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Leïla HAFEZ Manon MOCHÉE

Formation animée par :


Agathe LE BARS Kadidja TRAORE

Stratégie d’influence et
représentation des intérêts :

quelles sont les méthodes


de travail des lobbyistes ?

Le 14 Novembre
à Sciences Po Bordeaux
14 Novembre 2017 Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

Objectifs de la formation :
•Comprendre de quoi il retourne quand on parle du lobbying
•Avoir toutes les clés pour faire face à un groupe de représentation
d’intérêt
•Pouvoir se sortir subtilement et sans accrochage d’une « attaque » de
lobbyiste

PARTIE 1:

Le lobbying à la loupe

PARTIE 2:

Le répertoire d’action des lobbyistes

PARTIE 3:

Glyphosate: la guerre des lobbies


14 Novembre 2017 Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

PARTIE 1:
Le lobbying à la loupe

Le lobbying: qu’est-ce que c’est ?

Le « lobbying » est perçu comme un terme péjoratif en langue française et en France en général.
C’est la raison de l’emploi assez rare de ce terme. Il lui est préféré celui de « représentation des
intérêts » en ce qui concerne l’activité et de « groupe d’intérêt » en ce qui concerne l’acteur.

Le terme « lobbying » a une double provenance. Il vient du « lobby », soit l’antichambre, lieu dans
lequel des tractations secrètes s’exerçaient ; mais aussi du verbe «  to lobby  », soit exercer une
pression sur quelque chose.

Le lobbying peut se définir comme le fait de procéder à des interventions destinées à


influencer directement ou indirectement l'élaboration, l'application ou l'interprétation de
mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, toute intervention ou
décision des pouvoirs publics.
(Frank J. Farnel)

Pour l’Association française des conseils en lobbying et affaires publiques (AFCL), « le lobbying
est l’expression identifiée des enjeux de décisions législatives ou réglementaires qui seront
démocratiquement adoptées. Cela passe par une information des pouvoirs publics, mais aussi,
plus largement, par l’information des médias, associations, experts, acteurs économiques etc. qui
participent au débat public. […] Le lobbying a pour vocation d’expliquer, d’argumenter, de
convaincre en transmettant la bonne information
au bon interlocuteur, au bon moment ».

Focus sur …
Petit historique du lobbying LE ROI DU LOBBYING

Le lobbying ne naît pas aux Etats-Unis, comme il


est courant de le penser, mais au Royaume-Uni.
Le terme de « lobby » évoque ainsi les couloirs
de la Chambre des Communes britannique, où
des groupes de pression, non admis dans les
salles, attendaient pour avoir des informations,
donner leur opinion et tenter d’influencer les élus
de la Chambre des Lords et des Communes.
Le lobbying est devenu une véritable pratique
avec le politicien Samuel Cutler Ward
L’activité de lobbying se développe ensuite aux
surnommé le « Roi du Lobbying ». Il savait
Etats-Unis. Le terme est employé pour la
combiner de la bonne nourriture, du bon vin à
première fois par le président Ulysses Grant pour
des conversations très intéressantes lors des
parler de la salle d’attente de l’Hôtel Willard à
soirées qu’il organisait pour obtenir des votes
Washington, lieu où ses bureaux étaient établis,
de ses invités. Il inventa alors le lobbying
où il recevait de nombreuses sollicitations.

social.
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Qui pratique le lobbying ?

L’univers du lobbying est vaste et comporte divers acteurs ou parties prenantes que l’on retrouve
selon le sujet traité :
• Parties publiques (institutions, organismes publics, élus)
• Parties médiatiques (médias spécialisés, généralistes, locaux ou nationaux)
• Parties financières (investisseurs, financeurs)
• Parties directes (employés, résidents, clients, membres)
• Parties représentatives (syndicats, ONG, groupes de pression)
• Parties sectorielles (concurrents, sous-traitants, activités connexes)
• Grand public concerné
• Grand public spectateur
Pour chaque sujet, une cartographie des acteurs s’impose pour mieux les appréhender.

Néanmoins, seuls quelques acteurs s’adonnent à la pratique du lobbying en elle-même :

• Les groupes d’intérêt


C’est un groupe d’individus ayant des intérêts communs et agissant sur l’opinion publique
et /ou l’Etat. Il s’agit d’un ensemble plus ou moins formel d’acteurs d’un secteur
professionnel, constitué afin de défendre ses intérêts face à des institutions ou individus
pouvant prendre des décisions qui pourraient les affecter.
On utilise par convention quatre critères pour les définir :
- organisation formalisée ( ce qui les différencie de la simple mobilisation)
- organisation non-gouvernementale
- organisation distincte des partis politiques
- organisation qui agit auprès des agents politiques

• Les entreprises
Certaines font appel à des agences, ce qui est moins coûteux et plus discret, mais peut
paraître suspect vu de l’extérieur. D’autres en revanche choisissent d’intégrer l’activité de
lobbying au sein de leur structure en dédiant des ressources internes à leur stratégie
d’influence . S’il y a ainsi un risque d’avancer à découvert, cela peut néanmoins être vu
comme une volonté de transparence.
Selon Bruno Gosselin, on peut distinguer plusieurs types d’entreprises lobbyistes selon la manière
dont elles travaillent :
- les faucons, qui font du lobbying de manière active et sont très visibles.
- les hiboux, qui occupent déjà une position favorable mais désirent encore l’améliorer. Ils
essaient ainsi d’influer sur les décisions par des intermédiaires et préfèrent travailler seuls et
dans l’obscurité.
- les grues, qui ont un intérêt à collaborer avec d’autres entreprises mais possèdent parfois leurs
propres intérêts
- les mouettes, qui usent d’un lobbying énergique mais en coopération avec d’autres entreprises.

