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Un pays naturellement tourné vers la mer

 
 
Les premières cités phéniciennes ont été fondées dès la plus haute antiquité. Ainsi, Tyr et
Sidon sont connues dès le IIe millénaire av. J.-C. et Byblos est mentionnée dans les sources
égyptiennes dès le IVe millénaire. La Phénicie de l’antiquité correspond, à peu près, au
territoire de l’actuel Liban, une mince bande de terre s’étendant de la Syrie au nord
jusqu’au Carmel au sud, coincée entre la montagne du Liban à l’est et la mer Méditerranée
à l’ouest. Les villes phéniciennes sont donc des cités côtières.
 
Devenues vassales de l’Égypte des pharaons sous la XVIIIe dynastie, les cités phéniciennes
deviennent indépendantes après le repli de l’Égypte vers le XIIe siècle. Elles connaissent
ensuite la domination assyrienne à partir du IXe siècle, puis la domination de l’empire néo-
babylonien de Nabuchodonosor à partir de 586. La Phénicie est ensuite intégrée, en 539, à
l’empire perse de Cyrus, qui a conquis Babylone. Enfin, en 332, après le siège de Tyr, les
cités phéniciennes font partie de l’empire d’Alexandre le Grand.
 
Pourtant, malgré ces dominations successives, les cités phéniciennes ont connu une grande
prospérité et ont conquis la Méditerranée entière, et se sont même aventurés au-delà, se
plaçant ainsi au centre d’un vaste réseau commercial. À tel point qu’il n’est pas exagéré de
parler de mondialisation à propos du commerce phénicien.
 
Comment expliquer l’essor du commerce phénicien ? Quatre types de facteurs peuvent être
identifiés. Le premier est d’ordre géographique. Les conditions naturelles ont été
déterminantes car, nous l’avons vu, la Phénicie est coincée entre la mer et la montagne.
Cette dernière rend très difficile les relations avec l’arrière-pays – sauf au niveau de la
trouée d’Homs au niveau d’Arwad – et même les relations entre les cités phéniciennes elles-
mêmes dans la mesure où elle s’avance parfois jusque dans la mer. Il n’existe pas de routes
terrestres, et, pour se rendre d’une cité à l’autre, il n’est pas rare d’utiliser la voie maritime.
Tout ceci explique que les cités phéniciennes se soient naturellement tournées vers la mer
et que s’y soit ainsi développée une tradition maritime. En outre, la présence du bois de
cèdre du Liban offre sur place la matière première pour la construction des bateaux. Enfin,
la situation géographique place la Phénicie dans une situation de carrefour entre l’Asie et la
Méditerranée, entre l’Orient et l’Occident.
 
Un deuxième facteur a conditionné l’essor commercial des cités phéniciennes, un facteur
politique. En effet, vers 1180 av. J.-C., l’invasion des Peuples de la mer déstabilise la
région, l’empire hittite s’effondre, l’Égypte entame un repli et s’affaiblit. Les cités
phéniciennes, et surtout deux d’entre elles, Sidon et Tyr, profitent de ce vide politique et de
leur indépendance. Cette époque marque le début d’une longue période d’indépendance et
de prospérité. En outre, la disparition brutale de l’hégémonie mycénienne sur la mer
provoque aussi un vide dont les Phéniciens tirent parti. Enfin, en 539, à partir de la
conquête babylonienne, s’est ouverte une nouvelle grande période de prospérité après une
domination assyrienne caractérisée par une forte pression économique due au tribut que
devaient verser les peuples soumis aux Assyriens.
 
Le facteur économique a aussi joué un rôle certain dans l’expansion phénicienne. Les
marchands ont été poussés par la volonté de trouver de nouvelles ressources et des
activités toujours plus rémunératrices et de commercialiser de nouveaux produits, ils ont
été amenés à parcourir de plus grandes distances et à ainsi mettre en place un commerce
d’une grande ampleur tout autour de la Méditerranée. C’est que la croissance
démographique au Proche-orient et sur tout le pourtour méditerranéen a engendré une forte
demande de produits artisanaux et donc de matières premières avec lesquelles ces produits
étaient fabriqués. C’est l’élément moteur des échanges maritimes des Phéniciens.
 
