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(Collection Maria Montessori.) Bernard, Georgette Jean-Jacques_ Montessori, Maria_ Montessori, Mario M._ Planquette, Dominique - Pédagogie scientifique. Tome 1, La découverte de l’enfant. 1 (2016).pdf
(Collection Maria Montessori.) Bernard, Georgette Jean-Jacques_ Montessori, Maria_ Montessori, Mario M._ Planquette, Dominique - Pédagogie scientifique. Tome 1, La découverte de l’enfant. 1 (2016).pdf
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DU MÊME AUTEUR
CHEZ LE MÊME ÉDITEUR
L'Education et la paix.
La Formation de l'homme.
L'Enfant.
De l'enfant à l'adolescent.
L'Esprit absorbant de l'enfant.
L'Education élémentaire. Pédagogie scientifique, tome 2
Eduquer le potentiel humain, 2016. Nouvelle édition.
M ARIA MONTESSORI
LA DÉCOUVERTE
DE L’ENFANT
PÉDAGOGIE SCIENTIFIQUE, TOME 1
Introduction de
Mario M. Montessori
Directeur Général de l’Œuvre Montessori
Texte français de
Georgette J. J. Bernard
35 photos de D. Planquette
D E S C L É E DE B R O U W E R
Tous droits réservés pour la France et les pays francophones.
www.editionsddb.fr
ISBN : 978-2-220-08024-6
PRÉFACE
Anne-Marie Gillet-Bernard.
INTRODUCTION
★
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Aménagement scolaire
les lèvres et, sans savoir, sans regarder, muet et encore sanglo
tant, l’embrassa sur le front.
« Il poussa un grand soupir, se passa la manche sur la figure
pour essuyer de ses yeux et de son nez les traces humides de son
émotion et se rasséréna.
» Une voix aigre criait, du fond de la cour :
» Hé, vous deux, là-bas... Vite... rentrez!...
» C ’était la surveillante.
» Elle étouffait ce premier mouvement du cœur d’un rebelle,
avec la même brutalité aveugle qu’elle aurait rappelé deux enfants
se battant.
» C ’était l’heure de rentrer, et tout le monde devait rentrer. »
Ainsi, dans les premiers temps, voyais-je indistinctement agir
toutes mes maîtresses.
Dans les débuts, elles réclamaient en effet involontairement
l’immobilité des enfants, oubliant d’observer leurs mouvements.
Quand une fillette avait réuni ses compagnes en groupe et parlait
au milieu d’elles en faisant de grands gestes, la maîtresse accou
rait, lui rabattant les bras et l’exhortant au silence : mais moi qui
observais la gamine, je voyais bien qu’elle jouait à la maîtresse
ou à la maman, enseignant aux autres leurs prières ; avec force
gestes, elle invoquait les saints et se signait : une nature de diri
geante se manifestait là. Un autre enfant qui, habituellement,
faisait des gestes inconsidérés et qu’on jugeait instable, se mit
un jour à changer les tables de place avec une profonde attention.
Aussitôt, il lui fut intimé l’ordre de rester tranquille parce qu’il
faisait trop de bruit : mais c’était là une première manifestation
de mouvement coordonné; c’était une action qu’il fallait respecter.
En effet, il se stabilisa dès ce jour-là et, comme les autres,
il maniait les objets tout tranquillement, les posant doucement
sur sa petite table.
Quand il arrivait qu’une enfant s’approchât de la maîtresse,
prenant quelques objets pour les ranger, avec l’évident désir de
l’imiter, le premier mouvement était de la renvoyer à sa place
avec la réplique habituelle : « Reste tranquille », alors que la
fillette ne faisait qu’exprimer ainsi la tendance qu’ont les enfants
à accomplir un geste utile ; elle aurait parfaitement pu réussir
les exercices de vie pratique, par exemple. Une autre fois, les
enfants s’étaient réunis dans la salle et bavardaient autour d’une
cuvette d’eau où flottait quelque chose. Nous avions à l’ école
un tout petit enfant qui avait à peine deux ans et demi. Tout
seul derrière, il essayait de voir, lui aussi, ce qui se passait. Je
l’observais à distance ; il s’était d’abord approché du groupe ;
puis, repoussé par les petites mains des enfants, il comprit qu’il
l ’ a m b ia n c e 41
Liberté du développement
Les soins empressés. — Les soins empressés pour les êtres vivants
constituent la satisfaction d’un des instincts les plus vivaces de
l’âme enfantine. Aussi peut-on organiser facilement un service de
soins aux plantes et spécialement aux animaux. Rien n’est plus
efficace pour réveiller une attitude de prévenance chez le petit
enfant qui vit son instant présent sans souci du lendemain. Quand
il sait que ces animaux ont besoin de lui, que ces plantes sèchent
s’il ne les arrose pas, son amour relie l’instant qui passe au jour
suivant afin de le voir renaître, grâce à un lien nouveau.
Un beau matin, après des soins patients, il a disposé le petit
abreuvoir et l’eau près des colombes qui couvent — voici les
petits! Un autre jour, ce sont de magnifiques poussins qui se
trouvent à la place des œufs que la poule couvait sous ses ailes
depuis si longtemps. Quelle tendresse, et quel enthousiasme! Le
désir en naît d’aider davantage : préparer des paillasses avec des
58 PÉDAGOGIE SCIENTIFIQUE
Gymnastique et travail
Celui qui prononce mal ses mots peut être lent dans son élocution.
Il n’est donc pas question de rapidité, mais d’exactitude. Ainsi
nous, nous faisons certains mouvements avec une inexactitude
qui provient d’un manque d’éducation ; bien que nous en soyons
inconscients, ce manque est resté en nous et nous a marqués
comme un véritable stigmate. Supposons par exemple que nous
voulions boutonner notre manteau : après l’avoir plus ou moins
complètement enfilé, nous commençons à passer le pouce dans
la boutonnière et à gratter le pan d’en face à la recherche du
bouton ; et nous ne prenons pas conscience de la façon dont ce
bouton a été arraché quand nous l’avons déboutonné. Alors que
le geste précis doit mettre d’abord l’un en face de l’autre les deux
bords du manteau ; et puis placer le bouton dans le sens de la
boutonnière et le faire passer dedans pour, enfin, le redresser.
