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ALLEMANDS ONT-
ILS SUIVI HITLER ?
› Johann Chapoutot
Par ailleurs, quand on dit que « les Allemands ont suivi Hitler »,
on oublie les émigrés, les exilés, les opposants et les résistants de l’inté-
rieur. On oublie également que d’autres Européens et Occidentaux ont
suivi Hitler : les Français de la division Charlemagne, les nazis améri-
cains, les collaborateurs de toute l’Europe… Les crimes nazis, inédits
par leur ampleur et leur violence, par leur ambition et leur rapidité,
étaient en pratique irréalisables sans le concours empressé de ceux qui
ont aidé, approuvé ou laissé faire. Enfin, le nazisme n’est en soi que la
synthèse, ou le bassin collecteur, de myriades de notions, idées et prin-
cipes qui viennent d’à peu près partout et qui sont généralement, dans
l’Europe et l’Occident de la première moitié du XXe siècle, des lieux
communs : racisme, antisémitisme, colonialisme, capitalisme, impé-
rialisme, nationalisme, darwinisme social, Historien, spécialiste de l’histoire
eugénisme… La liste est encore longue de contemporaine de l’Allemagne,
ce qui, pris isolément, ne fait quasiment Johann Chapoutot est professeur
pas débat dans le monde qu’habitent les à l’université Sorbonne-Nouvelle
Paris-III. Dernier ouvrage publié : la
nazis. La force du discours nazi est d’opérer Loi du sang. Penser et agir en nazi
une synthèse peu ou prou cohérente de ces (Gallimard, 2014).
idées, et de proposer la « vision du monde » › johann.chapoutot@univ-paris3.fr
ainsi décantée à des contemporains égarés, en crise matérielle, morale
et intellectuelle (1), qui peuvent y voir un secours et un recours : ladite
« vision du monde » permet d’expliquer les malheurs de l’Allemagne
contemporaine et d’ouvrir une perspective de salut.
Salut personnel et national, matériel et moral : lorsque, médusé,
l’on pose et repose la question de la marche au pas des Allemands
derrière Hitler, non seulement la question est mal posée, mais elle
trahit également que l’on méconnaît la période (celle de l’après-
Grande Guerre, mais aussi de l’après-révolution industrielle, de
l’après-transition démographique, etc.) et la nature du régime nazi.
S’est imposé, après 1945, le paradigme totalitaire qui, pensé d’abord
finement par Hannah Arendt, a été diffusé par des générations d’épi-
gones et de manuels, jusqu’à aboutir à la représentation vulgaire que
voici : le totalitarisme est un régime qui veut dominer la totalité d’une
société, ainsi que de l’homme dans la société, et qui repose sur l’uni-
vocité (parti unique, message unique), ainsi que sur la propagande