, aucune pensée direc- p. 3-13.
trice n’ont présidé. La contemplation s’en détourne » 30. La Faculté universitaire Saint-Louis est issue d’une
(Figures de Bruxelles, op. cit., p. 23). section de philosophie créée au sein de l’Institut de
16. Co-auteur aussi de la rénovation de la tour des commerce Saint-Louis, transféré à cet endroit en 1858
Finances. après vingt années d’existence à Malines (Gaston
17. Joël CLAISSE (s.l.d.), Change. Brussels, Capital of BRAIVE, Histoire des Facultés universitaires Saint-Louis.
Europe, Bruxelles, Prisme, 2004. Des origines à 1918, Bruxelles, Publications des Facultés
18. Inspiré par les travaux de Georges-Eugène universitaires Saint-Louis, 1985).
Haussmann, qui redessina Paris dès le milieu du XIXe siècle, 31. Depuis le sommet historique de 183 686 habitants
et d’Ildefonso Cerda, auteur du plan de Barcelone et de en 1900, la population du centre de Bruxelles n’a cessé
la Teoria general de la urbanization (1867), cet urba- de diminuer jusqu’au milieu des années 1990 (environ
nisme fait la part belle aux « perspectives » selon une 40 000 habitants) pour remonter depuis (plus de 47 000
conception que l’on pourrait qualifier, elle aussi, de en 2007).
« paysagiste », comme celle qui a sous-tendu l’aména- 32. S’appuyant sur le rapport de la commission parle-
gement de certains jardins. mentaire mixte du 22 décembre 1951, Thierry DEMEY
19. Pour un exposé détaillé de l’urbanisation de ce quar- cite les nombres suivants de fonctionnaires des admi-
tier, voir Thierry DEMEY, Bruxelles. Chronique d’une nistrations centrales : 28 184 en 1885, 50 000 en 1911
capitale en chantier, I, op. cit., p. 95-118. et 95 116 en 1950 (Bruxelles. Chronique d’une capi-
20. Pour l’historique du voûtement de la Senne : ibid., tale en chantier, II, op. cit., p. 67).
p. 39-93. 33. Guido Jan BRAL, La Cité administrative de l'État,
21. Cité in ibid., p. 102. Bruxelles, Région de Bruxelles-Capitale, « Bruxelles, ville
22. PRD, Ma ville, mon avenir, 2002, p. 5. d'art et d'histoire », 2007, p. 8.
23. PRD, 1. Attractivité résidentielle, 2002, p. 18. 34. Centralisation et rationalisation ont conduit à la
24. Thierry DEMEY, Bruxelles. Chronique d’une capitale construction un peu partout en Belgique et à l’étranger
en chantier, I, op. cit., p. 114. de « cités administratives ». Elles se sont toutefois souvent
25. Sans compter la rue Royale, entièrement dévolue cantonnées à des niveaux de pouvoir inférieurs (régional,
par le PRAS aux bureaux et aux hôtels. provincial, communal) sans atteindre — à l’exception
26. Sur l’histoire de la jonction Nord-Midi, voir Thierry du cas de Brasilia, sur lequel on reviendra — l’ampleur
DEMEY, Bruxelles. Chronique d’une capitale en chan- de la Cité administrative de l’État de Bruxelles : géné-
tier, I, op. cit., p. 181-246 ; sur son impact aujourd’hui, ralement, il s’agissait d’un seul immeuble et non d’un
voir Serge JAUMAIN (s.l.d.), Bruxelles et la jonction Nord- agencement de plusieurs édifices. C’est ainsi qu’à peu
Midi. Brussel en de Noord-Zuidverbinding, Bruxelles, près à la même époque, Liège (administration commu-
Archives de la Ville de Bruxelles / Studia Bruxellæ, 2004. nale, 1967), Lille (administration municipale, 1958),
27. D’après DEMEY (Bruxelles. Chronique d’une capi- Moscou (district fédéral central, 1963), Atlanta (État de
tale en chantier, I, op. cit., p. 194), on est passé de Géorgie, 1966), Seinäjoki en Finlande (administration
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53. Ibid., p. 382. opérations, bien qu’il fût l’aîné du groupe et celui qui
54. Le premier CIAM se tint en 1928 à La Sarraz, en bénéficiât de la plus grande notoriété. Le Premier
Suisse, et le 2e à Francfort en 1929. ministre Van Acker l’y incitait en privé, mais un tel mandat
55. Au milieu des années 1920, la production de Stynen, ne lui fut pas officiellement confié, en raison de la mise
jeune architecte brillant, était « assez éclectique » et son en minorité du gouvernement à ce moment. Stynen avait
univers de référence « instable » (ibid., p. 368). besoin de cette notification car, disait-il, « il n’est pas
56. Victor Bourgeois est, avec Huib Hoste, l’un des deux dans ma nature, et cela ne correspond pas à mes convic-
Belges comptant parmi les architectes fondateurs des tions, d’exercer une autorité qui n’a pas été définie dans
CIAM. le cadre précis d’un mandat en bonne et due forme »
57. Avant que Brasilia ne soit construite pour devenir la (Léon STYNEN cité in Albert BONTRIDDER, id.).
nouvelle capitale du Brésil, un autre projet vit le jour au 62. Thierry DEMEY, Bruxelles. Chronique d’une capitale
lendemain de la révolution brésilienne de Getulio Vargas en chantier, II, op. cit., p. 90. Il s’agit de la superficie
de 1930, qui amena les artistes d’avant-garde, et singu- sans les parkings et les commerces. Le schéma directeur
lièrement les architectes modernistes, à faire partie de « Botanique » (disponible sur http://www.cae-rac.be) offre
l’élite dirigeante. Il s’agit du concours pour la construc- des chiffres plus précis, bâtiment par bâtiment. Le total
tion du ministère de l’Éducation et de la Santé à Rio de général de la Cité (sans la tour) est de 224 770 m2 (dont
Janeiro. Les meilleurs architectes modernistes participè- 129 674 m2 en sous-sol).
rent à ce concours qui eut un grand retentissement. Lucio 63. René Pechère (1908-2002), « notre Magritte des
Costa et Oscar Niemeyer, qui furent plus tard les concep- jardins », comme le titrait Guy DUPLAT dans La Libre
teurs de Brasilia, furent chargés de l’exécution du projet. Belgique du 13 février 2008, a réalisé, outre les jardins
En 1936, ils firent appel à Le Corbusier comme consul- de l’Expo 58, tous les jardins qui bordent le boulevard
tant. Le bâtiment fut terminé en 1946. « C’est la première (que l’on peut qualifier de « boulevard de la Belgique
réalisation d’un type d’édifice auquel Le Corbusier pensait unitaire ») construit au-dessus de la jonction Nord-Midi :
depuis longtemps — le gratte-ciel cartésien avec fonc- ceux du Mont des Arts, de la Cité administrative et du
tion de direction, projeté sans succès pour Paris, Alger, Jardin botanique. À propos des jardins de la Cité, auxquels
Nemours, Buenos Aires — et où tous les points de son il travailla à partir de 1956, il a écrit : « J’aurais aimé
programme architectural sont rigoureusement appliqués noyer ces bâtiments modernes dans un immense tapis de
[…], d’abord dans ses aspects fonctionnels » (Leonardo fleurs parsemé asymétriquement de nombreux carrés
BENEVOLO, Histoire de l’architecture moderne, III, op. comme un tableau de Paul Klee. Ils auraient été reliés
cit., p. 353). Les architectes de la Cité administrative de par une promenade dallée également asymétrique. J’ai
Bruxelles ne purent pas ne pas prendre connaissance fini par me ranger à la volonté unanime d’un projet rythmé.
de cette réalisation. Le projet a dépendu du manque de terre à de nombreux
58. Caroline BERCKMANS et Pierre BERNARD, Bruxelles endroits. Par exemple, les arbres n’ont pu être plantés
‘50 ‘60. Architecture moderne au temps de l’Expo 58, que lorsque l’épaisseur en était suffisante. […] C’est donc
Bruxelles, Aparté, 2007, p. 19. un jardin dont la conception a dépendu plus d’une réalité
59. Albert BONTRIDDER, Léon Stynen, sa vie, son œuvre, technique à la cadence des poutrelles que d’une volonté
Anvers, Comité Stynen, 1979, p. 177. psychologique » (René PECHÈRE, Jardins dessinés.
60. Communication personnelle. Grammaire des jardins, Éditions de l’Atelier d’art urbain,
61. Alors que le dialogue était difficile avec les autres 1987, cité in Parcs et jardins, au fil des saisons, Gembloux,
architectes, Léon Stynen ne reçut pas la direction des Fédération wallonne horticole, hiver 2008, p. 65).
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tour des Finances de Liège (Roland PLANCHAR, « Liège de base, Les options d’aménagement, 23 septembre
s'émeut d'un “pataquès“ de Reynders », La Libre Belgique, 2002, p. 2. Étude préalable à l’élaboration du PPAS.
11 avril 2008). 89. Ce patrimoine, en particulier la promenade et les
80. Alain BOURDIN, Marie-Pierre LEFEUVRE et Patrice luminaires, fut mis en évidence pour la première fois par
MELÉ (s.l.d.), Les Règles du jeu urbain. Entre droit et le film Monsieur (Films de l’étang, Belgique / France, 1990,
confiance, Paris, Descartes & Cie, 2006. 73 min) réalisé par Jean-Philippe Toussaint d’après son
81. Les différents niveaux planologiques dont il est ques- roman éponyme (Paris, Minuit, 1986).
tion à partir d’ici seront explicités dans le chapitre suivant. 90. COOPARCH-RU, PPAS 99-03 « Pacheco », Dossier
La Ville avait déjà placé la Cité administrative en « zone de base, op. cit., p. 3.
de développement » dans son plan communal de déve- 91. Ibid., p. 5.
loppement. Celui-ci prévoyait de construire du logement 92. Ibid., p. 4. Ces idées avaient été notamment déve-
à front du boulevard Pacheco, de rétablir une liaison aisée loppées par des projets d’étudiants en architecture du
entre le haut et le bas de la ville et d’étudier la faisabi- professeur Pieter T’Jonck (université de Gand), montrés
lité de la reconversion partielle de la Cité en logements. et commentés lors d’un débat organisé par Marie-Laure
82. Le Brusselse Raad voor het leefmilieu (BRAL), qui jouera Roggemans dans le cadre de « Bruxelles 2000 ».
plus tard un rôle important dans le processus d’élabo- 93. La Ville demande toutefois que le cahier des charges
ration du schéma directeur (voir infra), s’était fait excuser de la vente impose le recours à un ou plusieurs concours
à cette première réunion. internationaux d’architecture pour garantir la qualité archi-
83. On ne trouve pas de justification de cette exclusion tecturale des projets. Cette demande ne sera pas suivie
dans les attendus du PRAS. On est dès lors en droit de d’effet.
se demander si elle ne résulte pas de pressions de l’État 94. COOPARCH-RU, PPAS 99-03 « Pacheco », Dossier
fédéral soucieux de ne pas mettre en péril son opéra- de base, op. cit., p. 7.
tion de sale and lease back par de longues procédures 95. C’est ainsi qu’on apprend que le bail accordé à
administratives lors de l’attribution du permis de réno- City Parking pour l’exploitation des parkings arrive à
vation (voir infra). échéance en 2012 et celui pour la station-service en 2017.
84. PRAS, « Dispositions relatives à l’affectation du sol », 96. Seule une surcharge limitée peut être envisagée le
2001, p. 42. Voir carte au chapitre II. long du boulevard Pacheco et le renouvellement de la
85. Id. chape d’étanchéité doit être possible en toute circonstance.
86. Cette décision est prise alors qu’une étude est en 97. ALTIPLAN, Rapport intermédiaire du 31 mars 2003,
cours en vue de la « requalification du Jardin botanique » p. 35.
dans le cadre de l’accord de coopération entre l’État 98. ALTIPLAN, Rapport final du 12 décembre 2003, p. 8.
fédéral et la Région de Bruxelles-Capitale (Initiative IX. 7 99. D’après le rapport, les traversées est-ouest devraient
de l'accord Beliris). se faire, à l’aide notamment d’escaliers, au droit de la
87. Cette zone levier en forme de fer à cheval (voir carte rue de l’Association, de la rue Vésale (au travers du socle
au chapitre II) inclut aussi la place Rogier et redescend du bâtiment F) et de la colonne du Congrès.
vers la place De Brouckère en reprenant la rue Neuve 100. ALTIPLAN, Rapport final, op. cit., p. 11.
et le boulevard Adolphe Max. Voir la carte n° 2 du PRD 101. ALTIPLAN, Note de synthèse du rapport final du
et le point 1.3. du PRD, Conditions transversales de mise 12 décembre 2003, p. 4.
en œuvre du projet de ville, 2002, p. 3-4. 102. La procédure de délivrance du permis fut particu-
88. COOPARCH-RU, PPAS 99-03 « Pacheco », Dossier lièrement rapide grâce au fait que la demande fut
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en 2008 le cinéma Sauvenière à Liège et le « Pavillon 116. À l’exception de la tour des Finances bientôt réin-
du bonheur » à l’occasion du cinquantième anniversaire vestie par le ministère du même nom, après rachat et
de l’Expo 58. rénovation du bâtiment par le privé (opération de sale
108. Gwenaël Breës est l’un des piliers du cinéma Nova, and lease back).
du PleinOPENAir (festival de cinéma d’été en plein air) 117. Michel HUBERT, « L’Expo 58 et le “tout à l’auto-
et du comité Midi. mobile“. Quel avenir pour les grandes infrastructures
109. « Map en référence à la carte, résultat graphique routières urbaines à Bruxelles ? », Brussels Studies, n° 22,
synthétique ambitionné à l’origine du projet mais aussi 20 octobre 2008, p. 1-17 (www.brusselsstudies.be).
en référence au projet barcelonais MAPAS ayant inspiré 118. Les multiples ventes de biens publics par l’État fédéral
la méthodologie de travail du week-end [Mapas : qui se succéderont à partir de 2001 ne manqueront pas
réflexions autour des enjeux liés à la construction du Forum de choquer et de poser question par l’absence de prise
2004 de la culture à Barcelone]. RAC sont les initiales en compte de leurs conséquences à long terme, tant sur
pour Rijks Administratief Centrum » (http://www.map le plan urbanistique (absence totale de concertation avec
rac.org). les nouveaux pouvoirs responsables) que sur le plan de
110. Id. l’efficacité économique pour l’État fédéral (amené à
111. Une coalition PS-CDH-Écolo remplacera le gouver- devenir locataire à prix fort de certains biens à peine
nement MR-PS sortant. Plusieurs membres actifs de Disturb vendus).
ou proches du collectif assumeront des responsabilités 119. Le bureau MSA a reçu la mission d’élaborer le
dans différents cabinets ministériels socialistes et écolo- schéma directeur « Botanique » (voir http://www.cae-
gistes. Cela peut expliquer en partie la présence, au sein rac.be) suite à un marché public européen dans lequel
du gouvernement, de certaines thématiques issues du plusieurs bureaux d’études renommés ont concouru (voir
MapRAC. chapitre II). La collaboration de MSA avec les Ateliers
112. On peut aussi citer la conférence du sociologue et Lion (http://www.atelierslion.com), ainsi qu’avec d’autres
urbaniste François Ascher organisée le 17 novembre 2005 partenaires associés, a permis de composer une équipe
dans le grand restaurant de la CAÉ à l’initiative de la multidisciplinaire dont la qualité et la méthodologie ont
Ville de Bruxelles et de l’Institut d’urbanisme de l’ULB ou emporté l’adhésion du maître d’ouvrage, la Région de
encore, du 11 au 13 mai 2006, le « Festival de la ville » Bruxelles-Capitale.
organisé, également dans le grand restaurant, par la 120. Inter-Environnement Bruxelles (IEB), le pendant fran-
Politique des grandes villes (gouvernement fédéral), ainsi cophone du BRAL, qui aurait pu être mobilisé dans le
que la fête de clôture de la Zinneke Parade, dans les processus d’élaboration du schéma directeur « Botanique »,
jardins Pechère. Ces événements furent sans doute les se devait de laisser le champ libre au BRAL en raison
dernières activités publiques organisées sur le site avant d’un partage du terrain entre ces deux organisations,
longtemps. IEB ayant été chargé par le pouvoir politique de l’ani-
113. Voir http://2004.pleinopenair.org. mation de la participation autour d’autres schémas
114. C’est à la même époque qu’est abandonné un directeurs (« gare de l’Ouest », « quartier européen »…).
premier PPAS élaboré par la Ville de Bruxelles pour le Quant aux acteurs « informels » actifs en 2003-2004, il
site de Tour et Taxis. est vrai que, compte tenu du caractère relativement éphé-
115. Peter SCHOLLIERS, « Consommation de classe, mère de leur mode d’action, ils ont délaissé la Cité
consommation de masse : l’auto en Belgique depuis administrative pour d’autres enjeux : Micronomics pour
1900 », Les Cahiers de la Fonderie, n° 13, p. 2-10. Citymin(e)d, quartier Midi pour Gwenaël Brees.
Chapitre II
Le schéma directeur, un nouvel instrument régional d’action publique
Des principes généraux à leur première mise en œuvre
Olivier Paye
Tester l’instrument et associer les habitants : une double initiative du gouvernement Picqué III
56 Oliv ie r P a y e
évincés les libéraux francophones (Mouvement réformateur, MR, formation fondée à partir
du Parti réformateur libéral et du Front démocratique des francophones), composante prin-
cipale de la majorité précédente, alors que les élus du Centre démocrate humaniste (CDH,
anciennement Parti social-chrétien) et d’Écolo participent cette fois à la majorité avec les
représentants socialistes. Côté néerlandophone, la majorité reste inchangée, chacun des
trois partis traditionnels (libéral, social-chrétien et socialiste) comptant un membre au sein
du nouvel exécutif régional. Charles Picqué reprend dans ses attributions la charge de l’amé-
nagement du territoire, précédemment exercée par le secrétaire d’État Willem Draps (MR).
Très rapidement, il apparaît que les démarches entreprises par Willem Draps en vue de
définir de nouveaux principes de développement pour la CAÉ (voir chapitre premier) ne
vont pas être poursuivies. En premier lieu en raison du fait qu’elles ne bénéficiaient pas suffi-
samment du soutien des autorités de la Ville de Bruxelles 2, sur le territoire de laquelle se
situe la CAÉ et dont dépendent donc tant l’élaboration des plans particuliers d’affectation
du sol (PPAS, voir Encadré n° 1) que l’octroi des permis d’urbanisme (voir Encadré n° 2). À
la suite des élections communales d’octobre 2000, la Ville était, il est vrai, gérée par un
collège placé sous la direction du bourgmestre Freddy Thielemans (PS), avec Henri Simons
(Écolo) comme premier échevin, également en charge de l’urbanisme comme dans la majo-
rité précédente. Le nouveau collège s’appuyait ainsi sur une majorité qui, comme celle qui
sera constituée au niveau régional à l’été 2004, exclut les réformateurs du MR tout en incluant,
côté francophone, les élus socialistes (groupe le plus important au sein de la majorité commu-
nale), les démocrates humanistes et les écologistes.
Fin 2004, le ministre Picqué va prendre une double initiative pour stimuler le redévelop-
pement de la Cité administrative, mais aussi d’un certain nombre d’autres sites considérés
comme d’intérêt régional 3 tels que Tour et Taxis, le quartier de la gare du Midi, celui de la
gare de l’Ouest à Molenbeek ou encore de la Toison d’Or à Ixelles. D’une part, il va décider
de recourir à l’élaboration préalable d’un « schéma directeur ». Même si la notion de schéma
directeur a déjà été utilisée antérieurement dans le domaine de l’action publique régionale
en matière d’aménagement du territoire (voir plus loin), le plan régional de développement
(PRD) de 2002 4 en use pour désigner un outil de planification publique propre aux sites
d’intérêt régional intégrés dans des « zones leviers » (ZL). Cette dernière notion, également
introduite par le PRD de 2002, désigne des périmètres comprenant un ou plusieurs sites
d’intérêt régional qui nécessitent des efforts particuliers pour favoriser leur (re)développe-
ment 5. Quatorze zones leviers 6 ont été ainsi retenues dans le PRD, dont la ZL n° 6 « Botanique »
dans laquelle se situe la CAÉ (voir Fig. 1). Le premier avis de marché en vue de sélectionner
Créée en 1989, la Région de Bruxelles-Capitale (RBC) Le COBAT opère entre les quatre principaux instru-
se voit dotée, comme les autres Régions belges, des ments juridiques d’aménagement du territoire en RBC
compétences étatiques en matière d’urbanisme et d’amé- une double division des rôles que l’on peut schématiser
nagement de son territoire. Elle hérite ainsi de l’ensemble comme suit :
des instruments d’action publique établis en la matière 1° Au PRD, l’indication des priorités du développe-
par l’État unitaire, principalement dans la loi organique ment régional — dont le contenu ne se réduit pas au
de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme du 29 simple aménagement du territoire — et la sélection de
mars 1962. Progressivement, la RBC va néanmoins se ZIP (zones d’intervention prioritaire) 16 établies en fonc-
construire son propre arsenal réglementaire et planolo- tion de ces priorités et sur lesquelles l’intervention publique
gique au travers d’une série de nouveaux supports, souvent dans ses différentes dimensions est appelée à se concen-
dénommés par leur acronyme : le PRD (plan régional de trer. Au PRAS, le zonage fonctionnel (par superficie
développement) dont la première version date de 1995 d’emprise au sol des différentes « fonctions » urbaines)
et la seconde de 2002, le PRAS (plan régional d’affec- et protectionnel (exemple : les ZICHEE, zones d’intérêt
tation du sol) adopté en 2001 10 et le RRU (règlement culturel, historique, esthétique ou d’embellissement) et les
régional d’urbanisme) dont la version la plus récente date prescriptions qui s’y rapportent. Qu’elles soient graphiques
de 2006 11. Ces outils régionaux ont chacun leur « équi- ou littéraires, ces prescriptions peuvent revêtir un aspect
valent » au niveau communal 12 : le PCD (plan communal programmatique, comme dans le cas des ZIR (zones d’in-
de développement), le PPAS (plan particulier d’affecta- térêt régional) ou des ZIRAD (ZIR à aménagement
tion du sol) et le RCU (règlement communal d’urbanisme). différé) 17. Cet aspect programmatique réside dans
Le cadre juridique qui chapeaute l’ensemble de ces instru- l’obligation juridique qu’ont les pouvoirs publics de n’au-
ments et en établit la portée et les relations est le COBAT toriser des interventions urbanistiques que si elles sont
(code bruxellois de l’aménagement du territoire) 13. Ce conformes à une situation souhaitée, distincte de la situa-
dernier a remplacé en 2004 l’ancienne OOPU (ordon- tion de fait existante au moment de l’élaboration du PRAS.
nance organique de planification urbaine) qui avait été 2° Au niveau régional, les orientations de portée géné-
adoptée dès 1991 14. rale, qu’elles soient indicatives (PRD) ou réglementaires
Lorsqu’il fut promulgué pour la première fois, en 1995, (PRAS). Au niveau communal, la précision de ces orien-
le PRD contenait certaines dispositions de portée expli- tations, tant au plan « politique » (PCD) que « juridique »
citement réglementaire. À la suite de la création du PRAS (PPAS), même si dans certaines circonstances excep-
en 2001, le PRD actuel — adopté en 2002 — se veut tionnelles les dispositions des PPAS peuvent déroger aux
de portée seulement indicative. Néanmoins, il se situe dispositions du PRAS.
à un échelon supérieur à celui du PRAS. Selon le COBAT, Il découle de ces considérations qu’un même site peut
en effet, si le PRAS revêt bien une portée réglementaire, relever de plusieurs zonages et des prescriptions et
il doit néanmoins « s’inscrire dans les orientations » du programmes qui s’y rapportent, établis dans le PRD, le
PRD 15. PRAS, un PCD et, le cas échéant, un PPAS.
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D’autre part, le ministre-président accepte une proposition soumise par le Brusselse Raad
voor het leefmilieu (BRAL) et décide de conventionner cette association pour l’année 2005,
ainsi que son alter ego francophone, Inter-Environnement Bruxelles (IEB), pour mener des
activités en vue de « faciliter la concertation entre les habitants et le gouvernement de la
Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de l’élaboration de schémas directeurs de zones
d’intérêt régional ou de zones Leviers 18 ». La convention sera reconduite pour l’année 2006 19.
C’est le BRAL qui reçoit la mission pour la CAÉ et pour Tour et Taxis, site géographique-
ment proche de celui de la CAÉ 20.
La double démarche à laquelle a recours le ministre Picqué pour définir de nouveaux
projets de développement au bénéfice de certaines zones d’intérêt régional (ZIR), dont la
ZIR n° 11 « Cité administrative », cadre bien avec le « projet de ville » tel qu’il a été forma-
lisé dans le PRD de 2002. Adopté par l’exécutif régional précédent, le PRD n’a pas été
adapté par le nouvel exécutif, ce qui en souligne le caractère relativement consensuel. D’une
part, le PRD stipule : « Certaines zones leviers qui conjuguent de fortes possibilités d’attrac-
tion résidentielle avec d’autres dimensions du développement futur de la Région retiennent
l’attention spécifique du gouvernement. Soit que leur potentiel résidentiel risquant d’être écorné
par d’autres fonctions, il conviendrait par conséquent de le protéger ; soit que ce potentiel
gagnerait à être valorisé, ce qui renforcerait les autres vecteurs de développement et démul-
tiplierait l’attrait global de la zone. Le schéma directeur servira d’outil de planification de
ces zones 21 .» De l’autre, il indique : « La participation active des habitants est un principe
essentiel de la démarche intégrée de développement local. Il s’agit bien de l’encourager
afin que les habitants deviennent de véritables acteurs du développement urbain. La Région
et particulièrement les pouvoirs locaux veilleront à les associer à la mise en œuvre du projet 22 ».
L’innovation du ministre Picqué tient alors dans l’insertion de l’impératif de « participation
des habitants » au sein de ce « nouvel » instrument de développement urbain que constitue
le schéma directeur des zones leviers.
Une telle jonction, en effet, ne figurait pas, ou en tout cas pas de façon explicite, dans le
PRD. En revanche, elle était bien présente dans l’accord de gouvernement de juillet 2004
qui fondait la nouvelle majorité régionale. Dans la section intitulée « Investir les espaces inoc-
cupés », cet accord affirme ainsi : « Les affectations futures de ces sites doivent être définies
préalablement aux plans d’aménagement et au regard des besoins du quartier dans sa
globalité. Un schéma directeur fixera le cadre du développement des ZIR en prévoyant un
programme des opérations à mener, une évaluation des instruments urbanistiques existants
ou à mettre en œuvre, un timing des opérations, ainsi qu’une évaluation financière des
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Bruxelles-Ville le 27 juin 2005, soit quelques jours après le lancement par la Région des
appels d’offre restreints pour l’élaboration des schémas directeurs « Tour et Taxis » et « Botanique»,
qui sont annoncés à cette occasion. On y évoque également la création au sein de l’AATL
(administration de l’Aménagement du territoire et du Logement) d’une nouvelle cellule « ZIR »
chargée de l’encadrement administratif des processus d’élaboration des schémas directeurs
qui devraient être lancés au fur et à mesure pour les quatorze ZIR établies par le PRAS
adopté en 2001 29. L’accent est mis par le ministre-président sur la « nouvelle méthode » qui
devrait être utilisée pour réaliser le redéploiement souhaité des sites en question, méthode
dont l’originalité résiderait dans une « phase participative » préalable aux décisions poli-
tiques, plus précisément dans la « concertation avec tous les acteurs liés de près ou de loin
au site, autorités politiques, propriétaires, voisins, forces économiques et sociales avant de
décider des normes réglementaires 30 ».
Mais quel est donc cet instrument « nouveau » d’action publique régionale par lequel les
responsables régionaux et de la Ville de Bruxelles entendent donner une « deuxième vie » à
la CAÉ ? Quelles sont ses spécificités ? Qu’est-il censé apporter de plus que les instruments
déjà existants ? C’est ce dont nous allons traiter au point qui suit, consacré à la présenta-
tion des caractéristiques que revêt un schéma directeur « sur le papier ». Nous tenterons
essentiellement de dégager des réponses au double questionnement suivant. D’abord, quelle
est la part que les options de développement retenues dans un schéma directeur doivent à
des orientations qui sont imposées a priori et quelle est la part qu’elles doivent à des processus
de délibération collective dont l’issue est ouverte ? Ensuite, quelle est la nature de ces processus
de délibération collective, et existe-t-il des différences selon les catégories d’acteurs appelés
à y être associés ?
Selon le PRD de 2002, le schéma directeur est « l’instrument de base qui organise la ZL 31 ».
Avant même de se demander ce qu’est un schéma directeur, il faut donc chercher à savoir
en quoi consiste une zone levier.
Désignant une catégorie particulière de zone d’intervention prioritaire (voir Encadré n° 1), le
concept de zone levier renvoie, d’après le PRD de 2002, « à la nécessité de mieux organiser
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directeur. Il trace le contour précis de la zone et détermine les principales options d’inter-
vention qui y seront développées, ainsi que les moyens requis 37 ».
« [L]’objet […] du SD est de déterminer les principales options d’intervention qui seront déve-
loppées dans la ZL ainsi que les moyens requis 38. » Après avoir rapidement évoqué les
utilisations passées auxquelles la notion de schéma directeur pouvait faire référence, nous
présenterons les trois caractéristiques majeures qu’un tel schéma est censé revêtir par rapport
aux autres instruments d’action publique dans le domaine de l’aménagement du territoire
en Région bruxelloise. À savoir : traduire de façon plus opérationnelle et plus intégrée les
orientations de développement d’un site ; permettre une meilleure exploitation des instru-
ments juridiques existants ; (se) fonder (sur) la construction d’un large consensus autour du
programme de développement à élaborer.
Le schéma directeur fait partie des « outils actuels de planification » visés dans la priorité 5
du PRD qui s’intitule : « Mettre en œuvre une politique efficace de l’aménagement du terri-
toire fondée sur une planification en matière d’affectation du sol qui s’inscrit dans les orientations
du PRD, des réglementations adaptées en matière d’urbanisme et mettre en place des instru-
ments efficaces de politique foncière. » La systématisation recommandée de son usage pour
les périmètres urbains assimilés à des zones leviers participe de la volonté des rédacteurs
du PRD de produire une politique d’aménagement du territoire plus efficace. Souvent présentée
comme une « méthode nouvelle » (rappelons-nous les propos du ministre-président tenus lors
de la conférence de presse Ville-Région du 25 juin 2005), l’appellation « schéma directeur »
que consacre le PRD en 2002 avait déjà cours dans le domaine urbanistique à l’étranger
— en particulier en France —, en Belgique et en Région bruxelloise 39.
Ainsi, dans le cadre de la politique de revitalisation urbaine menée par les pouvoirs publics
bruxellois depuis les années 1990, l’appellation « schéma directeur » sert à désigner l’un
des documents principaux que doit comporter tout « programme de revitalisation » à réaliser
dans le cadre d’un « contrat de quartier » 40. Dans ce document, partie du « dossier de base »,
se trouvent formalisées et « échéancées » toutes les opérations « socio-urbaines » qui seront
menées dans un délai de quatre ans dans un quartier « fragilisé » préalablement retenu par
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planologiques régionaux et sans doute aussi par rapport aux plans communaux de déve-
loppement. Cela l’est moins, on y reviendra, par rapport aux PPAS qui, intervenant après
les schémas directeurs en ce qui concerne les zones leviers, sont conçus pour être « plus
précis 46», donc en un sens plus opérationnels. Cependant, c’est uniquement sous l’angle
d’une plus grande précision dans la spatialisation des options retenues. Pour le reste, le
schéma directeur se veut effectivement plus opérationnel, que ce soit en termes de mobili-
sation des « preneurs d’initiative », de synchronisation des différentes interventions, publiques
et privées, attendues pour concrétiser les options prises, ou d’évaluation préalable des moyens
que celles-ci impliquent. Concrètement, d’après le PRD, ces schémas directeurs « prendront
en considération les éléments suivants :
— les mesures spécifiques visant à encourager la rénovation ou la création de logements ;
— le phasage dans le temps des mesures d’aménagement liées aux projets de rénovation
ou de développement ;
— le type d’activités liées à d’autres fonctions qui sont privilégiées sur la zone et leur
localisation ;
— les mesures à prendre en termes d’aménagement des espaces publics et d’embellissement ;
— la définition des projets d’équipements collectifs ou des infrastructures ainsi que leur ampleur;
— les liaisons de transport à créer, la définition de la hiérarchie des voiries et des moda-
lités qui doivent leur être affectées ;
— les modes d’intervention publique (programmes intégrés, primes, outils incitatifs spéci-
fiques) qui doivent garantir le développement harmonieux de la zone 47 ».
On le voit, le schéma directeur ne se limite pas à un zonage fonctionnel et protectionnel
équivalant à autant d’injonctions à « ne pas faire », adressées aux éventuelles initiatives prove-
nant de propriétaires actuels ou futurs de parcelles de la zone considérée, desquelles est
attendue la dynamique de redéveloppement d’une zone. Plutôt que de laisser venir les initia-
tives, formalisées le plus souvent par le dépôt d’une demande de permis d’urbanisme (ou
de lotir), en les attendant avec un ensemble de prescrits à respecter, le SD cherche à les
mobiliser, à interagir avec celles qui existent déjà ou sont pressenties, en vue de construire
avec leurs auteurs un projet de développement commun.
Comme dans la plupart des pays occidentaux, la ques- dépendante des initiatives que veulent bien prendre les
tion du (re)développement d’espaces urbains s’inscrit en propriétaires. Sauf à être ou devenir eux-mêmes proprié-
Région de Bruxelles-Capitale dans un cadre juridique taires de terrains ou de bâtiments — ce qui a également
articulant, d’une part, une compétence générale d’ac- fini par constituer l’un des instruments d’intervention
tion au bénéfice d’autorités publiques considérées publique en la matière —, les pouvoirs publics ne peuvent,
comme dépositaires de l’intérêt général et, d’autre part, en effet, entreprendre eux-mêmes d’actions à caractère
une compétence particulière d’action reconnue à tout urbanistique, si ce n’est dans les parties d’un périmètre
propriétaire d’une parcelle de cet espace, compétence qualifiables d’espace public et qui relèvent dès lors de
fondée sur des prérogatives personnelles attachées au leurs compétences d’action générale.
droit de propriété. Le droit de propriété est un droit de Pour (re)développer un périmètre, les pouvoirs publics
l’homme consacré dans la Constitution belge, à l’art. 16 doivent donc le plus souvent compter, ne serait-ce que
du Titre II, ainsi que dans de nombreux textes conven- partiellement, sur l’initiative éventuelle des propriétaires
tionnels ou coutumiers internationaux 48. La définition privés des biens immobiliers situés dans ce périmètre.
principielle de sa portée se trouve exprimée dans le célèbre Du fait de cette situation, certaines personnes privées en
art. 544 du Code civil : « La propriété est le droit de sont venues à se spécialiser dans l’acquisition de
jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, parcelles ou de bâtiments afin d’en modifier l’état pour
pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les en tirer profit. Pour pouvoir être réalisés, les projets déposés
lois ou par les règlements. » par ces promoteurs immobiliers doivent cependant
« Selon ce libellé, la liberté est le principe et la limi- obtenir une autorisation préalable de la part des auto-
tation l’exception », écrit Bernard Pâques. Il ajoute rités publiques compétentes qui, en RBC, sont en règle
cependant : « Aujourd’hui, il faut admettre que cette façon générale les exécutifs communaux 50, agissant sous la
de présenter les choses s’est inversée. Toute parcelle du tutelle de la Région.
territoire est nécessairement couverte par un plan d’amé- En RBC, cette autorisation préalable revêt d’ordinaire
nagement et son affectation est donc légalement la forme d’un « permis d’urbanisme 51 ». Pour obtenir ce
déterminée. La plupart des actes et travaux nécessitent sésame, une demande doit être introduite dans les formes
un permis d’urbanisme ou de lôtir. La police est donc auprès de l’administration de la commune concernée 52,
devenue la règle et la liberté l’exception. En réalité, les qui instruira le dossier dans un délai déterminé, variable
autorités publiques se sont progressivement affranchies selon les caractéristiques de la demande. Ce délai s’al-
des contraintes mises en place par le souci de respecter longera si l’instruction doit comprendre une phase de
le droit de propriété, pour ainsi pratiquer des politiques consultation dans le cadre de « mesures particulières de
de plus en plus interventionnistes » 49. publicité » (voir Encadré n° 3) et / ou une demande d’avis
L’interventionnisme public en la matière s’est opéré auprès du fonctionnaire délégué désigné par la Région.
principalement au travers de plans prescrivant une orga- Il s’agit dans ce cas d’un avis conforme, c’est-à-dire que
nisation de l’espace différenciée selon des « fonctions » les autorités communales ne peuvent décider d’accorder
dévolues à des zones et des usages spécifiques du sol un permis qu’en se conformant strictement à l’avis rendu
(planification dite spatiale ou passive). Ce faisant, les par ledit fonctionnaire.
pouvoirs publics ont établi des bornes juridiques aux inter- Autorisant des projets précis d’intervention sur le sol
ventions projetées par les propriétaires sur leur bien, ou le bâti d’un périmètre, le permis d’urbanisme est ’instru-
permettant ainsi de canaliser les modifications des sols, ment le plus opérationnel qui permette aux autorités
bâtis et voiries envisagés par ceux-ci. Dans ce cadre, la publiques de réguler les initiatives privées en matière
dynamique urbanistique reste toutefois fondamentalement urbanistique. Il se caractérise par une certaine souplesse.
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D’un côté, le permis d’urbanisme peut accorder, en les établis dans les plans publics d’aménagement du terri-
justifiant, des dérogations par rapport aux prescrits règle- toire n’est pas toujours suffisant pour qu’un permis
mentaires généraux existants (sauf s’ils sont établis dans d’urbanisme soit accordé. Les autorités publiques respon-
le cadre du PRAS). Dans ce cas, le permis sera toujours sables peuvent, en effet, conditionner l’octroi des permis
rendu sur avis conforme du fonctionnaire délégué et, le d’urbanisme à leur propre conception du « bon aména-
plus souvent, soumis aux mesures particulières de publi- gement des lieux » concernés par la demande de
cité. D’un autre côté, le respect des prescrits généraux permis 53.
Est-ce à dire pour autant que ce projet commun est « entièrement à construire avec toutes
les parties prenantes », pourvu que ses caractéristiques finales respectent les prescrits régle-
mentaires — comme on l’a parfois entendu de la bouche d’acteurs impliqués dans le processus
d’élaboration du SD « Botanique » ? Non, car le contenu de tout schéma directeur doit s’inté-
grer dans le « projet de ville » établi dans le PRD. Les futurs SD doivent en particulier tenir
compte de la priorité 1 du PRD, qui affirme notamment : « La Région se doit d’offrir à ses
habitants un tissu résidentiel de qualité. Un effort important doit être réalisé pour que la ville
attire par ses atouts, qui doivent avoir quelque chose d’original. Cet objectif passe néces-
sairement par une politique intégrée et ambitieuse, entre autres en matière : de rénovation
urbaine; d’espaces publics ; de propreté et de sécurité ; d’équipements collectifs ; de valori-
sation du patrimoine 54. » Du coup, quelle que soit l’ouverture à la participation dont les
autorités publiques ou l’auteur de projet feront montre dans le processus d’élaboration d’un
schéma directeur sur une zone levier, certaines options de développement doivent être consi-
dérées comme irrecevables a priori, car allant à l’encontre des orientations du PRD. Cela
étant, il ne faut pas surestimer cette restriction à la marge de manœuvre laissée par le SD
aux parties impliquées dans la définition collective du programme de développement d’une
ZL. Les orientations de fond qui donnent corps au « projet de ville » que recèle le PRD sont,
en effet, établies à un degré relativement élevé de généralité, ce qui facilite le consensus à
leur propos et laisse ouvert un large éventail de possibilités de traduction plus concrète dans
des options de développement spécifiques à chaque site.
Conçus comme plus opérationnels que les autres instruments planologiques, les schémas
directeurs n’ont pas vocation à « se substituer aux outils et plans existants à valeur régle-
mentaire et sont d’ailleurs dépourvus de force obligatoire et de valeur réglementaire 55 ».
D’autant que « leur objectif est de générer de tels plans 56 ». Ainsi, ces schémas « permettront
De portée indicative mais dotés d’un caractère élevé d’opérationnalité afin de rendre plus
efficaces les instruments de la politique régionale d’aménagement du territoire existants, les
schémas directeurs devraient « permettr[e] une meilleure coordination entre les différents acteurs
concernés 62 ». En effet, ces schémas directeurs « ser[ont] élaboré[s] en vue de concilier au
mieux les objectifs et les attentes des différents acteurs et de transcender d’éventuelles logiques
68 Oliv ie r P a y e
concurrentielles 63 ». Le recours aux schémas directeurs pour (re)développer une zone levier
s’inscrit ainsi clairement dans une approche de l’action publique de type partenarial, selon
lequel les autorités publiques et les acteurs privés entrent en relation sur un mode réticulaire
plutôt que pyramidal 64, « horizontal » plutôt que « vertical », suivant donc le modèle de « la
gouvernance » plutôt que celui du « gouvernement » 65.