C ’est ainsi que font les couturières quand elles habillent leurs
clients. Les vêtements se conservent alors intacts, tandis que
trois ou quatre boutonnages risquent de les gâcher. Nous abîmons
les serrures à cause de la même imprécision, y mettant les clefs en
aveugles, et mêlant les deux temps successifs où l’on doit tourner
la clef d’abord et tirer ensuite la porte. Nous tirons souvent la
porte au moyen de la clef, même quand cette dernière n’est pas
destinée à cet usage, comme le dénoncent les anneaux plus ou
moins tordus. Nous abîmons pareillement nos meilleurs livres
en les feuilletant, parce que nous le faisons avec des gestes ina
daptés à leur but. Il en résulte que le mauvais usage que nous
faisons des objets retombe sur nous, parce que nos mouvements
conservent une brutalité, une grossièreté qui gâchent l’harmonie
de la personne, alors qu’une personne raffinée n’a que des mouve
ments complets dans leurs phases successives.
La ligne
Immobilité et Silence
Le libre choix
d’autant plus facilement que l’on aura éliminé les obstacles entre
l’enfant et l’objet auquel il aspire inconsciemment.
L ’obstacle, ce sera toute chose extérieure, et plus encore toute
activité extérieure déviant cette impulsion vitale, fragile et occulte
qui le guide, bien qu’encore inconsciente. C ’est la maîtresse qui
peut devenir l’obstacle principal, puisque son activité est plus
énergique et plus consciente que celle des enfants. Dans le milieu
où les stimulants sensoriels sont exposés au libre choix de l’enfant,
la maîtresse (après un premier temps pendant lequel elle les aura
présentés et en aura indiqué l’usage) doit donc chercher à s’éli
miner.
L ’activité de l’enfant est poussée par son propre moi et non par
la volonté de la maîtresse.
G É N ÉR A LITÉS SUR L ’É D U C A T IO N
SEN SO RIELLE
I mpressions de température
I mpressions de poids
trant leurs mains : « Voilà mes yeuxl je vois avec les mains ; je
n’ai plus besoin de mes yeux! »
Nos petits nous étonnaient par leurs progrès imprévus ; ils
allaient au delà de nos prévisions, et nous apparaissaient quelque
fois fous de joie.
Ils eurent spontanément, par la suite, une inspiration qui s’est
propagée, et qui fait aujourd’hui partie des exercices les plus inté
ressants des « Maisons des Enfants ». Ils reprirent systématique
ment tout le matériel susceptible de se prêter à être reconnu par
le toucher : les emboîtements solides, comme les formes géomé
triques ou les trois séries de cylindres. Les enfants qui, depuis
déjà longtemps, les avaient abandonnés pour passer à des exer
cices supérieurs, revenaient prendre les emboîtements solides
et, les yeux bandés, palpaient les petits cylindres et les cases
correspondantes, prenant les trois blocs, et mélangeant les cylindres
des trois séries. Ou bien ils reprenaient les formes géométriques et,
les yeux fermés, en touchaient soigneusement les contours d’un
air méditatif, cherchant les profils correspondants dans les emboî
tements. Souvent, ils se mettaient par terre sur le petit tapis,
touchant et répétant le geste le long des barres, faisant courir leur
doigt d’un bout à l’autre, comme pour constater l’extension du
mouvement du bras ; ou bien ils se groupaient autour des cubes de
la tour rose, et la construisaient, les yeux bandés.
L ’exercice musculaire refait donc toute l’éducation pour l’ap
préciation exacte des différences de formes et de dimensions
déjà obtenue par la vue.
Distinctions visuelles
qui, par contre, varient selon la section carrée, restent entre eux
dans le même rapport que le carré des nombres.
i ; 22 ; 32 ; 42 ; 52 ; 62 ; 72 ; 82 ; 92 ; io2
Enfin, les dix cubes — « la tour rose » — dont les trois dimen
sions sont différentes, restent entre eux dans le rapport des cubes
des nombres.
I ; 23 ; 33 ; 43 ; 53 ; 63 ; 73 ; 83 ; 9 3 ; io3
Ces proportions, il est vrai, ne sont accessibles à l’enfant que
sensoriellement ; mais son esprit s’exerce sur des bases exactes,
susceptibles de préparer les attitudes mathématiques.
Celui de ces trois exercices que l’enfant trouve le plus facile
est celui des cubes (différence maxima) et le plus difficile, celui
des barres (différence minima).
Quand il arrive à s’intéresser à l’arithmétique et à la géométrie
dans les classes élémentaires, il reprend les blocs de sa première
enfance, et il les réétudie dans les proportions relatives, y appli
quant la science des nombres.
J’ai ensuite préparé un petit coffret à six étages qui peut être
de carton ou de bois : c’est une espèce de petite commode ; les
six tablettes superposées sur des soutiens latéraux se tirent à la
manière de tiroirs ; ils contiennent chacun six pièces : au premier
étage, les quatre pièces pleines et deux pièces en forme de trapèze
et de losange ; au deuxième, un carré et cinq rectangles de la
même hauteur et de largeur décroissante ; au troisième, six
cercles aux diamètres décroissants ; au quatrième six triangles ;
au cinquième les polygones, du pentagone au décagone ; au
sixième, diverses figures courbes : ellipse, ovale, triangle curviligne,
et une rosace (quatre arcs se croisant).
Le silence
Connaissance du matériel
A cet effet, j’ai trouvé excellente, même pour les enfants nor
maux, la leçon en trois temps employée par Séguin pour obtenir,
chez l’enfant déficient, l’association entre l’image et le mot cor
respondant ; nous avons adopté cette leçon dans nos écoles.
Premier temps: Exactitude du mot et association de la percep
tion sensorielle avec le nom. La maîtresse devra d’abord prononcer
LA MAITRESSE 125
les noms et les adjectifs nécessaires sans rien y ajouter : elle doit
prononcer les mots très détachés les uns des autres d’une voix
claire, de façon que les sons qui composent le mot soient distinc
tement perçus par l’enfant.
Ainsi, par exemple, en faisant toucher le papier lisse et le papier
émeri, dans les premiers exercices sensoriels, elle dira : « il est
lisse !» — « il est rugueux ! » en répétant plusieurs fois le mot
avec des modulations différentes de la voix, mais toujours d’une
voix claire et en détachant les syllabes : « lisse, lisse, lisse » — « ru
gueux, rugueux, rugueux ».
De même, pour les sensations thermiques, elle dira : « C ’est
froid !» — « C ’est chaud ! » et puis : « C ’est glacé !» — « C ’est
tiède !» — « C ’est brûlant ! »
Ensuite, elle commencera à se servir du mot générique « cha
leur » — « plus de chaleur, moins de chaleur », etc.
Puisque la leçon de nomenclature doit consister à provoquer
l’association du nom avec l’objet ou avec l’idée abstraite que
représente le nom, Yobjet et le nom doivent uniquement servir
à frapper la conscience de l’enfant : c’est pour cela qu’il est indis
pensable qu’aucun autre mot ne soit prononcé.
Deuxième temps: Distinction de Vobjet correspondant au nom.
La maîtresse doit toujours obtenir la preuve que sa leçon a atteint
le but qu’elle se proposait.
