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agronome en Ethiopie (1965-1975), 2011.
Djalil et Marie HAKEM, Le Livre de Djalil, 2011.
Chantal MEYER, La Chrétienne en terre d’Islam, 2011.
Danielle BARCELO-GUEZ, Racines tunisiennes, 2011.
Paul SECHTER, En 1936 j’avais quinze ans, 2011.
Roland BAUCHOT, Mémoires d’un biologiste. De la rue des Ecoles à la rue
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Eric de ROSNY, L’Afrique, sur le vif. Récits et péripéties, 2011.
Eliane LIRAUD, L’aventure guinéenne, 2011.
Louis GIVELET, L’Écolo, le pollueur et le paysan, 2011.
Yves JEGOUZO, Madeleine dite Betty, déportée résistante à Auschwitz-
Birkenau, 2011.
Lucien LEYSSIEUX, Parcours d’un Français libre ou le récit d’un sauvageon
des montagnes du Dauphiné, combattant sur le front tunisien avec les Forces
françaises libres en 1943, 2011.
Sylvie TEPER, Un autre monde, 2011.
Jean Michel Cantacuzène
Chimie Organique
3 tomes (avec A.Kirrmann et P. Duhamel)
Armand Colin, Paris, 1971-1975
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-56883-9
EAN : 9782296568839
AVANT-PROPOS
1
Malgré plusieurs demandes au CNSAS (Conseil National pour l’Etude des Archives de la
Securitate) directes ou par des relations, la famille n’a jamais pu accéder au dossier établi par
la Sécuritate au fil des années pour G.M. Cantacuzène. Cet accès sur place, au dossier de
G.M.C., a pu être obtenu, moyennant une assez forte somme (statutaire) par un architecte
doctorant allemand qui vient de soutenir sa Thèse à Stuttgart en Allemagne. Dan Teodorovici
“G.M.Cantacuzino (1899-1960) : Dialogik zwichen Tradition und Moderne”, Université de
Stuttgart, Faculté d’Architecture & Urbanisme, 2010.
M. Teodorovici avait aimablement mis ses notes de consultation sur place du dossier de la
Securitate, à la disposition de la famille de G.M. Cantacuzène qui nous les a transmises.
2
Voir au chap. XIII comment la Roumanie communiste chassa une bibliothèque unique.
11
Chap. I Happé par le goulag
3
Après une enfance triste en Olténie avec ‘Téohari Georgesco’, Marin Jianu était devenu
ajusteur aux chemins de fer roumains. Informateur après 1945, il devint le 2 avril 1948
ministre adjoint de son ami le ministre de l’Intérieur. Après sa disgrâce en 1952, ce noceur et
pourvoyeur de plaisirs aux puissants fut rendu responsable de la situation abominable du
goulag roumain, et singulièrement de Pitesti.
Une page entière de biographie lui est consacrée par Marius Oprea,Banalitatea raului,
Oistorie a securitatii în documente, 1949-1989, Ed. Polirom, Bucarest 2002, p. 558-559.
4
Jilav, mot d’origine bulgare.
5
Oana Orlea (Marie-Ioana Cantacuzino), Les années volées, dans le goulag roumain à 16 ans,
Ed. Seuil, 1992, p. 41
12
Chap. I Happé par le goulag
vers la porte du Fort, nous ne soupçonnions pas vers quoi nous nous
dirigions... et ce qui nous attendait.
$ous avons été ramenés à la réalité par un groupe de choc de brutes en
uniforme bleu-délavé. C’étaient les gardiens de la sinistre Jilava. La pluie
de coups assénés comme ça, pour rien, ne s’arrêtait pas... On tombait, on se
relevait et de nouveau on tombait... Le gardien-chef, Ivanica, bestiale
célébrité aujourd’hui connue de tous, cognait de tous les côtés avec sa
matraque criant sur nous comme un dingue ‘Voilà votre baptême, tas de
bandits ! Pour que vous compreniez que vous êtes à Jilava ! C’est ici que
vous laisserez votre carcasse.’
C’est avec ces paroles que nous avons été introduits par la Porte n°1. Il
s’en est suivi une perquisition enragée. Ils cassaient, déchiraient,
confisquaient et de temps en temps nous donnaient encore un coup de botte.
$ous attendions déshabillés, tout nus. Pendant ce temps ils nous délivraient
aussi nos documents d’incarcération.
