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P H I L O S O P H I E
Plan de la leçon
Introduction
« Les discours sont faits de signes : mais ce qu’ils font c’est plus que
d’utiliser ces signes pour désigner des choses. C’est ce plus, qui les rend
irréductibles à la langue et à la parole. C’est ce « plus » qu’il faut faire
apparaître et qu’il faut décrire ».
I. L’INTENTION DE SENS
On a vu dans la leçon précédente qu’il était possible de s’emparer d’un mot pour lui donner
une profondeur plus grande : le mot alors devient un concept, c’est-à-dire qu’il désigne - en
raccourci - toute une construction de sens. Néanmoins la philosophie ne se résume pas à des mots
isolés, fussent-ils érigés en concepts.
Dans le texte de François Châtelet analysé dans le cours 1, il ne s’agit pas seulement de
construire le sens du mot « opinion » : construire le concept d’opinion permet, d’une façon plus
générale, de définir précisément une mission de la philosophie, en l’occurrence, s’opposer aux
discours creux et irréfléchis.
C’est là ce qui guide tout le texte, c’est ce qu’il vise, ou encore c’est là son intention.
1. L’intention
Avoir une intention, c’est avoir une direction. Lorsque j’ai l’intention de faire quelque
chose, ma pensée, mes efforts sont dirigés vers cette chose. Parler d’intention à propos d’un texte,
ce n’est pas seulement faire allusion à l’idée que son auteur a en tête quand il l’écrit (ou le
prononce), c’est désigner ce à quoi le texte nous amène à réfléchir… quand bien même son auteur
n’aurait pas pensé nous entraîner jusque là.
Socrate est le plus sage des hommes parce qu’il sait qu’il ne sait rien.
Il interroge les autres et s’interroge en permanence. Cette remise en cause incessante des
certitudes auxquelles il peut parvenir, c’est la vie « selon la philosophie » que Socrate incarne, à
savoir une attitude de recherche et un dialogue intérieur avec ce qu’il appelle son « daimon »(son
« démon » : une voix intérieure), sa conscience.
Comment cela se traduit-il lorsqu’il prend la parole, donc dans son discours ?
1. Le discours de Socrate
Pousser les autres à se contredire n’est pas un but en soi. Ainsi, dans le dialogue intitulé La
République , Socrate et ses interlocuteurs cherchent à définir la justice.
En posant ses questions, Socrate essaie d’éliminer ce que les idées des uns et des autres ont
d’incohérent et de faire sentir l’idée de la justice comme un repère ferme au-delà des contradictions.
Il s’agit de déterminer ce que peut être la justice dans la cité – c’est-à-dire à l’échelle d’une
organisation politique collective – et dans un individu.
Dans chaque cas, une définition de la justice est proposée puis, en « frottant ensemble » les
deux définitions ( à l’échelle de la cité / à l’échelle de l’individu), Socrate veut « comme à partir
d’un briquet, (faire) jaillir la justice ».
Alors ajoute Socrate : « Une fois qu’elle sera devenue une lumière évidente, nous la
saisirons pour nous l’approprier ».
- En débattant avec les autres, chacun est obligé d’affiner ses arguments, et ce faisant les
uns et les autres s’approchent de plus en plus de cette « lumière » qui est la lumière de la vérité.
C’est en ce sens que le dialogue a une vertu « purificatrice »
- Néanmoins tout dialogue n’est pas philosophique et les adversaires de Socrate, les
sophistes étaient eux-mêmes de brillants interlocuteurs, aptes à faire aller un dialogue dans un sens
ou dans un autre, selon leur intérêt, sans être le moins du monde préoccupés par le triomphe de la
vérité.
Comment savoir, dès lors, ce qui fait d’un discours, un discours philosophique ?
Pour Socrate, il s’agit d’obtenir la purification de l’esprit par le contact avec la lumière du
vrai ( qui est aussi lumière du bien).
Son principe est donc que la vérité transforme les esprits qui se mettent à la chercher : ils
deviennent capables de voir les choses sous leur vrai jour (de même que la lumière physique fait
apparaître la forme physique des objets, la vérité fait apparaître « l’essence » des choses, c’est-à-
dire ce qu’elles sont).
Socrate essaie d’amener les autres à opérer pour eux-mêmes cette transformation (il ne peut
le faire à leur place, puisque précisément il s’agit pour chacun de se transformer soi-même, de
transformer son regard sur les choses pour parvenir à les voir telles qu’elles sont).
Pour déclencher en quelqu’un cette quête de la vérité, Socrate engage un dialogue, c’est-à-
dire un échange entre des idées qui, se « frottant » les unes aux autres, s’épurent par la même
occasion.
► Ce n’est donc pas ce qu’il dit qui « donne » la vérité, c’est le fait de mettre en
mouvement l’esprit de l’autre.
