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ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES 1501

ÉTUDE PROPRIÉTÉ COMMERCIALE

BAIL COMMERCIAL

L’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 a suspendu les actions et sanctions


pour non-paiement des loyers et charges en matière de baux commerciaux et
professionnels. Ce texte a suscité et continue de susciter beaucoup de commen-
taires et d’interrogations. Un an après l’adoption de ce dispositif d’exception, il
nous a paru utile d’en dresser l’état - et de tenter de répondre à certaines des
questions qu’il soulève.
1501

Suspension des actions


et des sanctions pour
non-paiement des
loyers et charges
L’article 14 de la loi du
14 novembre 2020 : un
provisoire qui s’éternise…

L
Alain Confino est avocat à la cour d’appel de
Paris, spécialiste en droit immobilier (Cabinet
Étude rédigée par Alain Confino Confino) ; Bastien Brignon est maître de confé-
et Bastien Brignon rences HDR à Aix-Marseille université, membre
du centre de droit économique (UR 4224),
avocat à la cour d’appel d’Aix-en-Provence

1 - Le Président l’avait annoncée le 16 mars 2020 dans la


précipitation et l’émoi des circonstances, mais le Gou-
vernement avait dû y renoncer : la suspension de l’exi-
gibilité et, a fortiori, l’annulation des loyers et charges
des commerces impactés par le premier confinement ne
pouvaient être décrétées de façon autoritaire, sous peine
d’inconstitutionnalité.

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2 - C’est donc de façon indirecte que l’exécutif a procédé par les de distanciation sociale, nouvelles restrictions de déplacements,
premières ordonnances : en décidant, d’une part, pour toutes port du masque obligatoire, quarantaine, contrôle des prix de
les entreprises, la suspension des sanctions pour non-paiement certains produits, etc.
de tous les loyers (hors charges) pendant la période juridique-
ment protégée instituée à compter du 12 mars 20201, en interdi- 7 - Un mois plus tard, face au regain de l’épidémie et à l’appa-
sant, d’autre part, toutes sanctions contre les locataires exploi- rition de nouveaux variants encore plus virulents, était pro-
tant des établissements « non essentiels » et éligibles au fonds de mulguée la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 20206 fixant au
solidarité2 en cas de non-paiement des loyers et charges échus 16 février 2021 la fin de l’état d’urgence sanitaire, prorogeant au
entre le 15 mars 2020 et le 11 septembre 2020. 1er avril 2021 la durée pendant laquelle le Premier ministre était
autorisé à prendre de nouvelles mesures de gestion de la crise,
3 - La fin de cette période juridiquement protégée fut fixée au et adoptant de nouvelles dispositions exceptionnelles (ci-après
23 juin 2020. Et, heureusement, un certain recul du virus per- la « loi »).
mettait d’annoncer la fin de l’état d’urgence sanitaire au 10 juil-
let 2020. 8 - Parmi ces dernières, l’article 14 de la loi édictait, pour cer-
taines entreprises qui répondraient à des critères qu’un décret
4 - Mais la fin des textes spéciaux n’était pas encore d’actualité : devait définir7, une suspension des actions et des sanctions pour
la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état non-paiement des loyers et charges des locaux où leur activité
d’urgence sanitaire adoptait un ensemble de règles qui permet- avait été affectée par une mesure de police administrative prise
taient désormais au Premier ministre et aux préfets de prendre en application du régime transitoire prévu par la loi du 9 juillet
jusqu’au 30 octobre 2020 une série de mesures de police ad- 2020 ou du régime de l’état d’urgence sanitaire prévu par le 5°
ministrative, telles que l’interdiction d’ouverture au public du I de l’article L. 3131-15 du Code de la santé publique (ci-
de certains établissements, la réglementation des réunions, la après « l’article 14 ») ; cette suspension était ordonnée pour une
limitation des déplacements. Un premier décret n° 2020-860 durée devant s’achever 2 mois après la date à laquelle l’entre-
du 10 juillet 20203 était effectivement publié, qui prescrivait les prise cesserait d’être affectée par l’une de ces mesures. La limite
nouvelles mesures générales nécessaires pour faire face à l’épi- d’application de ces mesures étant alors fixée au 1er avril 2021,
démie de Covid-19 dans les territoires sortis de l’état d’urgence cette disposition était donc de nature à protéger les preneurs
sanitaire et dans ceux où il était prorogé. « éligibles » au plus tard jusqu’au 31 mai 2021.

5 - L’été 2020 se passa ainsi tant bien que mal, les uns allant 9 - Après un hiver très sombre sur le plan sanitaire, une détente
chercher sous le soleil de quoi oublier le confinement du prin- constatée au printemps grâce aux effets des premiers vaccins
temps qui pour eux appartenait déjà à l’histoire, les autres res- permettait d’envisager de nouveau un horizon plus clément :
tant encore sous perfusion des médias qui recommandaient ce fut l’objet de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à
d’attendre l’automne avant de se réjouir… la gestion de la sortie de crise sanitaire8. L’article 1er annonçait
une prorogation au 30 septembre 2021 de la fin des mesures de
6 - De fait, octobre n’eut rien de « rose » en 2020 : tirant les police précédemment fixée au 1er avril. Dès lors, c’était jusqu’au
conséquences de la « deuxième vague » de contamination que 30 novembre 2021 au plus tard que le non-paiement des loyers
certains augures avaient annoncée quand d’autres l’excluaient, et charges des entreprises bénéficiaires ne pouvait donner lieu à
le Premier ministre déclarait de nouveau4 l’état d’urgence sani- action ni sanction.
taire à compter du 17 octobre 2020 sur l’ensemble du territoire
de la République. 10 - Mais, face à la dureté du combat contre le virus, le législa-
Et dès le 16 du même mois, il prescrivait5 une nouvelle série de teur adoptait au cours de l’été 2021 une nouvelle loi « relative
mesures générales nécessaires destinées à faire face à l’épidémie à la gestion de la crise sanitaire » (et non plus à la gestion de
de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire : règles
6 L. n° 2020-1379, 14 nov. 2020 : JO 15 nov. 2020, texte n° 1. - V. not. JCP E
1 Ord. n° 2020-306, 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus 2020, act. 789.
pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures 7 D. n° 2020-1766, 30 déc. 2020 : JO 31 déc. 2020, texte n° 35 ; JCP E 2021,
pendant cette même période : JO 26 mars 2020, texte n° 9 ; JCP E 2020, act. 26. - Sur ce décret, V. not. J.-P. Blatter, Lettre d’actualité, janv. 2021. - Y.
act. 243. Rouquet, Covid-19 : définition des critères d’éligibilité aux mesures relatives
2 Ord. n° 2020-316, 25 mars 2020 : JO 26 mars 2020, texte n° 37 ; JCP E aux loyers et aux charges : Dalloz actualité, 14 janv. 2021. - L’Infographie de
2020, act. 237. LABOCOM Laboratoire des baux commerciaux, relative à la loi n° 2020-
1379 et au décret n° 2020-1766. - Covid-19 : suspension des sanctions pour
3 D. n° 2020-860, 10 juill. 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires non-paiement des loyers et des factures d’eau et d’énergie : Actualités Édi-
pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l’état tion Francis Lefebvre, 11 janv. 2021. - B. Brignon, Bail commercial et crise
d’urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé : JO 11 juill. 2020, texte sanitaire : les dernières mesures - Décret d’application n° 2020-1766 de
n° 23. l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 et article 20 de la loi de finances
4 D. n° 2020-1257, 14 oct. 2020 : JO 15 oct. 2020, texte n° 30. pour 2021 : JCP E 2021, act. 62.
5 D. n° 2020-1262, 16 oct. 2020 : JO 17 oct. 2020, texte n° 21. - V. not. JCP E 8 L. n° 2021-689, 31 mai 2021, relative à la gestion de la sortie de crise sani-
2020, act. 789. taire : JO 1er juin 2021, texte n° 1. - V. not. JCP S 2021, act. 262.

