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B 325
La cellule cancéreuse
Anomalies génétiques (oncogènes et anti-oncogènes), facteurs de croissance,
d’apoptose et de dissémination, incidence pronostique
PR Jean-Yves BLAY1-2, PR Alain PUISIEUX 2
1. Hôpital Édouard-Herriot, 69437 Lyon Cedex 03.
2. INSERM U453, centre Léon-Bérard, 69008 Lyon.
sarcomes (cancers provenant des cellules du tissu ce fait, l’incidence de la plupart des cancers augmente
conjonctif, spécialisé ou non) ; les tumeurs du système de manière exponentielle avec l’âge. Chez les individus
hématopoïétique (leucémies ou lymphomes) ; les porteurs d’une mutation constitutionnelle de certains
tumeurs du système nerveux central ; les tumeurs gènes, notamment de gènes suppresseurs de tumeurs
embryonnaires… Dans ces différents types cellulaires, tels que p53, APC ou BRCA-1 (v. infra), les cancers
les voies de contrôle de la différenciation et de la surviennent plus précocement, une première « étape »
croissance cellulaire utilisent souvent des mécanismes dans le processus de transformation cancéreuse ayant
moléculaires communs. La cancérisation de la cellule été franchie dans toutes les cellules somatiques de
est la conséquence de mutations de gènes codant pour l’individu.
des protéines impliquées dans ces différentes voies de Le développement d’un cancer peut également être
régulation. favorisé par des facteurs qui n’induisent pas de mutation
Les cancers correspondent le plus souvent à la proliféra- de l’ADN mais stimulent la prolifération cellulaire ou
tion d’un clone cellulaire dérivant d’une seule cellule bloquent la différenciation. Ces produits non mutagènes
anormale. Cela a pu être démontré chez les femmes par sont appelés promoteurs tumoraux. Dans un premier
l’analyse de l’origine paternelle ou maternelle du chro- temps, l’exposition a un carcinogène induit une première
mosome X inactivé dans les cellules tumorales qui lésion génétique latente. Cette étape est parfois appelée
montre que toutes les cellules tumorales ont le même initiation tumorale. La lésion génétique ainsi induite
chromosome X inactivé. Cela a pu être confirmé plus permet la transformation cancéreuse à la faveur soit de
finement par l’analyse de la séquence nucléotidique des l’acquisition d’anomalies génétiques supplémentaires
sites de translocations chromosomiques spécifiques, telles que celles décrites ci-dessus, soit après exposition
telles que la t(9,22) dans la leucémie myéloïde chro- répétée à ces promoteurs tumoraux qui vont stimuler la
nique (LMC), qui sont toujours identiques dans une division cellulaire ou bloquer le processus normal de
même tumeur chez un individu, mais le plus souvent différenciation. Comme exemple de promoteurs tumo-
différentes dans deux tumeurs de même histologie chez raux, on peut citer les esters de phorbol qui agissent en
deux individus différents. Ces observations démontrent activant la protéine kinase C. Les corrélations épidémio-
l’origine clonale de la plupart des cancers. Il existe logiques entre les antécédents gynéco-obstétricaux
cependant quelques exceptions et certaines proliféra- d’une patiente (âge des premières règles, de la première
tions cellulaires tumorales, notamment des lymphomes grossesse, de la ménopause) et le risque relatif de cancer
de sujets immunodéprimés, peuvent comporter une du sein suggèrent que les hormones sexuelles, notamment
population cellulaire polyclonale ou oligoclonale. les œstrogènes, jouent un rôle de promoteur tumoral
pour certains cancers du sein.
