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Université populaire de Caen Basse-Normandie – Année 2012-2013

Contre-histoire de la philosophie par Michel Onfray – Conférence N° 232

# 20 : Lundi 27 mai 2013

« UN ROUSSEAUISME INTEGRAL »

PREMIERE PARTIE : REFLEXIONS SUR LA JUSTICE


« NI PARDON, NI TALION » (2009)

1./ UNE RADICALITE ROUSSEAUISTE


a) Lignage rousseauiste : bonté naturelle
• Rousseau, 1789, Marx, Vaneigem
b) Lignage chrétien : péché originel
• Augustin, Kant, Sade, Freud
c) Ni pardon, ni talion :
• Le délinquant : victime du système
• Qui cherche des boucs-émissaires pour détourner l’attention de son caractère
pathogène
• Et accabler l’individu
d) « La justice (…) crie haro sur un coupable et ne touche pas au système qui incite à la
malfaisance » (41).
e) On s’acharne sur le voleur de banlieue
• On épargne le grand vendeur d’armes
f) On stigmatise un empoisonneur de sous-préfecture
• On célèbre Alexandre, César, Gengis Khan, Tamerlan, Calvin, Napoléon, Kissinger,
g) Refus du crime commis individuellement
• Défense du crime de masse effectué au nom des religions
h) La société nomme crime ce qui menace son existence.

2./ LE DOGME DU LIBRE-ARBITRE


a) Critique de la liberté chrétienne
• Châtiment, punition, rachat, expiation, pénitence : arsenal chrétien
b) Punition cruelle, exemplaire : histoire des châtiments
• Tortures, supplices, martyrs, écartèlements, humiliations, expositions
c) La société, pour justifier sa pratique sécuritaire, a besoin de la délinquance qu’elle
invente
d) Construite sur la pulsion de mort :
• La justice préfère la punition, le châtiment, le bourreau, la prison
e) Construite sur la pulsion de vie,
• Elle préférerait la prévention, l’éducation, l’instruction,
f) Généalogie de la délinquance :
• Une sensibilité d’enfant blessée éduquée au renoncement
g) non pas s’acharner sur les individus
• mais abolir les mécanismes sociaux qui fabriquent des gens mauvais.

3./ GENEALOGIE DU CRIME CONTRE L’HUMANITE


a) Ne pas accabler Eichmann
• Mais ce qui l’a rendu possible :

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• Capitalisme, patriarcat, misogynie, phallocratie, misogynie, sexisme, homophobie,
bellicisme, la religion
b) Le crime contre l’humanité : une fiction
• Il n’y a que des crimes contre des individus :
« La souffrance est celle d’êtres particuliers, elle est existentielle et n’a pas à être
délayée dans cette identité ethnique, rituelle ou idéologique sous laquelle se dissimule
la seule vérité concrète à laquelle un homme puisse s’identifier : sa part d’humanité.
Juifs, Tziganes, Bosniaques ou Tutsis, il n’est pas d’hommes, de femmes, d’enfants,
martyrisés au nom de quelque raison que ce soit, qui ne nous concernent
universellement en tant qu’êtres de chair, non en tant que groupe, masse ou donnée
numérique » (35).
c) Raoul Vaneigem souscrit à la thèse controversée du « marché de l’Holocauste » (82).
• Analyse effectuée par des juifs.
• Ce marché a « la particularité de rentabiliser les tourments du passé en sanctifiant
les victimes et en indemnisant leurs légataires. Certains petits-enfants de déportés
en sont arrivés de la sorte à réclamer la prébende des chambres à gaz comme un
héritage qui leur est dû. N’est-ce pas une façon lucrative de jeter l’oubli sur les
causes d’une barbarie que de sanctifier les victimes ? » (82-83).
d) Contre la passion de la commémoration qui triomphe en Europe :
• Parle de « l’imposture du devoir de mémoire » (59)
• La mise en scène d’une mémoire morte devenue occasion de spectacle
• N’empêche aucune réitération du pire
e) La repentance collective :
• Exercice d’expiation communautaire
• Exorcisme hérité de la mécanique religieuse
f) Contre le pardon :
• Rachat, paiement
• mais rien n’est fait pour empêcher le retour
g) Tribunal, jugement, condamnation n’ont servi à rien
• Justice de vainqueur = parodie de justice
h) Contre le jugement avec effet rétroactif :
• Le crime contre l’humanité n’existait pas avant l’après-guerre
i) Le procès : un spectacle inutile (« hypocrisie », « imposture »)
• Car il n’empêchait pas au même moment les crimes coloniaux, capitalistes,
staliniens.