• Les think tanks, organisations professionnelles et associations

• Les coalitions
Elles regroupent des associations, entreprises ou groupes d’intérêt de taille réduite qui
joignent leurs forces autour d’une même thématique pour mieux se faire entendre.
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Depuis 2011, il existe un registre de transparence commun au Parlement européen et à la


Commission pour l’enregistrement des personnes exerçant une activité d’influence auprès de l’une
de ces institutions. L’enregistrement est facultatif mais reste nécessaire pour l’accès aux locaux.

En France, la loi Sapin 2 a créé un tel registre, obligeant les lobbyistes à s’inscrire dès lors qu’ils
entrent en contact avec des membres du parlement ou de leur cabinet et des Ministres ou leur
cabinet. Cependant, encore très peu de lobbyistes sont aujourd’hui inscrits.

Combien sont les lobbyistes ?

Entre 5 000 et 30 000


c’est le nombre de lobbyistes qui exercent aujourd’hui à Bruxelles.

Cette forchette reste vaste puisque l’activité s’exerce de manière assez confidentielle. Ils sont
réunis au sein de 3 000 groupes de pression qui disposent aujourd’hui d’une représentation
permanente à Bruxelles. Leur budget annuel total oscillerait entre 90 et 900 millions €.

En France, depuis la fin des années 1980, le nombre de lobbies ne cesse d’augmenter et le
marché du lobbying est en pleine croissance.

On estime qu’aux USA, le lobbying concerne plus de 40 000 acteurs directs.

Quels sont les différents types de lobbying ?

Il existe 2 grandes branches au lobbying :

• Le lobbying direct ou grasstops lobbying


C’est le lobbying de réseau. Plus traditionnel, il est basé sur les relations personnelles
qu'entretiennent les lobbyistes et les décideurs, relations qu’ils peuvent tisser autour d’une table de
travail lors de l’élaboration d’un projet de loi, ou autour d’un café lors d’une rencontre informelle. Ils
nouent ainsi des alliances indispensables pour leur travail. L’alliance peut se faire avec des acteurs
de la même filière ou des représentants institutionnels. Œuvrer à l’intérieur du système est toujours
plus intéressant pour le lobby. Ainsi, il développe une expertise et une connaissance des
décideurs.
Il est principalement mené par des particuliers pour exercer une influence directe auprès de
décideurs, notamment les entreprises qui utilisent des lobbyistes «  maison  » ou des consultants
spécialisés. Les syndicats et associations le pratiquent aussi de plus en plus souvent aujourd’hui.

• Le lobbying indirect ou grassroot lobbying


Il vise l’influence du pouvoir législatif par le biais de personnes intermédiaires, pouvant être des
alliées, des media, ou l’opinion publique, et non en interpelant directement les décideurs. Le
lobbying indirect peut être conduit par des lobbyistes qui cachent leur identité.
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Quels sont les buts du


lobbying ?

Focus sur …
Le lobbying a évidemment pour mission
d’influencer les décideurs publics et/ou l’opinion. LE E-LOBBYING
Cette influence peut poursuivre 4 buts (selon
Loup Francart) : « A l’évidence, les lobbies se sont emparés de la
toile. […] Si les lobbies n’ont pas inventé Internet,
ils auraient pu le faire ! »
• Le lobbying général et culturel (Gilles Lamarque)
Il cherche, à long terme, à faire changer les
opinions, les habitudes et faire évoluer les
Les technologies de l’information et Internet
décisions par l’évolution des mentalités.
permettent actuellement d’appréhender le
lobbying sous une configuration nouvelle, celle
• Le lobbying stratégique du cyber-lobbying. Les techniques de cyber-
Il cherche à faire évoluer les visions particulières lobbying permettent maintenant aux acteurs de
vers une vision commune qui sert un groupe passer à une dimension stratégique nouvelle,
particulier avec des finalités politiques, plus active voire combative et surtout
économiques … d’anticipation.

• Le lobbying général Dans le cas des groupements de


Il cherche à défendre un secteur particulièrement consommateurs par exemple, le e-lobbying
menacé ou à s’emparer d’un secteur dans son donne à l’individu consommateur le pouvoir de
ensemble. devenir un acteur-pivot en mettant le lobbying à
la portée de tous et en rendant la notion de
• Le lobbying ciblé stratégie d’influence potentiellement perçue
comme plus démocratique.Les groupements ont
Il cherche à obtenir un avantage concurrentiel sur
des groupes de concurrents ou même des Etats ainsi une capacité accrue de créativité,
en s’attaquant à un problème particulier. d’efficacité et d’organisation On parle aujourd’hui
d’open-lobbying.

Quels sont les outils fondamentaux du lobbyiste ?