Anomalies génétiques des cellules Au total, le processus de transformation cancéreuse est
la conséquence de l’accumulation de mutations de l’ADN
cancéreuses pour la plupart des tumeurs humaines et animales.
ne se fait pas ou mal, et une mutation génique apparaît. désigné c-src et qui est présent dans le génome de la plu-
Si cette mutation atteint et modifie la structure d’un part des vertébrés. Le gène cellulaire c-src code pour
gène codant pour un facteur qui contrôle la prolifération une protéine membranaire qui intervient dans la trans-
cellulaire ou le phénomène de mort cellulaire (apoptose), duction du signal mitotique. Les modifications qualita-
la cellule peut acquérir un avantage de croissance à tives du gène src chez le virus provoquent une activation
l’origine d’une expansion clonale. anormale de la protéine, expliquant ses capacités trans-
La description de gènes impliqués dans la transformation formantes. On s’est secondairement rendu compte que
maligne a permis d’élaborer une théorie unifiée concer- beaucoup de tumeurs humaines, non induites par un
nant les mécanismes moléculaires mis en jeu dans la virus, présentaient des mutations activatrices du proto-
genèse d’une tumeur. Deux grandes catégories de gènes oncogène c-src qui le transforment en un oncogène.
peuvent ainsi être distinguées : les gènes dont les pro- D’autres oncogènes contenus dans des rétrovirus res-
duits contribuent à stimuler la prolifération cellulaire et ponsables de sarcomes ou de leucémies chez les oiseaux
ceux dont le produit réprime la prolifération cellulaire. ou les mammifères ont été individualisés (tableau I).
Les premiers gènes sont appelés en général oncogènes Ces oncogènes viraux (v-onc) possèdent un homologue
et les seconds anti-oncogènes ou plutôt gènes suppres- cellulaire (c-onc), qui est muté dans certaines tumeurs
seurs de tumeur. humaines non liées à des rétrovirus. Ces oncogènes sont
très souvent impliqués dans la transmission d’un signal
1. Oncogènes de prolifération cellulaire du milieu extracellulaire jus-
Si l’on exclut certains oncogènes viraux (notamment de qu’au noyau (fig. 1) : ce sont des gènes codant pour des
virus à ADN), les oncogènes sont le plus souvent des facteurs de croissance ou cytokines (v-sis, homologue
gènes cellulaires mutés. Le terme proto-oncogène de la chaîne B du platelet derived growth factor, PDGF),
désigne le gène cellulaire normal, qui est muté en onco- des récepteurs de cytokines (v-erb-B1, v-kit, v-fms), des
gène dans une cellule tumorale, favorisant ainsi la trans- tyrosine kinases du feuillet interne de la membrane plas-
formation cancéreuse de la cellule. La mutation d’un mique (v-src), intracytosoliques (v-fes), des sérine thréonine
oncogène rend en général le gène « hyperactif » et ces kinases (v-raf), des protéines fixant le guanosine triphos-
mutations sont généralement dominantes. phate (GTP) (H-ras), des facteurs régulateurs de la trans-
Les oncogènes ont été découverts initialement dans cription (v-fos, v-jun, v-rel), des récepteurs d’hormone
des rétrovirus responsables de tumeurs animales. Le liposoluble (v-erbA). Tous les oncogènes n’ont cepen-
premier rétrovirus ainsi individualisé est un virus du dant pas été identifiés dans des rétrovirus. D’autres
poulet, le virus de sarcome de Rous. Il contient un gène oncogènes, et donc d’autres proto-oncogènes, ont été
appelé v-src, qui n’est pas indispensable à la réplication identifiés dans les tumeurs humaines par transfection de
virale mais qui a été prélevé accidentellement par le lignées de fibroblastes immortalisées NIH 3T3 par de
virus dans une cellule hôte antérieure. Le gène viral l’ADN provenant de lignées tumorales. Au total, près
v-src possède ainsi un homologue cellulaire normal, d’une centaine d’oncogènes ont désormais été identifiés.