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Les effets possibles


de l’article 14 peuvent
ainsi, à présent,
sa sortie) : la loi n° 2021-1040 s’étendre jusqu’au 14 - Lors des débats parlemen-
du 5 août 20219 prorogeait au taires, la question de la confor-
15 novembre 2021 la date limite 30 septembre 2022 ! mité de ces dispositions au
précédemment fixée au 30 sep- principe d’égalité des citoyens
tembre 2021 pour la durée des devant les charges publiques
mesures de police administrative. avait été soulevée, au motif, selon le rapporteur de la loi au
Sénat, « qu’elles font supporter les conséquences de la protec-
11 - Poursuivant son application glissante, l’article 14 voyait ain- tion des petites entreprises sur leurs seuls bailleurs, et non sur
si son effet protecteur possiblement prorogé jusqu’au 15 janvier l’ensemble de leurs créanciers »11. Selon le même rapporteur,
2022 (compte tenu des 2 mois supplémentaires prévus par le cette différence de traitement pouvait néanmoins se justifier
texte)… par l’inexécution de l’obligation de délivrance du bailleur. En
L’horizon de la « libération » était-il enfin fermement fixé pour effet, selon une partie de la doctrine « l’obligation de délivrance
les bailleurs ? du bailleur n’est pas satisfaite si le public ne peut pas être effec-
tivement accueilli, même sans faute du bailleur mais en raison
12 - Las… Le Gouvernement a obtenu du Parlement le vote d’une décision des autorités publiques ». Et l’auteur du rapport
d’une nouvelle prorogation du dispositif exceptionnel jusqu’à d’ajouter : « Il aurait pu sembler préférable d’attendre l’appré-
l’été 2022, en dépit de la résistance du Sénat qui souhaitait un ciation des juridictions sur la réalité même des dettes de loyers
horizon beaucoup plus proche : l’article 1er de la loi n° 2021- avant d’intervenir par une mesure législative de portée générale
1465 du 10 novembre 2021 portant diverses dispositions de vi- pour prévenir les conséquences d’impayés. La commission n’a pas
gilance sanitaire10 fixe désormais au 31 juillet 2022 la fin (?) des souhaité remettre en cause, néanmoins, cette mesure en quelque
mesures sanitaires. Saisi par des parlementaires qui contestaient sorte conservatoire ».
la constitutionnalité de cette prorogation au motif que celle-
ci permettrait la mise en œuvre de mesures portant, au regard 15 - L’auteur du rapport observait encore que ce texte, même s’il
des nécessités sanitaires et des élections présidentielle et législa- n’allait pas jusqu’à l’annulation des dettes locatives, « porte une
tives prévues durant la période retenue, une atteinte dispropor- atteinte substantielle à des contrats légalement conclus, qui doit,
tionnée aux droits et libertés constitutionnellement garantis, en vertu de la jurisprudence constitutionnelle, être justifiée par un
notamment la liberté d’aller et de venir, le droit au respect de motif d’intérêt général suffisant et proportionnée à cet objectif ».
la vie privée, la liberté d’entreprendre et la liberté d’expression Or, un tel motif était selon lui caractérisé par la nécessité de pro-
et de communication, le Conseil constitutionnel a, par décision téger les petites entreprises « frappées de plein fouet par la crise
n° 2021-828 DC du 9 novembre 2021, rejeté les recours contre sanitaire et par les mesures de police sanitaire », objectif qu’il
cet article 1er de la loi, notamment par le motif suivant : importait de concilier « avec la garantie des intérêts légitimes des
« En cas de mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures bailleurs, qui, du fait d’impayés de loyers, peuvent également se
susceptibles d’être prises par le pouvoir réglementaire ne peuvent retrouver dans une situation très délicate ».
l’être qu’aux seules fins de garantir la santé publique. Elles doivent
être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et 16 - Ce texte a suscité et continue de susciter beaucoup de
appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin commentaires et d’interrogations, et surtout exaspère ceux des
sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé bailleurs qui se trouvent privés de tout revenu de leurs locaux
de s’assurer que ces mesures sont adaptées, nécessaires et propor- depuis plus d’un an sans pouvoir agir et dont l’espoir de recou-
tionnées à la finalité qu’elles poursuivent. Dès lors, le législateur a vrer leur liberté d’action - et leurs créances - s’éloigne encore de
pu, sans méconnaître l’étendue de sa compétence ni aucune autre près d’une année supplémentaire.
exigence constitutionnelle, maintenir jusqu’au 31 juillet 2022 le Un an après l’adoption de ce dispositif d’exception, il nous a
cadre juridique organisant l’état d’urgence sanitaire ». paru utile d’en dresser l’état - et de tenter de répondre à cer-
Les effets possibles de l’article 14 peuvent ainsi, à présent, taines des questions qu’il soulève.
s’étendre jusqu’au 30 septembre 2022 !
17 - Le dispositif de l’article 14 bénéficie à certains locataires
13 - Ce dispositif a ainsi instauré une nouvelle « période juri- lorsqu’une ou plusieurs mesures de police administrative af-
diquement protégée » qui ne dit pas son nom, similaire dans fectent ou ont affecté leur activité dans leurs locaux. Ce dispo-
le principe à celle qui avait été introduite par l’ordonnance sitif a pour objet de suspendre les actions et les sanctions pour
n° 2020-306 du 25 mars 2020, mais beaucoup plus intense et retard ou non-paiement de loyers et charges d’une certaine
durable quant à la protection accordée à ses bénéficiaires. période.

9 L. n° 2021-1040, 5 août 2021, relative à la gestion de la crise sanitaire : JO


6 août 2021, texte n° 2 ; JCP G 2021, 967.
10 L. n° 2021-1465, 10 nov. 2021 : JO 11 nov. 2021, texte n° 1. 11 Rapp. Ph. Bas au nom de la Commission des lois du Sénat, 27 oct. 2020.

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1. Les locataires bénéficiaires du - ou, pour les entreprises créées après le 1er mars 2020, le chiffre
d’affaires mensuel moyen réalisé entre le 1er juillet 2020, ou à
dispositif défaut la date de création de l’entreprise, et le 30 septembre
2020 ».
18 - Selon l’article 14, les locataires bénéficiaires de ce dispositif
sont, sous réserve qu’elles remplissent des critères d’éligibilité 22 - En substance, les entreprises qui ne peuvent encourir d’in-
précisés par décret, les personnes physiques et morales de droit térêts, pénalités ou toute mesure financière ou d’actions, sanc-
privé exerçant une activité économique affectée par une mesure tions ou voies d’exécution forcée, ou encore de mesures conser-
de police administrative prise en application : vatoires en raison du retard ou défaut de paiement de loyers ou
- des 2° ou 3° du I de l’article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet charges locatives du fait d’une mesure de police administrative
2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ; prise dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ou de sortie de
- ou du 2° du I de l’article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai l’état d’urgence sanitaire, sont les entreprises de moins de 250
2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ; salariés qui ont réalisé un chiffre d’affaires inférieur à 50 mil-
- ou du 5° du I de l’article L. 3131-15 du Code de la santé lions d’euros et éprouvé une perte de chiffre d’affaires de plus de
publique, 50 % au titre du seul mois de novembre 2020.
y compris lorsqu’elle est prise par le représentant de l’État dans
le département en application des deux premiers alinéas du III 23 - En outre, l’article 1er, III dudit décret précise que pour les
de l’article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 précitée ou entreprises ayant fait l’objet d’une interdiction d’accueil du pu-
du second alinéa du I de l’article L. 3131-17 du Code de la santé blic, le chiffre d’affaires du mois de novembre 2020 mentionné
publique. au II n’intègre pas le chiffre d’affaires réalisé par les activités de
vente à distance avec retrait en magasin ou livraison. Est claire-
19 - Ces multiples renvois nécessitent des précisions que nous ment visé le click ou call and collect dont les recettes ne sont pas
apportons infra12. prises en compte.

20 - Les critères d’éligibilité précisés par le décret n° 2020-1766 24 - Le décret ajoute, au IV de son article 1er, que lorsqu’elles
du 30 décembre 202013 sont : un effectif salarié inférieur à 250 sont constituées sous forme d’association, les personnes men-
salariés, un chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice tionnées au I ont au moins un salarié.
clos inférieur à 50 millions d’euros ou, pour les activités n’ayant
pas d’exercice clos, un chiffre d’affaires mensuel moyen infé- 25 - Enfin, au V, il indique que les conditions fixées aux 1° et 2°
rieur à 4,17 millions d’euros, et, enfin, une perte de chiffre d’af- du I sont considérées au premier jour où la mesure de police ad-
faires d’au moins 50 % appréciés selon les modalités fixées au II ministrative mentionnée au I de l’article 14 s’applique. Le seuil
de l’article 1er dudit décret. d’effectif est calculé selon les modalités prévues par le I de l’ar-
ticle L. 130-1 du Code de la sécurité sociale et il est tenu compte
21 - Selon l’article 1er, II du décret, « pour les mesures de police de l’ensemble des salariés des entités liées lorsque l’entreprise
administrative prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire locataire contrôle ou est contrôlée par une autre personne mo-
déclaré le 17 octobre 2020, le critère de perte de chiffre d’affaires rale au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce.
mentionné au 3° du I du présent article correspond à une perte
de chiffre d’affaires d’au moins 50 % durant la période comprise 26 - Surtout, et c’est important, la charge de la preuve de ces
entre le 1er novembre 2020 et le 30 novembre 2020, laquelle est conditions pèse sur le preneur. Ainsi, l’article 2 du décret
définie comme la différence entre, d’une part, le chiffre d’affaires n° 2020-1766 dispose que pour « les personnes physiques et
au cours du mois de novembre 2020 et, d’autre part : morales de droit privé mentionnées au I de l’article 14 de la loi
- le chiffre d’affaires durant la même période de l’année du 14 novembre 2020 susvisée attestent des conditions fixées à
précédente ; l’article 1er du présent décret en produisant une déclaration sur
- ou, si l’entreprise le souhaite, le chiffre d’affaires mensuel l’honneur qu’elles remplissent lesdites conditions. Cette décla-
moyen de l’année 2019 ; ration est accompagnée de tout document comptable, fiscal ou
- ou, pour les entreprises créées entre le 1er juin 2019 et le 31 jan- social permettant de justifier les conditions fixées au 1° et 2° du
vier 2020, le chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période I de l’article 1er. La perte de chiffre d’affaires est établie sur la
comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février base d’une estimation ». La déclaration doit donc être accompa-
2020 ; gnée de tout document comptable, fiscal ou social permettant
- ou, pour les entreprises créées entre le 1er février 2020 et le 29 fé- de justifier l’éligibilité. De plus, « Les entreprises de moins de
vrier 2020, le chiffre d’affaires réalisé en février 2020 et ramené cinquante salariés bénéficiaires de l’aide financière mentionnée
sur un mois ; à l’article 3-14 du décret du 30 mars 2020 susvisé peuvent jus-
tifier de leur situation en présentant l’accusé-réception du dépôt
12 V. infra n° 27 et s. de leur demande d’éligibilité au fonds de solidarité au titre du
13 D. n° 2020-1766, 30 déc. 2020 : JO 31 déc. 2020, texte n° 35 ; JCP E 2021, mois de novembre 2020, accompagné de tout document comp-
act. 26 ; JCP E 2021, act. 62.