Cette vocation particulière des schémas directeurs semble devoir être mise en lien avec la
deuxième condition transversale de mise en œuvre du projet de ville retenue par le PRD,
intitulée « Un consensus fort, mobilisant l’ensemble des acteurs du développement urbain ».
Dans la section du PRD qui lui est consacrée, on peut lire : « Ce consensus qui doit permettre
de mobiliser tous les acteurs du développement urbain, c’est-à-dire les habitants, le monde
associatif, les milieux économiques, les pouvoirs publics, […] ne pourra être atteint que si
chacun a le sentiment d’y être impliqué. […] L’institution régionale ne peut pas porter seule
le développement de la ville. À l’instar d’autres villes européennes, il faut rallier l’ensemble
des acteurs urbains autour du projet de ville et les associer à des réalisations concrètes […].
Il manque à Bruxelles des “coalitions de développement” réunissant autour d’objectifs communs
les habitants et les acteurs politiques, économiques, administratifs, associatifs et académiques.
Ces “coalitions de développement” supposent la mise en commun de ressources, l’engage-
ment et la prise de responsabilité dans les projets 66. »
La rhétorique utilisée dans la deuxième condition transversale du PRD est emblématique
d’une conception de l’action publique pouvant se revendiquer de « la gouvernance 67 ». On
notera qu’elle inclut « les habitants » parmi les « acteurs concernés ». L’assimilation n’a pas
qu’une portée symbolique. En effet, « ces acteurs sont concernés par l’ensemble des processus
de concertation et de participation permettant l’élaboration, l’adoption et la réalisation des
plans et des projets tant au niveau du quartier que de la commune et de la Région. Les
processus, éminemment démocratiques, méritent d’être évalués et, le cas échéant, améliorés
notamment en termes de communication 68 ».
Force est pourtant de constater que, dans les passages du plan régional de développe-
ment qui sont consacrés aux schémas directeurs, « les habitants » ne semblent pas être considérés
comme des « parties prenantes », qui seraient à traiter sur le même pied que d’autres acteurs
dont le schéma directeur doit chercher à concilier les attentes et qu’il doit associer à son
élaboration. Il est dit, par exemple, que « [l]e schéma directeur est un instrument dynamique
permettant de concrétiser les objectifs de consensus large, de cohérence de l’action des
pouvoirs publics et de partenariats public / privé développés dans les conditions transver-
sales 69 ». Si donc des acteurs particuliers sont mis en exergue dans le processus de mobilisation
70 Oliv ie r P a y e
réciproque chaque niveau de pouvoir « renvoie la balle » à l’autre, avec pour conséquence
un blocage de l’action publique.
Ces considérations suggèrent que la coordination entre acteurs qu’est censée générer l’élabo-
ration d’un schéma directeur concerne d’abord et avant tout les autorités communales impliquées,
ensuite les acteurs économiques privés et enfin seulement les habitants. Cet ordre de prio-
rité se reflète en partie dans l’exposé de la procédure d’adoption des schémas directeurs
dans le plan régional de développement. Selon ce plan, « [l]e gouvernement désigne un
auteur de projet qu’il charge de l’élaboration du schéma. Il désigne également un comité
d’accompagnement qui regroupe l’ensemble des acteurs intéressés comprenant notamment
les communes concernées. Le résultat de l’étude est soumis à une consultation publique et,
ensuite, à la Commission régionale de développement (CRD). Le schéma directeur est adopté
par le gouvernement après avis de la CRD 71 ».
Si l’on met de côté la phase de consultation de cette commission, qui intervient tout à la
fin du processus d’élaboration du schéma, juste avant son adoption par le gouvernement
régional, on peut alors circonscrire deux phases durant lesquelles l’auteur du projet de schéma
est tenu d’avoir des échanges avec des « acteurs extérieurs ». La première phase a lieu tout
au long du processus et a pour cadre un comité d’accompagnement dont tout « acteur inté-
ressé » a vocation à faire partie, mais qui doit au moins comprendre « les communes concernées ».
La seconde n’intervient qu’à la fin du processus, puisqu’elle porte sur « le résultat de l’étude »
et tient dans une consultation publique — dont les modalités ne sont pas précisées. En tout
cas, il n’est pas fait référence à la procédure habituelle de consultation publique en matière
d’aménagement du territoire et de l’urbanisme en Région de Bruxelles-Capitale, celle asso-
ciée aux « mesures particulières de publicité » (voir Encadré n° 3).
Certes, il n’est pas exclu que « les habitants » puissent être associés tout au long du processus
d’élaboration du schéma directeur, sur le mode de la concertation, par le biais d’une présence
au sein des comités d’accompagnement, il apparaît toutefois plus probable qu’ils soient seule-
ment amenés à s’exprimer à la fin du processus, sur le mode de la consultation. En l’absence
de précision, c’est aux pouvoirs publics régionaux qu’il appartiendra d’établir si, pour les
habitants, la balance doit pencher du côté de la « concertation tout au long du processus »
ou bien de la simple « consultation sur les résultats du processus », notamment lorsqu’ils rédi-
geront les avis de marché destinés à sélectionner le bureau chargé d’élaborer le schéma.
Maintenant que nous avons présenté les caractéristiques principielles d’un schéma direc-
teur selon le PRD, nous allons à présent mettre en lumière le cadre spécifique dans lequel
s’est inscrit le processus d’élaboration du schéma directeur pour la zone levier « Botanique ».
Dès 1979, le plan de secteur pour l’agglomération bruxel- endroits publics situés dans la zone sur laquelle porte la
loise comprend une procédure de consultation publique demande ou le projet soumis à l’enquête. Ils peuvent
dans le domaine de l’aménagement du territoire et de également être diffusés par d’autres biais, par voie de
l’urbanisme, suite notamment à une série de luttes urbaines presse par exemple, ou consultables en ligne sur des
qui souhaitaient voir pris en compte « l’avis des habi- sites web.
tants 72 ». Les fondements généraux, toujours en vigueur, La commission de concertation est un organe créé
de cette procédure sont définis dans le COBAT parmi au sein de chaque commune. Elle se compose de cinq
les « mesures particulières de publicité » (MPP) 73. La procé- membres : l’échevin de l’urbanisme de la commune
dure en question concerne tout projet public de plans concernée qui la préside (et qui peut être accompagné
d’affectation ou de développement et de règlements d’ur- de membres de son administration), deux représentants
banisme ainsi que toute demande de permis d’urbanisme de l’AATL de la Région — l’un de la direction de l’ur-
qui comprendrait des dispositions pour lesquelles des banisme, l’autre de la direction des monuments et sites —
prescrits réglementaires exigent l’application des MPP et deux représentants des organismes para-publics que
ou qui viserait à obtenir une dérogation aux prescrits sont la SDRB (Société de développement pour la Région
réglementaires en vigueur. La procédure s’articule autour de Bruxelles-Capitale) et l’IBGE (Institut bruxellois de
de deux phases : l’« enquête publique » d’un côté, « la gestion de l’environnement).
commission de concertation » de l’autre. Cette commission est chargée de rendre un avis motivé,
Durant l’enquête publique, « quiconque le souhaite » adopté à la majorité de ses membres, auprès du collège
peut aller consulter le dossier à l’administration commu- des bourgmestre et échevins de la commune concernée
nale, recevoir des explications supplémentaires à ce sujet par le dossier. Cet avis prend en considération les opinions
auprès du fonctionnaire ou du service désigné, adresser qui ont été émises dans le cadre de l’enquête publique
par écrit ou oralement ses observations et « réclamations » et lors de la partie publique de la réunion de la commis-
au service de l’urbanisme de la commune et demander sion. En effet, si l’avis de la commission fait in fine l’objet
à être ensuite entendu par la commission de concerta- d’une délibération à huis clos, il est précédé par une
tion. Nul besoin donc d’exciper d’une qualité particulière réunion publique à laquelle a été convoquée, outre les
pour exprimer son avis. Il n’est pas nécessaire par exemple demandeurs, toute personne qui en a fait la demande
d’être domicilié dans la commune. Le simple fait de au cours de l’enquête publique. Chaque participant au
souhaiter donner son opinion suffit pour que l’avis soit volet public de la réunion de la commission peut en outre
officiellement pris en compte et pour donner le droit à se faire accompagner par deux conseillers. Si l’on peut
être entendu par la commission de concertation. donc effectivement parler de concertation ici, celle-ci se
Une enquête publique dure en général deux semaines. déroule essentiellement entre les membres de la commis-
Sa durée et son objet, ainsi que d’autres éléments sion. Il ne s’agit pas d’une concertation avec le public,
pratiques, sont annoncés par des avis standardisés, les vis-à-vis duquel les échanges s’opèrent principalement
fameuses affiches rouges. Ces avis sont placés dans des sur le mode de la consultation 74.
72 Oliv ie r P a y e
Le schéma directeur pour la CAÉ et son contexte :
prescriptions juridiques, orientations politiques et mobilisations sociales
Le site de la CAÉ se trouve inscrit dans des zones spécifiques, tant au PRAS (texte à valeur
réglementaire) que dans le PRD et dans le PCD de la Ville de Bruxelles (textes de portée
essentiellement indicative).
Au PRAS, la CAÉ est reprise en tant que ZIR n° 11. Juridiquement, son aménagement doit
donc faire l’objet de l’élaboration d’un PPAS par la commune concernée 75, PPAS censé
« préciser des dispositions du PRAS ». Le gouvernement régional est ainsi habilité à prendre
l’initiative de charger la commune d’élaborer, dans un délai donné, un tel PPAS, confor-
mément aux principes que le gouvernement aura arrêtés 76. « En l’absence de tels plans,
seuls sont autorisés les actes et travaux conformes à la prescription relative à la zone de
forte mixité et au programme des zones concernées, après que ces actes et travaux auront
été soumis aux mesures particulières de publicité 77 » (enquête publique et commission de
concertation, voir Encadré n° 3).
En ce qui concerne la ZIR n° 11, le programme spécifique est le suivant : « Cette zone est
affectée aux logements, aux commerces de proximité, aux bureaux, aux activités produc-
tives et aux équipements d’intérêt collectif ou de service public. La superficie de plancher
affectée aux logements ne peut être inférieure à 35 % de la superficie totale de plancher
dans la zone. La composition urbaine de l’ensemble vise à l’amélioration de la perméabi-
lité piétonne et cyclable du site et à l’aménagement du boulevard Pacheco entraînant la
réduction de sa largeur carrossable. L’accès vers le boulevard Saint-Lazare sera maintenu 78. »
Soulignons ici que la ZIR n° 11 n’intègre pas la tour des Finances, avec pour conséquence
que tout projet d’intervention sur celle-ci échappe aux contraintes juridiques spécifiques pesant
sur les ZIR. La société Breevast, propriétaire de la tour et copropriétaire du restant de la
Cité, l’a bien compris et a introduit en 2003 une demande de permis d’urbanisme pour un
projet de rénovation de la tour. Malgré le souhait des milieux associatifs de voir le sort de
la tour joint au reste de la Cité 79, le permis fut obtenu en 2004, les travaux commencèrent
en janvier 2005 et se sont terminés le 30 avril 2008.
74 Oliv ie r P a y e
La Cité administrative dans la ZL n° 6 « Botanique » du PRD de 2002
Au PRD, la CAÉ figure, avec la tour des Finances cette fois, parmi les quatorze zones leviers,
mais pas parmi les six qui ont été retenues comme prioritaires 80. Elle se trouve englobée
dans la ZL n° 6 « Botanique » 81, qui s’étend de part et d’autre de la rue Royale et du boule-
vard du Jardin botanique, s’étirant jusqu’à la place Rogier et aux boulevards du centre.
Cette zone est donc beaucoup plus large que la ZIR n° 11 du PRAS.
Les auteurs de l’arrêté établissant le PRD justifient la qualification de zone levier au béné-
fice de ce périmètre de la manière suivante : le statut de zone levier permet ici « d’appréhender
des sites qui bien que n’étant pas proches fonctionnent de manière commune, tels le boule-
vard Botanique, la porte de Schaerbeek, la place Rogier et les boulevards centraux vers la
place de Brouckère ». Ils notent « que cette zone comprend plusieurs “immeubles tours” dont
la réaffectation doit être envisagée ; qu’elle comprend également des espaces publics struc-
turant d’importance régionale dont le réaménagement est à l’étude et qu’elle comprend
également la Cité administrative classée en zone d’intérêt régional n° 11 du plan régional
d’affectation du sol »82.
On le sait, pour le PRD, l’outil propre au développement des zones leviers est le schéma
directeur qui n’a toutefois qu’une portée indicative et n’a pas pour vocation de se substituer
aux autres instruments existants, notamment de portée réglementaire, en particulier le PPAS.
Comme les ZL sont des ZIP, le COBAT habilite le gouvernement régional à prendre l’initia-
tive de charger la commune concernée d’élaborer un PPAS dans un délai donné, conformément
aux principes que le gouvernement aura arrêtés pour le développement de ces zones 83. Si
la situation est donc similaire de ce point de vue à ce qui prévaut pour une ZIR, il faut souli-
gner que les protections juridiques prévues par le PRAS pour les ZIR en l’absence de PPAS
traduisant le programme prévu (voir supra) n’ont pas d’équivalent pour les zones leviers.
Faisant référence au programme établi par le PRAS pour la ZIR n° 11, le plan communal
de développement adopté en avril 2004 par la Ville de Bruxelles envisage ceci dans ses
lignes de force : « La reconstruction, à front du boulevard Pacheco, le long de la Cité admi-
nistrative de l’État, ainsi que sur la dalle, dans l’axe de la rue du Congrès, d’un ensemble
mixte de logements de qualité et de grandes infrastructures. En ce qui concerne la Cité admi-
nistrative de l’État proprement dite, elle devrait être partiellement reconvertie en logements.
En juin 2005, le lancement par le gouvernement régional de l’appel d’offres restreint destiné
à sélectionner un auteur de projet pour l’élaboration du schéma directeur pour la ZL n° 6
« Botanique » intervient en même temps que se clôturent deux initiatives. Ces initiatives prises
par les propriétaires, d’un côté, le gouvernement régional, de l’autre, ont deux traits en
commun : elles impliquent des personnes ou des groupes déjà mobilisés autour de la recon-
version du site de la CAÉ au cours des années 2003-2004 et elles visent à cadrer les orientations
de développement de la CAÉ 85.
En septembre 2004, alors que le festival PleinOPENair organisé sur le site de la CAÉ se
termine (voir chapitre précédent), la société propriétaire du site va suivre les conseils de
Disturb, l’une des associations les plus impliquées dans la mobilisation autour du devenir
de la CAÉ, et s’adresser au bureau Polaris Architects pour coordonner l’organisation d’un
« concours à idées » auprès de jeunes architectes-urbanistes européens 86.
Fondé en 2001 par François Thiry et d’autres, Polaris Architects se distingue par l’ambi-
tion de promouvoir des pratiques architecturales innovantes, tant dans leur concept que dans
76 Oliv ie r P a y e
leurs dynamiques de production. Le bureau réalisa, par exemple, en 2003 une enquête sur
les pratiques culturelles architecturales dans le cadre du futur Livre blanc de l’architecture
promu par l’institut supérieur d’architecture La Cambre 87. Ce travail aboutit, entre autres, à
la collation d’un « ensemble de projets culturels, expérimentaux, didactiques, militants, artis-
tiques, reflets des débats qui animent la société contemporaine 88 ».
Rédacteur en chef de la revue belge d’architecture A+, intervenant au débat « Quel avenir
pour la Cité administrative ? » organisé en novembre 2003 par les associations Disturb et
City Mine(d), François Thiry fait partie de l’équipe qui, au sein de Polaris, se charge de la
mission confiée par les promoteurs. Plutôt que d’organiser un concours d’architecture « clas-
sique », le Polaris suggère de réunir, sous « la forme non concurrentielle d’un groupe de
travail » , cinq architectes-urbanistes européens sélectionnés d’après des critères préétablis
par le bureau (il y en aura finalement quatre, l’un déclinant l’offre) : « Âgés de trente à
quarante-cinq ans, ils représentent une génération émergente de concepteurs actifs au niveau
européen, expérimentés en partenariats publics-privés, très spécialisés en urbanisme straté-
gique, lauréats de prix et concours internationaux 89 ».
Ces architectes-urbanistes furent invités à travailler sur des scénarios spécifiques mais de
façon collective, sur la base d’un même cahier des charges et en participant à des « work-
shops » communs dans lesquels des experts extérieurs étaient invités. Les quatre scénarios
furent présentés à leur commanditaire début juin 2005 90. Le rapport de synthèse les expo-
sant sera retenu parmi les « documents à consulter » dans le cahier des charges relatif à
l’appel d’offres restreint lancé par le gouvernement régional pour le schéma directeur de la
zone levier « Botanique ».
La démarche entreprise par les propriétaires du site via le bureau Polaris mérite qu’on
s’y arrête. En ne se contentant pas d’attendre passivement qu’un schéma directeur soit adopté,
les propriétaires contribuent de toute évidence à mettre de la pression sur les pouvoirs
publics afin qu’ils arrêtent rapidement un programme pour la Cité administrative, qui permette
aux promoteurs d’entreprendre les interventions jugées nécessaires pour rentabiliser leur
achat. Dans le même temps, l’initiative est originale en ce qu’elle marque un rapproche-
ment entre le monde des promoteurs et la mouvance associative militante de l’architecture
belge contemporaine. Symbole de cette conciliation, le recours par les propriétaires au
concours d’architecture, procédure revendiquée par les « jeunes architectes-urbanistes mili-
tants » auprès des pouvoirs publics bruxellois pour le redéveloppement des zones urbaines
stratégiques. On peut même dire que, ce faisant, les propriétaires du site agissent… comme
des pouvoirs publics, ou plutôt agissent comme les pouvoirs publics devraient le faire dans
Tandis que, sur l’invitation de Disturb, les promoteurs mettaient en place un processus d’éla-
boration, par de « jeunes architectes-urbanistes européens », de divers scénarios de
78 Oliv ie r P a y e
reconversion du site acceptables pour eux, peu après, à l’invitation du BRAL, le gouverne-
ment régional confiait à cette association la mission de « faciliter la concertation entre les
habitants et le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de l’élabo-
ration de plans de développement de Zones d’intérêt régional ou de zones leviers 95 ».
En l’absence de comités de quartier solides dans les quartiers environnants (essentiellement :
Notre-Dame aux Neiges, Saint-Josse / Botanique et les Bas-Fonds), le BRAL prend le parti de
constituer une « plate-forme locale », regroupant au départ une petite dizaine de personnes,
pas nécessairement des riverains 96, dont une part significative provient du mouvement asso-
ciatif 97. Au cours du premier semestre 2005, deux réunions seront tenues, l’une d’information
et de préparation, l’autre sous la forme d’un « atelier de quartier » destiné à produire une
analyse de la situation quartier par quartier et des liens, actuels et souhaités, reliant ces
quartiers à la CAÉ.
Une troisième réunion a lieu début juillet pour établir un rapport de synthèse des réunions
précédentes (Encadré n° 4). Ce rapport figurera lui aussi, comme la synthèse du « concours
à idées » lancé par les propriétaires du site, parmi les « documents à consulter » indiqués
dans le cahier des charges auquel fait référence l’appel d’offres restreint lancé en juin 2005
pour sélectionner un auteur de projet pour le SD « Botanique » (voir infra). La réalisation de
ce travail de synthèse est quelque peu précipitée, du fait que le cabinet Picqué refuse d’ac-
céder à la demande de la plate-forme locale, relayée par le BRAL, de pouvoir faire des
commentaires sur le cahier des charges, qui « déterminera le travail du bureau d’études »,
avant qu’il soit rendu public. La proposition fut jugée « trop compliquée » et de nature à
retarder la procédure que le cabinet souhaitait lancer « le plus vite possible ». En revanche,
le cabinet se montre favorable à l’idée que le BRAL lui transmette un rapport reprenant les
idées des habitants dans un délai lui permettant d’en tenir compte pour la rédaction du
cahier des charges 98. Ce qui fut donc fait.
1. Pas de bureaux supplémentaires, mais des logements Pechère ») le rendant plus sûr, l’ouvrant aux activités récréa-
destinés à favoriser la mixité sociale. tives et sportives et le connectant mieux au parc de l’ancien
2. Une ou plusieurs écoles et crèches. Jardin botanique situé de l’autre côté du boulevard du
3. Une infrastructure sûre de jeux et de sports Jardin botanique.
4. Une maison inter-quartiers. 9. Une accessibilité du site de la CAÉ plus grande pour
5. Des commerces visant les besoins des habitants (boulan- les personnes à mobilité réduite.
gerie, superette, laverie, etc.). 10. La mise en sous-terrain des boulevards de la petite
6. Des cafés et restaurants sur le site de la Cité, ouverts ceinture et la mise en surface du croisement entre les
en particulier le soir. boulevards Saint-Lazare, Pacheco et du Jardin botanique,
7. Des places de parking pour les habitants et futurs utili- cet aménagement devant permettre entre autres la réali-
sateurs du site de la CAÉ. sation d’une grande « promenade verte » reliant le Jardin
8. Une restructuration de l’espace vert actuel (« les jardins botanique à la gare Centrale, via la Cité administrative.
80 Oliv ie r P a y e
pour le redéveloppement de la Cité administrative, qui s’imposeraient a priori au processus
d’élaboration du schéma directeur « Botanique » proprement dit.
Une procédure de travail plus précise et une zone plus réduite que la ZL n° 6 « Botanique »
L’avis de marché publié dans le Bulletin des adjudications le 24 juin 2005 précise qu’il
s’agit d’un « appel d’offres restreint 100 », auquel seront invités à répondre un minimum de
cinq candidats et un maximum de huit parmi tous ceux qui auront valablement postulé avant
le 20 juillet 2005 101. Cet appel s’inscrit dans le cadre d’un « marché soumis uniquement à
la publicité belge 102 » mais ouvert à tout candidat qui a « son siège dans un État membre
de l’Union européenne ou dans un pays [assimilé par la réglementation en vigueur sur les
marchés publics ayant trait aux travaux publics] » 103. L’interlocuteur pour la Région est le
directeur de la direction « études et planification » de l’AATL, Benoît Périlleux. Suite à l’appel,
cinq candidats seront sélectionnés mi-septembre 104 et invités à remettre leurs offres avant
le 5 décembre 2005 105.
Les candidats présélectionnés auront à tenir compte d’un cahier des charges élaboré entre-
temps par l’AATL. Comme on l’a déjà dit, le cahier des charges mentionne, parmi les « documents
à consulter à titre d’information », tant la note de synthèse élaborée par le BRAL que les
projets présentés dans le cadre du groupe de travail international mis sur pied par les proprié-
taires du site 106. Y figure aussi l’« étude préalable à la mise en œuvre de la ZIR 11 » commandée
au bureau Altiplan par le secrétaire d’État à l’urbanisme du gouvernement régional précé-
dent, Willem Draps. Ces documents sont donc à consulter seulement « à titre d’information »,
ce qui les différencie des « documents à consulter impérativement », lesquels comprennent le
PRD, le PRAS, le PCD de la Ville de Bruxelles et le plan Iris (plan régional de déplacement).
Première surprise à la lecture de l’avis de marché : bien que celui-ci renvoie au « périmètre
indicatif de la zone levier n° 6 “Botanique” [qui] est repris sur la carte n° 2 du PRD 107 », il
restreint cependant fortement l’espace sur lequel le schéma directeur à élaborer doit porter
(voir Fig. 2 ; les parties hachurées sont les parties de la ZL n° 6 soustraites à l’étude). « La
zone d’étude du SD portera sur environ 16 hectares et se limitera à la partie de la zone
comprenant la Cité administrative, le Jardin botanique et le boulevard Saint-Lazare. La partie
de la zone levier comprenant la place Rogier et les boulevards du centre est donc exclue
de la zone d’étude. » Mais, poursuit l’appel d’offres, « l’aspect mobilité et accès de la CAÉ
à la gare Centrale sera toutefois pris en considération […]. Il en sera de même pour l’aspect
mobilité entre l’est et l’ouest de la zone levier » 106. Si la zone soumise au schéma directeur
82 Oliv ie r P a y e
Fig. 2. La partie de la zone levier n° 6 « Botanique » sur laquelle doit porter le schéma directeur dans l’avis de marché.
(Source : MSA-Lion.)
des éléments programmatiques requis pour sa mise en œuvre. Ceux-ci comprennent les moyens
opérationnels (leviers d’action, programmes existants, etc.), les moyens financiers, les acteurs
et leur nécessaire coordination ainsi qu’un phasage réaliste des travaux à mener. Ces éléments
opérationnels devront être étroitement coordonnés pour mener à bien le programme de déve-
loppement. Le détail des moyens opérationnels sera décrit en fonction des priorités retenues
pour le SD et le phasage du programme de développement.
4. La consultation de la population.
5. La rédaction d’un rapport final bilingue français / néerlandais accompagné d’une
synthèse 111.»
Dans notre analyse des dispositions du PRD relatives aux schémas directeurs, on s’était posé
la question de savoir si la catégorie d’« acteurs intéressés » recouvrait ou non « les habi-
tants », sachant qu’une des spécificités de ces schémas semble résider dans sa vocation à
concilier les attentes des « acteurs concernés » autour d’un projet de développement commun
et concerté en rapport avec une zone levier. On avait conclu que si rien n’excluait une
réponse positive à cette question, rien n’excluait non plus une réponse négative. Les docu-
ments balisant la procédure de sélection d’un chargé de projet pour l’élaboration d’un SD
pour la CAÉ apportent-ils des éléments susceptibles de faire pencher la balance dans un
sens plutôt que l’autre ? Oui et non. S’ils apportent, en effet, certaines précisions, celles-ci
maintiennent néanmoins une ambiguïté que ne dissipe que partiellement le dispositif concret
prévu par le gouvernement régional pour accompagner le processus d’élaboration du schéma
directeur par le chargé d’étude (voir plus loin).
La réponse à la question de la place occupée par la délibération collective dans le processus
d’élaboration d’un schéma directeur, de la portée de cette délibération et des acteurs diffé-
rents qui peuvent s’y trouver associés tient déjà pour une bonne part dans la distinction
opérée par le PRD entre une phase de concertation avec les « acteurs intéressés », appelée
à se dérouler tout au long du processus d’élaboration du schéma, et une phase de consul-
tation avec l’ensemble du « public », prévue en fin de processus et portant sur les résultats
de ce processus.
Premier élément marquant que l’on peut relever dans l’appel d’offres : le gouvernement
régional prévoit explicitement que « la consultation de la population […] s’appuie sur la
mission confiée par la Région au BRAL en vue de faciliter la concertation entre les habitants
et le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de l’élaboration de
schémas directeurs de zones d’intérêt régional ou de zones leviers » (art. 25 du cahier des
charges). Ce faisant, le gouvernement demeure dans la lignée des engagements généraux
pris précédemment et qui faisaient se rejoindre deux volets du projet de ville que le PRD
n’avait pas explicitement joints : les schémas directeurs comme outils de redéploiement des
zones leviers et la participation des habitants aux décisions publiques en matière d’aména-
gement du territoire. Cette jonction repose sur l’intégration de l’impératif procédural de la
participation des habitants au sein même de l’instrument des schémas. Le gouvernement
régional va ainsi plus loin, dans le sens de « la participation des habitants », que ce que le
PRD avait prévu pour l’élaboration des schémas directeurs pour les zones leviers. Il va égale-
84 Oliv ie r P a y e
ment « plus loin » dans cette direction en établissant que « la consultation de la population
doit être entamée dès les prémisses de l’étude » (art. 25 du cahier des charges), et non pas
tenue « en bout de course », comme l’envisageait le PRD.
Là où les choses s’obscurcissent à nouveau, c’est dans la description des personnes appe-
lées à bénéficier de cette « consultation dès les prémisses de l’étude » et dans la confusion
entre consultation et concertation dans certains passages des documents produits par le
gouvernement régional (voir art. 17 112 et 23 113 du cahier des charges), confusion dont la
présence avait déjà été relevée dans l’ordre de mission du gouvernement au BRAL (voir supra).
Hormis justement la mission de « concertation » confiée au BRAL, centrée sur « les habi-
tants », les autres moments de « consultation » évoquent essentiellement des discussions à
mener avec « les acteurs ». Et lorsque le « tout public » est évoqué, c’est davantage sur le
mode de l’information, de la « communication », que de la concertation (cf. les « assemblées
générales »). Certes, a priori rien n’interdit de compter « les habitants » parmi « les acteurs ».
En revanche, il est malaisé de considérer que les habitants puissent être inclus dans les caté-
gories spécifiques d’acteurs, mentionnées, par exemple, dans le cahier des charges : « acteurs
majeurs » (art. 17), « acteurs stratégiques » (art. 25), « acteurs qui mettront en œuvre les
mesures préconisées » (art. 23), « acteurs impliqués dans le programme de développement »
(art. 23). Par « acteurs concernés », il semble donc qu’il faille entendre ici des personnes ou
groupes de personnes qu’on estime être en position de prendre (directement) part à la mise
en œuvre des actions de développement envisagées ou détenant un levier de l’action collec-
tive à produire à l’instigation des pouvoirs publics. Clairement, il s’agit surtout des acteurs
publics, ou para-publics, et des acteurs économiques. Du reste, le relevé des « acteurs qui
mettront en œuvre les mesures préconisées » auquel doit procéder le schéma directeur
« Botanique » est explicitement inscrit dans la perspective de la promotion des fameux parte-
nariats public-privé auxquels appelait le PRD : « Le schéma directeur doit aboutir au
développement de la zone levier via des partenariats entre pouvoirs publics et acteurs immo-
biliers et économiques privés » (art. 23 du cahier des charges). Les acteurs dont il est question
représenteraient ainsi tout à la fois une des dimensions et une des solutions du « problème
à résoudre » par l’intervention publique. Si les pouvoirs publics se veulent « efficaces », ils
se doivent d’établir « les acteurs » présents ou potentiels sur lesquels ils doivent ou peuvent
compter et de prendre en compte leurs souhaits et capacités opérationnelles, ce en vue de
maximiser les ressources mobilisables à l’appui d’un projet commun, lequel dépendra de la
capacité des pouvoirs publics de coordonner l’action de ces acteurs. On se situe donc bien
dans un modèle d’action publique marqué du sceau de la gouvernance.
86 Oliv ie r P a y e
— IBGE (Institut bruxellois pour la gestion de l’environnement) ;
— SDRB (Société de développement pour la Région de Bruxelles-Capitale) ;
— SLRB (Société du logement de la Région de Bruxelles-Capitale) ;
— STIB (Société des transports intercommunaux de Bruxelles) ;
— SNCB (Société nationale des chemins de fer belges) ;
— la Ville de Bruxelles ;
— Saint-Josse ;
— propriétaires des sites stratégiques ».
Le cahier des charges ajoute toutefois : « En fonction de l’ordre du jour […], les repré-
sentants des ministres concernés et le BRAL sont invités au comité d’accompagnement » (art. 44).
Le BRAL n’en est donc pas membre à part entière, alors qu’il l’aurait souhaité, de même
qu’il souhaitait que des habitants puissent l’être 114. On peut en conclure que la structure la
plus permanente de délibération collective prévue dans le cadre du processus d’élaboration
du SD « Botanique » concerne, dans un premier cercle, un grand nombre d’acteurs publics
ainsi que les propriétaires du site et, dans un deuxième cercle, d’autres représentants d’ac-
teurs publics et le BRAL. « Les habitants » n’en font pas partie. Même pas indirectement par
le biais d’une organisation représentative. En effet, le BRAL avait dès le départ explicitement
refusé d’être considéré dans ce cadre comme « le représentant du point de vue des habi-
tants ». Il se voyait — dans le cadre de cette mission — comme un relais fonctionnel permettant
à la structure de pilotage de l’élaboration du SD « Botanique » de tenir compte de « l’avis
des habitants » aux différentes étapes du processus 115.
Un certain parti pris sur les orientations substantielles du schéma directeur « à élaborer »
Si l’avis de marché publié fin juin 2005 insiste surtout, pour la présélection, sur les capa-
cités techniques à réunir dans le chef des candidats, il souhaite aussi recevoir « une liste de
références relatives à des études similaires […] ayant abouti ou non à des réalisations concrètes
dans les trois dernières années. Pour maximum trois des références citées que le candidat
juge comme étant les plus pertinentes par rapport au marché, il établira une note synthé-
tique […] mettant en évidence : sa capacité à intégrer dans les projets le contexte
socio-économique et culturel de ceux-ci ; sa capacité à intégrer dans les projets la faisabi-
lité financière ; sa capacité à travailler en collaboration avec une équipe multidisciplinaire,
et à communiquer avec les destinataires de ses projets (riverains, population, commerçants,
comité de quartier […] ; sa vision de l’aménagement d’une telle zone urbaine 116 ».
88 Oliv ie r P a y e
ils sont déjà invités à développer une vision stratégique particulière pour le développement
du site, et ce avant même le début du processus d’élaboration du schéma proprement dit.
Certes, les orientations de développement qui seront retenues dans le schéma directeur ne
sont pas prédéfinies dans le cahier des charges. Mais à partir du moment où la sélection
des offres s’effectue sur la base d’un premier projet de schéma directeur, on peut conclure
à une réduction de la marge qui sera laissée ouverte lors des moments de délibération collec-
tive que doit comprendre le processus d’élaboration du schéma, que ce soit avec « les acteurs »
ou avec « les habitants ». La lecture de la section du cahier des charges consacrée aux critères
d’attribution du marché conforte cette conclusion. La vision stratégique développée par les
candidats y est élevée au rang des premiers critères sur base desquels « la meilleure offre »
sera retenue. En effet, ces critères sont, par ordre décroissant d’importance, les suivants
(art. 42) :
« — la qualité de l’esquisse proposée et notamment les aspects suivants :
– le premier diagnostic, la capacité à cerner et à exprimer les enjeux, potentiels et
problèmes / contraintes à résoudre pour le développement de la zone,
– la vision stratégique proposée,
– la démonstration de l’opérationnalité de la mise en œuvre de la vision stratégique
(faisabilité),
– la réflexion sur le phasage du développement de la zone ;
— la qualité de l’équipe qui sera chargée du projet et des personnes chargées des diffé-
rentes tâches ;
— la qualité de la méthodologie envisagée ;
— le prix proposé ;
— la clarté de l’offre, y compris sa structure, la qualité de sa rédaction et de sa présentation».
À lire ce dernier extrait, pas de doute : la sélection qui doit intervenir est amenée à s’effec-
tuer sur la base d’une méthodologie particulière de travail, certes, mais plus encore à partir
d’une vision stratégique et d’une conception générale spécifique du programme de déve-
loppement proposé pour la zone. Cela méritait d’être relevé car souvent, dans la suite de
l’histoire, les acteurs les plus impliqués invoqueront, à propos de la sélection du concepteur
du projet, un ordre de priorités inversé entre méthodologie et orientations substantielles.
Peu nous importe ici que, dans la réalité, les choses se soient passées différemment ou non
de ce que le cahier des charges impliquait. Ce qui compte pour notre propos est d’acter le
fait que, avec la sélection de MSA-Lion intervenue dans le courant du mois de décembre
2005, le gouvernement régional a aussi opté pour une certaine approche du redéploiement
de la Cité administrative, à intégrer dans le schéma directeur : l’approche patrimoniale,
comme on l’appellera par la suite. Ce choix a pu reposer sur des motifs « idéologiques »,
liés à une conviction de principe selon laquelle la reconversion de toute zone levier devrait
tendre à conserver le plus possible le patrimoine existant. Il a pu aussi se fonder sur des
motifs « pragmatiques » liés au caractère « réaliste », à la « faisabilité » des préprojets de
schéma contenus dans les offres remises par les différents candidats 118. Ou bien sur un
mélange des deux types de motifs. À nouveau, peu importe. Ce qui compte, ici, c’est que
le choix de MSA-Lion conditionnait déjà les options de développement qui pouvaient être
retenues in fine dans le SD en les liant à une vision stratégique préétablie.
Du reste, certains des principaux intéressés ne s’en défendent nullement. Ainsi, lors de la
conférence de presse du 17 octobre 2006, dans laquelle il annonce que le gouvernement
régional a approuvé en première lecture le projet de SD pour la CAÉ, le ministre-président
justifie le choix du bureau retenu à la suggestion de son cabinet de la façon suivante : « Le
postulat de base du bureau d’études était : “Maintenir l’identité de la Cité en exploitant sa
différence morphologique.” C’est ce postulat qui nous a convaincu au moment d’opérer le
choix du bureau. Concrètement, l’aménagement de la CAÉ doit être pensé en intégrant la
CAÉ dans la ville [et en] exploitant son potentiel et ses spécificités dans le cadre d’un déve-
loppement. Cela implique le maintien de l’intégrité physique et architecturale de la Cité tout
en améliorant les liaisons / interfaces entre la Cité et l’ensemble de la Région […] 119. »
Il reste que, contrairement à ce qui a pu être dit par différents acteurs, ce choix-là d’emblée
ne permettait plus de dire que « tout était ouvert », que toutes les options étaient a priori
discutables collectivement — à condition d’être conformes aux grandes orientations du projet
de ville contenu dans le PRD —, que ce soit avec « les acteurs » ou avec « les habitants ».
Poser ce constat n’empêche pas de reconnaître que le choix de MSA-Lion se justifie aussi
par la présence dans son offre d’une méthodologie de travail particulièrement participative.
Le bureau MSA avait, en effet, déjà obtenu par le passé plusieurs conventions de la part
des pouvoirs publics bruxellois, notamment dans le cadre de programmes de revitalisation
90 Oliv ie r P a y e
urbaine (quartiers d’initiative et contrats de quartier) dans lesquels il s’était distingué par des
dispositifs innovants en matière de participation des habitants 120.
Dans le cas de la CAÉ, Benoit Moritz est le responsable principal du projet au sein de
MSA. Enseignant à La Cambre, membre de Disturb, il fait partie de cette nouvelle généra-
tion de « jeunes architectes-urbanistes militants » actifs lors des mobilisations associatives autour
du redéploiement de la Cité. Il fut notamment impliqué dans le colloque « Quel avenir pour
la Cité administrative ? » puis dans le MapRAC (voir chapitre précédent). Pour la circons-
tance, MSA s’est allié au bureau français dirigé par Yves Lion. Architecte-urbaniste de réputation
internationale, celui-ci bénéficie d’une expérience reconnue dans le domaine des « grands
projets urbains d’équipements collectifs » et marquée par un souci constant de la qualité du
logement et des espaces publics 121.
Une fois la sélection de MSA-Lion entérinée, MSA et le BRAL, qui avaient déjà eu l’occa-
sion de se côtoyer dans le cadre d’autres programmes de revitalisation urbaine, vont se
mettre rapidement en rapport pour déterminer dans quelle mesure la mission de concerta-
tion avec les habitants confiée par le gouvernement régional au BRAL peut se connecter au
processus d’élaboration du schéma directeur piloté par MSA.
Dès la fin octobre 2005, soit avant l’échéance de la procédure de sélection de l’auteur
de projet, le BRAL avait présenté au cabinet Picqué une note contenant un programme et
une méthode de travail concernant sa mission et la façon dont celle-ci pouvait s’intégrer
dans le processus d’élaboration du SD « Botanique » 122. De nombreux éléments suggérés
dans la note seront acceptés par le cabinet, notamment la tenue d’« assemblées générales »
d’information, au début et à la fin du processus, l’organisation de deux « ateliers de la cité »
dans les deux premières phases, l’organisation de deux « ateliers régionaux » autour de l’es-
pace constitué par les ZL n° 5 « Tour et Taxis » et n° 6 « Botanique » et le recours à différents
supports de communication (journal de quartier, folders, etc.). Certaines suggestions sont
cependant écartées, notamment celles qui concernent la composition du comité d’accom-
pagnement (voir supra) ainsi que le fait de pouvoir filmer les réunions de ce comité afin que
les membres de la plate-forme locale puissent être informés de façon précise des délibéra-
tions tenues en son sein 123. MSA intégrera la partie commune proposée par le BRAL au sein
du dispositif, finalisé avant le lancement du processus d’élaboration du schéma proprement
dit, le 1er février 2006 124. Benoit Moritz lui-même présentera le dispositif lors de deux réunions
organisées par le BRAL : celle de la plate-forme locale le 1er février 2006 aux Facultés univer-
sitaires Saint-Louis et la première « assemblée générale » le 21 février 2006 dans les bâtiments
de la CAÉ (voir chapitres III et IV).