TABLEAU I
Oncogènes de rétrovirus transformants
Les mutations observées dans les proto-oncogènes héréditaire de cette maladie, les individus atteints pré-
modifient la séquence des acides aminés de la protéine sentent souvent plusieurs tumeurs tandis que les formes
en modifiant ses propriétés fonctionnelles, lui conférant sporadiques de rétinoblastome sont en général des
une activité permanente et non régulable par les processus tumeurs uniques. Le gène Rb a pu être identifié dans une
normaux de contrôle. Les rétrovirus peuvent également région du chromosome 13 touchée par une délétion chez
activer un proto-oncogène en s’insérant à proximité de les individus atteints dans certaines de ces familles.On a
ses séquences régulatrices, conduisant ainsi à sa surex- pu montrer que dans les cellules de rétinoblastome, les
pression : on parle alors de mutagenèse insertionnelle. 2 copies du gène sont inactivées, une 2e mutation ayant
En fait, différents mécanismes d’activation d’un onco- inactivé le gène Rb sur l’autre chromosome dans la
gène cellulaire peuvent être observés. cellule tumorale. La probabilité de survenue de cette
• La mutation ponctuelle a pour exemple classique la 2e mutation est donc élevée dans ces cellules présentant
mutation des codons 12, 13 ou 61 du gène H-ras, qui toutes une mutation du 1er gène Rb, et plusieurs tumeurs
empêche son produit protéique d’hydrolyser le GTP, lui peuvent ainsi survenir dans les cellules rétiniennes des
conférant ainsi une activité biologique permanente. 2 yeux ; en revanche chez les individus dépourvus de
• Lors de la délétion d’une partie de la séquence codante, mutation de Rb constitutionnelle, le risque de survenue
le gène c-erbB1 code pour le récepteur de l’epidermal d’une mutation sur chacun des 2 gènes Rb dans la même
growth factor (EGF) ; dans certaines tumeurs, on observe cellule est très faible, expliquant ainsi la rareté de cette
une délétion de la partie extracellulaire capable de fixer affection en dehors des formes familiales.
EGF et des mutations dans sa portion intracyto- La perte du gène Rb joue un rôle important dans des
plasmique conférant à la protéine une activité tyrosine tumeurs plus fréquentes que le rétinoblastome. Les
kinase permanente. 2 copies du gène sont fréquemment altérées dans les
• La translocation chromosomique va réunir dans une cancers du poumon, du sein, de la vessie, les sarcomes.
protéine de fusion le produit d’un gène activement trans- La protéine Rb, lorsqu’elle est déphosphorylée, inhibe la
crit et une partie des séquences codantes de l’oncogène, transcription de certains gènes, permettant l’entrée dans
conduisant à la synthèse d’une protéine hyperactive ; un le cycle cellulaire. Lorsque les 2 copies du gène sont
exemple de ce type de fusion est la protéine bcr-abl, perdues ou lorsque la protéine Rb est phosphorylée
produit de la translocation t(9,22) de la leucémie myé- (v. infra), il n’empêche plus la transcription et permet
loïde chronique. ainsi à la cellule d’accomplir une nouvelle division.
• Parfois, la translocation va simplement mettre l’oncogène Depuis la description initiale du gène Rb comme modèle
sous la dépendance du promoteur d’un gène activement de gène suppresseur de tumeur, de nombreux autres
transcrit, comme le gène des chaînes lourdes des immuno- gènes suppresseurs de tumeurs ont été identifiés dans les
globulines pour la t(8,14) des lymphomes de Burkitt. tumeurs humaines : APC et DCC dans les tumeurs
• L’amplification génique est décrite pour les gènes coliques, WT1 dans les tumeurs de Wilms, BRCA-1 et 2
N-myc dans le neuroblastome. dans les adénocarcinomes du sein, p53 dans une large
• L’insertion d’un élément génétique mobile (tel qu’un variété de cancers.
rétrovirus) à proximité du proto-oncogène entraîne La protéine p53 est mutée dans une large variété de
l’activation de la transcription du gène. Le gène codant cancers humains. Une des fonctions de p53 est d’induire
pour le fibroblast growth factor 3 (FGF-3) est ainsi la production d’une protéine p21/WAF1 inhibitrice des
activé par le mouse mammary tumour virus chez la kinases dépendantes des cyclines qui permettent à la
souris conduisant à l’apparition de tumeurs mammaires. cellule de passer le point de contrôle G1 du cycle cellu-
Les mutations des oncogènes ne surviennent pas isolé- laire ; p53 est induite en réponse à des altérations de
ment dans les tumeurs et très souvent, la mutation de l’ADN et permet à la cellule d’arrêter sa progression
plusieurs oncogènes est synergique pour l’acquisition dans le cycle, de réparer les lésions de l’ADN ou, si
d’un phénotype cancéreux. Ce phénomène est connu celles-ci sont irréparables, d’entraîner l’apoptose de la
sous le nom de coopération des oncogènes. cellule altérée. Les mutations de p53 permettent à la
cellule à la fois de se diviser et d’acquérir des mutations
2. Anti-oncogènes ou gènes suppresseurs supplémentaires sur d’autres gènes. Les mutations
de tumeurs (voir : Pour approfondir 1) constitutionnelles de p53 sont responsables d’un syn-
Certaines mutations vont inactiver des gènes dont le drome de prédisposition génétique aux cancers appelé
produit est impliqué dans le blocage de l’entrée dans le syndrome de Li-Fraumeni.