Enfin, un dernier facteur indispensable à la concrétisation de l’expansion phénicienne est
d’ordre technique. Les Phéniciens étaient, dans l’antiquité, des marins réputés. Un proverbe
araméen disait : « Ne montre pas la mer à un Arabe ni le désert à un Sidonien, car tout
autre est leur affaire. » Ils possédaient une très grande maîtrise de l’art de la navigation et
des phénomènes atmosphériques.
 
 
La Méditerranée : mare nostrum, « mer intérieure » des Phéniciens
 
 
L’art de la navigation est caractéristique de la civilisation phénicienne même si, comme nous
le verrons, le commerce terrestre a aussi existé. Pour développer leurs activités
commerciales, les Phéniciens ont utilisé des navires adaptés et équipés spécialement. Les
navires de commerce, très différents des bateaux de guerre, étaient appelés gauloï, qui
signifie « rond » en grec, en raison de la rondeur de leur coque. Ils avaient en effet une
grande capacité de charge, mesuraient entre vingt et trente mètres de long pour six à sept
mètres de large. La poupe était arrondie et terminée par une queue de poisson ou un
volute. La proue était également arrondie et sur ses flancs étaient peints de grands yeux.
Un grand mât soutenait une voile rectangulaire et le gouvernail consistait en une grande
rame disposée sur le côté gauche de la poupe. L’équipage comptait rarement plus de vingt
personnes. Ainsi, ces navires pouvaient parcourir de longues distances et donc permettre
les échanges sur une échelle vaste. Ils ont été l’instrument technique de la mondialisation
phénicienne.
 
Les Phéniciens usaient aussi de plus petites embarcations pour le cabotage, des chaloupes
et des barques de pêche. Elles avaient aussi des coques rondes et possédaient soit un petit
mât soit une petite rame. Une rame-gouvernail à gauche de la poupe permettait de les
diriger.
 
Comment s’organisait le commerce phénicien ? Les routes des échanges étaient multiples, à
la fois maritimes et terrestres, et les produits échangés variés. Un véritable réseau a fait de
la Méditerranée la mare nostrum (« notre mer » en latin) des Phéniciens, avant celle des
Romains.
Dès la fin du IIe millénaire, les premières relations commerciales ont lieu entre la Phénicie,
l’Égypte, la côte méridionale de l’Anatolie et Chypre. Des matières premières étaient
échangées contre des objets manufacturés. Les Phéniciens importaient ainsi de l’étain
d’Anatolie, de l’or, de l’ivoire, du lin et des esclaves d’Égypte, et du cuivre de Chypre. Ces
matières premières étaient transformées par les artisans phéniciens. Les objets
manufacturés ainsi obtenus étaient enfin réexportés : des ustensiles en bois de cèdre
plaqués d’ivoire, des coupes en bronze et en argent, des récipients de pâte de verre et des
tissus de pourpre.
 
La cité phénicienne de Byblos était la partenaire privilégiée de l’Égypte et constituait une
plaque tournante des échanges. Elle exploitait les forêts de son arrière-pays et fournit
cèdres, genévriers et pins pour la construction des pyramides et autres monuments
égyptiens. Par exemple, vers 1050, un certain Ounamon est envoyé par le pharaon à Byblos
pour acheter du bois nécessaire à la restauration de la barque du dieu Amon. L’Égypte
quant à elle envoyait de nombreux objets à la cité phénicienne, notamment des bustes. Des
armateurs gyblites mais aussi sidoniens travaillaient dans la capitale égyptienne de Tanis,
située dans le delta du Nil. Hérodote nous a laissé la description d’un « Camp des Tyriens »
à Memphis. Des pêcheurs phéniciens fournissaient du poisson du delta à Jérusalem.
 