La première preuve sera de constater que le nom reste associé
à l’objet dans la conscience de l’enfant. Il faudra pour cela laisser
s’écouler le temps nécessaire ; c’est-à-dire qu’entre la leçon et
l’épreuve, elle devra observer un instant de silence. Et puis elle
demandera à l’enfant lentement, et en prononçant très clairement
le nom seul (ou l’adjectif) enseigné : « Qu’est-ce qui est lisse?
Qu’est-ce qui est rugueux ? »
L ’enfant désignera l’objet du doigt, et la maîtresse saura si
l’association est obtenue.
Ce second temps est le plus important ; c’est lui qui contient
la véritable leçon, l’aide pour la mémoire et l’association. Quand
la maîtresse a constaté que l’enfant a compris et qu’il est intéressé,
elle répétera plusieurs fois les mêmes questions : « Qu’est-ce qui
est lisse? » — « Et... qu’est-ce qui est... lisse !» — « Qu’est-ce qui
est rugueux? »
En répétant plusieurs fois sa question, la maîtresse insiste sur
ce mot qui sera finalement enregistré ; et à chaque répétition,
l’enfant, qui répond en indiquant l’objet, répète l’association qu’il
est en train de fixer. Si toutefois la maîtresse s’aperçoit, dès le
début, que l’enfant n’est pas disposé à faire attention, s’il se
trompe sans faire effort pour bien répondre, au lieu de corriger
126 PÉDAGOGIE SCIENTIFIQUE
E mboîtements solides
Le guide de l’enfant
L’observation
L’ordre mental
L’ Élévation
Photographies D. Planquette
Prises à l ’École Internationale Européenne
de Paris
6 7
12
10-11-12. ... Une table est tachée, vite
il faut la laver... L ’enfant guette avec
une attention continuelle
son ambiance, sa maison... » (p. 69)
14
16-17. Cette correspondance exacte 20. Les blocs : « barres rouges »,
entre le cylindre et la cavité qui se « escalier marron » et « tour rose »,
trouve dans le socle permet le répètent la gradation de 1, 2 ou
« contrôle de l’erreur » (p. 103) 3 dimensions, (p. 105)
20
22-23. Les couleurs : 24-25. Les form es
« On l ’invite, en lui présentant « Il faut lui faire toucher les
une couleur, à chercher contours de la forme avec l ’index
son double... » (p. 107) de la main droite... (p. 1il)
... Reformer les groupes et les « Il se prépare à interpréter à la fois
déposer en gradation... (p. 108) le contour des figures dessinées -
grâce à la vue - et le dessin
de ces figures grâce aux gestes
qu’il accomplit avec sa main (p. 112)
Préparation directe à l’écriture
31 b is
32. Les fuseaux
« ... Il regroupe les unités
séparées... » (p. 204)
33
34. Le système décimal (p. 214)
34
35. Le besoin d ’observer, de
réfléchir... (p. 2 5 2 )
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L E L A N G A G E GRAPHIQUE
0 e a
1 u
Le mécanisme de l’écriture :
Préparation indirecte de l’écriture
La main qui écrit. — Si Ton doit pouvoir retenir entre ses doigts
un instrument d’écriture (porte-plume, crayon, etc.), le conduire
d’« une main légère » et « tracer » des signes déterminés, il ne faut
pas seulement, pour retenir l’instrument, le concours des trois
doigts qui le tiennent, mais aussi celui de la main qui doit courir
« légèrement » sur le plan où elle écrit.
En effet, la difficulté première, dans les écoles communes,
n’est pas tant celle de « tenir le porte-plume en main » que de
garder la « main légère » ; le petit écolier fait crier la craie sur
le tableau, la plume sur le papier ; et souvent, il casse craie et
plume ; c’est qu’il a serré convulsivement l’instrument pour
écrire ; l’effort consiste à combattre le poids insoutenable de sa
petite main.
De plus, la main dont les mouvements ne sont pas coordonnés
du tout ne peut exécuter des signes aussi précis que les lettres
de l’alphabet. Il y faut une main déjà capable de se diriger avec
détermination : « une main ferme », c’est-à-dire une main obéissant
à la volonté.
Ces acquisitions demandent de longs exercices ; répétés patiem
ment, ils doivent faire partie de l’enseignement de l’écriture :
c’est-à-dire que si c’est une main grossière et inadaptée qui doit
s’affiner « en écrivant », c’est elle qui constituera le plus grand
obstacle au progrès de l’écriture.
Les petits enfants ont acquis dans nos Maisons « une main
affinée et prête à écrire ».
Ils s’y préparent inconsciemment quand ils assouplissent leur
main avec les exercices sensoriels dans des buts immédiats diffé
rents, mais en répétant uniformément les mêmes gestes.
Les trois doigts qui tiennent Vinstrument. — A trois ans, les
enfants déplacent les cylindres des emboîtements solides en les
tenant avec trois doigts par le bouton, qui a sensiblement les
dimensions d’un petit bâton pour l’écriture. Les trois doigts font
et refont un grand nombre de fois cet exercice, qui coordonne
les organes moteurs de l’écriture.
La main légère. — Voici le petit enfant de trois ans et demi qui
a baigné le bout de ses doigts dans de l’eau tiède, à qui l’on a
bandé les yeux, et qui dirige ses énergies vers un effort unique :
celui de « garder sa main soulevée et légère » afin que ses doigts
« effleurent » à peine la surface du plan lisse ou rugueux. Et cet
effort pour garder et alléger la main est accompagné de l’aiguise
ment de la « sensibilité tactile » des doigts, qui devront écrire
un jour : c’est ainsi que l’instrument le plus précieux de la volonté
humaine s’affine pendant la croissance.
LE LANGAGE GRAPHIQUE 161
La main ferme. — C ’est une habileté antérieure à celle de
tracer un dessin ; c’est la possibilité de mouvoir la main de façon
déterminée, de la diriger de façon exacte. Cette habileté est une
propriété générique de la main ; la possibilité plus ou moins
grande de coordonner les mouvements en dépend.
Voici alors l’exercice des emboîtements plans ; il consiste
à toucher avec exactitude les contours des diverses pièces géomé
triques et de leurs cadres avec, pour guide, le relief en bois qui
aide la main inexperte à se maintenir entre des limites déterminées.
L ’œil s’habitue ainsi à voir et à reconnaître les formes que la main
est en train de toucher.
Cette préparation, si éloignée et si indirecte, est une prépara
tion de la main pour écrire ; ce n’est pas une préparation de
l’écriture, et les deux ne doivent pas être confondues.