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ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES 1501

Le passe sanitaire,
comme nombre de
mesures visant à lutter
table ou fiscal permettant de jus- contre l’épidémie et mesures applicables aux établis-
tifier qu’elles ne dépassent pas le sements « qui sont fermés » en les
niveau de chiffre d’affaires men- qui perdurent, paraît autorisant à accueillir du public,
tionné au 2° du I de l’article 1er ». dans des conditions de nature à
constituer une mesure permettre le respect des dispo-
sitions de distanciation sociale,
2. Des mesures de police administrative dites mesures barrières.
de police
administrative 32 - Dans ces conditions, pour bénéficier de l’article 14, il faut,
notamment, exercer une activité économique affectée par une
27 - L’article 14, I précise que l’activité du bénéficiaire doit avoir mesure de police administrative. Cette mesure de police admi-
été affectée par « une mesure de police administrative prise en nistrative doit être prise, en l’état de la loi n° 2021-689 du 31 mai
application des 2° ou 3° du I de l’article 1er de la loi n° 2020-856 202118, en application :
du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sani- - des 2° ou 3° du I de l’article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet
taire ou du 5° du I de l’article L. 3131-15 du code de la santé 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ;
publique, y compris lorsqu’elle est prise par le représentant de - ou du 2° du I de l’article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai
l’État dans le département en application du second alinéa du I 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;
de l’article L. 3131-17 du même code ». - ou du 5° du I de l’article L. 3131-15 du Code de la santé
publique,
28 - La version initiale de l’article L. 3131-15 du Code de la san- y compris lorsqu’elle est prise par le représentant de l’État dans
té publique, issue de l’article 2 de la loi n° 2020-290 du 23 mars le département en application des deux premiers alinéas du III
2020, prévoyait que le Premier ministre pourrait « ordonner la de l’article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 précitée ou
fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établisse- du second alinéa du I de l’article L. 3131-17 du Code de la santé
ments recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l’ex- publique.
ception des établissements fournissant des biens ou des services de
première nécessité ». 33 - Décryptage des renvois. - Le premier renvoi fait référence
aux mesures prises par décret par le Premier ministre sur le rap-
29 - L’expression « fermeture provisoire » n’était sans doute pas port du ministre chargé de la Santé, dans l’intérêt de la santé
la plus appropriée, puisque c’est en réalité l’interdiction d’« ac- publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de
cueillir du public » qui allait être immédiatement décrétée pour l’épidémie de Covid-19, en vue de « 2° Réglementer l’ouverture
certains établissements dits non-essentiels, pour la première au public, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une
fois par le décret n° 2020-293 du 23 mars 202014, avec habili- ou de plusieurs catégories d’établissements recevant du public
tation aux préfets d’interdire ou de restreindre cet accueil en ainsi que des lieux de réunion, à l’exception des locaux à usage
fonction des circonstances locales15. d’habitation, en garantissant l’accès des personnes aux biens et
services de première nécessité.
La fermeture provisoire d’une ou de plusieurs catégories d’établis-
30 - La loi du 11 mai 202016 allait ensuite corriger le texte :
sements recevant du public ainsi que des lieux de réunions peut,
« Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y
dans ce cadre, être ordonnée lorsqu’ils accueillent des activités qui,
compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs
par leur nature même, ne permettent pas de garantir la mise en
catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux
œuvre des mesures de nature à prévenir les risques de propagation
de réunion, en garantissant l’accès des personnes aux biens et
du virus ou lorsqu’ils se situent dans certaines parties du territoire
services de première nécessité ».
dans lesquelles est constatée une circulation active du virus ;
3° Sans préjudice des articles L. 211-2 et L. 211-4 du code de
31 - L’article 1er, I, 2°, alinéas 1 et 2 de la loi du 9 juillet 202017
la sécurité intérieure, réglementer les rassemblements de per-
maintenait cette version.
sonnes, les réunions et les activités sur la voie publique et dans
Et le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 « prescrivant les
les lieux ouverts au public ; ».
mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de
Il s’agit de mesures de police administrative prises à compter du
covid-19 dans les territoires sortis de l’état d’urgence sanitaire
11 juillet 2020.
et dans ceux où il a été prorogé » définissait de nouveau les
Le deuxième renvoi fait référence aux mêmes dispositions que
les précédentes, à l’exception des mesures réglementant les ras-
14 D. n° 2020-293, 23 mars 2020, art. 8 : JO 24 mars 2020, texte n° 7 ; V. no-
semblements de personnes, les réunions et les activités sur la
tamment JCP E 2020, act. 789. voie publique et dans les lieux ouverts au public, étant observé
15 D. n° 2020-293, 23 mars 2020, art. 9 et 10 : JO 24 mars 2020, texte n° 7. qu’il s’agit de mesures prises à compter du 2 juin 2021 et (en
16 L. n° 2020-546, 11 mai 2020, art. 3, prorogeant l’état d’urgence sanitaire et dernier lieu) jusqu’au 15 novembre 2021 inclus.
complétant ses dispositions : JO 12 mai 2020, texte n° 1.
17 L. n° 2020-856, 9 juill. 2020, art. 1, V : JO 10 juill. 2020, texte n° 1. 18 L. n° 2021-689, 31 mai 2021, préc., art. 10.

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1501 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES

Le troisième renvoi est relatif aux mesures prises par le Premier respect des libertés »19. On comprend ainsi que la mesure de po-
ministre, dans les circonscriptions territoriales où l’état d’ur- lice administrative, qui ne saurait être réduite à une mesure de
gence sanitaire est déclaré, qui, par décret pris sur le rapport du « police sanitaire »20, ne résulte pas directement d’une loi mais
ministre chargé de la Santé, aux seules fins de garantir la santé d’un acte unilatéral pris par une autorité (Premier ministre, pré-
publique, peut « ordonner la fermeture provisoire et réglementer fet, etc.) sur habilitation du législateur.
l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une
ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi 38 - Il existe aujourd’hui une très grande variété de textes qui
que des lieux de réunion, en garantissant l’accès des personnes habilitent l’Administration à prendre des mesures de police
aux biens et services de première nécessité ». administrative. Ainsi, en droit du sport par exemple, de nom-
Le quatrième et dernier renvoi concerne les mesures prises par breuses lois ont été adoptées pour prévenir la triche en matière
le représentant de l’État dans le département en application des de pari sportif (loi du 12 mai 2010 sur les paris en ligne), ou
deux premiers alinéas du III de l’article 1er de la loi n° 2021- encore pour enrayer les violences dans les stades (loi du 10 mai
689 du 31 mai 2021 précitée ou du second alinéa du I de l’ar- 2016 visant à prévenir les actes d’hooliganisme, loi du 30 oc-
ticle L. 3131-17 du Code de la santé publique, à savoir, entre tobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre
autres : le terrorisme). Le meilleur exemple est la loi n° 2020-290 du
« Lorsque le Premier ministre prend des mesures mentionnées 23 mars 2020, dite « d’urgence pour faire face à l’épidémie de
aux I et II, il peut habiliter le représentant de l’État territoriale- covid-19 » qui a organisé un cadre de police administrative dé-
ment compétent à prendre toutes les mesures générales ou indi- rogatoire du droit commun pour surmonter une « catastrophe
viduelles d’application de ces dispositions. sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé
Lorsque les mesures prévues aux mêmes I et II doivent s’appli- de la population » (CSP, art. L. 3131-12)21. Cet « état d’urgence
quer dans un champ géographique qui n’excède pas le territoire sanitaire » est déclaré par décret en Conseil des ministres puis
d’un département, le Premier ministre peut habiliter le représen- prolongé par le législateur. Dans les territoires où l’état d’ur-
tant de l’État dans le département à les décider lui-même. Les gence sanitaire est déclaré, le Premier ministre est habilité à pro-
décisions sont prises par ce dernier après avis du directeur général noncer plusieurs mesures de police administrative (restriction
de l’agence régionale de santé. Cet avis est rendu public ». de circulation, confinement des personnes, interdiction d’accueil
du public dans certains établissements dits « non essentiels »,
34 - Une nouvelle fois, il est nécessaire de se référer à d’autres restriction des rassemblements, réquisition des biens, services et
textes, en l’occurrence aux I et II de la loi du 31 mai 2021. Ces personnes, etc. - CSP, art. L. 3131-15). Les mesures prescrites
deux textes, dont la reproduction in extenso serait indigeste, doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires
mentionnent, notamment, la présentation soit du résultat d’un encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu.
examen de dépistage virologique ne concluant pas à une conta- Elles peuvent faire l’objet de recours qui doivent être présentés,
mination par la Covid-19, soit d’un justificatif de statut vaccinal instruits et jugés selon les procédures des référés suspension ou
concernant la Covid-19, soit d’un certificat de rétablissement à liberté (CSP, art. L. 3131-18)22.
la suite d’une contamination par la Covid-19.
39 - Il en résulte que le passe sanitaire, comme peut-être en fin
35 - C’est ainsi que la question du passe sanitaire se pose. En de compte les nombreuses et diverses mesures dites des gestes
effet, s’il ne fait a priori pas de doute que les mesures de fer- barrières qui perdurent (étant observé qu’il conviendrait sans
meture, de couvre-feu, de jauge et distanciation constituent des doute de distinguer les mesures telles que la distanciation so-
mesures de police administrative ayant un effet sur l’activité, ciale, la jauge de mesures moins contraignantes économique-
en est-il de même du passe sanitaire ? La réponse à cette ques- ment telles que le port du masque, utilisation du gel hydroal-
tion constitue un enjeu de taille car si tel est le cas, cela signifie coolique, mise en place de séparateur en plexiglass, etc.) paraît
que les preneurs à bail commercial concernés par cette mesure constituer une mesure de police administrative.
pourraient bénéficier de la protection instituée par l’article 14
jusqu’à l’expiration d’un délai de 2 mois à compter de la date à 40 - Si tel est bien le cas, cela signifie que tant que le passe sanitaire
laquelle le passe sanitaire cessera d’être requis. sera en vigueur dans certains établissements, les locataires qui
exploitent lesdits commerces, sous réserve de remplir les autres
36 - Mais qu’est-ce donc au juste qu’une mesure de police admi- conditions d’éligibilité prévues tant par l’article 14 que par son
nistrative ? Et quelles sont les mesures ordonnées en relation
avec la crise sanitaire, susceptibles d’avoir affecté l’activité ?
19 Fiche d’orientation Dalloz, Police administrative, juill. 2021.
37 - « La police administrative est une activité de l’administra-
20 Laquelle constitue peut-être une mesure de police administrative spéciale.
tion publique dont la finalité est le maintien de l’ordre public, - En ce sens : A. Lami et F. Lombard, L’articulation des polices sanitaires
soit en en prévenant les atteintes, soit en y mettant fin, dans le depuis la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 : AJCT 2020, p. 291.
21 V. également, n° 26, 50 et 51.
22 JCl. Administratif, Synthèse 90 - Polices administratives, 24 mai 2021, par
V. Tchen.

