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Pharmacologie

B 385

Analgésiques
Principes et règles d’utilisation, posologie de la morphine et de ses dérivés
PR Alain ESCHALIER, DR Pascale PICARD, PR Claude DUBRAY
Service de pharmacologie clinique, Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, INSERM E9904, CHU, Faculté de médecine, 63001 Clermont-Ferrand.

Points Forts à comprendre Elle est agoniste préférentiel des récepteurs opioïdes
mu, présents avec les récepteurs delta et kappa (sur les-
quels elle se fixe avec une moindre affinité) dans la
• La plainte douloureuse exprimée corne postérieure de la moelle épinière. Les récepteurs
par les patients est la résultante de composantes mu sont pour partie localisés sur les fibres afférentes
sensori-discriminatives, affectivo-émotionnelles primaires, leur activation par la morphine aboutit alors à
et cognitivo-comportementales. la diminution de la libération de neurotransmetteurs tels
• Le phénomène sensori-discriminatif que substance P ou CGRP (calcitonin gene related pep-
implique, de la périphérie vers les centres, tide). Au niveau post-synaptique, l’activation de ces
des nocicepteurs, des fibres afférentes primaires récepteurs conduit à une hyperpolarisation des neurones
A delta et C, des centres nerveux (corne spinaux à l’origine des voies ascendantes. La présence
postérieure de la moelle ou noyaux du trijumeau) de récepteurs opioïdes dans différentes structures
zones de premier relais et de régulation supraspinales suggère que la morphine pourrait exercer
de la transmission du message, puis des voies une partie de son effet antalgique en agissant sur ces
ascendantes vers les centres supérieurs. cibles. Ces sites d’action expliquent l’utilisation des
• On distingue les douleurs par excès voies d’administration centrales de la morphine et de
de nociception (douleurs postopératoires, certains morphiniques (intrathécale, péridurale, intra-
douleurs inflammatoires…) et les douleurs cérébroventriculaire).
neurogènes (douleurs des neuropathies
périphériques, douleurs de lésions du système 2. Pharmacocinétique
nerveux central). La morphine, dont la biodisponibilité après administra-
• Les médicaments antalgiques interfèrent avant tion orale est de 20 à 40 %, est métabolisée au niveau
tout avec la composante sensori-discriminative. hépatique selon trois voies : glucuro-conjuguaison (mor-
• L’existence pour les différents antalgiques phine 3 glucuronide [M3G], morphine 6 glucuronide,
de sites d’action mixtes (périphériques [M6G]), sulfo-conjuguaison et N-déméthylation (nor-
et centraux) conduit à rejeter la classification morphine). La M3G est plus présente que la M6G ; le
habituelle entre antalgiques périphériques rapport de concentration dans le liquide céphalo-rachi-
et antalgiques centraux. dien, après administration répétée, est : [M3G]/M = 7 et
[M6G]/[M] = 0,8. M6G est un puissant analgésique.
L’élimination est urinaire et plus modestement biliaire.
La demi-vie d’élimination plasmatique de la morphine
Analgésiques morphiniques est de 1,7 h, sa durée d’action d’environ 4 h. Ces valeurs
limitées ont justifié le développement de formes à
La morphine reste la substance de référence dans la libération prolongée : Moscontin, Skenan, Kapanol.
famille des morphiniques. Récemment, sont également apparues sur le marché des
formes solides de morphine, à libération immédiate, ce
qui n’existait pas dans notre pays (Sevredol,
Morphine Actiskenan).
1. Activité antalgique 3. Pharmacovigilance
La morphine ne constitue pas l’antalgique universel. La constipation est un effet indésirable très fréquent
Très efficace dans les douleurs sévères par excès de puisque pratiquement 100 % des sujets traités par morphine
nociception, elle est d’intérêt plus limité dans les s’en plaignent. À l’effet sur la musculature lisse intes-
douleurs neurogènes. tinale, s’ajoute une réduction des sécrétions digestives.
La morphine et les morphiniques sont traditionnelle- La morphine est capable d’induire des nausées et des
ment reconnus comme des antalgiques d’action centrale. vomissements lors d’une première administration chez
Les données actuelles reconnaissent un site d’action environ 1 à 2 patients sur 3. Ces effets peuvent
spinal et supraspinal, mais une action périphérique est être prévenus par des neuroleptiques à faibles doses
également évoquée. (halopéridol, dropéridol).