4./ QUE FAIRE ?


a) Se souvenir du crime, pas du criminel
• Se rappeler ce qui conduit au mal
• Activer ce qui interdira son retour
b) Cf. Reich : travailler à une société construite sur la pulsion de vie :
« Les hommes se haïssent les uns les autres à proportion qu’ils se haïssent » (107).
c) Eloge de « la générosité de la vie » (75) :
• Croit que les prisons disparaitront
• La disparition de la peine de mort montre qu’on va dans la bonne direction
d) Changer l’école qui fabrique des consciences pathogènes
• Des individus coupés de leurs désirs
• Des corps cuirassés
• Des sujets dociles
• Des personnes aliénées
e) « La prévention des crimes contre l’humanité commence dès l’enfance » (97).

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f) Lutter contre la paupérisation :
• On ne nait pas délinquant, on le devient
• La publicité : plus coupable que le voleur d’un objet promu par elle.

5./ « DROIT D’INGERENCE HUMANITAIRE »


a) Droit d’ingérence individuelle
• Dès qu’une barbarie est commise contre la vie
• Une inhumanité visible et repérable
• Droit à s’insurger, dénoncer, agir pour empêcher
b) Légitime la dénonciation
• Contre la dénonciation indexée sur la pulsion de mort
• Pour celle qui est indexée sur la pulsion de vie
c) Contre la répression policière qui recourt à une violence répressive
• Police populaire qui prévient la violence
• cf. certains Townships d’Afrique du Sud :
« Les malfrats appréhendés sont chapitrés, chassés, confrontés à la vanité de leur
pouvoir. Ce qui les tient à l’écart n’est certes pas le sermon, c’est la résistance
pacifique et déterminée qui leur est opposée ; c’est, au sein d’un territoire, qu’ils
méditaient par la ruse et de contrôler par la force, la présence de citoyens qui
l’occupent et affirment leur droit d’y vivre en paix » (88).
• La milice empêche le mal
d) Si le mal a lieu quand même ?
• Communautés paysannes du Chiapas :
• Le coupable est présenté à la communauté, y compris les enfants
• Pas de référence morale à la faute
• Demande de réparation :
« Le principe est important : le refus de juger et d’être jugé implique la
reconnaissance du droit à l’erreur » (86).
• La communauté demande des travaux utiles à la collectivité
• En cas de meurtre : subvenir aux besoins des enfants jusqu’à leur majorité
• Convient que c’est plus facile dans une petite communauté que dans un Etat.

DEUXIEME PARTIE : LA LIBERTE


« RIEN N’EST SACRE, TOUT PEUT SE DIRE » (2003).

1./ DEFENSE ABSOLUE DE LA LIBERTE D’EXPRESSION


a) Aucune limite à cette liberté :
• « Il n’y a ni bon ni mauvais usage de la liberté d’expression, il n’en existe qu’un
usage insuffisant » (15).
b) La vérité finit toujours par triompher
• Quels que soient les mensonges, leur étendue, leurs quantités, leurs qualités, leurs
degrés de perversion, leur ignominie, leurs auteurs.
c) Tout est possible oralement
• Mais tout ne l’est pas concrètement :
« Nous voulons, par souci d’écarter la moindre ambiguïté, accorder toutes les
libertés à l’humain et aucune aux pratiques inhumaines. L’absolue tolérance de
toutes les opinions doit avoir pour fondement l’intolérance absolue de toutes les
barbaries. Le droit de tout dire, de tout écrire, de tout penser, de tout voir et
entendre découle d’une exigence préalable, selon laquelle il n’existe ni droit ni
liberté de tuer, de tourmenter, de maltraiter, d’opprimer, de contraindre, d’affamer,
d’exploiter » (15-16).
d) Contre :

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• Le secret de fabrication dans les entreprises
• Le secret défense pour l’Etat
• Le secret de l’instruction en matière judiciaire
• Le secret de la confession catholique
• Le secret de la recherche scientifique
• Le secret pharmaceutique
• Le secret de la vie privée s’il cache un crime contre le vivant
e) Pour :
• Les paparazzis
• L’appel au meurtre des tyrans, des exploiteurs, des mafieux
• La calomnie :
• soit elle dit vrai :
• Elle est utile
• soit elle dit faux :
• Les hommes n’ont alors rien à craindre d’elle
• La moquerie, les insultes, le quolibet, la raillerie, le persiflage
• Car « une campagne de haine dirigée contre un individu manque toujours son but :
ce n’est pas l’homme inhumain qu’il faut abattre mais le système qui l’a façonné »
(65).

