Vous êtes sur la page 1sur 31

Page 1 sur 31

Responsabilité du fait des produits

La question de la responsabilité des produits s’est d’abord posée dans le cadre du droit commun :
- En matière extracontractuelle dans le cadre de la responsabilité du fait des choses ;
- En matière contractuelle en matière de vente, et dans le cadre de l’obligation de sécurité

Le droit commun s’est montré assez rapidement limité :


- D’abord parce qu’en matière contractuelle il était difficile d’atteindre le fabricant en cas de cessions
successives de la chose ;
- En raison des clauses relatives à la responsabilité
- En matière extracontractuelle par le fait qu’en principe la chose ne peut avoir qu’un seul gardien hors
le fabricant s’est généralement dessaisi de la chose au profit d’intermédiaires, voire du client

La doctrine a proposé des adaptations du droit commun : cas de Goldman qui a proposé en 1946
la théorie des deux gardes, qui a été reprise à partir de 1956 (affaire de l’Oxygène liquide) par la
jurisprudence

Certains états européens se sont dotés d’une législation spécifique, comme l’Allemagne

Pour éviter de pénaliser les Etats ayant fait l’effort de proposer un régime spécial, l’Europe a
adopté un régime uniforme, laissant quelques options de transpositions aux Etats, par la Directive
n° 85/374 du 25 juillet 1985.

Les objectifs poursuivis en 1985 étaient autant de protéger les consommateurs que les
producteurs, et les règles adoptées trahissent cette recherche d’équilibre : certaines sont même
franchement favorables aux producteurs : franchise de 500 écus sur les dommages matériels,
prescriptions abrégées, causes d’exonération larges, etc.

La directive de 1985 a par ailleurs laissé aux Etats membres un certain nombre de choix de
transposition pour les questions les plus délicates : notamment la question de l’exonération pour
risque de développement : dans cette hypothèse le juge national n’est pas tenu par l’une ou l’autre des
solutions proposées par la Directive :
- Jugé en 20061
- Confirmé pour l’Isoméride en 20092

1 Cass. 1re civ., 24 janv. 2006, n° 02-16.648, publié, Resp. civ. et assur. 2006, comm. 90, et les obs.
2 Cass. 1re civ., 9 juill. 2009, Alain Goudman et a. c/ société Les Laboratoires Servier et a., pourvoi n° 08- 12.777.
Page 2 sur 31

La France a attendu le 19 mai 1998 pour transposer, après avoir été condamnée en manquement
en 19933, aux articles 1386-1 s.

Elle a toutefois été menacée de nouvelles actions pour avoir mal transposé certaines dispositions
de la Directive :
- a été condamnée pour manquement par la CJCE le 13 janv. 1993 ;
- N’avait pas prévu la franchise de 500 euros : a finalement été ajoutée en 20044 ; la Cour de cassation a
d’ailleurs fait de cette franchise une application directe5 ;
- N’avait pas non plus adopté le régime de responsabilité du fournisseur désignant le producteur : également
été adopté en 2004 ; également considéré comme d’application directe 6

La Directive ne s’applique qu’aux rapports entre victimes et producteurs, et non aux recours entre
producteurs (au sens de responsables visés par la Directive) qui relèvent du droit national7 : a été
jugé par la CJUE et par la Cour de cassation, qui applique dans les rapports entre producteurs le
principe d’une responsabilité par parts égales, peu important la part économique réelle sur le
marché (ce qui a été discuté)

Les dispositions ont été codifiées en 1998 aux articles 1386-1 s. puis transféré par l’ordonnance
du 10 février 2016 (nv art. 1245 à 1245-17) et seront de nouveau déplacées après l’adoption du
projet de réforme de la responsabilité civile (art. 1289 à 1299-4)

Le projet (version 13 mars 2017) comporte quelques nouveautés, mais peu dans la mesure où les
marges laissées par la directive sont limitées :
- Le nouvel art. 1290, al. 2, exclut les produits d’usage professionnel et met donc la France en
conformité avec la Directive ;
- L’exonération pour risque de développement est conservée mais étendue désormais à tous les
produits de santé (nouvel article 1298) et plus seulement aux seuls éléments du corps humains ou les
produits issus de celui-ci (nouvel article 12998) ;
- Le nouvel article 1299-3 réécrit les règles d’articulation avec le droit commun pour intégrer la
jurisprudence de la CJUE (25 avril 2002).

3 CJCE, 13 janv. 1993, n° C-293/91) pour ne pas avoir respecté le délai de transposition (fixé au 30 juill. 1988.
4 Loi n° 2004-1343 du 9 déc. 2004 de simplification du droit, art. 29.
5 Cass. 1re civ., 3 mai 2006, n° 04-10.994 : Bull. civ. 2006, I, n° 208 ; RDC 2006, p. 1239, obs. J.-S. Borghetti ; RTD civ. 2007, p. 137,
obs. P. Jourdain.
6 Cass. 1re civ., 15 mai 2007, n° 05-17.947 : Bull. civ. 2007, I, n° 186 ; JCP G 2007, I, 185, n° 8, obs. Stoffel-Munck ; D. 2007, p. 2907,
obs. Brun ; RDC 2007, p. 1147, obs. J.-S. Borghetti ; RTD civ. 2007, p. 580, obs. P. Jourdain.
7 Il ne faut pas confondre ici le recours du fournisseur professionnel, condamné sur le fondement de la directive, contre le fabricant, et
qui est bien prévu par le régime spécial (ancien art. 1386-7, devenu 1245-6), et celui du producteur du tout contre le producteur d’une
composante : Cass. 1re civ., 15 mars 2017, n° 15-27740, P.
8 “tout produit de santé à usage humain mentionné dans le premier chapitre du titre II du livre Ier de la cinquième partie du c ode de la
santé publique.”
Page 3 sur 31

Section I. Champ d’application du régime :

§. 1. Champ d’application spatial :

La directive s’applique à tout fabricant, à tout importateur ou tout distributeur (professionnel) dont
le siège social est situé dans un Etat destinataire de la directive

Le visa des importateurs permet de rendre responsable une entreprise européenne qui importe
des produits provenant d’une zone hors UE

Les producteurs hors UE ne sont donc pas visés, ce qui pose problème pour les sites de vente
hors UE

§. 2. Champ d’application temporel :


Les Etats avaient 3 ans après publication au JOCE pour la transposer :
- Avant ce délai de 3 ans la Directive n’est pas applicable du tout ;

- Passé ce délai elle est dotée d’un effet « interprétatif » qui oblige le juge à interpréter son droit
national (transposé ou non) conformément aux objectifs définis par la Directive9 :

Cela suppose que la Directive impose aux Etats une solution, et ne leur laisse pas d’option de
transposition : l’exonération pour risque de développement ne s’applique donc pas 10

Cela suppose que les droits reconnus par la Directive trouvent en droit interne une traduction
suffisamment proche

Pour ce qui est des délais de prescription les délais ne sont pas applicables en droit interne tant que
la loi du 19 mai 1998 n’est pas applicable 11

9 Civ. 1re, 17 janv. 1995, n° 93-13.075, D. 1995. 350 ; 23 sept. 2003, n° 01-13.063, JCP 2003. II. 10179, note Jonquet, Maillols,
Mainguy et Terrier ; JCP 2004. I. 101, n° 8, obs. Viney. - Com. 24 janv. 2006, n° 02-11.323, Bull. civ. IV, n° 16 ; RTD civ. 2005.
571, obs. Jourdain Cass. 1re civ., 15 mai 2007, n° 05-17.947 : Contrats, conc. consom. 2007, comm. 233, obs. L. Leveneur ; JCP G
2007, I, 185, obs. Ph. Stoffel-Munck ; RDC 2007, p. 1147, obs. J.-S. Borghetti ; RTD civ. 2007, p. 580, obs. P. Jourdain. - Cass. 1re
civ., 10 déc. 2014, n° 13-14.314 : Resp. civ. et assur. 2015, comm. 99.
10 Cass. 1re civ., 15 mai 2007, n° 05-10.234 : Resp. civ. et assur. 2007, comm. 219, obs. Ch. Radé.
11 Civ. 1re, 26 sept. 2012 : RCA 2012, comm. 338, obs. A. Guégan. Il faut donc faire application de la prescription décennale applicable
aux commerçants : Cass. 1re civ., 15 mai 2015, n° 14-13.151, Resp. civ. et assur. 2015, comm. 210, L. Bloch ; JCP G 2015, 881, J.-
B. Borghetti.
Page 4 sur 31

Le régime de la prescription, tenant notamment au point de départ, est en revanche susceptible de


s’appliquer : c’est ainsi que la Cour de cassation a fini par admettre en 2016 12 que le point de départ,
en matière de dommage corporel, était bien la date de consolidation du dommage, dans la mesure où
cette date réunissait bien les conditions posées par l’article 10 de la directive13

§. 3. Champ d’application matériel :


A. Produits concernés :

Tous les biens mobiliers y compris14 :


- ceux "incorporés dans un immeuble"(C. civ., art. 1386-3 – 1245-2).
- Les fluides
- Les produits du sol : le texte français ajoute « de l'élevage15, de la pêche et de la chasse »
« Art. 1245-2.-Est un produit tout bien meuble, même s'il est incorporé dans un immeuble, y
compris les produits du sol, de l'élevage, de la chasse et de la pêche. L'électricité est considérée
comme un produit. »

- A priori y compris les biens incorporels16

Pas les immeubles dans la mesure où ils dépendant généralement de régimes spéciaux,
notamment celui des constructeurs17

En principe la directive exclut les biens à usage professionnel18, ce que ne fait pas le droit
français, ce qui pourrait bien justifier une condamnation de la France sur le sujet

12 Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-20.022, P : « la date de la manifestation du dommage ou de son aggravation, au sens de l’article
2270-1, interprété à la lumière de la directive, doit s’entendre de celle de la consolidation, permettant seule au demandeur de
mesurer l’étendue de son dommage et d’avoir ainsi connaissance de celui-ci ».
13 Civ. 1, 31 janv . 2018, n° 17-11.259 ; 17 janv. 2018, n° 16-25817 : RCA 2018, comm. 115, note L. Bloch.
14 « considérant que la responsabilité ne saurait s'appliquer qu'aux biens mobiliers faisant l'objet d'une production industrielle; qu'en
conséquence, il y a lieu d'exclure de cette responsabilité les produits agricoles et les produits de la chasse, sauf lorsqu'i ls ont été
soumis à une transformation de caractère industriel qui peut causer un défaut dans ces produits; que la responsabilité prévue par la
présente directive doit jouer également pour les biens mobiliers qui sont utilisés lors de la construction d'immeubles ou incorporés à
des immeubles ; »
15 CA Toulouse, 3e chbre, 22 févr. 2000 : D. 2000, IR p. 269 (cheval).
16 V. en ce sens, TESTU et MOITRY, La responsabilité du fait des produits défectueux. Commentaire de la loi n o 98-389 du 19 mai
1998, D. affaires 1998, n° 125. - V., pour une opinion plus réservée, LUCAS, La responsabilité des choses immatérielles, Mélanges
Catala, 2001, Litec, p. 817). Rép. min. n° 15677, JOAN Q, 15 juin 1998 et réponse 24 août 1998.
17 C. civ., art. 1792 et s., qui couvrent le fabricant d'une "partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement" destiné à la construction d'un
immeuble (C. civ., art. 1792-4).
18 CJUE, 4 juin 2009, n° C-285/08 : RDC 2009, p. 1381, note Viney et p. 1448, Aubert de Vincelles ; D. 2009, p. 1731, note J.-S.
Borghetti ; RTD civ. 2009, p. 73, obs. P. Jourdain.
Page 5 sur 31

B. Acteurs concernés :
1. Les producteurs et assimilés :
« Art. 1245-5.-Est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une
matière première, le fabricant d'une partie composante.
« Est assimilée à un producteur pour l'application du présent chapitre toute personne agissant à titre professionnel :
« 1° Qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif
;
« 2° Qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d'une vente, d'une location, avec ou sans
promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution.
« Ne sont pas considérées comme producteurs, au sens du présent chapitre, les personnes dont la responsabilité
peut être recherchée sur le fondement des articles 1792 à 1792-6 et 1646-1.