1. En italien mano.
2. En italien camino.
3. En italien tetto.
LE LANGAGE GRAPHIQUE 173
Si bien que les autres enfants, accourant à ses cris, firent cercle
autour de lui, le regardant, ahuris. Deux ou trois d’entre eux
me demandèrent en frémissant : « La craie... ! Moi aussi, j’écris ! »
et, en fait, ils se mirent à écrire des mots divers : maman, papa,
Gina. Aucun d’eux n’ avait jamais pris la craie en main, ni aucun
autre instrument pour écrire : c’était la première fois qu’ils écri
vaient. Ils traçaient un mot entier comme, la première fois qu’ils
avaient parlé, ils avaient dit un mot entier.
Mais si le premier mot prononcé par l’enfant apporte une
ineffable émotion à la mère qui a choisi ce premier mot : maman,
comme une récompense due à sa maternité, le premier mot
écrit par nos petits, leur donna à eux-mêmes une joie indicible.
Cette habileté qui se révélait à eux, c’était comme un don de la
nature, parce qu’ils n’étaient pas conscients des préparations
qui les y avaient amenés.
Ils pouvaient s’imaginer que, rien qu’en grandissant, un beau
jour, Us sauraient écrire ! Et, de fait, c’est bien vrai. Même pour
parler, l’enfant a dû préparer inconsciemment les mécanismes
psycho-musculaires qui l’ont amené à articuler des mots : ici,
l’enfant en fait à peu près autant, mais l’aide pédagogique directe
et la possibilité de préparer presque matériellement les mouve
ments de l’écriture — bien plus simples et plus grossiers que
ceux de l’articulation du langage — font que le langage graphique
se développe beaucoup plus rapidement. Et puisque la prépara
tion est complète, puisque l’enfant possède tous les mouvements
nécessaires à l’écriture, le langage graphique ne se développe pas
graduellement, mais de façon explosive : c’est-à-dire que l’enfant
peut écrire tous les mots.
Nous avons ainsi assisté à l’expérience des premiers développe
ments du langage graphique de nos enfants. Les premiers temps,
nous étions bouleversés ; il nous semblait assister à un miracle...
L ’enfant qui écrivait un mot pour la première fois exultait de
joie ; on eût dit la poule qui a pondu un œuf. Personne ne pouvait
échapper à ses manifestations bruyantes : il appelait tout le monde
pour voir ; et si l’un de nous ne s’exécutait pas, il le tirait par son
vêtement pour l’y obliger ; il fallait que tous aillent voir cela, se
mettent autour des mots écrits pour admirer le prodige, et pour
unir ses exclamations d’étonnement aux cris de joie de l’heureux
auteur. Surtout quand ce premier mot avait été écrit par terre :
alors, le petit enfant se mettait à genoux, pour être encore plus
près de son œuvre, et pour la contempler plus immédiatement ;
après le premier mot, il continuait à écrire, le plus souvent au
tableau, avec une espèce de frénésie. J’ai vu des enfants s’agglo
mérer autour du tableau, pour écrire derrière les plus petits ;
1 74 PÉDAGOGIE SCIENTIFIQUE
debout se formait une file d’enfants montés sur les chaises qui
écrivaient les uns au-dessus des autres, et qui écrivaient même
à l’envers du tableau. J’en ai vu d’autres, restés dehors, accourir
grossièrement, renverser les petites chaises sur lesquelles les
camarades étaient montés pour trouver un peu de place ; enfin
les vaincus se penchaient par terre et continuaient à écrire sur le
plancher, ou couraient vers les fenêtres et vers les portes, les rem
plissant de leur écriture. Nous avons eu, en ces premiers jours,
une véritable tapisserie de signes écrits par terre : une tapisserie
d’écriture. La même chose se produisait en famille, et quelques
mères, pour sauver le plancher et jusqu’à la miche de pain sur
laquelle elles trouvèrent des mots, octroyèrent à leurs enfants
du papier et un crayon. L ’un d’eux m’apporta le lendemain une
espèce de petit cahier tout rempli, et la mère me raconta que
l’enfant avait écrit tout le jour et tout le soir, et qu’il s’était endormi
dans son lit, le papier et le crayon dans la main.
Ce travail impulsif, que je n’arrivais pas à freiner dans les
premiers jours, me fit penser que la nature est sage : en effet,
elle développe le langage parlé peu à peu, simultanément avec
le développement des idées. Si la nature avait agi aussi impru
demment que moi, si elle avait laissé développer un matériel
riche et ordonné, et un patrimoine d’idées, puis, ayant com
plètement préparé le langage articulé, avait simplement dit à
l’enfant, jusque-là muet : « Va ! parle », nous aurions assisté
à une brusque débauche où il parlerait sans arrêt et sans fin,
jusqu’à l’essoufflement de ses poumons et à la consomption de
ses cordes vocales, en prononçant les mots les plus difficiles et
les plus étranges.
Je crois, toutefois, qu’existe entre les deux extrêmes un milieu
renfermant la véritable voie : il nous faut donc provoquer le
langage graphique moins brusquement ; en le faisant naître
progressivement, il nous faut le provoquer comme un fait spontané
qui s’accomplit dès la première fois d’une façon presque parfaite.
Nos enfants, même ceux qui écrivent déjà depuis un an, conti
nuent toujours les trois exercices préparatoires qui ont provoqué
si parfaitement le langage graphique : nos enfants apprennent
donc à écrire, et se perfectionnent dans l'écriture, sans écrire. La
vraie écriture est la preuve et l'aboutissement d’une impulsion
intérieure ; c’est l’explication d’une activité supérieure : ce n’est
pas un exercice.
Se préparer avant d’essayer, et se perfectionner avant de pour
suivre est une conception éducative. Alors que poursuivre en
corrigeant ses propres erreurs, enhardit à poursuivre des choses
imparfaites, dont on est encore incapable, et réduit au silence la
sensibilité de sa propre erreur. Cet enseignement de l’écriture
contient une conception éducative neuve en imprimant à l’enfant
la prudence qui fait éviter l’erreur, la dignité qui rend prévoyant
et qui guide vers le perfectionnement, et aussi l’humilité qui le
tient en rapport constant avec les sources du Bien, les seules d’où
découlent et se conservent les conquêtes intérieures. En le garant
de l’illusion du succès, il suffira de le faire poursuivre sur le chemin
entrepris.
Le fait que tous les enfants, par la suite, répètent toujours
les mêmes actions, aussi bien ceux qui commencent à peine les
trois exercices que ceux qui écrivent déjà depuis plusieurs mois,
les unit et les fait fraterniser à un niveau apparemment égal.