Enfin, pleins de bleus, à peine habillés, on nous fit passer la Porte n° 2 et
ils nous ont jetés dans un caveau tout en long6, quelque part sous la terre,
tout en nous cognant. Dès l’entrée dans cet endroit, on était agressé par une
odeur infâme de cabinets pestilentiels7. A la lumière des deux faibles
ampoules qui pendaient du plafond, j’ai vu les figures terreuses des
locataires de cette grotte...
Ils ressemblaient à des ombres8. C’est très exactement ce qu’avait dû
subir Georges pendant son séjour à Jilava... il n’en parla jamais, n’en ayant
pas le droit.
6
Grigore Caraza, Aïud însângerat, Ed.Vremea XXI, 2004, chap.III . L’Enfer de Dante. “Dans
ce local prévu pour 30 à 35 personnes, on avait entassé 150 à 200 condamnés. Les fenêtres
étaient obstruées par des planches clouées. A cause de la chaleur les détenus étaient tout nus”
7
Grigore Caraza, op.cit.”Dans la chambrée il y avait un tonneau métallique de 200 litres env.
sans couvercle, sur lequel nous devions monter les uns après les autres, pauvres de nous, et
nous accroupir pour faire nos besoins, affrontant la gêne du regard des autres. Le papier
nous était interdit pour éviter les messages... L’odeur était insupportable... le tonneau était
vidé tous les 2-3 jours...”
8
Constantin Ticu Dumitrescu, Marturie si document, vol. 1, pt. 1, Ed. Polirom, 2008. p. 162.
Arrêté à l’automne 1949, l’étudiant Ticu Dumitrescu (1928-2008) a suivi pratiquement le
même chemin de prisonnier que Georges. Ayant 30 ans de moins que Georges, il a vécu assez
longtemps pour devenir un sénateur renommé par ses lois visant à dévoiler les agissements de
la Securitate et pour pouvoir laisser son témoignage complet en 6 tomes in 4°, sur ses
15 années de détention, documents à l’appui. Il est mort à 80 ans, au moment où sortait son
6ème et dernier tome de témoignages. Il n’aura pas pu faire passer la loi de ‘lustration’ visant
à limiter l’accession à des fonctions officielles en Roumanie des personnes ayant fait partie
des structures de direction ou de répression de l’appareil communiste ; ce qui fait que ce sont
eux qui tiennent toujours le haut du pavé, ce qui a eu pour effet de faire émigrer
définitivement depuis 1990 des millions de Roumains.
13
Chap. I Happé par le goulag
9
Ancien attaché militaire US en Bulgarie, le colonel C.C.Jadwin avait été envoyé (avec deux
autres personnes) en Turquie à la fin de l’année 1943 par l’Office of Strategic Services, de
Washington, dans le but d’établir un contact avec les autorités bulgares. Le gouvernement des
Etats-Unis voulait se rendre compte si la Bulgarie pouvait être détachée de l’Axe et ramenée
dans le camp des Nations Unies. Les pourparlers discrets se poursuivirent au Caire jusqu’en
mars 1944, de manière favorable aux espoirs américains. (Rapport de fin de mission en date
du 23 mars 1944 du colonel Jadwin & C° au général Donovan, directeur de l’OSS. Document
déclassifié, trouvé sur internet). Seule la Roumanie arriva à se détacher de l’Axe pour
rejoindre les Nations Unies le 23 août 1944, mais cela ne lui procura aucun avantage. Le nom
du colonel Jadwin apparaît également dans les mémoires de l’ambassadeur américain à
Bucarest, Burton Y. Berry, Romanian diaries, 1944-1947, p. 137-138, lorsque ce colonel
intervient après du général Vinogradov-commandant des troupes russes en Roumanie-pour
obtenir un visa de sortie pour le diplomate suisse Paul Ritter et son épouse (née en Russie).
14
Chap. I Happé par le goulag
était promu lieutenant-colonel. Il fut aussitôt après pris en main par les
sécuristes de Nicolski et relaché pour être infiltré dans un groupe hétéroclite
d’opposants au régime qui furent arrêtés au printemps 1948 : des industriels,
des universitaires, un amiral, auxquels on adjoignit Georges et son beau-
frère Brancovan. Au procès principal d’une centaine de personnes qui eut
lieu à la fin octobre 1948, on entendit Toba compromettre la plupart des
accusés en racontant leur avoir extorqué divers services, et notamment de
l’argent, pour aider la résistance roumaine, alors qu’il semble bien que son
action ait été télécommandée par l’agent soviétique Nicolski10.