La cartographie des acteurs et l’analyse SWOT


ce sont les outils principaux des lobbyistes

Ils leur permettant de caractériser les acteurs avec lesquels ils traitent. Il est donc indispensable à
tout communiquant ou conseiller politique de connaître ses propres caractéristiques et celles de
ses adversaires pour faire face aux lobbyistes.
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PARTIE 2:
Le répertoire d’action des lobbyistes

Les techniques d’influence des lobbyistes sont nombreuses. Nous avons compilé ici les plus
pertinentes et utilisées. Elles peuvent être regrouper en 3 catégories.

Contrôle et utilisation de son réseau

• Nouer des alliances


Le carnet d’adresse est l’outil principal du lobbyiste. L’alliance peut se faire avec des
acteurs de la même filière ou des représentants institutionnels. Il peut aussi se révéler
intéressant d’embaucher d’anciens politiciens, qui auront plus facile l’accès et la
confiance des autres politiciens. En oeuvrant directement à l’intérieur du système, le lobby
développe une expertise et une connaissance des décideurs.

• Participer à des auditions officielles

• Influencer directement le législateur


De très nombreux lobbies, bénéficiant d’un bon réseau au parlement, n’hésite pas à
envoyer des argumentaires ainsi que des amendements complètement rédigés aux
parlementaires.
Ex: lors de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le
terrorisme et leur financement en 2016, l’Unifab (association pour la protection de la propriété
intellectuelle) a envoyé un mail à plusieurs député expliquant que ce projet de loi permettrait de
renforcer la lutte contre la contrefaçon. Le mail présentait une série d’amendement qu’ils
appelaient à soutenir, s’appuyant sur un argumentaire. Dans les jours qui ont suivi, des Députés
différents ont déposé des amendements identiques, qui reprenaient justement l’argumentaire de
l’Unifab, comme la création d'une incrimination juridique spécifique pour le commerce de
contrefaçons.

• Mobiliser les particuliers


Cela permet de mettre la pression sur les hommes politiques.
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Contrôle de l’information et légitimation de son propos

« Lobbyists spend most of their time answering questions, giving information to decision
makers » (McGrath)

• Tenir des réunions d’information


Des intervenants extérieurs forment alors un panel d’experts qui tient un débat
contradictoire dans lequel l’argumentaire du lobbyiste organisateur sera largement
diffusé. Le lobbyiste va essayer de présenter ça comme un débat pour ne pas perdre
en crédibilité face à son auditoire.
Ex: petit-déjeuner thématique

• Organiser des conférences


Le lobby peut l’organiser lui-même sur un sujet qu’il a choisi. Ainsi, il contrôle l’agenda. Il
peut aussi participer à une conférence organisée par d’autres sur des sujets proches de
ses préoccupations. Ainsi, il peut agir sur le cadrage du sujet. Il peut faire pression sur
les décideurs pour qu’ils organisent une conférence sur leur sujet.

• Utiliser les media


Ils sont utilisés comme relai face à l’opinion publique. Le lobby peut ainsi maitriser le débat
pour que l’action ne se retourne pas contre lui. Il arrive très souvent que plus il y a du bruit,
plus les lobbyistes perdent le contrôle. Maitriser le système médiatique est alors
indispensable.
Ex: dossiers éditoriaux à l’attention des media ou organisation d’événements dédiés aux
media qui leur fournit des informations.

• Contrôle du web et de sa e-réputation


Avec internet, le répertoire d’action des lobbies s’est enrichi mais leur travail est aussi
devenu plus ardu. Il faut donc contrôler le web.
Ex: création d’un site web ressemblant à un site institutionnel comme le site IVG.net,
d’aspect très officiel, avec informations, témoignages et numéro vert, mais créé par des
collectifs anti-avortement.
Ex: google bombing (achat de mots-clés sponsorisées) pour nuire à quelqu’un ou à un projet.
Ex: la multinationale américaine Dow Chemical a essayé, à de nombreuses reprises, d’effacer la
partie « controverse » de sa page wikipedia.

• Recourir à un expert
Pour donner de la crédibilité à leur message, les lobbies obtiennent souvent d’un expert
extérieur, une figure d’autorité, considéré comme neutre et indépendant. Cependant,
l’expert est, dans la plupart des cas, payé par le lobby. On peut donc douter de son
impartialité.
Ex: Philip Morris a payé un ex policier de la Metropolitan Police, Willy O’Reilly, pour mener
une campagne médiatique qui reliait le paquet neutre à la contrebande de tabac.
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• Sponsoriser un think tank


Le think thank produira des rapports et sera un point d’appui pour montrer que son propos
est partagé par de nombreuses personnes.
Ex: la BBC a ainsi invité le think tank néolibéral « Institute of Economic Affairs » pour
parler de du paquet de cigarettes neutre sans révéler qu’il est financé par l’institut du tabac.
Une fuite chez Philip Morris a d’ailleurs révélé que ce think tank était l’un de ses messagers
dans les media.

• Publier des rapports


Le lobby peut le faire de manière plus ou moins couverte pour appuyer son propos.
Ex: publier un rapport alarmiste avant un vote important pour manipuler le législateur.

