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Droit des obligations, sources : contrats

Leçon 1 : Introduction : la réforme du 10 février 2016


Jean-Baptiste Seube

Table des matières


Section 1 : Genèse de la réforme..............................................................................................................................p. 2
§1 : Pourquoi réformer le droit des contrats ?.................................................................................................................................... p. 2
A - Les raisons nationales de la réforme......................................................................................................................................................................... p. 2
B - Les raisons internationales de la réforme.................................................................................................................................................................. p. 3
§2 : Comment réformer le droit des contrats ?................................................................................................................................... p. 3
A - Les travaux académiques antérieurs à la réforme du 10 février 2016...................................................................................................................... p. 3
B - Le recours aux ordonnances...................................................................................................................................................................................... p. 3
Section 2 : Le contenu de la réforme....................................................................................................................... p. 7
Section 3 : L'entrée en vigueur de la réforme......................................................................................................... p. 9
Section 4 : La présentation du cours : le droit des contrats............................................................................... p. 12
§1 : La définition de l'obligation......................................................................................................................................................... p. 12
§2 : L'importance du droit des obligations.........................................................................................................................................p. 12
§3 : La diversité des obligations........................................................................................................................................................p. 14
A - Les critères de classement des obligations............................................................................................................................................................. p. 14
1. Le critère principal : la source de l'obligation................................................................................................................................................................................................... p. 14

2. Les autres critères.............................................................................................................................................................................................................................................p. 15

B - Le contrat.................................................................................................................................................................................................................. p. 17

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Un droit nouveau. En droit des contrats, il y aura un avant et un après 1 octobre 2016.

L'ordonnance n° 2016-131 portant réforme du droit du contrat, du régime général et de la preuve des obligations
er
a en effet été publiée le 10 février 2016, son entrée en vigueur étant décalée au 1 octobre 2016.
En guise d'introduction, il convient donc de préciser la genèse de la réforme (section 1), son contenu (section
2) et les modalités de son entrée en vigueur (section 3). On pourra, alors seulement, présenter ce cours de
droit des contrats et préciser comment il s'agence avec d'autres enseignements que suivront les étudiants
(section 4).

Section 1 : Genèse de la réforme


Plan. La genèse de la réforme repose tant sur les causes de la réforme (§1 : Pourquoi réformer ?) que sur les
méthodes de la réforme (§2 : Comment réformer ?).

§1 : Pourquoi réformer le droit des contrats ?


La réforme du 10 février 2016 repose sur des raisons nationales (A) et internationales (B).

A - Les raisons nationales de la réforme


- Le droit des contrats, matière inchangée depuis 1804. Le droit des contrats, quasiment inchangé depuis
1804, était un îlot d'immobilisme en comparaison du vent de modernisation qui avait soufflé sur les successions
(2001-2006), le divorce (2004), la filiation (2005, 2009), les sûretés (2006), les tutelles (2007), la prescription
(2008) ou le mariage (2013). A vrai dire, cet argument serait de peu de portée si la remarquable stabilité du droit
des obligations, qui met les opérateurs économiques à l'abri de la versatilité de la règle si souvent dénoncée
dans d'autres domaines, ne les exposait pas à d'autres périls.

- Un droit prétorien. Le premier péril était le développement d'un droit prétorien, par nature fluctuant et peu
saisissable. Même s'il n'a pas fait l'objet de profondes réformes, le droit des obligations a nécessairement
évolué depuis 1804. A la différence d'autres branches du droit dans lesquelles les évolutions sont fracassantes,
elles sont lentes et progressives en droit des obligations : en deux cents ans, la jurisprudence avait comblé
le silence de la loi (les négociations), créé des notions et des concepts nouveaux (les groupes de contrats,
l'inexistence...) ou, de manière plus radicale, abrogé certains articles du Code civil (voir l'article 1142 sur
l'exécution des obligations de faire ou de ne pas faire). La réforme avait donc, à bien des points de vue, déjà
eu lieu. Mais elle ne se voyait pas, du moins pas assez ! Qui s'en serait référé au seul droit codifié n'aurait
pas dit le droit positif français. Ce décalage entre le droit codifié et le droit prétorien ne favorisait guère les
nouveaux parangons de l'accessibilité et de l'intelligibilité du droit.

- Un droit éclaté. Le second péril était la menace d'éclatement de la matière : les textes du Code civil, de portée
générale, étaient concurrencés par des règles spéciales, relevant souvent du droit commercial ou du droit de la
consommation. Portées par les impératifs d'équilibre contractuel et de loyauté, ces règles spéciales aspiraient
à la généralisation. Deux exemples suffisent à illustrer ce mouvement. Les clauses abusives de l'article L.
132-1 du Code de la consommation devaient-elles être cantonnées aux rapports entre un professionnel et un
consommateur ou pouvaient-elles être généralisées à tous les rapports contractuels, ainsi qu'y encourageait
d'ailleurs l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce ? La rupture brutale de relations commerciales établies,
dont la prohibition est posée par l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, n'avait-elle pas déjà dépassé le
champ étroit dans lequel le législateur entendait la contenir et n'était-elle pas en voie de devenir le droit commun
de la rupture contractuelle ? Ces deux exemples, auxquels on pourrait ajouter les nombreuses obligations
d'information que l'on trouve dans des textes spéciaux, montraient que le Code civil, concurrencé par des
Codes spéciaux, n'était plus la matrice du droit des contrats.

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B - Les raisons internationales de la réforme
- La perte d'influence du droit français des contrats. Au plan international, la nécessité d'une réforme
se faisait aussi sentir. Des pays qui s'étaient autrefois inspirés du Code civil français avaient déjà réformé
leur droit des obligations en s'affranchissant du modèle initial, trop ancien pour demeurer source d'inspiration.
C'était notamment le cas du Québec (1991), des Pays-Bas (1992), du Portugal (1996) et plus récemment
de l'Allemagne (2001). Au-delà de ces illustrations de la perte d'influence du modèle français, deux éléments
militaient pour la réforme.

- Les projets d'harmonisation. Le premier était la multiplication des projets d'harmonisation du droit européen
et international des contrats, qui fleurissent depuis une vingtaine d'années : les Principes Unidroit relatifs aux
contrats du commerce international élaborés en 1994 et complétés en 2004, les Principes du Droit Européen
des Contrats en 1995, 2000 et 2003, le projet de Code européen des contrats de 2000 ont montré que la voix
de la France était peu audible. Une modernisation du droit français des contrats permettrait assurément au
Gouvernement de demeurer une force de proposition crédible dans le cadre de ces négociations. Dans ce
contexte international de réforme ou d'harmonisation, il était indispensable pour la France, de se doter d'un droit
des contrats lisible et prévisible, qui constituerait assurément un facteur susceptible d'attirer les investisseurs
étrangers et les parties qui souhaiteraient rattacher leur contrat au droit français.

- Le « French Law Bashing ». Le second était la concurrence accrue entre les systèmes juridiques et la
tendance à la « French Law Bashing ». Les rapports Doing Business qui se sont succédés depuis 2003
mettaient régulièrement en valeur les systèmes juridiques influencés par la Common law. Même si les
méthodes d'analyse de la Banque mondiale ont été critiquées (Voir sur le sujet, Les droits de tradition civiliste en
question, A propos des Rapports Doing Business de la Banque mondiale, Association Henri Capitant, Société
de Législation comparée, 2006 ; Le modèle juridique français : un obstacle au développement économique ?
(dir) F. Rouvillois, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2005), l'image d'un droit français complexe, imprévisible,
et peu attractif, risquait de demeurer. Moderniser le droit français des contrats revenait donc, à l'opposé de
cette tendance, à asseoir l'image d'un droit écrit et donc accessible à tous.
Chacun était donc convaincu de la nécessité de réformer le droit français des contrats. Mais comment faire ?

§2 : Comment réformer le droit des contrats ?


Plan. Même si elle a été précédée de nombreux travaux académiques (A), l'Ordonnance du 10 février 2016
a été très décriée en raison de la méthode employée (B).