Il n’est donc pas impossible que, vu les états de service antérieurs de
l’ataman Toba, Georges l’ait aidé à contacter tel ou tel Américain, ignorant
qu’il était déjà retourné par un agent soviétique travaillant en Roumanie...
Pour remercier Toba de sa coopération au détriment de ses compatriotes, les
Soviétiques l’invitèrent à parfaire son éducation en Sibérie, où il passa une
vingtaine d’années au goulag ; cela se nommait la rééducation.
Georges eut donc droit, dans un procès annexé au procès principal et qui
eut lieu fin 1948, à cinq ans de goulag, peine légère par rapport à tous les
crimes qu’on lui avait imputés - organisation fasciste, terrorisme, armes et
munitions. Cette peine relativement “légère” montre qu’il était juste fautif
d’avoir tenté de fuir ce département soviétique, qu’était devenu la
Roumanie, pour rejoindre les siens. Sa belle-soeur Marina ainsi que sa fidèle
secrétaire Margareta, avaient pu l’entrapercevoir lors de son procès, dans des
conditions indignes, car la Roumanie, qui n’avait déjà plus rien d’un pays
civilisé, allait sombrer dans l’atrocité.
“En décembre j’ai appris par hasard qu’il devait être jugé,” écrivait
Marina à sa soeur en Angleterre11. “Il avait un avocat commis d’office, donc
très timoré. J’ai attendu cinq jours de suite, dans la rue à partir de 6h du
matin par -16 degrés, dans l’espoir de l’apercevoir. Je l’ai aperçu seulement
le dernier jour, après sept heures d’attente. Il était très maigre. Il s’est
beaucoup réjoui en m’apercevant. Je lui ai fait signe de ‘garder le menton
haut’ comme disent tes amis, et il m’a fait signe d’être sans crainte à cet
égard. Il a demandé de vos nouvelles et j’ai pu lui crier que vous alliez bien.
J’ai pu lui envoyer quelques habits et de la nourriture. J’ai appris ensuite
qu’il s’était un peu refait grâce au paquet remis au cours du procès.”
Pour la nouvelle année 1949, Georges put enfin écrire une carte postale à
la seule personne non compromise de son entourage, sa fidèle secrétaire
Margareta, la dame de la calea Moshilor comme on l’appelait dans le beau
monde dont elle ne faisait pas partie.
10
Cicerone Ionitoiu, Genocidul din România,Repere în procesul comunismului.#Pravalire în
barbarie-Miscarea nationala de rezistenta.
http://www. procesulcomunismului.com/marturii/fonduri/ioanitoiu/rechizit.htm
11
Lettre du 24 mars 1949 de Marina Brancovan à sa soeur Sanda Cantacuzène en Angleterre.
15
Chap. I Happé par le goulag
En mars 1949, Marina eut des nouvelles des prisonniers12. “Costi est à
Aïud. Georges est à Aïud. Toute la Roumanie est à Aïud, depuis le symbole
de la roumanité en Transylvanie (J.Maniu) jusqu’au dernier pauvre type. On
trouve à Aïud toutes les classes sociales et toutes les valeurs intellectuelles.
(Fig. 1)
J’ai essayé d’aller voir Costi (mon mari). $euf heures dans un train qui
sifflait dans toutes les courbes. Même durée et même chose au retour, mais
sur un autre trajet, à travers d’autres régions. J’ai avalé toutes les insultes,
mais je ne l’ai pas vu ! Ah, s’il avait tué quelqu’un, j’aurais pu le voir. Le
meurtre n’est qu’un petit délit, la fleur (rouge) à l’oreille !”
Le gros bourg d’Aïud, fondé par les Saxons au 13ème siècle13, est situé en
plein centre de la Transylvanie, sur les contreforts des Monts du Couchant, à
mi-distance, à vol d’oiseau entre Sibiu et Cluj. La prison d’Aïud remonte à
Marie-Thérèse d’Autriche et le premier prisonnier date de 1786. En 1882 un
nouveau corps de bâtiment a été ajouté, appelé ‘Zarca’ (= niche, en
hongrois). Il sert aux punitions par isolement total dans des très petites
cellules (niches). En 1892 un grand bâtiment de trois étages qui comprend
312 cellules, le Cellulaire neuf, a complété cet ensemble.