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ANALGÉSIQUES

Présente chez à peu près la moitié des patients, la TABLEAU I


sédation apparaît assez précocement mais peut être
spontanément résolutive. Morphiniques*
On peut observer (moins fréquemment) un prurit, dû à
l’effet histamino-libérateur de la morphine ; des sueurs,
Agonistes des récepteurs mu
profuses et nocturnes ; des confusions, hallucinations,
cauchemars en particulier avec des doses élevées et chez
le sujet âgé ; voire une rétention urinaire, particulière- Douleurs faibles à modérées
ment si l’administration est périmédullaire. ❑ Codéine (3-6 h**) (x 1/10***)
En pratique clinique, la dépression respiratoire est bien Codenfan
connue des anesthésistes pour qui elle ne pose pas de ❑ Dihydrocodéine
problème dès l’instant où le patient est intubé et ventilé. Dicodin
En cas de dépression respiratoire avérée, le recours à ❑ Dextropropoxyphène (2-4 h) (x 1/10)
la naloxone, antagoniste des récepteurs opiacés mu, Antalvic
permet de corriger cet effet délétère. Dans le contexte de ❑ Tramadol (4-6 h) (x 1/4-1/10)
la douleur chronique, l’augmentation progressive des Topalgic, Contramal LP
posologies de morphine permet de prévenir ce risque. Utilisés dans les douleurs modérées à sévères,
Cette précaution, l’existence de la naloxone, le fait que durée d’action limitée
la douleur soit par elle-même stimulante du système ❑ Morphine :
ventilatoire, permettent de prescrire sans risque majeur orale (3-6 h) (x 1) : solutions
la morphine tant chez l’adulte que chez l’enfant, la comprimés : Sevredol
fréquence respiratoire constituant un paramètre simple gélules : Actiskenan
de surveillance. ❑ Morphine parentérale : SC (3-6 h) (x 2) IV (3-6) (x 3)
L’effet psychodysleptique traditionnellement décrit pour Morphine Aguettant, Morphine Cooper,
Morphine Lavoisier, Morphine Meram
la morphine et les morphiniques ne conduit que dans des
conditions particulières à un risque toxicomaniaque. ❑ Hydromorphone (12 h) (x 5)
Sophidone
Plusieurs études ont clairement montré que, lors de l’uti-
❑ Péthidine (2-4 h) (x 1/8)
lisation des morphiniques à visée antalgique, le risque Dolosal
de dépendance psychique était très limité ❑ Oxycodone (6 h) (x 1)
(1/10 000). La crainte d’induire une toxicomanie chez Eubine
les patients douloureux ne doit donc pas limiter leur
prescription. Cependant, dans l’hypothèse d’un élargis- Utilisés dans les douleurs modérées à sévères,
durée d’action prolongée
sement de l’utilisation des morphiniques, par exemple
chez des patients atteints de douleurs rhumatologiques ❑ Morphine à libération prolongée :
chroniques ou de douleurs neuropathiques, il est néces- orale Moscontin, Skenan (12 h) (x 1)
Kapanol (24 h) (x 1)
saire d’appréhender la personnalité, le contexte de vie et
❑ Fentanyl : patch
les antécédents d’abus médicamenteux des patients Durogesic (72 h) (x 50-100)
avant prescription de ces produits.
La pharmacodépendance est également définie par la
dépendance physique, illustrée par le syndrome de sevrage, Agonistes kappa-antagonistes mu
qui peut bien sûr exister avec les morphiniques. La pré-
vention de son risque lors de l’arrêt d’un traitement pro-
Utilisés dans les douleurs modérées à sévères
longé par morphine impose une réduction progressive des
posologies. Le phénomène de tolérance traduit la nécessité ❑ Nalbuphine (3-6 h) (x 1)
d’augmenter les doses pour obtenir le même effet théra- Nubain
peutique. Chez les patients cancéreux, lorsque les doses de ❑ Pentazocine (3-4 h) (x 1/3)
Fortal
morphiniques nécessaires à une sédation de la douleur
doivent être augmentées, il est difficile de faire la part
entre une augmentation liée au phénomène de tolérance Agonistes partiels mu
ou secondaire à l’évolution de la maladie tumorale.
Quoi qu’il en soit, les risques de dépendance physique et Utilisés dans les douleurs modérées à sévères
de tolérance ne posent pas de problème clinique majeur.
❑ Buprénorphine (6-9 h) (x 30-40)
Temgésic
Autres morphiniques
* Les morphiniques injectables à usage hospitalier ne sont pas
La classification de ces produits dépend de leur modalité inclus : fentanyl, alfentanil, rémifentanil, sufentanil, phénopéridine.
d’interaction avec les récepteurs opiacés et en particulier ** Durée d’action.
les récepteurs mu. Seuls sont évoqués ici les produits les *** Facteur de conversion des doses pour passer à la morphine orale.
Pour les formes à libération prolongée, l’équivalence porte sur la
plus courants et les plus récents (se reporter au tableau I dose quotidienne ou pluriquotidienne (3 j) pour le Durogesic*.
pour les produits non évoqués).

