B 385
Analgésiques
Principes et règles d’utilisation, posologie de la morphine et de ses dérivés
PR Alain ESCHALIER, DR Pascale PICARD, PR Claude DUBRAY
Service de pharmacologie clinique, Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, INSERM E9904, CHU, Faculté de médecine, 63001 Clermont-Ferrand.
Points Forts à comprendre Elle est agoniste préférentiel des récepteurs opioïdes
mu, présents avec les récepteurs delta et kappa (sur les-
quels elle se fixe avec une moindre affinité) dans la
• La plainte douloureuse exprimée corne postérieure de la moelle épinière. Les récepteurs
par les patients est la résultante de composantes mu sont pour partie localisés sur les fibres afférentes
sensori-discriminatives, affectivo-émotionnelles primaires, leur activation par la morphine aboutit alors à
et cognitivo-comportementales. la diminution de la libération de neurotransmetteurs tels
• Le phénomène sensori-discriminatif que substance P ou CGRP (calcitonin gene related pep-
implique, de la périphérie vers les centres, tide). Au niveau post-synaptique, l’activation de ces
des nocicepteurs, des fibres afférentes primaires récepteurs conduit à une hyperpolarisation des neurones
A delta et C, des centres nerveux (corne spinaux à l’origine des voies ascendantes. La présence
postérieure de la moelle ou noyaux du trijumeau) de récepteurs opioïdes dans différentes structures
zones de premier relais et de régulation supraspinales suggère que la morphine pourrait exercer
de la transmission du message, puis des voies une partie de son effet antalgique en agissant sur ces
ascendantes vers les centres supérieurs. cibles. Ces sites d’action expliquent l’utilisation des
• On distingue les douleurs par excès voies d’administration centrales de la morphine et de
de nociception (douleurs postopératoires, certains morphiniques (intrathécale, péridurale, intra-
douleurs inflammatoires…) et les douleurs cérébroventriculaire).
neurogènes (douleurs des neuropathies
périphériques, douleurs de lésions du système 2. Pharmacocinétique
nerveux central). La morphine, dont la biodisponibilité après administra-
• Les médicaments antalgiques interfèrent avant tion orale est de 20 à 40 %, est métabolisée au niveau
tout avec la composante sensori-discriminative. hépatique selon trois voies : glucuro-conjuguaison (mor-
• L’existence pour les différents antalgiques phine 3 glucuronide [M3G], morphine 6 glucuronide,
de sites d’action mixtes (périphériques [M6G]), sulfo-conjuguaison et N-déméthylation (nor-
et centraux) conduit à rejeter la classification morphine). La M3G est plus présente que la M6G ; le
habituelle entre antalgiques périphériques rapport de concentration dans le liquide céphalo-rachi-
et antalgiques centraux. dien, après administration répétée, est : [M3G]/M = 7 et
[M6G]/[M] = 0,8. M6G est un puissant analgésique.
L’élimination est urinaire et plus modestement biliaire.
La demi-vie d’élimination plasmatique de la morphine
Analgésiques morphiniques est de 1,7 h, sa durée d’action d’environ 4 h. Ces valeurs
limitées ont justifié le développement de formes à
La morphine reste la substance de référence dans la libération prolongée : Moscontin, Skenan, Kapanol.
famille des morphiniques. Récemment, sont également apparues sur le marché des
formes solides de morphine, à libération immédiate, ce
qui n’existait pas dans notre pays (Sevredol,
Morphine Actiskenan).
1. Activité antalgique 3. Pharmacovigilance
La morphine ne constitue pas l’antalgique universel. La constipation est un effet indésirable très fréquent
Très efficace dans les douleurs sévères par excès de puisque pratiquement 100 % des sujets traités par morphine
nociception, elle est d’intérêt plus limité dans les s’en plaignent. À l’effet sur la musculature lisse intes-
douleurs neurogènes. tinale, s’ajoute une réduction des sécrétions digestives.
La morphine et les morphiniques sont traditionnelle- La morphine est capable d’induire des nausées et des
ment reconnus comme des antalgiques d’action centrale. vomissements lors d’une première administration chez
Les données actuelles reconnaissent un site d’action environ 1 à 2 patients sur 3. Ces effets peuvent
spinal et supraspinal, mais une action périphérique est être prévenus par des neuroleptiques à faibles doses
également évoquée. (halopéridol, dropéridol).
