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INTERVIEW

«La révolte est toujours possible»


Par propos recueillis par Eric Libiot et ,
publié le 28/02/2005 à 00:00

De Z, sorti en1969, à votre nouveau film, Le Couperet, le sujet


s'est déplacé du plan politique au plan social. De la
dénonciation des régimes dictatoriaux, vous êtes passé à celle
de la précarité économique qui pousse un homme au crime.
Cette évolution résume-t-elle les trente-cinq ans de cinéma
militant «à la Costa-Gavras»?
Le thème commun à ces deux histoires est le pouvoir et comment il agit sur nous. Mais
c'est vrai, dans Z, l'homme est un élément d'un grand ensemble, alors que dans Le
Couperet il est réduit à son environnement social, symbolisé par sa famille et par son
travail. En cela, Le Couperet est un film éminemment contemporain. Quand je suis arrivé
en France, il y a maintenant cinquante ans, j'y ai découvert la liberté et j'ai toujours été
impressionné par le fait que, chez vous, l'homme était au centre de tout. C'est une des
principales raisons pour lesquelles j'avais décidé de rester. Ces dernières années, je me
suis aperçu que l'être humain était peu à peu mis de côté et qu'on parlait plus
d'économisme que d'humanisme. Donald Westlake a écrit Le Couperet en 1996-1997. Je
l'ai lu en anglais, à sa sortie, et j'ai immédiatement voulu adapter cette histoire en France.
Je sentais arriver ici cette notion néolibérale du capitalisme agressif.

Le Couperet est l'histoire d'un homme au chômage qui, pour


retrouver du travail, décide d'assassiner ses concurrents
potentiels sur le marché. Qu'est-ce qui vous a intéressé dans le
potentiels sur le marché. Qu'est-ce qui vous a intéressé dans le
roman?
Son potentiel cinématographique et populaire. On ne peut pas dissocier l'un de l'autre.
J'ai un grand respect pour le cinéma d'avant-garde, mais je serais incapable d'en faire. Le
film est aussi un spectacle. Mais, puisque je tenais absolument à tourner en France, il
était impossible pour Jean-Claude [Grumberg, le scénariste] et moi d'adapter
littéralement le roman. Il était trop violent, et je voulais casser la linéarité pour ne pas
rendre le personnage sympathique d'emblée. Je tenais à ce que, au début, il soit négatif:
le premier assassinat est horrible. Je voulais aussi que la famille soit plus présente.
Quand il tue les gens, Bruno, mon personnage, n'est pas haineux, il est pragmatique. Il
est en guerre pour sauver ses proches. Il devient prédateur. Mais, dans cette société, il y a
toujours un prédateur qui a plus faim que vous. J'ai également beaucoup aimé l'aspect
«conte amoral» du roman. Bruno est un monstre, mais mon boulot est de le rendre
sympathique. Que le spectateur s'identifie à lui et se demande, à un moment donné, ce
qu'il peut avoir de commun avec lui. La morale de l'histoire, c'est la réponse que chacun
va lui apporter.

Cette amoralité est-elle le reflet de l'époque?


Notre époque pousse à la solitude. C'est ce qui arrive au personnage. Il est seul et il agit
seul. Le libéralisme induit l'idée du chacun pour soi. Il faut être le meilleur, donc laisser
les autres derrière. Moi, quand je regarde les Jeux olympiques, celui qui m'intéresse n'est
pas le premier, mais le dernier. Car on sent chez lui le bonheur de l'accomplissement: il y
est arrivé. Aujourd'hui, la société est faite pour les trois premiers. Face à cela, le cinéma
s'interroge, mais il lui est difficile de proposer ne serait-ce que des embryons de réponse.
L'important, c'est donc de poser la question juste. Je ne pense pas que nous, les
cinéastes, soyons les mieux placés pour dire ce qu'il faut faire. Aux politiques de s'en
occuper. A chacun son boulot! J'ai rencontré le maire d'une ville du Nord qui me disait, à
la fin de la projection du Couperet: «Aujourd'hui, on ne peut plus rien changer.»
Entendre cela est terrible. D'autant que cet homme, qui appartient à la majorité actuelle,
avait l'air vraiment sincère et bouleversé. Je suis inquiet, mais il existe toujours, chez
moi, un fond d'utopie. Je crois que l'homme, ontologiquement, n'accepte pas
l'uniformisation, qu'elle soit dictée par les religions ou par les systèmes politiques. La
révolte est toujours possible. Il faut replacer l'être humain au centre du monde. Mais
surtout continuer à lui donner la capacité de s'exprimer et le convaincre que
l'individualisme ne mène à rien.