Utilisation des techniques de manipulation

• Le cheval de Troie
Cette technique s’inspire du combat
entre grecs et troyens. Elle consiste
pour un lobby à créer une entité qui se Focus sur …
constitue comme un comité de LE CADRE JURIDIQUE
soutien, se faisant porte-parole de
certains argumentaires sans Il est important de faire attention à ne pas tomber
qu’apparaisse nécessairement l’identité de la dans le trafic d’influence lorsque l’on traite avec
structure à l’origine de ce comité. On se cache un lobby.
derrière l’information.
Ex: l’AmCham EU (chambre de commerce Le trafic d’influence est une forme de corruption
américaine à Bruxelles) est soupçonnée d’agir tel consistant à recevoir des dons pour favoriser les
un cheval de Troie au sein de l’Union intérêts d’une personne physique ou morale
européenne afin de défendre les intérêts auprès des pouvoirs publics. L’importance de
américains, de l’Etat ou de ses entreprises. l’influence ne compte pas, mais le but doit être de
faire obtenir à une tierce personne un avantage
quelconque d’une autorité publique ou d’une
• L’alibi administration publique (exemples : emplois,
Cette technique est utilisée lorsque de marchés publics).
nouvelles règles émergent et
peuvent mettre en péril une La corruption et les marchés publics frauduleux
entreprise. Pour contourner ces représentent un risque lorsque l’on traite de trop
règles qui vont apparaître, l’entreprise va près avec certains lobbies.
intégrer une partie des contraintes de cette
nouvelle réglementation avant qu’elle n’entre en Ex: Michel Ducros, PDG de Fauchon, est
vigueur et ainsi montrer sa bonne volonté. De soupçonné d‘avoir versé un pot de vin de
cette manière, elle espère échapper à l’obligation 500.000 euros à un proche d‘Alexandre Guérini,
de se conformer totalement à la nouvelle frère du président socialiste du Conseil général
réglementation. Certains acteurs vont jusqu’à des Bouches-du-Rhône Jean-Noël Guérini, pour
revendiquer un statut d’exception de par la débloquer un projet immobilier à la Ciotat en
spécificité de leur profession ou de leur écartant une société concurrente. Une
production. instruction a donc été lancée pour des marchés
présumés frauduleux. Le cas est toujours en
cours.
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• Le good cop / bad cop


Cette technique nécessite une action coordonnée: un lobby tient une position ferme et assez
extrêmes pendant qu’un autre lobby connexe prend une position qui, par contraste, paraît
plus modérée.
Ex: négociations intersyndicales

• L’hélicoptère de combat ou mitraillette


Cette technique de lobbying est très agressive et donc utilisée uniquement si les
autres techniques ne fonctionnent pas. Elle consiste à agiter la menace d’une
délocalisation, de pertes d’emplois, ou encore de pertes de voix si la législation mise
en place n’est pas remise en cause.
Ex: durant l’examen de la « taxe soda » en France, le député Bernard Reynès a souhaité
intégrer le light dans cette taxe. Il s’est alors fait harceler par les lobbyistes de coca cola qui ont
promis d’investir en France, menacé de délocaliser (notamment dans le Nord de la France),
menacé de véhiculer une image anti-américaine de la France … Le groupe était prêt à payer 250
millions au gouvernement pour éviter ça mais la taxe a finalement vu le jour.
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PARTIE 3:
Glyphosate : la guerre des lobbies

Le glyphosate: qu’est-ce que c’est ?

Le glyphosate, sous sa forme scientifique le N-photosphonométhyl glycine, est une


molécule pourvue de propriétés herbicides. Peu efficace utilisé seul, les industriels y
ajoutent des produits chimiques pour le rendre plus actif et faciliter son absorption par les
plantes. Il s’agit d’un herbicide dit « total », c’est-à-dire qu’il peut tuer toutes les plantes
sans distinction, sauf celles génétiquement modifiées pour lui résister.

La majorité des produits à base de glyphosate sont utilisés pour l’agriculture (céréales,
tournesol, maïs, betterave, pâtures), même s’ils servent également dans certains pays
dans des zones non agricoles, comme dans les complexes industriels ou les
accotements de voies ferrées. Le produit le plus connu contenant du glyphosate est le
célèbre « RoundUp » de l’industriel Monsanto, commercialisé depuis 1974. Pour ce
dernier, le glyphosate représente 4 à 5 milliards d’euros de bénéfices annuels, soit
40% du chiffre d’affaire annuel. En France, l’utilisation du glyphosate est interdite pour
les particuliers depuis 2016.

Cet herbicide est aujourd’hui l’un des plus largement utilisé au


monde. Plus de 750 produits à base de glyphosate sont
commercialisés sur le marché, par plus de 90 fabricants répartis
dans 20 pays différents. Il représente à lui tout seul environ 25% du
marché mondial des désherbants, et est l’herbicide le plus utilisé en
Europe. Plus de 700  000 tonnes de ce produit s’écoulent par an
dans le monde, dont 8000 rien que sur le territoire français. En
Allemagne, les produits contenant du glyphosate sont utilisés sur
plus de la moitié de la superficie totale cultivée dans le pays. A titre
d’exemple, l’Allemagne utilise les produits à base de glyphosate sur
plus de la moitié de la superficie totale cultivée dans le pays.