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Pharmacologie

1. Agonistes totaux des récepteurs mu codéine. Sa durée d’action est de 4 à 6 h. Son mécanis-
me d’action particulier pourrait justifier une utilisation
• La codéine (Codenfan) et la dihydrocodéine (Dicodin) du tramadol dans les douleurs neuropathiques, indica-
sont des dérivés de la morphine, respectivement méthylés tion qui reste à valider.
et méthylés et dihydrogénés. Il semble acquis que la Les caractéristiques de ce produit sont compatibles avec
codéine exerce son activité antalgique par l’intermédiaire une administration orale (biodisponibilité de 70 %).
de produits issus de sa biotransformation hépatique. Dix Hydrosoluble, il est également utilisable par voie paren-
pour cent de la codéine est transformée en morphine. La térale. Sa demi-vie d’élimination est de 5 à 7 h. Le méta-
transformation de la codéine en morphine se fait sous bolisme hépatique peut être soumis également à un
l’influence du cytochrome 2D6 soumis à un polymor- phénomène de polymorphisme génétique ; il implique
phisme génétique. Dix pour cent de la population cauca- en effet le cytochrome 2D6 pour aboutir à un dérivé
sienne, européenne et américaine métabolise lentement déméthylé, actif, du tramadol. Les effets indésirables du
la codéine en morphine. Cette disparité peut rendre tramadol reproduisent avec une moindre fréquence et
compte d’une certaine variabilité de la réponse analgé- une moindre intensité les effets opioïdergiques clas-
sique à la codéine. Les caractéristiques de la codéine siques de la morphine. Il peut conduire également, de
expliquent sa puissance limitée (doses équi-analgésiques façon relativement rare, à des manifestations de type
10 à 12 fois supérieures à celles de la morphine) et sa anaphylactique et des convulsions.
moindre efficacité, ainsi que sa durée d’action de 4 à 6 h. • Les nouveaux morphiniques, agonistes totaux des
Ces spécificités de la codéine ont justifié son association récepteurs mu, sont plus nombreux dans d’autres pays
avec des antalgiques dits périphériques (Codoliprane, qu’en France. Deux spécialités sont apparues récem-
Efferalgan codéine). Ainsi, il a été montré que l’association ment dans notre pays : le Durogesic, fentanyl à adminis-
codéine + paracétamol conduisait à un effet synergique. tration transdermique, avec une puissance, vis-à-vis du
Une méta-analyse étudiant l’intérêt de l’association récepteur mu, 50 à 100 fois supérieure à celle de la mor-
paracétamol-codéine, dans les douleurs aiguës, a montré phine. Le fentanyl est un produit dont la lipophilie est
que le nombre nécessaire de patients à traiter pour avoir élevée, ce qui confère à la préparation de Durogesic une
un répondeur était à peu près équivalent entre l’associa- biodisponibilité de 92 %. Le délai nécessaire pour que le
tion paracétamol 300 mg + codéine 30 mg et l’adminis- fentanyl soit retrouvé dans le courant circulatoire est de
tration de paracétamol 600 mg. 2 h, le t-max (temps au bout duquel la concentration
• Le dextropropoxyphène (Antalvic) est un dérivé dextro- plasmatique maximale est atteinte) est de 24 h, un
gyre de la méthadone. Ce produit possède une puissance plateau de concentration est atteint de 24 à 72 h après
antalgique qui est la moitié à 2 tiers de celle de la codéine. l’application. Le temps de demi-vie d’élimination est
Sa durée d’action est d’environ 4 à 6 h, avec un effet de 17 h. Ces caractéristiques cinétiques expliquent
maximum obtenu au bout de 2 h. Métabolisé au niveau que l’analgésie apparaisse avec un délai de 8 à 16 h
hépatique, le dextropropoxyphène se transforme pour et qu’elle persiste pendant 12 à 24 h après
l’essentiel en norpropoxyphène qui a une demi-vie l’ablation du patch. Cette présentation est donc indiquée
d’élimination plus longue (15 à 30 h) que celle du produit dans la prise en charge des douleurs chroniques,
mère (6 à 20 h). Le norpropoxyphène présente l’incon- essentiellement cancéreuses. Elle est spécifiquement
vénient d’induire des tremblements et des convulsions contre-indiquée dans la douleur aiguë, la douleur
(phénomène de dépendance à la dose). Le dextropro- instable, l’allergie cutanée au système d’application.
poxyphène est présent dans des associations avec le Des précautions d’emploi, également spécifiques, sont
paracétamol (Di-Antalvic, Propofan). Cette association nécessaires lors d’hyperthermie (une augmentation de
aboutit également à une augmentation de l’effet indi- 3 ˚C conduit à une augmentation de 33 % de la concen-
viduel de chacun des produits mais elle est moins tration maximale [C-max] secondaire à la vasodilatation
satisfaisante en termes de pharmacocinétique. Son cutanée) et lors d’une exposition à des sources de
risque est, lors de prises rapprochées nécessaires pour chaleur. Des ajustements posologiques sont possibles en
maintenir des taux de paracétamol efficaces, une accu- adaptant la taille des patchs ; il a en effet été démontré
mulation de dextropropoxyphène ou surtout de son que les concentrations obtenues étaient dépendantes de
métabolite. Le dextropropoxyphène peut induire hypo- la dose et de la taille.
glycémie et cardiotoxicité. La Sophidone (hydromorphone) qui existe aux États-
• Le tramadol (Topalgic, Contramal LP) est une Unis depuis plusieurs années, vient d’obtenir l’autorisa-
molécule originale qui possède quelques similitudes tion de mise sur le marché (AMM) en France dans l’in-
avec la codéine. Il est agoniste des récepteurs mu dication suivante : « traitement de deuxième intention
(affinité faible) et inhibe le recaptage de la sérotonine et des douleurs cancéreuses si résistance ou intolérance à
de la noradrénaline. Sa puissance antalgique, inférieure la morphine ». Elle se présente sous forme de gélules à
à celle de la morphine, justifie des doses par prises libération retardée (12 h). Il s’agit d’un agoniste des
4 à 10 fois supérieures en fonction des voies d’admi- récepteurs opiacés mu avec une puissance 5 à 7,5 fois
nistration. Son efficacité est comparable, voire supérieure à celle de la morphine. Son indication
supérieure, à celle d’associations aspirine ou para- officielle s’inscrit dans le principe de la rotation des
cétamol + opiacés tels que dextropropoxyphène ou morphiniques (v. infra).

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ANALGÉSIQUES

2. Agoniste partiel des récepteurs mu TABLEAU II


La buprénorphine (Temgésic) a une puissance antal- Échelle de l’Organisation
gique 30 à 40 fois plus élevée que celle de la morphine. mondiale de la santé*
Son action d’agoniste partiel explique l’existence d’un
effet antalgique plafond, qui apparaîtrait en clinique à
Palier III
une posologie de 3 à 8 mg par voie sublinguale ; la
contre-indication à l’associer à la morphine pour éviter
une réduction de l’analgésie morphinique ; la recom- Opioïdes pour douleur modérée à forte
mandation d’un délai de quelques heures pour passer de Morphine, hydromorphone, oxycodone, péthidine,
la buprénorphine à la morphine. Son caractère lipophile buprénorphine)
explique son absorption par voie sublinguale avec une ± non-opioïdes
biodisponibilité d’environ 55 %. Ses effets indésirables ± adjuvants
sont de type opiacé mais difficiles à antagoniser, si
Persistance ou augmentation de la douleur
nécessaire (surdosage), par la naloxone du fait de la
forte affinité de la buprénorphine pour les récepteurs mu.
Palier II
3. Agonistes kappa et antagonistes mu
La nalbuphine (Nubain) a des effets opiacés proches de Opioïdes pour douleur faible à modérée
ceux de la pentazocine (Fortal) avec une puissance plus Codéine, dihydrocodéine, dextropropoxyphène, tramadol
élevée, donc des doses moindres. Sa durée d’action est
de 2 à 4 h après administration parentérale, seule voie ± non-opioïdes
± adjuvants
d’administration utilisée pour ce produit (sous-cutanée,
intramusculaire ou intraveineuse). Ces caractéristiques Persistance ou augmentation de la douleur
justifient son utilisation essentiellement dans les
douleurs postopératoires. Antalgique d’efficacité inter-
médiaire, la nalbuphine est particulièrement utilisée Palier I
chez l’enfant. Elle s’oppose, par son action antagoniste
des récepteurs mu, à l’action analgésique de la morphine Non-opioïdes
(ou des autres agonistes mu). L’association est donc Aspirine, paracétamol, anti-inflammatoires
contre-indiquée. Elle peut, par ailleurs, précipiter non stéroïdiens (AINS)
l’apparition d’un syndrome de sevrage chez un patient ± adjuvants
préalablement traité par morphine. Elle est, enfin,
susceptible d’induire une dysphorie. * Issue de la brochure: Traitement de la douleur cancéreuse,
2e édition complétée par une Analyse des problèmes liés à la mise
à disposition des opioïdes. OMS, 1997.
Indications et contre-indications
des morphiniques
Ces antalgiques sont essentiellement indiqués dans les Les contre-indications communes à cette classe peuvent
douleurs par excès de nociception, qu’elles soient aiguës être résumées comme suit : insuffisance respiratoire
ou chroniques, d’origine chirurgicale, traumatique, décompensée (en l’absence de ventilation artificielle) ;
tumorale ou autre et de localisation viscérale (crises insuffisance hépatocellulaire sévère ; épilepsie non
hyperalgésiques : coliques hépatiques, néphrétiques, contrôlée ; association des agonistes totaux avec les ago-
infarctus du myocarde), articulaire, etc. Leur niveau nistes opiacés partiels ou agonistes-antagonistes ; asso-
d’efficacité différent conduit à les classer en opiacés ciation avec l’alcool, avec les inhibiteurs de la mono-
faibles et opiacés forts. La référence à l’échelle de amine-oxydase (IMAO) – des accidents sévères
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [tableau II], survenus avec la péthidine (Dolosal) explique cette
établie pour la prise en charge de la douleur prudence – ; en administration aiguë, traumatisme
cancéreuse, explique le classement, trop souvent utilisé crânien et hypertension intracrânienne en l’absence de
dans des contextes cliniques inadaptés, en produits de ventilation contrôlée ; allaitement.
paliers II ou III. Plus simplement, ces produits peuvent
être identifiés comme utilisables dans la prise en charge
des douleurs faibles à modérées ou modérées à sévères. Analgésiques non morphiniques.
Cette classification, plus thérapeutique, est en harmonie
avec l’une des règles essentielles d’utilisation des Il s’agit d’une classification d’exclusion pour une famille
morphiniques : la prescription en fonction de l’intensité pharmacologiquement hétérogène comprenant l’aspirine,
de la douleur et ce en première intention. Les durées de des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), le para-
prescription, complexes, des morphiniques sont rappe- cétamol et quelques autres produits. Leur seul autre point
lées dans le tableau III. commun est l’intensité limitée de leur effet antalgique.