Ce capitalisme agressif dont vous parlez vous révolte-t-il


comme vous révoltaient les systèmes politiques que vous
combattiez dans les années 1970?
Oui, car il commence à mener le monde. Quand des entreprises font des bénéfices et,
dans le même temps, licencient du personnel, ce n'est pas normal. C'est un des sujets du
dans le même temps, licencient du personnel, ce n'est pas normal. C'est un des sujets du
film. Je voulais aussi cerner l'inquiétude vécue par ceux qui, aujourd'hui, ont du travail,
parfois un bon poste, mais vivent constamment dans l'insécurité. J'ai rencontré certains
spectateurs à la fin des avant-premières. Beaucoup ont fait état de cette précarité qui
envahit le monde du travail. «On s'épie», m'a dit quelqu'un. «On ne sait pas ce qui peut
se passer demain», m'a confié un cadre supérieur d'Air France.

Vous n'en avez pas eu assez de cette image de Costa-Gavras


cinéaste militant?
Non, car j'ai toujours traité de sujets qui me passionnaient. Et, apparemment, ils
plaisaient aussi au public. Il n'y avait donc pas de raisons d'arrêter. La seule chose que je
redoutais, c'était de réaliser des films alimentaires. Cela ne m'est jamais arrivé.

Ce sentiment de révolte vous habite-t-il toujours?


Bien sûr. Je trouve inacceptable tout ce qui heurte le bien-être du voisin. Et j'espère que
cette révolte ne me quittera pas avec l'âge.

Vous avez donc peur de tomber dans l'indifférence?


Il est difficile de mesurer l'influence de l'âge sur le comportement. Mais quand on est
indifférent, c'est le début de la mort. Je vois aussi autour de moi des gens qui, avec
l'expérience, deviennent un peu cyniques. Et disent que les choses, de toute manière, ne
changent jamais. Moi, je résiste. Et j'essaie de cultiver cette révolte. J'aime passer du
temps avec mes enfants et mes petits-enfants pour comprendre ce qui les anime. Il faut
toujours aller contre cette tendance qui pousse, avec le temps, à s'éloigner de la jeunesse.

Ces révoltes, ou à tout le moins le rapport au monde, sont-elles


les mêmes aujourd'hui que celles qui vous enflammaient il y a
trente ans?
Les centres d'intérêt se sont déplacés. La génération des quadragénaires a tendance à
considérer la classe politique avec indifférence, car elle a entendu trop de promesses qui
n'ont pas été tenues. Mais les plus jeunes se mobilisent. Pas, comme nous, à l'intérieur
d'un syndicat ou d'un parti, mais entre eux. Cela devient tribal. Ils agissent, mais ils
éprouvent un terrible manque de confiance envers les structures existantes.

N'avez-vous pas l'impression que l'esprit collectif de votre


époque s'est transformé aujourd'hui en somme
d'individualités?
Oui, sûrement. Ces jeunes me demandent de mesurer les résultats de ce que j'ai pu faire,
qui sont parfois assez maigres, et à la fois ils se rendent compte qu'il faut quand même y
aller. Même si je suis prudent en disant cela, je sens un espoir chez eux.