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ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES 1501

Les loyers ou charges


locatives objet des
mesures de suspension
décret d’application, pourront sont ceux qui sont être ou avoir été affectée dans les
bénéficier, au besoin, de la pro- locaux.
tection instituée par la loi. afférents aux locaux
47 - Qu’en est-il si, alors qu’au-
41 - Il nous semble cependant professionnels cune mesure ne restreindrait
nécessaire de faire une analyse l’exploitation normale des lo-
in concreto de la situation : si le ou commerciaux caux, l’activité du bénéficiaire
passe sanitaire impacte financiè- serait néanmoins affectée par des
rement le commerce, le preneur où l’activité des mesures de police administrative
considéré doit pouvoir invoquer lorsqu’elle s’exerce en dehors des
la protection de l’article 14. Si, en bénéficiaires est ou locaux ?
revanche, le commerce, nonobs-
tant l’application du passe sani- était ainsi affectée L’on songe par exemple à un
agent immobilier qui pourrait
taire, n’enregistre pas une baisse recevoir ses clients sans restric-
de son activité, voire connaît un regain d’activité, alors la seule tion quelconque à l’intérieur de l’agence, mais qui reste tenu,
mesure de police administrative - en l’occurrence le passe sani- dans les visites de biens qu’il organise, de respecter les mesures
taire - ne saurait justifier la protection. interdisant les visites collectives ? Cet opérateur économique
voit-il son activité affectée ?
42 - Au fond, la question est de savoir si, indépendamment du
passe sanitaire, et des autres mesures pouvant affecter l’activité 48 - Si l’on s’en tient à la lecture stricte qu’appelle un texte qui
économique, lesquelles pourraient finalement entraîner une porte atteinte à des contrats, le locataire de locaux non directe-
application illimitée dans le temps de l’article 14 (du moins ment impactés par une mesure de police ne devrait pas en ce
jusqu’à ce que l’utilisation du gel et des masques s’arrête si tant cas pouvoir prétendre au bénéfice de l’article 14. Toutefois, s’il
est que cet événement se produise un jour…), l’activité écono- est démontré que les mesures mises en place dans le cadre de
mique se trouve affectée ou pas. la crise affectent indirectement l’activité dans les locaux, le bon
sens commande nous semble-t-il qu’il puisse en bénéficier.
3. Une activité « affectée » 49 - Quoi qu’il en soit, à notre connaissance, la question n’a pas
été à ce jour évoquée en jurisprudence. Nul doute au demeurant
43 - L’article 14 postule que l’activité du bénéficiaire du dispo-
et par exemple qu’un expert qui aurait à rechercher l’incidence
sitif doit avoir été « affectée » par une ou plusieurs mesures de
effective d’une mesure de police administrative pour l’appli-
police administrative ou sanitaire.
cation de l’article 14 analyserait de près le chiffre d’affaires de
l’établissement concerné afin de déterminer si l’activité a été
44 - Cette notion n’est définie nulle part. Doit-on comprendre
affectée ou se trouve toujours affectée par cette mesure, ou si
qu’elle peut viser tout effet négatif concret, quelle qu’en soit
elle l’est pour de tout autres raisons.
l’importance, que de telles mesures peuvent avoir eu sur l’exploi-
tation : perte de chiffre d’affaires, surcoûts supplémentaires de
50 - La clé réside certainement dans une analyse au cas par cas
fonctionnement (embauche de personnels chargés de contrôler
des différentes situations.
le respect des mesures, agencements spécifiques, etc.) ? La loi
n’ayant pas précisé le degré de l’atteinte à l’activité qui justifie-
rait la suspension des actions et sanctions, faudra-t-il admettre 4. Les actions et les sanctions
que toute baisse, serait-elle symbolique, du chiffre d’affaires,
permettra l’application de l’article 14 ?
suspendues
51 - Quelles sont les mesures de protection dont bénéficient les
45 - Dans le silence du texte, on peut d’autant plus en douter
preneurs concernés ?
qu’il appartiendra au bénéficiaire de la protection de rapporter
la preuve de cet effet négatif in concreto sur son activité, sans
52 - D’abord, ils « ne peuvent encourir d’intérêts, de pénalités ou
qu’il puisse se contenter d’invoquer l’existence d’une mesure
toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie
générale, ce qui implique la démonstration de ce que seule la
d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement
mesure de police administrative est la cause de l’atteinte à l’acti-
des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels
vité habituelle.
ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée.
Pendant cette même période, les sûretés réelles et personnelles
46 - Mais l’article 14 précise en outre que les loyers ou charges
garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés
locatives objet des mesures de suspension sont ceux qui sont af-
ne peuvent être mises en œuvre et le bailleur ne peut pas pra-
férents aux locaux professionnels ou commerciaux où l’activité
tiquer de mesures conservatoires qu’avec l’autorisation du juge,
des bénéficiaires est ou était ainsi affectée. L’activité doit ainsi

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1501 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES

par dérogation à l’article L. 511-2 du code des procédures civiles 5. Les loyers et charges locatives
d’exécution ».
D’une part, on remarque que les mesures sont plus larges que visés
celles énoncées dans l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-316
concernant les preneurs éligibles au fonds de solidarité. Ainsi, 56 - Aux termes du II, premier alinéa, de l’article 14, le dispositif
on comparera les « intérêts, […] pénalités ou toute mesure fi- protecteur s’applique au profit des personnes bénéficiaires en
nancière » avec les « pénalités financières ou intérêts de retard, cas de « retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives
de dommages-intérêts », les « action, sanction ou voie d’exécu- afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur acti-
tion forcée » avec les « astreinte, […]exécution de clause résolu- vité est ou était ainsi affectée ».
toire, […] clause pénale ou […] toute clause prévoyant une dé-
chéance » voire avec les « astreintes, les clauses pénales, les clauses 57 - La loi ne remet à aucun moment en cause l’exigibilité du
résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance » de loyer et des charges. Elle en suspend seulement le recouvrement
l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306, les « sûretés réelles et et les éventuelles sanctions du non-paiement.
personnelles » avec les « garanties ou cautions ».
D’autre part, on remarque que, s’agissant des mesures conser- 58 - Il s’agit de tous les loyers, quel que soit le titre en vertu
vatoires, qui semblent englober les saisies, la loi du 31 mai 2021, duquel ils sont dus (bail commercial statutaire, bail dérogatoire,
en vigueur depuis le 2 juin, a ajouté « qu’avec l’autorisation du bail professionnel, etc.) et quelles qu’en soient les modalités
juge, par dérogation à l’article L. 511-2 du code des procédures (loyer fixe ou variable), dès lors qu’ils sont afférents à la pé-
civiles d’exécution » : les mesures conservatoires restent pos- riode considérée23 . En revanche, s’agissant d’un texte qui porte
sibles mais sous réserve d’être autorisées judiciairement. atteinte à l’un des attributs du droit de propriété, il doit être
appliqué strictement et ne peut être étendu au-delà de ses prévi-
53 - Ensuite, on constate que si l’article 4 de l’ordonnance sions : les indemnités d’occupation, qu’elles soient dues au titre
n° 2020-316 ne parlait que du « défaut » de paiement, il est de l’article L. 145-28 du Code de commerce ou sur le fondement
aujourd’hui fait référence au retard ou non-paiement des loyers du droit commun, ne sauraient être concernées, pas plus que les
ou charges locatives y afférentes, ce qui exclut tout autre type de redevances dues au titre de conventions d’occupation précaire
manquement, tel que par exemple le non-paiement de dépenses ou d’autorisations d’occupation temporaire du domaine public.
de travaux non comprises dans les charges. L’interprétation
stricte du texte impose cette lecture. 59 - La protection englobe aussi les « charges locatives ». Le
qualificatif « locatives » doit ici être entendu comme couvrant
54 - Par ailleurs, « toute stipulation contraire, notamment toute toutes les charges et taxes facturées par le bailleur au preneur,
clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non- même si elles n’ont pas un caractère « locatif » au sens étroit du
paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, est réputée terme.
non écrite ». Cette formule, qui n’est pas exactement la même
que celle ressortant de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-316, 60 - Le IV précise qu’il s’agit des loyers et charges locatives « dus
avait déjà surpris, en particulier la « stipulation contraire » à pour la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est
propos de laquelle on a pu se demander ce qu’elle signifiait. Il affectée par une mesure de police mentionnée au I. ».
s’agit vraisemblablement des clauses qui prévoient un régime Quelle est cette période ?
dérogatoire, par exception, à ce régime de protection, ce qui Le VII de l’article 14 dispose : « Le présent article s’applique à
recoupe deux séries de clauses : les clauses résolutoires clas- compter du 17 octobre 2020 ».
siques d’ores et déjà présentes dans les baux conclus avant la Dans le contexte d’une crise sans précédent, une atteinte ponc-
crise, et celles, nouvelles, issues d’avenants que certains bailleurs tuelle et temporaire aux conventions avec rétroactivité était
ont tenté d’imposer aux preneurs au lendemain de ces textes justifiée, selon le rapporteur de la loi au Sénat et auteur d’un
exceptionnels. amendement en ce sens, « afin de donner sa pleine portée à la
mesure de protection prévue ».
55 - Enfin, si toutes ces mesures s’appliquent aux loyers et La plupart des commentateurs ont donc considéré que, la loi
charges locatives dus pour la période au cours de laquelle s’appliquant « à compter du 17 octobre 2020 », seuls étaient
l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police concernés les loyers et charges dus ou échus à compter de la
administrative telle que décrite au-dessus, les intérêts ou péna- même date.
lités financières ne peuvent être dus et calculés qu’à compter de
l’expiration du délai de 2 mois qui suit la fin de la mesure de 61 - Cette lecture du texte est certainement rassurante pour les
police administrative ; de même, les procédures d’exécution qui bailleurs. Mais s’impose-t-elle sans discussion ?
auraient été engagées par le bailleur à l’encontre du locataire Car, si l’article 14 « s’applique à compter du 17 octobre 2020 », il
pour non-paiement de loyers ou de charges locatives exigibles ne précise pas qu’il s’agit des loyers et charges dus à compter du
sont suspendues jusqu’à cette date. 17 octobre 2020.