La popularité du glyphosate s’explique car il a permis le remplacement du désherbage mécanique


dans un certain nombre de cultures, impactant significativement les pratiques agricoles et les
rendements. Eviter le désherbage mécanique permet en effet aux agriculteurs d’éviter de labourer,
une activité nécessitant main d’œuvre, carburant, et temps. Les produits à base de glyphosate
sont par ailleurs relativement peu chers comparés à d’autres herbicides commercialisés sur le
marché.
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Pourquoi son utilisation fait-elle polémique ?

L’utilisation du glyphosate fait polémique depuis 2015, année au cours de laquelle un rapport du
Centre International de recherche sur le cancer (CIRC), dépendant de l’OMS, a analysé le
glyphosate comme étant une substance « cancérogène probable ».

Plusieurs études ont, depuis lors, confirmé la toxicité du glyphosate :

• Etudes publiées dans la revue scientifique The Lancet évoquant des risques de
lymphomes (cancer du sang), des impacts négatifs sur les organes de détoxification de
l'organisme (le foie et les reins), et des dysfonctionnements au niveau hormonal, en
cas de contact avec le glyphosate. Ces études pointent également du doigt le
glyphosate pour ses effets « tératogènes » (dans le fœtus). Et ce, même à très
faible dose.

• L’ONG Générations Futures a analysé plus de 30 échantillons de


produits alimentaires de la vie courante, dont plus de la moitié
contenaient des traces de glyphosate.

• Une étude américaine a analysé l’eau de pluie dans une région de


grande culture, et constaté la présence de glyphosate dans plus de ¾ des
échantillons analysés.

• Un autre problème lié à l’utilisation de ce glyphosate est qu’elle permet la


destruction de plantes adventices (mauvaises herbes), dont les abeilles raffolent.
Or, une présence moindre des adventices, entraîne automatiquement une diminution du
nombre d’abeilles, ce qui signifie une moindre pollinisation et donc, à terme, une
biodiversité menacée.

A ce titre, plusieurs organisations non gouvernementales réclament l’interdiction de ce qu’elles


appellent un « poison chimique ».

Alors que la toxicité de la molécule semblait être établie, une étude de l’EFSA
(Agence Européenne de Sécurité des aliments), publiée en novembre 2015, vient
contredire cet avis de l’OMS, et annonce un « risque cancérigène improbable » lié
au glyphosate.

A cette même période, en juin 2016, la licence d’exploitation du glyphosate au sein de l’Union
Européenne, arrive à expiration. Les doutes sur la toxicité du produit conduisent la Commission
Européenne à prolonger de 18 mois la licence du glyphosate, pour permettre pour permettre à
l’Agence Européenne des produits chimiques (ECHA) de procéder à l’évaluation de sa
cancérogénicité potentielle. L’avis de cette agence est rendu en mars 2017 : l’’instance
européenne écarte le risque cancérogène du glyphosate.
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En tenant compte des avis formulés par ses deux Agences, la Commission Européenne propose
de renouveler la licence du glyphosate pour une durée de 10 ans, au lieu des 15 habituels,
compte-tenu de l’évolution rapide des connaissances sur le sujet. Cette proposition suscite un tollé
au sein des organisations de défense de l’environnement, et plus largement, au sein des opinions
publiques européennes. Tollé d’autant plus fort que des journaux allemands révèlent que les
études réalisées successivement par l’EFSA et l’ECHA ont été faites sur la base d’études
confidentielles financées par certains industriels, dont Monsanto. Dans l’un des rapports rendus
par les Agences Européennes, plus de 18 pages étaient en réalité des copier-coller de ces études
financées par Monsanto.

Suite à ces révélations, la Commission Européenne a annoncé un nouveau vote, portant cette fois
sur un renouvellement de la licence du glyphosate, d’une durée de cinq ans seulement. Certains
pays, comme la France, ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne voteraient pas un renouvellement de
la licence du glyphosate d’une durée supérieure à trois ans. Selon Nicolas Hulot, ministre de la
Transition Ecologique français, « il existe un faisceau de présomptions liées au glyphosate qui
justifie d’appliquer le principe de précaution ». Le gouvernement français a par ailleurs annoncé
vouloir interdire l’usage du glyphosate d’ici à la fin du mandat, afin de permettre au secteur
agricole de trouver des alternatives à ce produit.

Ce vote, qui s’est tenu le 09 novembre, n’a pas permis d’adopter un renouvellement du glyphosate
sur une durée de cinq ans, faute de majorité qualifiée.

Ces nombreux revirements, tant concernant la durée de renouvellement de la licence du


glyphosate que sur sa réelle toxicité, semblent beaucoup devoir à ce que les médias appellent
désormais, « l’intense bataille de Bruxelles », puisque depuis plusieurs mois s’affrontent au sein de
la capitale belge les ONG, lobbys industriels et agricoles, qui tentent chacun de faire primer leurs
intérêts. Révélations, accusations, expertises et contre-expertises rendent l’analyse de ce débat
encore plus complexe. « L’UE est perplexe : faut-il se ranger au principe de précaution et interdire
la substance, ou suivre les avis de l’Agence Européenne de référence comme le recommande
Bruxelles, bien que l’indépendance de ces études soit aujourd’hui remise en cause ? » La situation
s’apparente à un véritable bras de fer, où scientifiques, élus, lobbyistes et ONG se déchirent sur la
dangerosité de la molécule et où intérêts financiers, environnementaux et politiques se mêlent.
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Cartographie des acteurs

Pour mieux comprendre les problématiques liées au débat sur le glyphosate et le rôle des
différents lobbies, nous pouvons réaliser la cartographie suivante.

