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On a testé pour vous…


L’HYPNOSE DE RUE JEAN-FRANÇOIS MARMION

Dans cette nouvelle rubrique, notre intrépide rédac chef va expérimenter


ce que la psychologie propose de plus original. Attention, le résultat sera pris
sur le vif et SUBJECTIF.

«J
e m’appelle Jean-François, je suis transformé en message alarmiste m’énerver et que j’ai changé d’avis ! ^ ^
psychologue mais je n’exerce pas contre l’hypnose de rue. Ce qui ne lui
en tant que tel, je suis journa- fait pas moins de publicité pour autant. Dissociation, mon amour
liste spécialisé en psychologie. Je préfère désamorcer d’emblée toute Nous sommes là une quinzaine, dont,
Et je viens apprendre suspicion à mon égard en précisant : « Je si je me souviens bien, cinq femmes, ce
l’hypnose de rue pour fêter un ne suis pas en service ! » Et c’est la vérité. qui constitue un record. Car autant
anniversaire. L’anniversaire du Certes, j’ai bien pensé lancer dans le elles peuvent s’avérer nombreuses
moment où j’ai découvert que je savais Cercle Psy une nouvelle rubrique, durant les formations traditionnelles
hypnotiser. À l’époque, j’ai hypnotisé « Autopsy », où je raconterais en toute d’hypnose, autant l’hypnose de rue
plein de monde, mais j’ai préféré arrêter. subjectivité comment je m’amuserais semble les rebuter. Peut-être parce qu’il
Je trouve marrant de réessayer mainte- à tester personnellement les pratiques s’agit d’accoster des inconnus (telle est
nant. Avec moins de folie. En tout cas, les plus extravagantes liées à la psy- en tout cas l’hypothèse avancée).
une folie plus cadrée… Bref, je vais me chologie. Mais j’ai sincèrement Toujours est-il qu’il y a là des psycholo-
gues, divers thérapeutes, deux illusion-
nistes cherchant de quoi enrichir leurs
Manu nous prévient d’emblée que nous sommes là pour prestations, et une poignée de jeunes
gens éloignés du champ psy mais venus
démystifier l’hypnose, à travers une approche ludique en curieux. Manu nous prévient d’em-
et imaginative. Apprentis sorciers s’abstenir ! blée que nous sommes là pour démo-
cratiser et démystifier l’hypnose, à
travers une approche ludique et imagi-
native, et surtout pas pour prétendre
relancer dans l’hypnose pour la pre- renoncé, pour diverses raisons  : soigner les gens, ce qui nécessite une
mière fois depuis le lycée, en juin 1986, – Ma vie est équilibrée, et je ne tiens pas formation spécifique. Apprentis sor-
il y a exactement 30 ans. » à jouer avec le feu. ciers s’abstenir. Sage préambule.
Voilà qui déclenche un petit brouhaha – Je cours le risque de me discréditer Une séance d’hypnose de rue doit com-
de surprise dans l’assistance des auprès des lecteurs et de la communauté mencer par quelques secondes de « pré-
apprentis hypnotiseurs de rue. psy si je me laisse aller, en tout cas publi- talk », piteux vocable frangleux
Raphaël, l’un des formateurs pour ce quement, à mes penchants rock ’n’ roll. désignant les propos liminaires qui
week-end, lève son verre : « Bon anni- – Je serais obligé de me mettre en avant, rassurent le volontaire tout en prépa-
versaire ! Et garde quand même ta ce dont je me méfie. rant son embarquement immédiat
folie. » – Me connaissant, je ne serais pas satis- pour l’état hypnotique. En clair, il est
Le second formateur, Jean-Emmanuel, fait du résultat. bon de produire un petit laïus pour
J.E. ou Manu pour les intimes, vient – Ça me ferait travailler plus pour désamorcer les craintes. Annoncer que
justement d’expliquer combien il est gagner autant. c’est gratuit, sans risque de perdre le
déçu par d’autres journalistes qui lui Et j’en passe. De tels arguments sont contrôle, et qu’on est là pour découvrir
ont consacré un reportage télévisé tout à fait valables et rationnels. C’est et s’amuser. Il semble que beaucoup de
bienveillant à l’origine, mais finalement peut-être pour ça qu’ils ont fini par gens acceptent à condition qu’on ne