Une description réaliste de la prison d’Aïud, a été faite par Grégoire
Caraza, instituteur stagiaire des Carpates de Moldavie. Ayant osé dire en
1948 qu’il trouvait le christianisme supérieur au communisme, il passa ses
plus belles années, de 20 à 50 ans, dans les geôles communistes, dont 18 ans
à Aïud, qu’il put ainsi connaître parfaitement.
“Des prisons de Bucarest et particulièrement de Jilava, les détenus
étaient transportés à la gare du $ord. Là, en bout de ligne, loin des yeux du
public, on les faisait monter dans le train. Le mardi 25 avril 1950, le soir,
nous avons été chargés dans le train-fourgon en direction d’Aïud. $ous
12
Idem.
13
Les Saxons l’appelaient Strassburg am Mieresh. C’étaient d’excellents artisans, mais il n’y a
pratiquement plus de Saxons à Aïud. Ils ont été chassés ou bien vendus à l’Allemagne.
16
Chap. I Happé par le goulag
14
Radu Demetrescu, dit Gyr : poète roumain qui, étant légionnaire, fit de la prison sous trois
régimes, dont de nombreuses années sous les communistes, les fers aux pieds, à Aïud.
17
Chap. I Happé par le goulag
Les cuisses étaient pleines d’escarres et infectées, tandis que nos muscles
étaient atrophiés. Il ne nous restait que la peau sur les os.
Les 312 cellules du bâtiment principal étaient pleines à ras bord avec un
total compris entre 2 400 et 2 500 prisonniers. De temps à autre, les détenus
politiques de deux ou trois cellules étaient sortis à la promenade, en
maintenant une certaine distance entre eux pour ne pas qu’ils puissent
communiquer.
De part et d’autre de l’entrée du grand Cellulaire, il y avait deux
ardoises où chaque jour était inscrit l’effectif par étage ; ces ardoises ont
disparu le jour où ils ont compris que nous mémorisions ces chiffres. Il y eut,
à la place, tous les soirs un sinistre appel. Au changement de gardiens, à
19h, Pavel le chef de section du rez de chaussée appelait à voix forte ses
collègues : -3ème étage, combien aujourd’hui ? - réponse : deux ; -
2ème étage, combien ? R : un ; 1er étage, combien ? R : trois ; -Pavel : deux
et un trois plus trois six, plus un chez moi : sept. Ce nombre, 7, désignait le
nombre total de morts du Cellulaire pour cette journée.
Pour les détenus politiques, l’année 1950 a été sans doute la période la
plus lourde dans l’existence de cette prison. Selon le docteur Ranca,
médecin de la prison d’Aïud, de septembre 1949 à la fin août 1950,
25 personnes sont mortes de faim qu’on a portées ensuite au Ravin des
Détenus...
...Une nuit j’ai rêvé que j’étais dans la belle vallée de la Bistritza15
admirant le grandiose massif du Ceahlau, puis, je me suis rendu compte que
jusqu’au sommet, c’était de la mamaliga ! je me suis jeté sur lui, d’abord à
genoux, puis sur le ventre et pendant toute la nuit, j’ai tout dévoré jusqu’au
sommet... La mamaliga, cette polenta faite de farine de maïs bouilli, était
pratiquement la seule nourriture consistante des prisonniers, mais sans
grande valeur nutritive.
Un de ses voisins de cellule était le médecin du port de Braïla, le
Dr Pinkus Klein. “Un jour Klain Pincu s’est assis à côté de moi et m’a
murmuré :
- Je vois que tu es un garçon calme, avec quelque chose dans la tête. Je
suis désolé, mais toutes les années de taule que tu dois faire, tu les feras. !
- Et qu’est-ce qui vous fait penser ça ? lui demandais-je curieux et un peu
révolté.
- Tout d’abord tu es Roumain, et les Roumains ne s’entraident pas entre-
eux, ils se détestent. Moi je suis Jidan, comme disent les Roumains en
parlant de nous les Juifs et je suis marié à une Roumaine de Braïla ; je
crains toutefois qu’elle ne demande le divorce pendant que je suis enfermé.
Mais nous, nous nous entraidons les uns les autres ; les miens ne me
15
Cette belle vallée des Carpates de Moldavie a disparu depuis son industrialisation (barrage,
cimenterie, etc).
18
Chap. I Happé par le goulag
laisseront pas faire ces 25 années de prison renforcée auxquelles j’ai été
condamné ; on m’a accusé qu’étant médecin du port, j’ai travaillé avec des
étrangers qui m’ont donné des cadeaux et de l’argent. Moi je n’ai pas le
droit (sic) de faire plus de 5 ans, mais toi, mon cher enfant (Caraza n’avait
que vingt ans) tu feras toute ta peine. Je suis désolé de t’avoir dit ça.
