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Le Honduras, un pays « pris en étau entre

pauvreté extrême et ultraviolence »


Depuis la fin des années 1990, le pays est gangrené par des gangs devenus
« entrepreneurs du crime », qui poussent les habitants à l’exil.
LE MONDE | 22.10.2018 à 19h13 • Mis à jour le 23.10.2018 à 08h07 |Par Charlotte Chabas

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Des migrants honduriens se préparent à traverser la Goascorán, le 18 octobre, afin d’entrer


illégalement au Salvador et de rejoindre la caravane de migrants qui se dirige vers les Etats-
Unis.

MARVIN RECINOS / AFP


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« Ils ne courent pas après le rêve américain, ils fuient le


cauchemar hondurien. » C’est par ces mots que le politicien
d’opposition hondurien Jari Dixon a commenté le périple de 7
000 de ses compatriotes, partis à pied de San Pedro Sula la
semaine passée pour gagner les Etats-Unis. Lancée suite à un
appel sur les réseaux sociaux, le cortège de migrants a d’abord
franchi la frontière guatémaltèque avant de gagner le Mexique,
vendredi 19 octobre.
Ce n’est pas la première fois qu’un tel mouvement de foule se produit. En mai, déjà, plusieurs
centaines de Honduriens avaient tenté de rejoindre les Etats-Unis en convoi. Une poignée
seulement avait pu gagner le sol américain et déposer une demande d’asile. « Ces migrations
groupées ont pour but de sensibiliser l’opinion publique sur une situation sociale
dramatique », analyse Christophe Ventura, chercheur à l’Institut de relations internationales et
stratégiques (IRIS).

Taux de pauvreté de 64,3 %


Malgré une croissance de près de 5 % l’an passé, le Honduras figure en vingt-septième
position des pays les plus pauvres de la planète. En Amérique centrale, c’est le deuxième pays
le plus en difficulté économique, derrière le Nicaragua. Gangrené par le chômage, ce pays de
9,1 millions d’habitants affiche un taux de pauvreté de 64,3 %. Sur la même période, dans les
zones rurales du pays, près d’un habitant sur cinq vivait même en situation d’extrême
pauvreté – soit moins de 1,90 dollar par jour (1,66 euro).

Surtout, ce pays bordé par la mer des Caraïbes pâtit d’un taux d’homicide parmi les plus forts
au monde – hors conflit militarisé. Les Nations unies établissaient ainsi en 2015 un taux de
63,8 homicides pour 100 000 habitants. Ce chiffre avait même culminé à 93,2 en 2011.

Entretien avec Jorge Martinez Pizarro, géographe et démographe chilien : « Désigner


les migrants comme une menace est irresponsable »

Comment s’explique cette ultraviolence ? D’abord parce que le pays, indépendant depuis
1821, a vu son histoire émaillée de multiples coups d’Etat – dont le dernier en 2009 –, une
guerre civile et des conflits récurrents avec ses voisins – le Guatemala en 1880 et le Salvador
lors de la brève « guerre du foot » en 1969.

« Exportation de la délinquance »
Mais le grand basculement dans la violence du Honduras s’opère à la fin des années 1990. Les
Etats-Unis procèdent alors à de grandes vagues de « déportations », renvoyant dans leur pays
d’origine des délinquants arrêtés sur leur territoire. « Cette exportation de la délinquance
américanisée a bouleversé le fragile équilibre social du pays, favorisant l’émergence de
gangs ultraviolents », note Christophe Ventura, de l’IRIS. Un mouvement qui s’accompagne
d’« une extension à toute l’Amérique latine du narcotrafic, suite à l’échec de la militarisation
de la lutte contre les trafics de drogue, imposée par les Etats-Unis ».

Résultat : avec le Guatemala et le Salvador, le Honduras fait désormais partie du Triangle du


nord d’Amérique centrale. Point de fixation du narcotrafic continental, cette zone est devenue
le lieu par lequel transite la drogue conduite de Colombie vers les Etats-Unis. « La société
hondurienne est minée par l’ultraviolence des gangs, notamment les organisations mafieuses
du MS13 et du Barrio 18 », souligne Christophe Ventura. Ces maras « sont devenues des
entrepreneurs du crime et pratiquent l’extorsion et toutes formes de barbarie sur toutes les
strates de la population », rappelle le chercheur. Selon le média Radio Progreso, cité par un
rapport de la Commission de l’immigration du Canada, « un contrat peut être exécuté pour
aussi peu que 200 HNL » (7,23 euros).

Grand format : Au Honduras et au Salvador, la gangrène des « maras »

Purges dans la police


Ce contexte de violence extrême engendre, en outre, un système politique corrompu.
En 2017, de nombreux Honduriens étaient d’ailleurs descendus dans les rues de Tegucigalpa
pour protester contre les résultats de l’élection présidentielle du 26 novembre, qu’ils
estimaient truqués. Selon Amnesty International, au moins 31 personnes ont été tuées par la
police et l’armée.
Le gouvernement a bien tenté quelques réformes pour lutter contre la corruption de ses agents
– le pays était classé 123e sur 176 par l’ONG Transparency International en 2016. Le
président, Juan Orlando Hernandez, a annoncé la création d’un ministère des droits humains
et de la justice, qui doit être opérationnel en 2018. En avril 2016, une commission spéciale
pour la purge et le processus de transformation de la police nationale avait été mise en place
pour mener une enquête parmi les forces policières. Selon Migdonia Ayestas, coordinatrice de
l’Observatoire de la violence au Honduras, plus de 5 000 des 17 000 policiers du pays ont été
renvoyés à cette occasion.

Menaces américaines
« Pris en étau entre pauvreté extrême et ultraviolence, de plus en plus de Honduriens
choisissent de fuir leur pays, poussés par le désespoir le plus extrême », résume Christophe
Ventura, de l’IRIS. En 2014, pour la première fois dans l’histoire de l’immigration
d’Amérique latine, le nombre de migrants venus du Triangle du nord a dépassé ceux du
Mexique à la frontière avec les Etats-Unis.

Une situation qui déplaît fortement à Donald Trump. Le président américain a annoncé, lundi
22 octobre, que les Etats-Unis allaient réduire l’aide allouée au Guatemala, au Honduras et au
Salvador, déplorant que ces Etats n’aient pas été capables « d’empêcher les gens
de quitter leur pays pour entrer illégalement aux Etats-Unis ». « Nous
allons commencer à couper, ou réduire de façon significative, l’énorme aide internationale
que nous leur accordons », a indiqué M. Trump dans un Tweet.

La décision aura de lourdes conséquences pour le Honduras. « Le pays, qui exporte très peu,
ne sera pas en mesure de défendre sa souveraineté politique et économique », souligne
Christophe Ventura, qui parle de « cercle vicieux » :« La ligne défendue par Donald Trump
est de continuer à sous-traiter la gestion des migrations aux pays d’origine,
sans aider à résorber les problèmes sociaux qui engendrent ces situations de détresse et
poussent les gens à l’exil. »

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