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Marie Dortier

leur fasse pas imiter la poule. Pourquoi


la poule et pas l’otarie ? La moule ? Beaucoup de gens acceptent à condition qu’on ne
Michaël Jackson ? Mystère. Par défini-
tion, quelqu’un qui consent à tenter leur fasse pas imiter la poule. Pourquoi la poule et
l’aventure est bien parti pour la facili- pas l’otarie ? La moule ? Michaël Jackson ? Mystère.
ter. Mais quelqu’un qui, sans refuser,
joue les malins, l’est tout autant, selon
Manu : « Ceux qui vous disent : ‘‘Sur moi,
ça marchera jamais’’, c’est la crème de de l’éthique, et le gardien des tables de cadre et acceptation spontanée de
la crème ! » Parce qu’au premier signe la loi. À commencer par celle-ci : en l’imprévu, Raph me donne plutôt l’im-
un peu bizarre, les voilà désarçonnés et hypnose, il n’y en a pas. Les ingrédients pression de respecter l’imprévu et de
convertis. Je prends soin de demander d’une mise en transe réussie sont pure- consentir, si nécessaire, à un déroule-
tout de même s’il n’est pas imprudent ment théoriques. On peut en sauter ment normal. Observation sous toutes
d’essayer sur des inconnus qui, pour quelques-uns, en intervertir, commen- réserves.
certains, pourraient s’avérer fragiles et cer par la fin, suivant le profil de l’hyp- L’une des volontaires n’a que 13 ans. Elle
entretenir d’avance quelques pro- notisé, le moment et l’intuition. a accompagné sa mère, thérapeute, et
blèmes avec la réalité. « Les psycho- Raphaël affiche une approche plus son père, entrepreneur, en sachant à
tiques ont tendance à nous éviter, joviale du phénomène. À l’exact opposé peine où elle mettait les pieds. Manu
explique Manu. De toute façon, si tu des clichés propres à la figure de l’hyp- refuse qu’on hypnotise des mineurs,
sens pas quelqu’un, tu dois refuser poli- notiseur, il survole les séances d’hyp- mais puisque ses parents sont là… Elle
ment mais franchement. » nose avec bonhomie, multipliant les qui posait sans cesse des questions se
Il est grand temps de procéder à des blagues et en riant lui-même, tournico- retrouve vite à connaître le sujet de
démonstrations. Chacun a son style. tant autour du quidam, avec noncha- l’intérieur. Raph s’y colle et la plonge en
Jean-Emmanuel, qui cite volontiers lance, afin de dynamiter la logique, transe.
Milton Erickson et Pierre Janet, incarne l’esprit de sérieux, l’appréhension. « Pense à quelqu’un de célèbre que tu
le fondateur, l’initiateur, le sourcilleux Lorsque Manu oscille entre respect du admires, finit-il par lui demander. Tu

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ANIMER LA STATUE !!!
Une petite pause, et c’est au tour des
stagiaires de pratiquer. On se lance
tous déjà, entre nous, dans le local de
formation. Après 30 ans d’interrup-
tion, j’ai l’impression de sauter à l’élas-
tique. À l’époque, j’avais raconté à un
copain comment j’avais assisté à une
séance d’hypnose, et il m’avait
demandé de lui montrer.
« – Ça sert à rien, je sais pas le faire !
– Ça fait rien, montre-moi, juste comme
ça !
– Bôh, si tu veux. »
Marie Dortier

