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C.V.G.

CONVERGENCE

L,A FONCTION
DE COMMANDEMENT
DOIT-ELLE DISPARAÏTRE
CONFERENCE PRONONCEE LE 17 MARS 1974

par Monsieur Patrice GAULTIER


Conseil d'Entreprise au Groupe Convergence
Professeur à l'Institut Français de Gestion

La fonction de commandement doit-elle dis­ Certains se limitent au deuxième aspect, d'au­


paraître ? tres n'hésitent pas à nier l'utilité même de toute
fonction d'encadrement. A la tête de ceux-ci
Aurons-nous encore besoin d'une hiérarchie nous trouvons d'ailleurs de nombreux sociologues
demain ? ou socio-psychologues qui sont d'ailleurs en géné­
ral plus intéressés par le fonctionnement des
Trouverons-nous encore des cadres pour remplir groupes de base que par le fonctionnement de
ces fonctions d'encadrement ? l'ensemble de l'entreprise et qui extrapolent
volontiers des observations faites au niveau élé­
Ces questions nous sont aujourd'hui posées de mentaire à l'ensemble complexe que constitue
divers côtés, sous des formes diverses, parfois l'entreprise.
peut-être avec une formulation moins abrupte,
mais je crois qu'il serait vain de l'esquiver ou de Je vous propose donc de réfléchir sur le-earrevas
l'ignorer. suivant :

Dans la remise en cause des tabous auxquels 1. Tout d'abord quelques constatations;
nous sommes tous aujourd'hui confrontés, l'exis­ 2. Puis comme premier thème la contestation de
tence de l'autorité, sa source, son exercice sont la fonction d'encadrement.
certainement parmi les cibles les plus fréquentes
de la contestation et ce dans tous les pays, quel Ce qui nous amènera à parler de deux points :
que soit leur régime politique, évidemment à des - A quoi servait la hiérarchie ?
degrés variables. - Qu'attendent les subordonnés de leur chef ?

Notre propos n'est pas de traiter ce soir l'en­ 3. La contestation du titulaire de la fonction.
semble<les problèmes de l'autorité et du pouvoir,
ce serait beaucoup trop vaste, mais seulement de Ce qui nous amènera à parler :
nous interroger sur l'exercice de l'autorité au sein - du style du commandement et de la concep­
de l'entreprise, sur le rôle de la hiérarchie inter­ tion que peut avoir un chef de son rôle
médiaire : encadrer, commander a-t-il encore un - les critères de sélection des titulaires.
sens aujourd'hui? Et surtout qu'en sera-t-il dans
dix ans d'ici ? 4. Pour terminer : Revoir notre politique de
carrière.
On nous dit souvent : Les exécutants refusent
d'être commandés. I. QUE CONSTATONS-NOUS AUJOURD'HUI
Cela signifie-t-il qu'ils contestent l'utilité, la EN FAIT?
nécessité de la fonction d'encadrement, ou bien
Tout d'abord un rajeunissement très rapide de
cela signifie-t-il seulement qu'ils contestent le
titulaire qu poste, ses aptitudes, son mode de beaucoup d'entreprises. La pyramide des âges a
désignation ? bien souvent la forme d'une girafe avec une grosse
tête, les plus de 60 ans, un renflement, entre 50 Qu'attendait donc l'entreprise de son encadre­
et 55, puis un long cou étroit de 50 à 30 ans et ment?
enfin un corps gonflé de moins de 30 ans. Cette
tranche des moins de 30 ans atteint aujourd'hui A - A quoi servait la hiérarchie?
dans la plupart des entreprises, un pourcentage de
la population totale que nous n'avions jamais En fait beaucoup d'entreprises sous l'influence
connu. Et cette population jeune, pour des taylorienne, avaient séparé les fonctions techni­
raisons économiques et historiques, a subi fort ques des fonctions d'encadrement des exécutants.
peu de contraintes, tout au moins pour ceux qui Et l'on trouvaiten fait deux types de hiérarchie
ont été élevés en France, et disons est mal prépa­ D'une part les techniciens dont l'autorité était
rée à accepter facilement les contraintes que l'on essentiellement basée sur la compétence techni­
considérait comme traditionnelles dans l'entre­ que, sur leur aptitude à résoudre des problèmes
prise. Les plus jeunes d'entre eux ont découvert techniquement difficiles, sur leurs connaissances.
au lycée que la discipline est une notion très Notion que très rapidement d'ailleurs on a eu
relative dans le temps et dans l'espace et que tendance à traduire tout simplement par :
toute autorité pouvait être contestée sans aucun diplômes.