cycle cellulaire : on parle parfois à leur propos d’anti- D’autres gènes suppresseurs de tumeurs sont mutés chez
oncogènes, mais le terme gène suppresseur de tumeur des sujets porteurs de prédispositions héréditaires au
est généralement préféré. cancer. La polypose colique adénomateuse familiale
Beaucoup de gènes suppresseurs de tumeurs ont été résulte d’une mutation somatique d’un gène appelé
identifiés grâce à l’étude des syndromes de prédisposition APC ; les gènes de réparation msh-2 et mlh-1 sont altérés
héréditaire aux cancers. C’est le cas du gène du rétino- dans les cancers coliques familiaux non polyposiques, le
blastome (Rb), premier gène suppresseur de tumeur gène WT1 dans les tumeurs de Wilms familiales (tableau II).
identifié (1984) grâce à l’étude des familles atteintes de Certains gènes suppresseurs de tumeurs, comme p53 ou
formes héréditaires de rétinoblastome. Dans la forme Rb, sont inactivés par d’autres mécanismes que des
TABLEAU II
mutations inactivatrices. Les virus oncogènes à ADN, taires variables d’une tumeur à l’autre, à la faveur de
tels que les papillomavirus (impliqués dans les cancers l’instabilité génétique provoquée par la perte de p53.
du col de l’utérus) ou le virus polyome contiennent des Chez les individus porteurs de mutations somatiques du
protéines virales (protéines E6 et E7 de papillomavirus, gène APC et présentant une polypose adénomateuse
antigène T et t de polyome) qui se fixent aux protéines familiale, toutes les cellules somatiques de l’individu et
p53 et à Rb bloquant ainsi leur fonction. Le virus peut notamment les cellules épithéliales du colon ont franchi
ainsi utiliser à son profit les protéines cellulaires de une 1re étape dans le processus de carcinogenèse, qui se
réplication de l’ADN de l’hôte pour se répliquer. Dans produit donc avec une fréquence beaucoup plus élevée
certaines cellules, ces virus oncogènes à ADN vont s’in- que dans la population générale et à un âge plus précoce.
tégrer à l’ADN cellulaire et les protéines virales sont
produites en permanence, bloquant ainsi en permanence 4. Défaut de réparation de l’ADN
la fonction des protéines Rb et p53 et favorisant la D’une manière générale, tout phénomène biologique qui
division cellulaire. À la différence des rétrovirus, augmente le taux de mutation de l’ADN augmente le
ces protéines oncogènes des virus à ADN n’ont pas risque de développer un cancer. On a identifié ainsi
d’équivalent cellulaire et sont indispensables à la plusieurs syndromes de prédisposition au cancer qui
réplication virale. résultent d’altération des systèmes de réparation de
l’ADN. Le xeroderma pigmentosum est un syndrome
3. Modèle du carcinome colique dans lequel les individus, le plus souvent des enfants,
Plusieurs mutations de proto-oncogènes ou de gènes présentent une anomalie d’un gène codant pour une des
suppresseurs de tumeurs sont donc requises pour la protéines impliquées dans la réparation des lésions de
transformation d’une cellule normale en cellule cancé- l’ADN dues aux ultraviolets et vont présenter des
reuse. La genèse des anomalies moléculaires, de l’épi- cancers cutanés multiples dans les 2 premières décennies
thélium normal, à l’adénome puis à l’adénocarcinome a de la vie. Les cancers héréditaires du côlon non polypo-
été particulièrement bien étudiée dans les cancers recto- siques sont également liés à des altérations des gènes
coliques. La plupart des cellules d’adénocarcinome (msh-2, mlh-1) d’un système de réparation de l’ADN