« Vous, si vous m’en croyez, ne vous occupez pas de Socrate, occupez-vous plutôt de la
vérité. Si je vous semble dire quelque chose de vrai, donnez-moi votre accord ; sinon, opposez-moi
toutes les raisons que vous voudrez, en prenant garde que, dans mon ardeur, je ne réussisse à
m’abuser moi-même, et vous aussi par la même occasion ; et que, comme une abeille, je m’en aille
en laissant en vous l’aiguillon »
Platon, Phédon Traduction Monique Dixsaut, GF Flammarion, p.263.
Tous les dialogues socratiques cherchent à produire cette mise en mouvement de l’esprit de
l’interlocuteur : c’est là leur intention, et elle est philosophique parce qu’elle est fondée sur un
principe que le discours illustre et met en application, à savoir, pour Socrate, la vertu purificatrice
de la vérité.
Tout discours philosophique est ainsi conçu pour diriger son lecteur, ou son auditeur,
vers la révélation d’un ou plusieurs principes. Cela peut se faire de bien des manières, c’est
pourquoi le discours philosophique ne doit pas être identifié à une seule « présentation » (dialogue,
démonstration à la manière scientifique… etc.).
Repérer un discours philosophique consistera dès lors à identifier dans un texte le fait qu’il
est l’illustration d’un principe et quel est ce principe. Il s’agit en quelque sorte d’une enquête « à
l’envers » : on part de l’illustration (le texte) pour retrouver ce qui est illustré (le ou les principe(s)).
On peut dire que tout texte philosophique est une « réponse » à une « question » ou à un
« problème ». Pour comprendre le texte , il faut trouver à quelle « question » il répond.
dévoile à toi comme la véritable forme de l’être, c’est un présent fixe où l’on t’apporte
éternellement le potage. »
Thomas Mann évoque un « phénomène » que le lecteur est supposé « rencontrer » en la
compagnie de l’auteur et de ses personnages : en l’occurrence, il s’agit d’une sensation d’éternité,
telle qu’elle surgit d’une extrême régularité.
La montagne magique a pour cadre un sanatorium où les malades vivent comme « hors du
monde », selon un rythme marqué par le déroulement des repas, les visites médicales, les cures de
repos, autant d’événements fixes, quasi rituels, qui ne varient jamais et servent de points de repère
(au point que les malades se considèrent comme d’une « espèce » différente des « gens d’en-bas »,
c’est-à-dire les non-malades qui résident dans la vallée, ceux qui ne vivent pas au rythme du
sanatorium).
Thomas Mann se sert d’une analyse philosophique, dans la mesure où la philosophie permet
de comprendre le rapport général de l’homme au monde, c’est-à-dire aux conditions dans lesquelles
il doit vivre et donner un sens à sa vie.
Le rapport au temps (qui passe, qui voit nos changements etc.), fait partie de ce « rapport au
monde », de ce qu’on appelle l’expérience humaine, ou parfois encore, avec une nuance de sens, la
condition humaine.
Dès lors que ce rapport au monde est questionné de manière générale – comme Thomas
Mann le fait un court instant – on peut dire qu’on se trouve en présence d’un pan de discours
philosophique.
► Un discours est philosophique lorsqu’il a pour visée (intention) un questionnement
général sur l’existence humaine.
Dans son livre, le romancier Thomas Mann fait vivre pour nous, à travers ses personnages,
des situations humaines. La façon de vivre de ses personnages révèle, en l’intensifiant, une
expérience que tous les hommes font sans y prêter attention.
Quelle est cette dimension de l’expérience humaine que nous révèle Thomas Mann ?
Les hommes vivent dans le temps sans s’en rendre compte jusqu’au moment où le
« passage » du temps devient un problème : lorsqu’ils vieillissent, lorsqu’ils perdent un être cher,
lorsqu’ils sont malades et que l’immobilité du temps devient pesante etc. Ces moments sont des
moments de crise1 : le temps devient alors un élément opaque, quelque chose qui nous trouble au
lieu d’être familier.
1
Le mot « crise » vient du grec krinein qui signifie « trancher », « séparer ». Une crise est un moment où ce qui était
évident « explose ».
Leçon 2 : Le discours philosophique 6/7
Module de Philosophie
En d’autres termes, la philosophie est une « crise permanente »… C’est ce que dit en
quelque façon Aristote lorsqu’il explique que « c’est l’étonnement qui poussa comme aujourd’hui
les premiers penseurs aux spéculations philosophiques »2.
L’étonnement est l’état où l’on s’arrête devant quelque chose que l’on ne comprend pas.
C’est également l’effet de la « crise » : elle rend « étrange » à nos yeux un élément autrefois banal.
Cette philosophie qui questionne sans cesse ce que nous sommes, qui nous sommes, est
donc bien, comme l’a indiqué Descartes (voir leçon 1), l’affaire par excellence des hommes. Elle
apparaît dès lors qu’ils assument d’interroger leur existence pour en comprendre le sens, ce qui
n’est rien d’autre qu’une prise de conscience.
Socrate appelle cette prise de conscience un « éveil ».
Conclusion
2
Métaphysique, livre alpha, 2.
Leçon 2 : Le discours philosophique 7/7