risque. Pour eux, le statut n'est sûrement pas un
tabou. Et puis de l'autre côté les meneurs d'hommes,
chargés d'encadrer les exécutants, choisis pour
leur carrure, leur ascendant naturel, leurs qualités
humaines, mais dont les pouvoirs étaient étrange­
Ajoutons la masse des ruraux qui sans aucune ment limités puisque toutes les décisions à colo­
tradition industrielle passent brutalement de la ration technique leur échappaient et relevaient
vie de village, de la ferme basée sur la famille, sur des services spécialisés : méthode, ordonnance­
le petit groupe et surtout sur une très large auto­ ment, entretien, qualité, personnel etc...
nomie, à l'usine, aux horaires fixes et au travail
planifié par un autre. Quant aux entreprises qui n'avaient pas opéré
cet éclatement de la fonction d'encadrement,
Ajoutons encore l'allongement de la scolarité, elles avaient pour la plupart privilégié les connais­
non seulement l'allongement légal jusqu'à 16 ans, sances techniques dans la sélection de leur
mais l'allongement de fait jusqu'à 18 ou 19 ans. encadrement, nous y reviendrons plus tard.
Il est bon de rappeler que l'âge moyen du bache­
lier français est aujourd'hui de 19 ans et demi et Qu'attendait-on de cet encadrement?
ajoutons aussi l'augmentation considérable du
nombre de lycéens. Essentiellement de faire assurer l'exécution
des décisions prises à un niveau plus élevé,
Citons encore pour les entreprises : la fémini­ d'assurer la répartition des tâches entre les exé­
sation croissante du personnel ; et pour la ville : cutants, de faire régner l'ordre, la discipline, de
l'urbanisation, le développement des mass-media, veiller au respect des méthodes et des procédu­
particulièrement de la T.V. et l'accroissement du res, de veiller à ce que tous travaillent et d'activer
nombre de travailleurs étrangers. la réalisation, donc de faire respecter les délais
impartis, de sanctionner les écarts de conduite,
Si nous reprenons tout ceci, nous sommes bien d'entretenir un bon climat, de rendre compte des
obligés de constater, et cela paraît un truisme, incidents, enfin de solliciter les services spéciali­
que l'atelier, le bureau aujourd'hui ne sont plus sés pour résoudre les difficultés de leur ressort.
ce qu'ils étaient hier, que leur composition hu­
maine est radicalement différente et ainsi d'ad­
mettre que les contraintes admises hier y sont Dans une telle situation nous sommes bien loin
devenues intolérables. évideil\ment de l'encadrement décrit par FAYOL
Bien, dont acte, c'est un constat. il y a déjà près de 60 ans et selon lequel cet
encadrement devait à cha que niveau : Prévoir,
II. LA CONTESTATION DE LA FONCTION Organiser, Coordonner, Commander, Contrôler
D'ENCADREMENT et devait avoir aussi une vue de synthèse de la vie
de son secteur.
Faut-il en déduire pour autant que la hiérar­
chie ne sert plus à rien? Ou que son rôle évolue Quant à moi, il m'apparaît tout à fait normal
ou qu'on ne commandera plus aujourd'hui com­ qu la fonction de chef ainsi comprise, telle que
e
me hier. Et ceci nous amène donc à nous poser nous l'avons décrite à l'instant, soit contestée
la question : à quoi servait donc la hiérarchie? par les subordonn�s.
Dénué de tout pouvoir, ne pouvant ni changer Ajoutons à ceci un autre aspect : les entre­
les méthodes, ni modifier les outillages, ni même prises - et là je pense surtout aux grosses entre­
les implantations, obligé d'en référer aux multi­ prises - ont en général confondu deux notions :
ples autorités qui interfèrent sur son action, le celle de fonction et celle de grade. En cherchant
chef local ne peut apparaître aux yeux de ses à satisfaire les motivations de vanité de leur
subordonnés que comme un écran inutile entre encadrement, leur désir de se singulariser, d'être
ceux qui décident et eux. La valeur ajoutée par reconnues à leur juste valeur, beaucoup d'entre­
son intervention apparaît aux yeux de tous prises ont multiplié les grades et les appellations
comme quasi nulle et par contre la distorsion correspondantes, et ont, par maladresse ou par
qu'il apporte dans les communications ayec les inconscience, laissé croire à la hiérarchie qu'elles
échelons supérieurs apparaît comme nocive. attachaient de l'importance à ces grades. Très vite
Si nous regardons par contre la fonction de il en est résulté, tout au long de la ligne hiérar­
rencadrement technique, on pourrait penser que chique, la création de fonctions intermédiaires et
celle-ci n'est pas contestée, car elle apporte, elle, on a vu s'accroître le nombre de niveaux, s'étirer
le soutien d'une compétence, d'une connaissance les lignes de commandement. Evidemment la dif­
que les exécutants n'ont pas. Malheureusement, férence entre chaque niveau s'est amenuisée,
dans cet émiettement du commandement, le spé­ quitte à devenir imperceptible au non initié et
cialiste n'est compétent que dans un domaine, donc au subordonné.
dans sa spécialité. Aujourd'hui là, demain dans
un autre secteur de l'entreprise, il résout techni­
quement le problème technique qui lui est posé.