...Comme il avait raison Klain Pincu en ce qui concerne sa nation et ma
nation.
...Dans mon pays j’ai donc la liberté de rester toute une vie en prison parce
que j’ai aimé ma patrie et le Christ ! J’ai appris plus tard, qu’il avait été
libéré, exactement au bout de cinq ans”16.
Georges, capturé à l’âge de 49 ans, était pour sa part, trop âgé pour
connaître la chute du régime soviétique et pouvoir évoquer librement ses
longues années d’emprisonnement en Roumanie. Sa vie durant, il n’eut
simplement pas le droit d’en parler.
On sait par des témoignages de co-détenus d’Aïud, en général des
intellectuels et souvent des architectes, que Georges faisait à voix basse des
causeries sur l’histoire de l’art à ses collègues de cellule, dans l’espace exigu
de 2 mètres sur 4 mètres où on les entassait à huit personnes. “Il était
capable d’improviser sur la Renaissance, sur les arts et traditions
populaires, sur les influences de l’Orient dans l’art roumain et sur d’autres
de ses sujets favoris, ce qui captivait l’attention de ses compagnons
d’infortune”17. Il leur permettait d’échapper un peu, par la pensée, à la
misère présente et à la dégradation intellectuelle et morale qu’on voulait leur
faire subir.
Mais, pour avoir refusé d’être rééduqué (des gardiens de prison
prétendant rééduquer un homme de la Renaissance !), Georges fut enfermé
pendant neuf mois, dans l’isolement total d’une niche de la sinistre Zarca. Il
a laissé quelques lignes poignantes pour évoquer la nuit et le brouillard des
goulags roumains, entre la Zarca et le Cellulaire d’Aïud “lorsqu’on ressent
tout à coup, en dépit des sollicitations de la mort, cette sensation d’être
dépouillé du faste de l’espérance et de l’orgueil de la pensée18.
16
Grigore Caraza, Aïud însângerat, Ed. Vremea XXI, 2004, chap. IV. Sur Internet :
http://www.procesulcomunismului.com/marturii/fonduri/gcaraza/aiud/Gr.Caraza a eu 47 ans
de condamnations politiques en Roumanie. Il en aura accompli 27 ans, dont 3 ans de
résidence obligatoire dont 2 ans au milieu des chardons du Baragan. Il a effectué 21 années de
prison avec régime carcéral dur, dont 18 années à Aïud, dont huit ans d’isolement complet à
la Zarca. Libéré en 1977 il passa son baccalauréat en 1979, à 50 ans. En 1980 il fut accuelli
aux Etats-Unis et devint citoyen américain en 1986. Après avoir résidé 21 ans à New York, il
rentra définitivement en Moldavie en 2001, où on le fit citoyen d’honneur de sa commune
d’origine ‘Poiana Teiului’ (Clairière du tilleul) de la haute vallée de la Bistritza.
17
Sherban Cantacuzino, Foreword of “Romanian modernism, The architecture of Bucharest,
1920-1946” par Luminita Machedon & Emile Scoffham, The MIT Press, Cambridge Mass.
& London, 1999, pp. IX-XIX.
18
Troisième lettre à Simon.
19
Chap. I Happé par le goulag
19
On venait de le chasser de sa chère vieille maison de la strada Berthelot, devenue strada
Popov.
20
Chap. I Happé par le goulag
Tandis que Georges flottait entre ciel et terre, c’est-à-dire entre la vie et la
mort, dans les geôles communistes, la situation générale chez les vivants de
Roumanie ne cessait de se détériorer et devenait épouvantable. “$os moyens
matériels sont épuisés. S’il nous reste quelque chose à vendre, on ne peut
presque rien en tirer. On ne nous donne plus de tickets de rationnement et
très bientôt nous ne pourrons plus payer notre quotidien. Dans les écoles, on
enseigne à nos enfants la délation, l’espionnage, le parjure. Mais il règne
parmi nous une confiance et une foi extraordinaires. Tous nous croyons en
la survie de notre pays et, si nous sommes tous prêts à nous battre pour lui,
on préfèrerait qu’on ne nous laisse pas mourir de faim ou du fait de la haine
de ces cinglés” écrivait Marina Brancovan à sa soeur Sanda en Angleterre.