Il s’agit des producteurs (art. 1245-5), c’est-à-dire du professionnel qui fabrique un produit fini,
une matière première ou une partie composante

La loi y assimile le producteur apparent et l’importateur, y compris s’il importe des produits d’un
Pays membre de l’UE19.

C’est le cas de la société Monsento s’agissant de l’herbicide LASSO 20 :

12. Après avoir constaté que, sur le conditionnement du produit, figurent la mention « fabriqué en Belgique », ainsi
qu’en petits caractères, les mentions « Monsanto Europe Sa » et « marque déposée de Monsanto company USA »,
l’arrêt relève que l’étiquette met en avant le fait que le Lasso, écrit en gros caractères blancs sur noir, est un
désherbant sélectif du maïs grain, semence et fourrage, du soja, avec la mention « un herbicide Monsanto », suivi de
« siège social Monsanto agriculture France SAS » avec l’adresse de la société à Lyon et le numéro d’inscription au
registre du commerce et des sociétés de Lyon.

La CJUE assimile également au producteur sa filiale de distribution à 100%21

N’est pas un producteur l’éditeur d’un journal mis en cause pour avoir donné un conseil de santé
ayant conduit à la survenance d’un dommage corporel22

19 Civ. 1re, 4 juin 2014, no 13-13.558, Dalloz actualité, 16 juin 2014, obs. Coustet.
20 Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-18.689, PBRI
21 CJUE gr. ch., 2 déc. 2009, SA Aventis Pasteur c/ OB, aff. C 358/08, D. 2010. 624, note Borghetti ; JCP 2010, no 456, obs. Stoffel-
Munck ; RTD civ. 2010. 340, obs. Jourdain.
22 CJUE, 10 juin 2021, C-65/20, Krone, RCA 2021. Comm.190, note S. Hocquet-Berg : « 38 Dès lors, la responsabilité des
prestataires de services et la responsabilité des fabricants de produits finis constituent deux régimes de responsabilités distincts,
l’activité des prestataires de services n’étant pas assimilée à celle des producteurs, des importateurs et des fournisseurs ( voir, en ce
sens, arrêt du 21 déc. 2011, Dutrueux, C-495/10, EU:C:2011:869, points 32 et 33). En effet, ainsi qu’il ressort également de la
proposition de directive du Conseil sur la responsabilité du prestataire de services COM(90) 482 final (JO 1991, C 12, p. 8),
présentée par la Commission le 9 nov. 1990, eu égard aux caractéristiques propres des services, le régime de responsabilité du
Page 6 sur 31

2. Les professionnels responsables à titre subsidiaire :


Le producteur a vocation à répondre des dommages causés par le défaut

Mais « Si le producteur ne peut être identifié » alors la loi permet d’actionner d’autres
professionnels visés par l’art. 1245-6
« Art. 1245-6.-Si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit-
bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est
responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à
moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à
compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.
« Le recours du fournisseur contre le producteur obéit aux mêmes règles que la demande
émanant de la victime directe du défaut. Toutefois, il doit agir dans l'année suivant la date de sa
citation en justice. »

On a beaucoup discuté de la notion de « fournisseur professionnel » notamment s’agissant


des établissements de santé utilisant des produits de santé pour leurs patients : la CJUE a
exclu en 2011 la qualification de « fournisseur » dans cette hypothèse23, conformément
d’ailleurs à l’intention initiale de la Directive24 :
« 25. S’agissant, plus précisément, des dispositions dudit article 3, la Cour a ainsi déjà eu l’occasion
d’indiquer, au terme d’un examen des travaux préparatoires ayant conduit à l’adoption de la directive
85/374, que c’est après avoir pondéré les rôles respectifs des différents opérateurs économiques
intervenant dans les chaînes de fabrication et de commercialisation que le choix a été fait d’imputer en
principe au producteur, et uniquement dans certains cas délimités à l’importateur et au fournisseur, la
charge de la responsabilité pour les dommages causés par les produits défectueux dans le régime
juridique institué par ladite directive (arrêt Skov et Bilka, précité, point 29). »

27. En l’occurrence, il y a lieu de constater que la responsabilité susceptible d’incomber à un utilisateur


qui, tel le CHU de Besançon, fait usage, dans le cadre d’une prestation de soins prodiguée à un patient,
d’un produit ou d’un appareil qu’il a préalablement acquis, tel qu’un matelas chauffant, ne relève pas des
points que réglemente la directive 85/374 et échappe ainsi au champ d’application de cette dernière. »

41. La responsabilité d’un prestataire de services qui utilise, dans le cadre d’une prestation de services

prestataire devrait faire l’objet d’une réglementation distincte. »


23 C.J.U.E., 21 déc. 2011, affaire C-495/10 et CE, 5/4 SSR, 12 mars 2012, n° 327449 ; D. 2011, p. 213, note J.-S. Borghetti ; JCP G n°
20, 21 mai 2012, 623, note P. Tiffine ; AJDA 2012, p. 1665, note H. Belrhali-Bernard ; RDSS 2012, p. 716, note J. Peigné ; LPA
2011, n° 69, p. 7, note M.-C. Rouault.
24 « considérant que la protection du consommateur exige que la responsabilité de tous les participants au processus de production soit
engagée si le produit fini ou la partie composante ou la matière première fournie par eux présentait un défaut; que, pour la même
raison, il convient que soit engagée la responsabilité de l'importateur de produits dans la Communauté ainsi que celle de toute
personne qui se présente comme producteur en apposant son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif ou de toute personne qui
fournit un produit dont le producteur ne peut être identifié »
Page 7 sur 31

telle que des soins dispensés en milieu hospitalier, des appareils ou des produits défectueux dont il n’est
pas le producteur au sens des dispositions de l’article 3 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25
juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des
États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la
directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999, et cause, de ce fait, des
dommages au bénéficiaire de la prestation ne relève pas du champ d’application de cette directive. Cette
dernière ne s’oppose dès lors pas à ce qu’un État membre institue un régime, tel que celui en cause au
principal, prévoyant la responsabilité d’un tel prestataire à l’égard des dommages ainsi occasionnés,
même en l’absence de toute faute imputable à celui-ci, à condition, toutefois, que soit préservée la faculté
pour la victime et/ou ledit prestataire de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement
de ladite directive lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci. »

La responsabilité des vendeurs et autres fournisseurs n’est toutefois que subsidiaire :


- Elle suppose que la victime ne connaisse pas l’identité du producteur :
- s’ils désignent le producteur alors qu’ils sont assignés par la victime, celle-ci n’a d’autre
choix que d’agir contre le producteur (art. 1245-6).
« Art. 1245-6.-Si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit-
bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est
responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à
moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à
compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.
« Le recours du fournisseur contre le producteur obéit aux mêmes règles que la demande
émanant de la victime directe du défaut. Toutefois, il doit agir dans l'année suivant la date de sa
citation en justice.

- Mais si le fournisseur a commis une faute distincte du défaut, alors il en répondra


directement25

④ L’art. 1245-5, alinéa 3, exclut « les personnes dont la responsabilité peut être recherchée sur
le fondement des articles 1792 à 1792-6 et 1646-1 » pour préserver l’application des régimes
propres aux constructeurs et vendeurs d’immeubles à construire soumis aux responsabilités
décennale et biennale, et des fabricants d’”éléments pouvant entraîner une responsabilité
solidaire” visée à l’article 1792-4 du Code civil

25 CJCE, 10 janv. 2006, n° C-402/03 : RDC 2006, p. 835, obs. J.-S. Borghetti ; D. 2006, p. 1259, obs. Nourrisat et p. 1929, obs. Brun et
Jourdain ; RTD civ. 2006, p. 265, obs. Rémy-Corlay et 333, obs. P. Jourdain.- Cass. com., 26 mai 2010, n° 584, 08-18.545 ; RDC
2010, p. 1266, obs. Carval.
Page 8 sur 31

Section II. Conditions d’indemnisation des victimes :


Il s’agit d’un régime indépendant de tout lien contractuel avec la victime (art. 1245)
« Art. 1245.-Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou
non lié par un contrat avec la victime. »

La loi met en place un régime de responsabilité de plein droit déconnecté de toute faute du
producteur comme condition de sa responsabilité (art. 1245)26

§. 1. Un dommage réparable :
Il s’agit du dommage causé par le produit mais pas au produit lui-même27

Il s’agit du dommage causé directement mais aussi indirectement par le produit

Ex : Les défauts relevés affectant non seulement les bouteilles de verre, mais aussi le vin qu'elles
devaient contenir, ce dont il résultait que la mévente des bouteilles défectueuses, engendrant le
préjudice économique invoqué, était consécutive au caractère impropre à la consommation du
vin28