A - Les travaux académiques antérieurs à la réforme


du 10 février 2016
- Catala, Terré... De nombreux projets de réforme du droit des obligations ont été élaborés depuis le
bicentenaire du Code Civil. Aucun n'avait cependant franchi le seuil du Conseil des Ministres. Ainsi, l'avant-
projet Catala remis au Garde des Sceaux en septembre 2005, les propositions de réforme rédigées sous la
direction du Professeur Terré remis au Garde des sceaux en 2008 (droit des contrats), 2011 (responsabilité)
et 2013 (prescription), les projets de la Chancellerie de 2008 (droit des contrats) et 2011 (régime et preuve de
l'obligation) avaient tous été suivis de colloques et soumis aux observations des opérateurs économiques...
mais n'avaient reçu aucune suite politique.

On avait donc le sentiment que, même si le débat était sorti de l'enceinte universitaire et avait fait réagir
les professionnels et praticiens du droit, il n'avait pas su intéresser le politique : matière technique et peu
mobilisatrice, le droit des obligations semblait condamné à rester la Belle endormie du Code civil.

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B - Le recours aux ordonnances
- Le Projet de loi du 27 novembre 2013. Sortant de cette résignation, l'article 3 du projet de loi relatif à la
modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires
intérieures, déposé au Sénat le 27 novembre 2013, a fait (re)naître toutes les espérances. Noyé au milieu de
dispositions disparates portant aussi bien sur l'administration légale que le droit des biens ou des successions,
cet article laissait espérer que les nombreux avant-projets de réforme du droit des contrats allaient enfin sortir
des sphères académiques pour entrer dans l'arène politique. Ambitieux et optimiste, l'article dessinait, en treize
points, le contenu de la réforme attendue :
« Dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre
par voie d'ordonnance les mesures, relevant du domaine de la loi, nécessaires pour modifier la structure
et le contenu du livre III du code civil afin de moderniser, de simplifier, d'améliorer la lisibilité, de renforcer
l'accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la
sécurité juridique et l'efficacité de la norme et à cette fin :
1° Affirmer les principes généraux du droit des contrats tels que la bonne foi et la liberté contractuelle ; énumérer
et définir les principales catégories de contrats ; préciser les règles relatives au processus de conclusion du
contrat, y compris conclu par voie électronique, afin de clarifier les dispositions applicables en matière de
négociation, d'offre et d'acceptation de contrat, notamment s'agissant de sa date et du lieu de sa formation,
de promesse de contrat et de pacte de préférence ;
2° Simplifier les règles applicables aux conditions de validité du contrat, qui comprennent celles relatives au
consentement, à la capacité, à la représentation et au contenu du contrat, en consacrant en particulier le devoir
d'information, la notion de clause abusive et en introduisant des dispositions permettant de sanctionner le
comportement d'une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l'autre ;
3° Affirmer le principe du consensualisme et présenter ses exceptions en indiquant les principales règles
applicables à la forme du contrat ;
4° Clarifier les règles relatives à la nullité et à la caducité, qui sanctionnent les conditions de validité et de
forme du contrat ;
5° Clarifier les dispositions relatives à l'interprétation du contrat et spécifier celles qui sont propres aux contrats
d'adhésion ;
6° Préciser les règles relatives aux effets du contrat entre les parties et à l'égard des tiers, en consacrant la
possibilité pour celles-ci d'adapter leur contrat en cas de changement imprévisible de circonstances ;
7° Clarifier les règles relatives à la durée du contrat ;
8° Regrouper les règles applicables à l'inexécution du contrat et introduire la possibilité d'une résolution
unilatérale par notification ;
9° Moderniser les règles applicables à la gestion d'affaires et au paiement de l'indu et consacrer la notion
d'enrichissement sans cause ;
10° Introduire un régime général des obligations et clarifier et moderniser ses règles ; préciser en particulier
celles relatives aux différentes modalités de l'obligation, en distinguant les obligations conditionnelles, à terme,
cumulatives, alternatives, facultatives, solidaires et à prestation indivisible ; adapter les règles du paiement et
expliciter les règles applicables aux autres formes d'extinction de l'obligation résultant de la remise de dette,
de la compensation et de la confusion ;
11° Regrouper l'ensemble des opérations destinées à modifier le rapport d'obligation ; consacrer dans les
principales actions ouvertes au créancier, les actions directes en paiement prévues par la loi ; moderniser les
règles relatives à la cession de créance, à la novation et à la délégation ; consacrer la cession de dette et
la cession de contrat ; préciser les règles applicables aux restitutions, notamment en cas d'anéantissement
du contrat ;
12° Clarifier et simplifier l'ensemble des règles applicables à la preuve des obligations ; en conséquence,
énoncer d'abord celles relatives à la charge de la preuve, aux présomptions légales, à l'autorité de chose jugée,
aux conventions sur la preuve et à l'admission de la preuve ; préciser ensuite les conditions d'admissibilité
des modes de preuve des faits et des actes juridiques ; détailler enfin les régimes applicables aux différents
modes de preuve ;
13° Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d'assurer la mise en œuvre et
de tirer les conséquences des modifications apportées en application des 1° à 12° du présent article ».
De fortes oppositions se sont manifestées en critiquant le recours aux ordonnances, assimilé à un déficit de
démocratie. Même si le Code civil avait déjà été modifié par des ordonnances (création d'un livre relatif à

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Mayotte en 2002, réforme de la filiation en 2005, réforme des sûretés en 2006), de nombreux auteurs estimaient
que cette réforme devait être menée par les parlementaires.

En savoir plus : Réformer le Code civil par ordonnance est-il si choquant ?


Pro/contra. Pour justifier le recours aux ordonnances, le Gouvernement soulignait le caractère très
technique de la réforme envisagée. Cet argument peut être discuté: des réformes tout aussi techniques que
le droit des obligations (successions, prescription...) ont été menées à bien par le Parlement. En réalité, loin
d'être un débat technique, la réforme du droit des obligations met en jeu des questions politiques majeures
comme le nouvel équilibre entre l'impératif de justice et la sécurité juridique, comme le choix entre un droit
conceptuel et abstrait ou un droit plus descriptif et plus lisible pour les citoyens... La disparition envisagée de
la cause, formidable outil de modération au service du juge, est une illustration de ce choix.

Pour justifier le recours aux ordonnances, le Gouvernement faisait également valoir que le Parlement sera
de toutes les façons appelé à se prononcer lors du projet de loi de ratification. Cet argument ne pèse
guère. L'expérience montre en effet que la ratification se fait souvent en catimini, par la voie d'amendements
déposés à des projets de loi (par exemple, l'Ordonnance sur les sûretés a été ratifiée à l'article 10 de la loi
n° 2007-212 du 20 février 2007, portant diverses dispositions intéressant la Banque de France). A supposer
même qu'un projet de loi de ratification soit déposé, la marge de manœuvre du Parlement sera très étroite :
il n'aura plus la possibilité, au stade de la ratification, de remettre en cause les grands arbitrages puisque le
texte sera déjà entré en vigueur et appliqué. La certitude d'une ratification n'est donc pas une garantie que le
Parlement pourra pleinement exercer ses prérogatives sur le texte.

Pour justifier le recours aux ordonnances, le Gouvernement soulignait que l'ordre du jour du Parlement était
très encombré. L'argument du calendrier est également discutable. La réforme du droit des successions,
réforme d'une dimension semblable, montre que l'examen parlementaire de la réforme ne dure pas forcément
plus longtemps que la même procédure conduite par ordonnance. Il s'est en effet seulement écoulé un an
entre le dépôt du texte par le Gouvernement, le 29 juin 2005 et son adoption définitive le 13 juin 2006. Seuls
deux jours de séance dans chaque chambre ont été nécessaires à son adoption en première lecture, puis une
nuit à l'Assemblée nationale pour l'adoption définitive.

Appréciation. Les arguments contre le recours aux ordonnances pèsent et l'on comprend donc parfaitement
les réserves émises par les parlementaires. Et pourtant... l'on percevait tout aussi parfaitement que si la réforme
n'était pas engagée par la voie d'ordonnances, elle ne le serait sans doute pas avant longtemps. Un précédent
pouvait être convoqué pour s'en convaincre : le Parlement n'avait pas voulu laisser au Gouvernement le soin
de légiférer par voies d'ordonnances sur les sûretés personnelles en 2005 ; cette matière n'est aujourd'hui
toujours pas réformée, alors que chacun est convaincu de la nécessité de cette réforme. C'est finalement le
même péril qui menaçait le droit des obligations : faute d'être faite maintenant, la réforme serait repoussée aux
Calendes grecques, et redeviendrait l'Arlésienne du droit privé. Dépassant les susceptibilités, même si elles
sont légitimes, le vrai débat ne devait-il pas porter sur la qualité de la réforme envisagée plutôt que sur ses
modalités ? Il est clair que ni le Parlement ni le Gouvernement n'ont le monopole du « beau droit » et que l'un
et l'autre sont capables d'accoucher de textes merveilleux comme de textes abominables. Seul le contenu de
la réforme devrait permettre de savoir si elle est souhaitable, quelles que soient les voies employées.