Que leur dites-vous? Leur parlez-vous d'un grand souffle de


changement ou du regret de ne pas être allé au bout?
Il n'y a pas de déception. Tout ce que nous avons fait autrefois, les pétitions, les
mobilisations, les soutiens politiques, l'a été sous le sceau de ce que nous croyions juste.
Cela n'a pas été négatif, même si l'utopie qui nous animait n'a pas toujours été satisfaite.
Ce que je leur dis? Rester soi-même, suivre une certaine éthique, respecter la dignité et la
liberté d'autrui comme je demande aux autres de respecter les miennes. Finalement, tout
se noue autour de ces idées. Quand ce respect-là existe, une grosse part du boulot est
déjà faite. Je crois que ce qui compte pour les jeunes, c'est l'exemple qu'on leur a donné.
On peut se lancer dans les plus beaux discours du monde, ils ne servent à rien si les actes
les trahissent.

La transmission est-elle une idée qui vous est chère?


Oui, et pour les proches, encore une fois, cette transmission passe par l'exemple: faire ce
que l'on dit. En ce qui concerne le cinéma, je crois, sans l'ériger en vérité universelle, que
j'ai une grande responsabilité, car je m'adresse à des milliers de gens, parfois des
millions. C'est colossal. La responsabilité qui m'incombe se résume en trois points:
raconter une histoire, ne pas tricher, soutenir un propos. Comme dans Le Couperet.

Vous sentez-vous un homme de votre temps, ou êtes-vous


nostalgique de ces grands mouvements des années 1970?
Je les ai vécus, mais je ne suis pas nostalgique, même si chaque époque génère sa propre
nostalgie. Le passé est passé, il y a eu du bon et du moins bon. Il faut maintenant voir le
présent et l'avenir. Je ne regarde derrière moi que pour tirer les enseignements de ce qui
est arrivé. Il ne faut jamais dire que c'était mieux avant. Il n'est jamais bon de dénigrer
son époque. Le combat se fait au jour le jour, en gardant juste un ?il derrière soi.

Revenons au cinéma et au Couperet. Pourquoi avez-vous choisi


José Garcia pour interpréter le rôle principal?
Il me fallait un acteur auquel le spectateur puisse s'identifier. Quelqu'un de sympathique
qui puisse aussi jouer le drame. Quand j'en parlais, je faisais toujours référence à Jack
Lemmon ou à Marcello Mastroianni. Peu à peu, je me suis dirigé vers José. Je l'avais
repéré quand il travaillait avec Antoine de Caunes à Nulle Part ailleurs. De Caunes jouait
avec le public, José, lui, restait dans son personnage du début à la fin. Physiquement,
c'est M. Tout-le-Monde. Et je trouve qu'il ressemble à Jack Lemmon.
Quand on regarde votre filmographie, il y a quelques films,
comme Conseil de famille ou Clair de femme, par exemple, qui
se situent moins sur une ligne politique. Etait-ce une façon de
vous aérer l'esprit?
Beaucoup se demandent effectivement pourquoi j'ai réalisé Clair de femme, une histoire
d'amour. Et pourquoi pas? J'ai été bouleversé par le roman de Romain Gary. A l'époque,
j'étais dans la quarantaine, et les relations avec les femmes et avec la mort me
préoccupaient beaucoup. C'est le sujet qui compte. A un moment donné, mes propres
préoccupations se cristallisent autour d'une histoire. Quant à Conseil de famille, il y a eu
un problème de scénario. Le propos était de dire que l'important n'est pas la quantité des
biens acquis, mais la qualité de la vie. Le ton était plus léger que d'habitude, c'est vrai,
mais j'ai complètement raté le script. La même chose est arrivée pour La Petite
Apocalypse. C'était un film ambitieux dans lequel Jean-Claude [Grumberg] et moi
voulions traiter de notre génération sous le thème: sommes-nous nostalgiques et qui
sommes-nous devenus? Nous n'avons pas été au fond des choses. Echec. De toute
manière, le public n'a jamais tort.

Vous dites ça parce que vous êtes gentil?


Non, parce que je pense à mon neveu qui n'arrivait pas à jouer au tennis et qui insultait la
balle. Il est difficile de savoir qui est le public. Si le film ne marche pas, cela relève de
notre seule responsabilité. Il y a parfois quelques grands films qui passent à coté du
succès, mais très peu. Il ne faut pas insulter la balle.