92 Oliv ie r P a y e
Conclusion
94 Oliv ie r P a y e
pouvoirs publics, en tant que gardiens de l’intérêt général, d’être les gardiens du faisable.
Si notre hypothèse est la bonne, alors les acteurs en charge du pilotage des processus d’élabo-
ration de schémas directeurs seraient à l’avenir sans doute avisés d’expliciter davantage
ces fondements implicites, afin de minimiser le risque de malentendus et les soupçons d’instru-
mentalisation pesant sur les procédures participatives incluses dans l’élaboration de tels schémas.
1. Arrêté PRD, Considérants, 2002, p. 258 Europe, Toison d’Or, Heysel, Hôpital militaire, Schaerbeek
2. Entretien avec Michel De Bièvre, administrateur délégué Formation, RTBF-VRT, Delta, gare de l’Ouest, (PRD,
de Breevast, réalisé le 14 novembre 2006. Conditions transversales, section 1.3, § 4 et cartes
3. La notion de « site d’intérêt régional » n’a pas de portée annexées).
juridique. Elle recouvre au minimum les « zones d’intérêt 7. Voir Bulletin des adjudications, 18 novembre 2004
régional » (ZIR) et les « zones d’intérêt régional à aména- (appel d’offres général) et 3 juin 2005 (appel d’offres
gement différé » (ZIRAD), définies dans le plan régional restreint). En ce qui concerne la ZL n° 14 «gare de l’Ouest»,
d’affectation du sol (PRAS), ainsi que les « zones leviers » la SNCB étant le propriétaire principal du site, c’est le
(ZL), définies dans le plan régional de développement service public fédéral Mobilité et Transports qui a émis
(PRD) (voir Encadré n° 1). un avis de marché (Bulletin des adjudications, 22 octobre
4. Arrêté PRD, 2002, publié au Moniteur belge le 2004) en vue d’élaborer non pas explicitement un SD
15 octobre 2002 (texte disponible sur: http://prd.iris mais bien un « plan pilote dans la perspective de la restruc-
net.be/fr, site consulté le 6 mars 2008). Toutes les réfé- turation de la gare de l’Ouest et de ses environs ».
rences à l’arrêté PRD dans cette contribution proviennent 8. Ministère de la RBC, Avis de marché n° 8400, Bulletin
de cette source. des adjudications, 24 juin 2005, p. 8342-8346.
5. Sur le caractère central de la présence de sites d’inté- 9. Voir Bulletin des adjudications, 26 mai 2006 (pour
rêt régional dans la définition d’une ZL au PRD, voir les la ZL n° 13 « Delta »), 15 octobre 2007 (pour la ZL n° 12
considérants préalables au PRD, Arrêté PRD, p. 260-261. « RTBF-VRT ») et 17 janvier 2008 (pour la ZL n° 11
6. Érasme, Forest, Midi, Canal, Tour et Taxis, Botanique, « Schaerbeek Formation »).
96 Oliv ie r P a y e
21. PRD, Priorité 1, section 2.1. cabinet Picqué, avant d’intégrer la direction de la réno-
22. PRD, Priorité 4, section 3.1. Cette citation est extraite vation urbaine de l’administration de l’Aménagement du
d’une section relative au « volet social » de la politique territoire et du Logement (AATL) du ministère de la Région
de rénovation urbaine, de protection et d’amélioration de Bruxelles-Capitale (MRBC), où elle était en charge
de l’habitat. On trouve toutefois mention d’un « souci des contrats de quartier.
constant de gestion participative » à la priorité 1, égale- 28. Entretiens avec Benoit Moritz le 3 octobre 2006 et
ment, dans l’introduction. avec Ariane Herman le 14 décembre 2006.
23. Accord de gouvernement 2004, p. 34 (voir sur 29. « Région de Bruxelles-Capitale : La Cité et Tour et
http://www.bruxelles.irisnet.be/fr/region_de_bruxelles- Taxis remis en selle », La Libre Belgique, 28 juin 2005.
capitale/autorites/gouvernement/accords_et_arretes. Les quatorze ZIR figurent au chapitre J du PRAS.
shtml, site consulté le 25 mars 2008). 30. « Région de Bruxelles-Capitale : La Cité et Tour et
24. Arrêté du 8 décembre 2005 relatif à la subvention Taxis remis en selle », loc.cit.
octroyée à IEB (consultable sur le site du Groep Levier 31. PRD, Partie II, « Conditions transversales de mise en
(http://centres.fusl.ac.be/GL), rubrique « Documents », œuvre du projet de ville », Condition 1.3.
sous-rubrique « gare de l’Ouest » (site consulté le 25 mars 32. Id.
2008). 33. Arrêté PRD, Considérants, p. 254-256. Voir le docu-
25. Les autres responsables politiques régionaux plus ment administratif intitulé « Préparation des options
particulièrement concernés par le dossier CAÉ au sein stratégiques du PRD 2001 ».
de l’exécutif bruxellois étaient : la secrétaire d’État PS 34. PRD, Partie II, « Conditions transversales… »,
Françoise Dupuis, chargée de l’urbanisme ; le secrétaire Condition 1.3.
d’État SP.A (socialiste flamand) Pascal Smet, du fait de 35. Ainsi, certaines ZL n’intègrent pas de ZIR ou de ZIRAD
sa responsabilité en matière de mobilité ; la ministre Écolo (c’est le cas de la ZL n° 9 « Heysel », par exemple), alors
de l’environnement (et des espaces verts régionaux) que certaines ZIR n’ont pas donné lieu à des ZL (c’est le
Évelyne Huytebroeck ; le secrétaire d’État PS Emir Kir, cas de la ZIR n° 9 « Charles-Albert », par exemple). Sur
en charge de la protection des monuments et sites. Seul les liens entre ZL et ZIR / ZIRAD, voir Arrêté PRD,
le cabinet de la première sera associé explicitement au Considérants, p. 260-261.
comité d’accompagnement du processus d’élaboration 36. Ibid., p. 259.
du SD « Botanique » (voir cahier des charges, art. 43). 37. PRD, Partie II, « Conditions transversales… »,
La Commune de Saint-Josse, voisine de la zone de la Condition 1.3.
CAÉ, et sur le territoire de laquelle se situent certaines 38. Arrêté PRD, Considérants, p. 261.
parties de la ZL n° 6 « Botanique » (l’avenue Victoria Regina 39. Voir les références citées par Bernard PÂQUES,
et le parc du Jardin botanique) en sera également membre, Aménagement du territoire : planification, op. cit., p. 7-
par le biais du cabinet de son bourgmestre, également 10. Notons que le concept de schéma directeur est aussi
en charge de l’urbanisme, le socialiste Jean Demanez. d’usage dans d’autres domaines, en informatique par
26. Henri Simons quittera Écolo pour le PS à l’issue des exemple.
élections communales d’octobre 2006, marquées par le 40. Voir MRBC, Ordonnance du 7 octobre 1993 orga-
rejet de la composante Écolo de la majorité communale nique de la revitalisation des quartiers, modifiée par les
à Bruxelles-Ville. ordonnances des 20 juillet 2000, 27 juin 2002 et
27. Juriste et conseillère en aménagement du territoire, 23 février 2006. Voir http://www.quartiers.irisnet.be
Ariane Herman avait déjà fait partie précédemment d’un (site consulté le 26 mars 2008), où l’on trouvera aussi
98 Oliv ie r P a y e
73. COBAT, titre IV, chapitre IV, section III « Mesures parti- proviennent de ce document ainsi que de cet autre docu-
culières de publicité ». On trouvera une présentation ment également produit pas Polaris Architects pour RAC
didactique de la procédure participative établie dans le Investment Group : Groupe de travail international pour
cadre de ces MPP dans le chapitre V « La demande de la restructuration de la CAÉ. Cahier des charges.
permis » de la brochure de l’AATL, Le permis d’urbanisme Version 2.0, Bruxelles, 2005. Ces deux documents sont
en RBC, op. cit. consultables sur le site web du Groep Levier,
74. Sur la différence entre ces termes, voir Olivier PAYE, http://centres.fusl.ac.be/GL/ (site consulté le 26 mars
« Les différents modèles de participation en Belgique » 2008).
in Décroissance : révolutionner nos modes de ville ?, Actes 87. Jean-Louis GENARD et Pablo LHOAS (s.l.d.), Qui a
de la 37e École urbaine de l’ARAU, Bruxelles, ARAU, peur de l’architecture? Livre blanc de l’architecture contem-
2007, p. 125-136. poraine en Communauté française de Belgique, Bruxelles,
75. PRAS, section G, prescription 18, al. 2. La Lettre Volée / ISACF – La Cambre, 2004. Voir le chapitre
76. COBAT, art. 54. écrit à ce sujet par François THIRY.
77. PRAS, section G, prescription 18. 88. Projet « Pratic » (http://www.pratic.be, consulté le
78. PRAS, section J. 28 mars 2008).
79. « La Tour des finances attend », Le Soir, 31 mars ; 89. Polaris Architects, Groupe de travail…, op. cit., p. 6.
« La Tour des Finances : du logement sur le toit de 90. Polaris Architects, Nouveaux scénarios…, op. cit.
Bruxelles ? », communiqué de presse commun IEB / BRAL, 91. Polaris Architects, Groupe de travail…, op. cit., p. 5.
11 janvier 2007 (http://www.ieb.be/article/79, site 92. Id.
consulté le 27 mars 2008). 93. Polaris Architects, Groupe de travail…, op. cit., p. 6
80. Ces six ZL prioritaires sont : Érasme, Europe, gare et 8.
de l’Ouest, Midi, Neder-over-Hembeek et Tour et Taxis, 94. La force de l’image fut telle que le cabinet Picqué
conformément à la déclaration gouvernementale du dut bien préciser, lors des réunions du comité d’accom-
5 octobre 2001 de la majorité régionale précédente pagnement des missions confiées au BRAL et à IEB (voir
(Arrêté PRD, Considérants, p. 259). D’autre part, la CAÉ, ci-dessous), que le concours à idées était « une étude
à nouveau amputée de la tour des Finances, est égale- lancée par le privé, que ça sert à eux et pas au gouver-
ment reprise dans le PRD parmi les « espaces de nement. Les deux démarches [concours à idées et SD]
développement renforcé du logement et de rénovation » seront complètement séparées » (PV du comité d’ac-
(EDRLR) (voir PRD, carte n° 3). compagnement du 17 mars 2005, point 7).
81. PRD, carte n° 2. 95. Voir supra, note 19.
82. Arrêté PRD, Considérants, p. 256-257. 96. Michel Hubert participa ainsi dès le départ à cette
83. COBAT, art. 53, 1° et art. 54, 3°. plate-forme locale, en tant que « professeur en sociologie
84. Lignes de force du PCD, p. 36. Le PCD a été approuvé urbaine à Saint-Louis [situé dans les Bas-Fonds] et […]
par un arrêté du gouvernement de la RBC le 2 décembre actif dans l’organisation NoMo-Autrement Mobile » (PV
2004 (http://www.brucity.be/artdet.cfm?id=168&n de la première réunion du 16 mars 2005). Toutes les
Language=1, site consulté le 27 mars 2008). informations dont il sera fait mention au sujet des acti-
85. Voir chapitre I. vités de cette plate-forme proviennent des documents
86. Polaris Architects, Nouveaux Scénarios pour la Cité suivants, aimablement mis à notre disposition par le BRAL :
administrative, Bruxelles, 2005, p. 7. Toutes les infor- PV des réunions de la plate-forme locale des 16 mars
mations dont il va être question dans cette section 2005 et 27 avril 2005 (« atelier de quartier ») ; PV des
100 Oliv ie r P a y e
121. Voir, par exemple, la notice de présentation réalisée 124. Voir Ateliers Lion architectes urbanistes et MSA,
par le ministère français de l’Écologie, du Développement Schéma directeur zone Levier n° 6 Botanique, version
et de l’Aménagement durables lors de la remise du grand de septembre 2006, p. 6. Les autres informations provien-
prix de l’urbanisme 2007 à Yves Lion (http://www.ecolo- nent également de cette source, ainsi que de l’entretien
gie.gouv.fr/Yves-LION-Grand-Prix-de-l.html, site consulté déjà cité, réalisé avec Benoit Moritz.
le 29 mars 2008) 125. Propos tenus par Jean de Salle, président de la CRD,
122. Werking BRAL vzw in 2006. Participatie rond de dans un entretien paru dans Le Soir le 13 décembre 2006
ontwikkeling van de goog’s, op. cit. sous le titre : «Urbanisme. Le schéma directeur “Botanique”
123. Ibid., p. 4-5. Voir aussi BRAL, Het Participatieluik présenté au public : “une concertation de tous” ».
in de planningsmethodologie voor het richtschema RAC-
Kruidtuin, s.l.n.d.
Chapitre III
L’élaboration du schéma directeur « Botanique », vue de l’intérieur
Benoit Moritz
1997-2000
La Ville de Bruxelles publie dans le cadre de son plan communal de développement une
carte reprenant une liste d’immeubles jugés inadaptés — parce que trop élevés — situés
dans le Pentagone et qu’il convient de démolir et de remplacer par des immeubles dont la
morphologie correspondrait davantage au tissu urbain historique du centre-ville de Bruxelles.
L’esprit de cette carte est alors largement marqué par la démolition, en 1993, de l’immeuble
de bureaux dit « la tour Bleue » (situé rue du Pont-Neuf) et par son remplacement par des
immeubles aux gabarits traditionnels.
Je prends connaissance de cette carte quelques années plus tard, au début des années 2000 ;
je travaille alors dans un grand bureau d’urbanisme bruxellois. Je ne comprends pas cette
carte, son sens, sa finalité, sa vision cachée… En quoi la démolition des tours existantes est-
elle une priorité sociale, urbanistique ?
Ce moment de découverte correspond à l’amorce d’un premier débat sur la mise en œuvre
de la politique de démolition : la tour dite « du Lotto » (au coin des rues Cardinal Mercier et
de Loxum, près de la gare Centrale) pour laquelle il existe un projet de rénovation devrait
être le premier bâtiment à en être victime. Quinze autres bâtiments atypiques sont dans le
collimateur des autorités de la Ville, dont l’ensemble des bâtiments de la Cité administrative
de l’État. Dans le cadre du débat sur la tour du Lotto, la Ville, sous l’autorité de son bourg-
mestre François-Xavier de Donnea, propose au promoteur d’adapter son projet de rénovation
du bâtiment ; la démolition de la tour s’impose et, en contrepartie, l’espace public aux abords
est sacrifié dans le cadre du projet de reconstruction de manière à permettre au promoteur
de conserver un nombre de mètres carrés identique à celui dont il disposait à l’origine. À
partir de cet exemple, la politique de démolition des tours peut se résumer de la façon
suivante : la hauteur de l’immeuble est diminuée au détriment de son emprise au sol qui est
élargie sur l’espace public, gratuitement cédée en échange au promoteur.
Comme de nombreuses personnes, je m’interroge sur les conséquences de la mise en
102 B e n o it Mo r it z
Fig. 1. Les immeubles à démolir (entourés d’un liseré noir) dans la version provisoire de 1997 du plan communal de
développement. (Source : Ville de Bruxelles.)
œuvre de cette politique de démolition des tours : l’espace public est sacrifié, la ville est
homogénéisée dans sa forme. Le discours sur la ville est dominé par l’idée d’une ville construite
sur un seul modèle, celui de la ville bourgeoise du XIXe siècle. Paradoxalement, nous sommes
en 2000, année durant laquelle Bruxelles est capitale européenne de la culture…
2000-2004
Avec mon ami d’études Jean-Marc Simon, je fonde en 2001 le bureau MSA. Nous réali-
sons quelques projets d’architecture mais aussi, et surtout, nous avons l’occasion de travailler
104 B e n o it Mo r it z
quartier qui servira de document de base aux « marches exploratoires » effectuées dans le
quartier. L’atmosphère était alors tout autre.
Entre-temps
Entre 2000 et 2004, le discours dominant sur l’aménagement urbain semble changer, du
moins connaît-il une évolution. En 2000-2001, le débat fut vif concernant l’élaboration d’un
nouveau plan d’affectation des sols pour Bruxelles (le désormais célèbre PRAS). Les démo-
litions des tours du Lotto et Martini ont fait couler beaucoup d’encre. Un nouveau plan
régional de développement a été élaboré et la critique à son égard est elle aussi très forte.
L’année 2003 semble être une année charnière : beaucoup de voix s’élèvent contre les
premiers projets d’aménagements de la place Flagey, contre la vente de la Cité adminis-
trative de l’État et son projet de rénovation, contre les premières esquisses d’aménagement
du site de Tour et Taxis. De nouveaux acteurs urbains prennent la parole 3, se coalisent à
l’occasion de débats ou d’événements de manière à faire émerger l’amorce d’un nouveau
discours sur Bruxelles, probablement dans la continuité de celui sur Bruxelles comme ville
hybride et multiculturelle initié à l’occasion de Bruxelles 2000. Je me sens proche de ces
mouvements, j’y adhère entièrement du point de vue des idées : j’ai le sentiment que le
discours sur l’aménagement doit être renouvelé et qu’on ne peut se contenter de discours
sur l’esthétique. Surtout, à l’aune de mes expériences dans le cadre des contrats de quar-
tier, j’ai l’intime conviction que de nouvelles formes de dispositifs de projets doivent être
mises en œuvre. C’est en particulier l’angle d’attaque préconisé par le collectif Disturb
auquel je m’associe.
Durant cette période, de premiers liens sont établis autour du site de la Cité administra-
tive sur lequel mon bureau aura à intervenir quelques années plus tard. En novembre 2003,
je participe ainsi à une table ronde sur l’avenir de la Cité (« En Rac ») organisée par Disturb
en collaboration avec Citymine(d). J’y suis invité en qualité de co-auteur de
l’OmbudsplanMédiateur. En avril 2004, j’anime ensuite un atelier de travail consacré à la
thématique urbanistique dans le cadre des ateliers MapRAC 4.
À côté de ce foisonnement de nouvelles idées, mon bureau connaît une certaine évolu-
tion. En 2003, les bureaux Aries et Idom nous associent à une réflexion sur l’aménagement
du quartier européen à Bruxelles, une mission initiée conjointement par le cabinet du Premier
ministre et le cabinet du ministre-président de la Région bruxelloise. Il s’agit d’une occasion
unique pour le petit bureau que nous sommes de nous exprimer sur des changements possibles
2004-2005
En mai 2004, la Ville de Luxembourg lance une procédure de concours international afin
d’engager une large réflexion urbanistique à propos de la zone dite « porte de Hollerich »,
une zone couvrant 120 hectares situés en entrée de ville. Ce concours est l’occasion d’une
première collaboration de travail fructueuse avec l’agence parisienne que dirige Yves Lion.
En novembre 2004, en effet, un jury international présidé par Hans Thoolen, architecte-urba-
niste en charge du développement urbain de la ville de Breda, désigne deux premiers prix
ex æquo et notre équipe se voit attribuer le troisième prix. Au-delà de la satisfaction que
nous procure cette bonne collaboration, nous mettons en place un modus operandi qui se
révélera particulièrement porteur pour la suite : le travail de production du projet est effectué
au sein de notre bureau bruxellois et Yves Lion intervient comme mentor pour insuffler inspi-
rations et lignes de conduite.
Une nouvelle occasion de collaborer se présente à nous en juin 2005, au moment où le
nouveau gouvernement bruxellois issu des élections régionales de juin 2004 lance une procé-
dure de désignation d’un auteur de projet pour l’élaboration du schéma directeur n° 6
« Botanique ». Une candidature conjointe avec Yves Lion nous apparaît alors comme une
évidence. Yves Lion dispose du bagage nécessaire pour aborder ce projet d’un point de
106 B e n o it Mo r it z
vue conceptuel : il a l’expérience de la grande échelle et, surtout, son agence amorce un
travail de domestication de l’urbanisme de dalle sur le site de Massena-Bruneseau à Paris
(zone d’aménagement concerté Paris Rive Gauche). MSA dispose quant à lui d’une bonne
connaissance de la problématique de la Cité administrative et, surtout, il dispose d’une exper-
tise désormais reconnue quant à la mise en place de processus innovants de projets urbains.
En février 2005, nous avions, en effet, été retenus par un jury indépendant parmi les « 12 figures
émergentes de l’architecture en Communauté française de Belgique 7 ». La lecture a poste-
riori du rapport du jury nous ayant sélectionné me paraît éclairante sur l’idée générale qu’on
se fait de MSA à l’époque : « Le jury a souligné l’intérêt de l’usage des compétences spéci-
fiques de l’architecte dans des pratiques instituées qui permettent de les transformer. Le jury
souhaite mettre en évidence l’importance du travail mené par MSA en amont des pratiques
conventionnelles des architectes et la particularité de jeunes architectes déterminés à réaliser
des projets publics d’études urbaines. »
D’autres compétences sont adjointes au tandem d’urbanistes que nous formons grâce au
rapprochement avec les Ateliers Lion. Yves Lion amène dans ses bagages deux bureaux
avec lesquels il collabore fréquemment : le bureau suisse CITEC, compétent en matière de
mobilité, et le bureau Menighetti, pour les aspects de programmation urbaine. L’expert belge
en économie de projet Modus Expert vient compléter l’équipe. Aucun de ces bureaux n’est
lié au milieu bruxellois de la promotion immobilière ; cette dimension me paraît essentielle
alors que nous allons travailler dans une situation que je sais tendue entre les pouvoirs publics
bruxellois et les propriétaires du site de la Cité administrative qui ne manqueront certaine-
ment pas de faire jouer leurs influences au cours du processus.
Notre candidature est rentrée en juillet 2005. En novembre 2005, nous sommes présé-
lectionnés et invités avec quatre autres bureaux à remettre une offre pour début janvier 2006.
Un cahier des charges accompagne la présélection : il est demandé aux candidats de travailler
sur la méthodologie du projet ainsi que sur le développement d’une première vision du réamé-
nagement de la Cité administrative.
Sans m’étendre sur l’entièreté de l’offre, je voudrais néanmoins m’arrêter ici sur deux éléments
qui me paraissent essentiels (au-delà du coût des études qui constitue toujours chez un maître
d’ouvrage public un critère de sélection). Il s’agit d’une part de la méthodologie de travail
que nous défendons et qui se décline dans un processus de projet progressif dans le temps.
La méthodologie
Le processus de projet s’appuie sur l’expérience que nous avons acquise au cours de l’éla-
boration des programmes de base pour les contrats de quartier. Nous envisageons ainsi de
découper le processus en quatre grandes phases, chacune devant faire l’objet d’un nombre
important de discussions à différents niveaux et, à un moment donné, d’une approbation
constituant la base de travail de la phase suivante.
— La première phase consiste à « se former une image commune du site et de ses enjeux ».
Il s’agit ainsi de mieux cerner les enjeux liés au développement de la zone levier concernée
en multipliant les sources et en nous appuyant tant sur les documents écrits que sur une
concertation large avec les acteurs.
— La deuxième phase est consacrée à la définition des espaces et équipements publics
considérés comme les éléments fondateurs du réaménagement de la Cité administrative.
L’espace public défini au sens large (boulevards, Jardin botanique, esplanade) est au cœur
du projet. Il s’agit en particulier de le réfléchir comme élément fondateur et structure du redé-
ploiement fonctionnel de la Cité.
— Une fois cette structure d’espaces publics définie, trois scénarios de projet portant sur
les options fonctionnelles et de formes de la Cité administrative doivent être à leur tour définis.
— Enfin, la quatrième phase porte sur le développement du scénario qui aura été choisi
par le maître d’ouvrage.
Je tiens à rappeler ici que le schéma directeur « Botanique » constituait en 2006 le premier
schéma directeur mis en œuvre par la Région ; pour cette raison même, tout était à inventer
en termes de méthodologie de projet mais aussi en termes de résultats à obtenir.
À côté de la structuration du processus d’élaboration du schéma directeur en quatre phases
qui doivent être approuvées par un « comité d’accompagnement » regroupant une multitude
d’acteurs (politiques, administratifs, fonciers, etc.), nous proposons dans le cadre de l’offre
d’ouvrir encore davantage la discussion à travers des « dispositifs de participation » : les
« ateliers de la Cité ». Il s’agissait principalement pour nous d’ouvrir la discussion à des
acteurs qui n’étaient pas forcément institutionnels en vue de nourrir le projet et les réflexions
des décideurs politiques au cours des différentes phases. Nous envisageons aussi les ateliers
de la Cité comme une instance d’avis auprès des décideurs politiques, en particulier au
108 B e n o it Mo r it z
moment où des choix doivent s’opérer sur des scénarios. Comme nous le verrons, ce moment
n’aura en réalité jamais lieu. Je reprends ici le descriptif de l’outil tel que formulé dans le
cadre de notre offre :
« La méthodologie telle que nous la présentons prévoit l’instauration des” ateliers de la
Cité”. Il s’agit de moments de discussions privilégiés avec une plateforme d’acteurs émanant
de la société civile et intéressés par le développement de la zone levier. Il est prévu que les
ateliers se réunissent en réunions de travail intensif à l’occasion :
— des discussions préalables des enjeux et des éléments de diagnostic ;
— de la détermination d’un noyau dur de négociation + présentation, amendement et vali-
dation de trois scénarios à étudier ;
— d’une prise d’opinion relative au développement des trois scénarios.
Les réunions prendront la forme d’ateliers de travail intensif basés sur un matériel préala-
blement préparé par le bureau d’études. Les modalités exactes et précises du déroulement
de ces ateliers seront discutées ultérieurement avec le maître d’ouvrage et avec le BRAL 8. À
ce stade nous pensons que la logistique doit être assurée par le BRAL. De même, nous propo-
sons que le BRAL, en sa qualité de partie neutre et de modérateur, se charge de la retranscription
des éléments d’informations recueillies au cours des journées de travail. Notre rôle consis-
tera principalement à fournir le matériel d’informations de base ainsi que de participer aux
discussions afin d’alimenter le débat. »
À côté des ateliers et en amont des réunions du comité d’accompagnement qui doivent
valider les phases, l’instauration d’un organe de discussion politique était également proposée :
les « tables rondes tripartites ». Composées de représentants politiques issus des communes
concernées par le projet, de représentants des cabinets régionaux concernés et des repré-
sentants du maître d’ouvrage (le cabinet du ministre-président et son administration, l’AATL,
l’administration de l’Aménagement du territoire et du Logement), les tables rondes doivent
se réunir aux moments où une décision politique stratégique doit être prise. Dans le schéma
de base que nous proposons, les décisions doivent être alimentées par ce qui aura été discuté
au sein des ateliers ainsi que par les éléments techniques qui auront été amenés par l’au-
teur du schéma directeur.
Le processus proposé était donc très structuré mais en même temps assez complexe. À
l’époque et aujourd’hui encore, ma conviction est qu’à un projet urbain complexe ne peut
correspondre qu’un processus complexe d’élaboration et de décisions. Là se situe aussi
probablement l’un des défauts du processus mis en place : la complexité du processus n’a
jamais été expliquée et dès lors, je pense, jamais saisie par les participants aux ateliers.
En tant qu’urbaniste, une de mes principales convictions est qu’un site n’est jamais vierge
et qu’un projet est toujours issu d’une stratification d’idées inscrites dans le territoire. Cette
conviction que nous partageons avec Yves Lion constitue ce que l’on pourrait appeler l’angle
d’approche de tout projet d’urbanisme développé chez MSA. Il est aussi un des principes
fondateurs d’un urbanisme durable. Une autre conviction fondamentale que nous partageons
avec Yves Lion est que l’espace public dans sa structure est le support de tout développe-
ment urbain. Si les programmes changent dans le temps, les espaces publics, eux, survivent
à ces changements : à Bruxelles, la structure des espaces publics du quartier Léopold est
une parfaite démonstration de ce fait. Il faut donc concevoir des espaces publics perfor-
mants, généreux, qui soient pertinents quels que soient les programmes. C’est à partir de
ces deux convictions, qui sont aussi des postulats de projets, que nous avons élaboré notre
vision de l’aménagement du site dans le cadre de l’offre.
Sur la base du premier postulat, nous avons ainsi privilégié une valorisation de l’identité
singulière de la Cité administrative, fondée sur un urbanisme de dalle qui serait domestiqué.
Ce choix s’appuyait en particulier sur l’histoire récente de la Cité, attestant sa valorisation
possible 9. Il résultait aussi de notre conviction profonde qu’il importe de concevoir la ville
comme un système stratifié de modèles urbains variés se superposant les uns aux autres ;
c’est le modèle de la ville multi-couches tel que développé par l’architecte allemand Oswald
Mathias Ungers 10. Ce choix s’appuyait enfin sur la mise à disposition des premières esquisses
de réaménagement émanant du concours international d’urbanisme que le propriétaire du
site avait organisé 11 : tous les projets démontraient et valorisaient, en effet, le potentiel archi-
tectural et urbanistique de la reconversion de l’urbanisme de dalle. Les résultats des ateliers
MapRAC auxquels j’avais largement contribué représentaient sans aucun doute aussi une
référence solide sur laquelle s’appuyer.
La concrétisation du deuxième postulat constituait certainement notre contribution la plus
fondamentale en termes de proposition de réaménagement du site, en particulier parce que
nous formalisions une structure d’espaces publics permettant d’améliorer les connexions entre
différentes composantes qui se présentaient de manière très fragmentée. Dès l’offre, nous
110 B e n o it Mo r it z
Fig. 2. La schématique du schéma directeur « Botanique », une illustration des principes d’implantations, de programmation et de
liaisons. (Source : MSA-Lion.)
proposions ainsi de réfléchir à la manière dont le Pentagone pourrait mieux se lier au Jardin
botanique, en particulier à partir d’un travail sur la mise à niveau du carrefour Pacheco /
Botanique. Nous avions aussi la conviction que les relations entre le niveau de la dalle de
la Cité et celui du boulevard Pacheco devaient être améliorées à hauteur de la halte de
chemin de fer Congrès. Enfin, à l’endroit de la place du Congrès, les relations entre le niveau
du boulevard Pacheco et celui de la rue Royale devaient sans aucun doute être améliorées,
comme l’avaient déjà démontré par le passé nombre de contre-projets émanant de l’ARAU.
La valorisation de l’identité de la Cité nous a également poussés à proposer des amélio-
rations dans la manière dont les différentes composantes de la Cité sont reliées entre elles.
Des propositions sont ainsi formulées pour mieux faire fonctionner la rue de Rivoli, rue piétonne
desservant dans sa longueur les différentes entités bâties du complexe administratif. Suivant
notre approche, c’est ainsi sur cette nouvelle trame spatiale que devraient s’installer les diffé-
rents programmes urbains introduisant de la mixité fonctionnelle et sociale sur le site,
principalement dans les bâtiments existants.
Fin janvier 2006, nous sommes désignés par la Région. Nous avons désormais six mois
(délai imposé par le cahier des charges) pour réaliser ce premier schéma directeur bruxel-
lois. La motivation du maître d’ouvrage (l’AATL) met en particulier en avant la qualité de la
méthodologie que nous proposons de même que l’option urbanistique de ne pas faire « tabula
rasa de la tabula rasa », c’est-à-dire de considérer la Cité administrative telle qu’elle existe
comme point de départ de la réflexion sur sa reconversion.
Début février, de premiers contacts ayant été pris avec les différents acteurs, le travail peut
commencer. Nous sommes tenus par les délais contractuels d’études qui fixent la remise
finale du document au mois de juillet 2006, mais aussi par les élections communales d’oc-
tobre qui approchent à grands pas et qui peuvent faire émerger de nouvelles majorités au
sein des communes concernées (Ville de Bruxelles et Saint-Josse). Il s’agit donc pour nous
de terminer dans les délais afin de ne pas recommencer tout le travail qui aura été mené
avec les acteurs politiques en place.
Je ne reviendrai pas ici sur la manière dont le processus s’est finalement déroulé, d’autres
articles dans cette publication s’en chargent. Il me semble par contre opportun de dresser
un premier bilan rétrospectif par rapport au déroulement du processus d’élaboration du
schéma directeur et aux réflexions auxquelles il m’a mené.
Tout d’abord, je voudrais m’arrêter sur la logique même de ce processus. Cette logique
est guidée par celle de l’acteur public et de ses méthodes, qui sont par essence fonda-
mentalement différentes de celles d’un promoteur privé. Elle est motivée par le fait que la
Cité administrative, bien que vendue, en deux parties — en 2001 et 2003 — à des proprié-
taires / promoteurs privés 12, est inscrite au PRAS comme zone d’intérêt régional, une
classification permettant au gouvernement régional de fixer les orientations d’aménagement
dans un arrêté gouvernemental.
Agissant pour les pouvoirs publics, notre intervention s’inscrit par ailleurs dans le cadre
d’un marché public répondant à des règles bien précises d’un point de vue légal, se déployant
dans un large processus de collaboration et de discussion entre administrations et acteurs
politiques. Ce travail est forcément plus lent que celui qui serait mené dans le cadre d’un
marché privé. Nous travaillons en réalité avec une multitude de maîtres d’ouvrages publics
détenant chacun une part du pouvoir décisionnel alors que le promoteur, lui, travaille pour
lui-même et est à même de produire rapidement des documents.
Il s’est ainsi rapidement avéré que le propriétaire du site n’était pas intéressé par le processus
112 B e n o it Mo r it z
d’élaboration, par phases, que nous avions mis en place et qu’au contraire il voulait aller
rapidement « au fait » du schéma directeur, c’est-à-dire à la définition des options d’amé-
nagement. Assez typiquement, nous nous sommes trouvés confrontés à deux logiques en
opposition. D’un côté, une logique publique préoccupée par des études objectives et soucieuse
de concertation, du moins d’une discussion ouverte. De l’autre côté, la logique des proprié-
taires / promoteurs privés désirant avancer rapidement avec le moins de discussions possibles
et surtout faisant valoir leurs droits sur leurs biens 13. Cette situation a été pour nous une véri-
table découverte — nous n’avions jusque-là travaillé que pour des maîtres d’ouvrage publics —
et a bouleversé en grande partie la méthodologie assez « théorique » que nous avions imaginée,
en particulier le rôle des ateliers de la Cité.
Deuxième élément, si le travail par phases a été effectivement réalisé, il n’a pas entière-
ment porté ses fruits. Les tables rondes tripartites ont bien eu lieu aux moments stratégiques
et chacun des participants a respecté la règle de ne jamais revenir en arrière sur une déci-
sion collégialement entérinée. Avec le recul, je pense pouvoir affirmer que c’est le bon
fonctionnement de ce lieu de discussion qui a permis au schéma directeur d’être achevé
dans les temps. Mais d’un autre côté, les ateliers de la Cité organisés par le BRAL n’ont eu
qu’un succès relatif (d’autres articles de cette publication reviennent sur cet aspect). Je retien-
drai ici tout spécialement le mélange des genres dans l’origine des participants à ces ateliers,
comprenant à la fois des habitants et des usagers des quartiers limitrophes désireux de réel-
lement contribuer à la réflexion, des universitaires venant observer le processus (ou nous
mettre sous surveillance ?) et des participants en réalité proches des propriétaires / promo-
teurs venant défendre ou mettre en avant des intérêts particuliers. Les ateliers de la Cité ont
été organisés à deux reprises ; le troisième atelier prévu initialement et destiné à donner un
avis sur un choix entre trois scénarios n’a finalement jamais eu lieu, faute de scénario à
choisir… J’y reviendrai.
Un troisième élément qu’il me paraît important de mettre en avant réside dans la portée
du travail que nous étions en train de réaliser et la bonne compréhension de ce qu’est un
schéma directeur. Si pour nous, au regard de la définition donnée dans le PRD de 2002,
il était clair qu’il s’agissait d’un travail de définition des principes de réaménagement de la
Cité, d’autres y voyaient au contraire presque l’idée d’un projet finalisé dans son détail.
Parmi ces « autres », il convient bien sûr de citer les propriétaires / promoteurs, mais aussi
certaines administrations et un groupe de pression influent dans le débat bruxellois, l’ARAU
pour ne pas le citer. Tout au long de notre travail, nous avons ainsi oscillé entre la mise en
avant de principes généraux de reconversion, d’un côté, et, de l’autre, la vérification, voire
114 B e n o it Mo r it z
l’ARAU 14 —, le projet de schéma directeur était déposé auprès de notre maître d’ouvrage.
Le 30 novembre 2006, le gouvernement régional approuvait le projet définitif après consul-
tation de la Commission régionale de développement. Dans la foulée, une conférence de
presse était organisée par le ministre-président de la Région en l’absence des proprié-
taires / promoteurs. Ceux-ci ont quant à eux continué à instrumentaliser, dans des réunions
publiques ou privées, une question architecturale (« construire ou pas un grand escalier à
l’arrière de la colonne du Congrès ») alors que là ne se situait pas l’enjeu fondamental du
schéma directeur. Les différends étaient par ailleurs plus profonds que cette simple ques-
tion : est-il admissible pour un pouvoir public quel qu’il soit de devoir accepter une fonction
non prévue dans le PRAS (l’implantation d’un hôtel) ou encore d’accepter le fait accompli
du dépôt d’une demande de permis d’urbanisme portant sur la réaffectation en fonction
administrative de la plupart des bâtiments de la Cité alors que le schéma directeur vise
précisément à instaurer la mixité fonctionnelle ? Était-il également admissible pour un pouvoir
public d’entériner la logique de monofonctionnalité des immeubles (en particulier de l’en-
semble composé des immeubles D / F et du grand restaurant) que les propriétaires / promoteurs
souhaitaient imposer ?
Dans le fond, le dialogue entre acteurs publics et privés a bien eu lieu, mais ce fut un
dialogue de sourds entre des gens qui, bien que parlant la même langue, ne veulent finale-
ment pas se comprendre, n’y sont pas prêts, faute sans doute d’une tradition d’écoute mutuelle.
Fig. 4. Illustration du projet. (Photo : Bénédicte Martinez Jamart. Rendu : JDS Architects.)
Cette proposition de JDS Architects intègre les principes du schéma directeur « Botanique » repris dans l’arrêté du gouvernement.
Une solution originale et performante est trouvée pour le franchissement de la déclivité. L’implantation des logements se fait dans un
ensemble habité dont la morphologie constitue en soi une prise de position par rapport au lieu et à l’histoire de la Cité administrative.
116 B e n o it Mo r it z
Entre-temps, le processus de discussion avec les autorités publiques s’est complètement enlisé
et les propriétaires / promoteurs désirent reprendre l’initiative. Je leur transmets l’arrêté du
gouvernement. Quelques mois plus tard, je découvre par hasard les différentes esquisses de
mes confrères : ils démontrent de manière sérieuse et raisonnée comment les principes du
schéma directeur peuvent être appliqués sur le site et peuvent conduire à des formules d’im-
plantation et à des partis d’aménagements variés. Certains confrères vont encore plus loin
dans la démonstration d’une possible domestication de l’urbanisme de dalle… Malheureusement,
ces projets ne sont pas rendus publics. Quel dommage pour la Cité administrative, et quel
dommage pour le débat urbanistique bruxellois qui a bien besoin d’ouvertures.
Comme je le laisse sous-entendre, peu de décisions ont été prises entre novembre 2006
et aujourd’hui (juillet 2008). En revanche, beaucoup de choses se sont passées :
— les demandes de permis d’urbanisme portant sur la rénovation des bâtiments exis-
tants (C, D et F) ont fait l’objet d’études d’incidences dont les conclusions sont, sous l’angle
urbanistique, grosso modo défavorables aux projets et plutôt favorables aux options du
schéma directeur ;
— les propriétaires/promoteurs ont organisé un concours propre qui n’a jamais eu de lauréat;
— la Ville de Bruxelles vient récemment 15 de lancer le cahier des charges préalable à
l’élaboration d’un plan particulier d’affectation des sols portant sur la Cité administrative.
Il y a peu, on apprenait par voie de presse que les propriétaires / promoteurs avaient
décidé de confier l’étude d’un plan d’urbanisme à un artiste s’étant fait remarquer par l’instal-
lation d’une œuvre d’art monumentale dans le haut de la ville.
Une note d’espoir, toutefois : fin 2006, notre interlocuteur au sein du groupement des
propriétaires / promoteurs de la Cité administrative quitte ce groupe et prend en charge pour
la société T&T Project le développement du site de Tour et Taxis pour lequel nous sommes
également en charge de la conception du schéma directeur. À l’aune de l’expérience de la
Cité administrative, son attitude se situe clairement dans une démarche de négociation avec
les interlocuteurs publics, régionaux et communaux. Début juillet 2008, le schéma directeur
« Tour et Taxis » est approuvé en première lecture par le gouvernement régional. Le repré-
sentant de la société T&T Project est cette fois-ci invité à la conférence de presse annonçant
cette approbation et est assis à côté du ministre-président de la Région.