1. Agonistes totaux des récepteurs mu codéine. Sa durée d’action est de 4 à 6 h. Son mécanis-
me d’action particulier pourrait justifier une utilisation
• La codéine (Codenfan) et la dihydrocodéine (Dicodin) du tramadol dans les douleurs neuropathiques, indica-
sont des dérivés de la morphine, respectivement méthylés tion qui reste à valider.
et méthylés et dihydrogénés. Il semble acquis que la Les caractéristiques de ce produit sont compatibles avec
codéine exerce son activité antalgique par l’intermédiaire une administration orale (biodisponibilité de 70 %).
de produits issus de sa biotransformation hépatique. Dix Hydrosoluble, il est également utilisable par voie paren-
pour cent de la codéine est transformée en morphine. La térale. Sa demi-vie d’élimination est de 5 à 7 h. Le méta-
transformation de la codéine en morphine se fait sous bolisme hépatique peut être soumis également à un
l’influence du cytochrome 2D6 soumis à un polymor- phénomène de polymorphisme génétique ; il implique
phisme génétique. Dix pour cent de la population cauca- en effet le cytochrome 2D6 pour aboutir à un dérivé
sienne, européenne et américaine métabolise lentement déméthylé, actif, du tramadol. Les effets indésirables du
la codéine en morphine. Cette disparité peut rendre tramadol reproduisent avec une moindre fréquence et
compte d’une certaine variabilité de la réponse analgé- une moindre intensité les effets opioïdergiques clas-
sique à la codéine. Les caractéristiques de la codéine siques de la morphine. Il peut conduire également, de
expliquent sa puissance limitée (doses équi-analgésiques façon relativement rare, à des manifestations de type
10 à 12 fois supérieures à celles de la morphine) et sa anaphylactique et des convulsions.
moindre efficacité, ainsi que sa durée d’action de 4 à 6 h. • Les nouveaux morphiniques, agonistes totaux des
Ces spécificités de la codéine ont justifié son association récepteurs mu, sont plus nombreux dans d’autres pays
avec des antalgiques dits périphériques (Codoliprane, qu’en France. Deux spécialités sont apparues récem-
Efferalgan codéine). Ainsi, il a été montré que l’association ment dans notre pays : le Durogesic, fentanyl à adminis-
codéine + paracétamol conduisait à un effet synergique. tration transdermique, avec une puissance, vis-à-vis du
Une méta-analyse étudiant l’intérêt de l’association récepteur mu, 50 à 100 fois supérieure à celle de la mor-
paracétamol-codéine, dans les douleurs aiguës, a montré phine. Le fentanyl est un produit dont la lipophilie est
que le nombre nécessaire de patients à traiter pour avoir élevée, ce qui confère à la préparation de Durogesic une
un répondeur était à peu près équivalent entre l’associa- biodisponibilité de 92 %. Le délai nécessaire pour que le
tion paracétamol 300 mg + codéine 30 mg et l’adminis- fentanyl soit retrouvé dans le courant circulatoire est de
tration de paracétamol 600 mg. 2 h, le t-max (temps au bout duquel la concentration
• Le dextropropoxyphène (Antalvic) est un dérivé dextro- plasmatique maximale est atteinte) est de 24 h, un
gyre de la méthadone. Ce produit possède une puissance plateau de concentration est atteint de 24 à 72 h après
antalgique qui est la moitié à 2 tiers de celle de la codéine. l’application. Le temps de demi-vie d’élimination est
Sa durée d’action est d’environ 4 à 6 h, avec un effet de 17 h. Ces caractéristiques cinétiques expliquent
maximum obtenu au bout de 2 h. Métabolisé au niveau que l’analgésie apparaisse avec un délai de 8 à 16 h
hépatique, le dextropropoxyphène se transforme pour et qu’elle persiste pendant 12 à 24 h après
l’essentiel en norpropoxyphène qui a une demi-vie l’ablation du patch. Cette présentation est donc indiquée
d’élimination plus longue (15 à 30 h) que celle du produit dans la prise en charge des douleurs chroniques,
mère (6 à 20 h). Le norpropoxyphène présente l’incon- essentiellement cancéreuses. Elle est spécifiquement
vénient d’induire des tremblements et des convulsions contre-indiquée dans la douleur aiguë, la douleur
(phénomène de dépendance à la dose). Le dextropro- instable, l’allergie cutanée au système d’application.
