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Tristan Garcia
2016/4 n° 65 | pages 42 à 50
ISSN 0292-0107
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-multitudes-2016-4-page-42.htm
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M. : Tu définis le monde comme le lieu d’une « solitude » de chaque chose qui y
entre. Peux-tu expliquer la manière dont tu entends cette solitude ? Que répliques-tu à une
ontologie relationnelle, pour laquelle la relation des choses entre elles et avec le monde est
au contraire un fait fondamental ?
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même du rasoir d’Occam, la pensée multiplie rationnellement les entités, sans aucune néces-
sité, afin de rechercher jusqu’à quel point elle peut laisser être toute chose.
Certains arrêteront cette catabase, et croiront toucher du doigt une sorte de fond
de l’être, en trouvant dans l’unité la détermination minimale de l’être : un être, c’est toujours au
moins un être, suivant l’adage leibnizien. C’est en partie le sens de l’entreprise badiousienne,
du temps de l’Être et l’événement, qui adosse l’ontologie à la conception dans l’ensemblisme
de l’élément, défini par le « compte-pour-un ». À l’autre extrémité du spectre des ontologies
libérales françaises, on trouve sans doute la théorie des modes d’être de Latour, qui trouve me
semble-t-il le fond de sa catabase dans la relation : tout ce qui est entre en relation.
Or, sans contester frontalement les ontologies reconstruites par Badiou ou par
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qui nous conduit à laisser être également tout ce qui se présente, à ouvrir le possible jusqu’au
point où il craquera. Comme on fait en physique des tests de fluage sur des matériaux, pour
en éprouver l’élasticité, l’ontologie effectue des tests de fluage sur le possible, et elle aboutit à
la conception d’un maximum de possible par la conception d’une moindre chose.
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M. : Ton dernier essai paru est un livre de philosophie politique, qui s’intitule
Nous. Comment passes-tu d’une ontologie « orientée-objet » à une politique du « Nous » ?
Faut-il là aussi penser le sujet collectif – « Nous » – comme un certain type d’objet ?
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rapport entre extension et intensité, j’essaie aussi d’en analyser les effets de chevauchements,
ce qui est désormais conçu sous le terme d’« intersectionnalité » (ce qui se passe au croise-
ment du nous de race, du nous de classe, du nous de genre, dans les identités de subalternes),
pour montrer que le modèle métaphysique sous-jacent à l’intersectionnalité (un espace so-
cial où des ensembles définis par la race, d’autres définis par la classe seraient susceptibles
de conjonction et de disjonction) est inopérant. J’estime qu’il gagnerait à être remplacé par
un modèle de superposition de « calques », comme si le découpage racial se superposait au
découpage en termes de genre ou de sexualité, produisant des effets de recoupements, mais
contraignant à un ordre de priorité : en découpant d’abord l’espace social en races, je perds
en clarté sur le découpage d’espèce, de genre, de classe. En découpant d’abord l’espace social
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qui existe par-delà les grandes catégories de découpage, les espèces, les genres, les principes
métaphysiques. Or, le paradoxe, c’est que le concept d’intensité lui-même est accepté sans
discussion, il est admis comme figuration même de ce qui est.
J’ai essayé de montrer combien le concept (et non pas l’idée) d’intensité était
récent, comment il était corrélé à la fascination du monde savant européen pour l’électricité
et sa domestication. J’ai tâché de démontrer qu’il provenait d’une alliance secrète entre cette
image érotique et sauvage du courant électrique, et l’idée d’une comparaison possible d’une
chose avec elle-même plutôt qu’avec une autre chose (est-elle plus ou moins fortement ce
qu’elle est ?). J’ai ensuite voulu retracer la destinée éthique de ce concept : pas de monde
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