Au moment de l’écriture de cet article, deux schémas directeurs ont été approuvés par le
gouvernement régional bruxellois (« Botanique » et « quartier européen »). Le schéma direc-
teur « Tour et Taxis » sera probablement approuvé en deuxième lecture au moment de la
publication de cet ouvrage. D’autres schémas directeurs seront alors encore en cours d’élabo-
ration (« Delta », « gare de l’Ouest » et « RTBF-VRT ») ou en phase de désignation d’un bureau
d’études (« Schaerbeek Formation »). Au total, le gouvernement régional issu des élections
régionales de 2004 se sera ainsi attelé à l’élaboration de six schémas directeurs.
Pour partie, la présente publication peut être considérée comme une évaluation de l’éla-
boration, voire de la mise en œuvre, de ces premiers schémas directeurs. Ayant activement
participé à l’élaboration de deux schémas directeurs, je voudrais pour finir contribuer à ce
travail de synthèse et plus particulièrement tenter de dégager plusieurs pistes visant à l’amé-
lioration concrète du dispositif dans ses usages présents et futurs.
Avant cela, je voudrais d’abord réaffirmer ici ma conviction quant à la nécessité et à la
pertinence de l’outil schéma directeur en tant qu’outil de définition, de négociation et d’en-
gagement des pouvoirs publics sur un projet d’urbanisme. Indéniablement, sur le fond, la
dimension transversale et projectuelle inhérente à cet outil constitue une amélioration au
regard des pratiques de planification en vigueur à Bruxelles jusqu’à la mise en place d’un
nouveau gouvernement régional en 2004 16, pratiques jusque-là assumées par différentes
majorités politiques bruxelloises depuis la création de la Région bruxelloise. Selon moi, l’outil
schéma directeur constitue donc un outil nécessaire dans l’enchaînement des différents moments
d’un projet urbain — des « intentions de projet » aux « documents à valeur réglementaire,
on passe ainsi par un « plan directeur » et sa « programmation » puis par un « masterplan » 17
— et on le retrouve par ailleurs sous d’autres formes ou appellations là où existent des
exemples réussis de projets d’urbanisme (le « consensusnota » à Anvers dans le cadre du
projet SpoorNoord, le « plan directeur » du projet Esch-Belval à Esch-sur-Alzette, le
« Masterplankonzept » à Hafencity-Hambourg, pour n’en citer que quelques-uns).
Sur la forme, de nombreuses critiques — auxquelles je souscris partiellement — peuvent
être émises. Mais en complément de celles-ci, je voudrais prendre le risque de formuler
quelques recommandations permettant de mieux faire fonctionner l’outil, et surtout de le
rendre opérationnel dans ses aspects de mise en œuvre. À défaut de repenser ces aspects,
les schémas directeurs — quels qu’ils soient — risquent, en effet, de rester de pieux vœux
urbanistiques, sans lendemain.
118 B e n o it Mo r it z
Mes recommandations sont à ce stade de ma réflexion au nombre de cinq. Une évalua-
tion plus complète, inscrite dans un processus de réflexion plus partagé, permettrait
vraisemblablement d’en dégager d’autres.
1. Le gouvernement régional — probablement le prochain — se doit de définir des prio-
rités à la fois en termes d’étude et de développement des sites : quel site est considéré comme
prioritaire pour le développement régional ? Par où faut-il commencer ? Est-il bien raison-
nable d’ouvrir, sans perspective globale à ce sujet, les réserves foncières de Tour et Taxis,
de la gare de l’Ouest, de Schaerbeek Josaphat, de Delta, sans compter les réserves foncières
dégagées dans le quartier Nord par le PPAS « Willebroeck » et celles encore disponibles
ailleurs et qui ont besoin d’un sérieux coup de pouce de la part des pouvoirs publics (je
pense au quartier du Val d’Or à Woluwé-Saint-Lambert, par exemple) ? Ne risque-t-on pas
de créer une « sur-offre » ? Par ailleurs, pour certains de ces sites, la question du dévelop-
pement urbain nécessaire et du nécessaire développement immobilier qui en découle doit
également être posée. En un mot : doit-on forcément tout urbaniser ? Il me paraît primordial
de réfléchir et de répondre d’abord à cette question.
2. Si le gouvernement régional veut réellement s’engager dans le développement des sites
qui représentent d’importantes réserves foncières, il doit réellement se donner les moyens de
la mise en œuvre ; les structures et modes d’action administratifs en vigueur apparaissent,
en effet, inadéquats par rapport aux enjeux spécifiques de ces grandes réserves foncières
et au type de projets qu’elles nécessitent. Quatre suggestions en découlent selon moi.
Premièrement, en amont des schémas directeurs, le gouvernement doit se doter d’outils
opérationnels du point de vue de l’organisation, de la coordination et de l’évaluation de
projet, ce que l’on appelle en France des « structures d’aménagement » (ou aménageurs).
Idéalement, une structure travaillant à l’échelle de la Région devrait être établie. À titre d’exemple,
la Ville d’Anvers s’est dotée au sein de son administration d’une « planningcel », une cellule
engagée dans une véritable culture du projet urbain.
Deuxièmement, si elle doit réellement fonctionner, cette structure d’aménagement doit se
voir déléguer, dans des périmètres définis, des champs de compétences (et des budgets),
actuellement dévolus à des administrations régionales ou communales, principalement dans
les domaines de la planification, de la coordination d’études, voire de la réalisation.
Ensuite, à l’issue de l’élaboration d’un programme de schéma directeur, il doit y avoir un
engagement ferme de la part des pouvoirs publics quant aux moyens financiers qui seront
dégagés pour la réalisation des projets, sous forme, par exemple, d’un plan pluriannuel d’inves-
tissements publics. Il est, en effet, nécessaire de crédibiliser l’engagement pris sur le long terme.
120 B e n o it Mo r it z
1. Voir Christophe MERCIER et Benoit MORITZ, «Logements 12. La société néerlandaise Breevast à laquelle s’adjoind-
publics : du “nimbysme” au “wimbysme” ? », La Revue ront la Compagnie immobilière de Belgique et la banque
nouvelle, Bruxelles, février 2008, n° 2, p. 77-88. Dexia. Ces trois sociétés forment le RAC Investment Group.
2. Voir www.bralvzw.be. 13. Nous nous sommes aussi rapidement rendu compte
3. Citymine(d), Disturb, cinéma Nova, Recyclart, etc. Voir que les propriétaires / promoteurs n’étaient pas du tout
le chapitre I pour plus de détails sur cette période. intéressés par l’élaboration d’un schéma directeur qu’ils
4. Voir www.maprac.org. considéraient en soi comme une contrainte inutile. Il convient
5. Voir Benoit MORITZ, « OmbubdsplanMédiateur : une de rappeler ici que, en effet, le choix de l’auteur du schéma
nouvelle chance pour le quartier européen ? », Les directeur a été imposé par la Région aux propriétaires /
Cahiers de la Cambre – Architecture, n° 5, « Bruxelles promoteurs.
l’Européenne. Capitale de qui ? Ville de qui ? », Bruxelles, 14. Voir le communiqué de presse de l’ARAU du
La Lettre Volée, 2006, p. 208-219. 18 octobre 2006, dans lequel l’association exprime son
6. En 2004, la candidature de Guy Verhofstadt à la adhésion à l’iconographie produite par les proprié-
présidence de la Commission européenne n’est pas taires / promoteurs. L’illustration des promoteurs est
retenue. En 2004 également, le MR dont étaient issus légendée de la façon suivante : « Les propriétaires du
les précédents ministres-présidents connaît un revers aux site ont présenté, lors de la séance du 4 septembre avec
élections régionales et est renvoyé dans l’opposition. les riverains, une alternative proposant un vaste escalier
7. « (Re)Nouveaux plaisirs d’architecture. 12 figures émer- descendant depuis la colonne du Congrès jusqu’à
gentes de l’architecture en Communauté française de l’angle du boulevard Pacheco et de la rue de la Banque. »
Belgique », une réalisation et une exposition du Centre Cette option va dans le sens préconisé par l’ARAU à
international pour la ville, l’architecture et le paysage savoir un lien visible et direct entre le boulevard et la
(CIVA) et l’ISACF – La Cambre, février 2004. place du Congrès. L’iconographie du schéma directeur
8. Le BRAL est associé à la réflexion en sa qualité de exprime quant à elle « la Cité modèle, à Laeken,
relais vis-à-vis des habitants et associations. Cette mission construite dans les années soixante » [sic].
spécifique lui a été attribuée par le gouvernement régional 15. Décision du conseil communal du 21 avril 2008.
en 2005. Voir chapitre II pour plus de détails. 16. Souvenons-nous, par exemple, des polémiques qui
9. Voir à cet égard le travail de fin d’études de Lydie ont entouré l’élaboration et le contenu même du dossier
HOLDERS, CAÉ. Analyse des discours écrits relatifs à de base du PPAS « Tour et Taxis » de 2004 (voir
son histoire, ISACF – La Cambre, juillet 2008. www.bralvzw.be/stadsprojecten/thurntaxis).
10. Voir Oswald Mathias UNGERS et al., The Dialectic 17 Voir à ce sujet Alain AVITABILE, La Mise en scène
City, trad. Francisca Garvie, Milan, Skira, 1997. du projet urbain. Pour une structuration des démarches,
11. « Nouveaux scénarios pour la Cité administrative de Paris, L’Harmattan, 2005.
l’État », concours organisé par l’agence luxembourgeoise 18. Lire l’interview de Leo Van Broeck, architecte-urba-
Polaris Architects en 2005 pour le RAC Investment Group. niste et professeur d’architecture à la KUL, sur le site de
Ont participé à ce concours les bureaux d’architectes Disturb (www.etcomment.org/article.php?lang-
Plot (Danemark), HUB (Belgique), A.K.T. (Allemagne) et =fr&id_rubrique=13&id_article=117&parent=0).
S333 (Pays-Bas). Voir chapitre II pour plus de détails.
Chapitre IV
L’histoire du projet au fil des débats publics
Dans les textes et les discours 1, le caractère concerté du schéma directeur (SD) apparaît
central. Sa principale innovation, en effet, est d’associer à son processus d’élaboration, en
amont donc de la définition du projet, toutes les parties potentiellement concernées : non
seulement les autorités publiques et les acteurs privés propriétaires du site mais aussi les
habitants, riverains, usagers et autres citoyens. En ce qui concerne la Cité administrative de
l’État (CAÉ) — ou la zone levier « Botanique » — la procédure proprement dite devait durer
six mois et inclure un volet public, essentiellement composé de réunions d’information et
d’ateliers à vocation participative. Au chapitre précédent, le principal auteur du schéma
(Benoit Moritz, du bureau MSA temporairement associé aux Ateliers Lion) explique comment
il a conçu ce volet public et participatif en plusieurs phases, comment il a travaillé avec le
Brusselse Raad voor het leefmilieu (BRAL), chargé par la Région de l’organiser pratiquement,
et donne son point de vue sur l’expérience dans son ensemble. Dans la seconde partie de
cet ouvrage, plusieurs contributions analysent les impensés et les difficultés de la participa-
tion dans les schémas directeurs bruxellois en particulier — celui de la CAÉ (chapitres V et
VI) et d’autres schémas en cours d’élaboration —, et dans l’urbanisme procédural en général.
Avant cela, il nous paraissait pertinent de dérouler le fil des débats publics que plusieurs
membres du Groep Levier ont pu suivre, dans leur quasi-intégralité dans le cas de la Cité
administrative de l’État.
Rétrospectivement, la procédure d’élaboration du schéma directeur « Botanique » fait appa-
raître cinq temps forts au niveau des événements publics : la première réunion d’information
en février 2006, les deux « ateliers de la Cité » en mars et en avril, la seconde réunion
d’information en septembre et enfin la journée de lancement du schéma directeur (après son
approbation par le gouvernement) en décembre de la même année. Toute observation est
forcément partielle, voire partiale ; nous tentons néanmoins de relater fidèlement ce que nous
avons eu l’occasion de voir et d’entendre au cours de ces rencontres et de ces discussions.
Nous avons, par ailleurs, tâché de replacer les différents épisodes du volet public dans le
cadre plus large de la procédure, laquelle comprend évidemment des réunions non publiques,
Les habitants présents — majoritairement des hommes âgés de la classe moyenne supérieure
venant probablement du quartier Notre-Dame aux Neiges — ont donc bravé la sinistrose
des lieux, affronté les dédales des bâtiments pour se retrouver dans cette grande salle vide
et désaffectée, au cœur même de la Cité administrative de l’État. La soirée débute par une
première déception : Charles Picqué est retenu ailleurs. Son absence suscite d’emblée des
réactions dans le public, dont celle-ci : « On n’est pas dupes. Picqué n’est pas là, il n’en a
rien à foutre de la participation des habitants ». Néanmoins, le politique sera représenté par
Ariane Herman, chef de la cellule aménagement du territoire au cabinet de Charles Picqué,
qui prendra la parole (suite à la brève introduction du BRAL) pour présenter le cadre dans
lequel s’insère la soirée. Ariane Herman indique l’existence de différents projets de schémas
directeurs sur quelques sites à Bruxelles qui sont des enjeux pour la Région. Elle décrit le
projet politique à la base de cette procédure : l’objectif est de réaliser une étude globale
pour cerner les enjeux, définir l’agenda, établir l’évaluation financière en parallèle avec le
promoteur privé. Le politique soutient en outre « une concertation la plus large possible avec
C’est ensuite à Benoit Moritz d’exposer plus concrètement le processus en cours pour la Cité
administrative. Après avoir présenté le bureau d’études comme l’association momentanée
entre les Ateliers Lion et MSA, sélectionné après un appel d’offres, il avance son point de
vue sur la Cité administrative : il faut la « considérer comme un élément en soi, en valori-
sant l’existant » notamment « l’architecture des années 1960 et les jardins ». Il décrit aussi
ses expériences en matière d’urbanisme et de participation, notamment sur le quartier Maritime.
Pour lui, le rôle du bureau d’études est de faire du « conseil au pouvoir public dans une
démarche de négociation avec le promoteur ». Il ajoute que le bureau travaille « dans l’inté-
rêt général des citoyens » en vue « d’accrocher une dimension collective » contre les velléités
trop « privatives » des promoteurs. S’appuyant sur un diaporama, il montre alors le périmètre
de travail et insiste sur les problèmes de liaison entre les différents pôles. Ensuite, il évoque
le contexte de la construction de la CAÉ ainsi que sa vente, en 2001, à un consortium privé.
Il rappelle que la tour des Finances ne fait pas partie de la ZIR n° 11, pour laquelle le PRAS
(plan régional d’affectation du sol) détermine certaines affectations (dont 35 % minimum de
logement, des commerces, des bureaux, des espaces publics). Reste néanmoins à définir
« les actions, les programmes, les projets ».
Après cela, il explicite le planning général du projet qui vise une mise en œuvre début
2009. Il annonce l’adoption du schéma directeur pour septembre 2006, un arrêté gouver-
nemental pour octobre et l’inscription dans un PPAS (plan particulier d’affectation du sol)
Une discussion s’ensuit, qui concerne d’abord les règles du jeu. Certains participants ont
l’impression qu’« on ne leur dit pas tout » ou se demandent dans quelle mesure ils pourront
réellement peser sur la décision. « Quelles sont les limites imposées par le politique ? Ça
représente quoi la concertation avec les citoyens : 5-10 % ? » demandera l’un. Par ailleurs,
quant aux « options » privilégiées par le bureau, elles ne semblent pas si ouvertes que cela
dans le chef de certains habitants. Du moins l’échange qui suit illustre-t-il bien un certain flou :
« Un habitant : Vous avez montré trois propositions de projets et vous avez insisté sur le
troisième scénario et donc on est quand même coincés !
Benoit Moritz : Ce ne sont que des images, des illustrations, mais les idées ont déjà complè-
tement changé.
L’habitant : Oui, mais en tant que citoyen, c’est important.
Benoît Morîtz : On ne vous cache rien, ce ne sont pas des projets, ce sont des images.
On fera des consultations sur ces trois scénarios.
Un habitant : Oui, mais vous aviez insisté sur le troisième projet et vous aviez dit que les
politiques et le promoteur aimeraient ce troisième projet.
Benoit Moritz : On va densifier, certainement, mais c’est ouvert. »
Cette dernière réponse atteste bien du caractère ambigu de l’ouverture proposée quant
au fond du projet. Sur l’urbanisme de dalle, sur l’option de conservation de la Cité, on peut
déjà avoir l’impression que les jeux sont faits. Certains citoyens s’interrogent pour le moins :
« Je suis un peu étonné que vous lui reconnaissiez une qualité architecturale. »
Quant aux rôles respectifs des trois intervenants dans le jeu tel qu’ils l’ont eux-mêmes présenté,
on s’interroge aussi. Celui du BRAL a d’abord été décrit par la représentante du cabinet
Picqué comme « un relais entre le gouvernement et les habitants ». Le BRAL doit « faire monter
les informations provenant des habitants » et répercuter les informations vers les habitants.
Le BRAL est aussi présent comme observateur dans le comité d’accompagnement qui reprend
Le premier « atelier de la Cité », le 11 mars 2006, dans la salle Waldorf de l’hôtel Astoria
Ce premier atelier devait permettre de faire le point sur les opinions relatives à différents
thèmes : la mobilité et les infrastructures, les fonctions, la sécurité et la dénomination des
lieux. L’ambition est de cerner les enjeux autour des principes de l’aménagement des lieux,
indépendamment des modalités de mise en œuvre de celui-ci. Cet état des lieux était à son
tour censé alimenter la réflexion du bureau d’études et lui permettre au besoin d’étayer son
argumentation envers les autres instances impliquées dans la reconversion de la Cité. En
cours de réunion, on observe cependant que la question des modalités pratiques pèse indé-
niablement sur la tournure de certaines discussions : ainsi, la volonté de conserver la dalle
— et / ou la vue, considérée comme « imprenable » sur le vieux Bruxelles — ainsi que l’impossi-
bilité de construire à front du boulevard Pacheco ont tôt fait de casser les ailes à quelques rêves.
Le déroulement de la séance
D’après l’invitation du BRAL, la réunion devait débuter par un exposé des « objectifs » et des
« acquis ». Des prises de vue aériennes, des plans et des photos des divers espaces seraient
présentés aux participants, qui pourraient réagir et les annoter au moyen de gommettes de
couleur et de « post-it ». L’atelier se répartirait ensuite en sous-groupes d’une dizaine de parti-
cipants, chacun ayant son « encadrant » et un observateur saisissant les minutes. L’encadrant
rapporterait les discussions auprès des animateurs du BRAL, qui se chargeraient de mettre
en commun l’ensemble des informations et autres questions récoltées. En plénière, le BRAL
assurerait le retour de ces conclusions vers les participants.
Tout le monde semble d’accord pour dire que les liens doivent être améliorés. Entre le haut
et le bas de la ville de manière générale, il faut une meilleure accessibilité à la CAÉ à partir
des Bas-Fonds et à partir du quartier Notre-Dame aux Neiges. Il faut également améliorer
le passage entre la CAÉ et le Jardin botanique. Diverses idées sont lancées pour y parvenir.
La première est celle d’un « escalier » qui descend depuis l’esplanade, un escalier « large »
et qui « invite à la promenade ». Dans ce cas, il importe aux habitants que les vues soient
préservées. À partir du bas de l’escalier, il faudrait pouvoir se promener le long des boule-
vards Pacheco et de Berlaimont — qui pourraient être « verdurisés » — et pouvoir traverser
facilement, vers le Musée de la bande dessinée, vers la gare Centrale et le centre ainsi qu’en
direction du Botanique. Autre piste : améliorer la liaison avec la gare du Congrès et la signa-
lisation des entrées et sorties. À partir des Bas-Fonds, on insiste sur l’idée de traiter les abords
de la gare comme un lieu clé pour une meilleure liaison entre la CAÉ, les Bas-Fonds et la
rue Neuve, voire pour attirer les passants depuis celle-ci jusqu’à la CAÉ par la scénographie
Et la sécurité ?
La tendance est claire sur ce point : il importe de garder le nom actuel pour des raisons
historiques. Cela n’exclut pas quelques propositions alternatives d’un nouveau nom, tels « la
Cité des Libertés » ou, tout simplement, « Meyboom » !
Le 17 mars 2006, une première table ronde tripartite entre la Région, les communes et le
bureau d’études est organisée en vue de « valider politiquement le diagnostic et les objec-
tifs 6 ». Le 24 mars 2006, la première phase du processus conçu par le bureau se clôture
par un second comité d’accompagnement, qui « valide » à son tour les acquis de cette première
phase (consacrée à forger une image commune du site et des enjeux). D’après le compte
rendu réalisé par le bureau et mis en ligne ultérieurement dans les annexes au projet de
schéma directeur adopté, ce comité d’accompagnement avait plus précisément pour objet
de présenter le travail déjà réalisé par le bureau, d’exposer les résultats du premier atelier
de la Cité et d’en transmettre la synthèse (c’est le BRAL qui s’en chargera) et d’aborder des
points plus précis comme la situation urbanistique et la mobilité 7.
Un mois plus tard se tient le second atelier de la Cité. Il marque le début de la seconde
phase prévue par le bureau : « Définir une structure de l’espace et des équipements publics
comme éléments fédérateurs du développement ». Cet atelier est censé alimenter les réunions
tripartites ultérieures. Une lettre d’invitation 8 est distribuée par le BRAL dans les boîtes aux
lettres des quartiers concernés (les Bas-Fonds et le quartier Notre-Dame aux Neiges) qui
entourent la Cité administrative. Cette lettre s’adresse aux participants du premier atelier,
dont les résultats sont jugés positifs 9 et dont le compte rendu sera la base de travail pour le
deuxième atelier. La réunion est fixée aux Facultés universitaires Saint-Louis, le samedi 22 avril,
de 13 h 30 à 17 heures. L’ordre du jour est fixé comme suit :
« 1. approbation du compte rendu ;
2. le bureau d’études présente l’état d’avancement de la planification ;
Dans les discussions, les fonctions et équipements publics souhaités renvoient à des « figures
du public » différentes qui parfois se rencontrent, parfois s’opposent. Les « Bruxellois », les
« employés », les « congressistes », les nouveaux et anciens habitants (des Bas-Fonds), les
jeunes, les personnes âgées ont-ils des besoins identiques ? Comment les faire cohabiter ?
Si la crèche peut mixer les publics en offrant des places d’accueil tant aux habitants qu’aux
employés des bureaux, la conciliation n’est pas toujours possible. Choisit-on de privilégier,
sur un espace déterminé, des fonctions destinées aux riverains ou plutôt de développer une
fonction d’intérêt régional ? Par exemple, développe-t-on un équipement de proximité à front
du boulevard Pacheco ou prévoit-on un espace de parking pour les cars de touristes, la capi-
tale en étant dépourvue ? Ces questions renvoient ainsi à des enjeux à différentes échelles
— tantôt régionales, tantôt locales — parfois difficilement compatibles. Soit un problème lié
à celui du nouveau « public » qu’on espère « attirer » sur le site. Un habitant évoque à plusieurs
reprises l’idée d’amener des touristes, des « eurocrates », des congressistes. Il estime qu’une
activité de commerce, d’horeca, couplée avec un aménagement de l’esplanade et une salle
de congrès amèneraient ces personnes sur le site, les feraient rester et consommer. Cette
situation créerait selon lui de l’emploi. Tous ne partagent pas cette vision idyllique. Les congres-
sistes consomment, certes, mais restent cloîtrés dans leurs hôtels. Quant aux emplois créés,
bénéficieront-ils vraiment aux Bruxellois ou aux « navetteurs » et de quel type seront-ils ? Les
gens s’interrogent…
De même, sur l’usage de l’esplanade le soir, tout le monde s’accorde sur l’idée qu’il faut
y développer « des activités », mais pas sur la nature de celles-ci. Entre « la petite musique
qui ne fait pas trop de bruit » pour les congressistes et autres touristes aux terrasses de café
et une offre socio-culturelle alternative, l’écart se creuse. Les activités « plus bruyantes » ne
On le voit, si plusieurs points font l’objet d’un consensus, certaines questions sont plus polé-
miques et, à l’intérieur des groupes, certains habitants disposent de plus d’arguments, de
plus de poids dans la discussion. On observe aussi des stratégies de déplacement de la
discussion qui ne permettent pas de vider les conflits. C’est le cas dans un échange au sujet
de l’esplanade. Un habitant utilise des arguments esthétiques (la beauté d’un lieu agrémenté
d’une fontaine) couplés avec des arguments de « grandiosité », d’attractivité économique et
de développement de l’emploi et propose une fontaine illuminée. Un autre répond par des
préoccupations plus sociales sur les emplois précaires amenés par l’horeca, emplois occupés
par des non-Bruxellois. Pour éviter le débat, un troisième habitant tente de montrer que ce
n’est pas « essentiel », qu’il faut revenir à « une idée » pour faire vivre l’esplanade. Une autre
tactique observée consiste à « forcer la décision », par exemple en proposant de voter, dans
un jeu qui, a priori, n’avait pas élaboré de règles quant à la construction d’un accord collectif.
Le répondant politique
Du côté des politiques, seul l’échevin de l’urbanisme de Bruxelles-Ville, Henri Simons, présent
ce jour-là, répond vraiment aux demandes des habitants, met fin à certains « rêves », prend
position sur certaines propositions (comme la bibliothèque, le restaurant, etc.). Du côté du
cabinet Picqué, on opte pour une attitude plus en retrait et la représentante du ministre répond
très peu aux sollicitations sauf, parfois, pour témoigner d’un certain agacement devant la
méfiance des habitants. L’échange qui suit l’illustre bien.
« Un habitant : Et à tout hasard, est-ce qu’on peut connaître l’avis du cabinet Picqué. S’il
a une vue quelconque sur la chose ?
[Rires et bruits. Ariane Herman n’a pas encore pris la parole alors qu’Henri Simons s’est,
lui, expliqué sur ses options politiques.]
Ariane Herman : Oui, là c’est moi hein. Ben, je veux dire, en gros…
La hauteur et la maquette
Le 4 septembre à 20 heures
Cette seconde réunion publique d’information clôture donc le processus participatif entamé
le 21 février 2006. Contrairement à la première qui s’est tenue sur le site même de la CAÉ,
elle a lieu dans une salle de l’auberge de jeunesse Jacques Brel. À l’entrée, les organisa-
teurs du BRAL sont inquiets. Non seulement les promoteurs sont présents en force (ils sont
au moins à quatre), mais ils amènent avec eux une maquette et des panneaux illustrant leur
vision de l’aménagement du site. À part cela, la salle est bien remplie. Se tiennent au premier
rang Ariane Herman et un autre membre du cabinet Picqué, le directeur de l’hôtel Astoria
et ses amis. Le dernier rang est occupé par le groupe des promoteurs, en costume et donc
facilement indentifiables. L’échevin Henri Simons et un membre de son cabinet se tiennent
un peu à l’écart, assis sur une table, ce qui leur donne une vision d’ensemble et de surplomb
sur la salle. Parmi les simples « habitants » (une quarantaine), des participants aux ateliers,
entre autres des membres du groupe des « Bas-Fonds », mais pas seulement. On reconnaît
encore René Schoonbrodt, ancien président de l’ARAU. La réunion se divisera en quatre
temps : celui des présentations, celui de l’exposé des grands axes du SD, celui des réac-
tions et de la controverse, le temps des positionnements enfin, notamment celui d’Henri Simons,
qui situe son discours hors de la controverse, et celui des promoteurs, qui présenteront leur
projet « alternatif » en fin de réunion.
Le temps de l’exposition
Dans l’exposé de Benoit Moritz, les axes directeurs sont au nombre de dix :
1. la mise à niveau du carrefour Pacheco/Botanique ;
2. l’organisation du boulevard Pacheco ;
3. l’affectation « logement » (35 % minimum au PRAS) : ces logements seraient implantés
dans un immeuble-tour 14 en lieu et place de l’actuel bâtiment G ;
4. les commerces de proximité ou équipements (crèches, salles de sport, pompiers…) au
pied des immeubles ;
5. l’accès jardin / esplanade / Pacheco via de nouveaux escaliers et des ascenseurs ;
6. les commerces et équipements au niveau du mur Pacheco (4 500 m2) ;
7. le programme de bureaux localisés dans trois immeubles ;
8. le maintien et la rénovation du jardin ;
9. l’adaptation du parking aux nouveaux usagers ;
10. la rénovation de la gare du Congrès.
Certains éléments du débat sont strictement informatifs. Par exemple : le jardin Pechère sera-
t-il privé ou public ? D’autres prises de parole offrent un point de vue général sur le site, un
constat sur l’ouverture du site sur son environnement, ou encore des propositions en matière
d’affectations. Elles ne se focalisent pas sur des points précis. Certaines interventions, enfin,
se positionnent clairement par rapport à certains axes et s’inscrivent résolument dans le
registre de la controverse. Les objets de celle-ci sont essentiellement l’immeuble-tour — sa
forme, la verticalité, et la concentration qu’il suppose — et l’accessibilité du site — avec en
arrière-plan la question de l’escalier monumental. Les locuteurs ne sont pas les mêmes. Ceux
qui demandent des informations ou donnent leur point de vue général sont plutôt des habi-
tants ou des usagers « anonymes ». La controverse, quant à elle, opposera surtout René
Schoonbrodt et le directeur de l’hôtel Astoria et ses « amis », d’un côté, Ariane Herman et
Benoit Moritz de l’autre. Les habitants interviennent donc peu si ce n’est pour s’offusquer du
ton employé par les porteurs des controverses, par exemple en ces termes : « Ce n’est pas
parce que vous gueulez plus fort que vous avez raison » ou encore « Laissez-le terminer ».
La première controverse sera beaucoup moins âpre que la seconde, qu’elle introduit. Pour
une habitante, amoureuse du site, de son jardin et de son esplanade, le schéma directeur
ne profite pas du « paysage fabuleux » qu’offre le site pour faire quelque chose de « presti-
gieux » qui tire parti de la scénographie naturelle du lieu. Référence est faite à Beaubourg.
Le directeur de l’hôtel Astoria, dont c’est la première intervention ce soir-là, renchérit sur le
manque de prestige du projet, son absence de dimension internationale : « Ce n’est rien ! »
déplore-t-il : le projet « manque de grandeur, de supplément d’âme… de souffle » ; il est
« froid, il est mort », il est « fonctionnel, rationnel ». Il lui manque « une grande ambition ».
Sans précision d’affectation, la même esquisse quelques points de décor : un escalier monu-
mental, des fontaines… Il permet ainsi à la deuxième controverse de s’exposer.
C’est René Schoonbrodt qui mène ici la charge. Il déplore la présence d’un immeuble-tour
au nom de sa proximité avec un monument historique, de son caractère daté, dépassé et
En réponse, Benoit Moritz et, dans une moindre mesure, Ariane Herman, font d’abord valoir
un « point de vue patrimonial » : « L’escalier XIXe, c’est fini, on ne fait plus ça… Il n’y a plus
de roi ni d’empereur.» Alors que, dans les esprits encore marqués par les luttes urbaines
des années 1970, l’urbanisme fonctionnaliste est la cause de la destruction importante du
tissu urbain bruxellois, on le défend ici au nom… de son caractère patrimonial. La recons-
titution de l’escalier monumental qui, pour rappel, fut détruit par les travaux de la jonction
Nord-Midi, et la destruction de la dalle, témoin essentiel de l’urbanisme moderniste qui produisit
la Cité administrative 16, mettraient en question la forme historique de la Cité et sa qualité
patrimoniale. Non seulement ce lieu a des « qualités d’espaces assez extraordinaires », est
« en bon état », mais encore il témoigne d’un urbanisme qui a sa place dans l’histoire de
l’urbanisme bruxellois et occidental : l’urbanisme de dalle. À ce moment — et peut-être pour
la première fois, du moins en public — Benoit Moritz évoque ainsi un des postulats ou prin-
cipes de base de la réflexion autour du schéma directeur : « mieux faire fonctionner cet
urbanisme de dalle », ce qui impose de maintenir celle-ci ainsi que l’esplanade. C’est aussi
pour cette raison, dira Benoit Moritz plus tard dans le débat, que les logements sont concen-
trés dans un immeuble-tour.
Autre argument invoqué dans un registre plus technique pour tempérer l’impression, domi-
nante dans l’assemblée, que le schéma directeur ne résout pas les problèmes d’accessibilité
du site : la difficile figuration d’un projet aux prises avec des problèmes d’échelle. C’est par
exemple ce qui explique que les nouveaux escaliers prévus paraissent « petits », Benoit Moritz
y insiste. Reste que le schéma directeur est pour la première fois figuré : l’immeuble-tour et
l’absence d’escalier monumental se voient clairement. À plusieurs reprises, Benoit Moritz et
Ariane Herman vont mettre l’accent à la fois sur l’aspect non fini du projet et sur le fait que
la figuration prête à se focaliser sur des « détails », tel l’escalier monumental selon Ariane
Herman. Le directeur de l’hôtel Astoria lui rétorque qu’il ne s’agit justement pas d’un élément
de détail. On ne peut lui donner tort : l’existence ou non d’un escalier monumental suppose
le maintien ou non de l’urbanisme de dalle. Le caractère anecdotique de la question de
l’escalier est d’ailleurs contredit par les défenseurs du SD eux-mêmes, quand ils font de la
valorisation de l’urbanisme de dalle un postulat de départ.
Plus généralement, quant à la procédure cette fois, certains participants des ateliers regret-
tent l’absence de débats concernant l’immeuble-tour et l’escalier. À ce sujet, Benoit Moritz
reconnaît que tout ne se dit pas en atelier — il y a des propositions qui s’élaborent en
« chambre close ». D’autre part, Henri Simons avait bien soulevé la question de l’immeuble-
tour lors du second atelier. On ne peut dès lors dire qu’on n’en a pas parlé. La discussion
est donc terminée car elle a déjà eu lieu. Ariane Herman coupe le directeur de l’hôtel Astoria
lorsqu’il évoque l’escalier monumental : « Vous avez déjà soulevé cela. On ne va pas refaire
tous les débats qui ont déjà eu lieu… Des conclusions ont été présentées… À vous entendre,
j’ai l’impression qu’on n’a réfléchi à rien et qu’on recommence le débat…» Ou de l’impor-
tance de la question du temps de la participation habitante et de la précision de la procédure.
Alors que la seconde controverse fait rage mais s’épuise aussi dans un brouhaha généra-
lisé, un des promoteurs, faussement ingénu, s’étonne que le BRAL, « en tant que représentant
des comités de quartier auprès du comité d’accompagnement », ne fasse pas état d’un projet
alternatif : celui des promoteurs. Si le BRAL justifie son silence par sa mission qui est d’animer
la participation et non de soutenir les comités de quartier, l’accusation est lancée. Elle permet
aux promoteurs de prendre place dans le débat mais pas dans la controverse. Il ne leur
Le 18 octobre, deux articles dans la presse francophone font écho à la conférence de presse
de la veille. Dans La Libre, l’article « La Cité administrative en mutation », illustré d’une photo
du site en l’état actuel, se contente de rapporter la conférence de presse. L’accent est mis
sur le contenu du schéma directeur. Il est néanmoins fait mention de son caractère non (encore)
contraignant et du budget approximatif du projet (25 millions d’euros). À deux reprises, le
journaliste souligne le caractère « concerté » du projet, réduit ici au souci de se « prémunir
de recours ultérieurs ». François Robert signe dans le quotidien Le Soir un article plus spéci-
fiquement intitulé « Habiter la Cité administrative » et aux accents quasi dithyrambiques. L’article
Le 12 décembre 2006 se tient donc aux halles Saint-Géry la journée consacrée au schéma
directeur « Botanique », dominée par une conférence de presse en matinée et le vernissage
de l’exposition en soirée. Projetée sans date précise lors de la conférence de presse de
Charles Picqué le 17 octobre, elle est officiellement annoncée sur le site créé le 30 novembre.
Le BRAL prend en charge l’organisation du vernissage de l’exposition et y invite les « habi-
tants », notamment dans le n° 3 de 1010 Bxl 20. Ainsi qu’il l’annonçait déjà dans sa première
conférence de presse, le ministre-président souhaitait « marquer le coup ». Et, en effet, il s’agit
littéralement d’une présentation au monde et aux médias, où seront à nouveau loués les
caractères novateurs du schéma directeur en matière d’efficacité et de concertation. De fait,
les prises de parole qui, sur l’estrade et dans la salle, marquent la conférence de presse font
ressortir les idées force du processus d’élaboration du schéma et du contenu du projet, mais
aussi les zones d’ombres de l’un et de l’autre, incertitudes tant procédurales — concernant
les questions de la participation et du consensus visés — que substantielles — certaines
options semblant demeurer indécises et le document final ne revêtant pas le caractère d’une
contrainte réglementaire.
Rassemblant un grand nombre d’acteurs concernés par le schéma directeur (à l’exception
donc des habitants, conviés par le BRAL au vernissage en soirée), d’acteurs politiques et
institutionnels régionaux, d’associations et d’experts, cette journée commence par un discours
dans les deux langues du ministre-président. Celui-ci se félicite de l’élaboration du premier
En résumé, l’on peut dire que la dernière étape apparaît tout à la fois comme celle de la
finalisation technique, de l’approbation officielle et de la médiatisation à destination d’un
public plus large. Ces derniers mois voient aussi revenir à l’avant-scène des acteurs un temps
plus discrets, tant du côté des politiques que des associations. Du côté des acteurs politiques,
le ministre-président Charles Picqué endosse, en effet, un rôle de premier plan dans la média-
tisation du schéma. Au point de repersonnaliser le projet à son profit et de s’en attribuer la
paternité ? On peut se le demander. Il lie en tout cas son initiative à la « politique d’amé-
nagement actif » définie par le gouvernement pour cette législature et impliquant
fondamentalement une « vision globale des projets à mener » d’une part et la nécessité d’asso-
cier dès le début l’ensemble des acteurs concernés d’autre part. Ce schéma directeur — celui
qu’il a « décidé d’élaborer » pour la zone levier « Botanique » — représente ainsi une « étape
fondamentale », et son achèvement un « événement important ». Y compris politiquement parlant.
Du côté de l’associatif régional, on notera bien sûr la montée au créneau de l’ARAU, dont
l’action jusque-là se situe plutôt en marge — ou aux marges — d’un processus d’élabora-
tion qui l’aurait exclu (selon Isabelle Pauthier) ou auquel il aurait délibérément choisi de ne
pas participer (selon Benoit Moritz). On notera, à l’opposé, la prise de parole du collectif
Disturb en février 2007. Son communiqué salue pour sa part la naissance du premier schéma
directeur avec un bel optimisme, louant tout ensemble une procédure participative innovante,
le consensus recueilli par le projet et défendant les options substantielles retenues par celui-
ci, notamment sur le plan strictement esthétique et architectural.
Cette phase ultime convoque également de « nouveaux acteurs », au sens où ils ne sont
pas partie prenante de l’élaboration proprement dite du schéma directeur. On songe ici aux
médias, mais aussi aux acteurs institutionnels, telle la Commission régionale de développe-
ment. Dans son avis daté du 26 octobre, celle-ci « apprécie » l’innovation portée par le processus
d’élaboration du premier schéma directeur — notamment et en premier lieu du point de vue
de la « démarche participative » mise en place « dès la conception » — même si elle souligne
la « nécessité d’informer au mieux et de consulter réellement tous les acteurs concernés ». De
même, si la CRD « soutient » et « approuve » les objectifs définis et, globalement, les options
d’intervention choisies, elle joue son rôle critique, avant tout au plan de l’opérationnalité du
schéma directeur et des rôles respectifs des acteurs.
La dernière étape relègue enfin au second plan des personnalités jusque-là fort exposées,
et dont le rôle reste néanmoins central. C’est ainsi qu’Ariane Herman semble passer le flam-
Cette contribution propose une analyse croisée de certains des enjeux sociopolitiques révélés
par la mise en œuvre du dispositif « schéma directeur » pour la zone levier « Botanique » 1
et des questionnements théoriques qui peuvent être associés à ces enjeux. Il s’agit plus préci-
sément de jeter un pont entre les débats portant sur les nouveaux modes de gouvernance
et / ou le développement de la démocratie participative ou délibérative, d’un côté, et l’étude
empirique d’une action publique concrète qui emprunte à ces catégories, de l’autre. En effet,
les pratiques censément innovantes qui caractérisent le dispositif « schéma directeur » sont
souvent labellisées participatives et citoyennes. Ce texte entend notamment sonder dans quelle
mesure elles participent davantage d’un nouveau type de gouvernance urbaine sans réel-
lement contribuer à approfondir l’implication citoyenne et à élargir la démocratie en actes.
Selon le plan régional de développement (PRD) de 2002, la reconversion réussie des quatorze
sites définis comme « zones leviers » constitue la première des priorités pour la Région de
Bruxelles-Capitale. Pour le PRD toujours, cette reconversion devrait passer par la mise en
œuvre d’un nouvel « outil de planification » : « le schéma directeur », dont un trait dominant
serait, dans chaque cas, d’être « élaboré en vue de concilier au mieux les objectifs et les
attentes des différents acteurs et de transcender d’éventuelles logiques concurrentielles 3 ».