Mais un problème peut rarement être ramené à Quelle est donc la différence entre un chef de
son seul aspect technique. On ne peut pas disso­ service et un sous-chef de service ? Quels sont les
cier en fait la technique et les hommes, les pouvoirs supplémentaires du chef par rapport au
méthodes et les comportements. Ils interfèrent sous-chef ? A quoi sert le sous-chef ? Nous
l'un sur l'autre. La méthode peut induire de nou­ serions souvent bien en peine d'expliquer les
veaux comportements et les comportements vraies raisons qui justifient son existence. Je crois
peuvent dénaturer la méthode. Toute vue méca­ qu'il faut reconnaître que la multiplication des
nistique d'une cellule humaine ne peut être que niveaux hiérarchiques ne peut que dévaloriser la
fausse ou tout au moins très approchée, car en fonction d'encadrement. C'est dans le fond une
fait un groupe d'hommes est un corps vivant autre façon de la vider de sa substance. Que son
qui réagit à toute pression, mais réagit d'une utilité soit contestée dans un tel contexte nous
façon biologique et non pas cybernétique. paraît tout à fait normal et je dirai même tout à
fait sain.
L'intervention d'un étranger à la cellule pour
décider ce qu'elle doit faire et surtout comment Nous pouvons donc conclure que, dans cer­
elle doit le faire, suscitera obligatoirement un taines structures, on a effectivement vidé de toute
phénomène de rejet. Toutes les difficultés mi­ substance la fonction d'encadrement, soit en
neures seront mises en lumière pour diminuer et éclatant les pouvoirs entre plusieurs spécialistes,
à la limite réduire à néant le prestige technique soit en multipliant les niveaux hiérarchiques. Et
de celui qu'on considèrera comme l'agresseur. donc que les subordonnés, constatant l'absence
Car le subordonné dans ce cas est dans la situa­ de pouvoir de leur chef, ont conclu à l'inutilité
tion de pouvoir faire beaucoup mieux que le de sa fonction. Mais est-ce que ceci nous permet
spécialiste extérieur, ou tout au moins beaucoup à nous de conclure directement à l'inutilité de
plus aisément, la synthèse du problème posé et toute fonction d'encadrement ? Il nous faut
voit souvent beaucoup mieux que le spécialiste sûrement aller plus loin pour y répondre et
les interactions de la technique et des autres chercher si les subordonnés attendent quel­
aspects de la question. que chose de leur chef et si oui, ce qu'ils
attendent.
«Alors, vous dira-t-il, pourquoi aller chercher
un spécialiste pour décider de ce que nous devons B - Qu'attendent les subordonnés de leur chef ?
faire et comment nous devons le faire, alors que
nous, nous voyons beaucoup mieux que lui les Quand on se livre à ce genre d'enquête, la
conséquences des décisions qu'il prend ? » Il première réponse qu'on obtient est la suivante :
s'agit certes d'une vue partie�le,. mais elle �'�st les subordonnés attendent que leur chef décide
pas dénuée de fondement. Ceci fait que le specia­ et qu'il décide par lui-même. Autrement dit :
liste doit d'abord se faire accepter et, même dans qu'il ait des pouvoirs et qu'il s'en serve. Cette
ce cas, est souvent difficilement à même d'impo­ réponse, dans le fond, n'est pas étonnante, car
ser ses vues. dans tout service il faut à un moment trancher.
Si aucun des subordonnés ne peut le faire parce D'ailleurs, qu elles sont bien les motivations du
que la décision déborde son domaine de compé­ chef qui veut monopoliser ainsi les relations
tence, le chef qui ne tranche pas ou qui ne tranche extérieures? Interrogeons-nous sur ce point. E�
pas clairement, ce qui revient à peu près au général il cherche à être le seul à exercer une
même, paralyse progressivement tout son secteur influence sur ses subordonnés et à filtrer toute
et ses subordonnés lui en veulent de leur propre influence extérieure. Dès que le subordonné
inefficacité. l'aura compris - et vous savez comme moi qu 'il
le comprendra très vite - le subordonné refusera
Par ailleurs, si ce chef se contente dans tous cette dépendance totale, il refusera cet univers
les cas de remonter le problème à l'échelon supé­ carcéral et comme tout prisonnier il cherchera à
rieur, c'est qu'il ne sert à rien. Si nous adoptons s'en évader.