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Pharmacologie

TABLEAU III Aspirine et anti-inflammatoires


non stéroïdiens
Durée de délivrance
des morphiniques 1. Action antalgique
Cette propriété s’exerce vis-à-vis des douleurs par excès
de nociception, la douleur inflammatoire étant le proto-
7 jours*
type de la douleur sensible à ces produits. L’hypothèse
traditionnelle concernant le mécanisme d’action de ces
Morphine (injections sans système actif de perfusion) produits est l’inhibition (irréversible pour l’aspirine, mais
Morphine Aguettant*, Morphine Cooper, pas pour les autres anti-inflammatoires non stéroïdiens)
Morphine Lavoisier, Morphine Meram, injectables des cyclo-oxygénases périphériques qui conduit à une
Oxycodone diminution de la synthèse des prostaglandines, connues
pour jouer un rôle sensibilisateur des nocicepteurs aux
Eubine
médiateurs algogènes (histamine, sérotonine, bradykinine…)
Pentazocine impliqués dans la naissance de l’influx douloureux.
Fortal Il convient de préciser ici que l’on a identifié 2 iso-
formes de la cyclo-oxygénase, la cox 1 initialement dite
Péthidine
constitutive (présente spontanément dans l’organisme)
Dolosal et la cox 2 inductible (elle apparaît dans un contexte
d’inflammation, mais est également constitutive dans
14 jours* certains organes comme le rein par exemple). Aspirine
et anti-inflammatoires non stéroïdiens inhibent la cox 1
et la cox 2. Des inhibiteurs spécifiques de la cox 2
Hydromorphone
(célécoxib, Célébrex ; rofécoxib, Vioxx) sont désormais
Sophidone LP commercialisés dans certains pays avec comme indication
Morphine (formes orales, sauf à libération prolongée) le traitement symptomatique de l’arthrose et de la poly-
Morphine Cooper solution, Sevredol, Actiskenan arthrite rhumatoïde. Ils devraient apparaître dans le
courant de l’année 2000 en France.

28 jours* 2. Pharmacocinétique
Un certain nombre d’éléments généraux peuvent être
Morphine (injections avec systèmes actifs de perfusion) retenus : absorption digestive tout à fait compatible avec
Morphine Aguettant, Morphine Cooper,
une administration orale, métabolisme hépatique,
Morphine Lavoisier, injectables liaison protéique importante, excrétion rénale. Le méta-
bolisme de l’aspirine se fait par hydrolyse intestinale
Morphine (formes orales à libération prolongée) et hépatique rapide, en acide salicylique, qui se lie
Moscontin, Skenan, Kapanol fortement aux protéines plasmatiques et dont la demi-
Fentanyl vie d’élimination plasmatique est d’environ 2 heures,
alors que celle de l’aspirine est beaucoup plus courte.
Durogesic**
3. Pharmacovigilance
30 jours*** Il ne peut être question de faire une revue exhaustive des
nombreux effets indésirables de l’aspirine et des anti-
Codéine inflammatoires non stéroïdiens. Certains sont en rapport
Codenfan et Codoliprane, Efferalgan Codéine… avec l’inhibition de la synthèse des prostaglandines. Il
s’agit des troubles gastro-intestinaux (avec irritation de
Codéthyline la muqueuse et micro-hémorragie, voire ulcère gastro-
Dicodin duodénal). Si sur muqueuse saine, les inhibiteurs spéci-
Dextropropoxyphène
fiques de la cox 2 sont mieux tolérés avec une incidence
bien moindre d’ulcères gastroduodénaux, la surexpres-
Antalvic, Propofan et Di-Antalvic
sion de la cox 2, à visée correctrice, dans l’ulcère gastro-
Nalbuphine duodénal et dans les colites ulcéreuses, fait craindre des
Nubain risques d’accidents digestifs lors de la prescription de
ces produits chez des patients fragilisés (antécédents
* Morphiniques inscrits sur la liste des stupéfiants. d’ulcère, gastrite, entérocolopathie inflammatoire,
** Avec délivrance fractionnée par périodes de 14 j. intolérance digestive aux anti-inflammatoires non
*** Morphiniques inscrits sur la liste I.
Une exonération d’inscription sur la liste est possible pour des quantités stéroïdiens, sujets âgés). Les autres effets indésirables
limitées de codéine et dextropropoxyphène. de l’aspirine et des anti-inflammatoires non stéroïdiens
sont les suivants : troubles de l’hémostase (en rapport