23 V. infra.

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ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES 1501

L’application de
l’article 14 doit être
cantonnée à des loyers
Par comparaison, s’agissant des et charges locatives 66 - Mais une interprétation
factures d’électricité, de gaz et plus conforme à l’esprit du texte
d’eau (auxquelles sont consacrés dus à compter du peut au contraire s’appuyer sur
les V et VI de l’article 14), le texte plusieurs arguments sérieux.
précise bien que les fournisseurs 17 octobre 2020 D’abord, l’examen des travaux
sont tenus, à la demande des préparatoires de la loi montre
bénéficiaires du dispositif de que le législateur n’a jamais évo-
protection, « de leur accorder le report des échéances de paie- qué ni envisagé une rétroactivité aussi lointaine de l’article 14.
ment des factures exigibles entre le 17 octobre 2020 et l’expira- Les débats parlementaires sont totalement muets sur ce point,
tion du délai mentionné au premier alinéa du II et non encore et le recours au Conseil constitutionnel formé contre plusieurs
acquittées ». dispositions de la loi n’a pas porté sur cet article.
Ensuite, appliquer rétroactivement la loi à des impayés ou re-
62 - La différence de rédaction est manifeste. Était-elle vraiment tards de paiement qui remonteraient jusqu’au 2e trimestre 2020
voulue ? Si tel est le cas - ce que les débats parlementaires ne reviendrait à catapulter l’application du texte avec celle des or-
révèlent pas - pourquoi alors n’avoir pas pareillement précisé donnances 2020-306 et 2020-3165 du 25 mars 2020 ! On abou-
que la loi était applicable « aux loyers et charges locatives exi- tirait ainsi à des aberrations : là où l’ordonnance 2020-306 avait
gibles entre le 17 octobre 2020 et l’expiration du délai mentionné suspendu (pour toutes les entreprises) les sanctions jusqu’à la
au II » ? fin de la période juridiquement protégée et avait donc permis
la reprise des procédures à compter du 24 juin 2020, la loi du
63 - L’expression « à compter du 17 octobre 2020 » contenue 14 novembre 2020 suspendrait à nouveau (pour les entreprises
au VI pourrait alors être lue comme visant la date à partir de éligibles, mais non pour les plus petites) non seulement les
laquelle les loyers et charges concernés ne peuvent plus faire sanctions mais encore les actions pour les retards ou absences
l’objet d’actions ou de sanctions, mais non le début de la pé- de paiement des mêmes loyers !… L’absurdité même d’une telle
riode à laquelle ils se rapportent et qui correspond au premier hypothèse suffirait à elle seule à écarter une interprétation ex-
jour où l’activité exercée dans les locaux concernés a été affectée tensive de l’article 14…
par une mesure de police administrative.
Sous cet angle, il ne découle pas de la lettre du texte que des 67 - D’ailleurs, dans le projet de loi n° 3464 qu’il avait déposé le
loyers et charges échus antérieurement au 17 octobre échappent 21 octobre 2021, le Gouvernement prévoyait de se faire habiliter
nécessairement à l’emprise de l’article 14. En faveur d’une ré- à procéder par voie d’ordonnances, « pour rétablir ou prolonger
troactivité plus large du texte, l’on pourrait tirer argument du les dispositions de certaines ordonnances prises sur le fondement
troisième alinéa du paragraphe IV, qui prévoit la suspension des lois du 23 mars et du 17 juin 2020 ou de dispositions légis-
des procédures d’exécution en cours lors de l’entrée en vigueur latives récentes précisément identifiées », tout en précisant que
de la loi pour non-paiement de loyers ou de charges locatives, « cette habilitation ne permettra, en tant que de besoin, que de
donc nécessairement antérieurs. rétablir, de prolonger ou d’adapter à l’état de la situation sani-
taire des mesures déjà prises. S’agissant des mesures de rétablis-
64 - Une interprétation extensive aboutirait dès lors à rendre sement, il est prévu qu’elles pourront s’appliquer de manière
l’article 14 applicable à tous retards ou impayés de loyers et rétroactive, tout au plus à compter de la date à laquelle les dispo-
charges afférents à la période pendant laquelle les locaux ont sitions définies par les précédentes ordonnances auront expiré ».
fait l’objet d’une mesure de police administrative prise en appli-
cation de l’article L. 3131-15, I, 5° du Code de la santé publique 68 - Ce projet ne prévoyait rien pour les loyers et charges loca-
ou de la loi du 9 juillet 2020. Or, les premières mesures de police tives et c’est par un simple amendement n° 119 déposé au nom
sanitaire interdisant notamment l’accueil du public pour cer- du Gouvernement par la secrétaire d’État auprès du ministre
taines activités dans certains établissements ont été prises au de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargée de l’Éco-
visa de l’article L. 3131-15, I, 5° par le décret n° 2020-293 du nomie sociale, solidaire et responsable, qu’a été créé un nouvel
23 mars 202024 prescrivant les mesures générales nécessaires article 6 (devenu l’article 14), adopté pratiquement sans débat
pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état en séance publique dès le 24 octobre par l’Assemblée nationale,
d’urgence sanitaire. et auquel le Sénat, dès le 30 octobre, apportait quelques ajus-
tements en ajoutant seulement un paragraphe : « Le présent
65 - Les loyers et charges les plus anciens compris dans le péri- article s’applique à compter du 17 octobre 2020 », qui n’a pas été
mètre de protection de l’article 14 seraient ceux qui sont de- discuté jusqu’à l’adoption définitive de la loi…
venus exigibles après l’entrée en vigueur dudit décret, donc le En toute hypothèse, s’agissant d’une loi qui porte atteinte à des
31 mars 2020 pour les loyers payables à terme échu ou le 1er avril conventions régulièrement conclues, son interprétation restric-
2020 pour les loyers payables d’avance, par mois ou trimestre… tive s’impose ici encore.

24 D. n° 2020-293, 23 mars 2020, art. 8, 9 et 10 : JO 24 mars 2020, texte n° 7 ; 69 - Il revenait donc aux juges de prendre position.
V. notamment JCP E 2020, act. 789.