poxyphène est présent dans des associations avec le Des précautions d’emploi, également spécifiques, sont
paracétamol (Di-Antalvic, Propofan). Cette association nécessaires lors d’hyperthermie (une augmentation de
aboutit également à une augmentation de l’effet indi- 3 ˚C conduit à une augmentation de 33 % de la concen-
viduel de chacun des produits mais elle est moins tration maximale [C-max] secondaire à la vasodilatation
satisfaisante en termes de pharmacocinétique. Son cutanée) et lors d’une exposition à des sources de
risque est, lors de prises rapprochées nécessaires pour chaleur. Des ajustements posologiques sont possibles en
maintenir des taux de paracétamol efficaces, une accu- adaptant la taille des patchs ; il a en effet été démontré
mulation de dextropropoxyphène ou surtout de son que les concentrations obtenues étaient dépendantes de
métabolite. Le dextropropoxyphène peut induire hypo- la dose et de la taille.
glycémie et cardiotoxicité. La Sophidone (hydromorphone) qui existe aux États-
• Le tramadol (Topalgic, Contramal LP) est une Unis depuis plusieurs années, vient d’obtenir l’autorisa-
molécule originale qui possède quelques similitudes tion de mise sur le marché (AMM) en France dans l’in-
avec la codéine. Il est agoniste des récepteurs mu dication suivante : « traitement de deuxième intention
(affinité faible) et inhibe le recaptage de la sérotonine et des douleurs cancéreuses si résistance ou intolérance à
de la noradrénaline. Sa puissance antalgique, inférieure la morphine ». Elle se présente sous forme de gélules à
à celle de la morphine, justifie des doses par prises libération retardée (12 h). Il s’agit d’un agoniste des
4 à 10 fois supérieures en fonction des voies d’admi- récepteurs opiacés mu avec une puissance 5 à 7,5 fois
nistration. Son efficacité est comparable, voire supérieure à celle de la morphine. Son indication
supérieure, à celle d’associations aspirine ou para- officielle s’inscrit dans le principe de la rotation des
cétamol + opiacés tels que dextropropoxyphène ou morphiniques (v. infra).
28 jours* 2. Pharmacocinétique
Un certain nombre d’éléments généraux peuvent être
Morphine (injections avec systèmes actifs de perfusion) retenus : absorption digestive tout à fait compatible avec
Morphine Aguettant, Morphine Cooper,
une administration orale, métabolisme hépatique,
Morphine Lavoisier, injectables liaison protéique importante, excrétion rénale. Le méta-
bolisme de l’aspirine se fait par hydrolyse intestinale
Morphine (formes orales à libération prolongée) et hépatique rapide, en acide salicylique, qui se lie
Moscontin, Skenan, Kapanol fortement aux protéines plasmatiques et dont la demi-
Fentanyl vie d’élimination plasmatique est d’environ 2 heures,
alors que celle de l’aspirine est beaucoup plus courte.
Durogesic**
3. Pharmacovigilance
30 jours*** Il ne peut être question de faire une revue exhaustive des
nombreux effets indésirables de l’aspirine et des anti-
Codéine inflammatoires non stéroïdiens. Certains sont en rapport
Codenfan et Codoliprane, Efferalgan Codéine… avec l’inhibition de la synthèse des prostaglandines. Il
s’agit des troubles gastro-intestinaux (avec irritation de
Codéthyline la muqueuse et micro-hémorragie, voire ulcère gastro-
Dicodin duodénal). Si sur muqueuse saine, les inhibiteurs spéci-
Dextropropoxyphène
fiques de la cox 2 sont mieux tolérés avec une incidence
bien moindre d’ulcères gastroduodénaux, la surexpres-
Antalvic, Propofan et Di-Antalvic
sion de la cox 2, à visée correctrice, dans l’ulcère gastro-
Nalbuphine duodénal et dans les colites ulcéreuses, fait craindre des
Nubain risques d’accidents digestifs lors de la prescription de
ces produits chez des patients fragilisés (antécédents
* Morphiniques inscrits sur la liste des stupéfiants. d’ulcère, gastrite, entérocolopathie inflammatoire,