ce point de vue simple, je crains qu e nous ayons
à contester l'utilité d'une partie non négligeable Autre attente des subordonnés : que leur chef
de l'encadrement des entreprises, ou bien alors à éclaire l'avenir, et ceci en fournissant des prévi­
lui donner des pouvoirs et à exiger qu'il s'en sions, des orientations, des informations aussi.
serve. Car les difficultés auxquelles se heurte le subor­
donné viennent souvent de l'incapacité où il est
Deuxième attente des subordonnés : Ils atten­ de situer sa propre action par rapport aux actions
dent que leur chef les couvre et qu'il les défende. entreprises ailleurs dans l'entreprise, et de la
Il s'agit là en fait d'un besoin de sécurisation. crainte où il se trouve de se trouver à un moment
Il faut que quelqu'un endosse la responsabilité donné pris à contre-pied par l'évolution de la
de certaines décisions particulièrement diffi­ situation.
ciles et délicates, il faut que quelqu'un couvre
les initiatives du groupe. _Il faut que quel­ Et puis enfin la variété des options possibles
qu'un défende le groupe ou le service, contre les le paralyse.
autres services de l'entreprise et je dirai surtout
contre la hiérarchie supérieure, hiérarchie supé­ Si son chef ne joue pas à son égard un rôle de
rieure qui ne doit pas très bien savoir ce que le réducteur d'incertitudes, ne l'aide pas à situer
groupe fait et qui a vraisemblablement des mau­ son action, il risque de se sentir paralysé, et,
vaises intentions à son égard. comme tout à l'heure, il reportera en agressivité
contre son chef l'amertume née de son sentiment
Il est donc très important pour le groupe de d'inefficacité ou d'impuissance.
subordonnés d'avoir un chef qui ait l'oreille de la
hiérarchie supérieure, qui ait du poids et si votre Enfin, le subordonné attend de son chef une
chef n'a pas de poids, on le shuntera. aide, une assistance dans ses difficultés. Il ne
demande pas un chef «tatillon» qu'on ait tou­
Troisième attente des subordonnés : que leur jours sur le dos, mais par contre un chef dispo­
chef facilite leur propre travail et tout d'abord nible, capable de vous aider à résoudre les
en lui assurant un certain nombre de liaisons et problèmes sur lesqu els on bute. Et ceci représente
de relations avec d'autres services. L_es entrepri­ un renversement de la situation actuelle. On ne
ses où nous vivons sont de plus en plus grandes, demande pas au chef de vous dire comment faire
de plus en plus complexes, leur organisation évo­ et de passer son temps à voir comment vous
lue en permanence et cependant il faut pouvoir faites, on veut pouvoir le consulter de soi-même,
s'adresser à la bonne porte pour voir celui qui à sa propre initiative, en cas de difficulté, savoir
sait et qui peut débloquer la situation. qu'on a un appui et quelqu 'un qu i vous aidera si
Les subordonnés, en fait, ne demandent pas à on le lui demande. Mais alors, le chef trop occu­
leur chef d'assurer lui-même toutes les liaisons, pé, trop absorbé, absent, trop pressé, ne pourra
mais de leur faciliter ces liaisons, c'est-à-dire de pas remplir ce rôle d'assistance et ce manque
leur indiqu er ces bonnes portes, de les leur ouvrir frustera profondément ses subordonnés. Je me
si besoin est. C'est bien donc un rôle de facili­ souviens de ces chefs à qui on vient demander un
tation. rendez-vous et qui vous disent, après avoir sorti
leur carnet : «après-demain en huit». Seulement
Certains chefs, dans un style très possessif, le problème est à résoudre pour vendredi soir !
veulent monopoliser les relations extérieures et
ils s'étonnent de se heurter à ce moment-là à la Le subordonné dont le chef est trop occupé
contestation de leurs subordonnés, car ceux-ci se devient un orphelin.
sentent parfaitement capables et pourquoi pas,
même mieux à même, d'assurer certaines liaisons Sans prétendre avoir épuisé toutes les attentes
une fois qu'elles ont été organisées. des subordonnés et sans prétendre d'a�eurs qu e
les attentes des subordonnés correspondent com­ des stages de formation peuvent y aider. Combien
plètement à celles de l'organisation, nous sommes de Cadres ont pris, fusse trois jours dans leur
bien obligés de constater que la plupart des carrière, pour réfléchir à leur expérience de chef.