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ANALGÉSIQUES

avec le pouvoir antiagrégant plaquettaire) ; accidents 1. Mécanisme de l’action antalgique


rénaux ; complications fœtales, obstétricales et néo-
natales (avec risque de fermeture prématurée du canal Le paracétamol est un faible inhibiteur des cyclo-
artériel, ralentissement du travail, risque hémorragique oxygénases. La pharmacocinétique du paracétamol,
du post-partum et chez le nouveau-né) ; interférence composé lipophile, plaide pour une diffusion facile de la
avec l’ovulation et l’implantation de l’embryon (COX2). barrière hémato-encéphalique comme l’ont montré des
D’autres effets indésirables peuvent survenir, sans résultats précliniques et cliniques. Un effet central est
relation avec l’influence sur la synthèse des prostaglan- confirmé par l’efficacité du paracétamol dans des
dines. Des accidents immuno-allergiques ont été rappor- modèles de douleur expérimentale non inflammatoire,
tés, allant jusqu’au choc anaphylactique bien connu avec chez l’animal comme chez l’homme, après administra-
l’aspirine, et incluant des accidents cutanés (urticaire, tions systémiques et centrales. Les mécanismes de cet
rash, prurit, éruptions bulleuses : Stevens-Johnson, effet central pourraient être, à côté de l’effet inhibiteur
Lyell); des troubles sensoriels (acouphènes, vertiges, des cyclo-oxygénases sans doute limité, de nature séro-
céphalées) et psychiques ; des troubles hématologiques toninergique. Les données disponibles sont suffisantes
de type cytotoxique ; des troubles hépatiques (hépatite pour remettre en cause la notion d’effet périphérique.
cytolytique ou cholestatique); des néphrites intersti-
tielles. La fréquence de ces effets indésirables varie d’un 2. Pharmacocinétique
produit à l’autre, les plus anciens étant généralement Les caractéristiques essentielles de la pharmacocinétique
les plus incriminés. D’autres classes (par exemple les du paracétamol sont : bonne disponibilité par voie orale
arylcarboxyliques) sont considérées comme mieux (70 à 90 %), faible liaison protéique (10 %), excrétion
tolérées. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens, même rénale importante (90 %), temps de demi-vie plasmatique
présentés uniquement comme antalgiques, peuvent d’environ 2 à 3 h. Son métabolisme est hépatique. Ce
potentiellement provoquer les effets indésirables cités, produit, potentiellement toxique pour les cellules hépa-
en particulier ceux liés à l’inhibition de la synthèse des tiques, est neutralisé dans les conditions d’utilisation
prostaglandines. Cette notion doit être connue du thérapeutique par le glutathion donneur de radicaux SH.
prescripteur, du pharmacien et du patient compte tenu Lors de surdosages, le glutathion endogène n’est plus
de la fréquence de l’automédication. suffisant et la prévention du risque de nécrose hépatique
passe par l’utilisation de N-acétylcystéine (précurseur
4. Indications et contre-indications du glutathion).
Aspirine (0,5 à 3 g, toutes les 4 à 6 h) et anti-inflamma-
toires non stéroïdiens sont indiqués dans les douleurs 3. Pharmacovigilance
par excès de nociception d’intensité faible avec ou sans Le paracétamol est globalement caractérisé par une
composante inflammatoire. Leur activité antalgique bonne tolérance. Ses effets indésirables, très rares aux
limitée justifie leur classement au palier I de l’échelle de doses thérapeutiques, sont des manifestations cutanées à
l’Organisation mondiale de la santé, pour les douleurs type de rash avec érythème, urticaire et (ou) prurit.
cancéreuses. D’autres effets indésirables apparaissent de façon
Leurs contre-indications sont étroitement liées à leurs exceptionnelle aux doses thérapeutiques : bronchospasme,
propriétés pharmacologiques et à leurs effets indé- accidents hématologiques (anémie hémolytique, thrombo-
sirables : ulcère gastroduodénal évolutif ; maladies pénie). La bonne tolérance du paracétamol en fait
hémorragiques ; à partir du 6e mois de grossesse ; l’antalgique de choix chez le jeune enfant et chez la
antécédents d’hypersensibilité ; certaines associations femme enceinte. Si la toxicité hépatique ne s’observe
médicamenteuses. Chez l’enfant atteint de virose, il est qu’en cas de surdosage, ce risque potentiel impose des
légitime de préconiser le paracétamol aux dépens de précautions chez les patients atteints d’insuffisance
l’aspirine, susceptible d’induire, dans ces conditions, un hépatocellulaire, chez les sujets dénutris ou encore chez
syndrome de Reye. les enfants et les personnes âgées, pour lesquels les
posologies doivent être bien adaptées. L’hépatotoxicité
Paracétamol survient pour des doses ingérées supérieures à 10 g chez
l’adulte ou 125 mg/kg chez l’adulte et chez l’enfant.
La fiche d’identité traditionnelle du paracétamol est
celle d’un antalgique périphérique à efficacité modérée, 4. Indications et contre-indications
inhibiteur des cyclo-oxygénases, possédant une action Le paracétamol (0,5 à 4 g, toutes les 4 à 6 h) est indiqué
antipyrétique, bien toléré, avec un risque de toxicité dans les douleurs d’intensité faible, qu’elles soient
hépatique en surdosage. Cependant, les effets thérapeu- bénignes ou non. Son association avec des opiacés faibles
tiques du paracétamol et de l’aspirine diffèrent quant à (codéine ou dextropropoxyphène présents dans plusieurs
l’activité inflammatoire et antiagrégante plaquettaire ; spécialités) a un effet synergique. L’existence d’une pro-
leur pharmacovigilance n’est pas du tout comparable drogue (propacétamol), hydrosoluble, permet le recours
(v. supra et infra). On peut donc légitimement penser à la voie parentérale, en postopératoire par exemple.
que leurs mécanismes d’action diffèrent et qu’il s’agit Ses contre-indications sont limitées aux antécédents
finalement d’antalgiques de classes différentes. d’hypersensibilité et à l’insuffisance hépatocellulaire.