colique acquièrent au cours de leur transformation can- (réparation des mésappariements de l’ADN). L’inactivation
céreuse des mutations sur des gènes précis : le gène sup- de ce système entraîne l’apparition d’une instabilité
presseur de tumeur APC est perdu souvent avant l’appa- génétique qui favorise l’accumulation progressive de
rition de l’adénome, l’oncogène K-ras est muté et le mutations. L’instabilité génétique observée dans ce syn-
gène suppresseur de tumeur DCC est perdu au cours de drome prédispose aux cancers du côlon et à d’autres
la dédifférenciation de l’adénome ; puis une perte du cancers (endomètre, voies biliaires, estomac) à un âge
gène p53 est observée lorsque le carcinome devient précoce. D’autres mutations de gènes impliqués dans la
invasif. L’ordre de survenue de ces mutations peut pro- réparation et la réplication de l’ADN sont responsables
bablement varier selon les tumeurs. Au-delà, la cellule de maladies génétiques augmentant le risque de cancers
tumorale acquiert des anomalies génétiques supplémen- comme le gène ATM dans l’ataxie télangiectasie.
Dissémination tumorale
Molécules exprimées
É TA P E S par les cellules tumorales
L’une des caractéristiques de la cellule impliquées
tumorale est sa capacité à envahir des dans la dissémination
régions de l’organisme où elle ne
devrait pas se retrouver. La capacité à Altération de la cohésion Perte de la cadhérine E
intercellulaire dans l’épithélium Facteurs de motilité
disséminer dans des tissus adjacents est
la première étape conduisant à l’appari-
tion de métastases (fig. 2). La cellule can- Upa/PAI
Franchissement collagénase IV, protéases
céreuse, par exemple d’origine épithé- de la membrane basale TIMP
liale, a ainsi la capacité de s’affranchir Facteurs de motilité
de ses interactions avec les cellules
normales environnantes, détruire la Facteurs angiogéniques
membrane basale sous-jacente, progres- Croissance locale Facteurs de croissance
ser à travers le tissu conjonctif, franchir
la paroi du vaisseau lymphatique ou Upa/PAI
Protéases, métalloprotéases
sanguin, migrer dans la circulation lym- Progression dans le tissu Héparanase
phatique ou sanguine, franchir la paroi conjonctif / franchissement TIMP(inhibiteur tissulaire
du capillaire dans une autre région de de la paroi vasculaire des métalloprotéases)
Facteurs de motilité
l’organisme, pour s’établir, survivre et Intégrines
croître dans ce nouvel environnement.
Cette succession d’étapes limitantes Fixation sur l’endothélium Plaquettes sélectines
nécessite l’acquisition par la cellule vasculaire de l’organe cible CD44 intégrines
cancéreuse de nouvelles propriétés.
La perte de l’adhésion des cellules
tumorales aux cellules normales adja- Upa/PAI
Protéases, métalloprotéases
centes peut résulter de plusieurs méca- Pénétration à travers la paroi Héparanase
nismes par exemple la perte de l’expres- du vaisseau et dans le chorion TIMP
sion de molécules d’adhésion Facteurs de motilité
Intégrines
intercellulaire, comme la cadhérine E,
ou l’inactivation fonctionnelle de ces
molécules d’adhésion après exposition Facteurs angiogéniques
Croissance au site métastasique Facteurs de croissance
à des cytokines telles que certains
membres de la famille des FGF. Dans
Upa : urokinase like plasminogen activator ; PAI : plasminogen activator inhibitor
les lignées cellulaires dans lesquelles
l’expression de la cadhérine E est per- 2 Étapes de dissémination pour une cellule tumorale épithéliale.