26 « considérant que seule la responsabilité sans faute du producteur permet de résoudre de façon adéquate le problème, propre à notre
époque de technicité croissante, d'une attribution juste des risques inhérents à la production technique moderne »
27 Cass. 1re civ., 1er juill. 2015, n° 14-18.391, P : Resp. civ. et assur. 2015, comm. 295, L. Bloch ; JCP G 2015, doctr. 1409, n° 4, par M.
Bacache ; Contrats conc. consom. 2015, comm. 251, L. Leveneur ; RDC 2015/4, 852, note S. Borghetti ; Cass. 1re civ., 14 oct. 2015,
n° 14-13.847 : Resp. civ. et assur. 2015, comm. 20, H. Groutel ; RDC 2016/2, 228 note J. Knetsh). Ni aux suites économiques de la
détérioration du produit lui-même : Civ. 1, 9 déc . 2020, n° 19-21.390, publié : RCA 2021. Comm.49, obs. L. Bloch.
28 Cass. 1re civ., 1er juill. 2015, n° 14-18.391 : Resp. civ. et assur. 2015, comm. 295, L. Bloch : « ce régime de responsabilité ne
s'applique pas à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte au produit défectueux lui-même et aux préjudices économiques
découlant de cette atteinte, la cour d'appel en a exactement déduit que la perte d'exploitation et l'absence de fourniture de machine
de remplacement invoquées par l'acquéreur étaient consécutives à l'atteinte au matériel en cause et n'étaient pas indemnisables sur
le fondement des articles 1386-1 et suivants, devenus 1245 et suivants du Code civil. »
Page 9 sur 31

§. 2. Un dommage imputable au produit :

Le doute :
- Incertitude matérielle
- Incertitude scientifique

A. Cas de l’exposition au produit dommageable :


La preuve se fait par tous moyens, notamment des présomptions lorsqu’elles sont suffisamment
graves, précises et concordantes :

Ex : herbicide Lasso de Monsento29 :

19. L’arrêt retient que M. X... a acquis du Lasso le 13 avril 2004, qu’il verse au débat trois
attestations, dont il résulte que son épouse a, le 27 avril 2004, informé un témoin, ayant constaté
qu’il titubait, qu’elle conduisait à l’hôpital son mari qui avait respiré du désherbant à maïs et était
intoxiqué et lui a demandé d’apporter l’étiquette du produit à l’hôpital, qu’un médecin du travail,
référent départemental du réseau Phyt’attitude, a attesté avoir reçu un appel du service des
urgences le même jour, pour une demande de renseignement sur la toxicité du Lasso pour un
patient hospitalisé et qu’il ressort du compte rendu de consultation que M. X... a été hospitalisé
pour avoir inhalé des produits toxiques, en l’occurrence un produit chloré associé à des solvants.
Il ajoute que, selon les experts désignés par le tribunal, l’inhalation litigieuse a entraîné une perte
de connaissance, des maux de tête et des céphalées violentes, des crachats hémoptoïques et
une toux irritative, tous signes cliniques révélateurs d’une atteinte neuronale et du tractus
respiratoire au moment de l’intoxication du 27 avril 2004, ainsi qu’un stress post-traumatique.

20. Ayant estimé, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation et sans présumer
l’existence d’un lien causal, que ces éléments de preuve constituaient des indices graves, précis
et concordants, la cour d’appel a pu en déduire qu’un tel lien était établi entre l’inhalation du
produit et le dommage survenu.

La preuve peut être rendue difficile par l’ancienneté des faits et la disparition des éléments de
preuve : dans ce cas le doute n’est pas scientifique mais matériel

29 Civ. 1, 21 oct. 2020, n° 19-18.689, P.


Page 10 sur 31

La Cour de cassation a développé ici une solution innovante, dénommée « causalité


alternative » :

►Cas des victimes du Distilbène lorsqu’elles ne parviennent pas à prouver que leur mère en a
consommé30 :
- Dès lors que le dommage résulte avec certitude d’une exposition au DES (cancer du col de l’utérus,
éventuellement infertilité, mais pas une grossesse extra utérine31) ;
- Chaque laboratoire (2) est présumé responsable
- Sauf à établir que la victime n’a pas été exposée à son médicament

►Mais les juges du fond apprécient souverainement si ces présomptions sont réunies, ce qui
donne des résultats contradictoires :
- Vérifié pour l’exposition au DES en l’absence de preuve directe, celle-ci étant ou non présumée selon la
nature du cancer et les conclusions des experts 32 ;

B. Preuve de la dommageabilité du produit :

La preuve incombe au demandeur

● Pas de problème lorsque la possibilité du lien de causalité ne fait pas difficulté


scientifiquement : la causalité est alors un simple problème de « faits » qui peuvent être établis
par présomptions dès lors qu’elles sont suffisamment « graves, précises et concordantes » :

Ex : rupture d’une prothèse de hanche 30 mois après sa pose33

30 Cass. civ. 1, 28 janv. 2010, n° 08-18.837.


31 N’engage pas la responsabilité civile du fabricant du Distilbène la patiente qui ne rapporte pas la preuve que le dommage allégué est
en relation avec l’exposition au DES. Caractérise en revanche un préjudice moral certain et en lien direct avec l’exposition au DES le
fait d’avoir vécu, depuis son plus jeune âge, dans une atmosphère de crainte : Cass. civ., 1ère, 2 juill. 2014, pourvoi n° G 10-19.206,
arrêt n° 817 F-D.
32 Cass. 1re civ., 24 sept. 2009, Resp. civ. et assur. 2009, chron. 8, Ch. Radé ; JCP G 2010, p. 842, obs. P. Stoefffel-Munck ; Gaz. Pal.
2010, n° 69-70 du 10 mars 2010, p. 18, note M. Mekki ; RLDC 2010, p. 15, note B. Parance ; RTD civ. 2010, p. 111, note P.
Jourdain ; JCP G 2019, n° 41, p. 11, note P. Mistretta, n° 44, p. 18, note S. Hocquet-Berg. – Condamnant les laboratoires : Cass.
1re civ., 28 janv. 2010 : Resp. civ. et assur. 2010, comm. 80, obs. Ch. Radé ; RLDC 2010, n° 69, p. 23, note J.-P. Bugnicourt.
33 Civ. 1, 2 févr. 2022, n° 20-15.526, publié : après avoir écarté, en se fondant sur le rapport d'expertise, l'éventualité que la rupture de
la prothèse soit imputable à un surpoids de M. [M], à une chute ou un comportement inadapté de sa part ou encore à la technique
opératoire et au matériel choisi, la cour d'appel a retenu que cette rupture était intervenue dans un très court délai après la pose de la
prothèse.
Page 11 sur 31

● Mais les choses se compliquent en présence d’une incertitude scientifique car dans cette
hypothèse les juges sont plus réticents :
- le principe a été admis en 2008 :

Cass. 1re civ., 22 mai 2008 : « si l'action en responsabilité du fait d'un produit défectueux exige la
preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage, une telle
preuve peut résulter de présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et
concordantes »34.

- deux applications depuis 2009 et une seule condamnation depuis mais uniquement pour l’insuffisance
d’une notice corrigée dès décembre 199635 ; la Cour de cassation est aujourd’hui plus stricte et considère
que le défaut dans la notice ne suffit plus à établir le défaut 36

- désormais la Cour de cassation laisse les juges du fond décider souverainement du lien de causalité,
qu’ils écartent la plupart du temps 37, mais qu’ils peuvent également retenir

- la simple implication du produit dans la réalisation du dommage ne suffit pas à établir son défaut au sens
de l’article 1386-4 du code civil ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage : le demandeur doit par
ailleurs prouver l’absence d’antériorité personnelle et familiale38

- il s’agit donc de faire une appréciation de la causalité « au cas par cas » 39

34 Cass. 1re civ., 22 mai 2008 : JCP G 2008, II 10131, note L. Grynbaum ; RTD civ., 2008, p. 492, note P. Jourdain ; Gaz. Pal. 9 oct.
2008 n° 283, p. 49, note S. Hocquet-Berg ; RDC 2008, p. 1186, note J.-S. Borghetti ; JCP G 2008, I, 186, n° 3, obs. P. Stoeffel-
Munck. Lire G. Canselier, « De l'explication causale en droit de la responsabilité civile délictuelle », RTD civ. 2010, p. 41 s.
35 Cass. civ. 1, 9 juill. 2009, n° 08-11.073, Société Sanofi Pasteur MSD, P ; Gaz. Pal. 13 août 2009 n° 225, P. 9, avis A. Legoux ;
Contrats Concurrence et Consommation, n°11, nov. 2009, comm. 262, L. Leveneur
36 Civ. 1, 4 juill. 2019, n° 18-16.809, D.
37 Cass. civ. 1, 24 sept. 2009, 2 arrêts, n° 08-10.081, P ; RLDC 2009, n° 66, p. 19, note de J.-P. Bugnicourt. - Cass. 1re civ., 25 nov.
2010, pourvoi n° 09-16.556, aP : RTD Civ., 2011, p. 134, obs. P. Jourdain ; JCP G 2011, p. 79, note JS Borghetti ; D. 3 févr. 2011,
n° 5, note P. Brun. - Cass. 1re civ., 28 avr. 2011, n° 10-15289 : « appréciant souverainement, par une décision motivée, les
éléments de fait qui lui étaient soumis, la Cour d’appel a estimé qu'ils ne constituaient pas des présomptions graves, précises et
concordantes de nature à établir une corrélation entre la maladie et la vaccination litigieuse, de sorte que ni la responsabi lité de la
société Glaxosmithkline, ni, en l'absence d'une telle corrélation, celle du médecin prescripteur, ne pouvaient être engagées ».
38 Civ. 1re, 29 mai 2013, n° 12-20.903, P : D. 2013, p. 1717, note JS Borghetti ; RCA 2013, étude 6, par D. Bakouche.
39 Cass. 1ère civ., 10 juill. 2013, pourvoi n° 12-21.314, P : RCA 2013, chron. 6, par D. Bakouche.
Page 12 sur 31

Les juridictions administratives recourent aux mêmes présomptions pour imputer une SEP à une
vaccination anti-hépatite B survenue dans un « bref délai » et l’écartent lorsque plusieurs années
séparent la vaccination des premiers symptômes40 ; admis notamment pour mettre en cause les
vaccins contenant des adjuvants aluminiques41

Le Conseil d’Etat a même admis que puisse être présumée l’imputabilité, sur le seul critère de la
proximité temporelle, alors que la victime avait déjà eu une poussée avant la vaccination, après
avoir relevé que la nouvelle poussée ne ressemblait pas à la précédente42

La question de la compatibilité de cette jurisprudence à la Directive a été posée à la CJUE par la


Cour de cassation le 12 novembre 201543
La Cour de cassation considère ici « que les questions soulevées par le moyen, dont dépend la solution du
pourvoi et qui nécessitent une interprétation uniforme de l’article 4 de la directive, justifient la saisine de la Cour
de justice de l’Union européenne », et décide de lui poser trois questions :
« 1°/ L’article 4 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des
dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du
fait des produits défectueux s’oppose-t-il, dans le domaine de la responsabilité des laboratoires
pharmaceutiques du fait des vaccins qu’ils produisent, à un mode de preuve selon lequel le juge du fond, dans
l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, peut estimer que les éléments de fait invoqués par le
demandeur constituent des présomptions graves, précises et concordantes, de nature à prouver le défaut du
vaccin et l’existence d’un lien de causalité de celui-ci avec la maladie, nonobstant la constatation que la
recherche médicale n’établit pas de lien entre la vaccination et la survenance de la maladie ?
2°/ En cas de réponse négative à la question n° 1, l’article 4 de la directive 85/374, précitée, s’oppose-t-il à un
système de présomptions selon lequel l’existence d’un lien de causalité entre le défaut attribué à un vaccin et
le dommage subi par la victime serait toujours considérée comme établie lorsque certains indices de causalité
sont réunis ?
3°/ En cas de réponse affirmative à la question n° 1, l’article 4 de la directive 85/374, précitée, doit-il être
interprété en ce sens que la preuve, à la charge de la victime, de l’existence d’un lien de causalité entre le
défaut attribué à un vaccin et le dommage par elle subi ne peut être considérée comme rapportée que si ce
lien est établi de manière scientifique ? »