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Pharmacologie

Autres antalgiques miniques, à action mono-aminergique mixte et mieux


Les autres antalgiques, dénués de propriétés anti- tolérés (Effexor, Ixel), pourrait constituer un progrès à
inflammatoires, et traditionnellement classés dans les condition qu’ils manifestent une activité
antalgiques purs sont : la floctafénine (Idarac), la nora- antalgique franche.
midopyrine (Novalgine, Avafortan à la noramidopyrine,
Viscéralgine forte à la noramidopyrine) et le néfopam Antiépileptiques
(Acupan). Ce sont tous des antalgiques utilisables dans La première démonstration clinique de l’efficacité antal-
les douleurs d’intensité faible, voire faible à modérée. gique d’un antiépileptique a été faite en 1942 avec la
Leur mécanisme d’action n’est pas élucidé. phénytoïne (Di-Hydan) dans la névralgie du trijumeau.
La floctafénine appartient au groupe des fénines, elle Depuis on a assisté à la large utilisation de la carbama-
peut provoquer des réactions d’hypersensibilité. La zépine (Tégrétol) dans cette indication, à l’élargissement
noramidopyrine, dérivé des pyrazolés, est à l’origine de l’utilisation des antiépileptiques comme antalgiques
d’agranulocytose et d’état de choc lors d’utilisations par dans des douleurs neuropathiques et à la naissance de
voie intraveineuse. L’agranulocytose, indépendante de nouveaux antiépileptiques.
la dose, peut être mortelle et est imprévisible ; cela Une méta-analyse a conclu positivement dans les indica-
conduit à rejeter la noramidopyrine en traitement de pre- tions suivantes : neuropathie diabétique, névralgie du tri-
mière intention. Le néfopam, antalgique injectable, sans jumeau, prophylaxie de la migraine. Le degré d’efficacité
propriété antipyrétique ou anti-inflammatoire, semble était au moins égal à celui des antidépresseurs, par
posséder un mécanisme d’action central non encore élucidé. exemple dans la neuropathie diabétique douloureuse.
Des résultats positifs ont également été obtenus dans les
Antidépresseurs et antiépileptiques douleurs post-zostériennes. Il est habituel de considérer
que les antiépileptiques sont particulièrement efficaces
Antidépresseurs dans les composantes lancinantes de ces douleurs.

Les antidépresseurs sont efficaces dans le traitement 1. Mécanisme d’action


des douleurs chroniques bénignes, mais cet effet reste Dans les douleurs neuropathiques, des décharges
partiel. Les douleurs neuropathiques représentent le électriques spontanées apparaissent le long des fibres
contexte pathologique le plus sensible à leurs effets ; les nerveuses altérées. Ces phénomènes semblent liés à la
effets analgésiques sont observés indépendamment de surexpression de canaux sodiques. Les antiépileptiques
l’effet thymo-analeptique et en général à doses préviennent la génération de décharges spontanées ;
inférieures ; les antidépresseurs tricycliques, inhibiteurs plusieurs d’entre eux bloquent le fonctionnement des
mixtes du recaptage de la sérotonine et de la noradréna- canaux sodiques. Ce mécanisme d’action n’exclut pas
line, sont plus efficaces que les inhibiteurs spécifiques d’autres cibles potentielles et particulièrement au niveau
de la recapture de sérotonine. de la corne postérieure de la moelle.
1. Mécanisme d’action 2. Pharmacovigilance
Les antidépresseurs ont un effet analgésique propre, qui Les effets indésirables des antiépileptiques sont assez
pourrait passer par une inhibition du recaptage des inhomogènes. Le valproate de sodium (Dépakine) a une
mono-amines libérées par les voies descendantes bul- bonne tolérance. La carbamazépine (Tégrétol) est à
bospinales inhibitrices de la transmission médullaire du l’origine de troubles digestifs et hématologiques qui
message douloureux. La meilleure efficacité des anti- peuvent être gênants, associés à une action d’induction
dépresseurs mixtes (v. supra) pourrait s’expliquer par enzymatique. Cet effet inducteur enzymatique, source
les interactions entre sérotonine et noradrénaline dans d’interactions médicamenteuses, est retrouvé avec
la modulation de la douleur. D’autres mécanismes ont d’autres produits comme la phénytoïne (Di-Hydan). Des
été évoqués. antiépileptiques plus récents ont montré une efficacité
dans les douleurs neuropathiques ; il s’agit par exemple
2. Pharmacovigilance de la gabapentine (Neurontin), dont la tolérance est
Les produits de référence dans la prise en charge des satisfaisante ; de la lamotrigine (Lamictal) qui présente
douleurs chroniques sont les antidépresseurs tricy- le risque d’induire des syndromes de Lyell.
cliques, dérivés de l’imipramine (Tofranil) [amitriptyline,
Laroxyl ; clomipramine, Anafranil ]. Ces produits pré-
sentent l’inconvénient d’induire des effets indésirables Règles d’utilisation, posologies
de nature anticholinergique (constipation, sécheresse
buccale, dysurie voire rétention urinaire, troubles de l’ac-
commodation…) et une cardiotoxicité en surdosage. Antalgiques
Leur tolérance quotidienne n’est donc pas satisfaisante.
Les inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine Le choix de l’antalgique dépend de la nature et de
(Floxyfral, Prozac, Séropram, Zoloft, Déroxat) sont l’intensité de la douleur. Il faut rejeter, quel que soit le
mieux tolérés, mais sont moins efficaces que les tricy- contexte douloureux et même pour des douleurs
cliques. La mise sur le marché de produits, non imipra- « banales », l’analgésie à la demande, c’est-à-dire sans