** Avec délivrance fractionnée par périodes de 14 j. intolérance digestive aux anti-inflammatoires non
*** Morphiniques inscrits sur la liste I.
Une exonération d’inscription sur la liste est possible pour des quantités stéroïdiens, sujets âgés). Les autres effets indésirables
limitées de codéine et dextropropoxyphène. de l’aspirine et des anti-inflammatoires non stéroïdiens
sont les suivants : troubles de l’hémostase (en rapport
administration systématique des produits. La fréquence analgésique. En pratique, on injecte une dose de charge
de l’administration doit dépendre de la durée d’action à intervalles réguliers, de façon séquentielle (0,03 mg/kg
des produits. L’efficacité de la prescription doit être toutes les 10 min), jusqu’à l’obtention d’une analgésie
régulièrement évaluée. Le risque d’effet indésirable doit sans apparition de sédation ou de dépression respiratoire.
être intégré et des attitudes curatives voire préventives L’administration peut se poursuivre par pompe auto-
doivent permettre d’en limiter les désagréments. contrôlée ou par injections à intervalles réguliers. Pour
la morphine, la dose de charge est comprise le plus souvent
entre 5 et 10 mg et ensuite relayée par des injections
Modalités de prescription itératives de 5 à 10 mg toutes les 3 à 4 h par voie intra-
de la morphine et des morphiniques veineuse ou sous-cutanée. Les règles de surveillance
sont les suivantes : surveillance hémodynamique, du
1. Voies d’administration et administration degré de somnolence, de la fréquence respiratoire et de
autocontrôlée par le patient l’analgésie avant chaque injection. Si le patient présente
une sédation importante et une fréquence respiratoire
Différentes voies sont utilisables : la voie orale privilégiée
inférieure à 9 cycles/min : administration d’oxygène et
pour les douleurs chroniques, en particulier en cancéro-
utilisation de la naloxone (Narcan, une demi-ampoule
logie, les voies intraveineuse, sous-cutanée, péridurale
de 0,4 mg par voie intraveineuse directe).
et plus exceptionnellement les voies directement centrales La voie intraveineuse présente une sécurité plus importante
(intrathécales ou intra-cérébro-ventriculaires), l’admi- que la voie intramusculaire, dont la résorption est imprévi-
nistration transcutanée. Pour la morphine, la voie orale sible. En effet, lors d’une injection intraveineuse de 2,5 à
doit être privilégiée, pour sa facilité d’utilisation. 5 mg, l’effet maximal apparaît après 15 min environ ainsi
L’administration sous-cutanée peut être intéressante par que les effets secondaires (bradypnée). Par voie intramuscu-
exemple dans le contexte des soins de fin de vie où la laire, l’effet maximal peut n’apparaître que 30 à 40 min après
voie orale peut être problématique. La voie transcutanée l’injection et une bradypnée peut ainsi passer inaperçue.
a révélé son intérêt avec le fentanyl. • Dans la douleur chronique d’origine cancéreuse, la
La nécessité de maintenir une couverture antalgique prescription des morphiniques répond en théorie au
préventive efficace a conduit à développer le concept schéma de l’échelle de l’Organisation mondiale de la
d’administration autocontrôlée par le patient (patient santé, mais l’escalade progressive ne constitue pas une
controlled analgesia, PCA). Cette méthode possède réponse pertinente à toutes les situations douloureuses.
3 caractéristiques importantes : Ainsi, devant une douleur intense, le recours d’emblée à
– dès que le patient ressent une douleur, il peut déclen- un morphinique majeur est légitime. Outre l’intensité
cher lui-même une injection de morphiniques ; de l’effet obtenu, ce recours permet une adaptation
– elle permet d’utiliser une administration intraveineuse posologique que ne permet pas aussi facilement
de morphiniques assurant une analgésie rapide ; l’emploi des opiacés faibles et peut assurer un rapport
– elle permet l’utilisation de faibles doses de morphi- bénéfice-effet indésirable supérieur à celui de fortes
niques par voie intraveineuse, du fait de la possibilité doses d’opiacés faibles.