40 C.E., 9 févr. 2011, n° 319497. - Eu égard aux troubles constatés dans un bref délai après injection de vaccin, et alors que la victime
n’avait présenté antérieurement aucun signe précurseur de la pathologie, l’existence d’un lien direct entre la vaccination obligatoire et
l’affection doit être regardé comme établi : CE, 5è SS, 30 avr. 2014, n° 357696, inédit. - Un délai de 10 mois entre la dernière
injection de vaccin anti-hépatite B et les premiers symptômes de la sclérose en plaques ne sont pas brefs et excluent toute
indemnisation par l’ONIAM : CE, 5/4 SSR, 5 nov. 2014, n° 363036, mentionné
41 Conseil d’Etat, 5/4 SSR, 30 déc. 2013, n° 347459, inédit et Conseil d’Etat, 5/4 SSR, 30 déc. 2013, n° 362488, inédit. - CE, 5ème
SSJS, 22 juill. 2015, n° 369478, inédit.
42 Conseil d’Etat, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 17 févr. 2012, n° 331277, mentionné.
43 Cass. civ. 1, 12 nov. 2015, n° 14-18.118, P. Mais le même jour, s’agissant d’un produit mis en circulation avant 1988, la Cour de
cassation a admis l’imputabilité : Cass. 1re civ., 12 nov. 2015, n° 14-17.146.
Page 13 sur 31

La réponse est positive, la CJUE ayant simplement ajouté, au titre des présomptions à
rechercher, l’existence d’un nombre significatif de cas semblables44 :

L’article 4 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement


des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de
responsabilité du fait des produits défectueux, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose
pas à un régime probatoire national tel que celui en cause au principal en vertu duquel, lorsque le
juge du fond est saisi d’une action visant à mettre en cause la responsabilité du producteur d’un
vaccin du fait d’un défaut allégué de ce dernier, il peut considérer, dans l’exercice du pouvoir
d’appréciation dont il se trouve investi à cet égard, que, nonobstant la constatation que la
recherche médicale n’établit ni n’infirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin et la
survenance de la maladie dont est atteinte la victime, certains éléments de fait invoqués par le
demandeur constituent des indices graves, précis et concordants permettant de conclure à
l’existence d’un défaut du vaccin et à celle d’un lien de causalité entre ce défaut et ladite maladie.
Les juridictions nationales doivent toutefois veiller à ce que l’application concrète qu’elles font
dudit régime probatoire n’aboutisse ni à méconnaître la charge de la preuve instituée par ledit
article 4 ni à porter atteinte à l’effectivité du régime de responsabilité institué par cette directive.

L’article 4 de la directive 85/374 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime
probatoire reposant sur des présomptions selon lequel, lorsque la recherche médicale n’établit ni
n’infirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin et la survenance de la maladie dont
est atteinte la victime, l’existence d’un lien de causalité entre le défaut attribué à un vaccin et le
dommage subi par la victime serait toujours considérée comme établie lorsque certains indices
factuels prédéterminés de causalité sont réunis.

41 En l’occurrence, des éléments tels que ceux invoqués dans le cadre de l’affaire au principal
et liés à la proximité temporelle entre l’administration d’un vaccin et la survenance d’une maladie
ainsi qu’à l’absence d’antécédents médicaux personnels et familiaux, en relation avec cette
maladie, de même que l’existence d’un nombre significatif de cas répertoriés de survenance de
cette maladie à la suite de telles administrations, paraissent a priori constituer des indices dont la
conjonction pourrait, le cas échéant, conduire une juridiction nationale à considérer qu’une
victime a satisfait à la charge de la preuve pesant sur elle en vertu de l’article 4 de la directive
85/374. Tel pourrait notamment être le cas si lesdits indices amènent le juge à considérer, d’une
part, que l’administration du vaccin constitue l’explication la plus plausible de la survenance de la
maladie et, d’autre part, que ledit vaccin n’offre dès lors pas, au sens de l’article 6 de cette
directive, la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les
circonstances, en ce qu’il occasionne un dommage anormal et particulièrement grave au patient
qui, s’agissant d’un produit de cette nature et eu égard à la fonction de celui-ci, peut, en effet,
légitimement s’attendre à un degré élevé de sécurité (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2015,
Boston Scientific Medizintechnik, C‑503/13 et C‑504/13, EU:C:2015:148, point 39).

44 CJUE, aff. C-621/15, N. W. e. a. c/ Sanofi MSD e. a., 21 juin 2017.


Page 14 sur 31

La Cour de cassation laisse donc la main aux juridictions d’appel, qui ont, dans le contentieux de
la vaccination anti-hépatite B, donné raison aux laboratoires contre les patients :

► Refus de condamnation (arrêt de rejet) : Cass. 1re civ., 18 oct. 2017, n° 15-20791, P (second
pourvoi après 1er Civ., 10 juillet 2013, pourvoi n° 12-21. 314) : Justifie légalement sa décision de
considérer qu’il n’est pas établi que les vaccins administrés étaient affectés d’un défaut, la cour d’appel,
qui ne s’est pas exclusivement fondée sur des circonstances générales tirées du consensus médical
existant à la date des injections, mais qui a examiné si, tant la situation personnelle de la requérante que
les circonstances particulières résultant notamment du nombre des injections pratiquées établissent
l’existence de présomptions graves, précises et concordantes du caractère défectueux des vaccins
commercialisés et des doses injectées, retient, d’abord, qu’il résulte des différentes expertises exprimant
un doute sur l’utilité de si nombreuses injections, que cet élément, relatif à l’utilisation du produit, voire à
sa posologie, ne constitue pas une présomption permettant d’établir le caractère défectueux des vaccins
administrés ; qui considère, ensuite, que le délai écoulé entre la dernière vaccination et l’apparition des
symptômes ne constitue pas non plus une présomption suffisante en raison de la difficulté à dater
précisément les premiers troubles, de la multiplicité des injections pratiquées et des éléments de nature
scientifique remettant en cause la durée du délai jusqu’à présent admise pour caractériser l’existence d’un
défaut ; qui constate, en outre, que les doutes sérieux exprimés par certains experts sur l’existence d’un
lien entre le vaccin et la maladie ne peuvent constituer une présomption, dès lors que le défaut d’un
vaccin ne peut se déduire de l’absence de certitude scientifique de l’innocuité du produit ; qui relève, de
plus, que le fait que la requérante ait été en bonne santé avant la vaccination, comme 92 à 95 % des
malades atteints de scléroses en plaques, et qu’elle soit issue d’une population faiblement affectée par la
maladie sont insuffisants, à eux seuls, à établir le défaut du produit ; qui ajoute, enfin, qu’en ce qui
concerne la présentation du produit, le risque de contracter la sclérose en plaques, qui n’était pas
mentionné lorsque les vaccins ont été administrés entre 1986 et 1993, n’est apparu dans le dictionnaire
médical Vidal et les notices des vaccins qu’en 1994, année au cours de laquelle a été menée une
enquête nationale de pharmacovigilance, de sorte qu’il ne peut être reproché à la société Sanofi un défaut
d’information à cet égard.

► Refus de condamnation (rejet) : Cass. 1re civ., 18 oct. 2017, n° n° 14-18118, P (second pourvoi
après 1re Civ., 26 septembre 2012, pourvoi n° 11-17. 738) : « après avoir examiné les indices invoqués
par les consorts X..., l'arrêt relève, d'abord, que des études scientifiques ont admis que, lors de
l'apparition des premiers symptômes de la maladie, le processus physiopathologique a probablement
commencé plusieurs mois, voire plusieurs années auparavant, en sorte que la brièveté du délai entre
l'apparition chez Jack X...des premiers symptômes et sa vaccination n'est pas pertinente, ensuite, que
l'ignorance de l'étiologie de la sclérose en plaques ne permet pas de considérer que l'absence d'autres
causes éventuelles de cette maladie chez Jack X...et d'antécédents neurologiques personnels
constitueraient des éléments d'une présomption en faveur d'un lien de causalité entre la vaccination et la
maladie dont ce dernier était atteint, enfin, qu'il en est de même de l'absence d'antécédents familiaux
chez ce dernier, 92 à 95 % des malades atteints de sclérose en plaques n'ayant aucun antécédent de
cette nature ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas exigé la
preuve d'une imputabilité abstraite de la sclérose en plaques à la vaccination contre l'hépatite B ni déduit
l'absence de présomptions graves, précises et concordantes du seul défaut de consensus scientifique sur
l'étiologie de la sclérose en plaques, a estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de
la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que la concomitance entre la
vaccination et l'apparition de la maladie comme l'absence d'antécédents neurologiques personnels et
familiaux, prises ensemble ou isolément, ne constituaient pas de telles présomptions permettant de
retenir l'existence d'un lien de causalité entre les vaccins administrés et la maladie »
Page 15 sur 31

► Refus de condamnation (rejet) : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 20 décembre 2017, 16-
11.267, Inédit : « ayant apprécié la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, sans
se déterminer par des motifs hypothétiques ni déduire l'absence de présomptions graves, précises et
concordantes du seul défaut de consensus scientifique sur l'étiologie de la sclérose en plaques et en
faveur de l'existence d'un lien de causalité entre cette maladie et la vaccination contre l'hépatite B, la cour
d'appel a estimé souverainement que l'absence de facteur de risque personnel et familial et d'éventuelles
autres causes de la maladie chez Mme X..., la rareté de la survenance de la sclérose en plaques chez
l'enfant et le critère de la proximité temporelle entre l'apparition des premiers symptômes et la vaccination
de l'intéressée ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes, de sorte que
l'imputabilité de la survenance de la sclérose en plaques dont celle-ci était atteinte à la vaccination n'était
pas établie » (second pourvoi après 1re Civ., 16 oct. 2013, n° 12-19. 499)

► Refus de condamnation (rejet) : Civ. 1, 20 déc. 2017, 15-12.882 (second pourvoi après 1re Civ., 16
octobre 2013, n° 12-19. 499) : « ayant constaté le défaut de consensus scientifique en faveur d'un lien de
causalité entre la vaccination contre l'hépatite B et la sclérose en plaques et apprécié la valeur et la portée
des éléments de preuve qui lui étaient soumis, sans se déterminer par des motifs hypothétiques, la cour
d'appel a estimé souverainement que l'absence de facteur de risque personnel et familial et d'éventuelles
autres causes de la maladie chez Mme X..., la rareté de la survenance de la sclérose en plaques chez
l'enfant et le critère de la proximité temporelle entre l'apparition des premiers symptômes et la vaccination
de l'intéressée ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes, de sorte que
l'imputabilité de la survenance de la sclérose en plaques dont celle-ci était atteinte à la vaccination n'était
pas établie »

Dans les autres affaires ne concernant pas les produits de santé la Cour de cassation a
logiquement retenu les mêmes principes et affirmé que « La simple imputabilité du dommage au
produit incriminé ne suffit pas à établir son défaut ni le lien de causalité entre ce défaut et le
dommage »45

Les tribunaux peuvent par ailleurs retenir des imputabilités partielles et tenir compte de l’état
antérieur du patient46.