Ici, point de caste de débutants et d’expérimentés : ils sont tous
en train de remplir des figures avec les crayons de couleur, de
toucher les lettres de papier émeri, de composer des mots avec
des alphabets mobiles ; les petits s’approchent des plus grands
qui les aident ; ils peuvent tous avoir l’illusion de faire la même
chose. Il y a celui qui se prépare et celui qui se perfectionne ; mais
tous sont sur la même voie. Égalité profonde, sans aucune diffé
rence sociale ; tous les hommes sont frères, comme dans la vie
spirituelle.
L ’écriture est apprise en très peu de temps, parce que l’ensei
gnement n’en est commencé qu’à ceux qui en manifestent le désir,
à ceux que l’on voit attirés spontanément par les leçons que la
maîtresse donne aux autres. Quelques-uns apprennent sans avoir
encore reçu de leçons, rien que pour avoir entendu les leçons
données aux autres.
Tous les enfants, dès quatre ans, ont, en général, un vif intérêt
pour l’écriture ; quelques-uns des nôtres ont toutefois commencé
à écrire à trois ans et demi. L ’enthousiasme le plus vif se mani
feste pour le toucher des lettres de papier émeri. Durant la première
période de mes expériences, c’est-à-dire quand les enfants voyaient
pour la première fois les lettres de l’alphabet, je dis un jour à la
LE LANGAGE GRAPHIQUE 177
maîtresse d’apporter sur la terrasse où ils jouaient les différents
types de petits cartons qu’elle avait fabriqués. Dès qu’ils la virent,
ils se groupèrent autour d’elle et de moi, le doigt tendu ; par
dizaines, les petits doigts touchaient les lettres, tandis que les
enfants se poussaient les uns les autres. Finalement, les plus grands
réussirent à nous prendre des mains les petits cartons avec l’illu
sion que, de les toucher, les en rendaient maîtres ; mais la foule
des petits les empêcha de continuer leur exercice. Je me rappelle
avec quel élan les possesseurs de petits cartons les brandissaient
comme des étendards, serrés à deux mains. Ils se mirent à marcher,
suivis de tous les autres, qui battaient des mains et poussaient
des cris de joie.
La procession passa devant nous : tous, grands et petits, riaient
bruyamment, tandis que les mamans, attirées par le bruit, regar
daient des fenêtres le spectacle.
L ’intervalle moyen entre la première tentative d’exercices pré
paratoires et le premier mot écrit est, pour les enfants de quatre ans,
d’un mois et demi ; pour ceux de cinq ans, c’est beaucoup plus
court : un mois environ ; mais l’un des nôtres apprit à écrire, avec
toutes les lettres de l 9alphabety en vingt jours. Les enfants de
quatre ans écrivent au bout de deux mois et demi quelques mots
dictés, et peuvent passer aussitôt à l’écriture à l’encre sur des
cahiers. En général, après trois mois, nos enfants sont éprouvés ;
ceux qui écrivent depuis six mois sont comparables à ceux de la
troisième élémentaire.
Enfin, l’écriture est une conquête facile et heureuse pour les
enfants.
Voilà pour le temps de l’apprentissage. Quant à l’exécution, dès
qu’ils commencent à écrire, nos enfants écrivent bien ; et la forme
arrondie et élancée des lettres est surprenante, en tout pareille
à celle des modèles en papier émeri. L ’excellence de cette écriture
est rarement égalée par les écoliers des écoles élémentaires qui
n9ont pas fait d9exercices spéciaux de calligraphie. Moi qui ai beau
coup étudié la calligraphie, je sais combien il est difficile d’amener
les enfants de douze ou treize ans des écoles secondaires à écrire
les mots entiers sans détacher la plume (sauf pour le 0), et com
bien la conduite d’un trait de certaines lettres présente souvent
une difficulté insurmontable et fait perdre le parallélisme des
barres ! Nos petits écrivent, eux, des mots entiers avec une sûreté
merveilleuse, d’un seul trait, maintenant un parfait parallélisme
dans les signes, et conservant la même distance entre les lettres.
En effet, la calligraphie est un « super-enseignement » nécessaire
pour corriger des défauts déjà acquis et fixés : c’est un « super-
travail » lourd et long, parce que l’enfant, en voyant le modèle,
178 PÉDAGOGIE SCIENTIFIQUE
La lecture
en criant et, dès que la lecture fut finie, un silence solennel s’éta
blit ; seuls quelques bruits de chaises étaient provoqués par les
mouvements faits pour se réinstaller convenablement.
Ainsi commença une communication bien intéressante pour eux
au moyen du langage écrit ; ils découvrirent peu à peu la puissance
de l’écriture, qui transmet la pensée ; quand je commençais
à écrire, ils frémissaient en attendant de connaître mon intention,
et ils la saisissaient sans que j’eusse à prononcer un seul mot.
En effet, le langage graphique ne demande aucune parole. Sa
grandeur est de permettre de s’entendre alors qu’on l’isole complè
tement du langage parlé.
Précisément, alors que ce livre était en cours d’impression1,
nous avons assisté à d’autres joies apportées par la lecture, grâce
au jeu suivant : je décrivais, sur des feuilles de papier, en longues
phrases, des gestes que les enfants devraient accomplir, par
exemple : « Ferme les fenêtres, et va ouvrir la porte d’entrée ;
puis attends un moment, et remets les choses comme avant ». —
« Demande gentiment à huit de tes camarades de quitter leur place,
et de se mettre à la file, deux par deux au milieu de la classe ;
puis fais-les marcher en avant et en arrière sur la pointe des
pieds, très doucement, sans aucun bruit. » — « Demande genti
ment à trois de tes plus grands camarades, à ceux qui chantent
le mieux, de venir au milieu de la classe ; mets-les à la file, et
chante avec eux une belle chanson de ton choix », etc., etc.
A peine avais-je fini d’écrire que les enfants m’arrachaient des
mains les petits billets pour les lire, alors que je les posais pour
sécher sur leur table ; ils lisaient spontanément, dans le plus
profond silence ; je leur demandais alors : « Compris ?» — « Oui,
oui !» — « Alors, faites-le » et, pleine d’admiration, je voyais les
enfants choisir aussitôt une action chacun et l’exécuter ponctuelle
ment ; une grande activité, une mise en mouvement d’un genre
nouveau naquit alors dans la salle ; celui-ci fermait les rideaux
puis les rouvrait ; un autre faisait courir ses propres camarades
qu’il invitait à chanter ; un troisième allait écrire ou prendre des
objets sur la console, etc. La surprise, la curiosité provoquaient
un silence général, et le spectacle se déroulait dans la plus grande
émotion. Il semblait qu’une force magique rayonnât de moi,
stimulant une activité inconnue auparavant : cette magie, c’était
le langage graphique, la plus grande conquête de la civilisation.