- La loi du 16 février 2015. De fait, en dépit des réserves émises, la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 a
habilité le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance pour moderniser le droit des contrats.

- La publication du projet d'ordonnance et la « démocratie directe ». Le 25 février 2015, le Ministère


de la Justice a publié sur son site internet un projet d'ordonnance en invitant toute personne intéressée
à faire des observations ou des remarques sur son contenu. Les très nombreuses remontées (Cour de
Cassation, Association Capitant, CCIP, Ordre des avocats, universitaires, MEDEF...) ont ainsi atténué les
critiques relatives au caractère peu démocratique du texte.

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- La publication de l'ordonnance. Le 10 février 2016, l'Ordonnance a été publiée, accompagnée d'un Rapport
fait au Président de la République qui explique la portée et le sens de chaque article (P. Puig, "L'autorité des
rapports relatifs aux ordonnances", RTD. civ. 2017, p. 84).

- La ratification de l'ordonnance. Le gouvernement a déposé en juin 2017 un projet de loi de ratification


de l'ordonnnance devant le Sénat. Il visait à rafifier purement et simplement l'ordonnance. Cette ratification «
sèche » ménageait au mieux la sécurité juridique en évitant d'épineux problèmes d'application de la loi dans
le temps (N. Molfessis, "Pour une ratification sèche de l'ordonnnance du 10 février 2016", JCP G 2017, 1045).
Les chambres ont cependant considéré que certaines modifications devaient être faites à l'occasion de la
ratification de l'ordonnnance. De nombreux articles ont de ce fait été modifiés par la loi du 20 avril 2018, posant
ainsi des difficultés pour savoir comment l'ordonnance et la loi de ratification allaient s'appliquer dans le temps
(cf. infra).

Bibliographie : F. Chénedé, "Interprétation et amélioration du nouveau droit des contrats", D. 2017, p. 2214 ;
M. Mekki, "La loi de ratification de l'ordonnance du 10 février 2016, Une réforme de la réforme ?", D. 2018,
p. 900 ; A. Tadros, "La ratification de l'ordonnance de réforme du droit des contrats : quelques incidences sur
la pratique des affaires", D. 2018, p. 1162 ; A. Bénabent, "Application dans le temps de la loi de ratification
de la réforme des contrats", D. 2018, p. 1024 ; D. Mazeaud, "Quelques mots sur la réforme de la réforme du
droit des contrats", D. 2018, p. 912 ; Th. Revet, "L'incohérent cantonnement, par l'Assemblée nationale, du
domaine du contrat d'adhésion aux contrats de masse", D. 2018, p. 124 ; O. Deshayes, Th. Génicon et Y.-M.
Laithier, "Ratification de l'ordonnance portant réforme du droit des contrats", JCP G 2018, 529.

En savoir plus : Quelle est la valeur juridique de l'ordonnance ?


L'article 38 alinea 2 de la Constitution dispose que les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication
mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date
fixée par la loi d'habilitation. L'article 27 de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 dispose que le projet de loi
devra être déposé devant le Parlement dans le délai de « six mois à compter de sa publication », soit avant
le 10 août 2016. Il est donc clair qu'il suffit que le Gouvernement « dépose » un projet de loi de ratification ; il
n'est nullement nécessaire qu'intervienne une loi de ratification ou même que le projet soit inscrit à l'ordre du
jour de la discussion parlementaire (C.E., 17 déc. 1999, n° 208623).

Il convient alors de distinguer deux hypothèses :


• si aucune loi de ratification n'intervient en dépit du dépôt d'un projet de loi, l'ordonnance entrera en vigueur
er
au 1 octobre 2016 mais conservera sa nature réglementaire. Le Conseil d'Etat sera donc seul juge du
contrôle de légalité et de constitutionnalité de l'ordonnance.
• si le projet de loi est effectivement inscrit à l'ordre du jour d'une des deux assemblées, les parlementaires
pourront modifier le texte avant de le ratifier. Le texte acquerra alors une valeur légale (C.E., 17 mai 2002,
n° 232359) avec toutes les conséquences qui en résultent, contrôle de constitutionnalité notamment.
La loi de ratification étant intervenue en avril 2018, les dispositions de l'ordonnance ont depuis son entrée en
vigueur, valeur légale.

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Section 2 : Le contenu de la réforme
- Le périmètre de la réforme : exit le droit de la responsabilité. La réforme porte sur le droit des contrats,
le régime général et la preuve des obligations. On remarquera immédiatement que le droit de la responsabilité
n'est pas impacté par la réforme (un projet d'ordonnance est cependant déjà sur les rails). Ce « saucissonnage
» nuit sans doute à une vision globale et cohérente du droit des obligations. Elle ne l'interdit cependant pas
tant il est évident que la réforme de la responsabilité à intervenir aura à tenir compte de la réforme du droit
des contrats déjà entrée en vigueur.

- La forme. En la forme, les 286 articles (dont certains se déclinent en -1, -2...) sont rédigés en termes clairs et
concis. Ils sont accompagnés d'un dense Rapport fait au Président de la République, dont il faudra déterminer
la portée normative. Ils conduisent à la disparition de quelques article symboliques (1134, 1165, 1184...).

- Le fond. Au fond, le Rapport fait au Président de la République explique qu'il « est apparu nécessaire,
conformément au vœu émis non seulement par la doctrine, mais également par de nombreux praticiens du
droit, non pas de refondre totalement le droit des contrats et des obligations, mais de le moderniser, pour
faciliter son accessibilité et sa lisibilité, tout en conservant l'esprit du code civil, à la fois favorable à un
consensualisme propice aux échanges économiques et protecteur des plus faibles ».

L'ambition de la réforme n'est donc pas d'être une simple compilation des évolutions déjà réalisées par
la jurisprudence ou la doctrine ; elle se veut aussi innovation (Ce dosage entre compilation et innovation
est présent depuis l'Avant-Projet Catala, voir R. Cabrillac, Réforme du droit des contrats : modification ou
compilation ?, RDC 2006, p. 25). Elle réalise ainsi un subtil équilibre entre la consécration de solutions
jurisprudentielles acquises et la création de règles nouvelles. Il y a donc dans la réforme du droit des contrats
des rénovations et des innovations.
• Les rénovations consistent dans la prise en compte des nombreuses avancées doctrinales ou
jurisprudentielles depuis près de deux cents ans. Comme l'a écrit Denis Mazeaud, la coproduction du droit
des obligations par la jurisprudence, la doctrine et la pratique se trouvera parachevée par la codification
des solutions dégagées (D. Mazeaud, "Droit des contrats : réforme à l'horizon", D. 2014, p. 291, n° 3).
Ces parachèvement sont légions : consécration de la distinction entre les nullités absolue et relative,
de la la notion de caducité, description du transfert de la propriété et des risques, de la durée des
contrats ... Au-delà, on voit poindre de nouveaux standarts qui, peu à peu, irrigueront la matière (M.
Lagelée-Heymann, "Le raisonnable dans le nouveau droit des contrats", RDC 2018, p. 473 ; A. Bénabent,
"Les nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant", RDC 2018, p. 503 ; D. Houtcieff, "L'étendue des
nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant", RDC 2018, p. 505 ; J.-F. Hamelin, "L'exercice des
nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant", RDC 2018, p. 514 ; J. Heinich, "Le contrôle des nouveaux
pouvoirs unilatéraux du contractant", RDC 2018, p. 521 ; L. Aynès, "Synthèse", RDC 2018, p. 528 ; S.
Lequette, "La notion de contrat. Réflexions à la lumière de la réforme du droit commun des contrats ?",
RTD. civ. 2018, p. 541).
• Les innovations sont plus visibles et tout aussi nombreuses : effacement de la cause derrière ses
applications et ses fonctions, consécration de la clause abusive ou d'un devoir général d'information,
prohibition des clauses privant de sa substance l'obligation essentielle du débiteur, consécration de
la violence économique et de l'abus de faiblesse, réduction du prix en cas d'exécution imparfaite du
contrat ...
La réforme envisagée est donc d'envergure : elle opère des choix et des arbitrages. Mais ces arbitrages sont
relatifs et précaires. En effet, l'encre de la loi sera à peine fraîche que les textes s'offriront à l'interprétation
de la Cour de cassation.