Ainsi, outre l’efficacité économique que vise ce nouvel instrument de la politique bruxelloise
de la ville, les autorités entendent également par son biais ne pas « répéter les erreurs du
passé 4», et donc associer à la définition des grandes orientations du redéveloppement des
zones leviers les acteurs potentiellement concernés par la réaffectation de celles-ci et les
aménagements qu’elle implique, au sein et aux alentours des sites, en matière d’équipe-
ments collectifs, de services, de mobilité et de transport par exemple. L’instrument procédural
que représente le schéma directeur est alors censé honorer une double promesse : favoriser
Lors du premier atelier de la Cité, le 11 mars 2006, des groupes d’habitants sont formés.
On discute de différents points, dont le maintien de l’esplanade. Bien sûr, l’esplanade a ses
partisans. Mais l’unanimité est loin d’être présente. Certains habitants la jugent peu esthé-
tique, balayée par le vent, inutile, très peu pratique (« on monte pour redescendre » vers la
ville). Certains suggèrent que la rénovation devrait amener des bâtiments et des jardins « en
gradins avec des terrasses ». D’autres estiment qu’il faudrait recréer le fameux « escalier
monumental » de Cluysenaar 36. Prolongeant cette vision, certains ajoutent qu’il vaut encore
mieux tout démolir, entamer une rénovation audacieuse. Il vaut mieux qu’on ne « chipote
pas sur des petites choses ». Vouloir conserver à tout prix, ce serait passer à côté de l’occa-
sion de réinvestir l’espace. Cette dalle, est-elle bien nécessaire ? Est-il possible de la casser ?
Les réponses à ces questions trouvent difficilement place. L’ambiguïté n’est pas levée. Entre
la possibilité technique de détruire et de reconstruire (« il y a un problème de structure, les
bâtiments reposent sur le parking ») et le caractère « intouchable » de cette donne architec-
turale (l’urbanisme de dalle), le doute semble planer et planera encore sur ces questions tout
au long du processus participatif. Faut-il le faire ? Est-il possible de le faire ? Les habitants
ont pourtant besoin de le savoir. L’un d’entre eux dira : « On veut éviter de rêver parce qu’on
perd du temps. » De manière récurrente, on verra renaître ces demandes (casser la dalle,
revenir à une pente plus douce, recréer un grand escalier) et l’on comprendra que garder
l’esplanade et la dalle participe d’un parti pris architectural tout à fait estimable voire légi-
time — ou au moins valable parmi d’autres — mais qui n’a pas vraiment été affirmé au
départ, moins encore publiquement justifié et pleinement assumé par ses défenseurs.
Cette anecdote atteste certaines difficultés caractéristiques des processus participatifs, déjà
relevées par une littérature abondante 37. D’abord, elle démontre que « la participation » est
bien souvent un leitmotiv aux contours flous. En l’occurrence, les limites de « l’objet » du
débat ne sont pas clairement établies. Au fond, il s’agit de savoir ce qui est réellement mis
À l’aune des débats théoriques évoqués plus haut, les éléments relevés ci-dessus semblent
bien rapprocher le processus d’élaboration du schéma directeur « Botanique » de la mise en
acte d’une nouvelle forme de gouvernance urbaine, qui intégrerait ou tenterait d’intégrer,
sur un mode mineur, certaines pratiques participatives et délibératives.
D’abord, la scène ou le volet décrit comme « participatif » se voit intégralement doublé
d’un volet ou d’une scène dominée par le principe d’une gouvernance à niveaux multiples 47,
qui se réalise à travers les réunions tripartites, les bilatérales, les comités d’accompagne-
ment. Au-delà de ce qui les distingue, en termes d’acteurs en présence et d’impact de leurs
réunions dans le processus décisionnel, toutes ces instances liées à la mise en œuvre du
dispositif ont pour point commun de viser à réunir autour d’une même table les différents
acteurs publics concernés et les acteurs privés, ici propriétaires du site. Au vu de la complexité
du système institutionnel belge en général, et bruxellois en particulier, on peut d’ailleurs souli-
gner qu’il s’agit d’une prouesse en soi. Comme le soulignait, à propos d’un autre cas, le
fonctionnaire régional en charge : les promoteurs immobiliers, au moins, s’entendent et parlent
le plus souvent d’une seule voix. Rassembler et mettre d’accord Région et communes sur un
projet d’aménagement relevait jusqu’ici de la gageure. Il semble par ailleurs que le schéma
directeur ait, dans ce cas précis, contribué à la construction d’une « communauté » d’acteurs
publics partageant des cadres cognitifs communs et même à une ébauche de dialogue constructif
entre ces acteurs publics et les pouvoirs privés, en dépit ou par le jeu même d’oppositions
d’intérêt manifestes. Administrations, politiques, promoteurs et experts se partagent ainsi la
scène, coulisses comprises, où l’on tente de décider sur un mode qu’on pourrait qualifier de
« néo-néocorporatiste 48 ». Dans le même temps, c’est bien timidement que la « participation »
Les débats publics qui ont ponctué l’élaboration du schéma directeur furent relativement
feutrés et pacifiés. Certes, la première information publique est troublée par des habitants
— que l’on ne reverra plus par la suite — doutant du contenu pleinement démocratique de
la procédure. Certes, çà et là, des habitants s’étonnent de l’absence de débats sur certains
points. Mais, lors de la dernière réunion publique du 4 septembre 2006, éclate une véri-
table controverse au sujet du maintien de la dalle et de l’esplanade ainsi que de la construction
d’une tour de logements. Cet article entend précisément analyser cette controverse, dont
l’intérêt se situe selon nous à plusieurs niveaux. Il est tout d’abord lié à notre champ profes-
sionnel, celui de la sociologie. Les travaux de Luc Boltanski et Laurent Thévenot portent ainsi
leur attention sur la manière dont les individus se justifient et justifient leur action en situa-
tion 1. Les arguments justificatifs varient en fonction des univers, des « cités » dans lesquels
ils se trouvent et auxquels ils font référence à ce moment-là. Pour les deux sociologues, les
moments de désaccord et de controverse sont des moments idéaux pour l’observation des
justifications car c’est là que les individus doivent argumenter, critiquer et résister à la critique,
chercher des alliés ou faire face à des adversaires imprévus. C’est donc au moment de ces
disputes que se révélerait le mieux ce que les acteurs ont « derrière la tête », parfois même
à leur insu, ainsi que leurs systèmes de références. Ensuite, s’agissant de notre objet empi-
rique, la controverse nous intéresse également car elle est révélatrice d’un ensemble de
basculements ou, à tout le moins, de « bougés » à propos de Bruxelles, de ses formes urbaines,
de ce qui y est digne ou non de souci patrimonial, de la manière aussi d’y « faire la ville ».
Soit donc des « bougés » qui dépassent de loin le cadre de la Cité administrative, même si
ce cas se prête particulièrement bien à leur expression.
Depuis l’avènement de la Région de Bruxelles-Capitale, l’imaginaire urbain s’inscrit majo-
ritairement, dans la continuité des luttes urbaines des années 1960 et 1970, dans la perspective
de la préservation de l’environnement urbain, de la conservation du patrimoine et de l’habi-
tat résidentiel 2. Toutefois, la définition de ce qui est patrimoine ou « patrimonialisable » est
bien sûr relative. Ainsi, le schéma directeur de la Cité administrative de l’État sera l’occasion
Si le choix du bureau d’études par le gouvernement fut guidé, d’une part, par un parti pris
architectural, consistant à partir de l’existant et à chercher à l’améliorer, et, d’autre part,
par la méthode proposée reposant sur la construction d’accords phasés entre les différents
acteurs publics, les options qu’un tel choix impliquait ne furent guère l’objet d’une publici-
sation et encore moins de délibérations avec les partenaires, qu’il s’agisse des opérateurs
privés ou des usagers et habitants des abords de la Cité administrative. Certes, dès la première
réunion publique (le 21 février 2006), le représentant du bureau d’études évoque la néces-
sité de conserver l’identité du lieu, notamment « l’architecture des années 1960 et les jardins »,
de transformer plutôt que reconstruire. De même, très rapidement, le bureau d’études expose-
t-il aux habitants présents l’existence de trois scénarios en précisant que le dernier, visant à
densifier la Cité tout en sauvegardant la dalle, a ses faveurs. Toutefois, s’il promet que ces
trois scenarii seront bientôt mis en discussion, ce ne sera pas le cas en réalité, du moins de
manière directe. Dans les deux ateliers de la Cité, les ordres du jour portent sur les fonc-
tions, la mobilité, les espaces et infrastructures publics mais pas sur le maintien de la dalle
et ses conséquences — entre autres l’impossibilité d’envisager un escalier monumental —
ni sur l’érection d’une tour. Cela n’empêchera pas cependant que ces questions soient posées,
souvent incidemment. Ainsi, lors du premier atelier, une discussion surgit entre des habitants
à propos de la nature des fonctions à développer sur le site : doivent-elles être « grandioses »,
à destination d’un public international composé d’hommes d’affaires et de touristes, ou faut-
il au contraire favoriser les usages quotidiens réservés prioritairement aux habitants des
quartiers environnants ? Lors de cette discussion, la dalle est évoquée indirectement par les
habitants soucieux de conférer au lieu des fonctions et un cadre prestigieux et qui voient
dans le retour de l’escalier monumental une manière de redonner du lustre au site. Or, on
l’a dit, l’existence d’un escalier monumental met en question celle de la dalle. L’escalier
La pratique architecturale ne peut se comprendre sans les supports au travers desquels elle
se figure. Lorsqu’elle se conçoit entre pairs, sans doute peut-elle se contenter de supports
abstraits tels des plans. Dès lors qu’il s’agit de convaincre des publics non experts (des déci-
deurs politiques, des habitants, etc.), la figuration se trouve soumise à d’autres exigences
de lisibilité. Tout particulièrement lorsqu’il s’agit de porter la question architecturale dans le
débat public ou lorsqu’il s’agit de s’inscrire dans des processus participatifs où on peut
supposer que les publics apprécient de saisir ce qui se trouve derrière les discours. La ques-
tion se pose aussi quant au statut de ce qui est montré, en particulier quand un processus
participatif est censé alimenter le projet ou dans le cadre d’un urbanisme procédural supposé
baliser la voie et dessiner les cadres des réalisations architecturales qui feront l’objet de
concours ultérieurs. C’est d’ailleurs ce que défend de manière générale le bureau MSA chargé
du schéma directeur, et ce que présuppose plus précisément ce dispositif.
Durant l’élaboration de ce schéma et à l’occasion des débats qu’il a suscités, la question
de la figuration et de son statut s’est posée avec acuité. Lors des ateliers de la Cité, aucune
représentation du schéma directeur et du futur du site n’est proposée aux participants. Si
des désaccords à propos de l’esplanade et de la tour sont déjà observés lors du second
atelier, ils se construisent « dans le vent », sans l’aide d’images. C’est d’ailleurs pour répondre
à cette difficulté de se rendre compte de ce que « pourrait donner » une tour sur ce site que
des participants de ce second atelier réclameront une maquette. Lorsque le bureau d’études
présente ses premières représentations du site au cours du comité d’accompagnement de
juin 2006, les promoteurs s’y opposent pour la première fois. La controverse peut commencer.
Elle s’amplifiera en public à l’occasion de la réunion publique du 4 septembre 2006.
Deux anecdotes dénotent l’importance des dispositifs matériels tant comme appuis à la
controverse que comme producteurs de celle-ci. D’abord cette phrase : « Les promoteurs ont
une maquette ! » par laquelle l’un des animateurs de la réunion publique nous accueille ce
soir-là en tant qu’observateurs. D’après lui, la maquette, plus que les images numériques,
est un outil qui risque de faire pencher la balance en faveur du contre-projet. En trois dimen-
sions, elle est plus attrayante et plus parlante que les diapositives présentées par le bureau
d’études. Deuxième épisode marquant : lors de la réunion, confronté aux critiques, le bureau
d’études en vient à relativiser la portée des images qu’il avait pourtant apportées pour nourrir
la discussion. « Ce que vous voyez n’est pas ce que vous verrez, affirme-t-il. La tour est grande
et les escaliers proposés petits, mais c’est parce qu’il est malaisé de bien les figurer à ce
stade-ci, à cause de la grandeur du site et des difficultés d’échelle que sa figuration pose. »
L’euphémisation passe aussi par l’affirmation du caractère quasi « aléatoire » de la figuration
choisie : « celle-ci a été donnée à titre d’exemple, on aurait pu en choisir une autre ». De toute
façon, il s’agirait là de « points de détail qui distraient de l’essentiel : les dix principes du
schéma directeur ». Le bureau MSA se trouve en quelque sorte pris au piège de cette tension
entre son souci de rendre lisibles ses intentions par la figuration et le statut tout à fait hypo-
thétique de ce qu’il présente étant donné le caractère procédural et général du dispositif.
Considérés ensemble, ces deux épisodes sont significatifs. Ils attirent l’attention sur l’impor-
tance et le statut des appuis de la controverse. Ils nous obligent à saisir qu’en réalité celle-ci
se construit dans deux « milieux », par ailleurs interconnectés : celui du discours, des argu-
ments et des contre-arguments, mais aussi celui des objets qui aident à mettre des images
sur les discours tout autant sans doute que ceux-ci aident à mettre des mots sur des intuitions
spatiales. On le comprend à travers l’inquiétude d’un des animateurs de la réunion du
4 septembre : le statut même de la controverse se modifie lorsqu’elle cesse d’opposer ceux
qui ont à la fois les mots et les objets, d’un côté, et ceux qui n’ont que les mots pour dire
193
Fig. 2. Extrait du diaporama présenté le 4 septembre 2006 par
MSA-Lion : démolition du bâtiment G et construction à son emplace-
ment d’un nouveau complexe de logements (quatre dias de ce type
parmi les douze illustrant le schéma directeur). (Source : MSA-Lion.)
leur opposition, de l’autre, pour en venir à mettre face à face des adversaires disposant des
mêmes appuis. Sans doute est-ce ce changement décisif dans les rapports entre partisans
et opposants au projet de schéma directeur qui conduira le bureau MSA à adopter une posi-
tion plus défensive, euphémisant la portée de ses propres figurations mais mettant aussi en
avant le caractère extrêmement coûteux de la maquette apportée par les promoteurs, et
induisant du coup le soupçon d’un rapport de force inégal entre ceux qui ont les moyens
(financiers) et ceux qui ne les ont pas.
Si on analyse dans le détail les images qui font l’objet de la controverse, plusieurs éléments
attirent l’attention quant au statut même de la représentation figurée dans le projet du bureau
d’études et dans le contre-projet des promoteurs.
Pour illustrer la « Cité de demain », le bureau MSA a fait le choix de plans et d’images de
synthèse, contrairement aux images du contre-projet qui se présentent comme des dessins
aquarellés. Sans se prononcer sur les effets de ces deux modes de représentation, sans doute
disent-ils quelque chose sur le positionnement de ceux qui les défendent. Derrière l’opposi-
tion entre la modernité des technologies informatiques de la représentation virtuelle et le
caractère plus traditionnel du dessin, se profile aussi une tension entre un rapport plus distant
et plus froid à l’architecture et une architecture qui se prétend plus proche de la corporéité
et de la sensibilité. Cette impression est renforcée par l’usage des représentations d’humains.
Celles-ci sont rares dans le diaporama présentant le schéma directeur (on compte trois dias
où figurent des usagers du site sur les douze dias illustrant son futur). Le contre-projet, par
contre, ne manque pas de les faire figurer dans toutes les images publicisées : des cyclistes,
des promeneurs. L’évocation d’une urbanité « sociable et apaisée », sans doute à peine
urbaine, domine.
Lors de la réunion du 4 septembre, aussi bien les concepteurs du schéma directeur que
ceux du contre-projet appuient également leurs propos sur des représentations de la Cité
administrative telle qu’elle se donne à voir aujourd’hui. Mais, on l’imagine bien, l’usage
qu’ils en font est bien différent.
Par la centralité de la Cité administrative, par l’accentuation de ses couleurs, par sa lumière
qui déborde largement du site sur l’ensemble du quartier et par l’intitulé de son titre (« Quelle
cité pour demain ? »), une dia (Fig. 6) met en exergue les qualités actuelles du site et suggère
que le schéma directeur s’appuiera sur elles. On ne s’étonnera pas de constater que les
promoteurs du contre-projet procèdent de manière totalement opposée. En comparant la
situation actuelle avec le contre-projet, ils s’en servent à la fois pour mettre en valeur ce
dernier et dévaloriser l’existant de la Cité administrative, tentant ainsi de prouver la néces-
sité d’une intervention radicale. L’avenir riant, habité, rempli, coloré, humain, sécurisé,
accessible, arboré et transparent s’oppose au présent vide, sombre, opaque, minéral et
insécurisant du présent 10.
L’importance de la figuration comme enjeu ne se limitera nullement au moment de la polé-
mique mais se perpétuera durant la suite du processus comme l’atteste le communiqué de
presse de l’ARAU, « Cité administrative de l’État : l’ARAU remet en cause certains aspects
du schéma directeur », diffusé le 18 octobre 2006. L’association décide alors de faire sortir
la controverse du cercle de la participation interne au processus d’élaboration du schéma
directeur pour atteindre un auditoire plus large et pour en faire un enjeu plus ouvertement
public. Les images doivent servir à renforcer les arguments. Il s’agit cette fois de prendre à
des proportions plus conventionnelles, plus réduites. Et surtout, les images de synthèse déjà
présentées lors de la réunion sont assorties d’une mise en garde : « les plans et les illustrations
représentent une interprétation urbanistique et architecturale d’éléments de définition mis en
avant dans le schéma directeur. Ils n’ont pas de valeur contraignante et constituent une illus-
tration du potentiel urbanistique défini par les principales orientations prises dans le document ».
L’exemple de la Cité administrative, par la controverse que son futur suscite et le poids
des images, nous montre que les débats à propos de la ville et de son aménagement ne
peuvent guère se passer de figurations. Ces dernières ont le pouvoir d’évoquer, de faire
peur ou de rallier, auquel les discours ne peuvent prétendre. Cet exemple souligne ainsi
l’importance que peuvent revêtir, dans un dispositif participatif, une méthode et des outils
qui attribueraient une place centrale aux objets qui concrétisent les intuitions spatiales et qui
permettent de montrer ce qu’il est difficile de dire. Une réflexion sur cette question est essen-
tielle si l’on veut aller plus avant dans la logique participative, associer davantage les usagers
de l’espace et éviter les sentiments de frustration que ceux-ci ont exprimés lors de la réunion
du 4 septembre. Elle est essentielle si l’on veut que la participation ne laisse pas un goût
amer ou de trop peu et qu’elle n’apparaisse plus seulement comme un ensemble de procédés,
Du côté des acteurs, l’histoire de l’élaboration du schéma directeur pour la Cité adminis-
trative constitue peut-être une sorte d’« idéal-type » des reconfigurations en cours dans le
paysage bruxellois. Entre les promoteurs, les associations, anciennes ou plus récentes, le
gouvernement régional, les communes, les habitants, on assiste à des jeux d’alliances et
d’oppositions intéressants à décrypter. Bien entendu, l’aménagement de la Cité adminis-
trative révèle en particulier des tensions autour de la définition du patrimoine, ce qui n’est
pas le cas d’autres zones leviers. D’autre part, le gouvernement régional ne bénéficie pas
forcément sur d’autres projets d’un appui aussi fort de la part d’un échevin de l’urbanisme,
qui partage dans le cas de la Cité les mêmes goûts architecturaux que les membres du
cabinet et le bureau d’études en charge. Cela étant, on peut penser qu’avec des intensités
et des mobilisations sensiblement différentes, de telles alliances et oppositions se constituent
ailleurs et en d’autres occasions.
On sait à quel point l’histoire récente de Bruxelles — les cinquante dernières années —
est marquée par les combats urbains. Des combats qui, à l’origine, opposaient des promo-
teurs d’un côté et des associations s’exprimant au nom de l’habitant de l’autre. Parmi celles-ci,
l’ARAU joua un rôle de premier plan, portant haut l’ambition de défendre le patrimoine exis-
tant et la reconstruction de la ville européenne classique, avec pour contrepoint une franche
hostilité à l’égard du fonctionnalisme et du modernisme tardif. Par la suite, d’autres asso-
ciations urbaines, Inter-Environnement Bruxelles par exemple, se sont inscrites, avec plus ou
moins de netteté, dans la même lignée politique. Progressivement, ce point de vue est devenu
une sorte d’évidence ; repris par les décideurs publics, présent dans des dispositifs juridiques
(par exemple la Commission royale des monuments et sites…), il a généré une certaine
culture de la participation, conduisant au développement d’un urbanisme privilégiant l’échelle
du quartier, la proximité et l’horizon de l’habitant.
Conclusion
D’entrée, nous avions évoqué l’intérêt que représente l’analyse sociologique des controverses.
Nous pouvons maintenant en préciser la teneur. Comme nous le rappelions, les controverses
sont l’occasion de mettre en présence des positions qui, sans elles, peuvent parfaitement se
développer parallèlement, en s’ignorant les unes les autres. La controverse les met à l’épreuve.
Elle oblige les adversaires à argumenter, elle les confronte aux limites de leurs évidences,
elle les conduit à amener des preuves, à trouver des alliés. En publicisant davantage les
positions, elle oblige à s’adresser à des auditoires plus larges, mais aussi à rencontrer des
arguments inattendus. S’il y a controverse, c’est aussi parce qu’il y a enjeu, un enjeu que
la controverse va en retour contribuer à qualifier et à construire.
Les analyses des controverses autour du schéma directeur de la Cité administrative ont
ceci d’intéressant que ces controverses ont constitué un moment de focalisation des reposi-
tionnements argumentatifs et actoriels au sein de l’imaginaire urbanistique bruxellois. Portées
par des mouvements émergents, des voix se sont élevées ces dernières années pour proposer
de nouvelles visions et pratiques urbanistiques à Bruxelles. Proposer du nouveau suppose
que tôt ou tard on se heurte à l’ancien et que se construisent des scènes où, sur des ques-
tions très concrètes, les adversaires s’affrontent. Nous pensons que le schéma directeur de
la Cité administrative est une de ces scènes, où chacun put mesurer son pouvoir de convic-
tion, la force et la faiblesse de ses arguments, où chacun put tester le soutien de ceux qui
étaient ses alliées, où chacun fut soumis à la critique et sommé de sortir ses « appuis », en
l’occurrence ses images, ses chiffres. Pour qu’il y ait controverse et non dialogue de sourds,
il fallait que s’imposent des « lieux communs », des thèmes à propos desquels on pouvait au
minimum se mettre d’accord pour considérer qu’il y avait un enjeu, et un désaccord. Ces
lieux communs furent bien entendu puisés dans les registres architectural et urbanistique :
patrimoine, densité, échelle, mixité, participation… ont constitué cet horizon commun des
disputes. Confrontée au cas concret de la Cité administrative, cette sémantique abstraite a
pu s’incarner dans des objets dans lesquels se matérialisaient les enjeux des disputes : la
dalle, la tour, l’escalier monumental… occupèrent là une place centrale.
Il est bientôt 19 heures ce mercredi 18 avril 2007. La soirée est belle et la place de la
Duchesse de Brabant réaménagée de frais. Là se trouve l’école communale n° 5 de Molenbeek,
dite « Chouette ». Le hall n’est pas plein mais il faut d’urgence rajouter des chaises pour que
puissent s’asseoir plus d’une cinquantaine de personnes. Sans doute Molenbeekois pour la
plupart, jeunes ou moins jeunes, certains sont venus en famille. Ils seront rejoints dans l’heure
qui suit par une quinzaine de retardataires. Les organisateurs de la soirée n’espéraient peut-
être pas que leur initiative rencontrerait un tel succès. Cette réunion d’information, au cours
de laquelle il est prévu que le bureau d’études présente les premiers éléments du projet
commandé par la RBC, est la première depuis près d’un an. Comme la plupart des invités
ne tarderont pas à l’apprendre, le processus lancé en 2005 et concrétisé avec les ateliers
du printemps 2006 s’est, en effet, interrompu du fait de l’étude technique entreprise sur le
tard pour répondre à une question cruciale : faut-il ou non enterrer les voies de chemins de
fer qui divisent le site ? Mais nous n’en sommes pas encore là. Des participants arrivent
encore, accueillis par les animateurs d’IEB, qui s’inquiètent de prendre leurs coordonnées
de manière à relayer l’information par la suite, leur proposent un jus de fruit issu du commerce
équitable et attirent leur attention sur la boîte marquée d’un « Laissez-nous vos remarques »
mise en évidence à l’entrée. Déjà assis au premier rang : d’un côté Philippe Moureaux,
bourgmestre de Molenbeek depuis 1992, de l’autre Ariane Herman, chef de cellule
Aménagement du territoire auprès du ministre-président de la Région Charles Picqué. Au
dernier rang, des personnes sont présentées par Sébastien François (l’un des deux chargés
de mission d’IEB et ce soir maître de cérémonie) comme les représentants de la plateforme
« Rives ouest ». Celle-ci rassemble des associations et des habitants désireux de suivre le
processus en cours pour le schéma directeur « gare de l’Ouest » et, surtout, le futur contrat
de quartier, à propos duquel une réunion est organisée le vendredi qui suit.
Celle de ce soir commence. Sébastien François introduit les deux experts du bureau, qui
successivement exposeront leur projet avant de répondre aux questions de l’assemblée. Deux
éléments clés sont également donnés dans cette courte présentation. D’abord, c’est à partir
des souhaits des habitants, tels qu’ils se sont exprimés lors des ateliers d’avril-mai 2006,
qu’ont été élaborées les réflexions visant à définir un projet « idéal », réflexions communi-
Le premier n’en est pas réellement un. En ce qui concerne la question de l’abaissement de
la voie de chemin de fer, en effet, « les décisions sont prises » et il s’agira en fait de les justi-
fier, en explicitant les avantages et les coûts des deux options théoriquement possibles :
enterrer ou ne pas enterrer les voies. Tels qu’ils sont relatés par l’expert, les résultats de
l’étude technique font poindre des enjeux structurels et structurants, ayant essentiellement
trait à la mobilité, au sens large, et à la qualité de vie dans le voisinage. Sans oublier le
premier et dernier argument décisif : celui du coût. Si on ne tient pas compte de celui-ci, les
avantages et les désavantages des deux options semblent jusqu’à un certain point s’équili-
brer. L’abaissement des voies favoriserait évidemment la circulation transversale de part et
d’autre du site, dont on verra qu’elle constitue une préoccupation récurrente pour les
Molenbeekois, mais il empêcherait la Société des transports intercommunaux de Bruxelles
(STIB) de boucler la ceinture de métro et retarderait la construction du RER. Cette solution
offrirait également un meilleur dégagement paysager que le maintien des voies en surface,
bien que celui-ci soit de toute façon appelé à être, au moins partiellement, comblé par l’ur-
banisation de la zone. Elle permettrait surtout de limiter considérablement la pollution acoustique,
même si à court terme, les nuisances dues au chantier seraient bien supérieures en cas d’en-
terrement et — telle est l’option explicitement préconisée par le bureau — l’argent économisé
en cas de non-abaissement pourrait être utilisé pour partie aux fins d’une isolation phonique
performante. En outre, enterrer les voies forcerait à une dépollution totale des terres situées
sous le chemin de fer actuel, alors que le maintien des voies n’implique que de dépolluer
les terrains à bâtir, ceux-ci risquant alors d’être re-contaminés par les terrains ferroviaires
voisins demeurés potentiellement pollués 6. Le dernier argument, en faveur du maintien des
voies en surface est plus simple à comprendre même si, un an plus tard, il n’apparaîtra
À la salle maintenant. Des interrogations, des remarques, il y en aura, malgré l’heure qui
tourne et les premiers départs. Cet échange à bâtons rompus, cette succession désordonnée
de commentaires ou de questions et de tentatives de réponses fait cependant émerger un
certain nombre de « préoccupations ». La première concerne l’espace disponible à la construc-
tion. Plusieurs voix s’élèveront à nouveau pour douter que le site permette de répondre à
tous les souhaits exprimés et repris par le projet du bureau. La seconde a trait à la « fron-
tière » — ainsi que l’appelle le bourgmestre — que ce site ferroviaire représente pour la
commune : le seul passage prévu ne serait pas suffisant pour sortir de cette « galère » les rive-
rains, qui semblent approuver le choix de ce terme. Philippe Moureaux réclame notamment
un « passage motorisé de plus », pour les bus. Un habitant propose quant à lui une seconde
passerelle, « en oblique ». La réponse de l’expert est claire : sans abaissement, il apparaît
impossible de concevoir plus d’une liaison.
Suites, et fin ?
Neuf mois plus tard, le 30 janvier 2008, même jour, même lieu, même heure, ce n’est pas
un schéma directeur approuvé qui est présenté, contrairement à ce qui avait été prévu et
annoncé lors de la réunion d’avril 2007. C’est à nouveau un projet provisoire en voie d’achè-
vement, même s’il s’agit apparemment, à peu de choses près, du même. Aux dires d’IEB,
qui organise à nouveau cette réunion « d’information », l’initiative de celle-ci émane direc-
tement de la Région, et non plus du bureau d’études et d’IEB, qui s’étaient inquiétés, en
2007, du long silence qui avait suivi les ateliers du printemps 2006. Ce soir d’hiver, dans
le hall de l’école « Chouette », les chaises sont disposées en arc de cercle autour de l’écran
de projection. On verra et s’entendra mieux, bien que cela ne soit pas optimal, ce que
certains dans le public relèveront. Il n’y a pas de boissons prévues. Il y a moins de monde.
Il fait frisquet. Le bourgmestre, personnage central de la réunion précédente, n’est pas là.
Il sera excusé et représenté par l’échevine des Affaires sociales assise au premier rang, près
des concepteurs, et qui, de fait, animera voire présidera la réunion, donnant et reprenant
la parole, arbitrant les débats.
Cette réunion sera beaucoup moins structurée que la précédente. Au lieu de ce qui était
prévu — un exposé du projet suivi d’une séance de questions-réponses —, elle consistera en
une vaste discussion, plus polémique que la dernière. Comme si certains participants (habi-
tants, pour la plupart des habitués, ayant participé au processus depuis le début, membres
de comités de quartier, élus locaux ou responsables de contrats de quartier) avaient eu le
temps de réfléchir, voire, pour l’un d’entre eux au moins, de préparer un argumentaire, exemples,
chiffres, puis page web à l’appui. S’interroger et parfois prendre position : à nouveau sur
les espaces verts ou sur le rôle de la SNCB dans le projet, mais surtout sur la pertinence de
développer sur le site la fonction logement et sur la décision prise un an auparavant du main-
tien des voies, qui avait soulevé si peu d’objections lors de la précédente rencontre. Sur ce
point en particulier, les réactions du public sont telles qu’elles semblent obliger le bureau à
changer son fusil d’épaule : l’enterrement des voies non seulement coûterait trop cher mais il
est techniquement «impossible». En bref, une réunion où l’on s’interpelle, dans tous les sens du
terme, et durant laquelle le bureau aura bien du mal à présenter son projet dans son entièreté.
La représentation formelle du projet est également assez différente : pas de textes à l’appui
des propositions, résumées sous la forme de « schémas » ou de « plans ». Autre différence
sur ce point : des photocopies de ceux-ci (en noir et blanc ou grossièrement coloriées à la
main) sont disponibles. Cette revendication, émise lors de la réunion précédente, semble
ainsi avoir été prise en compte. Il n’empêche que, de manière générale, la question de la
procédure reviendra de manière récurrente tout au long de la réunion. Par exemple, à travers
les interventions d’une des habitantes, engagée dans la création d’un récent comité de quar-
tier : comment, à chaud, peut-on avoir un avis sur des problèmes techniques que l’on ne
maîtrise pas ? Et dans quelle mesure l’avis des habitants sera-t-il pris en compte ? En une
phrase : « où sont les cadenas ? » Enfin, last but not least, cette « rencontre » en appelle expli-
citement une autre, qui n’était pas prévue, et dont tout le monde semble approuver l’initiative,
prise par les habitants appuyés par IEB. Une semaine plus tard aura lieu, en effet, une
réunion animée par IEB mais où seuls les habitants sont invités. C’est à cette occasion que
Les soirées que l’on vient d’évoquer — leur observation, leur mise en récit et la brève contex-
tualisation dans l’ensemble du processus que nous avons tentée — donnent un aperçu du
large panorama des préoccupations des différents acteurs. Manifestement, la zone et le
projet en cours cristallisent nombre d’attentes et d’enjeux, différenciés selon les acteurs, mais
mettent également en évidence des difficultés objectives, pour partie spécifiques à ce site
ferroviaire en friche, traversant et scindant une commune pauvre, densément bâtie et peuplée.
Plus généralement, au-delà de leur hétérogénéité — mais aussi des difficultés de leur expres-
sion et des obstacles qui s’opposent à leur confrontation, sur lesquels nous reviendrons —
les préoccupations des différents acteurs illustrent bien, nous semble-t-il, la multiplicité et la
complexité des fonctions devant être remplies par la ville. À l’arrière-plan des paroles enten-
dues, en effet, la ville apparaît à la fois comme un espace de sociabilité et comme un espace
de production, mais aussi comme l’espace de différentes formes de mobilités (physique,
culturelle et sociale). Et, ce, à travers la panoplie de besoins, de problèmes ou de souhaits
évoqués par les uns et les autres, relevant de l’éducation, du logement, de l’emploi de la
main-d’œuvre locale, de l’esthétique, de l’environnement (en général et des espaces verts
en particulier), ou encore de la sécurité et de la qualité de l’habitat. C’est du moins ce que
notre approche inductive vise ici à montrer, en tentant de connecter les paroles entendues aux
manières de vivre, de penser et de faire la ville que dessinent certaines approches théoriques.
Dans le paysage urbain, la friche ferroviaire de la gare de l’Ouest représente un grand vide
traversé de quatre voies de chemin de fer et d’une ligne de métro. Elle sépare deux quar-
tiers aux caractéristiques urbanistiques et sociodémographiques très différentes. À l’est, le
Molenbeek historique présente un tissu urbain très dense, marqué par ses origines indus-
trielles ; la population y est principalement d’origine immigrée et se caractérise par un revenu
moyen très bas et un taux de chômage élevé. À l’ouest, le « nouveau Molenbeek » se distingue
Les préoccupations exprimées et les options discutées dans le cadre de la réunion du 18 avril,
envisagées premièrement dans la tension posée entre « liens » et « lieux » peuvent également
être abordées au prisme de la distinction classique qu’a proposée Henri Lefebvre entre « valeurs
d’échange » et « valeurs d’usage » 21. Pour cet auteur, la « valeur d’échange » renvoie à une
vision fonctionnelle de l’espace, reposant sur la primauté de l’accumulation et une logique
marchande ; la « valeur d’usage », quant à elle, témoigne d’une vision fondée sur la primauté
du lien social, supposant l’appropriation de l’espace, non la propriété.
Les valeurs d’usage s’illustreraient dans notre cas d’étude à travers la quête d’un territoire
à l’intérieur duquel se déploie pleinement une fonction générale de sociabilité. Elles s’ex-
primeraient dans les demandes concernant les espaces verts et récréatifs, dans celle d’un
espace citoyen et dans la proposition de créer une école de devoirs. Les valeurs d’échange
s’illustreraient pour leur part dans la recherche d’attractivité pour les entreprises et les classes
moyennes supérieures, le souci de dégager une image de modernité et, plus généralement,
à travers l’appel à favoriser le redéploiement de la fonction productive. Elles se matériali-
sent clairement à travers le développement de la fonction tertiaire (27 000 m2 de bureaux)
et le projet d’attirer des ménages à revenu moyen et élevé, tout en se justifiant par la néces-
sité de consolider la fonction redistributive locale à destination des populations les plus fragilisées
grâce à l’accroissement des ressources communales 22. À maints égards, le projet mis en
discussion paraît plutôt transcendé par des valeurs d’échange et une quête d’accumulation
économique — si l’on songe au souhait de développer le commerce de proximité, la pers-
pective de créer une surface de grande distribution et de redéployer les activités tertiaires.
Pour partie, il s’inscrit de la sorte dans une croyance attribuant à la ville une fonction écono-
mique spécifique, qui repose sur la juxtaposition et la superposition des activités productives
et de la fonction résidentielle, en mobilisant le principe de la proximité spatiale comme
permettant d’engranger des plus-values économiques.
L’on sait qu’un événement public, quel qu’il soit, ne peut tenir les participants ensemble que
deux à trois heures tout au plus. En termes absolus, le temps objectivement allouable aux
différents intervenants est donc forcément limité. Pour cette raison, la durée de l’exposé de
l’expert conditionne beaucoup la richesse et la sélection des informations présentées dans
la discussion ultérieure, qui ne reflète pas nécessairement l’ensemble du projet, ni sa complexité,
et dans laquelle les préoccupations des différents intervenants ne peuvent être pleinement
formulées. Notons que ce premier problème, celui de la limite et du mode de distribution
du temps de parole, se pose avec d’autant plus d’acuité dans un processus de concertation
comme celui du schéma directeur « gare de l’Ouest », où un nombre restreint de réunions
publiques ont été prévues et où il fallait profiter au maximum de chaque événement pour
entretenir une discussion publique de qualité. C’est d’ailleurs en partie pour y remédier qu’une
réunion supplémentaire fut demandée par les habitants et organisée par l’associatif en
février 2008, certes sur le tard et en l’absence des experts et des autorités locales.
Un deuxième problème concerne la focalisation de l’attention. Dans le meilleur des cas,
une réunion connaît à la fois des phases d’intensité — quand l’ensemble des participants
Le bon déroulement de la discussion publique n’est pas seulement tributaire d’un travail de
coordination interne aux limites spatio-temporelles de l’espace de la réunion. Il l’est aussi
de l’articulation favorable de cet espace-temps plus large que constitue, dans son ensemble,
le processus d’élaboration concertée du schéma directeur. Cela implique que la coordina-
tion problématique de l’arène publique développée autour du schéma directeur « gare de
l’Ouest » s’étudie également entre les réunions, d’une réunion à l’autre. À ce niveau supé-
rieur de coordination, plusieurs points critiques peuvent être également soulevés.
Plutôt que de considérer, comme on le fait souvent, le présent « processus participatif » comme
un phénomène unifié, sinon continu, nous proposons de l’envisager sous l’angle d’une fragile
organisation de trajectoires au pluriel. Une arène publique n’est jamais, en effet, un espace-
temps homogène et linéaire mais bien la résultante de la coordination, toujours dépourvue
d’évidence, d’une série de « moments » et de « scènes » 31 entre lesquelles circulent et évoluent
Un processus tel que celui que nous étudions prend du temps. Beaucoup de temps, entrecoupé
qu’il est par ces « phases de sommeil » à l’impact négatif en termes de mobilisation. Dans
les réunions évoquées, il est malaisé pour chacun des acteurs de se localiser dans le processus
— mis à part pour le noyau dur d’habitants actifs depuis le début — et en tout cas de se
rendre compte et de rendre compte à l’autre de l’épisode qu’ils réalisent ensemble, tant l’his-
toire dans laquelle cet épisode prend place paraît insaisissable : l’encre ayant écrit les épisodes
précédents a pâli, et celle destinée à écrire les épisodes prochains vient à manquer. La
précarité de la « participation citoyenne » telle qu’elle s’offre à l’observation, tout particu-
Le troisième et dernier type d’enjeu que nous pointerons ici vaut vraisemblablement au-delà
du cas « gare de l’Ouest ». Il repose sur le constat suivant : le moment démocratique censé
plonger l’ensemble des acteurs dans une discussion publique ouverte sur les préoccupa-
tions, s’il constitue bien l’horizon des « rencontres » observées, reste largement insaisissable
tant il se trouve continûment différé. D’une manière assez typique, il est toujours soit trop
tôt soit trop tard pour entreprendre la discussion publique. Lors de la réunion d’avril 2007,
il est à la fois trop tard pour « revenir » sur certains aspects (tel l’enterrement des voies) et
trop tôt pour « s’avancer » sur une série d’autres éléments (garantir des équipements, préciser
des gabarits). À ce sujet, on pourrait dire ceci : pour les personnes en charge de l’élabo-
ration du schéma directeur et / ou pour ses commanditaires, aucun moment n’est bon pour
rencontrer une résistance. Car c’est bien de « résistance » qu’il s’agit quand on parle, dans
une logique de consultation, de s’enquérir de l’avis des résidents. D’un côté, il apparaît
coûteux, déraisonnable voire impossible de défaire ce qui a été fait et décidé. De l’autre,
il apparaît tout aussi inutile d’entamer des discussions portant sur des objets dont on ne
maîtrise pas encore les caractéristiques, qui n’ont pas encore été étudiés par les experts,
ou qui ne sont tout simplement pas au programme d’un projet qui ne porte que sur des
« grandes lignes ». Ainsi, dans le cadre pour la gare de l’Ouest, l’opération consistant à
abaisser ou à ne pas abaisser les voies ferrées ne semble pas pouvoir profiter du débat
An Descheemaeker 1
Tour et Taxis est un ancien site industriel à la veille de sa réaffectation. Étant donné sa taille
et sa situation, il représente l’un des principaux défis urbanistiques de la Région de Bruxelles-
Capitale. Le site appartient à un investisseur immobilier qui a déjà rénové et réaffecté en
2002 deux bâtiments en bureaux, commerces et lieux d’organisation d’événements. Soit
des îlots de luxe dans un quartier pauvre, densément peuplé, à la population faiblement
scolarisée, comptant de nombreux habitants d’origine immigrée et un taux élevé de chômage.