45 Cass. civ. 1, 27 juin 2018, n° 17-17.469, P : un incendie a détruit le local à usage commercial, affecté à l'exploitation d'une activité de
boucherie ; après avoir obtenu en référé la désignation d'un expert aux fins de déterminer les causes du sinistre et d'évaluer les
préjudices qui en ont résulté, mise en cause du producteur du coffret de commande et de régulation de chambres froides instal lé
dans ce local ; l'expert a situé le départ du feu dans le coffret de commande et de régulation et que, selon lui, l'origine de l'incendie
peut se trouver soit sur une borne intrinsèque au câblage intérieur du coffret réalisé par la société Johnson, soit sur une b orne de
raccordement de service ou d'alimentation mise en oeuvre par la société Matequip, l'échauffement dû au desserrage structurel ou
accidentel de bornes de raccordement ayant provoqué le départ du feu ; qu'il en déduit que le coffret est à l'origine de l'in cendie,
même s'il n'est pas possible de dire si c'est en lien avec un défaut d'origine de l'appareil ou avec l'intervention de l'installateur.
46 Civ. 1, 14 nov. 2019, n° 18-10794), une patiente imputait son infertilité à l’exposition in utero au Distilbène. La première chambre
civile de la Cour de cassation entérine un partage d’imputabilité à hauteur de 60% au Distilbène et 40% à l’état antérieur de la victime (en
l’occurrence une insuffisance ovarienne établie par l’expert) après avoir exercé un contrôle léger sur cette qualification.
Page 16 sur 31

§. 3. Un produit défectueux :
Extrait du Préambule de la Directive : « considérant que, pour protéger l'intégrité physique et les biens du
consommateur, la détermination du caractère défectueux d'un produit doit se faire en fonction non pas de
l'inaptitude du produit à l'usage, mais du défaut de sécurité à laquelle le grand public peut légitimement
s’attendre ; que cette sécurité s'apprécie en excluant tout usage abusif du produit, déraisonnable dans les
circonstances »

Il y a un préalable : que le produit ait été mis régulièrement en circulation par le producteur
pour éviter le vol et l’accident (malveillance notamment mettant en circulation un prototype)
« Art. 1245-4.-Un produit est mis en circulation lorsque le producteur s'en est dessaisi volontairement.
« Un produit ne fait l'objet que d'une seule mise en circulation. »

Ex : Pour l'application de l'article 7 de la directive relatif aux causes d'exonération, la CJCE décide qu'un produit est
mis en circulation "lorsqu'il est utilisé à l'occasion d'une prestation de service concrète, de nature médicale,
consistant à préparer un organe humain en vue de sa transplantation et que le dommage est consécutif à cette
préparation"47

Ex : le produit est mis en circulation lorsqu'il est sorti du processus de fabrication et entré dans le
processus de commercialisation où il est en état d'être offert au public 48.

A. La notion de défaut :

① Il s’agit bien ici du produit (l’espèce) qui a causé le dommage, et non pas du premier produit
du genre – il s’agit donc d’une conception manufacturière du produit, ce qui est logique puisqu’il
s’agit aussi de sanctionner des défauts de fabrication, et pas seulement des défauts de
conception

② La définition est posée par l’article 1245-3 :


« Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement
s'attendre.
Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les
circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et
du moment de sa mise en circulation.
Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis
postérieurement en circulation. »

47 CJCE, 10 mai 2001, n° C-203/99 : D. 2001, p. 3065, note Kayser ; RTD civ. 2001, p. 898, obs. Jourdain et p. 988, obs. Raynard.
48 CJCE, 9 févr. 2006, n° C-127/04 : RTD civ. 2006, p. 331, obs. P. Jourdain. Dans le même sens 1re Civ., 20 sept. 2017, n° 16-19.643,
Bull. 2017, I, n° 193 ; Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-18.689, PBRI.
Page 17 sur 31

② Que dit le texte ?

1° Le défaut s’apprécie in abstracto (« à laquelle on peut légitimement s’attendre » ;


« usage qui peut en être raisonnablement attendu ») dans le cadre d’un bilan coût-
avantage (ou bénéfice/risque), et non par rapport aux attentes particulières de la
victime49 ;

Cette appréciation doit toutefois tenir compte de données concrètes pour adapter le
modèle de référence (« il doit être tenu compte de toutes les circonstances et
notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement
attendu et du moment de sa mise en circulation ») ;

2° On peut distinguer deux types de défauts, les défauts intrinsèques ou les produits
sont atteints d’un vice de conception ou de fabrication, et les défauts extrinsèques où le
défaut résulte d’une présentation ou d’une information insuffisantes ne faisant pas
apparaître les conditions particulières d’utilisation

► Pour ce qui est du défaut intrinsèque, l’inversion du cout bénéfice/risque suppose que
le nombre de cas inquiétant excède ce qu’on considère comme étant raisonnable : plus
compliqué à prouver en matière de produits de santé, même si l’hypothèse s’est
rencontrée parfois lorsque les connaissances scientifiques ont évolué50
→ exemple de défaut intrinsèque : présence de trichines dans de la viande de
cheval51, défaut d’étanchéité d’un pneu52, vitre de cheminée qui explose53, échelle qui
cède sous le poids d’un homme de 87 kgs 54, dysfonctionnement du pot catalytique 55,
mais pas la rupture d’une prothèse suite à une usure normale 56 ; altération du goût des
vins en raison de leur pollution57

49 En ce sens CA Angers, 16 juin 2006 : Resp. civ. et assur. 2006, comm. 304, obs. Ch. Radé.
50 CA Angers, 16 juin 2006 : Resp. civ. et assur. 2006, comm. 304, obs.Ch. Radé (médicament anti goutte)
51 CA Toulouse, 3e chbre, 22 févr. 2000 : JCP G 2000, II, 10429, note Ph. Le Tourneau ; Resp. civ. et assur. 2000, comm. 369, obs. L.
Grynbaum.
52 CA Toulouse, 1re sect., 7 nov. 2000 ; Sté Automobile SOGARA : esp. Civ. Et assur. 2001, comm. 199, obs. L. Grunbaum
53 TGI Aix-en-Provence, 2 oct. 2001 : D. 2001, IR p. 3092
54 COUR D'APPEL, AIX EN PROVENCE, CHAMBRE 10, 19/09/2006, CARLE/SA GUBRI CENTAURE, Jurisdata n° 352137.
55 Civ 1, 25 févr. 2016, 14-21.253.
56 Civ. 2, 2 juill. 2015, 14-21.731.
57 Civ. 1, 9 déc. 2020, n° 19-17.724, publié : RCA 2021. comm. 48, obs. S. Hocquet-Berg.
Page 18 sur 31

►Pour ce qui est du défaut extrinsèque liée aux insuffisances de la notice a permis de
condamner des laboratoires avant que l’état des connaissances scientifiques n’ait établi
l’inversion du coût bénéfice/risque, pour une époque où le nombre des cas inquiétant était en
progression, et ce lorsque les laboratoires n’avaient pas encore révisé leur notice

→ Il ne suffit pas d’indiquer les risques dans la notice pour que le produit ne soit pas défectueux -
le juge ne peut affirmer qu'un contraceptif ne peut être considéré comme défectueux, dès lors que
la notice l'accompagnant comporte une mise en garde contre le risque thromboembolique et
l'évolution possible vers une embolie pulmonaire, sans rechercher, comme il y était invité, si
nonobstant les mentions figurant dans la notice, la gravité du risque thromboembolique encouru
et la fréquence de sa réalisation excédaient les bénéfices attendus du contraceptif en cause et si,
par suite, les effets nocifs constatés n'étaient pas de nature à caractériser un défaut du produit au
sens de l'article 1245-3 du code civil58

→ Défaut admis en matière de produits de santé :


- Affaire de l’Isoméride : médicament pour lequel le fabricant ne met pas en garde dans la
notice d’utilisation contre les effets secondaires ou indésirables 59 ;

- Affaire de l’hormone de croissance60 :

- affaire du Bactrim Forte61

- condamnation du laboratoire Servier en raison du défaut de sécurité du Mediator 62

- affaire de la Dépakine63 :

58 Cass. civ. 1, 26 sept. 2018, n° 17-21.271, P.


59 Cass. 1re civ., 24 janv. 2006, Sté les laboratoires Servier (2 e moyen) : Resp. civ. et assur. 2006, comm. 9, obs. Ch. Radé (Isoméride).
60 Cass. 1re civ., 24 janv. 2006, n° 03-20.178 : Resp. civ. assur. 2006, comm. 91, obs. C. Radé
61 -Cass. 1re civ., 6 octobre 2011, n° 10-21.709, arrêt n° 919 F-D : l’AMM ne mentionnait que de « simples "manifestations cutanées",
tandis que seule l'annexe I, réservée aux professionnels, faisait état de "quelques cas de nécrolyse épidermique imprévisibles et
parfois mortels (syndrome de Lyell)" ».
62 TGI Nanterre, 22 oct. 2015, n° 12/07723 et n° 13/06176 : le TGI s’est fondé sur l’absence de toute indication dans la notice des
précautions à prendre face à la multiplication des cas avérés de valvulopathie ; la solution a été confirmée en cassation ; Cass. 1re
civ., 20 sept. 2017, n° 16-19.643, publié : RCA 2017, étude 12, par L. Bloch.
63 Civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-16.537, publié : « l’arrêt constate, par motifs adoptés, que les nombreux effets tératogènes du Valproate
de sodium, principe actif composant la Dépakine, et, parmi eux, des cas de malformation des membres, ont été régulièrement
mentionnés dans la littérature médicale entre 1986 et 1995 et, par motifs propres, que, selon la fiche du dictionnaire Vidal consacrée,
dans son édition 2001, à ce médicament, « quelques cas de dysmorphie faciale et d’anomalie des membres ont été rapportés » ; qu’il
ajoute qu’à la date des faits, la notice de la Dépakine était ainsi rédigée : « En cas de grossesse ou de désir de grossesse, prévenez
votre médecin. En effet, votre traitement devra éventuellement être adapté et une surveillance particulière devra être mise e n route. Au
moment de la naissance, une surveillance attentive du nouveau-né sera nécessaire. Prévenez votre médecin de la prise de ce
médicament si vous souhaitez allaiter » ; qu’il relève que la présentation de la Dépakine, dans la notice destinée aux patients, ne
contenait donc pas l’information selon laquelle, parmi les effets indésirables possibles du médicament, il existait un risque tératogène
Page 19 sur 31