Je lui avais donc montré juste comme


ça, dans un couloir du lycée, et il était
tombé dans les pommes. Je l’avais
hypnotisé sans le faire exprès ! Et sans
imaginer une seconde que j’en étais
Je lui avais donc montré juste comme ça, dans un capable. Vous imaginez l’impact que
couloir du lycée, et il était tombé dans les pommes. l’anecdote peut avoir sur un grand
mirliflore boutonneux de 15 ans et
Je l’avais hypnotisé sans le faire exprès ! demi. Plutôt non, vous n’imaginez pas…
D’autant que l’hypnose n’avait pas
encore effectué son retour en grâce
penses à qui ? l’appellerai Dove Cameron (ça la fera scientifique et médiatique, et qu’avant
– Dove Cameron. rigoler si elle lit ces lignes). Je lui Internet il était difficile de trouver
– Qui ça ? ! demande ce qu’elle a ressenti en cher- facilement des informations valables.
– Dove Cameron. chant partout l’autre Dove, la vraie, Et même fausses, d’ailleurs. On n’avait
– Ah ?… Tu pouvais pas choisir l’actrice et chanteuse servant de jeune d’autre choix qu’apprendre sur le tas. Je
quelqu’un qu’on connaît ? Bon, à ton égérie à Disney. raconterai peut-être ça un jour, d’un
réveil, tu sentiras que Dove Cameron est « J’ai hésité… Je savais pas vraiment si ton amusé… dans longtemps… en
présente parmi nous, cachée quelque elle était là… m’allongeant dans mon cercueil… mais
part. Et tu la chercheras. » – En me fonçant dessus, t’avais pas l’air alors, pile avant de fermer le
Après son réveil, la jeune fille semble d’hésiter. couvercle.
interdite. Elle regarde autour d’elle. – Ouais… C’est bizarre… » Là, j’allais donc replonger ! Avec une
Puis elle se rue vers moi ! Va-t-elle me C’est là tout le charme de la dissocia- méthode infiniment plus directe, plus
prendre pour son idole ? La suite dans tion, phénomène clé de l’hypnose frontale, plus audacieuse, que celle plus
le prochain Cercle Psy ! voulant qu’on se trouve à la fois dans la emberlificotée, et plus pompeuse aussi,
réalité et ailleurs, crédule et incrédule. que j’employais par défaut durant
Non, je rigole. En fait elle va juste regar- Et ce phénomène s’obtient en faisant l’adolescence.
der derrière ma chaise, puis examine le buguer le cerveau, en court-circuitant Pas le temps de réfléchir, je me
fond de la pièce, avant de disparaître la logique, en procédant à ce que le retrouve avec un partenaire, qui n’est
vers la cuisine et les sanitaires. Hélas ! jargon des hypnotiseurs qualifie de autre que le papa de Dove Cameron.
Dove Cameron n’est pas aux toilettes. rupture de pattern. Hardi ! Il réagit correctement aux pre-
Plus tard, j’ai retrouvé l’adolescente. Au praticien de s’engouffrer dans la mières étapes, graduelles, visant à
Comme j’aurai à reparler d’elle et que je brèche pour maintenir cet état, pro- tester sa suggestibilité et préparer en
préfère changer son prénom, je pice à la suggestibilité. catimini une rupture de pattern. Ses