Comme les enfants en comprenaient l’importance ! Ce jour-là,
quand je partis, ils se groupèrent autour de moi avec des mani
festations d’amour, me disant : « Merci ! merci pour la leçon ! »
traduisait chez l’enfant par une fatigue rapide, sous forme d’ennui
et de souffrance. A cet effort venait s’ajouter celui de créer les
associations musculaires coordonnant à la fois le mouvement de
la tenue et du maniement de l’instrument d’écriture.
Une véritable dépression accompagnait ces efforts, engendrant
des signes imparfaits, erronés, que les maîtres devaient corriger ;
la dépression ne pouvait qu’en être accrue par la mise en lumière
constante de l’erreur et par l’imperfection du travail obtenu.
Ainsi, alors que l’enfant était poussé à l’effort, l’éducateur le
déprimait, au lieu de raviver ses forces psychiques !
Même en suivant un chemin si erroné, il faudrait que le langage
graphique, si péniblement appris, fût tout de suite utilisé à des
fins sociales ; alors que, même imparfait et pas encore mûri,
on le fait servir à la construction synthétique de la langue et à l’ex
pression idéale des centres psychiques supérieurs.
Il faut penser que, dans la nature, le langage parlé se forme
graduellement ; il est déjà établi par des mots9 quand les centres
psychiques supérieurs utiliseront ces mots pour ce que Kussmaul
appelle le dictorium, c’est-à-dire la formation grammaticale syn
thétique du langage, nécessaire à l’expression d’idées complexes :
le langage de Vesprit logique.
Enfin, le mécanisme du langage doit préexister aux hautes
activités psychiques qui devront les utiliser.
Il y a, par conséquent, deux périodes dans le développement du
langage : une période inférieure, qui prépare les voies nerveuses
et les mécanismes centraux qui devront mettre en rapport les
voies sensorielles avec les voies motrices ; et une période
supérieure, déterminée par les hautes activités psychiques, et qui
syextériorise9 grâce aux mécanismes du langage formés aupa
ravant.
Ainsi, dans le schéma que donne Kussmaul du mécanisme du
langage articulé, il faut avant tout distinguer une espèce d’arc
cérébral diastaltique, représen
tant le mécanisme pur de la
parole qui s’établit dans la pre
mière formation du langage
parlé.
Si l’oreille est en O, et l’en
semble des organes moteurs de la
parole, figurés par la langue, en
L , le centre auditif de la parole
est en A, et le centre moteur en M. Les voies O et M L sont des
voies périphériques, la première, centripète, et l’autre, centrifuge ;
et la voie A M est une voie intercentrale d’association.
LE LANGAGE GRAPHIQUE IÇ I
perçoit mieux les sons qui composent les mots, et que les voies
psycho-motrices se font de plus en plus perméables à l’articu
lation.
C ’est là le premier stade du langage parlé, qui a son début
propre ainsi que son développement, perfectionnant son méca
nisme primordial à travers les perceptions ; c’est à ce moment
que vient s’établir ce que nous appelons le langage articulé. Ce
langage bien difficile à perfectionner et à corriger quand il sera
stabilisé, constituera pour l’homme le moyen d’exprimer ses
propres pensées ; il arrive, en effet, qu’une grande culture s’ac
compagne d’une articulation imparfaite et empêche l’expression
esthétique de la pensée.
Le langage articulé se développe à cette période qui va de deux
à cinq ans : c’est l’âge des perceptions, en laquelle l’attention de
l’enfant est spontanément tournée sur les objets extérieurs, et
pendant laquelle la mémoire est particulièrement puissante.
C ’est l’âge aussi de la motricité où, les voies psycho-motrices étant
perméables, les mécanismes musculaires s’établissent. C ’est l’épo
que de la vie à laquelle il semble que les perceptions auditives
et la possibilité de provoquer les mouvements compliqués du
langage articulé se développent instinctivement à la faveur de
stimulants, comme se réveillant d’un sommeil héréditaire, grâce
aux liens mystérieux qui unissent les voies auditives aux voies
motrices. On sait bien que ce n’est qu’à cet âge qu’il est possible
d’acquérir toutes les modulations caractéristiques de la langue,
qu’on essayerait en vain d’établir plus tard. Seule la langue mater
nelle est parfaitement prononcée parce qu’elle a été établie par
l’enfant ; l’ adulte qui apprend à parler une langue étrangère
y apportera les imperfections caractéristiques du langage étranger ;
seuls les enfants au-dessous de sept ans, en apprenant à la fois
plusieurs langues, arrivent à percevoir et à reproduire toutes les
caractéristiques d’accents et de prononciation.
De même, les défauts acquis dans l’enfance, tels ceux qui vien
nent d’un dialecte, où qu’ont établis de mauvaises habitudes, de
meurent indélébiles chez l’adulte. Le langage supérieur, le dictorium,
qui se développe plus tard, n’a plus ses origines dans le mécanisme
du langage, mais dans le développement intellectuel1. De même
que le langage articulé se développe en exerçant les mécanismes
et s’enrichit par les perceptions, le dictorium se développe par
l’esprit et s’enrichit par la culture intellectuelle. En reprenant le
schéma du langage, nous voyons que, au-dessus de l’arc quii.
i. Ainsi, la machine à écrire n’a rien à faire avec Vidée de celui qui s’en
sert pour transmettre sa propre pensée.
LE LANGAGE GRAPHIQUE 193
délimite le langage inférieur, s’est établi le dictoriumy Z), duquel
partent, désormais, les impulsions motrices de la parole qui éta
blissent la langue parlée destinée à ma
nifester la pensée de l’homme intelli
gent.
Jusqu’à présent, le préjugé s’était
établi que le langage écrit ne devait
intervenir qu’avec le développement
du dictoriumy comme moyen de pro
pager la culture et de permettre l’ana
lyse grammaticale et la construction de
la langue. Puisque les « mots s’envo
lent » on admet que la culture intel
lectuelle ne peut avancer qu’à l’aide
d’un langage établi, objectif, capable d’être analysé : le langage
graphique.
Nous qui reconnaissons la valeur du langage graphique, nous
le savons utile jusque dans les plus humbles devoirs, parce qu’il
fixe les mots qui représentent les perceptions, et qu’il permet
d’analyser les sons qui les composent. Il est indispensable à l’édu
cation intellectuelle : fixant les idées, il aide l’esprit à assimiler
les pensées indélébilement écrites dans les livres ; il joue le rôle
d’une mémoire infaillible.
Gênés par un préjugé pédagogique, nous ne savons pas séparer
l’idée du langage graphique de celle de la fonction que, jusqu’à
présent, nous lui avions exclusivement fait accomplir ; il nous
semble que, en enseignant ce langage aux enfants à l’âge des
simples perceptions et de la motricité, on commette une erreur
psychologique et pédagogique.