- l’information doit être remise au consommateur, et pas seulement au distributeur du produit : en


conséquence, le produit cosmétique dont les effets secondaires ne sont pas signalés dans la notice
remise à la patiente, bien que signalés dans la littérature médicale, n'offre pas la sécurité
attendue64 ;

- si l’information sur de nouveaux effets indésirables n’a pas été complétée après un changement
non signalé dans la formule chimique d’un médicament, les consommateurs peuvent obtenir
réparation d’un préjudice moral imputable à la faute du fabricant65

→ Autres exemples de défauts extrinsèques : béton pour lequel le fabricant n’informe pas l’utilisateur
d’éviter les contacts prolongés avec la peau 66, fabriquant d’une bouteille de gaz sur la distinction
propane/butane67, fabricant d’outillage agricole68,

→ Défaut écarté :
- Dès lors que les risques de réactions inflammatoires aigues sont signalés 69 :
- Le juge peut, notamment au regard de l’expertise et de l’existence de la documentation disponible en
2003, estimer que la rectocolite hémorragique n’était pas considérée à l’époque, par la communauté
médicale, comme un risque inhérent à la prise de Procuta Gé, et en déduire que le laboratoire n’avait
commis aucune faute en ne faisant pas état, dans la notice de ce médicament, de la possibilité de
survenance de cette pathologie70
- Dans le contentieux des vaccins anti-hépatite B, le défaut a été presque toujours rejeté ; le rejet s’impose
aujourd’hui presque systématiquement dans la mesure où la CJUE s’oppose à une présomption de
défaut lié à l’absence de certitudes sur l’innocuité du produit 71
- Le défaut de l’Aspégic a été écarté en l’absence de lien établi scientifiquement entre la prise d’aspirine et
le syndrome de Lyell72

d’une particulière gravité ; que la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder aux recherches prétendument omises, a pu en déduire que ce
produit n’offrait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre et a décidé, à bon droit, que le médicament litigieux était
défectueux ».

64 Cass. 1re civ., 22 nov. 2007, n° 06-14.174 ; Resp. civ. et assur. 2008, comm. 30, note Ch. Radé ; Contrat, conc. consom. 2008,
comm. 64, note L. Leveneur ; JCP G 2008, I, 125, n° 9, obs. Ph. Stoffel-Munck ; RDC 2008, p. 306, note J.-S. Borghetti.
65 Affaire du Levothyrox : Civ. 1re, 16 mars 2022, n° 20-19.786, publié, RCA 2022, Repère 5, par L. Bloch (la condamnation n’est
toutefois pas fondée sur les articles 1245 et s. du code civil, mais sur sa responsabilité pour faute et l’art. 1240).
66 Civ. 1re, 7 nov. 2006 : Resp. civ. et assur. 2007, comm. 61 (béton provoquant des lésions cutanées en cas de contact prolongé).
67 Civ. 1re, 4 févr. 2015, n° 13-19781, P.
68 Défaut pas retenu : Civ 1, 12 nov. 2015, n° 14-19.913.
69 Cass. 1re civ., 24 janv. 2006, n° 03-19.534 : RTD civ. 2006, p. 325, obs. P. Jourdain : notice du vaccin anti-hépatite B mentionnant le
risque de déclencher une maladie de Guillain-Barré.
70 Civ. 1re, 18 juin 2014, n° 13-15.786, inédit
71 Dernièrement : Cass. civ. 1, 4 juill. 2019, n° 18-16.809 : Constituent des motifs impropres à caractériser le défaut d’un vaccin en
cause, le fait que le laboratoire a ajouté, en déc. 1996, au nombre des effets secondaires indésirables mentionnés dans la notice de
ce produit et le dictionnaire Vidal, l'éventualité d'une poussée de sclérose en plaques ainsi que sur l'arrêt, en 1998, par les pouvoirs
publics de la campagne de vaccination contre l'hépatite B entreprise dans les collèges.
72 Cass. civ. 1, 19 juin 2019, n° 18-19.239.
Page 20 sur 31

③ Le producteur ne peut prétendre échapper a priori à sa responsabilité en prétendant avoir


respecté les règles de l’art, les normes existantes ou même après avoir obtenu une
autorisation administrative (art. 1386-10 cc devenu 1245-9).
Sauf le producteur pourra s’exonérer si les règles légales ou réglementaires auxquelles il s’est
conformé, et qui se trouvent être à l’origine du défaut affectant le produit, présentaient un caractère
impératif.

④ La preuve du caractère défectueux incombe à la victime qui peut la rapporter par tous
moyens, notamment par des présomptions « graves, précises et concordantes » :
Cela pose problème dans des contextes d’incertitudes scientifiques sur la capacité d’un produit à causer
certains dommages : cas des contentieux de la vaccination anti-hépatite B à laquelle pourraient être imputées
des poussées de scléroses en plaques.

⑤ Le constat d’un défaut potentiel des produits, tels que les stimulateurs cardiaques et les
défibrillateurs automatiques implantables, appartenant au même groupe ou relevant de la même
série de la production, permet de qualifier de défectueux un tel produit sans qu’il soit besoin de
constater dans ce produit ledit défaut73
L’arrêt tranche un autre point important : sont réparables les dommages entraînés par l’opération rendue
nécessaire pour se soustraire au risque – contredit la jurisprudence de la Cour de cassation sur les sondes
Acufix74.

► Oblige parfois à des distinctions délicates, comme avec la notion d’« effets indésirables » :
question de gravité intrinsèque des manifestations75.

73 CJUE, 5 mars 2015, aff. C-503/13, Boston Scientific Medizintechnik GmbH c/ AOK Sachsen-Anhalt - Die Gesundheitskasse.
74 Cass. civ. 1, 19 déc. 2006, n° 05-15.723, JCP éd. G 2007, II 10052, note S. Hocquet-Berg ; RCA, 2007, comm. 64. Dans cette affaire,
les sondes avaient été mises en circulation avant l'entrée de la loi de transposition du 19 mai 1998 (loi n° 98-389 du 19 mai 1998,
relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, sans que l'on sache si elles l'avaient été avant le 30 juill. 1988, date
d'expiration du délai de transposition, ou après. Finalement peu importe puisque le juge français doit appliquer la définition du défaut
retenue par le juge de l'Union, même avant 1998.
75 Cass. civ. 1, 25 juin 2009, n° 08-12.632 : la Cour d’appel avait qualifié d’effets indésirables le « risque de réactions inflammatoires
(rougeurs, oedèmes) susceptibles " d'être associées à des démangeaisons, des douleurs à la pression pouvant survenir après
l’injection » ; cassation : « le produit, eu égard à la gravité des effets nocifs constatés dont ni la notice d'information remise au
praticien ni la brochure publicitaire destinée à la patiente ne faisaient état, n'offrait pas, dans ces circonstances, la séc urité à laquelle
on pouvait légitimement s'attendre, alors même qu'il avait fait l'objet d'un certificat de libre vente »
Page 21 sur 31

Même hésitation s’agissant d’un désherbant dont les rapports d'expertise concluent à
l'absence de toxicité, lequel n'a fait que révéler des désordres dus à d'autres facteurs, et qui n'est
pas défectueux76

B. Cas particuliers des produits incorporés :


① La loi crée une responsabilité solidaire du producteur du tout :
« Art. 1245-7.-En cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le
producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement
responsables. »

Exemple : producteur d’une prothèse de hanche responsable du bris de la tête de prothèse en


céramique fabriquée par un sous-traitant77

② Mais cette subsidiarité est écartée lorsque « Le producteur de la partie composante (…)
établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été
incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit. » (art. 1245-10, dernier
alinéa)

③ Le recours entre producteur ne relève pas de la directive et donc du droit national : recours
par parts égales selon les règles du droit commun78

④ Le Conseil a fait application de la loi au stade du recours de l’hôpital public condamné pour
avoir implanté un dispositif médical défectueux contre le producteur79

76 Cass. 1re civ., 22 oct. 2009, n° 08-15.171 : Contrats, conc. consom. 2010, comm. 61, note G. Raymond ; RDC 2010, p. 619, note J.-
S. Borghetti.
77 Cass. civ. 1, 26 nov. 2014, n° 13-18.819, P.
78 Cass. 1re civ., 26 nov. 2014, n° 13-18.819 ; Resp. civ. et assur. 2015, comm. 58, L. Bloch.
79 CE, 5/4 CR, 30 déc. 2016, n° 375406, mentionné.
Page 22 sur 31

Section III. L’action en indemnisation :


La charge et le risque de la preuve pèsent sur les épaules du demandeur :
« Art. 1245-8.-Le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le
dommage. »

§. 1. Le choix du fondement :
« Art. 1245-17.-Les dispositions du présent chapitre ne portent pas atteinte aux droits dont la
victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou
extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.
« Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont
il répond. »

La Directive visant à harmoniser les conditions de la concurrence entre les producteurs de l’Union
européenne80, il ne saurait être question de permettre aux Etats de laisser subsister dans leur
droit national leur droit commun, autrement que selon les prévisions de la directive elle-même

Le régime mis en place se montrant plus favorable pour les producteurs que le droit commun, les
victimes pourraient être tentées d’éluder l’application de ce régime au profit des règles plus
favorables

La Directive du 25 juillet 1985 avait prévu les conditions de son articulation avec les règles du
droit national : ces dispositions ont été reprises à l’article 1386-18 cc :
Article 13
La présente directive ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au
titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de
responsabilité existant au moment de la notification de la présente directive.

80 « Considérant qu'un rapprochement des législations des États membres en matière de responsabilité du producteur pour les
dommages causés par le caractère défectueux de ses produits est nécessaire du fait que leur disparité est susceptible de fausser la
concurrence, d'affecter la libre circulation des marchandises au sein du marché commun et d'entraîner des différences dans le
niveau de protection du consommateur contre les dommages causés à sa santé et à ses biens par un produit défectueux ».
Page 23 sur 31

Que dit le texte ?


► Les Etats qui avaient adopté une législation spéciale producteurs avant 1985 peuvent la
conserver sans être tenus de refaire leur texte (cas de l’Allemagne) ;

► Les victimes peuvent préférer d’agir sur un autre fondement dès lors que celui-ci n’aboutit
pas à éluder l’application de la Directive81 :
- Elle peut préférer l’application d’un régime de responsabilité pour faute : logique car la responsabilité
du producteur dans la Directive est un régime de responsabilité sans faute (art. 1386-11)

Le dommage doit résulter de la faute et non du défaut, faute de quoi l’option ne sera pas
permise82.