subordonnés attendent bien quelque chose de pour prendre conscience de leur propre compor­
leur chef et de l'encadrement. tement et pour essayer d'imaginer les attentes de
leurs subordonnés. Cela ne serait pas du tempR
En résumé on pourrait dire que pratiquement perdu. Mais une telle formation, pour nécessaire
les subordonnés attendent de leur chef qu'il qu'elle soit, ne suffira en aucun cas. Il y a dans
fasse quelque chose qu'ils ne peuvent pas faire, toutes les hiérarchies un phénomène de mimé­
qu'ils ne savent pas faire, ou même qu'ils ne veu­ tisme : les cadres supérieurs se comportent, pour
lent .pas faire. Disons qu'ils en attendent une la plupart, comme leur dirigeant, j'allais dire en
certaine valeur ajoutée. singeant leur dirigeant. Les comportements des
cadres supérieurs influent considérablement sur
III. LA CONTESTATION DU TITULAIRE DE ceux des cadres subalternes et ainsi de suite.
LA FONCTION
En conséquence, si les cadres supérieurs ne
Si nous concluons de ce qui précède qu'il y a modifient pas profondément leur style de com­
donc bien, compte tenu de ces attentes, une mandement, il serait parfaitement vain d'espérer
fonction à remplir par l'encadrement, est-ce alors une modification sensible du style de commande­
que la contestation de l'autorité dont nous par­ ment dans la hiérarchie intermédiaire. Certains
lions ne porte pas plus souvent sur le titulaire de pourront ça et là innover en la matière, mais leur
la fonction, sur ses critères de sélection, sur son comportement risque alors d'être perçu par les
style de commandement ou l'idée qu'il se fait de autres comme une critique de leur propre style.
sa fonction. L'expérience nous prouve qu'on ne peut pas,
sans risques graves pour la cellule qu'on dirige et
A - V oyons d'abord le style de commandement. pour ceux qui la composent, on ne peut pas sans
risques graves se démarquer par trop du style
Il est évident que les subordonnés contestent admis par l'ensemble de l'organisation. Il y va là
aujourd'hui les styles de commandement qu'ils de la cohésion du corps social et c'est quelque
subissent, et surtout la façon dont leur chef chose qu'on ne peut pas affaiblir impunément.
conçoit sa fonction. D'une façon générale ils
refusent qu'on leur dise le comment et seulement Passons au problème des critères de sélection
le comment faire ; ils veulent qu'on leur explique de l'encadrement.
le pourquoi de leur action ; qu'on leur montre
les buts poursuivis ; par contre qu'on leur laisse B - Les critères de sélection de l'encadrement.
plus de liberté dans le choix des méthodes. Ils ne
veulent plus être considérés comme des enfants, Parmi les principaux critères possibles, rete-
ils veulent être traités en adultes, capables de nons par exemple
comprendre les informations, capables de pren­
dre des initiatives, de formuler des avis valables. - l'ancienneté
- les diplômes
Certes, ces motivations ne sont pas toujours - la compétence technique
pures et sont même parfois contradictoires. Ainsi - l'aptitude à créer et à animer une équipe
on demande des informations vraies, mais on - la variété d'expériences
conteste la véracité de la première information - la rigueur de gestion
inquiétante qu'on vous donne. On voudrait être - la façon de tenir ses objectifs
informé comme un adulte, mais on voudrait en - la capacité d'adaptation.
même temps être rassuré. Il n'en demeure pas
moins que ce refus d'un comportement condes­ Dans quel ordre d'importance décroissant les
cendant de la hiérarchie reste très fort. On refuse classeriez-vous pour sélectionner les candidats à
l'ingérance, on refuse les distances accusées, les une promotion ?
ordres non motivés. On veut pouvoir négocier
avec sa hiérarchie, faire connaître, faire valoir son Nous avons dans le passé privilégié l'ancienneté
point de vue, influer non seulement sur sa propre et la compétence technique. Nous avons ainsi
tâche mais aussi, pour une part, sur l'ensemble confondu l'aptitude à diriger et à commander et
de l'unité. l'aptitude à résoudre des problèmes technique­
ment difficiles. Choisissant le meilleur technicien.
D�ns ce contexte, comment pouvons-nous il ne faut pas s'étonner que celui-ci n'ait pas p�
faire évoluer le style de notre �iérarchie ? Certes se hausser au niveau de synthèse de son nouveau
poste et se soit ingéré en permanence dans le tra­ atteindront les objectifs sur lesquels ils se sont
vail de ses subordonnés, travaillant de préférence engagés.
à leur niveau plutôt qu'au sien. Cela ne veut pas
dire qu 'on doit choisir quelqu'un qui ne connaisse Mais n'est-ce pas là une vue trop étroite de la
rien, je n'ai pas dit cela, mais FAYOL écrivait qu estion si on se limite à juger le seul fait de
déjà que, pour tout chef, la compétence techni­ savoir si les objectifs ont été atteints ou non. En
que est mineure par rapport à la fonction de effet, il n'est pas sans intérêt de savoir comment
gestion et que ce côté mineur s'accentue au fur ils ont été atteints, à quel prix.
et à mesure qu'on gravit la hiérarchie.