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index, puis ses mains s’aimantent. message, il prêche un converti. Manu stagiaires ont crayonné des petits mots
Ensuite, ce sont les bras qui com- s’adapte et cesse d’œuvrer pour me pour rigoler. Notamment, pour des
mencent à bouger sur mon ordre, ou bloquer les jambes. L’état hypnotique raisons qui m’échappent (mais vous qui
plutôt mon invitation. Puis, je fais en va donc s’arrêter là en ce qui me entrez dans l’hypnose, renoncez à tout
sorte que ses jambes deviennent diffi- concerne. À la lisière. comprendre) : « tartiflette ».
ciles à lever. Ça marche correctement, Je change de partenaire en tant qu’hyp-
sans plus. Un des ressorts du processus notiseur, et j’obtiens de meilleurs HYPNOSE GRATUITE
est qu’il laisse aller son imagination résultats qu’avec le premier. Je ne TARTIFLETTE
pour illustrer et encourager lui-même l’avais pas compris mais il s’agit d’un
mes suggestions, mais il lui est difficile habitué, qui vient régulièrement assis- Il me faut cette pancarte-là à tout
de se lâcher. Quand je lui demande ter aux stages. Il me félicite parce que prix !!! J’ai à peine le temps de m’en
d’imaginer ce qui peut enraciner ses
jambes par exemple, il reprend des
métaphores déjà employées lors des
démonstrations. Je repère du coin de
Pour notre baptême du feu, nous nous retrouvons non
l’œil une psychologue qui vient de rou- pas dans une ruelle fréquentée par trois pelés et un
ler à terre, de tout son long, pour une
petite sieste complètement imprévue
tondu, mais devant les marches de l’Opéra Bastille.
par son hypnotiseur. Ça ne me sur-
prend même pas, j’en ai vu bien
d’autres autrefois : j’éprouve un senti- j’ai réussi à le prendre en main, alors emparer qu’une jeune femme m’ac-
ment de familiarité avec, au plus, une que souvent les gens refusent de le coste. Pas pour l’hypnose, mais pour un
petite sonnette d’alarme me prévenant faire, quelque chose en lui semblant les café. Pour m’en offrir un… J’entends par
de rester calme au milieu des lézardes déranger. Je ne comprends pas quoi. là, pour m’offrir un échantillon : c’est
dans le réel. son boulot, elle en distribue aux
C’est au tour de mon partenaire de Les exploits du king de la passants.
m’hypnotiser, cette fois. Personne n’y tartiflette « On fait un deal. Je prends votre café,
est parvenu avec moi, jadis. Il est mala- Ça, c’était pour la pataugeoire. Le plon- mais vous prenez mon hypnose. » Et je
droit et peu sûr de lui, mais aujourd’hui, geon dans le grand bain, c’est tout de lui montre ma pancarte.
j’ai envie que ça marche et je sens, en suite après le déjeuner. Dans le métro, Elle fait la lippe : « Non, ça m’intéresse
effet, les premières étapes réussir. Mes je sympathise notamment avec Dove pas… J’ai peur de perdre le contrôle… »
bras se bougent tout seuls, lentement, Cameron. « Jean-François c’est trop dur Je lui sors alors l’argumentation que j’ai
sans effort, en tout cas conscient, de à dire, je peux t’appeler Jean-Franck ? » prévue pour mon… « pré-talk » (vertu-
ma part. La catalepsie des jambes est Ça me va, bien sûr. D’autres m’infor- chou, que c’est laid décidément !) :
plus difficile à obtenir. Manu, qui passe ment que je ressemble à Smith, le « Vous ne perdrez pas le contrôle. C’est
par là, prend le relais. Quand je dois méchant de Matrix. Ça me va aussi. Je comme au cinéma. Vous vous laissez
déployer mon imaginaire pour accen- ne sais plus qui me l’a déjà dit, d’ail- surprendre, embarquer par le film, mais
tuer la suggestion de catalepsie, je vois leurs, même si ça ne me paraît pas fla- en même temps vous savez que vous
bien une statue… mais ce qui me vient g r a nt . On ne v a pa s se f a ir e restez dans votre fauteuil, que vous pou-
spontanément à l’esprit, c’est qu’elle bourgeonner un ulcère pour si peu. vez quitter la salle à tout moment si ça
doit descendre de son piédestal. Trêve de plaisanterie : pour notre bap- ne vous plaît pas. Si je vous suggère des
D’abord, Manu regimbe. Je lui réplique tême du feu, nous nous retrouvons non choses qui ne vous plaisent pas, vous me
que j’aime beaucoup la tournure que pas dans une ruelle fréquentée par le dites et on arrête tout de suite. C’est
prennent mes images intérieures. trois pelés et un tondu, mais carrément une séance d’initiation légère, on n’est
Ne jamais rester figé mais bouger, devant les marches de l’Opéra Bastille. pas là pour faire de l’ hypnose de
rester curieux, profiter de la fête sans On nous distribue des pancartes pro- spectacle. »
ronchonner. Vivre. Si c’est vraiment posant une séance d’hypnose gratuite. Une de ses collègues l’encourage. Elle
mon inconscient qui m’envoie ce Sur l’une d’elle, de précédents accepte. Je l’entraîne un petit peu à