Dépouillons-nous de ce préjugé ; considérons le langage gra
phique en soi, reconstruisant le mécanisme psycho-physiologique.
Il est bien plus simple que le mécanisme psycho-physiologique
du langage articulé, et bien plus directement accessible à l’éduca
tion.
L 'écriture est d’une singulière facilité. Considérons l’écriture
dictée: nous avons un parallèle parfait avec le langage parlé,
puisque, au mot entenduy doit correspondre une action motrice.
Ici, il est vrai, le mystérieux rapport héréditaire entre le mot
entendu et le mot articulé n’existe pas ; mais les mouvements de
l’écriture sont beaucoup plus simples que ceux du mot parlé ;
ils sont accomplis par des muscles moins diffus dans leur fonction
que ceux des cordes vocales et de la langue ; tous ceux sur lesquels
nous pouvons directement agir sont extérieurs, et préparent le
mouvement.
194 PÉDAGOGIE SCIENTIFIQUE
m = main
V = vision
Me = centre mo
teur du lan
gage parlé
Mm = centre mo
teur du lan
gage écrit
Oe = œil
donnerons les petits cartons sur lesquels sont collés des chiffres
en papier émeri, en même temps que l’alphabet : les enfants les
touchent pour apprendre à les écrire et pour apprendre leur nom,
comme pour apprendre les lettres. Nous donnerons, en outre,
une deuxième série de chiffres, imprimés cette fois. Chaque chiffre
connu est déposé sur la barre correspondante (voir photo 31 bis).
L ’union du chiffre écrit et de la quantité qu’elle représente est
un exercice analogue à celui que fait l’enfant en déposant un nom
écrit sur un petit carton contre l’objet correspondant. Cet exer
cice est la base même d’un long travail que l’enfant peut désormais
continuer tout seul.
Bien que les barres constituent le matériel principal pour
initier l’enfant à l’arithmétique, d’autres groupes d’objets s’y
adjoignent.
Les fuseaux
5-555
+ 6.450
+ 1-524
+ 5-743
+ 4-365
+ 1.048
O O 0 0 0 O 0 0 0
X X X X X X X X X X X X X X X X X
X X X X X X X X X X X X X
X X X X X X X X X
X X X X X
X
Addition et soustraction de 1 à 20
Multiplication et division
2 4 6 8 10
X XX X X X X X X X X X X X X X
X X X X X X X X X X X X X X
X X X X X X X X X X
X X X X X X
X X
10 10 1 6
10 10 2 7
10 10 3 8
10 10 4 9
10 5
le 1. Ce 1 ressemble à ce qui dépasse de la barrette de dix après la
barrette de neuf ; après avoir compté toutes les barrettes jusqu’à
neuf, il n’y a plus de chiffres ; il reste cette ressource de recom
mencer à désigner cette barrette par 1 ; mais c’est un 1 qu’il faut
distinguer de l’autre et, pour cela, nous mettrons à côté de lui
un signe qui ne vaut rien : un zéro. Et voilà le 10.
En couvrant le zéro par des chiffres indiqués sur les cartons
carrés, dans l’ordre de leur succession, voilà formés 11, 12, 13, 14,
15, 16, 17 18, 19. On compose ces nombres avec les barrettes
de perles en mettant successivement celle de un à la suite de celle
de dix, et puis, à sa place, celle de deux ; puis, en y substituant
celle de trois, etc., jusqu’à ajouter la barrette de neuif; ce faisant,
on obtient une barrette très longue ; en comptant les perles, on
arrive à dix-neuf (photo 33).
La maîtresse peut ensuite diriger les exercices du système des
nombres, en montrant les petits cartons de dix et des chiffres
superposés au zéro, par exemple, 16 ; l’enfant ajoute la barrette
de six à celle de dix. La maîtresse enlève le six du carton dix et
superpose au zéro le carton qui porte, par exemple, le nombre
ENSEIGNEMENT DE LA NUMÉRATION 213
huit : 18 ; et l’enfant enlève la barrette de six et la remplace par
celle de huit.
Chacun de ces exercices peut se transcrire ainsi, par exemple :
10 + 6 = 16 ; 10 + 8 = 18, etc. On procède de façon analogue
pour les soustractions.
10 10 10 60
10 10 20 70
10 ' 10 30 80
10 10 40 90
10 A 50
Les tables
C ’était sur le principe réalisé par le système des barres que les
enfants étaient arrivés à faire facilement les premières opérations
arithmétiques :
7 + 3 = i o ;2 + 8 = i o ; io — 4 = 6
ENSEIGNEMENT DE LA NUMÉRATION 215
Ce matériel est donc d’un usage excellent ; il est pourtant trop
limité et trop volumineux pour être manipulé et réparti à toute
une classe.
Voilà pourquoi, conservant la même idée, nous avons préparé
un matériel d’un format plus petit, accessible à plusieurs enfants
travaillant en même temps.
Il consiste en barrettes de perles reliées par un fil de laiton rigide,
arrêté aux deux extrémités par un repli en boutonnière : la barrette
de 2, de 3, de 4, de 5, de 6, de 7, de 8, de 9, de 10. Les perles
composant ces barrettes sont colorées différemment. Celle de 10
est dorée ; celle de 9 est bleu foncé ; celle de 8 est mauve ; celle de 7
est blanche ; celle de 6 est marron ; celle de 5 est bleu clair ;
celle de 4 est jaune ; celle de 3 est rose ; celle de 2 est verte ; une
perle isolée, rouge, représente l’unité.
Le serpent
+ I
+ 2
+ 3
+ 4
+ 5
+ 6
+ 7
+ 8
+ 9
2 x 1 = 2
2 x 2 = 4
2 x 3 =
2x4 =
2 x 5 =
2 x 6 =
2 x 7 =
2 x 8 =
2 x 9 =
2 x 10 =
comme les deux autres rois. Enfin, il y a les gardes noirs. De cette
histoire naissent beaucoup de conséquences, dont l’une est l’ordre
de la formule algébrique : a3 + 3 a2b + 3 a2c + b 3 + 3 ab2
+ 3 b 2c + c3 + 3 ac2 + 3 bc2 + 6 abc.
E nfin, les petits cubes se placent en un certain ordre dans la
boîte, y construisant un grand cube de toutes les couleurs citées
plus haut : ( a + b + c ) 3.
En maniant ce matériel, l’image visuelle de la disposition
des solides se forme, et le souvenir de leur quantité et de leur
ordre s’imprime.
C ’est donc une préparation sensorielle de l’esprit. Aucun objet
n’est aussi attrayant pour les enfants de quatre ans. Et, par la
suite, en attribuant successivement un nom à chaque « roi » —
a, b, c — et en écrivant le nom de chacun des solides d’après sa
propre dimension, il se trouve que des enfants de cinq ans et,
en tout cas, ceux de six, conservent le souvenir de la formule
algébrique du cube d’un quadrinôme, sans plus regarder le maté
riel, parce que la mémoire visuelle de la disposition des divers
objets s’est fixée. Cela donne une idée des possibilités ouvertes
dans la pratique.