Prenons par exemple deux chefs de secteur
D'ailleurs il est impossible à un Directeur des commerciaux : l'un présente une croissance rapi­
études d'être simultanément le meilleur chimiste, de de son chiffre d'affaires au cours des 18 der­
le meilleur électronicien, le meilleur physicien, niers mois, mais l'image de marque de la société
le meilleur mécanicien de ses laboratoires. Par se dégrade car le service après vente est mal orga­
contre sa capacité à créer et à animer une équipe nisé et les livraisons ne suivent pas. Enfin, il y a
sera certainement la qualité la plus nécessaire de nombreuses démissions ou demandes de mu­
dans un tel poste. Arriver à faire travailler en­ tation dans son secteur.
semble des gens aux attitudes très personnelles, à
leur faire dépasser leurs querelles intestines, L'autre chef de secteur a une croissance moins
techniques d'ailleurs, en les mobilisant dans le rapide de son chiffre d'affaires, ses coûts sont
sens de l'intérêt général de l'entreprise, arriver à effectivement plus élevés, mais l'image de marque
canaliser leur énergie n'est pas une tâche facile de la société y est excellente et le personnel s'y
dans uri tel milieu. développe harmonieusement.

Certes, retenir un tel critère de préférence à Lequel est le plus apte ? Craignons donc
la compétence technique va contre bien des tra­ qu'un accent mis uni qu ement sur la tenue des
ditions et surtout ne sécurise absolument pas le objectifs dans une conception étroite de ceux-ci
nouveau chef au démarrage. Devoir affronter des n'induise dans la hiérarchie des comportements
subordonnés qui ne croient qu'à la compétence, de recherche de l'efficacité immédiate à tout
en se sachant moins compétents qu'eux, néces­ prix, quitte à laisser derrière soi une terre brûlée.
site d'être sûr de leur apporter par ailleurs beau­
coup pour qu'ils reconnaissent votre autorité. Deux mots enfin sur les diplômes : jusqu'à
qu and continuerons-nous à nous préoccuper des
Depuis quelques années, nous avons peut-être diplômes des cadres qui ont plus de 5 ans de
donné trop d'importance dans nos critères de maison ? Même si nous nous en défendons, nous
sélection à la rigueur de gestion. Qu'on me com­ gardons là une attitude effroyablement manda­
prenne bien, il n'est pas dans mon propos de rinale et nous finissons par penser qu'un diplôme
minimiser l'importance d'une bonne gestion, acquis à 20 ans peut vous donner des droits à l'a­
je suis quand même professeur à l'Institut vancement, pour toute votre carrière et que 15 ans
Français de Gestion (!), mais s'il est vrai que plus tard on en tiendra encore compte dans la sé­
tout cadre doit être un gestionnaire, un chef ne lection pour un poste de commandement. Au
peut pas être seulement un gestionnaire, se con­ bout de cinq ans, on devrait passer au blanc la
tenter seulement de «gérer» son service. Ce . case diplôme dans toutes les fiches des personnels.
service a besoin d'une âme, il a besoin d'impul­ Dernier critère et non le moindre : la capacité
sion, il lui faut un style, il lui faut des buts qui d'adaptation. En effet, dans un monde en évolu­
mobilisent, il lui faut des rites qui sacralisent. tion rapide, la capacité d'adaptation à des situa­
Le gestionnaire qui ne serait que gestionnaire ne tions nouvelles, la capacité de discriminer les
saura pas créer ce style, il ne saura pas insuffler éléments qui ont vraiment changé et ce qui n'est
cette vie, communiquer ce dynamisme. La capa­
qu'apparence de changement ; la capacité de faire
cité à susciter l'action, le mouvement reste encore évoluer ses méthodes, son comportement en
plus qu'hier une caractéristique majeure de tout fonction des circonstances ou des groupes hu­
membre de l'encadrement. mains avec lesquels on est en relation, devient
une qualité primordiale. Cette adaptabilité de­
La D.P.O. a depuis quel ques années mis en mande une très grande maturité émotionnelle du
valeur, parmi les critères de sélection, la manière cadre qui doit se garder de projeter sur ses subor­
de tenir ces objectifs. Critère très important pour donnés son propre modèle, sa propre échelle de
la hiérarchie supérieure, car celle-ci veut locale­ valeur, sa propre affectivité, qui doit admettre
ment des responsables sur lesquels elle puisse l'existence de systèmes culturels radicalement
compter et dont on soit à peu près sûr qu'ils différents des siens, et qui doit s'adapter sans
se mettent en valeur par des réalisations brillantes
renoncer pour autant à sa propre personnalité. obtenues à leur détriment.