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l’écart. Elle répond très bien aux tests sous le nez. Tout ça reste bon enfant. erreur de débutant : au lieu de lui
de suggestibilité. Cornecul ! Ça Une nouvelle personne m’aborde. Un demander ce qui cloche, je tente de
marche ! Et me voilà qui fais spontané- type qui fait 2,20 m. Il est pressé, mais passer outre et de lui faire oublier son
ment preuve d’un style très rassurant, il veut tester. C’est très laborieux. À la prénom pour qu’elle en adopte un
très encourageant, presque paternel. fin, il m’explique qu’il voulait vérifier s’il autre. Ça ne marche pas. C’est seule-
Comme je veux rester prudent, je sus- est hypnotisable, parce que Messmer, ment après son réveil complet que je lui
cite simplement en elle un état de bien- la star québécoise de l’hypnose, ne l’a demande des retours. Ce que j’ignorais,
être complet. Quand je la réveille (c’est pas sélectionné pour monter sur scène. c’est qu’il s’agit d’une vieille habituée.
une façon de parler, elle n’a pas vrai- Ce qui l’a vexé. Je raconte l’anecdote à Et que contrairement à moi, elle
ment dormi), elle se sent complètement un autre stagiaire, qui m’explique qu’il connaît la pratique du signaling (encore
un joli mot), c’est-à-dire un code corpo-
rel à travers lequel l’inconscient est
Je n’ai pas voulu aller trop loin avec mes volontaires. Je censé dire oui ou non. Remuer les
pouces, pour elle, ça voulait dire non. Et
me suis contenté de les faire se sentir bien, s’amuser, ce qui l’a bloquée, c’est la perspective
rire aux éclats pendant leur transe. que le ciment lui grimpe au long des
jambes au point de perturber la circu-
lation du sang. Voilà pour ma
gouverne.
apaisée. Troublée, aussi. « C’est lui est arrivé la même chose ! Pendant Autour de nous, d’autres habitués
bizarre… » C’est exactement ce que vont que j’y suis, j’essaie de l’hypnotiser s’agitent joyeusement, en renfort de
me dire les six prochaines personnes aussi… Mais Manu en personne a eu notre groupe de stagiaires. Tandis que
que je vais hypnotiser. Des gens qui maille à partir avec lui le matin même, je fais la grève du zèle, les jambes ver-
m’abordent après m’avoir vu faire, ou et je ne peux pas faire mieux. Il ne se moulues et le sang en boudin après
que j’arrête devant l’Opéra. Parmi eux, lâche pas. Pas encore. En retour, il 3 heures de station debout, j’assiste à
une femme assise sur les marches avec s’efforce de m’hypnotiser. Or dès le la séance de l’un d’eux. Il hypnotise une
une dizaine de copines se fait prier, ne début, alors qu’il me met au défi de passante, et prie sa maman, qui l’ac-
me disant jamais non mais énumérant séparer mes index joints, je me fais un compagne, de s’éloigner. Il indique à la
toutes sortes d’arguments pour ne pas plaisir de les décoller. L’immobilité, dame qu’elle va bientôt la retrouver, sa
dire oui. Ce qui finit par l’emporter, c’est même dans les doigts, ça n’est décidé- maman, qu’elles ne se sont pas vues
la présence de toutes ses amies qui se ment pas pour moi. Alors que j’aimerais depuis longtemps, et qu’elle va pouvoir
porteront garantes de mon équité. Je jeter mon tablier pour la journée, il me la serrer dans ses bras. Puis il fait signe
parviens à l’hypnotiser alors qu’elle signale une jeune femme qui constitue, à une des psys de s’avancer. Il réveille la
reste assise parmi elles. Le regard des paraît-il, un sujet idéal, hautement dame. Elle regarde la psy, sourit,
autres m’est devenu complètement suggestible. Je tente le coup avec elle. s’avance, lui tend les bras, l’enlace, lui
différent. L’incongruité de la situation J’obtiens une bonne catalepsie des fait des câlins, des bisous. La psy, bou-
n’est plus un obstacle. jambes. À l’appui de mes suggestions leversée, gênée, semble avoir avalé un
Après sept séances, je suis claqué. Je plus générales, elle imagine elle-même chausse-pied. Perpendiculairement à
n’ai pas voulu aller trop loin avec mes ses pieds pris dans le ciment. Comme l’œsophage, de surcroît.
volontaires. Je me suis contenté de les elle paraît crispée, j’aimerais mainte- « C’est qui ? demande-t-il.
faire se sentir bien, s’amuser, rire aux nant qu’elle se détende davantage. Je - C’est ma maman. » Et elle dit à la psy :
éclats pendant leur transe. Non loin de lui demande d’imaginer que des petits « Je t’aime.
moi, Dove Cameron déborde d’enthou- bouts de ciment lui remontent le long - Euuuh… » qu’elle répond.
siasme. Elle ne cesse de solliciter les des jambes pour la chatouiller. Pour L’hypnotiseur demande à la vraie
gens, elle se plante beaucoup, mais elle toute réponse, ses pouces remuent maman de revenir près d’eux. La dame
apprend. Sa maman s’amuse avec un frénétiquement. Quelque chose ne va regarde alternativement sa fausse
jeune homme devenu incapable de pas. Je tente autre chose pour implan- mère et la vraie, paraissant à peine
retrouver sa casquette alors qu’il l’a ter un fou rire, qui ne vient pas. Et là, surprise. On dirait qu’elle suit un match

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depuis les tribunes de Roland Garros.