Les méthodes de lobbying utilisées par le secteur industriel:


l’exemple de Monsanto

Le lobbying de Monsanto s’exerce essentiellement par le biais d’associations de lobbying,


organisées aux niveaux mondial, régional et local. Ces sociétés, qui œuvrent dans le même
secteur, coordonnent des entreprises de lobbying conjointes pour leurs intérêts communs. Pour
Monsanto, cette coordination se fait principalement entre les groupes de lobbying pour la chimie et
les pesticides, les biotechnologies et les semences. Ces groupes coordonnent de nombreuses
stratégies de communication et activités de lobbying direct auprès des décideurs.

Au sein de l’Union européenne, les associations de lobbying de Monsanto comprennent le lobby


des semences European Seed Association (ESA), le lobby des pesticides European Crop
Protection Association (ECPA) et le lobby des biotechnologies EuropaBio. Les membres de ces
groupes de lobbying incluent les sociétés mais aussi des lobbies d’envergure nationale, ce qui
facilite les pressions à la fois au niveau européen et au niveau national. Les organisations
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équivalentes aux États-Unis, sont l’American Seed Trade Association (ASTA), CropLife America et
la Biotechnology Industry Organisation (BIO).

Les techniques de  lobbying utilisées par Monsanto pour peser sur les différents débats qui
touchent son secteur ont été montrées du doigt à différentes reprises, surtout au cours des cinq ou
dix dernières années. Nous avons choisi de concerner sur les techniques et «  déviances  »
révélées par les Monsanto papers

• Les Monsanto papers


Les Monsanto Papers correspondent à un ensemble de révélations concernant les
pratiques de Monsanto et qui ont été relayés par le Monde. Il s’agit de milliers de
documents internes rendus publics à la suite de procédures judiciaires intentées aux
Etats-Unis contre Monsanto. Ces documents révèlent que les méthodes utilisées par la
firme sont aussi agressives que douteuses. L’une des tensions majeures de ces
révélations porte sur le fait que les études fournies par Monsanto constituaient le socle sur lequel
se sont basées les autorités américaines pour autoriser le glyphosate en 1974.

• Le ghostwritting Focus sur …


LE RETRAIT DE
Le Monde  a dévoilé l'organisation
d'une stratégie d’ « écriture
L’ÉTUDE SERALINI
fantôme  » au sein de l'entreprise. Le
quotidien explique notamment L’une des révélations faites par les Monsanto
comment le géant américain a Papers porte sur le retrait d’une étude incriminant
demandé à un cabinet de consultants, le glyphosate en 2012. L’étude conjointe du
Intertek, de lui trouver près de Professeur Gilles-Éric Séralini et de son équipe
15  experts,  professeurs et consultants privés, du Criigen sur les dangers sanitaires à long
pour rédiger des synthèses sur les liens entre le terme d’un OGM et de l’herbicide auquel il a été
gyphosate et le cancer. Ces experts, rémunérés rendu tolérant, le Roundup, avait fait grand bruit.
par Monsanto, ont ainsi écrit cinq articles sur le Initialement publié dans la revue Food and
sujet. Selon Le  Monde, qui s'appuie sur des Chemical Toxicology, l’article a étrangement été
correspondances issues des Monsanto Papers, retiré un an plus tard, officiellement parce que les
des employés de la société américaine les ont résultats étaient soudainement jugés peu
ensuite «  passés en revue  »  et  «  lourdement concluants. La revue Environmental Sciences
amendés  ».  Certaines équipes de Monsanto Europe a finalement republié l’intégralité de
auraient peut-être même directement écrit l’étude en 2014.
plusieurs de ces articles, avance le quotidien. En
septembre 2016, ces cinq études sont publiées Les stratégies utilisées par Monsanto face à cette
dans une édition spéciale de la revue Critical étude publiée en 2012, au début des débats sur
Reviews in Toxicology. La revue scientifique le Roundup et le glyphosate, reflètent ses
précise que Monsanto a financé ces recherches. stratégies globales de lobbying poursuivies par la
Les articles en question affirment que le suite.
glyphosate n'est pas cancérigène. «  Ni les
employés de la société Monsanto, ni ses avocats,
n’ont passé en revue les manuscrits du panel d’experts avant leur soumission à la revue », affirme
Monsanto en bas de chaque texte. Pourtant, les révélations du Monde  prouvent le contraire.  La
technique du ghostwriting aurait été tellement utilisée par l’entreprise que certains employés
utilisaient eux-mêmes ce terme dans leurs correspondances.
14 Novembre 2017 Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

Le ghostwriting de Monsanto ne se limiterait pas aux publications scientifiques. Selon Le Monde,


des salariés du groupe ont presque entièrement écrit plusieurs articles du biologiste américain
Henry Miller, publiés par le magazine économique Forbes. Monsanto aurait pris contact avec le
scientifique en février 2015, pour contrecarrer les travaux du Centre international de recherche sur
le cancer (CIRC), concluant que le glyphosate est un « cancérogène probable » pour l'homme. Un
cadre de l'entreprise a proposé le projet à Henry Miller, qui a accepté à condition de « partir d'un
brouillon de haute qualité ». Un « brouillon » qui sera publié presque comme tel sur le site internet
de Forbes.