Une telle attitude peut être en fait, à la limite, Les subordonnés sont effectivement sensibles
très dissolvante et conduire à l'abdication. Il y a à la capacité d'un chef de comprendre leur atti­
là un véritable problème de santé mentale. Et tude, leur style, et d'adapter en conséquence son
Georges Devreux a écrit à ce sujet : propre style et son propre comportement. Mais
ils récusent un chef qui n'a pas de personnalité
«la pierre de touche de la santé mentale propre, qui se fond trop dan:,, la mentalité de ses
«n'est pas l'adaptation en soi, mais la capa­ subordonnés, car si le chef troque sa propre per­
«cité du sujet de procéder à des réa�apta­ sonnalité contre la leur, il n'existe plus en tant
«tions successives sans perdre le sentiment que tel pour eux, il _ les déço!t_ dans l'at�e�te
«de sa propre continuité dans le temps». qu'ils ont d'une certame oppos1t10n. Oppos1hon
dont ils ont besoin pour s'affirmer eux-mêmes,
Et je dirai qu'aujourd'hui, où, en Franc�, la pour construire leur propre personnalité. Nous
santé mentale des cadres est gravement attemte, avons tous besoin de nous définir par rapport à
le cadre a perdu le sentiment de sa propre conti­ quelque chose, par rapport à q�eJqu'�n. Si notre
nuité dans le temps. référence évolue et surtout s1 elle evoJue trop
vite, nous ne savons plus où nous en sommes.
Mais il ne suffit pas que nous regardions les nous ne savons plus qui 'l0Us sommes.
critères qui sont utilisés par la Directi?n du
Personnel pour sélectionner les cadres, 11 faut Un des motifs du désarroi de la jeunesse
nous demander en fait quel poids les subordonnés actuelle est probablement un effort mal perçu et
attachent à ces différents critères que nous surtout inal dosé, des adultes pour comprendre
venons d'examiner rapidement ; quels sont ceux leurs chers petits. En ce sens, les subordonnés
qui à leurs yeux légitiment l'autorité du chef et attendent de leur chef, comme l'adolescent de
quels sont ceux qu'ils contestent. ses parents, bien sûr de percevoir ses motivations,
de les accueillir et simultanément de s'y opposer
La réponse n'est pas facile. Elle n'est pa� �ni­ pour en tester le bien fondé. raute d'oppositi?n
que car elle est encore influencée par les _t�ad1tions hiérarchique, un subordonne est un orphelin.
du corps social et surtout par les ambitions non
avouées et les espoirs déçus. Incontestableme�t Les diplôm_es enfin : Ils ne sont respectés q�e
l'âge, l'ancienneté seront fatale1?ent _contestes par ceux qui ont obtenu les mêmes et contestes
en tant que tels dans une populat10n ou, comme par tous les autres, ce qui fait en fin de compte
nous l'avons vu, la masse des moins de 30 ans n'a pas mal de monde.
jamais été si nombreuse. Il serait cepend�nt
absurde d'en faire un critère négatif de sélection Et puis ils ont un relent de privilèges acquis
comme beaucoup d'entreprises ont trop tendance qui dans l'atmosphère actuelle ne peut-être que
à le faire aujourd'hui. contesté.
La compétence technique est �ouvent c�tée Il en est de même d'ailleurs pour les chefs qui
,
par les subordonnés comme un ele1!'1e�t maJeur justifient leur autorité d'aujourd'hui par les
de l'autorité et ce surtout par les tres Jeunes. Or services qu'ils ont rendus hier, alors que la seule
l'observation infirme cette affirmation. assise solide de leur autorité réside dans les
La compétence technique, si elle est seule, services qu'ils rendent aujourd'hui à l'unité_ qu'ils
n'assied pas longtemps l'autorité d'un ch�f, sur­ commandent, c'est-à-dire à leur capacité de
tout si celui-ci délègue largement. Seuls les Jeunes, créer d'animer une équipe, d'assister leurs subor­
les très jeunes, encore marqués par la vie scolaire donnés, de les former, de les faire progresser et
et universitaire y attachent beaucoup d'impor­ de les faire se dépasser.
tance : la magie du savoir les éblouit encore.
Seuls les hommes faits ont appris que le savoir Certes, je n'oublie pas le poids sociol?gique
faire et le savoir être sont beaucoup plus impor­ des corps constitués et leurs réflexes de defens�,
tants. l'importance des filières de carrière et les compli­
cités qui en résultent. Dans ce cas, les subo��on­
Quant à la tenue des objectifs, si les subor­ nés respectent le chef uniquement parce qu 11 est
donnés apprécient un chef qui sait les amener à issu de la même filière qu'eux. Ils espèrent à leur
réaliser des objectifs ambitieux, ils sont fort tour profiter d'une promotion similaire. S'ils
sensibles par contre à la manière dont l'objecti� sapent l'autorité de ce chef, issu de la même
a été atteint et apprécient fort peu les chefs qm filière, ils cassent en même temps leurs chances
· d'avancement puisque la filière ne sort pas de de droits acquis à l'avancement. Les seuls qui
bons chefs. Mais ne nous leurrons pas, de telles devraient pouvoir postuler une promotion sont
attitudes sont en fait éminemment bureaucrati­ ceux qui sont prêts à affronter le risque d'un
ques et portent à terme des risques de sclérose de échec et à en assumer les conséquences.
la hiérarchie.