« Et ça, c’est qui ? demande-t-il en dési-
gnant la vraie maman.
- C’est ma maman aussi. »
Il la réveille pour de bon. Rideau.
Personnellement, je m’arrête là pour
aujourd’hui. Je m’éclipse parce qu’après
avoir questionné notre rapport à la
réalité, je vais enfoncer le clou en me
vautrant dans la réalité… virtuelle.

Intermède avec
des rhinocéros blancs
Le premier cinéma français consacré à
la réalité virtuelle vient en effet d’ou-
vrir à Paris. J’ai réservé une place pour
le soir même, histoire de me déstabili-
ser au maximum. Il s’agit d’une toute
petite salle, derrière une vitrine à peine
dissimulée par des rideaux (on croirait

Marie Dortier
s’engouffrer dans un peep show). À
l’intérieur figurent une quinzaine de
fauteuils pivotants, dont quelques-uns
situés en mezzanine, tous pourvus d’un
visiocasque et d’un casque audio. Je
m’immerge dans quatre courts- L’un d’eux refuse obstinément d’oublier le chiffre 5
métrages : une animation graphique et de le remplacer par le mot « banane ».
présentant la chimie du coup de foudre,
un documentaire sur les derniers rhi-
nocéros blancs, une lutte contre un
psychopathe assassin dans une
chambre d’hôtel, et une expédition sur plancher de la chambre d’hôtel, ou satisfait que j’aie appris de mes erreurs.
un astéroïde glauque. Et là, je com- l’espace qui défile sous l’écoutille de Les illusionnistes n’en reviennent pas :
prends que mon analogie entre la dis- mon v a isseau. J’e x pér imente « Des fois, on met des années à mettre
sociation et l’expérience du cinéma 40 minutes de dissociation. au point des tours, et là on est arrivés à
tient plutôt la rampe. Côté réalité, je Au retour, la Seine étant sortie de son hypnotiser dès le premier jour ! » La
distingue les pixels sur l’écran, je sens lit après des pluies apocalyptiques, ma matinée est consacrée aux ruptures de
le genou de mon voisin frôler le mien, ligne de métro est fermée, infiltrée par pattern accélérées, à l’implantation
j’entends les bruits de circulation, et les eaux. J’essaie d’en prendre une d’une amnésie provisoire, et au fameux
même une conversation depuis une autre, dont on annonce également la signaling. Mais c’est plus laborieux que
salle voisine. Et pourtant, côté illusion, fermeture au moment exact où j’allais la veille, et les volontaires donnent du
le rhinocéros se trouve à la distance m’engager dans le couloir. Je mets un fil à retordre à Manu et Raph. L’un d’eux
appropriée pour me lécher les doigts de temps fou à rentrer à mon hôtel à refuse obstinément d’oublier le chiffre
pied, le sang du combat me gicle des- l’autre bout de Paris, et je dors peu. 5 et de le remplacer par le mot
sus, et je voyage dans les méandres de Au matin, j’ai mal partout et je suis « banane ». Tout au plus perçoit-il un
l’astéroïde en regardant partout autour crevé. Les autres ne sont pas beaucoup singe à lunettes qui montre une banane
de moi. Quand je baisse la tête, je ne plus vaillants. Ma métaphore du sur un tableau au moment où il faudrait
vois même pas mon corps, mais le cinéma dûment approuvée, Manu est dire 5. Raph, sans se départir de sa

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pas plonger. Je relève la tête : « Bien joué,


mais non ! » Quant à savoir pourquoi j’ai
refusé, je n’en sais rien. Je suppose que
j’ai décelé une espèce de jeu de miroirs
avec cette adolescente confrontée à la
même découverte que moi trente ans
plus tôt. Peut-être que cet instant m’a
rappelé en négatif quelque chose que je
ne voulais pas revivre. Ou peut-être
que j’ai tout simplement renâclé à l’idée
de me faire avoir par une hypnotiseuse
trop jeune et trop dégourdie. J’ai bien le
droit d’être un crétin, après tout.
Du coup, j’essaye sur elle. Comme elle
Ma rie Dortier