due, la transfection par la cadhérine E
permet de renverser le phénotype méta-
statique, cette molécule d’adhésion se
comportant donc comme un gène suppresseur de produisent divers facteurs de motilité, des cytokines
tumeur. L’étape suivante dans la dissémination métasta- (FGF1 et FGF2, IL6, TGFβ…), des composants
tique est la dégradation des composants de la matrice solubles de la matrice extracellulaire (fibronectine,
extracellulaire pour permettre la progression de la cellu- laminine, thrombospondine…) qui vont jouer un rôle
le tumorale dans le tissu conjonctif environnant, c’est-à- parfois opposé selon qu’ils sont sous forme soluble
dire la membrane basale, le chorion sous-jacent et la circulante ou insérés dans la matrice conjonctive.
paroi des vaisseaux sanguins ou lymphatiques. Plusieurs Seule la minorité des cellules tumorales qui franchit la
familles d’enzymes impliquées physiologiquement dans paroi vasculaire et qui migre par la circulation sanguine
le remodelage du tissu conjonctif jouent un rôle essen- se fixe dans un tissu à distance et forme une métastase.
tiel dans la dégradation des protéines fibreuses, des pro- Dans la circulation, les cellules tumorales interagissent
téoglycanes et des glycoprotéines de la matrice extracel- avec des plaquettes par l’intermédiaire de molécules
lulaire : les héparanes, les sérine-, asparatyl- et d’adhésion (de la famille des intégrines notamment).
cystéine-protéases, et les métalloprotéases (matrix Pour sortir du flux sanguin, les amas de cellules tumo-
metalloproteinase, MMP). La cellule tumorale utilise les rales et de plaquettes interagissent avec des molécules
MMP pour remodeler le tissu extracellulaire environ- d’adhésion situées au niveau des capillaires de l’organe
nant, mais à la différence des cellules normales, ce pro- cible selon des mécanismes probablement voisins de
cessus s’associe à une motilité accrue de la cellule ceux mis en jeu pour l’extravasation des leucocytes.
tumorale, lui permettant de progresser dans les tissus et L’amas de cellules tumorales et de plaquettes induit la
de les coloniser (voir : pour approfondir 2). Pour pro- production de médiateurs locaux permettant une rétrac-
gresser dans le tissu conjonctif, les cellules tumorales tion des cellules endothéliales et l’exposition de la
membrane basale. La cellule tumorale pénètre la matrice ments cytotoxiques pour le traitement des tumeurs
conjonctive de l’organe cible en utilisant les facteurs de disséminées. Actuellement, des facteurs inhibiteurs des
motilité et les MMP, induit une néovascularisation avant métalloprotéase, et de l’angiogenèse sont en expérimen-
de proliférer pour donner une métastase. tation clinique.
La relative spécificité des organes sièges de métastases
pour un type de cancer donné est encore mal comprise. Il Incidence pronostique
est certain que cette spécificité résulte en partie de phéno-
mènes mécaniques : les organes qui sont des points de pas- La meilleure compréhension des mécanismes biolo-
sage obligés du flux sanguin pour certains organes (pou- giques de la cancérogenèse et notamment des altérations
mon, foie) sont plus fréquemment le siège de métastase. génétiques des cellules tumorales a conduit à de nou-
Cependant, d’autres paramètres interviennent probable- velles classifications des tumeurs humaines. Certaines
ment : des molécules d’adhésion avec des cellules tumo- maladies néoplasiques sont désormais identifiées sur la
rales spécifiques des cellules endothéliales d’un organe base d’une altération génétique spécifique (translocation)
donné ont été décrites dans certains modèles. En outre, il autant que sur l’analyse cytologique ou histologique
est probable que l’environnement tissulaire normal de classique : c’est le cas de la leucémie myéloïde chro-
l’organe touché (composants de la matrice, facteurs de nique et de la t(9,22), des sarcomes d’Ewing et de la
croissance produits in situ) favorise le développement de t(11, 22) et ses variantes, des lymphomes du manteau et
tel ou tel type cellulaire dans un site métastatique donné. de la t(11,14). Cette nosologie moléculaire des maladies
Enfin, l’un des paramètres essentiels influençant la a parfois permis d’individualiser des groupes de patients
croissance tumorale est la capacité d’une cellule tumorale avec un pronostic complètement différent d’autres
à susciter le développement d’une néovascularisation patients porteurs de maladies voisines ou similaires sur
tumorale et, en particulier, la différenciation et la crois- des bases cytologiques histologiques ou phénotypiques :
sance de cellules endothéliales. Ce processus, dénommé les lymphomes du manteau caractérisés par leur t(11,14)
angiogenèse, est indispensable à la croissance tumorale ont un pronostic moins bon que les patients porteurs
au-delà d’un volume de quelques millimètres cubes de d’autres lymphomes diffus B à petites cellules, les leu-
tumeur dans de nombreux modèles expérimentaux. La cémies aiguës non lymphoblastiques de l’enfant avec
croissance tumorale est en effet limitée au-delà de ce t(9,22) ou une translocation en 11q23 sont associées à
volume par la disponibilité en nutriments et en oxygène un pronostic défavorable.