Il nous faudrait faire admettre qu'un cadre, à
IV. REVOIR NOTRE POLITIQUE DE la suite d'un échec grave, doit régresser dans la
CARRIERE hiérarchie, mais qu'un tel accident de parcours
ne préjuge nullement de ses possibilités de repren­
Si nous voulons préparer une hiérarchie capa­ dre ultérieurement sa progression.
ble de commander demain dans un contexte
difficile, il nous faut sûrement revoir profondé­ Certes, me direz-vous, une telle politique va
ment notre politique de carrière : radicalement à l'encontre des tendances manifes­
tées actuellement par la hiérarchie en place. Mais
- Cesser de récompenser ceux qui n'ont pas n'est-ce pas, pour une grande part, la politique
d'histoires et de sanctionner le premier que nous avons menée dans le passé qui a induit
incident ; les tendances que nous constatons aujourd'hui?
- Encourager ceux qui acceptent des postes
de commandement, les privilégier au niveau Qui a privilégié les postes d'état-major par rap-
de la rémunération et de l'avancement par port aux postes opérationnels?
rapport aux titulaires des postes d'état­ Qui y a effectué les sujets les plus brillants?
ma1or ;
Qui les a promus rapidement et sur place?
- Faire alterner les postes d'opérationnels et
les postes d'assistance ; Qui leur a attribué une rémunération élevée?
- Prohiber le recrutement direct à des postes Qui en a fait la meilleure filière d'accès aux
d'état-major ; postes de Direction?
- Exiger que les jeunes fassent leurs premières Qui a institué des règles et des procédures telle­
ru-mes dans des postes de commandement ment «tatillonnes» que leur respect a primé tout
opérationnels. esprit d'initiative?
Ce que nous avons fait, nous pouvons le
Plus on retardera la prise de responsabilités, défaire ! Il nous faut le vouloir. Certes le con­
plus le cadre aura de frilosité à l'aborder. S'il est texte général s'y prête mal, le besoin de sécurité
effectivement nécessaire d'avoir obéi pour savoir est une dominante de notre époque, mais l'excès
commander, cela n'a jamais voulu dire qu'il de sécurité est porteur de sclérose et de mort.
fallait n'avoir qu'obéi pendant 25 ans pour être A nous donc d'afficher clairement notre échelle
capable de comman.der ensuite. Commander doit de valeur. Si elle ne plait pas à certains, si la car­
s'apprendre jeune et sur le terrain, car en fait rière que nous leur offrons ne leur plait pas, ils
commander c'est affronter les autres sans cuirasse nous quitteront. Ce n'est pas très grave, même
aucune et plus on attend, plus il est difficile de s'ils sont très intelligents, même s'ils sont très
se livrer ainsi. Et ce n'est pas dans les bureaux du brillants. Nous sortons d'une époque où il y avait
Siège qu'on s'y entraîne. On y apprend au pénurie de cadres et où les entreprises cher­
contraire à substituer le papier au contact chaient à tout prix à conserver ceux qu'elles
humain, le règlement ou le système, la logique à avaient pu recruter.
l'enthousiasme et à l'énergie ; on y privilégie les
nuances, les formes au détriment du dynamisme, Demain, il y aura pléthore de personnels
le rationnel au détriment de l'affectif. C'est rassu­ formés. Ceux qui voudront bien jouer _ le jeu
rant, c'est sécurisant. Or il nous faut un enca­ affiché par l'entreprise, y prendre des risques,
drement qui ait le sens du risque, qui n'ait pas y feront carrière, les autres végéteront- ou se
peur. Si nous voulons une hiérarchie debout, il
replieront poliment sur la fonction publique.
faut qu'elle ait appris à vivre dangereusement,
L'avenir de nos entreprises sera pour une bonne
qu'elle sache que rien n'est définitivement acquis,
part ce que nous le ferons. Quant à moi, je sui�
qu'une carrière n'est ja'?ais jouée, qu'il f�ut ,c�a­
résolument optimiste : Si nous le voulons, s1
que jour la remettre en Jeu et que_ le succes d hier nous en prenons les moyens, nous trouverons
n'implique pas le succès de demam. encore des cadres pour assurer demain des fonc­
tions d'encadrement.
Il nous faudra donc lutter contre cette concep­
tion bureaucratique d'une carrière linéaire à
progression quasi constante. Personne n'a jamais

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