s’attend à mon effet de surprise, la


mayonnaise ne prend pas non plus.
Tant pis, il faut que quelqu’un d’autre
me prenne pour cobaye. Mais alors que
Près de moi, endormies par procuration, c’est-à- je cherche une bonne âme, je suis solli-
cité par des passants… Me voilà donc
dire par le simple fait de voir quelqu’un d’autre reprenant mon rôle d’hypnotiseur. Il
entrer en transe, deux psys font de beaux rêves. faut dire qu’à Beaubourg, l’ambiance
n’est pas du tout la même qu’à l’Opéra
Bastille. Hier, certains refus me parais-
saient bien secs, à la limite de l’agressi-
légèreté apparente, parvient tout de Le final en fanfare vité. L’ambiance d’ici est plus détendue.
même à installer un bouton à rire sur Cap, cette fois-ci, sur le centre Moi aussi, j’ai changé. Toutes les pre-
l’épaule d’un autre volontaire, qui Pompidou. Aujourd’hui, je ne prends mières étapes ne sont plus qu’une for-
rigole bien quand on appuie dessus. pas ma pancarte tartiflette, je la laisse malité. J’enchaîne six séances à un
Près de moi, endormies par procura- à d’autres. D’ailleurs, je n’ai pas vrai- rythme industriel. J’ai étonnamment
tion, c’est-à-dire par le simple fait de ment envie d’hypnotiser, je préférerais gagné en assurance et en conviction. Je
voir quelqu’un d’autre entrer en transe, qu’on me fasse expérimenter moi- tutoie tout le monde, j’appelle les gens
deux psys font de beaux rêves. Et l’une même ce qu’est une amnésie. Je par leur prénom. En revanche, je suis
d’elles en particulier éprouve un mal de cherche à qui je pourrais bien deman- toujours aussi onctueux et mignonnet :
chien à se réveiller. La solution : l’im- der… Et là : « Je t’hypnotise, Jean-Franck, j’essaie juste que mes sujets se sentent
plantation d’un curseur le long du bras. s’te plaît ? » Fais comme chez toi, Dove ! bien. J’y parviens même en anglais,
Maintenant, plus elle lève le curseur On commence tranquillou, par le test avec une Norvégienne. Et même avec
vers l’épaule, plus elle revient facile- de suggestibilité habituelle. Puis au une fanfare, passant à quelques mètres
ment dans un état frais et dispos. moment où mes mains se rapprochent, de là dans un tintamarre qui n’empêche
Pendant le repas, je me retrouve à côté clac ! rupture de pattern accélérée ! En pas mon sujet de se blottir dans une
de Dove Cameron et ses parents. Des une fraction de seconde Dove me joint bulle de bien-être.
gens adorables, drôles, ouverts, pleins les mains, et me bascule la tête sur son Je vais cependant un peu plus loin que
d’amour pour leur fille. Plutôt que par- épaule en m’intimant de dormir. À cet la veille, en ce sens que j’utilise une
ler encore d’hypnose, je préfère écou- instant, je me sens comme au bord d’un induction fractionnée permettant aux
ter les leçons de Dove sur la vraie Dove. tunnel vertical. Ou un puits, quoi. Mon gens de s’abandonner par étapes
« Je peux te piquer ton portable, Jean- esprit est emporté dans une dyna- lorsque c’est nécessaire. Et systémati-
Franck ? » Elle me montre des photos de mique de plongeon. En même temps, je quement, je leur fais piquer un roupil-
la star. sens que j’ai le choix… Et je choisis de ne lon sur mon épaule. C’est assez