En savoir plus : Quelle évolution pour le droit des contrats ? Est-il possible de décrire l'évolution du
droit des contrats en France ?
La première impression ressentie par celui qui se pose cette question est, globalement, celle d'une absence
d'évolution, d'un grand immobilisme : n'applique-t-on pas en France, en 2016, des textes qui ont été écrits
en 1804 ? Ce sentiment d'immobilisme est encore plus prononcé lorsque l'on prend conscience que lesdits

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textes sont eux-mêmes la reprise d'adages ou de maximes qui s'appliquaient, il y a près de deux mille ans,
à Rome. N'est-ce pas le cas des anciens articles 1134 et 1165 du Code civil reprenant respectivement les
maximes « pacta sunt servanda » et « res inter alios acta neque nocere neque prodesse potest » ? A vrai
dire, cet enracinement du droit des obligations dans le droit romain lui procure une grande cohérence et un
subtil équilibre (Ph. Malaurie, Droit romain des obligations et droit français d'aujourd'hui, JCP 2000, éd. G, I,
ère
246 ; J.-P. Lévy, A. Castaldo, Histoire du droit civil, Dalloz, 1 éd. 2002, n° 436, p. 643 et s.)... mais il ne
s'oppose en rien à certaines évolutions.

L'évolution du droit des obligations se fait selon la technique des petits pas : contrairement à d'autres branches
du droit, il n'y a pas de grandes révolutions. Par exemple, le droit de la famille est guidé par la règle du
tout au rien (le divorce ou pas, le PACS ou pas, les enfants adultérins ont des droits ou non, les couples de
même sexe peuvent adopter ou pas...). Au contraire, le droit des obligations évolue au fur et à mesure, par
touches successives, presque insensibles : toutes les nuances sont possibles jusqu'au jour où l'on s'aperçoit
que le principe est tellement miné d'exceptions qu'il a disparu (voir C. Guelfucci-Thibierge, "Remarques sur
la transformation du droit des contrats", RTD civ. 1997, 357 ; M. Cabrillac, "La théorie générale du contrat et
les créations récentes de la pratique", Mélanges G. Marty, Toulouse, 1985, p. 235). Si l'on cherchait à savoir
quel facteur exerce la plus grande influence, la réponse serait sans doute différente selon que l'on se situerait
à long ou à court terme. A long terme, c'est sûrement le facteur moral qui a été le plus marquant et le principe
du consensualisme exerce encore un grand magistère. A court terme, les facteurs politiques et économiques
ème
sont évidemment plus prépondérants (Ph. Malaurie, "Le contrat à la fin du XX siècle", Mélanges Cabrillac,
p. 187 ; Ph. Jestaz, L'évolution du droit des contrats dans la loi depuis 1945, in L'évolution contemporaine du
droit des contrats, Journées Savatier 1985, p. 117 et s. ; Ph. Rémy, "Droits des contrats : questions, positions,
propositions", in Le droit contemporain des contrats, 1987, p. 271 et s. ; Ph. Malaurie, "Le droit civil français
ème
des contrats à la fin du XX siècle", Mélanges M. Cabrillac, Litec 1999, p. 187 et s. ; F. Terré, "Le contrat à
ème
la fin du XX siècle", Revue sciences morales et politiques 1995, p. 299).

Aussi, la réforme de 2016 n'est-elle pas un texte de rupture. C'est un texte qui consolide une évolution déjà
er
réalisée et fixe certaines solutions nouvelles. Mais le droit des contrats postérieur au 1 octobre 2016 n'est
pas radicalement différent de celui qui lui était antérieur.

8
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Section 3 : L'entrée en vigueur de la
réforme
- Enjeux et importance. L'entrée en vigueur de la réforme est une question essentielle : tout praticien doit
impérativement se demander à quel droit est soumis le contrat sur lequel il intervient. De la même façon, tout
étudiant doit se demander, dans le cadre d'un devoir ou d'un commentaire d'arrêt, si les textes visés sont ceux
antérieurs à la réforme, ceux issus de l'ordonnance, ou ceux issus de la loi de validation.
Remarque
er
Pour rappel : se sont succédées l'ordonnance du 10 février 2016 (qui entre en application le 1 octobre 2016)
er
et la loi du 20 avril 2018 (qui entre en application le 1 octobre 2018).
- Trois « corps de règles » applicables à trois types de contrats. Il convient de distinguer en fonction de
la date de conclusion du contrat.
• er
Si le contrat a été conclu avant le 1 octobre 2016, il est soumis au droit antérieur à la réforme. Toutefois,
l'article 9 al. 3 de l'ordonnance du 10 février 2016 dispose que les actions interrogatoires instituées par
ce texte seront applicables à ces contrats (cf. infra pour ces trois actions : une en matière de pacte de
préférence, une en matière de représentation, une en matière de nullité).
• er er
Si le contrat a été conclu entre le 1 octobre 2016 et le 1 octobre 2018, il est soumis aux textes de
l'ordonnance du 10 février 2016. Attention cependant car la loi de ratification a précisé le sens dans
lequel devaient être interprétés certains articles de l'ordonnance (Loi du 20 avril 2018, art. 16-I). Ainsi,
les articles 1112 (rupture de négociations), 1143 (violence économique et état de dépendance), 1165
(fixation du prix dans le contrat de prestation de services), 1216-3 (effets de la cession de contrat), 1217
(liste des sanctions applicables en cas d'inexécution du contrat), 1221 (exécution forcée du contrat),
1304-4 (renonciation à une condition), 1305-5 (déchéance du terme), 1327-1 (cession de dette), 1328-1
(sort des sûretés en cas de cession de dette), 1347-6 (effet de la compensation), 1352-4 (restitutions
dues à un mineur) doivent être lus en prenant en considération les modifications que leur a apportées
la loi du 20 avril 2018.
• er
Si le contrat est conclu après le 1 octobre 2018, on lui applique la loi du 20 avril 2018 et on prend en
compte les modifications que ce texte a apportées : la définition du contrat d'adhésion (C. civ ;, art. 1110),
la caducité de l'offre en cas de décès du destinataire (C. civ., art. 1117), le dol (C. civ., art. 1137), la
capacité des personnes morales (C. civ., art. 1145), les conflits d'intérêts (C. civ., art. 1161), les clauses
créant un déséquilibre significatif (C. civ., art. 1171), la réduction de prix (C. civ., art. 1123), la cession
de dette (C. civ., art. 1327), le paiement international (C. civ., art. 1343-1).

- Rôle de la jurisprudence. Le plus souvent, la jurisprudence applique strictement les règles de droit
transitoires posées par le législateur.
Exemple
ère
Cass. 1 civ., 19 septembre 2018, n° 17-24347 ; JCP G 2018, 1259, n° 1, obs. D. Houtcieff ; D. 2019, p.
279, obs. M. Mekki ; JCP E 1071, n° 1, obs. JB Seube. Une personne avait fait installer un climatiseur et avait
souscrit un contrat d 'entretien. A la suite de la modification de l'immeuble, la société chargée de l'entretien
avait envoyé un courrier comme quoi elle ne renouvellerait pas le contrat. La cliente l'avait assignée afin
d'obtenir le remboursement des frais de déplacement et la réparation du préjudice résultant de la rupture
absuive. Le juge de proximité avait rejeté ces demandes en relevant que le contrat était caduc au sens de
l'article 1186. La Cour juge « en faisant application de l'article 1186 du Code civil dans sa rédaction issu de
l'ordonnance du 10 février 2016 à un contrat dont il ressortait de ses propres constatations qu'il avait été
er
conclu avant le 1 cotobre 2016, la juridiction de procimité a violé l'article 9 de l'ordonnance ».
Cette application conduit cependant à l'application de trois corps de règles distincts, en fonction de la date
de conclusion de l'accord.