de répéter souvent les injections. Le recours à la morphine dans les douleurs cancéreuses
Cette technique est principalement utilisée en post- est habituel. La posologie doit être adaptée à chaque
opératoire avec la morphine. Le contrôle médical s’exerce sujet. La dose initiale, administrée par voie orale, est de
par la détermination des paramètres de la pompe que 60 mg/j répartis en 6 prises, s’il s’agit d’une forme à
sont : la dose de bolus, la période d’interdiction, pendant libération immédiate, ou en 2 prises pour Moscontin et
laquelle la pompe n’est pas fonctionnelle, et la dose Skenan. En cas d’insuffisance de soulagement lors de la
maximale pour une période de 4 h. Des protocoles doi- première journée de traitement, des doses intermédiaires
vent être établis concernant la prescription, la sur- de 10 mg de morphine à libération rapide peuvent être
veillance et le traitement des effets indésirables. administrées. La posologie du lendemain correspond, si
2. Modalités de prescription la sédation de la douleur a été satisfaisante, à la dose
totale reçue le premier jour, répartie en 6 ou 2 prises en
Les modalités de prescription des morphiniques varient fonction des formes prescrites. Dans l’hypothèse inverse,
en fonction du contexte pathologique. Elles seront illustrées la posologie est augmentée de 50 %, jusqu’à obtention
dans les douleurs aiguës et chroniques pour les posologies d’une analgésie correcte. Cette augmentation doit bien
de la morphine. évidemment tenir compte de l’état clinique du patient,
• Dans la douleur aiguë, le recours aux morphiniques des effets indésirables éventuels, du niveau de doses où
dépend de l’intensité de la douleur, qu’il s’agisse d’une l’on se situe. Des produits à cinétique de libération du
douleur postopératoire ou de douleurs de polytraumatisés, principe actif plus lente (Durogesic, Kapanol) peuvent
abdominales, d’infarctus du myocarde. Si celle-ci être utilisés comme traitement de fond. L’obtention d’un
l’impose, la morphine peut être prescrite. Elle est utili- niveau d’analgésie stable n’exclut pas la nécessité de
sée par voie intraveineuse. l’évaluer régulièrement. La morphine n’a pas d’effet
La titration se justifie par la nécessité d’adapter indivi- plafond ce qui explique que des doses importantes
duellement les doses de morphine du fait de la variabilité (1 000 mg ou plus) puissent quelquefois être atteintes,
interindividuelle de la concentration minimale efficace, certes progressivement.
Outre les doses intermédiaires utilisées en début de rhumatologie non cancéreuse « recommandations de
traitement, une stratégie thérapeutique consiste à ajouter Limoges ». Bien que ces recommandations n’aient pas
sur un traitement morphinique de fond des doses ponc- été validées, elles sont le reflet d’une modification des
tuelles (interdoses) dans l’objectif de mieux couvrir mentalités pour permettre d’utiliser la morphine d’une
d’éventuels paroxysmes douloureux, qu’il s’agisse de façon plus rationnelle et d’améliorer la prise en charge
prévenir une douleur provoquée (soins, mobilisation) ou des patients douloureux chroniques en rhumatologie.