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1501 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES

70 - La première décision connue a été rendue par le président dispositions, il est par conséquent sérieusement contestable que le
du tribunal judiciaire de Paris saisi en référé. commandement du 16 juillet 2020 ait pu produire son effet »25.
Un bailleur avait assigné son preneur (un restaurateur) afin de
constatation de l’acquisition de la clause résolutoire à la suite 72 - La question posée était de savoir si ce litige était soumis ou
d’un commandement qu’il lui avait fait délivrer le 16 juillet 2020 pas à l’article 14 dont on rappelle que, selon le texte lui-même, il
pour avoir paiement des loyers et charges du 3e trimestre 2020. est entré en vigueur rétroactivement à sa publication au Journal
Le juge relevait que pendant cette période, le restaurant était officiel, soit le 17 octobre, à 00h00 pour être précis, date à la-
resté ouvert mais son activité affectée par des mesures de police quelle un couvre-feu national a été institué. Le commandement
administrative prises en application du décret n° 2020-860 du de payer et l’assignation du bailleur étant antérieurs à cette date
10 juillet 2020, telles que le respect d’une distance d’un mètre (juillet et septembre 2020, respectivement), on aurait pu penser
entre les tables et l’interdiction d’asseoir des convives de groupes que le juge exclurait en l’espèce son application.
distincts à la même table, ce qui avait empêché de l’exploiter à Toutefois, pour le juge parisien, l’article 14 a pleinement voca-
plein. Le preneur, qui avait néanmoins réglé 50 % du loyer selon tion à s’appliquer à des loyers et charges du 3e trimestre 2020, ce
un échéancier mensuel accepté par le bailleur, contestait l’exigi- qui n’a pas manqué de surprendre certains commentateurs26.
bilité du solde en invoquant à la fois la mauvaise foi de ce dernier,
la perte partielle de la chose louée et l’exception d’inexécution. 73 - L’article 14 peut-il s’appliquer à une procédure en cours ? Si
Sur ces contestations, le juge relevait que l’exception d’inexé- l’on sait qu’une loi nouvelle peut être applicable à un bail com-
cution soulevée devait être étudiée à la lumière de l’obligation mercial en cours en vertu des effets légaux du contrat27, ce que
pour les parties de négocier de bonne foi les modalités d’exécu- l’on peut comprendre lorsqu’il s’agit de régir des situations juri-
tion de leur contrat en présence des circonstances précitées, et diques ayant pris naissance comme en l’occurrence avant son
non sous l’angle du respect par le bailleur de son obligation de entrée en vigueur et non définitivement réalisées, on peine plus
délivrance, qui ne faisait pas ici de doute puisque le local était à saisir l’application aux procédures en cours d’une loi nouvelle
opérationnel, ouvert au public, et que l’activité prévue au bail de fond : l’existence d’une instance en cours est précisément ce
pouvait s’y dérouler. qui empêche l’application d’une loi nouvelle à des prétentions
précédemment soumises au juge, sauf à caractériser l’existence
71 - Mais, après avoir cité l’article 14, le magistrat déroulait le d’un impérieux motif d’intérêt général28 . Il a ainsi été jugé, à
raisonnement suivant qui mérite d’être cité. propos de la nouvelle rédaction de l’article L. 145-15 du Code de
La loi du 14 novembre 2020 a pour objet « d’interdire pour un commerce, issue de la loi Pinel du 18 juin 201429, que si ce texte
temps déterminé toute mesure susceptible d’affecter la pérennité était d’application immédiate aux baux en cours, il ne l’était à
de la relation contractuelle […] en lien avec le non-paiement ou ceux qui faisaient l’objet d’un litige que si l’instance avait été
le retard de paiement des loyers dus pendant une période définie introduite postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi30.
au IV [soit les loyers échus pendant la période pendant laquelle
les restrictions sont en vigueur], et de laisser aux preneurs le 25 TJ Paris, ord. réf., 21 janv. 2021, n° 20/55750 et 20/55751 : JCP E 2021,
temps de retrouver une activité “normale” pour faire face à leurs 1231, obs. J. Monéger ; Dalloz actualité, 27 janv. 2021, obs. S. Andjechaïri-
obligations dont la durée est précisée au II [la protection s’appli- Tribillacle.
quant jusqu’à deux mois après la fin des mesures de restriction]. 26 G. Allard-Kohn et T. Brault, Bail commercial et Covid-19 : à quand un
Cette loi entrée en vigueur le 17 octobre 2020 est d’application remède ? : RJDA 6/2021, spéc. § 6.
immédiate, et concerne donc les procédures en cours. 27 Cass. 3e civ., 19 nov. 2020, n° 19-20.405 : publié au Bulletin ; JurisData
Les loyers du troisième trimestre 2020 concernent une période au n° 2020-019128 ; JCP G 2021, doctr. 240, obs. D. Houtcieff ; JCP E 2021,
1168, obs. J. Monéger ; Loyers et copr. 2021, comm. 10, note E. Marcet ;
cours de laquelle l’activité de la société S. était affectée par une D. 2021, p. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; D. 2021, p. 1397, obs. M.-P. Du-
mesure de police mentionnée au I [décret du 10 juillet 2020 pris mont ; AJDI 2021, p. 513, obs. J.-P. Blatter ; RTD civ. 2021, p. 124, obs.
en application des 2° ou 3° du I de l’article 1er de la loi n° 2020- H. Barbier. - Cass. 3e civ., 8 avr. 2021, n° 19-23.183. - Cass. 3e civ., 30 juin
856 du 9 juillet 2020] Il importe donc peu que le bailleur ait 2021, n° 19-23.038 : JurisData n° 2021-010560 ; JCP G 2021, 986, note
S. Gaudemet ; JCl. Commercial, Synthèse 130 ; Contrats, conc. consom.
fait délivrer son commandement le 16 juillet 2020 ou délivrer 2021, comm. 146, note L. Leveneur ; Loyers et copr. 2021, comm. 152, note
son assignation le 2 septembre 2020, aucune sanction ou voie É. Marcet ; JCP E 2021, 1428, note B. Brignon.
d’exécution ne pouvant prospérer en l’état du droit en vigueur 28 Cass. ass. plén., 23 janv. 2004, n° 03-13.617 : JurisData n° 2004-021964 ;
à l’encontre de la société S. au titre des loyers susvisés, la loi Bull. civ. ass. plén. n° 2 ; JCl. Civil Code, Synthèse 10 ; D. 2004, p. 1108, et les
prévoyant en tout état de cause que “toute clause résolutoire ou obs., note P.-Y. Gautier ; D. 2005, p. 1090, obs. L. Rozès ; Justice 2005, p. 290,
note G. Canivet ; AJDI 2004, p. 201, obs. J.-P. Blatter ; AJDI 2004, p. 175,
prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard étude M. Lassner ; RFDA 2004, p. 224, note B. Mathieu ; RTD civ. 2004,
de paiement de loyers ou charges, est réputée non écrite”, dis- p. 341, obs. P. Théry ; ibid., p. 371, obs. J. Raynard ; ibid., p. 598, obs. P. Deu-
position qui s’applique précisément à la clause résolutoire visée mier ; ibid., p. 603, obs. P. Deumier ; RTD com. 2004, p. 74, obs. J. Monéger.
par le commandement du 16 juillet 2020. A la lumière de ces 29 L. n° 2014-626, 18 juin 2014, relative à l’artisanat, au commerce et aux très
petites entreprises, dite loi Pinel : JO 19 juin 2014, texte n° 1 ; JCP E 2014,
1371, S. Legrix de la Salle.
30 CA Paris, ch. 5-3, 18 déc. 2020, n° 19/05910. - V. A. Confino, Réflexions sur
le réputé non écrit dans le bail commercial après la loi Pinel : AJDI 2015,
p. 407 et s.

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ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES 1501

En cas d’interprétation
extensive de
l’article 14, les bailleurs
74 - Sans doute le contexte chao- ne disposeraient-ils pas l’article 14 vise notamment les
tique induit par la crise sanitaire, “mesures de police administra-
l’ordre public et les motifs impé- de moyens d’action tive prises en application des 2°
rieux d’intérêt général, ont-ils ou 3°du I de l’article 1er de la
poussé le juge à considérer que contre l’État ? loi 2020-856 du 9 juillet 2020
la loi, bien qu’entrée en vigueur organisant la sortie de l’état
le 17 octobre, était applicable à d’urgence sanitaire”. On pour-
ce litige. rait ainsi en déduire que sont visées toutes les restrictions à comp-
ter de cette loi de juillet, soit également celles du décret 2020-860
75 - Mais force est de constater qu’en l’espèce, juridiquement du 10 juillet 2020 à l’origine des mesures invoquées en l’espèce
comme factuellement, tout justifiait la solution inverse. En effet, par le locataire. Mais on peut objecter que cette loi du 9 juillet
les loyers impayés objet du commandement et de l’assignation 2020 [modifiée par la loi du 14 novembre 2020] n’est visée qu’en
étaient ceux de juillet, août et septembre 2020. En conséquence ce qu’elle fixe un cadre à certaines des mesures qui peuvent être
de quoi, le traitement de cette affaire aurait dû relever plutôt de prises pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, de sorte que la
l’ordonnance n° 2020-306 (à défaut de précision sur l’éligibi- référence qui y est faite dans la loi prorogeant l’état d’urgence
lité du restaurateur au fonds de solidarité qui aurait pu justi- sanitaire n’implique nullement que le dispositif s’applique aux
fier l’application de l’ordonnance n° 2020-316). Il faudra donc périodes d’occupation affectées par des mesures prises au cours
surveiller les éventuelles suites de cette ordonnance pour savoir du 3e trimestre 2020 ».
si le juge du second degré voire la Cour de cassation main-
tiennent ce raisonnement, qu’ils devraient alors justifier par 78 - Saisie de la question, la cour d’appel de Versailles, statuant
des motifs impérieux du fait de la crise, ou au contraire s’ils le en référé par arrêt du 20 mai 2021, a pris le contre-pied de la
condamnent. Quoi qu’il en soit, la décision commentée aura au position du juge parisien en considérant que :
moins eu le mérite de poser la question. « L’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 ne peut en outre
trouver à s’appliquer, la créance [du bailleur] étant antérieure à
76 - En faveur également de l’interprétation excluant une appli- l’entrée en vigueur de ce texte.
cation rétroactive du texte antérieurement au 17 octobre 2020, Ni ce texte, ni l’article 4 de l’ordonnance 2020-316 du 25 mars
les auteurs du BRDA31 ont pu « relever que, lié au second confi- 2020 ne suspendent l’exigibilité des loyers dus pendant la période
nement et à la prorogation de l’état d’urgence, le texte, entré en dite protégée, seules les pénalités, astreintes, clauses pénales ou
vigueur le 17 octobre 2020, s’applique aux loyers et charges dus clauses résolutoires résultant de loyers impayés pendant ladite pé-
pour la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est riode étant inapplicables aux commerçants concernés, de sorte que
affectée par l’une des mesures administratives visées par la loi ces moyens de contestation ne revêtent pas un caractère sérieux »33.
[art. 14, IV]. On comprend qu’il faudrait ainsi se référer à la
période d’occupation à laquelle ils se rattachent, sans que cette 79 - Puis, par arrêt du 9 septembre 2021, la cour d’appel d’Aix-
période puisse remonter avant le 17 octobre 202032. À cet argu- en-Provence, statuant également en référé, a statué dans le
ment on peut ajouter que le décret 2020-1766 du 30 décembre même sens en énonçant que « les dispositions de l’article 14 de
2020 ne donne d’indications pour calculer la perte de chiffre la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, ne peuvent trouver à
d’affaires qu’en ce qui concerne les mesures de police adminis- s’appliquer puisque la dette locative visée par le commandement
trative prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire déclaré le de payer est antérieure à son entrée en vigueur [le 17 octobre
17 octobre 2020. Pour les entreprises les plus récentes, le chiffre 2020] et, plus généralement, à la période au cours de laquelle
d’affaires du troisième trimestre 2020 sert d’ailleurs de période l’activité de la SARL LE SAINT PIERRE a été affectée par des
de référence pour calculer la perte de chiffre d’affaires du mois de mesures de police inhérentes la gestion de ladite crise sanitaire »34.
novembre 2020 [art. 1, II]. On peut imaginer que, si le nouveau Il est vrai que, dans l’affaire ainsi jugée, le commandement de
dispositif avait voulu inclure les loyers du 3e trimestre, il aurait payer visant la clause résolutoire avait été délivré au preneur le
indiqué comment calculer les pertes constatées à ce moment-là 25 janvier 2020, soit avant que la pandémie fût connue, déclarée
[la formulation du décret laissant penser que d’autres critères et réglementée par les premières mesures d’urgence sanitaire. La
pourraient être dégagés pour des pertes ultérieures, le dispositif solution était donc évidente.
étant conçu pour durer au moins jusqu’en avril 2021] ».
80 - La cour d’appel de Paris s’est à son tour prononcée (en
77 - Ces mêmes auteurs ajoutent : « Néanmoins, il existe un référé) par arrêt du 20 octobre 2021. Pour écarter le moyen ici
argument en faveur de l’application de l’article 14 de la loi du encore tiré de l’article 14 par un preneur à qui un commande-
14 novembre 2020 à des loyers dus pour une période d’occupa- ment visant la clause résolutoire avait été délivré le 12 mai 2020
tion affectée par une des mesures administratives de l’été 2020 : pour des loyers et charges impayés des mois de janvier, février,