Le reste du site attend depuis vingt ans déjà une nouvelle affectation et n’est utilisé qu’occasion-
nellement pour de grandes manifestations (festival Couleur Café, Cirque du Soleil, etc.). Tout
comme pour la Cité administrative de l’État, le gouvernement bruxellois a décidé d’élaborer
un schéma directeur pour planifier le redéveloppement du site, c’est-à-dire, on l’a vu, une
procédure qui met l’accent sur la concertation entre les différents acteurs concernés. Une
forme de participation des habitants a donc été prévue pour Tour et Taxis, et ce dès le début
du processus de planification.
En qualité de fédération indépendante de comités d’habitants et de Bruxellois actifs, le
BRAL 2 suit l’histoire tumultueuse de Tour et Taxis de très près depuis de nombreuses années.
Car, en effet, ce n’est pas la première fois que des projets sont développés pour Tour et
Taxis. Dans ce cas comme dans d’autres, le BRAL vise une planification non seulement mieux
organisée mais qui tienne également compte des besoins des quartiers avoisinants, que
l’association a tenté de cerner au plus près en s’appuyant sur son expérience déjà longue.
Fin 2004, ce travail a débouché sur la proposition, acceptée par les autorités régionales,
que lui soit confiée la mission de « facilitation de la concertation entre les autorités et les
habitants ». Et ceci, pour Tour et Taxis et pour la Cité administrative de l’État, comme on a
déjà eu l’occasion de l’évoquer.
240 A n D es c he em a e k e r
Tour et Taxis : un peu d’histoire
Le site qui nous intéresse doit son nom à la famille Thurn und Taxis, fondatrice, en 1490,
du premier service postal officiel européen entre Bruxelles et Vienne. À la fin du XIXe siècle,
le site fut transformé en une plate-forme commerciale exceptionnelle pour l’époque, qui combi-
nait des activités ferroviaires, portuaires, d’entreposage et de douane. La Société du canal
et des installations maritimes de Bruxelles et la SNCB investirent toutes deux dans le déve-
loppement de cette plaine marécageuse. Cinq grands bâtiments furent érigés : le bâtiment
des douanes, l’entrepôt royal, les magasins, le bâtiment de la Poste et la gare de marchan-
dises. Ce complexe de bâtiments est un remarquable exemple du professionnalisme magistral
de la Belgique dans le domaine durant la période de l’industrialisation.
Les activités de transport à Tour et Taxis atteignent leur apogée dans les années 1960 —
plus de 3 000 personnes y travaillent alors 3 — et s’arrêtent progressivement vers la fin des
années 1980. À l’origine de ce déclin, on trouve entre autres la suppression des frontières
intérieures européennes, le raccourcissement du temps de stockage des marchandises et la
concurrence croissante d’autres modes de transport des marchandises, avant tout le trans-
port routier. Les activités cessent définitivement en 1993. Et depuis, excepté l’accueil de
plusieurs grands événements culturels ponctuels, aucune nouvelle affectation définitive n’a
encore été trouvée pour ce site.
Des idées et des projets, les investisseurs immobiliers en ont eu, mais aucun de ces projets
n’a jamais été réalisé. Soit qu’ils étaient financièrement irréalistes, soit qu’ils étaient beau-
coup trop éloignés des besoins des quartiers avoisinants. Le projet « Music City » lancé en
1992 a sans doute été le plus important de la série. Il prévoyait la construction d’une énorme
salle de concert pouvant accueillir 12 000 personnes, toutes sortes d’activités annexes (studios,
magasins, hôtels) et un grand parking. Ce projet prévoyait également la démolition de certains
bâtiments, ce qui aurait représenté une lourde perte pour le patrimoine industriel bruxellois.
Il fut donc vivement critiqué par les associations et comités de quartier, notamment le comité
Maritime, La Fonderie, Inter-Environnement Bruxelles (IEB) et le BRAL. Au-delà, ce projet donna
lieu à de nombreuses lettres de réclamation et articles de presse.
Après dix ans de lutte, ou presque, les investisseurs privés abandonnent donc le projet
Music City. En 2001, Leaseinvest et Robelco, les propriétaires de l’époque, mettent alors
sur pied la joint venture Project T&T. Cette société anonyme réunit les deux propriétés corres-
pondant aux zones d’intérêt régional (ZIR) 6A et 6B et les instigateurs de cette fusion décident
de concevoir un masterplan pour l’ensemble des trente hectares. C’est d’ailleurs à la même
période que le PRAS (plan régional d’affectation du sol, 2001) 4 est approuvé et que le site
de Tour et Taxis est scindé en deux ZIR, ce qui permet au promoteur de développer la zone
6B (où se trouvent les bâtiments anciens) moyennant l’obtention d’un simple permis d’urba-
nisme. En 2002, la société propriétaire, Project T&T, obtient d’ailleurs ce permis et entame
la rénovation de l’entrepôt royal et des magasins. Des bureaux, des commerces et des struc-
tures d’accueil de grands événements y sont installés. Le développement d’une vision globale
au niveau de l’ensemble du site se fait par contre attendre.
Au début des années 1990, la « Fondation Tour et Taxis 21 » voit le jour suite aux contes-
tations du projet Music City et à l’initiative de La Fonderie 5. Durant plusieurs années, cette
coalition d’associations et de comités de quartier suit les différents projets, réagit et propose
des alternatives. C’est ainsi que le groupe a entre autres gagné le combat pour le maintien
du patrimoine industriel de Tour et Taxis.
En réaction au PPAS (plan particulier d’affectation du sol), qui fit l’objet d’une enquête
publique début 2004, la Fondation fut élargie et donna naissance à la « plate-forme Tour
et Taxis ». Le plan d’affectation s’inspirait d’un arrêté du gouvernement clairement dicté par
les promoteurs. Pendant l’enquête publique, une vaste protestation s’éleva à nouveau contre
ce plan qui perdit finalement tout soutien. Des mois s’écoulèrent ensuite sans que les autorités
ne prennent la moindre décision. On attendait le nouveau gouvernement. Finalement, celui-ci
242 A n D es c he em a e k e r
décida de ne pas approuver le PPAS et de tout reprendre à zéro. La question était cepen-
dant : comment faire ?
Après l’enquête publique, la plate-forme Tour et Taxis profita de l’indécision des autorités
pour affiner sa réaction au PPAS et développa ce qu’elle considérait comme les treize prin-
cipes de base que devait respecter le développement de Tour et Taxis. Ces principes contenaient
des recommandations sur le patrimoine, la mobilité et les espaces verts mais aussi sur la méthodo-
logie de la planification elle-même. Fondé sur la conviction que la procédure d’enquête publique
arrivait trop tard dans le processus pour permettre une réelle concertation avec les habitants
utilisateurs et les associations, le texte proposait notamment la création d’une « plate-forme
de planification », envisageant une sorte de comité d’accompagnement qui permettrait de
rassembler tous les acteurs concernés dès le début de la procédure de planification : les
différentes autorités et leurs administrations, les investisseurs privés ainsi que les associa-
tions, comités de quartier et riverains. L’asbl BRAL, corédacteur au titre de membre de la
plate-forme Tour et Taxis, développa cette procédure plus en profondeur en s’inspirant d’exemples
réalisés à Anvers et à Amsterdam. Le BRAL proposait ainsi de mettre en place une procé-
dure de développement des zones leviers prévue par le PRD mais qui n’avait encore jamais
été utilisée, en l’occurrence celle des schémas directeurs, dans laquelle la concertation entre
les différents acteurs (dont les habitants du quartier) occupe une place centrale dès le début.
En principe, la durée prévue pour l’élaboration du schéma directeur était de six mois. Début
juin 2008, le gouvernement a approuvé le schéma directeur en première lecture. Il faudra
encore attendre quelques mois avant son approbation finale. Que s’est-il donc passé pendant
ces six mois devenus trois ans ?
Un départ prometteur
244 A n D es c he em a e k e r
la procédure d’appel introduite par l’un des bureaux, le marché est finalement confié en
juin 2006 au bureau d’études MSA-Lion. Le même bureau que pour la CAÉ.
MSA connaît bien le BRAL, le quartier Maritime, et plus généralement le contexte entou-
rant la réaffectation du site de Tour et Taxis ; de part et d’autre, on partage, en outre, une
vision analogue de la participation. Il est donc clair, au vu de ces différents éléments, que
le choix du bureau a joué en faveur de la participation des habitants et de l’ensemble de
la procédure de concertation préconisée par l’associatif. Ainsi, le 16 juin 2006, soit avant
même que la procédure ne soit officiellement lancée avec le comité d’accompagnement, le
BRAL organise un grand atelier en collaboration avec le bureau d’études. Au programme :
de l’information dans le cadre d’une réunion publique et au moyen d’un stand de rue, une
promenade de diagnostic sur le site, des ateliers et une séance plénière de discussion des
résultats de la journée avec tous les autres acteurs concernés — la Région, la Ville de Bruxelles,
la Commune de Molenbeek, le Port de Bruxelles et les promoteurs.
et les autorités, à l’étonnement général, côté associatif et habitants. Les questions fusent. Après
enquête, il s’avère qu’un accord est, en effet, en préparation. Un certain scepticisme se déve-
loppe dans le chef des riverains et de l’associatif, qui diminue toutefois lorsque ceux-ci se
rendent compte que cet accord, quant à son contenu, s’inscrit en réalité dans le prolonge-
ment du manifeste. Cela étant, le « protocole d’accord » public / privé progresse à vue d’œil
et, en septembre, lors d’une réunion d’information publique, les propriétaires, la Région et
la Ville de Bruxelles présentent et commentent leur texte commun. Que les choses soient claires :
de la méthodologie initialement envisagée, on ne trouve plus la moindre trace à ce stade.
Cependant, la comparaison du protocole d’accord et du manifeste fait apparaître une vision
commune sur l’avenir de Tour et Taxis. Les deux textes ont de fait une majorité de points
communs : un site accessible, clairement relié aux quartiers avoisinants, organisé autour d’un
vaste espace public d’ouest en est et d’une large liaison verte nord-sud entre Laeken et Molenbeek.
Un deuxième élément structurant de ce projet pour Tour et Taxis est l’attribution à la gare
maritime d’un rôle d’espace public ouvert, librement accessible. En outre, une mixité des fonc-
tions est prévue pour toutes les zones constructibles. Cela dit, un protocole d’accord reste un
protocole d’accord : il parle, par exemple, de fonctions sans les définir précisément ni les
dénombrer. Plusieurs questions posées par le manifeste restent ainsi sans réponse.
Le protocole d’accord ressemble, certes, à un début prometteur sur la voie de la collabo-
ration entre le public et le privé. Fin 2007, cette collaboration prend toutefois un sérieux
coup dans l’aile. La SA Project T&T introduit, en effet, de manière tout à fait inattendue une
246 A n D es c he em a e k e r
demande de permis d’urbanisme pour l’ensemble, ou presque, de la zone concernée par
le schéma directeur. La raison officielle : l’ancien propriétaire (la SNCB) constate que le
dossier est bloqué et espère pouvoir utiliser la condition suspensive prévue dans le contrat
de vente avec les promoteurs pour annuler la vente et obtenir plus d’argent de son terrain.
Fin 2007, les promoteurs se seraient donc vus obligés de proposer un plan concret pour le
site car, de l’avis de la SNCB, le protocole d’accord ou même le (projet de) schéma direc-
teur ne suffisent pas pour entériner le contrat de vente. Comme, de toute évidence, T&T
Project n’imagine pas se débarrasser de son terrain, les promoteurs n’entrevoient dès lors
plus qu’une seule solution : introduire une demande de permis de bâtir.
S’il apparaissait que le contenu de la demande de permis introduite respecte bien les
propositions du schéma directeur, ce ne serait pas encore très grave. Mais ce n’est pas le
cas : le contrat de vente avec la SNCB oblige les promoteurs à développer 100 000 m2 de
bureaux. Étant donné la législation urbanistique actuelle, cela implique ainsi un projet total
de très certainement 400 000 m2 de nouvelles constructions, surface plancher au sol. Combiné
au projet de ménager un parc de dix à vingt hectares, l’ensemble débouche nécessairement
sur une densité de construction prévue invivable.
Au moment où nous écrivons, le schéma directeur se trouve dans sa dernière ligne droite ;
vu les nombreux rebondissements qu’a connus ce dossier jusqu’ici, on ne peut en tout cas que
l’espérer. De toute évidence, il est donc trop tôt pour tirer des conclusions définitives. Trop tôt
aussi, en fait, pour évaluer les mérites de la nouvelle procédure. Il faudra pour cela attendre
l’exécution du projet finalement retenu pour la zone concernée. Si l’on se fonde sur les trois
dernières années, on peut néanmoins déjà pointer certains avantages et inconvénients. C’est
ce que nous faisons ici, en soulignant quelques écueils avérés de cette nouvelle procédure.
Tour et Taxis est une des grandes réserves foncières de la Région bruxelloise aux mains de
propriétaires privés. Étant donné la longue histoire du site, en particulier la succession de
projets avortés, le propriétaire se résout fin 2004, après le rejet du PPAS, à attendre que
soit enfin précisée définitivement la vision que les pouvoirs publics se font de l’avenir du site.
Par le biais d’un schéma directeur qui serait ensuite entériné par un arrêté du gouvernement
Le schéma directeur « Tour et Taxis » est le deuxième d’une série que nous pouvons appeler
« de la première génération ». Pour partie, cela peut expliquer que les autorités n’aient pas
eu d’idée précise de ce que devait être exactement ce document directeur, ni de la manière
dont il allait être élaboré, raisons pour lesquelles elles ont d’ailleurs demandé au bureau
d’études de déterminer la méthodologie. Confronté à cette quasi absence d’une vision métho-
dologique claire de la part des pouvoirs publics, le BRAL a décidé, en concertation avec
les habitants du quartier, d’élaborer lui-même une procédure participative idéale, qu’il a
ensuite défendue auprès des autorités et des différents bureaux d’études dont la candida-
ture avait été retenue dans le cadre d’une première sélection. En définitive, il s’est agi là
d’un travail de lobbying utile puisque le bureau d’études finalement désigné a repris plusieurs
de ces suggestions dans sa méthodologie globale.
248 A n D es c he em a e k e r
Les autorités, par contre, n’ont pas répondu assez précisément à la question la plus impor-
tante : celle concernant les garanties que doit recevoir cette participation. Le processus de
planification approuvé par les autorités prévoit différents moments de concertation avec les
habitants mais, dans la réalité, il a souvent fallu improviser dans l’urgence. D’autant que,
quelques mois seulement après son lancement, la méthodologie précédemment adoptée est
presque entièrement bafouée. Le court-circuitage observé est bien sûr lié à certaines circons-
tances objectives. Il témoigne néanmoins d’un certain manque de volonté politique de poursuivre
le processus de planification tel qu’envisagé de manière concertée. Cela dit, un tel dévoie-
ment peut aussi s’interpréter comme une improvisation nécessaire témoignant d’une certaine
souplesse. Mais, quoi qu’il en soit, le caractère flou de la procédure et, surtout, les change-
ments non annoncés entravent bel et bien la participation des habitants telle qu’elle était prévue.
Par ailleurs, le cadre défaillant de la procédure dégage paradoxalement une certaine marge
de liberté, favorable aux initiatives des quartiers avoisinants. Une opportunité qui, dans le
cas de Tour et Taxis, a très concrètement été utilisée. Reste que, pour faire entendre leur voix
dans cette procédure de planification floue, les riverains doivent rester vigilants et assertifs
en permanence. À cette fin et dans ce contexte, la mission du BRAL s’avère là aussi des plus
utiles. Les succès en termes de participation sont, en effet, dus pour une grande part à la
créativité développée en la matière et à l’attention continue accordée à l’évolution du processus,
qui ont permis de s’adapter en temps réel, voire au besoin de changer son fusil d’épaule.
En définitive, il semble que dans les premiers schémas directeurs, tel « Tour et Taxis », non
seulement la procédure et ses différentes phases sont floues, mais les marges accordées à
la participation des habitants ne sont pas non plus suffisamment spécifiées. En particulier :
sur quels sujets les habitants du quartier ont-ils leur mot à dire et sur quels sujets n’ont-ils rien
à dire ? De même, les différentes étapes de la participation des habitants sont difficiles à
prévoir. Dans cette situation, l’improvisation et une concertation régulière entre le BRAL, le
bureau d’études et la Région ont été on ne peut plus nécessaires pour optimaliser la parti-
cipation des habitants.
On l’a dit, une des raisons pour lesquelles un schéma directeur a été élaboré en vue du redé-
veloppement de Tour et Taxis renvoie à la diversité des acteurs concernés. Ici aussi, comme
dans le cas de la CAÉ, ces acteurs ont tous été rassemblés dans le comité d’accompagne-
ment qui a suivi l’ensemble du processus de planification. Presque tous, devrait-on dire, car
250 A n D es c he em a e k e r
Le manifeste des habitants : participation ou lobbying ?
Comme on l’a expliqué plus haut, le BRAL a utilisé le temps libéré par le blocage de la
procédure pour élaborer un manifeste des habitants porté par un grand nombre d’entre eux.
Ce manifeste trouve son origine dans les « ateliers Tour et Taxis » organisés en juin 2006.
Suite à ceux-ci, une synthèse a été rédigée… et tout aussitôt critiquée au motif qu’elle aurait
été trop détaillée et aurait trop mis l’accent sur les divergences de vues entre les habitants
eux-mêmes. En réponse, il fut décidé de se servir de certains éléments comme base d’un
texte consensuel : le fameux manifeste déjà évoqué.
Or, élaborer un manifeste et essayer ensuite d’y rallier les hommes politiques et les proprié-
taires fait bien davantage penser au bon vieux travail de lobbying qu’à une participation
en bonne et due forme. Là aussi, il est intéressant de souligner que cette manière de faire
semble d’emblée appréciée par les autorités. Sans doute dans la mesure où une vision « habi-
tants et associations » sans équivoque se prête idéalement à être utilisée comme base par
les pouvoirs publics en vue d’élaborer leur propre vision de l’avenir du site et de l’opposer
ensuite à celle des promoteurs, fût-ce aux fins de construire un consensus, ou un compromis
entre les deux. Dans les faits, c’est en ce sens que peuvent être interprétés le « protocole
d’accord » entre pouvoirs publics et privés ainsi que le rôle, qui renvoie bien à un travail de
lobbying, qu’y ont joué les propositions ou revendications des « habitants et associations »
contenues dans le manifeste.
En général, on constate que plus la participation des habitants est organisée dès le début
d’un processus, plus son influence sur la planification peut être importante. Mais cela rend
aussi l’organisation de la participation elle-même d’autant plus difficile. Réagir à un plan
existant est beaucoup plus simple, en effet, que collaborer activement à l’élaboration d’un
document du type « schéma directeur ». Du fait de l’histoire mouvementée de Tour et Taxis,
les habitants se sont, dès le départ, montrés engagés. Toutefois, malgré les différentes initia-
tives du BRAL et des comités de quartier, les discussions sur l’avenir de Tour et Taxis sont
souvent restées limitées à un noyau d’habitants du quartier.
Voici quelques éléments qui participent à expliquer l’implication relativement limitée des
habitants dans les discussions relatives au site.
À Bruxelles, les décisions d’envergure relatives à l’aménagement urbain sont trop souvent
prises à huis clos. Le quartier Nord, le Midi, le quartier européen, etc. semblent presque
avoir été dessinés à la mesure des agents immobiliers. Ces antécédents génèrent très proba-
blement une certaine méfiance dans le chef des habitants vis-à-vis de la participation. Certains
habitants pensent — et le disent sans détour — que les autorités ne demandent leur avis
que pour faire passer le projet et le légitimer. Certains craignent que participer au processus
ne les entrave ultérieurement dans leurs éventuelles critiques à l’égard du projet. En outre,
le flou de la procédure et du calendrier du schéma directeur « Tour et Taxis » ne font qu’ac-
croître cette méfiance.
252 A n D es c he em a e k e r
Une procédure longue et complexe
Dans les quartiers bordant Tour et Taxis, on peut parler d’une certaine fatigue de partici-
pation : non seulement en raison de l’histoire déjà longue et tumultueuse du site, mais également
en raison de l’existence dans un même périmètre de nombreux projets — les contrats de
quartier, les jardins communautaires, l’inventaire d’immeubles vides, le centre communau-
taire, de multiples fêtes de quartier, etc. — qui ont chacun demandé beaucoup de temps et
d’énergie, et ceci souvent de la part des mêmes personnes. Il est dès lors inévitable que
toute tentative d’impliquer encore une fois ces personnes dans un processus de planification
long, complexe et loin d’être clairement défini se heurte à une certaine résistance. Le schéma
directeur à proprement parler n’est, en effet, que le début d’une longue procédure, et cette
« phase de départ » est aujourd’hui déjà en cours depuis près de trois ans. Si tout va bien,
il faudra encore au moins cinq ans avant que la moindre construction puisse voir le jour. Le
manque de clarté sur la procédure et sur le calendrier des opérations ne fait que rendre plus
difficile encore la collaboration des habitants du quartier.
En tant qu’ancienne zone de transport et de douane, le site de Tour et Taxis est isolé des
quartiers avoisinants par des grilles. Par le passé, les entrées donnaient sur la rue Picard,
faisant du site le centre névralgique du quartier Maritime. Le promoteur a toutefois fermé
celles-ci, leur préférant une nouvelle entrée avenue du Port, donnant sur le canal, et bien
plus éloignée des quartiers avoisinants. Ces décisions, combinées au type d’activités prévues
pour le site (bureaux, magasins de luxe et organisation d’événements), donnent aux habi-
tants du quartier l’impression que le site leur est moins que jamais destiné, et qu’ils pourront
de moins en moins avoir un impact sur les décisions prises à son sujet. Notons encore que
de nombreux habitants du quartier ne se sont même jamais rendus sur le site ou dans ses
bâtiments. Ils ne peuvent donc avoir aucune idée des potentialités qu’ils représentent pour
leur quartier.
Avec plusieurs partenaires locaux, le BRAL tente de réduire cette barrière en organisant
sur le site des activités avec et pour les habitants. Plusieurs fêtes de quartier y ont déjà eu
lieu, une plaine de jeux a été installée pour les enfants et un jardin collectif aménagé.
Progressivement, de plus en plus d’associations commencent à entrevoir les possibilités de
ce site et s’engagent dans son utilisation temporaire. On table ainsi sur le fait qu’à mesure
Conclusion
Jusqu’à ce jour, le projet de schéma directeur pour Tour et Taxis bénéficie généralement
d’un accueil positif, y compris auprès des habitants des quartiers voisins. La question reste
toutefois de savoir à quoi ressembleront concrètement les étapes suivantes, plus détaillées
et plus contraignantes, de la planification. De grands principes — tels l’accès public du site,
la construction d’infrastructures publiques ou l’aménagement d’un espace public — peuvent,
en effet, se concrétiser de multiples manières. Les habitants du quartier, soutenus par le BRAL,
devront donc veiller à ce que ces principes soient correctement interprétés et traduits. En ce
qui concerne une évaluation définitive, elle ne sera possible qu’après la réalisation du projet
final. Mais, vu les schémas directeurs prévus pour d’autres sites, il est important de dresser
un premier bilan dès aujourd’hui. De manière générale, on peut dire que cette procédure
a très certainement des mérites mais qu’elle fait encore ses maladies de jeunesse.
Un point positif est que la procédure « schéma directeur » crée un cadre de dialogue entre
les différentes parties concernées. Même si celui-ci reste relativement vague, il donne aux
habitants du quartier, qui font au premier chef partie des acteurs concernés, la possibilité de
participer aux discussions sur l’avenir de Tour et Taxis. Même si les centres de décision sont
ailleurs, cette évolution constitue peut-être le début d’un véritable renversement de tendance.
Cela n’empêche, on l’a vu, que pour exploiter au maximum la participation des habitants
ainsi rendue possible, il a fallu improviser, intervenir de manière proactive et se montrer créatif.
Le schéma directeur offre donc la possibilité d’impliquer et de mettre en présence les diffé-
rents acteurs concernés. Potentiellement, il favorise ainsi une collaboration constructive et
augmente les chances de réussite d’un projet, quel qu’il soit. Cependant, pour permettre à
ce processus de se dérouler au mieux et garantir de bonnes négociations, il est important
que les autorités sachent dans quelle direction elles veulent aller. Soit un élément qui faisait
défaut au moment du lancement du schéma directeur « Tour et Taxis ». Idéalement, en effet,
on peut penser que le privé ne devrait intervenir qu’une fois l’affectation des réserves foncières
établie. Cela seul permettrait véritablement à la Région de Bruxelles-Capitale de reprendre
la main sur la gestion de celles-ci. C’est pourquoi il paraît crucial que les autorités commen-
cent par développer leur propre vision de la ville — d’une façon participative et publique
de préférence — avant de lancer de nouveaux schémas directeurs.
254 A n D es c he em a e k e r
1. Coordinatrice du Brusselse Raad voor het leefmilieu 6. Bien que l’intégralité du site s’étende sur le territoire
(BRAL). Cet article est principalement écrit à partir du de la Ville de Bruxelles, la commune riveraine de
point de vue développé par cette association. Molenbeek a été impliquée dans l’élaboration du
2. Voir http://www.bralvzw.be. schéma directeur.
3. BRAL, Tour et Taxis. Fondre l’héritage (monumental) 7. Comités de quartier « Le Maritime » et « Marie-Christine /
dans un projet urbain concerté, Bruxelles, BRAL, 2004, Reine / Stéphanie », avec le BRAL, Thurn & Taxis,
p. 8. opnieuw..., 25 août 2005 (http://www.bralvzw.be/
4. Voir le chapitre II pour une présentation des différents node/148).
outils de la planification. 8. BRAL, Manifeste Tour & Taxis : TouT publiek, 22 mars
5. Centre d’histoire économique et sociale de la Région 2007 (http://www.bralvzw.be/node/269).
bruxelloise, voir http://www.lafonderie.be.
Chapitre IX
Ville-quartier ou ville-monde ? Le schéma directeur du quartier européen
comme mise à l’épreuve de l’urbanité de la ville
Vincent Calay 1
« Les recherches les plus récentes sur les transformations de la Ville-Région définissent Bruxelles
comme une “ville-monde” (la plus petite des villes-monde) c’est-à-dire à la fois comme une
“ville internationale“, une “ville transnationale“ et une “ville flexible“. […] Cette définition de
Bruxelles oblige à une réflexion renouvelée sur la planification de l’espace car ces transfor-
mations mettent à mal le découpage en zones géographiques sans les annuler complètement 2. »
Cette citation est extraite du projet de schéma directeur pour le quartier européen (SDQE),
projet publié en septembre 2006 sous la direction de Marie-Laure Roggemans, déléguée
de la Région de Bruxelles-Capitale au développement du quartier européen 3. En assimilant
d’emblée Bruxelles à une « ville-monde », ce texte subsume les propositions avancées dans
le schéma directeur sous un cadrage conceptuel qui saisit la ville dans des catégories cogni-
tives issues du monde académique 4. Conférant à ces catégories une valeur de réalité, le
texte du schéma directeur souligne « l’obligation » d’y satisfaire par une transformation des
outils d’aménagement élaborés par les institutions publiques. Le schéma directeur est ainsi
présenté comme l’inéluctable réponse institutionnelle aux changements enregistrés à l’échelle
internationale, indiscutable réalité issue de l’objectivation scientifique de la ville 5.
De ce fait, parler de « schéma directeur du quartier européen » revient à parler de Bruxelles
comme d’une ville insérée dans le « Monde », une « World City » où se concentreraient les
enjeux contemporains de la mondialisation auxquels les pouvoirs publics se doivent, néces-
sairement, de « faire face 6 ». Puisés dans une étude de l’Université libre de Bruxelles 7, trois
arguments étayent l’idée d’une telle réification de Bruxelles comme ville internationale à
travers le schéma directeur. Primo, la ville est un nœud important dans les réseaux globaux
par la présence d’institutions internationales publiques et privées sur son territoire. Secundo,
la ville est le lieu de vie d’une population multiculturelle qui la lie à un réseau d’échange
global. Tertio, la ville est globale car elle s’insère dans un monde où l’organisation du travail
est flexibilisée, et donc pluralisée dans ses temporalités et dans ses espaces. Ainsi se posent
dans les termes mêmes du schéma directeur les coordonnées du « challenge » que les pouvoirs
256 V in c e nt Ca la y
publics se doivent aujourd’hui d’affronter. De ce fait, le schéma directeur est théâtralisé
comme l’acteur principal du dessin d’une ville rentable et efficace, en phase avec ce qui est
présenté comme la nouvelle et indiscutable — car scientifique — « réalité bruxelloise ».
La mise en liaison de ce nouvel « acteur » de l’aménagement, d’un côté, et du quartier
européen, territoire éminemment controversé dans l’histoire de la ville 8, de l’autre, semble
dessiner, selon le point de vue, soit un « cocktail explosif », soit un « tandem de choc ». Que
peut-on faire du quartier européen dans une « ville mondiale » comme que Bruxelles ? Qu’y
a-t-il comme ressources mobilisables dans cet ensemble pour relever le défi « Bruxelles, ville
mondiale » ? Que doit-on changer dans cette partie de la ville pour que réussisse l’insertion
de Bruxelles dans la mondialisation ? Comment obtenir une concorde dans ce quartier qui
dessinerait avec force et évidence Bruxelles comme ville-monde ? Voilà, semble-t-il, les ques-
tions que pose ce schéma directeur.
Ainsi, par rapport aux autres schémas directeurs, celui-ci occupe une place particulière à
l’heure où Bruxelles se prévaut de plus en plus souvent de son statut de « capitale de l’Europe ».
En effet, depuis l’année 2001, l’assimilation de Bruxelles à l’Europe a fait l’objet d’un large
processus de publicisation. Celui-ci s’est construit à travers la multiplication de rapports,
d’ouvrages, de débats, de colloques ou d’expositions. Tous ces dispositifs ont dynamisé une
nouvelle assimilation de Bruxelles à l’Europe. Les répétitions générées par ces dispositifs ont
progressivement stabilisé le lien entre l’Europe et la ville, l’ont rendu plus évident. Dans le
même temps, chacun de ces dispositifs, s’il a répété l’association, a également traduit la
relation en formes singulières d’européanisation de la ville. Un tel processus de stabilisation
s’est d’ailleurs renforcé très récemment avec le lancement en 2007, par le gouvernement
bruxellois, d’un « plan de développement international » (PDI) où s’impose le répertoire du
marketing urbain.
C’est dans ce cadre que s’insère le SDQE. Cette contribution propose, dès lors, de l’appré-
hender sous deux aspects. Le premier renvoie à sa place dans l’ensemble hétérogène de
dispositifs qui travaillent à l’internationalisation de Bruxelles. Dans cet ensemble, on trouve
à la fois des expositions, narrant l’identité européenne de la ville, des dispositifs réglemen-
taires qui, d’un point de vue institutionnel, norment l’ordonnancement de la ville et des travaux
d’experts qui n’ont, a priori, qu’une valeur cognitive dans la mesure où ils collectent des
informations sur le territoire pour le rendre intelligible. Le schéma directeur « quartier euro-
péen » se situe, à l’évidence, dans la catégorie des dispositifs réglementaires. Toutefois, il
est nécessaire de comprendre sa place dans le processus d’internationalisation de Bruxelles,
c’est-à-dire de décrire les relations qu’il entretient avec les autres dispositifs pour cerner le
258 V in c e nt Ca la y
de développement (PRD, 2002) où elle avait pris une dimension plus significative que dans
la version précédente. Ce PRD articule l’internationalisation de la ville autour de deux dimen-
sions : d’une part, des politiques d’aménagement orientées vers l’international, c’est-à-dire
incluant l’introduction de grandes infrastructures dans la ville à l’image de modèles étran-
gers comme Bilbao ; d’autre part, la reconnaissance du multiculturalisme de la ville à travers
une politique événementielle rassemblant les dispositifs valorisant le pluralisme de la ville,
comme la Zinneke Parade. On peut ainsi lire : « Des villes telles que Bilbao, Lille, Glasgow
ou Barcelone, engagées dans un processus de rénovation urbaine ont choisi d’élaborer des
projets-phares originaux par leur contenu. Ces projets symboles dynamiques du Projet de
Ville n’auront un impact durable que s’ils intègrent tous les aspects de la politique urbaine
et sont pensés au profit des habitants. Les projets-phares peuvent être de deux types qui ne
sont pas mutuellement exclusifs. Soit il s’agit de projets événementiels, récurrents ou non,
sportifs ou culturels (Zinneke Parade, Euro 2000, Bruxelles 2000…), soit il s’agit de réali-
sations permanentes, fiables et fortes (musée Guggenheim à Bilbao…). En imposant des
échéances aux pouvoirs publics et en rassemblant les énergies des secteurs publics et privés
concernés, les projets-phares suscitent ou accélèrent l’aménagement d’infrastructures, ou la
créativité culturelle. L’identification et la réalisation de projets-phares forment donc un objectif
important pour le gouvernement de la Région 10. »
La question des outils de la rénovation urbaine, qui avaient surtout pris jusqu’alors la forme
locale des « contrats de quartier », se trouve reformulée. Elle se voit plus précisément retra-
duite par un cadrage international supporté par la notion de « projet phare ». La ville sort
alors de l’univers de la proximité établi par le dispositif des contrats de quartier pour être
reliée au lointain, à l’ailleurs de l’international, par celui des projets-phares. Aussi, en passant,
le caractère inédit du PDI doit-il être relativisé : son principal enjeu est de resserrer le processus
d’internationalisation autour de l’assimilation de Bruxelles à la « capitale de l’Europe » en
retraduisant les ambitions affichées par le PRD. Si l’on préfère, le PDI met en forme l’inter-
nationalisation de la ville via un « marketing urbain » développant une image européenne
de Bruxelles et via un « projet phare » dans le quartier européen qui mobiliserait un parte-
nariat entre les pouvoirs publics régionaux bruxellois et européens : « Le marketing de Bruxelles
devra s’appuyer sur un porte-drapeau, un fer de lance, un projet emblématique qui incar-
nera la vision politique d’avenir de la Ville-Région. Puisque l’Europe est un axe fort de cette
vision, le plan de développement international recommande que le projet sélectionné pour
jouer ce rôle soit un projet de partenariat entre Bruxelles et l’Europe. Un projet où Bruxelles
et l’Europe puissent développer ensemble un lieu d’expression de l’idée européenne dans
260 V in c e nt Ca la y
fruit progressif d’un certain nombre de cooptations et non le reflet d’un quelconque processus
de recherche objective de représentativité de ladite société civile […] 17. »
Dès lors, le Fonds rassemble principalement des propriétaires soucieux « d’une apprécia-
tion sur le long terme de leurs actifs immobiliers 18 ». Une telle assise du Fonds sur la « société
civile » assez particulière de ce quartier, couplée à son hébergement à la Fondation roi
Baudouin et à un financement par ses membres, lui a permis de soutenir une série d’initia-
tives, plus ou moins médiatisées, qui ont contribué à l’extension de la problématique de l’image
européenne à la ville dans son ensemble 19. Ces déplacements progressifs dans l’action du
Fonds lui ont permis de se poser, petit à petit, comme un point d’articulation des cadres
cognitifs nécessaires à la mise en œuvre de l’internationalisation du quartier européen et
de la ville dans son ensemble 20. Il n’est d’ailleurs pas surprenant de retrouver dans la problé-
matisation du quartier opérée par le Fonds d’étroits liens de parentés avec celle opérée par
le schéma directeur. Ainsi retrouve-t-on dans les fondements du projet porté par le Fonds
l’impératif premier d’une restauration de « l’image » du quartier, qui passerait par l’amélio-
ration de la mixité fonctionnelle, de la mobilité et de la qualité des espaces publics et des
développements privés 21. De manière similaire, le schéma directeur a construit son programme
de « développement » du quartier autour de sept « options de base » : la mobilité, la mixité,
la qualité des espaces publics, le respect du patrimoine, l’identification des quartiers, la qualité
urbanistique et architecturale et le désenclavement des parcs et des équipements culturels 22.
On le voit, la question de l’internationalisation de Bruxelles a organisé un faisceau de
dispositifs articulés autour d’un nombre restreint d’acteurs. Ces dispositifs ont constitué des
mises en scène de la ville permettant d’éprouver 23 son internationalisation. Il est, par exemple,
déjà perceptible que l’idée de lier la ville au monde international tranche avec les politiques
antérieures fondées sur la proximité. Et cela a bien évidemment suscité des tensions entre
ceux qui défendent exclusivement l’une ou l’autre perspective. En effet, comme indiqué, des
politiques de rénovation urbaine qui n’avaient pas été prioritairement pensées en termes
d’internationalisation ont connu de nouvelles traductions, modifiant certains outils stabilisés.
Ainsi, il est particulièrement intéressant de constater que les études sur le quartier européen
se sont multipliées à partir du début des années 2000, après une quinzaine d’années très
silencieuses à son égard 24. Celle qui a connu le plus grand succès médiatique, « le plan
médiateur », mérite d’ailleurs une attention particulière dans la mesure où le schéma proposé
repose sur une gestion du quartier européen fondée sur les principes déployés dans le cadre
des contrats de quartier. Cette étude proposait ainsi une plateforme de coordination entre
les différents acteurs impliqués dans le quartier, sur le modèle d’une gestion « participative »
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familiarité et formalisme dans les relations entre personnes intervenant dans le débat, et dans
la mobilisation de compétences cognitives spécifiques. Cette tension s’est assimilée à deux
modes spécifiques de définition de la ville : la familiarité s’associant à un débat sur la ville-
quartier et le formalisme à un débat sur la ville-monde. Une deuxième thématique s’intéresse
aux types de spécifications de la ville abordée par les acteurs : comment les acteurs défi-
nissent-ils la ville ? Comment définissent-ils ce qui est urbain et ce qui ne l’est pas ? Comment
qualifient-ils certains objets par rapport aux spécifications de la ville avancées ? L’analyse
conjointe des modes de spécification d’une séance à l’autre questionne aussi leur opportu-
nité : un même acteur mobilise-t-il plusieurs types de spécifications de la ville, de quelle
manière et à quel moment ? Enfin, une troisième thématique renvoie aux objets mobilisés
dans l’assemblée pour construire la réalité territoriale débattue : comment ces objets sont-ils
convoqués au sein des assemblées ? Quelles démarches les acteurs adoptent-ils pour construire
les réalités en jeu à travers des objets spécifiques ? L’attention s’est portée vers deux objets
intensivement mobilisés par les représentants des pouvoirs publics et les experts : la carto-
graphie du quartier et un guide de visite.
Lors de la première séance, la tension entre familiarité et formalisme s’est manifestée, tout
d’abord, dans les modes de présentation de soi et des autres dans l’assemblée. En effet,
très souvent le formalisme a présidé aux présentations, mais jamais complètement. Par exemple,
Bruno Clerbaux fut, dans un premier temps, présenté comme « un des urbanistes… des experts-
urbanistes chargés du volet mixité ». Celui-ci, assumant son rôle de spécialiste, a d’ailleurs
d’emblée indiqué : « Je laisse à Mme Roggemans le soin de dire ce qui est principal. » Mais,
comme je l’indiquais, ce registre n’a pas pour autant marqué l’entièreté des débats. Ainsi
Bruno Clerbaux, après avoir introduit « Mme Roggemans », s’est-il empressé de la qualifier,
non sans humour, de « notre grande prêtresse ». De même, ladite « grande prêtresse », dans
ses interactions avec le public, n’a pas hésité à introduire le tutoiement et l’interpellation par
le prénom. Par exemple, s’adressant à Marco Schmidt, membre du comité d’habitants
Association quartier Léopold (AQL) : « Marco, tu as bien fait de dire que le patrimoine doit
être adapté aux usages mais de même pour les typologies d’habitations .»
Une telle tension entre le formalisme de la présentation de soi et des autres et la familia-
rité transitant par l’humour, le tutoiement ou l’interpellation par le prénom s’inscrit dans le
prolongement d’une présentation hésitante de l’assemblée elle-même et de ce qui y était en
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familières des cadres cognitifs et des relations interpersonnelles en vigueur dans l’assemblée.