de soulager un accès installé. Elles orientent la prescription comme suit : « la dose
• Ces interdoses permettent de ne pas augmenter la initiale préconisée se situera entre 10 et 30 mg de sulfate
posologie du traitement continu, suffisante pour neutra- de morphine à libération prolongée, administrée par
liser le fond douloureux, et d’éviter ainsi la survenue voie orale 2 fois/j à horaire fixe, en tenant compte du ter-
d’effets indésirables. Les nouvelles formes de morphine rain. Des posologies faibles seront instituées chez les
à libération immédiate sont particulièrement opportunes sujets âgés, insuffisants rénaux ou hépatiques. Un ajus-
ici. La dose pour chaque prise est de 10 % de la dose tement posologique se fera par paliers (lors de chaque
quotidienne. Le délai entre 2 interdoses ne doit pas être consultation prévue) en augmentant au plus de 50 % la
trop court, au moins supérieur à 1 h. Le traitement de dose journalière. Une surveillance rapprochée, au mini-
fond doit bien sûr être modifié si la plainte douloureuse mum à J14 et J28, sera instituée pour apprécier les effets
justifie un nombre trop élevé d’interdoses (4/j ou plus). indésirables et l’efficacité de la morphine jusqu’à obten-
• La rotation des opioïdes est une stratégie thérapeu- tion d’une posologie optimale. Un complément antal-
tique mise en œuvre dans le cadre de la douleur cancé- gique sera prescrit dans le cas de douleurs fluctuantes
reuse, qui consiste à remplacer un morphinique par un (paracétamol, morphine à libération immédiate). »
autre dans l’objectif d’améliorer le rapport bénéfice- Concernant les douleurs neurogènes, on sait aujourd’hui
risque. Deux situations cliniques peuvent expliquer un que les morphiniques peuvent être utiles dans un certain
mauvais rapport bénéfice-risque : une analgésie ineffica- nombre de cas, mais il n’existe aucune étude permettant
ce malgré l’augmentation des doses (reflet d’une pos- d’identifier des types de douleurs ou des caractéristiques
sible tolérance), la survenue d’effets indésirables trop précises de la douleur (allodynie ou hyperalgésie, par
intenses. Le rationnel pharmacologique de cette straté- exemple), prédictifs d’une réponse favorable. Les
gie tiendrait d’une part à l’existence d’une tolérance croi- recommandations pour une utilisation au long cours des
sée incomplète entre les morphiniques, la réduction d’ef- morphiniques dans les douleurs neurogènes chroniques
fet observée avec un morphinique peut ne pas se sont superposables aux recommandations de Limoges.■
reproduire (ou partiellement) avec un autre ; d’autre part
à des profils pharmacologiques légèrement différents
entre les morphiniques, liés à l’existence de variants de Points Forts à retenir
récepteurs opiacés (par exemple mu) vis-à-vis desquels
les produits n’auraient pas la même affinité ; enfin, à des • Morphine et morphiniques, aspirine, anti-
différences de métabolisme. inflammatoires non stéroïdiens et paracétamol
Les recommandations actuelles sont de ne pas galvauder sont indiqués dans les syndromes douloureux
cette stratégie et de ne pas confondre rotation d’opioïdes aigus ou chroniques secondaires à des excès
avec « valse » des opioïdes. Ce changement ne doit de nociception ; le choix du produit dépend
s’effectuer qu’après analyse précise de la situation de l’intensité de la douleur et des caractéristiques
clinique et exploration préalable de toute autre alternative du patient.
(évaluation de la progression de la maladie, correction • Antidépresseurs et antiépileptiques sont indiqués
d’éventuelles anomalies organiques ou biologiques, éva- dans les douleurs neurogènes.
luation et correction éventuelle des effets indésirables et • La prise des antalgiques doit être régulière
des interactions médicamenteuses). En conclusion, si la sur le nycthémère pour assurer une efficacité
rotation des opioïdes est une stratégie supplémentaire
constante. La fréquence d’administration
pour la prise en charge de la douleur cancéreuse, on doit
dépend de la durée d’action des produits.
rester prudent dans ses indications et vigilant lors du
• Concernant les morphiniques, les stratégies
changement pour assurer un bon ajustement des doses
thérapeutiques varient en fonction du type
pour chaque patient. En France, on ne dispose que de
de douleur et des caractéristiques du patient.
2 produits pour assurer le changement de la morphine :
l’hydromorphone et le fentanyl en patch. • Le risque d’effets indésirables
• Dans des douleurs chroniques non cancéreuses qui des morphiniques où dominent constipation,
touchent une sous-population de patients, celle-ci peut nausées, vomissements, sédation, dépression
bénéficier de l’administration d’opiacés au long cours avec respiratoire justifie une surveillance
une bonne efficacité et une amélioration de la qualité de vie. et (ou) une attitude prophylactique garantes
L’ensemble de ces douleurs regroupe les douleurs ostéo- d’un bon rapport bénéfice-risque.
articulaires, neurogènes et dermatologiques. • Parmi les antalgiques non morphiniques, le
Concernant les douleurs rhumatologiques, le Cercle paracétamol constitue un produit de référence,
d’étude de la douleur rhumatologique a élaboré en 1999 d’efficacité modérée et de bonne tolérance.
des recommandations sur l’utilisation de la morphine en