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ahurissant : je me retrouve à prendre la c’est facile. Et d’autres habitués, de trancher. C’est énorme, incroyable,
main d’inconnus, de jeunes femmes, de comme la veille, sont venus se joindre déroutant, transgressif, ça pulvérise
wesh-wesh avec la casquette à l’envers, à notre stage. Combien sommes-nous ? tout ce que vous croyez savoir sur la
et ils terminent avec le nez niché en 25, 30 ? Ils se connaissent tous, et psychologie, le réel, les relations
plein bain de phéromones. Je me s’hypnotisent entre eux. Une jeune sociales… Une rupture de pattern
montre complètement indifférent au ayant expliqué à Manu qu’elle irait bien géante, sur deux jours. Et en même
regard des badauds, qui parfois recon- en Martinique, il l’a placée en transe en temps, oui, c’est peut-être anodin, une
naissent les hypnotiseurs déjà vus à la une seconde. Et la voici plantée là, grande comédie que chacun accepte de
télé. Les fanfares passent, les policiers arpentant d’autres paysages, les yeux jouer eu égard aux circonstances, par
aussi. Et toujours, après la phase de bougeant frénétiquement. Un hypno- complaisance.
retour, le même commentaire : « C’est tiseur, fatigué, me propose de m’occu- Manu nous a raconté qu’une grande
bizarre… »
Et l’amnésie dans tout ça ? Ma foi, je
refais une tentative. Non plus en jouant
avec le prénom comme la veille, mais
Je suis maintenant persuadé d’une chose :
en faisant oublier le chiffre 4 à un jeune tout le monde est à la fois un hypnotisable
homme particulièrement suggestible.
Je lui demande d’imaginer qu’il inscrit
et un hypnotiseur potentiel.
tous les chiffres sur un tableau, puis
d’effacer le 4 et de resserrer l’espace
entre le 3 et le 5. Après ça, quand je le per d’un nouveau sujet intéressé. Mais figure de l’hypnose thérapeutique
prie de compter, le 4 s’est volatilisé. je décline. Dans tous les sens du terme, française était venue l’insulter en
J’éprouve tout de suite des scrupules de d’ailleurs : moi aussi je suis fourbu, et il pleine rue. Peur de voir l’hypnose
psychologue, je trouve ça vain. Un faut que je parte. Pas question de faire démystifiée ? Volonté de confiscation
autre hypnotiseur, pendant ce temps, la séance de trop, comme la veille. institutionnelle ? À mon avis, non. Sur
provoque un joli attroupement en le fond, cette méfiance me semble non
paralysant un badaud et en lui faisant Conclusion : rien compris ! seulement sincère, mais légitime. Dans
oublier son prénom. « Comment tu Et voilà. Hypnotiser en pleine rue pas- un cadre thérapeutique, l’hypnose
t’appelles ? - Je sais plus… Je sais plus… » sagère des inconnus, leur faire piquer constitue un outil précieux, et infini-
À son réveil, la foule applaudit. Il paraît du nez sur mon épaule, dans un Paris ment délicat, qui ringardise bon
qu’un autre a joué non pas à faire inondé, en état d’urgence et au bord de nombre d’autres approches. Quelques
oublier, mais à modifier un prénom. Un la révolution entre manifs et Nuit confidences échangées avec les sta-
prénom indien en l’occurrence, à ral- Debout, ça, c’est fait. Qu’en conclure ? giaires thérapeutes nourrissent toute-
longe. Le monsieur s’est réveillé en La réponse tient en quatre lettres : fois mes propres craintes de
étant persuadé qu’il s’appelait Marcel. RIEN. Je me sens sur la même longueur psychologue quant à sa pratique dans
Dove me raconte qu’elle s’en est donnée d’onde que mes 16 volontaires de rue : un cadre improvisé, en pleine rue.
à cœur joie. Elle a fait en sorte qu’une c’est bizarre. Irréel. J’espère que l’hypnose officielle et
dame, après son réveil, fouille dans son Je suis maintenant persuadé que tout l’hypnose ludique sauront se recon-
sac à la recherche d’un escargot s’y le monde est hypnotisable, en quelques naître et dialoguer. D’autant que
étant faufilé, et qu’une autre femme secondes ou en trois quarts d’heure. Je d’autres mouvements de rue sont en
encore essaie vainement de pénétrer suis également persuadé que tout le voie d’émergence et n’en appelleront
dans un immeuble, certaine qu’il s’agis- monde est un hypnotiseur potentiel. Et peut-être pas tous à l’esprit de respon-
sait de son domicile. Pas de doute, c’est pourtant, je ne peux pas être absolu- sabilité et à la bienveillance des hypno-
elle qui s’en sort le mieux. « Il faut avoir ment certain que l’hypnose existe. Il tiseurs. Allez, joyeux anniversaire,
gardé sa spontanéité pour réussir
comme elle », me dit son père. Il a rai-
est difficile de dire si elle se résume à de
la suggestion ou s’il s’agit d’un phéno-
moi-même. •
son : le plus difficile pour pratiquer mène à part entière. Le débat dure Pour en savoir plus : www.street-hypnose.fr
l’hypnose, c’est d’admettre à quel point depuis 150 ans, et je me garderai bien

SEPTEMBRE/OCTOBRE/NOVEMBRE 2016 | N°22 | LE CERCLE PSY

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