Chypre a été la première étape de l’expansion phénicienne. Au Xe siècle, le roi de Tyr Hiron
fonde la colonie de Kition. Un siècle plus tard, plusieurs roitelets phéniciens se partageaient
la domination de l’île avec d’autres souverains. Ces royaumes phéniciens perdureront
jusqu’à l’époque hellénistique.
 
Puis, au Ier millénaire a lieu le grand essor du commerce phénicien, la grande expansion
vers la Méditerranée occidentale. Mais ce sont surtout Tyr et Sidon qui sont les principaux
moteurs de l’expansion phénicienne. Dès lors, l’aspect du commerce change car en
Occident, les marchands phéniciens sont confrontés non à des pouvoirs bien structurés
comme en Orient avec les royaumes proche-orientaux ou les Etats urbanisés, mais à des
pouvoirs locaux ou à des entités ethniques de caractère tribal ayant un contrôle territorial
très limité.
 
Les marchands phéniciens naviguaient vers l’ouest en passant par le nord de la
Méditerranée et revenaient par le sud, en raison de la direction des vents. Au début du Ier
millénaire, donc, les Phéniciens installent des comptoirs sur les îles de Crète, d’Eubée et du
Dodécanèse, en mer Égée. À l’époque hellénistique il existe de véritables de colonies de
marchands phéniciens à Athènes, Délos et Thessalie.
 
Puis la route des Phéniciens se poursuit et des comptoirs et des escales sont installés à
Malte, en Sicile, en Sardaigne et sur les Baléares, toutes ces îles constituant autant de
points d’appui. En Sardaigne, les Phéniciens viennent chercher de l’argent, du cuivre, du fer
et du plomb dont les mines sont exploitées depuis le IIe millénaire. Le but ultime des
navigations phéniciennes est le sud de la péninsule ibérique, riche en argent, cuivre et
plomb mais aussi en huile.
 
Les Phéniciens ont établi aussi des comptoirs en Italie, entrant ainsi au contact des
Étrusques. Ils trouvaient dans cette région des ressources agricoles abondantes comme le
vin, l’huile et les céréales, ainsi que des métaux, fer et argent.
 
Au retour, les Phéniciens fondent aussi de nombreuses colonies, qui ne devaient être au
départ que de simples escales. Notamment en Afrique du Nord, on trouve Linx, Tingis,
Hippone, Utique, Hadrumète, Sabrata, Leptis… Mais l’une d’elles a connu une grande
fortune, c’est la célèbre Carthage, fondée en 814. Elle a développé sa propre politique
commerciale et a exercé sa tutelle sur tous les anciens comptoirs de la Méditerranée
occidentale. Cependant, les relations ont toujours perduré entre les villes d’Orient et celles
d’Occident. D’Afrique du Nord étaient exportés du sel, de l’ivoire, du murex et des esclaves.
 
Les Phéniciens, ces grands navigateurs, ont largement dépassé les colonnes d’Hercule,
c’est-à-dire le détroit de Gibraltar. Vers la fin du Ve siècle, le Carthaginois Hannon vogue
vers l’océan atlantique et atteint le golfe de Guinée. Au même siècle, un autre Carthaginois,
Himilcon, atteint la Bretagne, et peut-être même la Grande-Bretagne. Enfin, dès le VIIIe
siècle, Hérodote raconte que des Phéniciens, à la demande du pharaon Néchao II, ont
effectué en trois ans le tour de l’Afrique, de l’est vers l’ouest. Ces voyages exploratoires
avaient toujours le même but, à caractère commercial : la recherche de métaux précieux et
de marchés plus lucratifs. De Grande-Bretagne aurait été importés du zinc et du plomb.
 
Interaction culturelle avec les autres peuples
 
 
Ce commerce, pratiqué sur une aussi vaste échelle ne pouvait pas manquer de produire des
effets dans certains domaines autres que l’économie. L’art, la religion et la langue ont été
stimulés par le commerce phénicien.
 
La civilisation phénicienne s’est ouverte aux influences extérieures par le commerce. Dès les
IXe et VIIIe siècles, l’art phénicien a de plus en plus reflété « l’internationalisation du
commerce » [1]. Les emprunts à l’Égypte furent nombreux, mais les éléments égéens
furent aussi repris par les artistes phéniciens, tout comme l’interaction culturelle avec les
Judéens, les Israélites ou les Araméens fut réelle et témoigne de l’extension du commerce
phénicien.
 