N'auriez-vous pas envie de réaliser un sujet que vous n'avez


jamais abordé?
Si, mais on me propose toujours des histoires que j'ai déjà tournées! Après Amen, j'ai
reçu plein de propositions de films sur les camps de concentration ou sur la Résistance.
Les producteurs manquent d'imagination. J'aimerais bien aborder la comédie, un genre
difficile, mais souvent bien meilleur que d'autres pour traiter de sujets importants.

Est-ce le fait de voir des films qui vous a donné envie d'en
réaliser?
Oui. J'ai découvert le cinéma en France. Je préparais une licence à la Sorbonne, des amis
m'ont emmené à la Cinémathèque de la rue d'Ulm. On projetait Les Rapaces, d'Erich von
Stroheim. Un choc, évidemment. Moi qui n'avais vu à la télé que des westerns avec
Randolph Scott, j'ai pris conscience qu'il y avait des histoires dont l'importance pouvait
s'apparenter au théâtre classique. J'ai débuté dans le métier au moment où la Nouvelle
Vague finissait, et l'heure était à autre chose. De toute manière, après avoir vu ces films-là
et travaillé avec Jacques Demy et Agnès Varda, je me suis rendu compte que cette
Nouvelle Vague était profondément issue de la culture française. Ce n'était donc pas pour
moi.

Vous avez commencé avec un film policier, Compartiment


tueurs?
Un genre plutôt américain, car j'étais nourri de ce cinéma-là, mais avec une histoire
remplie de personnages et de seconds rôles, comme dans les scénarios français.
Compartiment tueurs est une aventure singulière. J'étais assistant et je venais de
terminer un film de René Clément qui m'avait déjà quasiment engagé pour le suivant,
quatre mois plus tard. Je tombe alors sur le roman de Sébastien Japrisot et j'en écris
l'adaptation pour me faire la main, comme un exercice. Je demande à la secrétaire du
studio de Boulogne de taper le manuscrit, qui le donne, sans rien me dire, à son directeur.
Lequel m'envoie un télégramme: «Très bonne histoire à la Clouzot. Stop. Venez me voir.
Stop.» Il me dit qu'il peut monter l'affaire si je trouve des acteurs. Comme je m'occupais
des castings pour les metteurs en scène avec lesquels je travaillais, je connaissais
beaucoup de comédiens. Je demande donc à Simone Signoret si Catherine [Allégret]
pouvait jouer Bambi. Elle me répond qu'elle devait d'abord passer son bac, mais qu'elle-
même, Simone, jouerait bien la veille actrice du film. J'étais stupéfait. Quelques jours
plus tard, je croise Montand qui m'interpelle: «Dis donc, petit, il paraît que tu as écrit une
bonne histoire? Il n'y a rien pour moi?» Je lui donne à lire le scénario. Je le voyais bien en
flic, mais pas lui. Simone a insisté pour qu'il le joue. Il a dit oui. Et Piccoli a dit oui. Et
tout le monde a dit oui. A tel point que tous les comédiens de Paris sont venus me
demander si je n'avais pas un rôle pour eux. Et voilà comment Françoise Arnoul, Marcel
Bozzuffi et Georges Géret ont participé au film. Même Daniel Gélin passe dans une scène
en docteur. C'était un conte de fées. De plus, le film a été bien reçu.

Et maintenant? A part une comédie?


Une comédie musicale.

Ah bon?
C'est le rêve de tous les metteurs en scène, non? Peut-être parce qu'on a tous été fascinés
par Fred Astaire et Gene Kelly. Il y a trois ans, on m'a proposé Chicago. Je ne me sentais
pas à l'aise avec le sujet, que je trouvais un peu futile. Mais le résultat est bon. C'est beau,
une comédie musicale... Penser qu'un jour je pourrais en réaliser une relève pour moi de
l'utopie. Encore une.

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