→ la Cour de cassation en a déduit en 2017 qu’il n’était pas possible de se fonder sur la
violation d’une obligation d’information extérieure au défaut lorsque cette information
déterminant la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre – le juge doit alors relever
83
d’office l’application du régime spécial

→ chasse également l’application de l’article 1242, alinéa 1er (fait des choses)84

La faute peut résulter dans le manquement à l’obligation de vigilance du fabricant face à une
augmentation inquiétante d’incidents suspects impliquant ses produit

81 Précision apportée en 2002 par la CJCE : CJCE, 25 avr. 2002, §. 22 : « La référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la
victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce
sens que le régime mis en place par ladite directive, lequel, aux termes de son article 4, permet à la victime de demander réparation
dès lors qu'elle rapporte la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage, n'exclut
pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différen ts, tels
que la garantie des vices cachés ou la faute » : D. 2002, p. 2462, note C. Larroumet.
82 Civ. 1, 10 déc. 2014, n° 13-14314, P : « il résultait des expertises judiciaires et des éléments contradictoirement débattus que le
dommage subi par M. X... résultait directement d'un défaut de l'interphone fabriqué par la société Noralsy et qu'aucune des fautes
imputées aux autres parties n'était distincte du défaut de sécurité de ce produit, la cour d'appel, devant laquelle M. X... a dmettait
qu'en installant une ligne unique, la société ETA avait appliqué l'une des options du constructeur, laquelle constituait une erreur de
conception, a légalement justifié sa décision » ;
83 Cass. ass. Plén., 7 juill. 2017, n° 15-25651, P, Sté Monsanto : RCA 2017, comm. 250, comm. L. Bloch « M. X... alléguait avoir acheté
le produit ayant causé le dommage en avr. 2004 à une coopérative agricole, qui l’avait acquis deux ans plus tôt de la société
Monsanto, ce qui rendait possible que cette dernière en ait été le producteur et avait pour conséquence que la date de mise e n
circulation de ce produit, qui ne saurait résulter de la seule autorisation de mise sur le marché, pouvait être postérieure à la date
d’effet de la directive susvisée, d’autre part, qu’il imputait l’origine de son dommage à l’insuffisance des mentions portées sur
l’étiquetage et l’emballage du produit, en sorte qu’elle était tenue d’examiner d’office l’applicabilité au litige de la responsabilité du fait
des produits défectueux ».
84 Cass. civ. 1, 11 juill. 2018, n° 17-20.154, P : « l'action en responsabilité du fait des choses, prévue à l'article 1384, alinéa 1, devenu
1242, alinéa 1, du code civil qui, lorsqu'elle est invoquée à l'encontre du producteur après la mise en circulation du produit, procède
nécessairement d'un défaut de sécurité ».
Page 24 sur 31

- La victime peut également invoquer la garantie des vices cachées 85 ; logique car l’acheteur a payé
cette garantie (l’assurance souscrite par le producteur est répercutée dans le prix de vente)

● Lorsque la science ne permet pas de conclure avec certitude au caractère défectueux, le


fabricant reste tenu d’une obligation de vigilance : responsabilité pour faute qui permet même
d’éluder l’application du régime spécial car concerne des comportements du fabricant extérieurs à
la mise en circulation du produit (notamment postérieurs) :

→ Civ. 1, 21 avril 2005, n° 03-20683 : Resp. civ. et assur. 2005, comm. 223, obs. Ch. Radé : « Mais
attendu qu'il appartient aux établissements de soins, tenus d'une obligation de sécurité de résultat, de
prendre toutes dispositions utiles pour s'assurer de l'innocuité des produits sanguins fournis et
transfusés «

→ Civ. 1, 24 janv. 2006 (hormone de croissance), n° 03-20.178, publié : Resp. civ. et assur. 2006,
comm. 89, obs. Ch. Radé

La Cour caractérise ici « les manquements à la prudence » par un référence au manquement à


« la nécessité impérative de prendre toutes les précautions dans l’extraction, la purification et la
composition des hormones de croissance » :
- Jugé en 2006 pour le Distilbène 86 ;
- Repris par certaines juridictions du fond 87 ;

85 Civ. 1, 25 févr. 2016, n° 14-29.000 ; Cass. civ. 1, 11 janv. 2017, n° 16-11.726, P : “s'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice
de l'Union européenne que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet
usage ne relève pas du champ d'application de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juill. 1985, relative au rapprochement d es
dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits
défectueux (arrêt du 4 juin 2009, moteurs Leroy Somer, C-285/08), la même directive s'applique, en revanche, au producteur d'un
produit affecté d'un défaut, quelle que soit la destination, privée ou professionnelle, de l'usage de ce produit”.
86 Cass. 1re civ., 7 mars 2006 (affaire du Distilbène), n° 04-16179, P : Resp. civ. et assur. 2006, comm. 164, obs. Ch. Radé ; RDC 2006,
p. 844, obs. J.-S. Borghetti
87 TGI Avignon, 11 janv. 2012, n° 11/00756 : En l’espèce, Mme X. s’est fait poser des prothèses mammaires à but esthétique dont le
manque de solidité a été postérieurement mis en cause en raison de la présence d’un gel non conforme à la réglementation.
Suspectant une rupture de prothèse, elle sollicite auprès du juge des référés l’allocation d’une provision en invoquant la
responsabilité du chirurgien, du fabricant et de son assureur. L’ordonnance rendue le 11 janv. 2012 par le TGI d’Avignon écar te la
responsabilité du chirurgien dans la mesure où la directive du 25 juill. 1985 en matière de responsabilité des produits défectueux
autorise la victime à agir contre le producteur si celui-ci est identifié et qu’une jurisprudence de la CJUE du 30 avr. 2002 ne permet
pas « la mise en œuvre parallèle d’actions en responsabilité ayant le même fondement que la directive, c’est-à-dire le fait du
produit ». La responsabilité du médecin fournisseur du produit défectueux ne saurait donc être recherchée dès lors que l’identité du
producteur est connue. L’assureur du fabricant est condamné à verser à la victime une indemnité provisionnelle de 4 000 euros.
Page 25 sur 31

§. 2. Le choix du responsable :
En cas de pluralité de responsables il incombe en principe à la victime mais la responsabilité des
vendeurs et autres fournisseurs n’est toutefois que subsidiaire : s’ils désignent le producteur alors
qu’ils sont assignés par la victime, celle-ci n’a d’autre choix que d’agir contre le producteur (art.
1245-6).

L’art. 1386-6 (1245-5), alinéa 3 « les personnes dont la responsabilité peut être recherchée sur le
fondement des articles 1792 à 1792-6 et 1646-1 » pour préserver l’application des régimes
propres aux constructeurs et vendeurs d’immeubles à construire soumis aux responsabilités
décennale et biennale, et des fabricants d’”éléments pouvant entraîner une responsabilité
solidaire” visée à l’article 1792-4 du Code civil

§. 3. Les obstacles à l’indemnisation :


A. Les délais d’action :
1. Extinction de la responsabilité :

« Art. 1245-15.-Sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les


dispositions du présent chapitre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du
produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n'ait
engagé une action en justice.

Il s’agit d’une disposition comparable à celle qui figure en droit français à l’article 2232 depuis
la réforme de la prescription de 2008

L’extinction est acquise après l’expiration d’un délai de 10 ans à partir de la mise en service
- Ce délai n’est pas un délai de prescription mais il éteint la dette : n’est donc pas soumis au régime
général de la prescription, notamment au point de départ flottant ni aux causes de suspension ou
d’interruption : seule la saisine d’un juge interrompt le délai
- Le délai n’éteint que la responsabilité de plein droit et pas la responsabilité pour faute : dans ce cas
d’ailleurs la victime peut agir sur le fondement du droit commun
Page 26 sur 31

2. Prescription de l’action :
« Art. 1245-16. L'action en réparation fondée sur les dispositions du présent chapitre se prescrit dans un
délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du
dommage, du défaut et de l'identité du producteur. »

Il s’agit bien ici d’une prescription de l’action (conception procédurale)

Le point de départ est flottant : lorsqu’est en cause un défaut d’information le délai part du jour où
les patients ont eu l’information sur les risques88

B. Les causes d’exonération :

Le principe de cette responsabilité de plein droit résulte de l’art. 1245-10 : la preuve d’une faute
n’est donc pas exigée pour engager sa responsabilité : la loi énumère les causes d’exonération

La faute du producteur produit des effets juridiques particuliers sur le régime de sa responsabilité

1. Les causes écartées :


① La loi écarte le respect des règles de l’art et toute forme d’autorisation administrative (AMM,
etc.) comme étant exonératoire
« Art. 1245-9.- Le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le
respect des règles de l'art ou de normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative. »

Ex : le certificat de libre vente délivré par l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé
(AFSSPS) n'est pas un obstacle à la reconnaissance et la constatation d'un défaut du produit 89.

Sauf si elles présentent un caractère impératif pour le producteur – dans ce cas leur respect
exonère le responsable :
Art. 1245-10, « 5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre
législatif ou réglementaire.

88 Civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-16.537.


89 Cass. 1re civ., 25 juin 2009, n° 08-12.632 ; RDC 2009, p. 619, note J.-S. Borghetti, à propos d'un produit cosmétique.
Page 27 sur 31

② Elle écarte également le fait du tiers et impose donc une solidarité légale90 :
« Art. 1245-13.-La responsabilité du producteur envers la victime n'est pas réduite par le fait d'un tiers
ayant concouru à la réalisation du dommage.

2. Les causes retenues :


Elles sont précisées par les articles 1245-10 à 1245-14, mais toutes ne sont pas des causes
d’exonération – la loi ne les qualifie d’ailleurs pas comme telles : il s’agit soit de causes de non-
engagement, soit des causes d’exonération au sens classique du terme (ce qui suppose donc
que les conditions de la responsabilité soient au préalable réunies) :

① Le défaut de mise en circulation (« 1° Qu'il n'avait pas mis le produit en circulation »)

② L’apparition postérieure du défaut (« 2° Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer
que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que
ce défaut est né postérieurement »)

③ La destination non commerciale du produit : « 3° Que le produit n'a pas été destiné à
la vente ou à toute autre forme de distribution ;

④ Le risque de développement :
Art. 1245-10, 4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où
il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ;

La CJUE se montre très sévère sur l’état des connaissances que doit avoir le
producteur91

Par ailleurs le producteur doit en demander formellement le bénéfice ; il ne suffit


d’affirmer que le produit n’était pas défectueux lors de sa mise sur la marché, sous
prétexte que l’état des connaissances scientifiques ne le permettait pas au moment de la
mise en circulation, pour prétendre être exonéré 92 ; mais dès lors qu’il invoque cette
cause d’exonération à l’aide de documents scientifiques crédibles le juge des référés ne
peut accorder de provisions dans la mesure où existe une contestation sérieuse sur le
principe même de sa responsabilité93

90 « considérant que, lorsque plusieurs personnes sont responsables du même dommage, la protection du consommateur exige que la
victime puisse réclamer la réparation intégrale du dommage à chacune d'elles indifféremment »
91 CJCE, 29 mai 1997, n° C-300/95 : D. 1998, p. 488, note A. Penneau ; JCP G 1997, I, 4070, n° 31, obs. Viney. - CJCE, 10 mai 2001,
n° C-203/99 : D. 2001, p. 3065, note Kayser ; RTD civ. 2001, p. 898, obs. Jourdain et p. 988, obs. Raynard.
92 Cass. civ 1, 25 févr. 2016, n° 15-11.257, P.