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Pour éviter cette stratification de la règle de droit, la jurisprudence a été tentée de recourir à certains
mécanismes pour appliquer, aussi vite que possible, le droit nouveau. Certaines tentatives se sont révélées
vaines, d'autres fructueuses.

- Tentatives vaines : Peut-on appliquer immédiatement le droit nouveau même aux contrats conclus avant
er
le 1 octobre 2016 ? En faveur d'une réponse positive, on fait valoir le souci d'uniformisation et la volonté
de ne pas apporter des solutions distinctes à des situations identiques. En faveur d'une réponse négative, on
souligne le souci de respecter les prévisions légitimes des contractants en laissant le contrat régi par les règles
en vigueur lors de sa conclusion : on ne change pas les règles du jeu en cours de contrat !
Techniquement, il existe deux moyens d'appliquer immédiatement une loi nouvelle aux contrats en cours :
le remier est l'ordre public, mais la réforme est supplétive de volonté ; le second est la théorie des « effets
légaux du contrat ».
Exemple
La Cour de cassation considère en effet que la loi est immédiatement applicable aux effets légaux du contrat
ème
(Cass. 3 civ., 18 févr. 2009, n° 08-13143, à propos de la révision des loyers d'un bail commercial ; Cass.
ch. mixte, 13 mars 1981, n° 80-12125 à propos de l'action directe instituée en matière de sous-traitance par la
loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975). Elle a dernièrement jugé que certains articles modifiés par la loi ALUR,
en tant qu'effets légaux du contrat, devaient s'appliquer immédiatement aux baux d'habitation en cours même
si le législateur n'avait pas expressément précisé que ces articles étaient immédiatement applicables (Cass.
ème
civ. 3 , 17 novembre 2016, n° 15-24552, RTD. civ. 2017, p. 118, obs. H. Barbier ; RDC 2017, p. 67, obs.
J.-B. Seube ; Cass. avis, 16 février 2015, n° 14-70011, D. 2015, Rapport R. Parneix et avis Y. Charpenel ; D.
2015, p. 1178, obs. N. Damas ; RTD. civ. 2015, p. 569, obs. P. Deumier).
Rapportée à la question qui nous intéresse, cela signifierait que l'ordonnance est applicable aux effets légaux
er
du contrat qui se manifestent après le 1 octobre, même si le contrat a été conclu avant cette date. Or, de
nombreuses dispositions peuvent être analysées comme des effets légaux du contrat : le transfert de propriété
(art. 1196 et s.), l'encadrement de la mise en œuvre de la clause résolutoire (art. 1225), la compensation (art.
1347 et s.), les restitutions... La loi du 20 avril 2018 a fermement condamné le recours aux effets légaux du
er
contrat en précisant que les contrats conclus avant le 1 octobre 2016 restent sousmis au droit ancien « y
compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public ».
Tentatives fructueuses. Abandonnant la tentation de recourir aux effets légaux du contrat, la jurisprudence a
privilégié un autre moyen pour éviter une trop grande cassure entre le droit ancien et le droit nouveau : ayant à
se prononcer sur des contentieux non soumis aux textes nouveaux, la Cour de cassation a appliqué les textes
anciens mais les a interprétés conformément aux dispositions nouvelles. Des revirements de jurisprudence
ont ainsi eu pour effet d'interpréter le droit ancien à la lumière des textes nouveaux. Si de tels ajustements
évitent un écart trop important entre le droit ancien et le droit nouveau, ils favorisent cependant l'insécurité
juridique pour les plaideurs.

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Exemple
L'exemple le plus significatif est sans doute un arrêt du 21 septembre 2017. Jusqu'alors, la Cour de cassation
estimait que la promesse de contrat de travail valait contrat de travail. Le salarié pouvait donc prétendre
au paiement d'indemnités pour rupture fautive du contrat si jamais l'employeur ne tenait pas sa promesse.
En l'espèce, un club de rugby avait proposé à un joueur de l'engager pour la prochiane saison puis avait,
avant que le joueur n'accepte, retiré sa proposition. Le joueur considérait qu'il s'agissait d'une promesse
de contrat de travail valant contrat de travail et réclamait donc des indemnités pour rupture abusive. La
Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en s'appropriant les nouvelles définitions tirées de
l'ordonnance : rappelant que l'ordonnance distingue l'offre de contracter et la promesse de contracter, elle
juge qu'il s'agissait d'une simple offre, laquelle peut être rétractée sous certaines conditions (Cass. soc., 21
septembre 2017, n° 16-20103 et 16-20104 ; D. 2017, p. 2007, note D. Mazeaud ; D. 2017, p. 2289, note B.
Bauduin et J. Dubarry ; JCP G 2017, 1238, note N. Molfessis ; JCP G 2017, 1269, n° 3, obs. G. Loiseau ;
RDC 2017, p. 619, obs. Ph. Chauviré). Voir pour un raisonnement similaire consistant à s'inspirer des textes
nouveaux pour opérer des revirements de jurisprudence : Cass. ch. mixte, 24 février 2017, n° 15-20411 ; JCP
G 2017, 305, avis B. Sturlèse et 306, note G. Pignarre ; JCP G 2017, 325, n° 5, obs. Y.-M. Serinet ; D. 2017,
ème
p. 793, note B. Fauvarque-Cosson ; Cass. 3 civ., 20 septembre 2017, n° 16-12906 (à propos de la nature
de nullité encourue en cas de non-respect de la loi Hoguet par un contrat d'agent immobilier).

- Situations incertaines. Malgré ces tentatives jurisprudentielles, de nombreuses situations pourront poser
des difficultés pour savoir si l'on doit appliquer le droit ancien ou le droit nouveau. La critère de la date de
conclusion du contrat s'avèrera difficile à mettre en œuvre dans de nombreuses situations :
er
Les contrats-cadres ? Quelle loi appliquera-t-on aux contrats d'application conclus après le 1 octobre 2016,
en exécution d'un contrat-cadre qui aurait été conclu avant cette date ?
er
La même question pourra être posée à propos d'un avenant, postérieur au 1 octobre 2016, qui viendrait
modifier un contrat conclu avant cette date. L'avenant est en lui-même un contrat (donc ses conditions de
validité seront soumises au droit nouveau) mais c'est bien le même contrat qui est modifié : il reste donc soumis
au droit ancien.
La même question pourra se poser lorsqu'un avant contrat (un compromis) devra être réitéré. Le contrat existe-
t-il dès le compromis ou seulement lors de la réitération ? ...

En savoir plus : Repères bibliographiques


• C. François, "Application dans le temps de la réforme et incidence sur la jurisprudence antérieure", D.
2016, p. 506 ; S. Gaudemet, "Dits et non dits sur l'application dans le temps de l'ordonnance du 10 février
2016", JCP G 2016, 559 ; D. Mainguy, "Pour l'entrée en vigueur immédiate des règles nouvelles du
droit des contrats", D. 2016, p. 1762 ; J.-B. Seube, "Dispositions transitoires : l'ordonnance du 10 février
2016 a-t-elle tout prévu ?", in Ce que change la réforme du droit des obligations, dir. J.-B. Seube, Ed.
Législatives 2016, p. 285 ; A. Bénabent, "Application dans le temps de la loi de ratification de la réforme
des contrats", D. 2018, p. 1024 ; J.-B. Seube, "Les dispositions transitoires de la loi du 20 avril 2018",
Rép. Defrénois, n° 20-21/2018, p. 19).
• N. Bareït, "Le dernier mot, à propos de la nouvelle rédaction de l'article 9 al. 2 de l'ordonnance du 10
février 2016", RDC 2018, p. 470 (sur les effets légaux du contrat) ; D. Mainguy, "L'étrange rétroactivité
de la survie de la loi ancienne – A propos de la ratification de la réforme du droit des contrats", JCP
G 2018, 964.
• Sur la loi de validation : A. Tadros, "La ratification de l'ordonnance de réforme du droit des contrats :
quelques incidences sur la pratique du droit des affaires", D. 2018, p. 1162 ; T. Andrieu et M.-C. Dreux,
"La réforme du droit des contrats ratifiée : la cohérence et la sécurité juridique préservées", Gaz. Pal. 30
avr. 2018, p. 13. ; O. Dehayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, "Ratification de l'ordonnance portant réforme
du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations", JCP G 2018, doct., 529 ; D.
Mazeaud, "Quelques mots sur la réforme du droit des contrats", D. 2018, p. 912.

