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La nuit, tout en haut, la tête dans les lumières de la ville, on oublie le froid, le

balancement de la nacelle, les phares le long de la seine, les lampadaires des


avenues, les projecteurs des bateaux mouches, un ballet d’étoiles filantes défile sous
les pieds. Le matin, le soleil embrase les fenêtres des quais. Saint Germain paresse.
La roue tourne. On monte au front du palais Bourbon, on descend à la barbe des
champs. Les enfants crient, les amoureux s’exclament, Montmartre, le Louvre, on se
retourne vers le Carrousel, on tend le cou vers la grande Arche, on tutoie les
tuileries, les toits de zinc, d’ardoises. Paris est offert, la vue est unique,
impressionnante… sur l’époustouflante réussite du maître des lieux, Marcel
Campion, industriel forain. Il en a fait du chemin le petit fils de la femme à barbe, qui
a démarré dans la vie à la tête d’une baraque à frites avant de devenir
l’incontournable interlocuteur des pouvoirs publics.
Qu’on en juge : depuis l’obélisque en 1836 et le réaménagement des lieux par
Hittorf, rien n’a été construit sur la place de la Concorde. Personne n’en a obtenu
l’autorisation. Personne n’a eu le culot de défriser la vieille dame anciennement place
Louis XV, de s’immiscer entre Carrousel et Arc de Triomphe dans une perspective
née sous l’ancien régime, conservée et prolongée religieusement par les monarques
républicains. Personne, sauf Marcel et sa grande roue, vestige des festivités de l’an
2000, vestige du Paris de Chirac et de ses mœurs, poursuivi en bas empire Tiberi.
Classée monument historique, la Concorde est soumise à la loi du 31 décembre
1913. Elle dépend du ministère de la culture. Ce dernier n’a pas l’intention de
renouveler une autorisation d’installation arrivée à son terme le 7 Janvier prochain.
Marcel le sait. Lyne Cohen-Solal, adjointe du maire de Paris chargée du dossier ne
lui donnera pas un jour de plus. En tout cas elle l’affirme. Légalement, la ville,
pourtant propriétaire du terrain n’en a pas le pouvoir. Elle est soumise à la décision
de la rue de Valois.
Trés loin des finasseries administratives, la position de Marcel est des plus
simple : j’y suis j’y reste. Au pire, j’accepte de déménager, au Trocadéro, au
Luxembourg ou au jardin des plantes, trois sites dépendants eux aussi de l’Etat et
sur lesquels la ville n’a aucun pouvoir. Pas vraiment un hasard. Sous des
apparences trompeuses, l’homme est un fin politique. Depuis le temps qu’il vend aux
politiques son pouvoir sur les forains, et aux forains son pouvoir sur les politiques, Il
connaît toutes les ficelles, apprises dans les combats de la profession, Nancy, Lyon,
Mirapolis, Paris. Ami d’Yves Mourousi, Il sait utiliser les médias, mobiliser au secours
d’une défense de la fête foraine, souvent étroitement confondue avec celle de ses
propres intérêts, des habitués des pages people, stars de la chanson, du petit écran,
parentèle d’un ex président, traîne patins mondains couffins, et autres consciences
pétitionnaires qu’il régale à l’occasion de grandes fêtes.
Fort opportunément, Il annonce pour le 13 janvier prochain, « le début d’un
engagement qui va durer un an auprès des associations parisiennes de lutte contre
le cancer ». Bien joué, Marcel. A cette date, le démontage de la roue devrait être
commencé depuis cinq jours, Les forces de l’ordre prenant la grande roue d’assaut
pendant que des enfants atteints du cancer font un tour avec leur perfusion au bras,
c’est l’ouverture garantie du 13 heures de l’ami Jean Pierre Pernault et le zapping en
prime. Marcel voudrait il se rendre intouchable qu’il ne s’y prendrait pas autrement.
Le Sida en décembre, le cancer en janvier, sans oublier des actions en faveur du
secours populaire, du don du sang, du Téléthon, du sidaction, des pères noël verts,
de pas d’enfants sans vacances, du plan vigipirate, c’est de l’acharnement
humanitaire pour sauver le soldat Campion.
« j’ai été trahi » s’indignait Marcel, le 14 décembre dernier dans France Soir.
Vraiment ? Pour s’installer place de la Concorde et y rester deux ans, à cet endroit
un genre d’éternité, d’autres se seraient heurtés à de lourdes procédures. Pour
Marcel, quelques lettres suffiront. « Monsieur le président et cher ami » lui écrit le 18
décembre 1997, son ex associé Yves Mourousi, alors président de la mission Paris
2000 « en accord avec Jean Tiberi la grande roue de Paris pourra être installée
dans un lieu prestigieux de la capitale de juillet 1999 à Août 2OO1 ». Roulez
jeunesse. Trois ans plus tard, le 22 décembre 2000, trois mois avant son départ de la
mairie, Jean Tiberi, ex magistrat, passant outre la décision du ministère de la Culture
de n’autoriser qu’un an, confirme le maintien jusqu’au 31 décembre 2001. Pour faire
bon poids, Tiberi s’engage à « rechercher un site d’accueil à titre pérenne dans Paris
intra muros». Et voilà la position de Marcel verrouillée, sans même qu’un seul
document ait été signé avec la ville. François Lebel, maire RPR du huitième
arrondissement dont dépend la place de la Concorde, a déclaré que cette installation
s’était faite « au plus grand mépris des lois » a parlé de «passe droit » qualifiant la
grande roue de « pompe à phynance ». Le tribunal correctionnel n’a pas estimé ces
propos diffamatoires et Marcel Campion a été débouté de sa plainte.
Dans ses faveurs, l’ex municipalité ne s’est pas arrêté en si bon chemin. La
redevance réclamée le 29 mai 2000 à Marcel Campion par la direction des finances
et des affaires économiques est très exactement de 113 690 euros (745 790 fs).
Cette somme représente la location de 535 m2 à 0,53 euros (3,50 fs) pendant 397
jours y compris la redevance déblaiement. A titre de comparaison, la société
Aeroparis qui exploite le ballon Fortis installé dans le parc André Citroën verse à la
ville une somme forfaitaire annuelle de 183 000 euros (1,2 MF) plus 28% du chiffre
d’affaire dés qu’il est supérieur à 808 000 euros (5,3MF) considéré comme une
hypothèse basse de fréquentation. Pour une occupation du domaine public
supérieure à trois mois, l’exploitant de la grande roue aurait du acquitter une taxe
représentant 8% du chiffre d’affaires. En 2000, la grand roue a réalisé 3,66 millions
d’euros (24 MF) de chiffre d’affaires. En retenant le même chiffre pour cette année,
Marcel Campion aurait du acquiter une redevance de 586 400 euros, (prés de 4
millions de francs) et peut être plus. Le 10 juillet 2000, Marcel Campion déclarait à
France Soir que depuis son inauguration début décembre 1999, sept mois
auparavant, la roue avait accueilli plus d’un million et demi de visiteurs. A ce rythme,
les 4 millions de visiteurs ont du être largement dépassés fin 2001. A 25 francs en
moyenne la place, il faut croire en lisant le chiffre d’affaire que plus de la moitié
d’entre eux n’ont pas payé. En attendant, la roue tourne et personne ne s’aventure à
dire quand elle s’arrêtera.

jean jacques chiquelin

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