93 Cass. civ. 1, 29 juin 2016, n° 15-20.269.


Page 28 sur 31

« Art. 1245-11.- Le producteur ne peut invoquer la cause d'exonération prévue au 4° de


l'article 1245-10 lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par
les produits issus de celui-ci.

Le projet de réforme de la responsabilité civile (version 2 au 14 mars 2017) étend


l'exclusion aux dommages causés par « par tout produit de santé à usage humain
mentionné dans le premier chapitre du titre II du livre Ier de la cinquième partie du code
de la santé publique » (projet de nouvel article 1298-1 du Code civil)

⑤ La conformité à des normes impératives de sécurité :

« 5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre
législatif ou réglementaire.
« Le producteur de la partie composante n'est pas non plus responsable s'il établit que le défaut
est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux
instructions données par le producteur de ce produit.

⑥ La faute de la victime :

« Art. 1245-12.-La responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de
toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit
et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable. »

- Admis s’agissant de la faute d’un professionnel utilisant le produit en contradiction avec


les préconisations claires et précises du fabricant94

- écarté dans l’affaire mettant en cause le Lasso de Monsento, en raison de


l’absence de caractère causal de la faute de la victime95
- la faute doit avoir été à l’origine du dommage, et pas seulement un facteur
d’aggravation96

« Art. 1245-14.-Les clauses qui visent à écarter ou à limiter la responsabilité du fait des produits
défectueux sont interdites et réputées non écrites.
« Toutefois, pour les dommages causés aux biens qui ne sont pas utilisés par la victime
principalement pour son usage ou sa consommation privée, les clauses stipulées entre
professionnels sont valables. »

94 Cass. 1re civ., 30 nov. 2004, n° 01-14.314 : D. 2005, p. 114, produit pour l'agriculture.
95 Civ. 1, 21 oct. 2020, n° 19-18.689, P : « 41. L’arrêt retient que M. X... a inhalé des vapeurs de Lasso, après avoir introduit son visage
dans la cuve, que si, comme l’invoquait la société Monsanto, il ne portait pas de protection destinée à éviter un contact du produit sur
le visage, en tout état de cause, une telle protection aurait été inefficace en cas d’inhalation, en l’absence d’appareil de protection
respiratoire. »
96 Civ. 1re, 2 juin 2021, n° 19-19.349 : Resp. civ. et assur. 2021, comm. 154, note L. Bloch.
Page 29 sur 31

② Précisions sur le risque de développement :


« 4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en
circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ;

► Il s’agit de l’hypothèse où le défaut n’a été décelé que postérieurement à la mise en circulation
en raison d’une avancée réalisée après dans l’état des connaissances techniques ou
scientifiques : exemple de la découverte en 1984 du HIV et de l’élaboration des premiers tests
sanguins

Il ne faut pas confondre cette hypothèse avec celle où le défaut s’est révélé
postérieurement (2°), ce qui sera le cas des interactions médicamenteuses avec des
molécules mises sur le marché postérieurement au produit concerné – mais attention à
l’obligation de suivi des produits et de réactualisation des notices d’information

► La directive permettait aux Etats de retenir cette cause d’exonération, ou de l’écarter : la


France a choisi les deux :
- Admis d’une manière générale comme exonératoire pour tous les produits (art. 1245-10)
- Mais écarté « lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par les produits
issus de celui-ci » (art. 1245-11)

La Cour de cassation a considéré que la constatation, par le juge, du défaut d’un produit, à la
suite de la mise en évidence de risques graves liés à son utilisation que ne justifie pas le bénéfice
qui en est attendu, n’implique pas que le producteur ait eu connaissance de ces risques lors de la
mise en circulation du produit ou de sa prescription97.

Ce sont les experts qui vont établir l’état des connaissances scientifiques au moment de la mise
sur le marché pour admettre, ou exclure (affaire du Mediator), la possibilité d’invoquer cette cause
d’exonération98.

97 Cass. 1re civ., 25 févr. 2016, n° 15-11257, P.


98 Cass. civ. 1, 20 sept. 2017, n° 16-19.643, P : « Et attendu qu'après avoir retenu le caractère défectueux du Mediator, l'arrêt décrit, par
motifs propres et adoptés, les conditions dans lesquelles ont été révélés les effets nocifs de ce produit en raison, notamment, de sa
similitude avec d'autres médicaments qui, ayant une parenté chimique et un métabolite commun, ont été, dès 1997, jugés
dangereux, ce qui aurait dû conduire la société à procéder à des investigations sur la réalité du risque signalé, et, à tout le moins, à
en informer les médecins et les patients ; qu'il ajoute que la possible implication du Mediator dans le développement de
valvulopathies cardiaques, confirmée par le signalement de cas d'hypertensions artérielles pulmonaires et de valvulopathies
associées à l'usage du benfluorex, a été mise en évidence par des études internationales et a conduit au retrait du médicamen t en
Suisse en 1998, puis à sa mise sous surveillance dans d'autre pays européens et à son retrait en 2003 en Espagne, puis en Italie ;
que, de ces énonciations, desquelles il résulte que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment de la mis e en
circulation des produits administrés à Mme Y entre 2006 et 2009, permettait de déceler l'existence du défaut du Mediator, la cour
d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, en a exactement déduit que la soci été n'était
pas fondée à invoquer une exonération de responsabilité au titre du dommage subi par Mme Y ; que le moyen n'est pas fondé ».
Page 30 sur 31

Les cas d’admission sont très rares :

Ex : présence inhabituelle d’une bactérie dans un fromage99

C. La franchise pour les dommages aux biens :


La directive prévoit une franchise de 500 ECU.

La France ne l’avait pas retenue, mais a été condamnée par la CJCE et l’a introduite en
2004 : la Cour de cassation a considéré qu’il fallait en faire une application directe
« Art. 1245-1.-Les dispositions du présent chapitre s'appliquent à la réparation du dommage qui
résulte d'une atteinte à la personne.
« Elles s'appliquent également à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé
par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même.

Elle figure aujourd’hui à l’article 1245-1 et a été fixée par décret à 500 euros100.

D. L’aménagement conventionnel de la responsabilité :


1. La prohibition de principe des clauses de responsabilité :
« Art. 1245-14, al. 1er - Les clauses qui visent à écarter ou à limiter la responsabilité du fait des produits
défectueux sont interdites et réputées non écrites »

2. L’admission exceptionnelle entre professionnels :


« Art. 1245-14, al. 2 : « Toutefois, pour les dommages causés aux biens qui ne sont pas utilisés par la
victime principalement pour son usage ou sa consommation privée, les clauses stipulées entre
professionnels sont valables. »

99 Civ. 1, 5 mai 2021, n° 19-25.102 : « 5. Après avoir énoncé que le camembert mis en circulation par la société et ingéré par l'enfant
était défectueux, en ce qu'il était porteur de la souche E. coli O26, et qu'il existait un lien de causalité certain entre cette absorption et
l'émergence du syndrome présenté par l'enfant, l'arrêt retient que, selon le rapport d'investigation de l'InVS, établi en 2007 à la suite
de l'épidémie d'infections à E coli producteurs de shiga-toxines, si, à l'époque des faits, la contamination par fromages au lait cru était
bien documentée s'agissant de l'E. coli O157, des souches STEC O26 et O80 n'avaient encore jamais été isolées dans ces
fromages, les résultats de recherches de STEC O26 étaient difficiles d'interprétation du fait de la grande diversité génétique
évolutive, incluant des changements de génotype stx, et il s'agissait de la première épidémie d'E coli producteurs de shiga-toxines
non O157 liée à la consommation de camembert au lait cru. Il ajoute qu'en décembre 2008, l'Agence française de sécurité sanitaire
des aliments avait exposé que, s'il existait plusieurs méthodes validées pour identifier la souche E. coli O157, aucune métho de de
référence ou méthode alternative validée n'était en revanche disponible pour détecter les « souches Stec pathogènes non O157 ».

100 Décret n° 2005-113 du 11 févr. 2005 pris pour l'application de l'article 1386-2 du code civil.
Page 31 sur 31

§. 4. Les recours entre coresponsables :


A. Le fondement :

Pas la directive qui n’a été conçue que pour les rapports entre victimes et producteurs101

Même si le Conseil d’Etat a fait application de la loi sur recours subrogatoire de l’hôpital public
contre le producteur du dispositif médical défectueux implanté102.

Si le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des
conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de
santé qu'il utilise, y compris lorsqu'il implante, au cours de la prestation de soins, un produit
défectueux dans le corps d'un patient, il peut, lorsque sa responsabilité est recherchée par ce
dernier sur ce fondement, exercer un recours en garantie à l'encontre du producteur ; dans le cas
où le service public hospitalier qui a dû indemniser un patient ayant subi un dommage causé par
la défaillance d'un produit et ou appareil de santé n'est pas lié par un contrat administratif au
fabricant de ce produit ou appareil, son action en garantie contre le fabricant relève de la
compétence de la juridiction judiciaire103.

B. Le régime :
1. Recours du fournisseur contre le producteur ou assimilé :
Article 1245-6, alinéa 2 : « Le recours du fournisseur contre le producteur obéit aux mêmes règles
que la demande émanant de la victime directe du défaut. Toutefois, il doit agir dans l'année
suivant la date de sa citation en justice. »

2. Recours entre producteurs ou assimilés :

① Il relève du droit commun :


- Par part égales
- Sauf preuve d’une faute commise par l’un d’entre eux

② Certains auteurs ont proposé une clef de répartition plus économique en fonction des parts
de marché, ou du chiffre d’affaires, mais n’a pas en principe été retenu

101 Civ. 1re, 26 nov. 2014, n° 13-18.819, publié.


102 CE, 5/4 CR, 30 déc. 2016, n° 375406, mentionné.
103 Conseil d'État, 5ème - 4ème chambres réunies, 15 nov. 2017, n° 403317, Mentionné aux tables du recueil Lebon

Vous aimerez peut-être aussi