Par contraste, lors de la séance consacrée au patrimoine, à la culture et au tourisme, la
tension entre familiarité et formalisme dans la tenue des débats s’est configurée d’une tout
autre manière. En effet, contrairement à ce qui s’était produit lors de la séance consacrée
à la mixité et aux espaces publics, cette séance s’est organisée à titre principal sur un mode
formel, la familiarité des relations interpersonnelles et des cadres cognitifs y étant margina-
lisée. Cette inversion dans les modes d’organisation des débats ne peut être imputée à une
autonomie plus grande de l’assemblée, autonomie qui aurait été produite par un cadrage
mieux maîtrisé du dispositif délibératif. La difficile émergence de la familiarité doit plutôt
être reliée à la nouveauté et donc à l’étrangeté, pour les participants à la séance, des théma-
tiques et des personnes invitées à les présenter. Ce caractère étranger des personnes et des
cadres cognitifs fut d’ailleurs mentionné dès l’introduction de cette séance par Marie-Laure
Roggemans : « Dans les documents du schéma directeur, il n’y a pas de texte très déve-
loppé. C’est à travers le dialogue avec les acteurs culturels et touristiques que l’on va voir
la place de ces dimensions dans le quartier européen. » Aussi, une telle nouveauté implique-
t-elle l’introduction de cadres cognitifs étrangers aux modes familiers de définition de la ville
mais aussi la présence de nouveaux acteurs compétents sur ces matières, c’est-à-dire, égale-
ment, étrangers à l’histoire construite antérieurement au sein du « roupe des familiers » présent
dans l’assemblée. Dès lors, il est peu surprenant de voir que les rapports interpersonnels se
sont cantonnés dans le domaine formel et que les cadres cognitifs mobilisés par la critique
des membres du « groupe des familiers » ait pris principalement la forme de dénonciations
des modèles de ville liés aux thématiques abordées par les nouveaux acteurs.
Cependant, deux événements ont ravivé la tension entre formalisme et familiarité. Tout
d’abord, les principales réactions suscitées par l’exposé du projet de centre des visiteurs du
Parlement européen se sont faites sur le mode de l’indignation et de la dénonciation. Marco
Schmidt, porte-parole de l’Association quartier Léopold, lance sans attendre une objection
au projet, sans toutefois s’adresser directement à l’expert incriminé et prend plutôt à parti
un responsable local abstrait : « Kleinig n’a pas mentionné les Bruxellois… le lieu du Parlement
européen doit être un espace ouvert au plus large public possible… Or les espaces se sont
fermés… l’entrée se fait côté « mail » [par la dalle couvrant les voies de la gare du Luxembourg]
et non côté ville… il est donc plus difficilement fréquentable… […] Comment intègre-t-on la
proximité dans cet espace ? »
Ce porte-parole des habitants a ainsi souligné ce qu’il voyait comme une faille majeure dans
l’exposé du porte-parole du Parlement européen : l’absence d’intégration de la proximité dans
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La réalité au pouvoir (I) : spécifications de la ville et types d’urbanités
La description conjointe des deux assemblées peut également se thématiser autour des modes
de spécification de la ville. Comment les acteurs de ces scènes d’action qualifient-ils la ville ?
Comment en construisent-ils les horizons ? Comment la peuplent-ils ? Comment l’investissent-
ils d’attentes spécifiques ? En bref, comment en dessinent-ils l’urbanité ? Ce processus interroge
la manière dont les acteurs spécifient l’urbanité de la ville en situation, c’est-à-dire celle dont
ils en produisent la réalité par un travail constant et changeant de distinction catégorielle
qui leur permet d’en saisir les limites et de se positionner par rapport à ce qui lui est étranger.
Ce travail influence autant la distribution du savoir sur la ville que les formes de relations
interpersonnelles ou les identités endossées par les acteurs. Ce travail de spécification s’ob-
serve dans la multiplication d’attitudes, de paroles et de dispositifs techniques déforçant le
débat en généralité à propos du schéma directeur. Cela transite au premier plan par un
compartimentage en thématiques qui font appel à des groupes d’experts différents et établis-
sent des assemblées à géométries variables. En effet, si certains membres du public demeurent
présents à toutes les assemblées — principalement les représentants des comités d’habitants
(l’AQL, l’ARAU et le GAQ, le Groupe d’animation du quartier européen) — d’autres membres
ne viennent qu’à l’occasion d’une seule discussion thématique comme porte-parole de grou-
pements ad hoc 30 Ce cloisonnement thématique, qui correspond d’abord aux choix opérés
par les organisateurs de séance et au découpage du texte du schéma directeur lui-même,
s’insère donc également dans une distribution du savoir selon les acteurs qui organise des
formes variées d’urbanités de la ville liées à des secteurs spécifiques de politiques publiques 31.
Un tel compartimentage marginalise la possibilité d’une dénonciation des fondements même
du schéma directeur et privilégie une critique « experte », interne, qui nécessite des compé-
tences cognitives particulières.
Ainsi, lors de la première séance, deux porte-parole d’associations d’habitants, l’ARAU
et l’AQL, ont ouvertement critiqué deux dispositifs techniques spécifiques : le projet d’une
passerelle piétonne au-dessus de la rue Belliard et le mécanisme des charges d’urbanisme.
Cette critique a acquis force et pertinence dans le débat par une construction de l’argu-
mentaire liée à des formes spécifiques de généralités dessinant un modèle de ville et une
forme d’urbanité particulière. Le premier a critiqué le dispositif architectural sur base d’un
référentiel historique et esthétique, arguant que ce dispositif renvoie aux principes d’un urba-
nisme fonctionnaliste séparant les circulations, ce qui ne correspond pas, pour lui, à une
ville souhaitable. Le second a critiqué le dispositif réglementaire des charges d’urbanisme,
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endossant un rôle lui conférant des responsabilités assez éloignées de celles liées à sa
stature d’expert, répond à l’indignation de l’habitante : « Les quartiers que vous ne voulez
pas fréquenter vont changer. »
d’Etterbeek sur le plan, elle identifie un « axe nord-sud » où peut se jouer toute la théâtrali-
sation du dégel de l’urbanité projeté : « Il y a un axe nord-sud récupérable pour restaurer
des cordons d’urbanité dans le damier vertical du XXe siècle. »
Cette seule phrase rassemble en un souffle le projet normatif du schéma directeur et la
définition de la réalité à laquelle il s’articule. La chaussée d’Etterbeek devient l’espace clé,
celui qui peut être récupéré aux mains de l’ennemi. Cette récupération d’un axe structurant
l’espace, ou la reconquête d’un territoire perdu, permettra la mise en œuvre d’une restau-
ration de l’ancien régime urbain par des cordons d’urbanité. Cette dernière locution est
véritablement intrigante car Marie-Laure Roggemans ne se contente par de parler de restau-
ration de l’urbanité autour d’un axe : cette restauration s’accompagne aussi de la création
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de cordons d’urbanité, liens entre différents espaces où l’urbanité du quartier semble d’abord
se jouer dans la fragilité, mais aussi, tel un « cordon sanitaire », dans l’encadrement de
quelque chose que l’on ne voudrait pas voir se répandre. D’ailleurs, la constitution de ces
cordons est d’autant plus fragile qu’elle s’opérerait sur « un plan en damier vertical » où le
relief, la fragilité et la souplesse des cordons apparaissent encore plus ténus, plus timides,
plus difficiles à imposer.
Pour Marie-Laure Roggemans, ces « cordons d’urbanité » renvoient explicitement au commerce
conçu comme un élément clé de la reconquête de l’urbanité — car « le commerce fait beau-
coup pour la convivialité ». Ainsi, ces cordons d’urbanité deviennent des « relations entre
commerces » où l’urbanité se joue dans la convivialité. Par ailleurs, cette urbanité commer-
ciale renvoie elle aussi à une coloration et à une métaphore picturale. En montrant les traits
roses associés à la chaussée d’Etterbeek, Marie-Laure Roggemans indique un élément du
projet de schéma directeur : « Il faut étendre les liserés commerciaux. » Comment cette stra-
tégie du liseré commercial, fondée sur le principe de restauration de cordons d’urbanité,
s’implémente-t-elle alors ? « Dans la réalité, chaque fois qu’il y a possibilité, le rez-de-chaussée
est utilisé pour la mixité. » Nous y voici : tel est le dernier élément de la stratégie, la conver-
sion des rez-de-chaussée d’immeubles en surfaces commerciales garantes d’une restauration
de l’urbanité. Les rez-de-chaussée traduisent, sur le terrain, les liserés roses de la carte.
Une telle mise au centre de la cartographie et du codage de couleurs qui s’y associe
permet d’asseoir l’argumentation en partant d’un travail d’objectivation visuel de la mixité
à la fois poussé et simplifié. En effet, cette objectivation repose sur un important processus
réflexif mobilisant un vaste savoir et de nombreux acteurs. Cependant, le travail d’objecti-
vation est dans le même temps simplifié, car le cadrage cartographique et sa mise en scène
comme « synthèse de la réalité existante » appauvrissent considérablement le concept de
mixité, ils le réduisent à un dualisme opposant une catégorie monolithe de « logement » à
une autre de « bureau ». De même, la notion d’urbanité se voit réduite à la « convivialité »,
voire au « commerce ».
D’un autre côté, la cartographie a, dans ce contexte, rendu possible le développement de
la stratégie de « reconquête de la mixité ». Un tel usage de la cartographie a permis à la
description du réel de devenir une métaphore en couleur (usage des couleurs pour renforcer
le réalisme en montrant l’hétérogénéité d’un espace) et de la couleur (usage du vocabulaire
technique des arts graphiques pour décrire des hiérarchies dans le réel : glacis, liseré, etc.).
La cartographie et la personne dont la parole est devenue la légende de la carte ont ainsi
distribué le savoir à l’égard de l’espace et de son urbanité d’une façon très spécifique. Le
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Les limites d’une internationalisation par l’aménagement
La manière de définir l’urbanité de la ville est-elle jouée d’avance ? La familiarité des cadres
cognitifs et des rapports interpersonnels laisse entendre que, dans ces scènes de débat public,
se rejouent des alliances cognitives et personnelles antérieures qui soutiennent et perpétuent
des manières de débattre et de connaître la ville. L’emprise de cet univers familier dans la
mise en scène publique d’une concertation sur le schéma directeur réduit les formes prises
par la critique. Aussi cette domination de la familiarité entre-t-elle en tension avec une attente
de formalisme, exprimée de façon récurrente, où la tenue de rôle, la prise de parole et l’éga-
lisation des situations des membres de l’assemblée pourrait être rencontrée clairement et
efficacement. Une attente que les hésitations, incertitudes et précarités du dispositif ne semblent
manifestement pas rencontrer. Je parlerai dans ce cadre de la prégnance d’un imaginaire
urbain qui s’est répété et renforcé dans ces assemblées faute d’une mise à l’épreuve qui en
permette une mise en question véritable.
Où se construit le bien commun de la ville porté par le schéma directeur ? Il semble que la
combinaison de la familiarité des cadres cognitifs et des relations interpersonnelles couplée
à une segmentation des thématiques, l’évitement des croisements d’une séance à l’autre et la
relégation d’une discussion en généralité aient mené à l’absence de débat sur le modèle de
ville en jeu au sein de l’assemblée. Pourtant, le texte du projet de schéma directeur fonde son
argumentation sur un « constat » (Bruxelles est devenue une « ville globale ») et c’est ce constat
qui légitime, d’après le schéma, une redistribution des manières de penser le territoire du quar-
tier européen, en particulier dans son usage comme espace clé d’une image internationale
de la ville. Bien que ce principe semble orienter les articulations opérées par le schéma direc-
teur, ce n’est pas à ce niveau que les critiques ont émergé. Celles-ci se sont plutôt liées au
schéma directeur en organisant sa critique interne, les dénonciations étant marginalisées. Par
ailleurs, a contrario, les pans du schéma directeur liés à l’internationalisation ont plutôt suscité
la dénonciation au motif d’une inadéquation des dispositifs européens (centre des visiteurs du
Parlement européen et itinéraire de visite du quartier européen) avec l’urbanité du quartier.
Aussi le statut de ce processus hésitant de concertation sur le schéma directeur se précise-
t-il : il ne constitue pas le principal espace dans lequel les imaginaires de la ville sont débattus ;
il est l’élément d’une plus vaste arène où circulent cadres cognitifs et relations interpersonnelles
donnant corps au débat. Cela mène à s’interroger sur les lieux où le bien commun qui
oriente les propositions du schéma directeur s’est débattu et construit plus substantiellement.
Marie-Laure Roggemans a évoqué à ce sujet la nécessité de faire appel à des « groupes
274 V in c e nt Ca la y
1. Cette contribution est extraite d’une thèse de doctorat dant, autant la systématisation et la réification de l’hypo-
en sciences politiques et sociales en cours de finalisa- thèse que son usage à propos de Bruxelles sont
tion à l’Université libre de Bruxelles sur Les constructions controversés, au contraire de ce qu’affirment le schéma
publiques de la ville. Pragmatique de l’internationalisa- directeur et, plus largement, l’ensemble des acteurs plébis-
tion de Bruxelles, de Luxembourg et de Strasbourg. Elle citant une internationalisation de la ville. Ainsi, la critique
bénéficie pour sa réalisation du soutien du Fonds d’en- des travaux du GaWC à propos de Bruxelles par le socio-
couragement à la recherche de l’ULB. logue et urbaniste Guy BAETEN met en cause la
2. Marie-Laure ROGGEMANS (s.l.d.), Projet de Schéma mobilisation du concept dans l’analyse de la ville (voir
directeur du quartier européen, Bruxelles, septembre sa recension de l’ouvrage de Camilla ELMHORN,
2006, p. 5 (www.quartiereuropeen-europesewijk.be, Brussels: A Reflexive World City, Stockholm, Almqvist &
consulté le 31 janvier 2007). Wiksell International, 2001, parue dans Urban Studies,
3. Nommée par le gouvernement de la RBC le 29 vol. XXXIX, n° 1, 2002, p. 175-177). Il faut donc s’inter-
septembre 2005, sa mission principale n’a pas été publi- roger sur le processus à l’œuvre lorsque Peter Hall est
quement exposée. C’est à travers la presse que peut se invité comme « éminence grise » pour tirer les conclusions
lire le détail de sa tâche. Ainsi François ROBERT du colloque « Demain la ville » organisé en novembre
indique-t-il familièrement à propos de « Marie-Laure » dans 2007 par le Secrétariat de la Région au développement
Le Soir du 30 septembre 2005 (« Madame Europe urbain (SRDU). De même, le colloque du BRIO, « Brussels
arrive ») : « Dans sa nouvelle fonction (d’une durée de & Europe », organisé avec le soutien de la Fondation roi
cinq ans), elle travaillera en partenariat avec la Région Baudouin et de la Commission européenne en décembre
bruxelloise et le bureau de liaison Bruxelles-Europe, et 2006 avait fait appel à Peter Taylor, fondateur du GaWC,
non pas avec le Fonds quartier européen (interface entre mais aussi, pas moins, à Saskia Sassen, tous deux au
les intérêts publics et privés du quartier) comme on l’a titre d’experts de la ville-monde, pour « expliquer » à l’au-
cru jusqu’à tout récemment. Sa mission sera de faciliter ditoire bruxellois la place de Bruxelles dans la nouvelle
l’aménagement du quartier européen… dans la sérénité. » géographie mondiale des flux d’échange de biens, de
4. Dans les acceptions qui lui sont données aujourd’hui, personnes et d’informations entre villes.
la notion de « ville-monde » a émergé au cours des années 5. À ce sujet, la seule référence citée par le texte est le
1980 à travers les « Urban Studies » sous la forme d’une rapport de recherche publié par l’Université libre de
hypothèse heuristique (voir le texte fondateur de John Bruxelles en juin 2004 : Françoise NOËL et Christian
FRIEDMANN, « The World City Hypothesis », Develop- VANDERMOTTEN (s.l.d.), La Planification de Bruxelles
ment and Change, n° 17, 1984, p. 69-84). Elle a ensuite dans le cadre du développement des « villes-mondes ».
connu grande fortune dans les années 1990 avec les Il est plutôt surprenant de lire dans ce rapport : « Notre
travaux socio-économiques de David Harvey, de hypothèse de recherche s’organise à partir de l’idée qu’il
Saskia Sassen, de Peter Hall ou de Peter Taylor et, plus y aurait à Bruxelles la mise en place, encore émergeante,
largement, du GaWC (Globalization and World Cities de ce que nous avons appelé une « ville-monde » (p. 1).
Research Network) mais aussi, sur le plan culturel, avec L’usage du conditionnel dans la recherche tranche remar-
ceux de Sharon Zukin ou d’Edward Soja. Sa mobilisa- quablement avec l’indicatif du texte du schéma directeur,
tion récurrente dans les sphères académiques et qui dénote, lui, une réification massive de l’hypothèse
décisionnelles a d’ailleurs généré une réification progres- évoquée ci-dessus.
sive de l’hypothèse, qui s’est vue transformée en un postulat 6. Métaphore guerrière que l’on retrouvera plus tard dans
orientant les politiques urbaines contemporaines. Cepen- ce texte à propos de la « reconquête de la mixité ».
276 V in c e nt Ca la y
19. Depuis sa création, le Fonds a soutenu ou s’est vu d’agir dans le cadre d’un dispositif où se joue la sanc-
étroitement lié à des initiatives publiques telles que : la tion d’un échec ou la récompense d’une réussite (Lucien
concertation sur le plan médiateur pour le quartier euro- FRANÇOIS, Le Cap des tempêtes. Essai de microscopie
péen (2004) ; un colloque organisé par la Foundation du droit, Bruxelles, Bruylant, 2001). Dans son acception
for the Urban Environment de Pierre Laconte autour du scientifique, l’épreuve renvoie à l’expérimentation, à la
livre de Carola HEIN, The Capital of Europe (op. cit.) ; «mise à l’épreuve» des hypothèses dans le cadre de dispo-
l’exposition « Comment Bruxelles devint la capitale de sitifs d’expérimentation visant à établir un fait et à vérifier
l’Europe et ce quartier son quartier européen » qui se tient ou contredire un paradigme (Isabelle STENGERS,
au pied du Berlaymont depuis avril 2005; les tables rondes L’Invention des sciences modernes, Paris, La Découverte,
sur l’image de Bruxelles centrées sur son identité euro- 1993). Dans son acception phénoménologique enfin,
péenne tenues en mars et avril 2005 à la Fondation roi l’épreuve renvoie au ressentiment, au fait d’éprouver un
Baudouin ; l’exposition « Building for Europe » tenue en sentiment, de ressentir dans son corps une réalité (Michel
2007 dans l’ancienne gare du Luxembourg, devenue FOUCAULT, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1993 ;
propriété du Parlement européen ; l’exposition « Vision for Bruno LATOUR, Petites Leçons de sociologie des sciences,
Brussels » réalisée par le Berlage Institute et présentée au Paris, Le Seuil, 1996). Ces trois dimensions sont comprises
Palais des Beaux-Arts en 2007; le colloque du BRIO (VUB), dans la notion pragmatique d’épreuve employée dans
« Brussels and Europe », organisé en décembre 2006. ce texte. Cela signifie que les situations de débats mettent
20. Avec la mise en place d’une nouvelle association, à l’épreuve les grandeurs qui y sont invoquées dans le
l’Aula Magna (http://www.aula-magna.eu), également triple sens où elles constituent un dispositif où se joue la
présidée par Alain Deneef et dont l’initiative émane pour réussite ou l’échec de ces grandeurs, où ces grandeurs
partie de membres du Fonds quartier européen. sont testées pour être validées ou infirmées, où ces gran-
21. Voir la présentation du Fonds quartier européen sur deurs sont éprouvées, ressenties, inscrites dans les corps
le site de la Fondation roi Baudouin (www.kbs-frb.be). des participants et du public.
22. Marie-Laure ROGGEMANS (s.l.d.), Projet de Schéma 24. Entre l’étude Espace Bruxelles Europe réalisée en
directeur du quartier européen, op. cit., p. 7-9. 1987 pour le secrétaire d’État à la Région bruxelloise
23. La notion d’« épreuve » renvoie en particulier aux Jean-Louis Thys et le premier schéma directeur réalisé en
travaux de Luc BOLTANSKI et Laurent THÉVENOT sur 2001 pour le ministère de la Mobilité et des Transports,
les formes de la justice développée dans leur ouvrage les initiatives concernant le quartier se sont limitées à
De la justification. Les économies de la grandeur (Paris, l’organisation d’un concours, « Les Sentiers de l’Europe »,
Gallimard, 1993). Dans le domaine de la sociologie en 1997.
politique, elle a été exploitée de façon très convaincante 25. Que l’on peut plutôt relier à une plateforme de bonne
par Dominique LINHARDT dans son travail sur les gouvernance du quartier, où l’ensemble des stakehol-
« épreuves d’État » où l’auteur met à profit la notion dans ders sont intégrés au processus décisionnel.
un projet de pragmatique de l’État (« L’État et ses épreuves : 26. Assemblées réunies par Inter-Environnement Bruxelles
éléments d’une sociologie des agencements étatiques », (IEB) en février et mars 2007 à la demande de la RBC
Papiers de Recherche du CSI, n° 9, 2008). Plus large- et de sa déléguée au développement du quartier euro-
ment, j’emploie dans ce texte la notion d’épreuve dans péen, Marie-Laure Roggemans.
une triple acception : juridique, scientifique et phéno- 27. La première séance analysée s’est tenue au Muséum
ménologique. Dans son acception juridique, la notion d’histoire naturelle le 27 février 2007 dans un vaste audi-
renvoie à l’idée de « mise à l’épreuve », c’est-à-dire le fait torium. Elle était introduite par un représentant d’IEB et
Tout propos sur l’avènement du postmodernisme doit lui aussi être situé. Trois remarques
préliminaires sont à cet égard nécessaires.
Primo, on observe une certaine survivance du modernisme à maints égards. Au sein des
administrations, peu sont ceux qui ont réellement adhéré au postmodernisme, ce qui s’expli-
que sans doute par la rationalité bureaucratique de l’environnement de travail dans son
ensemble et par la croyance largement partagée dans la technologie sociale. La plupart des
urbanistes travaillent dans des administrations et s’identifient aux politiques élaborées en
leur sein. Dans ce domaine, les universitaires se limitent souvent à l’étude des politiques exis-
tantes, pour les légitimer ou les parachever 10. En d’autres termes, ils (re)produisent les mêmes
discours. C’est que la recherche et la critique universitaires sont mises à rude épreuve dans
un monde dominé par une profonde inquiétude de voir le chaos régner si les décisions admi-
nistratives n’étaient pas mises en œuvre. La croyance moderniste en une vision de surplomb
280 K r is t of V a n A s sc h e
des administrations sur le « jardin baroque » de la société 11 s’attarde ainsi dans les milieux
universitaires davantage dans ce domaine que dans d’autres, précisément en raison de cette
absence de frontière entre université et administration.
Secundo, il faut souligner la différence entre les ambitions des urbanistes et les réalisa-
tions concrètes. Dans quelques rares pays seulement, les projections pour un futur idéalement
organisé ont été véritablement mises en œuvre. L’Union soviétique était même peut-être l’ex-
ception à cet égard. Cela étant, la planification y était largement considérée comme une
ramification des sciences économiques, non comme une discipline indépendante. Au-delà,
les urbanistes — et les spécialistes en matière de politique publique, à commencer par
Wildavsky — ont souvent déploré la mise en œuvre laborieuse de leurs idées « objective-
ment vraies » et bienveillantes et la mécompréhension de leurs visions par la société. En de
nombreux endroits, particulièrement après la seconde guerre mondiale, des départements
d’urbanisme ont certes été créés, mais les urbanistes n’étaient jamais qu’une minorité d’esprits
éclairés autoproclamés et recherchant la reconnaissance de leurs pairs. Même aux Pays-
Bas, une minorité seulement de projets de construction ont réellement suivi les règles et les
plans établis. On peut avancer que le malentendu était probablement mutuel, que les urba-
nistes étaient trop imprégnés de l’idéologie moderniste pour observer la société d’un œil
avisé, pour comprendre ce que les gens voulaient, les raisons pour lesquelles ceux-ci se sont
opposés à certains plans et en quoi certaines de leurs idées pouvaient également s’avérer
utiles 12. La prise de conscience croissante du fait que les idées reçues des urbanistes n’étaient
pas plus objectives que certaines observations des citoyens a toutefois ouvert une perspec-
tive plus réflexive et une réévaluation des rôles des uns et des autres.
Tertio, toujours à propos de la transition du modernisme vers le postmodernisme, il faut
insister sur les spécificités propres à chaque pays, à chaque région, voire à chaque muni-
cipalité. La Belgique et les Pays-Bas, par exemple, ont des traditions différentes. Ainsi, les
Belges sont traditionnellement moins enclins que les Néerlandais à accepter une interven-
tion forte de l’État dans l’aménagement de l’espace. À l’inverse, les Pays-Bas, avec une
tradition social-démocrate et égalitaire fortement ancrée, ainsi qu’une prédilection pour une
esthétique moderniste en lignes droites et répétitives, étaient une terre bien plus propice au
développement et au maintien de la planification moderniste 13. L’État y a joué un rôle de
père, d’éducateur et même de prêtre pour la société, et on considérait qu’il était de son
devoir de s’occuper du logement en organisant sa construction à grande échelle et en l’incluant
dans un système de planification qui fixerait un environnement vivant sain, sûr et fonctionnel
pour la population. En Belgique en revanche, la propriété privée a toujours été encouragée
282 K r is t of V a n A s sc h e
des gens, y compris au sein de l’administration, n’y sont pas favorables. Même le droit de
déterminer des affectations par zone est sans cesse contesté, malgré quelques procès marquants
au début du XXe siècle 16. De ce fait, l’argument en faveur d’une plus grande implication des
citoyens dans les projets est différent : dans de nombreux cas, c’est tout simplement le seul
moyen pour que quelque chose soit fait.
Quand un auteur américain écrit sur la participation des citoyens, il le fait dans un contexte
où, grosso modo, tout repose sur les citoyens et surtout sur les promoteurs, compte tenu de
l’importance du droit à la propriété que l’on vient d’évoquer. La planification et la concep-
tion de projets « progressistes » ne peuvent venir, la plupart du temps, que de promoteurs
« progressistes », éclairés par les idées de concepteurs « progressistes » et qui s’appuient sur
l’existence d’un groupe d’acheteurs « progressistes ». Même dans le cas du courant dit du
« New Urbanism » la participation des citoyens reste assez faible. C’est que, même lorsqu’un
conseil municipal est persuadé par l’urbaniste en charge de la nécessité de s’engager dans
une planification d’ensemble, l’exécution d’un tel plan s’avère le plus souvent difficile en
raison… des citoyens et des groupes de pression. Ainsi, pour les urbanistes américains plus
ambitieux, la question n’est pas tant celle de la participation des citoyens, mais plutôt celle
d’une participation citoyenne d’un genre différent. L’urbaniste progressiste espère que certains
groupes d’ordinaire silencieux et qui seraient mieux informés pourront parler à voix haute,
participer au processus décisionnel et construire un consensus susceptible de soutenir un
plan global qui puisse tenir durablement 17.
L’espoir existe donc que de nouvelles formes de participation puissent déplacer l’équilibre
des forces au sein du système de planification. L’on suppose — probablement à juste titre —
que les coalitions existantes de propriétaires fonciers et de lotisseurs créent des espaces qui
ne plaisent pas à tous les citoyens, et qu’elles ne privilégient pas non plus des espaces inno-
vants, qui transforment les alternatives et les attentes des citoyens. Dans les années 1990,
Patsy Healey, professeure influente de l’université de Newcastle, a ainsi promu le concept
de planification « collaborative 18 ». Elle plaide en faveur d’un « tournant communicationnel »
dans ce domaine, abandonnant la vieille ambition moderniste d’une planification centra-
lisée orientée vers une organisation spatiale optimale scientifiquement définie. Dans le même
temps, ses idées inspirées par Habermas ont été critiquées, de même que la possibilité de
les mettre en œuvre : des contextes communicationnels où toutes les parties prenantes peuvent
284 K r is t of V a n A s sc h e
est conduit par des discussions menées à partir de points de vue. Ainsi, la dimension ouverte
de la procédure, la place qu’y occupe l’interprétation, le temps et les connaissances dispo-
nibles qui s’en voient accrus et l’influence déterminante du planificateur sur la conception
du processus d’ensemble donnent généralement à celui-ci un poids considérable 22.
Un des arguments originaux en faveur de la planification collaborative était que celle-ci
rendrait la planification « plus démocratique ». Or, dans le contexte américain, cela signifie
parfois dans l’esprit des urbanistes « plus de planification »… fût-ce contre la volonté de la
majorité. Ainsi les partisans d’une démocratie plus « participative », d’une démocratie déli-
bérative ou discursive tantôt critiqueraient les versions modernistes de la planification
collaborative, tantôt soutiendraient à l’inverse ces hypothèses modernistes 23. Les nouveaux
modes de planification renvoient alors aux débats ouverts sur les nouvelles formes de démo-
cratie, parfois présentées comme une question de procédures à suivre définissables a priori :
l’on suppose que des procédures parfaites peuvent être élaborées et que ces procédures
résoudront tous les obstacles des démocraties représentatives existantes. L’on peut ainsi observer
une croyance latente tant dans certaines revendications pour une nouvelle démocratie que
dans celles pour une nouvelle planification 24. Dans le cas des États-Unis, ceci nourrit souvent
les soupçons parmi les citoyens qui apprécient le système actuel d’une faible planification
et les libertés qui lui sont associées. Sous cet angle, la planification collaborative ne signifie
pas toujours plus de démocratie.
Passons maintenant à l’Europe. On se concentrera sur les Pays-Bas, bien qu’on puisse observer
des évolutions semblables en Allemagne, en Scandinavie et, dans un contexte différent, en
Belgique. Aux Pays-Bas, la littérature sur la planification collaborative a été intégrée assez
facilement — parfois au travers de critiques du système de planification en vigueur, bien
plus institutionnalisé et puissant qu’en Belgique, par exemple —, mais la plupart du temps
par les plus grands défenseurs du système de planification et de ses ambitions. Certains
déplorant que tant de projets ne puissent être facilement réalisés, un intérêt s’est développé
pour l’architecture procédurale et surtout pour les moyens de faire parler les parties prenantes
à l’intérieur et en dehors de l’administration. Très souvent, aux Pays-Bas, les citoyens sont
impliqués, mais dans un contexte préalablement et précisément défini et conçu par des spécia-
listes au sein de l’administration 25. Le processus décisionnel participatif est dans la pratique
délimité par une série de préalables définis par une armée d’experts dans diverses branches
286 K r is t of V a n A s sc h e
Le modèle néerlandais ou l’histoire d’une symbiose
Aux Pays-Bas, on peut parler d’un phénomène d’agrégation d’un certain nombre de parties
prenantes dans le système de planification, d’organisations progressivement entrées en symbiose,
comme je l’ai ailleurs montré de manière détaillée 30. Les promoteurs, les universités, les insti-
tuts de recherche, les ingénieurs, de nombreuses organisations gouvernementales et
paragouvernementales ont besoin les uns des autres, définissent mutuellement leurs rôles, et
les individus passent souvent d’un groupe à un autre. Les entrepreneurs et les bureaux d’ar-
chitectes travaillent généralement pour le gouvernement, les concepteurs sont en étroite relation
avec les acteurs publics, les scientifiques travaillent à partir d’agendas de recherche définis
dans des ministères, les administrations guident les hommes politiques à travers leurs choix.
Une telle situation a du bon et du mauvais. D’un côté, une politique de planification globale
est possible. De l’autre, les citoyens et les idées vraiment neuves y font difficilement leur
place : à peine un correctif aux idées formées dans le réseau symbiotique est-il possible, ou
tout au plus un geste vers l’innovation, à moins que les idées nouvelles soient compatibles
avec le discours du réseau. Par ailleurs, chaque fois que des procédures de planification
interactive sont élaborées et mises en œuvre, cela tend à créer des ouvertures pour les citoyens
et, dans le même temps, à renforcer le réseau en place puisque le processus est générale-
ment conçu à partir d’hypothèses préexistantes partagées (par exemple : ceci constitue un
problème et exige telle solution).
Ainsi, quand une procédure de planification interactive est lancée dans une ville, les citoyens
l’intègrent généralement d’une manière prédéfinie. Les citoyens peuvent rarement remettre
en cause la définition des problèmes, des méthodes et des solutions ; il est plutôt préala-
blement établi que toutes les instances et savoirs existants seront mobilisés et pris en compte.
Dans la pratique, cette expertise accumulée et rarement mise en question se traduit par une
grande opacité vis-à-vis des citoyens participants, qui sont en quelque sorte dès le départ
voués à une certaine impuissance 31.
S’il arrive que le processus rencontre des difficultés, un certain nombre de notions socio-
logiques et de science politique sont invoquées afin d’expliquer pourquoi les choses n’ont
pas fonctionné et pour y remédier. Par exemple, la découverte des « réseaux » il y a quelques
années a mené à l’idée que ces réseaux pouvaient être mobilisés pour améliorer la capa-
cité décisionnelle de l’administration 32. Lorsque les écoles de gestion ont commencé à considérer
les communautés de pratiques et les réseaux de l’ombre comme importants pour le fonc-
tionnement des organisations, les Néerlandais ont très rapidement tenté d’organiser ces réseaux
288 K r is t of V a n A s sc h e
Vers une conception procédurale souple et adaptée au contexte
réalité. Plus récemment, Foucault et ses successeurs ont mis en avant l’entrelacs complexe
de la connaissance et du pouvoir dans les politiques et les institutions gouvernementales
ainsi que dans les disciplines scientifiques 38. L’analyse contemporaine des politiques publiques 39
et la théorie postmoderne de la planification ont tenté de ramener Foucault sur le devant de
la scène pour souligner l’amnésie et l’aveuglement systémiques des urbanistes lorsqu’il s’agit
de leur propre rôle d’experts et du rôle potentiel des citoyens. Le débat Habermas-Foucault
a dès lors acquis une importance particulière au sein des débats en urbanisme bien plus
tard qu’en philosophie, en sociologie ou en histoire, précisément à cause de la prégnance
des discours institutionnalisés que Foucault a brillamment analysée 40.
La plupart des tentatives pour revitaliser les discours sur la planification — que ce soit
290 K r is t of V a n A s sc h e
Bref discours sur l’utilité du savoir inutile et des individus
Le lecteur a probablement noté une tension dans les paragraphes précédents : l’auteur préco-
nise-t-il plus ou moins de gouvernement, plus ou moins de participation citoyenne, plus ou
moins de planification ? Je pense qu’une planification flexible et adaptée au lieu exige une
administration spécifique relativement importante, correctement reliée à d’autres départements
(l’environnement, l’hydrologie, les monuments, les sciences économiques, les transports). De
la même façon qu’au sein de toute armée qui se respecte nombre d’experts se forment et
s’entraînent au lieu d’être au front, une grande part de l’expertise disponible ne doit pas être
appliquée dans chaque plan, la capacité de direction, le pouvoir de gouverner ne doit pas
non plus être complètement utilisé. Ce n’est pas un gaspillage d’argent, mais un investisse-
ment à long terme dans une approche globale et spatiale de certains problèmes qui sont liés
les uns aux autres dans une démocratie (les modes de déplacement, le développement urbain,
l’écologie). Plus de planification n’est pas toujours meilleur, mais un bon système de planifi-
cation ne peut pas être créé à partir de rien. Il exige à la fois un engagement durable et une
certaine flexibilité. Il faut un bon potentiel institutionnel pour observer, analyser les questions,
les ressources, les problèmes, et pour élaborer des processus ajustés à la situation 43.
Dans une démocratie, ceci exigera un équilibre à redéfinir constamment entre démocratie
représentative et démocratie participative 44. Certaines décisions en matière de planification
peuvent être prises par les représentants élus, d’autres doivent l’être par le biais de la parti-
cipation directe. Il semble évident qu’une telle approche n’est envisageable que lorsque les
responsables politiques au niveau national comprennent l’importance de la planification et
intègrent les questions de planification dans leur programme de sorte que les électeurs sachent
à quoi s’attendre. Qui plus est, l’interaction « directe » n’existe jamais réellement ; elle implique
toujours une dose de représentation, et souvent par des biais moins contrôlés que dans un
système de planification très institutionnalisé. J’ai déjà fait allusion aux petits groupes de
citoyens motivés et capables de participer aux processus de planification, parmi lesquels
l’enseignant retraité mais inlassablement intéressé est un personnage type mais pas forcé-
ment représentatif, tant s’en faut.
Pour garantir une certaine équité dans le volet participatif, et sa faisabilité même, divers
types d’instances sont nécessaires et devraient dès lors être créées. Des organisations de
longue durée aussi bien que des associations à plus court terme : les associations liées à tel
ou tel projet, les comités de quartier, les réseaux divers, les organisations bénévoles, les
associations de conservation du patrimoine, etc ; soit une société civile bien développée et
Mais qui dispose de ce droit ? On en revient ici à l’une des éternelles questions : qui est
censé organiser le processus, définir les enjeux, désigner les participants, apprécier les compé-
tences ? Dans de nombreux pays, les urbanistes s’accordent, en théorie et en pratique, pour
considérer qu’une certaine forme de participation citoyenne est souhaitable. Un consensus
semble également se dégager entre les politiques et les politologues, consensus selon lequel
améliorer la démocratie exige à la fois de la représentation et de la participation. Il est
cependant clair qu’aucune des réponses données dans la littérature et / ou mises en pratique
n’est applicable dans toutes les situations, qu’aucune n’est infaillible et que toutes contien-
nent des contradictions. C’est d’ailleurs pour cette raison que Jean Hillier insiste sur la nécessité
de cultiver une certaine « sagesse pratique ». À sa suite, je me prononcerai également en
faveur d’une architecture procédurale qui soit adaptée à chaque contexte spécifique. D’après
moi, ceci n’est possible que dans un État plus ou moins social-démocrate, où la connais-
sance et les ressources peuvent être mises à disposition assez facilement et où le pouvoir de
décision peut être exercé lorsque la situation l’exige.
Mais même ainsi, quelqu’un doit prendre la décision de lancer un processus à un moment
plutôt qu’à un autre et de l’organiser de telle ou telle manière. Or, étant donné qu’il existe
deux vecteurs d’accès au pouvoir (représentation et participation), l’initiative peut venir de
deux côtés, du haut ou du bas. En outre, les réglementations et les législations nationales et
locales peuvent donner des orientations et d’autres peuvent encore être apportées par des
organisations qui sont autant de lieux de rencontre et de discussion pour les acteurs concernés
(y compris non traditionnels). Ainsi, en dépit de l’existence de lignes directrices — qui doivent
à leur tour être débattues et / ou diffusées — des tensions surgiront forcément : dans certaines
292 K r is t of V a n A s sc h e
situations, l’État ne jouira pas d’une prépondérance garantie par la loi ou d’une autre manière 45,
et des problèmes seront soulevés qui ne sont pas reconnus comme tels par l’État, avec des
propositions de solutions qui n’émanent d’aucune branche de l’administration ni des insti-
tuts de recherche qui travaillent pour elle 46. Ces tensions ne sont pas mauvaises en soi, elles
traduisent simplement la friction entre des opinions divergentes, dont l’existence atteste d’ailleurs
le caractère véritablement démocratique d’un système — soit à nouveau un aspect déjà envi-
sagé par Machiavel il y a bien longtemps.
C’est dire si le consensus ne peut pas toujours être atteint et supposer inlassablement le
contraire risque d’aggraver l’injustice, comme je l’ai montré ailleurs à la suite de Neumann
et Miller 47. Les tensions ne peuvent être résolues que provisoirement. Et elles ne peuvent être
résolues de façon équitable que lorsque les perspectives des citoyens sont représentées à
un niveau supérieur à celui du processus de planification en cours, c’est-à-dire au niveau où
se décide la conception même du processus. Ceci constitue un autre argument à l’appui des
organismes publics-privés qui servent d’arènes à ces méta-décisions en matière de planifi-
cation. Le modèle américain du Planning Council et du Zoning Board n’est pas mauvais à
cet égard, même si dans ces instances les gens doivent être élus. Dans le cas de l’Europe,
quelque chose de semblable pourrait être utile pour rapprocher les citoyens du système de
planification et les y intéresser, mais d’autres organismes doivent être créés selon la spéci-
ficité des projets et de leurs enjeux, ainsi que des lieux où les acteurs concernés peuvent se
rencontrer et réclamer le lancement de programmes quand cela leur semble nécessaire.
Encore une fois, cela ne signifie en rien qu’on puisse supprimer complètement les tensions.