31 BRDA 4/21, inf. 20. 33 CA Versailles, 20 mai 2021, n° 20/05138.


32 V. BRDA 23/20, inf. 26. 34 CA Aix-en-Provence, 1re et 2e ch. réunies, 9 sept. 2021, n° 20/09243.

LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 47 - 25 NOVEMBRE 2021 - © LEXISNEXIS SA Page 43


1501 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES

mars et avril 2020, la cour a, de façon catégorique, affirmé que d’impôt pour l’abandon par les bailleurs du loyer du mois de
« s’agissant de la loi du 14 novembre 2020, les mesures protec- novembre 2020…
trices qu’elle édicte en cas d’impayé de loyers ne concernent que
les loyers et charges dus à compter du mois de novembre 2020, 85 - L’effet de ce texte est aujourd’hui édifiant : même lorsqu’un
étant rappelé que la demande en paiement du bailleur ne porte locataire, qui remplissait à la date du 17 octobre 2020 les condi-
que sur la période courant jusqu’au mois d’octobre 2020 »35. tions d’éligibilité au dispositif protecteur, a pu reprendre une
activité quasi-normale, son bailleur ne peut qu’espérer un règle-
81 - Ces arrêts de cours d’appel nous semblent devoir être ment spontané des loyers et charges à défaut duquel il se trouve
entièrement approuvés. L’application de l’article 14 doit être privé d’action jusqu’à une date qui ne cesse d’être repoussée.
cantonnée à des loyers et charges locatives dus à compter du Certes, la loi du 31 mai 2021 a-t-elle permis une saisie-conserva-
17 octobre 2020. toire sur autorisation du juge, mais que vaudra une telle mesure
Il demeure néanmoins une difficulté que le texte ne permet pas si au final le preneur est dans l’incapacité d’honorer les arriérés ?
de résoudre : s’agit-il des loyers et charges échus à compter de
cette date ? Ou faut-il considérer, par exemple, que l’échéance 86 - Le risque, on le voit, pèse autant sur le preneur que sur le
du 4e trimestre 2020 doit faire l’objet d’un traitement différen- bailleur : pour l’un comme pour l’autre, la suspension prolon-
cié, prorata temporis, pour la période du 1er au 16 octobre 2020 gée des paiements peut avoir l’effet d’une bombe à retardement
(qui ne serait pas « protégée ») et pour celle du 17 octobre au qui conduirait à l’ouverture d’une procédure collective.
31 décembre (qui le serait) ?
À notre connaissance, la question n’a pas été tranchée à ce jour 87 - Si la jurisprudence devait consacrer une interprétation
devant les tribunaux. extensive de la rétroactivité du texte telle que le juge parisien
des référés l’a admise dans son ordonnance du 21 janvier 2021,
82 - La fin de la période de protection pose a priori moins de et une acception maximaliste de la notion de mesure de police
difficultés, mais elle n’en est pas dépourvue : s’il est facile de dé- administrative, certains bailleurs pourraient être acculés à re-
terminer l’expiration d’un délai de 2 mois à compter de la date à chercher d’autres recours. Oui, mais lesquels ?
laquelle la mesure de police a cessé ou cessera d’être applicable,
il sera sans doute souvent plus problématique de qualifier tel ou 88 - Une première piste pourrait consister à saisir le juge d’une
tel acte de mesure de police administrative, et d’en apprécier question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de
l’impact concret sur l’activité dans les locaux considérés. l’atteinte disproportionnée au droit de propriété.

Conclusion 89 - Dans sa décision n° 2020-887 du 5 mars 2021 relative à l’in-


demnité d’éviction, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’« Il
83 - Au terme de cette étude, l’on ne peut que constater la diver- est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du
sité et la complexité des questions que soulève l’article 14 - un droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2
texte qui souffre de la précipitation avec laquelle il a été conçu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789,
et adopté pratiquement sans discussion. des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées
par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’at-
teintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi »36.
84 - Lors de la présentation par la secrétaire d’État de l’amen-
dement gouvernemental n° 119 à l’origine de l’article 14, un
sénateur avait rappelé que le texte ne prévoyait rien pour pro- 90 - La paralysie de toute action du bailleur pendant un temps
téger aussi les bailleurs privés, « qui sont parfois de petits pro- incertain et qui ne cesse de s’allonger par les lois successives
priétaires qui dépendent complètement de cette source de revenus constitue indiscutablement, selon nous, une atteinte grave à
pour couvrir d’autres charges, financer leur retraite, régler leurs l’un des attributs du droit de propriété : le fructus, c’est-à-dire
dépenses quotidiennes ou rembourser des emprunts », et invitait le droit de percevoir effectivement les revenus de son bien. Si
à « trouver au cours de la navette une solution plus équilibrée, l’objectif d’intérêt général de protection des locataires en dif-
faute de quoi on risque de fragiliser dangereusement ce réseau de ficulté en cette période de crise exceptionnelle est absolument
petits propriétaires qui contribuent eux aussi à l’aménagement légitime et justifié, la privation indifférenciée de toute action
du territoire » (Raphaël Schellenberger). À quoi la représentante pour le bailleur, quelle que soit la nature de la mesure de police
du Gouvernement avait répondu qu’elle était « également sen- qui affecte son activité dans les locaux loués et quel que soit
sible à l’intérêt des bailleurs », qu’elle savait bien « qu’il y a aussi l’impact effectif d’une telle mesure, peut bien être considérée
des bailleurs modestes » (sic) et qu’elle avait « bien conscience comme une atteinte disproportionnée au droit de propriété.
des risques de défauts de paiement en cascade », et c’est pour-
quoi le Gouvernement ferait « des propositions dans le pro-
chain projet de loi de finances ». Ce qui s’est traduit par le crédit
36 Cons. const., 5 mars 2021, n° 2020-887 QPC, Sté du grand Hôtel de Malte :
JurisData n° 2021-002760 ; JCP E 2021, 1318, note P. Lemay ; Loyers et
35 CA Paris, 20 oct. 2021, n° 21/01806. copr. 2021, alerte 32, obs. J. Monéger.