Par exemple, à Karatepe, des reliefs et des dizaines d’ivoire et de sceaux reflètent la
symbiose des arts phénicien et araméen. En Italie, à Préneste, fut découverte parmi
d’autres objets une coupe en métal datée du VIIe siècle provenant d’une tombe princière.
Sa décoration est clairement égyptisante, ce qui témoigne de la forte influence de l’art
égyptien, avec notamment des hiéroglyphes qui ont seulement un rôle décoratif. De telles
coupes ont aussi été mises au jour à Chypre et en Crète. À Sidon et à Arwad, la décoration
architecturale traduit l’ouverture aux influences perses avec des chapiteaux à protomes de
taureaux et le développement de nouveaux types de sphinx.
 
Ces quelques exemples suffisent à montrer que c’est par la mise en relation de cultures
différentes par le commerce que l’art s’est enrichi et renouvelé. C’est par l’ouverture aux
autres civilisations que des œuvres tout à fait originales ont été créées. Le commerce a ainsi
offert un lieu de contacts et d’échanges dans des domaines bien différents que celui de
l’économie.
 
Sur le plan de la religion aussi, le commerce phénicien s’est révélé bénéfique. Ainsi, un dieu
apparu au Ier millénaire à Tyr portait le nom de Milqart, « roi de la ville ». Son culte s’est
répandu dans tout le bassin méditerranéen. Un exemple montre bien l’insertion de ce culte
dans des contextes tout à fait autres que la ville de Tyr. Près d’Alep en effet a été retrouvée
une stèle dédiée à Milqart par un roi araméen et écrite en araméen. Encore une fois,
l’ouverture aux échanges et aux influences extérieures a contribué à créer des pièces
originales du point de vue archéologique.
 
Enfin, c’est aux Phéniciens et à leur expansion que nous devons l’alphabet. Dès le Xe siècle,
l’alphabet phénicien, composé de vingt-deux lettres, est repris par les peuples voisins,
Araméens, Hébreux, Transjordaniens, Anatoliens. Ceux-ci le font évoluer jusqu’à ce qu’au
VIIIe siècle, l’écriture prenne des formes locales très différentes. Ensuite, l’araméen se
diffuse en Assyrie puis, par les Perses, dans tout l’ouest de leur empire (Égypte et Anatolie
notamment). L’araméen devient ainsi la lingua franca du Proche-Orient antique et il sera à
l’origine de l’hébreu carré actuel, du syriaque et de l’arabe.
 
En Occident, les Grecs ont emprunté l’alphabet aux Phéniciens mais en le modifiant, en
introduisant des voyelles. Puis, par le truchement des Étrusques, cet alphabet grec est
passé aux Romains qui sont à l’origine de notre alphabet actuel. Ainsi, à travers les deux
rameaux d’Orient et d’Occident, l’alphabet phénicien est à l’origine de tous ceux qui sont
actuellement utilisés dans le monde. Cela est encore en lien avec le commerce dans la
mesure où l’écriture phénicienne, d’une grande facilité d’usage, a pu être exportée dans
tous les comptoirs de la Méditerranée, ce qui a permis notamment son appropriation par les
Grecs.
 
En définitive, la mer Méditerranée fut beaucoup plus une route qu’un obstacle, un lieu de
contacts et d’échanges. Les Phéniciens ont élargi leurs relations à l’échelle du monde, du
moins d’un vaste monde. Ils mirent en œuvre peut-être la première mondialisation de
l’histoire par la mise en relation des différentes parties du monde antique.
http://www.mystere-tv.com/l-age-du-fer-un-nouveau-tournant-v3047.html

http://antikforever.com/Syrie-Palestine/Phenicien%20Cananeen/phenicien.htm

http://thucydide.over-blog.net/article-17753368.html

http://mahgeneve.ch/les-monnaies-aquatiques-du-liban/
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