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Section 4 : La présentation du cours : le
droit des contrats
- Périmètre de l'enseignement. Cet enseignement ne porte que sur le droit du contrat, qui est une partie
seulement du droit des obligations. Il convient en effet d'être attentif à la structure du Code civil et de relever
que le livre III contient plusieurs titres dont :

Titre III : des sources des obligations


ST 1: le contrat
ST 2 : la responsabilité extra-contractuelle
ST 3 : les autres sources d'obligations
Titre IV : Du régime général des obligations
Titre IV bis : De la preuve des obligations

Ce cours ne porte donc que sur le contrat. Il ne porte ni sur la responsabilité extra-contractuelle (cf. cours
UNJF sur La responsabilité civile : le délit et le quasi-délit du Professeur Delebecque), ni sur le régime général
des obligations (cf. cours UNJF sur le Régime général des obligations de Patrick Barban), ni sur la preuve des
obligations (cf. cours UNJF d'Introduction au droit d'Eléonore Cadou). En dépit de ses divisions pédagogiques,
le droit des obligations présente une grande homogénéité.

On précisera donc la définition de l'obligation (§1), l'importance du droit des obligations (§2), et à la diversité
des obligations (§3).

§1 : La définition de l'obligation
- Absence de définition dans le Code civil. L'article 1100 évoque la naissance de l'obligation, mais n'en
donne pas de définition.

Le terme « obligation » reçoit, dans le langage courant, de très nombreuses acceptions. Ainsi, est souvent
qualifié d'obligation le comportement attendu de certaines personnes : les étudiants sont « obligés » d'aller
en TD alors que leur présence aux cours reste facultative ; les jeunes gens, fille ou garçon, ont « l'obligation »
de faire leur journée d'instruction militaire ; les conducteurs ont l'« obligation », en France, de rouler à droite...

Toutes ces hypothèses ne sont pourtant pas, pour les civilistes, des obligations puisqu'elles n'ont pas de
créancier proprement dit. Le terme « obligation » doit donc être entendu dans un sens plus restrictif :
l'obligation est un lien de droit (vinculum juris) unissant deux personnes et en vertu duquel l'une (le créancier,
sujet actif) est en droit d'exiger quelque chose de l'autre (le débiteur, sujet passif).

§2 : L'importance du droit des obligations


- L'omniprésence du droit des obligations. L'obligation occupe dans tous les systèmes juridiques une place
prépondérante: le droit des obligations est ainsi au cœur du droit civil et les étudiants doivent être persuadés
que l'enseignement qui leur sera, en cette matière, délivré est la pierre angulaire de toutes les connaissances
qu'ils pourront, par la suite, acquérir. On peut donner de très nombreux exemples de l'omniprésence du droit
des obligations.
• Droit de la famille et droit des obligations. Le Pacs et le mariage donnent naissance à des obligations
entre les partenaires et les époux (voir la décision du Conseil constitutionnel du 16 novembre 1999 selon
lequel les anciens articles 1108 et suivants s'appliquent au Pacs ; voir la jurisprudence Berthon et la
distinction entre l'erreur dans la personne et sur les qualités essentielles de la personne). Dans le même

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ordre d'idées, les régimes matrimoniaux (règles qui organisent les rapports pécuniaires entre époux) et
le droit des successions se nourrissent de droit des obligations.
• Droit des affaires et droit des obligations. Le cautionnement, les procédures collectives, le droit
bancaire, le droit de la consommation, le droit de la concurrence, le droit boursier... sont des
prolongements du droit des obligations. Une solide connaissance du droit des obligations est donc
primordiale pour aborder ces disciplines.
• Droit social et droit des obligations. Le droit du travail emprunte lui aussi largement au droit des
obligations. Le contrat de travail est avant tout un contrat : en tant que tel il est soumis aux règles
générales qui sont l'objet des articles 1101 et suivants (par exemple : appliquant le dol à un contrat de
travail : Cass. soc., 30 mars 1999, JCP 1999, éd. G, II, 10195, note J. Mouly). Allant plus loin et relevant
que le contrat de travail est souvent un contrat déséquilibré entre un fort (l'employeur) et un faible (le
salarié), certains auteurs se demandent si le contrat de travail n'est pas un modèle pour les contrats civils
(P.-Y. Verkindt, Le contrat de travail, Modèle ou anti-modèle du droit civil des contrats, in La nouvelle
crise du contrat, Dalloz 2003, p. 197).
- L'explication de cette omniprésence. Deux explications peuvent être données à l'importance du droit des
obligations : l'une historique, l'autre ontologique.
• D'abord, le droit des obligations, puisant ses racines dans la Rome antique, est sans doute le plus achevé.
Au fil des siècles, il a acquis une cohérence et une finesse que bien des branches du droit peuvent lui
envier. Le droit des obligations peut ainsi être comparé à un tronc duquel partent des branches. Mais les
branches se nourrissent de la sève nourricière qui monte du tronc.
• Ensuite, on fait valoir que le droit des obligations se singularise par son caractère abstrait et logique.
Ainsi, R. Saleilles écrivait que « dans toute œuvre législative, la matière des obligations constitue une
partie presque essentiellement théorique et abstraite. Elle tend à se présenter dans les législations
modernes comme l'expression idéale de la logique juridique » (R. Saleilles, Etude sur la théorie générale
de l'obligation d'après le premier projet de Code civil pour l'empire allemand, 1889, n° 1, p. 1). Cette
opinion doit être nuancée : certes le droit des obligations est un vaste puzzle dominé par une théorie et
une logique mais il est plus que cela. Plus qu'une technique, sèche et aride, il se nourrit de l'économie,
de la morale et de la politique.

En savoir plus : L'influence des considérations politiques ou économiques sur le contrat...


L'influence de l'économie sur le contrat a fait couler beaucoup d'encre (par exemple, G. Ripert, "L'ordre
économique et la liberté contractuelle", Etudes F. Gény, LGDJ, t. II, p. 347 et s. ; J. Hémard, "L'économie
dirigée et les contrats commerciaux", Etudes G. Ripert, LGDJ, 1950, t.II, p. 341 ; Berlioz-Houin, "L'influence de
l'évolution économique sur le droit des contrats", Mélanges Houin, Dalloz, 1985 ; J. Hauser, "Les apports du
droit économique à la théorie générale de l'acte juridique", Mélanges J. Derrupé, 1991, Litec, p. 1 ; Lamethe,
"Mondialisation et uniformisation des pratiques contractuelles", Mélanges D. Tallon, Soc. législ. comp. 1999,
p. 303 ; N. Decoopman, "Droit du marché et droit des obligations", in Le renouvellement des sources du
droit des obligations, Journées H. Capitant 1999, p. 141 et s. ; Contrat et Marché, RDC 2006, p. 1317 ; E.
Claudel, "Droits des contrats et droit de la concurrence", RTD com. 1999, p. 291). On peut en donner de
nombreux exemples. De grandes innovations ont permis, dans les années 60, de prendre en compte l'instabilité
monétaire : le nominalisme monétaire voulait en effet que 1 franc de 1804 corresponde à 1 franc de 1840 ;
le système n'était guère gênant en période de stabilité ; dès que les cours des monnaies sont devenus de
plus en plus fluctuants, le législateur a réformé le droit des obligations pour autoriser l'insertion dans le contrat
des clauses d'indexation. De même, les métamorphoses économiques conduisent à des évolutions du droit
des contrats : l'essor de la grande distribution, l'essor du consumérisme marquent évidemment le droit des
contrats (développement des conditions générales de vente, des contrats-types, des contrats d'adhésion...).
Enfin, la difficulté contemporaine à trouver un emploi justifie, sans doute, un contrôle plus strict de la clause
de non concurrence : il faut qu'elle soit limitée dans le temps et l'espace, conforme à l'intérêt de l'entreprise,
assortie d'une contrepartie financière dans le contrat de travail.