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ANALGÉSIQUES

administration systématique des produits. La fréquence analgésique. En pratique, on injecte une dose de charge
de l’administration doit dépendre de la durée d’action à intervalles réguliers, de façon séquentielle (0,03 mg/kg
des produits. L’efficacité de la prescription doit être toutes les 10 min), jusqu’à l’obtention d’une analgésie
régulièrement évaluée. Le risque d’effet indésirable doit sans apparition de sédation ou de dépression respiratoire.
être intégré et des attitudes curatives voire préventives L’administration peut se poursuivre par pompe auto-
doivent permettre d’en limiter les désagréments. contrôlée ou par injections à intervalles réguliers. Pour
la morphine, la dose de charge est comprise le plus souvent
entre 5 et 10 mg et ensuite relayée par des injections
Modalités de prescription itératives de 5 à 10 mg toutes les 3 à 4 h par voie intra-
de la morphine et des morphiniques veineuse ou sous-cutanée. Les règles de surveillance
sont les suivantes : surveillance hémodynamique, du
1. Voies d’administration et administration degré de somnolence, de la fréquence respiratoire et de
autocontrôlée par le patient l’analgésie avant chaque injection. Si le patient présente
une sédation importante et une fréquence respiratoire
Différentes voies sont utilisables : la voie orale privilégiée
inférieure à 9 cycles/min : administration d’oxygène et
pour les douleurs chroniques, en particulier en cancéro-
utilisation de la naloxone (Narcan, une demi-ampoule
logie, les voies intraveineuse, sous-cutanée, péridurale
de 0,4 mg par voie intraveineuse directe).
et plus exceptionnellement les voies directement centrales La voie intraveineuse présente une sécurité plus importante
(intrathécales ou intra-cérébro-ventriculaires), l’admi- que la voie intramusculaire, dont la résorption est imprévi-
nistration transcutanée. Pour la morphine, la voie orale sible. En effet, lors d’une injection intraveineuse de 2,5 à
doit être privilégiée, pour sa facilité d’utilisation. 5 mg, l’effet maximal apparaît après 15 min environ ainsi
L’administration sous-cutanée peut être intéressante par que les effets secondaires (bradypnée). Par voie intramuscu-
exemple dans le contexte des soins de fin de vie où la laire, l’effet maximal peut n’apparaître que 30 à 40 min après
voie orale peut être problématique. La voie transcutanée l’injection et une bradypnée peut ainsi passer inaperçue.
a révélé son intérêt avec le fentanyl. • Dans la douleur chronique d’origine cancéreuse, la
La nécessité de maintenir une couverture antalgique prescription des morphiniques répond en théorie au
préventive efficace a conduit à développer le concept schéma de l’échelle de l’Organisation mondiale de la
d’administration autocontrôlée par le patient (patient santé, mais l’escalade progressive ne constitue pas une
controlled analgesia, PCA). Cette méthode possède réponse pertinente à toutes les situations douloureuses.
3 caractéristiques importantes : Ainsi, devant une douleur intense, le recours d’emblée à
– dès que le patient ressent une douleur, il peut déclen- un morphinique majeur est légitime. Outre l’intensité
cher lui-même une injection de morphiniques ; de l’effet obtenu, ce recours permet une adaptation
– elle permet d’utiliser une administration intraveineuse posologique que ne permet pas aussi facilement
de morphiniques assurant une analgésie rapide ; l’emploi des opiacés faibles et peut assurer un rapport
– elle permet l’utilisation de faibles doses de morphi- bénéfice-effet indésirable supérieur à celui de fortes
niques par voie intraveineuse, du fait de la possibilité doses d’opiacés faibles.
de répéter souvent les injections. Le recours à la morphine dans les douleurs cancéreuses
Cette technique est principalement utilisée en post- est habituel. La posologie doit être adaptée à chaque
opératoire avec la morphine. Le contrôle médical s’exerce sujet. La dose initiale, administrée par voie orale, est de
par la détermination des paramètres de la pompe que 60 mg/j répartis en 6 prises, s’il s’agit d’une forme à
sont : la dose de bolus, la période d’interdiction, pendant libération immédiate, ou en 2 prises pour Moscontin et
laquelle la pompe n’est pas fonctionnelle, et la dose Skenan. En cas d’insuffisance de soulagement lors de la
maximale pour une période de 4 h. Des protocoles doi- première journée de traitement, des doses intermédiaires
vent être établis concernant la prescription, la sur- de 10 mg de morphine à libération rapide peuvent être
veillance et le traitement des effets indésirables. administrées. La posologie du lendemain correspond, si
2. Modalités de prescription la sédation de la douleur a été satisfaisante, à la dose
totale reçue le premier jour, répartie en 6 ou 2 prises en
Les modalités de prescription des morphiniques varient fonction des formes prescrites. Dans l’hypothèse inverse,
en fonction du contexte pathologique. Elles seront illustrées la posologie est augmentée de 50 %, jusqu’à obtention
dans les douleurs aiguës et chroniques pour les posologies d’une analgésie correcte. Cette augmentation doit bien
de la morphine. évidemment tenir compte de l’état clinique du patient,
• Dans la douleur aiguë, le recours aux morphiniques des effets indésirables éventuels, du niveau de doses où
dépend de l’intensité de la douleur, qu’il s’agisse d’une l’on se situe. Des produits à cinétique de libération du
douleur postopératoire ou de douleurs de polytraumatisés, principe actif plus lente (Durogesic, Kapanol) peuvent
abdominales, d’infarctus du myocarde. Si celle-ci être utilisés comme traitement de fond. L’obtention d’un
l’impose, la morphine peut être prescrite. Elle est utili- niveau d’analgésie stable n’exclut pas la nécessité de
sée par voie intraveineuse. l’évaluer régulièrement. La morphine n’a pas d’effet
La titration se justifie par la nécessité d’adapter indivi- plafond ce qui explique que des doses importantes
duellement les doses de morphine du fait de la variabilité (1 000 mg ou plus) puissent quelquefois être atteintes,
interindividuelle de la concentration minimale efficace, certes progressivement.