Tout l’enseignement de l’arithmétique et de ces principes
d’algèbre — sous forme de lecture et de mémorisation des petits
cartons, et d’autre matériel, porte des fruits qui semblent fabu
leux. C ’est la preuve que l’enseignement de l’arithmétique doit
être transformé, en prenant comme point de départ la préparation
sensorielle de l’esprit, basée sur des rapports concrets.
On comprend que ces enfants de six ans, en entrant dans une
école commune où l’on commence à compter 1, 2, 3... ne sont
plus à leur place, et qu’une réforme radicale des écoles élémen
taires s’impose pour pouvoir continuer ce développement.
Mais, en dehors même de cet enseignement, dans lequel inter
vient toujours le mouvement de la main qui déplace des objets,
et dans lequel il est fait si instamment appel à l’éducation des sens,
il faut penser aux « aptitudes particulières de l’esprit de l’enfant »
à l’égard des mathématiques. Il faut remarquer la facilité avec
laquelle, laissant le matériel de côté, ils aiment à écrire les opé
rations ; ils se livrent alors à un travail mental abstrait, et acquièrent
des dispositions pour le calcul mental spontané.
Ainsi, un enfant sortant, à Londres, d’un autobus, avec sa
mère, lui dit un jour : « Si tout le monde avait craché, on aurait
recueilli trente-quatre livres... » Il avait lu la pancarte sur laquelle
il était écrit : « Défense de cracher sous peine de telle amende... »
L ’enfant avait passé son voyage à faire un calcul mental, réduisant
les shillings en livres.
L E DESSIN E T L ’A R T R E PR É SE N TA TIF
Rythme et gymnastique
Reproduction musicale
Vie pratique :
Déplacer les chaises en silence, transporter les objets, marcher
sur la pointe des pieds.
Les cadres.
Exercices sensoriels :
Les emboîtements solides. Pour ces emboîtements, voici la
progression, du facile au difficile :
a) emboîtements de la même hauteur et diamètres décrois
sants ;
b) emboîtements décroissants dans toutes les dimensions ;
c) emboîtements décroissants en diamètres et croissants en
hauteur ;
d) emboîtements décroissants seulement dans la hauteur.
D euxièm e degré
Vie pratique:
Se lever et s’asseoir en silence, enlever la poussière, verser de
l’eau d’un récipient dans un autre. Marcher sur la ligne.
Exercices sensoriels :
Matériel pour les dimensions : cubes, prismes, longueurs.
Exercices sensoriels variés dans la période du rangement des
objets par paires et par contrastes.
256 PÉDAGOGIE SCIENTIFIQUE
T ro isièm e degré
Vie pratique :
S’habiller, se déshabiller, se laver, etc.
Nettoyage des divers objets du milieu.
Manger correctement en se servant des couverts.
Exercices du mouvement:
Exercices variés de contrôle des mouvements en marchant sur
la ligne.
Exercices sensoriels :
Tous les exercices sensoriels dans la période des gradations
Dessin.
Exercices de silence.
Q uatrièm e degré
C in q u iè m e degré
Vie pratique :
Tous les exercices de vie pratique, comme plus haut ; en plus :
soins raffinés de toilette personnelle (les dents, les ongles).
Lecture de mots scientifiques : noms géographiques et historiques,
biologiques et géométriques, etc.
Développement de la lecture avec des détails grammaticaux
accompagnés de jeux.
Ordres.
Connaissance des formes extérieures sociales (différentes manières
de saluer, etc.).
Aquarelles et dessins.
Premières opérations arithmétiques.
ORDRE ET PROGRESSION 257
I ntroduction .......................................................................... 7
CO N SID ÉR A TIO N S C R I T I Q U E S ..................................... 9
A N T É C É D E N T S D E L A M É T H O D E ............................. 21
Historique de la découverte de l’e n fa n t........................ 31
L ’A M B IA N C E ..................................................................... 35
Aménagement s c o la ir e ..................................................... 35
Nos enfants devant récompenses et châtiments . . . . 45
Liberté du développem ent............................................. 47
Exercices de vie pratique : matériel de développement 48
L A S A N T É ............................................................................. 50
L A N A T U R E D AN S L ’É D U C A T IO N (Le Sauvage de
l’A v e y r o n ) ............................................................................. 52
La nature dans l’éducation s c o la ir e ............................. 57
L ’H OM M E R O U G E E T L ’H O M M E B L A N C . . . . 62
L ’éducation des mouvements . . . ......................... 64
Gymnastique et tr a v a il..................................................... 67
L ’analyse des m o u v em en ts............................................. 71
Économie des m ouvem ents............................................. 72
La l i g n e .............................................................................. 74
Immobilité et s i le n c e ..................................................... 75
La transposition des exercices dans la vie pratique . . 77
Le libre c h o i x ................................................................. 79
LES E X E R C IC E S ..................................................................... 96
Technique pour l’initiation aux exercices du sens
t a c t i l e ............................................................................. 96
Éducation sensorielle du sens du goût et du sens
olfactif ......................................................................... 101
Distinctions visuelles :
Emboîtements solides, blocs..............................................103
Matériel des couleurs...................................................... 107
Emboîtements géométriques..............................................108
Exercices avec les emboîtements......................................HO
Exercices avec les trois séries de cartons......................I II
Exercices pour la distinction des bruits et des sons . . 112
Le s ile n c e .............................................................................. 115
L A PIERRE D E T O U C H E ......................................................137
L ’observation.......................................................................... 137
L ’ordre m e n ta l...................................................................... 139
Le s ile n c e .............................................................................. 139
L ’É D U C A T IO N R E L I G I E U S E ............................................. 231
L A D I S C IP L IN E ..........................................................................237
C O N CLU SIO N S ......................................................................249
L E Q U A D R IG E T R I O M P H A N T ......................................... 252
ORDRE E T PRO GRESSION D AN S L A PR É SEN TA
T IO N D U M A T É R I E L ..........................................................255
Achevé d’imprimer le 10 novembre 2016
sur les presses de
L a M anufacture - Im prim eur - 52200 Langres
Tél. : (33) 325 845 892
N° imprimeur : 161093 - Dépôt légal : juin 2016
Im prim é en F ra n ce
e c .? )
MARIA MONTESSORI
DÉCOUVERTE
L’ ENFANT
Traduction Georgette J. J. Bernard
Préface Anne-Marie Gillet-Bernard
Collection m a r i a
MONTESSORI J