Les discours sont irréductibles les uns aux autres, les intérêts ne peuvent pas toujours être
conciliés, les conséquences ne sont pas toujours prévisibles, les décisions sur l’ordre des
priorités ne peuvent pas toujours faire l’objet d’une décision logique, les agendas cachés
ne peuvent pas toujours être évités ni révélés au grand jour et les situations gagnant-gagnant
sont rares. La planification fait le plus souvent des gagnants et des perdants, et vous y connaître
vous donne un avantage. En outre, décider d’intégrer tel ou tel acteur dans un processus de
planification est une question de pouvoir, et bien souvent une stratégie en vue d’augmenter
ses chances de victoire 48.
L’image de la planification comme lieu d’une communication idéale entre égaux est à
nouveau ici bien ternie. La prise de décision quant à l’élaboration d’un processus partici-
patif, l’élaboration du processus et le processus lui-même seront, en effet, souvent désordonnés,
de même que toute véritable démocratie l’est, dans la mesure où l’on ne peut présumer de
l’existence d’un accord fondamental sur rien, où tout ou presque peut potentiellement être
294 K r is t of V a n A s sc h e
financières non responsables politiquement s’entendent avec des hommes politiques parfois
intouchables parce que partie prenante de tel ou tel autre compromis politique fragile.
Chacun doit faire avec et dans cette complexité et il ne sert à rien d’en appeler à des solu-
tions simplistes et radicales. Un tel radicalisme serait tout à la fois improductif et préjudiciable
à la société dans son ensemble. Reste que rien n’est prévisible, et que le chaos et la lenteur
des processus au quotidien peuvent parfois décourager l’ensemble des participants et renforcer
les idées toutes faites hostiles à l’urbanisme participatif. Au-delà, il semble que, compte tenu
du contexte que l’on vient d’évoquer et d’un héritage problématique en matière de planifi-
cation et de développement, Bruxelles illustre bien les énigmes de la planification à l’époque
postmoderne : peu de certitudes existent, aucun savoir expert n’est tenu pour acquis, de
nouveaux modes de participation citoyenne sont à l’étude ou à l’essai, rares sont les préfé-
rences et les identités sociales dépourvues d’ambiguïté 50.
La planification est une activité politique soutenue par la science, et la politique nécessite
du courage. La planification à Bruxelles exige davantage de courage que sur les collines
vertes de Berkeley, en Californie, où tout le monde est de toute façon d’accord, davantage
aussi qu’à La Haye, où un grand nombre de choses peuvent être imposées aux citoyens. De
nombreux théoriciens de la planification interactive ou participative gagneraient beaucoup
à visiter Bruxelles, à étudier les processus de planification analysés dans le présent ouvrage,
processus où certains simplismes de leurs théories seraient brutalement mis en lumière. Toutes
les théories ont néanmoins leurs qualités, et beaucoup de leurs recettes peuvent être recom-
binées afin de créer des processus qui soient réellement adaptés à chaque contexte. Du
bricolage, en fait.
296 K r is t of V a n A s sc h e
21. Voir Andreas FALUDI et Arnold VAN DER VALK, 33. Kristof VAN ASSCHE, Signs in Time, op. cit. ; Martijn
Rule and Order, op. cit. DUINEVELD, Van oude dingen en de mensen die voor-
22. Margo HUXLEY et Oren YIFTACHEL, « New Paradigm bijgaan, op. cit.
or Old Myopia ? Unsettling the Communicative Turn in 34. Ronald VAN ARK, Planning, contract en commitment,
Planning Theory », Journal of Planning Education and op. cit.
Research, vol. XIX, n° 4, 2000, p. 332-342 ; Michael 35. Voir Margo HUXLEY et Oren YIFTACHEL, « New
TEWDWR-JONES et Philip ALLMENDINGER, « Decon- Paradigm or Old Myopia ? », loc. cit. ; Jean HILLIER,
structing communicative rationality: A Critique of Shadows of Power, op. cit. ; Bent FLYVBJERG, Rationality
Habermassian Communicative Planning», Environment and and Power, op. cit.
Planning A, vol. XXX, n° 11, septembre 1998, p. 1975- 36. Jürgen HABERMAS, The Theory of Communicative
1989 ; Richard CARDOSO, « Context and Power in Action, Boston, Beacon University Press, 1981. Cette pers-
Contemporary Planning », loc. cit. ; Kristof VAN ASSCHE, pective est encore présente chez INNES et BOOHER
Signs in Time, op. cit. (« Collaborative Policy Making », loc. cit.), par exemple.
23. Voir, notamment, Maarten HAJER et Hendrik 37. Richard CARDOSO, « Context and Power in
WAGENAAR (s.l.d.), Deliberative Policy Analysis, op. Contemporary Planning », loc. cit. ; Kristof VAN ASSCHE,
cit. ; Tore SAGER, « Communicative Planners as Naïve Signs in Time, op. cit.
Mandarins of the Neo-Liberal State ? », loc. cit. 38. Voir Michel FOUCAULT, Il faut défendre la société.
24. Voir, par exemple, Walter KICKERT, Erik-Hans KLIJN Cours au Collège de France (1975-1976), Paris,
et Johannes KOPPENJAN, Managing Complex Networks: Gallimard, 1997.
Strategies for the Public Sector, Londres, Sage, 1997. 39. Pour un aperçu, on se référera à Hugh MILLER,
25 Voir Ronald Van Ark, Planning, contract en commit- Postmodern Public Policy, Albany, State University of New
ment, op. cit., et Martijn DUINEVELD, Van oude dingen York Press, 2002.
en de mensen die voorbijgaan, op. cit. 40. Voir Samantha ASHENDEN et David OWEN
26. Kristof VAN ASSCHE, Signs in Time, op. cit. (s.l.d.), Foucault Contra Habermas, op. cit.
27. Voir Ronald Van Ark, Planning, contract en commit- 41. Je me permets de renvoyer le lecteur à mes travaux
ment, op. cit., sur l’utilisation multiple des terres. de 2004 et 2006 déjà cités (Signs in Time et Over goede
28. Voir Andreas FALUDI et Arnold VAN DER VALK, bedoelingen en hun schadelijke bijwerking), ainsi qu’à
Rule and Order, op. cit. ; Kristof VAN ASSCHE, Signs l’article « Framing and Being Framed: A Brief Analysis
in Time, op. cit. of Context-Construction » in Sengul GUR (s.l.d.),
29. Martijn DUINEVELD, Van oude dingen en de Proceedings of the Livernarch IV conference, Trabzon,
mensen die voorbijgaan, op. cit. Trabzon University Press, 2007.
30. Voir Kristof VAN ASSCHE, Over goede bedoelingen 42. Voir, par exemple, la réfutation des critiques adres-
en hun schadelijke bijwerking, op. cit. sées à la planification collaborative chez Tore SAGER
31. Bent FLYVBJERG, Rationality and Power, op. cit. ; Jean (« Communicative Planners as Naïve Mandarins of the
HILLIER, Shadows of Power, op. cit. ; Martijn DUINEVELD, Neo-Liberal State ? », loc. cit.).
Van oude dingen en de mensen die voorbijgaan, op. cit. 43. Sur ce point, je suis d’accord avec Healey et Innes.
32. Voir, par exemple, Maarten HAJER et Hendrik Voir Judith INNES, « Group Processes and the Social
WAGENAAR (s.l.d.), Deliberative Policy Analysis, Construction of Growth Management », Journal of the
op. cit. ; Walter KICKERT, Erik-Hans KLIJN et Johannes American Planning Association, vol. LVIII, n° 4, automne
KOPPENJAN, Managing Complex Networks, op. cit. 1992, p. 275 et Patsy HEALEY, Collaborative Planning:
Cet ouvrage s’ouvrait sur le caractère authentiquement collectif du travail de recherche dont
il est le fruit. On soulignait aussi que l’on avait veillé à ne pas porter atteinte au pluralisme
des points de vue théoriques et méthodologiques adoptés par les différents auteurs. Témoignant
bien de cette diversité des approches et du souci de les voir s’enrichir mutuellement, la fina-
lisation du manuscrit fut marquée, jusqu’en ses tout derniers moments, par de nombreux
échanges passionnés et passionnants à propos de ce qui devait ou non figurer dans les
présentes conclusions. À ce sujet, certaines précautions s’imposent donc.
Les réflexions qui suivent n’ont pas pour ambition de faire le résumé, inévitablement réduc-
teur, de chacune des contributions. C’est néanmoins à partir de celles-ci que nous avons
tenté d’identifier certains des enseignements que l’on peut tirer des expériences relatives aux
premiers « schémas directeurs » bruxellois — d’abord celui qui concerne l’ancienne Cité admi-
nistrative de l’État, ensuite ceux du site de Tour et Taxis, de la gare de l’Ouest et du quartier
européen — au moment où ce dispositif est appelé à devenir un instrument privilégié de
l’action publique en matière d’urbanisme. Dans ces dernières pages, notre perspective est
avant tout analytique et évaluative, même si des recommandations plus directement opéra-
tionnelles peuvent en être déduites assez aisément. Certains auteurs se sont d’ailleurs avancés
sur ce terrain 1 et leurs propositions feront certainement partie des débats auxquels ce livre,
nous l’espérons, donnera lieu.
Dans ces réflexions conclusives et alors que l’ouvrage a pris le parti d’explorer de manière
minutieuse des situations bruxelloises concrètes, nous souhaitons également mettre en évidence
les enjeux plus généralement pour la ville et l’action publique que ces expériences révèlent.
Nous appelons ainsi de nos vœux la mise en perspective du cas bruxellois avec celui d’autres
villes belges ou étrangères confrontées à des enjeux de développement urbain similaires 2 et
où s’observent en particulier des tentatives plus ou moins fructueuses de conjuguer internationa-
lisation, attractivité territoriale, inclusion sociale et démocratie locale. Ainsi, plutôt qu’à l’hypothèse,
souvent défaitiste, de « l’exception bruxelloise », espérons-nous donner du grain à moudre à
une réflexion collective qui se voudrait à la fois ouverte et rigoureuse, critique et constructive.
Des enjeux pour la vi lle et l’action publique à Bruxelles. Réflexions conclusives 299
Un changement d’ère
L’histoire de la Cité administrative de l’État sur laquelle s’ouvre ce cahier est d’abord celle
du territoire sur lequel elle fut édifiée, un territoire plusieurs fois redéfini depuis le XIXe siècle 3.
Elle est aussi le reflet de la trajectoire accidentée et parfois paradoxale de l’histoire poli-
tique belge. Envisagée dès l’entre-deux-guerres dans une perspective fordiste de rationalisation
bureaucratique, conçue dans les années 1950 comme le symbole de la Belgique unitaire
dont il s’agissait de regrouper les administrations, la construction de la Cité, étalée sur près
de trois décennies, coïncide, en effet, avec la progressive fédéralisation de l’État belge. Et,
en 2001, la vente au privé de la Cité « de l’État » signifie bien qu’une page se tourne, pour
l’une comme pour l’autre. Dorénavant, le rôle de l’État fédéral en sera réduit, à Bruxelles
comme ailleurs, à celui d’un acteur immobilier, tantôt soucieux de valoriser ses biens pour
équilibrer son budget, tantôt prêt, comme dans le cas de la Cité, à jouer avec les règles
administratives ou urbanistiques pour accélérer une vente ou occuper les lieux selon ses
exigences. Aujourd’hui, ni l’État fédéral ni l’entité fédérée, en l’occurrence la Région, qui
en a pris le relais, entre autres sur le plan des compétences urbanistiques, ne sont plus en
mesure de mener seuls à bien de grands projets immobiliers comme celui de la CAÉ, d’abord
et avant tout parce que les pouvoirs publics n’ont plus une maîtrise suffisante du foncier.
Certes, à l’époque déjà, la Cité ne s’était pas construite sans mal, mais le contexte, celui
des « Trente Glorieuses », caractérisé par une foi dans l’avenir et le progrès qui n’est plus
de mise aujourd’hui, était alors bien différent. Surtout, il paraît désormais impossible de
planifier l’affectation future de sites d’une telle ampleur sans prendre en compte les souhaits
et les intérêts d’une multiplicité d’acteurs, de « stakeholders », susceptibles d’investir sur ces
sites ou, plus largement, d’en faire usage.
De toute évidence, nous sommes entrés dans une ère nouvelle où l’incertitude domine et
conditionne l’action. Les évolutions actuelles « peuvent inciter à remettre en cause toute idée
d’ordre social et à privilégier les références au chaos. Elles obligent à coup sûr à mobiliser
voire à inventer les instruments qui permettent de rendre compte d’un ordre instable, de
courte durée, résultant de processus de construction complexes. À l’échelle urbaine comme
dans d’autres domaines, ce sont les caractéristiques du jeu qui changent, aussi bien que ses
règles 4 ». C’était notamment l’ambition de ce livre de rendre compte de ces changements
à travers l’élaboration des premiers « schémas directeurs » en Région de Bruxelles-Capitale
et c’est la visée de ces réflexions conclusives d’en pointer les enjeux, dont certains résonnent
bien au-delà des frontières bruxelloises.
L’apparition du schéma directeur comme nouvel outil d’action publique, en 2002 dans les
textes, et son inauguration, trois ans plus tard, pour donner une seconde vie au site de la
CAÉ, naît de la volonté renouvelée des pouvoirs publics de maintenir ou de ramener la Cité,
qui n’a plus d’« administrative de l’État » que le nom, au cœur de la cité. En effet, en ouvrant
le site sur la ville, en diversifiant ses fonctions et en associant de manière novatrice à son
futur les multiples catégories d’acteurs que ce futur concerne, le schéma directeur « Botanique »
réalisé en 2006 entend redynamiser les activités des quartiers socialement contrastés situés
aux alentours et faire de l’ensemble un des leviers du développement d’une Région encore
jeune — elle fêtera ses vingt ans en 2009 — et en mal d’habitants à revenus moyens et
élevés, sinon d’investisseurs.
Avec le lancement des premiers schémas directeurs — pour la CAÉ mais aussi pour Tour
et Taxis, plus tard pour la gare de l’Ouest et, avant cela, le quartier européen — la discus-
sion n’est plus confinée dans les seuls cabinets ministériels comme c’était généralement le
cas par le passé : les politiques saisissent l’occasion pour promouvoir une conception plus
participative de la démocratie à l’échelle locale et régionale. En vue d’associer les citoyens
bruxellois ou simples habitants, des associations indépendantes, le Brusselse Raad voor het
leefmilieu (BRAL) et Inter-Environnement Bruxelles (IEB) selon le cas, furent ainsi mandatées
pour organiser la concertation avec la population dans le cadre des premières mises en
œuvre du dispositif. Dans le même sens, on notera l’importance accordée à la méthodo-
logie de projet dans certaines des procédures de sélection, lesquelles ont conduit au choix
d’un bureau d’études défenseur d’un urbanisme procédural et participatif 5. Le tout accrédi-
tant l’hypothèse, sinon d’un « tournant » décisif, d’un véritable changement par rapport aux
modes de planification plus « classiques ».
La suite de l’histoire n’est cependant pas, tant s’en faut, toute tracée, et l’avenir de la Cité
comme celui de la ville-région bruxelloise reste incertain. Non que les fameuses tensions
communautaires, ou les réformes institutionnelles qui s’ensuivent, fournissent ici encore une
explication ultime et commode. Bien plutôt, le défi est d’abord de s’adapter au nouveau
contexte d’incertitude décrit plus haut, qui relève pour partie d’évolutions plus englobantes
telles que la construction européenne et la mondialisation de l’économie, ou l’affaiblisse-
ment des prérogatives de l’État-nation et la réduction de ses domaines d’intervention. Pour
la Région bruxelloise, l’enjeu est ensuite de surmonter d’une manière ou d’une autre les diffi-
cultés liées aux prérogatives importantes que conservent, plus que dans d’autres villes-régions,
Des enjeux pour la vi lle et l’action publique à Bruxelles. Réflexions conclusives 301
chacune des dix-neuf communes qui la composent en matière d’urbanisme, y compris lors-
qu’il s’agit de zones définies comme « d’intérêt régional » ou considérées comme « leviers »
pour le développement de la Région.
L’heure n’est certes pas venue de dresser le bilan définitif d’un instrument qui n’en est qu’à
ses premières expérimentations. Au moment où nous écrivons ces lignes (août 2008), trois
des schémas directeurs dont il a été question dans ce livre (« Botanique », « Tour et Taxis »
et « Europe ») ont été achevés par le bureau d’études en charge et approuvés par les auto-
rités publiques régionales et le quatrième, « gare de l’Ouest », est en attente d’une finalisation
à plusieurs reprises déjà annoncée comme imminente. Les quatre sont difficilement compa-
rables. Le quartier européen, pour commencer, représente un cas tout à fait spécifique, bien
sûr par ses enjeux, directement liés à la dimension européenne et internationale de Bruxelles,
mais également par son histoire et, de manière générale, parce qu’il ne s’agit pas là d’une
zone en friche ou d’un site abandonné à réaménager 6. Néanmoins, comme dans le cas
des schémas directeurs « Botanique » et « Tour et Taxis », de nombreuses études y ont été
menées et plusieurs essais de planification y ont échoué dans un passé récent. Quant au
site de la gare de l’Ouest, on rappellera qu’il est plus excentré et ne concerne finalement
qu’une seule commune, Molenbeek-Saint-Jean, même si son atout principal consistera, dans
un futur proche, en un pôle multimodal en matière de transports et de communications intra
et extra-régionales. Surtout, le site n’est pas à l’heure qu’il est propriété privée et le projet
de schéma directeur en cours semble n’avoir décidé ni les propriétaires actuels — la SNCB
Holding principalement — ni les acheteurs potentiels — d’hypothétiques investisseurs privés
entre autres — à passer à l’acte 7.
Les schémas directeurs « Botanique » (incluant la CAÉ) et « Tour et Taxis » apparaissent
donc comme les cas les plus emblématiques et les plus comparables. Pour commencer, ils
ont été réalisés par le même bureau d’études (MSA-Lion 8) et ils impliquent les mêmes acteurs
publics (la Région et la Ville de Bruxelles) et associatifs (le BRAL). Les deux programmes de
développement élaborés ont par ailleurs en commun de concerner des zones particulière-
ment cruciales pour la Région bruxelloise, en raison de leurs atouts indéniables — leur situation
centrale, leur étendue et leur patrimoine architectural, sa valeur fût-elle contestée, en bref
leur haut potentiel pour le développement économique régional —, mais aussi de leurs points
sensibles, tout aussi évidents. Par leur ampleur, ces friches nécessitent, en effet, pour être
revalorisées, des moyens financiers colossaux et leur potentiel et situation stratégiques rendent
pour le moins malaisée la définition de leur affectation future, objet de maintes controverses
ayant fait échouer de précédents projets 9. D’autant que les sites considérés ici, s’ils se trouvent
Comme en négatif, ces deux cas révèlent tout particulièrement l’importance du caractère
concerté du projet de développement conçu au moyen d’un schéma directeur. En effet, c’est
de la qualité de la concertation et, par le biais de celle-ci, de la « confiance » instaurée entre
les « partenaires » que dépendent les chances d’arriver à un accord quant aux grandes orien-
tations du projet, en termes d’esthétique architecturale et d’affectation fonctionnelle par exemple.
Et il s’agit là d’un point crucial puisque c’est cet accord qui conditionne le caractère opéra-
tionnel du projet et ses chances de concrétisation future dès lors qu’un schéma directeur, s’il
doit respecter certains prescrits préalables, tels ceux du plan régional d’affectation du sol
(PRAS), est par définition dépourvu de valeur juridiquement contraignante. Cette dimension,
l’absence de force légale opposable, est d’ailleurs le corrélat direct de la souplesse, du
dynamisme et de l’opérationnalité que l’on attend de ce nouvel instrument 12.
Or, certains éléments portent à croire que si cette concertation entre pouvoirs publics et
propriétaires privés a bien été prévue en théorie et même organisée dans la procédure
concrète, elle n’a pas abouti, à tout le moins pour la CAÉ 13, à un consensus achevé, à un
accord ferme et définitif, en bref à un projet commun, engageant les parties à faire tout ce
qui est de leur ressort pour qu’il soit traduit dans les faits. Certes, dans les cas de la CAÉ
et de Tour et Taxis, la procédure d’élaboration du schéma directeur lancée en 2006 est
bien arrivée à son terme. Néanmoins, la satisfaction manifeste des autorités publiques d’être
Des enjeux pour la vi lle et l’action publique à Bruxelles. Réflexions conclusives 303
parvenues à voir ces projets finalisés est à la mesure des difficultés rencontrées, du temps qui
fut nécessaire pour y parvenir et des incertitudes qui demeurent quant à la suite des opérations.
Il paraît clair, en effet, plus encore pour la CAÉ que pour Tour et Taxis, que les promo-
teurs n’ont approuvé que du bout des lèvres un projet dont, de toute évidence, ils estiment
qu’il ne rencontre pas, pas totalement ou pas suffisamment, leurs intérêts, fondés sur la renta-
bilisation rapide et optimale des investissements consentis. Les demandes de permis d’urbanisme
introduites par les propriétaires dès avant l’achèvement des schémas directeurs témoignent
ainsi, sinon de l’incompatibilité radicale des objectifs des acteurs privés et des pouvoirs
publics, de l’incapacité de la procédure à produire un consensus suffisamment fort pour
pallier l’absence de force légale contraignante du texte produit 14. Dans une telle situation,
il est naturel que les promoteurs des sites usent des moyens légaux traditionnels pour contourner
des contraintes qui n’en sont pas. En témoignent tout particulièrement les nouvelles tracta-
tions qui, au niveau strictement communal cette fois, ont pour enjeu la définition du plan
particulier d’affectation du sol (PPAS), un plan voué à donner rapidement une traduction
réglementaire au projet de schéma directeur, c’est-à-dire à respecter les grandes orienta-
tions qui font sa substance dans un plan plus précis. Rien n’est aujourd’hui moins sûr.
C’est dire aussi à quel point, jusqu’ici, les aptitudes du schéma directeur à optimiser l’usage
des procédures existantes et à coordonner l’action des différents niveaux de pouvoir régio-
naux et communaux sont loin d’être démontrées. L’adoption des schémas directeurs par le
gouvernement régional a somme toute inauguré une nouvelle période d’incertitude tant la
mise au point des PPAS — par des administrations communales mal préparées à cet exer-
cice, du moins pour des sites d’une telle ampleur et d’une telle complexité — s’annonce
longue et difficile, accréditant l’idée de la nécessité d’une seule procédure centralisée au
niveau régional. Tout en associant les communes, un instrument unique de planification rempla-
cerait sans doute avantageusement des procédures multiples dont la coordination apparaît
définitivement improbable, qui plus est au moyen d’un dispositif aussi lâche et sur lequel les
autorités régionales, une fois le projet élaboré, n’ont manifestement plus la main. Dans un
tel scénario, resterait toutefois à préciser, comme l’a souligné la Commission régionale de
développement (CRD) dans son avis sur le schéma directeur « Botanique »15, quelle place
serait réservée, d’une part, à l’enquête publique portant sur les propositions défendues dans
les schémas directeurs et, d’autre part, aux acteurs concernés ou intéressés autres que les
propriétaires et les pouvoirs publics — autres acteurs dont le nombre et la diversité tendent
manifestement à se réduire au fur et à mesure de l’avancement de la procédure, à l’opposé
de la constitution de véritables « coalitions de développement ».
Des enjeux pour la vi lle et l’action publique à Bruxelles. Réflexions conclusives 305
associations dotées d’une longue expérience en matière de mobilisation des habitants, asso-
ciations que les bureaux d’études ont pu, selon les cas, prendre l’initiative d’associer plus
ou moins étroitement à la définition de la méthodologie du projet, les modalités n’ayant pas
été prédéfinies par les commanditaires régionaux 16.
Malgré cela, la participation citoyenne tant annoncée est loin d’avoir tenu ses promesses 17.
Sur ce point, les processus décrits et analysés dans cet ouvrage reflètent d’ailleurs plus large-
ment les mutations souvent évoquées de la démocratie représentative contemporaine, lesquelles
paraissent tout particulièrement concerner la démocratie et l’action publiques locales, et plus
précisément encore la ville et l’aménagement urbain 18. À plus d’un titre, l’expérience bruxel-
loise illustre les difficultés de tous ordres qui se dressent face aux tentatives, plus ou moins
authentiques ou contraintes, d’inclure plus directement les citoyens dans la prise de décision
et d’imaginer pour ce faire de nouvelles pratiques, délibératives idéalement.
Dans le cadre des procédures d’élaboration des schémas directeurs étudiés, le problème
n’est pas d’abord que les initiatives, prises plus ou moins de concert par les associations,
les experts et les autorités en charge, n’ont pas attiré les foules. Il vient surtout du manque
total de définition a priori des acteurs et de leurs poids respectifs ainsi que des attendus de
la participation citoyenne dans son ensemble. De fait, très tôt se sont dessinés plusieurs
lieux : ici se réunissent les représentants des autorités régionales et communales qui finale-
ment décident du contenu du schéma avec le concepteur ; là se constitue un groupe d’acteurs
bien plus grand incluant les propriétaires avec lesquels les « vrais décideurs » sont peu ou
prou censés « se concerter » ; ailleurs encore, tous sont supposés rencontrer les citoyens lors
de séances plus ou moins ouvertes au « public » selon qu’il s’agit de réunions d’information
ou d’autres ateliers à l’accès plus restreint. Or, non seulement cette partition, sans doute
inévitable, fait bien vite apparaître comme illusoire le souhait, souvent exprimé par les prin-
cipaux responsables et concepteurs, d’un projet largement ouvert à la coproduction, mais
encore elle ne dissipe aucunement le flou procédural qui entache le volet public du processus
mis en œuvre. Qui est appelé à y participer ? Tout citoyen intéressé ? Seulement les Bruxellois ?
Seulement les riverains ou également les usagers ? Les collectifs ou autres comités de quar-
tiers sont-ils admis ou seuls des individus, et non des instances plus ou moins « représentatives »,
peuvent-ils faire entendre leur voix et défendre leurs préoccupations, besoins et intérêts ?
Cette voix, ou ces voix, sur quels aspects ou points précis ont-elles une chance d’être prises
en compte, si ce n’est sur les grandes orientations du projet ? Comment les assemble-t-on
avant de les transmettre « à qui de droit » ? Et que deviendront-elles une fois les projets adoptés,
dans la phase ultérieure de la mise en chantier ?
Des enjeux pour la vi lle et l’action publique à Bruxelles. Réflexions conclusives 307
par le schéma directeur, nul ne voit encore qui pourrait bien financer les investissements qui
s’imposent ; la participation s’y organise cependant, comme en dépit du caractère haute-
ment improbable de la traduction prochaine des préoccupations des Molenbeekois dans un
quelconque chantier 21. Car là aussi, ceux qui comptent, en réalité, ce sont les investisseurs,
fussent-ils absents. Abstraction faite des quelques milliers de voix qu’ils représentent, on peut
se préoccuper sincèrement des réalités vécues et des besoins des habitants. Reste qu’à l’échelle
d’un projet urbain de grande ampleur, les intérêts de ceux-ci ne pèsent pas lourd. À court
et moyen terme du moins. Le rythme des législatures ne permet pas souvent de penser au-
delà. La temporalité propre aux promoteurs privés permet rarement de penser jusque-là.
Un futur incertain
Participation imparfaite, donc, et gouvernance publique / privée bien fragile : ces déficiences
laissent incontestablement planer le doute quant au bon déroulement des étapes qui suivent
théoriquement l’élaboration des schémas directeurs. À ces incertitudes directement liées aux
procédures observées et toujours en cours, s’ajoutent un certain nombre de problèmes, de
portée plus générale, qui ne semblent pas encore avoir trouvé de solution et qui pèsent sur
le devenir des sites et quartiers concernés : celui de la coordination, dans le temps et dans
l’espace, des multiples projets de développement urbain régional en cours, qu’ils portent ou
non sur des zones leviers ; celui de l’harmonisation des divers instruments réglementaires ou
prospectifs qui leur sont associés ; celui de la définition des rôles respectifs des acteurs de
tous ordres qu’ils concernent ; celui, enfin, des moyens humains, techniques et financiers
nécessaires et disponibles.
Entre autres initiatives récentes, les schémas directeurs devaient plus largement, au-delà
des zones leviers qu’ils concernent, contribuer à la construction de « coalitions de dévelop-
pement », partant du constat repris par le PRD de 2002 que celles-ci faisaient cruellement
défaut à Bruxelles. Ils devaient aussi servir un développement global à l’échelle régionale
et intégré dans le temps, une « vision d’avenir » ambitieuse et cohérente étant également
supposée manquer à la Région. Le recul manque bien évidemment pour pouvoir anticiper
au stade actuel sur leur future action en ce sens. Les projets de développement visés par les
schémas directeurs n’en sont, on le sait, qu’à leurs débuts. Nous nous bornerons donc à
constater qu’à ce stade, l’élaboration des schémas directeurs n’a pas bénéficié d’une réflexion
d’ensemble, autour d’une conception partagée de l’urbanité et fixant l’ordre des priorités
pour le développement de ces sites 22.
Des enjeux pour la vi lle et l’action publique à Bruxelles. Réflexions conclusives 309
1. Voir le chapitre III, « L’élaboration du schéma direc- 9. Voir le chapitre VIII, « Tour et Taxis ou les ambiva-
teur “Botanique“, vue de l’intérieur », et le chapitre X, lences de l’urbanisme participatif à Bruxelles ».
« Rassemblez les citoyens et intégrez-les ! Des théories 10. Voir le chapitre VIII.
aux pratiques de l’urbanisme participatif aux États-Unis 11. Voir le chapitre II.
et en Europe ». 12. Id.
2. La contribution de Kristof Van Assche (chapitre X) va 13. Voir le chapitre III.
déjà dans ce sens. 14. Voir le chapitre V, « Une expérience bruxelloise entre
3. Voir le chapitre I, « Un passé bien présent. Le site de gouvernance et participation ».
la Cité administrative de l’État, condensé de l’urbanisme 15. Voir le chapitre IV, « L’histoire du projet au fil des
bruxellois ». débats publics ».
4. Alain BOURDIN, Marie-Pierre LEFEUVRE et Patrice MELÉ 16. Voir le chapitre II.
(s.l.d.), Les Règles du jeu urbain. Entre droit et confiance, 17. Voir le chapitre V, VII, VIII et IX.
Paris, Descartes & Cie, 2006, p. 27. 18. Voir le chapitre X.
5. Voir le chapitre II, « Le schéma directeur, un nouvel 19. Voir notamment le chapitre IX.
instrument régional d’action publique. Des principes géné- 20. Voir le chapitre VI, « La tour et la dalle : analyse
raux à leur première mise en œuvre ». d’une controverse ».
6.Voir le chapitre IX, « Ville-quartier ou ville-monde ? Le 21. Voir le chapitre VII.
schéma directeur du quartier européen comme mise à 22. Voir les chapitres III et IX.
l’épreuve de l’urbanité de la ville ». 23 Voir le chapitre IV.
7. Voir le chapitre VII, «Voies et voix de la gare de l’Ouest». 24 Voir le chapitre I.
8. Voir le chapitre III.
English translations and abstracts
Mathieu Berger est doctorant en sociologie Licenciée en géographie socio-écono- Docteur en sciences politiques, Olivier Paye
au centre METICES de l’ULB, chercheur mique de la Katholieke Universiteit Leuven est professeur aux FUSL où il dirige le
associé au Centre d’études des mouve- et porteuse d’un DES en coopération au CRESPO, le Centre de recherche en
ments sociaux (CEMS) de l’EHESS à Paris développement de l’Université libre de science politique. Ses travaux récents
et chercheur invité au département de Bruxelles, An Descheemaeker est coordi- portent sur la gouvernance, à la fois comme
sociologie de l’Université de Californie à natrice du Brusselse Raad voor het concept théorique et comme type singu-
Los Angeles pour l’année 2008-2009. Ses leefmilieu (BRAL). lier d’action publique.
travaux, inscrits dans une ethnographie de
la communication, portent sur les condi- Jean-Louis Genard est philosophe et Christine Schaut est docteure en sociologie
tions de possibilité de voix profanes dans docteur en sociologie. Directeur de l’Institut et chargée de cours à La Cambre et aux
des espaces de démocratie technique. supérieur d’architecture de la Communauté Facultés universitaires Saint-Louis, où elle
française – La Cambre à Bruxelles, il est mène ses recherches au Centre d’études
Chercheur à l’Université libre de Bruxelles, également chargé de cours à l’Université sociologiques. Ses travaux portent prin-
Vincent Calay est politologue et libre de Bruxelles et aux Facultés univer- cipalement sur les expériences participatives
géographe. Ses recherches portent sur les sitaires Saint-Louis. Il dirige le GRAP, locales et les modalités de l’engagement
processus de formation d’imaginaires de Groupe de recherches en administration en milieu populaire.
la ville. Il prépare une thèse de doctorat publique, attaché à l’ULB. Ses travaux
en sciences politiques et sociales sur les portent principalement sur l’éthique, la Abdelfattah Touzri est docteur en sciences
actions publiques de valorisation de responsabilité, le droit, les politiques sociales de l’Université catholique de
l’implantation de l’Union européenne à publiques, la culture, l’art et l’architecture. Louvain. Spécialisé en sciences de la popu-
Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg. lation et du développement, il travaille sur
Docteur en sociologie, Michel Hubert est des questions relatives à la politique de
Ludivine Damay est assistante et cher- professeur aux Facultés universitaires Saint- la ville et au développement territorial.
cheuse au Centre de recherche en science Louis où il dirige le Centre d’études
politique (CRESPO) des Facultés universi- sociologiques (CES) et préside l’Institut de Docteur en urbanisme, Kristof Van Assche
taires Saint-Louis à Bruxelles. Elle prépare recherche interdisciplinaire sur Bruxelles est chargé de cours à la St. Cloud State
actuellement une thèse de doctorat en (IRIB). Il est aussi directeur de Brussels University, Minnesota. Il a passé neuf ans
sciences politiques consacrée à la parti- Studies, la revue scientifique électronique aux Pays-Bas avant de s’installer aux États-
cipation dans les politiques publiques. pour les recherches sur Bruxelles. Ses Unis en 2005. Ses recherches l’ont aussi
travaux actuels portent notamment sur les porté vers l’Europe de l’Est et le Caucase.
Florence Delmotte est docteure en sciences pratiques et politiques de mobilité, les Il s’intéresse aux fondements culturels,
politiques de l’Université libre de Bruxelles, modes d’habiter et l’action publique politiques et environnementaux de l’amé-
chercheuse « Prospective Research for urbaine. nagement de l’espace selon une approche
Brussels » au Centre d’études sociologiques théorique d’inspiration constructiviste.
(CES) des Facultés universitaires Saint-Louis Philippe Huynen, sociologue et informati-
et chargée de cours à l’ULB. Ses recherches cien, est assistant chargé d’enseignement
portent d’une part sur les enjeux théoriques aux Facultés universitaires Saint-Louis à
des transformations de l’État et d’autre part Bruxelles.
sur les nouveaux modes d’action publique
urbaine à Bruxelles. Benoit Moritz est architecte diplômé de
l’Institut supérieur d’architecture de la
Julie Denef est architecte-urbaniste et assis- Communauté française – La Cambre et
tante à l’Unité d’urbanisme et de urbaniste diplômé de l’UPC-Barcelona.
développement territorial de l’Université Depuis 2001, il est associé avec Jean-Marc
catholique de Louvain. Elle y réalise une Simon au sein du bureau d’études et de
thèse de doctorat sur la coproduction des projets MSA. Parallèlement, il développe
espaces verts dans le contexte de la régé- une activité d’enseignement à La Cambre
nération urbaine. et à l’Institut supérieur d’urbanisme (ISURU).
L es auteurs 317
Mathieu Berger is preparing a doctorate After graduating in socio-economic geog- Olivier Paye is a doctor of political
in sociology at the METICES centre in the raphy from the Katholieke Universiteit sciences and professor at the FUSL, where
ULB. He is an associate researcher at the Leuven and taking a DES in development he is the director of the CRESPO, the polit-
Centre for the Study of Social Movements cooperation at the Université libre de ical science research centre. His recent
(CEMS) in the EHESS in Paris and a guest Bruxelles, An Descheemaeker is now the work has focused on governance, both as
researcher in the department of sociology coordinator of the Brussels environmental a theoretical concept and as a particular
at the University of California in Los association (BRAL). type of public action.
Angeles (UCLA) for the year 2008-2009.
His work, in the field of ethnography of Jean-Louis Genard is a philosopher and Christine Schaut is a doctor of sociology
communication, covers the conditions that doctor of sociology. He is the director of and lectures at La Cambre and the Facultés
offer the possibility of expression to the Institut supérieur d’architecture de la universitaires Saint-Louis, where she is
profane voices in spaces of technical Communauté française – La Cambre in conducting research at the Centre for
democracy. Brussels, whilst also lecturing at the Sociological Studies. Her work mainly
Université libre de Bruxelles and at the involves participative local experiences and
A researcher at the Université libre de Facultés universitaires Saint-Louis. He is the methods of active involvement in the civic
Bruxelles, Vincent Calay is a political scien- director of the GRAP, public administra- environment.
tist and geographer. His research covers tion research group, attached to the ULB.
the processes by which visions for the city His work mainly covers ethics, responsi- Abdelfattah Touzri is a doctor of social
are formed. He is preparing a doctorate bility, law, urban politics, culture, art and sciences at the Université catholique de
in political and social sciences on the architecture. Louvain. He specialises in population and
subject of public actions for promoting the development sciences and is working on
establishment of the European Union in Michel Hubert is a doctor of sociology and areas relating to city and territorial plan-
Brussels, Luxembourg and Strasbourg. professor at the Facultés universitaires Saint- ning policy.
Louis, where he is director of the Centre
Ludivine Damay is an assistant and for Sociological Studies (CES) and Kristof Van Assche is a doctor of urban
researcher at the political science research chairman of the Institute for Interdisciplinary development and lectures at St. Cloud State
centre (CRESPO) at the Facultés Research on Brussels (IRIB). He is also University, Minnesota. He spent nine
Universitaires Saint-Louis in Brussels. She director of Brussels Studies, the scientific years in the Netherlands before moving
is currently preparing a doctorate in polit- e-journal for research on Brussels. His to the United States in 2005. His research
ical sciences on the subject of participation current work involves the practices and poli- has also taken him to Eastern Europe and
in relation to public policies. tics of mobility, habitation modes and the Caucasus. He is interested in the
public urban action. cultural, political and environmental bases
Florence Delmotte received her PhD in polit- for spatial planning, taking a theoretical
ical sciences from the Université libre de Philippe Huynen, a sociologist and approach inspired by constructivism.
Bruxelles, and is a working on “Prospective computer scientist, works as an assistant
Research for Brussels” at the Centre for tutor at the Facultés universitaires Saint-
Sociological Studies (CES) at the Facultés Louis in Brussels.
universitaires Saint-Louis whilst also
lecturing at the ULB. Her research covers Benoit Moritz graduated in architecture
the theoretical issues involved in State trans- from the Institut supérieur d’architecture de
formations on the one hand and new la Communauté française – La Cambre and
modes of public urban action in Brussels qualified in urban planning at the UPC-
on the other. Barcelona. Since 2001, he has been
working in partnership with Jean-Marc
Julie Denef is an architect-urban planner Simon in the research and projects office
and assistant in the Urban development MSA. Alongside this, he also teaches at
and territorial planning unit at the Université La Cambre and at the Institut supérieur
Catholique de Louvain. Her doctoral thesis d’urbanisme (ISURU).
is studying the coproduction of planted
areas in the context of urban regenera-
tion.
318 T h e a ut ho r s
ISBN : 978-2-87317-340-1
Dépôt légal : Bibliothèque royale de Belgique : D/2009/5636/1
Cet ouvrage a été imprimé en janvier 2009 sur les presses de l’imprimerie SNEL Grafics (Liège).
Le 21 avril 1958, quatre jours après l’inauguration de l’Expo 58, le Roi Baudouin posait la
première pierre de la Cité administrative de l’État (CAE), exemple marquant autant que décrié
de l’entreprise moderniste à Bruxelles. Cinquante ans plus tard, la Cité revendue à des promo-
teurs privés est vide, et son avenir aussi incertain que celui de l’État belge qui voulait en faire
le symbole de son unité. En 2006, après plusieurs années de mobilisation autour des projets
de réaffectation du site, une procédure d’action publique innovante est lancée, qui conduit
en moins d’un an à l’adoption par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale d’un
« schéma directeur » pour l’aménagement futur de la Cité.
Ce huitième numéro des Cahiers de l’Institut supérieur d’architecture de la
Communauté française – La Cambre intéressera donc tous ceux qui se sentent concernés par
l’évolution de la ville en général et de Bruxelles en particulier et qui, plus largement, souhai-
tent mieux comprendre les pratiques nouvelles de l’urbanisme contemporain et les
transformations de l’action publique qui les accompagnent.
ISBN 978-2-87317-340-1
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