2./ HARO SUR LA SOCIETE


a) Contre la loi Gayssot qui qualifie de délit la contestation de crime contre l’humanité
• Souhaite l’abolition du délit d’opinion
• Le révisionniste est moins coupable que la société qui le fait
b) L’interdit invite à la transgression
• Interdire, c’est faire la publicité
• Restreindre la liberté d’expression : faire le jeu de ceux qu’on combat
c) Tolérer n’est pas cautionner :
« Permettre la libre expression des opinions antidémocratiques, xénophobes, racistes,
révisionnistes, sanguinaires, n’implique ni de rencontrer leurs protagonistes, ni de
dialoguer avec eux, ni de leur accorder par la polémique la reconnaissance qu’ils
espèrent » (20).
d) Laisser le champ libre à des thèses qu’on ne critiquera pas ?
e) Exemple sur le voile islamique :
« Il n’est pas de symbole, si odieux soit-il, que les jeux du vivant n’aient pouvoir de
dissoudre. Il est absurde d’interdire le port du voile à des jeunes filles assujetties à
l’islam. Imposé par la famille, il suscitera la révolte revendiquée comme l’expression
d’une identité religieuse, il reviendra, quand elles découvriront les libertés de l’amour
et de la femme, un colifichet pareil à la voilette ou à la mantille, que les convenances
chrétiennes exigeaient des croyantes à l’époque où l’Eglise tyrannisait encore les
esprits et les corps, il n’y a pas si longtemps » (29).
• L’amour comme antidote à l’« odieux » ?

TROISIEME PARTIE : L’EDUCATION

1./ UNE PEDAGOGIE LIBERTAIRE


a) Avertissement aux écoliers et lycéens (1995).
• Eloge de l’éducation populaire
b) L’école associée à la caserne, la famille, la prison, l’hôpital
• Domicile familial, atelier, bureau, dortoir du conscrit, chambre d’hôpital, maison
d’arrêt

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• On y dresse l’homme pour qu’il soit rentable
• L’enfant y entre avec désir, vitalité
• Le système le brise et distille ennui, fatigue, désintérêt
c) Les bâtiments, par leur laideur, invitent au vandalisme
d) Reproduction du système patriarcal avec son ordre :
• Hiérarchie, force virile, émulation brutale, haine de la vie, des désirs, des plaisirs,
des femmes, du vivant
e) L’apprentissage : fondé sur la répression des désirs
• L’entrave des désirs génère et stimule l’agressivité
• Apprendre, c’est souffrir
• Acquérir des savoirs inutiles dans la douleur, la peine, les larmes
• Maltraiter le corps,
• Renoncer aux plaisirs de l’enfance
• Vieillir prématurément
f) Inverser la logique :
• Contre la survie : la vie
• La créativité, l’authenticité, la luxuriance des désirs, le merveilleux
• L’apprentissage : attraction passionnée
• Solliciter la totalité du corps avec ateliers pour les sens
g) Contre l’intelligence abstraite
• Et la raison objective :
• L’intelligence sensible et sensuelle.

2./ ASSASSINER « LA PRINCESSE DE CLEVES »


a) Textes de la Commission européenne (décembre 1991) :
« Elle y recommandait aux universités de se comporter comme des entreprises
soumises aux règles concurrentielles du marché. Le même document exprimait le
vœu que les étudiants fussent traités comme des clients, incités non à apprendre
mais à consommer. Les cours devenaient des produits, les termes « étudiants »,
« études » laissant place à des expressions mieux appropriées à la nouvelle
orientation : « capital humain », « marché du travail » ».
• En septembre 1993, la même Commission récidive avec un Livre vert sur la
dimension européenne de l’éducation. :
• Il faut, dès la maternelle, former des « ressources humaines pour les besoins
exclusifs de l’industrie » et favoriser « une plus grande adaptabilité des
comportements de manière à répondre à la demande du marché de la main
d’œuvre » (49).
• Disparition du grec, du latin, de la littérature, de la philosophie, de la
sociologie…
b) Généalogie de cet état de fait :
• Au XIX°, la production requiert une méthode despotique :
• Conquérir les marchés
• Piller les ressources mondiales à l’aide du colonialisme
• Les syndicats et les partis répondent sur le même principe :
• Bureaucratie, étatisation
• Capitalisme d’Etat, fascisme, nazisme, stalinisme
• Consumérisme, hédonisme – destruction du système patriarcal
• Mai 68 produit une société avec des individus assistés à sécuriser, encadrer,
conseiller, soutenir, guider, protéger
• Les mafias s’emparent des marchés à moindre coût :
• Pollution, nourriture toxique, pillage de la planète