des cellules tumorales. La capacité d’une tumeur à susci- En outre au sein d’un même groupe de maladies néo-
ter une néovascularisation semble indispensable au déve- plasiques, par exemple les adénocarcinomes du sein,
loppement de la tumeur, à la fois localement et au site des l’altération de l’expression d’un gène spécifique est
métastases. On a ainsi pu décrire dans certaines tumeurs corrélée à un pronostic particulier, souvent moins bon.
(carcinomes in situ du col de l’utérus) in vivo, un état C’est le cas pour les mutations inactivatrices de gènes
« prévasculaire », au cours duquel un petit amas de cel- suppresseurs de tumeur (p53 ou Rb pour des cancers du
lules tumorales est présent mais ne peut se développer au- sein, lymphomes, leucémies) pour la surexpression de
delà d’un certain volume, et une phase « vasculaire » où la proto-oncogènes codant pour des tyrosine kinases
tumeur développe une néovascularisation et peut croître récepteurs de facteurs de croissance (c-erbB2, dans les
et éventuellement disséminer. Des mécanismes similaires cancers du sein dans certains sarcomes), pour l’amplifi-
sont mis en jeu pour le démarrage de la croissance de cation de proto-oncogènes codant pour des facteurs de
métastases « dormantes » dans des modèles animaux et transcription (N-myc dans le neuroblastome), pour la
peut être chez l’homme. production in vivo de facteurs de croissance (VEGF,
Le passage d’une phase prévasculaire à une phase vas- IL6). Ces paramètres biologiques ne sont pas pour la
culaire est lié à la production, le plus souvent par les plupart étudiés en routine à l’heure actuelle. La présence
cellules tumorales elles-mêmes, de facteurs de croissance de ces anomalies moléculaires semble cependant
des cellules endothéliales, appelés facteurs angiogé- influencer la réponse à certains traitement antinéo-
niques. Ces facteurs de croissance sont des cytokines plasiques (efficacité des cytotoxiques) et il est donc
qui sont parfois également des facteurs de croissance possible qu’ils soient plus largement utilisés dans les
autocrines pour les cellules tumorales elles-mêmes. années à venir. En outre, le développement de traite-
Parmi ces facteurs on peut citer, le vascular endothelial ments spécifiques dirigés contre ces oncogènes (par
growth factor ou VEGF, l’angiogénine, les FGF1, 2 et 4, exemple, un anticorps monoclonal anti-erb-B2) nécessi-
le TGFα, l’hepatocyte growth factor ou HGF. tera probablement une analyse systématique de sa sur-
Ces cytokines produites par les cellules tumorales exer- expression. Enfin, la mise à disposition d’outils tels que
cent ainsi fréquemment des propriétés biologiques les puces à ADN, permettant l’analyse de milliers de
multiples et interviennent à des étapes différentes de la gènes dans une tumeur donnée et ainsi une analyse éten-
progression tumorale, modulant aussi bien la croissance due des anomalies génétiques de milliers de tumeurs, va
de la cellule, que sa motilité et sa capacité à induire une probablement bouleverser dans les années à venir à la
néovascularisation. La compréhension des mécanismes fois la classification nosologique de ces maladies et
biologiques de la dissémination tumorale permet désor- conduire à identifier des sous-groupes pronostiques et
mais d’envisager des stratégies autres que les traite- thérapeutiques encore insoupçonnés actuellement. ■