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ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES 1501

Bailleurs comme
preneurs subissant de
plein fouet les affres
91 - Si une telle voie était fermée, d’une crise majeure tout en présence d’une législa-
le bailleur pourrait-il engager la tion touchant la santé38.
responsabilité de l’État devant la sans précédent, ils
juridiction administrative ? 94 - Mais le bailleur peut-il
devraient tous pouvoir aussi se prévaloir d’un préjudice
92 - Ainsi, la responsabilité sans spécial ?
faute de l’État pourrait-elle être bénéficier de mesures Selon la jurisprudence adminis-
utilement recherchée sur le fon- trative, le préjudice doit toucher
dement de la rupture d’égalité des équilibrées un nombre limité de victimes. Un
bailleurs devant les charges pu- préjudice commun à l’ensemble
bliques ? À noter que la même question peut se poser pour ceux d’une collectivité n’est pas réparable. Mais le Conseil d’État admet
des commerçants qui exploitent des établissements « non-essen- qu’il peut l’être s’il atteint un groupe particulier au sein d’une ca-
tiels » et qui ont été contraints de facto de fermer leur porte en rai- tégorie de personnes39. Au regard de ce critère restrictif, il est peu
son de l’interdiction de jure d’accueillir leur clientèle. Mais il y a là probable que l’exigence du caractère spécial du préjudice soit rem-
une différence de taille avec le sort des bailleurs : les premiers ont plie par la législation spéciale sur la crise du Covid-19.
reçu et continuent de recevoir des aides publiques souvent très
substantielles qui pourraient être vues comme la réparation au 95 - La possibilité de rechercher la responsabilité sans faute de
moins partielle par l’État des préjudices que les mesures de police l’État étant ainsi plus qu’incertaine, le bailleur durablement pri-
leur ont causés. Ce qui n’est pas le cas des bailleurs à qui n’ont été vé de toute action en paiement de ses loyers et charges pourrait-
octroyés que des avantages fiscaux liés aux abandons de loyers il engager cette responsabilité sur le terrain de la faute ?
que les pouvoirs publics les ont fortement incités à accorder. Cette responsabilité a été déjà recherchée à l’occasion de catas-
La responsabilité pour rupture d’égalité devant les charges pu- trophes sanitaires : sang contaminé40, amiante41, Médiator42.
bliques ouvre en principe un droit à indemnité aux personnes Mais il s’agissait de personnes directement atteintes dans leur
auxquelles un texte d’intérêt général a imposé un sacrifice santé et non d’acteurs économiques indirectement touchés par
financier anormal et spécial traduisant un traitement inégal les mesures légales et réglementaires ordonnées.
devant les charges publiques.
Une telle responsabilité n’était autrefois admise que très excep- 96 - Le bailleur ferait-il donc l’objet d’un traitement si différent
tionnellement, jusqu’à un arrêt du 30 juillet 2003 par lequel le du preneur, ou d’autres bailleurs dont les locataires ne rem-
Conseil d’État a reconnu la responsabilité sans faute de l’État plissent pas les critères du décret du 30 décembre 2020, qu’il
législateur qui cause à des personnes un préjudice anormal et serait fondé à soulever une QPC à l’occasion d’un litige voire
spécial37 . à engager la responsabilité sans faute de l’État ? La question se
pose d’autant plus au regard d’un communiqué de presse de
93 - Le bailleur concerné par le gel des actions institué par Bruxelles en date du 15 octobre 2021 annonçant que la Com-
l’article 14 peut-il utilement invoquer un préjudice ainsi mission européenne autorise la France à allouer une aide d’un
caractérisé ? montant de 700 millions d’euros en faveur de certains com-
Le caractère anormal du préjudice s’apprécie au regard de sa merces de détail et services touchés par la pandémie de coro-
gravité. Le dommage doit excéder les inconvénients et aléas navirus, dont certains magasins étaient fermés et d’autres ou-
normaux de la vie en société. Celui que subit le bailleur qui se verts, entre février et mai 2021, selon l’implantation de leurs
voit légalement privé, pour une durée indéterminée et en tout commerces43.
cas incertaine, de toute action possible en paiement des loyers
et charges (ce qu’aucun texte lié à l’actuelle crise sanitaire n’avait
prévu avant la loi du 14 novembre 2020, même pour les entre-
prises éligibles au fonds de solidarité), paraît bien remplir cette
première condition. 38 V. C. Deffigier, La responsabilité sans faute de l’État pour rupture de l’éga-
lité devant les charges publiques du fait de la loi du 10 juillet 1976 : AJDA
Toutefois, dans l’arrêt précité, le Conseil d’État précisait que les 2004, p. 1941, préc.
dommages ainsi réparables doivent affecter des activités qui ne 39 CE, 6 nov. 1985, Cie Touraine Air Transport : Lebon, p. 312 ; AJDA 1986,
sont pas précisément limitées ou interdites par la loi pour la p. 84, chron. Hubac et Azibert.
réalisation de son objectif d’intérêt général, ce qui est de nature 40 CE, 9 avr. 1993, n° 138653.
à limiter sérieusement la responsabilité de l’État législateur, sur- 41 CE, ass., 3 mars 2004, n° 241153 : JurisData n° 2004-066532 ; Lebon,
p. 125 ; AJDA 2004, p. 974, chron. Landais et Lenica. - CJEG 2004, p. 281,
concl. Prada ; Dr. adm. 2004, comm. 87, note Delaloy.
37 CE, sect., 30 juill. 2003, n° 215957, aff. Assoc. pour le développement de 42 CE, 9 nov. 2016, n° 393902, 393108 et 393904 : JurisData n° 2016-023458.
l’aquaculture en région centre - ADARC : JurisData n° 2003-065588 ; 43 D. n° 2021-1488, 16 nov. 2021 instituant une aide relative aux loyers ou
JCP A 2003, 1896 ; JCl. Administratif, Synthèse 320 ; AJDA 2003, p. 1815, redevances et charges de certains commerces de détail et services interdits
chron. F. Donnat et D. Casas. - C. Deffigier, La responsabilité sans faute de d’accueil du public afin de lutter contre la propagation de l’épidémie de
l’État pour rupture de l’égalité devant les charges publiques du fait de la loi covid-19 : JO 17 nov. 2021, texte n° 3. - V. notre commentaire, JCP E 2021,
du 10 juillet 1976 : AJDA 2004, p. 1941 et les réf. cit. à paraître).

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1501 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES

97 - Bailleurs comme preneurs subissent de plein fouet les Ne devraient-ils pas dès lors bénéficier de mesures de pro-
affres d’une crise majeure sans précédent. tection mieux équilibrées ? ■

L’essentiel à retenir

L’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 est un texte exceptionnel pris en raison de l’épidémie de coro-
navirus ; il suspend les actions et les sanctions à l’encontre des preneurs à bail commercial ou professionnel exerçant
une activité économique affectée par une mesure de police administrative qui ne paient pas ou paient avec retard leurs
loyers et charges locatives compte tenu de la crise sanitaire.
Ce texte institue, pour les locataires concernés, une période de protection qui s’achève 2 mois après que leur activité
cesse d’être affectée par une mesure de police administrative.
La fin de cette période de protection, qui pouvait être raisonnablement envisagée à la levée du confinement et au retour
à la normale (ou à la reprise) de l’activité économique, se trouve remise en cause par l’institution du passe sanitaire.
Le passe sanitaire, dont la possible utilisation obligatoire a été en effet prolongée jusqu’au 31 juillet 2022 par la loi
n° 2021-1465 du 10 novembre 2021, et qui constitue une mesure de police administrative, paraît permettre le maintien
de la période de protection de certains preneurs 2 mois après le 31 juillet 2022, soit jusqu’au 30 septembre 2022, pour
autant qu’il affecte leur activité dans les locaux concernés.
La présente étude s’intéresse à ce régime exceptionnel de protection de certains locataires, son contenu, sa mise en
œuvre, sa durée (point de départ et point d’achèvement) ainsi qu’à la notion même de mesure de police administrative.

PANORAMA

1502 usées au regard de la destination du locataire n’a pas bénéficié de la jouis-


BAIL COMMERCIAL - Indemnité bail, est constitué par l’engagement de sance de locaux conformes à leur des-
d’occupation - Nullité du bail - Im- dépenses pour démarrer son exploi- tination contractuelle, il n’est pas rede-
possibilité d’exploitation des locaux tation, et que le prêt de 100 000 euros vable d’une indemnité d’occupation.
sans incidence - Bailleur privé de la ayant pour objet de financer les dé- Pour condamner la locataire au paie-
jouissance des lieux jusqu’à la resti-
penses afférentes aux travaux d’aména- ment d’une indemnité d’occupation
tution des clés
gement, d’amélioration et de réparation suite à l’annulation du contrat de bail,
Il résulte de l’article 1382, devenu 1240, du fonds de commerce doit être pris en l’arrêt énonce qu’il importe peu qu’elle
du Code civil et du principe de la répa- compte dans la détermination du pré- n’ait pu exploiter les locaux pris à bail,
ration intégrale du préjudice que les judice indemnisable. En se déterminant la bailleresse ayant été privée de la jouis-
dommages-intérêts alloués à une vic- ainsi, sans rechercher, comme elle y était sance de son bien jusqu’à la remise des
time doivent réparer le préjudice subi, invitée, le montant des dépenses finan- clés. En statuant ainsi, alors qu’elle avait
sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni cées par le prêt, la cour d’appel a privé sa retenu que la bailleresse avait consenti
profit. Pour évaluer le préjudice subi par décision de base légale. un bail pour un local impropre à sa des-
la locataire à la somme de 130 000 eu- Il résulte de l’article 1304 du Code ci- tination contractuelle, la cour d’appel,
ros, l’arrêt retient que le préjudice par vil, dans sa rédaction antérieure à celle qui n’a pas tiré les conséquences légales
elle subi du fait de la faute commise par issue de l’ordonnance n° 2016-131 du de ses propres constatations, a violé le
la bailleresse, pour avoir consenti un 10 février 2016, qu’en cas d’annulation texte susvisé.
bail portant sur un local impropre à sa d’un bail pour un motif étranger au
destination et pour n’avoir pas appelé comportement du preneur, l’indemnité Cass. 3e civ., 3 nov. 2021, n° 20-16.334, B :
l’attention de la locataire sur l’insuffi- d’occupation représente la contrepartie JurisData n° 2021-017723
sance du réseau d’évacuation des eaux de la jouissance des lieux. Dès lors, si le Cassation partielle

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