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• L’éducation est devenue l’auxiliaire de cette entreprise nihiliste :
• L’école fabrique des soldats de cette mécanique à détruire les corps, les gens,
la vie, la communauté.

3./ ELOGE DU PROFESSEUR-ARTISTE


a) Contre les professeurs castrateurs cyniques, qui insultent leurs élèves, les sadisent
• Utilisent les notes pour humilier
• Se servent du savoir pour trier les sujets dociles récompensés et les rebelles punis
b) Raoul Vaneigem invite au professeur-artiste :
• « les artistes, jongleurs et funambules du savoir, capables de captiver sans avoir
jamais à se transformer en gardes-chiourmes ou en adjudants-chefs » (28).
• Entretenir le questionnement, l’émerveillement
• Transmettre des savoirs utiles à la vie
c) Si l’on entretient le désir de savoir
• Le savoir reste un désir
d) Oui aux contrôles des connaissances, des acquisitions
• Mais pas sur le mode répressif
e) Eviter de stigmatiser la faute :
• il n’y a qu’une erreur, qui se corrige
f) Récuser le mérite, l’honneur, la peur, la menace
• Qui blesse la vie
g) En appeler à la bonne nature de l’enfant :
• Il apprendra facilement quand il le désirera
• A bien retenir ce qu’il aura appris sans contrainte
• Il aimera savoir quand il verra que ce savoir sert de façon existentielle.

4./ « L’UNIVERSITE DE LA TERRE »


a) Une douzaine d’élèves
• Un enseignement individualisé :
b) Non pas instruire les masses
• mais éduquer des subjectivités
c) Informatique bannie
d) Thélème en modèle :
• Apprentissage ludique, joyeux
• Abolition de la compétition et de la concurrence
e) Enseignants passionnés
f) Expérience zapatiste (novembre 2006) :
• Non loin du Mexique :
« Le Centre indigène de formation intégrale (Centro indegena de capacitacion
integral), mieux connu sous le nom d’Université de la Terre, forme sur quelque
vingt hectares un territoire autonome et insoumis, disposant du seul soutien d’une
solidarité internationale offerte sans contrepartie. Quiconque le souhaite y reçoit
gratuitement l’enseignement de son choix. On y trouve aussi bien un atelier de
cordonnerie que des départements de menuiserie, de métallurgie, d’informatique,
de tissage, de médecine officielle et traditionnelle, de musique, d’alphabétisation,
d’architecture, d’agriculture biologique, de confection, de broderie, de cuisine, de
maçonnerie, de dessin industriel… Les élèves y sont reçus dès douze ans, sans autre
limite d’âge, sans épreuves préliminaires, sans capacités particulières. Tout
commence par la pratique, la théorie en découle. Une seule condition est requise :
avoir envie d’étudier, être épris de savoir. Un savoir qui ne sera ni monnayé ni
diplômé, mais propagé dans les communautés paysannes dont sont issus les

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étudiants ou dans lesquelles ils jugent utile d’enseigner leur art en dispensant à
d’autres la richesse de leurs connaissances » (99-100).
g) La révolution s’effectuera par capillarité.

CONCLUSION
• Ecrit en 2009 dans Ni talion, ni pardon :
« Nous sommes au cœur d’une mutation où s’amorce un renversement de
perspective » (95).
• Raoul Vaneigem croit toujours à l’idéal de sa jeunesse
• Une révolution dans laquelle la vie ferait la loi – et non la mort…

BIBLIOGRAPHIE :

Raoul Vaneigem :
• Avertissement aux écoliers et lycéens, Mille et une nuits
• Rien n'est sacré, tout peut se dire, La découverte
• Ni pardon, ni talion, La découverte
• Nous qui désirons sans fin, Le cherche midi
• Le livre des plaisirs, Editions Encre
• Entre le deuil du monde et la joie de vivre, Verticales
• Déclarations des droits de l'être humain, Le cherche midi
• Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, Payot

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