En d’autres termes, Au secours ! Help !
Les dirigeants de la République populaire avaient d’autres soucis, comme
par exemple montrer au grand frère qu’ils étaient les meilleurs flagorneurs
de la classe. A l’automne de 1950 (le 8 septembre) on rebaptisa la ville de
Brasov en ville Staline, tandis que pour bien montrer que les Roumains aussi
avaient un grand homme (au pouvoir du reste), on baptisa en 1952 un
arrondissement de la capitale arrondissement Gheorghiu-Dej, qui jouxtait
l’arrondissement Lénine !
Ceux de l’ouest commençaient bien timidement à organiser des aides vers
leurs parents de l’est sans ressources. “Quelqu’un m’a demandé l’autre jour
si j’avais déjà rencontré Marthe Bibesco et si je pensais qu’elle pourrait
envoyer quelque chose à sa belle-soeur Marcelle Cantacuzène (mère de
Georges) qui est dans la misère. Georges comme on le sait, est en prison,
son frère Emmanuel - toujours en mauvaise santé - est encore plus mal et ne
peut gagner sa vie, son épouse est donc la seule personne de la famille qui
travaille pour se nourrir elle et ses deux enfants, son mari et sa belle-mère
21
Chap. I Happé par le goulag
20
Père du producteur de films Marin Karmitz,ce dernier étant né à Bucarest en 1938.
21
“professionnelle de l’assistance”, Marie Braesco était présidente de CAROMAN, Comité
d’Assistance aux Roumains. cf. Neagu Djuvara, Bucarest - Paris – $iamey et retour,
l’Harmattan, Paris 2004, p. 28 . En fait, cette femme généreuse contrastait dans le paysage des
émigrés pique-assiette. Sa fuite, réussie, en train à travers la Hongrie (dont elle ignorait la
langue) est passée dans la légende.
22
Lettre adressée le 17 février 1952, par Ella O’Kelly de Paris, en Angleterre à une amie de
Sanda Cantacuzène.
22
Chap. I Happé par le goulag
23
Euphrosina Kersnovskaïa, Coupable de rien - Chronique illustrée de ma vie au goulag,
Ed. Plon, 1994.
23
Chap. I Happé par le goulag
24
Dans la province du Maramuresh,le Musée de Sighet, “Mémorial de la résistance et des
victimes du communisme” consacre sa Salle 5 à la représentation cartographique des geôles du
communismeroumain.(http://www.memorialsighet.ro/index.php?option=com_content&view=
article&id=112%3Asala-hartilor&catid=40 %3Aparter&lang=fr ) La carte des plus de quatre-
vingts camps de travaux forcés, avec une forte densité autour de Bucarest et dans la zone
située entre le Danube et la mer Noire ; la carte des quarante-cinq pénitentiers, répartis à
travers tout le pays ; la carte de soixante-trois camps de déportation dont la densité est très
forte depuis le Baragan jusqu’au sud de la Moldavie ; s’y rajoutent : la carte des dix asiles de
psychiatrie politique situés en Valachie, en Moldavie, dans le Banat et en Transylvanie, ainsi
que la carte des soixante-quatre centres de dépôt et des résidences obligatoires pour
condamnés politiques, répartis a travers le pays et une plus forte densité autour de la capitale ;
la carte des quatrevingt dix fosses communes retrouvées et lieux d’exécutions, avec une
densité plus grande au canal Danube-mer Noire, ainsi qu’au nord-ouest du pays clot cette
cartographie macabre. Le tout est rassemblé dans la “grande carte”qui met en évidence la
densité des lieux de répression en Roumanie communiste, densité encore plus forte au sud-est
du pays, depuis la capitale jusqu’à la mer Noire. Les explications du principal auteur de ces
cartes, Romulus Rusan, sont fournies par ailleurs.
(http://www.memorialsighet.ro/index.php?option=com_content&view=article&id=369%3A
la-geographie-et-la-chronologie-du-goulag-roumain&catid=47%3Abreviar-pentru-procesul-
comunismului&Itemid=154&lang=ro )
25
Ovidiu : du nom du poète latin éxilé sur les bords de la mer Noire par l’empereur Auguste
au début de l’ère chrétienne.
24
Chap. I Happé par le goulag
26
Aurel Popa, Sub semnul gulagului, Ed. Corgal Press, Bacau, 2001, chap. XIV. sur internet :
http://www.memoria.ro/?/location=view_article&id=1495.
25