• Des textes largement relayés par la littérature scientifique


Le quotidien explique notamment qu'un article sponsorisé par Monsanto, expliquant
l'absence de danger de cette molécule présente dans de nombreux herbicides, a été
c i t é p l u s d e 3 0 0  f o i s d a n s l a l i t t é r a t u r e s c i e n t i fi q u e . L e j o u r n a l
développe aussi l'exemple emblématique d'une étude sur les liens entre le glyphosate
et le développement du  fœtus. En novembre 2010, l'une des principales toxicologues de
Monsanto, Donna Farmer, envoie les "46  premières pages"  d'un article  à un cabinet de
consultants, qui sera ensuite chargé de  sa publication dans une revue scientifique. L'étude est
publiée dans le  Journal of Toxicology and Environmental Health, Part B,  mais le nom de Donna
Farmer n'apparaît nulle part. Seuls les consultants extérieurs, missionnés par Monsanto, sont
cités. Une nouvelle fois, l'étude affirme que le glyphosate ne présente pas de risques
pour le fœtus. 

Cette stratégie, décrite en premier lieu par Bruno Latour, est nommé « la rhétorique de la
science ».

• La Stratégie de l’évitement
Suite à ces évènements, les eurodéputés ont décidé de convoquer l'entreprise pour une
audition le 11 octobre 2017 mais le géant a tout simplement décliné l’invitation. Le
géant de l'agrochimie a déclaré dans une lettre relayé par l’AFP «  ne pas avoir le
sentiment que la discussion telle que proposée est le forum approprié pour aborder
de tels sujets  ». Remontés par cette réponse, les chefs des groupes politiques du
Parlement européen ont demandé d'interdire l'accès de l'institution aux cadres et
lobbyistes de l'entreprise. D'autre part, en août 2017, la Commission européenne a ouvert une
enquête afin d'évaluer le projet d'acquisition de Monsanto par Bayer, conduisant à une réduction
de la concurrence dans l'agrochimie. Sa décision est attendue pour janvier 2018.

En ne se rendant pas à la convocation des juges, Monsanto permet une fois encore de ne pas
apparaître en tant qu’acteur principal de cette crise : il est plus aisé, pour eux, que le grand public
s’en prenne aux industries chimiques en général, ou aux lobbys en général, plutôt qu’à une firme
bien définie. Cette stratégie de l’évitement est une stratégie de la non-personnalisation des
problèmes, maîtrisée depuis des décennies par Monsanto.

• La rhétorique de la science rigoureuse


La rhétorique de la science rigoureuse est une orientation stratégique toujours plus
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utilisée par les lobbyistes et notamment Monsanto. Il s’agit d’insister, dans son

argumentaire, sur la nécessité absolue de prendre des décisions politiques qui seraient
entièrement fondées sur la science (rigueur que l’on n’applique pas forcément à soi-même…. A
Bruxelles, ce slogan des lobbyistes est devenu un mot d’ordre. En gros, il s’agit de toujours
reprocher à ses détracteurs le manque de démonstrations scientifiques dans leur rhétorique. Cette
pratique permet d’écarter les citoyens sous couvert d’argumentations techniques trop complexes à
cerner pour la majorité. Cette stratégie tend à rendre le débat hermétique et peu inclusif.
Combinée à une décrédibilisation permanente des études scientifiques incriminantes ainsi qu’à la
stratégie du doute, la rhétorique de la science rigoureuse vient fermer un débat, dont les enjeux
sont déjà difficilement perceptibles.

• La contre-offensive de Monsanto
Des experts de la communication ont été recrutés par Monsanto (pour un budget annuel supérieur
à 700 000 euro) pour approcher des journalistes. Des rencontres individuelles se sont organisées
dans les cafés bruxellois avec des représentants de l’entreprise. Il s’est agi, auprès de ces
journalistes, de jouer sur l’ambiguïté des résultats des différentes études incriminant la firme. Les
experts en communication ont également engagé une réelle campagne contre Christopher Portier,
expert toxicologue auprès du CIRC ayant publiquement critiqué l’AFSA. Il aurait notamment perçu
160  000 euros pour un travail d’expertise auprès des avocats des victimes. La rhétorique à
consister à démontrer que les réelles pratiques de lobbying les plus questionnables sont à trouver
chez les détracteurs de Monsanto, et à relayer au maximum toutes ces informations sur les
réseaux sociaux, dans l’optique d’englober le plus de parties, notamment le grand public.

Dernièrement, une longue enquête de l’agence Routers est venue jeter des doutes sur la rédaction
de la monographie de l’agence de l’OMS qui remet en cause le glyphosate affirmant qu’elle aurait
été modifiée à la dernière minute. La journaliste à l’initiative de l’enquête a finalement reconnu
avoir travaillé avec une base d’informations fournies par Monsanto. Le Circ a répliqué avec un long
communiqué rejetant les « fausses accusations » et les « ambiguïtés ».