L'influence politique est plus discrète car le législateur n'aime guère afficher ses convictions politiques au
frontispice des lois. Cependant, le droit du bail et les nombreuses réformes qui l'ont affecté (1982, 1986, 1989)
offrent une illustration saisissante des conséquences de l'alternance politique sur les contrats. La réforme du
droit des obligations intervenue le 11 février 2016 affiche ainsi l'objectif de « conserver l'esprit du Code civil,

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à la fois favorable à un consensualisme propice aux échanges économiques et protecteur des plus faibles
» (Rapport fait au Président de la République, JO, 11 février 2016).

§3 : La diversité des obligations


- Plan. Le Code civil traite des obligations (A). Parmi les sources de celles-ci, le contrat (B) occupe une place
particulière.

A - Les critères de classement des obligations


- Le juriste est un entomologiste. Le juriste a la maladie des classifications. Il est comparable à un
entomologiste qui passe sa vie à classer ses papillons par couleurs, par formes, par familles... (J. Huet, Des
distinctions entre les obligations, RDC 2006, p. 89 ; C. Brenner, Sources des obligations dans le Code civil
rénové, JCP G 2016, 524). Le code civil propose une distinction reposant sur le critère de la source des
obligations (1), mais il en existe d'autres qui, quoique moins importantes, doivent cependant être évoquées (2).

1. Le critère principal : la source de l'obligation


- Nécessité d'une remise en ordre. « Si l'on songe que l'homme peut être obligé aussi bien pour avoir apposé
sa signature au bas d'un papier que pour n'avoir pas, au volant de sa voiture, appuyé sur le frein, on se dit
que les sources des obligations sont fort dissemblables et qu'une mise en ordre est utile » (J. Carbonnier, Les
obligations, PUF, n° 11).
L'article 1100 du Code civil dispose à cet effet que :« les obligations naissent d'actes juridiques, de faits
juridiques, ou de l'autorité seule de la loi. Elles peuvent naître de l'exécution volontaire ou de la promesse
d'exécution d'un devoir de conscience envers autrui ».Cet article a pour effet de clarifier la distinction entre
les actes juridiques et les faits juridiques qui, auparavant, ne reposait que sur les intitulés du Code civil
(les « contrats et les obligations conventionnelles en général » était l'intitulé du Titre III du Livre III et « les
engagements qui se forment sans convention » celui du Titre IV du Livre III). Il ajoute aussi à cette distinction
la loi et l'exécution d'un devoir de conscience.

- Les actes juridiques sont définis par l'article 1100-1 comme :


« des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou
unilatéraux . Ils obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent
les contrats ».
L'acte juridique est donc un acte volontaire, spécialement accompli, dans les conditions du droit objectif, en
vue de produire des effets de droit, dont la nature et la mesure sont elles-mêmes voulues : un contrat de vente,
de bail, d'entreprise... Mais les actes juridiques sont une famille plus large que les contrats. Par exemple, un
testament est un acte juridique unilatéral mais n'est pas un contrat.

En savoir plus : Quel changement d'avec le droit antérieur ?


L'ancien article 1101 du Code civil disposait que « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs
personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire, ou à ne pas faire quelque chose ». Cette
définition était doublement critiquée. D'une part, elle laissait dans l'ombre les engagements non-bilatéraux.
On faisait certes valoir que la convention étant le genre et le contrat l'espèce, le Code civil réservait sans
doute la possibilité d'engagements non-bilatéraux. L'identification de leur régime juridique restait cependant
délicate puisque le Code civil ne s'intéressait en réalité qu'au contrat. D'autre part, en faisant du contrat un acte
créateur d'obligations (« ... par laquelle ... les parties s'obligent à ... »), la définition de l'article 1101 passait
sous silence les actes non créateurs d'obligations comme ceux qui, par exemple, modifient, transfèrent ou
éteignent une obligation préexistante. Le nouvel article 1100-1 atténue ces deux critiques. En précisant que les

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actes juridiques sont des « manifestations de volonté destinés à produire des effets de droit », le texte englobe
nécessairement les actes créateurs, modificatifs ou extinctifs d'obligation ; en précisant que les actes juridiques
« peuvent être conventionnels ou unilatéraux », il consacre l'originalité des actes juridiques unilatéraux qui
obéissent, « en tant que de raison », aux règles qui gouvernent les contrats. Le rapport fait au Président
de la République précise, à propos de cette incise, que les règles qui gouvernent le contrat s'appliqueront
« dans la mesure où ces règles ont du sens pour ces catégories d'actes ». La formule reste assez creuse.
Malgré ces améliorations, on peut tout de même regretter la timidité de l'ordonnance à l'égard de l'engagement
unilatéral de volonté. Hormis le cas de l'offre de contracter (cf. infra) et de la mutation de l'obligation naturelle
en obligation civile (cf. infra), le texte reste en effet taisant sur les manifestations unilatérales de volonté qui
sont pourtant de plus en plus fréquentes en pratique. Voici par exemple une personne morale qui, à grand
renfort d'affirmations publiques, s'engage à certaines choses et prend certains engagements : est-elle tenue ?
comment les tiers peuvent-ils marquer la confiance qu'ils placent en ses propos ? Le droit français reste encore
largement silencieux sur les conditions d'extériorisation de la volonté unilatérale et la façon dont elle peut être
reçue par les tiers. De la même façon, rien n'est dit sur les contrats collectifs ou les actes multilatéraux dont
les conventions collectives offrent pourtant de fréquentes illustrations pratiques.

- Les faits juridiques sont définis à l'article 1100-2 comme :


« des agissements ou des évènements auxquels la loi attache des effets de droit. Les obligations qui naissent
d'un fait juridique sont régies, selon le cas, par le sous-titre relatif à la responsabilité extracontractuelle ou le
sous-titre relatif aux autre sources d'obligations ».
Le fait juridique est donc un événement qui, volontaire ou non, produit des effets de droit indépendamment de
la volonté des individus : du bruit qui dérange les voisins, un accident de la circulation, un chien qui mord un
facteur... La diversité caractérise les faits juridiques.

- La loi peut encore donner naissance à une obligation. Devoir légal d'information (cf. infra), garantie légale des
vices cachés (cf. cours de contrats spéciaux), quasi-contrats (cf. cours de responsabilité extracontractuelle)...
sont des illustrations d'obligations ayant une origine légale.

- L'obligation naturelle. En visant les obligations qui naissent de « l'exécution volontaire ou de la promesse
d'exécution d'un devoir de conscience envers autrui », le Code civil consacre les obligations naturelles dont
le régime avait été bâti par la jurisprudence : en principe non susceptibles d'exécution forcée, les obligations
naturelles se transforment en obligations civiles (c'est-à-dire assorties d'une sanction) dès lors que le débiteur
prend l'engagement de les exécuter ou commence à le faire. Quant à la qualification de l'obligation naturelle,
la référence au devoir de conscience envers autrui est un emprunt à la jurisprudence, qui emploie cette
expression depuis les années 1960. Quant à la mutation de l'obligation naturelle en obligation civile, elle repose
sur l'exécution volontaire de l'obligation naturelle ou sur la promesse de l'exécuter. Les juges du fond auront
donc à apprécier souverainement, comme ils le font déjà, si l'engagement ou la promesse d'exécution était
suffisamment réfléchi et dépourvu d'équivoque.
Exemple
ère
Cass. civ. 1 , 4 janvier 2005, n° 02-18.904, pour un exemple d'engagement retenu en matière de succession ;
ère
Cass. civ. 1 , 17 octobre 2012, n° 11-20.124, pour un exemple d'engagement écarté en matière de réparation
d'un dommage.

2. Les autres critères


- Plan. On peut aussi classer les obligations selon leur objet ou leur intensité.

- Classification des obligations selon leur objet : Obligations de donner, de faire, et de ne pas faire.
Avant la réforme du 10 février 2016, l'article 1101 du Code civil disposait que le contrat est « une convention
par laquelle une ou plusieurs personnes s'engagent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne
pas faire quelque chose ». Il posait donc une distinction reposant sur l'objet de l'obligation.
• L'obligation de donner était celle de transférer la propriété, peu important que ce transfert s'opère à titre
gratuit ou à titre onéreux (étymologiquement de dare, transférer à ne pas confondre avec donare, donner).