914 LA REVUE DU PRATICIEN 2000, 50


Pharmacologie

Outre les doses intermédiaires utilisées en début de rhumatologie non cancéreuse « recommandations de
traitement, une stratégie thérapeutique consiste à ajouter Limoges ». Bien que ces recommandations n’aient pas
sur un traitement morphinique de fond des doses ponc- été validées, elles sont le reflet d’une modification des
tuelles (interdoses) dans l’objectif de mieux couvrir mentalités pour permettre d’utiliser la morphine d’une
d’éventuels paroxysmes douloureux, qu’il s’agisse de façon plus rationnelle et d’améliorer la prise en charge
prévenir une douleur provoquée (soins, mobilisation) ou des patients douloureux chroniques en rhumatologie.
de soulager un accès installé. Elles orientent la prescription comme suit : « la dose
• Ces interdoses permettent de ne pas augmenter la initiale préconisée se situera entre 10 et 30 mg de sulfate
posologie du traitement continu, suffisante pour neutra- de morphine à libération prolongée, administrée par
liser le fond douloureux, et d’éviter ainsi la survenue voie orale 2 fois/j à horaire fixe, en tenant compte du ter-
d’effets indésirables. Les nouvelles formes de morphine rain. Des posologies faibles seront instituées chez les
à libération immédiate sont particulièrement opportunes sujets âgés, insuffisants rénaux ou hépatiques. Un ajus-
ici. La dose pour chaque prise est de 10 % de la dose tement posologique se fera par paliers (lors de chaque
quotidienne. Le délai entre 2 interdoses ne doit pas être consultation prévue) en augmentant au plus de 50 % la
trop court, au moins supérieur à 1 h. Le traitement de dose journalière. Une surveillance rapprochée, au mini-
fond doit bien sûr être modifié si la plainte douloureuse mum à J14 et J28, sera instituée pour apprécier les effets
justifie un nombre trop élevé d’interdoses (4/j ou plus). indésirables et l’efficacité de la morphine jusqu’à obten-
• La rotation des opioïdes est une stratégie thérapeu- tion d’une posologie optimale. Un complément antal-
tique mise en œuvre dans le cadre de la douleur cancé- gique sera prescrit dans le cas de douleurs fluctuantes
reuse, qui consiste à remplacer un morphinique par un (paracétamol, morphine à libération immédiate). »
autre dans l’objectif d’améliorer le rapport bénéfice- Concernant les douleurs neurogènes, on sait aujourd’hui
risque. Deux situations cliniques peuvent expliquer un que les morphiniques peuvent être utiles dans un certain
mauvais rapport bénéfice-risque : une analgésie ineffica- nombre de cas, mais il n’existe aucune étude permettant
ce malgré l’augmentation des doses (reflet d’une pos- d’identifier des types de douleurs ou des caractéristiques
sible tolérance), la survenue d’effets indésirables trop précises de la douleur (allodynie ou hyperalgésie, par
intenses. Le rationnel pharmacologique de cette straté- exemple), prédictifs d’une réponse favorable. Les
gie tiendrait d’une part à l’existence d’une tolérance croi- recommandations pour une utilisation au long cours des
sée incomplète entre les morphiniques, la réduction d’ef- morphiniques dans les douleurs neurogènes chroniques
fet observée avec un morphinique peut ne pas se sont superposables aux recommandations de Limoges.■
reproduire (ou partiellement) avec un autre ; d’autre part
à des profils pharmacologiques légèrement différents
entre les morphiniques, liés à l’existence de variants de Points Forts à retenir
récepteurs opiacés (par exemple mu) vis-à-vis desquels
les produits n’auraient pas la même affinité ; enfin, à des • Morphine et morphiniques, aspirine, anti-
différences de métabolisme. inflammatoires non stéroïdiens et paracétamol
Les recommandations actuelles sont de ne pas galvauder sont indiqués dans les syndromes douloureux
cette stratégie et de ne pas confondre rotation d’opioïdes aigus ou chroniques secondaires à des excès
avec « valse » des opioïdes. Ce changement ne doit de nociception ; le choix du produit dépend
s’effectuer qu’après analyse précise de la situation de l’intensité de la douleur et des caractéristiques
clinique et exploration préalable de toute autre alternative du patient.
(évaluation de la progression de la maladie, correction • Antidépresseurs et antiépileptiques sont indiqués
d’éventuelles anomalies organiques ou biologiques, éva- dans les douleurs neurogènes.
luation et correction éventuelle des effets indésirables et • La prise des antalgiques doit être régulière
des interactions médicamenteuses). En conclusion, si la sur le nycthémère pour assurer une efficacité
rotation des opioïdes est une stratégie supplémentaire
constante. La fréquence d’administration
pour la prise en charge de la douleur cancéreuse, on doit
dépend de la durée d’action des produits.
rester prudent dans ses indications et vigilant lors du
• Concernant les morphiniques, les stratégies
changement pour assurer un bon ajustement des doses
thérapeutiques varient en fonction du type
pour chaque patient. En France, on ne dispose que de
de douleur et des caractéristiques du patient.
2 produits pour assurer le changement de la morphine :
l’hydromorphone et le fentanyl en patch. • Le risque d’effets indésirables
• Dans des douleurs chroniques non cancéreuses qui des morphiniques où dominent constipation,
touchent une sous-population de patients, celle-ci peut nausées, vomissements, sédation, dépression
bénéficier de l’administration d’opiacés au long cours avec respiratoire justifie une surveillance
une bonne efficacité et une amélioration de la qualité de vie. et (ou) une attitude prophylactique garantes
L’ensemble de ces douleurs regroupe les douleurs ostéo- d’un bon rapport bénéfice-risque.
articulaires, neurogènes et dermatologiques. • Parmi les antalgiques non morphiniques, le
Concernant les douleurs rhumatologiques, le Cercle paracétamol constitue un produit de référence,
d’étude de la douleur rhumatologique a élaboré en 1999 d’efficacité modérée et de bonne tolérance.
des recommandations sur l’utilisation de la morphine en

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