Quelle riposte pour les ONG ?

Face à ce lobbyisme intensif de la part de Monsanto et du secteur industriel en général, la contre-


offensive s’est organisée du côté notamment des ONG qui militent pour la plupart pour une
interdiction des produits à base de glyphosate. Mais d’autres acteurs s’impliquent également, et ce
notamment aux Etats-Unis. En effet, au cours de ces dernières années plus de 3000 plaintes ont
été déposées contre Monsanto par des victimes d’un syndrome non-hodgkinien (cancer du sang)
qu’ils attribuent à une exposition au glyphosate. Plusieurs avocats ont regroupé ces plaintes
«  class actions  », actions judiciaires qui ont obligé Monsanto à divulguer un certain nombre de
documents internes, documents aujourd’hui connus sous le nom des « Monsanto Papers ».
Des actions individuelles se mettent également en place. Ainsi, le 4 octobre 2017 une famille
française a porté plainte contre le géant de l’agrochimie, le jugeant responsable du grave handicap
de leur fils Théo, suite à une exposition au glyphosate de la mère, alors que celle-ci était enceinte
d’un mois.

Les ONG qui, pour la plupart, disposent de moins de moyens financiers que les lobbies agricoles
ou industriels, axent la plupart de leurs stratégies sur l’opinion publique et les médias. Elles savent
en effet que plus les opinions publiques seront alertées sur les dangers liés au glyphosate, plus
14 Novembre 2017 Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

son interdiction sur le marché européen a des chances d’aboutir. L’opinion publique est en effet un
levier important pour influencer les décideurs et eurodéputés, d’autant qu’aujourd’hui et ce grâce
aux nouvelles technologies, les citoyens peuvent s’organiser, interpeller directement les décideurs
publics, et leur force d’impact est décuplée.

Les ONG ont également beaucoup insisté sur les doutes liés à l’intégrité des différentes Agences
européennes ayant remis en doute la toxicité du glyphosate. Les révélations d’une association
allemande indiquant que le rapport d’évaluation publié par l’ECHA comporte 18 pages de copier-
coller d’un dossier fourni par l’industrie elle-même, ont permis de créer un fort climat de suspicion
concernant l’indépendance de ces agences, d’autant que selon un rapport du CEO (l’Observatoire
des lobbies), presque la moitié des scientifiques de l’EFSA sont en situation de conflit d’intérêts
financiers.

Certaines actions «  chocs  » ont également été organisées par les ONG. En octobre, à la veille
d’une discussion sur le glyphosate au Parlement Européen, l’ECPA, l’organisation des fabricants
de pesticides, sponsorise un dîner pour les députés européens. Les ONG s’invitent et accueillent
les élus avec un cocktail au Roundup.

La riposte des ONG s’est également organisée dans les médias, avec la publication d’un certain
nombre d’articles et d’études aux titres «  chocs  », pour qu’ils soient relayés largement dans les
médias, afin de toucher le plus possible les opinions publiques (glyphosate dans de nombreux
produits de l’alimentation quotidienne : céréales, glaces Ben & Jerry’s, pesticides dans la majorité
des fruits et légumes etc)…
Des initiatives citoyennes sont également organisées, avec la mise en place d’une pétition
réclamant l’interdiction du glyphosate, qui a recueilli plus de 2 millions de signatures à l’échelle
européenne, et qui ont un impact sur les décisions politiques (la France, l’Italie et l’Autriche se sont
engagées à voter contre un renouvellement du glyphosate pour 10 ans). Par ailleurs, depuis 2015,
plus de 500 ONG ont été reçue par le Commissaire Européen à la santé.

14 Novembre 2017 Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

Nos recommandations …
• Bien connaître son environnement (veille) et les acteurs (cartographie)
• Adapter sa stratégie à ses moyens, aux enjeux, et à ses interlocuteurs
• Garder un oeil averti face aux lobbies

Pour en savoir plus …


• Sur les techniques de lobbying
Le lobbying: stratégie et techniques d’intervention
Ouvrage de Frank J. Farnel (1994, Editions d’Organisations)

L’industrie du lobbying. Les stratégies d’influence des groupements de


consommateurs en Europe, à l’heure d’internet.
Thèse de Sonia Lorenzani (disponible sur https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01340358/
document)

La communication d’influence. Lobbying mode d’emploi


Ouvrage de Patrick Romagni (1995, Les Presses du Management)

• Sur le glyphosate en particulier


«  Glyphosate: ce qu’il faut retenir des révélations liées aux “Monsanto
Papers“ »
dans Sciences et Avenir (disponible sur https://www.sciencesetavenir.fr/sante/glyphosate-
ce-qu-il-faut-retenir-des-revelations-liees-aux-monsanto-papers_117118)

« Le Roundup face à ses juges »


reportage de la chaine Arte (disponible sur https://www.arte.tv/fr/videos/069081-000-A/le-
roundup-face-a-ses-juges/)

Le Lobbying de Monsanto: une attaque contre notre planète et la démocratie


rapport de la Corporate Europe Observatory (disponible sur https://corporateeurope.org/
sites/default/files/attachments/monsanto_lobbying_fr.pdf)

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