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Cette obligation de donner restait assez énigmatique, puisque dans bien des cas, on avait du mal à
identifier sa teneur : ainsi, dans la vente, le transfert de propriété opère dès qu'il y a accord sur la chose
et sur le prix ; même si la propriété est retardée, le transfert opérera dès le paiement du prix (CRP) ou
l'individualisation (vente de choses de genre). Ainsi, le transfert opère le plus souvent indépendamment
de la volonté des parties. Il y avait donc deux conceptions qui s'opposaient. Pour les uns, l'obligation de
donner n'existait pas : elle n'était qu'un effet légal de certains contrats qui étaient, par nature, translatifs
de propriété. Cette analyse contrevenait directement à l'article 1101. Aussi, pour les autres, l'obligation
de donner existait bel et bien mais, dès qu'elle était née née, elle était exécutée (Voir sur ces thèmes,
J. Ghestin, "Réflexions d'un civiliste sur la clause de réserve de propriété", D. 1981, chron., p. 1 ; M.
Fabre-Magnan, "Le mythe de l'obligation de donner", RTD. Civ. 1995, p.... ; J. Huet, "Des différentes
sortes d'obligations et, plus particulièrement, de l'obligation de donner, la mal nommée, la mal aimée",
Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 425 ; J.-P. Chazal, S. Vicente, "Le transfert de propriété par l'effet
des obligations dans le code civil", RTD civ. 2000, 477 ; A.-S. Courdier-Cuisinier, "Nouvel éclairage sur
l'énigme de l'obligation de donner", RTD civ. 2005, p. 521).
• L'obligation de faire est celle qui astreint le débiteur à un fait positif (construire, transporter, mettre à
disposition...) ; celle de ne pas faire est celle qui lui enjoint de s'abstenir de certains actes (ne pas
concurrencer, ne pas travailler...).
Le principal intérêt de la distinction résidait dans l'ancien article 1142 du Code civil « toute obligation de faire et
de ne pas faire se résout en dommages-intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur » (Nemo praecise
potest cogi ad factum, nul ne peut être contraint à faire quelque chose). Ainsi, on pouvait contraindre le débiteur
d'une obligation de donner à l'exécuter en nature. Par exemple, si le vendeur refusait de transférer la propriété
du bien vendu, il pouvait y être contraint. En revanche, on ne pouvait pas contraindre le débiteur à faire ou à
ne pas faire quelque chose contre sa volonté.
Exemple
Par exemple, le peintre qui ne réalisait pas le tableau promis ne pouvait pas y être contraint ; de même,
l'employeur ne pouvait être contraint de réintégrer le salarié qu'il avait abusivement licencié (Cass. mixte,
21 juin 1974, D. 1974, 593, concl. Touffait). La solution s'expliquait par un souci de respecter la liberté des
personnes. Elle connaissait cependant des nombreuses atténuations, ce qui a conduit la réforme du 10 février
2016 à abandonner la distinction (cf. infra sur le transfert de propriété et sur l'exécution en nature ou par
équivalent).
- Classification des obligations selon leur intensité : obligations de moyens et de résultat. Découverte
par Demogue, cette distinction repose sur l'intensité de l'obligation. Dans certains cas, l'objet de l'obligation
est strictement déterminé ; le débiteur est tenu d'obtenir un certain résultat et le simple fait que ce résultat
n'ait pas été atteint montre que l'obligation n'a pas été exécutée. Tel est le cas du transporteur aérien qui doit
conduire sains et saufs ses passagers à destination. Dans d'autres cas, le débiteur n'est tenu que d'employer
les meilleurs moyens possibles, avec le maximum de prudence et de diligence, en vue d'obtenir tel résultat,
mais sans pouvoir le garantir : tel est le cas du médecin qui ne garantit évidemment pas la guérison mais qui
s'oblige à mettre en œuvre tous les moyens que lui offre la science médicale. Le simple fait que la guérison
n'ait pas été obtenue ne suffit pas à prouver l'inexécution ; ce sera au patient à démontrer que le praticien n'a
pas mis en œuvre tous les moyens requis.

L'intérêt de la distinction repose donc sur la mise en œuvre de la responsabilité du débiteur : seule la force
majeure exonérera le débiteur d'une obligation de résultat ; en revanche, le créancier devra démontrer que le
débiteur n'a pas mis en œuvre tous les moyens nécessaires s'il n'était tenu que d'une obligation de moyen. On
exprime souvent cette distinction en disant que la faute est présumée dans l'obligation de résultat mais qu'elle
doit être prouvée dans l'obligation de moyen. La formule, trop schématique, peut être affinée (cf. infra).

La distinction est de plus en critiquée. La raison vient du fait que la jurisprudence fait parfois preuve de subtilité
excessive et sombre dans des sous-distinctions byzantines. Entre les deux pôles obligations de résultat et
obligations de moyens, on a vu se dessiner les obligations de moyens renforcés et les obligations de résultat
allégées. Il est évident que trop de nuances nuisent à une bonne compréhension.

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Exemple
Par exemple, à propos de l'intensité de l'obligation pesant sur celui qui doit restituer la chose dans le cadre
ère
d'un contrat de prêt à usage, Cass. civ. 1 , 12 décembre et 6 novembre 2002, RDC 2003, n° 1, obs. J.-
B. Seube.

B - Le contrat
- Définition. Le contrat est un acte juridique (cf. supra).

Sa définition est donnée par le nouvel article 1101 : « Le contrat est un accord de volontés entre deux ou
plusieurs destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».
Cette définition modernise l'ancien article 1101 du Code civil en lui apportant deux modifications bienvenues.

D'une part, le contrat n'est plus seulement un acte créateur d'obligations, ainsi que le laissait entendre l'ancien
article 1101. Il peut également modifier, transmettre ou éteindre des obligations. Les accords de volonté par
lesquels les parties réalisent de telles opérations ont désormais une nature contractuelle : avenant, cession
de contrat, accord d'annulation conventionnelle...

D'autre part, le texte met fin à la trilogie classique obligation de donner, de faire ou de ne pas faire (cf. supra).
Cette trilogie avait bien peu d'échos pratiques : d'abord, de nombreux auteurs militaient pour l'émergence
des obligations consistant en un transfert de jouissance ou en une mise à disposition d'un bien ; ensuite, la
ème
jurisprudence avait admis que les obligations de faire s'offraient à l'exécution en nature (Cass. 3 civ., 11
mai 2005, n° 03-21.136), niant ainsi l'originalité que l'ancien article 1142 leur conférait. En abandonnant toute
référence à cette trilogie, l'ordonnance recentre la définition du contrat sur sa nature (accord de volonté) et ses
effets (créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations).

En savoir plus : Les succès du contrat...


On écrit souvent que l'un des traits de notre société serait de substituer l'entente à la contrainte. Ainsi, le
législateur n'imposerait plus un modèle, il favoriserait l'accord des intéressés. Le contrat conquiert alors de
nouveaux terrains. Après le Plan d'aide au retour à l'emploi (PARE) qui rappelait aux chômeurs leurs obligations
à travers un « contrat » (J. Rochfeld, RDC 2005, p. 257 ; RTD civ. 2004, p. 594, obs. R. Encinas de Munagorri),
le contrat de responsabilité parentale a vu le jour (J. Rochfeld, RDC 2006, p. 665 ; F. Rolin, ibid, p. 849). Il s'agit
d'un contrat conclu entre les parents détenteurs de l'autorité parentale d'un mineur et le Président du Conseil
Général rappelant aux premiers leurs obligations et la possibilité de suspendre le versement des allocations.
Le contrat est donc utilisé pour « contractualiser » des obligations préexistantes. Dans la même lignée, le
contrat d'accueil et d'intégration est conclu par un étranger admis au séjour en France avec l'Etat : il s'oblige à
suivre une formation sur les droits et devoirs des parents en France ainsi qu'à respecter l'obligation scolaire.
De son côté, l'Etat s'engage à lui fournir différents éléments favorisant son intégration (RDC 2008, p. 193, obs.
J. Rochfeld). Certains auteurs considèrent qu'il y a alors bel et bien un accord ; d'autres estiment que le propre
du contrat étant de créer une norme nouvelle, il n'y a aucun contrat en l'espèce. J. Rochfeld pense quant à elle
que le débat est ailleurs est qu'une nouvelle fonction du contrat est en train d'éclore : le contrat pédagogique.

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